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NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
DES
PRÉDICATEURS
PARIS , IMPRIMERIE DE PAUL DUPONT ET Cie
Rue de Grcnelle-St-Honoré, 55.
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NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE £%,
PRÉDICATEURS,
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ou
^Dictionnaire apostolique
A L'USAGE DE CEUX QUI SE DESTINENT A LA CHAIRE,
PAR M. DASSANCE
VICAIRE GENERAL DE MONTPELLIER,
TRECEDEE
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®omc troisième.
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PARIS,
AU BUREAU DE LA BIBLIOTHEQUE ECCLÉSIASTIQUE ,
RUE DE VAUGIRARD , N° 58.
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NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
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PRÉDICATEURS
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PLAN ET OBJET DU TROISIEME DISCOURS
SUR LES CRAINTES ET LES ESPÉRANCES DE L'ÉGLISE
EXOIXDE.
llœc antiqua novît et futur a conjectal.
C'est la sagesse de Dieu qui connaît le passé, et qui voit juste dans l'avenir.
( Au livre de la Sag., c. vm. )
s
II' n'est donné qu'à la sagesse incréée d'embrasser d'un regard
l'avenir et le passé ; mais, tout borné qu'est l'homme mortel, il peut
envisager successivement ces deux termes ; et cette étude utile à
tout homme, à toute société, à celui qui commande, comme à celui
qui obéit, ne peut être que salutaire à la société visible des justes,
et à chacun des membres qui la composent ou qui la gouvernent.
En remontant vers le passé, nous voyons la conduite de Dieu
sur son Eglise , et par quelle alternative de disgrâces et de faveurs
il a fait marcher son peuple. En portant nos regards sur l'avenir ,
nous découvrons l'espace qui nous reste à traverser, les obstacles
et les ennemis que nous aurons à vaincre; de ce double spectacle
nous tirons la double leçon d'éviter les fautes qui ont attiré les
châtimens , et de prendre des précautions qui peuvent éloigner de
nous le danger, ou nous sauver de la calamité commune.
Les orateurs sacrés qui m'ont précédé dans cette chaire ont dé-
jà rempli cette première portion de la tâche qui me fut imposée.
Ils ont célébré l'établissement de l'Eglise et ses progrès, décrit ses
caractères et ses prérogatives, raconté ses combats, ses pertes, ses
conquêtes. Il est temps de fixer nos regards sur l'avenir ; il est
r. ni. i
2 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
temps d'entrer dans les conseils de Dieu, de pénétrer, à l'aide des
oracles divins, dans les profondeurs de sa sagesse, et d'y lire ce
qu'il lui a plu de nous révéler de ses desseins sur nous et sur son
Eglise.
Veut-il par des pertes multipliées , et par un affaiblissement pro-
gressif, renouvelerses épreuves, et la réduire à un état de langueur
qui fasse craindre pour sa chute, ou lui réserve-t-il dans ses tré-
sors quelque secours puissant et connu de lui seul, qui soutenant
sa vigueur et renouvelant sa jeunesse , ramène ses premiers jours ?
Attendri par les longues disgrâces des enfans d'Israël , se ressou-
vient-il enfin de l'alliance jurée à Abraham et à Jacob, leurs an-
cêtres; et las de supporter les peuples de l'ingrate gentilité, se pré-
pare-t-il à tirer vengeance des plus coupables ? Ce temple, ces
autels que nous avons hérités de nos pères , les transmettrons-
nous à notre postérité ; ou , destinés à voir le flambeau de la foi
s'éteindre dans ces contrées, sommes-nous les derniers adorateurs
que Dieu veuille souffrir dans ce sanctuaire ?
Si vous le demandez aux sages du siècle ennemis de la foi , ils
ne vous répondront que par les paroles les plus sinistres. Les
temps sont arrivés ; les ténèbres ont fait place à la lumière ; en-
core une génération, et il n'y aura plus de Dieu ni dans le ciel ni
sur la terre. Si vous faites part de vos craintes aux partisans d'une
justice superficielle, et aux amis de la mollesse et du repos; loin
de partager vos alarmes , ils s'écrieront dans leur sécurité , comme
les Juifs du temps de Jérémie : Temple du Seigneur, temple du Sei-
gneur1 ! Ils ne voudront pas croire à des maux dont ils craindront
le remède ; ils se replongeront dans leur sommeil ; et malheur à
vous si vous tentez de les tirer de leur funeste léthargie.
Ne suivez aucun de ces guides trompeurs, mes très chers frères;
les uns vous jetteraient dans le désespoir, les autres vous inspire-
raient une fausse confiance. N'écoutez que Jésus - Christ et ses
Apôtres; eux seuls ne vous tromperont point. D'un côté, Jésus-
Christ vous dit: A liez, je suis avec vous jusqu'à la fin des siècles;
de l'autre : Pensez-vous, quand le Fils de P homme reviendra, quil
trouve encore de la foi sur la terre ? Saint Paul nous annonce les
beaux jours de l'Eglise, et comme une résurrection de la mort à
la vie , par le retour des enfans de la dispersion Tout- à-coup ,
jelant un regard terrible sur les peuples de h gentilité, il les me-
nace d'un affreux retranchement. Prends donc garde , 6 gentil ,
1 Jt'rwm., vu, '<■, 14.
DES PRÉDICATEURS. 3
car si Dieu lia pas épargné les branches naturelles , crains qu'il
ne £ épargne encore moins *.
Qui ne serait effrayé de ces redoutables paroles ? D'un côté ,
des promesses ; de l'autre , des menaces. Cet oracle est profond et
mérite d'être expliqué. Les promesses s'adressent à l'Eglise en gé-
néral , les menaces regardent les peuples en particulier. L'Église
fondée sur la parole de Dieu ne saurait être renversée par tous
les efforts de l'enfer, etne peut manquer de voir un jour réalisées,
dans leur étendue, les promesses qui lui ont été faites. Mais les
divers peuples, enfans de l'Eglise par adoption, peuvent déchoir
de cette prérogative auguste. Ne craignez donc point pour l'Eglise
en général: son étendue et sa perpétuité sont prédites et assurées^
mais craignez pour les peuples ingrats, craignez pour vous-mêmes,*
et tandis que le flambeau de la foi brille sur notre horizon, tandis
que le royaume de Dieu est encore parmi nous, et que la coignée,
suspendue auprès de l'arbre , menace de frapper , non le tronc
immortel, mais les branches stériles et desséchées, rentrons en
nous-mêmes , mes frères , et par de saintes résolutions exécutées à
l'envi par les pasteurs et par les peuples, tâchons de recueillir le
fruit des promesses, et de nous dérober à l'effet des menaces : c'est
le sujet de ce discours. (M. de Noé 2, évêque de Lescar, Sur l'E-
tat futur de l'Eglise. )
L'étendue et la perpétuité de l'Église sont assurées.
Les ennemis de la foi , qui publient les maux de l'Eglise avec
1 Rom., xi, 15, 21 .
2 Noé ( Marc-Antoine de ), évèque de Lescar, puis de Troyes, naquit au château de
la Grimaudière, près La Rochelle, en 1726. Après avoir fait ses études théologiques à
Paris, il devint, au sortir de sa licence, grand vicaire de Rouen. Nommé en 1763 à
l'évêché de Lescar, il fut choisi en 178o pour faire le discours d'ouverture à l'assem-
blée générale du clergé. Il prit pour sujet : l'État futur de l'Église. Ce discours ne fut
pas prononcé, parce que l'on sut qu'il y était question de défection, de menaces et de
conjectures, et que l'on crut devoir prévenir un éclat qui n'eût réjoui que les enne-
mis de l'Eglise. Des opinions hasardées sur l'avènement intermédiaire de Jésus-
Christ et sur la conversion des Juifs à cette époque déparent celte production
oratoire, où brillent des beautés d'un ordre supérieur. M. de Boulogne n'a pas
craint de transporter dans son oraison funèbre du duc de Berry ce fameux pas-
sage de l'évèque de Lescar, resté dans la mémoire de tous les connaisseurs : « Je ne suis
« prophète, ni enfant de prophète pour lire les desseins de Dieu dans l'avenir
« Mais, voyant sur le soir le ciel en feu , je me suis dit que la journée du lendemain
« serait brûlante. » M. de Noé mourut à Troyes le 21 septembre 1802. Sa lettre
pastorale à l'occasion d'une mortalité de bestiaux qui avait fait des ravages dans son
diocèse en 1776 a été citée avec éloge par La Harpe, dans son Cours de littérature
i.
4 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
tant de satisfaction, et qui nous annoncent sa chute avec tant de
confiance, auraient dû consulter moins leurs préventions et le
désir de leur cœur, que leur raison et la nature des choses mêmes.
Et si, pour connaître les principes de vie et les ressources de
l'Eglise , ils eussent examiné son esprit et son organisation ,
s'ils eussent sondé les fondemens de nos espérances, et rappro-
ché les avantages spirituels et temporels de ce corps , ils au-
raient trouvé une constitution saine et robuste, qui annonce sa
durée, des promesses d'un secours abondant et divin qui la garan-
tissent, une assistance ordinaire qui préviendra sa défaillance,
une assistance extraordinaire qui réparera ses pertes et portera
sa gloire plus haut quelle n'a été dans ses beaux jours.
J'appelle donc l'esprit de l'Eglise, et comme son principe dévie,
cette foi inébranlable qui nous attache aux vérités que Dieu nous
a révélées , cette espérance ferme qui nous fait attendre les biens
qu'il nous promet, cet amour mutuel, ce feu divin qu'il allume
dans nos âmes par la charité, et je dis qu'il n'est pas de principe
plus puissant sur le cœur de l'homme, ni plus capable de l'attirer
dans une société quelconque et de l'y fixer, que ce triple lien par
lequel nous tenons invinciblement à l'Eglise -,
L'homme est né pour la vérité et pour le bonheur; son esprit
est fait pour connaître, son cœur est fait pour aimer; il faut donc,
s'il ne veut pas déchoir de la dignité de sa nature, qu'il tâche de
découvrir tout ce qu'il a intérêt de savoir, son origine, sa desti-
nation ; ce qu'il est, d'où il vient, où il va. Et pour être heureux,
il faut, ou qu'il possède l'objet qui peut faire son bonheur, ou
qu'il soit dans la route qui doit le mener à ce but. Mais à qui s'a-
dressera-t-il pour l'aider dans cette recherche , et de qui recevra-
t-il un si grand bien ? Sera-ce de ces anciens sages qui se vantaient
de posséder le double trésor de la vérité et du bonheur ? Sera-ce de
leurs successeurs qui se flattent d'avoir perfectionné leur art et sur-
passé leurs découvertes? Parmi les premiers, l'un vous demandera
du temps pour vous répondre, un autre vous répondra que ces
vérités, trop sublimes pour le commun des esprits , ne doivent pas
être révélées à la multitude. Parmi les derniers , les uns vous don-
neront des doutes sans solution; les autres des assertions sans
preuve et sans garant ; et tous vous laisseront dans les plus déso-
lantes incertitudes. Mais, comme le disait Tertullien aux païens
de son temps, un enfant chez les chrétiens, un artisan suffisant»
1 Ecoles., iv, là,
DES PREDICATEURS. ô
meut instruit dans nos écoles, ne redoutera pas vos questions.
Non seulement sur tous ces objets dignes de vos recherches, il
vous déduira les vérités les plus sublimes, mais il vous montrera
autour de lui tout un peuple qui les connaît et qui les professe,
mais vous verrez vous-mêmes autour de vous un nombre de vrais
sa ces j heureux par la connaissance de la vérité et par l'attente des
biens d'une autre vie dont ils goûtent les prémices dans celle-ci;
des hommes qui, loin de vouloir jouir exclusivement de leur bon-
heur, ne cherchent qu'à le partager, et qui, regardant les autres
hommes comme leurs frères, et leurs frères comme eux-mêmes,
ne sont avec eux qu'un cœur et qu'une ame *. Et après cela nous
craindrions qu'une société si fortement liée et si solidement établie
vînt à manquer ! Si vous voulez renverser ses fondemens , et nous
dégoûter d'elle, faites-nous croire ou que Dieu n'a point parlé, ou
que sa parole ne s'est point accomplie; que son Fils n'est point
venu, ou qu'il n'a pas daigné nous instruire; faites-nous voir un
maître plus habile et d'une plus grande autorité ; des vérités mieux
prouvées, plus consolantes, et dont nous puissions mieux con-
naître par nous-mêmes la force et la vertu. Dites, dites que nous
sommes dans l'erreur : cette erreur, si c'en est une, nous est agréa-
ble et nous plaît; que les biens qu'on nous propose sont vains et
chimériques : cette chimère nous suffit ; que les liens qui nous
unissent sont durs et fatigans : nous n'en voulons pas d'autres ;
nous pensons aujourd'hui comme pensaient nos pères. Nosenfans
un jour penseront comme nous. Unis par la connaissance des
mêmes vérités , par les solides liens , par un amour mutuel et ten-
dre, ils s'attacheront de plus en j;>lus à la mère commune; et, trou-
vant dans son sein maternel et dans la société de son divin Epoux
ce qu'inutilement ils chercheraient ailleurs, ils lui diront, comme
les disciples de Jésus sur le Thabor : Seigneur } il fait bon en votre
présence , nous y fixerons notre demeure , nous y dresserons nos pa-
villons.
Tel est donc le principe de vie qui anime l'Eglise ; et si de son
esprit nous passons à son organisation, nous trouverons joint à
la plus grande énergie tout ce qui contribue à sa plus grande
solidité. Et d'abord, pour base dune société sainte, une auto-
rité sacrée, des lois, un sacerdoce, des pontifes/ des minis-
tres, un régime que nous reconnaissons et recevons comme
venant de Dieu seul, que Dieu seul pouvait nous donner, que
1 .Ici , iv, 5*.
6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Dieu seul peut nous ôter, et qui, par sa nature, échappant
aux entreprises des hommes, n'a rien à redouter de leurs coups.
D'ailleurs, une autorité si saintement réglée, qu'elle ne saurait
corrompre celui qui l'exerce, ni avilir celui qui s'y soumet; assez
indépendante des puissances de la terre pour n'être pas gênée dans
la poursuite des intérêts du ciel; assez rapprochée des sociétés
humaines, pour leur rendre autant qu'elle en reçoit, et entretenir
une sainte confraternité par de mutuels services; une autorité
enfin, qui par des canaux fidèles et purs, portant son influence
jusqu'aux extrémités les plus reculées, les lie, les rapproche, et
fait que le corps au besoin peut se réunir, ou agir avec la même
force que si toutes les parties étaient rassemblées f.
Au centre de l'univers chrétien s'élève une chaire antique et
révérée, d'où un premier pontife, promenant au loin ses regards,
observe, reprend, encourage, et au nom de la société entière et
de son divin instituteur, pourvoit à ce qu'un besoin pressant a
rendu nécessaire.
Sur un siège moins élevé, chaque pontife préside à une portion
du troupeau universel; et, sans se départir de l'intérêt général,
concentre son activité dans les limites d'un diocèse.
Dans chaque diocèse, un corps de pasteurs unis à leur chef par
les liens dune douce et juste subordination, partage les travaux,
les honneurs, et la tendre sollicitude d'un même sacerdoce.
Dans chaque province et dans retendue de l'empire chrétien,
des assemblées plus ou moins solennelles, selon la grandeur du
péril, selon l'importance des objets, proscrivent les erreurs, ra-
mènent les errans , ou , par le retranchement douleureux mais
nécessaire de quelque membre corrompu, arrêtent le progrès du
mal, et assurent la vie et la santé de tout le reste.
Que manquerait-il à un corps ainsi organisé, si ce n'est de
trouver, dans les puissances qui l'environnent, un concours qui
favorise son action et qui la fortifie ? Et pourquoi l'Eglise ne les
trouverait-elle pas ? Fille du ciel , elle ne doit pas faire ombrage
aux puissances de la terre. Elle ne cherche point à s'élever sur
leurs ruines: elle ne veut que former des hommes dignes de Dieu.
Mais, en les rendant dignes de lui, elle les rend encore plus dignes
et plus capables de tous les emplois de la terre. Elle adoucit le
cœur des rois, elle leur soumet le cœur des peuples. Amie de la
dépendance, et point ennemie de la liberté, elle se prête-à tous les
1 Éphcs., iv, 10'.
DES PRÉDICATEURS, J
gouvernement, et s'incorpore à tous les Etats où elle est admise.
Toutes les puissances ont donc un égal intérêt à la maintenir, à
veillera l'exécution de ses lois, à étendre plutôt qu'à resserrer les li-
mites de son empire ; et alors, réunissant en elle tout ce qui peut la
fortifier et l'embellir, je la vois qui s'avance à travers les siècles,
pleine de force et de majesté, repoussant ses ennemis, réparant ses
pertes; et, frappé de ce spectacle, je m'écrie, avec Jacob dans le dé-
sert de Pharan : C'est ici le camp du Seigneur; ou avec Balaam , à la
vue du peuple de Dieu sur les confins de la terre promise: Que tes
tentes sont belles, ô Jacob! et que tes pavillons sont beaux, 6 Israël!
Cependant un ouvrage, sorti des mains d'un maître aussi puis-
sant qu'habile, aurait encore à redouter les vicissitudes des choses
d'ici-bas , des pertes, un affaiblissement qui pourrait, quoique
tard , entraîner sa ruine. Mais la même main qui a posé l'Eglise
sur ses fondemens saura l'y soutenir, et la même Providence, qui
lui aura suscité des épreuves et des périls, a pris l'engagement so-
lennel de l'en faire triompher. Allez, dit Jésus-Christ à ses Apôtres,
en leur donnant le monde à conquérir; allez, enseignez tous les
peuples: toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la
terre ; je serai avec vous jusqu'à la consommation des siècles; les
cieux et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas, et les
portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre mon œuvre. Aussi
les tyrans se sont élevés contre l'Eglise dès sa naissance, les erreurs
ont succédé aux tyrans, les vices ont secondé l'erreur, les schismes
ont aggravé les maux en écartant tout remède; et, néanmoins,
soutenue par les promesses et par le bras du Tout-Puissant, vous
durez, société sainte, dont nos ennemis avaient juré et prédit la
ruine. Vos temples, vos autels^ vos dogmes, votre sacrifice, vous
sont conservés jusqu'à ce jour. Parvenue à une honorable vieil-
lesse, vous enfantez encore des justes, vous leur préparez des
successeurs, et jusques à la consommation des siècles vous serez
justement appelée l'asile de la vertu, l'école de la justice, la co-
lonne et le fondement de la vérité.
Oui, dira-t-on, l'Eglise a ses promesses et la parole d'un Dieu
pour garant; mais la Synagogue avait aussi les siennes; mais les
Juifs avaient les leurs, et cependant la chaire de Moïse est ren-
versée, le peuple juif est dispersé; l'Eglise elle-même, l'Eglise
élevée sur les débris de ce peuple, et héritière de ses bénédictions,
a-t-elle recueilli tout le fruit des promesses? Ou sont, et cette
domination qui devait s'étendre d'une mer à l'autre mer ' , et ces
1 Tsal., 71.
8 NOCVELLE BIBLIOTHÈQUE
torrens de justice qui devaient inonder la terre i ? Que sont de-
venues ces nombreuses églises d'Orient et d'Occident, jadis flo-
rissantes, aujourd'hui désolées? L'infidélité a ruiné les unes, le
schisme et l'hérésie ont infecté les autres. Resserrée au dehors, af-
faiblie au dedans, l'Eglise défend à peine ses limites. Le flambeau
de la foi, qu'on voyait transporté de contrée en contrée, pour
éclairer de nouveaux peuples, pâlit et se consume sur son chande-
lier; et à moins que votre Dieu, sortant de son secret après des
siècles d'inaction et de silence, ne suscite quelque prophète puis-
sant en œuvres et en paroles, qui consomme l'ouvrage que Moïse
avait commencé, et que le Messie n'a pas fini; à moins que le ciel
et la terre ne conspirent pour former une nouvelle race de Justes,
et que des pierres même Dieu fasse naître des en fan s d'Abraham,
que deviendront et ses promesses, et vos espérances?
Suspendez votre triomphe, ennemis de la foi, et ne vous flattez
pas de nous avoir confondus par vos défis et par vos menaces. La
Synagogue a péri ; mais la Synagogue ne devait pas toujours durer ;
figure de l'Eglise, elle a disparu en sa présence, comme l'ombre
devant la réalité.
Coupables du plus grand des crimes, les Juifs ont subi le plus
terrible des châtimëns; mais ils subsistent, et leur sort n'est pas
rempli. L'Eglise, il faut en convenir, n'est pas encore parvenue
à la plénitude de la gloire qui lui est promise; elle est encore
dans les épreuves et dans les combats; mais ces épreuves et ces
combats n'auront qu'un temps et finiront par le triomphe et par
la paix. (Le même.)
L'Église n'a aucun besoin <Ies princes de la lerre , parce que les promesses Je son
Époux tout-puissant lui suffisent.
J^es en fan s du siècle, prévenus des maximes d'une politique pro-
fane, prétendent que l'Eglise ne saurait se passer du secours des
princes, et de la protection de leurs armes, surtout dans les pays
où les hérétiques peuvent l'attaquer. Aveugles, qui veulent mesu-
rer l'ouvrage de Dieu par celui des hommes! C'est s appuyer sur
un bras de chair-' ; c'est anéantir la croix de Jésus- Christ 3. Croit-
on que l'Epoux tout-puissant, et fidèle dans ses promesses, ne
suffise pas à l'Epouse ? Le ciel et la terre passeront, mais aucune de
ses paroles ne passera jamais *'. 0 hommes faibles et impuissans
' îsai., xlyiii, 18.— a Jérém., xvii, 5. — r' 1 Cor i, 17. -• '< Luc, xxt, 35.
UKS PREDICATEURS. 9
qu'on nomme les rois et les princes du monde , vous n'avez qu'une
iorce empruntée pour un peu de temps : l'Epoux, qui vous la prête
ne vous la confie qu'afin que vous serviez l'Epouse. Si vous [man-
quiez à l'Epouse, vous manqueriez à l'Epoux même ; il saurait
transporter son glaive en d'autres mains. Souvenez vous que c'est
lui qui est le Prince des Rois de la terre ', le Roi invisible et im-
mortel des siècles 2.
Il est vrai qu'il est écrit que l'Eglise sucera le lait des nations,
quelle sera allaitée de la mamelle des rois, qu ils seront ses nourri-
ciers, qu' ils marcheront à la splendeur de sa lumière naissante, que
ses portes ne se fermeront ni jour ni nuit, afin quon lui apporte la
force des peuples, et que les rois y soient amenés: mais il est dit
aussi que les rois viendront les yeux baissés vers la terre , se pros-
terner devant l'Eglise , qu' ils baiseront la poussière de ses pieds* ;
que, n'osant parler , ils fermeront leur bouche devant son Epoux ;
que toute nation et tout royaume qui ne sera point dans la servitude
de cette nouvelle Jérusalem périra. Trop heureux donc les princes
que Dieu daigne employer à la servir ! Trop honorés ceux qu'il
choisit pour une si glorieuse confiance !
ht maintenant , ô rois, comprenez; instruisez-vous , ô juges de
la terre : servez le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui
avec tremblement, de peur que sa colère ne s enflamme, et que
vous ne périssiez en vous égarant de la voie de la justice 4. Dieu
jaloux renverse les trônes des princes hautains , et il fait asseoir en
leurs places des hommes doux et modérés ; il fait sécher jusqu'aux
racines des nations superbes, et il plante les humbles* pour les
faire fleurir; il détruit jusque dans ses fondemens toute puissance
orgueilleuse ; il en efface même la mémoire de dessus la terre b.
Toute chair est comme l'herbe, et sa gloire est une fleur des champs :
dès que l'esprit du Seigneur souffle, cette herbe est desséchéeet cette
fleur tombe ".
Que les princes, qui se vantent de protéger l'Eglise, ne se flat-
tent donc pas jusqu'à croire qu'elle tomberait s'ils ne la portaient
pas dansleurs mains. S'ils cessaientde la soutenir, le Tout-Puissant
la porterait lui-même. Pour eux , faute de la servir ils périraient^,
selon les saints oracles.
Jetons les yeux surl'Eglise , c'est-à-dire sur cette société visible
desenfans de Dieu qui a été conservée dans tous les temps : c'est
1 Apoc, i, 5. — -1 Tira.,1, 17. — 5 ls., lx, 16 et scq — *Ps. u, 10, 11, 12.
Luc, i, 52. — «Ps. xxxiu, 17, — " 1s. xl, 6, 7. — s ïbid 12-.
IO NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
le royaume qui n'aura point de fui. Toutes les autres puissances
s'élèvent et tombent; après avoir étonné le monde, elles disparais-
sent. L'Eglise seule, malgré les tempêtes du dehors et les scanda-
les du dedans, demeure immortelle. Pour vaincre, elle ne fait que
souffrir; et elle n'a pas d'autres armes que la croix de son Epoux.
Considérons cette société sous Moïse : Pharaon la veut opprimer;
les ténèbres deviennent palpables en Egypte; la terre s'y couvre
d'insectes, la mer s'entrouvre , ses eaux suspendues s'élèvent com-
me deux murs; tout un peuple traverse l'abîme à pieds secs, un
pain descendu du ciel le nourrit au désert; l'homme parle à la
pierre, et elle donne des torrens ; tout est miracle pendant qua-
rante années pour délivrer l'Eglise captive.
Hâtons-nous; passons aux Machabées: les rois de Syrie persé-
cutent l'Eglise; elle ne peut se résoudre à renouveler une alliance
avec Rome et avec Sparte, sans déclarer en esprit de foi qu'elle ne
s'appuie que sur les promesses de son Epoux. Nous n'avons, disait
Jonathas 1, aucun besoin de tous ces secours , ayant pour consolation
les saints livres qui sont dans nos mains. Et en effet , de quoi l'E-
glise a-t elle besoin ici-bas? Il ne lui fautquela grâce de son Epoux
pour lui enfanter des élus ; leur sang même est une semence qui
les multiplie. Pourquoi mendierait-elle un secours humain, elle
qui se contente d'obéir, de souffrir, de mourir; son règne qui est
celui de son Epoux, n'étant point de ce monde, et tous ses biens
étant au delà de cette vie?
Mais tournons nos regards vers l'Eglise , que Piome païenne ,
cette Babylone enivrée du sang des martyrs, s'efforce de détruire.
L'Eglise demeure libre dans les chaînes, et invincible au milieu des
tourmens. Dieu laisse ruisseler, pendant trois cents ans, le sang de
ses enfans bien-aimés. Pourquoi croyez-vous qu'il le fasse ? C'est
pour convaincre le monde entier, par une si longue et si terrible
expérience , que l'Eglise, comme suspendue entre le ciel et la terre,
n'a besoin que de la main invisible dont elle est soutenue. Jamais
elle ne fut si libre , si forte, si florissante, si féconde.
Que sont devenus ces Romains qui la persécutaient ? Ce peuple,
qui se vantait d'être le peuple-roi , a été livré aux nations barbares;
l'empire éternel est tombé ; Rome est ensevelie dans ses ruines
avec les faux dieux; il n'en reste plus de mémoire que par une
Rome sortie de ses cendres, qui, étant pure et sainte, est devenue
à jamais le centre du royaume de Jésus-Christ.
1 I Mac, xu, 9.
DES PRÉDICATEURS. I I
Mais comment est-ce que l'Eglise a vaincu cette Rome victo-
rieuse de l'univers ? Ecoutons l'Apôtre l : Ce qui est folie en Dieu
est plus sage que tous les hommes ; ce qui est faible en Dieu est plus
fort queux. Voyez, mes frères, votre vocation; car il n y a point
parmi vous beaucoup de sages , selon là chair , ni beaucoup cU hom-
mes puissans , ni beaucoup de nobles. Mais Dieu a choisi ce qui est
insensé selon le monde , pour confondre les sages ; et il a choisi ce
qui est faible dans le monde, pour confondre ce qui est fort; il a
choisi ce qui est bas et méprisable , et même ce qui n'est pas , pour
détruire ce qui est , afin que nulle chair ne se glorifie devant lui.
Qu'on ne nous vante donc plus ni une sagesse convaincue de
folie, ni une puissance fragile et empruntée ; qu'on ne nous parle
plus d'une faiblesse simple et humble, qui peut tout en Dieu seul;
qu'on ne nous parle plus que de la folie de la croix. La jalousie de
Dieu allait jusqu'à sembler exclure de l'Eglise, pendant ces siècles
d'épreuves, tout ce qui aurait paru un secours humain : Dieu, im-
pénétrable dans ses conseils, voulait renverser tout ordre naturel.
De là vient que Tertullien a paru douter si les Césars pouvaient
devenir chrétiens â. Combien coûla-t-il de sang et de tourmens
aux fidèles, pour montrer que l'Eglise ne tient à rien ici-bas!
« Elle ne possède pour elle-même, dit saint Ambroise ? , que sa
« seule foi. » C'est cette foi qui vainquit le monde.
Après ce spectacle de trois cents ans, Dieu se souvint enfin de
ses anciennes promesses; il daigna faire aux maîtres du monde la
grâce de les admettre aux pieds de son Epouse. Ils en devinrent les
nourricières , et il leur fut donné de baiser la poussière de ses pieds 4,
Fut-ce un secours qui vint à propos pour soutenir l'Eglise ébran-
lée ? non , celui qui l'avait soutenue pendant trois siècles malgré
les hommes, n'avait pas besoin de la faiblesse des hommes, déjà
vaincus par elle, pour la soutenir. Mais ce fut un triomphe que
l'Epoux voulut donner à l'Epouse après tantde victoires ; ce fut non
une ressource pour l'Eglise, mais une grâce et une miséricorde
pour les Empereurs. « Qu'y a-t-il, disait saint Ambroise 5, de plus
« glorieux pour l'Empereur, que d'être nommé le fds de l'Eglise ? »
En vain quelqu'un dira que l'Eglise est dans l'Etat. L'Eglise, il
est vrai, est dans l'Etat pour obéir au prince dans tout ce qui est tem-
porel. Mais, quoiqu'elle se trouve dans l'Etat, elle n'en dépend ja-
mais pour aucune fonction spirituelle. Elle est en ce monde , mais
1 I Cor., i, 25 — 28. — 2 Apoc, c. xxr. — 3 Ep. xvni, ad Valentinian, cont. Sym-
machum , n° 16 , lom. n : pag. 857. — * Is., xlix, 25. — s Ep. xxi , in serm. cont.
Auxent., n° 56, tom. n, pag. 875.
12 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
c'est pour le convertir; elle est en ce monde, mais c'est pour le
gouverner par rapport au salut. Elle use de ce monde en passant,
comme n'en usant pas: elle y est comme Israël fut étranger et
voyageur au milieu du désert ; elle est déjà d'un autre monde, qui
est au dessus de celui-ci. Le monde, en se soumettant à l'Eglise,
n'a point acquis le droit de l'assujétir; les princes, en devenant les
enfans de l'Eglise, ne sont point devenus ses maîtres; ils doivent
la servir, et non la dominer; baiser la poussière de ses pieds , et
non lui imposer le joug. L'empereur, disait saint Ambroise *, « est
« au-dedans de l'Eglise : mais il n'est pas au-dessus d'elle. Le bon
« empereur cherche le secours de l'Eglise et ne le rejette point. <>
L'Eglise demeura sous les empereurs aussi libre qu'elle l'avait été
sous les empereurs idolâtres et persécuteurs. Elle continua de dire,
au milieu de la plus profonde paix, ce que Tertullien disait pour
elle pendant les persécutions : « Non te terremus , quinec timemus '*.
« Nous ne sommes point à craindre pour vous, et nous ne vous
« craignons point. » « Mais prenez garde, ajoute-t-il, de ne combattre
« pas contre Dieu. » En effet , qu'y a-t-il de plus funeste à une puis-
sance humaine , qui n'est que faiblesse , que d'attaquer le Tout-
Puissant ? Celui sur qui cette pierre tombe sera écrasé ;et celui qui
tombe sur elle se brisera 5.
S'agit-il de l'ordre civil et politique, 1 Eglise n'a garde d'ébran-
ler les royaumes de la terre, elle qui tient dans ses mains les clefs
du royaume du ciel. Elle ne désire rien de tout ce qui peut être
vu ; elle n'aspire qu'au royaume de son Epoux , qui est le sien.
Elle est pauvre , et jalouse du trésor de sa pauvreté; elle est pai-
sible, et c'est elle qui donne au nom de l'Epoux une paix que le
monde ne peut ni donner ni ôter ; elle est patiente, et c'est par
sa patience jusqu'à la mort de la croix qu'elle est invincible. Elle
n'oublie jamais que son Epoux s'enfuit sur la montagne dès qu'on
voulut le faire roi ; elle se ressouvient qu'elle doit avoir en com-
mun avec son Epoux la nudité de la croix, puisqu'il est Ihomme
des douleurs , l'homme écrasé dans Vinjirmité 4 y , l'homme rassasié
d'opprobres^, Elle ne veut qu'obéir; elle donne sans cesse
l'exemple de la soumission et du zèle pour l'autorité légitime; elle
verserait tout son sang pour la soutenir. Ce serait pour elle un
second martyre après celui qu'elle a enduré pour la foi. Princes,
elle vous aime; elle prie nuit et jour pour vous, vous n'avez point
' Ep. xxi, ibi î. — 2 Ad Stflpul., cap. iv. — r* Matili., xxi, ii. — * Is. , lui, 3, 10
— B Lainunt., M, 50.
DES PRÉDICATEURS. l3
de ressource plus assurée que sa fidélité. Outre qu'elle attire sur
vos personnes et sur vos peuples les célestes bénédictions , elle
inspire à vos peuples une affection à toute épreuve pour vos per-
sonnes, qui sout les images de Dieu ici-bas.
Si l'Eglise accepte les dons précieux et magnifiques que les prin-
ces lui font, ce n'est pas quelle veuille renoncer à la croix de son
Epoux, et jouir des richesses trompeuses : elle veut seulement pro-
curer aux princes le mérite de s'en dépouiller; elle ne veut s'en
servir que pour orner la maison de Dieu, que pour faire subsister
modestement les ministres sacrés, que pour nourrir les pauvres
qui sont les sujets des princes. Elle cherche, non les richesses des
hommes, mais leur salut j non ce qui est à eux, mais eux-mêmes.
Elle n'accepte leurs offrandes périssables que pour leur donner les
biens éternels.
Plutôt que de subir le joug des puissances du siècle et de per-
dre la liberté évangélique, elle rendrait tous les biens temporels
qu'elle a reçus des princes. « Les terres de l'Eglise, disait saint Am-
« broise *, paient le tribut ; et si l'empereur veut ces terres, il a la
« puissance pour les prendre, aucun de nous ne s'y oppose. Les au-
« mônes des peuples suffiront encore à nourrir les pauvres. Qu'on ne
« nous rende point odieux par la possession où nous sommes de
« ces terres, qu'ils les prennent, si l'empereur le veut. Je ne les
« donne point; mais je ne les refuse pas. »
Mais s'agit-il du ministère spirituel donné à l'Epouse immédia-
tement par le seul Epoux, l'Eglise l'exerce avec une entière indé-
nendance des hommes. Jésus-Christ dit 2 : Toute puissance m'a été
donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc; enseignez toutes les
nations, les baptisant , etc. C'est cette toute -puissance de l'E-
poux qui passe à l'Epouse , et n'a aucune borne : toute créature
sans exception y est soumise. Comme les pasteurs doivent don-
ner aux peuples l'exemple de la plus parfaite soumission et de la
pins inviolable fidélité aux princes pour le temporel , il faut aussi
que les princes, s'ils veulent être chrétiens, donnent aux peuples,
à leur tour, l'exemple de la plus humble docilité et de la plus exacte
obéissance aux pasteurs pour toutes les choses spirituelles. Tout ce
que l'Eglise lie ici-bas est lié; tout ce qu'elle remet est remis;
tout ce qu'elle décide est confirmé au ciel. Voilà la puissance dé-
crite par le prophète Daniel.
V Ancien des jours, dit-il 5, a donné le jugement aux saints du
^Ep.'xxi, Serm. cont. Âuxent., n° 35, tora. h, 872. — 2 Matth., xxvm, 18. — «
s Daniel, vu, 22, 23, 26, 27.
l4 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
Très-Haut, et le temps en est 'venu, et les saints ont possédé la
royauté. Ensuite le Prophète dépeint un roi puissant et impie, qui
proférera les blasphèmes et qui écrasera des saints du Très-Haut :
il croira pouvoir changer les temps et les lois , et ils seront livrés
dans sa main jusqu'à un temps, et à des temps , et à la moitié d'un
temps : et alors le juge sera assis afin que la puissance lui soit en-
levée, qu'il soit écrasé , et qu'il périsse pour toujours ; en sorte que
la royauté , la puissance et la grandeur de la puissance sur tout ce
qui est sous le ciel , soit donné au peuple des saints du Très-Haut,
dont le règne sera éternel, et tous les rois lui serviront et lui obéi-
ront.
O hommes, qui n'êtes qu'hommes, quoique la flatterie vous
tente d'oublier l'humanité et de vous élever au dessus d'elle, sou-
venez-vous que Dieu peut tout sur vous et que vous ne pouvez
rien contre lui. Troubler l'Eglise dans ses fonctions , c'est attaquer
le Très-Haut dans ce qu'il a de plus cher, qui est son Epouse;
c'est blasphémer contre les promesses; c'est oser l'impossible;
c'est vouloir renverser le règne éternel. Rois de la terre, vous vous
ligueriez en vain contre le Seigneur et contre son Christ 1 ; en vain
vous renouvelleriez les persécutions : en les renouvelant, vous ne
feriez que purifier l'Eglise , et que ramener pour elle la beauté de
ses anciens jours. En vain vous diriez : Rompons ses liens et reje-
tons son joug; celui qui habite dans les deux rirait de vos desseins.
Le Seigneur a donné à son Fils toutes les nations comme son héri-
tage, et les extrémités de la terre comme ce qu'il doit posséder en
propre 2. Si vous ne vous humiliez sous sa puissante main, il vous
brisera comme des vases d argile. La puissance sera enlevée à qui-
conque osera s'élever contre l'Eglise. Ce n'est pas elle qui l'enlè-
vera, car elle ne fait que prier et souffrir. Si les princes voulaient
l'asservir, elle ouvrirait son sein ; elle dirait : Frappez; elle ajou-
terait, comme les Apôtres : Jugez vous-mêmes devant Dieu s'il
est juste de vous obéir plutôt quà lui 3. Ici ce n'est pas'moi qui parle,
c'est le Saint-Esprit. Si les rois manquaient à la servir 4 et à lui
obéir, la puissance leur serait enlevée. Le Dieu des armées, sans
qui on garderait en vain les villes, ne combattrait plus avec eux.
( FÉNELOtf, Discours pour le Sacre de l Electeur de Cologne. )
i Ps. h, 2, — 2 Ibid., 3, 4, 8, 9. — 3 Act. iv, 19. — * Euseb., de Vita Constan-
tini, lib. iv, cap. xxiv.
DES PRÉDICATiiUftS. l5
Menaces des livres saints contre les églises en particulier. — Nous avons a craindre
les mêmes maux.
Je passe sous silence les menaces que nous lisons dans les an-
ciennes prophéties contre les Juifs et les gentils, quoique saint Paul
nous avertisse que ce qui a été dit ou écrit pour eux l'a été aussi
pour nous; et j'arrive à ces hommes inspirés, qui, plus près de
nos jours , ne peuvent avoir que nous et notre postérité en vue
dans leurs prédictions.
J'ouvre le livre des révélations faites à l'apôtre saint Jean , ce
livre que tous les interprètes regardent comme l'abrégé des divines
Ecritures et comme un fidèle tableau des événemens présens,
passés, futurs, du règne de Dieu sur ^la terre. C'est donc dans ce
livre divin que, pour hâter notre instruction, nous devons étudier
la conduite de Dieu sur son Eglise: heureux celui qui le lit, heu-
reux celui qui l'entend , plus heureux encore celui qui profitera
de ses leçons 1.
Là, sous les emblèmes les plus frappans et les plus variés, sept
coupes, sept sceaux, sept trompettes , l'Esprit-Saint nous retrace
les sept âges de l'Eglise, depuis sa naissance jusques à la consom-
mation des siècles; et après avoir parcouru à grands traits ses
conquêtes, ses pertes, les grandes époques de son histoire jusqu'à
nos jours, de manière qu'un œil attentif ne puisse pas les mécon-
naître, il s'arrête, et, par un silence de quelques instans, il réveille
notre attention, et nous prépare à la scène tragique qui va se
passer 2.
Six trompettes ont déjà sonné; la septième et dernière donne le
signal ; une voix épouvantable répète : « Il n'y a plus de temps , il
n'y a plus de temps. » Un ange, ministre des vengeances de Dieu?
pressant d'un pied la terre et de l'autre la mer, et de la main, des
yeux et delà voix, menaçant le ciel, agite la nature entière et
bouleverse les élémens 3. Le soleil s'obscurcit, la lune se couvre
de sang, les cieux se roulent, se replient et disparaissent; les hom-
mes, saisis de frayeur, s'enfuient dans les antres, parmi les ro-
chers, et crient aux montagnes : Montagnes , couvrez-nous de
vos masses, et sauvez-nous de la colère de V Agneau 4.
Le voilà donc ce jour épouvantable, jour de tribulation et d'ef-
froi, que l'apôtre saint Jean et les Prophètes nous annoncent, et
que, dans l'amertume de mon cœur, je voyais de loin, comme un
1 Apoc. i, 3. — 2 Apoc. vi, per tolum vu, ix, x, per totum xvr. — 3 lb. x , i, 16, —
4 lb. xvi, xn, xvu.
iG NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
orage s'avancer, et prêt à fondre sur nous; jour terrible qui n'est
pas cependant le dernier de nos jours, la fin et la consommation
de toutes choses; mais ce jour, non moins à craindre pour les cou-
pables, où le Fils de Dieu, las des crimes de la gentilité, viendra
dans le plus grand appareil purifier la terre, renouveler les cieux,
établir un nouveau règne ; et par des prodiges inouïs signaler sa
justice et sa miséricorde tout ensemble. Il veut donc (et c'est tou-
jours l'apôtre saint Jean qui parle), il veut qu'au fort de sa colère,
les quatre anges, qu'il avait placés aux quatre extrémités de la terre
pour exercer ses vengeances, en arrêtent le cours l ; que deux té-
moins pacifiques , partis de ses côtés , courent se mettre entre son
peuple et lui, pour opérer une réconciliation durable 2; que, de
chacune des douze tribus, douze mille enfans d'Israël, marqués
au front d'un signe sacré, échappent à l'anathème général, et que,
sur leurs pas, une foule innombrable, de toute langue et de toute
nation, introduite dans la nouvelle Jérusalem, 1 adore dans ce
temple , dont , plusieurs siècles auparavant, le prophète Ezéchiel
nous avait tracé le modèle r>. Mais, avant que ces prodiges de misé,
ricorde s'accomplissent, par combien d'actes de rigueur ne faut-il
pas qu'il se soit vengé ? Il faut que les nations, qui l'ont connu et
qui l'ont abandonné , expient, à divers temps ou à la même épo-
que, par un jugement secret ou par un jugement solennel, le
crime de leur révolte et de leur ingratitude.
Les Juifs perfides ont subi les premiers l'arrêt qui les retranche.
Les Iles , dit le prophète Isaïe , c'est-à-dire l'ingrate gentilité aura
bientôt son tour4. Il approche ce moment, ajoute le même Pro-
phète, où Dieu, comme un moissonneur, va venir agiter les na-
tions dans un van ; et ce ne sera que le plus petit nombre qui échap~
pera à cette épreuve. Joël, Baruch, Osée, tous les prophètes, sous
des images différentes , nous retracent un même fléau. Saint Jean,
le précurseur du Messie, avait annoncé que la coignée était au
pied de l'arbre, prête à frapper: saint Jean, le disciple bien-aimé
du Sauveur, voit un glaive à deux tranchans sortir de la bouche
du Fils de Dieu , pour exterminer les nations coupables : la me-
nace du précurseur a eu son effet contre les Juifs; la prédiction
du disciple bien-aimé ne peut manquer de l'avoir contre les gen-
tils. Que celui donc qui a des oreilles pour entendre écoule; et,
s'il lui reste encore quelque doute après avoir entendu l'apôtre
* Apoc. vu, et seq. — a Malach , iv, 5. — 3Apoc. ix, 15 — 4 Is,, xxiri, 59.
DES PREDICATEURS. IJ
saint Jean, saint Paul lui répondra, avec autant de clarté que de
profondeur, que toute chair a été renfermée, comme dans un cer-
cle, dans l'incrédulité. L'incrédulité des Juifs a donné lieu à la vo-
cation des gentils; l'incrédulité donnera lieu au rappel des Juifs.
« Prends donc garde, 6 gentil, car si Dieu n'a pas épargné les
« branches naturelles, crains qu'il ne t'épargne encore moins. »
Si vous avez entendu sans effroi ces terribles paroles, il n'est
plus rien dans les divines Ecritures qui puisse vous épouvanter ;
je n'ai plus qu'à descendre de cette chaire, et, vous-mêmes, sortez
de ce temple, d'où bientôt vous ne sortirez que plus coupables
et plus endurcis.
Du temps de saint Jean et de l'apôtre saint Paul, des disciples,
ou mal instruits, ou peu dociles , pouvaient douter encore de l'ef-
fet de ces menaces, et renvoyer bien loin, dans un avenir incertain,
ce qu'elles avaient de plus effrayant: mais aujourd'hui que les faits
ont changé les menaces en prophéties, et les prophéties en histoire;
aujourd'hui que, regardant autour de nous et au dessus de nous,
nous voyons tant de glandes Eglises, comme autant de branches
arrachées du tronc sur lequel elles avaient fleuri, et le nombre de
celles qui subsistent tellement diminué, que si le bras de Dieu
s'appesantit sur quelqu'une d'elles, le coup ne peut tomber que
sur nous ou près de nous , qui ne serait effrayé de cet oracle :
Prends donc gardc^ 6 gentil !
Encore, si ce retranchement ne devait opérer que des calamités
spirituelles, l'obscurcissement de la foi , le refroidissement de la
charité, la perte des biens d'une autre vie, qu'il est à craindre
qu'un malheur aussi terrible aux yeux de la foi, envisagé des yeux
de la chair, ne vous parut pas aussi redoutable qu'il l'est dans la
réalité ! Mais il n'en est pas ainsi; non , il n'en est pas ainsi ; témoin
ces peuples retranchés, qui peut-être pensaient comme plusieurs
d'entre vous, et qui, victimes d'une double calamité, vous aver-
tissent par leur exemple de ^craindre les menaces sous lesquelles
ils ont succombé.
Il y avait sans doute parmi eux des âmes assez charnelles pour
se consoler aisément de la perte des biens spirituels, et qui, pour
conserver ou acquérir les honneurs et les richesses de la terre, au-
raient fait, sans répugnance, le sacrifice des intérêts du ciel. Chez
les Juifs, par exemple , les saducéens eussent livré la loi, Moïse
et les prophètes ; les pharisiens eussent abandonné leurs oraisons,
leurs pratiques superstitieuses, leur maintien affecté, leurs phy-
lactères; les uns, pourvu qu'ils eussent conservé leurs richesses
t. ni. o
l8 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
et leur prééminence dans le temple ; les autres , pourvu qu'ils eus-
sent toujours été regardés comme les docteurs des peuples , et com-
me des hommes en tout au dessus du vulgaire.
Dans les Eglises d'Afrique, dans celles d'Orient, dans celles du
Nord , il y avait des hommes indifférens, sensuels, dévorés d'am-
bition et d'avarice, qui auraient appelé l'ennemi de la foi, qui lui
auraient ouvert les portes du temple , livré les autels , les ministres,
les mystères, les richesses mêmes du temple, pourvu qu'à ce prix
ils eussent pu s'avancer dans la faveur du nouveau maître, et sur-
tout s'assurer une riche portion dans le partage des dépouilles des
peuples et du sanctuaire.
Mais quand l'iniquité fut portée à son comble, et que la coupe
delà colère trop remplie vint à se répandre, la ville et le temple,
la loi et les sacrifices , ceux qui venaient offrir des victimes, ceux
qui les immolaient, tout fut également frappé et entraîné dans
une ruine commune.
En Afrique, un déluge de Barbares inonde les Eglises de leurs
erreurs, et couvre ces vastes contrées des traces de leur férocité.
En Orient, Mahomet établit ses dogmes absurdes sur les ruines
du nom chrétien , et son empire sur les débris des puissances qu'il
a renversées.
Dans le Nord, les temples sont profanés par les impiétés les plus
révoltantes, les asiles de la pudeur violés par la licence la plus ef-
frénée. Les citoyens armés contre les citoyens s'attaquent et se
disputent des dépouilles ensanglantées. Cherchez dans les annales
de l'Eglise un exemple de pareille défection , qui n'ait point été
marquée par des ravages, par des larmes et par du sang; vous n'en
trouverez point. On a vu quelques impies se déclarer les ennemis
de Dieu , et néanmoins jouir paisiblement du fruit de leurs crimes;
Dieu les attendait dans une autre vie , où il leur rendra selon leurs
œuvres ; mais qu'un peuple qui faisait partie de l'héritage du Sei-
gneur, qui portait son joug, et vivait sous ses lois, par un soulè-
vement volontaire se soit détaché de son empire, et que, pour
toute peine de sa révolte, il n'ait éprouvé que l'endurcissement et
les ténèbres, vous ne l'avez pas vu, et un pareil peuple, s'il exis-
tait, serait un scandale que le ciel dans sa colère n'a pas encore
permis.
Mais si les mêmes causes qui ont attiré ces malheurs subsistaient
parmi nous , si de plus graves se faisaient remarquer, si une seule
les renfermait toutes, qui pourrait se dire à lui-même qu'il n'est
pas en péril, et dormir tranquillement au bord du précipice? Or,
DES PREDICATEURS. 1(J
quelles ont été les causes du retranchement de ces peuples, et
quelle était leur situation au moment ou peu de temps avant
leur chute? C'est par la comparaison des deux états que nous
pourrons juger plus sainement du nôtre.
Les Juifs avaient assouvi leur haine et consommé leur attentat ,
en immolant l'Auteur de la véritable justice sur une infâme croix.
Leurs enfans, héritiers de leurs crimes et de leur malice, suivaient
les mêmes traces, et, sous les mêmes maîtres, s'enfonçaient de
plus en plus dans les ténèbres et l'endurcissement. Leur corrup-
tion appelle la colère de Uieu ; leur rébellion appelle les armes
des Romains ; il faut que ce que le Sauveur du monde a prédit
s'accomplisse , que Jérusalem qui égorge ses Prophètes soit égor-
gée à son tour , et que le sang d'un Dieu , répandu par la main
des pères, retombe enfin sur la tête des enfans.
L'Orient , fatigué par des querelles religieuses , par des schismes
et par des tyrans, ne tenait plus à une religion dont il ne recevait
aucun bien , ni à une domination dont il ne recevait que du m'ai.
Agités en sens contraires , des esprits sans consistance, indifférens
pour la vérité et pour l'erreur, étaient prêts à recevoir de nou-
veaux dogmes et à plier sous de nouveaux maîtres. Mahomet pa-
raît, tout cède à sa voix, à ses promesses, à ses menaces, ou périt
sous le tranchant de son épée, ou sous le fer de ses disciples , hé-
ritiers de ses fureurs.
Les Eglises du Nord avaient dégénéré de leur première institu-
tion ; des gens de bien gémissaient des abus dont ils prévoyaient
les suites, et demandaient vainement la réformation ; quand tout-
à-coup un cénobite obscur, nourri de fiel et d'amertume, dans
l'ombre et le silence franchit les barrières de son cloître, comme
le démon de l'Apocalypse s'élance de l'abîme où l'ange le tenait
enchaîné ; il lève l'étendard de la réforme , ou plutôt de la révolte ;
des puissances le favorisent; les apostats se multiplient; des Egli-
ses entières donnent le spectacle de la plus déplorable défection.
Comparons maintenant, et répondez à la question que je vais
vous faire avec les paroles mêmes du Sauveur : Pensez- vous que
les malheureux qui ont été écrasés sous les ruines de la tour de
Siloé x, je veux dire, qui ont été enveloppés dans la catastrophe ,
sous Tite, sous Mahomet, sous Luther, fussent plus coupables
que les autres, que nous, par exemple; et vous paraît-il que ces
Eglises, la veille de leur chute, fussent en plus grand péril, et por-
1 Luc. xiii»
20 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
tassent clés principes île mort plus actifs que ceux qui , après avoir
couvé long-temps dans notre sein, se développent avec tant de
fureur aujourd'hui!*
Un mal contagieux s'est répandu dans nos contrées; mal funeste,
poison subtil, qui s'insinue dans les âmes, qui aveugle les esprits,
corrompt les cœurs, et qui, si vous n'arrêtez ses progrès par les
plus sages précautions, soutenues par la faveur du ciel la plus in-
signe, infectera la masse, et finira par dissoudre toute la société
religieuse et politique.
Des hommes orgueilleux d'un faux savoir, ennemis de toute
domination, se sont élevés contre Dieu, contre son Christ et son
Eglise, contre toutes les lois ; et pour briser plus sûrement un joug
qui les fatigue, pour renverser des idées reçues qui les importu-
nent, pour abréger l'étude de la science qu'ils enseignent, et d'un
seul mot couper court à toute discussion, ils ont fini par dire :
Mortels, écoutez vos maîtres; ils viennent vous apprendre qu'il
n'y a pas de Dieu : intéressés à les croire, des hommes faibles , et
déjà vaincus par leurs passions, se sont laissés aller à leurs paroles :
bientôt ces nouveaux disciples sont devenus de nouveaux maîtres;
les plus ardens et les plus téméraires d'entre eux ont été les plus
suivis par leurs semblables. De la capitale, où il a d'abord paru,
le mal a gagné les provinces; des villes, il a passé dans nos cam-
pagnes; des pères, par une succession malheureuse, il s'est trans-
mis aux enfans qui en ont fait la portion la plus précieuse de leur
héritage : accru et fortifié, à mesure qu'il s'est éloigné de sa source,
quelques générations ont fait perdre de vue son origine, et lui ont
acquis le poids et le mérite de l'ancienneté. On avait mis en ques-
tion long-temps s'il était possible qu'il y eût de véritables athées;
grâce à notre siècle, le problème est résolu, et nous voyons tous
les jours des hommes conçus, nés, nourris dans l'athéisme, vivre
sans Dieu, sans lois, sans remords, et mourir froids et endurcis,
comme ils ont vécu. Et l'on sera surpris que les hommes d'aujour-
d'hui ne veuillent vivre que pour eux, que les pères négligent
leurs enfans, que les enfans méconnaissent leurs pères, que les
liaisons du sang perdent tous les jours de leurs droits; et l'on se
plaindra qu'il n'y ait plus de patrie, comme il n'y a plus de fa-
mille; que les corps et les esprits dégénèrent; que les sciences et
les arts utiles déclinent; que les chefs-d'œuvre en tout genre devien-
nent rares, et la vertu encore plus! Et comment en serait-il au-
trement? Des hommes qui n'ont qu'un instant à vivre ne doivent
pas se partager : si le bien, si le mal n'esS qu'un nom; si le juge
DES PREDICATEURS. 21
qui les voit no les punit, ni ne les récompense; si cet être, quel qu'il
soit , n'existe même pas , quel prix pour le présent ou pour l'ave*-
nir proposerez-vous à l'homme, pour le payer de ses sacrifices et
de ses travaux? Il sait que, pour qui va cesser d'être, le présent
bientôt ne sera plus, et que l'avenir ne sera jamais. Ce n'est pas
tout : des gens de bien qui devraient avoir horreur de ces maxi-
mes écoutent les docteurs qui les débitent, vantent leur savoir,
admirent leur courage, envient leur sécurité, se rapprochent tous
les jours de leurs idées , de leurs mœurs, de leur langage, se dé-
goûtent enfin des objets de la foi, et, traînant avec ennui un faible
reste de christianisme, semblent n'attendre que le moment de la
tentation pour s'en défaire, comme les apostats n'attendent que
la présence du tentateur pour se livrer aux derniers excès.
Si, dans ces circonstances, il s'élevait un homme plein d adresse,
revêtu de puissance, réunissant tous les caractères et tous les ti-
tres qui en imposent le plus aux hommes ; et que l'audace sur le
front, le blasphème à la bouche , il parût parmi nous, et tentât de
consommer en un jour le mystère d'iniquité qui s'opère depuis les
premiers siècles, quel obstacle trouverait-il ? Ah ! je vois ces nom-
breux partisans se réjouir en voyant approcher leur maître; je les
vois accourir sur ses pas dans nos temples, renverser nos autels,
en arracher les prêtres, les lévites occupés du sacrifice ; pénétrant
dans l'enceinte sacrée , je les vois appeler a grands cris cette foule
de demi-croyans rassemblés moins par le zèle que par l'usage, et
dans ce temple, déshonoré déjà par leur culte hypocrite, les invi-
ter à rejeter bien loin un fantôme de religion qu'ils ne supportent
qu'avec peine ; je les vois porter une main sacrilège sur les orne-
mens du sanctuaire , se charger avidement de leurs dépouilles,
fermer les portes de la maison de Dieu , ou en changer la destina-
tion pour suivre au dehors leur victoire impie, et, dans leur triom-
phe et leurs festins, insulter à nos douleurs, et, par des libations
impures , profaner ces coupes et ces vases consacrés par la célé-
bration de nos mystères les plus redoutables.
Détournez, grand Dieu, un événement aussi funeste, et ne
permettez pas que nos yeux en soient témoins ! Cependant qui
peut vous assurer que cet homme dépêché n'est pas à votre porte,
que Dieu ne le nourrit pas dans quelque antre, sur quelque rocher,
d'où il le fera sortir au jour de sa colère; et si vous demandez à
quelle époque , en quel lieu il paraîtra, à quel signe nous pour-
rons le reconnaître, quels prodiges dans le ciel ou sur la terre au-
ront annoncé sa venue, je ne suis ni prophète, ni enfant de pro-
22 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
phète pour lire les desseins de Dieu dans l'avenir ; sa gloire ne
m'est pas apparue de dessus son trône comme à Isaïe , sa voix ne
m'a point parlé de dessus son char comme à Ezéchiel : je n'ai point
vu l'ange du Seigneur, une règle à la jmain , entre le sanctuaire
et l'autel, mesurant et menaçant les murs de nos églises; il ne
m'a pas été donné plus qu'aux disciples du Sauveur de connaître
'heure et le moment de son retour, dont Dieu seul s'est réservé la
connaissance.
Mais , dépositaire des oracles divins , j'ai médité les menaces
qu'ils renferment ; j'ai vu une partie de ces menaces exécutées sur
des portions de la gentilité coupable; j'ai comparé les crimes de
ces peuples avec les nôtres , Jérusalem avec Samarie , et, voyant
sur le soir le ciel en feu, je me suis dit que la journée du
lendemain serait brûlante ; je me suis recueilli en moi-même ; j'ai
endurci mon front contre le marbre pour soutenir le choc des
contradicteurs 1 ; j'ai crié, comme une sentinelle attentive qui a
vu l'ennemi s'avancer ; j'élèverai la voix , comme une trompette ,
pour annoncer au peuple le jour de la colère , et aux chefs du
peuple les approches de la calamité.
Pontifes du Seigneur, c'est à vous que je dénonce les désordres
de vos troupeaux , et les périls de vos Eglises ; c'est à vous d'y re-
médier , ou c'est à vous que s'adressent les reproches de l'Esprit-
Saint aux sept Eglises d'Asie.
Ange de l'Eglise d'Ephèse, je rends justice à vos vertus; je
connais vos œuvres ; vous êtes doux , vous êtes patient ; mais vous
avez dégénéré de votre charité première ; vous ne vous alarmez
pas pour votre peuple, vous ne vous armez pas d'assez de courage,
et ne prenez pas assez de précautions pour le sauver de l'état dé-
plorable dont je le vois menacé 2 .
Ange de l'Eglise de Pergame, vous méritez des éloges pour tout
le bien que vous faites ; mais vous n'échapperez fpas à mes justes
reoroches pour le bien que vous négligez. Vous habitez un lieu
où Satan a placé son trône , où les disciples de Balaam ont élevé
leur chaire, d'où ils tendent des pièges pour séduire, et d'où ils
débitent leurs blasphèmes, et enseignent au peuple de Dieu
à prévariquer et à blasphémer. Vous devriez les confondre par le
souffle de votre bouche, ou du moins appeler et ranger autour de
vous les amis de la vérité, en état de la défendre et de vous seconder.
Ange de l'Eglise deLaodicée, c'est vous dont l'étatme paraît le
1 Ezcch ., m, 1, 9. «— s Apoc, il, m.
DES PRÉDICATEURS. 23
plus à plaindre et le plus dangereux; vous n'êtes point méchant,
mais vous n'êtes pas bon de la bonté que je désire ; vous n'êtes ni
froid ni chaud, digne dès-lors d'être rejeté de ma bouche; vous
regardez autour de vous, et voyant la magnificence de vos temples,
l'ordre et la pompe de vos cérémonies , le concours d'un peuple
qui s'empresse à vos solennités, vous vous croyez riche des dons
du ciel , et vous dites : Je n'ai besoin de rien ; et moi , sous cet
éclat et cet or qui vous éblouissent, au milieu de cette affluence
froide et dissipée qui vous entretient dans votre erreur , je vois
l'affreuse misère qui vous assiège $ vous êtes pauvre.
Et vous enfin , ange de l'Eglise de Sarde, parce que votre siège
et vous tenez un rang distingué dans le siècle, et que les princes
de la terre, vous ayant mis en part de leur puissance, vous asso-
cient encore à leurs travaux, abusé par un double pouvoir, vous
vous croyez plein de force et de vie ; les peuples qui vous
voient le croient aussi : mais moi , qui découvre le germe de
vos maux et le- principe secret de votre décadence, je vous déclare
atteint d'une maladie mortelle qui vous conduira , vous et votre
peuple, de la présomption au sommeil, et du sommeil à la mort.
Prenez-y garde , j'agiterai votre chandelier, et je le changerai de
place; je viendrai vers vous pendant la nuit, comme un voleur,
à l'heure que vous vous y attendrez le moins , et , trouvant ma vi-
gne négligée et désolée, je chasserai: . . . et punirai mes vigne-
rons 4.
Voyez déjà mes menaces qui s'exécutent, l'orage qui gronde et
qui vous avertit; les commencemens les plus fâcheux, qui vous
annoncent un avenir encore plus sinistre ; le dégoût qui gagne le
troupeau; le zèle qui abandonne les pasteurs , l'orgueil qui s'élève
contre votre autorité; l'avarice qui jette un œil d'envie sur vos
biens , de toute part haine dissimulée , déchaînement ouvert , des-
tructions opérées ou projetées , et vous demanderez encore des
signes et des présages de la révolution que l'Esprit-Saint veut vous
faire craindre! En faut-il d'autre que la révolution elle-même, qui,
préparée de loin , s'avance à grands pas , et se consomme sous vos
yeux ? Prenez donc garde ; considérez vos maux ; recourez au re-
mède, et puisqu'il est encore en vos mains, puisqu'une longue ex-
périence , depuis les Apôtres jusqu'à nous , en a démontré la
vertu , n'en cherchez pas d'autre que la doctrine, l'exemple et les
mœurs. Ainsi donc , si c'était par ignorance que péchaient vos peu-
1 Apoc, m, 1, 2, 3, 6.
24 NOUVLLLE BIBLIOTHEQUE
pies, obligez leurs pasteurs immédiats à redoubler d'instruction ;
si c'était au contraire les pasteurs qui eussent négligé de s'instruire,
et que le sel delà terre se fut affadi, redoublez de vigilance vous-
mêmes : aujourd'hui le soin des pasteurs et du troupeau ne regarde
que vous.
Vous venez de pourvoir à la subsistance des ministres inférieurs ;
c'est un acte de justice et d'humanité tout ensemble: il est juste
que le prêtre qui sert à l'autel vive de l'autel, et il serait trop dou-
loureux de voir gémir dans l'indigence le serviteur qui porte le
poids du jour. Mais vous n'êtes pas encore quittes envers eux; vous
leur devez de les rendre encore plus dignes du double honneur
que vous venez de leur procurer l. Ce n'est point par de l'or seu-
lement, mais par une discipline exacte, par des lois sages que dans
tous les temps les grands princes ont formé des sujets fidèles et
de vaillans soldats. Montrez-nous donc et ce plan d'études et ces
sages institutions que vous méditez depuis si long -temps et
que la voix publique nous annonce et vous demande ; ce plan qui,
dégageant de ses épines et ramenant à des points clairs et précis
la science du salut , en rendra l'étude et l'enseignement plus facile
et les attaques de l'ennemi moins dangereuses. La science est bonne
à tout quand c'est la piété qui la dirige; et dans un siècle comme
le notre, contre des ennemis qui vont chercher dans les cieux,
dans la nuit des temps, dans les entrailles de la terre, des moyens
d'attaque, qu'ils croyaient nous être inconnus, il faut que les
défenseurs de la vérité se familiarisent avec l'usage des mêmes
armes.
Moïse, destiné de Dieu à conduire un grand peuple, fut élevé
dans toute la sagesse des Egyptiens; et sa baguette transformée en
serpent dévora, sous les yeux de Pharaon, les serpens des magiciens
qui endurcissaient le cœur de ce prince parleurs prestiges. Hâtez
donc ces sages institutions qui forment dans la retraite, sous les
yeux du Seigneur, de jeunes ministres, et , leur communiquant ce
vaste savoir et ces talens divers qui donnent un nouveau lustre à
la vertu , les rendront dignes d'être adoptés par vous, et représen-
tés un jour à 1 Eglise, comme la forme et le modèle du troupeau
que vous confierez à leurs soins. (M. de Noé , évêque de Lescar.)
Les Églises en particulier doivent trembler, parce que les peuples ont peché.
Si Dieu, terrible dans ses conseils sur les enfans des hommes,
1 Ad Timolh.; v, 17.
DES PREDICATEURS. ^5
n'a pas même épargné les branches naturelles de l'olivier franc,
comment oserions nous espérer qu'il nous 'épargnera, nous, mes
frères, branches sauvages et entées; nous, branches mortes et in-
capables de fructifier? Dieu frappe sans pitié son ancien peuple,
ce peuple, héritier des promesses, ce peuple, race bénie d'Abra-
ham dont Dieu s'est déclaré le Dieu à jamais; il le frappe d'aveu-
glement, il le rejette de devant sa face, il le disperse comme la
cendre au vent; il n'est plus son peuple, et Dieu n'est plus son Dieu;
et il ne sert plus, ce peuple réprouvé, qu'à montrer à tous les au-
tres peuples qui sont sous le ciel la malédiction et la vengeance
divine qui distille sur lui goutte à goutte, et qui y demeurera jus-
qu'à la fin.
Comment est-ce que la nation juive est déchue de l'alliance de
ses pères et de la consolation d'Israël? Le voici, mes frères. Elle
s'est endurcie au milieu des grâces, elle a résisté au Saint-Esprit,
elle a méconnu l'envoyé de Dieu. Pleine des désirs du siècle, elle
a rejeté une rédemption , qui , loin de flatter son orgueil et ses pas-
sions charnelles, devait, au contraire, la délivrer de son orgueil
et de ses passions. Voilà ce qui a fermé les cœurs à la vérité, voilà
ce qui a éteint la foi, voilà ce qui a fait que, la lumière lui-
sant au milieu de ténèbres, les ténèbres ne l'ont point comprise.
La réprobation de ce peuple a-t-elle anéanti les promesses? A Dieu
ne plaise! La main du Tout-Puissant se plaît à montrer qu'elle est
jalouse de ne devoir ses œuvres qu'à elle-même; elle rejette ce qui
est, pour appeler ce qui n'est pas. Le peuple qui n'était pas même
peuple, c'est-à-dire, les nations dispersées qui n'avaient jamais
fait un corps, ni d'état, ni de religion; ces nations, qui vivaient
enfoncées dans une brutale idolâtrie, s'assemblent, et sont tout
à coup un peuple bien-aimé. Cependant les Juifs, privés de la
science de Dieu , jusqu'alors héréditaire parmi eux, enrichissent
de leurs dépouilles toutes les nations. Ainsi Dieu transporte le
don de la foi selon son bon plaisir et selon le profond mystère de
sa volonté.
Ce qui a fait la réprobation des Juifs (prononçons ici, mes frères,
notre jugement^, pour prévenir celui de Dieu), ce qui a fait leur
réprobation ne doit-il pas faire la nôtre? Ce peuple, quand Dieu
l'a foudroyé, était-il plus attaché à la terre que nous, plus enfoncé
dans la chair, plus enivré de ses passions mondaines , plus aveuglé
par sa présomption, plus rempli de lui-même, plus vide de l'a-
mour de Dieu? Non, non, mes frères; ses iniquités n'étaient
point encore montées jusqu'à la mesure des nôtres. Le crime de
26 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
crucifier de nouveau Jésus -Christ, mais Jésus-Christ connu, mais
Jésus-Christ goûté, mais Jésus- Christ régnant parmi nous, le crime
de fouler aux pieds volontairement notre hostie de propitiation
et le sang de l'alliance, n'est-il pas plus énorme et plus irrémissi-
ble que celui de répandre ce sang, comme les Juifs, sans le con-
naître ?
Ce peuple est-il le seul que Dieu a frappé? Hâtons-nous de des-
cendre aux exemples de la Loi nouvelle; ils sont encore plus ef-
frayans. Jetez, mes frères, des yeux baignés de larmes sur ces
vastes régions d'où la foi s'est levée sur nos têtes, comme le so-
leil. Que sont-elles devenues ces fameuses Eglises d'Alexandrie,
d'Antioche, de Jérusalem, de Constantinopie, qui en avaient
d'innombrables sous elles? C'est là que pendant tant de siècles, les
conciles assemblés ont étouffé les plus noires erreurs, et prononcé
ces oracles qui vivront éternellement; c'est là que régnait avec
majesté la sainte discipline, modèle après lequel nous soupirons
en vain. Cette terre était arrosée du sang des martyrs; elle exha-
lait le parfum des vierges ; le désert même fleurissait par ses soli-
taires : mais tout est ravagé sur ces montagnes découlantes de lait
et de miel, où paissaient sans crainte les troupeaux d'Israël. Là,
maintenant, sont les cavernes inaccessibles des serpens et des
basilics.
Que reste-t-il sur les côtes d'Afrique , où les assemblées d'évê-
ques étaient aussi nombreuses que les conciles universels, et où
la loi de Dieu attendait son explication de la bouche d'Augustin ?
Je ne vois plus qu'une terre encore fumante de la foudre que Dieu
y a lancée.
Mais quelle terrible parole de retranchement Dieu n'a-t-il pas
fait entendre sur la terre dans le siècle passé? Ij' Angle terre, rom-
pant le sacré lien de l'unité, qui peut seul retenir les esprits, s'est
livrée à toutes les visions de son cœur. Une partie des Pays-Bas,
l'Allemagne, le Danemarck, la Suède, sont autant de rameaux
que le glaive a retranchés et qui ne tiennent plus à l'ancienne
tige.
L'Eglise, il est vrai, répare ces pertes : de nouveaux enfans qui
lui naissent au delà des mers essuient ses larmes pour ceux qu'elle
a perdus. Mais l'Eglise a des promesses d'éternité; et nous, qu'a-
vons-nous, mes frères, sinon des menaces qui nous montrent à
chaque pas l'abîme ouvert sous nos pieds ? Le fleuve de la grâce
ne tarit point , il est vrai ; mais souvent , pour arroser de nouvelles
terres, il détourne son cours, et ne laisse dans l'ancien canal que
DES PRÉDICATEURS. 2J
des sables arides. La foi ne s'éteindra point, je l'avoue : mais elle
n'est attachée à aucun des lieux qu'elle éclaire; elle laisse der-
rière elle une affreuse nuit à ceux qui ont méprisé le jour, et elle
porte se rayons à des yeux plus purs.
Que ferait plus long-temps la foi chez des peuples corrompus
jusqu'à la racine, qui ne portent le nom de fidèles que pour le flé-
trir et le profaner? Lâches et indignes chrétiens, par vous le Chris-
tianisme est avili et méconnu; par vous le nom de Dieu est blas-
phémé chez les gentils; vous n'êtes plus qu'une pierre de scandale
à la porte de la maison de Dieu , pour y faire tomber ceux qui y
viennent chercher Jésus-Christ.
Mais qui pourra remédier aux maux de nos Eglises, et relever
la vérité qui est foulée aux pieds dans les places publiques ? L'or-
gueil a rompu ses digues et inondé la terre; toutes les conditions
sont confondues; le faste s'appelle politesse, la plus folle vanité une
bienséance; les insensés entraînent les sages en les rendent sem-
blables à eux ; la mode, si ruineuse par son inconstance et par ses
excès capricieux, est une loi tyrannique à laquelle on sacrifie toutes
les autres; le dernier des devoirs est celui de payer ses dettes. Les
prédicateurs n'osent plus parler pour les pauvres, à la vue d'une
foule de créanciers dont les clameurs montent jusqu'au ciel. Ainsi
la justice fait taire la charité; mais la justice elle-même n'est plus
écoutée. Plutôt que de modérer des dépenses superflues , on refuse
cruellement le nécessaire à ses créanciers. La simplicité, la modes-
tie, la frugalité, la probité exacte de nos pères, leur ingénuité,
leur pudeur, passent pour des vertus rigides et austères d'un temps
trop grossier. Sous prétexte de se polir, on s'est amolli pour la vo-
lupté, et endurci contre la vertu et contre l'honneur. On invente
chaque jour, et à l'infini, de nouvelles nécessités pour autoriser
les passions les plus odieuses. Ce qui était d'un faste scandaleux
dans les conditions les plus élevées, il y a quarante ans , est devenu
une bienséance pour les plus médiocres. Détestable raffinement de
nos jours ! monstre de nos mœurs! la misère et le luxe augmentent
comme de concert; on est prodigue de son bien, et avide de celui
d'autrui; le premier pas de la fortune est de se ruiner. Qui pourrait
supporter les folles hauteurs que l'orgueil affecte, et les bassesses
infâmes que l'intérêt fait faire? On ne connaît plus d'autre prudence
que la dissimulation; plus de règle des amitiés que l'intérêt; plus
de bienfaits qui puissent attacher à une personne, dès qu'on la trouve
ou inutile ou ennuyeuse. Les hommes, gâtés jusque dans la moelle
des os, parlesébranlemensetles enchantcmens des plaisirs violens
28 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
et raffines, ne trouvent plus qu'une douceur fade dans les consola-
tions d'une vie innocente; ils tombent dans les langueurs mortelles
de l'ennui dès qu'ils ne sont plus animés par la fureur de quelque
passion. Est-ce donc là être chrétien? Allons , allons dans d'au-
tres terres où nous ne soyons plus réduits à voir de tels disciples
de Jésus-Christ! O Evangile! est-ce là ce que vous 'enseignez?
O foi chrétienne! vengez-vous; laissez une éternelle nuit sur
la face de la terre, de cette terre couverte d'un déluge d'iniquité.
Mais, encore une fois, voyons nos ressources sans nous flatter.
Quelle autorité pourra redresser des mœurs si dépravées ? Une sa-
gesse vaine et intempérante, une curiosité superbe et effrénée
emporte les esprits. Le Nord ne cesse d'enfanter de nouveaux mons-
tres d'erreur : parmi ces ruines de l'ancienne foi, tout tombe comme
par morceaux; le reste des nations chrétiennes en sentie contre-
coup; on voit les mystères de Jésus-Christ ébranlés jusqu'aux
fondemens. Des hommes profanes et téméraires ont franchi les
bornes, et ont appris à douter de tout. C'est ce que nous enten-
dons tous les jours; un bruit sourd d'impiété vient frapper nos
oreilles, et nous en avons le cœur déchiré. Après s'être corrompus
dans ce qu'ils connaissent, ils blasphèment enfin ce qu'ils igno-
rent. Prodige réservé à nos jours! l'instruction augmente, et la
foi diminue. La parole de Dieu, autrefois si féconde , deviendrait
stérile, si l'impiété l'osait. Mais elle tremble sous Louis, et, com-
me Salomon , il la dissipe de son regard. Cependant, de tous les
vices, on ne craint plus que le scandale; que dis-je? le scandale
même est au comble; car l'incrédulité, quoique timide, n'est pas
muette; elle sait se glisser dans les conversations, tantôt sous des
railleries envenimées, tantôt sous des questions où l'on veut ten-
ter Jésus-Christ, comme les pharisiens. En même temps l'aveugle
sagesse de la chair, qui prétend avoir droit de tempérer la religion
au gré de ses désirs , déshonore et énerve ce qui reste de foi par-
mi nous. Chacun marche dans la voie de son propre conseil; cha-
cun , ingénieux à se tromper, se fait une fausse conscience. Plus
d'autorité dans les pasteurs, plus d'uniformité de discipline. Le
dérèglement ne se contente plus d'être toléré, il veut être la règle
même , et appelle excès tout ce qui s'y oppose. La chaste colombe,
dont le partage ici-bas est de gémir , redouble ses gémissemens.
Le péché abonde , la charité se refroidit , les ténèbres s'épaissis-
sent, le mystère d'iniquité se forme; dans ces jours d'aveuglement
et de péché , les élus mêmes seraient séduits , s'ils pouvaient l'être.
Le flambeau de l'Evangile, qui doit faire le tour de l'univers, achève
DES PRÉDICATEURS. 5Q
sa course. Le jour de la ruine est proche, et les temps se hâtent
d'arriver. Mais adorons en silence et avec tremblement l'impéné-
trable secret de Dieu. (Fénelon, Pour la fête de V Epiphanie.)
Péroraison.
Et vous , mes frères, qui, sur la même mer et le même vaisseau,
voyagez avec nous , songez qu'un même sort attend le passager
et le pilote. C'est peu de vous avoir averti des écueils, et montré
les moyens d'éviter le naufrage; il faut encore que vous travailliez
avec nous; c'est de votre concours que dépend , en grande partie,
le succès de notre ministère. Secondez nos efforts, soutenez notre
courage, il en faut pour oser vous présenter vos devoirs, et ne
pas craindre de vous déplaire. Rassurez-nous en venant au devant
de nos salutaires avis , et en nous disant , comme les enfans d'Israël
à Moïse, mais avec plus de constance et de fidélité: Parlez-nous
de la part du Seigneur, nous ferons tout ce que vous nous direz.
Et alors, sans vous assurer que votre amendement et vos vertus
changeront les desseins éternels de Dieu sur les divers peuples
de la terre, j'ose vous répondre de vous; la terre que vous habi-
tez sera, comme celle de Jessen , épargnée au milieu des plaies de
l'Egypte ' ; vous verrez, comme Loth, de dessus la montagne, l'em-
brasement des villes criminelles; ou, si vous devez avoir quelque
part au malheur universel, la tribulation, en vous atteignant, ne
fera que vous purifier, au lieu de vous détruire; vous serez du
nombre désigné dans les livres saints par les sept mille qui n'ont
pas fléchi le genou devant l'idole 2, et par un pareil nombre qui
n'ont pas souillé leurs vêtemens; vous serez les prémices heureu-
ses; ces restes précieux et bénits qui auront échappé à la faux
des moissonneurs; à vous se joindront les Juifs convertis et ceux
de la gentilité qu'ils mèneront à leur suite. Ces deux peuples ne
feront qu'un seul peuple; et vous serez le lien qui les aura unis.
C'est au milieu d'eux que le véritable Joseph, après avoir long-
temps caché son visage, se découvrira à ses frères, et viendra
prendre sa place au festin qu'il leur aura préparé. Formée de
ces deux peuples, enrichie de ses nouvelles conquêtes, l'Eglise,
au milieu de ces nombreux enfans , se félicitera de sa tardive fé-
condité : sa jeunesse renouvelée comme celle de l'aigle lui fera
oublier des maux qui ne reviendront plus ; vous aurez commencé ,
JExod.,ix, 23.- MU Rcx, xix.
3o NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
vos descendans continueront l'œuvre d'une heureuse regénéra-
tion; et si vos yeux se ferment, avant d'avoir vu la manifestation
de la gloire du Sauveur, et le triomphe de son Eglise , vous aurez
salué de loin ce grand jour; vous vous y serez préparé, comme
s'il était proche, et Dieu, témoin de vos efforts, vous appelant à
lai, vous rejoindra aux Prophètes qui l'avaient prédit, aux patriar-
ches qui l'avaient attendu , aux vingt-quatre vieillards, qui, sié-
geant chacun sur un trône, à côté du sien 1, jugeront avec lui les
nations au jour de ses justices, et partageront sa gloire et son bon-
heur, pendant toute une éternité que je vous souhaite. (M. de
Noé , évêque de Lescar. )
» Apoc, iv, 2, 5.
DES PRÉDICATEURS. 3l
PLAN ET OBJET BU QUATRIEME DISCOURS
SUR LE TRIOMPHE DE L'ÉGLISE.
EXORDE.
Erat navis in medio mari.
Le navire élait au milieu de la mer. ( Marc, vi, 47.)
Le mystère de l'Evangile, c'est l'infirmité et la force réunies, la
grandeur et la bassesse assemblées. Ce grand mystère, messieurs,
a paru premièrement en notre Sauveur, où la puissance divine et
la faiblesse humaine s'étant alliées, composent ce tout admirable
que nous appelons Jésus-Christ- mais, ce qui paraît en sa personne,
il a voulu aussi le faire éclater dans l'Eglise , qui est son corps ;
« où une partie triomphe par les miracles , l'autre succombe sous
« les outrages qu'elle reçoit : « Unum horum coruscat miraculis ,
aliud succumblt injuriis*. C'est pourquoi nous voyons dans son
Ecriture 2 que tantôt cette Eglise est représentée comme une
maison bâtie sur une pierre immobile , et tantôt comme un navire
qui flotte au milieu des ondes au gré des vents et des tempêtes : si
bien qu'il paraît, chrétiens, qu'il n'est rien de plus faible que cette
Eglise , puisqu'elle est ainsi agitée ; et qu'il n'est rien aussi de plus
fort puisqu'on ne la peut jamais renverser , et qu'elle demeure
toujours immuable , malgré les efforts de l'enfer. L'Evangile de
cette journée nous la représente « parmi les flots : » Erat navis in
medio mari; « portée deçà et delà par un vent contraire : » Erat
enim ventus contrarius 5. Et ce qui est de plus surprenant , c'est
que Jésus , qui est son appui, semble l'abandonner à la tempête;
il s'approche, « et il veut passer, » comme si son péril ne le tou-
chait pas : Et volebai prœterire eos ft. Toutefois ne croyez pas qu'il
l'oublie : il permettra bien que les flots l'agitent ; mais non pas
qu'ils la submergent ni qu'ils l'engloutissent. Il commande aux
vents, et « ils s'apaisent ; il entre dans le navire, et il entre sûre-
1 S. Léo, de Passion. Dom> Serm, m, cap. u. — 2 Luc. vi, 48. — 3 Marc, vi, 48.
*JbiJ.
32 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
«ment au port: » Ascendit innavim, et cessavit venins, et appli-
cuerunt ] ; afin, messieurs, que nous entendions qu'il n'y a rien à
craindre pour l'Eglise, parce que le Fils de Dieu la protège. J'en-
treprends aujourd'hui de vous faire voir cette vérité importante;
et, afin que vous en soyez convaincus plus facilement, je laisse les
raisonnemens recherchés, pour l'établir solidement par expérience.
Considérez, en effet, messieurs , les trois furieuses tempêtes qui
ont troublé l'état de l'Eglise. Aussitôt qu'elle a paru sur la terre, l'in-
fidélité s'est élevée, et elle a excité les persécutions : après, la curio-
sité s'est émue, et elle a fait naître les hérésies; enfin la corrup-
tion des mœurs a suivi, qui a si étrangement soulevé les flots,
« que la nacelle y a paru presque enveloppée : » lia ut navicida
operiretur fluctibus 2. Voilà, mes frères, les trois tempêtes qui ont
successivement tourmenté l'Eglise. Les infidèles se sont assemblés
pour la détruire par les fondemens ; les bérétiques en sont sortis
pour lui arracher ses enfans, et lui déchirer les entrailles; et si en-
fin les mauvais chrétiens sont demeurés dans son sein , ce n'est
que pour lui porter le venin jusque dans le cœur. 11 faut donc , mes
frères , que cette Eglise soit bien appuyée et bien fortement éta-
blie , puisqu'au milieu de tant de traverses, malgré l'effort des
persécutions, elle s'est soutenue par sa fermeté; malgré les attaques
de l'hérésie, elle a été la colonne de la vérité; malgré la licence
des mœurs dépravées, elle demeure le centre de la charité. Voilà
le sujet de cet entretien , et les trois points de cette méditation.
(Bossuet, Sermon sur l'Eglise. )
Triomphe Je l'Eglise sur les persécutions.
Comme l'Eglise n'a plus à souffrir la tempête des persécutions ,
je passerai légèrement sur cette matière ; et néanmoins je ne lais-
serai pas , si Dieu le permet , de toucher des vérités assez impor-
tantes. La première sera , chrétiens , qu'il ne faut pas s'étonner si
l'Eglise a eu à souffrir , quand elle a paru sur la terre , ni si le
monde l'a combattue de toute sa force ; il était impossible qu'il
n'en fût ainsi, et vous en serez convaincus, si vous savez connaître
ce que c'est que l'homme. Je dis donc que nous avons tous dans le
fond du cœur un principe d'opposition et de répugnance à toutes
les vérités divines ; en telle sorte que l'homme, laissé à lui-même,
non seulement ne peut les entendre, mais qu'ensuite il ne les peut
* Marc, li, 33. — 2Matili., vin, Vk.
DES PRÉDICATEURS. 33
souffrir , et qu'en étant choqué au dernier point , il est comme
forcé de les combattre. Ce principe de répugnance s'appelle dans
l'Ecriture « infidélité * ; * ailleurs , « esprit de défiance 2 ; »
ailleurs, « esprit d'incrédulité 3 : » il est dans tous les hommes,
et, s'il ne produit pas en nous tous ses effets, c'est la grâce de Dieu
qui l'empêche.
Si vous remontez jusqu'à l'origine, vous trouverez, messieurs ,
que deux choses produisent en nous cette répugnance : la pre-
mière, c'est l'aveuglement ; la seconde, c'est la présomption. L'a-
veuglement, messieurs, nous est représenté dans les Ecritures par
une façon de parler admirable : elles disent que « les pécheurs
« ont oublié Dieu : Onines gentes quœ oblwiscuntur Deum, Obliti
sunt verba tua inimici mei : Intelligite hœc, qui oblwiscimi Deum 4.
Que veut dire cet oubli , mes frères ? Il est bien aisé de le com-
prendre ; c'est que Dieu , à la vérité , avait éclairé l'homme de sa
connaissance ; mais l'homme a fermé les yeux à cette lumière ; il
s'est laissé mener par ses sens ; peu à peu il n'a plus pensé à ce
qu'il ne voyait pas, il a oublié aisément ce à quoi il ne pensait pas.
Voilà Dieu dans l'oubli ; voilà ses vérités effacées : ne lui en par-
lez pas , c'est un langage qu'il ne connaît plus : Obliti sunt verba
tua inimici mei: « Mes ennemis ont oublié vos paroles. » C'est
pourquoi la même Ecriture, voulant aussi nous représenter de
quelle sorte les hommes retournent à Dieu , nous dit « qu'ils se
souviendront : Remiriiscentur : et ensuite qu'arrivera- t-il ? Et con-
vertentur ad Dominum 5 : « Ah ! ils se convertiront au Seigneur. «
Quoi ! ils lavaient donc oublié , leur Dieu, leur Créateur , leur
Epoux, leur Père î Oui , mes frères, il est ainsi ; ils en ont perdu
le souvenir. Cela va bien loin , si vous l'entendez : toute la con-
naissance de Dieu , toutes les idées de ses vérités ; l'oubli, comme
une éponge, a passé dessus , et les a entièrement effacées; ou s'il
en reste encore quelques traces , elles sont si obscures qu'on n'y
connaît rien : voyez durant le règne de l'idolâtrie, durant qu'elle
régnait sur toute la terre.
Ce serait peu que ce long oubli pour nous exciter à la résistance,
si l'orgueil ne s'y était joint ; mais il est arrivé, pour notre mal-
heur, que, quoique l'homme soit aveugle à l'extrémité , il est en-
core plus présomptueux. En quittant la sagesse de Dieu , il s'est
fait une sagesse à sa mode: il ne sait rien, et croit tout entendre ;
si bien que tout ce qu'on lui dit, qu'il ne conçoit pas, il le prend
4 Luc, ix, 41> etc.T~2Ephcs.; \i\ 2. — ^Coloss., m, 6. — 4 Ps. jx, 18 ; cxvui, 139 î
xlix, 22. — * xxi, 28.
T. III. 3
34 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
pour un reproche de son ignorance ; il ne le peut souffrir, il s'ir-
rite; si la raison lui manque, il emploie la force, il emprunte les
armes de la fureur pour se maintenir en possession de sa profonde
et superbe ignorance. Jugez où les vérités évangéliques, si hau-
tes, si majestueuses, si impénétrables, si contraires au sens hu-
main et à la raison préoccupée, ont dû pousser cet aveugle pré-
somptueux, je veux dire l'homme; et quelle résistance il fallait
attendre dune indocilité si opiniâtre. Yoyez-la par expérience en
la personne de notre Sauveur. Qu'aviez-vous fait, ô divin Jésus,
pour exciter contre vous ce scandale horrible? pourquoi les peu-
ples se troublent-ils 1 ? pourquoi frémissent-ils contre vous avec
une rage si désespérée? Chrétiens, voici le crime du Sauveur Jésus. Il
a enseigné les vérités de son Père 2; ce qu'il a vu dans le sein de
Dieu, il est venu l'annoncer aux hommes *j ces aveugles ne l'ont
pas compris, et ils n'ont pas pu le comprendre : Animalis homo
non potesl intelligere * : « l'homme animal ne peut comprendre
« les choses qui sont de l'Esprit de Dieu, » Ecoutez comme il leur
reproche : « Pourquoi ne connaissez-vous pas mon langage ? parce
o que vous ne pouvez pas prêter l'oreille à mon discours: » Quare
loquelam meam non cognoscitis ? quia non potestis audire sermonern
meum 5,
Mais peut-être , ne l'entendant pas, ils se contenteront de le
mépriser. Non, mes frères; ce sont des superbes : tout ce qu'ils
n'entendent pas, ils le combattent ; « tout ce qu'ils ignorent, ils le
* blasphèment 6. » C'est pourquoi Jésus-Christ leur dit : a Vous me
• voulez tuer, méchans que vous êtes, parce que mon discours ne
« prend point en vous: » Quœritis me interficere^ quia sermo meus
non capit in vobis 7. Quelle fureur , mes frères , d'entreprendre de
tuer un homme parce qu'on n'entend pas son discours ! Mais il n'y
a pas sujet de s'en étonner; il parlait des vérités de son Père à
des ignorans opiniâtres : comme ils n'entendaient pas ce divin
langage, car il n'y a que les humbles qui l'entendent, ils ne pou-
vaient qu'être étourdis de la voix de Dieu ; et c'est ce qui les exci-
tait à la résistance : plus les vérités étaient hautes , plus leur raison
superbe était étourdie, et plus leur folle résistance était enflam-
mée. Il ne faut donc pas trouver étrange, si Jésus leur prêchant,
comme il dit lui-même, « ce qu'il avait appris au sein de son
» Père 8, » ils se portent à la dernière fureur, et se résolvent de
» Ps. u, 1.— > Joan., yiu, 28.-5 Ibid-, i, 18. — H Cor., H, 14. — * Joan., viu,
4", — 6 Jud., 10. — 7 Joan., vin, 37. — s Ibid., vm, 38.
DES PRÉDICATEURS. 35
le mettre à mort par un infâme supplice : Quia sermo meus non ca-
pit in vobis.
Après cela, pouvez- vous douter de ce principe d'opposition
qu'une ignorance altérée et présomptueuse a gravé dans le cœur
des hommes contre Dieu et ses vérités? Jésus-Christ l'a éprouvé le
premier : son Eglise, paraissant au monde pour soutenir la même
doctrine par laquelle ce divin Maître avait scandalisé les superbes ,
pouvait-elle manquer d'ennemis ? Non , mes frères , il n'est pas pos
sible, puisque la foi qu'elle professe vient étonner le monde par
sa nouveauté , troubler les esprits pas sa hauteur, effrayer les sens
par sa sévérité, qu'elle se prépare à souffrir. Il faut qu'elle soit en
haine à tout le monde; et vous le savez, chrétiens, c'est une chose
incompréhensible ce qu'a souffert l'Eglise de Dieu, durant près
de quatre cents ans, sous lesempereursinfideles.il serait infini
de le raconter: concevez seulement ceci, qu'elle était tellement
chargée, et de la haine publique et des imprécations de toute la
terre , qu'on l'accusait hautement de tous les désordres du monde.
Si la pluie manquait aux biens delà terre, si les barbares faisaient
quelques courses et ravageaient, si le Tibre se débordait, les chré-
tiens en étaient la cause; et tout le monde disait qu'il n'y avait pas
de meilleure victime pour apaiser la colère des dieux que de leur
immoler les chrétiens, « par tout ce que la rage et le désespoir pou-
« vaient inventer déplus cruel » : Per atrociora ingénia pœnarum1 .
Qu'aviez- vous fait , Eglise, pour être traitée de la sorte? J'en pour-
rais rapporter plusieurs causes ; mais celle-ci est la principale; elle
faisait profession de la vérité , et de là vérité divine ; de là ces cris
de la haine, de là ces injustes persécutions : si l'Eglise en a été agi-
tée, elle n'en a pas été surprise; elle sait bien connaître la main
qui l'appuie, et elle se sent à l'épreuve de toutes sortes d'attaques.
Et à ce propos, chrétiens, saint Augustin se représente que les
fidèles, étonnés de voir durer si long-temps la persécution, s'a-
dressent à l'Eglise leur mère, et lui en demandent la cause. Il y a
long-temps , ô Eglise, que l'on frappe sur vos pasteurs, et les trou-
peaux sont dispersés. Dieu vous a-t-il oubliée ? Si ce n'eût été
qu'en passant, nous eussions pu penser que ce n'était qu'une
épreuve; mais, après tant de siècles de persécution, les maux vont
toujours croissans et les scandales se multiplient; les vents gron-
dent, les flots se soulèvent ; vous flottez deçà et delà, battue des
ondes et de la tempête ; ne craignez-vous pas d'être abîmée? La
1 Tcrt., de Résiir. evrn., n« 8.
3.
36 ^ NOUVELLE MBLIOTHÈQITE
réponse de l'Eglise est dans le psaume cent vingt-huit. Mes enfans,
je ne m'étonne pas de tant de traverses; j'y suis accoutumée dès
mon enfance : Sœpe expugnaverunt me a juventute mea * : « Ces
a mêmes ennemis qui m'attaquent m'ont déjà persécutée dès ma
« jeunesse. » L'Eglise a toujours été sur la terre; dès sa plus ten-
dre enfance elle était représentée en Abel , et il a été tué par Caïn
son frère ; elle a été représentée en Enoch , et il a fallu le tirer
du milieu des impies : Translatas est ab iniquis 2 , sans doute par-
ce qu'ils ne pouvaient souffrir son innocence ; la famille de Noé ,
il a fallu la délivrer du déluge ; Abraham , que n'a-t-ilpas souffert
des impies ! son fils Isaac, d'Ismaël ; Jacob, d'Esaiï ? Celui qui était
selon la chair n'a-t-ilpas persécuté celui qui était selon l'esprit 5 ?
Moïse, Elie , les prophètes, Jésus-Christ et les Apôtres, combien
n'ont-ils pas eu à souffrir ! Par conséquent, mon fils, dit l'Eglise,
ne t'étonne pas de ces violences : Sœpe expugnaverunt me a juven-
tute mea : numquid ideo non perveni ad senectutem 4 ? Regarde
mon antiquité, considère mes cheveux gris; «ces cruelles per-
te sécutions dont on a tourmenté mon enfance m'ont-elles empê-
« chée de parvenir à cette vénérable vieillesse ? » Si c'était la pre-
mière fois, j'en serais peut-être troublée, maintenant la longue
habitude fait que mon cœur ne s'en émeut pas. Je laisse faire aux
pécheurs ; « ils ont travaillé sur mon dos : » Supra dorsum meum
fabricaverunt peccatores 5 : je ne tourne pas ma face contre eux,
pour m'opposer à leur violence , je ne fais que tendre le dos ; ils
frappent cruellement , et je souffre sans murmurer: c'est pour-
quoi ils ne donnent point de bornes à leur furie : Prolongave-
runt iniquitatem suam. Ma patience sert dejouetàleur injustice;
mais je ne me lasse point de souffrir , et je me souviens de celui
« qui a abandonné ses joues aux soufflets, et n'a pas détourné sa
« face des crachats » : Faciem meam non averti ab increpantibus
et conspuent ibus in me 6. Quoique je semble toujours flottante,
ne t'étonne pas ; la main toute - puissante qui me sert d'appui
saura bien m' empêcher d'être submergée. Que si Dieu la soutient
avec tant de force contre la violence, pourrez-vous croire , mes-
sieurs , qu'il la laisse accabler par les hérésies ? Non, messieurs ;
ne le croyez pas. (Le même. )
* Ps. cxxyiii, 1. — Mlebr., xî, 5. — s Gai , n, 39. — * In ps., crxfni, n°« 2, 5 '
-5 Ps., ibid, 3. — 8Is., l, 6.'
DES PRÉDICATEURS. 3j
Triomphe de l'Eglise sur les hérésies.
La seconde tempête de l'Eglise , c'est la curiosité qui l'excite :
curiosité , chrétiens , qui est la peste des esprits , la ruine de la
piété , et la mère des hérésies. Pour bien entendre cette vérité, il
faut remarquer, avant toutes choses , que la sagesse divine adonné
des bornes à nos connaissances ; car comme cette Providence
infinie, voyant que les eaux de la mer se répandraient par toute la
terre, et en couvriraient toute la surface, lui a prescrit un ter-
me qu'elle ne lui permet pas de passer; ainsi, sachant que l'intempé-
rance des esprits s'étendrait jusqu'à l'infini par une curiosité déme-
surée, elle lui a marqué des limites auxquelles il lui ordonne d'arrê-
ter son cours. « Tu iras , dit-il , jusque là , et tu ne passeras pas plus
outre : » Usque hue gradieris , et non procèdes amplius , et hic
conjringes tumentes fluctus tuos *. C'est pourquoi Tertullien a dit
sagement « que le chrétien ne veut savoir que fort peu de choses,
«parce que, poursuit ce grand homme, les choses certaines sont
« en petit nombre : » Christiano paucis ad scientiam veritatis opus
est, nam et certa semper in paucis 2. Il ne se veut pas égarer dans
les questions infinies qui sont défendues par l'A.pôtre : Infinitas
quœstiones devita 3 : il se resserre humblement dans les points que
Dieu a révélés à son Eglise; et ce qu'il n'a pas révélé, il trouve
de la sûreté à ne le savoir pas; il déteste la vaine science que l'es-
prit humain usurpe, et il aime la docte ignorance que la loi divi-
ne prescrit:» c'est tout savoir, dit-il, que de n'en pas savoir da-
vantage : » Nihil ultra scire , omnia scire est *. ♦
Quiconque se tient dans ces bornes , et sait régler sa foi par ce
qu'il apprend de Dieu par l'Eglise , ne doit pas appréhender la
tempête ; mais la curiosité des esprits superbes ne peut souffrir
cette modestie : « Ses flots s'élèvent, dit l'Ecriture , ils montent
« jusqu'aux cieux, ils descendent jusqu'aux abîmes : » Exaltati sunt
fluctus ejus , ascendunt usque ad cœlos , et descendant usque ad
abyssos 5. Voilà une agitation bien violente ; c'est une vive image
des esprits curieux ; leurs pensées vagues et agitées se poussent ,
comme des flots, les unes et les autres ; elles s'enflent , elles s'élè-
vent démesurément : il n'y a rien de si élevé dans le ciel , ni de si
caché dans les profondeurs de l'enfer, où ils ne s'imaginent de pou-
voir atteindre : Ascendunt usque ad cœlos ; et les conseils de la
* Job., xxyiiî, 11. — * De anima., n° 2. — 3Trt., ni, 9. — 4Tert., de Peescnt.
adv. Hœr.f n° 14. — 5 Ps. evi, 25, 26.
38 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Providence, et les causes de ses miracles, et la suite impe'nétrable
de ses mystères, ils veulent tout soumettre à leur jugement: Ascen-
dant, Malheureux! qui, s'agitant de la sorte, ne voient pas qu'il
leur arrive comme à ceux qui sont tourmentés delà tempête : Tur-
batisunt) et moti sunt sicut ebrius : « Ils sont troublés comme des
« ivrognes ; la tête leur tourne dans ce mouvement : Et omnis sa-
jncntia corum devorata est * : « Et toute leur sagesse se dissipe ; »
et ayant malheureusement perdu la route, ils se heurtent contre
des écueils, ils se jettent dans des abîmes, ils s'égarent dans des
hérésies. Arius , Nestorius , votre curiosité vous a perdus. Voilà la
tempête élevée par la curiosité des hérétiques : c'est par là qu'ils
séduisent les simples; parce que, dit saint Augustin 2: « Toute
« anie ignorante est curieuse : » Omnis anima indocta curiosa
est; cela est nouveau, écoutons : la manière dont on propose
cette doctrine nous plaît. Arius, Nestorius, etc., pourquoi cher-
chez-vous ce qui ne se peut trouver ? « Il n'est pas permis de cher-
cher au-delà de ce qu'il nous est permis de trouver : » Amplius
quœrerenon licet, quam quod invenir i licet^.
Pour empêcher les égaremens de cette curiosité pernicieuse, le
seul remède, mes frères, c'est d'écouter la voix de l'Eglise, et de
soumettre son jugement àses décisions infaillibles. Je parle à vous,
enfaris nouveau-nés que l'Eglise a engendrés : c'est sur la fermeté
de cette Eglise qu'il faut appuyer vos esprits, qui seraient flottans
sans ce soutien. Etes-vous curieux de la vérité? Voulez-vous voir?
voulez-vous entendre? Voyez et écoutez dans l'Eglise : Sicut audi-
vimiiSy sic vidimus : « Nous avons ouï , et nous avons vu , » dit Da-
vid ; et où ? In civitate Domine uirtutum 4 ; <* En la cité de notre
« Dieu; » c'est-à-dire en sa sainte Eglise. « Celui qui est hors de
« l'Eglise, dit saint Augustin , quelque curieux qu'il soit , de quel-
« que science qu'il se vante , il ne voit , il n'entend : quiconque
« est dans l'Eglise, il n'est ni sourd , ni aveugle : » Extra illam qui
est, nec audit , nec videt; in illa qui est: nec surdus , neecœcus esl$.
Donc s'il est ainsi, chrétiens, que notre curiosité n'aille pas plus loin ;
l'Eglise a parlé, c'est assez; cet homme est sorti de l'Eglise; il prê-
che, il dogmatise, il enseigne. Que dit-il? que prêche-t-il ? quelle
est sa doctrine? O homme vainement curieux! je ne m'informe
pas de sa doctrine : il est impossible qu'il enseigne bien , puisqu'il
n'enseigne pas dans l'Eglise. Un martyr illustre, un docteur très
1 Vi. cyi, 27. — « De Agon. Christ., n° 4, toro. ti, col. 248. — 3 Tcrt., de Anima,
n° 2. — * Ps. xlvii, 0. — 5 In Psalm., xlym, n° 7, loin. îv, col. 420.
DES PRÉDICATEURS. 3o,
éclairé, saint Cyprien, va vous le déclarer. Antonianus, un de
ses collègues, lui avait écrit au sujet de Novatien, schismatique ,
pour savoir de lui par quelle hérésie il avait mérité la censure;
le saint docteur lui fait cette belle réponse : Desiderasti ut rescri-
berem tibi quam hœresim Novatianus introduxisset. . . . Quisquis
ille f lient , multum de se licet jactans, et sibi plurimiun vindicans ,
prof anus est, allenus est ,jbris est * : « Pour ce qui regarde Nova-
« tien, duquel vous désirez que je vous écrive quelle hérésie il a
« introduite, sachons premièrement que nous ne devons pas être
« curieux de ce qu'il enseigne , puisqu'il enseigne hors de l'Eglise :
« quel qu'il soit, et de quoi qu'il se vante, il n'est pas chrétien,
« n'étant pas en l'Eglise de Jésus- Christ. »
L'orgueil des hérétiques s'élève : quoi ! je croirai sur la foi d'au*
trui! je veux voir, je veux entendre maintenant. Langage superbe:
reconnaissez-le, mes chers frères; c'est celui que vous parliez au-
trefois. L'Eglise Va dit, n'est-ce pas assez ? Mais elle se peut trom-
per? Enfant, qui déshonores ta mère, en quelle Ecriture as-tu lu
que l'Eglise puisse tromper ses enfans? Tu reconnais qu'elle est
mère; elle seule peut engendrer les enfans de Dieu : si elle peut
les engendrer, qui doute qu'elle puisse les nourrir? Certes, la
terre, qui produit les plantes, leur donne aussi leur nourriture:
la nature ne fait jamais une mère, qu'elle ne fasse en même temps
une nourrice. L'Eglise sera-t-elle seule qui engendrera des enfans,
et n'aura point de lait à leur donner ? Ce lait des fidèles, c'est la véri-
té, c'est la parole de vie. Enfans dénaturés, qui sortez des entrailles
et rejetez les mamelles pour vous allaiter , voyez, voyez le lait qui
en coule, la parole de vérité qui en distille; approchez-vous , sucez
et vivez , et ne portez pas votre bouche à des sources empoison-
nées. Mais il faut connaître quelle est cette Eglise. Ah! qu'il est
bien aisé d'exclure la vôtre , dressée de nouveau ? ô Eglise bâtie
sur le sable! Vous croyez , ô divin Jésus , avoir bâti sur la pierre,
c'est sur un sable mouvant; c'est la confession de foi. Donc votre
édifice est tombé par terre: il a fallu que Luther et Calvin vinssent
le dresser de nouveau. Mes enfans, respectez mes cheveux gris;
voyez cette antiquité vénérable : je ne vieillis pas , parce que je ne
meurs jamais; mais je suis ancienne. Pourquoi vous vantez-vous
de m 'avoir rétablie ? Quoi , vous avez fait votre mère ! Mais si vous
l'avez faite, d'où êtes-vous nés? Et vous dites que je suis tombée ?
je suis sortie de tant de périls.
1 Cypr., Ep. m, ad Anton., pag. 66, 6§.
4o NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
Laissons-les errer, mes frères ; Dieu n'a perdu pour cela pas un
des siens. Ils étaient de la paille , et non du bon grain : le vent a
soufflé et la paille s'en est allée ; « ils s'en sont allés en leur lieu * :
« ils étaient parmi nous; mais ils n'étaient point des nôtres 2. »
Pour nous, enfans de l'Eglise, et vous que l'on avait exposés de-
hors comme des avortons, et qui êtes enfin rentrés dans son sein,
apprenez à n'être curieux qu'avec l'Eglise, à ne chercher la véri-
té qu'avec l'Eglise, et retenez cette doctrine. Dieu aurait pu,
sans doute (car que peut-on dénier à sa puissance?), il aurait pu
nous conduire à la vérité par nos connaissances particulières; mais
il a établi une autre conduite: il a voulu que chaque particulier
fit discernement de la vérité, non point seul, mais avec tout le
corps et toute la communion catholique , à laquelle son jugement
doit être soumis. Cette excellente police est née de l'ordre de la
charité, qui est la vraie loi de l'Eglise ; car si quelqu'un cherchait
en particulier, et si les sentimens se divisaient, les cœurs pour-
raient enfin être partagés. Mais pour nous unir tous ensemble
par le lien d'une charité indissoluble, pour nous faire chérir da-
vantage la communion et la paix, il a établi cette loi. Voulez-vous
entendre la vérité ? allez au sein de l'unité , au centre de la charité :
c'est l'unité catholique qui sera la chaste mamelle d'où coulera
sur vous le lait de la doctrine évangélique; tellement que l'amour
de la vérité est un nœud qui nous lie à l'unité et à la société fra-
ternelle. Nous sommes membres d'un même corps ; cherchons
tous ensemble : laissons faire les fonctions à chaque membre; lais-
sons voir les yeux ; laissons parler la bouche. Il y a des pasteurs
à qui le Saint-Esprit a appris à dire sur toutes les contestations
qui sont nées : « Il a plu au Saint-Esprit et à nous 3. » Arrêtons
là , chrétiens , et «ne soyons pas plus sages qu'il ne faut; mais
m soyons sages avec retenue *, » et selon la mesure qui nous est
donnée. (Le même.) *
Étonnante dépravation de» mœurs dans l'Eglise même : le triomphe de sa charité au
milieu de tant de désordres.
Jusqu'ici, mes frères , tout ce que j'ai dit est glorieux à l'Eglise:
j'ai publié sa constance dans les tourmens, sa victoire sur les hé-
résies, tout cela est grand et auguste : mais que ne puis-je main-
tenant vous cacher sa honte! je veux dire, les mœurs dépravées
• Act, i, 25. — « a I Joarç., ii, 19. — * Actes, xt, 28. *» * Rom., m, 3.
DES PRÉDICATEURS. 41
qu'elle porte en son sein î Mais, puisqu'à ma grande douleur, cette
corruption est si visible, et que je suis contraint d'en parler, je
commencerai à la déplorer par les éloquentes paroles d'un saint et
illustre écrivain. C'est Salvien, prêtre de Marseille, qui, dans le
premier livre qu'il a adressé à la sainte Eglise catholique, lui parle
en ces termes : « Je ne sais, dit-il, ô Eglise, de quelle sorte il est
« arrivé que ta propre félicité combattant contre toi-même, tu as
« presque autant amassé de vices que tu as conquis de nouveaux
« peuples : » Nescio quomodo pugnante contra temetipsam tua felici~
tate, quantum tibi auctum est populorum , tantum pêne vitiorum *.
« La prospérité a attiré les pertes; la grandeur est venue, et la dis-
c cipline s'est relâchée. Pendant que le nombre des fidèles s'est
«augmenté, l'ardeur delà foi s'est ralentie; et l'on t'a vue, ô
«Eglise, affaiblie par ta fécondité, diminuée par ton accroisse-
« ment, et presque abattue partes propres forces: » Quantum tibi
copiœ accessit, tantum disciplinée recessit.... Multiplicatis fidei po-
pulis, /ides imminuta est... ; factaque es, Ecclesia, profectu tuœ
jœcundatis injirmior, atque accessu relabens, et quasi viribus minus
valida a. Voilà une plainte bien éloquente; mais, mes frères, à
notre honte, elle n'est que trop véritable. L'Eglise n'est faite que
pour les saints: il est vrai, les enfans de Dieu y sont appelés de
toutes parts; tous ceux qui sont du nombre y sont entrés; « mais
« plusieurs y sont entrés par dessus le nombre : » Multiplicati sunt
super numerum 3. L'ivraie est crue avec le bon grain ; et la charité
s'étant refroidie, le scandale s'est élevé jusque dans la maison de
Dieu. Voilà ce qui scandalise les faibles ; voilà la tentation des in-
firmes. Quand vous verrez, mes frères, l'iniquité qui lève la tête
au milieu même du temple de Dieu, Satan vous dira : Est-ce là
l'Eglise ? sont-ce là les successeurs des Apôtres ? et il tâchera de
vous ébranler, imposant à la simplicité de votre foi.
Il faudrait peut-être un plus long discours pour vous fortifier
contre ces pensées ; mais, étant pressé par le temps, je dirai seule-
ment ce petit mot , plein de consolation et de vérité : Ne croyez
pas, mes frères, que l'homme ennemi, qui va semer la nuit dans
le champ Iy , puisse empêcher de croître Je bon grain du père
de famille, ni lui ôter sa moisson : il peut bien la mêler; remar-
quez ceci ; il peut bien semer par dessus ; mais il ne peut pas en
arracher le froment, ni corrompre la bonne semence. Il y en a qui
* Adver. Avarit., lib, î, a» 1, pag. 218. *-» * Ibid. — 3 Ps. xxxix, 6. — , * Matlh.,
xui, 54 et suit.
^2 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
profanent les sacremens; mais il yen a toujours qu'ils sanctifient :
il y a des terres sèches et pierreuses où la parole tombe inutilement;
mais il y a des champs fertiles où elle fructifie au centuple. Il y a
des gens de bien, il y a des saints : le bras de Jésus-Christ n'est pas
affaibli ; l'Eglise n'est pas devenue stérile ; le sang de Jésus-Christ
n'est pas inutile ; la parole de son Evangile n'est pas infructueuse
à l'égard de tous. Déplorez donc, quand il vous plaira, la prodi-
gieuse corruption de mœurs qui se voit même dans l'Eglise, je
me joindrai à vous dans cette plainte : je confesserai, avec saint
Bernard * « qu'une maladie puante infecte quasi tout son corps. »
Non , non , le temple de Dieu n'en est pas exempt : Jésus-Christ
en enrichit qui le déshonorent; Jésus-Christ en élève qui servent
l'Antéchrist : l'iniquité est entrée comme un torrent; on ne peut
plus noter les impies , on ne peut plus les fuir , on ne peut plus les
retrancher, tant ils sont puissans, tant le nombre en est infini : la
maison de Dieu n'en est pas exempte. Mais au milieu de tous ces
désordres, sachez que * Dieu connaît ceux qui sont à lui 2 ». Jetez
les yeux dans ces séminaires, combien de prêtres très charitables!
dans les cloîtres, combien de saints pénitensî dans le monde,
combien de magistrats recommandables par leur zèle pour la jus-
tice et leur amour pour la vérité! « combien qui possèdent comme
« ne possédant pas, qui usent du monde comme n'en usant pas,
« sachant bien que la figure de ce monde passe ! 3 » Les uns parais-
sent, les autres sont cachés, selon qu'il plaît au Père céleste, ou
de les sanctifier par l'obscurité, ou de les produire par le bon
exemple.
Mais il y a aussi des médians; le nombre en est infini; je ne
puis vivre en leur compagnie. Mon frère, où irez-vous? vous en
trouverez par toute la terre; ils sont partout mêlés avec les bons;
ils seront séparés un jour; mais l'heure n'en est pas encore arrivée.
Que faut-il faire en attendant? se séparer de cœur; les reprendre
avec liberté, afin qu'ils se corrigent; et s'ils ne le font, les
supporter avec charité, afin de les confondre. Mes frères, nous
ne savons pas les conseils de Dieu : il y a des médians qui s'amen-
deront, et il les faut attendre en patience; il y en a qui persévé-
reront dans leur malice ; et puisque Dieu les supporte, ne devons-
nous pas les supporter? Il y en a qui sont destinés pour exercer
la vertu des uns, venger le crime des autres; on les ôtera du mi-
* In Cant., serin, np, n° i5, tore. 1, col. 1382. +* « II Xim-, n# 19. — * I Cor.,
vu, 30, 51.
DES PRÉDICATEURS. /\\
lieu , quand ils auront accompli leur ouvrage : laissez accoucher
cette criminelle avant que de la faire mourir. Dieu sait le jour de
tous ; il a marqué dans ses décrets éternels le jour de la conversion
des uns, le jour de la damnation des autres; ne précipitez pas le
discernement. «Aimez vos frères, dit saint Jean1, et vous ne
«souffrirez point de scandale: «pourquoi? parce que, dit saint
Augustin 2, « celui qui aime son frère, il souffre tout pour l'u-
« nité : » Qui diligit frairem } tolérât omnia propter unitatem,
( Le même.)
L'élat dont nous gémissons est pour l'Eglise un gage assuré de triomphe.
Et d'abord , mes frères , considérez-la aux prises avec la Syna-
gogue et les Juifs rebelles. Jésus-Christ avait succombé sous leurs
coups. Cinquante jours s'étaient écoulés depuis que, chargé des
malédictions de tout le peuple, il avait expiré dans les tourmens;
que son corps avait été renfermé dans le sépulcre , et la pierre qui
le couvrait, scellée du sceau de l'autorité publique. Ses timides dis-
ciples, cachés dans le cénacle, n'osaient paraître; son nom n'était
plus prononcé, on n'entendait d'autre voix dans Jérusalem que
celle de ses ennemis , et il n'y avait de puissance que la leur. Tout
est donc consommé; la religion nouvelle est ensevelie tout entière
dans le tombeau de son auteur; et la Synagogue peut jouir avec
sécurité de son triomphe. Tout à coup un cri de résurrection re-
tentit dans la ville déicide; des langues de feu ont paru; les Apô-
tres sont sortis de leur retraite comme des hommes possédés d'un
esprit divin; ils parlent toutes les langues à la fois; ils publient que
le crucifié est vivant, qu'ils l'ont vu, qu'il est le Messie annoncé
par les Prophètes, et qu'il faut l'adorer. Des miracles éclatans au-
torisent leurs discours ; ils sont crus ; les meurtriers du Sauveur se
convertissent par milliers; le peuple se précipite en foule sur les pas
des nouveaux prédicateurs ; la première Eglise chrétienne s'établit
dans Jérusalem , et en vue du Calvaire; il s'en établit d'autres dans
toute la Judée; la Synagogue frémit en vain; troublée, éperdue,
frappée à mort, elle se débat quelque temps, et bientôt elle tombe; la
ville et le temple tombent avec elle; le peuple juif est dispersé par
toute la terre, et l'Evangile se répand parmi les nations. Quelle
victoire ! y en eut-il jamais de plus prompte et de plus merveilleuse ?
1 Joan., ii, 10, — • * In Epist. Joan. Tract., r, n° lf ; iom. m, part, f, col. 83i.
42 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
mais y eut-il aussi jamais d'anéantissement plus profond que celui
qui avait précédé?
Voici maintenant un autre ennemi bien plus formidable. Tout
le monde romain est conjuré contre douze pauvres pêcheurs du
lac de Génézareth, qui ont osé entreprendre de soumettre l'univers
à la loi de leur Christ. Toute la puissance des Césars; toute l'au-
torité du sénat, des pontifes et des magistrats ; tous les prestiges des
faux dieux ; tout l'art des écrivains et des sophistes; la force des
armées, la haine aveugle des peuples, la cruauté des bourreaux,
l'horreur des supplices et des tortures; tout est employé, tout est
épuisé, pendant plus de trois cents ans, pour étouffer la religion
naissante et assurer le triomphe de l'idolâtrie. Enfin, après de si
longs et de si cruels efforts, une dernière persécution, plus fu-
rieuse que toutes les autres , semble avoir accompli le vœu des
persécuteurs; on se flatte d'avoir éteint le Christianisme dans les
fleuves de sang qu'on a versés , et l'on proclame solennellement
que ce culte abhorré a disparu de la terre. Voyez ces fastueux mo-
numens qu'on s'empresse d'ériger pour éterniser le souvenir d'un
si mémorable événement. Lisez ces inscriptions orgueilleuses : « A
« Dioclétien le nouveau Jupiter, et à Maximien le nouvel Her-
« cule , pour avoir enfin aboli le nom chrétien , et détruit dans le
« monde entier la superstition du Christ : Nomine Christianorum
« deleto. , . . Superstitione Christ i ublque dcleia, » Est- il vrai, Dieu
tout-puissant? votre Eglise est-elle détruite? A peine ces monu-
mens sont-ils achevés que le jeune Constantin, encore païen lui-
même, averti par un songe mystérieux et par un signe céleste,
déploie l'étendard de la croix, entre vainqueur dans Rome, et y
arbore le signe sacré du salut. Aussitôt tout se prosterne; la joie
éclate de toutes parts , et l'univers étonné se trouve chrétien. Là
périt le paganisme et son empire que l'impie Julien s'efforcera
vainement de relever. Rome païenne, la maîtresse des nations et
le centre de l'idolâtrie, périra elle-même un siècle plus tard, et
fera place à Rome chrétienne, qui sera jusqu'à la fin des temps le
siège de la vraie religion et la capitale du monde catholique. O
Eglise du Dieu vivant! que tu dois peu craindre les cris de vic-
toire et les trophées insultans de tes ennemis, qui ne sont jamais
si près de leur chute que lorsqu'ils croient follement t'avoir abat-
tue à leurs pieds.
Dès ce moment cesse tes combats au dehors ; prépare-toi à en
soutenir de plus dangereux et de plus opiniâtres au dedans. Les
hérésies et les schismes vont continuer la guerre commencée par
DES PRÉDICATEURS. 4^
la Synagogue infidèle et le monde idolâtre. O Dieu ! à quelles extré-
mités votre Eglise va être réduite, lorsque, sous les empereurs
chrétiens, cette multitude de sectes acharnées les unes contre les
autres, mais toutes animées d'une même haine contre elle, vont
déchirer son sein et arracher ses entrailles! ariens, nestoriens,
donatistes, pélagiens. . . ; qui pourrait les nommer toutes, ou se
rappeler, sans frémir, l'effrayante tempête qu'elles excitèrent?
Quel trouble et quel bouleversement dans le royaume de Jésus-
Christ! Partout, autel contre autel, chaire contre chaire, pasteur
contre pasteur, et troupeau contre troupeau; l'erreur, soutenue
de la puissance publique, parlant plus haut que la vérité; des con-
ciles orthodoxes, et des conciles ennemis de la vraie foi; l'Eglise
foudroyant l'hérésie, et l'hérésie anathématisant l'Eglise; l'Orient
et l'Occident divisés; le peuple fidèle, presque incertain de sa
croyance; les esprits agités et flottans; toutes les doctrines con-
fondues; la lumière mêlée avec les ténèbres. Qui débrouillera ce
nouveau chaos ? qui rendra au soleil de vérité son éclat obscurci ?
qui fera sortir encore une fois du sein des eauxla terre presque
submergée et engloutie? Ce sera vous, grand Dieu! vous qui ne
permettez pas à la nuit d'usurper l'empire du jour, vous qui com-
mandez aux eaux de l'abîme, et qui êtes obéi; vous qui ne souffri-
rez jamais que l'enfer prévale contre votre Eglise ; car vous l'avez
juré! En effet, à la voix de ce Dieu, les ombres épaisses du men-
songe se dissipent; les schismes et les hérésies passent; ils s'écou-
lent comme des torrens, ils disparaissent; et l'Eglise, toujours
inébranlable sur le roc où elle a été fondée, domine du haut de
la montagne sainte, sur l'océan des passions et des erreurs humai-
nes, et voit perpétuellement se brisera ses pieds les flots qui mu-
gissent vainement autour d'elle.
Venez donc, après tant d'ennemis vaincus, ô incrédules des dix-
huitième et dix-neuvième siècles, vous qui êtes si fiers de vos lu-
mières et de vos forces, venez pour être vaincus à votre tour et
préparer à l'Eglise de Jésus-Christ un nouveau triomphe : Congre-
gamini. . . et vinclmini *■■. Rassemblez toutes vos phalanges, déis-
tes, athées, sceptiques, matérialistes, indifférens, impies de tous
les systèmes, de tous les pays , de toutes les sectes; rangez-vous
tous sous une même bannière; oubliez, s'il est possible, tout ce
qui vous divise: qu'un seul sentiment vous anime et vous réunisse,
et que ce soit la haine implacable du nom catholique; serrez vos
Isa, vin, 9.
46 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
rangs et formez une innombrable armée, afin que votre défaite en
soit plus éclatante : Corifortamini, et vinciinùii 4. Que rien ne vous
arrête; que tout moyen soit légitime pour détruire une religion
qui ose se dire seule vraie et seule divine ; le mensonge ou la vérité,
la perfidie ou la violence, les respects hypocrites ou les mépris in-
sultans, les maximes delà tolérance ou les fureurs de la persécu-
tion, la calomnie ou la gloire, que tout soit employé sans scrupule,
et que tout soit inutile : Accingite vos, et vincimini 2. Concertez
habilement vos desseins ; ourdissez des trames profondes ; prenez
d'infaillibles mesures; épuisez toutes les ressources de votre sa-
gesse; et qu'elle soit convaincue de folie : Inite concilium, et dis-
sipabitur* . Dites enfin , prophétisez hautement, que la dernière
heure du Christianisme est venue, que l'impérissable Eglise va
tomber inévitablement sous vos coups ; et vos prophéties se per-
dront comme un vain bruit dans les airs, tandis que les sacrés
oracles, qui prédisent la ruine de toutes les ligues impies, conti-
nueront , jusqu'à la fin , de s'accomplir comme ils s'accomplissent
depuis six mille ans : Loquimlni verbum , et nonflet *.
Ne vous étonnez pas, mes frères , que l'Eglise, au milieu de ses
malheurs, et parmi tant de dangers, ose défier de la sorte ses en-
nemis, et braver toutes leurs menaces, assurée qu'elle est de la
protection du Tout-Puissant, et de la victoire qu'il donne : Quia
nobîscum Deus 5. Ah ! lorsqu'elle était riche et puissante, ce n'était
pis dans ses forces et ses richesses qu'elle se confiait ; maintenant,
dépouillée de ses trésors et des marques de son antique grandeur,
privée de l'appui que lui prêtèrent long-temps les lois humaines
et les maîtres de la terre , méconnue et reniée de ses propres en-
fans, ne conservant plus de tant de privilèges que celui d'être
seule en butte à toutes les injustices et à tous les outrages, elle croit
n'avoir rien perdu, tant que les promesses de son divin Epoux et sa
croix lui restent ; et, elle n'est pas moins incapable de crainte dans
les orages qui assaillent sa vieillesse, que dans ceux qui agitèrent
son berceau.
Que ferez-vous donc, ô impies? Vous mènerez contre elle
toutes les sectes liguées au combat? Mais n'a-t-elle pas vu ligués
pour sa ruine et le juif et le païen, et le philosophe de l'Académie
et du Portique, et milles sectes diverses, et les empereurs et les na-
tions? et ne les a-t-ellepas vaincus ? Eh ! qu'est-ce, après tout, que
la coalition de toutes les erreurs qui se combattent et se détrui-
» Isa., vm, 9. <• * Ibid. — » Aid., 10. — * Ibid. — 6 Malth , i, 23.
DES PRÉDICATEURS. ^n
sent naturellement, contre la vérité toute seule, qui est indestruc-
tible de sa nature, et qui trouve dans son unité même une force
invincible ?
Vous essaierez de l'accabler sous le poids du mensonge et de
la calomnie? Mais ne savez-vous pas que ce qui est faux est tou-
jours faible ; que le mensonge s'évanouit bientôt devant la vérité,
comme les ombres devant la lumière; et qu'une cause est per-
due lorsque ses défenseurs sont réduits, comme vous, à faire pro-
fession ouverte de calomnie et d'imposture?
Cependant, et c'est ici votre gloire, vous entraînez la foule. — -
Je ne m'en étonne pas, puisqu'il est écrit que toute la terre suivra
la bête. — Vous entraînez la foule! — Mais comment? bien moins
en persuadant les esprits qu'en corrompant les cœurs. Votre doc-
trine flatte toutes les passions, favorise tous les vices: de là vos suc-
cès. Mais le vice comme le mensonge n'a qu'un temps; tandis
que la vertu comme la vérité a des droits éternels, et finit tou-
jours par reprendre l'empire. — Vous entraînez la foule ! — L'E-
vangile ne l'avait-il pas dit, que la multitude se perd? Mais, en
élargissant encore la voie large, empêchez-vous qu'elle ne soit pour
vous et pour ceux qui vous suivent le chemin de la perdition?
et en resserrant encore la voie étroite, empêchez-vous qu'elle
ne soit toujours, pour ceux qui y marchent, la voie certaine du
salut?
f Que ferez-vous encore ? Vous désolerez l'Eglise par des défec-
tions multipliées. — Hélas ! elles seront bien plus nombreuses en-
core, et elle ne l'ignore pas, lorsque le temps de la grande apos-
tasie, prédit dans les Ecritures, sera venu. L'Eglise pleurera sur
ses enfans qui l'abandonnent, parce qu'elle les aime, et qu'en
la quittant, ils périssent. Mais sa fécondité lui donnera d'autres
enfans qui essuieront ses larmes; et, tranquille ou agitée, elle con-
tinuera d'engendrer dans son sein, jusqu'à la consommation des siè-
cles, tous les élus dont aucun ne peut périr. Où sera donc le fruit
de ces défections que vous vantez, puisque, en peuplant de plus
en plus la Babylone réprouvée, elles ne retrancheront pas un seul
habitant à la sainte et immortelle Jérusalem ? Ah! le fruit qui vous
restera bientôt, ce sera l'opprobre d'avoir été le corrupteur de
vos semblables et les instrumens de l'enfer , pour les précipiter,
avec vous-mêmes, dans l'éternel abîme. Mais, loin de détruire
l'Eglise de Jésus-Christ, vos excès et vos complots ne servent,
comme on vient de le voir, qu'à lui préparer un nouveau triom-
phe. ( Le P. de Mac-Cartiiy, Triomphes de l'Eglise, )
48 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
Péroraison.
Aimons donc, mes frères, cette unité sainte; aimons la frater-
nité chrétienne, et croyons qu'il n'y a aucune raison pour laquelle
elle puisse être violée. Que les scandales s'élèvent, que l'impiété
règne dans l'Eglise, qu'elle paraisse, si vous voulez, jusque sur
l'autel; c'est là le triomphe delà charité, d'aimer l'unité catholi-
que, malgré les troubles, malgré les scandales, malgré les déré-
glemens de la discipline. Gémissons-en devant Dieu; reprenons-
les devant les hommes, si notre vocation le permet; mais si nous
avons un bon zèle, ne crions pas vainement contre les abus; met-
tons la main à l'œuvre sérieusement , et commençons chacun par
nous-mêmes la réformation de l'Eglise. Mesenfans, nous dit-elle,
regardez l'état où je suis; voyez mes plaies , voyez mes ruines. Ne
croyez pas que je veuille me plaindre des anciennes persécutions
que j'ai souffertes, ni de celles dont je suis menacée à la fin des
siècles; je jouis maintenant d'une pleine paix sous la protection
de vos princes , qui sont devenus mes enfans aussi bien que vous;
mais c'est cette paix qui m'a désolée : Ecce, ecce in pace amaritudo
mea amarissima i. Il m'était certainement bien amer lorsque je
voyais mes enfans si cruellement massacrés, il me l'a été beau-
coup davantage lorsque les hérétiques se sont élevés, et ont
arraché avec eux , en se retirant avec violence , une grande partie
de mes entrailles ; mais les blessures des uns m'ont honorée; et,
quoique touchée au dernier point de la retraite des autres, enfin
ils sont sortis de mon sein comme des humeurs qui me surchar-
geaient. « Maintenant, maintenant mon amertume très amère est
dans la paix : » Ecce, ecce inpace amaritudo mea amarissima. C'est
vous, enfans de ma paix, c'est vous, mes enfans et mes domestiques,
qui me donnez les blessures les plus sensibles par vos mœurs dé-
pravées : c'est vous qui ternissez ma gloire, qui me portez le venin
au cœur, qui couvrez de honte ce front auguste sur lequel il ne
devait paraître ni tache, ni ride 2. Guérissez-moi en travaillant
à guérir en vous-mêmes ces plaies profondes que tant d'iniquités
ont faites à votre conscience et à votre honneur, et qui sont deve-
nues les miennes.
Que reste-t-il après cela, sinon qu'elle vous parle des intérêts
de ces nouveaux frères que sa charité vous a donnés ? elle vous
1 ïs., xx^ut, 1"; — a Krïhes:, v, 27.
DES PRÉDICATEURS. 49
les recommande. Le schisme lui a donné tout l'Orient ; l'hérésie
agate tout le Nord : ô France, qui étais autrefois exempte de
monstres, elle t'a cruellement partagée. Parmi des ruines si épou-
vantables l'Eglise, qui est toujours mère, tâche d'élever un petit
asile 1 pour recueillir les restes d'un si grand naufrage ; et ces enfans
dénaturés l'abandonnent dans ce besoin : le jeu engloutit tout; ils
jettent dans ce gouffre des sommes immenses : pour cette œuvre
de piété si nécessaire , il ne se trouve rien dans la bourse. Les
prédicateurs élèvent leur voix avec toute l'autorité que leur donne
leur ministère, avec toute la charité que leur inspire la compassion
de ces misérables ; et ils ne peuvent arracher un demi-écu ; et il faut
les aller presser les uns après les autres; et ils donnent quelque
aumône chétive , faible et inutile secours , et encore ils s'estiment
heureux d'échapper : au lieu qu'ils devraient courir d'eux-mêmes
pour apporter du moins quelque petit soulagement à une néces-
sité si pressante. O dureté des cœurs ! 6 inhumanité sans exem-
ple! mes chers frères, Dieu vous en préserve! Ah! si vous aimez
cette Eglise dont je vous ait dit de si grandes choses, laissez au-
jourd'hui, en ce lieu où elle rappelle ses enfans dévoyés, quelque
charité considérable. Ainsi soit-il. (Bossuet. )
Lee Nouveaux Catholiques, où ce sermon a été prêché.
T. m. 'i
5o NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
ENFER OU ÉTERNITÉ MALHEUREUSE.
REFLEXIONS PRELIMINAIRES SUR CE SUJET.
Il existe un Dieu : il y a donc un Enfer. Ces deux dogmes essen-
tiels ont constamment été réunis dans les pensées du genre hu-
main ; et comme il ne fut jamais de nation athée, il ne s'en est
jamais vu une seule qui ait révoqué en doute les peines de l'autre
vie. Toutes les religions qui ont régi le monde ont eu pour base
ce principe fondamental de tout ordre. Elles n'ont pas même
cherché à le prouver : elles l'ont supposé comme incontestable.
Si dans le cours des siècles il s'est trouvé un petit nombre d'hom-
mes, ceux spécialement qui usurpaient et déshonoraient le titre
de philosophe, qui aient osé combattre une vérité aussi générale-
ment reconnue, aussi solidement établie, ils ont été tanlôt mé-
prisés comme des insensés, tantôt rejetés comme des impies. In-
crédules de nos jours, qui, marchant sur les traces de ces maîtres
d'erreur t venez'nous reporter leurs blasphèmes tant de fois pros-
crits, tous vos efforts vont se briser contre ce consentement uni-
versel de tous les temps et de tous les pays. Quelle cause pouvez-
vous assigner à cette unanimité de persuasion ? Quel homme
eût osé proposer à ses semblables une doctrine aussi contraire aux
inclinations, aussi révoltante pour les passions humaines? Quel
homme aurait eu le pouvoir de la faire aussi universellement
adopter? Prétendrez-vous que la totalité du genre humain ait été
assez simple, assez ennemie d'elle-même pour se soumettre, sans
d'évidentes démonstrations, à la croyance d'intolérables tourmens
après la mort? Cherchez tant qu'il vous plaira; vous ne trouverez
jamais, à la réunion de tous les peuples dans le dogme d'un Enfer,
d'autres principes que l'un de ces deux, ou plutôt que ces deux
réunis : d'une part, l'enseignement primitif donné par la Divinité
elle-même, et transmis de génération en génération; et de l'autre,
ce raisonnement si simple, qui se présente naturellement à tous
les esprits, qu'au moins ils saisissent vivement quand il leur est
DES PRÉDICATEURS. 5l
présenté. Sous un Dieu juste les malfaiteurs doivent être punis :
ne 1 étant pas dans cette vie, ils le sont indubitablement dans une
autre.
Cause de l'incrédulité sur l'Enfer*
Si telles sont les causes de la croyance universelle à la vérité d'un
Enfer, quelles peuvent être celles de l'incrédulité de quelques indi-
vidus? Gomment a-t-il pu se faire qu'un dogme si profondément en-
raciné dans le cœur humain, qu'une vérité démontrée par de si évi-
dentes raisons, ait éprouvé une seule contradiction ; et que, contre
le cri de la nature entière, qui proclame la doctrine d'une autre
vie, quelques voix se soient élevées pour la combattre ? Considérez
quels sont les téméraires qui osent opposer leur courte raison à
la raison de toute la race humaine, et vous aurez la réponse à
cette question. Ils nient qu'il y ait un Enfer, ceux-là seuls qui ont
intérêt à ce qu'il n'y en ait pas. Ils n'y croient pas, parce qu'ils
ne veulent pas y croire, parce qu'ils craignent d'y croire. Que
leur cœur soit sans passions , et leur esprit sera sans doutes. Cette
pensée de la vie future qui fut salutaire à tant d'autres, ils se la
rendent funeste. Elle fit des saints de tous les sages qui sacrifièrent
les plaisirs du temps à la crainte d'un malheur éternel. Elle fait
des impies de quelques insensés qui , pour s'abandonner à leurs
penchans pervers, s'efforcent de l'étouffer, et cherchent une res-
source contre la menace de l'Enfer dans l'anéantissement de l'Enfer.
Ils répètent, les impies de nos jours, ce que disaient ceux du
temps de Salomon , qu'ils n'ont vu personne qui soit revenu de
l'Enfer. Mais le divin Maître leur répond : S'ils n'ajoutent pas foi
aux oracles sacrés sur l'Enfer, un mort qui en sortirait ne les per-
suaderait pas. Croit-on l'Enfer ? la résurrection d'un mort est inutile.
N'y croit-on pas Pelle ne servirait de rien. Que l'on croie ou que
l'on ne croie pas à ces terribles chàûmens, ils n'en sont pas muins
réels; et ce que les impies refusent de croire comme hommes, et
avec tous les hommes, ils seront un jour forcés de le croire comme
les démons, et avec eux.
Révélation du dogme de l'Enfer.
Les oracles divins le déclarent positivement. Ce que la raison
découvre, la foi le révèle, le confirme, le développe. Chrétiens,
car c'est à vous principalement que s'adressent ces instructions ,
4
52 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
il vous faut ou renoncer à ce caractère sacré que vous reçûtes
clans le baptême, ou rejeter avec force les doutes criminels qu'on
s'efforce de vous inspirer sur les supplices qui attendent le pécheur
dans la région infernale. Gomme il n'y a pas de dogme plus salu-
taire pour la vie présente que celui d'une vie future, comme il
n'y a point de principe qui ait une influence plus active sur les
actions humaines que celui du salaire qui leur est réservé après
la mort, il n'y a pareillement aucune vérité plus formellement
enseignée, plus fréquemment répétée dans les livres sacrés. Dieu
a voulu que la doctrine fondamentale de toute morale naturelle et
religieuse de la conduite honnête et chrétienne nous fût rendue
certaine de toutes les manières. lia voulu qu'on ne pût, sans re-
noncer à tout sentiment, à tout raisonnement, à toute loi, adopter
la pernicieuse maxime qui , brisant la barrière opposée aux dés-
ordres , ouvre aux crimes de tout genre l'entrée dans la société
humaine.
Incompréhensibilité des peines de l'Eofer.
Mais, en nous révélant les supplices de l'autre vie, en nous im-
posant l'obligation de les croire, la parole divine ne nous en fait
pas connaître toute l'étendue. Dieu lui-même, qui a creusé l'En-
fer,]ne nous en fait pas comprendre toute l'horreur. Grand Dieu!
s'écrie le roi-prophète , qui est-ce qui connaît toute la puissance
de votre colère? Qui peut, dans la terreur qu'inspirent vos ven-
geances, en calculer les épouvantables effets? Devons-nous être
étonnés que les opérations de la justice et celles de la miséricorde
soient également admirables; que la miséricorde ayant fait pour
nous des choses incompréhensibles , les œuvres de la justice excè-
dent de même nos faibles conceptions? Et quelles sont-elles donc
ces conceptions humaines, pour prétendre embrasser toute l'é-
tendue des châtimens que peut infliger la main divine? Ils sont,
comme les appelle Tertullien , le trésor de la colère du Tout-Puis-
sant. Des intelligences bornées, des raisons faibles, des imagi-
nations dissipées comme les nôtres , doivent-elles être capables
de s'en former une idée exacte? Il n'appartient, par un funeste
privilège, qu'aux infortunés qui y sont livrés de connaître tout
leur malheur. Vous ont-elles été ouvertes, dit le Seigneur, les
portes de la mort? Votre œila-t-il pénétré dans ces gouffres téné-
breux? La raison a pu nous amènera connaître la réalité d'un
Enfer. Là elle doit s'arrêter, Si elle entreprend de pénétrer dans
2>ES fil INDICATEURS. 53
cet abîme de lourmcns, elle s'égarera infailliblement dans ces im-
menses profondeurs. Recevons humblement de la foi ce qu'elle-
daigne nous révéler sur la nature des châtimens divins. La foi,
qui ne nous les fait point comprendre, nous découvre ce qu'il
nous est utile d'en connaître. Elle nous apprend ce dont nous
avons besoin pour en concevoir la juste et salutaire frayeur.
Violence des tourment do l'Enfer.
Nous savons, d'après son enseignement, quel est celui qui a
dit : C'est à moi qu'appartient la vengeance; ce sera moi qui ju-
gerai et qui punirai : et par cela seul elle nous enseigne combien
il est horrible de tomber entre ses mains. Si nous tremblons de-
vant les supplices que font subir les puissances humaines, de
quelle terreur ne devons-nous pas être saisis en contemplant ceux
qu'inflige le bras tout-puissant d un Dieu irrité? Il voulait récom-
penser en Dieu , il punira en Dieu , et il ne fera pas moins éclater
ses vengeances dans l'Enfer que sa munificence dans le ciel. Ils
porteront, dit un Prophète, tout le poids de la colère du Sei-
gneur, ceux qui auront péché contre lui. Ils seront remplis de sa
fureur, dit un autre. Moins nous pouvons nous représenter tout
ce que renferment ces menaces , plus nous devons sentir combien
elles sont terribles. Des tortures si affreuses qu'elles en sont in-
compréhensibles; des tourmens d'une telle violence qu'ils excèdent
tout sentiment, toute idée; dans quel tremblement ne devons-nous
pas être en pensant que nous y sommes exposés , que nous les
subirons peut-être, que nous les subirons certainement si nous ne
travaillons pas à les éviter ? L'Enfer, nous répète souvent le divin
Sauveur, est le séjour des pleurs et des grincemens de dents. Que
ceux qui cherchent à s'étourdir sur l'Enfer ne nous accusent donc
plus de présenter plus sévères qu'elles ne sont, les peines qu'on y
endure. Si nous les exagérons , c'est Dieu qui est l'exagérateur :
mais pour les rendre épouvantables, l'exagération n'est pas né-
cessaire; elle n'est pas même possible, puisqu'aucune langue ne
peut en expliquer, ni aucun esprit en comprendre toute la ri*
gueur.
Les tourmens de l'Enfer inégaux.
En nous révélant que les supplices des re'prouvés seront d'une
inconcevable violence, la foi nous enseigne qu'ils ne seront pas
les mêmes pour tous. Ils sont affreux, parce que c'est la colère de
54 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Dieu qui les inflige; ils sont différens parce que c'est la justice
qui les ordonne. La majesté divine exige pour toute offense une
vengeance éclatante, que l'équité suprême règle selon la nature,
de l'offense, Gomme il y a des degrés dans les péchés, il y en a
dans les châtimens. Dieu les proportionne d'abord au nombre ,
au genre, à la gravité des crimes. Redoublez les tourmens de
cette ame coupable d'après la dépravation de ses œuvres /'crie une
voix céleste; autant elle se livre à l'insolence de son orgueil, au-
tant elle s'abandonne à ses criminelles voluptés, autant donnez-
lui de lourmens et de douleurs. Une autre mesure des châtimens
divins sera l'abus des grâces divines. Il sera , c'est Jésus-Christ qui
le déclare, plus redemandé à celui à qui il aura été plus accordé.
Le serviteur, qui, connaissant la volonté de son maître, ne l'a pas
exécutée, sera puni plus sévèrement que celui qui a manqué sans
la connaître. Ce fut un grand bonheur pour nous, dans cette vie,
qu'une miséricorde toute gratuite nous fit naître dans lô sein de
l'Eglise, et nous investit des lumières de la foi. Dans la vie future,
ce sera peut-être un redoublement de malheur. Ce caractère de
chrétien que nous reçûmes dans le baptême nous suivra dans l'é-
ternité, pour être, si nous lavons profané, une aggravation de
tourmens. Et quand je retourne mes pensées sur moi en particu-
lier, de quelle terreur me saisit la pensée du caractère encore plus
sacré qui me fut conféré dans l'ordination. Quand je rapproche les
grac©6 dont je fus comblé, de mes manquemens ; le ministère dont
je fus honoré, de mes profanations; les obligations qui me furent
imposées, de mes transgressions ; le soin des âmes qui me fut confié,
dîu peu de soin que j'ai eu de la mienne, je frémis à l'aspect destor-
rens de colère que fera déborder sur moi cette multitude d'iniquités.
J'entends sans cesse retentir à mes oreilles cet épouvantable arrêt :
Tu vas connaître incessamment, et d'une terrible manière, que le
jugement le plus rigoureux est réservé à ceux qui présidentles autres.
Quatre principaux supplices en Enfer.
Je me figure l'affreux sentiment qui s'empare de l'ame du ré-
prouvé au moment où, du théâtre de ses plaisirs, il se voit trans-
porté dans le séjour des vengeances divines. Jugé, condamné, puni
au même instant, il s'est senti précipiter dans l'abîme des douleurs.
Il a vu les portes fatales se refermer sur lui pour ne se rouvrir ja-
mais. Toute l'horreur de son sort est déjà présente à son esprit.
Tout ce qu'il doit à jamais souffrir, il en a commencé la doulou-
DES PRÉDICATEURS. 55
neuse épreuve. Quatre supplées accumules sur lui n'auront désor-
mais ni cessation, ni interruption, ni diminution. Ce sont la sé-
paration de Dieu qui désole, le feu qui tourmente, le remords qui
déchire, l'éternité qui désespère.
Séparation de Dieu.
Du moment où l'ame coupable aura entendu le formidable ar-
rêt: Reti/ez-vous de moi , il n'y aura plus pour elle d'union avec
Dieu : un intervalle immense va l'en séparer pour jamais. Ses ini-
quités ont élevé entre elle et lui un mur de séparation impénétra-
ble : elles l'ont forcé à détourner sa face. Elle avait été créée pour
le voir éternellement , éternellement elle ne le verra pas. Première
et juste punition de son infidélité. Dans le cours de cette vie mor-
telle , c'était Dieu qui recherchait l'ame, et lame criminelle qui le
fuyait. Dans la vie future , ce sera lame réprouvéequi recherchera
son Dieu , qui soupirera après lui , et qui en sera repoussée. L'é-
loignement qui fut le péché sera devenu la peine. L'éloignement
volontaire et obstiné sera puni par un éloignement forcé et irré-
parable.
Pécheurs, cette privation ne vous touche pas, ce châtiment ne
vous effraie pas. N'ayant pour Dieu ni amour ni désir, vous n'i-
maginez pas le malheur d'en être séparés. Détournés, dissipés,
absorbés, tyrannisés par vos sens, uniquement occupés des plai-
sirs qu'ils vous présentent , votre cœur est devenu inaccessible au
désir dune félicité spirituelle, et votre esprit incapable d'en for-
mer la pensée. Tout ce que vous ambitionnez est la possession des
frivolités dans lesquelles vous avez placé votre bonheur; tout ce
que vous redoutez, c'est d'en être privé. Et même les personnes
religieuses ne peuvent se donner une connaissance exacte et en-
tière du malheur d'être séparé de Dieu. D'une part, enveloppée
d'un corps qui ne cesse de lui communiquer ses impressions, ap-
pesantie par cette masse qui la rabaisse continuellement vers la
terre, l'ame n'a point ici-bas la force de s'élever jusqu'à la compré-
hension du bonheur d'une telle union , du malheur de cette sépa-
ration. De l'autre, comment se former Vidée d une peine qui n'a
d'autre mesure que l'infinité de Dieu? Le malheur d'être privé de
lui est aussi grand que le bonheur de le posséder ; et l'un et l'au-
tre ont pour étendue la grandeur même de Dieu. Mais lorsque dé-
gagée des liens qui la retenaient , et sortie de la prison qui la
renfermait , l'ame aura rendu à la terre cette chair qu'elle en a reçue,
56 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
et qu'abandonnant l'habitation passagère de ce monde elle sera
devenue citoyenne delà région de l'éternité , ses sens qui la dis-
trayaient, qui l'offusquaient, ses sens dont elle sera délivrée,
n'auront plus sur elle d'influence. Plaisirs, honneurs, richesses,
affections , jouissances, tous les prétendus biens qui l'attachaient
à la terre ont disparu. Le vrai, le seul bien lui apparaît alors.
Dieu se fait connaître à elle tel qu'il est, et lui découvre tout
le bonheur dont il fait jouir ses élus. Du séjour des douleurs
le réprouvé lève les yeux vers le séjour delà gloire, et l'un de ses
tourmens est de contempler de loin ce qu'il pouvait acquérir et
qu'il a voulu perdre. A travers l'immense chaos qui les sépare, le
mauvais riche voit ce Lazare, qui fut sur la terre l'objet de ses mé-
pris, jouissant dans le sein d'Abraham de la félicité qui était des-
tinée à lui-même. L'Esprit-Saint nous représente les pécheurs au
fond de l'Enfer, d'abord contemplant avec étonnement et avec
admiration ceux qui étaient autrefois l'objet de leurs railleries et
de leurs reproches, maintenant placés dans le sein de Dieu, et
partageant le sort glorieux des saints, et ensuite retournant sur
eux-mêmes leurs pensées , déplorant , dans les regrets du repen-
tir et dans les angoisses du gémissement, les voies d'iniquité et
de perdition où ils se sont lassés, et se lamentant de se sentir con-
sumés des suites de leur méchanceté. Ainsi, la justice divine fait
servir au supplice de ses victimes la connaissance même qu'elle
leur donne de la souveraine félicité. Le désir du bonheur, qui dans
cette vie était pour lame le principe de toutes ses affections, le
mobile de toutes ses actions , l'a suivi dans l'autre vie. Il y est même
devenu plus actif, parce qu'ici-bas il se divisait en plusieurs ob-
jets, et que là il est fixé dans la seule possession du bien suprême..
Il était sa consolation, par l'espérance qu'il nourrissait: il est de-
venu son tourment, par le désespoir qui y est joint. Déplorable con-
dition, déporter dans son cœur, avec le désir le 'plus ardent, l'af-
freuse certitude de ne pouvoir jamais la satisfaire; de soupirer à
chaque instant après ce qu'on est sûr de ne jamais obtenir ; de
s'élancer continuellement après ce qui sera éternellement impos-
sible d'atteindre! Malheureuse d'être pour toujours séparée de
Dieu , plus malheureuse encore de sentir vivement cette sépara-
tion ! Il existe un Dieu; elle le sait: il est le souverain bien, il
devait être le sien ; elle le sent ; mais il n'existe plus pour elle , il
ne lui est plus , il ne lui sera plus jamais rien.
Je me trompe , et je ne voyais qu'une partie du supplice de cette
infortunée. Elle a encore un Dieu; mais ce n'est plus un Dieu pro-
DES PRÉDICATEURS. 5j
pice, un Dieu indulgent, un Dieu miséricordieux. C'est un Dieu
juge inexorable, implacable ennemi , vengeur impitoyable. Séparée
de lui en un sens, elle en est inséparable dans un autre. Elle n'a
pas la vision de ses aimables perfections ; elle a la vue continuelle
de ses épouvantables vengeances ; elle ne voit plus le bras bienfai-
sant qui était étendu vers elle pour la retirer de l'abîme ; elle sent
le bras terrible qui s'appesantit sur elle pour l'y enfoncer. Je crie
vers vous, disait Job dans l'excès de ses souffrances , et le réprou-
vé le répète avec bien plus de raison : Je crie vers vous , et vous
ne m'écoutez pas ; je m'élève vers vous , et vous me rejetez. Vous
êtes changé pour moi ; vous êtes devenu cruel , vous m'écrasez de
votre dure et impitoyable main. Ainsi une pente insurmontable
l'entraîne vers Dieu , une force irrésistible le repousse. Par une
cruelle contrariété de sentimens , Dieu est tout à la fois l'objet de
ses vœux ardens et de sa violente haine. Il soupire après lui, et
l'a en horreur. 11 veut et ne veut pas cesser de vouloir son bien
suprême : il déteste nécessairement , et il détestera toujours l'au-
teur de son mal. L'inclination vers Dieu est la conséquence de sa
nature, la détestation de Dieu, la suite de son état. Conflit doulou-
reux d'estime et d'horreur, d'inclination et de haine, de désir et
d'aversion, de poursuite et d'éloignementî Barbares affections
contraires , qui dans son cœur se réunissent et se combattent, le
remplissent et le déchirent.
Peine du feu.
Ce n'est encore là qu'un de ses tourmens. Ce furent des plaisirs
sensibles qui causèrent ses crimes ; Dieu, dans son exacte équité ,
ordonne qu'une peine sensible en soit le châtiment. Un feu allu-
mé par sa colère enflamme jusqu'au fond de l'Enfer, et par une
propriété non moins réelle qu'elle est merveilleuse , que nous de-
vons croire quoique nous ne puissions pas la comprendre , se sou-
tient dans toute son activité sans aliment ; fait sentir sa doulou-
reuse impression aux âmes dépouillées de leurs corps , et les brûle
continuellement sans jamais les consumer. De tous les supplices
que la rigoureuse justice de Dieu inflige à^'ses victimes , il n'en est
point dont il soit plus souvent fait mention dans les livres saints
que du supplice du feu ; presque jamais le texte sacré ne parle de
l'Enfer sans y joindre l'idée de ses flammes vengeresses. Pour ré-
voquer en doute la réalité de ce feu matériel, il faut démentir une
multitude d'oracles sacrés j pour les tourner à un sens allégori-
58 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
que, il faut contredire la doctrine de tous les saints Pères, l'en-
seignement constant de la tradition, les décisions nombreuses de
l'Eglise, qui a toujours entendu et ordonné d'entendre ce que ré-
vèlent les saintes Ecritures sur le feu de l'Enfer, dans le sens
strict et naturel.
Quel est-il donc ce feu si extraordinaire dans sa nature , si ter-
rible dans ses effets ? Les expressions manquent pour le dépeindre,
parce que les idées sont impuissantes à le concevoir. Tout ce que
peut se figurer l'imagination humaine est au dessous de la réalité.
La tradition constante, unanime, de l'Eglise enseigne que les suppli-
ces les plus cruels , les tortures les plus atroces qu'inventa jamais la
rage des hommes , ne sont pas même des tourmens auprès du feu de
l'Enfer. Quand ces flammes auxquelles la justice divine dévoue les ré-
prouvés seraient seulement pareilles à celles que nous connaissons,
nejugerions-nouspasces malheureux livrés aux plus épouvantables
supplices? Quelle différence ne doit-il pas y avoir entre l'élément
que Dieu créa pour notre avantage , et celui qu'il fait servir à ses
vengeances? C'est le souffle de la colère de Dieu qui a allumé l'En-
fer ; il en fait l'instrument de sa fureur. Voilà tout ce qu'il nous
est accordé de connaître sur ce terrible feu , et nous ne pouvons
former un jugement raisonnable sur son extrême violence, que
par l'impossibilité où nous sommes de la comprendre.
Qui de vous , demande le Prophète , pourra demeurer avec un
feu dévorant? qui pourra habiter dans les flammes éternelles ? Se-
ra-ce vous , homme voluptueux et faible , qui ne connaissez d'au-
tre bonheur que les plaisirs des sens , d'autre malheur que les sen-
sations douloureuses ? Sera-ce vous , femme délicate et sensuelle ,
qui recherchez continuellement vos aises, que la plus petite gêne
contrarie, que la moindre peine désole, que la plus légère dou-
leur irrite? Mondains, êtres frivoles, uniquement attachés aux
délices de cette vie, même les plus criminelles , transportez- vous
par la pensée dans cette mer de feu, où sont plongés tant de
malheureux parce qu'ils vous ressemblèrent , qui vous attend
vous-mêmes si vous continuez de leur ressembler; descendez-y
en esprit volontairement , pour ne pas être forcés d'y descendre
un jour en réalité, et que votre frayeur de la douleur la plus lé-
gère serve au moins à vous garantir des affreuses douleurs qui vous
menacent.
DES PRÉDICATEURS. 5o,
Objections contre le feu de l'Enfer.
Ce dogme si terrible et si certain révolte les libertins , soit de
cœur , soit d'esprit. Esclaves de leurs sens } comme ils ne connais-
sent de jouissances que celles qui sont procurées par les sens, ils
ne veulent reconnaître de vérités que celles qui sont transmises par
les sens. Ils rejettent avec dédain toute doctrine qui n'est pas
d'accord avec leurs sensations accoutumées. Gomment comprendre,
disent-ils , un feu matériel qui agit immédiatement sur une subs-
tance purement spirituelle ? comment comprendre qu'ensuite ,
après la révolution des siècles , cette même flamme brûlera conti-
nuellement les corps , sans jamais les consumer ? Esprits superbes,
c'est ici le mystère de la justice divine ; et votre faible intelligence
qui ne s'élève pas même jusqu'aux mystères de la nature, préten-
drait le comprendre! Vous ne comprenez pas comment un feu ma-
tériel se fait sentir à un pur esprit ; comprenez-vous mieux com-
ment il agit sur lui par l'intermédiaire du corps ? Vous le croyez,
mais vous ne pouvez pas l'expliquer : vous sentez l'effet , vous
ignorez comment il se produit. Croyez-vous la puissance de Dieu
tellement restreinte , qu'il soit au dessus d'elle de faire éprouver à
l'ame des sensations autrement que parle corps ? Et la foi ne vous
apprend-elle pas que c'est pour les démons , qui sont de purs es-
prits , que l'Enfer a été allumé ? Vous ne comprenez pas non plus
comment le feu brûle un corps sans le détruire. Je vous le de-
mande encore: Comprenez-vous plus clairement comment il le dé-
truit ? Connaissez-vous, savez-vous en quoi consiste cette vertu
qu'a le feu de diviser les corps , d'en disperser les parties ? Pensez*
vous que le Créateur, qui lui imprima cette propriété, ne puisse pas
l'en dépouiller ? Croyez-vous qu'il n'ait pas le pouvoir, en rendant
nos corps immortels , de les rendre incorruptibles. Libertins, con-
sidérez , et toutes vos vaines difficultés sur le supplice du feu in-
fernal disparaîtront, considérez que c'est la justice divine qui l'or-
donne, la Toute-Puissance qui l'exécute, l'infaillible vérité qui le
révèle.
Remords.
Et ce qui augmente encore la peine du réprouvé , ce qui rend
ses affreux tourmens plus douloureux , c'est l'idée sans cesse pré-
sente à son esprit de se les être attirés. Le remords est , dans l'En-
60 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
fer, non seulement son supplice, mais l'aggravation de tous ses
supplices. Il l'éprouva sur la terre, ce sentiment pénible, aussitôt
qu'il eut péché : il la porté en Enfer avec son péché. Mais ici c'é-
tait la miséricorde qui le lui inspirait ; là c'est la justice qui le
lui fait sentir. Il était un bienfait, il est devenu un châtiment. C'é-
tait une voix secrète qui l'avertissait qu'il y a un Enfer, qui l'ex-
hortait à l'éviter; c'est une voix foudroyante qui lui répète sans
cesse qu'il s'est plongé volontairement dans ce gouffre de tortu-
res. C'était une anticipation salutaire de l'Enfer ; c'est maintenant
l'Enfer même dans son cœur, et un Enfer plus dévorant que celui
qui l'environne. Que ne Ta-t-il ménagé comme il le devait, ce sen-
timent précieux que Dieu lui avait envoyé ! il n'en éprouverait
pas l'horreur. Que n'a-t-il obéi aux reproches de sa conscience! il
ne subirait pas ses accablantes condamnations. Malheureux égarés
dans la route du crime , qui fermez l'oreille à cette voix sévère
mais bienfaisante, par laquelle vous êtes rappelés aux sentiers de
la vertu, qui repoussez loin de vous ces suggestions d'autant plus
utiles qu'elles sont plus dures , qui regardez comme une peine in-
supportable ce qui est votre ressource , ah ! par la frayeur même
que vous inspire le remords quand il est encore un don de Dieu ,
jugez quelle en sera l'horreur, quand Dieu en aura fait votre sup-
plice. Si cette pointe aiguë vous afflige quand elle ne fait que vous
stimuler, combien sera-t-elle plus douloureuse quand elle vous dé-
chirera! Demandez, au contraire, demandez à l'auteur de tout
bien, demandez-lui comme la grâce la plus signalée, la plus im-
portante , d'aggraver encore vos remords. Vous parviendrez peut-
être, et ce sera le comble de votre malheur, à les affaiblir, à les
éteindre. Sur la terre, les occupations mondaines en distraient, le
plaisir les fait oublier, les faux principes d'une morale relâchée
les calment. Mais en Enfer l'insatiable ver ne meurt point. Le ré-
prouvé est continuellement et éternellement à lui-même son accu-
sateur, son juge et son bourreau. Accusateur sévère, il voit sans
cesse et d'un seul coup d œil tous les biens frivoles auxquels il
sacrifia son aine, toutes les grâces qu'il eût pu employer à son
salut et qu'il fit servir à sa perte , et surtout tous les crimes dont
il se rendit coupable, maintenant dépouillés de la forme agréable
qui le séduisait, rendus à leur difformité naturelle, et accumulés
sur sa tête pour l'accabler et ne laisser à son cœur aucune paix.
Juge inexorable , au sein de ses tortures il ne peut s'empêcher de
reconnaître l'équité de l'arrêt que prononça sur lui l'inflexible jus-
tice : il se le répète à tous momens. Dieu terrible dans vos ven-
DES PRÉDICATEURS. 6l
geances, ne suffisait-il pas à votre majesté outragée de condamner
le pécheur aux plus horribles tourmens, sans le forcer encore,
par un surcroît de rigueur, à s'y condamner lui-même. Bourreau
impitoyable, de ses crimes il fait son supplice. Les démons ne
sont pas nécessaires à son châtiment. Il est lui-même son démon.
Il se tourmente avec plus de rage que les autres ministres des
vengeances divines, du souvenir de ce qu'il fut, du sentiment de
ce qu'il est, de la perspective de ce qu'il sera dans toute l'éternité,
L'Élernké.
L'éternité , voilà donc la durée de ses affreuses tortures ; l'éter-
nité , de tous les maux de l'incompréhensible Enfer celui dont
nous pouvons le moins nous former une idée; l'éternité, étendue
sans horizon, où la vue se prolonge sans découvrir de terme ; l'éter-
nité, abîme sans fond, où plus l'esprit creuse, plus il se perd ; l'éter-
nité, qu'on ne peut calculer, parce que tous les calculs sont des nom-
bres, et que l'éternité n'a pas de nombre ; qu'on ne peut mesurer,
parce que toute mesure est limitée, et que l'éternité n'a pas de
bornes. En vain mon imagination s'enfonce dans cette immense
profondeur , en vain j'ai parcouru en idée des millions d'années
et de siècles'; je ne suis pas avancé d'un seul pas : l'éternité tout en-
tière est encore devant moi. Un présent perpétuel et immuable,
voilà tout ce que j'en puis concevoir, que je suis bien éloigné de
comprendre , et que je dois croire.
Car la foi fait retentir à nos oreilles ce foudroyant arrêt qui
condamne le réprouvé à toujours exister, pour toujours souffrir.
Elle me révèle cette éternité qui couronne , s'il est permis de s'ex-
primer ainsi , l'affreux assemblage des tourmens de l'Enfer. Tout
est éternel pour le damné ; éternelle la vengeance qui le poursuit *
éternel le décret qui le réprouve; éternels les démons qui le tour-
mentent; éternel le feu qui le dévore ; éternel le ver qui le ronge;
éternelle la prison qui le renferme ; éternel le regret qui le con-
sume; éternelle la rage qui le transporte ; éternel lui-même, pour
rester éternellement en proie à ses tortures. La même Ecriture, qui
nous instruit delà félicité éternelle dont Dieu fait jouir ses élus,
nous enseigne dans les mêmes termes les éternels tourmens qu'il
fait souffrir aux réprouvés. Nous ne pouvons pas plus douter
de l'une de ces vérités que de l'autre. Les oracles divins sur l'éter-
nité malheureuse sont tellement clairs , tellement formels, telle-
ment multipliés , qu'en douter est renoncer au Christianisme. Le
tourment des damnés est sans remède : il est perpétuel et immor-
6l r. NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
tel comme la justice qui l'inflige. C'est au supplice éternel, au
feu qui ne s'éteint jamais, au ver qui ne meurt point, que Jésus-
Christ condamne le pécheur. Si l'Enfer a un terme, la parole de
Dieu est fausse. Origène osa combattre ce dogme, et avancer que ,
après un temps marqué par la justice suprême, lestourmens des dam-
nés arriveraient à leur fin. L'Eglise de tous les pays s'éleva contre
son erreur; l'Eglise de tous les siècles Fa constamment condamnée.
La raison n'a pas sans doute , seule et sans le secours de la ré-
vélation , la force de s'élever à la connaissance de l'éternité des
peines; et il serait injuste d'exiger qu'elle démontrât ce qu'elle
est incapable de comprendre. Mais , soumise à la foi , elle en reçoit
ce terrible dogme ; correspondant à la foi , elle en sent et en ras-
semble les convenances; éclairée des lumières de la foi, elle en
découvre les relations et l'accord avec les autres vérités fondamen-
tales du Christianisme.
Vous ne comprenez pas l'éternité malheureuse : comprenez-vous
mieux toute la malice, toute la grièveté du péché? comprenez-vous
combien est énorme l'offense à la majesté divine ? Levez les yeux
vers la croix de Jésus-Christ ; vous y verrez la solution de votre
vaine difficulté. En songeant qu'il a fallu la mort d'un Dieu pour
expier dignement le péché , vous serez moins étonnés qu'il faille
l'éternité pour le punir suffisamment, et le mystère de l'infinie mi-
séricorde vous rendra plus facile à croire le mystère de la suprême
justice. Si des peines temporelles étaient suffisantes pour effacer
le péché, une satisfaction d'un prix infini eût été inutile. Le sang
divin aurait-il été nécessaire pour éteindre des feux qui se seraient
éteints d'eux-mêmes avec le temps ?
Tel a été le décret de la souveraine sagesse , qu'au torrent des
passions humaines fut opposée la puissante digue de la terreur
des tourmens éternels. En nous imprimant le sentiment, et en
nous enseignant le principe de notre immortalité, son intention a
été de nous donner pour mobile de nos actions l'espoir d'un bon-
heur et la crainte d'un malheur qui n'eussent de mesure que l'infi-
nie durée de notre être.
Tel est l'arrêt de l'immuable justice , que le péché ne puisse être
effacé que par une pénitence réelle, c'est-à-dire qui soit volontaire,
spontanée et libre. En Enfer il n'y a plus de pénitence ; il n'y a
qu'un repentir forcé, un repentir sans vertu, sans mérite, sans
effet, qui laisse éternellement le péché subsistant et l'ame rede-
vable à Dieu. La justice divine, qui ne perd jamais ses droits, res-
tant toujours créancière , ne cesse de les exercer ; tant qu'elle n'est
DES PRÉDICATEURS. ()3
pas satisfaite, elle punit; et, comme elle n'est jamais désarmée, elle
continue toujours de frapper.
Telle est la nature de l'inaltérable sainteté, d'être nécessaire-
ment ennemie du péché , de le haïr souverainement, de le poursui-
vre sans relâche. La tache du péché, devenue ineffaçable , livre
éternellement lame coupable à sa haine et à sa colère. Trouvant
toujours le péché présent, elle ne peut cesser d'en faire l'objet de
ses vengeances. Dieu ne serait plus saint, il ne serait plus Dieu ,
s'il pouvait y avoir un moment où il ne détestât pas le péché.
Objections contre 1 éternité' des peines.
Et sur quoi donc ont pu se fonderies difficultés que dans les di-
vers temps on a élevées contre l'éternité des peines? C'est dans
Dieu même qu'on est allé chercher des objections contre sa parole
expresse. Gomment, ont dit les impies, et même quelques
chrétiens faibles , ébranlés par leur sophismes, comment concilier
la bonté de Dieu avec ses éternelles vengeances? S'il est infiniment
miséricordieux1, pourquoi ne se laisse-t-il jamais fléchir ? et s'il
est éternellement inflexible, où est son infinie miséricorde?
Incrédules, nous n'avons pas à répondre à votre question. La
même voix divine qui me révèle l'un des dogmes me garantit la
vérité de l'autre. Elle ne m'en montre pas l'accord ; mais elle m'en
donne la certitude. Dieu a renfermé dans les secrets desa sagesse
les moyens dont il concilie sa bonté infinie avec son éternelle sé-
vérité. Sous un Dieu qui ne serait pas bon , l'Enfer ne serait pas un
mystère. lime fait connaître sa miséricorde pour que je l'implore ;
il m'instruit de l'éternité de ses vengeances, afin que je les évite.
Qu'ai-je besoin d'en savoir davantage?
Pécheurs, vous vous formez de la bonté divine des idées con-
formes à l'intérêt de vos passions. Vous voudriez une bonté molle
et facile , comme celle des hommes, qui finît par dégénérer en indul-
gence; sous l'empire de laquelle les crimes pussent se trouver quel-
que jour en paix, et leur laissât la certitude d'une rémission future.
Vous voudriez un Dieu qui n'eut pas d'autres attributs que sa mi-
séricorde. Il est miséricordieux sans doute , et vous l'éprouvez. C'est
sa miséricorde qui est patiente à vous attendre, empressée à vous
rechercher ; qui vous invite au repentir, qui vous en présente de si
puissans motifs, qui vous en fournit de si abondans moyens. Il est
miséricordieux, mais il est saint, non de la manière dont peuvent
l'être les hommes enclins à compatir au péché d'autrui, par le
sentiment de leur propre faiblesse , obligés souvent de le tolérer,
64 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUB
par l'impossibilité de l'empêcher, par l'impuissance de le punir.
Il est miséricordieux, il est juste; non de cette justice humaine,
qui s'use avec le temps, qui, après quelques années, oublie les
crimes, ou en est moins touchée, et finit par leur accorder, sinon
le pardon formel , au moins l'impunité. Dieu est immuablement
juste, comme il l'est éternellement. Mais une miséricorde éternelle
répugnerait à ses autres perfections. Elle n'a point de bornes puis-
quelle pardonne à tous les crimes dont on se repent ; mais elle a
un terme qui est celui de l'impénitence finale. Elle ne s'épuise point,
mais elle se lasse. Dieu partage son domaine sur ses créatures rai-
sonnables entre sa miséricorde et sa justice. C'est par la miséricorde
qu'il régit les siècles; c'est par la justice qu'il règne dans l'éternité.
Mais cette justice même, l'incrédule prétend qu'elle est inté-
ressée à fixer un terme aux châtimens qu'elle inflige. Où est l'équité,
demande- t-il , de prolonger éternellement la punition d'un péché
qui dura si peu? Entre la faute d'un moment et une éternité de
peines, quelle proportion peut-il y avoir?
Pourquoi donc, dans l'ordre de la justice divine, la durée de
la faute doit-elle être la mesure de la durée du châtiment? Hommes
qui faites ce raisonnement, considérez votre propre justice. Pour
des délits qui furent consommés en un instant, ne condamnez-
vous pas les coupables à des peines qui dureront long-temps, à
l'infamie qui suivra partout celui que vous en avez entaché; aux
galères, au bannissement, à la mort, dont le coup est irréparable
et les suites éternelles? Pour des fautes momentanées, vous
infligez des punitions aussi longuement prolongées qu'il est en vo-
tre pouvoir , et vous refusez à la justice suprême le droit de punir
de même. Les offenses contre la majesté divine seraient-elles donc
moins graves que celles qui attaquent la société? Et les juges de
la terre, dont la puissance, de même que toute autre, émane du
juge céleste, en auraient-ils une plus étendue que la sienne?
Désespoir des damnés.
Tel est donc, malheureux pécheurs, le sort affreux qui vous attend,
si vous ne le prévenez par une sainte pénitence. Les maux que l'on
éprouve dans cette vie ont toujours un soulagement, c'est l'espoir de
leur fin. La perspective del'avenir est l'adoucissement du présent. La
pensée que chaque jour de souffrance laisse un jour de moins à
souffrir encourage et soutient. En voyant approcher le terme de
ses douleurs, on l'attend avec plus de patience. Mais les douleurs
DES PREDICATEURS. 65
qui sont sans terme sont sans consolation, sans soulagement,
sans ressource. Dans le gouffre infernal , l'espérance ne pénétrera
jamais ; jamais sur aucun damné ne tombera une seule goutte du
sang de Jésus-Christ. La miséricorde, si prévenante, si libérale
autrefois pour eux, s'est retirée sans retour, et les a abandonnés
pour toujours à la justice désormais inexorable.
Et ce qui rend plus horrible encore le sort du réprouvé , c'est
qu'il en a la pleine connaissance. Il a la certitude qu'il ne peut af-
faiblir par aucun doute que la durée de ses tortures est la durée
infinie de l'éternité. Du moment où il entre dans l'abîme, l'affreuse
assurance de l' irrévocabilité de ses tourmens lui fait déjà Souffrir
dans la pensée tout ce qu'il souffrira en réalité. L'éternité , qui
est la mesure de son supplice, est aussi son supplice. A chaque
instant elle est tout entière présente à son esprit , il en porte con-
tinuellement le poids accablant. Souffrir éternellement, éternel-
lement recommencer à souffrir, ne pouvoir rien espérer, et ne
jamais cesser de désirer, voilà la destinée dont il a l'accablante per-
spective. Affreux état de ne pouvoir ni étouffer ses désirs', ni cal-
mer son désespoir! Le pécheur, dit le Prophète, voit et est dans
la rage et dans les grincemens de dents , le désir des pécheurs est
sans effet. Le malheureux désire la fin gde ses tortures ; une [voix
terrible lui répète : Il n'y a 'plus de fin pour toi ; pour toi toute
espérance a péri. Il désire au moins quelque soulagement à ses af-
freux tourmens. Ce que sollicite le mauvais riche est une simple
goutte d'eau qui rafraîchisse sa langue. Ce léger adoucissement
lui est impitoyablement refusé. Les peines de l'Enfer non seulement
sont éternelles, mais elles sont continuelles. La douleur du réprouvé
est sans terme, sans espérance, sans relâche, sans diminution : la
mort, qui lui était si amère, qu'il n'envisageait qu'avec effroi et
avec horreur, est devenue l'objet de ses vœux. Ver cruel qui me
rongez, pourquoi ne me dévorez-vous pas ? Cris impuissans , vœux
inutiles ; pour les damnés il n'y a pas même de mort. Ils appellent
le néant, et sans cesse ils voient devant eux l'éternité.
Conséquences morales du dogme de l'Enfer.
La contemplation des tourmens de l'Enfer ne doit pas être pour
nous une stérile spéculation. C'est pour nous en garantir que Dieu
nous les révèle. Il veut, dans sa sage et bienfaisante Providence,
que l'idée de l'Enfer soit pour nous un préservatif de l'Enfer. Il
fait éclater sur nous le bruit de son épouvantable tonnerre, afin
T, III °
66 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
que nous mettions notre tête à l'abri de sa chute, sous le toit tuté-
lairede la justice chrétienne. De la considération de ce gouffre que
creusa la vengeance, qu'habite le désespoir, retournons nos re-
gards sur nous-mêmes: examinons les conséquences morales qu'en-
traîne pour nous ce terrible dogme. Nous en décrirons trois prin-
cipales : penser à l'Enfer, craindre l'Enfer, éviter l'Enfer.
Penser à l'Enfer.
Des deux principes qui déterminent les actions humaines, l'hor-
reur du mal est sans contredit le plus actif et le plus puissant. Le
désir du bonheur, sentiment plus doux, est par là même moins vif
et moins fort. Il serait à désirer sans doute que tous les hommes
se portassent au service de Dieu , par la pure considération de ses
récompenses , par la noble ambition de le posséder un jour. Mais
ce motif supérieur, si digne d'une ame chrétienne , est au dessus
de la portée du plus grand nombre des mortels. L'homme char-
nel (et combien d'hommes le sont!) ne s'élève pas, ou ne veut
pas s'élever, ou du moins ne s'élève que rarement à des pensées
aussi sublimes, aussi pures, aussi dégagées des sens, aussi confor-
mes à l'esprit de Dieu. La pensée d'un Enfer, séjour éternel de ceux
qui ont vécu ou qui sont morts dans la haine de Dieu, qui sera
le sien , s'il vit et s'il meurt de même, exerce sur lui un empire
bien plus absolu. A la lueur de ces flammes vengeresses, il voit
toute la difformité du péché qu'elles punissent d'une si terrible
manière. La pensée de l'Enfer est le principe fécond de tout bien,
le frein puissant de tout mal. Pensez à l'Enfer, hommes de tout
état, pensez-y en tout temps; pensez-y dans toutes les circonstan-
ces. Pensez-y avant de pécher, et vous vous en abstiendrez; pen-
sez-y après avoir péché, et vous vous en relèverez. Cette grande pen-
sée est et un préservatif et un remède. Pensez à l'Enfer, pécheurs;
réfléchissez que les malheureux qui s'y désolent furent ce que
vous êtes; que peut-être très prochainement allez-vous être ce
qu'ils sont, qu'en continuant de suivre leurs voies, vous arrive-
rez infailliblement à leur terme, et vous vous hâterez de re<?a£ner
les sentiers de la justice. Pensez à l'Enfer, âmes vertueuses, pour
persévérer dans votre innocence. Continuellement exposées au dan-
ger de la perdre, vous puiserez dans cette pensée les moyens de
vous y maintenir, les précautions pour n'en pas déchoir. Pensez
à l'Enfer, vous qu'affligé l'infortune. Cette méditation vous inspi-
îera la patience qui adoucit les maux, la résignation qui les rend
DES PREDICATEURS.
méritoires. Pensez à l'Enfer , vous qui jouissez de la prospérité'.
En considérant le terme où vous conduirait l'abus des biens ter-
restres , vous en ferez l'usage pour lequel ils vous furent donnés.
Pensez à l'Enfer quand des circonstances impérieuses vous impo-
sent des devoirs pénibles, des restitutions à effectuer, des pardons
à accorder ou à demander, des passions à étouffer, des inclinations
à réformer, des habitudes à redresser. Cette considération, vous
élevant au dessus des répugnances de la nature, vous fera trouver
légères les obligations qui vous semblent les plus pénibles. Pensez
à l'Enfer au moment où les tentations viennent vous assaillir.
Vous y résisterez avec force, en considérant que c'est de là qu'ils
viennent, que c'est là qu'elles conduisent. Pensez à l'Enfer, et les
sacrifices les plus douloureux , les privations les plus pénibles ,les
pénitences les plus sévères, les mortifications les plus austères,
n'auront rien de rebutant, seront mômes agréaLles , pour vous
soustraire aux peines éternelles. C'est pour éviter le sort des ré-
prouvés que saint Paul châtie son corps, et le réduit en servitude.
C'est en rappelant à son esprit les années éternelles que David
se soutient dans le service du Seigneur. C'est cette puissante médi-
tation qui a peuplé les échafauds de martyrs, les déserts d'anacho-
rètes, les cloîtres de solitaires et de vierges, le Paradis de saints.
Craindre l'Enfer.
En pensant profondément à l'Enfer, vous le craindrez, et, en le
craignant, vous redouterez le péché qui y conduit. Si la perspec-
tive d'un malheur passager dont nous pouvons être frappés nous
cause de vives frayeurs , de quelle terreur ne devons-nous pas être
pénétrés en contemplant un malheur éternel qui nous menace!
Nous tremblons devant les hommes médians qui peuvent porter
à notre corps des coups mortels. Ce n'est pas là , et le divin Maître
nous l'enseigne, ce qui doit être l'objet de notre crainte. Ce que
nous devons appréhender souverainement, continuellement, c'est
ce suprême et terrible juge qui peut précipiter dans le gouffre
infernal notre corps avec notre aine. Il connaissait tout l'avantage
de cette salutaire frayeur, le saint Prophète qui demandait in-
stamment au Seigneur de pénétrer ses chairs delà terreur desjuge-
mens éternels. Ils tremblent tous à l'idée de l'Enfer les saints per-
sonnages qui semblent avoir moins à le craindre que les autres. Ce
n'est qu'avec crainte et tremblement qu'ils opèrent leur salut. Et
moi, malheureux pécheur, combien de fois j'ai mérité l'Enfer ! Si
5.
5g NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Dieu dans sa justice m'eût enlevé de ce monde pendant ces temps af-
freux à ce moment même où je parle de ces flammes vengeresses, j'y
brûlerais dans la désolation , dans la rage et dans le désespoir. Ah!
s'il était possible que je pensasse à l'éternité sans trembler! Ce
serait le plus fort motif de tremblement. Mais que dis-je? Je parle
des temps où j'étais dans les liens du péché, sous l'empire du dé-
mon , livré à l'anathème de la réprobation: et suis-je sûr de ne
pas être encore sous cette honteuse servitude , dans cette péril-
leuse existence? L'Esprit-Saint déclare que nul ne sait s'il est digne
d'amour ou de haine. Saint Paul lui-même , ce vase d'élection , ne
connaissant aucun péché qu'il ait à se reprocher , n'est pas pour
cela assuré de sa justification. L'état de sa conscience n'est connu
que de celui qui doit en être le juge. Et moi, j'oserais avoir la pré-
somptueuse confiance d'être l'objet, non plus de la colère, mais
des complaisances de Dieu. J'ai porté mes péchés dans le tribunal
sacré; les y ai-je déposés ? J'en ai sollicité le pardon ; l'ai-je im-
ploré avec un regret suffisant ? J'ai cherché à expier mes crimes ;
en ai-je fait une satisfaction proportionnée à leur nombre et
à leur énormité ? Le ministre' de Jésus-Christ a prononcé sur
moi la sentence de réconciliation : Jésus - Christ l'a-t il rati-
fiée? Il m'est ordonné d'espérer que la miséricorde suprême a dai-
gné agréer ma pénitence ; mais en même temps je dois trembler,
et j'en ai trop de raison, de ne l'avoir pas rendue assez sévère. Il
m'est recommandé de ne pas demeurer sans crainte, et même pour
Js péché pardonné; et de ne pas tellement compter sur ma grâce,
que je ne m'efforce encore de la mériter tous les jours et à tous les
momens de ma vie. Peut-être doivent-ils être très peu nombreux.
Peut-être déjà la cognée est suspendue sur la racine de l'arbre : et
que deviendra-t-il s'il est trouvé dégarni de bons fruits ? Souviens-
toi de ma colère, dit le Seigneur, parce qu'elle ne tardera pas à
éclater. Hélas ! dans ce moment même il est possible qu'elle fou-
droie quelque tête criminelle. L'Enfer, dit le Prophète, s'est élar-
gi ; il a ouvert sans mesure son épouvantable bouche. Grands et
petits , puissans et peuple, tous y descendent journellement. O
vous qui lisez cet écrit, il est peut-être le dernier avertissement
sur l'Enfer que vous recevrez, le dernier bienfait de la miséricorde
qui vous montre encore une fois l'abîme pour vous en retirer. Elle
me charge de faire retentir à vos oreilles la menace qu'elle adres-
sait aux Juifs par le ministère d'Ezéehiel. La fin arrive ; elle arrive
sur toi. Le temps fatal s'avance ; le jour de ta destruction est pro-
chain. Je vais incessamment répandre sur toi les torrensdema fu-
DES i>nÈDICATEURS. tfo,
reur. Je te jugerai selon tes voies: je ferai tomber sur ta tête le
poids de tous tes crimes. Je mettrai dans toi le souvenir de toutes
tes abominations pour que tu t'en fasses l'éternel reproche. Tu n'au-
ras de moi ni pardon ni pitié, et tu reconnaîtras que je suis le Sei-
gneur, aux terribles coups dont je te frapperai.
Eviter l'Enfer.
Pour éviter l'effet de ces épouvantables menaces , le temps est
court à la vérité, mais il est suffisant. Tant que Dieu vous l'ac-
corde , |vous pouvez en profiter ; ce n'est que pour que vous en
profitiez qu'il vous l'accorde. La même voix qui nous enseigne sur
l'Enfer d'effrayantes vérités nous en révèle une bien consolante :
c'est que nul n'y est précipité qu'il ne l'ait voulu. Il est au pou-
voir de tout homme, et en tout temps, de s'en garantir. Mais il
nous est ordonné d'y travailler actuellement, incessamment. Dans
l'Enfer vers lequel tu t'avances, nous crie cette voix divine , il n'y
aura plus ni travail utile , ni motif profitable , ni pensée salutaire.
Si quelques-uns des momens que la bonté divine nous laisse en-
core étaient accordés aux malheureux que renferme l'abîme infer-
nal, avec quelle ardeur ils embrasseraient les exercices de la plus
rigoureuse pénitence. Nous n'avons pas subi leur douloureux sort,
mais nous en sommes menacés. Faisons ce qu'ils feraient s'ils le
pouvaient, faisons-le pendant que nous le pouvons encore. A quels
efforts l'amour inné de nous - mêmes ne doit - il pas nous porter
pour éviter le plus affreux des maux que l'esprit humain puisse
concevoir! Il n'y a ni attention que nous ne devions apporter, ni
précaution que nous ne devions prendre, ni embarras de con-
science que nous ne devions éclaircir, ni occasions de péché dont
nous ne devions nous [éloigner, ni habitudes mauvaises auxquelles
nous ne devions renoncer, ni inclinations dangereuses que nous
ne devions réformer , ni privations auxquelles nous ne devions
nous dévouer, ni sacrifices que nous ne devions nous imposer, ni
mortifications auxquelles nous ne devions nous assujétir. La mi-
séricorde tient encore suspendu sur nos têtes le glaive de la
justice ; pendant combien de temps ? nous l'ignorons ; elle seule
connaît le terme qu'il lui plaît de mettre à son indulgence. Usons ,
comme elle le désire, de sa longanimité ; mais n'en abusons pas.
Qu'elle nous inspire le désir, qu'elle nous suggère le motif d'ex-
pier nos péchés comme elle nous en présente le moyen j mais
gardons-nous d'en faire un prétexte à les continuer. Songeons à
JO NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
ce qu'elle nous apprend , que la justice marche immédiatement à
sa suite. Et jetons-nous dans les bras sauveurs de Tune, pour ne
pas tomber dans les bras vengeurs de l'autre.
Etonnante insensibilité sur l'Enfer.
Quelle est donc la stupide insensibilité de tant d'hommes que
d'aussi frappantes vérités ne frappent pas que , d'aussi épou-
vantables menaces n'épouvantent pas , et qui aiment mieux ,
grand Dieu! pourrait-on le croire si on ne le voyait? qui aiment
mieux brûler éternellement en Enfer que d abandonner les crimi-
nelles pratiques qui y conduisent certainement ! Il n'en est sans
doute aucun assez déraisonnable, assez absurde, pour dire for-
mellement qu'il veut être damné ; mais n'est-ce pas vouloir la dam-
nation que .de vouloir ce qui la cause infailliblement ? Retenir le
bien d'autrui et ne vouloir pas restituer, avoir des inimitiés et ne
vouloir pas se réconcilier, entretenir des liaisons criminelles et ne
vouloir pas s'en retirer, n'est-ce pas réellement et évidemment
vouloir se damner ?
Malheureux qui courez vous précipiter dans l'Enfer, y croyez-
vous, ou n'y croyez-vous pas? Dans l'un et dans l'autre cas, vous
êtes des êtres insensés , vous renoncez à l'usage de votre raison.
Si vous dites que vous n'ajoutez pas foi aux tounnens de l'autre
vie, que vous n'en trouvez pas de preuves convaincantes, au moins
vous ne pouvez pas prétendre que vous ayez de cette opinion une
démonstration positive. Entre la certitude de l'une de ces croyan-
ces et la certitude de l'autre, vous êtes tout au plus dans l'état
moyen qui constitue le doute. Or, dans cette suspension d'esprit,
n'est-ce pas une folie de vouloir y rester , et de demeurer exposé
au plus affreux des malheurs. Non, ce n'est pas seulement la foi ,
c'est le sens que vous avez perdu. Vous prétendez cependant au
titre d'esprit fort. Faites donc usage de cette force de raisonne-
ment dont vou» vous piquez. Dans la supposition de votre doute,
en vivant comme s'il y a un Enfer, que risquez-vous? Vous con-
duisant selon les principes d'une saine raison, et de la vraie reli-
gion, si vous avez quelques peines, si vous éprouvez quelques
privations, si vous souffrez quelques sacrifices, vous jouissez de
grands dédommagemens. Vous avez l'approbation de Dieu , du
public et de votre conscience. Mais en vivant comme si l'Enfer
n'existait pas , vous risquez tout. La terreur de l'Enfer, dont vous
ne pouvez vous délivrer entièrement , est pour vous un enfer an-
DES PREDICATEURS. Jl
ticipw; et le véritable Enfer sera ensuite votre partage. L'éternité
malheureuse ne fat- elle que possible, c'est une extravagance de
s'y exposer.
Et vous qui, persuadés de la vérité de l'Enfer , vivez comme
s'il n'existait pas, moins impies que les autres, vous êtes plus in-
conséquens encore. Votre foi, en opposition à votre conduite,
fait de vous des insensés. Vous reconnaissez l'Enfer, et vous
vivez sans regret du passé qui vous a mérité l'Enfer; sans in-
quiétude sur le présent, dans un état qui vous expose à l'Enfer;
sans précautions pour l'avenir , toujours prêts de tomber dans
l'Enfer. Auxquelles voulez- vous que l'on croie de vos paroles
et de vos actions? Y a-t-il quelque proportion entre les plaisirs
auxquels vous vous livrez, et les tourmens auxquels vous vous
dévouez; entre les sacrifices qu'exige de vous la vertu, et l'affreux
sacrifice auquel le vice vous condamne ? Amateur de vos aises,
vous redoutez, vous fuyez de tout votre pouvoir les moindres
souffrances temporelles , et vous bravez les supplices éternels. Ur.e
disgrâce, une humiliation, une perte de biens vous font frémir ;
et la formidable union de tous les genres de maux ne vous fait
aucune impression. Vous tremblez devant l'inimitié d'un homme
puissant , vous vous empressez d'apaiser sa colère : et vous restez
tranquille dans l'inimitié de Dieu ! vous entendez de sang froid
retentir ses épouvantables menaces! Voudriez -vous goûter un plai-
sir qui vous causerait la mort? Ceux auxquels vous vous aban-
donnez ont une suite bien plus funeste encore. Qu'un penchant
rapide vous entraîne vers un précipice , vous ferez vos efforts pour
le surmonter. Vous savez que vos passions, d'accord avec les
puissances des ténèbres, vous entraînent vers !e gouffre infernal;
et vous vous laissez aller à leur fatale impulsion , vous ne donnez
à votre cœur aucun contre-poids pour le retenir sur le bord de
l'abîme! Si vous vous trouviez sur un terrain prêt à s'ébouler sous
vos pas, ou dans une maison prête à s'écrouler sur votre tête,
avec quelle précipitation vous vous en retireriez! Voyez que vous
êtes dans une situation plus périlleuse encore, suspendu sur une
fournaise ardente, et songez que, pour vous y précipiter, il suffit
que la main qui vous soutient jusqu'à présent, en s'ouvrant, vous
y laisse tomber. ( Le C. de La Luzerne, Considt îrat ions sur divers
points de la morale chrétienne ■.)
r*3 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
DIVERS PASSAGES DE L'ÉCRITURE
SUR L'ENFER ET SUR L'ÉTERNITÉ MALHEUREUSE.
Hoirendum est incidere in ma nus Dei vwentis.
C'est une chose horrible de tomber entre les mains du Dieu
vivant. (//<?&., 10, 3i.)
Pœnas dabunt in interitu œternas.
Ils porteront la peine d'une mort éternelle. (//. Thcss.} i, 9.)
Ibunt hi in supplicium œternum.
Ceux-ci iront dans des supplices éternels. (Matth., a5, 4^0
Discedite a me , maledicti , in ignem œternum.
Retirez- vous de moi, maudits, allez au feu éternel. (Idem,
iè,, 41.) :
Palœas cumburet igné inextinguibili.
Il brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint point. (Id., ib.,
3. ia.)
Creatura jactori deserviens exardescit in tormentum adversus
injustes.
La créature soumise à son Créateur redouble ses efforts pour
tourmenter les méchans. (Sap.j 16, 24.)
Permis eorum non morietur, et ignis eorum non extinguetur.
Le ver qui les ronge ne mourra jamais , et le feu qui les brûle
ne s'éteindra point. . . (/*., a4, 66. Marc, 9. 43 , 4^ , 47«)
Spiritus qui ad vindictam creati sunt.
Il y a des esprits créés pour la vengeance. (Eccli., c. 39, 33.)
Ignis et sulphur et spiritus procellarum pars calicis eorum.
Le feu et le soufre et des vents de tempête seront leur partage.
(Ps., 10, 7.)
Per quœ peccat quis , per hœc et torquetur.
Là chacun trouve son supplice dans son péché. (Sap.t 11. 17.)
Personœ tristes illis apparentes.
Des spectres horribles leur apparaissent. (Sap.y 17, 4.)
Eritpro suavi odore fetor.
A de précieux parfums succédera une puanteur infecte. (/?.,
3. a4.)
Fel draconum , uinum eorum.
Leur vin sera un fiel de dragon. (Deut., 32. 33.)
Juxta multitudinem adinvintionum suarum sic sustinebit,]
DES PRÉDICATEURS. j"5
C'est ainsi que la multitude de ses maux égalera la multitude
de ses crimes. . . (Job., 20. 18.)
Luet . . . ncc tamen consumetur.
Il souffrira, mais il ne sera point consumé. (Idem, ibid.)
l Desiderabimt mori, et fugiet mors ab eis.
Ils désireront de mourir, et la mort s'éloignera d'eux. Çipocn
9. 6.)
Hœc est mors secundo, : et qui non est inventus in libro vitœ
scriptus , missus est in stagnum ignis»
C'est là la seconde mort; et celui qui ne se trouva point écrit
sur le livre de vie fut précipité dans un étang de feu. (7<r/., 20.
14, i&0
Timete eum qui potest et animant et corpus perdere in gehennam.
Craignez celui qui peut précipiter dans l'Enfer et l'ame et le
corps. . . (Math., 10. 28.)
74 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
PLAN ET OBJET DU PREMIER DISCOURS
SUR L'ENFER.
EXORDE.
Mortuus est dîves, et sepuhus est in Infcmo.
Le riche meurt, et il tombe dans l'Enfer. ( Luc. 1G, 22. )
Quelle effroyable eatastroplie ! quel soudain changement de scène!
Cet homme, qui étonnait par le fracas de sa vie fastueuse et mon-
daine, est arraché tout à coup à ses trésors, à ses délices; et, du
sein' de ses vastes palais qu'il occupait sur la terre, il tombe pré-
cipité dans les profondeurs de l'abîme, où il n'a plus qu'une place
avec les réprouvés. Arraché par la mort à ses voluptés, à ses gran-
deurs, il passe en un instant de l'excès des plaisirs à l'excès des
tournions; et, au lieu de ce cortège fastueux d'esclaves et de ser-
viteurs, de cette cour brillante d'amis et de flatteurs qui l'entou-
raient, dans le gouffre infernal il ne voit plus autour de lui que les
pâles victimes de la mort ; et son corps, pour me servir de l'expres-
sion du Prophète, semblable à un tison fumant, n'est plus que le
jouet des esprits immondes et des horribles ministres de la ven-
geance céleste.
En vain , après son trépas, la vanité s'efforcera-t elle encore de
charger son sépulcre d'éloges et d'inscriptions flatteuses; voilà
qu'une main immortelle vient effacer tous ces monumens d'orgueil
et de mensonge, pour y attacher l'arrêt de sa condamnation, pro-
noncé par la vérité même : le riche est mort, et l'Enfer a été son
tombeau ; sepuhus in Infcmo.
Quel sujet, chrétiens, plus intéressant pour notre salut, plus
nécessaire, relativement à nos mœurs, que celui que nous présente
cette parobole ! Prêcher l'Enfer est le devoir de tout ministre de
l'Evangile ; mais prêcher l'Enfer dans un siècle aussi corrompu, prê*
cher l'Enfer dans un temps où la dépravation générale semble mena-
cer la foi et la religion d'une ruine prochaine, c'est le premier, le plus
indispensable de nos devoirs. Une affreuse philosophie se répand
de toutes parts; habile à rassembler les nuages sur les vérités les
plus éclatantes , elle voudrait s'étourdir sur ce redoutable avenir;
#t, pour être plus tranquille dans les plaisirs de la vie présente, elle
DES PRÉDICATEURS. 7 5
affecte de nier ou de méconnaître les peines de la vie future. Le
chrétien même, plongé dans le sommeil des passions, ne veut rien
entendre de ce qui pourrait le troubler : il n'ose réfléchir sur ces
terribles vérités ; flottant et incertain dans sa foi, s'il ne doute point
de l'Enfer, il ne le croit que faiblement, et, lorsqu'il jette un coup
d'œil sur la religion , ce n'est que pour en voir les vérités conso-
lantes, et n'apercevoir qu'un Dieu miséricordieux.
Arrachons donc le voile qui couvre le Dieu vengeur; tâchons
tout à la fois de vaincre l'obstination de l'incrédule et de réveiller
la foi du chrétien. Ne séparons point ces deux objets; employons
tour à tour, dans ce*discours, la raison et la révélation, pour ap-
prendre à l'incrédule à croire, et au fidèle à penser qu'il y a un
Enfer et des peines dans l'autre vie.Yoilà mon dessein ;*voici comme
je me propose de le remplir.
Dieu n'existe pour les damnés que par sa justice et son éternité;
ses autres attributs ont fini pour eux. Comme juste, Dieu punit le
péché par les plus grands châtimens; comme éternel, il les punit
par des tournions qui n'auront point de fin. Les peines de l'autre
vie ne peuvent donc être envisagées que sous ces deux rapports:
elles sont affreuses dans leur nature, éternelles dans leur durée.
Je pars de ce principe, et, fondant sur cette proposition le partage
de ce discours, je dis : Justice de Dieu dans la rigueur des peines
de l'Enfer, première partie: justice de Dieu dans l'éternité des pei-
nes de l'enfer, seconde partie.
Ames terrestres et mondaines, âmes faibles et indolentes qui,
du sein des plaisirs , demandez sans cesse : Ya-t-il un Enfer? Dieu
nous damnera-t-il pour si pou de chose ? Et vous', qui prenez pour
certitude qu'il n'y a point d'Enfer le désir et l'intérêt que vous
avez qu'il n'y en ait pas ; péeheurs moins incrédules encore que
présomptueux, écoutez une fois, et voyez si votre mépris de l'En-
fer ne vient pas moins des raisons que vous pouvez avoir de n'y
pas croire, que de l'habitude où vous êtes de n'y point penser
( Gambacérès, Sur V Enfer. )
Justice de Dieu dans la rigueur des peines de l'Enfer.
Est-il juste, est-il nécessaire qu'il y ait un Enfer dans l'autre
vie ? Pouvons-nous connaître quelle est la nature et la rigueur des
peines de l'autre vie? Deux questions qui s'offrent à notre esprit
à la seule pensée de l'Enfer, e* dont l'examen mérite toute notre
attention.
7 6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Est-il juste, est-il nécessaire qu'il y ait] des peines [dans l'autre
vie? Première question. Ne serait-il pas, dit-on, plus conforme
à la raison , plus digne de l'Etre suprême , de penser qu'il n'a mis
au monde des créatures que pour les rendre heureuses après cette
vie ? Quel outrage le péché peut-il faire à Dieu ? Il est notre père,
notre bienfaiteur; l'idée de vengeance, de colère, de châtiment
le dégrade. Il a créé l'homme pour être heureux; quelle apparence
qu'il ait creusé un abîme pour l'y précipiter à jamais ? Non, j'adore,
je reconnais un Dieu bienfaisant dans le ciel ; je ne le vois plus,
je le méconnais dans les horreurs de l'Enfer.
Ainsi raisonne l'impie dans l'orgueilleux délire de ses passions :
il consent à croire un Dieu à condition qu'il n'aura point à le
craindre; il le désarme avant que de l'adorer; il lui laisse son trône,
mais il lui arracha son tonnerre; et, par un artifice digne de
l'homme révolté contre Dieu, il {voudrait lui donner une bonté
sans bornes, afin de pouvoir l'offenser sans remords , et fermer
l'Enfer pour braver impunément le ciel. Or, à ce raisonnement de
l'esprit égaré par les passions, je n'oppose d'abord qu'une seule
réflexion, et je dis au pécheur : Vous convenez qu'il y a des biens
et des récompenses dans l'autre vie; donc il y a aussi des peines
et des châtimens ; vous reconnaissez un Dieu rémunérateur; donc
il y a aussi un Dieu vengeur. Pourquoi? parce qu'autrement Dieu
ne serait ni juste [ni puissant : il récompenserait parce qu'il ne
pourrait s'en empêcher; il ne punirait pas parce qu'il n'en au-
rait pas le pouvoir. Ainsi, bienfaiteur sans mérite, juge sans dis-
cernement, maître sans force, aussi méprisé de ses serviteurs que
de ses ennemis, ses bienfaits ne feraient que des ingrats, et ses
lois que des rebelles. Il faut donc , conclut saint Augustin , ou
dépouiller Dieu de ses premiers attributs, de sa justice, de sa li-
berté, de son autorité, ou admettre en Dieu le pouvoir de punir;
dans la religion, une autre vie; dans l'autre vie, des peines. Vérité
(prenez garde, je vous prie) si conforme aux lumières de la rai-
son, indépendante des lumières du Christianisme, vérité qu'il est
si impossible à l'homme de ne pas apercevoir, qu'elle s'est fait jour
même à travers les ténèbres du paganisme. Le dogme d'un Enfer
existait avant l'Evangile, comme une de ces vérités premières qui
se présentent à nous en même temps que l'existence d'un Dieu , et
qui fait partie de la religion naturelle. L'idée d'un Dieu juste et
vengeur après la mort subsistait dans les peuples; et les prières,
les sacrifices, les expiations sur les tombeaux pour le repos des
mânes, ces dieux tonnant sur les têtes des 'coupables, ce Tartare
DES PRÉDICATEURS. jy
ouvert sous leurs pieds, annonçaient une idée confuse d'un avenir
et des peines de l'autre vie. Pourquoi ? parce qu'on ne saurait con-
cevoir un Dieu, sans concevoir en même temps qu'il est de sa sain-
teté de haïr le crime ; de son équité, qu'il y ait nprès cette vie une
autre destinée pour le vice que pour la vertu : or, ôtez l'Enfer et
ses châtimens, où trouverez-vous la différence entre le bien et le
mal , le vice et la vertu ? Le juste expire, le méchant meurt ; quelle
sera leur destinée? Si c'est le néant, comme l'impie voudrait se
le persuader, voilà Dieu injuste, barbare et cruel; car lesméchans
ayant presque toujours dans ce monde plus de prospérité que les
gens de bien, ce désordre seul prouve et demande une autre
vie où la justice sera rétablie, le scandale réparé, la vertu vengée.
Eh! quel ouvrage plus indigne de Dieu qu'un monde où, non seu-
lement l'homme et la bête, mais le vice et la vertu, auraient la
même fin? Idem interitus hominum etjumentorum. Par conséquent,
lame ne mourant pas, et le néant ne pouvant être notre dernière
fin, l'homme de bien et le méchant paraîtront donc également de-
vant Dieu; et^comment, pourquoi y paraîtraient-ils ? S'il n'y a point
d'Enfer, il faudra qu'il les admette tous deux dans sa gloire; qu'il
place le meurtrier à côté de sa victime , et Caïn sur le même trône
qu'Abel. De ce moment je ne ne vois plus ni équité, ni sagesse,
ni sainteté; plus même de puissance et de souveraineté dans Dieu.
Spectateur oisif de la révolte et du dérèglement de ses créatures,
il voit les crimes, et il ne saurait les punir ; des impies qui le blas-
phèment, et il ne saurait s'en venger. Les rois sur leurs trônes
dispensent les peines et les châtimens; tout tremble devant l'ap-
pareil formidable de leur justice; et le Roi des rois, désarmé
dans sa gloire, serait seul sans force pour se faire craindre, sans
autorité pour se faire obéir; le bruit de son tonnerre dans les airs
ne serait qu'une vaine pompe, un spectacle de terreur passa-
gère; et le blasphémateur qui le brave n'aurait pas plus à redou-
ter de son courroux, que le juste qui tremble et qui adore n'au-
rait à espérer de sa bonté : par conséquent, plus de mœurs, plus
de lois, plus de religion, plus de Providence, s'il n'y a point de
peines dans l'autre vie; et un tel Dieu, loin d'être l'ouvrage de la
raison, ne serait que celui de l'ignorance, l'opprobre et la dégra-
dation de la Divinité.
Ne disons donc plus , pour revenir au raisonnement de l'incré-
dule, et en montrer l'absurdité , ne disons plus : Où est la néces-
sité que Dieu punisse le péché ? quel outrage le péché peut - il
faire à Dieu ? je réponds : Aucun , s'il peut le punir ; tous les
«8 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
outrages à la fois, s'il ne le peut pas. Il lui ravit en même temps
tous ses attributs : sa souveraineté, Dieu n'aurait plus ni empire
ni inspection sur les actions de ses créatures ; sa bonté , il n'aurait
plus le choix entre la punition et la récompense; sa justice, il
traiterait également le juste et l'impie ; sa puissance , elle aurait
des bornes que n'a pas celle même des créatures qui savent punir
et récompenser ; sa sagesse , il agirait sans distinction , sans dis-
cernement entre le bien et le mal, tout serait égal, tout serait
vertu à ses yeux, jusqu'au crime même; sa grandeur, il n'aurait
plus de quoi se faire craindre et respecter; son culte et ses autels,
un Dieu qui ne punit point est un Dieu qu'on n'adore pas , il n'est
plus obéi dès qu'il n'est plus redouté; enfin sa divinité , son exis-
tence même, parce que loin d'avoir la grandeur et la justice d'un
Dieu , il n'aurait pas même la justice des hommes : voilà le crime
impuni dans l'autre vie ; voilà ce qui en résulterait , et ce qui a fait
dire à saint Justin que , s'il n'y a point d'Enfer, il n'y a point de
Dieu, il n'y a ni vice ni vertu , ni de raison pour punir et récom-
penser. . . .
Par conséquent, ne disons plus que Dieu ne se présente à nous
que sous les caractères de père et de bienfaiteur; car, reprend ad-
mirablement saint Augustin, quelle idée plus juste pouvons-nous
avoir de Dieu que celle qu'il nous a donnée lui - même soit dans sa
parole, soit dans ses ouvrages? Notre raison peut se tromper sur les
attributs de Dieu qu'elle ne peut ni comprendre , ni concilier ;
mais sa parole et ses] ouvrages ne nous trompent pas. Or , interro-
geons-les ; qu'y verrons-nous partout , que les traces de la colère
et de la vengeance ? Tant s'en faut que Dieu soit jaloux de n'être
envisagé par ses créatures que sous l'idée de la clémence et de la
bonté, que les premières paroles de Dieu au premier homme ren-
fermaient des menaces et des chàtimens : Vous mourrez, lui dit le
Seigneur, au moment où vous me désobéirez, et un déluge de maux
fondra sur votre postérité. Dans la suite des temps, quand il a en-
voyé des Prophètes pour se faire connaître aux hommes, il a mis
dans leur bouche des paroles de feu, tous les foudres de l'élo-
quence pour donner aux hommes une idée de son courroux ; et
pour une fois qu'ils ont peint le Dieu de bonté et de douceur, les
Ecritures retentissent partout de menaces , d'anathèmes. Enfin ,
lorsqu'il est venu lui-même converser avec les hommes , quoique
dans un ministère de douceur et de charité , il a lancé contre les
pécheurs les plus effrayantes malédictions, et lésa menacés de
supplice? sans fin après cette vie.
DES PRÉDICATEURS. jg
Dans ses ouvrages, même langage : partout nous voyons l'em-
preinte de sa colère, partout nous rencontrons la main delà ven-
geance; et les ravages des élémens , l'intempérie des saisons , les
maladies, la mort, annoncent le Dieu vengeur et redoutable.
L'homme lui-même porte en naissant les signes de la colère céles-
te, et les cris dont il fait retentir son berceau, prélude de tant
d'autres malheurs, annoncent les peines du péché et la victime de
l'Enfer. Tous les maux enfin qui nous affligent dans cette vie, qui
inondent ce malheureux univers, que sont-ils? Autant d'étincelles
échappées des fournaises éternelles, un épanchement des trésors
de sa colère, et comme autant de voix qui nous crient à chaque
instant qu'il y a un Enfer dans l'autre vie, puisque celle-ci en est
un commencement ; qu'il n'est donc point contraire à l'idée de
Dieu, de frapper, de punir, de voir ses créatures malheureuses,
puisque nous le sommes en naissant , puisqu'il nous frappe et nous
afilige de tant de calamités dès ce monde; et qu'en un mot, si le
Seigneur est un Dieu de miséricorde, il est aussi par excellence le
Dieu des vengeances, libre et indépendant dans son courroux
qu'il n'appartient point à l'homme de combattre ou de mesurer ;
Deus ultionum Dominus libère egit. Donc , l'impie qui ne voit en
Dieu que clémence et bonté , est non seulement un insensé qui
résiste aux lumières de la révélation , à la voix et à la parole de
Dieu même, mais un stupide qui n'entend pas la voix de toutes les
créatures et résiste au cri de la nature entière. Donc il est aussi
vrai qu'il y a un Enfer , qu'il est vrai qu'il y a un Dieu , une reli-
gion , une autre vie; aussi vrai qu'il est certain qu'il y a une diffé-
rence entre le bien et le mal , le juste et l'injuste , le vice et la
vertu ; aussi vrai enfin qu'il est vrai qu'il y a une justice primitive
et éternelle dont celle des hommes n'est qu'une faible image , et
qui attend les coupables , qu'elle épargne dans ce monde , pour
les livrer sans miséricorde aux châtimens qui leur sont préparés
dans l'autre.
Mais quels sont-ils ces châtimens? qu'est-ce que cet Enfer, cette
éternité malheureuse ? comment surtout parvenir à s'en former
une idée ? Seconde question à laquelle il suffirait de répondre que
l'Enfer est l'ouvrage d'un Dieu et de la colère d'un Dieu; l'homme
n'a rien à ajouter à cette parole. Malheur au pécheur qui, pour
craindre l'Enfer, attend d'en savoir 'davantage ! Cependant, chré-
tiens, comme il peut être utile et salutaire d'approfondir ces gran-
des vérités , que David lui-même demande à Dieu de descendre
tout vivant dans l'abîme ; qu'enfin Jésus-Christ a employé une pa-
80 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
rabole entière à nous peindre ce lieu de tourmens , il nous est
donc "permis, à la faveur de cette lumière, de descendre en esprit
dans cet horrible séjour, de dire avec le Prophète : J'irai jusqu'aux
portes de l'Enfer et du palais des vengeances , Vadam ad portas
lnjeri\ et, sans toutefois m'écarter de l'Ecriture, je tâcherai de
m'en former une image, quelque imparfaite qu'elle puisse être.
Et d'abord , chrétiens auditeurs , quel est le premier objet qui
s'offre à nos regards? Quelle voix triste et plaintive vient nous
frapper de ses lugubres accens? C'est un riche que le Sauveur
nous représente au milieu des flammes, et qui demande une goutte
d'eau pour calmer l'ardeur qui le dévore: Crucior in hac flamma?
Premier supplice des damnés, le supplice du feu.
Je ne sais quelle fausse délicatesse s'est emparée de nos esprits.
On nous oblige de prêcher les vérités les plus austères de l'Evan-
gile, on ne nous pardonnerait pas le moindre relâchement dans la
doctrine : parlons-nous du feu de l'Enfer, dès ce moment nous ne
sommes plus dignes d'attention, et c'est , ce me semble, de notre
part abuser de la crédulité de nos auditeurs? Et sur quoi, je vous
prie, est fondée notre répugnance ? Serait-ce sur le silencede l'Ecri-
ture? l'un et l'autre Testament en parlent dans les termes les
moins obscurs. Un^feu s'est allumé dans ma fureur , dit Moïse aux
Israélites, et il brûlera jusqu'au fond des Enfers. Qui de vous, ajoute
Isaïe, pourra habiter dans un feu dévorant? Et le Sauveur dans
l'Evangile: Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé à
Satan et à ses Anges. Serait-ce que la Divinité vous paraîtrait dé-
gradée d'agir par l'action d'un élément , et de se montrer comme
un feu exterminateur? Voyez comme Dieu a agi et parlé dans tous
les temps, sous quels emblèmes il s'est montré auxjhommes : à Moïse
dans le désert, sous l'image d'un buisson ardent; sur le mont Sinaï,
au milieu des feux du tonnerre et des éclairs ; àEzéchiel, sur un char
de feu qui, dans son vol rapide, trace mille sillons de lumière; à
David , comme un géant qui a placé son trône dans le soleil , au
milieu de cette mer de flamme et de lumière. Partout dans l'Ecri-
ture Dieu est un feu dévorant : le feu semble être chargé à lui seul de
représenter la Divinité dans tous ses attributs. Dans sa grandeur; ce
sont des globes de feu suspendus dans le firmament , le feu de la
foudre et des éclairs qui l'annnonce à la terre. Dans ses châtimens;
c'est une pluie de feu et de soufre qui dévore deux villes crimi-
nelles; des tourbillons de feu qui engloutissent Abiron et ses com-
plices. Dans sa bonté même; c'était le feu qui descendait sur ses
autels pour dévorer les holocaustes ; une colonne de feu qui mar-
des rnÉDicATEuns. 8r
chait à la tête île son peuple. Je vois partout le feu annoncer la
majesté divine, et à la fin des temps, nous dit l'Apôtre, chargé à
lui seul de la vengeance céleste , cet impétueux élément qui nous
presse et nous environne de toutes parts, élancé de tous les corps
qui l'enferment, embrasera l'univers et détruira la nature. N'y au-
rait-il donc que l'Enfer où il ne pourrait être sans dégrader l'Etre
Suprême? Et après s'en être servi pour exécuter ses volontés dans
le temps, pourquoi ne pourrait-il en faire l'instrument de sa justice
dans l'éternité ? Serait-ce qu'il nous paraîtrait inutile , et que Dieu
pourrait punir autrement le péché? Et moi je demande quelle est la
raison pour que Dieu le punisse autrement? Est-ce au coupable à
dire à son juge: Pourquoi me punissez-vous ainsi? Etait-ce aux
villes criminelles de Sodome et Gomorrhe de se plaindre de ce
qu'elles périssaient par le feu plutôt que par les eaux du ciel ? (Lu
MÊME.)
L'éternité des peines n'est point incompatible avec l'équité de Dieu.
Mais, allez-vous nous dire, comment se persuadera-t-on que
ceux qui n'avaient jamais entendu parler de l'Enfer puissent y être
condamnés? Ne seraient-ils pas en droit de dire au Seigneur : Si
nous en avions été prévenus , la menace de ses feux nous aurait
inspiré une salutaire frayeur qui eût réglé notre vie. A la bonne
heure , je veux bien le croire. Mais , je dis plus : si la considéra-
tion des chàtimens inséparables d'une conscience criminelle ne
suffit pas pour ramener les coupables, la menace des supplices à
venir n'y réussirait pas davantage, et moins encore; car, gros-
siers et charnels comme nous le sommes, ce qui est sous nos yeux
nous affecte toujours plus sensiblement que ce qui s'éloigne dans
l'avenir.
N'allez pas dire que Dieu se soit montré moins favorable envers
les hommes d'autrefois qu'envers ceux d'aujourd'hui. Ceux-là, il
ne leur a pas fait les mêmes révélations , parce qu'il ne leur impo-
sait point d'aussi rigoureux devoirs; mais nous, appelés à une mo-
rale bien plus relevée, nous avions besoin de plus de secours; et
Dieu nous les a ménagés , en ajoutant à tous les autres moyens de
salut la crainte de l'Enfer.
Mais enfin, nous demande-t-on', où est l'équité de Dieu, de pu-
nir, tant dans une autre vie que dans celle-ci , ceux qui n'ont pé-
ché que dans cette dernière ? Pour répondre à cette difficulté, je
n'emprunterai point d'autre raisonnement que celui que je vous
entends faire vous-mêmes tous les jours; et c'est à voire propre
t. m. 6
82 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
jugement que j'en appellerai. Un assassin , un voleur public vont
subir sur un échafaud la peine due à leurs nombreux forfaits.
Quoi ! vous écriez-vous, une seule mort pour des milliers de crimes!
Et vous murmurez contre le peu de proportion entre les délits et
la peine. Pourquoi donc prononcez-vous ici d'une manière toute
différente? Pourquoi? C'est que la cause est personnelle. L'amour-
propre nous aveugle, et nous empêche de voir ce qui est juste. Sé-
vères à l'excès sur le compte des autres, nous nous pardonnons
tout à nous-mêmes. Si nous apportions à l'examen de notre con-
science le même scrupule qu'à l'égard des autres , nos arrêts se-
raient plus justes. Combien n'avons-nous pas commis de crimes
qui mériteraient, non pas une, mais dix mille morts ! Et pour ne
point m'engager dans trop de détails, rappelons-nous combien de
fois nous avons indignement participé à la Table sainte, bien que
nous n'ignorions pas que quiconque y participe indignement se
rend coupable du corps et du sang de Jésus-Christ. Quand donc
vous jugez les assassins avec tant de rigueur, faites un retour sur
vous-même : ce meurtrier n'a tué qu'un homme; vous, vous vous
êtes rendu coupable de la mort d'un Dieu. Que dirai-je encore de
ces langues envenimées d'où découle sans cesse un fiel homicide,
de ces spoliateurs du bien des pauvres? Si ne pas faire l'aumône
de son superflu est un crime égal à celui de dérober au pauvre ce
qui lui appartient, y a-t-il vol plus criant que de retenir le bien
d'autrui par les frauduleux moyens à quoi l'avarice s'abandonne ?
Je parle du crime de retenir le bien d'autrui ; mais lui ravir et
son sang et sa vie par des calculs usuraires, dites-moi si le voleur
public, si le violateur même des tombeaux est plus punissable.
Non, me dites-vous, non, assurément. — Vous le dites aujour-
d'hui; mais le direz-vous dans l'occasion ? Le direz-vous alors que,
dans l'accès de votre ressentiment contre votre ennemi, vous cher-
cherezle moyen de vous venger de lui? C'est alors qu'il vous faudra
vous rappeler ces paroles, si vous voulez éviter les feux auxquels
furent condamnés les habitans de Sodome et de Gomorrhe.
Ce sera du moins quelque consolation d'avoir des compagnons
d'infortune. — Funeste raisonnement! Souffrirez-vous moins par-
ce que d'autres souffriront avec vous ? Quand le mal est suppor-
table, on peut se consoler par des comparaisons; mais quand il
est extrême, où est la consolation de voir souffrir autour de soi ?
Dites à un malheureux expirant sous le fouet ou dans les flammes
qu'il n'est pas le seul à endurer ce supplice; le croirez- vous bien
consolé ? Ne vous abusez pas , mes frères , par de fausses cspé-
DES PRÉDICATEURS, 83
ranees ni par de futiles raisonnemens. La seule consolation à
quoi nous puissions prétendre, c'est d'échapper, si nous le vou?
Ions , à ces feux dévorans. Plus de consolation à attendre là où
il n'y a plus qu'un éternel supplice.
N'y a-t-il dans l'Enfer d'autre châtiment que celui d'y brûler
éternellement? Il y en a un autre plus désolant encore : c'est d'a-
voir perdu pour jamais le royaume du ciel; et c'est là un genre
de supplice plus rigoureux mille fois que toute l'activité des feux
dévorans. Je sais bien qu'il est des hommes qui n'ont peur de l'En-
fer que pour l'Enfer lui-même ; je n'en affirme pas moins qu'il y a
quelque chose de pire. Que je ne puisse rendre ma pensée par des
paroles, n'en soyez point surpris. Pour bien concevoir le mal-
heur qu'il y a de perdre le royaume du ciel, il faudrait pouvoir
comprendre le bonheur de ceux qui en jouissent. Un saint Paul,
qui, dans son ravissement, avait appris ce que c'était que ce sé-
jour de gloire et de félicité où règne Jésus-Christ, savait bien qu'il
n'y a point de tourment égal à celui d'en être loin. Pour nous,
nous ne le connaîtrons bien que par notre propre expérience.
Mais , ô mon Dieu ! Dieu Sauveur ! ne permettez pas que nous
. tombions dans un malheur aussi affreux que l'est celui de vous
perdre dans l'autre vie.
Quelque impossible qu'il soit d'en donner une idée bien pré-
. cise , je vais toujours essayer d'en approcher par quelque compa-
raison familière, Je suppose un jeune prince, vraiment accompli,
qui réunisse toutes les vertus, qui commande à toute la terre;
dont le mérite et les perfections en tous genres soient tellement
reconnus qu'il n'y ait point, dans tout son empire, un seul
homme qui ne l'aime avec toute la tendresse d'un père pour son.
fils. Celui de qui il tient le jour, le père que lui a donné la nature
vient tout à coup à être menacé de le perdre. Représentez-vous
ses alarmes; que ne donnerait-il point, à quelles souffrances ne
consentirait-il point plutôt que de se voir séparé d'un tel fils? quel
mal lui semblerait égal à la pensée qu'il ne le verra plus , qu'il
sera privé de ses embrassemens ? Ce n'est là qu'une faible image
de ce qu'auront à souffrir ceux qui se verront exclus de la pré-
sence de Jésus-Christ dans sa gloire. Non, il n'est point de fils,
quel qu'il soit, dont l'aspect soit aussi nécessaire, aussi délicieux
au cœur du plus tendre père, que la vue et la possession de Jésus»
Christ ne l'est au cœur de ses élus.
L'Enfer est sans doute quelque chose d'épouvantable; c'est le
composé de tous les maux, on n'en peut supporter l'idée ; toute-
6.
84 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
fois dix mille Enfers ensemble ne sont rien auprès de celui de
n'avoir plus de droit à la céleste gloire, d'être devenu l'objet de la
haine de Jésus-Christ, d'entendre de sa bouebe ces paroles : Je ne
vous connais point; vous m'avez vu souffrir la faim , et vous ne
ni avez point donné à manger x. Il ne dit pas : N'avoir eu que du
mépris pour le Dieu qui t'avait tiré du néant , donné une ame im-
mortelle ; qui t'avait comblé de biens , mettant à ta disposition les
productions diverses de la nature ; m' avoir déshonoré , sacrifié au
démon , moi , qui n'avais pas dédaigné de m' abaisser pour toi , de
souffrir, de mourir pour toi; moi qui te destinais un royaume!
Non , le seul crime qu'il reproche est celui de l'insensibilité en-
vers les pauvres. (Saint Ghrysostome 2.)
Dieu punira-t-il un péché d'un moment par un supplice éternel ? — Réponse.
Pour un péché d'un moment, un supplice qui durera autant
gué l'éternité! — Mais la justice humaine est-elle moins sévère,'
moins inexorable à l'égard de 'certains délits qui furent l'ouvrage
d'un moment? Un simple "vol, l'adultère1, sont punis par la prison,
par le travail des mines pour toute la vie, par le long supplice de
Ja faim, par une mort de tous les momens. Vient-on nous dire
que ce soit là une expiation trop rigoureuse, et qu'il n'y a point
de proportion entre le délit et la peine : vous répliquez qu'ici la
chose est différente ; que la justice humaine est obligée à cet excès
de sévérité; mais que rien n'y peut obliger un Dieu essentiel-
lement bon et miséricordieux; mais il n'est point injuste. Et si,
dans le magistrat, la justice n'est pas moins dureté, mais bonté,
pourquoi , dans le souverain Juge, changerait-elle de nom? Dieu
est bon et miséricordieux; et c'est là même ce qui nous rend plus pu-
nissables , en aggravant notre iniquité. C'est parce qu'il est bon
et miséricordieux que saint Paul s'écriait : 77 est horrible de tomber
entre les mains du Dieu vivant^. Souffrez, mes frères, pour quel-
ques momens, la chaleur avec laquelle je vous parle ; peut-être en
retirerez-vous quelque 'consolation par la suite. Nous comparons
la justice des hommes avec celle de Dieu; mais y a-t-il donc entre
Tune et l'autre un légitime rapprochement? Où sont les hommes
qui aient le pouvoir de punir comme Dieu l'a fait ? Voyez les eaux
du déluge inonder toute la terre, engloutir toute la race humaine;
peu de siècles après , des pluies de feu tomber sur des villes cri-
minelles, et en dévorer tous les habitans. Sont-ce là deschâtimens
1 Motlh., x«v, 12, 41. — 2 Ilom. xn , in Math, — ' Hcbr. x, 31.
I>ES PRÉDICATEURS. 85
dont les hommes soient capables? Les ravages du fléau, toujours
subsistans, semblent avoir éternisé la vengeance. Ah ! si vous vou-
lez des rapprochemens , cherchez-en , non pas dans la justice des
hommes comparée à celle de Dieu, cherchez-les dans Dieu seul.
Rien d'égal à sa bonté que sa justice. Oui , certes , Dieu est bon et
miséricordieux ; sa loi tout entière nous le témoigne assez. S'iL
nous avait^ commandé des préceptes durs, impossibles à exécuter,,
peut-être pourrions-nous couvrir de quelque excuse nos man-
quemens. Mais non. Il n'est pas, dites-vous, en votre pou-
voir d'être chaste , de garder le célibat. Dites plutôt que vous
ne le voulez pas. La preuve, c'est que tels et tels que vous connais-
sez obéissent au précepte , et ne s'en plaignent pas. Si vous ne le
pouviez point, Dieu ne vous obligerait pas à vous y engager. XI
n'en fait pas à tous l'exprès commandement; mais il en a laissé la
faculté libre et volontaire. Ce qui dépend de vous, assurément , c'est
d'être modéré dans le mariage, tempérant dans vos repas. L'êtes-
vous ? Vous n'auriez pas la force de vous dépouiller de votre bien j
je pourrais vous répondre que la chose n'est pas impossible, puis-
que d'autres l'ont fait. Non. Je vous dirai seulement que Dieu n'en
fait point un ordre absolu. Ce qui vous est ordonné , c'est de ne
pas vous enrichir aux dépens d'autrui; c'est départager avec les
pauvres. Le faites-vous? Vous auriez trop de violence à vous
faire , de vous abstenir de vos emportemens , de Vos blasphèmes %
de vos imprécations contre Dieu, contre le prochain. Dites,
dites, ô mou frère! qu'il vous en coûterait bien moins pour y re-
noncer que pour vous y abandonner. Du moins ne vous en pre-
nez qu'à vous, si, infidèle à une loi si facile à observer, vous en
êtes puni par la justice sévère du Seigneur. Veillez donc, nous
dit à tous l'Apôtre , sur vos actions : Que chacun prenne garde à ce
quïl bâtit1 (il compare notre vie à un édifice auquel on peut em-
ployer divers matériaux. C'est le choix que l'on en fait qui en asr
sure la solidité ou biegi qui en amène la ruine). Les uns emploient
dans le bâtiment de lor, de V argent , des pierres précieuses , c'est-à-
dire les vertus chrétiennes, avec plus ou moins de perfection \
les autres Ji'f apportent que du bois , que du foin /, que de la paille.
L'ouvrage de chacun sera manifesté* A celui qui aura bâti solide-
ment , de qui l'édifice spirituel , soutenu et décoré par de précieux
matériaux, aura résisté aux assauts des tentations, à celui-là les
récompenses immortelles. Mais celui qui n'y aurait fait entrer que
*I. Cor. m. 10 ,elc.
86 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
des matières viles, sans consistance, celui-là ensouffrira delà perte»
La vie est un fleuve que vous passez à la nage, obligé de combattre
contre des ennemis. Si vous avez une armure d'or, vous naviguez
avec bien plus d'ardeur; si vous n'avez avec vous pour vous dé-
fendre que du foin et de la paille, loin de vous en aider, vous êtes
entraîné avec d'aussi faibles instrumens. Il en sera ainsi des œu-
vres. Bonnes, elles vous soutiendront; mauvaises, elles vous lais-
seront dans la nudité, elles causeront votre ruine; elles descen-
dront avec vous dans ces flammes dévorantes , pour y subsister
éternellement, et alimenter sans cesse les feux auxquels vous se-
rez condamné sans en être consumé. Tel est ici le sens que saint
Paul , dans la suite de son allégorie, attache au mot : Celui dont
T ouvrage brûlera souffrira de la perte; toutefois il se sauvera, mais
en passant par le feu; c'est-à-dire qu'il sera conservé, sauvé de
l'anéantissement ; comme dans le langage ordinaire l'on dit : Telle
chose a été sauvée de la flamme, parce qu'elle y est restée sans en
être à l'instant dévorée et réduite en cendres. L'Apôtre n'entend
autre chose que la prolongation et la continuité du supplice.
(Saint Chrysostôme 1.)
Certitude de l'Enfer.
11 est parmi nous des hommes qui , abandonnés tout entiers aux
impressions de la chair, ne vivent que pour le temps présent, et
s'imaginent qu'il n'y a point de vie future. Leur grand argument,
c'est que Dieu est trop bon pour qu'il y ait des châtimens à crain-
dre après la mort. Oui, certes, Dieu est bon, mais il est juste;
et cela posé, où serait la justice dans Dieu, de permettre qu'on
J'outrage, que l'on méconnaisse ses bienfaits, que l'on brave ses
menaces ? Offenser quelque homme que ce soit , même un indif-
férent, c'est un crime punissable aux termes de la justice humaine;
mais s'en prendre à son bienfaiteur, au Dieu sans qui l'on n'exis-
terait pas, attrister son cœur paternel par des manquemens jour-
naliers, n'est-ce donc point là un attentat qui repousse toute mi-
séricorde ? Dieu est bon, dites-vous; et parce qu'il est bon, il ne
doit pas punir. Insensé qui tenez ce langage, pourquoi cesserait-il
d'être bon en vous punissant ? Quoi! vous péchez et ne voulez pas
être puni. Mais sa bonté vous en avait prévenu ; elle essaya de
vous en détourner par les menaces qu'elle faisait retentir à votre
1 Hom. ix , in i ad Cor.
; DES PRÉDICATEURS* 87
oreille; elle multiplia autour de vous les secours pour aller au
devant de vos chutes; elle s'est épuisée pour votre salut. Mais s'il
n'y a point de châtimens à craindre pour les coupables, un autre
viendra nous dire qu'il n'y a pas davantage à espérer pour les
justes. Et qu'est-ce donc alors que ce que vous appelez la bonté
dans Dieu? Qu'est-ce que la justice qui doit présider à ses juge-
mens? Cessez , ô hommes , de vous abuser; c'est le démon qui vous
inspire ces téméraires pensées. Si les magistrats , si les maîtres de
la terre ne laissent pas sans récompense ceux qui se dévouent au
service de la patrie ou de leurs personnes , ni sans punition ceux
qui y manquent , comment supposer raisonnablement que Dieu
soit moins juste que les hommes, et qu'il confonde dans la même
indifférence les bons et les médians ?
S'il n'y avait rien à craindre après la mort, quel frein resterait-il
au pervers? Si la crainte même du châtiment dont il est menacé
ne suffit pas toujours pour le détourner du crime, que sera-ce
quand il se verra affranchi de cette crainte? Et non seulement vous
le débarrasserez de la peur de l'Enfer; mais il faudra de plus lui
promettre les félicités du ciel pour récompense de ses forfaits ?
Où est la preuve, nous dit-on, que Dieu, bon et miséricor-
dieux, comme il est, châtie même ceux qui l'ont méconnu? Mais
répondez à votre tour, vous qui accusez Dieu de mensonge, ré-
pondez : qui est-ce qui, du temps de Noé, châtia l'univers entier
parles eaux du déluge, engloutit dans son vaste naufrage toute
la race humaine, condamnée à la mort? Qui est-ce qui fit tomber
sur l'infâme Sodome des torrens de bitume embrasé, couvrit l'E-
gypte de fléaux, fit périr dans le désert tant de milliers de raur-
murateurs , précipita dans les entrailles de la terre Coré , Datan et
Abiron ; envoya, du temps de David, la peste qui dévora en un
moment soixante mille de ses sujets; extermina dans une seule
nuit les cent quatre-vingt-cinq mille soldats de l'armée de Sédécias,
comme il l'avait fait prédire par son prophète Isaïe? Et sans re-
courir à ces exemples étrangers, pouvez-vous fermer les yeux à
l'expérience des calamités que nos crimes à nous-mêmes attirent sur
nos têtes? Je vous demande, d'après cela, si la raison seule permet
de croire que Dieu punisse une partie des coupables et en laisse une
autre impunie. Si la bonté de Dieu s'oppose à ses vengeances,
personne ne devrait être puni. Pourquoi donc punit-il quelquefois,
dès cette vie même, les blasphémateurs de votre sorte, si ce n'est
pour vous forcer à croire à l'expérience quand vous refusez de
croire à ces menaces ?Nous vous parlons des feux de l'Enfer; mais
88 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
nous ne sommes pas les premiers à les annoncer. Et certes, il faut
que la vérité en soit bien incontestable, puisqu'elle s'élait fait
sentir au milieu même des ténèbres du paganisme. Qu'ils fussent
dans l'erreur sur le caractère des chàtimens et des fautes qui les
provoquaient, toujours est-il vrai que les seuls principes de la rai-
son et de la justice naturelle qui avaient cours dans les écoles
humaines, les avaient amenés à conclure en faveur de la certitude
d'un jugement à subir après la mort. Parcourez les livres des
poètes, des philosophes, des orateurs du paganisme, partout vous
les entendrez parler d'un séjour de récompenses pour les âmes
vertueuses, et d'un lieu de supplices pour les médians après la
mort. Inexacts dans les descriptions qu'ils nous en ont laissées,
puisqu'ils ne les tenaient que de leur imagination ou de souvenirs
recueillis de la lecture de nos livres saints, toujours supposent-elles
ce pressentiment d'un jugement à venir. Ils nous parlent dé fleuves
infernaux, d'un Tartare et de chàtimens divers, auxquels les mé-
dians sont enchaînés ; de Champs-Elysées , où ceux qui ont bien
vécu goi\tent après la mort des plaisirs purs, au sein de campa-
gnes riantes, parfumés des plus douces essences, occupés de
danses et de chants. C'en est assez pour conclure à la reconnais-
sance d'un état de bonheur pour les uns, de malheur pour les
autres après la mort. Tenez donc pour certain qu'il y a un Enfer.
N'y pas croire, c'est s'exposer à l'oubli de tous ses devoirs et au
danger inévitable de périr victime de son incrédulité. Aimons
à méditer l'Enfer, à nous entretenir de ses feux; c'est un
remède amer, mais salutaire, bien propre à nous guérir de tous
nos penchans déréglés. Vous sentez-vous enclin à la dureté, à
l'insensibilité de cœur à la vue des souffrances étrangères : pensez
au châtiment des vierges folles, punies pour n'avoir pas entretenu
dans leurs lampes la flamme de la charité ; à l'intempérance :
rappelez-vous le mauvais riche, demandant que Lazare lui soit
envoyé pour rafraîchir sa langue altérée, et ne l'obtenant pas.
Sentez-vous s'allumer dans votre cœur l'étincelle d'une flamme
impure : songez à l'enfer. (Saint Ghrysostome , Homélie XXV.)
Le feu de l'Enfer.
Quand nous vous parlons du feu de l'Enfer, ne vous figurez pas
un feu tel que celui que nous voyons. Celui-ci , allumé par la
main des hommes, s'amortit par degrés, et finit par se consumer et
s'éteindre. Le feu de l'Enfer, allumé parle souffle du Tout-Puis-
DES PRÉDICATEURS. 89
sant , brûle sans relâche, sans nulle altération , toujours au même
degré d'activité , immortel , vraiment inextinguible. Le pécheur,
dans les Enfers, est malgré lui-même revêtu de l'immortalité. C'est
l'expression de l'Apôtre \ immortalité malheureuse , qui n'est plus
pour lui un titre de gloire, mais l'instrument de son éternel sup-
plice et de tortures qu'aucun langage humain ne saurait exprimer.
Seulement, pour en concevoir quelque idée, autant que des objets
bornés par leur nature peuvent nous tracer l'image de ceux qui
ne le sont pas , cherchons dans l'expérience journalière quelques
objets de comparaison. Par exemple, que l'on vous plonge dans
une eau bouillante, qu'une fièvre ardente se déclare tout à coup
dans vos membres, vous frissonnez d'horreur et d'épouvante ;
pensez donc au feu de l'Enfer; représentez-vous-en les ardeurs
dévorantes. Vous ne supporteriez pas ni ce bain ni cette fièvre
brûlante: comment soutiendrez-vous ce torrent de feu qui tombe
du haut de ce tribunal vengeur du Juge suprême, et prend sa
source dans sa divine toute-puissance ? Alors , frémissemens ,
grincemens de dents , supplices, angoisses sans consolation ; nul
secours, nul adoucissement. Pleur universel, pleur de tous les mo-
mens ; montagnes de feu sans cesse appesanties sur la tête des ré~
prouvés. Sous leurs yeux , rien que des compagnons d'infortune ,
solitude immense, ténèbres effroyables, qui enveloppent [leurs
âmes d'une obscurité sombre. Le feu qui règne dans cette horri-
ble enceinte n'en éclaire pas plus l'épaisse nuit qu'il ne détruit les
corps qu'il pénètre. Tous les châtimens, toutes les tortures à la
fois. Le moyen, dit on, de ne pas mourir avec d'aussi cuisantes
souffrances! Vous en jugez par ce qui se passe dans ce monde.
Bien que dans ce monde même il ne soit pas rare de voir des ma-
lades résister des années entières aux souffrances les plus violen-
tes, et, quand ils viennent à succomber, ce n'est pas que lame
cesse d'être, c'est que le corps épuisé n'en a pu supporter
plus long-temps la lutte, autrement l'ame se serait conservée
toujours dans cet état de souffrance ; mais une fois réunie à ce
même corps, devenu par sa résurrection impérissable, rien ne
s'oppose désormais à ce que la souffrance ne devienne également
interminable. Dans cette vie, plus les peines sont vives, moins
elles durent, La faiblesse de nos corps mortels ne permet pas une
. ongue continuité de douleurs. Dans l'autre vie, le corps étant
associé à l'immortalité de l'ame, les réprouvés deviennent capa-
,0*68 des douleurs les plus aiguës sans que leur excès même en
puisse amener le terme , parce que ni le corps n'est épuisé par la
go NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
souffrance , ni l'essence de l'ame n'est attaquée par la douleur,
et que l'éternité ne connaît point de bornes qui l'arrêtent.
Est-il donc ici-bas des plaisirs qui méritent d'entrer en balance
avec la menace d'un Enfer aussi formidable pour sa rigueur et sa
durée? Vous en jouiriez cent ans et plus! Qu'est-ce que cela en
comparaison d'une infinité de siècles? Les plaisirs de ce monde ne
sont , à l'égard des biens éternels , que ce qu'est que le mensonge
d'une nuit à l'égard de toute la vie. Qui voudrait , pour un songe
agréable, renoncer aux plaisirs d'une vie tout entière? et ne fau-
drait-il pas être en démence pour consentir à goûter une illusion
d'un moment, au prix de souffrances qui dureraient toute la vie ?
Telle est la bienfaisante disposition de la Providence, qu'elle a
renfermé le temps de nos combats dans une durée bien courte, et
qui se termine en un moment; car voilà ce que c'est que la vie
présente comparée à l'éternité. Et c'est là ce qui doit faire l'un
des plus cruels supplices des damnés, de penser que les jours de
la pénitence allaient sitôt finir, et que, faute d'en avoir profité,
ils sont condamnés à des peines qui ne finiront pas. (Saint Chrt-
sostome.)
[Quand on vit bien on ne doulo point de l'Enfer.
c S'il est indifférent à Dieu que nous vivions bien ou mal, â la
bonne heure, niez l'Enfer; mais s'il est impossible de méconnaître
l'intérêt que Dieu prend à notre salut, par tous les moyens qu'il
a pris pour nous garantir du péché , pour nous attacher à la vertu
et à sa religion, il faut nécessairement conclure que les pécheurs
seront punis, et que les justes seront récompensés. Etrange contra-
diction dans nos jugemens humains ! Dune part, on accuse sa pa-
tience à l'égard des coupables : pourquoi les laisser vivre? pour-
quoi ne pas les punir aussitôt? D'autre part, qu'il les menace:
on se récrie, on se plaint, on s'emporte. Que l'on s'accorde donc
avec soi-même. Si vous lui trouvez trop de bonté, laissez-le donc
punir; si vous blâmez sa justice, permettez-lui d'être indulgent.
Mais, ô folie! ô aveuglement de qui la source est dans la corrup-
tion du cœur et dans le misérable attachement que l'on porte au
péché! On ne songerait guère à tous ces raisonnemens, si l'on
voulait bien vivre; on ne douterait plus alors qu'il n'y ait un Enfer.
( Saint Chrysostome ].)
1 Hom. xxi , m Epist. ad Rom.
DES PREDICATEURS. 91
Qui est revenu des Enfers pour nous apprendre ee qui s'y passe ?
Que si Ton vous demande : Qui donc est venu de l'autre mon-
de pour nous apprendre ce qui s'y passe ? répondez : Ce n'est pas
un homme, on n'aurait ni voulu ni dû croire à ses récits. Tout ce
qu'il en aurait dit eût eu l'air d'exagération et d'hyperbole; mais
c'est le Seigneur des anges qui est venu en personne nousen donner
l'exacte connaissance. Vous faut-il des témoignages humains, après
que le Juge lui-même auquel nous aurons tous à rendre compte
ne cesse de nous crier qu'il a préparé l'enfer pour les méchans , le
ciel pour les bons , et qu'il nous a laissé des preuves constantes
de ses paroles ? S'il ne devait pas un jour juger tout le monde, il
ne jugerait point par avance quelques personnes qu'il punit dès
maintenant d'une manière terrible ;car, pour quelle raison verrait-
on certains coupables impunis , et d'autres châtiés sévèrement ?
Dieu fait-il acception des personnes ? ( Saint Crysostome *, )
On demande si les corps peuvent brûler dans les Enfers sans être consumés.
Que non seulement la mort ne les ait point anéantis ; mais qu'ils
vivent sans se détruire, au sein d'une flamme dévorante qui, eller
même, ne meurt pas ! ici, l'incrédulité ne veut point admettre la
toute-puissance de Dieu, et nous demande des faits qui consta-
tent la possibilité de 1 éternité des peines dans l'autre vie. En sup-
posant, nous dit-on, qu'il y ait des corps d'animaux qui vivent
dans le feu, toujours finissent - ils par y mourir. Mais la chose
prouvée, lequel est le plus difficile à croire, ou qu'ils puissent y
subsister, ou y subsister sans douleur? C'est quelque chose de
surprenant, sans doute, que de rester dans le feu sans y mourir ;
ce qui l'est bien davantage, c'est d'y vivre sans en souffrir. Si
pourtant l'un est croyable, pourquoi l'autre ne le serait-il pas ?
Que les démons subsistent dans les Enfers , et qu'ils y soient en
proie à d'horribles tortures , nous le savons par leurs propres
aveux. — Oui ; mais ils n'ont point de corps. N'importe de quelle
manière; toujours souffrent-ils, et ne meurent pas. Au reste,
quelle raison y1 a-t-il de faire de la douleur un argument de mort ,
puisque c est plutôt une marque de vie, et qu'il est nécessaire
que celui qui souffre vive, et qu'il ne l'est pas que la douleur
tue ? Ce qui fait aujourd'hui que la douleur amène la mort ,
1 Hom. vin, in Epïst. ad Thess.
t)2 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
c'est que l'ame est tellement unie au corps, qu'elle cède aux
grandes douleurs, et se retire, parce que la liaison des membres
est si délicate qu'elle ne peut soutenir l'effort de ces deuleurs ai-
guës; mais alors l'ame sera tellement unie au corps, et le corps
doué d'organes, tels que le nœud qui les rassemble ne pourra être
délié par aucun espace de temps ni rompu par aucune souffrance.
La mort règne dans cet affreux séjour ; mais non telle que celle
qui sépare notre ame d'avec le corps. Là, mort éternelle , parce
que l'ame séparée de Dieu est privée de son principe de vie , et
qu'elle ne pourra être délivrée , par la mort , des douleurs du
corps. La première mort cbasse l'ame du corps malgré elle , et la
seconde l'y retient malgré elle , ou plutôt, quand nous souffrons
ici-bas, c'est l'ame qui souffre, et non pas le corps, alors même que
sa douleur lui vient du corps : elle peut donc souffrir indépendam-
ment du corps ; pour le corps il ne souffre point s'il n'est animé ,
et il ne peut être animé s'il n'a une ame. Si donc la conséquence de
la douleur à la mort était valable, ce serait plutôt à l'ame à mourir,
puisque c'est principalement elle qui souffre. Puisque celle qui souf-
fre davantage ne peut mourir, pourquoi conclurait-on que les corps
des damnés mourront parce qu'ils doivent être tourmentés ?
Pourquoi donc serait-il incroyable que ce feu puisse causer de la
douleur aux corps des damnés sans leur donner la mort , puisque
nous voyons que les corps mêmes font souffrir les âmes sans les
tuer? ( Saint Augustin, De la Cité de Dieu , livre XXII.)
Erreur des partisans d'Origcnc sur l'éternité des peines.
Que cette source de bonté s'étende, disaient les partisans d'O-
rigène, jusqu'aux anges réprouvés , pour faire cesser leur supplice
au moins après plusieurs siècles de tortures. Leur pitié pourtant
n'ose aller plus loin, ni passer jusqu'à délivrer Satan. Cependant,
si quelqu'un voulait aller jusque là , sa bonté en serait encore plus
grande, mais son erreur n'en serait que plus pernicieuse. . . . S'il
en était ainsi, les conjectures des hommes l'emporteraient donc sur
la parole de Dieu. Mais comme la chose est impossible, ceux qui
veulent être garantis du supplice éternel ne se doivent pas occu-
per de disputer contre Dieu, mais accomplir ses commandemens
tandis qu'il en est temps encore. D'ailleurs quelle apparence y
a-t-il d'entendre le supplice éternel d'un feu qui doit durer long-
temps, et la vie éternelle dune vie qui doit durer toujours? vu
que Jésus-Christ , au même lieu et dans une même période, com-
DES PREDICATEURS. g 3
prenant Tune et l'antre, dit : Ceux-ci iront au supplice éternel, et
les justes dans la vie éternelle. Puisque Jésus-Christ déclare l'un
et l'autre éternels, certainement on doit entendre, ou que l'un et
l'autre dureront long- temps, mais pourront finir; ou que tous
deux dureront éternellement, pour ne finir jamais ; car ces deux
états sont mis en parallèle : d'un côté le supplice éternel, de l'au-
tre la vie éternelle ; de sorte qu'on ne peut prétendre sans absur-
dité que dans une seule expression la vie éternelle n'ait point
de fin, et le supplice éternel en ait une. (Saint Augustin, De la
Cité de Dieu , livre XX IL ).
Où est l'Enfer?
On nous demande où est l'Enfer. Que vous importe en quel lieu
il soit, pourvu que vous soyez assuré qu'il y en a un? Cherchez,
non pas où il est , mais comment vous y pouvez échapper. Il n'est,
dites-vous , que pour les infidèles. Dites plutôt pour le fidèle qui,
connaissant Dieu , l'outrage plus criminellement que l'infidèle qui
l'ignore. Les démons connaissent Dieu; car ils tremblent à son nom.
En sont-ils moins punis ?
I- Où est l'Enfer ? Dans quel endroit du monde?- — Que vous im-
porte le lieu ! Ce qui vous intéresse, c'est de ne pouvoir douter
qu'il y ait un Enfer. Où il est? je ne le sais pas plus que vous. Ce
que je sais, c'est que nous devons travailler à l'éviter. Dieu nous
en menace, et il nous le fait attendre long- temps, parce que sa bonté
suspend les rigueurs de sa justice, parce qu'il ne veut point la mort
du pécheur ; c'est lui-même qui le déclare dans ces termes ; et s'il
n'y avait point de mort à redouter pour le pécheur, le Dieu de vé-
rité n'aurait point employé cette expression. Pensez à l'Enfer. C'est
la pensée toujours présente de lEnfer qui nous sauvera de l'Enfer.
Il n'y aurait pas d'Enfer ! Rien à souffrir après la mort pour un
Néron ! rien pour cet ennemi de Dieu qui s'élèvera au dessus de
tout ce qui est\ appelé Dieu, ou qui est adoré jusqu'à s'asseoir dans
le temple de Dieu , voulant lui-même passer pour Dieu ? Rien pour
le démon? Eh! n'y aurait-il pas toujours des Nérons? N'y au-
rait-il pas un antechrist qui viendra consommer le ^mystère de l'ini-
quité qui commence déjà à s opérer? Le démon peut-il cesser d'être
ce qu'il est? Et toujours coupable, toujours impie, ne doit- il pas
être toujours puni?
Une fièvre de quelques jours nous cause des douleurs insuppor-
tables ; le seul aspect des châtimens dont la justice humaine punit
o4 nouvelle bibliothèque
les coupables nous glace d'effroi, et, quelque prolonge que puisse
être un supplice ordonné par les hommes, il est toujours borné
à quelques années ; Jésus-Christ ne punit pas pour un temps, le sup-
plice des réprouvés embrassera toute l'éternité;
Que vous pénétriez au fond d'un cachot pour y voir les mal-
heureux qui y sont détenus : à l'aspect des chaînes dont ils sont
garrottés, de la sombre nuit qui y règne, de cette vile paille sur
laquelle vous les voyez étendus, en proie à toutes les horreurs
de la faim, de la nudité, du désespoir, vous frémissez, les plus
vives émotions partagent votre cœur, qui se déchire; vous vous
promettez bien de n'être jamais coupable d'aucun des crimes qui
ont provoqué contre ces misérables la justice humaine. Mais que
la justice divine vienne à prononcer contre vous un semblable
arrêt, que ses exécuteurs viennent vous traîner dans ces affreuses
prisons des Enfers , que deviendrez-vous ? Là ce ne sont pas seule-
ment des chaînes de fer , mais des liens de feu qui enlacent
leurs victimes; là, les vengeances ne sont plus confiées à des hom-
mes tels que nous; ils peuvent à la fin se montrer accessibles à la
pitié', mais à des esprits d'une nature immortelle, ministres choisis
par la colère céleste, exécuteurs implacables, dont il est impossible
de soutenir les regards toujours enflammés; là, plus de cœurs cha-
ritables, compatissans, qui viennent soulager l'infortune , l'assis-
ter par leurs aumônes, la consoler du moins par des paroles de
paix et d'espérance; plus d'intercesseurs, plus d'avocats, plus de
pères qui sollicitent en faveur de leurs enfans, ni de fils qui im-
plorent la grâce de leurs pères : abîme immense entre le ciel et
l'Enfer. Parce que dans le ciel la joie qui inonde les élus ne doit
être troublée par aucun mélange, ils abandonnent à toute la co-
lère céleste ceux de qui ils sont séparés; et, je puis l'affirmer , les
justes bienheureux s'unissent à la justice divine pour oublier à ja-
mais ceux qui sont exclus de leur félicité. ( Saint Chrysostomè *.)
Supplice du pécheur dans l'Enfer, la tuo de «on peche et des suileâ de son péché.
Ici, chrétiens, peu s'en faut que je ne rétracte ce que j'ai avancé,
qu'il vous est impossible de connaître les peines de l'autre vie.
Toujours prêts sur ce sujet à traiter de pieux artifice tous les ef-
forts de notre zèle, vous pensez qu'il est impossible de vous for-
mer une idée de l'Enfer. Cependant si , m'attachant à cette idée de
* llom. 2s, in II ad Cor.
DES PRÉDICATEURS. 95
l'Evangile, il m'était permis de descendre dans un détail que vous
voyez sans doute, mais que la majesté du sanctuaire m'interdit;
s'il m'était permis de révéler tous les mystères d'iniquité, de placer
chacun vis-à-vis de son péché, je n'aurais besoin, pour vous peindre
l'Enfer, que de ces paroles du Prophète :Peccator videbit et irascetur,
fremet et tabescet. Le pécheur verra, et il frémira ; et je vous dirais :
Quel Enfer pour tant de riches voluptueux, qui n'avaient employé
leurs richesses qu'à séduire et à corrompre ; pour tant de riches im-
pitoyables qui, portant une ame d'airain, auront fermé l'oreille aux
plaintes des malheureux , employé leur autorité à ravir leurs dé-
pouilles, d'entendre s'élever contre eux le cri de la fureur et du
désespoir, et la voix du sang de la veuve et de l'orphelin , ce sang
qui avait servi à cimenter leur fortune, et qui servira d'aliment
à leur rage et à leur supplice \Videblt et irasceturl Si, poursuivant
encore et donnant plus d'étendue à cette pensée, je vous disais :
Quel Enfer pour vous, pères et mères, de vous retrouver avec
ce fils dont votre ambition a détourné ou forcé la vocation , pour
l'engager dans un état où il s'est perdu ; avec ce fils que , par des
vues d'intérêt, vous avez engagé dans le sanctuaire, et qui en a fait
le scandale,* avec cette fille, grand Dieu! que par les stratagèmes
d'une barbare politique vous avez forcée d'entrer dans le cloître,
où elle a commencé son enfer : déplorables victimes qui pendant
une éternité s'élèveront contre vous, maudissant leur propre exis-
tence, et la naissance que vous leur avez donnée, et le jour qui
les a vus naître; vases de colère', dit le Prophète, sans cesse en
guerre avec eux-mêmes : Vasa irœ debellantia, et qui, ne pouvant
s'éviter ni s'éloigner, accompliront la parole de l'Ecriture, qu'un
jour on verra le fils s'armer contre le père , la fille contre la mère,
l'épouse contre l'époux : Videbit et irasceturl
Quel Enfer pour cet écrivain impie, fléau des mœurs et de la
religion , dont la plume empoisonnée avait transmis à tous les
siècles et les délires de son esprit et la corruption de son cœur*
et pour cette malheureuse, autrefois sur un théâtre profane,
l'organe impur des passions, de se voir tous deux abhorrés et
maudits de ceux qui les avaient le plus applaudis, de leurs dis-
ciples mêmes et de leurs adorateurs, dont ils ont causé la perte
et creusé l'enfer: Videbit et irasceturl
Quel Enfer pour vous, hommes de scandales, hommes de tant
de crimes et de forfaits, à la vue de tant d'ames que vos discours,
vos exemples, vos stratagèmes ont entraînés dans l'abîme! Pour
vous, aines vindicatives, à l'aspect de ces rivaux, de ces concur-
q6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
rens dont vous ne pouvez soutenir la pensée, et dont il vous fau-
dra toute l'éternité souffrir et la présence et les fureurs ; pour vous,
guerrier intraitable , à la vue de cet ennemi fièrement immolé au
faux point d'honneur, à qui votre main parricide a donné du
même coup la mort et l'Enfer, et dont le sang criera éternelle-
ment vengeance! Et vous, dieux de la terre, qui dans l'ivresse
des grandeurs , foulant aux pieds tous les droits de la religion et
de l'humanité, bravez également Dieu et les hommes, et le ciel et
l'Enfer, quelle sera votre destinée? Quel Enfer pour vous et pour
tant de complices de vos désordres, tant de ministres et de victimes
de vos passions , dont la seule présence vous reprochera tant
d'excès et d'attentats, et leur jeunesse séduite, et leur innocence
prostituée, et leur ame que vous avez pervertie! Le crime vous
avait unis, l'Enfer vous réunira: des chaînes de feu, selon l'expres-
sion de l'Ecriture, pleuvront sur les pécheurs rapprochés malgré
eux, brûlans des mêmes feux, déchirés des mêmes remords, l'un
à l'autre leur tourment, l'un à l'autre leur enfer : Pluet super pec-
catores laqueos ignis.
Qu'ajouterai-je encore ? Non , le discours est trop faible pour
rendre ces affreuses images. Le Prophète lui-même, ne pouvant
suffire à les exprimer, s'est contenté de dire que les réprouvés,
dans l'Enfer, seront livrés à l'épée du Seigneur: Tradentur in ma-
rins gladii; et c'est sur cette épée qu'Ezéchiel, enchérissant en-
core sur la pensée de David, s'est écrié : Allez, glaive, à droite
et à gauche; poursuivez, frappez, rassemblez vos victimes, comme
l'ivraie après la moisson; l'hérésiarque avec ses sectateurs, l'incré-
dule avec ses disciples , le libertin avec ses complices , le vindi-
catif avec son ennemi , et tous les pécheurs avec les objets de leur
péché, afin que le bras du Seigneur, toujours levé, promenant
sur leur tête coupable son épée étincelante, les poursuive sans
relâche, et les enchaîne pour jamais à leur crime et à leur sup-
plice: Peccator videbit et irascetur, (Cambacérès.)
Peinture des peines de l'Enfer,
Toutefois, chrétiens, si, pour ne rien omettre dans un si terri-
ble sujet, il faut ajouter un dernier trait à ce tableau, permettez-
moi une supposition qui vous surprendra, qui vous révoltera peut-
être; mais qu'importe, pourvu que, ne vous laissant rien à désirer
sur ces grandes vérités, elle puisse servir à vous faire comprendre
tout ce que nous ne saurions exprimer. le suppose donc qu'à
DES PRÉDICATEUHg. QJ
tous ces différens tourmens j'entreprisse d'ajouter ce que l'Evan-
gile nous dit des pleurs , des grincemens de dents, des hurlemens
affreux, et que, prenant en main le pinceau des Prophètes, je
vinsse vous représenter, avec Ezéchiel et Isaïe, le Dieu des ven-
geances, porté sur le trône de la colère, parcourant cet étang de
feu, où nagent les victimes de sa justice, semblable, dans sa marche,
au mugissement des mers irritées, tenant d'une main le calice de sa
fureur, dont il verse à grands flots sur la tête de ses ennemis la lie
enflammée qui ne tarit jamais ; de l'autre, lançant sur eux ses car-
reaux et tous les traits de sa jalousie et de son indignation ; disons
mieux , si , ouvrant tout à coup à vos yeux les portes de l'a-
bîme, il m'était permis de vous en montrer une fois toutes les
horreurs, les ténèbres d'une nuit éternelle, les torrens de fumée,
les tourbillons de flammes ; et que vous conduisant, pour ainsi
dire, dans ces tristes demeures , je vous disse: Voyez couler ces tor-
rens de larmes, écoutez ces voix gémissantes, ces cris, ces san-
glots qu'enfante le désespoir; entendez ce tonnerre qui retentit
jusque dans toutes les profondeurs de l'abmie; voyez ces éclairs
redoublés, dont les sombres clartés poussent un jour affreux, qui
renaît et qui fuit sans cesse ; et les ministres cruels des vengeances
célestes, acharnés sur leurs victimes; partout l'épouvante, l'effroi,
la désolation.
Cette supposition faite, je cherche quel en serait l'effet, ce que
produirait ce tableau de l'Enfer, tracé avec le pinceau des Prophè-
tes, avec toutes les couleurs de l'éloquence ; et je trouve qu'il
vous révolterait au point que vous crieriez à l'exagération ; vous
prendriez cette peinture de l'Enfer pour l'effet du délire d'une
imagination échauffée, vous la traiteriez de fiction puérile, de fa-
ble ridicule; et moi , loin de m'offenser de ce jugement, je paraî-
trais être le premier à le confirmer, je consentirais que vous re-
gardassiez cette peinture comme fantastique et frivole. Mais en
même temps je me servirais de ce jugement contre vous-mêmes,
et je vous dirais : Hé bien ! cette peinture de l'Enfer, qui vous pa-
raîtrait si révoltante, si incroyable, ne serait cependant qu'une
faible ébauche et comme un jeu en comparaison de la réalité ; loin
d'ajouter aux grandes vérités que je vous ai annoncées, elle ne
ferait, au contraire, que les affaiblir. Pourquoi ? parce qu'en effet,
en vous disant que l'Enfer est l'ouvrage d'un Dieu irrité, je vous
en ai plus dit que tout ce que l'esprit humain peut imaginer; et
que la plus effrayante description de l'Enfer, tracée d'après l'ima-
gination des hommes, n'est qu'une faible image de la colère de
t, m, 7
g% NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Dieu, une ombre en comparaison de la réalité ; parce que, ce
qu'il y a de plus terrible ici , ce n'est ni tout ce que vous pouvez
imaginer, ni tout ce que vous venez d'entendre; mais c'est de
penser que tout ce que je viens de vous dire n'est rien encore,
et qu'après avoir épuisé tout ce qu'il a plu à Dieu de nous en
révéler dans l'Ecriture , il vous reste toujours à dire avec David :
Quis novit polestatem irœ tuœ , et prœ timoré tuo iramtuam clinu-
merare P Seigneur, quel mortel peut mesurer votre colère, et
connaître jusqu'où va la force de votre bras étendu sur le pécheur?
Vous frappez, nous dit le Prophète, et la terre, ébranlée sur ses
pôles, frémit jusque dans ses entrailles; vous soufflez, et la mer
mugissante écume et bouillonne; vous regardez, et les montagnes
fumantes fondent au feu de vos regards comme la cire à l'appro-
che d'un brasier enflammé. Que sera-ce donc dans ces prisons
éternelles, où sans cesse votre bouche enverra la malédiction et
l'anathème, vos mains lanceront les flèches de votre colère et fe-
ront pleuvoir un déluge de maux ? Congregabo super eos mala , et
sagittas meas implebq in eis. Grand Dieu ! votre courroux est un
abîme ainsi que votre justice ; ce qu'il vous a plu d'en révéler dans
vos Ecritures porte dans nos âmes la terreur; que sera-ce de ce
que nous ne connaissons pas : Quis novit? Mais, pour achever de
pénétrer nos cœurs de la crainte de ses châtimens , ne nous con-
tentons pas d'avoir contemplé sa justice dans la nature et la li-
gueur des peines de l'Enfer ; considérons-les encore dans leur
durée, et disons: Justice de Dieu dans l'éternité des peines de
l'enfer. Renouvelez votre attention. (Le même.)
Elcînite dos peines de l'Enfer.
Je dis que Dieu ne saurait ni abréger, ni révoquer, ni modifier l'é-
ternité des peines de l'autre vie ; et pourquoi ? parce que cette éter-
nité ne nous estpoint annoncée dans l'Ecriture comme une menace
qui laisse toujours à celui qui la fait la liberté de se rétracter, mais
comme un dogme capital, un des principes fondamentaux delà reli-
gion; en un mot, comme un article de notre foi: en sorte que ce
dogme une fois ébranlé, tous les autres croulent, et il n'y a plus rien
d'assuré dans l'Evangile.En effet, comment et dans quels termes cette
éternité nous est-elle annoncée dans l'Ecriture? En même temps
que les plus grands événemens , avec la fin des temps , le jugement
futur, l'avènement de Jésus-Christ, les récompenses des justes. C'est
en parlant de ces grands objets que Jésus -Christ y joint l'Enfer et
DES PRÉDICATEURS. 99
l'éternité malheureuse, pour nous apprendre qu'il est aussi certain
que les peines de l'Enfer sont éternelles, qu'il est vrai que le monde
doit finir, que Jésus-Christ doit venir , qu'il y aura un dernier juge-
ment, que les récompenses desjustes seront éternelles. Ce n'est donc
point ici une peine comminatoire, c'est un dogme qui a pour garans
tous les autres dogmes de la foi; ce n'est point seulement un maître
qui veut épouvanter, c'est un juge qui statue et qui prononce; ce
n'est point une menace, une vaine terreur qu'on veut inspirer, mais
l'arrêt et la sentence définitive d'un Dieu dont la parole est sacrée
et infaillible. Par conséquent, tout s'oppose en Dieu à ce qu'il y
porte aucune modification : son immutabilité, parce qu'il n'ajamais
varié, surtoutdans ses châtimens; le péché du premier homme allume
son tonnerre, il ne s'éteint plus, toute sa postérité est condamnée à
la mort et à la douleur, et l'arrêt s'exécute, sans que la suite des
siècles change rien à sa volonté suprême : sa vérité s'y oppose, parce
qu'il s'y est engagé par serment , et que bien loin délaisser jamais
entrevoir dans l'Ecriture qu'il veuille modifier l'éternité des peines,
il déclare que tout passera, excepté sa parole; que le ciel et la terre
passeront plutôt qu'un seul point de la loi ne s'efface: sa sagesse s'y
oppose, parce que si la conjecture et l'interprétation sont permises
sur un point de la loi , pourquoi ne l'étendrait-on pas à d'autres ?
si c'est pour la durée des peines, c'est aussi pour leur nature; si
c'est pour une partie, c'est peut-être aussi pour toutes; dès lors plus
de principe, plus de dogme certain, et de toute la parole de Dieu, il
ne restera que ce qui plaît au caprice de l'homme : sa sainteté enfin
s'y oppose, parce que ceYpie Dieu doit avoir le plus en horreur, c'est
le péché, Dieu et le crime, Dieu et le péché étant à jamais incom-
patibles. Or, ôtez l'éternité des peines, et la haine que Dieu a jurée
au péché ne sera plus éternelle; par conséquent il faudra, dit saint
Chrysostôme, qu'un jour Dieu place au même rang ceux qui l'ont
toujours offensé et ceux qui l'ont toujours aimé, les plus grands
saints avec les plus grands scélérats; ceux qui ont établi la religion
avec ceux qui l'ont combattue, et qu'un jour on voie dans le ciel les
tyrans à côté des martyrs, Néron avec saint Paul, Judas avec Jésus-
Christ : Stabit ergo cum Nerone Paulus , imb diabolus cum Christo;
blasphème aussi injurieux à Dieu qu'absurde aux yeux de la
raison. Concluons donc qu'il est aussi certain que les peines de
l'Enfer sont éternelles, qu'il est vrai que Dieu est vrai, sage , saint,
immuable; et qu'il n'est pas plus libre de rien changer sur Ce
point, qu'il ne l'est de tromper et de manquer à sa parole. Car voilà
dit Saint Grégoire, où tendent tous les raisonnemens des pécheurs
$fâtf?i+*
IOO NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
sous prétexte de garantir la bonté ou la grandeur de Dieu , ils
ne craignent pas de le faire auteur du mensonge : Dum satagunt
perhibere misericordem , non verentur prœdicare fallacem.
Mais où est la justice qu'un péché d'un moment soit puni d'un
supplice sans fin ? Seconde difficulté, que notre faible raison nous
fait regarder comme le plus fort argument contre la réprobation
éternelle, sans penser qu'il est faux, qu'il est même absurde de
prétendre qu'il soit contre l'équité de punir un péché d'un mo-
ment d'un supplice sans fin. Pourquoi? parce que, dans aucun
crime, ce n'est jamais sa durée qu'on punit , mais sa nature, son
énormité; et si celui qui a violé les lois et la justice des hommes pour
un crime d'un instant est puni d'une mort et d'une infamie éter-
nelles, que doit-ce être de celui qui a outragé la majesté divine, pro-
fané les lois les plus saintes?
Et ne dites pas que ce parallèle n'est point juste, que cette sé-
vérité de la justice humaine est nécessaire pour maintenir les droits
de la société, la majesté des lois, l'ordre et l'économie politique;
je vous répondrai : et le maintien de la religion, des devoirs envers
Dieu, de son culte, de ses autels , de- ses lois, que deviendra-t-
il ? comment subsisteront-ils, sans cette éternité de peines? J'en
appelle aux libertins eux-mêmes ; qu'ils nous disent par où a
commencé le désordre de leur conduite? N'est-ce pas toujours par
le doute sur l'éternité malheureuse ? Quand est-ce qu'ils ont
commencé à être tranquilles dans le crime et à braver toutes les
lois de la religion? N'est-ce pas lorsqu'ils n'ont plus craint, qu'ils
n'ont plus vu devant leurs yeux l'éternité malheureuse? Une fois
que ce dogme commence à être ébranlé et à s'affaiblir dans une
ame, que lui reste-t-il pour l'arrêter dans le torrent de l'iniquité?
C'est donc une suite infaillible et nécessaire que, perdant la crainte
desjugemens éternels, elle se relâche à proportion de la pratique
de tous ses devoirs, qu'elle les abandonne entièrement, et finisse
par se perdre elle-même dans les opinions et les systèmes impies ?
Il est donc impossible qu'il y ait un Dieu et une religion si vous
détruisez l'éternité des peines; ou, pour mieux dire, il y aura un
Dieu et point d'adorateurs; des autels et point de culte; une reli-
gion et point de disciples ; des lois et point d'obéissance; et ce
dogme qui paraît d'abord si incompréhensible, si injuste aux yeux
de la raison, devient, à l'examen et à la réflexion, le plus juste et
le plus nécessaire, comme la sauve-garde de la religion et le garant
de toutes ses lois.
Mais ce qui semble rendre l'éternité évidemment injuste, c'est
DES PRÉDICATEURS. ÎOI
qu'elle mettrait une égalité de peines là où il y aurait inégalité de
crimes. Est-il juste, par exemple, que le païen qui a ignoré soit
puni comme le chrétien qui a profané; que l'honnête homme qui
n'a eu que des faihlesses soit traité comme l'impie qui n'a eu que
des vices; l'impie comme l'athée; le débauché comme l'hypocrite;
le voluptueux comme le sacrilège ? C'est pourtant ce que produi-
rait cette éternité de peines ; elle est égale pour tous les coupables ;
elle confondrait tous les crimes, donc elle est injuste.
Prenez garde, chrétiens, voilà sur ce sujet , le plus grand effort
de l'esprit; voilà le raisonnement qui au premier aspect paraît le
plus convaincant, le plus invincible, et qui , cependant, un peu
approfondi, devient une preuve déplus en faveur de l'éternité des
peines ; et comment ? le voici: c'est que l'Ecriture a pris soin de
distinguer différens degrés des peines de l'Enfer; elle nous avertit
expressément qu'on demandera plus à celui qui aura plus reçu ;
qu'au jour des vengeances Tyr et Sidon seront traitées moins sé-
vèrement queBethsaïde; qu'au dernier jour ceux qui viendront des
contrées éloignées, c'est-à-dire les plus infidèles , auront un sort
plus doux, plus favorable que ceux qui, éclairés des lumières de
la foi, les auront méprisées; qu'on éprouvera des souffrances dans
la vie future à proportion qu'on aura eu de délices et de voluptés
dans la vie présente; que les puissans en iniquités seront puissam-
ment tourmentés : voilà ce que l'Ecriture a eu grand soin de nous
apprendre en plusieurs endroits. Or, je demande pourquoi cette
attention , si les peines n'avaient pas dû être irrévocablement éter-
nelles ? Si leur durée avait dû être proportionnée au crime, l'Ecri-
ture, par ce seul mot, aurait mis à couvert la justice de Dieu ; et il
n'était plus besoin de nous avertir que chacun souffrirait en raison
de son péché, ni de distinguer différens degrés de peines dans le
royaume de la vengeance , comme différentes demeures dans la
maison du Père céleste. La mesure du temps aurait répondu à tout,
satisfait à toutes les difficultés, et lEcriture l'aurait expressément
déclaré. Au contraire, elle nous assure qu'après ce siècle, il n'y
a plus de rémission à espérer ; que dans l'Enfer il n'y a nulle ré-
demption; que la mort dans le péché nous sépare à jamais de Dieu;
donc, encore une fois, l'objection se tourne ici en preuve, et puis-
qu'il doit y avoir , selon l'Ecriture, inégalité dans les peines de
l'autre vie , il n'y en a point dans la durée, et toutes les subtilités
de notre raison , loin d'ébranler cette vérité , ne servent qu'à en
mieux confirmer la vérité.
Mais venons au point essentiel : Dieu est bon , dit-on , il est
102 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
tout amour ; il est le Père, le Sauveur des hommes ; le moyen de
penser, de concevoir qu'un père tendre et bienfaisant puisse livrer
ses créatures à des tourmens éternels ? Le moyen ? c'est de com-
parer ses bienfaits avec ses châtimens ; ce que son amour a fait
pour vous, avec ce que sa justice vous prépare ; et, par ce paral-
lèle , voyez si la bonté même de Dieu ne devient pas une preuve
de plus de l'éternité malheureuse. Oubliez donc, j'y consens,
tout ce que vous venez d'entendre ; pour un moment ne pensons
plus à l'Enfer, et regardez du coté du Calvaire : voyez-y un Dieu en-
touré de bourreaux, un Dieu dégradé, anéanti au point d'expirer
dans le dernier supplice , un Dieu qui meurt pour vous sur une
croix. Retournez maintenant à l'Enfer, et voyez-y le pécheur mal-
heureux pour l'éternité , condamné J\ souffrir une éternité pour
avoir rendu inutiles la mort let les souffrances d'un Dieu, pour
avoir foulé à ses pieds son corps et son sang. Jésus sur la croix,
le pécheur dans l'Enfer Je me tais : prononcez vous-
même.
Et, en effet, pour mettre cette preuve dans tout son jour, re-
marquez, dit saint Bernard, que, quoique cette éternité de peines
soit un mystère incompréhensible pour notre raison , sans elle la
religion deviendrait presque incroyable , et serait un mystère en
quelque sorte plus incompréhensible que cette éternité même.
Supposons, en effet, que le péché n'eût point mérité des peines
éternelles ; supposons que l'homme coupable envers son Dieu eût
été assuré de rentrer en grâce , et d'obtenir son pardon après un
certain temps d'expiation dans l'autre vie, que devient alors ce
grand bienfait de l'incarnation ? Où était la nécessité qu'un Dieu
lui-même quittât le ciel , vînt s'incarner sur la terre , naître, souf-
frir et mourir pour le genre humain, si le genre humain n'avait
point encouru une mort et un anathème éternels ? où serait ici la
proportion entre la fin et les moyens, entre la dignité du Rédemp-
teur et le fruit de la rédemption, entre le prix de la victime offerte
et celui de la grâce obtenue ? Quoi ! je vois des siècles entiers de
miracles, de promesses, d'événemens pour annoncer un Messie; cent
Prophètes envoyés aux hommes pour leur faire sentir la grandeur
de leur malheur et la nécessité d'un libérateur ; un Dieu enfin qui
vient se faire homme pour vaincre et terrasser les puissances de
de l'Enfer ; c'est-à-dire tous les miracles à la fois , toutes les lois
de la nature forcées, toute la puissance divine épuisée, pour ainsi
dire j le ciel et la terre dans l'étonnement, à la vue d'un Dieu ré-
duit à toutes les bassesses de l'humanité; d'un Dieu dans une
DES PHÉDICATEXJRS. Io3
crèche, sur une croix, dans un tombeau ; son sang répandu jus-
qu'à la dernière goutte pour le salut des hommes , et tant de pro-
diges sans autre objet que de délivrer l'homme d'une peine tem-
porelle! Quoi ! des mérites infinis de la part d'un Dieu incarné,
pour n'effacer qu'une disgrâce et un démérite bornés de la part de
l'homme ; des souffrances infinies de la part d'u^i Dieu pour le pé-
ché de 1 homme, et l'homme condamné seulement pour son péché
à des souffrances passagères et finies ; un sacrifice infini dans sa
nature , dans son prix, dans ses effets , tandis que dans l'homme
il n'y aurait eu à expier qu'une offense limitée dans sa nature',
dans ses suites, dans sa punition! Encore une fois , où serait l'é-
galité, la proportion , la convenance, j'ai presque dit, la sagesse
et la grandeur de Dieu ? Non , reprend saint Bernard, dans cette
supposition je ne connais plus rien, ni dans la religion , ni dans
lemystère de l'Incarnation; je n'yvoisplusni accord, ni harmonie,
je n'y vois que le sang d'un Dieu versé presque inutilement et
sans une raison suffisante. Mais lorsque je vois que l'offense que le
péché fait à Dieu est infinie , que la haine de Dieu pour le péché
est éternelle , qu'il y a entre Dieu outragé et l'homme coupable
une séparation, un éloignemont éternel et invincible pour l'hom-
me ; lorsque je vois tout le genre humain enveloppé d'une malé-
diction éternelle, plongé dans l'abîme d'une éternité malheureuse,
des feux, un Enfer, des supplices éternels ; alors je conçois qu'un
Dieu peut s'attendrir sur le sort de sa créature , qu'il ne faut
rien moins que tout le sang d'un Dieu pour éteindre ces flammes
éternelles, ouvrir le ciel, fermer l'Enfer ; en un mot, qu'il faut
une grande victime et des mérites infinis pour arracher l'homme
à des peines éternelles et infinies. Je comprends enfin que l'hom-
me n'a plus le droit de murmurer , ni d'accuser la bonté divine ,
s'il retombe dans son premier malheur j qu'après tous ces mira-
cles d'amour , de tendresse, de miséricorde incompréhensible de
la part de Dieu dans le temps, sa justice a acquis le droit d'être
incompréhensible dans l'éternité. Tout se lie alors , tout s'expli-
que dans la religion ; la justice de Dieu reconnue , sa bonté sau-
vée, sa grandeur assurée ; et, pour croire l'Enfer il ne faut qu'un
coup d'oeil sur le Calvaire. (Le même.)
La colère de Dieu est sans bornes dans les Enfers.
Dieu nous préserve d'avoir à subir jamais tous les maux dont sa
puissance est en état de frapper le pécheur ! Dieu a des trésors in-
lo4 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
épuisables de châtiment et de colère; sa colère est sans bornes
comme sa miséricorde. Si nous devons espérer dans l'une, nous
devons aussi trembler des rigueurs de l'autre. Combien aujour-
d'hui disent, comme l'impie Pharaon : Je ne sais pas qui est
Dieu , je ne le connais point. Ils apprendront un jour à le connaî-
tre. Ce n'est point la mer qui sera leur tombeau, comme elle le
tut de ce prince et de toute son armée. C'est un abîme de feu, oui,
de feu, à quoi le nôtre n'a rien de comparable; un océan enflam-
mé qui les engloutira ; ce sont des vagues brûlantes qui les enve-
lopperont , semblables à des montagnes élevées sur leurs têtes , et
sans cesse retombant sur leurs victimes pour les inonder, les
écraser de leur poids , les pénétrer de profondes et cuisantes dou-
leurs. Moins subtiles , moins cruelles sont les blessures du serpent
attaché à sa proie. Rappelez-vous avec quelle fureur les feux de la
fournaise de Babylone saisirent, pour les absorber, les malheureux
que Nabuchodonosor y fit précipiter; ce n'était qu'un feu maté-
riel et sensible;' mais là, feu surnaturel qui brûle sans anéantir,
et conserve ceux qu'il dévore. Quand les Prophètes nous parlent
de ce jour terrible : Le jour du Seigneur est , disent-ils, un jour iné-
vitable et sans remède, un jour plein de colère et dejureur *, Plus
de secours à attendre ; plus d'espérance ni de miséricorde; plus de
Jésus-Christ; l'aspect de ce visage auguste et serein est interdit à
jamais. De même que ceux qui sont condamnés aux mines se
voient livrés à des geôliers impitoyables, qui écartent sévèrement
de leur présence toutes les personnes qu'ils aimeraient encore à
voir, et dont la vue adoucirait leurs supplices , ainsi les réprouvés
n'ont sous leurs yeux que leurs éternels bourreaux. Les infortunés
bannis de leur patrie, enchaînés à des travaux cruels, du moins
il peut leur rester encore des amis, des proches, qui sollicitent en
leur faveur et implorent de la clémence du souverain le terme ou
l'allégement de leurs souffrances. Mais là il n'est pas possible :
point de trêve, point de fin à des peines dont l'imagination elle-
même ne saurait calculer l'énergie. Comment donc pourrions-
nous les détruire, quand la parole et la pensée de l'homme ne
peuvSfat les atteindre, moins encore les exprimer? Ici le feu
anéantit en un moment le corps que Ton y jette; mais, dans les
Enfers, on brûle, on souffre immortel et sans cesse se survivant à
soi-même
Que deviendrons-nous donc dans cet épouvantable séjour ? Je
* Is., xni, 7.
DES PRÉDICATEURS. lo5
dis nous , car je ne détache pas, mes frères , ma cause de la vôtre.
N'abusez pas de mes paroles pour me répondre: Si, vous, qui
êtes notre maître, notre guide , vous n'échapperez point à la con-
damnation , à quoi bon travail lerai-je, moi, à m'en garantir? Ce
serait là , mes frères , une stérile et bien dangereuse consola-
tion. L'Ange prévaricateur était d'une nature bien supérieure à la
nôtre ; c'était une intelligence spirituelle , son orgueil l'a préci-
pité dans les enfers. Serait-ce, dites-moi, une consolation d'être
associé à son châtiment? Le peuple égyptien voyait la main du
Seigneur appesantie sur les grands du royaume ; le deuil dans cha-
que maison , la mort entassant partout les victimes. Parce que la
calamité était générale, la sentaient-il moins? Au contraire,
fuyant cette épée de feu qui les poursuivait , ils allaient en foule
trouver leur Pharaon pour le conjurer de renvoyer les Hébreux.
Dites à un homme déchiré par une maladie aiguë que d'autres
souffrent encore plus que lui, daignera- t-il seulement écouter une
aussi inepte consolation? Occupé qu'il est du mal qui le tour-
mente il ne pense guère aux autres. Loin donc de votre pensée
un aussi futile espoir. On peut bien, dans une légère douleur, cher-
cher quelque adoucissement dans ces sortes de comparaisons;
mais, quand le mal est à son comble, la souffrance [absorbe l'ame
tout entière , au point qu'elle n'a pas le loisir de se reconnaître
elle-même , et devient inaccessible à toute consolation. Alors
même l'aspect d'une douleur étrangère ne fait qu'accroître le dé-
sespoir ; et c'est ce que témoigne assez ce grincement de dents dont
il est parlé dans l'Evangile.
Ce langage vous fait peine; mais que voulez-vous que je fasse?
Plût à Dieu que vous et moi nous vécussions de manière à n'obli-
ger pas les prédicateurs de l'Evangile de traiter un semblable
sujet! Mais, pécheurs comme nous le sommes, et endurcis dans le
péché , il faut bien que nous cherchions à vous réveiller de votre
funeste assoupissement, à vous inspirer une terreur et une tris-
tesse salutaires. Et c'est là tout le but de ce discours. Hélas! s'il
allait être encore infructueux, vous n'en seriez que plus sévère-
ment punis. Serviteurs rebelles aux menaces de votre maître , quel
rigoureux châtiment n'auriez-vous pas àredouter de son juste'cour-
roux? Toutes les fois que nous vous parlons de l'Enfer, pénétrez-
vous d'une sainte componction ; bien loin d'en être attristés, vous
éprouverez quelque joie à en entendre parler; comment ? parce
que l'effroi résultant de la pensée de l'Enfer, de ses feux dévorans,
de ses horribles tortures , excitera dans vos cœurs le désir sincère
106 NOUVELLE B1BLIOTIIÈQUE ^
de les éviter , en vous tenant clans la défiance de vous-mêmes, en
vous détachant de la terre, en vous donnant le courage de triom-
pher de vos criminelles habitudes. (Saint Chrysostome 1.)
S'il n'y avait pas d'Enfer, il n'y aurait point de frein contre le crime.
Nous avons sous les yeux le tableau journalier des plus effroya-
bles calamités : ceux-ci meurent de faim, ceux-là sont consumés
par de lentes maladies, d'autres traînent dans la misère leur déplo-
rable existence, en proie à des maux sans consolation et sans remède.
Où serait la justice de Dieu de punir ceux-ci, de laisser ceux-là
impunis? Pourquoi, vous qui êtes pécheurs, n'ètes-vous pas du
nombre des premiers? Si c'est sa bonté qui l'empêche de vous châ-
tier, la même bonté ne devait-elle pas épargner les autres? Pour-
quoi donc ces châtimens qu'il appesantit sur les uns , quand les
autres en sont exempts? Afin que l'aspect des supplices partiels
qu'il fait subir à quelques uns apprenne à tous la vérité de ses
menaces. Vous résistez à ses menaces tant qu'elles ne sont qu'en
paroles; il produit sous vos yeux des témoignages éclatans de ses
vengeances, afin que le spectacle des calamités étrangères vous
apprenne ce que vous avez à craindre pour vous-mêmes. N é-
taient-ce que des menaces que ce déluge dont il inonda la terre,
que ces feux sous lesquels il engloutit Sodome, que ces eaux de
la mer renversées sur l'armée tout entière des Egyptiens pour les
ensevelir dans ses abîmes, que ces maux auxquels les Juifs fu-
rent livrés en punition de leur déicide? Jésus-Christ s'est vengé
comme il l'avait prédit. Pour ce qui est de ceux qui n'ont point
'voulu m* avoir pour roi, amenez-les ici, avait-il dit, et les tuez de-
vant moi 2. Parce que les événemens qui ne sont plus sous nos
yeux ne font plus d'impression sur nous, il les renouvelle de siè-
cle en siècle pour inspirer aux générations contemporaines un
salutaire effroi, et justifier l'avenir par les leçons du passé.
A la bonne heure, dites-vous, que l'on soit puni; mais par un
supplice éternel, quand la faute a été si courte ! Une telle ri-
gueur peut-elle s'allier ave la bonté de Dieu? — Le paralyti-
que de l'Evangile se trouvait perclus de tous ses' membres de-
puis trente-huit ans. Quel était son crime pour avoir mérité
un si long supplice ? Pourtant il n'était pas innocent , puisque
le Sauveur , en lui rendant la santé, "t lui dit ; Vous voilà guéri, ne
1 Ilom. xliii, in Matin, — * Luc, xix, 27.
DES PRÉDICATEURS. IOJ
péchez plus1. — Mais à la fin il est guéri, tandis qu'il n'y a point
ici, répliquez-vous, de remède à espérer. — Il est vrai , car c'est
Jésus-Christ lui-même qui l'affirme : Le ver cjuilcs ronge ne meurt
point; le feu qui les brûle ne s' éteindra jamais1"1: et encore: Ceux-ci
iront dans une vie éternelle, et ceux-là dans un feu éternel 3. Si
donc il y a une vie qui ne doit plus finir, ni le supplice non plus
ne peut plus finir, douteriez-vous de la vérité de sa parole ? Mais
laquelle de ses prédictions est restée sans etfet? Vous pécheriez
sans en être punis! Jésus-Christ vous annonce le contraire; il vous
a prédit que l'abus de ses grâces serait châtié par les plus rigou-
reux supplices. Et quelles grâces ne vous a-t-il pas ménagées pour
échapper à ce châtiment terrible dont il vous menace ! Régénération
par le baptême, rémission de vos péchés, après le baptême, par la péni-
tence; facilité dans l'exécution de ses commandemens, pour en pré-
venir la violation : et quand vous perdez le fruit de son sang, vous
vous étonnez d'être punis! Un Enfer éternel pour un crime d'un
moment! A vous entendre, le démon lui-même n'aurait donc pas
à subir, pour un crime d'un moment, les feux de l'Enfer, contre
la parole de Jésus-Christ : Allez au feu éternel qui a été préparé
pour le démon P S'il n'y a point d'Enfer avec ses feux dévorans, il
n'y a point non plus de châtiment pour le démon. Rebelles comme
lui, nous avons donc à craindre d'être châtiés comme lui. Vous
m'allez répondre : L'on conçoit un lieu de récompense pour les
bons , on ne conçoit pas un lieu de supplices pour les médians. —
Voilà donc l'impudique et l'adultère traités de la même manière
que celui qui aura vécu dans l'innocence et dans la sainteté! Né-
ron sur la même ligne que.Paul. Je dis plus : Le démon lui-même,
insultant l'Apôtre , est mieux traité que lui. Les démons eux-mê-
mes n'oseraient point tenir un pareil langage; car vous les en-
tendez, dans l'Evangile, dire à Jésus-Christ : Etes-vous venu nous
tourmenter avant le temps? Pourquoi publieraient-ils qu'il y a des
tourmens s'il n'y en avait point? et comment se fait il que vous
ne craigniez pas ce qui fait trembler les démons ?
S'il n'y avait point d'Enfer, quel frein y aurait- il contre le crime ?
Si nous voyons aujourd'hui ceux qui croient a la vérité d'un juge-
ment à venir, d'un lieu de supplices éternels pour les méchans,
ne renoncer qu'avec peine à leurs criminelles habitudes, que se-
rait-ce s'ils étaient affranchis de cette crainte, lorsque non-seule-
! Jean, v, 14.— 2 Marc, ix, 43. — 3 Matth., xxv, 46.
108 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
nient ils n'auraient plus d'inquiétude à cet égard, mais qu'ils au-
raient droit d'espérer le royaume du ciel pour récompense d'une
vie passée dans le crime ? ( Saint Ghrysostôme *. )
Le feu de l'Enfer est éternel.
f Tremblez, mes frères, à la menace de ce mot terrible : Un feu
qui ne s éteindra jamais. Un feu, dites-vous, qui ne s'éteindra ja-
mais ! Gomment cela se peut-il faire ? Mais comment se fait-il que
le soleil qui est sous vos yeux soit toujours ardent et qu'il ne s'é-
teigne jamais? Un feu qui brûle sans se dévorer? Rappelez- vous
le buisson ardent que Moïse vit sur le mont Sinaï. Si donc vous
voulez éviter ce feu si redoutable, faites-vous de sa miséricorde
un rempart qui vous défendra contre ses atteintes. Croyez bien
ce que nous vous disons, et vous ne serez pas à même de voir la
lueur de cet horrible incendie ; mais, si vous vous obstinez dans vo-
tre incrédulité , vous n'éviterez pas d'en faire une personnelle ex-
périence. Croyez, et vivez en conséquence; car il ne vous suffirait
pas de le croire; les démons eux-mêmes croient et ils tremblent.
Ils n'en sont pas moins tourmentés dans ces flammes dévorantes.
Vous vous réunissez dans nos églises, n'est-ce que pour y entrer?
Si vous n'en rapportez pas quelque fruit, votre assiduité même ne
servira de rien. Sont-ce les maîtres qui vous manquent? Vous avez
ici et les Prophètes et les Apôtres, et les Patriarches, et tous les
Justes, de qui nous vous proposons la vie pour modèle. Mais qu'ar-
rive-t-il ? Après que vous avez chanté machinalement quelques
psaumes, récité quelque prière sans piété, et comme au hasard,
vous croyez en avoir assez fait pour vous sauver. N'entendez-vous
pas ce que dit le Prophète, ou plutôt le Seigneur lui-même par
la bouche de son Prophète : Ce peuple m'honore des lèvres, mais
son cœur est loin de moi 2 ? Oracle effrayant! voulez- vous y échap-
per? Effacez de votre esprit ces caractères de mort que le démon
y a gravés, ces affections mondaines qui vous assiègent continuel-
lement; apportez ici un cœur libre, dégagé de ces tumultueuses
dissipations, afin que j'y puisse imprimer sans obstacle ce dont je
demande à le pénétrer. Je n'y vois que des caractères de mort ,
imprimés par la main de l'ennemi, l'avarice, les rapines, l'artifice,
l'envie, les jalousies, tous caractères étrangers et confus qui me
sont inconnus, rien de ce que je m'efforce d'y graver par mes
' * Hom., xxv, in Epist. ad Rom. — 9 Is., xxix, 13.
des rnEDicATEuns. 109
exhortations; et quand j'ai pu parvenir à en imprimer de nou-
veaux, par l'Esprit de Dieu , vous allez bientôt après vous re-
mettre à l'école du démon , afin qu'il y retrace les siens. ( Saint
Ghrysostome K )
Péroraisoft.
Ecoutez , ô vous dont le cœur est brûlé par des flammes impu-
res ; écoutez , vous tous qui vivez dans le péché. Toutes les fois
qu'une parole obscène ou déshonnête viendra se présenter sur
vos lèvres , rappelez- vous ce grincement de dents , dont l'Evan-
gile vous menace ; et la pensée de l'Enfer sera un frein qui vous
arrêtera. Montez au Calvaire; voyez tout ce que vous avez coûté
à Jésus-Christ, pour vous arracher à la mort éternelle , et pensez
aux conséquences terribles qu'entraînerait votre ingratitude. Que
la tentation du bien d'autrui vous surprenne : prêtez l'oreille à
cette effroyable sentence du juge: Qu'on lui lie les pieds et les
mains , qu'on le jette dans les ténèbres extérieures 2 ; et votre ava-
rice s'amortira. Vous êtes livré à l'intempérance ; écoutez le mau-
vais riche crier des enfers : Père Abraham, envoyez Lazare, afin
que du bout du doigt il me rafraîchisse la langue qui brûle dans
ces flammes , sans que néanmoins je reçoive cette consolation.
Cette salutaire pensée vous ramènera à la sobriété. Vous recher-
chez les plaisirs et les délicatesses : représentez-vous cette éternité,
ces angoisses : et vous renoncerez à vos sensualités. L'amour de
l'argent ferme vos mains aux supplications du pauvre : entendez
les vierges folles demander vainement qu'on leur ouvre la porte
du festin nuptial , et vous apprendrez à être compatissant et libé-
ral envers les pauvres. Vous êtes engourdi dans les langueurs de
l'oisiveté : rappelez-vous le serviteur châtié pour avoir enfoui son
talent , et une sainte ferveur remplacera votre léthargie accoutu-
mée. Pensez, pensez tous, qui que vous soyez , à ce ver qui ne
meurt point, à ce feu qui ne se consumera jamais; et vous ne trouve-
rez plus, ni le péché invincible, ni les commandemens de Dieu
si difficiles. Eussiez-vous mille morts à souffrir pour éviter l'En-
fer , n'hésitez pas. Point de sacrifice qui doive vous coûter pour
mériter un jour de jouir de la gloire de Jésus - Christ. ( Saint
Chrysostome 3.)
1 Hom. Xi, fa Malth, — a Matth., xxii. — » 5 Hom. xi, in Epist, ad Cor,
HO NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
PLAN ET OBJET DU SECOND DISCOURS
SUR L'ENFER.
EXORDE.
Morluus est autem et dives, et sepuhus est in Inferno.
Or, le riche mourut aussi, et il fut enseveli clans l'Enfer. ( Luc, c. 16.)
C'est le triste sort d'un riche du monde, dontilétait parlé dansl'E-
vangile d'hier, et je ne fais pas difficulté de le reprendre aujourd'hui,
ce même Evangile, pour en tirer un des plus terribles , mais des
plus irnportans sujets que puissent traiter les prédicateurs dans la
chaire de vérité. Il mourut, ce riche, ce mondain, comblé de biens
dans la vie, et comblé même d'honneurs après la mort ; car il est à
croire qu'on lui fit de magnifiques funérailles , qu'on porta son
corps en pompe et en cérémonie, qu'on lui érigea un superbe
mausolée ; et peut-être , tout pécheur qu'il avait été, se Irouva-t-il
encore des orateurs pour faire publiquement son éloge, et pour
lui donner la gloire des plus grandes vertus. Mais le malheur
pour lui, et le souverain malheur, c'est qu'au même temps que
les hommes l'honoraient sur la terre , on lui rendait ailleurs jus-
tice ; et que son ame portée devant le tribunal de Dieu y reçut
l'arrêt de sa condamnation , et fut tout à coup comme ensevelie
dans l'Enfer : affreuse image de ce qui n'arrive que trop commu-
nément aux riches et aux grands du siècle I Mortuus est autem et
clives et sepultus est in Inferno. Que ne puis,-je, chrétiens , en vous
représentant toute l'horreur de cette damnation éternelle, vous
apprendre à la craindre et à l'éviter! Prêcher l'Enfer à la cour,
c'est un devoir du ministère évangélique, et à Dieu ne plaise que,
par une fausse prudence, ou par un lâche assujétissement au goût
dépravé de ses auditeurs, le prédicateur passe une matière si es-
sentielle , et ce point fondamental de notre religion! N'est-ce pas
même à la cour, plus que partout ailleurs, que cette grande ma-
tière doit être traitée , et traitée dans toute sa force , puisque c'est
à la cour qu'on est le plus exposé à la malheureuse destinée du
DES PREDICATEURS. III
mauvais riche ? Je ne viens point vous donner de vaines terreurs ;
je ne prétends rien exagérer, ni rien outrer. Dans la chaire sainte
où je parle, il n'est jamais permis de le faire, et la vérité que je
vous annonce est déjà si terrible par elle-même, qu'il suffit, pour
vous remplir d'une salutaire frayeur, de vous la proposer dans la
simplicité de la foi ; c'est ce que je vais faire dans ce discours, après
que nous aurons salué Marie : Ave, Maria.
C'était une question que Dieu faisait autrefois à Job , si jamais
les portes de laxnortlui avaient été ouvertes, et s'il avait vu ces
prisons ténébreuses où les âmes criminelles doivent éternellement
subir les rigoureux châtimens de sa justice: JSumquid apertœ sunt
tibi portée moiiis et ostia tenebrosa vidisti i ? Peut-être ce saint
homme, 'tout éclairé qu'il était, ne put-il répondre à celte de-
mande ; car l'Ecriture nous apprend que Jésus - Christ seul devait
ouvrir ces portes de l'Enfer et de la mort ; et c'est ainsi qu'il s'en
est déclaré lui-même dans l'Apocalypse, en nous disant qu'il a dans
les mains les clefs de la mort et de l'Enfer: Ego habeo chwesmortiset
7«/è/7i/2.Mais depuis que cet Homme-Dieu nousa apporté ces clefs
mystérieuses, depuis qu'il nousa fait l'ouverture de ces lieux de
ténèbres , et que , par les divins oracles de son Evangile , il nous
a révélé tout ce qui se passe dans la triste demeure des damnés, il
ne tient qu'à nous d'en avoir une connaissance parfaite. Si donc
maintenant Dieu nous demandait à nous-mêmes : Numquid aper-
tœ sunt tibi portœ mortis , et ostia tenebrosa vidisti? Avez-vous
vu cet abîme où je tiens les impies enfermés, pour exercer sur eux
toutes mes vengeances ? nous serions inexcusables de ne pas lui
répondre : Oui, Seigneur, je l'ai vu; je l'ai considéré, j'en ai fait
le sujet de mes plus sérieuses réflexions , et j'en ai tiré toutes les
lumières qui peuvent servir à la conduite de ma vie. C'est ce que
je veux encore aujourd'hui, chrétiens, vous remettre sous les yeux
pour l'édification de vos âmes ; je veux vous faire voir ce que c'est
que l'Enfer, en quoi consistent les tourmens de l'Enfer, quels sont
les propriétés essentielles des tourmens de l'Enfer; et parce que
ce sujet est infini, je me borne à la pensée du Pape Innocent llf
dans son excellent Traité du mépris du monde , où il nous dit que
les réprouvés souffrent en trois manières différentes ; savoir : par
le souvenir du passé, par la douleur du présent , et par le déses-
poir d'obtenir jamais grâce dans l'avenir: His vermis tripliciter lace-
ans affliget memoria, torquebit angustia, sœva turbabit pœnitentia.
* Job., 33. — 2 Apoc, 1.
II2 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUB
Le souvenir du passé les déchire , la douleur du présent les acca-
ble , la vue de l'avenir les désespère. En trois mots , voilà le par-
tage de ce discours: état malheureux du réprouvé que le passé dé-
chire par les plus mortels regrets, que le présent accable par la
cruelle douleur, que l'avenir désole par le plus affreux déses-
poir; est-il un sujet plus digne de votre attention ? ( Bourdaloue ,'
Sur r Enfer.)
Le souvenir du passé déchire le pécheur en Enfer.
C'est le souvenir du passé qui doit faire la première peine des
âmes réprouvées : souvenir qui les tourmentera vivement, qui les
tourmentera éternellement, qui les tourmentera sans interruption
et sans relâche, qui les tourmentera sans partage et sans division,
qui les tourmentera en toutes les manières qu'un Dieu, aidé de
sa toute-puissance, est capable de lui suggérer; mais ce qu'il y a
de plus déplorable, qui n'aura point d'autre effet , en les tourmen-
tant , que de les faire souffrir et de les tourmenter. Voilà , chrétiens,
la première idée que je conçois de l'état d'une ame dans l'Enfer, et
de sa réprobation. Fili, recordare quia recepùsli bona in vita tua * :
Souvenez-vous, mon fils, dit Abraham au riche malheureux, que
vous avez eu les biens de la vie ; mais souvenez-vous en même
temps de l'abus que vous en avez fait. Deux vues , reprend saint
Chrysostôme, bien affligeantes pour un damné. La vue des biens
dont il aura fait un si criminel usage, et la vue des maux qu'il aura
commis. L'une et l'autre, suivant le dessein de Jésus-Christ, éga-
lement nécessaires pour arrêter les emportemens de nos passions,
et pour nous affermir dans les voies de la sagesse chrétienne.
Première vue qui tourmentera le réprouvé : les biens de la terre
qu'il possédait , et dont il faisait le prétendu bonheur de sa vie ,
mais qui, par le plus triste changement, feront son supplice et lui
causeront les plus mortels regrets; ce ne sera pas de les avoir perdus;
car, quelque attachement qu'il y ait eu, il ne sera pas en état d'en être
touché, et n'en connaîtra que trop la vanité et le néant, mais de les
avoir aimés préférablement à son salut éternel, mais de s'en être servi
contre Dieu, mais de les avoir employés à se perdre soi-même. Ah !
dira ce riche, déchiré du plus cruel et du plus vif repentir, car c'est
ainsi que le Saint-Esprit fait parler les réprouvés dans l'Ecriture :
Si j'avais ménagé selon Dieu ces biens de la fortune; si, confor-
* Luc, 16.
DES PRÉDICATEURS. Il3
jncment aux lois du Christianisme et aux obligations de mon état,
j'en avais assisté les pauvres ; si, par un zèle de religion et de cha-
rité, je les avais partagés entre Jésus-Christ et moi; si, les regar-
dant comme des talens dont je n'avais que la simple administra-
tion, je les avais fait profiter, en les appliquant aux œuvres de
miséricorde et de piété; si, comme un dispensateur fidèle, j'en
avais rapporté le fruit au service et à la gloire du maître de qui
je les tenais, et qui me les avait confiés; cesbie-ns, dont la mort
m'a dépouillé, seraient maintenant pour moi un trésor de mérites
et un fonds de bonheur pour l'éternité. Les hommes m'en loue-
raient sur la terre, et Dieu m'en récompenserait dans le ciel. Mais
parce qu'un désir insatiable damasser et d'avoir me les a fait re-
tenir impitoyablement malgré les misères de tant de pauvres, à qui
je n'en ai point fait part; mais parce qu'un luxe immodéré, et sans
autre règle que l'esprit du monde, me les a fait prodiguer en des
dépenses vaines et superflues; mais parce qu'un assujétissement
honteux à mes sens me les a fait consumer en des excès et en des
intempérances criminelles; mais parce qu'une détestable ambition
de me pousser et de m'élever, ou une passion aveugle d'enrichir des
enfans et des héritiers qui sont aujourd'hui des libertins , et peut-
être des ingrats , me les a fait rechercher contre toutes les lois de
la justice et aux dépens de ma conscience, il faut que ces mêmes
biens, où je mettais toute mon espérance et toute ma félicité,
deviennent mes propres bourreaux.
Pensée d'autant plus désolante, que, faisant ensuite la plus
triste comparaison, il se retracera l'idée de ce souverain bien qu'il
aura perdu, et pourquoi? pour des biens périssables et passagers.
Cette conviction sensible qui lui restera, et qui lui sera toujours
présente, qu'il a perdu son vrai bien, son unique bien, pour de
faux biens, et même de faux biens dans l'estime des hommes, pour
un vain intérêt qui l'a aveuglé , pour un honneur chimérique et
imaginaire dont il s'est entêté, pour un plaisir sensuel et brutal à
quoi il s'est abandonné; le dépit mortel qu'il en concevra contre
lui-même, et qui lui fera dire avec bien plus de sujet qu'au fils
de Saùl : Gustans gustavi paululum mellis , et ecce morior *; pour
quelques douceurs que j'ai goûtées, quelques plaisirs que ma rai-
son me disputait , et dont ma conscience m'a presque ôté, par ses
reproches , tout le sentiment, je me vois condamné à boire le ca-
lice de la colère de Dieu, ce calice de fiel et d'amertume, ce calice
* I, Reg. 14.
T. ITI. 8
I i4 - NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
qu'il a détrempé dans sa fureur, et qu'il réserve à ses ennemis :
tout cela, encore une fois, fera connaître dans son ame ce ver
intérieur qui le rongera : Recordare , quia recepisti bona in vita
tua. Ainsi nous nous servons dans la vie des biens de Dieu contre
Dieu; et Dieu, à son tour, s'en servira contre nous; et, comme
nous en faisons les instrumens de notre malice pour l'offenser, il
en fera , dit saint Grégoire , les instrumens de sa justice pour nous
punir. Et cela, comment ? toujours par la pensée et le souvenir :
Recordare.
Mais si l'abus des dons naturels et des biens de la terre doit faire
dans l'ame du pécheur une impression si violente, que sera-ce
de l'abus des grâces et des dons surnaturels, qui, pesé au poids
du sanctuaire de Dieu et par rapport à la damnation, aura des
conséquences encore bien plus funestes ? Car , qui peut dire quelle
sera la désolation d'un réprouvé, lorsqu'il se représentera à lui-
même (or, il se le représentera toujours) combien de secours
combien de moyens de salut il se sera rendus inutiles , combien
de lumières il aura étouffées , combien d'inspirations il aura reje-
tées, combien de sacremens il aura négligés ou profanés; à com-
bien d'instructions, à combien de remontrances il sera endurci; à
combien d'exemples il aura été insensible, soit par une force
d'esprit prétendue, dont il se piquait dans son impiété, soit par
une lâcheté et une délicatesse qu'il ne s'est jamais efforcé de vain-
cre? Ah ! si j'avais seulement été fidèle à une partie de ces grâces
dont Dieu me prévenait; si j'avais, pour suivre la voix qui m'ap-
pelait, et qui m'appelait si souvent, qui m'appelait si fortement,
renoncé à l'esclavage du monde et de la chair, je me serais sanc-
tifié, j'aurais part à l'héritage des enfans de Dieu , je posséderais
avec eux le même royaume : mais parce que je les ai reçues en
vain, ces grâces si précieuses, parce que je les ai reçues avec in-
différence et sans aucun retour, parce que je les ai méprisées,
parce que je les ai même combattues, et que par mon obstination
elles ne m'ont pas attiré ni converti à Dieu , elles s'élèvent contre
moi pour me persécuter et pour venger Dieu. Au lieu de ces saintes
tristesses, au lieu de ces saints remords, au lieu de ces contritions
salutaires et vivifiantes qu'elles devaient exciter dans mon cœur,
elles me causent à présent des remords, mais des remords qui me
déchirent; elles me causent des tristesses, mais des tristesses qui
m'accablent; elles me causent des repentirs, mais des repentirs
qui me percent, qui me transportent, qui vont jusqu'à la fureur,
jusqu'à la rage : Piecordare*
;
DES PREDICATEURS. IIJ
Or, puisque Dieu fera servir jusqu'à ces grâces pour tourmenter
le pécheur, jugez de là ce qu'il aura à souffrir, ce pécheur ré-
prouvé , du souvenir et de la vue de ses crimes , dont la propriété
la plus naturelle est de devenir le supplice de ceux mêmes qui
les ont commis. Non, non, dit saint Ghrysostôme, il ne faudra
point de démons , point de spectres pour faire de l'Enfer un
lieu de tourmens. Ce que chacun y apportera de crimes, voilà
les démons auxquels il sera livré. Ces impuretés abomina-
bles, ces injustices énormes, ces profanations des choses sain-
tes, ces mépris déclarés de Dieu, ces haines invétérées contre
le prochain , ces perfidies et ces trahisons , ces artifices de l'hypo-
crisie, ces scandales de l'athéisme, ces emportemens de la ven-
geance, ces raffinemens de la médisance, ces noires impostures
de la calomnie, tant d'autres iniquités dont je ne puis faire le dé-
nombrement, ce sont là les monstres qui investiront le réprouvé
qui l'assiégeront , qui le saisiront des plus vives frayeurs.
Et il n'est pas absolument nécessaire d'être chrétien pour être
persuadé de ce que je dis, puisque les païens eux-mêmes l'ont re-
connu , et qu'ils en ont fait la matière de leurs fables. Or, ce que
nous appelons leurs fables, comme remarque fort bien saint Au-
gustin , n'était au fond rien autre chose que les mystères les plus
sublimes de leur théologie, et les principes les mieux établis de
leur morale. Ils ne les proposaient aux peuples que sous des fic-
tions ; mais ces fictions renfermaient la même vérité que la foi nous
enseigne; et, malgré le libertinage des athées qui vivent aujour-
d'hui parmi nous , ces infidèles du paganisme nous rendent un
témoignage tout conforme à celui des Prophètes et des Apôtres,
savoir : qu'il y a un Enfer, et qu'une des grandes peines de l'Enfer
sera d'avoir péché et de s'être souillé de crimes danslavie:iteco/Y/a/'£.
Mais ces rimes ne seront plus , il est vrai , reprend saint
Bernard, ils ne [seront plus dans la réalité de leur être, mais ils
seront encore dans la pensée et dans le souvenir. Or, c'est
par le souvenir et par la pensée qu'ils feront souffrir une
ame réprouvée de Dieu : Transierunt a manu, sed non tran-
sierunt à mente. Ils ne seront plus, ajoute ce Père, mais ils
auront été, et il ne sera plus au pouvoir ni du pécheur ni de
Dieu même, qu'ils n'aient pas été. Or, ils ne tourmentent ni
dans l'Enfer ni sur la terre, que parce qu'ils ont été; et de là vient
qu'ils tourmentent lors même qu'ils ne sont plus, ou plutôt qu'ils
ne commencent à tourmenter que quand ils ne sont plus. Et parce
que n'être plus et avoir été sont les deux termes infinis qui égale-
8.
ltQ NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
ront l'éternité de Dieu, et qui subsisteront dans leur manière de
subsister autant que Dieu sera Dieu, ces crimes, qui ont été et
qui ne seront plus, auront, s'il m'est permis de parler ainsi, une
activité éternelle dans l'Enfer pour tourmenter le réprouvé. Ils ne
l'ont contenté qu'un moment pendant qu'il les commettait, et ils
le tourmenteront éternellement quand il ne les commettra plus :
Pourquoi? belle raison de saint Augustin; parce que chaque cbose,
dit-il, agit selon l'étendue de sa durée. Or, le présent qui fait le
plaisir du pécheur, combien est-il présent? un instant, et rien da-
vantage ; et voilà pourquoi le pécheur l'a si peu goûté ; au lieu
que le passé qui le tourmentera sera toujours passé, et que, comme
passé , n'ayant point de fin, il faudra, par une nécessité indispen-
sable, qu'il se fasse toujours sentir : In œternum ergo necessc est
cruciet, conclut admirablement saint Bernard , quod in œternum
te fecisse memineris. Voyez , poursuit il , ce qui arrive tous les
jours à une ame innocente, lorsque, par une fragilité malheu-
reuse , elle vient à oublier Dieu et à s'oublier elle-même. Cette
femme avait de l'honneur, elle avait aimé jusque-là son devoir;
mais enfin une poursuite opiniâtre l'a fait succomber : quel
repentir, quelle douleur, quelle confusion de sa lâcheté, quelle
horreur de son crime ! Elle voudrait le pouvoir racheter aux
dépens de mille vies; et si la chose était encore au point
d'en délibérer, il n'y aurait point de mort qu'elle n'acceptât plu-
tôt que de donner un si criminel et un si honteux consentement ;
mais il n'y a plus de retour, et toujours il sera vrai qu'elle s'est
abandonnée à l'infamie e\, à l'opprobre du péché. Voilà ce qui
produit et ce qui entretient ce fonds d'amertume qu'elle porte
quelquefois jusqu'au tombeau. Voyez ce qui arrive à un homme
emporté, lorsque, dans l'ardeur de sa passion, il commet une ac-
tion noire, un homicide, un assassinat; à peine a-t-il fait le coup,
que son esprit se trouble, que ses sens s'égarent, qu'il n'a plus de
paix, presque plus de raison. Que ne ferait-il pas, que ne donne-
rait-il pas, que ne serait-il pas prêt à endurer pour être encore à
commettre ce qu'il a commis , et ce qu'il n'est plus en état de ré-
parer? Or, ce n'est là qu'une figure, qu'une ombre de l'Enfer,*
parce que d'avoir péché sera quelque chose d'éternel, il faudra,
par une dure mais juste loi , que le tourment le soit aussi, et que
l'ame soit malheureuse pour jamais, parce qu'elle ne cessera ja-
mais de se souvenir qu'elle a été un moment coupable : Nam etsi
facere in temporefuit , sed fecisse in œternum manet. Qui serait
DES PRÉDICATEURS. 1*7
bien pénétré de celte pensée, de quel œil envisagerait-il le péché,
et qu'épargnerait-il pour s'en préserver?
Ajoutez que les crimes de la vie et tant de désordres se présen-
teront tous à la fois aux yeux du réprouvé, et tous à la fois le
tourmenteront. Il ne les a commis que par intervalles et par suc-
cession, aujourd'hui l'un, demain l'autre; s'il y a donc senti quel-
que douceur, ce n'a été que par parties; mais, dans son tourment,
il n'y aura ni succession ni partage; Dieu le ramassera tout en-
tier dans chaque instant; et ses crimes qui, considérés comme
présens, se trouvent dispersés dans une longue suite de jours, de
mois, d'années, se réuniront tous dans le passé, parce qu'il sera
vrai en même temps de dire qu'ils sont tous passés. Ainsi tous,
par une vertu indivisible, ils concourront à l'effet malheureux
de la damnation : or imaginez-vous ce qu'ils seront tous ensemble,
puisqu'un seul suffirait pour former l'Enfer? Ah! chrétiens, ne
vous rebutez pas de la supposition que je vais faire; peut-être bles-
sera-t-elle la délicatesse de vos esprits ; mais plût à Dieu que par
là même elle pût vous inspirer une sainte horreur de la corrup-
tion de vos cœurs ! Si l'on venait à remuer une eau bourbeuse et
dormante, et qu'exposant devant vous toutes les immondices
qu'elle renferme on vous forçât à en soutenir toujours la vue,
ce serait pour vous , non pas un spectacle , mais un supplice ,
mais un martyre aussi rigoureux qu'humiliant. Or, telle, et bien
plus insoutenable encore, est la peine que Dieu réserve, dans
l'Enfer, à une ame, par exemple, sensuelle et impudique. Il lui
fera voir du même coup d'oeil tout ce qu'il y a eu dans elle, par
la concupiscence de la chair, de plus sale et de plus infect. Consen-
temens secrets, désirs criminels, espérances conçues, occasions
cherchées, commerces scandaleux, entretiens lascifs, libertés, re-
gards, dissolutions, mollesses, il lui rendra tout cela présent; et,
la fixant à cet objet dont rien ne pourra plus la détourner: Re-
garde , lui dira-t-il à chaque moment de l'éternité , voilà les suites
de ton incontinence, voilà ce qu'a produit ton cœur.
Que concevez-vous de plus intolérable que ce monstrueux amas
d'impuretés ? Jugez-en par ce que nous éprouvons dans ces revues
plus générales et plus exactes de nos consciences. Quelle honte
quand tout à coup cette innombrable multitude de péchés se dé-
veloppe devant nos yeux ! Mais si cette honte , toute surnaturelle
et toute divine qu'elle est; si cette honte, lors même qu'elle est
l'effet de la grâce , lors même qu'elle est le principe de notre ré-
conciliation avec Dieu, nous tient lieu néanmoins de peine, et
II 8 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
d'une peine que nous cherchons tous à éviter, que sera-ce de la
honte des réprouvés et du sentiment qu'ils en auront? Ah! Sei-
gneur, s'écriait David, dans la ferveur de sa pénitence, je ne puis
plus vivre, et je suis hors de moi-même , quand je considère mes ini-
quités, et que je les vois multipliées à l'infini ; j'en suis ému jusque
dans la moelle de mes os : ISon est pax ossibus meis a f acte pecca-
torum meorum l. C'était un roi, chrétiens, et un roi dans la pros-
périté, un roi élevé au plus haut degré de la félicité humaine} ce-
pendant il était troublé, il était saisi, il était consterné à la vue de
cette affreuse scène qui lui retraçait ses égaremens et ses désor-
dres. Concluez donc quel sera l'état dune ame qui, enlevée de la
terre, et d'ailleurs bannie du séjour de sa béatitude céleste, se
trouvera comme toute recueillie dans le souvenir de son péché ;
aura incessamment cette pensée : J'ai péché ; se dira incessamment
à elle-même: J'ai péché, et y pensera, et se le dira , sans jamais le
pouvoir détruire, ce péché qu'elle haïra, qu'elle abhorrera comme
la source irrémédiable de son malheur! (Bourdaloue.)
Le présent accable le pécheur dans l'Enfer par la plus cruelle douleur.
Un des souhaits de saint Bernard , et ce qu'il demandait avec
plus d'ardeur expliquait ces paroles du Prophète : Descendant in
Infernum viventes 2, c'était que les pécheurs descendissent en es-
prit et par la pensée dans l'Enfer ; ne doutant pas que la vue de
cet affreux séjour et des tourmens qu'on y endure ne dût faire la
plus vive impression sur leurs cœurs, et convaincu qu'il n'y avait
point de moyen plus assuré pour ne pas tomber, après la mort,
dans ce lieu de misères , que d'y descendre souvent par la réflexion
pendant la vie: Descendant in Infernum viv entes ^ ne descendant
morientes. Mais pour l'entier accomplissement du souhait de saint
Bernard, il faudrait, chrétiens, que nous y pussions descendre
avec les mêmes connaissances, et, s'il était possible, avec la
même expérience que les damnés , afin d'en pouvoir juger comme
eux, et d'en tirer en même temps des conséquences qui leur sont
désormais inutiles, mais qui nous peuvent être encore si salutai-
res. Car de descendre en esprit dans l'Enfer avec des lumières
aussi faibles que les nôtres, avec une imagination aussi dissipée
que la nôtre, surtout avec une insensibilité pour les choses de
Dieu aussi prodigieuse que la nôtre, c'est presque faire sans fruit
ce que saint Bernard se proposait comme un des remèdes les plus
1 Ps. 57.
DES PRÉDICATEURS. IIO,
efficaces pour nous ramener de nos égaremens et nous corriger de
nos désordres. Ah ! dit saint Augustin , qui pourrait maintenant
comprendre ce que comprend un damné? qui pourrait avoir, dans
une profonde méditation , les mêmes idées qu'il a de son état pré-
sent au milieu des flammes ? Tâchons de les avoir, chrétiens ; et
puisque ce n'est pas encore assez pour nous de descendre spirituel-
lement dans l'Enfer, entrons dans les sentimens d'une ame réprou-
vée; substituons ses lumières aux nôtres, et reconnaissons com-
bien c'est une chose terrible que de tomber entre les mains du
Dieu vivant: Horrendum est incidere in manus Dei viventis *. Que
fait-elle, cette ame malheureuse , ou en quel état est'dle ? Elle se
voit séparée de Dieu , elle se voit au milieu d'un feu dont elle est
la triste victime. Double peine : l'une et l'autre parfaitement re-
présentées par Jésus-Christ dans le riche de l'Evangile.
Elle se voit séparée de Dieu ; voilà l'essentiel et comme le fond
de sa réprobation. Elevans aute/n oculos suosquum esset in tormen-
tiS) vidit Abraham a longe, et Lazarum in sinu ejus 2 : Ce riche, dit
le Sauveur du monde , du lieu de son tourment levant les yeux ,
aperçut de loin Abraham, et Lazare dans son sein. Il le voyait, ce
saint patriarche, dans un éloignement infini : a longe • et c'est ce
qui le désolait. Il s'en voyait séparé par un chaos, c'est-à-dire, par
une vaste distance; tellement qu'entre Abraham et lui il ne pou-
vait plus y avoir nulle communication. Magnum chaos inter vos
et nos firmatum est^j et c'est ce qui le désespérait. Or, s'il se voyait
si loin d'Abraham, il se voyait encore, dit saint Ambroise, bien plus
éloigné de Dieu : Si Abraham a longe, quantolongius a Deo; et cette
séparation de Dieu était bien encore un autre supplice pour lui.
Car, qu'est-ce que d'être séparé de Dieu? Ah! chrétiens, quelle
parole! la comprenez-vous? Séparé de Dieu! c'est-à-dire, privé
absolument de Dieu! Séparé de Dieu! c'est-à-dire, condamné
à n'avoir plus de Dieu, si ce n'est un Dieu ennemi, un Dieu
vengeur! Séparé de Dieu! c'est-à-dire, déchu de tout droit à
l'éternelle possession du premier de tous les êtres du plus ex-
cellent de tous les êtres , du souverain Etre qui est Dieu !
Peine, dit saint Bernard, qui ne se peut mesurer que par l'in-
finité de Dieu, puisque cette peine est la privation de Dieu
même , et par conséquent qu'elle est grande à proportion que
Dieu est grand : Hœc enim tanta pœna, quantus Me. Ainsi, comme
Dieu disait à un juste, dans l'Ecriture : Ero mer ces tua magna ni-
1 Hebr., 10. — 2 Luc, 16. — s Ibid., 16.
120 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
mis l : C'est moi-même qui serai ta récompense; et je la serai en
me donnant à toi, parce que je n'ai rien de plus grand ni de meil-
leur à te donner que moi-même. Il pourra dire à un réprouvé :
C'est moi qui serai ton supplice; et je le serai en t'éloignant de
moi, car je n'ai rien, dans les trésors de ma colère, de plus for-
midable que cet éloignement et cette entière réparation de moi-
même. En effet, chrétiens, ces trois pensées que le réprouvé aura
toujours présentes : Dieu n'est plus à moi, et je ne suis plus à lui;
Dieu n'est plus dans moi , ni avec moi, et je ne suis plus dans lui ,
ni avec lui: ces trois affligeantes pensées ne seront-elles pas capa-
bles de faire son enfer; or, c'est ce qui se vérifiera, ce qui s'accom-
plira dans autant de créatures que Dieu en réprouvera. Du moment
que Dieu prononcera à une ame ce redoutable arrêt : Retirez-vous,
il se dépouillera, pour ainsi dire , de tous ses droits sur elle, hors
ceux que la nécessité de son domaine ne lui permettra pas d'alié-
ner ; et cette ame, si je puis encore parler delà sorte, perdra elle-
même tous ses droits sur Dieu. Ame, non seulement indigne de
le posséder, mais indigne même de lui appartenir. Dieu la répudie-
ra ; souffrez cette expression, et elle répudiera Dieu; et, dans ce
divorce mutuel , elle trouvera la consommation de son malheur.
Dès cette vie, ce terrible mystère de la perte d'un Dieu commence
déjà dans la personne des pécheurs; Dieu et lame par le péché se
séparent, et se séparent jusqu'à se renoncer l'un l'autre: Vocano-
menejus non populus meus - : Prophète, disait Dieu, n'appelle plus ce
peuple mon peuple : il a cessé de l'être, et la qualité que tu dois
désormais lui donner, c'est qu'il ne l'est plus : Voca nomen ejusuoii
populus meus. Voilà son nom et le caractère qu'il portera j car,
dès qu'il m'a oublié pour suivre des dieux étrangers, il m'a
renoncé.
Et ce langage est si ordinaire à Dieu dans les saints livres que,
quand les Israélites, par une monstrueuse idolâtrie, eurent sacri-
fié au veau d'or dans le désert, Dieu, ému de colère et irrité contre
eux, n'en parla plus à Moïse que dans ces termes: Vade , des-
cende ^peccavit populus tuus l : Va, Moïse, descends de la monta-
gne, et tu verras le crime que ton peuple a commis. Prenez garde,
chrétiens, Dieu les appelle le peuple de Moïse, et non le sien;
comme si ce peuple n'eût plus été à lui , ni lui à eux , depuis qu'ils
étaient tombés dans l'infidélité. Mais ces paroles , dit saint Chry-
sostôme, qui ne sont, pour ainsi dire, que comminatoires dans
1 Exod. 19.
DES PRÉDICATEURS. 121
cette vie, et qui tout au plus n'ont qu'une partie de leur effet,
puisqu'elles n'ôtent pas à une ame l'espérance ni les moyens de
réparer la perte quelle a faite, s'accompliront entièrement et à
la lettre dans un réprouvé. Plus d'alliance entre Dieu et lui; plus
d'union : comme si Dieu lui disait : Ton libertinage t'a fait sou-
haiter de n'avoir point de Dieu , tu n'en auras jamais : tu n'as pas
voulu connaître ton Dieu , tu ne le verras et ne le connaîtras ja-
mais : tu ne t'es pas mis en peine de chercher Dieu quand tu le
pouvais trouver; tu le chercheras, et tu ne le trouveras jamais;
et ce qui faisait ton impiété, c'est ce qui fera désormais ta peine :
quand Dieu voulait être à toi, tu lui as dit insolemment que tu ne
voulais point être à lui ; maintenant que tu voudrais être à lui, il
te déclare pour jamais qu'il ne veut plus être à toi. Or, lequel des
deux est le plus désolant pour une ame, ou que Dieu ne soit plus
à elle, ou qu'elle ne soit plus à Dieu ?
Mais je me trompe, chrétiens; toute réprouvée qu'elle est, elle
sera encore à Dieu, et Dieu à elle. Dieu lui sera encore insépara-
blement uni , et elle à Dieu ; mais c'est cela même qui doit faire
son malheur. Si elle pouvait être tout-à-fait privée, tout-à-fait
séparée de Dieu, elle ne serait malheureuse qu'à demi. Le comble
de sa misère sera d'en être privée d'une façon, et de ne l'être pas
de l'autre ; d'en être séparée d'une façon, et inséparable de l'autre :
privée de Dieu en tant que Dieu était l'objet de sa félicité, et pé-
nétrée de Dieu en tant que Dieu sera le juge éternel de ses plus
violens transports ; c'est ce qui la consternera. Dieu la renoncera
en qualité de père, en qualité d'époux, en qualité de protecteur,
en qualité de dernière fin ; c est-à-dire, dans toutes les qualités qui
le rendent doux, bienfaisant et aimable : et il s'attachera à elle en
qualité de juge, en qualité d'ennemi, en qualité de vengeur, en
qualité de persécuteur ; c'est-à-dire, selon toutes les qualités qui
le rendent, tout Dieu qu'il est, non seulement sévère et redouta-
ble, mais dur et impitoyable. De là donc cette ame sera double-
ment malheureuse : malheureuse d'avoir encore un Dieu , et mal-
heureuse de n'en avoir plus; d'avoir encore un Dieu conjuré,
déclaré, armé contre elle, et de n'avoir plus de Dieu favorable,
propice et miséricordieux pour elle; d'avoir encore un Dieu pour
exciter sa haine et ses plus mortelles aversions, et de n'en avoir
plus pour contenter ses désirs et ses plus ardentes inclinations.
Car ce sera son grand supplice de sentir éternellement que Dieu
l'avait créée pour lui-même, et qu'elle ne pouvait être heureuse
qu'en lui et par lui , et de ne recevoir éternellement de Dieu que
122 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
des rebuts et des mépris, de ne trouver éternellement, entre Dieu
et elle, qu'une insurmontable opposition. Elle estimera Dieu mal-
gré elle, et elle aura une inclination naturelle pour lui, et cepen-
dant elle le haïra : elle l'estimera tel qu'elle ne le possédera jamais,
et elle le haïra tel qu'elle l'aura toujours présent. Or, ce conflit
d'estime et de haine , de désir et d'aversion , d'éloignement et de
poursuite à l'égard du même objet, c'est , chrétiens, ce que nous
appelons l'Enfer. (Le même.)
L'image toujours présente du bonheur dont le pécheur est déchu fait son tourment
dans l'Enfer.
Oui, mes frères, Dieu ouvrira pendant toute l'éternité le sein
de sa gloire ; il dépliera les cieux devant ces millions de réprouvés
que sa vengeance aura précipités dans l'abîme ; et là il exposera
sans cesse à chaque damné l'objet le plus propre à nourrir sa fu-
reur et à augmenter ses peines.
Du fond de ce gouffre, vous lèverez peut-être les yeux comme
le réprouvé de notre Evangile, vous qui m'écoutez , et, durant
toute la durée des siècles , vous verrez dans le sein d'Abraham
ce père sage et pieux dont la foi et la piété vous avaient toujours
paru une simplicité d'esprit et une faiblesse de l'âge : vous ra-
pellerez les dernières instructions dont il tâcha de redresser vos
mauvais penchans au lit de la mort , les marques de tendresse
qu'il vous donna, les vœux mourans qu'il fit pour la conduite de
votre vie , en ce dernier moment où sa religion et son amour pour
vous semblaient se ranimer ; et vos dissolutions, vos biens depuis
dissipés , vos affaires ruinées , votre malheur présent , ne s'offri-
ront à vous qu'avec ses remontrances paternelles et les exem-
ples de piété qu'il vous avait donnés.
Vous lèverez encore les yeux , vous , qui, dans un état de veu-
vage et de désolation , vivez dans les délices et êtes morte devant
Dieu ; et du milieu des flammes , vous verrez éternellement dans
le séjour de la gloire cet époux avec qui vous ne formiez autre-
fois qu'un même cœur et qu'une même ame, sur les cendres du-
quel vous répandîtes tant de larmes, et qui, touché de votre fidéli-
té, vous laissa dépositaire de ses biens et de ses enfans comme de
sa tendresse , et cet objet autrefois si cher vous reprochera sans
cesse les infidélités que vous avez depuis faites à sa mémoire , la
honte de votre conduite, les biens qu'il vous avait laissés, pour
consoler votre affliction, employés à le déshonorer, et ses enfans
DES PRÉDICATEURS. 123
mêmes , les gages précieux de son souvenir et de sa tendresse, né-
gligés et sacrifiés à des amours injustes.
Oui , mes frères , du milieu des flammes , ces enfans de colère
verront dans le sein d'Abraham , pendant tous les siècles , leurs
frères, leurs amis, leurs proches, avec qui ils avaient vécu , jouir de
la gloire des saints , heureux par la possession du Dieu même
qu'ils avaient servi. Ce spectacle tout seul sera la plus désespérante
de leurs peines ; ils sentiront qu'ils étaient nés pour le même bon-
heur ; que leur cœur était fait pour jouir du même Dieu : car la
présence d'un bien auquel on n'a jamais eu de droit, ou qu'on n'aime
plus, touche moins des malheureux qui en sont privés ; mais ici un
mouvement plus rapide que celui d'un trait décoché par une main
puissante portera leur cœur vers le Dieu pour qui seul il était
créé ; et une main invisible le poussera loin de lui : ils se senti-
ront éternellement déchirés , et par les efforts violens que tout
leur être fera pour se réunir à leur Créateur, à leur fin , au cen-
tre de tous leurs désirs ; et par les chaînes de la justice divine, qui
les en arrachera, et qui les liera aux flammes éternelles.
Le Dieu de gloire même, pour augmenter leur désespoir, se
montrera à eux plus grand, plus magnifique, s'il était possible,
qu'il ne paraît à ses élus. Il étalera à leurs yeux toute sa majesté,
pour réveiller dans leur cœur tous les mouvemens les plus vifs
d'un amour inséparable de leur être ; et sa clémence, sa bonté , sa
munificence, les tourmentera plus cruellement, que sa fureur et
sa justice. Nous ne sentons pas ici-bas , mes frères, la violence de
l'amour naturel que notre ame a pour son Dieu ,• parce que les
faux biens qui nous environnent, et que nous prenons pour le
bien véritable, ou l'occupent, ou la partagent; mais l'ame une
fois séparée du corps , ah ! tous ces fantômes qui l'abusaient , s'é-
vanouiront; elle ne pourra plus aimer que son Dieu, parce qu'elle ne
connaîtra plus que lui d'aimable; tous ses penchans , toutes ses
lumières, tous ses désirs , tous ses mouvemens, tout son être se
réunira dans ce seul amour ; tout l'emportera , tout la précipitera,
si je l'ose dire, dans le sein de son Dieu, et le poids de son ini-
quité la fera sans cesse retomber sur elle même ; éternellement
forcée de prendre l'essor vers le ciel , éternellement repoussée
vers l'abîme ; et plus malheureuse de ne pouvoir cesser d'aimer ,
que de sentir les effets terribles de la justice et de la vengeance de
ce qu'elle aime.
Quelle affreuse destinée ! le sein de la gloire sera toujours ou-
vert aux yeux de ces infortunés : sans cesse ils se diront à eux-
1^4 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
mêmes : Voilà le royaumequi nous était préparé ; voilà le sort qui
nous attendait; voilà les promesses qui nous étaient faites ; voilà
le Seigneur seul aimable, seul puissant , seul misércordieux, seul
immortel , pour qui nous étions créés ; nous y avons renoncé pour
un songe , pour des plaisirs qui n'ont duré qu'un instant. Eh !
quand nous n'aurions rien à souffrir dans ce séjour d'horreur et
de désespoir, cette perte toute seule pourrait-elle être assez pleu-
rée i} Première circonstance que nous rapporte Jésus - Christ des
tourmens du riche réprouvé ; il est malheureux par l'image tou-
jours présente de la félicité qu'il a perdue.
Mais il est encore malheureux par le souvenir des biens qu'il
avait reçus pendant sa vie ; seconde circonstance de son supplice.
Mon fils, lui dit Abraham, souvenez-vous des biens que vous
avez reçus pendant votre vie : Fili recordare quia recepisti bona
in vita tua. Or, quelle foule de pensées désespérantes Abraham ne
reveille-t-il pas dans son esprit avec ce souvenir! l'avantage d'être
descendu d'un peuple saint et d'une race bénie , méprisé ; les pro-
messes faites à la postérité d'Abraham, inutiles pour lui ; le temple,
1 autel, les sacrifices , la Loi, les instructions des Prophètes , les
exemples des justes de la Synagogue , tout cela sans fruit pour son
salut ; les biens même temporels dont il aurait pu se servir pour
acheter une couronne immortelle , employés à flatter un corps
destiné à brûler éternellement : Recordare quia recepisti bona in
vita tua. Ainsi l'ame réprouvée entendra pendant toute l'éternité au
milieu de ses tourmens cette voix amère: « Souvenez-vous des biens
que vous avez reçus pendant votre vie. » Rappelez ces jours passés
dans l'abondance; cette foule d'esclaves attentifs à prévenir même
vos souhaits ; les distinctions publiques qui vous avaient fait pas-
ser des momens si doux et si agréables ; ces talens éclatans qui
vous avaient attiré l'estime et l'admiration des peuples, recordare'^
souvenez-vous-en. Quel supplice alors pour cette ame, que le pa-
rallèle de ce qu'elle avait été avec ce qu'elle est ! Plus l'image de
sa félicité passée sera agréable, plus affreuse sera l'amertume de sa
condition présente; car telleest la destinée de l'adversité, de nous
grossir et de nous mettre sans cesse sous les yeux les plaisirs de
notre première situation , et les malheurs attachés à notre condi-
tion présente.
Ce n'est pas assez; on lui rappellera encore tous les biens de la
grâce dont elle a abusé : Recordare quia recepisti bona. Souvenez-
vous que vous étiez enfant des saints, et né au milieu d'un peuple
fidèle : vous aviez reçu tous les secours d'une éducation chrétienne:
DES PRÉDICATEURS. 1^5
je vous avais donné en partage une ame bonne, un cœur défendu
par d'heureuses inclinations : tous vos momens presque avaient
été marqués ou par quelque inspiration secrète, ou par quelque
événement public, qui vous rappelait aux voies du salut; je vous
avais fait naître dans des circonstances si favorables à la piété : je
vous avais environné de tant d'obstacles contre vos passions,
de tant de facilités pour la vertu , qu'il vous en a plus coûté
pour vous perdre, qu'il ne vous en eût coûté pour vous sauver,
recorclare: souvenez- vous-en ; rappelez toutes les grâces dont vous
avez abusé avec tant d'ingratitude, et combien il vous était aisé
d'éviter le malheur où vous êtes tombée.
Ah! c'est ici que Famé réprouvée, repassant sur toutes les fa-
cilités de salut que la bonté de Dieu lui avait ménagées, entre en
fureur contre elle même. Plus elle approfondit son aveuglement,
plus son malheur l'aigrit et la dévore; plus sa rage croît et aug-
mente, et la plus douce occupation de son désespoir est de se
haïr éternellement elle-même. O Dieu! que vous êtes juste en
punissant le pécheur, puisque vous le rendez lui-même l'instru-
ment le plus affreux de son supplice: il est malheureux par le
souvenir du passé.
Il est encore malheureux par les peines présentes qu'il endure :
Crucior in hacflamma : Je souffre d'extrêmes tourmens dans cette
flamme: troisième circonstance de son supplice; la conformité
de ses tourmens avec ses fautes. Des flammes éternelles s'attachent
à sa langue voluptueuse; une soif ardente le dévore; il demande
une goutte d'eau, non pour éteindre, mais pour adoucir l'ardeur
vengeresse qui le brûle, et elle lui est refusée. Au lieu de la pour-
pre et du lin qui couvrait autrefois son corps, il est aujourd'hui
environné d'un vêtement de feu; en un mot, autant avait-il été
dans les plaisirs, autant lui rend-on de tourmens. Nous ne savons
pas ce qu'il souffre, mes frères, et je ne prétends pas aussi vous
l'expliquer, ni affaiblir par des peintures vulgaires une image si
effrayante ; mais nous savons qu'il crie depuis deux mille ans du
milieu des flammes : Je souffre d'extrêmes tourmens dans cette
flamme : Crucior in hacjlamma. Nous savons qu'il souffre ce que
l'œil n'a jamais vu, ce que l'oreille n'a jamais entendu, ce que l'es-
prit de l'homme ne peut comprendre : nous savons que des flam-
mes éternelles allumées par la justice divine sont attachées à son
corps, et qu'il souffre tout ce que Dieu lui-même peut faire souf-
frir à un coupable qu'il est intéressé de punir : nous savons que,
dans le séjour de l'horreur et du désespoir, la victime sera salée
Xl6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
avec un feu éternel , sans cesse consumée , et renaissant sans cesse
de ses cendres • nous savons qu'un ver secret et dévorant, placé
de la main de Dieu au milieu de son cœur , la déchirera durant
tous les siècles : nous savons que ses pleurs n'éteindront jamais les
flammes qui la consumeront, et que, ne pouvant se dévorer elle-
même, les grincemens de dents suppléeront à ce désir affreux:
nous savons que, lassée de blasphémer en vain contre l'Auteur de
son être, sa langue deviendra la pâture de sa propre fureur ; et
que son corps, comme un tison noir et fumant, dit le Prophète,
sera le jouet des esprits immondes dont il avait été l'asile sur la
terre : nous savons enfin que, dans l'ardeur de sa peine, elle mau-
dira éternellement le jour qui la vit naître, le sein qui la porta ;
qu'elle invoquera la mort, et que la mort ne viendra point; et que
le désir d'un anéantissement éternel deviendra la plus douce de
ses pensées : nous le savons, et ce ne sont là que les expressions des
livres saints.
Vous nous dites tous les jours, mes frères, avec un air déplo-
rable de sécurité , disait autrefois saint Chrysostôme aux grands
de la cour de Constantinople , pour vous calmer sur les terreurs
d'un avenir, que vous voudriez voir quelqu'un revenu de l'autre
vie pour vous redire ce qui s'y passe. Eh bien ! continuait cet élo-
quent évêque, contentez aujourd'hui votre curiosité ; écoutez cet
infortuné que Jésus-Christ en rappelle, et qui vous raconte ce
détail affreux de ses malheurs et de sa destinée : c'est un prédi-
cateur que l'Enfer lui-même nous fournit. Quand nous vous par-
lons, nous , des tourmens de l'autre vie , hélas ! il faut adoucir nos
expressions de peur de blesser votre fausse délicatesse; une vérité
qui a épouvanté les Césars, converti les tyrans , changé l'uni-
vers, n'est presque plus destinée aujourd'hui qu'à toucher les
âmes simples et vulgaires : ces images dans nos bouches sont
écoutées avec dédain et renvoyées au peuple. Mais ici vous devez
en croire un infortuné qui ne vous redit que sa propre infortune,
et qui vous en dit plus par ses cris et par son désespoir que par
ses paroles. Vous écoutez avec tant d'attention ceux qui, revenus
des îles les plus éloignées , vous racontent les mœurs et les usages
des pays où vous n'irez jamais; pourquoi n'entendriez- vous pas
avec plus d'intérêt un malheureux qui vient vous apprendre ce
qui se passe dans un lieu d'où lui seul est revenu , et qui sera peut-
être votre demeure éternelle?
Mais ses souffrances sont d'autant plus affreuses , qu'on lui fait
connaître qu'elles ne finiront point : quatrième circonstance de son
DES PREDICATEURS. 12?
supplice. De plus, lui répond Abraham: Ily a un grand abîme entre
vous et nous , de sorte que ceux qui voudraient passer dici vers vous
ne le peuvent ) comme on ne peut plus venir ici du lieu ou vous êtes.
Ainsi l'ame réprouvée perce dans toute la durée des siècles , et
elle n'y voit pas le terme de ses malheurs : des peines qui doivent
finir ne sont jamais sans consolation, et l'espérance est une douce
occupation pour des malheureux. Mais ici l'avenir est la plus af-
freuse de ses pensées : plus elle avance en esprit dans ces espaces in-
finis qu'elle voit devant elle, plus il lui reste de chemin à faire : l'é-
ternité toute seule est la mesure de ses tourmens. Elle voudrait du
moins pouvoir se dérober à la pensée de cet avenir terrible ; mais la
justice de Dieu lui présente sans cesse cette affreuse image, la force
de l'envisager, de l'examiner, de s'en occuper, d'en faire le plus
cruel de ses supplices: chaque instant est pour elle un tourment
éternel, parce que chaque instant n'est que le commencement de
ses peines , et que chaque tourment est pour elle sans espérance.
Souffrir des tourmens affreux, souffrir une éternité à chaque mo-
ment, souffrir sans ressource, et recommencer tous les jours son
supplice , telle est la destinée de lame malheureuse. Je passe ra-
pidement sur toutes ces circonstances : il est des vérités qu'il suffit
d'avoir montrées , qui sont elles-mêmes de grandes sources de ré-
flexions, et qu'il faut laisser développer à ceux qui les écoutent.
Enfin , le dérèglement de ses frères qui vivaient encore , et aux-
quels l'exemple de sa vie molle et voluptueuse avait paru un mo-
dèle à suivre, et par conséquent été une occasion de chute et de
scandale , fait la dernière circonstance de ses peines : Père Abra-
ham , s'écrie-t-il, envoyez du moins Lazare dans la maison de mon
père , afin quil avertisse les cinq frères que fy ai laissés , de peur
quilsne viennent eux-mêmes dans ce lieu de tourmens ; car si quel-
qu'un ne ressuscite d'entité les morts, ils ne croiront pas. Il souffre
pour les péchés d' autrui : tous les crimes où ses frères tombent
encore augmentent la fureur de ses flammes , parce qu'ils sont une
suite de ses scandales , et il demande leur conversion comme un
adoucissement à ses peines.
Ah ! mes frères, combien croyez-vous qu'il y ait d'ames réprou-
vées dans l'Enfer, avec lesquelles vous avez vécu autrefois, et qui
sont tourmentées pour les fautes où vous tombez tous les jours
encore ? Peut-être que la personne infortunée qui corrompit la
première votre innocence, crie actuellement dans le lieu de son
supplice, et fait des instances de rage auprès de son juge, afin qu'il
lui soit permis de venir vous montrer ce spectre affreux, qui al-
128 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
luma autrefois dans votre ame encore pudique des désirs impurs,
dont la licence de vos mœurs n'a été depuis qu'une suite funeste.
Peut-être que cet impie qui vous avait appris à douter de la foi de
vos pères, et qui avait gâté votre esprit et votre cœur par des
maximes d'irréligion et de libertinage, lève sa voix clansle séjour de
l'horreur et du désespoir, et, détrompé trop tard, demande de ve-
nir vous détromper lui-même, et adoucir ses tourmens en corri-
geant votre incrédulité. Peut-être que cet écrivain profane et las-
cif, dont les œuvres fatales à la pudeur font tous les jours sur
votre innocence des impressions si dangereuses, pousse dans les
flammes des cris affreux, et sollicite en vain que quelque compa-
gnon de son supplice vienne vous informer des malheurs de sa
destinée. Peut-être que l'inventeur de ces spectacles criminels où
vous courez avec tant de fureur, sentant croître la rigueur de ses
peines, à mesure que les fruits dangereux et irréparables de son
art portent un nouveau poison dans vos âmes, peut-être qu'il fait
monter ses rugissemens jusqu'au sein d'Abraham, pour obtenir
qu'il puisse lui-même, avec son cadavre hideux et dévoré des feux
éternels , venir paraître sur ces théâtres infâmes que sa main éleva
autrefois, et corriger par l'effroi de ce nouveau spectacle le dan-
ger de ceux qui lui doivent leur naissance , et auxquels il doit lui-
même son éternelle infortune.
Mais quelle réponse fait-on du sein d'Abraham à toutes ces
âmes réprouvées ? que vous avez Moïse et les Prophètes , et de
plus les préceptes de Jésus-Christ; et que si les vérités des
Ecritures ne vous corrigent pas , en vain un mort ressuscite-
rait pour vous convertir ,et que ce spectacle vous laisserait encore
incrédule : Habent Moysen et Prophetas. Si Moysen et Propketasnon
audiunt , nequesi quis ex mortuis resurrexerit , credent. Vous croyez
qu'un miracle, qu'un mort ressuscité, qu'un ange qui viendrait vous
parler delà part de Dieu, vous ferait renoncerau monde et chan-
ger de vie; vous le dites tous les jours : vous vous trompez, mes
frères; vous trouveriez encore des raisons de douter, votre cœur
corrompu trouverait encore des prétextes pour se défendre con-
tre l'évidence de la vérité. Les miracles de Jésus-Christ ne corri-
geaient pas l'hypocrisie des pharisiens , ni 1 incrédulité des sadu-
céens : ils en devenaient plus inexcusables; mais ils n'en étaient pas
plus fidèles. Le plus grand miracle de la religion, c'est la subli-
mité de sa doctrine , c'est la sainteté de sa morale, c'est la magni-
ficence et la divinité de nos Ecritures : si vous n'en êtes pas tou-
ché, changé, tout le reste serait inutile : Habent Moysen et Pro-
\
DES PRÉDICATEURS. I29
phetas. Si Moysen et prophetas non audiunt , neque si quis ex
mortuis resurrexerit , credenU (Massillon, Sur le Mauvais riche.)
Le pécheur verra ses péchés dans l'Enfer.
Durant leur vie mortelle, les pécheurs croyaient autoriser leurs
iniquités en exagérant la violence de leurs passions , les rigueurs
de la loi, la bonté de Dieu (car de quoi n'abusaient-ils pas)! qu'ils
regardaient comme une divinité insensible à tous les outrages, ou
comme un Dieu trop bienfaisant qui ne voudrait pas les punir
avec autant de sévérité; la mort les a surpris dans ces préjugés;
un instant a dissipé les erreurs de toute une vie : écoutez le chœur
internai des réprouvés, ils ont bien acquis le droit d'être crus:
« Nous nous sommes donc écartés de la voie de la vérité! » Quelle
conséquence de tous leurs principes, mais aussi quel hommage à la
vérité! quel hymne à la justification de Dieu ! les voûtes de l'abîme
en retentiront éternellement : Ergo erravimus a via veritatïs l. Nos
passions étaient fortes; mais que de moyens, que de grâces, que
de secours nous auraient aidés à en triompher ! Elles étaient fortes !
qu'en savions-nous? avons-nous déjà tenté de les réprimer? Quel
combat contre nous-mêmes ? quelle vigilance sur la garde de nos
sens? quelle fuite des occasions dangereuses ? Loin de travailler à
les affaiblir, à les détruire, nous n'avons cherché qu'à les exciter
et à nous satisfaire ; nous avons vécu avec aussi peu de précaution
que si nous étions impeccables par notre nature. Elles étaient fortes!
parce que nous l'avons voulu, parce que nous étions faibles nous-
mêmes : Ergo erravimus. Les commandemens de Dieu nous sem-
blaient impraticables; ne comptions-nous que sur les forces de la
nature, n'attendions-nous rien des secours de la grâce? Ils ont
été pénibles et durs à notre lâcheté et à notre mollesse ; l'auraient-
ils été à notre ardeur, à notre charité, à notre zèle? l'ont-ils été
pour tant de justes qui y ont ajouté de nouvelles austérités? Les
lois du monde que nous avons si scrupuleusement observées
étaient-elles moins rigoureuses? Nous nous sommes lancés dans le
chemin spacieux de la perdition, en courant après des ombres et
des fantômes, et nous n'avons pas daigné faire un pas pour des
couronnes éternelles; rien ne nous a coûté pour nous perdre, le
moindre effort pour nous sauver nous a effrayés : Ergo erravimus.
Dieu était bon : quel titre pour l'offenser ! il était bon : devions-nous
1 Sap., v, 6.
r. m. 9
l3o NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
le forcer d'être juste ? Nous avons séparé ces deux attributs essen-
tiellement unis en lui, il les sépare à son tour : nous n'avons voulu
considérer que sa miséricorde, sans faire aucune attention à sa jus-
tice; il ne nous fait éprouver que sa justice, sans aucun mélange
de sa miséricorde : Ergo erravimus. Songes trompeurs, excuses
frivoles, systèmes captieux, qu'êtes-vous devenus! Vous nous laissez
sans défense au pouvoir de la vérité. Justice plus élevée que les
montagnes, plus profonde que les abîmes, qui nous accablez de
votre poids, quel est votre empire sur nous? Des victimes de votre
fureur, vous en faites vos apologistes ; nous voulons vous repro-
cher votre cruauté, et nous nous accusons nous-mêmes; nous
commençons par vous maudire, nous finissons par vous justifier :
Ergo erravimus a via veritatis. Insensés! que ne faisaient-ils cet
aveu lorsqu'il pouvait leur être salutaire! mais le temps de l'espé-
rance et du repentir est passé. Talia dixerunt in hiferno. Situation
désespérante du réprouvé : juste malgré lui, juste contre lui, ce
malheureux ne peut plus se séduire; il est contraint de monter sur
le tribunal de sa conscience, de se dépouiller de son intérêt pro-
pre, de faire l'aveu humiliant et rémunération exacte de tous ses
crimes, de prononcer l'arrêt irrévocable de sa condamnation, de
se juger en Dieu : il maudit le mensonge qui n'a plus la force de
le tromper; il abhorre la vérité qui l'éclairé et le confond ; les faux
prétextes qui le calmaient disparaissent , et il ne voit que ses pé-
chés : Peccator videbit. Il les voit , et il ne peut plus les détruire :
en effet, qu'est-ce qui serait capable d'opérer sa justification? de-
mande saint Cyprien. Quoi! une confession tardive et forcée, que
lui arrache malgré lui la vérité: Sera confessio; quoi! des larmes
amères qui naissent plutôt de la douleur de se voir privé des plai-
sirs, que du regret de s'y être plongé : înanis ploratio ; quoi! enfin ,
des tourmens inouis qui sont la punition de ses péchés, et n'en sau-
raient être l'expiation : Pœnitentia pœnalis ? Non, non, ce n'est pas
là une componction , c'est un désespoir; ce n'est point là une pé-
nitence, c'est un supplice, combat terrible entre le réprouvé et ses
péchés; entre le réprouvé qui s'efforce de rejeter loin de lui ses
péchés, et ses péchés qui se présentent sans cesse à lui comme
une armée formidable; entre le réprouvé qui renie ses péchés, et
ses péchés qui lui crient à leur manière : Nous sommes tes ouvra-
ges : Opéra tua sumus ; tu nous a faits à ta ressemblance; pourrais-
tu nous méconnaître? pourquoi nous as-tu mis au jour? Quart
genuisti^ ? Enfans de haine et de discorde, objets d exécration à la
1 Jerim,, xy, 10.
i
DES PRÉDICATEURS. l3x
terre et au ciel , on nous maudit de toutes parts , et toi aussi tu
nous maudits : O innés maledicunt, tu quoque maledicis * ; mais
tremble, ta fureur ne sera funeste qu'à toi-même; il ne t'a fallu
qu'un instant pour nous produire, une éternité de souffrances ne
suffira pas pour nous anéantir, nous sommes hors de l'empire de
la miséricorde; nous étions autrefois tes plaisirs, nous serons à
jamais tes tourmens. (L'abbé Poulle, Sermon sur V Enfer,)
L'avenir désole le pécheur dans lEnfer par le plus affreux désespoir.
C'est un instinct naturel à tous ceux qui souffrent, de cher-
cher dans l'avenir la consolation et le remède du présent. Comme
nous voulons toujours être heureux, et que c'est une inclination
nécessaire, elle se soutient, ou plutôt elle nous soutient en quel-
que sorte nous-mêmes au milieu des plus grands maux. Nous nous
faisons un charme de notre espérance, et ce charme adoucit la
douleur qui nous presse. Quoique souvent il n'y ait rien dans le
futur qui nous doive être favorable, nous ne laissons pas d'y en-
visager cent choses que nous nous figurons, et qui ne seront ja-
mais, mais qu'il suffit de nous figurer comme pouvant être un
jour, pour y trouver de quoi repaître notre imagination. L'incer-
titude de l'avenir nous est utile, puisqu'elle nous donne droit
d'espérer, non seulement ce que nous espérons et ce que nous
attendons, mais ce que nous n'espérons nous n'attendons pas. Il
n'en est pas ainsi des réprouvés dans l'Enfer. Un réprouvé souffre,
je ne dis pas sans espérance, ce serait trop peu, mais dans un déses-
poir actuel et perpétuel. Ce qui n'est pas encore lui sert de supplice
et le rend le plus malheureux que ce qui est : ou plutôt, ce qui est le
tourmente, non seulement parce qu'il est, mais parce qu'il sera tou-
jours; en sorteque l'avenir est pour le présent un surcroît de peine
qui l'aigrit, qui y met le comble et qui fait le caractère propre de la ré.
probation , puisque, selon la pensée du docteur angélique, l'Enfer
n'est proprement Enfer que par la vue et le sentiment de l'avenir.
Voici donc ce qui accable lame réprouvée dans l'Enfer, et ce
que vous n'avez peut-être jamais bien conçu : c'est qu'elle déses
père d'obtenir jamais de Dieu aucune grâce, quand elle prierait
toute l'éternité; c'est qu'elle désespère de fléchir jamais Dieu par
la pénitence quand elle détesterait son péché toute l'éternité ; c'est
quelle désespère, non seulement d'acquitter, mais de diminuer
jamais ses dettes devant Dieu par ses souffrances , quoiqu'elle
doive souffrir toute l'éternité. Trois ressources immanquables dans
1 Jérém.,xv, 10.
9.
j3^ nouvelle bibliothèque
la vie mais absolument inutiles à un réprouvé : la prière, la péni-
tence la souffrance. Nous en avons la preuve dans le mauvais
riche. Que fait-il? il prie. Quedemande-t-il?il conjure Abraham
de lui accorder pour toute grâce une goutte d'eau; mais cette
aoutte d'eau lui est refusée. Tous les interprètes conviennent qu'il
y a de la parabole et de la figure dans cette circonstance; et que
l'intention de Jésus-Christ est de nous faire entendre par là que
dans l'Enfer il n'y a plus de grâce à espérer , ni de rédemption :
Quia in lnferno nullaest redemptio ; que, de cet océan de miséri-
corde et de bonté qui est Dieu, il ne découlera jamais sur ces créa-
tures infortunées une seule goutte pour les soulager, comme ja-
mais il ne découlera sur elles une seule goutte du sang du Ré-
dempteur pour les sauver : pourquoi ? parce que ce n'est plus le
temps des miséricordes et du salut. En vain donc le réprouvé s'é-
criera-t-il éternellement comme le riche de l'Evangile , non plus
en s'adressant à Abraham, mais à Dieu même: Miserere meî1. Ah!
ciel, un peu de relâche, un peu de compassion pour moi : Dieu,
endurci contre ses cris, éternellement lui répondra, mais dans
toute la rigueur de la lettre , ce qu'il répondait à son peuple: Quid
clamas super conlritione tua "2 ? Que servent ces plaintes et ces lugu-
bres accens ? Ils frappent mon oreille, mais ils ne vont point jus-
qu'à mon cœur: Insanabilis dolor tuus ; il n'y a plus de remède
ni de retour, et si vous voulez en savoir la raison, elle est dans
vous-même : Propter multitudinem iniquitatis tuœ , et propter dura
peccata tua feci hœc tibi; c'est que vous-même vous avez été si
long-temps insensible à ma voix; c'est que vous-même vous m'a-
vez laissé mille fois appeler, sans vouloir m'entendre; c'est que
vous-même vous vous êtes si outrageusement, si opiniâtrement,
vi constamment obstiné contre moi : Propter dura peccata tua.
Ainsi s'accomplira cette parole de l'Evangile, que Dieu n'écoute
point les pécheurs: mais quels pécheurs? non pas les pécheurs de
la vie ; car dans la vie ils sont toujours en état de toucher le cœur
de Dieu ; non pas les pécheurs pénitens , car la pénitence de la vie
est toujours toute-puissante auprès de Dieu; mais les pécheurs
impénitens à la mort et consommés dans leur péché , mais les pé-
cheurs de l'Enfer.
Que dis-je? et dans l'Enfer même n'y a-t-il pas une pénitence ?
Oui , Chrétiens, et c'est là que la sagesse nous représente les pé-
cheurs pressés de douleur, poussant des soupirs , versant des tor-
Luc. 16. — 2 Jerem. 30.
DES IMUiDICATEURS. 1^3
rens de larmes. Ah ! ce ne sont pas ces effets de la pénitence qui
leur manquent, mais le principe qui la sanctifie; c'est-à-dire , et
voici en deux mots tout le mystère de cette éternelle réprobation ,
c'est-à-dire qu'éternellement ils gémiront , qu'éternellement ils
pleureront, qu'éternellement ils feront pénitence, mais une péni-
tence forcée , une pénitence de démons et de désespérés. Or, une
telle pénitence, dit saint Augustin, n'effacera jamais le péché:
par conséquent le péché subsistera toujours, et tant que le péché sub-
sistera, lisseront toujours également redevables à la justice de Dieu
et exposés à sa vengeance. C'est ce qu'Abraham, du haut de la gloire,
exprime au mauvais riche par ce chaos insurmontable qui les sépa-
re : Magnum chaos inter nos et vosfirmatum est: en sorte que, de ce
séjour bienheureux où repose Abraham, on ne peut plus tomber
dans ce lieu de tourmens où souffre le riche, et que de ce lieu de
tourmens où le riche souffre, on ne peut plus monter à ce bien-
heureux séjour où Abraham goûte un repos inaltérable : pour-
quoi? parce que dans l'un on ne peut plus perdre la grâce, et que
dans l'autre on ne peut plus réparer le péché : Ut qui volunt hinc
transire ad vos , non possint , neque inde hue transmeare.
Mais quoi! toujours souffrir, et, par de si longues et de si cruel-
les souffrances, ne rien acquitter! cela se peut-il comprendre?
Comprenez-le, mes chers auditeurs, ou ne le comprenez pas, la
chose n'en est pas moins vraie, et n'en est pas moins un article
de votre foi. Origène en voulut douter, et d'autres comme lui ré-
duisirent l'éternité malheureuse à un certain nombre de siècles.
Car, disaient-ils, pour soutenir leur erreur, il n'est ni de la bonté,
ni de la justice de Dieu de punir toujours des créatures qu'il a
formées, et d'exiger pour les péchés de la vie, d'une vie si courte,
une satisfaction qui ne finira jamais. C'est ainsi qu'ils raisonnent :
mais moi, de leurs principes mêmes, je tire, avec Tertullien et
saint Augustin une conséquence toute contraire. Car Dieu est bon :
qui ne le sait pas ? Mais cette bonté , reprend Tertullien , n'est pas
seulement en Dieu miséricorde , elle est encore sainteté. Or, une
sainteté toujours subsistante est toujours ennemie du péché; et ,
par une suite nécessaire, elle doit toujours haïr le péché, toujours
poursuivre le péché, toujours punir le péché si le péché dure
toujours. Donc, puisqu'il n'y a rien dans l'Enfer qui abolisse etqui
détruise le péché, il n'y aura jamais rien qui en arrête le châtiment.
Dites-le même de la justice. Depuis tant de siècles le mauvais
riche se désespère au milieu des flammes où il fut enseveli, et s'é-
crie , en se désespérant : Crucior in hacflamma : mais ce qu'il di-
l34 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
sait il y a tant de siècles, il le dit encore, et toujours il le dira,
parce qu'il le ressent encore, et que toujours il le ressentira. Oui,
cette parole foudroyante et atterrante \Nunc autem cruciaris : main-
tenant vous êtes tourmenté; il l'entendra toujours. Maintenant:
Nunc , que ce maintenant a d'étendue, puisqu'il embrasse l'éter-
nité tout entière! JVunc, maintenant, c'est-à-dire aujourd'hui, et
toujours ; c'est-à-dire, dans une année, dans un siècle, dans des
millions de siècles , et toujours encore au delà. Or, concevez, s'il
est possible, quelle impression fait sur une ame réprouvée un si
affreux désespoir. (^Bourdaloue.)
Les tourmens do l'Enfer sont sans espérance.
Et comment le réprouvé oserait-il se promettre la fin de tant
de maux! Celui qui frappe ne se lasse point : Qui torquet non fa-
tigatur. C'est un Dieu sévère qui punit le péché tant qu'il subsiste,
et le péché subsistera toujours. C'est le saint par excellence; il
ne saurait contracter d'alliance avec l'iniquité. C'est un Dieu juste :
sa colère, dit saint Augustin, n'est pas semblable à celle de l'homme;
elle n'est pas un mouvement contraint et violent; elle n'est que
l'amour de l'ordre et de la règle; il juge, il condamne, il châtie
avec tranquillité; celui qui souffre ne meurt pas : Qui torquetur
non moritur. Une puissance jalouse est attentive à le conserver
au milieu de tant de causes de destruction; tout le tourmente;
tout le désespère et rien ne l'anéantit. Prodiges inouïs ! le glaive
le perce et le vivifie; le feu le brûle et ne le consume pas; la mort
le dévore sans le détruire. Etonné de se trouver encore vivant
entre les bras de la mort même, de surprise en surprise, il s'avance
dans la carrière de l'éternité; il ne peut ni vivre à l'espérance, ni
mourir à ses tourmens : ce n'est pas tout, dans la privation abso-
lue des biens de la grâce, le réprouvé est rendu à ses remords.
Ah ! qu'ils sont désolans ces remords quand ils cessent d'être
des grâces. Ce n'est plus cette voix divine, miséricordieusement
importante et sévère, qui, par une rigueur utile, disposait à un
règne de clémence et de bonté , c'est la voix de la conscience in-
dignée qui ouvre le règne de la justice; c'est la voix du crime qui
demande vengeance contre lui-même; c'est une voix lamentable
qui décrit la ruine de ce temple, la dispersion des pierres de ce
sanctuaire, la profanation de ce lieu saint, l'abus des grâces et des
dons du Seigneur, les ténèbres, les chaînes pesantes de l'iniquité ;
c'est une voix lugubre qui résonne sur le bord de ce sépulcre,
DES PRÉDICATEURS. l35
qui déplore la mort de l'ame ensevelie dans la nuit du péché.
Mort terrible! qui ne consiste pas, comme le remarque saint Jé-
rôme, dans la destruction de la subtance, elle cesserait d'être mal-
heureuse; mais dans la séparation de celui qui a dit : Je suis la vie.
C'est la voix d'un témoin irréprochable, à qui rien n'est caché, qui a
tout vu, tout entendu ; qui reproche, qui accuse, qui prouve, qui
convainc; c'est la voix d'un juge effrayé et du récit des crimes
qu'il entend, et de la sentence qu'il prononce contre lui-même;
c'est une voix impérieuse qui n'est jamais contredite, qui s'élève
au dessus des tournions de l'Enfer; c'est une voix plus éclatante
que le tonnerre, qui retentit dans le cœur, qui ébranle, qui se-
coue toutes les puissances de l'ame, qui y répand la désolation et
l'effroi; c'est une voix infatigable qui ne se lasse pas, aussi opiniâ-
tre que le péché qu'elle poursuit, aussi inflexible que le Dieu qu'elle
venge. . . . Eh ! le pécheur disait : La paix , la paix : je suis dans
le calme, je jouis de la tranquillité : pax, pax. Quelle paix, grand
Dieu! qui couvrait tant de tonnerres! Pax. Quelle paix! qui n'é-
tait que l'extinction des lumières du Saint-Esprit; qu'une insensi-
bilité aux attaques de la grâce; que le sommeil léthargique de
l'ame : Pax. Attendez , l'esprit de tempête et de dissension s'em-
parera de lui; désormais on ne l'appellera que le tumulte : Vocabi-
tur tumultus.
Frappés de ces images épouvantables, vous ne concevez rien
au delà, mes très chers frères, et cependant voici en un seul trait
l'assemblage de tous les maux. Dans la privation entière des biens
de la gloire , le réprouvé est rendu : à qui ? à son Dieu. Sur la terre,
c'est le pécheur qui se défend , et c'est Dieu qui le poursuit , qui
ne peut consentir à sa perte, qui heurte à la porte de son cœur,
qui l'appelle par sa grâce. Dans l'Enfer tout rentre dans l'ordre ,
c'est un Dieu qui se refuse et c'est le réprouvé qui le cherche; son
ame, dégagée des liens imperceptibles qui suspendaient la rapidité
de sa pente naturelle, est rappelée malgré elle à toute sa destina-
tion; elle tend à Dieu comme à son centre; elle se porte vers lui
avec impétuosité. Où vas-tu, ame criminelle ? Tu voles au devant de
ton juge! Ni cette considération, ni ses alarmes, ni les châtimens
qu'elle se prépare, ne sont pas capables d'arrêter l'impulsion vive qui
l'entraîne; elle s'élance par la nécessité de sa nature, et toutes les
perfections divines qu'elle a outragées s'empressent delà rejeter;
elle s'élève par le besoin immense et pressant qu'elle a de son Dieu ;
et son Dieu la repousse par la haine nécessaire qu'il porte au pé-
ché. Elle s'élance, et la rapidité de son essor lui fait encore mieux
l36 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
comprendre quelle était faite pour jouir de son Dieu. Elle en est
rejetée; et la pesanteur du coup qui l'accable lui fait encore mieux
connaître qu'elle* a forcé son Dieu à la repousser. Elle s'élève par
désespoir; Dieu la rejette par une juste vengeance. Suspendue en-
tre elle-même et son Dieu , entre le comble du bonheur et le com-
ble de la misère, également malheureuse, et quand elle s'efforce
de s'approcher de cette source de tous les biens, et quand elle en
est arrachée avec violence; également tourmentée , et lorsqu'elle
sort d'elle-même, et lorsqu'elle est contrainte de s'y replonger,
elle trouve son Dieu sans pouvoir le posséder; elle se fuit sans
pouvoir s'éviter; elle passe successivement des ténèbres à la lu-
mière, de la lumière aux ténèbres; elle roule d'abîmes en abîmes,
d'horreurs en horreurs; elle porte l'Enfer jusque vers le ciel; elle
rapporte l'image du ciel jusque dans l'Enfer même.
Dans ces vicissitudes continuelles le réprouvé crie au Seigneur:
Si vous êtes mon souverain bien, pourquoi vous dérobez-vous à
mes empressemens? si vous devez être mon supplice, pourquoi
faut-il que je vous cherche? Quare posuisti me contrarium tibi 1?
Ou détruisez ces péchés monstrueux qui sont entre vous et moi ,
ou enchaînez l'activité de mon ame; le spectacle de mes iniquités
et de mes châtimens n'augmente pas votre bonheur et votre gloire,
et votre aspect est le plus insupportable de mes tourmens; ne
puis-je renoncer à vous après vous avoir perdu sans ressource? Ne
serai-je pas assez malheureux sans vous? Qu'attendez-vous de
moi ? Je ne sais, je ne puis, je ne veux que maudire et que blas-
phémer. Comment concilier des mouvemens si contraires? Je sens
pour vous, au dedans de moi, le penchant d'un élu et l'aversion
d'un réprouvé. Quare, quare posuisti me contrarium tibi? Ah! le
Prophète l'avait compris, lorsqu'à la vue des abominations qui
couvraient la face de la terre il disait au Seigneur : Ne vous ar-
mez point de votre tonnerre, votre patience vous servira mieux
que votre fureur; abandonnez les pécheurs à leurs sens déréglés;
laissez-leur ajouter péché sur péché, offense sur offense; ils sont
comme les Dieux du temps, vous êtes le Dieu de l'éternité. Jppone
iniguitatem super iniquitatem 2; plus ils vous outragent, plus ils
vous vengent; leur conscience est le trésor de votre colère; vous
y puiserez éternellement : autant de péchés, autant d'Enfers.
Quelle impression ces vérités terribles ne firent-elles pas sur
l'ame de ces solitaires d'Egypte, déchus delà sainteté de leur voca-
1 Job. vu. 20. — * Ps. rxviii. 28.
DES PRÉDICATEURS, l3y
tion ! Saint Jean Climaque, qui avait été le témoin de leurs austé-
rités, nous en a laissé une peinture effrayante ; nous l'adoucirons
par ménagement pour votre délicatesse.Yoici comme il s'exprime:
A quelque distance d'un grand monastère que je visitais , en était
un autre nommé la Prison, où s entérinaient volontairement ceux
qui, depuis leur profession , s'étaient rendus coupables de quel-
ques péchés considérables ; tout y respirait la pénitence et la tris-
tesse; du pain et quelques herbes étaient leur nourriture; j'en vis
qui passaient la nuit à l'air, forçant la nature pour s'empêcher de
dormir, comme si c'eut été un temps dérobé à la pénitence ; d'au-
tres, les yeux tristement tournés vers le ciel, demandaient des se-
cours avec des gémissemens et des soupirs ; d'autres criaient qu'ils
étaient indignes de regarder le ciel , et n'osaient parler à Dieu
dansleurs prières;les uns retenaient au dedans leurs gémissemens ;
les autres poussaient du fond de leur cœur des rugissemens de
lions ; la plupart accablés de remords disaient qu'ils seraient con-
tens d'être privés du royaume céleste , pourvu qu'ils fussent
exempts des peines de l'Enfer.
Là , on voyait accompli au pied de la lettre ce que dit David ,
des hommes courbés et abattus de tristesse, qui mêlaient de leurs
larmes l'eau qu'ils buvaient, et mangeaient la cendre avec leur
pain ;leur peau était attachée aux os , et séchée comme l'herbe ;
vous n'entendiez que ces paroles : Malheur ! malheur à moi! par-
don ! pardon, Seigneur! miséricorde! faites-nous grâce, s'il est
possible. Ils avaient toujours le péché, la mort , l'Enfer devant
les yeux, et se disaient : Que deviendrons-nous ? quelle sera notre
fin ? Ainsi parlaient ces saints pénitens , couchés sur la terre ,
couverts de haillons , semblables à des spectres au milieu des té-
nèbres ; et lorsqu'ils se voyaient prêts de leur fin , pour étendre
leur pénitence au de-là même de leur mort, ils demandaient com-
me une grâce d'être privés de la sépulture, du chant des psaumes,
et de tout honneur funèbre. Oserait-on les blâmer ? dira-t-on
qu'ils avaient trop d'horreur du péché ? pouvons-nous trop détes-
ter la source de tous nos maux, et ce qui nous attire lindignation
de Dieu ? dira-t-on que leur imagination leur exagérait les sup-
plices de l'Enfer? La pensée ne saurait les égaler. Comment pour-
rait-elle les exagérer? dira-t-on qu'ils se formaient une fausse idée
de la justice divine? Eh! qui en a jamais sondé la profondeur?
Dès que ces solitaires conservaient leur confiance en la miséricor-
de divine , leurs mortifications n'étaient outrées que parce qu'elles
étaient au dessus des forces de la nature ; aussi nous ne les propo-
l38 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
sons pas à votre imitation, elles ne sont pas nécessaires à votre sa-
lut; nous ne les proposons pas à votre admiration, elles vous
inspireraient plutôt de l'effroi ; nous les proposons à votre lâcheté,
elles la confondent; que si ces célèbres pénitens avaient besoin
de justification, nous vous dirions que la conduite de l'Fglise
semblait les porter à ces pieux excès ; ils duraient encore ces
temps de rigueur où l'on voyait les pécheurs, scandaleux et repen-
tans, séparés du reste des fidèles , exclus de la participation aux
saints mystères , condamnés à plusieurs années de pénitence, cou-
vers de cendre et de cilice , baignés dans leurs larmes, prosternés
aux portes des temples , dont leurs iniquités leur fermaient l'en-
trée ! Epreuves effrayantes , niais utiles , qui représentaient vive-
ment la sévérité desjugemens de Dieu, l'énormité du péché, les
difficultés de recouvrer l'innocence après qu'on l'a malheureuse-
ment perdue, et qui servaient en même temps de frein à la licence
toujours prête à se déborder ; jours heureux de ferveur, hélas ! ils
ont disparu pour jamais, nous en avons perdu jusqu'au souvenir!
Gomment s'est faite cette révolution ? Par degrés. D'abord le
relâchement , ensuite la corruption générale des mœurs n'ont
pas permis à l'Eglise de persévérer dans son ancienne discipline,
elle s'est vue forcée, malgré elle, de laisser tomber peu à peu cette
longue suite de mortifications extérieures, qui précédaient autrefois
le bienfait de l'absolution ; mais elle ne nous a pas dispensés du
fond , ni de l'esprit essentiel de la pénitence , qu'elle conservera
toujours dans toute leur vigueur. (L'abbé Poulle.)
Péroraison.
Qu'ai-je fait, grand Dieu? Vous n'aviez qu'à me livrer à moi-
même et à mes péchés; vous n'aviez qu'à me dire : Plus de miséri-
corde, et j'aurais trouvé l'Enfer sur la terre même : Dolores Inferni
circumdederunt me, je me croyais vivant et je suis mort, mort à la
vie de la grâce, à la sainteté, à la gloire , prœoccupaverunt me la-
quei mortis ; tremblant, saisi de crainte, effrayé de la profondeur
de l'abîme où je suis enfoncé , j'ose recourir à vous; un rayon d'es-
pérance me luit encore et me soutient parmi tant d'alarmes! Non,
vous ne me laisserez pas périr : de moi-même je n'ai pas la force
de sortir de ce gouffre; vous me tendrez une main secourable,
in tribulatione mea invocavi Dominum. Grâce à votre bonté, je ne
suis pas encore dans cet Enfer, où les larmes sont infructueuses,
où les prières sont rejetées , où les sacrifices ne sont que des tour-
DES PREDICATEURS. lô(J
mens; entendez mes gémissemens, mes soupirs, mes cris, ce sont
les cris du cœur. Clamavi; vous appellerai-je, mon Dieu? mais
je me suis révolté contre votre loi, j'ai violé vos commandemens.
Dirai-je mon Père? mais j'ai effacé votre image adorable, vous ne
reconnaîtriez plus en moi votre enfant. Dirai-je mon Juge? mais
je ne mérite que votre indignation. Je ne sais comment vous nom-
mer pour vous intéresser à ma défense; mais je sens que vous êtes
tout ce qu'il faut pour me sauver, et que vous seul le pouvez. Si
vous consultez votre justice, ah ! je suis indigne de pardon. Si vous
écoutez votre miséricorde, voyez qui en a plus de besoin que moi?
AdDeum meum clamavi. Moi, vous maudire! moi, vous blasphé-
mer éternellement ! Cette seule pensée est un Enfer anticipé. Parlez;
que faut-il que je fasse ? détester mes iniquités ? je les abhorre ;
les confesser à vos ministres? j'irai me jeter à leurs pieds pour
leur en faire l'aveu humiliant et sincère; éviter les occasions dan-
gereuses? dès ce moment je me dévoue à la retraite; renoncer aux
idoles que j'adorais ? je les sacrifie pour toujours ; me soumettre au
joug de la pénitence? ce n'est pas un joug, c'est un remède salu-
taire qui guérira les plaies de mon ame. Fallut-il me livrer au mar-
tyre; qu'on frappe, la victime est toute prête. Trop heureuse de
pouvoir parla contenter votre justice, détruire mes péchés, rache-
ter mon ame de l'enfer, et espérer de célébrer un jour vos miséri-
cordes dans les tabernacles éternels. Ainsi soit-il. (Le même.)
Izf0 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
PLAN ET OBJET DU TROISIÈME DISCOURS
SUR L'ENFER.
EXORDE.
Mortuus est dives , et supultus est in Inferno.
Le riche mourut, el il fut enseveli dans l'Enfer. (Luc. XVI. )
Voilà donc le terme faial où devait aboutir la vie sensuelle du
mauvais riche; et c'est dans ce gouffre d'horreurs où il est enseveli
depuis tant de siècles, que la foi nous montre encore tous les cou-
pables enlevés de ce monde dans la disgrâce de Dieu et redevables
à sa justice. Il y a donc un Enfer, vérité fondamentale de notre re-
ligion ; et qu'il est étrange que le plus grand et le plus aimable des
Maîtres ait été obligé de creuser un Enfer sous nos pas pour nous
faire respecter ses lois , pour mettre ses bienfaits à couvert
de notre ingratitude et sa majesté à l'abri de nos outrages !
Il y a un Enfer, et cependant la terre est couverte de pécheurs.
Portes des cieux , m'écrierai-je ici avec le Prophète, brisez- vous
détonnement et de désolation. Et toi, monument éternel des
vengeances du Très-Haut, épouvantable abîme, s'il faut qu'un jour
nous augmentions le nombre de tes victimes infortunées; rassasiés
de tourniens et transportés de rage, nous nous demanderons à
en nous-mêmes où était donc notre foi et notre raison, quand nous
osâmes fouler aux pieds la crainte de tes supplices et franchir la
plus redoutable barrière que le Tout-Puissant ait pu opposer à la
licence du crime ?
Il y a un Enfer. Je prêche cet Enfer à des chrétiens qui le re-
gardent comme un des points essentiels de leur croyance ; et la plu-
part d'entre eux l'ont déjà mérité, et plusieurs le méritent encore,
et tous peuvent le mériter un jour; et nous n'y pensons pas, et
nous ne le craignons pas! Eh! à quoi donc réservons-nous nos
réflexions et nos frayeurs?
Mon Dieu ! serait-il donc vrai que la crainte des châtimens de
l'autre vie, cette crainte, toujours si utile et quelquefois si néces-
saire, eût perdu dans nos esprits cette force victorieuse qu'elle
DES PRÉDICATEURS. l4r
emprunte de votre grâce pour ébranler les consciences et en faire
sortir des prodiges de pénitence et de sainteté ? A des cœurs no-
bles et purs, il ne faudrait qu'étaler vos bontés et vos charmes
pour les faire voler vers vous; mais à des cœurs profondément
gâtés et corrompus, roulant sans cesse dans une alternative de
bien et de mal , livrés même au crime et insensibles aux mer-
veilles de votre amour, il faut faire gronder le tonnerre de vos
vengeances; il faut employer en leur faveur la dernière ressource
du salut, et réveiller en eux la crainte de l'Enfer: comment? par
l'image de la mort même. Et voilà , mes frères, le dessein que je
me propose dans ce discours; je m'attache à deux idées simples,
mais d'où je vois sortir tous les traits du plus effrayant tableau
que la religion ait à nous présenter: la nature des peines de l'En-
fer, l'étendue des peines de l'Enfer ; l'un et Vautre également pro-
pres à nous montrer combien l'Enfer est terrible.
Soutenez, Seigneur, ma faible voix, et écoutez une prière que
je ne vous adresse ici qu'en tremblant. Arrêtez, suspendez ce sen-
timent de confiance qui, pour nous rassurer contre les rigueurs
de votre justice, va nous chercher un asile dans la bonté de vo-
tre cœur; car n'est-ce pas l'idée d'une bonté si facile qui trop
souvent nous endort à l'ombre d'une sécurité funeste ? Cachez-
nous donc le Dieu des miséricordes, et puisque, pour vous faire
aimer, il faut d abord que vous vous fassiez craindre, ne nous
laissez voir, au fond d'un nuage sombre et menaçant, que le Dieu
armé d'anathèmes, assis sur un trône de flammes , et fixant sur
nous un œil terrible ; que le Dieu dont le bras infatigable épuise
sur les pécheurs tous les traits de son courroux; que le Dieu des
réprouvés et des démons. (L'abbé Richard , Sur F Enfer.)
Supplices des méchans dans l'Enfer après la mort.
Je ne l'ignore pas; on trouve des hommes qui, sentant au fond
de leur conscience de quel sort ils se sont rendus dignes, sou-
haitent encore plus qu'ils ne le croient que tout finisse pour eux
avec leur corps; ils aiment mieux périr tout entiers que de re-
naître pour subir la peine qu'ils ont méritée. Leur erreur s'accroît
encore, quand ils voient la liberté dont ils jouissent en cette vie,
et la patience incomparable de Dieu, dont toutefois le jugement
est d'autant plus juste qu'il a été plus long-temps différé. Et pour-
tant ils ne peuvent ouvrir les livres de tout ce qu'il y a eu d'hom-
mes éclairés , ils ne peuvent parcourir les ouvrages même des
1^2 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
poètes, sans y trouver à cet égard de salutaires avertissemens :
tant c'est une pensée gravée au fond des cœurs de tous les hom-
mes, qu'un jour viendra où le désordre apparent qui règne dans
le monde sera réparé, et où la justice divine paiera à l'homme
vertueux la récompense de ses bonnes œuvres, et au méchant la
peine de ses crimes.
Si la félicité du juste doit être immense, le châtiment du pécheur
ne sera pas moindre. Les supplices dont il sera la proie ne connaî-
tront ni mesure ni terme. Là un feu qui semble en quelque sorte
doué d'intelligence brûle tout à la fois et entretient les corps. Il les
dévore et les nourrit, semblable à ces feux du ciel qui frappent et af-
fectent les objets sans les consumer; et ainsi ces flammes vengeresses
ne s'alimentent point au détriment des corps qui leur sont livrés,
et même au milieu de leur action ils demeurent tout entiers.
Mettrons-nous en question s'il est juste que ceux qui ne veulent
pas reconnaître Dieu, que des impies, des hommes livrés à toute
espèce d'injustices, soient punis de cette manière par la main
toute-puissante de Dieu ? Ce serait être impie comme eux que d'en
douter. Ne point vouloir adorer le Père et le Seigneur commun
de toutes choses, n'est-ce pas l'insulter autant qu'il est au pouvoir
d'une créature de le faire? (Minucius Félix, Octave.)
Ce que c'est que le feu de l'Enfer.
Après que le Sauveur aura fait placer à sa droite tous ses élus ,
et leur aura adressé ces consolantes paroles : « Venez les bénis de
mon Père, » prenant tout à coup l'accent d'un juge qui porte une
sentence de mort, il dira aux méchans : « Retirez-vous de moi. »
Or, vous le savez, mes frères, ils ne se retireront de Jésus-Christ
que pour aller au feu éternel de l'Enfer, qui est dune nature tout
autre que celui dont nous faisons usage sur la terre : car parmi
les hommes il n'est point de feu éternel; mais le prophète Isaïe
nous dit formellement que < le feu de l'Enfer ne s'éteindra jamais. »
Peut-être est-ce un feu invisible, puisqu'il brûle des choses invi-
sibles, et puisque tout ce qui tombe sous nos sens est nécessaire-
ment temporel , et « qu'il n'y a d éternel que ce que nos sens ne
« peuvent atteindre. » Il faut de deux choses l'une : ou que, si ce
feu est visible, il ne soit pas éternel; ou que, s'il est éternel, il
ne soit pas visible. Or, le Prophète nous fait bien assez entendre
que ce serait se tromper que d'attribuer à ce feu la même nature
qu'à celui dont nous nous servons, puisqu'il nous est dit encore
DES PREDICATEURS, ifâ
que c est un feu qui ne s'allume point. « Il sera dévoré, dit Job ,
« d'un feu qui ne s'allume point. »
Et ne vous étonnez point si fort de ce que, tout invisible qu'il
est, ce feu agit néanmoins sur les hommes coupables pour les pu-
nir, puisque vous voyez tous les jours le feu matériel affecter les
corps, les décomposer, les consumer, sans que la chaleur elle-
même frappe vos yeux.
Ecoutons maintenant le juste juge expliquer les raisons dune
si sévère sentence : « J'ai eu faim, dit-il, et vous ne m'avez pas
«donné à manger; j'ai eu soif, et vous ne m'avez pas donné à
« boire. » Ainsi le Sauveur nous enseigne qu'il souffre lui-même
tout ce que souffre son Eglise, quoiqu'il soit impassible sous le
rapport de sa divinité. C'est lui-même qui a faim, quand les saints
ont besoin de nourriture ; c'est lui-même qui a soif, quand ils sont
altérés. Si quelques-uns de ses membres sont affligés de quelque
maladie, c'est lui-même qui souffre en eux. S'il, en est qui cher-
chent un asile pour se mettre à l'abri contre les injures du temps,
c'est encore le Fils de l'Homme qui n'a pas même où reposer sa
tête; il souffre le froid clans ceux qui sont nus, il est revêtu lui-
même, lorsque quelque chrétien charitable prend soin de les vêtir:
voilà ce que Jésus-Christ a pris soin de nous apprendre en nous
disant : « Ce que vous ferez à quelqu'un de ces petits, je me le
« tiendrai fait à moi-même. * (Origene, Comin. sur saint Matthieu),
Même sujet.
Ah ! mes frères , combien de réprouvés dans les flammes ont
moins péché que vous ! combien donc le feu qui les brûle vous
tourmentera-t il plus qu'eux, si votre nom est écrit dans le livre
de mort ! Intetrogabit ossa et medullas^ et cogitationes nostras. Plus
perçant qu'un glaive à deux tranchans , ce feu pénétrera jusqu'au
fond du cœur, et en démêlera les replis les plus cachés, les inten-
tions les plus secrètes. Il interrogera toutes les puissances de l'âme,
tous les membres du corps. Il interrogera tant de pensées, tant de
sentimens, tant de paroles, tant d'actions criminelles. Il les interro-
gera, il les comptera, il les dévorera. Il s'élancera sur sa tremblante
victime; et, le nombre de ses iniquités surpassât-il celui des cheveux
de sa tête, tout sera puni, tout sera la proie des flammes. Et que de-
viendrez-vous alors, vous, qui déjà redevables à la justice divine,
au lieu d'expier vos péchés anciens, ne faites chaque jour qu'y en
ajouter de nouveaux , et préparer des alimens à ces flammes venge-
resses PPour redoubler contre vous leurs atteintes furieuses, il
l44 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
faudra donc que le Tout-Puissant tire des trésors de sa colère les
plus affreux miracles, et, dans ces gouffres brûlans, la rigueur de
votre supplice sera la marque funeste à laquelle on vous distinguera
du peuple des réprouvés : Interrogabit ossa et medullas , et cogita-
tiones nostras. ( L'abbé Richard.)
Feu de l'Enfer, feu vérilable.
La religion nous montre les réprouvés plongés dans des brasiers
ardens, livrés aux plus cuisantes atteintes d'un feu qui leur sert de
vêtement embrasé, qui s'attache avec fureur à toutes les puissances
de leur ame, qui exercera son activité sur toutes les parties de leur
corps, et qu'à cette vue , armé d'un glaive menaçant, elle dit aux
pécheurs : voilà votre place. Dieu a choisi parmi tous les êtres créés
le plus majestueux et le plus cruel, pour en faire l'instrument de
ses vengeances, le plus digne de sa grandeur et de sa colère. Fai-
bles hommes, qui succombez à la douleur que vous cause une étin-
celle de feu , dites-moi comment vous pourrez soutenir l'ardeur
de ces flammes dévorantes ?
Non , mes frères , ce n'est point ici un épouvantait fait pour alar-
mer la simplicité des enfans et la crédulité des peuples : c'est une
vérité qui a fait trembler les héros de la foi , les anges du désert ,
les plus grands personnages qui aient paru dans l'Eglise de Jésus-
Christ; et la réalité du feu de l'Enfer est unanimement reconnue
par tous les docteurs catholiques , parce qu'elle est évidemment
appuyée sur les oracles divins; parce que les Prophètes et les Apô-
tres nous offrent en mille endroits de leurs écrits , et sous les traits
les plus naturels et les plus frappans , limage du feu mêlée aux
menaces de la colère céleste, parce que Jésus-Christ lui-même
nous montre le mauvais riche enseveli dans les flammes; et , pour
prévenir dans nos esprits jusqu'au moindre doute, il nous a laissé
dans l'Evangile le précis de ce foudroyant arrêt, qui condamnera
les pécheurs au feu. Après cela, malheur à quiconque refuserait de
croire ! Malheur à nous si nous ne saisissons pas avec les plus sa-
ges et les plus éclairés des hommes tous les moyens d'échapper à
ce feu, qui dévore les réprouvés dans l'enfer : Devorabit eosignis.
Feu de l'Enfer, feu épouvantable; car, dit saint Augustin, c'est
la toute puissance de Dieu qui le met en œuvre, et, dans la main
d'un Dieu vengeur de ses lois , quelle doit être la vivacité de ce
feu miraculeux et immortel ! Eh quoi ! tous les feux de la terre
n'en sont qu'une ombre, dit saint Bernard : quoi ! ces fournaises
DES PRÉDICATEURS. %4$
embrasées qui fondent les métaux, calcinent les corps les plus
durs, et dont on ne peut soutenir l'approche sans un secret fré-
missement; ces montagnes fumantes qui, du fond de leurs noirs
abîmes, vomissent des torrens de flammes, et re'pandent la con-
sternation dans les champs qui les environnent; ces nuages en-
flammes, qui portent la foudre dans leur sein, l'envoient avec
fracas jeter parmi les pâles mortels la terreur et la mort; ce déluge
de feu, qui tomba sur des villes coupables, et changea leur infâme
re'gion en un vaste brasier; ce feu plus terrible encore, qui doit à
la fin des temps causer un incendie général , et faire du monde
entier un affreux monceau de cendres : quoi ! tout cela, tous ces
feux jetés et réunis dans les prisons de l'Enfer ne seraient que
quelques traits échappés de ses flammes : Ignis œterni mlssUia
surit P Que l'épouvante les saisisse, disait Moïse, en parlant des
ennemis de son peuple ; qu'elle leur glace le sang dans les veines,
et les rende immobiles comme des pierres : Fiant immobiles quasi
lapis. Grand Dieu! et n'expirerions-nous pas de frayeur, si vous
nous montriez ces feux allumés par votre colère dans les sombres
profondeurs de l'avenir ?
O flammes infernales, qu'anime le souffle du Tout-Puissant! ô
tempêtes de feu, qui jamais ne s'apaisent! pluie brûlante, qui
tombe à torrens précipités! tonnerres effroyables, qui éclatent
de toutes parts, du milieu de cette mer de soufre embrasé, où la
justice de Dieu se promène avec fureur, écrasant sous ses coups des
milliers de criminels , que l'Ecriture et les Pères nous représen-
tent chargés de chaînes de feu, abîmés dans des flots de feu, trans-
formés eux-mêmes en feu; et dans ce feu, dont la violence surpasse
toutes les forces de la nature, parvenus, ce semble, au dernier
période de la douleur! car, quelle est l'étrange impression de ce
feu sur ses victimes? J'essaierais en vain de vous le faire com-
prendre, et j'abandonne à vos réflexions cette triste vérité
qu'un seul instant passé dans les feux de l'Enfer est infiniment
plus douloureux que des siècles entiers qui réuniraient sur vous
tous les maux imaginables de ce monde : Non modo hase parva
suntjsednulla. C'est la pensée de saint Augustin; n'a-t-elle pas de
quoi vous frapper et vous consterner? Et cependant ce n'est pas
tout : écoutez ce qui me reste à vous dire de ce feu qui dévore
les réprouvés dans l'Enfer : Devorabit eos ignis.
Feu de l'Enfer, feu raisonnable, et qui redouble encore l'acti-
vité de ses flammes selon le nombre et la grièvecé de ses crimes j
Justice suprême , qui punissez les damnés , ,oui ?vous rendez à
m. ïo
!2J6 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
chacun selon ses œuvres ; et c'est dans le séjour de la confusion et
du désordre que vous montrez aussi l'ordre équitable de vos châ-
timens. Hélas ! si une seule offense mortelle nous rend dignes à
vos yeux du feu de la réprobation , et si vous ordonnez à ce feu
vengeur d'en poursuivre avecune rigueur presque infinie la tache
ineffaçable, avec quelle fureur devez-vous donc la déchaîner con-
tre une ame défigurée et noircie par une multitude de crimes! (Le
MEME.)
Quelles sont les victimes de la colère de Dieu dans l'Enfer?
Là , c'est un pécheur scandaleux dont les exemples et les con-
seils séduisirent tant dames faibles et innocentes ; artisan de leur
malheur, vil suppôt du démon , ennemi déclaré de Jésus-Christ
jusque dans l'empire de sa religion, il lui fit une guerre ouverte;
il eut voulu anéantir le fruit de sa croix; il lui ravit le prix de son
sang ; et il ne serait pas l'objet de toute sa fureur au milieu des
flammes vengeresses ! Sanguinem ejus de manu tua requiram.
Là , c'est un grand du monde que la justice et la reconnaissance
invitaient à glorifier l'auteur de son élévation par de plus profonds
hommages, et qui tira de sa grandeur même mille secours pour
outrager avec plus d'audace et plus de succès la main bienfaisante
et magnifique qui l'avait élevé au dessus des autres hommes. Puis-
sans dieux de la terre, de quel triste éclat vous brillerez dans les
Enfers , quand le Dieu fort et terrible , déployant contre vous
toute l'activité d'un feu vengeur de ses droits, ne vous laissera de
votre grandeur passée que le funeste privilège de sentir plus que
les autres la grandeur et l'excès de ses tourmens : Potentes poten-
ter tormenta patîentur !
Là, c'est un riche du monde; et parce qu'il ne fit entrer pour
rien l'obligation de l'aumône dans l'usage de ses richesses, parce
qu'il n'eut pour tant d'infortunés Lazares que des entrailles de fer;
coupable du crime que l'Evangile reproche au mauvais riche, le
voilà, comme lui, plongé dans des feux dont il ressent les plus
vives atteintes ; comme lui, se désespérant dans le sein de ses dou-
leurs, et criant plus haut que le reste des damnés : Crucior in hac
flamma.
Là, c'est une infinité d'ames sensuelles et voluptueuses, qui
expient d'infâmes plaisirs par les plus horribles tortures, Religion
sainte, n'est-ce pas surtout aux flammes honteuses de l'impureté
que sont réservées les flammes les plus dévorantes de l'Enfer? Oui,
vous nous dites que c'est contre ce vice abominable qui aura
r DES PREDICATEURS. I/j7
traîné dans la boue d'une satisfaction brutale une chair consacrée
par le sceau du baptême, et dont l'opprobre rejaillit en quelque
sorte sur l'auguste chef dont nous sommes les membres; que le
Dieu de sainteté et de justice éclate dans ces prisons embrasées,
et que plus on a goûté de criminelles délices, plus on y est immolé
à d'ineffables tourmens : Quantum in deliciis fuU} tantum date Mi
tormentum et luctum.
Or, à la vue de ces réprouvés étincelans de feu, dites-moi
chrétiens, si l'Enfer n'est pas bien terrible. Région cruelle, s'é-
criait saint Bernard , du fond de sa solitude; région de feu, que
ton souvenir porte d'effroi dans mon ame ! C'était un saint près de
recevoir de la main du Seigneur la couronne de gloire, et i
tremblait avec ses vertus et ses miracles ! Quelles doivent donc
être les frayeurs de ceux qui ne sont pas moins coupables que tant
de grands criminels , parmi les réprouvés , et auxquels il ne man-
que plus qu'un trait de ressemblance avec eux, qu'à l'instant où
je parle l'Enfer s'ouvre pour les engloutir? Devorabit eos ignis.
Grand Dieu! retenez vos foudres suspendues sur nos têtes, et,
pour nous faire opérer notre salut avec crainte et tremblement,
laissez-nous contempler encore le théâtre de vos fureurs.
Est-ce la peine du feu qui forme le plus cruel tourment des
réprouvés? Non, chrétiens; multipliez mille et mille fois toutes
les rigueurs du feu de l'Enfer, dit saint Ghrysostôme, jamais ses
impressions les plus douloureuses n'égaleront l'affreux supplice
que cause aux réprouvés la perte de Dieu; pourquoi? parce que
cette peine de sentiment attachée a l'entière séparation de l'Être su-
prême, reprend saint Augustin, ne peut se mesurer que sur l'infi-
nité des perfections divines, c'est-à-dire que cette peine est grande
et terrible à proportion que Dieu est grand et aimable. Elle est
donc un mystère inconcevable d'horreurs, et doit plonger une
ame damnée dans un abîme de tristesse et de désespoir crue l'es-
prit humain ne saurait approfondir : Separari a Deo tanta pœna
quantus ipso.
Peine étrange qui semble nous crier du milieu des flammes im-
mortelles de ne plus mettre de bornes à nos frayeurs. Oui, c'est
elle surtout qui m'épouvante. Et qu'importe q^e je ne la conçoive
pas, ou plutôt n'est-ce pas l'impuissance où l'homme est pendant la
vie de s'en former une juste idée, qui doit me la faire envisager sous
les traits les plus effra^ans ? Et, puisque tous les Docteurs et les
Pères de l'Eglise me la représentent comme l'enfer de l'Enfer; puis-
qu'elle surpasse tellement la peine du feu, que celle-ci n'est rien
10.
1^8 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE.
comparée à celle-là ; puisqu'on ne la conçoit qu'après la mort et
dans l'état désespéré de la réprobation, ah! je fatiguerai le ciel
de mes cris et de mes larmes, pour qu'il me soit donné de ne la
concevoir jamais. Je dirai : Seigneur, ne me damnez pas. J'ai vu
votre bras, armé de feux dévorans, me menacer d'un supplice qui
m'a fait pâlir d'effroi. Hélas ! en voilà un autre qui se montre de
loin, sous l'aspect le plus horrible : tous mes sens frissonnent, et je
me jette à vos pieds. O mon Dieu ! que votre justice ne livre point
mon ame à cette bête féroce , dont les morsures épouvantables font
souffrir un tourment incompréhensible comme vous-même : Sepa-
rari a Dco tanta pcena quantus ipse. (Le même.)
Preuves de l'éternilé des preuves de l'Enfer.
Ne nous dites pas, comme le font de prétendus philosophes,
(rue tout ce que nous disons des supplices éternels qu'endurent
les médians dans l'Enfer n'est rien qu'un amas de fictions et un
vain épouvantail pour les faibles , et que notre but , en l'accrédi-
tant, est de déterminer les hommes par la crainte à la pratique de
lavertu, au lieu d'essayer de les y déterminer en leur en faisant voir
la beauté et les attraits. A ceux qui tiendraient un pareil langage,
je leur répondrai en peu de mots que si ce que nous soutenons
n'était pas, il faudrait nécessairement, ou que Dieu lui-même ne
fût qu'une fiction sans réalité, ou que, s'il existe, il ne s'occupât
aucunement de ce qui se passe parmi les hommes ; que le vice , la
vertu , le bien, le mal , ne fussent que des noms, et que c'est à tort
que les législateurs décernent deschâtimens contre ceux qui trans-
pressent les lois les plus sages. (Saint Justin, IIe Apologie, n° 9.)
Tourmens de l'Enfer, tourmens universels, tourmens éternels.
Quel nom le mauvais riche donne-t-il à l'Enfer ? C'est le lieu
des tourmens, s'écrie-t-il , locum tormentorum ; paroles énergiques
qui renferment l'universalité des peines qu'on y souffre. Oui, mes
frères, dans les douleurs inexprimables que cause aux réprouvés
un déluge de feu, dans l'état de souveraine misère où les jette
l'abandon, la malédiction de Dieu, bien loin que rien adoucisse
leurs maux, tout les irrite, tout les multiplie; les objets qui les
environnent, les pensées qui les occupent, les remords qui les
chirent,le ciel, la terre, leur séjour, leur cœur , le passé, l'avenir,
tous les temps, toutes les créatures, tous les fléaux réunis et dé-
chaînés contre eux» Donnez l'essor à votre imagination , laissez-
i DES PRÉDICATEURS. l4,9
la s'égarer et se perdre dans une foule de maux les plus affreux à
la nature, et dont la seule idée vous glace d'effroi : la religion vous
dit que cet étrange amas de peines se trouve dans l'Enfer, que c'est
dans l'Enfer que s'accomplit celte menace du Tout-Puissant, dont
les pécheurs n'éprouvent point ici-bas les effets. Je rassemblerai
sui eux tous les maux : Congregabo super eos mala. Encore tous
les maux de la vie présente ne sont, dans le langage des livres
saints , que quelques gouttes de sa colère ; et c'est comme un tor-
rent qu'elle tombe sur les réprouvés. La multitude et l'excès de
leurs souffrances demandent des forces surnaturelles: présent fatal
que leur fait la justice divine , afin d'épuiser sur eux tous ses coups.
Justice infinie, vous régnez seule dans l'Enfer : hélas! voyez-
vous ici quelque coupable qui doive augmenter le nombre de vos
victimes , et que vous attendiez sur ce théâtre de vos vengeances ?
C'est le lieu des tourmens , sombre et lugubre cachot dont
Dieu lui- même nous offre une image dans l'Ecriture. Cette nuit
profonde qui enveloppa les Egyptiens et les tenait comme enchaî-
nés par des liens de ténèbres, ces spectres hideux et menaçans
que la pâleur des éclairs présentait à leurs regards , le sifflement
des serpens et leurs cruelles morsures , l'aspect soudain et les
hurlemens de mille bêtes féroces , le bruit d'une tempêle conti'
nuelle; cette nuit, dis-je, sans exemple, et qui les vit tous immo-
biles et la plupart expirans de frayeur, était sortie, dit l'Esprit- Saint,
di fond des Enfers, comme un faible essai des ténèbres qui leur
étaient réservées: Noctem. ab altissimis lnjeris supervenientem....
Imago tenebrarum quœ supei ventura illis erat. Combien plus noire
et plus terrible est la demeure des réprouvés, cette région cou-
verte des ombres de la mort et le centre de tous les supplices!
Etre enseveli dans d'épaisses ténèbres , n'entendre que les cris
forcenés des compagnons de son infortune et y mêler les siens ;
ne voir dans cette funeste nuit, éclairée par de tristes lueurs, que
désordre et confusion, qu'objets d'épouvante et de désespoir, ces
grincemens de dents, expression de la rage, ces monstres de scélé-
ratesse auxquels on est associé , cet amas de calamités dont on
est investi , ces affreux démons , victimes et ministres tout a la
fois des vengeances du Très-Haut ; et parce que le péché rend
l'homme esclave de Satan, abandonné à la puissance des légions
infernales, être le jouet et la proie de toute leur fureur , et sous
les coups de ces impitoyables bourreaux , sans cesse au comble de
de la douleur et de l'effroi, offrir à tout l'Enfer un modèle accom-
pli du malheur; quelle horrible destinée ! On ne peut y penser
l5o NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
sans frémir: ah! devons-nous rien épargner pour nous y sous-
traire ?
C'est le lieu des tourmens. Dans le ciel l'harmonie et l'union
des cœurs ajoutent des charmes au bonheur des saints; mais l'En-
fer est le règne de la discorde, qui y déploie toutes ses horreurs :
Nullus ordo, sed sempiternus horror. Et quel surcroît de disgrâces
pour les réprouvés ! ennemis irréconciliables, chacun d'eux a les
mains levées contre tous, tous ont les mains levées contre lui,
d'autant plus acharnés à se tourmenter mutuellement qu'ils ont
contribué mutuellement à se perdre et à se damner : Per quœ peccat
quis, per hœc et torquetur. Là , les complices des mêmes crimes ,
enveloppés dans un même désastre, se regardent d'un œil de cour-
roux. Une haine immortelle a succédé à des liaisons injustes, à des
amours profanes ; on se jurait sur la terre un attachement vain-
queur des années et de la mort, on n'est réuni dans l'Enfer que pour
y accroître réciproquement son supplice. Quels sont les gémisse-
mens et les cris d'un père et d'une mère, doublement malheureux
et coupables d'avoir ajouté à leur propre perte celle de leurs en-
fans ! Hélas î ces enfans trop chéris sont devenus des tigres cruels;
la nature est muette dans leur cœur; ils ne la connaissent que
pour l'outrager ; ils ne s'attachent aux auteurs de leurs jours que
pour les punir de leur fausse tendresse et redoubler leur désespoir:
Per quœ peccat quis, per hœc et torquetur. Et ce maître débauché
voit à ses côtés les ministres de ses passions irriter ses douleurs,
et lui faire payer chèrement leurs funestes services. Et cette fem-
me, si fière d'une vaine beauté,'tidole autrefois rassasiée d'encens et
d'hommages , ne trouve plus dans ses anciens adorateurs, que des
démons rugissans. Et cet écrivain scandaleux et impie, qui voulut
établir la célébrité de son nom sur les ruines de la religion et des
mœurs, est livré aux mépris, aux insultes , aux outrages d'une
multitude d'infortunés qu'il a entraînés dans l'abîme, pour prix de
leurs applaudissemens et de leurs éloges : Per quœ peccat quis, per
hœc et torquetur. Que dirai-je de ces vils brigands, de ces cœurs
perfides , de ces âmes noires, de ces caractères insociables et féro-
ces dont l'Enfer est plein, et qui en augmentent le trouble ? J\ul/us
ordo , sed sempiternus horror. O vases d'iniquité que la colère de
Dieu heurte les uns contre les autres, troupe immense remplie
d'un esprit d'orage et du fiel du dragon, dit l'Ecriture, eh bien !
tourmentez-vous ; nul repos , nulle paix , guerre éternelle , ami
contre ami, frère contre frère, époux contre épouse, réprouvé
contre réprouvé ; accablez-vous de sanglans reproches , lancez-
DÈS PRÉDICATEURS. l5l
vous mille imprécations, haïssez, maudissez comme on vous hait
et l'on vous maudit, soyez tous ensemble la pâture de vos fureurs
réciproques : vous remplissez les vues de cette justice inexorable
qui arme contre les pécheurs toutes les créatures et les pécheurs
eux-mêmes: Armabit creaturam ad ultionem inimicorum. Et vous!
à qui je présente cet odieux tableau , n'entendez - vous pas ce
qu'il vous dit ? Voulez-vous paraître sur cette scène abominable
pour y jouer aussi le rôle d'un damné ?
C'est le lieu des tourmens. Il les appelle et les attire de toute
part, il en va chercher jusque dans le ciel. Les délices ineffables
qui comblent les vœux des élus aigrissent les maux des réprouvés,
et ensanglantent, pour ainsi dire, toutes leurs plaies. Du fond de
ce gouffre, ils lèvent les yeux vers la céleste Jérusalem : Elevans
oculos. Et que voient-ils? que verrez-vous vous-même si vos pé-
chés vous associent à leur malheur? Gomme eux, franchissant
d'un seul regard le vaste chaos qui vous séparera du séjour de la
lumière et de la félicité, vous y verrez de loin Lazare dans le sein
d'Abraham, des proches, peut-être, avec qui vous aurez passé
vos jours mortels sous un même toit, et qui jouiront d'un sort bien
différent du vôtre; tant d'ames dont vous aurez traité la sagesse
de folie , qui brilleront alors au dessus de votre tête et feront re-
tentir la sainte Sion de leurs cris d'allégresse. Un bonheur auquel
on n'eut jamais de droit, ou dont on écarte le souvenir, touche
moins un malheureux qui en est privé : mais le royaume des cieux
était à vous, et vous voyez les biens qu'il prodigue à d'autres, tan-
dis que voire partage est dans les ténèbres extérieures et les flam-
mes dévorantes. O violens transports d'une fureur jalouse! vous
voudrez vous élancer vers l'heureuse patrie qui vous préparait
un trône de gloire et le diadème de l'immortalité : inutiles efforts!
retenu par des chaînes pesantes, vous retomberez sur vous-même
en frémissant de rage et d'envie; vous serez plus déchiré par l'i-
dée du bonheur que vous aurez perdu que par le sentiment des
autres peines que vous souffrirez; et les joies du ciel, dit saint
Chrysostôme, vous tourmenteront plus que les supplices de l'En-
fer : Plus a cœlo torquentur quam ab Inferno. Oui, mes frères, si le
ciel ne nous met pas en possession de tous les biens, il achèvera
de nous écraser sous le poids de tous les maux. Il faut qu'il nous
rende heureux ou malheureux; et puisqu'il a moins coûté aux
saints qui y sont admis qu'il ne coûte aux damnés qui en sont ex-
clus, insensés que nous sommes ! ne vaut-il pas mieux nous en as-
surer la conquête au prix de quelques violences passagères
l52 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
que d'en déplorer la perte par des larmes intarissables et des re-
grets désespérans? Voilà la leçon que nous donne l'Enfer.
C'est le lieu des tourmens. Sceptre de fer qui frappez les dam-
nés, qu'ajoutez-vous donc encore à leurs souffrances? Ah! chré-
tiens , la vue de leurs crimes. Leurs crimes n'eurent ici-bas que la
durée de l'éclair; mais ils subsisteront toujours dans les abîmes du
passé; et , gardien sévère de ce funeste dépôt, le passé le conser-
vera sans cesse pour le leur remettre sans cesse devant les yeux :
Recordare. La vérité, dit T ertullicn , peut bien être obscurcie
quelque temps, parce qu'elle n'est pas Dieu; mais elle ne saurait
être étouffée ni éteinte, parce qu'elle vient de Dieu, et tôt ou tard
elle rentre dans ses droits. Le supplice des médians sera de lavoir
toujours : Evigilabunt utvideant semper ; àe voir sous leurs traits
hideux toutes les iniquités qui ont souillé le cours de leur vie,
tous les déréglemens de leur cœur, de leur esprit, de leur imagina-
tion ; ces noirceurs delà calomnie, ces bassesses de l'intérêt, ces
perfidies de l'ambition , ces emportemens de la vengeance, ces in-
famies de la volupté, ces ravages du scandale, ces discours licen-
cieux, ces haines cruelles, ces injustices énormes : spectacle qu'ils
ne pourront ni écarter ni soutenir, et qui, tout seul, serait un
enfer. Car, si l'on a vu des hommes , poursuivis par l'image de leurs
crimes, tourner contre eux-mêmes leurs mains désespérées, et se
sauver de ces furies domestiques par une mort violente , quel est
donc l'état d'une ame réprouvée à qui une clarté vengeresse mon-
tre incessamment tousses péchés, tels qu'ils sont aux yeux de
Dieu; ces péchés qu'elle ne voyait qu'à travers le nuage de la dis-
sipation et sous des couleurs trompeuses ; ces péchés dissimulés
au tribunal de la pénitence ou présentés avec des adoucissemens
infidèles; ces péchés effacés de son souvenir et endormis au fond
de sa conscience à l'ombre du sacrilège, sortis tout à coup de leur
retraite, l'épouvantent, l'investissent et l'accablent, tandis qu'une
voix formidable ne cesse de lui redire : Recordare 9 regarde, voilà
ton ouvrage et ce que tu as emporté de ton séjour sur la terre.
Tu ne te connaissais pas, un voile de malice te cachait la corrup-
tion de ton coeur et l'opprobre de tes égaremens ; Dieu l'a déchiré
dans sa colère. Vois ces monstres qui t'environnent : tu l'as ou-
tragé par eux , c'est par eux aussi qu'il se venge ; tu leur as donné
lajne , ils ne te quitteront plus. Porte à jamais la honte et le tour-
ment qu'ils ajoutent à tes maux : Porta confusionem titam, porta
tormentum tuicm.
C'est le lieu des tourmens, Gomment peindre ce ver immortel qui
DES PRÉDICATEURS. l53
ronge le cœur du reprouvé, qui lui montre le néant des faux biens
dont la poursuite lui a coiAité tant de peines superflues, qui lui retrace
les secours de salut que son Dieu lui offrait , et dont l'usage lui
eût été si facile, qui lui crie qu'il est l'auteur de sa perte, l'unique
auteur de tous les maux où il est plongé? Comment peindre ces
mouvemens de dépit, d'indignation et de fureur qui le transpor-
tent contre lui-même à la vue de son extrême folie ? Objet de mé-
pris et d'horreur à ses propres yeux, de quels traits il voudrait
encore se percer pour ajouter, s'il était possible, à son malheur!
Grand Dieu! quel supplice de ne trouver dans les rigueurs d'un
sort infiniment cruel rien de si insupportable que soi-même; de
se détester plus que tous les maux dont on est la proie; d'être son
accusateur, son bourreau, son démon, et de se tourmenter avec
plus de rage que ne le font ensemble tous les ministres de votre
courroux et toutes les flammes de l'Enfer! O Dieu ! qu'un cœur
coupable fournit à votre justice un terrible vengeur de ses
crimes !
C'est le lieu des tourmens. Mais que fais-je?et qui peut les comp-
ter? les trésors d'une justice infinie sont inépuisables : Quisnow't
potestatem irœ tuœ ,et prœ timoré tuo iram tuam dinumerare? Et
ces tourmens sans nombre, sans adoucissement, sans relâche, cet
effroyable amas de peines et de supplices dont je n'ai fait que
vous tracer une ébauche, voilà ce dont la religion menace les hom-
mes faibles , sensibles , délicats, si amateurs d'eux-mêmes , si en-
nemis des plus légères souffrances, si occupés à écarter d'eux
les moindres disgrâces de la vie. Eh! dans quelles alarmes doit
donc les jeter la vue de l'Enfer et le péril prochain de tomber dans
cet abîme de tous les tourmens! ils sont éternels : dernier trait du
tableau de l'Enfer qui doit mettre le comble à nos frayeurs.
En vain , pour nous rassurer , voudrions-nous répandre des
nuages sur cette vérité fondamentale de notre foi ; les Prophètes,
les Apôtres, Jésus-Christ, toute l'Eglise nous crie que le supplice
des pécheurs dans l'Enfer est aussi interminable que la récom-
pense des justes dans le ciel. La mort fixe le cœur de l'homme
dans un état immuable soit de haine, soit d'amour pour Dieu;
et, toujours coupables à ses yeux, les réprouvés seront toujours
l'objet de ses vengeances: ils ont outragé une majesté infinie; leur
châtiment ne pouvant être infini dans sa rigueur, il le sera dans sa
durée. Ils en furent avertis : qui les a empêchés de se dérober au
malheur dont on les menaçait ? pourquoi ont-ils poussé l'extrava-
gance et la fureur jusqu'à vouloir se perdre ? Dieu est-il respon-
I 54 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
sable de leur infortune, et ne sont-ce pas eux qui lui ont arraché
la foudre des mains ? Mais regardez le Calvaire , et vous n'aurez
pas de peine à croire que l'Enfer est éternel. Ilya, dit saint Ber-
nard, une étroite liaison entre le dogfnie terrible d'une éternité
malheureuse et les satisfactions infinies de l'Homme-Dieu. Il n'était
pas nécessaire qu'un Dieu mourut; il ne serait donc jamais mort
pour l'expiation du péché, si le péché pouvait être expié par le
supplice passager de toutes les créatures. Ainsi Jésus-Christ sur la
croix nous apprend que le réprouvé sera toujours dans l'Enfer : Si
hœc non fuissent ad mortem sempitemam , nunquam Deus more-
retur.
Toujours dans l'Enfer ! ô effrayante vérité! toujours être acca-
blé sous le poids de la colère et des malédictions de Dieu ; toujours
brûler, blasphémer, se déchirer, se désespérer! et quand on aura
s uffert autant de millions d'années, disent les Pères, qu'il y a de-
toiles qui brillent dans le firmament, d'atomes répandus dans les
airs, de gouttes d'eau rassemblées dans le sein de la mer, de grains
de sable entassés sur ses rivages, être encore dans le même état,
dans la même désolation , dans les mêmes transports de rage; et
quand ensuite, en ne versant qu'une larme dans un siècle, on en
aurait assez répandu pour former les plus grands fleuves, pour
inonder la terre, pour remplir tout cet espace immense qui la sé-
pare du ciel, n'avoir pas avancé d'un moment la fin de ses suppli-
ces; et quand, après cette durée prodigieuse on aura souffert encore
durant la plus longue révolution de temps que l'esprit humain
puisse imaginer, n'avoir pas même fait un pas dans cette carrière
interminable de souffrances, s'en occuper sans cesse, souffrir par
la pensée tout ce que l'on souffrira en effet, porter à chaque ins-
tant , et à jamais , tout le poids de l'éternité malheureuse : ah! chré-
tiens, nous essaierons en vain de sonder ce terrible mystère de
la justice divine.
Prosternons-nous en tremblant devant le grand Dieu, dont le
bras s'appesantit avec tant de force sur les réprouvés, et fait mon-
ter la fumée de leurs tourmens dans les siècles des siècles : Fiunus
tormentorum eorum ascenclet in sœcula sœculorum. La justice des
hommes, dit l'éloquent évêquede Meaux, n'est qu'une ombre de
celle de Dieu. Si elle laisse un libre cours à la miséricorde dans
cette vie , elle reprend ses droits dans l'autre , elle règne dans
l'Enfer, C'est là que cette justice, souveraine, inévitable, agit selon
sa nature, et qu'étant infinie, elle s'exerce à la fin par des suppli-
ces infinis et éternels. ( L'abbé Richard.)
DES PREDICATEURS.
55
La foi <loil corriger nos erreurs et perfectionner nos lumières sur l'éternité
des peines.
Dieu propose aux hommes une révélation aussi pleine de ter-
reur que cligne de respect, savoir, que tout péché mortel de sa na-
ture mérite d'être puni par un supplice éternel. Dieu , dis-je, nous
propose ce point de créance avec tout le poids de son autorité et
par- la bouche des Prophètes ; car, leur feu , dit Isaïe, ne s'éteindra
jamais; et par la bouche des Apôtres : ceux qui résistent à l'Evan-
gile en souffriront, selon le témoignage de saint Paul, éternelle-
ment la peine; et parles oracles delà Sagesse incarnée : Allez, mau-
dits, au feu éternel, qui vous a été préparé depuis le commence-
ment du monde; et par le consentement unanime de toute l'Eglise,
laquelle a toujours interprété l'Ecriture en ce sens; et parles dé»
cisions des conciles qui nous l'ont expressément déclaré; et parla
tradition des deux Lois, l'ancienne et la nouvelle, qui, sur ce dog-
me important, ont toujours tenu le même langage; enfin, par
toutes les maximes de la foi qui nous annonce une peine éternelle
dans sa durée, comme due à un seul péché, et même à un péché
d'un moment, quand il va jusqu'à nous séparer de Dieu, et à
rompre le sacré nœud qui nous doit unir à lui. Est-il donc une
vérité plus solidement établie ? Mais sur cette vérité, néanmoins ,
sur cette révélation si authentiquement proposée, l'esprit de l'hom-
me a souvent formés des difficultés, c'est-à-dire, des erreurs ; et lors-
qu'il s'y est soumis, il a voulu chercher des raisons pour se justifier
à soi-même cette étonnante proportion dune éternité de peine avec
un moment de péché. Or, à quoi nous sert la foi, ou à quoi nous
doit-elle servir ? je l'ai dit , et je le répète, à corriger ces erreurs,
comme étant opposées à la vérité primitive et infaillible, et à forti-
fier, à perfectionner les lumières qui nous donnent quelque idée
de ce mystère si éloigné de nos vues humaines et de nos connais-
sances. Voilà le plan de cette première partie, qui renferme sur
les jugemens de Dieu les plus grandes instructions. Ecoutez -moi.
Ne parlons point de l'athéisme, qui, niant un Dieu, nie consé-
quemment l'auteur d'une peine éternelle. Ne nous arrêtons point
non plus à l'impiété d'Epicure, qui, faisant mourir l'ame avec le
corps , détruit le sujet capable de souffrir une peine éternelle.
Voici trois erreurs moins grossières et plus raisonnables en appa-
rence, qui ont attaqué l'éternité des peines dans la proportion
qu'elle a avec le péché; caries uns ont prétendu que cette éter-
ï56 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
nité de supplices pour un péché, quelque énorme qu'il puisse être,
répugnait à la bonté de Dieu ; les autres ont cru de plus qu'elle
blessait les lois de la justice de Dieu ; et les derniers, enchérissant
encore, ont pensé qu' elle était même au dessus de la toute-puis-
sance de Dieu. Dieu est trop bon pour affliger éternellement une
ame pécheresse ; Dieu est trop juste pour venger dans des siècles
infinis ce qui s'est passé dans un instant; Dieu n'est pas assez
puissant pour faire que ,1a créature subsiste une éternité entière
dans les souffrances et dans la douleur. Voilà leurs raisonnemens ;
mais moi , mes frères , je soutiens que notre foi, dans ses principes,
a de quoi nous affermir contre toutes ces erreurs : et comment est-
ce qu'elle y procède? apprenez-le.
Non, répond-elle aux premiers, une peine éternelle pour un pé-
ché n'est point incompatible avec la bonté divine; et ce qui vous
trompe, c'est la fausse opinion que vous avez conçue de cette
bonté souveraine d'un Dieu. Car vous voulez qu'elle consiste dans
une molle indulgence à tolérer le mal et à l'autoriser; mais c'est
cela même qui la détruirait, puisqu'elle ne serait plus ce qu'elle
est dès qu'elle cesserait de haïr le péché autant qu'elle le déteste
et qu'elle le hait. Pourquoi disons nous que Dieu est souveraine-
ment bon ( c'est la belle remarque de Tertullien), sinon parce qu'il
a souverainement le mal en horreur? Et qu'est-ce, à l'égard de
Dieu , que d'avoir une souveraine horreur pour le mal , si ce n'est
de le poursuivre sans relâche et d'en être l'implacable vengeur ?
Quis enim boni auctor, nisi qui inirniciis mail ; et quis inimicus mali\
nisi qui expugnator ; quis autein expugnator, nisi qui et punilor?
Ainsi raisonnait-il contre Marcion. Comprenez donc, ô homme
(c'est toujours le même Tertullien qui parle), comprenez ce que
c'est qu'un Dieu bon. C'est un Dieu essentiellement opposé au pé-
ché, un Dieu toujours ennemi du péché, et par une suite nécessaire,
un Dieu persécuteur éternel du péché : tellement qu'il ne serait
plus Dieu s'il y avait un instant où il n'agît pas contre le péché
pour le condamner et pour le punir, parce que ce ne serait plus
un Dieu bon de la manière qu'il lest et qu'il le doit être. Mais que
voudrait le pécheur? En se faisant des idées de bonté selon les in-
térêts de sa passion ,il voudrait un Dieu sous lequel les crimes pus-
sent être quelque jour en paix :Deu;n malles sub quo delicta ali-
quando gauderent ; et il jugerait ce Dieu bon, qui rendrait l'hom-
me méchant par l'assurance dune rémission future : Et illum ho-
num judicares, qui hominem malum faceret securitate delicti. Delà ,
poursuit encore Tertullien, vous ne voulez point reconnaître cette
DES PRÉDICATEURS. l5j
bonté dont l'essence est de ne vouloir jamais convenir avec le
mal, et d'avoir pour lui une haine sans retour. Mais si vous ne la
reconnaissez pas, tous les saints et tout ce qu'il y a eu de vrais fidè-
les versés dans la science de Dieu l'ont reconnue; ils l'ont haute-
ment confessée, ils l'ont publiée et glorifiée, parce que, éclairés
d'une sagesse supérieure à la vôtre et toute céleste, ils ont vu
que Dieu devait être bon de la sorte, et que selon les règles de
sa sainteté il ne le pouvait être autrement.
Pour remonter à la source de l'erreur que je combats, Origène
fut le premier qui voulut faire Dieu plus miséricordieux'qu'il n'est en
lui-même, ou plutôt, comme dit saint Augustin , qui voulut paraître
lui-même plus miséricordieux que Dieu, lorsqu'il avança qu'après
un certain temps les peines des âmes réprouvées finiraient .'héré-
sie dont il se fit le chef, et pour laquelle l'Eglise le frappa
de ses anathèmes. Aussi , chrétiens , observez , je vous prie , le
prodigieux égarement de l'homme, quand il n'est pas conduit
par la foi. Cet Origène, qui, par un sentiment présomptueux de la
bonté de Dieu, ne voulait pas que la peine des damnés fût éter-
nelle, par une autre erreur toute contraire, mettant des bornes à
la miséricorde de Dieu, s'emporta jusqu'à soutenir que la gloire
des bienheureux aurait elle-même son terme, et que comme les
réprouvés passeraient de l'état de souffrances à celui de repos,
ainsi les saints qui régnent avec Dieu changeraient de temps en
temps, par une triste et monstrueuse vicissitude, leur état de re-
pos dans un état de souffrance , pour se purifier toujours davan-
tage, et s'acquitter pleinement des anciennes dettes qu'ils auraient
contractées dans la vie. Voilà, reprend saint Augustin , comment
cet homme si déclaré, d'une part, en faveur de la divine miséri-
corde, l'outrageait de l'autre, et perdait l'avantage dont il se pré-
valait d'en être le plus zélé partisan ; puisque, s'il donnait auxames
réprouvées une fausse espérance de la béatitude, il ôtait aux âmes
prédestinées la solide assurance de l'éternité de leur bonheur.
Mais après tout, pouvait dire Origène, pourquoi donc tant exal-
ter la bonté de notre Dieu , Créateur de l'univers, si de longs siè-
cles de satisfaction et de peine ne suffisent pas pour expier à ses
yeux un seul crime, et pour éteindre le feu de sa colère? Ah! s'écrie
saint Grégoire, l'homme est toujours subtil à tirer des conséquen-
ces de la bonté de Dieu contre Dieu même ! Et moi je réponds :
Pourquoi donc l'Ecriture nous fait-elle entendre tant de menaces
et tant d'arrêts foudroyans qui condamnent le pécheur à cette
éternité de supplices, s'il y a lieu de penser qu'ils ne doivent pas
! 58 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
toujours souffrir? Chose étrange! ajoute ce grand pape; nous
nous mettons en peine de garantir la bonté de Dieu, et nous ne
craignons pas de le faire auteur du mensonge , pour sauver sa mi-
séricorde, comme s'il était moins véritable dans ses paroles que
favorable dans ses jugemens : Deum satagunt perhibere misei^icor-
dejUj et non verentur prœdicare fallacem.
En effet, la même Ecriture qui m'apprend que Dieu a des en-
trailles de miséricorde pour tous les hommes, me déclare en même
temps, et dans les termes les plus formels, qu'il y a des flammes
éternelles allumées pour le tourment des pécheurs. Il ne m'est pas
plus permis de douter de l'un que de l'autre; mais je dois r>ar l'un
rectifier les faux préjugés dont je pourrais me laisser prévenir à
l'égard de l'autre; car, au lieu de dire : Dieu est la source de
toute bonté, donc il ne punira pas éternellement le péché;je dois
dire : Dieu punira éternellement le péché, quoiqu'il soit la source
de toute bonté et la bonté même, puisque la foi me l'enseigne de
la sorte, et que c'est une vérité fondamentale dans la religion.
Ainsi, la bonté de Dieu n'exclut point l'éternité des peines, ni
l'éternité des peines n'est point contraire à la bonté de Dieu. Mais
comment et par où se concilient dans le même Dieu cette bonté
suprême et cette extrême sévérité? c'est ce qu'il ne m'appartient
pas de pénétrer, mais c'est ce que je suis obligé de croire. Il me j
suffit desavoir l'un et l'autre , et de le savoir comme je le sais , avec j
une entière certitude, dès que l'un et l'autre m'est révélé par l'Es-
prit de Dieu : je me tiens là, et je ne vais pas plus avant. Ce n'est
pas que, sans diminuer d'un seul moment les peines de l'Enfer, je
ne pusse absolument concevoir tout ce que je sais et tout ce que
je crois de la bonté de Dieu ; ce n'est pas qu'il me fut si difficile
de comprendre qu'une bonté assez ennemie du péché pour avoir
fait descendre un Dieu sur ïa terre, afin de le détruire, pour l'a-
voir porté à se revêtir de notre chair, à prendre sur soi toutes
nos misères, à mourir sur une croix , l'est encore assez pour le dé-
terminer, ce même Dieu si saint et si bon , à ne faire jamais grâce
au péché. Mais la voie est plus courte et plus sûre tout ensemble,
de respecter ce mystère sans l'examiner , et de me contenter du
témoignage de ma foi, que je ne puis démentir. Elle est infaisable
dans ses connaissances, et ses connaissances sont au dessus de
toutes mes vues. Quand , en me faisant reconnaître dans Dieu une
bonté suprême, en voilà plus qu'il ne faut pour résoudre tous
mes doutes; et, c'est ainsi, chrétiens, que la foi corrige la première er-
DES PREDICATEURS. lf)Q
reur touchant la peine éternelle du pécheur impénitent et réprouve.
Passons à la seconde.
C'est qu'une peine éternelle ne peut s'accorder avec la justice
de Dieu : pourquoi ? parce que le propre de la justice est de con-
former le châtiment à l'offense; en sorte que, ni l'offense, par sa
gravité, ne soit point au dessus de la peine, ni la peine, par sa ri-
gueur, au dessus de l'offense. Or, où est cette égalité et cette oro-
portion entre une éternité de peine et un péché de quelques jours
de quelques heures, et même d'un seul moment? Si j'avais, mes
chers auditeurs , à justifier cet article de notre foi autrement que
par la foi même , je pourrais vous répondre que s'il n'y a pas en-
tre cette éternité et ce péché une proportion de durée, il peut y
avoir et il y a en effet une proportion de malice d'une part
et, d'autre part, de satisfaction et de punition : de malice dans le
péché, et de satisfaction dans le châtiment. Je m'explique ■ car ce
qui nous^trompe, c'est de vouloir mesurer la durée de la satisfac-
tion que la justice de Dieu ordonne, par la durée de l'action cri-
minelle dont le pécheur s'est rendu coupahle. Faux principe dit
saint Augustin ; et pour en voir sensiblement l'illusion, il n'y a
qu'à considérer ce qui se passe tous les jours dans la justice même
des hommes. Qu'est-ce que l'ignominie d'un supplice infâme et
que la tache qu'il imprime, laquelle ne s'effacera jamais ? quest-ce
qu'un état de servitude et qu'un esclavage perpétuel?qu'est-ce une
l'ennui d'un bannissement, d'un exil, d'une captivité aussi Jon-
que que la vie? Tout cela n'est-ce pas, autant qu'il le peut être
une espèce d'éternité? Or, nous voyons néanmoins que la justice
humaine emploie tout cela contre un attentat presque aussitôt
commis et achevé qu'entrepris et commencé. Et quand, pour ven-
ger cet attentat si peu médité quelquefois, et si prornptement exé-
cuté, elle fait servir tout cela, nous ne trouvons rien dans la peine
qui excède le crime. Elle va plus loin ; et qu'est-ce que la mort?
demande encore saint Augustin, cette mort, de toutes les choses
terribles, selon la nature, la plus terrible; cette mort qui, de tous
les biens temporels, enlève à l'homme, en le détruisant, le plus
précieux, qui est la vie; cette mort dont le coup est irrémédiable
et dont les suites par là même sont comme éternelles? Toutefois
que ce soit le châtiment de certains crimes, quelque subits d'ail-
leurs et quelque passagers qu'ils aient été, c'est ce que nous ap-
prouvons; c'est en quoi nous admirons et la sagesse et l'équité
des lois du monde. 11 est vrai , continuel e même Père , et cette
observation convient parfaitement à mon sujet, il est vrai que le
!5q NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
sentiment de celte mort passe, mais l'effet ne passe point; et c'est
surtout ce que se propose la loi.
Car prenez garde, s'il vous plaît, que la première et la plus di-
recte intention de la loi n'est pas de tourmenter pour quelque
temps le criminel sur qui elle lance son arrêt ; mais que par cet
arrêt irrévocable elle pe'nètre jusque dans l'avenir, et que sa vue
principale est de le retrancher pour jamais du commerce et de la
société des vivans , dont elle l'a jugé indigne : Qui vero morte
mulctatur, numquid moram qua occiditur, quœ brevis est , ejus sup-
plicium leges œstimant ; an non potius quod in sempiternum eum
auferant de societate viventium? Ce sont les paroles du saint doc-
teur; d'où il s'ensuit que pour mesurer la proportion de la peine
et de l'offense, ce n'est donc pas une règle toujours à prendre que
la durée de l'un ou de l'autre , et que dans un supplice qui ne finit
jamais, pour un péché qui finit si vite, et dont le plaisir est si court,
la justice divine peut être à couvert de tout reproche.
Voilà , encore une fois , chrétiens , la réponse que j'aurais à vous
faire, et qui serait pour vous, sinon une preuve convaincante, du
moins une des plus fortes et des plus sensibles conjectures. Mais
ce n'est point là ce que je me suis prescrit ; et sans quitter mon
dessein, j'en reviens à la foi.
Que me dit-elle? deux choses : que Dieu est juste, et que ses ven-
geances sont éternelles. Elle ne me peut tromper sur aucune de
ces deux vérités, puisque ce sont autant d'oracles émanés de la
première vérité. Par conséquent, ce sont pour moi deux vérités
incontestables; par conséquent, ces deux vérités ne se combat-
tent point l'une et l'autre, et concourent parfaitement ensemble ;
par conséquent, la peine des damnés subsistant dans toute son
éternité, la justice de Dieu subsiste dans toute son intégrité : que
dis-je ? c'est dans cette éternité même qu'éclate la justice divine,
puisque la peine des damnés n'est éternelle que parce que Dieu
est juste, et qu'autant qu'il est juste; par conséquent, lorsqu'on
me représente cette peine éternelle, je ne dois pas conclure que
Dieu est injuste : car rien d'injuste, dit saint Augustin, quand
c'est le juste par excellence qui l'a résolu : Nihil injustum esse po-
test quod placet justo. Mais la seule conclusion que je dois tirer
est celle de saint Ambroise : qu'il faut donc que le péché soit le
plus grand de tous les maux, puisqu'un Dieu si juste le punit par
la plus grande de toutes les peines; qu'il faut donc que le péché
renferme un fonds de malice inépuisable, puisqu'au jugement
même de la souveraine justice, il demande pour réparation une
DES PRÉDICATEURS. l6l
éternité tout entière; qu'il faut donc que le monde soit bien
aveugle, lorsqu'il regarde avec tant d'indifférence le péché, et qu'il
en témoigne si peu de crainte, puisqu'un seul péché le conduit
dans le plus profond abîme de la misère pour n'en sortir jamais.
Tout cela fondé sur les principes indubitables et inébranlables de
la religion.
Que lui reste-t-il à cette foi si droite et si éclairée? de corriger
la troisième erreur, qui refuse à Dieu le pouvoir d'exercer sur le
même sujet une vengeance éternelle, et de lui faire toujours égale-
ment sentir les cruelles atteintes et les vives impressions du feu
qui le brûle. Erreur entre toutes les autres, la plus frivole et la
plus vaine, pour quiconque a quelque notion d'un Dieu tout-puis-
sant. Comme si Dieu ne pouvait pas donner au feu, qu'il a choisi
pour être l'instrument de sa colère , des qualités propres , et au
dessus de l'ordre naturel. Comme si Dieu , qui de rien a tout créé
et qui d'un seul acte de sa volonté soutient tout, ainsi que la foi
nous le fait connaître, manquait de force et de vertu pour sou-
tenir toute l'activité de ce feu , sans aliment et sans matière. Comme
s'il était difficile à Dieu, après avoir formé, et le corps et l'ame,
de rendre l'un incorruptible aussi bien que l'autre, sans le rendre,
non plus que l'autre, impassible ; et de les conserver dans les flam-
mes, pour en éprouver les plus violentes ardeurs, sans en recevoir
la plus légère altération. Comme si c'était là de plus grands mira-
cles pour Dieu, que tant de prodiges éclatans que la loi nous met
devant les yeux, et où elle nous donne à entendre qu'il n'a même
fallu que le doigt du Seigneur : Digitus Dei est hic i. Qu'est-ce
donc quand il déploie tout son bras, et qu'il l'appesantit sur de
rebelles créatures frappées de sa haine? Qui le peut savoir et
quelle horreur de l'apprendre par soi-même ? Brachium Domini
cui revelatum est^? Ah! mes chers auditeurs, ne cherchons point
par d'inutiles questions et des recherches dangereuses à diminuer
les salutaires frayeurs qu'excite en nous l'esprit chrétien. Croyons,
et dans un saint tremblement rendons à la bonté de notre Dieu
à la justice de notre Dieu, à la puissance de notre Dieu, tous les
hommages qui leur sont dus. N'écoutons point notre cœur qui se
trompe et qui voudrait nous tromper. Parce que la vue d'un tour-
ment éternel le trouble, et que ce trouble intérieur l'importune et
le gêne dans ses passions déréglées, il lâche par toutes sortes de
moyens à rompre ce frein , et devient ingénieux à inventer mille
Exod., 8. - 2 Isaï., 53.
T. III. Ir
ï62 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
subtilités contre les vérite's les plus essentielles. Ne discourons
point tant, mais agissons. Ce ne sera ni notre philosophie, ni tous
nos discours qui nous garantiront de ce jugement de Dieu si for-
midable : mais ce qui nous en préservera , c'est la docilité de notre
foi avec la sainteté de nos œuvres ; et voilà sans contredit de tous
les partis le plus sage, puisque c'est évidemment le plus sûr.
Je ne prétends pas néanmoins que la raison ne puisse être ici
consultée, selon qu'elle est soumise à la foi et qu'elle compatit
avec la foi. Je ne craindrai point même de la faire ici parler, et de
recueillir tout ce qu'elle a découvert, pour justifier la conduite de
Dieu et cet arrêt irrévocable, qui, réprouvant le pécheur, le con-
damne à une peine éternelle. Car c'est là, chrétiens, le terrible
mystère qui de tout temps a exercé les premiers hommes de l'E-
glise et les plus versés dans les choses divines. Et quoique les
jugemens du Seigneur n'aient pas besoin de la justification des
hommes, puisqu'ils se justifient assez par eux-mêmes, comme dit
le Prophète : Judicia Domini vera, justificata in semetipsa*', toute-
fois ces saints docteurs ont pensé que sur l'éternité malheureuse
des réprouvés, il était bon de voir toutes les convenances qui s'y
rencontrent, et pour cela même d user de toutes les lumières et
de toutes les raisons que l'esprit humain, tout borné qu'il est,
nous fournit. Peut-être les avez-vous déjà plus d'une fois enten-
dues, ces raisons que j'ai à produire ; mais peut-être aussi vais-je
vous les proposer tout autrement qu'on ne vous les a fait conce-
voir. Car mon dessein , en les produisant , n'est pas tant de vous
en faire sentir toute la force, que de vous faire ensuite compren-
dre comment la foi les perfectionne. C'est à quoi je me suis engagé,
et ce qui demande une nouvelle attention.
Or, la première raison est de saint Jérôme et de saint Augustin.
Oui , mes frères, dit saint Jérôme, l'homme pécheur doit éternel-
lement satisfaire à Dieu , parce que sa volonté était de résister
éternellement à Dieu. Cette pensée est solide et vraie ; mais, pour y
bien entrer, écoutons saint Augustin, lequel a pris soin de l'éclair-
cir et de la mettre dans tout son jour. Car, selon la belle remarque
de ce saint docteur, dans une volonté perverse et criminelle , ce
n'est point précisément l'effet qu'il faut regarder , mais, encore
plus la volonté, l'affection du cœur; et, quoique l'effet manque,
parce qu'il ne dépend pas de l'homme, il est juste que la volonté
soit punie , et qu'elle le soit d'une peine proportionnée à sa mau-
Ps. 18.
DES PREDICATEURS. l63
vaise disposition : Merito malus punitur affectas , etlani quum no>i
succedit effectas. Or, j'en appelle au témoignage de la conscience-
et n'est-il pas certain que ces amateurs d'eux-mêmes et du monde
que ces esclaves du plaisir et de leurs sensuelles cupidités, que
tant de pécheurs vendus au péché, se trouvent devant Dieu, scru-
tateur des âmes et de leurs plus secrètes intentions, tellement
disposés, qu'ils voudraient ne quitter jamais cette vie présente
dont ils goûtent les faux biens, qu'ils voudraient éternellement y
jouir de leurs passions, et que volontiers ils renonceraient à toute
autre félicité ? Si donc l'acte du péché ne dure pas, l'amour du pé-
ché et l'attachement au péché est en quelque sorte éternel : de ma-
nière que dans la disposition du pécheur est renfermée une volonté
secrète, ou pour parler avec l'école, une'volon té interprétative d'être
à jamais pécheur, puisqu'il voudrait toujours posséder cequi entre-
tient son péché. Aussi , c'est la réflexion de saint Grégoire , pape
à bien considérer les impies et tout ce que nous comprenons sous
le nom de pécheurs, il s ne cessent de pécher que parce qu'ils cessent
de vivre ; et ils souhaiteraient de ne cesser jamais de vivre , p^ ir
ne cesser jamaisde pécher; et s'ils désirentde vivre, ce n'est point
proprement pour la vie: car sans le péché cette vie, qui leur est
si chère et si précieuse, leur deviendrait insipide et ennuyeuse. Il
y a donc toute la proportion nécessaire entre l'éternité de leur
peine et la malignité de leur cœur, et l'on ne doit point tant s'é
tonner que le châtiment n'ait point de fin, après que la volonté
de pécher n'a point eu de terme.
Ce n'est pas assez ; mais à cette raison saint Thomas en ajoute
une seconde. C'est, dit ce docteur angélique , qu'en quelque ris*
position de volonté que puisse être l'homme quand il pèche , il
m'est évident que le péché qu'il commet est irréparable de sa ra-
ture; qu'étant irréparable il est en ce sens éternel , et que par là
même il mérite un supplice éternel. Appliquons-nous à ceci , chré-
tiens. Tout péché mortel une fois commis ne peut être aboli qu'en
Tune de ces deux manières : ou de la part du pécheur, par une sa-
tisfaction digne d'être acceptée; ou de la part de Dieu, par un ^
cession gratuite et absolue de ses intérêts. Que le pécheur, je dis
le pécheur réprouvé , satisfasse dignement à Dieu, c'est de vnoi
il est incapable dès qu'il est privé de la grâce. Que Dieu cède ses
droits, c'est à quoi rien ne l'oblige, et ce qu'on ne peut exiger do
lui. Donc à s'en tenir aux termes de la justice, ce péché dans toute
l'éternité ne se réparera jamais, et paraîtra toujours aux yeux de
Dieu comme péché Or, tandis que le péché demeure sans être effacé
n.
-g/ NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
aar nulle réparation, il doit avoir sa peine, conclut l'ange de l'é-
cole et la durée de la peine doit répondre à la durée du péché.
Il y a plus, et cestla troisième raison que les théologiens, après
saint Augustin , tirent encore de la nature du péché. Car qu'est-
ce que le péché ? c'est un éloignement volontaire de Dieu, c'est un
mépris formel de Dieu, c'est un amour de la créature préférable-
ment à Dieu , c'est une injure , et linjure la plus atroce faite à la
majesté de Dieu. Cela posé comme une vérité universellement re-
connue mesurons, dit saint Augustin , la grièveté de cette injure
par la grandeur du maître qu'elle outrage, et nous trouverons
qu'elle est infinie dans son objet, puis qu'elle blesse une grandeur
infinie. Or un péché dont la malice est infinie demande une peine
infinie : et comment le sera-t-elle ? Sera-ce en elle-même et dans
son essence ? c'est ce qui ne se peut, et ce que nul être créé n'est
en état de porter. Reste donc que ce soit une peine infinie autant
qu'elle le peut être , je veux dire dans son éternité , et qu'elle s'é-
tende jusque dans l'immensité des siècles à venir. Voilà l'unique
voie que Dieu ait de se satisfaire soi-même. Sans cette éternité, il y
aurait toujours une distance infinie entre l'offense et la peine ;
mais par cette éternité , quoique Dieu ne soit jamais pleinement
satisfait parce que la peine étant éternelle, n'est jamais entière-
ment remplie, il y a. néanmoins entre le châtiment et le crime
toute l'égalité possible.
Telles ont été , dis-je, mes chers auditeurs , sur le grand sujet
de l'éternité malheureuse les productions de l'esprit de l'homme.
Voilà où sont parvenus ces esprits sublimes que Dieu avait rem-
plis de sa sagesse et du don d'intelligence. Voilà les découvertes
qu'ils ont faites, et les lumières qu'ils ont suivies. Respectons leurs
sentimens ; ils sont solidement établis. Prenons bien leurs vues,
et elles nous paraîtront justes et toutes saintes. Mais avouons-le,
après tout ; il faut que la foi vienne au secours pour les perfection*
ner et les confirmer. Vous voulez savoir par où elle les confirme et
les perfectionne : ah! chrétiens , c'est un de ces secrets qui ne sont
connus qu'aux âmes humbles et aux vrais fidèles. Car si la foi don-
ne à toutes ces connaissances une perfection et une force particu-
lière ce n'est point en élevant nos esprits , mais plutôt en les
abaissant ; ce n'est point en leur laissant une liberté présomp-
tueuse d'examiner et déraisonner, mais en les soumettant à l'auto-
rité et à la mystérieuse obscurité de la parole de Dieu; ce n'est point
en tirant le voile qu'elle nous met sur les yeux , et en nous pré-
sentant la vérité dans un plein jour , mais en nous réduisant, con-
DES PRÉDICATEURS. l6S
tre toutes les difficultés et tous les embarras, à cette réponse de
saint Paul, qui dans un mot résout tous les doutes et toutes les
incertitudes : O altitude* * ! O jugement de mon Dieu ! ô trésors
inépuisables et cachés, non seulement de sa sagesse et de sa miséri-
corde, mais de sa justice! Je puis bien en entrevoir quelques ap-
parences; mais m'appartient-il d'en pénétrer le fond ? Quam in-
comprehensibilia sunt judicia ejus , et investigabiles vice ejus ! Et
qui de nous, en effet, peut lire dans le sein de Dieu tout ce qu'il
veut, et pourquoi il le veut ? Qui de nous a-t-il appelé à ses con-
seils . Quis novit sensum Domini , aut quis consiliarius ejus fuit ?
Quand donc j'aurai fait mille efforts pour sonder cet abîme, si je ne
veux pas m égarer et me perdre, je dois toujours en revenir au
principe fondamental, et m'écrier en m'humiliant : O cdtitudo!
Chose admirable, chrétiens : dès que la foi nous a mis en cette
préparation de cœur et dans cette soumission intérieure, c'est alors
que, disposés à faire le sacrifice de tous nos raisonnemens et à
y renoncer, nous pouvons mieux raisonner que jamais; et en voici
1 évidente démonstration : parce que, n'ayant plus ni préjugés, ni
vues propresà quoi nous demeurions opiniâtrement attachés, nous
voyons d'un œil plus épuré, et nous jugeons d'un sens beaucoup
plus rassis. Ces hautes idées que la foi nous donne de la majesté
de Dieu, de la bonté de Dieu, de sa justice et de sa sainteté ; par
conséquent, de l'audace de l'homme qui s'élève par le péché contre
cette majesté infinie, de l'ingratitude de l'homme qui se tourne par
le péché contre cette bonté souveraine, de la malignité et de la
corruption du cœur de l'homme qui offense parle péché cette jus-
tice inflexible et cette sainteté éternellement et nécessairement en-
nemie de tout désordre ; ces grands objets n'étant plus affaiblis ,
ou par les fausses préventions d'un esprit indocile, ou par les aveu-
gles cupidités d'un cœur passionné, se présentent dans toute leur
force, et font sans obstacle toute leur impression. On les com-
prend avec moins de peine , et même à certains momens il semble
qu'on en ait une connaissance distincte, et je ne sais quel senti-
ment actuel qui remplit l'ame et qui la saisit. Il semble qu'on ait
devant les yeux l'éternité tout entière , et qu'on en parcoure l'im-
mense étendue. On la voit , autant qu'il est possible à la faiblesse
de nos esprits, dans toute son horreur, et au lieu de s'arrêtera de
vaines discussions , on ne pense qu'à s'humilier devant la toute-
puissance de Dieu, et à prévenir ses redoutables arrêts. On dit
1 Rom., il.
It>6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
comme le saint homme Job : Vere scio quod ita sit x ; oui , il en
est ainsi ; car c'est ainsi que la parole même de mon Dieu me l'a-
sure : et le plus sage parti pour moi n'est pas d'entrer en de sèches
disputes et d'opiniâtres contestations sur la vérité de cette divine
parole; mais de prendre de solides mesures pour éviter l'affreux
malheur qu'elle m'annonce. Tout ce que j'ai donc à faire est de me
p osterner aux pieds de mon juge ,et de me tenir devant lui dans
hn saint tremblement, et de le fléchir par l'humilité et par la ferveur
ce ma prière. Serais-je le plus juste des hommes, voilà la disposi-
tion ou je dois être et où je dois demeurer jusques au dernier sou-
p.r de ma vie : Etiam si habuero quippiam justum^ non respon-
aeboj secl judicem meum deprecabor. C'est là, encore une fois, ce
qu on dit , et c'est là qu'on porte toutes ses réflexions. Effet salu-
taire de la toi , d'une foi prudente, mais du reste docile , et dans
sa pieuse docilité mille fois plus éclairée que toute la science et
toute la sagesse du monde ; d'une foi soumise que Dieu soutient
par certaines touches secrètes, qu'il élève par certaines lumières de
sa grâce, et à qui il découvre ses plus impénétrables mystères:
tt e a été la foi des saints. Était-ce dans eux petitesse d'esprit?
était-ce superstition ? Mais ne savons-nous pas d'ailleurs quels
feraient ces rares génies, et ce que toute l'antiquité a pensé de ces
grands hommes qu'elle a révérés comme ses maîtres, et que nous
nous proposons encore comme nos guides et nos modèles ? Ce
quils ont cru, ne pouvons-nous pas bien le croire? et serons-nous
bien justifiés au tribunal de Dieu quand nous lui dirons : Sei-
gneur, je n'ai tenu nul compte de cette éternité, je l'ai négligée par-
ce que je ne la croyais pas ? Non, vous ne la croyez pas ; mais
pourquoi ? parce que vous ne vouliez pas la croire, parce que vous
a'.iectiez de ne pas la croire, afin de n'être point troublé dans vos
désordres , car voilà le principe ordinaire de l'incrédulité. Cepen-
dant, mon cher auditeur, que vous l'ayez crue, ou que vous ne
l ayez pas crue, elle n'en est pas moins réelle; les preuves qui pou-
vaient vous en convaincre n'en sont pas moins solides , et ce sera
votre condamnation. (Bourdaloue, Sur V Éternité malheureuse.)
Péroraison.
Affreuse image des tourmens de l'enfer, retracez-vous avec force
à 1 esprit de tous les pécheurs; ils s'arrêteront au milieu de leurs
1 Job,, 9.
, DES PRÉDICATEURS. 167
courses criminelles; leurs plus fougueuses passions reculeront
épouvantées, et obéiront en esclaves à la vue d'une éternité mal-
heureuse. Ils ne la craignent pas, parce qu'ils n'y pensent pas;
mais, s'ils en écartent le souvenir, ils n'en détruisent pas la réa-
lité, ils n'en diminuent pas l'horreur. Qu'ils y pensent; et je les
défie, pour peu qu'ils s'aiment encore eux-mêmes et que leurs
vrais intérêts les touchent, de n'en être pas frappés et consternés.
Image terrible, poursuivez-les jusque dans le tumulte du monde
et au milieu de leurs fêtes les plus brillantes , elles perdront à leurs
yeux tous leurs attraits ; ils ne verront plus que le malheur qui les
menace; ils ne songeront plus qu'à s'y dérober et à prévenir par
une sincère conversion la perte entière et irréparable d'eux-
mêmes.
Affreuse image des tourmens de l'enfer, présentez- vous aux
chrétiens convertis et pénitens; que les peines de leur nouvelle vie
leur paraîtront légères et douces, comparées aux châtimens éter-
nels dont elles sont l'échange ! De quels maux peut-on se plain-
dre, quand on a mérité ceux de l'enfer? Si Dieu les y eût préci-
pités lorsqu'ils l'outragaient, et qu'ensuite il leur eût été donné de
revenir sur la terre pour y expier leurs crimes , avec quel zèle,
avec quels transports ils se livreraient à toutes les rigueurs de la
plus austère pénitence? Eh quoi! avoir été préservé de l'enfer,
est-ce une moindre faveur que d'en avoir été arraché ? Mais dans
la cruelle incertitude si leurs péchés ne subsistent plus dans le
souvenir de Dieu; s'ils les ont détestés, pleures, expiés, tout ce
qui peut calmer leurs frayeurs ne doit-il pas leur être précieux
et cher? Ils embrasseront donc avec joie tout ce qui porte l'em-
preinte de la pénitence, persuadés que plus leurs regrets seront
amers et leurs satisfactions continuelles, plus ils auront lieu de se
flatter d'une réconciliation sincère avec Dieu. Oui, une vie de con-
trainte, de violences , de peines et de croix, est ce qu'il y a de plus
consolant pour quiconque a mérité l'enfer.
Afreuse image des tourmens de l'enfer , allez réveiller les âmes
endormies au sein de la tiédeur; qu'elles apprennent que, s'il est
une voie qui paraît droite et qui conduit à la mort, c'est celle où
elles marchent avec tant d'indolence et de sécurité. Qu'elles fré-
missent en voyant qu'elles se jouent sur les bords d'un précipice,
où tout les pousse et les entraîne, le monde , le démon , leur pro-
pre cœur. Quand il ne serait que douteux si l'enfer sera ou ne sera
point leur partage, ne devraient-elles pas tout entreprendre pour
mettre du moins les vraisemblances de leur côté? et, dès qu'il
l68 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
s'agit du dernier des malheurs, la vraie sagesse ne veut-elle pas
que nous mettions entre lui et nous un intervalle immense, qu'on
ne risque rien, qu'on ne néglige rien parce que les précautions ne
sauraient être excessives, lorsque la peine de la méprise est le com-
ble de l'infortune. Mais leur état n'est pas un problème : lorsqu'il
en coûte peu pour se sauver, on doit être assuré que l'on se damne,
à moins que ce ne soit une grande ferveur qui facilite l'accom-
plissement des devoirs du salut. Sainte Thérèse ne vit-elle pas sa
place marquée au fond de l'abîme, si elle ne s'élevait pas à la plus
haute sainteté? Il est des âmes pour qui la pratique des conseils
de l'Evangile est étroitement liée avec l'observation des préceptes
les plus essentiels de la loi. ( L'abbé Richard. )
DES PRÉDICATEURS. I&)
PLAN ET OBJET DU QUATRIEME DISCOURS
SUR L'ENFER
EXORDE.
Crucior in hac jîamma.
Je souffre dans cette flamme. (S. hue, 16.)
Quel est cet affreux séjour où la justice divine précipite ce ri-
che impitoyable? Quelles sont ces ténèbres profondes où il va être
enseveli sans retour? Quels sont ces cris de rage et ces liurlemens
de désespoir qu'il pousse, dis-je , du fond des abîmes, et qui
viennent épouvanter notre oreille, et remplir notre cœur d'effroi ï
Et quelle est enfin l'horrible demeure qui lui fait lire à son entrée
cette inscription formidable : Là il y aura des pleurs et des grince-
mens de dents : Ibi erit fletus et stridor dentium.
Ah! chrétiens, ce séjour est celui qu'un Dieu irrité prépare à
la révolte et à l'endurcissement ; c'est cette prison ténébreuse où
sa justice retient dans une captivité éternelle les victimes dévouées
à sa fureur; c'est cet étang de feu où sa colère environnant et pé-
nétrant le pécheur jusque dans sa plus intime substance, venge
par d'inexprimables tourmens sa bonté méconnue et sa gloire ou-
tragée; c'est l'Enfer en un mot, où Dieu a voulu rassembler sur
la tête du pécheur tous les fléaux à la fois, et semble, pour le pu-
nir, épuiser sa toute-puissance. L'Enfer! à ce mot seul, le juste
frissonne, et le pécheur est saisi d'épouvante. L'Enfer! à cette
horrible pensée, l'impie lui-même se trouble et craint de fixer ses
regards sur ce formidable tableau. Oserons-nous cependant y
chercher aujourd'hui des instructions salutaires, et ne craindrons-
nous pas de révolter des oreilles délicates par ces lugubres des-
ciiptions, ou de porter dans des cœurs sensibles de dangereuses
terreurs? Non, non, trop souvent peut-être la condescendance
ménage de vaines délicatesses; trop souvent des cœurs, que devrait
serrer la douleur, ne remportent d'autres fruits de la parole sainte
lyo NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
que les émotions passagères d'un stérile attendrissement. Il faut du
moins quelquefois, si avec votre salut nous voulons le nôtre, il
faut nous rappeler que si le Dieu qui nous envoie est le Dieu des
miséricordes , il est aussi ie Dieu des vengeances; qu'il nous com-
mande de prêcher l'Evangile tout entier, et qu'il nous ferait un
jour porter la peine d'en avoir laissé tomber clans l'oubli les plus
terribles mais les plus utiles vérités; et dans quels jours, si ce
n'est dans les jours de pénitence et de salut, souffrirez- vous dans
vos prêtres une sainte liberté? dans quels jours permettrez-vous
aux ministres de Jésus-Christ de faire retentir dans la chaire chré-
tienne une doctrine, qui si souvent arracha le pécheur à ses dé-
sordres , ou réveilla le pécheur indifférent et lâche de son funeste
assoupissement?
Un orateur chrétien dont, pour ma confusion , je prononce au-
jourd'hui le nom dans cette chaire, Bourdaloue a dit qu'il était utile
de prêcher l'Enfer à la cour des rois. Suivons le conseil de ce saint
homme, méditons sur l'Enfer et comprenons combien il nous im-
porte d'éviter :
Des tourmens qui sont sans mesure dans leur rigueur, iei Point;
Des tourmens qui sont sans consolation dans leur amertume,
2° Point. (M. Borderies , sur VEnjev. )
D.'eu seul peut nous apprendre quelles seront dans l'Enfer ses rigueurs.
J'ouvre les livres sacrés, et partout je trouve empreinte l'indi-
gnation de Dieu contre le péché, partout je rencontre les effets
lamentables de sa juste fureur : c'est là que la malédiction pronon-
cée contre le premier coupable le poursuit sans relâchejusque dans
sa postérité la plus reculée; c'est là que les crimes de la terre for-
cent la mer à franchir ses barrières, pour engloutir dans une
épouvantable calamité d'innombrables prévaricateurs; c'est là que
d'infâmes excès appellent sur cinq villes criminelles une pluie en-
flammée qui ne laisse plus survivre que le souvenir de leurs forfaits ;
c'est là que le peuple choisi voit lui-même le glaive du Seigneur
punir, sur des milliers de rebelles, les soulèvemens de leur or-
gueil et de leur ingratitude. Cependant, tant quele pécheur est sur
la terre, Dieu ne frappe qu'avec ménagement, et sa justice est
encore enchaînée par sa miséricorde; mais une fois que la mort a
fixé le coupable dans l'état d'une horrible immutabilité, le Sei-
gneur [(pour parler avec le prophète ), le Seigneur reprend
enfin saliberté, et ce Dieu de bonté n'est plus que le Dieu des
DES PRÉDICATEURS. I7I
vengeances: Deus uhiomim, Dominus Dcus ultionum libère egit.
Dieu n'a plus pour le pécheur que la sévérité d'un juge inexorable ,
et ferme son cœur à la pitié pour peser clans une balance équitable
des délits auxquels il faut que sa justice applique un légitime châ-
timent ; il voit dans le péché une malice dont l'œil d'un Dieu peut
seul sonder la profondeur ; il voit d'un côté une charité infinie qui
répand les bienfaits, et de l'autre une noire ingratitude qui les ou-
blie : d'un côté, une miséricorde infinie qui descend aux priè-
res, et de l'autre, une froide insensibilité qui les méprise; cl un
côté, un pouvoir infini qui menace, et de l'autre, une faiblesse in-
solente qui résiste; il voit , en un mot, une créature séparée par
i ne distance infinie de son Créateur et de son maître, oser, du
fond de son néant, lever la tête contre sa majesté suprême, lutter
contre ses immuables décrets et attenter à sa souveraine indépen-
dance : c'en est assez, il faut que la peine soit proportionnée aux
faits , et puisque la malice du pécheur est infinie , il faut que le
châtiment soit infini comme elle. Je le sais, chrétiens, pour faire
valoir les privilèges de la justice divine, et pour plaider sa cause,
il faut même au ministre de la sainte parole une noble hardiesse
qui lui fasse dédaigner les soulèvemens et les clameurs de l'incré-
dulité. Pour oser défendre l'équité des célestes vengeances, les
Prophètes de la loi nouvelle ont besoin d'un courage qui, com-
me Ezéchiel autrefois, soutienne leur constance et durcisse leur
front contre les outrages. Car, qui ne connaît point les intermina-
bles déclamations des impies contre un dogme dont le roi de l'uni-
vers a fait le rem paît de son autorité et le fondement inébran-
lable de son trône? Qui ne les a point entendus, tanlôt compatissant
à l'humaine faiblesse, s'efforcer d'épargner des peines trop cruelles
à de doux et irrésistibles penchans ; tantôt pesant avec audace les
prérogatives du Juge souverain, lui permettre de récompenser la
> ertu , mais lui défendre de punir le crime; toujours poursuivant
de leurs insultes et de leurs dédains le zèle qui réveille de formi-
dables souvenirs, ne connaître pour lui crue le nom d'aveugle et
d'impitoyable cruauté. Vous nous accusez; mais quels sont les ob-
jets d'un intérêt si vif? Qui peut vous inspirer une sollicitude si
1 endre ? Quoi! serait-ce pour des hommes nés pour le malheur de
leurs semblables , et dont le nom ne rappelle que d'odieuses ra-
pines ou de barbares fureurs ? serait-ce pour de tels hommes que
vous éprouveriez ces compatissantes alarmes? et nous-mêmes,
serions-nous cruels pour essayer, en montrant l'Enfer a leurs
yeux, de porter clans ces cœurs pervers l'épouvante , les remords
IJ2 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
et le repentir ? Serait-ce pour les délits ignorés que vous réser-
veriez vos réclamations ? et consentiriez-vous à laisser l'Enfer
s'ouvrir pour des attentats livrés à l'exécration publique , pourvu
qu'il ne menaçât point des désordres plus prudens, ou des for-
faits plus circonspects? Quoi! la demeure d'un éternel désespoir
engloutira sans pitié l'homme obscur, dont les lois humaines ont
surpris et puni le crime, et elle n'osera recevoir l'homme puissant
qui enchaînera leur autorité ou le coupable adroit qui trompe
leur vigilance? Si un misérable enlève un peu d'or à ses frères,
la colère céleste le poursuivra sans ménagement, et si dans le se-
cret un méchant leur ravit l'honneur, elle mettra ce crime en ou-
bli? L'Enfer punira la rage homicide qui s'est assouvie dans le sang
de ses ennemis, et n'aura point de flammes pour cette haine mieux
dissimulée, mais plus noire, qui par ses artifices , prépare à l'in-
nocence une mort plus lente et plus cruelle ! ( Le même. )
Comment une créature bornée pourra-t-elle soutenir le fardeau de la colère de Dieu?
Dieu saura y pourvoir dans sa toute-puissance : il étendra les
facultés de pécheur, et les animera d'une vigueur inconnue pour
que les traits inépuisables de l'indignation divine trouvent tou-
jours où frapper, et que le pécheur puisse sans défaillir être aussi
malheureux qu'il a été coupable; il donnera à son ame une plus
active énergie qui, loin de s'affaiblir dans les tourmens ,y puisera
une force nouvelle , à son intelligence une plus vaste étendue qui
embrassera tout à la fois, et la passé pour en détester l'usage, et
le présent pour en porter le poids, et l'avenir pour en mesurer la
formidable longueur; à son cœur des sentimens plus vifs, pour dé-
sirer le bien qui n'est plus fait pour lui , et pour abhorrer le mai
qui le presse et l'environne de toutes parts. Que dis-je? cet élé-
ment lui-même, si redoutable et si violent, dont sur la terre une
impression passagère coûte les plus cuisantes douleurs , le feu
l'enveloppera comme un vêtement, pénétrera tous ses sens, cir-
culera dans ses veines , parviendra jusqu'à son ame, et tourmente-
ra par d'intolérables ardeurs cetts substance spirituelle qui, par
sa nature , semblait pour toujours à l'abri de ces atteintes. Le voilà
ce séjour que Job envisageait avec tant d'épouvante, s'éjour de
ténèbres et de désolation , où règne une confusion et une horreur
éternelle. La voilà cette terre que David et Isaïe nous ont peinte ave<j
de si épouvantables couleurs; sol brûlant arrosé par des torrens Je
bitume, où Dieu versera sur la tête du pécheur une pluie embrasée, et
lui fera boire à longs traits, dans le calice de sa fureur, le feu 7 le sou-
DES PREDICATEURS. 1J>
fre, le vent impétueux clos tempêtes : Ignis, et sulphur,ct spiritus pro-
cellarum pars calicis eorum. Venez, chrétiens, il faut qu'aujour-
d'hui qu'en dépit de vos résistances et de vos délicatesses, je vous
entraîne jusqu'au bord de ces sombres demeures. Venez, suivant
le conseil de saint Bernard, contempler l'Enfer pendant que vous
vivez encore, de peur qu'un jour la mort ne vous y précipite sans
retour. Venez, approchez de ces abîmes dont la vue seule vous
donne de si importantes leçons. Approchez le premier, ministre
de Jésus-Christ, qui faites aujourd'hui retentir la chaire évangéli-
que de ces vérités redoutables ; venez-y apprendre à honorer par
des vertus angéliques le caractère sacré dont vous fûtes revêtu ,
venez-y considérer la place que Dieu réserve à ceux dont il a or-
donné d'écouter les leçons et de fuir les exemples. Mais approchez
aussi , chrétiens, qui que vous soyez, justes et pécheurs. Appro-
chez, justes, si quelquefois le joug- de la vertu pèse à votre faiblesse,
si comparant à l'indépendance des pécheurs leur mollesse et à l'en-
chaînement de leurs bruyans plaisirs, vos sacrifices, vos austérités
et votre solitude, vous sentez chanceler votre courage, et dans
votre cœur s'élever peut-être de coupables regrets ; venez appren- _
dre ici à quel prix le démon vend ce bonheur dont ils voudraient
vous rendre jaloux, et contemplez-les, payant leur fausse liberté
par une cruelle servitude , leurs joies insensées par des larmes
amères, et leurs voluptés honteuses par d'horribles tourmens. Pé-
cheurs qui, pour vous livrera d'indignes excès, avez fermé
l'oreille à la voix de la conscience et aux invitations de votre Dieu ,
qui , depuis long-temps peut-être, dormez d'un funeste sommeil ,
réveillez-vous enfin à cescris lamentables, au bruit de ceschaînes,
à ces imprécations et à ces fureurs; et puisque les charmes de
la vertu n'ont pu attendrir votre cœur, qu'il cède du moins à la
terreur , et qu'il sèche d'effroi à la vue du sort de ses pareils.
( Le MEME. )
Qu'est-ce que la peine du dam?
C'est une profonde douleur et un cuisant regret qu'une ame
damnée ressent d'avoir perdu son Dieu. C'est une horrible chose,
mes frères, un malheur bien étrange, quoique, l'on ne s'en doute
pas, que de perdre un Dieu. Ah ! mes frères, Dieu n'est pas connu
sur la terre. Non, nous ne le connaissons pas ce Dieu grand, ce
Dieu bon, ce Dieu souverainement aimable. Nous sommes, hélas !
abîmés dans l'amour des choses périssables, notre cœur est plon-
gé dans la vanité du monde, selon le Sage? et nous ne nous con-
j-4 NOUVELLE UÎBLIOTHÈQUE
duisons , HH saint Paul, que comme des enfans qui ne s'arrêtent
qu'à ce qui frappe leurs sens. De là vient que nous avons une idée
si grossière de notre Dieu, et que nous sommes si peu touchés
de sa perte. Mais, après la mort, les obscurités de la foi seront
dissipées, les biens trompeurs et les plaisirs criminels de ce monde
ne nous ensorcelleront plus , et nous verrons Dieu pour lors com-
me à découvert et tel qu'il est en lui-même : sicuti est1. Ah! pé-
cheurs, il se montrera à vous sous le visage le plus beau , le plus
aimable et le plus attrayant ; vous serez charmés de ses adorables
perfections, transportés de sa beauté ravissante; vous connaîtrez,
à ce moment fatal, que vous étiez faits uniquement pour lui , et
que, comme il devait faire votre souverain bonheur après la mort,
il devait être aussi le seul objet de votre amour pendant la vie.
Dans cette pensée vous vous porterez vers lui avec plus d'ardenr
et de vivacité qu'une flèche ne vole à son but, ou qu'une pierre ne
tend à son centre. Mais quelle sera ta surprise , mon cher frère,
quel sera ton accablement de te voir arrêté, repoussé par une
main invisible , arraché avec violence des chastes embrasse-
mens de ce divin Epoux î Quel sera ton désespoir d'entendre
sans cesse retentir à tes oreilles cette effroyable parole: Retire-
toi de moi! Dans cette extrémité, lu redoubleras tes efforts,
tu pousseras des cris, tu t'agiteras, tu te tourmenteras, mais tou-
jours inutilement. Elles viendront, ces vierges folles, frappera la
porte du ciel: Ouvrez-nous, Seigneur, diront-elles : Domine, Do-
mine, aperinobis'2. Je ne vous connais point, dira Dieu. Yoilà toute
la réponse qu'elles doivent attendre. Quoi ! Seigneur, s'écrieront
ces âmes réprouvées, vous ne nous connaissez point! Eh ! ne som-
mes-nous pas vos enfans? et vous , n'êtes-vous pas notre père ? El J
ne sommes-nous pas votre peuple? et vous, n'êtes-vous pas notre
Dieu? Votre Père! non, je ne suis pas votre père, répliquera Dieu
tout irrité, je suis votre Juge impitoyable, votre ennemi implaca-
ble; et si je suis encore votre Père, regardez-moi comme un Père
sans tendresse, sans miséricorde : Absque miser icordia^. Voire
Dieu! non, je ne suis pas votre Dieu, ni vous mon peuple: Vos
non populus meus, et ego non ero vester1*. Non, non, je ne suis
pas le Dieu d'un impudique , d'un larron, d'un jureur, d'un ivro-
gne, d'un athée et d'un h "mime sans religion ; et si je suis encore
votre Dieu, regardez-moi désormais comme un Dieu terrible, un
Dieu fulminant, un Dieu inexorable. Ah! mes frères, jugez de la
désolation et du désespoir d'une amequia perdu et irrité son Dieu,
* I. Joan., m, 2 — .2 Mali h. vxv, 11. — 5 Oscc, î, G. — Mbid., î, 9.
DES PRÉDICATEURS. 1^5
par l'exemple d'Absalon , à qui David , son père, avait fait dire qu'il
ne voulait pas absolument le voir. Ce malheureux enfant était à
Jérusalem , proche du palais de son père; il faisait continuelle-
ment retentir le lieu où il était de ses soupirs et de ses plaintes;
livré à l'affliction la plus accablante, il souhaitait mille fois sa des-
truction et sa mort. Non , disait-il, je ne puis supporter cet arrêt.
J'ai offensé mon père, je le sais; mais s'il veut se ressouvenir tou-
jours de mon péché et me priver de sa présence , qu'il envoie des
soldats, des bourreaux, et qu'au plus tôt on me donne la mort :
Si memov est iiiiquitatis meœ , inierjiciat me. (Le père Brydaine,
Sur V Enfer.)
Même sujet.
Oh! qu'une ame damnée va faire dans l'Enfer de cruelles
réflexions sur la perte de son Dieu, jusque là que son esprit, sa mé-
moire, son entendement , sa volonté, son cœur en seront étrange-
ment tourmentés. Hélas! j'ai perdu mon Dieu! dira- t-elle, toute
désolée. Dieu perdu ! Dieu perdu ! O ciel ! quelle perte ! j'ai perdu
mon Dieu! oui, malheureuse tu l'as perdu. Pleure, pleure, pauvre
misérable ; pleure sans cesse, augmente teslarmes, redouble tes sou-
pirs, pousse les hauts cris, fais retentir tout l'Enfer de tes pleurs
et de tes gémissemens , pour nous marquer la grandeur de la perte
que tu as faite. Hélas! s'écrie cette infortunée d'une voix perçante
et lamentable , j'ai perdu mon Dieu, et en le perdant, j'ai perdu
un bien infini, l'être le plus beau , le plus aimable, le plus saint,
le plus parfait, celui qui fait la félicité des Anges, le bonheur des
saints, toute la joie du ciel. J'ai perdu mon Dieu, et, en le perdant,
j'ai perdu le roi le plus libéral, le Sauveur le plus débonnaire, le
maître le plus doux, le meilleur de tous les pères, le plus fidèle
de tous les amis, le plus tendre de tous les époux. J'ai perdu mon
Dieu, et, en le perdant, j'ai perdu le ciel , ce séjour de délices, ce
magnifique royaume, cette éternité de gloire. Plaisirs, douceurs,
joie, consolation, espérance, honneurs, richesses, vie, tout est
perdu pour moi. J'ai perdu mon Dieu, et pourquoi? pour un pécbé
de quelques momens, pour un plaisir criminel, pour une vile créa-
ture, pour un bas intérêt, pour une fumée d'honneur, pour une
bagatelle, pour un rien, si j'ose le dire. J'ai perdu mon Dieu, et
comment ?par ma foute. O Dieu ! essentiellement bon, souveraine-
ment aimable, j'ai pu vous posséder, et je vous ai malheureuse-
ment perdu, parce que je l'ai bien voulu. Beau ciel, doux séjour
desbienheureux, vous pouviez être mon sort, mon héritage} et
I-() NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
je vous ai perdu, parce qu'il m'a plu de vous perdre. Saints et
Saintes du Paradis, parmi lesquels j'ai quantité de parens et d'amis ;
je pouvais être saint et heureux comme fous, et je ne le suis pas,
uniquement parce que je n'ai pas voulu l'être. Vous êtes dans le
séjour de la gloire , parce que vous avez fait tout ce que vous avez
pu; et moi, je me trouve dans ces horribles cachots, parce que
je n'ai voulu rien faire. Hélas! il m'était si aisé d'être saint! Oh!
si j'eusse fait comme un tel et un tel de ma connaissance, comme
cet ami , ce frère, avec lequel j'ai vécu ! si j'eusse fait ce que Dieu
m'inspirait un tel jour! si j'eusse confessé ce péché! si j'eusse res-
titué ce bien mal acquis ! si j'eusse évité cette personne, ce cabaret,
cette danse! si j'eusse profité de cette mission ! si j'eusse prié, jeûné,
si j'eusse fait pénitence! et je le pouvais : il ne tenait qu'à moi.
Tant de bons exemples, tant d'instructions, tant de salutaires avis,
tant de sacremens, tant de grâces , tout me portait à faire mon sa*
lut. Ah! si je lavais fait, je serais présentement dans le ciel , je pos-
séderais mon Dieu. Mais je n'ai pas voulu le faire, et je suis dans
l'Enfer, banni de sa présence, privé de tous les biens, accablé de
tous lesjnaux; et, ce qu'il y a de plus cruel en ceci, c'est que tous
ces effroyables malheurs ne me sont uniquement arrivés que par
ma faute ; je suis moi seul la cause de mon malheur. Enfin, j'ai
perdu mon Dieu, s'écriera le damné, et pour combien de temps?
non pas seulement pour quelques momens, pour quelques jours;
non pas seulement pour quelque mois, pour quelques années,
mais pour des siècles entiers, pour des millions de siècles, pour
une épouvantable éternité. (Le même.)
Les corps auront part aux supplices éternels.
Celui qui aura été juste reprendra son corps à ce dernier jour,
afin que ce corps lui-même, au milieu des Anges, participe à sa
manière au bonheur de l'éternité. Celui qui sera mort dans le pé-
ché reprendra un corps également éternel , mais susceptible néan-
moins de recevoir les châtimens qui lui sont réservés, afin qu'é-
ternellement au milieu des flammes de l'Enfer, il brûle sans jamais
se consumer : et c'est avec justice que Dieu en agit ainsi, soit à l'égard
des uns, soit à l'égard des autres; car ici-bas nous ne faisons rien
sans la participation de notre corps; et, puisque le corps nous sert
dans toutes nos actions il est juste qu'il partage le sort de l'âme
pour l'éternité.
Ainsi donc, mes frères, veillons sur nos cerps. Il nous faudra
DES PREDICATEURS. I97
rendre compte à Dieu de tout ce que nous aurons fait par leur
ministère. Ne dites point : Personne ne me voit ; car celui qui nous
a créés voit tout ce que nous faisons. Les taches du péché demeu-
rent aussi empreintes sur nos corps. Dieu, pour nous purifier
de toutes nos fautes passées, nous a donné le baptême; mais c'est
à nous à nous garantir des fautes à venir, afin de conserver tou-
jours pur le vase de notre corps, et de ne point perdre le ciel,
en nous rendant coupables de quelques unes des fautes qui seraient
capables de nous en exclure à jamais. ( Saint Cyrille de Jérusa-
lem , Catéchèse XVIIV)
Différens degrés dans les supplices des médians.
D'après les témoignages divers de l'Évangile, il nous est facile
de conclure qu'il y a pour les médians différentes espèces d
supplices. Le Sauveur nous y parle de ténèbres extérieures, ce
qui suppose aussi des ténèbres intérieures ; d'une géhenne de feu,
de grincemens de dents , de ver qui ne sommeille et ne meurt
jamais, d'étang de feu, de flammes qui ne s'éteignent pas, d'enfers,
de lieux bas, de profondeurs de la terre; ce sont là autant de lieux
différens, où sont distribués les malheureux réprouvés, pour y
souffrir, chacun selon la gravité de leurs fautes, des supplices plus
ou moins violens, conformément à ces paroles de l'Evangile : «Tel
«recevra plus de coups, tel autre recevra moins de coups. »
Que tout chrétien sache donc et ne perde jamais de vue qu'il ne
peut dans cette vie être parfaitement en sûreté, mais qu'il ne doit
non plus jamais désespérer, puisque nous avons pour intercesseur
auprès de son Père Notre Seigneur Jésus-Christ; pourvu toutefois
que nous ne recherchions point les délices de la vie, mais que nous
songions à effacer le souvenir de nos péchés par un sincère re-
pentir. Mais tout pécheur qui, perdant de vue ses péchés, sortira
de ce monde encore tout couvert des taches qu'ils lui auront im-
primées, la colère de Dieu tombera sur lui; et alors malheur, mille
fois malheur aux fornicateurs, aux impudiques, aux ravisseurs du
bien d'autrui , à tous ceux qui perdent dans les joies folles du
siècle le temps qui leur a été accordé pour faire pénitence ! Ce
temps précieux, un jour viendra qu'ils le chercheront, mais ils ne
le trouveront pas. A cette heure redoutable du dernier jugement,
le prêtre sera séparé du prêtre, l'évêque de i'évêque, le père du
fils, la fille de la mère, l'ami de l'ami, l'époux de l'épouse: les
réprouvés seront rejetés de devant la face de Dieu; et quand enfin
t. m. 12
I„8 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
ils se verront seuls, prives de tous secours, abandonnés même de
l'espérance, donnant un libre cours à leurs larmes et à leurs gé-
missemens, ils s'écrieront : « Oh! comment avons-nous pu perdre
« dans l'inutilité et la tiédeur le temps qui nous avait été accordé
« pour un autre usage ! Que ferons-nous? Hélas ! il ne nous est plus
« donné de faire pénitence : le temps en est passé. Nous ne ver-
« rons plus les innombrables légions des anges et des saints; nous
« ne contemplerons plus cette véritable lumière qui éclaire le séjour
« de la félicité. Nous voilà isolés, relégués loin de Dieu, loin du
« bonheur . . . Adieu , justes ; adieu , Apôtres , Prophètes , Martyrs,
« Saints de tous les ordres; » et pendant qu'ils prononceront ces
paroles, une force irrésistible entraînera chacun d'eux dans le lieu
que Dieu lui-même aura marqué et préparé pour son supplice , à
raison de ses mauvaises actions ; et ce sera là que leur ver ne
mourra point, que le feu qui les dévorera ne s'éteindra jamais.
(Saint Ephbem, sermon LXXII.)
Tourmens de l'Enfer sans consolation dans leur amertume.
Lorsque fatigué de nos crimes, et sortant enfin de son long si-
lence, Dieu se détermine à verser sur la terre les fléaux de son
indignation, quoiqu'il paraisse irrité, il a cependant des pensées
de paix et non pas d'affliction , et ses desseins sont encore des
desseins de miséricorde. Justes et pécheurs , tous du sein même
des calamités peuvent recueillir des fruits de bénédiction et de
salut : les justes , en s'humiliant sous la main du Dieu qui les frappe,
adorant en silence ses impénétrables décrets, et plaçant dans son
amour l'inébranlable fondement de leur espérance; les pécheurs,
en apaisant le courroux céleste par des pleurs , ou du moins en
intéressant à leur infortune ceux qui , plus fidèles , peuvent pré-
senter au Seigneur, en faveur des coupables, des prières plus pures
et un cœur plus innocent : mais quand le pécheur, comme parle
le Prophète, a été envoyé dans les filets de la mort, et que les
chaînes de l'Enfer l'ont une fois entraîné dans ses abîmes , plus de
relâche pour lui dans ses affreuses angoisses , plus d'adoucissement
à ses cruelles amertumes; il ne peut trouver de consolation ni dans
le témoignage de sa conscience, ni dans le secours de ses amis, ni
dans le souvenir de Dieu , ni dans l'espoir de voir un terme à ses
tourmens. Cette conscience qui, faible et timide autrefois, n'osait
qu'à peine se faire entendre , ou qui , comme un censeur importun,
s'était vue réduite enfin à garder le silence, cette conscience re-
DES PRKDIGATKUllS. 1JQ
prend ses droits ; et, sans ménagement comme sans relâche, dé-
chire le pécheur par de continuels remords et de sanglans repro-
ches , et lui présente dans un même tahleau ses faiblesses dans
l'enfance, ses débordemens dans l'âge mûr, ses turpitudes dans la
vieillesse , ses fausses vertus et ses crimes trop réels, ses scandales
publics et ses excès secrets , la lâcheté de son respect humain et
l'insolence de son impiété. Vainement le pécheur veut se détour-
ner de cet horrible tableau ; la conscience le porte sans cesse à ses
regards et le force de reconnaître la grandeur de ses crimes et la
justice de sa sentence. Non , ni les chaînes qui le captivent, ni les
feux qui l'embrasent, ni les démons qui l'assiègent , n'ont point de
tourmens ni de fureur qui égalent le supplice que lui fait endurer
le ver cruel qui ronge incessamment son ame et ne doit pas mourir.
Ainsi ce témoignage delà conscience qui, sur la terre fait la paix et
la consolation du juste au sein de la tribulation, ne fait dans l'Enfer
que rendre plus vif, pour le pécheur, le sentiment de ses maux et
redoubler sa rage. Il pouvait être heureux , et il s'est enfoncé de
plein gré dans Je malheur,' la vertu avait pour son cœur des
charmes secrets , et il a préféré le vice avec son infamie. Ah ! c'est
alors qu'empruntant le langage de Job, il s'écrie dans l'amertume
de sa douleur : Si l'Enfer est mon partage, c'est moi qui me suis
préparé, dans ces horribles ténèbres, le lit brûlant sur lequel je
suis pour jamais étendu : Jnfernus domus mea est, et in tenebris
stravi lectulum meum.
Mais pour adoucir ces déchiremens cruels, pour calmer ces
violentes agitations, pour le défendre contre lui-même, où seront
1 les amis dont il puisse espérer la commisération , ou invoquer l'as-
sistance? Des amis? il lui en reste peut-être encore dans le ciel,
sur la terre et jusque dans l'Enfer même , mais cette douce amitié
dont le nom seul portait autrefois , aux jours de l'affliction , la sé-
i rénité et la joie dans son ame, aigrit encore ses blessures et irrite
'son désespoir. Dans le ciel, s'il en est qui jadis portèrent le nom
de ses amis, ils adorent les secrets de la justice suprême, partaient
son courroux, et ne voient plus dans celui qu'ils aimèrent autre-
fois que l'ennemi de Dieu, le juste objet de ses vengeances. Hélas!
ils furent faibles comme lui , plus coupables peut-être ; leur cœur
i s'ouvrit au repentir, le sien fut insensible, et maintenant ils sont
|au sein du bonheur, quand il est plongé pour jamais dans l'abîme
|de l'infortune. Sur la terre, ses amis , anciens compagnons de ses
désordres, ont depuis long-temps oublié sa mémoire, ou si quel-
ques-uns, devenus plus pieux et tremblans sur son éternité, veu-
12.
j8o nouvelle bibliothèque
lent intéresser l'Église au salut d'une ame si long-temps criminelle,
les prières de cette tendre mère s'élèvent en vain vers le trône de
la miséricorde , et c'est en vain qu'elle offre sur l'autel cette vic-
time sainte dont le sang, malgré son pouvoir, ne doit jamais
éteindre, ni même amortir des flammes éternelles. Ah! dans l'En-
fer, du moins, les amis qu'il y retrouve, accablés des mêmes maux,
chargés des mêmes fers, brûlés des mêmes flammes , compatiront
à ses douleurs, et confondront avec lui leurs plaintes et leurs lar-
mes. Non, et c'est surtout dans l'Enfer que ceux qui lui furent
les plus chers deviennent ses plus implacables ennemis. Amis
cruels, ah! souvenez-vous de votre ancienne union , et respectez,
dans votre ami, l'excès de son adversité. Non, ils ne songeront
qu'à lui reprocher leur propre destinée; ils lui rediront sans cesse
que ce fut lui, dont les séductions corrompirent leur innocence,
dont les railleries impies ébranlèrent leur foi, dont les scandales
affermirent leurs pas dans le chemin du crime ; eux-mêmes ils de-
viendront les bourreaux de cet indigne ami , ils s'attacheront à sa
poursuite, le forceront de reconnaître et d'avouer la justice de son
châtiment, l'accableront de malédictions et d'outrages, et le tour-
menteront sans cesse par de nouvelles fureurs. Voilà les consola-
tions que l'amitié prépare dans l'Enfer aux plus cruelles infortunes.
Cherchera-t-il dans le souvenir de son Dieu quelque allégement
à ses maux? Mais comment pourrait-il ne pas s'aigrir encore à
la pensée de ce juge inflexible , de ce maître impitoyable qui, sans
se lasser, le frappe des coups redoubles de sa justice, et dont le
souffle tout-puissant allume et entretient ces feux cruels qui le
dévorent.
Tentera-t-il de l'apaiser par les pleurs du repentir? Hélas!
quand, sur la terre, la grâce excitait dans son coeur de pieux
mais trop peu durables mouvemens , il trouvait de la douceur à
pleurer aux pieds de son Dieu sur ses honteux excès; mais main-
tenant qu'il connaît son immuable destinée, les larmes brûlantes
qui coulent de ses yeux ne sont plus que des larmes de rage et de
désespoir. Essaiera-t-il de faire monter jusqu'à son trône les ac-
cens de sa douleur ? du fond de ces abîmes lui criera-t-il , comme
autrefois sur la terre : Ayez pitié de moi , ayez pitié de moi , selon
votre grande miséricorde ! Miserere met secundum magnam mise-
ricordiam tuam ! La voûte d'airain qui pèse sur sa tête et ferme sa
prison lui renvoie ses clameurs, et les démons, qui sérient de ses
larmes, lui répètent sans cesse avec une joie féroce : Pourquoi!
vos cris, et pourquoi vos plaintes sous les coups dont vous vous!
DES PRÉDICATEURS. l8l
sentez brisé? vos cris sont inutiles, et votre douleur incurable :
Quid clamas super contritione tua ? insanabilis est dolor tuus. Dieu
pour jamais l'a banni de sa présence. Ah ! c'est maintenant qu'il
comprend enfin quelle est la rigueur de cet exil : c'est maintenant
qu'il déplore, par une tardive et inutile douleur, l'ingratitude qui
si long-temps le rendit sourd à la voix de son Dieu ; l'impiété qui
lui fit tant de fois outrager et braver sa présence. Hélas ! quand il
était sur la terre, durant ces jours de la clémence et de l'amour,
Dieu suivait tous ses pas avec une infatigable sollicitude ; sans cesse
il se présentait à lui sur le chemin de la vie pour adoucir les ennuis
de son pèlerinage, le consoler dans ses peines, le délasser dans ses
travaux. Dieu était près de lui, dans les adversités, pour que, rebuté
par les créatures, il se rejetât enfin dans ses bras; Dieu était près
de lui dans ses infirmités, attendant que l'impuissance des secours
humains le fît consentir à ne pas dédaigner son appui; Dieu était
près de lui dans ses égaremens même, et il ne refusait pas de devoir
au dégoût et à la lassitude le retour d'un cœur flétri par ses excès;
enfin, Dieu était près de lui à ce dernier moment où la mort, cou-
vrant de son voile funèbre les objets d'une affection coupable, ne
lui laissait plus entrevoir que les horreurs d'un effroyable avenir.
Oui, Dieu vint encore se présenter à cette heure fatale pour ob-
tenir de ses yeux, si long-temps attachés à la terre, qu'ils portas-
sent du moins sur lui un seul et mourant regard de repentir et d'a-
mour. Malheureux! où est ton Dieu ? Ubi est Deus tuus? Où sont
ses soins empressés, ses jalouses inquiétudes, ses ménagemens pa-
ternels? Ubi est Deus tuus ? Tu ne le connais plus que parles
bourreaux odieux qui , tout à la fois objets et ministres de sa co-
lère, doivent, en blasphémant, le venger de tes outrages par d'in-
exorables rigueurs. Où est ton Dieu? où sont ses invitations si
tendres par lesquelles tant de fois il essaya d'ébranler ton cœur?
où est cet éclat de sa gloire qui, sur la terre , vint si souvent éton-
ner tes regards ? Ubi est Deus tuus? Jamais un rayon de sa lumière
ne doit percer l'horrible nuit qui t'environne, ni jamais sa douce
voix se faire entendre à ton oreille au milieu de cet affreux tu-
multe, de ces imprécations et de ces hurlemens. (M. Borderies.)
Châtiment éternel des médians.
Quiconque s'attache sincèrement à Dieu et l'aime de tout son
cœur , comme il veut être aimé, Dieu s'unit à lui ; et l'union avec
Dieu pour l'homme, c'est sa vie, c'est la lumière , c'est la jouis-
182 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
sance de tous les biens qui sont en Dieu. Pour ceux qui jugent à
propos de se séparer de lui, il les punit en acceptant la séparation
qu'ils ont mise entre eux et lui. Or, la séparation d'avec Dieu,
c'est la mort; la séparation d'avec la lumière, ce sont les ténèbres;
la séparation d'avec Dieu, c'est la perte de tous les biens qui sont
en Dieu. Voilà pourquoi ceux qui ont perdu, par leur apostasie,
les biens dont j'ai parlé, se trouvent privés de tous les biens, se
trouvent par là même accablés de tous les maux. Leur châtiment
est en quelque sorte volontaire de leur part; ils ont consenti à être
victimes de tous les maux, lorsqu'ils ont jugé à propos de renon-
cer à celui dont l'essence renferme tous les biens. Et de même
que les biens que nous trouvons en lui sont éternels et sans lin,
par la même raison la perte de ces biens est aussi sans fin et éter-
nelle. ( Saint Irénée, Contre les Hérésies, Lw.\. )
Quelle est la source des peines de l'Enfer?
C'est la dernière malédiction de la colère de Dieu : Maledicti !
De là que s'ensuit-il ? que nul homme , quel qu'il puisse être, n'en
peut exprimer les désolans effets, fût-ce le plus malheureux
des réprouvés mêmes , quoiqu'il en fasse en Enfer une funeste
expérience. Cette proposition vous surprend et vous paraît outrée,
je ne l'avance cependant que sur la foi de la parole de Dieu.
Seigneur, disait le roi - prophète , qui connaît jusqu'où va
1 excès de votre colère ? Quis novit potestatem irœ tuœ ? Et quand
on le connaîtrait , l'accablement du trouble et de l'effroi qui mar-
chent à sa suite permettrait-il de l'exprimer comme il faut : et prœ
timoré tuo iram tuam dinumerare ? En effet, mes frères, quels
exemples sensibles peut-on donner ici-bas des dernières malédic-
tions de la colère de Dieu ? quelques traits échappés de son bras
vengeur; quelques étincelles sorties de son ardente colère ^quel-
ques éclairs d'un tonnerre qui repose; et, pour me servir de la
belle expression de Daniel, quelques gouttes au plus d'un déluge
universel: Stillavit super nos maledictio. Malédiction de stérilité,
malédiction de captivité , malédiction de mortalité, lancées si sou-
vent sur des villes et sur des nations criminelles, légers indices
des dernières malédictions de la colère de Dieu : Stillavit maledic-
tio. Dieu maudit la terre, après le péché du premier homme , et
elle se couvre en un instant de ronces et d'épines. Dieu maudit
Caïn , après son fratricide , et sa vie n'est plus qu'une mort conti-
nuelle. Dieu maudit l'Egypte après sa tyrannie, et elle est frappée
DES PRÉDICATEURS. l83
de plaies, inondée de sang, remplie de deuil, couverte de ïiaorts.
Ne sont-ce pas là des malédictions de Dieu bien terribles, et peut>
on en concevoir assez d'horreur? Dieu cependant, dit le Prophète,
n'a pas encore versé, il n'a fait qu'épancher sa malédiction: Super
eos effundam quasi aquam iram meam.
Stillavit maledictio. Tous ces fléaux si lamentables, qui ravagent
en peu de temps les contrées les plus florissantes, et dont les seuls
présages alarment l'univers , fléau de peste, fléau de famine , fléau
de discorde , fléau de guerre, faibles écoulemens delà coupe amère,
que Dieu réserve tout entière pour le jour de sa fureur : Stil-
lavit maledictio ! Ah ! Seigneur , s'écrie saint Jérôme sur ce passa-
ge, si les moindres mouvemens de votre colère divine sèment
partout la désolation et l'effroi, et font taire devant eux toute la
terre , que sera-ce du débordement général de vos malédictions ?
Si tant a est stilla, quid erit de totis imbribus ? Elles investiront un
malheureux réprouvé, dit le Prophète, comme un vêtement ac-
cablant de douleur, dont il ne pourra plus se défaire : Induit ma-
ledictionem sicut vestimentum. Elles le pénétreront, comme leau
pénètre et imbibe la terre : Intravit sicut aqua in interiora ejus ;
elles passeront jusque dans sa substance: Sicut oleum in ossibus
ejus. Tous les sens , toutes les facultés , toutes les puissances in-
térieures de son ame en porteront les mortelles empreintes. Tout
ce qu'il pensera , tout ce qu'il désirera , tout ce qu'il dira , durant
toute l'éternité, dans son esprit, dans son cœur, dans sa bouche,
deviendra malédiction. Ne sortons point de l'Evangile de ce jour,
pour voir le fatal accomplissement d'une si terrible prophétie.
Malédiction dans les pensées du réprouvé , parce qu'il n'en aura
jamais que d'affligeantes. Recordare : Souvenez-vous , disait Abra-
ham au mauvais riche , en lui parlant de la part de Dieu ; souve-
nez-vous, et de quoi? des biens que vous avez reçus, des maux que
vous avez faits, des grâces dont vous avez été prévenu, et des ingra-
titudes dont vous les avez payées; des instructions que vous avez
entendues, et des pernicieuses maximes que vous avez suivies; des
bons exemples que vous avez vus, et des mauvais que vous avez imi-
tés; du temps que l'on vous a donné, et des années que vous avez
perdues; des moyens que vous aviez de vous sauver, et des mesu-
res que vous avez prises pour vous perdre. Pensez-y bien mainte-
nant; voilà désormais votre occupation, ou plutôt votre supplice:
Recordare quia recepisti bona. Malédiction dans ses désirs , parce
qu'il n'en formera jamais que d'inutiles: Si quis ex mortuis ierit ?
Ah ! si quelqu'un de nous, disait le mauvais riche, revenait sur la
I 84 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
terre! s'il m'était permis, dit un réprouvé, de rentrer dans la carrière
du salut ! si mon malheur n'était pas sans remède, mon arrêt sans
appel , ma perte sans retour ! Si le sang d'un Dieu pouvait encore
couler sur moi, que j'en ferais bien un autre usage! Le démon et
tous ses artifices ne me tromperaient pas ; le monde "et ses
charmes ne me tenter aient pas ; la pénitence et ses rigueurs ne me
rebuteraient pas. Que ne puis-je encore ce quejen'ai pas voulu;
ou que n'ai-je voulu ce que je ne puis plus maintenant! Siquis ex
mortuis ierlt ! regrets inutiles, vains désirs, vœux superflus; malé-
diction enfin jusque dans ses expressions. Ce ne seront, dit le Sau-
veur, que larmes arrachées par le dépit, sanglots entrecoupés
par le désespoir , plaintes étouffées par la rage: Ibi erit Jletus et
stridor dentium. Cette muette tristesse, cet affreux silence, cette
noire et sombre fureur, que l'Evangile donne au réprouvé pour
tout langage, n'est-ce pas là le comble de la malédiction, puisque
c'est leur ôter même la triste consolation de s'en plaindre , et par-
conséquent à nous , mes frères , à plus forte raison , le pouvoir de
l'exprimer, et de le faire entendre comme il faut. Reste donc la
durée de la peine, dont je ne vous dis qu'un mot, et que je vous
laisse à méditer, parce que les discours sont ici superflus.
Durée sans bornes et sans mesure, durée de tous les siècles à
venir, durée néanmoins que le temps, en s'écoulant, ne diminue
point; durée dont les commencemens s'éloignent , s'abîment et se
confondent, sans que sa fin approche; durée d'un seul moment,
que l'on appelle éternité, et qui sera désormais la durée de l'être
de Dieu : JEternus. Vous convenez sans peine , chrétiens auditeurs,
que cette durée ne se peut expliquer ni même comprendre. Vous
désespérez même d'en pouvoir avoir la moindre idée, lorsque, après
avoir supputé dans votre mémoire tous les nombres imaginables ,
parcouru dans votre esprit les espaces les plus vastes , creusé dans
votre imagination les suppositions les plus incompréhensibles',
vous trouvez encore au bout l'éternité tont entière. Imaginez-vous
qu'un homme est condamné à subir les peines de l'Enfer, jusqu'à
ce qu'il ait noyé l'univers de ses larmes , en ne versant cependant
qu'une larme de mille ans en mille ans : hélas! Cain n'aurait en-
core versé que cinq ou six larmes. Bon Dieu! quelle épouvanta-
ble durée de temps , s'il fallait attendre qu'il eût rempli ce lieu ;
mais que serait-ce avant qu'il eût rempli l'espace qu'occupe cette
ville , avant qu'il en eût versé suffisamment pour faire plusieurs
grandes rivières? Que serait-ce s'il fallait souffrir jusqu'à ce qu'il
en eût assez versé pour remplir l'espace que la mer occuoe ; assez
DES PHBJDICATEtmS. l85
pour inonder la terrre ; assez pour remplir cette immense étendue,
qui est depuis la terre jusqu'au ciel? Cette pensée fait frémir : l'es-
prit alarmé se confond, se perd dans cette épouvantable étendue
de siècles. Cependant quelque effrayante, quelque inconcevable
que soit cette durée, ce n'est pas encore l'éternité; puisqu'après
cette durée d'un temps presque infini, l'éternité reste encore
tout entière; puisqu'il viendra un temps où un damné pourra dire
que s'il avait versé une seule larme de mille ans en mille ans, de-
puis qu'il est dans les supplices, et que Dieu eût conservé cette
larme, tout l'univers serait déjà noyé de ses pleurs. Mais de là
ne devez-vous pas conclure , que les peines d^ l'enfer sont plus
affreuses que l'on ne peut dire? Car si ces deux termes indéfinis',
Toujours et Jamais , dans les moindres maux de la vie absorbent
nos pensées, tarissent nos expressions et nous désespèrent ; ajoutés à
de véritables supplices, à des peines extrêmes, à de rigoureux châti-
mens, ne les mettent-ils pas hors de la sphère de nos esprits et de la
portée de nos discours? Qui peut dire ou faire sentir comme il faut
ce que c'est qu'agoniser toujours, et n'expirer jamais, toujours lan-
guir, et ne jamais mourir, toujours brûler, et ne consumer jamais, ne
vouloir jamais ce qui sera toujours, et vouloir toujours Ce qui ne sera
jamais? Jamais de relâche, et toujours des tourmens! toujours de
nouveaux supplices, et jamais un coup de grâce! Voilà , chrétiens ,
le dernier trait, que le pinceau le plus habile ne peut assez vive-
ment représenter dans la peinture de l'Enfer. Mais n'est-ce pas au
fond celui qui vous révolte ? Sans cette éternité désespérante , vous
souffririez peut-être que l'on vous parlât plus souvent de l'Enfer;
et sa pensée ne trouverait plus tant d'opposition dans vos esprits.
Mais pensez-y, chrétiens auditeurs, ou ny pensez pas; que l'on
vous en parle, ou qu'on la passe sous silence , l'éternité des peines
de l'Enfer n'en est ni moins véritable ni moins terrible. Il y a plus
de quinze siècles que les incrédules ont voulu sur cet article de
foi fermer la bouche aux prédicateurs de l'Evangile, en le traitant
de figure et d'hyperbole. L'Eglise s'est contentée de leur répon-
dre par des anathèmes, et de leur faire craindre d'éprouver ce
qu'ils ne voulaient pas entendre. Dans la suite des temps , à tou-
tes les vaines objections que formait l'incrédulité sur la justice d'une
peine éternelle pour un péché d'un moment, les Pères ont répondu
que c'était la justice de Dieu ; et que si au faible jugement des hom-
mes elle paraissait trop sévère, et excéder les règles ordinaires de
la justice, c'est qu'elle était justice de Dieu, et par conséquent in-
compréhensible, comme sa bonté et ses autres attributs ; /foc
l86 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
magis mirabilis Dei virtus, disait Salvien , quod quantum ad imoe-
cillitatem humanam pertinet , pœne injustitiœ speciem magnitudo
justitiœ habere videatur. Qu'attendez-vous donc, pour le croire et
pour le craindre? Que quelqu'une de ces infortunées victimes re-
vienne de l'autre monde vous en instruire ? Mais la foi d'une telle
apparition serait-elle plus sûre que celle de l'Evangile? Non, non,
disait Abraham au mauvais riche, qui lui demandait en faveur de ses
frères un pareil prodige; ils ont la Loi et les Prophètes : s'ilsne croient
pas ces témoins vivans, ils ne croiront pas plus les morts.Profitons de
cet avis : tenons-uous à l'Evangile. (Le père Segaud, Sur lEnfer.\
Éternité de l'Enfer, motif de conversion.
Croyez à celui qui promet, à ceux qui auront cru , de leur don-
ner en récompense la vie éternelle ; croyez à celui qui punira des
feux éternels de l'Enfer ceux qui auront refusé de croire. Ah!
quand ce grand jour du jugement sera arrivé, de quelle gloire la
foi se verra entourée ! à quels supplices l'incrédulité sera en proie!
quelle sera la joie des fidèles ! quels seront les regrets des impies
de n'avoir pas cru lorsqu'ils étaient sur la terre ; et de ne pouvoir
revenir sur la terre pour croire ! Une flamme dévorante brillera
sans pitié tous ceux qui lui auront été livrés; et ces épouvantables
tourmens n'auront jamais ni fin ni relâche. Ces corps et ces âmes,
par une permission spéciale de Dieu , brûleront toujours sans ja-
mais se consumer, afin que leur supplice soit éternel. Alors la dou-
leur du repentir, les larmes, les gémissemens , les prières, tout se-
ra inutile et infructueux. Trop tard, hélas ! il faudra qu'ils croient
à des tourmens éternels, eux qui n'ont point voulu croire à d'éter-
nelles récompenses.
Ah ! chrétiens, tandis qu'il en est temps encore, mettez donc et
votre vie et votre salut en sûreté. Nous vous offrons en ce mo-
ment et nos sentimens et nos conseils paternels, dans la vue de vo-
tre salut; et, parce qu'il ne nous est point permis de haïr , et que
jamais nous ne sommes plus agréables à Dieu que (Juand nous
souffrons patiemment les injures sans chercher à nous en venger,
nous vous y exhortons de tout notre cœur. Tandis que vous en
avez la possibilité, tandis qu'il vous reste encore à parcourir quel-
que partie de votre carrière mortelle, hâtez-vous de satisfaire à
Dieu , sortez des épaisses ténèbres de la superstition, et ouvrez vos
yeux à la brillante lumière de notre sainte religion. Nous ne vous
envions point vos avantages ; nous ne cherchons point à vous dé-
rober la connaissance des bienfaits de Dieu ; nous ne répondons
DES PRÉDICATEURS. 187
à votre haine que par la bienveillance ; et pour ces tourmens , ces
supplices que vous nous faites endurer, nous vous montrons le
chemin qui mène à la vie et au bonheur. Croyez et vivez ; et, après
nous avoir tourmentés dans le temps, venez vous enivrer avec
nous, pendant l'éternité, des joies célestes. Que personne ne se
laisse arrêter par la considération de la multitude de ses péchés ,
ni du nombre de ses années, et ne désespère de son salut. Tant
que l'homme est sur la terre, il lui reste encore le temps de se re-
pentir ; les chemins de la miséricorde divine lui sont encore ouverts:
il n'y a que dans l'autre vie, lorsque déjà l'on est livré aux feux
qui ne doivent point avoir de fin , que tout cela devient inutile.
( Saint Cyprien , Livre a Démétrianus.)
Même sujet.
Voilà ce que la foi nous enseigne : un feu éternel , une éter-
nelle séparation de Dieu ; voilà ce que toutes les Ecritures nous
annoncent. Ce qui m'étonne et ce qui serait capable de me trou-
bler, si les mêmes Ecritures ne m'en découvraient le mystère , c'est
qu'une vérité si touchante nous touche si peu, et que, parmi ceux
à qui je parle , il y en ait peut-être qui jamais n'en ont encore été
bien touchés; ce qui m'étonne, c'est qu'étant si délicats , si ama-
teurs de nous-mêmes , si sensibles à la douleur, ce feu que la co-
lère de Dieu allume pour punir nos crimes ne fasse sur nous que
les plus faibles impressions; ce qui m'étonne, c'est que, ne pou-
vant ignorer que la perte de Dieu est notre souverain mal, et que
cette perte de Dieu , irréparable dans l'Enfer, dépend de la perte
volontaire que nous en faisons en cette vie, nous consentions tous
les jours librement à le perdre , que nous le perdions sans inquié-
tude, sans chagrin ; que nous le perdions même souvent avec joie,
et que de toutes les pertes que nous faisons dans le monde, celle-
là nous soit la plus indifférente; ce qui m'étonne, c'est que la
même foi qui nous dit qu'il y a un Enfer où l'on brûle et où l'on
est privé de Dieu, nous dit encore qu'un seul péché nous expose
à l'un et à l'autre, que Dieu n'a pas de moindre vengeance pour
le punir que l'un et l'autre, et que le péché néanmoins, et le pé-
ché le plus mortel, soit traité parmi nous de jeunesse , de fragilité
excusable, et souvent même de jeu, de galanterie, de bel esprit et
de belle humeur. Est-ce stupidité , est-ce inadvertance , est-ce fu-
reur, est-ce enchantement? Croyons-nous ce point fondamental
du Christianisme ? ne le croyons-nous pas ? Si nous le croyons, où
l88 , NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
est notre sagesse ? si nous ne le croyons pas, ou est notre religion?
Je dis plus ; si nous ne le croyons pas, que croyons - nous donc ,
puisqu'il n'est rien de plus croyable , rien de plus formellement
révélé par la parole divine , rien de plus solidement fondé dans la
raison humaine, rien dont la créance soit plus nécessaire pour te-
nir les hommes dans le devoir, rien sur quoi le doute soit plus per-
nicieux, puisqu'il les porte à tous les désordres ? Mais, pour ne le
pas croire, ou pour ne le croire qu'imparfaitement, en sommes-nous
plus à couvert ? Aurons-nous bien devant Dieu de quoi nous jus-
tifier, en lui disant : Je ne croyais pas ? Sauverons-nous par là les
conséquences de la chose ? et si elle se trouve vraie, quoique nous
ne l'ayons pas crue, où en serons-nous? Est-ce raisonner en hommes
que de risquer sur un tel sujet? Que ne faisons-nous pas tous les
jours pour éviter un mal incertain, par la raison seule de son incer-
titude? Avons-nous fait un pacte avec l'Enfer, comme ces pécheurs
dont parle le Prophète ; ou avons-nous une démonstration et une
évidence parfaite qu'il n'y ait point d'Enfer ? Ce que les impies
allèguent pour le combattre est-il comparable à ce qu'établit la
foi ? sommes- nous donc sages de quitter le parti de la foi, et n'est-
il pas non seulement le plus sur, mais le plus plausible, le plus
raisonnable ? Quelle peine plus naturelle pour une ame révoltée
contre Dieu que la perte de Dieu ? quel châtiment plus juste pour
une ame sensuelle et adonnée à d'infâmes plaisirs et défendus par
la loi de Dieu que le feu ? Quoique ce tourment du feu, qui est le
mal de la créature, soit eu lui-même si affreux, a-t-il rien qui ap-
proche de la griéveté du péché, qui est le mal du Créateur ? et
n'est-il pas de l'ordre que le mal du créateur soit vengé par celui
de la créature ? (Bourdaloue, Sermon sur l'Enfer. )
L'Enfer commence dès ce monde pour le méchant.
Le Fils de Dieu, dans la parabole de l'Evangile , nous représente
les pécheurs comme exclus, comme excommuniés du troupeau,
parce qu'étant des membres pourris, ils ne participent point à la
vie. C'est pourquoi le pain de vie leur est refusé , c'est pourquoi ils
sont séparés du banquet céleste , qui est la vie du peuple fidèle;
d'où, passant plus outre, je dis qu'étant séparés de cette unité, ils
commencent leur Enfer même sur la terre, et que leurs crimes les
y font descendre ; cur ne nous imaginons pas que l'Enfer consis-
te dans ces épouvantables tourmens, dans ces étangs de feu et de
soufre , dans ces flammes éternellement dévorantes, dans cette
DES PRÉDICATEURS. 189
rage , dans ce "désespoir, dans cet horrible grincement de dents.
L'Enfer , si nous l'entendons , c'est le péché même; l'Enfer, c'est
d'être éloigné de Dieu ; et la preuve en est évidente par les
Ecritures.
Job nous représente l'Enfer en ces mots : « C'est un lieu , dit-il,
« où il n'y a nul ordre , mais une horreur perpétuelle ; » de sorte
que l'Enfer, c'est le désordre et la confusion. Or, le désordre n'est
pas dans la peine ; au contraire , j'apprends de saint Augustin que
la peine, c'est l'ordre du crime. Quand je dis péché, je dis le dés-
ordre, parce que j'exprime la rébellion ; quand je dis péché puni ,
je dis une chose très bien ordonnée ; car c'est un ordre très équi-
table que l'iniquité soit punie; d'où il s'ensuit invinciblement que
ce qui fait ht confusion dans l'Enfer, ce n'est pas la peine , mais le
péché. Que le dernier degré de misère, ce qui fait la damnation et
l'Enfer , c'est d'être séparé de Dieu, qui est la véritable béatitude.
Si d'ailleurs il est plus clair que le jour que c'est le péché qui nous
en sépare , comprends , ô pécheur misérable , que tu portes ton
Enfer en toi-même, parce tu y portes ton crime, qui te fait des-
cendre vivant en ces effroyables cachots où sont tourmentées les
âmes rebelles. Car, comme l'Apôtre saint Paul, parlant des fidèles
qui vivent en Dieu par la charité, assure « que leur demeure
« est au ciel, et leur conversation avec les Anges; » ainsi nous
pouvons dire très certainement que les méchans sont abîmés dans
l'Enfer, et que leur conversation est avec les diables : étrange sé-
paration du pécheur, qui trouve son Enfer même en cette vie ! Et
n'est-il pas juste qu'il trouve l'Enfer, puisqu'il est séparé du sacré
troupeau que la charité fait vivre en notre Seigneur? ( Bossuet,
Sermon sur la gloire de Dieu dans la conversion des pécheurs?)
La pénitence est inutile dans l'Enfer.
N'attendons point que la mort nous ait introduits dans les En-
fers, pour faire pénitence, puisqu'alors notre pénitence serait
inutile. En vain celui qui habite ces régions désolées fait entendre
d'horribles grincemens de dents ; en vain sa langue est dévorée
d'une chaleur insupportable ; il ne se trouvera jamais personne
qui l'humecte de la moindre goutte d'eau , personne qui soulage
ses horribles tourmens parla moindre parole de consolation ; mais
il entend sans cesse retentir les paroles terribles que le Seigneur
adressa autrefois au mauvais riche.
Si donc nous sommes persuadés de tout cela, si nous regardons
!q0 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
les choses Je ce monde comme un songe, si nous nous considérons
ici comme dans une hôtellerie que nous allons bientôt quitter, oc-
cupons-nous donc de notre voyage, et empressons-nous de nous
munir de tous les viatiques nécessaires, pour arriver au but que
nous nous sommes proposé. Pour cela, il ne suffit pas dédire:
Il faut croire; ce ne sont point des feuilles que l'on nous demande,
mais des fruits ; car, disait le Sauveur, « tous ceux qui disent: Sei-
« gneur, Seigneur , n'entreront point dans le royaume des cieux ;
« mais ceux qui font la volonté de mon Père. »
Gardons-nous donc bien de nous laisser séduire; accordons que
notre vie entière se passe au milieu des délices de toute espèce ;
mais qu'est-ce que notre vie , mise en parallèle avec des siècles
infinis ? Ici tout a une fin , les biens comme les maux; mais là les
châtimens sont éternels. Si le corps est ici - bas la proie des flam-
mes, du moins Famé n'en est point atteinte et s'envole librement;
mais là, une fois que le corps par sa résurrection s'est revêtu d'in-
corruptibilité, l'ame est éternellement dévorée par les flammes.
Car les pécheurs ressuscitent aussi avec un corps incorruptible ;
non point pour être couronnés de gloire comme les justes , mais
afin de demeurer éternellement dans les supplices qu'ils ont mé-
rités. Si donc nous avons peine à supporter la vapeur d'un bain
tant soit peu trop échauffé, comment pourrons-nous subsister dans
ce fleuve de feu au milieu duquel nous serons précipités ? ( Saint
Chrysostôme , De la Pénitence.)
Péroraison.
O Dieu puissant et terrible ! ces vérités redoutables seraient-
elles enfin sans fruit pour notre salut ? Hélas! ce serait vainement
que les hommes tonneraient à notre oreille, si vous ne parliez
vous-même à notre cœur. Ah ! puisque ce cœur s'est montré si
long-temps insensible à vos invitations , triomphez aujourd'hui
par vos menaces de sa dureté, et subjuguez par la crainte ce rebelle
que n'a pu captiver votre amour. Si les passions essayaient de le
séduire encore par leurs illusions et leurs amorces, montrez-lui
l'Enfer, et qu'il apprenne quel est le terme formidable où les pé-
cheurs verront aboutir cette route spacieuse que le plaisir leur sè-
me de fleurs. Si les sacrifices que vous lui commandez intimidaient
sa faiblesse , montrez-lui l'Enfer , et qu'il porte sans murmure un
joug tque rendra plus léger la vue des réprouvés et de leur cruel
fcES~PRÉDlCÀTEUÎtS. 191
esclavage. S'il sentait se ranimer d'indignes affections , montrez-
lui l'Enfer, et que des ardeurs coupables s'éteignent à l'aspect de
ces feux allumés par votre fureur. Enfin, sauvez - nous de lEnfer,
par la vue de l'Enfer même, et qu'à cette école nous*apprenions
à mériter les récompenses éternelles. Ainsi-soit-il, (M. Borderies.)
igi NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
FOI.
REFLEXIONS THEOLOGIQUES ET MORALES SLR CE SUJET.
Notion de la foi.
Le saint concile de Trente nous enseigne que la foi est le com-
mencement, le fondement, la racine de toute notre justification .
La foi est le commencement de notre justification. C'est elle qui,
son flambleau à la main, nous conduit dans les voies de la perfec-
tion, nous mène à toutes les vertus chrétiennes, nous ouvre la
porte de l'enceinte sacrée où elles résident, nous y introduit, nous
les fait connaître, et, répandant sur elles sa vive lumière, les fait
briller à notre vue de tout leur éclat, et du sien propre.
La foi est le fondement de notre justification. C'est sur elle
qu'est établi , que repose , qu'est affermi l'édifice de notre salut.
Que cette base fondamentale soit ébranlée, le bâtiment qu'elle sup-
porte s'écroule aussitôt, et tombe tout entier en ruines. Mais tant
qu'elle reste solide, l'édifice est aisément entretenu; ou, s'il éprou-
ve quelque dégradation, il peut être promptement réparé.
La foi est la racine denotre justification, de cet arbre dévie que
nous devons cultiver avec un soin assidu. Racine profonde, qui
communique à tous ses rameaux, et y fait couler la sève vivifiante:
racine ferme qui le soutient, et, le fixant fortement, lui fait braver
les orages et les tempêtes; racine féconde, qui l'enrichit de fruits
abondans et salutaires. Elle est, comme l'appelle le Sage, la racine
de l'immortalité.
Quelle est donc cette vertu primordiale qui amène à sa suite ,
comme son cortège , toutes les autres vertus , et de laquelle notre
sainteté reçoit son principe , sa stabilité, sa fécondité ? Tous les
docteurs s'accordent à définir la foi , une lumière surnaturelle in-
fuse dans nos esprits, par laquelle nous croyons fermement en
Dieu et à toutes les vérités qu'il nous a révélées.
DES PRÉDICATEURS. I93
La foi est une croyance ; mais toute croyance des objets reli-
gieux n'est pas la foi. Il est des vérités sacrées que notre raison
nous présente, nous prouve, nous persuade, et porte au dernier
degré de conviction , qui est la certitude. Ainsi l'existence , et plu-
sieurs des perfections de l'Etre Suprême , nos principales obliga-
tions, soit envers lui, soit entre nous, n'ont besoin, pour être con-
nues, que de cette lumière naturelle dont il a gratifié la nature hu-
maine, et ont en effet été professées par beaucoup de nations qui
n'avaient point le bonheur de la foi. En concluerons-nous que ces
vérités, qui forment ce qu'on appelle la religion naturelle, n'appar-
tiennent point à la foi, et lui sont étrangères ? Non sans doute.
Une vérité ne peut-elle pas être rendue sensible par divers moyens,
et certaine par différens motifs ? Ce qu'un flambeau m'avait fait
apercevoir à travers l'obscurité, le soleil , chassant les ténèbres ,
me le fait voir ensuite dans sa plénitude, et avec une entière clarté.
Telle est à peu près, sur les principes de la religion naturelle, la
connaissance successive que nous donnent la raison et la foi. Une
lumière naturelle les avait fait découvrir à notre intelligence. Les
rayons du soleil de vérité, descendus du haut des cieux dans notre
esprit, d'abord achèvent d'éclairer l'intellect, en dissipent les om-
bres, en éclaircissent les difficultés , excitent la volonté, et la font
adhérer fortement aux vérités qu'ils font briller de leur lumière.
La vertu théologale et surnaturelle de la foi diffère de la
croyance naturelle par son motif, par son principe, par sa nature,
par ses objets, par ses effets.
Les motifs généraux de toute croyance naturelle sont la force
du raisonnement, le rapport des sens, le témoignage des hommes.
Le motif unique de la foi chrétienne est l'autorité du Dieu révé-
lateur. C'est sous ce point de vue exclusif qu'elle considère les vé-
rités saintes. Elle les adopte parce que Dieu les enseigne. Les
motifs naturels servent bien à établir la foi : ils attestent que Dieu
a parlé ; ils démontrent que Dieu ne peut ni recevoir l'erreur, ni
la donner. Ainsi ce sont eux qui amènent notre raison à l'autorité
divine. Mais là ils l'abandonnent : ils la remettent entre les mains
de cette infaillible véracité, qui sera désormais son guide, son
docteur, son oracle.
Le principe de la croyance humaine est dans une raison droite
que n'aveuglent pas les préjugés, que n'égarent pas les passions.
Le principe de la foi divine est la motion surnaturelle de la grâce.
Elle est, nous dit le Sage, un don de Dieu, un don de choix. Nous
acquérons la croyance , nous recevons la foi ; il est en notre pou-
t. m, i3
jp^ nouvelle bibliothèque
voir de la mériter, il est au dessus de nos efforts de nous la donner.
La croyance naturelle est de sa nature spéculative : c'est un
simple acte de l'intelligence, qui croit ce qui lui est démontré.
La foi surnaturelle est non seulement spéculative, mais pratique :
elle se soumet non seulement l'intelligence, mais la volonté; non
seulement elle croit, mais elle veut croire; elle donne non seule-
ment un assentiment, mais une imperturbable adhésion; elle con-
siste non seulement dans la croyance, mais dans l'attachement à la
croyance. Consultons l'expérience, et peut-être la nôtre propre.
Combien de gens ne sont pas pénétrés des vérités dont ils sont
convaincus! Ils n'en doutent pas; mais ils n'en sont nullement
touchés. Elles ne leur sont pas étrangères; elles leur sont indiffé-
rentes. Leur esprit reconnaît l'évidence; leur cœur en repousse les
conséquences. Pharaon et ses magiciens, dans les miracles de
Moïse, admirent le doigt de Dieu , et cependant s'endurcissent con-
tre les obligations qu'il leur impose. La grâce de la foi pénètre
jusque dans le cœur ; en s'y répandant elle l'amollit de son onc-
tion ; elle y grave fortement les vérités qu'elle a imprimées dans
l'esprit; elle lui fait chérir ce qu'elle enseigne, désirer ce qu'elle
promet. Ainsi la prudence humaine, qui n'est qu'une simple persua-
tion, a un terme; c'est la certitude, au delà de laquelle il n'y a
plus rien; et quand elle y est arrivée, elle ne peut le passer. Au
contraire, la foi, qui, outre la conviction , est un sentiment,
peut toujours s'accroître. Son activité n'a point de mesure; ses
élans peuvent continuellement devenir plus vifs. Tout chrétien
peut et doit dire avec les Apôtres : Seigneur, augmentez en moi
la foi.
Les objets de la croyance naturelle sont uniquement ceux que
la raison connaît et démontre. Ils sont aussi, comme nous l'avons
vu, confirmés par la foi. A l'autorité de simple persuasion dont
jouit la raison, la foi ajoute l'autorité d'empire qu'elle possède;
et, apposant aux vérités reconnues son sceau divin, elle les con-
sacre, et érige en devoir l'inébranlable persuasion. L'existence de
l'Ètre-Suprême, les récompenses de l'autre vie, qui sont des vé-
rités évidemment présentées par la raison , sont en même temps,
selon saint Paul , des dogmes de cette foi sans laquelle il est im-
possible de plaire à Dieu, Mais le domaine de la foi s'étend bien
au delà des limites étroites de notre intelligence. Du ciel dont elle
vient elle fait descendre sur nous des vérités d'un ordre supérieur,
{uistjuelleîi toute raison humaine est par elle* môme incapable
fj^tteiriclre, §i ç}\$ ne Igs revêt pas \o\\m <i une entière çhvtéf
DKS PRÉDICATEURS. IO^
elle leur imprime à toutes une entière certitude; et, dans les ob-
jets qu'elle nous présente, elle surpasse la persuasion naturelle
de toute la distance qui est entre l'enseignement divin , et la con-
naissance humaine.
Ainsi les effets de la foi sont bien autrement abondans que
ceux de la simple croyance. Si nous considérons sa nature, elle
est une vertu infuse que nous devons conserver et cultiver en nous
avec soin. Si nous levons les yeux vers l'autorité dont elle émane,
nous voyons l'infaillible véracité qui bannit tout doute et fait re-
jeter sans examen toute difficulté. Si nous mesurons son étendue,
elle comprend des vérités qui excèdent notre raison. Nous devons
donc croire avec une entière certitude , et une absolue soumission ,
même les parties de son enseignement que nous sommes dans
l'impuissance de comprendre.
La foi est un bienfait du Seigneur. Jésus-Christ déclare que nul
ne peut venir à lui, si Dieu ne l'y attire. Son Apôtre nous répète
de sa part que' c'est par la grâce, et non par nous-mêmes, que la
foi nous sauve, parce qu'elle est un don de Dieu. La foi, qui tend
directement à Dieu , vient immédiatement de Dieu. Elle est une
chaîne qui du trône céleste descend sur nous, pour nous y atta-
cher, et qui, remontant de nous à ce principe de tout bien , nous
y lie plus fortement encore. La foi est une grâce; elle est donc,
comme le nom même l'indique, absolument gratuite. Nous som-
mes . à l'égard de la foi , comme des malades qui reçoivent le salut
des remèdes qui leur sont appliques. Libertins de cœur et d'esprit ,
cesse* d'abuser de ce principe pour exeuser votre incrédulité ; et
de prétendre que, si vous ne croyez pas nos vérités saintes, c'est
que le don de la foi vous manque , et qu'il n'est pas en votre pou-
voir de vous le donner. Cette défaite illusoire, qui autorise toute
impiété, a été positivement prescrite par le divin Maître , quand il
reprochait à ses disciples la modicité de leur foi, et aux Juifs leur
incrédulité formelle. Le malade n'a pas la puissance de détruire
lui-même sa mortelle infirmité ; mais il dépend de lui d'appeler le
médecin qui la guérisse, de se soumettre aux remèdes qu'il lui pres-
crit. Implorez de même la grâce de la foi , et elle viendra au secours
de votre faiblesse. Soumettez-vous à son enseignement, et, en s'ac-
croissant, elle vous fortifiera de plus en plus. Dieu ne vous la doit
pas ; mais il la promet à vos veux, à votre soumission, à vos efforts.
Il ne vous la doit pas; mais il la doit à lui-même et à ses promesses.
Ne prétextez donc plus la. nécessité de la grâce pour vous y sous^
frairo, lafoj est à la foji un Jnenfait gratuit et une véçom^me?
io6' nouvelle bibliothèque
Dieu la donne à qui il veut, et il ne la refuse jamais à ceux qui s'en
rendent dignes, en la désirant, en la sollicitant, en la recher-
chant, en y coopérant.
Reconnaissons que c'est un trait de la sagesse et de la bonté
divine d'avoir fait de la foi, en même temps qu'une vertu, une
grâce qui en facilite l'exercice. La foi nous présente deux sortes de
vérités, les unes spéculatives, qu'elle nous oblige à croire, les
autres pratiques qu'elle nous ordonne d'observer. Mais, parmi les
premières, il y en a qui surpassent la portée de notre intelligence;
entre les secondes, beaucoup contrarient nos inclinations. L'intel-
lect se soumet difficilement à croire ce qu'il ne peut comprendre :
la volonté a peine à pratiquer ce qui lui est désagréable. Mais la
grâce de la foi allège ce que le principe de la foi peut avoir d'o-
néreux. Elle fortifie la raison contre les doutes, et la volonté
contre les séductions. Elle convainc l'une, et, dans la révélation
divine qu'elle fait retentir à ses oreilles , lui montre un motif évi-
dent de croire même les dogmes incompréhensibles. Elle aide
l'autre, et, dans ses promesses et ses menaces de l'autre vie, lui
apporte un secours puissant pour la faire triompher de ses répu-
gnances.
Ce n'est que de Dieu , qui seul se connaît lui-même, que l'homme
peut recevoir des connaissances certaines sur cet être infini. Elles
lui sont pour l'ordinaire communiquées par des hommes ; mais
c'est de Dieu qu'elles viennent primitivement : et dans la voix de
l'homme le chrétien reconnaît et adore la parole de Dieu qui lui
est transmise. Que l'hérétique ne nous reproche donc plus d'attri-
buer à des hommes l'infaillibilité que nous reconnaissons dans
l'Église enseignante. Ce n'est pas des hommes qui prononcent
les définitions doctrinales que nous révérons les vérités irréfraga-
bles : c'est de l'Esprit-Saint dont ils sont les organes, et qui par
ses inspirations les préserve de toute erreur. C'est de Jésus-Christ,
qui a promis au corps de ses Apôtres, réuni à son chef, d'être avec
eux tous les jours jusqu'à la consommation des siècles. Les vérités
qu'ont transmises à l'Eglise les écrivains sacrés, et que l'Eglise
présente avec autorité à notre foi, sont un extrait de la science
divine. Lors donc que le fidèle soumet à la révélation divine son
entendement, et se pénètre de l'intime persuasion des vérités qu'il
ne comprend pas, il laisse une lueur faible s'effacer devant une
vive lumière : il quitte un guide incertain , pour suivre un conduc-
teur impertubable : il abandonne une règle douteuse, pour s'at-
tacher à une loi indéfectible ; il préfère à ses idées trompeuses un
DES PIIÉD1CATEURS. 1QJ
oracle infaillible : il substitue la raison de Dieu à sa raison , la con-
naissance de Dieu à sa connaissance, le jugement de Dieu à son
jugement.
Appuyé sur cette base immuable de la parole divine , la foi du
chrétien est inébranlable comme elle. Dieu a parlé : que toute in-
certitude s'évanouisse , que toute curiosité se réprime , que tout
préjugé se dissipe, que toute passion se réforme, que tout raison-
nement se taise, que toute intelligence s'abaisse et se soumette
humblement au joug de la foi. Quelle évidence plus grande que ce
qu'enseigne l'auteur de toute évidence ? Telle fut l'imperturbable
foi du grand Patriarche, le père des croyans, qui, se confiant sur
les promesses divines plus que sur les lumières de sa propre raison,
espéra contre tout motif humain d'espérer. Telle a été la foi de
tout ce qui a existé de saints, de ces génies profonds, de ces per-
sonnages si savans que nous présentent les fastes de la religion.
Tout ce qui n'a pas ce caractère d'une inaltérable fermeté n'est
pas digne d'être appelé la foi chrétienne.
11 est donc aussi insensé que coupable cet orgueil quia l'effron-
terie de se décorer du nom de philosophie ; qui dédaigne les
dogmes qu'il devrait adorer; qui, loin de se soumettre à l'ensei-
gnement divin, a la prétention d'assujétir l'enseignement divin à
ses jugemens; qui ose demandera Dieu le comment de ses révéla-
tions, le pourquoi de ses préceptes; qui s'arroge le pouvoir de
mesurer la grandeur de l'Etre infini sur ses courtes pensées; et qui
déclare fastueusement impossible tout ce que son étroite compré-
hension ne peut contenir. Quelle extravagance de vouloir que les
dogmes d'une Religion divine soient proportionnés à l'intelligence
humaine! Dans le monde physique que Dieu abandonne à nos dis-
putes , nous rencontrons à chaque pas des mystères. Ce que nous
voyons, ce que nous touchons, souvent nous ne le comprenons
pas. Nous ne pouvons ni douter de l'existence des choses naturel-
les , ni savoir comment elles existent: et, par une inconséquence
frappante, les plus inaccessibles à notre raison, les choses de Dieu,
les vérités qu'il nous révèle, nous les rejetons sur le fondement
unique que nous ignorons comment elles peuvent être. Dieu se-
rait-il infini si nous pouvions le connaître pleinement ? Il en est
à cet égard de notre foi comme de notre raison. Dieu a posé des
bornes à la raison pour qu'elle fût] réservée : il a laissé des obscu-
rités dans la foi pour qu'elle fût soumise. Mais sa bienfaisante sa-
gesse a donné à celle-là une étendue, à celle-ci une clarté suffi-
sante pour nos besoins. Elle ne produit rien de superflu; elle ac-
igS NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
corde tout l'utile. Et la raison, et la foi, nous découvrent , cha-
cune dans leur ordre , tout ce qu'il nous importe de savoir. De
quel avantage nous seraient les connaissances naturelles auxquel-
les la raison ne peut atteindre ? Quel bien nous reviendrait de voir
clairement les vérités sacrées que la foi nous cache? Ainsi la foi est
obscure , et elle doit l'être. Elle est obscure en ce qu elle ne dis-
sipe pas les nuages dont Dieu environne son trône. Elle est obscure
de même que la mer paraît noire à raison de son immense profon-
deur. Elle est obscure ; mais ses ténèbres conviennent à son état
présent. Sans cette obscurité , quel mérite aurait notre croyance ?
Elle est obscure ; mais les abîmes de l'incrédulité sont plus impé- j
nétrables encore. Elle ne peut rejeter nos incompréhensibilités
qu'en se jetant dans des contradictions. Elle est obscure, mais
seulement dans ses objets. Que nous importe que ses dogmes soient
incompréhensibles, s'ils nous sont rendus certains? Dieu veut
une soumission qui croie , et non une curiosité qui examine. Il
nous présente ses vérités à croire, et son être à adorer. Notre
œil n'a qu'un horizon restreint dans lequel sa vue puisse s'étendre.
Au delà des limites que lui assigna la main qui le créait , ses re-
gards ne peuvent atteindre. Il voit nettement les objets que le
soleil éclaire; mais, trop faible pour fixer cet astre, il ne peut sou-
tenir ses rayons étincelans. Nous voyons de même clairement les
objets sur lesquels le soleil de vérité répand sa vive clarté. Mais si
nous entreprenons de le contempler lui-même, nous serons aussi-
tôt éblouis de son éclat. Plus la raison est éclairée , plus elle sent
la nécessité, plus elle reconnaît l'obligation de se soumettre à la
foi. Ses lumières lui découvrent les bornes qu'elle respecte, et
qu'elle n'entreprend pas de franchir. L'aveugle incrédulité court
imprudemment se heurter contre ses bornes sacrées que ses efforts
impuissans ne lui feront jamais outre-passer.
A son inébranlable fermeté notre foi doit joindre une autre qua-
lité essentielle : c'est une profonde humilité. Si la foi est la base du
Christianisme, l'humilité est la base de la foi. Recherchez le prin-
cipe de toutes les hérésies qui dans les divers siècles ont divisé
l'Eglise, et de l'erreur bien plus funeste qui la désole encore de
nos jours : partout vous trouverez l'orgueil. Des hommes pré-
somptueux ont prétendu élever l'édifice de leur croyance sur leurs
vaines idées ; et le bâtiment, dénué du fondement qui seul pouvait
le soutenir, s'est écroulé sur eux. Jésus-Christ l'a positivement
déclaré : ceux-là sont incapables d'avoir la foi , qui recherchent ,
non la gloire que Dieu distribue, mais celle qui vient des hommes.
DES PRÉDICATEURS. IQr)
Il plaît au Père céleste, maître du ciel et de la terre, de cacher
ses mystères aux sages et aux prudeus du siècle, et de les révéler
aux petits. La foi, nous l'avons vu, est une grâce; mais c'est aux
humbles que Dieu accorde ses grâces : il résiste aux superbes. La
foi, nous venons de le voir encore, exige une docilité entière de
l'intellect pour ce qu'elle enseigne, une soumission passive de la
volonté à ce. qu'elle prescrit. Qui pourra, sans une sincère humi-
lité, remplir ses devoirs essentiels? Considérez un centurion ido-
lâtre, une Chananéenne infidèle, transportant par leur humilité,-
aux nations, le don de la foi, dont l'orgueil des prêtres, des scribes,
des pharisiens, dépouillait la Synagogue. Entre la foi et l'humilité
il y a une relation , une correspondance intime. Il ne peut y avoir
ni foi solide sans humilité, ni véritable humilité sans foi. L'humi-
lité donne à la foison prix, et la foi à l'humilité son mérite. L'hu-
milité fait la grandeur de la foi, et la foi la perfection de l'hu-
milité.
La nécessité de la foi pour le salut est une de ces vérités si clai-
rement établies, si souvent répétées dans les livres saints, qu'il
faut renoncer à être chrétien pour en douter. Le réparateur du
péché n'était pas encore donné au monde, que déjà il était indis-
pensable de croire en lui pour être sauvé. Le Juif ne pouvait obte-
nir les récompenses éternelles que par sa ferme confiance dans les
promesses qui annonçaient au'' genre humain son Rédempteur.
Depuis que, descendu du ciel, et revêtu delà nature humaine, le
Verbe éternel a réalisé les oracles qui l'avaient prédit, ce devoir
sacré est devenu plus strict encore. Cette foi certaine et inébran-
lable dans le divin Sauveur, qui fut, et qui sera toujours le moyen
absolument nécessaire du salut , en est encore le moyen le plus
efficace. En nous montrant notre terme, en éclairant la route qui
y conduit, elle nous y pousse et nous le fait atteindre.
Mais quelle est cette loi si positivement, si absolument com-
mandée ? Quelles sont les vérités que "sous peine de damnation
tout Chrétien est obligé de professer? Cette question, pour être
éclaircie, exige des distinctions entre les choses que l'on doit
croire, entre les personnes qui doivent croire, entre les manières
dont on doit croire.
Le précepte de la foi est de deux genres, l'un positif, l'autre
négatif. Le premier nous astreint à croire fermement tout ce qui
est révélé par Dieu, et défini par son Eglise; le second nous dé-
fend de nier ou de révoquer en doute aucune des vérités révélées
ou définies. Le second de ces préceptes est général et absolu. Tout
200 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
homme qui sciemment combat un article de foi , par cela seul re-
nie sa foi, se sépare de l'Église, est exclus du salut. Quant au pré-
cepte affirmatif , il souffre quelques exceptions qu'il est important
d'expliquer.
On peut croire les dogmes sacrés de deux manières: ou pro-
fesser distinctement chaque dogme en particulier, ce que les théo-
logiens appellent la foi explicite; ou avoir une croyance générale
de tout ce que l'Église enseigne, avec une disposition précise à
croire nommément et en particulier chacune des vérités que l'E-
glise croit et décide : cette croyance est appelée par les docteurs
la foi implicite. Tout homme est tenu de croire nommément et ex-
plicitement les articles de foi dont il est instruit. Tout chrétien
est strictement obligé à connaître les vérités contenues au sym-
bole des Apôtres, et ce qui concerne les sacremens, les comman-
demens de Dieu et de l'Église. C'est donc un devoir général, et
qui ne souffre pas d'exception , de croire distinctement, positive-
ment , explicitement ces points principaux et fondamentaux de la
catholicité. Mais, outre ces vérités qu'il est ordonné à tout chré-
tien de savoir et de croire, il en est d'autres également certaines ,
pareillement définies par l'Eglise dans les difrerens siècles , que
les hommes plus simples et moins instruits peuvent légitimement
ignorer. Tout fidèle n'est pas obligé d'être théologien. Ces dogmes
sont implicitement renfermés dans celui de l'infaillibilité de l'Eglise.
Il suffit à celui qui n'en est pas positivement instruit de les renfer-
mer dans l'irréfragable autorité de l'Eglise catholique. Telle est
en conséquence la règle: croire distinctement, etd'une foi explicite,
toutes les vérités que l'on connaît, ou que l'on doit connaître ;
croire en général, et d'une foi implicite , celles dont on n'a pas et
dont on n'est pas obligé d'avoir une notion positive. La mesure
d'instruction de chaque individu est la mesure du degré implicite
ou explicite de sa foi.
De tous les bienfaits dont la munificence divine nous a gratifiés,
le plus précieux, le plus utile, celui qui donne du prix à tous les
autres, est le don de la foi. Sans la foi les fruits de la rédemption
sont perdus pour nous ; le sang de Jésus-Christ nous devient inu-
tile. Sans la foi, qu'est-ce même que notre existence, qui ne nous
mène plus au bonheur éternel ? Mais que d'avantages ne nous ap-
porte pas , même dès la vie présente , cette admirable vertu ! Les
sciences humaines s'acquièrent lentement, péniblement, et sont
presque toutes mêlées d'incertitudes. En un mot, la foi remplit
notre esprit d'une multitude de connaissances, toutes sublimes,
DES PAÉDIC,VT£URS. 201
toutes certaines. Considérez ce que connaissaient de Dieu, ce que
possédaient de principes moraux les peuples que la foi n'avait
pas instruits. Comparez la théologie, la morale des plus beaux
génies de l'antiquité avec les enseignemens de notre religion. Le
plus simple catéchisme renferme plus de vérités que tous les vo-
lumineux écrits de ces hommes si vantés. Le paysan le plus gros-
sier parmi nous a, sur Dieu et sur ses propres devoirs, des no-
tions plus étendues, plus exactes, plus certaines', que n'avaient
les plus profonds philosophes. Ainsi agit dans divers ouvrages),
dans la création et dans la religion , l'auteur de l'une et de l'autre.
La voix toute-puissanle, qui d'un mot fit éclore la lumière et la
répandit dans l'univers , est la même qui la fait naître et briller
dans nos esprits.
La foi est cette sagesse par laquelle Salomon reconnaissait qu'il
lui était venu toute sorte de biens. En tranchant tout raisonne-
ment , en levant toute difficulté, en dissipant tout doute, elle met
nos esprits dans un calme profond. Appuyée sur la véracité divine,
ma raison se repose dans une entière sécurité. Elle ne craint plus
les illusions qu'elle est si sujette à se faire, les erreurs dans les-
quelles elle est si fréquemment tombée. Il n'y a pas une circon-
stance de ma vie où je néprouvel'influence bienfaisante de ma foi.
La prospérité m'accueille-t-elle, elle me modère. L'adversité vient-
elle fondre sur moi? elle me soutient. Si je suis dans la richesse ,
elle me rend charitable. Si j'éprouve la pauvreté, elle me rend
soumis. Au milieu des honneurs, elle me préserve de l'orgueil, et
de l'abjection parmi les opprobres. Elle me console dans les dou-
leurs, me soulage dans les maladies. De tous les biens, de tous
les maux de cette vie, elle me fait des moyens de salut. En m'élevant
au dessus des événemens , elle me les montre sous leur vrai point
de vue, et me met hors de leur atteinte. En donnant toutes les
vertus , elle les épure, parce qu'elle en ôte la prétention, et étouffe
le désir de s'en faire honneur devant les hommes. Tout est pos-
sible à celui qui croit, disait le Sauveur du monde. C'est la foi du
centurion, de la Chananéenne, de l'hémorhoïsse, de l'aveugle de
Jéricho , des porteurs du paralytique, qui obtient de lui des gué-
risons miraculeuses. C'est la foi de Marthe, qui méritera résur-
rection de Lazare. Lorsqu'il accorde à ses disciples le don des
miracles , c'est encore à leur foi qu'il l'attache.
Mais ces biens, qui appartiennent à la terre, sont les moindres
bienfaits de la foi. Cette vertu est descendue du ciel pour nous y
conduire. Si nous y sommes fidèles, elle nous y portera, et ne
202 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
nous quittera qu'après nous avoir introduits clans ce sanctuaire
éternel. Celui qui croiten moi, dit le divin Maître, et il le répète
plusieurs fois , possède la vie éternelle : et il nous fait répéter par
son Apôtre que , si nous le confessons de bouche , et si nous
croyons du fond du |cœur que Dieu l'a ressuscité, nous serons
sauvés. Il semblerait qu'il n'y a dans le christianisme d'autre vertu
que la foi ; qu'il n'y a pour être sauvé d'autre condition que d'a-
voir la foi. Gardons-nous cependant de tomber dans cette erreur.
La foi seule peut nous sauver; mais elle ne peut pas nous sauver
seule. Elle est le fondement des vertus chrétiennes ; mais sur ce
fondement il faut élever l'édifice. Le vaisseau qui porte les navi-
gateurs peut seul les sauver au milieu des tempêtes et des écueils;
mais il ne les sauve que parce qu'ils emploient leur art et leurs
forces. Ainsi la foi nous est nécessaire; mais elle devient inutile si
elle n'est pas accompagnée des œuvres. Entre la foi et les œuvres il
y a une correspondance intime. Ce fut une erreur des anciens hé-
rétiques , renouvelée par les hérésies du seizième siècle , que la foi
justifie sans les œuvres. C'est une autre erreur également dange-
reuse , soutenue par les pélagiens, et victorieusement réfutée par
saint Augustin, que les œuvres sont le principe unique de l'élection
des uns de préférence aux autres. Entre ces hérésies opposées ,
nous marchons d'un pas assuré , éclairés par l'Ecriture et la tradi-
tion , et guidés par l'Église. La foi est nécessaire aux œuvres, et les
œuvres à la foi. Les œuvres rendent la foi salutaire, et la foi rend
les œuvres méritoires. Sans les œuvres la foi est stérile; sans la foi
les œuvres sonfinefficaces. Plus la foi est vive , plus les bonnes œu-
vres sont abondantes : et réciproquement l'abondance des bonnes
œuvres augmente la vivacité de la foi. Quand la foi languit , les
œuvres se ralentissent ; et l'interruption des œuvres rend la foi
languissante. ( Le C. de La Luzerne , Considérations sur divers
points de la morale chrétienne.}
DES PRÉDICATEURS. 203
DIVERS TASSAGES DE L'ÉCRITURE SUR LA FOL
Scrutator majestatis opprimetur a gloria.
Celui qui veut sonder la majesté sera accablé de sa gloire.
(Prou., 25, 27.)
Justus in fuie sua vivet.
Le juste vivra de sa foi. (Habac, 2, 40
Qui crédit Deo , attendit mandat is.
Celui qui croit à Dieu estattentifjà ce qu'il lui ordonne. (Eccli.,
32, 28.)
Qui incredulus est non erit recta anima ejus in semetipso.
Celui qui est incrédule n'a pas lame droite. (Habac. y 2 , \.
Filius Hominls veniens , putas ne iiweniet fidemin terra?
Lorsque le Fils de l'Hommeviendra , pensez-vous qu'il trouve de
la foi sur la terre/3 (Luc, 18, 8.)
Qui non crédit, jamjudicat us est.
Celui qui ne croit point est déjà jugé. (Joan., 3, 18.)
Justus autem exfide vivit.
Le juste vit de la foi. (Rom., 1, 17.)
Vosmetipsos tentate si estis injide; ipsi vos probate.
Examinez-vous vous-mêmes pour savoir si vous avez de la foî,
éprouvez-vous vous-mêmes. (IL Cor., i3, 5.)
Ostende mihi fidem tuam sine operibus, et ego ostendam tibi ex
operibusjidem meam.
Montrez-moi votre foi qui est sans œuvres , et moi je vous rr on
trerai ma foi par mes œuvres. (Jac, 2. 18.)
Fides sine operibus mortua est.
La foi sans les œuvres est morte. (Ibid., 20.)
Fides, si non habeat opéra , mortua est in semetipsa.
La foi qui n'a pas les œuvres est morte en elle-même. (/£,, 17.")
Confitentur se nosse Deum;factis autem negant.
Ils font profession de connaître Dieu , mais ils le renoncent
par leurs œuvres. (Ad Tit., 1 , 16.)
Videtis quoniam ex operibus justificatur homo} non ex fide
tantum.
Vous voyez que l'homme est justifié par les œuvres, et non par
la foi seulement, (Jac.) 20, 24.)
204 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
PLAN ET OBJET DU PREMIER DISCOURS
SUR LA FOI.
EXORDE.
Expandit nubem in protcctionem eorum, et iynem ut luceret eis per noctem.
Il fit paraître un nuage pour les protéger, et une lumière pour les éclairer dans les
ténèbres. (Ps. civ, 39.)
Telle est limage de notre foi. Ce prodige éclatant, dont fut té-
moin le peuple hébreux dans le désert , nous retrace parfaitement
les deux rapports qui la caractérisent, son obscurité et sa lumière.
Elle est obscure , parce qu'elle a Dieu pour objet; lumineuse, parce
qu'elle est donnée à l'homme ; obscure, parce que Dieu est grand;
lumineuse, parce qu'il est juste; obscure, parce que l'homme est
borné; lumineuse, parce qu'il est raisonnable ^obscure, pour ne point
la confondre avec les vérités qui tombent sous les sens ; lumi-
neuse, pour la distinguer de l'erreur ; obscure enfin, parce qu'elle
doit nous soumettre; et lumineuse, parce qu'elle doit nous con-
duire. Ainsi , ne séparant point ces deux idées que renferme mon
texte, j'exposerai les ténèbres de la foi , les lumières de la foi. Ave1
Maria. (M. de Boulogne, Sur la fol.)
Nécessité des ténèbres de la foi, fondées sur la grandeur de Dieu.
Que Dieu soit incompréhensible , c'est une vérité dont nous
sommes tous invinciblement pénétrés. En vain notre raison , ou-
bliant quelquefois son ignorance et sa faiblesse, veut s'efforcer
de s'élever jusqu'à lui; nous sentons alors, pour ainsi dire, une
main invisible qui nous repousse, et nous fait rentrer avec humi-
liation dans notre néant. Aussi l'esprit humain, toujours audacieux
dans ses prétentions, n'a jamais cru, de bonne foi, qu'il fut capable
de mesurer, par sa pensée, le vaste abîme qui se trouve entre lui
et Dieu ; un orgueil plus subtil nous séduit et nous abuse. Nous
n'osons point pénétrer son essence, mais nous voulons contrôler
ses desseins ; nous respectons ses attributs , mais les mystères qu'il
DES PnÉDICATEURS. 20&
propose trouvent en nous des rebelles; nous nous soumettons
aveuglement, lorsqu'en maître absolu il dispose des biens et des
maux de la vie et de la mort; mais nous prétendons que son do-
maine souverain ne s'étend point sur nos pense'es : 'insensés ! comme
si en Dieu tout n'était pas la même chose que sa nature; et que,
par conse'quent, ses desseins , ses volontés , les mystères qu'il nous
révèle, ne dussent pas être aussi incompréhensibles que lui-même •
comme s'il pouvait y avoir devant lui, dit saint Paul, des sages
et des docteurs; comme s'il n'était pas de sa majesté de régner
sur nos esprits autant que sur nos corps, ou que, lorsqu'il daigne
s'abaisser jusqu'à nous pour nous instruire, il dût cesser d'être
souverainement grand, et nous infiniment petits.
Je vous l'avoue ici, Messieurs , rien ne m'a tant frappé dans cette
matière , que le contraste étonnant de la grandeur de Dieu avec
la faiblesse de l'homme; et lorsque, donnant l'essor à mon imagina-
tion, je m'élève par la pensée, autant que mon infirmité peut le
permettre, dans cette région intellectuelle, où la Divinité se dé-
couvre à l'esprit humain avec de si nobles attraits; quand je con-
temple cet assemblage majestueux des perfections qui la décorent,
cette gloire éblouissante, cette toute-puissance qui, d'une parole
enfanla l'univers, et qui, d'un souille doit le réduire en poudre;
lorsqu'ensuite , entraîné par le poids de la matière, forcé d'inter-
rompre une spéculation délicieuse, je reviens à regret sur la terre
pour ramper avec mes semblables; et qu'encore, tout 'pénétré de
la grandeur de Dieu, tout ébloui de sa magnificence, j'aperçois
ce globe fragile que j'habite, pétri de boue , habité par l'erreur et
ses tristes chimères, environné de ténèbres, égaré, confondu
comme un atome imperceptible dans l'immensité de l'univers ;
quand je vois, dans un coin dece globe, un vil insecte couvert de
poussière, misérable jouet de la nature, destiné à la corruption
enveloppé dans la nuit des sens, dégradé par des passions humi-
liantes; un vain fantôme d'un moment qui ne fait que se montrer
à la terre et disparaître, ignorant jusqu'à la nature de l'air qu'il
respire , du sol qui le nourrit, de l'herbe qu'il foule aux pieds
plus voisin du néant que de l'être, un homme enfin, puisqu'il faut
le nommer ; lors, dis-je, que je vois cet homme, du fond de son
bourbier, lever insolemment sa tête altière, interroger le maître
du tonnerre et lui demander raison de ses desseins; interdit, épou-
vanté à la vue de tant d'orgueil réuni avec tant de misère, je ne
sais ce qui s'offre à mes yeux de plus insupportable, ou l'excès de
l'audace, ou l'excès du ridicule.
206 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
O vous, qui réclamez sans cesse les droits fastueux d'une raison
superbe, vous qui regardez comme indigne d'elle ce qui n'est point
marqué au sceau de l'évidence, vous qui prétendez que l'infini doit
se mettre au niveau de votre petitesse , et concentrer ses vastes
desseins dans le cercle étroit de vos idées, quels seraient vos sen-
îimens si Dieu daignait lui-même vous instruire en personne, et
vous annoncer ici les mêmes vérités qui font murmurer votre or-
gueil ? Je suppose qu'il parût en ce moment au milieu de vous,
qu'il vînt prendre ma place, et qu'armé de sa foudre, resplendis-
sant de gloire, il fît entendre dans ce temple cette voix puissante
qui féconda le néant, cette voix magnifique et terrible qui brise
les cèdres, ébranle la terre, retentit jusqu'au fond des abîmes, et
qu'il vous dît, avec cet air de majesté qui convient au maître du
monde : Vils mortels, soumettez-vous, croyez, parce que c'est moi
qui parle, quia verbum ego locutus sum l , qui de vous, je ne dis
pas aurait assez d'audace , mais se croirait en droit de répondre :
Non, je ne puis obéir; car, ce que vous m'annoncez surpasse ma
faible intelligence? Ah! bien loin de concevoir une pareille idée, le
silence de l'admiration et du respect régnerait dans tout cet audi-
toire; un saint frémissement, une crainte religieuse s'emparerait
de tous les cœurs; chacun de nous, abîmé dans son néant, s'écrie-
rait comme autrefois le peuple d'Israël : Que le Seigneur ne nous
parle plus, de peur que nous mourions* : tant il est vrai, Messieurs,
que ses pensées ne sont pas nos pensées, que ses voies ne sont pas
nos voies, et que ses conseils sont'autant au dessus de nos conseils
que le ciel est au dessus de la terre! Quand Dieu parle, notre raison
n'a point de droit sur l'évidence, et le comble du délhVest de vou-
loir que le terme de nos connaissances soit le terme de ses volon-
tés. (LE MÊME.)
Utilité des ténèbres de la foi, fondées sur la sagesse de Dieu.
Et d'abord ce sont les ténèbres delà foi qui conservent à la vérité
la souveraine indépendance qui lui est essentielle. Hélas! nous
naissons faibles, ignorans et mortels, et nous imprimons surtout
ce qui nous environne le caractère de nos imperfections, le sceau
de notre faiblesse, et l'image de notre mortalité. La vérité simple!,
pure, éternelle dans sa source, semble devenir mortelle etpéris-
jéréfty, sxifiy, 5. {%) Exo(J. xx, 19?
DES PREDICATEURS. 20J
sable par la contagion de notre fragilité , si la foi ne vient à son
secours. Immuable 'en elle-même, elle change alors par rapport à
nous : livrée au néant de nos pensées, elle suit leur marche irré-
gulière et flottante; jouet des vicissitudes humaines, elle s'abat
et se relève comme les empires, s'épart et se corrompt comme les
mœurs, s'éclipse et renaît sous cent formes nouvelles; aujourd'hui
sur le trône, demain forcée à se cacher et à rougir: incertaine
comme nos jugemens, qui varient eux-mêmes autant que nos af-
fections et nos humeurs; victime d'une raison qui se croit née pour
être souveraine, et qui néanmoins est autant partagée dans ses
idées que notre cœur dans ses désirs , d'une raison plus féconde en
erreurs que nos passions en crimes; esclave tout^à la fois des pré-
jugés et des coutumes , des exemples et des lois, des goûts et des
temps, des impressions anciennes et de la nouveauté, de l'éduca-
tion et de l'habitude , de l'intérêt et des circonstances, du tempé-
rament et de lâge, des maladies et de la santé, des lieux et des
climats : telle est la vérité , mes frères , si elle ne se sauve dans l'a-
sile de la foi. En vain notre divin législateur nous eût conduits
par le flambeau de l'évidence ; en vain nous eût-il rendu sensibles
les mêmes vérités qui nous étonnent , elles n'eussent jamais con-
servé cette indépendance absolue qui les caractérise : tel est l'or-
gueil épouvantable de l'esprit humain ; qu'il se plaît même à se rai-
dir contre l'ascendant irrésistible de l'évidence. Toujours inquiet,
toujours présomptueux, flexible à toutes les idées , inépuisable
dans ses'subtilités , aimant mieux s'agiter dans ses propres chaînes
que de goûter la douceur du repos, toujours errant dans la vaste
région des doutes , il combat ses lumières par ses lumières mêmes.
Dieu existe, ce principe est aussi lumineux que le soleil : son évi-
dence nousTrappe, nous subjugue, se fait jour dans notre esprit
par tous les sens; elle nous investit, pour ainsi dire, et le senti-
ment, ce juge infaillible que rien ne séduit, parle en sa faveur
encore plus haut que la raison. Cependant, ô infamie! ô oppro-
bre éternel! l'esprit humain, encore plus corrompu que superbe,
a tenté plus d'une foi d'altérer cette vérité, et d'étouffer en ce point
le cri delà nature par toutes les souplesses de l'art. Mortels au-
dacieux, cessez d'en appeler à l'évidence, vous n'en seriez pas plus
dociles; la vérité toujours battue par les orages de l'opinion, tou-
jours emportée par le tourbillon de vos chimères, ne jouirait
jamais de son^immutabilité ; et, celle qui a été conçue avant les abî-
mes, celle qui„es|; de tous les siècles, serait, par rapporta ypus.
gusri (DjmngeaiUô (jue 1$ scène dun^onde.
2o8 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
Réfugiée clans les ténèbres de la foi, la vérité ne craint point
ces humiliantes vicissitudes : armée de ce bouclier impénétrable,
elle triomphe sans peine de toutes les inégalités d'une raison ca-
pricieuse. Je la vois alors régner en souveraine; assise sur les dé-
bris des empires; recevant, durant toute la suite des siècles, l'hom-
mage uniforme et constant de l'univers; du haut de son trône
inaccessible, contemplant dans un repos majestueux le cours rapide
des âges qui emporte tout, et le torrent inépuisable des opinions
humaines; conservant toujours son ascendant sur les hommes,
toujours au dessus de l'erreur, toujours une, simple, immuable,
indépendante, comme le Dieu dont elle émane.
Ce sont les ténèbres delà foi qui impriment, à la vérité , ce ca-
ractère de grandeur qui la rend respectable, et la distingue glo-
rieusement de tous lessentimens humains. Dès que sa découverte
sera le fruit de nos lumières, nous la regarderons comme un bien
qui nous est propre, comme l'ouvrage de notre discernement; nous
ne la distinguerons plus de ces productions frivoles, et de ces bril-
lantes bagatelles que notre imagination enfante en se jouant; nous
verrons l'homme, sur la même vérité, être tour à tour, ou cré-
dule jusqu'à l'excès, ou opiniâtre jusqu'à l'impiété. La science du
salut sera pour lors confondue avec les dons de la nature : comme
i
les sciences profanes, elle aura ses ignorans et ses philosophes.
Ceux-ci, remplis d'eux-mêmes , insulteront fièrement à l'humble
ignorance des autres. Les simples auront toujours à rougir de leurs
propres ténèbres; mais ce voile favorable, dont la foi s'enveloppe,
fait disparaître cette affligeante inégalité : à ses yeux tout est savant
et tout est peuple; mêmes mystères pour tous, et par conséquent,
plus d'orgueil dans les uns, ni de honte dans les autres : semblable
à une bonne mère qui ne souffre aucune prééminence parmi ses
enfans , et n'a de prédilection que pour le plus docile. Sur ce prin-
cipe aussi juste que consolant , un chrétien simple et grossier, sans
connaissances et sans lumières, tient parmi les enfans de la foi une
place aussi honorable que les Augustin et les Chrysostôme.
Ce sont les ténèbres de la foi qui concourent au bien de l'univers
moral, qui secondent les desseins de la Providence dans le gou-
vernement du monde, entretiennent cette harmonie et ce concert
d'où résulte le bonheur de la terre. L'homme ici-bas est moins
fait pour méditer que pour agir. Le Créateur, en le formant, exigea
de lui plus de devoirs que de connaissances, plus de mœurs que
de spéculations, plus de vertus que de raisonnemens. Consoler
l'affligé, soulager l'indigent, [servir son prince, se dévouer à sa
DES PRÉDICATEURS. 200,
patrie, chercher plus à perfectionner son cœur que son esprit,
s'appliquer à des œuvres utiles plutôt qu'à des discussions qui n'o-
pèrent rien ; pratiquer la morale salutaire de l'Evangile au lieu de
sonder ses mystères impénétrables; vivre plus pour aimer Dieu que
pour le définir, pour le servir que pour le comprendre, pour obéir
à ses préceptes que pour sonder ses desseins ; en un mot, être plus
serviteur fidèle, plus homme de bien que dissertateur inutile, plus
chrétien charitable que chrétien philosophe : telle est, pour la plu-
part , notre destination dans l'ordre de la Providence. Des lumières
plus sublimes nous eussent distraits de ces devoirs; avec plus de
pénétration nous eussions été plus empressés de connaître que
d'agir : insensibles à la voix de la société qui nous rappelle sans
cesse dans son sein, des spéculations stériles eussent absorbé toute
notre vie: oui, nous dédaignerions de ramper sur la terre si nous
pouvions comprendre ce qui se passe dans le ciel.
Ce sont les ténèbres de la foi qui nous rendent la religion si
touchante, et qui donnent à l'économie de la grâce tant de char-
mes et de beautés. Quel spectacle admirable se découvre ici à mes
regards! Quel plan , quel chef-d'œuvre de sagesse! Dieu est ho-
noré, l'homme est soumis : les occasions démérite se multiplient ;
notre constance est éprouvée; on se rend à soi-même le témoigna-
ge consolant de sa fidélité; nos désirs s'étendent à mesure qu'ils
sont moins remplis; notre amour s'épure à mesure qu'il est plus
éprouvé; les humbles sont distingués des superbes, les âmes
droites de celles que les passions dominent ; les esprits les plus su-
blimes croient les plus petites choses , et les choses les plus
sublimes sont crues par les esprits les plus bornés. Dieu se mon-
tre assez pour que les simples le découvrent, et il se cache assez
pour que les superbes soient confondus. Otez à la foi ses nuages ,
et ce bel ordre disparaît , et le système de la grâce s'écroule , et
notre orgueil triomphe , et le cœur n'a plus de part dans la con-
viction de l'esprit: et l'Etre Suprême cesse à nos yeux d'être
grand, et la raison n'a plus de sacrifices à lui faire, et la religion
n'est plus qu'une philosophie sèche qui n'offre rien d'affectueux
à l'ame , et notre amour perd tout son prix , nos désirs leur ali-
ment, notre récompense ses richesses , notre humilité son prin-
cipal fondement, nos vertus leur éclat ; notre soumission son mé-
rite. (Le Même.)
L'intelligence humaine est faible et bornée.
Dieu vous a donné la sagesse pour reconnaître le besoin que
T. III 14
2ÏO NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
vous avez d'une lumière supérieure qui vous éclaire, et pour en
accepter le bienfait. Il ne vous l'a pas donnée pour croire qu'elle
puisse suffire à tous vos besoins. Il vous l'a donnée comme les
yeux du corps qui dirigent votre marche. Si les yeux voulaient
voir sans le secours de la lumière, à quoi bon cette brillante fa-
culté de la vue dont l'auteur de la nature les a doués? Elle ne ser-
virait à rien, ou ne ferait qu'entraîner le corps au précipice. Il en
est de même de l'orgueilleuse sagesse qui prétend découvrir les
choses de Dieu, sans la lumière de son esprit. Elle s'aveugle et se
perd elle même. C'est cette fausse sagesse quia fait la plupart des
hérésies. Elles ont quitté la voie sûre que Dieu lui-même avait tracée,
pour se jeter dans des routes écartées; elles ont remis le sceptre de
la science aux mains de la raison , qui les a précipitées dans des
chaos d'erreurs et d'extravagances. Le démon s'est joué de ces es-
prits inquiets. Ils ne se sont accordés entre eux que sur \es opi-
nions les plus délirantes. Et qu'une vérité se présentât à eux con-
fusément et comme en énigme, elle leur échappait comme un songe
de nuit, ou bien ils ne s'entendaient plus entre eux.
Comprenez par là combien notre intelligence humaine est faible,
est insuffisante, combien elle est bornée de toutes parts. Ainsi
Dieu l'a-t-il ordonné, et certes avecjustice; car si aujourd'hui que
le péché du premier homme l'a réduit à tant d'ignorance, elle a
l'orgueil de se prétendre indépendante, et de vouloir se soustraire
à l'autorité divine, à quel excès de démence ne serait-elle pas tom-
bée si elle n'eût pas été châtiée aussi sévèrement? Si dans l'état
d'innocence , enchaînée à un corps mortel , elle a cédé à l'artifi-
cieuse promesse du démon qui lui disait : Vous allez ressembler à
Dieu, que n'eût-elle pas osé se permettre si elle avait été créée dans
la brillante situation dont le démon lui donnait la fausse espérance!
Et voilà le délire où donnent certains hérétiques de nos jours ( les
manichéens ). Ils ne rougissent pas de dire qu'aujourd'hui encore,
après sa dégradation , lame humaine ne tient que d'elle-même sa
propre existence, qu'elle partage l'essence de Dieu lui-même. Telle a
été chez les Grecs l'une des sources de leur idolâtrie. ( Saint Jean
Chrysostome1.)
Une foi contredite et réprouvée par l'Église n'est qu'une foi présomptueuse
et imprudente.
En effet, prenez-y garde , mon cher auditeur, dès-là que dans
1 Hom. vu, in Epist. ad Cor.
DES PRÉDICATEURS. 21 I
les disputes qu'enfante chaque jour l'orgueil de l'esprit humain et
l'amour de la nouveauté trop féconds en systèmes dangereux; dès
là que j'embrasse des dogmes inconnus à l'Eglise' et odieux à l'E-
glise, ma foi n'est plus une foi sage et prudente. Pourquoi ? parce
qu'elle ne se tient plus dans l'arrangement de subordination et de
dépendance établi par Jésus-Christ : car, suivant les dispositions
adorables de ce Dieu Sauveur, c'était à l'Eglise de régler ma foi et
de déterminer ma croyance. Mais que fait-on, qu'ont fait du moins
les hérétiques de tous les temps ? Guidé par la présomption , ébloui
par de vaines apparences, infatué de l'idée de son mérite, plein
de soi-même, et entêté de soi-même, on ose s'asseoir sur la chaire
d'autorité : on cite au tribunal de sa raison et les différens partis
qui contestent, et l'Eglise à laquelle seule il appartient de pronon-
cer sur ces contestations ; on se rend attentif à ses jugemens , non
pour les suivre, mais pour les critiquer; non pour s'instruire, mais
pour les réformer; non pour les défendre, mais pour les combat-
tre; non pour se soumettre à l'Eglise, mais pour se soumettre
l'Eglise; pour la reprendre, pour la détromper, pour l'humilier,
pour la confondre. Or , est- ce en dire trop d'une pareille conduite
que de dire, avec saint Augustin , qu'elle est le comble de la pré-
somption : présomption de s'estimer soi-même jusqu'à se préférer
à l'Église, jusqu'à se mettre au dessus de l'Eglise, jusqu'à se per-
suader qu'on a des lumières qu'elle n'a pas; qu'on voit ce qu'elle
ne voit pas ; enfin jusqu'à se compter pour tout, et ne la compter
pour rien. Folie et présomption encore plus grande, lorsqu'avec
cela on se flatte d'avoir la véritable foi , comme si la foi pouvait
être où se trouve tant de présomption et si peu d'humilité; comme
si on pouvait arriver à la véritable foi par d'autres voies que par
celles qu'il a plu à Jésus-Christ de nous marquer et de nous
ouvrir.
Une foi contredite et réprouvée par l'Eglise n'est qu'une foi
terrestre et humaine ; car dès là que votre foi est opposée à celle
de l'Église , que peut-elle être que la foi de vos préjugés, de vos
idées particulières , de votre vanité, de votre curiosité, de votre
ambition , de votre orgueil, de votre intérêt? Tout au plus pour-
riez-vous prétendre qu'elle serait la foi de vos recherches , de vos
découvertes, de votre esprit, de votre raison ; mais elle ne sera
point une foi de soumission et d'obéissance à Dieu , elle sera une
foi de science et d'étude; elle ne sera point un sacrifice fait à Dieu
de vos lumières et de votre esprit; elle sera le triomphe d'un esprit
présomptueux, dune raison superbe, qui s'élève au-dessus de l'au-
i4.
fel2 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
torité. En croyant , vous ne céderez qu'à vous-même , vous ne ren-
drez hommage qu'à vous-même : votre foi sera une foi que vous
vous donnez , et non une foi que vous recevez : Fidem ipsi cons-
tituunt, non accipiunt : ce sera la foi de l'homme , ce ne sera point
la foi de Jésus-Christ; ce sera une foi humaine et profane, une foi
charnelle et terrestre, et par conséquent une foi stérile et vide de-
vant Dieu, une foi même humiliante et flétrissante pour vous; une
foi aussi indigne de l'homme que de Dieu, une foi stérile, une foi
basse et rampante.
Ce serait un abus , chrétiens , de ne regarder la foi que comme
un joug d'esclavage et de servitude. La foi chrétienne est humble
et soumise ; mais qu'il y a de sublimité et de noblesse dans sa sou-
mission et dans son humilité! qu'elle élève l'homme en l'abaissant!
qu'elle lui donne de véritable grandeur en lui ôtantcette grandeur
fausse et imaginaire qui n'est qu'une enflure d'orgueil et de présomp-
tion! Les yeux invariablement attachés sur Dieu, elle n'entend, elle
n'écoute que lui. Si les livres saints sont l'objet de son respect,
c'est qu'elle y voit empreint le doigt de Dieu ; si, sur tant d'objets
impénétrables à ses lumières , elle juge que tel est le sens des Ecri-
tures, c'est que Dieu même, par le ministère de son Eglise , lui a
déterminé le sens des Ecritures ; le véritable fidèle ne fut donc ja-
mais, dans sa croyance , le jouet de ses passions et des passions
d'autrui. Libre, indépendant dans ce qui intéresse la foi, Une fait
hommage de sa raison qu'à Dieu seul ; homme , il ne soumet pas
son esprit à celui des autres hommes ; il ne cède point à la supé-
riorité de leurs génies , à l'étendue de leurs connaissances, à la
force de leurs raisonnemens ; il ne se rend qu'à l'autorité de Dieu
qui les inspire ; il écoute l'homme, et il n'obéit qu'à Dieu. Ainsi,
en se soumettant, il s'élève, tandis que l'homme présomptueux,
en s'élevant contre l'Eglise, s'avilit et se dégrade : c'est ordinaire-
ment par vanité, par fierté, qu'on prend le parti de se soustraire à
l'autorité de l'Eglise ; il paraît beau de ne s'en rapporter qu'à soi-
même, de ne croire qu'à soi-même, et c'est là l'écueil le plus dan-
gereux pour la foi, l'attrait de la liberté et de l'indépendance : li-
berté fausse et imaginaire. Déchirez le voile qui vous cache l'inté-
rieur de ces hommes fiers et hautains ; pour un maître qu'ils re-
jettent, combien de maîtres qui les dominent et qui les tyranni-
sent ! Tant de songes qui les jouent, de caprices qui les entraî-
nent , de prétentions qui les aveuglent , de haines qui les aigris-
sent , d'ambition qui les transporte ; tant de jalousie qui les en-
flamme, de respect humain qui les asservit, de vues et d'espéran-
DES PRÉDICATEURS. 2l3
ces charnelles qui les engagent, d'entêtement et d'opiniâtreté
qui les retiennent, de faux raison nemens qui les trompent , de flat-
terie et d'adulation qui les éblouissent, de cupidite's qui les trou-
blent en agitant leur cœur. Esclave* bien plus que nous , ces chefs
de partis , ces hommes présomptueux cesseraient bientôt d'être
contre l'Eglise s'ils savaient être à eux-mêmes. Pour les ramener,
c'est rarement l'esprit qu'il faudrait éclairer et convaincre , c'est
presque toujours leur cœur qu'il faudrait épurer et changer: et
encore, pour un petit nombre d'hommes qui conservent celte om-
bre vaine de liberté fantastique et apparente , combien qui ram-
pent dans une servitude publique et déclarée ! Esclaves, non plus
d'eux-mêmes , mais des autres hommes , un peuple séduit mécon-
naîtra l'autorité la plus légitime , et il pliera lâchement sous une
autorité usurpée. Un Calvin , un Luther , un prophète d'erreurs
et de mensonges , autour duquel fume encore la foudre de l'Eglise
qui vient de le frapper, s'érigera en oracle ; on adoptera ses rê-
veries , on s'asservira à ses idées , on se dévouera à soutenir sa
querelle , on quittera le nom de catholique pour se revêtir d'un
nom de schisme et de séparation. Ariens, nestoriens, pélagiens,
a » t -il donc pu se trouver des chrétiens assez peu jaloux d'un si
beau nom pour se charger de ces titres d'ignominie? Oui, c'est
ainsi qu'une folie présomption s'abaisse en croyant s'élever, et que,
par ses hauteurs mal entendues , elle se dégrade aux yeux des
siècles futurs. C'est ainsi que le Dieu juste venge l'Eglise son
épouse; et souvent pour mieux confondre les projets de l'indoci-
lité, il répandra dans ces âmes altières et superbes l'esprit de som-
meil et de vertige: mélange monstrueux de hauteur et de bassesse,
de fierté et de souplesse, d'obstination et de complaisance, de cré-
dulité et d'incrédulité , on les verra combattre les décisions les
plus sages, et adopter les systèmes les plus extravagans ; s'entêter
contre les vérités les plus claires, et prostituer leur croyance à
des fables insensées, à des espérances chimériques, à de trompeu-
ses prédictions ; étonner successivement l'univers par leur obstina-
tion à ne rien croire, et par leur facilité encore plus bizarre à croire
tout : révoltés contre des maîtres que Dieu leur avait donnés , ti-
mides et souples sous des maîtres que Dieu ne leur donne pas, se
faisant un honneur insensé de se dégrader par la servitude d'une foi
basse et rampante , et s'égarer dans les variations d'une foi volage
et inconstante.
A-t-elle été une foi rompue la barrière de la dépendance , on
ne trouve plus , dit saint Chrysostôme, qu'un champ vaste et sans
2l4 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
limites ; on y entre sans guide et sans lumière, sans chemin assuré;
chacun s'y trace lui-même la voie qu'il veut suivre , et y creuse
l'abîme où il va se perdre. Quand la foi est l'ouvrage de la raison
humaine , elle en a toute la mobilité et l'inconstance. Le systè-
me le mieux concerté vient échouer contre une difficulté qu'on
n'avait pas prévue; il faut revenir sur ses pas, prendre une autre
route , se former de nouveaux principes et d'autres appuis à sa
croyance : appuis aussi fragiles que l'esprit qui les imagina, ils se
brisent dans la main qui les manie, et on se voit réduit à en
chercher de nouveaux qui ne durent pas plus long-temps. La vie
s'écoule dans des agitations et des variations éternelles ; toujours
opposé à soi-même, jamais assuré de soi-même , on commence et
pn cesse tout-à-coup de croire : on élève et on renverse ; on bâtit
et on détruit; on se prête à tous les sentimens , et on ne se tient à
aucun ; sans jamais se fixer, on ne fait qu'errer d'opinions en opi-
nions , et avouer par ces changemens continuels que l'édifice de
la foi , quand il n'est pas élevé sur la pierre fondamentale de l'E-
glise, est trop faible pour résister aux orages de l'inconstance hu-
maine ; et si l'esprit , quand il a secoué le joug de l'Eglise , n'est
pas d'accord avec lui-même, comment s'accorderait-il avec les
autres ?
Il n'y a que la soumission à l'Eglise qui puisse maintenir l'uni-
té de la foi parmi les peuples , divisés entre eux par les mœurs, par
les coutumes, par les lois, par l'opposition des génies et encore
plus des intérêts: tandis qu'ils s'en tiennent à l'autorité de l'Eglise, le
Scythe et le Parthe, le Grec et le Romain, le Juif et le Gentil, l'hom-
me libre et l'esclave parleront le même langage -, tous les peuples
ne seront qu'un peuple , et, malgré l'immense étendue des terres
et des mers qui les séparent, l'ancien et le nouveau monde ne se-
ront qu'une cité. Mais elle ne peut s'introduire, la licence de
composer sa croyance, de régler sa foi au gré de sa raison , qu'il
n'y ait bientôt sur la terre autant de religions qu'il y a d'hommes
et d'esprits opposés de caractère et d'humeur. Montrez-moi depuis
la naissance du christianisme une secte séparée de l'Eglise qui n'ait
vu naître dans son sein le trouble , la division , le schisme. Dans
l'arianisme, je vous montrerai des hommes qui disent ana thème à
Arius ; dans la secte pélagienne, des hommes qui insultent à Pela-
ge ; dans la réforme de Luther et de Calvin , des hommes qui ré-
prouvent les dogmes des prétendus réformateurs. Or, le royau-
me de Jésus-Christ est un royaume de paix; la foi de Jésus-Christ
est une foi d'union et de concorde ; cette foi de schisme et de di-
DES PRÉDICATEURS. 2l5
vision n'est donc point la foi de Jésus-Christ; c'est une foi que
Jésus-Christ ne connaît pas ; c'est cet empire de Satan où l'erreur
ne domine que pour le diviser et le mettre en guerre avec lui-mê-
me ; enfin je dis que la foi contraire à celle de l'Eglise est une
foi douteuse et incertaine, une foi flottante et chancelante : car
dès lors que, sur tant de matières obscures et difficiles , je ne puis
m'assurer de ma foi par l'autorité de l'Eglise, quelle sera pour moi
la source du repos et de la tranquillité intérieure ? Sera-ce l'évi-
dence des Ecritures ? Mais d'où sont venues les erreurs des siècles
passés ? N'est-ce pas des Ecritures corrompues et altérées par des
versions infidèles , détournées à des sens étrangers par des expli-
cations fausses et hardies , dépravées par des raisonnemens cap-
tieux ? des Ecritures mal entendues , mal expliquées , mal inter-
prétées ? des Ecritures soumises à la raison , prises et entendues
selon les décisions de la raison ? Quel novateur n'a point appelé
de l'Eglise à l'Ecriture, du jugement des pasteurs au jugement de
l'Esprit-Saint, de l'autorité à la vérité ? Non, chrétiens, disait
Tertullien , et n'en a-t-il pas été lui-même une triste preuve? non,
je ne crains pas de l'avancer, les Ecritures, selon l'esprit d'incrédu-
lité ou de témérité, d'indiscrétion ou de piété qui nous anime,
peuvent fournir l'occasion et comme la matière des hérésies : Nec
periclitor dicere, Scriptui'as sic esse dispositas ut hœreticis materiam
su bministrarent.
Sera-ce sur la science, sur la vertu, sur le mérite de ceux dont
on adopte les sentimens ? Sera-ce sur sa raison, sur ses propres
connaissances ? Mais dans des mystères si inaccessibles à un esprit
borné, la foi ne serait alors appuyée que sur un fondement faible
et incertain ; mais alois on n'aura que des motifs douteux de croi-
re, tout cela ne peut donc être une règle sûre de la foi.
Ames indociles, écoutez donc la voix de saint Augustin , qui
vous crie : Quo te committis misera ? Avez-vous considéré de quel
avantage vous vous privez en renonçant à l'autorité de l'Eglise ?
Avez-vous pensé au péril que vous courez dans cette voie de la
seule raison et des Écritures? Quo te committis? Combien de
personnes plus éclairées que vous se sont perdues dans ces sen-
tiers difficiles et embarrassés ! Vous ne voyez dans la route que
vous tenez que des débris funestes, que de tristes marques de nau-
frage? Quo te committis ? Vous avez tout à craindre ; pouvez-vous
être tranquille ? Et si vous l'êtes au milieu de tant de sujet d'in-
certitudes et d'alarmes , cette tranquillité ne peut venir que d'un
excès de présomption ou d'une obstination déplorable dans Ter-
2l6 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
reur ; votre foi n'en est pas moins par elle-même une foi chance-
lante et incertaine, une foi douteuse et flottante, qui ne peut, qui
ne doit pas s'assurer d'elle-même. Quo te committis ? Où allez-
vous ? vous ne le voyez pas : nous le voyons, vous n'êtes plus dans
la soumission , vous n'êtes plus dans la voie du salut. (Le P. de
Neuville, Sur la Foi.)
^Le monde ne subsiste que par la foi.
Vous qui vous riez sans cesse de notre foi , répondez-nous, est-
il quelque action importante dans la vie que la foi ne doive né-
cessairement précéder ? Vous voyagez , vous traversez les mers ;
n'est-ce point parce que vous croyez qu'un jour vous reviendrez
chez vous ? Vous confiez à la terre mille semences différentes,
n'est-ce point parce que vous croyez que ces semences vous pro-
duiront des fruits quand la saison en sera venue ? et ainsi de tput
le reste. Vous adorez vos dieux; n'est-ce point parce que vous
croyez qu'ils prêteront une oreille propice à vos prières ? Le pre-
mier venu d'entre vous ne croit-il point à tel ou tel auteur? Celtii
qui regarde l'eau et le feu comme le principe de toutes choses ,
ne croit-il point à Thaïes et à Heraclite Pet ainsi des autres.
Ainsi donc , puisque vous ne comprenez , vous ne connaissez
rien par vous-mêmes, et que tout ce que vous écrivez dans des
milliers d'ouvrages vous ne l'avancez qu'en vertu de la croyance
que vous avez à tel ou tel , pourquoi seriez-vous donc assez in-
justes pour tourner en ridicule notre foi?
Mais, dites-vous, nous croyons à des sages, à des hommes pro-
fondément versés dans toute espèce de connaissances :oui, sans
doute , vous croyez à des hommes qui ne disent jamais rien de fixe
ni de solide; qui, pour défendre leurs opinions, déclarent la
guerre à tous ceux qui pensent autrement qu'eux ; qui ne con-
naissent dans leurs discussions qu'une opiniâtreté inflexible ; qui,
en ébranlant réciproquement les principes les uns des autres, ont
porté partout une désolante incertitude, et ont prouvé, par
leurs éternelles disputes , que l'homme ne peut rien savoir sur
la terre.
Croyez donc à votre Platon et à vos autres docteurs ; pour nous,
nous voulons croire à Jésus-Christ ; Quelle injustice est la vôtre !
Nous reconnaissons tous des docteurs et des maîtres; nous nous
accordons entre nous , en ce que tous tant que nous sommes nous
les regardons comme dignes de notre foi ; et vous voudriez qu'il
DES PRÉDICATEURS. 21^
vous fut permis de croire aux vôtres, sans que nous eussions nous*
mêmes le droit de recevoir les dogmes qui nous ont été donnés
par notre maître Jésus-Christ! Et certes, si nous voulions compa-
rer toutes choses de part et d'autre , sans doute nous avons plus
de raisons de le croire que vous n'en avez de croire vos philoso-
phes. Les œuvres étonnantes qu'il a accomplies , les miracles de
puissance qu'ils a opérés, et qui étaient faits pour subjuguer les
esprits les plus incrédules , et pour prouver que celui qui les fai-
sait était certainement plus qu'un mortel : voilà les motifs de notre
croyance. Dites-nous ce que vos philosophes ont fait de sembla-
ble pour que vous ayez plus de raison de vous attacher à leur
doctrine, que nous n'en avons de nous attacher à celle de Jésus-
Christ? (Arnobe, Contre les Païens, livre IL)
La foi est nécessaire à tout.
I
Rien de plus nécessaire en toutes choses que la foi. Tout ce
qui se fait dans le monde, même par ceux qui ne sont pas dans
l'Eglise, ou même qui sont ses ennemis, ne se fait que par la foi.
C'est par la foi que deux personnes, étrangères l'une à l'autre,
s'unissent parles liens du mariage. La culture des terres est fon-
dée sur la foi. Ce n'est que parce qu'il croit en retirer des fruits
que le laboureur la cultive. La plupart des grandes affaires [qui
occupent les hommes sur la terre n'ont point d'autre fondement
que la foi ; et ceux qui ne reçoivent point nos saintes Ecritures ,
et qui néanmoins ont une opinion et une théologie quelconque,
ne peuvent leur donner d'autre appui que la foi.
Mais ce qu'il est surtout impossible de faire sans la foi , c'est de
plaire à Dieu. Comment, en effet, l'homme prendra-t-il sur lui de
servir Dieu avec zèle, s'il ne croit point à un Dieu rémunérateur?
Quand une jeune fille formera-t-elle le vœu d'une éternelle virgi-
nité, si d'avance elle ne croit pas que la pureté doit obtenir sa
couronne? La foi est comme l'œil de la conscience. C'est la foi qui
lui communique toute lumière ; c'est elle qui enchaîne la gueule
des lions, comme nous le voyons par l'exemple de Daniel. Est-il
quelque chose de plus terrible pour les démons que la foi? non,
certes ; nous n'avons point d'armes plus redoutables à employer
contre eux, nous n'avons point de bouclier plus impénétrable que
notre foi.
C'est encore la foi qui met le sceau de la perfection au grand
œuvre de notre justification. Parmi les nombreux exemples que
2l8 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
pourrait nous fournir l'ancienne Loi, qu'il nous suffise d'en citer
un seul, celui d' Abraham. Ce patriarche, selon le témoignage
même de l'Ecriture, ne dut pas seulement sa justification à ses œu-
vres, mais encore et surtout à sa foi. Nulle part il n'est appelé
l'ami de Dieu que quand il eut cru, et que tout ce qu'il avait fait
de bonnes œuvres eut, si j'ose ainsi parler, trouvé son complément
dans sa foi.
Tant que cette foi vivra dans nos cœurs, nous ne saurions être
en danger de périr, et nous serons ornés de toute espèce de vertus
et de mérites. Car telle est la puissance de la vertu et de la foi,
qu'elle fait marcher sur les mers, comme l'exemple de saint Pierre
nous le prouve. Ce n'est pas tout encore : cette vertu, cette puis-
sance sont si grandes, que non seulement celui qui a la foi obtient
sa propre guérison , mais que même il peut encore obtenir celle
des autres, et les soulager ainsi dans leurs maux. C'est ce que
l'Ecriture nous fait entendre, lorsqu'en parlant d'un paralytique
elle ne nous dit pas : Jésus voyant sa foi, mais bien : Jésus voyant
la foi de ceux qui avaient apporté le malade, il lui dit: » Levez-
vous. » C'étaient ceux qui l'avaient apporté qui avaient la foi, et
c'est le malade qui obtint sa guérison. Il en fut de même de Laza-
re : il meurt; mais la foi de ses sœurs fut si puissante, qu'elle l'ar-
racha des bras de la mort. Et ici , chrétiens , quelle réflexion se
présente! Quoi! des fidèles, par leur foi seule, ont pu ressusciter
des morts, parce qu'ils croyaient pour eux ; et vous, si vous croyez
pour vous-même, n'est-il pas plus certain encore que vous en re-
tirerez les plus grands avantages ? Humiliez-vous donc d'avoir si
peu de foi; mais songez en même temps à l'immense étendue de
la bonté divine. Dieu est tout prêt à se montrer propice envers
vous, si réellement vous lui offrez un cœur repentant. Dites-lui
donc, mais dites-lui du fond de votre cœur: « Je crois , Seigneur ;
« aidez mon incrédulité; » ou bien encore : « Seigneur, augmentez
« ma foi. » (Saint Cyrille de Jérusalem , Catéchèse F.)
La foi est le fondement de la vie chrétienne.
Le vrai et solide fondement de notre foi, c'est Jésus Christ : il
est le rocher; notre foi est la base assise sur le rocher, et tout l'édi-
fice de la vie chrétienne est lui-même bâti sur la foi. Ainsi, lors-
que quelqu'un reçoit le don de la foi, il est placé sur le rocher
solide qui est Jésus-Christ ; et les édifices construits sur le rocher,
DES PRÉDICATEURS. 2IO,
ne sauraient être ébranles ni par la pluie, ni par les vents, ni par
les eaux.
Ecoutez maintenant ce que c'est que cette foi : l'homme croit
d'abord; et lorsqu'il croit, il aime; et lorsqu'il aime, il est justifié;
et lorsqu'il est justifié, c'est un grand édifice auquel la main de
l'ouvrier a mis la dernière perfection. « Ainsi cet homme devient
la maison , le temple, la demeure de Jésus-Christ. » C'est alors que
l'homme commence à soigner avec zèle tout ce qui a rapport au
culte de Jésus-Christ, qui habite au dedans de lui; c'est alors qu'il
met tout en œuvre pour orner le temple de son cœur de toutes les
vertus.
Pour perfectionner cet édifice, il faut employer de saints jeûnes,
de pieuses mortifications; et c'est la foi qui donne le courage de
les supporter. Il faut adresser au ciel de fréquentes et ferventes
prières : c'est la foi qui les rend agréables à Dieu. Il faut avoir l'a-
mour de Dieu qui est aussi appuyé sur la foi. Cet homme a be-
soin, outre cela, de douceur et d'humilité; et c'et la foi qui est la
racine de ces vertus. Il faut qu'il veille sur tous ses'sens, qu'il garde
soigneusement le précieux dépôt de la chasteté; et c'est la foi qui
nous révèle tous les charmes de cette belle vertu. Il faut qu'il s'en,
tretienne sans cesse dans une pureté angélique ; et c'est la foi qui
en fait l'ornement. Il faut qu'il cherche la sagesse; et c'est la foi
qui la lui fait trouver. Il faut qu'il s'applique à aimer son prochain,
et cet amour s'accroît par la foi. Enfin , il faut qu'il se livre à la
pratique de toutes les bonnes œuvres ; et c'est la foi qui les vivifie
toutes, comme, à leur tour, elles prouvent que la foi est vivante
dans nos cœurs. (Saint Jacques de Nisibe, Premier sermon de la
Foi. )
La foi, fondement de toutes les autres vertus du chrétien.
La foi est le principe de l'oraison, conformément à cette parole :
« Comment invoqueront-ils, s'ils ne croient pas ! ?» Par cette foi,
j'entends la foi commune des chrétiens que saint Paul a définie en
cette sorte : « La foi est la subtance et le soutien des choses qu'il
faut espérer, la conviction des choses qui ne paraissent pas 2. »
Cette conviction est expliquée par ces paroles du même Apô-
tre : «Il sut pleinement; il eut une pleine persuasion que Dieu
peut faire tout ce qu'il promet 3 ; » et c'est encore ce qu'il appelle
ailleurs « la plénitude de la foi et de l'espérance 4. » Cette même
* Rom., x, 14. — 2 Hebr., xi, 1. — .* R0m., iv, 21, — *Hebr., vi, 11; x, 22.
aa© NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
foi, sur quoi est fondée une si pleine confiance et espérance, est
en même temps animée par la charité , selon ce que dit saint Paul :
« La foi opère par la charité *. »
Voilà donc les trois vertus des chrétiens : la foi , l'espérance et
la charité, fondées primitivement sur la foi. C'est ce qui fait dire
au Prophète, et après lui à saint Paul : « Le juste vit [de la foi 2. »
S'il vit de la foi, il prie en foi, et la foi, comprend toutes ses
prières.
Il faut donc être appuyé sur ce fondement; et c'est là ce qui
constitue le chrétien. L'homme, comme homme, s'appuie sur la
raison ; le chrétien sur la foi. Ainsi il n'a pas besoin de raisonner^
ni de discourir, [ni même de considérer, en tant que considérer
est une espèce de discours, mais de croire; et, jusque là, je suis
d'accord avec ces mystiques qui excluent si soigneusement le dis-
cours. Je veux bien aussi qu'on l'exclue, mais par la foi, qui n'est
ni raisonnante, ni discursive; mais qui a son appui immédiatement
sur Dieu : d'où s'ensuit la foi des promesses et de l'espérance,
et enfin la charité qui est la perfection.
Four espérer en Dieu, pour aimer Dieu, on n'a donc besoin
d'aucun discours : quand on en ferait, ce n'est pas là notre fonde-
ment, et le chrétien n'a besoin que de la foi seule.
«Le fruit de la foi, c'est l'intelligence, » comme dit saint Au-
gustin. Mais quand on ne viendrait pas à l'intelligence, la foi, dans
son obscurité , suffit ; et tout ce qu'on a d'intelligence en cette vie
étant trop faible pour faire l'appui de l'homme, toute l'intelligence
doit être plongée finalement dans la foi.
Par la même raison, toute délectation, toute douceur, se doit
encore perdre là dedans : car le cœur humain ne doit s'appuyer
ni sur goût, ni sur douceur, mais uniquement sur la foi qui est
le bon fondement. (Bossuet, Lettres de Piété et de Direction,)
Lumières de la foi dans l'examen des motifs de crédulité.
Si quelqu'un veut faire la volonté démon Père, dit Jésus-Christ °,
il examinera ma doctrine, et il verra si elle vient de Dieu, ou si
je parle de moi-même. Il examinera, remarquez bien ceci, mes
frères; et vous, impies, qui souriez dédaigneusement à notre cré-
dulité, connaissez enfin ce que nous sommes : il examinera ma
* Gai., v, 6.— s Habac., ti, 4; Rom., i, 17. — s Joan, vu. 17.
DES PRÉDICATEURS. 221
doctrine, ccgnoscet de doctriiia. Bien différente de l'erreur, elle
ne redoute pas le grand jour, et je ne viens point en imposer à
l'univers. S'il est de ma grandeur d'abaisser cette raison superbe
qui s'élève contre ma science, il est aussi de ma bonté de la sou-
tenir et de la vaincre par l'ascendant des témoignages. Croyez-m'en
sur ma parole, mortels, vous le devez à mon autorité; mais exa-
minez si j'ai parlé, vous vous le devez à vous-mêmes. Respectez la
profondeur de mes desseins, l'intérêt de ma gloire l'exige; mais
instruisez-vous des titres de ma mission et des merveilles opérées
par mon ministère, l'intérêt de rna religion le demande : elle perd
infiniment à n'être point connue, et n'est jamais plus grande, plus
belle ni plus aimable , que lorsqu'elle est approfondie.
Enhardi par cette invitation , le fidèle se rend raison de sa foi ;
il interroge tous les temps, entre en commerce avec tous les lieux,
rapproche le passé du présent, fait parler les événemens, surmonte
l'évidence spéculative par l'évidence morale. Les preuves s'accu-
mulent, les faits se pressent sous ses yeux. Tout le frappe; les
monumens l'instruisent, les sens viennent au secours de sa raison ,
une nuée de témoins, une foule de prodiges déposent en faveur
de sa foi, La voix majestueuse de tous les siècles , celle de tous les
grands hommes qui l'ont précédé se fait entendre : Nous avons
pensé comme vous, s'écrient-ils; vous êtes notre héritier, vous
jouissez de nos lumières, vous possédez tous nos trésors. De nou-
velles scènes s'offrent à ses regards surpris : les livres saints sont
ouverts; il y voit l'origine de sa religion, dont les fondemens ont
été posés avec ceux de l'univers; les révolutions des empires ser-
vant aveuglément ses desseins et ses vues, les conquérans et les
héros, par leurs conquêtes ou par leur chute, préparant, sans le
savoir, son élévation et sa gloire ; le dépôt sacré de la vérité sur-
nageant sans cesse à travers le torrent immense des erreurs hu-
maines. Il y voit ce tableau majestueux que forme le rapport des
deux alliances, la première toute en promesses, la seconde toute
en réalité; l'une qui prépare, l'autre qui accomplit. Il y voit tout
cet appareil imposant de l'ancienne loi, annonçant à la terre le
plus grand des événemens, la venue du Sauveur du monde; le
Messie remplissant enfin l'attente des nations ; son Evangile an-
noncé, ses progrès rapides, les changemens merveilleux qu'il
opère, la vérité répandant partout les rayons de sa vive lumière,
la face de la terre renouvelée, les mœurs épurées, Dieu adoré en
esprit et en vérité, trois cents ans de persécutions et de triomphes,
l'opprobre de la croix triomphant de l'univers : à ce spectacle,
232 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
l'admiration, l'amour, le respect, l'attendrissement et la joie se
succèdent tour à tour dans son ame; cette éclatante perspective
répand sur la religion et sur là foi une magnificence, une pompe,
un torrent de lumière qui le subjuguent , l'entraînent et le trans-
portent : Et lux in lenebris lacet.
Aux lumières de l'examen s'unissent celles de l'autorité. Les
premières, je l'avoue, ne sont point faites pour la multitude;
grossière, inhabile aux travaux de l'esprit, tout occupée de ses
besoins , elle ne saurait se dévouer à des recherches auxquelles se
refusent son loisir et ses forces. Une voie plus abrégée et plus
simple vient s'offrir à sa faiblesse, suppléer à son ignorance, placer,
malgré ses ténèbres , la raison à côté de sa docilité; de sorte que,
marchant toujours sur les routes obscures de la foi, sa foi marche
toujours néanmoins à la clarté de la lumière.
Enfin , le moment est arrivé. Le Sauveur des hommes a rempli
sa mission , ses desseins sont accomplis; il est temps qu'il retourne
vers celui qui l'avait envoyé. O terre malheureuse , verse des larmes
sur ton sort! Privée de ce divin soleil , te voilà donc plongée pour
jamais dans le chaos de l'incertitude. Suspendons nos alarmes,
Messieurs, tout est prévu. Il a tout disposé pour l'instruction
comme pour le bonheur du monde : les coopérateurs de son zèle
sont assemblés, et c'est en leur présence qu'il me semble le voir
s'adresser au genre humain , et lui tenir ce langage.
Jusques ici, ô mortels, vous avez été le jouet de la superstition
et de l'erreur; contemplez, si vous le pouvez sans rougir, l'état de
l'univers. Où est la vérité, quel est son asile, quel en est l'inter-
prète, quelle autorité vous y soumet, à quels traits la reconnaissez-
vous? Voyez la, errante de ville en ville, tristement enchaînée au
char de l'opinion; suivez cette longue chaîne d'absurdités, que
l'homme traîne honteusement après lui depuis la corruption de sa
nature ; voyez-le s'abîmer dans l'immense chaos de ses idées, rou-
ler d'écueils en écueils, et s'agiter vainement dans un mensonge
inépuisable, sans règle, sans principes, sans plan de doctrine,
sans système, sans autorité, sans objet, étourdi plutôt qu'éclairé
par les clameurs frivoles des faux sages. Voyez ces prétendus asiles
de la vérité, séjours fastueux de l'ignorance et du doute; quelle lu-
mière ont répandue sur vous ces orgueilleux sophistes qui les ont
élevés? en trouvez- vous un seul, je ne dis pas qui ait dissipé ses
ténèbres, mais qui , du moins, par un effort sublime, ait pu lui
arracher un coin de son bandeau ? Voyez ces temples, ces profanes
autels consacrés à des divinités infâmes ou ridicules , qui insultent
DES PREDICATEURS. 22°
publiquement à la pudeur et au bon sens de l'univers : voilà les
fastes de la raison humaine, et l'affreux résultat de trente siècles
de philosophie et de disputes. Enfin, la vérité va trouver un point
fixe. Mortels, ouvrez les yeux ; cette lumière des nations, si long-
temps et si pompeusement annoncée, va luire sur vos têtes j elle
a déjà paru en ma personne, mais obligé de quitter la terre,
je ne puis l'éclairer que par le ministère de mes représentans.
Les voilà donc, ces hommes tout divins, chargés de cette noble
entreprise; oui, quoique vos semblables, ils seront vos maîtres.
Instruits de mes volontés, remplis de mon esprit, ne craignez rien
pour leur doctrine; elle sera toujours invariable, comme la vérité
dont je les ai établis dépositaires. Les colonnes de l'univers s'é-
branleront plutôt qu'ils ne chancelleront dans leur foi : ils sont
mortels, il est vrai, mais leur enseignement n'en sera pas moins
durable. Une chaîne non interrompue de successeurs remplis du
même esprit , revêtus du même caractère , le perpétuera d'âge en
âge , et formera ainsi dans tous les temps un tribunal auguste, où
la vérité viendra plaider ses droits , discuter ses intérêts , affermir
son empire, se venger des outrages de la raison ou prévenir son
audace, se purifier de l'alliance des passions ou se prémunir con-
tre leurs atteintes; un tribunal vénérable, où le fidèle trouvera
toujours une règle vivante, un préservatif contre la séduction,
un remède contre son inconstance un trésor inépuisable de lu-
mières. (M. de Boulogne)
La foi doit nous guider dans la recherche de la vérilé.
Dans le système des hérétiques, c'est la raison, non la foi, qui
doit nous servir de guide, et il y a faiblesse d'esprit à croire. Ré-
pondez-moi : Quel motif avez-vous d'adopter la raison plutôt que
la foi? lui pouvez-vous refuser l'autorité de le faire par le poids
des motifs qui la commandent ? et ces motifs ne valent-ils pas bien
la peine qu'on les examine ? On n'est pas crédule pour être croyant.
Tous les jours vous livrez votre confiance à des hommes pour des
objets de moindre importance. Je vous crois bien , moi , pourquoi
ne m'en croiriez-vous pas, lorsque je vous propose une vérité
salutaire?
Ne confondez pas celui qui n'apporte dans ses recherches qu'une
curiosité stérile sur des choses de peu d'importance, avec celui qui
n'étudie que pour s'instruire. Il y a certes entre l'un et l'autre une
grande différence. Qu'il y ait du mal à exposer indiscrètement
224 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
nos mystères à tles yeux profanes, qui ne s'arrêteront que pour
les tourner en ridicule, est-on blâmable de demander qu'on ap-
prenne à les connaître de la bouche d'un homme vraiment reli-
gieux ? Vous voulez du raisonnement ; mais tous les hommes
en sont-ils capables? Que vous soyez en état de le faire, vous que
j'admets volontiers au nombre des esprits privilégiés; l'accorde-
rons-nous à la multitude? Mais aussi parce qu'elle manque des percep-
tions et de la sagesse nécessaires, lui interdirons-nous toute con-
naissance de la religion? L'y amener par degrés, l'introduire de
connaissance en connaissance jusqu'au sanctuaire, voilà notre
méthode : en est-il de plus raisonnable etde plus religieuse ? Quel
risque y voyez-vour. ? Pour moi, je n'en vois pas. Pourquoi les
retenir si long-temps sur la route? Parce qu'il est des esprits té-
méraires, impétueux, qu'il fautarrêter; il en estaussi de plus lents
qu'il faut exciter. Telle est la sage économie qui nous est com-
mandée par la vraie religion , par nos saints oracles, par l'usage
et la tradition de la vénérable antiquité. Nous y sommes fidèles :
et intervertir cet ordre, ce serait ouvrir une voie sacrilège pour
arrivera la vraie religion. Agir de la sorte c'est manquer son but.
Eût-on le génie le plus élevé, si Dieu ne nous soutient, on ne
fait que ramper à terre
Il faut même croire pour chercher la religion; car si l'on ne
croyait pas qu'il y en eût une , pourquoi la chercherait-on? Il n'y
a point d'hérétiques qui n'avouent qu'il faut croire à Jésus-
Christ. Autrement ils ne seraient pas chrétiens. Mais à qui nous
en rapporterons-nous sur les vérités qui le regardent , puisque
nous n'avons pas vu le Sauveur ? Cette foi n'est fondée que sur l'o-
pinion confirmée des peuples et des nations , qui ont cru jusqu'au-
jourd'hui les mystères de l'Eglise catholique. Pourquoi n'en croi-
rai-je pas à leur témoignage, de préférence au vôtre ? Est-ce vous
qui m'apprendrez mieux ce qu'il me commande de faire et de pra-
tiquer? Ce qui a déterminé ma créance, je le répète, c'est l'éclat
de la prédication , le concours des témoignages, et l'assentiment
de l'univers ; c'est l'ancienneté. Vous, vous êtes en si petit nom-
bre, et si peu d'accord entre vous ; vous êtes de si fraîche date : où
est votre autorité? Croyez, sur la parole de tous les peuples, qu'il
faut croire à Jésus-Christ; et apprenez de nous ce qu'il a enseigné.
L'univers tout entier n'aurait rien à me répondre : j'aurais plus de
peine encore à me persuader que j'ai tort de croire à Jésus-Christ,
que de consentir à rien apprendre sur la religion , que de la part
de ceux à qui j'ai l'obligation de croire. Quelle présomption , ou
DES PRÉDICATEURS, 225
plutôt quelle démence! Je vous instruis de ce que veut de nous
Jésus-Christ, à qui vous croyez vous-même. Si je n'y croyais pas
est-ce que vous m'y feriez croire, vous que l'on accuse d'avoir des
doctrines perverses? C'est l'Ecriture qu'il faut croire: mais toute
doctrine écrite que l'on produit , si elle est nouvelle ou qu'elle
ne soit autorisée que par peu de personnes, sans être confirmée
par quelques raisons , quand on l'embrasse, ce n'est pas à elle
qu'on donne sa croyance, mais à ceux qui la veulent recevoir,
C'est pourquoi, si les Ecritures dont il s'agit n'étaient présentées
que par vous , il ne serait pas permis de vous croire, étant en aussi
petit nombre et aussi peu connus que vous l'êtes Vous
vous mettez en contradiction avec vous-mêmes, puisque vous en
appelez*à]l'Ecriture plutôt encore qu'à la raison. Vous m'opposerez
le nombre de vos adhérens. Remontez à la source; examinons
quels ont été vos auteurs, et courez vous cacher au sein de votre
obscurité.
Jésus-Christ ne recommandait rien plus fortement que la sou-
mission de la foi. Ses historiens nous l'attestent : le premier le
plus absolu de ses commandemens à qui recourait à lui c'était
que l'on crût. Il exaltait la foi du centenier : vous, vous blâmez la
nôtre. Telle est la conduite qu'a tenue le Fils de notre Dieu.
Voulant nous donner un moyen de corriger nos mœurs dépravées
et corrompues , qu'a-t-il fait? Parce que ce moyen était inouï et
que le monde s'en scandalisait , il l'a soutenu à force de miracles ■
par l'autorité de ses miracles, il s'est acquis la foi des peuples il
a formé une Eglise nombreuse; par la propagation de cette Eglise
il a eu le témoignage de la tradition et de l'antiquité* et par là
enfin, il a fortifié sa religion, mais en sorte que ni le paganisme
ni les hérésies ne l'ébranlassent jamais. Qu'est-ce donc que le
sage a de mieux à faire que de prendre pour guide ou pour mo-
dèle celui qui est la vérité? Autorité salutaire, qui nous détache
de nos affections terrestres, et nous élève jusqu'au Dieu principe
de la vérité. Il n'y a que l'autorité qui frappe et entraîne ceux que
leur propre raison ne ferait qu'égarer. S'il n'était pas vrai qu'il y
a une Providence qui préside aux choses humaines, il n'y a plus
d'étude à faire delà religion. A. défaut de la raison, dont les rayons
sont toujours enveloppés de nuages bien difficiles à franchir nous
avons l'autorité des miracles et celle du grand nombre. Pourquoi
m'allez-vous dire , ne s'en fait-il plus aujourd'hui ? parce que l'im-
pression s'en affaiblirait s'ils étaient vulgaires. Les phénomènes
de la nature ne nous émeuvent plus par l'habitude où nous som
t. m. ï5
226 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
mes de les voir. Les miracles ne sont nécessaires que pour les com-
mencemens, afin de conquérir la conversion des mœurs. Eh!
n'est-ce pas encore un miracle sans cesse jépété que cet héroïsme de
vertus chrétiennes où parviennent non seulement les hommes les
plus éclairés, mais des chrétiens des deux sexes des dernières
classes de la société, répandus dans tous les lieux de l'univers?
Vous objecterez qu'il en est bien peu qui se signalent par une aussi
sublime perfection, mais encore qui y conservent la sagesse né-
cessaire. Il n'est pas moins vrai que les peuples ne les entendent
raconter qu'avec admiration , qu'avec un respect mêlé d'a-
mour, que le récit de ces merveilles excite le secret reproche de
n'en pas faire autant, et ranime dans les âmes les plus languissantes
de vives étincelles de vertu. A la vue dune aussi manifeste pro-
tection du ciel et d'aussi éclatans succès, pourrions-nous balan-
cer encore à nous réfugier au sein de cette Eglise , qui est arrivée
à ce comble d'autorité de se faire reconnaître par le genre humain
tout entier, par une constante succession d'évêques , à commen-
cer par le siège apostolique jusqu'à nous, malgré les vociférations
de l'hérésie foudroyée, soit par le jugement du peuple fidèle, soit
par les décrets des conciles , soit par la majesté des miracles; de
sorte que l'on ne peut refuser à l'Eglise le premier rang sans se
rendre coupable ou d'une grande impiété ou de la plus téméraire
arrogance. Et s'il n'est point de voie qui mène plus sûrement à la
sagesse et au salut que de plier sa raison à la foi , n'est-ce pas mé-
connaître étrangement le bienfait que nous tenons de la protection
divine, que de vouloir résister à une autorité qui se recommande
par de si puissans motifs ? Pour la science la plus indifférente com-
me la plus facile, il nous faut des maîtres qui nous y introduisent*
et pour l'intelligence des livres sacrés, où sont contenus les se-
crets de la sagesse divine, il n'y aurait pas besoin d'interprètes?
N'est-ce pas là le dernier excès de la présomption et de l'orgueil ?
Si donc vous n'êtes pas rebelles à mes instances et à votre pro-
pre raison, et si, comme j'aime à le croire, vous êtes sensibles à
vos vrais intérêts, ne vous montrez pas indociles à ma voix. Aban-
donnez-vous avec une foi sincère, une ferme espérance et une
charité simple aux meilleurs maîtres de la doctrine chrétienne
et catholique, et ne cessez pas de prier le Seigneur, qui nous a
donné l'être par sa bonté, qui nous a châtiés par sa justice et
délivrés par sa clémence. (Saint Augustin, De l'utilité de la foi.)
DES PREDICATEURS, Z1J
Nous croyons parce que c'est Dieu qui a parlé.
/W cru, c'est pourquoi f ai parlé ; mais fai été dans la dernière
humiliation*. Le grand Apôtre, faisant l'application de ces paroles
du psaume, a dit: Parce que nous avons un même esprit de foi, se'
Ion qu'il est écrit: fai cru, c'est pourquoi j'ai parlé ^. Et nous aussi
nous avons cru , c'est pourquoi nous vous parlons. Il faut donc
commencer par bien entendre le sens que saint Paul donnait à ces
paroles, pour mieux connaître la pensée du prophète. Point de
meilleure méthode pour expliquer un auteur que de saisir l'en-
semble de ce qu'il a voulu dire plutôt que d'isoler ses proposi-
tions. Qu'est-ce donc que saint Paul avait en vue quand il citait
David ? La future résurrection qui doit nous mettre en jouissance
de ces biens ineffables qu'il est impossible à toute intelligence hu-
maine de bien concevoir. Parce qu'ils surpassent toute imagina-
tion , l'Apôtre a commencé par reconnaître lui-même qu'il ne lui
est pas possible de les expliquer, et qu'il faut donc y croire plutôt
que d'essayer de les décrire. Toutefois, pour empêcher que l'on
n'abusât de son silence, en l'accusant de ne donner que des promes-
ses imaginaires, il prévient l'objection par le mot du Prophète,
comme s'il disait : En demandant que l'on y croie, ce n'est pas
une chose nouvelle que je propose : je ne fais que conformer ma
croyance à l'exemple des saints. En effet, le psalmiste, sur le
point d'annoncer au peuple juif des événemens d'un or-
dre supérieur à toutes les probabilités humaines, avait débuté
par s'écrier : J'ai cru; c est pour cela que fai parlé. Et quels étaient-
ils ces événemens qui s'offrent à ses regards si long-temps avant
leur accomplissement ? Il voit la future Jérusalem détruite, son
temple renversé, ses habitans sous le joug de l'étranger, captifs et
transportés dans une terre lointaine, un peuple barbare remplaçant
le peuple de Dieu dans ses antiques possessions ; il voit les enfans
d'Israël, abattus par le désespoir, s'imaginer que leurs maux sont
sans remède, se disant l'un à l'autre : Si dans le temps que nous
possédions Jérusalem, ni ses remparts, ni ses murailles, ni les ar-
mes de ses citoyens, ni toutes les ressources de l'opulence n'ont
pu sauver son temple et arracher son peuple aux horreurs
de la servitude sous laquelle il gémit, quel espoir nous res-
te-t-il aujourd'hui de pouvoir jamais rentrer dans notre
1 . cxy, 1. (2) n Cor. iv, 13,
(5.
228 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
patrie? Vainement leurs Prophètes essaieront-ils de consoler ce
peuple affligé , en l'assurant d'un prochain retour ; vainement
Isaïe, entre autres, leur dira : Ecoutez-moi , vous qui cherchez la
justice et cherchez le Seigneur , rappelez dans votre esprit
cette roche dont vous avez été taillés , et cette citerne profonde dont
vous avez été tirés 1 . Jetez les yeux sur Abraham votre père , et
sur Sara, qui vous a enfantés, et considérez que l'ayant appelé
lorsqu'il était seul, je l'ai béni et je l'ai multiplié. Remontez
jusqu'à votre berceau. Le père de votre race, qu'était-il ? Un étran-
ger, un vieillard à qui son âge avancé ne laissait point l'espérance
d'aucune postérité; roche stérile, incapable de porter des fruits;
c'est elle pourtant que j'ai fécondée jusqu'à en faire sortir ce grand
peuple qui bientôt a couvert de si vastes contrées; citerne d'où
l'eau ne jaillit point de sa propre source, mais s'emplit des rosées
du ciel. Sera-t-il aujourd'hui plus difficile au Seigneur de remplir
Jérusalem avec le peu qui lui reste, qu'il ne le fut de remplir le
monde par un seul homme ? A la suite d'Isaïe, Ezéchiel venait ra-
nimer leurs espérances par la vive image d'une campagne pleine
d'ossemens desséchés , et qui se raniment tout à coup à la voix du
Seigneur : tel allait être le merveilleux changement promis aux
enfans d'Israël. Maisils refusaient d'y croire. David, au contraire ,
quelque inexécutable qu'il fût en apparence, y croit, et l'annonce.
De même, saint Paul : La foi, dit-il, nous tient lieu de l évidence
des biens que nous attendons. Nous ne les voyons pas, nous ne les
comprenons pas même, mais nous y croyons. D'aussi magnifiques
promesses ne s'apprécient pas par des raisonnemens humains,
mais par la seule foi. Ce que Dieu fait est trop au dessus des pen-
sées de l'homme. Sa raison est trop faible pour se mesurer avec les
conseils d'une sagesse aussi profonde , aussi magnifique. Ce n'est
point en raisonnant, maisen croyant que l'on honore le Seigneur :
aussi le même Apôtre , parlant du saint patriarche , loue-t-il sa
foi, laquelle, dit-il, n'hésita point et n'eut pas la moindre défiance
delà promesse de Dieu, mais rendit gloire à Dieu, pleinement per-
suadé qu'il est tout puissant pour faire tout ce qu'il a promis. Ani-
més du même esprit de foi , croyons comme Abraham, comme Da-
vid, ce que nous ne voyons pas, avec l'infaillible certitude de le
voir un jour. Et pourquoi le même esprit de foi? Parce que la foi
est une vertu surnaturelle que nous devons demander à l'Esprit
* Is. l, 1,2.
DES PRÉDICATEURS. 220,
saint, capable seul de nous élever jusqu'à la hauteur de cette foi,
par dessus toutes les ignorances orgueilleuses de notre raison. Il
y a donc une foi privilégiée, celle par laquelle on fait des miracles,
et que saint Paul compte également parmi les dons extraordinai-
res de l'Esprit saint ; et une foi plus simple, en vertu de laquelle
nous sommes appelés fidèles, n'ayant point le don des miracles^
mais tenant à la connaissance de la religion. Or, celle-là même on
ne l'obtient pas sans la grâce de l'Esprit saint. Aussi lisons-nous
dans le livre des Actes, au sujet de Lydie: Que le Seigneur lui ou-
vrit le cœur pour entendre avec soumission ce que Paul disait *.
Jésus-Çhrist ne disait-il pas lui-même: Personne ne peut venir a
moi si mon Père , qui mya envoyé , ne U attire 2 ?
A cela vous m'arrêtez pour me dire : Si la foi est un don de Dieu,
où est le péché de ceux qui ne l'ont pas, puisque ni le Seigneur
ne leur ouvre le cœur, ni le Père ne les attire ? Je réponds que
l'on n'est pas moins coupable en ne se rendantpoint digne de cette
grâce. Il faut la mériter. Dieu se réserve d'attirer et d'ouvrir le
cœur; il exige un cœur qui le demande et qui soit docile à ses
mouvemens. Vous en avez la preuve dans le centurion Corneille ,
que le Seigneur appela à lui parce que ses prières étaient montées
à l'avance, en présence du Seigneur. Saint Paul ne nous le laisse
pas ignorer : C'est par la grâce que vous êtes sauvés en vertu de la
foi; et cela ne vient pas de vous , puisque c'est un don de Dieu: cela
ne vient point de vos œuvres , afin que nul ne s en glorifie 3, écrivait-
il aux Ephésiens. Dieu ne nous fait nulle contrainte, nulle violence:
et bien que notre vertu soit en grande partie et presque en totalité
son ouvrage, il veut bien nous laisser quelque part du mérite, afin
d'en prendre occasion de nous récompenser. Et certes, si David
reconnaissait la nécessité de la foi pour croire à des promesses pu-
rement temporelles, à plus forte raison le chrétien en a-t-il besoin
pour des espérances d'un ordre tout spirituel et des biens sur les-
quels les sens n'ont point de prise. A moins d'une foi ferme, on
chancelle, on s'égare , on n'a point de foi. La raison humaine n'est
qu'un poids de plus qui nous accable et nous laisse dans la con-
fusion , la foi seule est une ancre qui nous soutient et donne un
solide point d'appui à nos espérances. Nous croyons parce que
c'est Dieu qui a parlé, et que sa parole est infaillible. Il n'en est
pas ainsi delà parole de l'homme. ( Saint Jean Chrysostome 4).
1 Act. xvi, 14. — 2 Jean, vi, 44. — 3 Ephes., u, 8. — 4 Exp. in ps. ex
a3û NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
Il faut tout sacrifier pour la foi.
Chrétiens, quoi qu'on nous propose, soyons fermes en Jésus-Christ
et dans les maximes de son Evangile. Pourquoi veut-on nous inti-
mider parpa perte des biens dumondePTertulliena dit un beau mot
que je vous prie d'imprimer dans votre mémoire: « La foi ne con-
naît point de nécessités. » Vous perdrez ce que vous aimez. — Est-il
nécessaire que je le possède? — Votre procédé déplaira aux hom-
mes. — Est-il nécessaire que je leur plaise ? — Votre fortune sera
ruinée. — Est-il nécessaire que je la conserve? Et quand notre
vie même serait en péril : mais l'infinie bonté de mon Dieu n'ex-
pose pas notre lâcheté à des épreuves si difficiles; quand notre vie
même serait en péril, je vous le dis encore une fois, la foi ne con-
naît point de nécessités'; il n'est pas même nécessaire que vous
viviez , mais il est nécessaire que vous serviez Dieu ; et, quoi qu'on
fasse, quoiqu'on entreprenne, que l'on tonne, que l'on foudroie,
que Ton mêle le ciel avec la terre, toujours sera-t-il véritable qu'il
ne peut jamais y avoir aucune nécessité de pécher, « puisqu'il n'y
a parmi les fidèles qu'une seule nécessité qui est celle de ne prê-
cher pas. v ( Bossuet, Sermon pour le jour de la Pentecôte. )
Péroraison.
En attendant, mes frères, connaissez tout le prix des lumières dont
vous jouissez par la foi ; bien loin de vous croire de vils esclaves,
asservis par une aveugle crédulité, regardez-vous comme les en-
fans de la lumière, utfilii lucis 1. Les entraves de votre foi ne sont
point des chaînes qui vous lient, mais plutôt des ailes qui vous
élèvent jusqu'aux cieux. Ce n'est poiut être libre que d'avoir,
comme l'impie ,1e triste pouvoir de s'égarer; n'obéir qu'aux ora-
cles de la Divinité, c'est la vraie liberté de la raison; j'ose donc
la réclamer ici hautement pour l'honneur de ma foi. C'est la rai-
son qui me conduit à la soumission ; c'est la raison qui m'apprend
à savoir ignorer ce qu'on ne peut connaître ; plus on a de lumières,
plus on est soumis; l'orgueil est le vice de l'ignorance. C'est la
raison qui me dit que ce présent auguste n'a point été donné à
quelques hommes vains, à l'exclusion de tous les autres, et que
1 univers n'a pas rêvé pendant dixdiuit siècles. C'est la raison qui
4 Ephes., v, 28.
DES PRÉDICATEURS. a3l
nie fait sentir que la soumettre ce n'est point la combattre, l'hu-
milier ce n'est point l'avilir, la fixer ce n'est point la détruire. C'est
la raison qui me fait comprendre que , si le jeu le plus léger de la
nature déconcerte toutes nos idées, les grands objets de la foi
peuvent donc aussi nous confondre. C'est la raison qui me per-
suade que, puisque l'impiété n'a rien dans le fond qui satisfasse plei-
nement, il vaut bien mieux se soumettre à des mystères incompré-
hensibles qu'à d'incompréhensibles erreurs. C'est la raison qui me
crie à haute voix que Dieu , nous ayant fait connaître tout ce qu'il
faut pour nous conduire, pour l'aimer et l'adorer, il est absurde
de vouloir aller plus loin , parce que le reste n'est pas fait pour
nous. C'est la raison qui me découvre que, quand Dieu parle, le
plus grand de tous les mystères est notre rébellion et notre or-
gueil. Enfin, c'est la raison qui m'invite à me soumettre à une foi
qui fait ma consolation en cette vie et mon bonheur dans l'autre^
(M. de Boulogne.)
— <
232 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
PLAN ET OBJET DU SECOND DISCOURS
SUR LA FOI.
EXORDE.
F ides tua te salvumfecit.
Votre foi vous a sauvé. (Luc, xvm.)
C est ce que Jésus-Christ dit à l'aveugle de Jéricho, attribuant
à sa foi le prodige qu'il venait de faire en lui rendant la vue, et
f c'est ce qui doit nous faire juger du pouvoir de la foi sur le cœur
de Dieu. L'Evangile est plein des miracles opérés en faveur de cette
vertu. Jésus-Christ en fait le sujet continuel de ses éloges , quel-
quefois celui de son admiration, lui qui étant Dieu ne devait, ce
me semble, rien admirer.
Mais cette foi, si magnifiquement louée , et récompensée par le
Fils de Dieu, quelle estime devons-nous en faire, à la considérer par
rapport à notre salut ? Ce que le cœur est dans le corps de l'homme,
la foi l'est dans l'ame du chrétien. Ellle est le principe de sa vie
surnaturelle, le fondement de la véritable piété, la source de toute
justice.
Dans ces temps de nuage et d'obscurcissement, où l'impiété s'ef-
force de nous ravir ce bienfait inestimable de cette foi divine, oh!
redoublons nos soins pour la conserver, la ranimer, la faire croî-
tre et fructifier dans nos âmes. Après les preuves si nombreuses
et si éclatantes de la révélation, preuves que je ne viens point
développer, elles sont le sujet d'un autre discours : celui-ci les sup-
pose; après, dis-je, cette foule de témoignages qui disposent si
hautement en faveur de la divinité de notre foi; la raison elle-même
conduit à la foi, comme la foi, nous conduit à Dieu. Or, la foi
doit exercer sur nous un double empire, l'un sur l'esprit , l'autre
sur le cœur; sur l'esprit, en le soumettant aux vérités qu'elle en-
seigne: sur le cœur, en l'assujettissant aux devoirs qu'elle impose.
Il faut croire les vérités de la foi, il faut pratiquer les œuvres de
la foi; ces deux obligations renferment tout ce que la foi exige de
nous, et sont inséparables l'une de l'autre : Ave, Maria. (J/abbé
Richard, Sur la foi.)
DES PRÉDICATEURS. 233
Ce que c'est que la foi.
La foi est l'assentiment parfait, et sans aucune hésitation, que
nous donnons à ce 'qui nous est annoncé de la part de tDieu , et
qui nous en fait confesser la vérité avec une conviction et uneper-
suasion complètes. Telle était la foi d'Abraham, au témoignage de
l'Apôtre.
C'est donc bien évidemment un péché contre la foi que cet or-
gueil qui fait rejeter quelques uns des articles renfermés dans nos
saintes Ecritures , ou qui essaie d'introduire des choses qui ne sont
point renfermées dans les livres dépositaires de notre croyance ;
tandis que notre Seigneur nous dit: « Mes brebis entendent ma
voix , » et que l'Apôtre nous recommande avec tant de soin de ne
rien retrancher de ce qui est contenu dans l'Ecriture, et de n'y rien
ajouter. ( Saint Basile, Sermon sur la Foi.)
Il faut croire les vérités de la foi.
Croire les vérités qu'il a plu à Dieu de révéler au monde, quel-
que obscures , quelque incompréhensibles qu'elles puissent être ,
et les croire sans hésiter, avec une pleine conviction, une persua-
sion plus forte qu'aucune autre persuasion, parce que la source
d'où ces vérités célestes sont émanées les rend plus certaines, plus
infaillibles que tout ce que nous pouvons connaître par les lumiè-
res de la raison et le témoignage des sens : voilà la foi chrétienne,
la foi qui nous sauve. Or, mes frères , cette soumission de notre
esprit aux vérités de la foi , tout la justifie , tout la commande.
Voyons combien elle est juste et digne de Dieu, combien elle est
nécessaire et avantageuse à l'homme , nous en conclurons qu'il est
également de notre devoir et de notre intérêt de croire ce que la
foi nous enseigne.
Qu'une créature raisonnable humilie sa raison devant la raison
souveraine , dont la sienne n'est qu'une faible émanation ; qu'un
esprit étroit et borné reconnaisse son impuissance à porter ses
vues jusqu'à la hauteur et à l'immensité de celles Dieu , Père et
Créateur de tous les esprits, infiniment élevé au dessus d'eux par
l'excellence de son être, la profondeur de sa sagesse et l'abon-
dance de ses lumières, quoi de plus juste ? Qu'importe que nous
ne comprenions pas ce que nous croyons , dès que nous savons
que c'est Dieu , la vérité par essence, qui nous ordonne de le
234 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
croire? Le peuple d'Israël n'aperçoit le mont Sinaï qu'environné
d'une épaisse fumée ; mais au travers de tous les nuages il entend
et reconnaît la voix de Dieu : il ne la respecte pas moins ; il se
prosterne et adore. Ah ! si d'un côté il faut fermer les yeux pour
croire ce que Dieu nous dit, de l'autre ne faudrait il pas s'aveugler
pour ne pas croire un Dieu qui parle ? Où Dieu parle, que l'hom-
me se taise ; que les étoiles s'éclipsent devant le soleil , et toutes
les intelligences créées, aux premières lueurs de la vérité éternelle :
tel est l'ordre fondé sur la nature même des choses.
La gloire de la foi est de nous y soumettre. Par là elle nous
tient dans une juste dépendance à l'égard de Dieu, dont le domai-
ne absolu et universel s'étend sur tout notre être, sur notre enten-
dement comme sur notre volonté. Si notre volonté doit être sou-
mise à ce que Dieu commande, pourquoi notre entendement ne
le serait-il pas à ce Dieu révélé , Dieu ne pouvant exercer sur lui
son autorité qu'en lui ordonnant de mettre ses lumières aux pieds
de celui dont il les tient, et de croire par la foi ce qu'il lui fait
connaître par la révélation, sans lui permettre de lever le voile
qui couvre les choses révélées, sans laisser à l'esclave la liberté
d'attenter aux secrets de son maître ? Il est digne delà souveraineté
du premier être , dit le grand Bossuet , de régner ainsi sur l'es-
prit de l'homme, cet esprit vain et superbe qui s'évanouissait dans
ses pensées, qui ambitionnait la science de Dieu même , et voulait
être l'égal du Très-Haut. La curiosité et l'orgueil l'ont perdu,
voilà ses plus dangereuses passions ; qu'il les enchaîne, qu'il les
immole sur l'autel de la foi. Ce sacrifice honorera le Seigneur, lui
rendra la gloire qu'une folle présomption lui avait ravie.
Et ce sacrifice ; mes frères, Dieu l'exige. Oui, Dieu a résolu de
captiver tout entendement sous le joug de la foi, d'abaisser et de
briser toute hauteur qui ose s'élever contre les vérités mystérieuses
de la foi. Quiconque ne croit pas , dit l'Evangile, sera condamné:
Qui non crediderit, condemnabitur. Eût-il toutes les vertus qui
forment la probité mondaine , et dont les sages du siècle aiment
à se parer aux yeux des hommes , il n'est aux yeux de Dieu qu'un
objet d'anathème, il est déjà jugé : Jam judicatus est. Aussi pour-
quoi ne pas se soumettre à l'autorité divine ? Pourquoi faire cet
outrage au Dieu de vérité , de ne pas le croire sur sa parole, tandis
qu'on croit un simple mortel sur la sienne ; d'oser dire au Dieu
de grandeur et de majesté : Je n'obéirai pas ? Voilà le crime de
l'incrédule ; rebelle à son créateur , il lui refuse l'hommage de
cette intelligence qu'il a reçue de lui. Elle est bien faible, bien bor-
DES PREDICATEURS. ?**"
née ; un atome est un abîme où sa raison se perd , et il prétend
sonder les profondeurs de sa divinité! Il ne se comprend pas lui-
même, et il veut comprendre l'infini î Quel aveuglement, quel de-
lire! et c'est le comble de l'impiété , comme de la folie , de s'éle-
ver contre la vérité suprême , lorsqu'il est indubitable qu'elle a
parlé.
Adorons - la sous le nuage dont elle se couvre : respectons la
barrière sacrée qui environne le sanctuaire où elle habite une la-
micre inaccessible. Ce n'est pas encore le temps delà voir de près et
de contempler toutes ses merveilles; nos yeux ne pourraient en
soutenir le vif éclat. Nous marchons ici-bas dans un lieu obscur ,
où la sombre lueur de la foi doit nous suffire, jusqu'à ce que nous
arrivions au grand jour où tout sera manifesté. Sage et admira-
ble économie de la religion ! Elle nous fait acheter les biens du
ciel au prix de ceux qui leur répondent sur la terre, et qui n en
sont qu'une ombre ; la gloire par l'humiliation , le repos par le tra-
vail , la joie par Jes souffrances, et les ravissantes clartés de la foi
béatifique par une humble soumission aux dogmes ténébreux de la
foi. Il faut que notre esprit subisse la loi commune, qu'il soit exer-
cé, éprouvé par une obéissance aveugle, avant d'être pleinement
heureux dans la jouissance delà vérité même. Quoi de plus équi-
table ? Pour une éternité de splendeurs glorieuses , est-ce trop de
quelques momens d'obscurité ? Videmus nunc in œnigmate , tune
autemfacie adfaclem. Et voyez , mes frères , combien est agréa-
ble à Dieu l'hommage que notre foi lui rend! Par la foi nous hono-
rons sa souveraine véracité , et nous reconnaissons que l'entende-
ment humain doit céder à cet Esprit incréé , éternel, océan sans
bornes de sagesse et de lumières : par la foi nous soumettons à
Dieu la plus orgueilleuse puissance de notre ame, cet esprit si
fier, si indépendant, naturellement porté à ne croire que ce qu'il voit
et]ce qu'il comprend; par la foi nous immolons à Dieu cette raison,
la plusbrillante prérogative de l'homme, la plus noble portion de
son être, et qui en fait le roi de la nature. Ce sacrifice est comparé par
les saints Pères à celui d'Abraham; il le surpasse même, puisque, au
lieu que ce père des croyans ne fit que prendre le glaive et lever le
bras, nous portons le coup, nous frappons la victime, victime
d'autant plus glorieuse au Seigneur, à qui elle est offerte , qu'elle
est plus précieuse et plus chère à l'homme qui la lui présente :
voilà l'excellence et le mérite de la foi. Cette vertu est le triomphe
du Souverain dominateur des esprits ; c'est une victoire écla-
tante que l'homme, aidé de la grâce, remporte sur lui-même, pour
236 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
se soumettre à l'autorité du Dieu révélateur qui exige ce tribut
d'obéissance.
Tribut légitime sans doute, et de quel prix doit-il être aux yeux
de Dieu, puisque c'est le titre que l'Église lui présentera pour nous
le rendre propice à l'heure de la mort? Seigneur, dira-t-elle par
la bouche de son ministre, jetez un regard miséricordieux sur
cette ame prête à paraître au tribunal de votre justice. Elle a bien
des sujets de redouter la sévérité de vos jugemens; elle a péché,
mais elle n'a pas cessé de croire : Licet peccaverit, tamen credidit.
Auguste et ineffable Trinité, Père, Fils, Esprit-Saint, souvenez-
vous qu'elle a toujours confessé, invoqué, loué votre nom. Elle
s'est humiliée, anéantie devant l'obscurité impénétrable de vos
mystères, elle les a crus et adorés. Soyez plus touchée de sa foi
que de ses égaremcns. Si elle vous a offensée en se soumettant ,
par un effet de la fragilité humaine, à l'empire^des sens, elle vous
a glorifiée en s'élevant, par un généreux effort, au dessus d'eux et
d'elle-même, au dessus de ses idées, de ses répugnances, des ré-
voltes de son esprit et de sa raison , pour se soumettre à votre
parole et vous rendre par là le culte le plus digne du Dieu de vé-
rité : Licet pccccwerit , tamen credidit. (L'abbé Richard.)
L'hommage de notre raison à Dieu est nécessaire et avantageux à l'homme.
Eh! dans quel abîme de ténèbres et de maux ne serions-nous
pas ensevelis sans le bienfait inestimable de la foi ? Privé de sa lu-
mière (car tout n'est pas mystère dans ce que la foi nous révèle :
si elle nous propose des vérités obscures, elle nous en montre de
lumineuses : la nuit est d'un côté, mais le jour le plus pur est de
l'autre); privé, dis-je, de la lumière de la foi, l'homme ne sait
plus ce qu'il est, ni d'où il vient, ni où il va, ni ce qu'il doit à
Dieu, à ses semblables, à lui-même. Sur tous ces objets d'une si
haute importance, sa raison est muette ou ne fait que bégayer.
L'insuffisance de la raison humaine en matière de religion et de
morale ne s'est que trop manifestée durant une longue suite de
siècles : aussi le plus sage philosophe de l'antiquité profane, So-
crate, a fait cet aveu bien glorieux à notre foi , que les hommes ne
sortiraient jamais de leur ignorance et de leurs égaremens, si un
être bienfaisant ne descendait du ciel pour faire luire sur eux un
flambeau divin , seul capable de les éclairer et de les guider, et
qu'il fallait l'attendre.
Il est venu , Chrétiens ; il luit à nos yeux, ce flambeau allumé
hES PRÉDICATEURS. ^37
aux rayons de la Divinité même ; il a chassé devant lui toutes les
ombres, il a dissipé tous les prestiges de l'erreur et du mensonge.
Par ses divines lumières , la foi nous établit dans la possession tran-
quille des vérités le plus étroitement liées avec nos devoirs et les
plus nécessaires à notre bonheur.
Lumières de la foi, lumières à la portée de tous les esprits, elles
se communiquent à tous les âges et à tous les états; elles viennent
s'offrir à nous dès notre enfance, et nous accompagnent jusqu'au
tombeau. Il ne faut point les acheter par de pénibles discussions,
des recherches laborieuses. Elles ne demandent que des âmes at-
tentives et dociles à la voix du ciel, qui les instruit; de sorte que
les connaissancees les plus précieuses à l'homme sont encore les
plus faciles à acquérir : avantage de la foi chrétienne qui est une
des preuves les plus sensibles qu'elle vient de Dieu , puisque si ,
d'une part, Dieu veut, selon le grand Apôtre, que tous les hom-
mes parviennent à la connaissance de la vérité et au terme du salut,
et si, de l'autre, la plupart des hommes n'ont ni la capacité ni le
loisir de se livrer à de longues études pour découvrir les vérités
qu'il leur importe le plus de connaître, il était de la sagesse de Dieu
de leur donner un moyen de s'instruire proportionné et convena-
ble à tous, aux petits comme aux grands , aux pauvres comme aux
riches, aux esprits bornés comme aux génies sublimes; et ce
moyen ne peut être que la foi fondée sur la révélation. La voie de
la discussion et du raisonnement n'est point faite pour la multi-
tude : elle ne ferait que s'y égarer et se perdre. La voie de l'auto-
rité et du précepte est la plus abrégée, et la seule qui réponde à
sa situation et à ses besoins. L'incrédule en convient, et avoue que
notre religion est bonne pour le peuple : donc elle est la véritable
religion , celle que Dieu a donnée aux hommes, puisque le peuple
est la totalité morale du genre humain , et que , d'ailleurs , tout
homme est peuple dans la science de la religion.
Lumières delà foi , lumières uniformes et invariables. Allez, par-
courez toutes les contrées qu'elles éclairent, écoutez la voix de toutes
les Églises du monde chrétien, elles vous diront qu'elles ont le même
Evangile, qu'elles chantent le même Symbole, qu'elles font profes-
sion de la même foi que nous.Pv.emontez de siècle en siècle jusqu'aux
Apôtres ; nous croyons ce qu'ils ont cru et enseigné ce qu'ont cru
et enseigné après eux les Irénée , les Cyrille , les Ambroise , les Au-
gustin, les Chrysostôme, les Jérôme, les plus beaux génies de l'uni-
vers; ce qu'ont cru tant d'autres personnages révérés, princes, pon-
tifes, savans, martyrs, solitaires, justes de tous les états, modèles de
2}8 NOUVELLE BIBLIOTHÈQTJB
piété et de sagesse , héros en tout genre de vertu. Leur foi nous a
été transmise sans aucune altération. Comme elle n'est pas l'ou-
vrage des hommes, elle ne se ressent pas de la mutabilité des cho-
ses humaines. Elle est la lumière véritable et indéfectible qui nous
éclaire dans les voies ténébreuses de cette vie. Elle réprime la lé-
gèreté et l'inconstance de notre esprit, qui, sans ce frein salutaire,
flotterait d'opinions en opinions sans pouvoir se fixer, se reposer
sur aucune, et nous laisserait dans des perplexités cruelles sur
nos plus chers intérêts. Voyez les hérétiques qui ont osé se sous-
traire à l'autorité de la foi; égarés dans des routes diverses, ils ne
s'accordent pas entre eux. Quel trouble, quelle confusion , quelle
opposition de sentimens ! Combien de fois n'en ont-ils pas changé
sur les points les plus essentiels de la religion !des volumes entiers
ont à peine suffi à recueillir les variations d'une seule de leurs
sectes. L'erreur se reproduit sous mille formes1, c'est une hydre à
cent têtes : mais la vérité du Seigneur demeure éternellement la
même : Veritas Domine manet in œternum.
Heureux le peuple attaché à cette Eglise où réside la vérité de
Dieu , à laquelle Dieu a confié le dépôt de sa parole, qu'il a établie
la règle vivante et infaillible de notre croyance, toujours inspirée
par son esprit, toujours invincible aux puissances des ténèbres,
toujours enseignant la saine doctrine qu'elle puise à la source des
oracles divins, dont elle est la gardienne et l'interprète. Nous
sommes ce peuple privilégié.
Lumières de la foi, lumières qui nous donnent les connaissances
les plus sublimes et les plus intéressantes : la connaissance de Dieu,
la connaissance de l'homme; l'une et l'autre si supérieures aux
faibles vues de la raison. Que connaissons-nous par la foi? Dieu
et ses adorables perfections , les secrets et les profondeurs de son
essence infinie, la trinité des personnes dans l'unité de sa nature,
les décrets de sa sagesse, les voies de sa providence, les richesses
de sa miséricorde, les prodiges de son amour. Combien la foi élève
et ennoblit notre esprit en le remplissant de la science des choses
de Dieu, en l'approchant et le nourrissant de la vérité suprême,
d'où toutes les autres vérités émanent comme de leur source pri-
mitive ! De là elle nous fait descendre au dedans de nous-mêmes ,
et, à la lueur de son flambeau, nous voyons la cause fatale de ce
poids de corruption qui nous entraîne vers la terre , de cette guerre
intestine dont notre cœur est le théâtre, de Ce mélange d'élévation
et de bassesse, d'amour de la vertu et de penchant au vice; de
cette tyrannie des passions , qui fait que l'homme est une énigme
DES PRÉDICATEURS. 2%$
impénétrable à ses propres yeux , et qu'aucun des sages du siècle
n'a pu éclaireir. Elle nous apprend que l'homme n'est point tel
qu'il est sorti des mains du Créateur, que la dégradation de son
être est la peine de sa désobéissance; qu'il est un sujet rebelle et
disgracié : mais qu'un médiateur lui a été donné pour le réconcilier
avec Dieu, guérir tous ses maux et le combler de biens. Dès lors
tout s'explique, et les misères de l'homme n'accusent plus la bonté
ni la justice de Dieu.
Lumières de la foi, lumières les plus vastes et les plus multi-
pliées. Que de choses la foi nous révèle ! Aussi étendue que l'éter-
nité, dit saint Bernard, elle enferme dans son sein le présent, le
passé, l'avenir. Nous fait-elle remonter à la naissance des siècles :
elle nous montre l'univers sortant du néant à la voix de Dieu, et
nous rend spectateurs des merveilles de la création : cieux, astres,
terre, mer, animaux, l'homme , tout reçoit 1 être et la vie des mains
du Tout-Puissant, qui consomme son ouvrage dans l'espace de
six jours et sanctifie le septième. Ce ne sont pas ici des conjectures
hasardées, des suppositions arbitraires, mais des faits certains dont
Dieu lui-même est le garant comme il en fut l'auteur. Vains sys-
tèmes de la philosophie sur l'origine du monde et des peuples qui
l'habitent! Ils sont d'une fausseté, d'une absurdité palpables, dès
qu'ils s'écartent de ce que nous en apprend la révélation.
Que de vérités utiles et du plus grand intérêt, dans tout le cours
de la vie, la fui nous découvre encore, et que nous n'aurions pu
connaître sans elle! La propagation delà tache originelle et le
moyen de l'effacer que nous présente la bonté divine, notre im-
puissance pour le bien, la nécessité de la grâce , l'efficacité
de la prière, la vertu inépuisable des sacremens , le culte saint
que le Seigneur exige et les hommages qui lui plaisent, le pardon
qu'il promet à notre repentir et la piscine salutaire où nous pou-
vons laver toutes nos offenses, l'usage consolant que nous pou-
vons faire de nos maux pour augmenter nos mérites , la présence
d'un Homme- Dieu sur nos autels, l'excellence et la perpétuité de
son sacrifice, les ressources infinies qu'il offre à tous nos besoins.
Que dirai-je encore ? La foi étend nos vues au delà des bornes
du temps. Elle nous trace le grand tableau de la vie future; du
lieu de notre exil, elle nous fait considérer la gloire et les délices
de la Jérusalem céleste, où nous sommes attendus. Nous connais-
sons les récompenses, les vertus et jusqu'aux noms de ses heureux
habitans. Nous entretenons avec eux un commerce de religion ,
et nous les prions de s'intéresser en notre faveur auprès de Dieu;
2/fo NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
pleins de charité et à la source de toutes les grâces , ils les deman-
dent pour nous, et les obtiennent : c'est la communion des saints.
Cependant, quand le nombre des élus sera rempli, ce monde fi-
nira. La foi , dépositaire des secrets du Très-Haut , nous instruit
des événemens qui signaleront la consommation des siècles. La
fin de tout est venue : l'univers en feu s'écroule et tombe en ruines
de toute part. Le son de la fatale trompette pénètre jusqu'au fond
des sépulcres, et en ranime les cendres : tous les morts ressusci-
tent; leurs corps se réunissent pour jamais à leurs âmes; toutes
les générations humaines sont assemblées. Dieu paraît: il justifie
sa providence, et met le dernier sceau à tous les arrêts de sa justice;
les médians sont couverts d'opprobre, les bons rayonnans de
gloire. Ceux-ci , bénis du Seigneur , retournent triomphans au sé-
jour de la félicité; ceux-là, maudits et poussant des cris de dé-
sespoir, rentrent dans le lieu de leurs tourmens. Il n'y aura plus
de temps alors , ce sera le règne de l'éternité. (Le même.)
La foi des chrétiens est fondée sur la raison de Dieu.
Celse reproche à notre foi de n'être appuyée sur aucune raison
solide. C'est, selon lui, l'esprit de sédition, l'utilité qu'on espérait
en retirer, la crainte enfin, qui ont déterminé tant de personnes
à embrasser le Christianisme.
Eh quoi! une religion qui a la raison de Dieu même pour fon-
dement ne vous paraît point établie sur une raison solide! Vous
ne pensez donc plus que la foi des Chrétiens a pour principe ce
même Dieu, qui a daigné instruire les hommes parla bouche de
ses Prophètes, et leur promettre tant de siècles auparavant l'avé-
nement de ce Christ qui devait être le Sauveur de tout le genre
humain ? Or, ce Christ est venu. Les miracles sans nombre qu'il
a opérés nous l'ont montré de manière à ne nous laisser aucun
doute; et c'est lui qui a jeté dans le monde les premières semences
de la foi divine que nous avons embrassée.
Celse n'a pas plus raison d'avancer que nous cachons les princi-
paux dogmes de notre croyance. Bien loin de les cacher, nous les
publions hautement. Dès qu'un païen quitte ses idoles pour venir
se joindre à nous, la première chose que nous cherchons à lui inspi-
rer, c'est un mépris profond pour tout ce qui naguère encore
était l'objet de son culte. Nous nous efforçons de lui faire com-
prendre combien il est absurde de prodiguer à des créatures des
hommages qui doivent être réservés au seul Créateur.
DES PREDICATEURS. 1^\
Mais où est donc cet esprit de sédition qu'il nous reproche?
Quand nous a-t-on vus secouer le joug de l'obéissance ? quand nous
a-t-on vus nous révolter contre les autorités et contre les magistrats*1
ri
L'univers sait que les Chrétiens meurent avec courage pour leur foi ;
mais il sait aussi qu'ils meurent quand il le faut pour leurs ser-
mens. Où sont donc ces prétendues terreurs que nous inspirons?
Philosophes, à quoi bon des assertions sans preuves? Nous
vous sommons de prouver ce que vous avancez, à moins que vous
n'entendiez par ces terreurs ridicules ces vérités appuyées sur nos
saintes Ecritures : que Dieu est le Juge suprême, et qu'il demande
compte à tous les hommes de ce qu'ils ont fait. Que Celse appelle
cela, s'il veut, des terreurs ridicules ; mais qu'il sache, après tout,
qu'un de ses dogmes aussi enseigne que les hommes injustes seront
punis. ( Origène, Contre Celse , liç. III.)
La foi, ayant pour base la parole de Dieu , ne peul nous tromper.
Les Ecritures appellent quelquefois Dieu la raison, non seule-
ment parce qu'il est la source de toute raison, de toute intelligence
et de toute sagesse, mais principalement parce que la raison de
Dieu est simple comme son essence , et placée bien au dessus de
celle de tout ce qu'il y a de plus élevé dans les créatures. Cette
raison, c'est la vérité subsistante véritablement en Dieu, el qui,
renfermant une idée claire et infaillible de toutes choses , devient
le fondement de notre foi, en même temps que cette foi divine elle-
même, pour les fidèles, une colonne ferme, inébranlable qui les sou-
tient dans la vérité, et leur donne une connaissance parfaite, simple,
immuable, de toutes les vérités qu'ils doivent croire. Je dis immuable :
car, s'il est vrai que la connaissance que nous avons des choses unit
en quelque sorte ces mêmes choses à notre intelligence qui les com-
prend, etqu'au contraire l'ignorance est cause de nos fluctuations, de
noschangemens, de nos incertitudes, rien ne pourra jamais ébranler
dans sa foi l'homme qui croit à la vérité elle-même; et c'est là ce
qui lui donnera cette constance, cette immutabilité dont je parle.
D'autres auront beau le traiter d'insensé; intimement uni à la
souveraine vérité, il sait mieux que personne combien son intel-
ligence est éloignée de toute folie. Les autres ne savent point que
c'est à la lumière de la vérité qu'il s'est arraché aux erreurs qui les
entraînent eux-mêmes; mais, pour lui, il sait que la sagesse le
dirige, et qu'au lieu de ces doutes, de ces opinions incertaines,
qui tour à tour se succédaient naguère dans son esprit, grâce à
T. III. l6
2/.2 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
la foi que le ciel a fait naître en lui, ses idées ne doivent désor-
mais avoir cette incertitude , cette variabilité qui ne l'ont que trop
long-temps dominé.
C'est de la sorte que les fondateurs de notre divine croyance se
sont tous laissé massacrer pour rendre témoignage à la vérité;
prouvant par là, jusqu'à l'évidence, que les lumières que nous donne
la foi chrétienne, en même temps qu'elles sont simples, sont en-
core marquées du plus frappant caractère de Divinité, ou plutôt
que c'est dans notre foi, et dans notre foi seule , que l'homme peut
trouver la véritable connaissance de Dieu. (Saint Denis 1 Aréopa-
gite , Des Noms divins. )
La foi des chrétiens est vraisemblable.
Quoi de plus digne d'éloge que cette foi qui nous fait croire
aux paroles d'un Dieu créateur, souverain de toutes choses? Que
de raisons n'avons-nous pas de rendre des actions de grâces à ce-
lui qui nous a conduits à cette foi salutaire, et de confesser que ,
sans l'aide de Dieu , il n'aurait jamais pu accomplir un si grand
œuvre ?
Si, de plus, nous croyons fermement au récit de ceux qui ont
écrit les Evangiles; si leur piété, si leur candeur, si la sincérité
qui règne dans leur ouvrage, nous entraînent, nous subjuguent
et nous empêchent de soupçonner la moindre fraude, la moindre
fourberie, la moindre ruse, le moindre détour de leur part, qu'y
a-t-il en cela de si surprenant? N'en usons-nous pas de même à
l'égard des historiens , de quelque pays qu'ils soient?
Voyez aussi si notre foi ne change pas à leur avantage ceux qui
prêtent une oreille docile à nos instructions, précisément par cela
seul qu'elle est raisonnable et fondée sur le sens commun. Car,
encore que la perversité, renforcée par une éducation vicieuse,
ait pu persuader à plusieurs que des images d'or, d'argent, de
bois, sont des dieux dignes d'adoration, le bon sens veut cepen-
dant que nous ne considérions pas comme des dieux une matière
vile et sujette à la corruption , que nous ne prenions point la créa-
ture pour celui qui a créé, qui soutient, qui gouverne tout. Il n'y
a point d'ame raisonnable qui ne revienne de temps en temps à
ces principes delà simple raison , et qui ne découvre par intervalle
des absurdités dans une pareille théologie. Tourmentée d'un
besoin véritable d'aimer son Créateur , de s'attacher à lui , elle
DES PRÉDICATEURS. 2^3
cherche avec empressement, et gémit parfois de ne trouver dans
son culte que des simulacres sourds et impuissans.
Qu'y a-t-il au contraire de semblable dans notre religion ? Elle
nous montre Dieu et l'homme tels qu'ils sont; et comme les lu-
mières qu'elle nous communique sur ces deux grands sujets sont
pleinement satisfaisantes, notre ame s'en contente, et notre rai-
son se nourrit délicieusement des vérités qu'un Dieu lui-même est
venu lui apporter sur la terre. ( Origène , Contre Celse, lw% H.)
La foi nous fait croire ce qui est au dessus de la raison.
Il y a dans la nature de Dieu des choses qui sont au dessus de
notre intelligence, mais qui n'en sont pas moins incontestables
aux yeux de notre foi; et cela n'arrive pas seulement dans les
choses purement spirituelles , niais même dans les choses corpo-
relles. Aux noces de Cana en Galilée, l'eau fut changée en vin.
Notre langue peut-elle exprimer, notre intelligence peut-elle com-
prendre comment les lois de la nature ont pu être ainsi changées;
comment l'eau a pu perdre soudain ses qualités pour prendre le
goût et la couleur du vin ? Comment cela s'est-il opéré ? C'est ce
qui est au dessus de nos sens et de notre intelligence. Cependant,
pour cela, doutons-nous de la vérité de ce prodige ? et n'y voyons-
nous pas un effet de la toute-puissance de celui à qui toute la na-
ture est soumise? Pareillement, avec cinq pains, le Sauveur ras-
sasia cinq mille personnes et un nombre infini de femmes et d'en-
fans. Nos yeux sont impuissans, notre esprit est trop; borné pour
savoir comment cela s'est fait. Il ne nous reste d'autre parti à pren-
dre que de croire fermement à la toute-puissance de Dieu, qui,
n'ayant certainement pas besoin que ces œuvres si incompréhen-
sibles lui conciliassent notre admiration, mais prévoyant cepen-
dant que les hommes en viendraient un jour à un tel point d'au-
dace, de témérité et de folie, que de porter un jugement sur la
nature la plus secrète et la plus intime de Dieu , a voulu confon-
dre notre orgueil, et réprimer cet essor présomptueux de notre
raison, en nous présentant des difficultés inexplicables dans les
choses les plus simples et les plus rapprochées de nous. (Saint
Hilaire de Poitiers, De la Trinité , liv. III.)
Il faut pratiquer les œuvres de la foi.
C'était un bien absurde novateur que cet hérésiarque des der-
16.
2^4 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
niera siècles, qui, s'ërigeant en réformateur du Christianisme ,
voulut en réduire tous les devoirs à une foi de pure spéculation,
qui justifie indépendamment des œuvres et au milieu de la cor-
ruption du vice : l'Eglise l'a frappé de ses an a thème s. La foi ne
nous a pas été donnée pour satisfaire la curiosité de notre esprit,
ou pour être une riche parure de notre ame, sans aucune consé-
quence pour nos mœurs. Devenus par elle enfans de Dieu, elle
nous impose l'obligation de vivre en enfans de Dieu. La foi est le
commencement du salut, les œuvres en sont la consommation :1a
foi est le fondement de l'édifice, les œuvres en sont l'élévation et
le comble; la foi donc et les œuvres, deux choses absolument né-
cessaires pour entrer dans le royaume des cieux. Et voici le rap-
port mutuel entre l'une et l'autre : c'est que la foi est un principe
actif et continuel de bonnes œuvres, et que les bonnes œuvres
sont la sauve-garde et le mainiien de la foi.
La foi est un principe de bonnes œuvres par sa nature même,
qui est d'être agissante et féconde. Si elle reste oisive et stérile,
c'est qu'elle est morte : Fides, si non habeat opera, morlua est.
Cette foi précieuse est, selon le concile de Trente, une racine
surnaturelle, qui, placée dans le cœur de l'homme et nourrie par
l'influence de la grâce, produit des fruits de justice et de sain-
teté. Tous les siècles de la religion nous en offrent la preuve sen-
sible. C'est à la vivacité de la foi que le grand Apôtre attribue les
œuvres merveilleuses des Patriarches, des Prophètes, des Justes de
l'ancienne alliance; et, pour ne parler que de ceux de la loi de
grâce, voyez cette multitude de saints qu'elle a enfantés, et qui
régnent aujourd'hui dans le ciel. Retracez-vous l'image brillante
de toutes les vertus qu'ils ont pratiquées, de tous les trésors de
mérites qu'ils ont amassés, de tous les degrés de perfection où ils
se sont élevés, de tout ce qu'ils ont fait de grand et d'admirable
pour la gloire de Dieu , pour le bonheur et le soulagement de leurs
frères, pour leur propre sanctification : voilà les fruits de la foi
dans ces héros de l'Evangile. Plus ils eurent de foi, plus ils firent
de progrès dans les voies de la sainteté, et accumulèrent bonnes
œuvres sur bonnes œuvres. C'est la foi, dit saint Paul, qui donne
la naissance et le mouvement à toutes les autres vertus. Elle influe
sur elles, elle agit avec elles, elle va jusqu'à en produire les difré-
rens actes , ceux mêmes de la charité : Ficles quœ per dilecttonem
operatur. O foi! ô principe efficace de toutes les vertus chrétien-
nes ! pouvons-nous dire , à en juger par nos œuvres , que vous
régnez dans notre cœur?
DES PREDICATEURS. ifo
Mais d'où vient à la foi cette fécondité glorieuse, qui; est une
propriété de son être et son caractère distinctif ? de la sainteté de
sa morale et de la force des motifs dont elle l'appuie pour nous
porter à en faire la règle de nos mœurs ? Quelle morale aussi pure,
aussi élevée que celle de la foi ? quelle est la vertu qu'elle ne com-
mande pas? quel est le vice qu'elle ne réprouve pas? Elle interdit
jusqu'à la pensée du mal ; elle condamne jusqu'à une parole oiseuse!
Quels sublimes devoirs elle nous impose, soit envers Dieu, soit
à l'égard de nos semblables, soit par rapport à nous-mêmes ? de-
voirs renaissans chaque jour, et dont l'accomplissement demande
une activité continuelle. Ils sont marqués en termes clairs et inef-
fables dans l'Evangile, répétés mille fois, et développés dans la
chaire de vérité.
Amour de Dieu qui ne souffre aucune préférence, et qui purifie,
qui sanctifie toutes les inclinations de notre cœur; respect et sou-
mission sans bornes , qui nous dévoue à l'exécution de toutes ses
volontés : voir Dieu au dessus de tout, et faire tout pour Dieu;
rien pour la cupidité, la vanité, la sensualité, l'amour-propre :
avoir pour tous les hommes une charité sincère, prévenante, offi-
cieuse, qui ne se permet pas contre eux la moindre aigreur, le plus
léger ressentiment : supporter leurs défauts, compatir à leurs pei-
nes, soulager leurs besoins, pardonner, oublier leurs offenses; et,
plein de douceur, d'indulgence envers les autres, réserver toute
sa sévérité pour soi-même : dompter ses passions , réprimer ses
penchans, pleurer ses fautes et s'en punir, immoler la nature à la
grâce, faire succéder le travail à la prière : haïr le monde, renon-
cer à ses plaisirs, craindre ses honneurs, souffrir ses mépris, con-
tent d'avoir Dieu pour seul juge et pour témoin , et ne pensant
qu'à lui plaire : vivre enfin dans la tempérance, dans la justice,
dans la piété, dans le détachement de tout ce qui passe, et dans
l'attente, le désir des biens futurs , et, à force de combats et de
victoires, élever sur les ruines de l'homme terrestre et charnel
l'homme spirituel et céleste : tel est le précis des obligations du
chrétien.
Ce ne sont pas là de simples conseils, ce sont des préceptes;
c'est ce que la foi prescrit à tous ses disciples. Chaque peuple a
ses lois : la loi du peuple chrétien est la plus parfaite qui ait pu
être donnée aux hommes ; aussi est-elle destinée à former les hom-
mes les plus parfaits qui puissent paraître sous le ciel. Le sage,
dont la philosophie païenne a tant parlé , sans en avoir jamais
connu que le nom , c'est parmi les enfans de la foi qu'il faut le
246 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
chercher. L'honnête homme du siècle n'est qu'une chétive ébau-
che de l'homme de la foi. La probité mondaine, ou fausse, [ou
chancelante, et toujours trop bornée, est infiniment au dessous
de la justice chrétienne si vraie, si pleine, si solide, qui règle
les sentimens et les actions, qui perfectionne l'homme tout entier,
en fait une nouvelle créature en Jésus-Christ; et cette justice,
formée de la réunion de toutes les vertus, est l'ouvrage de la foi.
Comment donc opère-t-elle ce prodige dans l'homme qui n'est
que misère et faiblesse ? par les puissans motifs qu'elle lui présente
pour l'engager à observer ses préceptes.
Tantôt c'est le devoir et l'équité. Quel Dieu plus grand, plus
adorable, plus digne qu'on obéisse à ses ordres, qu'on s'immole
à sa gloire et à son bon plaisir, que celui que la foi nous découvre ?
La raison ne faisait que l'entrevoir dans un jour sombre. Dieu
n'est bien connu qu'à la lumière de la foi. Quand cette foi sainte
nous le montre dans tout l'éclat de sa majesté , avec toutes les ri-
chesses de son être et le magnifique cortège de ses perfections
infinies, on est saisi, pénétré d'un respect religieux qui porte à la
soumission : on sent tous les droits qu'il a sur ses créatures; on
comprend que sa volonté suprême doit être la règle de la leur; on
ne balance pas, quoi qu'il en coûte, à lui payer le tribut de son
obéissance.
Tantôt c'est la reconnaissance et l'amour : eh! pouvions-nous
souhaiter un Dieu plus prodigue de ses dons et de lui-même, un
Dieu plus aimant et plus aimable que celui que la foi nous révèle?
Pour nous sauver, il descend du trône de sa gloire , il se revêt de
notre nature, il se fait notre victime, et, en proie aux plus vives
souffrances, il expire sur une croix. Merveille ineffable de l'amour
divin! plus on la médite, plus on est touché, ravi, transporté.
C'est un abîme où le cœur s'attendrit et s'enflamme. Dieu m'a aimé
jusqu'à me sacrifier sa vie; ne dois-je pas au moins vivre pour
lui, après qu'il est mort pour moi? et, tout couvert de son sang,
me siérait-il de me plaindre de la rigueur de ses lois?
Tantôt c'est le repentir et la douleur. La foi a dissipé les ténè-
bres qui nous cachaient l'énormité du péché. Elle nous montre,
d'une part, l'injure qu'il a faite à Dieu, son autorité foulée aux
pieds, sa sainteté outragée , sa bonté méprisée, son amour dédai-
gné, ses bienfaits oubliés, payés de la plus noire ingratitude; et,
de l'autre, la haine que Dieu porte au péché, les foudres qu'il a
lancées sur lui dans tout le cours des âges, son indignation , sa fu-
reur, qui n'ont pu être apaisées que par la mort de son Fils. A
DES PRÉDICATEURS. 1^
cette vue on s'humilie, on se confond, on déteste, on confesse
son crime, et on l'expie.
Tantôt enfin c'est la crainte ou l'espérance. Ces deux grands
ressorts du cœur humain n'agissent dans toute leur étendue et avec
toute leur force qu'entre les mains de la foi. Quel sort plus for-
midable que celui dont elle nous menace, en nous montrant de
loin ces lieux d'horreurs et de désespoir, ces abîmes de feu où la
justice de Dieu exerce à jamais les plus terribles vengeances sur
ceux qui ont abusé de sa miséricorde? mais quelle plus heureuse
destinée que celle que la foi nous promet, en faisant briller à nos
yeux la gloire et la magnificence de la céleste Sion , où , dans le
sein de la Divinité , ravis de ses charmes et enivrés de son amour,
nous puiserons dans leur source des délices pures et inaltérables ?
Félicité suprême ! effroyable malheur ! ah ! on est prêt à tout faire
pour mériter l'une et se garantir Je l'autre.
C'est ainsi que la foi , par les hautes idées dont elle remplit
notre esprit , par les sentimens nobles et généreux qu'elle fait
naître dans le cœur, est un principe de sanctification. Elle attaque
l'homme par tous ses endroits sensibles, et le mettout entier dans
les intérêts du devoir et de la vertu. Un seul des motifs qu'elle
lui présente suffirait pour en obtenir les sacrifices les plus dou-
loureux : jugez de leurs impressions victorieuses, lorsqu'ils se
réunissent pour concourir au même but et l'élever à la perfection
où Dieu l'appelle. (L'abbé Richard. )
Présence el absence de la foi. Leurs effels.
« Je vous l'ai dit : Vous mourrez dans vos péchés. Car si vous
« ne croyez pas que c'est moi qui suis le Christ, vous mourrez
« dans vos péchés *. » D'où vient donc que les hommes meurent
dans leurs péchés, si ce n'est parce qu'ils ne croient point que
Jésus est le Christ? Celui donc qui ne meurt point dans ses pé-
chés est celui qui croit au Christ; et celui qui meurt dans ses péche's,
quand même il prétendrait avoir la foi au Christ, ne croit réelle-
ment point au Christ. II ne suffit pas de dire : J'ai la foi. Sans les œu-
vres elle est morte , comme parle saint Jacques dans son Epître 2.
Quel est donc celui qui croit véritablement, si ce n'est celui
qui en est venu au fpoint de ne plus tomber dans les péchés qui
donnent la mort à î'ame , tant sa raison 9 fortifiée par sa foi , a
\ Joan., vm, 24. — 2Jac, \\, 20.
2/^8 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
d'empire sur lui? Elle est sa règle; il rejette avee horreur tout ce
qui lui est contraire. Il en est de même de celui qui croit à la jus-
tice : si sa foi estsincère, il ne fera jamais de tort à qui que ce soir.
De même encore de celui qui croit à la sagesse : jamais il ne lais-
sera pénétrer ni dans ses paroles ni dans ses actions rien qui lui
soit opposé.
De même aussi celui qui croit à la raison, au Fils de Dieu^
qui était dans Dieu dès le commencement, tant qu'il conserve
cette foi , ne fait jamais rien de contraire à la raison ; et comment ,
s'il est persuadé que Jésus est véritablement notre paix, s'efror-
cerait-il , lui disciple de ce même Jésus, d'allumer partout les feux
de la discorde et de la haine? Je dis plus : puisque le Christ est
non seulement la sagesse de Dieu , mais encore sa puissance , ce-
lui qui croit au Christ, en tant qu'il est la puissance de Dieu,
doit pouvoir tout lorsqu'il s'agit de quelque belle action , de
quelque œuvre éclatante de charité. Si donc nous nous laissons
abattre , c'est que nous ne croyons point à Jésus-Christ en tant
qu'il est la force, le courage et la puissance. C'est la faiblesse de
notre foi qui est la vraie cause de tous nos maux. (Origène,
Comment, sur saint Jean, XX.)
Merveilles opérées par la foi.
C'est par la foi d'Àbel que son sacrifice fut agréable à Dieu ;
c'est parce que Hénoch avait plu à Dieu par sa foi qu'il ne fit
que passer parla mort pour arriver à une vie bienheureuse; c'est
par sa foi que Noé mérita d'être seul sauvé du déluge universel ;
c'est à cause de sa foi qu'Abraham fut justifié , qu'Isaac fut chéri,
et Jacob sauvé; c'est à cause de sa foi que Joseph fut vainqueur de
la tentation; c'est par la foi que Moïse opéra tant de prodiges,
qu'il frappa l'Egypte de sept plaies cruelles, qu'il partagea les flots
de la mer, et qu'il y fit passer son peuple; c'est par la foi qu'il
jeta un peu de bois dans une sourceamère, et qu'il la rendit douce ;
qu'il fit descendre la manne du ciel; qu'il vainquit Amalec ; qu'il
demeura quarante jours sur le mont Sinaï sans prendre aucune
nourriture ; qu'il frappa Séon et Og , rois des Amorrhéens. C'est
aussi par la foi que Josué , fils de Navé , divisa les eaux du Jour-
dain, y fît passer les Israélites , fit tomber les murs de Jéricho,
fit périr trente et un rois , et fit arrêter le soleil à Gabaon.
Notre Seigneur lui-même disait à tous ceux qui venaient le
trouver pour obtenir leur guérison : « Qu'il vous soit fait selon
DES PKÉDICATEUIIS. %/[()
« votre foi K » Ainsi parla-t-il à un aveugle et à ee père dont le
fils était malade, et ainsi de plusieurs autres. Et lorsque le Sei-
gneur donna à ses disciples le pouvoir de conférer le baptême, il
leur dit: « Quiconque croira, et sera baptisé, sera sauvé; mais
« celui qui ne croira pas sera condamné - ; » et ailleurs : « Pourvu
« que vous ayez la foi et que le doute ne s'élève point dans votre
« ame, il n'est rien que vous ne puissiez faire s. »
Rendons- nous donc à cette foi divine qui en a transporté quel-
ques uns dans les cieux , qui a triomphé des eaux du déluge, qui
a rendu mères des femmes long-temps stériles, qui a soustrait
des hommes au tranchant du glaive, qui en a tiré d'autres d'une
fosse profonde, qui rend les pauvres riches, sauve ceux qui souf-
frent la persécution, qui a faitdescendre le feu du ciel, a divisé les
flots de la mer, a fendu les rochers, rappelé les morts à la vie, a
guéri les malades, fermé la gueule des lions, éteint les flammes
dévorantes, humilié les superbes, et exalté les humbles : car tou-
tes ces merveilles ont été opérées par la foi. (Saint Jacques de Ni-
sibe, Sermon Ier de la Foi.)
Péroraison.
ODieu! séparez notre cause d'avec celle de ces pécheurs sut
qui vous vengerez avec tant de sévérité cette foi dont vous êtes
1 auteur , et qui est le prix de votre sang : Discerne causam mcam
de génie non sancta : ne permettez pas que ce qui doit être le
principe et le gage de notre salut devienne par notre faute !e sujet
de notre réprobation , et que le plus beau don de votre amour ne
serve qu'à nous rendre dans l'éternité les plus odieux objets de
votre colère et de votre justice. Nous sommes votre peuple; re-
gardez du haut des eieux, et voyez dans le sein de votre Eglise
tant de justes vivant de la foi, dont la conduite est conforme à
leur croyance, qui vous glorifient par la pureté de leurs mœurs
et par des œuvres de lumières : nous ne voulons avoir de part et
de ressemblance qu'avec eux; nous voulons marcher sur leurs tra-
ces dans les voies du siècle saint, selon l'expression de vos Ecri-
tures: In partes vade sœculi sancîi , cum vivis ctdantibus confes-
slonern Deo.
Nous l'avons compris, Seigneur, les bonnes œuvres sont les
fruits naturels de la foi ; la foi se conserve , se fortifie par les bon-
1 Matth., ix, 29. — * Marc, xvi, 1G. — s Ibid., xi, 22,
25o NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
nés œuvres: ce n'est, d'ailleurs, qu'aux bonnes œuvres qu'a été pro-
mis l'héritage céleste. Non, ce ne sont pas les grandes lumières,
les beaux discours, les sentiniens mêmes et les désirs, mais la vertu
et les œuvres que vous couronnez. Inspirez-nous donc plus de
zèle et d'ardeur pour toutes les œuvres de salut, ces véritables
richesses du chrétien , les seuls biens qui nous suivront au sortir
de cette vie. A une forte persuasion des vérités que la foi nous
enseigne , faites que nous joignions la pratique constante des de-
voirs qu'elle nous impose, afin démériter les récompenses qu'elle
nous promet dans l'éternité bienheureuse. Ainsi soit-il. (L'abbé
Richard.)
DES PRÉDICATEURS. . 2^1
PLAIV ET OBJET DU TROISIEME DISCOURS
SUR LA FOI.
EXORDE.
Et dixit Jésus centurioni : vade, et sicut credidisti , fiai tibi.
Jésus dit au centurion : Allez, et qu'il vous soit fait selon que vous avez cru.
(Math., c. 8.)
N'est-il pas surprenant que le Sauveur du monde, au lieu d'at-
tribuer les miracles de sa toute-puissance à sa toute-puissance mê-
me et à la vertu souveraine de Dieu, les ait communément attri-
bués, dans l'Evangile, à la foi des hommes ? Puissant en œuvres et
en paroles, il délivrait les possédés, il guérissait les malades, il res-
suscitait les morts; mais quoiqu'il pût bien au moins s'en réserver la
gloire , tandis qu'il en laissait aux autres l'avantage , il la donne en-
core tout entière à la foi, comme si la foi seule eut opéré par lui
ce que lui seul il opérait pour la foi. Allez, dit-il dans notre Evau-
gile, et qu'il vous soit fait selon votre foi : Vade , et sicut credi-
disti , fiât tibi. C'est la réponse qu'il fait à ce centenier qui lui
vient demander la guérison de son serviteur , frappé d'une mor-
telle paralysie, et c'est la réponse qu'il a faite en tant d'autres oc-
casions et sur tant d'autres sujets : partout admirant la foi, lui qui
ne devait rien, ce semble, admirer; partout exaltant la foi, partout
publiant la force et l'efficace de [la foi, partout faisant -entendre
qu'il ne pouvait rien refuser à la foi : Vade , et sicut credidisti,
fiât tibi, C'est de là même que les hérétiques des derniers siècles
ont prétendu tirer cette fausse conséquence , que tout l'ouvrage
et toute l'affaire du salut de l'homme roulent uniquement sur la foi ;
erreur que l'Eglise a frappée d'anathème, et qui va directement à
détruire dans le Christianisme la pratique et la nécessité des bonnes
œuvres. Mais moi , mes chers auditeurs , sans donner dans une
telle extrémité, je tire de mon Evangile un sujet beaucoup plus
solide , et qui sert de fondement à toute la morale chrétienne ; et
m'attachant à ces paroles du Fils de Dieu : Qu'il vous soit fait
comme vous avez cru : Sicut credidisti , fiât tibi, je veux vous par-
2L>2 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
1er des vrais effets de la foi par rapport au salut. C'est dans Marie
que cette vertu a fait éclater tout son pouvoir ; puisque c'est par
la foi que Marie conçut le Verbe divin • adressons-nous à elle, et
disons-lui , Ave.
De quelque manière que je prétende ici m'expliquer, Chrétiens,
mon dessein n'est pas de chercher des tempéramens pour concilier
l'opinion des hérétiques de notre siècle avec la doctrine de l'Égli-
se touchant l'efficace et la vertu de la foi, puisque saint Augus-
tin m'apprend qu'entre l'erreur et la vérité il n'y a point d'autre
parti que la confession de l'une et l'abjuration de l'autre. L'opinion,
disons mieux l'erreur des hérétiques de notre siècle, est que la
foi seule nous justifie devant Dieu ; que nos bonnes œuvres, quel-
que parfaites qu'elles soient , ne contribuent en rien au salut; que
la vie éternelle ne nous est point donnée par titre de récompense,
mais par forme de simple héritage : héritage que nous ne pouvons
mériter , et dont nous prenons possession sans y avoir acquis au-
cun droit. Tel est le langage de l'hérésie ; mais voici celui de la
foi même: car il est de la foi que la foi seule ne suffit pas pour
nous sauver ; il est de la foi que nos bonnes œuvres doivent faire
une partie de notre justification ; il est de la foi qu'en vertu de nos
bonnes œuvres nous acquérons un droit légitime à la gloire que
Dieu nous prépare, et que cette gloire, par un effet merveilleux de
îa grâce de Jésus- Christ , est tout à la fois, comme s'exprime
saint Augustin , et le don de Dieu , et le mérite de l'homme.
Cependant, Chrétiens, sans m'engager dans une controverse
qui ne convient ni au temps ni à l'assemblée où je parle , j'avance
deux propositions non seulement orthodoxes , mais incontesta-
bles, et qui vont partager ce discours, savoir : que c'est la foi qui
nous sauve , première proposition ; et que souvent aussi c'est la foi
qui nous condamne, seconde proposition : elles semblent l'une
et l'autre contradictoires ; mais la contradiction apparente qu'elles
renferment me donnera lieu de vous développer les plus beaux
principes et les plus grandes maximes de la théologie sur cette
importante matière : le juste sauvé par la foi , parce que c'est sur-
tout de la foi que vient notre justification ; vous le verrez dans la
première partie : le pécheur condamné par la foi , parce que la foi,
sans les œuvres , devient contre lui un titre de réprobation ; je vous
le ferai voir dans la seconde partie : commençons. (Botjrdaloue ,
Su r la Fol.)
DES PREDICATEURS.
Rien de plus utile que la foi.
233
Quelque éclairé que soit l'homme, il peut douter; quelque juste
qu'il soit, il peut tomber; quelque constant qu'il soit, il peut
être affligé. Son esprit dans ses doutes a donc besoin de lumière ;
son cœur dans ses désordres a donc besoin de règle ; son ame dans
ses peines a donc besoin de consolation. Or, qui peut l'assurer de
tous ces avantuges, si ce n'est pas la foi ? C'est la lumière, dit saint
Jean, qui éclaire les hommes: Crédite in luceni utfdii lacis sitis *-.
C'est la règle, dit saint Paul , qui dirige les hommes ï Fuie purifieans
corda eorum*. C est le motif, dit saint Jacques, qui console les
hommes: Prohatiojidei vestrœ patientiam operatur^. Sans elle, en
matière de créance, l'esprit n'est que ténèbres ; en matière de con-
duite, le cœur est sujet à la corruption, et, dans la nécessité de
souffrir, la vie est un martyre sans soulagement et sans mérite. La
foi oppose ses dogmes à nos doutes, ses règles à nos désordres,
ses promesses à nos peines. En un mot, elle fixe l'esprit par son
autorité : Crédite in incein ut fdii lucis sitis. Elle règle le cœur par
sa pureté : Fide purijîcans corda eorum. Elle console l'aine par sa
solidité : Probatlo fi.dei vestrœ patientiam operatur. Est-il rien de
plus utile ? est-il rien de plus grand ?
Dieu aime tous les hommes, dit l'Apôtre, et veut le salut de tous
les hommes. Il faut donc qu'il donne à tous les hommes un moyen
de le connaître, un moyen de l'écouter, un moyen de lui obéir, un
moyen qui soit commun à tous, qui soit utile à tous, qui soit pro-
portionné à tous;un moyen qui convienne au pauvre comme au riche,
au faible comme au puissant, aux esprits grossiers comme aux génies
sublimes; un moyen qui puisse nous instruire, qui puisse nous sou-
mettre, qui puisse nous fixer; un moyen qui nous serve et d'appui
et de guide dans des temps de nuages, de troubles et de séduc-
tion. Or , quel sera , mes frères, cet appui , ce guide, ce moyen ?
Sera-ce la conscience? Mais la conscience ne se tait-elle pas , ne
se corrompt-elle pas , ne s'a\eugie-t elle pas? N'a-t-elie pas ses
doutes , ses embarras, ses erreurs? Sera-ce la raison ? Mais la rai-
son peut-elle sonder , discuter, pénétrer dans les desseins de Dieu?
Tout homme pense-t-il , juge-t-il, déeide-t-il de même? Sera-ce la
science?Mais toutes les sciences n'ont-elles pas des difficultés, des
bornes, des incertitudes? Elles ne se développent que parle travail,
1 Joan., xif, 36 — s Ad., xv, 9, — s Jacob., ï, 3.
2^4 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
elles ne se perfectionnent que par degrés, elles ne s'acquièrent que
par parties; elles exigent du talent, du secours , de l'application.
Et qui en est capable ? Il est peu de savans , et ces savans ne sont
jamais d'accord. Sera-ce la multitude? Mais cette multitude n'est-
elle pas le centre de la confusion? Que de préjugés, que d'igno-
rance, que de contradictions ! Ici on parle d'une façon, là on parle
d'une autre. Chaque pays a ses usages, chaque ville a ses oracles,
chaque peuple a ses idées, chaque famille a ses intérêts. Tous
pensenten hommes, tous s'exprimenten hommes, tous disputent
en hommes; et quel est l'homme qui ne puisse pas me tromper ou
se tromper lui-même? Quel est l'homme qui ait droit sur mes
pensées, sur mes sentimens ? Quel est l'homme qui puisse m'assu-
jétir à ses caprices et à ses imaginations? Il faut donc une autorité
supérieure pour me fixer. Et quelle est-elle cette autorité ? C'est
l'autorité de la foi; autorité incontestable, puisqu'elle vient
de Dieu, puisqu'elle me porte à Dieu, puisqu'elle me soumet à
Dieu ; autorité universelle, puisqu'elle s'étend sur tous les es-
prits, sur tous les âges , sur tous les états, sur les grands aussi
bien que sur les petits: autorité sensible, puisqu'elle est ma-
nifestée par l'accomplissement des prophéties, par la réalité des
miracles, par les sueurs des Apôtres, par le sang des martyrs. Au-
torité favorable, dit saint Augustin, puisqu'elle dissipe toutes nos
craintes, toutes nos répugnances , toutes nos inquiétudes, et
qu'elle n'éclaire pas moins les intelligences les plus faibles que
les plus élevées : lntellectus vlam aperitfides. Autorité souveraine,
dit saint Ambroise, puisqu'elle nous découvre les mystères les
plus obscurs, les secrets les plus cachés, et qu'elle nous fournit les
connaissances les plus impénétrables à la raison humaine: Quod
mens humana ratione investi gare non potest, fidei plenitudo com-
plectitur. Autorité invariable, puisque la malice des hommes, les
pièges de l'erreur , les artifices du monde , les portes mêmes
de l'Enfer ne peuvent l'altérer ; et que Dieu est toujours avec
ceux qui enseignent et avec ceux qui croient : Portœ Inferi non
prœvalebunt. Autorité infaillible, puisqu'elle est fondée sur la vé-
rité de Dieu , sur la parole de Dieu , sur l'Eglise de Dieu. Eglise
toujours inspirée , toujours conduite, toujours animée par son es-
prit; Eglise toujours inaccessible au mensonge, au prestige, à l'il-
lusion; Eglise clans laquelle il est toujours présent, présent dans sa
doctrine, présent sur ses autels, présent dans ses sacremens, présent
jusqu'à la fin des siècles : Usque ad cojisummationem sœculi. . . .
Mais quoi! dit l'incrédule; quoi! pouvez-vous donc croire ce
DES PRÉDICATEURS. ^55
que vous ne voyez pas, ce que vous n'entendez pas, ce que vous
ne comprenez pas? Quelle honte, quelle faiblesse, quelle puérilité!
Et moi je dis : quelle sagesse! Non , je ne comprends pas ce pré-
cepte, cet article, ce mystère; et, c'est parce que je ne le com-
prends pas, dit Tertullien , que j'en suis assuré : Ideo certum est
quia inipossibile. Je ne comprends pas cette décision, cette censure,
cette condamnation; et, c'est parce que je ne le comprends pas,
répond le docteur de la grâce , que je trouve du mérite à la croire":
Quid est fuies, nisi credere quod non vides? Je ne comprends pas
l'unité de nature, la trinité des personnes, la liberté et l'immuta-
bilité, la présence réelle d'un même corps dans tous les temples
et dans toutes les hosties; et, c'est parce que je ne les comprends
pas, dit saint Paul, que cela est divin : F ides est argumentum non
apparentium *. Je ne comprends pas ce qui est contenu dans 1 fi-
oriture1, dans les conciles, dans la tradition ; et, c'est parce que je
ne le comprends pas que je dois m'y soumettre : Non sumus suj fidéli-
tés cogitare aliquid ex nobis quasi ex nobis -. Je ne comprends
pas ce que Dieu a révélé sur la giace, sur la Providence, sur la
prédestination ; mais, quoique je ne comprenne pas ce que disent
les savans sur l'étendue de la terre, sur le mouvement de la mer,
sur les périodes des astres , je les en crois sur leur science, sur leur
témoignage , sur leur réputation. Je crois des hommes, et pourquoi
donc ne croirai-je pas Dieu? Si testimonium hominum accipimus ,
majus est tcstimoniiun Dei 3.
Ne me dites donc point que la foi est obscure : cette obscurité
même est le sceau de la Divinité. Cette foi est obscure, il est vrai ;
mais , tout obscure qu'elle est, elle a soumis les rois, elle a captivé
le grands, elle a convaincu les idolâtres. Cette foi est obscure;
mais , tout obscure qu'elle est , elle a changé l'Orient, elle a con-
verti l'Occident, elle a renouvelé la face de la terre. Cette foi est
obscure; mais, tout obscure qu'elle est, elle est appuyée sur les
promesses de Jésus-Christ , sur les merveilles de Jésus-Christ, sur
l'Evangile de Jésus-Christ. Cette foi est obscure; mais, tout obs-
cure qu'elle est, elle s'est établie malgré la fureur des tyrans, mal-
gré la cruauté des bourreaux, malgré les persécutions du monde.
Cette foi est obscure ; mais , tout obscure qu'elle est , elle me fait
voir dans toutes les nations une même loi, une même profession ,
une même religion. Cette foi est obscure ; mais, tout obscure qu'elle
est, elle m'affermit plus que tout ce que je vois, que tout ce que
*Hcbr., ii, 1. — 2 II Cor., m, 5. — s I Joan.,v; 9.
2)6 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
je sais, que tout ce que j'entends : quand même un Ange me par-
lerait contre elle, je ne le croirais pas. Cette foi est obscure; mais,
tout obscure qu'elle est, si je ne la suis pas , je me trouble, je m'é-
gare, je me perds, je ne vois qu'un vertige, qu'idoles, que fantô-
mes. Oui, mes frères, cherchez, disputez, examinez tout ce qu'il
vous plaira; sans la foi, vous marcherez sans guide, sans assurance,
sans tranquillité; sans la foi, vous ne croirez rien, vous ne verrez
rien, vous n'approfondirez rien ; sans la foi, vous serez toujours flot-
tans, toujours aveugles, toujours irrésolus. C'est la lumière qui éclaire
vos esprits, c'est la règle qui dirige le cœur : elle fixe l'un par son au-
torité , elle règle l'autre par sa pureté : Fide purificans corda eorum.
Et comment règle-t-elle le coeur ? Elle le règle par ses maximes,
par ses avis, par ses conseils, par ses reproches, par ses inspira-
tions. Elle le règle, parce qu'elle modère ses penchans, parce
qu'elle réprime ses vices, parce qu'elle réforme ses désirs, parce
qu'elle ennoblit tous ses sentimens; elle dérègle, parce qu'elle le
soutient dans ses combats , parce qu'elle l'arrache à ses habitudes,
parce qu'elle le délivre de ses dangers, parce qu'elle le fortifie contre
les occasions. Elle le règle, parce qu'elle lui découvre la faiblesse
de la nature, le charme de la tentation, le besoin de la grâce, le
pouvoir de la liberté. Elle le règle , parce que c'est la jaciric du
bien , la source du mérite, la semence du bon grain , le fondement
du salut, l'arbre seul qui produit le fruit de vie : Justus meus ex
fide vivit. Qui est-ce qui m'apprend ce que je dois à Dieu, ce que
je dois aux hommes, ce que je me dois à moi-même? c'est la foi.
Qui est-ce qui m'apprend ce que je dois à l'Eglise , ce que je dois
aux pasteurs , ce que je dois à ma famille? c'est la foi. Qui est-ce
qui m'apprend ce que je dois à la piété, ce que je dois à la modes-
tie, ce que je dois à l'édification ? c'est la foi : Justus meus ex fide
vivit. Qui est-ce qui m'apprend à être doux à l'égard de mes do-
mestiques, vigilant à l'égard de mes enians, libéral à l'égard des
pauvres, compatissant à l'égard des malheureux, humble dans
la «randeur, sobre dans mes repas, chaste dans mes discours, la-
borieux dans ma condition ? c'est la foi : Justus meus ex fide vivit.
Qui est-ce qui m'apprend à veiller sur mes sens , à borner mes plai-
sirs, à crucifier ma chair? Qui est-ce qui m'apprend à jeûner, à prier,
à me mortifier? Qui est-ce qui m'apprend à calmer la colère, à évi-
ter l'injustice, à mépriser les honneurs? Qui est-ce qui m'apprend
à déplorer mes fautes, à pleurer mes iniquités, à reelifier mes in-
clinations? c'est la foi. Justus meus ex fide vivit. Qui est-ce qui
m'apprend à adorer mon Dieu comme mon principe, à le servir
DES PRÉDICATEURS. 207
comme mon maître, à l'aimer comme mon père, à le réclamer
comme mon appui, à le glorifier comme mon Sauveur? c'est la
foi. La foi seule me le fait adorer, parce quelle me découvre sa
grandeur; elle me le fait redouter, parce qu'elle m'annonce sa jus-
tice; elle me le fait honorer, parce qu'elle me révèle sa puissance;
elle me le fait aimer, parce qu'elle me révèle sa miséricorde; elle
me le fait glorifier, parce qu'elle me représente sa sainteté : Justiis
meus ex fide vivit.
C'est cette foi qui a fait voir au monde ce que le monde n'avait
point encore vu, une abstinence qui réduit l'homme à vivre d'un peu
de pain et d'eau , une charité qui lui fait embrasser jusqu'à son en-
nemi, une patience qui va jusqu'à chérir les affronts, les injures, les
tourmens et les croix. C'est cette foi qui inspire aux Chrétiens un
détachement qui lui fait sacrifier parens, amis, fortune, dignités;
une chasteté qui s'interdit tout commerce avec les sens, tout rap-
port avec les hommes, la liberté même du regard et delà pensée;
une abnégation qui va même jusqu'à se cacher, jusqu'à s'oublier,
jusqu'à se haïr, jusqu'à donner son sang plutôt que de commettre la
plus légère faute. C'est cette foi qui lui fait préférer la pauvreté aux
richesses, l'abaissement à l'élévation , la solitude à l'éclat, la mort
même à la vie , et quelquefois les souffrances les plus longues à la
mort la plus douce. C'est cette foi qui est le germe, la sève, l'ali-
ment de toutes les perfections. Est-elîe faible, la ferveur s'affaiblit;
est-elle timide, le zèle se relâche ; est-elle languissante, la piété
exnire : Defecit sanctus^ quoniam clunùiutœ surit veritates a fil lis
hominum *.
Otez, ôtez la foi de l'univers, qu'elle ne domine plus sur l'es-
prit, qu'elle n'agisse plus sur le cœur, qu'elle ne conduise plus
l'homme, que serait-il, et que deviendrait-il ? Quel chaos de chi-
mères et de fables! Quelle confusion de systèmes et de sectes!
Quel assemblage de vices et de superstitions! Vous verrez l'adul-
tère permis, le vol autorisé, la violence soufferte; vous verrez
l'intempérance consacrée, l'homicide dissimulé, le crime même
divinisé; vous verrez tous les peuples vivre sans frein, sans règle,
sans guide, adorer à l'envi l'ouvrage de leurs mains , et immoler
ce qu'ils ont de plus cher. En dis-je trop, mes frères? et que dis-je
qu'on ne voie pas encore chez ces nations barbares, qui ne font
peut-être de plus honteuses choses que nous, que parce qu'elles
sont moins éclairées que nous? Qui peut empêcher le vindicatif
1 Ps., xi, 2.
t. in, 17
Kg NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
de désirer la perte de son ennemi , si la foi ne calme pas sa fureur?
Oui peut empêcher l'avare d'usurper le bien de son prochain , si
la foi ne modère pas sa cupidité? qui peut empêcher l'impudique
de se livrer à sa brutalité, si sa foi n'amortit pas ses feux? C'est
à elle de combattre ces monstres , et ce n'est qu'elle qui peut en
triompher : Sine fuie impossibile est placere Deo. C'est par les œu-
vres il est vrai, c'est par la vertu , c'est par la grâce que nous
conservons la justification que nous avons reçue. Mais quelle grâce,
quelle vertu , quelles œuvres peuvent produire en nous un solide
mérite si la foi n'en est pas la base et le soutien ? Sine fide impos-
sibile est placere Deo. Que l'hérésie nous vante ses patrons, qu'elle
inspire ses prophètes, qu'elle produise ses saints, qu'elle les donne
en snectacle, qu'elle canonise leurs actions; qu'elle relève leurs
aumônes, leurs prières, leurs austérités; qu'elle leur attribue des
o-uérisons, des prodiges, des extases (car il suffit souvent d'être
rebelle à l'Eglise , pour être canonisé par l'erreur) : tout cela ne
les sauvera point, parce qu'on ne peut jamais se sauver sans la
foi : Sine fide impossibile est placere Deo. Je veux que leur sain-
teté ne soit point une hypocrisie, leurs aumônes des singularités,
leurs austérités des grimaces ; je veux même que leurs guérisons ne
soientpointdes artifices, des prestiges, des fantômes, leurs extases
des illusions; je veux qu'ils soient plus sûrs, qu'on ne le croit peut-
être de l'avenir funeste qu'ils annoncent, n'importe, n'importe; fus-
sent-ils encore oîus charitables, plus mortifiés , plus austères qu'on
ne le suppose; fussent-ils toujours dans la contemplation, fissent-
ils des miracles, eussent-ils des révélations; je le dis , et il est vrai,
sans la foi toute leur charité, toutes leurs aumônes, toutes leurs
mortifications, leurs prières, leurs extases, leurs miracles mêmes
(s'il était possible d'en faire contre Dieu et contre son Eglise),
leurs miracles, quelque grands qu'on les dise, ne les empêcheront
pas d'être réprouvés. Une erreur, une seule erreur suffit pour les
damner et elle suffit pour damner tous ceux qui les écoutent, tous
ceux qui les protègent, tous ceux qui les imitent : Sine fide impos-
sibile est placere Deo *. Eh quoi ! dit Tertullien, est-ce par les yeux
qu'on doit juger de l'homme? Est-ce par la montre qu'on juge de
la piété ? Est-ce par les personnes qu'on juge de la foi ? An ex per-
sonis probamus fidem? an exfdepersonasPNon, non, c'est par la
foi qu'on juge des personnes; c'est par la foi qu'on juge de la piété,
c'est par la foi qu'on juge du chrétien. Pourquoi? parce qu'il n'y
» Hebr., XI, 6.
DBS PREDICATEURS. 25û
a que la foi qui produise des justes, parce qu'il n'y a que la foi oui
forme les parfaits , parce qu'il n'y a que la foi qui forme les élus.
C'est la lumière qui éclaire les hommes, c'est la rè<de qui dirige
les hommes, c'est le motif qui console les hommes. Elle fixe l'es-
prit par son autorité, elle règle le cœur par sa pureté, elle console
î'ame par sa solidité : Probatio fidei vestrœ patient iam operatur '.
L'homme est né pour être heureux, et la nature môme le rend
ennemi de la douleur; mais, quelque effort qu'il fasse pour bannir
l'affliction , il rencontre toujours des objets qui l'affligent. Il en
trouve dans sa famille, il en trouve dans sa maison, il en trouve
au milieu de ses amis , il en trouve parmi ses plaisirs mêmes. Qui
le consolera, si la foi ne le console pas? Sera-ce le monde? le
monde rit de ses pleurs. Seront-ce ses parens? ses parens évitent
sa présence. Sera-ce le temps? le temps ne sert qu'à prolonger ses
peines. Seront-ce ses patrons? ses patrons n'écoutent plus ses
plaintes. Tout le fuit, tout l'accable, tout le désespère. La foi seule
peut calmer ses alarmes, dissiper le nuage, rappeler la sérénité*
la foi seule peut adoucir son sort, soutenir son courage assurer
sa récompense ; la foi seule peut faire succéder la lumière aux té-
nèbres, la joie à la tristesse, l'espérance à la crainte : Fides est
sperandarum substantiel rerum. Je souffre , dit saint Paul , et qu'est
ce que je souffre qui puisse m'ébranler? Qu'on m'accuse, qu'on
m'exile, qu'on me lapide, que mes frères me trahissent, que les
païens m'outragent, que les tyrans me condamnent, que la mer
que la terre, que l'enfer conjurent contre moi ; non , j'en suis sûr
ni les plaisirs, ni les tourmens, ni le mépris, ni la grandeur ni
les hommes, ni les Anges, ne m'oteront jamais l'amour de Jésus-
Christ : Certus sum. Et qui est-ce qui le rend si sûr de son amour?
C'est, répond saint Jérôme, qu'il est sûr de sa foi : Unde certus
erat, nisi ex fidei jirmitate?
C'est par la foi, ce n'est que par la foi que Dieu dans tous les
temps a consolé, fortifié, sanctifié ses adorateurs. C'est parla foi
qu' Abel unit son sang au sang de ses victimes ; c'est par la foi qu'E-
noch quitta le monde sans éprouver la mort; c'est parla foi que
Noé se fit une Arche, même avant le déluge ; c'est par la foi que
Sara vit sa stérilité cesser dans sa vieillesse; c'est par la foi qu'A-
braham immole Isaac, et attend tout d'Isaac; c'est par la foi que
Moïse brave le Nil, et méprise la cour; c'est par la foi qu'Israël
voit reculer les eaux pour lui faire un passage; c'est par la foi que
1 Jacob., i, 3.
26\> nocvelle bibliothèque
Judith trioraplie d Holopherne, Barac de Sisara, David de Goliath,
Samson des Philistins 5 c'est par la foi que les malades sont guéris,
les aveugles éclairés, les possédés délivrés, les morts mêmes res-
suscites. Le temps me manquerait, dit l'Apôtre , si je voulais vous
rappeler toutes les conquêtes de la foi : Deficiet me tempus. Vous
représenterai-je ces chaînes, ces cachots, ces scies, ces glaives,
ces gibets, ces feux qui ont éprouvé et couronné la patience des
saints? Vous dirai-je tout ce qu'ils ont souffert dans les déserts,
dans les forets, dans les mines, dans les cavernes? Ajouterai-je
les mépris, les injures, les ignominies qui les ont assaillis ? Il n'en
est pas un seul qui n'ait eu à combattre, et qui n'ait combattu avec
le bouclier de la foi : Omîtes testimonlo fidei probati sunt. Cette foi
leur apprenait que la voie des épines est la voie de l'éternité; que
les souffrances du juste produisent ses mérites; que la haine du
monde est un gage de l'amour du Sauveur : Test imonio fidei pro-
bati sunt. Cette foi leur apprenait que le crime ne s'efface que par
des larmes, que la joie ne s'expie que par la douleur, que la passion
ne se dompte que par les afflictions : Testimonio fidei probati sunt.
Cette foi leur apprenait que l'humiliation est le partage des élus,
que le plaisir est l'héritage des enfans du siècle, que personne ne
se sauve que par la croix : Testimonio fidei probati sunt. Cette foi
leur apprenait que Jésus-Christ souffrait dans eux, qu'il avait souf-
fert pour eux, et que ce n'était qu'en souffrant qu'ils pouvaient
l'aimer, qu'ils pouvaient lui ressembler, qu'ils pouvaient le pos-
séder : Testimonio fidei probati sunt. Guidés par cette foi, ils le
suivaient, ils l'adoraient, ils le considéraient sur l'autel du Cal-
vaire, ils se rappelaient ses opprobres, ses tourmens, ses soupirs;
ils regardaient ces mains percées, ces lèvres mourantes, ce côté
ouvert. Voilà, se disaient-ils, voilà le Chef, et voilà le modèle qui
nous est proposé. Que souffrons-nous , que pouvons-nous souffrir
qui égale ses peines ? Ah ! si Dieu même n'épargne pas son Fils
doit-il donc épargner ses disciples? doit-il épargner ses créatures?
doit-il épargner de vils esclaves qui vivent dans le crime ? Aspi*
cientes in auctorem fidei et consommatorem Jesum.
C'est ainsi, mes frères, c'est ainsi que la foi anime le fidèle : il
ne demande point de grâce pendant la vie , afin de trouver grâce
à la mort; plus il souffre sur la terre, plus il s'élève au ciel;
moins il trouve de consolation parmi les hommes, plus il en trou-
ve aux pieds de Jésus-Christ. C'est un Dieu , s'écrie t-il avec saint
Augustin, c'est un Dieu qui me frappe, mais ce Dieu est un Père :
Pater est. C'est un roi qui se venge; mais ce roi est un Père:
DES PRÉDICA.TEURS. 26 1
Pater est. C'est un Juge qui nie punit ; mais ce Juge est un Père:
Pater est. C'est un maître qui me corrige; mais ce maître est mon
guide, mon appui , ma défense et mon père : Pater est. Qu'il
m'éprouve, qu'il m'afflige, qu'il me désole, qu'il me poursuive
autant qu'il lui plaira , j'obéis , je me tais. Son cœur m'assure
contre ses coups , sa rigueur même me prouve sa tendresse : Sœ-
viat quantum imlt^pater est. Heureuses larmes ! heureuses croix !
heureuses tribulations qui m'approchez de ma chère patrie ! que
vous m'êtes précieuses et que vous m'êtes chères ! Capio dissolvi
et esse cum Christo ? Tels sont, chrétiens, tels sont nos avantages.
( Le P. Segaud , Sur la Foi. )
Notre justification tient de la foi.
C'est la foi qui nous sauve : Cette vérité nous est trop expressé-
ment marquée dans l'Ecriture pour en pouvoir douter ; mais le
point est de savoir comment et en quel sens il est vrai que la foi
nous sauve. Sur quoi je dis que la foi nous sauve en deux manières,
et comme perfection de nos bonnes œuvres, et comme principe de
nos bonnes œuvres. Comme perfection de nos bonnes œuvres ,
parce que c'est surtout de la foi que vient aux bonnes œuvres que
nous pratiquons, leur efficace et leur prix : comme principe de
nos bonnes œuvres, parce que c'est de la foi que nous vient à
nous-mêmes cette sainte ardeur qui nous porte à les pratiquer.
La suite vous fera mieux eatendre ces deux pensées '; appliquez-
vous à l'une et à l'autre.
De quelque sorte que les théologiens expliquent le mystère de
la justification des hommes , il est toujours vrai, comme l'Ecriture
nous l'enseigne, que c'est de la foi que nos actions tirent leur prix
et leur efficace devant Dieu; et par conséquent, que la foi est
comme la perfection de nos vertus et de toutes nos bonnes œu-
vres. Je ne puis être sauvé, ni prétendre aux récompenses de Dieu,
que par le mérite des bonnes œuvres : vérité constante; mais je
dois aussi reconnaître que mes bonnes œuvres ne peuvent avoir
de mérite devant Dieu que par la foi ; c'est la foi qui leur doit
imprimer ce sceau de la vie éternelle que saint Paul appelle excel-
lemment : Signaculum justitiœ fidei 1.*Et de même, dit saint
Chrysostôme, qu'une pièce de monnaie qui n'aurait pas la marque
du prince, quelque précieuse qu'elle fût d'ailleurs, ne serait censée
1 Rom. 4.
2Ô2 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Je nulle valeur et de nul usage clans le commerce; ainsi , quoi que
je fasse d'honnête, de louable, et même de grand et d'héroïque ,
si je ne le fais dans l'esprit de la foi, et si tout cela ne porte le
caractère delà foi, je ne m'en dois rien promettre pour le salut.
Voilà, Chrétiens, ce qui de tout temps a passé pour incontesta-
ble dans notre religion, et ce que nous devons établir pour règle
de toute notre conduite; voilà ce que l'Apôtre prêchait aux Juifs
avec tant de zèle; voilà ce que saint Augustin prouvait aux Pela-
giens avec tant de force et tant de solidité; voilà ce que les Pères
de l'Eglise remontraient sans cesse aux hérétiques de leur siècle ;
et voilà ce que les prédicateurs de l'Evangile doivent encore au-
jourd'hui, et plus que jamais, faire comprendre à leurs auditeurs,
que, sans la foi , je dis sans une foi pure , sincère, humble, obéis-
sante, tout ce que nous faisons nous est inutile par rapport à
l'éternité bien heureuse.
Prenez garde, Chrétiens, et suivez-moi. Les Juifs se confiaient
dans les œuvres de la loi de Moïse , c'est-à-dire, dans les sacrifices
qui leur étaient ordonnés ; et pourvu qu'ils l'observassent fidèle-
ment et inviolablement, cette loi, ils s'assuraient que toutes les
promesses faites à Abraham devaient s'accomplir dans eux. Vous
vous trompez, mes frères, leur disait saint Paul ; ce n'est point
la pratique de votre foi qui vous sauvera , c'est la foi de Jésus-
Christ* Vous avez ; beau immoler des victimes, vous avez beau
vous purifier, vous avez beau faire profession d'un culte exact et
religieux; si toutes ces observances et toutes ces cérémonies ne
sont sanctifiées par la foi , vous ne faites rien. C'est par la foi que
vous avez été justifiés , et c'est la loi qui doit vous donner accès
auprès de Dieu : Justificati ex ficle * : ainsi leur parlait cet hom-
me apostolique. Les Pélagiens faisaient fond sur leurs bonnes
œuvres naturelles , et se persuadaient que Dieu y avait égard dans
la distribution de ses grâces, et que la raison pourquoi il appelait
les uns et n'appelait pas les autres , pourquoi il choisissait les uns
préférablement aux autres , était que les uns se disposaient avec
plus de soin que les autres, par les bonnes œuvres de la nature,
à recevoir cette grâce de vocation et de choix ; et il faut avouer,
avec saint Prosper , que cette erreur avait quelque chose de spé-
cieux; mais c'était une erreur, et saint Augustin fut suscité de
Dieu pour la combattre et la détruire. Non , mes frères , repre-
nait ce docteur incomparable, il n'en va pas de la sorte; ces
Boni., 5.
DES PREDICATEURS.
263
bonnes œuvres naturelles, sur quoi vous vous appuyez , n'ont au-
cun effet pour le salut; ce n'est point là ce qui engage Dieu à nous
accorder sa grâce, et jamais il ne nous en tiendra compte dans
l'éternité : c'est à la foi qu'il a attaché tout le mérite de notre vie ,
et sans la foi rien ne nous peut conduire à lui. Enfin, les héréti-
ques presque de tous les siècles ont tiré avantage de leurs bonnes
œuvres, et, par une aveugle présomption, se sont flattés de vivre
dans leur secte plus saintement que les Catholiques, d'être plus
réformés qu'eux, plus austères qu'eux, plus adonnés aux exercices
de la charité et de la pénitence qu'eux , et , à n'en juger que par
l'extérieur, peut-être ont-ils eu quelquefois sujet de le prétendre.
Mais, parce que leur fui n'était pas saine, les Pères leur répon-
daient toujours que c'était en vain qu'ils se glorifiaient ; que tou-
tes ces œuvres de piété, quoique éclatantes, n'étaient que des
œuvres mortes, leurs vertus que des fantômes ; et que, de fécon-
des qu'elles eussent été avec la foi , elles devenaient , sans la foi ,
des arbres stériles; qu'il n'y avait que le champ de l'Eglise où l'on
put espérer de cueillir de bons fruits; que quiconque semait ailleurs
que dans ce champ perdait et dissipait (car je neine sers ici que de
leurs expressions ) ; que c'était dans cette Église universelle , et
par conséquent dépositaire unique de la vraie foi , que Dieu ,
selon le témoignage de David , voulait être loué : Apud te laus
mea in ecclesia magna * ; que, hors delà, il n'y avait ni louanges ,
ni prières qu'il écoutât; et que, quand un homme dont la foi se
trouvait corrompue osait paraître devant les autels pour s'acquit-
ter d'un devoir de religion , c'était à lui particulièrement qu'il
adressait ces terribles paroles : Quare tu enarras justitias meas
et assumis testamentum meuniper os tiium 2 ? Pourquoi t'ingères- tu
à sanctifier mon nom, et pourquoi, n'ayant pas la foi de mes servi-
teurs , entreprends-tu de me rendre des services que je ne puis
agréer ? que les bonnes œuvres, séparées de la foi, bien loin d'être
aux sectateurs de 1 hérésie un fonds de mérite, seraient plutôt un
sujet de confusion, puisque Dieu, non seulement ne leur saurait
nui gré d'avoir fait le bien qu'ils faisaient en ne croyant pas ce
qu'ils devaient croire ; mais qu'il les jugerait même avec plus de
rigueur, pour n'avoir pas cru ce qu'ils devaient croire en faisant le
bien qu'ils faisaient: Ac perhoc solo Dci meoque judicio3(ces paroles
sont remarquables), non solum minus laudandi sunt, quia se con-
tinent quum non credant, seâ etiam multo magis vituperandi, quia
1 Ts, 2i. — Mbid., 49.-3 Aug.
264 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
non credunt quum se contineant ; en un mot, que, dans le Chris-
tianisme , ce n'était point absolument parla substance des œuvres,
mais par )a qualité de la foi , que Dieu faisait le discernement des
justes : Deus quippe noster et sapiens judex ,justos ab injustis, non
operum, sed ipsius fulel lege discernit ; tout cela est de saint Au-
gustin. D'où il conclut qu'un Chrétien, qui , dans sa condition,
pratiquerait tout ce qu'il y a de plus saiut etde plus parfait, mais
qui n'aurait pas l'intégrité de la foi , avec toute sa perfection et sa
prétendue sainteté , serait éternellement l'objet de la réprobation
divine : Per quam discretionem fit ut homo injuriarwn patientissi-
mus, eleemosynarum largissimus^ si non rectam fidern in Deum
habet cum suis istis laudabilibus moribus, ex hac vita dcunnandus
abscedat.
Tel était, mes chers auditeurs , le langage de ces grands hommes
que Dieu nous a donnés pour maîtres; et voilà la source de l'af-
freux désordre où sont tombés tant d'esprits superbeset séduits par
le démon de l'infidélité. Àh ! Chrétiens, qui le pourrait comprendre et
s'en former une juste idée ?Qui pourrait dire combien, par exemple,
l'hérésie seule de Calvin a détruit de mérites , a ruiné de bonnes
œuvres, a corrompu de vertu , a fait périr devant Dieu de fruits
admirables que la grâce devait produire , et que la vraie foi aurait
vivifiés ? Car enfin , reconnaissons-le ici, quand ce ne serait que
pour adorer la profondeur impénétrable des jugemens de Dieu;
avouons-le de Lonne foi , et par le témoignage que nous rendrons
à une vérité qui ne nous intéresse en rien , convainquons-nous
sensiblement et efficacement d'une autre, où il s'agit de tout pour
nous. Dans ces sectes malheureuses que l'hérésie et le schisme
suscitaient, il y a eu du bien au moins apparent. Au milieu de
cette ivraie, l'ennemi même qui l'avait semée, affectail de faire
paraître le bon grain. On y voyait des hommes modestes et chari-
tables, abstinens; mais notre religion nous oblige à croire que,
parce qu'ils ne portaient pas sur le front ce signe du Dieu vivant,
c'est-à-dire, le signe de la foi, quelques merveilles qu'ils fissent,
Dieu leur disait toujours : Je ne vous connais point. Ils priaient,
mais leurs prières étaient réprouvées; ils jeûnaient , mais Dieu mé-
prisait leurs jeûnes: et s'ils eussent pensé à s'en plaindre, et à lui
en demander rais-on ; s'ils lui eussent dit , comme les juifs : Quare
jejunavimus , et non aspexisti; humilicwinius animas nostras, et
nescisti*? Hé! Seigneur, pourquoi avons-nous jeûné sans que
1 Isai., 58.
DES PREDICATEURS.
^65
vous ayez jeté les yeux sur nous; et pourquoi nous sommes-nous
humiliés en votre présence, sans que vous l'ayez su ou que vous
ayez paru le savoir? Dieu, toujours juste et toujours sûr de son
procédé , leur eût fait cette réponse, pleine de raison et d'indi-
gnation tout ensemble : Ecce in die jejunii vestri invenitur volun-
tas vestra l ; c'est que , malgré vos abstinences et vos jeûnes, j'ai
découvert votre orgueil, votre opiniâtreté, votre rébellion : une
volonté et une disposition de cœur tout opposée à cette obéissance
de l'esprit qu'exigeait la foi de mon Eglise : Ecce in die jejunii
vestri invenitur voluntas vestra. Réponse qui les aurait confondus.
Et en effet, quand, au moment de la mort où ils devaient être
jugés de Dieu, ils venaient lui produire leurs bonnes œuvres, mais
leurs bonnes œuvres faites dans l'hérésie , Dieu, tout porté qu'il
est à récompenser, se voyait comme forcé de les rejeter, et de
leur prononcer, par la bouche d'un autre prophète, ce triste et
redoutable arrêt: Seminastis multum^et intulistis pariun: Il est vrai,
vous avez beaucoup semé, mais le comble de votre misère est
que vous n'avez rien à recueillir : Respexistis ad amplius , et ecce
faetum est minus: Vous avez cru gagner plus que vos frères qui
suivaient avec simplicité la route commune delà foi ; mais en
poursuivant un gain chimérique, vous avez perdu le gain réel et
solide que vous pouviez faire : Intulistis in domum, et exsufflavi
illud: Vous avez fait un amas et un trésor, mais c'était un amas
de poussière que le vent a emporté et dissipé. Et pourquoi tout
cela, ajoute le Seigneur : Quam ob causant, dicit Dominus exerci-
tuumP Ecoutez-en, Chrétiens, la raison : Quia domus mea déserta
est, et vos jestinastis unusquisque indomum suam: C'est que vous
avez abandonné ma maison qui est l'Eglise, et que vous vous
êtes retirés chacun dans vos maisons particulières ; c'est que vous
vous êtes fait des Eglises à votre mode, que vous vous êtes laissés
aller à des nouveautés, que vous avez écouté des maîtres et des
docteurs que je n'autorisais pas, et que, par une infidélité bizarre
et capricieuse, vous avez préféré leurs sentimens et leur conduite
à la règle universelle que j'avais établie : voilà, disait Dieu, par
son Prophète, voilà le ver qui a gâté toutes vos œuvres.
Or, chrétiens, ce que Dieu disait alors , nous pouvons bien en-
core le dire, et nous l'appliquer à nous-mêmes. Car, quoiqu'il n'y
ait point d'hérétiques déclarés parmi les Catholiques mêmes, ou
plutôt parmi ceux qui en portent le nom , vous savez combien il
4 Isai., 58.
%66 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
y en a dont la foi nous doit être au moins très suspecte , parce que
ce n'est pas une foi pure et entière. Ils n'ont pas, ce semble, quitté
l'Eglise; niais on peut être extérieurement dans l'Eglise, et n'a-
voir pas la foi de l'Eglise. On peut être dans la communion du
corps de l'Eglise, et n'être pas dans la communion de son esprit.
Ce sont des gens qui vivent bien ; vous le dites, et la charité
m'engagea le croire, malgré bien des exemples qui pourraient
me rendre cette bonne vie équivoque et assez douteuse. Mais en-
fin qu'ils soient des anges, si vous le voulez, par leurs mœurs;
qu'ils soient des martyrs : si cependant ils n'ont pas la pureté de la
foi, T humilité de la foi , la sincérité de la foi, la plénitude de la
foi , je vous répondrai, avec saint Paul , que dans leur vie préten-
due angélique il leur est impossible de plaire à Dieu: Sine fuie
impossibile est placere Deo l ; et j'ajouterai, avec saint Cyprien ,
que ce n'est point leur sang que Dieu demande , mais leur foi :
Non quœrit in vobis sanguinem^ sedjidem. ( Bourdaloue.)
Rien de plus exposé que la foi.
Qui est-ce qui perd la foi? et comment la perd-on? Les uns la
perdent par la présomption, les autres parle libertinage, plusieurs
par la séduction. Voulez-vous donc conserver la foi? dit l'Ecritu-
re; défiez-vous de vos lumières : F ides veslra non sit in sapientia
humana \ Défiez vous de vos passions : Vœ dissolutis corde qui non
credunt 3. Défiez-vous du monde : Spiritum verilatis mundus non
potest accipereA. JNos lumières sont faibles, nos passions sont
violentes, le monde est contagieux. Que d'obstacles au salut, que
de risques pour le Christianisme, que de dangers pour la foi! La
faiblesse de nos lumières attaque son autorité, la violence de nos
passions combat sa pureté, la contagion du monde détruit dans
nous sa solidité. Que ne devons-nous donc pas craindre, et pour
nous, et pour elle?
L'esprit humain est tout ensemble un prodige de faiblesse et de
témérité. Rien de plus borné dans ses connaissances , rien de plus
étendu dans ses recherches : incapable de comprendre ce qu'il voit,
ce qu'il touche; réduit à ne pouvoir se comprendre lui-même, il se
flatte, il s'élève, il vole jusqu'au trône de la Divinité: Dieu n'a rien de
caché qu'il ne veuille dévoiler, rien de mystérieux qu'il ne veuille
sonder, rien d'infini qu'il ne veuille mesurer. Tantôt il règle sapuis-
1 Uebr., 11. — 2 I Cor., n, 0. — 5Eccli., n, 1S. — * Joan., xiv, 17.
DES PRÉDICATEURS. 267
sance, tantôt il restreint sa bonté; il va jusqu'à douter de sa nature et
de son existence. Dieu est-il Dieu? gouverne-t-il les hommes? parle-
t-il par ses ministres? Comment prédestine-t-il? comment réprou-
ve-t-il? Est il sur cet autel? est il dans cette hostie? agit-il par la
grâce? comment agit la grâce ? Sommes-nous libres, ne le sommes-
nous pas? Que d'embarras, que de perplexités! L'un croit un
point, et l'autre le rejette; celui-ci admet un article , celui-là le
condamne; il y en a qui veulent tout voir, tout lire, tout appro-
fondir; il yen a qui sont les juges des Ecritures, des Pères, des
conciles: chacun se fait l'arbitre et l'auteur de sa foi. Dès qu'on se
pique d'esprit, on renonce à la docilité, on examine les mystères,
les sacremens , l'Evangile même; on veut parler de tout , disputer
de tout, décider de tout. D'abord on se ménage, on s'observe, on
croit ne point risquer, mais peu-à-peu le poison gagne , le doute
suit, l'erreur prend racine : on s'enivre de sa science, on s'éva-
nouit dans ses idées, on s'entête dans ses sentimens; il fau-
drait reculer, on le voit, on le sent; mais on rougit de le faire,
on n'ose plus le faire , on croit qu'il est trop tôt ou trop tard
de le faire : on méprise tout, on rejette tout, on résiste à tout
à force de délai, on meurt sans repentir; à force d'examen, on
perd la soumission , et, sans la soumission, il n'y a plus de foi :
DiJexerunt hommes magis tenebras quant lucem.
Avouons-le, mes frères, n'est-ce pas là ce qui arrive tous les
jours? n'est-ce pas là ce qui est arrivé de tous temps à ceux qui
n'ont suivi que leurs propres lumières? Arius était savant, Entichés
était instruit, Nestorius était éclairé, Pelage était pénétrant, Mâ-
nes était subtil, et, malgré cela, que de travers, que de fables, que
d'absurdités ces hommes présomptueux n'ont-ils pas adoptées !
Arius nie la divinité du Verbe , Eutichès confond les deux natu-
res, Nestorius multiplie les personnes, Pelage ne donne rien à la
grâce, Manès donne tout au destin. Tous ont voulu marcher par
des routes nouvelles , sans règle, sans guide, sans discernement;
tous se sont égarés, tous se sont aveuglés ; l'unique fruit de leurs
discussions a été leur incrédulité. Semblables aux Bethsamites, ils
ont regardé l'Arche, et ils ont tous péri, même à la vue de l'Ar-
che : DiJexerunt niagis tenebras quant lucent.
Mais, direz-vous , est-ce un crime de douter? est-ce un crime
d'examiner ? est-ce un crime de s'instruire ? est-ce un crime de dis-
puter? Que de prétextes pour ne pas se soumettre ! Est-ce un crime
de douter? oui, mes frères, c'en est un , si vous doutez de ce qui
a été révélé par Jésus-Christ; c'en est un, si vous doutez de ce qui
%6$ NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
a été enseigné par les Apôtres de Jésus-Christ; c'en est un, si
vous doutez de ce qui a été proposé par l'Eglise de Jésus-Christ.
Est-ce un crime que d'examiner ? oui, c'en est un, si vous examinez
avec prévention , avec malignité ; c'en est un , si vous examinez ce
que vous devez adorer , ce que vous devez respecter, ce que vous
ne pouvez concevoir , et ce que vous ne devez jamais comprendre.
Est-ce un crime de s'instruire? oui, c'en est un, si vous vous in-
struisez sans humilité, sans respect, sans docilité; c'en est un, si, au
lieu de vous faire instruire par l'Eglise, vous voulez instruire l'E-
glise même. Il y a une Eglise enseignante, et ce sont les pasteurs:
Docete omnes gentes. Il y a une Eglise écoutante , et ce sont les fi-
dèles : Qui audierint, vivent. Le corps des pasteurs ne peut se
tromper , quand il enseigne les fidèles; les fidèles ne peuvent
se tromper, quand ils croient ce qu'enseigne le corps des pasteurs.
Mais si ceux qui doivent enseigner se contentent d'écouter , si
ceux qui doivent écouter prétendent enseigner, les uns et les au-
tres se perdent. Est-ce un crime de disputer? oui, c'en est un, si
vous disputez avec passion, avec emportement, avec opiniâtreté ;
c'en est un, si vous disputez contre les règles de la foi, contre les
jugemens de la foi, contre les dépositaires de la foi; c'en est un,
si, en disputant contre l'Eglise, vous vous mettez en danger
de perdre votre foi.
Croyez-vous donc, disait saint Bernard à un religieux apostat,
croyez-vous, quand il s'agit de la foi, que vous puissiez penser,
nier, contester tout ce que vous voulez? Croyez-vous que vous
puissiez errer de secte en secte, d'opinions en opinions, de nou-
veautés en nouveautés? Non, non, la foi condamne ces détours,
ces contestations, ces égaremens; l'unique parti du Chrétien, c'est
de se captiver, d'obéir et de croire : Nontibi licetinfide putare vel
disputareprœ libitu non hac illacque vagari per inania opinionum ,
per dévia errorum. Et quels sont ceux, mes frères, dont Jésus-
Christ a admiré la foi ? Sont-ce les juges , les maîtres , les docteurs
de la loi? Non, c'est un centenier sans doctrine , c'est une chana-
née sans études, c'est une hémorhoïsse sans subtilité, ce sont tous
ceux qui ont conservé la soumission et la simplicité de l'enfance.
Et pourquoi donc, dit Tertullien, pourquoi chercher encore
des guides, des règles, des certitudes? Qu'avons-nous be-
soin de guides, puisque nous avons Jésus-Christ? Qu'avons-nous
besoin de règles , puisque nous avons l'Evangile? Qu'avons-nous
besoin de certitude, puisque nous avons l'Eglise? Nobis curiosi-
tate non opus estpost Christum Jesum , nec inquisitionc post Evan-
DES PREDICATEURS. 269
qeliam. Dans tout le reste formez-vous des principes, inventez
des systèmes, faites des découvertes , jugez, décidez, mesurez tout
au poids de la raison, j'y consens; mais dès que la foi parle, esprit,
jugement, intelligence humaine , tout doit plier, tout doit s'humi-
lier: Cedat curiositas fidei, cedat gloria salutl. Rien de plus op-
posé à son autorité que la faihlesse cle nos lumières; mais rien de
plus contraire à sa pureté que la violence de nos passions. C'est
le second danger que nous avons à craindre.
Danger commun à tous les hommes , présent à tous les hom-
mes, funeste à tous les hommes; danger qui suit de la nature du
corps, de la révolte des sens, de la corruption du cœur; danger
qui naît avec nous , qui croît avec nous , qui ne cesse qu'avec nous.
Tout homme a ses passions , et toujours la passion lutte contre la
foi: l'une et l'autre se choquent, l'une et l'autre s'attaquent, l'une et
l'autre se détruisent. Si la foi triomphe, il faut que la passion expire,
si la passion l'emporte , il faut que la foi cède : la contradiction est
sensihle, elle est continuelle. La foi dit que Dieu est notre fin,
que la vertu est notre asile, et le ciel notre patrie ; la passion dit
que la terre est notre partage, que le plaisir fait notre honneur,
que la fin de l'homme , c'est l'homme même : la foi dit que la vie
n'est qu'un songe, la fortune qu'une ombre, l'honneur qu'une
fumée, que souvent le pécheur meurt dans son péché ; îa passion
dit qu'il faut, pour jouir du temps, profiter de ses biens, vivre dans
la grandeur, qu'il suffit de penser à mourir quand on meurt : la
foi dit que la religion est l'ouvrage de Jésus-Christ, qu'il y a un
Enfer pour punir les coupables, que le corps détruit ne détruit
pas notre ame; la passion dit que lame suit le corps, que l'Enfer
n'alarme que les faibles , que la religion n'est fondée que sur la
politique : Vœ dissolutis corde qui non credunt.
Que la passion se taise , la raison parlera, la vérité se montrera,
l'Evangile se conservera. Que la passion se taise, on ne sera plus
dans l'Eglise opposé à l'Eglise, on n'abusera plus de sa liberté
pour nier la liberté, on ne résistera plus à la grâce, lors même
qu'on dit qu'on y peut résister. Que la passion se taise , on ne mur-
murera plus contre la Providence, on ne contredira point les pré-
ceptes, on ne rejettera point les miracles, et on n'en supposera
point. Que la passion se taise, on évitera les chicanes, les détours, les
altercations , pour prendre le parti le plus sûr, et le seul qui soit sûr.
Que la passion se taise , on ne verra plus tant d'hommes sans let-
tres se piquer de doctrine, tant de laïques oublier leur ignorance,
tant de femmes savantes sans études, tant d'impies incrédules jus-
2rr0 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
qu'à l'athéisme. Que la passion se taise, on préférera l'espérance à
l'incertitude, la charité à la haine, l'obéissance à tous les intérêts
de l'esprit et du cœur : Vœ dissolutis corde qui non credunt.
C'en est fait, disait Dieu, ma voix ne se fait plus entendre, ma
vérité ne peut plus subsister, mon esprit est forcé d'abandonner
les hommes : Non permanebit spirltns meus in homine. Pourquoi?
parce que l'homme a corrompu ses voies , parce que l'homme ne
se conduit qu'en homme, parce que l'homme est l'esclave de la
chair : Quia caroest. Et qui est-ce qui inspire aux grands, aux ri-
ches, aux heureux du siècle, ces doutes, ces railleries, ces mépris
scandaleux des personnes et des choses les plus saintes ? C'est que
leur état est le règne de la passion : Quia caro est. Qui est-ce qui a
produit tant de schismes déclarés ou cachés , tant d'apostasies se-
crètes ou publiques, tant d'hérésies anciennes ou nouvelles ? C'est
qu'on a toujours vu dominer la passion : Quia caro est. Qui est-ce
qui lait qu'on abandonne l'arbre pour s'attacher à des branches
fragiles, déjà mortes et séparées du tronc? C'est orgueil , c'est ja-
lousie, c'est intérêt, c'est antipathie; en un mot, c'est que l'indé-
pendance flatte la passion : Quia caro est. C'est toujours la passion
qui prépare à l'irréligion ; la corruption des mœurs corrompt les
sentimens, et le libertinage du cœur conduit bientôt au libertinage
de l'esprit : Quia caro est. C'est ee libertinage qui a excité tous les
crimes , fomenté loutesles erreurs, multiplié toutes les sectes; c'est
ce libertinage qui a perverti l'Allemagne , soulevé la France, aveu-
glé l'Angleterre; c'est ce libertinage qui a révolté contre l'Eglise
tant de vierges ennuyées de la virginité, tant de solitaires affligés
d'être seuls, tant de prêtres ennemis du travail et de la continence :
Quia caro est. Si l'on croyait, il faudrait craindre; si l'on crai-
gnait, il faudrait se réformer; si l'on se réformait, il faudrait ré-
primer ses passions : voilà ce qui arrête , voilà ce qui révolte.
Nos passions sont nos dieux ; nous aimons mieux expirer avec
elles que de vivre sans elles: J\ on permanebit s piritus meus in ho-
mine quia caro est. Demandez à ce libertin ce qu'il croit ; souf-
frez souffrez , mes frères , que je vous le demande à vous-mêmes :
que merépondrez-vous? que pourrez-vous me répondre? Croyez-
vous donc que Dieu éclaire vos démarches? et, si vous le croyez,
comment osez-vous l'offenser? Croyez- vous qu'il réside dans nos
temples? et si vous le croyez, comment pouvez-vous l'insulter?
Croyez-vous qu'il vous donne son corps? et, si vous le croyez ,
comment osez-vous le profaner? Croyez-vous qu'un seul péché
suffit pour vous damner? et, si vous le croyez, comment pouvez-
DES PRÉDICATEURS. 2^1
vous y persévérer? Quand vous croyez que le prince est présent,
vous le respectez ; quand vous croyez qu'il est irrité, vous, le flé-
chissez; quand vous croyez qu'il veut vous soulager, vous le priez;
quand vous croyez qu'il vous a fait du bien, vous l'aimez ; quand
vous croyez qu'il a parlé, vous obéissez : et cependant vous n'o-
béissez pas à Jésus-Christ , vous n'aimez pas Jésus-Christ, vous
ne fléchissez pas Jésus-Christ, vous ne respectez pas Jésus-
Christ : comment donc , comment le croyez-vous? Non, non, vous
nous trompez ; vous vous trompez vous-mêmes. Dès qu'on vit mal,
on croit peu : vous n'avez point la foi, ou c'est une foi morte;
et, tandis que la passion vous tyrannisera, la foi ne vivra point
en vous : Fides sine operibus mortua est. Craignez tout de la fai-
blesse de vos lumières, craignez tout de la violence de vos pas-
sions; enfin , craignez tout de la contagion du monde : c'est de
tous les dangers peut-être le plus grand.
Le monde est le séducteur de tous ses habitans : parens, amis ,
patrons, tout y est dangereux; on n'y voit que des crimes, on n'y
trouve que des pièges. Et comment croyez-vous , disait le Fils de
Dieu, que le grain de la foi puisse germer dans celte terre in-
grate? Putas invenict jidem in terra? Allez, jetez les yeux sur
les villes et sur les campagnes : que de trompeurs, que d'hy-
pocrites , que de pharisiens ! le désert même n'est pas inacces-
sible à tous ces faux prophètes : Attendue a falsis prophetis. Il y
en a de furieux qui cachent leur fureur sous la peau d'agneau :
In vestimentis ovium. Il y en a de sensuels, qui s'engraissent en
laissant dépérir le troupeau : Pascentes semetipsos. 11 y en a de
délicats, qui font porter aux autres des fardeaux qu'ils n'osent
pas toucher : Digito nolunt tangere. Il y en a qui condamnent
tout ce qu'ils ignorent, et qui veulent ignorer tout ce qui les
condamne : Quodcumque ignorant, blasphémant. Il y en a qui font
trafic de louanges, afin d'être loués: Os eorum loquitur superba.
Il y en a qui sacrifient leur conscience à leur élévation : Mirantur
personas cpiœstus causa. On en voit de dissimulés qui emploient
la ruse pour se faire illusion : lllusores. On en voit de rebelles
qui ne reconnaissent ni tribunal ni juge : Non obedientes. On en
voit de hardis, qui ne rougissent ni de la satire ni de la calomnie :
Criminatores. On en voit de téméraires, qui présentent le poison
sans le tempérer : Despumantes suas confusioncs. On en voit de
modérés, qui entourent de fleurs la coupe qui le porte ; Subdoli,
On en voit de séditieux, qui ne se séparent du commun que pour
faire parti : Segregant semetipsos. Il y en a qui|n'ont qu'une foi de
2J2 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
politique, d'éducation , de cérémonie : Hi surit qui ad tempus cre-
dunt. Il y en a qui ne croient que ce qu'ils voient ou ce qu'ils ima-
ginent: NisividerO) non credam. Les uns, plus légers que le vent,
doutent, flottent, chancellent, sans savoir ce qu'ils croient: A
ventis circumferuntur. Les autres, plus irrités que les flots cle la
mer, sont toujours clans l'agitation: Fluctus feri maris. Ceux-ci,
comme des arbres dont la sève se perd, ne portent que des
feuilles, sans porter aucun fruit: Arbores autumnales. Ceux-là,
comme des astres vagabonds, portent partout le tonnerre et la
foudre : Sidéra errant la.
Je n'ajoute rien, mes frères, aux paroles de l'Ecriture: tels sont
ses oracles , et tels sont vos dangers. Qui de vous ne les craindra
pas ? Qui de vous n'y succombera pas ? Hélas! qu'il est aisé, quand
on vit dans le monde, de penser comme le monde, de parler com-
me le monde, de s'égarer avec le monde! qu'il est aisé d'être la
dupe de ses complaisances, de ses liaisons, de son amitié ! qu'il
est aisé de céder aux promesses ou aux menaces , aux mépris ou aux
louanges, à un emploi ou à un bénéfice ! Ne lavez-vous point vu ?
ne l'avez-vous point fait ? Rendez-vous compte ici de votre foi.
Que me dit la foi ? devez-vous donc vous dire ; mais disons-le sans
préjugé, sans passion, sans emportement ; disons-le avec droiture,
avec équité, avec religion : Que me dit la foi? me dit elle de parler,
d'écrire, de cabaler, de décider, dénie soulever contre l'oint du Sei-
gneur et contre ses ministres ? Que me dit la foi? me dit-elle dénie li-
vrer à la colère, aux murmures, aux clameurs, aux outrages, à
l'invective contre tous ceux qui savent plus que moi , qui pensent
mieux que moi ? Que me dit la foi ? me dit - elle de suivre une
Eglise sans chef, un troupeau sans soumission, un Sauveur sans
miséricorde ? Que me dit la foi ? me dit-elle de raisonner sans
principes , de dogmatiser sans connaissances, de prononcer au gré
de mes passions , ou des passions d'autrui, et de m'ériger en juge
contre mes juges mêmes ? Que me dit la foi ? me dit-elle d'écou-
ter, de suivre , d'adopter tout ce que la prévention a de faux ;
tout ce que la haine a de fiel, tout ce que la cabale a de poison et
de férocité ? Que me dit la foi ? me dit-elle de déchirer, d'insulter,
de calomnier des gens que je ne vois point, que je ne connais
point, qui ne me veulent ni ne me font aucun mal , qui me font
même du bien, qui en ont fait dans tous les temps, dans tous les
pays, et qui peut-être n'auraient point d'ennemis , s'ils ne combat-
taient point contre les ennemis de Jésus-Christ ? Que me dit la
foi ? me dit-elle de résister à mon prince, à mes guides , à mes pas-
DÉS PRKDICAT.EUKS. %^3
teurs, et de préférer les ruisseaux empoisonnés de Babylone aux
sources d'eaux vives qui coulent à Jérusalem ? Que me dit la foi?
me dit-elle de changer, d'altérer, d'abroger les lois , les pratiques,
les cérémonies de l'Eglise, et d'interdire aux autres, aussi bien
qu'à moi-même, l'usage des sacremens ? Que me dit la foi ? me
dit-elle de dire ce que je ne pense pas, de signer ce que je ne
crois pas , d'être tantôt à Paul , et tantôt à Géphas , de parler en
public autrement qu'en secret , de n'avoir d'autre religion que mon
caprice et mon intérêt? Que me dit la foi P me dit-elle de retenir
des livres défendus, de les lire malgré toutes les défenses, de les
portera la faveur des ténèbres, de les glisser furtivement de mai-
son en maison, d'être le patron et le panégyriste de leurs auteurs,
de leurs partisans ? Que me dit la foi? me dit-elle de protéger la
nouveauté, de m'en faire le panégyriste, d'aller de cercle en cercle
semer des dogmes proscrits, les appuyer par de faux bruits,
ajouter l'imposture à l'opiniâtreté et acheter par mes déclama-
tions le titre de bel esprit ? Est-ce donc là, mes frères, est-ce donc
là la foi ? Non , non, à tous ces traits je reconnais l'aigreur , l'en-
vie, la jalousie, l'erreur. Ce n'est point là la foi de Jésus - Christ,
elle est plus simple, plus humble , plus prudente, plus docile.
C'est' une foi fausse, c'est une foi masquée, c'est une foi chimé-
rique.
Le fidèle ne s'instruit qu'avec soumission , et il commence par
se soumettre avant que de s'instruire ; il tient plus à sa foi qu'aux
honneurs , qu'aux plaisirs , qu'aux richesses du monde ; il évite
tous les pièges, toutes les discussions, tous les risques, parce
que c'est tout risquer que de risquer sa foi. Il ne se fait point de
l'Eglise un fantôme, afin de la combattre ; il croit ce qu'elle croit,
il rejette ce qu'elle rejette, il approuve ce qu'elle approuve, il con-
damne sans résistance tout ce qu'elle condamne ; il sait qu'on ne
peut sans crime , ni l'accuser, ni la réformer, ni la contredire , ni
l'abandonner ; il sait que c'est le seul centre d'unité, hors duquel il
n'y a ni vertu, ni vérité, ni salut, ni infaillibilité; il sait que la vraie
foi n'admet point de partage ; qu'un point, qu'un seul point retran-
ché , en détruit la substance, que son mérite ne consiste que dans
sa totalité. ( Le P. Segaud.)
La foi sans les œuvres devient, contre le Chrétien, un titre do réprobation.
Il ne faut pas s'étonner, Chrétiens , que ce soit la même foi qui
t. ni. 18
2-74 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
nous sauve et qui nous condamne devant Dieu. Elle ne fait en cela
que ce que fait Jésus-Christ même , lequel , étant l'auteur de notre
salut, devient tous les jours, par l'abus que nous faisons de ses
mérites et de sa grâce, l'auteur de notre perte Jternelle et de no-
tre réprobation. Ainsi la foi , qui ne nous a été donnée que pour
nous justifier, ne laisse pas de servir à nous condamner selon les
différentes manières dont nous nous comportons à son égard ,
et les divers traitemens qu'il reçoit de nous. Mais encore pour-
quoi nous condamne-t-elle? et comment nous condamne-t-elle?
Deux choses qui me restent à éclaircir, et qui demandent une at-
tention toute nouvelle.
Je dis que la foi nous condamne lorsque nous ne vivons pas se-
lon ses maximes, parce que, vivant alors dans le désordre, nous
la retenons captive dans l'injustice, suivant l'expression de saint
Paul, que nous lui enlevons le plus beau fruit de sa fécondité,
qui sont les bonnes œuvres, comme parlent saint Hilaire et saint
Ambroise; et que, dans le sentiment de l'apôtre saint Jacques,
nous la faisons enfin mourir elle-même au milieu de nous. Or, ne
sont-ce pas là autant d'outrages que nous lui faisons, et qu'elle
doit venger, pour ainsi dire, en nous condamnant ? Prenez garde;
nous la retenons captive dans l'injustice : ce sont les propres paro-
les du maître des nations: Quiveritatem Del in injustitia datinent ';
Ils tiennent, dit-il , comme dans les fers la vérité de Dieu. Or, la
vérité de Dieu n'est en nous que par la foi ; et tandis que nous
menons une vie corrompue, il est évident que nous faisons vio-
lence à cette foi, que nous la tenons dans la sujétion et dans l'es-
clavage , comment cela ? parce que nous ne lui donnons pas la
liberté d'agir en nous comme elle voudrait et comme elle de-
vrait. Dans la naissance du Christianisme, remarque saint Bernard,
lorsqu'il y avait des persécutions, la foi était libre pendant que
les fidèles étaient captifs. Maintenant que les persécutions ont
cessé, les fidèles jouissent d'une liberté dont ils abusent, et la foi
est comme enchaînée. Quel sujet pour nous de confusion et de
condamnation! Jusque dans les prisons et dans les cachots, les
martyrs publiaient la foi qu'ils avaient dans le cœur, et, malgré les
tyrans', ils confessaient hautement Jésus Christ. Il est bien étran-
ge, lorsque 1 Eglise est dans une profonde paix, que la foi des
Chrétiens n'ait plus la même liberté , et que cette liberté lui soit
ôtée par les Chréliens mêmes, qui deviennent ses propres persé-
cuteurs, et qui lui sont plus cruels que les infidèles, puisqu'ils la
mettent dans une captivité où les infidèles n'ont pu la réduire:
DES PRÉD1CA.11DRS. 27O
Qui çevitatem Dei in injustida dctinent. Remarquez celte parole :
in injustitia; car saint Paul ne dit pas seulement que nous rete-
nons notre foi captive, mais que nous la tenons captive dans l'in-
justice, qui est pour elle la plus honteuse et la plus odieuse ser-
vitude. En effet, cette foi est toute sainte, et nous la faisons de-
meurer dans des âmes toutes criminelles. Elle est toute pure et toute
chaste, et nous la faisons hahiter dans des âmes voluptueuses et
toutes sensuelles : Qui veritatem Dei in injustitia deiinent. Que fait
donc la foi? Ah! mei chers auditeurs, permettez-moi d'user de
cette figure, notre foi ainsi traitée par nous-mêmes, ainsi désho-
norée et profanée , s'élève contre nous ; elle demande à Dieu jus-
tice, elle crie à son tribunal; et ne doutons point que Dieu ne l'é-
coute, et qu'a notre ruine il ne prenne ses intérêts.
D'autant plus coupables envers elle et plus condamnables que,
par les déréglemens de notre vie, nous lui faisons perdre ses plus
beaux fruits et sa plus heureuse fécondité. Car, comme nous l'a-
vons déjà vu, la foi est la source de toutes les vertus, et une
source féconde, qui produit sans cesse de nouveaux fruits de
grâce, ou qui les peut produire. En voulez-vous la preuve sen-
sible? Sans parler de ces saints patriarches de l'ancienne Loi, et de
leurs œuvres merveilleuses que f Apôtre nous a si bien marquées
dans son Epître aux Hébreux, rappelez en votre esprit tout ce
qu'ont fait dans la Loi nouvelle tant de martyrs de l'un et de l'au-
tre sexe, tant de solitaires et de pénitens; tout ce que font en-
core tant de religieux dans le cloître , et tant d'ames vertueuses
jusques au milieu du monde. Remettez-vous le souvenir de tout
ce que vous avez entendu dire de leurs longues oraisons , de leurs
sanglantes macérations, de leurs veilles et de leurs travaux, de
leurs abstinences et de leurs jeûnes , de la ferveur de leur zèle et
de la constance infatigable avec laquelle ils ont pratiqué jusques
au dernier soupir de leur vie toute la perfection de l'Evangile.
Voilà les fruits de la foi : voilà ce que la foi peut opérer en nous-
mêmes et par nous-mêmes. Car, si l'ardeur des fidèles s'est ralentie,
la vertu de la foi ne s'est point altérée; elle a toujours les mêmes
vérités à nous proposer, et dans ces mêmes vérités les mêmes
motifs pour nous exciter : mais nous, Chrétiens, vivant selon l'es-
prit du siècle et selon la chair, nous étouffons ces fruits dès leur
naissance. Nous avons la foi: mais, tout agissante qu'elle est, elle
ne nous rend pas plus vigilans, pas plus adonnés aux œuvres de
la piété ; c'est une foi oisive et stérile, parce que nous en arrêtons
toute l'action.
18,
y-6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Nous allons même plus loin; nous la faisons mourir, selon la
pensée et l'expression de l'apôtre saint Jacques. Car ce qui vivifie
la foi, ce qui en est comme l'esprit, ce sont les bonnes œuvres.
De même donc que le corps est mort, dès là qu'il est séparé de
l'ame qui lui donnait la vie, ainsi la foi doit être censée morte,
dès là qu'elle n'est plus accompagnée des œuvres qui l'animaient:
Sicut eniin corpus sine s piritu mortuumest, ita et Jldes sine operibus
morlua est *. Et à prendre la chose dans un sens plus réel encore
et sans figure, on peut dire que rien ne conduit plus directe-
ment ni plus promptement à l'infidélité et au libertinage de créan-
ce que le libertinage des mœurs. Or, après avoir été homicide de
votre foi, que devez-vous attendre autre chose qu'un jugement
sévère et rigoureux ? Oui, mon cher auditeur, pensez bien à ces
deux paroles : homicide de votre foi. Voilà le grand crime dont on
vous demandera compte un jour, et dont il faudra porter la peine.
C'est alors que cette foi morte dans votre cœur, ou par l'inutilité,
ou même par le désordre de votre vie, commencera tout à coup
à revivre , qu'elle ressuscitera, qu'elle se produira devant Dieu
pour votre conviction et pour votre condamnation.
Je dis pour votre conviction : car, voulez- vous savoir, non plus
précisément pourquoi , mais comment elle vous condamnera ? Il
est aisé de vous le faire comprendre. Ce sera en vous convainquant
de trois choses , savoir : que vous pouviez vivre en Chrétien , que
vous deviez vivre en Chrétien , et que vous n'avez vécu rien moins
qu'en Chrétien. Trois convictions qui vous fermeront la bouche,
et qui , malgré vous , vous feront souscrire vous-même à l'arrêt de
votre éternelle réprobation. Elle vous convaincra que vous pou-
viez vivre en Chrétien, parce que rien ne vous manquait pour cela,
ni lumières, ni secours. Ni lumières, puisqu'elle vous servait elle-
même de maître, puisqu'elle vous avait révélé toutes ces vérités
pour vous éclairer, puisqu'elle vous les faisait entendre sans cesse
au fond de votre cœur, tantôt pour vous exciter par l'espérance,
tantôt pour vous retenir par la crainte, tantôt pour vous engager
par un saint amour, tantôt pour vous attirer par un solide intérêt,
toujours pour vous instruire et pour vous toucher. Ni secours,
puisque, dans le Christianisme, vous aviez toutes les sources de la
grâce ; tant de sacremens pour vous purifier, pour vous fortifier,
pour vous réconcilier, pour vous nourrir et vous faire croître;
tant de ministres du Seigneur, dépositaires de la loi de Dieu pour
« Jacob, 2.
DES PRÉDICATEURS. 277
vous l'enseigner, dispensateurs des trésors de Dieu pour vous les
distribuer, remplis de l'esprit de Dieu pour vous le communiquer,
revêtus de toute la puissance de Dieu pour vous sanctifier; tant de
bons conseils, d'exhortations pathétiques et véhémentes, de salutai-
res exemples; enfin, tant de moyens dont le détail serait infini, et
dont l'usage vous aurait immanquablement sauvé. Or, d'avoir connu
et d'avoir pu, voilà pourquoi le mauvais serviteur sera jugé avec
plus de sévérité, sera plus rigoureusement condamné, sera plus
grièvement puni.
Encore plus digne des châtimens de Dieu , parce que la foi
vous convaincra non seulement que vous pouviez vivre en Chré-
tien , mais que vous le deviez : car votre parole y était engagée.
Vous l'aviez ainsi promis à la face des autels et sur les sacrés fonts
du baptême. Vous aviez solennellement renoncé au démon et à
toutes ses œuvres , renoncé au monde et à toutes ses pompes , re-
noncé à la chair et à tous ses désirs sensuels. On l'avait dit pour vous,
et dès que vous vous trouvâtes en état de le ratifier, vous l'aviez
dit vous-même. Or, ce n'est point en vain qu'on promet à Dieu ;
et de tous les engagemens il n'en est point de plus inviolables que
ceux que l'on contracte avec un tel maître. Dès là donc que vous
vous étiez soumis à la foi, vous vous étiez soumis à la loi. C'est-à-
dire dès là que vous aviez été honoré du caractère de Chrétien,
et que vous aviez commencé à porter le nom de Chrétien], vous
étiez conséquemment et indispensablement obligé à tous les de-
voirs du Chrétien , vous en étiez responsable à votre foi et à Dieu
même. Et en effet, pour développer encore mieux la chose et la
considérer plus à fond, de toutes les contradictions, n'est-ce pas
une des plus grossières, de ne pas agir comme l'on croit, ou de ne pas
croire comme l'on agit? Et de toutes les infidélités, n'est-ce pas une
des plus criminelles et des plus monstrueuses, d'avoir renoncé en
présence de Dieu à l'Enfer et à toutes les œuvres de ténèbres, qui
sont autant de péchés proscrits par la loi, et de les commettre impu-
nément, volontairement, habituellement? d'avoir renoncé aux
vaines pompes du monde, et d'en être adorateur; de les désirer
uniquement, d'y aspirer incessamment, de les rechercher sans re-
lâche, et de ne travailler que pour cela, et qu'en vue de cela?
d'avoir renoncé à la chair, de n'écouter que ses passions et de sui-
vre aveuglément toutes ses cupidités ?
Voilà néanmoins de quoi la foi vous convaincra, et c'est le der-
nier témoignage qu'elle rendra contre vous : je veux dire que, pou-
vant vivre en Chrétien , vous n'avez vécu rien moins qu'en Chré-
2^8 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
tien. Car c'est alors que, développant tous ses principes et toutes
ses maximes, elle les comparera avec votre vie, ou que, dévelop-
pant toute votre vie, elle la comparera avec ses maximes et ses
principes. Or, quelle opposition entre l'une et l'autre! Une foi qui
n'enseigne à l'homme que les mépris des biens terrestres et péris-
sables , et une vie tout employée à les acquérir , à les conserver ,
aies accumuler par tous les moyens justes ou injustes qu'inspire
une avarice insatiable. Une foi qui n'apprend à l'homme qu'à s'hu-
milier, qu'à s'abaisser, qu'à fuir les honneurs mondains elles fausses
grandeurs du siècle; et une vie tout occupée de soins, de projets,
d'intrigues, souvent très criminelles, pour l'avancement d'une for-
tune humaine. Une foi qui ne prêche à l'homme que mortification,
que pénitence , que détachement de soi-même ; et une vie passée
dans les jeux, dans les spectacles, dans les assemblées et les par-
ties de plaisir, dans les plus honteuses voluptés. Une foi de pra-
tique et d'action , et une vie dénuée de toutes les œuvres chrétien-
nes. Est-ce donc ainsi qu'on est Chrétien ou qu'on vit en Chrétien?
est-ce en ne faisant rien de ce que la foi ordonne, et en faisant
tout ce qu'elle défend ? Tels sont les reproches que vous devez
attendre de votre foi; et à des reproches si bien fondés et sans
nulle excuse, que doit-il succéder autre chose qu'un jugement sans
miséricorde ?
Concluons, mes chers auditeurs , par cette pensée avec laquelle
je vous renvoie, et que vous ne pouvez trop méditer. Il faut, ou
que ma foi me sauve, ou que ma foi me condamne. Entre ces
deux extrémités, point de milieu. Si ma foi n'est pas le principe
de ma justification, elle sera immanquablement le sujet de ma
réprobation. 11 ne tient qu'à moi qu'elle ne soit pour moi un moyen
de salut, parce qu'il ne tient qu'à moi d'en faire' un usage tel que
je dois, et tel que Dieu le demande. Mais si, par ma faute, ce n'est pas
un moyen de salut pour moi , ou que je me rende ce moyen de salut
inutile par l'abus que j'en ferai, il ne dépend plus alors de moi
que ce ne soit pas contre moi un moyen de damnation , parce que
c'est un talent que Dieu m'a mis dans les mains pour lui en ren-
dre compte, et pour en retirer tout le fruit qu'il en attendait. Ce
serait donc bien me tromper moi-même, de regarder la foi que j'ai
reçue comme une de ces choses indifférentes qui ne peuvent nuire
lorsqu'elles ne servent pas. Si ma foi ne me fait pas le plus grand
de tous les biens , elle me fera le plus grand de tous les maux.
C est à moi de prendre mon parti entre l'un et l'autre , mais je n'ai
que l'un ou l'autre à choisir, Que dis-je, et y a-t-ii là-dessus à dé-
DES PREDiCATEURS. 2J0,
libérer? y a-t-il à hésiter un moment, dès qu'il est question de se
garantir d'une éternité malheureuse, et de se procurer une sou-
veraine félicité? (Bourdaloue.)
Bonheur de celui qui vit dans la foi.
Ce que je vous souhaite, c'est que vous marchiez dans la voie
de pure foi, pour éviter toute illusion. Prenez garde que la plu-
part des âmes qui s'imaginent marcher par cette voie n'y mar-
chent point: on tient infiniment plus qu'il ne paraît aux expérien-
ces intérieures qu'on fait. Si on est en garde contre soi-même,
on tend toujours insensiblement à chercher un appui et une certi-
tude intérieure dans ses goûts , dans ses sentimens les plus vifs et
dans toutes les choses qui ont saisi l'imagination. On regarde son
propre goût comme un attrait de grâce, ses propres vues comme
des lumières surnaturelles , et ses propres désirs comme des
volontés de Dieu; on s'imagine que tout ce qu'on éprouve en soi
est passif et imprimé de Dieu : par là on se fait insensiblement
en soi-même une direction intérieure fondée sur l'inspiration
immédiate. Iîn'ya plus ni autorité ni loi extérieure qui arrête et qui
puisse contre-balancer cette inspiration. Voila le danger du fana-
tisme pour les âmes qui se croient désappropriées et transformées
sans Vêtre : si elles l'étaient, leur véritable désappropriation les
éloignerait infiniment de cette illusion par laquelle elles s'appro-
prient leur lumière, et s'en font un appui pour être indépendantes.
Oh! que les profondes ténèbres de la pure foi sont bien différen-
tes de cette fausse voie ! On ne voit rien de particulier ; l'on ne
cherche à rien voir; on se contente de croire comme les plus pe-
tits d'entre le peuple; on ne sait qu'obéir, que se laisser contre-
dire et corriger, que se défier de soi, que sentir sans cesse son
impuissance totale; on n'a aucun besoin de chercher curieusement
dans l'avenir pour se consoler du présent, ni de se flatter de
prédictions quand on a le cœur pleinement content de la seule
volonté de Dieu en chaque moment de la vie; on n'a besoin de
chercher aucun soutien dans ces vues de l'avenir; on mérite d'y
être trompé dès qu'on les cherche par une ingratitude secrète,
dans l'état présent où la seule volonté de Dieu ne suffit pas à un
cœur malade. Mais cette vue de foi si nue est le plus long et le
plus grand de tous les martyres : il faut s'y laisser dépouiller de tout
ce qui console et qui soulage la nature. Il est facile de parler af-
fectueusement de cet étal; mais il est terrible de le porter jusqu'à
la mort. En cet état, si on faisait des miracles, on les ferait sans
280 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
s'y arrêter; on les ferait par pure fidélité , comme on pratique les
vertus les plus journalières, comptant pour rien ce qu'on a fait ,
et passant outre pour continuera être fidèle. En cet état, l'homme
reçoit ses bonnes pensées comme d'emprunt, de même qu'un pau-
vre se couvrirait d'un manteau prêté charitablement. Cet homme
n'est pourtant ni inconstant ni irrésolu ; mais sa fermeté ne vient
d'aucune confiance en sa propre lumière: au contraire, c'est par
défiance de sa propre lumière et par simple docilité qu'il est tran-
quille dans la main de Dieu. Sa voie est toute fondée sur la désap-
propriation de ses propres vues, qui seraient toujours incertaines.
Ainsi ce n'est point par une décision fondée sur les forces de son
esprit qu'il se détermine avec tant de paix et de constance, mais
par simple fidélité à la lumière du moment présent et par le
retranchement de toutes les recherches inquiètes de l'amour-
propre. En cet état, loin de se passer de l'autorité de l'Eglise , on
sent de plus en plus le besoin d'être porté sans cesse entre ses
bras comme un petit enfant ; on n'est jamais surpris de voir qu'on
s est trompé; on le confesse de bon cœur; on quitte sans peine
une pensée qu'on avait sans appropriation. On jette sans regret
une feuille d'arbre qu'on a cueillie sans y être attaché; mais on
ne jetterait pas de même un diamant faux qu'on aurait acheté com-
me étant d'un grand prix. Quand on a besoin de juger, on tâche
de le faire avec conseil , et sur toutes les lumières tant naturelles
que surnaturelles qu'on a alors. Quand on fait devant Dieu le
moins de mal qu'on a pu, on est encore tout prêta se laisser mon-
trer par autrui qu'on s'est trompé et qu'on a manqué à toutes les
règles. Si on est dans cette docilité pour toutes les choses com-
munes de la vie, à l'égard de toute personne qui nous reprend, à
combien plus forte raison doit-on être, par celte désappropriation
intérieure, dans une docilité sans réserve et dans une soumission
absolue d'esprit à l'égard de cette Eglise visible, qui aura, par les
promesses, l'autorité de Jésus-Christ jusqu'à la fin des siècles! Tels
sont les petits enfans, les enfans bien-aimés : l'onction leur en-
seigne tout, parce qu'elle leur enseigne au dessus de tout à sentir
leur ignorance et leur impuissance ; à écouter l'Eglise, et à ne se
point écouter eux-mêmes; à croire ce qu'elle enseigne et non ce
qu'ils ont pensé. Cette profonde leçon, que l'onction intérieure leur
donne, comprend toutes les autres. Dieu « cache ses vérités aux
<« sages et aux prudens1,» c'est-à-dire, à ces docteurs superbes
1 Luc, x, 21.
DES PRÉDICATEURS. s8l
qui veulent juger l'Eglise, au lieu de se laisser juger par elle. En
même temps « il révèle aux petits 1 » ses miséricordes, parce qu'il
se complaît dans leur petitesse. Ils sont « bienheureux, parce qu'ils
« sont pauvres d'esprit2, » et qu'ils se sont désappropriés de leur
propre volonté, comme un homme doit se désapproprier quand
il se donne à Dieu dans un désert. (Fénelon, Lettres sur V Église.)
Péroraison.
Mais il serait donc plus à souhaiter de n'avoir jamais eu la foi?
Oui, mes frères, il serait plus avantageux de ne l'avoir jamais eue
que de l'avoir profanée par une vie criminelle. Mais cela même
ne sera plus en votre pouvoir; car, melgré vous, il sera éternelle-
ment vrai que vous aurez été Chrétiens, et il faudra éternellement
porter la peine de ne l'avoir été que de nom et dans la spécula-
tion , sans l'être de mœurs et dans l'action. Pour prévenir ce re-
proche et l'affreux châtiment dont nous sommes menacés , quelle
résolution avons-nous à prendre? point d'autre que de conserver
la foi et de vivre selon la foi. Cette foi nous dit des choses qui ré-
pugnent à nos sens, mais il s'y faut soumettre. Elle nous dit que
le monde est notre plus dangereux ennemi; fuyons-le. Elle nous
dit de nous haïr nous-mêmes et de nous renoncer nous-mêmes;
travaillons à acquérir ce saint renoncement, et pratiquons-le autant
qu'il est nécessaire. Elle nous dit de mortifier la chair par l'esprit
et d'en réprimer les désirs ; combattons-les généreusement et con-
stamment. Elle nous dit d'être humbles jusque dans la grandeur,
d'être pauvre jusque dans l'abondance, d'être pénitens jusqu'au
milieu des aises et des commodités; entreprenons tout cela et ve-
nons à bout de tout cela. Nous aurons , dans les secours de la grâce
et dans les motifs de notre foi, de quoi nous animer, ae quoi nous
fortifier, de quoi nous rendre tout facile. Demandons-les avec con-
fiance ces secours, et Dieu ne nous les refusera pas. Ayons-les con-
tinuellement devant les yeux ces motifs, et ils nous soutiendront.
Alors nous mériterons d'entendre un jour de la bouche de Jésus-
Christ ce qu'il dit au centenier de notre Evangile : S/eut crerlidisti,
fiât tibi : Qu'il vous soit fait comme vous avez cru. Vous avez fait
valoir le talent que je vous avais confié, vous avez rendu votre foi
* Luc, X, 21. — 2 Matlb., v, S,
23s NOUVELLE B BLIOTJÏEQUE
fertile en bonnes œuvres et agissante; venez en recevoir la récom-
pense. Vous avez marché par le chemin qu'elle vous traçait, vous
l'avez suivi et vous y avez persévéré ; venez prendre possession de
mon royaume céleste, qui est le terme où elle vous appelait et où
vous jouirez d'une félicité éternelle. (Bourdaloue.)
DES PRÉDICATEURS. 283
PLAN ET OBJET DU QUATRIEME DISCOURS
SUR LA FOI PRATIQUE.
EXORDE.
Parate viam Domini ; rectas facile semitas ejus.
Préparez la voie du Seigneur ; faites-lui des sentiers droits. (Luc, ch. 3.)
Cette préparation de cœur, et cette droiture de démarche que
le Sauveur exige des fidèles pour disposition à ses approches ,
consistent, selon saint Amhroise, à régler sa vie sur sa créance, et
à réformer ses mœurs sur sa foi. Car c'est une erreur, dit ce Père,
presque aussi ancienne que la religion , de réduire tout le mérite
nécessaire au salut, au seul mérite de la foi; et l'exercice de la
foi à une simple soumission desentimens, sans une entière confor-
mité de conduite : comme si c'était assez de croire pour se sauver,
et d'être intérieurement soumis pour être véritablement fidèle.
Si cette erreur est trop grossière pour trouver aujourd'hui parmi
nous des docteurs et des apologistes, le siècle où nous sommes
est assez corrompu pour lui fournir encore des sectateurs et des
disciples. Quoi, de plus en vogue en effet, de nos jours que ce
nombreux parti de prétendus Chrétiens, qui se contentent tout au
plus d'une surface et d'une montre de religion dont ils respectent,
si vous le voulez, les dehors et les cérémonies, mais dont ils n'ont
ni l'intérieur ni l'esprit, et qu'ils démentent à toute heure par
leur conduite; qui, dans le sein du Christianisme et de l'Eglise,
ne se comportent pas même en philosophes et en sages ; qui se
persuadent enfin que, pour être Chrétien, il suffit d'avoir reçu le
baptême et de croire l'Evangile , sans en suivre les enseignemens.
•et sans en remplir les devoirs par une foi pratique ?
C'est cette prodigieuse multitude de faux Chrétiens et de mau-
vais Catholiques que j'attaque dans ce discours , et que j'attaque
par leur fort même. Car ils se font fort de la foi : et je vais leur
montrer qu'ils ont sujet de craindre de n'avoir pas la foi qu'ils
professent.
284 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Ils s'assurent sur la foi : et je vais leur prouver que toute l'as-
surance qu'ils peuvent avoir , c'est que ce qu'ils ont de foi ne sert
qu'à les rendre encore plus coupables devant Dieu.
Juste crainte, et funeste assurance: voilà donc le partage de la
plupart des Chrétiens d'aujourd'hui. Juste crainte qu'ils n'aient
perdu la foi dont ils se flattent : ce sera mon premier point.
Funeste assurance que le peu de foi qui leur reste ne fera que
leur attirer un jugement plus rigoureux, et une condamnation
plus sévère : ce sera le sujet du second point.
N'entreprenons point de parler de la foi , sans l'assistance spé-
ciale de cette heureuse Vierge que sa foi vive a rendue mère,
et mère de Dieu. Ave. ( Le P. Segaud, Sur la Foi pratique.)
Quand on vit mal, la créance est ordinairement conforme à la conduite.
C'est la pensée de saint Chrysostôme, qui ne fait point difficul-
té de placer les mauvais Chrétiens auprès des hérétiques : Hœreti-
corum affines dico} qui quasi non crederent sic 'vtiunt. Et la rai-
son qu'en apporte saint Grégoire a de quoi faire trembler tout
chrétien dont les mœurs ne répondent point à la foi qu'il professe.
C'est, dit ce Père, qu'il n'arrive que trop souvent, soit par un
malheureux penchant de la nature corrompue, soit par un redou-
table effet desjugemens de Dieu, que de mauvaises mœurs pro-
duisent de mauvais sentimens ; que, pour étouffer ses remords, on
achète la paix aux dépens de sa foi , et que l'égarement de l'esprit
suit de près le dérèglement du cœur. Divino sœpe judicio contingit,
ut perhoCs quod quis nequiter vivit , perdat quod salubriter crédit.
Ce sentiment commun parmi les Pères n'est point une de ces
décisions sévères échappées à l'ardeur de leur zèle. Celle-ci est
fondée sur la doctrine de saint Paul , qui nous avertit en général
que la conscience et la foi courent les mêmes dangers, brisent con-
tre les mêmes écueils , et sont souvent ensevelies dans un même
naufrage : Bonam conscientiam quidam rcpellentes circa /idem
naufragaverunt ; qui nous fait entendre en particulier qu'une per-
sonne chrétienne, telle qu'on n'en voit que trop à la honte du
Christianisme , qui passe ses jours dans la recherche des plaisirs,
dans l'oubli de ses devoirs, dans le mépris des vertus propres de
son état , toute vivante qu'elle paraît aux yeux des hommes, est
morte devant Dieu: Vivais tnortua est: qu'elle est pire qu'une
infidèle : et est infideli deterior. C'est sur ce principe que le
grand Apôtre exhorte tous les fidèles à s'examiner, à s'é-
DES PRÉDICATEURS. S>85
prouver , à s'assurer eux-mêmes , s'ils ont véritablement de la foi,
ou si la foi qu'ils ont est une foi véritable: Vosmetipsos tentate si
estis injidc. Il est donc à craindre , selon saint Paul , qu'on ne
s'abuse sur ce sujet ; l'avis est des plus sérieux et des plus intéres-
sans. Il s'agit de la base de tout le Christianisme, dû fondement
de toutes nos espérances, de l'unique ressource de salut qui vous
reste, pécheurs, dans le malheureux état où vous êtes,* de la foi,
en un mot, que vous vous flattez d'avoir encore, et que peut-être,
hélas ! vous n'avez plus. Au reste, je ne prétends point décider ,
je ne veux rien prononcer : je me contente, avec saint Paul, de
vous faire ici juges de votre propre foi. Vosmetipsos tentate si estis
in fide. Pour entrer dans cet examen important, rappelez-vous,
je vous prie, ce que vous apprennent les premiers élémens de vo-
tre foi : que le vrai fidèle est celui qui croit toutes les vérités de
Dieu révélées à son Eglise, qui fait profession de les soutenir, s'il
le faut, aux dépens de son sang et de sa vie , et qui les croit uni-
quement par déférence à l'autorité divine. En sorte qu'il y a trois
choses à considérer dans tout fidèle : l'objet et la matière de sa foi ;
ce sont toutes les vérités révélées ; l'habitude et l'acte de sa foi •
c'est cette disposition à donner pour elle son sang et sa vie : le
principe et le motif de sa foi ; c'est l'infaillible autorité de Dieu.
La véritable foi, la foi catholique, cette foi qui nous distingue
des infidèles et des hérétiques , est d'abord universelle et indivisi-
ble dans son objet; en second lieu ferme et inébranlable dans ses
actes, surnaturelle enfin et divine dans son principe.
Otez une de ces conditions : c'en est fait , ce n'est plus cette
foi chrétienne, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu, dit
saint Paul : Sine fide impossible est placere Dco , et que le même
Apôtre en deux mots a si bien définie une captivité méritoire qui
soumet notre esprit tout entier sous son autorité : In captwitatem
rédigeas omnem intellectum ; parce que, dit saint Ambroise, elle
nous ôte trois funestes libertés que nous prétendons naturelle-
ment avoir et retenir en matière de créance : de ne croire que ce
que nous voulons , que comme nous le voulons, et parce que nous
le voulons croire.
Or, je dis qu'il est bien à craindre que la plupart de ceux qui
parmi vous mènent une vie si opposée à la loi divine qu'ils pro-
fessent ne soient du nombre de ces infidèles, qui ne croient que
ce qui leur plaît, que comme il leur plaît, et que parce qu'il leur
plaît ; et que par conséquent ils n'aient point une foi véritable.
Encore une fois je ne décide point , je ne prononce rien , je ne fais
286 NOUVELLE BiBLIOTilEQUHL
que proposer les raisons qu'il y a de clouter ; c'est à vous de ju^er
si je suis bien fondé dans mes doutes ; ou plutôt si vous êtes bien
fonde's dans votre foi : Vosmeptipsos tentate si estis in fide. . . .
Car, sans vouloir rien décider ici que sur votre témoignage, je
vous demande à quel homme de bon sens persuadera-t-on jamais
que ces personnes mondaines que vous connaissez chrétiennes
par leur baptême, mais païennes par leurs mœurs; curieuses de
touteautre science que de celle du salut, occupées de tout autre soin
que de celui de servir Dieu, jalouses de toute autre gloire que de
celle de plaire à leur Sauveur, et pour qui c'est une simplicité de
lui obéir, une faiblesse de le craindre, un déshonneur même de
l'imiter et de le suivre; à quel homme raisonnable persuadera-t-on
jamais que ces sortes de personnes croient d'esprit et de cœur,
sans restriction et sans doute, les sévères maximes de l'Evangile ?
Que ces esclaves , par exemple, de la terre, qui bornent tous leurs
empressemens à amasser des richesses, souvent aux dépens de la jus-
tice, sont bien persuadés de ces premiers élémens de la foi : heu-
reux les pauvres, et malheureux les riches : Beati paupcres^vœ vo-
bis d'witibusl Que ces idolâtres de la fortune, qui ne cherchent
qu'à profiter de la chute des autres, et à s'élever sur leurs ruines,
n'importe par quelles intrigues, sont bien convaincus de cet ora-
cle divin: la miséricorde de Dieu est pour les petits, et la sévérité
pour les grands : Eœiguo concedtiur misericordia ; potentes poten-
ter tormenta patientur. Que ces heureux du temps qui coulent
leurs jours dans l'oisiveté, dans la mollesse, dans les jeux et les
divertissemens, sans autre inquiétude que celle de leurs plaisirs, sont
bien pénétrés de cet arrêt décisif; autant de sensualité et de déli-
catesse, autant de supplices et de tourmens : Quantum in deliciis
fuit, tantum date illi tormentum. Que ces enfans du siècle, dont
les occupations épuisent tout le loisir, qui laissent à ce qu'ils ap-
pellent peuple le soin de remplir les devoirs de la religion, qui
ne se donnent pas le temps de penser à leur salut, ou qui n'y pen-
sent que pour renvoyer cette affaire capitale à un temps plus in-
certain, et où l'on est incapable de tout, ont bien gravé dans leur
esprit cette grande leçon du Christianisme : Que sert à l'homme
de gagner tout l'univers s'il vient a. perdre son ame ? Qidd prodest?
Que ces partisans du monde qui ont pour lui de si forts attache -
mens, qui sont si prévenus en sa faveur, qui applaudissent en
toute occasion à ses maximes, qui se font honneur de suivre en
tout ses usages, tiennent comme un article de foi cet anathème
évangélique : Malheur au monde trompeur et à ses pièges sédui-
DES PRÉDICATEURS. 287
sans: Vœmundo ascandalis. Encore une fois , à quel homme sensé
persuadera-t-on jamais de si étranges paradoxes ? Eh ! mes frères!
si Dieu, par impossihle, changeant tout à coup le plan de la reli-
gion, et la morale de l'Evangile, s'il venait à canoniser ce qu'il
analhématise, les richesses, les grandeurs, les plaisirs, le monde
et ses amusemens; et anathématiser ce qu'il canonise, le désinté-
ressement, l'humilité, la patience, la retraite : croyez-vous de
bonne foi que le grand nombre de ces Chrétiens relâchés que
j'attaque eût besoin de changer de créance et de conviction ? Je ne
parle ici, comme vous le voyez, ni des faibles idées que quelques
lins se font exprès de certains péchés griefs pour les commettre
sans remords, ni des systèmes outrés de miséricorde que d'autres
se forment à leur gré pour s'entretenir de leurs déréglernens. Ce
sont là des hérésies visibles et de palpables erreurs, qui combattent
directement la foi que nous avons soin de leur reprocher quand
l'occasion s'en présente. Je ne parle ici que des premières vérités de
la religion, qu'ils font tous profession de croire, mais qu'il est à
craindre qu'ils ne croient pas tous
Aussi, lorsque les anciens infidèles objectaient aux premiers
Apôtres la disproportion qui se trouvait dès lors entre la créance
et les mœurs de plusieurs Chrétiens, que répondaient-ils , je vous
prie? qu'ils doutaient fort que ces Chrétiens de nom eussent véri-
blement la foi. Ils étaient parmi nous, disait saint Jean, mais ils
n'étaient pas des nôtres : car tout ce qui s'appelle Chrétien n'est
pas pour cela Chrétien : Ex nobis prodierunt, sed non erant ex no-
bis , quoniam non sunt omnes ex Jiobis.
Ne pourraient-il pas nous faire encore aujourd'hui la même ob-
jection? S'ils nous demandaient, par exemple, d'où vient que dans
le Christianisme, où l'on reconnaît non pas comme eux des dieux
corrompus, mais un. Dieu infiniment saint, on voit cependant ré-
gner les mêmes vices que dans le paganisme, où en étant vicieux
on ne fait après tout que se conformer à ce que l'on croit et imi-
ter ce que l'on adore ? pourquoi, dans le Christianisme où. l'on
croit un œil invisible, toujours ouvert pour observer; une oreille
inévitable, toujours attentive pour écouter; une main incorruptible,
toujours armée pour punir le mal, on fait , on dit , on pense mille
choses en secret dont on ne voudrait pas avoir qui que ce fût pour
témoin? comment, dans le Christianisme où l'on tient réellement
présent sur les autels son Créateur, son Sauveur et son Juge, les
temples sont souvent sans adorateurs, les adorateurs sans respect,
et presque toujours sans piété et sans ferveur ? A tous ces dou-
S*88 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
tes et à mille autre pareils, aussi bien fondes, que pourriezvous
répondre vous-mêmes? Diriez- vous qu'il ne faut pas juger de la
créance par les œuvres; que la spéculation et la pratique sont deux
choses bien différentes; que, parmi les païens mêmes, ceux qui
pensaient le mieux ne faisaient pas souvent mieux que les au-
tres. Témoin un Sénèque, qui, sur le mépris des richesses, écri-
vait en Chrétien, et ne vivait pas même en philosophe. Je veux,
mes frères, que cela soit vrai des leçons sèches de la philosophie
païenne : ceux qui les donnaient sans les suivre pouvaient bien
ne les pas croire : il n'en est pas de même des vérités merveilleuses
de la religion chrétienne, dont le propre a toujours été d'échauf-
fer les cœurs en éclairant les esprits; en sorte que la grâce qui les
fait croire aide aussi à les pratiquer.
Quels changemens ces divines vérités n'ont-elles pas opérés dès
les commencemens de l'Eglise naissante? quelques années de
Christianisme, dit un saint Père ^firent changer de face à l'uni-
vers, mirent au monde un monde tout nouveau, métamorphosèrent
des hommes en Anges, et transformèrent des monstres d'iniquité
et des suppôts de Satan en autant de modèles de vertu et de res-
semblances du Sauveur ! quel amour de préférence pour Dieu dans
ces hommes autrefois adorateurs du démon et du monde ! quel
généreux dépouillement de tout pour embrasser la pauvreté du
Sauveur! quelle étendue de charité pour le prochain dans ces
hommes auparavant amateurs d'eux seuls! quelle cordialité pour
leurs persécuteurs mêmes qu'ils traitaient en amis, et pour qui
ils s'intéressaient comme pour leurs frères à l'exemple du Sau-
veur ! quelle austérité de vie dans ces anciens idolâtres de leurs
corps! quelle force, quel courage dans la violence qu'ils leur fai-
saient souffrir comme aux ennemis nés de leurs âmes, et dans la
croix qu'ils leur faisaient porter comme aux membres adoptés du
Sauveur! enfin quelle conformité de créance et de conduite dans
ces premiers fidèles, puisqu'un de leurs apologistes, parlant aux
tyrans qui voulaient brûler l'Evangile pour abolir le Christianisme,
ne faisaient pas difficulté de dire que leur dessein était inutile; parce
que les enfans du Christianisme naissant étaient autant d'Evan-
giles vivans. En pourrait-on bien dire autant de la plupart des
Chrétiens du siècle? La défense de l'apologiste serait-elle encore
aussi sûre, et l'entreprise du tyran aussi difficile? Hélas, mes frères,
vous le savez, l'Evangile aujourd'hui parmi vous ne se trouve
presque plus que dans es livres, et ne se lit guère dans les
mœurs.
DES PRÉDICATEURS. 289
Et vous voulez après cela, Chrétiens indignes de votre nom et
de votre origine, que je croie fermement que vous avez la même
foi qui, dans vos pères, a produit tant de prodiges? Quoi! cette foi
aura pu porter un grand nombre de riches à se dépouiller des
biens dont ils étaient les légitimes possesseurs, à vendre leurs hé-
ritages, à en déposer le prix aux pieds des Apôtres , et elle ne
pourra vous engager à vous dessaisir des biens illicites dont vous
êtes les ravisseurs injustes, ou du moins les injustes détenteurs; à
payer vos domestiques, à satisfaire vos créanciers, à acquitter ces
dettes que vous laissez vieillir par de frauduleuses remises, pour
étaler avec plus de pompe, après votre mort, des monumens au-
thentiques de vos artificieux larcins ! Cette foi aura eu la force,
dans une infinité de héros chrétiens, de tirer des plus grands maux
les plus grands avantages; l'or de la charité, du feu de la tribu-
lation; le germe de la fécondité, du sein de la destruction; l'ac-
croissement de ses forces , du dépérissement de ses membres ; la
conquête de ses ennemis, du meurtre de ses enfans; le salut de
ses cruels persécuteurs, du sang de ses saints persécutés : et elle
n'aura pas le pouvoir de corriger vos emportemens domestiques,
de modérer vos ressentimens personnels, d'étouffer vos haines
criminelles, d'en arrêter les sombres projets, d'en réprimer les indi-
gnes éclats; d'empêcher ces coups de langue meurtrière qui donnent
tout à la fois la mort aux présens par la part qu'y prend leur com-
plaisance, et aux absens par le tort qu'en souffre leur honneur!
Cette foi aura été assez puissante pour vaincre dans ses premiers
élèves toutes les oppositions de la chair à une pureté sans tache,
qui défend tout commerce avec les sens, et qui interdit jusqu'à
la pensée du mal; qui demande une vigilance continuelle, et une
mortification sans relâche; qui embrasse la pénitence et comme la
réparation du péché, et comme la sauve-garde de l'innocence; et
elle sera trop faible en vous pour finir ces amitiés trop tendres;
pour retrancher ces conversations séduisantes; pour faire cesser
ces tête-à-tête si funestes à la pudeur; pour rompre ce com-
merce scandaleux déguisé sous tant de beaux noms, et paré de
tant de spécieux prétextes ; pour vous retirer enfin de toute occa-
sion du péché, quelque douceur que vous y trouviez, et quelque
intérêt qui vous y attache. (Le Même.)
La foi inutile sang les œuvres.
Ecoutez Jésus , écoutez ses commandemens, Je vous ai dit :
Ecoutez, et croyez tout ce qu'il enseigne; je yous parle mainte-
2g0 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
nant d'une autre manière, et je vous dis: Ecoutez, et faites. Si vous
avez créance à sa doctrine , venez à lépreuve des œuvres , « et
« montrez votre foi par vos actions *. » Et certainement, Chrétiens,
si nous en croyons sa parole, de quelque science que soit éclairé
celui qui ne garde point ses préceptes, il ne doit pas se vanter de
la connaître. Le disciple bien-aimé le dit nettement en sa première
Epître : « Celui qui assure qu'il le connaît, et ne garde pas ses
« commandemens, c'est un menteur,, et la vérité n'est point en
« lui 2. » Non , il ne connaît pas Jésus-Christ, parce qu'il ne le con-
naît pas comme il le veut être; il le connaît comme un curieux qui
se divertit de sa doctrine et ne songe pas à la pratique, ou qui en
fait un sujet de spéculations agréables. Chrétiens, ce n'est pas ainsi
que Jésus-Christ veut être connu; au contraire, il nous assure qu'il
ne connaît pas ceux qui le connaissent de la sorte. 11 veut des ou-
vriers tidèles , et non pas des contemplateurs oisifs ; et ce n'est rien
de la foi, si elle ne fructifie en bonnes œuvres. Mais afin de nous
en convaincre, remarquez, s'il vous plaît, que toute la vie chré-
tienne nous étant représentée dans les Ecritures comme un édi-
fice spirituel, les mêmes Ecritures nous disent aussi que la foi en est
le fondement. C'est pourquoi saint Paul nous enseigne que « nous
« sommes fondés en la foi 3. » Or, vous savez que le fondement a
deux qualités principales : il est en premier lieu le commencement,
et secondement il est le soutien de l'édifice qui se prépare. Donc,
pour bien connaître la foi, nous devons juger en premier lieu
qu'elle n'est qu'un commencement, et secondement qu'elle n'est
destinée que pour être le soutien de quelque chose. L'une et l'autre
de ces qualités exigent nécessairement la suite des œuvres , parce
que, en qualité de commencement, elle nous oblige à continuer,
et, en qualité de soutien, elle nous invite à bâtir dessus; et l'un et
l'autre se font pour les œuvres.
Mais découvrons dans un plus grand jour ces deux importantes
raisons. Je conclus la première en peu de paroles, et la seconde,
qui sera plus de notre sujet, aura une plus grande étendue. Croire,
disons-nous, c'est commencer, et il est aisé de l'entendre; car tout
le dessein du Christianisme n'étant que de soumettre notre esprit
à Dieu, la foi, dit saint Augustin, commence cette œuvre : Fides
est prima cpiœ subjugat animam Deo. « La foi est la première qui
« soumet l'ame à Dieu. » Et le concile de Trente a défini que « la
«foi est le commencement du salut de l'homme : » Fides est hu~
* Jac, u, 18, — MJoan., u, 14. — : Col., i, 23.
DES PRÉDICATEURS. 2£ I
manœ salutis inilium. La foi est donc un commencement; c'est la
première de ses qualités. Et plût à Dieu que tous les Chrétiens
l'eussent bien compris! Car parla ils pourraient connaître que
de s'en tenir à la foi , sans s'avancer dans les bonnes œuvres, c'est
s'arrêter dès le premier pas, c'est abandonner tout l'ouvrage dès
le commencement de l'entreprise, et s'attirer justement ce repro-
che de 1 Evangile : Hic homo cœpit œdifœare et non potuit consum-
« mare l : « voilà ce fou , cet insensé qui avait commencé un beau
« bâtiment, et qui ne l'a pas achevé. » Il a fait grand amas de ma-
tériaux, il a posé les fondemens d'un grand et superbe édifice, et, le
fondement étant mis, tout d'un coup il quitte l'ouvrage. Ole fou !
ô l'extravagant! Hic homo cœpit œdijicare.
Mais éveillez-vous, Chrétien! c'est vous qui êtes cet homme in-
sensé : vous avez commencé un grand bâtiment; vous avez déjà
établi la foi , qui en est le fondement immuable. Pour poser ce fon-
dement de la [foi, quels efforts il a fallu faire ! La place destinée
pour le bâtiment était plus mouvante que le sable: Chrétien, c'est
l'esprit humain toujours chancelant dans ses pensées, il a fallu
l'affermir. Que de miracles, que de prophéties, que d'écritures,
que d'enseignemens ont été nécessaires pour servir d'appui ! Il y
avait d'un côté des précipices , précipices terribles et dangereux
de l'erreur et de l'ignorance; il a fallu les combler; et de l'autre,
a des hauteurs superbes, qui s'élevaient, dit le saint Apôtre, contre la
« science de Dieu2; »il a fallu les abattre et les aplanir. Parlons en
termes plus intelligibles: il a fallu s'aveugler soi-même, démentir et
débavouer tous ses sens, renoncer à son jugement, se soumettre et
se captiver dans la partie la plus libre , qui est la raison. Enfin, que
n'a-t-il pas fallu entreprendre pour poser ce fondement de la foi?
Et, après de si grands efforts et tant de préparatifs extraordinai-
res, on laisse l'entreprise imparfaite, et l'on met de beaux fonde-
mens sur lesquels on ne bâtit rien ! Peut-on voir une pareille folie?
Et ne vois-tu pas, insensé, que ce fondement attend l'édifice, que ce
commencement de la foi demande sa perfection par la bonne vie, et
que ces murailles à demi élevées, qui se ruinent, parce qu'on né-
glige de les achever , rendent hautement témoignage contre ta folle
et téméraire conduite? Mais cela paraîtra bien mieux, si, après
avoir regardé la foi comme le commencement de l'édifice, nous
considérons maintenant qu'elle n'est pas établie pour demeurer s^ule,
mais pour servir de soutien à quelque autre chose. Car s'il est
l kuc, «y, 30, — 2 II Cor., x, 5.
»9-
3Q2 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
ainsi, Chrétiens, quelle ne soit pas établie pour demeurer seule,
mais pour servir d'appui à quelque autre chose, je vous laisse à
juger en vos consciences quelle injure vous faites au divin Sauveur,
si, ayant mis en vos âmes un fondement si inébranlable, vous
craignez encore de bâtir dessus: n'est-ce pas lui dire manifestement
que vous vous défiez du soutien qu'il vous présente, et que vous
n'osez vous appuyer sur sa parole ? c'est-à-dire que sa foi vous pa-
raît douteuse, sa doctrine mal soutenue, ses maximes peu assurées.
(Bossuet, Sermon sur la soumission due à la parole de Jésus- Chrit.)
L'indifferencc-pratique est coupable en elle-même.
J'appelle indifférence pratique ce système qui réduit le Christia-
nisme à la simple croyance : comme si l'on était Chrétien ainsi que
l'on est philosophe, par de stériles spéculations, qui n'imposent
aucun sacrifice aux passions, et qui ne sauraient produire aucune
vertu ! Observons d'abord que toute religion impose nécessaire-
ment de grands devoirs, par cela seul qu'elle règle les rapports
de l'homme avec Dieu, notre premier principe et notre fin der-
nière. Elle doit lui dévouer la raison , le cœur, les sens même; en
un mot, l'homme tout entier : donc retrancher de la religion les
pratiques et les devoirs , ce serait la détruire dans ce qui la consti-
tue essentiellement; en réprouvant l'impiété, ce serait en adopter
les principes dans toute la conduite de la vie.
De là cette conséquence qu'il suffira de vous développer, pour
vous faire comprendre le crime et l'illusion de cet état: U indiffé-
rence pratique n'est que U impiété pratique.
Considérez en effet l'impiété, non plus dans le vague de ses
systèmes, mais réduite en action, et appliquée à la conduite
de la vie : quels seront ses effets? D'abord elle éloigne les hommes
des devoirs consacrés pour le culte extérieur qui est comme le
corps de la religion. Pénétrant dans le cœur, elle anéantit les sen-
timens et les vertus d'où résulte leculte intérieur qui en estXame.
C'est ainsi qu'effaçant l'image de la Divinité du souvenir des hom-
mes, l'impiété leur apprend à vivre sans religion et sans Dieu. Or,
l'indifférence détruit également lareligion , parce qu'elle nouscon-
duit i° à l'abandon des devoirs extérieurs delà religion; 2° à
l'oubli des sentimens et des vertus qu'elle nous prescrit.
Elle nous conduit à l'abandon des devoirs extérieurs. L'indif-
férent se rassure d'ordinaire sur son attachement aux principes
de la foi; mais observez-le bien, mes frères, tout se lie et s'en-
chaîne dans cette religion divine; le Christianisme est tout prati-
DES PRÉDICATEURS. 3g(3
que, et il n'est pas un principe qui ne nous impose un devoir:
voyons comment l'homme indifférent les remplit. En vain la re-
ligion ramène les temps consacrés à la pénitence et à la prière, en
vain ont reparu ces augustes solennités, toujours sanctifiées chez
nos pères, par le renouvellement de la foi, f l'amendement des
mœurs et la ferveur de la piété ; en vain l'Eglise , dont il se dit en-
fant soumis, appelle tous les fidèles à se réconcilier à Dieu: lin-
différent se sépare, il s'excommunie lui-même : Segregant semet-
ipsos. Si l'on se montre dans le temple à certains jours , on y pa-
raît plus distrait qu'à un spectacle profane. Si on se résigne à
remplir quelques observances simples et faciles, c'est que le inonde
les a rangées parmi les bienséances; et ces faibles restes d'une foi
qui s'éteint sont moins un hommage que l'on rend à Dieu, qu'un
tribut de plus que l'on croit devoir à l'opinion ....
L'indifférent ne manque jamais de nous répondre que c'est par
le cœur que l'on est Chrétien ; que la religion n'existe que par les
sentimens, ne se prouve que par les vertus; montrons-lui donc
que, sous le rapport des sentimens et des vertus, son indifférence
se confond encore avec l'impiété.
Quelquefois , je le sais, vous le verrez dévoué à ses devoirs en-
vers les hommes, sensible pour les malheureux, fidèle à l'amitié;
ajoutez à ces qualités mille autres qualités sociales: n'examinons
pas ici la réalité de ses vertus; accordons pour un moment que
l'estimable réunion d'une rare droiture d'esprit, d'une extrême
bonté de cœur, avec une parfaite modération de caractère, ait
été assez favorisée par les circonstances pour que cette vertu ,
sans boussole et sans guide, ait échappé à tous les écueils du
monde, comme à tous les orages des passions; toujours est-il vrai
que ces vertus tout humaines n'ont rien de commun avec Jésus-
Christ, par qui seul nous serons sauvés. Cherchez dans leur con-
duite quelles sont les vertus que la foi leur .inspire, ou les actions
qu'elle détermine. Observez si elle est jamais le motif qui les
anime, ou le frein qui les arrête? Eux-mêmes vous diront qu'ils
obéissent à l'honneur, à la droiture naturelle; que, quand ils ces-
seraient de croire en Dieu, rien ne changerait dans leur conduite.
Hélas! nous leur répondrons en gémissant que, loin d'être de
vrais chrétiens, ils ne seraient pas même de vertueux païens. In-
terrogez ces peuples anciens, assis à l'ombre de la mort; apprenez
d'eux combien l'homme a besoin de Dieu dans tous les momens
de son existence; toutes leurs actions publiques et particulières,
leurs délibérations, leurs entreprises, portaient le caractère de la
2q4 nouvelle bibliothèque
religion. Les autels, les sacrifices, les dieux, se trouvaient par-
tout, clans le sénat , dans les armées, dans les places publiques,
sur les limites de leurs champs, et jusqu'au sein de leurs foyers.
Dans les ténèbres où ils étaient plongés , il semble que leur
ame se retournât sans cesse vers la Divinité; ils n'agissaient que
sous ses auspices, et n'étaient tranquilles que sous ses regards.
Grand Dieu! et les Chrétiens de nos jours vous ont relégué dans
vos temples! vous y restez délaissé, solitaire, sans qu'il vous
soit permis d'intervenir dans la conduite de leur vie ou le rè-
glement de leur maison ! Non , non , qu'ils interrogent de bonne
foi leur conscience : elle leur répondra qu'ils sont aussi éloi-
gnés des sentimensque des pratiques. Ils croient en vous, ô mon
Dieu! mais ils ne savent pas vous aimer, et ils ne daignent pas
vous craindre. Riches des biens dont vous les comblez, les voit-
on lever les yeux vers la main qui les leur distribue? Frappés
par votre justice, ils ont murmuré peut-être, mais ils ne se sont
pas repentis; ils confessent votre existence, mais ils ont mis
entre eux et vous un immense intervalle que leur ame appe-
santie ne songe pas même à franchir. Si on les presse de mettre
ordre à leur conscience, et de pourvoir à leur éternité, il n'en
n'est pas un qui ne vous réponde qu'il est bon fils, bon époux,
bon père, et que Dieu n'en demande pas davantage. O triste et
scandaleux renversement! les hommes sont tout, Dieu n'est rien !
Si les hommes n'ont pas à se plaindre, Dieu n'a rien à. exiger, pas
même la dette sacrée de la reconnaissance et de l'amour! On ne
parle parmi nous que de principes et de moralité , et, à la tête de
la morale, nous avons placé l'oubli de Dieu!
Eh quoi! les peuples les plus sauvages, les hordes les plus bar-
bares unissent leurs voix pour honorer le Père commun ! Depuis
qu'il existe des hommes, la terre entière n'est qu'un temple qui
retentit d'un bout à l'autre des accens de la religion, des gémisse-
mens de la prière , des hymnes de la reconnaissance, et des Chré-
tiens publieront hautement que l'homme a des droits sur l'homme,
et que Dieu, le gardien et le vengeur de tous les droits, ne s'est
réservé pour lui-même aucun hommage ; aucun tribut! O vous
qui reconnaissez dans le ciel un maître, un bienfaiteur, un père,
auriez-vous pu penser que que ces titres sacrés ne vous imposent
aucun devoir ? Quoi! pourvu que vous remplissiez quelques de-
voirs envers les hommes, où l'orgueil a peut-être plus de part que
la vertu, vous seriez déchargé de toute obligation envers Dieu !
pourvu que vous disiez : Je suis chrétien % le ciel vous laisse» ail le
DES PRÉDICATEURS. 395
droit inconcevable de négliger la religion et de la décréditer par
vos exemples! Vous vous flattez pourtant de trouver grâce devant
Dieu, parce que vous n'en êtes pas venu jusqu'à vous ranger parmi
les impies. Ainsi vous vous croyez justifié par cela seul qu'il
existe un état plus désespéré que le vôtre. Mais à quoi se réduit
la différence? L'impie vit indépendant de la Divinité, parce qu'il
a dit dans son cœur: 77 n'y a pas de Dieu. L'indifférent croit à son
existence, et vit comme si Dieu n'était pas. L'impie combat des
vérités nécessaires ; l'indifférent les néglige en les adorant. L'impie
sera quelquefois meilleur que ses principes; l'indifférent se dé-
prave en dépit des siens. L'un est plus insensé dans ses opinions,
l'autre plus inconséquent dans sa conduite. L'impiété se termine
à la haine de Dieu; l'indifférence à l'oubli, pour ne pas dire au
mépris de Dieu. (L'abbé Legris-Duval, Sur l'indifférence prati-
que.)
L'indifférence pratique est funeste dans ses conséquences.
C'est un préjugé particulier à notre siècle, de croire qu'il suffit
de conserver la foi pour s'acquitter envers la religion , pour vivre
en paix et mourir tranquille , pour satisfaire enfin à la grande
obligation de l'exemple envers la société. Non seulement votre foi
ne vous justifiera pas sans les œuvres, mais elle sera votre con-
damnation; non seulement elle ne vous consolera pas, mais elle
doit être votre tourment, et pendant la vie et à la mort; non
seulement votre foi n'édifiera pas la société, mais, unie à l'indiffé-
rence, elle en deviendra le scandale: telles sont les suites mal-
heureuses de l'indifférence pratique.
Elle sera votre condamnation. Parmi toutes les preuves que
nous pourrions vous en donner, nous nous bornerons à cette
opposition constante et volontaire que l'indifférence établit entre
votre conscience et votre conduite, qui devient une contradiction
de tous les momens et une inconséquence de toute la vie. Qu'est-
ce, en effet, qu'un Chrétien qui croit sans pratiquer ? C'est un
homme profondément convaincu qu'un Dieu est descendu du ciel
pour nous éclairer par l'Evangile, qu'il en a dicté tous les oracles,
qu'il l'a consacré par ses exemples, qu'il l'a scellé de son sang; et
cet Evangile, il ne le suit pas ! Il croit que l'Eglise tient ici-bas la
place de Jésus-Christ même, pour nous diriger et nous instruire;
et cette Eglise, il ne l'écoute pas! Il sait, il croit d'une foi ferme
que la mort peut le livrer à chaque instant entre les mains de la
justice éternelle , et il ne s'y prépare pas ! Mais de tous les mys-
1Ç)6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
tères que peut renfermer le cœur de l'homme clans l'excès de l'in-
sensibilité, voici le plus effrayant : Vous croyez à un Enfer, et
vous ne faites rien pour l'éviter! que dis-je ? vous accumulez
chaque jour vos offenses. Courbé sous le poids des iniquités, vous
vous jouez en aveugle sur le bord des abîmes éternels, et vous en
sondez sans effroi la profondeur ! Ah! laissez à l'incrédule la gloire
affreuse de s'endurcir contre son Dieu ! Etes-vous entraîné loin
de lui par des passions qui se seraient changées en habitudes , vo-
tre foi vous condamne; elle vous dit que, vous exposer à mourir
dans cet état, ce serait agir en insensé. Nous direz-vous que nul
désordre ne vous accuse, vous prononcez vous-même votre arrêt.
Quoi ! il vous serait si facile de consacrer par la foi les vertus qui
vous honorent, et vous en voulez perdre le fruit pour l'éternité !
Quoi! sans avoir à redouter ni la rigueur des sacrifices , ni l'humi-
liation des aveux, vous pourriez vous refuser à des démarches
consolantes, que Dieu commande, d'ailleurs, avec une autorité
absolue !
En vain dans cet état espérez-vous goûter les consolations de
la foi pour avoir part à ses bienfaits; ce n'est pas assez de la con-
naître , elle veut des âmes aimantes et capables de la sentir pro-
fondément. Notre religion n'est point un système ni une opinion
religieuse; ainsi que la nomme le monde, la religion est un sen-
timent , le plus heureux, le plus puissant des sentimens ; elle fait
le bonbeur du Juste , elle embellit la prospérité ; mais au jour de
l'adversité elle déploie sa vertu divine. Le Juste est grand dans le
malheur , il est heureux des biens qu'il attend, heureux des ver-
tus qu'il pratique. Dans le ravissement de l'espérance et de l'amour,
il est heureux des maux qu'il souffre , et des larmes qu'ils lui
font répandre. Mais vous qui , glacés par l'indifférence, vous con-
tentez de reconnaître la vérité et vous contentez de l'adorer de
loin, où puiserez-vous la consolation? Sera-ce dans les vertus
touchantes de la foi ? mais vous ne les pratiquez pas ; dans les
biens ineffables qu'elle nous présente? vous ne faites rien pour les
mériter ; dans la méditation de sa céleste doctrine ? elle vous trou-
ve toujours rebelle. Ah ! lorsque abattu par l'infirmité, aban-
donné par le monde , frappé peut-être de ces plaies cruelles du
cœur qui ne se guérissent jamais, vous reviendrez à la religion,
le seul appui de l'homme et sa dernière amie dans le malheur, elle
s'attendrira sur vos douleurs , sans doute ; mais que pourra-t-elle
pour votre bonheur? Elle ouvre à vos yeux l'Evangile; partout
vous y lisez votre arrêt ; partout c'est un Dieu qui punit le servi-
TES PRÉDICATEURS. 297
teur inutile, qui condamne l'arbre stérile, qui se plaît à surpren-
dre le pécheur ; un Dieu qui ne récompense que l'amour, et ne
fait grâce qu'au repentir. (Le Même.)
I/indifférence-pralique est le scandale de la société.
Ne nous dites pas que vous respectez la religion , que vous la
recommandez dans vos familles; un mot suffit pour vous répon-
dre : vos principes sont pour vous seul, vos exemples sont pour
les autres; plus même vous leur aurez inspiré de confiance par
l'élévation de vos sentimens, plus ils seront portés à juger
que les pratiques religieuses sont médiocrement utiles , puisque
enfin vous les négligez, et, vous voyantsur tout le reste justes, modé-
rés, fidèles à tous vos devoirs, comment ne penseront-ils pas que la
religion n'en est pas un, puisque vous réservez pour elle l'indif-
férence et l'abandon? Alors, si leurs principes se dépravent, si, né-
gligeant à leur tour le service de Dieu, ils passent rapidement de
l'indifférence à l'irréligion, de l'irréligion à l'immoralité profonde;
si , jusqu'au sein de vos familles, vous voyez s'établir la licence
et le scandale , quels regrets vous vous serez préparés ! O combien
de parens verseront des larmes amères, en voyant mettre en prin-
cipe par leurs enfans ce qu'ils auront eux-mêmes établi dans la
pratique! Malheureux! pour n'avoir pas compris que la religion
conserve en vain ses temples et ses autels, si on lui ravit les vertus
qui répondent de son existence, et qu'après une génération indif-
férente il ne peut naître qu'une génération incrédule. Le monde
a vu plus d'une fois des peuples égarés par le fanatisme religieux
quitter la religion de leurs pères, pour passer à des cultes étran-
gers et à des religions nouvelles; mais à la suite de l'indifférence
vient le mépris de toute religion, la nuit profonde de la barbarie;
et pour réunir en un seul mot toutes les erreurs, tous les fléaux,
tous les forfaits, si nous cessions d'être Chrétiens, il ne nous reste
que l'athéisme, athéisme populaire, universel, sans ressource et sans
espérance. Repoussée par la persécution, la religion rentre sou-
vent clans les empires, et s'y établit avec gloire; chez un peuple
indifférent, elle languit, elle s'éteint comme la dernière étincelle
d'un flambeau qui finit, pour ne se rallumer jamais. (Le même.)
La foi des prétendus chrétiens de nos jours ne sert qu'à les rendre plus coupables
devant Dieu.
Que diriez-vous d'un criminel qui sous les yeux de son juge,
90,8 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
prêt à prononcer son arrêt, lui ferait mille outrages ? Que pense-
riez vous d'un vil sujet, qui, au service d'un puissant roi/ em-
pressé à lui faire du bien, négligerait les moyens de gagner ses
bonnes grâces ? Quel nom donneriez vous à un fils, qui, sui-
des bontés de son père, abuserait des faveurs qu'il en reçoit,
pour entretenir son libertinage? Ne les mettriez-vous pas au rang
des insensés et des fous? Voilà qui vous êtes, vous tous qui pen-
sez bien, et qui vivez mal. Faites un moment avec moi, je vous
prie, le parallèle de votre conduite et de votre foi : et voyez si
l'une, rapprochée de l'autre, ne forme pas contre vous une évidente
conviction de folie.
Je crois, dites-vous, et je crois que Dieu est présent partout;
qu il éclaire chacune de mes actions,- que pas une de mes pensées
ne lui échappe; qu'il tient la foudre en main pour punir le cou-
pable, et qu'il n'a qu'à la laisser partir pour m'écraser et me per-
dre au moment où je suis. De si effrayantes vérités devraient bien
me retenir dans le devoir, et ni 'empêcher de transgresser ses lois
si respectables. N'importe, péchons toujours, quoique en sa pré-
sence : violons ses lois, bravons ses menaces ; que ce glaive ven-
geur, qui pend sur nos têtes , et qui ne tient qu'à un fil, ne nous
donne ni inquiétude ni frayeur. Quelle conséquence ! Je crois que
Dieu m'a aimé de toute éternité , et qu'il m'a aimé d'un amour de
prédilection et de choix; qu'après m'avoir tiré du néant il me
conserve encore; qu'il m'a fait naître, non seulement dans la vraie
religion, mais aussi dans l'Eglise véritable ; que par là , avant même
que je pusse le connaître, il m'a mis en possession du corps, du
sang, des mérites de son Fils; de si tendres souvenirs devraient
bien confondre mon ingratitude, et me porter à la reconnaissance.
Mais non, outrageons ce prodigue bienfaiteur; perçons le sein de
ce père des miséricordes ; crucifions de nouveau ce roi de gloire.
Si son amour nous importune, éloignons-en la pensée. Si sa grâce
nous sollicite, résistons à ses inspirations. Si notre conscience
nous trouble , étouffons-en les remords, pour pécher en assurance.
Quelle conclusion !
Je crois qu'il y a pour moi un Paradis et un Enfer, c'est-à-dire,
une alternative de félicités ou de tortures éternelles; les unes
destinées aux bons, et les autres réservées aux méchans. Je vis
dans le péché : j'y puis mourir à toute heure. La pénitence seule
peut me sauver, et il ne tient qu'à moi d'y avoir recours. De si
pressans intérêts méritent bien qu'on y pense. Cependant point
de réflexions. Fermons les yeux au ciel. Jetons-nous tête baissée
DES PRÉDICATEURS. 9-99
dans l'abîme. Trésor de récompense! Rassasiement de joies! Cou-
ronne d'immortalité! cédez à un moment de plaisir, à un point
d'honneur, à un vil intérêt, à un peu de bien mal acquis. Et vous,
ver rongeur, flammes dévorantes, éternité de regrets , de déses-
poir et de fureur, prenez la place d'un léger effort, d'une restitu-
tion juste, d'un aveu salutaire, et d'un saint repentir. Quel raison-
nement, ou plutôt quel délire!
Et ne me dites pas que ce sont là de fausses suppositions ; que
je fais raisonner le pécheur comme il me plaît , afin de le confon-
dre, et que s'il avait les vérités de la foi bien présentes, il ne se-
rait pas assez fou pour les contredire de sang froid. Mais qu'il n'y
pense pas, et qu'ainsi il est moins coupable de folie que de né-
gligence. Pitoyable ressource ! comme si la négligence dans une
affaire aussi intéressante que le salut n'était pas le comble de la
folie, et qu'ici le manque d'attention et de défaut de sens ne fût
pas la même chose; mais j'ai des preuves convaincantes que, lors
même que les vérités de la religion sont les plus présentes à son
esprit, le pécheur ne laisse pas d'en tirer des conclusions contra-
dictoires en pratique.
N'avez-vous jamais vu un de ces heureux du siècle, qui a fait
une fortune opulente, et qui conduit au tombeau un autre favori
de la fortune, qui a vécu dans la même opulence que lui ? Peut-il
ne pas faire de sérieux retours sur lui-même? J'ai déjà tant d'an-
nées accomplies; elles ont passé les bornes marquées à la plupart
de ceux à qui je survis : et j'assiste aujourd'hui à la pompe funèbre
d'un de mes contemporains et de mes amis. Quelle part ai-je à ce
spectacle? et quel est ici mon personnage? Assisté-je aux funé»
railles d'un autre , ou sont-ce mes propres funérailles que l'on
prépare? Si ces restes de vie que je traîne me disent que je suis
encore au monde, ce mort qu'on ensevelit à mes yeux me crie
que j en dois bientôt sortir. Ces rides qui défigurent mon visage,
ce corps qui plie déjà sous le faix des ans , ces infirmités qui de
jour en jour minent mes forces; tout seconde sa voix, et m'an-
nonce ma fin prochaine. Cependant que fais-je sur la terre ? J'y
amasse du bien ; j'y accumule des trésors; je me réjouis dans la
pensée que l'année prochaine verra grossir mes revenus. Fatal
aveuglement! folie incurable! Ah! je ne dois plus penser qu'à
ta mort. Il faut me préparer à paraître devant Dieu, m'occuper
de bonnes oeuvres, et n'avoir d'autre soin que mon salut. Ainsi
raisonne-t-d, sans doute, en idée. Qu'en conclut- il en pratique ?
Hélas ! ses belles réflexions s'évanouissent avec l'objet qui les a
300 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
fait naître. Le défunt dans sa fosse, il oublie qu'il est sur le bord
de la sienne; et, au sortir du convoi, il va peut-être signer encore
quelque contrat usuraire; ou, s'il a part à l'héritage, disputer à
l'Eglise ou aux pauvres quelque legs pieux du mort.
Autre exemple encore plus commun: Voyez un de ces jeunes
libertins qui vivent comme s'il n'y avait point pour eux d'autre
vie; voyez-le étendu sur un lit de douleur, observez-le, surtout
dans ces momens critiques où on lui administre les sacremens :
écoutez-le parlera l'assemblée; demander aux assistans pardon de
ses scandales; donner des avis de conversion et des leçons de pé-
nitence à ses compagnons de débauche. Tous fondent en larmes
plus encore de joie que de douleur. Chacun croit entendre un ora-
cle. Il n'est personne qui ne le canonise par avance. Belles mora-
lités en effet dans la spéculation! Mais quelles en sontles suites pour
la conduite? Hélas! à peine est-il hors du péril, qu'il reprend les
mêmes habitudes, mêmes excès, mêmes intrigues, mêmes em-
portemens, mêmes fureurs: et ce pécheur, qui raisonnait il y a
peu de jours en vrai saint, aux approches de la mort, agit en vrai
libertin, tel après qu'avant sa maladie
Le second chef de l'accusation que la foi produira contre les
Chrétiens prévaricateurs ne sera pas moins considérable. Ce sera
celui d'infidélité dont ils se seront rendus coupables, en violant
les promesses qu'ils lui auront faites si souvent à la face des au-
tels. Saint Chrysostôme expliquant ces terribles paroles de l'Apô-
tre : Point de miséricorde pour celui qui retient injustement la
vérité de Dieu captive , nous représente éloquemment cette foi,
s'élevant au jugement dernier contre ces prétendus fidèles; leur re-
prochant et l'infidélité de leurs promesses, et l'énormité de leurs
déréglemens; et demandant vengeance à Dieu de ce qu'ils l'ont
retenue asservie et captivée sous les honteuses lois de leurs bruta-
les passions; malgré tous les engagemens qu'ils avaient pris avec
elle dans les sacremens : Ira Dei super omnem injustitiam homi-
num, qui veritatem Del in injustitia detinent.
Justice, Seigneur! s'écriera-t-elle; justice contre ces Chrétiens
baptisés , qui m'ont en toute occasion sacrifiée aux suggestions du
malin esprit, auxquelles ils avaient solennellement renoncé dans
leur baptême, pour suivre uniquement mes leçons. Justice contre
ces fidèles confirmés , qui n'ont pas eu honte de me déshonorer
pour plaire au monde, dont ils avaient juré dans leur confirmation
de mépriser les mépris et les outrages mêmes, plutôt que de rou-
gir jamais de leur religion. Justice contre ces Catholiques profana-
des prédicateurs. 3oi
teurs de la divine Eucharistie , qu'ils ont reçue de moi , et qu'ils
ont outragée malgré moi, en abusant d'un corps nourri tant de fois
du corps adorable d'un Dieu. Justice contre ces époux séparés et
ces épouses désunies, qui m'ont trahie parleur mésintelligence, en
rompant une union sainte qu'ils avaient contractée dans mon sein
comme la fidèle image de l'union indissoluble de Jésus-Christ et
de son Eglise. Justice contre ces indignes ecclésiastiques , qui
m'ont scandalisée en scandalisant ceux que je regardais comme
mes enfans, et qui m'ont fait tort en mésusant d'un bien que je
leur avais confié , comme le patrimoine des pauvres. Justice enfin
contre tous ces parjures élèves de mes soins, qui ne m'ont payée
que d'ingratitude, qui m'ont défigurée aux yeux de l'univers, et
qui m'ont réduite à regretter la différence que l'on faisait autrefois
de mes disciples et de ceux du paganisme. J'étais dans l'esprit et
dans le cœur de ces pécheurs, comme un flambeau divin, dont ils
tâchaient d'obscurcir la lumière; comme un feu sacré dont ils
s'efforçaient d'éteindre la flamme, comme un talent précieux dont
ils affectaient en toute occasion de ravaler le prix. Arbitre souve-
rain de leur sort, témoin de leurs engagemens, et juge de leur con-
duite, vengez-moi , vengez ma liberté , mon intérêt et ma gloire :
ou plutôt vengez-vous vous-même, Seigneur: c'est de vous qu'ils
m'ont reçue. Vengez votre Fils ; c'est son sang qui m'a produite.
Vengez votre esprit ; c'est la source qui m'a fait naître ; et ne
souffrez pas* qu'impunément ils aient enseveli dans l'horreur de
leurs désordres la première des vertus chrétiennes : Ira Dei su-
per omnem injustitiam hominum^ qui verilatem Del in injustitia
detinent.
Àdescris si justes, pécheurs, que pourrez-vous répondre ?Vous
plaindrez-vous encore, comme vous faites si souvent, de !a sévérité
des lois que vous imposait la foi ; mais c'est alors que la foi vous
fera mieux sentir que jamais combien vos plaintes étaient injustes.
Vous vous plaigniez, vous répondra-t-e!le; de la sévérité de mes
lois; aviez- vous raison de vous en plaindre? Qu'exigeaient-elles de
vous que vous n'exigiez pas vous-mêmes de vos semblables? Elles
vous prescrivaient la charité, la patience, l'humilité, la douceur. Ne
souhaitiez-vous pas que l'on fut à votre égard, doux, humble, pa-
tient, charitable? Vil vermisseau de la terre, sorti de la même
poussière que le reste des hommes, était-il juste que votre prochain
fût obligé de se contraindre pour vous , et que vous ne fussiez pas
tenu de vous gêner pour lui? qu'il fût chargé de supporter vos dé-
fauts , et que vous fussiez exempt de lui pardonner ses offenses ?
302 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
que vos besoins devinssent les siens, et que ses intérêts ne fussent
pas les vôtres? qu'il fut damné pour vous avoir fait tort, et que
vous fussiez sauvé après lui avoir porté tant de fois préjudice ? eu
un mot , que vous vécussiez seul privilégié parmi tant d'hommes
devenus par ma loi vos redevables et vos tributaires ? Quelle
partialité !
Vous vous plaigniez tous les jours de la sévérité de mes lois ;
en quoi donc les trouviez-vous si sévères? en ce qu'elles réprimaient
tous vos mauvais penchans , l'envie, l'avarice, l'ambition, la sen-
sualité. Fallait-il, pour vous satisfaire, donner libre carrière à des
monstres si cruels? Quels ravages n'auraient-ils pas causés dans
l'univers? C'eût été bientôt un chaos ou plutôt un Enfer, que la
religion chrétienne, semblable au paganisme, aurait peuplé de
vices; au lieu d'en faire, comme elle en a fait autrefois dans les
premiers siècles de 1 Eglise, un Paradis enrichi de vertus. Quel
renversement!
Vous vous plaigniez à toute heure de la sévérité de mes lois ;
mais quels efforts faisiez-vous donc pour vous y conformer, et
pour les suivre? Demandiez-vous la grâce de les accomplir? évi-
tiez-vous l'occasion de les enfreindre? témoigniez-vous quelque
regret de les avoir violés tant de fois? Ah! si vous aviez fait tout
ce que vous pouviez , vous auriez bientôt reconnu qu'elles ne de-
mandaient rien d'impossible; rien même de si rebutant et de si
dur à la nature. Les douceurs qu'elles vous promettaient ne vous
auraient pas manqué dans la suite, si vous n'aviez pas manqué
d'abord aux secours qu'elles vous offraient. Un peu de cdurage
vous aurait rendu plus fort, et mon joug plus léger. Mais vous cé-
diez à vos répugnances; vous entreteniez vos révoltes , vous ai-
miez vos faiblesses, et vous vous plaigniez toujours de la sévérité
de mes lois. Quelle iniquité!
Enfin vous vous plaignez sans cesse de la sévérité de mes lois.
Mais tant d'honnêtes païens et de mauvais Chrétiens se sont-ils
plaints de même des lois autant ou plus sévères encore qu'ils ont
reçues du monde ou du démon , en les recevant de leurs propres
passions dont ils s'étaient rendus comme vous les malheureux escla-
ves? Ecoutez, faux fidèles, écoutez ces infidèles oracles étaler leurs
succès, et apprenez des hommages qu'on a rendus à leurs trom-
peuses paroles , les hommages que vous deviez à la véritable foi.
Moi, dira un Pythagore, je portai dans l'Italie grand nombre
de jeunes gens à renoncer à leurs plaisirs ; de femmes mondaines
à fouler aux pieds leur faste; de personnes de tout âge et de tout
DES pRÉDICATEUHS» 3o3
sexe à aimer le silence, le recueillement, la méditation et la re-
traite. Cependant l'espérance de l'immortalité que je leur donnais,
par la transmigration de leurs âmes, n'était, à proprement parler,
qu'une succession de morts.
Moi , dira un Hégésias , je parlai si bien dans la Grèce sur les
dégoûts du monde, sur les amertumes de la vie, sur les misères
du temps , que l'on en vit plusieurs courir d'eux-mêmes au tom-
beau et avancer leur trépas. Cependant je n'avais ni Paradis à
leur promettre ni Dieu mort pour leur salut à leur proposer pour
exemple.
Moi, dira un Zenon, j'élevai l'homme au dessus de l'homme ,
l'esprit au dessus du corps , et le corps même au dessus des dou-
leurs. Cependant mon stoïque héroïsme n'était au fond qu'un vain
orgueil.
Et moi, dira le démon , j'ai pris l'homme par lui-même; je l'ai
fait esclave de ses sens, martyr de ses désirs, victime de ses pas-
sions; et cependant pour de véritables maux, je ne lui ai jamais
offert que des biens apparens.
Ah! Chrétiens! toutes ces comparaisons, hélas! trop sensibles
d'école à école, de disciples à disciples, ne vous feront-elles pas
rougir de votre indolence à la foi, et convenir de l'injustice que
vous lui faisiez, en vous plaignant de la sévérité de ses lois? Se-
conde accusation.
Enfin le dernier chef d'accusation , et le plus grief de tous ceux
que la foi portera contre les Chrétiens de mauvaises mœurs, ce
sera celui d'hypocrisie, dans les preuves même les plus éclatantes
qu'ils auront données de leur religion, et qui n'auront servi qu'à
les faire paraître ce qu'ils n'étaient pas. C'est le sens de ce redou-
table arrêt du Sauveur du monde, qui condamne tout méchant
serviteur, c'est-à-dire tout mauvais Chrétien, à être mis au rang des
hypocrites : Partemque ejus ponet cum hypocritis. (Le P. Segaud.)
Péroraison.
Voilà donc tout ce que produit cette foi morte dont se glori-
fient tant de mauvais Chrétiens , qui la déshonorent par leur vie.
C'est de les rendre certains qu'ils n'en seront que plus punis, plus
tourmentés , plus malheureux dans l'autre monde. Triste emploi,
d'être réduit à porter partout son arrêt, et à prononcera toute
heure sa condamnation! Funeste assurance, de savoir qu'on
aggrave de jour en jour sa perte, et qu'on creuse de moment e&
3o4 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
moment son précipice ! désolante pensée, d'être obligé de se dire :
Je suis Chrétien, et Catholique par la grâce de Dieu ; j'en ai le
nom, j'en porte le caractère, j'en tiens la foi , quoique je n'en fasse
pas les œuvres. Mais cette foi gratuite, que j'ai reçue de la pure
miséricorde de mon Dieu , ne servira qu'à me rendre le principal
objet de sa haine ; qu'à proportionner ses fureurs à sa bonté,
qu'à mesurer sur ses faveurs mon supplice. Ce nom glorieux, qui
me distingue des infidèles , me rangera bien au dessous des païens,
des athées mêmes, dont j'abhorre les sentimens, et dont je déplo-
re le sort, m'attirera de plus grièves peines que les leurs, quoi-
qu'elles soient extrêmes ; me plongera dans un abîme de malheurs,
qui me fera envier leur malheur même. Ce caractère ineffaçable,
qui devait faire ma gloire et mon bonheur , sera comme un signal
à toutes les flammes de l'Enfer à se réunir contre moi; à tous les
damnés d'insulter à ma misère; à tous les démons mêmes de me
charger d'opprobres, et de m'accabler de tourmens pendant l'éter-
nité tout entière.
Ce n'était pas là votre dessein, divin Auteur et redoutable ven-
geur de la foi ; ce n'était pas voire dessein, en nous la donnant ,
de nous damner et de nous perdre. Vous vouliez sans doute, en
nous mettant au rang de vos disciples, nous mettre au nombre
de vos élus ; et si vous nous avertissez tant de fois dans votre
Evangile que vous demanderez plus à qui aura plus reçu , que
vous nous punirez de nos péchés a proportion de nos lumières,
que les domestiques et les enfans de la foi auront à votre tribunal,
pour accusateurs et pour juges, les étrangers et les infidèles, ce
n'est que pour nous engager, par une crainte salutaire, à faire un
bon usage de ce don si précieux , à le conserver et à l'accroître
même par une continuelle ferveur, à le faire valoir par une
exacte conformité de sentimens de nos paroles et de nos mœurs,
et à nous rendre par là dignes de vos récompenses éternelles , etc.
( Le même. )
DES PRÉDICATEURS. 3o5
GRACE.
RÉFLEXIONS THEOLOGIQUES ET MORALES SUR CE SUJET.
Traiter de la grâce est délicat et difficile ; et pourtant instruire
sur la grâce est important et nécessaire. Il n'y a point de dogme
qu'il soit plus dangereux d'approfondir, parce que, sur les ques-
tions qu'il présente, les erreurs sont très funestes,* il n'y en a point
qu'il soit plus utile de développer, parce que c'est celui qui est le
plus fécond en conséquences morales. Dans cette discussion épi-
neuse, il faut joindre à la profondeur la circonspection, et la pré-
cision à l'étendue. Il faut montrer la toute-puissance de la grâce,
sans exagérer son action, et craindre le double danger clelui attribuer
trop d'influence, ou d'accorder à la liberté trop d'indépendance.
Dans la ténébreuse obscurité de ce mystère, on navigue entre deux
écueils également périlleux. Les efforts pour éviter l'un portent
à aller se heurter et se briser contre l'autre. Que de déplorables
naufrages sur tous les deux nous présente l'histoire de la religion !
Pénétré du sentiment de sa liberté, Pelage combat la nécessité de
la grâce ; frappés des textes formels qui établissent la nécessité et
le pouvoir de la grâce, Calvin et les novateurs plus récens lui
attribuent une force nécessitante. Ainsi, se laissant entraînera ses
préjugés et à l'entêtement de ses vaines pensées, l'orgueil porte à
l'extrême les dogmes sacrés, et en fait des hérésies. De ce qui de-
vrait être l'objet d'une foi humble , il fait l'objet de sa présomp-
tueuse curiosité. 11 prétend assujétir à ses décisions des mystères
qu'il lui est enjoint d'adorer en silence l.
Systèmes catholiques sur la grâce.
Il est vrai pourtant qu'outre ces systèmes erronés qu'a en-
fantés l'esprit d'insurbordination , des théologiens catholiques, des
* Eccli., m, 22.
T. III, 20
3o6 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
docteurs très respectables se sont efforcés d'expliquer les incom-
préhensibles opérations de la grâce , et que, loin de condamner
leurs divers systèmes , l'Eglise a permis de les enseigner tous, et
de les soutenir. Ces docteurs justement célèbres, occupés à con-
fondre les hérétiques, ne voulant pas laisser une apparence de
victoire à ces hommes toujours prêts à triompher sans raison, ont
jugé utile de montrer la possibilité d'une conciliation entre des
dogmes dont l'apparente opposition avait causé tant d'erreurs.
Mais d'abord, soumis à l'irréfragable autorité de l'Eglise, ils se
sont religieusement renfermés dans les bornes sacrées qu'ont po-
sées ses décrets , et leurs divers systèmes ne portent aucune
atteinte aux dogmes qu'elle a définis. Ensuite ils ont présenté
leurs idées, non comme des vérités certaines, mais comme des
opinions probables ; non comme des assertions qu'on fût- tenu
de croire, mais comme des propositions que l'on pouvait admettre,
et qui, selon eux, levaient les difficultés et détruisaient les erreurs
sur la grâce. Si quelques théologiens ont été plus loin que leurs
maîtres, ont prétendu asservir les esprits à leurs opinions, et les
ériger en dogmes, ce sont des torts personnels que ne partagent
ni les sages auteurs de ces systèmes ni les écoles pieuses qui les
soutiennent.
Peut-être, au reste, eiit-il été plus à désirer que ces questions,
qui ne tiennent point au fond de la religion, n'eussent jamais été
agitées, et qu'on les eût mises au nombre de celles que saint Paul
veut que Von évite, parce qu'elles engendrent des contestations $,
Qu'est-il résulté, en effet, de toutes ces discussions scoîastiques sur
les divines opérations de la grâce? Des controverses interminables,
souvent soutenues avec trop de chaleur, et de tous côtés des dif-
ficultés insolubles. Quelles lumières ont jetées, sur l'obscuritéde ces
mystères, ces disputes continuées depuis plusieurs siècles? L'inef-
fable conduite de la grâce est-elle mieux connue qu'avant ces
débats? Ce qui fut obscur pour les grands docteurs de l'antiquité
a-t-il été rendu plus clair parles théologiens modernes? Nous avons
peine à comprendre une multitude de choses qui sont sur la terre ,
que nous avons sous les yeux,* et nous prétendrions connaître plei-
nement, expliquer clairement les choses célestes, pénétrer dans
les secrets de Dieu, et en savoir ce qu'il ne lui a pas plu de nous
révéler 2! Et ne doit-il pas nous suffire que Dieu nous ait appris
sur sa grâce, ce qu'il nous importe de savoir pour régler notre con.
* Iï. Timoth., ii, 23. — 2 Sap , ix, 16, 17.
DES PRÉDICATEURS. OOJ
duileï' Quand, nous ouvrant son sein, il nous introduirait dans
la profondeur de ses décrets, et nous découvrirait les admirables
moyens par lesquels sa grâce triomphe de notre liberté en la
laissant tout entière, quel avantage nous reviendrait de cette con-
naissance plus étendue? Ces nouvelles lumières nous éclaireraient-
elles davantage sur nos devoirs envers la grâce , sur les moyens
d'en profiter? La grâce n'agirait-elle pas toujours de la même ma-
nière ? Ne serions-nous pas toujours obligés d'y correspondre? Ce
n'est pas notre conscience spéculative sur la grâce , c'est l'usage
pratique que nous en aurons fait , que nous présenterons au tri-
bunal suprême. Bannissons d'ici tous les systèmes, et les abandon-
nant aux controverses de l'école, bornons-nous à considérer ce
que Dieu nous ordonne de croire sur sa grâce et de pratiquer
au sujet de sa grâce.
Notion de la grâce.
La grâce dont il s'agit ici n'est pas la grâce habituelle, la grâce
sanctifiante, l'état de grâce : nous parlons de la grâce actuelle,
de la motion transitoire, souvent momentanée, que nous im-
prime la miséricorde divine ; don le plus précieux de tous les
dons qu'elle puisse nous accorder sur la terre ; don surnaturel dans
son principe qui est Dieu, dans sa nature qui est divine , dans son
motif qui est les mérites de Jésus-Christ, clans son effet qui est de
nous faire pratiquer les œuvres méritoires, dans son but qui est
le céleste séjour; don qui fait les justes et leur procure la persévé-
rance, qui anime les pénitens et les soutient dans leurs travaux;
qui ranime les pécheurs et les retire de leurs voies criminelles;
don qui repousse les tentations, réprime les passions, rectifie les
inclinations, réforme les habitudes; don des dons, source abon-
dante de cette eau salutaire qui éteint les feux de notre concupis-
cence, qui étanche notre soif des biens futurs , et qui jaillit pour
nous jusque dans la vie éternelle i. Le grand docteur de la grâce
qui en avait été le miracle, saint Augustin, dit qu'elle est une bonne
concupiscence opposée à la concupiscence vicieuse. Agissant toutes
deux par des moyens semblables, mais dans des sens contraires,
elles produisent des effets opposés. L'une et l'autre préviennent
les mouvemens et les lumières de la raison naturelle. L'une et
l'autre nous inclinent d'une douce manière, soit au bien, soit au
mal. L'une nous présente le vice sous les formes les plus spécieu-
1 Joan., îv, 13, 14,
20,
3o8 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
ses; l'autre nous découvre toute la beauté de la vertu. Celle-là
adoucit les amertumes et les peines qui, dès cette vie, sui-
vent le péché; celle-ci allège ce que la pratique des bonnes œu-
vres peut avoir de pénible. Ce sont deux vents : l'un favorable, qui
nous conduit au port; l'autre contraire, qui nous pousse contre
des écueils et dans l'abîme.
Le péché de notre premier père a causé dans notre ame deux
ravages principaux : il a obscurci notre intelligence, il a corrompu
notre volonté. Aveugles que nous sommes, comment verrons-nous
ce qui est utiie à notre salut? Devenus faibles et impuissans à agir,
comment l'opérerons-nous ? Enseignez-moi vos voies , ô mon Dieu,
et daignez m'y diriger, disait un Prophète1. Ses vœux ont été exau-
cés. Ce que le premier Adam terrestre avait perdu , le second Adam
tout céleste la recouvré 2. Les ruines du genre humain dont le
premier avait couvert la terre, le second les répare, et il en con-
struit l'édifice de sa cité sainte, delà Jérusalem spirituelle. La grâce
qu'il nous a acquise au prix de son sang est l'instrument qu'il em-
ploie à ce grand ouvrage. Elle est un rayon lumineux et brûlant de
ce soleil de vérité; elle entre dans notre esprit, et l'éclairé; elle pé-
nètre dans notre cœur, et l'embrase. Par sa vive clarté, elle nous
fait apercevoir ce que nous devons aimer; par sa chaleur vivifiante,
elle nous fait chérir ce qu'elle nous a appris à connaître.
Divers degrés de la grâce.
Toutes les grâces divines ont le même objet , qui est de nous
faire opérer le bien dans l'ordre du salut. Toutes sont suffisantes
pour nous faire produire leur effet; mais toutes ne sont pas éga-
lement fortes. Il en est de divers degrés, que Dieu nous distribue
selon les vues de sa sagesse. Connaissant notre faiblesse, notre
déplorable inclination au mal, il voit que par notre perversité
nous rendrons insuffisans les secours qui pourraient, qui devraient
nous suffire. A ces grâces ordinaires et communes, sa miséricorde
en joint d'autres, choisies et plus puissantes, qui répandent dans
l'esprit de plus claires lumières; qui donnent à la volonté de plus
fortes impulsions; qui animent le cœur de sentimens plus vifs;
qui agissent plus efficacement sur nos âmes, et produisent in-
failliblement leur effet. D'où tirent-elles leur efficacité? La por-
tent-elles dans leur nature? Est-elle le résultat de la coaptation,
» Tsal., \\\y, 4, 5. — a i Q0Tt) xv, 47.
DES PRÉDICATEURS. 3oO,
de lattempération que Dieu en fait à nos dispositions? C'est une
question qu'agitent, et sur laquelle disputent les écoles, mais
qu'il nous importe peu d'examiner. Occupons-nous de celles des
propriétés de la grâce qui nous intéressent, qui sont relatives
à nous , et dont les conséquences morales doivent influer sur
notre conduite.
Nécessité de la grâce.
La première qualité que nous devons considérer dans la grâce
est la nécessité; nécessité positive, absolue, qui n'est pas seule-
ment une nécessité de convenance; nécessité générale, qui n'est
pas bornée à quelques hommes, mais qui les comprend tous;
qui n'est pas restreinte à certaines circonstauces, mais qui s'é-
tend à tous les actes de la vie chrétienne, quels qu'ils puissent
être.
En vain représenterons-nous aux regards du monde des vertus
éclatantes, des actes distingués de probité, de générosité, de bien-
faisance; si tout cela n'est pas marqué du sceau de la grâce, tout
cela est dans l'ordre du salut comme s'il n'était pas. Ce sont des
vertus inutiles pour le ciel, des œuvres mortes pour l'éternité.
Sans la rosée salutaire de la grâce, l'homme est dans le champ du
Seigneur un arbre stérile qui ne porte aucun fruit de salut; l'ame
est une terre desséchée, aride *, qui ne peut rien produire de bon.
En vain , dit le Prophète-Roi , travaillerons-nous à élever l'édifice
de notre sanctification, si Dieu ne le construit; en vain veille-
rons-nous pour le défendre, si Dieu ne daigne s'en faire le gar-
dien2. Jérémie reconnaît que la vie de l'homme n'est pas en son
pouvoir, et qu'il ne lui appartient point de diriger ses pas 5; Jésus-
Christ nous déclare que nul ne peut venir à lui, s'il n'est attiré
par le Père céleste 4. L'Ecriture nous présente un emblème bien
frappant de cette nécessité du secours d'en haut. Celui de tous les
hommes que Dieu ait revêtu de la plus grande force, Samson, ne
pouvait rien que par l'assistance divine. S'il déchire un lion avec
autant de facilité qu'un chevreau, s'il brise les vigoureux liens
dont il est enchaîné avec autant de facilité que le feu consume du
lin, s'il détruit lui seul un nombre de Philistins, c'est, et le livre
sacré a constamment le soin de le faire remarquer, c'est parce
que l'esprit du Seigneur s'est saisi de lui. Et quand, par son im-
1 Ps. cxui, 6. — 2 Ibid-, cxxvi, 1. — 3 Jerem., x, 2J>. — 4 Joan., vi, 4i.
3io NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
prudente indiscrétion , il se livre au pouvoir de ses ennemis, c'est
parce qu'il ignore que le Seigneur s'est retiré de lui l. Reconnais-
sons humblement cette faiblesse qui ne nous permet pas de nous
élever à aucun bien de l'ordre spirituel , qui nous empêche de re-
pousser de nous aucun mal. Reconnaissons ce bien indispensable
que nous avons du secours divin généralement, absolument, et
sans exception, pour quoi que ce soit de relatif au salut. Recon-
naissons-en la nécessité pour toutes nos actions. Sans Dieu nous
ne pouvons rien faire 2. Reconnaissons-en la nécessité pour nos
prières. Rien de plus aisé, à ce qu'il semble, que de prononcer
le doux nom de Jésus; et l'Apôtre nous enseigne que nous ne le
pouvons que par le Saint-Esprit3. Reconnaissons-en la nécessité
pour les actes les plus intimes de notre a me. Jusqu'à nos moindres
pensées, nous sommes impuissans à les former de nous-mêmes;
nous n'avons de pouvoir qu'à l'aide du Seigneur *. Ce ne sont pas
là des systèmes, des opinions ; ce sont des vérités incontestables,
des dogmes révélés, dont la certitude fondée sur la parole divine
est définie par l'Eglise.
Qualités de la grâce.
Continuons de considérer les diverses propriétés de la grâce.
Que de choses admirables et incompréhensibles elle nous pré-
sente! Que de qualités qui semblent inconciliables elle réunit!
Que d'clfets divers et en apparence opposés elle produit, et quel-
quefois par un seul et même acte ! La grâce est à la fois pleine de
force et de douceur; c'est même pour l'ordinaire sa douceur qui
fait sa force. Elle estefficace, et entraîne infailliblement la volonté;
et cependant elle laisse à la volonté sa liberté pleine et entière.
Elle est un don purement gratuit, qui pourtant nous est promis.
Eije prévient nos vœux et nos mérites, quoique nous l'obtenions
par nos prières et que nous l'acquérions par nos œuvres. Elle di-
rige et réforme nos inclinations, en s'y accommodant. Elle agit
quand elle veut; mais elle saisit les temps favorables. Elle est pa-
tiente, et attend le pécheur jusqu'à la fin ; mais elle se lasse, et
l'abandonne à son endurcissement. Elle est infiniment variée, et
clans cette diversité de formes elle tend toujours au même but,
qui est de nous conduire à la vie éternelle.
1 Jud., xiv, 6 ; ibid., 19 ; ibid., xv, 14 ; ibid., xvi, 20. — 2 Job., Xv, 5. — 3 1 Cor.,
vu, 13. —MI Cor., in,4, 5.
DES PRÉDICATEURS. 3ll
La grâce ne détruit pas la liberté.
Mais est-ce que, en dirigeant infailliblement notre volonté, la
grâce lui ôte sa liberté ? Loin de nous cette autre erreur aussi
dangereuse, aussi criminelle, aussi funeste que l'erreur opposée.
Si, avec tous les souverains pontifes et les évêques du cinquième
siècle, nous anathématisons l'hérésie pélagienne qui détruit l'empire
absolu de la grâce, nous répétons pareillement les anathèmes pro-
noncés par le concile de Trente contre les hérésies du seizième
siècle, qui anéantissent la liberté en soutenant et l'impuissance de
résister à la grâce , et la perte du libre arbitre depuis le péché du
premier homme * ; anathèmes dont sont frappés avec une égale
force les novateurs plus récens qui , sous des expressions un peu
différentes , renouvellent les mêmes erreurs. Non , celui qui nous
donna notre liberté ne veut pas la détruire. L'Auteur de la nature
et l'Auteur de la grâce ne peuvent pas se contredire. Ce qu'il me
révèle et ce qu'il me fait sentir ne sont pas en opposition. L'homme
est tombé librement; librement il doit se relever. Sa mauvaise vo-
lonté l'égara; sa bonne volonté doit le ramener. Il ne fut pas né-
cessité à pécher ; il ne sera pas nécessité à se convertir. Il n'y a pas
de grâce si faible qu'avec son secours nous ne puissions opérer le
bien : il n'y en a pas de tellement forte que malgré elle ne nous
puissions faire le mal. Notre volonté, sous l'empire de la grâce, n'est
pas un instrument matériel, purement passif et sans action, qui
suit nécessairement l'impulsion qui lui est donnée. Je suis libre,
ma raison me le démontre, un sentiment plus fort que la raison
m'en donne une persuasion plus intime ; et la parole de Dieu, plus
certaine encore que tout cela, me le révèle et m'interdit tout
doute. Le premier péché que l'on prétend avoir été si fatal à notre
liberté était encore tout récent, quand, pour prévenir un second
crime, Dieu disait à Gain : Si tu fais le bien, n'en recevras-tu pas
la récompense ; et si tu nus le ma!, la peine de ton péché ne sera-
t-elle pas aussitôt sur toi? Mais la concupiscence qui t'y porte sera
sous ton empire, et tu en seras le maître2. J'atteste et le ciel et la
terre , fait-il dire à son peuple par Moïse , que je vous ai proposé
la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Faites donc
choix de la vie 3. Et, après avoir mis Israël en possession de la
terre qu'il lui avait promise, il lui fait de nouveau offrir par Josué
1 Conc. Trid. sess., v, can. 5. — â Gen., », 7. — 3 Deut., xxx, 19,
3l2 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
l'option entre son service et le culte des dieux étrangers *. Inspiré
par i'Esprit-Saint, le sage fils de Sirach déclare que dès le com-
mencement Dieu a remis l'homme entre les mains de son propre
conseil. Il a ajouté des préceptes qui conserveront l'ame si elle veut
les observer. Il a posé devant l'homme l'eau et le feu , afin qu'il
mette la main à celui qu'il lui plaira. La vie et la mort, le bien et
le mal sont devant nous. Ce qui nous aura plu sera la règle de ce
qui nous sera donné -, Le grand apôtre de la grâce, qui en a si
nettement établi la nécessité et la puissance suprême, établit aussi
fortement le concours de la liberté. S'il reconnaît que c'est par la
grâce qu'il est devenu tout ce qu'il est, il ajoute aussitôt que cette
grâce n'est pas restée vaine en lui; mais qu'il a travaillé abondam-
ment, non pas lui seul , mais la grâce de Dieu avec lui 3. Il exhorte
ses disciples de Corinthe à ne pas recevoir en vain la grâce 4. Il
recommande à ceux de Thessalonique de ne pas laisser éteindre
en eux l'esprit de Dieu 5. Ne savez-vous pas, dit-il aux Romains,
que, quel que soit celui à qui vous vous êtes soumis, vous êtes
réellement esclaves de celui à qui vous obéissez, soit du péché,
pour y trouver la mort, soit de la loi , pour former votre justice G?
S'il est impossible de résister à la grâce, si la grâce et la con-
cupiscence sont comme deux poids placés dans les bassins d'une
balance, dont le plus fort entraîne physiquement et nécessaire-
ment l'autre, que les novateurs de ces derniers siècles, qui présen-
tent ces assertions comme des dogmes, répondent à ce raisonne-
ment de saint Augustin. Voici deux hommes placés dans les mêmes
circonstances, absolument semblables, également inclinés au vice,
également assistés de la grâce. Comment arrive-t-il que l'un fasse
le bien et l'autre le mal? N'est-il pas évident que la différence entre
eux consiste dans l'usage différent qu'ils font de leur liberté ? L'un
veut correspondre à la grâce, l'autre lui résister. Justes, qui vous affli-
gez de vous être quelquefois refusés à la grâce ; pénitens, qui vous
accusez de l'avoir tant de fois combattue, d'après nos novateurs
vous êtes bien insensés de vous reprocher des résistances auxquelles
vous étiez nécessités? Quel peut être votre tort d'avoir fait ce que
vous étiez dans l'impuissance de ne pas faire ? Et Dieu même, quelle
idée s'en forment et nous en donnent les auteurs de ces systèmes?
C'est une contradiction de donner des préceptes dont l'observation
est rendue impossible. Les reproches si souvent répétés dans les
1 Jos., xxiv, H, Il — aEccli., xv, 14, 18. — 3 1 Cor., xv, 10.— 4 IICor.,vr, 1.
— 3 1 Thés,, y, 19. — « Rom. vi, 16.
DES PRÉDICATEURS. 3 I 3
livres saints à ceux qui repoussent la grâce1, sont manifestement
des injustices et même des absurdités , s'ils ont été forcés à la re-
pousser. La punition de péchés rendus nécessaires est une évidente
barbarie. Une grâce nécessitante n'est ni adaptée à la nature hu-
maine, ni conforme à la Providence divine.
Mystère de l'accord entre la grâce et la liberté.
Tels sont les deux dogmes sacrés, incontestables, qu'il ne nous
est pas permis de séparer, quoiqu'il ne nous soit pas accordé de
les concilier. Souverain Seigneur des actions humaines, Dieu en
dispose absolument selon son bon plaisir; et cependant il nous
donne la liberté d'en user autrement. Il s'assujétit notre volonté,
mais ne la captive pas; la rend obéissante, mais non esclave : en la
soumettant à son empire, il lui laisse le pouvoir de se révolter.
Il obtient tout de nous avec une infaillible certitude, quoique nous
soyons les maîtres de tout lui refuser. Sa puissance suprême incline
nos cœurs comme elle veut, et en même temps c'est nous qui les
inclinons 2. La docilité à la grâce est elle-même un don de la grâce,
mais un don qui renferme une libre obéissance à la grâce. Dieu
régit notre volonté; mais il la régit en Dieu, c'est-à-dire par des
moyens qui excèdent nos conceptions bornées. Faibles mortels ,
nous ne sommes capables de faire exécuter nos volontés qu'à ce
qui est hors d'état de nous résister. Il n'appartient qu'à la puis-
sance infinie de dominer avec un empire également absolu, de
diriger par une impulsion également certaine ce qui a un pouvoir
entier de résistance, et ce qui en est incapable. Il n'appartient
qu'à la sagesse infinie d'employer des moyens qui assurent in-
failliblement l'efficacité de son opération , en conservant dans
son intégrité les droits de la liberté humaine, et de laisser
notre cœur pleinement libre sous l'action d'une grâce qui pro-
duit jusqu'à ses affections. Raison présomptueuse, qui prétends
rabaisser à ta portée la hauteur infinie des décrets divins , hu-
milie-toi devant des vérités qu'il test ordonné de croire et in-
terdit de comprendre. Celui qui dirige tous tes pas ne t'accorde
pas la connaissance de ses voies 3. La grâce est toute puissante,
et notre volonté toujours libre. Ces deux dogmes partent de la
Divinité qui les révèle; mais le nœud qui les unit reste caché dans
1 Prov. i, 24; Malt., ixm, 37 ; Act. vu, 51 ; Rom., x, 31, el alibi passim.— 2 III
Reg. vin, 58, 61. — » Prov. xx, 24.
3l4 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
les profondeurs divines , où il ne nous est pas accordé de pénétrer.
Ce sont deux rayons qui , du soleil de vérité, découlent sur nous
pour éclairer notre route et diriger notre marche. Mais si nous
entreprenons de diriger nos regards vers le centre étincelant où
ils se réunissent, éblouis de son éclat, nos faibles yeux sont
aussitôt forcés de se rabaisser vers la terre.
La grâce nous prévient.
Puisque la grâce ne vient point de nos mérites , elle les prévient;
si elle les prévient, elle les fait naître; n'en étant pas l'effet, elle
en est la cause. Le dogme de la grâce préventive est une consé-
quence nécessaire du dogme de la grâce gratuite. Telle est notre
déplorable impuissance à tout bien, que nous ne pouvons aller à
Dieu , si lui-même ne vient à nous et ne nous amène à lui com-
me par la main. Nous ne le cherchons que parce qu'il nous a
recherchés. Nous ne retournons à lui par la pénitence qu'après
qu'il nous a convertis 1. Je t'ai chéri d'une éternelle charité, nous
dit-il, c'est pour cela que je t'ai attiré à moi dans ma miséricorde2.
La grâce s'oblient.
La grâce prévient spontanément nos vœux et nos mérites; nous
devons croire fermement cette vérité. Mais en même temps nous
ne pouvons pas douter qu'elle ne soit l'effet de nos prières et
la récompense de nos bonnes couvres. Pour concilier ces deux
points de la foi chrétienne, considérons que, de même que la
bonté divine nous accorde des grâces de différens degrés, de
même la sagesse suprême observe dans leur distribution un or-
dre et une succession. Les dons célestes se suivent et s'enchaî-
nent ; le bon usage des uns attire les autres. La première impul-
sion qui est donnée à notre cœur, et qui l'excite à désirer le bien,
ne peut pas avoir été méritée, puisqu'elle précède tout mérite.
Mais si, nous laissant aller à ce pieux mouvement, le secondant
même par nos efforts, nous concevons le désir de plaire à Dieu
par l'observation de ses commandemens, cette correspondance à
la première grâce en fait descendre sur nous de plus puissantes ,
qui se multiplient et s'accroissent sans cesse à mesure que nous y
répondons avec fidélité 3. Ainsi dans la voie sainte nous marchons
* Jerem., xxxi, 18; 19, — * lbid , 5, «-> 3 Prov. îv, 9.
DES PRÉDICATEURS. 3 I 5
de vertus en vertus K Celui qui a commencé notre bonne œuvre
la perfectionne de jour en jour, jusqu'à ce qu'il la couronne dans
le grand jour de Jésus-Christ 2.
La grâce accordée aux prières.
Le premier moyen d'obtenir les grâces est de les demander. En-
tre la prière et la grâce il y a une relation intime. La grâce, com-
me nous l'avons vu, nous inspire la volonté de prier et nous
communique la force de bien prier. Mais ensuite notre prière,
animée par la grâce, nous obtient d'autres grâces plus puissantes,
qui donnent à l'intelligence des lumières plus claires, à la vo-
lonté de plus vives impulsions, au cœur dessentimens plus tendres.
La grâce, dit le célèbre concile d'Orange, nous est nécessaire
pour implorer la grâce; et réciproquement la demande de la
grâce est indispensable pour obtenir les grâces plus efficaces dont
nous avons besoin. Serait-il de la dignité et de la justice de Dieu
d'accorder ses grâces privilégiées à celui qui ne les demande pas?
Il convenait au suprême domaine du Créateur que nous ne pus-
sions rien ,pas même l'invoquer sans son secours. Mais il était en
même temps digne de sa bonté, en nous rendant son assistance
nécessaire, de nous donner un moyen de l'obtenir. Ce moyen
certain est la prière. Nos prières sont des traits qui atteignent
infailliblement son but, et qui ne rentrent dans la main qui les
lance que chargés de la proie qu'ils lui procurent. Nos supplica-
tions, comme autrefois celle d'Ëlie, ouvrent le ciel et en font
descendre la rosée céleste. Ils connaissaient la vertu puissante de
la prière, ils en avaient fait l'heureuse expérience, ces saints per-
sonnages inspirés de l'Esprit divin, qui reconnaissaient que c'était
à leurs vœux et à leurs instances qu'ils devaient tout ce qu'ils pos-
sédaient de sagesse 3. Le divin Rédempteur ne s'est pas contenté
de nous mériter la grâce par ses souffrances; il nous a donné par ses
préceptes le moyen de l'obtenir, et de nous rendre propres ses mé-
rites. Demandez, ordonne- t-il, et il vous sera accordé ; cherchez,
et vous trouverez; frappez, et il vous sera ouvert. Car quiconque
demande obtient, celui qui cherche trouve, et on ouvre à celui
qui frappe. Mon Père, du haut du ciel, donnera son excellent es-
prit à ceux qui le lui demanderont '*.
1 Psal., lxxxui, 8. — 2 Philippe i, 6.r-3 Sap. , vu, 7; ibid,, vm, 21. — 4 Luc,
Xi, 9, 10, 13,
3l6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
La grâce accordée aux bonnes œuvres.
La seconde manière d'attirer sur nous l'abondance des grâces,
c'est d'en profiter. Dieu se présente à la porte de votre cœur ; il y
frappe par sa grâce. Si vous écoutez sa voix qui vous appelle, si
vous lui ouvrez, il entrera dans vous * : il y entrera accompagné
de toutes ses bénédictions, dont il remplira votre ame. Le trésor
en est immense; et il promet son amitié à ceux qui savent se ren-
dre recommanclables à ses yeux par l'usage qu'ils font des dons
de sa bienfaisance2. Il y a peu de vérités plus fréquemment répé-
tées dans les livres saints, comme il n'y en a point de plus fé-
condes en bonnes œuvres que ce principe fondamental de la con-
duite chrétienne. Faisons des grâces l'emploi pour lequel Dieu
nous les accorde, et nous en acquerrons de nouvelles 3. Saint
Paul môme, qui établit si positivement l'absolue gratuité de la
grâce, semble regarder comme une dette plus que comme un don,
comme une justice plus que comme une bienfaisance , cette récom-
pense que Dieu daigne nous accorder de notre correspondance
à ses grâces4. Condamnons donc avec l'Eglise ces désespérantes
assertions, que Dieu refuse sa grâce à celui qui fait ce qui est en
son pouvoir, et que, selon les forces de l'humanité, il y a des pré-
ceptes dont l'observation est impossible aux justes, malgré leur
volonté et leurs efforts , la grâce qui rendrait ces commandemens
praticables leur manquant. Il n'y a pas de grâce, quelque faible
qu'elle soit , qui ne puisse attirer des grâces plus puissantes ; il n'y
a pas de bonne œuvre, quelque légère qu'elle paraisse, qui ne
les attire, C'est souvent à de bien petits efforts de notre part qu'est
attachée l'abondance des dons célestes. Un léger sacrifice d'inté-
rêt, le retranchement d'une vanité mondaine, la fuite d'une occa-
sion agréable, mais dangereuse, la privation d'un plaisir, une vio-
lence faite à l'humeur, ont été très souvent le principe de grâces
puissantes et multipliées, et la première cause du salut.
Grâces accordées aux pécheurs.
Ce n'est pas encore assez pour la bonté divine de nous accorder
ses grâces lorsque nous les méritons, et de les proportionner aux
1 Apoc, m, 10.— a Sap., vu, 14, — sProv. xii, 2; Sap., v, 15; Eccli., xliii,
37, et alibi passim. — 4 Rom., iv, 4 ; Hebr., vi, 10.
DES PRÉDICATEURS. 3lJ
efforts que nous faisons pour les mériter. Ce n'est là en quelque
sorte qu'une bonté humaine. Ne nous plaisons-nous pas, quelque ver-
tueux que nous soyons , à répandre nos bienfaits sur ceux qui les
reconnaissent et qui cherchent à nous plaire ? Ce qui caractérise
la munificence divine, et qui ne peut appartenir qu'à elle, c'est
d'offrir ses dons à ceux qui ne les méritent pas ; de ne pas cesser
de les offrir à ceux qui s'obstinent à les refuser; de multiplier ses
instances à mesure qu'ils renouvellent leurs outrages. Faibles créa-
tures , notre patience, qui n'a d'autre étendue que la petitesse
de notre cœur , est bientôt à bout. Celle de Dieu a pour mesure
la grandeur de Dieu même, et n'a de bornes que sa justice. Pé-
cheurs, quelque éloignés que vous soyez de Dieu, il attend que
vous reveniez à lui l. Sa patience n'est pas une longanimité inerte
et oisive. Non seulement il vous tend les bras pour vous recevoir,
mais il vous invite, il vous sollicite, il vous presse d'y revenir.
Ce tendre père de famille qui, après avoir hâté par ses vœux le
retour de son fils prodigue , se jette à son cou aussitôt qu'il le
revoit, et le rétablit dans tous ses droits; ce bon pasteur qui
court dans le désert après la brebis égarée , et la rapporte joyeux
au bercail, ne sont que de faibles emblèmes de cette bonté
patiente à la fois et active, qui ne cesse de vous rechercher
et de vous présenter les motifs, de vous donner les moyens de
rentrer en grâce avec elle. Elle vous poursuivra de ses bienfaits
jusqu'au dernier moment de votre vie; et les années de la miséri-
corde ne finiront que lorsque commenceront les siècles de la
justice.
Conséquences morales des dogmes de la grâce.
Ce n'est pas assez de connaître ce que la grâce fait pour nous.
Ce qui est infiniment plus important, c'est de considérer ce que
nous devons faire pour elle, de le bien savoir, de nous en péné-
trer. Nous ne présenterons pas au tribunal suprême la connais-
sance que nous aurons eue de la grâce, mais l'usage que nous en
aurons fait. Sortons donc maintenant d'une spéculation qui reste-
rait inutile si elle ne nous conduisait à une pratique salutaire.
Rapprochons les divines propriétés de la grâce que nous ve-
nons d'examiner, des conséquences morales qu'il est nécessaire
*Is., xxx, -3.
3i8 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
d'en lirer pour diriger notre conduite ; et dans les dogmes de la
grâce, voyons nos devoirs envers la grâce.
Sans la grâce nous ne pouvons rien : il faut nous en humilier.
Avec la grâce nous pouvons tout : il faut la désirer. La grâce est
un bienfait gratuit : il faut en être reconnaissant. La grâce est
promise : il faut y avoir confiance. La grâce est obtenue par les
prières : il faut l'implorer. La grâce est accordée aux bonnes œu-
vres : il faut la mériter. La grâce ne détruit pas la liberté : il faut
y coopérer. La grâce saisit les occasions favorables : il faut en
profiter avec soin. La grâce se lasse enfin de nous attendre : il faut
craindre de la perdre.
Humilité.
Entre le dogme de la nécessité de la grâce et le précepte de l'hu-
milité , il y a une correspondance intime , et l'Apôtre nous la rend
bien sensible. Qu'est-ce qui vous distingue? nous dit-il. Que possé-
dez-vous que vous ne l'ayez reçu? Et puisque vous l'avez reçu,
comment pouvez-vous vous en glorifier comme d'un bien qui vous
serait propre 1 ? Peut-il être infecté d'orgueil celui que le besoin
continuel d'un secours supérieur rappelle sans cesse à la persua-
sion de sa faiblesse et au sentiment de son impuissance? L'humi-
lité, cette vertu fondamentale de la vie chrétienne, si fréquem-
ment, si fortement prescrite par Jésus-Christ, est à la fois et l'ef-
fet et le principe de la grâce. Elle en est l'effet, et parce que c'est
la grâce qui la donne, et parce que c'est la foi de la grâce qui en
fait sentir la nécessité. Elle en est le principe : le chef des Apôtres
nous enseigne que Dieu résiste aux superbes , et que c'est aux
humbles qu'il accorde sa grâce 2.
Désir.
Nous désirons essentiellement notre bonheur : nous devons
donc désirer ardemment ce qui est le moyen de parvenir à un
bonheur sans mesure et sans terme ; le moyen nécessaire sans le-
quel nous sommes incapables de l'atteindre; le moyen efficace avec
lequel il est en notre pouvoir de l'acquérir. Le bien principal, le
bien souverain du temps est évidemment celui qui nous procure
le bien de l'éternité. La grâce doit donc être, si nous sommes non
* I Cor., iv, 7. — * I, Petr., y, 5,
DES PRÉDICATEURS. 3lO,
seulement religieux, mais seulement raisonnables, l'objet de nos
vœux les plus ardens. Le guerrier dans les combats désire d'être
fortifié d'un secours qui lui donne la victoire. Si notre vie est une
guerre continuelle, et l'Esprit-Saint nous le certifie *, nous devons
soupirer après le secours tout puissant qui nous communiquera
une force triomphatrice.
Reconnaissance.
Maître absolu de ses dons, Dieu ne nous en doit aucun.
Grâces donc, grâces continuelles au ^Seigneur, de son ineffable
don 2. Nous rougirions d'être ingrats envers nos semblables du
plus léger bienfait. De quelle reconnaissance nos cœurs ne doi-
vent-ils pas être inondés pour le plus précieux des biens que no-
tre Créateur plein de munificence daigne nous accorder, non
seulement sans que nous l'ayons mérité, mais lors même que
nous nous en rendions indignes ! C'est le maître outragé qui
tend les bras à l'esclave rebelle. C'est un Dieu dont la sainteté ab-
horre le péché et dont la miséricorde recherche le pécheur. Quelle
stupide, quelle honteuse insensibilité est la nôtre, si nous ne
sommes pas touchés d'une aussi immense bonté !
Confiance.
Assurés par les promesses de l'éternelle vérité que là grâce ne
nous manquera pas, nous devons prendre dans ce secours tout
puissant une entière confiance 3. Loin de nous toute pusillanimité»
Quelque faible que soit ma nature, quelque emportées que soient
mes passions, quelque séduisantes que soient mes tentations, sftr
de la grâce, je suis certain de pouvoir, ou persévérer dans les voies
de la justice ou y rentrer. Soutenu par la main divine, je ne vois
plus de sacrifice qui m'étonne, d'effort qui me coûte, d'obstacle
qui m'arrête. Courage donc pécheurs, qui ne vous sentez pas la
force de vous soustraire aux illusions du monde. C'est Dieu qui
vous arrachera à ces tentations4. Courage, âmes timides, qui
craignez d'entrer en combat avec les ennemis intérieurs et exté-
rieurs du salut. Vous ne combattrez pas seuls. Dieu est avec vous,
comme un puissant guerrier : il abattra devant vous les ennemis
* Job., vit, 1. — 2 Corinth., ne, 15. — * I Petr., i, 13. ■— * Ps., xyu, 30,
320 NOUVELLE BlBLlOïJifcQUE
qui vous attaquent * Marchez, comme David, au nom du Dieu
des armées : comme lui vous triompherez du fier géant qui me-
nace le camp d'Israël.
Demande.
Dieu désire nous accorder ses grâces : il daigne nous les pro-
mettre. Mais il veut que nous les lui demandions : et c'est encore
un de ses bienfaits d'établir entre lui et nous cette communication
de prières et de grâces : de prières qui de nous s'élèvent jusqu'à
lui; de grâces qui de lui descendent sur nous. Justes, adressez-
vous donc, comme saint Paul, avec une sainte confiance, à ce trône
de bienfaisance , vous y trouverez, vous y obtiendrez les secours
nécessaires à votre persévérance2. Pécheurs, demandez avec David
au Dieu de votre salut la grâce de votre conversion 3. Hommes de
tout état, implorez l'assistance de cette main tutélaire qui vous di-
rigera, vous retiendra, vous soutiendra, vous défendra dans les
voies de la sanctification.
Coopération.
Mais jamais nos vœux n'attireront la grâce, si nos actions la re-
poussent. Ce don céleste, qui est la cause de nos efforts, en est
aussi la récompense. Les premières grâces ne nous furent accor-
dées que pour nous en faire mériter de plus abondantes. Nous ne
sommes nés à la grâce que pour y croître 4. Ainsi le grand Apô-
tre, oubliant ce qu'il laisse derrière lui , et s'avancant continuelle-
ment vers ce qu'il aperçoit devant lui, poursuit sa carrière de
grâces en grâces, et de mérites en mérites, pour atteindre le prix
auquel le destine la vocation de Jésus-Christ 5« Tels ont été tous
les saints. C'est aux grâces dont ils ont été comblés qu'ils doivent
là félicité dont ils jouissent ; mais ce furent à leurs bonnes œuvres
qu'ils durent l'abondance des grâces. Ce qu'ils furent, nous le som-
mes ; ce qu'ils purent , nous le pouvons ; ce qu'ils méritèrent d'obte-
nir, nous sommes comme eux les maîtres de nous le procurer. Fai-
sons donc les mêmes efforts, ils obtiendront les mêmes succès ;
opérons les mêmes œuvres , elles obtiendront le même prix ; mar-
chons sur les mêmes traces, elles nous conduiront au même
terme.
1 Jercm., xx, 11. — 8Hebr., iy, 16. — 3Ps. ixxxiv, 5. — *II Petr., m, 18.—
«Philipp., in, 13, 14.
DES IRÉDICATEUnS. ^21
Mériter la grâce est nécessaire pour l'obtenir; mais la grâce elle-
même nous en facilite le moyen. Il suffit de lui être fidèle, de cé-
der à son impulsion , d'employer la force qu'elle communique,
de coopérer avec elle au bien auquel elle excite, pour lequel elle
aide, qu'elle opère elle-même. C'est pour nous procurer le mé-
rite de cette coopération que, par une disposition incompréhen-
sible à nos faibles conceptions , en dirigeant infailliblement notre
volonté, elle lui laisse toute sa liberté. Usons-en comme elle nous
inspire d'en user : voilà tout ce qu'elle exige pour nous enrichir
de grâces nouvelles. Trouverons-nous trop pesant un joug qu'elle
allège de sa force suprême, en le supportant avec nous ? Re-
garderons-nous comme pénible une marche dans laquelle elle
nous soutient', et en quelque sorte nous porte ? Elle ne nous
demande de faire pour elle que ce qu'elle fait pour nous la pre-
mière. Incapables de la prévenir, au moins secondons-la. Im-
puissans au bien sans elle , concourons-y du moins avec elle*
( Le G. de La Luzerne , Considérations sur divers points de la
Morale chrétienne .)
T, III. 21
322 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
DIVERS PASSAGES DE L'ÉCRITURE SUR LA GRACE.
Vocabis me, et ego respondebo tibi.
Vous m'appellerez, et je vous répondrai. (Job., 14, 1.5,)
Ipsi fuerunt rebelles lumini.
Ils ont été rebelles à la lumière. (Idem, i/± , 3.)
Vocavi, et non erat qui audiret.
J'ai appelé , et personne ne m'a écouté. ( ls., 5o , i. )
F Vocavi vos , et non respondistis.
Je vous ai appelés sans que vous m'ayez répondu. (Je'r., y,
i3.)
Hodie si vocem ejus audieritis , nolite obdurare corda vestra.
Si vous entendez aujourd'hui la voix du Seigneur, gardez-vous
bien d'endurcir vos cœurs. ( Ps., 94, 8.)
Venite ad me omnes qui laboratis et onerati estis ; et ego refi-
ciatn vos.
Venez à moi , vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous
soulagerai. (Math., 11, 28.)
Nemo potesl venue ad me, nisijuerit ei datum a Pâtre meo.
Personne ne peut venir à moi, s'il ne ne lui est donné par mon
Père. [Idem. , 6 , 66. )
Sine me nihil potestis facere.
Sans moi vous ne pouvez rien faire, (Joan., i5, 5. )
F os semper Spiritui Sancto résistais.
Vous résistez toujours au Saint-Esprit. ( Jet., y, 5i. )
Non volentis , neque currentis , sed miserentis est Dei.
Cela ne dépend point de celui qui veut, ni de celui qui court,
mais de Dieu qui fait miséricorde. ( Rom., 9. )
Nemo potest dicere Dominus Jésus , nisiin Spiritu Sancto.
Personne ne peut dire que Jésus-Christ est le Seigneur, si ce
n'est pas le Saint-Esprit. (/. Cor., 12, 3.)
Abundantius illis omnibus laboravi', non ego autem^ sed gratia
Dei mecum.
J'ai travaillé plus que tous les autres , non pas moi toutefois ,
mais la grâce de Dieu avec moi. ( Idem., i5 , 10.)
Eochortamur vos ne in vacuum gratiam Dei recipiatis.
DES PRÉDICATEURS, 3a3
Nous vons exhortons à ne point recevoir en vain la grâce de
Dieu. (//. Cor., 6, i.)
Deus est qui opëraturin vobis , et velle et perficere pro bona vo~
luntate.
C'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire, selon son bon
plaisir. (Ibid.,i} i3. )
Omnia possum in eo qui me confortât.
Je puis tout en celui qui me fortifie. (Philipp. 4,3.)
Deus omîtes homines vult salvos fieri , et ad agnitionem veritatis
venire.
Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et qu'ils viennent
à la connaissance de la vérité. (7. 77/72., 2,4-)
Vocavit (iws Deus) -vocatione sua sancta , non secundum opéra
* nostra , sed secundum propositum suum et gratiam, quœ data est
nobis in Christo Jesu.
Dieu nous a appelés par sa vocation sainte, non selon nos œu-
vres, mais selon le décret de sa volonté, et selon la grâce qui nous
est donnée en Jésus-Christ. (//. Tim. 1,9.)
Contemplantes ne quis desit gratiœ Dei.
Prenez garde que quelqu'un ne manque à la grâce de Dieu.
( Heb., 12, i5.)
Ego sto ad ostium et pulso ; si quis audierit vocem meam , et
apcruerit mihi janiiam^ intrabo ad illum.
Je suis à la porte, et je heurte 5 si quelqu'un entend ma voix
et m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui. ( Jpoc.} 3, 20.)
1 imin uni.
31.
3<>/î NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
PLAN ET OBJET DU PREMIER DISCOURS
SUR LA GRACE,
EXORDE.
Respondit Jésus, el dixlt et : Si scires donum Dei.
Jésus-Chrisl lui répondit : Si vous connaissiez le don de Dieu. (Jean, ch. 1.)
Ce don de Dieu que ne connaissait pas encore cette femme Sama-
ritaine dont il est parlé dans notre Evangile , et que le Sauveur des
hommes lui fit connaître, c'est, selon tous les Pères de l'Eglise
et tous les interprètes de l'Ecriture, la grâce même de Jésus-
Christ. Cette grâce sans laquelle nous ne pouvons rien, et avec la-
quelle nous pouvons tout ; cette grâce, par où, comme dit l'Apôtre ,
nous sommes tout ce que nous sommes, si nous sommes quelque
chose devant Dieu; cette grâce qui nous éclaire, qui nous attire,
qui nous persuade, qui nous convertit; cette grâce qui nous porte
au hien et qui nous éloigne du péché; cette grâce qui nous met
en état de gagner le ciel et d'y parvenir; cette grâce qui opère en
nous et avec nous tout ce que nous faisons pour Dieu, et qui,
dans l'ordre du salut, nous donne par son efficace, non seulement
le pouvoir, mais la volonté et l'action : voilà, clis-je , mes chers
auditeurs, l'excellent don qu'il nous est si important à nous-mê-
mes de bien connaître. Don parfait, qui nous vient d'en haut et
qui descend du Père des lumières. Don au dessus de tous les dons
de la nature, et auprès duquel saint Paul regardait comme de la
boue tous les dons de la fortune. Don des dons, que Jésus-Christ
seul a pu nous mériter, et que nous recevons de la miséricorde
infinie de Dieu.
Cependant, par une ignorance grossière, nous ne le connaissons
pas; et, par une ingratitude encore plus criminelle, nous ne pre-
nons pas soin de le connaître. De là vient que si souvent nous le
recevons en vain; et que, bien loin de nous en servir pour glori-
fier Dieu, et pour nous sanctifier nous-mêmes, nous en abusons
DES PREDICATEURS. 3s5
jusqu'à nous pervertir nous-mêmes et à mépriser Dieu. Car c'est
pour cela que Jésus-Christ nous dit comme à la Samaritaine : Si sci-
resdonum Dei *• si vous connaissiez le don de Dieu. Tâchons donc
aujourd'hui, Chrétiens, à nous en former une juste idée. Entrons
dans ce trésor immense des miséricordes divines. Mesurons-en ,
s'il est possible, et la hauteur et la profondeur; et puisque Marie
en a reçu la plénitude, pour parler utilement delà grâce, im-
plorons le secours du Saint-Esprit par l'intercession de cette mère
de grâce, en lui adressant les paroles de l'Ange : Ave, Maria.
Disposer tout avec douceur, et tout exécuter avec force, ce sont
les deux excellentes propriétés que l'Ecriture attribue à la sagesse.
Mais il n'y a, dit saint Augustin, que la sagesse de Dieu à qui ces
deux propriétés conviennent tout à la fois dans le degré de perfec-
tion qui nous est exprimé par ses paroles : Sapientia attingit a fine
usque ad jinem fortiter, et disponit omnia suaviter 2. En effet, la sa-
gesse des hommes, étant aussi bornée qu'elle est, se trouve sujette
à deux défauts tout contraires. Est-elle douce dans sa conduite, il
est à craindre qu'elle ne devienne faible dans l'exécution. Est-elle
efficace et ferme dans l'exécution, il y a danger qu'elle ne soit dure
dans sa conduite. Sa douceur , quand elle prédomine, se tourne
en mollesse, et sa force dégénère en un excès de sévérité. Mais il
n'appartient qu'à la gagesse de Dieu de réunir parfaitement ces
deux vertu», ce semble, si opposées. Car elle a seule l'avantage ,
non seulement de ne séparer jamais la douceur de la force, mais
de trouver la force dans sa douceur, et, par un secret inconnu à
tout autre qu'à elle, de faire consister sa force dans sa douceur
même. Or, ce que l'Ecriture nous dit de la sagesse de Dieu, je puis
le dire également de la grâce, puisque la grâce dont je parle n'a-
git en nous que comme l'instrument de cette sagesse souveraine,
qui est en Dieu la cause principale de notre salut.
Et voilà, Chrétiens, l'idée la plus justeque je puisse vous donner
delà grâce de Jésus-Christ : en voilà les deux caractères, douceur
et force. Douceur de la grâce, dans la manière engageante dont
elle dispose le pécheur à sa conversion. Force delà grâce, dans les
étonnantes victoires qu'elle remporte sur le pécheur au moment de
sa conversion. Or, sans chercher d'autre preuve , il me suffit de
vous proposer pour exemple de l'un et l'autre cette femme de no-
tre Evangile: car, vous verrez d'abord quelle fut l'aimable conduite
de la grâce pour gagner le cœur de cette pécheresse. Vous jugerez
• Jean, 4, — * Sap., 8.
3^6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
ensuite quel lui le merveilleux pouvoir de la grâce, par l'admirable
changement qu'elle opéra dans le cœur de eetle pécheresse : Altin-
gît a fine usque ad finem fortiter, et disponit omnia suavité/'.
La grâce de Jésus-Christ employanttous les charmes de sa douceur
pour convertir la Samaritaine: ce sera la première partie. La grâce
de Jésus-Christ, par son efficace et par sa force, convertissant en
effet la Samaritaine, et, de l'abîme du péché où elle était plongée,
l'élevant tout à coupau comble de la sainteté: ce sera la seconde
partie ; l'une et l'autre renferment tout mon dessein , et vont faire
le partage de ce discours. (Boukdaloue , Sur la Grâce.)
Nécessité de la grâce.
De même qu'une terre desséchée ne peut produire aucun fruit,
tant qu'elle n'est point arrosée par les pluies bienfaisantes du ciel,
de même nous ne saurions porter des fruits de vie, nous ne sau-
rions rien faire pour le salut, si Dieu ne nous envoyait d'en haut
cette pluie salutaire qui rend la vie à notre volonté.
Gédéon considérait sans doute les merveilleux effets de la grâce
divine, lorsque, les yeux fixés sur cette toison qui était l'image du
peuple, et qui était entièrement desséchée, quoiqu'elle eût été
couverte de la roséedu ciel un instant auparavant, ilannoncaàce
même peuple que bientôt il serait desséché comme cette toison ,
c'est-à-dire qu'il serait privé de l'Esprit-Saint que Dieu lui avait
envoyé.
Nous avons donc absolument besoin de cette rosée de la grâce,
pour n'être point à la fin entièrement consumés par la chaleur; et
pour n'être point réduits à une honteuse stérilité. Prions Dieu de
nous l'accorder avec effusion : efforçons-nous de notre côté de ne
point mettre d'obstacles à ses effets, et quand nous l'avons reçue,
conservons-la comme le plus précieux des trésors. (Saint Irénée,
Contre les hérétiques.)
Nécessité de la grâce pour connaître Dieu.
Quanta la difficulté que l'homme éprouve d'arriver delui-même
à la connaissance de la vérité, Celse nous renvoie à Platon, et cite
cette pensée de son livre intitulé Timée : « 11 est bien difficile à
« l'homme de trouver l'architecte, le père d'un si grand ouvrage;
« mais il est impossible de le faire connaître à tous les hommes. »
DES PRÉDICATEURS. 327
Je sens tout ce que ces paroles ont de force et de sublimite.
Mais voyez, je vous prie, si nos divines Ecritures ne nous en-
seignent pas une vérité mieux appropriée aux besoins de l'hu-
manité, lorsqu'elles nous disent que le Verbe de Dieu, qui était
en Dieu au commencement, s'est fait chair pour venir apprendre
à tous les hommes ce que, selon Platon, il serait impossible de leur
apprendre, supposé que l'on pût soi-même arriver à le connaître.
Nous le disons donc : oui, la nature humaine ne peut, livrée à
elle seule ,ni chercher Dieu comme il faut, ni le trouver ; il faut
qu'elle soit aidée dans ses recherches par celui même qui en est
l'objet : et ce Dieu ne se découvre qu'à ceux qui, après avoir fait
tout ce qui dépendait d'eux, confessent qu'ils ne peuvent rien sans
lui ; qu'à ceux enfin à qui la justice lui semble exiger qu'il se décou-
vre, et se fasse connaître autant qu'un Dieu peut se faire connaître
à des hommes. Comme vous , philosophes, nous reconnaissons que
l'essence de Dieu est ineffable ; comme vous, nous savons qu'il est
difficile aux faibles regards de l'homme de découvrir le Créateur
de tout ce monde qui nous environne : mais si, ne disant point
avec vous que l'on peut former dans son esprit l'idée de Dieu des
idées de tous les autres objets qui sont la matière de nos connais-
sances, et parla s'approcher en quelque sorte du souverain bien,
nous adorons le Verbe de Dieu, qui a dit : « Personne ne peut
« connaître le Père, si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils aura voulu
« le révéler *. » Ainsi Dieu, selon nous, ne peut être connu sans une
grâce divine, sans un bienfait spécial de Dieu. Sans ce secours
surnaturel, nous le disons, et nous le disons sans restriction, la
connaissance de Dieu surpasse infiniment les forces de notre nature;
et , sans la grâce, non seulement nous ne pouvons arriver à cette
connaissance parfaite que nous en donne le Verbe, nous ne pou-
vons pas même trouver dans nos idées rien qui puisse nous en
donner la moindre notion. (Origène, Contre Celse.)
Nécessité efficace el influence de la grâce.
« Je suis la vraie vigne , et mon Père est le vigneron , le labou-
reur 2. » On croit que sur le chemin de la montagne des Olives il se
trouvait beaucoup de vignes , qui donnèrent lieu au Sauveur de
dire ces paroles. Nous devons apprendre par cet exemple et par
les autres de même nature à nous servir de tous les objets qui se
1 Matth. xi, !*._— 2 Joan., xv, i.
328 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
présentent, pour nous élever à Dieu et par ce moyen sanctifier,
pour ainsi parler, toute la nature.
Nous avons ici à considérer trois choses :1a vigne ou la tige,
qui est Jésus-Christ; les branches de la vigne, c'est-à-dire les fidè-
les ; et le laboureur, qui est le Père éternel. Les deux premières
choses nous font sentir combien nous sommes unis à Jésus-Christ,
et le besoin extrême que nous avons de cette union.
Notre union avec Jésus-Christ présuppose, premièrement, une
même nature entre lui et nous , comme les branches de la vigne
sont de même nature que la tige. Il fallait donc que Jésus-Christ
fût de même nature que nous : ce qui aussi fait dire à saint Augus-
tin qu'il a prononcé ces paroles selon qu'il est homme.
Elles présupposent, secondement, une intime union entre lui
et nous, jusqu'à faire un même corps avec lui , comme le sarment
et les branches de la vigne font un même corps avec la tige.
Elles présupposent, en troisième lieu, une influence intérieure
de Jésus-Christ sur nous, telle qu'est celle de la tige sur les bran-
ches qui en tirent tout le suc, dont elles sont nourries.
De là suit une extrême dépendance de tous les fidèles à l'égard
de Jésus-Christ. Comme les branches sécheraient et périraient sans
ressource, et ne seraient plus propres que pour le feu , sans. le suc
qu'elles tirent continuellement de la tige, il en serait de même de
nous, si nous ne recevions continuellement de Jésus-Christ la grâce
qui nous fait vivre.
Remarquons donc bien qu'il ne suffit pas que Jésus-Christ
nous enseigne par sa parole et par ses exemples, mais encore que
nous avons besoin de la continuelle influence de sa grâce , sans
laquelle nous péririons.
Combien, d'un côté, devons-nous avoir de joie, d'être unis si in-
timement à Jésus-Christ; et de l'autre, quelle doit être notre hu-
milité dans le besoin continuel que nous avons de la grâce!
Elle ne pouvait être mieux marquée que par le besoin que
les membres ont de leur chef, ou, ce qui est de même nature,
par celui que les branches ont de leur tige. Car un seul moment
d'interruption d'une influence si nécessaire les ferait mourir.
Entrons donc dansla pratique de ce commandement du Sauveur:
Demeurez en moi , et mol en vous ; comme la branche ne peut porter
du fruit, il en est de même de vous : vous ne pourrez rien faire
sans moi^,
1 Joan., xv, 4, 5.
DES I INDICATEURS. 329
Fous tic pouvez rien faire, rien du tout; vous ne pouvez porter
le moindre fruit, ni pousser par conséquent la moindre (leur; parce
que la fleur n'est que le commencement du fruit. Il avait dit que
le laboureur purgerait le plant qui porte du fruit , afin qu'il en por-
tât davantage K Mais, de peur que nous ne crussions que nous
ne devions à sa grâce que l'abondance des fruits, à cause qu'il
avait dit que la plante serait purgée pour porter beaucoup, il
ajoute : Vous ne pouvez porter de fruit , si vous ne demeurez en
moi, et encore plus précisément: Fous ne pouvez rien sans moi:
Vous ne pouvez commencer le bien, loin que vous le puissiez
achever. Personne ne peut rien penser de soi-même 2 : personne ne
peut prononcer le nom du Seigneur Jésus que par le Saint-Esprit r> ,
ni avoir le Saint-Esprit que par Jésus-Christ qui doit l'envoyer,
comme il le dira dans la suite. Et non seulement l'envoyer au de-
hors, mais encore au dedans, selon ce que dit saint Paul que tous
les membres unis ensemble : doivent l accroissement par tous les
vaisseaux et par toutes les liaisons qui portent et communiquent la
nourriture et la vie*. Chacun selon sa mesure : ce que le môme
Apôtre attribue ailleurs à la distribution de la grâce du Saint-Es-
prit, qui partage ses dons à chacun , selon quil lui plaît <\
Tenons-nous dans une grande dépendance, à chaque instant,
à chaque action.
C'est par la foi qu'on tire le suc de cette divine racine : tenons-
nous toujours dans la foi.
Jésus-Christ dans l'Eucharistie doit être notre cher objet, et le
moyen le plus efficace de s'unir à lui comme à celui sans lequel
on ne peut rien, de qui on tire tout le bon suc de la grâce, la
vraie nourriture de Famé.
Mais voici le comble delà ie. C'est que la racine n'aime pas
moins sa vie que les branches à la recevoir. Le chef est fait pour
se communiquer, et Jésus-Ci mt pour se donner à nous. Les uns
sont apôtres, les autres docteurs &\ mais tout cela est pour les
membres, outre que le chef influe par lui-même.
Approchez-vous de lui , et recevez la lumière , et vos visages ne
seront jamais chargés de confusion 7.
La confusion est pour ceux qui s'éloignent de Jésus; parce que
laissés à eux-mêmes ils sèchent, ils meurent , ils ne sont que fai-
blesse et péché.
* Joan., xv, 2. — 2 II Cor., in, 5. — 3 1 Ccr., xn, o. — * Eplics., iv, \G,
Cor., xn, W, 15. — c lbid., 28. — 7 Ps. xxxin, G.
33o NOUVELLE BIBLIOT ; Q\j£
Si la vigne, si les membres du co Mivaient sentir ce qu'ils
doivent à la racine et au chef, ils St en continuelles actions
de grâces. Rendons grâces au Seignr tre Dieu. Saint Paul ne
nous prêche que l'action de grâces. ] foi, la prière, l'action de
grâces, c'est le principe, c'est le moyen, c'est le fruit de notre
union avec Jésus-Christ. ( Bossuet, Méditations sur l'Evangile.)
La grâce ne nécessite pas les aclions.
C'est en vain que l'homme, abandonné à lui-même et à ses
seules forces , met la main à l'œuvre pour réprimer ses affections
désordonnées, pour les réduire au silence, et rétablir le calme et
la tranquillité dans son ame. Tout son zèle , tous ses efforts sont
inutiles; mais si au désir violent qu'il éprouve d'arriver à ce but,
au soin et à la vigilance avec lesquels il y travaille , vient se joindre
encore le secours de la grâce de Dieu , il est bientôt au comble de
tous ses vœux ; car Dieu est toujours prêt à venir au secours des
âmes qui veulent opérer leur salut. Si, au contraire, celte ardeur
vient à cesser; si, après avoir fait un pas en avant, il s'arrête et
même recule, il ne tarde point à perdre la grâce que Dieu lui
avait donnée. Sauver une ame malgré elle ne convient qu'à celui
qui use de violence; mais la sauver sans lui ravir sa liberté, c'est
l'effet d'une indulgence paternelle. C'est ainsi que notre Dieu
veut en agir toujours avec ses enfans ; il veut, en les aidant à bien
faire, leur conserverie mérite d'avoir bien fait, afin de pouvoir
dans les cieux couronner leurs méri es, tout en couronnant ses
dons. (Saint Clément d'Alexandrie, Quel riche sera sauvé PHom.)
Il est de noire sagesse d'observer les occasions de la grâce el de ne pas les manquer
Quel est pour nous le point capital et la grande maxime de la
sagesse chrétienne? retenez-la bien, mes chers auditeurs, et ne
l'oubliez jamais. C'est d'observer avec soin les occasions, et de ne
les pas manquer. Car, combien de choses dont vous ne voyez pas
les conséquences et qui vous semblent venir du hasard sont au-
tant de moyens que Dieu a choisis pour vous retirer du monde,
et dont peut-être il lui a plu de faire i V'pendre votre prédestina-
tion même : par exemple, l'engagem i que vous avez avec ce
serviteur de Dieu, ce livre de piété c vous goûtez, ce sermon
édifiant et convaincant que vous ente 2z, cette mort subite qui
qui vous effraie, cette perte de biens ni vous afflige, cette dis-
grâce qui vous humilie, cette infirmité qui, malgré vous, vous
LES PREDICATEURS.
33
réduit à mener une vie réglée, et vous empêche de vous livrer
aux mêmes excès. Si les desseins de Dieu vous étaient pleinement
connus, et que vous sussiez que c'est à cela qu'il a voulu atta-
cher votre salut, ne les ménageriez-vous pas, ces occasions si
importantes? Or, vous n'en savez que trop, pour y adorer au
moins les conseils secrets de cette Providence toute paternelle
qui vous gouverne; et si vous n'en savez pas davantage, c'est ce
qui vous oblige encore à vivre dans une dépendance plus absolue
de cette grâce, en qui vous vous confiez. Mais si cet une occa-
sion de salut, me direz-vous, et que Dieu y ait attaché la grâce
de ma conversion, il est sûr que je me convertirai. Je le veux,
Chrétiens ; mais il est sûr que vous ne vous convertirez jamais
sans un bon usage de cette grâce et de l'occasion où elle vous
est préparée. Car, de quelque nature que soit cette grâce, il est de
la foi que son effet ne peut être séparé de votre fidélité; et de
quelque manière qu'elle agisse, il en faut toujours revenir aux
deux paroles du Sauveur des hommes : Vigilate et orate l ; veil-
lez et priez. Priez, parce que vous ne pouvez rien sans la grâce;
et veillez, parce que la grâce, toute puissante qu'elle est, ne fait
rien sans vous. Priez, afin qu'il y ait pour vous un temps et un
jour de salut; et veillez, afin que ce jour de salut ne vous échappe
pas. Voilà en deux mots les deux points fixes et tout le précis de
la théologie d'un Chrétien. Poursuivons.
J'ajoute que la grâce qui opère notre conversion, quelque inté-
rêt que nous ayons à la rechercher, est toujours la première à
nous prévenir; et c'est, dans la doctrine des Pères, ce qu'elle a
de plus essentiel. Car, si je la pouvais prévenir, dès là elle ne serait
plus grâce, parce qu'elle supposerait en nous le mérite de l'avoir
prévenue. Je sais que nous pouvons, quoique pécheurs, chercher
Dieu par la grâce, et le trouver. Mais, reprend saint Bernard,
nous ne chercherions jamais Dieu par la grâce si Dieu, par une
autre grâce, ne nous avait lui-même cherchés : Nisi enini prius
quœsita, et non quœreres , sicut nec eligeres nisi electa 2. Or, c'est
ce qui paraît sensiblement dans la conversion de cette femme de
Sainarie. Le Fils de Dieu n'attend pas qu'elle fasse quelque avance
pour venir à lui : il l'aborde, il lui parle, il l'engage, sans qu'elle
y pense, dans un entretien qui doit être le principe de son salut,
Tel est le mystère et le prodige tout en: nble de la charité de mon
Dieu, de vouloir bien prévenir lui-r e des pécheurs, c'est- à-
1 Maiih., 2G. — 2 Bernard.
àô2 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
dire, de vouloir bien rechercher lui-même de viles créatures; de
vouloir bien appeler lui-même des aines ingrates et rebelles, des
aines criminelles et dignes de toutes ses vengeances, des âmes fai-
bles et inconstantes, dont peut-être il prévoit les infidélités et les
rechutes: de les rechercher, dis-je, et d'aller an devant d'elles, !
dans un temps où elles ne pensent point à lui; je dis plus , dans un !
temps où elles s éloignent de lui, où elles se soulèvent contre lui ,
ou même elles ont en quelque sorte horreur de lui. Ah ! Seigneur I
puis-je m'écrier ici, touché du sentiment de saint Bernard, et
en m'appliquant ce dogme de notre religion si opposé au pélagia-
msme : ah î Seigneur, est , pnc vrai que, tout aimable que vous
êtes, je ne puis de moi-m 2 vous aimer, et que ma misère aille
encore jusqu'à ne pouvoir rer d'être aimé de vous, si vous n'ex-
citez en moi ce désir? Est- tic vrai que, tout Dieu que vous êtes,
vous soyez dans la nécessit e faire les premières démarches pom-
me réconcilier avec vous, ou de m' avoir éternellement pour en-
nemi? Ne serait-ce pas assez que vous fussiez disposé à me rece-
voir? Mais du moins, ô non Dieu, puisque vous voulez bien
commencer, ne répondrai-je point à votre amour? Ajouterai- je à
l'impuissance malheureuse de vous prévenir le crime impardon-
nable de ne vous pas seconder? Non, Seigneur, et vous me faites
trop bien comprendre ce que je vous dois, pour que mon cœur
demeure dans une si mortelle indifférence. Puisqu'il est de l'hon-
neur de votre grâce que ce soit elle qui me recherche, je veux
bien me soumettre à cette loi. Oui, mon Dieu, je veux bien m'hu-
milier dans cette vue ; je veux bien reconnaître devant vous ma
faiblesse, et me confondre dans la pensée que de moi-même je ne
puis faire un pas pour aller à vous; et qu'avec toutes vos perfec-
tions, je ne puis vous aimer si vous ne m'aimez, et si vous ne
m'aimez avant que je vous aime. Mais du reste, Seigneur, ce sera
pour moi un puissant motif de reconnaissance et de fidélité; et le
souvenir de votre infinie miséricorde en nie cherchant malgré
toute mon indignité, en me prévenant, et en me remettant dans
vos voies, m'attachera désormais à vous d'un lien si étroit, que
la nature, que la passion, que le monde avec tous ses charmes, que
rien, quoique ce puisse être, ne le pourra rompre. Tel est le fruit
que l'ame chrétienne doit tirer de ce point de foi utilement et so-
lidement médité.
Mais encore comment est-ce que la grâce nous prévient? est-ce
avec autorité et avec empire? non, dit le Prophète royal, mais
par des bénédictions de douceur : Prœvenisti cum in benedictionU
DES PRÉDICAlEUUS. ??33
lus dulcedinis '.Car, si el!c nous prévient, c'est en nous deman-
dant ce qu'elle veut obtenir de nous; et en cela, remarque saint
Prosper, consiste la différence de la grâce et de la loi; la loi
commande, et la grâce invite; la loi menace, et la grâce attire; la
loi contraint, et la grâce engage. Or, c'est ce mélange de la loi
et de la grâce qui fait tout le mystère de l'aimable et souveraine
domination de Dieu sur nos cœurs. 11 ne tenait qu'au Sauveur du
monde d'user de tout son pouvoir, et d'obliger la Samaritaine à
lui rendre d'abord et sans réplique une obéissance forcée; mais,
parce que c'est sa grâce qui agit en elle, il veut qu'elle obéisse,
non seulement sans répugnance, mais avec joie et avec amour. Par
où donc commence-t-il? il la prie de l'écouter et de le croire : Mil-
lier ^ crecle miJii^. Car, quoique Dieu, par l'efficace de sa grâce,
soit maître de nos volontés, et qu'il puisse, comme il lui plaît, dis-
poser de nous, il n'en dispose néanmoins qu'avec réserve , et, si
j'ose me servir du terme de l'Ecriture, qu'avec respect; e'est-à-
tlire , en nous inspirant, en nous persuadant, en nous demandant
ce qu'il veut nous faire valoir : Tu autem , dominator virtutis , cuni
magna reverentia disponis nos"3. Je dis plus, quoique maître ab-
solu, il nous demande peu pour nous donner beaucoup. Que de-
mande Jésus-Christ à cette Samaritaine? un peu d'eau : Da mihi hi-
hère'*) et pourquoi de l'eau? pour lui faire naître le désir d'une
eau bien plus excellente qu'il lui veut donner, de cette eau salu-
taire et vivifiante dont la source rejaillit jusque dans la vie éter-
nelle : Fous aquœ salieutis in vilain œternam s; de cette eau qui
doit pour jamais étancher notre soif et nous établir dans une paix
et dans une félicité parfaites : Quibiberit ex aqua quant ego dabo ei,
non sitiet in œternum G. Belle idée , mes chers auditeurs, de ce que
nous éprouvons tous les jours dans la conduite de la grâce. Que
demande-t-elle d'abord ? presque rien : un peu d'attention sur nous-
mêmes , un peu de règle dans nos actions, un peu de discrétion
dans nos paroles, un peu d'assujétissement à nos devoirs. Don-
nez-moi cela, nous dit Dieu; c'est bien peu : mais de ce peu dé-
pendent toutefois les grâces les plus abondantes; et, en effet, c'est
souvent par ce peu , je veux dire par cette petite victoire rempor-
tée sur la passion, par cette petite violence faite à l'humeur, par ce
petit sacrifice de l'intérêt, par ce petit effort de la charité, par ce
petit retranchement d'une vanité mondaine que nous nous met-
tons en état de recevoir la plénitude des dons célestes et des misé-
* Ps. 20. — - Joan., 4. — 3 Sap., 12. — * Joan=, 4. — * Ibid. — c ibid.
334 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
licordes du Seigneur. C'est parla que commencent les grands ehan-
gomens , les grandes conversions; et, ne sommes-nous pas bien
coupables si nous refusons à Dieu ce qu'il exige de nous, quand l'a-
vantage qu'il nous promc! esl tellement au dessus de ce qu'il attend.
Disons néanmoins ene quelque chose de plus touchant. Je
prétends, avec saint G. stôme, que la grâce , pour agir avec
plus de douceur , s'acc de à nos inclinations , à nos goûts,
à nos talens, et mêi quelque sorte à nos faiblesses,
à nos imperfections , à : ifauts : j'en ai la preuve dans cette
femme de notre Evangil m autre que le Fils de Dieu qui l'eût
entendue disputer et rai .er sur les points les plus importans
de la religion l'aurait i\ ' Lee; un autre lui eût dit qu'il ne lui
appartenait pas de pénét. dans ces matières, que ces questions
épineuses et subtiles n'étaient pas de son ressort, et que la grande
science d'une femme devait être de n'en point trop savoir, ou de
ne point affecter de paraître en trop savoir : car c'est la réponse
commune qu'ont eue de tout temps à essuyer les femmes curieuses,
et qu'on a toujours fait valoir contre elles ; mais notre divin Maî-
tre n'ignorait pas que ce n'est point ainsi qu'on les convertit, et
que cette réponse mortifiante pour elles , bien loin de les corriger,
ne sert qu'à les aigrir et les irriter. Que fait-il donc? Il tient une
conduite tout opposée. Cette femme est vaine et curieuse , il l'en-
gage par sa curiosité même ; elle se pique d'être savante ,il ne dé-
daigne point de raisonner avec elle sur ce qu'il y a dans la reli-
giondeplus profond et déplus sublime. En instruisant les peuples,
il se servait de paraboles , c'est-à-dire de comparaisons simples
et familières , pour s'accommoder à la grossièreté de leurs esprits;
mais il n'entretient celle-ci , toute pécheresse qu'elle est, que de
matières élevées et en des termes proportionnés à la grandeur des
sujets dont il veut bien conférer avec elle : de la nature de Dieu,
de la perfection de son être, de la pureté de son culte, de l'ado-
ration en esprit; et par là il la détrompe , sans l'offenser, des faus-
ses idées dont elle était prévenue touchantla Divinité et les hom-
mages que nous lui devons. Or, n'est-ce pas ainsi que la grâce agit
et sur nos esprits et sur nos cœurs ? n'est-ce pas ainsi qu'elle se
conforme à nous , ne nous sanctifiant presque jamais ( remarquez
ceci, je vous prie) , ne nous sanctifiant presque jamais d'une ma-
nière contraire à nos inclinations naturelles , mais perfectionnant
selon Dieu, les inclinations naturelles, pour nous sanctifier. Som-
mes-nous ardens et agissans , elle nous anime d'un saint zèle, et
nous porte a pratique des bonnes œuvres; sommes-nous tendres
DES PRÉDICATEURS. 335
et affectueux , elle nous inspire pour Dieu une tendresse d'amour
qui nous fait quelquefois re'pandre à ses pieds des torrens de larmes;
sommes-nous dune humeur facile , elle rectifie cette facilité d'hu-
meur , et la convertit en charité pour le prochain ; sommes-nous
d'un esprit rigide et sévère, elle tourne cette sévérité en ferveur
delà pénitence; elle prend, dit l'Apôtre saint Pierre, par rap-
port à nous, autant de différentes formes qu'elle trouve en nous
de dispositions différentes : Multiformis gratiœ Dei l ; grâce qui
nous engage à être saints comme on voudrait l'être, si Dieu nous
en donnait le choix, et que nous n'eussions qu'à en délibérer avec
nous-mêmes ; afin, dit sai Chrysostôme , qu'il ne nous reste nul
prétexte pour nousdisp. r de la suivre, puisqu'elle veut bien se
servir de notre fonds pc accomplissement de ses desseins; puis-
qu'il n'y arien dans nous qu'elle ne mette en œuvre pour l'ou-
vrage de notre salut ; puisqu'elle ne demande point d'autre natu-
rel que le nôtre, point d autre complexion que la nôtre, point
d'autres talens que les nôtres, pour faire de nous ce que Dieu
veut que nous soyons ; enfin, puisque, dans un sens que vous en-
tendez assez, nous pouvons, en ne cessant point d'être ce que
nous sommes, devenir par elle tout ce que nous ne sommes pas.
( BoURDALOUE.)
Force de la grâce.
Quelque obscure que soit notre foi, si nous la regardons en
elle-même et dans ses mystères, elle a cependant, selon la pensée
de tous les théologiens, une espèce d'évidence dans ses motifs;
je veux dire que ce qu'elle nous révèle est au moins évidemment
croyable, parla qualité des-motifs qui nous obligent à le croire.
Or, il m'a toujours paru et il me paraît encore qu'un de ces mo-
tifs les plus puissans et les plus convaincans est devoir ce que la
grâce opère quelquefois en certaines âmes, que Dieu, comme dit
le grand Apôtre, a prédestinées pour en faire des vases de miséri-
corde: ceci, mes chers auditeurs, vous édifiera et vous consolera.
Quand les magiciens de Pharaon virent les étonnans prodiges que
faisait Moïse dans tout? Egypte, par le seul attouchement de
cette baguette mystérieux qui leur donna tant de terreur, ils con-
fessèrent enfin que le doigt de Dieu était là, c'est-à-dire, qu'ils y
reconnurent le caractère d'une vertu divine dont ce législateur
était l'instrument: Et dlierunt malefici ad Pharaonem: Digitus
1 I Peir., 4.
336 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
Del est hic !.Et moi, Chrétiens, quand je n'envisagerais que la
conversion de cetle femme Samaritaine, telle qu'elle est rapportée
dans l'Evangile, je conclurais, sans hésiter, qu'il y a un principe
surnaturel qui agit en nous, que Dieu a de secrets ressorts pour
remuer noscœurs etles tourner comme il lui plaît, que nous ne re-
cevons du ciel que des impressions qui ne peuvent venir que de
la grâce, et que, par les divines opérations de cette grâce, notre
liherté, sans rien perdre de son indifférence et de ses droits, est
parfaitement soumise à l'empire de Dieu.
Or, en quoi consiste le miracle de cette conversion ? Le voici, par
rapport aux deux puissances de l'ame à qui la grâce intérieure est
immédiatement communiquée , savoir, l'entendement et la volonté,
ou , si vous voulez, l'esprit et le cœur. Miracle de la grâce dans la
victoire qu'elle remporte sur l'esprit de la Samaritaine; miracle de
la grâce dans le changement qu'elle fait du cœur de la Samari-
taine; miracle, dis-je, opéré d'une façon toute miraculeuse, et avec
des circonstances qui ne permettent pas de douter que ce ne soit
l'ouvrage delà main toute puissante de Dieu: Digitus Dei est hic.
Ecoutez-moi, Chrétiens, et suppléez, par une attention toute nou-
velle , à la nécessité où je me troirs d'abréger en peu de paroles
ce qui demanderait un discours es
Miracle delà grâce et de sa foi ans la victoire qu'elle rem-
porte sur l'esprit de la Samaritaine. Suivez le texte sacré, et vous
en allez convenir. C'était tout eusemi.de une infidèle et une héré-
tique, puisque, selon la remarque d'Qrigène, les Samaritains étaient
dans le fond idolâtres, et adoraient les fausses Divinités de leurs
ancêtres , et que néanmoins ils ne laissaient pas de pratiquer en
même temps une espèce de Judaïsme, mais de Judaïsme corrompu
par leurs opinions particulières: ce qui les divisait, et, par un
schisme déclaré, les séparait du reste des Juifs: Non enim coutun-
tur Judœi Samaritanis 2. C'était une hérétique vaine et suffisan-
te, opiniâtre et indocile, préoccupée de son erreur et déterminée
à la soutenir, qui se piquait de raisonner et d'être subtile en ma-
tière de religion : car tout.cela paraît dans l'en tretien que Jésus- Christ
eut avec elle. Or, vous savez l'extrême difficulté, pour ne pas
dire l'impossibilité morale de réduire un esprit, encore plus l'es-
prit dune femme, quand elle est de ce caractère. Vous savez com-
bien il est rare de voir une femme entêtée d'une hérésie (je dis
entêtée; car, persuadée par raison , à peine le fut-elle jamais) se
* Exod., 8. — 2 Joan., 4.
DES PREDICATEURS. 337
mettre en état de reconnaître la vérité, la cherchée de bonne foi
et s'y soumettre. Soit que, par une malheureuse fatalité, 1 hérésie
ait cela de propre, de rendre les cœurs inflexibles et de les en-
durcir; soit que Dieu , par une punition due à ce péché, qui, de
tous les péchés, est, dans un sens, le plus grief et le plus punissa-
ble, ait coutume de répandre dans les esprits d'épaisses ténèbres
qui les aveuglent toujours de plus en plus, et que saint Augustin
appelle pour cela: Pœnales cœcitates: l encore une fois, vous
savez combien ce retour de l'hérésie à la foi, de l'orgueil de l'une
à l'humilité de l'autre, demande d'efforts, et combien dans l'ordre
même de la grâce il approche du miracle. Cependant c'est ce que
la grâce opère aujourd'hui ; mais, par une vertu qui ne peut être que
la vertu du Très-Haut, Jésus-Christ convertit cette femme: de Samari-
taine qu'elle était, il la ramènepremièrement à la pureté du culte juif
et puis il en fait une parfaite Chrétienne. Après l'avoir fait renon-
cer aux superstitions de ses pères et au schisme où elle a été éle-
vée, après lui avoir fait condamner les erreurs qu'elle soutenait
avec tant d'obstination et tant de zèle, il lui fait connaître ce
qu'il est et pourquoi il est venu, le sujet et la fin de sa mission, sa
qualité de Christ et de Sauveur, sa divinité même : mystères natu-
rellement incroyables , et qu'elle ne pouvait découvrir qu'à la
faveur des plus pures lumières de la grâce qu'il lui communique.
Non seulement il lui révèle ces points si importans et si sublimes
mais il les lui persuade , mais il les lui fait goûter. Quoiqu'elle eût
refusé d'abord de traiter avec lui, elle l'écoute enfin avec docilité
et respect; quoique tout ce qui venait des Juifs lui fût odieux, elle
veut bien, tout Juif qu'il est, le reconnaître et l'adorer comme
auteur de son salut; quoiqu'elle ne vît en lui que les apparences
d'un homme, elle proteste et croit fermement qu'il est le Christ
vrai Fils de Dieu. Ne faut-il pas confesser qu'une telle conversion
fut l'œuvre du Seigneur, et s'écrier avec David: Hœc mutatio
dexterœ Excelsi - ?
Mais, en changeant l'esprit de cette Samaritaine, la grâce n'aoit
pas moins puissamment dans son cœur. Car, outre qu'elle était
obstinée dans sa fausse créance, elle était impudique et libertine
dans ses mœurs : péchés, dit saint Chrysostome, qui, malgré leur
opposition, ne laissent pas d'avoir comme une espèce d'affinité
puisque l'hérésie, à proprement parler, n'est autre chose qu'une
corruption de l'esprit, comme l'adultère et l'impudicité sont une ré-
1 August. — 2Psi 78.
T. III. 22
338 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
bellion de la chair. Or, Dieu, ajoute saint Chrysostome, vengeur
de l'un et de l'autre, punit et confond souvent l'un par l'autre, en
permettant que ces révoltes de l'esprit contre la vérité soient com-
munément suivies des plus honteux déréglemens de la sensualité.
Et, en effet, nous voyons ces âmes si présomptueuses et si fières
sur ce qui concerne la religion, n'être pas ordinairement les plus
fermes dans leurs devoirs, ni les plus inébranlables dans la tenta-
tion. Telle était cette pécheresse de Samarie, avec sa prétendue
science et sa vaine subtilité. Elle vivait dans un concubinage pu-
blic, dans un concubinage auquel elle s'était abandonnée, et dont
elle avait contracté même une longue habitude : Quinque enim
viros habuisti, et nunc quem habes non est iuus vir J. Or, s'il y a
une maladie difficile à guérir, c'est celle-là : s'il y a un démon ca-
pable de résister à Dieu et à sa grâce , il est évident que c'est cet
esprit impur. Mais en cela même, la grâce de Jésus-Christ trouve la
matière de son triomphe. Cette pécheresse, cette prostituée, cette
femme esclave'des plus sales passions, est enfin purifiée et sanctifiée.
Il semble que Jésus Christ lui ait donné un autre cœur ; qu'après lui
avoir arraché ce cœur charnel et corrompu d'où procédaient tant de
désordres, il ait créé en elle un cœur nouveau, un cœur épuré non
seulement de toutes les souillures du péché, mais de toutes les af-
fections de la terre. Ce n'est plus cette Samaritaine scandaleuse
qui s'était fait un front pour le crime, et qui servait aux âmes de dé-
mon pour les perdre; c'est une créature toute nouvelle en Jésus-Christ:
Nova in Christo creatura 2: uneame transformée en Dieu et qui
ne respire plus que l'amour de Dieu ; qui n'a plus rien que de
chaste dans ses pensées, que de modeste dans ses paroles, que de
réglé dans ses actions; qui, par sa conduite exemplaire, est désor-
mais un modèle de vertu, et qui va répandre partout l'odeur de sa
sainteté. Quel prodige, mes chers auditeurs ! et ne devons-nous pas
toujoursreprendre avec le Prophète : Hœc mutatio dexterœ Excelsi?
Mais si la grâce de Jésus-Christ fait un miracle dans la conver-
sion de cette femme, la manière miraculeuse dont elle le fait mon-
tre encore bien quelles sont sa force et sa puissance. Car, n'est-il
pas étonnant, Chrétiens, que deux changemens si prodigieux ne
coûtent au Sauveur du monde qu'un moment? Quand Dieu agit
selon les lois et le cours ordinaire de sa Providence, il garde, ou
du moins il paraît garder des mesures ; et , dans l'ordre surnaturel
aussi bien que dans l'ordre naturel, il s'accommode à notre faiblesse.
t Joan.,4.— 2 IT Cor., S.
DES PRÉDICATEURS. 33 Q
Car il ne fait pas les saints dans un instant; il les sanctifie peu à
peu, et, par des progrès quelquefois insensibles, il les conduit de
degré en degré jusqu'au terme d'une sainteté consommée. Mais
quand il agit souverainement et en Dieu, il ne s'assujetit point
de la sorte. Il ne prépare point le sujet qui doit servir de fond à
son action. Une parole qu'il profère fait sortir des millions d'êtres
du néant, étend les cieux, affermit la terre, donne à ce vaste uni-
vers toute sa perfection : D/x/t, etfacta sunt l. Ainsi le Fils de Dieu
ne dit qu'une parole à la Samaritaine : Ego sum* : Oui , c'est moi,
moi qui suis ce Messie que vous attendez; et tout à coup la
voilà convaincue, la voilà touchée, la voilà pénétrée des plus saints,
mais des plus vifs et des plus tendres sentimens. Parole, reprend
saint Augustin , plus efficace que celle dont Dieu créa le monde.
Parole qui, par une seconde création, mais bien plus admirable
que la première, réforma dans le cœur de cette femme ce que le pé-
ché avait détruit. Je dis création plus admirable que la première,
puisque^dans la première le néant sur lequel Dieu travaille obéit sans
contradiction à sa parole; au lieu que, dans celle-ci, Dieu travail-
lait sur le néant du péché, qui, tout néant qu'il est, est capable
comme péché de lui résister. Mais encore par quelle marque sen-
sible le Fils de Dieu s'autorisa-t-il dans l'esprit de la Samaritaine,
et par où trouva-t-il une si facile et si prompte créance? Le vit-
elle en ce moment-là commander aux tempêtes et à la mer, gué
rir les aveugles-nés, ressusciter les morts de quatre jours? Ah î
Chrétiens, voici la merveille qui surpasse toutes les autres. Le
monde converti sans miracle, et sans miracle devenu chrétien, si
l'on voulait ainsi le supposer, ce serait, disait saint Augustin, le
plus grand de tous les miracles ; ce serait le miracle des miracles,
et le plus convaincant pour un païen qui ne croirait pas les autres
miracles. Or , nous le voyons, mes chers auditeurs, ce miracle des
miracles accompli dans cette Samaritaine. Les pharisiens et les doc-
teurs de la Loi voyaient tous les jours les miracles de Jésus-Christ;
ils en étaient les témoins oculaires; ils parlaient à Lazare qu'il avait
publiquement ressuscité,aux malades qu'il avait guéris; et cependant,
par une obstination inflexible, ils persistaient dans leur incrédulité.
Mais celle-ci, sans miracles, non seulement croit en lui, mais s'attache
à lui, sedonneàlui, renonce atout pour lui. D'où vient cela?dela
toute- puissance de la grâce, qui n'a besoin que d'elle-même pour
triompher du coeur de l'homme. Ce n'est pas tout. Quand le Fils de
22.
3^0 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
Dieu convertissait les autres pécheurs, ce n'était qu'après leur avoir
donné pour sa personne, par quelque signalé bienfait, un fonds
de confiance et d'estime. Pour guérir leurs âmes, il commençait
par guérir leurs corps; et, par condescendance à leur faiblesse ,
il les engageait à croire ce qu'il était, en leur faisant éprouver dans
leurs besoins ce qu'il pouvait. Mais, parce qu'il a résolu de faire
paraître dans cette pécheresse de Samarie toute la force de la grâce,
il la convertit purement, je veux dire sans autre attrait, sans autre
engagement d'intérêt que celui de sa conversion même. Elle ne
croit point en lui comme la femme chananéenne, parce qu'il a dé-
livré sa fille du démon, ni comme Ihémorhoïsse, parce qu'il lui a
rendu la santé; mais elle croit en lui pour lui seul; elle s'attache à
lui sans autre vue que l'avantage d'être à lui et de ne vivre que
pour lui. C'est là que je reconnais le caractère d'une grâce victo-
torieuse et toute-puissante : Hœc nuitatio dexterœ Excelsi.
Enfin le miracle de la grâce, c'est qu'en sanctifiant cette femme,
elle sanctifia tout le pays de Samarie , et qu'elle la rendit capable
de communiquer aux Samaritains le don de la foi. De pécheresse
qu'elle était, dit saint Grégoire, pape, elle se trouve miraculeuse-
ment transformée en Apôtre: Quœ advenerat peccatrix , revertitur
prœdicalrix. Avant que les Apôtres aient paru, elle va annoncer
Jésus-Christ à ceux qui ne le connaissent pas; et sans déroger à la
dignité de saint Pierre, ni à celle des autres Apôtres, on peut dire
que la première Apôtre du Christianisme c'est la Samaritaine. En
effet, son zèle la presse de telle sorte qu'elle ne peut s'arrêter un
moment: elle laisse le vaisseau qu'elle avait apporté avec elle,
elle ne pense plus à puiser de l'eau, elle quitte Jésus-Christ pour
Jésus-Christ même , elle rentre dans la ville, elle invite tout le
monde à le venir voir et à l'écouter, aimant mieux aller travailler
pour sa gloire que de goiiter plus long-temps les douceurs de son
entretien, et ressentant déjà ces saintes ardeurs et ces divins empres-
semens de l'esprit de foi, qui n'est jamaiscontentde connaître Dieu
s'il ne le fait encore connaître autant qu'il le peut et qu'il le doit.
(Le MEME.)
Comment la grâce agit en nous.
Il est vrai que les hommes , comme un auteur de notre temps
l'a très bien remarqué, « n'ont point assez de forces pour suivre
« toute leur raison. » Aussi suis-jetrès persuadé que nul homme,
sans la grâce , n'aurait pas', par ses seules forces naturelles, toute
DES PRÉDICATEURS. 3/\ l
la constance, toute la règle, toute la modération , toute la défiance
de lui-même qu'il lui faudrait pour la découverte des vérités mê-
mes qui n'ont pas besoin de la lumière supérieure de la foi. En un
mot, celte philosophie naturelle qui irait, sans préjugé, sans im-
patience, sans orgueil , jusqu'au bout de la raison purement hu-
maine, est un roman de philosophie. Je ne compte que sur la
grâce pour diriger la raison même dans les bornes étroites de la
raison, pour la découverte delà religion ; mais je crois avec saint
Augustin que Dieu donne à chaque homme un premier germe de
grâce intime et secrète, qui se mêle imperceptiblement avec la
raison, et qui prépare l'homme à passer peu à peu de la raison jus-
qu'à la foi. C'est ce que saint Augustin nomme inchoationes quœ-
clam fidei coiiceptionibus similes '.C'est un commencement très
éloigné pour parvenir de proche en proche jusqu'à la foi ,
comme un germe très iuforme est le commencement de l'enfant
qui doit naître long-temps après. Dieu mêle le commencement du
don surnaturel avec les restes de la bonne [nature , en sorte que
lhomme qui les tient réunis ensemble dans son propre fonds , ne
les démêle point, et porte au dedans de soi un mystère de grâce
qu'il ignore profondémement. C'est ce que saint Augustin fait en-
tendre par ces aimables paroles: Paulatim tu, Domine, manu nu~
tissima et misericordissima pertractans etcomponens cormeum, etc.*.
La plus sublime sagesse du Verbe est déjà dans l'homme , mais
elle n'y est que comme'du lait pour nourrir des enfans: Ut infantiœ
tuœ lactesceret sapientiatua. 11 faut que le germe de la grâce com-
mence à éclore pour être distingué de la raison.
Cette préparation du cœur est d'abord d'autant plus confuse
qu'elle est générale; c'est un sentiment confus de notre impuis-
sance, un désir de ce qui nous manque , un penchant à trouverait
dessus de nous ce que nous cherchons en vain au dedans de nous-
mêmes, une tristesse sur le vide de notre cœur, une faim et une
soif de la vérité, une disposition sincère à supposer facilement
qu'on se trompe, et à croire qu'on a besoin de secours pour ne se
tromper pas.
On peut remarquer ceci en étudiant de près certains hommes.
Par exemple, on en trouvera deux auxquels on se méprendra aisé-
ment. L'un aura beaucoup plus d'activité et de pénétration d'es-
prit que l'autre; il paraîtra né philosophe, amateur passionné de
la vérité et de la vertu , désintéressé , généreux , et uniquement oc-
1 Ad. Simpl. — 2 Confoss., vi, 5,
f
342 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
cupé clés plus hautes spéculations; mais observez-le de près: vous
trouverez un homme amoureux de son esprit et de sa sagesse, et
qui cherche la sagesse et la vertu pour enrichir son esprit, pour
s'orner et s'élever au-dessus des autres; cet amour-propre l'indis-
pose pour la découverte de la pure vérité; il veut prévaloir, il craint
de paraître dans quelque erreur, et il s'expose d'autant plus à er-
rer, qu'il est jaloux de paraître n'errer jamais en rien. Au contraire,
l'autre, avec beaucoup moins d'intelligence, occupe son esprit de
la vérité et non de son esprit même; il va d'une démarche simple
et directe vers la vérité, sans se replier sur soi par complaisance;
il a une secrète disposition à se défier de soi , à sentir sa faiblesse,
à vouloir être redressé. Celui qui paraît le moins avancé l'est infi-
niment plus que l'autre. Dieu trouve dans l'un un fonds qui re-
pousse son secours, et qui est indigne de la vérité ; il met en l'au-
tre cette pieuse curiosité, cette docilité salutaire qui prépare la foi.
Ce germe secret et informe est le commencement de l'homme
nouveau : Conceptionibus suniles. Ce n'est point la raison seule, ni
la nature laissée à elle-même , c'est la grâce naissante qui se cache
sous la nature pour la corriger peu à peu. (Fénelon, Lettres sur
la Religion.)
La conversion est l'effet d'une grâce prompte et puissante.
Qu'au barreau et dans les déclamations publiques l'éloquence
étale ses richesses; qu'elle affecte la pompe des paroles : quand on
traite des mystères delà religion, l'expression simple et pure de
la vérité n'a pas besoin de l'artifice du langage. La foi ne veut,
pour tout ornement que la substance des choses; n'attendez
donc pas de moi que je vous parle avec élégance , mais avec force,
ni que j'aie recours à cette rhétorique étudiée, mensongère, qui
ne s'occupe que de flatter les oreilles. Jje rendrai bien mieuxhom-
mage à la miséricorde démon Dieu, en n'employant que le langage
naïf de la vérité. Apprenez ce qui se sent plutôt qu'il ne se démon-
tre ; ce qui ne s'acquiert point par de longues et pénibles études.
Non. Il faut le puiser à la source d'une grâce prévenante qui d'elle-
même épanche ses trésors.
Du temps où j'étais plongé dans les ténèbres et dans une pro-
fonde obscurité, flottant sur la mer orageuse du siècle, j'errais çà
et là, sans avoir de route fixe, ne sachant pas même quelle direc-
tion prendre , tant j'étais loin de la vérité et de la lumière. Je re-
gardais comme bien dur à croire et bien difficile à exécuter, vu
£»* PRÉDICATEURS. 343
les préventions où j'étais alors, ce qu'on me promettait de la bonté
de Dieu pour être sauvé ; que l'on pût naître encore une seconde
fois, prendre une vie nouvelle dans les eaux sacrées du baptême,
s'y régénérer, en se dépouillant de ce qu'on avait été jusque là;
devenir, sans changer de corps, un homme tout nouveau. Où est,
me disais-je en moi-même , la possibilité de renoncer tout à coup,
soit à des penchans naturels , soit à des habitudes invétérées; de
devenir sobre, quand on est accoutumé à la bonne chère et au
luxe des festins; de ne se montrer qu'avec l'extérieur le plus sim-
ple, quand on ne paraissait en public qu'avec une riche parure,
éclatante d'or et de pourpre? Demandez à cet homme, nourri
dans les dignités et les honneurs où il mettait son bonheur; de-
mandez-lui de descendre à la vie privée, «à cet homme d'intri-
« gués, environné de la troupe de ses cliens , qui se croit honoré
« par l'assiduité des devoirs qu'ils s'empressent de lui rendre; il
« regarde comme une grande peine de se trouver vis-à-vis de lui-
« même *. » Qui s'est laissé enchaîner durant tout le cours de sa
vie passée par les liens des voluptés devient, par l'empire de l'ha-
bitude, l'esclave de ses sensualités, de ses passions et de ses vices.
Telles étaient les pensées qui m'occupaient, et m'ôtaient l'espé-
rance de pouvoir m'arracher jamais à des maux qui avaient pris
sur moi l'ascendant de la nature.
Mais après que les souillures de ma vie eurent été lavées dans
le bain régénérateur, et que la lumière d'en haut eut pénétré mon
ame purifiée; après que, en recevant l'Esprit-Saint, j'eus été en-
fanté à une seconde vie ; « renouvelé par les merveilleux effets de
« cette grâce céleste, j'ai vu tout à coup mes doutes se dissiper;
« ce qui était auparavant scellé pour moi s'est ouvert à mes yeux;
« les choses qui ne présentaient que ténèbres sont devenues lumi-
« neuses ; des difficultés qui me paraissaient insurmontables se
« sont évanouies 2 ; » ce qui me semblait impossible s'est
aplani. En sorte qu'il était visible que ce qu'il y avait en moi au-
paravant de charnel et sujet au péché venait de la terre, et que ce
que l'Esprit-Saint commençait d'animer venait purement de Dieu.
Vous n'ignorez pas plus que moi ; vous êtes le premier à recon-
naître ce que nous avons perdu et ce que nous avons gagné à
mourir au péché, à commencer à vivre à la vertu. Si je le rap-
pelle, ce n'est pas pour m'en faire honneur à moi-même: on est
toujours suspect et criminel de se vanter soi-même. Ce n'est point
1 Traduit par Bossuel, Panég. — 2Le même, Serm.
344 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
vanité, mais reconnaissance, d'attribuer la gloire de ce qu'il y a
de bien en nous à Dieu , et non pas à l'homme; de rapporter à
la grâce de la foi le bonheur de n'être plus dans le péché, comme
à l'erreur de l'homme l'état de péché où Ton était. N'est-ce pas de
Dieu seul que vient tout ce que nous pouvons? Dans lui, la source
de notre être, est le principe de notre force. Seulement, gardons-
nous d'une confiance présomptueuse. « Sans la crainte, on ne
« peut garder l'innocence, parce qu'elle en est la garde assu-
« rée '. » Méritons par la crainte que le Seigneur, qui a bien
voulu éclairer nos âmes, y maintienne sa présence, par le con-
cours d'un saint empressement de notre part à acquitter les œu-
vres de justice. Ne permettons pas que le bienfait que nous avons
reçu engendre une négligence qui rouvrirait l'accès de notre ameà
l'ennemi du salut. Si vous ne sortez point des voies de la justice et
de l'innocence ; si vous y marchez d'un pas ferme et assuré ; si, vous
tenant fortement attaché au Seigneur, vous persévérez à être ce
que vous avez commencé, sa grâce vous donnera d'autant plus de
facilité et de force qu'elle s'accroîtra davantage en vous. Il n'en
est pas des dons célestes comme de ceux que nous recevons de la
main des hommes, toujours étroits et mesurés; les dons de l'Esprit-
Saint s'épanchent avec largesse, avec l'abondance du fleuve qui
déborde; tout ce qu'il demande, c'est que nos cœurs en soient
avides, qu'ils s'ouvrent pour les recevoir; et la mesure de la foi
que nous y apportons est la mesure des faveurs dont nous y de-
vons être investis. A quelle force, à quelle puissance ne s'élève pas
l'ame ainsi régénérée ! Non seulement elle se voit émancipée des
liens qui l'attachaient au monde, inaccessible à sa contagion; mais
agrandie et fortifiée , elle commande en souveraine à toute l'armée
des démons. (Saint Gyprien , Lettre a Do?iat.)
Péroraison.
La grâce est donc une qualité spirituelle que Jésus-Christ ré-
pand dans nos âmes, laquelle pénètre le plus intime de notre sub-
stance,qui s'imprime dans le plus secret de nous-mêmes, et qui se
répand dans toutes les puissances et les facultés de l'ame qui la
possède intérieurement, la rend pure et agréable aux yeux de ce
divin Sauveur, la fait être son sanctuaire, son tabernacle, son
temple, enfin son lieu de délices. Quand une ame est ainsi toute
1 Traduit par Bossuct, Serm.
des PRÉDICATEURS. 34 ?>
remplie, l'abondance de ses eaux rejaillit jusqu'à la vie éternelle;
c'est-à-dire qu'elle élève cette aine jusqu'à l'heureux état de la
perfection. N'est-ce pas ce que dit Jésus-Christ : « Des fleuves sor-
tiront de son ventre'1;» la fontaine de ces eaux vives'rejaillissant
jusqu'à la vie éternelle, qui est précédée ici-bas de la grâce et de
la sainteté. On voit l'épanchement de ces eaux jusque sur les sens
extérieurs; sur les yeux, par la modestie; dans les paroles, par le
silence religieux , et par une sainte circonspection et retenue à
parler; en un mot, une personne paraît mortifiée en toutes ses
actions; elle se montre partout possédée de la grâce au dedans
d'elle-même , contraire à l'esprit du monde, ennemie de la nature
et des sens, mais toute pleine des vertus et de l'esprit de Jésus-
Christ. ( Bossuet, Exhortation aux Ursuîines de Meaux. )
1 Joan., vu, 58.
346 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
PLAN ET OBJET BU SECOND DISCOURS
SUR LA GRACE.
EXGRDE.
Respondit Jésus et dixh ex, si sclres donum Dti.
Jésus repondit et lui dit : si vous connaissiez le don de Dieu. (Jean, iv, 10.)
Ce don de Dieu , que la femme de Samarie ne connaissait point,
que Jésus-Christ lui fait connaître, c'est la grâce. Grâce, source fé-
conde, où les justes viennent puiser leur innocence et leur ferveur;
les pénitens, leurs soupirs et leurs larmes; les A pôtres, leur zèle
et leur courage; les martyrs, leur constance et leur intrépidité.
Grâce de Jésus-Christ ! à ce nom de la grâce , quelle ardeur, quel
empressement, quelle attention s'empare de vous! Fasse le ciel
que ce soit une attention sainte et religieuse, une attention du
cœur autant que de l'esprit, une attention inspirée par la grâce
et digne de la grâce! Loin d'ici, loin de vous, mes chers auditeurs,
cette attention d'orgueil et de présomption pour décider, de vaine
et de profane curiosité pour s'amuser, de licence et d'audace pour
raisonner, pour disputer; de critique et de malignité pour censu-
rer; de préjugés et de passions pour s'aigrir, pour s'irriter. Grand
Dieu! quelle épreuve pour les ministres de votre Evangile, si sous
vos yeux, à l'ombre de votre croix, au pied de cet autel où cha-
que jour vous êtes immolé victime de paix et de charité, ils ont à
redouter de pareils scandales ! Disputes fatales qui, dans les siècles
passés, après avoir ravagé le sanctuaire, ont agité les peuples,
ébranlé les trônes, bouleversé les empires; ah! que leur flam-
beau redoutable ne s'allume jamais parmi nous! Instruits par l'in-
fortune de nos pères, épargnons aux âges qui nous suivront la
triste nécessité de donner à nos malheurs les larmes que nous ne
pouvons refuser aux temps qui nous ont précédés.
Jamais peut-être on n'a tant travaillé que de nos jours à sonder
cet abîme de la grâce, à pénétrer les voies de la grâce, à lever,
DES PRÉDICATEURS. 347
presque à déchirer le voile qui couvre le secret de la grâce; mais
en a-t-on mieux connu ce qu'il importe principalement de savoir
du mystère delà grâce?
Ce n'est plus seulement aux habitans de la schismatique Sama-
ne, à Israël, aveugle zélateur de la loi; c'est au Chrétien que l'on
pourrait dire : Si scires donum Dei . ... Si vous connaissiez le don
delà grâce! Et que faudrait-il pour le connaître? humilier, détruire,
déraciner votre orgueil; de là, de là uniquement nos erreurs, nos
egaremens par rapport à la grâce: orgueil audacieux et téméraire,
qui ôte à la grâce la louange et l'honneur de la vertu; orgueil ca-
ché et déguisé, qui rejette sur la grâce la honte et l'opprobre du
vice! Je m'explique : nous connaissons par la foi deux principaux
caractères de la grâce, sa douceur et ses ménagemens, sa force et
sa puissance. Douceur et ménagement de la grâce; quoiqu'elle
puisse tout sur le cœur de l'homme, elle ne nous en laisse pas
moins notre liberté: force et puissance de la grâce; quoiqu'elle
nous laisse notre liberté, elle peut tout sur le cœur de l'homme.
Or, qu'arrive-t-il? cette douceur, ces ménagenieus, ces insinua-
tions de la grâce qui agit quelquefois d'une manière si délicate
qu'elle semble se confondre avec nos lumières, avec nos penchans,
avec nos inclinations , le pénitent superbe et présomptueux est
tenté d'en abuser pour s'attribuer ses vertus; cette force, cette
puissance de la grâce qui se rend quelquefois sensible par des mi-
racles étonnans de conversions, le pécheur hypocrite en abuse
pour excuser son péché. Je reprends donc et je dis : Si scires
donum Del. Pénitent superbe et présomptueux, voulez-vous savoir
ce que vous devez de reconnaissance à la douceur et aux ména-
gemens de la grâce? Pécheur hypocrite, voulez-vous savoir ce
que vous faites d'outrage à la force et à la puissance de la grâce?
"Voyez ce que la grâce fait pour cette femme de Samarie, dont
parle notre Evangile ; voyez ce que cette femme fait avec la grâce.
Ce que la grâce fait pour elle vous apprendra qu'à Dieu seul ap-
partient la gloire de la vertu ; ce qu'elle a fait avec la grâce vous
apprendra qu'à 1 homme seul appartient le crime du péché. En
un mot, la douceur, les ménagemens de la grâce ne donnent à
l'homme pénitent aucun sujet de se glorifier. La force et la puis-
sance de la grâce ne fournissent à l'homme pécheur aucun pré-
texte pour s'excuser. Deux vérités importantes que je me propose
de développer sans sortir de l'Évangile du jour. (Le P. de Neu-
ville, Sur la Grâce.)
3/|8 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
La grâce nous élève jusqu'à Dieu.
En vertu de la grâce qui nous sanctifie comme en fans de Dieu,
« nous sommes les héritiers de Dieu et les cohéritiers de Jésus-
« Christ dans le royaume de Dieu *. » Héritiers de Dieu, parce que
Dieu, dit saint Augustin, ne nous a point promis d'autre héri-
tage que la possession de lui-même. Or, c'est la grâce sanctifiante
qui nous assure cet héritage céleste , et Dieu , le meilleur et le
plus libéral de tous les pères, ne peut nous le refuser tandis que
sa grâce est en nous, et que nous sommes en grâce avec lui. Go-
héritiers de Jésus-Christ; car nous devenons capables non seule-
ment de posséder, mais de mériter le royaume de Dieu, et le mé-
riter par autant de titres que nous pratiquons de bonnes œuvres
et que nous faisons d'actions chrétiennes ; puisqu'il est encore de
la foi que toutes nos œuvres, élevées, sanctifiées et comme divi-
nisées par la grâce, nous servent de mérites pour la gloire; que
chacune en particulier est pour nous comme un droit acquis à cette
gloire; que les plus viles et les plus basses en apparence ont une
sainteté proportionnée à cette gloire; qu'à un verre d'eau donné
pour Dieu est dû, par justice et par récompense , un degré de cette
gloire; et qu'ainsi la vie du juste sur la terre devient un mérite
continuel dont Dieu, selon saint Paul, veut bien être dès main-
tenant le dépositaire pour en être éternellement le rémunérateur.
Il est vrai ; mais aussi, renversant la proposition, concluez de là
quelle perte fait un pécheur qui vient à déchoir de l'état de grâce,
puisqu'il n'est pas moins hors de sa foi que hors de cet état. Toutes
nos œuvres sont des œuvres mortes , de nul prix devant Dieu, et
incapables de nous obtenir la récompense des élus de Dieu. Ce
n'est pas que , dans l'état de péché , quoique privés de la grâce
habituelle, nous ne puissions faire des actions louables et ver-
tueuses, des actions saintes et surnaturelles, des actions même
utiles pour le salut, puisque au moins elles peuvent nous servir de
dispositions pour nous convertir à Dieu; mais je ne vous instruirais
pas à fond de votre religion , si je ne vous avertissais que toutes
ces actions, quoique saintes, quoique surnaturelles, quoique uti-
les, hors de l'état de grâce ne méritent rien pour le ciel; que Dieu
ne nous en tiendra jamais compte dans l'éternité, et qu'au lieu
qu'étant consacrées par la grâce, elles nous auraient acquis des tré-
1 Rom., vin, 17.
DES PRÉDICATEURS. 3>4«)
sors de gloire; du moment qu'elles n'ont pas cet avantage,' elles
ne peuvent nous conduire à ce royaume que Dieu, comme juge
équitable, réserve à ses amis. Or, ma douleur est devoir des Chré-
tiens insensibles à de si importantes vérités ; des Chrétiens qui
perdent la grâce tranquillement, qui la perdent sans chagrin et
sans trouble , et qui par là ne montrent que trop leur peu de foi et
même leur secrète irréligion. O homme ! concluait le grand saint
Léon, indigné du scandale que je déplore, et touché d'un si pro-
digieux aveuglement; ô homme! qui que vous soyez, reconnaissez
donc aujourd'hui votre dignité; et, sanctifié comme vous l'êtes
par la grâce qui vous associe à la nature divine, ne retombez pas
dans votre première bassesse. (Bourdaloue, Sermon sur la Cow
ceptlon de In Vierge,}
La douceur, les menagemens de la grâce ne donnent à l'homme pénitent aucun sujet
de se glorifier.
Quoique ce soit de la racine empoisonnée de l'orgueil que nais-
sent, que naîtront toutes les fausses doctrines qui d'âge en âge
troubleront la paix de l'Eglise, cependant saint Augustin avait
raison de l'avancer, qu'entre toutes les hérésies Terreur péla-
gienne méritait plus que les autres d'être appelée l'hérésie de l'or-
gueil humain; non seulement parce qu'il n'appartient qu'à la plus
audacieuse présomption de contester à Dieu le principe de tout
bien et la gloire des vertus évangéliques , afin de l'attribuer à
l'homme , mais parce que, entre tous les articles de notre foi, il
n'en était aucun plus clairement marqué, plus nettement exprimé,
plus hautement annoncé que le dogme qu'attaque l'impiété de
Pelage. De toutes parts s'élevaient des voix de proscription contre
sa pernicieuse doctrine. Son baptême, sa foi, ses espérances en
Jésus-Christ, les livres saints, les prières publiques, les liturgies,
l'auguste sacrifice, tout lui parlait de la nécessité de la grâce. Afin
de s'insinuer, de se maintenir dans l'esprit des peuples, cette secte,
il est vrai, aussi souple, aussi adroite que fière et hautaine, em-
ploya toutes les ruses de la politique, toute la pénétration du
génie, toutes les richesses de la science, toutes les grâces du lan-
gage, tous les charmes de la politesse, tout l'éclat des plus grands
noms, toutes les apparences delà piété la plus austère.
Malgré tant d'appuis, elle périt bientôt accablée sous les ana-
thèmes du monde entier. L'erreur passe , la vérité demeure : les
sectes ne sont que pour quelques jours, pour quelques années; si
35o NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
vous le voulez, pour quelques siècles : l'Eglise seule ne connaît
point l'outrage des temps; elle sera immortelle comme le Dieu
dont elle est l'ouvrage.
Or, cette erreur, depuis si long-ïemps foudroyée, ne revit-elle
point trop souvent au fond de nos cœurs? Peu accoutumés à réfléchir
sur ce qui se passe au plus intime de notre ame, connaissons-nous
assez les richesses de la grâce? Cette grâce dont l'action mesurée,
tempérée, amollie, pour ainsi dire , par sa douceur, par ses ména-
gemens, nous conduit par des détours imperceptibles, reçoit-elle
toujours l'hommage de louange et d'honneur qu'elle mérite? Ap-
pliquez-vous, mes chers auditeurs ;je soutiens que cette douceur,
ces ménagemens de la grâce doivent être le plus grand objet de
notre reconnaissance. Etudiez avec moi notre Evangile, vous ap-
prendrez que c'est à la douceur, aux ménagemens de la grâce qui
l'attend, que le pécheur doit le temps de se convertir; à la dou-
ceur, aux ménagemens de la grâce qui le prévient, que le pé-
cheur doit les premiers désirs de sa conversion; à la douceur, aux
ménagemens de la grâce qui l'invite, qui l'attire, qui le détermine,
que le pécheur doit sa conversion : trois réflexions, dont il suit
que la douceur et les ménagemens de la grâce ne donnent à
l'homme pénitent aucun sujet de se glorifier. Reprenons.
Douceur de la grâce qui attend le retour du pécheur; mé-
nagemens de la grâce qui donne au pécheur le temps , le moment
du retour; patience de Dieu à soutenir, à supporter le pécheur:
ce n'est point encore la grâce qui amollit, qui attendrit le cœur
de l'homme, c'est la grâce encore renfermée dans le cœur de Dieu;
ce n'est point encore la grâce qui parle au pécheur, c'est la grâce
qui s'intéresse pour le pécheur ; ce n'est point encore la grâce qui
forme le pénitent, c'est la grâce qui prépare la pénitence. Or,
cette grâce , parce qu'elle est un silence plutôt que la voix de Dieu,
parce qu'elle est plutôt un repos et qu'elle n'est point une action
de Dieu, nous ne la sentons pas, nous ne l'apercevons pas. Re-
pos, silence de Dieu, qui est déjà un grand bienfait delà média-
tion de Jésus-Christ; il oblige l'homme pénitent à la plus grande
reconnaissance; c'est déjà un titre qui le force d'avouer, avec l'A-
pôtre, qu'il ne serait rien sans la grâce de Jésus-Christ ; que, s'il est
quelque chose , c'est par la grâce de Jésus-Christ : Gratta autem
Dei sum ici quod sum *.
Fatigué d'une longue course, Jésus s'arrête, il attend; et qu'at-
1 I ad Cor., xv, 10,
DES PRÉDICATEURS. 35 I
tend-il? Qu'attend-il? une arao infidèle, étrangère à la nation
sainte, ennemie du peuple à qui Dieu confia sa Loi, son temple,
son autel, ses Ecritures, ses oracles, ses promesses ! Engagée dans
les voies d'une schismatique séparation, elle offensait par un culte
réprouvé le Dieu qu'elle adorait. Aussi coupable par ses vices
que par ses erreurs, elle ajoutait ses crimes propres et personnels
aux crimes de ses pères: l'égarement de l'esprit , la corruption du
cœur , la dépravation des mœurs , la présomption , le libertinage,
l'indocilité. Ce Dieu qu'elle ignore, qu'elle veut ignorer, ce Dieu
que depuis tant d'années elle outrage, qu'elle veut outrager, ce
Dieu l'attend. Ah! Seigneur, que nous serions heureux si nous
savions imiter votre douceur et votre patience! mais que nous se-
rions à plaindre si vous aviez notre fausse délicatesse, notre sen-
sibilité, cette ardeur à poursuivre, à punir les outrages! plus cri-
minels, parce que c'est un Dieu que nous avons offensé, nous
serions bien plus malheureux si celui que nous avons offensé n'é-
tait qu'un homme! la Samaritaine rencontrerait un maître sévère,
inexorable; elle trouve un père tendre, dont elle n'a pu lasser
la patience par ses iniquités. (Le P. De Neuville.)
Le pécheur doit à la douceur et aux roénagcmcns de la grâce qui le prévient les
premiers désirs de sa conversion.
Assis aux bords de la fontaine de Jacob, Jésus semble se livrer
à la douceur d'un repos profond, sedebat ; c'est le repos d'un Dieu
sauveur, repos plus fécond en prodiges que l'activité laborieuse
des hommes : du sein de cette tranquillité apparente, il forme les
dessins , il concerte les projets , il ébauche l'ouvrage de ses misé-
ricordes sur cette ame marquée de toute éternité pour rendre sen-
sible la conduite intérieure du Dieu de la grâce. La femme de Sa-
marie s'avance : est-ce un heureux hasard qui la guide vers cette
fontaine destinée à devenir pour elle une source de vie et de jus-
tice ? Elle ignore la révolution désirable qui va l'associer au peuple
saint, la faire entrer dans l'héritage des élus; elle ignore le bon-
heur qui l'attend; ce qu'elle ne sait pas, Jésus le sait, ses pas sont
comptés, une Providence aimable veille sur elle et pour elle; elle
obéit à une voix qu'elle n'entend pas; elle suit un attrait qu'elle
ne distingue pas , qu'elle ne démêle pas. Providence de la grâce !
qu'en penserons-nous, lorsque les nuages seront dissipés , lorsque
nous verrons se développer le plan , la suite , le tissu des événe-
mens, des situations, des circonstances où nous fûmes successive-
3j2 nouvelle bibliothèque
ment placés? Tout semblait prendre la loi des caprices d'une
aveugle fortune, tout était réglé par une sagesse profonde ! Je vous
fuyais, o mon Dieu , s'écriait saint Augustin , vous me suiviez; je
m'éloignais de vous, vous étiez auprès de moi, semblable à la
femme de Samarie , je ne pensais qu'à étancher la soif de mes af-
fections déréglées, de mes vicieuses cupidités; pressé par la soif
qu'allume au dedans de vous le pur amour, vous couriez après
moi dans les sentiers de mes égaremens.
Car tel est, mes chers auditeurs, le prodige de cette douceur, de
ces ménagemens, de ces attentions de la grâce prévenante , que
non seulement, aussi heureux que la femme de Samarie, nous
trouvons la grâce lorsque nous ne la cherchons pas, mais souvent
encore la grâce nous trouve lorsque nous la fuyons. Que dis-je ?
c'est quelquefois par les routes mêmes que nous prenons pour nous
en écarter que la grâce vient à nous, que la grâce nous attire à
elle. Le monde nous enlève à Dieu, afin de nous rendre à Dieu :
que fera la grâce? elle emploiera le monde, ses rebuts, ses hau-
teurs , ses bizarreries , ses caprices, son inconstance, sou ingrati-
tude, ses injustices, ses trahisons , ses perfidies : nous n'apercevons
autour de nous que des rivaux , que des concurrens appliqués à
nous traverser, à nous tendre des pièges, à nous envelopper dans
le labyrinthe de leurs ténébreuses intrigues ; que des protecteurs
fiers, hautains, superbes, intéressés, durs, insensibles; nous ne
voyons que des amis faibles , lâches , timides , faciles à se rebuter,
prompts à nous abandonner ; que des esprits critiques, malins, ja-
loux, épouvantés à l'aspect d'un mérite supérieur.
Ce sont nos passions qui nous précipitent dans le désordre;
afin de nous ramener au devoir ; que fera la grâce ? elle se servira
de nos passions, de leurs désirs inquiets pour nous fatiguer;
de leurs craintes, de leurs soupçons pour nous désoler; des revers,
des disgrâces qui les accompagnent pour nous rebuter; de la honte,
de l'opprobre qui les suit pour nous intimider ; de leurs succès ,
de leurs prospérités pour nous instruire, nous détromper, nous
dégoûter : plein de dépit , d'ennui , d'amertume, triste, agité, im-
portun à lui-même, notre cœur cherchera un asile, la grâce le lui
présentera ; je ne dis point assez, la grâce lui inspirera le désir d'y
venir oublier ses infortunes et ses douleurs.
En effet , ne nous y trompons pas, chrétiens ; que servirait à la
Samaritaine que le Dieu sauveur eût soutenu ses égaremens dans
l'abondance, dans la plénitude de ses miséricordes, si à la patience
qui l'attend, à la Providence qui la guide, il n'ajoutait la lumière
r DES PRÉDICATEURS. 353
qui l'éclairé, la voix intérieure qui l'appelle, le sentiment, l'attrait
qui l'invite ? Jésus serait à ses yeux, il serait encore absent de son
cœur, elle le verrait, elle ne le connaîtrait pas, elle ne l'aimerait
pas. En vain Jonc notre cœur dépris, désabusé des fausses pros-
pérités du monde, des délices trompeuses de la volupté , rougirait
de son indigne esclavage, ses liens ne tomberaient pas. Telle est
notre misère, remarque saint Bernard, que nous n'irons pointa
Dieu, si Dieu ne vient le premier à nous; que nous ne le cherche-
rons qu'après qu'il nous aura cherchés : JSon quœreres, nisi prius
quœsita. Pour me perdre je n'aibesoin que de moi-même; pour me
sauver j'ai besoin de Dieu : loin de pouvoir me convertir sans la
grâce, le concile d'Orange décide que, sans un mouvement de la
grâce, je ne puis désirer, invoquer la grâce de ma conversion :
Ipsam gratiam facere ut a nobis invocetur. Or, si je ne puis désirer
la grâce de me convertir qu'autant que la grâce me prévient,
comment, sans être prévenu par la grâce, formerais-je le désir de
ma conversion ?
Vérité fondamentale de la religion , nous la voyons clairement
marquée dans notre Evangile : Jésus est sous les yeux de la femme
de Samarie, elle ne le voit pas; elle le voit, elle n'y pense pas; elle
y pense, ce n'est que pour hâter sa fuite : élevée dans la haine du
temple, de la cité sainte du culte véritable, elle méprise un fils
de Juda , elle s'en croit méprisée : A on enim co-utuntur Judœi Sa-
maritains K C'est Jésus qui la prévient , qui l'arrête , qui lui parle,
qui commence cet entretien dont sa prompte et sincère conver-
sion fut le fruit.
Grâce prévenante ! sentirons-nous , reconnaîtrons-nous jamais
assez un pareil bienfait ? A.h! mes chers auditeurs, qu'un père tendre
se laisse désarmer par les soupirs de l'enfant prodigue; Joseph, par
le repentir de ses frères et les prières de Jacob; Assuérus, par les
pleurs d'Esther; que Jésus-Christ soit touché de la foi de la Chana-
néenne, du silence de la femme adultère, des larmes de la Mag-
deleine, des regrets et de la pénitence de Pierre; que Dieu soit
ému , attendri , gagné par les cris , par la douleur d'un cœur con-
trit et humilié, je n'en suis point surpris, les prodiges de sa pa-
tience à supporter le péché, m'ont annoncé les miracles de sa
facile indulgence à recevoir les pécheurs. Rejetterait-il avec dureté
celui qu'il voulut attendre avec tant de persévérance? Ne promet-il
pas le bienfait de la réconciliation lorsqu'il accorde le temps du
* S. Jean, iv, 9.
T, UJ, $3
354 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
repentir? Pourquoi diffère- t-il de se venger, si ce n'est pour avoir
lieu de pardonner?
Mais, que le pasteur abandonné coure après la brebis fugitive ,
que le maître insulté recherche le serviteur inutile, l'esclave re-
belle et obstiné dans sa rébellion; qu'un Dieu qui déteste le pé-
ché prévienne le pécheur, qu'il s'abaisse jusqu'à prier, jusqu'à dire
comme il le disait dans notre Evangile: Da mihi ^Donnez-moi vo-
tre cœur, ce cœur que je vous demande, ce cœur que vous me re-
fusez depuis tant d'années, ce cœur, l'objet de mes désirs, le prix
de mon sang, ce cœur que moi seul je mérite, que moi seul je
puis rendre heureux: da mihi; donnez-moi ce cœur rebuté du mon-
de et corrompu par le monde, ce cœur qui dans les voies du monde
n'a trouvé que crimes et que disgrâces, toujours coupable et tou-
jours malheureux : da mihi ; donnez-moi ce cœur, victime infortu-
née de tant de passions , ce cœur agité par tant de désirs, alarmé
partant de craintes, troublé de tant de soupçons, dévoré partant
de jalousies, désespéré par tant de trahisons; flétri, desséché par
tant d'ennuis ; miné, consumé par tant de chagrins, déchiré par
tant de remords et de repentirs: da miliL Insensé, vous ne savez
ni ce que vous cherchez ni ce que vous fuyez: Si scires do num
Deiï Le monde est-il capable de remplir l'immense étendue de vo-
tre cœur? Vous aurez toujours plus de désirs que le monde ne
peut donner de prospérités; montrez-moi une ambition rassasiée
d'honneurs ; une vanité satisfaite de louanges; un orgueil content
de distinction ; une avarice qui se croit assez de richesses : un cour-
tisan qui n'aspire pas à plus de faveurs qu'il n'en a ; un politique
qui ne souhaite point de nouveaux et de plus grands succès; une
volupté qui n'eut pas toujours soif de plaisirs et de délices; un
homme heureux dans le monde et par le monde; un homme qui
ait assez pour ne plus désirer, ou qui ne s'ennuie pas de lui-même
lorsqu'il est parvenu au terme de ses désirs ? Omnis qui bibit
ex aqua sitiet iterum -. Un autre maître vous invite , éprouvez
s'il ne vous fera pas une autre destinée; vous ne connaissez que la
tyrannie des passions, vous ignorez l'aimable empire de ma grâce,
le doux silence, le repos profond , le calme enchanteur qu'il ré-
pand dans une ame docile à sa voix : Qui biberit ex aqua quant ego
claboei, non sitiet in œternum 3. Je ne vous dis donc plus donnez-moi
votre cœur , da mihi; laissez votre cœur à lui-même , il ne tardera
pas d'être à moi ; vous ne me l'enlevez que malgré lui, je le rap-
* Jean., !V, 13. — 8 Ibid,, 13 — 3 Ibid.
DES PREDICATEURS.
3*> w
0 3
pelle sans cesse par mes grâces, il m'appelle continuellement par
ses regrets; pourquoi vous obstiner contre lui , contre moi ? Encore
un moment, vous êtes dans le tombeau ; ne vous suffit-il poiut
des malheurs du temps , si vous n'y ajoutez les malheurs de l'éter-
nité? Un soupir profond effacera vos iniquités, les larmes d'une
sincère pénitence éteindront le feu de mon tonnerre; soyez à moi,
je suis à vous : revenez , j'oublierai que vous m'avez quitté : Du
mihi. (Le même.)
Le pécheur doit à la douceur et aux ménagemens de la grâce sa conversion.
Et c'est ici, mes chers auditeurs, que plus nous avançons dans
les voies de la grâce, plus nous serons forcés de nous écrier avec
l'Apôtre que les opérations de la grâce ne sont que mystère impé-
nétrable aux plus heureuses conjectures : Investi gabile s -vice ejus1 !
Mystère de secret , d'obscurité profonde dans les succès, dans les
triomphes de la grâce! Qu'est-ce qui entraîne, détermine, change
le pécheur? Souvent il l'ignore lui-même; c'est un mouvement
intérieur dont il ne démêle ni le principe ni le progrès : mille fois
on avait approfondi la même vérité, on n'avait point été détrompé;
on avait senti le même attrait, on n'avait point été pénétré. Depuis
des années Augustin était pressé, sollicité , convaincu; il était tou-
jours pécheur; quelques mots prononcés comme sans dessein, un
coup d'œil sur les Epîtres de saint Paul , il est pénitent; ses larmes
coulent, elles emportent ses habitudes et ses passions, La voix
d'Ambroise avait échoué , la voix d'un enfant réussit. Augustin
connaît les grâces auxquelles il a résisté, Augustin ne connaît pas
la grâce à laquelle il a cédé: Investigabiles vice ejus!
Mystère de ménagemens, de douceur, d'insinuation dans les
opérations si variées de la grâce, dans les formes différentes sous
lesquelles elle se produit : tantôt c'est un rayon vif et perçant
dont l'impression rapide dissipe tout à coup les nuages les plus
sombres; tantôt une lueur d'abord faible, tempérée, qui s'aug-
mente, qui s'épure, qui jette un plus grand éclat à mesure qu'on
se rend plus attentif; tantôt un éclair qui consume en un instant
le bandeau qu'avaient jeté sur la raison et sur la foi les enchante-
mens du monde et de la cupidité; tantôt une main propice, qui,
par une action plus lente, plus concentrée, le lève, le soutient
peu à peu: ici c'est la voix du Dieu puissant qui ébranle le désert,
1 Ad Rom., il, 33,
23,
356 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
qui brise les cèdres, qui renverse un Saùl persécuteur; là un souf-
fle léger, un doux murmure de l'esprit de paix et de silence, qui,
pour ainsi dire, se fait entendre sans parler ; un regard , et Pierre
est baigné de ses pleurs. Quelquefois Dieu se montre en juge sé-
vère, en maître irrité, la foudre à la main, prêta écraser le pé-
cheur; souvent il paraît en ami fidèle, qui avertit, qui reprend,
qui persuade; en père tendre, il s'alarme, il s'afflige, il se plaint,
il vous plaint, moins touché de vos perfidies qu'attendri sur vos
malheurs : que sais-je, Chrétiens? Lumières qui éclairent, attraits
qui engagent, terreurs qui épouvantent, charmes qui invitent,
remords qui troublent, espérances qui attirent , menaces qui inti-
mident, reproches aimables qui attendrissent, craintes qui em-
poisonnent les plaisirs du péché, amour qui fait disparaître les pei-
nes de la vertu, confusion qui humilie , force et courage qui rassu-
rent; point de forme, point de figure que la grâce ne prenne, qu'elle
ne quitte successivement; elle s'accommode à tous les génies, à
tous les caractères , à toutes les situations; souple, insinuante,
elle entre dans l'abîme des erreurs pour les dissiper, des penchans
pour les combattre, des passions pour les détruire; elle se sert du
péché même contre le pécheur; on dirait presque que pour domi-
ner le cœur elle se soumet à son empire, qu'elle parvient à donner
la loi, en commençant en quelque façon par la recevoir : Investi-
gabiles vice ejus !
En voulons-nous une preuve? Retournons à notre Evangile :
quel triomphe de la grâce porta jamais un caractère plus marqué
de douceur et de ménagemens ! Attentif à préparer et à saisir les
momens de salut, le Dieu sauveur a su conduire cette ame infidèle
loin du bruit et du tumulte, afin que, dans le silence de la soli-
tude , elle entende mieux la voix de la grâce et la voix de son pro-
pre cœur; un léger service qu'il demande, qu'elle semble vouloir
refuser, devient le nœud de sa conversion ; elle ne voit dans Jésus
qu'un voyageur sorti de Juda ; elle déclare qu'un mur éternel de
division sépare Jérusalem de Samarie : Non enim co-utuntur et Ju-
dœi Samaritcuiis. Jésus l'avertit qu'elle se trompe lorsqu'elle con-
i oncl ce qu'il est avec ce qu'il paraît; que c'est à lui de faire des
grâces , non d'en demander; de recevoir des hommages, non d'en
rendre; il ne lui découvre pas encore la vérité , il lui montre son
erreur ; Si scires quis est qui dicit tibi^ da mihi biberex. Frappée
de ce premier rayon de lumière , elle veut se relever , s'illustrer
\ Jean, iv, \7>,
DES PREDICATEURS^ 35j
par la gloire du patriarche qu'elle regarde comme le chef de son
peuple. Jésus lui annonce que la gloire , les prospérités , l'opulence
des patriarches ne furent que l'ombre des richesses qu'il vient ap-
porter sur la terre : Aqua quam ego dabo fiet fons aquœ salientîs
in vilain œternamx. Ces biens dont Jésus enrichira la terre, elle
souhaite de les obtenir; on lui déclare qu'ils sont réservés aux
âmes pures et chastes : Voca virum tuum... non est tuus vir^. Ce
seul mot, en lui reprochant ses engagemens criminels, lui apprend
que rien n'est inconnu à cet homme qu'elle ne connaît pas; que
Jésus est un prophète dont les regards pénétrans percent la dis-
lance de tous les temps, de tous les lieux : Propheta es tu 3. Afin
de se dérobera une lumière importune, elle se jette dans les con-
troverses de religion, unique asile de la honteuse volupté, lors-
qu'elle veut se plonger dans un sommeil si profond qu'elle n'ait
point à craindre le réveil de la raison.
Jésus lui montre le crime de sa schismatique séparation ; mais
ils arrivent, ils sont arrivés les jours où tous les peuples ne se-
ront qu'un peuple, les jours où le culte d'esprit et de vérité rempla-
cera le culte d'ombres et de figures : Venit hora, et nunc est;*. Son
cœur agité, pressé intérieurement, s'ouvre au désir, à l'espérance
du Messie; pour croire à sa parole, pour obéira sa voix, il ne lui
manque que de le connaître: Quum venerit, nobis aitnuntiabit om~
nici'\ Jésus ne la laisse point dans une longue incertitude; ce Mes-
sie promis à vos pères, vous le voyez, vous l'entendez; fidèle,
docile, la Samaritaine cède, elle se rend; les préjugés de sa nais-
sance, les erreurs de son cœur, ses vices, ses passions, tout
tombe aux pieds de Jésus-Christ: Ego sumQ, (Le même).
Divers effets de la grâce.
Ceux qui ont été jugés dignes d'être faits enfans de Dieu sont
conduits de différentes manières par l'Esprit-Saint, et trouvent
dans la grâce différens charmes. Pour les uns, c'est un festin déli-
cieux où les attendent les mets les plus agréables, et dont ils se
repaissent avec un plaisir ineffable. Tantôt on les voit se réjouir
comme l'époux auprès de son épouse ; tantôt, comme de purs es-
prits, ils oublient entièrement le corps dont ils sont revêtus , et
semblent aussi légers que les anges. D'autres, comme enivrés par
nos saints mystères, semblent nager dans une satisfaction qu'aucun
* S. Jean, iv, 13. — 2 IbiJ. — * ibid. -, « Ibîd. — s lbid. — G Ibid.
358 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
langage humain ne saurait exprimer. Quelquefois leurs joues sont
sillonnées de larmes , parce qu'ils déplorent alors l'aveuglement I
et la perte des hommes qui sont leurs frères. Dans d'autres mo-
mens, ils sont enflammés de tant d'amour, qu'ils voudraient pou-
voir prodiguer les soins de la plus tendre charité à tout ce qu'il y i
a d'hommes sur la terre, et les renfermer tous, pour ainsi dire, i
dans leur cœur. Puis, tournant leurs regards sur eux-mêmes, ils
sont tout à coup si remplis de l'idée de leur néant, ils se méprisent !
à un tel point, qu'ils se croient les derniers des mortels. Tantôt ils
sont inondés d'une joie dont le Saint-Esprit est la source; tantôt |
ils sont remplis d'un courage qui les rend propres à hraver tous
les obstacles, et, comme de généreux soldats, ils s'avancent au
combat. Le plus souvent ils sont dans une douce paix, dans un
calme délicieux, qui est encore au dessus de tout le reste par le
bonheur qu'il leur procure.
Toutefois, dans ces merveilleux effets de la grâce, il est différens
degrés; et on ne les ressent tels que nous venons de les peindre
que quand on est parfait ou bien près de 1 être. C'est alors , et alors
seulement, que pour le Chrétien tout devient contentement, re-
pos, charité, compassion, bonté, bienfaisance. 11 n'est plus lui-
même , il devient tour à tour chacune des vertus avec lesquelles il
est comme identifié.
Il arrive pourtant aussi quelquefois que, dès le premier pas que
fait un chrétien pour sa conversion , son cœur est rempli de l'opé-
ration ineffable de la grâce. L'homme intérieur qui habite en lui
est comme ravi par la prière; et il est plongé dans les méditations
continuelles de la vie à venir qui l'occupe tout entier. Son cœur
est inondé d'une volupté pure et ineffable, en sorte que son ame
tout entière est dans l'étonnement de ce que Dieu fait pour lui.
Elle est élevée au dessus de la terre; elle plane dans les cieux;
elle a oublié tout ce qui est terrestre; ses sens intérieurs sont rem-
plis , par l'effet de la grâce divine , d'un objet bien plus digne
d'elle, et cet objet c'est Dieu. (Saint Macaire, De la. Charité.)
La force et la puissance de la grâce ne fournissent au pécheur aucun prétexte pour
s'excuser.
Ce que j'ai dit avec l'Apôtre, que les voies de la grâce sont une
abîme dont il est impossible de sonder la profondeur, nous pou-
vons , nous devons le dire des voies de notre propre cœur : il s'é-
gare en tant de détours, il se couvre sous tant de voiles, il s'enve-
DES PRÉDICATEDRS. 35o,
loppe dans l'obscurité de tant de nuages, que l'œil le plus attentif
ne réussit point à démêler la trace de ses pas. Il n'est aucune de
nos cupidités qui , pour nous tromper, ne sache, quand il le faut,
emprunter les dehors de la vertu même qu elle détruit. Humble,
souple, rampant afin de s'élever, l'orgueil humain ne cède à la
grâce tout le mérite de la vertu que pour rejeter sur la grâce tout
l'opprobre du vice.
Séduction d'orgueil masqué, déguisé, fourbe et hypocrite, je ne
crains point de l'avancer, séduction plus propre à se répandre, à
se perpétuer, que les hauteurs d'un orgueil audacieux! Pourquoi?
parce que la voix de son imposture est appuyée du suffrage de
toutes les passions qui, à l'ombre de cette fausse humilité, régnent
dans une paix profonde; parce que la gloire d'une vertu pénible
et austère a moins d'attraits pour la multitude qu'un plaisir auto-
risé et justifié; parce que, pour l'homme de cupidité, il n'est point
de situation aussi douce que la situation dans laquelle il croit
qu'il peut se permettre tout sans avoir rien à se reprocher. Je n'au-
rais donc rempli que la moindre partie de mon ministère, si, après
avoir confondu l'orgueil qui abuse de la douceur et des ménage-
mens de la grâce pour s'attribuer ses vertus, je ne vengeais la grâce,
de l'orgueil qui abuse de la force, et de la puissance de la grâce
pour excuser son péché. Pécheurs, connaissez la grâce, connaissez-
vous vous-mêmes: vous prétendez que si vous aviez la grâce, vous
seriez pénitens; que vous n'êtes pécheurs que parce que vous
n'avez pas la grâce : moi je dis : Vous n'attribuez à la grâce une force,
une puissance qu'elle n'a pas, que parce que vous voulez excuser
votre péché; vous ne demeurez dans votre péché que parce que
vous ne profitez pas, que parce que vous ne voulez pas profiter de
la force, delà puissance qu'a la grâce; par conséquent, loin que
la force et la puissance de la grâce excusent votre péché , vos
excuses sont un nouveau péché.
Une grâce qui obtient le consentement de la volonté, en ôtant
à la volonté le pouvoir de refuser son consentement; une grâce
qui ne puisse demeurer inutile dans l'homme, par la mollesse, l'in-
dolence, l'obstination, l'indocilité de l'homme,.... une grâce qui
n'est jamais dans le pécheur, parce qu'il cesserait nécessairement
d'être pécheur aussitôt qu'il la recevrait: voilà la grâce, la seule
grâce que connaît un pécheur qui cherche des excuses à son péché,
la seule qu'il cherche à connaître. Or, je soutiens qu'il ne peut
puiser cette idée de la grâce que dans le désir , dans l'intérêt de
pallier son péché, de justifier son péché, d'excuser son péché:
36o NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
pourquoi? parce que cette idée qu'il se forme de la puissance de
la grâce est une erreur réfutée, condamnée par tout ce que nous
éprouvons, par tout ce qu'il éprouve lui-même de la force et de
la puissance de la grâce.
Reprenons. Erreur qui outrage, qui déshonore la véritable puis-
sance de la grâce. En effet, raisonnons. Vous dites : La grâce peut
tout sur le cœur de l'homme, je le dis avec vous : je demande en
quoi consiste ce pouvoir de la grâce. Vous répondez qu'il consiste
dans une supériorité d'attrait, de mouvement, d'impression qui
met l'homme dans la nécessité absolue de se livrer au nouveau
penchant par lequel ses anciennes affections sont subjuguées et
dominées : ainsi le cœur ne suit pas, il est entraîné; s'il cède, s'il
plie, ce n'est point parce qu'il est souple et docile, c'est parce que,
trop faible, il n'a pas réellement le pouvoir de résister. Or, je sou-
tiens qu'en se faisant une pareille idée de la grâce, on enlève à la
grâce tous les caractères de grandeur , de noblesse, de majesté, de
divinité qui conviennent à l'action d'un Dieu, à la grâce d'un Dieu:
j'entends l'indépendance de la grâce, la sagesse de la grâce, la fé-
condité de la grâce, la puissance divine de la grâce, le mystère
même de la grâce. Suivez-moi, et ne craignez point que le nuage
d'une discussion trop abstraite enveloppe ces vérités sublimes.
Je reviens donc , et je dis : Vous prétendez que la grâce n'est
qu'un attrait essentiellement vainqueur ou vaincu, selon qu'il est
combattu par un attrait plus faible ou plus fort. Ah ! mes chers
auditeurs, reconnaissez-vous la liberté , l'indépendance indéfinie
àe la grâce, dans cette grâce toujours et absolument inutile , lors-
que la cupidité a plus de pouvoir et d'activité pour la combattre?
dans cette grâce qui, lorsqu'elle triomphe, doit moins la victoire à
ses propres forces qu'à la faiblesse des passions? C'est-à-dire que
l'on n'affranchit la puissance de la grâce des résistances et des op-
positions de la liberté, que pour la faire ramper sous les lois de
la cupidité; c'est-à-dire, que l'homme ne sera jamais libre, et que
la grâce sera presque toujours esclave.
Reconnaissez-vous la fécondité infinie de la 'grâce, dans cette
grâce à laquelle on ne laisse plus le droit ni de choisir les momens,
ni de ménageries caractères, ni de saisir les situations, ni de pré-
parer les circonstances, ni d'écarter les obstacles; puisque pour
tous les momens, tous les caractères, toutes les situations, toutes
les circonstances, tous les obstacles, le sort de la grâce estassujéti
à des conditions étrangères , qu'elle est toujours ou nécessaire-
ment victorieuse ou nécessairement vaincue?
DES PRÉDICATEURS. 36 r
Reconnaissez-vous la puissance infinie de la grâce , clans cette
grâce qui ne peut tout sur le cœur, que parce que le cœur ne peut
rien contre elle? Prenez garde: homme, par conséquent limité
dans ma force de résistance, afin de me faire plier sous l'effort d'un
mouvement supérieur, il faut être plus que moi, je le sais; mais
est-il évident qu'on doive être autant que Dieu? Le dirai-je? On
peut se faire une idée d'uxf pareil triomphe, sans remonter jusqu'au
trône delà Divinité. Les créatures nous en offrent des exemples:
mais enlever notre cœur à ses passions, sans lui ravir sa liberté;
en obtenir tout, en lui laissant le pouvoir de refuser tout; c'est
là ce qui demande, je ne dis pas seulement des connaissances in-
finies pour le choix, des grâces ; je ne dis pas seulement une sa-
gesse infinie dans l'ordre et la distribution des grâces; je dis, c'est
là ce qui demande une puissance infinie dans l'auteur de la
grâce. J'appelle une puissance infinie, une puissance qui ne
règne pas avec moins d'empire sur ce qui peut résister que sur ce
qui ne le peut pas : car, commander à ce qui n'oppose aucune ré-
sistance, ou ne vaincre qu'en dépouillant du pouvoir de résister,
tels sont les triomphes de l'homme. Parmi nous le héros n'est
vainqueur que quand l'ennemi reste désarmé. Mais dominer le
cœur sans l'assujétir , en être toujours maître sans qu'il soit jamais
esclave: voilà, je le répète, ce qui n'appartient évidemment qu'à
Dieu, ce qui caractérise l'action, la grâce de Dieu. Encore une
fois, régner sur un cœur qui ne serait pas libre, là je ne verrais
qu'un Dieu plus puissant que l'homme; régner sur un cœur libre,
là j'adore le Dieu tout-puissant; je ne dis point assez, là j'adore
ce chef-d'œuvre , ce prodige, ce miracle de toute-puissance, dont
la hauteur et la sublimité épouvantent l'esprit et ne permettent à
la raison que l'hommage de l'humble silence.
Enfin , dans la puissance de cette grâce élevée sur les ruines de
la liberté, reconnaissez-vous l'abîme, la profondeur, l'obscurité
impénétrable du mystère de la grâce ? Une grâce qui peut tout sur
un cœur toujours libre ; un cœur toujours libre sur l'action d'une
grâce qui peut tout , qui opère tout : un cœur que la grâce déter-
mine et qui se détermine avec la grâce ; voilà le mystère : je ne vois
pas , je ne conçois pas , il faut croire. Mais la liberté sans la grâce,
ou la grâce sans la liberté, on voit tout, on conçoit tout, il ne
reste rien à croire. Qu'est-ce donc que méconnaître dans l'homme
le pouvoir de résister à la grâce ? C'est renverser, détruire l'indé-
pendance et la liberté de la grâce, la sagesse et la fécondité de la
grâce, la puissance infinie de la grâce, le mystère même de la
362 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
grâce. Par conséquent, qu'est-ce que méconnaître dans l'homme
le pouvoir de résistera la grâce ? C'est renverser, détruire, anéantir
l'empire de la grâce sous le vain prétexte de la mieux établir.
Par conséquent encore, en quoi consiste la véritable puissance de
la grâce ? Elle ne consiste point en ce qu'il n'est aucune grâce à la-
quelle on résiste; elle consiste en ce qu'il n'est aucune résistance
que la grâce ne puisse vaincre : elle ne consiste point en ce qu'il
n'est aucune grâce qui ne fasse des saints; elle consiste en ce qu'il
n'est aucun homme dont la grâce ne puisse faire un saint, en ce
qu'il n'est aucun saint qui ne soit devenu saint par la grâce, reprend
saint Augustin ; qu'il ne fut, qu'il ne sera point de saint dont on
puisse dire, dont on ne doive dire, aussi bien que de l'Apôtre, ce
n'est pas la grâce seule, ce n'est pas l'homme seul, c'est la grâce
avec l'homme, c'est l'homme avec la grâce {\Non gratia Dei sola ,
nec ipse solus , sed gratta Dei cum Mo. (Le P. de Neuville.)
Réponse aux objections.
Mais n'est-ce point affaiblir la puissance de la grâce , resserrer
les droits, l'empire de la grâce, déshonorer la grâce, que de re-
connaître dans l'homme le pouvoir de résister à la grâce? Ah! mes
ch ers auditeurs! l'Esprit saint ignorait-il le pouvoir de la grâce,
déshonorait-il la grâce, lorsqu'il disait par le Sage: J'ai appelé, vous
avez refusé de venir: Focaviy et renuistis 1. Par le prophète Isaïe :
J'ai tendu les bras à un peuple incrédule et indocile : Ad populum
non credentem et contradicentem 2. Jésus-Christ ignorait-il le pou-
voir delà grâce , déshonorait-il la grâce lorsqu'il se plaignait qu'il
avait voulu rassembler les enfans de Sion , que Sion ne l'avait pas
voulu? Folui.... et noluisti 5. Saint Etienne déshonorait-il la grâce,
lorsqu'il reprochait aux Juifs leurs résistances à la grâce? Spiritui
Sancto résistais 4. Saint Paul déshonorait-il la grâce lorsqu'il aver-
tissait les premiers Chrétiens de ne pas recevoir la grâce en vain ,
de ne pas éteindre l'esprit de la grâce ? Exhorta mur ne in vacuum
gratiam Dec recipiatis,... Spiritum nolite extinguere h. Saint Au-
gustin déshonorait-il la grâce, lorsqu'il décidait qu'il dépend de
nous de répondre ou de ne pas répondre à la grâce ? Consentira
vocationi divinœ, vel ei dissentire , propriœ voluntatis est.
Saint Prosper déshonorait-il la grâce, lorsqu'il reconnaissait que
1 Prov. ii, 24. — s Ad Rom. , x, 21. - 3 Matlb., xxni, 37. — * Act., vu, 51. —
5 H Ad C, vi, 1; AdThess., y, 19.
'
DES PRÉDICATEURS. 363
rejeter la grâce, c'est le fait de notre indocilité; que consentir à
la grâce , c'est l'ouvrage et de la volonté de Dieu, et de la vo-
lonté de l'homme? Quod réfutât ur, ipsorum nequitiœ est , quod
suscipitur et gratiœ est divinœ et humanœ njoluntatis.
Le concile de Trente déshonorait-il la grâce, lorsqu'il pronon-
çait anathème à qui soutiendrait que l'homme ne peut pas refuser
son consentement à la grâce ? Si quis dixerit.... non posse dissen-
tire si vellt , anathema sit.
Anathème, à qui soutiendrait que la liberté de l'homme a péri par
le péché du premier homme : Si quis Uberum hominis arbitrium, post
Adœ peccatum, amissum et extinctum esse dixerit, anathema sit *;
Anathème, à qui soutiendrait que cette doctrine de la grâce
fait outrage à la gloire de Dieu, ou aux mérites de Jésus-Christ : Si
quis dixerit per hanc doctrinam gloriœ Dei, vel meritis Christi de-
rogari , anathema sit 2.
Qu'est-ce donc qui déshonore la grâce? voulez-vous le savoir?
c'est le pécheur qui emploie la force , la puissance de la grâce pour
s'en faire une excuse de ses péchés ; c'est le pécheur qui ne s'ob-
stine dans une erreur si injurieuse à la grâce, que parce qu'il veut
juger de la nature de la grâce par l'intérêt de ses passions, au lieu
déjuger de ses passions par les lumières de la grâce; parce qu'il
juge delà grâce, parce qu'il voudrait en éprouver, au lieu déjuger
de la grâce sur ce qu'il en éprouve.
Car oubliez, j'y consens, les preuves solides sur lesquelles je
viens d'établir la vraie doctrine de \\ grâce, pour dissiper tous les
nuages, pour réfuter tous les prétextes, je n'ai besoin que de l'ex-
périence, et je dis : Si l'homme peut résister, si l'homme ne résiste
point à la grâce, pourquoi les justes et les plus saints d'entre les
justes se reprochent-ils, ont-ils toujours à se reprocher tant de
combats contre la grâce, tant de résistances à la grâce, tant d'infi-
délités à la grâce? Pourquoi ces exhortations des Prophètes, des
Apôtres, des ministres de 1 Evangile, si souvent réitérées, pour
nous avertir du danger auquel s'expose uneame qui dispute contre
la grâce, qui néglige la grâce, qui abuse de la grâce, qui laisse échap-
per, qui perd les momens de la grâce ? Pourquoi , dans le sacré
tribunal de la pénitence, le pécheur, lorsqu'il se connaît, lorsqu'il
veut se faire connaître , s'accuse-t-il de ses délais, de son indocilité,
de son obstination, d'avoir rejeté la grâce, de s'être refusé à la
grâce, de s'être endurci contre la grâce? Pourquoi s'en accuse-t-
\ Session 6, canon 5, Conc. ïrid, ?» 2 Ibid.; canon 53.
364 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE.
il ? pourquoi le pleure-t-il comme le péché qui a mis le comble à
tous les autres péchés ? Pourquoi demeurons-nous alors incertains
de ce qui doit nous étonner davantage, ou tant de péchés avec
tant de grâces, ou tant de grâces malgré tant de péchés ? Alors on
parle le langage de la simple et naïve vérité : on n'accuse plus
la grâce, on n'accuse que soi-même; on avoue que souvent on n'a
point été plus vivement pressé, remué, attendri, agité par la grâce,
que dans les instans où l'on rejetait ses égaremens sur l'absence de la
grâce. (Le même.)
La grâce est accordée à nos prières.
Chrétiens, vous êtes le troupeau béni de Jésus-Christ, les lumiè-
res du monde, le sel de la terre, si vous êtes ce que vous devez
être , c'est-à-dire « parfaits , comme votre Père céleste est par-
« fait * ; avec un corps terrestre, vous êtes comparables aux anges,
qui sont de purs esprits. Songez-y sans cesse : votre combat ne
dure qu'un instant, mais votre récompense sera éternelle. Plus vous
observez avec exactitude les préceptes et les conseils de votre re-
ligion, plus vous redoublez la fureur du démon, votre irréconci-
liable ennemi; et plus il cherche, dans le secret, à vous tendre des
pièges où vous puissiez enfin trouver votre perte.
Soyez donc toujours en garde contre les embûches qu'il vous
tend. « Personne ne sera couronné s'il n'a combattu 2, » et qui-
conque combattra de grand cœur est assuré que la grâce de Dieu
ne l'abandonnera pas; mais si quelqu'un néglige d'appeler la grâce
à son secours, qu'il ne s'en prenne qu'à lui de sa perte s'il vient à
être abandonné par la grâce. Car celui qui l'appelle constamment
à son aide, l'aura toujours pour appui. Elle lui apprendra ce qu'il
faut faire pour plaire à Dieu ; mais , sans son secours , il n'y par-
viendra jamais malgré tous ses efforts. C'est donc à l'homme à
demander la grâce, afin qu'elle éclaire ses yeux, qu'elle enflamme
son cœur, et quelley fasse germer toutes les vertus. (Saint Ephrem,
Traité de la Perfection.)
Péroraison.
Ah! mes chers auditeurs, la puissance de la grâce fait les
saints , la puissance de la grâce n'excuse point le pécheur !
A Dieu seul toute la gloire de la vertu , à l'homme seul toute
* Malth.. v, 48.— 2 IITim., n, 5.
DES PRÉDICATEURS. 365
la honte du vice! Le juste ne se sauve que par le bienfait de
la grâce; le pécheur ne périt que par ses re'sistances à la grâce.
Deux vérités que je me flatte de vous avoir développées dans ce
discours ; deux vérités que saint Augustin montre clairement mar-
quées dans la parabole du Père de famille : Tous ceux qui sont in-
vités ne viennent pas; tous ceux qui viennent ont été invités:
ceux-ci ne peuvent se glorifier, ils ne sont venus que parce qu'ils
ont été appelés: Quia vocati venerunt. Ceux-là ne peuvent se jus-
tifier; ils furent appelés, ils n'ont pas voulu venir, et ils pouvaient
le vouloir : Ut venirent vocati crant in libéra voluntate. Voilà la
vraie doctrine de la grâce, voilà ce que la foi nous révèle , ce que
l'Eglise nous enseigne de la puissance actuelle qui fait les justes et
les pénitens : ce qui est opposé à cette doctrine n'est qu'erreur, il
faut le réprouver; ce qui est au delà de cette doctrine, quelle né-
cessité de l'approfondir? Simples dans notre foi, ne raisonnons
point sur ce que nous ignorons de la grâce; sages dans notre con-
duite, réglons nos mœurs sur ce que nous savons de la grâce:
pleins de douleur, de repentir, pleurons l'abus de tant de grâces
que nous avons reçues sans en profiter; pleins de reconnaissance
et de vigilance, profitons des grâces que nous recevons. L'Esprit
saint nous parle encore aujourd'hui, souvenons-nous que c'est au-
jourd'hui qu'il faut lui répondre : Hodie si vocem Domini audieri-
tiSy nolite ob dur are corda vestra. Nos infidélités n'ont pu le rebu-
ter, cessons de le contrister par d'indignes et criminelles résistances:
ainsi dociles à la grâce, par laquelle il fait des saints sur la terre,
nous arriverons à la grâce par laquelle il fait des heureux clans le
ciel. Ainsi soit-il. (Le P. de. Neuville.)
366 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
PLAN ET OBJET DU TROISIEME DISCOURS
SUR LA GRACE.
EXORDE.
Si scires donum Dei.
Si vous connaissiez le don de Dieu. (Jean , iv.)
Tous les biens répandus dans ce vaste univers viennent de Dieu;
nous sommes comme environnés, investis de ses dons. Quel est
celui dont Jésus-Christ parle à la Samaritaine, si supérieur à lousles
autres, qu'il semble les compter pour rien comparés à ce don par ex-
cellence? La voix unanime des Pères de l'Eglise et des interprètes
de l'Ecriture nous crie que c'est la grâce.
La grâce est ce qu'il y a déplus précieux dans les trésors du
ciel: mais n'est-elle pas la chose du monde qui nous occupe et
nous touche le moins ? Qui est-ce qui parle de la grâce? Qui est-
ce qui en connaît le prix? Qui est-ce qui en fait l'objet de ses vœux
les plus ardens? Les dons de la nature et de la fortune emportent
tous nos désirs : nous nous fatiguons, nous nous épuisons à les re-
chercher et à les poursuivre: ceux de la grâce, à peine songeons-
nous aies demander, ou nous ne les demandons qu'avec une froi-
deur qui les repousse et nous rend indignes de les recevoir. Que
si nous les recevons; si Dieu, qui veut sincèrement nous sauver,
nous accorde les secours nécessaires pour arriver au terme heu-
reux du salut , quel usage en faisons-nous ? Trop souvent la grâce
demeure stérile entre nos mains; elle ne produit pas les fruits de
justice et de sainteté auxquels Dieu les destinait. On la néglige, on
la rejette et l'on se damne.
Indifférence pour la grâce, infidélité à la grâce; deux désordres
qui régnent dans le Christianisme, et qui sont la source funeste de
tous les autres. Mais d'où viennent-ils eux-mêmes ? de l'ignorance
où nous vivons de ce que la foi nous enseigne sur le dogme sacré
de la grâce, Oh ! si vous connaissiez ce don de Dieu , ou si j'étais
DES rRÉDICÀTliURS. 367
assez heureux pour vous le faire connaître, que vous changeriez à
son égard et de sentimens et de conduite! Si scires cïonum Del!
Mais la grâce a ses mystères, ses abîmes ; à Dieu ne plaise que
j'entreprenne de dissiper les ténèbres qui les couvrent et d'en sonder
la profondeur. Adorons le secret de Dieu dans les opérations inef-
fables de sa grâce, de peur qu'en voulant le pénétrer nous ne soyons
accablés sous le poids de sa gloire. Cherchons, non ce qui satisfe-
rait le plus notre curiosité , mais ce qui est le plus propre à réfor-
mer nos mœurs, à corriger cette indifférence pour la grâce, cette
infidélité à la grâce, que la plupart des Chrétiens ont à se repro-
cher : double principe de réprobation que je veux m'efforcer de
détruire et auquel j'oppose ces deux propositions qui feront le par-
tage de ce discours. Il n'est rien que nous devions plus désirer que
la grâce ; premier point : il n'est rien que nous devions plus crain-
dre que d'abuser de la grâce; second point. Grâce de mon Dieu ,
pour parler dignement de vous, j'ai recours à vous-même : j'im-
plore votre assistance par l'entremise de cette Vierge-Sainte qui fut
comblée de vos dons, qui en reçut la plénitude \Avey Maria. (L'abbé
Richard, Sur la Grave.)
De la nalurc de la grâce.
Vous me demanderez sans doute en quoi donc consiste la grâce.
Je vous répondrai que la grâce (sans examiner, selon la philoso-
phie de l'Ecole, son entité ) est Dieu opérant dans l'ame: 1. La
grâce donne à l'entendement une illustration; 2. elle donne à la
volonté un attrait prévenant, un plaisir indélibéré, un sentiment
doux et agréable, qui est en elle sans elle; 3. elle augmente la
force de la volonté, afin qu'elle puisse actuellement dans ce mo-
ment vouloir le bien ; 4. elle l'excite à se servir de cette force nou-
vellement donnée. Jusque-là, cette grâce n'est que prévenante, et
en nous sans nous. Or, rien de ce qui est en nous sans nous ne
nous détermine; autrement notre détermination serait mise en
nous sans nous; nous ne nous déterminerions pas, mais nous se-
rions déterminés ad imum, comme les bêtes, ainsi que parle saint
Thomas. Ce serait se jouer des termes que de dire dans cette sup-
position: L'homme est dans lindifférence active, et dans la liberté
d'exercice; l'homme délibère, se détermine lui-même, et choisit.
Tous ces termes deviendraient ridicules.
Pour ce qui est d'augmenter la force de la volonté , c'est le
moyen le plus décisif pour faire vouloir l'homme sans U nécessi»
363 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
ter. Aussi voyons-nous que saint Augustin , après avoir dit: Facit
ut velimus , ou quelque autre chose semblable, s'explique en ajou-
tant: Adjuvando. En effet, comme le péché n'est qu'une défaillance
de la volonté , et qu'au contraire le bon vouloir est une force de
la volonté qui se tourne au bien, c'est tourner la volonté qui se
tourne au bien, et la soutenir contre le mal, aussi efficacement
qu'il est possible, sans la nécessiter; c'est opérer le bon vouloir en
elle et avec elle, que de lui donner une force nouvelle pour le bien:
Adjuvando.
On peut dire même que la grâce médicinale doit être principale-
ment une grâce de force pour aider la puissance , parce que le
mal ne consiste que dans l'affaiblissement de cette même puissan-
ce: ainsi le mal étant l'impuissance de vouloir , le remède doit
être une grâce de pouvoir vouloir; mais de pouvoir si proportion-
né à l'affaiblissement actuel, que la volonté dans ce moment se
trouve aussi forte par la grâce que si elle était saine et entière. Il
faut encore ajouter que Dieu voit cette proportion telle, que la
volonté voudra ce qu'elle doit vouloir: Quomodo els vocari nptum
est;.... quomodo scit ei congruere, utvocantem non respuat.
Mais enfin la liberté qu'Adam a perdue est la même que Jésus-
Christ a rendue à ses enfans.Or, celle d'Adam était de pleine indif-
férence active : donc la grâce qui prévient et qui fortifie la volonté
de l'homme , loin de la nécessiter au bien , doit la remettre dans
le véritable équilibre entre le bien et le mal , comme Adam y était
avant son péché.
Ilfaut encore observer que saint Augustin n'a jamais disputé avec
les Pélagiens de la nature de la liberté de mérite et de démérite; il
l'a toujours supposée avec eux précisément telle qu'il l'avait éta-
blie contre les Manichéens, sans en rien rétracter. Il n'a été ques-
tion pour saint Augustin que de soutenir que la grâce que Djeu
donne pour s'assurer du bon vouloir des élus ne détruit point
cette liberté. Ainsi il est évident qu'il faut trouver, selon saint Au-
gustin, sous l'impression actuelle de cette grâce prévenante , la
même liberté qu'il avait établie contre les Manichéens , et que les
Pélagiens voulaient défendre contre lui. Voilà ce qui regarde la
<*race prévenante, qui est en nous sans nous, qui est une grâce
tout ensemble de secours et d'attrait , de force et d'invitation : elle
donne et elle demande; elle donne la force de vouloir , et elle ex-
cite au vouloir même.
Venons à la grâce de coopération. Dieu, après nous avoir ex-
cités et fortifiés, agit avec nous; c'est ce qui est marqué dans les
DES PRÉDICATEURS. 36q
prières de l'Eglise', aussi bien que clans les ouvrages des théolo-
giens. Dieu produit avee nous notre acte , qui est notre bon vou-
loir; il en est cause avec nous , mais cause immédiate et indivisible
avec nous. Mais tout ce qui n'est que secours, force nouvelle,
coopération sans prévention de causalité par essence, ne peut
nécessiter. Je ne nécessite point un goutteux à marcher, quand je
ne fais que le soutenir, que l'aider, que l'inviter, que lui donner
des alimens propres à remplir ses nerfs d'esprits abondans , pourvu
que je ne l'entraîne point. Ainsi nous pouvons prendre à la lettre
ces paroles : Deus operatur in vobis et velle et perflcere * , sans
admettre autre chose que le concours surnaturel pour la grâce
coopérante et concomitante. Facit ut vclimus ; mais c'est toujours
adjuvando. Il est vrai seulement que Dieu proportionne si bien
pour ses élus la grâce prévenante, excitante et fortifiante, au be-
soin de la volonté , qu'il s'assure de sa coopération : Quomodo scit
ci congruere, ut vocantem non respuat : ita suadetur> ut persua-
deatur.W le fait parce qu'il a une prédilection pour ses élus , et une
volonté spéciale pour leur salut, qu'il n'a point pour celui des hom-
mes qui ne sont qu'appelés, quoiqu'il veuille sincèrement sauver
ceux-ci; i° en ce qu'il leur donne des moyens suffisans de salut;
2° en ce qu'il veut effectivement les sauver, s'ils y coopèrent
comme ils le peuvent.
C'est cette volonté spéciale du salut des élus qui ne peut être frus-
trée de son effet. C'est d'elle, et non pas de la grâce, dont saint
Augustin dit souvent qu'elle est invincible, indéclinable , toute-
puissante. La grâce n'est point indéclinable par sa nature ou es-
sence : si elle l'était , il faudrait de bonne foi admettre avec les
Contre-Remontrans de Dordrecht le système de l'irrésistibilité
de l'homme à la grâce; car irrésistible et indéclinable sont ter-
nies synonymes entre gens de bonne foi. C'est se moquer de
dire qu'on peut résister à ce qui est indéclinable et tout-puissant*
Donnez aux Contre-Remontrans Yindéclinabilitè ou irrésistibilité,
ils n'en demanderont jamais davantage. Mais saint Augustin n'em-
ploie ces termes que pour la volonté prédestinante : si elle n'est
que congrue, son effet n'est que très vraisemblable, et non abso-
lument certain. Mais faut-il s'étonner que son effet soit certain et
indéclinable, puisque Dieu le voit déjà présent à ses yeux? Dieu
voit comme présent tout ce qu'il veut, ce qui est déjà présent de*
vant lui ne saurait point ne pas être : en tout cela il n'y a qu'une
nécessité conséquente ou identique.
* Philip., n, 13.
f. III, 24
3jO NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
Mais la grâce est-elle par son essence une cause nécessaire de
mon vouloir? Est-il vrai que non seulement Dieu produise avec
moi mon vouloir, ce qui n'est que le simple concours surnaturel,
mais encore que sa grâce, mise en moi sans moi, soit la cause qui
me détermine à vouloir? En un mot, est-il une cause prévenante
qui détermine nécessairement son concours et le bien pour mon
acte? Si on le dit, les Contre-Pvemontrans n'ont plus rien à désirer..
Voilà l'indéclinabilité ou irrésistibilité qui vient de l'essence de la
grâce même ; en sorte que l'irrésistibilité sera aussi absolue que
les essences sont immuables. Si vous voulez nier sérieusement
l'irrésistibilité, il ne vous reste plus qu'à dire que la volonté pré-
destinante est indéclinable et toute-puissante par une nécessité ou
irrésistibilité purement conséquente et identique. Il n'est pas pos-
sible que ce qui est ne soit pas : or le bon vouloir de l'homme est
déjà présent aux yeux de Dieu. Mais comment Dieu s'est-il assuré
de ce bon vouloir de l'homme ? Saint Augustin ne s'explique pas,
et il y aurait de la témérité à aller plus loin que lui. Il dit : In nobis
mirabili modo et incffabili operatur1. Il dit ailleurs, en parlant
des peuples qui s'attachèrent à David: Numquid corporalibus ullis
vinculis alligavit? Jntus egit, corda tenait , corda movit , eosque
■voluntatibus eorum rquas ipse in Mis operatus est, tra.vit*. Mais il
dit ces choses autant pour l'ordre naturel que pour le surnaturel;
il le dit autant des mauvaises volontés des impies, par exemple,
de Nabuchodonosor, de Cyrus, d'Artaxercès , de Saùl et d'Achi- i|
tophel , que des amis de Dieu. Il ne s'agit point précisément de la
grâce médicinale pour les actes méritoires. Sa thèse est générale,
qu'il donne comme une vérité qu'on ne peut révoquer en doute
sans être impie, savoir : que Dieu a une puissance toute-puissante
d'incliner les cœurs où il veut : Sine dubio habens humanorum cor-
dium quo placeret inclinandoriim omnipotentissimam potestatem 3.
Mais c'est sur de tels passages que les Gontre-Remontrans établis-
sent leur irrésistibilité; et ils ne manquent pas d'attribuer à la na-
ture ou essence de la grâce ce que saint Augustin ne dit que de la
volonté de Dieu. Ils ne manquent pas de citer ces paroles du même
endroit : Non est itaque dubltandum uoluntati Dei, qui et in cœh\
et in terra, oninia qnœcumque volait Jecit , et qui etiam illa quœ
futura sunt Jecit, Juunanas 'voluntates non posse resistere quominus
ipse faciat quod vult : quandoquidem etiam de ipsis hominum vo
1 De Prœd. Sanct., cap. xix, n, 42, tom, x. •— l De corrept. et Grat., cap. xiv,
n. 45, t. x. — » Ibid.
DES PRÉDICATEURS, 3^1
luntatibus , quod vult , quum imlt,facit l. Si vous dites que cette
irrésistibilité dont parle saint Augustin, quand il dit : Humanas
vohintates non posse resistere, vient de la nature de la grâce même,
voilà X irrésistibilité de Dordrecht. Si, au contraire, vous dites que
la grâce n'est point par sa nature irrésistible, c'est-à-dire indécli-
nable ou nécessitante, mais que c'est seulement le décret ou la
volonté de Dieu, qui ne peut être frustrée de son effet, puisqu'il
voit déjà comme présent tout ce qu'il veut, vous ne mettez l'effi-
cacité de la grâce que dans sa congruité : Ita suadetur, ut persua-
de atar . . . Quomodo eis vocari aptum est . . . Quomodo scit ei con*
gruere y ut vocantem non respuat.
Alors vous dites, avec saint Augustin, que la nécessité qu'impose
la volonté toute-puissante n'est point une nécessité nécessitante,
puisqu'elle n'est qu'identique. Dieu voit ce que nous appelons fu-
tur contingent, comme une chose déjà présente et déjà faite : Qui
etiam il! a quœ futiira surit jecit. Il a déjà fait ce bon vouloir qui
est encore futur à l'égard de l'homme, et par conséquent il en est
bien assuré : Certissime liberantur.„. indeclinabiliter.... insuperabi-
liter.... omuipotentissima potestatc. Tout cela est vrai; il le voit
déjà fait : Faut-il s'étonner que l'homme ne puisse résister à une
volonté, quand il est déjà vrai qu'il ne lui résiste point? D'ailleurs
il est vrai que Dieu a dans les trésors de sa sagesse et de sa puis-
sance des moyens infinis et inépuisables de gagner les cœurs des
hommes, de les persuader, de les toucher, de les incliner, de leur
faire vouloir ce qu'il veut, de tourner même selon ses desseins
leurs volontés les plus impies : In nobis mirabili modo et ineffa-
bili operatur. Ce n'est point par des liens grossiers , par des causes
nécessitantes de leur propre nature , qu'il s'assure de notre vou-
loir. Si un ami d'un génie supérieur à son ami est souvent sûr de
le persuader certissimey quoiqu'il ne puisse ni mettre quelque
chose en lui, ni en oter quelque chose; s'il est vrai qu'il peut tout
sur cet ami par la persuasion raisonnable, à combien plus forte
raison Dieu , qui sait tout et qui porte dans les cœurs toute la force
qu'il lui plaît, peut-il s'assurer de vouloir le bien à l'homme quand
il l'a résolu! Eh! qu'y a-t-il déplus naturel, pour ainsi dire, que
de vouloir ce qui est véritablement bon? Qu'est-ce que le péché,
sinon une erreur et une déraison? Encore une fois, qu'est-ce que
le péché, sinon une chute, une faiblesse, une défaillance de la
volonté? Plus Dieu éclaire et fortifie l'homme, plus il l'éloigné de
De corrept. et grat., cap. xiv, n. 45,~tom. x.
3^2 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
la défaillance, de l'erreur et du vice. Il s'assure donc de l'entende-
ment et puis de la volonté de l'homme, i° en le persuadant: ita
suadetur, ut persuade atur ; 2° en le fortifiant contre sa faiblesse :
adjuuando.
Pour les moyens de persuader et de fortifier, ils sont infinis
dans les trésors de Dieu : Mirabili modo et inefjabili. Il ne serait
pas Dieu s'il ne savait pas s'assurer quand il lui plaira du cœur de
chaque homme , et pour faire le bien , et pour régler le mal. Voilà
la vérité générale, tant pour Tordre naturel et même pour toutes
les actions des impies, que pour l'ordre surnaturel et pour les
bonnes œuvres des saints. Il ne reste qu'à dire, après saint Augus-
tin, que Dieu fait par sa grâce médicinale, dans un pécheur pour
sa conversion, ou dans un juste pour sa persévérance, ce qu'il a
su faire dans le cœur des impies, par exemple, dans le cœur des
Juifs qui condamnèrent et crucifièrent Jésus Christ , pour s'assurer
de l'accomplissement de son décret sur la mort du Sauveur : Quod
consiliam et m anus tua decreverunt Jieri r. C'est seulement en ce
sens que saint Augustin dit : Eosque uoluntatibus eorum, quas ipse
in Mis operatus est, traxit : c'est-à-dire, seulement, qu'il invite,
qu'il attire, qu'il incline; quomodo eis vocari aptum est..,, quomodo
scit ei congruere, ut vocantem non respuat ; qu'il s'insinue, et in-
vite si bien qu'il persuade; itasuadetur, ut persuadeatur • qu'il aide
et fortifie l'homme contre lui-même, adjuvando ; qu'enfin il opère
avec l'homme, comme cause, le vouloir de l'homme même; eosque
voluntatibus eorum, quas ipse in Mis operatus est , traxit. Aussi
voyons-nous que saint Augustin déclare que la prédestination
n'ajoute rien à la simple prescience, que le seul don des grâces
qui aident, qui persuadent, et qui sont si congrues, que la volonté
qui peut les rendre inefficaces ne veut pas le faire; quomodo scit ei
çongruere^ut vocantem non respuat. Voilà la dernière borne. Entre
cette doctrine et l'irrésistibilité des Contre-Remontrans de Dor-
drecht, c'est-à dire, des plus outrés Protestans , il n'y a aucun mi-
lieu réel dont un homme sincère et sérieux puisse s'accommoder.
( Fénelon , Lettre sur la nature de la grâce.)
Nécessité de la coopération à la grâce.
« Si le Seigneur ne bâtit point la maison , ceux qui la bâtissent
« ont travaillé en vain; si le Seigneur ne garde point la cité, c'est
1 Act., iv, 28.
DES PRÉDICATEURS. 373
« inutilement que veillent ceux qui sont préposés à sa garde i. -
Gardons-nous de conclure de ces paroles que nous ne devons plus
nous occuper ni de la construction de l'édifice, ni de la garde de
la cité. Le Prophète royal veut seulement nous apprendre par là
que tous nos efforts seraient inutiles, soit pour construire, soit
pour garder , sans l'aide de la main de Dieu ; car partout où s'é-
lèvent un édifice solidement construit et une ville à l'abri de toute
attaque, on attribue avec raison à cette main puissante, et la soli-
dité de l'un et la sécurité de l'autre.
L'Apôtre nous tient le même langage, lorsqu'il nous apprend
que la seule volonté de l'homme ne suffit point pour arriver au
salut. C'est en vain que notre faible nature fait tous ses efforts pour
atteindre d'elle-même le but : il faut que notre bonne volonté et
notre résolution généreuse soient aidées et secondées du se-
cours divin.
Ainsi de même qu'un laboureur reconnaît que les fruits qu'il re*
recueille dans son champ lui viennent de Dieu; de même qu'un
Danton nier attribue avec raison le bienfait de sa conservation à une
protection spéciale de Dieu , non pas toutefois qu'ils ne sentent
très bien l'un et l'autre qu'ils ont contribué en quelque chose, par
leur travail et leur industrie, l'un à diriger son vaisseau, l'autre à
remuer la terre , mais parce qu'ils sentent très bien que le travail
seul vient d'eux, mais que la conservation du navire, ainsi que
les fruits du champ, viennent de Dieu seul: de même aussi , dans
le cours de notre vie, nous ne devons épargner ni nos travaux ,
ni notre ardeur, ni notre industrie; mais c'est de Dieu seul que
nous devons espérer notre salut. « Celui qui plante, dit l'Apôtre,
« celui qui arrose, ) n'est rien : il n'y a que Dieu qui donne l'ac-
« croissement 2. » Il faut cependant que l'homme plante , il faut
qu'il arrose; autrement, c'est-à-dire, s'il pouvait se sauver sans
qu'il lui en coûtât aucun travail , tous les commandemens seraient
inutiles. Que dis-je? au lieu de nous fatiguer nous-mêmes à pour-
suivre une carrière pénible, au lieu de nous efforcer sans cesse
pour arriver au terme, ne vaudrait-il pas mieux alors nous livrer
à une indolente oisiveté, et attendre de Dieu seul une chose pour
laquelle nous n'avons rien à faire? (Origène, Des Piincipes.}
La grâce ne nous rend point impeccables.
Quoique la grâce habite dans un Chrétien , il arrive néanmoins
1 Psaî., cxxvi, 1, 2. -» 2 Cor. m, 7.
3^4 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
souvent qu'il reste encore en lui quelque fonds secret de corrup-
tion. Quelquefois, sentant au dedans de lui la grâce de Dieu, il se
croit au dessus de toute faiblesse, et il est ravi du contentement
intérieur qu'il e'prouve et de l'amour qu'il a pour son Dieu. Mais tout
à coup les mauvaises pensées l'agitent; le péché lui paraît encore
avoir des charmes. 11 s'y sent comme entraîné, et pourtant il n'a
pas encore perdu la grâce. Userait peu sage de se croire à l'abri de
toute faute, àès que l'on a ressenti dans son cœur les heureux ef-
fets de la grâce. Ceux qui sont versés dans les choses du ciel savent
bien qu'un cœur, même encore en possession de la grâce, peut
être tourmenté par de mauvaises pensées. Souvent nous rencon-
trons parmi nos frères les solitaires des âmes assez favorisées de
la grâce pour n'avoir point ressenti la plus légère atteinte de la
concupiscence pendant un espace de cinq ou six ans; ils s'en
croyaient délivrés à jamais : mais tout à coup le germe de corrup-
tion qui demeurait caché dans leur cœur se développe; et plus
d'une fois nous les avons entendus s'écrier, au moment où les
feux de la concupiscence leur faisaient ressentir plus que jamais
toute leur ardeur : «Hélas! après un si long temps, de quelle source
« empoisonnée a donc pu naître en nous tant de corruption ! »
Si vous êtes sage, ne dites donc pas : J'ai le bonheur de possé-
der au dedans de moi le trésor de la grâce ; me voilà pour toujours
délivré du péché; car, je vous l'assure, les Apôtres eux-mêmes,
quoiqu'ils eussent reçu le Saint-Esprit, n'étaient point pour cela
à l'abri de toute attaque. A leur joie se mêlait une crainte et un
tremblement salutaires, quand ils pensaient que la grâce pouvait
leur échapper. (Saint Mac aire, Egyptien, Homélie XVII)
Dieu demandera compte de l'usage que l'on aura fait de la grâce.
Dieu est juste ; ses jugemens sont équitables: il n'a aucun égard
aux personnes; mais il jugera chacun de nous sur la mesure des
bienfaits, soit corporels, soit spirituels, qu'il nous aura départis ,
sur le degré de science et d'intelligence qu'il nous aura donné ; il
nous demandera quels fruits de bonnes œuvres nous avons pro-
duits, et il rendra à chacun selon ses œuvres.
Nous devons donc nous y attendre : Dieu nous redemandera au
dernier jour des fruits de vertus à raison des bienfaits dont il nous
aura comblés; non seulement des bienfaits naturels, mais bien
plus encore du grand et surnaturel bienfait de sa grâce. Ainsi nul
ne pourra trouver d'excuse au jour du jugement, JEt que personne
DES PRÉDICATEURS. 3^5
d'entre vous ne s'élève au dessus de ses frères, en disant: Je pos-
sède le précieux trésor de sa grâce. Vous ne savez point ce qui
vous arrivera demain; vous ne savez ni quelle sera la fin de votre
frère, ni quelle sera la vôtre.
Que chacun donc se surveille avec le plus grand soin; qu'il se
juge soi-même avec sévérité; qu'il éprouve si le désir qu'il a de
posséder Dieu est sincère et ardent, et qu'ensuite, sans se rassu-
rer ni sur la grâce qu'il possède actuellement ni sur les onctions
saintes qu'il a reçues, il coure sans relâche , jusqu'à ce qu'il arrive
au terme heureux où l'attendent le repos de lame, une parfaite
liberté, le silence complet des passions. Gloire et adoration au
Père, au Fils et au Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles.
Ainsisoit-il. (Le Même, Serm. XXX.)
Il faut coopérer à la grâce. Avec elle on peut tout. Exemple.
Quels durent être les sentimens de cette tendre vierge (sainte
Pélagie), qui n'était, pour ainsi dire, jamais sortie de son appar-
tement virginal, lorsque tout-à-coup elle voit des soldats y en-
trer précipitamment, tandis que d'autres veillent en sentinelle à
la porte, qu'elle se voit saisie et emmenée pour comparaître à un
tribunal? Elle n'avait pour la défendre et la protéger ni son père,
ni sa mère, ni voisin, ni ami; seule, elle se voyait assaillie par
cette troupe de bourreaux. Qu'elle ait pu trouver des forces pour
marcher, pour répondre à ces bourreaux et à ces soldats; qu'elle
ait osé lever les yeux et faire entendre quelques mots; qu'elle ait
osé respirer en leur présence, c'est déjà un prodige digne de toute
notre admiration.
Ah! sans doute ce n'était plus la nature humaine toute seule
qui agissait alors. La plus grande partie de son héroïsme venait
de Dieu et de sa grâce. Toutefois sa volonté à elle-même ne de-
meurait point oisive. La vierge du Christ apportait de son côté
au combat un cœur noble et généreux, une volonté déterminée,
un ferme propos, un amour et un zèle à toute épreuve; el c'est
par un effet de la grâce divine que toutes ces saintes dispositions
ont été couronnées d'une glorieuse persévérance jusqu'à la fin.
Ainsi donc elle est digne de toute notre admiration ; et c'est
avec raison que nous l'appelons bienheureuse, puisqu'elle a été si
puissamment aidée du secours et delà grâce de Dieu, et admirable
en ce qu'elle a montré de son côté tant de résolution dans cette
lutte cruelle, Qui ne s'étonnerait avec raison de la voir en un seul
3j() NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
instant prendre, confirmer et exécuter une pareille resolution?
Vous le savez tous, combien de fois, après avoir médité pendant
long-temps un dessein et l'avoir concerté avec toute la maturité
possible, ne l'avons-nous point laissé tout à coup s'évanouir, au
moment où il fallait faire quelques efforts pour l'exécuter , parce
qu'une crainte subitejs'est emparée de notre ame et est venue ébran-
ler notre constance! Mais admirez la puissance de la grâce dans
Une faible vierge ; un seul instant lui suffit pour prendre la plus
terrible des résolutions et pour la mettre à exécution. Avec cepuis-
sant auxiliaire, rien ne l'arrête; ni la terreur en voyant ces hom-
mes qui l'entourent, ni la violence avec laquelle on l'entraîne, ni
sa solitude même qui l'exposait à tant de dangers; rien, en un
mot, n'ébranle son courage. Elle conserve le même calme, la
même présence d'esprit que si elle eût été environnée de ses amis
et de personnes connues. Ah! sans doute, Chrétiens, sans doute
qu'intérieurement elle n'était point seule; elle avait pour conseil-
ler Jésus-Christ lui-même: c'est lui qui lui prêtait son secours, qui
encourageait son zèle et'qui soutenait son cœur; c'est lui, en un mot,
qui, par sa grâce, éloignait d'elle toute espèce de crainte; et ce
n'était point sans raison que ce Dieu plein de bonté en agissait
ainsi avec elle , puisque cette martyre courageuse avait commencé
par se montrer digne de son secours. (Saint Chrysostome, Homélie
XLl, su?% sainte Pélagie,^
Conciliation des passages de l'Ecriture sur la grâce et sur le libre arbitre.
Si nous faisons bien attention au langage de l'Ecriture, nous y
Verrons clairement que, quand elle établit la nécessité de la grâce,
elle n'exclut point le libre arbitre ; de même qu'en parlant en fa-
veur du libre arbitre, elle n'exclut point la grâce: comme si le li-
bre arbitre tout seul ou la grâce toute seule suffisaient pour le
salut de l'homme. Ce que veut dire l'Ecriture, c'est que le salut de
l'homme ne peut s'opérer ni avec le libre arbitre tout seul, ni avec
la grâce seulement.
Ainsi , lorsque le Seigneur nous dit : Sans moi vous ne pouvez
rien faire, il ne dit pas: Votre libre arbitre ne vous sert à rien,
mais bien il ne peut rien sans ma grâce. Et quand nous lisons , le
mérite n'est ni de celui qui veut , ni de celui qui court, mais bien
de Dieu qui fait miséricorde, on ne nous dit point que dans celui
qui veut, et dans celui qui court, le libre arbitre est inutile et ne
produit rien , mais seulement que si nous voulons et si nous nou
DES PRÉDICATEURS. Zj,*].
empressons à faire ce que Dieu nous commande, il ne faut point
l'imputer à notre libre arbitre , mais à la grâce. Car, quand l'Ecri-
ture nous dit, le mérite n'est ni de celui qui veut, ni de celui qui
court, il faut sous-entendre, s'il veut et s'il court. Ainsi , lorsque
quelqu'un donne un habit à un pauvre à qui il ne doit rien, et qui
par lui-même ne peut point se procurer un vêtement, quoique ce
pauvre ait la faculté de se servir ou de ne point se servir de l'ha-
bit qui vient de lui être donné, il ne faut cependant pas, s'il s'en
sert, imputer à celui qui a été revêtu le mérite de s'en être revêtu,
mais bien à celui qui lui a donné cet habit; et dans ce cas, l'on
pourrait dire : Ce n'est point le fait de celui qui a été revêtu , s'il
est revêtu, mais le fait de celui qui a eu pitié de sa nudité. A plus
forte raison pourrait-on parler de la sorte si celui qui a donné
l'habit donne en même temps au pauvre le pouvoir delà conser
ver et de s'en servir, comme Dieu l'a fait à l'égard de l'homme
en le douant de cette rectitude naturelle dont nous avons parlé
tant de fois, et qu'il lui a donné la faculté de conserver en s'en
servant.
Si donc celui qui est nu, et à qui l'on ne devrait rien, ne recevait
point d'habit, ou si, après en avoir reçu un, il le jetait avec dédain,
sa nudité ne devrait plus être imputée à personne qu'à lui. De
même, lorsque Dieu accorde de vouloir et de s'empresser à son
service à un homme conçu et né dans le péché, et à qui il ne doit
rien que des châtimens, assurément le mérite n'en est ni à celui qui
veut, ni à celui qui s'empresse , mais bien au Dieu qui, prenant
pitié de sa misère, a jugé à propos de venir à son secours. Et si cet
homme ne reçoit point la grâce qui lui est donnée, ou s'il la re-
jette, c'est à lui, et non à Dieu, qu'il faut s'en prendre, s'il persé-
vère dans son iniquité et dans son endurcissement. Il faut inter-
préter dans le même sens tous les autres passages de l'Ecriture;
c'est-à-dire que, s'il est question de la grâce, il faut tenir pour
certain que le libre arbitre n'est point exclus; et de même, quand
l'Ecriture parle de manière à n'attribuer en apparence le salut
qu'à notre libre arbitre, il ne faut point le séparer, même par la
pensée, de la grâce divine, sans laquelle il est impuissant pour le
bien. (Saint Anselme, Traité de ï accord de la grâce et du libre
Arbitre. )
La loi inutile sans la grâce.
Je ne m'étonne pas si, vivant comme nous vivons, nous ne sentons
pas la guerre éternelle que nous fait la concupiscence. Lorsque
3^8 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
vous suivez en nageant le cours de la rivière qui vous conduit, il
vous semble qu'il n'y a rien de si doux ni de si paisible ; mais si
vous remontez contre l'eau, si vous vous opposez à sa chute, c'est
alors, c'est alors que vous éprouvez la rapidité de son mouvement.
Ainsi, je ne m'étonne pas , Chrétien , si menant une vie paresseuse,
si ne faisant aucun effort pour le ciel, si ne songeant point à té-
lever au dessus de l'homme pour commencer à jouir de Dieu, tu
ne sens pas la résistance de la convoitise : c'est qu'elle t'importe
toi-même avec elle. Vous marchez ensemble d'un même pas, et
vous allez tous deux dans la même voie : ainsi son impétuosité
t'est imperceptible.
Un saint Paul, un saint Paul la sentira mieux, parce qu'il a ses affec-
tions avec Jésus-Christ. Les inclinations charnelles le blessent, parce
qu'il aime la loi du Sauveur; tout ce qui s'y oppose lui devient sensi-
ble. Aspirons à la perfection chrétienne, suivons un peu Jésus-Christ
dans la voie étroite, et bientôt notre expérience nous fera reconnaî-
tre notre infirmité. C'est alors qu'étant fatigués parles opiniâtres
oppositions de la convoitise, nous confesserons que les forces
nous manquent, si la grâce divine ne nous soutient. Car enfin ce
n'est pas un ouvrage humain de dompter cet ennemi domestique ,
qui nous persécute si vertement, et qui ne nous donne aucune re-
lâche. Etant ainsi déchirés en nous-mêmes, nous nous consumons
par nos propres efforts ; plus nous pensons nous pouvoir relever
par notre naturelle vigueur, et plus elle se diminue. Comme un
pauvre malade moribond qui ne sait plus que faire, il s'imagine
qu'en se levant il sera un peu allégé ; il achève de perdre son peu
de force par un travail qu'il ne peut supporter; et après qu'il s'est
beaucoup tourmenté à traîner ses membres appesantis avec une
extrême contention, il retombe ainsi qu'une pierre , sans pouls et
sans mouvement, plus faible et plus impuissant que jamais : ainsi
en est-il de nos volontés, si elles ne sont secourues par la grâce.
Or, la grâce n'est point par la Loi : « Car si la grâce était par la
» Loi , c est en vain que Jésus-Christ serait mort \ ; » et ce grand
scandale de la croix serait inutile. C'est pourquoi l'Evangéliste
nous dit : « La Loi a été donnée par Moïse ; mais la grâce et la vé-
rité ont été faites par Jésus-Christ 2. » D'où je conclus que , sous le
vieux Testament, tous ceux qui obéissaient à la grâce, c'était par
le mérite de Jésus-Christ; et de là ils appartenaient au Christianis-
me, parce que la grâce ni la justice ne sont point par la Loi. Et delà,
1 Gaai , ii, 21.^8 Joan., i, 17.
DBS PRÉDICATEURS. 3^9
pour revenir à mon texte, j'infère avec l'Apôtre que « la lettre
» tue. » Voyez si je prouverai bien ce que je propose, et renouve-
lez vos attentions.
Insistons toujours aux mêmes principes; et ainsi, pour revenir
à notre passage, figurez-vous cet homme malade que je vous dépei-
gnais tout à l'heure, cet homme tyrannisé par ses convoitises, cet
homme impuissant à tout bien, qui, selon le concile d'Orange,
« n'a rien de son cru que le mensonge et le péché ' . » Que pro-
duira la Loi en cet homme, puisqu'elle ne peut lui donner la grâce!
Elle parle, elle commande, elle tonne, elle retentit aux oreilles
d'un ton puissant; mais que sert de frapper les oreilles, puisque la
maladie est au cœur ? Je ne craindrai point de le dire, tout ce bruit
de la Loi ne fait qu'étourdir le pauvre malade: elle l'effraie, elle
l'épouvante; mais il vaudrait bien mieux le guérir, et c'est ce que
la Loi ne peut faire. Quel est donc l'avantage qu'apporte la Loi?
Elle fait connaître le mal, elle allume le flambeau devant le mala-
de , elle lui montre le chemin de la vie : « Fais ceci, et tu vivras , »
lui dit-elle 2. Mais à quoi sert de montrer à ce pauvre paralytique
qui est au lit depuis trente huit ans, à quoi sert que vous lui mon-
triez l'eau miraculeuse qui peut le guérir? « Je n'ai personne, »
dit-il 3. Il est immobile, il faut le porter; et il est impossible que
la Loi le porte.
Mais la Loi, direz-vous, n'a-t-elle donc aucune énergie? Certes,
son énergie est très grande, mais très pernicieuse à notre malade.
Que fait-elle? Elle augmente la connaissance, et cela même aug-
mente le crime; elle me commande de la part de Dieu, elle me fait
comprendre ses jugemens. Avant la loi, je ne connaissais pas que
Dieu fût mon juge, ni qu'il prît la qualité de vengeur des crimes ;
mais la Loi me montre bien qu'il est juge, puisqu'il daigne bien
être législateur. Mais enfin que produit cette connaissance? Elle
fait que mon péché est inexcusable , et ma rébellion phis auda-
cieuse. C'est pourquoi l'Apôtre nous dit que « le péché a abondé
par la Loi 4, » qu'elle lui donne de nouvelles forces, «qu'elle le fait
« vivre § ; » parce qu'à tous les autres péchés, elle ajoute la déso-
béissance formelle, qui est le comble de tous les maux. De cette
sorte, que fait la loi? Elle lie les transgresseurs par des malédic-
tions éternelles, parce qu'il est écrit dans cette loi même : « Mau-
« dit est celui qui n'observe pas ce qui est écrit dans ce livre (;. »
(Bossuet, Sermon pour le jour de la Pentecôte.)
1 Conc. Arausir., n, can. xxn. — 2 Luc, x, 28. — ? Jean., V, 7. ~4Rom.; Vj 23.
-* s Ibid.; vu, 9, -s « Peut,, xxyu, 26.
38o NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Difficulté a recouvrer la justice Tperdue.
Nous apprenons clans les saintes Lettres que, dans la première
intention de Dieu, la grâce sanctifiante ne devait être donnée
qu une seule fois, et que si les hommes venaient à la perdre, jamais
elle ne pourrait leur être rendue. Gela paraît d'abord bien étrange;
cependant il n'est rien de plus véritable, et c'est le fondement du
Christianisme. Mais d'où vient donc, direz-vous, que les hommes
sont justifiés? Eh! fidèles, ne le savez- vous pas? c'est que Jésus-
Christ est intervenu. Entendez ce que c'est que notre justice : la
justice du Christianisme n'est pas un bien qui nous appartienne;
ce n'est pas à nous qu'on le restitue, c'est un don que le Père a
fait à son Fils, et ce Fils miséricordieux nous le cède; il veut que
nous jouissions de son droit; nous l'avons de lui par transport, ou
plutôt nous ne l'avons qu'en lui seul, parce que le Saint-Esprit
nous a faits ses membres : c'est l'espérance du Chrétien. Donc la
grâce de la justice, dans la première intention de Dieu, ne devait
point être rendue à ceux qui la perdent ; et si Dieu s'est laissé flé-
chir en notre faveur à la considération de son Fils, il ne s'ensuit
pas pour cela qu'il ait tout-à-fait oublié son premier dessein , ni
qu'il se soit entièrement relâché de sa première rigueur. Il a fallu
trouver un milieu afin de nous retenir toujours dans la crainte :
de sorte qu'il a posé cette loi éternellement immuable, qu'autant
de fois que nous perdrions la justice > s'il se résolvait à nous par-
donner, il se rendrait de plus en plus difficile. Par exemple, nous
l'avons reçue au baptême; avec quelle facilité, Chrétiens! nous le
voyons tous les jours par expérience, nous n'y avons rien contri-
bué du nôtre, et nous n'avons pas même senti la grâce que l'on
nous a faite. Si nous péchons après le baptême, nous ne trouvons
plus cette première facilité; il faut nécessairement recourir aux
larmes et aux travaux de la pénitence, qui est appelée par l'anti-
quité un baptême laborieux. Ecoutez le concile de Trente J : on
ne répare point la justice par le sacrement de pénitence sans de
grandes peines et de grands travaux : le premier baptême n'est
point pénible, le second est laborieux. D'où vient cette nouvelle
difficulté, sinon de la raison que nous avons dite? Vous avez perdu
la justice; ou vous n'y reviendrez jamais, ou ce sera toujours avec
plus de peine : et si nous violons les promesses non seulement du
sacré baptême, mais encore de la pénitence, par la même suite de
1 Hess., xiv» de Pœnit., cnp. tu
DUS PllÉDICATliUIVS. 38 I
raisonnemens , la difficulté se fera plus grande, 'Dieu se rendra
toujours plus inexorable.
Et, pour rechercher cette vérité jusque dans sa source, je re*
marque avec le docte Tertullien, au second livre contre Marcion,
que « tout l'usage de la justice sert à la bonté : Omnc justitiœ optts
« procuratio bonitatis est l ; » parce que sa fonction principale c'est
de soutenir sa miséricorde en la faisant craindre à ceux qui seront
assez aveugles pour ne l'aimer pas. Et c'est pourquoi si la malice
des hommes méprise la miséricorde divine , en manquant à la foi
donnée dans le sacrement, et violant les promesses de la péni-
tence, ou la justice divine devient entièrement inflexible, ou s'il
lui plaît de se relâcher , elle se rend de plus en plus rigoureuse;
autrement, si je l'ose dire, elle trahirait sa bonté en l'abandonnant
au mépris. En eftet, se peut-il voir un pareil mépris que de man-
quer à une amitié tant de fois réconciliée? Un pécheur pressé en
sa conscience regarde la main de Dieu armée contre lui ; il voit
déjà l'Enfer ouvert sous ses pieds: quel spectacle! Dans cette
crainte, dans cette frayeur, il s'approche de ce trône de miséri-
corde qui jamais n'est fermé à la pénitence. Et il n'attend pas
qu'on l'accuse, il se rend dénonciateur de ses propres crimes; il
est prêt à passer condamnation pour prévenir l'arrêt de son juge.
La justice divine se met contre lui, il se joint à elle pour la fléchir,
il avoue qu'il mérite d'être sa victime, et toutefois il demande
grâce au nom du médiateur Jésus-Christ. On lui propose la con-
dition de corriger sa vie déréglée; il promet: c'est, fidèles, ce que
nous avons fait dans l'action de la pénitence. Mais bien plus, nous
avons donné Jésus-Christ pour caution de notre parole; car, étant
le médiateur , il est le dépositaire et la caution des paroles des
deux parties. Il est caution de celle de Dieu , par laquelle il nous
promet de nous pardonner; et il l'est aussi de la nôtre par laquelle
nous promettons de nous corriger. Nous avons pris à témoin son
corps et son sang qui a scellé la réconciliation à la sainte Table; et
après la grâce obtenue, nous cassons un acte si solennel! nous
nous repentons de notre pénitence! nous retirons de la main de
Dieu les armes que nous lui avions consacrées ! nous désavouons
nos promesses, et Jésus-Christ en est garant ! Nous nous étions ré-
conciliés avec Dieu, son amitié nous est importune ; et pour com-
ble d'indignité, nous renouons avec le diable le traité que la pé*
nitence avait annulé! Vous en frémissez, mais c'est néanmoins ce
que nous faisons toutes les fois que nous perdons par de nouveaux.
1 N« 13.
3^2 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
crimes la justice reparée par la pénitence. Voilà les sentimens que
nous avons de Dieu : si notre bouche ne le dit pas, nos œuvres le
crient; et c'est le langage que Dieu entend.
( Bossuet, Sur la pénitence.)
Efficacité de la grâce pour surmonter nos plus fortes inclinations.
La première raison de ceux qui, sous le nom du Christianisme,
mènent une vie païenne et séculière, c'est qu'il est d'une trop
haute perfection de vivre selon l'Evangile ; et que cette grande
pureté d'esprit et de corps, cette vie pénitente et mortifiée, cet
amour des amis et des ennemis, passe la portée de l'esprit humain.
De vouloir montrer en particulier la possibilité de chaque précep-
te, ce serait une entreprise infinie: prouvons-le par une raison gé-
nérale, et disons que c'est pécher par les principes, que ce n'est
pas entendre le mot de commandement, que de dire que l'exécution
en est impossible. En effet, le commandement, c'est la règle de
Faction ; or , toute règle est une mesure: Mensura homogenea ,
dit saint Thomas , proportionata mensurato *'. « C'est une mesure ,
«dit-il, qui doit s'ajuster avec la chose : » Par conséquent si la loi
de Dieu est la règle et la mesure de nos actions , il faut qu'il y ait
delà proportion, afin qu'elles puissent être égalées; toute mesure
est fondée sur la proportion.
Que si le commandement que Dieu nous donne était au-dessus
de nous, nous aurions raison de lui dire: Seigneur, vous me donnez
une règle à laquelle je ne puis me joindre, dont je ne puis pas même
approcher: cela n'est pas de votre sagesse. Aussi n'en est-il pas de
la sorte; et lui-même en donnant sa loi, il a été soigneux de nous
dire : Ah ! mon peuple, ne te trompe pas; « le préceple que je] te
« donne aujourd'hui n'est pas au-dessus de toi , il n'est pas séparé
« de toi par une longue distance: » Mandai wn hoc, quod ego prœci-
plo tibi hodie, non supra te est, neque procul posîtum: 2 « Il ne faut
« point monter au ciel, il ne faut point passer les mers pour le
« trouver: » Nec in cœlo situmr... neque trans mare positum~\ C'est
une règle que je te donne; et afin que tu puisses t ajuster à elle ,
je la mets au niveau, tout auprès de toi: Juxta te est sermo valde ,
valde, valde; « Il est tout auprès ; en ta bouche, et en ton cœur
pour l'accomplir : » In ore tuo et in corde tuo, utfacias illum 4. Et
vous direz après cela qu'il est impossible!
1 I Part, qusest. m, art. v, ad 2 ; I 2, quaest. xix, art. iv, ad 2. — a Deut., xxx,
11. — s Ibid., 12, 13. — * Ibid., x-tv»
DES rRÊDlGATEïJRS, 383
f Mais peut-être que vous penserez que cela s'entend du vieux
Testament, qui est beaucoup ua-dessous de la perfection évangé-
lique. Que de choses j'aurais à répondre pour combattre cette pen-
sée! car il est écrit que « les chemins tortus deviendront droits : »
Eruntprava in directa 1, Mais je m'arrête à cette raison; qu'elle
est solide! qu'elle est chrétienne! Quel est le mystère de l'Evan-
gile? Un Dieu homme, un Dieu abaissé: Et Verbum caro factum
est11. « Le Verbe s'est fait chair, » Et pourquoi s'est il abaissé? Appre-
nez-le par la suite .* Et habitcwit in nobis : "° C'est afin de demeurer
avec nous, dit le bien aimé disciple: et ailleurs; pour lier société
avec nous : Ut societas nost?*a sitcum Pâtre et Filio ejus Jesu Chris-
to. Il ne pouvait y avoir de société entre sa grandeur et notre bas-
sesse, entre sa majesté et notre néant ; il s'abaisse, il s'anéantit pour
s'accommoder à notre] portée. Il se couvre d'un corps comme d'un
nuage, non pour se cacher, dit saint Augustin , mais pour tempé-
rer son éclat trop fort, qui aurait ébloui notre faible vue : IS'ube
tegitur C/iiistus, non ut obscuretur, sed ut temperetur Ik. Ce Dieu ,
qui est descendu du Ciel en la terre pour se mettre en égalité avec
nous, mettra-t-il au-dessus de nous ses préceptes ? et s'il veut que
nous atteignions à sa personne , voudra-t-il que nous ne puissions
atteindre à sa doctrine ? Ah! mes frères, ce n'est pas entendre le
mystère d'un Dieu abaissé; une telle hauteur ne s'accorde pas avec
une telle condescendance.
Ce n'est pas que je veuille rien diminuer de la perfection évan-
gélique; mais je suis ravi en admiration, quand je considère atten»
tivement par quels degrés Dieu nous y conduit. Il nous laisse bé-
gayer comme des enfans dans la loi de la nature; il nous forme
peu à peu dans la loi de Moïse : il pose les fondemens de la véri-
té par des figures; il nous flatte, il nous attire au spirituel par des
promesses temporelles ; il supporte mille faiblesses, comme il dit
lui-même , à cause de la Pureté des cœurs à laquelle il s'accommode
par condescendance; il ne nous meneau' grand jour de son Evan-
gile, qu'après nous y avoir ainsi disposés par de si longues prépa-
rations: et encore dans cet Evangile il y a du lait pour les en-
fans , il y a du solide pour les hommes faits ; Facti estis quibus lacté
opus sic, non sol/do cibo : 3 « Vous êtes devenus comme des per-
« sonnes à qui on ne devrait donner que du lait, et non une nour-
riture solide. » Lac vobis polumdedi:Q « Je ne vous ai nourri que de
1 Luc, m, 5. — a Joan., i, 14. — 3 1 Joan., i, 3. — 4 In. Joan. Tract., xxiv, n°
4, t. m, part, h, col. 53a. — s Heb., y, 12. — 6 1 Cor., m, 2,
384 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
lait »; tout y est dispensé par ordre. Ce Dieu qui nous conduit ainsi
pas à pas, et par un progrès insensible, ne nous montre-t-il pas
manifestement qu'il a dessein de ménager nos forces, et non pas
de les accabler par des commandemens impossibles qui nous pas-
sent ? Venez, venez, et ne craignez pas, soumettez-vous à sa loi ;
c'est un joug, mais il est doux; c'est un fardeau, mais il est léger;
Jugum enim meum suave est, et onus meum levé *♦ C'est lui-même
qui nous en assure; et il ne dit pas qu'il est impossible de le porter
sur nos épaules.
Toutefois je passe plus loin , et je veux bien accorder , Mes-
sieurs, que les commandemens de Dieu sont impossibles: oui,
à l'homme abandonné à lui-même et sans le secours de la grâce.
Or, c'est un article de notre foi, que cette grâce ne nous quitte
pas que nous ne l'ayons premièrement rejetée; et si tu la perds,
Chrétien, Dieu te fera connaître un jour si évidemment que tu ne
las perdue que par ta faute, que tu demeureras éternellement con-
fondu de ta lâcheté: Non deserit, si non deseratur 2. « Il ne se re-
« tire pointa moins que l'on ne l'abandonne le premier. » «J'ai
bien lu, dit saint Augustin, qu'il en a ramenés à la divine voie plu-
« sieurs de ceux qui l'abandonnaient ; mais qu'il nous ait jamais
« quittés le premier , c'est une chose entièrement inouie. » C'est
donc une extrême folie de dire que les commandemens nous sont
impossibles, puisque nous avons si près de nous un si grand se-
cours: aussi tous ceux qui l'ont assuré ont senti justement le coup
de foudre; et tant que l'Eglise sera Eglise, une telle proposition
sera condamnée par un anathème irrévocable.
Par ce principe solide et inébranlable que tout est possible à
la grâce, se détruit facilement la vaine pensée des hommes mon-
dains qui accusent leur tempérament de tous leurs crimes. Non,
disent-ils, il n'est pas possible de se délivrer de la tyrannie de
l'humeur qui nous domine: je résiste quelquefois à ma colère,
mais enfin à la longue ce penchant m'emporte; pour me changer,
il faut me refaire : c'est ce qu'ils disent ordinairement, vous recon-
naissez leurs discours. Eh bien, Chrétiens, s'il faut vous refaire,
est-ce donc que vous ignorez que la grâce de Dieu nous réforme
et nous régénère en hommes nouveaux? Les Apôtres, naturelle-
ment tremblans et timides, sont rendus invincibles par cette
grâce : Paul ne se plaît plus que dans les souffrances : Cyprien ,
renouvelé par cette grâce , « voit ses doutes se dissiper, ce qui
» Maith., xr, 30, — 2 S. Aug., in Ps, «xiv, n. 9, t, iv, col. 1629.
DES PRÉDICATEURS. 385
« était auparavant scellé pour lui s'ouvrir devant lui, les choses qui
«ne lui représentaient que ténèbres devenir lumineuses; il sur-
« monte aisément des difficultés qui lui paraissaient insurmon-
« tables : » Confirmare se dubia , patere clausay lucere tenebrosa....
gerl posse quod impossibile videbatur l : et le reste qu'il explique
si éloquemment dans cette épître à Donat. Augustin , dans la plus
I grande vigueur de son âge, professe la continence, que dix jours
auparavant il croit impossible.
Et tu appréhendes, fidèle, que Dieu ne puisse pas vaincre ton
tempérament et le soumettre à sa grâce? c'est entendre bien peu
sa puissance; car le propre de cette grâce, c'est de savoir changer
nos inclinations et de savoir aussi s'y accommoder. C'est pourquoi
saint Augustin dit qu'elle est «convenable et proportionnée ; qu'elle
« est douce, accommodante et contempérée : » Apta, congruens ,
conveniens, contemperata : permettez-moi la nouveauté de ce mot;
je n'ai pu rendre d'une autre manière ce beau contemperata de
saint Augustin ; ceux qui ont lu ses livres à Simplicien savent que
tous ces mots sont de lui : « qu'elle sait nous fléchir et nous attirer
» de la manière qui nous est propre: » Quemadmodiim aptum
crat 2; c'est-à-dire qu'elle remue si à propos tous les ressorts de
notre ame qu'elle nous mène où il lui plaît par ses propres incli-
nations, ou en retranchant ce qu'il y a de trop, ou en ajoutant ce
qui leur manque , ou en détournant leur cours sur d'autres objets.
Ainsi l'opiniâtreté se tourne en constance, l'ambition devient un
grand courage qui ne soupire qu'après les choses véritablement
élevées, la colère se change en zèle, et cette complexion tendre et
affectueuse en une charité compatissante.
Mais à qui est-ce, mes frères, que je dis ces choses? ceux qui
nous allèguent sans cesse leurs inclinations , qui se déchargent sur
leur complexion de tous leurs vices , ne connaissent pas cette
grâce ; ils ne croient pas que Dieu se mêle de nos actions, ni qu'il y
en ait d'autre principe que la nature : autrement , au lieu de dé-
sespérer de pouvoir vaincre leur tempérament, ils auraient recours
à celui qui tourne les cœurs où il lui plaît : au lieu d'imputer
leur naufrage à la violence de la tempête , ils tendraient les mains
à celui dont le Psahniste a chanté, « qu'il bride la fureur de lu
« mer, et qu'il calme, quand il veut, ses flots agités : » Tu domi-
naris potestati maris, motum autemjlucluum ejus tumitigas \
Puis donc qu'ils ne croient pas en la grâce, montrez-leur par une
* De div. Quœst. ad SimpL, lib. r, t. yr, col. 95. — 8 Ps. ï-xxxvm, 10.
t. ni. a5
38(5 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
autre voie que Ton peut se vaincre soi-même. Je ne veux que la vie
de la cour pour les en convaincre par expérience ; dans un si grand
auditoire, il n'est pas qui ne s'y rencontre plusieurs courtisans.
Qu'est-ce que la vie de la cour? faire céder toutes ses passions au
désir d'avancer sa fortune. Qu'est-ce que la vie de la cour? dissi-
muler tout ce qui déplaît, et souffrir tout ce qui offense, pour
agréer à qui nous voulons. Qu'est<ce encore que la vie de la cour?
étudier sans cesse la volonté d 'autrui , et renoncer pour cela, s'il
est nécessaire, à nos plus chères pensées : qui ne sait pas cela ne
sait pas la cour. Mes frères , après cette expérience, saint Paul va
vous proposer de la part de Dieu une condition bien équitable :
Sicut exhïbuistis memhravestra servirc i/nmunditiœ, et iniquitati ad
iniquitatem , ita nunc exhibete membra vestra servi re justUiœ in
sanctifœationem 1 : « comme vous vous êtes rendus les esclaves de
« l'iniquité et des désirs séculiers, en la même sorte rendez-vous
« les esclaves de la sainteté et de la justice. »
Mon frère , certainement vous avez grand tort de dire que Dieu
vous demande l'impossible ; bien loin d'exiger de vous l'impos-
sible, il ne vous demande que ce que vous faites : Sicut exhibuis-
tis...., ita muic exhibete « Faites, dit-il, pour la justice ce que
« vous faites pour la vanité. » Vous vous contraignez pour la va-
nité, contraignez-vous pour la justice; vous vous êtes tant de fois
surmonté vous-même pour servir à la vanité , ah ! surmontez-vous
quelquefois pour servir à la justice. C'est beaucoup se relâcher,
pour un Dieu, de ne demander que l'égalité; néanmoins il se ré-
duit là : Sicut exhibuistis...., ita nunc exhibete. Encore se réduira-
t-il beaucoup au dessous ; car, quoi que vous fassiez pour son
service , quand aurez-vous égalé les peines de ceux que la nécessité
engage au travail, l'ambition aux intrigues de la cour, l'amour
infâme etuléshonnête à des lâchetés inouïes, l'honneur aux emplois
de la guerre, l'avarice à des voyages immenses et à un exil perpé-
tuel de leur patrie; et, pour passer aux choses de nulle importance,
le divertissement , la chasse, le jeu, à des veilles, à des fatigues, à
des inquiétudes incroyables? Et quand je vous parle de Dieu, vous
commencez à ne rien pouvoir! Vous m'alléguez sans cesse le tem-
pérament et cette complexion délicate: où est-elle dans ce carnaval?
où est-elle, lorsque vous passez les jours et les nuits à jouer votre
Lien et celui des pauvres? elle est revenue dans le carême : il n'y
a que ce qui regarde l'intérêt de Dieu que vous appelez impos-
1 Rom., Yr, 19.
DES PRÉDICATEURS, 38j
sible. Ah ! j'atteste le ciel et la terre que vous vous moquez de lui
lorsque vous parlezJJe la sorte, et que, quoi que puisse dire votre
lâcheté, le peu qu'il demande de vous est beaucoup plus facile que
ce que vous faites.
Eh bien! mon frère, ai-je bien dit que tu ne pouvais maintenir
long-lemps ton impossibilité prétendue? as -tu encore quelque
froide excuse? as-tu quelque vaine raison que tu puisses encore
opposer à l'autorité de la loi de Dieu? Chrétiens, écoutons encore;
il a quelque chose à nous dire; voici une raison d'un grand poids.
La coutume l'entraîne, dit- il, c'est ainsi qu'on vit dans le monde;
il faut vivre avec les vivans, il est impossible de faire autrement.
Nous en sommes, Messieurs, en un triste état; et les affaires du
Christianisme sont bien déplorées, si nous sommes encore obligés
à combattre cette faible excuse. O Eglise! ô Evangile! ô vérités
chrétiennes! où en seriez-vous, si les martyrs qui vous ont dé-
fendus s'étaient laissés emporter par le grand nombre; s'ils avaient
déféré à la coutume, s'ils avaient voulu périr avec la multitude
des infidèles ?
Mon frère, qui que tu sois qui gémis sous la tyrannie de la cou-
tume, après que l'Eglise t'a désarmé, je n'ai que ce mot à te re-
partir, et je l'ai pris de Tertullien, dans le livre de l'Idolâtrie: ït^
veux vivre avec les vivans; à la bonne heure, je te ie permets; « il*
« nous est permis de vivre avec eux , mais non de mourir avec eux : >»
Licet conviverc . . ., commori non licet l : autre chose est la société
de la vie, autre chose est la corruption de la discipline. Réjouis-toi
avec tes égaux par la société de la nature, s'il se peut par celle de
la religion; mais que le péché ne fasse point de liaison, que la
damnation n'entre pas dans le commerce. La nature doit être
commune, et non pas le crime; la vie, et non pas la mort; nous
devons participer aux mêmes biens, et non pas nous associer aux
mêmes maux: Convivamus cum eis, conlœtemur ex communione
naturœ , non superstitionis : pares anima sumiis, non disciplina ;
compossessores mundi\ non errons**. Loin de nous cette société
damnable : il y a pour nous une autre vie et une autre société à
prétendre : Licet convivere, commori non licet. Chrétiens, si vous
méditez sérieusement les grandes choses que je vous ai dites, ja-
mais , jamais , j'en suis assuré, jamais vous ne répondrez que ce que
nous prêchons est impossible. (Bossuet, Sur les vaines excuses des
pécheurs.)
« De Idol, n. 14. — s Ibid.
a5«
388 , NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Péroraison.
Vous, pécheurs, qui sentez en ce moment les impressions de
celte grâce divine, et qui voulez sincèrement vous convertir, ne
laissez pas s'affaiblir les sentimens qu'elle a mis dans votre cœur.
Livrez-vous tout entiers à son impulsion, et agissez avec elle: elle
aplanira les difficultés, elle adoucira les sacrifices, elle vous fera
surmonter tous les obstacles que le monde et l'Enfer opposent à
votre conversion ; elle vous a conduits à ce discours pour vous y
livrer un dernier combat et vaincre toutes vos résistances. Ap-
plaudissez-vous de sa victoire; votre défaite est pour tous le plus
beau des triomphes.
Et vous, justes, qui vivez sous l'empire de la grâce , mais que la
grâce ne trouve pas toujours dociles à sa voix, écoutez-la désormais
avec le plus religieux respect et la plus parfaite soumission. Crai-
gnez de la rebuter, de la contrister par vos refus : une de ses in-
spirations rejetées, un de ses mouvemens étouffés, les moindres
négligences peuvent avoir les suites les plus funestes : ne lui refu-
sez donc rien de ce qu'elle vous demande. Souvent elle demande
peu pour donner beaucoup; un peu plus de vigilance et d'atten-
tion sur vous-mêmes , d'égards et de complaisance pour les autres,
de violence faite à votre humeur, dassujétissement et d'exactitude
à vos devoirs; que sais-je? une légère mortification, une pratique,
une prière, une lecture faite dans son temps. C'est à ce peu, c'est
à la fidélité dans les petites choses qu'elle attache souvent ses plus
orandes faveurs. Ne vous bornez pas à une médiocrité de vertu
qui favorise la paresse et flatte l'amour-propre : ce serait renverser
les desseins de la grâce, qui travaille sans cesse à faire mourir en
nous la nature; ce serait courir le risque de manquer le but où
Dieu vous appelle. Sainte Thérèse vit sa place marquée au fond
des abîmes, si elle ne s'élevait pas à la plus haute sainteté : telle
était la mesure de justice qu'elle avait à remplir. Chacun de nous
a la sienne; peut-être que la vôtre est au dessus du commun des
Chrétiens, et qu'elle exige un courage, une constance, des efforts
extraordinaires. L'incertitude même du degré de perfection où
vous devez atteindre doit vous inspirer une vive ardeur, et vous
engager à faire toujours plus dans la crainte de ne pas faire assez.
Marchons dans les voies de la grâce ; agissons en tout selon les
mouvemens intérieurs de la grâce, et nous arriverons au séjour
de la doire et de la félicité éternelle. Ainsi soit-il. ( L'abbé Ri-
GHARD. )
DES PRÉDICATEURS. 889
HUMILITÉ.
RÉFLEXIONS THÉOLOGIQUES ET MORALES SUR L'HUMILITÉ
ET L'ORGUEIL.
Nous aimons tant l'humilité dans les autres : quand travaille-
rons-nous à la former clans nous-mêmes? Partout où nous l'aper-
cevons hors de nous, elle nous plaît, elle nous charme. Elle nous
plaît clans un grand, qui ne s'enfle point de sa grandeur ; elle nous
plaît clans un inférieur, qui reconnaît sa sujétion et sa dépendance;
elle nous plaît dans un égal; et quoique la jalousie naisse assez
communément entre les égaux, si c'est néanmoins un homme
humble que cet égal, et que la Providence vienne à l'élever, nous
lui rendons justice, et ne pensons point à lui envier son élévation.
Or, puisque l'humilité nous paraît si aimable dans autrui, pourquoi
donc, lorsqu'il s'agit de l'acquérir nous-mêmes, et de la pratiquer,
y avons-nous tant d'opposition? Quelle diversité, et quelle con-
trariété de sentimens! Mais voici le mystère, que je puis appeler
mystère d'orgueil et d'iniquité : car que fait l'humilité dans les
autres? elle les porte à s'abaisser au dessous de nous, et voilà ce
que nous aimons : mais que ferait la même humilité dans nous ?
elle nous porterait à nous abaisser au dessous des autres , et voilà
ce que nous n'aimons pas.
On s'est échappé dans une rencontre: on a parlé, agij mal à
propos; c'est une faute; et si d'abord on la reconnaissait, si l'on
en convenait de bonne foi, et qu'on en témoignât de la peine, la
chose en demeurerait là. Mais parce qu'on veut se justifier et se
disculper ; parce qu'on ne veut pas subir une légère confusion ,
combien s'en attire-t-on d'autres ! Vous contestez, et les gens
s'élèvent contre vous : ils vous traitent d'esprit opiniâtre; et pi-
qués de votre obstination, ils prennent à tâche de vous mortifier,
de vous rabaisser, de vous humilier. Avec un peu d'humilité, qu'on
s'épargnerait d'humiliations !
Il s'est élevé bien des snvans dans le monde, et il s'en forme
3 go NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
tous les jours. Quelles découvertes n'ont-ils pas faites et ne font-
ils pas encore? Depuis l'hysope jusqu'au cèdre , et depuis la terre
jusqu'au ciel, est-il rien de si secret, soit clans l'art, soit dans la
nature, où l'on n'ait pénétré? Hélas! on n'ignore rien, ce me
semble, et l'on possède toutes les sciences, hors la science de soi-
même. Selon l'ancien proverbe, cité par Jésus-Christ même, on
disait, et l'on dit encore : Médecin^ guérissez-vous vous-même l
ainsi je puis dire: Savans, si curieux de connaître tout ce qui est
hors de vous, eh! quand apprendrez-vous à vous connaître vous-
mêmes ?
. Il est vrai, vous ne parlez de vous que dans les termes les plus
modestes et les plus humbles. Vous rejetez tous les éloges que
l'on vous donne,* vous rabaissez toutes les bonnes qualités qu'on
vous attribue; vous paraissez confus de tous les honneurs qu'on
vous rend ; enfin, vous ne témoignez pour vous-même que du mé-
pris. Tout cela est édifiant. Mais, du reste, ce même mépris de
votre personne, que quelque autre vienne à vous le marquer, ou
par une parole, ou par un geste, ou par une œillade, vous voilà
tout à coup déconcerté: votre cœur se soulève, le feu vous monte au
visage, vous vous mettez en défense, et vous répondez avec aigreur.
Que d'humilité et d'orgueil tout ensemble! Mais tout opposés que
semblent être l'un et l'autre, il n'est pas malaisé de les concilier.
C'est qu'à parler modestement, et à témoigner du mépris pour soi-
même, il n'y a qu'une humiliation apparente , et qu'il y a même
une sorte de gloire; mais à se voir méprisé de la partdautrui, c'est
là que l'humiliation est véritable , et par là même qu'elle devient
insupportable.
Humilions-nous, mais sincèrement, mais profondément, et notre
humilité vaudra mieux pour nous que les plus grands talens,
mieux que tous les succès que nous pourrions avoir dans les em-
plois même les plus saints et dans les plus excellens ministères,
mieux que tous les miracles que Dieu pourrait opérer par nous :
comment cela ? parce que notre humilité sera pour nous une voie
de salut beaucoup plus sûre. Plusieurs se sont perdus par l'éclat
de leurs talens, de leurs succès, de leurs miracles : nul ne s'est
perdu par les sentimens d'une vraie et solide humilité.
Ainsi, vous ne pouvez vous appliquer à l'oraison? Humiliez-
vous de la sécheresse devotre cœur, et des perpétuelles évagations
de votre esprit. Votre faiblesse ne peut soutenir le travail ? Hu-
* Luc, 4.
DES PRÉDICATEURS. 3()I
miliez-vous de l'inaction où vous êtes et du repos où vous vivez.
Votre santé ne vous permet pas de pratiquer des austérités et des
pénitences? Humiliez-vous des ménagemens dont vous usez et
(\es soulagemens dont vous ne sauriez vous passer. De cette sorte,
l'humilité sera devant Dieu le supplément des œuvres qui vous
manquent, supplément sans comparaison plus méritoire que ces
œuvres mêmes. Car au dessus de toutes les œuvres, ce qu'il y a
dans le Christianisme de plus difficile, ce n'est pas de faire orai-
son, ce n'est pas de travailler ni de se mortifier, mais de s'humilier.
Vous vous plaignez de n'avoir pas reçu de Dieu certains dons
naturels qui brillent dans les autres, et qui les distinguent; mais
surtout vous ajoutez que ce qui vous afflige, c'est de ne pouvoir
pas, faute de talent, glorifier Dieu comme les autres le glorifient:
illusion. Car si vous examinez bien le fond de votre cœur, vous
trouverez que ce qui vous afflige, ce n'est point précisément de ne
pouvoir pas glorifier Dieu comme les autres, mais de ne pouvoir
pas, en glorifiant Dieu comme les autres, vous glorifier vous-même.
Que notre orgueil est subtil, et qu'il a de détours pour nous sur-
prendre ! jusque dans la gloire de Dieu, il nous fait désirer et
chercher notre propre gloire.
Quand on voit dans le ministère évangélique un homme doué
de certaines qualités , d'un esprit vif, d'un génie élevé, d'une ima-
gination noble, d'une éloquence naturelle, on conclut que c'est
un sujet bien propre à procurer la gloire de Dieu, sans examiner
d'ailleurs s'il a le fonds d'humilité nécessaire qui doit servir de
base à toutes les œuvres saintes et les soutenir. Mais Dieu en juge
tout autrement que nous. Car si cet homme manque d'humilité, si
c'est un homme vain et présomptueux, on peut dire de lui ce que
Samuel dit de chacun des six enfans de Semëi, frères de David et
ses aînés : Ce n'est point là celui que le Seigneur a choisi l. Sur qui
donc tombera son choix? Sur un homme modeste et humble.
Voilà l'homme de sa droite, voilà le digne sujet qu'il emploiera
aux plus merveilleux ouvrages de sa grâce, et de qui il tirera plus
de gloire. Mais c'est un mérite médiocre, ou, pour ainsi parler, ce
n'est rien selon les idées du monde. Je réponds qu'indépendamment
de tout autre mérite , il a devant Dieu le mérite le plus essentiel ,
qui est celui de l'humilité; et de plus j'ajoute que, n'étant rien ou
presque rien dans l'estime commune, c'est cela même qui relève
davantage la gloire de Dieu, à qui seul il appartient de faire de
rien les plus grandes choses.
1 i fteg. 16.
39a NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
On peut m'objecter ce que l'expérience, après tout, nous fait
connaître, par exemple, de deux prédicateurs; l'un, avec les avan-
tages qu'il a reçus de la nature, réussit beaucoup mieux dans l'o-
pinion du public, et l'emporte infiniment sur l'autre. On goûte le
premier, on le suit; au lieu que l'autre, dépourvu des mêmes dis-
positions et des mêmes dons, travaille dans l'obscurité, et qu'il
n'est fait de lui aucune mention. Je sais tout cela ; mais je sais aussi
que nous donnons dans une erreur grossière sur ce qui regarde la
gloire de Dieu. Nous croyons la trouver où elle n'est pas, et nous
ne la cherchons pas où elle est. Etre admiré, vanté, écouté des
grands, produit aux yeux des plus nombreuses et des plus augustes
assemblées, voilà où nous faisons consister la gloire de Dieu; mais
souvent elle n'est point là. Où donc est-elle? dans la conversion
des pécheurs, dans l'instruction des ignorans, dans l'avancement et
l'édification des âmes; et un bon missionnaire, homme sans nom,
sans réputation , mais humble , zélé, plein de confiance en Dieu,
vivant parmi des sauvages, parcourant des villages et des campa-
gnes, convertira plus de pécheurs, instruira plus d'esprits simples,
gagnera plus d'ames à Jésus-Christ , et les avancera plus dans les
voies de Dieu que le plus célèbre prédicateur. Disons en deux
mots : l'un fait beaucoup plus de bruit, mais l'autre beaucoup plus
de fruit. Or ce bruit ne sert communément qu'à glorifier l'homme,
mais ce fruit, c'est ce qui glorifie Dieu.
Un Père a eu raison de dire que le souvenir de nos péchés nous
est infiniment plus utile que le souvenir de nos bonnes œuvres.
Pour entendre la pensée de ce saint docteur, il faut bien distinguer
deux choses, nos actions et le souvenir de nos actions. Or, il n'en
est pas de l'un comme de l'autre, et ils ont des effets tout opposés.
Nos bonnes actions nous sanctifient ; mais le souvenir de nos
bonnes actions nous corrompt, parce qu'il nous enorgueillit : au
contraire, nos mauvaises actions nous corrompent; mais le souvenir
de nos mauvaises actions sert à nous sanctifier, parce qu'il sert à
nous humilier. De là , double conséquence. Pratiquons la vertu ;
et dès que nous l'avons pratiquée , que l'humilité nous mette un
voile sur les yeux pour ne plus voir le bien que nous avons fait. Et
par une règle toute différente, fuyons le péché ; mais quand nous
avons eu le malheur d'y tomber, que l'humilité nous tire le voile
de dessus les yeux pour voir toujours le mal que nous avons com-
mis. Ainsi nous serons vertueux sans danger ; et ce ne sera pas
même sans fruit que nous aurons été pécheurs.
Il y a un monde au dessus de nous , un monde au dessous de
t DES PRÉDICATEURS. 3p3
nous, et un monde autour de nous. Un monde au dessus de nous,
ce sont les grands ; un monde au dessous de nous, ce sont ceux
que la naissance ou le besoin a réduits dans une condition infé-
rieure à la nôtre; un monde autour de nous, ce sont nos égaux.
Selon ces divers degrés, nous prenons divers sentimens. Ce monde
qui est au dessus de nous , devient souvent le sujet de notre va-
nité, et de la vanité la plus puérile. Ce monde qui est au dessous
de nous, devient ordinairement l'objet de nos mépris et de nos
fiertés. Et ce monde qui est autour de nous, excite plus communé-
ment nos jalousies et nos animosités. Il faut expliquer ceci, et re-
prendre par ordre chaque proposition.
Le monde qui est au dessus de nous, devient souvent le sujet
de notre vanité. Je ne dis pas qu'il devient le sujet de notre ambi-
ti ,n : cela est plus rare. Car il n'est pas ordinaire qu'un homme
dune condition commune, quoique honnête d'ailleurs, se mette
dans l'esprit de parvenir à certains degrés d'élévation et de gran-
deur. Mais du reste il tombe dans une faiblesse pitoyable : c'est de
vouloir au moins s'approcher des grands, de vouloir être connu
des grands et les connaître, de n'avoir de commerce qu'avec les
grands , de ne visiter que les grands , de s'ingérer dans toutes les
affaires et toutes les intrigues des grands , de s'en faire un mérite
et un point d'honneur. Ecoutez-le parler, vous ne lui entendrez ja-
mais citer que de grands noms , que des personnes de la première
distinction et du plus haut rang, chez qui il est bien reçu, avec
qui il a de fréquens entretiens, qui l'honorent de leur confiance,
et par qui il est instruira fond de tout ce qui se passe: fausse
gloire et vraie petitesse, où, voulant s'élever au dessus de soi-même,
l'on se rabaisse dans l'estime de tous les esprits droits et de bon
sens!
Le monde qui est au dessous de nous , devient ordinairement
F ,bjet de nos mépris et de nos fiertés. Dès qu'on a quelque supé-
riorité sur les autres, on veut la leur faire sentir. On les traite avec
hauteur, on leur parle avec empire, on ne s'explique en leur pré-
sence qu'en des termes et qu'avec des airs d'autorité ; on les tient
dans une soumission dure et dans une dépendance toute servile :
comme si l'on voulait en quelque manière se dédommager sur
eux de tous les dédains qu'on a soi-même à essuyer de la part des
maîtres de qui l'on dépend. Car voilà ce que l'expérience tous les
jours nous fait voir : des gens humbles et souples jusqu'à la bas-
sesse devant les puissances qui sont sur leur tête, mais absolus et
394 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
fiers jusqu'à l'insolence envers ceux qu'ils ont sous leur domi-
nation.
Le monde qui est autour de nous , excite plus communément
nos jalousies et nos animosités.On ne se mesure ni avec les grands
ni avec les petits, parce qu'il y a trop de disproportion entre eux
et nous : mais on se mesure avec des égaux. Et comme il n'est pas
possible que légalité demeure toujours entière , et que l'un de
temps en temps n'ait l'avantage sur l'autre, de là naissent mille
envies qui rongent le cœur, qui même éclatent au dehors, et se
tournent en querelles et en inimitiés. Car c'est assez qu'un homme
l'emporte sur nous, ou sans qu'il l'emporte, c'est assez qu'il con-
coure en quelque chose avec nous , pour nous indisposer et nous
aigrir contre lui; et n'est-ce pas là ce qui cause entre les personnes
de même profession , et jusque dans les états les plus saints, tant
de partis et tant de divisions? Etrange injustice où nous porte
notre orgueil ! Ayons l'esprit de Dieu, et suivons-le. Conduits par
cet esprit de sagesse et d'équité, de charité, d'humilité, nous ren-
drons au monde que la Providence a placé au dessus de nous, tout
ce qui lui est dû, mais sans nous en faire esclave et sans nous pré-
valoir, par une vaine ostentation, de l'accès que nous aurons au-
près de lui. Nous conserverons sur le monde que le ciel a mis au
dessous de nous , tous nos privilèges et tous nos droits , mais
sans le mépriser, ni lui refuser aucun devoir de civilité , d honnê-
teté, dune charitable condescendance; et nous vivrons en paix
avec tout le monde qui est autour de nous , sans le traverser mal
à propos dans ses desseins, ni lui envier le bien qu'il possède.
Des gens de bien , ou réputés tels , se font un prétendu mérite
dune sorte d'indépendance qu'ils confondent mal à propos avec
l'indépendance chrétienne. S'établir dans une sainte indépendance
selon l'Evangile, c'est mourir tellement à toutes choses et à soi-
même que rien de tout ce qui n'est pas Dieu ne touche l'ame ni
ne l'affectionne. D'où vient qu'elle est au dessus de toutes les pré-
tentions, de tous les intérêts, de tous les événemens humains. La
prospérité ne l'enfle point, l'adversité ne l'abat point. Elle ne
craint que Dieu, elle n'aime que Dieu, elle n'espère qu'en Dieu^
elle ne cherche qu'à plaire à Dieu, et elle verrait ainsi tout l'uni-
vers ligué contre elle , qu'elle demeurerait tranquille et en paix
dans le sein de Dieu. Ce n'est pas qu'elle veuille par là s'affranchir
de certains devoirs envers le monde, de certaines bienséances et de
certains égards, ni qu'elle se propose de suppléer seule à tous les
besoins , et de n'avoir recours à personne : mais comme en tout
!
DF.S PRÉDICATEURS. ' 3o,5
cela elle n'envisage que Dieu ; qu'elle n'agit que selon le gré de
Dieu et qu'avec une pleine conformité à toutes les dispositions de
sa providence, rien aussi de tout cela, quelque chose qui arrive,
ne l'ait impression sur elle et n'est capable de l'altérer. Telle a été
l'indépendance des Saints, et telle est celle du vrai Chrétien. Mais
de dire : Je veux prendre des mesures pour ne dépendre de qui
que ce soit, parce que la dépendance m'est onéreuse; j'aime
mieux vivre dans une retraite entière et dans l'obscurité, sans me
mêler de rien , ni avoir part à rien ; j'aime mieux me passer de
tout , et n'avoir ni vues , ni desseins , ni espérances , pour ne de-
voir rien à personne , et pour n'être point obligé à des assiduités
et à des ménagemens qui me déplaisent : penser de la sorte, et se
conduire suivant ces principes, c'est une indépendance toute na-
turelle, une indépendance de philosophe, une indépendance d'or-
gueil. Dieu veut au contraire qu'il y ait entre nous un rapport mutuel
et continuel; que nous ayons affaire les uns aux autres, que nous
nous demandions et nous prêtions secours les uns aux autres ; que
nous sachions nous assujétir, nous captiver, nous faire violence les
uns pour les autres. Voilà l'ordre de sa sagesse, et c'est ce qui entre-
tient la subordination, ce qui maintient la charité et l'union , sur-
tout ce qui rabaisse notre présomption, enfin ce qui nous fait
mieux sentir la grandeur du Dieu que nous adorons , puisqu'il
n'appartient qu'à lui de se suffire à lui-même, et d'être seul tout-
puissant et indépendant.
La ressource de l'orgueilleux, lorsque l'évidence des choses le
convainc malgré lui de son incapacité et de son insuffisance, est
de lui persuader quelle lui est commune avec les autres. Ce qu'il
n'est pas capable de bien faire , il ne peut croire qu'il y ait quelqu'un
qui le fasse bien. Un mauvais orateur ne convient qu'avec peine
qu'il y en ait de bons. Il reconnaîtra aisément qu'il y en a eu autre-
fois, parce qu'il n'entre avec ceux d'autrefois en nulle concur-
rence. Il les exaltera même comme des modèles inimitables ; il les
regrettera, il demandera où ils sont, il s'épanchera là-dessus dans
les termes les plus pompeux et les plus magnifiques : mais pour-
quoi? est-ce qu'il s'intéresse beaucoup à la gloire de ces morts?
Non certes : mais pour une maligne consolation de son orgueil, il
voudrait, en relevant le mérite des morts, obscurcir le mérite des
vivans et le rabaisser.
S'humilier dans l'humiliation, c'est l'ordre naturel et chrétien;
mais dans 1 humiliation même s'élever et s'enfler, c'est, ce semble ,
le dernier désordre où peut se porter l'orgueil. Voilà ce qui arrive
396 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUB
tous les jours. Des gens sont humiliés : on ne pense point à eux,
on ne parle point d'eux, et on ne les pousse à rien. En sont-ils
moins orgueilleux, et est-ce à eux-mêmes qu'ils s'en prennent des
mauvais succès qui leur ont fait perdre tout crédit, ou à la cour,
ou ailleurs? Bien loin delà, c'est alors que leur cœur se grossit
davantage, et qu'ils deviennent plus présomptueux que jamais. S'ils
demeurent en arrière, ce n'est, à ce qu 'ils prétendent, que par in-
justice de la cour, que par l'ignorance du public. A les en croire ,
et par la seule raison qu'on ne les avance pas, tout est renversé
dans le monde. Il n'y a plus ni récompense de la vertu, ni distinc-
tion des personnes, ni discernement du mérite. Que l'orgueil est
une maladie difficile à guérir! L'élévation le nourrit; et l'humi-
liation, qui devrait l'abattre, ne sert souvent qu'à le réveiller et à
l'exciter.
Notre vanité nous séduit, et nous fait perdre l'estime du monde
dans les choses mêmes où nous la cherchons et par les moyens que
nous y employons. Une femme naturellement vaine s'ingère [dans
les conversations à parler de tout, a raisonner sur tout. Elle juge,
elle prononce, elle décide, parce qu'elle se croit femme spirituelle
et intelligente; mais elle aurait beaucoup plus de raison et d'esprit
si elle s'en croyait moins pourvue; et voulant trop faire voir
qu'elle en a, c'est justement par là même qu'elle en fait moins
paraître.
On loue beaucoup les grands : car ils aiment à être loués et ap-
plaudis. Mais à bien considérer les louanges qu'on leur donne, on
trouvera que la plupart des choses dont on les loue, et qui semblent
en effet louables selon le monde, sont dans le fond et selon le
Christianisme, selon même la seule raison naturelle, plutôt des
vices que des vertus.
Tel aurait été un grand homme, si on ne l'avait jamais loué;
mais la louange l'a perdu : elle l'a rendu vain ; et sa vanité Va fait
tomber dans des faiblesses pitoyables, et en mille simplicités qui
inspirent pour lui du mépris. Je dis en mille simplicités, car
quelque fonds de mérite qu'on ait d'ailleurs, il n'y a point, ni dans
les discours, ni dans les manières d'agir, d'homme plus simple
qu'un homme vain. On lui fera accroire toutes choses dès qu'elles
seront à sa louante. Esl-il chagrin et de mauvaise humeur : louez-le,
et bientôt vous lui verrez reprendre toute sa gaîté. Les gens le re-
marquent, le font remarquer aux autres, et s'en divertissent. C'est
ainsi que, sans le vouloir ni l'apercevoir, il vérifie dans sa per-
sonne cette parole de l'Évangile, que celui qui s'élève sera abaissé
DES PRÉDICATEURS. 3gj
et humilié '. Gomme donc l'ambition, selon le mot de saint Ber-
nard, est la croix de l'ambitieux, je puis ajouter que souvent l'or-
gueil devient l'humiliation de l'orgueilleux.
Cet homme est toujours content de lui; et, n'eût-il eu aucun
succès, il se persuade toujours avoir réussi le mieux du monde.
Contentez-vous de savoir ce qui en est, et d'en croire ce que vous
devez; mais, du reste, pourquoi cherchez-vous à le détromper de
son erreur, puisqu'elle le satisfait et ne nuit à personne? Ce n'est
pas qu'il n'y ait quelquefois des raisons qui peuvent vous engager
à lui ouvrir les yeux et à lui faire connaître l'illusion où il est;
mais, avouez-le de bonne foi, c'est une malignité secrète, c'est
une espèce d'envie qui vous porte à l'humilier et à lui faire perdre
cette idée dont il s'est laissé prévenir en sa faveur; car mille gens
sont ainsi faits; non seulement ils sont jaloux de la réputation so-
lide et vraie qu'on a dans le monde, mais, de plus, par une déli-
catesse infinie de leur orgueil, ils sont en quelque manière jaloux
de la bonne opinion, quoique mal fondée, qu'un homme a de lui-
même.
Qu'il me soit permis de faire une comparaison : il j a des mé-
rites, et en très grand nombre, qui ne devraient se produire à la
lumière qu'avec la précaution dont on use à l'égard de certaines
étoffes pour les débiter; on ne les montre que dans un demi-jour
parce que le grand jour y ferait paraître des défauts qui en rabais-
seraient le prix. Combien de gens peuvent s'appliquer la parole du
prophète : Mon élévation a été mon humiliation] c'est-à-dire qu'ils
semblent ne s'être élevés que pour se rendre méprisables, que
pour laisser apercevoir leur faible , que pour perdre toute la bonne
opinion qu'on avait conçue d'eux. Tant qu'ils se sont tenus à peu
près dans le rang où la Providence les avait fait naître , ils réussis-
saient, on les honorait, on parlait d'eux avec éloge; mais, par une
manie que l'orgueil ne manque point d inspirer, ils ont voulu
prendre l'essor et porter plus haut leur vol. C'est là qu'on a com-
mencé à les mieux connaître, et qu'en les connaissant mieux
on a appris à les estimer moins. En un mot, ils étaient aupara-
vant dans leur place , et ils y faisaient bien ; mais ils n'y sont plus
et tout ce qui n'est pas dans sa place blesse la vue. (Bocrdaloue,
Pensées diverses sur l'humilité et l orgueil,]
* Matth., 23.
3q8 HOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Solide et véritable grandeur de l'humilité chrétienne.
Vous êtes étrangement philosophe, et quoique je ne cloute en
aucune manière du fonds de votre Christianisme, la proposition
que vous me fîtes il y a quelque temps au sujet de l'humilité ne
m'édifia pas, et me parut, s'il faut vous le dire, bien païenne.
Nous parlions de l'ambition , surtout de l'ambition des gens de la
cour, qui sacrifient tout à cette passion dont ils sont possédés ,et
qui se repaissent toute leur vie d'honneurs et de fausses gran-
deurs. Je tâchais de vous inspirer des sentimens plus modestes, et
je vous trouvais un peu trop occupé du désir de vous avancer et
de faire une certaine figure dans le monde. Je ne condamnais pas
absolument là-dessus une émulation raisonnable, et, vous accor-
dant en apparence quelque chose , pour ne vous pas rebuter d'a-
bord par une morale trop relevée , je m'appliquais à vous amener
insensiblement aux principes de la religion et aux maximes de
Jésus-Christ. Mais tout d'un coup vous prîtes feu, et, dans cette petite
saillie dont je n'eus pas de peine à m'apercevoir, il vous échappa
de dire, d'un air assez vif et même d'un ton assez haut, qu'après
tout l'ambition était le caractère des âmes nobles; qu'entre les
passions c'était sans contredit la plus belle, ou du moins la plus
excusable dans un homme de quelque naissance; qu'elle élevait
le cœur, et que dans la vie il fallait un peu d'orgueil pour savoir
tenir son rang et se séparer du vulgaire; comme si vous eussiez
voulu me faire entendre que l'humilité, quoique sainte du reste et
très respectable, ne convenait guère qu'à des âmes étroites et qu'à
des esprits faibles et peu propres aux grandes entreprises; car j'ai
lieu de croire que c'était là votre pensée.
Nous sommes là-dessus, vous et moi, dans des opinions bien
différentes; et quand j'examine à fond ce que c'est que la vertu
d'humilité, en quoi elle consiste, sur quels principes elle est éta-
blie, par quelles règles elle se conduit, de quelles faiblesses elle
nous guérit, quelle supériorité elle nous donne au dessus des
idées communes, à quoi elle dispose et quelles victoires elle rem-
porte; enfin ce qu'elle nous fait entreprendre et ce qu'elle nous
fait exécuter; quand, dis-je, j'envisage tout cela, je conclus bien
autrement que vous, et je prétends qu'entre les vertus il n'en est
point qui marque plus de solidité dans l'esprit ni plus de fermeté
dans l'ame que l'humilité; que bien loin de rétrécir le cœur, elle
l'élargit; que bien loin d'abattre le courage, elle le rehausse; que
DES PRÉDICATEURS. 3g§
c'est un préservatif contre mille petitesses, contre mille indigni-
tés et mille lâchetés qui sont si ordinaires dans l'usage du monde;
que c'est une disposition aux plus grands desseins, et que, par
une constance inébranlable, elle sait également les former et les
accomplir. Voilà ce que j'appelle une vraie grandeur, et ce qui
doit sans doute suffire pour vous détromper de l'erreur où vous
semblez être.
Allons par ordre , s'il vous plaît, et, pour mieux éclaircir le
point de vue dont il est question entre nous , expliquons d'abord
les termes et donnons-en une notion juste; car il est vrai qu'il y a
une timidité naturelle qui nous rend doux, dociles, soumis; qui
nous retient dans les rencontres et nous empêche de nous ingérer
dans aucune affaire; qui nous ferme la bouche et qui nous lie en
quelque sorte les mains lorsqu'il conviendrait d'agir, de se décla-
rer, de se défendre. Ce n'est point là humilité, mais pusillanimité,
mais excès de crainte et de confiance outrée de soi-même, qui n'a
pour principe que le tempérament. Souvent même, sous les dehors
dune humilité apparente, il y a dans cette pusillanimité beau-
coup d'orgueil qui s'y mêle, et d'un orgueil puéril. Il faudrait par-
ler dans l'occasion; mais on se tait sans prononcer une parole :
pourquoi ? parce qu'on craint de répondre mal à propos et de
s'exposer à la raillerie. Il faudrait prendre une résolution et la
soutenir; mais on se tient oisif et l'on demeure: pourquoi ? parce
qu'on a peur de ne pas réussir et d'avoir à essuyer la confusion d'un
mauvais succès. Il faudrait résister et maintenir ses prétentions
dès qu'elles sont raisonnables; mais on cède, et l'on ne fait pas la
moindre démarche : pourquoi ? par l'appréhension de succomber
et de donner ainsi plus d'avantage à un concurrent ; de sorte qu'on
est humble et qu'on le paraît, non par vertu , mais par une imper-
fection de la nature, et quelquefois par une fausse gloire.
Traitez cette espèce d'humilité comme il vous plaira, j'y con-
sens, puisque ce n'est point celle dont je prends ici la défense :
sous le nom d'humilité, j'entends une humilité purement évangé-
lique et toute chrétienne, telle que le Fils de Dieu nous l'a ensei-
gnée, et telle que les Saints, après ce divin maître, l'ont pratiquée.
Je veux dire une humilité qui, par les lumières de la raison et de
la religion, nous découvre notre néant et le fond de notre misère;
qui nous remplit par là d'un saint mépris de nous-mêmes, et nous
fait vivement comprendre que de nous-mêmes nous ne sommes
rien ni ne pouvons rien; par conséquent, que nous ne devons rien
nous attribuer à nous-mêmes , hors le péché j mais que nous de-
^OO NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
vons tout rapporter à Dieu, comme au souverain auteur, et lui
rendre gloire de tout; qui, selon le même sentiment et dans la
même vue, nous fait regarder avec indifférence toutes les distinc-
tions et tous les honneurs du siècle, parce qu'au travers de leur
lustre le plus brillant, nous en découvrons l'illusion et la vanité, et
que d'ailleurs nous savons qu'ilssont opposés à l'état de Jésus- Christ
dans le cours de sa vie mortelle; qui, sans nous mesurer avec le
prochain, nous porte à l'honorer, à tenir volontiers au dessous de
lui le dernier rang et à rester dans l'oubli , tandis que d'autres sont
dans une haute estime et dans la splendeur; enfin qui, ne comp-
tant jamais sur elle-même, compte uniquement sur Dieu, mais
avec une confiance d'autant plus ferme et plus assurée qu'elle a
des témoignages plus certains, qu'il prend plaisir à seconder les
faibles , et qu'il aime à exercer sa miséricorde et sa toute-puissance
en faveur des petits ; telle est, dis-je, l'humilité dont je parle, et
que je conçois comme une des vertus la plus propre à former de
grandes aines et à les perfectionner. Peut-être serez-vous obligé
d'en juger ainsi vous-même , si vous voulez peser mûrement la
chose et entrer dans quelques réflexions.
I. Car prenez garde, je vous prie, et remarquez d'abord avec
moi, de quoi l'humilité nous délivre, ce qu'elle corrige dans nous,
ou de qoui elle nous préserve. Personne n'ignore , et vous ne de-
vez pas l'ignorer, quelles sont les petitesses, pour ne pas dire les
bassesses , où l'ambition et l'orgueil nous réduisent. Je ne sais ce
que vous pensez; mais moi, je ne me figure point d'homme plus
petit ni d'ameplus vile qu'un ambitieux qui se laisse dominer par
la passion de s'agrandir, et qui veut, par quelque voie que ce soir,
la satisfaire; ou qu'un orgueilleux qui s'infatue de ses prétendues
bonnes qualités , et se laisse posséder d'une envie démesurée d'être
applaudi et vanté dans le monde, Afin de vous en convaincre par
vous-même, suivez-le en esprit, et comme pas à pas, cet ambi-
tieux , dans la route qu'il s'est tracée et qu'il se représente comme
le chemin de la fortune. Est-il une démarche si humiliante où il
ne s'abaisse, dès qu'il croit qu'elle peut le conduire à son terme;
et dans l'espérance de monter, à quoi ne descend-il point? Est-il
une complaisance si servile où il ne s'assujétisse, pour s'insinuer
auprès de celui-ci et pour se concilier les bonnes grâces de celui-
là ? Est-il hauteurs, dédains, rebuts qu'il n'essuie, jusqu'à ce qu'il
soit parvenu à engager l'un dans ses intérêts, et à se ménager la
protection de l'autre ? Que d'assiduités, que de souplesses, que de
flatteries , et si j'ose ainsi m'exprimer , que d'infamies! Il n'a honte
DES PRÉDICA.TEtTKS. /\OJ
de rien, pourvu qu'il puisse atteindre où il vise et réussir dans ses
intrigues : et quelles intrigues? souvent les plus criminelles et les
plus lâches, où sont violées toutes les lois de la bonne foi et de
l'honneur; où sont employés l'artifice, la calomnie, la fraude, la
trahison. Il en aurait horreur s'il n'était pas livré à la passion qui
l'aveugle, et s'il en jugeait de sens rassis. On en est saisi d'éton-
nement et indigné, quand, malgré les soins extrêmes qu'il apporte
à tenir cachés tant de mystères d'iniquité, on vient à connaître
toutes ses menées, et à percer le voile qui les couvrait. Dites-moi
comment vous trouvez là cette noblesse de sentimens d'où naît,
à vous en croire, l'ambition?
Et d'ailleurs faites quelque attention à toute la conduite de
l'orgueilleux. Ce n'est pas pour la première fois que j'en parle , et
autant de fois qu'il y a lieu d'en parler, j'en ressens toujours un
nouveau mépris. Tâchez à découvrir les différentes pensées qu'il
roule dans son esprit, ou plutôt toutes ses imaginations également
frivoles et folles ; examinez quel est le fond, ou de ses joies se-
crètes et de ses vains triomphes, ou de ses peines les plus vives et
de ses déplaisirs les plus piquans. Est-il occupé d'autres choses que
de lui-même, de son mérite, de ses talens? Est-il un avantage si
léger dont il ne se prévale, et qui, dans son idée, ne lui donne sur
les autres une prééminence où il n'est pas aisé de parvenir? Est-il
rien de bienfait, si ce n'est pas lui qui la fait, et est-il rien de bien
pensé, s'il n'est pas selon son sens ? Ajoutez ces témoignages fa-
vorables qu'il se rend perpétuellement et hautement à soi-même,
ces fades et ennuyeuses vanteries dont il fatigue quiconque veut
bien l'écouter, cet amour delà louange, même la plus grossière,
ce goût avec lequel il la reçoit et ce gré qu'il en sait, en sorte qu'il
suffit de le louer pour obtenir tout de lui : au contraire, cette vi-
vacité et cette délicatesse sur un mot qui peut l'offenser, ces agi-
tations où il entre, ces mélancolies où il tombe, ces jalousies, ces
amertumes de cœur, ce fiel dont il se ronge, ces soupçons et ces
ombrages qu'il prend d'un signe, dune œillade, d'une parole jetée
au hasard et sans dessein. En vérité, qu'est-ce que cela? et pour
omettre cent autres articles, je vous demande si vous comprenez
rien de plus mince et de plus étroit qu'une ame de cette trempe
et un esprit disposé de la sorte?
Or, voilà de quoi l'humilité chrétienne est le correctif le plus
efficace et le plus certain. De toutes ces faiblesses il n'y en a pas
une dont elle ne soit exempte et qu'on puisse lui imputer. Qu'est-
ce qu'un Chrétien vraiment humble? C'est un homme sage et ré-
t. nr. 20
/.02 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
«lé clans toutes ses vues, ou n'en ayant point d'autres que les vues
de Dieu et de son adorable Providence ; un homme droit dans
toutes ses voies , et incapable de prendre aucunes mesures hors
des lois de la fidélité la plus inviolable et de la plus exacte probité;
un Lomtne désintéressé et religieux dans ses abaissemens volon-
taires, ennemi de la flatterie et de toule sujétion mercenaire et
forcée: un homme équitable dans ses jugemens; sans prévention,
sans envie; reconnaissant le mérite partout où il est, et se faisant
un devoir de le révérer et de l'exalter même à son propre préjudi-
ce; un homme indépendant de tous les respects humains et des
vaines opinions du monde , parce qu'il ne cherche point à plaire au
monde et qu'il le compte pour rien. De Là, toujours égal dans l'hu-
miliation comme dans l'élévation , dans le blâme et dans la louan-
ge , dans la bonne et la mauvaise réputation: soutenant l'une et
l'autre avec une tranquillité inaltérable; ne se laissant, ni éblouir
par l'éclat d'une vie agissante et comblée d'éloges, ni contrister
par l'obscurité d'une vie abjecte et inconnue. De là encore, et par
la même conséquence , un homme patient dans les injures, les par-
donnant de cœur, plutôt prêt à faire des avances et à prévenir,
qu'à exiger de justes satisfactions : du reste, plein de retenue, de
modestie dans ses entretiens, dans toutes ses manières; ne disant
rien de soi, si ce n'est pour se déprimer et pour s'avilir ; honnête,
affable, paisible, ne contestant avec personne, ne voulant jamais
l'emporter sur personne; et tout cela par des motifs supérieurs et
divins, malgré les révoltes de la nature et son extrême sensibilité.
Observez bien tous ces traits, et j'ose me promettre que vous con-
clurez avec moi qu'un homme de ce caractère doit être incontesta-
blement réputé pour un grand homme. Mais reprenons.
Un homme sage et réglé dans toutes ses vues : c'est-à-dire, un
homme qui s'en tient précisément à ce qui est selon Tordre du ciel ,
et n'aspire point au delà; qui ne s'abandonne pointa une ardeur
insensée de croître, mais se renferme dans les bornes qu'il a plu à
Pieu de lui marquer ; qui dit, comme David : Seigneur, mon cœur
ne s est point élevé, je ne me suis point évanoui dans mes pensées ni
dans mes désirs , et je n'ai point porté mes regards au dessus de
moi i. Ce n'est pas qu'il soit tout-à-fait à couvert des atteintes d'une
secrète ambition. L orgueil, qui nous est si naturel, veut toujours
faire de nouveaux progrès, et d'un degré passer à un autre; il y a
même des temps, des conjonctures où la tentation est difficile à
1 Ps. 150,
DES PRÉDICATEURS. 4°3
vaincre. Mais l'humble Chrétien sait la réprimer , sait la surmon-
ter, et par une sainte violence se rendre maître d'une passion dont
l'empire néanmoins est si étendu. Il est ce que Dieu l'a lait naî-
tre, ce que Dieu veut qu'il soit : cela suffit , et que lui faut-il davan-
tage? Si dans le cours des années la Providence l'appelle à quelque
chose de plus, il la laisse agir, et attend en paix qu'elle se déclare.
Jusque là nul empressem ent , nulle inquiétude : point d'autre soin
que de vivre selon Dieu dans son état, et de fournir saintement sa
carrière. Dans une telle modération, qu'il y a de force ! et pour s'y
maintenir, qu'il y a de combats à livrer et de victoires à rempor-
ter sur soi-même î
Un homme droit dans toutes ses voies : c'est une suite imman-
quable de la disposition où il est de ne marcher que dans les
voies de Dieu, et de ne s'écarter jamais. Ne voulant rien être que
selon le gré de Dieu, et de lui-même ne prétendant à rien autre
chose, il n'a pour son avancement propre, ni projets à conduire,
ni moyens à imaginer, ni ressorts à faire jouer: d'où il s'en suit
qu'il n'a besoin ni de partis, ni d'industrie, ni de surprises. Il suit
toujours une même ligne, et va toujours son chemin, sans détours
et sans déguisemens. D'ailleurs instruit des maximes de l'Evan-
gile, qui est la vérité même, il n'a garde, en quelque rencontre
que ce soit, d'avoir recours au mensonge que l'Evangile con-
damne; et libre de tout désir de se pousser qui pourrait le séduire
et corrompre, il est bien éloigné de mettre en œuvre de criminel-
les pratiques dont il voit toute l'imposture et toute la honte,
Un homme religieux et désintéressé dans ses abaissemens vo-
lontaires: car il y a une humilité prétendue qui n'a de l'humi-
lité que les apparences; il y a de feints abaissemens qui ne consis-
tent qu'en de fausses démonstrations et des dehors trompeurs.
Souvent le mondain s'humilie, il s'abaisse: mais pourquoi? Je l'ai
dit et je le répète: c'est par une fragile espérance, c'est par une
flatterie basse, c'est par un vil et sordide esclavage. La religion
inspire au Chrétien humble, jusque dans ses soumissions les plus
profondes, bien plus de générosité et plus de dignité. Il rend
honneur au prochain ; il a pour le prochain toute Ja déférence,
tous les ménagemens et tous les égards possibles; il ne refuserait
pas, s'il le fallait, de ramper sur la poussière et sous les pieds du
prochain ; mais, dans l'homme, il n'envisage que Dieu. C'est à Dieu
qu'il obéit en obéissant à l'homme ; c'est à Dieu qu'il offre son
encens, en rendant hommage à l'homme; c'est devant Dieu qu'il
26.
4o4 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
se prosterne en s'inclinant devant l'homme : Dieu est le seul ob-
jet de son culte, comme il en doit être l'unique récompense.
Un homme équitable dans ses jugemens : et voici , j'ose le dire,
un des plus nobles efforls de l'humilité. Parce que nous sommes
ordinairement préoccupés, soit en notre faveur par notre amour-
propre, soit contre le prochain par une maligne envie, on ne peut
guère compter sur l'équité des jugemens que nous portons, ou
de nous-mêmes, ou des autres. Mais par une règle toute con-
traire, parce que l'humble Chrétien est dégagé de ces préventions
qui nous aveuglent, il est beaucoup plus en état de juger saine-
ment; et comme il ne sait point dissimuler, ni trahir la vérité qu'il
connaît, il parle selon qu'il pense, et communément il pense bien.
Si donc il s'agit de lui-même, il ne cherche point à se faire valoir
au delà de son prix ; et s'il est question du prochain , il lui fait
une justice entière, et, bien loin de vouloir le rabaisser ni obscur-
cir ses avantages, il est le premier à les publier.
Nous en avons dans l'Evangile un exemple des plus célèbres, et
quiconque examinera bien la conduite de Jean-Baptiste à l'égard
de Jésus-Christ y trouvera une bonne foi, et dans cette bonne foi
un caractère de grandeur qu'on ne peut assez admirer. Jean prê-
chait aux peuples la pénitence ; toutes les rives du Jourdain reten-
tissaient du bruit de son nom; on s'assemblait en foule autour de
lui, et il s'était fait une nombreuse école qui le suivait et recevait
ses enseignemens comme des oracles : jamais crédit ne fut à un
plus haut point. Mais, après tout, Jean-Baptiste n'était que le pré-
curseur du Messie , et il n'avait été envoyé qu'en cette qualité.
Aussi est-ce à cette qualité seule que se borne toute l'idée qu'il a
de lui-même et qu'il en donne à ces députés qui , de la part de la
Synagogue, viennent l'interroger pour savoir qui il est? Etes- vous
le Christ ? lui demandent-ils ; êtes-vous ÉlieP étes-vous Prophète1 ?
Que l'occasion était délicate pour un homme qui eût été moins
humble ! Mais à ces demandes il répond simplement et sans hési-
ter, qu'il n'est ni le Christ, ni E lie, ni Prophète. Qui êtes- vous donc?
répliquent ces envoyés. Je suis, leur dit-il, la voix de celui qui
crie dans le désert : Préparez le chemin au Seigneur** : voilà tout
ce que je puis vous apprendre de moi.
Ce n'est point encore assez; mais la même équité qui le fait ju-
ger si modestement de lui-même, lui fait rendre à Jésus-Christ, en
cette rencontre et en toutes les autres, le plus juste et le plus
* Joan., 1. — 2 Joan., 2ô.
DES PREDICATEURS. 4°&
glorieuxtemoignage.il annonce aux députés de Jérusalem la venue
du Messie. 77 est au milieu de vous, mais 'vous ne le connaissez
point. Cest lui qui doit venir après moi, et dont je ne suis pas digne
de délier les souliers *. Il s'écrie en le voyant et l'appelle le sauveur
des hommes : Voilà V Agneau de Dieu , voilà celui qui efface les
péchés du monde. Il fait plus: quand ses disciples, s'apercevant
que l'école de leur maître commençait à déchoir, et que celle de
Jésus-Christ s'établissait de jour en jour et s'accréditait , témoi-
gnant là dessus quelque jalousie, il leur déclare que désormais ils
doivent s'attacher à ce nouveau maître; il les lui envoie : car c'est
à lui décroître, conclut-il, et à moi de diminuer^. Qu'on me dise
s'il est rien de plus grand que ce procédé, et si ce n'est pas ainsi
que pensent les plus solides esprits et les cœurs les mieux placés?
De tout cela il est aisé de comprendre comment un Chrétien
humble est indépendant de tous les respects humains et des vaines
opinions du monde, dès là qu'il ne se soucie ni de l'estime du
monde, ni de sa faveur, et qu'il peut dire comme l'Apôtre : Pour
moi, il m'importe peu que vous me jugiez vous ou quelque autre
homme que ce soit; je nyai quun juge, à proprement parler, et ce
juge cest Dieu^. Comment il garde toujours la même égalité
dame et la même paix au milieu de toutes les vicissitudes où il est
exposé, puisque ni l'une ni l'autre fortune ne font impression sur
lui ; comment il endure les plus mauvais traitemens avec une pa-
tience à l'épreuve de tout, parce qu'il n'y a point d'outrages dont
il ne se croie digne, et que d'ailleurs il acquiert par là plus de
ressemblance avec le sacré modèle qu'il fait gloire d'imiter, et
qui lui est proposé dans la personne adorable de son Sauveur ;
comment on ne l'entend jamais faire parade de ses bonnes œuvres,
vanter ses prétendus exploits, étaler en de longs récits les affaires
où il a eu part, et de quelle manière il s'y est comporté; censurer
celui-ci, railler de celui-là, entrer continuellement en dispute et
s'ériger en homme habile et important. Comment, au contraire, on
le voit à toute occasion se tenir autant qu'il peut à l'écart, user
de réserve, donnera chacun une attention favorable, approuver,
excuser, tourner les choses en bien, et devenir ainsi du meilleur
commerce et de la société la plus aimable. Voilà, dis-je, ce qu'on
ne doit point avoir de peine à comprendre, et voilà par où la
même humilité qui nous abaisse sert à nous relever. Comme donc
l'Ecclésiastique a dit : Plus vous êtes grand, plus vous devez vous
1 Joan, 26. — - Joan., 5. — 3 1 Cor., 4.
4o6 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
humilier l; je ne fais nulle difficulté de renverser la proposition,
et, sans altérer en aucune sorte cette divine parole , j'ajoute : Plus
vous vous humilierez, plus vous serez grand.
II. Mais n'en demeurons pas là, car il s'agit présentement de sa-
voir si l'humilité n'est point un obstacle aux grandes actions, et
à certaines entreprises où il faut delà magnanimité et une résolu-
tion que rien n'ébranle. La raison de douter est que 1 humilité a
pour fondement la connaissance de notre faiblesse , et une condi-
tion actuelle et habituelle de notre insuffisance, d'où viennent les
bas sentimens et la défiance que l'on conçoit de soi-même. Un
homme véritablement humble est persuadé qu'il n'est rien, qu'il
ne peut rien, et que, de son fonds, il n'est bon à rien. Or, dans
cette persuasion , il n'est pas naturel qu'il forme des projets au-
dessus de lui, ni qu'il veuille s'engager en des ministères et des
fonctions qui demandent des talens rares et singuliers. Cela ne
paraît pas naturel, mais il n'en est pas moins vrai, selon le mot de
saint Léon, que rien n'est difficile aux humbles , qu'il n'y a point
de si vaste dessein dont l'exécution les étonne j qu'ils sont capables
de tout oser, et d'affronter tous les périls avec l'assurance la plus
ferme et l'intrépidité la plus héroïque j que plus ils se croient fai-
bles, plus en même temps ils s'estiment forts , et que plus ils se
défient d'eux-mêmes, plus ils sentent redoubler leur zèle et por-
tent loin leurs vues. Sont-ce là des paradoxes ? sont-cedes vérités?
Je prétends qu'il n'est rien de plus réel que ces merveilleux effets
de l'humilité chrétienne; je prétends que c'est à quoi elle nous
dispose et ce qu'elle produit en nous. Je vais vous développer ce
mystère, et voici comment nous devons l'entendre.
Car autant qu'un Chrétien humble se défie de lui-même, autant
il se confie en Dieu ; moins il s'appuie sur lui-même, plus il s'ap-
puie sur Dieu. Or il sait que rien n'est impossible à Dieu. Il sait
que Dieu prend plaisir à faire éclater sa gloire dans notre infir-
mité, et que c'est aux plus petits, dès qu'ils ont recours à lui, qu'il
communique sa grâce avec plus d'abondance. Muni de ces pen-
sées, et comme revêtu du pouvoir tout-puissant de Dieu même,
est-il rien désormais de si laborieux et de si pénible , rien de si
sublime et de si grand dont il craigne de se charger et dont il
désespère de venir à bout? Que Dieu l'appelle, il n'hésitera pas
plus que le prophète Isaïe à lui répondre : Me voici, Seigneur, en-
voyez-moi 2. Que Dieu en effet l'envoie, il ira partout. 11 se pré-
* Eccli., 20.— Msai., 6.
DES PRÉDICATEURS. 4°7
sentera devant les puissances du siècle, il entrera dans les cours
des princes et des rois , il leur annoncera les ordres du Dieu vi-
vant, et ne sera touché ni de l'éclat de leur pourpre, ni de leurs
menaces, ni de leurs promesses. Il plantera , selon les expressions
figurées de l'Ecriture , et il arrachera; il bâtira et il détruira; il
amassera et il dissipera.
Quelle espèce de prodige, et quel admirable accord de deux
choses aussi incompatibles, ce semble, que le sont tant de dé-
fiance d'une part, et de l'autre tant de confiance et de force! Car
au milieu de tout cela, le même homme qui agit si délibérément
et si courageusement ne perd rien de son humilité; c'est-à-dire,
qu'il conserve toujours le souvenir de sa faiblesse; qu'il se regarde
toujours comme un serviteur inutile, comme un enfant; quil dit
toujours à Dieu, dans le même sentiment de Jérémie : Ali l Sei-
gneur, mon incapacité est telle que je ne puis pas même prononcer
une parole1. Non, il ne le peut de lui-même et par lui-même, mais
tandis qu'il en fait la confession la plus affectueuse et la plus sin-
cère, il n'oublie point d'ailleurs ce que lui apprend le docteur des
nations, qu'il peut tout en celui qui le fortifie 2. De sorte qu'il ne
balance pas un moment à se mettre en oeuvre et à commencer,
quel que soit l'ouvrage où la vocation de Dieu le destine. Qu'il y
voie mille travers à essuyer et mille oppositions à vaincre ; que le
succès lui paraisse non seulement douteux, mais hors de vraisem-
blance, il espère contre l'espérance même. Ce n'est point par une
témérité présomptueuse , puisque son espérance est fondée sur ce
grand principe de saint Paul , que Dieu fait choix de ce qui paraît
plein de folie selon le monde pour confondre les sages; quil choisit
ce qui est faible devant le monde pour confondre les forts ; et quil se
sert enfin de ce quil y a de plus bas et de plus méprisable , même
des choses qui ne sont point pour détruire celles qui sont 3.
Ainsi , quand ce jeune berger, qui d'un coup renversa Goliath,
vit approcher ce Philistin dune énorme stature : Tu viens a moi,
lui dit-il , avec Vépèe, la lance et le bouclier; mais moi je viens a toi
au nom du Seigneur, et, tout désarmé que je suis, je me tiens certain
delà victoire1^. Car, voici, ajoute-t-il, ce que je te déclare: Le Sei-
gneur te livrera entre mes mains ; je te donnerai la mort, et te cou-
perai la tête, afin que tGiite la terre sache qu'il y a un Dieu en
Israël, et que ce n'est ni par Vépée, ni par la lance quil sauve.
Ainsi le même David se trouvant investi d'ennemis qui l'assail-
* Jérém., 8. — 2 Philip., 4. — s j Cor., 27. — 4I Reg., 17.
4o8 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
laient de toutes parts, s'écriait avec une sainte hardiesse : J.e Sei-
gneur est notre ressource , nous combattrons, et il réduira en poudre
tous ceux qui nous persécutent.
Tel est par proportion le langage des âmes humbles, d'autant
plus assurées de la protection divine, qu'elles se répandent moins I
d'elles-mêmes; et du reste d'autant plus tranquilles sur la réussite
de leurs entreprises qu'étant humbles, elles craignent moins de
subir la honte des fâcheux événemens que Dieu quelquefois, pour
les éprouver, peut permettre. Un homme du monde, suivant son
orgueil , comme nous lavons déjà remarqué, ne se hasarderait pas
si aisément. Il ne voudrait pas exposer son honneur; et, pour se
déterminer , il lui faudrait de sérieux examens et de longues déli-
bérations. Mais dès qu'on a l'humilité dans le cœur, on n'est plus
si jaloux d'un vain nom , ni si sensible aux reproches qu'on s'atti-
rera , supposé qu'on vienne à échouer. On s'abandonne à la con-
duite de l'Esprit de Dieu, et du reste on se soumet à tout ce qui
en peut arriver pour notre humiliation devant les hommes.
Ce ne sont point là de simples spéculations; on en a vu la pra-
tique. Fut-il jamais une entreprise pareille à celle des Apôtres ,
lorsqu'ils se partagèrent dans toutes les contrées de la terre pour
travaillera la conversion du monde entier? Les plus fameux con-
quérans dont l'histoire profane a vanté les faits mémorables ont
porté leurs armes et étendu leurs conquêtes sur quelques nations;
mais ces saints conquérans, ou, pour mieux dire, ces saints et
zélés propagateurs de la loi chrétienne se proposèrent de sou-
mettre généralement tous les peuples à l'empire de Jésus-Christ.
Dans ce vaste projet ils n'exceptèrent ni âge, ni sexe , ni rangs, ni
qualités, ni états. A en juger selon la prudence du siècle, c'était
un dessein chimérique, et l'on sait néanmoins avec quelle ardeur
ils s'y employèrent, avec quelle constance ils le soutinrent, avec
quel bonheur ils l'accomplirent.
Or qu'était-ce que ces Apôtres ? de pauvres pêcheurs , petits se-
lon le monde, et humbles selon l'Evangile. Leur humilité ne borna
point leurs vues, elle ne leur resserra point le cœur, elle ne les
affaiblit ni ne les arrêta point. Avec cette humilité, ils ont passé
les mers, ils ont parcouru les provinces et les royaumes, ils ont
répondu aux juges et aux magistrats, ils ont résisté aux grands,
ils ont confondu les savans, ils ont instruit les infidèles et les bar-
bares, ils ont triomphéjde l'idolâtrie et du paganisme; et, dans la
suite des temps, combien ont-ils eu d'imitateurs et de successeurs,
humbles comme eux , et appliqués sans relâche à perpétuer les
DES UlEDlCATfiUilS. 4°9
fruits de leur zèle? Combien en ont-ils encore de nos jours qui,
par une sainte alliance, réunissent dans leurs personnes et la
même humilité et la même élévation de sentimens ?
Pour en revenir aux Apôtres, et pour dire en particulier quelque
chose de saint Paul, on ne peut lire ses Epîtres, et ne pas voir que
ce fut un des esprits les plus sublimes, et une des plus grandes
âmes. Quel feu, quelle vivacité, et tout ensemble, quelle solidité!
Pense-t-on plus noblement? s'exprime-t-on plus éloquemment?
Que n'a-t-il pas fait! que n'à-t-il pas souffert ! Supérieur à tout,
aux dangers, aux embûches , aux persécutions, aux trahisons, aux
calomnies, aux opprobes, aux fers, à la faim, à la soif, au glaive,
à la mort : car, disait-il , nous sommes au dessus de tout cela 1. Saint
Chrysostôme en était ravi d'admiration, et n'avait point de termes
pour faire entendre ce qu'il en concevait. Cependant ce vaisseau
d'élection , ce grand Apôtre , quel mépris faisait-il de lui-même et
comment en parlait-il ? Il se traitait de pécheur, de blasphémateur,
de persécuteur de l'Eglise, d'homme indigne de l'apostolat, d'avor-
ton : tant l'humilité lui représentait vivement ses misères , et tant
elle le rabaissait dans son estime.
Que ne pourrions-nous pas ajouter de ces sociétés et de ces
ordres religieux, qui sont pour l'un et l'autre sexe des écoles de
perfection, et dont la sainteté est l'édification du monde chré-
tien? Que n'en a-t-il pas dû coûter pour former ces grands corps,
pour en rassembler tous les membres, pour les assortir et les ré-
gler? Que d'études et de soins! que de méditations, de réflexions,
de conseils! Mais aussi quels progrès surprenans! Ces sociétés se
sont multipliées, ces ordres religieux se sont répandus dans tous
les lieux éclairés de la foi et soumis à l'Eglise de Jésus-Christ.
Comme autant de républiques , ils ont leur forme de gouverne-
ment, leurs lois, leurs statuts, leurs offices, leurs fonctions, leurs
observances, qu'il a fallu ordonner avec une pénétration et une
sagesse qui descendît aux moindres détails , qui prévît toutes
choses et ne laissât rien échapper. Voilà par où ils se sont main-
tenus depuis des siècles, et ils se maintiennent. Or, après Dieu et
la grâce de Dieu, je demande à qui nous sommes redevables de
ces saints établissemens. Est-ce à d'habiles politiques et à leurs
intrigues? Est-ce à des philosophes fiers de leur science et pleins
d'eux-mêmes? Là dessus je ne puis mieux répondre que par les
paroles du Fils de Dieu à son Père : Seigneur, Père tout- puissant ,
1 Koni., 8.
4lO NOUYELLE BIBLIOTHEQUE
je vous bénis et vous rends grâces, et d'avoir caché ces choses aux
sages selon la chair et aux savans ; mais de les avoir révélées aux
petits1', d'y avoir employé d'humbles instituteurs, un humble
François d'Assise, un humble François de Paule et d'autres.
Parce qu'ils étaient humbles , ils n'en ont été que plus propres à
entrer dans les grandes vues de la Providence sur eux, et que
mieux préparés à les seconder.
Je finis, car peut-être n'en ai-je déjà que trop dit: mais, quoiqu'il
en soit , apprenez à réformer vos idées touchant une des vertus
les plus essentielles du Christianisme , qui est l'humilité. Autant
qu'elle nous porte à nous mépriser nous-mêmes, autant devons-
nous l'estimer. Puissiez-vous en bien connaître le mérite, et plaise
au ciel qu'au milieu de tous vos honneurs, vous travailliez désor-
mais à l'acquérir. ( Le même , Pensées diverses. )
1 Luc, 10.
DES PRÉDICATEURS. 41*
DIVERS PASSAGES DE L'ÉCRITURE SUR L'HUMILITÉ.
Quid superbit terra et cinis?
Quel sujet de s'élever peut avoir celui qui n'est que terre et
poussière? Eccli., 10.
Humiliatio in medio tui.
Votre humiliation est au milieu de vous-même. (Mich.9 6.)
Ego sum vermis et non homo , opprobrium hominum et abject io
plebis.
Je suis un ver de terre et non un homme : je suis l'opprobre des
hommes et le rebut du peuple. (Ps., 21.)
Ubi est humilitas , ibi et sapientia.
Où est l'humilité, là se trouve la sagesse. (Prov.y 11.)
Gloriam prœcedit humilitas.
L'humilité précède la gloire, {Jbid., i5.)
Humilem spiritu suspiciet gloria.
La gloire sera le partage de l'humble d'esprit. (/£., '2g.)
Humiles spiritu salvabit.
Le Seigneur sauvera les humbles d'esprit. [Ps., 33.)
Quia humiliati surit, non disperdam eos.
Parce qu'ils se sont humiliés , je ne les perdrai point. (IL Pa-
ralip., 12.)
Quanto magnus es, humilia te in omnibus, et coram Deo inuenies
gratiam.
Plus vous êtes grand, plus vous devez vous humilier en toutes
choses, et vous trouverez grâce devant Dieu. {Eccli., 3.)
Superbum sequitur humilitas.
L'humiliation suivra le superbe. [Prou., 29.,
Est qui nequiter humiliât se.
Tel s'humilie par des mauvaises vues. {Eccli., 19.)
Discite a me quia mitis sum et humilis corde.
Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. [Math., 11.)
Omnis qui se exaltât humiliabitiu\ et qui se humiliât exalta bitur.
4l2 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
Quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera
élevé. {Luc. i/\.^
Humiliamini sub potenti manu Dei, ut vos exaltet in tempore
visitationis.
Humiliez-vous sous la main puissante de Dieu, afin qu'il vous
élève quand le temps sera venu. (Pet., 5.)
DES PRÉDICATEURS. /\l\
PLAN ET OBJET DU PREMIER DISCOURS
SUR L'HUMILITÉ CHRÉTIEIVIVE.
EXORDE.
Hoc sentite in vobis quod et in Christo Jesu , qui cum in forma Dei esset , semetip-
sum exinanivit.
Ayez dans vous les sentimens de Jésus-Christ, qui, élant Dieu, s'est anéanti lui-
même. (S. Paul aux Philip. , ch. 11.)
Tandis que l'Eglise s'applique, durant les saints jours, à nous
remettre sous les yeux l'exemple de la plus parfaite humilité dans
la personne du Fils de Dieu, anéanti , dit saint Paul , jusqu'à pren-
dre la forme d'un esclave, humilié jusqu'à endurer, pour notre
salut, le supplice infâme de la croix, pouvons-nous, Chrétiens
auditeurs, insister trop fortement sur la pratique d'une vertu, sans
laquelle, à proprement parler, il n'y a point de Christianisme? Déjà
nous vous avons parlé de la gloire de lhumilité chrétienne; et
c'était la grande conséquence que le grand Apôtre tirait des pa-
roles que nous venons de vous faire entendre. Jésus Christ, dit-il,
s'est humilié, il s'est anéanti, exinanivit semetipsum , et c'est pour
cela que Dieu, son Père, l'a exalté en gloire, et qu'il lui a donné
un nom au dessus de tous les noms. Nous allons vous entretenir de
sa nécessité. Avant de la proposer d'après les leçons de i'Evangile,
j'avais à détruire les préjugés que le monde lui oppose. J'aurais donc
à me reprocher de n'avoir point prêché assez chrétiennement une
des plus importantes vertus du Christianisme, si , après vous avoir
parlé dans un premier discours, selon les principes mêmes de la
raison , je ne vous faisais pas entendre une voix plus forte et plus
efficace, celle de la religion. Les hommes voudraient faire regar-
der l'humilité comme une vertu obscure; je vous en ai montré la
solide gloire aux yeux même du monde. J'ai, par là, combattu une
erreur. Il en est une seconde plus dangereuse encore : c'est celle
qui voudrait ne voir dans l'humilité qu'une vertu de perfection.
4l4 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Opinion non moins fausse que j'entreprends de détruire, e 1 vous
montrant que l'humilité est une vertu nécessaire à tous les Chré-
tiens. Ave, Maria.
On souscrit sans peine aux éloges que l'humilité mérite; il en
coûte davantage pour se convaincre de l'obligation étroite de les
mériter. A mesure qu'on se forme une plus haute idée de cette
vertu, on en renvoie la pratique à ce petit nombre d'ames choisies
qui marchent dans les voies sublimes de la perfection; et l'on croit
pouvoir, sans ce moyen, suivre celles du salut. Rien néanmoins,
mes chers auditeurs, de plus certain que la nécessité indispensa-
ble de l'humilité. Si vous envisagez la ioi chrétienne, l'humilité
en est expressément l'objet ; si vous faites attention aux vices que
cette loi pure condamne, 1 humilité seule peut en être le préser-
vatif; si vous examinez mûrement le caractère des vertus que cette
loi sainte prescrit, l'humilité en est la condition inséparable. Par
conséquent nécessité de précepte, nécessité de précaution , néces-
sité de mérite. Donnons quelque jour à ces trois réflexions, et
voyez si je suis fondé à soutenir que, sans l'humilité, il n'y a
point de véritable Christianisme. (Le P. Lenfant , Nécessité de
l , humilité.
Nécessité de l'humilité, nécessité de précepte.
Oui, mes chers auditeurs, l'humilité est un des principaux ca-
ractères des Chrétiens. Vertu inconnue aux philosophes et aux
sages du paganisme; on les a quelquefois entendus déclamer contre
l'orgueil qui dictait leurs frivoles déclamations. Je n'en apporterai
pas pour preuve la vanité que respirait si sensiblement leur con-
duite, car il est possible de connaître et d'estimer une vertu , quoi-
que on n'ait pas le courage de la pratiquer. Mais je conclurai que
l'humilité, telle que nous l'enseigne le Christianisme, fut pour
eux totalement étrangère, de ce qu'ils n'ont jamais exposé ni les
vrais principes, ni les solides motifs, ni le parfait caractère. Quel-
ques uns faisaient consister la gloire à paraître la fuir. Ils n'étaient
pas humbles; ils étaient subtils. Ils changeaient l'objet de la va-
nité, ils n'attaquaient pas directement la vanité même. Quelques
autres paraissaient affecter la générosité qui supporte les humilia-
lions : ils n'étaient pas humbles; ils voulaient se montrer forts, et
triompher, dïsaient-ils, des inconstances de la fortune, par les dé-
dains d'une fière supériorité. Ceux-ci méprisaient la pompe et le
faste ; mais il se glorifiaient de la pompe même et du faste de leurs
DUS PRÉDICATEURS. /\lï>
mépris : ils n'étaient pas humbles; ils étaient ou secrètement ja-
loux , ou naturellement ennemis de l'étalage de la vanité. Ceux-là
se paraient des dehors imposans d'une remarquable simplicité,
mais pour censurer hautement ceux dont ils se séparaient par hu-
meur ; ils n'étaient pas humbles, ils achetaient le droit de satiriser
le genre humain par la bizarrerie de leur singularité.
C'est uniquement à l'école de Jésus -Christ que les hommes re-
çoivent les leçons de cette humilité réfléchie qui leur apprend à se
bien connaître; de cette humilité vraie qui, avant que de former
le langage, réforme les sentimens; de cette humilité intérieure qui
fixe son séjour et son règne dans le cœur qu'elle sanctifie; de cette
humilité éclairée qui découvre le prix réel des abaissemens, de
cette humilité résignée qui consent au moins à les souffrir, si elle
n'est point encore assez ardente pour les aimer; en un mot, de
cette humilité surnaturelle dans ses causes et universelle dans ses
effets, qui a Dieu pour principe, et dans laquelle Dieu n'aperçoit
point de déguisement.
Or, c'est cette humilité, mes chers auditeurs, que je dis être
l'objet du précepte. Non, sans doute, ce n'est pas un simple con-
seil que donne Jésus-Christ à ses disciples , quand il leur dit :
Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur : Discite a
me quia înitis sum et humilis corde \. La preuve est sensible : puis-
que, voulant réprimer parmi eux quelques mouvemens d'une am-
bition déréglée, il en vient jusqu'à leur proposer, pour modèle,
l'humilité d'un enfant, leur déclarant, en termes exprès, que, ne
pas s'en rapprocher, c'est se fermer le royaume des cieux : Nisi
efâciamini sicut parvuli, non intrabitis in regnum cœlorum^. (Le
MÊME.)
Jésus-Christ a commencé sa vie par l'humilité.
Voyons combien Dieu aime l'humilité. O divin acte d'obéissan-
ce, par lequel Jésus-Christ commence sa vie! Nouveau sacrifice
d'un Dieu soumis , en quel temple serez-vous offert au Père éter-
nel? Où est-ce qu'on verra la première fois cet auguste, cet admi-
rable spectacle d'un Dieu humilié et obéissant? Ah! ce sera dans
les entrailles de la Sainte Vierge : ce sera le temple, ce sera l'autel
où Jésus consacrera à son Père les premiers vœux de l'obéissance.
Et d'où vient, ô divin Sauveur! que vous choisissez cette vierge
1 Matth., v, 29.— 2 Ibid., xvm.
4l6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
pour être le temple sacré, où vous rendez à votre Père céleste vos
premières adorations avec une humilité si profonde ? C'est l'amour
de l'humilité qui l'y oblige; c'est à cause que ce divin temple est
bâti sur l'humilité, sanctifié par l'humilité. Le Verbe abaissé et
humilié a voulu que l'humilité préparât son temple; et il n'y a
point pour lui de demeure au monde, sinon celle que l'humilité
aura consacrée. Le voulez-vous voir par l'Ecriture ? renouvelez ,
Chrétiens, vos attentions pour y voir que l'humilité de Marie a mis
la dernière disposition que le Fils de Dieu attendait, pour établir
sa demeure en ce nouveau temple. Je remarque dans l'Evangile
de ce jour que, dans cet admirable entretien de la Sainte Vierge
avec l'Ange, elle ne lui parle que deux fois ; mais, ô admirables
paroles! Dieu a voulu qu'en ces deux réponses nous vissions pa-
raître dans un grand éclat deux vertus d'une beauté souveraine,
et capables de charmer le cœur de Dieu même : l'une est la pu-
reté virginale; l'autre, une humilité très profonde.
L'ange Gabriel annonce à Marie qu'elle concevra le Fils du
Très-Haut, le roi et le libérateur d'Israël. Qui pourrait s'imaginer,
Chrétiens, qu'une femme pût être troublée d'une si heureuse nou-
velle? Quelle espérance plus glorieuse lui peut-on donner? Quelle
promesse plus magnifique, mais quelle assurance plus grande,
puisque c'est un Ange qui lui parle de la part de Dieu ! et néan-
moins Marie est troublée, elle craint, elle hésite, peu s'en faut
qu'elle ne réponde que la chose ne se peut faire : « Comment cela se
« pourrait-il faire, puisque j'ai résolu de demeurer vierge !? "Voyez,
mes frères, qu'elle s'inquiète pour sa pureté virginale : Si je con-
çois le Fils du Très-Haut, ce me sera, à la vérité, une grande gloire;
mais, ô sainte virginité! que deviendrez vous? je ne puis consentir
à vous perdre. O pureté admirable, qui n'est pas seulement à l'é-
preuve de toutes les promesses des hommes, mais encore, et voici
bien plus , de toutes les promesses de Dieu ! Qu'attendez-vous , ô
Verbe divin, ehaste amateur des âmes pudiques? Qui est-ce qui
vous fera venir sur la terre, si cette pureté ne vous y attire ? At-
tendez, attendez, son heure n'est pas encore arrivée , et son tem-
ple n'a pas reçu sa dernière disposition.
En effet, l'Ange répond à Marie : « Le Saint-Esprit surviendra
« en vous 2. » Il surviendra, dit-il; il n'était donc pas encore venu.
Telle est la première parole de la Sainte Vierge, qui a été pronon-
cée par la pureté ; écoutez maintenant la seconde : * Voici la ser-
1 Luc, i, 34. — 2 Luc, i, 35.
DES PRÉDICATEURS. 4*7
« vante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. * » Vous
voyez assez de vous-même , sans qu'il soit nécessaire que je vous
le dise, que c'est l'humilité qui parle en ce lieu; voilà le langage
de l'obéissance. Marie ne s'élève pas par sa nouvelle dignité de
mère de Dieu ; et sans se laisser emporter aux transports d'une
joie si juste , elle déclare seulement sa soumission , et aussitôt les
cieux sont ouverts, tous les torrens de grâces tombent sur Marie,
l'inondation du Saint-Esprit la pénètre toute , le Verbe se fait un
corps de son sang très pur ; « le Père la couvre de sa vertu 2 » ; et
ce Fils qu'il engendre toujours dans son sein , parce qu'il est si
grand, si immense, si je puis parler de la sorte, qu'il n'y a que l'in-
finité du sein paternel qui soit capable de le contenir, il l'engen-
dre dans le sein de la sainte Vierge. Gomment s'est pu faire un si
grand miracle ? C'est que l'humilité l'a rendue capable de contenir
l'immensité même : c'est à cause de l'humilité, ô Vierge! que vous
recevez en vous la première, « celui qui est destiné pour tout le
« monde, qui a été promis et attendu tant de siècles 3 ». Vous de-
venez le temple d'un Dieu incarné , et l'humilité qui vous a rem-
plie lui rend cette demeure si agréable que par une grâce parti-
culière il veut que « vous possédiez toute seule , durant l'espace
«. de neuf mois entiers, l'espérance de la terre, la gloire des siècles,
« le bien commun de tout l'univers * » : tant il est vrai que l'hu-
milité est la source de toutes les grâces, et qu'elle seule peut atti-
rer Jésus-Christ en nous.
Ah ! je ne m'étonne pas , Chrétiens, si Dieu paraît si fort éloigné
des hommes, ni s'il retire de nous ses miséricordes : c'est que l'humi-
lité est bannie du monde. Un homme humble, je l'ai déjà dit, mais
il faut le redire encore, un homme retenu et modeste, est une chose
|inouïe. Eh bien, néant superbe! que faut-il pour te rabaisser, si un
Dieu anéanti n'y suffit pas ? il n'y a rien au dessus de lui , et il se
(donne un maître en se faisant homme: et toi , resserré de toutes
oarts dans les chaînes de ta dépendance, tu ne peux prendre un
lîsprit soumis. Mais peut-être que vous me direz : Je suis si sou-
ple, je suis si soumis , je fais ma cour si adroitement, et je sais si
)ien m'abaisser ! Ah ! ne croyez pas m imposer par cette apparence
nodeste. Est-ce que je ne vois pas clairement que tu ne te sou-
nets que par un principe d'orgueil ? Est-ce que je ne lis pas dans
on cœur que tu ne t'abaisses sous ceux que l'on nomme les tout-
imissans, tant la vanité est aveugle, qu'afin de dominer sur les au-
jl * Luc, i, 38. — 2 Ibid., 35, — 5 Eusèb., Hom. n. — 4 Ibid.
T, III, »7
/tg NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
très ? H faut que l'orgueil soit enraciné bien profondément dans
vos âmes , puisque même vous ne pouvez vous humilier que par
un sentiment d'arrogance; mais cette arrogance que vous nous
cachez, parce qu'elle nuirait à votre fortune , s'il vient à luire sur
vous un petit rayon de faveur, paraîtra bientôt dans toute sa
force.
O cœur plus léger que la paille! cette prospérité inopinée t'em-
porte jusqu'à ne pouvoir plus te reconnaître. Et comment as-tu si
fort oublié et la boue dont tu sors peut-être, et toutes les faibles-
ses qui t'environnent! Rentre, 6 superbe! dans ton néant; et ap-
prends de la sainte Yierge à ne pas te laisser éblouir par l'éclat et
par la douceur d'une grandeur nouvelle et imprévue. Cette haute
dignité de Mère de Dieu ne fait que l'abaisser davantage, mais cet
abaissement fait sa gloire; Dieu, ravi d'une humilité si profonde,
vient lui-même s'humilier dans ses entrailles. (Bossuet, Pour la
fête de l Annonciation)
Le royaume de Jésus-Christ a pour fondement l'humilité.
« Il s'éleva une dispute entre les disciples de Jésus, lequel d'eux
« tous paraissait être le plus grand J. » Cette dispute, assez fié
daient les uns aux autres : « Lequel d'entre eux trahirait leur maî-
tre 2. » Rien ne Peut éteindre l'ambition dans les hommes
L'exemple de la douceur et de l'humilité de Jésus Christ devai
faire mourir ce sentiment; et cependant ses disciples, gens gros
siers qu'il avait tirés de la pêche et de la nacelle, s'y laissent em
porter. C'est ce qu'on voit souvent dans l'histoire de l'Evangile; e
Jésus les avait réprimés par les paroles les plus fortes , « surtou
lorsque les deux ftls de Zébédée lui demandèrent les première
places de son royaume 3. » Cependant la même dispute renaîi
et dans le plus grand contre- temps qui fut jamais. Ils venaient d
voir le lavement des pieds; et Jésus, qui leur ordonnait de suivr
cet exemple, pour les y exciter davantage, les avait fait souveni
que lui qui le leur donnait était leur Seigneur et leur maître. Com
bien plus se devaient-ils abaisser, eux qui n'étaient que les sei
vHeurs !
ipo.
ni
■1er
* Luc, xxu, 24. — 2 Luc, xxii, 23. — 3 Matih., xx, 23 ; Marc., x, 42.
DES PREDICATEURS, 4J<i
Ils l'allaient perdre ; déjà il ne leur parlait que de sa mort pro-
chaine, de la trahison qui se tramait contre lui , et de toutes les
suites funestes de ce complot. Quoiqu'ils ne dussent être occupés
que d'un si triste et si étrange événement, leur ambition les em-
porte; et, encore assis à la table où Jésus leur avait donné la com-
munion, mystère d'abaissement, où le caractère de l'humilité de
Jésus jusqu'à la mort de la croix était imprimé, l'action de grâces
étant à peine achevée, ils se disputent entre eux la première place.
Connaissons le génie de l'ambition , qui ne nous quitte jamais au
milieu des événemens les plus tristes et parmi les pensées et les
exemples qui nous devraient le plus porter à des sentimens con-
traires.
Jésus-Christ leur dit sur ce sujet ce qu'il leur avait déjà dit
dans les occasions que nous venons démarquer; et il le répète
dans un temps dont toutes les circonstances le doivent encore
plus imprimer dans les esprits , puisque c'était celui de sa 'mort
prochaine et de son dernier adieu.
Mais il faut encore regarder plus loin : il venait établir un nou-
vel empire, qui aurait son gouvernement et, pour ainsi parler, ses
magistrats ; et il se sert de cette occasion pour montrer quel de-
I vait être le génie de ce nouveau gouvernement.
Ce qu'il a dessein d'établir, c'est la différence des empires et
des gouvernemens du monde d'avec celui qu'il venait former dans
ceux-là ; c'est le faste : tout se fait avec hauteur et avec empire
souvent même avec arrogance, avec violence; mais, parmi vous, le
premier et le plus grand doit devenir le plus petit, et celui qui
gouverne doit être le serviteur de tous; de même que le Fils de
l'homme n'est pas venu se faire servir, mais servir lui-même, et
donner sa vie pour la rédemption de plusieurs: « car vous voyez
« que je suis parmi vous comme celui qui sert, puisque, même
« pendant que vous étiez assis à table, j'en suis sorti pour vous
« servir et pour vous laver les pieds x. »
Il ne dit donc pas qu'il n'y a point de conducteur, ni qu'il n'y
a point de premier parmi eux; mais il dit à ses conducteurs et à
elui même qu'il avait déjà désigné tant de fois pour être le pre-
nier, que leur administration est une servitude; qu'ils doivent,
i son exemple, être la victime de ceux qu'ils ont à conduire, et
m'ils doivent paraître les derniers de tous parleur humilité.
C'est ce qu'pnt pratiqué les Apôtres. « Paul se rend serviteur de
1 Mallh., xx, 2fi, 27, 28 ; Luc, xxu, 20, 27.
27.
^20 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
« tous, et se fait tout à tous, afin de les sauver tous1; » Pierre, qui
était le premier : « Je parle à vous, qui êtes prêtres, moi, qui suis
« prêtre comme vous, et qui suis de plus témoin des souffrances de
« Jésus-Christ, et devant participera sa gloire: paissez le troupeau
« de Dieu qui vous est commis , veillant sur sa conduite , non par
« nécessité et par contrainte, ni par intérêt, mais par une affec-
« tion sincère et volontaire; non en dominant sur l'héritage du
« Seigneur, mais en vous rendant le modèle de tout le troupeau :
« et lorsque le prince des pasteurs paraîtra , vous recevrez une cou-
« ronne de gloire qui ne se flétrira jamais 2. »
Voyez comme il se souvient des paroles de Jésus-Christ. Le maî-
tre dit : «■ Les rois des nations les dominent , mais il n'en est pas
« ainsi parmi vous 1 ; » et le disciple ne dominant point sur l'héri-
tage du Seigneur, il faut donc ôter du milieu de nous l'esprit de
domination , l'esprit de fierté et de hauteur , l'esprit d'orgueil, l'es-
prit d'intérêt; mais songer à gagner les cœurs par l'humilité, par
l'amour, et en donnant bon exemple.
Le maître dit : « Ceux qui exercent la domination et la puissance
« sur eux sont appelés bienfaiteurs 2. » C'était un titre qu'on avait
donné à de grands rois , qu'on appelait Evergetes , bienfaiteurs, et
on le donnait ordinairement aux grandes puissances de la terre :
elles aimaient à être honorées de titres qui. marquaient bonté, li-
béralité, magnificence. Les plus grands titres des grands rois sont
ceux qui sont tirés de la douceur: témoin ce titre de très clément,
qu'on donnait aux empereurs ; et celui de sérénissime , dont on
honore encore les rois et les princes. Mais vous , dit le Sauveur,
ne soyez point bienfaiteurs en cette sorte, pour vous faire hon-
neur de ce titre ; mais en vous rendant en effet serviteurs de ceux
que vous aurez à conduire.
Le maître dit: « J'ai été parmi vous comme serviteur, et je suis
« venu pour donner ma vie en rédemption pour plusieurs 5 ; » et
saint Paul a dit aussi, comme on a vu, non seulement :«Je me suis
« rendu serviteur de tous; » mais encore: « S'il faut que je soisim-
« mole , et tout mon sang répandu en effusion sur le sacrifice de
« votre foi , je m'en réjouis 6 ; »et encore : « Je vais être immolé , et
«l'effusion commence déjà 7.»
Ce n'est pas qu'il ne doive y avoir dans les pasteurs de l'Eglise
une autorité; et s'ils ne doivent pas agir d'une certaine façon avec
» I Cor., tx, 19, 22. — 2 I Pctr., v, i, 2, 3, 4. — s Luc, xxh, 25, 26. — * Ibid.,
S j Matth., xx, 28. — « Philip., n, 17. Ù-* c II tint», iv, 6. — 7 Tit., h, 14.
DES PRÉDICATEURS. 421
empire, saint Paul n'aurait pas écrit à Tite :« Parlez avec tout em-
« pire , que personne ne vous méprise 1 ; et il n'aurait pas menacé
« lui-même de venir avec la verge , et de châtier toute désobéis-
sance 2. » Mais c'est, dit saint Augustin, que ce n'est pas nous,
mais Dieu et sa vérité que nous voulons faire craindre dans notre
parole.
Voilà donc comme à cette fois et après l'exemple de la monde
Jésus-Christ ses Apôtres sont changés; ils ne songent plus à exer-
cer un empire hautain, ils gagnent tout par l'humilité et la doi>
ceur; ils n'envient plus à Pierre la prééminence ; il prend partout
la parole, et personne ne la lui conteste 3. Voyez, dit saint Chrysos-
tôme 4, comme il se met partout à la tête, et comme il agit dans
cette société, commeen étant le chef. Personnene s'y oppose plus,
et ce désir de préséance dont ils ont été autrefois si animés a en-
tièrement cessé. Pierre agit partout comme le premier, se laisse
reprendre^par Paul s: sur quoi les Pères remarquent : il ne dit pas :
Je suis le premier , et je dois être révéré et obéi par ceux qui sont
après moi; mais il se laisse contredire jusqu'à lui résister en face,
et il loue les lettres de saint Paul6, où il est expressément porté, «
«qu'il ne marchait pas droit selon la vérité de l'Evangile 7, » jus-
qu'à les mettre au rang des Ecritures inspirées de Dieu.
Changeons donc aussi avec les Apôtres. Si la mort de Jésus-Christ
a éteint en eux ces sentimens d'une ambition toujours renaissante,
faisons-les aussi mourir en nous; et, puisque les chefs du troupeau
sont si humbles, songeons à l'humilité qui convient aux simples
brebis. (Bossuet, Méditations.)
La religion a établi son règne par l'humilité.
Eh! comment ne pas reconnaître le précepte de l'humilité, si
l'on approfondit avec quelque soin la religion ? Ses lois, ses ensei-
gnemens, ses maximes, son caractère, tout concourt à nous prê-
cher cette vertu. C'est par l'humilité que la religion a établi son rè-
gne; c'est du sein de l'humilité qu'elle a vu éclater ses triomphes;
c'est dans l'humilité qu'elle place sa gloire; c'est avec l'humilité
qu'elle a remporté tant de victoires sur le monde ; c'est en y intro*
duisantUhumilité qu'elle l'a converti. Je dirai plus encore ; car je
vois l'humilité, dont la religion nous fait un devoir clans la morale,
1 ICor., iv, 11. — 2II Tim., iv, 6. — 3 Act. i, 13, 15; h, 14; m, 12; iv , 8; v,
29; x, 5; xi , 4, 17; xv , 7, etc. — 4 In Act. Apost., Hom- m, et alibi. —
u Gai., h, 11, 14. — e n pet., m, 15, 16. — 7 Gai., h, 11, 14.
^•2 2 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
teîîemettt liée avec les mystères qu'elle nous propose que, quand
même il n'y aurait pas une loi positive et déterminée qui l'ordonne,
ce précepte dériverait naturellement des divers points que la foi
nous révèle. Ecoutons-la, mes cbers auditeurs, pendant quelques
momens; et nous apercevrons toujours l'humilité comme le point
fixe et invariable où vont aboutir toutes les conséquences des vé-
rités que nous découvre la révélation.
Elle en jette les premiers fondemens en nous racontant la sim-
ple histoire de notre origine. Un vil limon, telle est la substance de
ce corps sorti de la terre, et qui doit bientôt y rentrer; destiné, il
est vrai , à servir de demeure à une ame immortelle que créa la puis-
sance de Dieu, et qu'elle y unit. La condition de l'homme qui re-
traçait en lui l'image de Dieu était brillante ; mais avili par le péché
qui l'a rendu coupable , dépouillé de la justice originelle, assujéti
aux misères de 1 humanité, condamné à la mort, et privé du droit
d'entrer dans le Ciel, son héritage et sa patrie, il n'a peuplé l'uni-
vers que d'enfans de colère, qui naissent dans la disgrâce du Créa-
teur; et voilànotre apanage. Si nous échappons à ses suites funes-
tes, c'est par un bienfait que nous ne pouvons pas mériter par
nous-mêmes. L'homme avait creusé l'abîme, et Dieu seul pouvait
l'en retirer. Il l'a fait, mes chers auditeurs; mais, quoique soutenus
do sa force , quelle faiblesse nous reste! quel penchant au mal!
quel désordre d'inclination! De nous-mêmes, c'est-à-dire de nous
seuls, nous ne pouvons rien faire de méritoire pour le salut. C'est
principalement aux secours de la grâce que nous en devons les œu-
vres et la volonté. Cette grâce, par son nom même, annonce qu'elle
ne nous est pas due. Ellenaîtdela bonté de Dieu, elle suit de ses pro-
messes, elle est le fruit des mérites de son divin Fils. Souvent no-
tre infidélité la néglige, notre liberté lui résiste, notre aveugle-
mentla méconnaît, et notre obstination en abuse. Si notre docilité
lui cède, notre persévérance est incertaine. Nous ignorons et l'état
où Dieu nous voit dans cette vie, et celui dans lequel la mort vien-
dra nous fixer.
Eh ! nous oserions croire qu'il nous soit permis de n'être pas
humbles au milieu de ces assemblages d'humiliations! Des péchés
personnels que la conscience reproche avec certitude, et dont la
rémission ne nous est pas clairement connue, laisseraient à notre
orgueil toute sa sécurité! L'idée d'un maître suprême, dont un
seul regard sonde les cœurs , ne nous rappellerait pas à l'humble
discussion de ce qu'il aperçoit dans le notre! L'attente d'un juge-
ment décisif qui peut à chaque instant s'exercer n'alarmerait pas
DF.S P INDICATEURS. 42^
notre indépendance! La perspective d'une formidable éternité qui
s'avance n'exciterait pas dans nous une salutaire terreur! Eh! il
faut nécessairement ou effacer de sa mémoire de tels objets, ou
voir l'humilité marcher à sa suite. Je ne connais pas le secret de
concilier la témérité de l'orgueil avec la vivacité de la foi. A me-
sure que la lumière de celle-ci m'éclaire, elle m'humilie profondé-
ment. Je vois que la misère et le péché sont mon apanage. Com-
ment donc, et par quel excès révoltant me pardonnerais-je d'y
joindre l'orgueil ?
S il est capable de rougir, offrons-lui ce que la religion a de
plus propre à le confondre. Dites-moi, Chrétiens, vous qui re-
gardez l'humilité plutôt comme un mérite de perfection que
comme une vertu de devoir, et qui la laissez en partage à une
piété éminente, comme si elle n'entrait pas dans les obligations
étroites du Christianisme, reconnaissez:vous Jésus-Christ pour
votre législateur , votre sauveur et votre modèle ? Ma demande
vous étonne, je le crois; mais, à plus juste titre, votre conduite me
surprend.
Si vous professez la religion d'un Dieu fait homme, humilié et
anéanti, ses paroles sont donc votre oracle,* ses exemples sont
donc votre règle* vous savez donc, selon le témoignage de l'A-
pôtre, que c'est sur la conformité avec le Fils de Dieu qu'est
fondée l'économie de votre salut. En un mot, puisque vous êtes
Chrétiens, vous adorez donc Jésus-Christ sur la croix. La vue seule
de ce trône sanglant, sur lequel l'humilité le plaça ne suffit pas
pour en graver la loi dans vos cœurs ! Vous reconnaissez votre
maître livré pour vous aux excès de l'ignominie; et vous ne
voulez être ses Disciples que dans l'éclat de sa gloire! Vous le
voyez rassasié d'opprobres, votre avidité des honneurs est insa-
tiable! Vous venez devant lui courber vos têtes, et vous donnez
libre carrière à l'enflure de vos sentimens! Vous lui dites: Seigneur,
sauvez-moi * et vous ne l'entendez pas quand il vous répond :
Humiliez-vous !
Car, que vous dit autre chose, et comment peut vous l'exprimer
avec plus de force, cette croix que la sagesse de Dieu a opposée à
l'orgueil du monde? Pensez-vous qu'elle ne demande de votre part
que la stérilité d'un hommage de quelques momens ? que c'en
soit assez de laisser à la porte du temple le superbe étalage de vos
vanités , pour avoir droit de reprendre bientôt après les airs impé-
rieux de votre fierté? qu'il vous soit permis de vous partager
ainsi entre les démonstrations d'une humilité qui coûte peu,
424 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
parce que l'exemple universel l'autorise, et les impressions habi-
tuelles d'un orgueil dominant que l'on ne vous voit jamais répri-
mer ? et qu'après avoir paru vous abaisser devant Dieu , par quel-
ques actes d'une adoration au moins équivoque , si elle n'est pas
souvent hypocrite , vous puissiez vous en dédommager sur les
hommes, en les accablant de vos dédains? Si vous respectez cette
croix, retenez donc ses leçons. Devant elle vous prosternez vos
corps ; ce n'est pas tout : il faut apprendre d'elle à régler votre
conduite. Il ne suffit pas de demander au Sauveur une place dans
son royaume; il faut consentir à l'acheter, en partageant son ca-
lice *. La gloire que Dieu lui a donnée, nous dit saint Paul, est
le fruit de ses anéantissemens 2. Il est donc juste, il est évidem-
ment nécessaire que l'humilité vous ouvre la route qui doit vous
faire parvenir à la posséder. Non , ne vous y trompez pas, si vous
n'êtes pas les disciples d'un Dieu humble, jamais vous ne régnerez
avec un Dieu triomphant. (Le P. Lbnfant.)
Nécessité de l'humilité, nécessité de précaution contre les vices.
Rien ne me serait plus facile que d'accumuler ici des autorités
aussi respectables par leur poids que frappantes par leur nombre.
Que j'ouvre les livres saints, que je consulte les Pères, que j'in-
terroge les Sages, tout vient à mon appui. Les hommes mêmes
qui n'ont pas su acquérir les mérites de l'humilité ont reconnu
hautement les déplorables suites de l'orgueil. La raison , le senti-
ment, l'expérience, tout s'élève de concert contre ce vice. Le di-
rai-je ? l'orgueil s'arme contre l'orgueil ; il se déteste lorsqu'il
s'aperçoit. Celui sur lequel il a secrètement établi son règne, le
voit avec indignation dans celui qui en laisse paraître l'empire; et
la vanité ne souffre jamais davantage que quand il lui faut sup-
porter celle d'autrui. Il faut à l'humilité elle-même toute sa force,
pour résister à ce que l'orgueil laisse apercevoir d'odieux. Mais,
pour en marquer mieux les funestes déréglemens, tirons une
preuve sensible et palpable de la conduite des hommes. J'ose
avancer que ce qu'elle présente de condamnable a presque tou-
jours pour mobile et pour premier ressort l'activité de l'orgueil.
Venons au détail.
Dieu nous révèle une partie de ce qui était renfermé dans les
trésors de sa sagesse. L'autorité de la foi commande à nos esprits,
1 Matlh., xx, 2-2. — 2 Ilebr., n, 9.
DES PRÉDICATEURS. /\1$
et leur docilité est l'hommage du à la vérité de la parole divine.
Mais parce que cette parole humilie cet esprit que le joug de la
foi doit captiver, aussitôt il proteste contre ses oracles; il refuse
de souscrire à ses décisions. L'orgueil de l'impie ne dit pas avec
l'Ange rehelle : Je m'élèverai jusque dans les cieux;à côté du
trône même de Dieu , je placerai le mien : In cœlum conscendam ,
super astra Dei exaltabo solium meum *é Mais, par une audace
aussi insensée : Je ferai, se dit-il à lui-même, je ferai descendre
jusqu'à moi le trône de Dieu ; je citerai ses ministres au tribunal
de mon intelligence; j'entrerai dans la profondeur de ses secrets,
et je ne croirai point ce qu'il ne m'est pas possible d'expliquer.
Dieu ne peutm'expliquer ce que je ne puis comprendre.
Ainsi pensent et parlent fièrement un nombre d'hommes qui
n'accordent pas même à l'incompréhensible sagesse de Dieu de
pouvoir s'étendre au delà des bornes de la raison. Cette faible
raison , l'orgueil en fait leur divinité , et , par le plus absurde ren-
versement de l'ordre , ce n'est plus la raison qui doit à un Dieu
infini l'hommage de sa soumission ; mais c'est Dieu qui lui doit
un compte exact de sa conduite. De là, les résistances de l'impiété.
Qu'eût-il fallu pour en garantir ? ou que faudrait-il pour les
vaincre? Ah! donnez-nous à instruire un esprit humble, quelque
éclairé d'ailleurs qu'il puisse être; un esprit qui, connaissant la
nature du vrai, sache en démêler les preuves, mais qui, se con-
naissant lui-même, veuille sentir jusqu'à quel point il peut appro-
fondir la vérité , un esprit qui ne se persuade pas que la mesure
de ses forces est la mesure de la puissance divine; un esprit qui,
dans l'enceinte limitée de ses connaissances , ne prétende pas ren-
fermer la sublime immensité de Dieu ; et bientôt l'humilité fera
un Chrétien fidèle de celui qui fut un incrédule présomptueux.
Ce qu'on appelle force d'esprit n'est que la force de l'orgueil.
D'où partent les téméraires efforts de cette opiniâtreté soutenue,
qui, sous prétexte de conserver l'ancienne foi de nos Pères, la
propose, l'arrange, l'interprète, l'altère et la dénature selon ses
idées , plutôt que d'en recevoir les dogmes sacrés des mains de cette
Eglise sainte à laquelle seule Jésus-Christ en a confié l'invariable
dépôt ? Ce ne fut d'abord que la singularité hasardée d'un senti-
ment. Mais , parce que l'orgueil vint à sa défense, de cette opinion
nouvelle, il fit éclore un système entier; il arma l'obstination; il
révolta contre l'autorité ; il enflamma le faux zèle ; il forma les
1 Is. xiv, 13.
/{u6 NOUVEL! E BIBM0TIIÈQT7E
sectes: ii déchira le sein de l'Eglise. Hélas! combien elle recou-
virerait d'enfans soumis à sa voix, si ceux dont elle pleure les éVa-
remens daignaient entendre au moins la voix de l'humanité!
Mais , puisque je parle ici à des fidèles qui laissent à la religion
tous ses droits, faisons donc un pas de plus. Cette religion que
vous dites croire si bien, pourquoi la pratiquez-vous si mal? pour-
quoi ce dédain du culte extérieur qu'elle consacre, cet éloigne-
ment des sacremens auxquels elle invite, cette opposition auxver-
tus qu'elle prescrit? est-ce mépris, dégoût, lâcheté de votre part?
non ; ou plutôt c'est tout cela réuni par un orgueil secret qui le
produit. L'orgueil fait entendre aux grands que l'appareil de la
religion est pour le peuple. Pour ne pas se confondre avec celui-
ci, on abandonne entièrement celui-là; comme si la qualité de
Chrétiens ne suffisait pas pour ranger humblement toutes les con-
ditions sous les étendards du Christianisme. L'orgueil effrayé fré-
mit à l'idée des fautes dont la confession est nécessaire; il en dé-
tourne, comme si, à la honte réelle qui consiste seulement à les
commettre, il ne fallait pas substituer l'humble aveu qui les ex-
pie. L'orgueil, avide des suffrages du monde, redoute les raille-
ries que paraît attirer quelquefois l'accomplissement des devoirs;
alors, de peur d'édifier, on scandalise; comme s'il était plus im-
portant de plaire aux hommes que d'obéir humblement à Dieu.
L'orgueil même, en estimant la vertu , rougit de celles qui le con-
trarient, qui le gênent. En convenant qu'il s'est égaré , il souffri-
rait, si l'on pouvait remarquer son repentir. La prétendue honte
du retour le fait persister dans ses écarts. Il peut sentir la néces-
sité de faire le bien; mais toujours c'est l'humilité qui l'opère.
(Le Même.)
L'humilité , remède du vice inséparable de notre nature.
Admirez en vous la conduite de votre Père céleste : il sait que
vous êtes superbes ; c'est le vice inséparable de notre nature; con-
tre cette enflure de l'orgueil il fait un remède de votre infirmité;
apprenez à profiler de votre faiblesse. Vous en profiterez si elle
vous enseigne à être humbles, à vous défier de vous-mêmes, à
marcher toujours avec crainte; vous en profiterez si elle vous ap-
prend à dire avec Job : « Quand j'ai résisté à la tentation, mon
« cœur ne s'est point enflé par cette victoire, et je n'ai pas baisé
« ma main de ma propre bouche l. Qu'est-ce à dire, baiser sa main
1 Job., xxxi, 27.
DF.S PREDICATEURS. 427
àe sa bouche? c'est-à-dire attribuer le bon succès à sa propre
force, se remercier soi même de ses bonnes œuvres. Loin devons,
ô fidèles! cette pensée : si votre main était forte, vous pourriez
lui imputer votre victoire; vous pourriez la baiser sans crainte
et lui rendre grâce du bien que vous faites ; mais, la sentant faible
et impuissante, il faut élever plus haut votre vue, et dire avec le
divin Apôtre :« Rendons grâces à Dieu, qui nous a donné la victoire
«par notre Seigneur Jésus-Christ. » (Bossuet, Sermon pour le
jour de Pâques.)
Nécessite de l'humilité, nécessité de mérite pour acquérir des vertus.
Quand je dis que l'humilité est nécessaire au mérite des vertus,
je m'appuie et sur l'expérience qui nous représente toujours les
vertus les plus parfaites comme étant aussi les plus humbles, et
sur des principes certains qui démontrent que dès qu'on n'est pas
sincèrement humble on ne saurait être solidement vertueux.
Que l'humilité accompagne toujours les vraies vertus; c'est là,
mes chers auditeurs, une vérité dont la conviction est si forte et
si générale que le monde lui-même censure, dans les personnes
pieuses d'ailleurs, les plus légers écarts de la vanité, comme une
tache qui obscurcit et qui dément l'éclat de la piété ; censure , il est
vrai, souvent trop rigoureuse, si l'on ne fait attention qu'aux
motifs qui la déterminent et à la manière amère dont elle se pro-
duit; puisque enfin la piété qui combat les vices ne les déracine
pas tout à coup, et puisque souvent c'est plutôt pour humilier la
vertu que le monde en observe les légers défauts que pour corri-
ger en lui ces défauts mêmes; mais censure néanmoins équitable
et fondée, en ce qu'elle suppose que c'est toujours sous les traits de
l'humilité que la vertu doit paraître.
Et c'est ainsi, en effet, que la religion m'en retrace l'image. Je
vois la cendre jointe au cilice pour servir de symbole à la péni-
tence; c'est que l'humilité du cœur en accompagne le repentir. Je
vois à l'extrémité du Temple le Publicain qui n'ose pas lever les
yeux, tandis qu'il demande grâce; c'est que l'humilité sollicite le
pardon que la confiance espère. Je vois à la suite de Jésus-Christ
une femme qui, rebutée en apparence par ses mépris, lui avoue
qu'elle les mérite, et persiste avec succès à implorer sa puissance;
c'est que l'humilité soutient la prière et en fait l'efficacité. Je vois
dans les transports d'un saint amour Magdeleine prosternée de-
vant le Sauveur; c'est que la charité qui l'enflamme est dirigée par
4^8 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
l'humilité. Il faut vous convaincre par les plus frappans exemples :
je vois la plus parfaite des créatures, la plus sainte des vierges,
celle qu'un Dieu a choisie pour être sa mère, je la vois opposer à la
supériorité de la gloire qu'on lui annonce l'humble témoignage de
sa bassesse et de son néant: je le vois lui-même, ce Dieu incarné,
aux pieds de ses apôtres, et leur donnant l'exemple, dans sa per-
sonne, de l'humilité qu'ils doivent prêcher en son nom.
C'est sur [des traces si respectables et si sûres que s'est formé ce
nombre de héros chrétiens dont l'Eglise a consacré le souvenir
dans ses fastes, et qu'elle a placés sur ses autels. Toujours , au mi-
lieu des vertus qui en ont fait des saints , l'humilité s'est montrée
dans eux comme l'aliment de leur sainteté. Plus d'une fois la sain-
teté a mêlé la splendeur à celle du trône. De puissans monarques
ont fait servir leur gloire à celle de la religion. Alors, jusqu'au
sein même de leur grandeur, on a remarqué ces humbles senti-
mens qui, laissant à la sublimité du rang toute sa dignité, mani-
festent la perfection de l'âme. On a vu se réunir à l'autorité qui
commande l'humilité qui s'abaisse, la même main qui faisait res-
pecter le sceptre se faire admirer en servant les pauvres , et ceux
qui , par leur pouvoir, sont l'image de Dieu sur la terre , donner à
la terre le grand exemple du pouvoir qu'ont sur les hommes les
leçons d'un Dieu. Plus d'une fois l'éclat d'une sainteté éminente
s'est joint à celui de la science la plus profonde. Alors , jusque
dans le sein de l'érudition la plus étendue et de la capacité la plus
vaste, on a remarqué cette humble simplicité qui rapporte au
Père des lumières toutes celles qu'il répand ,• on l'a vu , dis-je, asso-
cier à la pénétration de la sagacité la docilité de la soumission , à
la force du raisonnement la vivacité de la foi, au mérite des plus
ingénieuses recherches la naïve ingénuité delà plus modeste can-
deur. Plus d'une fois l'héroïsme de la sainteté a brillé avec celui
de la bravoure et des exploits ; alors , j usqu'au milieu de la célébrité
et des triomphes , on a remarqué cette humble reconnaissance qui
rend grâce au Dieu des armées des honneurs de la victoire. On a
vu prosterné humblement dans les temples le même héros qui
avait paru si formidable dans les combats, déposer auprès de Dieu
qui en règle le sort les palmes qu'il y avait cueillies , adorer son
maître après avoir dompté ses ennemis , et couronner ses succès
par l'humilité qui en rend hommage au souverain arbitre des évé-
nemens. Plus d'une fois le crédit éclatant de la sainteté a
été signalé par des miracles. Alors , jusqu'au milieu des ac-
clamations d'un peuple étonné, on a remarqué cette humble
I
DES PREDICATEURS. 42o
timidité qui craint qu'on n'attribue à l'homme des merveilles dont
il n'est que l'instrument, et dont Dieu seul peut être l'auteur. On
a vu la grandeur d'un prodige relevé par le prodige aussi étonnant
peut-être de l'humilité qui en fait la gloire, qui se cache après
avoir montré la force du bras de Dieu , et qui se dérobe aux ap-
plaudissemens des hommes pour ne recevoir que de Dieu seul la
récompense de ses vertus.
Je ne dis rien, mes chers auditeurs, dont les annalesde la religion
ne mettent la preuve dans le plus grand jour; et lorsqu'elle nous
peint en traits sublimes les connaissances de ses Prophètes, le zèle
de ses Apôtres , le courage de ses Martyrs, elle a soin d'orner le
tableau de leurs vertus, en y ajoutant celui de leur humilité! C'est
à ce signe qu'elle les avoue, et c'est parla qu'elle les caractérise.
D'accord avec elle sur ce point , vous en jugez ainsi , mes chers au-
diteurs; selon vous-mêmes, c'est l'humilité qui distingue les hom-
mes solidement vertueux de ceux qui n'en ont que l'apparence.
Toute vertu qui n'est pas humble vous devient suspecte; d'où je
conclus que vous sentez la liaison de toutes les vertus avec l'humi-
lité. (Le P. Lenfant.)
La vraie sagesse est dans l'humilité.
Chrétiens, de même que, par le baptême, vous avez renoncé à
tous les faux biens de ce monde visible et sujet à la corruption
de même vous devez encore renoncer à la sagesse de la chair, si vous
voulez trouver la sagesse véritable. Vous aurez renoncé à la sa-
gesse de la chair, si vous avez soin de vous tenir dans l'humilité
et si vous vous persuadez intérieurement que vous êtes loin d'a-
voir atteint la perfection que vous recommande la loi de Jésus-
Christ sous laquelle vous vivez. Ces sentimens sont ce qui plaît le
mieux à Dieu dans le cœur de l'homme; comme, au contraire,
rien ne le révolte davantage que l'orgueil et la présomption, vices
qui sont la cause de tous nos maux , puisque c'est à cause d'eux
que nos premiers parens ont été exilés du paradis de délices. Con-
sidérez donc comment Jésus-Christ, le Fils de Dieu, s'est humilié
en revêtant, comme dit saint Paul, la forme d'un esclave; et s'il
vous semble parfois qu'il y a en vous quelque sagesse , à cause des
dons que Dieu y a répandus, dites-vous à vous-même: Cela ne
vient point de moi, je l'ai reçu d'une autre main que de la mienne;
et celui qui me l'a donné pourra de même m'en dépouiller, quand
il le jugera convenable. (S. Macaire le-Grand , Sur la Charité,)
^3o NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
Exhortation à l'humilité.
Mes frères, un Prophète nous dit, ou plutôt Dieu nous dit
par la bouche d'un Prophète : « Sur qui fixerai-je mes regards, si
« ce n'est sur l'homme doux , humble , et qui craint mes paroles1 ? »
Et le Seigneur lui-même dans son Evangile nous dit : Apprenez
de moi que je suis doux et humble de cœur. Ainsi donc celui qui
a acquis l'humilité est devenu la demeure de Dieu ; et il a acquis
en même temps la paix et la charité. Efforcez-vous donc de par-
venir à la possession de cette belle vertu ; car l'orgueil est odieux
aux yeux de Dieu, des anges et des saints. C'est à cause de lui que
les anges ont été précipités de leur gloire, et qu'ils sont devenus
des démons ; c'est à cause de lui qu'ils sont tombés du ciel dans
les abîmes des enfers. Mais quand un Dieu , conduit par son infinie
bonté pour les hommes, descendit du ciel sur la terre, il s'hu-
milia jusqu'à prendre un corps semblable au nôtre, et passa toute
sa vie, jusqu'à son dernier soupir, dans l'humilité et l'abaissement.
C'est pourquoi, mes frères, glorifions-nous avec le Prophète qui
disait : « Seigneur, regardez mon humilité et mes travaux, et par-
«donnez-moi mes péchés 2. » (S. Antoine, abbé, Sermon aux
moines , sect. V.)
Péroraison.
Tout se réunit donc pour vous persuader l'humilité : vertu
noble qui règle les cœurs, sans les abattre; les rangs, sans les
confondre; les honneurs, sans les détruire; le maintien, sans
l'avilir; le pouvoir, sans y déroger; vertu de laquelle naissent les
autres, la docilité à la parole de Dieu, la fidélité à ses lois, la ré-
signation à sa volonté; la douceur qui prévient vos frères, la cha-
rité qui les secourt; la patience qui les supporte; et, par rapport
à vous, la paix qui tranquillise, la modération qui se contente de
peu , la confiance qui met en Dieu sa force et son espoir. Il ne
trompera pas votre attente , âmes humbles ; vous soutiendra
dans ce monde par sa grâce; il vous couronnera dans l'autre de
son éternelle gloire que je vous souhaite. (Le P. Lenfant.)
1 Is., lxvi, 2. — 2 Ps. xxiv, 18.
DES PRÉDICATEURS. 43 %
PLAIV ET OBJET DU SECOND DISCOURS
SUR L'HUMILITÉ.
EXORDE.
■
Discite a me quia mitis sum et humilis corde.
Apprenez de moi que je suis doux el humble de cœur. (Mallh., xi, 29.)
Tous les trésors de science et de sagesse qui sont en Jésus-
Christ, dit saint Augustin, se réduisent-ils donc à nous apprendre
qu'il est doux et humble de cœur? l'humilité est-elle une vertu si
rare et si difficile, qu'il ait fallu que le Fils de Dieu vînt nous l'en-
seigner et la persuader par ses leçons et son exemple? Oui, mes
frères, tant le vice qui lui est contraire est enraciné dans le cœur
de l'homme! Les anciens philosophes avaient fait des éloges pom-
peux de plusieurs vertus qui brillèrent au milieu des ténèbres du
paganisme; jamais ils ne parlèrent de l'humilité : ils n'en connais-
saient pas même le nom. Telle est, dit encore saint Augustin, la
supériorité de cette vertu sur toutes les autres qu'elle resta par sa
trop grande élévation cachée aux yeux de ces faux sages, qui n'é-
taient, selon l'expression de saint Jérôme, que des animaux d'or-
gueil, enflés de leur prétendu mérite, cachant sous le fastueux
appareil de leurs discours un désir extrême de se faire admirer,
ne cherchant qu'à satisfaire leur vanité en cette vie, et qu'à éter-
niser leur gloire après leur mort.
L'orgueil est la plus dangereuse maladie de l'homme : passion
fatale, source de tous nos égaremens et de tous nos malheurs, nous
devons nous efforcer de la détruire au dedans de nous-mêmes,
pour élever sur ses ruines la sainte vertu de l'humilité, vertu toute
céleste, que la religion seule nous a fait connaître. Il faut qu'elle
soit bien agréable à Dieu, et bien essentielle dans l'ordre du salut,
puisque Jésus-Christ, qui est la sagesse et la sainteté infinie, l'a
choisie parmi toutes les vertus pour en être spécialement le maître
et le modèle : Disette a me quia mitis sum et humilis corde%
432 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Cependant, mes frères, l'esprit des ténèbres, qui est le chef et
le roi des superbes, a introduit et accrédité dans le inonde une
double erreur, par rapport à l'humilité, pour nous détourner d'une
vertu qu'il nous importe si fort d'acquérir. Les uns croient qu'elle
n'est pas d'une obligation rigoureuse , et la regardent comme
une vertu de simple conseil ; les autres l'accusent de rétrécir les
esprits et les cœurs , et la renvoient aux âmes basses et rampantes.
Détruisons ces deux erreurs : montrons l'humilité sous son
véritable aspect, qui me paraît bien propre à vous la faire aimer
et pratiquer. C'est une vertu indispensable, c'est une vertu hono-
rable. Nécessité de l'humilité chrétienne; grandeur de l'humilité
chrétienne; tel est le fond et le partage de ce discours. Implorons
les lumières de l'Esprit-Saint par l'intercession de cette auguste
Vierge, qui fut dans la plus haute élévation la plus humble de
toutes les créatures. Ave, Maria. (L'abbé Richard, Sur l humilité.)
Nécessité de l'humilité chrétienne.
Quoi de plus nécessaire au salut qu'une vertu sans laquelle on
ne saurait plaire à Dieu, sans laquelle on n'aura point les autres
vertus qui conduisent à Dieu ? Or, telle est l'humilité ; elle est donc
pour tout Chrétien d'une nécessité indispensable : et c'est le sen-
timent de saint Augustin , qui n'a pas craint de dire que toute la
religion du Chrétien est dans l'humilité : Tota Christiani religio
humilitas est.
On ne saurait plaire à Dieu sans l'humilité , puisque Dieu dé-
teste les superbes : combien de fois il nous le déclare dans les livres
saints ! L'orgueil est, de tous les vices, le plus abominable à ses
yeux. 11 n'a pu le souffrir dans ses anges; comment le supporte-
rait-il dans l'homme? Il exige que nous soyons humbles, et il ne
pouvait pas ne pas l'exiger : car il est le Dieu de vérité, et l'or-
gueil n'est que fausseté et mensonge; il est jaloux de sa gloire, et
l'orgueil veut la lui ravir : deux caractères de ce vice qui le lui
rendent infiniment odieux. Il faut que l'humilité attaque cet ad-
versaire du Très-Haut, et l'empêche d'établir son empire dans nos
cœurs : s'il y règne, c'en est assez pour que Dieu nous efface du
livre de ses élus.
Non, l'humilité n'est pas une pieuse imposture, qui cache à
l'homme des imperfections qu'il a, et lui montre des défauts qu'il
n'a pas. Elle n'est fondée que sur la vérité : car qu'est-ce que
l'homme, que vanité et misère universelle? dit l'Esprit -Saint,
DES PRÉDICATEURS. 4^3
vit peu, n'y ayant, pour ainsi dire, qu'un pas de sa nais-
sance à sa mort ; et il ne trouve au fond de son être qu'igno-
rance, faiblesse, corruption : triste héritage qu'il a reçu d'un père
coupable, et frappé, avec toute sa postérité, des malédictions du
ciel ; un corps assujéti à mille besoins, assailli de mille infirmités,
en proie à mille douleurs, jusqu'à ce qu'il rentre dans le sein de la
terre d'où il est sorti , pour y être la pâture des vers ; un esprit
environné d'épaisses ténèbres, rayon presque éteint, reste pitoyable
de celui que le Créateur avait mis dans le premier homme ; si
incertain et si borné dans ses connaissances , dépendant de la
matière à laquelle il est uni, s'affaiblissant avec ses organes, dupe
de ses préjugés, et le jouet des plus grossières erreurs ; un cœur
tyrannisé par les passions qui lui font une guerre continuelle, et
l'empêchent de goûter un moment de repos ; si déréglé, si dépravé,
qu'il faut presque en désavouer tous les sentimens , en réprimer
tous les désirs, en mortifier tous les goûts : voilà l'homme dans
l'état de dégradation où sa nature est tombée, en punition de la
désobéissance de son chef; et telle est sa dépendance de la main
invisible qui l'a créé et qui le conserve, que, si elle venait à lui
manquer, il cesserait d'agir et de vivre. De lui-même il ne peut
rien, il n'est rien : il s'imagine être quelque chose, dit l'Apôtre,
il se trompe ; il doit dire avec le Prophète : Tout ce que je suis, o
mon Dieu î est comme un néant devant vous : Substantia mea tan-
quam nihilum ante te. Eh! si toutes les nations sont devant Dieu
comme si elles n'étaient pas, qu'est-ce donc à ses yeux qu'un faible
mortel, relégué pour un instant dans un coin de la terre, et qui,
l'instant d'après, s'évanouit comme une ombre? (Le même.)
L'homme n'a rien en lui qui le porte à s'élever.
Mais tout est-il méprisable dans l'homme ? n'a-t-il pas de bon-
nes qualités qui balancent les mauvaises, qui les font disparaître
en les couvrant de leur éclat? ne possède-t-il pas des avantages
réels qui doiventlui inspirer une noble fierté et une secrète com-
plaisance en lui même ? non, Chrétiens. Parlez-vous de ces avan-
tages extérieurs qui sont l'effet du hasard , quelquefois l'ouvrage
de l'intrigue, ou le fruit de l'injustice, naissance, dignités, riches-
ses? Ces dons de la fortune ne fournissent à l'homme aucun sujet
de s'élever au dessus de ses semblables. C'est une bien sotte vanité
de mesurer ce que l'on est et ce que l'on vaut par des choses qui
ne sont pas nous, puisqu'elles sont hors de nous, ou qui ne nous
t. m. 28
^34 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
rendent ni plus grands ni meilleurs, qui peuvent même s'allier
avec les défauts les plus gro&siers et les plus révoltans.
Parlez-vous d'avantages intérieurs qui sont dans l'homme, es-
prit, talens, vertus PMais qui est-ce qui ne se fait pas illusion là-
dessus? Qui est-ce qui ne se flatte pas dans le jugement qu'il porte
de lui-même? Notre amour-propre nous séduit, nous trompe en
nous traçant un portrait brillant de 'notre mérite: l'illusion s'ac-
croît et se fortifie par des louanges peu sincères , par de fausses dé-
monstrations d'estime , sorte de monnaie qui a cours dans le mon-
de, et dontles hommes sont convenus de se payer réciproquement,
pour mettre du moins les apparences à la place de la réalité. Mais
je veux que vous ayez tout le mérite et toutes les perfections que
vous vous flattez d'avoir: fussiez-vous le mortel le plus accompli,
le plus magnifiquement pourvu des dons de la nature et de la grâ-
ce, vous n'en seriez pas moins obligé d'être humble. La vérité vous
dirait par la bouche du grand Apôtre: Qu'avez-vous que vous
n'ayez reçu? et, si vous l'avez reçu, pourquoi vous en glorifier,
comme si vous le teniez de vous-même? De vous-même, vous
n'êtes que néant et péché : toutes les faveurs que Dieu peut, répan-
dre sur vous ne changeraient pas le fond de votre être. Un vase
d'argile, fût-il rempli de' pierres pre'cieuses, en serait-il moins fait
de terreet de boue? Un hommequi ne vit que d'aumônes peut-il se
regarder riche de son fonds? Celui qui n'est que dépositaire d'un
bien a-t-illieu de s'applaudir de son opulence? Soyez donc humble
au milieu des avantages dont vous jouissez: ils ne viennent pas de
vous, d'autres en possèdent autant et plus que vous. Comparez- vous
à ceux que le ciel a plus favorisés que vous de ses dons , à ces illus-
tres personnages qui furent l'ornement de leur siècle; que vous
vous trouverez petit devant eux! que votre partage vous paraîtra
faible et borné , plus propre à vous inspirer des sentimens d'hu-
milité par ce qui lui manque que d'orgueil par ce qu'il vous of-
fre! De quelque côté que vous jetiez les yeux, vous ne découvrirez
que des sujets d'humiliation, et dans ce que vous êtes, et dans
ce que vous n'êtes pas. (Le Même.)
L'homme n'a rien de son propre fonds.
Pensez donc que vous n'avez rien en propre , rien de votre pro-
pre fonds. Vous êtes un homme à talens, on vante votre éloquen-
ce : dites-vous à vous-même que vous n'avez rien de plus que les
DES FilÉDlClTEURS. /j35
autres; dites-vous que plus vous avez reçu, plus vous devez être
humble et modeste , en raison de ce que Dieu vous aurait accordé
déplus qu'aux autres; car il vous sera demandé un compte plus ri-
goureux. Vos talens mêmes, sans l'humilité, n'en deviennent que
plus funestes à vous et aux autres. Vous en tirez vanité ? Est-ce, dites-
vous, quelque chose de si difficile d'instruire par des paroles ? ii
l'est beaucoup d'instruire par sa vie; c'est là lavéritable éloquence.
Vous prêchez doctement qu'il faut être humble; les paroles ne
s'impriment pas dans les aines comme les œuvres. Si votre vie
n'est pas bonne, bien loin de profitera ceux qui vous écoutent
vous leur nuirez davantage, parce que je suis en droit de vous ré-
pondre qu'apparemment ce que vous me proposez est inexécuta-
ble. Je me dis : Si cet homme qui parle si bien ne fait pas ce qu'il
dit, je suis bien plus pardonnable de n'en rien faire, moi qui ne
parle pas. De quel droit publies-tu mes sévères ordonnances ? vous
dira le Seigneur: ce que tu prêches en paroles, tu le combats par
tes œuvres! (Saint Chrysostôme, Homélie XXX, in acta.)
Alliance de l'humilité avec les autres vertus.
Que dirai-je de l'alliance étroite et indissoluble de l'humilité avec
les autres vertus chrétiennes? Nommez-en une à laquelle l'humi-
lité soit étrangère, et qui puisse subsister sans elle; la foi, qui
captive notre entendement sous le joug des mystères incompré-
hensibles de la religion ; la piété, qui nous approche de Dieu et
nous anéantit en sa présence; la pénitence, qui renferme l'aveu
de nos fautes, si pénible à la vanité et à l'amour-propre; la pa-
tience, qui souffre ses maux sans se plaindre; la charité, qui nous
rend sensibles à ceux de nos frères, nous fait pardonner une in-
jure et embrasser un ennemi. Parcourez tous les devoirs de
l'homme envers Dieu et envers ses semblables ; vous verrez que
l'humilité en est l'ame et le soutien , qu'elle entre dans toutes les
vertus , qu'elle y trouve toujours sa place et demande souvent la
première.
L'orgueil, au contraire, ou les empêche de naître, ou leur
donne la mort. C'est l'orgueil qui fait la plupart des incrédules et
des impies. Ces beaux esprits si vantés ne veulent pas s'abaisser
au niveau de la multitude , se confondre avec elle par leur croyance
et leur conduite : ils prétendent s'élever plus haut, ils courent
après la gloire humaine , et Dieu les frappe d'aveuglement , parce
28.
^36 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
qu'il ne se découvre qu'aux humbles. Comment pouvez-vous croire,
disait Jésus-Christ aux Pharisiens, vous qui aimez à recevoir de la
gloire les uns des autres? Quomodo potestis credere, qui gloriam
ab iiwicem quœritis? C'est l'orgueil encore plus que l'intérêt qui
divise les hommes, qui enfante les jalousies, les haines, les que-
relles, les vengeances. Il n'y a, dit le Sage, que des démêlés et
des dissensions parmi les orgueilleux; ils ne cherchent qu'à se sup-
planter , qu'à se déchirer et se détruire.
L'humilité est encore la sauve-garde des autres vertus et, pour
ainsi dire, le sel qui les conserve. Sans elle, elles se gâtent, elles
se corrompent et deviennent la proie de l'orgueil. Il ne faut qu'un
sentiment de vanité pour enlever au juste, parvenu au comble
de la perfection , le fruit de ses travaux et de ses combats. A-t-il
jeté sur eux et sur lui-même un œil de complaisance: à l'instant
dépouillé de tous ses mérites, il devient pauvre et misérable aux
yeux de Dieu : tout le souffle empoisonné de l'orgueil est funeste
à tout ce qui en ressent les atteintes! Sa malignité va plus loin : il
change le bien en mal et toutes les vertus en vices. Dès qu'il est le
principe secret de nos actions les plus louables, les plus saintes,
et qu'elles ont pour but, non d'obéir et de plaire à Dieu, mais de
nous attirer l'estime et les louanges des hommes, ce sont autant
de péchés; et, au lieu de récompenses qui semblaient nous être
dues, nous ne méritons que des châtimens. Ainsi donc point de
vertus sans l'humilité; sans elle, ou elles sont des crimes, comme
la plupart des vertus païennes , ou elles perdent tout leur prix, et
ne sont plus dignes des regards du Très-Haut. La pureté même de
Marie n'aurait pu lui être agréable, dit saint Bernard, si l'humilité
n'en avait soutenu et relevé l'éclat à ses yeux. (L'abbé Richard.)
Grandeur de l'humilité chrétienne.
Pour dissiper tous les préjugés de l'orgueil mondain sur la bas-
sesse prétendue de l'humilité chrétienne, et pour vous découvrir
la noblesse, la dignité, la grandeur de cette vertu, je vous mon-
trerai l'élévation de ses idées et de ses sentimens, la fermeté et
l'intrépidité de sa conduite. De là nous conclurons qu'elle est une
vertu aussi honorable qu'indispensable, et que c'est sur l'orgueil
lui-même que retombe l'injuste reproche de bassesse qu'il fait à
l'humilité. L'humilité est une vertu très éclairée, et qui règle ses
sentimens et ses affections sur ses lumières. Elle ne prend point
l'apparence pour la réalité, le faux pour le vrai; elle juge saine-
DES PRÉDICATEURS, 4^7
ment des choses ; elle n'estime que ce qui mérite d'être estimé , et
n'aime que ce qu'elle estime. Elle méprise la gloire du monde et
l'opinion des hommes , parce que l'une et l'autre est méprisable :
celle-là, puisqu'elle est vaine, frivole, fausse et renfermée dans
les bornes du temps; celle-ci, puisque, bonne ou mauvaise, elle
ne nous rend ni meilleurs ni pires, elle nous laisse tels que nous
sommes. Elle dit, avec le grand Apôtre : Peu m'importe que les
hommes me jugent ; il est un Juge souverain de tous les hommes,
à qui seul je désire de plaire, le seul que je cherche à me rendre
favorable. Elle sait aussi bien que l'orgueil , qu'il y a ici-bas des
dignités, des honneurs, des applaudissemens, des renommées:
mais elle regarde d'un œil d'indifférence et de mépris tout ce vain
amas d'illusions , et le foule aux pieds pour prendre son essor et
s'élever jusqu'au Créateur. Rien n'est si grand, si saintement fier
et ambitieux que l'humilité. Elle dédaigne tout ce qui n'est pas
Dieu ou ne conduit pas à Dieu : hors de Dieu , tout est trop petit
pour elle, indigne d'elle. Elle a un sentiment profond de la gran-
deur suprême, qui la dégoûte de toute grandeur subalterne et pé-
rissable. Elle est éclairée d'un rayon céleste qui éclipse, efface
tout à ses yeux; qui ne lui laisse apercevoir que Dieu, devant
lequel toutes les créatures ne lui paraissent plus que des atomes.
Est-ce là, mes frères, une vertu basse et ignoble? Quelle vertu,
au contraire, plus digne de l'homme raisonnable et chrétien ? Rien
de plus sublime et en même temps de plus aimable que l'humilité.
Astre nouveau , qui n'a paru dans le monde qu'avec l'Evangile, sa
douce lumière attire également les esprits et les cœurs. Tout ce
qui est beau s'embellit encore par les charmes de cette vertu : elle
donne un nouveau lustre au mérite que l'on a ; elle supplée, même
devant les hommes, au mérite que l'on n'a pas : elle a, dit saint
Chrysostôme, je ne sais quoi qui plaît, qu'on admire et qu'on
aime.
En effet, ne point se glorifier des avantages de la naissance, du
rang et de la fortune, se montrer d'autant plus affable qu'on est
plus élevé, être indifférent aux éloges et aux censures du monde,
joindre au mérite supérieur une modestie sincère qui, ou l'ignore,
ou s'efforce de le cacher; au faîte des honneurs ne point perdre
de vue sa misère et son néant ; au sein de l'obscurité mettre toute
son ambition et son bonheur à n'être connu que de Dieu ; voir les
succès des autres sans envie et ses propres disgrâces sans chagrin ;
ne répondre aux injures que par un silence modeste ou des pa-
roles douces ; fermer les yeux sur ses bonnes qualités, et les tenir
438 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
ouverts sur ses défauts, n'imputant ceux-ci qu'à soi-même et rap-
portant les autres à Dieu, dont on les tient ; il y a là, mes frères,
une droiture d'esprit, une solidité de raison, une élévation et une
pureté de vues, un amour de la vérité et de la justice, une généro-
sité, un-Jiéroïsme de désintéressement, en un mot une réunion de
traits admirables qui forment un grand caractère, et c'est le ca-
ractère de l'humilité chrétienne.
Oseriez-vous, mondains , lui opposer celui de l'orgueil? Quel
contraste et quel nouvel éclat en rejailliraient sur lhumilité ? car,
autant l'humilité est élevée par ses idées et ses sentimens , au-
tant l'orgueil est-il bas et rampant dans les siens. Aveuglement,
faiblesse, folie, voilà les traits qui le caractérisent et le rendent
souverainement méprisable. Aveuglement de l'orgueilleux qui ne
voit pas les sujets d'humiliation qu'il porte au dedans de lui-même :
ïlumiliatio tua in medio tuï. La vanilé est fille de l'ignorance et la
compagne ordinaire delà médiocrité. Plus on a d'esprit et de lu-
mières, plus on doit découvrir en soi d'imperfections et de défauts
qui échappent à une vue courte. Ainsi, les rayons du soleil en-
trant dans un lieu obscur y font apercevoir mille atomes aupara-
vant imperceptibles à l'œil. Faiblesse de l'orgueilleux qui s'enfle du
plus léger avantage, qui se nourrit de fumée et goûte avec délices
un fade encens; qui poursuit une lueur fugitive, qui se passionne
pour une chimère, et ne peut résister au penchant qui l'entraîne
vers elle, je veux dire vers un bien aussi trompeur , aussi fragile
que les applaudissemens et les louanges du monde : folie de l'or-
gueilleux, pour qui le Dieu de majesté et toute la cour céleste
sont des spectateurs moins dignes de son attention que les faibles
mortels, cendre et poussière comme lui dont il brigue les suf-
frages, et qui aime mieux plaire à des créatures qui disparaissent
comme des ombres, et dont il n'a rien à craindre ni à espérer,
qu'à l'Etre souverain qui demeure toujours et qui tient entre ses
mains son sort éternel.
Concevez-vous, Chrétiens, rien de plus insensé, et, soit du côté
de l'esprit, soit du côté du cœur, rien de plus petit et de plus vil
qu'un esclave de l'orgueil P Qu'on nous dise encore que l'orgueil
est la passion des grandes âmes ! Eh ! pourquoi donc n'ose-t-ii se
montrer? d'où vient qu'il se cache et n'agit que sous mille dégui-
semens ? d'où vient qu'on avoue sans peine ses autres faibles et
qu'on ne veut pas convenir de celui-ci? On en rougit dès qu'on l'a
laissé entrevoir, on le déteste dans ceux en qui on l'aperçoit :
sentiment gravé dans tous les cœurs qui nous fait connaître que
DES PRÉDICATEURS. 43,0,
rien n'est plus honteux ni plus haïssable que ce -vice. Que fait l'or-
gueil pour se soustraire au mépris et à la haine qu'il inspire? Il
se couvre de l'apparence de l'humilité; il s'étudie à en prendre
l'air, le langage, les manières; il aime à paraître sous la forme et
les traits de cette vertu. O sainte humilité, vos droits sont vengés,
votre triomphe est complet, l'orgueil lui-même vous rend hom-
mage en se montrant à nos yeux couvert de votre voile sacré, et
paré des beautés qu'il emprunte de vous.
Mais allons plus loin : voyons comment à la noblesse et à l'élé-
vation des sentimens l'humilité sait joindre la fermeté et l'intrépi-
dité de la conduite, de sorte que, bien loin d'être contraire à la
grandeur d'aine, elle en est le fondement et la source.
Représentez-vous un homme véritablement humble, libre, in-
dépendant de tout respect humain, exempt des retours intéressés
de l'amour-propre, des inquiétudes secrètes de la vanité, plein
d'un généreux mépris pour les éloges et les censures du monde ,
n'écoutant que son devoir et n'envisageant que Dieu ; rien ne l'é-
tonne, rien ne l'intimide, rien ne gêne l'usage de ses forces natu-
relles, il les déploie tout entières, et Dieu, qui protège les hum-
bles, bénit et seconde ses efforts. Qu'est-ce qui pourrait l'arrêter ou
l'affaiblir? Les difficultés? il n'en est point pour les humbles, dit
saint Léon : Nihil arduum est humilibus. Plus il se défie de lui-
même, plus il se confie en Dieu, pour lequel il travaille et il combat.
Il peut tout, comme saint Paul, en celui qui le fortifie. La gloire,
qu'il lui est ordonné de fuir, il ne la cherche pas : si elle se pré-
sente à lui dans la route où il marche , comme il n'y est pas entré
pour elle, il n'en sortira pas à cause d'elle; il la renvoie au sou-
verain Maître dont il se regarde comme le serviteur inutile , et à
qui seule elle appartient. L'humiliation , si ses espérances sont
trompées, il ne la craint pas; il irait au devant d'elle si la prudence
lui permettait de suivre le mouvement de son cœur; il se plairait
dans ses abaissemens, à l'exemple du grand Apôtre, parce qu'il y
acquerrait plus de ressemblance avec Jésus-Christ, et un titre de
plus aux récompenses du ciel.
Ne voyez-vous pas, Chrétiens, qu'avec de telles dispositions on
est capable de tout oser, de tout exécuter? Aussi saint Augustin
n'a pas craint de dire que toute la force est dans l'humilité : Omnis
fortitudo in kumilitate , au lieu que tout orgueil est faible, ajoute
ce saint docteur: Fragilis est omnis superbia. Oui, l'orgueil est une
passion lâche et pusillanime, que l'idée d'un mépris, d'une raille-
rie, d'un affront, épouvante, empêche d'entreprendre des choses
44o NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
dont l'issue paraît douteuse, ou qui, si on les entreprend, les fait
échouer, soit par sa nature, qui est d'affaiblir le courage et d'ôter
la confiance nécessaire au succès, soit par une punition de Dieu,
qui se plaît à humilier les superbes. L'humilité nous délivre de
toutes les petitesses, de toutes les craintes de la vanité et de l'a-
mour-propre, et par là nous dispose à tout ce qu'il y a de grand
et de sublime, parce que le Seigneur est alors avec nous.
( L'abbé Richard. )
C'est par l'humilité que nous arriverons à la gloire.
Ecoutez Jésus-Christ : Le Fils de V homme n'est pas venu sur la
terre pour se faire servir, mais pour servir les autres, et donner son
ame pour le salut de plusieurs. Et quelle a été la récompense de
son humilité? Quelle gloire pour lui et pour nous, bien qu'il n'eût
besoin de gloire ni d'honneur! C'est son anéantissement même
qui a été le principe de notre élévation. En s'humiliant il a dompté
la mort, écrasé le serpent ennemi, détruit l'empire du péché; il
nous a rouvert les portes du royaume céleste, il s'est élevé dans le
Ciel à la droite de Dieu son père pour y être notre prédécesseur;
il a répandu la piété sur la terre; il y a dissipé Terreur , ramené la
vérité, et nous a comblés de biens. Toutes les langues humaines
s'uniraient, qu'elles ne pourraient exprimer les bienfaits de sa di-
vine incarnation. Avant les humiliations de son humanité, il n'é-
tait connu que des Anges. Ce sont ses abaissemens qui nous l'ont
manifesté; son humilité n'a fait que rehausser l'éclat de sa gloire.
( Saint Chrysostôme, Homélie sur les enfans de Zèbêdêe. )
Il ne faut pas craindre de s'avilir en s'humiliant.
Ne craignez pas de vous avilir en vous humiliant. Pouvez-vous
jamais être autant humilié que l'a été Jésus-Christ? Et l'excès même
de ses humiliations, en opérant le salut des hommes, l'a élevé au
comble de la gloire. Pas d'autre porte que l'humilité pour entrer
dans le ciel. En suivre une autre, c'est se perdre. Après un tel exem-
ple, pouvez-vous craindre de déroger à votre grandeur en vous
humiliant? Au contraire, vous l'élevez encore, vous la faites élever
davantage, vous vous montrez le digne aspirant au royaume du
ciel.
Ce n'est pas en dédaignant l'humilité que vous vous mettez en
paix avec vous-même et avec le prochain. Qui prétend à la con-
DES PBÉD1CA.TBURS. 441
sidération et à la gloire, risque souvent de la perdre et de tomber
au dernier rang dans l'opinion des autres. C'est toujours par des
moyens contraires en apparence que nous obtenons ce que nous
désirons. Jésus-Christ ne cesse de nous donner cette importante
leçon dans son Evangile. Les passions de l'avarice, de l'ambition,
il les combat de cette manière. A l'ambitieux il dit : Pourquoi cette
affectation de libéralité en présence de témoins? Pour acquérir de
la considération et de la gloire, prenez un moyen contraire, faites
vos bonnes œuvres en secret, et vous arriverez à votre but; à l'a-
vare : Pourquoi cette fureur d'accumuler, afin d'être riche? Ne
gardez pas vos richesses dans vos mains , distribuez-les dans celles
des pauvres, et vous posséderez des richesses réelles, inaliénables.
Ainsi à l'orgueilleux : Pourquoi cette avidité de distinctions et de
préséances? afin de primer sur les autres? Descendez à la dernière
place, et l'on vous appellera à la première. Le secret, pour être
grand, c'est de ne point chercher à le paraître. Vous vous mépre-
nez donc étrangement sur le vrai caractère de la grandeur. Jésus-
Christ, pour anéantir dans ses Apôtres tout sentiment d'orgueil,
ne cesse de leur déclarer qu'on acquiert la grandeur qu'en la mé-
prisant, qu'on la perd en la recherchant, par opposition à la mo-
rale des païens , à qui seul il peut appartenir d'avoir l'esprit de do-
mination.
L'orgueil n'est que bassesse réelle; la véritable grandeur, c'est
l'humilité; les grandeurs du monde n'en ont que le nom et l'appa-
rence; ceux que l'on y appelle grands ne doivent ce titre qu'à la
déférence commandée par le besoin et par la crainte. L'humilité
nous fait grands de cette grandeur intérieure qui tient de celle de
Dieu même. Les hommes ont beau nous refuser ce titre, leur
vaine opinion ne nous l'enlève pas; tandis que ce grand, aux pieds
de qui tout rampe, n'a qu'un masque de grandeur dont on n'est
pas dupe. Ces hommages forcés ne durent pas; ceux que l'on rend
à l'humilité viennent du cœur et ne changent pas.
Nous en avons la preuve dans ces illustres saints qui ont été d'au-
tant plus humbles à leurs propres yeux qu'ils étaient plus élevés
au dessus des autres. Ni la mort, ni le temps n'ont point été re-
cueil de leur grandeur et de leur gloire.
La raison toute seule dépose en faveur de notre doctrine. Cet
homme orgueilleux et vain se croit plus grand que tout le reste;
il regarde tout le monde comme au dessous de lui; personne,
selon lui, ne mérite de marcher son égal. On a beau le charger
cl honneurs, on n'en fait j'hais assez pour ce qu'il vaut. Avide
!
c
44?, NOUVELLE BlBLiOTTlÈQUE
de louanges, il lui en faut à tout prix, et pour en avoir il brigue:
tous les suffrages. Il flatte, il caresse, il rampe à son tour auxj
pieds de ceux pour qui il n'a que du mépris. Etrange inconsé- i
quence! il veut des flatteurs, et c'est lui qui prodigue des flatte-
ries ; il faut qu'on l'adore, et il rampe; qu'il domine sur tout l'uni-
vers, et il n'a pour tout le genre humain qu'un insolent mépris :
il tremble, cet arrogant, en présence de tous les événemens hu-
mains, dont il connaît trop bien l'inconséquence et la fragilité.
Celui, au contraire, qui est humble, n'ignore pas davantage ce
que c'est que lhomrne, un composé de grandeur et de bassesse;
il sait donc qu'en se rabaissant dans la pensée de sa faiblesse, il
ne fait que se mettre à la place où la nature elle-même l'a mis. Que
si on lui accorde quelque honneur, la haute opinion où il est de
la dignité de l'homme agrandit à ses yeux l'estime qu'on lui dé-
fère. Par ce juste tempérament, il est donc toujours conséquent à
lui-même, sans orgueil dans les dignités, sans faiblesse dans les
disgrâces, élevé au dessus des passions qui agitent l'orgueilleux,
inaccessible à la colère, à la vaine gloire, à la jalousie. De quel
côté se trouve donc la véritable grandeur? Dégagée de tous les
liens terrestres, cette ame sublime défie tous les événemens de la
vie. Dans son libre essor, elle se rit de tous les pièges, et n'en
craint aucun; Vautre, terrestre et rampante, s'offre d'elle-même à
la défaite. La première maîtrise les passions humaines, et ne les
connaît que pour en triompher; l'autre est la victime de toutes,
elle ne sait que trembler ou obéir à leur commandement. Quoi
de plus humilié que l'Ange superbe, que son orgueil précipita du
ciel dans les enfers ? quoi de plus élevé que l'homme quand il
sait être humble? C'est à celui-là qu'il est donné de fouler aux
pieds les serpens et les scorpions. (S. Chrysostôme, Homélie LXV^
in Mattlu)
L'humilité n'est pas incompatible avec la magnanimité la plus héroïque.
Admirable accord delà plus modeste des vertus avec la magna-
nimité la plus héroïque! Moïse était humble; il se croyait indigne
d'être l'ambassadeur de Dieu et le libérateur de son peuple. Avec
quelle noble hardiesse il se présenta devant Pharaon , et le menaça
des plus terribles châtimens , s'il n'obéissait pas aux ordres du
Seigneur Dieu dont il était le ministre ! David était humble : l'hu-
milité la plus profonde respire , éclate dans ses divins cantiques :
ne se rendit-il pas formidable à. tous ses ennemis, et digne par
DES PRÉDICATEURS. 44$
ses vertus guerrières et politiques de l'admiration de tous les
siècles ? Jérémie était humble; et il se comparait à un faible enfant
qui sait à peine bégayer, et il fut inébranlable comme une colonne
de fer, comme un mur d'airain devant les princes et les rois de
Juda : et, pour venir à des temps moins éloignés du nôtre, Fran-
çois de Paule était humble, ce saint patriarche d'un ordre religieux,
qui a pour fondement et pour devise l'humilité. Il est appelé à la
cour d'un de nos rois, si fameux dans l'histoire par ses taîens et
ses vices : terrible dans sa colère, dévoré par la crainte de la mort,
il demande du thaumaturge de son siècle un miracle qui pro-
longe sa vie. Ses prières et ses promesses sont inutiles : 1 humble
ermite ose parler sans ménagement à ce fier monarque, accou-
tumé à n'entendre que le langage de l'adulation. Il lui annonce sa
fin prochaine; il lui montre le tombeau où il va descendre, et
l'exhorte à fléchir par son repentir et ses larmes la justice di-
vine,
Mais quel est le plus merveilleux de tous les événemens que nous
présentent les annales de l'univers; celui qui trouva le plus d'ob-
stacles à vaincre, et devant lequel disparaissent tous les travaux
et les succès des Sages, des politiques, des conquérans? C'est la
soumission de tous les peuples à l'empire de Jésus-Christ; c'est un
monde idolâtre changé en un monde chrétien. Or, je vous le de-
mande, sont-ce des hommes humbles ou des hommes orgueilleux
qui en avaient formé le projet, et qui l'ont si heureusement accom-
pli ? n'est-ce pas l'ouvrage des Apôtres, ces zélés prédicateurs de
l'humilité dont ils étaient en même temps de parfaits modèles?
Combien n'ont-ils pas eu d'imitateurs, qui, perpétuant d'âge en
âge la doctrine de l'humilité, ont appris, par leur exemple, aux
partisans du monde que l'on peut être un homme humble et un
grand homme; que l'humilité n'étouffe point les talens, mais
qu'elle les épure et les dirige à leur véritable fin ; qu'elle n'est point
ennemie des actions glorieuses et utiles, qu'elle en éloigne seule-
ment les vues basses qui en dégraderaient la noblesse; que, loin
d'affaiblir celte grandeur dame qui enfante et exécute les plus
hautes entreprises, elle en est le ressort le plus puissant, elle
l'enflamme par la sublimité des motifs qu'elle lui offre.
Vous en serez à jamais la preuve, ô Vincent de Paule! l'honneur
de la France qui vous vit naître. Qui fut plus humble que vous,
et qui sut mieux que vous se rendre utile au monde? Ce que les
plus grands monarques n'auraient osé entreprendre, vous lavez
exécuté, triomphant de tous les obstacles, créant des ressources
444 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
lorsque tout était désespéré, secourant tous les malheureux, cor-
rigeant les abus, retranchant les scandales, formant des institu-
tions, des établissemens qui subsistent encore pour le bonheur
public, et qui, avec le tableau de votre vie, apprendront à nos
derniers neveux que le plus humble des hommes fut le plus grand
bienfaiteur de l'humanité. (L'abbé Richard.)
Nécessite et exemples d'humilité.
,
Les exercices pieux , la tempérance, l'obéissance, l'accomplisse-
ment le plus parfait des commandemens, ne sont rien sans l'hu-
milité. Si l'on peut dire que l'orgueil est le commencement et la
fin de tous les maux, on peut dire aussi que l'humilité est le com-
mencement et la fin de tous les biens.
Mais voyez combien les ruses de l'esprit impur sont subtiles et
dangereuses ! son but est de dominer sur tous les hommes. Or,
pour arriver à ce but, il sait tendre à chacun le piège qui lui offre
le plus de chances de succès. Il attaque le Sage par la sagesse , le
riche par les richesses, le tempérant par la tempérance, l'homme
pieux par sa piété, et ainsi des autres vertus, dont il essaie de
nourrir notre orgueil aux dépens de l'humilité, de cette vertu
précieuse que Jésus-Christ nous désigne lui-même comme l'éten-
dard autour duquel ses soldats doivent combattre, quand il nous
dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur * : »
et ailleurs : « Quand vous aurez fait ce qui vous est commandé,
« dites : Nous sommes des serviteurs inutiles 2. »
Pourquoi donc nous trompons-nous ainsi nous-mêmes? Pour-
quoi, si Dieu nous fait la grâce d'être bien réglés dans nos mœurs,
nous élevons-nous au dessus de ceux qui ont encore des faiblesses,
quand l'Apôtre nous dit : « Que celui-là seul est approuvé, que
« Dieu lui-même approuve3. » Pourquoi nous enorgueillir de ce
que nous travaillons davantage, quand nous en voyons d'autres
qui mènent un genre de vie contemplatif, puisque Marie est
approuvée dans l'Evangile , pour avoir embrassé le même parti?
Pourquoi concevrions-nous ces hautes pensées de nous - mêmes,
de ce que nous avons fui le monde et que nous habitons la soli-
tude, tandis que, sans humilité, cela ne nous servira de rien 4?
Ah ! prenez bien garde que ce genre de vie plus parfait que vous
avez choisi, ne devienne , à cause de votre orgueil, l'occasion de
votre chute.
1 Matlh.,xi, 29.-.2Luc^xvlF>10>_3n Cor.,x, 18. —M Cor., iv, 7.
DES PRÉDICATEURS. 44^
Vous êtes riche et juste :je le veux; mais vous ne l'êtes point
encore autant qu'Abraham, qui cependant disait de lui-même : Je
ne suis que cendre et que poussière. Vous avez en main l'autorité
sur vos frères : je le veux. Moïse avait une autorité bien plus
étendue encore que la vôtre, et néanmoins l'orgueil n'entra jamais
dans son cœur. Vous avez les agrémens de la figure et la force du
corps, vous avez même le front ceint d'un diadème : je le veux;
mais vous n'êtes peut-être point encore au niveau de David , qui
disait pourtant dans son humilité : « Je suis un ver de terre et non
«un homme 1. » Vous avez le don de science : je vous l'accorde;
mais l'avez-vous au même degré que les trois jeunes Hébreux dont
l'un (c'était Danielj disait à Dieu : « Seigneur, à nous seuls la con-
« fusion 2 ; » et dont les deux autres disaient : « C'est par; l'esprit
« d'humilité que nous recevrons votre miséricorde 3. » Si ces hom-
mes justes ont montré une si grande humilité, que doivent donc
faire des pécheurs comme nous?
Gardez-vous donc bien de vous livrer à ce vice honteux de l'or-
gueil, de peur que votre ennemi ne s'empare à jamais de votre
arne. Reprochez-vous amèrement les plus petites pensées d'orgueil
et de complaisance en vous-même. Le Père, le Fils et le Saint-Es-
prit, la sainte Trinité tout entière fixent avec délices leur séjour
dans le cœur de l'homme humble. Fuyons donc l'orgueil que Dieu
déteste. Aimons , chérissons l'humilité qui seule a rendu les justes
agréables aux yeux de Dieu. C'est un don bien important , c'est un
grand bonheur que l'humilité ; c'est un grand honneur de la pos-
séder; c'est en elle que se trouve la véritable et parfaite sagesse.
L'orgueil du Pharisien avait été la cause de son humiliation, et le
Publicain ne fut exalté que parce qu'il était humble. Puissions-nous
avec lui partager à jamais dans le ciel les récompenses que Dieu
réserve à l'humilité, et être admis avec lui dans la société de tous
les justes, pour y chanter à jamais les louanges du Dieu qui exalte
les humbles , et à qui convient toute gloire dans tous les siècles !
Ainsi soit-il. (Saint Ephrem, Sermon XLL)
Autres exemples d'humilité.
Je ne puis mieux faire pour vous montrer l'excellence de l'hu-
milité que de vous remettre sous les yeux les nobles exemples
de ceux qui l'ont pratiquée. Ecoutez d'abord l'Ecriture.
1 Ps. xxi, 7. — 3 Dan., ix. — 5 Ibid., m, 59.
r
i.
i
/f/jt) NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
Abraham mérita, par le suffrage le plus glorieux, d'être appelé
l'ami de Dieu ; néanmoins nous le voyons passant subitement det
la contemplation de la majesté divine à celle de son propre néant,
rester comme anéanti en présence de Dieu , et ne conserver plus
de force que pour s'écrier : « Pour moi , je ne suis que poussière
«et que cendre j.» L'Ecriture nous parle encore de Job en ces
termes : « Job était juste 2. » Oui, ce saint personnage était juste;
mais cependant je l'entends s'accuser lui-même en disant : « Per-
« sonne n'est exempt de souillure, quand même sa vie n'aurait duré
« qu'un jour 5. » Un autre serviteur de Dieu, Moïse, avait mérité
le surnom de fidèle serviteur. Il ne se crut pas pour cela en droit
de parler magnifiquement de lui. Son cœur ne se laissa pas même
aller à l'orgueil, lorsqu'il entendit sortir du buisson ardent cette
voix divine, puisqu'il se contente de s'écrier : « Qui suis-je, Sei-
« gneur, pour que vous m'envoyiez de la sorte, moi qui ai la langue
« si pesante et la voix si grêle ! Vous le savez, Seigneur, je ne suis
« semblable qu'à cette vapeur légère qui s'élève d'un vase d'eau
« que la flamme échauffe4. » Il n'est pas moins frappant, ni moins
digne de notre admiration , l'exemple que nous donne David, ce
prince qui reçut de Dieu même un éloge si flatteur, quand Dieu
lui dit : « J'ai trouvé un homme selon mon cœur 5. » Néanmoins
j'entends le même Prophète qui s'écrie dans son humilité : « Ayez
« pitié de moi, Seigneur, selon votre infinie miséricorde 6. »
Ce n'est pas encore assez de témoignages pour vous prouver
toute l'excellence de l'humilité. Ecoutez quelque chose qui sur-
passe tout ce que vous avez entendu jusqu'ici : Notre Seigneur
Jésus-Christ, le Fils unique du Dieu de toute majesté, n'est point
venu sur la terre pour y faire parade de sa gloire et de sa puis-
sance ; tout annonce au contraire en lui la plus profonde humi-
lité , conformément à ce qu'en avait annoncé le Prophète
Isaïe 7, Et certes, quand un Dieu s'humilie à ce point, que de-
vons-nous faire, nous qui ne sommes rien que par sa grâce? [Saint
Clément, pape, Epit. 1 aux Cor.)
Péroraison.
¥] Embrassez-la donc, Chrétiens , cette vertu si nécessaire et si glo-
rieuse. Demandez-la au Seigneur par des vœux ardens et continuels,*
* Gen., xvin, 27. — 2 Job., i, 1. — 5 Ibid., iv, 17. — * Exod., m, 11. et iv, 10.
| s Ps. lxxxviii, 21, — 6 Ps. i, 1. — 7 1s., lui, 1 et sqq.
des riiÉmcATEuns. 447
n'épargnez rien de votre côté pour l'acquérir; meditez-en l'impor-
tance, la nécessité, la facilité, les avantages: formez-en souvent
des actes intérieurs : un sentiment, un acte d'humilité est plus pré-
cieux mille fois, vaut infiniment mieux pour nous que tous les ap-
plaudissemens et toutes les louanges du monde. Humilions-nous
devant Dieu: qui peut penser à cet Etre Suprême sans s'anéantir
devant son infinie grandeur? Humilions-nous devant les hommes:
une humilité sincère ne se renferme pas dans le cœur, elle se ma-
nifeste au dehors par des signes sensibles et que malgré lui le mon-
de révère. Humilions-nous à nos propres yeux, n'ayant de mépris
que pour nous-mêmes, et gardons-nous de mépriser personne:
c'est le précis de la science et de l'humilité. Nous connaissons nos
défauts, nos misères et nos vices;les bonnes qualités des autres nous
sont inconnues; peut-être sont-ils ou deviendront-ils plus agréa-
bles que nous au yeux du souverain Maître. Souvenons-nous enfin
pour mieux connaître le trésor de l'humilité et le prix inestimable
des humiliations, que plus nous aurons été humbles et humiliés
sur la terre, plus nous serons élevés et glorifiés dans le Ciel, que
je vous souhaite, etc. (L'abbé Richard.)
448 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
=-»
PLAN ET OBJET DU TROISIEME DISCOURS
SUR L'HUMILITÉ.
EXORDE.
Incropans non sinebat eu loqui, quia sciebant ipsum esse Christum ; facta aulem die,
egressus ibat in desertum.
Il leur défendait de dire qu'ils savaient qu'il fut le Christ, et dès qu'il fut jour , il
sortit, et se retira dans un lieu désert. {Luc, 4, 41, 42.)
Sans doute, il faudra qu'il consente bientôt à sortir de cette
obscurité qui lui est si cbère , et l'éclat de ses innombrables pro-
diges, perçant le voile dont il aime tant à se couvrir, trahira dans
peu sa grandeur et le secret de son incomparable puissance. Si le
Pharisien superbe et le Scribe endurci s'obstinent à fermer leur
cœur au charme de ses leçons et à l'attrait de ses vertus plus puis-
sant et plus doux encore, il faudra bien qu'il les force à reconnaî-
tre le Fils de Dieu dans l'arbitre souverain de l'univers , et qu'il leur
montre enfin dans les aveugles qu'il éclaire , dans les boiteux qu'il
redresse, et dans les morts qu'il ressuscite, des témoins irrécusa-
bles de la mission qu'il tient de son Père et de sa céleste origine.
Mais aujourd'hui qu'il descend de cette montagne sur laquelle ont
retenti des prodiges si inconnus avant lui , aujourd'hui qu'il vient
de donner pour fondement au bonheur véritable l'abnégation, le
mépris de soi-même et la fuite des honneurs , il ne peut consentir
à se voir sitôt poursuivi par l'admiration et les éloges; et si la com-
misération pour le malheur arrache d'innombrables prodiges casa
bonté, il veut du moins écarter les applaudissemens et échapper
à sa gloire ; ou plutôt il voulait guérir dans notre cœur une mala-
die plus funeste mille fois que celle qui appelle l'exercice de sa puis-
sance: il voulait guérir notre orgueil et nous apprendre enfin que
vainement nous prétendrions nous honorer du nom de ses disci-
ples, si nous méconnaissions une vertu dont il nous a donné tant
de fois l'exemple et la leçon. Loin de rechercher les égards des
hommes, le disciple de l'Evangile les redoute et les fuit; loin de
DES PRÉDICATEURS. 44Q
s'exposer au grand jour, il ne se plaît que sous l'abri d'une ob-
scurité modeste; loin d'appeler les applaudissement , au premier
pressentiment de la louange il sent son cœur qui se trouble et son
front qui rougit; en un mot, il ne trouve, pour sa piété, d'appui
solide et de vraie sauve-garde que dans l'humilité.
Mais cette vertu dont le nom seul inspire tant d'effroi aux su-
perbes enfans du siècle, voit trop souvent les enfans mêmes de la
foi la dédaigner ou la proscrire , et trop souvent la piété la plus
fervente et la plus généreuse, quand il s'agit de pratiquer l'humi-
lité, ne retrouve plus ses résolutions et rappelle en vain son cou-
rage. L'humilité ne règle plus les sentimens et les discours du dis-
ciple de l'Evangile; la vierge chrétienne ne fait plus de l'humilité
son plus bel ornement; la piété opulente l'éloigné de ses palais, et
les retraites elles-mêmes de la pénitence et de la mortification ne lui
offrent pas toujours un sûr asile. Essayons de la faire rentrer au-
jourd'hui dans ses droits; mais, renonçant à guérir l'orgueilleux
aveuglement des mondains, osons adresser nos conseils aux en-
fans mêmes delà lumière, et ne craignons pas de les mettre en
garde contre une des plus funestes et peut-être des plus commu-
nes illusions.
Dans ce dessein , considérons que la piété véritable ne saurait
exister sans l'humilité : premier Point ;
Sur quels motifs une piété véritable fonde son humilité :
deuxième Point. (M. Borderies, Sur V Humilité.)
La piété véritable ne saurait exister sans l'humilité.
Que l'humilité soit comme une étrangère pour les enfans du
siècle , et qu'ils la bannissent loin de leur opulence, de leur faste
et de leurs honneurs : c'est une destinée qui n'a pas de quoi sur-
prendre, quand on a appris de l'apôtre saint Jean quel empire ty-
rannique l'orgueil exerce sur le monde; mais que l'on voie quel-
quefois la piété elle-même refuser de reconnaître cette fille du ciel,
craindre d'entendre ses leçons, et prétendre se soutenir sans son
appui, voilà, Chrétiens, un désordre qui confond toutes les pen-
sées, une illusion que peuvent seules expliquer la corruption de
l'homme et sa profonde ignorance. La piété et l'humilité sont unies
sous la loi de grâce par des nœuds indissolubles, en sorte que là
où vous ne trouvez point l'humilité, là vous pouvez assurer que la
piété est inconnue ; ou si l'on veut encore lui donner ce nom , ce
t. in. 29
45o NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
ne sera qu'une piété aveugle, une piété stérile, enfin une piété i
scandaleuse.
L'effet inévitable des passions est de troubler l'esprit de l'hom-
me, et de dérober à ses regards la lumière qui doit éclairer et con-|
duire ses pas. Les passions, peu contentes de courber leurs esclaves
sous de pesantes chaînes, les plongent encore dans de profon-
des ténèbres , où le jour de la vérité ne se laisse qu'à peine entre-
voir. L'ambitieux, l'avare, l'impudique, sont autant de captifs
aveugles qui cherchent en tâtonnant la véritable route, et ne ren-
contrent à chaque pas que chutes et que précipices; mais l'aveu-
glement n'est jamais plus dangereux , ni la nuit jamais plus som-
bre , que lorsque, profitant du silence des autres passions, et se
glissant sous des dehors sacrés , l'orgueil parvient à contracter,
avec la piété elle-même, une monstrueuse alliance. Ah! c'est alors
que l'ennemi du salut voit arriver notre défaite et son triomphe;
c'est alors que le flambeau même, destiné à nous diriger, devient
entre ses mains un guide infidèle qui nous conduit plus sûrement
à une perte inévitable : Si lumen quod in te est tenebrœ sunty ipsœ
tenebrœ quantœ erunt.
En effet, quel plus profond aveuglement que celui d'un Chré-
tien , qui essaie d'accorder la piété avec l'oubli d'une vertu qui en
est manifestement le seul appui solide? qui s'appelle disciple de
l'Evangile, et ignore que l'abnégation et le mépris de soi-même
forment le caractère distinctif des enfans de la Loi nouvelle ? qui
fait gloire d'avoir Jésus-Christ pour maître , mais qui, s'il s'agit
d'abjection et d'abaissement, ne veut plus entendre ses leçons? Je
le sais, Chrétiens, il faut s'interdire une excessive rigueur : si la
piété, pour être fragile quelquefois, était toujours un aveuglement,
qui pourrait éviter ce reproche ? Pour être pieux, est-on invulné-
rable? S'il faut s'attendre à soutenir des combats, il faut s'atten-
dre aussi à pleurer sur des défaites : lame la plus intrépide peut
céder quelquefois à de lâches terreurs; le détachement le plus gé-
néreux peut être séduit quelquefois par les prestiges du siècle, les
penchans et les résolutions d'un cœur vertueux ne suffisent pas
toujours pour en soutenir la corstance. Hélas! qu'est-ce trop sou
vent que la vie du Chrétien ? qu'un triste enchaînement de craintes
à l'aspect du danger, et de gémissemens au souvenir de la faiblesse.
Mais du moins celui que la tentation entraîne soudainement ne
prétend pas concilier la fidélité avec la désobéissance, le désordre
avec la ferveur : c'est un sommeil auquel il s'est laissé surprendre;
mais bientôt la foi le réveille, et il court obtenir son pardon par
DES PRÉDICATEURS. 4^)1
des larmes et son repentir. Mais le Chrétien qui, dans sa conduite
de tous les jours, oublie les lois de l'humilité, et se pique toutefois
d'une piété véritable, a fait taire depuis long-temps les cris d'une
conscience trop délicate; a accoutumé son cœur à ne plus s'ef-
frayer de l'opposition révoltante qu'offrent ses sentimens hautains
et les humbles maximes de l'école chrétienne, et s'est établi dans
l'inexplicable détermination de suivre le chemin que trace la piété,
et de délaisser cependant sa compagne la plus chère et la plus in-
séparable. (Le même.)
Sans humilité la piété est stérile, malgré nos lectures et les exhortations du prêtre.
On veut des livres qui flattent la sensibilité du cœur, on rejette
ceux qui en abaisseraient l'orgueil. Dans l'histoire des Saints, on
leur envie une constance héroïque que Dieu ne nous demandera
jamais, et non ce renoncement à nous-mêmes et cette patience
dans les mépris, qu'il nous demande tous les jours. Dans l'Evan-
gile, on s'attendrit sur les souffrances de Jésus , on donne des lar-
mes à ses douleurs, mais on frémit de partager ses opprobres et
ses affronts. Enfin, on est familier avec les expressions de la spiri-
tualité la plus haute, et on ne connaît ni le détachement des hon-
neurs, ni le goût de l'obscurité, ni le mépris de soi-même, vérita-
bles élémens de ce sublime langage. Si l'on entend la parole du
Dieu, ce n'est pas avec cette défiance qui met à profit les moindres
leçons, mais avec une présomption qui rend inutiles tous les efforts
du zèle. Veut-on , dans la chaire de la vérité, offrir des soutiens à
la foi, la nôtre est inébranlable : inspirer l'horreur du vice, cette
peinture fait horreur à notre délicatesse : y montrer le prix des
vertus chrétiennes , ce sont des vertus communes que notre piété
dédaigneuse regarde de bien haut : y foudroyer l'orgueil, nous
nous indignerons peut-être contre cet orgueil entreprenant et
plein d'audace, qui souvent a rencontré et heurté le nôtre; mais
nous nous garderons bien de reconnaître cet amour-propre circon-
spect et réservé qui nous fait envelopper nos prétentions de tant de
précautions et de tant de prudence. Enfin } le ministre sacré dé-
couvre-t-ii l'ulcère secret de notre cœur, prétend-il montrer sans mé-
nagement qu'il faut que le Chrétien soit humble et fasse le ciel que
celui qui, dans ce moment, vous parle si souvent d'humilité, à ce
nom répété par lui tant de fois, éprouve du moins une confusion
salutaire! mais enfin, le ministre du Seigneur plaide-t-il la cause
de l'humilité, se plaint-il de l'oubli où les Chrétiens laissent kii-
29,
/j52 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
guir cette vertu, les accuse-t-il d'inconséquence et de contradic-
tion , loin de nous émouvoir à ces reproches et à ces menaces ,
nous semblons assister à un combat qui nous est étranger et dont
nous sommes les spectateurs désintéressés. Que dis-je ? nous goû-
tons à en être les témoins un contentement criminel : notre mali-
gnité nomme tout bas les cœurs faibles qu'atteignent les traits de
la sainte parole ; et tel est notre aveuglement que nous nous livrons
à une secrète et indigne satisfaction, quand il nous faudrait sécher
de douleur, en reconnaissant entre nos misères et le tableau tracé
sous nos yeux une déplorable ressemblance.
Non, n'attendez rien d'utile de cette piété pleine de vanité et
de recherche que Dieu réprouve et que l'Evangile méconnaît, ou
plutôt n'en attendez que des scandales. Vainement vous espéreriez
que la régularité de sa conduite et l'onction de son langage peu-
vent du moins ménager au prochain quelque avantage et à la Re-
ligion quelque honneur. Non , car comment se méprendre long-
temps sur le motif secret qui règle ses démarches ou anime son
zèle? On voit que l'intérêt propre lui suggère ses bonnes œuvres ,
et on les dédaigne; lui conseille ses pratiques de dévotion, et on
leur insulte ; lui dicte tous ses discours , et on les couvre de mé-
pris. Car, au témoignage de saint Grégoire , sans l'humilité tout
cet assemblage de vertus dont on s'entoure n'est qu'une occasion
de perdition et de ruine : Si omittitur kumilitas , omnis congregatio
virtutum ruina est.
Je sais, Chrétiens, que le monde, si indulgent pour ses amis,
poursuit avec rigueur les disciples de Jésus-Christ, qu'il pardonne -
aux partisans du siècle leurs vices les plus honteux, et condamne
sans pitié, dans les Chrétiens, les plus excusables faiblesses; mais
je sais aussi que la piété qui veut accorder l'oubli de l'humilité avec
les maximes crucifiantes de l'Evangile, scandalise justement les
mondains, et qu'elle répondra un jour, au tribunal de Jésus-Christ,
des blasphèmes que d'inexcusables illusions auront fait vomir
contre son adorable doctrine. Celui-ci, disent-ils, s'est toujours
montré fidèle à sa croyance, sa Religion ne s'est jamais démentie,
il a toujours été chrétien; mais quel est donc cet Evangile qui lui
a toujours laissé la préoccupation de lui même, l'affectation dans
les manières, la suffisance dans les discours? Celui-là, après de
longs désordres, veut expier dans les bras de la Religion ses trop
fameux égaremens ; mais quel est donc cet Evangile qui allie avec
la pénitence la somptuosité des repas , le luxe des ameublemens
et tous les orgueilleux apprêts d'une vie commode et voluptueuse?
DES PRÉDICATEURS. 4^3
Cette femme a quitté le siècle par piété, et n'y reparaît plus que
pour obéir aux bienséances; mais quel est donc son Evangile qui
autorise toujours la recherche dans ses vêtemens, l'élégance dans
sa parure , et peut-être pour plaire encore, les séductions et les ar-
tifices? Enfin cette autre édifia toujours par une vie exemplaire,
elle montra toujours une piété profonde ; mais quel est donc son
Evangile, qu'on ne puisse parler dans sa maison de la douceur des
aines pieuses et de leur humilité, sans voir son époux garder le
silence, ses enfans sourire et ses serviteurs gémir? Tel est le lan-
gage des mondains : c'est par de tels discours que vous les avez
vus déchirer la piété sous vos yeux; c'est ainsi qu'ils parlent de
vous-mêmes, s'ils découvrent en vous un christianisme sans humi-
lité; c'est ainsi que vous ferez retomber sur la religion sainte de
Jésus-Christ le scandale de vos préjugés et de votre aveuglement.
(Le Même.)
Il faut s'exercer sans cesse à l'humilité.
Si vous êtes parvenu à quelque haut degré de puissance et de
gloire, gardez-vous bien de perdre de vue l'humilité : car si un
jour vous venez à en descendre , votre chute ne vous surprendra
point, comme cela arrive à plusieurs qui, par ingratitude ou par
ignorance, refusent de reconnaître la main qui les a comblés de
bienfaits. En effet, s'ils eussent reconnu leur bienfaiteur, ils ne
se seraient pas montrés rebelles à ses commandemens , et s'ils n'a-
vaient pas été rebelles à ses commandemens, certes, ils ne seraient
pas tombés dans ce profond abîme , car il est écrit : « Celui qui se
sera élevé sera abaissé l. »
Ainsi donc , mes frères , étudions-nous sans cesse à nous hu-
milier devant Dieu , afin qu'il nous exalte au moment de sa vi-
site; celui qui ne voudra point s'humilier ainsi de plein gré en
présence de Dieu sera forcé, malgré lui, de se voir humilier.
Chérissons donc l'humilité, puisque notre Seigneur lui-même
nous a dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de
cœur 2. » Gloire soit à lui dans tous les siècles des siècles. Ainsi
soit-il. (Saint Ephrem de Syrie, Parénese XXXI, de ï humilité.)
Le chemin à l'humilité est l'humiliation.
Quel est le moyen le plus court et le plus sûr pour parvenir à la
vraie humilité, si difficile à acquérir?
1 Matth., xxni, 12. — 2 lbkl., xi, 29.
454 NOUVELLE BIBLIOTI1ÈQUE
Saint Bernard y répond admirablement lorsqu'il dit que le che-
min à l'humilité, c'est l'humiliation. Quand on se sert de tout ce
qu'il y a dans la vie chrétienne de contraire à l'orgueil de l'homme
pour avancer dans la vertu, c'est assurément le chemin le plus
court. Porter le fardeau de la loi de Dieu , le poids de sa divine
conduite et tout ce qu'il lui plaît de nous envoyer par sa provi-
dence ; s'anéantir sous sa main puissante ; marcher et avancer ainsi
dans le chemin de la vertu , et ne s'arrêter jamais , c'est le vrai
moyen pour parvenir à l'humilité. (Dossuet, Lettres de piété et
de direction. )
L'humilité est la source d'une véritable paix.
Le secret pour être en paix avec tout le monde, c'est d'avoir un
modeste sentiment de soi-même. Qui est humble n'est en guerre
avec personne. Qu'on l'outrage, il se tait; qu'on lui prodigue les
injures, il supporte tout sans se plaindre. N'est-ce pas là le moyen
le plus sûr d'être en paix , non seulement avec les hommes , mais
avec Dieu? De toutes les vertus, celle qui fait le mieux ressortir le
caractère du Chrétien, c'est l'humilité. Abraham, tout favorisé de
Dieu, reconnaît qu'il n'est que cendre et poussière. Dieu lui-même
rend à Moïse ce témoignage, qu'il était le plus doux et le plus
humble des hommes. Ce chef d'un si grand peuple, qui venait d'é-
Oraser la puissance de l'Egypte avec la même facilité que vous fe-
riez de vils insectes ; qui avait opéré de si grandes merveilles dans
le passage de la mer Rouge et dans le désert, vous le voyez déférer
humblement aux avis de Jéthro. A son langage vous le prendriez
pour un homme du commun. Il ne ressemble pas à ces grands
fastueux qui dédaignent les conseils les plus salutaires, parce qu'ils
leur viennent d'un particulier. Libre de partager la table de Pha-
raon, d'aspirer à son sceptre, et, avec la dignité royale, aux hon-
neurs divins , puisque les Egyptiens mettent au même rang leurs
dieux et leurs rois, Moïse préfère d'aller s'unira ses frères, à de
misérables esclaves accablés de travaux et d'humiliations. Dites-
moi s'il n'y a pas plus de grandeur réelle, plus d'élévation, plus de
magnanimité, de courage dans l'humilité que dans tout le faste de
l'orgueil. Saint Chrysostome 1.)
1 Hom., in Epis t. 1 ad Cor.
DES PREDICATEURS. 4^
Caractères de l'humilité.
L'homme humble ne se laisse jamais séduire par la vaine gloire ;
rempli de la crainte du Seigneur, qui est le commencement de la
sagesse, il n'est jamais détourné par l'orgueil de se rendre com-
plaisant envers son prochain. Il ne compte pour rien sa propre
volonté, ne contredit jamais la vérité, mais se fait une gloire de
lui obéir en toutes choses. Il ne porte point envie à son prochain,
quand il le voit réussir dans quelque entreprise; il ne se réjouit
point du désastre d'un autre, mais il partage la joie de ceux qui en
éprouvent, il verse des larmes avec ceux qui pleurent. Au milieu
du dénuement le plus complet, il ne perd, point courage; comme
on ne le voit jamais devenir insolent au sein delà prospérité et de
la gloire. Il ne sème point la discorde entre ses frères; il est au
contraire en tout leur conciliateur, et ne rend point le mal pour
le mal. Non seulement il aime et il honore ceux qui sont au dessus
de lui, mais même ses inférieurs. La colère ne l'enflamme point, sa
bouche ne prononce jamais d'injures ; il n'a jamais recours ni à la
malice ni à la ruse. Il se montre soumis à tous les ordres de Dieu:
faut-il se lever, même au milieu de la nuit, pour travailler, il n'ac-
corde jamais rien à la paresse. Si on lui fait des reproches, il ne
réplique point par des murmures; il déteste l'amour -propre, et ne
désire jamais occuper les premières dignités; il est désarmé d'en-
tendre quelques discours de spiritualité, et il a continuellement
présens à la pensée les commandemens du Très-Haut. Ah! heu-
reux mille fois ceux qui ont tous ces caractères de l'humilité; c'est
à eux que le Seigneur dit : Désormais je ne vous appellerai plus
mes serviteurs, mais bien mes amis et mes frères. ( Saint Ephrem,
Deuxième exhortation. )
Moyens pour acquérir l'humilité.
Plût au ciel que l'homme n'eût point renoncé volontairement
à la gloire qu'il tenait de Dieu! Grâce alors à la puissance divine
qui l'avait ennobli , à la sagesse infinie qui lui prêtait sa lumière,
il aurait joui à jamais de la véritable élévation qui convenait à sa
nature. Mais sitôt que son cœur se fut livré au péché et qu'il eut
renoncé au désir d'une gloire toute divine dans son principe , il
perdit ce qu'il pouvait acquérir , en voulant saisir un bien auquel
sa nature ne pouvait atteindre. Dans ce fâcheux état où l'orgueil a
2^56 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
placé l'homme, le seul moyen de salut qui s'offre encore à lui , le
seul remède à la maladie qui le dévore, c'est d'être humble , de ne
rechercher jamais en rien l'éclat ni la gloire, surtout de ne jamais
compter sur soi, mais uniquement sur Dieu. De la sorte il corri-
gera ses erreurs, guérira ses blessures, et rentrera dans la soumis-
sion aux ordres de Dieu, à laquelle il avait voulu se soustraire.
Dès que le démon est parvenu à déterminer la chute d'un
homme, en lui présentant l'appât d'une vaine gloire, il ne cesse
plus de l'attaquer par les mêmes moyens : il lui représente les
grandes richesses qu'il possède comme une chose de la plus haute
importance, afin qu'il en conçoive de l'orgueil, quoique, à vrai
dire, ces richesses ne fassent rien à la gloire d'un homme; car,
après tout, un trésor peut bien servir d'aliment à l'avarice, mais
il n'ajoute rien à la réputation de celui qui le possède. S'il peut
produire quelque effet, c'est de l'aveugler et de le rendre l'esclave
de l'orgueil le plus insensé et le plus ridicule.
Toutefois, il n'y a pas que les richesses qui portent ainsi l'orgueil
dans le cœur humain. Si un homme peut s'enorgueillir de ce qu'il
vit au sein de l'opulence, de ce que sa table est toujours couverte
de mets exquis, de ce qu'il est revêtu d'habits magnifiques, les di-
gnités et les honneurs ne sont pas moins propres à l'enivrer. Il ne
voit pas combien il est insensé de se glorifier d'une chose qu'un
caprice vous donne, qu'un caprice peut vous ôter, d'une gloire
qui a bien moins de réalité qu'un songe. D'autres font vanité , et
de la force de leurs bras, et de la rapidité de leurs pieds ,?et de la
beauté de leurs formes corporelles, et ils ne pensent point que
tout cela passe, et que le temps suffit pour réduire en poussière
:ette vaine idole. Il n'y a pas jusqu'à la sagesse elle-même et la
prudence qui ne puissent servir d'aliment à l'orgueil ; tandis que ces
qualités de l'âme ne sont rien si la sagesse divine ne s'y joint pas;
tandis qu'il est évident que rien n'est plus foible j^que cette sa-
gesse de l'homme, quand elle n'est point appuyée sur celle de
Dieu.
En quoi donc l'homme peut-il se glorifier sans blesser la vérité ?
En quoi l'homme est-il véritablement grand? Le voici; c'est Dieu
lui-même qui nous l'apprend par la bouche d'un Prophète : « S'il
« connaît, dit-il, s'il comprend que je suis le Seigneur *. » Voilà le
beau côté de lhomme. C'est en cela que sa nature est sublime.
Voilà sa gloire et sa suprême destination : « C'est de connaître ce
* Jer., ix, 24.
DES PRÉDICATEURS. 4^7
« qui est grand, de s'y attacher, et de ne se glorifier que dans le
« Seigneur, selon le langage de l'Apôtre *. » L'homme ne peut se
glorifier que de cette manière , en reconnaissant qu'il n'est pas
l'auteur de sa propre justification j mais que tout ce qu'il y a de
bien en lui vient de Dieu. De quoi pourriez-vous concevoir de
l'orgueil? Dans vos travaux, c'est Dieu qui vous donne la force et
le courage. « J'ai travaillé plus que tous les autres , dit saint Paul ;
« que dis-je? j'ai travaillé! ce n'est pas moi , mais la grâce de Dieu
« avec moi 2.» Sinous échappons aux dangers,»» en ferons-nous hom-
« mage à notre prudence , quand il est évident que c'est le Dieu
« auquel nous espérons qui nous tire de ces mêmes dangers contre
« toute espérance des hommes3. » Pourquoi donc vous enorgueil-
lir ainsi de ce qu'il y a de bien en vous , de ce qui vous arrive
d'heureux, tandis que vous ne devriez penser qu'à rendre grâce à
votre bienfaiteur? Entendez-le qui vous crie : « Qu'avez-vous que
« vous n'ayez reçu ? et si vous l'avez reçu, pourquoi vous en faites-
« vous gloire, comme si vous ne l'aviez pas reçu 4? » Ce n'est point
vous qui êtes venu à la connaissance de Dieu par vos propres
forces; mais c'est Dieu, dont la miséricorde infinie vous a choisi.
Ce n'est point vous qui avez saisi de vous-même Jésus-Christ : c'est
Jésus-Christ qui vous a saisi en se faisant homme pour vous. Est-
ce parce que vous êtes comblé d'honneurs que vous vous glori-
fiez ? et faut-il qu'un bienfait de Dieu devienne en vous le principe
de l'orgueil le plus insensé ? « Ah ! n'élevez point ainsi votre cœur,
« mais craignez 5; bientôt un jugement sévère va succéder à la fa-
veur ; et le grand juge va examiner ce que vous avez fait de ses
dons. Ce pharisien superbe perdit à cause de son orgueil la gloire
de sa justice ; et, au contraire, cet humble publicain, qui rappor-
tait toute sa vie à Dieu, descendit du temple justifié. Imitez l'exemple
de ce dernier : ne vous mettez jamais en esprit au dessus de votre
frère , quelque pécheur qu'il fût ; car souvent l'humilité justifie
celui qui a le plus de péchés.
Vous croyez avoir fait quelque chose de bien ? Rendez grâce
à Dieu , et ne vous mettez point au dessus de votre prochain : car
en quoi avez-vous été utile à votre prochain quand vous avez con-
fessé votre foi , ou que vous avez souffert les rigueurs et les priva-
tions de l'exil pour le nom de Jésus-Christ ? C'est pour vous que
vous avez travaillé, et non pour votre prochain. Vous seul en re-
1 I Cor., i, 31. — 2 Ibid. , xv , 10. — s ibid. , i, 6. ~ * Ibid., iv, 7. — s Rom.,
xi, 18.
458 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
cueillerez les fruits. Craignez d'imiter le démon dans sa chute, en
voulant l'imiter dans son orgueil. Souvenez-vous de cette maxime :
« Dieu résisteaux superbes, mais il donne la grâce aux humbles1. »
Ayez aussi toujours présente à la pensée cette maxime du Sau-
veur : « Quiconque s'humilie sera exalté, et quiconque s'exalte
« sera humilié 3, m Ne devenez point pour vous-même un juge
aveugle et injuste; si vous croyez avoir fait quelque chose de bien,
ne perdez point le souvenir de vos anciennes fautes. C'est la meil-
leure manière d'empêcher l'orgueil de pénétrer dans votre aine et
d'y faire des progrès; c'est le plus sûr remède que vous puissiez op-
poser à l'enflure qu'il produit. Si vous voyez faire quelque faute à
un de vos frères , gardez-vous de n'avoir des yeux que pour cette
action: rappelez-vous ce qu'autrefois vous lui avez vu faire de bien.
Puis, vous comparant ensuite avec lui, vous le trouverez souvent
meilleur que vous n'êtes, si vous examinez la chose en juge impar-
tial. Voilà les moyens que nous devons employer pour repousser
les insinuations de l'orgueil et conserver l'humilité. Imitons en
tout notre Seigneur: il est descendu du ciel pour vivre sur la terre,
au sein de la plus profonde humilité; et toute sa vie n'a eu pour
but que de nous apprendre combien cette vertu nous est nécessaire.
Comment donc parviendrons-nous à cette salutaire humilité? Il
faut que tout ce qui vous environne, vos vêtemens , votre démar-
che, vos meubles, votre table, votre maison, vous le retracent
sans cesse; il faut qu'elle se montre encore, et dans vos discours,
et dans vos chants, et dans vos conversations avec votre prochain,
en sorte que dans tout cela l'on remarque beaucoup plus de mo-
destie que d'envie de paraître. Que je ne vous voie jamais mettre
dans vos discours l'orgueil d'un sophiste ; dans vos chants, l'affec-
tation d'un musicien plein de lui-même; dans vos disputes, l'opi-
niâtreté superbe d'un philosophe: soyez au contraire condescen-
dant envers vos amis, doux envers vos inférieurs, patient envers
ceux que la colère emporte, humain envers les faibles ; ne mépri-
sez jamais personne, consolez les affligés, soyez facile dans tous
vos rapports avec vos frères , gai en répondant lorsqu'on vous in-
terroge, poli, d'un abord facile à tout le monde; qu'on ne vous
entende jamais publier vos louanges, qu'on ne vous voie jamais su-
borner quelqu'un pour les publier; cachez, autant que vous pour-
rez, ce qu'il y aura en vous d'excellentes qualités ; et soyez tou-
jours prêt à vous accuser, à cause des nombreux péchés que vous
1 Prov., m, 54. — 2 Luc, xiv, H.
DES PRÉDICATEURS. 4^9
avez commis. Mettez autant de soins pour éviter d'être glorifié
parmi les hommes, que d'autres en mettent pour acquérir de la
gloire. Que si vous êtes parvenu à quelque dignité éminente, si
les hommes vous rendent des respects et vous accordent de la gloi-
re, soyez en tout semblable à vos inférieurs, ne vous prévalez ja-
mais de votre autorité; « car celui qui veut être le premier doit,
« selon la parole du Sauveur, se faire le serviteur de tous \i»
Attachez-vous donc à acquérir l'humilité; aimez-la, et elle sera
votre gloire. Le Seigneur vous reconnaîtra pour son disciple, il vous
glorifiera si vous imitez l'humilité de celui qui a dit: « Apprenez de
moi que je suis doux et humble de cœur 2; » et vous trouverez le re-
pos de vos âmes. Gloire lui soit rendue dans tous les siècles. Ainsi
soit-il. (Saint Basile, Homélie XX.)
Le Chrétien sera humble s'il se souvient qu'il est homme.
Il semble d'abord que c'est faire outrage à celui qui s'est nourri
des vérités de la religion les plus sublimes, que de lui rappeler
qu'il est homme, et qu'il ne faudrait pas le faire descendre à des
considérations si vulgaires, quand sa piété, depuis long-temps, a
dû le détacher des affections de la terre et l'élever à de hautes mé-
ditations. Gependant, quand on voit des Chrétiens ne montrer si
souvent, au lieu de lapatience dans les humiliations, que l'indigna-
tion et la révolte ; au lieu de l'amour de l'obscurité, qu'un désir in-
satiable d'applaudissemens et de gloire; au lieu d'une charitable
condescendance pour des égaux, qu'une dédaigneuse arrogance;
enfin, au lieu d'une autorité paternelle sur des inférieurs, qu'une
tyrannique domination, il faut bien les faire souvenir de leur condi-
tion, et ne pas souffrir qu'ils se séparent, dans leur injuste mépris,
de ceux que la nature a rendus leurs pareils par une origine commu-
ne ainsi que par la même destinée.
Aussi l'Eglise , quand elle veut préparer ses enfans aux abaisse-
mens de la pénitence solennelle, ne croit pas pouvoir leur adresser
déplus éloquente leçon qu'en leur rappelant qu'ils sont hommes,
jugeant qu'il n'est point de sacrifices si humilians qui ne devien-
nent légers et faciles à cet unique souvenir : Mémento, homo, quia
pulvis es et in pulverem reverteris.
Et, en effet, pour emprunter ici son langage, oubliez, j'y con-
sens pour un moment, oubliez tant de considérations propres à
1 Marc, x, 44. — aMatlh., xi, 29.
46o NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
abaisser votre orgueil, et que la pieté dont vous faites profession a
dû depuis long-temps vous offrir: du moins souvenez-vous que
vous êtes homme, souvenez-vous des misères de votre nature, de
sa dégradation, de ses assujétissemens, de sa faiblesse: Mémento,
homo; et alors, loin de redouter pour vous la présomption d'une
vaine complaisance, je craindrai plutôt le découragement et le dé-
sespoir. Souvenez-vous que l'artisan suprême a pétri du même li-
mon le roi et son sujet, le maître et son esclave 5 qu'il n'a pas em-
ployé une argile de choix pour former cette maison de boue cù
votre ame est captive, et que son souffle peut enfin chaque jour
en briser le frêle édifice: Pulvis es. Et alors vous sentirez qu'avec
une telle bassesse et une telle fragilité, il convient mal de porter
sur son front tant d'assurance et tant de hauteur, et qu'il vous
faut combler enfin l'intervalle immense que vos prétentions immo-
dérées voulaient mettre entre vous et vos égaux. Souvenez -vous du
sort qui vous attend: ver de terre sorti de la corruption, et destiné
à ramper un instant dans cette vallée de larmes, levez la tête et
enflez-vous, tant qu'il vous plaira, d'un fol orgueil, la boue où vous
prîtes naissance vous réclame; et, malgré vos résistances, il faudra,
dans quelques heures, inévitablement y rentrer: In pulverem rêver-
teris. Et alors vous serez plus traitable peut-être, et plus accessi-
ble pour ceux qu'attend, comme vous, une fin si humiliante; ^et
peut-être que l'avilissement auquel vous êtes condamné, dissipant
les vaines pensées que vous aviez conçues de votre perfection, ne
vous laissera plus pour vous que le mépris, que la pitié, que le
dégoût: In pulverem reverteris.
Mais vous vous consolez peut-être de votre honte réelle en con-
sidérant que tous les hommes la partagent enfin avec vous, et vous
n'en cherchez pas moins à vous séparer de la foule par la frivole
supériorité de quelques avantages imaginaires : du moins il faudra
toujours que la misère de votre condition s'y trahisse par quelque
endroit; il faudra que cette rouille secrète s'attache à tous vos pri-
vilèges et ternisse l'éclat dont vous voudriez éblouir nos regards ;
enfin il faudra que, dans cette splendeur même et dans cet appa-
reil qui serveni de prétexte à votre orgueil, vous vous souveniez
que vous êtes homme, et que vous fassiez toujours la part de l'hu-
milité. Vous nous montrez avec faste la magnificence de vos pa-
lais, le luxe de vos ameublemens, la somptuosité de vos repas, la
pompe de vos fêtes; voilà pour l'orgueil. Mais, parce que vous
êtes homme, il faut que cette immense fortune, dont vous êtes si
vain , laisse circuler sur son origine de honteuses rumeurs , que
DES PRÉDICATEURS. 4°*I
l'on fixe dans votre famille lepoque de son agrandissement sou-
dain, que l'on aille jusqu'à citer la bassesse adroite ou le crime
heureux dont cette opulence fut le fruit : voilà pour l'humilité.
Vous aimez à parler de l'éclat de votre naissance, à compter la
longue suite de vos aïeux, à nous relever dans nos annales leurs
nombreux services et leurs mémorables exploits : voilà pour l'or-
gueil. Mais, parce que vous êtes homme, il faut que d'une race de
héros vous ayez la confusion de voir sortir un lâche qui renon-
cera sous vos yeux au patrimoine de leur gloire, un cœur dégradé
qui, héritant de leur nom sans hériter de leurs vertus, associera
pour jamais à leurmémoirerévéréela honte ineffaçable de ses vices
ou de ses forfaits : voilà pour l'humilité. Vous obtenez une gloire
plus solide, et vous goûtez la douceur d'entendre célébrer l'éléva-
tion de vos sentimens, la variété de vos connaissances , les char-
mes de votre esprit : voilà pour l'orgueil. Mais, parce que vous
êtes homme , il faut que votre conscience, désavouant tout basées
éloges pompeux, vous force de reconnaître que ce cœur si haut
ne s'est pas toujours souvenu de sa noblesse, que ces connaissan-
ces si étendues rencontrent souvent des limites , et que cet esprit
enfin, dont on vante les agrémens et les saillies, a besoin, dans
le secret, de préparer ses succès par de honteuses précautions et
de puérils artifices : voilà pour l'humilité. (M. Borderies.)
Le Chrétien sera humble s'il se souvient qu'il est Chrétien.
Je sais, Chrétiens, que notre corruption essaie de faire un ac-
cord avec l'Evangile , et que, n'osant espérer grâce pour des vices
odieux, elle voudrait du moins sauver l'orgueil, sa passion la plus
chère, et le soustraire aux arrêts d'une inflexible sévérité; bien
plus, grâce à ces raffinemens du monde fet à ses subtilités, l'or-
gueil parvient à s'ennoblir et à se déguiser sous des noms honora-
bles. S'enfler de son pouvoir ou de ses titres, c'est un témoignage
qu'on doit à sa grandeur; s'aigrir des délais, s'irriter des refus,
c'est une juste et noble fierté; refuser d'obéir, briser le joug du
devoir, c'est la conscience de ses droits; enfin les enfans de lumière
eux-mêmes semblent trouver trop pesant le précepte de l'humilité,
et c'est au fond des cloîtres qu'ils prétendent reléguer l'obligation
et le pouvoir de l'accomplir. Eh quoi ! est-ce pour les seuls habi-
tansdes cloîtres ou bien pour tous ses disciples que Jésus, offrant
à la terre l'exemple d'une vertu inconnue avant lui, a voulu que
l'humilité le séparât, par une distinction inattendue, de tous les
/,()2 nouvelle bibliothèque
orgueilleux précepteurs qu'avait entendus le genre humain, et
servît de premier appui à ses divines leçons? Discite a me, quia mh
tis sum et humilis corde. Parlait-il pour les seuls habitans des cloî-
tres ou bien pour tous ses disciples lorsqu'il menaçait l'orgueil d'un
honteux abaissement, et promettait à l'humilité la seule grandeur
véritable: Qui se humiliât exallabitur^ ou lorsque, plaçant près
de lui des petits enfans , il proposait aux hommes pour modèle
d'humilité cet âge d'innocence et d'oubli de soi-même qui , encore
insensible aux intérêts du siècle, s'inquiète peu de ses vaines sol-
licitudes, et ne connaît ni la soif des honneurs, ni les dépits de
l'ambition trompée , ni la haine d'un rival et ses sombres fureurs ?
Nisi efâciamini sicut parvuli, non intrabitis in regnum cœlorum.
Enfin est-ce pour juger les seuls habitans des cloîtres ou bien tous
ses disciples qu'il doit se faire précéder, au dernier jour, par l'in-
strument de sa mort ignominieuse, et réduire au silence les
prétextes de la lâcheté et les murmures de l'orgueil, en offrant à
tous les regards l'irrécusable témoin de son humilité ?
Ah! Chrétiens, cette croix qui, à ce jour formidable, doit faire
couler tant de pleurs et confondre les superbes contempteurs des
affronts de Jésus, peut vous épargner aujourd'huile malheur d'un
repentir inutile , si vous voulez recevoir en chrétien ses touchan-
tes leçons :vous avez pu obscurcir par vos préjugés ou altérer par
vos sophismes larigueur d'un commandement que Jésus vous avait
intimé tant de fois durant les jours de sa vie mortelle; mais sur la
croix le précepte de l'humilité est écrit pour le Chrétien en carac-
tères de sang, lisibles pour tous , et repoussant toute réclamation
et toute excuse; car, selon la pensée de l'apôtre saint Pierre, la
croix n'offre pas seulement au Chrétien un Sauveur lavant dans son
sang les iniquités du monde, mais elle lui présente aussi un guide
qui, par ses exemples, nous trace la route que nous devons tenir:
Christus passus est vobis relinquens exemplum ut sequamini ves~
tigia ejus.
Non , puisqu'il convient que le serviteur ne soit pas mieux traité
que son [Seigneur, ni le disciple mieux que son maître, le Chré-
tien ne peut repousser l'humilité, au pied d'une croix sur laquelle
le Fils de Dieu a voulu endurer de si sanglans outrages ; au pied
de la croix, l'amour-propre oublie ses délicatesses, la fierté ses
hauteurs , l'orgueil son arrogance , et il découle de ce bois sacré
une onction secrète qui guérit l'enflure du cœur, et mêle le baume
d'une ineffable consolation à l'amertume des plus humilians sacri-
fices. S'il vous faut endurer les dédains , et les rebuts réservés si
DES PRÉDICATEURS. 4^3
souvent à la pauvreté , la croix vous montre le Sauveur terminant,
dans le plus honteux dépouillement , une vie passée dans l'indi-
gence. Si vous êtes tombé du faîte des honneurs, la croix vous
montre le Roi des rois descendu à l'abjection la plus profonde. En-
fin, si la calomnie vous déchire sans pitié, si l'orgueil ou l'injus-
tice vous abreuvent de dégoûts, la croix vous dit que Jésus a voulu
choisir encore pour lui le fiel le plus amer et les épines les plus
cruelles : Christus passus est vobis relinqueiis exemplum ut sequa-
mim ' vestigia ejus. (Le Même.)
Jésus-Christ recommande l'humilité.
La première des leçons que notre divin législateur a voulu don-
ner aux hommes est celle de l'humilité : c'est par là qu'il ouvre
son code de salut : Heureux les pauvres d'esprit. L'architecte qui
se propose d'élever un grand et magnifique bâtiment commence
par assurer le fondement en proportion de l'édifice; voilà ce que
fait Jésus-Christ. A l'édifice de cette philosophie sublime qu'il al-
lait introduire sur la terre , il donne pour base l'humilité , sachant
bien que du moment où elle serait solidement assise dans les cœurs,
toutes les autres vertus viendraient s'y ranger à la suite. Vaine-
ment on posséderait tout le reste; sans humilité, vous n'avez fait
que bâtir sur le sable, et tout votre travail est sans profit.
Je n'appelle point humilité un langage qui n'est que sur les
lèvres; je la veux dans le cœur et dans l'esprit; je la veux
dans le fond de la conscience, où l'œil de Dieu pénètre seul.
Celle-là suffit pour nous concilier la miséricorde divine: témoin
le publicain de l'Evangile qui, sans autres bonnes œuvres, fut
justifié parce qu'il s'était accusé lui-même : Seigneur^ ayez pitié
de moi qui suis un pécheur ^ tandis que le Pharisien ne put trouver
grâce. Si l'humble aveu de ses fautes, bien que dépouillé de toute
autre espèce de mérite, assure la miséricorde du Seigneur, que ne
doivent pas en attendre les bonnes œuvres accompagnées de l'hu-
milité ? Ainsi Paul, le plus parfait parmi les justes, disait n'être
que le plus grand des coupables ; il ne se contentait pas de le
dire , il en était fortement persuadé , pratiquant cette maxime
du Maître : Quand vous aurez tout fait , dites encore que vous
lï êtes que des serviteurs inutiles. (Saint ChrysostÔme, Homélie sur
la vocation de saint Paul.)
Jésus-Christ exalte l'humilité.
C'est à l'humilité que Jésus-Christ assigne le premier rang parmi
464 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
ses béatitudes, parce que le déluge des maux qui inondent la terre
n'a point d'autre source que l'orgueil. Le Démon avait été de la
nature des Anges ; c'est l'orgueil qui en a fait un Démon. Enivré
par les folles espérances qu'il lui donna, le premier homme s'aban-
donne à l'orgueil : il est déchu de tous ses privilèges, et tombe
dans la mort. Il s'est imaginé qu'il allait devenir l'égal de Dieu , et
perd même ce qui lui avait été donné. VoiVa Adam devenu comme
ïun de nous, lui dit ironiquement le Démon, en insultant à sa
délirante audace : telle est la chimère de ses imprudens imitateurs ;
l'orgueil leur fait croire qu'ils seront semblables à Dieu.
L'orgueil étant donc le principe de tous nos maux, parce qu'il
est la source de tous nos désordres, le père du péché, Jésus-Christ,
pour le guérir par son contraire, nous propose l'humilité, comme
en étant le préservatif et le remède. C'est là le fondement sur le-
quel repose tout l'édifice. Avec l'humilité, on bâtit avec assurance;
sans l'humilité vous élèveriez jusqu'au ciel l'édifice de vos vertus,
le bâtiment croule et tombe en ruines; prières, jeûnes, œuvres de
miséricorde, combats et victoires sur la chair, tout, en un mot, est
stérile et mort sans l'humilité.
Heureux, nous dit le souverain législateur, heureux les pauvres
d'esprit, parce que le royaume du ciel est à eux. Quels sont les
pauvres d'esprit ? ceux qui sont humbles et contrits de cœur. On
peut être humble par la bassesse de son état , par nécessité , non
par choix. Ce n'est point là la vertu dont parle Jésus-Christ.
L'humilité vraie , dont il fait ici l'éloge, c'est celle qui provient
d'un cœur pénétré de la crainte de Dieu , qui s'abaisse, se déprime
d'elle-même dans ses pensées et ses affections, se reconnaissant
dans une indigence totale; d'où vient qu'il dit heureux, non pas seu-
lement les humbles, mais les pauvres desprit! dans le même sens
que les paroles du Prophète : Sur qui jetterai- je les yeux , sinon sur
le pauvre contrit et humilié?
Pourquoi tant recommander si fort l'humilité à ses Disciples, tous
d'une condition si humble? Avaient-ils eu jusque là la moindre
occasion de concevoir de l'orgueil, eux dont la profession et l'in-
digence ne faisaient que des hommes grossiers, méprisables à leurs
propres yeux comme à ceux des autres? Quand cette leçon ne les
eût pas regardés spécialement, elle n'en était pas moins impor-
tante pour tous ceux qui l'entendaient de sa bouche, ou qui de-
vaient la recueillir de la bouchée de ces mêmes Apôtres. Elle les
vengeait du mépris que l'orgueil pouvait concevoir de leur ap-
parente bassesse. Mais il y a plus : si peut-être alors cette instruc-
DES PRÉDICATEURS. 4^5
lion ne leur était pas également nécessaire, elle ne manquerait
pas de le devenir, pour le temps qu'ils se verraient en possession
de faire des œuvres si extraordinaires, de se voir honorés de l'ad-
miration des peuples, d'être si avant dans la confiance du Seigneur.
Y avait-il richesses, dignités, empire même capable d'exalter l'or-
gueil , comme les privilèges singuliers auxquels ils étaient desti-
nés, avant même d'avoir reçu le don des miracles? Le seul aspect
de ce nombreux concours de peuple empressé d'apporter à leur
maître l'hommage de l'admiration suffisait pour leur inspirer des
pensées humaines. (Saint Cïirysostôme, Homélie XV, in Matth.)
Péroraison.
Eh quoi! Seigneur, en faut-il tant pour consentir à être humble?
et ma conscience, malgré les réclamations de l'orgueil, ne me dit-
elle pas assez haut que, quand l'humilité ne serait pour les autres
qu'une vertu de conseil, elle serait encore pour moi une vertu de
justice et de rigueur? Car j'aurais beau être insensible à vos
exemples et à vos lecons,j'aurais beau méconnaîtrela loi imposée aux
enfans d'Adam et les humiliantes servitudes de ma condition , du
moins il faut bien me souvenir de ma faiblesse, de ma corruption,
de mes égaremens peut-être ; et si cette vue ne produit pas en moi
l'humilité , l'endurcissement de mon cœur expliquera seul cette in-
justice. Que d'autres prétendent aux honneurs! je suis pécheur,
l'humiliation doit punir celui qui, par le péché, s'est dépouillé
de sa véritable grandeur ; qu'ils se montrent jaloux des distinctions !
je suis pécheur, le dernier rang convient à celui qui a préféré
l'asservissement des passions aux privilèges de l'adoption divine ;
qu'ils aspirent à la gloire! je suis pécheur, je dois expier sous le
joug de la confusion et du mépris mon avilissement et ma dégra-
dation volontaires ; enfin , je suis pécheur , c'est par l'humilité que
je dois apaiser un Dieu irrité par mon orgueil et mériter moi-même
de partager un jour la seule gloire véritable.
O Jésus, qui le premier apprîtes à la terre à connaître le prix
et le nom même de l'humilité, vous venez de porter sous mes yeux
le flambeau de la vérité, et de poursuivre mon amour-propre jus-
que dans ma piété même, dont il voudrait se faire une dernière
retraite. O Fils de Dieu! anéanti jusqu'à devenir le Fils delhomme,
vous avez bien acquis le droit de me commander l'humilité , vous
qui, bien différent des maîtres d'une sagesse profane, ne vous
contentez pas de m'en donner le précepte, mais qui me la prêchez
t. m, 3o
£66 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
par vos exemples, depuis la paille chétive qui, à votre naissance,
vous a servi de couche, jusqu'au bois de l'ignominie sur lequel
en mourant -vous fûtes étendu. Mais quoi ! le cri de ma conscience
ne devrait-il pas être ma première leçon ? Au milieu de ces vertus
d'appareil dont je fais gloire, ne l'entends-je pas quelquefois me
reprocher mes misères , mes faiblesses , ma corruption peut-être ?
Ah! si je n'ai pas le courage d'en révéler la honte, il faut bien du
moins que je sois assez juste pour être humble à ce souvenir.
Pourquoi murmurer après tout, et pourquoi me plaindre ? L'hu-
milité n'a-t-elle pas aussi ses charmes et ses douceurs? elle em-
bellit la vertu , elle rehausse le prix des talens , elle relève l'éclat
de la naissance, elle ennoblit la pauvreté, elle est le fondement
d'une piété solide et le garant des récompenses éternelles. Ainsi
soit-il. ( M. Borderies.)
DES PRÉDICATEURS. 4%
IMMORTALITE DE L'AME.
REFLEXIONS TIIEOLOGIQUES ET MORALES SUR CE SUJET.
La vie de l'homme consiste dans l'union de son ame avec son
corps; sa mort est la séparation de ces deux substances. Mais de
ce qu'elles cessent d'exister ensemble, il ne s'ensuit pas qu'elles
cessent absolument d'exister. Leur union n'est pas une chose qui
leur soit essentielle. Je conçois un corps humain existant sans une
ame; et dans le fait, avant que le corps mort se dissolve et tombe
en pourriture, je le vois tout entier, et tel qu'il était, à son mou-
vement près, qui est un accident et non un attribut essentiel des
corps. Je conçois de même une substance spirituelle existante
sans qu'elle soit unie à la matière. J'ai l'idée de Dieu , l'idée de
l'Ange; je puis de même avoir l'idée isolée et indépendante de son
corps. C'est Dieu, créateur de l'ame et du corps, qui les a unis par
sa volonté ; qui, par sa même volonté, peut les faire subsister sé-
parés; et comme ces deux êtres ne sont pas l'un à l'autre des cau-
ses d'existence, ils ne se sont pas non plus mutuellement des cau-
ses de destruction.
La séparation de deux substances unies pour former un seul
tout, est, à la vérité, la destruction de ce tout : les parties dont il
était composé ne le composant plus, il a cessé d'être ce qu'il était.
Ainsi, à la séparation de l'ame et du corps, l'homme n'est plus
homme , puisquiiLnexiste plus un composé de corps et dame.
Mais la séparation de deux substances dont l'union formait un
tout n'est pas la destruction de ces substances elles-mêmes; et
nous en avons la preuve dans ce qui arrive au corps lui-même :
peu après sa séparation d'avec lame, il se dissout, se corrompt;
les particules de matière dont il était composé se séparent les unes
des autres; ainsi le corps lui-même, au bout de quelque temps,
est détruit, mais ses parties ne le sont pas ; dans leur division,
elles continuent d'exister, et vont se réunir à d'autres particules
3o.
/,fi8 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
de matière pour former d'autres corps. Nos adversaires prétendent
eux-mêmes qu'il ne périt pas un seul atome dans le monde : la
scission qui détruit l'ensemble laisse subsister toutes les parties.
Or, si la séparation de substances homogènes , telles que sont les
parties de la chair humaine , n'entraîne la destruction d'aucune de
ces parties, à plus forte raison, de la séparation de deux substan-
ces aussi différentes par leur nature que le sont l'ame et le corps,
on ne peut pas conclure que l'ame est détruite et cesse d'exister,
parce qu'elle cesse d'être unie au corps.
Un être peut éprouver la destruction de deux manières: ou par
la dissolution, ou par l'anéantissement. Le corps humain (et il en
est de même de tous les autres corps) se détruit par dissolution ,
par la divulsion de ses parties : le lien qui les unissait étant rom-
pu, elles se divisent, et cessent de former le même corps, qui dès
lors est détruit. Mais l'ame n'est pas, comme le corps, un composé
de parties; elle est, ainsi que nous l'avons prouvé, absolument
simple et indivisible : elle ne peut pas perdre un arrangement
qu'elle n'a point ; ce qui n'est point composé n'est pas susceptible
de décomposition ; ce qui n'a point de parties ne peut pas périr
par la séparation de ses parties. La dissolution, la corruption d'une
substance spirituelle est une contradiction formelle dans les ter-
mes. Ainsi , d'abord ce serait une absurdité de dire que le corps ,
par sa dissolution, entraîne celle de l'ame.
Il ne serait pas moins déraisonnable de soutenir que la destruc-
tion du corps, qui est, non une annihiliation , mais une simple
dissolution, produisît l'annihilation absolue de l'ame : ce serait un
effet hors de proportion avec sa cause. Quelle connexion y a-t-il
entre le principe, le corps est dissout, et la conclusion, donc l'ame
est anéantie? Quelle est l'idée qui unit ces deux-là? qui montre
que l'une découle nécessairement de l'autre? d'après laquelle la
première de ces propositions ne peut pas être vraie sans que la se-
conde le soit?
L'ame, indissoluble, ne peut être détruite que par l'anéantisse-
ment; d'où il résulte évidemment qu'elle ne peut être détruite par
aucun agent naturel. En effet, i° toutes les forces de la nature
consistent dans le mouvement; elles n'agissent que parle contact;
elles ne détruisent les êtres qu'en les heurtant, les brisant, divi-
sant et dispersant leurs parties ; mais la substance spirituelle n'est
pas susceptible de contact; elle ne donne aucune prise au choc;
il est évident que ce qui n'a pas de solidité ne peut pas être heur-
té; que ce qui n'a pas de parties ne peut pas éprouver une division
DES PRÉDICATEURS. 4^9
de parties. i° Ce n'est pas seulement la substance spirituelle que
les agens naturels sont dans l'impuissance d'anéantir; tout anéaîi-
tissement est au dessus de leurs forces. L'intervalle entre le néant
et l'être est infini; il faut donc, pour le franchir et pour faire
passer de l'un à l'autre la puissance infinie ; celui-là seul peut
faire rentrer dans le néant, qui seul a pu en faire sortir. L'annihi-
lation , de même que la création , est un acte de la Toute-Puis-
sance : l'homme ne peut que composer et décomposer; il est au
dessus [de son pouvoir d'ajouter à la nature ou d'en retrancher
un seul atome.
Puisque la destruction , ou , ce qui revient au même, l'annihila-
tion de l'ame ne peut être que l'effet de la volonté libre du Tout-
Puissant, elle ne peut nous être connue que par une manifestation
positive, faite par le Tout-Puissant, de cette volonté. Incrédules,
qui soutenez cet anéantissement, il vous est donc nécessaire, pour
le prouver, de produire une révélation divine qui le déclare.
Si la nature de l'ame prouve métaphysiquement qu'elle est indis-
soluble, qu'elle ne renferme par conséquent en elle-même aucun
principe de destruction , que la ruine du corps auquel elle est
unie ne lui porte aucune atteinte, de même que le déchirement
d'un habit laisse dans son entier le corps qui en est revêtu, la des-
tination que lui abonnée son Auteur est encore un motif d'en
être convaincu.
Ce n'est pasjl'ame qui est faite pour le corps; c'est au contraire
le corps qui est fait pour l'ame. Tout nous le montre : la dignité
de l'ame, l'autorité qu'elle a sur le corps, dont elle commande
avec empire tous les mouvemens; l'obéissance constante du corps
a ses ordres, tandis qu'elle reste maîtresse de résister aux impres-
sions que le corps lui communique; son activité naturelle , tandis
que le corps est inerte de sa nature. Le corps n'est qu'un instru-
ment que l'ame, agent libre et actif, meut, conduit et applique
selon sa volonté aux usages qui lui plaisent; est-ce une conséquence
naturelle et juste que l'agent soit détruit parce que l'instrument
dont il se servait est brisé ?
L ame est destinée à régir le corps , à le conserver, à le préser-
ver des dangers auxquels l'expose son aveugle imbécillité. Mais'n'a-
t-elle que cette destination ? Si elle n'en avait pas d'autre, on au-
rait quelque fondement d'imaginer qu'à la dissolution du corps
l'ame, devenue inutile aux desseins de son Auteur, serait anéantie
par lui, ainsi que le pensent, au sujet des bêtes, ceux qui leur ac-
cordent une ame spirituelle. Ce n'est pas encore ici le lieu
470 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
d'examiner quelle peut être la destination ultérieure de l'âme hu-
maine; mais il est certain qu'outre la sollicitude et le régime du
corps, elle a été créée pour une autre fin. Si les soins du corps
étaient le seul objet de sa création , toutes ses opérations n'au-
raient d'autre but que les besoins du corps ; et jamais ses pensées,
semblables alors à celles des bêtes , ne s'élèveraient au delà. De
quoi lui servirait, dans ce cas , d'avoir la connaissance de son Au-
teur, la notion du bien et du mal moral, le sentiment de sa liberté,
capable de choisir entre l'un et l'autre ? Un Créateur sage lui au-
rait-il donné ces facultés sans motif et sans dessein? Ainsi, quand
nous voyons l'âme s'élever au dessus du corps, et en quelque
sorte s'en séparer par ses idées, par ses méditations, par ses affec-
tions, par ses désirs, par ses volontés, nous pouvons légitimement
conclure que le corps n'est pas son seul objet, son unique fin. En
traitant de ia spiritualité de l'ame, nous avons vu qu'outre les opé-
rations qu'elle fait par l'intermédiaire du corps, elle en produit
d'autres, qui lui sont exclusivement propres , dans lesquelles le
corps n'entre pour rien , pour lesquelles elle n'a aucun besoin
de lui, auxquelles il ne concourt ni ne sert nullement. Ne
peut-on pas encore en inférer que, séparée du corps, l'ame restera
toujours capable de ces fonctions?
Nos adversaires font le raisonnement contraire : « La vie de
» l'ame n'est que la succession de ses pensées : ainsi, en cessant
« de penser, elle cesse de vivre. Mais toutes ses pensées tiennent à
« ses sens, lui viennent de ses sens : on ne conçoit pas qu'elle pense
« indépendamment de ses organes; on ne conçoit pas qu'elle existe
« sans son essence, qui est la pensée. Que pourrait-elle donc être
« sans le corps, qui est nécessaire à son être? »
C'est une question qu'agitent les métaphysiciens, de savoir si
l'essence de l'ame consiste dans la pensée actuelle ou dans la fa-
culté de penser. Nous n'avons pas à y entrer : accordons aux in-
crédules leur principe; consentons que lame ne soit jamais sans
quelque pensée : tout ce qui en résultera , c'est que lame séparée
du corps continuera toujours d'avoir des idées. Je conçois une
substance spirituelle, pensante, sans le ministère des sens,
puisque j'ai l'idée de Dieu absolument incorporel. Il ne répugne
pas davantage que l'ame produise des pensées , quoiqu'elle ne soit
plus unie à un corps. Bayle, dont l'autorité ne doit pas être sus-
pecte aux incrédules, reconnaît que Dieu pourrait imprimer à
lame séparée du corps, immédiatemeut et sans l'intermédiaire des
sens, les idées mêmes qui viennent des sensations.
DES PRÉDICATEURS. ^ l
Je vais plus loin : et, avec l'orateur philosophe, je dis que Ton
conçoit plus facilement, plus clairement l'aine existante et pen-
sante, lorsqu'elle est isolée et séparée du corps, que quand elle y
est unie. L'union de lame avec le corps est incompréhensible ;
l'influence réciproque de ces deux substances passe nos lumières ;
je crois cette réciprocité d'opérations parce que je la sens; mais la
manière dont elle s'effectue est pour moi un mystère. La pensée
de l'être purement spirituel se comprend bien plus aisément :
l'incompréhensibilité de la communication n'est plus; ce mystère
a disparu. Moins je comprends comment le corps fait naître dans
l'ame des pensées, plus je conçois les pensées dans l'aine devenue
indépendante du corps. Il me semble absurde de prétendre qu'un
être essentiellement actif a essentiellement besoin, pour exercer
son action, de la conjonction, du concours, de la coopération
d'un autre être essentiellement passif et inerte.
Toutes les pensées de lame lui viennent , dit-on , des sens ; pas-
sons pour un moment l'assertion : qu'en résulte-t-il ? C'est un rai-
sonnement aussi faux que celui-ci : l'ame , pendant la vie , pense
par l'intermédiaire des sens, donc elle ne peut jamais penser au-
trement; son état actuel est de penser par le corps, donc il est
impossible qu'il y ait pour elle un autre état dans lequel elle pense
sans le corps.
Mais, d'ailleurs, les matérialistes ne cessent de répéter ce prin-
cipe fondamental de leur système, que toutes les pensées sont
produites par les sens ; mais ils ne le prouvent jamais. Ils donnent
comme un axiome incontestable ce qui est en question , ce qu'on
leur conteste, ce dont on leur démontre évidemment la fausseté.
J'ai traité ce point assez amplement ailleurs, pour n'avoir pas à y
revenir ici.
«L'ame, disent encore quelques incrédules, éprouve toutes
« les révolutions du corps; elle doit donc subir aussi celle de la
« mort. »
Et le fait et la conséquence du fait, tout est faux dans ce rai-
sonnement.
En premier lieu, en traitant de la spiritualité de l'ame , à laquelle
on oppose la même difficulté, j'ai montré qu'il n'est pas vrai que
l'ame subisse toutes les vicissitudes que ressent le corps. Dès qu'il
y a quelques unes des révolutions éprouvées par le corps qui
n'affectent pas lame, comment peut-on assurer qu'elle subira celle
de la mort ?
En second lieu , quand il serait vrai que l'effet constant et tou-
4^2 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
jours uniforme de l'union de l'ame avec le corps, est que Faîne
partage tout ce qu'éprouve le corps, il n'en résulterait nullement
que l'union de ces deux substances est nécessaire à leur existence.
Dans les deux hypothèses , soit de la survivance de l'ame au corps,
soit de sa destruction avec le corps, cette communauté d'affec-
tions et de modifications peut toujours avoir lieu; elle ne prouve
donc ni l'une ni l'autre hypothèse. En un mot, si l'union de l'es-
prit avec le corps est accidentel , l'esprit peut subsister sans cette
union. On ne prouve pas qu'elle est essentielle, en disant que,
tant qu'elle dure , lame passe par les mêmes vicissitudes que le
corps.
Quelques autres incrédules disent que « si lame ne peut être
«détruite que par l'anéantissement, elle peut au moins tomber
« dans un état d'inertie et d'insensibilité qui est , pour elle, la mort.
« Le corps meurt, parce que ses mouvemens organiques, quicon-
« stituent sa vie, cessent : de même l'ame, dont la vie consiste dans
« la pensée, cesse de vivre lorsqu'elle cesse de penser. »
Il ne suffit pas de dire que Dieu, à la mort de l'homme, pour-
rait, de même qu'il fait cesser dans le corps des mouvemens or-
ganiques , priver l'ame de la faculté de penser; il faudrait prouver
qu'il fait cet usage de sa toute-puissance. La simple possibilité de
la cessation des pensées n'est nullement une preuve que la mort
de Famé suive celle du corps. Les incrédules ne donnant de leur
allégation aucune raison, nous y répondrions suffisamment par
une simple et sèche dénégation ; mais nous pouvons leur opposer
des raisonnemens plus positifs. D'abord, si l'activité et la faculté
de penser sont de l'essence de l'ame, on ne conçoit pas que Dieu,
en la laissant subsister, la rende inerte et incapable de former des
pensées. Ensuite, tandis qu'elle est unie au corps, l'ame produit
beaucoup de pensées absolument indépendantes du corps : on
peut légitimement en conclure qu'elle les conservera lorsqu'elle
sera dégagée du corps : ce n'est pas l'union qui les lui donne; la
séparation ne peut donc pas les lui faire perdre.
Concluons que le corps et l'ame sont deux substances, lesquelles,
de même qu'elles sont de natures différentes , ont aussi leur exis-
tence indépendante l'une de l'autre ; et qu'il est au pouvoir de celui
qui les a unies, et qui les fait exister ensemble dans l'état d'union ,
de les séparer, et de faire subsister après la séparation , soit toutes
les deux, soit l'une des deux. Dieu en agit-il ainsi envers l'ame?
Lui applique-t-il alors la sanction de la loi naturelle , par des ré-
compenses pour l'observation , par des peines pour l'infraction ?
DES PRÉDICATEURS. 47$
C'est ce que nous allons voir dans l'article suivant : de la possibi-
lité nous allons passer au fait, et après avoir montré ce qui peut
être, nous allons examiner ce qui est.
« V immortalité de l'ame (j'ai déjà observé que souvent on con-
fond l'immortalité avec la survivance) «est une chose qui nous im-
« porte si fort, et qui nous touche si profondément, dit Pascal, qu'il
« faut avoir perdu tout sentiment pour être^'dans l'indifférence de
« savoir ce qui en est. Toutes nos actions et toutes nos pensées doi-
« vent prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura des biens
« éternels à espérer, ou non , qu'il est impossible de faire une dé-
« marche avec sens et jugement qu'en la réglant par la vue de ce
« point, qui doit être notre dernier objet. »
Mais l'importance même de ce dogme est ce qui lui suscite ses
plus grands ennemis. L'obligation qu'il impose de régler toutes les
actions sur la considération d'une autre vie soulève contre lui
ceux qui |ne veulent avoir d'autres règles que leurs passions. La
crainte des jugemens divins, que la bonté divine unie à la justice
leur présentait pour les préserver ou les retirer du désordre, est ce
qui les précipite dans le fond du désordre. Pour se soustraire à
une doctrine qui trouble leurs plaisirs , ils imaginent de se donner
l'affreuse sécurité de l'incrédulité : semblables à l'animal imbécile
qui se croit échappé au danger quand il a cessé de le voir.
A ce système, aussi funeste qu'il est faux, nous opposons le
principe certain et fondamental de toute morale, qu'en terminant
cette vie l'ame, conservée par son Créateur, entre dans une se-
conde vie , où elle reçoit le prix des vertus qu'elle a pratiquées ,
ou la peine des vices auxquels elle s'est abandonnée.
A ne considérer que la puissance de Dieu , l'annihilation de
l'ame au moment de la mort est certainement possible. La substance
spirituelle ne renferme aucun principe interne de destruction ,
mais il peut y en avoir un principe externe : son indissolubilité
ne s'oppose pas à ce que le pouvoir suprême qui l'a tirée du néant
l'y fasse rentrer. Le Tout-Puissant, comme nous l'avons dit ail-
leurs, peut tout ce qu'il veut; il n'y a d'impossible pour lui que ce
qu'il ne peut pas vouloir; et il ne peut pas vouloir ce qui contrarie
ses divins attributs. Si donc l'anéantissement de l'ame humaine est
opposée à des perfections autres que la toute-puissance, nous
sommes assurés que Dieu n'y emploiera pas sa toute-puissance :
il ne le pourra pas, parce qu'il ne le voudra pas.
Pour procéder à la preuve de la survivance de l'ame , je com-
mence par rappeler un fait que j'ai déjà énoncé au commencement
4?4 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
de ce chapitre : c'est que les biens de cette vie sont communs aux
bons et aux médians, et indifféremment distribués aux uns et
aux autres. On peut même dire qu'à cet égard les scélérats sont
mieux traités généralement que les honnêtes gens. La raison en
est que, n'ayant en vue que ces sortes de biens, ils emploient, pour
se les procurer, toutes sortes de moyens honnêtes et malhonnêtes,
que les hommes vertueux ne se permettent pas. Je n'ai pas besoin
de prouver cette vérité, que fait voir évidemment et continuelle-
ment l'expérience. Nos adversaires ne la contestent même pas :
au contraire, ils se font de la prospérité des médians sur la terre
un de leurs principaux argumens contre la Providence; argument
qui véritablement aurait de la force, si le dogme de la vie future
n'en donnait pas la solution.
D'après cette répartition des biens et des maux de la vie, égale
entre les justes et les malfaiteurs, si même elle n'est pas plus favo-
rable à ceux-ci, nous faisons le raisonnement contraire à celui
des incrédules, et bien mieux fondé que le leur : nous disons que
Dieu ne récompensant pas dans cette vie les vertus, et n'y punis-
sant pas les vices, c'est une conséquence nécessaire qu'il y ait,
après la mort, un autre état où la récompense sera accordée et le
châtiment infligé; qu'il se doit à lui-même cette sanction, et qu'il
manquerait à sa sagesse, à sa bonté et à sa justice, s'il manquait à
l'exercer.
i° Il est contraire à la sagesse de vouloir une fin sans en vouloir
les moyens. Dieu veut que l'homme fasse le bien et évite le mal ,
et il lui en donne le précepte; nous l'avons vu dans l'article pré-
cédent : il est donc de sa sagesse de pourvoir à l'observation de ce
précepte, en donnant à l'homme un motif puissant, universel et
toujours subsistant, de suivre la vertu et de s'éloigner du vice. Les
motifs qui déterminent l'homme sont le désir du bonheur et la
crainte du malheur : la sagesse divine exige donc qu'il soit pourvu
à l'observation du précepte , en attachant le bonheur à la vertu et
le malheur au vice. Mais dans la vie présente, cette sanction n'est
pas effectuée : il doit donc y avoir , après cette vie , un autre état
où elle se réalise.
Dans l'hypothèse des incrédules , quel motif assez fort pourra
déterminer l'homme aux sacrifices que souvent exige la pratique
de la vertu? S'il n'a d'autres biens à espérer que ceux de la vie ac-
tuelle, son unique intérêt sera de se les procurer par toutes sortes
de voies; et comme le vice apporte souvent plus d'avantages présens
ue la vertu, il aura, dans une multitude d'occasions, plus d'in-
DES PRÉDICATEURS. 47^
terêt à commettre le mal qu'a opérer le bien. Ainsi, la sagesse infi-
nie se contredirait elle-même: elle donnerait à la fois le précepte de
l'observation et le motif de l'infraction; elle mettrait le moyen en
opposition avec la fin.
p 2° S'il n'y a de bonheur que dans cette vie» la bonté divine
est évidemment en défaut : l'existence qu'elle a donnée à l'homme
n'est qu'un don funeste ; les souffrances n'ont plus de dédomma-
gement; les combats contre les passions, plus de récompenses;
les victoires sur les passions, plus de palmes; les travaux, plus
de salaires; les douleurs, plus de consolations. Les incrédules,
qui relèvent, qui exaltent, qui même quelquefois exagèrent les
maux que souffrent les justes sur la terre , font sentir bien claire-
ment la nécessité d'une vie différente sous l'empire d'un Dieu bien-
faisant. Un maître bon doit faire le bonheur de ceux qui suivent
ses ordres. Otez la vie future , quel est le bonheur que Dieu pro-
cure aux observateurs de ses commandemens ?
Est-il conforme à la bonté du Créateur que sa créature, par
l'acte le plus parfait d'obéissance et de vertu qu'elle puisse faire ,
détruise son bonheur ? Le comble de la perfection est de mourir
pour la vertu : si cet acte héroïque ne mène pas au bonheur , il
anéantit tout celui que l'homme pouvait espérer.
3° Est-il juste à un supérieur qui a donné des ordres , de traiter
également et indifféremment ceux qui les enfreignent et ceux qui
les remplissent ? C'est cependant ce qu'imputent à Dieu ceux qui
prétendent qu'il a borné l'existence de l'homme à cette vie. Il faut
même qu'ils aillent plus loin; comme le vice jouit plus souvent
des agrémens et des avantages de ce monde que la vertu , ils doi-
vent, conséquemment à leur système, soutenir que la justice divine
a voulu et a établi un ordre de choses dans lequel c'est à l'infrac-
tion de ses commandemens qu'elle a attaché le bonheur, et c'est
à cause de l'observation qu'elle rend misérable. Voici le raisonne-
ment qu'ils attribuent au dominateur essentiellement et infiniment
juste : En créant un être libre, je lui ai donné des préceptes; je
lui ai ordonné de les observer, en n'épargnant ni efforts ni tra-
vaux; je lui ai défendu de les violer, quelque satisfaction, quelque
avantage qu'il pût y trouver; et celui qui m'aura obéi aura, pour
tout prix de ses sacrifices, les peines qu'ils lui auront causées ;
celui au contraire qui m'aura désobéi aura pour unique punition
la jouissance des plaisirs qu'il se sera procurés. Malheur aux obser-
vateurs du commandement, bonheur aux infracteurs; sage celui
qui se rend heureux aux dépens de ses semblables , insensé celui
4j6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
qui fait le bonheur public par ses privations : voilà le système de
justice divine de nos adversaires.
Concluons en trois mots : ou le pre'cepte divin, de faire le bien
et d'éviter le mal, n'est muni d'aucune sanction, ou il a sa sanc-
tion dans la vie présente, ou , comme nous le soutenons , sa sanc-
tion est réservée à une vie future. De ces trois choses, la première
répugne manifestement aux attributs divins; la seconde est formel-
lement démentie par une expérience constante et évidente; reste
donc la troisième.
J'oserai donc le dire à la suite des docteurs de l'Eglise , s'il n'y
a pas de sanction dans une autre vie , il n'y a pas de vertu sur la
terre, il n'y a pas de Dieu dans le ciel. C'est bannir la vertu que
de lui ôter ses motifs; c'est anéantir Dieu que de le priver de ses
attributs.
Contre cette preuve si frappante des récompenses et des peines
de l'autre ^vie , on propose une difficulté. « L'administration de
« Dieu dans Tordre moral doit être constante , comme l'est celle
« de l'ordre physique : l'immutabilité de l'Etre suprême répugne
« aux variations. L'autre vie , s'il y en a une, doit donc être admi-
se nistrée comme celle-ci, où le vice fleurit et la vertu souffre. S'il y
« a un ordre de choses, non seulement différent, mais diamétrale-
« ment opposé à celui-ci, il faut dire de deux choses l'une : ou que
« l'état actuel n'est pas un ordre , mais est un désordre qui a be-
« soin d'être réparé, et, dans ce cas, comment peut-il être l'ou-
« vrage d'une sagesse infinie? ou que l'état actuel est bien ordonné,
« et, dans ce second cas, quel besoin y a-t-il qu'il soit réparé?
« Dire que l'ordre actuel est juste , et qu'un ordre contradictoire
«le sera aussi, est une évidente contradiction. Si l'on dit que
« l'ordre actuel n'est pas juste, qui nous répond que l'ordre futur,
« œuvre du même auteur, le sera davantage? »
Le vice de cette objection est de regarder l'ordre de la vie fu-
ture comme différent et même comme l'opposé de l'ordre de la
vie présente : ce sont deux états différens; mais ce n'est qu'un seul
et même ordre. Tout ordre de choses a plusieurs parties ; et l'ordre
moral est le composé, le résultat des deux états. Dieu, auteur de
cet ordre, fait passer l'ame humaine par l'un, pour la conduire
à l'autre.
Dans toute administration il faut distinguer la fin qu'elle se pro-
pose et les moyens qu'elle emploie , le temps où elle met en jeu
les moyens, et celui où elle leur fait atteindre leur fin, La con-
stance de l'administration ne consiste pas et ne peut pas consis-
DES PRÉDICATEURS. 4?7
ter, dans l'identité des moyens et de la fin , mais dans leur rapport
soutenu et perpétuel. Dans l'ordre physique, qu'on objecte, dira-
t-on que l'administration divine manque de constance, parce
qu'elle fait passer les corps par divers états? Par exemple du mo-
ment où la graine est confiée à la terre jusqu'à celui où elle est
devenue un arbre qui donne à son tour des graines, combien
ne subit-elle pas de changemens! Dans Tordre moral, Dieu veut
que le mérite ou le démérite de la vie présente conduise constam-
ment aux récompenses ou aux peines de la vie future. Il y a entre
ces choses un rapport régulier, et jamais interverti : c'est une con-
tinuité, une unité de vues de l'administrateur, qui, par les mêmes
moyens, mène constamment l'être qu'il dirige à la même fin : il
n'y a pas de variations dans ses conseils, qui sont continuellement
les mêmes : son immutabilité est d'autant moins compromise que
de toute éternité il a décrété que l'homme parvînt à sa fin der-
nière dans l'autre vie par ses actions dans celle-ci.
Il n'est donc pas vrai que l'ordre de choses qui succédera à
celui-ci en soit la réparation : il en est la suite. L'état actuel est la
préparation à l'état futur ; l'état futur est le complément , la con-
sommation de l'état actuel. De ce que l'ordre de choses sera diffé-
rent dans l'autre vie, il ne s'ensuit nullement que l'ordre de cette
vie soit un désordre ; il est au contraire dans l'ordre que le mérite
précède, et que la récompense vienne après. Il n'y a pas de con-
tradiction à dire que l'état présent est juste, et que l'état futur le
sera aussi ; que, dans cette vie, Dieu distribue a tous les hommes,
bons ou mauvais , les prospérités et les revers , pour les récom-
penser ou les punir dans l'autre de l'usage qu'ils en auront fait. Il
est dans l'ordre que la vertu soit éprouvée pour mériter; il est
dans la justice que la couronne soit accordée à la victoire après
le combat. Si la vertu n'avait pas ses peines, quel mérite aurait-on
à la suivre ? Si le vice n'offrait pas quelques douceurs , serait-on
bien louable de l'éviter? Supposons un ordre différent; la vertu
récompensée et le vice puni dès cette vie, par les prospérités ou
les adversités temporelles. Je demande comment, dans cette hypo-
thèse, la vertu pourrait acquérir le mérite si précieux de la persé-
vérance; comment le vice pourrait obtenir le temps si salutaire
du repentir. L'ordre successif de la liberté et de salaire est, je le
répète, le plus digne de la sagesse, de la justice, de la bonté di-
vine, et en même temps le plus convenable, le plus attempéré à la
nature humaine.
A la ridicule demande : Si ï ordre actuel n'est pas juste , qui nous
478 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
répond que V ordre jutur le sera ? je réponds, sans hésiser , l'ordre
actuel m'en est garant. Sûr que l'auteur de l'un et de l'autre or-
dre, ou, pour parler exactement, de l'ordre moral unique, mais
successif, est essentiellement et infiniment juste; voyant que dans
la partie actuelle de cet ordre il ne déploie pas sa justice, j'en con-
clus qu'il la manifestera dans la partie future. Il ne peut pas y
avoir d'injustice dans un ordre de choses qui prépare et qui effec-
tue l'exercice de la plus stricte et de la plus parfaite justice.
« Dieu, disentencore quelques incrédules, étant souverainement
« libre et indépendant, ne pourrait-il pas relâcher des droits de sa
« justice et s'abstenir de la punition des coupables ? S'il le peut ,
« ne le doit-il pas ? Sa bonté infinie ne lui en fait-elle pas un
« devoir? »
Ceux qui proposent cette difficulté en ont-ils pesé les consé-
quences ? A quels maux le genre humain ne^ serait-il pas exposé s'il
n'y avait pas de punition pour leurs auteurs ? Sans la sanction de
l'autre vie, le régime de la Providence ressemblerait à un gouver-
nement qui manquerait de lois répressives, et sous lequel tous les
crimes se commettraient impunément. La justice est une qualité
essentielle de tout gouvernement raisonnable; elle est la bienfai-
sance des souverains. N'y aurait-il que le Roi des rois qui en serait
privé ? N'y aurait-il que le gouvernement delà Providence dont elle
serait bannie ?
La bonté de Dieu ne contrarie donc pas l'exercice de sa justice.
Les effets de ces deux attributs sont différens ; mais ces attributs
ne sont pas opposés: au contraire, Dieu ne serait pas bon s'il n'était
pas juste : c'est un grandbienfait envers l'humanité que le châtiment
de ceux qui la désolent. La bonté et la justice ne sont qu'une
même perfection, dont les opérations diffèrent selon les objets
sur lesquels elles agissent. Dieu démentirait sa bonté, comme sa
justice , s'il ne punissait pas les infracteurs de ses commandemens.
Une autre preuve du dogme de la vie future est l'universalité,
l'antiquité, la perpétuité de cette croyance. Toutes les nations an-
ciennes et nouvelles , policées et sauvages , ont professé cette doc-
trine. Partout où on a cru l'existence d'un Dieu (et nous avons vu
que partout elle a été crue) , on a été persuadé qu'il est le rémuné-
rateur delà vertu et le vengeur du crime.
Dans quelque temps, dans quelque pays que l'on voie des peu-
ples, on trouve cette foi établie. Ghaldéens, Phéniciens, Egyp-
tiens , Perses , Indiens, Celtes , Germains, sauvages des forêts amé-
licaines, peuplades de la mer du Sud, hordes de l'Afrique, tout
1
DES PRÉDICATEURS. 479
ce qui a existé , tout ce qui existe de nations , a été constamment
réuni clans une même croyance : elle devance de beaucoup les
premiers historiens; les philosophes les plus éclairés l'ont ensei-
gnée; les poètes les plus anciens la célèbrent; les honneurs funè-
bres, le respect pour les tombeaux, de beaucoup antérieurs à tous
les temps connus , constamment perpétués dans tout le cours des
siècles, répandus et usités sur toute la surface de la terre, attes-
tent hautement l'universalité absolue de ce dogme. Gicéron té-
moigne l'immémoriale antiquité de cette persuasion, qu'il fait re-
monter jusqu'aux temps voisins delà Divinité. Il dit que l'opinion
contraire est récente. Selon Plutarque, l'origine de cette doctrine
est absolument inconnue; elle s'est propagée depuis l'éternité.
Il faut une ignorance profonde de l'histoire de l'esprit humain
pour révoquer en doute cette réunion de tous les esprits dans la
ferme conviction des récompenses et des peines qui doivent sui-
vre la mort.
Or , cette persuasion si générale de tout le genre humain ne
peut être que la voix de la nature, puisqu'elle ne vient ni des sens,
dont elle détache, ni des passions, qu'elle réprime, ni d'aucune
autre cause d'erreurs qui ait pu être générale et influer sur la tota-
lité des temps et des lieux. Nous la voyons aussi ancienne, aussi
perpétuelle , aussi générale que l'idée de la Divinité ; elle y est
intimement liée; elle ne peut venir que de la même source; c'est
la même lumière qui nous fait apercevoir ces deux vérités égale-
ment importantes. Que ce dogme vienne naturellement à l'esprit,
par la simple considération des attributs divins et de l'ordre actuel
du monde, qu'il émane d'une tradition primitive qui remonte à la
Divinité, son universalité est , dans l'un et l'autre cas, une preuve
de sa vérité.
Les incrédules combattent les deux parties de cette preuve.
Qs prétendent d'abord que] l'opinion de l'autre vie n'est pas, à
beaucoup près, universelle; ils citent des sectes entières de phi-
losophes qui n'y croyaient pas; ils rapportent des passages d'au-
teurs qui établissent qu'il n'y a rien après cette vie : « Cicéron
< ajoutent-ils, en marque l'origine, et la fixe au philosophe Phéré-
i cide. Comment, concluent-ils, peut-on appeler générale', dans
tout le genre humain, une opinion dont on connaît l'auteur, et
qui a été tant combattue ?
Quand nous disons que la croyance de la vie future est univer-
>elle, nous parlons d'une universalité morale, que n'empêche
îoint un petit nombre d'individus. Que sont quelques sectes phi-
48o NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
losophiques sur tout le genre humain ? et quelle autorité peuvent-
elles avoir, quand elles sont combattues par d'autres? D'ailleurs,
quelle est la proposition impie, funeste, absurde, ridicule, qui
n'ait pas été enseignée dans quelques écoles philosophiques? Si
nous reprenions tous les auteurs dont on cite des passages, nous
pourrions montrer que plusieurs d'entre eux exposent des opinions
plus qu'ils n'établissent la leur; que d'autres se sont contredits et
ont enseigné, dans divers endroits, la doctrine contraire; mais
nous n'avons pas à entrer dans ce détail, leur petit nombre nous
en dispense. Quand nous accorderions que tous ceux-là étaient
dans l'opinion delà destruction de l'ame, que résulterait-il du sen-
timent d'une demi-douzaine ou d'une douzaine au plus d'individus
que l'on cite?
Ce que l'on fait dire à Cicéron au sujet de Phérécide aurait plus
d'importance s'il était véritable, parce qu'il annoncerait une ori-
gine connue de notre doctrine; mais, en lisant le texte objecté,
la difficulté s'évanouit. Cicéron, dans le premier livre de ses Tus-
culanes, examine les opinions des divers philosophes sur l'immor-
talité de l'ame. Il attribue si peu à Phérécide l'invention de ce
dogme qu'il croit qu'antérieurement , et pendant plusieurs siècles,
on avait disputé sur ce sujet; il ajoute que ce qui reste écrit de
plus ancien sur cette matière est de Phérécide, syrien. La raison
en est simple : c'est que Phérécide est, avec Thaïes son contempo-
rain, le plus ancien philosophe connu; il fleurissait environ cinq
cent quatre-vingts ans avant Jésus-Christ. Pythagore, chef de la
plus ancienne école, était son disciple. Il précède de plus de deux
siècles Platon, Aristote , Epicure, Zenon , fondateurs des diverses
autres sectes. Ainsi, dire que Phérécide est, entre les philosophes,
le premier dont les écrits enseignent l'immortalité de l'ame, c'est
dire que, depuis l'origine de la philosophie, ce dogme a été ensei
gné dans les écoles. L'assertion de Cicéron, au lieu de contrarier
ce que nous lui avons vu avancer ailleurs sur l'immémoriale anti
quité de notre croyance, y est absolument favorable.
On nous fait contre l'universalité du dogme de l'autre vie une
objection qui mérite une plus ample discussion. « Le peuple juif
« n'avait primitivement aucune idée de peines et de récompenses
« après la mort. La preuve en est certaine; c'est que Moïse, dans la
« religion qu'il donne aux Hébreux, n'en fait aucune mention. Tou
« tes ses lois n'ont d'autre sanction que les récompenses et lespei
« nés temporelles. C'est un fait non contesté; et, pour s'en assurer,
« il n'y a qu'à lire le Pentateuque , et spécialement la partie de
DES PRÉDICATEURS. 4&
« l'Exode, du Lévitique et du Deutéronome,qui renferme la légis-
te lation judaïque. Si Moïse avait enseigné le dogme de la vie future,
« se serait-il formé parmi les Juifs une secte, celle desSadducéens,
« qui, en suivant la loi de Moïse, rejetait la survivance de l'ame ?
« La croyance de l'ame immortelle est nécessaire ou non : si elle
« n'est pas nécessaire, pourquoi Jésus-Christ l'a- 1- il annoncée Psi
« elle est nécessaire, pourquoi Moïse n'en a-t-il pas fait la base de
« sa religion? Or, Moïse était instruit de ce dogme, ou il ne l'était
« pas : s'il l'ignorait, il était indigne de donner des lois ; s'il le sa-
« vait et le cachait, quel nom voulez-vous qu'on lui donne?
« Il paraît que la doctrine d'une autre vie n'a été connue du
« peuple hébreu que pendant la captivité; il l'a reçue des peuples
« chez lesquels il était répandu : l'Ecclésiaste même est positif sur
« ce point; il déclare formellement que l'homme meurt comme la
« bête, qu'il n'a rien à cet égard de plus qu'elle, et que leur eondi-
« tion est commune. Il n'est donc pas vrai, conclut-on, que cette
« doctrine soit d'une antiquité immémoriale parmi les hommes. »
Il est vrai que la partie du Pentateuque qui contient les lois don-
nées par Moïse de la part de Dieu ne présente qu'une sanction
temporelle, et ne munit ces lois que de promesses et de menaces,
de biens et de maux de cette vie; mais il faut distinguer, dans les
livres de Moïse, la législation de ce qui est historique. Si, dans la
publication de ses lois, il ne parle pas de la vie future, dans le
récit des faits il suppose plusieurs fois ce dogme : d'où il résulte
que la doctrine dune autre vie était connue et crue de lui et des
Juifs de son temps. Nous voyons aussi cette vérité énoncée dans
plusieurs des livres saints antérieurs à la captivité de Babylone;
d'où il suit encore que les Juifs ne Tout pas puisée dans leur cap-
tivité; or, d'après ces faits, le silence de la loi ne prouve rien. Il
s'agit de prouver ces vérités.
r D'abord Moïse suppose, dans plusieurs endroits, le dogme de
l'autre vie. Lorsque Gain méditait le premier crime qui souilla la
terre, Dieu, pour l'en détourner, lui dit: Si tu fais le bien, tu en
recevras le salaire ; si tu fais mal, ton crime sera aussitôt devant
toi» Il est certain que le salaire promis à la vertu n'est pas une ré-
compense temporelle; car quel a été, dans ce monde, le prix de
la piété d'Abel? une mort violente et prématurée. Puisque , selon
la parole divine, il a dû être récompensé, il l'a donc été dans une
vie autre que celle-ci.
Racontant la mort d'Abraham , Moïse dit que ce patriarche a
été réuni à son peuple , c'est-à-dire à ses ancêtres. Ce n'est pas du
T, in. 3 r
tjg2 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
corps d'Abraham et de sa sépulture qu'il parle ; puisque les pères
d'Abraham étaient enterrés da )s la Mésopotamie, et que ce patri-
arche le fut à Hébron , dans la terre de Chanaan, à côté de Sara.
Moïse emploie aussi une expression semblable au sujet de la mort
d'Isaac.
Jacob, parlant de sa vie , l'appelle un pèlerinage. Cette expres-
sion, non seulement serait inexacte, mais n'aurait aucun sens, si
la vie ne conduisait pas à un terme. Que serait un pèlerinage qui
aurait pour but le néant ?
Le même saint personnage mourant dit au Seigneur qu'il at-
tend de lui le salut. Quel salut peut-il attendre après la mort, si
au de-là de la mort il n'y a rien? Quelques commentateurs enten-
dent cette expression dans un autre sens: selon eux, Jacob atten-
dra celui qui doit apporter le salut, c'est-à-dire le Messie: il
compte donc exister encore après la dissolution de son corps? Ce
qui n'est plus rien , peut-il être dans l'attente de quelque chose ?
Balaam, inspiré par le Seigneur, désire de mourir de la mort des
justes, et que ses derniers momens soient semblables aux leurs.
Quel intérêt pourrait avoir à une mort sainte celui qui serait dans
la persuasion de mourir tout entier?
Entre les choses que défend Moïse de la part de Dieu est l'usage
observé par les infidèles, dont Homère et Virgile font mention ,
d'interroger les morts. Y aurait-il quelque ombre déraison à faire
cette défense à un peuple qui aurait cru qu'il ne reste rien des
lïiOrts ?
Objectera-t-on que, dans ces divers passages, Moïse n'enseigne
pas directement la survivance de l'ame au corps ; qu'il ne la prouve
pas ; qu'il n'ordonne pas de la croire? La raison est simple et évi-
dente: ce n'était pas une chose nécessaire; les Juifs connaissaient
ce dogme parla tradition de leurs pères; ils n'en doutaient pas:
la simple supposition qu'en fait Moïse, en rapportant des faits an-
ciens, a bien plus de force que n'aurait un enseignement positif.
S'il l'établissait formellement, on objecterait que c'est lui qui l'a
appiis à son peuple; s'il cherchait à le prouver, on ne manquerait
pas d'en conclure que les Israélites n'y croyaient pas. Mais lorsqu il
. rapporte simplement et sans réflexion des faits qui le supposent,
il est clair qu'il parle à des gens qui en avaient antérieurement la
connaissance et la persuasion.
Si du Pentateuque nous passons aux autres livres qui formaient
le canon des saintes Ecritures conservées par le peuple juif, nous
DES PRÉDICATEURS. 483
y trouverons des preuves encore plus certaines que cette nation
avait une connaissance très distincte du dogme de l'autre vie.
Le livre de Job était connu et révéré des Israélites, comme un
ouvrage inspiré. Nous y lisons des témoignages exprès, et du juge-
ment que Dieu doit prononcer, et même de la résurection des
corps. Tel est celui-ci: Je sais que mon rédempteur est vivant, et
que je ressusciterai de la terre le dernier jour ; que je serai encore re-
vêtu de ma peau, et que je verrai mon Dieu dans ma chair j que je
le verrai, dis-je, moi-même et non un autre ; et que je le contemplerai
de mes propres yeux. Celte espérance repose dans mon cœur.
Moïse avait défendu, comme nous venons de le voir, d'invoquer
et d'interroger les morts. Au mépris de cette interdiction, on voit
les Israélites tomber plusieurs fois dans cette superstition: tel est,
entre autres, le fait de Saùl. Ce prince va trouver une pythonisse,
évoque et consulte l'âme de Samuel, qui lui répond et lui annonce
sa ruine. David, dans ses psaumes, fait très souvent mention du ju-
gement que Dieu prononcera sur les hommes : bornons-notis à
quelques passages où il célèbre la récompense que Dieu accordera
aux justes. Mon cœur s'est réjoui; ma langue a chanté des cantiques
d allégresse, et de plus ma chair reposera dans l 'espérance , parce
que vous ne laisserez pas mon ame dans ï enfer, et que vous ne souj-
f rirez pas que votre saint éprouve la corruption. Je paraîtrai devant
vos jeux dans la justice: je serai rassasié quand votre gloire m ap-
paraîtra. Les enfans des hommes seront dans V espérance sous V om-
bre de vos ailes: ils seront enivrés de l abondance qui est dans votre
maison, vous les ferez boire dans le torrent de vos délices ; car la
source delà vie est en vous, et nous verrons la lumière dans votre
lumière même , etc.
Salomon, dans beaucoup d'endroits, annonce aussi positive-
ment le jugement et ses suites après la mort. Au livre des Prover-
bes il dit, entre autres, que l'impie sera rejeté à cause de sa malice;
mais que le juste espère au jour de sa mort. Quelle espérance peut
concevoir celui qui va être anéanti?
Le texte de l'Ecclésiaste qu'on nous oppose ne peut faire illusion
qu'à quelqu'un qui ne connaît pas l'objet de ce livre. Salomon y
présente diverses erreurs , divers égaremens des hommes, qu'il ap-
pelle des vanités; ce qu'il dit de la parité de fin entre l'homme et
la bête est de ce nombre; et il venait immédiatement auparavant
de donner le préservatif contre cette assertion des impies. J'ai vu
sous le soleil, avait-il dit, V impiété au lieu du jugement , et V ini-
quité au lieu delà justice; et j 'ai dit en mon cœur, Dieu jugera le
3i,
484 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
juste et l'injuste, et alors sera le temps de toutes choses. Peu après
le texte objecté, il rapporte encore divers autres discours et divers
désirs des hommes irréligieux ; mais il leur impose aussitôt silence:
Ne dites rien inconsidérément, et que votre cœur ne se hâte point de
proférer des paroles devant Dieu. Car Dieu est dans le ciel et vous
sur la terre: cest pourquoi parlez peu. C'est dans ce même esprit
que, quelques chapitres après , parlant ironiquement, il paraît
exhorter la jeunesse à se livrer aux plaisirs et à satisfaire tous les
désirs de son cœur; mais, reprend-il sur-le-champ, sachez que
Dieu vous fera rendre compte en son jugement de toutes ces choses.
Enfin, dans le dernier chapitre, il exhorte l'homme à se souvenir
de sonCréateur pendant les jours de sa jeunesse, avant que le temps
de ï affliction soit arrivé, avant que la poussière rentre dans la
terre d'où elle fut tirée, et que l esprit retourne à Dieu qui le donna.
Et il donne ainsi la conclusion de tout son livre : Ecoutons tous
ensemble la fin de ce discours: craignez Dieu et observez ses corn-
mandemens', car c est le tout de l homme, et Dieu fera rendre compte,
en son jugement, de tout ce qui aura été fait, soit du bien, soit du
mal. Il est donc évident que le monarque, auteur de l'Ecclésiaste,
était persuadé de la vérité d'une autre vie; et que les incrédules
confondent, ou veulentfaire confondre l'objection qu'il se propose
et qu'il combat, avec son opinion.
Comme c'est une question entre les docteurs de savoir si le li-
vre de la Sagesse est ou n'est pas de Salomon , ou même s'il n'est
pas d'un temps postérieur à la captivité, je n'en rapporterai aucun
passage : j'observerai seulement que notre doctrine y est formelle-
ment et plusieurs fois établie.
Les Prophètes ne sont pas moins précis : j'en citerai seulement
deux. Ceux de votre peuple, dit Isaïe, qu'on a fait mourir revivront.
Ceux qui étaient a moi et quon a tués ressusciteront. Réveillez-
vous, et louez le Seigneur, vous qui habitez dans la poussière. Je les
délivrerai, dit Osée, de la puissance de la mort. O mort ! je serai
ta mort; enfer! je serai ta ruine.
A ces passages déjà bien nombreux il serait facile d'en ajouter
beaucoup d'autres, qui montreraient que la doctrine d'une autre
vie, et du salaire qu'on y reçoit de la conduite tenue dans celle-ci,
a été de tout temps connue du peuple juif. De plus, tous les livres
que nous venons de citer étant antérieurs à la captivité de Baby-
lone, c'est une assertion évidemment fausse de prétendre que le
peuple juif n'a été instruit de ce dogme important que pendant
ou après sa captivité.
DES PRÉDICATEURS. 4^5
Or, d'après ces témoignages, l'objection proposée est résolue :
elle a pour but de montrer que notre doctrine était inconnue à
Moïse et au peuple auquel il donnait des lois ; et c'est pour le prou-
ver qu'on allègue que, dans les lois de Moïse, il n'est fait aucune
mention de la sanction après la mort. Mais s'il est démon tré d'ailleurs
que Moïse la connaissait, son silence, dans la législation, ne peut
pas prouver qu'on l'ignorât. Si Moïse en fait mention dans la partie
historique du Pentateuque, qu'importe à cette question qu'il n'en
parle pas dans la partie législative ? Il fait remonter la connais-
sance de ce dogme important jusqu'à une révélation faite par le
Seigneur , dès le premier temps où il y a eu des hommes , et il en
montre la croyance dans les patriarches antérieurs à lui. D'après
cela, nous n'avons pas même besoin d'examiner pourquoi il n'en a
pas fait le fondement de ses lois. N'eussions-nous aucune idée du
motif qui a pu l'engager à l'y omettre, nous n'en serions pas moins
certains que cette persuasion était de beaucoup antérieure à lui ,
et que par conséquent notre assertion sur l'immémoriale antiquité
de notre doctrine est véritable.
Mais comme du silence de Moïse dans sa législation sur la sanc-
tion de l'autre vie , on fait une objection contre la divinité de sa
mission , il n'est pas inutile d'examiner ici les raisons qui ont pu
l'engager i° à donner à ses lois une sanction temporelle ; 2° à ne pas
y faire mention de la sanction éternelle.
En premier lieu, il était très convenable que la loi du peuple
juif fût munie de la promesse des prospérités, en cas d'observation,
et de la menace de revers, en cas d'infraction. Trois raisons nous
le persuadent.
La première est que, par cette sanction temporelle et par son
exécution, Moïse prouvait manifestement la divinité de sa loi.
D'autres législateurs ont pu se dire inspirés par leurs dieux; mais
ils n'ont jamais pu munir leurs lois que des récompenses et des
peines qui sont au pouvoir des hommes : aucun d'entre eux n'a été
assez hardi pour annoncer que les événemens physiques ou poli-
tiques seraient le salaire de l'observation et de l'infraction. Il n'y a
que celui qui tient la nature dans sa main, qui puisse en faire la
sanction de ses préceptes. Il est digne du Tout-Puissant de parler
un langage qui ne peut appartenir qu'à lui. Quel autre qu'un Dieu
oserait promettre la fertilité des terres, la salubrité des saisons, les
victoires sur les ennemis, aux observateurs de sa loi, et menacer
des maux contraires, les violateurs ?Quel autre, surtout, aurait le
pouvoir surnaturel de réaliser ces promesses et ces menaces ? L'an-
486 . NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
nonce de cette sanction et son exécution constante dans les diverses
révolutions du peuple juif sont une preuve incontestable de la di-
vinité delà loi Judaïque : c'est une prophétie vérifiée par une suite
dévénemens.
La seconde raison de la sanction temporelle des lois mosaïques
est la nature même de ces lois et leur objet direct: elles avaient
pour but de faire , des Israélites , une nation séparée des autres ,
qui serait le peuple de Dieu. Toutes les nations de la terre appar-
tiennent, sans doute, à leur Créateur ; mais les descendans de Ja-
cob devaient devenir le peuple de Dieu, à un titre particulier et
propre à eux seuls. Dieu laisse toutes les nations de la terre se
gouverner selon leurs lois, et il en abandonne l'administration à
leurs souverains ; mais, quant aux Israélites, il en faisait une na-
tion à part, qui devait se conserver en corps de société politique,
jusqu'à ce qu'elle eût donné à la terre le Messie libérateur. En
conséquence il voulut être lui-même le législateur de ce peuple,
dans l'ordre temporel , et son véritable monarque , en qui résidât
la constante administration de l'état. C'est ce gouvernement tem-
porel de Dieu, appelé théocratie, qu'établissent les lois que, par
le ministère de Moïse, il a données à Israël. Pour cela , trois mois
après la sortie de l'Egypte, le peuple hébreu étant dans le désert
de Sinaï, au pied de la montagne de ce nom, Dieu lui fit proposer
par Moïse de lui appartenir spécialement entre les peuples, d'être
son royaume propre et sa nation sainte. Il y mit pour condition
que les Israélites écouteraient sa voix et observeraient son pacte.
Tout le peuple ayant déclaré qu'il se soumettrait à la volonté de
Dieu, Dieu donna à Moïse, sur la montagne , les lois que ce saint
conducteur porta de sa part au peuple. Il se fit ainsi, pour me ser-
vir de l'expression même du texte sacré, un pacte en vertu duquel
Dieu fut le souverain de l'état judaïque, tant qu'il devait durer; et
les Juifs s'obligèrent à lui obéir, non seulement comme à leur
Dieu , mais comme à leur roi. La constitution de l'état fut de ce
moment une théocratie; et les lois que Moïse apporta du haut de
la montagne, furent les lois civiles dictées par le souverain de cet
état. On comprend dès lors qu'il était naturel que des lois civiles
fussent munies d'une sanction civile , et que des promesses et des
menaces de l'ordre temporel engageassent à l'observation des lois
de cet ordre.
Une troisième raison, qui rendait très convenable la sanction
des récompenses et des peines temporelles, était la nature du
peuple auquel était donnée la loi. Comme il était très charnel, les
DES PRÉDICATEURS. 4^7
motifs sensibles étaient ceux qui avaient surluileplus d'influence;
et c'est peut-être en partie par cette raison que Dieu les lui pro-
posa , pour l'attacher par ses inclinations mêmes à l'observation
de sa loi.
En second lieu, nous pouvons aisément présumer une raison
pour laquelle la législation de Moïse ne fut pas sanctionnée des
récompenses et des peines de l'autre vie : c'est que ce n'était pas
chose nécessaire. Les Israélites, instruits par la tradition de leurs
pères, croyaient fermement et sans aucun doute le dogmedelavie
future; d'ailleurs leurs prêtres et leurs prophètes, chargés de les
instruire, ne manquaient pas de leur rappeler ce dogme fondamen
tal ; et nous en voyons beaucoup de traces dans les livres prophé-
tiques. Il n'y avait donc pas de nécessité à en faire mention dans
la loi. Il en est, à cet égard , de Moïse comme des autres législa-
teurs; lesquels, quoiqu'ils fondassent, leurs lois sur de prétendues
inspirations de la Divinité, ne rappelaient pas spécialement la doc-
trine de la vie future , laissant aux ministres religieux le soiii de
l'enseigner, de la prouver, de l'expliquer.
« On insiste sur ce que la loi émanée de Dieu et publiée par
« Moïse n'était pas purement politique, mais était en même
« temps religieuse; qu'elle fixait le dogme, prescrivait la morale,
« réglait le culte, et qu'une sanction temporelle n'a nulle propor-
« tion avec des lois et des devoirs de l'ordre spirituel. »
Un souverain temporel ne peut-il pas prêter son autorité à la
religion, et munir de la sanction temporelle, qui est en son pou-
voir, les préceptes religieux? Ce que font tous les souverains de la
terre, Dieu, dictant ses lois en qualité de souverain de la théocra-
tie judaïque , a pu le faire. La doctrine énoncée dans la loi n'était
pas nouvelle pour les Juifs : ce n'est que le dogme de l'unité de
Dieu méconnu dans les nations, mais transmis par les patriarches
à leurs descendans. Ils savaient tous fort bien que les adorateurs
des faux dieux seraient punis dans une autre vie : la morale de la
loi mosaïque n'est autre que la loi naturelle. Les Juifs savaient
aussi très bien , antérieurement à la promulgation mosaïque, que
ceux qui violaient ces principes gravés dans le cœur de l'homme ,
développés d'ailleurs et transmis par leurs pères, encouraient des
peines après la mort. Ainsi, relativement au dogme et à la morale,
la menace de ces peines n'était pas nécessaire. Quant ait culte, il
est certain par l'histoire patriarcale qu'avant Moïse il en existait
un; et on ne peut pas douter que ce ne fut par révélation. Dès les
deux premiers fils d'Adam des sacrifices sont offerts : on voit sou-
4^8 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
vent des autels élevés,- on connaît des prêtres, Melchisédec l'était :
comment les hommes auraient-ils deviné la nécessité de ces cho-
ses ? Les rites essentiels du culte divin étaient donc antérieurs à
Moïse. Il convenait cependant que la loi les rappelât, les fixât et
en assurât l'observation : la sanction temporelle suffisait à cet effet,
la sanction spirituelle étant connue d'ailleurs. Si la loi entre dans
de très grands détails sur les diverses parties de ce culte , on aurait
peine à prouver que ce sont des objets exclusivement religieux, et
étranger à un code politique , surtout Dieu se faisant le roi du
peuple juif : les cérémonies de son culte entraient dans l'ordre ci-
vil , et faisaient partie des hommages qu'on lui rendait spéciale-
ment à ce titre.
« On oppose à la loi de Moïse la loi de Jésus-Christ; et on de-
« mande pourquoi, si le dogme del'autre vie est nécessaire, Moïse
« n'en a pas parlé? et pourquoi, s'il ne l'est pas, Jésus-Christ l'a
« enseigné ? »
La réponse résulte de ce que nous venons de dire. Il n'était pas
nécessaire que Moïse rappelât un dogme dont personne ne dou-
tait. Il était nécessaire que Jésus-Christ établît une vérité qui de
son temps était contestée, et parmi les Juifs auxquels il parlait,
par les Sadducéens, par quelques sectes philosophiques; et parmi
les nations auxquelles sa religion devait être portée.
« On prétend que si elle avait été consignée dans les livres du
« peuple juif, les Sadducéens ne l'auraient pas niée. » Avec ce bel
argument, on prouverait que tous les points de foi qui ont été
contestes par quelque hérésie ne sont pas dans les saintes Ecritures.
Le saducéisme, établi chez les Juifs environ deux cents ans avant
Jesus-Christ, et cent ans après qu'Epicure eut débité ses rêveries
philosophiques, avait probablement cette origine. Nous voyons
Jesus-Christ reprocher à ses sectaires de se tromper, et d'ignorer
les Ecritures et la vertu de Dieu. Ceux qui n'étaient pas Saddu-
céens croyaient donc le dogme de l'autre vie révélé dans les saintes
Ecritures.
« Après avoir combattu le fait de l'universalité de notre
« croyance , les incrédules attaquent la conséquence que nous en
« tirons. Us prétendent que la persuasion générale du dogme de
« 1 autre vie n'est pas une preuve de sa vérité , mais qu'elle peut
« provenir de la politique des souverains et des législateurs , ou
« être l'effet de l'éducation. » Cette frivole difficulté n'exige pas
une longue réponse.
Si c'est la politique et la législation qui ont introduit le dogme
DES PRÉDICATEURS. 4$9
des récompenses et des peines après la mort, je demande i° com-
ment cette persuasion peut se trouver parmi des peuples qui n'ont
ni politique ni législation ; i° qu'on nomme le politique, le légis-
lateur à qui on fait honneur de cette invention ; 3° quel est celui
qui aurait eu le pouvoir de faire adopter le produit de son imagi-
nation à tout le genre humain , aux peuples les plus éloignés de
lui , les plus opposés à lui ; 4° Par quelle vertu secrète ce dogme
a pu se conserver au milieu des révolutions qui ont détruit les états
où il était reçu, et survivre aux institutions politiques qui l'a-
vaient établi ?
Les opinions qui n'ont d'autre fondement que l'éducation va-
rient selon les temps et les pays, comme les éducations elles-mê-
mes : elles se dissipent avec l'âge, par la réflexion, par l'usage du
monde. L'éducation, partout différente, ne peut pas établir partout
une doctrine uniforme et constante.
Les institutions de la politique et les leçons de l'éducation ne
sont ni ne peuvent être les causes de cette universalité de doc-
trine; elles en sont au contraire les effets. C'est parce que ce dogme
est généralement reconnu, que les souverains raisonnables en
font le plus ferme appui de leur autorité, et les instituteurs ver-
tueux la base de leurs éducations.
Après avoir prouvé la vérité de la survivance de l'ame , consi-
dérant cette doctrine sous un autre point de vue ; après avoir
montré combien les efforts de l'incrédulité , pour l'ébranler, sont
vains et impuissans , observons combien ils sont dangereux ; fai-
sons voir que s'ils pouvaient obtenir du succès ils seraient funes-
tes à l'humanité ; pernicieux , et pour l'homme isolé et pour
l'homme en société; destructeurs de tout bonheur, corrupteurs
de toute vertu.
Que les scélérats soient désolés, bourrelés, tourmentés de l'idée
d'une vie future, je le demande avec confiance, est-ce un mal?
Cette terreur qui les suit jusqu'au sein de leurs criminels plaisirs
n'est-elle pas , au contraire , un bienfait signalé de la Providence ,
et pour eux, et pour la société dont ils sont membres? La voix
qui rappelle à la vertu ne peut être qu'une voix amie; le senti-
ment qui ramène au bon ordre est certainement salutaire.
Et n'est-ce donc que pour les médians qu'est établi l'ordre mo-
ral ? L'idée de vivre en core après sa mort élève lame de l'homme ver-
tueux. L'espérance d'une seconde vie est bien plus flatteuse pour
lui que celle du néant ; sa destination est bien plus noble, si, à la
suite de cette courte vie , la partie principale de lui-même existe
490 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
encore pour recevoir le prix de ses bonnes actions, que s'il est dé-
truit tout entier comme les bêtes. Dans les malheurs qu'il éprouve
en ce moment , la plus douce consolation est de se représenter le
bonheur qui l'attend dans un monde nouveau. 11 ne sera jamais
ébranlé par les maux actuels, celui qui s'appuie fortement sur l'es-
pérance des biens futurs. Il regardait comme légères et passagères
ses dures tribulations, celui qui élevait ses regards vers le poids
immense de gloire réservé pour lui dans l'éternité. Si je me trom-
pe , fait dire Gicéron au vieux Caton , dans ma croyance de l'im«
mortalité des âmes, j'ai du plaisir à me tromper ainsi. Je ne veux
pas qu'on m'arrache une erreur qui fait mes délices. Si, comme le
pensent quelques minces philosophes, je ne dois rien sentir après
mon trépas, je n'ai pas à craindre que les philosophes morts me
raillent de mon erreur.
Utile pour élever l'ame de l'homme, et pour le consoler dans
ses malheurs, la pensée de la vie future l'est encore pour lui faire
embrasser la vertu, pour l'y maintenir quand il s'y est attaché,
pour l'y ramener quand il a eu le malheur de s'en écarter. Quel
encouragement aux actions généreuses peut égaler la contempla-
tion d'un Dieu qui en est le témoin , le juge et le rémunérateur ?
Otez la croyance de l'autre vie, quel intérêt peut avoir l'homme
placé, dans des circonstances très-fréquentes , entre la vertu qui
exige des sacrifices , et le vice qui promet des avantages, sinon de
préférer le vice à la vertu ? Remettez cette salutaire persuasion]
vous rendez à l'homme un intérêt de suivre la vertu supérieur à
tous ceux que le vice peut présenter. Cet intérêt de la vie future
donne un motif universel pour toutes les personnes, pour toutes
les actions, pour toutes les circonstances; un motif facilement
aperçu, un motif continuellement actif, un motif dont le poids ne
peut raisonnablement être balancé par aucun autre; et pour
nous en convaincre, nous n'avons besoin que de l'aveu même des
adversaires de notre dogme. En constatant sa vérité, ils reconnais-
sent formellement son utilité. Bergier a réuni un grand nombre
de confessions positives des incrédules; je ne puis mieux faire
que de copier ses expressions.
« Les destructeurs de l'ame sont forcés d'avouer la nécessité du
« dogme que nous établissons. Epicure n'a jamais osé prétendre
« que sa doctrine pût être utile à la société, si elle devenait com-
« mune; il la donnait comme un mystère destiné seulement à faire
« la félicité d'un philosophe, comme si un philosophe n'était plus
« un homme! Spinosa convenait qu'il vaut mieux que le peuple
DES PRÉDICATEURS. 49 1
« fasse suri devoir par religion que pat crainte : or, la religion serait
« nulle, sans la croyance de la vie future. Pomponace dit qu'il a
« fallu , pour le bien commun , proposer au très grand nombre des
« hommes les peines et les récompenses de l'autre vie, parce qu'ils
« sont nés avec de mauvaises inclinations. Bayle soutient, contre
« Cardan , qu'il n'est pas vrai que ce domine ait produit plus de
« mal que de bien , même à ne considérer les choses que par des
» vues politiques; que la doctrine contraire désespère les gens de
« bien. Tolland, dans ses lettres philosophiques, avoue que, pour
« réprimer les méchans , il a été nécessaire d'établir l'opinion des
« peines et des récompenses après la mort. Selon Schaftsbury,
« croire que les mauvaises actions sont punies parla justice divine,
« est le meilleur remède contre le vice, et Se plus grand encoura-
« gement à la vertu. Bolingbroke observe que la doctrine des
« peines et des récompenses futures est propre à donner de la
« force aux lois civiles, et à réprimer les vices des hommes. David
« Hume ne veut point reconnaître pour bons citoyens ni bons po-
« litiques ceux qui s'efforcent de désabuser le genre humain des
« préjugés de la religion.
« Même concert parmi les incrédules français : l'auteur de la
« lettre de Thrasybule à Leucippe convient que la croyance d'une
« autre vie est le plus ferme fondement des sociétés, porte les hom-
« mes à la vertu, et les détourne du crime. Dans les sentimens
« des philosophes sur la nature de l'ame, l'auteur confesse que la
« morale des athées est dangereuse en général , et n'est bonne à
« prêcher qu'aux honnêtes gens. Dans les Dialogues sur lame, il
« est dit que, pour des hommes faibles et corrompus, [une religion
« dogmatique et la supposition d'une première cause deviennent
« nécessaires; qu'une origine divine et l'attente d'un honneur éter-
« nel flattent l'amour-propre , et peuvent produire de grandes
« choses. L'auteur du. Système de laNatiwe prouve qu'aucun motif
« naturel n'est assez fort pour détourner du vice un homme né
« avec des passions vives, et qu'il n'est pas le maître d'y résister :
« il est donc très à propos de recourir à un motif surnaturel. Dans
« les Lettres à Sophie , il est dit que l'hypothèse de l'immortalité
« de lame est, de toutes les fictions, la plus propre au bonheur
« du genre humain en général, et à la félicité des particuliers qui
« le composent. L'auteur du livre de YEsprit est d'avis qu'il faut
« conserver, même aux fausses religions, ce qu'elles ont d'utile;
« qu'il ne faut point détruire ni le Tartare ni l'Elysée.
« On demandera peut-être comment, avec de pareils aveux, de
4^2 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
« prétendus zélateurs désintérêts de l'humanité osent écrire contre
« la croyance d'une autre vie ? Ce n'est point à nous de répondre.
« C'est au lecteur judicieux de leur rendre la justice qui leur est
« due. »
Il est, en effet, assez extraordinaire de voir ceux qui font des
aveux aussi précis de l'utilité de notre doctrine , soutenir en même
temps qu'elle ne sert de rien à la morale , qu'elle lui est même
plus nuisible qu'utile. « Si on nous dit que le dogme des récom-
« penses et des peines à venir est le frein le plus puissant pour ré-
« primer les passions des hommes, nous répondrons en en appelant
« à l'expérience. Cette merveilleuse spéculation n'en impose nulle-
« ment aux méchans ; elle est incapable de changer les tempéra-
« mens des hommes, et d'anéantir leurs passions. Dans les nations
« qui en sont le plus fortement convaincues ; on voit des assassins,
« des voleurs, des fourbes, des oppresseurs , des adultères, des vo-
« luptueux : leur persuasion de la réalité d'une autre vie n'influe
« nullement sur leur conduite : d'abord, parce que le tourbillon
« des plaisirs et la fougue des passions les emportent; ensuite,
« parce qu'ils voient cet avenir dans le lointain, et que leurs jouis-
« sances sont présentes; enfin, parce qu'ils ont le projet de faire
« pénitence, et qu'ils se flattent, à l'aide de la miséricorde, d'é-
« chapper à la justice. Si même l'idée religieuse agit sur les mé-
« chans , ce n'est que pour redoubler la méchanceté de leur carac-
« tère, la justifier à leurs propres yeux, leur fournir des prétextes
« pour l'exercer. L'expérience d'un grand nombre de siècles nous
« montre à quel excès la scélératesse et les passions sont portées,
« quand elles sont autorisées ou déchaînées par la religion , ou du
« moins quand elles ont pu se couvrir de son manteau. Les hom-
« mes n'ont jamais été plus ambitieux, plus avides, plus fourbes,
« plus cruels, plus séditieux, que quand ils se sont persuadés que
« la religion leur ordonnait ou leur permettait de l'être. »
Cette difficulté renferme deux parties : d'abord l'inutilité, et
ensuite l'inconvénient de la croyance à une vie future.
Sur le premier point nous répondrons :
i° Il y a dv,s pécheurs parmi ceux qui croient à une autre vie.
Y en a-t-il proportionnellement moins parmi ceux qui n'y croient
pas?
2° Le dogme de la survivance de l'ame n'empêche pas tous les
crimes ; donc il n'en empêche pas beaucoup. Yoilà un singulier
argument!
3° La foi à un jugement après la mort ne détruit pas les autres
DES PRÉDICATEURS. 4£)3
motifs tle vertu, elle ne fait qu'y ajouter le plus puissant de tous.
4° « Dire que la religion n'est pas un motif réprimant, parce
« qu'elle ne réprime pas toujours , c'est dire que les lois civiles
« ne sont pas non plus un motif réprimant; » et on peut dire la
même chose de la morale, de l'éducation.
5° Si la foi de l'autre vie n'a pas la force de réformer le tempé-
rament, de réprimer les passions, comment tant d'hommes célè-
bres dans les fastes de la religion ont-ils, par cette considération ,
dominé leur tempérament, triomphé des passions les plus fou-
gueuses ?
6° La confiance dans la miséricorde divine est un motif de
conversion bien plus que de persévérance dans le mal. Celui qui
n'en aurait pas l'espoir, aurait-il plus de raisons de se corriger?
y0 La considération delà miséricorde est balancée par celle de la
justice. Combien de péchés celle-ci a prévenus et celle-là a réparés !
Sur le second point nous répondrons aussi sommairement :
i° De ce que, parmi ceux qui croient à l'autre vie, il y a des
pécheurs, s'ensuit-il que ce soit cette croyance qui les ait fait pé-
cher ?
2° « C'est mal raisonner contre la religion, dit encore Montes-
« quieu, de rassembler dans un grand ouvrage une longue énu-
« mération des maux quelle a produits, si l'on ne fait de même
« des biens qu'elle a faits. Si je voulais raconter tous les maux
« qu'ont produits, dans le monde, les lois civiles, la monarchie,
• le gouvernement républicain , je dirais des choses effroyables. »
3° Il est souverainement injuste d'imputer à la religion préci-
sément ce qu'elle interdit. Quel est le vice qu'elle ne proscrive
pas, le crime qu'elle ne condamne pas? Ceux qui la font servir de
prétexte à leurs passions font le contraire de ce quelle ordonne,
et on l'accuse d'autoriser leurs excès !
4° On connaît les crimes qu'ont commis, sous prétexte de reli-
gion, quelques scélérats. Peut-on connaître, imaginer, calculer
tous ceux qu'elle a empêché de commettre? Peut-on embrasser,
dans son esprit, toutes les actions vertueuses dont elle a été le
principe?
« On objecte contre l'utilité du dogme de la vie future une
« autre expérience : on dit que, parmi ceux des philosophes qui
« n'y croyaient pas , il y en a eu de vertueux. »
Admettons que quelques hommes aient pu être vertueux sans
le motif des espérances et des craintes de l'autre vie, peut-on légi-
timement en conclure que ce motif n'a pas une force très puis-
4g4 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
santé pour porter les hommes à la vertu ? La question consiste à
savoir si l'incrédule a autant de motifs pour résister à ses passions,
pour sacrifier son intérêt personnel à l'intérêt général, que celui
qui croit à la vie future. Il est évident que celui-ci a d'abord tous
les mêmes motifs que celui-là , et que de plus il en a un autre à
tous égards infiniment supérieur.
Qu'il y ait eu quelques hommes à qui des passions peu vives ,
un jugement sain , l'étude de la philosophie, le frein des lois , les
usages civils et religienx, les exemples environnans, aient fait
pratiquer la vertu malgré leur incrédulité, cela est indifférent à
notre question. Il faut à la morale un fondement qui réunisse tous
les genres d'universalité : le genre humain ne peut pas être com-
posé de philosophes.
On nous oppose l'expérience ; répondons d'après l'expérience.
Quand est-ce que les républiques de la Grèce et de Rome perdi-
rent, avec leurs mœurs, d'abord leur splendeur, et ensuite jusqu'à
leur existence? Ne fut-ce pas quand la philosophie épicurienne y
eut fait des progrès? Plusieurs auteurs, même païens, en ont fait
l'observation. Les stoïciens , dit-on , n'admettaient pas les peines
après la mort, et cependant ils étaient très vertueux. Mais outre
que parmi eux il y en avait qui croyaient ce dogme , si beaucoup
d'entre eux avaient des vertus, ils avaient aussi des vices, spéciale-
ment l'orgueil. Considérons d'ailleurs la doctrine de ces deux éco-
les sur la morale. Epicuie avait, dit-on, personnellement des ver-
tus, et il avait débité sur la vertu de belles maximes : mais Cicéron
dit de lui qu'il n'a jamais connu personne qui eut plus de peur
des choses qu'il prétendait n'être pas à craindre : de la mort et des
dieux. Ses disciples furent plus vicieux, et en cela plus conséquens
que lui : il adoptèrent ses principes d'incrédulité, et laissèrent là
ses maximes de vertu qui n'étaient pas fondées sur les principes.
Zenon et ses stoïciens prêchaient fortement la vertu; mais leurs
princioes étaient outrés, et nullement adaptés à la nature de
l'homme, comme le leur reprochent Cicéron et Plutarque, auteurs
très raisonnables. La raison en était simple : ne donnant pas à la
vertu sa véritable base , ils en substituaient d'imaginaires , impuis-
santes à la soutenir ; et , pour ne pas tomber dans le relâchement,
ils donnaient dans l'exagération.
c Pour montrer l'inutilité de la croyance d'une autre vie, on
« prétend que les hommes sont excités à la vertu par des motifs
« bien plus puissans, par le désir de l'estime et la crainte du blâme,
« par l'amour de la gloire et l'espoir de vivre à jamais dans la me-
DES PRÉDICATEURS. 49^
« moire des hommes, et surtout par la satisfaction intérieure que
'< l'on ressent d'une bonne action, et par le remords qui tourmente
c à la suite d'une mauvaise. »
Je demande d'abord en quoi ces motifs naturels et tous les autres,
s'il en est, que l'on pourrait alléguer, sont opposés au motif sur-
naturel de l'attente des biens et de la crainte des maux d'une autre
vie? En proposant l'un, la religion ne rejette pas les autres; loin
de les affaiblir, elle y ajoute; elle les corrobore en les consacrant.
Le désir de l'estime , la crainte du blâme, l'amour de la gloire,
selon les païens eux-mêmes , tenaient au dogme de l'immortalité.
Dans nos principes religieux ce sont des sentimens honnêtes et
utiles; nos livres saints les recommandent et célèbrent la gloire
des hommes célèbres par leur vertu. Mais j'ai déjà observé que
ces motifs, quoique précieux, ne sont pas suffisans. Ils n'ont ni l'u-
niversalité des personnes , le vulgaire n'est pas susceptible de se
déterminer par des sentimens si délicats; ni l'universalité des de-
voirs, ils n'excitent qu'aux vertus d'éclat; ni l'universalité des
circonstances, ils formeront aussi souvent des hypocrites que
d'honnêtes gens.
La satisfaction de la bonne conscience tient à l'espoir qu'elle
donne d'un bonheur suprême après la mort. Otez le fondement
sur lequel porte la joie intérieure d'une action généreuse, quelle
raison a d'être content de lui-même l'homme qui s'est sacrifié
au bien public, ou qu'un acte de vertu livre à des contradictions,
à des persécutions, à des souffrances , si ces maux sont le prix
unique de son action, s'il n'a aucun dédommagement à en espérer?
Si le contentement de soi-même est le seul prix de la vertu,
l'homme vain et persuadé de son mérite sera toujours récompensé,
quelque vicieux qu'il soit : l'homme modeste, qui ne se trouve
jamais assez juste, n'aura aucun prix de ses bonnes actions.
L'homme de bien peut éprouver cette satisfaction, et s'en faire
un motif pour persévérer: mais comment la faire connaître au
méchant pour le rappeler au devoir ? comment lui persuader
qu'un sentiment qu'il n'a pas éprouvé, dont par conséquent il ne
se forme pas l'idée, lui procurera un bonheur supérieur à celui
qu'il attend et qu'il ressent de ses passions satisfaites?
Observons enfin les contradictions des incrédules. Tantôt ils ca-
lomnient la sagesse de la Providence, sous le prétexte du malheur
que la vertu apporte aux justes ; tantôt ils combattent sa justice,
sous le prétexte contraire que le juste est heureux par sa vertu.
/gg NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Il nous reste à examiner si le remords est un motif plus puis-
sant et suffisamment efficace.
Je reconnais le grand bienfait du Créateur envers sa créature
raisonnable et libre , d'avoir placé le crime entre le scrupule et le
remords ; entre le scrupule qui le précède pour le prévenir , et le
remords qui le suit pour le réparer. Il est conforme à la bonté de
rendre embarrassée et pénible la route du vice , et de ramener le
pécheur par son propre sentiment ; il est convenable à la sagesse
de tirer du fond même de l'iniquité un remède contre elle , et
d'employer le dérèglement même de l'homme à lui faire régler sa
conduite : il est digne de la justice de placer dans l'intérieur de
l'homme un témoin , un accusateur , un juge, un bourreau qui
commence la punition de son crime : c'est un acte admirable
d'autorité de confondre les prévaricateurs par leur propre aveu, et
de leur faire rendre à la vertu un hommage d'autant moins sus-
pect, qu'il est contraire à leurs inclinations les plus dominantes.
Mais le jugement de la conscience a une connexion intime
avec le jugement de Dieu. Si le crime n'a aucun châtiment à
craindre, le remords n'a point d'objet; c'est un sentiment sans rai-
son. Affranchissez le méchant des craintes de l'avenir, quel motif
l'engagera à céder aux reproches de sa conscience ? Quel autre
intérêt aura-t-il que de s'efforcer d'étouffer ses remords en multi-
pliant ses forfaits ? Suivant le système de l'incrédulité, le remords
est inexplicable dans son principe, inutile dans ses effets , funeste
dans ses conséquences.
En établissant le principe que le remords est la punition suffi-
sante des crimes, il ne faut pas se contenter d'en tirer une consé-
quence partielle, il est nécessaire de la suivre dans sa totalité.
Ainsi, avec le jugement de Dieu, il faut abolir tous les jugemens
humains, renverser les tribunaux, annuler les lois pénales. Quel
incrédule voudrait vivre dans un pays où , pour toute punition ,
les criminels seraient abandonnés au tourment de leur con-
science?
Dans ce système, les plus criminels seraient les moins punis,
parce que le remords non seulement n'est pas en proportion, mais
est souvent en raison inverse des délits. C'est une question de sa-
voir si on peut se défaire entièrement de ses remords; mais un fait
certain est qu'on parvient à les diminuer. Un autre fait également
constant par l'expérience est que l'homme se reproche plus vive-
ment ses désordres dans leur commencement que lorsque , par
une longue succession de péchés, il s'y est accoutumé. Ainsi, le
DES PRÉDICATEURS. 4±)~
malheureux qui, par faiblesse, a succombé à une séduction bien
flatteuse, à une très vive tentation , et qui se reproche ensuite
amèrement sa faute, est bien plus sévèrement puni que le scélérat
qui, s'étant jeté depuis long-temps dans le crime, s'efforce d'impo-
ser silence à sa conscience.
Il y aura même dans cette hypothèse beaucoup de vices qui ne
seront aucunement punis. Ce sont ceux, et ils ne sont pas à beau-
coup près rares , sur lesquels on se fait illusion. Que d'hommes,
par une fausse conscience, transforment à leurs propres yeux leurs
défauts en vertus; l'ambition en grandeur d'ame, l'avarice en éco-
nomie, la vengeance en justice, le fanatisme en zèle, l'indiscrétion
en franchise, la fausseté en prudence! etc. Quelle sera donc la pu-
nition de tous ces vices, dissimulés à celui même qui en est infecté ?
« On nous objecte de plus lame des bêtes : elle est spirituelle
« comme celle de l'homme; et cependant on ne lui attribue pas la
« survivance au corps qu'elle anime. »
Nous avons prévenu cette difficulté : ce n'est'pas parce que notre
aine est spirituelle que nous assurons qu'elle survivra à notre
corps, c'est parce qu'elle est raisonnable, libre, capable de mé-
rite et de démérite ; ce n'est pas la puissance de Dieu qui est inca-
pable d'anéantir notre substance spirituelle; ce sont sa sagesse, sa
bonté , sa justice, qui demandent qu'il la conserve. Admettons le
système qu'il y a dans les bêtes, comme dans l'homme, une sub-
stance spirituelle : est-elle, comme celle de l'homme, susceptible
de connaître, capable de pratiquer le bien et le mal? La parité
entre l'âme de l'homme et celle de la bêle, quant à la survivance
au corps, n'est donc pas exacte : il n'y a pas la même raison pour
la conservation de l'une et de l'autre. De la spiritualité de l'ame des
autres animaux il suit seulement qu'elle n'est pas corruptible,
qu'elle n'a pas un principe intérieur de corruption : de son inca-
pacité, de son impuissance à faire bien ou mal, irrésulte qu'il n'y a
pas d'obstacle à ce qu'elle soit anéantie par celui qui l'a créée. (Le
C. de La. Luzerne , Dissertation sur la Loi naturelle.)
T. III,
3 2
4y8 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
DIVERS TASSAGES DE L'ÉCRITURE SLR L'IMMORTALITÉ DE L'AME.
Salutare tuum expectabo, Domine.
J'attendrai votre salut, ô mon Dieu! ( Gen., 35, 20.)
Mo riatur anima mea morte justorum et fiant novissima mea ho-
rum similia.
Que je meurs de la mort des justes , et que mes derniers jours
soient semblables aux leurs. (Num., 33, 10.)
Nec inveniatur in te qui.... pythones consulat aut dîvinos , nec
quœrat a mortuis 'veritatem.
Qu'il ne se trouve personne parmi vous qui.... consulte les
pythonisses, ou qui se mêle de deviner, ou qui demande aux
morts la vérité. [Deut., 18, 10, 11.)
Scio quocl Redemptov meus vwit , et in noinssimo die de terra
surrecturus sum.
Je sais que mon Rédempteur est vivant, et que je ressusciterai
de la terre au dernier jour. (Job, 19, 25.)
Non derelinques animant meam in inferno , nec dabis Sanctum
tuum videra corruptionem.
Vous n'abandonnerez point mon aine au pouvoir de la mort, et
vous ne permettrez point que votre Saint éprouve la corruption.
(Ps., i5, 10.)
Ego in justifia apparebo conspectui tuo^satiabor quum apparuerit
gloria tua.
Je paraîtrai devant vous avec ma seule justice ; je serai rassasié
quand je verrai votre gloire. [Ps., 16, 17.)
In malitia sua expelletur impius, sperat autem justus in morte
sua.
Le méchant sera chassé dans sa malice, mais le juste espère dans
sa mort. {Prou., 14, 32.)
Vidi sub sole in loco judicii impietatem, et in loco justitiœ ini-
quitatem, etdixi in corde meo: Justum et impium judicabit Deus, et
tempus omnis rei tune erit.
J'ai vu, sous le soleil, l'injustice à la place du jugement, et l'ini-
quité à la place de la justice ; et j'ai dit dans mon cœur ; Dieu jugera
DES PllUDICATEUllS. 4<)9
le juste et l'impie, et alors ce sera le temps de toutes choses. (EccL,
3, 16, 17.)
Mémento Creatoris in diebus juventutis tuœ t antequamveniat dies
affïictionis... et revertatur pulvis in terrain suam unde erat, et spiri-
tasredeat ad Deum, qui dédit ilhuh.
Souvenez-vous de votre Créateur aux jours de votre jeunesse,
avant que le temps de l'affliction vienne ; avant que la poussière
rentre dans la terre d'où elle est sortie, et que l'esprit retourne à
Dieu qui l'a donné. {Ibid.. 12, 1, 7.)
Vivent mortui tui; interfecti met résurgent : expergescimini et lau-
date, qui habitatis in pulvere.
Les morts que vous pleurez vivront , les massacrés d'Israël res-
susciteront; réveillez-vous, louez le Seigneur, vous qui habitez
dans la poussière. (7s., 26, 19.)
De manibus mortis liberabo eos ; de morte redimam eos. Ero mors
tua, 0 mors! morsus tuus ero, inferne!
Je les rachetterai des mains de l'Enfer; je les arracherai des mains
de la mort. Mort, je serai ta mort; Enfer, je serai ta désolation.
(Osée, i3, i4-)
Si Christ us prœdicatur quod resurrexit a mortui s, quomodo
quidam dicunt in vobis quoniam resurreciio mortuorum non est?
Puisqu'on vous a prêché que Jésus-Christ est ressuscité d'entre
les morts, comment quelques uns d'entre vous disent-ils que les
morts ne ressuscitent point? (I ad Cor., i5, 12.)
Si resurreciio mortuorum non est , neque Cliristus resurrexit.
Si les morts ne ressuscitent pas, Jésus-Christ n'est donc pas res-
suscité? (Ibid,, i3.)
Si in hac vita tantum in Christo sperantes sumus,miserabiliores
sumus omnibus hominibus.
Si l'espérance que nous avons en Jésus-Christ n'est que pour
cette vie , nous sommes les plus misérables de tous les hommes.
(Ibid.y 19.)
Omnes quidem resurgemus, sed non omnes immutabimur.
Nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés,
(Ibid., 5i.)
3u.
5qO NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
PLAN ET OBJET DU PREMIER DISCOURS
SUR L'IMMORTALITÉ DE L'AME.
EXORDE.
Qui crédit in me, cliam ai mortuus fucrii, vivet.
Celui qui croit en moi vivra même après sa mort. [En S. Jean, c. 11.)
Ce n'est donc point à la courte durée des temps que doit se bor-
ner l'existence et la destine'e des hommes. Il est donc pour tous les
Chrétiens, pour ceux mêmes qui n'auront point eu le bonheur de
l'être, une autre vie que celle-ci, une vie stable es permanente,
une vie éternelle où chacun recevra selon ses œuvres. Le Dieu
puissant qui nous a formés , pour le servir sur la terre, saura donc
conserver notre orne, au milieu des horreurs du trépas, qu'il ne
laissera régner que sur le corps. Ce monde terrestre que nous ha-
bitons n'est donc point notre véritable patrie. Une patrie céleste
nous attend et nous devons y aspirer sans cesse. Nous n'avons donc
point à craindre cet anéantissement total de notre être, dont l'im-
pie nous menace, et qu'il désire inutilement pour lui-même ; et pour
m'exprimer avec saint Paul paraissant devant l'Aréopage , nous
sommes donc la race immortelle de Dieu , et ce Dieu a marqué son
jour pour nous juger, et pour juger tout l'univers.
Mais quel est le but que je me propose dans cette entrée de dis-
cours? Yiens-je donc, comme les premiers Apôtres envoyés aux
nations païennes, vous annoncer les premiers élémens de la reli-
gion de Jésus-Christ? Dois-je vous parler comme à des hommes
capables de former un doute sur le siècle à venir, si nécessaire à
réparer les désordres du siècle présent? Ne serait-ce pas même
une indécence et un scandale de vous adresser les preuves d'une,
vérité que la nature ne vous démontre pas moins que la re-
ligion? Et la chaire évangélique où l'on doit parler à des Chrétiens
qui nous écoutent , ne serait-elle point comme profanée par des
raisonnement réservés, ce semble, pour des impies qui ne viennent
des prédicateurs. Soi
pas nous écouler ? Mes chers frères , je sens comme vous l'incon-
vénient de ces dissertations philosophiques, où l'on paraît vous
supposer sans foi et sans religion, et auxquelles cependant la fc i
seule et la religion vous attirent. Mais ne suffit-il pas du malheur
des temps pour m'autoriser à traiter à fond, devant vous, de l'im-
mortalité de votre ame, et à confirmer votre foi sur ce grand prin-
cipe ? Ne savez-vous pas comme moi que nous vivons dans un
siècle où la religion de plusieurs a fait naufrage ; où l'on ose
anéantir l'éternité de l'homme, pour mieux anéantir toute religion,
soit naturelle, soit révélée; dans un siècle où les esprits les plus
fiers de leurs lumières, les plus enivrés de leur mérite, se font
gloire d'un système qui les abrutit pour ce monde , et les anéantit
pour l'autre; et produisent sur ce point mille raisonnemens cap-
tieux, qui se font adopter par une foule d'esprits, ou faibles de
leur nature , ou aveuglés par leurs passions ? Qu'il me soit donc
permis, Chrétiens, de justifier à vos yeux, la vérité de votre avenir,
et de vous démontrer une immortalité qui fait sans doute le plus
cher objet de vos désirs et de vos espérances. Quelque inutiles, au
reste, que ces démonstrations vous paraissent pour l'édification de
vos mœurs , du moins serviront-elles à vous découvrir , et toute la.
faiblesse de l'impie qui ose attaquer votre immortalité, et tout
l'avantage que vous pouvez tirer de ce principe même , trop peu
médité des Chrétiens de nos jours. Deux idées que je me propose
de vous développer : l'une pour affermir votre foi sur ce principe
fondamental de toute religion; et l'autre pour vous animer, dans
la pratique, à ce qu'il y a dans votre religion de plus sublime et de
plus grand. L'une et l'autre renfermeront tout mon dessein.
Point de vérité plus inébranlable à tous les ennemis de la reli-
gion que le grand principe de l'immortalité de lame : ce sera le
sujet de la première partie. Point de vérité plus capable de former
des héros à la religion que le grand principe de l'immortalité de
lame : ce sera le sujet de la seconde partie. Dieu Sauveur, Dieu
immortel et prince de l'immortalité, c'est à vous de me soutenir
dans ce discours; j'ai besoin de la plus puissante de vos grâces, et
je vous la demande par l'intercession de la plus sainte des Vierges.
Ave, Maria, (Le P. Le Chapelain, Sur V immortalité de lame.)
Immortalité de l'ame, vérité inébranlable.
C'est un beau mot de Tertullien , et qui se trouve justifié par
l'aveu unanime de tous les siècles, que jamais l'homme n'a me-
502 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
connu l'existence de la Divinité, ou d'un premier Etre , créateur
de tous les êtres, à moins qu'il ne fût expédient pour lui-même que
cet Etre souverain ne fût point en effet : Nemo Deum non esse cré-
dit, nisi cui expedit non esse K Je dis de même de tous les hommes
qui ne jugeant des choses que par les sens, et prévenus des maximes
insensées du libertinage, refusent de croire, ou ne croient qu'à
demi cet avenir éternel que la religion nous oblige d'espérer ou
de craindre. Et je prétends que l'on n'a jamais douté de ce grand
principe que par l'intérêt personnel que l'on avait d'en douter;
c'est-à-dire qu'il n'y eut jamais qu'une vie déréglée et corrompue
qui fut capable de faire penser à quelques libertins que toute la
durée de l'homme se réduit à la vie présente , et que le but de ses
espérances finit au moment inévitable de la mort. Je prétends qu'à
considérer la chose en elle-même, et indépendamment des lu-
mières que la foi nous donne sur l'immortalité de notre ame;
jamais vérité ne fut plus évidente au jugement d'une raison éclairée,
ni plus inébranlable à tous les efforts d'une raison pervertie et cor-
rompue par l'ascendant des passions humaines. Ecoutez-en la
preuve, et prêtez-moi, je vous prie, toute votre attention.
Une vérité si lumineuse que l'on ne peut la combattre sans
attaquer en même temps la certitude des principes les plus évidens
ei- eux-mêmes, des principes les plus infaillibles au jugement delà
seule raison, et de la raison la plus ennemie de la Religion de Jésus-
Christ; une telle vérité n'est-elle pas, entre toutes les autres, la plus
inébranlable aux vains raisonnemens de la philosophie humaine?
Or, telle est, mes chers auditeurs, et telle sera toujours cette grande
vérité que le sentiment naturel nous démontre, et qui nous an-
nonce à tous la durée immortelle de notre ame. Car, pour ne sup-
poser rien qui puisse nous être contesté dans un discours de cette
conséquence, il faut que l'impie reconnaisse dans le Dieu qu'il
veut bien encore adorer, et la spiritualité de sa nature, et l'infail-
libilité de sa sagesse et l'infinité de sa justice. La spiritualité de sa
na ure, qui en fait un esprit pur, infiniment au dessus de la ma-
tière dont il est le créateur, l'infaillibilité de sa sagesse qui n'a pu
donner à l'homme des désirs infinis, sans quelque objet capable
de les satisfaire. L'infinité de sa justice qui ne lui permet pas de re-
garder indifféremment sur la terre, et l'homme vertueux et
l'homme coupable. Et voilà, Chrétiens, ce qui doit nous faire com-
prendre à quel point l'immortalité de notre ame est supérieure à
1 Tertullicn.
DES PRÉDICATEURS. 5o3
tous les raisonnemens impies que l'on peut former contre elle;
puisque l'on ne peut combattre cette -vérité fondamentale sans
dégrader la nature de Dieu , sans méconnaître la sagesse de Dieu,
sans anéantir la justice de Dieu. Je reprends, mes chers frères, et
je vous invite à me suivre dans le cours de ces argumens victo-
rieux , où j'ai cru devoir m'engager , non seulement pour la gloire
de la religion dont nous sommes les disciples, mais pour l'intérêt
commun du genre humain, à qui l'on entreprend de ravir le plus
essentiel et le plus beau de ses privilèges. ( Le Même.)
Nier l'immortalité de l'ame, c'est outrager la nature de Dieu.
Dieu , en créant l'homme , l'avait d'abord destiné à être immor-
tel. Dégradé par le péché, il perdit cet heureux privilège; mais
l'intention du Créateur était qu'il lui fût un jour rendu. Sa bonté
et sa puissance lui permettaient-elles de ne pas se montrer aussi
bienfaisant à l'égard de l'œuvre de ses mains que les hommes le
sont à l'égard de ce qui leur est soumis ? Or , nous voyons partout
le témoignage que les hommes veulent voir se propager et se mul-
tiplier ce qui leur appartient. L'intention du Créateur a donc été
que l'homme corrompu par le péché fût un jour réformé et re-
nouvelé. L'incrédule ne combat cette assertion que par l'opinion
où il est que Dieu ne peut pas ressusciter un corps anéanti par la
mort; et il mesure la toute puissance de l'Etre souverain par sa
propre faiblesse. Il est facile de tirer d'objets existans, ou qui ont
existé autrefois, la preuve de la vérité de cet ordre de choses à
venir, dont on accuse l'impossibilité. Un peu de boue façonnée
par les mains du Créateur a fait l'homme, vous le savez. Appre-
nez-moi, je vous le demande, vous dont la science prétend péné-
trer tous les mystères, par quel mécanisme un peu de poussière
s'est transformée en chair? comment un limon grossier a produit
et les os et la peau , et toute la structure de l'homme, tant à l'exté-
rieur que dans les parties diverses qui composent cette substance
si savamment organisée, et qui, toutefois, n'est qu'une si faible
portion dans l'universalité des êtres? Ce mystère vous échappe;
vous ne concevez rien à la naissance de l'homme ; et pourtant
vous ne pouvez la nier. Pourquoi nieriez-vous sa régénération?
car c'est le même Dieu qui opère dans l'une ou dans l'autre. Il
sait bien comment il s'y prendra , pour rendre à sa première forme
le corps tombé en dissolution. Il est tout-puissant; vous ne lui
r>o4 NOUVEIXIÎ BIRT.IOTIIÈOUP,
contesterez pas sans doute cotte qualité.... Que la résurrection des
morts soit possible, le fait le prouve; puisque plus d'un mort a
été ressuscité. Lazare était depuis quatre jours enfermé dans le
tombeau ; Lazare fut ressuscité l. Le iils unique de la veuve de
Naïm, ressuscité, fut rendu à sa mère, au moment où on Fallait
emporter de sa maison 2. Non seulement notre Dieu a exercé par
lui-même le pouvoir de ressusciter les morts, il l'a encore donné
à ses Apôtres. Jl suffit dune seule résurrection bien authentique
pour conclure en faveur de toutes. Qui peut faire l'une peut aussi
bien faire les autres. Dans les arts mécaniques, ceux qui sont
chargés de grandes et vastes constructions commencent par les
exécuter en petit, et par en tracer les modèles sur des plans d'une
moindre dimension. Ainsi le Créateur de l'univers, en formant le
Ciel, ce merveilleux ouvrage de ses mains, n'a voulu exposera
notre admiration qu'un échantillon de sa sagesse et de sa puis-
sance, afin que nous remontions du peu que nous voyons à ce
que nous ne pouvons ni voir ni comprendre.... Le potier qui a
fait un ouvrage de terre peut le refaire quand il vient à se briser;
et le Tout-Puissant ne pourrait, refaire son propre ouvrage ! Ecou-
tez saint Paul : Quand vous jetez en terre une semence, ce que
vous semez n'est pas la substance elle-même qui doit en provenir
dans son temps, mais il le deviendra 3. Ce grain, par^exemple,
que vous répandez au hasard sur la terre , il s'y corrompt ; il a l'ap-
parence de la mort; bientôt vous le verrez qui lève, devient épi,
se développe; il a repris la vie pour se multiplier. L'homme re-
naîtra, mais pour n'être que ce qu'il était. Son renouvellement
n'est pas un accroissement comme celui du blé; c'est donc quelque
chose de plus aisé à concevoir que cette foule de phénomènes
qui accompagnent la résurrection d'un simple grain. Tout, autour
de nous, présente à nos regards une scène continuelle de muta-
tion et de renouvellement. La vie de l'homme n'est qu'une longue
suite de morts , de résurrections anticipées; le sommeil lui-même
n'en est que limage journalière, etc.
Ah! de grâce, ne nous enlevez pas notre plus glorieuse espé-
rance, le soutien et le remède de notre faiblesse, la seconde nais-
sance qui nous enfantera à une vie nouvelle où l'on ne meurt plus :
nous en avons Dieu lui-même pour garant. Et quels sont les enne-
mis de cette foi? Des hommes ennemis de toute vertu, âmes basses
et dégradées par la passion et par le crime, plongées tout entières
1 Jonn,, xî, Ô9. — 2 Luc, xn, 12. — "I Cor., xv.
:
DJ'S PRÉDICATEURS. 5o5
dans les brutales voluptés des sens. Que ceux-là repoussent la ré-
surrection, ils ont trop d'intérêt de la craindre; ils s'effraient, avec
raison, d'un renouvellement qui les fera comparaître par-devant
le Souverain Juge, pour y recevoir le châtiment d'une vie toute
pleine d'iniquités; serviteurs infidèles, qui, après avoir dissipé les
biens qui leur avaient été confiés, se livrent contre leurs maîtres
aux plus insolens complots, s'étourdissent sur les suites et s'ima-
ginent que rien n'arrivera qu'en conséquence de leurs vœux et de
leurs espérances. Loin de tout esprit sage de semblables pensées.
A quoi servirait-il de pratiquer la justice? Quel avantage recueil-
lerait-on d'avoir été vrai, bon, honnête? Quels fruits promettrait-
on à ses laborieux sacrifices? S'il n'y a pas de résurrection , à quoi
sert de s'appliquer à l'étude de la sagesse, de maîtriser ses sens,
de dompter ses passions , d'obéir aux saintes lois de la tempérance
et de la pudeur, de n'accorder au sommeil que peu de temps,
d'endurer les plus dures privations? S'il n'y a point de résurrection ,
plus de vie après la mort. La mort est l'anéantissement. Supprimez
et toute législation qui condamne le crime et tous les tribunaux
qui les punissent. Qu'il soit permis à l'homicide de tremper impu-
nément ses mains dans le sang de sa victime ; laissez l'adultère
violer librement la sainteté du nœud conjugal ; que le riche avare,
que le spoliateur du bien d'autrui jouissent en paix du fruit de
leurs rapines; qu'aucun frein n'arrête ni le calomniateur ni le
parjure : tout est égal à la mort entre eux et l'homme juste, fidèle
observateur de sa parole et de tous ses devoirs ; car s'il n'y a point
de châtiment pour le crime, il n'y a point non plus de récom-
pense pour la vertu. On peut être sans pitié pour le pauvre,
puisqu'il n'y a rien à attendre pour le miséricordieux. Une pareille
doctrine à quoi est-elle bonne? A verser dans la société un dé-
luge de crimes : la raison elle-même s'en révolte ; elle ne peut con-
venir qu'à des scélérats et à des brigands, pour les exciter au crime
et leur en assurer l'impunité.
Il n'y aurait pas de résurrection ! Mais que deviennent les ora-
cles de nos livres saints? Ce ne serait donc plus qu'une fable que
l'histoire de Lazare , et du mauvais riche de l'Evangile, que la pro-
phétie d'Ezéchiel, alors que, transporté en esprit dans une vaste
plaine couverte d'ossemens, il vit tous les morts se lever sur leurs
pieds, leurs chairs se réunir et reprendre la vie !, image frappante
de la résurrection générale? Ce n'est point l'âme qui ressuscitera ;
t Ezéch., xxxuf, 1 el seq.
!i;il
5o6 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
immortelle de sa nature, elle n'avait pu mourir. Il faudra done
qu'au jour du jugement elle retrouve le même corps dont elle
avait fait, durant leur commun séjour sur la terre, le compagnon
de ses bonnes ou de ses mauvaises actions. Chaste ou adultère, ii
innocente ou criminelle, elle n'avait pas été seule; le corps avait
été de moitié dans ses œuvres, plus souvent encore il avait été
l'instrument des prévarications de lame coupable; et l'ame serait
jugée indépendamment du corps! S'il fut son complice, il doit être
puni comme elle. S'il fut associé à ses sacrifices, il doit être ré-
compensé comme elle. Aussi voyez, quand l'Ecriture nous raconte
les tourmens des enfers, elle parle de feux , de ténèbres, d'un ver
dévorant. Est-ce pour l'ame? est-ce pour le corps? Mais l'ame se
parée du corps ne donnerait point de prise ni à l'activité du feu
qui n'agit que sur les sens, ni à l'obscurité des ténèbres , qui ne
tombent que sur l'organe de la vue , ni à la dent du ver qui ne
pourrait rien contre un pur esprit. (Saint Grégoire de Nysse ,
Sur la fête de Pâques , IIP discours.)
Nier l'immortalité de l'ame c'est dégrader la sagesse de Dieu.
Ici , mes chers frères , descendons un moment dans nous-mê-
mes, pénétrons le fond de notre cœur, et interrogeons le senti
ment naturel qui le domine; ou plutôt, sans qu'il soit besoin de
pénétrer le cœur de l'homme et de l'approfondir, voyons-y d'uni]
coup d'œil ce que nous ne pouvons nous déguiser à nous-mêmes.ij
et ce que nous apprend chaque jour l'expérience de tous les hom-
mes. Eh quoi ! c'est que ce cœur, tout occupé qu'il est d'objets fri-
voles, n'en est pas moins infini dans sa capacité, et insatiable dans
ses désirs; c'est que ce cœur est une espèce d'abîme qui absorbe
etdigloutit tout, qui ne dit jamais; c'est assez, et à qui le monde
entier ne suffirait pas pour le remplir. Que l'homme en effet le
plus avide de richesses, d'honneurs ou de plaisirs, rencontre à ce
moment sous ses pas tout ce qu'il a jamais pu désirer, depuis qu'il
existe, sera-t -il vraiment satisfait ? Non, il commencera dès lors à
former de nouveaux projets de fortune qui seront suivis de mille
autres , à mesure qu'il acquerra. Si c'est l'ame d'un héros fier et
superbe de ses victoires, ou bien elle cherchera un autre univers
à. conquérir, comme celle d'Alexandre ; ou bien elle se lassera de
l'élévation la plus désirée, ainsi que ces princes fameux qui, de
venus les maîtres de la terre, succombaient au dégoût de leui
propre puissance , qui ne leur paraissait plus mériter ce qu'il en
DES PRÉDICATEURS. 5o?
avait coulé de travaux et de fatigues pour y parvenir. Si c'est une
ame commune et vulgaire, d'abord ses désirs seront moins vastes;
mais seront-ils moins ardens et moins multipliés dans la sphère
étroite ou l'ordre de la Providence l'aura bornée ? Non, que l'homme
gémisse dans le sein de la pauvreté, ses premiers vœux ne seront
que pour le seul nécessaire; mais qu'il possède le nécessaire de la
nature, il voudra dans le moment le nécessaire de la condition ; mais
qu'il jouisse du nécessaire le plus commode selon l'état où il est
monté, il aspirera dès le même instant au superflu, et au superflu le
plus magnifique; et s'il vient à bout d'y parvenir, il désirera toujours
également de plus en plus. Il pourra cesser enfin d'acquérir selon
ses désirs, mais il ne cessera jamais de désirer d'acquérir encore.
Telle est, Chrétiens, vous ne le savez que trop, la nature du cœur
de tous les hommes; et le cœur du plus grand héros, pour l'im-
mensité des désirs, n'est point différent de celui du reste des hu-
mains.
Or, cette vérité d'expérience une fois reconnue, raisonnons un
moment, mes chers auditeurs, et concluons, avec la dernière évi-
dence, que l'on ne peut méconnaître la durée immortelle de notre
ame, sans anéantir la sagesse du Dieu créateur, c'est-à-dire, sans
regarder ce Dieu infiniment sage, comme un être borné dans ses
lumières, qui n'a pas su pénétrer ou la nature des biens du monde,
incapables de nous satisfaire, ou l'immensité de notre cœur, inca-
pable d'en être satisfait. Car s'il a bien connu , ce Dieu qui nous a
formés, la disproportion mutuelle et de notre cœur et des biens du
monde, il faut donc qu'il ait un objet et un objet proportionné à
l'ardeur de ce désir infini d'êtreheureux, gravé dans notre ame par le
doigt de Dieu; il faut donc que cette capacité sans bornes, cette es-
pèce d'immensité du cœur humain , nous annonce un bien destiné
du ciel à le remplir et à le satisfaire. Or ce bien infini après lequel
nous soupirons malgré nous-mêmes , et qui ne saurait être pour le
cœur qui le désire un objet chimérique et imaginaire, ce n'est
pas dans nous-mêmes qu'il se trouvera jamais. L'homme sent trop
bien, à la vue de l'état déplorable où le péché l'a réduit, qu'il
n'est pas fait pour se contenter de lui-même. Ce n'est pas au mi-
lieu du monde, et parmi tous les objets qu'il offre à nos regards,
que peut se rencontrer l'objet véritable de ce bonheur , puisque
l'empire du monde entier, loin d'épuiser les désirs de l'homme,
ne ferait qu'en multiplier le nombre et en augmenter la vivacité.
C'est donc dans un avenir, et un avenir éternel, que la multitude
et la variété de nos désirs doivent trouver leur centre et leur par-
iec
n si
pta
jl
iclu
|v
Dli
lie.
5o8 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
fait accomplissement. Il n'appartient clone qu'à l'immortalité seule
de remplir la capacité infinie du cœur humain, qiii ne saurait être
satisfait par une félicité passagère et bornée, telles que seront tou
jours les félicités de la terre. Et dès là ce n'est point l'effet d'une
erreur, comme dit l'impie, ce n'est point l'effet d'une ambition
dans l'homme, c'est sa destinée naturelle et nécessaire, de cher
cher un autre univers, d'aspirer à de nouveaux cieux, d'attendre
un second avenir qui ne finira jamais.
Eh quoi! dirais je à ces esprits terrestres qui renferment dans
l'espace des temps l'étendue bornée de leurs espérances, et qui
voudraient nous réduire au sort désespérant dont ils font leur bon
heur; quoi! serions-nous donc les seules êtres raisonnables dans
ce monde visible, pour être en même temps les plus imparfaits et
les plus malheureux de tous les êtres, et n'y aurait-il que l'homme
assez disgracié de son Créateur, pour ne pas savoir se renfermer
dans les bornes naturelles de sa destinée? Je vois le reste des êtres,
heureux à leur manière , sans envier d'autre situation que celle
quileur est marquée par l'Auteur de la nature; je vois le poisson
vivre content dans le sein des eaux, l'oiseau satisfait de voler li-
brement dans l'espace des airs; les animaux des campagnes ne dé-
sirer plus rien, quand la terre leur présente la pâture nécessaire à
leurs besoins, et l'homme seul ne serait pas satisfait des avantages \
temporels qui devraient être tout son partage! Non, ce ne sera pas
seulement, quand il s'agit de contenter l'homme, que se sera de+
mentie cette sagesse admirable du Créateur, qui éclate par tant de
merveilles dans les plus petits êtres de l'univers. Dès que l'homme,
comblé de tous les biens du temps, désire toujours au-delà de ce
qu'il possède, de tels biens ne sont point proprement le partage
de l'homme, il lui en faut un autre plus vaste et plus proportionné
à ses désirs, et la sagesse divine ne sera jamais justifiée à notre
égard, si, nous ayant pourvus d'un cœur incapable de se contenter
du monde visible et présent, elle ne réserve pas à ce cœur immense
un monde invisible et éternel, capable d'en remplir la capacité.
Et que l'on ne m'oppose point ici que c'est un désordre, un dé-
règlement dans lhomrue, de désirer toujours, de ne se contenter
jamais; et que le Dieu de sagesse n'est point tenu de satisfaire cette
avidité insatiable du cœur, qui prend sa source dans notre corrup-
tion même. Non, mes chers auditeurs, ce n'est point là de quoi af-
faiblir la démonstration de notre immortalité, fondée sur les désirs
infinis du cœur humain. Je sais, comme vous, que c'est un désor-
dre, un dérèglement dans l'homme, de s'attacher passionnément à
it
DES PRÉDICATEURS. DOjÛ
lia recherché des biens du monde, cl aux. charmes de leur posses-
sion. Mais pourquoi cette attache passionnée est-elle dans l'homme
un si grand désordre? Oh .'Chrétiens, c'est que l'homme, en se li-
llvrant au bonheur terrestre, oublie dès lors l'excellence et la di-
Ignité de sa nature destinée à quelque chose de plus grand; c'est
i »qu'il paraît alors se dire à lui-même, par une illusion qui le dé-
cigrade, qu'a force d'accumuler biens sur biens, il pourra se former
|| enfin sur la terre un bonheur parfait et capable de combler tous
■ses désirs. Voilà quel est le vrai désordre de l'homme dans son at-
( tachement excessif au monde et à toutes les sortes de bonheur que
j le inonde lui présente. Mais il répond, ce même homme, à la di-
i|gnité de sa nature, mais il fait voir toute sa grandeur, mais il pu-
i bliela gloire même du Dieu qui l'a formé , loin de se rendre cou-
■pable, quand il ne veut pas se contenter de tous les biens finis,
■parce que cette avidité insatiable, malgré l'excès ou plutôt par
iirexcès même qui l'accompagne, est le signe le plus évident de l'in-
e (capacité des biens du monde pour le satisfaire, et la plus forte
■démonstration de la vérité même dont il s'agit: que le cœur hu-
.Imain est nécessairement inquiet et agité dans le sein du bonheur
Ile plus apparent, destiné qu'il est à posséder éternellement son
IjDieu, et à trouver dans ce seul objet le centre immortel de son
Jirepos, en y trouvant le terme de tous ses désirs! Fecistl nos ad te,
mbomiiie, et ir requiet um est cor nostrwn, douce reqidescatin te '.
■Ainsi parlait saint Augustin, poussé parla force du sentiment qui
^l'obligeait de recourir à l'éternité, pour remplir le vide infini de
[son cœur; et tel sera toujours le langage, je ne dis pas de l'homme
Jlconverti et sanctifié, comme cet illustre docteur de l'Eglise, mais
Ijde tout homme raisonnable et sensé qui saura réfléchir sur son
Ijame, dont la capacité immense annoncera toujours un avenir éter-
, inel, parce qu'il n'y a que cet avenir qui soit capable de rassasier
Jcet appétit sans bornes pour le bonheur dont la nature nous a pour-
Jvus. (L. P. Le Chapelain.)
Nier l'immortalité de l'ame c'est anéantir la justice de Dieu.
Ne pensons pas que tout se termine à ce cercle étroit de la vie ;
Imais croyons qu'il y aura un jugement où chacun recevra la récom-
' pense ou la punition de ses œuvres. Vérité si manifeste, si incon-
1 August.
•f
5IO NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
testable que tous les hommes, Juifs, hérétiques, n'importe, en tom
bent d'accord. S'ils n'ont pas tous une idée saine de la résurrec-
tion, du moins tous s'accordent sur un jugement à venir, sur des
châtimens réservés aux coupables, sur l'existence d'un tribunal qui
prononcera sur les destinées futures , en raison delà conduite que
l'on aura tenue. Eh! s'il n'en était pas ainsi, pourquoi ce beau ciel
que Dieu a déployé par dessus nos têtes? pourquoi aurait-il créé
les abîmes des mers et le fluide de l'air pour les besoins de l'homme ?
pourquoi, en un mot, cette providence si libérale, si, après nous
avoir comblés de tant de biens, il devait nous abandonner à l'ins-
tant du trépas? Combien d'hommes , après avoir vécu dans l'exer-
cice delà vertu et dans les traverses continuelles, ont quitté la vie
s ans avoir connu un seul moment de bonheur! D'un autre côté,
combien aussi meurent souillés de crimes, chargés de rapines, ri-
ches des dépouilles de la veuve et de l'orphelin, après avoir vécu
jusqu'au dernier moment dans l'opulence et les délices, dans l'ab-
sence de tous les maux! Quand donc les premiers recevront-ils la
récompense de leur vertu, les autres l'expiation de leurs crimes,
si la mort vient les anéantir tout entiers? S'il existe un Dieu, comme
il n'est pas possible d'en douter, c'est une conséquence nécessaire
qu'il soit juste. Or, s'il est juste, il est également impossible de
nier qu'il ne doive traiter les uns et les autres selon leurs mérites.
Si donc, ce n'est pointdans la vie présente que les justes auront
été récompensés, ni les méchans punis, il est évident qu'il reste |i
après la mort un autre temps où la justice s'exercera à l'égard de
tous. (Saint Chrysostome, Du jugement futur.)
Même sujet.
Mais quelle preuve encore plus sensible de notre immortalité je
découvre cfen s la justice divine! Quoique les lois humaines aient
pourvu, autant qu'il était en elles, à récompenser les bons et à ré-
primer les méchans dans ce monde visible, quel est surtout dans ce
siècle pervers, quel est le sort du vice et de la vertu ?
Dieu juste, permettez-moi de vous adresser encore la parole , et
de vous dire avec vos Prophètes : Justus quidem tu es, Domine, si
disputent tecum. Votre justice suprême est indépendante de tous
les faibles raisonnemens des hommes; souffrez cependant que je
vous adresse cette juste plainte: Verumtamen justa loquar ad te*
Pourquoi vois-je prospérer la voie des impies? Mes pieds ont chan-
celé; j'ai pensé tomber d'indignation et de douleur, en voyant la
DliS PIlliDICATliURS. 5 I I
: paix des médians. Ils ont obtenu les richesses, les honneurs, la
gloire; on applaudit à leurs coupables désirs, on bénit leurs injus-
I tices. Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand laisserez-vous
| triompher les pécheurs ? Usquequo, Domine, usqnequo pcccatores
I gloriabuntxir?
Et tandis que le vice lève une tête altière, dans quel délaisse-
il ment vois-je languir l'humble vertu et la timide innocence? Heu-
reuses encore, si elles n'étaient pas outragées et opprimées par
B les méchans! C'est donc en vain que j'ai purifié mon ame: Ergo
[] sine causa justificavi cor meuin. En vain j'ai sacrifié à l'innocence
r les plus doux penchans de mon cœur; en vain je consacre au bien
| public ma fortune, mon repos, ma vie; en vain je me dépouille,
i pour soulager les misérables. O pudeur! ô tempérance ! ô justice!
ô charité! vous ne seriez donc plus que de laborieuses chimères!
\ Passions , je vous rends votre liberté. Pourquoi me ferais-je vio-
lence pour vous contraindre? Abandonnez-vous avec sécurité
à tous les désordres et à toutes les injustices qui échappent à la
I vengeance des lois et à la censure publique: trahissez mes rivaux,
! trompez les simples, opprimez les faibles, dépouillez les peuples,
I perdez les misérables; nous périssons comme les méchans, vivons
I comme eux. O Dieu! pourquoi abandonnez-vous l'innocence \Quare
b oblwisceris tribulationis nostrœ ?
Encore, en suivant les préjugés de ma faible raison , je pourrais
I concevoir l'impunité du crime; mais que Dieu abandonne l'inno-
[ cence et la vertu , que le juste qui l'adore , et l'impie qui l'outrage,
que l'homme généreux qui protège les faibles, et le lâche qui les
opprime; que l'homme compatissant, qui essuie les larmes des mal-
heureux, et le barbare qui les fait couler, soient égaux devant lui!
Quedis-je? que le crime soit mieux traité que l'innocence; que le
vice soit récompensé et la vertu punie! O Dieu! comment conci-
lier ce désordre avec votre justice ? pardonnez aux crimes , mais ne
i punissez pas la vertu: Quare via impiorum prosperatur ? Quare
oblivisceris tribulationis nostrœ ?
J'ai dit dans mon cœur: il n'en peut être ainsi , il faut que l'or-
dre soit rétabli ; le Dieu juste doit venger les bons et punir les mé-
chans : Dixi in corde meo: justum et impium judicabit Dominus,
Oui, quand je n'aurais d'autre preuve d'une vie future que la pros-
périté des méchans et le malheur des justes, je serais convaincu
qu'il existe un autre monde, où les inégalités cruelles de celui-ci
sont réparées. Le temps est un chaos ; l'ordre est dans l'éternité.
La vie future peut seule résoudre le mystère de la vie présente,
1
012 NOUVELLE 1UDLLO l'ULQUE
comme elle peut seule en réparer le désordre: Justiim et impium
judieabit Dominas , et tempus omnisrei tune erït.
Substances invisibles qui m'entendez, et qui êtes encore enve-
loppées sous les ombres de la mortalité (^ car ce n'est point à l'hom-
me extérieur que je veux parler en ce moment, c'est à l'homme
intérieur, c'est aux esprits qui animent les corps que j'ai mainte-
nant sous les yeux); âmes immortelles, il est donc vrai que vous
n'êtes pas confondues avec la masse terrestre que vous animez; et
que vous n'irez pas vous perdre avec elle dans la poussière des
tombeaux. Si vous entendez retentir dans le corps qui vous envi-
ronne une réponse de mort, vous entendiez retentir clans vous-
mêmes la réponse de l'immortalité. Non, la mort ne détruit que les
corps; elle affranchit les âmes. Le sépulcre est le berceau de la vé-
ritable vie.
Tristes humains, quand vous venez pleurer sur les tombeaux
des personnes qui vous furent chères , et que votre raison troublée
par la douleur semble croire qu'ils ne sont plus, je puis donc vous
dire, en quelque manière , comme l'ange du Seigneur le disait aux
saintes femmes qui venaient pleurer sur le sépulcre de Jésus: Ce-
lui que vous pleurez n'est point ici : Non est hic. Vous voyez grave
sur sa tombe: Ici il repose : Hic jacet. Ne vous y trompez plus;
non, il ne repose point ici; il n'y a sous cette tombe que sa dépouille
mortelle, que le voile corruptible dont il était enveloppé: Non est
hic. De même que le soleil, au moment où il semble aller s'enve-
lopper dans les ombres de la nuit , va éclairer un autre univers ,
ainsi quand celui que vous avez aimé a paru se perdre dans les om-
bres de la mort, il est passé dans une autre vie : Non est hic. Quel
est son sort dans cette vie nouvelle? Hélas! j'ignore sa destinée.
Heureux ou malheureux, je vous déclare qu'il est vivant , qu'il est
immortel. O mort! nos âmes sont donc au-dessus de ta puissance, et
où est ta victoire ? Ubi est mors Victoria tua ? Que le corps retourne
à la terre d'où il est sorti, en attendant la résurrection qui doit
lui rendre la vie à lui-même: Pulvis revertatur adterramsuam; que
l'esprit revole vers la Divinité d'où il est descendu: Spiritus redeat
ad Deum, qui dédit illum. (M. de Beauvais, évêque de Senez,
Immortalité de lame.)
Le sentiment de l'immortalité de l'ame triomphe des obstacles que le monde oppose à
notre bonheur.
Quel doit être dans nous le fondement de cette vertu sublime,
DKS PRÉDICATEUR. 5l3
de cet héroïsme chrétien, dont je prétends que notre nature est
pour nous sans cesse la source et le principe? Non, ce n'est point
cet appareil de piélé publique et extérieure, cette assistance habi-
tuelle aux prières, aux cérémonies, aux offices de l'Eglise; non,
ce n'est point là pour le disciple de Jésus-Christ l'héroïsme et la
sublimité, l'essence même et le fond du Christianisme. Eh quoi
donc! Ah! Chrétiens, c'est ici que le monde et Jésus-Christ doi-
vent nous paraître encore plus opposés que dans tout le reste ;
car c'est par le faste et la pompe de leur vaine grandeur; c'est par
le bruit de leurs exploits et l'éclat de leurs vains titres, ou, pour
m'exprimer mieux encore, c'est par des vices brillans, colorés du
nom de vertus, que s'annoncent presque toujours les héros du
monde ;- c'est par là qu'ils se font distinguer du vulgaire pendant
leur vie, et qu'ils prétendent s'éterniser, en dépit de la mort,
dans l'esprit des peuples ; au lieu que ce qui doit fonder l'héroïsme
de l'homme chrétien , et ce qui doit l'annoncer aux regards du
monde , c'est le sentiment de 1 humilité , de la modestie la
plus marquée, par le peu d'estime qu'il montre de lui-même et
le respect qu'il fait paraître pour le commun des hommes, malgré
la bassesse et l'infériorité de leur condition. Voilà, mes chers frè-
res , selon tous les maîtres et les docteurs de la morale , ce qui fut
toujours dans l'homme le fondement d u Christianisme , et d u Chris-
tianisme le plus sublime et le plus relevé.
Or, ce sentiment humble et modeste de nous-mêmes qui, sans
nous dégrader, nous égale au commun des hommes, n'est-ce pas
ce sentiment-là même que fait naître d'abord dans le cœur humain
le sentiment de son immortalité ? Chose admirable ! c'est ce senti-
ment qui élève l'homme au dessus des puissances et des majestés
terrestres, et c'est ce même sentiment qui abaisse notre orgueil jus-
qu'à le détruire et l'anéantir; c'est ce sentiment d'élévation natu-
relle qui place l'homme au dessus du reste de l'univers, et c'est ce
même sentiment qui égale au dernier des humains le plus fier des
hommes et le plus grand! Estimons-nous en effet, d'aiileurs , tant
qu'il nous plaira : que découvrons-nous dans notre nature de plus
respectable que cette immortalité qui nous distingue? et tant d'a-
vantages dominans, attachés à l'éclat de la naissance et de la con-
dition, à la supériorité des talens et du génie; tous ces dons de la
nature, qui ne peuvent aboutir qu'au néant, nous paraîtront-ils
comparables au titre d'immortel qui nous assure la gloire de l'é-
ternité ?
Or , ce grand privilège , d'où coule, pour ainsi dire, l'essence de
t. m. 33
5i/£ NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
notre véritable gloire, n'est-il pas également le propre, et des petits
et des grands , et des seigneurs et des maîtres , et des monarques
et des sujets? Eh! sur quoi donc notre orgueil oserait-il mépriser
encore le moindre des hommes, dès qu'il n'est rien de plus noble,
de plus respectable dans l'homme que l'homme lui-même ? et tous
les titres de la vanité humaine, qui nous élèvent etnous honorent
presque uniquement dans la société du monde, pourraient-ils nous
placer dans notre estime au dessus de nos semblables, qui, aussi
bien que nous, ont Dieu pour principe, et doivent retournera
Dieu pour l'éternité ?
Mais pénétrons plus avant dans l'idée de cet héroïsme chrétien
dont vous possédez le principe, dans ce sentiment d'immortalité
qui vous est commun avec le reste des hommes. L'homme humble
et modeste n'est encore, pour ainsi dire, que l'homme renfermé
dans lui-même, qui ne paraît point au dehors; et l'héroïsme de la
religion paraît exiger de ses sujets quelque chose déplus magnifi-
que et de plus grand, c'est-à-dire, un mérite qui frappe et qui
éclate par de plus illustres victoires; et c'est ce qui va se dévelop-
per à vos yeux clans le courage de l'homme immortel ; car j'appelle
un héros chrétien, pour en achever ici le tableau, l'homme assez
généreux pour s'élever, avec la grâce, au dessus de la chair et de
ses convoitises, au dessus du monde et de ses périls, au dessus de
la fortune et de ses disgrâces, au dessus de la mort et de ses ter-
reurs. Or, ne suffit-il pas, en effet, de nous rappeler le souvenir
de notre immortalité, de nous pénétrer de ce sentiment qui nous
annonce toute la gloire et la grandeur de l'homme ; pour triom-
pher de ces ennemis qu'il nous paraît si terrible de combattre et de
vaincre, c'est-à-dire, pour triompher constamment, avec la grâce,
et de toutes les convoitises de la chair, et de tous les dangers du
monde, et de toutes les disgrâces de la fortune, et de toutes les
horreurs de la mort? Soutenez-moi de votre attention, mes chers
frères, dans l'exposition rapide d'une morale si rarement présen-
tée à l'homme du siècle, et cependant la plus noble, la plus glo-
rieuse et la plus intéressante qui puisse être pour l'humanité.
i° Pour former dans tous les Chrétiens des héros de leur reli-
gion il s'agit donc, sur le fondement établi de l'humilité évangé-
lique de les élever d'abord au dessus de la chair et de ses convoi-
tises c'est-à-clire, de leur inspirer cette force plus qu'humaine qui
les rende braves contre eux-mêmes , qui leur fasse dominer cette
chair mortelle qui leur est unie , et la traiter en esclave et en
coupable, comme elle doit être traitée, pour obéir sans cesse aux
DES PKÉD1CATEURS. 5 I 5
ordres de l'esprit qui la commande: force chrétienne, je l'avoue,
bien rare de nos jours, et presque inouïe dans les personnes du
siècle , mais force nécessaire à tous les disciples de l'Evangile, dont
toute la morale paraît tendre à la destruction du vieil homme et à
l'édification de l'homme nouveau, qui ne peut s'établir que sur les
ruines de l'homme charnel et animal; force chrétiennequi, dès les
premiers temps , a éclaté dans tous les grands hommes du Chris-
tianisme, et en a fait autant de victimes de leur ferveur et de mar-
tyrs de leurs austérités, qui suppléaient dans eux à la cruauté des
tyrans; force chrétienne qui.caractérisa spécialement saint Paul ,
qui fut comme lame de cette vertu crucifiée , dont il portait sur
son corps les marques vénérables, et qu'il recommandait, parla
voix de la parole et de l'exemple, à toutes les nations dont Dieu
l'avait fait le docteur et l'apôtre : Ego stigmata Domîni Jesu in
cor pore meo porto *.
Or, mes chers auditeurs , quelque sublime que vous paraisse ce
premier degré de l'héroïsme chrétien, n'en trouvez-vous pas le
principe dans ce sentiment d'immortalité que la nature et la reli-
gion vous inspirent, dans ce sentiment de grandeur et d'élévation
qui fait connaître à votre ame combien elle est au dessus de ce mi-
sérable corps , qui lui sert comme de prison sur la terre, et qui
gêne l'exercice de ses opérations les plus nobles et les plus capa-
bles de la sanctifier? Et si, en effet, au lieu d'écouter les sugges-
tions de la chair et des sens, vous écoutiez la voix de cette ame
immortelle qui vous anime , cette voix puissante sur un esprit rai-
sonnable et chrétien ne vous obligerait-elle pas à mortifier sans
cesse cette chair sensuelle et voluptueuse qui ne tend qu'à usur-
per sur l'esprit tout l'empire que cet esprit même doit avoir et
conserver sur elle? Eh quoi! disait un ancien sage, persuadé par
les lumières de sa raison que le premier devoir de l'homme est de
soumettre le corps à l'esprit : Quoi! je serais assez lâche, assez fai-
ble, assez indigne de cette raison qui m'éclaire, de cet esprit qui
me fait vivre et penser, pour devenir l'esclave de mon corps, de
ses appétits déréglés et de ses besoins imaginaires ? Non , concluait-
il dès que le Ciel m'a pourvu d'une raison pour me conduire et
me servir de guide , pour décider de mes actions, de mes sentimens
et de mes idées , dès là je suis trop grand , je suis destiné à de trop
grandes choses pour m'asservir aux désirs de ce corps mortel, dont
« Ad Gai., 6,
33,
5i6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
les soins nécessaires qu'il en faut prendre ne me font déjà que
trop esclave : Major sum et ad majora natus , quant ut sim
mancipium mei corporis. Ainsi parlait un philosophe sans le se-
cours des idées chrétiennes si supérieures à toute la sagesse du pa-
ganisme. Or, si la philosophie purement humaine , qui n'offrait à
l'homme que de faibles lueurs sur la gloire de son immortalité,
ne laissait pas d'animer l'esprit d'un sage païen à prendre sur son
corps tout l'empire qui lui était dû, eh! comment un Chrétien,
sous la loi de l'Evangile, qui lui révèle son immortalité dans le
plus grand jour, pourrait- il demeurer l'esclave de cette chair cor-
ruptible, que Dieu l'a chargé de soumettre aux lois austères de sa
religion Pou plutôt comment un Chrétien , convaincu de cette im-
mortalité qui doit être le principe de son bonheur, comme il est
celui de sa religion , ne ferait-il pas les plus grands efforts pour
dompter cette partie de lui-même , toujours rebelle aux. lois du
Christianisme, pour la maintenir dans cette subordination néces-
saire, que la seule raison serait en état de nous prescrire et de nous
persuader?
Eh! comment donc! mes chers auditeurs, comment, à plus
forte raison, n'aspirerez-vous pas à retrancher de vos mœurs tous
les désordres dont le soin excessif du corps est infailliblement le
principe; je veux dire cette habitude de mollesse, de sensualité,
d'indolence; cette inaction éternelle pour le devoir, cet amour
outré pour le plaisir; en un mot, cette idolâtrie de la chair, deve-
nue le vice dominant du inonde chrétien, et qui de tant d'esprits
immortels fait en quelque sorte des êtres charnels et terrestres,
des êtres toujours esclaves d'un corps dont ils devaient régler en
souverains, et à tous les momens, les appétits et les désirs? Com-
ment enfin, avec le secours des idées chrétiennes, jointes au senti-
ment de votre immortalité , ne prendrez- vous pas un empire con-
stant et invariable sur un corps, toujours à craindre quand vous
le flattez, et qui ne vous flatte lui-même que comme un ennemi
perfide, pour vous corrompre et pour vous perdre?
2° Mais ce n'est pas à cette seule victoire que le sentiment de
notre immortalité nous anime, et le même courage qu'il nous in-
spire pour triompher de la chair et de ses convoitises doit nous faire
encore triompher du monde et de ses plus grands périls, c'est-à-
dire, nous détacher assez de ce monde trompeur pour nous porter,
suivant la maxime de saint Paul, à devenir des hommes qui usent
de ces biens passagers comme n'en usant pas : Qui utuntur hoc
mundo tanquam non utuntur, 'Or , mes chers auditeurs, nous man-
DES PRÉDICATEURS. 5l^
quera-t-il jamais, ce détachement généreux qui garantit de tous les
dangers du monde, si nous savons nous pénétrer de la dignité
d'une aine qui nous élève, par son éternelle durée, infiniment au
dessus du monde et de tous les temps; et le seul défaut de cette
réflexion sur la disparité infinie d'un monde qui passe, et d'une
ame qui demeure éternellement, n'est-il pas la source de cet indigne
esclavage où le monde réduit tant de milliers d'hommes qui ne
sentent pas même le poids de leurs chaînes, ou du moins qui ne
peuvent se résoudre à les rompre ou à les briser? Oui, Chrétiens,
c'est cette distraction trop volontaire sur le souvenir de votre éter-
nelle destinée qui laisse usurper au monde cet empire tyrannique
qu'il exerce en mille occasions sur vos esprits et sur vos cœurs;
et si vous le considérez un moment avec les yeux de l'homme im-
mortel, ce seul regard, qui vous en découvrira tout le néant, je
ne dis pas uniquement par rapport à Dieu, l'Etre des êtres, mais
relativement à vous-mêmes, à qui Dieu fait part de son éternité,
ce seul regard que vous jetterez sur le monde dissipera tout ce
qu'il a pour vous de dangereux, et vous fera bientôt régner, par
vos mépris, sur ce monde funeste, qui n'a d'ascendant sur votre
conduite que par la voie de l'illusion et de l'erreur.
Eh! quel pouvoir en effet aurait le charme du monde pour nous
dominer, s'il ne tirait pas sa force de la faiblesse de l'esprit hu-
main, qui se laisse aveugler par les désirs du cœur? J'entends si
cet esprit, malheureusement trompé, ne se figurait pas une espèce
de félicité dans tous les objets que le monde lui présente, quel at-
trait pourraient avoir encore, et ses richesses pour nous at-
tacher, et ses dignités pour nous éblouir, et ses amusemens pour
nous séduire, et sesexemples pour nous entraîner, et seslois pour
nous contraindre ? Quel empire de tels objets pourraient-ils avoir
sur le cœur de l'homme, si l'image flatteuse que l'on aime à s'en
former ne nous offrait pas un bonheur que nous croyons réel, et
dont nous voulons acquérir la possession à quelque prix que ce
puisse être? Car c'est ce préjugé contagieux qui traîne tant de cap-
tifs à la suite du monde, qui livre à sa tyrannie tant de victimes
malheureuses, déterminées à s'immoler pour son service, et qui
ne sacrifieraient pas un moment de plaisir terrestre pour le Dieu
qui les a formés, qui les nourrit, les éclaire et s'efforce de les
sanctifier. Or, pour bannir de notre cœur cette illusion trop ordi-
naire , et qui ranime sans cesse son attachement pour les vanités
du monde , que faut-il de plus, mes chers frères, que de compa-
rer ce qu'il est à ce que nous sommes , sa durée passagère à la du-
5 I 8 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
rée immortelle qui nous attend, et sa félicité périssable à l'éternel
bonheur, seul capable de nous satisfaire?
Car, regarderons-nous un monde qui passe , ainsi que l'éclair,
comme devant faire le bonheur d'un être qui ne passera jamais ?
Regarderons -nous un monde essentiellement borné dans sa puis-
sance, comme capable de remplir un cœur, qui aspire à des biens
infinis, comme lui-même? Non, fût-il aussi vrai qu'il est trom-
peur, aussi fidèle qu'il est perfide, aussi constant qu'il est volage,
aussi reconnaissant qu'il est ingrat, aussi puissant qu'il est faible;
fût-ilaussi digne de nos hommages qu'il est évidemment digne de
nos mépris, ce monde séduisant, qui éblouit presque tous les yeux ,
dès qu'il est périssable et qu'il doit cesser d'être, il n'a plus sur
moi d'empire; il perd pour moi ses charmes les plus dangereux,
parce que, n'y voyant plus rien qui puisse faire mon bonheur, je
n'y vois rien dès lors qui mérite mes attachemens et mes services.
Interrogez-vous ici vous-mêmes, Chrétiens; ne sont-ce pas là les
réflexions que suggère à vos esprits l'idée de votre immortalité,
quand vous savez en faire usage pour vous conduire? Et ne suffit-
il pas de ces réflexions simples , soutenues du pouvoir de la grâce,
pour vous rendre constamment victorieux du monde , pour vous
faire conclure avec Jésus-Christ que c'est donc aux biens immor-
tels que doivent s'attacher tous vos désirs, comme aux seuls ob-
jets proportionnés à leur étendue; et que tous les mérites mêmes,
toutes les qualités, toutes les vertus, tous les biens de l'esprit
ainsi que du corps, dès qu'ils n'ont de valeur qu'au jugement du
monde, ne sont plus dignes de l'ambition d'une ame qui ne doit
s enrichir et se contenter que des célestes trésors : Thesaurisate
vobis thesauros in cœlo *;
3° Portons nos vues plus loin sur ce grand objet qui doit faire
éclater dans nous toute la grandeur de la religion ; triompher de
la chair et de ses convoitises, du monde et de ses périls: c'est une
double victoire au dessus de tous les héros profanes. Mais les héros
chrétiens cesseraient de l'être, s'ils ne triomphaient encore de la
fortune et de ses disgrâces; et c'est ce nouveau triomphe qui ca-
ractérisera toujours l'homme immortel, c'est-à-dire, l'homme per-
suadé de son immortalité, et qui sait tirer de ce noble principe
des lumières pour se conduire. Eh ! que pourrait-on faire pour
abattre le courage de ces hommes à l'égard desquels les périls
1 Matlh., 6.
ci
DES PRÉDICATEURS, 5 If)
de la vie humaine ne sont pas de véritables dangers, ni ses mal-
heurs, de véritables misères? et ne doivent ils pas être, avec quel-
que proportion, comme Dieu même, quoique dans un sens bien
différent, patiens à supporter tout et à tout souffrir, par la seule
raison qu'ils sont éternels ? Patiens, patiens, quia œtemus. Oui,
mes chers auditeurs, que ce sentiment d'immortalité règne, comme
il doit régner sur tous les sentimens de votre ame; et dès là je ne
crains plus pour vous ce spectacle éternel d'images funestes qui
vous environnent; cette variété comme infinie de disgrâces que la
justice ou plutôt la bonté divine a semées de toutes parts dans l'u-
nivers, pour occasionner cette variété admirable de consolations
qu'elle communique à tous les cœurs religieux qui la réclament.
Eh ! qu'importe en effet, dès que le sentiment de l'immortalité nous
sert de guide; qu'importe que la faiblesse, la maladie, la mortalité
soient comme les compagnes inséparables de notre corps? Qu'im-
porte que la fortune , qui est comme la divinité du monde profane,
nous menace, dans le court espace de la vie, de ses plus terribles
fléaux, dès que la foi et la raison nous persuadent que tous les
efforts du monde pour nous détruire ne sauraient en effet nous
anéantir? Pourquoi même nous occuper de soins, de prévoyances ,
d'inquiétudes pénibles pour ce moment si rapide de la vie présente,
dès qu'il nous reste à parcourir une immensité de siècles, un ave-
nir sans borne et sans mesure , qui mérite uniquement de nous
occuper ?
Que l'univers entier s'évanouisse donc avec toutes ses espéran-
ces; que la nature retombe dans le chaos, que les élémens se con-
fondent, que notre corps se réduise en poussière, ou se dissipe en
vapeur, qu'il soit dévoré par les animaux, ou consumé dans les
entrailles de la terre. Dès que les ruines du monde ne peuvent
entraîner celles de l'esprit qui nous anime; qu'elles ne dissoudront
pas ce qui n'est pas même capable de dissolution ; dès que cette
argile qui compose le corps humain , et qui n'est pas proprement
nous-mêmes, sera réparée avec honneur, pour participer à la
gloire de lame, mais non plus avec la même servitude de la part
de cette ame, et sa même dépendance de la chair et de ses sens;
dès que nous lisons, dans l'avenir que Dieu nous prépare, une si
noble destinée, eh! de quel intérêt peut être pour nous tout ce
qui peut se passer sur la surface de la terre? Et ne suffit-il pas de
nous maintenir dans ce haut rang d'élévation où l'immortalité
nous place, pour voir circuler indifféremment sous nos yeux ces
disgrâces, ces félicités humaines qui font la grande occupation du
02O NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
monde? Et ne peut-on pas nous comparer alors à ces hommes
situés sur la cime d'une montagne d'où ils entendent sans crainte
souffler les vents, éclater la foudre, et crever sous leurs pas le
nuage enflammé qui épouvante le reste des mortels ? Sentimens
sublimes, mes chers auditeurs, et dont la noblesse semble passer le
commun des hommes, et le commun même des Chrétiens; mais qui,
bien appréciés, loin d'être audessusde leurreligion, ne sontque les
sentimens émanés de leur nature même, dont la voix infaillible
leur promet une éternité de consolation , pour un moment de
peines et de disgrâces. Qu'il n'y ait point de vertu, point de con-
stance, point de grandeur, point de fermeté soutenue dans l'homme
du siècle; qui de nous, Chrétiens, pourrait en être surpris? C'est
ce qui doit être, c'est ce qui sera toujours dans ces hommes qui
se rendent mortels autant qu'il est en eux, en bornant au monde
qui passe, toutes leurs ressources et leurs espérances. Je ne m'é-
tonnerai donc point que ce héros qui bravait la mort au milieu des
périls brillans de la guerre; que ce philosophe qui soutenait gé-
néreusement une illustre disgrâce; je ne m'étonnerai point que
l'un et l'autre se désolent et se désespèrent quand ils se voient
malheureux en secret, sans pouvoir se soutenir de l'approbation
de leurs admirateurs. Il faut bien que la faiblesse du plus grand
homme perce à travers cette force apparente dont il n'offre le
spectacle que pour éblouir les yeux qui le considèrent, et se
procurer en mourant la vaine douceur de penser qu'on le vantera
dans le monde, où il ne sera plus, comme ayant paru grand jus-
qu'à la fin sur la scène passagère de la vie humaine. Mais pour des
hommes tels que j'ai droit de vous supposer ici, mes chers frères,
pour des Chrétiens qui se croient destinés à cette grande éternité
qui doit être la mesure de nos sentimens, comme celle de nos
œuvres; que ces hommes, ces Chrétiens paraissent encore faibles
et abattus sous le poids de la disgrâce, comme s'ils ignoraient qu'il
est pour eux une immortalité, qui doit les venger enfin de l'in-
justice du monde et du malheur des temps; c'est, Chrétiens, ce
que j'aurais peine à me figurer dans vous, malgré l'excès de la fai-
blesse humaine; parce que ce serait dégénérer tout à la fois, et du
sentiment de votre nature, et des principes de votre religion;
parce que ce serait évidemment vous dégrader vous-mêmes, et au
jugement de la raison humaine, infaillible sur ce point, et au ju-
gement plus infaillible encore de votre foi.
4° Enfin, pour achever de former en nous des héros du Chris-
tianisme, il faut nous faire triompher encore de l'horreur natu-
DES PRÉDICATEURS. £>2I
relie de la mort. Et c'est à ce degré de force et de courage que
s élève aisément notre ame, au souvenir de l'immortalité, l'objet
de sa foi et de sou espérance. Eli! d'où provient en effet, Chré-
tiens, ce sentiment d'horreur si universellement répandu dans le
cœur des hommes, à la seule pensée de la mort? D'où peut pro-
venir cette horreur, que de la fausse idée que s'en forme l'esprit
humain, et qui la lui fait regarder comme le moment fatal où tout
échappe à l'homme, et où il ne reste de son être que ce qui peut
l'humilier. Image de la mort trop réelle sans doute par rapport à
l'homme du monde dont l'espoir se termine au tombeau; et qui
la rend si puissante pour troubler cette paix funeste, dont il pré-
tend jouir sur la terre : O mors, quam amara est me/noria tua,
homini pacem habenti in substantiis suis *! Mais image de la mort
trop peu sincère, par rapport à l'homme immortel, qui n'a qu'à se
considérer lui-même, pour insulter à cette mort fatale, qui porte
l'esprit de terreur dans les âmes mondaines : Ubi est mors Victoria
tua, ubi est stimulus tuas 2 ? Eh! que craindrons-nous en effet à
l'abri de notre immortalité, que redouterons-nous de cette mort
si terrible pour les hommes vulgaires ?
Sera-ce le dépouillement général où elle nous réduit, en nous
enlevant tout ce qui nous environne? Mais que perdons-nous donc
en quittant le monde, qui mérite la tristesse de nos regrets , si nous
comparons cette perte à l'immortalité que la religion nous assure,
et même à la dignité naturelle, que suppose dans notre ame le
privilège de sa haute destinée? Car, ce qui devrait nous surpren-
dre, si nous savions réfléchir sur nous-mêmes, ce serait sans doute
qu'un esprit, tel que le nôtre, et créé pour vivre éternellement,
pût cependant s'occuper des idées du temps et des frivolités de la
vie; ce serait que cet esprit, plus grand que le inonde, pût estimer
comme un vrai bonheur la vie qui l'attache à ce monde même; et
comme un désastre, le moment qui doit le séparer de tant d'occu-
pations vaines qui dégradent sa grandeur et son activité. Voilà,
Chrétiens, immortels comme nous le sommes, ce qui devrait être
l'objet de notre étonnement, quand nous réfléchissons sur notre
attachement excessif pour ce monde dont les riens nous occupent,
et à qui nous daignons, en mourant, laisser de véritables regrets.
Eh quoi! serions-nous si peu sensés que de croire notre bonheur
tellement dépendant de quelques revenus, de quelques charges,
de quelques dignités , dont la gestion remplit le vide de nos mo-
* Eccli., 41.— «lad Cor., 1.".
522 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE.
mens, ni de croire que ce bonheur, tellement renfermé dans ce
nombre de personnes chéries qui composent les sociétés ou les
familles, tellement déterminé par le spectacle continu de cette
terre qui nous porte, de ces cieux mobiles qui se promènent sur
nos têtes, de ces milliers d'astres qui nous éclairent; serions-nous
si peu raisonnables que de penser qu'après la perte de pareils ob-
jets, il ne peut y avoir pour nous de véritable bonheur? Non,
cette faiblesse d'esprit ne tombera jamais sur des hommes de l'é-
ternité, pour qui ce monde matériel n'est au plus que l'ombre
grossière d'un autre monde infiniment plus magnifique, qui doit
servir comme de palais à leur ame, et de spectacle éternel à ses
regards. Que craindrons - nous donc des approches de la mort et
de ses sujets?
Sera-ce cette humiliation profonde où elle semble plonger
toutes les grandeurs attachées à l'humanité, et l'humanité elle-
même? Mais si nous pensons en immortels, nous jugerons que
la mort n'abaisse point l'ame en effet, mais seulement le corps,
le corps mortel qui lui est uni; que si ce corps mourant tombe et
se réduit en poussière, l'ame se lève alors, se dégage de ses liens,
et devient plus pénétrante, plus élevée, plus digne de l'excellence
qu'elle possède, à mesure qu'elle approche de son Dieu, qui la
rappelle de la terre au ciel. Que si le corps à ce moment fatal
perd le mouvement que lui imprimait l'ame et qui le faisait
vivre, cette ame acquiert alors des connaissances qu'elle n'avait
pas, et dont le seul défaut la faisait languir au milieu de toutes les
lumières qu'elle pouvait acquérir d'ailleurs. Qu'enfin si le corps va
se confondre avec la terre dont il était formé, l'esprit va se réunir
avec le Dieu dont il était émané.
Oui, il est vrai que la mort abaisse et même anéantit dans
l'homme toute espèce de grandeur dont le monde est la source;
qu'elle dépouille l'homme qui ne pense pas au-delà du temps des
vains titres qui le distinguent, et lui arrache à la fois tous les sou-
tiens et les appuis de son orgueil. Mais, en humiliant les grands,
les potentats de la terre, il n'est pas moins vrai que la mort ne sau-
rait proprement abaisser les hommes mêmes. Que dis-je! Et si
quelque chose peut vraiment humilier l'homme ici bas , n'est-ce
point la vie même dont il jouit , et qui fait la gloire du corps qui
doit périr, en faisant l'abaissement de l'ame qui ne périra jamais?
Que la mort nous frappe en effet, elle brise pour nous tout au plus
le lien de société qui nous attachait au monde; mais la vie hu-
maine n'affaiblit-elle pas, pour tout le cours de sa durée, cette so-
DES PRÉDICATEURS. 0 2.3
ciété éternelle que l'esprit de l'homme doit avoir avec son Dieu j
Que la mort soit accompagne'e d'images lugubres qui ne me pré-
sentent que ténèbres , que corruption et pourriture , je ne crains
point de sentir alors la misère de ces disgrâces; mais la plus belle
vie, la vie du plus grand homme, qu'est-elle autre chose qu'une
suite de fragilités, de bassesses, de mille sortes de disgrâces qui ne
se font que trop vivement sentir à l'humanité? Si donc j'ai horreur
de l'abaissement et de l'humiliation, ce n'est point proprement la
mort qui m'élève au dessus des misères de la vie; c'est cette vie
elle-même qui m'assujettit à ses misères, dont je dois faire 1 objet
de mes frayeurs. Que craindrons ^nous enfin de cette mort qui nous
menace, dès que l'idée de notre immortalité nous éclaire?
Sera-ce la sévérité du jugement de Dieu dont elle doit être sui-
vie? Ah! mes chers auditeurs, j'avoue que c'est un instant bien
redoutable, que celui qui emporte, pour ainsi dire, avec soi , 1 e-
lernité toute entière. Mais n'est-ce point encore une illusion de
votre part, hommes chrétiens et immortels, de vous abandonner
ainsi aux terreurs de la mort, parce que vous avez lieu de craindre
le jugement de Dieu qui doit la suivre? Est-ce donc le seul mo-
ment de cette mort si redoutée, qui décidera de l'éternité des
hommes? Est-ce ce moment seul qui doit être l'objet des jugemens
de Dieu, ou plutôt n'est-ce pas la vie entière de l'homme vertueux
ou coupable que Dieu interrogera pour le juger? Et si le dernier
de nos momens a de quoi nous effrayer, parce qu'il est celui qui
nous transporte au tribunal de la justice divine; ne pouvons-nous
pas, dans l'usage chrétien des instans qui le précèdent, chercher
le préservatif de toutes les craintes que ce dernier moment nous
prépare? C'est donc uniquement à l'homme du monde, à l'homme
qui croit devoir périr avec le monde , de trembler au souvenir et
aux approches de la mort; et l'homme immortel qui se connaît,
n'y voit rien à son égard de vraiment terrible. N'y voit-il pas môme
de quoi éclater de joie, de quoi triompher à son aspect, qui con-
sterne l'impie le plus hardi, ainsi que le plus faible et le plus ti-
mide de tous les hommes : Ubi est mors, Victoria tua; ubi est sti-
mulus tuus P
Et c'est ici, mes chers auditeurs, qu'il est aisé de concevoir la
différence infinie des héros du monde et des héros formés par la
religion! Quel que soit ce héros que le monde nous vante, il ne
peut se défendre d'appréhender la mort, ou, s'il ne la craint pas, il
n'est redevable de sa fermeté qu'à la faiblesse ou à l'égarement de
ses idées. Il faut qu'il cesse d'écouter sa raison,, pour devenir vrai-
5î4 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
ment brave, et qu'il s'oublie lui-même, pour s'exposer tranquille-
ment aux périls de la mort. C'était à la religion, et à la religion
seule, de présenter au monde un spectacle dont il n'avait jamais
été le témoin ; le spectacle de ces hommes qui atteignent la perfec-
tion de l'héroïsme raisonnable et chrétien ; de ces hommes tou-
jours intrépides et braves, sans se soucier de leur vie, par principe
de raison et de religion ; de ces hommes dont la valeur ne doit sa
source, ni à l'imbécillité qui s'oppose à la réflexion dans l'homme
vulgaire, ni à l'exemple de la foule qui entraîne au combat le plus
lâche , ni au respect humain qui défend de reculer dans le péril, ni à
tant d'autres considérations vaines qui font les héros apparens du
monde; de ces hommes enfin qui s'exposent, parce qu'ils se con-
naissent eux-mêmes; et qui s'immolent de sang-froid, parce qu'ils
se croient au dessus de la mort.
Spectacle merveilleux dont le monde profane ne fournira ja-
mais un seul exemple , mais spectacle renouvelé des millions de fois
par la vertu de la religion, dans tant de martyrs obligés de paraître
et de soutenir leur foi devant les tyrans! Voyons en effet, pour
nous mieux convaincre d'une vérité qui nous honore, voyons
d'une part ce héros prétendu que l'honneur fait monter sur la
brèche ou descendre dans l'arène. Quelle agitation sous ce calme
apparent qu'il affecte ! quel excès de crainte sous cet air magna-
nime dont il se pare! au dehors il vous paraît plus qu'un homme;
pénétrez au dedans, à peine y découvrez-vous un être raisonnable
et présent à lui-même. Mais changeons plutôt de spectacle, et
portons les yeux sur un plus digne objet. Voyons cet homme im-
mortel, ce héros chrétien entouré de supplices et de bourreaux
menaçans, qui emploient mille genres de mort pour lui arracher le
souffle de vie qui lui reste. Quelle joie céleste sur son visage! quelle
ardeur divine dans ses regards! quelle impatience pour le trépas! il
anime le tyran, déjà furieux par de nouveaux traits de zèle pour sa
religion; son plus grand tourment, c'est de ne pas encore souffrir,
ou de ne pas souffrir assez; il s'élance de lui-même au milieu des
flammes, il y glorifie, il y bénit son Dieu; et son cœur est plus
promptemenl consumé par l'amour, que ne l'est, son corps par la
flamme qui l'environne. Or, vous me demandez pourquoi tant de
différence dans ces deux sortes de martyrs que je vous présente?
Ah! Chrétiens, c'est que l'un n'est que la victime du monde, et que
l'autre est le martyr de sa foi; c'est que l'un croit tout perdre par
la mort, et l'autre tout acquérir par la mort même; c'est que l'un se
croit fait pour le temps, et que l'autre se sent né pour l'éternité;
DES PRÉDICATEURS. 525
c'est que l'un ne voit briller devant lui nul rayon d'espérance, et
que l'espérance de l'autre, félon l'expression de l'Écriture , 'est
pleine d'immortalité: Spes illorum immortalitate plena est K (Le P.
Le Chapelain.)
Péroraison.
Il n'est donc rien, mes chers auditeurs, de plus généreux et de
plus fort que l'homme chrétien, qui se conduit par le principe de
son immortalité , puisque la force de ce grand principe doit le
faire triompher avec la grâce, et de toutes les convoitises de la
chair, et de tous les charmes du monde, et de toutes les disgrâces
de la fortune, et de toutes les horreurs de la mort. Cessons donc
de nous plaindre désormais de notre faiblesse, pour exercer les
vertus communes du Christianisme. Dès que la nature nous anime
elle-même à l'accomplissement des plus grands sacrifices, qui font
éclater dans l'homme chrétien toute la gloire de sa religion, pour-
rions-nous être trop faibles avec la grâce pour sortir victorieux
des épreuves ordinaires, auxquelles est exposée la vertu de l'hom-
me , tant que son ame demeure dépendante du corps mortel où
elle habitePCequi nous affaiblit, mes chers frères, ce qui nous dé-
pouille en quelque manière de cette force d'idées et de sentimens
qui a contribué à produire tant de grands hommes dans la reli-
gion de Jésus-Christ, c'est que nous ne savons point comme eux
réfléchir sur nous-mêmes, et voir dans notre nature quelque chose
de plus grand que tout ce qui peut attirer les regards et l'admira-
tion du monde. C'est que, follement épris de ces vains titres de
ces noms fastueux , dont le monde pare et couronne ses esclaves
nous ne savons point nous revêtir de cette sublime grandeur que
nous assure l'immortalité. Mais renoncez pour un moment heu-
reux du siècle, aux illusions de l'orgueil humain qui vous séduit
et, sans considérer dans vos personnes ce mérite de fortune gui
ne vous est point propre , osez regarder dans vous l'homme seul
dépouillé de tout autre apanage que celui de la nature. Laissez
à part ces noms brillans dont vous éblouissez le monde, et qui se-
ront toujours si différens de vous-mêmes. Le guerrier célèbre le
magistrat fameux, le savant, le prince, le héros, oubliez ici tout
ce qui vous distingue sur le théâtre de la vie humaine, et ne voyez
plus dans vous-mêmes que l'homme immortel , et vous me direz
Sap., 3.
ii
j26 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
alors si ce titre sublime, dont Dieu honora votre nature, ne vous
inspire pas de courage supérieur à tous les titres humains qui vous
décorent; et vous me direz si vous craignez encore de succomber
dans les combats violens que la chair vous livre; et vous me direz
si le monde peut arracher de voire cœur d'autre sentiment que
le mépris ; et vous me direz si la fortune, dont vous adorez l'idole,
peut avoir des revers et des disgrâces qui vous étonnent; et vous i
me direz si la mort même qui porte partout l'épouvante ne porte
pas la joie, la sérénité et le triomphe dans votre ame.
Ne voyez plus dans vous-mêmes que l'homme immortel, et vous
ne craindrez plus, comme l'homme du monde, de vous voir à fond
et de vous connaître. Vous fuirez plus vivement que vous ne les
avez désirés, ces plaisirs turbulens qui vous dérobent la vue de
votre vraie grandeur, en vous faisant sortir hors de vous-mêmes;!
et toutes vos passions devenues tranquilles, parce que vous serez
ici bas sans intérêt, ne vous détourneront plus de votre céleste
patrie ; et le spectacle pour vous le plus importun sera celui de
ces hommes qui, à force de vœux et de soupirs, semblent vouloir
retenir le Chrétien mourant sur la terre, et s'opposer au vol rapide
de son ame vers l'éternité.
Ne voyez plus dans vous mêmes que l'homme immortel, et
vous comprendrez bientôt ce que vous avez mille fois entendu
sans le bien comprendre, qu'il est insensé de s'occuper, de s'em-
barrasser principalement de tout ce qui ne s'étend pas au-delà des
bornes du temps ; qu'il n'y a de vrai sage que l'homme qui pense,
qui agit, qui travaille, qui juge et décide relativement à l'éternité;
que tout ce que le monde honore du nom d'affaire n'est trop
souvent qu'une suite de bagatelles sérieuses , d'amusemens même
puérils, et quelquefois coupables; que le salut auquel tout chré-
tien aspire doit remplir tous les momens de la plus longue vie;
et que le plus grand des héros s'abaisse au dessous du moindre
des Chrétiens , dès que l'éternité seule n'est pas la règle, la me-
sure et le terme de ses œuvres.
Ne voyez plus dans vous [que l'homme immortel , et bientôt
vous aurez peine à vous reconnaître, tant vous serez différent de
vous-mêmes. Je veux dire, et bientôt votre esprit, devenu plus
pénétrant, se détrompera de ses vaines idées; et bientôt votre
cœur désabusé changera de sentimens et de désirs ; et bientôt
votre imagination plus sage ne sera plus également frappée des
mêmes objets ; et bientôt votre mémoire chargée de mille traits
frivoles de l'histoire du monde ne vous rappellera plus que le
ii
ie
'i
loi
e
fer
R
il
t
'01
M
DES PREDICATEURS. 52J
souvenir de ces hommes éternels, qui regardaient la vie humaine
comme un passage; et bientôt toute votre ame, comme transformée
par ces réflexions toutes-puissantes, ne verra plus rien qui soit
digne de ses vœux et de ses poursuites, que le ciel même et son
éternité que je vous souhaite, au nom du Père, etc. (Le Même.)
Autre péroraison.
Expergiscimini^ réveillez-vous donc en ce moment, vous tous
qui habitez dans la poussière de la terre: Expergiscimini , qui ha-
bitatisinpuhere. Cendres malheureuses des médians, dormez, dor-
mez dans vos sépulcres, et jouissez du moins de ce repos jusqu'au
dernier jour du monde, où vous devez, hélas! partager avec vos
âmes les souffrances éternelles; mais vous, cendres heureuses des
saints, qui reposez sur nos autels , et vous aussi, cendres des justes,
qui êtes encore confondues sous le pavé de nos temples avec celles
du vulgaire des morts, poussière auguste, vous sortirez donc un
jour du milieu des ruines de l'univers, ainsi que Jésus-Christ est
sorti du tombeau, et vous serez réunies à vos âmes, pour partager
leur félicité, comme vous avez partagé leurs vertus: Expergisci*
mini etlaudate. A une espérance si grande et si consolante, déjà
il me semble voir ces ossemens arides et ces froides cendres à tra-
vers les tombes qui les couvrent, se réveiller et tressaillir d'avance
dans la poussière de leurs sépulcres : Expergiscimini et laudate^
qui habiiatis in pulvere.
Je crois donc, et comment refuserais-je de croire un dogme si
honorable et si consolant pour l'humanité? Je crois, comme je le
répète tous les jours dans le Symbole de ma foi, je crois la résurrec-
tion de la chair et la vie éternelle : Credo carnis resurrectionem et
vitam œternam^Q crois que celui qui a ressuscité Jésus, nous res-
suscitera avec lui : Qui suscitavit Jesum, et nos cumJesu suscitabit.
Je crois qu'au dernier jour du monde, dans ce jour où le ciel et la
terre périront, ce corps fragile, et qui va bientôt tomber en pou-
dre, sortira du tombeau. Alors, mes cendres, plus nobles que les
astres qui nous éclairent, et que le Seigneur doit éteindre du souf-
fle de sa bouche comme une faible lumière , alors mes cendres se-
ront ranimées par le souffle du Tout-Puissant , et deviendront
incorruptibles et immortelles comme mon ame. Voilà l'espérance
qui repose dans mon sein , et qui adoucit pour moi les horreurs
du trépas: Reposita est hœc spesmea in sinu meo. Justes, ne sentez
vous point votre ame, ne sentez-vous point votre chair elle-même
628 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
qui doit être associée à son sort, frémir d'un doux saisissement
dans l'attente du Dieu vivant? Cor meum et caro mea exultave-
runt in Deum vivum.
Et vous, pécheurs impénitens, qui, au lieu de ressusciter avec
Jésus-Christ, demeurez encore ensevelis dans les ombres de la
mort, et qui différez votre salut à un avenir qui ne dépend point
de vous, et qui peut-être, hélas ! vous sera refusé, ne sentez-vous
point votre chair elle-même frémir de crainte et d'horreur, dans
l'attente des douleurs immortelles qui leur sont réservées? ( Car,
a dit l'auteur de toute vérité, de même que les justes se réveil-
lent pour la gloire, les pécheurs se réveilleront; grand Dieu,
quel réveil! ils se réveilleront pour un opprobre éternel). O jus-
tes, applaudissez-vous de votre immortalité! O pécheurs, frémissez
de votre immortalité! (M. de Beau vais, évêque de Seriez. )
DES PRÉDICATEURS. 5ap,
PLAN ET OBJET DU SECOND DISCOURS
SUR L IMMORTALITÉ DE LAME.
EXORDE.
Ubi est , mors, vicloria tua?
0 mort! où est la victoire? (I Gorintk., xv, ob\)
•
Est-ce donc à nous , mes frères , jouets infortunes , tristes victi-
mes du trépas, à faire une pareille demande : O mort ! où est ta vic-
toire ? Hélas! elle est dans ce deuil général qui couvre la terre,
clans ces tombeaux pressés qui la surchargent , dans cette foule de
générations qui s'écoulent comme un torrent et disparaissent
comme un nuage. O mort où est ta victoire ? Ali ! Chrétiens, voyez-
la dans ces empires qu'elle renverse, dans ces trônes qu'elle abat,
ces amis qu'elle nous enlève, ces biens qu'elle nous ravit, dans nos
mœurs et nos lois, nos arts et nos sciences qu'elle anéantit tour à
tour, dans nous-mêmes enfin qu'elle use et qu'elle détruit. . .Dans
nous! qu'ai-je donc avancé? Quoi! serait-il vrai que tout périt
dans l'homme ? Non, sans doute ; il est en lui un être pur et res-
pectable, inaccessible aux traits du temps et à l'empire delamort:
son ame, cette noble portion de lui-même, doit échapper au
grand naufrage delà nature entière. Nous avons donc le droit d'in-
sulter à la mort, et de lui demander avec une sainte fierté: O mort!
où est ta victoire : Ubi est, mors , Victoria tua?
Ce cri sublime d'une ame qui se sent plus forte que la terre
plus durable que le temps, quelle impression fait-il sur nous?Nous
sommes immortels : que nous dit, mes chers frères, celte grande
espérance ? Hélas ! elle produit des spéculations vaines, et jamais
ces pensées fécondes qui partent du cœur; des rêves philosophi-
ques, et jamais ces héroïques sentimens qui enfantent le salut.
C'est en nous une idée, et non une persuasion; tout au plus un
désir, et non une espérance. Oh ! que nous faut-il donc pour tou-
chervivement nos âmes? et quelle léthargie est la nôtre, si l'attente
d'une autre vie nous laisse froids et insensibles?
t. m, 34
53o NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Non moriar,sed vwaml;')e ne mourrai point, mais je vivrai.
C'était le saint transport du Prophète, c'est celui de toute ame que
le inonde n'a point enchantée; c'est l'élan généreux du fidèle qui vit
de la foi des promesses: je ne mourrai point, mais je vivrai. La
terre retourne à la terre, et ï esprit vers le Dieu qui la fait 2. Mon
corps doit se dissoudre; mais mon corps n'est pas moi, c'est tout
au plus le voile grossier qui cache mon être véritable, et la mort
n'est pour moi que le commencement de la vie: Non moriar, sed
vivant. Arrêtons-nous à cette idée. Ici-bas les passions grossières
nous humilient et nous dégradent; le sentiment de l'immortalité
nous élève et nous agrandit; les misères inséparables de notre con-
dition viennent empoisonner nos jours les plus sereins; le senti-
ment de l'immortalité nous soutient et nous console. En deux mots,
l'immortalité de notre aine est la plus glorieuse de nos prérogati-
ves; c'est la plus douce de nos espérances. Jvc3 Maria. ( M. de
Boulogne, Immortalité de Vaine.)
1 Psal., cxvn, 47. — * * Eccles., xn, 7.
t
H
:i
DES PRÉDICATEURS. 53
AUTRE EXORDE.
^i nous jetons nos regards sur le théâtre de ce monde, nous ne
pouvons qu'être frappés de deux choses , et des travaux sans
nombre dont l'homme se tourmente sous le soleil, comme parle
le Sage, et de la brièveté de ses fragiles destinées. Que de mouve-
mens , que d'inquiétudes sur cette terre que nous habitons ! Ce
sont des politiques qui poursuivent de vastes desseins dont ils se
promettent de recueillir la gloire, des savans qui s'enfoncent dans
de pénibles recherches, pour jouir enfin de leur propre renommée,
des spéculateurs hardis qui voudraient, parleurs combinaisons,
enchaîner les caprices delà fortune, dans l'espoir de goûter un
jour le repos au sein de l'abondance ; ce sont des peuples entiers
livrés à des agitations perpétuelles, vivant pour le commerce et
les arts, et plaçant dans je ne sais quels biens qui leur échappent
la suprême félicité. Ainsi tout roule dans un tourbillon perpétuel
de projets, d'affaires et de plaisirs. Cependant que d'espérances
trompées! Tout ce qui occupe la scène du monde n'y brille qu'un
instant ; ce qui vit aujourd'hui, demain ne sera plus. La génération
présente ira se perdre avec les générations passées; tout meurt,
les empires comme les hommes , et nous-mêmes nous foulons tous
les jours aux pieds cette terre qui doit être notre tombeau.
Or, au milieu de ces vicissitudes perpétuelles de générations qui
passent, de générations qui arrivent, n'est-il pas bien raisonnable
de nous demander à nous-mêmes si tout finit avec le corps? Ces
personnages qui se sont rendus illustres par leurs vertus, ces
hommes célèbres dont la mémoire vit dans les annales des peuples,
nos pères dont les ossemens reposent parmi nous, ne sont-ils
qu'une vile poussière? Mon être tout entier sera-t-il renfermé sous
la pierre du tombeau? y a-t-il au-delà de la vie dans laquelle j'existe
une vie toute nouvelle? Dois-je y trouver le malheur ou la félicité?
Fut-il jamais une question plus digne de l'homme sensé? et où est
celui qui puisse en tout temps, en tout lieu, la bannir de sa pensée ?
Pascal a dit : « L'immortalité de l'ame est une chose qui nous
« importe si fort et qui nous touche si profondément, qu'il faut
« avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de sa-
à3,
532 NOUVELIiB BIBLIOTHEQTJB
« voir ce qui en est. Toutes nos actions , toutes nos pensées , doi
« vent prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura des
« biens éternels à espérer ou non , qu'il est impossible de faire une
« démarcbe avec sens et jugement, qu'en se réglant par la vue de
« ce plan qui] doit être notre premier objet. » C'est donc, Messieurs,
présenter à vos esprits ce qu'il y a de plus grand et de plus digne
de leurs pensées, que de leur rappeler leur immortalité. Voyons
ce que les seules lumières naturelles peuvent nous découvrir sur
l'existence d'une vie future où se trouvent des récompenses pour
la vertu et des châtimens pour le vice. Les considérations puis-
santes que nous avons à exposer en sa faveur , nous les puiserons
dans la connaissance approfondie et combinée de l'homme et de
Dieu. Tel est le sujet de cette conférence. 'M. Fraysslnous, Im-
mortalité de Vaine.)
L'immortalité de l'ame est la plus glorieuse de nos prérogatives.
Garantir son esprit des préjugés du siècle, et son cœur de l'avi-
lissement des passions , c'est, dit saint Augustin, la vraie gran-
deur de l'homme. Or, tels sont les deux effets qu'opère en nous
le saint espoir de la vie future. 11 nous préserve également de nos
erreurs et de nos vices ; nous y trouvons tout à la fois la source
des plus vives lumières , le principe des plus grands sentiniens ; et
c'est ici, sans doute, le lieu de s'écrier avec l'Apotre : Nous nous
glorifions dans l'espérance: Gloriamur in spe *. Oui, Messieurs,
le plus grand nombre de nos erreurs prend sa source dans notre
amour pour la vie présente. Renfermés dans le temps, nous
sommes trop près des objets pour en juger sainement. Entraînés
par le tourbillon, les vérités les plus frappantes échappent à nos
esprits distraits; nous n'y voyons plus qu'une énigme. Peut-être
voyons-nous, mais nous ne sentons pas. Pour connaître parfaite-
ment le monde et son néant, la vie et sa rapidité, les hommes et
leurs inconséquences , il faut sortir du temps, abandonner les fi-
gures qui passent, et habiter par la pensée l'immuable région de
l'immortalité. C'est à cette hauteur que s'élève le vrai fidèle. Que
l'air qu'il y respire est salutaire et pur! Là s'effacent toutes les illu-
sions, là disparaissent tous les nuages. Du point de vue où il se
place, il n'aperçoit que des atomes là où le monde imagine des
colosses. Il jette un regard sur la terre, et il n'y voit, comme Jé-
rémie a, qu'un sombre et triste vide que dominent de toutes parts
ii
1 Rom., v, 5. — * Jérém., iy, 23.
DES PRÉDICATEURS. 533
et le mensonge et le néant: Aspexi terrain, et ecce vacua erat , et
nihili. Il y voit le puissant du siècle n'acquérir tant d'honneurs
que pour se forger plus de chaînes ; le riche n'augmenter ses
possessions que pour multiplier ses ennemis; le conquérant ne
remporter de grandes victoires que pour laisser après lui de plus
grands débris; le voluptueux, qui croit goûter des plaisirs et ne
trouve jamais que des remords ; l'avare , qui vit de rien , pour
mourir riche; le héros du siècle, qui prend la gloire pour la gran-
deur, la renommée pour l'immortalité; le mondain, qui ne fait
qu'agrandir le vide de son ame en s'attachant à plus d'objets; le
savant, qui raisonne sur le temps et le consume sans remords;
le philosophe, qui se croit un sage et n'est qu'un sophiste; le pé-
cheur obstiné réduit à la condition déplorable d'être assez lâche
pour faire le brave contre Dieu; l'incrédule contraint sans cesse
de lutter contre la religion qu'il est forcé de respecter, contre sa
raison qui le condamne, contre sa fermeté qui l'abandonne, contre
sa conscience qui le poursuit, contre la mort qui l'épouvante et
qui le presse, et qui le pousse, et qui le traîne de doutes en
doutes, de passions en passions, de malheurs en malheurs jusqu'à
la porte du tombeau, au-delà duquel se présente à lui un Dieu
juste qu'il redoute, un Dieu bon qu'il n'ose espérer, et le triste
et sombre néant, dont il voudrait se faire une ressource, et qui
n'est que son désespoir. Il y voit enfin tous les hommes , qui con-
sument leur vie dans un stupide enchantement, qui se flattent et
se méprisent, s'embrassent et se détestent, épuisent tous leurs
biens pour épuiser leurs jours, forment sans cesse des vœux
extrêmes pour des objets frivoles; jamais à Dieu par leurs plai-
sirs, jamais à leurs semblables par leurs passions, jamais à eux-
mêmes par leurs affaires : insensés , qui regrettent le passé, abu-
sent du présent, remettent à l'avenir le soin de leur salut, et ne
vivent ainsi que par des regrets ou par des espérances!
C'est encore du sein de l'immortalité qu'il voit la pompe du pou-
voir, l'orgueil de la naissance, tous les sentiers de la prospérité et
de la gloire aboutir au tombeau. Le temps, qui s'écoule avec une
incroyable vitesse pour faire place à l'éternité, se perd dans ce
vaste Océan comme un faible ruisseau; il entraîne dans sa fuite
nos plus hardies entreprises, ne fait qu'un même débris et des
héros et des trophées, et des vainqueurs et des vaincus ; il confond
dans un même néant et nos chagrins et nos plaisirs, et nos craintes
et nos espérances : la vertu seule ne meurt point; toujours au-
guste, si elle n'est pas toujours heureuse, et, au milieu de ce dé-
5^4 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
sastre universel, brillant seule d'une gloire immortelle. (M. de
Boulogne.)
Qu'est-ce que l'homme qui attend l'immortalité?
Celui qui se nourrit des hautes espérances que lui présente
1 avenir ne nous semble courir qu'après de vaines ombres; il ex-
cite notre pitié,*et nous croyons l'avoir assez flétri en l'appelant
avec dédain un homme de l'autre monde. Mot insensé! le com-
prenez-vous bien , mes frères? savez-vous donc ce que c'est qu'un
homme de l'autre monde? C'est un homme dont ce monde-ci
n est pas digne, dont tous les jours sont pleins, qui n'a rien et qui
possède tout, qui sait mériter l'estime des hommes et s'en passer;
un homme prodigue, mais de ses aumônes; avare, mais de son
temps; jaloux, mais de sa perfection; fier, mais de son ame; es-
clave, mais de ses devoirs: un homme qui ne connaît qu'un mal,
le péché; qu'une règle, la vérité; qu'un gain, le ciel; qu'un désir,
Dieu même : c'est un homme maître de tous les temps ; [du passé,
dont il jouit par le spectacle de ses vertus qui ne périssent point;
du présent, dont il enchaîne la rapidité par un travail utile; de
1 avenir , où règne son témoin et son juge ; du passé, qui revit
pour l'éternité; du présent, qui fructifie pour l'éternité; de l'ave-
nir, ou l'attend l'éternité : c'est un homme qui se respecte trop
pour voir en soi quelque chose de plus grand que soi-même; qui
sait, sur ce principe, s'élever sans être vain, s'abaisser sans s'avilir,
commander sans fierté, obéir sans bassesse, et qui porte ainsi par-
tout une ame égale, que rien n'enfle et que rien n'humilie: c'est
un homme de l'autre monde. Mais qu'est-ce donc qu'un homme
de celui-ci? c'est un homme tel qu'un ancien l'a défini : le plus
vain et le plus misérable de tous les êtres , nihil superbius et mi-
serius; un homme que désespère le moindre mépris, qu'enflamme
la plus légère offense', qu'abat le plus faible revers, c'est un
homme borné comme ses possessions , frivole comme ses hon-
neurs, vain comme ses titres, mobile comme l'opinion, changeant
comme le préjugé, inconstant comme la fortune: c'est un homme
qui revient sans cesse de la crainte à la joie, de la joie à la crainte;
qui s agite sans dessein, et se tourmente sans objet; qui se traîne
tristement dans un même cercle de sensations usées, se dégoûte de
tout et ambitionne tout, se plaint des hommes et les recherche;
qui adore le monde et le maudit , se lasse de ses joies comme de
ses peines; qui n'aime ni ses devoirs ni ses passions, n'est content
•
DES PRÉDICATEURS. 535
ni de lui ni de sa fortune, ni de ses plaisirs ni de ses affaires, ni
du vice ni de la vertu. Voilà , mes frères , ce que c'est que
l'homme de ce monde. (Le Même.)
Importance du dogme de l'immorlalilé de l'ame.
L'immortalité de l'ame est une chose qui nous importe si fort,
et qui nous touche si profondement, qu'il faut avoir perdu tout
sentiment pour être dans l'indifférence de savoir ce qui en est.
Toutes nos actions et toutes nos pensées doivent prendre des
routes si différentes , selon qu'il y aura des biens éternels à espé-
rer, ou non, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens
et jugement qu'en la réglant par la vue de ce point, qui doit être
notre premier objet.
Ainsi notre premier intérêt et notre premier devoir est de
nous éclaircir sur ce sujet, d'où dépend toute notre conduite. Et
c est pourquoi , parmi ceux qui n'en sont pas persuadés, je fais
une extrême différence entre ceux qui travaillent de toutes leurs
forces à s'en instruire, et ceux qui vivent sans s'en mettre en
peine et sans y penser.
Je ne puis avoir que de la compassion pour ceux qui gémis-
sent sincèrement dans le doute, qui le regardent comme le der-
nier des malheurs, et qui, n'épargnant rien pour en sortir, font
de cette recherche leur principale et leur plus sérieuse occupa-
tion. Mais pour ceux qui passent leur vie sans penser à cette der-
nière fin de la vie, et qui, par cette seule raison qu'ils ne trouvent
pas en eux-mêmes des lumières qui les persuadent, négligent d'en
chercher ailleurs, et d'examiner à fond si cette opinion est de
celles que le peuple reçoit par une simplicité crédule, ou de cel-
les qui, quoique obscures d'elles-mêmes, ont néanmoins un fonde-
ment très solide, je les considère d'une manière toute différente.
Cette négligence en une affaire où il s'agit d'eux-mêmes, de leur
éternité, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit; elle
m'étonne et m'épouvante ; c'est un monstre pour moi. Je ne dis
pas ceci par le zèle pieux d'une dévotion spirituelle. Je prétends,
au contraire, que l'amour-propre, que l'intérêt humain, que la plus
simple lumière de la raison doit nous donner ces sentimens. 11 ne
faut voir pour cela que ce que voient les personnes les moins éclai-
rées.
Il ne faut pas avoir l'ame fort élevée pour comprendre qu'il n'y
!
536 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
a point ici de satisfaction véritable et solide; que tous nos plaisirs
ne sont que vanité; que nos maux sont infinis; et qu'enfin la mort,
qui nous menace à chaque instant, doit nous mettre dans peu d'an-
nées, et peut-être en peu de jours, dans un état éternel de bon-
heur, ou de malheur, ou d'anéantissement. Entre nous et le ciel,
l'enfer ou le néant, il n'y a donc que la tvie qui est la chose duj
monde la plus fragile; et le ciel n'étant pas certainement pour ceux
qui doutent si leur ame est immortelle, ils n'ont à attendre^que
l'enfer ou le néant.
Il n'y a rien de plus réel que cela, ni de plus terrible. Faisons
tant que nous voudrons les braves, voilà la fin qui attend la plus
belle vie du monde.
C'est en vain qu'ils détournent leur pensée de cette éternité qui
les attend, comme s'ils pouvaient l'anéantir en n'y pensant point.
Elle subsiste malgré eux, elle s'avance ; et la mort qui doit l'ouvrir,
les mettra infailliblement, dans peu de temps, dans l'horrible né-
cessité d'être éternellement ou anéantis, ou malheureux.
Voilà un doute d'une terrible conséquence; et c'est déjà assu-
rément un très grand mal que d'être dans ce doute ; mais c'est au
moins un devoir indispensable de chercher quand on y est. Ainsi
celui qui doute et qui ne cherche pas est tout ensemble, et bien in-
juste et bien malheureux. Que s'il est avec cela tranquille et satis-
fait, qu'il en fasse profession, et enfin qu'il en fasse vanité, et que
ce soit de cet état même qu'il fasse le sujet de sa joie et de sa va-
nité, je n'ai point de termes pour qualifier une si extravagante
créature.
Où peut-on prendre ces sentimens? Quel sujet de joie trouve-t-
on à n'attendre plus que des misères sans ressource? Quel sujet de
vanité de se voir dans des obscurités impénétrables ? Quelle con-
solation de n'attendre jamais de consolation.
Ce repos, dans cette ignorance, est une chose monstrueuse , et
dont il faut faire sentir l'extravagance et la stupidité à ceux qui y
passent leur vie, en leur représentant ce qui se passe en eux-mêmes
pour les confondre par la vue de leur folie : car voici comment
raisonnent les hommes, quand ils choisissent de vivre dans cette
ignorance de ce qu'ils sont, et sans rechercher d'éclaircissement.
Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde,
ni que moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de toutes
choses. Je ne sais ce que c'est que mon corps, que mes sens, que
mon ame : et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, et
qui fait réflexion sur tout et sur elle-même , ne se connaît non
DES PRÉDICATEURS. 537
plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l'univers qui
m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste
étendue, sans savoir pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en
un autre , ni pourquoi ce peu de temps qui m'est donné à vivre
m'est assigné à ce point plutôt qu'a un autre de toute l'éternité
qui m'a précédé, et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des
infinités de toutes parts, qui m'engloutissent comme un atome, et
comme une ombre qui ne dure qu'un instant sans retour. Tout ce
que je connais, c'est que je dois bientôt mourir; mais ce que j'ignore
le plus, c'est cette mort même que je ne saurais éviter.
Comme je ne sais d'où je viens, aussi ne sais-je où je vais; et je
sais seulement qu'en sortant de ce monde je tombe pour jamais,
ou dans le néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité, sans savoir
à laquelle de ces deux conditions je dois être éternellement en
partage.
Voilà mon état, plein de misère, de faiblesse, d'obscurité. Et de
tout cela je conclus que je dois donc passer tous les jours de ma
vie sans songer à ce qui doit m'arriver; et que je n'ai qu'à suivre
mes inclinations sans réflexion et sans inquiétude, en faisant tout
ce qu'il faut pour tomber dans le malheur éternel , au cas que ce
qu'on en dit soit véritable. Peut-être que je pourrais trouver
quelque éclaircissement dans mes doutes; mais je n'en veux pas
prendre la peine, ni faire un pas pour le chercher : et en traitant
avec mépris ceux qui se travailleraient de ce soin , je veux aller
sans prévoyance et sans crainte tenter un si grand événement, et
me laisser mollement conduire à la mort, dans l'incertitude de
l'éternité de ma condition future.
En vérité, il est glorieux à la religion d'avoir pour ennemis
des hommes si déraisonnables, et leur opposition lui est si peu
dangereuse, qu'elle sert au contraire à l'établissement des princi-
pales vérités qu'elle nous enseigne. Car la foi chrétienne ne va
principalement qu'à établir ces deux choses, la corruption delà
nature, et la rédemption de Jésus-Christ. Or, s'ils ne servent pas à
montrer la vérité de la rédemption par la sainteté de leurs mœurs,
ils servent au moins admirablement à montrer la corruption de la
nature par des sentimens si dénaturés.
Rien n'est si important à l'homme que son état; rien ne lui est
si redoutable que l'éternité. Et ainsi, qu'il se trouve des hommes
indifférens à la perte de leur être, et au péril d'une éternité de mi-
sère, cela n'est point naturel. Ils sont tout autres à l'égard de toutes
les autres choses: ils craignent jusqu'aux plus petits, ils les pré-
538 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
voient, ils les sentent; et ce même homme qui passe les jours et
les nuits dans la rage et clans le désespoir pour la perte d'une
charge, ou pour quelque offense imaginaire à son honneur, est
celui-là même qui sait qu'il va tout perdre par la mort, et qui de-
meure néanmoins sans inquiétude, sans trouble et sans émotion.
Cette étrange insensibilité pour les choses les plus terribles, dans
un cœur si sensible aux plus légères, est une chose monstrueuse;
c'est un enchantement incompréhensible , et un assoupissement
surnaturel.
Un homme dans un cachot, ne sachant si son arrêt est donné,
n'ayant plus qu'une heure pour l'apprendre , et cette heure suffi-
sant, s'il sait qu'il est donné, pour le faire révoquer, il est contre
la nature qu'il emploie cette heure-là, non à s'informer si cet arrêt
est donné , mais à jouer et à se divertir. C'est l'état où se trou-
vent ces personnes, avec cette différence que les maux dont ils
sont menacés sont bien autres que la simple perte de la vie, et un
supplice passager que ce prisonnier appréhenderait. Cependant ils
courent sans souci dans le précipice, après avoir mis quelque chose
devant leurs yeux , pour s'empêcher de le voir, et ils se moquent
de ceux qui les en avertissent.
Ainsi, non seulement le zèle de ceux qui cherchent Dieu prouve
la véritable religion , mais aussi l'aveuglement de ceux qui ne le
cherchent pas, et qui vivent dans cette horrible négligence. Il faut
qu'il y ait un étrange renversement dans la nature de l'homme
pour vivre dans cet état, et encore plus pour en faire vanité. Car,
quand ils auraient une certitude entière qu'ils n'auraient rien à
craindre après la mort que de tomber dans le néant, ne serait-ce
pas un sujet de désespoir plutôt que de vanité? N'est ce donc pas
une folie inconcevable , n'en étant pas assurés , de faire gloire
d'être dans ce doute?
Et néanmoins il est certain que l'homme est si dénaturé, qu'il
y a dans son cœur une semence de joie en cela. Ce repos brutal
entre la crainte de l'enfer et du néant semble si beau, que non
seulement ceux qui sont véritablement dans ce doute malheureux
s'en glorifient, mais que ceux mêmes qui n'y sont pas croient qu'il
leur est glorieux de feindre d'y être. Car l'expérience nous fait
voir que la plupart de ceux qui s'en mêlent sont de ce dernier
genre ; que ce sont des gens qui se contrefont, et qui ne sont pas
tels qu'ils veulent paraître. Ce sont des personnes qui ont ouï dire
que les belles manières du monde consistent à faire ainsi l'em-
porté. C'est ce qu'ils appellent avoir secoué le joug; et la plupart
tie le font que pour imiter les autres.
DES PRÉDICATEURS. 539
Mais, s'ils ont encore tant soit peu de sens commun, il n'est pas
difficile de leur faire entendre combien ils s'abusent en cherchant
par là de l'estime. Ce n'est pas le moyen d'en acquérir, je dis même
parmi les personnes du monde qui jugent sainement des choses,
et qui savent que la seule voie d'y réussir, c'est de paraître hon-
nête, fidèle, judicieux et capable de servir utilement ses amis;
parce que les hommes n'aiment naturellement que ce qui peut
leur êire utile. Or, quel avantage y a-t-il pour nous à ouïr dire à
un homme qu'il a secoué le joug; qu'il ne croit pas qu'il y ait un
Dieu qui veille sur ses actions; qu'il se considère comme seul
maître de sa conduite; qu'il ne pense à en rendre compte qu'à soi-
même ^ Pense-t-il nous avoir portés par là à avoir désormais bien
de la confiance en lui, et à en attendre des consolations, des con-
seils et des secours dans tous les besoins de la vie? Pense-t-il nous
avoir bien réjouis de nous dire qu'il doute si notre ame est autre
chose qu'un peu de vent et de fumée, et encore de nous le dire
d'un ton de voix fier et content? Est-ce donc une chose à dire
gaiement? et n'est-ce pas une chose à dire au contraire tristement,
comme la chose du monde la plus triste?
S'ils y pensaient sérieusement, ils verraient que cela est si mal
pris, si contraire au bon sens, si opposé à l'honnêteté, et si éloigné
en toute manière de ce bon air qu'ils cherchent, que rien n'est
plus capable de leur attirer le mépris et l'aversion des hommes , et
de les faire passer pour des personnes sans esprit et sans jugement.
Et , en effet, si on leur fait rendre compte de leurs sentimens, et
des raisons qu'ils ont de douter de la Religion, ils diront des
choses si faibles et si basses, qu'ils persuaderont plutôt du con-
traire. C'était ce que leur disait un jour fort à propos une per-
sonne : Si vous continuez à discourir de la sorte, leur disait-il, en
vérité, vous me convertirez. Et il avait raison; car qui n'aurait
horreur de se voir dans des sentimens où l'on a pour compagnons
des personnes si méprisables?
Ainsi ceux qui ne font que feindre ces sentimens sont bien mal-
heureux de contraindre leur naturel pour se rendre les plus imper-
tinens des hommes. S'il sont fâchés dans le fond de leur cœur de
ne pas avoir plus de lumière, qu'ils ne le dissimulent point; cette
déclaration ne sera pas honteuse. 11 n'y a de honte qu'à ne point
en avoir. Rien ne découvre davantage une étrange faiblesse d'esprit
que de ne pas connaître quel est le malheur d'un homme sans
Dieu ; rien ne marque davantage une extrême bassesse de cœur
que de ne pas souhaiter la vérité des promesses éternelles j rien
54û NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
n'est plus lâche que de faire le brave contre Dieu. Qu'ils laissent
donc ces impiétés à ceux qui sont assez mal nés pour en être véri-
tablement capables, qu'ils soient au moins honnêtes gens, s'ils ne
peuvent encore être chrétiens : et qu'ils reconnaissent enfin qu'il
n'y a que deux sortes de personnes qu'on puisse appeler raison-
nables : ou ceux qui servent Dieu de tout leur] cœur, parce qu'ils
le connaissent, ou ceux qui le cherchent de tout leur cœur,
parce qu'ils ne le connaissent pas encore.
C'est donc pour les personnes qui cherchent Dieu sincèrement,
et qui , reconnaissant leur misère , désirent véritablement d'en sor-
tir, qu'il est juste de travailler, afin de leur aider à trouver la lu-
mière qu'ils n'ont pas.
Mais, pour ceux qui vivent sans le connaître et sans le chercher,
ils se jugent eux-mêmes si peu dignes de leur soin, qu'ils ne sont
pas dignes des soins des autres ; et il faut avoir toute la charité de
la religion qu'ils méprisent pour ne pas les mépriser jusqu'à les
abandonner dans leur folie. Mais parce que cette religion nous
oblige de les regarder toujours, tant qu'ils seront en cette vie,comme
capables de la grâce qui peut les éclairer, et de croire qu'ils peu-
vent être dans peu de temps plus remplis de foi que nous ne sommes ,
et que nous pouvons, au contraire, tomber dans l'aveuglement où
ils sont, il faut faire pour eux ce que nous voudrions qu'on fit
pour nous si nous étions à leur place, et les appeler à avoir pitié
d'eux-mêmes et à faire au moins quelques pas pour tenter s'ils ne
trouveront point de lumière. Qu'ils donnent à la lecture de cet
ouvrage quelques unes de ces heures qu'ils emploient si inutile-
ment ailleurs, peut-être y rencontreront-ils quelque chose , ou du
moins ils n'y perdront pas beaucoup. Mais, pour ceux qui y ap-
porteront une sincérité parfaite et un véritable désir de connaître
la vérité, j'espère qu'ils y auront satisfaction, et qu'ils seront con-
vaincus des preuves d'une religion si divine que l'on y a ramassées.
(Pascal, Pensées.)
Immortalité de l'ame.
On a depuis soixante ans assez plaidé la cause du désespoir et
de la mort : j'entreprends de défendre celle de l'espérance. Quelque
chose me presse d'élever et d'appeler mon siècle en jugement. Je
suis las d'entendre répéter à l'homme : Tu n'as rien à craindre,
rien à attendre, et tu ne dois rien qu'à toi. Il le croirait peut-être
enfin; peut-être qu'oubliant sa noble origine, il en viendrait jus-
qu'à se regarder en effet comme une masse organisée qui reçoit
DES PRÉDICATEURS. 54 1
F esprit de tout ce qui V environne et de ses besoins *, jusqu'à dire à
la pourriture: Fous êtes ma mère; et aux vers: Fous êtes mes frères
et mes sœurs 2; peut-être qu'il se persuaderait réellement être
affranchi de tout devoir envers son auteur; peut-être que ses dé-
sirs mêmes s'arrêteraient aux portes du tombeau, et que, satisfait
d'une frêle supériorité sur les brutes , passant comme elles sans
retour, il s'honorerait de tenir le sceptre du néant. Je veux le
briser dans sa main; qu'il apprenne ce qu'il est, qu'il s'instruise de
sa grandeur, aussi bien que de sa dépendance. On s'est efforcé d'en
détruire les titres : vaine tentative! ils subsistent, on les lui mon-
trera. Ils sont écrits dans sa nature; tous les siècles les y ont lus,
tous, même les plus dépravés. Je les citerai à comparaître ; et on les
entendra proclamer l'existence d'une vraie religion. Qui osera les
démentir, et opposer à leur témoignage ses pensées d'un jour?
Nous verrons qui l'osera, quand tout à l'heure, réveillant les gé-
nérations éteintes, et convoquant les peuples qui ne sont plus, ils
se lèveront de leur poussière pour venir déposer en faveur des
droits de Dieu et des immortels destins de l'homme.
Et pourquoi périrait-il? Qui l'a condamné? Sur quoi juge-t-on
qu'il finisse d'être? Ce corps qui se décompose , ces ossemens, cette
cendre , est-ce donc l'homme ? Non , non , et la philosophie se hâte
trop de sceller la tombe. Quelle noiu montre des parties distinc-
tes dans la pensée, alors nous comprendrons qu'elle puisse se dis-
soudre. Elle ne l'a pas fait, elle ne le fera jamais; jamais elle ne
divisera l'idée de justice, ni ne la concevra divisée en différentes
portions ayant entre elles des rapports de grandeur, déforme et de
distance; elle est une, ou elle n'est point. Et le désir, l'amour, la
volonté , voit-on clairement que ce soient des propriétés de la ma-
tière, des modifications de l'étendue? Voit-on clairement qu'une
certaine disposition d'élémens composés produise le sentiment
essentiellement simple, et qu'en mélangeant des substances iner-
tes, il en résulte une substance active, capable de connaître, de
vouloir et d'aimer? Merveilleux effet de l'organisation ! cette boue
que je foule aux pieds n'attend qu'un peu de chaleur, un nouvel
arrangement de ses parties, pour devenir de l'intelligence, pour
embrasser les cieux, en calculer les lois, pour franchir l'espace
immense, et chercher par de là tous les mondes, non seulement
visibles, mais imaginables, un infini qui la satisfasse, atome à l'é-
troit dans l'univers !
1 C'est ainsi que Saint- Lambert définit l'homme. - 2 Pniredini dixi : Pater meus
es; mater mea et soror mea, vermibus» (Job., x\n, 14.)
542 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
Certes, je plains les esprits assez faibles pour croupir dans ces
basses illusions ; que si encore ils s'y complaisent, s'ils redoutent
d'être détrompés, je n'ai point de termes pour exprimer l'horreur
et le mépris qu'inspire une pareille dégradation.
Et que disent-ils cependant? Ils appellent les sens en témoi-
gnage; ils veulent que la vie s'arrête là où s'arrêtent les yeux ;
semblables à des enfans qui, voyant le soleil descendre au dessous
de l'horizon , le croiraient à jamais éteint. Mais quoi! sont-ils donc
les seuls qu'ait frappés le triste spectacle d'organes en dissolution ?
Sont-ils donc les premiers qui aient entendu le silence du sépulcre?
Il y a six mille ans que les hommes passent comme des ombres
devant l'homme; et néanmoins le genre humain, défendu contre
le prestige des sens par une foi puissante, et par un sentiment
invincible, ne vit jamais dans la mort qu'un changement d'exis-
tence, et, malgré les contradictions de quelques esprits abusés par
d'effroyables désirs, il conserva toujours comme un dogme de la
raison générale une haute tradition d'immortalité. Que ceux-là
donc qui la repoussent se séparent du genre humain, et s'en ail-
lent à l'écart porter aux vers leur pâture, un cœur palpitant d'a-
mour pour la vérité, la justice, et une intelligence qui connaît
Dieu. (De La Mennais, Essai sur l'indifférence.)
Même sujet.
A l'aspect de ces corps célestes qui roulent, éclatans de lumière,
par dessus nos têtes, et subsistent depuis tant de siècles, on se
plaint de la Providence qui a renfermé la vie de l'homme dans
un si petit nombre d'années. On aurait droit de se plaindre, si
l'homme était condamné à périr tout entier; mais non. La plus
noble partie de lui-même , celle qui est le principe de son exis-
tence, celle sans qui il n'y a point d'homme, n'est point sujette à
la mort. La substance de son ame est inaltérable. La mort n'a de
prise que sur la moindre partie de son être ; l'autre ne fait que ga-
gner à la destruction de notre corps. Si nous souffrons , si nous
sommes tributaires des maladies, des infirmités de la vieillesse;
pécheurs, et par l'héritage de notre premier père, et par notre pro-
pre faiblesse, toujours enclins à l'orgueil, nous avons mérité d'être
châtiés , et nous avons besoin de l'être pour nous humilier et nous
purifier. Ce n'est point par indifférence que Dieu nous traite de
la sorte. S'il ne s'était pas occupé de nous, il ne nous aurait pas
fait une ame immortelle, comme ce n'est point par impuissance
DES PRÉDICATEURS. 543
qu'il a laissé notre corps assujéti à tant de misères. S'il n'était
qu'impuissant, aurait-il imprimé aux astres du firmament , à ce
globe de la terre, un principe de vie qui les maintient, sans alté-
ration, au milieu des vicissitudes attachées à tout ce qui a pris
naissance? Il n'a point permis que les corps célestes fussent acces-
sibles aux ravages du temps, à tant d'autres causes de destruction;
ils n'ont ni ame, ni liberté ; ils ne peuvent ni pécher ni mériter.
Ils n'ont donc pas, comme nous, besoin de l'aiguillon des mala-
dies et des infirmités pour être ramenés à l'ordre , et contenus
dans les bornes de l'humilité et de l'obéissance. Un jour viendra,
où, à la suite des épreuves de celte vie terrestre, nos corps eux-
mêmes sortiront de leur corruption, pour entrer dans la gloire,
et l'éclat dont ils seront revêtus dans une vie nouvelle surpassera
celui du soleil et des astres les plus lumineux. (Saint Chrysostome,
Sur sainte Anne.)
Mèsne sujet.
L'homme a péché; tout ce qui fut créé sur la terre a porté la
peine de son crime : en conséquence, toute créature , dit saint
Paul , a été assujétie à la vanité^ , c'est-à-dire est devenue corrup.
tible. Le corps de l'homme est devenu tributaire de la mort et de
la souffrance; la terre , frappée de malédiction , a été condamnée à
produire des ronces et des épines. Tout vieillit. Le ciel lui-même ,
dit le Prophète, se consumera, dissipé dans une vaine fumée , et la
terre deviendra comme un vêtement usé, mais pour reprendre un
nouvel être et des formes nouvelles^. Tout périra, non pour être
anéanti, mais pour être changé; et la mort ne sera qu'un germe
d'immortalité. Ne me demandez plus pourquoi toutes les créatures
ont été assujéties à la vanité. Qu'avaient-elles fait pour mériter de
subir le châtiment d'une faute étrangère? Etaient-elles coupables ?
non sans doute ; l'homme seul le fut : comme elles avaient été
créées pour l'homme, faut-il s'étonner que, pour punir l'homme
par elles, Dieu les ait faites assujéties à la corruption? Mais, puis-
qu'elles ont partagé son châtiment, un jour viendra où elles se-
ront de même associées à son renouvellement. Ecoutez l'Apôtre:
Avec espérance, ajoute-t-il, d'être délivrées de cet asservissement à
la corruption , pour participer à la liberté et à la gloire des en fans
de Dieu*. Nouveaux cieux, nouvelle terre. Ce ne sera pas vous
* Rom., vin, 20. — a Ps., ci, 17 ; Isa., m, G. — 3 Rom., vin, 21.
544 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
seul , ô homme, qui serez affranchi des liens qui vous enchaînent
à la mortalité, à la corruption; toutes les créatures le seront avec
vous, régénérées comme vous à une existence nouvelle. Elles ont
participé à votre servitude, elles participeront à votre liberté; de-
venues corruptibles avec vous , elles deviendront avec vous incor-
ruptibles.
La terre , nourrice de l'homme, fut enveloppée dans sa disgrâce.
Réhabilitée avec son royal pupille, elle recouvrera sa première
magnificence au jour où, transformé lui-même, rappelé au trône
de Dieu son Père, il sera rendu à son antiquegloire. Ainsi, quand
un roi veut célébrer la pompe nuptiale de son fils, il renouvelle
tout ce qui fut àson usage, afin que la gloire de son élévation rejail-
lisse sur toutcequi l'environne. Ah! quand les créatures insensibles
elles-mêmes soupirent , selon la pensée de saint Paul, dans l'at-
tente de leur transformation, quand elles sont, pour ainsi parler,
dans le travail de l enfantement, vous seul, ô homme , vous, créa-
ture raisonnable et douée de sentiment, vous pourriez trouver
quelque repos et concentrer ici bas vos espérances dans cetteterre
étrangère où vous êtes exilé!
Sujets d'un roi qui a vaincu la mort, et nous aussi nous pouvons
comme lui triompher de la mort. Comment cela? m allez-vous
dire : est-ce que nous ne mourrons pas? S'il n'en était pas ainsi,
Jésus-Christ n'aurait pas vaincu la mort; un guerrier n'acquiert de
la gloire, il ne devient illustre que lorsqu'au combat il terrasse
son ennemi, et non pas lorsqu'il n'a point combattu. Ce qui nous
fait mortels, ce n'est point le combat ; mais c'est la victoire qui
nous rend immortels. A la bonne heure , si nous demeurions tou-
jours sous l'empire de la mort, il n'y aurait en nous que mortalité.
Qui doit ressusciter après la mort n'est point, à proprement par-
ler, mortel. Parce que vous aurez rougi ou pâli durant quelques
momens, on ne dira pas que la couleur de votre visage soit rouge
ou pâle, quand elle ne l'est pas habituellement; ce ne sont là que
des accidens passagers. De même, ne nommez point mortel ce qui
ne doit mourir que pour un temps. Il faudrait le dire aussi de ceux
qui dorment, puisque dans le sommeil on est sans action. — -Mais
la mort corrompt et dissout le corps. — Qu'importe? on ne meurt
pas pour se corrompre ; on ne meurt que pour devenir incorrup-
tible. (Saint Chrysostome1.)
* Hom. siv. in epist. ad Rom, et Hom. lxxvih in Joan.
DES PRÉDICATEURS. 545
Effets du désir de l'immortalité de Famé.
Saintes vérités du Christianisme; fidèle et irréprochable témoi-
gnage que les apôtres ont rendu, au péril de tout, à leur Maître
ressuscité; mystère d'immortalité que nous célébrons, attesté par
le sang de ceux qui l'ont vu, et confirmé par tant de prodiges,
par tant de prophéties, par tant de martyrs, par tant de conver-
sions, par un si soudain changement du monde, et par une si
longue suite de siècles, n'avez-vous pu encore élever les hommes
aux objets éternels? et faut-il, au milieu du Christianisme, faire
de nouveaux efforts pour montrer aux enfans de Dieu qu'ils ne
sont pas si peu de chose qu'ils se l'imaginent ? Nous demandons un
témoin revenu de l'autre monde pour nous en apprendre les mer-
veilles : Jésus-Christ, qui est né dans la gloire éternelle, et qui y
retourne; «Jésus-Christ, témoin fidèle, et le premier né d'entre
« les morts », comme il est écrit dans l'Apocalypse 1; Jésus-Christ ,
qui s'y glorifie d'avoir « la clef de l'enfer et de la mort 2 »; qui en
effet est descendu non seulement dans le tombeau, mais encore
dans les enfers, où il a délivré nos pères et fait trembler Satan avec
tous ses anges par son approche glorieuse : ce Jésus-Christ sort
victorieux de la mort et de l'enfer, pour nous annoncer une au-
tre vie, et nous ne voulons pas l'en croire! Nous voudrions qu'il
renouvelât aux yeux de chacun de nous tous ses miracles; que tous
les jours il ressuscitât "pour nous convaincre: et le témoignage
qu'il a une fois rendu au genre humain , encore qu'il le continue,
comme vous verrez, d'une manière si miraculeuse dans son Eglise
catholique, ne nous suffit pas.
A Dieu ne plaise, dites-vous; je suis Chrétien , ne me traitez
pas d'impie. Ne me dites rien des libertins; je les connais ; tous les
jours je les entends discourir; et je ne remarque dans tous leurs
discours qu'une fausse capacité, une curiosité vague et superficielle,
ou, pour parler franchement, une vanité toute pure ; et pour fond
des passions indomptables, qui, de peur d'être réprimées par une
trop grande autorité, attaquent l'autorité de la loi de Dieu, que,
par une erreur naturelle à l'esprit humain , ils croient avoir ren-
versé, à force de le désirer. Je les reconnais à ces paroles; vous ne
pouviez pas me peindre plus au naturel leur caractère léger et
leurs bizarres pensées : j'entends ce que me dit votre bouche; mais
* Apoc, i, 5. — 2lbid.,18.
t. m. 35
5/i6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
que me disent vos œuvres? vous les détestez, dites-vous; pour-
quoi donc les imitez-vous? pourquoi marchez-vous dans les mêmes
voies ? pourquoi vous vois-je aussi éblouis des grandeurs humai-
nes, aussi enivrés de la faveur et aussi touchés de son ombre, aussi
délicats sur le "point d'honneur, aussi entêtés de folles amours
aussi occupés de votre plaisir, et, ce qui en est une suite, aussi
durs à la misère des autres, aussi jaloux en secret du progrès de
ceux que vous trouvez à propos de caresser en public, aussi prêts
à sacrifier votre conscience à quelque grand intérêt , après l'avoir
défendue, peut-être pour la montre et pour l'apparence, dans des
intérêts médiocres? Avouons la vérité: faibles Chrétiens, ou liber-
tins déclarés, nous marchons également dans les voies de perdi-
tion, et tous ensemble nous renonçons par notre conduite à l'es-
pérance de la vie future.
Venez , venez, Chrétiens , que je vous parle : cette vie éternelle
qui entre encore si peu dans votre esprit, la désirez-vous du moins?
Est-ce trop demander à des Chrétiens que de vouloir que vous dé-
siriez la vie éternelle ? Mais si vous la désirez , vous l'acquérez par
ce désir en le fortifiant ; et sans tourner davantage, sans fatiguer
votre esprit par une longue suite de raisonnemens, vous avez
dans cet instinct d'immortalité , le témoignage secret de l'éter-
nité pour laquelle vous êtes nés, la preuve qui vous la démontre
le gage du Saint-Esprit qui vous en assure, et le moyen infaillible
de la recouvrer. Dites seulement avec David, David, un homme
comme vous; mais un homme assis sur le trône et environné de
plaisirs , mais un roi victorieux et comblé de gloire ; dites seulement
avec lui: « Mon bien , c'est de m'attachera Dieu»: Mihi autem
adhœrere Deo bonum est 1 ; un trône est caduc, la grandeur s'en-
vole, la gloire n'est qu'une fumée, la vie n'est qu'un songe; «mon
«bien , c'est d'avoir mon Dieu, c'est de m'y tenir attaché»- et encore •
« Qu'est-ce que je veux dans le ciel, et qu'est-ce que je vous de-
« mande sur la terre? Vous êtes le Dieu de mon cœur, et mon Dieu
« mon partage éternellement 2 ».
Mais il faut pousser ce désir avec toute la pureté delà nouveauté
chrétienne. Je m'explique : les Juifs, qui n'entendaient pas les mys-
tères de Jésus-Christ, ni, comme parle l'Apôtre,«la vertu de sa ré-
« surrection, et les richesses inestimables du siècle futur 3 » ne lais-
saient pas de préférer Dieu aux fausses divinités: mais ils voulaient
obtenir de lui des félicités temporelles. Moi, Seigneur, je ne veux
1 Pe. «xn, 28. — 3 Ps., 25, 26. —'Philip., m, 10, Heb,
DES PREDICATEURS. 5^~
que vous, mon Dieu, mon partage éternellement; ni dans le ciel
ni dans la terre, je ne veux que vous. Tout ce qui n'est pas éter-
nel, fût-ce une couronne, n'est digne ni de votre libéralité ni de
mon courage; et puisque vous avez voulu que je connusse, faible-
ment à la vérité , eu égard à votre immense grandeur, mais enfin
avec une certitude qui ne me laisse aucun doute, votre éternité
tout entière et votre infinie perfection , j'ai droit de ne me con-
tenter pas d'un moindre objet: je ne veux que vous sur la terre
et je neveux que vous, même dans le ciel; et si vous n'étiez vous-
même le don précieux que vous nous y faites, tout ce que vous y
donnez d'ailleurs avec tant de profusion ne me serait rien. Que si
vous pouvez former ce désir avec un David , avec un saint Paul
avec tant de saints martyrs et tant de saints pénitens, hommes
comme vous, si vous pouvez dire , à leur exemple : Mon Deiu je
vous veux; il est à vous : car ni la bonté de Dieu ne lui permet ja-
mais de se refuser à un cœur qui le désire, qui l'aime; ni une
force majeure ne le peut ravir à qui le possède; ni il n'est lui-même
un ami changeant que le temps dégoûte. Quoi, mes frères, que , de
cette main bienfaisante, lui-même il arrache ses propres enfans de
ce sein paternel où ils veulent vivre! il n'y a rien qui soit moins de
lui; et de toutes les vérités, la plus certaine , la mieux établie, la plus
immuable, c'est que Dieu ne peut manquer à qui le désire ; et que
nul ne peut perdre Dieu que celui qui s'en éloigne le premier par
sa propre volonté. Qui ne l'entend pas, c'est un aveugle ; qui le nie
qu'il soit anathème.
Que sentez-vous, Chrétiens, à ces paroles ? saint Paul n'a-til pas
eu raison devons exciter à chercher les choses célestes, puisqu'en
les cherchant vous les acquérez? ses paroles ont-elles piqué votre
cœur du vrai désir delavie?ai-je trouvé en les expliquant ce bien-
heureux fonds que Dieu mit dans votre amepour la rappeler à lui
quand il la fit à son image, que le péché vous avait fait perdre, et
que Jésus-Christ ressuscité vient de renouveler? Car enfin d'où
vous vient cette idée d'immortalité ? d'où vous en vient le désir
si ce n'est de Dieu? N'est-ce pas le père de tous les esprits, qui sol-
licite le vôtre de s'unir au sien, pour y trouver la vraie vie? peut-il
ne pas contenter un désir qu'il inspire? et ne veut-il que nous
tourmenter par une vue stérile d'immortalité? Ah ! je ne m'étonne
pas si nous ne sentons rien d'immortel en nous: nous ne désirons
même pas l'immortalité; nous cherchons des félicités que le temps
emporte et une fortune qu'un souffle renverse. Ainsi, étant nés
pour l'éternité, nous nous mettons volontairement sous le joug
_- 35.
548 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
du temps, qui brise et ravage tout par son invincible rapidité ; et
la mort, que nous cherchons par tous nos désirs, puisque nousne
désirons rien que de mortel, nous domine de toutes parts: Sursum
corda, sursum corda : « Le cœur en haut, le cœur en haut: » Quœ
sursum sunt quœrite : « Cherchez ce qui est en haut : » c'est là que
Jésus-Christ est assis à la droite de son père; c'est de là qu'il vous
envoie ce désir d'immortalité; et c'est là qu'il vous attend pour le
satisfaire. Voilà l'abrégé de la loi nouvelle; voilà cette loi qui ne
change plus, parce qu'elle a l'éternité pour objet; et c'est là uni-
quement que nous devons tendre.
Mais, en marchant dans cette voie, apprenons de saint Augus-
tin qu'elle exclut trois sortes de personnes. « Elle exclut première-
« ment ceux qui s'égarent ; » et qui, las d'une vie réglée, qu'ils trou-
vent trop unie et trop contraignante, se jettent dans les voies d'ini-
quité, où une riante diversité égaie les passions et les sens. « Elle
« exclut, en second lieu, ceux qui retournent en arrière, et qui
«sans sortir de la voie, abandonnent les pratiques de piété qu'ils
«'avaient embrassées; elle exclut enfin ceux qui s'arrêtent, et qui
« croyant avoir assez fait, ne songent pas à s'avancer dans la ver-
tu 1.» Ceux qui sortent de la voie des commandemens , après y
être rentrés par la pénitence, et qui retombent dans leurs premiers
crimes; hélas! c'est le plus grand nombre: c'est à eux que je dois
parler à la fin de ce discours; et plût à Dieu que je leur parle avec
cette voix de tonnerre que Dieu donne aux prédicateurs, quand
il veut briser les rochers et fendre les cœurs de pierre.
Mais je ne vous oublierai pas, ô petit nombre choisi de Dieu-
vous, mes frères, qui, fidèles à la pénitence, craignez de rentrer
dans les voies de perdition , où vous avez autrefois marché avec
une si aveugle confiance , vous avez encore deux choses à crain-
dre ; apprenez-les de Jésus-Christ même : l'une , de retourner en
arrière; et l'autre, de vous arrêter un seul moment. Vous faites
un pas en arrière lorsque, sans retourner au péché mortel, vous
vous relâchez de l'attention que vous aviez sur vous-mêmes, que
vous prodiguez le temps que vous ménagiez; que vous ôtez à la
piété ses meilleures heures : et vous, lorsque, tentée de relever par
quelque parure cette modestie qui commence à vous paraître trop
nue, vous vous dégoûtez de cette sainte simplicité que vous re«-ar-
diez auparavant comme la vraie marque de la pudeur; sans jamais
vouloir songer à cette parole de Jésus-Christ , qui foudroie votre
Sermon de Cantiç. novo, n* 4, tom. vi, col. 592.
DES PRÉDICATEURS. 54p
négligence: « Celui qui met la main à la charrue, » qui commence
à cultiver son ame comme une terre fertile, « et qui retourne en
« arrière, » qui se relâche des saintes pratiques qu'il avait choisies,;
que prononce le Fils de Dieu ? quoi! peut-être qu'il n'atteindra pas
à la perfection? non, Messieurs, sa sentence est bien plus terri-
ble : « Il n'est pas propre, dit -il, au royaume de Dieu1, » et il n'a
que faire d'y prétendre: c'est Jésus-Christ qui le dit ; croyez donc
à sa parole et tremblez. ( Bossuet, Ve Sermon pour le jour de Pâ-
ques. )
L'immortalité de Tarne est la plus douce de nos espérances.
Que faites-vous; disait saint Ambroise aux impies de son temps?
quelle étrange fureur vous anime? quel peut être le but de vos en-
seignemens funestes? Quand même il serait vrai que l'avenir n'est
qu'un songe, c'est un songe qui nous console, c'est une erreur qui
nous est chère ; et malheur au barbare qui se fait un jeu cruel de
nous réveiller î L'argument de ce saint docteur est resté dans toute
sa force. Les impies les plus déterminés sont encore forcés d'avouer
qu'ils devraient trembler de détruire en nous cette espérance sa-
lutaire qui nous fournit les plus puissans remèdes contre les mi-
sères de la vie, les plus douces consolations contre les horreurs
de la mort: deux idées simples qui nous feront conclure avec l'Apô-
tre qu'il faut se réjouir dans l'espérance, spe gaudentes1.
Que l'homme soit malheureux ! hélas! que vais-je faire,
Chrétiens? Emportés tous tant que nous sommes dans un même
torrent de misères, vous donnerai-je ici le spectacle, aussi triste
que vain, de m'amuser aies dépeindre? Jetez les yeux de toutes
parts , partout vous trouverez des hommes qui ne savent que se
plaindre. Je ne sais quel cri puissant de notre déplorable condi-
tion domine tous les bruyans éclats , et paraît seul se faire enten-
dre dans le tumulte de la joie mondaine. Contentes de leur sort,
les brutes coulent en repos des jours tranquilles; hélas! la paix
dont elles jouissent, l'homme ne la connut jamais. Seul, l'homme
se fait peur à lui-même, son propre vide l'effraie; uni avec ses sem-
blables, il ne fait qu'étendre ses misères et participer davantage à
l'infortune générale ; malheureux s'il se fuit , plus malheureux s'il
se retrouve ; inquiet s'il désire, dégoûté s'il obtient; ennemi du re-
pos, incapable de travail; trop faible pour jouir de tout , trop ar^
.' Luc, ix, 62. — 2 Rom., xn, 12.
55o NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
dent pour se contenter de peu ; trop borné dans ses facultés, trop
avide dans ses jouissances, il n'est point pour lui de plus grand
supplice que lui-même. Où fuir, ô mon Dieu, pour échappera ces
maux innombrables ? Mes frères, dans une autre vie. Sauvons-nous
dans le siècle à venir; une meilleure vie nous attend, voilà notre
grand et unique consolateur. Il n'est permis de s'attrister qu'à ceux
qui n'ont point d'espérance. Je suis trop grand , se dit l'homme im-
mortel, pour trouver le repos ici-bas; mon inquiétude devient, en
quelque sorte , ma plus belle vertu : c'est ma noblesse qui me tour-
mente ; cette brûlante activité qui m'agite sans cesse n'est que le
sentiment d'un être qui se voit déplacé sur la terre; les larmes con-
viennent à mon état: larmes précieuses , qu'il est donc grand le pri-
vilège que j'aide les répandre! Elles m'annoncent que ce n'est ici
que mon enfance, elles me disent que le temps n'est pas digne de
moi, elles m'apprennent à me détacher de la vie , elles m'invitent à
chercher un asile dans un autre séjour, elles attestent hautement
les droits que j'ai sur le ciel. Je pleure ; . . . .grand Dieu ! je vous
rends grâces. Que je serais à plaindre si j'étais satisfait! malheur à
moi, si le monde pouvait remplir le vide immense de mon ame! je
ne serais donc né que pour le temps ; je serais donc aussi borné que
la terre , aussi vil que ses chimères : ces riens frivoles , qui nous amu-
sent sans nous remplir, seraient donc mon unique espérance. Mon
espérance ! ah ! elle est toute dans l'immortalité : Reposita est
hœc spes mea in sinu meo 1. . . . Hœc spes ! . . . Saint et précieux es-
poir! il me soutient, il me console; toutes mes autres espérances
ne sont pour moi que des agitations violentes, semblables à des
flots qui repoussent des flots ; celle-ci repose au fond de mon cœur,
et lui apporte un calme inaltérable: Reposita est hœc spes mea in
smu meo. Je le sens, rien ne me contente, rien ne répond à l'ar-
deur toujours renaissante de mes désirs; et voilà mon triomphe.
J'ai donc une autre patrie ; il y a donc une vie plus heureuse , dont
celle-ci n'est qu'un essai, une ébauche imparfaite; il n'y a point de
proportion entre les vains objets qui m'environnent et la capacité
de mon ame, sans doute parce que Dieu se l'est réservée pour la
satisfaire un jour lui-même et la remplir entièrement. (M. de Bou-
logne.)
Que deviendra le monde si l'on ne pense qu'à la vie future ?
Mes frères, il deviendra ce qu'il était dans les beaux jours du
1 Job., xix, 27.
DES PREDICATEURS. 55 1
Christianisme, une société d'hommes laborieux et sages, qui fera
l'admiration du ciel et de la terre. Que deviendra le monde? eh
hien ! puisque vous le voulez, il sera totalement bouleversé; les
fêtes et les spectacles, les yeux et les festins, tous les plaisirs tu-
multueux et vains d'une vie mondaine seront bientôt évanouis ;
le souffle de l'immortalité fera tout à coup disparaître et ces
imposantes chimères, et ces illusions séduisantes, et ces gra-
ves riens, qui occupent un si grand espace dans notre vie. Que
deviendra le monde? voyez plutôt, Chrétiens, ce qu'il est de-
venu : luxe effréné, profusions criminelles, cabales, mépris des
lois , trahisons , extinction de toute pudeur, forfaits inouïs. D'où
nous sont venus et ces excès et ces horreurs, et ces scandales?
Serait-ce donc que nous n'agissons plus, que nous ne vivons plus
que pour une autre vie ? Que deviendra le monde ? eh quoi ! le lieu
de votre exil et de votre pèlerinage vous occupe-t-il si fort ? Cette
terre étrangère, cette terre de Chanaan où nous n'avons, comme
Abraham, que le droit de sépulcre; ce frêle tabernacle qui va être
enlevé comme la tente d'un pasteur, ce vil amas de boue vous in-
téresse-t-il au point d'exciter tant vos inquiétudes? Que deviendra
le monde? mes frères, que vous importe? Déjà, pour la plupart,
vous avez essuyé ses rebuts et ses dédains : il insulte peut-être à
l'empressement que vous avez de lui plaire; il vous fuit, il vous
abandonne ; ses modes ne sont plus pour vous que des ridicules ;
vos divertissemens, on les appelle vos folies. Vous craignez de vous
voir; mais un monde malin remarque vos rides et compte vos an-
nées ; vos goûts s'émoussent , vos facultés s'altèrent ; vos sens sont
déjà morts; vous n'êtes plus qu'un reste de vous-mêmes, vous ne
faites plus qu'achever de mourir; et vous osez encore vous in-
quiéter de ce que deviendra le monde ! Insensés ! encore une fois
que vous importe ?
Déjà il fond, il croule sous vos pieds , il tombe , il dépérit cha-
que jour : je n'aperçois partout que des débris, je ne vis que parmi
des mourans, j'erre dans un vaste tombeau ; mes frères, hâtez-
vous d'en sortir; que chacun songe à le quitter de peur d'être
accablé sous ses ruines; mes frères, sauvez-vous du naufrage. Déjà
ce monde est la proie des flammes ; je vois les élémens dissous par
la chaleur, les cieux qui passent avec le bruit d'une tempête, une
lueur mourante qui n'éclaire plus que des monceaux de cendre...
Osez vous élancer dans le sein de l'immortalité; de là, jetez les
yeux sur cet incendie général; cherchez encore, si vous le pou-
vez, l'espace qu'occupa l'univers; et après n'y avoir rencontré que
552 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
la nuit et le silence, que le chaos et le néant, demandez-nous en-
core que deviendra le monde. Que deviendra le inonde? et moi,
je vous demande avec la vérité éternelle : Que sert h V homme de
gagner l'univers , s'il vient à perdre son ame 1 ? et moi , je vous dis :
Insensé, on vous redemandera votre ame cette nuit 2; et moi, je
vous annonce que, pour un homme immortel, une seule chose est
nécessaire 5 ; et moi , je n'ai d'autre réponse que ces paroles de
l'Ecriture : Sauvez votre ame : Salva animam tuam * ; et moi , je
m'écrie : Néant, néant, et néant sur toutes les créatures * vanité
des vanités, tout nest que vanité 5. (Le même.)
Nous sommes immortels, il ne faut donc que savoir mourir.
Infortuné! s'écrie-t-il avec l'Apôtre 6, qui me délivrera de ce corps
de mort? O mon ame! quand verras-tu la fin de ta course pénible?
quand seront déployées tes facultés immenses ? quand jouiras-tu
du pouvoir d'aimer sans mesure? Sainte Jérusalem, dont on m'a
raconté tant de choses grandes et ineffables, quand verrai-je tes
murs sacrés et tes portes brillantes? Ah! bientôt arrivera cette
heure fortunée, hientôt seront brisés mes tristes fers, bientôt
mes faibles yeux pourront fixer le soleil de justice; oui, bientôt.
Terre, vil et triste cachot, masse impure et grossière, c'en est
fait, je te quitte pour m'élancer dans les pures régions de la vie;
encore un pas et je respire. O mort! je te rends grâces, tu ne
troubles pas mes desseins, mais tu les accomplis,* tu n'interromps
pas mon ouvrage, mais tu le perfectionnes* et que m'importent
mes dépouilles mortelles, si j'emporte avec moi tout ce qui sent,
tout ce qui aime ? Jusqu'à présent j'ai sommeillé, l'instant de mon
réveil approche* j'entends mon Sauveur qui m'appelle, je le sens,
3e le vois. O lumière! ô amour! ô vérité ! ô bonheur de Dieu même!
Mon ame pourra-t-elle y suffire? Que de nouveaux prodiges se
déploient devant moi! Plus de doutes qui me tourmentent, plus
de préjugés qui m'égarent, plus de passions qui m'humilient, plus
de péchés qui me souillent. Grand Dieu ! est-ce donc là ce que les
hommes appellent mourir?
Et vous, Chrétiens, qui, jouissant de la même espérance, vou-
driez encore cependant que votre règne fut de ce monde, que vous
dirai-je? comment vous nommerai-je? Hélas! puisque vous le
1 Malth., xvi, 26. — a Luc. , xn, 20. — Mbid., x, 42. — * Gènes., xix, 17. — .
s Eccles., i, 2. — c Ro»i., Vu, 24.
DES PRÉDICATEURS. 553
voulez, vous seriez dignes de rester sur la terre, cœurs lâches et
rampans, et vous vous plaisez encore dans ce honteux séjour! et
vous voudriez y prendre des racines profondes, et il faut qu'on
vous en arrache comme par violence, et ce n'est qu'en pleurant
que vous voyez tomber vos chaînes, et la mort est pour vous le
dernier des malheurs, et vous ne désirez que de vous enfoncer
bien avant dans la vie; et bien loin d'éprouver le sublime besoin
de sortir de ce monde, vous vous traînez lentement et à regret vers
cette terre des vivans où vous attendent les véritables biens! Nous
sommes immortels : ah! mourons donc, mes chers frères, et mou-
rons tous les jours; mourons à nos sens et à nous-mêmes, mou-
rons au monde et à nos passions, mourons pour voir Dieu face à
face, mourons pour être délivrés de cette chair de péché, mourons
pour jouir de la lumière et de la vérité, mourons pour vivre à
jamais, mourons...,. Nous sommes immortels, il ne faut donc que
savoir mourir.
Eh quoi! l'on aura vu des païens attendris, animés par les dis-
cours de Platon sur l'immoralité de l'ame, se donner eux-mêmes la
mort pour terminer des jours qui retardaient à leurs yeux le terme
de leur délivrance, et nous, mes frères, nous, enfans de la foi, nous
à qui sont réservées les promesses de la vie à venir, nous écou-
tons ce qu'on nous dit d'une autre vie avec aussi peu d'intérêt que
s'il ne s'agissait que d'un beau rêve. Ah! il n'est point ici ques-
tion de se donner la mort , mais de la désirer, mais de la méditer,
mais de conclure sagement. Nous sommes immortels, il ne faut
donc que savoir mourir. (Le même.)
Péroraison.
O mon Dieu! un si grand intérêt n'est-il donc pas assez sérieux
pour mériter qu'on y pense ? Mes frères, il n'y a que deux mondes,
celui du temps et celui de l'éternité; ceux qui s'inquiètent tant du
premier ne sont pas dignes du second : vous n'avez qu'à choisir;
les discussions sont inutiles, il faut prendre un parti. Que vois-je
donc, Chrétiens? hésiteriez-vous encore? eh quoi! serait-il vrai
que je vous parle un langage barbare ? la morale que je vous prêche
est-elle trop sublime pour vos sens? Si j'invectivais en ce moment
contre mon siècle, si je faisais ici la peinture piquante de vos
mœurs, vous sortiriez peut-être de votre pesante léthargie, parce
que ce discours serait moins pour vous une instruction qu'un
spectacle; mais quand je vous entretiens de la vie future, quand je
554 NOUVELLE BIBLIOTHÉQUB
m'efforce de vous transporter dans le siècle à venir, dans la Cité
permanente, je parais vous parler une langue étrangère. Cepen-
dant le temps presse : si nous osons encore balancer, ô mon Dieu!
que sera-ce de nous? Tonnez donc, Seigneur; suppléez à mon
impuissance ; frappez vous-même ce grand coup qui nous réveille
de notre assoupissement, et faites-nous comprendre que rien n'est
plus digne de nous occuper sur la terre, que vous, ô mon Dieu,
notre aine et son immortalité. Ainsi soit-il. (Le même.)
DES PREDICATEURS. $*&
PLAN ET OBJET DU TROISIÈME DISCOURS
SUR LIMMORTALITÉ DE LAME. .
EXORDE.
Ibunt hi in suppiicium œternam, justi autem in vitam œternam.
Ceux-ci iront dans le supplice éternel, et les justes iront dans la vie éternelle. (Mallh. ,
25, 46.)
Voilà, mes frères, à quoi se termineront enfin les désirs , les es-
pérances , les conseils et les entreprises des hommes : voilà ou
viendront enfin échouer les vaines réflexions des sages et des es-
prits forts, les doutes et les incertitudes éternelles des incrédules,
les vastes projets des conquérans , les monumens de la gloire hu-
maine, les soins de l'ambition , les distinctions des talens , les in-
quiétudes de la fortune, la prospérité des empires, et toutes les
révolutions frivoles de la terre. Tel sera le dénoûment redouta-
ble qui nous développera enfin les mystères de la Providence sur
les diverses destinées des enfans d'Adam, et qui justifiera sa con-
duite dans le gouvernement de l'univers. Cette vie n'est donc
qu'un instant rapide, et le commencement d'un avenir éternel.
Des tourmens qui ne finiront plus, ou les délices d'une félicite
immortelle , partageront enfin le sort de tous les hommes ; et l'une
de ces deux destinées doit être la nôtre.
Cependant l'image de ce grand spectacle, qui avait pu autrefois
effrayer la férocité des tyrans , ébranler la fermeté des philoso-
phes , troubler la mollesse et les voluptés des Césars , adoucir les
peuples les plus barbares , former tant de martyrs, peupler les dé-
serts, et soumettre tout l'univers au joug de la Croix ; cette image
si effrayante n'est presque plus destinée aujourd'hui qu'à alarmer
la timidité du simple peuple : ces grands objets sont devenus des
peintures vulgaires qu'on n'ose presque plus exposer à la fausse
délicatesse des puissans et des sages du monde; et tout le fruit
que nous retirons d'ordinaire de ces sortes de discours, c'est de
faire demander, au sortir de là, si tout se passera comme nous l'a-
vons dit.
Car> mes frères , nous vivons dans des temps où la foi de plu-
0
556 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
sieurs a fait naufrage; où une affreuse philosophie, comme un ve-j
nin mortel, se répand en secret, et entreprend de justifier les abo-l
minations et les vices contre la foi des peines et des récompenses
futures. Cette plaie a passé des palais des grands jusque dans le
peuple; et partout la piété des justes est blessée par les discours
de l'irréligion et les maximes du libertinage. - ,
Et certes, mes frères, je ne suis pas surpris que des hommes
dissolus doutent d'un avenir, et tâchent de combattre ou d'affai-
blir une vérité si capable de troubler leurs voluptés criminelles. Il
est affreux d'attendre un malheur éternel. Le monde n'a point de
plaisir à l'épreuve d'une pensée si funeste : aussi le monde a de
tout temps essayé de l'effacer du cœur et de l'esprit des hommes :
il sent bien que la foi d'un avenir est un frein incommode aux
passions humaines, et qu'il ne réussira jamais à faire des volup-
tueux tranquilles et déterminés qu'il n'en ait fait auparavant des
incrédules.
Otons donc, mes frères, à la corruption du cœur humain un ap-
pui si monstrueux et si fragile : prouvons aux âmes dissolues
qu'elles survivront à leurs désordres ; que tout ne meurt pas avec
le corps ; que cette vie finira leurs crimes, mais non par leurs mal-
heurs; et, pour mieux confondre l'impiété, attaquons-la dans les
vains prétextes sur lesquels elle s'appuie.
Premièrement, qui sait, nous dit l'impie, si tout ne meurt pas
avec nous? Cette autre vie dont on nous parle est-elle bien sûre?
Qui en est revenu pour nous dire ce qui s'y passe?
Secondement, est-il digne de la grandeur de Dieu, disent-ils en-
core, de s'abaisser à ce qui se passe parmi les hommes? que lui
importe que des vers de terre comme nous s'égorgent, se trom-
pent, se déchirent, vivent dans les plaisirs ou dans la tempérance?
n'est-ce pas un orgueil à l'homme de croire qu'un Dieu si grand
s'occupe de lui ?
Enfin, quelle apparence, ajoutent-ils, que Dieu ayant fait naître
l'homme tel qu'il est, il punisse comme des crimes des penchans
de plaisir que nous trouvons en nous, et que la nature nous a don-
nés ? Voilà toute la philosophie des âmes voluptueuses ; l'incerti-
tude d'un avenir; la grandeur de Dieu qu'une vile créature ne
peut offenser; la faiblesse née avec l'homme, et à qui il serait in-
juste d'en faire un crime.
Prouvons donc d'abord, contre l'incertitude des impies, que la
vérité d'un avenir est justifiée par les plus pures lumières de la rai-
son ; en second lieu , contre l'idée indigne qu'ils se forment de la
DES PRÉDICATEURS. D07
grandeur de Dieu , que cette vérité est justifiée par sa sagesse et
par sa gloire; enfin , contre le prétexte tiré de la faiblesse de
l'homme, qu'elle est justifiée par le jugement même de sa propre
conscience. La certitude d'un avenir, la nécessité d'un avenir, le
sentiment secret d'un avenir : voilà tout mon discours.
0 Dieu ! ne regardez pas l'outrage que les blasphèmes de l'im-
piété font à votre gloire ; regardez seulement, et voyez de quoi la
raison, que vous n'éclairez plus, est capable. Reconnaissez dans
les égaremens monstrueux de l'esprit humain toute la sévérité de
votre justice, lorsqu'elle l'abandonne, afin que plus j'exposerai ici
les blasphèmes insensés de l'impie, plus il devienne à vos yeux un
objet digne de votre pitié et des richesses de votre miséricorde.
(Massillon, Vérité d'un avenir.)
Certitude d'un avenir.
Il est triste sans doute d'avoir à justifier devant des fidèles la
vérité la plus consolante de la foi ; de venir prouver à des hommes
à qui l'on a annoncé Jésus-Christ que leur être n'est pas un as-
semblage bizarre et le triste fruit du hasard; qu'un ouvrier sage
et tout-puissant a présidé a noire formation et à notre naissance;
qu'un souffle d'immortalité anime notre boue; qu'une portion de
nous-mêmes nous survivra , et qu'au sortir de cette maison terres-
tre notre ame retournera dans le sein de Dieu, d'où elle était sor-
tie, et ira habiter la région éternelle des vivans , où il sera rendu à
chacun selon ses œuvres.
C'est par cette vérité que Paul commença d'annoncer la foi de-
vant l'Aréopage. Nous sommes la race immortelle de Dieu, disait-
1 à cette assemblée de sages, et il a établi un jour pour juger l'uni-
vers1.C'est par là que les hommes apostoliques jetèrent les premiers
Pondemens de la doctrine du salut parmi les nations infidèles et
corrompues. Mais pour nous, mes frères, qui arrivons à la fin des
siècles, après que la plénitude des nations est entrée dans l'Eglise;
:jue tout l'univers a cru; que tous les mystères ont été éclaircis,
toutes les prophéties accomplies, Jésus-Christ glorifié, la voie du
ciel ouverte et frayée : nous qui paraissons dans les derniers temps,
pu le jour du Seigneur est bien plus proche que lorsque nos pè-
res crurent; hélas! quel devrait être notre ministère, sinon de dis-
30ser les fidèles à cette grande attente , et de leur apprendre à se
1 Act., 17, 29, 31.
,
558 NOUVELLE BIBMOTHÈQUB
tenir prêts pour paraître^devant Jésus-Christ, qui vavenir, loin cle
combattre encore ces maximes monstrueuses et insensées que la
première prédication de l'Evangile avait effacées de l'univers !
L'incertitude prétendue d'un avenir est donc le premier fonde-
ment de la sécurité des âmes incrédules. On ne sait ce qui se passe
dans cet autre monde dont on nous parle, disent-ils -r aucun des
morts n'en est revenu pour nous le dire; peut-être n'y a-t-il rien
au delà du trépas ; jouissons donc du présent, et laissons au hasard
un avenir, ou qui n'est point , ou du moins qu'on ne veut pas que
nous connaissions.
Or, je dis que cette incertitude est suspecte dans le principe
qui la produit, insensée dans les raisons sur lesquelles elle s'ap-
puie, affreuse dans ses conséquences; ne me refusez pas votre at-
tention.
Suspecte dans le principe qui la produit. Car, mes frères, corn- [
ment s'est formée dans l'esprit de l'impie cette incertitude sur la-
venir? Il n'y a qu'à remonter à l'origine d'une opinion pour sa-
voir si les intérêts^de la vérité ou des passions l'ont établie sur lai
terre.
L'impie porta en naissant les principes de religion naturelle I
qu on ne peut ^aoouuiun ^* »*»v,»..v. , * ^vcuvuwvsu xuuma Lca seim-
mens de la nature ; on lui apprit à connaître un Dieu, à l'aimer,
à le craindre ; on lui montra la vertu dans les règles : on la lui
rendit aimable dans les exemples , et quoiqu'il trouvât en lui des
penchans opposés au devoir, lorsqu'il lui arrivait de s'y laisser era-l
porter, son cœur prenait en secret le parti de la vertu contre saj
propre faiblesse.
Ainsi vécut d'abord l'impie sur la terre : il adora avec le reste
des hommes un Être suprême ; il respecta ses lois ; il redouta ses
châtimens ; il attendit ses promesses. D'où vient donc qu'il n'a
plus connu de Dieu; que les crimes lui ont paru des polices hu-
maines, l'enfer un préjugé, l'avenir une chimère, lame un souffle
qui s'éteint avec le corps? Par quel degré est-il parvenu à ces con-
naissances si nouvelles et si surprenantes ? par quelles voies a-t-il
pu réussir à se défaire de ses anciens préjugés si établis parmi les
hommes, et si conformes aux sentimens de son cœur et aux lumiè-
res de sa raison? A-t-il examiné? a-t-il consulté? a-t-il pris toutes
les précautions sérieuses que demandait l'affaire la plus importante
de sa vie? s'est-il retiré du commerce des hommes pour laisser
Si)
ï<
\>
DES PRÉDICATEURS. 55p,
plus de loisir aux réflexions et à l'étude ? a-t-il purifié son cœur,
de peur que les passions ne lui fissent prendre le change ? De quel-
les attentions n'a-t-on pas besoin, pour revenir des premiers sen-
timens dont lame avait été d'abord imbue ?
Ecoutez-le, mes frères, et adorez ici la justice de Dieu sur ces
hommes corrompus qu'il livre à la vanité de leurs pensées. A me-
sure que ses mœurs se sont déréglées, les règles lui ont paru sus-
pectes ; à mesure qu'il s'est abruti, il a tâché de se persuader que
l'homme était semblable à la bête. Il n'est devenu impie qu'en se
fermant toutes les voies qui pouvaient le conduire à la vérité; en
ne se faisant plus de la religion une affaire sérieuse ; en ne l'exami-
nant que pour la déshonorer par des blasphèmes et des plaisante-
ries sacrilèges ; il n'est devenu impie qu'en cherchant à s'endurcir
contre les cris de sa conscience et se livrant aux plus infâmes vo-
luptés. C'est par cette voie qu'il est parvenu aux connaissances ra-
res et sublimes de l'incrédulité : c'est à ces grands efforts qu'il
doit la découverte d'une vérité que le reste des hommes jusqu'à
lui avait ou ignorée ou détestée.
Voilà la source de toute incrédulité; le dérèglement du cœur.
Oui, mes frères, trouvez-moi, si vous le pouvez, des hommes sa-
ges, véritables, chastes, réglés, tempérans, qui ne croient point de
Dieu, qui n'attendent point d'avenir, qui regardent les adultères,
les abominations , les incestes , comme les penchans et les jeux
d'une nature innocente. Si le monde a vu des impies qui ont paru
sages et tempérans, c'était, ou qu'ils cachaient mieux leurs désor-
dres , pour donner plus de crédit à leur impiété ; ou la satiété du
plaisir qui les avait menés à cette fausse tempérance ; la débauche
avait été la première source de leur irréligion : leur cœur était
corrompu avant que leur foi fît naufrage ; ils avaient intérêt de
croire que tout meurt avec le corps, avant que d'être parvenus à
se le persuader; et un long usage du plaisir avait bien pu les dé-
goûter du crime, mais non pas leur rendre la vertu plus aimable.
Quelle consolation pour nous , mes frères, qui croyons, qu'il
faille renoncer aux mœurs , à la probité, à la pudeur, à tous les
sentimens de l'humanité, avant que de renoncer à la foi , et n'être
plus homme pour n'être plus Chrétien !
Voilà donc l'incertitude de l'impie déjà suspecte dans son prin-
cipe ; mais, en second lieu , elle est insensée dans les raisons sur
lesquelles elle s'appuie.
Car, mes frères, pour prendre le parti étonnant de ne rien
croire ? et d'être tranquille sur tout ce qu'on nous dit d'un avenir
56o NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
éternel, il faudrait sans doute des raisons bien décisives et bien
convaincantes. Il n'est pas naturel que l'homme hasarde un intérêt
aussi sérieux que celui de son éternité, sur des preuves légères et
frivoles; encore moins naturel qu'il abandonne là-dessus les sen-
timens communs, la foi de ses pères, la religion de tous les siècles,
le consentement de tous les peuples , les préjugés de son éduca-
tion, s'il n'y a été comme forcé par l'évidence de la vérité. A moins
que l'impie ne soit bien sûr que tout meurt avec le corps, rien
n'approche de sa fureur et de son extravagance. Or, en est-il bien
assuré? Quelles sont les grandes raisons qui l'ont déterminé à
prendre ce parti affreux? On ne sait, dit-il, ce qui se passe dans
cet autre monde dont on nous parle; le juste meurt comme l'im-
pie, l'homme comme la bête; et nul ne revient pour nous dire
lequel des deux avait eu tort. Pressez encore , et vous serez effrayé
de voir la faiblesse de l'incrédulité; des discours vagues, des dou-
tes usés, des incertitudes éternelles, des suppositions chimériques,
sur lesquels on ne voudrait pas risquer le malheur ou le bonheur
d'un seul de ses jours , et sur lesquels on hasarde une éternité
tout entière.
Voilà les raisons insurmontables que l'impie oppose à la foi de
tout l'univers; voilà cette évidence qui l'emporte dans son esprit
sur tout ce qu'il y a de plus évident et de mieux établi sur la terre.
On ne sait ce qui se passe dans cet autre monde dont on nous
parle! O homme! ouvrez ici les yeux. Un doute seul suffit pour
vous rendre impie, et toutes les preuves de la religion ne peuvent
suffire pour vous rendre fidèle ! vous doutez s'il y a un avenir, et
vous vivez par avance comme s'il n'y en avait point ! Vous n'avez
pour fondement de votre opinion, que votre incertitude, et vous
nous reprochez la foi comme une crédulité populaire !
Mais je vous prie, mes frères , de quel côté est ici la crédulité ?
est-elle du côté de l'impie , ou du côté du fidèle? Le fidèle croit un
avenir sur l'autorité des divines Ecritures, c'est-à-dire le livre,
sans contredit, qui mérite le plus de créance; sur la déposition des
hommes apostoliques, c'est-à-dire de ces hommes justes, simples,
miraculeux, qui ont répandu leur sang pour rendre gloire à la
vérité, et à la doctrine desquels la conversion de l'univers a rendu
un témoignage qui s'élèvera jusqu'à la fin des siècles contre l'impie;
sur l'accomplissement des prophéties, c'est-à-dire le seul carac-
tère de vérité que l'imposture ne peut imiter ; sur la tradition de
tous les siècles, c'est-à-dire sur des faits qui, depuis la naissance
du monde , ont paru certains à tout ce que l'univers a eu de plus
DES tfilivDICATEUUS. 56 1
grands hommes, de justes plus reconnus, de peuples plus sages et
plus polis; en un mot, sur des preuves du moins vraisemblables.
L'impie ne croit point d'avenir sur un simple doute, sur un pur
soupçon. Qui le sait? nous dit-il ; qui en est revenu? il n'a aucune
raison solide, décisive pour combattre la vérité d'un avenir. Car
qu'il la publie, et nous nous y rendrons. Il se défie seulement qu'il
n'y a rien après cette vie, et là-dessus il le croit.
Or, je vous demande, qui est ici le crédule? est-ce celui qui a
pour fondement de sa croyance ce qu'il y a du moins de plus
vraisemblable parmi les hommes et de plus propre à faire impres-
sion sur la raison , ou celui qui s'est déterminé à croire qu'il n'y a
rien sur la faiblesse d'un simple doute? Cependant l'impie croit
faire plus d'usage de sa raison que le fidèle ; il nous regarde comme
des hommes faibles et crédules , et il se considère lui-même comme
un esprit supérieur, élevé au dessus des préjugés vulgaires, et que
la raison seule et non l'opinion publique détermine. O Dieu!
que vous êtes terrible lorsque vous livrez le pécheur à son aveu-
glement, et que vous savez bien tirer votre gloire des efforts mê-
mes que vos ennemis font pour la combattre!
Mais je vais encore plus loin. Quand même, dans le doute que
se forme l'impie sur l'avenir, les choses seraient égales, et que les
vaines incertitudes qui le rendent incrédule balanceraient les vé-
rités solides et évidentes qui nous promettent l'immortalité, je
dis que, dans une égalité même de raisons, il devrait du moins dé-
sirer que le sentiment de la foi sur la nature de nos âmes fût
véritable; un sentiment qui fait tant d'honneur à l'homme, qui
lui apprend que son origine est céleste et ses espérances éter-
nelles ; il devrait souhaiter que la doctrine de l'impiété fût fausse •
une doctrine si triste, si humiliante pour l'homme, qui le confond
avec la bête, qui ne le fait vivre que pour le corps, qui ne lui
donne ni fin, ni destination, ni espérance, qui borne sa destinée
à un petit nombre de jours rapides, inquiets, douloureux, qu'il
passe sur la terre : toutes choses égales , une raison née avec quel-
que élévation aimerait encore mieux se tromper en se faisant hon-
neur qu'en se déclarant pour un parti si ignominieux à son être.
Quelle ame a donc reçue l'impie des mains d'une nature peu fa-
vorable, pour aimer mieux croire, dans une si grande inégalité de
raisons, qu il n'est fait que pour la terre, et se regarder avec com-
plaisance, comme un vil assemblage de boue, et le compagnon
du bœuf et du taureau? Que dis-je, mes frères? quel monstre
dans l'univers doit être l'impie, de ne se délier même du senti-
t, i.i. 3G
56*2 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
ment commun que parce qu'il est trop glorieux à sa nature, et
de croire que la vanité toute seule des hommes l'a introduit sur la
terre, et leur a persuadé qu'ils étaient immortels?
Mais non , mes frères ; ces hommes de chair et de sang ont rai-
son de refuser l'honneur que la religion fait à leur nature , et de
se persuader que leur ame est toute de houe, et que tout meurt
avec le corps. Des hommes sensuels , impudiques , efféminés , qui
n'ont plus d'autre frein qu'un instinct brutal ; plus d'autre règle
que l'emportement de leurs désirs; plus d'autre occupation que
de réveiller par de nouveaux artifices la cupidité déjà assouvie ;
des hommes de ce caractère ne doivent pas avoir beaucoup de
peine à croire qu'ils n'ont en eux aucun principe de vie spiri-
tuelle ; que le corps est tout leur être ; et comme ils imitent les
mœurs des bêtes, ils sont pardonnables de s'en attribuer la nature.
Mais qu'ils ne jugent pas de tous les hommes par eux-mêmes; il
est encore sur la terre des âmes chastes, pudiques, tempérantes;
qu'ils ne transportent pas dans la nature les penchans honteux de
leur volonté; qu'ils ne dégradent pas l'humanité tout entière,
pour s'être indignement dégradés eux-mêmes; qu'ils cherchent
leurs semblables parmi les hommes ; et se trouvant presque seuls
dans l'univers , ils verront qu'ils sont plutôt les monstres que les
ouvrages ordinaires de la nature.
D'ailleurs, non seulement l'impie est insensé, parce que dans
une égalité même de raison son cœur et sa gloire devraient le dé-
cider en faveur de la foi, mais encore son propre intérêt. Car, mes
frères, on la déjà dit : que risque l'impie en croyant? quelle suite
fâcheuse aura sa crédulité , s'il se trompe ? il vivra avec honneur,
avec probité, avec innocence ; il sera doux , affable , juste, sincère,
religieux, ami généreux, époux fidèle, maître équitable; il modé-
rera des passions qui auraient fait tous les malheurs de sa vie ; il
s'abstiendra des plaisirs et des excès qui lui eussent préparé une
vieillesse douloureuse ou une fortune dérangée; il jouira de la
réputation de la vertu et de l'estime des peuples; voilà ce qu'il
risque. Quand tout finirait avec cette vie , ce serait là le seul se-
cret de la passer heureuse et tranquille; voilà le seul inconvénient
que j'y trouve. S'il n'y a point de récompense éternelle, qu'aura-
t-il perdu en l'attendant? il a perdu quelques plaisirs sensuels et
rapides, qui l'auraient bientôt ou lassé par le dégoût qui les suit,
ou tyrannisé par les nouveaux désirs qu'ils allument : il a perdu
l'affreuse satisfaction d'être , pour l'instant qu'il a paru sur la terre,
cruel, dénaturé, voluptueux, sans foi, sans mœurs, sans con-
DES PRÉDICATEURS. 563
science, méprisé peut-être, et déshonoré au milieu de son peuple.
Je n'y vois pas de plus grand malheur ; il retombe dans le néant,
et son erreur n'a point d'autre suite.
Mais s'il y a un avenir, mais s'il se trompe en refusant de le
croire, que ne risque-t-il pas? la perte des biens éternels, la pos-
session de votre gloire, ô mon Dieu! qui devait le rendre à jamais
heureux. Mais ce n'est là même que le commencement de ses mal-
heurs ; il va trouver des ardeurs dévorantes, un supplice sans fin
et sans mesure, une éternité d'horreur et de rage. Or, comparez
ces deux destinées; quel parti prendra ici l'impie ? Risquera-t-il la
courte durée de quelques jours ? risquera-t-il une éternité tout
entière? s'en tiendra-t-il au présent, qui doit finir demain, et où il
ne saurait même être heureux? craindra-t-il un avenir qui n'a plus
d'autres bornes que l'éternité, et qui ne doit finir qu'avec Dieu
même? Quel est l'homme sage qui, dans une incertitude même
égale, osât ici balancer ? et quel nom donnerons-nous à l'impie
qui, n'ayant pour lui que des doutes frivoles, et voyant du côté de
la foi l'autorité, les exemples, la prescription , la raison, la voix
de tous les siècles , le monde entier, prend seul le parti affreux de
ne point croire; meurt tranquille, comme s'il ne devait plus vivre;
laisse sa destinée éternelle entre les mains du hasard, et va tenter
mollement un si grand événement? O Dieu! est-ce donc là unhomme
conduit par une raison tranquille, ou un furieux qui n'attend plus
de ressource que de son désespoir? L'incertitude de l'impie estdonc
insensée dans les raisons sur lesquelles elle s'appuie.
Mais, en dernier lieu, elle est encore affreuse dans ses consé-
quences. Et ici souffrez que je laisse les grandes raisons de doc
trine : je ne veux parler qu'à la conscience de l'incrédule, et m'en-
tenir aux preuves du sentiment.
Or, si tout doit finir avec nous, si l'homme ne doit rien attendre
après cette vie, et que ce soit ici notre patrie, notre origine, et la
seule félicité que nous pouvons nous promettre , pourquoi n'y
sommes-nous pas heureux? Si nous ne naissons que pour les plai-
sirs des sens, pourquoi ne peuvent-ils nous satisfaire et laissent-ils
toujours un fonds d'ennui et de tristesse dans notre cœur? Si
l'homme n'a rien au dessus de la bête, que ne coule-t-il ses jours
comme elle, sans souci, sans inquiétude, sans dégoût, sans tris-
tesse dans la félicité des sens et de la chair? Si l'homme n'a
point d'autre bonheur à espérer qu'un bonheur temporel ,
pourquoi ne le trouve-t-il nulle part sur la terre? d'où vient que
les richesses l'inquiètent, que les honneurs le fatiguent, que les
36.
56*4 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
plaisirs le lassent, que les sciences le confondent et irritent sa cu-
riosité loin de la satisfaire, que la réputation le gêne et l'embar-
rasse, que tout cela ensemble ne peut remplir l'immensité de son
cœur, et lui laisse encore quelque chose à désirer? Tous les autres
êtres, contens de leur destinée, paraissent heureux, à leur ma-
nière, dans la situation oii l'auteur de la nature les a placés; les
astres, tranquilles dans le firmament, ne quittent pas leur séjour
pour aller éclairer une autre terre; la terre, réglée dans ses mouve-
mens, ne s'élance pas en haut pour aller prendre leur place; les
animaux rampent dans les campagnes sans envier la destinée de
l'homme, qui habite les villes et les palais somptueux; les oiseaux
se réjouissent dans les airs, sans penser s'il y a des créatures plus
heureuses qu'eux sur la terre; tout est heureux, pour ainsi dire,
tout est à sa place dans la nature : l'homme seul est inquiet et mé-
content, l'homme seul est en proie à ses désirs, se laisse déchirer
par des craintes, trouve son supplice dans ses espérances , devient
triste et malheureux au milieu de ses plaisirs ; l'homme seul ne
rencontre rien ici-bas où son cœur puisse se fixer.
D'où vient cela ? ô homme ! ne serait-ce point parce que vous
êtes ici-bas déplacé, que vous êtes fait pour le ciel, que votre cœur
est plus grand que le monde, que la terre n'est pas votre patrie,
et que tout ce qui n'est pas Dieu n'est rien pour vous ? Répondez
si vous pouvez, ou plutôt interrogez votre cœur, et vous serez
fidèle.
En second lieu, si tout meurt avec le corps, qui est-ce qui
a pu persuader à tous les hommes, de tous les siècles et de tous
les pays, que leur ame était immortelle ? d'où a pu venir au genre
humain cette idée étrange d'immortalité ? Un sentiment si éloigné
delà nature de l'homme, puisqu'il ne serait né que pourles fonc-
tions des sens, aurait'il pu prévaloir sur la terre ? Car si l'homme
comme la bête n'est fait que pour le temps, rien ne doit être plus
incompréhensible pour lui que la seule idée d'immortalité. Des
machines pétries de boue, qui ne devraient vivre et n'avoir pour
objet qu'une félicité sensuelle, auraient-elles jamais pu ou se don-
ner ou trouver en elles-mêmes de si nobles sentimens et des idées
si sublimes? Cependant cette idée si extraordinaire est devenue
l'idée de tous les hommes ; cette idée, si opposée même aux sens,
puisque l'homme, comme la bête, meurt tout entier à nos yeux,
s'est établie sur toute la terre ; ce sentiment, qui n'aurait pas du
même trouver un inventeur dans l'univers, a trouvé une docilité
universelle parmi tous les peuples ; les plus sauvages comme les
DES PRÉDICATEURS. 565
plus cultivés, les plus polis comme les plus grossiers, les plus infi-
dèles comme les plus soumis à la foi. ( Le même. )
Immortalité de lame puisée dans la considération de ses sentimens qui sont communs
à tous les hommes.
Oui, nous avons dans nous je ne sais quel présage et quel pres-
sentiment d'une vie à venir. Pourquoi, en effet, cette envie secrète
de nous survivre à nous-mêmes , d'éterniser notre nom dans la
mémoire de nos semblables? Le villageois l'éprouve comme le sa-
vant et comme le guerrier. Le savant veut aller à l'immortalité par
ses ouvrages, le guerrier par ses exploits, et le villageois voudrait
vivre du moins dans le souvenir de ses enfans; il s'afflige de l'idée
que bientôt il pourra bien en être oublié; il voudrait pouvoir atta-
cher son nom au bâtiment qu'il acbève, à l'arbre qu'il a planté, au
terrain ingrat qu'il a su rendre fertile. Mais voyez surtout dans
les hommes fameux cet amour immense de célébrité qui s'étend
dans la postérité la plus reculée, et se repaît de la pensée que
leurs grandes et belles actions feront l'entretien de tous les âges :
pourquoi cela, s'ils n'étaient préoccupés de je ne sais quel espoir
de jouir eux-mêmes de leur gloire dans les siècles futurs ?
Dans tous les temps on a préconisé et avec raison le dévoû-
ment de ceux qui savaient mourir pour leur patrie; et si l'ame est
immortelle, je conçois très bien comment on peut sacrifier la vie
présente; mais, si tout se borne au tombeau, l'existence actuelle
est le bien suprême. La vie est d'un prixinfini comparée au néant;
vivre serait donc la souveraine loi ; mourir pour ses semblables serait
une inconséquence. Oui, l'homme n'affronte la mort que parce
qu'il y voit le passage à une seconde vie. Ici le sentiment entraîne
la raison , même dans celui qui serait matérialiste d'opinion. En
mourant pour votre pays, vous aspirez à la gloire, lui dirai-je; mais
si après la mort vous n'êtes pas plus que la statue ou la toile peinle
qui pourra vous représenter, que vous importent les chants du
poète, les éloges de l'orateur ou les récits de l'histoire? Caton ,
qui n'était pas animé par ces motifs purs que le Christianisme in-
spire, était de bonne foi quand il disait : « Je n'eusse jamais entre-
« pris tant de travaux civils et militaires si j'avais cru que ma gloire
« dût finir avec ma vie... Mais je ne sais comment mon esprit, en
« s' élevant au dessus de lui-même, semblait croire que c'était en
« sortant de cette vie qu'il commençait de vivre. » Voilà, Messieurs,
comme dans les hommes Célèbres cet amour dont ils étaient pos-
566 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
sédés avait sa racine dans l'espoir secret d'une vie qui devait com-
mencer à la mort. ( M, Frayssinous, Immortalité de Vame.)
Considération en faveur de l'immortalité de l'ame puisée dans ses désirs.
Une troisième considération en faveur de l'immortalité de l'ame ,
je la puise dans ses désirs; je m'explique. Sensible, l'homme désire
le bonheur, et y tend comme vers son dernier terme , et, s'il ne le
trouve pas sur la terre, ne faut-il pas qu'il le trouve dans une vie
meilleure? Donnons à ces idées le développement convenable. Je
vous invite ici, Messieurs , à descendre au fond de vos cœurs, pour
y écouter, dans le silence des sens et de l'imagination, la voix de
la vérité, et chacun de vous dira avec moi: Mon ame éprouve je
ne sais quel désir d'être heureuse que rien de terrestre ne peut
satisfaire. Je cherche avec inquiétude quelque chose que les créa-
tures ne peuvent me donner; je cours après une ombre toujours
poursuivie et toujours fugitive; plus d'une fois je soupire malgré
moi de dégoût et d'ennui; je voudrais un plaisir pur, fixe, perma-
nent; je comprends que le bonheur se trouve dans un cœur dont
tous les désirs sont remplis; mais ce repos où le trouver ? Quel est
le mortel qui jamais l'a goûté sur la terre? qu'il vienne donc nous
en révéler le secret. Au milieu de ses palais superbes, de sesjardins
délicieux, de larichessede ses trésors, de l'éclat de sa gloire, de
l'abondance des plaisirs, Salomon avoue qu'il n'est pas heureux;
et pourquoi ne l'est-il pas? C'est que son oreille ne se rassasie ja-
mais d'entendre, ni son ceil de voir, ni son cœur de désirer. Alexan-
dre a conquis l'univers, la terre s'est tue devant lui. Eh bien!
Alexandre est plutôt fatigué que rassasié de gloire; il soupire, il
pleure au milieu des trophées du monde vaincu. Tibère, dégoûté
delà puissance, va se renfermer dans l'île de Caprée; il cherche dans
le raffinement de la débauche ce qu'il n'a pu trouver dans la gran-
deur. Tibère sera trompé, le bonheur n'habitera pas avec lui dans
le séjour de ses infamies; il sentira sa misère, et sera forcé d'en
faire l'aveu devant le monde entier. Quels exemples mémorables
du néant des choses humaines, et de leur insuffisance pour nous
rendre heureux ! Je les ai rappelés pour nous faire sentir quelle
était l'avidité du cœur humain, et comment sur la terre il se
voyait frustré de ses espérances.
Maintenant je me replie sur moi-même et je me dis : Je désire
d'être heureux ; c'est le besoin le plus impérieux de mon ame, c'est
le penchant nécessaire de ma nature. Ce désir, ce n'est pas moi
DES PRÉDICATEURS. 56^
qui me le suis donné, je ne suis pas le maître de m'en dépouiller, jt»
l'ai reçu de Dieu avec l'être et la vie. Que si Dieu lui-même me l'a
donné, si tel est le but où il me fait tendre sans cesse, ne faut-il
pas que tôt ou tard il m'y fasse parvenir? Serait-il le Dieu de vé-
rité s'il me trompait dansées désirs qu'il m'inspire, s'il me mar-
quait le terme, en me laissant dans l'impuissance de l'atteindre Pet
si ce bonheur pour lequel je sens qu'il m'a fait n'existe pas pour
moi sur la terre, ne faut-il pas que Dieu l'ait placé au delà du tom-
beau? Dans 'la nature entière, tout marche à ses fins: le soleil et
les astres, par leurs mouvemens réguliers, remplissent toute leur
destinée; les animaux remplissent la leur en obéissant àleur instinct
merveilleux. L'homme, dans cette chaîne immense des êtres , se-
rait-il le seul à ne pas remplir la sienne, et la Providence l'aurait-
elle condamné à courir sans cesse après la fin de sa nature sans y
parvenir jamais? Ayons de plus justes, de plus consolantes idées
des desseins du Créateur et de l'excellence de la nature humaine.
(Le Même.)
Immortalité de l'ame prouvée par la croyance universelle du genre humain.
Une quatrième considération , je la tire de la croyance univer-
selle du genre humain. C'est un fait attesté parles annales des peu-
ples anciens et modernes, que la croyance de la vie future a tou-
jours été celle du monde entier. La superstition, les vices, l'ignorance,
ont bien pu la dégrader; les sophistes ont bien pu la combattre;
mais elle est restée toujours dominante au milieu de toutes les
nations de la terre. De longs détails seraient inutiles sur un fait
si bien avéré. Nous allons nous appuyer seulement de quelques
témoignages. Cette doctrine était si universelle dans l'antiquité que
Cicéron ne craignait pas, dans son traité de X Amitié y de faire dire
à Lœlius: « Je ne puis goûter ces novateurs qui avancent, de nos
« jours , que tout finit au tombeau ; je suis bien plus frappé de l'au-
« torité des anciens , de celle de nos ancêtres et de celle des per-
« sonnages illustres qui ont été la gloire et l'ornement de la Grèce,
« et surtout de celui qui fut déclaré le plus sage de tous. »
Dans une de ses épîtres, Sénèque fait observer que, lorsqu'il
s'agit de l'immortalité de nos âmes, le consentement universel des
hommes n'a pas peu d'empire sur nos esprits. Je ne prétends pas
que Cicéron et Sénèque aient été aussi éclairés, aussi fermes dans
leur croyance que le sont les Chrétiens; je n'ai eu d'autre but que
de les citer comme témoins irrécusables de la foi de l'antiquité,
568 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
Dans les auteurs qui ont écrit sur cette matière, vous trouveriez
recueillis les passages les plus positifs sur la foi des peuples anciens,
des Egyptiens , Ghaldéens, Indiens, Grecs, Romains, Gaulois,
Germains. Pour ne parler que des Gaulois, dont l'antique croyance
peut nous intéresser davantage, nous Français, nous apprenons
de César que les Druides animaient le courage des guerriers et les
exhortaient à braver les périls par l'espoir de l'immortalité. C'est
dans ce sentiment, dit encore Lucain, qu'ils puisent l'ardeur im-
pétueuse qui les fait courir à la mort; suivant eux, rien n'est plus
lâche que d'épargner une vie qu'on ne perd pas sans retour. Voyez,
au reste, cette croyance des peuples se manifester jusque dans leurs
superstitions et leurs pratiques les plus ridicules. C'est elle, en effet,
qu'indiquent les apothéoses , les rêveries de la métempsycose,
l'Elysée et le tartare de la mythologie, le jugement de Minos et de
Rhadamante, l'évocation des ombres, la crainte puérile des morts.
Quant aux peuples modernes, il suffit des relations des voyageurs
qui ont visité les diverses parties du globe. La foi de l'immortalité
était dans le Nouveau-Monde avant que Christophe Colomb y
abordât. « Nous la trouvons établie d'un bout de l'Amérique à
«l'autre, en certaines régions plus vague et plus obscure, end'au-
« très plus développée et plus parfaite, mais nulle part inconnue, »
a dit l'illustre Robertson. (Le Même.)
Le doute de l'impie sur la vérité d'un avenir est opposé à l'idée d'un Dieu sage.
Est-il digne de la grandeur de Dieu, dit l'impie, de s'amuser à
ce qui se passe parmi les hommes ; de compter leurs vices ou leurs
vertus; d'étudier jusqu'à leurs pensées et à leurs désirs frivoles et
infinis? les hommes, des vers de terre qui disparaissent sous la
majesté de ses regards, valent-ils la peine qu'il les observe de si
près? et n'est-ce pas penser trop humainement d'un Dieu qu'on
nous fait si grand, que de lui donner une occupation qui ne serait
pas même digne de l'homme?
Mais avant de fairesentir toute l'extravagance de ce blasphème,
remarquez, je vous prie, mes frères, que c'est l'impie lui-même
qui dégrade ici la grandeur de Dieu , et le rend semblable à l'hom-
me. Car Dieu a-t-il besoin d'observer les hommes de près pour
être instruit de leurs actions et de leurs pensées? lui faut-il des
soins et des attentions pourvoir ce qui se passe sur la terre? N'est-
ce pas en lui que nous sommes, que nous vivons, que nous agissons?
et pouvons-nous éviter ses regards, ou peut il lui-même les fer-
DES PRÉDICATEURS. 56o,
mer à nos crimes? Quelle folie donc à l'impie de supposer que ce
qui se passe sur la terre deviendrait un soin et une occupation pour
la Divinité, si elle voulait y prendre garde! Son unique occupa-
tion est de se connaître et de jouir d'elle-même.
Cette réflexion supposée, je réponds premièrement: s'il est de
la grandeur de Dieu délaisser les biens et les maux sans châtiment
et sans récompense, il est donc égal d'être juste, sincère, officieux,
charitable ou cruel , fourbe , perfide, dénaturé : Dieu n'aime donc
pas davantage la vertu , la pudeur, la droiture, la religion quel'ini-
pudicité,la mauvaise foi, l'impiété, le parjure; puisque le juste et
l'impie, le pur et l'impur, auront le même sort, et qu'un anéantis-
sement éternel va bientôt les égaler et les confondre pour toujours
dans l'horreur du tombeau.
Que dis-je, mes frères? Dieu semble même se déclarer ici-bas en
faveur de l'impie contre l'homme de bien ; il élève l'impie comme
le cèdre du Liban; il le combîe d'honneurs et de richesses; il fa-
vorise ses désirs; il facilite ses projets: car les impies sont presque
toujours les heureux de la terre. Au contraire, il semble oublier
le juste; il l'humilie; il l'afflige; il le livre à la calomnie et à la
puissance de ses ennemis; car l'affliction et l'opprobre sont d'ordi-
naire ici-bas le partage des gens de bien. Quel monstre de divinité,
si tout finit avec l'homme, et s'il n'y a point d'autres maux et d'au-
tres biens à espérer que ceux de cette vie! Est-elle donc la pro-
tectrice des adultères , des sacrilèges , des crimes les plus affreux ;
la persécutrice de l'innocence , de la pudeur , de la piété, des vertus
les plus pures? Ses faveurs sont donc le prix du crime, et ses châ-
timens la seule récompense de la vertu! Quel Dieu de ténèbres, de
faiblesse, de confusion et d'iniquité se forme l'impie!
Quoi ! mes frères , il serait de sa grandeur de laisser le monde
qu'il a créé dans un désordre si universel; de voir l'impie prévaloir
presque toujours sur le juste; l'innocent détrôné par l'usurpateur;
le père devenu la victime de l'ambition d'un fils dénaturé; l'époux
expirant sous les coups d'une épouse barbare et infidèle? Du haut
de sa grandeur, Dieu se ferait un délassement bizarre de ces tris-
tes événemens sans y prendre part! Parce qu'il est grand, il serait
ou faible, ou injuste, ou barbare! parce que les hommes sont pe-
tits, il leur serait permis d'être, ou dissolus sans crime, ou ver-
tueux sans mérite !
O Dieu ! si c'était là le caractère de votre Être suprême ; si c'est
vous que nous adorons sous des idées si affreuses, je ne vous re-
connais donc plus pour mon père , pour mon protecteur, pour le
5^o NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
consolateur de mes peines, le soutien de ma faiblesse, le rémuné-
rateur de ma fidélité ! Vous ne seriez donc plus qu'un tyran indo-
lent et bizarre, qui sacrifie tous les hommes à sa vaine fierté, et
qui ne les a tirés du néant que pour les faire servir de jouet à
son loisir ou à ses caprices!
Car enfin, mes frères, s'il n'y a point d'avenir, quel dessein
donc digne de sa sagesse Dieu aurait-il pu se proposer en créant
les hommes ? Quoi ! il n'aurait point eu d'autre vue en les formant
qu'en formant la bête? L'homme, cet être si noble, qui trouve en
lui de si hautes pensées, de si vastes désirs, de si grands senri-
mens ; susceptible d'amour, de vérité, de justice ; l'homme, seul de
toutes les créatures, capable d'une destination sérieuse, de con-
naître et d'aimer l'Auteur de son être; cet homme ne serait fait
que pour la terre, pour passer un petit nombre de jours comme
la bête en des occupations frivoles ou des plaisirs sensuels? il
remplirait sa destinée en remplissant un rôle si méprisable ? il
n'aurait paru sur la terre que pour y donner un spectacle si risi-
ble et si digne de pitié? et après cela il retomberait dans le
néant sans avoir fait aucun usage de cet esprit vaste et de ce
cœur élevé que l'Auteur de son être lui avait donné ? O Dieu ! où
serait ici votre sagesse , de n'avoir fait un si grand ouvrage que
pour le temps ; de n'avoir montré des hommes à la terre que
pour faire des essais badins de votre puissance et délasser votre
loisir par cette variété de spectacles? Numquid enim vane consti-
tuisti omîtes fdios hominum 1 ? Le Dieu des impies n'est donc
grand que parce qu'il est plus injuste, plus capricieux et plus
méprisable que l'homme? Suivez ces idées, et soutenez-en, si vous
pouvez, toute l'extravagance. (Massillon.)
L'ame ne meurt point avec le corps.
Qui pourrait douter encore que la mort ne soit un bien , quand
on voit tout ce qu'il y a en nous d'inquiet, de honteux, d'hostile
contre nous-mêmes, de violent, d'orageux, d'entraînant vers le
vice, tomber tout d'un coup épuisé et anéanti, comme une bête
féroce autour de laquelle le sépulcre qui vient de s'ouvrir se re-
ferme comme une prison; sa rage est désormais impuissante, et la
terre dissout bientôt l'assemblage de ses membres; lorsqu'en
même temps tout ce qui est en nous ami de la vertu , attaché à
1 Ps. lxxxviii, 48.
DES PRÉDICATEURS. %Jl
l'ordre, ardent pour la gloire; tout ce qui tend au bien, tout ce
qui est soumis à Dieu , s'élève vers cette sublime hauteur, habite
avec celui qui est bon par excellence, avec ce bien suprême et
éternel, s'attache à lui et ne se sépare plus de celui auquel il est
lié par une sorte de parenté, ainsi qu'il est dit : « Nous sommes les
« enfans de la race de Dieu 1. »
En effet , l'ame ne meurt point avec le corps, cela est évident,
si elle n'en fait point partie ; et l'Ecriture nous apprend en plu-
sieurs endroits qu'elle n'en fait point partie. « Ainsi Adam a reçu
« de Dieu l'esprit de vie, et a été créé homme avec une ame vi-
« vante 2. » David dit : « Tourne-toi, mon ame, et cherche ton
v repos, car le Seigneur t'a comblée de bienfaits 3; » or quels sont
ces bienfaits? écoutez : « Parce que, dit-il, il a sauvé mes pieds du
« danger de tomber. » Il le remercie , il accepte la mort avec re-
connaissance , parce que l'erreur est arrivée à son terme, parce que
le péché est détruit, niais non pas la nature elle-même. Aussi,
comme affranchi et libre désormais , il s'écrie : « Je plairai au Sei-
« gneur dans le royaume de vie 4; » car c'est là effectivement
qu'est le royaume de vie. Enfin il appelle ce repos des âmes la
terre des vivans , où le péché ne pénètre plus, et où la vertu vit
dans toute sa gloire. Notre terre, au contraire, est la terre des
morts, puisqu'elle est habitée par le péché : c'est donc avec raison
qu'il a été dit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts 5. »
David dit encore ailleurs- : « Ton ame restera dans le bien , et à
« tes descendans appartiendra la terre 6 ; * c'est-à-dire l'ame qui
craint Dieu restera dans le bien, ne s'en séparera jamais et le pos-
sédera. Et cela peut s'entendre aussi de celui qui vit encore avec
le corps, et qui, s'il craint Dieu, habite dans le bien, se nourrit de
choses célestes, possède son corps, le domine comme le maître
domine son esclave, et jouit déjà du glorieux héritage des divines
promesses. Si nous voulons après la mort du corps être aussi dans
le bien , prenons garde maintenant que notre ame ne devienne
comme adhérente au corps, ne se mêle à lui, ne s'attache à lui, ne
soit entraînée par lui; qu'étourdie elle-même de l'agitation qu'il
éprouve, elle ne vacille et ne chancelle comme un homme ivre;
qu'entraînée par ses voluptés, elle ne se laisse aller à la séduction
des sens : car l'œil du corps est erreur et fraude, puisque la vue
nous trompe; son oreille porte la déception, puisque l'ouïe nous
1 Act., xvn, 28. —2Gen., H, 7. — sps. cxiv, 7, 8, 9. — * Ibid., lv, 13.—
• Mallh., vin, 22. — • e Ps. xxiv, 13.
5^2 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
trompe; tous ses sens portent l'erreur. Ce n'est donc pas inutile
ment qu'il a été dit : « Que tes yeux sachent voir ce qui est droit,
« que ta langue ne se porte point à la fausseté *, » Gela n'aurait
point été dit si l'erreur était moins fréquente. Tu as regardé une
courtisane, son visage t'a séduit, elle t'a paru belle : tes yeux se
sont trompés, ils ont mal vu, ils t'ont fait un faux rapport ; car s'ils
eussent bien vu, ils eussent découvert les honteuses passions del"11
la courtisane, sa dégoûtante audace, son indécente impudieité, son
cœur flétri, ses horribles désordres, les plaies de son ame, les ci-lw
catrices de sa conscience. « Qui regarde une femme avec concu-
« piscence respire déjà l'adultère au fond de son cœur 2 : >» ce n'estl^
donc pas la vérité qu'il regarde , puisqu'il cherche, non pas la vé
rite , mais l'adultère; car il a regardé par concupiscence et non
pour connaître la vérité. Ainsi l'œil s'égare là où le sentiment s'é
gare; ainsi le sentiment est trompeur; ainsi l'œil est trompeur.
Et aussi il est dit : « Ne laisse pas séduire ton œil, de peur que ton
« ame ne soit séduite; car la femme séduit Famé précieuse de
« l'homme 3. » Et notre oreille aussi nous trompe : « Le jeune
« homme se laisse entraîner, éblouir, et tromper par les douces et
« flatteuses paroles de la femme adultère 4. » Ne nous lions doue
point à ces amorces qui couvrent de dangereux pièges : le cœur
séduit se trouble, l'esprit agité s'embarrasse , l'erreur des sens les
enveloppe tous deux. Ne suivons point ce qui charme ou séduit;
suivons ce qui est bon, attachons-nous-y, imitons-le. Cette présence
du bien, ces rapports avec le bien, nous rendent nous-mêmes meil-
leurs; le bien imprime à nos mœurs une teinte de sa couleur, et
devient pour nous comme le lien d'une sorte de société. Celui
qui s'attache au bien participe lui-même au bien , car il est écrit :
« Avec le saint tu seras saint , avec le pervers tu seras pervers ,
« avec l'innocent tu seras innocent 5. » Cette union familière,
cette imitation constante amènent à la longue une sorte de simili-
tude. Aussi le Psalmiste ajoute: « Car c'est vous, Seigneur, qui
« prêtez à mon flambeau la lumière 6. » Or, celui qui approche le
plus de la lumière en sera plus tôt éclairé, et une plus grande partie
de la lumière céleste brillera en lui. L'ame qui s'attache à Dieu, au
bien invisible et immortel, fuit tout ce qui est du corps , tout ce
qui est terrestre et mortel ; elle s'assimile à celui qu'elle désire ,
dans lequel elle vit et dont elle se nourrit. « Ainsi remplie de ce
« qui est immortel , peut-elle donc elle-même être mortelle ' ? »
1 Prov., iv, 25. — 2 Mallh., v, 28. - s Prov., vi, 25, 26. — 4 Prov,, vu, 13.
— * Ps., xvii, 28. — c ibid., 31. — ' Ezech , xvin, 28.
DES PRÉDICATEURS. 5^3
L'ame qui pèche meurt, non pas par sa propre dissolution; mais
elle meurt à Dieu, et cela est juste, puisqu'elle a vécu au péché.
Celle qui ne pèche pas ne meurt point; elle reste dans sa substance,
elle reste dans la vertu et dans la gloire. Et en effet, comment sa
substance pourrait-elle mourir, puisque c'est l'ame qui porte avec
elle la vie, puisque son union au corps est la vie, sa séparation la
mort? L'ame est donc la vie; mais, si elle est la vie, elle ne com-
porte pas la mort, qui est contraire à sa nature. Ainsi la neige ne
comporte point la chaleur, car la chaleur la dissout aussitôt; ainsi
la lumière ne comporte point les ténèbres, car elle les dissipe; où
paraît la lumière, la nuit cesse ; l'approche du feu détruit la neige :
ainsi l'ame, qui est la vie, ne comporte point la mort, et ne meurt
point. (Saint Ambroise, Que la mort est un bien.)
Il ne faut pas écouter ceux qui nient l'immortalité de l'ame.
Ne prenez jamais conseil de ces hommes pervers et insensés
qui disent : Du jour où je ne serai plus, qu'ai -je à attendre? Mal-
heur à l'homme qui admet ces désolantes doctrines ! Pour nous,
nous croyons que la mort sera suivie d'un jugement, et que nous
recevrons ensuite, soit en douleur, soit en félicité, la récompense
que nous aurons méritée. Pour vous, ô mes frères, croyez invin-
ciblement tout ce qui est renfermé dans les divines Ecritures, et
fuyez comme une peste les discours des incrédules. Voyez Hé-
rode: assis sur le trône, revêtu de la pourpre des rois, il devient
la pâture des vers, parce qu'il n'a point voulu rendre gloire à
Dieu *;
Si l'ennemi de tout bien , rendu furieux par le spectacle de
votre vertu, parvient à soulever contre vous quelques personnes,
n'abandonnez point la piété par la crainte des hommes. Ecoutez
le Sauveur: « S'ils m'ont persécuté, dit» il, ils vous persécuteront
« aussi 2. » Ainsi rien de plus important que de fuir les discours
corrompus de ces hommes qui sont tombés dans un si honteux
libertinage d'esprit. Fuyez-les, de peur que, donnant votre assen-
timent à leurs paroles trompeuses, et vous éloignant de la voie
étroite, vous ne vous entendiez un jour condamner aux flammes
de ce feu qui ne s'éteint pas, par ces redoutables paroles: « Mon
« fds, souvenez-vous que vous avez reçu des biens dans votre vie,
« tandis que Lazare n'a reçu que des maux. Maintenant Lazare
1 Act., xii, 25. — 2 Joan., xv, 18.
flfltf
f
eiil
pre
5«4 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
« est consolé; et vous, vous devenez la proie des plus cruels tour-
ce mens i. » Mais dirigez toute votre intention vers Dieu, afin qu'au
jour du jugement votre ame se réjouisse avec les justes des vertus
que vous aurez pratiquées sur la terre durant le cours de votre IJc:
vie, et que personne ne puisse vous ravir une joie qui aura pour
principe ce Dieu à qui appartient toute gloire dans tous les siè
clés des siècles. ( Saint Ephrem , Discours ascétique,)
Lo doulc de l'impie sur la vérité d'un avenir est opposé au sentiment de la
conscience.
Mais puisque ce Dieu est si juste, doit-il punir, comme des
crimes, des penchans de plaisirs nés avec nous et qu il nous a lui-
même donnés ? Dernier blasphème de l'impiété et dernière partie
de ce discours; j'abrège et je finis.
Mais premièrement, qui que vous soyez qui nous tenez ce lan-
gage insensé, si vous prétendez justifier toutes vos actions par les
penchans qui vous y portent ; si tout ce que nous désirons de-
vient légitime ; si nos inclinations doivent être la seule règle de
nos devoirs; sur ce pied-là vous n'avez qu'à regarder la fortune de
votre frère avec un œil d'envie , afin qu'il vous soit permis de l'en
dépouiller; sa femme avec un cœur corrompu pour être autorisé à
violer la sainteté du lit nuptial, malgré les droits les plus sacrés de
la société et de la nature. Yous n'avez qu'à vous défier d'un ennemi
pour être en droit de le perdre; qu'à porter impatiemment l'auto-
rité d'un père ou la sévérité d'un maître pour tremper vos mains
dans leur sang; vous n'avez, en un mot, qu'à porter en vous les pen-
chans de tous les vices pour vous les permettre tous ; et comme
chacun en retrouve en soi les semences funestes , nul ne sera ex-
cepté de cet affreux privilège. Il faut donc à l'homme, pour se con-
duire, d'autres lois que ses penchans, et une autre règle, que ses dé-
sirs.
r. Les siècles païens eux-mêmes reconnurent la nécessité d'une
philosophie, c'est-à-dire, d'une lumière supérieure aux sens qui en
réglât l'usage et fit de la raison un frein aux passions humaines.
La nature toute seule les conduisit à cette vérité, et leur apprit que
l'aveugle instinct ne devait pas être le seul guide des actions de
l'homme; il faut donc que cet instinct ou ne vienne pas de la pre-
mière institution de la nature, ou qu'il en soit un dérangement,
1 Luc., xvi, 25.
DES PRÉDICATEURS. 5y5
puisque toutes les lois qui ont paru clans le monde n'ont été faites
que pour le modérer; que tous ceux qui dans tous les siècles ont
eu la réputation de sages et de vertueux n'en ont pas suivi les im-
pressions ; que parmi tous les peuples on a toujours regardé comme
des monstres et l'opprobre de l'humanité ces hommes infâmes
qui se livraient sans réserve et sans pudeur à la brutale sensualité,
et que cette maxime une fois établie, que nos penchans et nos dé-
sirs ne sauraient être des crimes, la société ne peut plus subsister,
les hommes doivent se séparer pour être en sûreté, aller habiter
les forêts, et vivre seuls comme des bêtes.
D'ailleurs, rendons justice à l'homme ou plutôt à l'Auteur qui
l'a formé. Si nous trouvons en nous des penchans de vice et
de volupté, n'y trouvons-nous pas aussi des sentimens de vertu,
de pudeur et d'innocence ? Si la loi des membres nous entraîne
vers les plaisirs des sens, ne portons-nous pas une autre loi
écrite dans nos cœurs qui nous rappelle à la chasteté et à la tem-
pérance ? Or, entre ces deux penchans, pourquoi l'impie décide-t-il
que celui qui nous pousse vers les sens est le plus conforme à la
naiure de l'homme? Est-ce parce qu'il est le plus violent? mais sa
violence seule prouve son dérèglement , et ce qui vient de la na-
ture doit être plus modéré. Est-ce parce qu'il est toujours le plus
fort? mais il est des âmes justes et fidèles en qui il est toujours
soumis à la raison. Est-ce parce qu'il est le plus agréable ? mais une
preuve que ce plaisir n'est pas fait pour rendre l'homme heureux,
c'est que le dégoût le suit de près; et que de plus, pour l'homme
de bien, la vertu a mille fois plus de charmes que le vice. Est-ce
enfin parce qu'il est plus digne de l'homme ? vous n'oseriez le dire,
puisque c'est par là qu'il se confond avec la bête. Pourquoi déci-
dez-vous donc en faveur des sens contre la raison, et voulez vous
qu'il soit plus conforme à l'homme de vivre en bête que d'être rai-
sonnable ?
Enfin, si tous les hommes étaient corrompus et se livraient tous
aveuglément, comme les animaux sans raison, à leur instinct brutal
et à l'empire des sens et des passions, vous auriez peut-être raison
de nous dire que ce sont là des penchans inséparables de la na-
ture, et de trouver dans l'exemple commun une excuse à vos dés-
ordres. Mais regardez autour de vous ; ne trouvez-vous plus de
justes sur la terre? Il ne s'agit pas ici de ces vains discours que
vous faites si souvent contre la piété et dont vous sentez vous-
même l'injustice ; parlez de bonne foi, et rendez gloire à la vérité.
N'est-il plus d'ames chastes, fidèles, timorées, qui vivent dans la
5^6 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
crainte du Seigneur et dans l'observance de sa loi sainte ? D'où
vient donc que vous n'avez pas sur vos passions le même empire
que ces justes? n'ont-ils pas hérité de la nature les mêmes pen-
chans que vous? les objets des passions ne réveillent-ils pas dans
leur cœur les mêmes sentimens que dans le vôtre? ne portent-ils
pas en eux les sources des mêmes misères ? Qu'ont les justes par-
dessus vous, que la force et la fidélité qui vous manque ?
O homme, vous imputez à Dieu une faiblesse qui est l'ouvrage
de vos propres déréglemens! Vous accusez l'Auteur de la nature
des désordres de votre volonté! Ce n'est pas assez de l'outrager,
vous voulez le rendre responsable de vos outrages; et vous pré-
tendez que le fruit de vos crimes devienne le titre de votre inno-
cence? De quelles chimères un cœur corrompu n'est-il pas capable
de se repaître pour se justifier à lui-même la honte et l'infamie de
ses vices ? ( Massillon. )
Péroraison.
Que conclure de ce discours ? que l'impie est à plaindre de cher-
cher dans une affreuse incertitude sur les vérités de la foi la plus
douce espérance de sa destinée ; qu'il est à plaindre de ne pouvoir
vivre tranquille qu'en vivant sans foi, sans culte, sans Dieu, sans
conscience ; qu'il est à plaindre s'il faut que l'Evangile soit une fa-
ble ; la foi de tous les siècles, une crédulité; le sentiment de tous
les hommes , une erreur populaire ; les premiers principes de la
nature et de la raison, des préjugés de l'enfance; le sang de tant de
martyrs que l'espérance d'un avenir soutenait dans les tourmens,
un jeu concerté pour tromper les hommes ; la conversion de l'u-
nivers, une entreprise humaine; l'accomplissement des prophe"-
ties, un coup du hasard; en un mot, s'il faut que tout ce qu'il y a
de mieux établi dans l'univers se trouve faux afin qu'il ne soit pas
éternellement malheureux. Quelle fureur de pouvoir se ménager
une sorte de tranquillité au milieu de tant de suppositions insen-
sées!
O homme! je vous montrerai une voie plus sûre de vous calmer.
Craignez cet avenir que vous vous efforcez de ne pas croire; ne
vous demandez plus ce qui se passe dans cette autre vie dont on
vous parle ; mais demandez-vous sans cesse à vous-même ce que
vous faites dans celle-ci : calmez votre conscience par linnocence
de vos mœurs, et non par l'impiété de vos sentimens. Mettez votre
cœur en repos en y appelant Dieu, et non pas en doutant s'il vous
DUS PRÉDICATEURS. 5jJ
regarde. La paix de l'impie n'est qu'un affreux désespoir : cher-
chez votre bonheur, non en secouant le joug de la foi, mais en
goûtant comhien il est doux ; pratiquez les maximes qu'elle, vous
prescrit, et votre raison ne refusera plus de se soumettre aux mys-
tères qu'elle vous ordonne de croire : l'avenir cessera de vous pa-
raître incroyable dès que vous cesserez de vivre comme ceux qui
bornent toute leur félicité dans le court espace de cette vie. Alors,
loin de le craindre, cet avenir, vous le hâterez par vos désirs;
vous soupirerez après ce jour heureux où le Fils de l'homme, le
Père du siècle futur, viendra punir les incrédules et conduire dans
son royaume tous ceux qui auront vécu dans l'attente de la bien-
heureuse immortalité. ( Le même, j ?
Autre péroraison.
Il est donc vrai, Messieurs, que le tombeau n'est pas le terme
de la vie humaine, que ce qui pense et vit dans nous ne meurt
pas, que ce cœur qui soupire après le bonheur, que cette intelli-
gence qui soupire après la vérité, seront enfin satisfaits. Oui, loin
denousce matérialisme qui tient l'homme courbé vers la terre, cette
terre que nous ne touchons quedel'extrémité du corps, comme pour
nous apprendre à la dédaigner. Qu'elles sont consolantes, qu'elles
sont sublimes ces destinées de l'homme appelé à vivre au delà de
tous les temps! Il ne s'agit pas ici de cette immortalité accordée,
sur la terre, à la mémoire de ceux qu'ont illustrés leur génie et
leurs travaux : ce n'est là qu'une vaine image de cette véritable
immortalité qui doit être le partage de la vertu. Dans son enthou-
siasme lyrique, le poète romain, épris de la beauté de ses ouvrages,
osait s'écrier : Je viens d'élever un monument plus durable que
l'airain; non, je ne mourrai pas tout entier, non omnis moiiar.
Messieurs, il disait vrai : son nom vit encore dans la mémoire des
hommes ; mais que font à son bonheur les éloges de la postérité ?
Il se promettait une gloire dont il ne devait pas jouir: et nous,
nous annonçons à celui qui pratiquera la vertu une gloire dont il
doit être l'immortel possesseur. Comme cette pensée fait voir les
choses humaines sous un jour tout nouveau ! Par cette lumière, en
effet, je découvre que ce monde n'est pas un spectacle de ma-
chines organisées pour un temps, qui doivent être brisées pour
toujours, et dont le Créateur se ferait comme un divertissement et
un jeu. Je vois au contraire que l'être infini s'est proposé des fins
T. III. 37
dignes de son infinité, que les dons qu'il a faits à nos âmes sont
sans repentance, et qu'après leur avoir donné le pouvoir de le con-
naître et de le glorifier, il veut réellement être connu et glorifié
par elles à jamais. L'antiquité profane avait imaginé un Sage qu'elle
n'a jamais vu, qui serait immobile au milieu des ruines de l'univers ;
mais cette imagination devient une réalité dans le juste que soutient
et qu'anime l'espoir de la bienheureuse immortalité. Alors que
mille secousses diverses agitent la terre, que tout s'ébranle et
tombe autour de lui, debout sur les choses créées, il contemple
les choses éternelles. Ce qui peut lui arriver de plus extrême,
c'est de mourir; et que lui importe la mort, si son ame est immor-
telle? Ainsi, avec le dogme de l'immortalité de l'ame, le malheur
est consolé, la vertu encouragée, le vice réprimé, la Providence
justifiée, l'homme et le monde moral expliqués. C'est là comme la
chaîne mystérieuse qui descend du trône du Créateur jusqu'à nous,
pour lier la terre au ciel, l'homme à son Dieu, et le temps à l'é-
ternité. (M. FllAYSSINOUS.)
DES PREDICATEURS.
°79
■
PLA1V ET OBJET DU QUATRIÈME DISCOURS
SUR L'IMMORTALITÉ DE L'HOMME.
EXORDE.
Jusd autem in perpetnum vivent.
Les justes vivront éternellement. (Sap., v,rjB.)
L'un des grands objets que se propose aujourd'hui l'Eglise, dans
le culte qu'elle rend à la troupe immortelle des saints, c'est de réveil-
ler en nous les pensées et les désirs de l'immortalité. Hélas! envi-
ronnés de tant de maux ici-bas, sujets à tant d'humiliantes fai-
blesses, condamnés à la triste nécessité de mourir, quelle espérance
devrait nous être plus chère que celle d'une seconde et meilleure
vie, où nous serons affranchis pour jamais du péché, de la dou-
leur et de la mort? Et cependant, ô honte! combien d'hommes
sont insensibles à cette bienheureuse espérance! combien même,
le faut-il dire? sont ennemis de leur propre immortalité, s'effor-
cent de n'y point croire , et , comme pour se rassurer contre elle,
se réfugient dans l'affreuse et vaine attente du néant !
O divine religion des Chrétiens, que tu es consolante pour le
juste! quels transports et quels ravissemens tu lui causes, lorsque
non contente de lui promettre au de là des bornes du temps un
glorieux et éternel avenir, tu lui montres déjà ses frères en pos-
session des biens qui l'y attendent; que tu lui fais chanter et célé-
brer son futur bonheur dans celui dont ils jouissent; et qu'avant
de 1 introduire au fortuné séjour qu'ils habitent, tu l'associes dès
à présent à leurs joies, par la céleste pompe et la sainte allégresse
de tes solennités! Oui, mes frères, nous pouvons regarder cette
fête comme celle de notre immortalité. Ne cherchons donc pas
d'autre sujet à nos discours que notre immortalité même, dont le
sentiment est gravé par la nature dans le fond de nos cœurs, dont
la croyance est commune à tous les peuples, mais dont la pleine
connaissance, l'idée juste et parfaite n'est due qu'à la religion vé-
ritable. En effet, si la raison nous enseigne qu'il y a quelque chose
en nous qui ne meurt point, et que la plus noble portion de nous-
mêmes survit à la dissolution de ce corps de boue, nous avions
37.
58() NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
besoin de la foi pour apprendre que ce corps lui-même ne meurt
pas pour toujours, que notre limon sera une seconde fois animé
d'un souffle dévie, et que l'homme entier, vainqueur du trépas,
ira jouir dans le sein de Dieu d'une immortelle félicité. Ainsi se
vérifiera cette belle parole de l'Ecriture : Dieu a créé l'homme im-
périssable: Deus creaçit hominem inexterminabilem 1. Nulle partie
de son être ne sera détruite; son ame, substance spirituelle, est
par sa nature même hors des atteintes de la mort : Non tanget illos
tormentum mortis^; et sa chair, toute corruptible qu'elle est, ne
descendra dans la poussière du tombeau que pour en sortir un
jour incorruptible : Oportet.... corruptibile hoc induere incorrup-
tionem ~\ Disons-le donc en deux mots : immortalié de tout l'homme,
premièrement de l'âme, qui ne saurait mourir, secondement du
corps, qui^revivra pour ne mourir plus. Tel est tout mon dessein.
(Le P. de Mac.-Gartuy, Immortalité de Uame.)
Nier l'immortalité de l'ame, c'est nier la sagesse de Dieu.
Et d'abord, que deviendrait, dans cette supposition insensée,
la sagesse du Créateur? Daignez m'écouter, mes frères. N'est-il
pas évident au premier coup d'oeil qu'entre les êtres que renferme
ce monde visible, le plus excellent est l'homme, et que tout le
reste n'a même été fait que pour lui? Et pour quel autre habitant
ce magnifique palais aurait-il été préparé ? pour qui le soleil ré-
pandrait-il ses feux et sa lumière? pour qui la terre se couvrirait-
elle de moissons, et la nature entière déploierait-elle un si pom-
peux et si ravissant spectacle ? Qui ne voit que l'air qui nous
environne est destiné à entretenir sa vie, l'eau des fleuves à étan-
cher sa soif et à fertiliser ses champs, les animaux à le servir
comme leur roi ? Lui seul ici-bas porte l'empreinte de la Divinité,
et en exerce les droits avec un empire auquel rien ne se peut sous-
traire. En vain les monstres sauvages se confieraient-ils en leur
force ; plus fort par la raison seule, il les dompte et les enchaîne.
En vain la terre cache-t-elle au fond de ses entrailles les métaux
précieux que réclame son industrie ; il les en arrache , pour les
plier à tous ses usages. La mer aura beau mugir et élever ses va-
gues irritées jusqu'au ciel ; il l'oblige à les courber sous lui et à
le porter en frémissant jusqu'aux extrémités du monde. Que les
vents soufflent avec furie ; il saura les captiver dans la voile, et les
* Sap., i; 23. — 2 lbid., m, 1. — 3 I Cor., xv, 53.
DES PRÉDICATEURS. 68 1
contraindre à le pousser clans le port. Tout devient esclave de
ses volontés ou tributaire de ses besoins. Les astres du firma-
ment seront assujétis à ses calculs, et lui serviront de guides à
travers l'immense océan et les vastes déserts. Ne mesurez pas la
grandeur de son être à l'espaee que son corps occupe sur la terre,
mais à l'étendue de cet esprit qui lui-même mesure l'univers; qui,
du point imperceptible où il est placé, atteint jusqu'à la hauteur
des cieux et jusqu'au fond des abîmes, remonte dans le passé,
embrasse le présent, et s'étend dans un avenir sans bornes.
C'est cet esprit/ou cette ame immatérielle, qui fait l'excellence et
la dignité de l'homme. C'est à cette substance noble , active, in-
telligente et libre, qu'il est donné de penser, de connaître, de ju-
ger et de vouloir. Elle s'élance dans les régions intellectuelles,
voit les choses invisibles , et conçoit l'idée de l'infini. Essentielle-
ment distincte, par sa nature et par les penchans qui lui sont pro-
pres, du corps grossier qu'elle anime et qu'elle gouverne, elle se
sent dégradée si elle le flatte , souillée si elle obéit à ses désirs;
elle le châtie, le subjugue et quelquefois l'immole. Elle se pas-
sionne pour le vrai , le beau , l'honnête , le sublime ; elle trouve à
la vertu des charmes qui lui font mépriser tous les autres biens;
elle préfère la chasteté aux délices , la gloire au repos , le devoir
à la vie même. Que dis-je? elle a des ailes pour s'élever jusqu'au
sein de Dieu; elle contemple avec ravissement ses perfections
ineffables, le bénit , l'adore, et se laisse consumer à son amour.
Comment tout ne serait-il pas fait pour elle , puisqu'elle seule
connaît l'auteur de toutes choses, sent le prix de ses bienfaits,
entretient un divin commerce avec lui, ose l'appeler son père, et
lui payer, au nom de toutes les créatures, le tribut d'actions de
grâces et de louanges qui lui est dû? Telle est l'ame de l'homme
faite à l'image de Dieu ; inférieure d'un degré seulement aux an-
ges: Minuisti emn paulo minus ah angelïs 1; incomparablement
supérieure à tout le reste: Omnia suhjecisti sub pedibus ejus 2; si
pure et si céleste dans son origine, si étrangère à tout ce qui est
terrestre et corruptible, que les livres sacrés la nomment le souffle
même du Très- Haut: Inspiravit in jaciem ejus spiraculum vilœ 3.
Et parce que le limon du corps se dissout , on supposera que
cette ame toute spirituelle doit périr avec lui ! parce que la pous-
sière retourne en poussière, qu'un assemblage d'élémens grossiers
et matériels se désunit et se décompose , on croira qu'une sub-
1 Ps. vin, 7. — 2Ibi<l., 8. — s Gen., 11, 7.
582 NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
stanee simple, immatérielle , incapable de décomposition , puis-
qu'elle n'est point composée de parties, doit être entraînée dans
la ruine d'un édifice de boue qui s'écroule! Non, il ne peut y
avoir de mort naturelle ni de dissolution pour lame; il faudrait
un acte de la toute-puissance divine pour l'anéantir. Mais, grand
Dieu! vous ne l'anéantirez pas; j'en ai pour garant certain votre
sagesse.
Eh ! de quel dessein ose-t-on vous soupçonner ? Quoi ! vous
avez fait le monde entier pour l'homme; et l'homme, vous ne
l'auriez fait que pour le détruire? vous auriez produit à si grands
frais une ombre vaine qu'un moment verrait s'évanouir ? Tandis
que nous, faibles mortels, nous tâchons d'imprimerie sceau de
l'immortalité à nos ouvrages, vous, ouvrier immortel et divin,
vous, la source de l'être et de la vie, vous n'auriez travaillé que
pour la mort et le néant ? Semblable à un architecte insensé et
bizarre ou à un enfant qui se joue, vous n'édifieriez que pour
abattre, ne planteriez que pour arracher ? Et lorsqu'à la fin de tous
les temps cette grande destruction serait consommée, ce jeu meur-
trier fini, si l'un des esprits célestes, vous interrogeant sur les rui-
nes de l'univers, vous disait: *< Mais, Seigneur, pourquoi donc êtes-
vous sorti de votre repos? que vous êtes-vous proposé en formant
ce magnifique ensemble d'un monde qui n'est plus ; en créant cette
multitude innombrable d'êtres animés et inanimés , qui tous ex-
citèrent notre admiration, dont quelques uns furent doués comme
nous d'intelligence, et pratiquèrent de sublimes vertus? » Vous
lui répondriez: « Regarde ces débris fumans , ces monceaux de
cendres, d'ossemens et de poussière: voilà le terme où devait abou-
tir tant de merveilles ; voilà l'objet que j'ai eu en vue dans mes
pensées éternelles; voilà ce qui devait enfin rester des œuvres du
Tout-Puissant ! » O Dieu ! qui ne croirait blasphémer votre sagesse
en vous prêtant un tel langage ? mais serait-il moins indigne de
votre bonté ? (Le même.)
Nier l'immorlalilé de l'ame, c'esl nier la bonté de Dieu.
Si nous étions destinés, mes frères, à mourir tout entiers, il fa a -
drait dire que le Créateur, loin de se montrer notre père, n'aurait
distingué notre1 nature par tant de glorieux privilèges que pour
nous rendre malheureux entre tous les êtres ; ses bienfaits les plus
signalés ne seraient plus que des raffinemens de cruauté à notre
égard. En effet l'homme, considéré selon le corps, est sujet à plus
DES PRÉDICATEURS. 583
d'infirmités et de douleurs que le reste des animaux; et lui seul
anticipe les maux par la prévoyance, les aggrave, les multiplie, les
prolonge par la réflexion, par les longs souvenirs et les amers re-
grets. Si les autres vieillissent et meurent comme lui, lui seul a le
triste sentiment de sa décadence, voit le moment fatal s'approcher,
connaît les horreurs d'une dissolution inévitable et l'affreuse corrup-
tion du tombeau. Quel autre que lui éprouve les peines de l'ame ,
plus cruelles mille fois que toutes les souffrances du corps, les sol-
licitudes accablantes, les chagrins dévorans, la noire mélancolie et
l'horrible désespoir? Outre ses propres douleurs, il porte encore
le poids des douleurs étrangères; il pleure dans les disgrâces de
ceux qu'il aime, il tremble dans leurs périls, il meurt en quelque
sorte dans chacun des amis et des proches que la mort lui enlève.
Au milieu de tant d'afflictions et de misères, pour surcroît et pour
comble de tourment, il a une soif ardente du bonheur; il le cher-
che et le poursuit par un penchant irrésistible de sa nature; il le
demande à tout ce qui l'environne, le veut à tout prix, ne peut
s'en passer, et ne le trouve nulle part. Tout ce qu'on lui présente
comme capable de satisfaire ses désirs le ^trompe et les irrite. Il
porte gravée dans le fond de son être l'idée d'un bien parfait, im-
muable, infini, seul proportionné à ses besoins et à la vaste capa-
cité de son cœur; et il ne rencontre que des biens bornés, impar-
faits, périssables: il les essaie l'un après l'autre, et bientôt les
méprise. Nulle beauté ne le charme long-temps , parce qu'il n'en
est point dont il ne découvre les défauts , et qui tôt ou lard ne se
flétrisse ; les amusemens le lassent par leur frivolité ; les plaisirs
des sens sont trop vils , et finissent par la satiété et le dégoût ; les
richesses causent plus d'embarras et de soucis qu'elles ne produi-
sent de vraies joies, et jamais elles ne firent un heureux; les hon-
neurs, les dignités, le pouvoir, ne sont que d'illustres servitudes ,
et ne produisent guère que la gêne, la contrainte et l'ennui; la
gloire est un vain bruit et une fumée, qui laisse le cœur vide, et
n'en guérit point la tristesse; la science est une illusion, puisque
les plus savans ignorent bien plus de choses que leurs éludes
n'ont puleur en apprendre. N'auriez vous donc fait l'homme, ô
Dieu bon! que pour souffrir des maux trop réels, et se consumera
la recherche de biens imaginaires? Dans toutes vos au très créatures,
je vois une juste proportion entre les besoins et les objets destinés
à les satisfaire. La brute peut rassassier ses appétits bornés, et elle
estheureuse. Mais moi, j'ai une faimetune soif que rien ici-bas ne
peut apaiser. Je suis affamé de l'être, de la vie, de la parfaite
584 * NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
beauté, tic la vérité substantielle, du bonheur sans mélange, de la
grandeur et de la gloire qui dure. Voilà mes besoins; vous me les
avez donnés ; et pour les satisfaire, vous m'auriez préparé le néant!
S'il n'y a rien pour moi au delà de ce monde et du temps , pour-
quoi ces désirs plus grands que l'univers, plus étendus que les siè-
cles ? pourquoi ces pensées qui se nourrissent de l'infini, et lies
espérances qui courent dans un avenir sans terme? Si je n'existe
que pour mourir, d'où me vient cette horreur de la destruction ,
cet amour et cette invincible passion pour l'immortalité? Si je ne
dois jamais vous voir ni vous posséder, Seigneur, pourquoi m'a-t-
il été donné de vous connaître? pourquoi ai-je compris que vous
êtes mon unique bien ? pourquoi avez-vous creusé dans mon sein
un abîme que vous seul pouvez remplir ? O mon Dieu! persuadé,
certain que vous n'avez pas mis en moi un gage trompeur, et que
cette terre n'est qu'un lieu de passage et d'épreuve , où je me pré-
pare pour une bienheureuse éternité, je me soumets sans peine à
tout ce qu'il faut souffrir pour arriver à ce terme de tous mes
vœux. Mais s'il était vrai, comme l'insensé ose le dire, que vous ne
me traînez à travers tant d'épines et de douleurs , dans le sentier
pénible de la vie , que pour m'immoler et m'anéantir au bout de
la carrière, comment pourrais-je vous bénir de m'avoir donné
l'être ? comment pourrais-je croire à votre bonté, le plus adorable
de vos attributs ? (Le même.)
Nier l'immortalité de l'amc , c'est détruire toute notion de la divine justice.
Il est impossible de jeter un regard sur la société humaine et le
monde moral sans être frappé du désordre et de la confusion qui
y régnent. Que voyons nous, en effet, et surtout qu'avons-nous vu?
Tous les droits et tous les devoirs foulés aux pieds; les adultères?
les rapines et les meurtres impunis; le vice en honneur, la vertu
pouvant à peine trouver grâce; l'impiété applaudie, la religion li-
vrée aux dérisions et aux sarcasmes ; d'horribles complots tramés
ouvertement contre le ciel et contre la majesté sacrée des rois ;
d'effroyables révolutions bouleversant les empires; des échafauds
inondés de sang innocent; des lois iniques proscrivant la fidélité
et commandant la trahison et la révolte ; d'exécrables doctrines
enseignées à la tendre enfance, à l'imprudente jeunesse, à la mul-
titude aveugle, comme les préceptes delà plus sublime sagesse; un
dessein formé et suivi avec persévérance, de replonger l'univers
dans le chaos et de réduire l'homme à l'état de la bête; un déré-
DES PREDICATEURS.
585
glement si prodigieux dans les mœurs que la décence ne permet
plus de nous reprocher nos vices. Si tous les siècles n'ont pas ete
témoins des mêmes excès, de tous temps il y a eu des usurpations
heureuses, des guerres barbares, de sanglantes rébellions, des ini-
quités criantes; de tout temps on a vu des médians qui prospé-
raient etdes gens de bien qui gémissaient dansl' oppression. EtDieu,
spectateur tranquille et indifférent de ces affreuses scènes, les lais-
serait se succéder dans tout le cours des siècles, sans y ajouter
enfin une dernière scène et un dénoûment digne de lui , qui ré-
parerait tant de désordres et ferait triompher sa justice! Que dis-
je? mettant lui-même le comble à l'horreur du spectacle, il n'at-
tendrait les acteurs au sortir de ce théâtre souillé de sang et de
crimes que pour les frapper tous également d'une éternelle mort,
sans distinction d'innocent ou de coupable, de saint ou de sacri-
lège, de meurtrier ou de victime? O Dieu! si tels étaient vos juge-
mens, qui oserait en défendre l'équité? que pourriez-vous répon-
dre vous-même à un juste, un martyr qui, au moment où il vient
d'expirer pour vous dans les supplices , tombant entre vos mains,
et pour tout prix de sa fidélité, vous voyant prêt à le plonger dans
le néant, vous dirait : « Seigneur, j'ai accompli toutes vos volontés,
et je vous ai tout sacrifié sans réserve. Pour me punir de vous
avoir tant aimé, des hommes injustes qui vous haïssaient m'ont en-
levé la vie du corps, et vous maintenant vous allez anéantir mon
ame! Je ne murmure point ; que vos suprêmes arrêts s'exécutent!
Je ne me repens point d'avoir donné pour vous tout mon sang;
je le ferais volontiers, s'il m'était encore permis de le faire. Mais,
grand Dieu ! devaisje après cela m'at tendre à subir le même sort
que vos ennemis et mes bourreaux ? est-ce là ce que mon dévoue-
ment a mérité de votre justice ? et s'il pouvait y avoir un juge entre
vous et moi, trouverait-il que vous récompensiez bien la vertu ? »
( Le MEME. )
La justice divine exige une autre vie.
Et d'abord que demande la justice divine? La raison nous dit
que Dieu , juste appréciateur des choses , ne saurait voir du même
œil le parricide et l'enfant soumis, l'ami fidèle et l'ami perfide,
l'avare impitoyable et le cœur généreux, l'affreux homicide et le
sauveur de son semblable. Penser autrement , ce serait supposer
Dieu moins parfait que l'homme. Oui, malgré les défauts de sa na-
ture, l'homme ne peut se défendre d'une horreur secrète du vice,
586 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
lors même qu'il a la faiblesse de s'y livrer, ni d'un amour secret
pour la vertu, lors même qu'il n'a pas le courage de la pratiquer.
Oui, je trouve au fond de ma conscience que la vertu est estima-
ble, digne d'éloges et de récompense, que le vice est méprisable,
digne d'opprobre et de châtiment: tel est le cri de la nature, telle
est la notion de justice imprimée dans nos âmes. Ainsi, par une
suite d'idées enchaînées les unes aux autres, je suis conduit à pen-
ser qu'il n'y a pas de Dieu sans justice, ni de justice sans récom-
penses pour la vertu et sans châtimens pour le vice.
Or, c'est en vain que vous chercheriez sur la terre cet ordre de
choses, seul conforme à la rigoureuse équité. Il est vrai que, pour
encourager les bons et pour effrayer les médians , pour avertir
plus sensiblement les hommes que sa providence veille sur eux ,
et pour leur faire pressentir ce qui les attend, Dieu fait quelque-
fois éclater sa justice envers l'homme de bien par les prospérités
dont il le comble , et envers le coupable par des coups si effrayans
et si visibles qu'il est impossible de la méconnaître. Plus d'une
fois des infirmités humiliantes et cruelles , des déplaisirs mortels,
des chagrins dévorans , une ruine subite et totale, Tont sentir aux
coupables la main vengeresse qui s'appesantit sur leur tête. Mais,
il faut en convenir, malgré les exemples de ce genre, si la vie pré-
sente n'était pas liée à un autre ordre de choses, ce monde ne se-
rait qu'un chaos, qu'une énigme inconcevable, qu'un perpétuel
désordre qui accuserait la Providence et sa justice. Dans tous les
temps et chez tous les peuples , que nous présente l'histoire ? bien
souvent des vertus méconnues, des vices honorés, des forfaits
échappés au glaive de la justice humaine, des familles ruinées par
la mauvaise foi, des victimes infortunées de la haine et de l'envie,
des prisons où gémit l'innocence, des échafauds où périt la vertu.
Ces désordres sont si choquans que les esprits faibles, impatiens , en
ont pris occasion de blasphémer contre la Providence, de la regar-
der comme étrangère au gouvernement des choses humaines, de
croire ainsi comme perdus les efforts de l'homme de bien, étant
tentés de s'écrier comme ce Romain succombant aux champs de
Philippes : O vertu , tu n'es donc qu'un fantôme ! Sans doute, Mes-
sieurs, une telle impiété sera toujours loin de notre bouche et
plus loin encore de notre cœur. Ces désordres qui éclatent de tou-
tes parts sous nos yeux doivent nous rappeler l'ordre éternel dont
Dieu est la source. Je sais qu'il a dans les trésors de sa puissance
de quoi réparer tout ce qu'il y a de déréglé dans le monde présent.
Je m'élance dans le sein de son éternité , c'est de là qu'abaissant
DES PRÉDICATEURS. 58^
nies regards sur la terre je la vois dans son véritable point de
vue; je reconnais que ce qu'il y a de plus discordant rentre dans
l'harmonie universelle, par sa liaison avec les desseins infinis de
celui qui vit et règne au-delà des temps. Les souffrances de l'homme
vertueux sont, à mes yeux, non des injustices, mais des épreuves,
mais des combats qui mènent à la gloire ; et, quand je compare
ce qu'il souffre avec la couronne qui lui est réservée, je ne vois
plus dans ses afflictions que les angoisses d'une ame en travail de
son immortalité. Voilà ce qu'a voulu nous dire le Sage par ces gra-
ves paroles: « J'ai vu sous le soleil l'impiété au lieu du jugement,
« et l'iniquité au lieu de la justice, et j'ai dit dans mon cœur : Dieu
« jugera le juste et l'injuste, et alors ce sera le temps du rétablisse-
«ment de toutes choses. » (M. Frayssinous. )
Immortalité de l'ame prouvée par le témoignage de l'Écriture.
Le corps est humain, l'ame est divine. Notre Seigneur a dit:
« J'ai le pouvoir de déposer mon ame, et j'ai le pouvoir de la re-
« prendre K » L'amené meurt donc pas avec le corps, puisqu'elle
peut être déposée et reprise, et « remise entre les mains de notre
Père éternel 2. » Mais on va dire que cette faculté appartient à Jé-
sus-Christ seul, quoiqu'il eût revêtu toute la nature humaine. Il
serait trop long de discuter cette haute question. Pour y répondre,
écoutons seulement encore les divines paroles :« Que sais-tu si
«cette nuit même ton ame ne te sera pas redemandée 3? » Jésus-
Christ n'a pas dit : Si ton ame ne mourra pas en toi, mais ne te
sera pas redemandée; si ce qui t'a été donné ne te sera pas redemandé
ou repris. L'ame est reprise , elle ne meurt donc pas ; ce que l'on
reprend existe encore, ce qui meurt n'existe plus. Comment l'ame
pourrait-elle mourir, quand Dieu a dit dans sa sagesse : « Necrai-
« gnez pas ceux qui peuvent tuer le corps, car ils ne peuvent tuer
«l'ame 4? » quand nous voyons le prophète s'écrier: « Seigneur,
« mon ame est toujours dans mes mains 5 ? » Toujours, dit-il , et
non pas pour un temps. «Remets ton ame entre les mains de Dieu6.»
Non seulement quand elle a quitté le corps , mais même lorsqu'elle
habite le corps, elle est entre les mains de Dieu; car tu ne peux
la voir : « Tu ne sais pas d'où elle vient ni où elle va 7 ; » elle est en
toi et elle est avec Dieu. Enfin « le cœur du roi est dans la main
de Dieu8 ; » il est régi et gouverné par lui. Le cœur est rempli par
1 Joan., x, 18. — 2 Luc, xxnr, 46. ~- > Ibid., xh, 20. — 4 Matlh., x, 23. — *Ps.
cxvm, 109. — c Ibid., xxx, 6. — ' Joan., m, 8. — 8 Trov., xx, 1.
588 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
l'esprit, et l'esprit est le domaine de Pâme, et le courage appar-
tient à lame; non pas ce courage qui s'appuie sur la force du bras ,
mais celui qui consiste en sagesse, en tempérance, en piété et en
justice. Si le cœur de l'homme est dans la main de Dieu, à plus
forte raison Pâme doit-elle y être; et alors elle ne peut être enfer-
mée dans le tombeau avec le corps, ou mêlée aux cendres du bû-
cher funéraire, mais elle jouit d'un pieux repos. 0 vaine folie des
hommes qui construisent de magnifiques tombeaux, comme s'ils
devaient servir de demeure à l'ame et non pas au corps seul î De
nombreux témoignages de l'Ecriture nous apprennent que l'ame
doit habiter un plus noble séjour. Nous lisons dans les livres d'Es-
dras que, lorsque le jour du jugement sera venu, la terre rendra
les corps des morts, et la poussière rendra les dépouilles que ren-
ferment les tombeaux; et les réservoirs des âmes, dit-il, rendront
les âmes qui leur ont été confiées, « et le Très-Haut apparaîtra sur
« le tribunal suprême *. » Ce sont ces réservoirs dont Notre Sei-
gneur a dit: « Il y a plusieurs demeures dans le royaume de mon
« Père2, » et ce sont ces demeures qu'en allant à son Père il va
préparer pour ses disciples. Mais j'ai voulu me servir des paroles
d'Esdras, pour que les Gentils sachent que ce qu'ils admirent dans
les livres de la philosophie est emprunté à nos livres saints. Et plût
à Dieu qu'elle n'y eût pas mêléses vaines et inutiles rêveries, qu'elle
n'eût pas dit que les mêmes âmes étaient communes aux hommes
et aux bêtes , et que le plus beau prix auquel pût prétendre l'ame
du plus grand philosophe était d'aller habiter le corps d'une abeille
ou d'un rossignol , afin que celui dont les discours avaient in-
struit les hommes vînt plus tard adoucir leurs mœurs par la suavité
du miel ou l'harmonie des chants! Il leur eût suffi de dire que
l'ame dégagée du corps se rendait dans le aides ou lieu qui ne
peut être vu , et que nous nommons en latin infernus , enfer. L'Ecri-
ture a appelé ces demeures « les réservoirs des âmes, animarum
vrompluaria* . »
Pour aller au devant des plaintes des hommes sur le sort des
justes des premiers âges, qui sont privés pour long-temps de la
récompense qu'ils ont méritée, l'Ecriture dit encore dans son admi-
rable élévation « que ce jour du jugement est semblable à une
« couronne 4 , » et qu'il n'y aura là ni retard , ni priorité, ni pre-
miers, ni derniers. Ce jour de la couronne est attendu par tous ; et
dans ce jour les vaincus seront couverts de honte, les vainqueurs
1 Esdras, vu, 52. — 2 Joan., xiv, 2. — 3 ry Esdras, vit; 23. — * Ibùl., v, 42.
DES PRÉDICATEURS, 589
recevront la palme de la victoire. Et elle ne cache pas que ceux
qui ont été les premiers engendrés au monde semblent avoir été
plus forts et les derniers plus faibles; elle compare les générations
du siècle « à celles de la femme même *. » Le sein est épuisé par
les fruits qu'il a produits ; les enfans nés dans la jeunesse sont plus
forts que ceux qui ont été mis au monde dans la vieillesse; le siè-
cle est dégénéré et épuisé, et n'offre plus que l'image d'une créa-
ture décrépite que la force de sa jeunesse a abandonnée. Jusqu'à
l'accomplissement des temps, les âmes attcndentla récompense qui
leur est due. Aux unes est réservée la gloire, aux autres le châti-
ment ; et pourtant cette longue attente n'est pas pour les unes sans
quelques jouissances, pour les autres, sans quelques peines; car
les âmes impies voient déjà la moisson de gloire réservée à celles
qui ont suivi la loi de Dieu et les demeures gardées pour elles par
les anges; elles voient aussi déjà les supplices futurs de leur faus-
seté , de leur orgueil; dans la confusion et la honte , elles voient
la gloire du Très-Haut; elles rougissent de paraître en présence
de celui qu'elles ont offensé; comme Adam, elles ont péché ; comme
lui, elles sont dans la confusion. Tombé pour avoir transgressé les
ordres de Dieu, notre premier père se cachait; et dans la honte de
sa chute , dans le trouble de sa conscience coupable, il craignait
l'éclat de la divine présence. Ainsi lame du pécheur ne pourra
supporter l'éblouissant éclat de cette lumière céleste qu'elle se
souviendra d'avoir eue pour témoin de ses fautes. ( Saint Ambroise,
Que la mort est un bien.)
Nos corps ressusciteront pour ne plus mourir.
L'ame ne mourant point , si le corps qui meurt ne devait pas
ressusciter un jour, il s'ensuivrait que cet admirable assemblage
de deux substances si différentes, unies par un nœud secret et in-
compréhensible, ce chef-d'œuvre de la sagesse et de la puissance
de Dieu serait détruit à jamais par la mort. Mais cet assemblage est
ce que nous appelons proprement l'homme. Si donc les deux por-
tions qui composent son être ne devaient plus se réunir, et que
l'une d'elles eût péri pour toujours, le plus merveilleux des ou-
vrages du Créateur demeurerait éternellement mutilé comme s'il
n'était pas en son pouvoir de le conserver ou de le rétablir tout
entier. ; , «,
* IV Esdras, iv, 40 ; v, 53.
Ogo NOUVELLE BIBLIOTHEQUE
Mais quoi! ce corps serait-il donc par lui-même si vil que les
toutes- puissantes mains qui l'ont formé dédaignassent de le retirer
de la poussière? Sans doute, et nous venons de le dire, il est bien
inférieur par sa nature à lame spirituelle qui lui communique la
vie. Mais entre les œuvres matérielles de Dieu , en est-il une seule
qui l'égale ? Comparez, mes frères, et jugez. Le soleil nous éblouit
par son éclat, et toutefois brille-t-il, comme l'œil de l'homme, du
feu du génie ? et répand-il, si j'ose ainsi parler, la lumière de l'in-
telligence? La sérénité du plus beau jour est-elle comparable au
sourire qui embellit le visage de l'homme? à cette expression de
douce joie, de paix, de noble modestie, de pudeur et de bienveil-
lance qui anime quelquefois tous ses traits ? Lit-on dans le ciel le
plus pur, comme sur le front du juste, la candeur et l'innocence ?
Les oiseaux nous charment par la mélodie de leurs voix et de leurs
chants ; mais qu'est-ce que tous leurs concerts, auprès de la parole
de l'homme et des sons merveilleux qui expriment et communi-
quent le sentiment et la pensée, qui, en frappant l'oreille, éclairent
les esprits, émeuvent profondément les cœurs, rapprochent les
objets éloignés, peignent les invisibles , et font d'un des moindres
organes du corps l'admirable instrument d'un commerce spirituel
entre les âmes? Il est des animaux qui ont en partage la beauté, la
force, l'agilité, la grâce; mais en est-il qui aient reçu ce port ma-
jestueux de l'homme, ces yeux élevés vers le ciel, cette attitude
du commandement et cette dignité qui annonce le roi de la nature?
Oh ! mes frères , quel dut être ce corps dans l'état de sa beauté
originelle, lorsqu'il sortit pour la première fois des mains de son
Auteur, brillant de gloire et de majesté, portant sur le front l'em-
preinte toute vive et toute pure de la ressemblance divine. Puis-
que, dans l'état même de dégradation où l'a réduit le péché, il sur-
passe encore de si loin tout ce que ce monde visible offre de plus
parfait, il y est encore le centre de toutes choses, le seul être maté-
riel digne des regards et de l'amour du Créateur, le seul pour qui
tous les autres existent; car ce ne sont point nos âmes, mais nos
corps qui ont besoin de cette terre pour les porter et les nourrir,
de cette lumière des cieux pour les éclairer, de cet air que nous
respirons pour entretenir leur vie. Quelle apparence donc que le
plus beau et le plus accompli des objets sensibles et corporels,
celui auquel se rapportent tous les autres, soit presque le moins
durable de tous ? Les astres roulent depuis six mille ans sur nos
têtes sans avoir rien perdu de leur splendeur; la terre, après
tant de siècles , ne chancelle point sur ses bases, et conserve sa fé-
DES PRÉDICATEURS, 5()I
condité tout entière; les fleuves n'ont pas vu tarir leurs sources;
les cèdres et les pins antiques couronnent encore les mêmes mon-
tagnes où les virent nos aïeux; et le corps de l'homme serait sem-
blable à l'herbe des champs , qui s'élève le matin , tombe et se flé-
trit le soir? il n'aurait un moment d'éclat et de vie que pour être
changé bientôt en un vil fumier, et devenir pour toujours la proie
de la pourriture et des vers ? Non seulement il serait moins du-
rable que tant d'autres ouvrages de Dieu qui n'ont été faits que
pour lui; mais, chose plus étrange encore, il durerait bien moins
que ses propres ouvrages ? Tandis que ces superbes monumens ,
ces palais et ces sanctuaires qu'il a construits , ces marbres et ces
bronzes qu'il a su animer en quelque sorte, en leur imprimant les
traits de sa propre ressemblance, résistent aux ravages du temps
et attirent encore les regards des générations les plus reculées ; lui
même, presque aussitôt détruit que formé, il serait depuis long-
temps enseveli dans la poussière, pour ne s'en relever jamais? et
il aurait fait des images de lui-même moins périssables, que le mo-
dèle fait de la main du Tout-Puissant et marqué au sceau de sa di-
vine ressemblance ?
Mais de plus, ce corps qui élève des sanctuaires à la Divinité,
qui lui dresse des autels et les orne avec magnificence, n'est-il pas
lui-même le plus digne temple qu'elle habite ici-bas ? En est-il
qu'elle préfère à un corps chaste, domicile d'une ame vertueuse et
sainte? Que sont à ses yeux des édifices de bois et de pierre, ou
même d'or et de porphyre , auprès de ce temple vivant qui lui-même
offre l'encens , adore et prie ? Voyez-le qui se courbe tout entier,
se prosterne , et semble se vouloir anéantir devant la majesté su-
prême. Voyez cette bouche qui se colle contre le pavé du lieu saint,
et le baise avec un religieux respect; ces yeux qui se fixent sur le
tabernacle et se remplissent de pieuses larmes; ce cœur qui pal-
pite d'amour pour son Dieu; ces mains qui s'élèvent vers le ciel,
comme pour porter l'hommage de l'adoration jusqu'au pied du
trône de l'Eternel. Entendez cette voix et cette langue, qui chan-
tent avec une si douce harmonie ses louanges , et invitent haute-
ment toutes les créatures à célébrer avec elles ses grandeurs !
Mais , ô merveille ! ce n'est pas assez pour ce corps d'argile de
rendre un culte si pur à l'Auteur de son être, il faut encore qu'il
imite en quelque sorte ses vertus, qu'il soit l'instrument, le minis-
tre et comme le représentant de sa providence bienfaisante sur
la terre. Quel est le genre de bonne œuvre pour lequel il ne s'em-
presse, auquel tous ses membres ne concourent? Ne sont-ce pas
5p2 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
les entrailles qui s'émeuvent au récit de l'infortune? N'est-ce pas
le bras qui s'étend pour soutenir ou relever l'infirme, pour essuyer
les pleurs de l'affligé, pour répandre des largesses dans le sein du
pauvre? Nesont-cepas les mains qui travaillent pour vêtir l'homme
nu, pétrir le pain de l'homme affamé, dresser la couche del'homme
languissant et malade ? N'est-ce pas de la bouche et des lèvres que
coulent ces paroles tendres et consolantes, le baume le plus salu-
taire et le plus doux que la charité puisse appliquer aux blessures
du cœur? Où est, en un mot, le bien que fait à l'humanité une
ame sensible et généreuse , sans que le corps y contribue avec elle,
et en fasse même souvent les principaux frais? Quelquefois il
épuise ses forces, et se consume tout entier au service de Dieu et
du prochain ; et pour récompense , ce Dieu de bonté le vouerait à
nue éternelle destruction ! il romprait sans pitié et sans retour
l'alliance d'une ame et d'un corps si saintement unis pour tous les
offices de la piété et de la miséricorde! Non, Seigneur, non, je
ne le croirai jamais. ( Le P. de Mac-Càrtiiy. )
Excellence du corps de l'homme.
Ce corps, formé de la terre, Dieu ne nous l'a pas donné pour
que notre ame rampe avec lui sur la terre, mais pour que nous
relevions lui-même vers le ciel. Ce corps n'est, il est vrai, qu'une
matière terrestre; mais il ne tient qu'à moi de le rendre tout cé-
leste. Quel honneur pour l'homme ! quelle auguste prérogative
pour son ame! Il est dit de Dieu : Qu'il fait tout, quil change et
transfère les choses à son gré * ; il a donné à l'homme un pouvoir
égal au sien. C'est moi, nous dit-il, qui ai fait le ciel et la terre 2.
O homme, tu peux, toi aussi, transporter le ciel sur la terre! Je
t'ai fait un corps brillant de beauté; achève l'ouvrage en parant
ton ame de vertus. J'ai dit au premier des jours : Que la terre pro-
duise de l herbe et toutes sortes d arbres fruitiers 3$ commande à
ta chair, toute terrestre qu'elle est , de produire des fruits, et elle
obéira à ton commandement. C'est moi qui fais les orages etles tem-
pêtes; j'ai créé les vents et ce dragon, dont jemejoue clans ma toute-
puissance. Ce dragon , c'est le démon. Nous pouvons , mes frères,
prendre sur lui l'empire , le vaincre et nous jouer de ses fureurs,
comme on fait des résistances d'un timide passereau. Je fais luire
mon soleil sur les bons et sur les médians : imite-moi , dit le Sei-
* Dan., h, 21. — 2 Amos., v, 8. — * Gen., il, 11.
DES PRÉDICATEURS. 5û3
gneur, en faisant du bien à tes amis et à tes ennemis. J'ai allume
à la voûte du firmament, ces astres qui répandent la lumière* à
mon exemple, fais luire le flambeau de la vérité aux yeux de ceux
qui sont dans les ténèbres de l'erreur et de l'ignorance. Connaître
Dieu est un bien plus grand que celui de voir le soleil. S'il est hors
de ta puissance de créer un homme, tu peux du moins le rendre
juste et agréable aux yeux de son Créateur. (Saint Ciirysostome *,)
L'homme est un étranger sur la terre.
Nous ne sommes, dans ce monde, que comme des soldats sous
la tente. Celui qui n'est que campé ne s'avise pas de se bâtir une
maison dans le lieu où il est aujourd'hui pour n'y être plus demain-
y prétendre établir un domicile, ce serait donner une bien faible
idée de sa fidélité et de son courage. Il n'y est que pour se tenir
prêt à combattre. A la bonne heure , quand il sera de retour dans
sa patrie, il s'occupera de bâtiment ou de commerce. Que faisons-
nous dans le monde, qu'y combattre? Quand nous serons rendus
à la patrie céleste , nous penserons à nous y faire notre établisse-
ment, à nous y enrichir, ou plutôt le roi de cet empire a pourvu
à ce que nous n'y manquions de rien. Il nous y prépare d'assez
abondantes richesses. Ne nous occupons dans la terre de l'exil et
de la milice qu'à nous y faire de bons retranchemens contre l'en-
nemi. Il ne nous faut ici qu'une tente et point de maison. Vous
avez entendu dire que les peuples nomades de Scythie passent
leur vie sur des chariots qui les transportent d'un lieu à un autre,
sans avoir de domicile fixe. Tel doit être le Chrétien • il a bien
assez à faire, aux prises comme il est avec les démons, pour ne
s'occuper pas d'un autre intérêt que de celui de se défendre lui-
même, ou d'avoir à défendre les autres contre les attaques de ses
ennemis du salut. Vous vous construisez de magnifiques habita-
tions, ô mon frère! est-ce donc pour vous lier à la terre par des
chaînes plus pesantes ? Vous amassez des trésors que vous cachez
soigneusement; est-ce pour attirer l'ennemi par l'appât d'une
proie? Vous bâtissez des murailles; est-ce pour vous y empri-
sonner?
Jésus-Christ, dans l'Évangile, appelle les Pharisiens sépulcres
blanchis , pleins au dedans de corruption et d iniquité ^^ et trom-
pant les yeux par de beaux dehors : combien encore, parmi nous,
4 Hom„ xv, in I ad Timoth,—* Matth., xxm, 27.
T. III, ^8
594 NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
de ces Pharisiens ! On donne tous ses soins à l'extérieur : pureté
apparente; au dedans corruption, iniquité. Tout pour le corps,
rien pour l'aine. Soulevez toutes ces consciences ; vous y verrez
la pourriture et les vers; une infection épouvantable, c'est-à-dire,
les vices et les désordres les plus honteux. Ce qui était bien déplo-
rable, sans doute, pour les Pharisiens , l'est plus encore pour des
Chrétiens, dont la grâce de la régénération a fait les temples du
Saint-Esprit, les sanctuaires de Dieu lui-même. On relègue, avec
grand soin, les sépulcres loin de nos cités. Sépulcres où réside la
pourriture du péché, pouvez -vous bien prétendre à la Cité céleste ?
(Saint Ghrysostôme *.)
Futilité des objections contre la résurrection des corps.
Que les insensés et les impies viennent maintenant; qu'à ces
pensées si hautes et si divines , à l'autorité si imposante de toutes
les Eciitures, au fait si incontestable de la résurrection de Jésus-
Christ , et aux conséquences décisives qu'en tirait s?int Paul, ils
opposent, quoi? J'ai honte de le dire : l'impossibilité prétendue où
sera le Dieu tout-puissant de faire revivre ce qui est mort, après
avoir donné la vie à ce qui n'était pas, et de retrouver, dans ce qu'ils
appellent le vaste sein de la nature, les élémens dispersés de nos
corps, après les avoir su trouver dans les profonds abîmes du
néant. Qu'ils reproduisent ces difficultés vaines , dont les païens
eux-mêmes rougirent, et qu'ils abandonnèrent; nous les méprise-
rons , et il nous suffira de leur répondre : qu'une seule chose est
impossible à Dieu , c'est de ne pouvoir pas faire tout ce qu'il veut,
ou de ne pas accomplir tout ce qu'il a promis; que supposer quel-
que obstacle insurmontable à une puissance sans bornes, c'est
aller jusqu'aux dernières limites de la déraison, c'est se contre-
dire dans les termes ; que pour avoir droit de nier la résurrection
parce qu'elle est incompréhensible, il faudrait pouvoir citer au
moins une seule œuvre de Dieu que l'on comprenne, il faudrait
au moins être en état de comprendre notre propre existence
qui est elle-même pour nous un mystère impénétrable; enfin, que
si nous voyons tous les jours ces savans hommes qui ont dérobé
à la nature une partie de ses secrets , décomposer sous nos yeux
des substances matérielles, former, de leurs élémens combinés
avec art, des substances nouvelles, décomposer encore celles-ci
1 Hom., lxx et lxxiv, in Mauh.
DES PRÉDICATEURS. 5p,5
et des mêmes élémens reformer les premières, il serait étrange
que le souverain Auteur de la nature ne pût pas, après la dissolu-
tion de nos corps et les divers changemens qu'ils auront subis,
rassembler leurs élémens épars, pour reconstruire l'édifice de nos
membres, et rétablir ainsi son premier ouvrage.
Oh ! qu'il sera facile à la parole créatrice et toute-puissante d'o-
pérer cette merveille! avec quelle promptitude, au son de la trom-
pette, c'est-à-dire à la voix du Fils de Dieu, l'air, les eaux, la terre
et les abîmes rendant les débris de nos corps dévorés, enfouis,
évaporés, consumés en mille manières; nos cendres et notre pous-
sière disséminées se rapprochant en un clin-d'œil, et reprenant
leur ancienne forme, tous les morts sortiront vivans de leurs sé-
pulcres et comparaîtront devant l'arbitre suprême de leur sort,
pour recevoir le salaire dû à leurs œuvres : Et (ledit mare mor-
tuos... et mors et infernus dederunt mortuos suos.. etjudicatum est de
singulis i. (Le P. de Mac-Garthy.)
Péroraison.
Telle sera donc, mes frères, la fin de toutes choses : ou plutôt
tel sera le commencement d'un ordre de choses qui n'aura plus de
fin. Voilà vos destinées, ô hommes immortels qui m'entendez.
Votre ame, cette portion excellente de votre être, par laquelle vous
êtes semblables à Dieu et aux anges, ne cessse pas de vivre, au
moment où le souffle de la vie abandonne le corps; mais plutôt
elle s'échappe alors de sa prison, et prend son vol vers la région
des vivans, qui est le lieu de son éternité. Le corps lui-même ne
demeure pas englouti dans le tombeau où il est condamné à des-
cendre; il ne s'y consume que pour se dégager de ce qu'il avait de
corruptible, et se mettre en état de recevoir sa forme immortelle,
comme l'or se fond dans le creuset, pour en sortir plus brillant
et plus pur. O enfans des hommes , comment avez vous oublié ce
que vous êtes, et ce que vous devez un jour devenir? Gomment
vos cœurs se sont-ils appesantis et collés à cette terre qui n'est pas
votre patrie? Faits pour des biens si grands et si réels, appelés à
posséder, non l'apparence et l'ombre, mais la substance même
du parfait bonheur et de la vraie gloire , comment vous attachez-
vous à des bagatelles qui vous trompent, et à des fantômes qui
s'évanouissent au moment où vous les embrassez? Filii àominum,
usquequo gravi corde? ut quid diligitis vanitatem et quœritis
mendacium 2 ? Que vous sert, ô avare, ce trésor de boue, que vous
Àpoc, xx, 13. — s Ps.; iv, 5.
38.
fîrtg NOUVELLE BiliLIOTnÈQUE
amassez au prix de tant de sollicitudes et de sacrifices? qu'y a-t-il
de commun entre ce vil métal que la mort va vous enlever, et Y es-
prit immortel qui est en vous ? Hélas ! par quelle indigence et quel
dénûment éternel vous expierez un jour cette passion insensée
pour des richesses périssables! Ut quid diligitis vanilatem et quœ-
rilis mendacium? Et vous, ô superbe esclave de l'orgueil, n'est-
ce pas une illusion et un mensonge que cette fumée de gloire
dont vous êtes si avide? vous a-t-elle procuré un seul instant de
pure et véritable joie, pour vous dédommager de l'opprobre et de
l'ignominie qu'elle vous prépare dans l'éternité? Ut quid diligitis
vanitatem et quœritis mendacium? Mais vous surtout, ô volup-
tueux, que cherchez-vous dans la fange des plus honteux plaisirs?
Oh! par combien de remords et de dégoûts ces infâmes penchans
vous conduisent à des tourmens sans mesure et à un désespoir
sans fin ! Ut quid diligitis vanitatem et quœritis mendacium ? Lais-
sez, laissez, ô aveugles, de criminelles chimères, et tournez toutes
vos pensées vers les solides biens et les ineffables délices, qui se-
ront la récompense immortelle des justes : Scitote quoniam
mirificavit Dominus sanctum suum l. Hommes de peu de foi , ne
me demanderez-vous pas quel gnge nous vous donnons de ces
hautes destinées que nous osons vous promettre dans l'avenir :
Multi dicunt, quis oslendit nobis bona 2? Eh! Seigneur, en faut-il
d'autre garant que la noblesse même et la dignité de notre na-
ture, que cette empreinte de votre grandeur qui est en nous, et
qui nous distingue si glorieusement de tout ce qui nous envi-
ronne? Signatum est super nos lumen vultus tui, Domine 3. Puis-je
douter qu'il n'y ait en moi quelque chose d'immortel et de divin,
quand je me vois si supérieur à tout ce qui n'est pas vous, ou qui
ne porte pas le caractère de votre ressemblance ? quand je sens en
moi-même je ne sais quoi d'insatiable et d'immense , qu'aucun ob-
jet créé ne peut satisfaire,* pour qui tout ce qui doit finir n'est
rien ; qui déborde de toutes parts ce monde visible ; qui se trouve
à l'étroit dans tout ce qui a des bornes * qui ne peut se reposer à
l'aise que dans le sein de l'infini, ni goûter de contentement et de
bonheur qu'en vous seul? Dedisti lœtitiam in corde meo /k. Ah!
que d'autres s'applaudissent de la fécondité de leurs terres; qu'ils
recueillent avec joie leurs riches moissons, et les fruits abondans
de l'olivier et de la vigne : A fructu frumenti , vini et olei multi-
plicati sunt 5. Pour moi , mon Dieu, soit qu'il vous plaise de m'ac-
1 Ps., iv, 4. — 2 Ibid., 6. — s ibid., 7. — 4 Ps., iv, 7. — « Ibid., 8.
DES PRÉDICATEURS. 5gj
corder ou de me refuser les dons de la fortune et les jouissances
passagères de ce monde, je vivrai dans la paix, content et heureux
de votre seul amour : In p ace in idipsum dormiam et requiescam '.
L'espérance que vous me donnez d'une glorieuse immortalité
dans votre royaume suffit pour combler tous mes vœux et mes
plus vastes désirs : Quoniam tu. Domine , singulariter in spe con-
stituisti me - '•. Puisse, mes frères, cette précieuse espérance se
réaliser en notre faveur! Puissions-nous être tous éternellement
réunis dans le sein de notre Dieu! C'est la grâce que je vous sou-
haite, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, Ainsi soit-il.
(Le P. de Mac-Cartpiy.)
* Ps. iv, 9- — 2 lbid , 10.
FIN DU TROISIEME VOLUME.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS CE VOLUME.
Pages.
PLAN ET OBJET DU TROISIÈME DISCOURS SUR LES CRAINTES ET LES ESPÉRANCES DE
l'église. 1
L'étendue et la perpétuité de l'Église sont assurées. 3
L'Église n'a aucun besoin des princes de la terre , parce que les promesses de son
Époux tout-puissant lui suffisent. 8
Menaces des livres saints contre les églises en particulier. — Nous avons à crain-
dre les mêmes maux. 15
Les Églises en particulier doivent trembler, parce que les peuples ont péché. 24
Péroraison. 29
Plan et objet du quatrième discours sur le triomphe de l'église. SI
Triomphe de l'Eglise sur les persécutions. 32
Triomphe de l'Eglise sur les hérésies. 37
Étonnante dépravation des mœurs dans l'Eglise môme : le triomphe de sa charité
au milieu de tant de désordres. 40
L'état dont nous gémissons est pour l'Église un gage acsuré de triomphe. 43
Péroraison. 48
ENFER OU ÉTERNITÉ MALHEUREUSE.
Réflexions préliminaires sur ce sujet. 50
Cause de l'incrédulité sur l'Enfer. 51
Révélation du dogme de l'Enfer. ib.
Incomprchensibilité des peines de l'Enfer. 52
Violence des tourmens de l'Enfer. 53
Les tourmens de l'Enfer inégaux. ib.
Quatre principaux supplices en Enfer. 54
Séparation de Dieu. 55
Peine du feu. 57
Objections contre le feu de l'Enfer. 59
Remords. ib.
L'Éternité. 61
Objections contre l'éternité des peines. 63
Désespoir des damnés. 64
Conséquences morales du dogme de l'Enfer. 65
Penser à l'Enfer. 66
Craindre l'Enfer. 67
Eviter l'Enfer. 69
Etonnante insensibilité sur l'Enfer. 70
Divers passages de l'Écriture sur l'Enfer et sur l'éternité malheureuse. 72
PLAN ET OBJET DU PREMIER DISCOURS SUR L'ENFER. 74
Justice de Dieu dans la rigueur des peines de l'Enfer. 75
L'éternité des peines n'est point incompatible avec l'équité de Dieu. 81
Dieu punira-t-il un péché d'un moment par un supplice éternel ? — Réponse. 84
600 TABLE DES MATIERES.
Certitude de l'Enfer. 86
Le feu de l'Enfer. 88
Quand on vil bien , on ne doule point de l'Enfer. 90
Qui est revenu des Enfers pour nous apprendre ce qui s'y passe ? 91
On demande si les corps peuvent brûler dans les Enfers sans être consumés. Ib.
Erreur des partisans d'Origcne sur l'éternité des peines. 92
Où est l'Enfer? 93
Supplice du pécheur dans l'Enfer, la vue de son péché et des suites de son péché. 94
Peinture des peines de l'Enfer. 96
Eternité des peines de l'Enfer. 98
La colère de Dieu est sans bornes dans les Enfers. • 103
S'il n'y avait pas d'Enfer, il n'y aurait point de frein contre le crime. 106
Le feu de l'Enfer est éternel. 108
Péroraison. 109
PLAN ET OBJET DU SECOND DISCOURS SUR l'eNFER. HO
Le souvenir du passé déchire le pécheur en Enfer. 112
Le présent accable le pécheur dans l'Enfer par la plus cruelle douleur. 1 18
L'image toujours présente du bonheur dont le pécheur est déchu fait son tourment
dans l'Enfer. 122
Le pécheur verra ses péchés dans l'Enfer. 129
L'avenir désole le pécheur dans l'Enfer par le plus affreux désespoir. 131
Les tourmens de l'Enfer sont sans espérance. 134
Péroraison. 138
Plan et orjet du troisième discours sur l'enfer. 140
Supplices des méchans dans l'Enfer après la mort. 141
Ce que c'est que le feu de l'Enfer. 142
Même sujet. 143
Feu de l'Enfer, feu véritable. 144
Quelles sont les victimes de la colère de Dieu dans l'Enfer? 146
Preuves de l'éternité des peines de l'Enfer. 148
Tourmens de l'Enfer, tourmens universels, tourmens éternels. Ib.
La foi doit corriger nos erreurs et perfectionner nos lumières sur l'éternité des
peines. 155
Péroraison. 166
Plan et objet du quatrIeme discours sur l'enfer. 169
Dieu seul peut nous apprendre quelles seront dans l'Enfer ses rigueurs. 170
Comment une créature bornée pourra-t-elle soutenir le fardeau de la colère de
Dieu? 172
Qu'est-ce que la peine du dam? 173
Même sujet. 17o
Les corps auront part aux supplices éternels. 176
Différens degrés dans les supplices des méchans. 177
Tournions de l'Enfer sans consolation dans leur amertume. 178
Châtiment éternel des méchans. 181
Quelle est la source des peines de l'Enfer? 182
Éternité de l'Enfer, motif de conversion. 186
Même sujet. 187
L'Enfer commence dès ce inonde pour le méchant. 188
La pénitence est inutile dans l'Enfer. 189
Péroraison. 190
FOI.
Réflexions théologiqucs et morales sur ce sujet. 192
Notion de la foi. ^93
Divers passages de l'Écriture sur la foi. 203
Plan et objet du premier discours sur la foi. 204
Nécessité des ténèbres de la foi, fondées sur la grandeur de Dieu. Ib.
TABLE DES MATIERES. Go I
Utilité des ténèbres do la foi, fondées sur la sagesse de Dieu. 200
L'intelligence humaine est faible et bornée. 209
Une foi contredite et réprouvée par l'Église n'est qu'une foi présomptueuse et
imprudente. 210
Le monde ne subsiste que par la foi. 216
Lafoiest nécessaire à tout. 217
La foi est le fondement de la vie chrétienne. 218
La foi, fondement de toutes les autres vertus du chrétie . 219
Lumières de la foi dans l'examen des motifs de crédulité. 220
La foi doit nous guider dans la recherche de la vérité. 223
Nous croyons, parce que c'est Dieu qui a parlé. 227
Il faut tout sacrifier pour la foi. 230
Péroraison. I b ,
Plan et objet du second discours sur la foi. 232
Ce que c'est que la foi. 233
Il faut croire les vérités de la foi. Ib.
L'hommage de notre raison à Dieu est nécessaire et avantageux à l'homme. 236
La foi des Chrétiens est fondée sur la raison de Dieu. 240
La foi, ayant pour base la parole de Dieu , ne peut nous tromper. 241
La foi des Chrétiens est vraisemblable. 242
La foi nous fait croire ce qui est au dessus de la raison. 243
11 faut pratiquer les œuvres de la foi. lb .
Présence et absence de la foi. Leurs effets. 247
Merveilles opérées par la foi. 248
Péroraison. 249
Plan et objet du troèisime discours sur la foi. 231
Rien de plus utile que la foi. 253
Notre justification vient delà foi. 261
Rien de plus exposé que la foi. 266
La foi sans les œuvres devient, contre le Chrétien, un titre de réprobation. 273
Bonheur de celui qui vit dans la foi. 279
Péroraison. 281
Plan et objet du quatrième discours sur la foi pratique. 283
Quand on vit mal, la créance est ordinairement conforme à la conduite. 284
La foi inutile sans les œuvres. 289
L'indifférence-pratique est coupable en elle-même. 292
L'indifférence pratique est funeste dans ses conséquences. 293
L'indifférence-pralique est le scandale de la société. 297
La foi des prétendus Chrétiens de nos jours ne sert qu'à les rendre plus cou-
pables devant Dieu. Ib.
Péroraison. 303
GRACE.
Réflexions théologiques et morales sur ce sujet. 305
Systèmes catholiques sur la grâce. Ib.
Notion de la grâce. 307
Divers degrés de la grâce. 308
Nécessité de la grâce. 309
Qualités de la grâce. 310
La grâce ne détruit pas la liberté. 31 *
Mystère de l'accord entre la grâce et la liberté. 313
La grâce nous prévient. 314
La grâce s'obtient. Ib.
La grâce accordée aux prières. 315
La grâce accordée aux bonnes œuvres. 316
Grâces accordées aux pécheurs. Ib.
Conséquences morales des dogmes de la grâce. 317
6*02 TABLE DES MATIERES
Humilité.
Désir.
Reconnaissance.
Confiance.
Demande.
318
lb.
319
lb.
320
Coopération. ^
Divers passages de l'Écriture sur la grâce. 3^9
Plan et objet du premier discours sur la crace. 3o7
Nécessité de la grâce. -Jg
Nécessité de la grâce pour connaître Dieu. j£
Nécessité efficace et inlluence de la grâce. >»27
La grâce ne nécessite pas les actions. 3™
Il est de notre sagesse d'observer les occasions de la grâce et de ne pas les man-
quer. Jh
Force de la grâce. 333
Comment la grâce agit en nous. 34Q
La conversion est l'effet d'une grâce prompte et puissante. 3^2
Péroraison. 544
Plan et objet du second discours sur la grâce. ~^
La grâce nous élève jusqu'à Dieu. -$§
La douceur, les ménagemens de la grâce ne donnent à l'homme pénitent aucun
sujet de se. glorifier. 3.J0,
Le pécheur doit à la douceur et aux ménagemens de la grâce qui le prévient les
premiers désirs de sa conversion. 3*;i
Le pécheur doit à la douceur et aux ménagemens de la grâce sa conversion. 5*;*;
Divers effets de la grâce. 357
La force et la puissance de la grâce ne fournissent au pécheur aucun prétexte
pour s'excuser. 55g
Réponse aux objections. sgg
La grâce est accordée à nos prières. 364
Péroraison. /£.
Plan et objet du troisième discours sur la grâce. 366
De la nature de la grâce. 367
Nécessité de la coopération a. la grâce. 372
La grâce ne nous rend point impeccables. 573
Diou demandera compte de l'usage que l'on aura fait de la grâce. 374
Il faut coopérer à la grâce. Avec elle on peut tout. Exemple. 375
Conciliation des passages de l'Ecriture sur la grâce et sur le libre arbitre. 376
La loi inutile sans la grâce. 377
Difficulté à recouvrer la justice perdue. 380
Efficacité de la grâce pour surmonter nos plus fortes inclinations. 382
Péroraison. 588
HUMILITÉ.
Réflexions théologiques et morales sur l'humilité et l'orgueil. 380
Solide et véritable grandeur de l'humilité chrétienne. 398
Divers passages de l'écriture sur l'humilité. 411
Plan et objet du premier discours sur l'humilité chrétienne. 413
Nécessité de l'humilité, nécessité de précepte. 414
Jésus-Christ a commencé sa vie par l'humilité. 415
Le royaume de Jésus-Christ a pour fondement l'humilité. 418
La religion a établi son règne par l'humilité. 419
Nécessité de l'humilité , nécessité de précaution contre les vices. 422
L'humilité , remède du vice inséparable de notre nature. 426
Nécessité de l'humilité, nécessité de mérite pour acquérir des vertus. 427
La vraie sagesse est dans l'humilité. 429
Exhortation à l'humilité. 430
TABLE DES MATIERES. 6o3
Péroraison. 450
Plan et objet du second discours sur l'humilité. 451
Nécessité de l'humilité chrétienne. 452
L'homme n'a rien en lui qui le porte à s'élever. 455
L'homme n'a rien de son propre fonds. 454
Alliance de l'humilité avec les autres vertus. 455
Grandeur de l'humilité chrétienne. 456
C'est par l'humilité que nous arriverons à la gloire. 440
11 ne faut pas craindre de s'avilir en s'humilianl. Ib.
L'humilité n'est pas incompatible avec la magnanimité la plus héroïque. 442
Nécessité et exemples d'humilité. 444
Autres exemples d'humilité. 445
Péroraison. 446
Plan et objet du troisième discours sur l'humilité. 448
La piété véritable ne saurait exister sans l'humilité. 449
Sans humilité la piété est stérile, malgré nos lectures et les exhortations du prêtre. 451
Il faut s'exercer sans cesse à l'humilité. 455
Le chemin à l'humilité est l'humiliation. Ib.
L'humilité est la source d'une véritable paix. 454
Caractères de l'humilité. 455
Moyens pour acquérir l'humilité. Ib.
Le Chrétien sera humble s'il se souvient qu'il est homme. 459
Le Chrétien sera humble s'il se souvient qu'il est Chrétien. 461
Jésus-Christ recommande l'humilité. 465
Jésus-Christ exalte l'humilité. là.
Péroraison. 465
IMMORTALITE DE L'AME.
Réflexions théologiques et morales sur ce sujet. 467
Divers passages de l'Écriture sur l'immortalité de l'ame. 498
Plan et objet du premier discours sur l'immortalité de l'ame. 500
Immortalité de l'ame, vérité inébranlable. 501
Nier l'immortalité de l'ame, c'est outrager la nature de Dieu. 503
Nier l'immortalité de l'ame, c'est dégrader la sagesse de Dieu. 506
Nier l'immortalité de l'ame, c'est anéantir la justice de Dieu. 509
Même sujet. 510
Le sentiment de l'immortalité de l'ame triomphe des obstacles que le monde op-
pose à notre bonheur. 512
Péroraison. 525
Autre péroraison. 527
Plan et objet du second discours sur l'immortalité de l'ame3 529
L'immortalité de l'ame est la plus glorieuse de nos prérogatives. 552
Qu'est-ce que l'homme qui attend l'immortalité? 554
Importance du dogme de l'immortalité de l'ame. 555
Immortalité de l'ame. 540
Même sujet. 542
Même sujet. 345
Effets du désir de l'immortalité de l'ame. 545
L'immortalité de l'ame est la plus douce de nos espérances. 549
Que deviendra le monde si l'on ne pense qu'à la vie future ? 550
Nous sommes immortels, il ne faut donc que savoir mourir. 552
Péroraison. 555
Plan et objet du troisième discours sur l'immortalité de l'ame. 555
Certitude d'un avenir. 557
Immortalité de l'ame puisée dans la considération de ses sentimcns qui sont com-
muns à tous les hommes. 565
6o4 TABLE DES xMATIERES.
Considération en faveur de l'immortalilé de l'ame puisée dans ses désirs. 566
Immortalité de l'ame prouvée par la croyance universelle du genre humain. K67
Le doute de l'impie sur la vérité d'un avenir est opposé à l'idée d'un Dieu sage. 068
L'ame ne meurt point avec le corps. . ' k-q
Il ne faut pas écouter ceux qui nient l'immortalité de l'ame. 575
Le doute de l'impie sur la vérité d'un avenir est opposé au sentiment de la
conscience. 574,
Téroraison. 576
Autre péroraison. 577
Plan et objet du quatrième discours sur l'immortalité de l'uomme. 579
Nier l'immortalité de l'ame, c'est nier la sagesse de Dieu. 580
Nier l'immortalité de l'ame, c'est nier la bonté de Dieu. 582
Nier l'immortalité de l'ame , c'est détruire toute notion de la divine justice. 584
La justice divine exige une autre vie. 585
Immortalité de l'ame prouvée par le témoignage de l'Écriture. 587
Nos corps ressusciteront pour ne plus mourir. 589
Excellence du corps de l'homme. 592
L'homme est un étranger sur la terre. 593
Futilité des objections contre la résurrection des corps. 594
Péroraison. 595
FIN DE L.\ TABLE.
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La Bibliothèque
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