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Full text of "Nouvelle bibliotheque des predicateurs, ou, Dictionnaire apostolique : a l'usage de ceux qui se destinent a la chaire"

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NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE 


DES 


PRÉDICATEURS 


PARIS  ,    IMPRIMERIE  DE  PAUL  DUPONT  ET   Cie 

Rue  de  Grcnelle-St-Honoré,  55. 


VJC 


NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE  £%, 


PRÉDICATEURS, 


% 


ou 


^Dictionnaire  apostolique 


A   L'USAGE    DE    CEUX   QUI   SE   DESTINENT    A   LA   CHAIRE, 


PAR    M.    DASSANCE 


VICAIRE    GENERAL    DE    MONTPELLIER, 


TRECEDEE 


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®omc  troisième. 


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PARIS, 

AU  BUREAU  DE  LA  BIBLIOTHEQUE  ECCLÉSIASTIQUE  , 


RUE  DE  VAUGIRARD  ,  N°  58. 


% 


NOUVELLE   BIBLIOTHÈQUE 


DKS 


PRÉDICATEURS 


»   v.    »  »    «    VV\ 


PLAN  ET  OBJET  DU  TROISIEME  DISCOURS 
SUR  LES  CRAINTES  ET  LES  ESPÉRANCES  DE  L'ÉGLISE 


EXOIXDE. 


llœc  antiqua  novît  et  futur  a  conjectal. 

C'est  la  sagesse  de  Dieu  qui  connaît  le  passé,  et  qui  voit  juste  dans  l'avenir. 
(  Au  livre  de  la  Sag.,  c.  vm.  ) 

s 

II' n'est  donné  qu'à  la  sagesse  incréée  d'embrasser  d'un  regard 
l'avenir  et  le  passé  ;  mais,  tout  borné  qu'est  l'homme  mortel,  il  peut 
envisager  successivement  ces  deux  termes  ;  et  cette  étude  utile  à 
tout  homme,  à  toute  société,  à  celui  qui  commande,  comme  à  celui 
qui  obéit,  ne  peut  être  que  salutaire  à  la  société  visible  des  justes, 
et  à  chacun  des  membres  qui  la  composent  ou  qui  la  gouvernent. 

En  remontant  vers  le  passé,  nous  voyons  la  conduite  de  Dieu 
sur  son  Eglise ,  et  par  quelle  alternative  de  disgrâces  et  de  faveurs 
il  a  fait  marcher  son  peuple.  En  portant  nos  regards  sur  l'avenir  , 
nous  découvrons  l'espace  qui  nous  reste  à  traverser,  les  obstacles 
et  les  ennemis  que  nous  aurons  à  vaincre;  de  ce  double  spectacle 
nous  tirons  la  double  leçon  d'éviter  les  fautes  qui  ont  attiré  les 
châtimens  ,  et  de  prendre  des  précautions  qui  peuvent  éloigner  de 
nous  le  danger,  ou  nous  sauver  de  la  calamité  commune. 

Les  orateurs  sacrés  qui  m'ont  précédé  dans  cette  chaire  ont  dé- 
jà rempli  cette  première  portion  de  la  tâche  qui  me  fut  imposée. 
Ils  ont  célébré  l'établissement  de  l'Eglise  et  ses  progrès,  décrit  ses 
caractères  et  ses  prérogatives,  raconté  ses  combats,  ses  pertes,  ses 
conquêtes.  Il  est  temps  de  fixer  nos  regards  sur  l'avenir  ;  il  est 
r.   ni.  i 


2  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

temps  d'entrer  dans  les  conseils  de  Dieu,  de  pénétrer,  à  l'aide  des 
oracles  divins,  dans  les  profondeurs  de  sa  sagesse,  et  d'y  lire  ce 
qu'il  lui  a  plu  de  nous  révéler  de  ses  desseins  sur  nous  et  sur  son 
Eglise. 

Veut-il  par  des  pertes  multipliées  ,  et  par  un  affaiblissement  pro- 
gressif, renouvelerses  épreuves,  et  la  réduire  à  un  état  de  langueur 
qui  fasse  craindre  pour  sa  chute,  ou  lui  réserve-t-il  dans  ses  tré- 
sors quelque  secours  puissant  et  connu  de  lui  seul,  qui  soutenant 
sa  vigueur  et  renouvelant  sa  jeunesse  ,  ramène  ses  premiers  jours  ? 
Attendri  par  les  longues  disgrâces  des  enfans  d'Israël  ,  se  ressou- 
vient-il enfin  de  l'alliance  jurée  à  Abraham  et  à  Jacob,  leurs  an- 
cêtres; et  las  de  supporter  les  peuples  de  l'ingrate  gentilité,  se  pré- 
pare-t-il  à  tirer  vengeance  des  plus  coupables  ?  Ce  temple,  ces 
autels  que  nous  avons  hérités  de  nos  pères  ,  les  transmettrons- 
nous  à  notre  postérité  ;  ou  ,  destinés  à  voir  le  flambeau  de  la  foi 
s'éteindre  dans  ces  contrées,  sommes-nous  les  derniers  adorateurs 
que  Dieu  veuille  souffrir  dans  ce  sanctuaire  ? 

Si  vous  le  demandez  aux  sages  du  siècle  ennemis  de  la  foi ,  ils 
ne  vous  répondront  que  par  les  paroles  les  plus  sinistres.  Les 
temps  sont  arrivés  ;  les  ténèbres  ont  fait  place  à  la  lumière  ;  en- 
core une  génération,  et  il  n'y  aura  plus  de  Dieu  ni  dans  le  ciel  ni 
sur  la  terre.  Si  vous  faites  part  de  vos  craintes  aux  partisans  d'une 
justice  superficielle,  et  aux  amis  de  la  mollesse  et  du  repos;  loin 
de  partager  vos  alarmes  ,  ils  s'écrieront  dans  leur  sécurité  ,  comme 
les  Juifs  du  temps  de  Jérémie  :  Temple  du  Seigneur,  temple  du  Sei- 
gneur1 !  Ils  ne  voudront  pas  croire  à  des  maux  dont  ils  craindront 
le  remède  ;  ils  se  replongeront  dans  leur  sommeil  ;  et  malheur  à 
vous  si  vous  tentez  de  les  tirer  de  leur  funeste  léthargie. 

Ne  suivez  aucun  de  ces  guides  trompeurs,  mes  très  chers  frères; 
les  uns  vous  jetteraient  dans  le  désespoir,  les  autres  vous  inspire- 
raient une  fausse  confiance.  N'écoutez  que  Jésus  -  Christ  et  ses 
Apôtres;  eux  seuls  ne  vous  tromperont  point.  D'un  côté,  Jésus- 
Christ  vous  dit:  A liez,  je  suis  avec  vous  jusqu'à  la  fin  des  siècles; 
de  l'autre  :  Pensez-vous,  quand  le  Fils  de  P homme  reviendra,  quil 
trouve  encore  de  la  foi  sur  la  terre  ?  Saint  Paul  nous  annonce  les 
beaux  jours  de  l'Eglise,  et  comme  une  résurrection  de  la  mort  à 
la  vie  ,  par  le  retour  des  enfans  de  la  dispersion  Tout-  à-coup  , 
jelant  un  regard  terrible  sur  les  peuples  de  h  gentilité,  il  les  me- 
nace d'un  affreux  retranchement.   Prends  donc  garde ,  6  gentil , 

1  Jt'rwm.,  vu,  '<■,  14. 


DES    PRÉDICATEURS.  3 

car  si  Dieu  lia  pas  épargné  les  branches  naturelles  ,  crains  qu'il 
ne  £  épargne  encore  moins  *. 

Qui  ne  serait  effrayé  de  ces  redoutables  paroles  ?  D'un  côté  , 
des  promesses  ;  de  l'autre  ,  des  menaces.  Cet  oracle  est  profond  et 
mérite  d'être  expliqué.  Les  promesses  s'adressent  à  l'Eglise  en  gé- 
néral ,  les  menaces  regardent  les  peuples  en  particulier.  L'Église 
fondée  sur  la  parole  de  Dieu  ne  saurait  être  renversée  par  tous 
les  efforts  de  l'enfer,  etne  peut  manquer  de  voir  un  jour  réalisées, 
dans  leur  étendue,  les  promesses  qui  lui  ont  été  faites.  Mais  les 
divers  peuples,  enfans  de  l'Eglise  par  adoption,  peuvent  déchoir 
de  cette  prérogative  auguste.  Ne  craignez  donc  point  pour  l'Eglise 
en  général:  son  étendue  et  sa  perpétuité  sont  prédites  et  assurées^ 
mais  craignez  pour  les  peuples  ingrats,  craignez  pour  vous-mêmes,* 
et  tandis  que  le  flambeau  de  la  foi  brille  sur  notre  horizon,  tandis 
que  le  royaume  de  Dieu  est  encore  parmi  nous,  et  que  la  coignée, 
suspendue  auprès  de  l'arbre  ,  menace  de  frapper  ,  non  le  tronc 
immortel,  mais  les  branches  stériles  et  desséchées,  rentrons  en 
nous-mêmes  ,  mes  frères  ,  et  par  de  saintes  résolutions  exécutées  à 
l'envi  par  les  pasteurs  et  par  les  peuples,  tâchons  de  recueillir  le 
fruit  des  promesses,  et  de  nous  dérober  à  l'effet  des  menaces  :  c'est 
le  sujet  de  ce  discours.  (M.  de  Noé  2,  évêque  de  Lescar,  Sur  l'E- 
tat futur  de  l'Eglise.  ) 

L'étendue  et  la  perpétuité  de  l'Église  sont  assurées. 
Les  ennemis  de  la  foi ,  qui  publient  les  maux  de  l'Eglise  avec 

1  Rom.,  xi,  15,  21 . 

2  Noé  (  Marc-Antoine  de  ),  évèque  de  Lescar,  puis  de  Troyes,  naquit  au  château  de 
la  Grimaudière,  près  La  Rochelle,  en  1726.  Après  avoir  fait  ses  études  théologiques  à 
Paris,  il  devint,  au  sortir  de  sa  licence,  grand  vicaire  de  Rouen.  Nommé  en  1763  à 
l'évêché  de  Lescar,  il  fut  choisi  en  178o  pour  faire  le  discours  d'ouverture  à  l'assem- 
blée générale  du  clergé.  Il  prit  pour  sujet  :  l'État  futur  de  l'Église.  Ce  discours  ne  fut 
pas  prononcé,  parce  que  l'on  sut  qu'il  y  était  question  de  défection,  de  menaces  et  de 
conjectures,  et  que  l'on  crut  devoir  prévenir  un  éclat  qui  n'eût  réjoui  que  les  enne- 
mis de  l'Eglise.  Des  opinions  hasardées  sur  l'avènement  intermédiaire  de  Jésus- 
Christ  et  sur  la  conversion  des  Juifs  à  cette  époque  déparent  celte  production 
oratoire,  où  brillent  des  beautés  d'un  ordre  supérieur.  M.  de  Boulogne  n'a  pas 
craint  de  transporter  dans  son  oraison  funèbre  du  duc  de  Berry  ce  fameux  pas- 
sage de  l'évèque  de  Lescar,  resté  dans  la  mémoire  de  tous  les  connaisseurs  :  «  Je  ne  suis 

«  prophète,  ni  enfant  de  prophète  pour  lire  les  desseins  de  Dieu  dans  l'avenir 

«  Mais,  voyant  sur  le  soir  le  ciel  en  feu  ,  je  me  suis  dit  que  la  journée  du  lendemain 
«  serait  brûlante.  »  M.  de  Noé  mourut  à  Troyes  le  21  septembre  1802.  Sa  lettre 
pastorale  à  l'occasion  d'une  mortalité  de  bestiaux  qui  avait  fait  des  ravages  dans  son 
diocèse  en  1776  a  été  citée  avec  éloge  par  La  Harpe,  dans  son  Cours  de  littérature 

i. 


4  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

tant  de  satisfaction,  et  qui  nous  annoncent  sa  chute  avec  tant  de 
confiance,  auraient  dû  consulter  moins  leurs  préventions  et  le 
désir  de  leur  cœur,  que  leur  raison  et  la  nature  des  choses  mêmes. 
Et  si,  pour  connaître  les  principes  de  vie  et  les  ressources  de 
l'Eglise  ,  ils  eussent  examiné  son  esprit  et  son  organisation  , 
s'ils  eussent  sondé  les  fondemens  de  nos  espérances,  et  rappro- 
ché les  avantages  spirituels  et  temporels  de  ce  corps ,  ils  au- 
raient trouvé  une  constitution  saine  et  robuste,  qui  annonce  sa 
durée,  des  promesses  d'un  secours  abondant  et  divin  qui  la  garan- 
tissent, une  assistance  ordinaire  qui  préviendra  sa  défaillance, 
une  assistance  extraordinaire  qui  réparera  ses  pertes  et  portera 
sa  gloire  plus  haut  quelle  n'a  été  dans  ses  beaux  jours. 

J'appelle  donc  l'esprit  de  l'Eglise,  et  comme  son  principe  dévie, 
cette  foi  inébranlable  qui  nous  attache  aux  vérités  que  Dieu  nous 
a  révélées  ,  cette  espérance  ferme  qui  nous  fait  attendre  les  biens 
qu'il  nous  promet,  cet  amour  mutuel,  ce  feu  divin  qu'il  allume 
dans  nos  âmes  par  la  charité,  et  je  dis  qu'il  n'est  pas  de  principe 
plus  puissant  sur  le  cœur  de  l'homme,  ni  plus  capable  de  l'attirer 
dans  une  société  quelconque  et  de  l'y  fixer,  que  ce  triple  lien  par 
lequel  nous  tenons  invinciblement  à  l'Eglise  -, 

L'homme  est  né  pour  la  vérité  et  pour  le  bonheur;  son  esprit 
est  fait  pour  connaître,  son  cœur  est  fait  pour  aimer;  il  faut  donc, 
s'il  ne  veut  pas  déchoir  de  la  dignité  de  sa  nature,  qu'il  tâche  de 
découvrir  tout  ce  qu'il  a  intérêt  de  savoir,  son  origine,  sa  desti- 
nation ;  ce  qu'il  est,  d'où  il  vient,  où  il  va.  Et  pour  être  heureux, 
il  faut,  ou  qu'il  possède  l'objet  qui  peut  faire  son  bonheur,  ou 
qu'il  soit  dans  la  route  qui  doit  le  mener  à  ce  but.  Mais  à  qui  s'a- 
dressera-t-il  pour  l'aider  dans  cette  recherche ,  et  de  qui  recevra- 
t-il  un  si  grand  bien  ?  Sera-ce  de  ces  anciens  sages  qui  se  vantaient 
de  posséder  le  double  trésor  de  la  vérité  et  du  bonheur  ?  Sera-ce  de 
leurs  successeurs  qui  se  flattent  d'avoir  perfectionné  leur  art  et  sur- 
passé leurs  découvertes? Parmi  les  premiers,  l'un  vous  demandera 
du  temps  pour  vous  répondre,  un  autre  vous  répondra  que  ces 
vérités,  trop  sublimes  pour  le  commun  des  esprits ,  ne  doivent  pas 
être  révélées  à  la  multitude.  Parmi  les  derniers ,  les  uns  vous  don- 
neront des  doutes  sans  solution;  les  autres  des  assertions  sans 
preuve  et  sans  garant  ;  et  tous  vous  laisseront  dans  les  plus  déso- 
lantes incertitudes.  Mais,  comme  le  disait  Tertullien  aux  païens 
de  son  temps,  un  enfant  chez  les  chrétiens,  un  artisan  suffisant» 

1  Ecoles.,  iv,  là, 


DES  PREDICATEURS.  ô 

meut  instruit  dans  nos  écoles,  ne  redoutera  pas  vos  questions. 
Non  seulement  sur  tous  ces  objets  dignes  de  vos  recherches,  il 
vous  déduira  les  vérités  les  plus  sublimes,  mais  il  vous  montrera 
autour  de  lui  tout  un  peuple  qui  les  connaît  et  qui  les  professe, 
mais  vous  verrez  vous-mêmes  autour  de  vous  un  nombre  de  vrais 
sa  ces  j  heureux  par  la  connaissance  de  la  vérité  et  par  l'attente  des 
biens  d'une  autre  vie  dont  ils  goûtent  les  prémices  dans  celle-ci; 
des  hommes  qui,  loin  de  vouloir  jouir  exclusivement  de  leur  bon- 
heur, ne  cherchent  qu'à  le  partager,  et  qui,  regardant  les  autres 
hommes  comme  leurs  frères,  et  leurs  frères  comme  eux-mêmes, 
ne  sont  avec  eux  qu'un  cœur  et  qu'une  ame  *.  Et  après  cela  nous 
craindrions  qu'une  société  si  fortement  liée  et  si  solidement  établie 
vînt  à  manquer  !  Si  vous  voulez  renverser  ses  fondemens ,  et  nous 
dégoûter  d'elle,  faites-nous  croire  ou  que  Dieu  n'a  point  parlé,  ou 
que  sa  parole  ne  s'est  point  accomplie;  que  son  Fils  n'est  point 
venu,  ou  qu'il  n'a  pas  daigné  nous  instruire;  faites-nous  voir  un 
maître  plus  habile  et  d'une  plus  grande  autorité  ;  des  vérités  mieux 
prouvées,  plus  consolantes,  et  dont  nous  puissions  mieux  con- 
naître par  nous-mêmes  la  force  et  la  vertu.  Dites,  dites  que  nous 
sommes  dans  l'erreur  :  cette  erreur,  si  c'en  est  une,  nous  est  agréa- 
ble et  nous  plaît;  que  les  biens  qu'on  nous  propose  sont  vains  et 
chimériques  :  cette  chimère  nous  suffit  ;  que  les  liens  qui  nous 
unissent  sont  durs  et  fatigans  :  nous  n'en  voulons  pas  d'autres  ; 
nous  pensons  aujourd'hui  comme  pensaient  nos  pères.  Nosenfans 
un  jour  penseront  comme  nous.  Unis  par  la  connaissance  des 
mêmes  vérités  ,  par  les  solides  liens  ,  par  un  amour  mutuel  et  ten- 
dre, ils  s'attacheront  de  plus  en  j;>lus  à  la  mère  commune;  et,  trou- 
vant dans  son  sein  maternel  et  dans  la  société  de  son  divin  Epoux 
ce  qu'inutilement  ils  chercheraient  ailleurs,  ils  lui  diront,  comme 
les  disciples  de  Jésus  sur  le  Thabor  :  Seigneur }  il  fait  bon  en  votre 
présence ,  nous  y  fixerons  notre  demeure ,  nous  y  dresserons  nos  pa- 
villons. 

Tel  est  donc  le  principe  de  vie  qui  anime  l'Eglise  ;  et  si  de  son 
esprit  nous  passons  à  son  organisation,  nous  trouverons  joint  à 
la  plus  grande  énergie  tout  ce  qui  contribue  à  sa  plus  grande 
solidité.  Et  d'abord,  pour  base  dune  société  sainte,  une  auto- 
rité sacrée,  des  lois,  un  sacerdoce,  des  pontifes/  des  minis- 
tres, un  régime  que  nous  reconnaissons  et  recevons  comme 
venant  de  Dieu   seul,  que   Dieu  seul  pouvait  nous  donner,  que 

1  .Ici  ,  iv,  5*. 


6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Dieu  seul  peut  nous  ôter,  et  qui,  par  sa  nature,  échappant 
aux  entreprises  des  hommes,  n'a  rien  à  redouter  de  leurs  coups. 
D'ailleurs,  une  autorité  si  saintement  réglée,  qu'elle  ne  saurait 
corrompre  celui  qui  l'exerce,  ni  avilir  celui  qui  s'y  soumet;  assez 
indépendante  des  puissances  de  la  terre  pour  n'être  pas  gênée  dans 
la  poursuite  des  intérêts  du  ciel;  assez  rapprochée  des  sociétés 
humaines,  pour  leur  rendre  autant  qu'elle  en  reçoit,  et  entretenir 
une  sainte  confraternité  par  de  mutuels  services;  une  autorité 
enfin,  qui  par  des  canaux  fidèles  et  purs,  portant  son  influence 
jusqu'aux  extrémités  les  plus  reculées,  les  lie,  les  rapproche,  et 
fait  que  le  corps  au  besoin  peut  se  réunir,  ou  agir  avec  la  même 
force  que  si  toutes  les  parties  étaient  rassemblées  f. 

Au  centre  de  l'univers  chrétien  s'élève  une  chaire  antique  et 
révérée,  d'où  un  premier  pontife,  promenant  au  loin  ses  regards, 
observe,  reprend,  encourage,  et  au  nom  de  la  société  entière  et 
de  son  divin  instituteur,  pourvoit  à  ce  qu'un  besoin  pressant  a 
rendu  nécessaire. 

Sur  un  siège  moins  élevé,  chaque  pontife  préside  à  une  portion 
du  troupeau  universel;  et,  sans  se  départir  de  l'intérêt  général, 
concentre  son  activité  dans  les  limites  d'un  diocèse. 

Dans  chaque  diocèse,  un  corps  de  pasteurs  unis  à  leur  chef  par 
les  liens  dune  douce  et  juste  subordination,  partage  les  travaux, 
les  honneurs,  et  la  tendre  sollicitude  d'un  même  sacerdoce. 

Dans  chaque  province  et  dans  retendue  de  l'empire  chrétien, 
des  assemblées  plus  ou  moins  solennelles,  selon  la  grandeur  du 
péril,  selon  l'importance  des  objets,  proscrivent  les  erreurs,  ra- 
mènent les  errans ,  ou  ,  par  le  retranchement  douleureux  mais 
nécessaire  de  quelque  membre  corrompu,  arrêtent  le  progrès  du 
mal,  et  assurent  la  vie  et  la  santé  de  tout  le  reste. 

Que  manquerait-il  à  un  corps  ainsi  organisé,  si  ce  n'est  de 
trouver,  dans  les  puissances  qui  l'environnent,  un  concours  qui 
favorise  son  action  et  qui  la  fortifie  ?  Et  pourquoi  l'Eglise  ne  les 
trouverait-elle  pas  ?  Fille  du  ciel ,  elle  ne  doit  pas  faire  ombrage 
aux  puissances  de  la  terre.  Elle  ne  cherche  point  à  s'élever  sur 
leurs  ruines:  elle  ne  veut  que  former  des  hommes  dignes  de  Dieu. 
Mais,  en  les  rendant  dignes  de  lui,  elle  les  rend  encore  plus  dignes 
et  plus  capables  de  tous  les  emplois  de  la  terre.  Elle  adoucit  le 
cœur  des  rois,  elle  leur  soumet  le  cœur  des  peuples.  Amie  de  la 
dépendance,  et  point  ennemie  de  la  liberté,  elle  se  prête-à  tous  les 

1  Éphcs.,  iv,  10'. 


DES  PRÉDICATEURS,  J 

gouvernement,  et  s'incorpore  à  tous  les  Etats  où  elle  est  admise. 
Toutes  les  puissances  ont  donc  un  égal  intérêt  à  la  maintenir,  à 
veillera  l'exécution  de  ses  lois,  à  étendre  plutôt  qu'à  resserrer  les  li- 
mites de  son  empire  ;  et  alors,  réunissant  en  elle  tout  ce  qui  peut  la 
fortifier  et  l'embellir,  je  la  vois  qui  s'avance  à  travers  les  siècles, 
pleine  de  force  et  de  majesté,  repoussant  ses  ennemis,  réparant  ses 
pertes;  et,  frappé  de  ce  spectacle,  je  m'écrie,  avec  Jacob  dans  le  dé- 
sert de  Pharan  :  C'est  ici  le  camp  du  Seigneur;  ou  avec  Balaam ,  à  la 
vue  du  peuple  de  Dieu  sur  les  confins  de  la  terre  promise:  Que  tes 
tentes  sont  belles,  ô  Jacob!  et  que  tes  pavillons  sont  beaux,  6  Israël! 

Cependant  un  ouvrage,  sorti  des  mains  d'un  maître  aussi  puis- 
sant qu'habile,  aurait  encore  à  redouter  les  vicissitudes  des  choses 
d'ici-bas ,  des  pertes,  un  affaiblissement  qui  pourrait,  quoique 
tard ,  entraîner  sa  ruine.  Mais  la  même  main  qui  a  posé  l'Eglise 
sur  ses  fondemens  saura  l'y  soutenir,  et  la  même  Providence,  qui 
lui  aura  suscité  des  épreuves  et  des  périls,  a  pris  l'engagement  so- 
lennel de  l'en  faire  triompher.  Allez,  dit  Jésus-Christ  à  ses  Apôtres, 
en  leur  donnant  le  monde  à  conquérir;  allez,  enseignez  tous  les 
peuples:  toute  puissance  m'a  été  donnée  dans  le  ciel  et  sur  la 
terre  ;  je  serai  avec  vous  jusqu'à  la  consommation  des  siècles;  les 
cieux  et  la  terre  passeront,  mes  paroles  ne  passeront  pas,  et  les 
portes  de  l'enfer  ne  prévaudront  jamais  contre  mon  œuvre.  Aussi 
les  tyrans  se  sont  élevés  contre  l'Eglise  dès  sa  naissance,  les  erreurs 
ont  succédé  aux  tyrans,  les  vices  ont  secondé  l'erreur,  les  schismes 
ont  aggravé  les  maux  en  écartant  tout  remède;  et,  néanmoins, 
soutenue  par  les  promesses  et  par  le  bras  du  Tout-Puissant,  vous 
durez,  société  sainte,  dont  nos  ennemis  avaient  juré  et  prédit  la 
ruine.  Vos  temples,  vos  autels^  vos  dogmes,  votre  sacrifice,  vous 
sont  conservés  jusqu'à  ce  jour.  Parvenue  à  une  honorable  vieil- 
lesse, vous  enfantez  encore  des  justes,  vous  leur  préparez  des 
successeurs,  et  jusques  à  la  consommation  des  siècles  vous  serez 
justement  appelée  l'asile  de  la  vertu,  l'école  de  la  justice,  la  co- 
lonne et  le  fondement  de  la  vérité. 

Oui,  dira-t-on,  l'Eglise  a  ses  promesses  et  la  parole  d'un  Dieu 
pour  garant;  mais  la  Synagogue  avait  aussi  les  siennes;  mais  les 
Juifs  avaient  les  leurs,  et  cependant  la  chaire  de  Moïse  est  ren- 
versée, le  peuple  juif  est  dispersé;  l'Eglise  elle-même,  l'Eglise 
élevée  sur  les  débris  de  ce  peuple,  et  héritière  de  ses  bénédictions, 
a-t-elle  recueilli  tout  le  fruit  des  promesses?  Ou  sont,  et  cette 
domination  qui  devait  s'étendre  d'une  mer  à  l'autre  mer  '  ,  et  ces 

1  Tsal.,  71. 


8  NOCVELLE  BIBLIOTHÈQUE 

torrens  de  justice  qui  devaient  inonder  la  terre  i  ?  Que  sont  de- 
venues ces  nombreuses  églises  d'Orient  et  d'Occident,  jadis  flo- 
rissantes, aujourd'hui  désolées?  L'infidélité  a  ruiné  les  unes,  le 
schisme  et  l'hérésie  ont  infecté  les  autres.  Resserrée  au  dehors,  af- 
faiblie au  dedans,  l'Eglise  défend  à  peine  ses  limites.  Le  flambeau 
de  la  foi,  qu'on  voyait  transporté  de  contrée  en  contrée,  pour 
éclairer  de  nouveaux  peuples,  pâlit  et  se  consume  sur  son  chande- 
lier; et  à  moins  que  votre  Dieu,  sortant  de  son  secret  après    des 
siècles  d'inaction  et  de  silence,  ne  suscite  quelque  prophète  puis- 
sant en  œuvres  et  en  paroles,  qui  consomme  l'ouvrage  que  Moïse 
avait  commencé,  et  que  le  Messie  n'a  pas  fini;  à  moins  que  le  ciel 
et  la  terre  ne  conspirent  pour  former  une  nouvelle  race  de  Justes, 
et  que  des  pierres  même  Dieu  fasse  naître  des  en  fan  s  d'Abraham, 
que  deviendront  et  ses  promesses,  et  vos  espérances? 

Suspendez  votre  triomphe,  ennemis  de  la  foi,  et  ne  vous  flattez 
pas  de  nous  avoir  confondus  par  vos  défis  et  par  vos  menaces.  La 
Synagogue  a  péri  ;  mais  la  Synagogue  ne  devait  pas  toujours  durer  ; 
figure  de  l'Eglise,  elle  a  disparu  en  sa  présence,  comme  l'ombre 
devant  la  réalité. 

Coupables  du  plus  grand  des  crimes,  les  Juifs  ont  subi  le  plus 
terrible  des  châtimëns;  mais  ils  subsistent,  et  leur  sort  n'est  pas 
rempli.  L'Eglise,  il  faut  en  convenir,  n'est  pas  encore  parvenue 
à  la  plénitude  de  la  gloire  qui  lui  est  promise;  elle  est  encore 
dans  les  épreuves  et  dans  les  combats;  mais  ces  épreuves  et  ces 
combats  n'auront  qu'un  temps  et  finiront  par  le  triomphe  et  par 
la  paix.  (Le  même.) 

L'Église  n'a  aucun  besoin  <Ies  princes  de  la  lerre  ,  parce  que  les  promesses  Je  son 

Époux  tout-puissant  lui  suffisent. 

J^es  en  fan  s  du  siècle,  prévenus  des  maximes  d'une  politique  pro- 
fane, prétendent  que  l'Eglise  ne  saurait  se  passer  du  secours  des 
princes,  et  de  la  protection  de  leurs  armes,  surtout  dans  les  pays 
où  les  hérétiques  peuvent  l'attaquer.  Aveugles,  qui  veulent  mesu- 
rer l'ouvrage  de  Dieu  par  celui  des  hommes!  C'est  s  appuyer  sur 
un  bras  de  chair-'  ;  c'est  anéantir  la  croix  de  Jésus- Christ  3.  Croit- 
on  que  l'Epoux  tout-puissant,  et  fidèle  dans  ses  promesses,  ne 
suffise  pas  à  l'Epouse  ?  Le  ciel  et  la  terre  passeront,  mais  aucune  de 
ses  paroles  ne  passera  jamais  *'.  0  hommes  faibles  et  impuissans 

'  îsai.,  xlyiii,  18.—  a  Jérém.,  xvii,  5.  — r'  1  Cor  i,  17.  -•  '<  Luc,  xxt,  35. 


UKS    PREDICATEURS.  9 

qu'on  nomme  les  rois  et  les  princes  du  monde ,  vous  n'avez  qu'une 
iorce  empruntée  pour  un  peu  de  temps  :  l'Epoux,  qui  vous  la  prête 
ne  vous  la  confie  qu'afin  que  vous  serviez  l'Epouse.  Si  vous  [man- 
quiez à  l'Epouse,  vous  manqueriez  à  l'Epoux  même  ;  il  saurait 
transporter  son  glaive  en  d'autres  mains.  Souvenez  vous  que  c'est 
lui  qui  est  le  Prince  des  Rois  de  la  terre  ',  le  Roi  invisible  et  im- 
mortel des  siècles  2. 

Il  est  vrai  qu'il  est  écrit  que  l'Eglise  sucera  le  lait  des  nations, 
quelle  sera  allaitée  de  la  mamelle  des  rois,  qu  ils  seront  ses  nourri- 
ciers, qu' ils  marcheront  à  la  splendeur  de  sa  lumière  naissante,  que 
ses  portes  ne  se  fermeront  ni  jour  ni  nuit,  afin  quon  lui  apporte  la 
force  des  peuples,  et  que  les  rois  y  soient  amenés:  mais  il  est  dit 
aussi  que  les  rois  viendront  les  yeux  baissés  vers  la  terre ,  se  pros- 
terner devant  l'Eglise ,  qu' ils  baiseront  la  poussière  de  ses  pieds* ; 
que,  n'osant  parler ,  ils  fermeront  leur  bouche  devant  son  Epoux  ; 
que  toute  nation  et  tout  royaume  qui  ne  sera  point  dans  la  servitude 
de  cette  nouvelle  Jérusalem  périra.  Trop  heureux  donc  les  princes 
que  Dieu  daigne  employer  à  la  servir  !  Trop  honorés  ceux  qu'il 
choisit  pour  une  si  glorieuse  confiance  ! 

ht  maintenant ,  ô  rois,  comprenez;  instruisez-vous ,  ô  juges  de 
la  terre  :  servez  le  Seigneur  avec  crainte,  et  réjouissez-vous  en  lui 
avec  tremblement,  de  peur  que  sa  colère  ne  s  enflamme,  et  que 
vous  ne  périssiez  en  vous  égarant  de  la  voie  de  la  justice  4.  Dieu 
jaloux  renverse  les  trônes  des  princes  hautains ,  et  il  fait  asseoir  en 
leurs  places  des  hommes  doux  et  modérés  ;  il  fait  sécher  jusqu'aux 
racines  des  nations  superbes,  et  il  plante  les  humbles*  pour  les 
faire  fleurir;  il  détruit  jusque  dans  ses  fondemens  toute  puissance 
orgueilleuse  ;  il  en  efface  même  la  mémoire  de  dessus  la  terre  b. 
Toute  chair  est  comme  l'herbe,  et  sa  gloire  est  une  fleur  des  champs  : 
dès  que  l'esprit  du  Seigneur  souffle,  cette  herbe  est  desséchéeet  cette 
fleur  tombe  ". 

Que  les  princes,  qui  se  vantent  de  protéger  l'Eglise,  ne  se  flat- 
tent donc  pas  jusqu'à  croire  qu'elle  tomberait  s'ils  ne  la  portaient 
pas  dansleurs  mains. S'ils  cessaientde  la  soutenir,  le  Tout-Puissant 
la  porterait  lui-même.  Pour  eux  ,  faute  de  la  servir  ils  périraient^, 
selon  les  saints  oracles. 

Jetons  les  yeux  surl'Eglise  ,  c'est-à-dire  sur  cette  société  visible 
desenfans  de  Dieu  qui  a  été  conservée  dans  tous  les  temps  :  c'est 


1  Apoc,  i,  5.  —  -1  Tira.,1,  17.  —  5  ls.,  lx,  16  et  scq   —  *Ps.  u,  10,   11,  12. 
Luc,  i,  52.  —  «Ps.  xxxiu,  17,  —  "  1s.  xl,  6,  7.  —  s  ïbid  12-. 


IO  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

le  royaume  qui  n'aura  point  de  fui.  Toutes  les  autres  puissances 
s'élèvent  et  tombent;  après  avoir  étonné  le  monde,  elles  disparais- 
sent. L'Eglise  seule,  malgré  les  tempêtes  du  dehors  et  les  scanda- 
les du  dedans,  demeure  immortelle.  Pour  vaincre,  elle  ne  fait  que 
souffrir;  et  elle  n'a  pas  d'autres  armes  que  la  croix  de  son  Epoux. 

Considérons  cette  société  sous  Moïse  :  Pharaon  la  veut  opprimer; 
les  ténèbres  deviennent  palpables  en  Egypte;  la  terre  s'y  couvre 
d'insectes,  la  mer  s'entrouvre  ,  ses  eaux  suspendues  s'élèvent  com- 
me deux  murs;  tout  un  peuple  traverse  l'abîme  à  pieds  secs,  un 
pain  descendu  du  ciel  le  nourrit  au  désert;  l'homme  parle  à  la 
pierre,  et  elle  donne  des  torrens  ;  tout  est  miracle  pendant  qua- 
rante années  pour  délivrer  l'Eglise  captive. 

Hâtons-nous;  passons  aux  Machabées:  les  rois  de  Syrie  persé- 
cutent l'Eglise;  elle  ne  peut  se  résoudre  à  renouveler  une  alliance 
avec  Rome  et  avec  Sparte,  sans  déclarer  en  esprit  de  foi  qu'elle  ne 
s'appuie  que  sur  les  promesses  de  son  Epoux.  Nous  n'avons,  disait 
Jonathas  1,  aucun  besoin  de  tous  ces  secours ,  ayant  pour  consolation 
les  saints  livres  qui  sont  dans  nos  mains.  Et  en  effet ,  de  quoi  l'E- 
glise a-t  elle  besoin  ici-bas?  Il  ne  lui  fautquela  grâce  de  son  Epoux 
pour  lui  enfanter  des  élus  ;  leur  sang  même  est  une  semence  qui 
les  multiplie.  Pourquoi  mendierait-elle  un  secours  humain,  elle 
qui  se  contente  d'obéir,  de  souffrir,  de  mourir;  son  règne  qui  est 
celui  de  son  Epoux,  n'étant  point  de  ce  monde,  et  tous  ses  biens 
étant  au  delà  de  cette  vie? 

Mais  tournons  nos  regards  vers  l'Eglise  ,  que  Piome  païenne  , 
cette  Babylone  enivrée  du  sang  des  martyrs,  s'efforce  de  détruire. 
L'Eglise  demeure  libre  dans  les  chaînes,  et  invincible  au  milieu  des 
tourmens.  Dieu  laisse  ruisseler,  pendant  trois  cents  ans,  le  sang  de 
ses  enfans  bien-aimés.  Pourquoi  croyez-vous  qu'il  le  fasse  ?  C'est 
pour  convaincre  le  monde  entier,  par  une  si  longue  et  si  terrible 
expérience  ,  que  l'Eglise,  comme  suspendue  entre  le  ciel  et  la  terre, 
n'a  besoin  que  de  la  main  invisible  dont  elle  est  soutenue.  Jamais 
elle  ne  fut  si  libre  , si  forte,  si  florissante,  si  féconde. 

Que  sont  devenus  ces  Romains  qui  la  persécutaient  ?  Ce  peuple, 
qui  se  vantait  d'être  le  peuple-roi ,  a  été  livré  aux  nations  barbares; 
l'empire  éternel  est  tombé  ;  Rome  est  ensevelie  dans  ses  ruines 
avec  les  faux  dieux;  il  n'en  reste  plus  de  mémoire  que  par  une 
Rome  sortie  de  ses  cendres,  qui,  étant  pure  et  sainte,  est  devenue 
à  jamais  le  centre  du  royaume  de  Jésus-Christ. 

1  I  Mac,  xu,  9. 


DES    PRÉDICATEURS.  I  I 

Mais  comment  est-ce  que  l'Eglise  a  vaincu  cette  Rome  victo- 
rieuse de  l'univers  ?  Ecoutons  l'Apôtre  l  :  Ce  qui  est  folie  en  Dieu 
est  plus  sage  que  tous  les  hommes  ;  ce  qui  est  faible  en  Dieu  est  plus 
fort  queux.  Voyez,  mes  frères,  votre  vocation;  car  il  n  y  a  point 
parmi  vous  beaucoup  de  sages  ,  selon  là  chair ,  ni  beaucoup  cU hom- 
mes puissans ,  ni  beaucoup  de  nobles.  Mais  Dieu  a  choisi  ce  qui  est 
insensé  selon  le  monde  ,  pour  confondre  les  sages  ;  et  il  a  choisi  ce 
qui  est  faible  dans  le  monde,  pour  confondre  ce  qui  est  fort;  il  a 
choisi  ce  qui  est  bas  et  méprisable ,  et  même  ce  qui  n'est  pas ,  pour 
détruire  ce  qui  est ,  afin  que  nulle  chair  ne  se  glorifie  devant  lui. 

Qu'on  ne  nous  vante  donc  plus  ni  une  sagesse  convaincue  de 
folie,  ni  une  puissance  fragile  et  empruntée  ;  qu'on  ne  nous  parle 
plus  d'une  faiblesse  simple  et  humble,  qui  peut  tout  en  Dieu  seul; 
qu'on  ne  nous  parle  plus  que  de  la  folie  de  la  croix.  La  jalousie  de 
Dieu  allait  jusqu'à  sembler  exclure  de  l'Eglise,  pendant  ces  siècles 
d'épreuves,  tout  ce  qui  aurait  paru  un  secours  humain  :  Dieu,  im- 
pénétrable dans  ses  conseils,  voulait  renverser  tout  ordre  naturel. 
De  là  vient  que  Tertullien  a  paru  douter  si  les  Césars  pouvaient 
devenir  chrétiens  â.  Combien  coûla-t-il  de  sang  et  de  tourmens 
aux  fidèles,  pour  montrer  que  l'Eglise  ne  tient  à  rien  ici-bas! 
«  Elle  ne  possède  pour  elle-même,  dit  saint  Ambroise  ?  ,  que  sa 
«  seule  foi.  »  C'est  cette  foi  qui  vainquit  le  monde. 

Après  ce  spectacle  de  trois  cents  ans,  Dieu  se  souvint  enfin  de 
ses  anciennes  promesses;  il  daigna  faire  aux  maîtres  du  monde  la 
grâce  de  les  admettre  aux  pieds  de  son  Epouse.  Ils  en  devinrent  les 
nourricières ,  et  il  leur  fut  donné  de  baiser  la  poussière  de  ses  pieds  4, 
Fut-ce  un  secours  qui  vint  à  propos  pour  soutenir  l'Eglise  ébran- 
lée ?  non ,  celui  qui  l'avait  soutenue  pendant  trois  siècles  malgré 
les  hommes,  n'avait  pas  besoin  de  la  faiblesse  des  hommes,  déjà 
vaincus  par  elle,  pour  la  soutenir.  Mais  ce  fut  un  triomphe  que 
l'Epoux  voulut  donner  à  l'Epouse  après  tantde  victoires  ;  ce  fut  non 
une  ressource  pour  l'Eglise,  mais  une  grâce  et  une  miséricorde 
pour  les  Empereurs.  «  Qu'y  a-t-il,  disait  saint  Ambroise  5,  de  plus 
«  glorieux  pour  l'Empereur,  que  d'être  nommé  le  fds  de  l'Eglise  ?  » 

En  vain  quelqu'un  dira  que  l'Eglise  est  dans  l'Etat.  L'Eglise,  il 
est  vrai,  est  dans  l'Etat  pour  obéir  au  prince  dans  tout  ce  qui  est  tem- 
porel. Mais,  quoiqu'elle  se  trouve  dans  l'Etat,  elle  n'en  dépend  ja- 
mais pour  aucune  fonction  spirituelle.  Elle  est  en  ce  monde  ,  mais 

1  I  Cor.,  i,  25 — 28. — 2  Apoc,  c.  xxr.  —  3  Ep.  xvni,  ad  Valentinian,  cont.  Sym- 
machum ,  n°  16  ,  lom.  n  :  pag.  857. —  *  Is.,  xlix,  25.  —  s  Ep.  xxi  ,  in  serm.  cont. 
Auxent.,  n°  56,  tom.  n,  pag.  875. 


12  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

c'est  pour  le  convertir;  elle  est  en  ce  monde,  mais  c'est  pour  le 
gouverner  par  rapport  au  salut.  Elle  use  de  ce  monde  en  passant, 
comme  n'en  usant  pas:  elle  y  est  comme  Israël  fut  étranger  et 
voyageur  au  milieu  du  désert  ;  elle  est  déjà  d'un  autre  monde,  qui 
est  au  dessus  de  celui-ci.  Le  monde,  en  se  soumettant  à  l'Eglise, 
n'a  point  acquis  le  droit  de  l'assujétir;  les  princes,  en  devenant  les 
enfans  de  l'Eglise,  ne  sont  point  devenus  ses  maîtres;  ils  doivent 
la  servir,  et  non  la  dominer;  baiser  la  poussière  de  ses  pieds ,  et 
non  lui  imposer  le  joug.  L'empereur,  disait  saint  Ambroise  *,  «  est 
«  au-dedans  de  l'Eglise  :  mais  il  n'est  pas  au-dessus  d'elle.  Le  bon 
«  empereur  cherche  le  secours  de  l'Eglise  et  ne  le  rejette  point.  <> 
L'Eglise  demeura  sous  les  empereurs  aussi  libre  qu'elle  l'avait  été 
sous  les  empereurs  idolâtres  et  persécuteurs.  Elle  continua  de  dire, 
au  milieu  de  la  plus  profonde  paix,  ce  que  Tertullien  disait  pour 
elle  pendant  les  persécutions  :  «  Non  te  terremus ,  quinec  timemus  '*. 
«  Nous  ne  sommes  point  à  craindre  pour  vous,  et  nous  ne  vous 
«  craignons  point.  »  «  Mais  prenez  garde,  ajoute-t-il,  de  ne  combattre 
«  pas  contre  Dieu.  »  En  effet ,  qu'y  a-t-il  de  plus  funeste  à  une  puis- 
sance humaine  ,  qui  n'est  que  faiblesse  ,  que  d'attaquer  le  Tout- 
Puissant  ?  Celui  sur  qui  cette  pierre  tombe  sera  écrasé  ;et  celui  qui 
tombe  sur  elle  se  brisera  5. 

S'agit-il  de  l'ordre  civil  et  politique,  1  Eglise  n'a  garde  d'ébran- 
ler les  royaumes  de  la  terre,  elle  qui  tient  dans  ses  mains  les  clefs 
du  royaume  du  ciel.  Elle  ne  désire  rien  de  tout  ce  qui  peut  être 
vu  ;  elle  n'aspire  qu'au  royaume  de  son  Epoux  ,  qui  est  le  sien. 
Elle  est  pauvre  ,  et  jalouse  du  trésor  de  sa  pauvreté;  elle  est  pai- 
sible, et  c'est  elle  qui  donne  au  nom  de  l'Epoux  une  paix  que  le 
monde  ne  peut  ni  donner  ni  ôter  ;  elle  est  patiente,  et  c'est  par 
sa  patience  jusqu'à  la  mort  de  la  croix  qu'elle  est  invincible.  Elle 
n'oublie  jamais  que  son  Epoux  s'enfuit  sur  la  montagne  dès  qu'on 
voulut  le  faire  roi  ;  elle  se  ressouvient  qu'elle  doit  avoir  en  com- 
mun avec  son  Epoux  la  nudité  de  la  croix,  puisqu'il  est  Ihomme 
des  douleurs ,  l'homme  écrasé  dans  Vinjirmité  4  y ,  l'homme  rassasié 
d'opprobres^,  Elle  ne  veut  qu'obéir;  elle  donne  sans  cesse 
l'exemple  de  la  soumission  et  du  zèle  pour  l'autorité  légitime;  elle 
verserait  tout  son  sang  pour  la  soutenir.  Ce  serait  pour  elle  un 
second  martyre  après  celui  qu'elle  a  enduré  pour  la  foi.  Princes, 
elle  vous  aime;  elle  prie  nuit  et  jour  pour  vous,  vous  n'avez  point 

'  Ep.  xxi,  ibi  î.  —  2  Ad  Stflpul.,  cap.  iv.  —  r*  Matili.,  xxi,  ii.   —  *  Is.  ,  lui,  3,  10 
—  B  Lainunt.,  M,  50. 


DES  PRÉDICATEURS.  l3 

de  ressource  plus  assurée  que  sa  fidélité.  Outre  qu'elle  attire  sur 
vos  personnes  et  sur  vos  peuples  les  célestes  bénédictions ,  elle 
inspire  à  vos  peuples  une  affection  à  toute  épreuve  pour  vos  per- 
sonnes, qui  sout  les  images  de  Dieu  ici-bas. 

Si  l'Eglise  accepte  les  dons  précieux  et  magnifiques  que  les  prin- 
ces lui  font,  ce  n'est  pas  quelle  veuille  renoncer  à  la  croix  de  son 
Epoux,  et  jouir  des  richesses  trompeuses  :  elle  veut  seulement  pro- 
curer aux  princes  le  mérite  de  s'en  dépouiller;  elle  ne  veut  s'en 
servir  que  pour  orner  la  maison  de  Dieu,  que  pour  faire  subsister 
modestement  les  ministres  sacrés,  que  pour  nourrir  les  pauvres 
qui  sont  les  sujets  des  princes.  Elle  cherche,  non  les  richesses  des 
hommes,  mais  leur  salut  j  non  ce  qui  est  à  eux,  mais  eux-mêmes. 
Elle  n'accepte  leurs  offrandes  périssables  que  pour  leur  donner  les 
biens  éternels. 

Plutôt  que  de  subir  le  joug  des  puissances  du  siècle  et  de  per- 
dre la  liberté  évangélique,  elle  rendrait  tous  les  biens  temporels 
qu'elle  a  reçus  des  princes.  «  Les  terres  de  l'Eglise,  disait  saint  Am- 
«  broise  *,  paient  le  tribut  ;  et  si  l'empereur  veut  ces  terres,  il  a  la 
«  puissance  pour  les  prendre,  aucun  de  nous  ne  s'y  oppose.  Les  au- 
«  mônes  des  peuples  suffiront  encore  à  nourrir  les  pauvres.  Qu'on  ne 
«  nous  rende  point  odieux  par  la  possession  où  nous  sommes  de 
«  ces  terres,  qu'ils  les  prennent,  si  l'empereur  le  veut.  Je  ne  les 
«  donne  point;  mais  je  ne  les  refuse  pas.  » 

Mais  s'agit-il  du  ministère  spirituel  donné  à  l'Epouse  immédia- 
tement par  le  seul  Epoux,  l'Eglise  l'exerce  avec  une  entière  indé- 
nendance  des  hommes.  Jésus-Christ  dit  2  :  Toute  puissance  m'a  été 
donnée  dans  le  ciel  et  sur  la  terre.  Allez  donc;  enseignez  toutes  les 
nations,  les  baptisant ,  etc.  C'est  cette  toute -puissance  de  l'E- 
poux qui  passe  à  l'Epouse ,  et  n'a  aucune  borne  :  toute  créature 
sans  exception  y  est  soumise.  Comme  les  pasteurs  doivent  don- 
ner aux  peuples  l'exemple  de  la  plus  parfaite  soumission  et  de  la 
pins  inviolable  fidélité  aux  princes  pour  le  temporel ,  il  faut  aussi 
que  les  princes,  s'ils  veulent  être  chrétiens,  donnent  aux  peuples, 
à  leur  tour,  l'exemple  de  la  plus  humble  docilité  et  de  la  plus  exacte 
obéissance  aux  pasteurs  pour  toutes  les  choses  spirituelles.  Tout  ce 
que  l'Eglise  lie  ici-bas  est  lié;  tout  ce  qu'elle  remet  est  remis; 
tout  ce  qu'elle  décide  est  confirmé  au  ciel.  Voilà  la  puissance  dé- 
crite par  le  prophète  Daniel. 

V Ancien  des  jours,  dit-il  5,  a  donné  le  jugement  aux  saints  du 

^Ep.'xxi,  Serm.  cont.  Âuxent.,  n°  35,  tora.  h,  872. — 2  Matth.,  xxvm,  18.  — « 
s  Daniel,  vu,  22,  23,  26,  27. 


l4  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

Très-Haut,  et  le  temps  en  est  'venu,  et  les  saints  ont  possédé  la 
royauté.  Ensuite  le  Prophète  dépeint  un  roi  puissant  et  impie,  qui 
proférera  les  blasphèmes  et  qui  écrasera  des  saints  du  Très-Haut  : 
il  croira  pouvoir  changer  les  temps  et  les  lois ,  et  ils  seront  livrés 
dans  sa  main  jusqu'à  un  temps,  et  à  des  temps ,  et  à  la  moitié  d'un 
temps  :  et  alors  le  juge  sera  assis  afin  que  la  puissance  lui  soit  en- 
levée,  qu'il  soit  écrasé ,  et  qu'il  périsse  pour  toujours  ;  en  sorte  que 
la  royauté ,  la  puissance  et  la  grandeur  de  la  puissance  sur  tout  ce 
qui  est  sous  le  ciel ,  soit  donné  au  peuple  des  saints  du  Très-Haut, 
dont  le  règne  sera  éternel,  et  tous  les  rois  lui  serviront  et  lui  obéi- 
ront. 

O  hommes,  qui  n'êtes  qu'hommes,  quoique  la  flatterie  vous 
tente  d'oublier  l'humanité  et  de  vous  élever  au  dessus  d'elle,  sou- 
venez-vous que  Dieu  peut  tout  sur  vous  et  que  vous  ne  pouvez 
rien  contre  lui.  Troubler  l'Eglise  dans  ses  fonctions  ,  c'est  attaquer 
le  Très-Haut  dans  ce  qu'il  a  de  plus  cher,  qui  est  son  Epouse; 
c'est  blasphémer  contre  les  promesses;  c'est  oser  l'impossible; 
c'est  vouloir  renverser  le  règne  éternel.  Rois  de  la  terre,  vous  vous 
ligueriez  en  vain  contre  le  Seigneur  et  contre  son  Christ 1  ;  en  vain 
vous  renouvelleriez  les  persécutions  :  en  les  renouvelant,  vous  ne 
feriez  que  purifier  l'Eglise  ,  et  que  ramener  pour  elle  la  beauté  de 
ses  anciens  jours.  En  vain  vous  diriez  :  Rompons  ses  liens  et  reje- 
tons son  joug;  celui  qui  habite  dans  les  deux  rirait  de  vos  desseins. 
Le  Seigneur  a  donné  à  son  Fils  toutes  les  nations  comme  son  héri- 
tage, et  les  extrémités  de  la  terre  comme  ce  qu'il  doit  posséder  en 
propre  2.  Si  vous  ne  vous  humiliez  sous  sa  puissante  main,  il  vous 
brisera  comme  des  vases  d argile.  La  puissance  sera  enlevée  à  qui- 
conque osera  s'élever  contre  l'Eglise.  Ce  n'est  pas  elle  qui  l'enlè- 
vera, car  elle  ne  fait  que  prier  et  souffrir.  Si  les  princes  voulaient 
l'asservir,  elle  ouvrirait  son  sein  ;  elle  dirait  :  Frappez;  elle  ajou- 
terait, comme  les  Apôtres  :  Jugez  vous-mêmes  devant  Dieu  s'il 
est  juste  de  vous  obéir  plutôt  quà  lui  3.  Ici  ce  n'est  pas'moi  qui  parle, 
c'est  le  Saint-Esprit.  Si  les  rois  manquaient  à  la  servir  4  et  à  lui 
obéir,  la  puissance  leur  serait  enlevée.  Le  Dieu  des  armées,  sans 
qui  on  garderait  en  vain  les  villes,  ne  combattrait  plus  avec  eux. 
(  FÉNELOtf,  Discours  pour  le  Sacre  de  l  Electeur  de  Cologne.  ) 

i  Ps.  h,  2,  —  2  Ibid.,  3,  4,  8,   9.  —  3  Act.  iv,  19.  —  *  Euseb.,  de  Vita  Constan- 
tini,  lib.  iv,  cap.  xxiv. 


DES    PRÉDICATiiUftS.  l5 

Menaces  des  livres  saints  contre  les  églises  en   particulier.  —  Nous  avons  a  craindre 

les  mêmes  maux. 

Je  passe  sous  silence  les  menaces  que  nous  lisons  dans  les  an- 
ciennes prophéties  contre  les  Juifs  et  les  gentils,  quoique  saint  Paul 
nous  avertisse  que  ce  qui  a  été  dit  ou  écrit  pour  eux  l'a  été  aussi 
pour  nous;  et  j'arrive  à  ces  hommes  inspirés,  qui,  plus  près  de 
nos  jours ,  ne  peuvent  avoir  que  nous  et  notre  postérité  en  vue 
dans  leurs  prédictions. 

J'ouvre  le  livre  des  révélations  faites  à  l'apôtre  saint  Jean ,  ce 
livre  que  tous  les  interprètes  regardent  comme  l'abrégé  des  divines 
Ecritures  et  comme  un  fidèle  tableau  des  événemens  présens, 
passés,  futurs,  du  règne  de  Dieu  sur ^la  terre.  C'est  donc  dans  ce 
livre  divin  que,  pour  hâter  notre  instruction,  nous  devons  étudier 
la  conduite  de  Dieu  sur  son  Eglise:  heureux  celui  qui  le  lit,  heu- 
reux celui  qui  l'entend ,  plus  heureux  encore  celui  qui  profitera 
de  ses  leçons  1. 

Là,  sous  les  emblèmes  les  plus  frappans  et  les  plus  variés,  sept 
coupes,  sept  sceaux,  sept  trompettes ,  l'Esprit-Saint  nous  retrace 
les  sept  âges  de  l'Eglise,  depuis  sa  naissance  jusques  à  la  consom- 
mation des  siècles;  et  après  avoir  parcouru  à  grands  traits  ses 
conquêtes,  ses  pertes,  les  grandes  époques  de  son  histoire  jusqu'à 
nos  jours,  de  manière  qu'un  œil  attentif  ne  puisse  pas  les  mécon- 
naître, il  s'arrête,  et,  par  un  silence  de  quelques  instans,  il  réveille 
notre  attention,  et  nous  prépare  à  la  scène  tragique  qui  va  se 
passer  2. 

Six  trompettes  ont  déjà  sonné;  la  septième  et  dernière  donne  le 
signal  ;  une  voix  épouvantable  répète  :  «  Il  n'y  a  plus  de  temps  ,  il 
n'y  a  plus  de  temps.  »  Un  ange,  ministre  des  vengeances  de  Dieu? 
pressant  d'un  pied  la  terre  et  de  l'autre  la  mer,  et  de  la  main,  des 
yeux  et  delà  voix,  menaçant  le  ciel,  agite  la  nature  entière  et 
bouleverse  les  élémens  3.  Le  soleil  s'obscurcit,  la  lune  se  couvre 
de  sang,  les  cieux  se  roulent,  se  replient  et  disparaissent;  les  hom- 
mes, saisis  de  frayeur,  s'enfuient  dans  les  antres,  parmi  les  ro- 
chers, et  crient  aux  montagnes  :  Montagnes ,  couvrez-nous  de 
vos  masses,  et  sauvez-nous  de  la  colère  de  V Agneau  4. 

Le  voilà  donc  ce  jour  épouvantable,  jour  de  tribulation  et  d'ef- 
froi, que  l'apôtre  saint  Jean  et  les  Prophètes  nous  annoncent,  et 
que,  dans  l'amertume  de  mon  cœur,  je  voyais  de  loin,   comme  un 

1  Apoc.  i,  3.  —  2  Apoc.  vi,  per  tolum  vu,  ix,  x,  per  totum  xvr.  —  3  lb.  x  ,  i,  16,  — 
4  lb.  xvi,  xn,  xvu. 


iG  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

orage  s'avancer,  et  prêt  à  fondre  sur  nous;  jour  terrible  qui  n'est 
pas  cependant  le  dernier  de  nos  jours,  la  fin  et  la  consommation 
de  toutes  choses;  mais  ce  jour,  non  moins  à  craindre  pour  les  cou- 
pables, où  le  Fils  de  Dieu,  las  des  crimes  de  la  gentilité,  viendra 
dans  le  plus  grand  appareil  purifier  la  terre,  renouveler  les  cieux, 
établir  un  nouveau  règne  ;  et  par  des  prodiges  inouïs  signaler  sa 
justice  et  sa  miséricorde  tout  ensemble.  Il  veut  donc  (et  c'est  tou- 
jours l'apôtre  saint  Jean  qui  parle),  il  veut  qu'au  fort  de  sa  colère, 
les  quatre  anges,  qu'il  avait  placés  aux  quatre  extrémités  de  la  terre 
pour  exercer  ses  vengeances,  en  arrêtent  le  cours  l  ;  que  deux  té- 
moins pacifiques ,  partis  de  ses  côtés ,  courent  se  mettre  entre  son 
peuple  et  lui,  pour  opérer  une  réconciliation  durable  2;  que,  de 
chacune  des  douze  tribus,  douze  mille  enfans  d'Israël,  marqués 
au  front  d'un  signe  sacré,  échappent  à  l'anathème  général,  et  que, 
sur  leurs  pas,  une  foule  innombrable,  de  toute  langue  et  de  toute 
nation,  introduite  dans  la  nouvelle  Jérusalem,  1  adore  dans  ce 
temple  ,  dont ,  plusieurs  siècles  auparavant,  le  prophète  Ezéchiel 
nous  avait  tracé  le  modèle  r>.  Mais,  avant  que  ces  prodiges  de  misé, 
ricorde  s'accomplissent,  par  combien  d'actes  de  rigueur  ne  faut-il 
pas  qu'il  se  soit  vengé  ?  Il  faut  que  les  nations,  qui  l'ont  connu  et 
qui  l'ont  abandonné ,  expient,  à  divers  temps  ou  à  la  même  épo- 
que, par  un  jugement  secret  ou  par  un  jugement  solennel,  le 
crime  de  leur  révolte  et  de  leur  ingratitude. 

Les  Juifs  perfides  ont  subi  les  premiers  l'arrêt  qui  les  retranche. 
Les  Iles  ,  dit  le  prophète  Isaïe ,  c'est-à-dire  l'ingrate  gentilité  aura 
bientôt  son  tour4.  Il  approche  ce  moment,  ajoute  le  même  Pro- 
phète, où  Dieu,  comme  un  moissonneur,  va  venir  agiter  les  na- 
tions dans  un  van  ;  et  ce  ne  sera  que  le  plus  petit  nombre  qui  échap~ 
pera  à  cette  épreuve.  Joël,  Baruch,  Osée,  tous  les  prophètes,  sous 
des  images  différentes  ,  nous  retracent  un  même  fléau.  Saint  Jean, 
le  précurseur  du  Messie,  avait  annoncé  que  la  coignée  était  au 
pied  de  l'arbre,  prête  à  frapper:  saint  Jean,  le  disciple  bien-aimé 
du  Sauveur,  voit  un  glaive  à  deux  tranchans  sortir  de  la  bouche 
du  Fils  de  Dieu ,  pour  exterminer  les  nations  coupables  :  la  me- 
nace du  précurseur  a  eu  son  effet  contre  les  Juifs;  la  prédiction 
du  disciple  bien-aimé  ne  peut  manquer  de  l'avoir  contre  les  gen- 
tils. Que  celui  donc  qui  a  des  oreilles  pour  entendre  écoule;  et, 
s'il  lui  reste  encore  quelque  doute  après  avoir   entendu  l'apôtre 

*  Apoc.  vu,  et  seq.  —  a  Malach  ,  iv,  5.  — 3Apoc.  ix,  15 — 4  Is,,  xxiri,  59. 


DES    PREDICATEURS.  IJ 

saint  Jean,  saint  Paul  lui  répondra,  avec  autant  de  clarté  que  de 
profondeur,  que  toute  chair  a  été  renfermée,  comme  dans  un  cer- 
cle, dans  l'incrédulité.  L'incrédulité  des  Juifs  a  donné  lieu  à  la  vo- 
cation des  gentils;  l'incrédulité  donnera  lieu  au  rappel  des  Juifs. 
«  Prends  donc  garde,  6  gentil,  car  si  Dieu  n'a  pas  épargné  les 
«  branches  naturelles,  crains  qu'il  ne  t'épargne  encore  moins.  » 

Si  vous  avez  entendu  sans  effroi  ces  terribles  paroles,  il  n'est 
plus  rien  dans  les  divines  Ecritures  qui  puisse  vous  épouvanter  ; 
je  n'ai  plus  qu'à  descendre  de  cette  chaire,  et,  vous-mêmes,  sortez 
de  ce  temple,  d'où  bientôt  vous  ne  sortirez  que  plus  coupables 
et  plus  endurcis. 

Du  temps  de  saint  Jean  et  de  l'apôtre  saint  Paul,  des  disciples, 
ou  mal  instruits,  ou  peu  dociles  ,  pouvaient  douter  encore  de  l'ef- 
fet de  ces  menaces,  et  renvoyer  bien  loin,  dans  un  avenir  incertain, 
ce  qu'elles  avaient  de  plus  effrayant:  mais  aujourd'hui  que  les  faits 
ont  changé  les  menaces  en  prophéties,  et  les  prophéties  en  histoire; 
aujourd'hui  que,  regardant  autour  de  nous  et  au  dessus  de  nous, 
nous  voyons  tant  de  glandes  Eglises,  comme  autant  de  branches 
arrachées  du  tronc  sur  lequel  elles  avaient  fleuri,  et  le  nombre  de 
celles  qui  subsistent  tellement  diminué,  que  si  le  bras  de  Dieu 
s'appesantit  sur  quelqu'une  d'elles,  le  coup  ne  peut  tomber  que 
sur  nous  ou  près  de  nous ,  qui  ne  serait  effrayé  de  cet  oracle  : 
Prends  donc  gardc^  6  gentil  ! 

Encore,  si  ce  retranchement  ne  devait  opérer  que  des  calamités 
spirituelles,  l'obscurcissement  de  la  foi ,  le  refroidissement  de  la 
charité,  la  perte  des  biens  d'une  autre  vie,  qu'il  est  à  craindre 
qu'un  malheur  aussi  terrible  aux  yeux  de  la  foi,  envisagé  des  yeux 
de  la  chair,  ne  vous  parut  pas  aussi  redoutable  qu'il  l'est  dans  la 
réalité  !  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi;  non ,  il  n'en  est  pas  ainsi  ;  témoin 
ces  peuples  retranchés,  qui  peut-être  pensaient  comme  plusieurs 
d'entre  vous,  et  qui,  victimes  d'une  double  calamité,  vous  aver- 
tissent par  leur  exemple  de  ^craindre  les  menaces  sous  lesquelles 
ils  ont  succombé. 

Il  y  avait  sans  doute  parmi  eux  des  âmes  assez  charnelles  pour 
se  consoler  aisément  de  la  perte  des  biens  spirituels,  et  qui,  pour 
conserver  ou  acquérir  les  honneurs  et  les  richesses  de  la  terre,  au- 
raient fait,  sans  répugnance,  le  sacrifice  des  intérêts  du  ciel.  Chez 
les  Juifs,  par  exemple  ,  les  saducéens  eussent  livré  la  loi,  Moïse 
et  les  prophètes  ;  les  pharisiens  eussent  abandonné  leurs  oraisons, 
leurs  pratiques  superstitieuses,  leur  maintien  affecté,  leurs  phy- 
lactères; les  uns,  pourvu  qu'ils  eussent  conservé  leurs  richesses 
t.   ni.  o 


l8  NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE 

et  leur  prééminence  dans  le  temple  ;  les  autres ,  pourvu  qu'ils  eus- 
sent toujours  été  regardés  comme  les  docteurs  des  peuples  ,  et  com- 
me des  hommes  en  tout  au  dessus  du  vulgaire. 

Dans  les  Eglises  d'Afrique,  dans  celles  d'Orient,  dans  celles  du 
Nord  ,  il  y  avait  des  hommes  indifférens,  sensuels,  dévorés  d'am- 
bition et  d'avarice,  qui  auraient  appelé  l'ennemi  de  la  foi,  qui  lui 
auraient  ouvert  les  portes  du  temple ,  livré  les  autels ,  les  ministres, 
les  mystères,  les  richesses  mêmes  du  temple,  pourvu  qu'à  ce  prix 
ils  eussent  pu  s'avancer  dans  la  faveur  du  nouveau  maître,  et  sur- 
tout s'assurer  une  riche  portion  dans  le  partage  des  dépouilles  des 
peuples  et  du  sanctuaire. 

Mais  quand  l'iniquité  fut  portée  à  son  comble,  et  que  la  coupe 
delà  colère  trop  remplie  vint  à  se  répandre,  la  ville  et  le  temple, 
la  loi  et  les  sacrifices  ,  ceux  qui  venaient  offrir  des  victimes,  ceux 
qui  les  immolaient,  tout  fut  également  frappé  et  entraîné  dans 
une  ruine  commune. 

En  Afrique,  un  déluge  de  Barbares  inonde  les  Eglises  de  leurs 
erreurs,  et  couvre  ces  vastes  contrées  des  traces  de  leur  férocité. 

En  Orient,  Mahomet  établit  ses  dogmes  absurdes  sur  les  ruines 
du  nom  chrétien  ,  et  son  empire  sur  les  débris  des  puissances  qu'il 
a  renversées. 

Dans  le  Nord,  les  temples  sont  profanés  par  les  impiétés  les  plus 
révoltantes,  les  asiles  de  la  pudeur  violés  par  la  licence  la  plus  ef- 
frénée. Les  citoyens  armés  contre  les  citoyens  s'attaquent  et  se 
disputent  des  dépouilles  ensanglantées.  Cherchez  dans  les  annales 
de  l'Eglise  un  exemple  de  pareille  défection  ,  qui  n'ait  point  été 
marquée  par  des  ravages,  par  des  larmes  et  par  du  sang;  vous  n'en 
trouverez  point.  On  a  vu  quelques  impies  se  déclarer  les  ennemis 
de  Dieu ,  et  néanmoins  jouir  paisiblement  du  fruit  de  leurs  crimes; 
Dieu  les  attendait  dans  une  autre  vie  ,  où  il  leur  rendra  selon  leurs 
œuvres  ;  mais  qu'un  peuple  qui  faisait  partie  de  l'héritage  du  Sei- 
gneur, qui  portait  son  joug,  et  vivait  sous  ses  lois,  par  un  soulè- 
vement volontaire  se  soit  détaché  de  son  empire,  et  que,  pour 
toute  peine  de  sa  révolte,  il  n'ait  éprouvé  que  l'endurcissement  et 
les  ténèbres,  vous  ne  l'avez  pas  vu,  et  un  pareil  peuple,  s'il  exis- 
tait, serait  un  scandale  que  le  ciel  dans  sa  colère  n'a  pas  encore 
permis. 

Mais  si  les  mêmes  causes  qui  ont  attiré  ces  malheurs  subsistaient 
parmi  nous ,  si  de  plus  graves  se  faisaient  remarquer,  si  une  seule 
les  renfermait  toutes,  qui  pourrait  se  dire  à  lui-même  qu'il  n'est 
pas  en  péril,  et  dormir  tranquillement  au  bord  du  précipice?  Or, 


DES    PREDICATEURS.  1(J 

quelles  ont  été  les  causes  du  retranchement  de  ces  peuples,  et 
quelle  était  leur  situation  au  moment  ou  peu  de  temps  avant 
leur  chute?  C'est  par  la  comparaison  des  deux  états  que  nous 
pourrons  juger  plus  sainement  du  nôtre. 

Les  Juifs  avaient  assouvi  leur  haine  et  consommé  leur  attentat , 
en  immolant  l'Auteur  de  la  véritable  justice  sur  une  infâme  croix. 
Leurs  enfans,  héritiers  de  leurs  crimes  et  de  leur  malice,  suivaient 
les  mêmes  traces,  et,  sous  les  mêmes  maîtres,  s'enfonçaient  de 
plus  en  plus  dans  les  ténèbres  et  l'endurcissement.  Leur  corrup- 
tion appelle  la  colère  de  Uieu  ;  leur  rébellion  appelle  les  armes 
des  Romains  ;  il  faut  que  ce  que  le  Sauveur  du  monde  a  prédit 
s'accomplisse ,  que  Jérusalem  qui  égorge  ses  Prophètes  soit  égor- 
gée à  son  tour ,  et  que  le  sang  d'un  Dieu ,  répandu  par  la  main 
des  pères,  retombe  enfin  sur  la  tête  des  enfans. 

L'Orient ,  fatigué  par  des  querelles  religieuses ,  par  des  schismes 
et  par  des  tyrans,  ne  tenait  plus  à  une  religion  dont  il  ne  recevait 
aucun  bien  ,  ni  à  une  domination  dont  il  ne  recevait  que  du  m'ai. 
Agités  en  sens  contraires ,  des  esprits  sans  consistance,  indifférens 
pour  la  vérité  et  pour  l'erreur,  étaient  prêts  à  recevoir  de  nou- 
veaux dogmes  et  à  plier  sous  de  nouveaux  maîtres.  Mahomet  pa- 
raît, tout  cède  à  sa  voix,  à  ses  promesses,  à  ses  menaces,  ou  périt 
sous  le  tranchant  de  son  épée,  ou  sous  le  fer  de  ses  disciples ,  hé- 
ritiers de  ses  fureurs. 

Les  Eglises  du  Nord  avaient  dégénéré  de  leur  première  institu- 
tion ;  des  gens  de  bien  gémissaient  des  abus  dont  ils  prévoyaient 
les  suites,  et  demandaient  vainement  la  réformation  ;  quand  tout- 
à-coup  un  cénobite  obscur,  nourri  de  fiel  et  d'amertume,  dans 
l'ombre  et  le  silence  franchit  les  barrières  de  son  cloître,  comme 
le  démon  de  l'Apocalypse  s'élance  de  l'abîme  où  l'ange  le  tenait 
enchaîné  ;  il  lève  l'étendard  de  la  réforme ,  ou  plutôt  de  la  révolte  ; 
des  puissances  le  favorisent;  les  apostats  se  multiplient;  des  Egli- 
ses entières  donnent  le  spectacle  de  la  plus  déplorable  défection. 

Comparons  maintenant,  et  répondez  à  la  question  que  je  vais 
vous  faire  avec  les  paroles  mêmes  du  Sauveur  :  Pensez-  vous  que 
les  malheureux  qui  ont  été  écrasés  sous  les  ruines  de  la  tour  de 
Siloé  x,  je  veux  dire,  qui  ont  été  enveloppés  dans  la  catastrophe , 
sous  Tite,  sous  Mahomet,  sous  Luther,  fussent  plus  coupables 
que  les  autres,  que  nous,  par  exemple;  et  vous  paraît-il  que  ces 
Eglises,  la  veille  de  leur  chute,  fussent  en  plus  grand  péril,  et  por- 

1  Luc.  xiii» 


20  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

tassent  clés  principes  île  mort  plus  actifs  que  ceux  qui ,  après  avoir 
couvé  long-temps  dans  notre  sein,  se  développent  avec  tant  de 
fureur  aujourd'hui!* 

Un  mal  contagieux  s'est  répandu  dans  nos  contrées;  mal  funeste, 
poison  subtil,  qui  s'insinue  dans  les  âmes,  qui  aveugle  les  esprits, 
corrompt  les  cœurs,  et  qui,  si  vous  n'arrêtez  ses  progrès  par  les 
plus  sages  précautions,  soutenues  par  la  faveur  du  ciel  la  plus  in- 
signe, infectera  la  masse,  et  finira  par  dissoudre  toute  la  société 
religieuse  et  politique. 

Des  hommes  orgueilleux  d'un  faux  savoir,  ennemis  de  toute 
domination,  se  sont  élevés  contre  Dieu,  contre  son  Christ  et  son 
Eglise,  contre  toutes  les  lois  ;  et  pour  briser  plus  sûrement  un  joug 
qui  les  fatigue,  pour  renverser  des  idées  reçues  qui  les  importu- 
nent, pour  abréger  l'étude  de  la  science  qu'ils  enseignent,  et  d'un 
seul  mot  couper  court  à  toute  discussion,  ils  ont  fini  par  dire  : 
Mortels,  écoutez  vos  maîtres;  ils  viennent  vous  apprendre  qu'il 
n'y  a  pas  de  Dieu  :  intéressés  à  les  croire,  des  hommes  faibles ,  et 
déjà  vaincus  par  leurs  passions,  se  sont  laissés  aller  à  leurs  paroles  : 
bientôt  ces  nouveaux  disciples  sont  devenus  de  nouveaux  maîtres; 
les  plus  ardens  et  les  plus  téméraires  d'entre  eux  ont  été  les  plus 
suivis  par  leurs  semblables.  De  la  capitale,  où  il  a  d'abord  paru, 
le  mal  a  gagné  les  provinces;  des  villes,  il  a  passé  dans  nos  cam- 
pagnes; des  pères,  par  une  succession  malheureuse,  il  s'est  trans- 
mis aux  enfans  qui  en  ont  fait  la  portion  la  plus  précieuse  de  leur 
héritage  :  accru  et  fortifié,  à  mesure  qu'il  s'est  éloigné  de  sa  source, 
quelques  générations  ont  fait  perdre  de  vue  son  origine,  et  lui  ont 
acquis  le  poids  et  le  mérite  de  l'ancienneté.  On  avait  mis  en  ques- 
tion long-temps  s'il  était  possible  qu'il  y  eût  de  véritables  athées; 
grâce  à  notre  siècle,  le  problème  est  résolu,  et  nous  voyons  tous 
les  jours  des  hommes  conçus,  nés,  nourris  dans  l'athéisme,  vivre 
sans  Dieu,  sans  lois,  sans  remords,  et  mourir  froids  et  endurcis, 
comme  ils  ont  vécu.  Et  l'on  sera  surpris  que  les  hommes  d'aujour- 
d'hui  ne  veuillent  vivre  que  pour  eux,  que  les  pères  négligent 
leurs  enfans,  que  les  enfans  méconnaissent  leurs  pères,  que  les 
liaisons  du  sang  perdent  tous  les  jours  de  leurs  droits;  et  l'on  se 
plaindra  qu'il  n'y  ait  plus  de  patrie,  comme  il  n'y  a  plus  de  fa- 
mille; que  les  corps  et  les  esprits  dégénèrent;  que  les  sciences  et 
les  arts  utiles  déclinent;  que  les  chefs-d'œuvre  en  tout  genre  devien- 
nent rares,  et  la  vertu  encore  plus!  Et  comment  en  serait-il  au- 
trement? Des  hommes  qui  n'ont  qu'un  instant  à  vivre  ne  doivent 
pas  se  partager  :  si  le  bien,  si  le  mal  n'esS  qu'un  nom;  si  le  juge 


DES    PREDICATEURS.  21 

qui  les  voit  no  les  punit,  ni  ne  les  récompense;  si  cet  être,  quel  qu'il 
soit ,  n'existe  même  pas ,  quel  prix  pour  le  présent  ou  pour  l'ave*- 
nir  proposerez-vous  à  l'homme,  pour  le  payer  de  ses  sacrifices  et 
de  ses  travaux?  Il  sait  que,  pour  qui  va  cesser  d'être,  le  présent 
bientôt  ne  sera  plus,  et  que  l'avenir  ne  sera  jamais.  Ce  n'est  pas 
tout  :  des  gens  de  bien  qui  devraient  avoir  horreur  de  ces  maxi- 
mes écoutent  les  docteurs  qui  les  débitent,  vantent  leur  savoir, 
admirent  leur  courage,  envient  leur  sécurité,  se  rapprochent  tous 
les  jours  de  leurs  idées  ,  de  leurs  mœurs,  de  leur  langage,  se  dé- 
goûtent enfin  des  objets  de  la  foi,  et,  traînant  avec  ennui  un  faible 
reste  de  christianisme,  semblent  n'attendre  que  le  moment  de  la 
tentation  pour  s'en  défaire,  comme  les  apostats  n'attendent  que 
la  présence  du  tentateur  pour  se  livrer  aux  derniers  excès. 

Si,  dans  ces  circonstances,  il  s'élevait  un  homme  plein  d  adresse, 
revêtu  de  puissance,  réunissant  tous  les  caractères  et  tous  les  ti- 
tres qui  en  imposent  le  plus  aux  hommes  ;  et  que  l'audace  sur  le 
front,  le  blasphème  à  la  bouche  ,  il  parût  parmi  nous,  et  tentât  de 
consommer  en  un  jour  le  mystère  d'iniquité  qui  s'opère  depuis  les 
premiers  siècles,  quel  obstacle  trouverait-il  ?  Ah  !  je  vois  ces  nom- 
breux partisans  se  réjouir  en  voyant  approcher  leur  maître;  je  les 
vois  accourir  sur  ses  pas  dans  nos  temples,  renverser  nos  autels, 
en  arracher  les  prêtres,  les  lévites  occupés  du  sacrifice  ;  pénétrant 
dans  l'enceinte  sacrée  ,  je  les  vois  appeler  a  grands  cris  cette  foule 
de  demi-croyans  rassemblés  moins  par  le  zèle  que  par  l'usage,  et 
dans  ce  temple,  déshonoré  déjà  par  leur  culte  hypocrite,  les  invi- 
ter à  rejeter  bien  loin  un  fantôme  de  religion  qu'ils  ne  supportent 
qu'avec  peine  ;  je  les  vois  porter  une  main  sacrilège  sur  les  orne- 
mens  du  sanctuaire  ,  se  charger  avidement  de  leurs  dépouilles, 
fermer  les  portes  de  la  maison  de  Dieu ,  ou  en  changer  la  destina- 
tion pour  suivre  au  dehors  leur  victoire  impie,  et,  dans  leur  triom- 
phe et  leurs  festins,  insulter  à  nos  douleurs,  et,  par  des  libations 
impures ,  profaner  ces  coupes  et  ces  vases  consacrés  par  la  célé- 
bration de  nos  mystères  les  plus  redoutables. 

Détournez,  grand  Dieu,  un  événement  aussi  funeste,  et  ne 
permettez  pas  que  nos  yeux  en  soient  témoins  !  Cependant  qui 
peut  vous  assurer  que  cet  homme  dépêché  n'est  pas  à  votre  porte, 
que  Dieu  ne  le  nourrit  pas  dans  quelque  antre,  sur  quelque  rocher, 
d'où  il  le  fera  sortir  au  jour  de  sa  colère;  et  si  vous  demandez  à 
quelle  époque  ,  en  quel  lieu  il  paraîtra,  à  quel  signe  nous  pour- 
rons le  reconnaître,  quels  prodiges  dans  le  ciel  ou  sur  la  terre  au- 
ront annoncé  sa  venue,  je  ne  suis  ni  prophète,  ni  enfant  de  pro- 


22  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

phète  pour  lire  les  desseins  de  Dieu  dans  l'avenir  ;  sa  gloire  ne 
m'est  pas  apparue  de  dessus  son  trône  comme  à  Isaïe  ,  sa  voix  ne 
m'a  point  parlé  de  dessus  son  char  comme  à  Ezéchiel  :  je  n'ai  point 
vu  l'ange  du  Seigneur,  une  règle  à  la  jmain  ,  entre  le  sanctuaire 
et  l'autel,  mesurant  et  menaçant  les  murs  de  nos  églises;  il  ne 
m'a  pas  été  donné  plus  qu'aux  disciples  du  Sauveur  de  connaître 
'heure  et  le  moment  de  son  retour,  dont  Dieu  seul  s'est  réservé  la 
connaissance. 

Mais  ,  dépositaire  des  oracles  divins  ,  j'ai  médité  les  menaces 
qu'ils  renferment  ;  j'ai  vu  une  partie  de  ces  menaces  exécutées  sur 
des  portions  de  la  gentilité  coupable;  j'ai  comparé  les  crimes  de 
ces  peuples  avec  les  nôtres  ,  Jérusalem  avec  Samarie  ,  et,  voyant 
sur  le  soir  le  ciel  en  feu,  je  me  suis  dit  que  la  journée  du 
lendemain  serait  brûlante  ;  je  me  suis  recueilli  en  moi-même  ;  j'ai 
endurci  mon  front  contre  le  marbre  pour  soutenir  le  choc  des 
contradicteurs  1  ;  j'ai  crié,  comme  une  sentinelle  attentive  qui  a 
vu  l'ennemi  s'avancer  ;  j'élèverai  la  voix  ,  comme  une  trompette  , 
pour  annoncer  au  peuple  le  jour  de  la  colère ,  et  aux  chefs  du 
peuple  les  approches  de  la  calamité. 

Pontifes  du  Seigneur,  c'est  à  vous  que  je  dénonce  les  désordres 
de  vos  troupeaux ,  et  les  périls  de  vos  Eglises  ;  c'est  à  vous  d'y  re- 
médier ,  ou  c'est  à  vous  que  s'adressent  les  reproches  de  l'Esprit- 
Saint  aux  sept  Eglises  d'Asie. 

Ange  de  l'Eglise  d'Ephèse,  je  rends  justice  à  vos  vertus;  je 
connais  vos  œuvres  ;  vous  êtes  doux ,  vous  êtes  patient  ;  mais  vous 
avez  dégénéré  de  votre  charité  première  ;  vous  ne  vous  alarmez 
pas  pour  votre  peuple,  vous  ne  vous  armez  pas  d'assez  de  courage, 
et  ne  prenez  pas  assez  de  précautions  pour  le  sauver  de  l'état  dé- 
plorable dont  je  le  vois  menacé  2  . 

Ange  de  l'Eglise  de  Pergame,  vous  méritez  des  éloges  pour  tout 
le  bien  que  vous  faites  ;  mais  vous  n'échapperez  fpas  à  mes  justes 
reoroches  pour  le  bien  que  vous  négligez.  Vous  habitez  un  lieu 
où  Satan  a  placé  son  trône ,  où  les  disciples  de  Balaam  ont  élevé 
leur  chaire,  d'où  ils  tendent  des  pièges  pour  séduire,  et  d'où  ils 
débitent  leurs  blasphèmes,  et  enseignent  au  peuple  de  Dieu 
à  prévariquer  et  à  blasphémer.  Vous  devriez  les  confondre  par  le 
souffle  de  votre  bouche,  ou  du  moins  appeler  et  ranger  autour  de 
vous  les  amis  de  la  vérité,  en  état  de  la  défendre  et  de  vous  seconder. 

Ange  de  l'Eglise  deLaodicée,  c'est  vous  dont  l'étatme  paraît  le 

1  Ezcch .,  m,  1,  9.  «— s  Apoc,  il,  m. 


DES    PRÉDICATEURS.  23 

plus  à  plaindre  et  le  plus  dangereux;  vous  n'êtes  point  méchant, 
mais  vous  n'êtes  pas  bon  de  la  bonté  que  je  désire  ;  vous  n'êtes  ni 
froid  ni  chaud,  digne  dès-lors  d'être  rejeté  de  ma  bouche;  vous 
regardez  autour  de  vous,  et  voyant  la  magnificence  de  vos  temples, 
l'ordre  et  la  pompe  de  vos  cérémonies  ,  le  concours  d'un  peuple 
qui  s'empresse  à  vos  solennités,  vous  vous  croyez  riche  des  dons 
du  ciel  ,  et  vous  dites  :  Je  n'ai  besoin  de  rien  ;  et  moi ,  sous  cet 
éclat  et  cet  or  qui  vous  éblouissent,  au  milieu  de  cette  affluence 
froide  et  dissipée  qui  vous  entretient  dans  votre  erreur  ,  je  vois 
l'affreuse  misère  qui  vous  assiège  $  vous  êtes  pauvre. 

Et  vous  enfin  ,  ange  de  l'Eglise  de  Sarde,  parce  que  votre  siège 
et  vous  tenez  un  rang  distingué  dans  le  siècle,  et  que  les  princes 
de  la  terre,  vous  ayant  mis  en  part  de  leur  puissance,  vous  asso- 
cient encore  à  leurs  travaux,  abusé  par  un  double  pouvoir,  vous 
vous  croyez  plein  de  force  et  de  vie  ;  les  peuples  qui  vous 
voient  le  croient  aussi  :  mais  moi  ,  qui  découvre  le  germe  de 
vos  maux  et  le- principe  secret  de  votre  décadence,  je  vous  déclare 
atteint  d'une  maladie  mortelle  qui  vous  conduira ,  vous  et  votre 
peuple,  de  la  présomption  au  sommeil,  et  du  sommeil  à  la  mort. 
Prenez-y  garde  ,  j'agiterai  votre  chandelier,  et  je  le  changerai  de 
place;  je  viendrai  vers  vous  pendant  la  nuit,  comme  un  voleur, 
à  l'heure  que  vous  vous  y  attendrez  le  moins  ,  et ,  trouvant  ma  vi- 
gne négligée  et  désolée,  je  chasserai:  .  .  .  et  punirai  mes  vigne- 
rons 4. 

Voyez  déjà  mes  menaces  qui  s'exécutent,  l'orage  qui  gronde  et 
qui  vous  avertit;  les  commencemens  les  plus  fâcheux,  qui  vous 
annoncent  un  avenir  encore  plus  sinistre  ;  le  dégoût  qui  gagne  le 
troupeau;  le  zèle  qui  abandonne  les  pasteurs  ,  l'orgueil  qui  s'élève 
contre  votre  autorité;  l'avarice  qui  jette  un  œil  d'envie  sur  vos 
biens ,  de  toute  part  haine  dissimulée ,  déchaînement  ouvert ,  des- 
tructions opérées  ou  projetées  ,  et  vous  demanderez  encore  des 
signes  et  des  présages  de  la  révolution  que  l'Esprit-Saint  veut  vous 
faire  craindre!  En  faut-il  d'autre  que  la  révolution  elle-même,  qui, 
préparée  de  loin  ,  s'avance  à  grands  pas  ,  et  se  consomme  sous  vos 
yeux  ?  Prenez  donc  garde  ;  considérez  vos  maux  ;  recourez  au  re- 
mède, et  puisqu'il  est  encore  en  vos  mains,  puisqu'une  longue  ex- 
périence ,  depuis  les  Apôtres  jusqu'à  nous  ,  en  a  démontré  la 
vertu  ,  n'en  cherchez  pas  d'autre  que  la  doctrine,  l'exemple  et  les 
mœurs.  Ainsi  donc  ,  si  c'était  par  ignorance  que  péchaient  vos  peu- 

1  Apoc,  m,  1,  2,  3,  6. 


24  NOUVLLLE    BIBLIOTHEQUE 

pies,  obligez  leurs  pasteurs  immédiats  à  redoubler  d'instruction  ; 
si  c'était  au  contraire  les  pasteurs  qui  eussent  négligé  de  s'instruire, 
et  que  le  sel  delà  terre  se  fut  affadi,  redoublez  de  vigilance  vous- 
mêmes  :  aujourd'hui  le  soin  des  pasteurs  et  du  troupeau  ne  regarde 
que   vous. 

Vous  venez  de  pourvoir  à  la  subsistance  des  ministres  inférieurs  ; 
c'est  un  acte  de  justice  et  d'humanité  tout  ensemble:  il  est  juste 
que  le  prêtre  qui  sert  à  l'autel  vive  de  l'autel,  et  il  serait  trop  dou- 
loureux de  voir  gémir  dans  l'indigence  le  serviteur  qui  porte  le 
poids  du  jour.  Mais  vous  n'êtes  pas  encore  quittes  envers  eux;  vous 
leur  devez  de  les  rendre  encore  plus  dignes  du  double  honneur 
que  vous  venez  de  leur  procurer  l.  Ce  n'est  point  par  de  l'or  seu- 
lement, mais  par  une  discipline  exacte,  par  des  lois  sages  que  dans 
tous  les  temps  les  grands  princes  ont  formé  des  sujets  fidèles  et 
de  vaillans  soldats.  Montrez-nous  donc  et  ce  plan  d'études  et  ces 
sages  institutions  que  vous  méditez  depuis  si  long -temps  et 
que  la  voix  publique  nous  annonce  et  vous  demande  ;  ce  plan  qui, 
dégageant  de  ses  épines  et  ramenant  à  des  points  clairs  et  précis 
la  science  du  salut ,  en  rendra  l'étude  et  l'enseignement  plus  facile 
et  les  attaques  de  l'ennemi  moins  dangereuses.  La  science  est  bonne 
à  tout  quand  c'est  la  piété  qui  la  dirige;  et  dans  un  siècle  comme 
le  notre,  contre  des  ennemis  qui  vont  chercher  dans  les  cieux, 
dans  la  nuit  des  temps,  dans  les  entrailles  de  la  terre,  des  moyens 
d'attaque,  qu'ils  croyaient  nous  être  inconnus,  il  faut  que  les 
défenseurs  de  la  vérité  se  familiarisent  avec  l'usage  des  mêmes 
armes. 

Moïse,  destiné  de  Dieu  à  conduire  un  grand  peuple,  fut  élevé 
dans  toute  la  sagesse  des  Egyptiens;  et  sa  baguette  transformée  en 
serpent  dévora,  sous  les  yeux  de  Pharaon,  les  serpens  des  magiciens 
qui  endurcissaient  le  cœur  de  ce  prince  parleurs  prestiges.  Hâtez 
donc  ces  sages  institutions  qui  forment  dans  la  retraite,  sous  les 
yeux  du  Seigneur,  de  jeunes  ministres,  et ,  leur  communiquant  ce 
vaste  savoir  et  ces  talens  divers  qui  donnent  un  nouveau  lustre  à 
la  vertu  ,  les  rendront  dignes  d'être  adoptés  par  vous,  et  représen- 
tés un  jour  à  1  Eglise,  comme  la  forme  et  le  modèle  du  troupeau 
que  vous  confierez  à  leurs  soins.  (M.  de  Noé  ,  évêque  de  Lescar.) 

Les  Églises  en  particulier  doivent  trembler,  parce  que  les  peuples  ont  peché. 
Si  Dieu,  terrible  dans  ses  conseils  sur  les  enfans  des  hommes, 

1  Ad  Timolh.;  v,  17. 


DES  PREDICATEURS.  ^5 

n'a  pas  même  épargné  les  branches  naturelles  de  l'olivier  franc, 
comment  oserions  nous  espérer  qu'il  nous 'épargnera,  nous,  mes 
frères,  branches  sauvages  et  entées;  nous,  branches  mortes  et  in- 
capables de  fructifier?  Dieu  frappe  sans  pitié  son  ancien  peuple, 
ce  peuple,  héritier  des  promesses,  ce  peuple,  race  bénie  d'Abra- 
ham dont  Dieu  s'est  déclaré  le  Dieu  à  jamais;  il  le  frappe  d'aveu- 
glement, il  le  rejette  de  devant  sa  face,  il  le  disperse  comme  la 
cendre  au  vent;  il  n'est  plus  son  peuple,  et  Dieu  n'est  plus  son  Dieu; 
et  il  ne  sert  plus,  ce  peuple  réprouvé,  qu'à  montrer  à  tous  les  au- 
tres peuples  qui  sont  sous  le  ciel  la  malédiction  et  la  vengeance 
divine  qui  distille  sur  lui  goutte  à  goutte,  et  qui  y  demeurera  jus- 
qu'à la  fin. 

Comment  est-ce  que  la  nation  juive  est  déchue  de  l'alliance  de 
ses  pères  et  de  la  consolation  d'Israël?  Le  voici,  mes  frères.  Elle 
s'est  endurcie  au  milieu  des  grâces,  elle  a  résisté  au  Saint-Esprit, 
elle  a  méconnu  l'envoyé  de  Dieu.  Pleine  des  désirs  du  siècle,  elle 
a  rejeté  une  rédemption  ,  qui ,  loin  de  flatter  son  orgueil  et  ses  pas- 
sions charnelles,  devait,  au  contraire,  la  délivrer  de  son  orgueil 
et  de  ses  passions.  Voilà  ce  qui  a  fermé  les  cœurs  à  la  vérité,  voilà 
ce  qui  a  éteint  la  foi,  voilà  ce  qui  a  fait  que,  la  lumière  lui- 
sant au  milieu  de  ténèbres,  les  ténèbres  ne  l'ont  point  comprise. 
La  réprobation  de  ce  peuple  a-t-elle  anéanti  les  promesses?  A  Dieu 
ne  plaise!  La  main  du  Tout-Puissant  se  plaît  à  montrer  qu'elle  est 
jalouse  de  ne  devoir  ses  œuvres  qu'à  elle-même;  elle  rejette  ce  qui 
est,  pour  appeler  ce  qui  n'est  pas.  Le  peuple  qui  n'était  pas  même 
peuple,  c'est-à-dire,  les  nations  dispersées  qui  n'avaient  jamais 
fait  un  corps,  ni  d'état,  ni  de  religion;  ces  nations,  qui  vivaient 
enfoncées  dans  une  brutale  idolâtrie,  s'assemblent,  et  sont  tout 
à  coup  un  peuple  bien-aimé.  Cependant  les  Juifs,  privés  de  la 
science  de  Dieu  ,  jusqu'alors  héréditaire  parmi  eux,  enrichissent 
de  leurs  dépouilles  toutes  les  nations.  Ainsi  Dieu  transporte  le 
don  de  la  foi  selon  son  bon  plaisir  et  selon  le  profond  mystère  de 
sa  volonté. 

Ce  qui  a  fait  la  réprobation  des  Juifs  (prononçons  ici,  mes  frères, 
notre  jugement^,  pour  prévenir  celui  de  Dieu),  ce  qui  a  fait  leur 
réprobation  ne  doit-il  pas  faire  la  nôtre?  Ce  peuple,  quand  Dieu 
l'a  foudroyé,  était-il  plus  attaché  à  la  terre  que  nous,  plus  enfoncé 
dans  la  chair,  plus  enivré  de  ses  passions  mondaines ,  plus  aveuglé 
par  sa  présomption,  plus  rempli  de  lui-même,  plus  vide  de  l'a- 
mour de  Dieu?  Non,  non,  mes  frères;  ses  iniquités  n'étaient 
point  encore  montées  jusqu'à  la  mesure  des  nôtres.  Le  crime  de 


26  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

crucifier  de  nouveau  Jésus -Christ,  mais  Jésus-Christ  connu,  mais 
Jésus-Christ  goûté,  mais  Jésus- Christ  régnant  parmi  nous,  le  crime 
de  fouler  aux  pieds  volontairement  notre  hostie  de  propitiation 
et  le  sang  de  l'alliance,  n'est-il  pas  plus  énorme  et  plus  irrémissi- 
ble que  celui  de  répandre  ce  sang,  comme  les  Juifs,  sans  le  con- 
naître ? 

Ce  peuple  est-il  le  seul  que  Dieu  a  frappé?  Hâtons-nous  de  des- 
cendre aux  exemples  de  la  Loi  nouvelle;  ils  sont  encore  plus  ef- 
frayans.  Jetez,  mes  frères,  des  yeux  baignés  de  larmes  sur  ces 
vastes  régions  d'où  la  foi  s'est  levée  sur  nos  têtes,  comme  le  so- 
leil. Que  sont-elles  devenues  ces  fameuses  Eglises  d'Alexandrie, 
d'Antioche,  de  Jérusalem,  de  Constantinopie,  qui  en  avaient 
d'innombrables  sous  elles?  C'est  là  que  pendant  tant  de  siècles, les 
conciles  assemblés  ont  étouffé  les  plus  noires  erreurs,  et  prononcé 
ces  oracles  qui  vivront  éternellement;  c'est  là  que  régnait  avec 
majesté  la  sainte  discipline,  modèle  après  lequel  nous  soupirons 
en  vain.  Cette  terre  était  arrosée  du  sang  des  martyrs;  elle  exha- 
lait le  parfum  des  vierges  ;  le  désert  même  fleurissait  par  ses  soli- 
taires :  mais  tout  est  ravagé  sur  ces  montagnes  découlantes  de  lait 
et  de  miel,  où  paissaient  sans  crainte  les  troupeaux  d'Israël.  Là, 
maintenant,  sont  les  cavernes  inaccessibles  des  serpens  et  des 
basilics. 

Que  reste-t-il  sur  les  côtes  d'Afrique ,  où  les  assemblées  d'évê- 
ques  étaient  aussi  nombreuses  que  les  conciles  universels,  et  où 
la  loi  de  Dieu  attendait  son  explication  de  la  bouche  d'Augustin  ? 
Je  ne  vois  plus  qu'une  terre  encore  fumante  de  la  foudre  que  Dieu 
y  a  lancée. 

Mais  quelle  terrible  parole  de  retranchement  Dieu  n'a-t-il  pas 
fait  entendre  sur  la  terre  dans  le  siècle  passé?  Ij' Angle  terre,  rom- 
pant le  sacré  lien  de  l'unité,  qui  peut  seul  retenir  les  esprits,  s'est 
livrée  à  toutes  les  visions  de  son  cœur.  Une  partie  des  Pays-Bas, 
l'Allemagne,  le  Danemarck,  la  Suède,  sont  autant  de  rameaux 
que  le  glaive  a  retranchés  et  qui  ne  tiennent  plus  à  l'ancienne 
tige. 

L'Eglise,  il  est  vrai,  répare  ces  pertes  :  de  nouveaux  enfans  qui 
lui  naissent  au  delà  des  mers  essuient  ses  larmes  pour  ceux  qu'elle 
a  perdus.  Mais  l'Eglise  a  des  promesses  d'éternité;  et  nous,  qu'a- 
vons-nous, mes  frères,  sinon  des  menaces  qui  nous  montrent  à 
chaque  pas  l'abîme  ouvert  sous  nos  pieds  ?  Le  fleuve  de  la  grâce 
ne  tarit  point ,  il  est  vrai  ;  mais  souvent ,  pour  arroser  de  nouvelles 
terres,  il  détourne  son  cours,  et  ne  laisse  dans  l'ancien  canal  que 


DES    PRÉDICATEURS.  2J 

des  sables  arides.  La  foi  ne  s'éteindra  point,  je  l'avoue  :  mais  elle 
n'est  attachée  à  aucun  des  lieux  qu'elle  éclaire;  elle  laisse  der- 
rière elle  une  affreuse  nuit  à  ceux  qui  ont  méprisé  le  jour,  et  elle 
porte  se  rayons  à  des  yeux  plus  purs. 

Que  ferait  plus  long-temps  la  foi  chez  des  peuples  corrompus 
jusqu'à  la  racine,  qui  ne  portent  le  nom  de  fidèles  que  pour  le  flé- 
trir et  le  profaner?  Lâches  et  indignes  chrétiens,  par  vous  le  Chris- 
tianisme est  avili  et  méconnu;  par  vous  le  nom  de  Dieu  est  blas- 
phémé chez  les  gentils;  vous  n'êtes  plus  qu'une  pierre  de  scandale 
à  la  porte  de  la  maison  de  Dieu ,  pour  y  faire  tomber  ceux  qui  y 
viennent  chercher  Jésus-Christ. 

Mais  qui  pourra  remédier  aux  maux  de  nos  Eglises,  et  relever 
la  vérité  qui  est  foulée  aux  pieds  dans  les  places  publiques  ?  L'or- 
gueil a  rompu  ses  digues  et  inondé  la  terre;  toutes  les  conditions 
sont  confondues;  le  faste  s'appelle  politesse,  la  plus  folle  vanité  une 
bienséance;  les  insensés  entraînent  les  sages  en  les  rendent  sem- 
blables à  eux  ;  la  mode,  si  ruineuse  par  son  inconstance  et  par  ses 
excès  capricieux,  est  une  loi  tyrannique  à  laquelle  on  sacrifie  toutes 
les  autres;  le  dernier  des  devoirs  est  celui  de  payer  ses  dettes.  Les 
prédicateurs  n'osent  plus  parler  pour  les  pauvres,  à  la  vue  d'une 
foule  de  créanciers  dont  les  clameurs  montent  jusqu'au  ciel.  Ainsi 
la  justice  fait  taire  la  charité;  mais  la  justice  elle-même  n'est  plus 
écoutée.  Plutôt  que  de  modérer  des  dépenses  superflues ,  on  refuse 
cruellement  le  nécessaire  à  ses  créanciers.  La  simplicité,  la  modes- 
tie, la  frugalité,  la  probité  exacte  de  nos  pères,  leur  ingénuité, 
leur  pudeur,  passent  pour  des  vertus  rigides  et  austères  d'un  temps 
trop  grossier.  Sous  prétexte  de  se  polir,  on  s'est  amolli  pour  la  vo- 
lupté, et  endurci  contre  la  vertu  et  contre  l'honneur.  On  invente 
chaque  jour,  et  à  l'infini,  de  nouvelles  nécessités  pour  autoriser 
les  passions  les  plus  odieuses.  Ce  qui  était  d'un  faste  scandaleux 
dans  les  conditions  les  plus  élevées,  il  y  a  quarante  ans ,  est  devenu 
une  bienséance  pour  les  plus  médiocres.  Détestable  raffinement  de 
nos  jours  !  monstre  de  nos  mœurs!  la  misère  et  le  luxe  augmentent 
comme  de  concert;  on  est  prodigue  de  son  bien,  et  avide  de  celui 
d'autrui;  le  premier  pas  de  la  fortune  est  de  se  ruiner.  Qui  pourrait 
supporter  les  folles  hauteurs  que  l'orgueil  affecte,  et  les  bassesses 
infâmes  que  l'intérêt  fait  faire?  On  ne  connaît  plus  d'autre  prudence 
que  la  dissimulation;  plus  de  règle  des  amitiés  que  l'intérêt;  plus 
de  bienfaits  qui  puissent  attacher  à  une  personne,  dès  qu'on  la  trouve 
ou  inutile  ou  ennuyeuse.  Les  hommes,  gâtés  jusque  dans  la  moelle 
des  os,  parlesébranlemensetles  enchantcmens  des  plaisirs  violens 


28  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

et  raffines,  ne  trouvent  plus  qu'une  douceur  fade  dans  les  consola- 
tions d'une  vie  innocente;  ils  tombent  dans  les  langueurs  mortelles 
de  l'ennui  dès  qu'ils  ne  sont  plus  animés  par  la  fureur  de  quelque 
passion.  Est-ce  donc  là  être  chrétien?  Allons ,  allons  dans  d'au- 
tres terres  où  nous  ne  soyons  plus  réduits  à  voir  de  tels  disciples 
de  Jésus-Christ!  O  Evangile!   est-ce  là   ce  que  vous 'enseignez? 
O  foi  chrétienne!   vengez-vous;   laissez   une   éternelle   nuit   sur 
la  face  de  la  terre,  de  cette  terre  couverte  d'un  déluge  d'iniquité. 
Mais,  encore  une  fois,  voyons  nos  ressources  sans  nous  flatter. 
Quelle  autorité  pourra  redresser  des  mœurs  si  dépravées  ?  Une  sa- 
gesse vaine   et  intempérante,    une  curiosité  superbe   et  effrénée 
emporte  les  esprits.  Le  Nord  ne  cesse  d'enfanter  de  nouveaux  mons- 
tres d'erreur  :  parmi  ces  ruines  de  l'ancienne  foi,  tout  tombe  comme 
par  morceaux;  le  reste  des  nations  chrétiennes  en  sentie  contre- 
coup; on  voit  les    mystères  de  Jésus-Christ  ébranlés  jusqu'aux 
fondemens.  Des  hommes  profanes    et  téméraires  ont  franchi  les 
bornes,  et  ont  appris  à  douter  de  tout.  C'est  ce  que  nous  enten- 
dons tous  les  jours;  un  bruit  sourd  d'impiété  vient  frapper  nos 
oreilles,  et  nous  en  avons  le  cœur  déchiré.  Après  s'être  corrompus 
dans  ce  qu'ils   connaissent,  ils  blasphèment  enfin  ce   qu'ils  igno- 
rent. Prodige  réservé  à  nos  jours!  l'instruction  augmente,  et  la 
foi  diminue.  La  parole  de  Dieu,  autrefois  si  féconde  ,  deviendrait 
stérile,  si  l'impiété  l'osait.  Mais  elle  tremble  sous  Louis,  et,  com- 
me Salomon  ,  il  la  dissipe  de   son  regard.  Cependant,  de  tous  les 
vices,  on  ne  craint  plus  que  le  scandale;  que  dis-je?  le  scandale 
même  est  au  comble;  car  l'incrédulité,  quoique  timide,  n'est  pas 
muette;  elle  sait  se  glisser  dans  les  conversations,  tantôt  sous  des 
railleries  envenimées,  tantôt  sous  des  questions  où  l'on  veut  ten- 
ter Jésus-Christ,  comme  les  pharisiens.  En  même  temps  l'aveugle 
sagesse  de  la  chair,  qui  prétend  avoir  droit  de  tempérer  la  religion 
au  gré  de  ses  désirs ,  déshonore  et  énerve  ce  qui  reste  de  foi  par- 
mi nous.  Chacun  marche  dans  la  voie  de  son  propre  conseil;  cha- 
cun ,  ingénieux  à  se  tromper,  se  fait  une  fausse  conscience.  Plus 
d'autorité  dans  les  pasteurs,  plus  d'uniformité  de  discipline.   Le 
dérèglement  ne  se  contente  plus  d'être  toléré,  il  veut  être  la  règle 
même ,  et  appelle  excès  tout  ce  qui  s'y  oppose.  La  chaste  colombe, 
dont  le  partage  ici-bas  est  de  gémir ,  redouble  ses  gémissemens. 
Le  péché  abonde  ,  la  charité  se  refroidit ,  les  ténèbres  s'épaissis- 
sent, le  mystère  d'iniquité  se  forme;  dans  ces  jours  d'aveuglement 
et  de  péché  ,  les  élus  mêmes  seraient  séduits  ,  s'ils  pouvaient  l'être. 
Le  flambeau  de  l'Evangile,  qui  doit  faire  le  tour  de  l'univers,  achève 


DES    PRÉDICATEURS.  5Q 

sa  course.  Le  jour  de  la  ruine  est  proche,  et  les  temps  se  hâtent 
d'arriver.  Mais  adorons  en  silence  et  avec  tremblement  l'impéné- 
trable secret  de  Dieu.  (Fénelon,  Pour  la  fête  de  V  Epiphanie.) 

Péroraison. 

Et  vous  ,  mes  frères,  qui,  sur  la  même  mer  et  le  même  vaisseau, 
voyagez  avec  nous ,  songez  qu'un  même  sort  attend   le  passager 
et  le  pilote.  C'est  peu  de  vous  avoir  averti  des  écueils,  et  montré 
les  moyens  d'éviter  le  naufrage;  il  faut  encore  que  vous  travailliez 
avec  nous;  c'est  de  votre  concours  que  dépend  ,  en  grande  partie, 
le  succès  de  notre  ministère.  Secondez  nos  efforts,  soutenez  notre 
courage,  il  en  faut  pour  oser  vous  présenter  vos  devoirs,  et  ne 
pas  craindre  de  vous  déplaire.  Rassurez-nous  en  venant  au  devant 
de  nos  salutaires  avis  ,  et  en  nous  disant ,  comme  les  enfans  d'Israël 
à  Moïse,  mais  avec  plus  de  constance  et  de  fidélité:  Parlez-nous 
de  la  part  du  Seigneur,  nous  ferons  tout  ce  que  vous  nous  direz. 
Et  alors,  sans  vous  assurer  que  votre  amendement  et  vos  vertus 
changeront  les  desseins  éternels  de  Dieu  sur  les  divers   peuples 
de  la  terre,  j'ose  vous  répondre  de  vous;  la  terre  que  vous  habi- 
tez sera,  comme  celle  de  Jessen  ,  épargnée  au  milieu  des  plaies  de 
l'Egypte  '  ;  vous  verrez,  comme  Loth,  de  dessus  la  montagne,  l'em- 
brasement des  villes  criminelles;  ou,  si  vous  devez  avoir  quelque 
part  au  malheur  universel,  la  tribulation,  en  vous  atteignant,  ne 
fera  que  vous  purifier,  au  lieu  de  vous   détruire;  vous  serez  du 
nombre  désigné  dans  les  livres  saints  par  les  sept  mille  qui  n'ont 
pas  fléchi  le  genou  devant  l'idole  2,  et  par  un  pareil  nombre  qui 
n'ont  pas  souillé  leurs  vêtemens;  vous  serez  les  prémices  heureu- 
ses; ces  restes  précieux  et  bénits  qui  auront   échappé  à  la  faux 
des  moissonneurs;  à  vous  se  joindront  les  Juifs  convertis  et  ceux 
de  la  gentilité  qu'ils  mèneront  à  leur  suite.  Ces  deux  peuples  ne 
feront  qu'un  seul  peuple;  et  vous  serez  le  lien  qui  les  aura  unis. 
C'est  au   milieu   d'eux  que   le  véritable  Joseph,  après  avoir  long- 
temps caché  son  visage,  se  découvrira  à  ses  frères,  et  viendra 
prendre   sa  place  au  festin   qu'il  leur  aura  préparé.  Formée  de 
ces  deux  peuples,  enrichie  de  ses  nouvelles  conquêtes,  l'Eglise, 
au  milieu  de  ces  nombreux  enfans ,  se  félicitera  de  sa  tardive  fé- 
condité :   sa  jeunesse  renouvelée  comme  celle  de  l'aigle  lui  fera 
oublier  des  maux  qui  ne  reviendront  plus  ;  vous  aurez  commencé , 

JExod.,ix,  23.-  MU  Rcx,  xix. 


3o  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

vos  descendans  continueront  l'œuvre  d'une  heureuse  regénéra- 
tion; et  si  vos  yeux  se  ferment,  avant  d'avoir  vu  la  manifestation 
de  la  gloire  du  Sauveur,  et  le  triomphe  de  son  Eglise ,  vous  aurez 
salué  de  loin  ce  grand  jour;  vous  vous  y  serez  préparé,  comme 
s'il  était  proche,  et  Dieu,  témoin  de  vos  efforts,  vous  appelant  à 
lai,  vous  rejoindra  aux  Prophètes  qui  l'avaient  prédit,  aux  patriar- 
ches qui  l'avaient  attendu  ,  aux  vingt-quatre  vieillards,  qui,  sié- 
geant chacun  sur  un  trône,  à  côté  du  sien  1,  jugeront  avec  lui  les 
nations  au  jour  de  ses  justices,  et  partageront  sa  gloire  et  son  bon- 
heur, pendant  toute  une  éternité  que  je  vous  souhaite.  (M.  de 
Noé  ,  évêque  de  Lescar.  ) 

»  Apoc,  iv,  2,  5. 


DES    PRÉDICATEURS.  3l 


PLAN  ET  OBJET  BU  QUATRIEME  DISCOURS 

SUR  LE  TRIOMPHE  DE  L'ÉGLISE. 

EXORDE. 

Erat  navis  in  medio  mari. 
Le  navire  élait  au  milieu  de  la  mer.  (  Marc,  vi,  47.) 

Le  mystère  de  l'Evangile,  c'est  l'infirmité  et  la  force  réunies,  la 
grandeur  et  la  bassesse  assemblées.  Ce  grand  mystère,  messieurs, 
a  paru  premièrement  en  notre  Sauveur,  où  la  puissance  divine  et 
la  faiblesse  humaine  s'étant  alliées,  composent  ce  tout  admirable 
que  nous  appelons  Jésus-Christ- mais,  ce  qui  paraît  en  sa  personne, 
il  a  voulu  aussi  le  faire  éclater  dans  l'Eglise ,  qui  est  son  corps  ; 
«  où  une  partie  triomphe  par  les  miracles  ,  l'autre  succombe  sous 
«  les  outrages  qu'elle  reçoit  :  «  Unum  horum  coruscat  miraculis , 
aliud  succumblt  injuriis*.  C'est  pourquoi  nous  voyons  dans  son 
Ecriture  2  que  tantôt  cette  Eglise  est  représentée  comme  une 
maison  bâtie  sur  une  pierre  immobile  ,  et  tantôt  comme  un  navire 
qui  flotte  au  milieu  des  ondes  au  gré  des  vents  et  des  tempêtes  :  si 
bien  qu'il  paraît,  chrétiens,  qu'il  n'est  rien  de  plus  faible  que  cette 
Eglise  ,  puisqu'elle  est  ainsi  agitée  ;  et  qu'il  n'est  rien  aussi  de  plus 
fort  puisqu'on  ne  la  peut  jamais  renverser  ,  et  qu'elle  demeure 
toujours  immuable  ,  malgré  les  efforts  de  l'enfer.  L'Evangile  de 
cette  journée  nous  la  représente  «  parmi  les  flots  :  »  Erat  navis  in 
medio  mari;  «  portée  deçà  et  delà  par  un  vent  contraire  :  »  Erat 
enim  ventus  contrarius  5.  Et  ce  qui  est  de  plus  surprenant ,  c'est 
que  Jésus  ,  qui  est  son  appui,  semble  l'abandonner  à  la  tempête; 
il  s'approche,  «  et  il  veut  passer,  »  comme  si  son  péril  ne  le  tou- 
chait pas  :  Et  volebai  prœterire  eos  ft.  Toutefois  ne  croyez  pas  qu'il 
l'oublie  :  il  permettra  bien  que  les  flots  l'agitent  ;  mais  non  pas 
qu'ils  la  submergent  ni  qu'ils  l'engloutissent.  Il  commande  aux 
vents,  et  «  ils  s'apaisent  ;  il  entre  dans  le  navire,  et  il  entre  sûre- 

1  S.  Léo,  de  Passion.  Dom>  Serm,  m,  cap.  u.  —  2  Luc.  vi,  48.  —  3  Marc,  vi,  48. 
*JbiJ. 


32  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

«ment  au  port:  »  Ascendit  innavim,  et  cessavit  venins,  et  appli- 
cuerunt  ]  ;  afin,  messieurs,  que  nous  entendions  qu'il  n'y  a  rien  à 
craindre  pour  l'Eglise,  parce  que  le  Fils  de  Dieu  la  protège.  J'en- 
treprends aujourd'hui  de  vous  faire  voir  cette  vérité  importante; 
et,  afin  que  vous  en  soyez  convaincus  plus  facilement,  je  laisse  les 
raisonnemens  recherchés,  pour  l'établir  solidement  par  expérience. 
Considérez,  en  effet,  messieurs  ,  les  trois  furieuses  tempêtes  qui 
ont  troublé  l'état  de  l'Eglise.  Aussitôt  qu'elle  a  paru  sur  la  terre,  l'in- 
fidélité s'est  élevée,  et  elle  a  excité  les  persécutions  :  après,  la  curio- 
sité s'est  émue,  et  elle  a  fait  naître  les  hérésies;  enfin  la  corrup- 
tion des  mœurs  a  suivi,  qui  a  si  étrangement  soulevé  les  flots, 
«  que  la  nacelle  y  a  paru  presque  enveloppée  :  »  lia  ut  navicida 
operiretur fluctibus  2.  Voilà,  mes  frères,  les  trois  tempêtes  qui  ont 
successivement  tourmenté  l'Eglise.  Les  infidèles  se  sont  assemblés 
pour  la  détruire  par  les  fondemens  ;  les  bérétiques  en  sont  sortis 
pour  lui  arracher  ses  enfans,  et  lui  déchirer  les  entrailles;  et  si  en- 
fin les  mauvais  chrétiens    sont  demeurés   dans  son  sein  ,   ce  n'est 
que  pour  lui  porter  le  venin  jusque  dans  le  cœur.  11  faut  donc  ,  mes 
frères  ,  que  cette  Eglise  soit  bien  appuyée  et   bien  fortement  éta- 
blie ,  puisqu'au   milieu  de  tant  de  traverses,  malgré  l'effort   des 
persécutions,  elle  s'est  soutenue  par  sa  fermeté;  malgré  les  attaques 
de  l'hérésie,  elle  a  été  la  colonne  de  la  vérité;  malgré  la  licence 
des  mœurs  dépravées,  elle  demeure  le  centre  de  la  charité.  Voilà 
le  sujet  de  cet  entretien ,  et  les  trois  points  de   cette   méditation. 
(Bossuet,  Sermon  sur  l'Eglise.  ) 

Triomphe  Je  l'Eglise  sur  les  persécutions. 

Comme  l'Eglise  n'a  plus  à  souffrir  la  tempête  des  persécutions  , 
je  passerai  légèrement  sur  cette  matière  ;  et  néanmoins  je  ne  lais- 
serai pas  ,  si  Dieu  le  permet ,  de  toucher  des  vérités  assez  impor- 
tantes. La  première  sera  ,  chrétiens  ,  qu'il  ne  faut  pas  s'étonner  si 
l'Eglise  a  eu  à  souffrir ,  quand  elle  a  paru  sur  la  terre  ,  ni  si  le 
monde  l'a  combattue  de  toute  sa  force  ;  il  était  impossible  qu'il 
n'en  fût  ainsi,  et  vous  en  serez  convaincus,  si  vous  savez  connaître 
ce  que  c'est  que  l'homme.  Je  dis  donc  que  nous  avons  tous  dans  le 
fond  du  cœur  un  principe  d'opposition  et  de  répugnance  à  toutes 
les  vérités  divines  ;  en  telle  sorte  que  l'homme,  laissé  à  lui-même, 
non  seulement  ne  peut  les  entendre,  mais  qu'ensuite  il  ne  les  peut 

*  Marc,  li,  33.  —  2Matili.,  vin,  Vk. 


DES    PRÉDICATEURS.  33 

souffrir ,  et  qu'en  étant  choqué  au  dernier  point ,  il  est  comme 
forcé  de  les  combattre.  Ce  principe  de  répugnance  s'appelle  dans 
l'Ecriture  «  infidélité  *  ;  *  ailleurs  ,  «  esprit  de  défiance  2  ;  » 
ailleurs,  «  esprit  d'incrédulité  3  :  »  il  est  dans  tous  les  hommes, 
et,  s'il  ne  produit  pas  en  nous  tous  ses  effets,  c'est  la  grâce  de  Dieu 
qui  l'empêche. 

Si  vous  remontez  jusqu'à  l'origine,  vous  trouverez,  messieurs  , 
que  deux  choses  produisent  en  nous  cette  répugnance  :  la  pre- 
mière, c'est  l'aveuglement  ;  la  seconde,  c'est  la  présomption.  L'a- 
veuglement, messieurs,  nous  est  représenté  dans  les  Ecritures  par 
une  façon  de  parler  admirable  :    elles  disent  que  «  les  pécheurs 
«  ont  oublié  Dieu  :  Onines  gentes  quœ  oblwiscuntur  Deum,  Obliti 
sunt  verba  tua  inimici  mei  :  Intelligite  hœc,  qui  oblwiscimi  Deum  4. 
Que  veut  dire  cet  oubli ,  mes  frères  ?  Il  est  bien  aisé  de  le  com- 
prendre ;  c'est  que  Dieu ,  à  la  vérité ,  avait  éclairé  l'homme  de  sa 
connaissance  ;  mais  l'homme  a  fermé  les  yeux  à  cette  lumière  ;  il 
s'est  laissé  mener  par  ses  sens  ;  peu  à  peu  il  n'a  plus  pensé  à  ce 
qu'il  ne  voyait  pas,  il  a  oublié  aisément  ce  à  quoi  il  ne  pensait  pas. 
Voilà  Dieu  dans  l'oubli  ;  voilà  ses  vérités  effacées  :  ne  lui  en  par- 
lez pas  ,  c'est  un  langage  qu'il  ne  connaît  plus  :  Obliti  sunt  verba 
tua  inimici  mei:  «  Mes  ennemis  ont  oublié  vos  paroles.  »  C'est 
pourquoi  la  même  Ecriture,  voulant  aussi  nous  représenter  de 
quelle  sorte  les  hommes  retournent  à  Dieu  ,  nous  dit  «  qu'ils  se 
souviendront  :  Remiriiscentur :  et  ensuite  qu'arrivera- t-il  ?  Et  con- 
vertentur  ad  Dominum  5  :  «  Ah  !  ils  se  convertiront  au  Seigneur.  « 
Quoi  !  ils  lavaient  donc  oublié  ,  leur  Dieu,  leur  Créateur  ,  leur 
Epoux,  leur  Père  î  Oui ,  mes  frères,  il  est  ainsi  ;  ils  en  ont  perdu 
le  souvenir.  Cela  va  bien  loin  ,  si  vous  l'entendez  :   toute  la  con- 
naissance de  Dieu  ,  toutes  les  idées  de  ses  vérités  ;  l'oubli,  comme 
une  éponge,  a  passé  dessus  ,  et  les  a  entièrement  effacées;  ou  s'il 
en  reste  encore  quelques  traces ,  elles  sont  si  obscures  qu'on  n'y 
connaît  rien  :  voyez  durant  le  règne  de  l'idolâtrie,  durant  qu'elle 
régnait  sur  toute  la  terre. 

Ce  serait  peu  que  ce  long  oubli  pour  nous  exciter  à  la  résistance, 
si  l'orgueil  ne  s'y  était  joint  ;  mais  il  est  arrivé,  pour  notre  mal- 
heur, que,  quoique  l'homme  soit  aveugle  à  l'extrémité ,  il  est  en- 
core plus  présomptueux.  En  quittant  la  sagesse  de  Dieu ,  il  s'est 
fait  une  sagesse  à  sa  mode:  il  ne  sait  rien,  et  croit  tout  entendre  ; 
si  bien  que  tout  ce  qu'on  lui  dit,  qu'il  ne  conçoit  pas,  il  le  prend 


4  Luc,  ix,  41>  etc.T~2Ephcs.;  \i\  2.  —  ^Coloss.,  m,  6.  —  4  Ps.  jx,  18  ;  cxvui,  139  î 
xlix,  22.  —  *  xxi,  28. 

T.    III.  3 


34  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

pour  un  reproche  de  son  ignorance  ;  il  ne  le  peut  souffrir,  il  s'ir- 
rite; si  la  raison  lui  manque,  il  emploie  la  force,   il  emprunte  les 
armes  de  la  fureur  pour  se  maintenir  en  possession  de  sa  profonde 
et  superbe  ignorance.  Jugez  où  les  vérités  évangéliques,  si   hau- 
tes, si  majestueuses,  si  impénétrables,  si  contraires   au  sens    hu- 
main et  à  la  raison  préoccupée,  ont  dû  pousser  cet  aveugle  pré- 
somptueux, je  veux  dire  l'homme;  et  quelle  résistance  il  fallait 
attendre  dune  indocilité  si  opiniâtre.  Yoyez-la  par  expérience  en 
la  personne  de  notre  Sauveur.  Qu'aviez-vous  fait,  ô  divin  Jésus, 
pour  exciter  contre  vous  ce  scandale  horrible?   pourquoi  les  peu- 
ples se  troublent-ils  1  ?  pourquoi  frémissent-ils  contre  vous  avec 
une  rage  si  désespérée?  Chrétiens,  voici  le  crime  du  Sauveur  Jésus.  Il 
a  enseigné  les  vérités  de  son  Père  2;  ce  qu'il  a  vu  dans  le  sein  de 
Dieu,  il  est  venu  l'annoncer  aux  hommes  *j  ces  aveugles  ne  l'ont 
pas  compris,  et  ils  n'ont  pas    pu  le  comprendre  :  Animalis  homo 
non  potesl  intelligere  *  :    «  l'homme  animal  ne  peut  comprendre 
«  les  choses  qui  sont  de  l'Esprit  de  Dieu,  »  Ecoutez  comme  il  leur 
reproche  :  «  Pourquoi  ne  connaissez-vous  pas  mon  langage  ?  parce 
o  que  vous  ne  pouvez  pas  prêter  l'oreille  à  mon  discours:  »  Quare 
loquelam  meam  non  cognoscitis  ?  quia  non potestis  audire  sermonern 
meum  5, 

Mais  peut-être  ,  ne  l'entendant  pas,  ils  se  contenteront  de  le 
mépriser.  Non,  mes  frères;  ce  sont  des  superbes  :  tout  ce  qu'ils 
n'entendent  pas,  ils  le  combattent  ;  «  tout  ce  qu'ils  ignorent,  ils  le 

*  blasphèment  6.  »  C'est  pourquoi  Jésus-Christ  leur  dit  :  a  Vous  me 

•  voulez  tuer,  méchans  que  vous  êtes,  parce  que  mon  discours  ne 
«  prend  point  en  vous:  »  Quœritis  me  interficere^  quia  sermo  meus 
non  capit  in  vobis  7.  Quelle  fureur ,  mes  frères ,  d'entreprendre  de 
tuer  un  homme  parce  qu'on  n'entend  pas  son  discours  !  Mais  il  n'y 
a  pas  sujet  de  s'en  étonner;  il  parlait  des  vérités  de  son  Père  à 
des  ignorans  opiniâtres  :  comme  ils  n'entendaient  pas  ce  divin 
langage,  car  il  n'y  a  que  les  humbles  qui  l'entendent,  ils  ne  pou- 
vaient qu'être  étourdis  de  la  voix  de  Dieu  ;  et  c'est  ce  qui  les  exci- 
tait à  la  résistance  :  plus  les  vérités  étaient  hautes ,  plus  leur  raison 
superbe  était  étourdie,  et  plus  leur  folle  résistance  était  enflam- 
mée. Il  ne  faut  donc  pas  trouver  étrange,  si  Jésus  leur  prêchant, 
comme  il  dit  lui-même,  «  ce  qu'il  avait  appris  au  sein  de  son 
»  Père  8,  »  ils  se  portent  à  la  dernière  fureur,  et  se  résolvent  de 

»  Ps.  u,  1.— >  Joan.,  yiu,  28.-5  Ibid-,  i,  18.  —  H  Cor.,  H,  14.  — *  Joan.,  viu, 
4",  —  6  Jud.,  10.  —  7  Joan.,  vin,  37.  —  s  Ibid.,  vm,  38. 


DES    PRÉDICATEURS.  35 

le  mettre  à  mort  par  un  infâme  supplice  :  Quia  sermo  meus  non  ca- 
pit  in  vobis. 

Après  cela,  pouvez- vous    douter  de  ce   principe  d'opposition 
qu'une  ignorance  altérée  et  présomptueuse  a  gravé  dans  le   cœur 
des  hommes  contre  Dieu  et  ses  vérités?  Jésus-Christ  l'a  éprouvé  le 
premier  :  son  Eglise,  paraissant  au  monde  pour  soutenir  la  même 
doctrine  par  laquelle  ce  divin  Maître  avait  scandalisé  les  superbes  , 
pouvait-elle  manquer  d'ennemis  ?  Non ,  mes  frères ,  il  n'est  pas  pos 
sible,  puisque  la  foi  qu'elle  professe  vient  étonner  le  monde  par 
sa  nouveauté  ,  troubler  les  esprits  pas  sa  hauteur,  effrayer  les  sens 
par  sa  sévérité,  qu'elle  se  prépare  à  souffrir.  Il  faut  qu'elle  soit   en 
haine  à  tout  le  monde;  et  vous  le  savez,  chrétiens,  c'est  une  chose 
incompréhensible  ce  qu'a  souffert  l'Eglise  de  Dieu,  durant  près 
de  quatre  cents  ans,  sous  lesempereursinfideles.il    serait  infini 
de  le  raconter:  concevez  seulement   ceci,  qu'elle  était  tellement 
chargée,  et  de  la  haine  publique  et  des  imprécations   de  toute  la 
terre ,  qu'on  l'accusait  hautement  de  tous  les  désordres  du  monde. 
Si  la  pluie  manquait  aux  biens  delà  terre,  si  les  barbares  faisaient 
quelques  courses  et  ravageaient,  si  le  Tibre  se  débordait,  les  chré- 
tiens en  étaient  la  cause;  et  tout  le  monde  disait  qu'il  n'y  avait  pas 
de  meilleure  victime  pour  apaiser  la  colère  des  dieux  que  de  leur 
immoler  les  chrétiens,  «  par  tout  ce  que  la  rage  et  le  désespoir  pou- 
«  vaient inventer  déplus  cruel  »  :  Per atrociora  ingénia pœnarum1 . 
Qu'aviez- vous  fait ,  Eglise,  pour  être  traitée  de  la  sorte?  J'en  pour- 
rais rapporter  plusieurs  causes  ;  mais  celle-ci  est  la  principale;  elle 
faisait  profession  de  la  vérité  ,  et  de  là  vérité  divine  ;  de  là  ces  cris 
de  la  haine,  de  là  ces  injustes  persécutions  :  si  l'Eglise  en  a  été  agi- 
tée, elle  n'en  a  pas  été  surprise;  elle   sait  bien  connaître  la  main 
qui  l'appuie,  et  elle  se  sent  à  l'épreuve  de  toutes  sortes  d'attaques. 

Et  à  ce  propos,  chrétiens,  saint  Augustin  se  représente  que  les 
fidèles,  étonnés  de  voir  durer  si  long-temps  la  persécution,  s'a- 
dressent à  l'Eglise  leur  mère,  et  lui  en  demandent  la  cause.  Il  y  a 
long-temps  ,  ô  Eglise,  que  l'on  frappe  sur  vos  pasteurs,  et  les  trou- 
peaux sont  dispersés.  Dieu  vous  a-t-il  oubliée  ?  Si  ce  n'eût  été 
qu'en  passant,  nous  eussions  pu  penser  que  ce  n'était  qu'une 
épreuve;  mais,  après  tant  de  siècles  de  persécution,  les  maux  vont 
toujours  croissans  et  les  scandales  se  multiplient;  les  vents  gron- 
dent, les  flots  se  soulèvent  ;  vous  flottez  deçà  et  delà,  battue  des 
ondes  et  de  la  tempête  ;  ne  craignez-vous  pas  d'être  abîmée?  La 

1  Tcrt.,  de  Résiir.  evrn.,  n«  8. 

3. 


36         ^  NOUVELLE   MBLIOTHÈQITE 

réponse  de  l'Eglise  est  dans  le  psaume  cent  vingt-huit.  Mes  enfans, 
je  ne  m'étonne  pas  de  tant  de  traverses;  j'y  suis  accoutumée  dès 
mon  enfance  :  Sœpe  expugnaverunt  me  a  juventute  mea  *  :  «    Ces 
a  mêmes  ennemis  qui  m'attaquent  m'ont  déjà  persécutée  dès  ma 
«  jeunesse.  »  L'Eglise  a  toujours  été  sur  la  terre;  dès  sa  plus  ten- 
dre enfance  elle  était  représentée  en  Abel ,  et  il  a  été  tué  par  Caïn 
son  frère  ;  elle  a  été  représentée  en  Enoch  ,  et  il  a  fallu  le  tirer 
du  milieu  des  impies  :   Translatas  est  ab  iniquis  2  ,  sans  doute  par- 
ce qu'ils  ne  pouvaient  souffrir  son  innocence  ;  la  famille  de  Noé  , 
il  a  fallu  la  délivrer  du  déluge  ;  Abraham  ,  que  n'a-t-ilpas  souffert 
des  impies  !  son  fils  Isaac,  d'Ismaël  ;  Jacob,  d'Esaiï  ?  Celui  qui  était 
selon  la  chair  n'a-t-ilpas  persécuté  celui  qui  était  selon  l'esprit  5  ? 
Moïse,  Elie  ,  les  prophètes,  Jésus-Christ  et  les  Apôtres,  combien 
n'ont-ils  pas  eu  à  souffrir  !  Par  conséquent,  mon  fils,  dit  l'Eglise, 
ne  t'étonne  pas  de  ces  violences  :  Sœpe  expugnaverunt  me  a  juven- 
tute mea  :  numquid  ideo  non  perveni  ad  senectutem  4  ?  Regarde 
mon  antiquité,  considère  mes  cheveux   gris;   «ces   cruelles  per- 
te sécutions  dont  on  a  tourmenté  mon   enfance  m'ont-elles  empê- 
«  chée  de  parvenir  à  cette  vénérable  vieillesse  ?  »  Si  c'était  la  pre- 
mière fois,  j'en  serais  peut-être  troublée,  maintenant  la  longue 
habitude  fait  que  mon  cœur  ne  s'en  émeut  pas.  Je  laisse  faire  aux 
pécheurs  ;  «  ils  ont  travaillé  sur  mon  dos  :  »    Supra  dorsum  meum 
fabricaverunt  peccatores  5  :  je  ne  tourne  pas  ma  face  contre  eux, 
pour  m'opposer  à  leur  violence  ,  je  ne  fais  que  tendre  le  dos  ;  ils 
frappent  cruellement ,  et  je  souffre  sans  murmurer:  c'est  pour- 
quoi ils  ne  donnent  point  de  bornes    à  leur  furie  :   Prolongave- 
runt  iniquitatem  suam.   Ma  patience  sert  dejouetàleur  injustice; 
mais  je  ne  me  lasse  point  de  souffrir  ,  et  je  me  souviens  de  celui 
«  qui  a  abandonné  ses  joues  aux  soufflets,  et  n'a  pas  détourné  sa 
«  face  des  crachats  »  :  Faciem  meam  non  averti  ab  increpantibus 
et  conspuent  ibus  in  me  6.   Quoique  je  semble  toujours  flottante, 
ne  t'étonne  pas  ;  la  main  toute  -  puissante  qui  me    sert  d'appui 
saura  bien  m' empêcher  d'être  submergée.  Que  si  Dieu  la  soutient 
avec  tant  de  force  contre  la  violence,  pourrez-vous  croire  ,  mes- 
sieurs ,  qu'il  la  laisse  accabler  par  les  hérésies  ?  Non,  messieurs  ; 
ne  le  croyez  pas.  (Le  même.  ) 


*  Ps.  cxxyiii,  1.  —  Mlebr.,  xî,  5.  —  s  Gai  ,  n,  39.  — *  In  ps.,  crxfni,  n°«  2,  5  ' 
-5  Ps.,  ibid,  3.  —  8Is.,  l,  6.' 


DES    PRÉDICATEURS.  3j 

Triomphe  de  l'Eglise  sur  les  hérésies. 

La  seconde  tempête  de  l'Eglise  ,  c'est  la  curiosité  qui  l'excite  : 
curiosité  ,  chrétiens ,  qui  est  la  peste  des  esprits  ,  la  ruine  de  la 
piété  ,  et  la  mère  des  hérésies.  Pour  bien  entendre  cette  vérité,  il 
faut  remarquer,  avant  toutes  choses  ,  que  la  sagesse  divine  adonné 
des  bornes  à  nos  connaissances  ;  car  comme  cette  Providence 
infinie,  voyant  que  les  eaux  de  la  mer  se  répandraient  par  toute  la 
terre,  et  en  couvriraient  toute  la  surface,  lui  a  prescrit  un  ter- 
me qu'elle  ne  lui  permet  pas  de  passer;  ainsi,  sachant  que  l'intempé- 
rance des  esprits  s'étendrait  jusqu'à  l'infini  par  une  curiosité  déme- 
surée, elle  lui  a  marqué  des  limites  auxquelles  il  lui  ordonne  d'arrê- 
ter son  cours.  «  Tu  iras ,  dit-il ,  jusque  là ,  et  tu  ne  passeras  pas  plus 
outre  :  »  Usque  hue  gradieris  ,  et  non  procèdes  amplius  ,  et  hic 
conjringes  tumentes  fluctus  tuos  *.  C'est  pourquoi  Tertullien  a  dit 
sagement  «  que  le  chrétien  ne  veut  savoir  que  fort  peu  de  choses, 
«parce  que,  poursuit  ce  grand  homme,  les  choses  certaines  sont 
«  en  petit  nombre  :  »  Christiano  paucis  ad  scientiam  veritatis  opus 
est,  nam  et  certa  semper  in  paucis  2.  Il  ne  se  veut  pas  égarer  dans 
les  questions  infinies  qui  sont  défendues  par  l'A.pôtre  :  Infinitas 
quœstiones  devita  3  :  il  se  resserre  humblement  dans  les  points  que 
Dieu  a  révélés  à  son  Eglise;  et  ce  qu'il  n'a  pas  révélé,  il  trouve 
de  la  sûreté  à  ne  le  savoir  pas;  il  déteste  la  vaine  science  que  l'es- 
prit humain  usurpe,  et  il  aime  la  docte  ignorance  que  la  loi  divi- 
ne prescrit:»  c'est  tout  savoir,  dit-il,  que  de  n'en  pas  savoir  da- 
vantage :  »  Nihil  ultra  scire ,  omnia  scire  est  *.  ♦ 

Quiconque  se  tient  dans  ces  bornes ,  et  sait  régler  sa  foi  par  ce 
qu'il  apprend  de  Dieu  par  l'Eglise  ,  ne  doit  pas  appréhender  la 
tempête  ;  mais  la  curiosité  des  esprits  superbes  ne  peut  souffrir 
cette  modestie  :  «  Ses  flots  s'élèvent,  dit  l'Ecriture ,  ils  montent 
«  jusqu'aux  cieux,  ils  descendent  jusqu'aux  abîmes  :  »  Exaltati  sunt 
fluctus  ejus ,  ascendunt  usque  ad  cœlos  ,  et  descendant  usque  ad 
abyssos  5.  Voilà  une  agitation  bien  violente  ;  c'est  une  vive  image 
des  esprits  curieux  ;  leurs  pensées  vagues  et  agitées  se  poussent , 
comme  des  flots,  les  unes  et  les  autres  ;  elles  s'enflent ,  elles  s'élè- 
vent démesurément  :  il  n'y  a  rien  de  si  élevé  dans  le  ciel ,  ni  de  si 
caché  dans  les  profondeurs  de  l'enfer,  où  ils  ne  s'imaginent  de  pou- 
voir atteindre  :   Ascendunt  usque  ad  cœlos  ;  et  les  conseils  de  la 

*  Job.,  xxyiiî,  11.  — *  De  anima.,  n°  2.  —  3Trt.,  ni,  9.  — 4Tert.,  de  Peescnt. 
adv.  Hœr.f  n°  14.  —  5  Ps.  evi,  25,  26. 


38  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Providence,  et  les  causes  de  ses  miracles,  et  la  suite  impe'nétrable 
de  ses  mystères,  ils  veulent  tout  soumettre  à  leur  jugement:  Ascen- 
dant, Malheureux!  qui,  s'agitant  de  la  sorte,  ne  voient  pas  qu'il 
leur  arrive  comme  à  ceux  qui  sont  tourmentés  delà  tempête  :  Tur- 
batisunt)  et  moti  sunt  sicut  ebrius  :  «  Ils  sont  troublés  comme  des 
«  ivrognes  ;  la  tête  leur  tourne  dans  ce  mouvement  :  Et  omnis  sa- 
jncntia  corum  devorata  est  *  :  «  Et  toute  leur  sagesse  se  dissipe  ;  » 
et  ayant  malheureusement  perdu  la  route,  ils  se  heurtent  contre 
des  écueils,  ils  se  jettent  dans  des  abîmes,  ils  s'égarent  dans  des 
hérésies.  Arius  ,  Nestorius  ,  votre  curiosité  vous  a  perdus.  Voilà  la 
tempête  élevée  par  la  curiosité  des  hérétiques  :  c'est  par  là  qu'ils 
séduisent  les  simples;  parce  que,  dit  saint  Augustin  2:  «  Toute 
«  anie  ignorante  est  curieuse  :  »  Omnis  anima  indocta  curiosa 
est;  cela  est  nouveau,  écoutons  :  la  manière  dont  on  propose 
cette  doctrine  nous  plaît.  Arius,  Nestorius,  etc.,  pourquoi  cher- 
chez-vous ce  qui  ne  se  peut  trouver  ?  «  Il  n'est  pas  permis  de  cher- 
cher au-delà  de  ce  qu'il  nous  est  permis  de  trouver  :  »  Amplius 
quœrerenon  licet,  quam  quod  invenir i  licet^. 

Pour  empêcher  les  égaremens  de  cette  curiosité  pernicieuse,  le 
seul  remède,  mes  frères,  c'est  d'écouter  la  voix  de  l'Eglise,  et  de 
soumettre  son  jugement  àses  décisions  infaillibles.  Je  parle  à  vous, 
enfaris  nouveau-nés  que  l'Eglise  a  engendrés  :  c'est  sur  la  fermeté 
de  cette  Eglise  qu'il  faut  appuyer  vos  esprits,  qui  seraient  flottans 
sans  ce  soutien.  Etes-vous  curieux  de  la  vérité?  Voulez-vous  voir? 
voulez-vous  entendre?  Voyez  et  écoutez  dans  l'Eglise  :  Sicut  audi- 
vimiiSy  sic  vidimus  :  «  Nous  avons  ouï ,  et  nous  avons  vu ,  »  dit  Da- 
vid ;  et  où  ?  In  civitate  Domine  uirtutum  4  ;  <*  En  la  cité  de  notre 
«  Dieu;  »  c'est-à-dire  en  sa  sainte  Eglise.  «  Celui  qui  est  hors  de 
«  l'Eglise,  dit  saint  Augustin  ,  quelque  curieux  qu'il  soit ,  de  quel- 
«  que  science  qu'il  se  vante ,  il  ne  voit ,  il  n'entend  :  quiconque 
«  est  dans  l'Eglise,  il  n'est  ni  sourd ,  ni  aveugle  :  »  Extra  illam  qui 
est,  nec  audit ,  nec  videt;  in  illa  qui  est:  nec  surdus ,  neecœcus  esl$. 
Donc  s'il  est  ainsi,  chrétiens,  que  notre  curiosité  n'aille  pas  plus  loin  ; 
l'Eglise  a  parlé,  c'est  assez;  cet  homme  est  sorti  de  l'Eglise;  il  prê- 
che, il  dogmatise,  il  enseigne.  Que  dit-il?  que  prêche-t-il ?  quelle 
est  sa  doctrine?  O  homme  vainement  curieux!  je  ne  m'informe 
pas  de  sa  doctrine  :  il  est  impossible  qu'il  enseigne  bien ,  puisqu'il 
n'enseigne  pas  dans  l'Eglise.  Un  martyr  illustre,  un  docteur  très 


1  Vi.  cyi,  27.  —  «  De  Agon.  Christ.,  n°  4,  toro.  ti,  col.  248.  —  3  Tcrt.,  de  Anima, 
n°  2.  — *  Ps.  xlvii,  0. — 5  In  Psalm.,  xlym,  n°  7,  loin.  îv,  col.  420. 


DES    PRÉDICATEURS.  3o, 

éclairé,  saint  Cyprien,  va  vous  le  déclarer.  Antonianus,  un  de 
ses  collègues,  lui  avait  écrit  au  sujet  de  Novatien,  schismatique , 
pour  savoir  de  lui  par  quelle  hérésie  il  avait  mérité  la  censure; 
le  saint  docteur  lui  fait  cette  belle  réponse  :  Desiderasti  ut  rescri- 
berem  tibi  quam  hœresim  Novatianus  introduxisset.  .  .  .  Quisquis 
ille  f lient ,  multum  de  se  licet  jactans,  et  sibi plurimiun  vindicans , 
prof  anus  est,  allenus  est  ,jbris  est  *  :  «  Pour  ce  qui  regarde  Nova- 
«  tien,  duquel  vous  désirez  que  je  vous  écrive  quelle  hérésie  il  a 
«  introduite,  sachons  premièrement  que  nous  ne  devons  pas  être 
«  curieux  de  ce  qu'il  enseigne ,  puisqu'il  enseigne  hors  de  l'Eglise  : 
«  quel  qu'il  soit,  et  de  quoi  qu'il  se  vante,  il  n'est  pas  chrétien, 
«  n'étant  pas  en  l'Eglise  de  Jésus- Christ.  » 

L'orgueil  des  hérétiques  s'élève  :  quoi  !  je  croirai  sur  la  foi  d'au* 
trui!  je  veux  voir,  je  veux  entendre  maintenant.  Langage  superbe: 
reconnaissez-le,  mes  chers  frères;  c'est  celui  que  vous  parliez  au- 
trefois. L'Eglise  Va  dit,  n'est-ce  pas  assez  ?  Mais  elle  se  peut  trom- 
per? Enfant,  qui  déshonores  ta  mère,  en  quelle  Ecriture  as-tu  lu 
que  l'Eglise  puisse  tromper  ses  enfans?  Tu  reconnais  qu'elle  est 
mère;  elle  seule  peut  engendrer  les  enfans  de  Dieu  :  si  elle  peut 
les  engendrer,  qui  doute   qu'elle  puisse  les   nourrir?  Certes,  la 
terre,  qui  produit  les  plantes,  leur  donne  aussi  leur  nourriture: 
la  nature  ne  fait  jamais  une  mère,  qu'elle  ne  fasse  en  même  temps 
une  nourrice.  L'Eglise  sera-t-elle  seule  qui  engendrera  des  enfans, 
et  n'aura  point  de  lait  à  leur  donner  ?  Ce  lait  des  fidèles,  c'est  la  véri- 
té, c'est  la  parole  de  vie.  Enfans  dénaturés,  qui  sortez  des  entrailles 
et  rejetez  les  mamelles  pour  vous  allaiter  ,  voyez,  voyez  le  lait  qui 
en  coule,  la  parole  de  vérité  qui  en  distille;  approchez-vous  ,  sucez 
et  vivez  ,  et  ne  portez  pas  votre  bouche  à  des  sources  empoison- 
nées. Mais  il  faut  connaître  quelle  est  cette  Eglise.  Ah!  qu'il  est 
bien  aisé  d'exclure  la  vôtre ,  dressée  de  nouveau  ?  ô  Eglise  bâtie 
sur  le  sable!  Vous  croyez ,  ô  divin  Jésus  ,  avoir  bâti  sur  la  pierre, 
c'est  sur  un  sable  mouvant;  c'est  la  confession  de  foi.  Donc  votre 
édifice  est  tombé  par  terre:  il  a  fallu  que  Luther  et  Calvin  vinssent 
le  dresser  de  nouveau.  Mes  enfans,  respectez  mes  cheveux  gris; 
voyez  cette  antiquité  vénérable  :  je  ne  vieillis  pas ,  parce  que  je  ne 
meurs  jamais;  mais  je  suis  ancienne.  Pourquoi  vous  vantez-vous 
de  m 'avoir  rétablie  ?  Quoi ,  vous  avez  fait  votre  mère  !  Mais  si  vous 
l'avez  faite,  d'où  êtes-vous  nés?  Et  vous  dites  que  je  suis  tombée  ? 
je  suis  sortie  de  tant  de  périls. 

1  Cypr.,  Ep.  m,  ad  Anton.,  pag.  66,  6§. 


4o  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

Laissons-les  errer,  mes  frères  ;  Dieu  n'a  perdu  pour  cela  pas  un 
des  siens.  Ils  étaient  de  la  paille  ,  et  non  du  bon  grain  :  le  vent  a 
soufflé  et  la  paille  s'en  est  allée  ;  «  ils  s'en  sont  allés  en  leur  lieu  *  : 
«  ils  étaient  parmi  nous;   mais  ils  n'étaient  point  des  nôtres  2.  » 
Pour  nous,  enfans  de  l'Eglise,  et  vous  que  l'on  avait  exposés  de- 
hors comme  des  avortons,  et  qui  êtes  enfin  rentrés  dans  son  sein, 
apprenez  à  n'être  curieux  qu'avec  l'Eglise,  à  ne  chercher  la  véri- 
té qu'avec   l'Eglise,  et    retenez  cette  doctrine.  Dieu  aurait  pu, 
sans  doute  (car  que  peut-on  dénier  à  sa  puissance?),  il  aurait  pu 
nous  conduire  à  la  vérité  par  nos  connaissances  particulières;  mais 
il  a  établi  une  autre  conduite:  il  a  voulu  que  chaque  particulier 
fit  discernement  de  la  vérité,  non  point  seul,  mais    avec  tout  le 
corps  et  toute  la  communion  catholique  ,  à  laquelle  son  jugement 
doit  être  soumis.   Cette  excellente  police  est  née  de  l'ordre  de  la 
charité,  qui  est  la  vraie  loi  de  l'Eglise  ;  car  si  quelqu'un  cherchait 
en  particulier,  et  si  les  sentimens  se  divisaient,  les  cœurs  pour- 
raient enfin  être  partagés.  Mais  pour   nous  unir   tous  ensemble 
par  le  lien  d'une  charité  indissoluble,  pour  nous  faire  chérir  da- 
vantage la  communion  et  la  paix,  il  a  établi  cette  loi.  Voulez-vous 
entendre  la  vérité  ?  allez  au  sein  de  l'unité ,  au  centre  de  la  charité  : 
c'est  l'unité  catholique  qui  sera   la  chaste  mamelle  d'où  coulera 
sur  vous  le  lait  de  la  doctrine  évangélique;  tellement  que  l'amour 
de  la  vérité  est  un  nœud  qui  nous  lie  à  l'unité  et  à  la  société  fra- 
ternelle.  Nous  sommes  membres   d'un  même  corps  ;  cherchons 
tous  ensemble  :  laissons  faire  les  fonctions  à  chaque  membre;  lais- 
sons voir  les  yeux  ;  laissons  parler  la  bouche.  Il  y  a  des  pasteurs 
à  qui  le  Saint-Esprit  a  appris  à  dire  sur  toutes  les  contestations 
qui  sont  nées  :  «  Il  a  plu  au  Saint-Esprit  et  à  nous  3.  »  Arrêtons 
là ,  chrétiens ,  et  «ne  soyons  pas  plus  sages  qu'il  ne  faut;  mais 
m  soyons  sages  avec  retenue  *,  »  et  selon  la  mesure  qui  nous  est 
donnée.  (Le  même.)  * 

Étonnante  dépravation  de»  mœurs  dans  l'Eglise  même  :  le  triomphe  de  sa  charité  au 

milieu  de  tant  de  désordres. 

Jusqu'ici,  mes  frères ,  tout  ce  que  j'ai  dit  est  glorieux  à  l'Eglise: 
j'ai  publié  sa  constance  dans  les  tourmens,  sa  victoire  sur  les  hé- 
résies, tout  cela  est  grand  et  auguste  :  mais  que  ne  puis-je  main- 
tenant vous  cacher  sa  honte!  je  veux  dire,  les  mœurs  dépravées 

•  Act,  i,  25.  — «  a  I  Joarç.,  ii,  19.  —  *  Actes,  xt,  28.  *»  *  Rom.,  m,  3. 


DES    PRÉDICATEURS.  41 

qu'elle  porte  en  son  sein  î  Mais,  puisqu'à  ma  grande  douleur,  cette 
corruption  est  si  visible,  et  que  je  suis  contraint  d'en  parler,  je 
commencerai  à  la  déplorer  par  les  éloquentes  paroles  d'un  saint  et 
illustre  écrivain.  C'est  Salvien,  prêtre  de  Marseille,  qui,  dans  le 
premier  livre  qu'il  a  adressé  à  la  sainte  Eglise  catholique,  lui  parle 
en  ces  termes  :  «  Je  ne  sais,  dit-il,  ô  Eglise,  de  quelle  sorte  il  est 
«  arrivé  que  ta  propre  félicité  combattant  contre  toi-même,  tu  as 
«  presque  autant  amassé  de  vices  que  tu  as  conquis  de  nouveaux 
«  peuples  :  »  Nescio  quomodo pugnante  contra  temetipsam  tua  felici~ 
tate,  quantum  tibi  auctum  est populorum ,  tantum  pêne  vitiorum  *. 
«  La  prospérité  a  attiré  les  pertes;  la  grandeur  est  venue,  et  la  dis- 
c  cipline  s'est  relâchée.  Pendant  que  le  nombre  des  fidèles  s'est 
«augmenté,  l'ardeur  delà  foi  s'est  ralentie;  et  l'on  t'a  vue,  ô 
«Eglise,  affaiblie  par  ta  fécondité,  diminuée  par  ton  accroisse- 
«  ment,  et  presque  abattue  partes  propres  forces:  »  Quantum  tibi 
copiœ  accessit,  tantum  disciplinée  recessit....  Multiplicatis  fidei  po- 
pulis,  /ides  imminuta  est...  ;  factaque  es,  Ecclesia,  profectu  tuœ 
jœcundatis  injirmior,  atque  accessu  relabens,  et  quasi  viribus  minus 
valida  a.  Voilà  une  plainte  bien  éloquente;  mais,  mes  frères,  à 
notre  honte,  elle  n'est  que  trop  véritable.  L'Eglise  n'est  faite  que 
pour  les  saints:  il  est  vrai,  les  enfans  de  Dieu  y  sont  appelés  de 
toutes  parts;  tous  ceux  qui  sont  du  nombre  y  sont  entrés;  «  mais 
«  plusieurs  y  sont  entrés  par  dessus  le  nombre  :  »  Multiplicati  sunt 
super  numerum  3.  L'ivraie  est  crue  avec  le  bon  grain  ;  et  la  charité 
s'étant  refroidie,  le  scandale  s'est  élevé  jusque  dans  la  maison  de 
Dieu.  Voilà  ce  qui  scandalise  les  faibles  ;  voilà  la  tentation  des  in- 
firmes. Quand  vous  verrez,  mes  frères,  l'iniquité  qui  lève  la  tête 
au  milieu  même  du  temple  de  Dieu,  Satan  vous  dira  :  Est-ce  là 
l'Eglise  ?  sont-ce  là  les  successeurs  des  Apôtres  ?  et  il  tâchera  de 
vous  ébranler,  imposant  à  la  simplicité  de  votre  foi. 

Il  faudrait  peut-être  un  plus  long  discours  pour  vous  fortifier 
contre  ces  pensées  ;  mais,  étant  pressé  par  le  temps,  je  dirai  seule- 
ment ce  petit  mot ,  plein  de  consolation  et  de  vérité  :  Ne  croyez 
pas,  mes  frères,  que  l'homme  ennemi,  qui  va  semer  la  nuit  dans 
le  champ Iy ,  puisse  empêcher  de  croître  Je  bon  grain  du  père 
de  famille,  ni  lui  ôter  sa  moisson  :  il  peut  bien  la  mêler;  remar- 
quez ceci  ;  il  peut  bien  semer  par  dessus  ;  mais  il  ne  peut  pas  en 
arracher  le  froment,  ni  corrompre  la  bonne  semence.  Il  y  en  a  qui 

*  Adver.  Avarit.,  lib,  î,  a»  1,  pag.  218.  *-»  *  Ibid.  —  3  Ps.  xxxix,  6.  — ,  *  Matlh., 
xui,  54  et  suit. 


^2  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

profanent  les  sacremens;  mais  il  yen  a  toujours  qu'ils  sanctifient  : 
il  y  a  des  terres  sèches  et  pierreuses  où  la  parole  tombe  inutilement; 
mais  il  y  a  des  champs  fertiles  où  elle  fructifie  au  centuple.  Il  y  a 
des  gens  de  bien,  il  y  a  des  saints  :  le  bras  de  Jésus-Christ  n'est  pas 
affaibli  ;  l'Eglise  n'est  pas  devenue  stérile  ;  le  sang  de  Jésus-Christ 
n'est  pas  inutile  ;  la  parole  de  son  Evangile  n'est  pas  infructueuse 
à  l'égard  de  tous.  Déplorez  donc,  quand  il  vous  plaira,  la  prodi- 
gieuse corruption  de  mœurs  qui  se  voit  même  dans  l'Eglise,  je 
me  joindrai  à  vous  dans  cette  plainte  :  je  confesserai,  avec  saint 
Bernard  *  «  qu'une  maladie  puante  infecte  quasi  tout  son  corps.  » 
Non ,  non  ,  le  temple  de  Dieu  n'en  est  pas  exempt  :  Jésus-Christ 
en  enrichit  qui  le  déshonorent;  Jésus-Christ  en  élève  qui  servent 
l'Antéchrist  :  l'iniquité  est  entrée  comme  un  torrent;  on  ne  peut 
plus  noter  les  impies ,  on  ne  peut  plus  les  fuir ,  on  ne  peut  plus  les 
retrancher,  tant  ils  sont  puissans,  tant  le  nombre  en  est  infini  :  la 
maison  de  Dieu  n'en  est  pas  exempte.  Mais  au  milieu  de  tous  ces 
désordres,  sachez  que  *  Dieu  connaît  ceux  qui  sont  à  lui  2  ».  Jetez 
les  yeux  dans  ces  séminaires,  combien  de  prêtres  très  charitables! 
dans  les  cloîtres,  combien  de  saints  pénitensî  dans  le  monde, 
combien  de  magistrats  recommandables  par  leur  zèle  pour  la  jus- 
tice et  leur  amour  pour  la  vérité!  «  combien  qui  possèdent  comme 
«  ne  possédant  pas,  qui  usent  du  monde  comme  n'en  usant  pas, 
«  sachant  bien  que  la  figure  de  ce  monde  passe  !  3  »  Les  uns  parais- 
sent, les  autres  sont  cachés,  selon  qu'il  plaît  au  Père  céleste,  ou 
de  les  sanctifier  par  l'obscurité,  ou  de  les  produire  par  le  bon 
exemple. 

Mais  il  y  a  aussi  des  médians;  le  nombre  en  est  infini;  je  ne 
puis  vivre  en  leur  compagnie.  Mon  frère,  où  irez-vous?  vous  en 
trouverez  par  toute  la  terre;  ils  sont  partout  mêlés  avec  les  bons; 
ils  seront  séparés  un  jour;  mais  l'heure  n'en  est  pas  encore  arrivée. 
Que  faut-il  faire  en  attendant?  se  séparer  de  cœur;  les  reprendre 
avec  liberté,  afin  qu'ils  se  corrigent;  et  s'ils  ne  le  font,  les 
supporter  avec  charité,  afin  de  les  confondre.  Mes  frères,  nous 
ne  savons  pas  les  conseils  de  Dieu  :  il  y  a  des  médians  qui  s'amen- 
deront, et  il  les  faut  attendre  en  patience;  il  y  en  a  qui  persévé- 
reront dans  leur  malice  ;  et  puisque  Dieu  les  supporte,  ne  devons- 
nous  pas  les  supporter?  Il  y  en  a  qui  sont  destinés  pour  exercer 
la  vertu  des  uns,  venger  le  crime  des  autres;  on  les  ôtera  du  mi- 


*  In  Cant.,  serin,  np,  n°  i5,  tore.  1,  col.  1382.  +*  «  II  Xim-,  n#  19.  —  *  I  Cor., 
vu,  30,  51. 


DES  PRÉDICATEURS.  /\\ 

lieu  ,  quand  ils  auront  accompli  leur  ouvrage  :  laissez  accoucher 
cette  criminelle  avant  que  de  la  faire  mourir.  Dieu  sait  le  jour  de 
tous  ;  il  a  marqué  dans  ses  décrets  éternels  le  jour  de  la  conversion 
des  uns,  le  jour  de  la  damnation  des  autres;  ne  précipitez  pas  le 
discernement.  «Aimez  vos  frères,  dit  saint  Jean1,  et  vous  ne 
«souffrirez  point  de  scandale:  «pourquoi?  parce  que,  dit  saint 
Augustin  2,  «  celui  qui  aime  son  frère,  il  souffre  tout  pour  l'u- 
«  nité  :  »  Qui  diligit  frairem }  tolérât  omnia  propter  unitatem, 

(  Le  même.) 

L'élat  dont  nous  gémissons  est  pour  l'Eglise  un  gage  assuré  de  triomphe. 

Et  d'abord ,  mes  frères ,  considérez-la  aux  prises  avec  la  Syna- 
gogue et  les  Juifs  rebelles.  Jésus-Christ  avait  succombé  sous  leurs 
coups.  Cinquante  jours  s'étaient  écoulés  depuis  que,  chargé  des 
malédictions  de  tout  le  peuple,  il  avait  expiré  dans  les  tourmens; 
que  son  corps  avait  été  renfermé  dans  le  sépulcre ,  et  la  pierre  qui 
le  couvrait,  scellée  du  sceau  de  l'autorité  publique.  Ses  timides  dis- 
ciples, cachés  dans  le  cénacle,  n'osaient  paraître;  son  nom  n'était 
plus  prononcé,  on  n'entendait  d'autre  voix  dans  Jérusalem  que 
celle  de  ses  ennemis ,  et  il  n'y  avait  de  puissance  que  la  leur.  Tout 
est  donc  consommé;  la  religion  nouvelle  est  ensevelie  tout  entière 
dans  le  tombeau  de  son  auteur;  et  la  Synagogue  peut  jouir  avec 
sécurité  de  son  triomphe.  Tout  à  coup  un  cri  de  résurrection  re- 
tentit dans  la  ville  déicide;  des  langues  de  feu  ont  paru;  les  Apô- 
tres sont  sortis  de  leur  retraite  comme  des  hommes  possédés  d'un 
esprit  divin;  ils  parlent  toutes  les  langues  à  la  fois;  ils  publient  que 
le  crucifié  est  vivant,  qu'ils  l'ont  vu,  qu'il  est  le  Messie  annoncé 
par  les  Prophètes,  et  qu'il  faut  l'adorer.  Des  miracles  éclatans  au- 
torisent leurs  discours  ;  ils  sont  crus  ;  les  meurtriers  du  Sauveur  se 
convertissent  par  milliers;  le  peuple  se  précipite  en  foule  sur  les  pas 
des  nouveaux  prédicateurs  ;  la  première  Eglise  chrétienne  s'établit 
dans  Jérusalem ,  et  en  vue  du  Calvaire;  il  s'en  établit  d'autres  dans 
toute  la  Judée;  la  Synagogue  frémit  en  vain;  troublée,  éperdue, 
frappée  à  mort,  elle  se  débat  quelque  temps,  et  bientôt  elle  tombe;  la 
ville  et  le  temple  tombent  avec  elle;  le  peuple  juif  est  dispersé  par 
toute  la  terre,  et  l'Evangile  se  répand  parmi  les  nations.  Quelle 
victoire  !  y  en  eut-il  jamais  de  plus  prompte  et  de  plus  merveilleuse  ? 

1  Joan.,  ii,  10,  — •  *  In  Epist.  Joan.  Tract.,  r,  n°  lf  ;  iom.  m,  part,  f,  col.  83i. 


42  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

mais  y  eut-il  aussi  jamais  d'anéantissement  plus  profond  que  celui 
qui  avait  précédé? 

Voici  maintenant  un  autre  ennemi  bien  plus  formidable.  Tout 
le  monde  romain  est  conjuré  contre  douze  pauvres  pêcheurs  du 
lac  de  Génézareth,  qui  ont  osé  entreprendre  de  soumettre  l'univers 
à  la  loi  de  leur  Christ.  Toute  la  puissance  des  Césars;  toute  l'au- 
torité du  sénat,  des  pontifes  et  des  magistrats  ;  tous  les  prestiges  des 
faux  dieux  ;  tout  l'art  des  écrivains  et  des  sophistes;  la  force  des 
armées,  la  haine  aveugle  des  peuples,  la  cruauté  des  bourreaux, 
l'horreur  des  supplices  et  des  tortures;  tout  est  employé,  tout  est 
épuisé,  pendant  plus  de  trois  cents  ans,  pour  étouffer  la  religion 
naissante  et  assurer  le  triomphe  de  l'idolâtrie.  Enfin,  après  de  si 
longs  et  de  si  cruels  efforts,  une  dernière  persécution,  plus  fu- 
rieuse que  toutes  les  autres ,   semble  avoir  accompli  le  vœu  des 
persécuteurs;  on  se  flatte  d'avoir  éteint  le  Christianisme  dans  les 
fleuves  de  sang  qu'on  a  versés ,  et  l'on  proclame  solennellement 
que  ce  culte  abhorré  a  disparu  de  la  terre.  Voyez  ces  fastueux  mo- 
numens  qu'on  s'empresse  d'ériger  pour  éterniser  le  souvenir  d'un 
si  mémorable  événement.  Lisez  ces  inscriptions  orgueilleuses  :  «  A 
«  Dioclétien  le  nouveau  Jupiter,  et   à  Maximien   le  nouvel  Her- 
«  cule ,  pour  avoir  enfin  aboli  le  nom  chrétien ,  et  détruit  dans  le 
«  monde  entier  la  superstition  du  Christ  :  Nomine  Christianorum 
«  deleto.  ,  .  .  Superstitione  Christ i  ublque  dcleia,  »  Est- il  vrai,  Dieu 
tout-puissant?  votre  Eglise  est-elle  détruite?  A  peine  ces  monu- 
mens  sont-ils  achevés  que  le  jeune  Constantin,  encore  païen  lui- 
même,  averti  par  un  songe  mystérieux  et  par  un   signe  céleste, 
déploie  l'étendard  de  la  croix,  entre  vainqueur  dans  Rome,  et  y 
arbore  le  signe  sacré  du  salut.  Aussitôt  tout  se  prosterne;  la  joie 
éclate  de  toutes  parts ,  et  l'univers  étonné  se  trouve  chrétien.  Là 
périt  le  paganisme  et  son  empire   que  l'impie  Julien  s'efforcera 
vainement  de  relever.  Rome  païenne,  la  maîtresse  des  nations  et 
le  centre  de  l'idolâtrie,  périra  elle-même  un  siècle  plus  tard,  et 
fera  place  à  Rome  chrétienne,  qui  sera  jusqu'à  la  fin  des  temps  le 
siège  de  la  vraie  religion  et  la  capitale  du  monde  catholique.  O 
Eglise  du  Dieu  vivant!  que  tu  dois  peu  craindre  les  cris  de  vic- 
toire et  les  trophées  insultans  de  tes  ennemis,  qui  ne  sont  jamais 
si  près  de  leur  chute  que  lorsqu'ils  croient  follement  t'avoir  abat- 
tue à  leurs  pieds. 

Dès  ce  moment  cesse  tes  combats  au  dehors  ;  prépare-toi  à  en 
soutenir  de  plus  dangereux  et  de  plus  opiniâtres  au  dedans.  Les 
hérésies  et  les  schismes  vont  continuer  la  guerre  commencée  par 


DES   PRÉDICATEURS.  4^ 

la  Synagogue  infidèle  et  le  monde  idolâtre.  O  Dieu  !  à  quelles  extré- 
mités votre  Eglise  va  être  réduite,  lorsque,  sous  les  empereurs 
chrétiens,  cette  multitude  de  sectes  acharnées  les  unes  contre  les 
autres,  mais  toutes  animées  d'une  même  haine  contre  elle,  vont 
déchirer  son  sein  et  arracher  ses  entrailles!  ariens,  nestoriens, 
donatistes,  pélagiens.  .  .  ;  qui  pourrait  les  nommer  toutes,  ou  se 
rappeler,  sans  frémir,  l'effrayante  tempête  qu'elles  excitèrent? 
Quel  trouble  et  quel  bouleversement  dans  le  royaume  de  Jésus- 
Christ!  Partout,  autel  contre  autel,  chaire  contre  chaire,  pasteur 
contre  pasteur,  et  troupeau  contre  troupeau;  l'erreur,  soutenue 
de  la  puissance  publique,  parlant  plus  haut  que  la  vérité;  des  con- 
ciles orthodoxes,  et  des  conciles  ennemis  de  la  vraie  foi;  l'Eglise 
foudroyant  l'hérésie,  et  l'hérésie  anathématisant  l'Eglise;  l'Orient 
et  l'Occident  divisés;  le  peuple  fidèle,  presque  incertain  de  sa 
croyance;  les  esprits  agités  et  flottans;  toutes  les  doctrines  con- 
fondues; la  lumière  mêlée  avec  les  ténèbres.  Qui  débrouillera  ce 
nouveau  chaos  ?  qui  rendra  au  soleil  de  vérité  son  éclat  obscurci  ? 
qui  fera  sortir  encore  une  fois  du  sein  des  eauxla  terre  presque 
submergée  et  engloutie?  Ce  sera  vous,  grand  Dieu!  vous  qui  ne 
permettez  pas  à  la  nuit  d'usurper  l'empire  du  jour,  vous  qui  com- 
mandez aux  eaux  de  l'abîme,  et  qui  êtes  obéi;  vous  qui  ne  souffri- 
rez jamais  que  l'enfer  prévale  contre  votre  Eglise  ;  car  vous  l'avez 
juré!  En  effet,  à  la  voix  de  ce  Dieu,  les  ombres  épaisses  du  men- 
songe se  dissipent;  les  schismes  et  les  hérésies  passent;  ils  s'écou- 
lent comme  des  torrens,  ils  disparaissent;  et  l'Eglise,  toujours 
inébranlable  sur  le  roc  où  elle  a  été  fondée,  domine  du  haut  de 
la  montagne  sainte,  sur  l'océan  des  passions  et  des  erreurs  humai- 
nes, et  voit  perpétuellement  se  brisera  ses  pieds  les  flots  qui  mu- 
gissent vainement  autour  d'elle. 

Venez  donc,  après  tant  d'ennemis  vaincus,  ô  incrédules  des  dix- 
huitième  et  dix-neuvième  siècles,  vous  qui  êtes  si  fiers  de  vos  lu- 
mières et  de  vos  forces,  venez  pour  être  vaincus  à  votre  tour  et 
préparer  à  l'Eglise  de  Jésus-Christ  un  nouveau  triomphe  :  Congre- 
gamini.  .  .  et  vinclmini  *■■.  Rassemblez  toutes  vos  phalanges,  déis- 
tes, athées,  sceptiques,  matérialistes,  indifférens,  impies  de  tous 
les  systèmes,  de  tous  les  pays  ,  de  toutes  les  sectes;  rangez-vous 
tous  sous  une  même  bannière;  oubliez,  s'il  est  possible,  tout  ce 
qui  vous  divise:  qu'un  seul  sentiment  vous  anime  et  vous  réunisse, 
et  que  ce  soit  la  haine  implacable  du  nom  catholique;  serrez  vos 

Isa,   vin,  9. 


46  NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE 

rangs  et  formez  une  innombrable  armée,  afin  que  votre  défaite  en 
soit  plus  éclatante  :  Corifortamini,  et  vinciinùii  4.  Que  rien  ne  vous 
arrête;  que  tout  moyen  soit  légitime  pour  détruire  une  religion 
qui  ose  se  dire  seule  vraie  et  seule  divine  ;  le  mensonge  ou  la  vérité, 
la  perfidie  ou  la  violence,  les  respects  hypocrites  ou  les  mépris  in- 
sultans, les  maximes  delà  tolérance  ou  les  fureurs  de  la  persécu- 
tion, la  calomnie  ou  la  gloire,  que  tout  soit  employé  sans  scrupule, 
et  que  tout  soit  inutile  :  Accingite  vos,  et  vincimini  2.  Concertez 
habilement  vos  desseins  ;  ourdissez  des  trames  profondes  ;  prenez 
d'infaillibles  mesures;  épuisez  toutes  les  ressources  de  votre  sa- 
gesse; et  qu'elle  soit  convaincue  de  folie  :  Inite  concilium,  et  dis- 
sipabitur* .  Dites  enfin  ,  prophétisez  hautement,  que  la  dernière 
heure  du  Christianisme  est  venue,  que  l'impérissable  Eglise  va 
tomber  inévitablement  sous  vos  coups  ;  et  vos  prophéties  se  per- 
dront comme  un  vain  bruit  dans  les  airs,  tandis  que  les  sacrés 
oracles,  qui  prédisent  la  ruine  de  toutes  les  ligues  impies,  conti- 
nueront ,  jusqu'à  la  fin  ,  de  s'accomplir  comme  ils  s'accomplissent 
depuis  six  mille  ans  :  Loquimlni  verbum ,  et  nonflet  *. 

Ne  vous  étonnez  pas,  mes  frères ,  que  l'Eglise,  au  milieu  de  ses 
malheurs,  et  parmi  tant  de  dangers,  ose  défier  de  la  sorte  ses  en- 
nemis, et  braver  toutes  leurs  menaces,  assurée  qu'elle  est  de  la 
protection  du  Tout-Puissant,  et  de  la  victoire  qu'il  donne  :  Quia 
nobîscum  Deus  5.  Ah  !  lorsqu'elle  était  riche  et  puissante,  ce  n'était 
pis  dans  ses  forces  et  ses  richesses  qu'elle  se  confiait  ;  maintenant, 
dépouillée  de  ses  trésors  et  des  marques  de  son  antique  grandeur, 
privée  de  l'appui  que  lui  prêtèrent  long-temps  les  lois  humaines 
et  les  maîtres  de  la  terre ,  méconnue  et  reniée  de  ses  propres  en- 
fans,  ne  conservant  plus  de  tant  de  privilèges  que  celui  d'être 
seule  en  butte  à  toutes  les  injustices  et  à  tous  les  outrages,  elle  croit 
n'avoir  rien  perdu,  tant  que  les  promesses  de  son  divin  Epoux  et  sa 
croix  lui  restent  ;  et,  elle  n'est  pas  moins  incapable  de  crainte  dans 
les  orages  qui  assaillent  sa  vieillesse,  que  dans  ceux  qui  agitèrent 
son  berceau. 

Que  ferez-vous  donc,  ô  impies?  Vous  mènerez  contre  elle 
toutes  les  sectes  liguées  au  combat?  Mais  n'a-t-elle  pas  vu  ligués 
pour  sa  ruine  et  le  juif  et  le  païen,  et  le  philosophe  de  l'Académie 
et  du  Portique,  et  milles  sectes  diverses,  et  les  empereurs  et  les  na- 
tions? et  ne  les  a-t-ellepas  vaincus  ?  Eh  !  qu'est-ce,  après  tout,  que 
la  coalition  de  toutes  les  erreurs  qui  se  combattent   et  se  détrui- 

»  Isa.,  vm,  9.  <•  *  Ibid.  —  »  Aid.,  10.  —  *  Ibid.  — 6  Malth  ,  i,  23. 


DES   PRÉDICATEURS.  ^n 

sent  naturellement,  contre  la  vérité  toute  seule,  qui  est  indestruc- 
tible de  sa  nature,  et  qui  trouve  dans  son  unité  même  une  force 
invincible  ? 

Vous  essaierez  de  l'accabler  sous  le  poids  du  mensonge  et  de 
la  calomnie?  Mais  ne  savez-vous  pas  que  ce  qui  est  faux  est  tou- 
jours faible  ;  que  le  mensonge  s'évanouit  bientôt  devant  la  vérité, 
comme  les  ombres  devant  la  lumière;  et  qu'une  cause  est  per- 
due lorsque  ses  défenseurs  sont  réduits,  comme  vous,  à  faire  pro- 
fession ouverte  de  calomnie  et  d'imposture? 

Cependant,  et  c'est  ici  votre  gloire,  vous  entraînez  la  foule.  — - 
Je  ne  m'en  étonne  pas,  puisqu'il  est  écrit  que  toute  la  terre  suivra 
la  bête.  —  Vous  entraînez  la  foule!  —  Mais  comment?  bien  moins 
en  persuadant  les  esprits  qu'en  corrompant  les  cœurs.  Votre  doc- 
trine flatte  toutes  les  passions,  favorise  tous  les  vices:  de  là  vos  suc- 
cès. Mais  le  vice  comme  le  mensonge  n'a  qu'un  temps;  tandis 
que  la  vertu  comme  la  vérité  a  des  droits  éternels,  et  finit  tou- 
jours par  reprendre  l'empire.  —  Vous  entraînez  la  foule  !  — L'E- 
vangile ne  l'avait-il  pas  dit,  que  la  multitude  se  perd?  Mais,  en 
élargissant  encore  la  voie  large,  empêchez-vous  qu'elle  ne  soit  pour 
vous  et  pour  ceux  qui  vous  suivent  le  chemin  de  la  perdition? 
et  en  resserrant  encore  la  voie  étroite,  empêchez-vous  qu'elle 
ne  soit  toujours,  pour  ceux  qui  y  marchent,  la  voie  certaine  du 
salut? 

f  Que  ferez-vous  encore  ?  Vous  désolerez  l'Eglise  par  des  défec- 
tions multipliées.  —  Hélas  !  elles  seront  bien  plus  nombreuses  en- 
core, et  elle  ne  l'ignore  pas,  lorsque  le  temps  de  la  grande  apos- 
tasie, prédit  dans  les  Ecritures,  sera  venu.  L'Eglise  pleurera  sur 
ses  enfans  qui  l'abandonnent,  parce  qu'elle  les  aime,  et  qu'en 
la  quittant,  ils  périssent.  Mais  sa  fécondité  lui  donnera  d'autres 
enfans  qui  essuieront  ses  larmes;  et,  tranquille  ou  agitée,  elle  con- 
tinuera d'engendrer  dans  son  sein,  jusqu'à  la  consommation  des  siè- 
cles, tous  les  élus  dont  aucun  ne  peut  périr.  Où  sera  donc  le  fruit 
de  ces  défections  que  vous  vantez,  puisque,  en  peuplant  de  plus 
en  plus  la  Babylone  réprouvée,  elles  ne  retrancheront  pas  un  seul 
habitant  à  la  sainte  et  immortelle  Jérusalem  ?  Ah!  le  fruit  qui  vous 
restera  bientôt,  ce  sera  l'opprobre  d'avoir  été  le  corrupteur  de 
vos  semblables  et  les  instrumens  de  l'enfer ,  pour  les  précipiter, 
avec  vous-mêmes,  dans  l'éternel  abîme.  Mais,  loin  de  détruire 
l'Eglise  de  Jésus-Christ,  vos  excès  et  vos  complots  ne  servent, 
comme  on  vient  de  le  voir,  qu'à  lui  préparer  un  nouveau  triom- 
phe. (  Le  P.  de  Mac-Cartiiy,  Triomphes  de  l'Eglise,  ) 


48  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

Péroraison. 

Aimons  donc,  mes  frères,  cette  unité  sainte;  aimons  la  frater- 
nité chrétienne,  et  croyons  qu'il  n'y  a  aucune  raison  pour  laquelle 
elle  puisse  être  violée.  Que  les  scandales  s'élèvent,  que  l'impiété 
règne  dans  l'Eglise,  qu'elle  paraisse,   si  vous  voulez,  jusque  sur 
l'autel;  c'est  là  le  triomphe  delà  charité,  d'aimer  l'unité  catholi- 
que, malgré  les  troubles,  malgré  les  scandales,  malgré  les  déré- 
glemens  de  la  discipline.  Gémissons-en   devant  Dieu;  reprenons- 
les  devant  les  hommes,  si  notre  vocation  le  permet;  mais  si  nous 
avons  un  bon  zèle,  ne  crions  pas  vainement  contre  les  abus;  met- 
tons la  main  à  l'œuvre  sérieusement ,  et  commençons  chacun  par 
nous-mêmes  la  réformation  de  l'Eglise.  Mesenfans,  nous  dit-elle, 
regardez  l'état  où  je  suis;  voyez  mes  plaies  ,  voyez  mes  ruines.  Ne 
croyez  pas  que  je  veuille  me  plaindre  des  anciennes  persécutions 
que  j'ai  souffertes,  ni  de  celles  dont  je  suis  menacée  à  la  fin  des 
siècles;  je  jouis  maintenant  d'une  pleine  paix  sous  la  protection 
de  vos  princes ,  qui  sont  devenus  mes  enfans  aussi  bien  que  vous; 
mais  c'est  cette  paix  qui  m'a  désolée  :  Ecce,  ecce  in  pace  amaritudo 
mea  amarissima  i.  Il  m'était  certainement  bien  amer  lorsque  je 
voyais  mes  enfans   si  cruellement  massacrés,  il  me  l'a  été  beau- 
coup  davantage    lorsque   les  hérétiques   se   sont  élevés,  et   ont 
arraché  avec  eux ,  en  se  retirant  avec  violence ,  une  grande  partie 
de  mes  entrailles  ;  mais  les  blessures  des  uns  m'ont  honorée;  et, 
quoique  touchée  au  dernier  point  de  la  retraite  des  autres,  enfin 
ils  sont  sortis  de  mon  sein  comme  des  humeurs  qui  me   surchar- 
geaient. «  Maintenant,  maintenant  mon  amertume  très  amère  est 
dans  la  paix  :  »  Ecce,  ecce  inpace  amaritudo  mea  amarissima.  C'est 
vous,  enfans  de  ma  paix,  c'est  vous,  mes  enfans  et  mes  domestiques, 
qui  me  donnez  les  blessures  les  plus  sensibles  par  vos  mœurs  dé- 
pravées :  c'est  vous  qui  ternissez  ma  gloire,  qui  me  portez  le  venin 
au  cœur,  qui  couvrez  de  honte  ce  front  auguste  sur  lequel  il  ne 
devait  paraître  ni  tache,   ni  ride  2.  Guérissez-moi  en  travaillant 
à  guérir  en  vous-mêmes  ces  plaies  profondes  que  tant  d'iniquités 
ont  faites  à  votre  conscience  et  à  votre  honneur,  et  qui  sont  deve- 
nues les  miennes. 

Que  reste-t-il  après  cela,  sinon  qu'elle  vous  parle  des  intérêts 
de  ces  nouveaux  frères  que  sa  charité  vous  a  donnés  ?  elle  vous 

1  ïs.,  xx^ut,  1";  —  a  Krïhes:,  v,  27. 


DES   PRÉDICATEURS.  49 

les  recommande.  Le  schisme  lui  a  donné  tout  l'Orient  ;  l'hérésie 
agate  tout  le  Nord  :  ô  France,  qui  étais  autrefois  exempte  de 
monstres,  elle  t'a  cruellement  partagée.  Parmi  des  ruines  si  épou- 
vantables l'Eglise,  qui  est  toujours  mère,  tâche  d'élever  un  petit 
asile  1  pour  recueillir  les  restes  d'un  si  grand  naufrage  ;  et  ces  enfans 
dénaturés  l'abandonnent  dans  ce  besoin  :  le  jeu  engloutit  tout;  ils 
jettent  dans  ce  gouffre  des  sommes  immenses  :  pour  cette  œuvre 
de  piété  si  nécessaire ,  il  ne  se  trouve  rien  dans  la  bourse.  Les 
prédicateurs  élèvent  leur  voix  avec  toute  l'autorité  que  leur  donne 
leur  ministère,  avec  toute  la  charité  que  leur  inspire  la  compassion 
de  ces  misérables  ;  et  ils  ne  peuvent  arracher  un  demi-écu  ;  et  il  faut 
les  aller  presser  les  uns  après  les  autres;  et  ils  donnent  quelque 
aumône  chétive ,  faible  et  inutile  secours  ,  et  encore  ils  s'estiment 
heureux  d'échapper  :  au  lieu  qu'ils  devraient  courir  d'eux-mêmes 
pour  apporter  du  moins  quelque  petit  soulagement  à  une  néces- 
sité si  pressante.  O  dureté  des  cœurs  !  6  inhumanité  sans  exem- 
ple! mes  chers  frères,  Dieu  vous  en  préserve!  Ah!  si  vous  aimez 
cette  Eglise  dont  je  vous  ait  dit  de  si  grandes  choses,  laissez  au- 
jourd'hui, en  ce  lieu  où  elle  rappelle  ses  enfans  dévoyés,  quelque 
charité  considérable.  Ainsi  soit-il.  (Bossuet.  ) 

Lee  Nouveaux  Catholiques,  où  ce  sermon  a  été  prêché. 


T.  m.  'i 


5o  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 


ENFER  OU  ÉTERNITÉ  MALHEUREUSE. 


REFLEXIONS  PRELIMINAIRES  SUR  CE  SUJET. 


Il  existe  un  Dieu  :  il  y  a  donc  un  Enfer.  Ces  deux  dogmes  essen- 
tiels ont  constamment  été  réunis  dans  les  pensées  du  genre  hu- 
main ;  et  comme  il  ne  fut  jamais  de  nation  athée,  il  ne  s'en  est 
jamais  vu  une  seule  qui  ait  révoqué  en  doute  les  peines  de  l'autre 
vie.  Toutes  les  religions  qui  ont  régi  le  monde  ont  eu  pour  base 
ce  principe  fondamental  de  tout  ordre.  Elles  n'ont  pas  même 
cherché  à  le  prouver  :  elles  l'ont  supposé  comme  incontestable. 
Si  dans  le  cours  des  siècles  il  s'est  trouvé  un  petit  nombre  d'hom- 
mes, ceux  spécialement  qui  usurpaient  et  déshonoraient  le  titre 
de  philosophe,  qui  aient  osé  combattre  une  vérité  aussi  générale- 
ment reconnue,  aussi  solidement  établie,  ils  ont  été  tanlôt  mé- 
prisés comme  des  insensés,  tantôt  rejetés  comme  des  impies.  In- 
crédules de  nos  jours,  qui,  marchant  sur  les  traces  de  ces  maîtres 
d'erreur t  venez'nous  reporter  leurs  blasphèmes  tant  de  fois  pros- 
crits, tous  vos  efforts  vont  se  briser  contre  ce  consentement  uni- 
versel de  tous  les  temps  et  de  tous  les  pays.  Quelle  cause  pouvez- 
vous  assigner  à  cette  unanimité  de  persuasion  ?  Quel  homme 
eût  osé  proposer  à  ses  semblables  une  doctrine  aussi  contraire  aux 
inclinations,  aussi  révoltante  pour  les  passions  humaines?  Quel 
homme  aurait  eu  le  pouvoir  de  la  faire  aussi  universellement 
adopter?  Prétendrez-vous  que  la  totalité  du  genre  humain  ait  été 
assez  simple,  assez  ennemie  d'elle-même  pour  se  soumettre,  sans 
d'évidentes  démonstrations,  à  la  croyance  d'intolérables  tourmens 
après  la  mort?  Cherchez  tant  qu'il  vous  plaira;  vous  ne  trouverez 
jamais,  à  la  réunion  de  tous  les  peuples  dans  le  dogme  d'un  Enfer, 
d'autres  principes  que  l'un  de  ces  deux,  ou  plutôt  que  ces  deux 
réunis  :  d'une  part,  l'enseignement  primitif  donné  par  la  Divinité 
elle-même,  et  transmis  de  génération  en  génération;  et  de  l'autre, 
ce  raisonnement  si  simple,  qui  se  présente  naturellement  à  tous 
les  esprits,  qu'au  moins  ils  saisissent  vivement  quand  il  leur  est 


DES    PRÉDICATEURS.  5l 

présenté.  Sous  un  Dieu  juste  les  malfaiteurs  doivent  être  punis  : 
ne  1  étant  pas  dans  cette  vie,  ils  le  sont  indubitablement  dans  une 
autre. 

Cause  de  l'incrédulité  sur  l'Enfer* 

Si  telles  sont  les  causes  de  la  croyance  universelle  à  la  vérité  d'un 
Enfer,  quelles  peuvent  être  celles  de  l'incrédulité  de  quelques  indi- 
vidus? Gomment  a-t-il  pu  se  faire  qu'un  dogme  si  profondément  en- 
raciné dans  le  cœur  humain,  qu'une  vérité  démontrée  par  de  si  évi- 
dentes raisons,  ait  éprouvé  une  seule  contradiction  ;  et  que,  contre 
le  cri  de  la  nature  entière,  qui  proclame  la  doctrine  d'une  autre 
vie,  quelques  voix  se  soient  élevées  pour  la  combattre  ?  Considérez 
quels  sont  les  téméraires  qui  osent  opposer  leur  courte  raison  à 
la  raison  de  toute  la  race  humaine,  et  vous  aurez  la  réponse  à 
cette  question.  Ils  nient  qu'il  y  ait  un  Enfer,  ceux-là  seuls  qui  ont 
intérêt  à  ce  qu'il  n'y  en  ait  pas.  Ils  n'y  croient  pas,  parce  qu'ils 
ne  veulent  pas  y  croire,  parce  qu'ils  craignent  d'y  croire.  Que 
leur  cœur  soit  sans  passions ,  et  leur  esprit  sera  sans  doutes.  Cette 
pensée  de  la  vie  future  qui  fut  salutaire  à  tant  d'autres,  ils  se  la 
rendent  funeste.  Elle  fit  des  saints  de  tous  les  sages  qui  sacrifièrent 
les  plaisirs  du  temps  à  la  crainte  d'un  malheur  éternel.  Elle  fait 
des  impies  de  quelques  insensés  qui ,  pour  s'abandonner  à  leurs 
penchans  pervers,  s'efforcent  de  l'étouffer,  et  cherchent  une  res- 
source contre  la  menace  de  l'Enfer  dans  l'anéantissement  de  l'Enfer. 
Ils  répètent,   les  impies  de  nos  jours,  ce  que  disaient  ceux  du 
temps  de  Salomon ,  qu'ils  n'ont  vu  personne  qui  soit  revenu  de 
l'Enfer.  Mais  le  divin  Maître  leur  répond  :  S'ils  n'ajoutent  pas  foi 
aux  oracles  sacrés  sur  l'Enfer,  un  mort  qui  en  sortirait  ne  les  per- 
suaderait pas.  Croit-on  l'Enfer  ?  la  résurrection  d'un  mort  est  inutile. 
N'y  croit-on  pas  Pelle  ne  servirait  de  rien.  Que  l'on  croie  ou  que 
l'on  ne  croie  pas  à  ces  terribles  chàûmens,  ils  n'en  sont  pas  muins 
réels;  et  ce  que  les  impies  refusent  de  croire  comme  hommes,  et 
avec  tous  les  hommes,  ils  seront  un  jour  forcés  de  le  croire  comme 
les  démons,  et  avec  eux. 

Révélation  du  dogme  de  l'Enfer. 

Les  oracles  divins  le  déclarent  positivement.  Ce  que  la  raison 
découvre,  la  foi  le  révèle,  le  confirme,  le  développe.  Chrétiens, 
car  c'est  à  vous  principalement  que  s'adressent  ces  instructions , 

4 


52  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

il  vous  faut  ou  renoncer  à  ce  caractère  sacré  que  vous  reçûtes 
clans  le  baptême,  ou  rejeter  avec  force  les  doutes  criminels  qu'on 
s'efforce  de  vous  inspirer  sur  les  supplices  qui  attendent  le  pécheur 
dans  la  région  infernale.  Gomme  il  n'y  a  pas  de  dogme  plus  salu- 
taire pour  la  vie  présente  que  celui  d'une  vie  future,  comme  il 
n'y  a  point  de  principe  qui  ait  une  influence  plus  active  sur  les 
actions  humaines  que  celui  du  salaire  qui  leur  est  réservé  après 
la  mort,  il  n'y  a  pareillement  aucune  vérité  plus  formellement 
enseignée,  plus  fréquemment  répétée  dans  les  livres  sacrés.  Dieu 
a  voulu  que  la  doctrine  fondamentale  de  toute  morale  naturelle  et 
religieuse  de  la  conduite  honnête  et  chrétienne  nous  fût  rendue 
certaine  de  toutes  les  manières.  lia  voulu  qu'on  ne  pût,  sans  re- 
noncer à  tout  sentiment,  à  tout  raisonnement,  à  toute  loi,  adopter 
la  pernicieuse  maxime  qui ,  brisant  la  barrière  opposée  aux  dés- 
ordres ,  ouvre  aux  crimes  de  tout  genre  l'entrée  dans  la  société 
humaine. 

Incompréhensibilité  des  peines  de  l'Eofer. 

Mais,  en  nous  révélant  les  supplices  de  l'autre  vie,  en  nous  im- 
posant l'obligation  de  les  croire,  la  parole  divine  ne  nous  en  fait 
pas  connaître  toute  l'étendue.  Dieu  lui-même,  qui  a  creusé  l'En- 
fer,]ne  nous  en  fait  pas  comprendre  toute  l'horreur.  Grand  Dieu! 
s'écrie  le  roi-prophète ,  qui  est-ce  qui  connaît  toute  la  puissance 
de  votre  colère?  Qui  peut,  dans  la  terreur  qu'inspirent  vos  ven- 
geances, en  calculer  les  épouvantables  effets?  Devons-nous  être 
étonnés  que  les  opérations  de  la  justice  et  celles  de  la  miséricorde 
soient  également  admirables;  que  la  miséricorde  ayant  fait  pour 
nous  des  choses  incompréhensibles  ,  les  œuvres  de  la  justice  excè- 
dent de  même  nos  faibles  conceptions?  Et  quelles  sont-elles  donc 
ces  conceptions  humaines,  pour  prétendre  embrasser  toute  l'é- 
tendue des  châtimens  que  peut  infliger  la  main  divine?  Ils  sont, 
comme  les  appelle  Tertullien ,  le  trésor  de  la  colère  du  Tout-Puis- 
sant. Des  intelligences  bornées,  des  raisons  faibles,  des  imagi- 
nations dissipées  comme  les  nôtres ,  doivent-elles  être  capables 
de  s'en  former  une  idée  exacte?  Il  n'appartient,  par  un  funeste 
privilège,  qu'aux  infortunés  qui  y  sont  livrés  de  connaître  tout 
leur  malheur.  Vous  ont-elles  été  ouvertes,  dit  le  Seigneur,  les 
portes  de  la  mort?  Votre  œila-t-il  pénétré  dans  ces  gouffres  téné- 
breux? La  raison  a  pu  nous  amènera  connaître  la  réalité  d'un 
Enfer.  Là  elle  doit  s'arrêter,  Si  elle  entreprend  de  pénétrer  dans 


2>ES    fil  INDICATEURS.  53 

cet  abîme  de  lourmcns,  elle  s'égarera  infailliblement  dans  ces  im- 
menses profondeurs.  Recevons  humblement  de  la  foi  ce  qu'elle- 
daigne  nous  révéler  sur  la  nature  des  châtimens  divins.  La  foi, 
qui  ne  nous  les  fait  point  comprendre,  nous  découvre  ce  qu'il 
nous  est  utile  d'en  connaître.  Elle  nous  apprend  ce  dont  nous 
avons  besoin  pour  en  concevoir  la  juste  et  salutaire  frayeur. 

Violence  des  tourment  do  l'Enfer. 

Nous  savons,  d'après  son  enseignement,  quel  est  celui  qui  a 
dit  :  C'est  à  moi  qu'appartient  la  vengeance;  ce  sera  moi  qui  ju- 
gerai et  qui  punirai  :  et  par  cela  seul  elle  nous  enseigne  combien 
il  est  horrible  de  tomber  entre  ses  mains.  Si  nous  tremblons  de- 
vant les  supplices  que  font  subir  les  puissances  humaines,  de 
quelle  terreur  ne  devons-nous  pas  être  saisis  en  contemplant  ceux 
qu'inflige  le  bras  tout-puissant  d  un  Dieu  irrité?  Il  voulait  récom- 
penser en  Dieu ,  il  punira  en  Dieu  ,  et  il  ne  fera  pas  moins  éclater 
ses  vengeances  dans  l'Enfer  que  sa  munificence  dans  le  ciel.  Ils 
porteront,  dit  un  Prophète,  tout  le  poids  de  la  colère  du  Sei- 
gneur, ceux  qui  auront  péché  contre  lui.  Ils  seront  remplis  de  sa 
fureur,  dit  un  autre.  Moins  nous  pouvons  nous  représenter  tout 
ce  que  renferment  ces  menaces  ,  plus  nous  devons  sentir  combien 
elles  sont  terribles.  Des  tortures  si  affreuses  qu'elles  en  sont  in- 
compréhensibles; des  tourmens  d'une  telle  violence  qu'ils  excèdent 
tout  sentiment,  toute  idée;  dans  quel  tremblement  ne  devons-nous 
pas  être  en  pensant  que  nous  y  sommes  exposés ,  que  nous  les 
subirons  peut-être,  que  nous  les  subirons  certainement  si  nous  ne 
travaillons  pas  à  les  éviter  ?  L'Enfer,  nous  répète  souvent  le  divin 
Sauveur,  est  le  séjour  des  pleurs  et  des  grincemens  de  dents.  Que 
ceux  qui  cherchent  à  s'étourdir  sur  l'Enfer  ne  nous  accusent  donc 
plus  de  présenter  plus  sévères  qu'elles  ne  sont,  les  peines  qu'on  y 
endure.  Si  nous  les  exagérons ,  c'est  Dieu  qui  est  l'exagérateur  : 
mais  pour  les  rendre  épouvantables,  l'exagération  n'est  pas  né- 
cessaire; elle  n'est  pas  même  possible,  puisqu'aucune  langue  ne 
peut  en  expliquer,  ni  aucun  esprit  en  comprendre  toute  la  ri* 
gueur. 

Les  tourmens  de  l'Enfer  inégaux. 

En  nous  révélant  que  les  supplices  des  re'prouvés  seront  d'une 
inconcevable  violence,  la  foi  nous  enseigne  qu'ils  ne  seront  pas 
les  mêmes  pour  tous.  Ils  sont  affreux,  parce  que  c'est  la  colère  de 


54  NOUVELLE   BIBLIOTHÈQUE 

Dieu  qui  les  inflige;  ils   sont  différens  parce  que  c'est  la  justice 
qui  les  ordonne.  La  majesté  divine  exige  pour  toute  offense  une 
vengeance  éclatante,  que  l'équité  suprême  règle  selon   la  nature, 
de  l'offense,  Gomme  il  y  a  des  degrés  dans  les  péchés,  il  y  en  a 
dans  les  châtimens.  Dieu  les   proportionne  d'abord  au  nombre , 
au  genre,  à  la  gravité  des   crimes.  Redoublez  les  tourmens  de 
cette  ame  coupable  d'après  la  dépravation  de  ses  œuvres  /'crie  une 
voix  céleste;  autant  elle  se  livre  à  l'insolence  de  son  orgueil,  au- 
tant elle  s'abandonne  à  ses  criminelles  voluptés,  autant  donnez- 
lui  de  lourmens  et  de  douleurs.  Une  autre  mesure  des  châtimens 
divins  sera  l'abus  des  grâces  divines.  Il  sera ,  c'est  Jésus-Christ  qui 
le  déclare,  plus  redemandé  à  celui  à  qui  il  aura  été  plus  accordé. 
Le  serviteur,  qui,  connaissant  la  volonté  de  son  maître,  ne  l'a  pas 
exécutée,  sera  puni  plus  sévèrement  que  celui  qui  a  manqué  sans 
la  connaître.  Ce  fut  un  grand  bonheur  pour  nous,  dans  cette  vie, 
qu'une  miséricorde  toute  gratuite  nous  fit  naître  dans  lô  sein  de 
l'Eglise,  et  nous  investit  des  lumières  de  la  foi.  Dans  la  vie  future, 
ce  sera  peut-être  un  redoublement  de  malheur.  Ce  caractère  de 
chrétien  que  nous  reçûmes  dans  le  baptême  nous  suivra  dans  l'é- 
ternité, pour  être,  si  nous  lavons  profané,  une  aggravation  de 
tourmens.  Et  quand  je  retourne  mes  pensées  sur  moi  en  particu- 
lier, de  quelle  terreur  me  saisit  la  pensée  du  caractère  encore  plus 
sacré  qui  me  fut  conféré  dans  l'ordination.  Quand  je  rapproche  les 
grac©6  dont  je  fus  comblé,  de  mes  manquemens  ;  le  ministère  dont 
je  fus  honoré,  de  mes  profanations;  les  obligations  qui  me  furent 
imposées,  de  mes  transgressions  ;  le  soin  des  âmes  qui  me  fut  confié, 
dîu  peu  de  soin  que  j'ai  eu  de  la  mienne,  je  frémis  à  l'aspect  destor- 
rens  de  colère  que  fera  déborder  sur  moi  cette  multitude  d'iniquités. 
J'entends  sans  cesse  retentir  à  mes  oreilles  cet  épouvantable  arrêt  : 
Tu  vas  connaître  incessamment,  et  d'une  terrible  manière,  que  le 
jugement  le  plus  rigoureux  est  réservé  à  ceux  qui  présidentles  autres. 

Quatre  principaux  supplices  en  Enfer. 

Je  me  figure  l'affreux  sentiment  qui  s'empare  de  l'ame  du  ré- 
prouvé au  moment  où,  du  théâtre  de  ses  plaisirs,  il  se  voit  trans- 
porté dans  le  séjour  des  vengeances  divines.  Jugé,  condamné,  puni 
au  même  instant,  il  s'est  senti  précipiter  dans  l'abîme  des  douleurs. 
Il  a  vu  les  portes  fatales  se  refermer  sur  lui  pour  ne  se  rouvrir  ja- 
mais. Toute  l'horreur  de  son  sort  est  déjà  présente  à  son  esprit. 
Tout  ce  qu'il  doit  à  jamais  souffrir,  il  en  a  commencé  la  doulou- 


DES    PRÉDICATEURS.  55 

neuse  épreuve.  Quatre  supplées  accumules  sur  lui  n'auront  désor- 
mais ni  cessation,  ni  interruption,  ni  diminution.  Ce  sont  la  sé- 
paration de  Dieu  qui  désole,  le  feu  qui  tourmente,  le  remords  qui 
déchire,  l'éternité  qui  désespère. 

Séparation  de  Dieu. 

Du  moment  où  l'ame  coupable  aura  entendu  le  formidable  ar- 
rêt: Reti/ez-vous  de  moi ,  il  n'y  aura  plus  pour  elle  d'union  avec 
Dieu  :  un  intervalle  immense  va  l'en  séparer  pour  jamais.  Ses  ini- 
quités ont  élevé  entre  elle  et  lui  un  mur  de  séparation  impénétra- 
ble :  elles  l'ont  forcé  à  détourner  sa  face.  Elle  avait  été  créée  pour 
le  voir  éternellement ,  éternellement  elle  ne  le  verra  pas.  Première 
et  juste  punition  de  son  infidélité.  Dans  le  cours  de  cette  vie  mor- 
telle ,  c'était  Dieu  qui  recherchait  l'ame,  et  lame  criminelle  qui  le 
fuyait.  Dans  la  vie  future  ,  ce  sera  lame  réprouvéequi  recherchera 
son  Dieu ,  qui  soupirera  après  lui ,  et  qui  en  sera  repoussée.  L'é- 
loignement  qui  fut  le  péché  sera  devenu  la  peine.  L'éloignement 
volontaire  et  obstiné  sera  puni  par  un  éloignement  forcé  et  irré- 
parable. 

Pécheurs, cette  privation  ne  vous  touche  pas,  ce  châtiment  ne 
vous  effraie  pas.  N'ayant  pour  Dieu  ni  amour  ni  désir,  vous  n'i- 
maginez pas  le  malheur  d'en  être  séparés.  Détournés,  dissipés, 
absorbés,  tyrannisés  par  vos  sens,  uniquement  occupés  des  plai- 
sirs qu'ils  vous  présentent ,  votre  cœur  est  devenu  inaccessible  au 
désir  dune  félicité  spirituelle,  et  votre  esprit  incapable  d'en  for- 
mer la  pensée.  Tout  ce  que  vous  ambitionnez  est  la  possession  des 
frivolités  dans  lesquelles  vous  avez  placé  votre  bonheur;  tout  ce 
que  vous  redoutez,  c'est  d'en  être  privé.  Et  même  les  personnes 
religieuses  ne  peuvent  se  donner  une  connaissance  exacte  et  en- 
tière du  malheur  d'être  séparé  de  Dieu.  D'une  part,  enveloppée 
d'un  corps  qui  ne  cesse  de  lui  communiquer  ses  impressions,  ap- 
pesantie par  cette  masse  qui  la  rabaisse  continuellement  vers  la 
terre,  l'ame  n'a  point  ici-bas  la  force  de  s'élever  jusqu'à  la  compré- 
hension du  bonheur  d'une  telle  union ,  du  malheur  de  cette  sépa- 
ration. De  l'autre,  comment  se  former  Vidée  d  une  peine  qui  n'a 
d'autre  mesure  que  l'infinité  de  Dieu? Le  malheur  d'être  privé  de 
lui  est  aussi  grand  que  le  bonheur  de  le  posséder  ;  et  l'un  et  l'au- 
tre ont  pour  étendue  la  grandeur  même  de  Dieu.  Mais  lorsque  dé- 
gagée des  liens  qui  la  retenaient ,  et  sortie  de  la  prison  qui  la 
renfermait ,  l'ame  aura  rendu  à  la  terre  cette  chair  qu'elle  en  a  reçue, 


56  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

et  qu'abandonnant  l'habitation  passagère  de  ce  monde  elle  sera 
devenue  citoyenne  delà  région  de  l'éternité  ,  ses  sens  qui  la  dis- 
trayaient, qui  l'offusquaient,  ses  sens  dont  elle  sera  délivrée, 
n'auront  plus  sur  elle  d'influence.  Plaisirs,  honneurs,  richesses, 
affections  ,  jouissances,  tous  les  prétendus  biens  qui  l'attachaient 
à  la  terre  ont  disparu.  Le  vrai,  le  seul  bien  lui  apparaît  alors. 
Dieu  se  fait  connaître  à  elle  tel  qu'il  est,  et  lui  découvre  tout 
le  bonheur  dont  il  fait  jouir  ses  élus.  Du  séjour  des  douleurs 
le  réprouvé  lève  les  yeux  vers  le  séjour  delà  gloire,  et  l'un  de  ses 
tourmens  est  de  contempler  de  loin  ce  qu'il  pouvait  acquérir  et 
qu'il  a  voulu  perdre.  A  travers  l'immense  chaos  qui  les  sépare,  le 
mauvais  riche  voit  ce  Lazare,  qui  fut  sur  la  terre  l'objet  de  ses  mé- 
pris, jouissant  dans  le  sein  d'Abraham  de  la  félicité  qui  était  des- 
tinée à  lui-même.  L'Esprit-Saint  nous  représente  les  pécheurs  au 
fond  de  l'Enfer,  d'abord  contemplant  avec  étonnement  et  avec 
admiration  ceux  qui  étaient  autrefois  l'objet  de  leurs  railleries  et 
de  leurs  reproches,  maintenant  placés  dans  le  sein  de  Dieu,  et 
partageant  le  sort  glorieux  des  saints,  et  ensuite  retournant  sur 
eux-mêmes  leurs  pensées  ,  déplorant ,  dans  les  regrets  du  repen- 
tir et  dans  les  angoisses  du  gémissement,  les  voies  d'iniquité  et 
de  perdition  où  ils  se  sont  lassés,  et  se  lamentant  de  se  sentir  con- 
sumés des  suites  de  leur  méchanceté.  Ainsi,  la  justice  divine  fait 
servir  au  supplice  de  ses  victimes  la  connaissance  même  qu'elle 
leur  donne  de  la  souveraine  félicité.  Le  désir  du  bonheur,  qui  dans 
cette  vie  était  pour  lame  le  principe  de  toutes  ses  affections,  le 
mobile  de  toutes  ses  actions  ,  l'a  suivi  dans  l'autre  vie.  Il  y  est  même 
devenu  plus  actif,  parce  qu'ici-bas  il  se  divisait  en  plusieurs  ob- 
jets, et  que  là  il  est  fixé  dans  la  seule  possession  du  bien  suprême.. 
Il  était  sa  consolation,  par  l'espérance  qu'il  nourrissait:  il  est  de- 
venu son  tourment,  par  le  désespoir  qui  y  est  joint.  Déplorable  con- 
dition, déporter  dans  son  cœur,  avec  le  désir  le 'plus  ardent,  l'af- 
freuse certitude  de  ne  pouvoir  jamais  la  satisfaire;  de  soupirer  à 
chaque  instant  après  ce  qu'on  est  sûr  de  ne  jamais  obtenir  ;  de 
s'élancer  continuellement  après  ce  qui  sera  éternellement  impos- 
sible d'atteindre!  Malheureuse  d'être  pour  toujours  séparée  de 
Dieu ,  plus  malheureuse  encore  de  sentir  vivement  cette  sépara- 
tion !  Il  existe  un  Dieu;  elle  le  sait:  il  est  le  souverain  bien,  il 
devait  être  le  sien  ;  elle  le  sent  ;  mais  il  n'existe  plus  pour  elle ,  il 
ne  lui  est  plus ,  il  ne  lui  sera  plus  jamais  rien. 

Je  me  trompe  ,  et  je  ne  voyais  qu'une  partie  du  supplice  de  cette 
infortunée.  Elle  a  encore  un  Dieu;  mais  ce  n'est  plus  un  Dieu  pro- 


DES    PRÉDICATEURS.  5j 

pice,  un  Dieu  indulgent,  un  Dieu  miséricordieux.  C'est  un  Dieu 
juge  inexorable,  implacable  ennemi ,  vengeur  impitoyable.  Séparée 
de  lui  en  un  sens,  elle  en  est  inséparable  dans  un  autre.  Elle  n'a 
pas  la  vision  de  ses  aimables  perfections  ;  elle  a  la  vue  continuelle 
de  ses  épouvantables  vengeances  ;  elle  ne  voit  plus  le  bras  bienfai- 
sant qui  était  étendu  vers  elle  pour  la  retirer  de  l'abîme  ;  elle  sent 
le  bras  terrible  qui  s'appesantit  sur  elle  pour  l'y  enfoncer.  Je  crie 
vers  vous,  disait  Job  dans  l'excès  de  ses  souffrances  ,  et  le  réprou- 
vé le  répète  avec  bien  plus  de  raison  :  Je  crie  vers  vous  ,  et  vous 
ne  m'écoutez  pas  ;  je  m'élève  vers  vous  ,  et  vous  me  rejetez.  Vous 
êtes  changé  pour  moi  ;  vous  êtes  devenu  cruel  ,  vous  m'écrasez  de 
votre  dure  et  impitoyable  main.  Ainsi  une  pente  insurmontable 
l'entraîne  vers  Dieu  ,  une  force  irrésistible  le  repousse.  Par  une 
cruelle  contrariété  de  sentimens  ,  Dieu  est  tout  à  la  fois  l'objet  de 
ses  vœux  ardens  et  de  sa  violente  haine.  Il  soupire  après  lui,  et 
l'a  en  horreur.  11  veut  et  ne  veut  pas  cesser  de  vouloir  son  bien 
suprême  :  il  déteste  nécessairement ,  et  il  détestera  toujours  l'au- 
teur de  son  mal.  L'inclination  vers  Dieu  est  la  conséquence  de  sa 
nature,  la  détestation  de  Dieu,  la  suite  de  son  état.  Conflit  doulou- 
reux d'estime  et  d'horreur,  d'inclination  et  de  haine,  de  désir  et 
d'aversion,  de  poursuite  et  d'éloignementî  Barbares  affections 
contraires  ,  qui  dans  son  cœur  se  réunissent  et  se  combattent,  le 
remplissent  et  le  déchirent. 

Peine  du  feu. 

Ce  n'est  encore  là  qu'un  de  ses  tourmens.  Ce  furent  des  plaisirs 
sensibles  qui  causèrent  ses  crimes  ;  Dieu,  dans  son  exacte  équité  , 
ordonne  qu'une  peine  sensible  en  soit  le  châtiment.  Un  feu  allu- 
mé par  sa  colère  enflamme  jusqu'au  fond  de  l'Enfer,  et  par  une 
propriété  non  moins  réelle  qu'elle  est  merveilleuse ,  que  nous  de- 
vons croire  quoique  nous  ne  puissions  pas  la  comprendre  ,  se  sou- 
tient dans  toute  son  activité  sans  aliment  ;  fait  sentir  sa  doulou- 
reuse impression  aux  âmes  dépouillées  de  leurs  corps ,  et  les  brûle 
continuellement  sans  jamais  les  consumer.  De  tous  les  supplices 
que  la  rigoureuse  justice  de  Dieu  inflige  à^'ses  victimes  ,  il  n'en  est 
point  dont  il  soit  plus  souvent  fait  mention  dans  les  livres  saints 
que  du  supplice  du  feu  ;  presque  jamais  le  texte  sacré  ne  parle  de 
l'Enfer  sans  y  joindre  l'idée  de  ses  flammes  vengeresses.  Pour  ré- 
voquer en  doute  la  réalité  de  ce  feu  matériel,  il  faut  démentir  une 
multitude  d'oracles  sacrés  j  pour  les  tourner  à  un  sens  allégori- 


58  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

que,  il  faut  contredire  la  doctrine  de  tous  les  saints  Pères,  l'en- 
seignement constant  de  la  tradition,  les  décisions  nombreuses  de 
l'Eglise,  qui  a  toujours  entendu  et  ordonné  d'entendre  ce  que  ré- 
vèlent les  saintes  Ecritures  sur  le  feu  de  l'Enfer,  dans  le  sens 
strict  et  naturel. 

Quel  est-il  donc  ce  feu  si  extraordinaire  dans  sa  nature ,  si  ter- 
rible dans  ses  effets  ?  Les  expressions  manquent  pour  le  dépeindre, 
parce  que  les  idées  sont  impuissantes  à  le  concevoir.  Tout  ce  que 
peut  se  figurer  l'imagination  humaine  est  au  dessous  de  la  réalité. 
La  tradition  constante,  unanime,  de  l'Eglise  enseigne  que  les  suppli- 
ces les  plus  cruels  ,  les  tortures  les  plus  atroces  qu'inventa  jamais  la 
rage  des  hommes ,  ne  sont  pas  même  des  tourmens  auprès  du  feu  de 
l'Enfer.  Quand  ces  flammes  auxquelles  la  justice  divine  dévoue  les  ré- 
prouvés seraient  seulement  pareilles  à  celles  que  nous  connaissons, 
nejugerions-nouspasces  malheureux  livrés  aux  plus  épouvantables 
supplices?  Quelle  différence  ne  doit-il  pas  y  avoir  entre  l'élément 
que  Dieu  créa  pour  notre  avantage  ,  et  celui  qu'il  fait  servir  à  ses 
vengeances?  C'est  le  souffle  de  la  colère  de  Dieu  qui  a  allumé  l'En- 
fer ;  il  en  fait  l'instrument  de  sa  fureur.  Voilà  tout  ce  qu'il  nous 
est  accordé  de  connaître  sur  ce  terrible  feu ,  et  nous  ne  pouvons 
former  un  jugement  raisonnable  sur  son  extrême  violence,  que 
par  l'impossibilité  où  nous  sommes  de  la  comprendre. 

Qui  de  vous  ,  demande  le  Prophète  ,  pourra  demeurer  avec  un 
feu  dévorant?  qui  pourra  habiter  dans  les  flammes  éternelles  ?  Se- 
ra-ce vous  ,  homme  voluptueux  et  faible ,  qui  ne  connaissez  d'au- 
tre bonheur  que  les  plaisirs  des  sens  ,  d'autre  malheur  que  les  sen- 
sations douloureuses  ?  Sera-ce  vous  ,  femme  délicate  et  sensuelle  , 
qui  recherchez  continuellement  vos  aises,  que  la  plus  petite  gêne 
contrarie,  que  la  moindre  peine  désole,  que  la  plus  légère  dou- 
leur irrite?  Mondains,  êtres  frivoles,  uniquement  attachés  aux 
délices  de  cette  vie,  même  les  plus  criminelles  ,  transportez-  vous 
par  la  pensée  dans  cette  mer  de  feu,  où  sont  plongés  tant  de 
malheureux  parce  qu'ils  vous  ressemblèrent  ,  qui  vous  attend 
vous-mêmes  si  vous  continuez  de  leur  ressembler;  descendez-y 
en  esprit  volontairement ,  pour  ne  pas  être  forcés  d'y  descendre 
un  jour  en  réalité,  et  que  votre  frayeur  de  la  douleur  la  plus  lé- 
gère serve  au  moins  à  vous  garantir  des  affreuses  douleurs  qui  vous 
menacent. 


DES    PRÉDICATEURS.  5o, 

Objections  contre  le  feu  de  l'Enfer. 

Ce  dogme  si  terrible  et  si  certain  révolte  les  libertins  ,  soit  de 
cœur  ,  soit  d'esprit.  Esclaves  de  leurs  sens  }  comme  ils  ne  connais- 
sent de  jouissances  que  celles  qui  sont  procurées  par  les  sens,   ils 
ne  veulent  reconnaître  de  vérités  que  celles  qui  sont  transmises  par 
les  sens.   Ils  rejettent  avec  dédain  toute  doctrine  qui  n'est  pas 
d'accord  avec  leurs  sensations  accoutumées.  Gomment  comprendre, 
disent-ils ,  un  feu  matériel  qui  agit  immédiatement  sur  une  subs- 
tance  purement  spirituelle  ?  comment   comprendre    qu'ensuite  , 
après  la  révolution  des  siècles  ,  cette  même  flamme  brûlera  conti- 
nuellement les  corps ,  sans  jamais  les  consumer  ?  Esprits  superbes, 
c'est  ici  le  mystère  de  la  justice  divine  ;  et  votre  faible  intelligence 
qui  ne  s'élève  pas  même  jusqu'aux  mystères  de  la  nature,  préten- 
drait le  comprendre!  Vous  ne  comprenez  pas  comment  un  feu  ma- 
tériel se  fait  sentir  à  un  pur  esprit  ;  comprenez-vous  mieux  com- 
ment il  agit  sur  lui  par  l'intermédiaire  du  corps  ?  Vous  le  croyez, 
mais  vous  ne  pouvez  pas  l'expliquer  :  vous  sentez  l'effet ,  vous 
ignorez  comment  il  se  produit.  Croyez-vous  la  puissance  de  Dieu 
tellement  restreinte ,  qu'il  soit  au  dessus  d'elle  de  faire  éprouver  à 
l'ame  des  sensations  autrement  que  parle  corps  ?  Et  la  foi  ne  vous 
apprend-elle  pas  que  c'est  pour  les  démons ,  qui  sont  de  purs  es- 
prits ,  que  l'Enfer  a  été  allumé  ?  Vous  ne  comprenez  pas  non  plus 
comment  le  feu  brûle  un  corps  sans  le   détruire.   Je  vous  le  de- 
mande encore:  Comprenez-vous  plus  clairement  comment  il  le  dé- 
truit ?   Connaissez-vous,   savez-vous  en  quoi  consiste  cette  vertu 
qu'a  le  feu  de  diviser  les  corps  ,  d'en  disperser  les  parties  ?  Pensez* 
vous  que  le  Créateur,  qui  lui  imprima  cette  propriété,  ne  puisse  pas 
l'en  dépouiller  ?  Croyez-vous  qu'il  n'ait  pas  le  pouvoir,  en  rendant 
nos  corps  immortels ,  de  les  rendre  incorruptibles.  Libertins,  con- 
sidérez ,  et  toutes  vos  vaines  difficultés  sur  le  supplice  du  feu  in- 
fernal disparaîtront,  considérez  que  c'est  la  justice  divine  qui  l'or- 
donne, la  Toute-Puissance  qui  l'exécute,   l'infaillible  vérité  qui  le 
révèle. 

Remords. 

Et  ce  qui  augmente  encore  la  peine  du  réprouvé ,  ce  qui  rend 
ses  affreux  tourmens  plus  douloureux ,  c'est  l'idée  sans  cesse  pré- 
sente à  son  esprit  de  se  les  être  attirés.  Le  remords  est ,  dans  l'En- 


60  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

fer,  non  seulement  son    supplice,  mais   l'aggravation  de  tous  ses 
supplices.  Il  l'éprouva  sur  la  terre,  ce  sentiment  pénible,  aussitôt 
qu'il  eut  péché  :  il  la  porté  en  Enfer  avec  son  péché.  Mais  ici  c'é- 
tait la  miséricorde  qui  le  lui  inspirait  ;  là  c'est  la  justice  qui   le 
lui  fait  sentir.  Il  était  un  bienfait,  il  est  devenu  un  châtiment.  C'é- 
tait une  voix  secrète  qui  l'avertissait  qu'il  y  a  un  Enfer,   qui  l'ex- 
hortait à  l'éviter;  c'est  une  voix    foudroyante  qui  lui  répète  sans 
cesse  qu'il  s'est  plongé  volontairement  dans  ce  gouffre  de  tortu- 
res. C'était  une  anticipation  salutaire  de  l'Enfer  ;  c'est  maintenant 
l'Enfer  même  dans  son  cœur,  et  un  Enfer  plus  dévorant  que  celui 
qui  l'environne.  Que  ne  Ta-t-il  ménagé  comme  il  le  devait,  ce  sen- 
timent précieux  que  Dieu   lui  avait   envoyé  !  il  n'en  éprouverait 
pas  l'horreur.  Que  n'a-t-il  obéi  aux  reproches  de  sa  conscience!  il 
ne  subirait  pas  ses  accablantes  condamnations.  Malheureux  égarés 
dans  la  route  du  crime ,  qui  fermez  l'oreille  à   cette  voix  sévère 
mais  bienfaisante,  par  laquelle  vous  êtes  rappelés  aux  sentiers  de 
la  vertu,  qui  repoussez  loin  de  vous  ces  suggestions  d'autant  plus 
utiles  qu'elles  sont  plus  dures ,  qui  regardez  comme  une  peine  in- 
supportable ce  qui  est  votre  ressource ,  ah  !  par  la  frayeur  même 
que  vous  inspire  le  remords  quand  il  est  encore  un  don  de  Dieu , 
jugez  quelle  en  sera  l'horreur,  quand  Dieu  en  aura  fait  votre  sup- 
plice. Si  cette  pointe  aiguë  vous  afflige  quand  elle  ne  fait  que  vous 
stimuler,  combien  sera-t-elle  plus  douloureuse  quand  elle  vous  dé- 
chirera! Demandez,  au  contraire,  demandez  à  l'auteur  de    tout 
bien,  demandez-lui  comme  la  grâce  la  plus  signalée,  la  plus  im- 
portante ,  d'aggraver  encore  vos  remords.  Vous  parviendrez  peut- 
être,  et  ce  sera  le  comble  de  votre  malheur,  à  les  affaiblir,  à  les 
éteindre.  Sur  la  terre,  les  occupations  mondaines  en  distraient,  le 
plaisir  les  fait  oublier,  les  faux  principes   d'une  morale   relâchée 
les  calment.  Mais  en  Enfer  l'insatiable  ver  ne  meurt  point.  Le  ré- 
prouvé est  continuellement  et  éternellement  à  lui-même  son  accu- 
sateur, son  juge  et  son  bourreau.  Accusateur  sévère,  il  voit  sans 
cesse  et  d'un  seul  coup  d  œil  tous   les  biens  frivoles  auxquels  il 
sacrifia  son  aine,  toutes  les  grâces  qu'il  eût  pu  employer  à  son 
salut  et  qu'il  fit  servir  à  sa  perte ,  et  surtout  tous  les  crimes  dont 
il  se  rendit  coupable,  maintenant  dépouillés  de  la  forme  agréable 
qui  le  séduisait,  rendus  à  leur  difformité  naturelle,  et  accumulés 
sur  sa  tête  pour  l'accabler  et  ne  laisser  à  son  cœur  aucune  paix. 
Juge  inexorable ,  au  sein  de  ses  tortures  il  ne  peut  s'empêcher  de 
reconnaître  l'équité  de  l'arrêt  que  prononça  sur  lui  l'inflexible  jus- 
tice :  il  se  le  répète  à  tous  momens.  Dieu  terrible  dans  vos  ven- 


DES    PRÉDICATEURS.  6l 

geances,  ne  suffisait-il  pas  à  votre  majesté  outragée  de  condamner 
le  pécheur  aux  plus  horribles  tourmens,  sans  le  forcer  encore, 
par  un  surcroît  de  rigueur,  à  s'y  condamner  lui-même.  Bourreau 
impitoyable,  de  ses  crimes  il  fait  son  supplice.  Les  démons  ne 
sont  pas  nécessaires  à  son  châtiment.  Il  est  lui-même  son  démon. 
Il  se  tourmente  avec  plus  de  rage  que  les  autres  ministres  des 
vengeances  divines,  du  souvenir  de  ce  qu'il  fut,  du  sentiment  de 
ce  qu'il  est,  de  la  perspective  de  ce  qu'il  sera  dans  toute  l'éternité, 

L'Élernké. 

L'éternité  ,  voilà  donc  la  durée  de  ses  affreuses  tortures  ;  l'éter- 
nité ,  de  tous  les  maux  de  l'incompréhensible  Enfer  celui  dont 
nous  pouvons  le  moins  nous  former  une  idée;  l'éternité,  étendue 
sans  horizon,  où  la  vue  se  prolonge  sans  découvrir  de  terme  ;  l'éter- 
nité, abîme  sans  fond,  où  plus  l'esprit  creuse,  plus  il  se  perd  ;  l'éter- 
nité, qu'on  ne  peut  calculer,  parce  que  tous  les  calculs  sont  des  nom- 
bres, et  que  l'éternité  n'a  pas  de  nombre  ;  qu'on  ne  peut  mesurer, 
parce  que  toute  mesure  est  limitée,  et  que  l'éternité  n'a  pas  de 
bornes.  En  vain  mon  imagination  s'enfonce  dans  cette  immense 
profondeur  ,  en  vain  j'ai  parcouru  en  idée  des  millions  d'années 
et  de  siècles';  je  ne  suis  pas  avancé  d'un  seul  pas  :  l'éternité  tout  en- 
tière est  encore  devant  moi.  Un  présent  perpétuel  et  immuable, 
voilà  tout  ce  que  j'en  puis  concevoir,  que  je  suis  bien  éloigné  de 
comprendre  ,  et  que  je  dois  croire. 

Car  la  foi  fait  retentir  à  nos  oreilles  ce  foudroyant  arrêt  qui 
condamne  le  réprouvé  à  toujours  exister,  pour  toujours  souffrir. 
Elle  me  révèle  cette  éternité  qui  couronne  ,  s'il  est  permis  de  s'ex- 
primer ainsi ,  l'affreux  assemblage  des  tourmens  de  l'Enfer.  Tout 
est  éternel  pour  le  damné  ;  éternelle  la  vengeance  qui  le  poursuit  * 
éternel  le  décret  qui  le  réprouve;  éternels  les  démons  qui  le  tour- 
mentent; éternel  le  feu  qui  le  dévore  ;  éternel  le  ver  qui  le  ronge; 
éternelle  la  prison  qui  le  renferme  ;  éternel  le  regret  qui  le  con- 
sume; éternelle  la  rage  qui  le  transporte  ;  éternel  lui-même,  pour 
rester  éternellement  en  proie  à  ses  tortures.  La  même  Ecriture,  qui 
nous  instruit  delà  félicité  éternelle  dont  Dieu  fait  jouir  ses  élus, 
nous  enseigne  dans  les  mêmes  termes  les  éternels  tourmens  qu'il 
fait  souffrir  aux  réprouvés.  Nous  ne  pouvons  pas  plus  douter 
de  l'une  de  ces  vérités  que  de  l'autre.  Les  oracles  divins  sur  l'éter- 
nité malheureuse  sont  tellement  clairs ,  tellement  formels,  telle- 
ment multipliés ,  qu'en  douter  est  renoncer  au  Christianisme.  Le 
tourment  des  damnés  est  sans  remède  :  il  est  perpétuel  et  immor- 


6l  r.  NOUVELLE   BIBLIOTHÈQUE 

tel   comme  la  justice  qui  l'inflige.   C'est   au  supplice  éternel,  au 
feu  qui  ne  s'éteint  jamais,  au  ver  qui  ne  meurt  point,  que  Jésus- 
Christ  condamne  le  pécheur.  Si  l'Enfer  a  un  terme,  la  parole  de 
Dieu  est  fausse.  Origène  osa  combattre  ce  dogme,  et  avancer  que , 
après  un  temps  marqué  par  la  justice  suprême,  lestourmens  des  dam- 
nés arriveraient  à  leur  fin.  L'Eglise  de  tous  les  pays  s'éleva  contre 
son  erreur;  l'Eglise  de  tous  les  siècles  Fa  constamment  condamnée. 
La  raison  n'a  pas  sans  doute ,  seule  et  sans  le  secours  de  la  ré- 
vélation ,  la  force  de  s'élever  à  la   connaissance  de  l'éternité  des 
peines;  et  il  serait  injuste    d'exiger   qu'elle  démontrât  ce  qu'elle 
est  incapable  de  comprendre.  Mais ,  soumise  à  la  foi ,  elle  en  reçoit 
ce  terrible  dogme  ;  correspondant  à  la  foi ,  elle  en  sent  et  en  ras- 
semble les  convenances;  éclairée  des  lumières  de  la  foi,   elle  en 
découvre  les  relations  et  l'accord  avec  les  autres  vérités  fondamen- 
tales du  Christianisme. 

Vous  ne  comprenez  pas  l'éternité  malheureuse  :  comprenez-vous 
mieux  toute  la  malice,  toute  la  grièveté  du  péché?  comprenez-vous 
combien  est  énorme  l'offense  à  la  majesté  divine  ?  Levez  les  yeux 
vers  la  croix  de  Jésus-Christ  ;  vous  y  verrez  la  solution  de  votre 
vaine  difficulté.  En  songeant  qu'il  a  fallu  la  mort  d'un  Dieu  pour 
expier  dignement  le  péché ,  vous  serez  moins  étonnés  qu'il  faille 
l'éternité  pour  le  punir  suffisamment,  et  le  mystère  de  l'infinie  mi- 
séricorde vous  rendra  plus  facile  à  croire  le  mystère  de  la  suprême 
justice.  Si  des  peines  temporelles  étaient  suffisantes  pour  effacer 
le  péché,  une  satisfaction  d'un  prix  infini  eût  été  inutile.  Le  sang 
divin  aurait-il  été  nécessaire  pour  éteindre  des  feux  qui  se  seraient 
éteints  d'eux-mêmes  avec  le  temps  ? 

Tel  a  été  le  décret  de  la  souveraine  sagesse ,  qu'au  torrent  des 
passions  humaines  fut  opposée  la  puissante  digue  de  la  terreur 
des  tourmens  éternels.  En  nous  imprimant  le  sentiment,  et  en 
nous  enseignant  le  principe  de  notre  immortalité,  son  intention  a 
été  de  nous  donner  pour  mobile  de  nos  actions  l'espoir  d'un  bon- 
heur et  la  crainte  d'un  malheur  qui  n'eussent  de  mesure  que  l'infi- 
nie durée  de  notre  être. 

Tel  est  l'arrêt  de  l'immuable  justice  ,  que  le  péché  ne  puisse  être 
effacé  que  par  une  pénitence  réelle,  c'est-à-dire  qui  soit  volontaire, 
spontanée  et  libre.  En  Enfer  il  n'y  a  plus  de  pénitence  ;  il  n'y  a 
qu'un  repentir  forcé,  un  repentir  sans  vertu,  sans  mérite,  sans 
effet,  qui  laisse  éternellement  le  péché  subsistant  et  l'ame  rede- 
vable à  Dieu.  La  justice  divine,  qui  ne  perd  jamais  ses  droits,  res- 
tant toujours  créancière ,  ne  cesse  de  les  exercer  ;  tant  qu'elle  n'est 


DES    PRÉDICATEURS.  ()3 

pas  satisfaite,  elle  punit;  et,  comme  elle  n'est  jamais  désarmée,  elle 
continue  toujours  de  frapper. 

Telle  est  la  nature  de  l'inaltérable  sainteté,  d'être  nécessaire- 
ment ennemie  du  péché ,  de  le  haïr  souverainement,  de  le  poursui- 
vre sans  relâche.  La  tache  du  péché,  devenue  ineffaçable ,  livre 
éternellement  lame  coupable  à  sa  haine  et  à  sa  colère.  Trouvant 
toujours  le  péché  présent,  elle  ne  peut  cesser  d'en  faire  l'objet  de 
ses  vengeances.  Dieu  ne  serait  plus  saint,  il  ne  serait  plus  Dieu  , 
s'il  pouvait  y  avoir  un  moment  où  il  ne  détestât  pas  le  péché. 

Objections  contre  1  éternité'  des  peines. 

Et  sur  quoi  donc  ont  pu  se  fonderies  difficultés  que  dans  les  di- 
vers temps  on  a  élevées  contre  l'éternité  des  peines?  C'est  dans 
Dieu  même  qu'on  est  allé  chercher  des  objections  contre  sa  parole 
expresse.  Gomment,  ont  dit  les  impies,  et  même  quelques 
chrétiens  faibles  ,  ébranlés  par  leur  sophismes,  comment  concilier 
la  bonté  de  Dieu  avec  ses  éternelles  vengeances?  S'il  est  infiniment 
miséricordieux1,  pourquoi  ne  se  laisse-t-il  jamais  fléchir  ?  et  s'il 
est  éternellement  inflexible,  où  est  son  infinie  miséricorde? 

Incrédules,  nous  n'avons  pas  à  répondre  à  votre  question.  La 
même  voix  divine  qui  me  révèle  l'un  des  dogmes  me  garantit  la 
vérité  de  l'autre.  Elle  ne  m'en  montre  pas  l'accord  ;  mais  elle  m'en 
donne  la  certitude.  Dieu  a  renfermé  dans  les  secrets  desa  sagesse 
les  moyens  dont  il  concilie  sa  bonté  infinie  avec  son  éternelle  sé- 
vérité. Sous  un  Dieu  qui  ne  serait  pas  bon ,  l'Enfer  ne  serait  pas  un 
mystère.  lime  fait  connaître  sa  miséricorde  pour  que  je  l'implore  ; 
il  m'instruit  de  l'éternité  de  ses  vengeances,  afin  que  je  les  évite. 
Qu'ai-je  besoin  d'en  savoir  davantage? 

Pécheurs,  vous  vous  formez  de  la  bonté  divine  des  idées  con- 
formes à  l'intérêt  de  vos  passions.  Vous  voudriez  une  bonté  molle 
et  facile ,  comme  celle  des  hommes,  qui  finît  par  dégénérer  en  indul- 
gence; sous  l'empire  de  laquelle  les  crimes  pussent  se  trouver  quel- 
que jour  en  paix,  et  leur  laissât  la  certitude  d'une  rémission  future. 
Vous  voudriez  un  Dieu  qui  n'eut  pas  d'autres  attributs  que  sa  mi- 
séricorde. Il  est  miséricordieux  sans  doute ,  et  vous  l'éprouvez.  C'est 
sa  miséricorde  qui  est  patiente  à  vous  attendre,  empressée  à  vous 
rechercher  ;  qui  vous  invite  au  repentir,  qui  vous  en  présente  de  si 
puissans  motifs,  qui  vous  en  fournit  de  si  abondans  moyens.  Il  est 
miséricordieux,  mais  il  est  saint,  non  de  la  manière  dont  peuvent 
l'être  les  hommes  enclins  à  compatir  au  péché  d'autrui,  par  le 
sentiment  de  leur  propre  faiblesse  ,  obligés  souvent  de  le  tolérer, 


64  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUB 

par  l'impossibilité  de  l'empêcher,  par  l'impuissance  de  le  punir. 
Il  est  miséricordieux,  il  est  juste;  non  de  cette  justice  humaine, 
qui  s'use  avec  le  temps,  qui,  après  quelques  années,  oublie  les 
crimes,  ou  en  est  moins  touchée,  et  finit  par  leur  accorder,  sinon 
le  pardon  formel ,  au  moins  l'impunité.  Dieu  est  immuablement 
juste,  comme  il  l'est  éternellement.  Mais  une  miséricorde  éternelle 
répugnerait  à  ses  autres  perfections.  Elle  n'a  point  de  bornes  puis- 
quelle  pardonne  à  tous  les  crimes  dont  on  se  repent  ;  mais  elle  a 
un  terme  qui  est  celui  de  l'impénitence  finale.  Elle  ne  s'épuise  point, 
mais  elle  se  lasse.  Dieu  partage  son  domaine  sur  ses  créatures  rai- 
sonnables entre  sa  miséricorde  et  sa  justice.  C'est  par  la  miséricorde 
qu'il  régit  les  siècles;  c'est  par  la  justice  qu'il  règne  dans  l'éternité. 

Mais  cette  justice  même,  l'incrédule  prétend  qu'elle  est  inté- 
ressée à  fixer  un  terme  aux  châtimens  qu'elle  inflige.  Où  est  l'équité, 
demande- t-il ,  de  prolonger  éternellement  la  punition  d'un  péché 
qui  dura  si  peu?  Entre  la  faute  d'un  moment  et  une  éternité  de 
peines,  quelle  proportion  peut-il  y  avoir? 

Pourquoi  donc,  dans  l'ordre  de  la  justice  divine,  la  durée  de 
la  faute  doit-elle  être  la  mesure  de  la  durée  du  châtiment?  Hommes 
qui  faites  ce  raisonnement,  considérez  votre  propre  justice.  Pour 
des  délits  qui  furent  consommés  en  un  instant,  ne  condamnez- 
vous  pas  les  coupables  à  des  peines  qui  dureront  long-temps,  à 
l'infamie  qui  suivra  partout  celui  que  vous  en  avez  entaché;  aux 
galères,  au  bannissement,  à  la  mort,  dont  le  coup  est  irréparable 
et  les  suites  éternelles?  Pour  des  fautes  momentanées,  vous 
infligez  des  punitions  aussi  longuement  prolongées  qu'il  est  en  vo- 
tre pouvoir  ,  et  vous  refusez  à  la  justice  suprême  le  droit  de  punir 
de  même.  Les  offenses  contre  la  majesté  divine  seraient-elles  donc 
moins  graves  que  celles  qui  attaquent  la  société?  Et  les  juges  de 
la  terre,  dont  la  puissance,  de  même  que  toute  autre,  émane  du 
juge  céleste,  en  auraient-ils  une  plus  étendue  que  la  sienne? 

Désespoir  des  damnés. 

Tel  est  donc,  malheureux  pécheurs,  le  sort  affreux  qui  vous  attend, 
si  vous  ne  le  prévenez  par  une  sainte  pénitence.  Les  maux  que  l'on 
éprouve  dans  cette  vie  ont  toujours  un  soulagement,  c'est  l'espoir  de 
leur  fin.  La  perspective  del'avenir  est  l'adoucissement  du  présent.  La 
pensée  que  chaque  jour  de  souffrance  laisse  un  jour  de  moins  à 
souffrir  encourage  et  soutient.  En  voyant  approcher  le  terme  de 
ses  douleurs,  on  l'attend  avec  plus  de  patience.  Mais  les  douleurs 


DES    PREDICATEURS.  65 

qui  sont  sans  terme  sont  sans  consolation,  sans  soulagement, 
sans  ressource.  Dans  le  gouffre  infernal ,  l'espérance  ne  pénétrera 
jamais  ;  jamais  sur  aucun  damné  ne  tombera  une  seule  goutte  du 
sang  de  Jésus-Christ.  La  miséricorde,  si  prévenante,  si  libérale 
autrefois  pour  eux,  s'est  retirée  sans  retour,  et  les  a  abandonnés 
pour  toujours  à  la  justice  désormais  inexorable. 

Et  ce  qui  rend  plus  horrible  encore  le  sort  du  réprouvé ,  c'est 
qu'il  en  a  la  pleine  connaissance.  Il  a  la  certitude  qu'il  ne  peut  af- 
faiblir par  aucun  doute  que  la  durée  de  ses  tortures  est  la  durée 
infinie  de  l'éternité.  Du  moment  où  il  entre  dans  l'abîme,  l'affreuse 
assurance  de  l' irrévocabilité  de  ses  tourmens  lui  fait  déjà  Souffrir 
dans  la  pensée  tout  ce  qu'il  souffrira  en  réalité.  L'éternité ,  qui 
est  la  mesure  de  son  supplice,  est  aussi  son  supplice.  A  chaque 
instant  elle  est  tout  entière  présente  à  son  esprit ,  il  en  porte  con- 
tinuellement le  poids  accablant.  Souffrir  éternellement,  éternel- 
lement recommencer  à  souffrir,  ne  pouvoir  rien  espérer,  et  ne 
jamais  cesser  de  désirer,  voilà  la  destinée  dont  il  a  l'accablante  per- 
spective. Affreux  état  de  ne  pouvoir  ni  étouffer  ses  désirs',  ni  cal- 
mer son  désespoir!  Le  pécheur,  dit  le  Prophète,  voit  et  est  dans 
la  rage  et  dans  les  grincemens  de  dents  ,  le  désir  des  pécheurs  est 
sans  effet.  Le  malheureux  désire  la  fin  gde  ses  tortures  ;  une  [voix 
terrible  lui  répète  :  Il  n'y  a  'plus  de  fin  pour  toi  ;  pour  toi  toute 
espérance  a  péri.  Il  désire  au  moins  quelque  soulagement  à  ses  af- 
freux tourmens.  Ce  que  sollicite  le  mauvais  riche  est  une  simple 
goutte  d'eau  qui  rafraîchisse  sa  langue.  Ce  léger  adoucissement 
lui  est  impitoyablement  refusé.  Les  peines  de  l'Enfer  non  seulement 
sont  éternelles,  mais  elles  sont  continuelles.  La  douleur  du  réprouvé 
est  sans  terme,  sans  espérance,  sans  relâche,  sans  diminution  :  la 
mort,  qui  lui  était  si  amère,  qu'il  n'envisageait  qu'avec  effroi  et 
avec  horreur,  est  devenue  l'objet  de  ses  vœux.  Ver  cruel  qui  me 
rongez,  pourquoi  ne  me  dévorez-vous  pas  ?  Cris  impuissans ,  vœux 
inutiles  ;  pour  les  damnés  il  n'y  a  pas  même  de  mort.  Ils  appellent 
le  néant,  et  sans  cesse  ils  voient  devant  eux  l'éternité. 

Conséquences  morales  du  dogme  de  l'Enfer. 

La  contemplation  des  tourmens  de  l'Enfer  ne  doit  pas  être  pour 
nous  une  stérile  spéculation.  C'est  pour  nous  en  garantir  que  Dieu 
nous  les  révèle.  Il  veut,  dans  sa  sage  et  bienfaisante  Providence, 
que  l'idée  de  l'Enfer  soit  pour  nous  un  préservatif  de  l'Enfer.  Il 
fait  éclater  sur  nous  le  bruit  de  son  épouvantable  tonnerre,  afin 

T,    III  ° 


66  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

que  nous  mettions  notre  tête  à  l'abri  de  sa  chute,  sous  le  toit  tuté- 
lairede  la  justice  chrétienne.  De  la  considération  de  ce  gouffre  que 
creusa  la  vengeance,  qu'habite  le  désespoir,  retournons  nos  re- 
gards sur  nous-mêmes:  examinons  les  conséquences  morales  qu'en- 
traîne pour  nous  ce  terrible  dogme.  Nous  en  décrirons  trois  prin- 
cipales :  penser  à  l'Enfer,  craindre  l'Enfer,  éviter  l'Enfer. 

Penser  à  l'Enfer. 

Des  deux  principes  qui  déterminent  les  actions  humaines,  l'hor- 
reur du  mal  est  sans  contredit  le  plus  actif  et  le  plus  puissant.  Le 
désir  du  bonheur,  sentiment  plus  doux,  est  par  là  même  moins  vif 
et  moins  fort.  Il  serait  à  désirer  sans  doute  que  tous  les  hommes 
se  portassent  au  service  de  Dieu  ,  par  la  pure  considération  de  ses 
récompenses  ,  par  la  noble  ambition  de  le  posséder  un  jour.  Mais 
ce  motif  supérieur,  si  digne  d'une  ame  chrétienne  ,  est  au  dessus 
de  la  portée  du  plus  grand  nombre  des  mortels.  L'homme  char- 
nel (et  combien  d'hommes  le  sont!)  ne  s'élève  pas,  ou  ne  veut 
pas  s'élever,  ou  du  moins  ne  s'élève  que  rarement  à  des  pensées 
aussi  sublimes,  aussi  pures,  aussi  dégagées  des  sens,  aussi  confor- 
mes à  l'esprit  de  Dieu.  La  pensée  d'un  Enfer,  séjour  éternel  de  ceux 
qui  ont  vécu  ou  qui  sont  morts  dans  la  haine  de  Dieu,  qui  sera 
le  sien  ,  s'il  vit  et  s'il  meurt  de  même,  exerce  sur  lui  un  empire 
bien  plus  absolu.  A  la  lueur  de  ces  flammes  vengeresses,  il  voit 
toute  la  difformité  du  péché  qu'elles  punissent  d'une  si  terrible 
manière.  La  pensée  de  l'Enfer  est  le  principe  fécond  de  tout  bien, 
le  frein  puissant  de  tout  mal.  Pensez  à  l'Enfer,  hommes  de  tout 
état,  pensez-y  en  tout  temps;  pensez-y  dans  toutes  les  circonstan- 
ces. Pensez-y  avant  de  pécher,  et  vous  vous  en  abstiendrez;  pen- 
sez-y après  avoir  péché,  et  vous  vous  en  relèverez.  Cette  grande  pen- 
sée est  et  un  préservatif  et  un  remède.  Pensez  à  l'Enfer,  pécheurs; 
réfléchissez  que  les  malheureux  qui  s'y  désolent  furent  ce  que 
vous  êtes;  que  peut-être  très  prochainement  allez-vous  être  ce 
qu'ils  sont,  qu'en  continuant  de  suivre  leurs  voies,  vous  arrive- 
rez infailliblement  à  leur  terme,  et  vous  vous  hâterez  de  re<?a£ner 
les  sentiers  de  la  justice.  Pensez  à  l'Enfer,  âmes  vertueuses,  pour 
persévérer  dans  votre  innocence.  Continuellement  exposées  au  dan- 
ger de  la  perdre,  vous  puiserez  dans  cette  pensée  les  moyens  de 
vous  y  maintenir,  les  précautions  pour  n'en  pas  déchoir.  Pensez 
à  l'Enfer,  vous  qu'affligé  l'infortune.  Cette  méditation  vous  inspi- 
îera  la  patience  qui  adoucit  les  maux,  la  résignation  qui  les  rend 


DES   PREDICATEURS. 

méritoires.  Pensez  à  l'Enfer ,  vous  qui  jouissez  de  la  prospérité'. 
En  considérant  le  terme  où  vous  conduirait  l'abus  des  biens  ter- 
restres ,  vous  en  ferez  l'usage  pour  lequel  ils  vous  furent  donnés. 
Pensez  à  l'Enfer  quand  des  circonstances  impérieuses  vous  impo- 
sent des  devoirs  pénibles,  des  restitutions  à  effectuer,  des  pardons 
à  accorder  ou  à  demander,  des  passions  à  étouffer,  des  inclinations 
à  réformer,  des  habitudes  à  redresser.  Cette  considération,  vous 
élevant  au  dessus  des  répugnances  de  la  nature,  vous  fera  trouver 
légères  les  obligations  qui  vous  semblent  les  plus  pénibles.  Pensez 
à  l'Enfer  au  moment  où  les  tentations  viennent  vous  assaillir. 
Vous  y  résisterez  avec  force,  en  considérant  que  c'est  de  là  qu'ils 
viennent,  que  c'est  là  qu'elles  conduisent.  Pensez  à  l'Enfer,  et  les 
sacrifices  les  plus  douloureux  ,  les  privations  les  plus  pénibles  ,les 
pénitences  les  plus  sévères,  les  mortifications  les  plus  austères, 
n'auront  rien  de  rebutant,  seront  mômes  agréaLles  ,  pour  vous 
soustraire  aux  peines  éternelles.  C'est  pour  éviter  le  sort  des  ré- 
prouvés que  saint  Paul  châtie  son  corps,  et  le  réduit  en  servitude. 
C'est  en  rappelant  à  son  esprit  les  années  éternelles  que  David 
se  soutient  dans  le  service  du  Seigneur.  C'est  cette  puissante  médi- 
tation qui  a  peuplé  les  échafauds  de  martyrs,  les  déserts  d'anacho- 
rètes, les  cloîtres  de  solitaires  et  de  vierges,  le  Paradis  de  saints. 

Craindre  l'Enfer. 

En  pensant  profondément  à  l'Enfer,  vous  le  craindrez,  et,  en  le 
craignant,  vous  redouterez  le  péché  qui  y  conduit.  Si  la  perspec- 
tive d'un  malheur  passager  dont  nous  pouvons  être  frappés  nous 
cause  de  vives  frayeurs  ,  de  quelle  terreur  ne  devons-nous  pas  être 
pénétrés  en  contemplant  un  malheur  éternel  qui  nous  menace! 
Nous  tremblons  devant  les  hommes  médians  qui  peuvent  porter 
à  notre  corps  des  coups  mortels.  Ce  n'est  pas  là  ,  et  le  divin  Maître 
nous  l'enseigne,  ce  qui  doit  être  l'objet  de  notre  crainte.  Ce  que 
nous  devons  appréhender  souverainement,  continuellement,  c'est 
ce  suprême  et  terrible  juge  qui  peut  précipiter  dans  le  gouffre 
infernal  notre  corps  avec  notre  aine.  Il  connaissait  tout  l'avantage 
de  cette  salutaire  frayeur,  le  saint  Prophète  qui  demandait  in- 
stamment au  Seigneur  de  pénétrer  ses  chairs  delà  terreur  desjuge- 
mens  éternels.  Ils  tremblent  tous  à  l'idée  de  l'Enfer  les  saints  per- 
sonnages qui  semblent  avoir  moins  à  le  craindre  que  les  autres.  Ce 
n'est  qu'avec  crainte  et  tremblement  qu'ils  opèrent  leur  salut.  Et 
moi,  malheureux  pécheur,  combien  de  fois  j'ai  mérité  l'Enfer  !  Si 

5. 


5g  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Dieu  dans  sa  justice  m'eût  enlevé  de  ce  monde  pendant  ces  temps  af- 
freux   à  ce  moment  même  où  je  parle  de  ces  flammes  vengeresses,  j'y 
brûlerais  dans  la  désolation  ,  dans  la  rage  et  dans  le  désespoir.  Ah! 
s'il  était  possible  que   je  pensasse  à   l'éternité  sans  trembler!  Ce 
serait  le  plus  fort  motif  de  tremblement.  Mais  que  dis-je?  Je  parle 
des  temps  où  j'étais  dans  les  liens  du  péché,  sous  l'empire  du  dé- 
mon ,  livré  à  l'anathème  de  la  réprobation:  et  suis-je  sûr  de   ne 
pas  être  encore  sous    cette  honteuse  servitude ,  dans  cette  péril- 
leuse existence?  L'Esprit-Saint  déclare  que  nul  ne  sait  s'il  est  digne 
d'amour  ou  de  haine.  Saint  Paul  lui-même  ,  ce  vase  d'élection ,  ne 
connaissant  aucun  péché  qu'il  ait  à  se  reprocher ,  n'est  pas  pour 
cela  assuré  de  sa  justification.  L'état  de  sa  conscience  n'est  connu 
que  de  celui  qui  doit  en  être  le  juge.  Et  moi,  j'oserais  avoir  la  pré- 
somptueuse  confiance  d'être  l'objet,  non  plus  de  la  colère,  mais 
des  complaisances  de  Dieu.  J'ai  porté  mes  péchés  dans  le  tribunal 
sacré;  les  y  ai-je  déposés  ?  J'en   ai  sollicité  le  pardon  ;  l'ai-je   im- 
ploré avec  un  regret  suffisant  ?  J'ai  cherché  à  expier  mes  crimes  ; 
en   ai-je  fait   une    satisfaction    proportionnée  à  leur  nombre  et 
à  leur   énormité  ?  Le    ministre'  de    Jésus-Christ  a  prononcé  sur 
moi    la   sentence   de   réconciliation  :  Jésus  -  Christ    l'a-t  il    rati- 
fiée? Il  m'est  ordonné  d'espérer  que  la  miséricorde  suprême  a  dai- 
gné agréer  ma  pénitence  ;  mais  en  même  temps  je  dois  trembler, 
et  j'en  ai  trop  de  raison,  de  ne  l'avoir  pas  rendue  assez  sévère.  Il 
m'est  recommandé  de  ne  pas  demeurer  sans  crainte,  et  même  pour 
Js  péché  pardonné;  et  de  ne  pas  tellement  compter  sur  ma  grâce, 
que  je  ne  m'efforce  encore  de  la  mériter  tous  les  jours  et  à  tous  les 
momens  de  ma  vie.  Peut-être  doivent-ils  être  très  peu  nombreux. 
Peut-être  déjà  la  cognée  est  suspendue  sur  la  racine  de  l'arbre  :  et 
que  deviendra-t-il  s'il  est  trouvé  dégarni  de  bons  fruits  ?  Souviens- 
toi  de  ma  colère,  dit  le  Seigneur,  parce  qu'elle  ne  tardera  pas  à 
éclater.  Hélas  !  dans  ce  moment  même  il  est  possible  qu'elle  fou- 
droie quelque  tête  criminelle.  L'Enfer,  dit  le  Prophète,  s'est  élar- 
gi ;  il  a  ouvert  sans  mesure  son  épouvantable  bouche.  Grands  et 
petits  ,  puissans  et  peuple,  tous  y   descendent  journellement.  O 
vous  qui  lisez  cet  écrit,  il  est  peut-être  le  dernier  avertissement 
sur  l'Enfer  que  vous  recevrez,  le  dernier  bienfait  de  la  miséricorde 
qui  vous  montre  encore  une  fois  l'abîme  pour  vous  en  retirer.  Elle 
me  charge  de  faire  retentir  à  vos  oreilles  la  menace  qu'elle  adres- 
sait aux  Juifs  par  le  ministère  d'Ezéehiel.  La  fin  arrive  ;  elle  arrive 
sur  toi.  Le  temps  fatal  s'avance  ;  le  jour  de  ta  destruction  est  pro- 
chain. Je  vais  incessamment  répandre  sur  toi  les  torrensdema  fu- 


DES    i>nÈDICATEURS.  tfo, 

reur.  Je  te  jugerai  selon  tes  voies:  je  ferai  tomber  sur  ta  tête  le 
poids  de  tous  tes  crimes.  Je  mettrai  dans  toi  le  souvenir  de  toutes 
tes  abominations  pour  que  tu  t'en  fasses  l'éternel  reproche.  Tu  n'au- 
ras de  moi  ni  pardon  ni  pitié,  et  tu  reconnaîtras  que  je  suis  le  Sei- 
gneur, aux  terribles  coups  dont  je  te  frapperai. 

Eviter  l'Enfer. 

Pour  éviter  l'effet  de  ces  épouvantables  menaces  ,  le  temps  est 
court  à  la  vérité,  mais  il  est  suffisant.  Tant  que  Dieu  vous  l'ac- 
corde ,  |vous  pouvez  en  profiter  ;  ce  n'est  que  pour  que  vous  en 
profitiez  qu'il  vous  l'accorde.  La  même  voix  qui  nous  enseigne  sur 
l'Enfer  d'effrayantes  vérités  nous  en  révèle  une  bien  consolante  : 
c'est  que  nul  n'y  est  précipité  qu'il  ne  l'ait  voulu.  Il  est  au  pou- 
voir de  tout  homme,  et  en  tout  temps,  de  s'en  garantir.  Mais  il 
nous  est  ordonné  d'y  travailler  actuellement,  incessamment.  Dans 
l'Enfer  vers  lequel  tu  t'avances,  nous  crie  cette  voix  divine  ,  il  n'y 
aura  plus  ni  travail  utile ,  ni  motif  profitable ,  ni  pensée  salutaire. 
Si  quelques-uns  des  momens  que  la  bonté  divine  nous  laisse  en- 
core étaient  accordés  aux  malheureux  que  renferme  l'abîme  infer- 
nal, avec  quelle  ardeur  ils  embrasseraient  les  exercices  de  la  plus 
rigoureuse  pénitence.  Nous  n'avons  pas  subi  leur  douloureux  sort, 
mais  nous  en  sommes  menacés.  Faisons  ce  qu'ils  feraient  s'ils  le 
pouvaient,  faisons-le  pendant  que  nous  le  pouvons  encore.  A  quels 
efforts  l'amour  inné  de  nous  -  mêmes  ne  doit  -  il  pas  nous  porter 
pour  éviter  le  plus  affreux  des  maux  que  l'esprit  humain  puisse 
concevoir!  Il  n'y  a  ni  attention  que  nous  ne  devions  apporter,  ni 
précaution  que  nous  ne  devions  prendre,  ni  embarras  de  con- 
science que  nous  ne  devions  éclaircir,  ni  occasions  de  péché  dont 
nous  ne  devions  nous  [éloigner,  ni  habitudes  mauvaises  auxquelles 
nous  ne  devions  renoncer,  ni  inclinations  dangereuses  que  nous 
ne  devions  réformer ,  ni  privations  auxquelles  nous  ne  devions 
nous  dévouer,  ni  sacrifices  que  nous  ne  devions  nous  imposer,  ni 
mortifications  auxquelles  nous  ne  devions  nous  assujétir.  La  mi- 
séricorde tient  encore  suspendu  sur  nos  têtes  le  glaive  de  la 
justice  ;  pendant  combien  de  temps  ?  nous  l'ignorons  ;  elle  seule 
connaît  le  terme  qu'il  lui  plaît  de  mettre  à  son  indulgence.  Usons , 
comme  elle  le  désire,  de  sa  longanimité  ;  mais  n'en  abusons  pas. 
Qu'elle  nous  inspire  le  désir,  qu'elle  nous  suggère  le  motif  d'ex- 
pier nos  péchés  comme  elle  nous  en  présente  le  moyen  j  mais 
gardons-nous  d'en  faire  un  prétexte  à  les  continuer.  Songeons  à 


JO  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

ce  qu'elle  nous  apprend  ,  que  la  justice  marche  immédiatement  à 
sa  suite.  Et  jetons-nous  dans  les  bras  sauveurs  de  Tune,  pour  ne 
pas  tomber  dans  les  bras  vengeurs  de  l'autre. 

Etonnante  insensibilité  sur  l'Enfer. 

Quelle  est  donc  la  stupide  insensibilité  de  tant  d'hommes  que 
d'aussi  frappantes  vérités  ne  frappent  pas  que ,  d'aussi  épou- 
vantables menaces  n'épouvantent  pas ,  et  qui  aiment  mieux  , 
grand  Dieu!  pourrait-on  le  croire  si  on  ne  le  voyait?  qui  aiment 
mieux  brûler  éternellement  en  Enfer  que  d  abandonner  les  crimi- 
nelles pratiques  qui  y  conduisent  certainement  !  Il  n'en  est  sans 
doute  aucun  assez  déraisonnable,  assez  absurde,  pour  dire  for- 
mellement qu'il  veut  être  damné  ;  mais  n'est-ce  pas  vouloir  la  dam- 
nation que  .de  vouloir  ce  qui  la  cause  infailliblement  ?  Retenir  le 
bien  d'autrui  et  ne  vouloir  pas  restituer,  avoir  des  inimitiés  et  ne 
vouloir  pas  se  réconcilier,  entretenir  des  liaisons  criminelles  et  ne 
vouloir  pas  s'en  retirer,  n'est-ce  pas  réellement  et  évidemment 
vouloir  se  damner  ? 

Malheureux  qui  courez  vous  précipiter  dans  l'Enfer,  y  croyez- 
vous,  ou  n'y  croyez-vous  pas?  Dans  l'un  et  dans  l'autre  cas,  vous 
êtes  des  êtres  insensés ,  vous  renoncez  à  l'usage  de  votre  raison. 
Si  vous  dites  que  vous  n'ajoutez  pas  foi  aux  tounnens  de  l'autre 
vie,  que  vous  n'en  trouvez  pas  de  preuves  convaincantes,  au  moins 
vous  ne  pouvez  pas  prétendre  que  vous  ayez  de  cette  opinion  une 
démonstration  positive.  Entre  la  certitude  de  l'une  de  ces  croyan- 
ces et  la  certitude  de  l'autre,  vous  êtes  tout  au  plus  dans  l'état 
moyen  qui  constitue  le  doute.  Or,  dans  cette  suspension  d'esprit, 
n'est-ce  pas  une  folie  de  vouloir  y  rester ,  et  de  demeurer  exposé 
au  plus  affreux  des  malheurs.  Non,  ce  n'est  pas  seulement  la  foi , 
c'est  le  sens  que  vous  avez  perdu.  Vous  prétendez  cependant  au 
titre  d'esprit  fort.  Faites  donc  usage  de  cette  force  de  raisonne- 
ment dont  vou»  vous  piquez.  Dans  la  supposition  de  votre  doute, 
en  vivant  comme  s'il  y  a  un  Enfer,  que  risquez-vous?  Vous  con- 
duisant selon  les  principes  d'une  saine  raison,  et  de  la  vraie  reli- 
gion, si  vous  avez  quelques  peines,  si  vous  éprouvez  quelques 
privations,  si  vous  souffrez  quelques  sacrifices,  vous  jouissez  de 
grands  dédommagemens.  Vous  avez  l'approbation  de  Dieu  ,  du 
public  et  de  votre  conscience.  Mais  en  vivant  comme  si  l'Enfer 
n'existait  pas  ,  vous  risquez  tout.  La  terreur  de  l'Enfer,  dont  vous 
ne  pouvez  vous  délivrer  entièrement ,  est  pour  vous  un  enfer  an- 


DES    PREDICATEURS.  Jl 

ticipw;  et  le  véritable  Enfer  sera  ensuite  votre  partage.  L'éternité 
malheureuse  ne  fat- elle  que  possible,  c'est  une  extravagance  de 
s'y  exposer. 

Et  vous  qui,  persuadés  de  la  vérité  de  l'Enfer ,  vivez  comme 
s'il  n'existait  pas,  moins  impies  que  les  autres,  vous  êtes  plus  in- 
conséquens  encore.  Votre  foi,  en  opposition  à  votre  conduite, 
fait  de  vous  des  insensés.  Vous  reconnaissez  l'Enfer,  et  vous 
vivez  sans  regret  du  passé  qui  vous  a  mérité  l'Enfer;  sans  in- 
quiétude sur  le  présent,  dans  un  état  qui  vous  expose  à  l'Enfer; 
sans  précautions  pour  l'avenir  ,  toujours  prêts  de  tomber  dans 
l'Enfer.  Auxquelles  voulez- vous  que  l'on  croie  de  vos  paroles 
et  de  vos  actions?  Y  a-t-il  quelque  proportion  entre  les  plaisirs 
auxquels  vous  vous  livrez,  et  les  tourmens  auxquels  vous  vous 
dévouez;  entre  les  sacrifices  qu'exige  de  vous  la  vertu,  et  l'affreux 
sacrifice  auquel  le  vice  vous  condamne  ?  Amateur  de  vos  aises, 
vous  redoutez,  vous  fuyez  de  tout  votre  pouvoir  les  moindres 
souffrances  temporelles  ,  et  vous  bravez  les  supplices  éternels.  Ur.e 
disgrâce,  une  humiliation,  une  perte  de  biens  vous  font  frémir  ; 
et  la  formidable  union  de  tous  les  genres  de  maux  ne  vous  fait 
aucune  impression.  Vous  tremblez  devant  l'inimitié  d'un  homme 
puissant ,  vous  vous  empressez  d'apaiser  sa  colère  :  et  vous  restez 
tranquille  dans  l'inimitié  de  Dieu  !  vous  entendez  de  sang  froid 
retentir  ses  épouvantables  menaces!  Voudriez -vous  goûter  un  plai- 
sir qui  vous  causerait  la  mort?  Ceux  auxquels  vous  vous  aban- 
donnez ont  une  suite  bien  plus  funeste  encore.  Qu'un  penchant 
rapide  vous  entraîne  vers  un  précipice ,  vous  ferez  vos  efforts  pour 
le  surmonter.  Vous  savez  que  vos  passions,  d'accord  avec  les 
puissances  des  ténèbres,  vous  entraînent  vers  !e  gouffre  infernal; 
et  vous  vous  laissez  aller  à  leur  fatale  impulsion  ,  vous  ne  donnez 
à  votre  cœur  aucun  contre-poids  pour  le  retenir  sur  le  bord  de 
l'abîme!  Si  vous  vous  trouviez  sur  un  terrain  prêt  à  s'ébouler  sous 
vos  pas,  ou  dans  une  maison  prête  à  s'écrouler  sur  votre  tête, 
avec  quelle  précipitation  vous  vous  en  retireriez!  Voyez  que  vous 
êtes  dans  une  situation  plus  périlleuse  encore,  suspendu  sur  une 
fournaise  ardente,  et  songez  que,  pour  vous  y  précipiter,  il  suffit 
que  la  main  qui  vous  soutient  jusqu'à  présent,  en  s'ouvrant,  vous 
y  laisse  tomber.  (  Le  C.  de  La  Luzerne,  Considt îrat ions  sur  divers 
points  de  la  morale  chrétienne ■.) 


r*3  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 


DIVERS  PASSAGES  DE  L'ÉCRITURE 
SUR  L'ENFER  ET  SUR  L'ÉTERNITÉ  MALHEUREUSE. 

Hoirendum  est  incidere  in  ma  nus  Dei  vwentis. 

C'est  une  chose  horrible  de  tomber  entre  les  mains  du  Dieu 
vivant.  (//<?&.,  10,  3i.) 

Pœnas  dabunt  in  interitu  œternas. 

Ils  porteront  la  peine  d'une  mort  éternelle.  (//.  Thcss.}  i,  9.) 

Ibunt  hi  in  supplicium  œternum. 

Ceux-ci  iront  dans  des  supplices  éternels.  (Matth.,  a5,  4^0 

Discedite  a  me ,  maledicti ,  in  ignem  œternum. 

Retirez- vous  de  moi,  maudits,  allez  au  feu  éternel.  (Idem, 
iè,,  41.)  : 

Palœas  cumburet  igné  inextinguibili. 

Il  brûlera  la  paille  dans  un  feu  qui  ne  s'éteint  point.  (Id.,  ib., 
3.  ia.) 

Creatura  jactori  deserviens  exardescit  in  tormentum  adversus 
injustes. 

La  créature  soumise  à  son  Créateur  redouble  ses  efforts  pour 
tourmenter  les  méchans.  (Sap.j  16,  24.) 

Permis  eorum  non  morietur,  et  ignis  eorum  non  extinguetur. 

Le  ver  qui  les  ronge  ne  mourra  jamais ,  et  le  feu  qui  les  brûle 
ne  s'éteindra  point. .  .  (/*.,  a4,  66.  Marc,  9.  43  ,  4^ ,  47«) 

Spiritus  qui  ad  vindictam  creati  sunt. 

Il  y  a  des  esprits  créés  pour  la  vengeance.  (Eccli.,  c.  39,  33.) 

Ignis  et  sulphur  et  spiritus  procellarum  pars  calicis  eorum. 

Le  feu  et  le  soufre  et  des  vents  de  tempête  seront  leur  partage. 
(Ps.,  10,  7.) 

Per  quœ  peccat  quis ,  per  hœc  et  torquetur. 

Là  chacun  trouve  son  supplice  dans  son  péché.  (Sap.t  11.  17.) 

Personœ  tristes  illis  apparentes. 

Des  spectres  horribles  leur  apparaissent.  (Sap.y  17,  4.) 

Eritpro  suavi  odore  fetor. 

A  de  précieux  parfums  succédera  une  puanteur  infecte.  (/?., 
3.  a4.) 

Fel  draconum ,  uinum  eorum. 

Leur  vin  sera  un  fiel  de  dragon.  (Deut.,  32.  33.) 

Juxta  multitudinem  adinvintionum  suarum  sic  sustinebit,] 


DES    PRÉDICATEURS.  j"5 

C'est  ainsi  que  la  multitude  de  ses  maux  égalera  la  multitude 
de  ses  crimes. .  .  (Job.,  20.   18.) 

Luet . .  .  ncc  tamen  consumetur. 

Il  souffrira,  mais  il  ne  sera  point  consumé.  (Idem,  ibid.) 
l    Desiderabimt  mori,  et  fugiet  mors  ab  eis. 

Ils  désireront  de  mourir,  et  la  mort  s'éloignera  d'eux.  Çipocn 
9.  6.) 

Hœc  est  mors  secundo,  :  et  qui  non  est  inventus  in  libro  vitœ 
scriptus ,  missus  est  in  stagnum  ignis» 

C'est  là  la  seconde  mort;  et  celui  qui  ne  se  trouva  point  écrit 
sur  le  livre  de  vie  fut  précipité  dans  un  étang  de  feu.  (7<r/.,  20. 

14, i&0 

Timete  eum  qui  potest  et  animant  et  corpus  perdere  in  gehennam. 
Craignez  celui  qui  peut  précipiter  dans  l'Enfer  et  l'ame  et  le 
corps.  . .  (Math.,  10.  28.) 


74  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 


PLAN  ET  OBJET  DU  PREMIER  DISCOURS 
SUR  L'ENFER. 

EXORDE. 

Mortuus  est  dîves,  et  sepuhus  est  in  Infcmo. 
Le  riche  meurt,  et  il  tombe  dans  l'Enfer.  (  Luc.  1G,  22.  ) 

Quelle  effroyable  eatastroplie  !  quel  soudain  changement  de  scène! 
Cet  homme,  qui  étonnait  par  le  fracas  de  sa  vie  fastueuse  et  mon- 
daine, est  arraché  tout  à  coup  à  ses  trésors,  à  ses  délices;  et,  du 
sein' de  ses  vastes  palais  qu'il  occupait  sur  la  terre,  il  tombe  pré- 
cipité dans  les  profondeurs  de  l'abîme,  où  il  n'a  plus  qu'une  place 
avec  les  réprouvés.  Arraché  par  la  mort  à  ses  voluptés,  à  ses  gran- 
deurs, il  passe  en  un  instant  de  l'excès  des  plaisirs  à  l'excès  des 
tournions;  et,  au  lieu  de  ce  cortège  fastueux  d'esclaves  et  de  ser- 
viteurs, de  cette  cour  brillante  d'amis  et  de  flatteurs  qui  l'entou- 
raient, dans  le  gouffre  infernal  il  ne  voit  plus  autour  de  lui  que  les 
pâles  victimes  de  la  mort  ;  et  son  corps,  pour  me  servir  de  l'expres- 
sion du  Prophète,  semblable  à  un  tison  fumant,  n'est  plus  que  le 
jouet  des  esprits  immondes  et  des  horribles  ministres  de  la  ven- 
geance céleste. 

En  vain  ,  après  son  trépas,  la  vanité  s'efforcera-t  elle  encore  de 
charger  son  sépulcre  d'éloges  et  d'inscriptions  flatteuses;  voilà 
qu'une  main  immortelle  vient  effacer  tous  ces  monumens  d'orgueil 
et  de  mensonge,  pour  y  attacher  l'arrêt  de  sa  condamnation,  pro- 
noncé par  la  vérité  même  :  le  riche  est  mort,  et  l'Enfer  a  été  son 
tombeau  ;  sepuhus  in  Infcmo. 

Quel  sujet,  chrétiens,  plus  intéressant  pour  notre  salut,  plus 
nécessaire,  relativement  à  nos  mœurs,  que  celui  que  nous  présente 
cette  parobole  !  Prêcher  l'Enfer  est  le  devoir  de  tout  ministre  de 
l'Evangile  ;  mais  prêcher  l'Enfer  dans  un  siècle  aussi  corrompu,  prê* 
cher  l'Enfer  dans  un  temps  où  la  dépravation  générale  semble  mena- 
cer la  foi  et  la  religion  d'une  ruine  prochaine,  c'est  le  premier,  le  plus 
indispensable  de  nos  devoirs.  Une  affreuse  philosophie  se  répand 
de  toutes  parts;  habile  à  rassembler  les  nuages  sur  les  vérités  les 
plus  éclatantes  ,  elle  voudrait  s'étourdir  sur  ce  redoutable  avenir; 
#t,  pour  être  plus  tranquille  dans  les  plaisirs  de  la  vie  présente,  elle 


DES    PRÉDICATEURS.  7 5 

affecte  de  nier  ou  de  méconnaître  les  peines  de  la  vie  future.  Le 
chrétien  même,  plongé  dans  le  sommeil  des  passions,  ne  veut  rien 
entendre  de  ce  qui  pourrait  le  troubler  :  il  n'ose  réfléchir  sur  ces 
terribles  vérités  ;  flottant  et  incertain  dans  sa  foi,  s'il  ne  doute  point 
de  l'Enfer,  il  ne  le  croit  que  faiblement,  et,  lorsqu'il  jette  un  coup 
d'œil  sur  la  religion ,  ce  n'est  que  pour  en  voir  les  vérités  conso- 
lantes, et  n'apercevoir  qu'un  Dieu  miséricordieux. 

Arrachons  donc  le  voile  qui  couvre  le  Dieu  vengeur;  tâchons 
tout  à  la  fois  de  vaincre  l'obstination  de  l'incrédule  et  de  réveiller 
la  foi  du  chrétien.  Ne  séparons  point  ces  deux  objets;  employons 
tour  à  tour,  dans  ce*discours,  la  raison  et  la  révélation,  pour  ap- 
prendre à  l'incrédule  à  croire,  et  au  fidèle  à  penser  qu'il  y  a  un 
Enfer  et  des  peines  dans  l'autre  vie.Yoilà  mon  dessein  ;*voici  comme 
je  me  propose  de  le  remplir. 

Dieu  n'existe  pour  les  damnés  que  par  sa  justice  et  son  éternité; 
ses  autres  attributs  ont  fini  pour  eux.  Comme  juste,  Dieu  punit  le 
péché  par  les  plus  grands  châtimens;  comme  éternel,  il  les  punit 
par  des  tournions  qui  n'auront  point  de  fin.  Les  peines  de  l'autre 
vie  ne  peuvent  donc  être  envisagées  que  sous  ces  deux  rapports: 
elles  sont  affreuses  dans  leur  nature,  éternelles  dans  leur  durée. 
Je  pars  de  ce  principe,  et,  fondant  sur  cette  proposition  le  partage 
de  ce  discours,  je  dis  :  Justice  de  Dieu  dans  la  rigueur  des  peines 
de  l'Enfer,  première  partie:  justice  de  Dieu  dans  l'éternité  des  pei- 
nes de  l'enfer,  seconde  partie. 

Ames  terrestres  et  mondaines,  âmes  faibles  et  indolentes  qui, 
du  sein  des  plaisirs  ,  demandez  sans  cesse  :  Ya-t-il  un  Enfer?  Dieu 
nous  damnera-t-il  pour  si  pou  de  chose  ?  Et  vous',  qui  prenez  pour 
certitude  qu'il  n'y  a  point  d'Enfer  le  désir  et  l'intérêt  que  vous 
avez  qu'il  n'y  en  ait  pas  ;  péeheurs  moins  incrédules  encore  que 
présomptueux,  écoutez  une  fois,  et  voyez  si  votre  mépris  de  l'En- 
fer ne  vient  pas  moins  des  raisons  que  vous  pouvez  avoir  de  n'y 
pas  croire,  que  de  l'habitude  où  vous  êtes  de  n'y  point  penser 
(  Gambacérès,  Sur  V Enfer.  ) 

Justice  de  Dieu  dans  la  rigueur  des  peines  de  l'Enfer. 

Est-il  juste,  est-il  nécessaire  qu'il  y  ait  un  Enfer  dans  l'autre 
vie  ?  Pouvons-nous  connaître  quelle  est  la  nature  et  la  rigueur  des 
peines  de  l'autre  vie?  Deux  questions  qui  s'offrent  à  notre  esprit 
à  la  seule  pensée  de  l'Enfer,  e*  dont  l'examen  mérite  toute  notre 
attention. 


7 6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Est-il  juste,  est-il  nécessaire  qu'il  y  ait] des  peines  [dans  l'autre 
vie?  Première  question.  Ne  serait-il  pas,  dit-on,  plus  conforme 
à  la  raison ,  plus  digne  de  l'Etre  suprême ,  de  penser  qu'il  n'a  mis 
au  monde  des  créatures  que  pour  les  rendre  heureuses  après  cette 
vie  ?  Quel  outrage  le  péché  peut-il  faire  à  Dieu  ?  Il  est  notre  père, 
notre  bienfaiteur;  l'idée  de  vengeance,  de  colère,  de  châtiment 
le  dégrade.  Il  a  créé  l'homme  pour  être  heureux;  quelle  apparence 
qu'il  ait  creusé  un  abîme  pour  l'y  précipiter  à  jamais  ?  Non,  j'adore, 
je  reconnais  un  Dieu  bienfaisant  dans  le  ciel  ;  je  ne  le  vois  plus, 
je  le  méconnais  dans  les  horreurs  de  l'Enfer. 

Ainsi  raisonne  l'impie  dans  l'orgueilleux  délire  de  ses  passions  : 
il  consent  à  croire  un  Dieu  à  condition  qu'il  n'aura  point  à  le 
craindre;  il  le  désarme  avant  que  de  l'adorer;  il  lui  laisse  son  trône, 
mais  il  lui  arracha  son  tonnerre;  et,  par  un  artifice  digne  de 
l'homme  révolté  contre  Dieu,  il  {voudrait  lui  donner  une  bonté 
sans  bornes,  afin  de  pouvoir  l'offenser  sans  remords ,  et  fermer 
l'Enfer  pour  braver  impunément  le  ciel.  Or,  à  ce  raisonnement  de 
l'esprit  égaré  par  les  passions,  je  n'oppose  d'abord  qu'une  seule 
réflexion,  et  je  dis  au  pécheur  :  Vous  convenez  qu'il  y  a  des  biens 
et  des  récompenses  dans  l'autre  vie;  donc  il  y  a  aussi  des  peines 
et  des  châtimens  ;  vous  reconnaissez  un  Dieu  rémunérateur;  donc 
il  y  a  aussi  un  Dieu  vengeur.  Pourquoi?  parce  qu'autrement  Dieu 
ne  serait  ni  juste  [ni  puissant  :  il  récompenserait  parce  qu'il  ne 
pourrait  s'en  empêcher;  il  ne  punirait  pas  parce  qu'il  n'en  au- 
rait pas  le  pouvoir.  Ainsi,  bienfaiteur  sans  mérite,  juge  sans  dis- 
cernement, maître  sans  force,  aussi  méprisé  de  ses  serviteurs  que 
de  ses  ennemis,  ses  bienfaits  ne  feraient  que  des  ingrats,  et  ses 
lois  que  des  rebelles.  Il  faut  donc ,  conclut  saint  Augustin ,  ou 
dépouiller  Dieu  de  ses  premiers  attributs,  de  sa  justice,  de  sa  li- 
berté, de  son  autorité,  ou  admettre  en  Dieu  le  pouvoir  de  punir; 
dans  la  religion,  une  autre  vie;  dans  l'autre  vie,  des  peines.  Vérité 
(prenez  garde,  je  vous  prie)  si  conforme  aux  lumières  de  la  rai- 
son, indépendante  des  lumières  du  Christianisme,  vérité  qu'il  est 
si  impossible  à  l'homme  de  ne  pas  apercevoir,  qu'elle  s'est  fait  jour 
même  à  travers  les  ténèbres  du  paganisme.  Le  dogme  d'un  Enfer 
existait  avant  l'Evangile,  comme  une  de  ces  vérités  premières  qui 
se  présentent  à  nous  en  même  temps  que  l'existence  d'un  Dieu ,  et 
qui  fait  partie  de  la  religion  naturelle.  L'idée  d'un  Dieu  juste  et 
vengeur  après  la  mort  subsistait  dans  les  peuples;  et  les  prières, 
les  sacrifices,  les  expiations  sur  les  tombeaux  pour  le  repos  des 
mânes,  ces  dieux  tonnant  sur  les  têtes  des  'coupables,  ce  Tartare 


DES     PRÉDICATEURS.  jy 

ouvert  sous  leurs  pieds,  annonçaient  une  idée  confuse  d'un  avenir 
et  des  peines  de  l'autre  vie.  Pourquoi  ?  parce  qu'on  ne  saurait  con- 
cevoir un  Dieu,  sans  concevoir  en  même  temps  qu'il  est  de  sa  sain- 
teté de  haïr  le  crime  ;  de  son  équité,  qu'il  y  ait  nprès  cette  vie  une 
autre  destinée  pour  le  vice  que  pour  la  vertu  :  or,  ôtez  l'Enfer  et 
ses  châtimens,  où  trouverez-vous  la  différence  entre  le  bien  et  le 
mal ,  le  vice  et  la  vertu  ?  Le  juste  expire,  le  méchant  meurt  ;  quelle 
sera  leur  destinée?  Si  c'est  le  néant,  comme  l'impie  voudrait  se 
le  persuader,  voilà  Dieu  injuste,  barbare  et  cruel;  car  lesméchans 
ayant  presque  toujours  dans  ce  monde  plus  de  prospérité  que  les 
gens  de  bien,  ce  désordre  seul  prouve  et  demande  une  autre 
vie  où  la  justice  sera  rétablie,  le  scandale  réparé,  la  vertu  vengée. 
Eh!  quel  ouvrage  plus  indigne  de  Dieu  qu'un  monde  où,  non  seu- 
lement l'homme  et  la  bête,  mais  le  vice  et  la  vertu,  auraient  la 
même  fin? Idem  interitus  hominum  etjumentorum.  Par  conséquent, 
lame  ne  mourant  pas,  et  le  néant  ne  pouvant  être  notre  dernière 
fin,  l'homme  de  bien  et  le  méchant  paraîtront  donc  également  de- 
vant Dieu;  et^comment,  pourquoi  y  paraîtraient-ils  ?  S'il  n'y  a  point 
d'Enfer,  il  faudra  qu'il  les  admette  tous  deux  dans  sa  gloire;  qu'il 
place  le  meurtrier  à  côté  de  sa  victime ,  et  Caïn  sur  le  même  trône 
qu'Abel.  De  ce  moment  je  ne  ne  vois  plus  ni  équité,  ni  sagesse, 
ni  sainteté;  plus  même  de  puissance  et  de  souveraineté  dans  Dieu. 
Spectateur  oisif  de  la  révolte  et  du  dérèglement  de  ses  créatures, 
il  voit  les  crimes,  et  il  ne  saurait  les  punir  ;  des  impies  qui  le  blas- 
phèment, et  il  ne  saurait  s'en  venger.  Les  rois  sur  leurs  trônes 
dispensent  les  peines  et  les  châtimens;  tout  tremble  devant  l'ap- 
pareil formidable  de  leur  justice;  et  le  Roi  des  rois,  désarmé 
dans  sa  gloire,  serait  seul  sans  force  pour  se  faire  craindre,  sans 
autorité  pour  se  faire  obéir;  le  bruit  de  son  tonnerre  dans  les  airs 
ne  serait  qu'une  vaine  pompe,  un  spectacle  de  terreur  passa- 
gère; et  le  blasphémateur  qui  le  brave  n'aurait  pas  plus  à  redou- 
ter de  son  courroux,  que  le  juste  qui  tremble  et  qui  adore  n'au- 
rait à  espérer  de  sa  bonté  :  par  conséquent,  plus  de  mœurs,  plus 
de  lois,  plus  de  religion,  plus  de  Providence,  s'il  n'y  a  point  de 
peines  dans  l'autre  vie;  et  un  tel  Dieu,  loin  d'être  l'ouvrage  de  la 
raison,  ne  serait  que  celui  de  l'ignorance,  l'opprobre  et  la  dégra- 
dation de  la  Divinité. 

Ne  disons  donc  plus  ,  pour  revenir  au  raisonnement  de  l'incré- 
dule, et  en  montrer  l'absurdité  ,  ne  disons  plus  :  Où  est  la  néces- 
sité que  Dieu  punisse  le  péché  ?  quel  outrage  le  péché  peut  -  il 
faire  à  Dieu  ?  je  réponds  :   Aucun ,  s'il  peut  le  punir  ;  tous  les 


«8  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

outrages  à  la  fois,  s'il  ne  le  peut  pas.  Il  lui  ravit  en  même  temps 
tous  ses  attributs  :  sa  souveraineté,  Dieu  n'aurait  plus  ni  empire 
ni  inspection  sur  les  actions  de  ses  créatures  ;  sa  bonté  ,  il  n'aurait 
plus  le  choix  entre  la  punition  et  la  récompense;  sa  justice,  il 
traiterait  également  le  juste  et  l'impie  ;  sa  puissance  ,  elle  aurait 
des  bornes  que  n'a  pas  celle  même  des  créatures  qui  savent  punir 
et  récompenser  ;  sa  sagesse  ,  il  agirait  sans  distinction  ,  sans  dis- 
cernement entre  le  bien  et  le  mal,  tout  serait  égal,  tout  serait 
vertu  à  ses  yeux,  jusqu'au  crime  même;  sa  grandeur,  il  n'aurait 
plus  de  quoi  se  faire  craindre  et  respecter;  son  culte  et  ses  autels, 
un  Dieu  qui  ne  punit  point  est  un  Dieu  qu'on  n'adore  pas ,  il  n'est 
plus  obéi  dès  qu'il  n'est  plus  redouté;  enfin  sa  divinité  ,  son  exis- 
tence même,  parce  que  loin  d'avoir  la  grandeur  et  la  justice  d'un 
Dieu  ,  il  n'aurait  pas  même  la  justice  des  hommes  :  voilà  le  crime 
impuni  dans  l'autre  vie  ;  voilà  ce  qui  en  résulterait ,  et  ce  qui  a  fait 
dire  à  saint  Justin  que  ,  s'il  n'y  a  point  d'Enfer,  il  n'y  a  point  de 
Dieu,  il  n'y  a  ni  vice  ni  vertu  ,  ni  de  raison  pour  punir  et  récom- 
penser. .  .  . 

Par  conséquent,  ne  disons  plus  que  Dieu  ne  se  présente  à  nous 
que  sous  les  caractères  de  père  et  de  bienfaiteur;  car,  reprend  ad- 
mirablement saint  Augustin,  quelle  idée  plus  juste  pouvons-nous 
avoir  de  Dieu  que  celle  qu'il  nous  a  donnée  lui  -  même  soit  dans  sa 
parole,  soit  dans  ses  ouvrages?  Notre  raison  peut  se  tromper  sur  les 
attributs  de  Dieu  qu'elle  ne  peut  ni  comprendre ,  ni  concilier  ; 
mais  sa  parole  et  ses]  ouvrages  ne  nous  trompent  pas.  Or  ,  interro- 
geons-les ;  qu'y  verrons-nous  partout ,  que  les  traces  de  la  colère 
et  de  la  vengeance  ?  Tant  s'en  faut  que  Dieu  soit  jaloux  de  n'être 
envisagé  par  ses  créatures  que  sous  l'idée  de  la  clémence  et  de  la 
bonté,  que  les  premières  paroles  de  Dieu  au  premier  homme  ren- 
fermaient des  menaces  et  des  chàtimens  :  Vous  mourrez,  lui  dit  le 
Seigneur,  au  moment  où  vous  me  désobéirez,  et  un  déluge  de  maux 
fondra  sur  votre  postérité.  Dans  la  suite  des  temps,  quand  il  a  en- 
voyé des  Prophètes  pour  se  faire  connaître  aux  hommes,  il  a  mis 
dans  leur  bouche  des  paroles  de  feu,  tous  les  foudres  de  l'élo- 
quence pour  donner  aux  hommes  une  idée  de  son  courroux  ;  et 
pour  une  fois  qu'ils  ont  peint  le  Dieu  de  bonté  et  de  douceur,  les 
Ecritures  retentissent  partout  de  menaces  ,  d'anathèmes.  Enfin , 
lorsqu'il  est  venu  lui-même  converser  avec  les  hommes  ,  quoique 
dans  un  ministère  de  douceur  et  de  charité ,  il  a  lancé  contre  les 
pécheurs  les  plus  effrayantes  malédictions,  et  lésa  menacés  de 
supplice?  sans  fin  après  cette  vie. 


DES   PRÉDICATEURS.  jg 

Dans  ses  ouvrages,  même  langage  :  partout  nous  voyons  l'em- 
preinte de  sa  colère,  partout  nous  rencontrons  la  main  delà  ven- 
geance; et  les  ravages  des  élémens  ,  l'intempérie  des  saisons  ,  les 
maladies,  la  mort,  annoncent  le  Dieu  vengeur  et  redoutable. 
L'homme  lui-même  porte  en  naissant  les  signes  de  la  colère  céles- 
te, et  les  cris  dont  il  fait  retentir  son  berceau,  prélude  de  tant 
d'autres  malheurs,  annoncent  les  peines  du  péché  et  la  victime  de 
l'Enfer.  Tous  les  maux  enfin  qui  nous  affligent  dans  cette  vie,  qui 
inondent  ce  malheureux  univers,  que  sont-ils?  Autant  d'étincelles 
échappées  des  fournaises  éternelles,  un  épanchement  des  trésors 
de  sa  colère,  et  comme  autant  de  voix  qui  nous  crient  à  chaque 
instant  qu'il  y  a  un  Enfer  dans  l'autre  vie,  puisque  celle-ci  en  est 
un  commencement  ;  qu'il  n'est  donc  point  contraire  à  l'idée  de 
Dieu,  de  frapper,  de  punir,  de  voir  ses  créatures  malheureuses, 
puisque  nous  le  sommes  en  naissant ,  puisqu'il  nous  frappe  et  nous 
afilige  de  tant  de  calamités  dès  ce  monde;  et  qu'en  un  mot,  si  le 
Seigneur  est  un  Dieu  de  miséricorde,  il  est  aussi  par  excellence  le 
Dieu  des  vengeances,  libre  et  indépendant  dans  son  courroux 
qu'il  n'appartient  point  à  l'homme  de  combattre  ou  de  mesurer  ; 
Deus  ultionum  Dominus  libère  egit.  Donc  ,  l'impie  qui  ne  voit  en 
Dieu  que  clémence  et  bonté  ,  est  non  seulement  un  insensé  qui 
résiste  aux  lumières  de  la  révélation  ,  à  la  voix  et  à  la  parole  de 
Dieu  même,  mais  un  stupide  qui  n'entend  pas  la  voix  de  toutes  les 
créatures  et  résiste  au  cri  de  la  nature  entière.  Donc  il  est  aussi 
vrai  qu'il  y  a  un  Enfer ,  qu'il  est  vrai  qu'il  y  a  un  Dieu ,  une  reli- 
gion ,  une  autre  vie;  aussi  vrai  qu'il  est  certain  qu'il  y  a  une  diffé- 
rence entre  le  bien  et  le  mal ,  le  juste  et  l'injuste  ,  le  vice  et  la 
vertu  ;  aussi  vrai  enfin  qu'il  est  vrai  qu'il  y  a  une  justice  primitive 
et  éternelle  dont  celle  des  hommes  n'est  qu'une  faible  image  ,  et 
qui  attend  les  coupables  ,  qu'elle  épargne  dans  ce  monde  ,  pour 
les  livrer  sans  miséricorde  aux  châtimens  qui  leur  sont  préparés 
dans  l'autre. 

Mais  quels  sont-ils  ces  châtimens? qu'est-ce  que  cet  Enfer,  cette 
éternité  malheureuse  ?  comment  surtout  parvenir  à  s'en  former 
une  idée  ?  Seconde  question  à  laquelle  il  suffirait  de  répondre  que 
l'Enfer  est  l'ouvrage  d'un  Dieu  et  de  la  colère  d'un  Dieu;  l'homme 
n'a  rien  à  ajouter  à  cette  parole.  Malheur  au  pécheur  qui,  pour 
craindre  l'Enfer,  attend  d'en  savoir 'davantage  !  Cependant,  chré- 
tiens, comme  il  peut  être  utile  et  salutaire  d'approfondir  ces  gran- 
des vérités  ,  que  David  lui-même  demande  à  Dieu  de  descendre 
tout  vivant  dans  l'abîme  ;  qu'enfin  Jésus-Christ  a  employé  une  pa- 


80  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

rabole  entière  à  nous  peindre  ce  lieu  de  tourmens  ,  il  nous  est 
donc  "permis, à  la  faveur  de  cette  lumière,  de  descendre  en  esprit 
dans  cet  horrible  séjour,  de  dire  avec  le  Prophète  :  J'irai  jusqu'aux 
portes  de  l'Enfer  et  du  palais  des  vengeances  ,  Vadam  ad  portas 
lnjeri\  et,  sans  toutefois  m'écarter  de  l'Ecriture,  je  tâcherai  de 
m'en   former  une  image,  quelque  imparfaite  qu'elle  puisse  être. 

Et  d'abord ,  chrétiens  auditeurs ,  quel  est  le  premier  objet  qui 
s'offre  à  nos  regards?  Quelle  voix  triste  et  plaintive  vient  nous 
frapper  de  ses  lugubres  accens?  C'est  un  riche  que  le  Sauveur 
nous  représente  au  milieu  des  flammes,  et  qui  demande  une  goutte 
d'eau  pour  calmer  l'ardeur  qui  le  dévore:  Crucior  in  hac  flamma? 
Premier  supplice  des  damnés,  le  supplice  du  feu. 

Je  ne  sais  quelle  fausse  délicatesse  s'est  emparée  de  nos  esprits. 
On  nous  oblige  de  prêcher  les  vérités  les  plus  austères  de  l'Evan- 
gile, on  ne  nous  pardonnerait  pas  le  moindre  relâchement  dans  la 
doctrine  :  parlons-nous  du  feu  de  l'Enfer,  dès  ce  moment  nous  ne 
sommes  plus  dignes  d'attention,  et  c'est ,  ce  me  semble,  de  notre 
part  abuser  de  la  crédulité  de  nos  auditeurs?  Et  sur  quoi,  je  vous 
prie,  est  fondée  notre  répugnance  ?  Serait-ce  sur  le  silencede  l'Ecri- 
ture? l'un  et  l'autre  Testament  en  parlent  dans  les  termes  les 
moins  obscurs.  Un^feu  s'est  allumé  dans  ma  fureur ,  dit  Moïse  aux 
Israélites,  et  il  brûlera  jusqu'au  fond  des  Enfers.  Qui  de  vous,  ajoute 
Isaïe,  pourra  habiter  dans  un  feu  dévorant?  Et  le  Sauveur  dans 
l'Evangile:  Allez,  maudits,  au  feu  éternel,  qui  a  été  préparé  à 
Satan  et  à  ses  Anges.  Serait-ce  que  la  Divinité  vous  paraîtrait  dé- 
gradée d'agir  par  l'action  d'un  élément ,  et  de  se  montrer  comme 
un  feu  exterminateur?  Voyez  comme  Dieu  a  agi  et  parlé  dans  tous 
les  temps,  sous  quels  emblèmes  il  s'est  montré  auxjhommes  :  à  Moïse 
dans  le  désert,  sous  l'image  d'un  buisson  ardent;  sur  le  mont  Sinaï, 
au  milieu  des  feux  du  tonnerre  et  des  éclairs  ;  àEzéchiel,  sur  un  char 
de  feu  qui,  dans  son  vol  rapide,  trace  mille  sillons  de  lumière;  à 
David  ,  comme  un  géant  qui  a  placé  son  trône  dans  le  soleil ,  au 
milieu  de  cette  mer  de  flamme  et  de  lumière.  Partout  dans  l'Ecri- 
ture Dieu  est  un  feu  dévorant  :  le  feu  semble  être  chargé  à  lui  seul  de 
représenter  la  Divinité  dans  tous  ses  attributs.  Dans  sa  grandeur;  ce 
sont  des  globes  de  feu  suspendus  dans  le  firmament ,  le  feu  de  la 
foudre  et  des  éclairs  qui  l'annnonce  à  la  terre.  Dans  ses  châtimens; 
c'est  une  pluie  de  feu  et  de  soufre  qui  dévore  deux  villes  crimi- 
nelles; des  tourbillons  de  feu  qui  engloutissent  Abiron  et  ses  com- 
plices. Dans  sa  bonté  même;  c'était  le  feu  qui  descendait  sur  ses 
autels  pour  dévorer  les  holocaustes  ;  une  colonne  de  feu  qui  mar- 


des  rnÉDicATEuns.  8r 

chait  à  la  tête  île  son  peuple.  Je  vois  partout  le  feu  annoncer  la 
majesté  divine,  et  à  la  fin  des  temps,  nous  dit  l'Apôtre,  chargé  à 
lui  seul  de  la  vengeance  céleste  ,  cet  impétueux  élément  qui  nous 
presse  et  nous  environne  de  toutes  parts,  élancé  de  tous  les  corps 
qui  l'enferment,  embrasera  l'univers  et  détruira  la  nature.  N'y  au- 
rait-il donc  que  l'Enfer  où  il  ne  pourrait  être  sans  dégrader  l'Etre 
Suprême?  Et  après  s'en  être  servi  pour  exécuter  ses  volontés  dans 
le  temps,  pourquoi  ne  pourrait-il  en  faire  l'instrument  de  sa  justice 
dans  l'éternité  ?  Serait-ce  qu'il  nous  paraîtrait  inutile  ,  et  que  Dieu 
pourrait  punir  autrement  le  péché?  Et  moi  je  demande  quelle  est  la 
raison  pour  que  Dieu  le  punisse  autrement?  Est-ce  au  coupable  à 
dire  à  son  juge:  Pourquoi  me  punissez-vous  ainsi?  Etait-ce  aux 
villes  criminelles  de  Sodome  et  Gomorrhe  de  se  plaindre  de  ce 
qu'elles  périssaient  par  le  feu  plutôt  que  par  les  eaux  du  ciel  ?  (Lu 

MÊME.) 

L'éternité  des  peines  n'est  point  incompatible  avec  l'équité  de  Dieu. 

Mais,  allez-vous  nous  dire,  comment  se  persuadera-t-on  que 
ceux  qui  n'avaient  jamais  entendu  parler  de  l'Enfer  puissent  y  être 
condamnés? Ne  seraient-ils  pas  en  droit  de  dire  au  Seigneur  :  Si 
nous  en  avions  été  prévenus  ,  la  menace  de  ses  feux  nous  aurait 
inspiré  une  salutaire  frayeur  qui  eût  réglé  notre  vie.  A  la  bonne 
heure ,  je  veux  bien  le  croire.  Mais ,  je  dis  plus  :  si  la  considéra- 
tion des  chàtimens  inséparables  d'une  conscience  criminelle  ne 
suffit  pas  pour  ramener  les  coupables,  la  menace  des  supplices  à 
venir  n'y  réussirait  pas  davantage,  et  moins  encore;  car,  gros- 
siers et  charnels  comme  nous  le  sommes,  ce  qui  est  sous  nos  yeux 
nous  affecte  toujours  plus  sensiblement  que  ce  qui  s'éloigne  dans 
l'avenir. 

N'allez  pas  dire  que  Dieu  se  soit  montré  moins  favorable  envers 
les  hommes  d'autrefois  qu'envers  ceux  d'aujourd'hui.  Ceux-là,  il 
ne  leur  a  pas  fait  les  mêmes  révélations  ,  parce  qu'il  ne  leur  impo- 
sait point  d'aussi  rigoureux  devoirs;  mais  nous,  appelés  à  une  mo- 
rale bien  plus  relevée,  nous  avions  besoin  de  plus  de  secours;  et 
Dieu  nous  les  a  ménagés ,  en  ajoutant  à  tous  les  autres  moyens  de 
salut  la  crainte  de  l'Enfer. 

Mais  enfin,  nous  demande-t-on',  où  est  l'équité  de  Dieu,  de  pu- 
nir, tant  dans  une  autre  vie  que  dans  celle-ci ,  ceux  qui  n'ont  pé- 
ché que  dans  cette  dernière  ?  Pour  répondre  à  cette  difficulté,  je 
n'emprunterai  point  d'autre  raisonnement  que  celui  que  je  vous 
entends  faire  vous-mêmes  tous  les  jours;  et  c'est  à  voire  propre 
t.  m.  6 


82  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

jugement  que  j'en  appellerai.  Un  assassin ,  un  voleur  public  vont 
subir  sur  un  échafaud  la  peine  due  à  leurs  nombreux  forfaits. 
Quoi  !  vous  écriez-vous,  une  seule  mort  pour  des  milliers  de  crimes! 
Et  vous  murmurez  contre  le  peu  de  proportion  entre  les  délits  et 
la  peine.  Pourquoi    donc  prononcez-vous  ici  d'une  manière  toute 
différente?  Pourquoi? C'est  que  la  cause  est  personnelle.  L'amour- 
propre  nous  aveugle,  et  nous  empêche  de  voir  ce  qui  est  juste.  Sé- 
vères à  l'excès  sur  le  compte  des  autres,  nous  nous  pardonnons 
tout  à  nous-mêmes.  Si  nous  apportions  à   l'examen  de  notre  con- 
science le  même    scrupule  qu'à  l'égard  des  autres ,  nos  arrêts  se- 
raient plus  justes.    Combien  n'avons-nous  pas  commis  de  crimes 
qui  mériteraient,  non  pas  une,  mais  dix  mille  morts  !  Et  pour  ne 
point  m'engager  dans  trop  de  détails,  rappelons-nous  combien  de 
fois  nous  avons  indignement  participé  à  la  Table  sainte,  bien  que 
nous  n'ignorions  pas  que  quiconque  y  participe  indignement   se 
rend  coupable  du  corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ.   Quand  donc 
vous  jugez  les  assassins  avec  tant  de  rigueur,  faites  un  retour  sur 
vous-même  :  ce  meurtrier  n'a  tué  qu'un  homme;  vous,  vous  vous 
êtes  rendu  coupable  de  la  mort  d'un  Dieu.  Que  dirai-je  encore  de 
ces  langues  envenimées  d'où  découle  sans  cesse  un  fiel  homicide, 
de  ces  spoliateurs  du  bien  des  pauvres?  Si  ne  pas  faire  l'aumône 
de  son  superflu  est  un  crime  égal  à  celui  de  dérober  au  pauvre  ce 
qui  lui  appartient,  y  a-t-il  vol  plus  criant  que  de  retenir  le  bien 
d'autrui  par  les  frauduleux  moyens  à  quoi  l'avarice  s'abandonne  ? 
Je  parle  du  crime  de  retenir  le  bien  d'autrui  ;    mais  lui    ravir  et 
son  sang  et  sa  vie  par  des  calculs  usuraires,  dites-moi  si  le  voleur 
public,  si  le  violateur  même  des  tombeaux  est  plus  punissable. 

Non,  me  dites-vous,  non,  assurément. —  Vous  le  dites  aujour- 
d'hui; mais  le  direz-vous  dans  l'occasion  ?  Le  direz-vous  alors  que, 
dans  l'accès  de  votre  ressentiment  contre  votre  ennemi,  vous  cher- 
cherezle  moyen  de  vous  venger  de  lui?  C'est  alors  qu'il  vous  faudra 
vous  rappeler  ces  paroles,  si  vous  voulez  éviter  les  feux  auxquels 
furent  condamnés  les  habitans  de  Sodome  et  de  Gomorrhe. 

Ce  sera  du  moins  quelque  consolation  d'avoir  des  compagnons 
d'infortune.  — Funeste  raisonnement!  Souffrirez-vous  moins  par- 
ce que  d'autres  souffriront  avec  vous  ?  Quand  le  mal  est  suppor- 
table, on  peut  se  consoler  par  des  comparaisons;  mais  quand  il 
est  extrême,  où  est  la  consolation  de  voir  souffrir  autour  de  soi  ? 
Dites  à  un  malheureux  expirant  sous  le  fouet  ou  dans  les  flammes 
qu'il  n'est  pas  le  seul  à  endurer  ce  supplice;  le  croirez- vous  bien 
consolé  ?  Ne  vous  abusez  pas ,  mes  frères  ,    par  de  fausses   cspé- 


DES    PRÉDICATEURS,  83 

ranees  ni  par  de  futiles  raisonnemens.  La  seule  consolation  à 
quoi  nous  puissions  prétendre,  c'est  d'échapper,  si  nous  le  vou? 
Ions  ,  à  ces  feux  dévorans.  Plus  de  consolation  à  attendre  là  où 
il  n'y  a  plus  qu'un  éternel  supplice. 

N'y  a-t-il  dans  l'Enfer  d'autre  châtiment  que  celui  d'y  brûler 
éternellement?  Il  y  en  a  un  autre  plus  désolant  encore  :  c'est  d'a- 
voir perdu  pour  jamais  le  royaume  du  ciel;  et  c'est  là  un  genre 
de  supplice  plus  rigoureux  mille  fois  que  toute  l'activité  des  feux 
dévorans.  Je  sais  bien  qu'il  est  des  hommes  qui  n'ont  peur  de  l'En- 
fer que  pour  l'Enfer  lui-même  ;  je  n'en  affirme  pas  moins  qu'il  y  a 
quelque  chose  de  pire.  Que  je  ne  puisse  rendre  ma  pensée  par  des 
paroles,  n'en  soyez  point  surpris.  Pour  bien  concevoir  le  mal- 
heur qu'il  y  a  de  perdre  le  royaume  du  ciel,  il  faudrait  pouvoir 
comprendre  le  bonheur  de  ceux  qui  en  jouissent.  Un  saint  Paul, 
qui,  dans  son  ravissement,  avait  appris  ce  que  c'était  que  ce  sé- 
jour de  gloire  et  de  félicité  où  règne  Jésus-Christ,  savait  bien  qu'il 
n'y  a  point  de  tourment  égal  à  celui  d'en  être  loin.  Pour  nous, 
nous  ne  le  connaîtrons  bien  que  par  notre  propre  expérience. 
Mais ,  ô  mon  Dieu  !  Dieu  Sauveur  !  ne  permettez  pas  que  nous 
.  tombions  dans  un  malheur  aussi  affreux  que  l'est  celui  de  vous 
perdre  dans  l'autre  vie. 

Quelque  impossible  qu'il  soit  d'en  donner  une  idée  bien  pré- 
.  cise ,  je  vais  toujours  essayer  d'en  approcher  par  quelque  compa- 
raison familière,  Je  suppose  un  jeune  prince,  vraiment  accompli, 
qui  réunisse  toutes  les  vertus,  qui  commande  à  toute  la  terre; 
dont  le  mérite  et  les  perfections  en  tous  genres  soient  tellement 
reconnus  qu'il  n'y  ait  point,  dans  tout  son  empire,  un  seul 
homme  qui  ne  l'aime  avec  toute  la  tendresse  d'un  père  pour  son. 
fils.  Celui  de  qui  il  tient  le  jour,  le  père  que  lui  a  donné  la  nature 
vient  tout  à  coup  à  être  menacé  de  le  perdre.  Représentez-vous 
ses  alarmes;  que  ne  donnerait-il  point,  à  quelles  souffrances  ne 
consentirait-il  point  plutôt  que  de  se  voir  séparé  d'un  tel  fils?  quel 
mal  lui  semblerait  égal  à  la  pensée  qu'il  ne  le  verra  plus ,  qu'il 
sera  privé  de  ses  embrassemens  ?  Ce  n'est  là  qu'une  faible  image 
de  ce  qu'auront  à  souffrir  ceux  qui  se  verront  exclus  de  la  pré- 
sence de  Jésus-Christ  dans  sa  gloire.  Non,  il  n'est  point  de  fils, 
quel  qu'il  soit,  dont  l'aspect  soit  aussi  nécessaire,  aussi  délicieux 
au  cœur  du  plus  tendre  père,  que  la  vue  et  la  possession  de  Jésus» 
Christ  ne  l'est  au  cœur  de  ses  élus. 

L'Enfer  est  sans  doute  quelque  chose  d'épouvantable;  c'est  le 
composé  de  tous  les  maux,  on  n'en  peut  supporter  l'idée  ;  toute- 

6. 


84  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

fois  dix  mille  Enfers  ensemble  ne  sont  rien  auprès  de  celui  de 
n'avoir  plus  de  droit  à  la  céleste  gloire,  d'être  devenu  l'objet  de  la 
haine  de  Jésus-Christ,  d'entendre  de  sa  bouebe  ces  paroles  :  Je  ne 
vous  connais  point;  vous  m'avez  vu  souffrir  la  faim  ,  et  vous  ne 
ni  avez  point  donné  à  manger  x.  Il  ne  dit  pas  :  N'avoir  eu  que  du 
mépris  pour  le  Dieu  qui  t'avait  tiré  du  néant ,  donné  une  ame  im- 
mortelle ;  qui  t'avait  comblé  de  biens  ,  mettant  à  ta  disposition  les 
productions  diverses  de  la  nature  ;  m' avoir  déshonoré  ,  sacrifié  au 
démon ,  moi ,  qui  n'avais  pas  dédaigné  de  m' abaisser  pour  toi ,  de 
souffrir,  de  mourir  pour  toi;  moi  qui  te  destinais  un  royaume! 
Non ,  le  seul  crime  qu'il  reproche  est  celui  de  l'insensibilité  en- 
vers les  pauvres.  (Saint  Ghrysostome  2.) 

Dieu  punira-t-il  un  péché  d'un  moment  par  un  supplice  éternel  ?  —  Réponse. 

Pour  un  péché  d'un  moment,  un  supplice  qui  durera  autant 
gué  l'éternité!  —  Mais  la  justice  humaine  est-elle  moins  sévère,' 
moins  inexorable  à  l'égard  de 'certains  délits  qui  furent  l'ouvrage 
d'un  moment?  Un  simple  "vol,  l'adultère1,  sont  punis  par  la  prison, 
par  le  travail  des  mines  pour  toute  la  vie,  par  le  long  supplice  de 
Ja  faim,  par  une  mort  de  tous  les  momens.  Vient-on  nous  dire 
que  ce  soit  là  une  expiation  trop  rigoureuse,  et  qu'il  n'y  a  point 
de  proportion  entre  le  délit  et  la  peine  :  vous  répliquez  qu'ici  la 
chose  est  différente  ;  que  la  justice  humaine  est  obligée  à  cet  excès 
de  sévérité;  mais  que  rien  n'y  peut  obliger  un  Dieu  essentiel- 
lement bon  et  miséricordieux;  mais  il  n'est  point  injuste.  Et  si, 
dans  le  magistrat,  la  justice  n'est  pas  moins  dureté,  mais  bonté, 
pourquoi ,  dans  le  souverain  Juge,  changerait-elle  de  nom?  Dieu 
est  bon  et  miséricordieux;  et  c'est  là  même  ce  qui  nous  rend  plus  pu- 
nissables ,  en  aggravant  notre  iniquité.  C'est  parce  qu'il  est  bon 
et  miséricordieux  que  saint  Paul  s'écriait  :  77  est  horrible  de  tomber 
entre  les  mains  du  Dieu  vivant^.  Souffrez,  mes  frères,  pour  quel- 
ques momens,  la  chaleur  avec  laquelle  je  vous  parle  ;  peut-être  en 
retirerez-vous  quelque  'consolation  par  la  suite.  Nous  comparons 
la  justice  des  hommes  avec  celle  de  Dieu;  mais  y  a-t-il  donc  entre 
Tune  et  l'autre  un  légitime  rapprochement?  Où  sont  les  hommes 
qui  aient  le  pouvoir  de  punir  comme  Dieu  l'a  fait  ?  Voyez  les  eaux 
du  déluge  inonder  toute  la  terre,  engloutir  toute  la  race  humaine; 
peu  de  siècles  après ,  des  pluies  de  feu  tomber  sur  des  villes  cri- 
minelles, et  en  dévorer  tous  les  habitans.  Sont-ce  là  deschâtimens 

1  Motlh.,  x«v,  12,  41.  — 2  Ilom.  xn ,  in  Math,  —  '  Hcbr.  x,  31. 


I>ES   PRÉDICATEURS.  85 

dont  les  hommes  soient  capables?  Les  ravages  du  fléau,  toujours 
subsistans,  semblent  avoir  éternisé  la  vengeance.  Ah  !  si  vous  vou- 
lez des  rapprochemens ,  cherchez-en ,  non  pas  dans  la  justice  des 
hommes  comparée  à  celle  de  Dieu,  cherchez-les  dans  Dieu  seul. 
Rien  d'égal  à  sa  bonté  que  sa  justice.  Oui ,  certes  ,  Dieu  est  bon  et 
miséricordieux  ;  sa  loi  tout  entière  nous  le  témoigne  assez.  S'iL 
nous  avait^  commandé  des  préceptes  durs,  impossibles  à  exécuter,, 
peut-être  pourrions-nous  couvrir  de  quelque  excuse  nos  man- 
quemens.  Mais  non.  Il  n'est  pas,  dites-vous,  en  votre  pou- 
voir d'être  chaste ,  de  garder  le  célibat.  Dites  plutôt  que  vous 
ne  le  voulez  pas.  La  preuve,  c'est  que  tels  et  tels  que  vous  connais- 
sez obéissent  au  précepte ,  et  ne  s'en  plaignent  pas.  Si  vous  ne  le 
pouviez  point,  Dieu  ne  vous  obligerait  pas  à  vous  y  engager.  XI 
n'en  fait  pas  à  tous  l'exprès  commandement;  mais  il  en  a  laissé  la 
faculté  libre  et  volontaire.  Ce  qui  dépend  de  vous,  assurément ,  c'est 
d'être  modéré  dans  le  mariage,  tempérant  dans  vos  repas.  L'êtes- 
vous  ?  Vous  n'auriez  pas  la  force  de  vous  dépouiller  de  votre  bien  j 
je  pourrais  vous  répondre  que  la  chose  n'est  pas  impossible,  puis- 
que d'autres  l'ont  fait.  Non.  Je  vous  dirai  seulement  que  Dieu  n'en 
fait  point  un  ordre  absolu.  Ce  qui  vous  est  ordonné  ,  c'est  de  ne 
pas  vous  enrichir  aux  dépens  d'autrui;  c'est  départager  avec  les 
pauvres.  Le  faites-vous?  Vous  auriez  trop  de  violence  à  vous 
faire ,  de  vous  abstenir  de  vos  emportemens  ,  de  Vos  blasphèmes  % 
de  vos  imprécations  contre  Dieu,  contre  le  prochain.  Dites, 
dites,  ô  mou  frère!  qu'il  vous  en  coûterait  bien  moins  pour  y  re- 
noncer que  pour  vous  y  abandonner.  Du  moins  ne  vous  en  pre- 
nez qu'à  vous,  si,  infidèle  à  une  loi  si  facile  à  observer,  vous  en 
êtes  puni  par  la  justice  sévère  du  Seigneur.  Veillez  donc,  nous 
dit  à  tous  l'Apôtre  ,  sur  vos  actions  :  Que  chacun  prenne  garde  à  ce 
quïl  bâtit1  (il  compare  notre  vie  à  un  édifice  auquel  on  peut  em- 
ployer divers  matériaux.  C'est  le  choix  que  l'on  en  fait  qui  en  asr 
sure  la  solidité  ou  biegi  qui  en  amène  la  ruine).  Les  uns  emploient 
dans  le  bâtiment  de  lor,  de  V argent ,  des  pierres  précieuses ,  c'est-à- 
dire  les  vertus  chrétiennes,  avec  plus  ou  moins  de  perfection  \ 
les  autres  Ji'f  apportent  que  du  bois  ,  que  du  foin /,  que  de  la  paille. 
L'ouvrage  de  chacun  sera  manifesté*  A  celui  qui  aura  bâti  solide- 
ment ,  de  qui  l'édifice  spirituel ,  soutenu  et  décoré  par  de  précieux 
matériaux,  aura  résisté  aux  assauts  des  tentations,  à  celui-là  les 
récompenses  immortelles.  Mais  celui  qui  n'y  aurait  fait  entrer  que 

*I.  Cor.  m.  10  ,elc. 


86  NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE 

des  matières  viles,  sans  consistance,  celui-là  ensouffrira  delà  perte» 
La  vie  est  un  fleuve  que  vous  passez  à  la  nage,  obligé  de  combattre 
contre  des  ennemis.  Si  vous  avez  une  armure  d'or,  vous  naviguez 
avec  bien  plus  d'ardeur;  si  vous  n'avez  avec  vous  pour  vous  dé- 
fendre que  du  foin  et  de  la  paille,  loin  de  vous  en  aider,  vous  êtes 
entraîné  avec  d'aussi  faibles  instrumens.  Il  en  sera  ainsi  des  œu- 
vres. Bonnes,  elles  vous  soutiendront;  mauvaises,  elles  vous  lais- 
seront dans  la  nudité,  elles  causeront  votre  ruine;  elles  descen- 
dront avec  vous  dans  ces  flammes  dévorantes  ,  pour  y  subsister 
éternellement,  et  alimenter  sans  cesse  les  feux  auxquels  vous  se- 
rez condamné  sans  en  être  consumé.  Tel  est  ici  le  sens  que  saint 
Paul ,  dans  la  suite  de  son  allégorie,  attache  au  mot  :  Celui  dont 
T ouvrage  brûlera  souffrira  de  la  perte;  toutefois  il  se  sauvera,  mais 
en  passant  par  le  feu;  c'est-à-dire  qu'il  sera  conservé,  sauvé  de 
l'anéantissement  ;  comme  dans  le  langage  ordinaire  l'on  dit  :  Telle 
chose  a  été  sauvée  de  la  flamme,  parce  qu'elle  y  est  restée  sans  en 
être  à  l'instant  dévorée  et  réduite  en  cendres.  L'Apôtre  n'entend 
autre  chose  que  la  prolongation  et  la  continuité  du  supplice. 
(Saint  Chrysostôme  1.) 

Certitude  de  l'Enfer. 

11  est  parmi  nous  des  hommes  qui ,  abandonnés  tout  entiers  aux 
impressions  de  la  chair,  ne  vivent  que  pour  le  temps  présent,  et 
s'imaginent  qu'il  n'y  a  point  de  vie  future.  Leur  grand  argument, 
c'est  que  Dieu  est  trop  bon  pour  qu'il  y  ait  des  châtimens  à  crain- 
dre après  la  mort.  Oui,  certes,  Dieu  est  bon,  mais  il  est  juste; 
et  cela  posé,  où  serait  la  justice  dans  Dieu,  de  permettre  qu'on 
J'outrage,  que  l'on  méconnaisse  ses  bienfaits,  que  l'on  brave  ses 
menaces  ?  Offenser  quelque  homme  que  ce  soit ,  même  un  indif- 
férent, c'est  un  crime  punissable  aux  termes  de  la  justice  humaine; 
mais  s'en  prendre  à  son  bienfaiteur,  au  Dieu  sans  qui  l'on  n'exis- 
terait pas,  attrister  son  cœur  paternel  par  des  manquemens  jour- 
naliers, n'est-ce  donc  point  là  un  attentat  qui  repousse  toute  mi- 
séricorde ?  Dieu  est  bon,  dites-vous;  et  parce  qu'il  est  bon,  il  ne 
doit  pas  punir.  Insensé  qui  tenez  ce  langage,  pourquoi  cesserait-il 
d'être  bon  en  vous  punissant  ?  Quoi!  vous  péchez  et  ne  voulez  pas 
être  puni.  Mais  sa  bonté  vous  en  avait  prévenu  ;  elle  essaya  de 
vous  en  détourner  par  les  menaces  qu'elle  faisait  retentir  à  votre 

1  Hom.  ix ,  in  i  ad  Cor. 


;  DES    PRÉDICATEURS*  87 

oreille;  elle  multiplia  autour  de  vous  les  secours  pour  aller  au 
devant  de  vos  chutes;  elle  s'est  épuisée  pour  votre  salut.  Mais  s'il 
n'y  a  point  de  châtimens  à  craindre  pour  les  coupables,  un  autre 
viendra  nous  dire  qu'il  n'y  a  pas  davantage  à  espérer  pour  les 
justes.  Et  qu'est-ce  donc  alors  que  ce  que  vous  appelez  la  bonté 
dans  Dieu?  Qu'est-ce  que  la  justice  qui  doit  présider  à  ses  juge- 
mens?  Cessez ,  ô  hommes ,  de  vous  abuser;  c'est  le  démon  qui  vous 
inspire  ces  téméraires  pensées.  Si  les  magistrats ,  si  les  maîtres  de 
la  terre  ne  laissent  pas  sans  récompense  ceux  qui  se  dévouent  au 
service  de  la  patrie  ou  de  leurs  personnes  ,  ni  sans  punition  ceux 
qui  y  manquent ,  comment  supposer  raisonnablement  que  Dieu 
soit  moins  juste  que  les  hommes,  et  qu'il  confonde  dans  la  même 
indifférence  les  bons  et  les  médians  ? 

S'il  n'y  avait  rien  à  craindre  après  la  mort,  quel  frein  resterait-il 
au  pervers?  Si  la  crainte  même  du  châtiment  dont  il  est  menacé 
ne  suffit  pas  toujours  pour  le  détourner  du  crime,  que  sera-ce 
quand  il  se  verra  affranchi  de  cette  crainte?  Et  non  seulement  vous 
le  débarrasserez  de  la  peur  de  l'Enfer;  mais  il  faudra  de  plus  lui 
promettre  les  félicités  du  ciel  pour  récompense  de  ses  forfaits  ? 

Où  est  la  preuve,  nous  dit-on,  que  Dieu,  bon  et  miséricor- 
dieux, comme  il  est,  châtie  même  ceux  qui  l'ont  méconnu?  Mais 
répondez  à  votre  tour,  vous  qui  accusez  Dieu  de  mensonge,  ré- 
pondez :  qui  est-ce  qui,  du  temps  de  Noé,  châtia  l'univers  entier 
parles  eaux  du  déluge,  engloutit  dans  son  vaste  naufrage  toute 
la  race  humaine,  condamnée  à  la  mort?  Qui  est-ce  qui  fit  tomber 
sur  l'infâme  Sodome  des  torrens  de  bitume  embrasé,  couvrit  l'E- 
gypte de  fléaux,  fit  périr  dans  le  désert  tant  de  milliers  de  raur- 
murateurs ,  précipita  dans  les  entrailles  de  la  terre  Coré ,  Datan  et 
Abiron  ;  envoya,  du  temps  de  David,  la  peste  qui  dévora  en  un 
moment  soixante  mille  de  ses  sujets;  extermina  dans  une  seule 
nuit  les  cent  quatre-vingt-cinq  mille  soldats  de  l'armée  de  Sédécias, 
comme  il  l'avait  fait  prédire  par  son  prophète  Isaïe?  Et  sans  re- 
courir à  ces  exemples  étrangers,  pouvez-vous  fermer  les  yeux  à 
l'expérience  des  calamités  que  nos  crimes  à  nous-mêmes  attirent  sur 
nos  têtes?  Je  vous  demande,  d'après  cela,  si  la  raison  seule  permet 
de  croire  que  Dieu  punisse  une  partie  des  coupables  et  en  laisse  une 
autre  impunie.  Si  la  bonté  de  Dieu  s'oppose  à  ses  vengeances, 
personne  ne  devrait  être  puni.  Pourquoi  donc  punit-il  quelquefois, 
dès  cette  vie  même,  les  blasphémateurs  de  votre  sorte,  si  ce  n'est 
pour  vous  forcer  à  croire  à  l'expérience  quand  vous  refusez  de 
croire  à  ces  menaces  ?Nous  vous  parlons  des  feux  de  l'Enfer;  mais 


88  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

nous  ne  sommes  pas  les  premiers  à  les  annoncer.  Et  certes,  il  faut 
que  la  vérité  en  soit  bien  incontestable,  puisqu'elle  s'élait  fait 
sentir  au  milieu  même  des  ténèbres  du  paganisme.  Qu'ils  fussent 
dans  l'erreur  sur  le  caractère  des  chàtimens  et  des  fautes  qui  les 
provoquaient,  toujours  est-il  vrai  que  les  seuls  principes  de  la  rai- 
son et  de  la  justice  naturelle  qui  avaient  cours  dans  les  écoles 
humaines,  les  avaient  amenés  à  conclure  en  faveur  de  la  certitude 
d'un  jugement  à  subir  après  la   mort.  Parcourez  les  livres    des 
poètes,  des  philosophes,  des  orateurs  du  paganisme,  partout  vous 
les  entendrez  parler  d'un  séjour  de  récompenses  pour  les  âmes 
vertueuses,  et  d'un  lieu  de  supplices  pour  les  médians  après  la 
mort.  Inexacts   dans  les  descriptions  qu'ils  nous  en  ont  laissées, 
puisqu'ils  ne  les  tenaient  que  de  leur  imagination  ou  de  souvenirs 
recueillis  de  la  lecture  de  nos  livres  saints,  toujours  supposent-elles 
ce  pressentiment  d'un  jugement  à  venir.  Ils  nous  parlent  dé  fleuves 
infernaux,  d'un  Tartare  et  de  chàtimens  divers,  auxquels  les  mé- 
dians sont  enchaînés  ;  de  Champs-Elysées ,  où  ceux  qui  ont  bien 
vécu  goi\tent  après  la  mort  des  plaisirs  purs,  au  sein  de  campa- 
gnes riantes,  parfumés    des  plus  douces  essences,   occupés    de 
danses  et  de  chants.  C'en  est  assez  pour  conclure  à  la  reconnais- 
sance d'un  état  de  bonheur  pour  les  uns,  de  malheur  pour  les 
autres  après  la  mort.  Tenez  donc  pour  certain  qu'il  y  a  un  Enfer. 
N'y  pas  croire,  c'est  s'exposer  à  l'oubli  de  tous  ses  devoirs  et  au 
danger  inévitable  de  périr  victime  de  son  incrédulité.  Aimons 
à    méditer    l'Enfer,  à    nous    entretenir    de  ses  feux;   c'est    un 
remède  amer,  mais  salutaire,  bien  propre  à  nous  guérir  de  tous 
nos  penchans  déréglés.  Vous  sentez-vous  enclin  à  la  dureté,  à 
l'insensibilité  de  cœur  à  la  vue  des  souffrances  étrangères  :  pensez 
au  châtiment  des  vierges  folles,  punies  pour  n'avoir  pas  entretenu 
dans  leurs  lampes  la   flamme  de   la  charité  ;  à  l'intempérance  : 
rappelez-vous  le  mauvais  riche,  demandant  que  Lazare  lui  soit 
envoyé  pour  rafraîchir  sa  langue  altérée,  et  ne  l'obtenant  pas. 
Sentez-vous  s'allumer  dans  votre  cœur  l'étincelle  d'une  flamme 
impure  :  songez  à  l'enfer.  (Saint  Ghrysostome  ,  Homélie  XXV.) 

Le  feu  de  l'Enfer. 

Quand  nous  vous  parlons  du  feu  de  l'Enfer,  ne  vous  figurez  pas 
un  feu  tel  que  celui  que  nous  voyons.  Celui-ci ,  allumé  par  la 
main  des  hommes,  s'amortit  par  degrés,  et  finit  par  se  consumer  et 
s'éteindre.  Le  feu  de  l'Enfer,  allumé  parle  souffle  du  Tout-Puis- 


DES    PRÉDICATEURS.  89 

sant ,  brûle  sans  relâche,  sans  nulle  altération  ,  toujours  au  même 
degré  d'activité ,  immortel ,  vraiment  inextinguible.  Le  pécheur, 
dans  les  Enfers,  est  malgré  lui-même  revêtu  de  l'immortalité.  C'est 
l'expression  de  l'Apôtre  \  immortalité  malheureuse  ,  qui  n'est  plus 
pour  lui  un  titre  de  gloire,  mais  l'instrument  de  son  éternel  sup- 
plice et  de  tortures  qu'aucun  langage  humain  ne  saurait  exprimer. 
Seulement,  pour  en  concevoir  quelque  idée,  autant  que  des  objets 
bornés  par  leur  nature  peuvent  nous  tracer  l'image  de  ceux  qui 
ne  le  sont  pas ,  cherchons  dans  l'expérience  journalière  quelques 
objets  de  comparaison.  Par  exemple,  que  l'on  vous  plonge  dans 
une  eau  bouillante,  qu'une  fièvre  ardente  se  déclare  tout  à  coup 
dans  vos  membres,  vous  frissonnez  d'horreur  et  d'épouvante  ; 
pensez  donc  au  feu  de  l'Enfer;  représentez-vous-en  les  ardeurs 
dévorantes.  Vous  ne  supporteriez  pas  ni  ce  bain  ni  cette  fièvre 
brûlante:  comment  soutiendrez-vous  ce  torrent  de  feu  qui  tombe 
du  haut  de  ce  tribunal  vengeur  du  Juge  suprême,  et  prend  sa 
source  dans  sa  divine  toute-puissance  ?  Alors ,  frémissemens , 
grincemens  de  dents  ,  supplices,  angoisses  sans  consolation  ;  nul 
secours, nul  adoucissement.  Pleur  universel,  pleur  de  tous  les  mo- 
mens  ;  montagnes  de  feu  sans  cesse  appesanties  sur  la  tête  des  ré~ 
prouvés.  Sous  leurs  yeux ,  rien  que  des  compagnons  d'infortune , 
solitude  immense,  ténèbres  effroyables,  qui  enveloppent  [leurs 
âmes  d'une  obscurité  sombre.  Le  feu  qui  règne  dans  cette  horri- 
ble enceinte  n'en  éclaire  pas  plus  l'épaisse  nuit  qu'il  ne  détruit  les 
corps  qu'il  pénètre.  Tous  les  châtimens,  toutes  les  tortures  à  la 
fois.  Le  moyen,  dit  on,  de  ne  pas  mourir  avec  d'aussi  cuisantes 
souffrances!  Vous  en  jugez  par  ce  qui  se  passe  dans  ce  monde. 
Bien  que  dans  ce  monde  même  il  ne  soit  pas  rare  de  voir  des  ma- 
lades résister  des  années  entières  aux  souffrances  les  plus  violen- 
tes, et,  quand  ils  viennent  à  succomber,  ce  n'est  pas  que  lame 
cesse  d'être,  c'est  que  le  corps  épuisé  n'en  a  pu  supporter 
plus  long-temps  la  lutte,  autrement  l'ame  se  serait  conservée 
toujours  dans  cet  état  de  souffrance  ;  mais  une  fois  réunie  à  ce 
même  corps,  devenu  par  sa  résurrection  impérissable,  rien  ne 
s'oppose  désormais  à  ce  que  la  souffrance  ne  devienne  également 
interminable.  Dans  cette  vie,  plus  les  peines  sont  vives,  moins 
elles  durent,  La  faiblesse  de  nos  corps  mortels  ne  permet  pas  une 
.  ongue  continuité  de  douleurs.  Dans  l'autre  vie,  le  corps  étant 
associé  à  l'immortalité  de  l'ame,  les  réprouvés  deviennent  capa- 
,0*68  des  douleurs  les  plus  aiguës  sans  que  leur  excès  même  en 
puisse  amener  le  terme ,  parce  que  ni  le  corps  n'est  épuisé  par  la 


go  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

souffrance ,  ni  l'essence  de  l'ame  n'est  attaquée  par  la  douleur, 
et  que  l'éternité  ne  connaît  point  de  bornes  qui  l'arrêtent. 

Est-il  donc  ici-bas  des  plaisirs  qui  méritent  d'entrer  en  balance 
avec  la  menace  d'un  Enfer  aussi  formidable  pour  sa  rigueur  et  sa 
durée?  Vous  en  jouiriez  cent  ans  et  plus!  Qu'est-ce  que  cela  en 
comparaison  d'une  infinité  de  siècles?  Les  plaisirs  de  ce  monde  ne 
sont ,  à  l'égard  des  biens  éternels ,  que  ce  qu'est  que  le  mensonge 
d'une  nuit  à  l'égard  de  toute  la  vie.  Qui  voudrait ,  pour  un  songe 
agréable,  renoncer  aux  plaisirs  d'une  vie  tout  entière?  et  ne  fau- 
drait-il pas  être  en  démence  pour  consentir  à  goûter  une  illusion 
d'un  moment,  au  prix  de  souffrances  qui  dureraient  toute  la  vie  ? 

Telle  est  la  bienfaisante  disposition  de  la  Providence,  qu'elle  a 
renfermé  le  temps  de  nos  combats  dans  une  durée  bien  courte,  et 
qui  se  termine  en  un  moment;  car  voilà  ce  que  c'est  que  la  vie 
présente  comparée  à  l'éternité.  Et  c'est  là  ce  qui  doit  faire  l'un 
des  plus  cruels  supplices  des  damnés,  de  penser  que  les  jours  de 
la  pénitence  allaient  sitôt  finir,  et  que,  faute  d'en  avoir  profité, 
ils  sont  condamnés  à  des  peines  qui  ne  finiront  pas.  (Saint  Chrt- 
sostome.) 

[Quand  on  vit  bien  on  ne  doulo  point  de  l'Enfer. 

c  S'il  est  indifférent  à  Dieu  que  nous  vivions  bien  ou  mal,  â  la 
bonne  heure,  niez  l'Enfer;  mais  s'il  est  impossible  de  méconnaître 
l'intérêt  que  Dieu  prend  à  notre  salut,  par  tous  les  moyens  qu'il 
a  pris  pour  nous  garantir  du  péché ,  pour  nous  attacher  à  la  vertu 
et  à  sa  religion,  il  faut  nécessairement  conclure  que  les  pécheurs 
seront  punis,  et  que  les  justes  seront  récompensés.  Etrange  contra- 
diction dans  nos  jugemens  humains  !  Dune  part,  on  accuse  sa  pa- 
tience à  l'égard  des  coupables  :  pourquoi  les  laisser  vivre?  pour- 
quoi ne  pas  les  punir  aussitôt?  D'autre  part,  qu'il  les  menace: 
on  se  récrie,  on  se  plaint,  on  s'emporte.  Que  l'on  s'accorde  donc 
avec  soi-même.  Si  vous  lui  trouvez  trop  de  bonté,  laissez-le  donc 
punir;  si  vous  blâmez  sa  justice,  permettez-lui  d'être  indulgent. 
Mais,  ô  folie!  ô  aveuglement  de  qui  la  source  est  dans  la  corrup- 
tion du  cœur  et  dans  le  misérable  attachement  que  l'on  porte  au 
péché!  On  ne  songerait  guère  à  tous  ces  raisonnemens,  si  l'on 
voulait  bien  vivre;  on  ne  douterait  plus  alors  qu'il  n'y  ait  un  Enfer. 
(  Saint  Chrysostome  ].) 

1  Hom.  xxi  ,  m  Epist.  ad  Rom. 


DES    PREDICATEURS.  91 

Qui  est  revenu  des  Enfers  pour  nous  apprendre  ee  qui  s'y  passe  ? 

Que  si  Ton  vous  demande  :  Qui  donc  est  venu  de  l'autre  mon- 
de pour  nous  apprendre  ce  qui  s'y  passe  ?  répondez  :  Ce  n'est  pas 
un  homme,  on  n'aurait  ni  voulu  ni  dû  croire  à  ses  récits.  Tout  ce 
qu'il  en  aurait  dit  eût  eu  l'air  d'exagération  et  d'hyperbole;  mais 
c'est  le  Seigneur  des  anges  qui  est  venu  en  personne  nousen  donner 
l'exacte  connaissance.  Vous  faut-il  des  témoignages  humains,  après 
que  le  Juge  lui-même  auquel  nous  aurons  tous  à  rendre  compte 
ne  cesse  de  nous  crier  qu'il  a  préparé  l'enfer  pour  les  méchans ,  le 
ciel  pour  les  bons ,  et  qu'il  nous  a  laissé  des  preuves  constantes 
de  ses  paroles  ?  S'il  ne  devait  pas  un  jour  juger  tout  le  monde,  il 
ne  jugerait  point  par  avance  quelques  personnes  qu'il  punit  dès 
maintenant  d'une  manière  terrible  ;car,  pour  quelle  raison  verrait- 
on  certains  coupables  impunis  ,  et  d'autres  châtiés  sévèrement  ? 
Dieu  fait-il  acception  des  personnes  ?  (  Saint  Crysostome  *,  ) 

On  demande  si  les  corps  peuvent  brûler  dans  les  Enfers  sans  être  consumés. 

Que  non  seulement  la  mort  ne  les  ait  point  anéantis  ;  mais  qu'ils 
vivent  sans  se  détruire,  au  sein  d'une  flamme  dévorante  qui,  eller 
même,  ne  meurt  pas  !  ici,  l'incrédulité  ne  veut  point  admettre  la 
toute-puissance  de  Dieu,  et  nous  demande  des  faits  qui  consta- 
tent la  possibilité  de  1  éternité  des  peines  dans  l'autre  vie.  En  sup- 
posant, nous  dit-on,  qu'il  y  ait  des  corps  d'animaux  qui  vivent 
dans  le  feu,  toujours  finissent  -  ils  par  y  mourir.  Mais  la  chose 
prouvée,  lequel  est  le  plus  difficile  à  croire,  ou  qu'ils  puissent  y 
subsister,  ou  y  subsister  sans  douleur?  C'est  quelque  chose  de 
surprenant,  sans  doute,  que  de  rester  dans  le  feu  sans  y  mourir  ; 
ce  qui  l'est  bien  davantage,  c'est  d'y  vivre  sans  en  souffrir.  Si 
pourtant  l'un  est  croyable,  pourquoi  l'autre  ne  le  serait-il  pas  ? 

Que  les  démons  subsistent  dans  les  Enfers  ,  et  qu'ils  y  soient  en 
proie  à  d'horribles  tortures ,  nous  le  savons  par  leurs  propres 
aveux.  —  Oui  ;  mais  ils  n'ont  point  de  corps.  N'importe  de  quelle 
manière;  toujours  souffrent-ils,  et  ne  meurent  pas.  Au  reste, 
quelle  raison  y1  a-t-il  de  faire  de  la  douleur  un  argument  de  mort , 
puisque  c  est  plutôt  une  marque  de  vie,  et  qu'il  est  nécessaire 
que  celui  qui  souffre  vive,  et  qu'il  ne  l'est  pas  que  la  douleur 
tue  ?  Ce  qui  fait    aujourd'hui  que    la  douleur  amène  la   mort , 

1  Hom.  vin,  in  Epïst.  ad  Thess. 


t)2  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

c'est  que  l'ame  est  tellement  unie  au  corps,  qu'elle  cède  aux 
grandes  douleurs,  et  se  retire,  parce  que  la  liaison  des  membres 
est  si  délicate  qu'elle  ne  peut  soutenir  l'effort  de  ces  deuleurs  ai- 
guës; mais  alors  l'ame  sera  tellement  unie  au  corps,  et  le  corps 
doué  d'organes,  tels  que  le  nœud  qui  les  rassemble  ne  pourra  être 
délié  par  aucun  espace  de  temps  ni  rompu  par  aucune  souffrance. 
La  mort  règne  dans  cet  affreux  séjour  ;  mais  non  telle  que  celle 
qui  sépare  notre  ame  d'avec  le  corps.  Là,  mort  éternelle  ,  parce 
que  l'ame  séparée  de  Dieu  est  privée  de  son  principe  de  vie ,  et 
qu'elle  ne  pourra  être  délivrée ,  par  la  mort ,  des  douleurs  du 
corps.  La  première  mort  cbasse  l'ame  du  corps  malgré  elle  ,  et  la 
seconde  l'y  retient  malgré  elle  ,  ou  plutôt,  quand  nous  souffrons 
ici-bas,  c'est  l'ame  qui  souffre,  et  non  pas  le  corps,  alors  même  que 
sa  douleur  lui  vient  du  corps  :  elle  peut  donc  souffrir  indépendam- 
ment du  corps  ;  pour  le  corps  il  ne  souffre  point  s'il  n'est  animé  , 
et  il  ne  peut  être  animé  s'il  n'a  une  ame.  Si  donc  la  conséquence  de 
la  douleur  à  la  mort  était  valable,  ce  serait  plutôt  à  l'ame  à  mourir, 
puisque  c'est  principalement  elle  qui  souffre.  Puisque  celle  qui  souf- 
fre davantage  ne  peut  mourir,  pourquoi  conclurait-on  que  les  corps 
des  damnés  mourront  parce  qu'ils  doivent  être  tourmentés  ? 
Pourquoi  donc  serait-il  incroyable  que  ce  feu  puisse  causer  de  la 
douleur  aux  corps  des  damnés  sans  leur  donner  la  mort ,  puisque 
nous  voyons  que  les  corps  mêmes  font  souffrir  les  âmes  sans  les 
tuer?  (  Saint  Augustin,  De  la  Cité  de  Dieu  ,  livre  XXII.) 

Erreur  des  partisans  d'Origcnc  sur  l'éternité  des  peines. 

Que  cette  source  de  bonté  s'étende,  disaient  les  partisans  d'O- 
rigène,  jusqu'aux  anges  réprouvés ,  pour  faire  cesser  leur  supplice 
au  moins  après  plusieurs  siècles  de  tortures.  Leur  pitié  pourtant 
n'ose  aller  plus  loin,  ni  passer  jusqu'à  délivrer  Satan.  Cependant, 
si  quelqu'un  voulait  aller  jusque  là  ,  sa  bonté  en  serait  encore  plus 
grande,  mais  son  erreur  n'en  serait  que  plus  pernicieuse.  . .  .  S'il 
en  était  ainsi,  les  conjectures  des  hommes  l'emporteraient  donc  sur 
la  parole  de  Dieu.  Mais  comme  la  chose  est  impossible,  ceux  qui 
veulent  être  garantis  du  supplice  éternel  ne  se  doivent  pas  occu- 
per de  disputer  contre  Dieu,  mais  accomplir  ses  commandemens 
tandis  qu'il  en  est  temps  encore.  D'ailleurs  quelle  apparence  y 
a-t-il  d'entendre  le  supplice  éternel  d'un  feu  qui  doit  durer  long- 
temps, et  la  vie  éternelle  dune  vie  qui  doit  durer  toujours?  vu 
que  Jésus-Christ ,  au  même  lieu  et  dans  une  même  période,  com- 


DES    PREDICATEURS.  g 3 

prenant  Tune  et  l'antre,  dit  :  Ceux-ci  iront  au  supplice  éternel,  et 
les  justes  dans  la  vie  éternelle.  Puisque  Jésus-Christ  déclare  l'un 
et  l'autre  éternels,  certainement  on  doit  entendre,  ou  que  l'un  et 
l'autre  dureront  long- temps,  mais  pourront  finir;  ou  que  tous 
deux  dureront  éternellement,  pour  ne  finir  jamais  ;  car  ces  deux 
états  sont  mis  en  parallèle  :  d'un  côté  le  supplice  éternel,  de  l'au- 
tre la  vie  éternelle  ;  de  sorte  qu'on  ne  peut  prétendre  sans  absur- 
dité que  dans  une  seule  expression  la  vie  éternelle  n'ait  point 
de  fin,  et  le  supplice  éternel  en  ait  une.  (Saint  Augustin,  De  la 
Cité  de  Dieu ,  livre  XX IL  ). 

Où  est  l'Enfer? 

On  nous  demande  où  est  l'Enfer.  Que  vous  importe  en  quel  lieu 
il  soit,  pourvu  que  vous  soyez  assuré  qu'il  y  en  a  un?  Cherchez, 
non  pas  où  il  est ,  mais  comment  vous  y  pouvez  échapper.  Il  n'est, 
dites-vous  ,  que  pour  les  infidèles.  Dites  plutôt  pour  le  fidèle  qui, 
connaissant  Dieu ,  l'outrage  plus  criminellement  que  l'infidèle  qui 
l'ignore.  Les  démons  connaissent  Dieu;  car  ils  tremblent  à  son  nom. 
En  sont-ils  moins  punis  ? 

I-  Où  est  l'Enfer  ?  Dans  quel  endroit  du  monde?- —  Que  vous  im- 
porte le  lieu  !  Ce  qui  vous  intéresse,  c'est  de  ne  pouvoir  douter 
qu'il  y  ait  un  Enfer.  Où  il  est?  je  ne  le  sais  pas  plus  que  vous.  Ce 
que  je  sais,  c'est  que  nous  devons  travailler  à  l'éviter.  Dieu  nous 
en  menace,  et  il  nous  le  fait  attendre  long- temps,  parce  que  sa  bonté 
suspend  les  rigueurs  de  sa  justice,  parce  qu'il  ne  veut  point  la  mort 
du  pécheur  ;  c'est  lui-même  qui  le  déclare  dans  ces  termes  ;  et  s'il 
n'y  avait  point  de  mort  à  redouter  pour  le  pécheur,  le  Dieu  de  vé- 
rité n'aurait  point  employé  cette  expression. Pensez  à  l'Enfer.  C'est 
la  pensée  toujours  présente  de  lEnfer  qui  nous  sauvera  de  l'Enfer. 

Il  n'y  aurait  pas  d'Enfer  !  Rien  à  souffrir  après  la  mort  pour  un 
Néron  !  rien  pour  cet  ennemi  de  Dieu  qui  s'élèvera  au  dessus  de 
tout  ce  qui  est\  appelé  Dieu,  ou  qui  est  adoré  jusqu'à  s'asseoir  dans 
le  temple  de  Dieu ,  voulant  lui-même  passer  pour  Dieu  ?  Rien  pour 
le  démon?  Eh!  n'y  aurait-il  pas  toujours  des  Nérons?  N'y  au- 
rait-il pas  un  antechrist  qui  viendra  consommer  le  ^mystère  de  l'ini- 
quité qui  commence  déjà  à  s  opérer?  Le  démon  peut-il  cesser  d'être 
ce  qu'il  est?  Et  toujours  coupable,  toujours  impie,  ne  doit- il  pas 
être  toujours  puni? 

Une  fièvre  de  quelques  jours  nous  cause  des  douleurs  insuppor- 
tables ;  le  seul  aspect  des  châtimens  dont  la  justice  humaine  punit 


o4  nouvelle  bibliothèque 

les  coupables  nous  glace  d'effroi,  et,  quelque  prolonge  que  puisse 
être  un  supplice  ordonné  par  les  hommes,  il  est  toujours  borné 
à  quelques  années  ;  Jésus-Christ  ne  punit  pas  pour  un  temps,  le  sup- 
plice des  réprouvés  embrassera  toute  l'éternité; 

Que  vous  pénétriez  au  fond  d'un  cachot  pour  y  voir  les  mal- 
heureux qui  y  sont  détenus  :  à  l'aspect  des  chaînes  dont  ils  sont 
garrottés,  de  la  sombre  nuit  qui  y  règne,  de  cette  vile  paille  sur 
laquelle  vous  les  voyez  étendus,  en  proie  à  toutes  les  horreurs 
de  la  faim,  de  la  nudité,  du  désespoir,  vous  frémissez,  les  plus 
vives  émotions  partagent  votre  cœur,  qui  se  déchire;  vous  vous 
promettez  bien  de  n'être  jamais  coupable  d'aucun  des  crimes  qui 
ont  provoqué  contre  ces  misérables  la  justice  humaine.  Mais  que 
la  justice  divine  vienne  à  prononcer  contre  vous  un  semblable 
arrêt,  que  ses  exécuteurs  viennent  vous  traîner  dans  ces  affreuses 
prisons  des  Enfers ,  que  deviendrez-vous  ?  Là  ce  ne  sont  pas  seule- 
ment des  chaînes  de  fer  ,  mais  des  liens  de  feu  qui  enlacent 
leurs  victimes;  là,  les  vengeances  ne  sont  plus  confiées  à  des  hom- 
mes tels  que  nous;  ils  peuvent  à  la  fin  se  montrer  accessibles  à  la 
pitié',  mais  à  des  esprits  d'une  nature  immortelle,  ministres  choisis 
par  la  colère  céleste,  exécuteurs  implacables,  dont  il  est  impossible 
de  soutenir  les  regards  toujours  enflammés;  là,  plus  de  cœurs  cha- 
ritables, compatissans,  qui  viennent  soulager  l'infortune ,  l'assis- 
ter par  leurs  aumônes,  la  consoler  du  moins  par  des  paroles  de 
paix  et  d'espérance;  plus  d'intercesseurs,  plus  d'avocats,  plus  de 
pères  qui  sollicitent  en  faveur  de  leurs  enfans,  ni  de  fils  qui  im- 
plorent la  grâce  de  leurs  pères  :  abîme  immense  entre  le  ciel  et 
l'Enfer.  Parce  que  dans  le  ciel  la  joie  qui  inonde  les  élus  ne  doit 
être  troublée  par  aucun  mélange,  ils  abandonnent  à  toute  la  co- 
lère céleste  ceux  de  qui  ils  sont  séparés;  et,  je  puis  l'affirmer ,  les 
justes  bienheureux  s'unissent  à  la  justice  divine  pour  oublier  à  ja- 
mais ceux  qui  sont  exclus  de  leur  félicité.  (  Saint  Chrysostomè  *.) 

Supplice  du  pécheur  dans  l'Enfer,  la  tuo  de  «on  peche  et  des  suileâ  de  son  péché. 

Ici,  chrétiens,  peu  s'en  faut  que  je  ne  rétracte  ce  que  j'ai  avancé, 
qu'il  vous  est  impossible  de  connaître  les  peines  de  l'autre  vie. 
Toujours  prêts  sur  ce  sujet  à  traiter  de  pieux  artifice  tous  les  ef- 
forts de  notre  zèle,  vous  pensez  qu'il  est  impossible  de  vous  for- 
mer une  idée  de  l'Enfer.  Cependant  si ,  m'attachant  à  cette  idée  de 

*  llom.  2s,  in  II  ad  Cor. 


DES    PRÉDICATEURS.  95 

l'Evangile,  il  m'était  permis  de  descendre  dans  un  détail  que  vous 
voyez  sans  doute,  mais  que  la  majesté  du  sanctuaire  m'interdit; 
s'il  m'était  permis  de  révéler  tous  les  mystères  d'iniquité,  de  placer 
chacun  vis-à-vis  de  son  péché,  je  n'aurais  besoin,  pour  vous  peindre 
l'Enfer,  que  de  ces  paroles  du  Prophète  :Peccator  videbit  et  irascetur, 
fremet  et  tabescet.  Le  pécheur  verra,  et  il  frémira  ;  et  je  vous  dirais  : 
Quel  Enfer  pour  tant  de  riches  voluptueux,  qui  n'avaient  employé 
leurs  richesses  qu'à  séduire  et  à  corrompre  ;  pour  tant  de  riches  im- 
pitoyables qui,  portant  une  ame  d'airain,  auront  fermé  l'oreille  aux 
plaintes  des  malheureux ,  employé  leur  autorité  à  ravir  leurs  dé- 
pouilles, d'entendre  s'élever  contre  eux  le  cri  de  la  fureur  et  du 
désespoir,  et  la  voix  du  sang  de  la  veuve  et  de  l'orphelin  ,  ce  sang 
qui  avait  servi  à  cimenter  leur  fortune,  et  qui  servira  d'aliment 
à  leur  rage  et  à  leur  supplice \Videblt et  irasceturl  Si,  poursuivant 
encore  et  donnant  plus  d'étendue  à  cette  pensée,  je  vous  disais  : 
Quel  Enfer  pour  vous,  pères  et  mères,  de  vous  retrouver  avec 
ce  fils  dont  votre  ambition  a  détourné  ou  forcé  la  vocation ,  pour 
l'engager  dans  un  état  où  il  s'est  perdu  ;  avec  ce  fils  que ,  par  des 
vues  d'intérêt,  vous  avez  engagé  dans  le  sanctuaire,  et  qui  en  a  fait 
le  scandale,*  avec  cette  fille,  grand  Dieu!  que  par  les  stratagèmes 
d'une  barbare  politique  vous  avez  forcée  d'entrer  dans  le  cloître, 
où  elle  a  commencé  son  enfer  :  déplorables  victimes  qui  pendant 
une  éternité  s'élèveront  contre  vous,  maudissant  leur  propre  exis- 
tence, et  la  naissance  que  vous  leur  avez  donnée,  et  le  jour  qui 
les  a  vus  naître;  vases  de  colère',  dit  le  Prophète,  sans  cesse  en 
guerre  avec  eux-mêmes  :  Vasa  irœ debellantia,  et  qui,  ne  pouvant 
s'éviter  ni  s'éloigner,  accompliront  la  parole  de  l'Ecriture,  qu'un 
jour  on  verra  le  fils  s'armer  contre  le  père ,  la  fille  contre  la  mère, 
l'épouse  contre  l'époux  :  Videbit  et  irasceturl 

Quel  Enfer  pour  cet  écrivain  impie,  fléau  des  mœurs  et  de  la 
religion ,  dont  la  plume  empoisonnée  avait  transmis  à  tous  les 
siècles  et  les  délires  de  son  esprit  et  la  corruption  de  son  cœur* 
et  pour  cette  malheureuse,  autrefois  sur  un  théâtre  profane, 
l'organe  impur  des  passions,  de  se  voir  tous  deux  abhorrés  et 
maudits  de  ceux  qui  les  avaient  le  plus  applaudis,  de  leurs  dis- 
ciples mêmes  et  de  leurs  adorateurs,  dont  ils  ont  causé  la  perte 
et  creusé  l'enfer:  Videbit  et  irasceturl 

Quel  Enfer  pour  vous,  hommes  de  scandales,  hommes  de  tant 
de  crimes  et  de  forfaits,  à  la  vue  de  tant  d'ames  que  vos  discours, 
vos  exemples,  vos  stratagèmes  ont  entraînés  dans  l'abîme!  Pour 
vous,  aines  vindicatives,  à  l'aspect  de  ces  rivaux,  de  ces  concur- 


q6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

rens  dont  vous  ne  pouvez  soutenir  la  pensée,  et  dont  il  vous  fau- 
dra toute  l'éternité  souffrir  et  la  présence  et  les  fureurs  ;  pour  vous, 
guerrier  intraitable ,  à  la  vue  de  cet  ennemi  fièrement  immolé  au 
faux  point  d'honneur,  à  qui  votre  main  parricide  a  donné  du 
même  coup  la  mort  et  l'Enfer,  et  dont  le  sang  criera  éternelle- 
ment vengeance!  Et  vous,  dieux  de  la  terre,  qui  dans  l'ivresse 
des  grandeurs ,  foulant  aux  pieds  tous  les  droits  de  la  religion  et 
de  l'humanité,  bravez  également  Dieu  et  les  hommes,  et  le  ciel  et 
l'Enfer,  quelle  sera  votre  destinée? Quel  Enfer  pour  vous  et  pour 
tant  de  complices  de  vos  désordres,  tant  de  ministres  et  de  victimes 
de  vos  passions ,  dont  la  seule  présence  vous  reprochera  tant 
d'excès  et  d'attentats,  et  leur  jeunesse  séduite,  et  leur  innocence 
prostituée,  et  leur  ame  que  vous  avez  pervertie!  Le  crime  vous 
avait  unis,  l'Enfer  vous  réunira:  des  chaînes  de  feu,  selon  l'expres- 
sion de  l'Ecriture,  pleuvront  sur  les  pécheurs  rapprochés  malgré 
eux,  brûlans  des  mêmes  feux,  déchirés  des  mêmes  remords,  l'un 
à  l'autre  leur  tourment,  l'un  à  l'autre  leur  enfer  :  Pluet  super  pec- 
catores  laqueos  ignis. 

Qu'ajouterai-je  encore  ?  Non  ,  le  discours  est  trop  faible  pour 
rendre  ces  affreuses  images.  Le  Prophète  lui-même,  ne  pouvant 
suffire  à  les  exprimer,  s'est  contenté  de  dire  que  les  réprouvés, 
dans  l'Enfer,  seront  livrés  à  l'épée  du  Seigneur:  Tradentur  in  ma- 
rins gladii;  et  c'est  sur  cette  épée  qu'Ezéchiel,  enchérissant  en- 
core sur  la  pensée  de  David,  s'est  écrié  :  Allez,  glaive,  à  droite 
et  à  gauche;  poursuivez,  frappez,  rassemblez  vos  victimes,  comme 
l'ivraie  après  la  moisson;  l'hérésiarque  avec  ses  sectateurs,  l'incré- 
dule avec  ses  disciples ,  le  libertin  avec  ses  complices ,  le  vindi- 
catif avec  son  ennemi ,  et  tous  les  pécheurs  avec  les  objets  de  leur 
péché,  afin  que  le  bras  du  Seigneur,  toujours  levé,  promenant 
sur  leur  tête  coupable  son  épée  étincelante,  les  poursuive  sans 
relâche,  et  les  enchaîne  pour  jamais  à  leur  crime  et  à  leur  sup- 
plice: Peccator  videbit  et  irascetur,  (Cambacérès.) 

Peinture  des  peines  de  l'Enfer, 

Toutefois,  chrétiens,  si,  pour  ne  rien  omettre  dans  un  si  terri- 
ble sujet,  il  faut  ajouter  un  dernier  trait  à  ce  tableau,  permettez- 
moi  une  supposition  qui  vous  surprendra,  qui  vous  révoltera  peut- 
être;  mais  qu'importe,  pourvu  que,  ne  vous  laissant  rien  à  désirer 
sur  ces  grandes  vérités,  elle  puisse  servir  à  vous  faire  comprendre 
tout  ce  que  nous  ne  saurions  exprimer.  le  suppose  donc  qu'à 


DES    PRÉDICATEUHg.  QJ 

tous  ces  différens  tourmens  j'entreprisse  d'ajouter  ce  que  l'Evan- 
gile nous  dit  des  pleurs ,  des  grincemens  de  dents,  des  hurlemens 
affreux,  et  que,  prenant  en  main  le  pinceau  des  Prophètes,  je 
vinsse  vous  représenter,  avec  Ezéchiel  et  Isaïe,  le  Dieu  des  ven- 
geances, porté  sur  le  trône  de  la  colère,  parcourant  cet  étang  de 
feu,  où  nagent  les  victimes  de  sa  justice,  semblable,  dans  sa  marche, 
au  mugissement  des  mers  irritées,  tenant  d'une  main  le  calice  de  sa 
fureur,  dont  il  verse  à  grands  flots  sur  la  tête  de  ses  ennemis  la  lie 
enflammée  qui  ne  tarit  jamais  ;  de  l'autre,  lançant  sur  eux  ses  car- 
reaux et  tous  les  traits  de  sa  jalousie  et  de  son  indignation  ;  disons 
mieux ,  si ,  ouvrant  tout  à  coup  à  vos  yeux  les  portes  de  l'a- 
bîme, il  m'était  permis  de  vous  en  montrer  une  fois  toutes  les 
horreurs,  les  ténèbres  d'une  nuit  éternelle,  les  torrens  de  fumée, 
les  tourbillons  de  flammes  ;  et  que  vous  conduisant,  pour  ainsi 
dire,  dans  ces  tristes  demeures ,  je  vous  disse:  Voyez  couler  ces  tor- 
rens de  larmes,  écoutez  ces  voix  gémissantes,  ces  cris,  ces  san- 
glots qu'enfante  le  désespoir;  entendez  ce  tonnerre  qui  retentit 
jusque  dans  toutes  les  profondeurs  de  l'abmie;  voyez  ces  éclairs 
redoublés,  dont  les  sombres  clartés  poussent  un  jour  affreux,  qui 
renaît  et  qui  fuit  sans  cesse  ;  et  les  ministres  cruels  des  vengeances 
célestes,  acharnés  sur  leurs  victimes;  partout  l'épouvante,  l'effroi, 
la  désolation. 

Cette  supposition  faite,  je  cherche  quel  en  serait  l'effet,  ce  que 
produirait  ce  tableau  de  l'Enfer,  tracé  avec  le  pinceau  des  Prophè- 
tes, avec  toutes  les  couleurs  de  l'éloquence  ;  et  je  trouve  qu'il 
vous  révolterait  au  point  que  vous  crieriez  à  l'exagération  ;  vous 
prendriez  cette  peinture  de  l'Enfer  pour  l'effet  du  délire  d'une 
imagination  échauffée,  vous  la  traiteriez  de  fiction  puérile,  de  fa- 
ble ridicule;  et  moi ,  loin  de  m'offenser  de  ce  jugement,  je  paraî- 
trais être  le  premier  à  le  confirmer,  je  consentirais  que  vous  re- 
gardassiez cette  peinture  comme  fantastique  et  frivole.  Mais  en 
même  temps  je  me  servirais  de  ce  jugement  contre  vous-mêmes, 
et  je  vous  dirais  :  Hé  bien  !  cette  peinture  de  l'Enfer,  qui  vous  pa- 
raîtrait si  révoltante,  si  incroyable,  ne  serait  cependant  qu'une 
faible  ébauche  et  comme  un  jeu  en  comparaison  de  la  réalité  ;  loin 
d'ajouter  aux  grandes  vérités  que  je  vous  ai  annoncées,  elle  ne 
ferait,  au  contraire,  que  les  affaiblir.  Pourquoi  ?  parce  qu'en  effet, 
en  vous  disant  que  l'Enfer  est  l'ouvrage  d'un  Dieu  irrité,  je  vous 
en  ai  plus  dit  que  tout  ce  que  l'esprit  humain  peut  imaginer;  et 
que  la  plus  effrayante  description  de  l'Enfer,  tracée  d'après  l'ima- 
gination des  hommes,  n'est  qu'une  faible  image  de  la  colère  de 
t,  m,  7 


g%  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Dieu,  une  ombre  en  comparaison  de  la  réalité  ;  parce  que,  ce 
qu'il  y  a  de  plus  terrible  ici ,  ce  n'est  ni  tout  ce  que  vous  pouvez 
imaginer,  ni  tout  ce  que  vous  venez  d'entendre;  mais  c'est  de 
penser  que  tout  ce  que  je  viens  de  vous  dire  n'est  rien  encore, 
et  qu'après  avoir  épuisé  tout  ce  qu'il  a  plu  à  Dieu  de  nous  en 
révéler  dans  l'Ecriture ,  il  vous  reste  toujours  à  dire  avec  David  : 
Quis  novit  polestatem  irœ  tuœ ,  et  prœ  timoré  tuo  iramtuam  clinu- 
merare P  Seigneur,  quel  mortel  peut  mesurer  votre  colère,  et 
connaître  jusqu'où  va  la  force  de  votre  bras  étendu  sur  le  pécheur? 
Vous  frappez,  nous  dit  le  Prophète,  et  la  terre,  ébranlée  sur  ses 
pôles,  frémit  jusque  dans  ses  entrailles;  vous  soufflez,  et  la  mer 
mugissante  écume  et  bouillonne;  vous  regardez,  et  les  montagnes 
fumantes  fondent  au  feu  de  vos  regards  comme  la  cire  à  l'appro- 
che d'un  brasier  enflammé.  Que  sera-ce  donc  dans  ces  prisons 
éternelles,  où  sans  cesse  votre  bouche  enverra  la  malédiction  et 
l'anathème,  vos  mains  lanceront  les  flèches  de  votre  colère  et  fe- 
ront pleuvoir  un  déluge  de  maux  ?  Congregabo  super  eos  mala ,  et 
sagittas  meas  implebq  in  eis.  Grand  Dieu  !  votre  courroux  est  un 
abîme  ainsi  que  votre  justice  ;  ce  qu'il  vous  a  plu  d'en  révéler  dans 
vos  Ecritures  porte  dans  nos  âmes  la  terreur;  que  sera-ce  de  ce 
que  nous  ne  connaissons  pas  :  Quis  novit?  Mais,  pour  achever  de 
pénétrer  nos  cœurs  de  la  crainte  de  ses  châtimens ,  ne  nous  con- 
tentons pas  d'avoir  contemplé  sa  justice  dans  la  nature  et  la  li- 
gueur des  peines  de  l'Enfer  ;  considérons-les  encore  dans  leur 
durée,  et  disons:  Justice  de  Dieu  dans  l'éternité  des  peines  de 
l'enfer.  Renouvelez  votre  attention.  (Le  même.) 

Elcînite  dos  peines  de  l'Enfer. 

Je  dis  que  Dieu  ne  saurait  ni  abréger,  ni  révoquer,  ni  modifier  l'é- 
ternité des  peines  de  l'autre  vie  ;  et  pourquoi  ?  parce  que  cette  éter- 
nité ne  nous  estpoint  annoncée  dans  l'Ecriture  comme  une  menace 
qui  laisse  toujours  à  celui  qui  la  fait  la  liberté  de  se  rétracter,  mais 
comme  un  dogme  capital,  un  des  principes  fondamentaux  delà  reli- 
gion; en  un  mot,  comme  un  article  de  notre  foi:  en  sorte  que  ce 
dogme  une  fois  ébranlé,  tous  les  autres  croulent,  et  il  n'y  a  plus  rien 
d'assuré  dans  l'Evangile.En  effet,  comment  et  dans  quels  termes  cette 
éternité  nous  est-elle  annoncée  dans  l'Ecriture?  En  même  temps 
que  les  plus  grands  événemens ,  avec  la  fin  des  temps ,  le  jugement 
futur,  l'avènement  de  Jésus-Christ,  les  récompenses  des  justes.  C'est 
en  parlant  de  ces  grands  objets  que  Jésus -Christ  y  joint  l'Enfer  et 


DES    PRÉDICATEURS.  99 

l'éternité  malheureuse,  pour  nous  apprendre  qu'il  est  aussi  certain 
que  les  peines  de  l'Enfer  sont  éternelles,  qu'il  est  vrai  que  le  monde 
doit  finir,  que  Jésus-Christ  doit  venir ,  qu'il  y  aura  un  dernier  juge- 
ment, que  les  récompenses  desjustes  seront  éternelles.  Ce  n'est  donc 
point  ici  une  peine  comminatoire,  c'est  un  dogme  qui  a  pour  garans 
tous  les  autres  dogmes  de  la  foi;  ce  n'est  point  seulement  un  maître 
qui  veut  épouvanter,  c'est  un  juge  qui  statue  et  qui  prononce;  ce 
n'est  point  une  menace,  une  vaine  terreur  qu'on  veut  inspirer,  mais 
l'arrêt  et  la  sentence  définitive  d'un  Dieu  dont  la  parole  est  sacrée 
et  infaillible.  Par  conséquent,  tout  s'oppose  en  Dieu  à  ce  qu'il  y 
porte  aucune  modification  :  son  immutabilité,  parce  qu'il  n'ajamais 
varié,  surtoutdans  ses  châtimens;  le  péché  du  premier  homme  allume 
son  tonnerre,  il  ne  s'éteint  plus,  toute  sa  postérité  est  condamnée  à 
la  mort  et  à  la  douleur,  et  l'arrêt  s'exécute,  sans  que  la  suite  des 
siècles  change  rien  à  sa  volonté  suprême  :  sa  vérité  s'y  oppose,  parce 
qu'il  s'y  est  engagé  par  serment ,  et  que  bien  loin  délaisser  jamais 
entrevoir  dans  l'Ecriture  qu'il  veuille  modifier  l'éternité  des  peines, 
il  déclare  que  tout  passera,  excepté  sa  parole;  que  le  ciel  et  la  terre 
passeront  plutôt  qu'un  seul  point  de  la  loi  ne  s'efface:  sa  sagesse  s'y 
oppose,  parce  que  si  la  conjecture  et  l'interprétation  sont  permises 
sur  un  point  de  la  loi  ,  pourquoi  ne  l'étendrait-on  pas  à  d'autres  ? 
si  c'est  pour  la  durée  des  peines,  c'est  aussi  pour  leur  nature;  si 
c'est  pour  une  partie,  c'est  peut-être  aussi  pour  toutes;  dès  lors  plus 
de  principe,  plus  de  dogme  certain,  et  de  toute  la  parole  de  Dieu,  il 
ne  restera  que  ce  qui  plaît  au  caprice  de  l'homme  :  sa  sainteté  enfin 
s'y  oppose,  parce  que  ceYpie  Dieu  doit  avoir  le  plus  en  horreur,  c'est 
le  péché,  Dieu  et  le  crime,  Dieu  et  le  péché  étant  à  jamais  incom- 
patibles. Or,  ôtez  l'éternité  des  peines,  et  la  haine  que  Dieu  a  jurée 
au  péché  ne  sera  plus  éternelle;  par  conséquent  il  faudra,  dit  saint 
Chrysostôme,  qu'un  jour  Dieu  place  au  même  rang  ceux  qui  l'ont 
toujours  offensé  et  ceux  qui  l'ont  toujours  aimé,  les  plus  grands 
saints  avec  les  plus  grands  scélérats;  ceux  qui  ont  établi  la  religion 
avec  ceux  qui  l'ont  combattue,  et  qu'un  jour  on  voie  dans  le  ciel  les 
tyrans  à  côté  des  martyrs,  Néron  avec  saint  Paul,  Judas  avec  Jésus- 
Christ  :  Stabit  ergo  cum  Nerone  Paulus ,  imb  diabolus  cum  Christo; 
blasphème   aussi    injurieux    à    Dieu  qu'absurde  aux  yeux   de    la 
raison.  Concluons  donc  qu'il  est  aussi  certain  que   les  peines   de 
l'Enfer  sont  éternelles,  qu'il  est  vrai  que  Dieu  est  vrai,  sage ,  saint, 
immuable;    et  qu'il  n'est  pas  plus  libre  de  rien    changer   sur   Ce 
point,  qu'il  ne  l'est  de  tromper  et  de  manquer  à  sa  parole.  Car  voilà 
dit  Saint  Grégoire,  où  tendent  tous  les  raisonnemens  des  pécheurs 


$fâtf?i+* 


IOO  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

sous  prétexte  de  garantir  la  bonté  ou  la  grandeur  de  Dieu ,  ils 
ne  craignent  pas  de  le  faire  auteur  du  mensonge  :  Dum  satagunt 
perhibere  misericordem  ,  non    verentur  prœdicare  fallacem. 

Mais  où  est  la  justice  qu'un  péché  d'un  moment  soit  puni  d'un 
supplice  sans  fin  ?  Seconde  difficulté,  que  notre  faible  raison  nous 
fait  regarder  comme  le  plus  fort  argument  contre  la  réprobation 
éternelle,  sans  penser  qu'il  est  faux,  qu'il  est  même  absurde  de 
prétendre  qu'il  soit  contre  l'équité  de  punir  un  péché  d'un  mo- 
ment d'un  supplice  sans  fin.  Pourquoi?  parce  que,  dans  aucun 
crime,  ce  n'est  jamais  sa  durée  qu'on  punit ,  mais  sa  nature,  son 
énormité;  et  si  celui  qui  a  violé  les  lois  et  la  justice  des  hommes  pour 
un  crime  d'un  instant  est  puni  d'une  mort  et  d'une  infamie  éter- 
nelles, que  doit-ce  être  de  celui  qui  a  outragé  la  majesté  divine,  pro- 
fané les  lois  les  plus  saintes? 

Et  ne  dites  pas  que  ce  parallèle  n'est  point  juste,  que  cette  sé- 
vérité de  la  justice  humaine  est  nécessaire  pour  maintenir  les  droits 
de  la  société,  la  majesté  des  lois,  l'ordre  et  l'économie  politique; 
je  vous  répondrai  :  et  le  maintien  de  la  religion,  des  devoirs  envers 
Dieu,  de  son  culte,  de  ses  autels  ,  de-  ses  lois,  que  deviendra-t- 
il  ?  comment  subsisteront-ils,  sans  cette  éternité  de  peines?  J'en 
appelle  aux  libertins  eux-mêmes  ;  qu'ils  nous  disent  par  où  a 
commencé  le  désordre  de  leur  conduite?  N'est-ce  pas  toujours  par 
le  doute  sur  l'éternité  malheureuse  ?  Quand  est-ce  qu'ils  ont 
commencé  à  être  tranquilles  dans  le  crime  et  à  braver  toutes  les 
lois  de  la  religion?  N'est-ce  pas  lorsqu'ils  n'ont  plus  craint,  qu'ils 
n'ont  plus  vu  devant  leurs  yeux  l'éternité  malheureuse?  Une  fois 
que  ce  dogme  commence  à  être  ébranlé  et  à  s'affaiblir  dans  une 
ame,  que  lui  reste-t-il  pour  l'arrêter  dans  le  torrent  de  l'iniquité? 
C'est  donc  une  suite  infaillible  et  nécessaire  que,  perdant  la  crainte 
desjugemens  éternels,  elle  se  relâche  à  proportion  de  la  pratique 
de  tous  ses  devoirs,  qu'elle  les  abandonne  entièrement,  et  finisse 
par  se  perdre  elle-même  dans  les  opinions  et  les  systèmes  impies  ? 
Il  est  donc  impossible  qu'il  y  ait  un  Dieu  et  une  religion  si  vous 
détruisez  l'éternité  des  peines;  ou,  pour  mieux  dire,  il  y  aura  un 
Dieu  et  point  d'adorateurs;  des  autels  et  point  de  culte;  une  reli- 
gion et  point  de  disciples  ;  des  lois  et  point  d'obéissance;  et  ce 
dogme  qui  paraît  d'abord  si  incompréhensible,  si  injuste  aux  yeux 
de  la  raison,  devient,  à  l'examen  et  à  la  réflexion,  le  plus  juste  et 
le  plus  nécessaire,  comme  la  sauve-garde  de  la  religion  et  le  garant 
de  toutes  ses  lois. 

Mais  ce  qui  semble  rendre  l'éternité  évidemment  injuste,  c'est 


DES    PRÉDICATEURS.  ÎOI 

qu'elle  mettrait  une  égalité  de  peines  là  où  il  y  aurait  inégalité  de 
crimes.  Est-il  juste,  par  exemple,  que  le  païen  qui  a  ignoré  soit 
puni  comme  le  chrétien  qui  a  profané;  que  l'honnête  homme  qui 
n'a  eu  que  des  faihlesses  soit  traité  comme  l'impie  qui  n'a  eu  que 
des  vices;  l'impie  comme  l'athée;  le  débauché  comme  l'hypocrite; 
le  voluptueux  comme  le  sacrilège  ?  C'est  pourtant  ce  que  produi- 
rait cette  éternité  de  peines  ;  elle  est  égale  pour  tous  les  coupables  ; 
elle  confondrait  tous  les  crimes,  donc  elle  est  injuste. 

Prenez  garde,  chrétiens,  voilà  sur  ce  sujet ,  le  plus  grand  effort 
de  l'esprit;  voilà  le  raisonnement  qui  au  premier  aspect  paraît  le 
plus  convaincant,  le  plus  invincible,  et  qui ,  cependant,  un  peu 
approfondi,  devient  une  preuve  déplus  en  faveur  de  l'éternité  des 
peines  ;  et  comment  ?  le  voici:  c'est  que  l'Ecriture  a  pris  soin  de 
distinguer  différens  degrés  des  peines  de  l'Enfer;  elle  nous  avertit 
expressément  qu'on  demandera  plus  à  celui  qui  aura  plus  reçu  ; 
qu'au  jour  des  vengeances  Tyr  et  Sidon  seront  traitées  moins  sé- 
vèrement queBethsaïde;  qu'au  dernier  jour  ceux  qui  viendront  des 
contrées  éloignées,  c'est-à-dire  les  plus  infidèles ,  auront  un  sort 
plus  doux,  plus  favorable  que  ceux  qui,  éclairés  des  lumières  de 
la  foi,  les  auront  méprisées;  qu'on  éprouvera  des  souffrances  dans 
la  vie  future  à  proportion  qu'on  aura  eu  de  délices  et  de  voluptés 
dans  la  vie  présente;  que  les  puissans  en  iniquités  seront  puissam- 
ment tourmentés  :  voilà  ce  que  l'Ecriture  a  eu  grand  soin  de  nous 
apprendre  en  plusieurs  endroits.  Or,  je  demande  pourquoi  cette 
attention  ,  si  les  peines  n'avaient  pas  dû  être  irrévocablement  éter- 
nelles ?  Si  leur  durée  avait  dû  être  proportionnée  au  crime,  l'Ecri- 
ture, par  ce  seul  mot,  aurait  mis  à  couvert  la  justice  de  Dieu  ;  et  il 
n'était  plus  besoin  de  nous  avertir  que  chacun  souffrirait  en  raison 
de  son  péché,  ni  de  distinguer  différens  degrés  de  peines  dans  le 
royaume  de  la  vengeance  ,  comme  différentes  demeures  dans  la 
maison  du  Père  céleste.  La  mesure  du  temps  aurait  répondu  à  tout, 
satisfait  à  toutes  les  difficultés,  et  lEcriture  l'aurait  expressément 
déclaré.  Au  contraire,  elle  nous  assure  qu'après  ce  siècle,  il  n'y 
a  plus  de  rémission  à  espérer  ;  que  dans  l'Enfer  il  n'y  a  nulle  ré- 
demption; que  la  mort  dans  le  péché  nous  sépare  à  jamais  de  Dieu; 
donc,  encore  une  fois,  l'objection  se  tourne  ici  en  preuve,  et  puis- 
qu'il doit  y  avoir ,  selon  l'Ecriture,  inégalité  dans  les  peines  de 
l'autre  vie ,  il  n'y  en  a  point  dans  la  durée,  et  toutes  les  subtilités 
de  notre  raison  ,  loin  d'ébranler  cette  vérité ,  ne  servent  qu'à  en 
mieux  confirmer  la  vérité. 

Mais  venons  au  point  essentiel  :  Dieu  est  bon ,   dit-on  ,  il  est 


102  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

tout  amour  ;  il  est  le  Père,  le  Sauveur  des  hommes  ;  le  moyen  de 
penser,  de  concevoir  qu'un  père  tendre  et  bienfaisant  puisse  livrer 
ses  créatures  à  des  tourmens  éternels  ?  Le  moyen  ?  c'est  de  com- 
parer ses  bienfaits  avec  ses  châtimens  ;  ce  que  son  amour  a  fait 
pour  vous,  avec  ce  que  sa  justice  vous  prépare  ;  et,  par  ce  paral- 
lèle ,  voyez  si  la  bonté  même  de  Dieu  ne  devient  pas  une  preuve 
de  plus  de  l'éternité  malheureuse.  Oubliez  donc,  j'y  consens, 
tout  ce  que  vous  venez  d'entendre  ;  pour  un  moment  ne  pensons 
plus  à  l'Enfer,  et  regardez  du  coté  du  Calvaire  :  voyez-y  un  Dieu  en- 
touré de  bourreaux,  un  Dieu  dégradé,  anéanti  au  point  d'expirer 
dans  le  dernier  supplice ,  un  Dieu  qui  meurt  pour  vous  sur  une 
croix.  Retournez  maintenant  à  l'Enfer,  et  voyez-y  le  pécheur  mal- 
heureux pour  l'éternité  ,  condamné  J\  souffrir  une  éternité  pour 
avoir  rendu  inutiles  la  mort  let  les  souffrances  d'un  Dieu,  pour 
avoir  foulé  à  ses  pieds  son  corps  et  son  sang.  Jésus  sur  la  croix, 
le  pécheur  dans  l'Enfer Je  me  tais  :  prononcez  vous- 
même. 

Et,  en  effet,  pour  mettre  cette  preuve  dans  tout  son  jour,  re- 
marquez, dit  saint  Bernard,  que,  quoique  cette  éternité  de  peines 
soit  un  mystère  incompréhensible  pour  notre  raison  ,  sans  elle  la 
religion  deviendrait  presque  incroyable  ,  et  serait  un  mystère  en 
quelque  sorte  plus  incompréhensible  que  cette  éternité  même. 
Supposons,  en  effet,  que  le  péché  n'eût  point  mérité  des  peines 
éternelles  ;  supposons  que  l'homme  coupable  envers  son  Dieu  eût 
été  assuré  de  rentrer  en  grâce ,  et  d'obtenir  son  pardon  après  un 
certain  temps  d'expiation  dans  l'autre  vie,  que  devient  alors  ce 
grand  bienfait  de  l'incarnation  ?  Où  était  la  nécessité  qu'un  Dieu 
lui-même  quittât  le  ciel ,  vînt  s'incarner  sur  la  terre  ,  naître,  souf- 
frir et  mourir  pour  le  genre  humain,  si  le  genre  humain  n'avait 
point  encouru  une  mort  et  un  anathème  éternels  ?  où  serait  ici  la 
proportion  entre  la  fin  et  les  moyens,  entre  la  dignité  du  Rédemp- 
teur et  le  fruit  de  la  rédemption,  entre  le  prix  de  la  victime  offerte 
et  celui  de  la  grâce  obtenue  ?  Quoi  !  je  vois  des  siècles  entiers  de 
miracles,  de  promesses,  d'événemens  pour  annoncer  un  Messie;  cent 
Prophètes  envoyés  aux  hommes  pour  leur  faire  sentir  la  grandeur 
de  leur  malheur  et  la  nécessité  d'un  libérateur  ;  un  Dieu  enfin  qui 
vient  se  faire  homme  pour  vaincre  et  terrasser  les  puissances  de 
de  l'Enfer  ;  c'est-à-dire  tous  les  miracles  à  la  fois  ,  toutes  les  lois 
de  la  nature  forcées,  toute  la  puissance  divine  épuisée,  pour  ainsi 
dire  j  le  ciel  et  la  terre  dans  l'étonnement,  à  la  vue  d'un  Dieu  ré- 
duit à  toutes  les  bassesses  de  l'humanité;  d'un  Dieu  dans  une 


DES    PHÉDICATEXJRS.  Io3 

crèche,  sur  une  croix,  dans  un  tombeau  ;  son  sang  répandu  jus- 
qu'à la  dernière  goutte  pour  le  salut  des  hommes  ,  et  tant  de  pro- 
diges sans  autre  objet  que  de  délivrer  l'homme  d'une  peine  tem- 
porelle! Quoi  !  des  mérites  infinis  de  la  part  d'un  Dieu  incarné, 
pour  n'effacer  qu'une  disgrâce  et  un  démérite  bornés  de  la  part  de 
l'homme  ;  des  souffrances  infinies  de  la  part  d'u^i  Dieu  pour  le  pé- 
ché de  1  homme,  et  l'homme  condamné  seulement  pour  son  péché 
à  des  souffrances  passagères  et  finies  ;  un  sacrifice  infini  dans  sa 
nature  ,  dans  son  prix,  dans  ses  effets  ,  tandis  que  dans  l'homme 
il  n'y  aurait  eu  à  expier  qu'une  offense  limitée  dans  sa  nature', 
dans  ses  suites,  dans  sa  punition!  Encore  une  fois  ,  où  serait  l'é- 
galité, la  proportion  ,  la  convenance,  j'ai  presque  dit,  la  sagesse 
et  la  grandeur  de  Dieu  ?  Non  ,  reprend  saint  Bernard,  dans  cette 
supposition  je  ne  connais  plus  rien,  ni  dans  la  religion  ,  ni  dans 
lemystère  de  l'Incarnation;  je  n'yvoisplusni  accord,  ni  harmonie, 
je  n'y  vois  que  le  sang  d'un  Dieu  versé  presque  inutilement  et 
sans  une  raison  suffisante.  Mais  lorsque  je  vois  que  l'offense  que  le 
péché  fait  à  Dieu  est  infinie  ,  que  la  haine  de  Dieu  pour  le  péché 
est  éternelle ,  qu'il  y  a  entre  Dieu  outragé  et  l'homme  coupable 
une  séparation,  un  éloignemont  éternel  et  invincible  pour  l'hom- 
me ;  lorsque  je  vois  tout  le  genre  humain  enveloppé  d'une  malé- 
diction éternelle,  plongé  dans  l'abîme  d'une  éternité  malheureuse, 
des  feux,  un  Enfer,  des  supplices  éternels  ;  alors  je  conçois  qu'un 
Dieu  peut  s'attendrir  sur  le  sort  de  sa  créature  ,  qu'il  ne  faut 
rien  moins  que  tout  le  sang  d'un  Dieu  pour  éteindre  ces  flammes 
éternelles,  ouvrir  le  ciel,  fermer  l'Enfer  ;  en  un  mot,  qu'il  faut 
une  grande  victime  et  des  mérites  infinis  pour  arracher  l'homme 
à  des  peines  éternelles  et  infinies.  Je  comprends  enfin  que  l'hom- 
me n'a  plus  le  droit  de  murmurer  ,  ni  d'accuser  la  bonté  divine  , 
s'il  retombe  dans  son  premier  malheur  j  qu'après  tous  ces  mira- 
cles d'amour  ,  de  tendresse,  de  miséricorde  incompréhensible  de 
la  part  de  Dieu  dans  le  temps,  sa  justice  a  acquis  le  droit  d'être 
incompréhensible  dans  l'éternité.  Tout  se  lie  alors  ,  tout  s'expli- 
que dans  la  religion  ;  la  justice  de  Dieu  reconnue ,  sa  bonté  sau- 
vée, sa  grandeur  assurée  ;  et,  pour  croire  l'Enfer  il  ne  faut  qu'un 
coup  d'oeil  sur  le  Calvaire.  (Le  même.) 

La  colère  de  Dieu  est  sans  bornes  dans  les  Enfers. 

Dieu  nous  préserve  d'avoir  à  subir  jamais  tous  les  maux  dont  sa 
puissance  est  en  état  de  frapper  le  pécheur  !  Dieu  a  des  trésors  in- 


lo4  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

épuisables  de  châtiment  et  de  colère;  sa  colère  est  sans  bornes 
comme  sa  miséricorde.  Si  nous  devons  espérer  dans  l'une,  nous 
devons  aussi  trembler  des  rigueurs  de  l'autre.  Combien  aujour- 
d'hui disent,  comme  l'impie  Pharaon  :  Je  ne  sais  pas  qui  est 
Dieu ,  je  ne  le  connais  point.  Ils  apprendront  un  jour  à  le  connaî- 
tre. Ce  n'est  point  la  mer  qui  sera  leur  tombeau,  comme  elle  le 
tut  de  ce  prince  et  de  toute  son  armée.  C'est  un  abîme  de  feu,  oui, 
de  feu,  à  quoi  le  nôtre  n'a  rien  de  comparable;  un  océan  enflam- 
mé qui  les  engloutira  ;  ce  sont  des  vagues  brûlantes  qui  les  enve- 
lopperont ,  semblables  à  des  montagnes  élevées  sur  leurs  têtes ,  et 
sans  cesse  retombant  sur  leurs  victimes  pour  les  inonder,  les 
écraser  de  leur  poids ,  les  pénétrer  de  profondes  et  cuisantes  dou- 
leurs. Moins  subtiles  ,  moins  cruelles  sont  les  blessures  du  serpent 
attaché  à  sa  proie.  Rappelez-vous  avec  quelle  fureur  les  feux  de  la 
fournaise  de  Babylone  saisirent,  pour  les  absorber,  les  malheureux 
que  Nabuchodonosor  y  fit  précipiter;  ce  n'était  qu'un  feu  maté- 
riel et  sensible;'  mais  là,  feu  surnaturel  qui  brûle  sans  anéantir, 
et  conserve  ceux  qu'il  dévore.  Quand  les  Prophètes  nous  parlent 
de  ce  jour  terrible  :  Le  jour  du  Seigneur  est ,  disent-ils,  un  jour  iné- 
vitable et  sans  remède,  un  jour  plein  de  colère  et  dejureur  *,  Plus 
de  secours  à  attendre  ;  plus  d'espérance  ni  de  miséricorde;  plus  de 
Jésus-Christ;  l'aspect  de  ce  visage  auguste  et  serein  est  interdit  à 
jamais.  De  même  que  ceux  qui  sont  condamnés  aux  mines  se 
voient  livrés  à  des  geôliers  impitoyables,  qui  écartent  sévèrement 
de  leur  présence  toutes  les  personnes  qu'ils  aimeraient  encore  à 
voir,  et  dont  la  vue  adoucirait  leurs  supplices ,  ainsi  les  réprouvés 
n'ont  sous  leurs  yeux  que  leurs  éternels  bourreaux.  Les  infortunés 
bannis  de  leur  patrie,  enchaînés  à  des  travaux  cruels,  du  moins 
il  peut  leur  rester  encore  des  amis,  des  proches,  qui  sollicitent  en 
leur  faveur  et  implorent  de  la  clémence  du  souverain  le  terme  ou 
l'allégement  de  leurs  souffrances.  Mais  là  il  n'est  pas  possible  : 
point  de  trêve,  point  de  fin  à  des  peines  dont  l'imagination  elle- 
même  ne  saurait  calculer  l'énergie.  Comment  donc  pourrions- 
nous  les  détruire,  quand  la  parole  et  la  pensée  de  l'homme  ne 
peuvSfat  les  atteindre,  moins  encore  les  exprimer?  Ici  le  feu 
anéantit  en  un  moment  le  corps  que  Ton  y  jette;  mais,  dans  les 
Enfers,  on  brûle,  on  souffre  immortel  et  sans  cesse  se  survivant  à 

soi-même 

Que  deviendrons-nous  donc  dans  cet  épouvantable  séjour  ?  Je 

*  Is.,  xni,  7. 


DES    PRÉDICATEURS.  lo5 

dis  nous ,  car  je  ne  détache  pas,  mes  frères ,  ma  cause  de  la  vôtre. 
N'abusez  pas  de  mes  paroles  pour  me  répondre:  Si,  vous,  qui 
êtes  notre  maître,  notre  guide  ,  vous  n'échapperez  point  à  la  con- 
damnation ,  à  quoi  bon  travail  lerai-je,  moi,  à  m'en  garantir?  Ce 
serait  là ,  mes  frères ,  une  stérile  et  bien  dangereuse  consola- 
tion. L'Ange  prévaricateur  était  d'une  nature  bien  supérieure  à  la 
nôtre  ;  c'était  une  intelligence  spirituelle  ,  son  orgueil  l'a  préci- 
pité dans  les  enfers.  Serait-ce,  dites-moi,  une  consolation  d'être 
associé  à  son  châtiment?  Le  peuple  égyptien  voyait  la  main  du 
Seigneur  appesantie  sur  les  grands  du  royaume  ;  le  deuil  dans  cha- 
que maison ,  la  mort  entassant  partout  les  victimes.  Parce  que  la 
calamité  était  générale,  la  sentaient-il  moins?  Au  contraire, 
fuyant  cette  épée  de  feu  qui  les  poursuivait ,  ils  allaient  en  foule 
trouver  leur  Pharaon  pour  le  conjurer  de  renvoyer  les  Hébreux. 
Dites  à  un  homme  déchiré  par  une  maladie  aiguë  que  d'autres 
souffrent  encore  plus  que  lui,  daignera- t-il  seulement  écouter  une 
aussi  inepte  consolation?  Occupé  qu'il  est  du  mal  qui  le  tour- 
mente il  ne  pense  guère  aux  autres.  Loin  donc  de  votre  pensée 
un  aussi  futile  espoir.  On  peut  bien,  dans  une  légère  douleur,  cher- 
cher quelque  adoucissement  dans  ces  sortes  de  comparaisons; 
mais,  quand  le  mal  est  à  son  comble,  la  souffrance  [absorbe  l'ame 
tout  entière ,  au  point  qu'elle  n'a  pas  le  loisir  de  se  reconnaître 
elle-même ,  et  devient  inaccessible  à  toute  consolation.  Alors 
même  l'aspect  d'une  douleur  étrangère  ne  fait  qu'accroître  le  dé- 
sespoir ;  et  c'est  ce  que  témoigne  assez  ce  grincement  de  dents  dont 
il  est  parlé  dans  l'Evangile. 

Ce  langage  vous  fait  peine;  mais  que  voulez-vous  que  je  fasse? 
Plût  à  Dieu  que  vous  et  moi  nous  vécussions  de  manière  à  n'obli- 
ger pas  les  prédicateurs  de  l'Evangile  de  traiter  un  semblable 
sujet!  Mais,  pécheurs  comme  nous  le  sommes,  et  endurcis  dans  le 
péché ,  il  faut  bien  que  nous  cherchions  à  vous  réveiller  de  votre 
funeste  assoupissement,  à  vous  inspirer  une  terreur  et  une  tris- 
tesse salutaires.  Et  c'est  là  tout  le  but  de  ce  discours.  Hélas!  s'il 
allait  être  encore  infructueux,  vous  n'en  seriez  que  plus  sévère- 
ment punis.  Serviteurs  rebelles  aux  menaces  de  votre  maître  ,  quel 
rigoureux  châtiment  n'auriez-vous  pas  àredouter  de  son  juste'cour- 
roux?  Toutes  les  fois  que  nous  vous  parlons  de  l'Enfer,  pénétrez- 
vous  d'une  sainte  componction  ;  bien  loin  d'en  être  attristés,  vous 
éprouverez  quelque  joie  à  en  entendre  parler;  comment  ?  parce 
que  l'effroi  résultant  de  la  pensée  de  l'Enfer,  de  ses  feux  dévorans, 
de  ses  horribles  tortures ,  excitera  dans  vos  cœurs  le  désir  sincère 


106  NOUVELLE  B1BLIOTIIÈQUE        ^ 

de  les  éviter  ,  en  vous  tenant  clans  la  défiance  de  vous-mêmes,  en 
vous  détachant  de  la  terre,  en  vous  donnant  le  courage  de  triom- 
pher de  vos  criminelles  habitudes.  (Saint  Chrysostome  1.) 

S'il  n'y  avait  pas  d'Enfer,  il  n'y  aurait  point  de  frein  contre  le  crime. 

Nous  avons  sous  les  yeux  le  tableau  journalier  des  plus  effroya- 
bles calamités  :  ceux-ci  meurent  de  faim,  ceux-là  sont  consumés 
par  de  lentes  maladies,  d'autres  traînent  dans  la  misère  leur  déplo- 
rable existence,  en  proie  à  des  maux  sans  consolation  et  sans  remède. 
Où  serait  la  justice  de  Dieu  de  punir  ceux-ci,  de  laisser  ceux-là 
impunis?  Pourquoi,  vous  qui  êtes  pécheurs,  n'ètes-vous  pas  du 
nombre  des  premiers?  Si  c'est  sa  bonté  qui  l'empêche  de  vous  châ- 
tier, la  même  bonté  ne  devait-elle  pas  épargner  les  autres?  Pour- 
quoi donc  ces  châtimens  qu'il  appesantit  sur  les  uns ,  quand  les 
autres  en  sont  exempts?  Afin  que  l'aspect  des  supplices  partiels 
qu'il  fait  subir  à  quelques  uns  apprenne  à  tous  la  vérité  de  ses 
menaces.  Vous  résistez  à  ses  menaces  tant  qu'elles  ne  sont  qu'en 
paroles;  il  produit  sous  vos  yeux  des  témoignages  éclatans  de  ses 
vengeances,  afin  que  le  spectacle  des  calamités  étrangères  vous 
apprenne  ce  que  vous  avez  à  craindre  pour  vous-mêmes.  N  é- 
taient-ce  que  des  menaces  que  ce  déluge  dont  il  inonda  la  terre, 
que  ces  feux  sous  lesquels  il  engloutit  Sodome,  que  ces  eaux  de 
la  mer  renversées  sur  l'armée  tout  entière  des  Egyptiens  pour  les 
ensevelir  dans  ses  abîmes,  que  ces  maux  auxquels  les  Juifs  fu- 
rent livrés  en  punition  de  leur  déicide?  Jésus-Christ  s'est  vengé 
comme  il  l'avait  prédit.  Pour  ce  qui  est  de  ceux  qui  n'ont  point 
'voulu  m* avoir  pour  roi,  amenez-les  ici,  avait-il  dit,  et  les  tuez  de- 
vant  moi  2.  Parce  que  les  événemens  qui  ne  sont  plus  sous  nos 
yeux  ne  font  plus  d'impression  sur  nous,  il  les  renouvelle  de  siè- 
cle en  siècle  pour  inspirer  aux  générations  contemporaines  un 
salutaire  effroi,  et  justifier  l'avenir  par  les  leçons  du  passé. 

A  la  bonne  heure,  dites-vous,  que  l'on  soit  puni;  mais  par  un 
supplice  éternel,  quand  la  faute  a  été  si  courte  !  Une  telle  ri- 
gueur peut-elle  s'allier  ave  la  bonté  de  Dieu? — Le  paralyti- 
que de  l'Evangile  se  trouvait  perclus  de  tous  ses'  membres  de- 
puis trente-huit  ans.  Quel  était  son  crime  pour  avoir  mérité 
un  si  long  supplice  ?  Pourtant  il  n'était  pas  innocent ,  puisque 
le  Sauveur ,  en  lui  rendant  la  santé, "t  lui  dit  ;  Vous  voilà  guéri,  ne 

1  Ilom.  xliii,  in  Matin,  —  *  Luc,  xix,  27. 


DES    PRÉDICATEURS.  IOJ 

péchez  plus1.  —  Mais  à  la  fin  il  est  guéri,  tandis  qu'il  n'y  a  point 
ici,  répliquez-vous,  de  remède  à  espérer. —  Il  est  vrai ,  car  c'est 
Jésus-Christ  lui-même  qui  l'affirme  :  Le  ver  cjuilcs  ronge  ne  meurt 
point;  le  feu  qui  les  brûle  ne  s' éteindra  jamais1"1:  et  encore:  Ceux-ci 
iront  dans  une  vie  éternelle,  et  ceux-là  dans  un  feu  éternel  3.   Si 
donc  il  y  a  une  vie  qui  ne  doit  plus  finir,  ni  le  supplice  non  plus 
ne  peut  plus  finir,  douteriez-vous  de  la  vérité  de  sa  parole  ?  Mais 
laquelle  de  ses  prédictions  est  restée  sans  etfet?  Vous  pécheriez 
sans  en  être  punis!  Jésus-Christ  vous  annonce  le  contraire;  il  vous 
a  prédit  que  l'abus  de  ses  grâces  serait  châtié  par  les  plus  rigou- 
reux supplices.  Et  quelles  grâces  ne  vous  a-t-il  pas  ménagées  pour 
échapper  à  ce  châtiment  terrible  dont  il  vous  menace  !  Régénération 
par  le  baptême,  rémission  de  vos  péchés,  après  le  baptême,  par  la  péni- 
tence; facilité  dans  l'exécution  de  ses  commandemens,  pour  en  pré- 
venir la  violation  :  et  quand  vous  perdez  le  fruit  de  son  sang,  vous 
vous  étonnez  d'être  punis!  Un  Enfer  éternel  pour  un  crime  d'un 
moment!  A  vous  entendre,  le  démon  lui-même  n'aurait  donc  pas 
à  subir,  pour  un  crime  d'un  moment,  les  feux  de  l'Enfer,  contre 
la  parole  de  Jésus-Christ  :  Allez  au  feu  éternel  qui  a  été  préparé 
pour  le  démon  P  S'il  n'y  a  point  d'Enfer  avec  ses  feux  dévorans,  il 
n'y  a  point  non  plus  de  châtiment  pour  le  démon.  Rebelles  comme 
lui,  nous  avons  donc  à   craindre  d'être  châtiés  comme   lui.  Vous 
m'allez  répondre  :  L'on  conçoit  un  lieu  de  récompense  pour  les 
bons  ,  on  ne  conçoit  pas  un  lieu  de  supplices  pour  les  médians. — 
Voilà  donc  l'impudique  et  l'adultère  traités  de  la  même  manière 
que  celui  qui  aura  vécu  dans  l'innocence  et  dans  la  sainteté!  Né- 
ron sur  la  même  ligne  que.Paul.  Je  dis  plus  :  Le  démon  lui-même, 
insultant  l'Apôtre ,  est  mieux  traité  que  lui.  Les  démons  eux-mê- 
mes n'oseraient  point  tenir   un  pareil  langage;  car  vous  les  en- 
tendez, dans  l'Evangile,  dire  à  Jésus-Christ  :  Etes-vous  venu  nous 
tourmenter  avant  le  temps?  Pourquoi  publieraient-ils  qu'il  y  a  des 
tourmens  s'il  n'y  en  avait  point?  et  comment  se  fait  il  que  vous 
ne  craigniez  pas  ce  qui  fait  trembler  les  démons  ? 

S'il  n'y  avait  point  d'Enfer,  quel  frein  y  aurait- il  contre  le  crime  ? 
Si  nous  voyons  aujourd'hui  ceux  qui  croient  a  la  vérité  d'un  juge- 
ment à  venir,  d'un  lieu  de  supplices  éternels  pour  les  méchans, 
ne  renoncer  qu'avec  peine  à  leurs  criminelles  habitudes,  que  se- 
rait-ce s'ils  étaient  affranchis  de  cette  crainte,  lorsque  non-seule- 


!  Jean,  v,   14.—  2  Marc,  ix,  43.  —  3  Matth.,  xxv,   46. 


108  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

nient  ils  n'auraient  plus  d'inquiétude  à  cet  égard, mais  qu'ils  au- 
raient droit  d'espérer  le  royaume  du  ciel  pour  récompense  d'une 
vie  passée  dans  le  crime  ?  (  Saint  Ghrysostôme  *.  ) 

Le  feu  de  l'Enfer  est  éternel. 

f  Tremblez,  mes  frères,  à  la  menace  de  ce  mot  terrible  :  Un  feu 
qui  ne  s  éteindra  jamais.  Un  feu,  dites-vous,  qui  ne  s'éteindra  ja- 
mais !  Gomment  cela  se  peut-il  faire  ?  Mais  comment  se  fait-il  que 
le  soleil  qui  est  sous  vos  yeux  soit  toujours  ardent  et  qu'il  ne  s'é- 
teigne jamais?  Un  feu  qui  brûle  sans  se  dévorer?  Rappelez- vous 
le  buisson  ardent  que  Moïse  vit  sur  le  mont  Sinaï.  Si  donc  vous 
voulez  éviter  ce  feu  si  redoutable,  faites-vous  de  sa  miséricorde 
un  rempart  qui  vous  défendra  contre  ses  atteintes.  Croyez  bien 
ce  que  nous  vous  disons,  et  vous  ne  serez  pas  à  même  de  voir  la 
lueur  de  cet  horrible  incendie  ;  mais,  si  vous  vous  obstinez  dans  vo- 
tre incrédulité  ,  vous  n'éviterez  pas  d'en  faire  une  personnelle  ex- 
périence. Croyez,  et  vivez  en  conséquence;  car  il  ne  vous  suffirait 
pas  de  le  croire;  les  démons  eux-mêmes  croient  et  ils  tremblent. 
Ils  n'en  sont  pas  moins  tourmentés  dans  ces  flammes  dévorantes. 
Vous  vous  réunissez  dans  nos  églises,  n'est-ce  que  pour  y  entrer? 
Si  vous  n'en  rapportez  pas  quelque  fruit,  votre  assiduité  même  ne 
servira  de  rien.  Sont-ce  les  maîtres  qui  vous  manquent?  Vous  avez 
ici  et  les  Prophètes  et  les  Apôtres,  et  les  Patriarches,  et  tous  les 
Justes,  de  qui  nous  vous  proposons  la  vie  pour  modèle.  Mais  qu'ar- 
rive-t-il  ?  Après  que  vous  avez  chanté  machinalement  quelques 
psaumes,  récité  quelque  prière  sans  piété,  et  comme  au  hasard, 
vous  croyez  en  avoir  assez  fait  pour  vous  sauver.  N'entendez-vous 
pas  ce  que  dit  le  Prophète,  ou  plutôt  le  Seigneur  lui-même  par 
la  bouche  de  son  Prophète  :  Ce  peuple  m'honore  des  lèvres,  mais 
son  cœur  est  loin  de  moi  2  ?  Oracle  effrayant!  voulez- vous  y  échap- 
per? Effacez  de  votre  esprit  ces  caractères  de  mort  que  le  démon 
y  a  gravés,  ces  affections  mondaines  qui  vous  assiègent  continuel- 
lement; apportez  ici  un  cœur  libre,  dégagé  de  ces  tumultueuses 
dissipations,  afin  que  j'y  puisse  imprimer  sans  obstacle  ce  dont  je 
demande  à  le  pénétrer.  Je  n'y  vois  que  des  caractères  de  mort , 
imprimés  par  la  main  de  l'ennemi,  l'avarice,  les  rapines,  l'artifice, 
l'envie,  les  jalousies,  tous  caractères  étrangers  et  confus  qui  me 
sont  inconnus,  rien  de  ce  que  je   m'efforce  d'y  graver  par  mes 

'    *  Hom.,  xxv,  in  Epist.  ad  Rom.  —  9  Is.,  xxix,  13. 


des  rnEDicATEuns.  109 

exhortations;  et  quand  j'ai  pu  parvenir  à  en  imprimer  de  nou- 
veaux, par  l'Esprit  de  Dieu ,  vous  allez  bientôt  après  vous  re- 
mettre à  l'école  du  démon ,  afin  qu'il  y  retrace  les  siens.  (  Saint 
Ghrysostome  K  ) 

Péroraisoft. 

Ecoutez ,  ô  vous  dont  le  cœur  est  brûlé  par  des  flammes  impu- 
res ;  écoutez  ,  vous  tous  qui  vivez  dans  le  péché.    Toutes  les  fois 
qu'une  parole  obscène  ou  déshonnête  viendra  se  présenter  sur 
vos  lèvres  ,  rappelez- vous  ce   grincement  de  dents ,  dont  l'Evan- 
gile vous  menace  ;  et  la  pensée  de  l'Enfer  sera  un  frein  qui  vous 
arrêtera.  Montez  au  Calvaire;  voyez  tout  ce  que  vous  avez  coûté 
à  Jésus-Christ,  pour  vous  arracher  à  la  mort  éternelle  ,  et  pensez 
aux  conséquences  terribles  qu'entraînerait  votre  ingratitude.   Que 
la  tentation  du  bien  d'autrui  vous     surprenne  :  prêtez  l'oreille  à 
cette  effroyable  sentence  du  juge:    Qu'on  lui  lie  les  pieds  et  les 
mains  ,  qu'on  le  jette  dans  les  ténèbres  extérieures  2  ;   et  votre  ava- 
rice s'amortira.  Vous  êtes  livré  à  l'intempérance  ;   écoutez  le  mau- 
vais riche  crier  des  enfers  :  Père  Abraham,  envoyez  Lazare,  afin 
que  du  bout  du  doigt  il  me  rafraîchisse  la  langue  qui  brûle  dans 
ces  flammes ,  sans  que  néanmoins  je  reçoive  cette  consolation. 
Cette  salutaire  pensée  vous  ramènera  à  la  sobriété.   Vous  recher- 
chez les  plaisirs  et  les  délicatesses  :  représentez-vous  cette  éternité, 
ces  angoisses  :  et  vous  renoncerez  à  vos  sensualités.  L'amour  de 
l'argent  ferme  vos  mains  aux  supplications  du  pauvre  :  entendez 
les  vierges  folles  demander  vainement  qu'on  leur  ouvre  la  porte 
du  festin  nuptial ,  et  vous  apprendrez  à  être  compatissant  et  libé- 
ral envers  les  pauvres.  Vous  êtes  engourdi  dans  les  langueurs  de 
l'oisiveté  :  rappelez-vous  le  serviteur  châtié  pour  avoir  enfoui  son 
talent ,  et  une  sainte  ferveur  remplacera  votre  léthargie  accoutu- 
mée.   Pensez,  pensez  tous,  qui  que  vous  soyez  ,  à  ce  ver  qui  ne 
meurt  point,  à  ce  feu  qui  ne  se  consumera  jamais;  et  vous  ne  trouve- 
rez plus,  ni  le  péché  invincible,  ni  les  commandemens  de  Dieu 
si  difficiles.  Eussiez-vous  mille  morts  à  souffrir  pour  éviter  l'En- 
fer ,  n'hésitez  pas.    Point  de  sacrifice  qui  doive  vous  coûter  pour 
mériter  un  jour  de  jouir  de  la   gloire  de  Jésus  -  Christ.  (  Saint 
Chrysostome  3.) 

1  Hom.  Xi,  fa  Malth,  —  a  Matth.,  xxii.  — » 5  Hom.  xi,  in  Epist,  ad  Cor, 


HO  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 


PLAN  ET  OBJET    DU   SECOND  DISCOURS 
SUR  L'ENFER. 


EXORDE. 


Morluus  est  autem  et  dives,  et  sepuhus  est  in  Inferno. 
Or,  le  riche  mourut  aussi,  et  il  fut  enseveli  clans  l'Enfer.  (  Luc,  c.  16.) 

C'est  le  triste  sort  d'un  riche  du  monde,  dontilétait  parlé  dansl'E- 
vangile  d'hier,  et  je  ne  fais  pas  difficulté  de  le  reprendre  aujourd'hui, 
ce  même  Evangile,  pour  en  tirer  un  des  plus  terribles  ,  mais  des 
plus  irnportans  sujets  que  puissent  traiter  les  prédicateurs  dans  la 
chaire  de  vérité.  Il  mourut,  ce  riche,  ce  mondain, comblé  de  biens 
dans  la  vie,  et  comblé  même  d'honneurs  après  la  mort  ;  car  il  est  à 
croire  qu'on  lui  fit  de  magnifiques  funérailles  ,  qu'on  porta  son 
corps  en  pompe  et  en  cérémonie,  qu'on  lui  érigea  un  superbe 
mausolée  ;  et  peut-être  ,  tout  pécheur  qu'il  avait  été,  se  Irouva-t-il 
encore  des  orateurs  pour  faire  publiquement  son  éloge,  et  pour 
lui  donner  la  gloire  des  plus  grandes  vertus.  Mais  le  malheur 
pour  lui,  et  le  souverain  malheur,  c'est  qu'au  même  temps  que 
les  hommes  l'honoraient  sur  la  terre  ,  on  lui  rendait  ailleurs  jus- 
tice ;  et  que  son  ame  portée  devant  le  tribunal  de  Dieu  y  reçut 
l'arrêt  de  sa  condamnation  ,  et  fut  tout  à  coup  comme  ensevelie 
dans  l'Enfer  :  affreuse  image  de  ce  qui  n'arrive  que  trop  commu- 
nément aux  riches  et  aux  grands  du  siècle  I  Mortuus  est  autem  et 
clives  et  sepultus  est  in  Inferno.  Que  ne  puis,-je,  chrétiens  ,  en  vous 
représentant  toute  l'horreur  de  cette  damnation  éternelle,  vous 
apprendre  à  la  craindre  et  à  l'éviter!  Prêcher  l'Enfer  à  la  cour, 
c'est  un  devoir  du  ministère  évangélique,  et  à  Dieu  ne  plaise  que, 
par  une  fausse  prudence,  ou  par  un  lâche  assujétissement  au  goût 
dépravé  de  ses  auditeurs,  le  prédicateur  passe  une  matière  si  es- 
sentielle ,  et  ce  point  fondamental  de  notre  religion!  N'est-ce  pas 
même  à  la  cour,  plus  que  partout  ailleurs,  que  cette  grande  ma- 
tière doit  être  traitée  ,  et  traitée  dans  toute  sa  force  ,  puisque  c'est 
à  la  cour  qu'on  est  le  plus   exposé  à  la  malheureuse  destinée  du 


DES    PREDICATEURS.  III 

mauvais  riche  ?  Je  ne  viens  point  vous  donner  de  vaines  terreurs  ; 
je  ne  prétends  rien  exagérer,  ni  rien  outrer.  Dans  la  chaire  sainte 
où  je  parle,  il  n'est  jamais  permis  de  le  faire,  et  la  vérité  que  je 
vous  annonce  est  déjà  si  terrible  par  elle-même,  qu'il  suffit,  pour 
vous  remplir  d'une  salutaire  frayeur,  de  vous  la  proposer  dans  la 
simplicité  de  la  foi  ;  c'est  ce  que  je  vais  faire  dans  ce  discours,  après 
que  nous  aurons  salué  Marie  :  Ave,  Maria. 

C'était  une  question  que  Dieu  faisait  autrefois  à  Job  ,  si  jamais 
les  portes  de  laxnortlui  avaient  été  ouvertes,  et  s'il  avait  vu  ces 
prisons  ténébreuses  où  les  âmes  criminelles  doivent  éternellement 
subir  les  rigoureux  châtimens  de  sa  justice:  JSumquid  apertœ  sunt 
tibi  portée  moiiis  et  ostia  tenebrosa  vidisti  i  ?  Peut-être  ce  saint 
homme, 'tout  éclairé  qu'il  était,  ne  put-il  répondre  à  celte  de- 
mande  ;  car  l'Ecriture  nous  apprend  que  Jésus  -  Christ  seul  devait 
ouvrir  ces  portes  de  l'Enfer  et  de  la  mort  ;  et  c'est  ainsi  qu'il  s'en 
est  déclaré  lui-même  dans  l'Apocalypse,  en  nous  disant  qu'il  a  dans 
les  mains  les  clefs  de  la  mort  et  de  l'Enfer:  Ego  habeo  chwesmortiset 
7«/è/7i/2.Mais  depuis  que  cet  Homme-Dieu  nousa  apporté  ces  clefs 
mystérieuses,  depuis  qu'il  nousa  fait  l'ouverture  de  ces  lieux  de 
ténèbres ,  et  que  ,  par  les  divins  oracles  de  son  Evangile  ,  il  nous 
a  révélé  tout  ce  qui  se  passe  dans  la  triste  demeure  des  damnés, il 
ne  tient  qu'à  nous  d'en  avoir  une  connaissance  parfaite.  Si  donc 
maintenant  Dieu  nous  demandait  à  nous-mêmes  :  Numquid  aper- 
tœ sunt  tibi  portœ  mortis  ,  et  ostia  tenebrosa  vidisti?  Avez-vous 
vu  cet  abîme  où  je  tiens  les  impies  enfermés,  pour  exercer  sur  eux 
toutes  mes  vengeances  ?  nous  serions  inexcusables  de  ne  pas  lui 
répondre  :  Oui,  Seigneur,  je  l'ai  vu;  je  l'ai  considéré,  j'en  ai  fait 
le  sujet  de  mes  plus  sérieuses  réflexions  ,  et  j'en  ai  tiré  toutes  les 
lumières  qui  peuvent  servir  à  la  conduite  de  ma  vie.  C'est  ce  que 
je  veux  encore  aujourd'hui,  chrétiens,  vous  remettre  sous  les  yeux 
pour  l'édification  de  vos  âmes  ;  je  veux  vous  faire  voir  ce  que  c'est 
que  l'Enfer,  en  quoi  consistent  les  tourmens  de  l'Enfer,  quels  sont 
les  propriétés  essentielles  des  tourmens  de  l'Enfer;  et  parce  que 
ce  sujet  est  infini,  je  me  borne  à  la  pensée  du  Pape  Innocent  llf 
dans  son  excellent  Traité  du  mépris  du  monde  ,  où  il  nous  dit  que 
les  réprouvés  souffrent  en  trois  manières  différentes  ;  savoir  :  par 
le  souvenir  du  passé,  par  la  douleur  du  présent ,  et  par  le  déses- 
poir d'obtenir  jamais  grâce  dans  l'avenir:  His  vermis  tripliciter  lace- 
ans  affliget  memoria,  torquebit  angustia,  sœva  turbabit  pœnitentia. 

*  Job.,  33.  —  2  Apoc,  1. 


II2  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUB 

Le  souvenir  du  passé  les  déchire  ,  la  douleur  du  présent  les  acca- 
ble ,  la  vue  de  l'avenir  les  désespère.  En  trois  mots ,  voilà  le  par- 
tage de  ce  discours:  état  malheureux  du  réprouvé  que  le  passé  dé- 
chire par  les  plus  mortels  regrets,  que  le  présent  accable  par  la 
cruelle  douleur,  que  l'avenir  désole  par  le  plus  affreux  déses- 
poir; est-il  un  sujet  plus  digne  de  votre  attention  ?  (  Bourdaloue  ,' 
Sur  r Enfer.) 

Le  souvenir  du  passé  déchire  le  pécheur  en  Enfer. 

C'est  le  souvenir  du  passé  qui  doit  faire  la  première  peine  des 
âmes  réprouvées  :  souvenir  qui  les  tourmentera  vivement,  qui  les 
tourmentera  éternellement,  qui  les  tourmentera  sans  interruption 
et  sans  relâche,  qui  les  tourmentera  sans  partage  et  sans  division, 
qui  les  tourmentera  en  toutes  les  manières  qu'un  Dieu,  aidé  de 
sa  toute-puissance,  est  capable  de  lui  suggérer;  mais  ce  qu'il  y  a 
de  plus  déplorable,  qui  n'aura  point  d'autre  effet ,  en  les  tourmen- 
tant ,  que  de  les  faire  souffrir  et  de  les  tourmenter.  Voilà ,  chrétiens, 
la  première  idée  que  je  conçois  de  l'état  d'une  ame  dans  l'Enfer,  et 
de  sa  réprobation.  Fili,  recordare  quia  recepùsli  bona  in  vita  tua  *  : 
Souvenez-vous,  mon  fils,  dit  Abraham  au  riche  malheureux,  que 
vous  avez  eu  les  biens  de  la  vie  ;  mais  souvenez-vous  en  même 
temps  de  l'abus  que  vous  en  avez  fait.  Deux  vues ,  reprend  saint 
Chrysostôme,  bien  affligeantes  pour  un  damné.  La  vue  des  biens 
dont  il  aura  fait  un  si  criminel  usage,  et  la  vue  des  maux  qu'il  aura 
commis.  L'une  et  l'autre,  suivant  le  dessein  de  Jésus-Christ,  éga- 
lement nécessaires  pour  arrêter  les  emportemens  de  nos  passions, 
et  pour  nous  affermir  dans  les  voies  de  la  sagesse  chrétienne. 

Première  vue  qui  tourmentera  le  réprouvé  :  les  biens  de  la  terre 
qu'il  possédait ,  et  dont  il  faisait  le  prétendu  bonheur  de  sa  vie , 
mais  qui,  par  le  plus  triste  changement,  feront  son  supplice  et  lui 
causeront  les  plus  mortels  regrets;  ce  ne  sera  pas  de  les  avoir  perdus; 
car,  quelque  attachement  qu'il  y  ait  eu,  il  ne  sera  pas  en  état  d'en  être 
touché,  et  n'en  connaîtra  que  trop  la  vanité  et  le  néant,  mais  de  les 
avoir  aimés  préférablement  à  son  salut  éternel,  mais  de  s'en  être  servi 
contre  Dieu,  mais  de  les  avoir  employés  à  se  perdre  soi-même.  Ah  ! 
dira  ce  riche,  déchiré  du  plus  cruel  et  du  plus  vif  repentir,  car  c'est 
ainsi  que  le  Saint-Esprit  fait  parler  les  réprouvés  dans  l'Ecriture  : 
Si  j'avais  ménagé  selon  Dieu  ces  biens  de  la  fortune;  si,  confor- 

*  Luc,  16. 


DES    PRÉDICATEURS.  Il3 

jncment  aux  lois  du  Christianisme  et  aux  obligations  de  mon  état, 
j'en  avais  assisté  les  pauvres  ;  si,  par  un  zèle  de  religion  et  de  cha- 
rité, je  les  avais  partagés  entre  Jésus-Christ  et  moi;  si,  les  regar- 
dant comme  des  talens  dont  je  n'avais  que  la  simple  administra- 
tion, je  les  avais  fait  profiter,  en  les  appliquant  aux  œuvres  de 
miséricorde  et  de  piété;   si,  comme  un  dispensateur  fidèle,  j'en 
avais  rapporté  le  fruit  au  service  et  à  la  gloire  du  maître  de  qui 
je  les  tenais,  et  qui  me  les  avait  confiés;  cesbie-ns,  dont  la  mort 
m'a  dépouillé,  seraient  maintenant  pour  moi  un  trésor  de  mérites 
et  un  fonds  de  bonheur  pour  l'éternité.  Les  hommes  m'en  loue- 
raient sur  la  terre,  et  Dieu  m'en  récompenserait  dans  le  ciel.  Mais 
parce  qu'un  désir  insatiable  damasser  et  d'avoir  me  les  a  fait  re- 
tenir impitoyablement  malgré  les  misères  de  tant  de  pauvres,  à  qui 
je  n'en  ai  point  fait  part;  mais  parce  qu'un  luxe  immodéré,  et  sans 
autre  règle  que  l'esprit  du  monde,  me  les  a  fait  prodiguer  en  des 
dépenses  vaines  et  superflues;  mais  parce  qu'un  assujétissement 
honteux  à  mes  sens  me  les  a  fait  consumer  en  des  excès  et  en  des 
intempérances  criminelles;  mais  parce  qu'une  détestable  ambition 
de  me  pousser  et  de  m'élever,  ou  une  passion  aveugle  d'enrichir  des 
enfans  et  des  héritiers  qui  sont  aujourd'hui  des  libertins ,  et  peut- 
être  des  ingrats ,  me  les  a  fait  rechercher  contre  toutes  les  lois  de 
la  justice  et  aux  dépens  de  ma  conscience,  il  faut  que  ces  mêmes 
biens,  où  je  mettais  toute  mon  espérance  et  toute  ma  félicité, 
deviennent  mes  propres  bourreaux. 

Pensée  d'autant  plus  désolante,  que,  faisant  ensuite  la  plus 
triste  comparaison,  il  se  retracera  l'idée  de  ce  souverain  bien  qu'il 
aura  perdu,  et  pourquoi?  pour  des  biens  périssables  et  passagers. 
Cette  conviction  sensible  qui  lui  restera,  et  qui  lui  sera  toujours 
présente,  qu'il  a  perdu  son  vrai  bien,  son  unique  bien,  pour  de 
faux  biens,  et  même  de  faux  biens  dans  l'estime  des  hommes,  pour 
un  vain  intérêt  qui  l'a  aveuglé ,  pour  un  honneur  chimérique  et 
imaginaire  dont  il  s'est  entêté,  pour  un  plaisir  sensuel  et  brutal  à 
quoi  il  s'est  abandonné;  le  dépit  mortel  qu'il  en  concevra  contre 
lui-même,  et  qui  lui  fera  dire  avec  bien  plus  de  sujet  qu'au  fils 
de  Saùl  :  Gustans  gustavi  paululum  mellis ,  et  ecce  morior  *;  pour 
quelques  douceurs  que  j'ai  goûtées,  quelques  plaisirs  que  ma  rai- 
son me  disputait ,  et  dont  ma  conscience  m'a  presque  ôté,  par  ses 
reproches ,  tout  le  sentiment,  je  me  vois  condamné  à  boire  le  ca- 
lice de  la  colère  de  Dieu,  ce  calice  de  fiel  et  d'amertume,  ce  calice 

*  I,  Reg.  14. 

T.     ITI.  8 


I  i4        -  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

qu'il  a  détrempé  dans  sa  fureur,  et  qu'il  réserve  à  ses  ennemis  : 
tout  cela,  encore  une  fois,  fera  connaître  dans  son  ame  ce  ver 
intérieur  qui  le  rongera  :  Recordare ,  quia  recepisti  bona  in  vita 
tua.  Ainsi  nous  nous  servons  dans  la  vie  des  biens  de  Dieu  contre 
Dieu;  et  Dieu,  à  son  tour,  s'en  servira  contre  nous;  et,  comme 
nous  en  faisons  les  instrumens  de  notre  malice  pour  l'offenser,  il 
en  fera ,  dit  saint  Grégoire ,  les  instrumens  de  sa  justice  pour  nous 
punir.  Et  cela,  comment  ?  toujours  par  la  pensée  et  le  souvenir  : 
Recordare. 

Mais  si  l'abus  des  dons  naturels  et  des  biens  de  la  terre  doit  faire 
dans  l'ame  du  pécheur  une  impression  si  violente,   que  sera-ce 
de  l'abus  des  grâces  et  des  dons  surnaturels,  qui,  pesé  au  poids 
du  sanctuaire  de  Dieu  et  par  rapport  à  la  damnation,  aura  des 
conséquences  encore  bien  plus  funestes  ?  Car ,  qui  peut  dire  quelle 
sera  la  désolation  d'un  réprouvé,  lorsqu'il  se  représentera  à  lui- 
même  (or,  il  se  le  représentera  toujours)  combien  de  secours 
combien  de  moyens  de  salut  il  se  sera  rendus  inutiles ,  combien 
de  lumières  il  aura  étouffées ,  combien  d'inspirations  il  aura  reje- 
tées,  combien  de  sacremens  il  aura  négligés  ou  profanés;  à  com- 
bien d'instructions,  à  combien  de  remontrances  il  sera  endurci;  à 
combien  d'exemples  il  aura  été  insensible,   soit  par  une   force 
d'esprit  prétendue,  dont  il  se  piquait  dans  son  impiété,  soit  par 
une  lâcheté  et  une  délicatesse  qu'il  ne  s'est  jamais  efforcé  de  vain- 
cre? Ah  !  si  j'avais  seulement  été  fidèle  à  une  partie  de  ces  grâces 
dont  Dieu  me  prévenait;  si  j'avais,  pour  suivre  la  voix  qui  m'ap- 
pelait, et  qui  m'appelait  si  souvent,  qui  m'appelait  si  fortement, 
renoncé  à  l'esclavage  du  monde  et  de  la  chair,  je  me  serais  sanc- 
tifié, j'aurais  part  à  l'héritage  des  enfans  de  Dieu ,  je  posséderais 
avec  eux  le  même  royaume  :  mais  parce  que  je  les  ai  reçues  en 
vain,  ces  grâces  si  précieuses,  parce  que  je  les  ai  reçues  avec  in- 
différence et  sans  aucun  retour,  parce  que  je  les  ai  méprisées, 
parce  que  je  les  ai  même  combattues,  et  que  par  mon  obstination 
elles  ne  m'ont  pas  attiré  ni  converti  à  Dieu ,  elles  s'élèvent  contre 
moi  pour  me  persécuter  et  pour  venger  Dieu.  Au  lieu  de  ces  saintes 
tristesses,  au  lieu  de  ces  saints  remords,  au  lieu  de  ces  contritions 
salutaires  et  vivifiantes  qu'elles  devaient  exciter  dans  mon  cœur, 
elles  me  causent  à  présent  des  remords,  mais  des  remords  qui  me 
déchirent;  elles  me  causent  des  tristesses,  mais  des  tristesses  qui 
m'accablent;  elles  me  causent  des  repentirs,  mais  des  repentirs 
qui  me  percent,  qui  me  transportent,  qui  vont  jusqu'à  la  fureur, 
jusqu'à  la  rage  :  Piecordare* 


; 


DES  PREDICATEURS.  IIJ 

Or,  puisque  Dieu  fera  servir  jusqu'à  ces  grâces  pour  tourmenter 
le  pécheur,  jugez  de  là  ce  qu'il  aura  à  souffrir,  ce  pécheur  ré- 
prouvé ,  du  souvenir  et  de  la  vue  de  ses  crimes ,  dont  la  propriété 
la  plus  naturelle  est  de  devenir  le  supplice  de  ceux  mêmes  qui 
les  ont  commis.  Non,  non,  dit  saint  Ghrysostôme,  il  ne  faudra 
point  de  démons  ,  point  de  spectres  pour  faire  de  l'Enfer  un 
lieu  de  tourmens.  Ce  que  chacun  y  apportera  de  crimes,  voilà 
les  démons  auxquels  il  sera  livré.  Ces  impuretés  abomina- 
bles, ces  injustices  énormes,  ces  profanations  des  choses  sain- 
tes, ces  mépris  déclarés  de  Dieu,  ces  haines  invétérées  contre 
le  prochain ,  ces  perfidies  et  ces  trahisons ,  ces  artifices  de  l'hypo- 
crisie, ces  scandales  de  l'athéisme,  ces  emportemens  de  la  ven- 
geance, ces  raffinemens  de  la  médisance,  ces  noires  impostures 
de  la  calomnie,  tant  d'autres  iniquités  dont  je  ne  puis  faire  le  dé- 
nombrement, ce  sont  là  les  monstres  qui  investiront  le  réprouvé 
qui  l'assiégeront ,  qui  le  saisiront  des  plus  vives  frayeurs. 

Et  il  n'est  pas  absolument  nécessaire  d'être  chrétien  pour  être 
persuadé  de  ce  que  je  dis,  puisque  les  païens  eux-mêmes  l'ont  re- 
connu ,  et  qu'ils  en  ont  fait  la  matière  de  leurs  fables.  Or,  ce  que 
nous  appelons  leurs  fables,  comme  remarque  fort  bien  saint  Au- 
gustin ,  n'était  au  fond  rien  autre  chose  que  les  mystères  les  plus 
sublimes  de  leur  théologie,  et  les  principes  les  mieux  établis  de 
leur  morale.  Ils  ne  les  proposaient  aux  peuples  que  sous  des  fic- 
tions ;  mais  ces  fictions  renfermaient  la  même  vérité  que  la  foi  nous 
enseigne;  et,  malgré  le  libertinage  des  athées  qui  vivent  aujour- 
d'hui parmi  nous ,  ces  infidèles  du  paganisme  nous  rendent  un 
témoignage  tout  conforme  à  celui  des  Prophètes  et  des  Apôtres, 
savoir  :  qu'il  y  a  un  Enfer,  et  qu'une  des  grandes  peines  de  l'Enfer 
sera  d'avoir  péché  et  de  s'être  souillé  de  crimes  danslavie:iteco/Y/a/'£. 

Mais  ces  rimes  ne  seront  plus ,  il  est  vrai ,  reprend  saint 
Bernard,  ils  ne  [seront  plus  dans  la  réalité  de  leur  être,  mais  ils 
seront  encore  dans  la  pensée  et  dans  le  souvenir.  Or,  c'est 
par  le  souvenir  et  par  la  pensée  qu'ils  feront  souffrir  une 
ame  réprouvée  de  Dieu  :  Transierunt  a  manu,  sed  non  tran- 
sierunt  à  mente.  Ils  ne  seront  plus,  ajoute  ce  Père,  mais  ils 
auront  été,  et  il  ne  sera  plus  au  pouvoir  ni  du  pécheur  ni  de 
Dieu  même,  qu'ils  n'aient  pas  été.  Or,  ils  ne  tourmentent  ni 
dans  l'Enfer  ni  sur  la  terre,  que  parce  qu'ils  ont  été;  et  de  là  vient 
qu'ils  tourmentent  lors  même  qu'ils  ne  sont  plus,  ou  plutôt  qu'ils 
ne  commencent  à  tourmenter  que  quand  ils  ne  sont  plus.  Et  parce 
que  n'être  plus  et  avoir  été  sont  les  deux  termes  infinis  qui  égale- 

8. 


ltQ  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

ront  l'éternité  de  Dieu,  et  qui  subsisteront  dans  leur  manière  de 
subsister  autant  que  Dieu  sera  Dieu,  ces  crimes,  qui  ont  été  et 
qui  ne  seront  plus,  auront,  s'il  m'est  permis  de  parler  ainsi,  une 
activité  éternelle  dans  l'Enfer  pour  tourmenter  le  réprouvé.  Ils  ne 
l'ont  contenté  qu'un  moment  pendant  qu'il  les  commettait,  et  ils 
le  tourmenteront  éternellement  quand  il  ne  les  commettra  plus  : 
Pourquoi?  belle  raison  de  saint  Augustin;  parce  que  chaque  cbose, 
dit-il,  agit  selon  l'étendue  de  sa  durée.  Or,  le  présent  qui  fait  le 
plaisir  du  pécheur,  combien  est-il  présent?  un  instant,  et  rien  da- 
vantage ;  et  voilà  pourquoi  le  pécheur  l'a  si  peu  goûté  ;  au  lieu 
que  le  passé  qui  le  tourmentera  sera  toujours  passé,  et  que,  comme 
passé ,  n'ayant  point  de  fin,  il  faudra,  par  une  nécessité  indispen- 
sable, qu'il  se  fasse  toujours  sentir  :  In  œternum  ergo  necessc  est 
cruciet,  conclut  admirablement  saint  Bernard  ,  quod  in  œternum 
te  fecisse  memineris.  Voyez ,  poursuit  il ,  ce  qui  arrive  tous  les 
jours  à  une  ame  innocente,  lorsque,  par  une  fragilité  malheu- 
reuse ,  elle  vient  à  oublier  Dieu  et  à  s'oublier  elle-même.  Cette 
femme  avait  de  l'honneur,  elle  avait  aimé  jusque-là  son  devoir; 
mais  enfin  une  poursuite  opiniâtre  l'a  fait  succomber  :  quel 
repentir,  quelle  douleur,  quelle  confusion  de  sa  lâcheté,  quelle 
horreur  de  son  crime  !  Elle  voudrait  le  pouvoir  racheter  aux 
dépens  de  mille  vies;  et  si  la  chose  était  encore  au  point 
d'en  délibérer,  il  n'y  aurait  point  de  mort  qu'elle  n'acceptât  plu- 
tôt que  de  donner  un  si  criminel  et  un  si  honteux  consentement  ; 
mais  il  n'y  a  plus  de  retour,  et  toujours  il  sera  vrai  qu'elle  s'est 
abandonnée  à  l'infamie  e\,  à  l'opprobre  du  péché.  Voilà  ce  qui 
produit  et  ce  qui  entretient  ce  fonds  d'amertume  qu'elle  porte 
quelquefois  jusqu'au  tombeau.  Voyez  ce  qui  arrive  à  un  homme 
emporté,  lorsque,  dans  l'ardeur  de  sa  passion,  il  commet  une  ac- 
tion noire,  un  homicide,  un  assassinat;  à  peine  a-t-il  fait  le  coup, 
que  son  esprit  se  trouble,  que  ses  sens  s'égarent,  qu'il  n'a  plus  de 
paix,  presque  plus  de  raison.  Que  ne  ferait-il  pas,  que  ne  donne- 
rait-il pas,  que  ne  serait-il  pas  prêt  à  endurer  pour  être  encore  à 
commettre  ce  qu'il  a  commis ,  et  ce  qu'il  n'est  plus  en  état  de  ré- 
parer? Or,  ce  n'est  là  qu'une  figure,  qu'une  ombre  de  l'Enfer,* 
parce  que  d'avoir  péché  sera  quelque  chose  d'éternel,  il  faudra, 
par  une  dure  mais  juste  loi ,  que  le  tourment  le  soit  aussi,  et  que 
l'ame  soit  malheureuse  pour  jamais,  parce  qu'elle  ne  cessera  ja- 
mais de  se  souvenir  qu'elle  a  été  un  moment  coupable  :  Nam  etsi 
facere  in  temporefuit ,  sed  fecisse  in  œternum  manet.  Qui  serait 


DES    PRÉDICATEURS.  1*7 

bien  pénétré  de  celte  pensée,  de  quel  œil  envisagerait-il  le  péché, 
et  qu'épargnerait-il  pour  s'en  préserver? 

Ajoutez  que  les  crimes  de  la  vie  et  tant  de  désordres  se  présen- 
teront tous  à  la  fois  aux  yeux  du  réprouvé,  et  tous  à  la  fois  le 
tourmenteront.  Il  ne  les  a  commis  que  par  intervalles  et  par  suc- 
cession, aujourd'hui  l'un,  demain  l'autre;  s'il  y  a  donc  senti  quel- 
que douceur,  ce  n'a  été  que  par  parties;  mais,  dans  son  tourment, 
il  n'y  aura  ni  succession  ni  partage;  Dieu  le  ramassera  tout  en- 
tier dans  chaque  instant;  et  ses  crimes  qui,  considérés  comme 
présens,  se  trouvent  dispersés  dans  une  longue  suite  de  jours,  de 
mois,  d'années,  se  réuniront  tous  dans  le  passé,  parce  qu'il  sera 
vrai  en  même  temps  de  dire  qu'ils  sont  tous  passés.  Ainsi  tous, 
par  une  vertu  indivisible,  ils  concourront  à  l'effet  malheureux 
de  la  damnation  :  or  imaginez-vous  ce  qu'ils  seront  tous  ensemble, 
puisqu'un  seul  suffirait  pour  former  l'Enfer?  Ah!  chrétiens,  ne 
vous  rebutez  pas  de  la  supposition  que  je  vais  faire;  peut-être  bles- 
sera-t-elle  la  délicatesse  de  vos  esprits  ;  mais  plût  à  Dieu  que  par 
là  même  elle  pût  vous  inspirer  une  sainte  horreur  de  la  corrup- 
tion de  vos  cœurs  !  Si  l'on  venait  à  remuer  une  eau  bourbeuse  et 
dormante,  et  qu'exposant  devant  vous  toutes  les  immondices 
qu'elle  renferme  on  vous  forçât  à  en  soutenir  toujours  la  vue, 
ce  serait  pour  vous ,  non  pas  un  spectacle ,  mais  un  supplice , 
mais  un  martyre  aussi  rigoureux  qu'humiliant.  Or,  telle,  et  bien 
plus  insoutenable  encore,  est  la  peine  que  Dieu  réserve,  dans 
l'Enfer,  à  une  ame,  par  exemple,  sensuelle  et  impudique.  Il  lui 
fera  voir  du  même  coup  d'oeil  tout  ce  qu'il  y  a  eu  dans  elle,  par 
la  concupiscence  de  la  chair,  de  plus  sale  et  de  plus  infect.  Consen- 
temens  secrets,  désirs  criminels,  espérances  conçues,  occasions 
cherchées,  commerces  scandaleux,  entretiens  lascifs,  libertés,  re- 
gards, dissolutions,  mollesses,  il  lui  rendra  tout  cela  présent;  et, 
la  fixant  à  cet  objet  dont  rien  ne  pourra  plus  la  détourner:  Re- 
garde ,  lui  dira-t-il  à  chaque  moment  de  l'éternité  ,  voilà  les  suites 
de  ton  incontinence,  voilà  ce  qu'a  produit  ton  cœur. 

Que  concevez-vous  de  plus  intolérable  que  ce  monstrueux  amas 
d'impuretés  ?  Jugez-en  par  ce  que  nous  éprouvons  dans  ces  revues 
plus  générales  et  plus  exactes  de  nos  consciences.  Quelle  honte 
quand  tout  à  coup  cette  innombrable  multitude  de  péchés  se  dé- 
veloppe devant  nos  yeux  !  Mais  si  cette  honte  ,  toute  surnaturelle 
et  toute  divine  qu'elle  est;  si  cette  honte,  lors  même  qu'elle  est 
l'effet  de  la  grâce ,  lors  même  qu'elle  est  le  principe  de  notre  ré- 
conciliation avec  Dieu,  nous  tient   lieu  néanmoins  de  peine,  et 


II 8  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

d'une  peine  que  nous  cherchons  tous  à  éviter,  que  sera-ce  de  la 
honte  des  réprouvés  et  du  sentiment  qu'ils  en  auront?  Ah!  Sei- 
gneur, s'écriait  David,  dans  la  ferveur  de  sa  pénitence,  je  ne  puis 
plus  vivre,  et  je  suis  hors  de  moi-même ,  quand  je  considère  mes  ini- 
quités, et  que  je  les  vois  multipliées  à  l'infini  ;  j'en  suis  ému  jusque 
dans  la  moelle  de  mes  os  :  ISon  est  pax  ossibus  meis  a  f acte  pecca- 
torum  meorum  l.  C'était  un  roi,  chrétiens,  et  un  roi  dans  la  pros- 
périté, un  roi  élevé  au  plus  haut  degré  de  la  félicité  humaine}  ce- 
pendant il  était  troublé,  il  était  saisi,  il  était  consterné  à  la  vue  de 
cette  affreuse  scène  qui  lui  retraçait  ses  égaremens  et  ses  désor- 
dres. Concluez  donc  quel  sera  l'état  dune  ame  qui,  enlevée  de  la 
terre,  et  d'ailleurs  bannie  du  séjour  de  sa  béatitude  céleste,  se 
trouvera  comme  toute  recueillie  dans  le  souvenir  de  son  péché  ; 
aura  incessamment  cette  pensée  :  J'ai  péché  ;  se  dira  incessamment 
à  elle-même:  J'ai  péché,  et  y  pensera,  et  se  le  dira  ,  sans  jamais  le 
pouvoir  détruire,  ce  péché  qu'elle  haïra,  qu'elle  abhorrera  comme 
la  source  irrémédiable  de  son  malheur!  (Bourdaloue.) 

Le  présent  accable  le  pécheur  dans  l'Enfer  par  la  plus  cruelle  douleur. 

Un  des  souhaits  de  saint  Bernard ,  et  ce  qu'il  demandait  avec 
plus  d'ardeur  expliquait  ces  paroles  du  Prophète  :  Descendant  in 
Infernum  viventes  2,  c'était  que  les  pécheurs  descendissent  en  es- 
prit et  par  la  pensée  dans  l'Enfer  ;  ne  doutant  pas  que  la  vue  de 
cet  affreux  séjour  et  des  tourmens  qu'on  y  endure  ne  dût  faire  la 
plus  vive  impression  sur  leurs  cœurs,  et  convaincu  qu'il  n'y  avait 
point  de  moyen  plus  assuré  pour  ne  pas  tomber,  après  la  mort, 
dans  ce  lieu  de  misères  ,  que  d'y  descendre  souvent  par  la  réflexion 
pendant  la  vie:  Descendant  in  Infernum  viv entes  ^  ne  descendant 
morientes.  Mais  pour  l'entier  accomplissement  du  souhait  de  saint 
Bernard,  il  faudrait,  chrétiens,  que  nous  y  pussions  descendre 
avec  les  mêmes  connaissances,  et,  s'il  était  possible,  avec  la 
même  expérience  que  les  damnés  ,  afin  d'en  pouvoir  juger  comme 
eux,  et  d'en  tirer  en  même  temps  des  conséquences  qui  leur  sont 
désormais  inutiles,  mais  qui  nous  peuvent  être  encore  si  salutai- 
res. Car  de  descendre  en  esprit  dans  l'Enfer  avec  des  lumières 
aussi  faibles  que  les  nôtres,  avec  une  imagination  aussi  dissipée 
que  la  nôtre,  surtout  avec  une  insensibilité  pour  les  choses  de 
Dieu  aussi  prodigieuse  que  la  nôtre,  c'est  presque  faire  sans  fruit 
ce  que  saint  Bernard  se  proposait  comme  un  des  remèdes  les  plus 

1  Ps.  57. 


DES    PRÉDICATEURS.  IIO, 

efficaces  pour  nous  ramener  de  nos  égaremens  et  nous  corriger  de 
nos  désordres.  Ah  !  dit  saint  Augustin ,  qui  pourrait  maintenant 
comprendre  ce  que  comprend  un  damné?  qui  pourrait  avoir,  dans 
une  profonde  méditation  ,  les  mêmes  idées  qu'il  a  de  son  état  pré- 
sent au  milieu  des  flammes  ?  Tâchons  de  les  avoir,  chrétiens  ;  et 
puisque  ce  n'est  pas  encore  assez  pour  nous  de  descendre  spirituel- 
lement dans  l'Enfer,  entrons  dans  les  sentimens  d'une  ame  réprou- 
vée; substituons  ses  lumières  aux  nôtres,  et  reconnaissons  com- 
bien c'est  une  chose  terrible  que  de  tomber  entre  les  mains  du 
Dieu  vivant:  Horrendum  est  incidere  in  manus  Dei  viventis  *.  Que 
fait-elle,  cette  ame  malheureuse  ,  ou  en  quel  état  est'dle  ?  Elle  se 
voit  séparée  de  Dieu ,  elle  se  voit  au  milieu  d'un  feu  dont  elle  est 
la  triste  victime.  Double  peine  :  l'une  et  l'autre  parfaitement  re- 
présentées par  Jésus-Christ  dans  le  riche  de  l'Evangile. 

Elle  se  voit  séparée  de  Dieu  ;  voilà  l'essentiel  et  comme  le  fond 
de  sa  réprobation.  Elevans  aute/n  oculos  suosquum  esset  in  tormen- 
tiS)  vidit  Abraham  a  longe,  et  Lazarum  in  sinu  ejus  2  :  Ce  riche,  dit 
le  Sauveur  du  monde ,  du  lieu  de  son  tourment  levant  les  yeux , 
aperçut  de  loin  Abraham,  et  Lazare  dans  son  sein.  Il  le  voyait,  ce 
saint  patriarche,  dans  un  éloignement  infini  :  a  longe  •  et  c'est  ce 
qui  le  désolait.  Il  s'en  voyait  séparé  par  un  chaos,  c'est-à-dire,  par 
une  vaste  distance;  tellement  qu'entre  Abraham  et  lui  il  ne  pou- 
vait plus  y  avoir  nulle  communication.  Magnum  chaos  inter  vos 
et  nos  firmatum  est^j  et  c'est  ce  qui  le  désespérait.  Or,  s'il  se  voyait 
si  loin  d'Abraham,  il  se  voyait  encore,  dit  saint  Ambroise,  bien  plus 
éloigné  de  Dieu  :  Si  Abraham  a  longe,  quantolongius  a  Deo;  et  cette 
séparation  de  Dieu  était  bien  encore  un  autre  supplice  pour  lui. 

Car,  qu'est-ce  que  d'être  séparé  de  Dieu?  Ah!  chrétiens,  quelle 
parole!  la  comprenez-vous?  Séparé  de  Dieu!  c'est-à-dire,  privé 
absolument  de  Dieu!  Séparé  de  Dieu!  c'est-à-dire,  condamné 
à  n'avoir  plus  de  Dieu,  si  ce  n'est  un  Dieu  ennemi,  un  Dieu 
vengeur!  Séparé  de  Dieu!  c'est-à-dire,  déchu  de  tout  droit  à 
l'éternelle  possession  du  premier  de  tous  les  êtres  du  plus  ex- 
cellent de  tous  les  êtres  ,  du  souverain  Etre  qui  est  Dieu  ! 
Peine,  dit  saint  Bernard,  qui  ne  se  peut  mesurer  que  par  l'in- 
finité de  Dieu,  puisque  cette  peine  est  la  privation  de  Dieu 
même ,  et  par  conséquent  qu'elle  est  grande  à  proportion  que 
Dieu  est  grand  :  Hœc  enim  tanta  pœna,  quantus  Me.  Ainsi,  comme 
Dieu  disait  à  un  juste,  dans  l'Ecriture  :  Ero  mer  ces  tua  magna  ni- 

1  Hebr.,  10.  —  2  Luc,  16.  —  s  Ibid.,  16. 


120  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

mis  l  :  C'est  moi-même  qui  serai  ta  récompense;  et  je  la  serai  en 
me  donnant  à  toi,  parce  que  je  n'ai  rien  de  plus  grand  ni  de  meil- 
leur à  te  donner  que  moi-même.  Il  pourra  dire  à  un  réprouvé  : 
C'est  moi  qui  serai  ton  supplice;  et  je  le  serai  en  t'éloignant  de 
moi,  car  je  n'ai  rien,  dans  les  trésors  de  ma  colère,  de  plus  for- 
midable que  cet  éloignement  et  cette  entière  réparation  de  moi- 
même.  En  effet,  chrétiens,  ces  trois  pensées  que  le  réprouvé  aura 
toujours  présentes  :  Dieu  n'est  plus  à  moi,  et  je  ne  suis  plus  à  lui; 
Dieu  n'est  plus  dans  moi ,  ni  avec  moi,  et  je  ne  suis  plus  dans  lui , 
ni  avec  lui:  ces  trois  affligeantes  pensées  ne  seront-elles  pas  capa- 
bles de  faire  son  enfer;  or,  c'est  ce  qui  se  vérifiera,  ce  qui  s'accom- 
plira dans  autant  de  créatures  que  Dieu  en  réprouvera.  Du  moment 
que  Dieu  prononcera  à  une  ame  ce  redoutable  arrêt  :  Retirez-vous, 
il  se  dépouillera,  pour  ainsi  dire  ,  de  tous  ses  droits  sur  elle,  hors 
ceux  que  la  nécessité  de  son  domaine  ne  lui  permettra  pas  d'alié- 
ner ;  et  cette  ame,  si  je  puis  encore  parler  delà  sorte,  perdra  elle- 
même  tous  ses  droits  sur  Dieu.   Ame,  non  seulement  indigne  de 
le  posséder,  mais  indigne  même  de  lui  appartenir.  Dieu  la  répudie- 
ra ;  souffrez  cette  expression,  et  elle  répudiera  Dieu;  et,  dans  ce 
divorce  mutuel ,  elle  trouvera  la   consommation  de  son  malheur. 
Dès  cette  vie,  ce  terrible  mystère  de  la  perte  d'un  Dieu  commence 
déjà  dans  la  personne  des  pécheurs;  Dieu  et  lame  par  le  péché  se 
séparent,  et  se  séparent  jusqu'à  se  renoncer  l'un  l'autre:  Vocano- 
menejus  non populus  meus  -  :  Prophète,  disait  Dieu,  n'appelle  plus  ce 
peuple  mon  peuple  :  il  a  cessé  de  l'être,  et  la  qualité  que  tu  dois 
désormais  lui  donner,  c'est  qu'il  ne  l'est  plus  :  Voca  nomen  ejusuoii 
populus  meus.  Voilà  son  nom  et  le  caractère  qu'il  portera  j  car, 
dès  qu'il   m'a   oublié  pour  suivre   des  dieux  étrangers,    il   m'a 
renoncé. 

Et  ce  langage  est  si  ordinaire  à  Dieu  dans  les  saints  livres  que, 
quand  les  Israélites,  par  une  monstrueuse  idolâtrie,  eurent  sacri- 
fié au  veau  d'or  dans  le  désert,  Dieu,  ému  de  colère  et  irrité  contre 
eux,  n'en  parla  plus  à  Moïse  que  dans  ces  termes:  Vade ,  des- 
cende ^peccavit  populus  tuus  l  :  Va,  Moïse,  descends  de  la  monta- 
gne, et  tu  verras  le  crime  que  ton  peuple  a  commis.  Prenez  garde, 
chrétiens,  Dieu  les  appelle  le  peuple  de  Moïse,  et  non  le  sien; 
comme  si  ce  peuple  n'eût  plus  été  à  lui ,  ni  lui  à  eux ,  depuis  qu'ils 
étaient  tombés  dans  l'infidélité.  Mais  ces  paroles ,  dit  saint  Chry- 
sostôme,  qui  ne  sont,  pour  ainsi  dire,  que  comminatoires  dans 

1  Exod.  19. 


DES    PRÉDICATEURS.  121 

cette  vie,  et  qui  tout  au  plus  n'ont  qu'une  partie  de  leur  effet, 
puisqu'elles  n'ôtent  pas  à  une  ame  l'espérance  ni  les  moyens  de 
réparer  la  perte  quelle  a  faite,  s'accompliront  entièrement  et  à 
la  lettre  dans  un  réprouvé.  Plus  d'alliance  entre  Dieu  et  lui;  plus 
d'union  :  comme  si  Dieu  lui  disait  :  Ton  libertinage  t'a  fait  sou- 
haiter de  n'avoir  point  de  Dieu  ,  tu  n'en  auras  jamais  :  tu  n'as  pas 
voulu  connaître  ton  Dieu ,  tu  ne  le  verras  et  ne  le  connaîtras  ja- 
mais :  tu  ne  t'es  pas  mis  en  peine  de  chercher  Dieu  quand  tu  le 
pouvais  trouver;  tu  le  chercheras,  et  tu  ne  le  trouveras  jamais; 
et  ce  qui  faisait  ton  impiété,  c'est  ce  qui  fera  désormais  ta  peine  : 
quand  Dieu  voulait  être  à  toi,  tu  lui  as  dit  insolemment  que  tu  ne 
voulais  point  être  à  lui  ;  maintenant  que  tu  voudrais  être  à  lui,  il 
te  déclare  pour  jamais  qu'il  ne  veut  plus  être  à  toi.  Or,  lequel  des 
deux  est  le  plus  désolant  pour  une  ame,  ou  que  Dieu  ne  soit  plus 
à  elle,  ou  qu'elle  ne  soit  plus  à  Dieu  ? 

Mais  je  me  trompe,  chrétiens;  toute  réprouvée  qu'elle  est,  elle 
sera  encore  à  Dieu,  et  Dieu  à  elle.  Dieu  lui  sera  encore  insépara- 
blement uni ,  et  elle  à  Dieu  ;  mais  c'est  cela  même  qui  doit  faire 
son  malheur.  Si  elle  pouvait  être  tout-à-fait  privée,  tout-à-fait 
séparée  de  Dieu,  elle  ne  serait  malheureuse  qu'à  demi.  Le  comble 
de  sa  misère  sera  d'en  être  privée  d'une  façon,  et  de  ne  l'être  pas 
de  l'autre  ;  d'en  être  séparée  d'une  façon,  et  inséparable  de  l'autre  : 
privée  de  Dieu  en  tant  que  Dieu  était  l'objet  de  sa  félicité,  et  pé- 
nétrée de  Dieu  en  tant  que  Dieu  sera  le  juge  éternel  de  ses  plus 
violens  transports  ;  c'est  ce  qui  la  consternera.  Dieu  la  renoncera 
en  qualité  de  père,  en  qualité  d'époux,  en  qualité  de  protecteur, 
en  qualité  de  dernière  fin  ;  c  est-à-dire,  dans  toutes  les  qualités  qui 
le  rendent  doux,  bienfaisant  et  aimable  :  et  il  s'attachera  à  elle  en 
qualité  de  juge,  en  qualité  d'ennemi,  en  qualité  de  vengeur,  en 
qualité  de  persécuteur  ;  c'est-à-dire,  selon  toutes  les  qualités  qui 
le  rendent,  tout  Dieu  qu'il  est,  non  seulement  sévère  et  redouta- 
ble, mais  dur  et  impitoyable.  De  là  donc  cette  ame  sera  double- 
ment malheureuse  :  malheureuse  d'avoir  encore  un  Dieu ,  et  mal- 
heureuse de  n'en  avoir  plus;  d'avoir  encore  un  Dieu  conjuré, 
déclaré,  armé  contre  elle,  et  de  n'avoir  plus  de  Dieu  favorable, 
propice  et  miséricordieux  pour  elle;  d'avoir  encore  un  Dieu  pour 
exciter  sa  haine  et  ses  plus  mortelles  aversions,  et  de  n'en  avoir 
plus  pour  contenter  ses  désirs  et  ses  plus  ardentes  inclinations. 
Car  ce  sera  son  grand  supplice  de  sentir  éternellement  que  Dieu 
l'avait  créée  pour  lui-même,  et  qu'elle  ne  pouvait  être  heureuse 
qu'en  lui  et  par  lui ,  et  de  ne  recevoir  éternellement  de  Dieu  que 


122  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

des  rebuts  et  des  mépris,  de  ne  trouver  éternellement,  entre  Dieu 
et  elle,  qu'une  insurmontable  opposition.  Elle  estimera  Dieu  mal- 
gré elle,  et  elle  aura  une  inclination  naturelle  pour  lui,  et  cepen- 
dant elle  le  haïra  :  elle  l'estimera  tel  qu'elle  ne  le  possédera  jamais, 
et  elle  le  haïra  tel  qu'elle  l'aura  toujours  présent.  Or,  ce  conflit 
d'estime  et  de  haine  ,  de  désir  et  d'aversion ,  d'éloignement  et  de 
poursuite  à  l'égard  du  même  objet,  c'est ,  chrétiens,  ce  que  nous 
appelons  l'Enfer.  (Le  même.) 

L'image  toujours  présente  du  bonheur  dont  le  pécheur  est  déchu  fait  son  tourment 

dans  l'Enfer. 

Oui,  mes  frères,  Dieu  ouvrira  pendant  toute  l'éternité  le  sein 
de  sa  gloire  ;  il  dépliera  les  cieux  devant  ces  millions  de  réprouvés 
que  sa  vengeance  aura  précipités  dans  l'abîme  ;  et  là  il  exposera 
sans  cesse  à  chaque  damné  l'objet  le  plus  propre  à  nourrir  sa  fu- 
reur et  à  augmenter  ses  peines. 

Du  fond  de  ce  gouffre,  vous  lèverez  peut-être  les  yeux  comme 
le  réprouvé  de  notre  Evangile,  vous  qui  m'écoutez  ,  et,  durant 
toute  la  durée  des  siècles  ,  vous  verrez  dans  le  sein  d'Abraham 
ce  père  sage  et  pieux  dont  la  foi  et  la  piété  vous  avaient  toujours 
paru  une  simplicité  d'esprit  et  une  faiblesse  de  l'âge  :  vous  ra- 
pellerez  les  dernières  instructions  dont  il  tâcha  de  redresser  vos 
mauvais  penchans  au  lit  de  la  mort ,  les  marques  de  tendresse 
qu'il  vous  donna,  les  vœux  mourans  qu'il  fit  pour  la  conduite  de 
votre  vie  ,  en  ce  dernier  moment  où  sa  religion  et  son  amour  pour 
vous  semblaient  se  ranimer  ;  et  vos  dissolutions,  vos  biens  depuis 
dissipés  ,  vos  affaires  ruinées  ,  votre  malheur  présent ,  ne  s'offri- 
ront à  vous  qu'avec  ses  remontrances  paternelles  et  les  exem- 
ples de  piété  qu'il  vous  avait  donnés. 

Vous  lèverez  encore  les  yeux  ,  vous  ,  qui,  dans  un  état  de  veu- 
vage et  de  désolation  ,  vivez  dans  les  délices  et  êtes  morte  devant 
Dieu  ;  et  du  milieu  des  flammes ,  vous  verrez  éternellement  dans 
le  séjour  de  la  gloire  cet  époux  avec  qui  vous  ne  formiez  autre- 
fois qu'un  même  cœur  et  qu'une  même  ame,  sur  les  cendres  du- 
quel vous  répandîtes  tant  de  larmes,  et  qui,  touché  de  votre  fidéli- 
té, vous  laissa  dépositaire  de  ses  biens  et  de  ses  enfans  comme  de 
sa  tendresse  ,  et  cet  objet  autrefois  si  cher  vous  reprochera  sans 
cesse  les  infidélités  que  vous  avez  depuis  faites  à  sa  mémoire  ,  la 
honte  de  votre  conduite,  les  biens  qu'il  vous  avait  laissés,  pour 
consoler  votre  affliction,  employés  à  le  déshonorer,  et  ses  enfans 


DES    PRÉDICATEURS.  123 

mêmes  ,  les  gages  précieux  de  son  souvenir  et  de  sa  tendresse,  né- 
gligés et  sacrifiés  à  des  amours  injustes. 

Oui ,  mes  frères ,  du  milieu  des  flammes ,  ces  enfans  de  colère 
verront  dans  le  sein  d'Abraham  ,  pendant  tous  les  siècles ,  leurs 
frères,  leurs  amis,  leurs  proches,  avec  qui  ils  avaient  vécu ,  jouir  de 
la  gloire  des  saints ,  heureux  par  la  possession  du  Dieu  même 
qu'ils  avaient  servi.  Ce  spectacle  tout  seul  sera  la  plus  désespérante 
de  leurs  peines  ;  ils  sentiront  qu'ils  étaient  nés  pour  le  même  bon- 
heur ;  que  leur  cœur  était  fait  pour  jouir  du  même  Dieu  :  car  la 
présence  d'un  bien  auquel  on  n'a  jamais  eu  de  droit,  ou  qu'on  n'aime 
plus,  touche  moins  des  malheureux  qui  en  sont  privés  ;  mais  ici  un 
mouvement  plus  rapide  que  celui  d'un  trait  décoché  par  une  main 
puissante  portera  leur  cœur  vers  le  Dieu  pour  qui  seul  il  était 
créé  ;  et  une  main  invisible  le  poussera  loin  de  lui  :  ils  se  senti- 
ront éternellement  déchirés ,  et  par  les  efforts  violens  que  tout 
leur  être  fera  pour  se  réunir  à  leur  Créateur,  à  leur  fin  ,  au  cen- 
tre de  tous  leurs  désirs  ;  et  par  les  chaînes  de  la  justice  divine,  qui 
les  en  arrachera,  et  qui  les  liera  aux  flammes  éternelles. 

Le  Dieu  de  gloire  même,  pour  augmenter  leur  désespoir,  se 
montrera  à  eux  plus  grand,  plus  magnifique,  s'il  était  possible, 
qu'il  ne  paraît  à  ses  élus.  Il  étalera  à  leurs  yeux  toute  sa  majesté, 
pour  réveiller  dans  leur  cœur  tous  les  mouvemens  les  plus  vifs 
d'un  amour  inséparable  de  leur  être  ;  et  sa  clémence,  sa  bonté  ,  sa 
munificence,  les  tourmentera  plus  cruellement,  que  sa  fureur  et 
sa  justice.  Nous  ne  sentons  pas  ici-bas  ,  mes  frères,  la  violence  de 
l'amour  naturel  que  notre  ame  a  pour  son  Dieu  ,•  parce  que  les 
faux  biens  qui  nous  environnent,  et  que  nous  prenons  pour  le 
bien  véritable,  ou  l'occupent,  ou  la  partagent;  mais  l'ame  une 
fois  séparée  du  corps ,  ah  !  tous  ces  fantômes  qui  l'abusaient ,  s'é- 
vanouiront; elle  ne  pourra  plus  aimer  que  son  Dieu,  parce  qu'elle  ne 
connaîtra  plus  que  lui  d'aimable;  tous  ses  penchans ,  toutes  ses 
lumières,  tous  ses  désirs  ,  tous  ses  mouvemens,  tout  son  être  se 
réunira  dans  ce  seul  amour  ;  tout  l'emportera  ,  tout  la  précipitera, 
si  je  l'ose  dire,  dans  le  sein  de  son  Dieu,  et  le  poids  de  son  ini- 
quité la  fera  sans  cesse  retomber  sur  elle  même  ;  éternellement 
forcée  de  prendre  l'essor  vers  le  ciel  ,  éternellement  repoussée 
vers  l'abîme  ;  et  plus  malheureuse  de  ne  pouvoir  cesser  d'aimer , 
que  de  sentir  les  effets  terribles  de  la  justice  et  de  la  vengeance  de 
ce  qu'elle  aime. 

Quelle  affreuse  destinée  !  le  sein  de  la  gloire  sera  toujours  ou- 
vert aux  yeux  de  ces  infortunés  :  sans  cesse  ils  se  diront  à  eux- 


1^4  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

mêmes  :  Voilà  le  royaumequi  nous  était  préparé  ;  voilà  le  sort  qui 
nous  attendait;  voilà  les  promesses  qui  nous  étaient  faites  ;  voilà 
le  Seigneur  seul  aimable,  seul  puissant ,  seul  misércordieux,  seul 
immortel ,  pour  qui  nous  étions  créés  ;  nous  y  avons  renoncé  pour 
un  songe ,  pour  des  plaisirs  qui  n'ont  duré  qu'un  instant.  Eh  ! 
quand  nous  n'aurions  rien  à  souffrir  dans  ce  séjour  d'horreur  et 
de  désespoir,  cette  perte  toute  seule  pourrait-elle  être  assez  pleu- 
rée  i}  Première  circonstance  que  nous  rapporte  Jésus  -  Christ  des 
tourmens  du  riche  réprouvé  ;  il  est  malheureux  par  l'image  tou- 
jours présente  de  la  félicité  qu'il  a  perdue. 

Mais  il  est  encore  malheureux  par  le  souvenir  des  biens  qu'il 
avait  reçus  pendant  sa  vie  ;  seconde  circonstance  de  son  supplice. 
Mon  fils,  lui  dit  Abraham,  souvenez-vous  des  biens  que  vous 
avez  reçus  pendant  votre  vie  :  Fili  recordare  quia  recepisti  bona 
in  vita  tua.  Or,  quelle  foule  de  pensées  désespérantes  Abraham  ne 
reveille-t-il  pas  dans  son  esprit  avec  ce  souvenir!  l'avantage  d'être 
descendu  d'un  peuple  saint  et  d'une  race  bénie  ,  méprisé  ;  les  pro- 
messes faites  à  la  postérité  d'Abraham,  inutiles  pour  lui  ;  le  temple, 
1  autel,  les  sacrifices  ,  la  Loi,  les  instructions  des  Prophètes  ,  les 
exemples  des  justes  de  la  Synagogue ,  tout  cela  sans  fruit  pour  son 
salut  ;  les  biens  même  temporels  dont  il  aurait  pu  se  servir  pour 
acheter  une  couronne  immortelle ,  employés  à  flatter  un  corps 
destiné  à  brûler  éternellement  :  Recordare  quia  recepisti  bona  in 
vita  tua.  Ainsi  l'ame  réprouvée  entendra  pendant  toute  l'éternité  au 
milieu  de  ses  tourmens  cette  voix  amère:  «  Souvenez-vous  des  biens 
que  vous  avez  reçus  pendant  votre  vie.  »  Rappelez  ces  jours  passés 
dans  l'abondance;  cette  foule  d'esclaves  attentifs  à  prévenir  même 
vos  souhaits  ;  les  distinctions  publiques  qui  vous  avaient  fait  pas- 
ser des  momens  si  doux  et  si  agréables  ;  ces  talens  éclatans  qui 
vous  avaient  attiré  l'estime  et  l'admiration  des  peuples,  recordare'^ 
souvenez-vous-en.  Quel  supplice  alors  pour  cette  ame,  que  le  pa- 
rallèle de  ce  qu'elle  avait  été  avec  ce  qu'elle  est  !  Plus  l'image  de 
sa  félicité  passée  sera  agréable,  plus  affreuse  sera  l'amertume  de  sa 
condition  présente;  car  telleest  la  destinée  de  l'adversité,  de  nous 
grossir  et  de  nous  mettre  sans  cesse  sous  les  yeux  les  plaisirs  de 
notre  première  situation  ,  et  les  malheurs  attachés  à  notre  condi- 
tion présente. 

Ce  n'est  pas  assez;  on  lui  rappellera  encore  tous  les  biens  de  la 
grâce  dont  elle  a  abusé  :  Recordare  quia  recepisti  bona.  Souvenez- 
vous  que  vous  étiez  enfant  des  saints,  et  né  au  milieu  d'un  peuple 
fidèle  :  vous  aviez  reçu  tous  les  secours  d'une  éducation  chrétienne: 


DES    PRÉDICATEURS.  1^5 

je  vous  avais  donné  en  partage  une  ame  bonne,  un  cœur  défendu 
par  d'heureuses  inclinations  :  tous  vos  momens  presque  avaient 
été  marqués  ou  par  quelque  inspiration  secrète,  ou  par  quelque 
événement  public,  qui  vous  rappelait  aux  voies  du  salut;  je  vous 
avais  fait  naître  dans  des  circonstances  si  favorables  à  la  piété  :  je 
vous  avais  environné  de  tant  d'obstacles  contre  vos  passions, 
de  tant  de  facilités  pour  la  vertu  ,  qu'il  vous  en  a  plus  coûté 
pour  vous  perdre,  qu'il  ne  vous  en  eût  coûté  pour  vous  sauver, 
recorclare:  souvenez- vous-en  ;  rappelez  toutes  les  grâces  dont  vous 
avez  abusé  avec  tant  d'ingratitude,  et  combien  il  vous  était  aisé 
d'éviter  le  malheur  où  vous  êtes  tombée. 

Ah!  c'est  ici  que  Famé  réprouvée,  repassant  sur  toutes  les  fa- 
cilités de  salut  que  la  bonté  de  Dieu  lui  avait  ménagées,  entre  en 
fureur  contre  elle  même.  Plus  elle  approfondit  son  aveuglement, 
plus  son  malheur  l'aigrit  et  la  dévore;  plus  sa  rage  croît  et  aug- 
mente, et  la  plus  douce  occupation  de  son  désespoir  est  de  se 
haïr  éternellement  elle-même.  O  Dieu!  que  vous  êtes  juste  en 
punissant  le  pécheur,  puisque  vous  le  rendez  lui-même  l'instru- 
ment le  plus  affreux  de  son  supplice:  il  est  malheureux  par  le 
souvenir  du  passé. 

Il  est  encore  malheureux  par  les  peines  présentes  qu'il  endure  : 
Crucior  in  hacflamma  :  Je  souffre  d'extrêmes  tourmens  dans  cette 
flamme:  troisième  circonstance  de  son  supplice;  la  conformité 
de  ses  tourmens  avec  ses  fautes.  Des  flammes  éternelles  s'attachent 
à  sa  langue  voluptueuse;  une  soif  ardente  le  dévore;  il  demande 
une  goutte  d'eau,  non  pour  éteindre,  mais  pour  adoucir  l'ardeur 
vengeresse  qui  le  brûle,  et  elle  lui  est  refusée.  Au  lieu  de  la  pour- 
pre et  du  lin  qui  couvrait  autrefois  son  corps,  il  est  aujourd'hui 
environné  d'un  vêtement  de  feu;  en  un  mot,  autant  avait-il  été 
dans  les  plaisirs,  autant  lui  rend-on  de  tourmens.  Nous  ne  savons 
pas  ce  qu'il  souffre,  mes  frères,  et  je  ne  prétends  pas  aussi  vous 
l'expliquer,  ni  affaiblir  par  des  peintures  vulgaires  une  image  si 
effrayante  ;  mais  nous  savons  qu'il  crie  depuis  deux  mille  ans  du 
milieu  des  flammes  :  Je  souffre  d'extrêmes  tourmens  dans  cette 
flamme  :  Crucior  in  hacjlamma.  Nous  savons  qu'il  souffre  ce  que 
l'œil  n'a  jamais  vu,  ce  que  l'oreille  n'a  jamais  entendu,  ce  que  l'es- 
prit de  l'homme  ne  peut  comprendre  :  nous  savons  que  des  flam- 
mes éternelles  allumées  par  la  justice  divine  sont  attachées  à  son 
corps,  et  qu'il  souffre  tout  ce  que  Dieu  lui-même  peut  faire  souf- 
frir à  un  coupable  qu'il  est  intéressé  de  punir  :  nous  savons  que, 
dans  le  séjour  de  l'horreur  et  du  désespoir,  la  victime  sera  salée 


Xl6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

avec  un  feu  éternel ,  sans  cesse  consumée ,  et  renaissant  sans  cesse 
de  ses  cendres  •  nous  savons  qu'un  ver  secret  et  dévorant,  placé 
de  la  main  de  Dieu  au  milieu  de  son  cœur ,  la  déchirera  durant 
tous  les  siècles  :  nous  savons  que  ses  pleurs  n'éteindront  jamais  les 
flammes  qui  la  consumeront,  et  que,  ne  pouvant  se  dévorer  elle- 
même,  les  grincemens  de  dents  suppléeront  à  ce  désir  affreux: 
nous  savons  que,  lassée  de  blasphémer  en  vain  contre  l'Auteur  de 
son  être,  sa  langue  deviendra  la  pâture  de  sa  propre  fureur  ;  et 
que  son  corps,  comme  un  tison  noir  et  fumant,  dit  le  Prophète, 
sera  le  jouet  des  esprits  immondes  dont  il  avait  été  l'asile  sur  la 
terre  :  nous  savons  enfin  que,  dans  l'ardeur  de  sa  peine,  elle  mau- 
dira éternellement  le  jour  qui  la  vit  naître,  le  sein  qui  la  porta  ; 
qu'elle  invoquera  la  mort,  et  que  la  mort  ne  viendra  point;  et  que 
le  désir  d'un  anéantissement  éternel  deviendra  la  plus  douce  de 
ses  pensées  :  nous  le  savons,  et  ce  ne  sont  là  que  les  expressions  des 
livres  saints. 

Vous  nous  dites  tous  les  jours,  mes  frères,  avec  un  air  déplo- 
rable de  sécurité ,  disait  autrefois  saint  Chrysostôme  aux  grands 
de  la  cour  de  Constantinople ,  pour  vous  calmer  sur  les  terreurs 
d'un  avenir,  que  vous  voudriez  voir  quelqu'un  revenu  de  l'autre 
vie  pour  vous  redire  ce  qui  s'y  passe.  Eh  bien  !  continuait  cet  élo- 
quent évêque,  contentez  aujourd'hui  votre  curiosité  ;  écoutez  cet 
infortuné  que  Jésus-Christ  en  rappelle,  et  qui  vous  raconte  ce 
détail  affreux  de  ses  malheurs  et  de  sa  destinée  :  c'est  un  prédi- 
cateur que  l'Enfer  lui-même  nous  fournit.  Quand  nous  vous  par- 
lons, nous ,  des  tourmens  de  l'autre  vie ,  hélas  !  il  faut  adoucir  nos 
expressions  de  peur  de  blesser  votre  fausse  délicatesse;  une  vérité 
qui  a  épouvanté  les  Césars,  converti  les  tyrans ,  changé  l'uni- 
vers, n'est  presque  plus  destinée  aujourd'hui  qu'à  toucher  les 
âmes  simples  et  vulgaires  :  ces  images  dans  nos  bouches  sont 
écoutées  avec  dédain  et  renvoyées  au  peuple.  Mais  ici  vous  devez 
en  croire  un  infortuné  qui  ne  vous  redit  que  sa  propre  infortune, 
et  qui  vous  en  dit  plus  par  ses  cris  et  par  son  désespoir  que  par 
ses  paroles.  Vous  écoutez  avec  tant  d'attention  ceux  qui,  revenus 
des  îles  les  plus  éloignées ,  vous  racontent  les  mœurs  et  les  usages 
des  pays  où  vous  n'irez  jamais;  pourquoi  n'entendriez- vous  pas 
avec  plus  d'intérêt  un  malheureux  qui  vient  vous  apprendre  ce 
qui  se  passe  dans  un  lieu  d'où  lui  seul  est  revenu ,  et  qui  sera  peut- 
être  votre  demeure  éternelle? 

Mais  ses  souffrances  sont  d'autant  plus  affreuses ,  qu'on  lui  fait 
connaître  qu'elles  ne  finiront  point  :  quatrième  circonstance  de  son 


DES    PREDICATEURS.  12? 

supplice.  De  plus,  lui  répond  Abraham:  Ily  a  un  grand  abîme  entre 
vous  et  nous ,  de  sorte  que  ceux  qui  voudraient  passer  dici  vers  vous 
ne  le  peuvent  )  comme  on  ne  peut  plus  venir  ici  du  lieu  ou  vous  êtes. 

Ainsi  l'ame  réprouvée  perce  dans  toute  la  durée  des  siècles  ,  et 
elle  n'y  voit  pas  le  terme  de  ses  malheurs  :  des  peines  qui  doivent 
finir  ne  sont  jamais  sans  consolation,  et  l'espérance  est  une  douce 
occupation  pour  des  malheureux.  Mais  ici  l'avenir  est  la  plus  af- 
freuse de  ses  pensées  :  plus  elle  avance  en  esprit  dans  ces  espaces  in- 
finis qu'elle  voit  devant  elle,  plus  il  lui  reste  de  chemin  à  faire  :  l'é- 
ternité toute  seule  est  la  mesure  de  ses  tourmens.  Elle  voudrait  du 
moins  pouvoir  se  dérober  à  la  pensée  de  cet  avenir  terrible  ;  mais  la 
justice  de  Dieu  lui  présente  sans  cesse  cette  affreuse  image,  la  force 
de  l'envisager,  de  l'examiner,  de  s'en  occuper,  d'en  faire  le  plus 
cruel  de  ses  supplices:  chaque  instant  est  pour  elle  un  tourment 
éternel,  parce  que  chaque  instant  n'est  que  le  commencement  de 
ses  peines ,  et  que  chaque  tourment  est  pour  elle  sans  espérance. 
Souffrir  des  tourmens  affreux,  souffrir  une  éternité  à  chaque  mo- 
ment, souffrir  sans  ressource,  et  recommencer  tous  les  jours  son 
supplice ,  telle  est  la  destinée  de  lame  malheureuse.  Je  passe  ra- 
pidement sur  toutes  ces  circonstances  :  il  est  des  vérités  qu'il  suffit 
d'avoir  montrées ,  qui  sont  elles-mêmes  de  grandes  sources  de  ré- 
flexions, et  qu'il  faut  laisser  développer  à  ceux  qui  les  écoutent. 

Enfin  ,  le  dérèglement  de  ses  frères  qui  vivaient  encore ,  et  aux- 
quels l'exemple  de  sa  vie  molle  et  voluptueuse  avait  paru  un  mo- 
dèle à  suivre,  et  par  conséquent  été  une  occasion  de  chute  et  de 
scandale ,  fait  la  dernière  circonstance  de  ses  peines  :  Père  Abra- 
ham ,  s'écrie-t-il,  envoyez  du  moins  Lazare  dans  la  maison  de  mon 
père ,  afin  quil  avertisse  les  cinq  frères  que  fy  ai  laissés ,  de  peur 
quilsne  viennent  eux-mêmes  dans  ce  lieu  de  tourmens ;  car  si  quel- 
qu'un  ne  ressuscite  d'entité  les  morts,  ils  ne  croiront  pas.  Il  souffre 
pour  les  péchés  d' autrui  :  tous  les  crimes  où  ses  frères  tombent 
encore  augmentent  la  fureur  de  ses  flammes  ,  parce  qu'ils  sont  une 
suite  de  ses  scandales ,  et  il  demande  leur  conversion  comme  un 
adoucissement  à  ses  peines. 

Ah  !  mes  frères,  combien  croyez-vous  qu'il  y  ait  d'ames  réprou- 
vées dans  l'Enfer,  avec  lesquelles  vous  avez  vécu  autrefois,  et  qui 
sont  tourmentées  pour  les  fautes  où  vous  tombez  tous  les  jours 
encore  ?  Peut-être  que  la  personne  infortunée  qui  corrompit  la 
première  votre  innocence,  crie  actuellement  dans  le  lieu  de  son 
supplice,  et  fait  des  instances  de  rage  auprès  de  son  juge,  afin  qu'il 
lui  soit  permis  de  venir  vous  montrer  ce  spectre  affreux,  qui  al- 


128  NOUVELLE   BIBLIOTHEQUE 

luma  autrefois  dans  votre  ame  encore  pudique  des  désirs  impurs, 
dont  la  licence  de  vos  mœurs  n'a  été  depuis  qu'une  suite  funeste. 
Peut-être  que  cet  impie  qui  vous  avait  appris  à  douter  de  la  foi  de 
vos  pères,  et  qui  avait  gâté  votre  esprit  et  votre  cœur  par  des 
maximes  d'irréligion  et  de  libertinage,  lève  sa  voix  clansle  séjour  de 
l'horreur  et  du  désespoir,  et,  détrompé  trop  tard,  demande  de  ve- 
nir vous  détromper  lui-même,  et  adoucir  ses  tourmens  en  corri- 
geant votre  incrédulité.  Peut-être  que  cet  écrivain  profane  et  las- 
cif, dont  les  œuvres  fatales  à  la  pudeur  font  tous  les  jours  sur 
votre  innocence  des  impressions  si  dangereuses,  pousse  dans  les 
flammes  des  cris  affreux,  et  sollicite  en  vain  que  quelque  compa- 
gnon de  son  supplice  vienne  vous  informer  des  malheurs  de  sa 
destinée.  Peut-être  que  l'inventeur  de  ces  spectacles  criminels  où 
vous  courez  avec  tant  de  fureur,  sentant  croître  la  rigueur  de  ses 
peines, à  mesure  que  les  fruits  dangereux  et  irréparables  de  son 
art  portent  un  nouveau  poison  dans  vos  âmes,  peut-être  qu'il  fait 
monter  ses  rugissemens jusqu'au  sein  d'Abraham,  pour  obtenir 
qu'il  puisse  lui-même,  avec  son  cadavre  hideux  et  dévoré  des  feux 
éternels  ,  venir  paraître  sur  ces  théâtres  infâmes  que  sa  main  éleva 
autrefois,  et  corriger  par  l'effroi  de  ce  nouveau  spectacle  le  dan- 
ger de  ceux  qui  lui  doivent  leur  naissance ,  et  auxquels  il  doit  lui- 
même  son  éternelle  infortune. 

Mais  quelle  réponse  fait-on  du  sein  d'Abraham  à  toutes  ces 
âmes  réprouvées  ?  que  vous  avez  Moïse  et  les  Prophètes  ,  et  de 
plus  les  préceptes  de  Jésus-Christ;  et  que  si  les  vérités  des 
Ecritures  ne  vous  corrigent  pas  ,  en  vain  un  mort  ressuscite- 
rait pour  vous  convertir  ,et  que  ce  spectacle  vous  laisserait  encore 
incrédule  :  Habent  Moysen  et  Prophetas.  Si  Moysen  et  Propketasnon 
audiunt ,  nequesi  quis  ex mortuis  resurrexerit ,  credent.  Vous  croyez 
qu'un  miracle,  qu'un  mort  ressuscité,  qu'un  ange  qui  viendrait  vous 
parler  delà  part  de  Dieu,  vous  ferait  renoncerau  monde  et  chan- 
ger de  vie;  vous  le  dites  tous  les  jours  :  vous  vous  trompez,  mes 
frères;  vous  trouveriez  encore  des  raisons  de  douter,  votre  cœur 
corrompu  trouverait  encore  des  prétextes  pour  se  défendre  con- 
tre l'évidence  de  la  vérité.  Les  miracles  de  Jésus-Christ  ne  corri- 
geaient pas  l'hypocrisie  des  pharisiens  ,  ni  1  incrédulité  des  sadu- 
céens  :  ils  en  devenaient  plus  inexcusables;  mais  ils  n'en  étaient  pas 
plus  fidèles.  Le  plus  grand  miracle  de  la  religion,  c'est  la  subli- 
mité de  sa  doctrine  ,  c'est  la  sainteté  de  sa  morale,  c'est  la  magni- 
ficence et  la  divinité  de  nos  Ecritures  :  si  vous  n'en  êtes  pas  tou- 
ché, changé,  tout  le  reste  serait  inutile  :  Habent  Moysen  et  Pro- 


\ 


DES  PRÉDICATEURS.  I29 

phetas.  Si  Moysen  et  prophetas  non  audiunt ,  neque    si  quis  ex 
mortuis  resurrexerit ,  credenU  (Massillon,  Sur  le  Mauvais  riche.) 

Le  pécheur  verra  ses  péchés  dans  l'Enfer. 

Durant  leur  vie  mortelle,  les  pécheurs  croyaient  autoriser  leurs 
iniquités  en  exagérant  la  violence  de  leurs  passions ,  les  rigueurs 
de  la  loi,  la  bonté  de  Dieu  (car  de  quoi  n'abusaient-ils  pas)!  qu'ils 
regardaient  comme  une  divinité  insensible  à  tous  les  outrages,  ou 
comme  un  Dieu  trop  bienfaisant  qui  ne  voudrait  pas  les  punir 
avec  autant  de  sévérité;  la  mort  les  a  surpris  dans  ces  préjugés; 
un  instant  a  dissipé  les  erreurs  de  toute  une  vie  :  écoutez  le  chœur 
internai  des  réprouvés,  ils  ont  bien  acquis  le  droit  d'être  crus: 
«  Nous  nous  sommes  donc  écartés  de  la  voie  de  la  vérité!  »  Quelle 
conséquence  de  tous  leurs  principes,  mais  aussi  quel  hommage  à  la 
vérité!  quel  hymne  à  la  justification  de  Dieu  !  les  voûtes  de  l'abîme 
en  retentiront  éternellement  :  Ergo  erravimus  a  via  veritatïs  l.  Nos 
passions  étaient  fortes;  mais  que  de  moyens,  que  de  grâces,  que 
de  secours  nous  auraient  aidés  à  en  triompher  !  Elles  étaient  fortes  ! 
qu'en  savions-nous?  avons-nous  déjà  tenté  de  les  réprimer?  Quel 
combat  contre  nous-mêmes  ?  quelle  vigilance  sur  la  garde  de  nos 
sens?  quelle  fuite  des  occasions  dangereuses  ?  Loin  de  travailler  à 
les  affaiblir,  à  les  détruire,  nous  n'avons  cherché  qu'à  les  exciter 
et  à  nous  satisfaire  ;  nous  avons  vécu  avec  aussi  peu  de  précaution 
que  si  nous  étions  impeccables  par  notre  nature.  Elles  étaient  fortes! 
parce  que  nous  l'avons  voulu,  parce  que  nous  étions  faibles  nous- 
mêmes  :  Ergo  erravimus.  Les  commandemens  de  Dieu  nous  sem- 
blaient impraticables;  ne  comptions-nous  que  sur  les  forces  de  la 
nature,  n'attendions-nous  rien  des  secours  de  la  grâce?  Ils  ont 
été  pénibles  et  durs  à  notre  lâcheté  et  à  notre  mollesse  ;  l'auraient- 
ils  été  à  notre  ardeur,  à  notre  charité,  à  notre  zèle?  l'ont-ils  été 
pour  tant  de  justes  qui  y  ont  ajouté  de  nouvelles  austérités?  Les 
lois  du  monde  que  nous  avons  si  scrupuleusement  observées 
étaient-elles  moins  rigoureuses?  Nous  nous  sommes  lancés  dans  le 
chemin  spacieux  de  la  perdition,  en  courant  après  des  ombres  et 
des  fantômes,  et  nous  n'avons  pas  daigné  faire  un  pas  pour  des 
couronnes  éternelles;  rien  ne  nous  a  coûté  pour  nous  perdre,  le 
moindre  effort  pour  nous  sauver  nous  a  effrayés  :  Ergo  erravimus. 
Dieu  était  bon  :  quel  titre  pour  l'offenser  !  il  était  bon  :  devions-nous 

1  Sap.,  v,  6. 

r.  m.  9 


l3o  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

le  forcer  d'être  juste  ?  Nous  avons  séparé  ces  deux  attributs  essen- 
tiellement unis  en  lui,  il  les  sépare  à  son  tour  :  nous  n'avons  voulu 
considérer  que  sa  miséricorde,  sans  faire  aucune  attention  à  sa  jus- 
tice; il  ne  nous  fait  éprouver  que  sa  justice,  sans  aucun  mélange 
de  sa  miséricorde  :  Ergo  erravimus.  Songes  trompeurs,   excuses 
frivoles,  systèmes  captieux,  qu'êtes-vous  devenus!  Vous  nous  laissez 
sans  défense  au  pouvoir  de  la  vérité.  Justice  plus  élevée  que  les 
montagnes,  plus  profonde  que  les  abîmes,  qui  nous  accablez  de 
votre  poids,  quel  est  votre  empire  sur  nous?  Des  victimes  de  votre 
fureur,  vous  en  faites  vos  apologistes  ;  nous  voulons  vous  repro- 
cher votre  cruauté,  et  nous  nous  accusons  nous-mêmes;  nous 
commençons  par  vous  maudire,  nous  finissons  par  vous  justifier  : 
Ergo  erravimus  a  via  veritatis.  Insensés!  que  ne  faisaient-ils  cet 
aveu  lorsqu'il  pouvait  leur  être  salutaire!  mais  le  temps  de  l'espé- 
rance et  du  repentir  est  passé.  Talia  dixerunt  in  hiferno.  Situation 
désespérante  du  réprouvé  :  juste  malgré  lui,  juste  contre  lui,  ce 
malheureux  ne  peut  plus  se  séduire;  il  est  contraint  de  monter  sur 
le  tribunal  de  sa  conscience,  de  se  dépouiller  de  son  intérêt  pro- 
pre, de  faire  l'aveu  humiliant  et  rémunération  exacte  de  tous  ses 
crimes,  de  prononcer  l'arrêt  irrévocable  de  sa  condamnation,  de 
se  juger  en  Dieu  :  il  maudit  le  mensonge  qui  n'a  plus  la  force  de 
le  tromper;  il  abhorre  la  vérité  qui  l'éclairé  et  le  confond  ;  les  faux 
prétextes  qui  le  calmaient  disparaissent ,  et  il  ne  voit  que  ses  pé- 
chés :  Peccator  videbit.  Il  les  voit ,  et  il  ne  peut  plus  les  détruire  : 
en  effet,  qu'est-ce  qui  serait  capable  d'opérer  sa  justification?  de- 
mande saint  Cyprien.  Quoi!  une  confession  tardive  et  forcée,  que 
lui  arrache  malgré  lui  la  vérité:  Sera  confessio;  quoi!  des  larmes 
amères  qui  naissent  plutôt  de  la  douleur  de  se  voir  privé  des  plai- 
sirs, que  du  regret  de  s'y  être  plongé  :  înanis ploratio  ;  quoi!  enfin , 
des  tourmens  inouis  qui  sont  la  punition  de  ses  péchés,  et  n'en  sau- 
raient être  l'expiation  :  Pœnitentia pœnalis  ?  Non,  non,  ce  n'est  pas 
là  une  componction ,  c'est  un  désespoir;  ce  n'est  point  là  une  pé- 
nitence, c'est  un  supplice,  combat  terrible  entre  le  réprouvé  et  ses 
péchés;  entre  le  réprouvé  qui  s'efforce  de  rejeter  loin  de  lui  ses 
péchés,  et  ses  péchés  qui  se  présentent  sans  cesse  à  lui  comme 
une  armée  formidable;  entre  le  réprouvé  qui  renie  ses  péchés,  et 
ses  péchés  qui  lui  crient  à  leur  manière  :  Nous  sommes  tes  ouvra- 
ges :  Opéra  tua  sumus ;  tu  nous  a  faits  à  ta  ressemblance;  pourrais- 
tu  nous  méconnaître?  pourquoi  nous  as-tu  mis  au  jour?  Quart 
genuisti^  ?  Enfans  de  haine  et  de  discorde,  objets  d  exécration  à  la 

1  Jerim,,  xy,  10. 


i 


DES    PRÉDICATEURS.  l3x 

terre  et  au  ciel ,  on  nous  maudit  de  toutes  parts ,  et  toi  aussi  tu 
nous  maudits  :  O innés  maledicunt,  tu  quoque  maledicis  *  ;  mais 
tremble,  ta  fureur  ne  sera  funeste  qu'à  toi-même;  il  ne  t'a  fallu 
qu'un  instant  pour  nous  produire,  une  éternité  de  souffrances  ne 
suffira  pas  pour  nous  anéantir,  nous  sommes  hors  de  l'empire  de 
la  miséricorde;  nous  étions  autrefois  tes  plaisirs,  nous  serons  à 
jamais  tes  tourmens.  (L'abbé  Poulle,  Sermon  sur  V Enfer,) 

L'avenir  désole  le  pécheur  dans  lEnfer  par  le  plus  affreux  désespoir. 

C'est  un  instinct  naturel  à  tous  ceux  qui  souffrent,  de  cher- 
cher dans  l'avenir  la  consolation  et  le  remède  du  présent.  Comme 
nous  voulons  toujours  être  heureux,  et  que  c'est  une  inclination 
nécessaire,  elle  se  soutient,  ou  plutôt  elle  nous  soutient  en  quel- 
que sorte  nous-mêmes  au  milieu  des  plus  grands  maux.  Nous  nous 
faisons  un  charme  de  notre  espérance,  et  ce  charme  adoucit  la 
douleur  qui  nous  presse.  Quoique  souvent  il  n'y  ait  rien  dans  le 
futur  qui  nous  doive  être  favorable,  nous  ne  laissons  pas  d'y  en- 
visager cent  choses  que  nous  nous  figurons,  et  qui  ne  seront  ja- 
mais, mais  qu'il  suffit  de  nous  figurer  comme  pouvant  être  un 
jour,  pour  y  trouver  de  quoi  repaître  notre  imagination.  L'incer- 
titude de  l'avenir  nous  est  utile,  puisqu'elle  nous  donne  droit 
d'espérer,  non  seulement  ce  que  nous  espérons  et  ce  que  nous 
attendons,  mais  ce  que  nous  n'espérons  nous  n'attendons  pas.  Il 
n'en  est  pas  ainsi  des  réprouvés  dans  l'Enfer.  Un  réprouvé  souffre, 
je  ne  dis  pas  sans  espérance,  ce  serait  trop  peu,  mais  dans  un  déses- 
poir actuel  et  perpétuel.  Ce  qui  n'est  pas  encore  lui  sert  de  supplice 
et  le  rend  le  plus  malheureux  que  ce  qui  est  :  ou  plutôt,  ce  qui  est  le 
tourmente,  non  seulement  parce  qu'il  est,  mais  parce  qu'il  sera  tou- 
jours; en  sorteque  l'avenir  est  pour  le  présent  un  surcroît  de  peine 
qui  l'aigrit,  qui  y  met  le  comble  et  qui  fait  le  caractère  propre  de  la  ré. 
probation  ,  puisque,  selon  la  pensée  du  docteur  angélique,  l'Enfer 
n'est  proprement  Enfer  que  par  la  vue  et  le  sentiment  de  l'avenir. 

Voici  donc  ce  qui  accable  lame  réprouvée  dans  l'Enfer,  et  ce 
que  vous  n'avez  peut-être  jamais  bien  conçu  :  c'est  qu'elle  déses 
père  d'obtenir  jamais  de  Dieu  aucune  grâce,  quand  elle  prierait 
toute  l'éternité;  c'est  qu'elle  désespère  de  fléchir  jamais  Dieu  par 
la  pénitence  quand  elle  détesterait  son  péché  toute  l'éternité  ;  c'est 
quelle  désespère,  non  seulement  d'acquitter,  mais  de  diminuer 
jamais  ses  dettes  devant  Dieu  par  ses  souffrances ,  quoiqu'elle 
doive  souffrir  toute  l'éternité.  Trois  ressources  immanquables  dans 

1  Jérém.,xv,  10. 

9. 


j3^  nouvelle  bibliothèque 

la  vie    mais  absolument  inutiles  à  un  réprouvé  :  la  prière,  la  péni- 
tence    la  souffrance.  Nous  en  avons  la  preuve  dans  le  mauvais 
riche.  Que  fait-il? il  prie.  Quedemande-t-il?il  conjure  Abraham 
de  lui  accorder  pour  toute    grâce  une  goutte  d'eau;  mais  cette 
aoutte  d'eau  lui  est  refusée.  Tous  les  interprètes  conviennent  qu'il 
y  a  de  la  parabole  et  de  la  figure  dans  cette  circonstance;  et  que 
l'intention  de  Jésus-Christ  est  de  nous  faire  entendre  par  là  que 
dans  l'Enfer  il  n'y  a  plus  de  grâce  à   espérer  ,  ni  de  rédemption  : 
Quia  in  lnferno  nullaest  redemptio  ;  que,  de  cet  océan  de  miséri- 
corde et  de  bonté  qui  est  Dieu,  il  ne  découlera  jamais  sur  ces  créa- 
tures infortunées  une  seule  goutte  pour  les  soulager,  comme  ja- 
mais il  ne  découlera  sur   elles  une  seule  goutte  du  sang  du  Ré- 
dempteur pour  les  sauver  :  pourquoi  ?  parce    que  ce  n'est  plus  le 
temps  des  miséricordes  et  du  salut.  En  vain  donc  le  réprouvé  s'é- 
criera-t-il  éternellement  comme  le  riche  de  l'Evangile ,  non  plus 
en  s'adressant  à  Abraham,  mais  à  Dieu  même:  Miserere  meî1.  Ah! 
ciel,  un  peu  de  relâche,  un  peu   de  compassion  pour  moi  :  Dieu, 
endurci   contre  ses  cris,  éternellement  lui  répondra,  mais  dans 
toute  la  rigueur  de  la  lettre  ,  ce  qu'il  répondait  à  son  peuple:  Quid 
clamas  super  conlritione  tua  "2  ?  Que  servent  ces  plaintes  et  ces  lugu- 
bres accens  ?  Ils  frappent  mon  oreille,  mais  ils  ne  vont  point  jus- 
qu'à mon  cœur:  Insanabilis  dolor  tuus ;  il  n'y  a   plus  de   remède 
ni  de  retour,  et  si  vous  voulez  en  savoir  la   raison,  elle  est  dans 
vous-même  :  Propter  multitudinem  iniquitatis  tuœ ,  et propter  dura 
peccata  tua  feci  hœc  tibi;  c'est  que   vous-même  vous  avez  été  si 
long-temps  insensible  à  ma  voix;  c'est  que  vous-même  vous  m'a- 
vez laissé  mille  fois  appeler,   sans  vouloir  m'entendre;  c'est   que 
vous-même  vous  vous  êtes  si  outrageusement,  si   opiniâtrement, 

vi  constamment  obstiné   contre  moi  :  Propter  dura  peccata  tua. 

Ainsi  s'accomplira  cette  parole  de  l'Evangile,  que  Dieu  n'écoute 
point  les  pécheurs:  mais  quels  pécheurs?  non  pas  les  pécheurs  de 
la  vie  ;  car  dans  la  vie  ils  sont  toujours  en  état  de  toucher  le  cœur 
de  Dieu  ;  non  pas  les  pécheurs  pénitens  ,  car  la  pénitence  de  la  vie 
est  toujours  toute-puissante  auprès  de  Dieu;  mais  les  pécheurs 
impénitens  à  la  mort  et  consommés  dans  leur  péché ,  mais  les  pé- 
cheurs de  l'Enfer. 

Que  dis-je?  et  dans  l'Enfer  même  n'y  a-t-il  pas  une  pénitence  ? 
Oui ,  Chrétiens,  et  c'est  là  que  la  sagesse  nous  représente  les  pé- 
cheurs pressés  de  douleur,  poussant  des  soupirs  ,  versant  des  tor- 

Luc.  16.  —  2  Jerem.  30. 


DES    IMUiDICATEURS.  1^3 

rens  de  larmes.  Ah  !  ce  ne  sont  pas  ces  effets  de  la  pénitence  qui 
leur  manquent,  mais  le  principe  qui  la  sanctifie;  c'est-à-dire  , et 
voici  en  deux  mots  tout  le  mystère  de  cette  éternelle  réprobation  , 
c'est-à-dire  qu'éternellement  ils  gémiront ,  qu'éternellement  ils 
pleureront,  qu'éternellement  ils  feront  pénitence,  mais  une  péni- 
tence forcée  ,  une  pénitence  de  démons  et  de  désespérés.  Or,  une 
telle  pénitence,  dit  saint  Augustin,  n'effacera  jamais  le  péché: 
par  conséquent  le  péché  subsistera  toujours,  et  tant  que  le  péché  sub- 
sistera, lisseront  toujours  également  redevables  à  la  justice  de  Dieu 
et  exposés  à  sa  vengeance.  C'est  ce  qu'Abraham,  du  haut  de  la  gloire, 
exprime  au  mauvais  riche  par  ce  chaos  insurmontable  qui  les  sépa- 
re :  Magnum  chaos  inter  nos  et  vosfirmatum  est:  en  sorte  que,  de  ce 
séjour  bienheureux  où  repose  Abraham,  on  ne  peut  plus  tomber 
dans  ce  lieu  de  tourmens  où  souffre  le  riche,  et  que  de  ce  lieu  de 
tourmens  où  le  riche  souffre,  on  ne  peut  plus  monter  à  ce  bien- 
heureux séjour  où  Abraham  goûte  un  repos  inaltérable  :  pour- 
quoi? parce  que  dans  l'un  on  ne  peut  plus  perdre  la  grâce,  et  que 
dans  l'autre  on  ne  peut  plus  réparer  le  péché  :  Ut  qui  volunt  hinc 
transire  ad  vos ,  non  possint ,  neque  inde  hue  transmeare. 

Mais  quoi!  toujours  souffrir,  et,  par  de  si  longues  et  de  si  cruel- 
les souffrances,  ne  rien  acquitter!  cela  se  peut-il  comprendre? 
Comprenez-le,  mes  chers  auditeurs,  ou  ne  le  comprenez  pas,  la 
chose  n'en  est  pas  moins  vraie,  et  n'en  est  pas  moins  un  article 
de  votre  foi.  Origène  en  voulut  douter,  et  d'autres  comme  lui  ré- 
duisirent l'éternité  malheureuse  à  un  certain  nombre  de  siècles. 
Car,  disaient-ils,  pour  soutenir  leur  erreur,  il  n'est  ni  de  la  bonté, 
ni  de  la  justice  de  Dieu  de  punir  toujours  des  créatures  qu'il  a 
formées,  et  d'exiger  pour  les  péchés  de  la  vie,  d'une  vie  si  courte, 
une  satisfaction  qui  ne  finira  jamais.  C'est  ainsi  qu'ils  raisonnent  : 
mais  moi,  de  leurs  principes  mêmes,  je  tire,  avec  Tertullien  et 
saint  Augustin  une  conséquence  toute  contraire.  Car  Dieu  est  bon  : 
qui  ne  le  sait  pas  ?  Mais  cette  bonté  ,  reprend  Tertullien ,  n'est  pas 
seulement  en  Dieu  miséricorde ,  elle  est  encore  sainteté.  Or,  une 
sainteté  toujours  subsistante  est  toujours  ennemie  du  péché;  et , 
par  une  suite  nécessaire,  elle  doit  toujours  haïr  le  péché,  toujours 
poursuivre  le  péché,  toujours  punir  le  péché  si  le  péché  dure 
toujours.  Donc,  puisqu'il  n'y  a  rien  dans  l'Enfer  qui  abolisse  etqui 
détruise  le  péché,  il  n'y  aura  jamais  rien  qui  en  arrête  le  châtiment. 
Dites-le  même  de  la  justice.  Depuis  tant  de  siècles  le  mauvais 
riche  se  désespère  au  milieu  des  flammes  où  il  fut  enseveli,  et  s'é- 
crie ,  en  se  désespérant  :  Crucior  in  hacflamma  :  mais  ce  qu'il  di- 


l34  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

sait  il  y  a  tant  de  siècles,  il  le  dit  encore,  et  toujours  il  le  dira, 
parce  qu'il  le  ressent  encore,  et  que  toujours  il  le  ressentira.  Oui, 
cette  parole  foudroyante  et  atterrante  \Nunc  autem  cruciaris  :  main- 
tenant vous  êtes  tourmenté;  il  l'entendra  toujours.  Maintenant: 
Nunc ,  que  ce  maintenant  a  d'étendue,  puisqu'il  embrasse  l'éter- 
nité tout  entière!  JVunc,  maintenant,  c'est-à-dire  aujourd'hui,  et 
toujours  ;  c'est-à-dire,  dans  une  année,  dans  un  siècle,  dans  des 
millions  de  siècles  ,  et  toujours  encore  au  delà.  Or,  concevez,  s'il 
est  possible,  quelle  impression  fait  sur  une  ame  réprouvée  un  si 
affreux  désespoir.  (^Bourdaloue.) 

Les  tourmens  do  l'Enfer  sont  sans  espérance. 

Et  comment  le  réprouvé  oserait-il  se  promettre  la  fin  de  tant 
de  maux!  Celui  qui  frappe  ne  se  lasse  point  :  Qui  torquet  non  fa- 
tigatur.  C'est  un  Dieu  sévère  qui  punit  le  péché  tant  qu'il  subsiste, 
et  le  péché  subsistera  toujours.  C'est  le  saint  par  excellence;  il 
ne  saurait  contracter  d'alliance  avec  l'iniquité.  C'est  un  Dieu  juste  : 
sa  colère,  dit  saint  Augustin,  n'est  pas  semblable  à  celle  de  l'homme; 
elle  n'est  pas  un  mouvement  contraint  et  violent;  elle  n'est  que 
l'amour  de  l'ordre  et  de  la  règle;  il  juge,  il  condamne,  il  châtie 
avec  tranquillité;  celui  qui  souffre  ne  meurt  pas  :  Qui  torquetur 
non  moritur.  Une  puissance  jalouse  est  attentive  à  le  conserver 
au  milieu  de  tant  de  causes  de  destruction;  tout  le  tourmente; 
tout  le  désespère  et  rien  ne  l'anéantit.  Prodiges  inouïs  !  le  glaive 
le  perce  et  le  vivifie;  le  feu  le  brûle  et  ne  le  consume  pas;  la  mort 
le  dévore  sans  le  détruire.  Etonné  de  se  trouver  encore  vivant 
entre  les  bras  de  la  mort  même,  de  surprise  en  surprise,  il  s'avance 
dans  la  carrière  de  l'éternité;  il  ne  peut  ni  vivre  à  l'espérance,  ni 
mourir  à  ses  tourmens  :  ce  n'est  pas  tout,  dans  la  privation  abso- 
lue des  biens  de  la  grâce,  le  réprouvé  est  rendu  à  ses  remords. 

Ah  !  qu'ils  sont  désolans  ces  remords  quand  ils  cessent  d'être 
des  grâces.  Ce  n'est  plus  cette  voix  divine,  miséricordieusement 
importante  et  sévère,  qui,  par  une  rigueur  utile,  disposait  à  un 
règne  de  clémence  et  de  bonté ,  c'est  la  voix  de  la  conscience  in- 
dignée qui  ouvre  le  règne  de  la  justice;  c'est  la  voix  du  crime  qui 
demande  vengeance  contre  lui-même;  c'est  une  voix  lamentable 
qui  décrit  la  ruine  de  ce  temple,  la  dispersion  des  pierres  de  ce 
sanctuaire,  la  profanation  de  ce  lieu  saint,  l'abus  des  grâces  et  des 
dons  du  Seigneur,  les  ténèbres,  les  chaînes  pesantes  de  l'iniquité  ; 
c'est  une  voix  lugubre  qui  résonne  sur  le  bord  de  ce  sépulcre, 


DES    PRÉDICATEURS.  l35 

qui  déplore  la  mort  de  l'ame  ensevelie  dans  la  nuit  du  péché. 
Mort  terrible!  qui  ne  consiste  pas,  comme  le  remarque  saint  Jé- 
rôme, dans  la  destruction  de  la  subtance,  elle  cesserait  d'être  mal- 
heureuse; mais  dans  la  séparation  de  celui  qui  a  dit  :  Je  suis  la  vie. 
C'est  la  voix  d'un  témoin  irréprochable,  à  qui  rien  n'est  caché,  qui  a 
tout  vu,  tout  entendu  ;  qui  reproche,  qui  accuse,  qui  prouve,  qui 
convainc;  c'est  la  voix  d'un  juge  effrayé  et  du  récit  des  crimes 
qu'il  entend,  et  de  la  sentence  qu'il  prononce  contre  lui-même; 
c'est  une  voix  impérieuse  qui  n'est  jamais  contredite,  qui  s'élève 
au  dessus  des  tournions  de  l'Enfer;  c'est  une  voix  plus  éclatante 
que  le  tonnerre,  qui  retentit  dans  le  cœur,  qui  ébranle,  qui  se- 
coue toutes  les  puissances  de  l'ame,  qui  y  répand  la  désolation  et 
l'effroi;  c'est  une  voix  infatigable  qui  ne  se  lasse  pas,  aussi  opiniâ- 
tre que  le  péché  qu'elle  poursuit,  aussi  inflexible  que  le  Dieu  qu'elle 
venge.  .  .  .  Eh  !  le  pécheur  disait  :  La  paix ,  la  paix  :  je  suis  dans 
le  calme,  je  jouis  de  la  tranquillité  :  pax,  pax.  Quelle  paix,  grand 
Dieu!  qui  couvrait  tant  de  tonnerres!  Pax.  Quelle  paix!  qui  n'é- 
tait que  l'extinction  des  lumières  du  Saint-Esprit;  qu'une  insensi- 
bilité aux  attaques  de  la  grâce;  que  le  sommeil  léthargique  de 
l'ame  :  Pax.  Attendez ,  l'esprit  de  tempête  et  de  dissension  s'em- 
parera de  lui;  désormais  on  ne  l'appellera  que  le  tumulte  :  Vocabi- 
tur  tumultus. 

Frappés  de  ces  images  épouvantables,  vous  ne  concevez  rien 
au  delà,  mes  très  chers  frères,  et  cependant  voici  en  un  seul  trait 
l'assemblage  de  tous  les  maux.  Dans  la  privation  entière  des  biens 
de  la  gloire ,  le  réprouvé  est  rendu  :  à  qui  ?  à  son  Dieu.  Sur  la  terre, 
c'est  le  pécheur  qui  se  défend ,  et  c'est  Dieu  qui  le  poursuit ,  qui 
ne  peut  consentir  à  sa  perte,  qui  heurte  à  la  porte  de  son  cœur, 
qui  l'appelle  par  sa  grâce.  Dans  l'Enfer  tout  rentre  dans  l'ordre , 
c'est  un  Dieu  qui  se  refuse  et  c'est  le  réprouvé  qui  le  cherche;  son 
ame,  dégagée  des  liens  imperceptibles  qui  suspendaient  la  rapidité 
de  sa  pente  naturelle,  est  rappelée  malgré  elle  à  toute  sa  destina- 
tion; elle  tend  à  Dieu  comme  à  son  centre;  elle  se  porte  vers  lui 
avec  impétuosité.  Où  vas-tu,  ame  criminelle  ?  Tu  voles  au  devant  de 
ton  juge!  Ni  cette  considération,  ni  ses  alarmes,  ni  les  châtimens 
qu'elle  se  prépare,  ne  sont  pas  capables  d'arrêter  l'impulsion  vive  qui 
l'entraîne;  elle  s'élance  par  la  nécessité  de  sa  nature, et  toutes  les 
perfections  divines  qu'elle  a  outragées  s'empressent  delà  rejeter; 
elle  s'élève  par  le  besoin  immense  et  pressant  qu'elle  a  de  son  Dieu  ; 
et  son  Dieu  la  repousse  par  la  haine  nécessaire  qu'il  porte  au  pé- 
ché. Elle  s'élance,  et  la  rapidité  de  son  essor  lui  fait  encore  mieux 


l36  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE 

comprendre  quelle  était  faite  pour  jouir  de  son  Dieu.  Elle  en  est 
rejetée;  et  la  pesanteur  du  coup  qui  l'accable  lui  fait  encore  mieux 
connaître  qu'elle*  a  forcé  son  Dieu  à  la  repousser.  Elle  s'élève  par 
désespoir;  Dieu  la  rejette  par  une  juste  vengeance.  Suspendue  en- 
tre elle-même  et  son  Dieu  ,  entre  le  comble  du  bonheur  et  le  com- 
ble de  la  misère,  également  malheureuse,  et  quand  elle  s'efforce 
de  s'approcher  de  cette  source  de  tous  les  biens,  et  quand  elle  en 
est  arrachée  avec  violence;  également  tourmentée ,  et  lorsqu'elle 
sort  d'elle-même,  et  lorsqu'elle  est  contrainte  de  s'y  replonger, 
elle  trouve  son  Dieu  sans  pouvoir  le  posséder;  elle  se  fuit  sans 
pouvoir  s'éviter;   elle  passe  successivement  des  ténèbres  à  la  lu- 
mière, de  la  lumière  aux  ténèbres;  elle  roule  d'abîmes  en  abîmes, 
d'horreurs  en  horreurs;  elle  porte  l'Enfer  jusque  vers  le  ciel;  elle 
rapporte  l'image  du  ciel  jusque  dans  l'Enfer  même. 

Dans  ces  vicissitudes  continuelles  le  réprouvé  crie  au  Seigneur: 
Si  vous  êtes  mon  souverain  bien,  pourquoi  vous  dérobez-vous  à 
mes  empressemens?  si  vous  devez  être  mon  supplice,  pourquoi 
faut-il  que  je  vous  cherche?  Quare  posuisti  me  contrarium  tibi  1? 
Ou  détruisez  ces  péchés  monstrueux  qui  sont  entre  vous  et  moi , 
ou  enchaînez  l'activité  de  mon  ame;  le  spectacle  de  mes  iniquités 
et  de  mes  châtimens  n'augmente  pas  votre  bonheur  et  votre  gloire, 
et  votre  aspect  est  le  plus  insupportable  de  mes  tourmens;  ne 
puis-je  renoncer  à  vous  après  vous  avoir  perdu  sans  ressource?  Ne 
serai-je  pas  assez  malheureux  sans  vous?  Qu'attendez-vous  de 
moi  ?  Je  ne  sais,  je  ne  puis,  je  ne  veux  que  maudire  et  que  blas- 
phémer. Comment  concilier  des  mouvemens  si  contraires?  Je  sens 
pour  vous,  au  dedans  de  moi,  le  penchant  d'un  élu  et  l'aversion 
d'un  réprouvé.  Quare,  quare  posuisti  me  contrarium  tibi?  Ah!  le 
Prophète  l'avait  compris,  lorsqu'à  la  vue  des  abominations  qui 
couvraient  la  face  de  la  terre  il  disait  au  Seigneur  :  Ne  vous  ar- 
mez point  de  votre  tonnerre,  votre  patience  vous  servira  mieux 
que  votre  fureur;  abandonnez  les  pécheurs  à  leurs  sens  déréglés; 
laissez-leur  ajouter  péché  sur  péché,  offense  sur  offense;  ils  sont 
comme  les  Dieux  du  temps,  vous  êtes  le  Dieu  de  l'éternité.  Jppone 
iniguitatem  super  iniquitatem  2;  plus  ils  vous  outragent,  plus  ils 
vous  vengent;  leur  conscience  est  le  trésor  de  votre  colère;  vous 
y  puiserez  éternellement  :  autant  de  péchés,  autant  d'Enfers. 

Quelle  impression  ces  vérités  terribles  ne  firent-elles  pas   sur 
l'ame  de  ces  solitaires  d'Egypte,  déchus  delà  sainteté  de  leur  voca- 

1  Job.  vu.  20.  —  *  Ps.  rxviii.  28. 


DES    PRÉDICATEURS,  l3y 

tion  !  Saint  Jean  Climaque,  qui  avait  été  le  témoin  de  leurs  austé- 
rités, nous  en  a  laissé  une  peinture  effrayante  ;  nous  l'adoucirons 
par  ménagement  pour  votre  délicatesse.Yoici  comme  il  s'exprime: 
A  quelque  distance  d'un  grand  monastère  que  je  visitais ,  en  était 
un  autre  nommé  la  Prison,  où  s  entérinaient  volontairement  ceux 
qui,  depuis  leur  profession  ,  s'étaient  rendus  coupables  de  quel- 
ques péchés  considérables  ;  tout  y  respirait  la  pénitence  et  la  tris- 
tesse; du  pain  et  quelques  herbes  étaient  leur  nourriture;  j'en  vis 
qui  passaient  la  nuit  à  l'air,  forçant  la  nature  pour  s'empêcher  de 
dormir,  comme  si  c'eut  été  un  temps  dérobé  à  la  pénitence  ;  d'au- 
tres, les  yeux  tristement  tournés  vers  le  ciel,  demandaient  des  se- 
cours avec  des  gémissemens  et  des  soupirs  ;  d'autres  criaient  qu'ils 
étaient  indignes  de  regarder  le  ciel  ,  et  n'osaient  parler  à  Dieu 
dansleurs  prières;les  uns  retenaient  au  dedans  leurs  gémissemens  ; 
les  autres  poussaient  du  fond  de  leur  cœur  des  rugissemens  de 
lions  ;  la  plupart  accablés  de  remords  disaient  qu'ils  seraient  con- 
tens  d'être  privés  du  royaume  céleste ,  pourvu  qu'ils  fussent 
exempts  des  peines  de  l'Enfer. 

Là ,  on  voyait  accompli  au  pied  de  la  lettre  ce  que  dit  David  , 
des  hommes  courbés  et  abattus  de  tristesse,  qui  mêlaient  de  leurs 
larmes  l'eau  qu'ils  buvaient,   et  mangeaient  la  cendre  avec  leur 
pain  ;leur   peau  était  attachée  aux  os  ,  et  séchée  comme  l'herbe  ; 
vous  n'entendiez  que  ces  paroles  :  Malheur  !  malheur  à  moi!  par- 
don !  pardon,  Seigneur!  miséricorde!    faites-nous  grâce,  s'il  est 
possible.   Ils  avaient  toujours  le  péché,  la  mort ,  l'Enfer  devant 
les  yeux,  et  se  disaient  :  Que  deviendrons-nous  ?  quelle  sera  notre 
fin  ?  Ainsi  parlaient  ces  saints   pénitens  ,  couchés   sur  la  terre , 
couverts  de  haillons  ,  semblables  à  des  spectres  au  milieu  des  té- 
nèbres ;  et  lorsqu'ils  se  voyaient  prêts  de  leur  fin  ,  pour  étendre 
leur  pénitence  au  de-là  même  de  leur  mort,  ils  demandaient  com- 
me une  grâce  d'être  privés  de  la  sépulture,  du  chant  des  psaumes, 
et  de   tout  honneur   funèbre.   Oserait-on  les  blâmer  ?  dira-t-on 
qu'ils  avaient  trop  d'horreur  du  péché  ?  pouvons-nous  trop  détes- 
ter la  source  de  tous  nos  maux,  et  ce  qui  nous  attire  lindignation 
de  Dieu  ?  dira-t-on  que  leur  imagination  leur  exagérait  les  sup- 
plices de  l'Enfer?  La  pensée  ne  saurait  les  égaler.  Comment  pour- 
rait-elle les  exagérer?  dira-t-on  qu'ils  se  formaient  une  fausse  idée 
de  la  justice  divine?  Eh!    qui  en   a  jamais  sondé  la  profondeur? 
Dès  que  ces  solitaires  conservaient  leur  confiance  en  la  miséricor- 
de divine ,  leurs  mortifications  n'étaient  outrées  que  parce  qu'elles 
étaient  au  dessus  des  forces  de  la  nature  ;  aussi  nous  ne  les  propo- 


l38  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

sons  pas  à  votre  imitation,  elles  ne  sont  pas  nécessaires  à  votre  sa- 
lut; nous  ne  les  proposons  pas  à  votre  admiration,  elles  vous 
inspireraient  plutôt  de  l'effroi  ;  nous  les  proposons  à  votre  lâcheté, 
elles  la  confondent;  que  si  ces  célèbres  pénitens  avaient  besoin 
de  justification,  nous  vous  dirions  que  la  conduite  de  l'Fglise 
semblait  les  porter  à  ces  pieux  excès  ;  ils  duraient  encore  ces 
temps  de  rigueur  où  l'on  voyait  les  pécheurs,  scandaleux  et  repen- 
tans,  séparés  du  reste  des  fidèles  ,  exclus  de  la  participation  aux 
saints  mystères  ,  condamnés  à  plusieurs  années  de  pénitence,  cou- 
vers  de  cendre  et  de  cilice  ,  baignés  dans  leurs  larmes,  prosternés 
aux  portes  des  temples  ,  dont  leurs  iniquités  leur  fermaient  l'en- 
trée !  Epreuves  effrayantes  ,  niais  utiles  ,  qui  représentaient  vive- 
ment la  sévérité  desjugemens  de  Dieu,  l'énormité  du  péché,  les 
difficultés  de  recouvrer  l'innocence  après  qu'on  l'a  malheureuse- 
ment perdue,  et  qui  servaient  en  même  temps  de  frein  à  la  licence 
toujours  prête  à  se  déborder  ;  jours  heureux  de  ferveur,  hélas  !  ils 
ont  disparu  pour  jamais,  nous  en  avons  perdu  jusqu'au  souvenir! 
Gomment  s'est  faite  cette  révolution  ?  Par  degrés.  D'abord  le 
relâchement  ,  ensuite  la  corruption  générale  des  mœurs  n'ont 
pas  permis  à  l'Eglise  de  persévérer  dans  son  ancienne  discipline, 
elle  s'est  vue  forcée,  malgré  elle,  de  laisser  tomber  peu  à  peu  cette 
longue  suite  de  mortifications  extérieures,  qui  précédaient  autrefois 
le  bienfait  de  l'absolution  ;  mais  elle  ne  nous  a  pas  dispensés  du 
fond ,  ni  de  l'esprit  essentiel  de  la  pénitence ,  qu'elle  conservera 
toujours  dans  toute  leur  vigueur.  (L'abbé  Poulle.) 

Péroraison. 

Qu'ai-je  fait,  grand  Dieu?  Vous  n'aviez  qu'à  me  livrer  à  moi- 
même  et  à  mes  péchés;  vous  n'aviez  qu'à  me  dire  :  Plus  de  miséri- 
corde, et  j'aurais  trouvé  l'Enfer  sur  la  terre  même  :  Dolores  Inferni 
circumdederunt  me,  je  me  croyais  vivant  et  je  suis  mort,  mort  à  la 
vie  de  la  grâce,  à  la  sainteté,  à  la  gloire ,  prœoccupaverunt  me  la- 
quei  mortis ;  tremblant,  saisi  de  crainte,  effrayé  de  la  profondeur 
de  l'abîme  où  je  suis  enfoncé  ,  j'ose  recourir  à  vous;  un  rayon  d'es- 
pérance me  luit  encore  et  me  soutient  parmi  tant  d'alarmes!  Non, 
vous  ne  me  laisserez  pas  périr  :  de  moi-même  je  n'ai  pas  la  force 
de  sortir  de  ce  gouffre;  vous  me  tendrez  une  main  secourable, 
in  tribulatione  mea  invocavi  Dominum.  Grâce  à  votre  bonté,  je  ne 
suis  pas  encore  dans  cet  Enfer,  où  les  larmes  sont  infructueuses, 
où  les  prières  sont  rejetées  ,  où  les  sacrifices  ne  sont  que  des  tour- 


DES  PREDICATEURS.  lô(J 

mens;  entendez  mes  gémissemens,  mes  soupirs,  mes  cris,  ce  sont 
les  cris  du  cœur.  Clamavi;  vous  appellerai-je,  mon  Dieu?  mais 
je  me  suis  révolté  contre  votre  loi,  j'ai  violé  vos  commandemens. 
Dirai-je  mon  Père?  mais  j'ai  effacé  votre  image  adorable,  vous  ne 
reconnaîtriez  plus  en  moi  votre  enfant.  Dirai-je  mon  Juge?  mais 
je  ne  mérite  que  votre  indignation.  Je  ne  sais  comment  vous  nom- 
mer pour  vous  intéresser  à  ma  défense;  mais  je  sens  que  vous  êtes 
tout  ce  qu'il  faut  pour  me  sauver,  et  que  vous  seul  le  pouvez.  Si 
vous  consultez  votre  justice,  ah  !  je  suis  indigne  de  pardon.  Si  vous 
écoutez  votre  miséricorde,  voyez  qui  en  a  plus  de  besoin  que  moi? 
AdDeum  meum  clamavi.  Moi,  vous  maudire!  moi,  vous  blasphé- 
mer éternellement  !  Cette  seule  pensée  est  un  Enfer  anticipé.  Parlez; 
que  faut-il  que  je  fasse  ?  détester  mes  iniquités  ?  je  les  abhorre  ; 
les  confesser  à  vos  ministres?  j'irai  me  jeter  à  leurs  pieds  pour 
leur  en  faire  l'aveu  humiliant  et  sincère;  éviter  les  occasions  dan- 
gereuses? dès  ce  moment  je  me  dévoue  à  la  retraite;  renoncer  aux 
idoles  que  j'adorais  ?  je  les  sacrifie  pour  toujours  ;  me  soumettre  au 
joug  de  la  pénitence?  ce  n'est  pas  un  joug,  c'est  un  remède  salu- 
taire qui  guérira  les  plaies  de  mon  ame.  Fallut-il  me  livrer  au  mar- 
tyre; qu'on  frappe,  la  victime  est  toute  prête.  Trop  heureuse  de 
pouvoir  parla  contenter  votre  justice,  détruire  mes  péchés,  rache- 
ter mon  ame  de  l'enfer,  et  espérer  de  célébrer  un  jour  vos  miséri- 
cordes dans  les  tabernacles  éternels.  Ainsi  soit-il.  (Le  même.) 


Izf0  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE 


PLAN  ET  OBJET  DU  TROISIÈME  DISCOURS 
SUR  L'ENFER. 

EXORDE. 

Mortuus  est  dives  ,  et  supultus  est  in  Inferno. 
Le  riche  mourut,  el  il  fut  enseveli  dans  l'Enfer.  (Luc.  XVI.  ) 

Voilà  donc  le  terme  faial  où  devait  aboutir  la  vie  sensuelle  du 
mauvais  riche;  et  c'est  dans  ce  gouffre  d'horreurs  où  il  est  enseveli 
depuis  tant  de  siècles,  que  la  foi  nous  montre  encore  tous  les  cou- 
pables enlevés  de  ce  monde  dans  la  disgrâce  de  Dieu  et  redevables 
à  sa  justice.  Il  y  a  donc  un  Enfer,  vérité  fondamentale  de  notre  re- 
ligion ;  et  qu'il  est  étrange  que  le  plus  grand  et  le  plus  aimable  des 
Maîtres  ait  été  obligé  de  creuser  un  Enfer  sous  nos  pas  pour  nous 
faire  respecter  ses  lois  ,  pour  mettre  ses  bienfaits  à  couvert 
de   notre  ingratitude  et  sa  majesté  à  l'abri  de  nos  outrages  ! 

Il  y  a  un  Enfer,  et  cependant  la  terre  est  couverte  de  pécheurs. 
Portes  des  cieux ,  m'écrierai-je  ici  avec  le  Prophète,  brisez- vous 
détonnement  et  de  désolation.  Et  toi,  monument  éternel  des 
vengeances  du  Très-Haut,  épouvantable  abîme,  s'il  faut  qu'un  jour 
nous  augmentions  le  nombre  de  tes  victimes  infortunées;  rassasiés 
de  tourniens  et  transportés  de  rage,  nous  nous  demanderons  à 
en  nous-mêmes  où  était  donc  notre  foi  et  notre  raison,  quand  nous 
osâmes  fouler  aux  pieds  la  crainte  de  tes  supplices  et  franchir  la 
plus  redoutable  barrière  que  le  Tout-Puissant  ait  pu  opposer  à  la 
licence  du  crime  ? 

Il  y  a  un  Enfer.  Je  prêche  cet  Enfer  à  des  chrétiens  qui  le  re- 
gardent comme  un  des  points  essentiels  de  leur  croyance  ;  et  la  plu- 
part d'entre  eux  l'ont  déjà  mérité,  et  plusieurs  le  méritent  encore, 
et  tous  peuvent  le  mériter  un  jour;  et  nous  n'y  pensons  pas,  et 
nous  ne  le  craignons  pas!  Eh!  à  quoi  donc  réservons-nous  nos 
réflexions  et  nos  frayeurs? 

Mon  Dieu  !  serait-il  donc  vrai  que  la  crainte  des  châtimens  de 
l'autre  vie,  cette  crainte,  toujours  si  utile  et  quelquefois  si  néces- 
saire, eût  perdu  dans  nos   esprits  cette  force  victorieuse  qu'elle 


DES    PRÉDICATEURS.  l4r 

emprunte  de  votre  grâce  pour  ébranler  les  consciences  et  en  faire 
sortir  des  prodiges  de  pénitence  et  de  sainteté  ?  A  des  cœurs  no- 
bles et  purs,  il  ne  faudrait  qu'étaler  vos  bontés  et  vos  charmes 
pour  les  faire  voler  vers  vous;  mais  à  des  cœurs  profondément 
gâtés  et  corrompus,  roulant  sans  cesse  dans  une  alternative  de 
bien  et  de  mal  ,  livrés  même  au  crime  et  insensibles  aux  mer- 
veilles de  votre  amour,  il  faut  faire  gronder  le  tonnerre  de  vos 
vengeances;  il  faut  employer  en  leur  faveur  la  dernière  ressource 
du  salut,  et  réveiller  en  eux  la  crainte  de  l'Enfer:  comment?  par 
l'image  de  la  mort  même.  Et  voilà ,  mes  frères,  le  dessein  que  je 
me  propose  dans  ce  discours;  je  m'attache  à  deux  idées  simples, 
mais  d'où  je  vois  sortir  tous  les  traits  du  plus  effrayant  tableau 
que  la  religion  ait  à  nous  présenter:  la  nature  des  peines  de  l'En- 
fer, l'étendue  des  peines  de  l'Enfer  ;  l'un  et  Vautre  également  pro- 
pres à  nous  montrer  combien  l'Enfer  est  terrible. 

Soutenez,  Seigneur,  ma  faible  voix,  et  écoutez  une  prière  que 
je  ne  vous  adresse  ici  qu'en  tremblant.  Arrêtez,  suspendez  ce  sen- 
timent de  confiance  qui,  pour  nous  rassurer  contre  les  rigueurs 
de  votre  justice,  va  nous  chercher  un  asile  dans  la  bonté  de  vo- 
tre cœur;  car  n'est-ce  pas  l'idée  d'une  bonté  si  facile  qui  trop 
souvent  nous  endort  à  l'ombre  d'une  sécurité  funeste  ?  Cachez- 
nous  donc  le  Dieu  des  miséricordes,  et  puisque,  pour  vous  faire 
aimer,  il  faut  d  abord  que  vous  vous  fassiez  craindre,  ne  nous 
laissez  voir,  au  fond  d'un  nuage  sombre  et  menaçant,  que  le  Dieu 
armé  d'anathèmes,  assis  sur  un  trône  de  flammes  ,  et  fixant  sur 
nous  un  œil  terrible  ;  que  le  Dieu  dont  le  bras  infatigable  épuise 
sur  les  pécheurs  tous  les  traits  de  son  courroux;  que  le  Dieu  des 
réprouvés  et  des  démons.  (L'abbé  Richard  ,  Sur  F  Enfer.) 

Supplices  des  méchans  dans  l'Enfer  après  la  mort. 

Je  ne  l'ignore  pas;  on  trouve  des  hommes  qui,  sentant  au  fond 
de  leur  conscience  de  quel  sort  ils  se  sont  rendus  dignes,  sou- 
haitent encore  plus  qu'ils  ne  le  croient  que  tout  finisse  pour  eux 
avec  leur  corps;  ils  aiment  mieux  périr  tout  entiers  que  de  re- 
naître pour  subir  la  peine  qu'ils  ont  méritée.  Leur  erreur  s'accroît 
encore,  quand  ils  voient  la  liberté  dont  ils  jouissent  en  cette  vie, 
et  la  patience  incomparable  de  Dieu,  dont  toutefois  le  jugement 
est  d'autant  plus  juste  qu'il  a  été  plus  long-temps  différé.  Et  pour- 
tant ils  ne  peuvent  ouvrir  les  livres  de  tout  ce  qu'il  y  a  eu  d'hom- 
mes éclairés ,  ils  ne  peuvent  parcourir  les  ouvrages  même  des 


1^2  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

poètes,  sans  y  trouver  à  cet  égard  de  salutaires  avertissemens  : 
tant  c'est  une  pensée  gravée  au  fond  des  cœurs  de  tous  les  hom- 
mes,  qu'un  jour  viendra  où  le  désordre  apparent  qui  règne  dans 
le  monde  sera  réparé,  et  où  la  justice  divine  paiera  à  l'homme 
vertueux  la  récompense  de  ses  bonnes  œuvres,  et  au  méchant  la 
peine  de  ses  crimes. 

Si  la  félicité  du  juste  doit  être  immense,  le  châtiment  du  pécheur 
ne  sera  pas  moindre.  Les  supplices  dont  il  sera  la  proie  ne  connaî- 
tront ni  mesure  ni  terme.  Là  un  feu  qui  semble  en  quelque  sorte 
doué  d'intelligence  brûle  tout  à  la  fois  et  entretient  les  corps.  Il  les 
dévore  et  les  nourrit,  semblable  à  ces  feux  du  ciel  qui  frappent  et  af- 
fectent les  objets  sans  les  consumer;  et  ainsi  ces  flammes  vengeresses 
ne  s'alimentent  point  au  détriment  des  corps  qui  leur  sont  livrés, 
et  même  au  milieu  de  leur  action  ils  demeurent  tout  entiers. 

Mettrons-nous  en  question  s'il  est  juste  que  ceux  qui  ne  veulent 
pas  reconnaître  Dieu,  que  des  impies,  des  hommes  livrés  à  toute 
espèce  d'injustices,  soient  punis  de  cette  manière  par  la  main 
toute-puissante  de  Dieu  ?  Ce  serait  être  impie  comme  eux  que  d'en 
douter.  Ne  point  vouloir  adorer  le  Père  et  le  Seigneur  commun 
de  toutes  choses,  n'est-ce  pas  l'insulter  autant  qu'il  est  au  pouvoir 
d'une  créature  de  le  faire?  (Minucius  Félix,  Octave.) 

Ce  que  c'est  que  le  feu  de  l'Enfer. 

Après  que  le  Sauveur  aura  fait  placer  à  sa  droite  tous  ses  élus , 
et  leur  aura  adressé  ces  consolantes  paroles  :  «  Venez  les  bénis  de 
mon  Père,  »  prenant  tout  à  coup  l'accent  d'un  juge  qui  porte  une 
sentence  de  mort,  il  dira  aux  méchans  :  «  Retirez-vous  de  moi.  » 

Or,  vous  le  savez,  mes  frères,  ils  ne  se  retireront  de  Jésus-Christ 
que  pour  aller  au  feu  éternel  de  l'Enfer,  qui  est  dune  nature  tout 
autre  que  celui  dont  nous  faisons  usage  sur  la  terre  :  car  parmi 
les  hommes  il  n'est  point  de  feu  éternel;  mais  le  prophète  Isaïe 
nous  dit  formellement  que  <  le  feu  de  l'Enfer  ne  s'éteindra  jamais.  » 
Peut-être  est-ce  un  feu  invisible,  puisqu'il  brûle  des  choses  invi- 
sibles, et  puisque  tout  ce  qui  tombe  sous  nos  sens  est  nécessaire- 
ment temporel ,  et  «  qu'il  n'y  a  d  éternel  que  ce  que  nos  sens  ne 
«  peuvent  atteindre.  »  Il  faut  de  deux  choses  l'une  :  ou  que,  si  ce 
feu  est  visible,  il  ne  soit  pas  éternel;  ou  que,  s'il  est  éternel,  il 
ne  soit  pas  visible.  Or,  le  Prophète  nous  fait  bien  assez  entendre 
que  ce  serait  se  tromper  que  d'attribuer  à  ce  feu  la  même  nature 
qu'à  celui  dont  nous  nous  servons,  puisqu'il  nous  est  dit  encore 


DES    PREDICATEURS,  ifâ 

que  c  est  un  feu  qui  ne  s'allume  point.  «  Il  sera  dévoré,  dit  Job  , 
«  d'un  feu  qui  ne  s'allume  point.  » 

Et  ne  vous  étonnez  point  si  fort  de  ce  que,  tout  invisible  qu'il 
est,  ce  feu  agit  néanmoins  sur  les  hommes  coupables  pour  les  pu- 
nir, puisque  vous  voyez  tous  les  jours  le  feu  matériel  affecter  les 
corps,  les  décomposer,  les  consumer,  sans  que  la  chaleur  elle- 
même  frappe  vos  yeux. 

Ecoutons  maintenant  le  juste  juge  expliquer  les  raisons  dune 
si  sévère  sentence  :  «  J'ai  eu  faim,  dit-il,  et  vous  ne  m'avez  pas 
«donné  à  manger;  j'ai  eu  soif,  et  vous  ne  m'avez  pas  donné  à 
«  boire.  »  Ainsi  le  Sauveur  nous  enseigne  qu'il  souffre  lui-même 
tout  ce  que  souffre  son  Eglise,  quoiqu'il  soit  impassible  sous  le 
rapport  de  sa  divinité.  C'est  lui-même  qui  a  faim,  quand  les  saints 
ont  besoin  de  nourriture  ;  c'est  lui-même  qui  a  soif,  quand  ils  sont 
altérés.  Si  quelques-uns  de  ses  membres  sont  affligés  de  quelque 
maladie,  c'est  lui-même  qui  souffre  en  eux.  S'il,  en  est  qui  cher- 
chent un  asile  pour  se  mettre  à  l'abri  contre  les  injures  du  temps, 
c'est  encore  le  Fils  de  l'Homme  qui  n'a  pas  même  où  reposer  sa 
tête;  il  souffre  le  froid  clans  ceux  qui  sont  nus,  il  est  revêtu  lui- 
même,  lorsque  quelque  chrétien  charitable  prend  soin  de  les  vêtir: 
voilà  ce  que  Jésus-Christ  a  pris  soin  de  nous  apprendre  en  nous 
disant  :  «  Ce  que  vous  ferez  à  quelqu'un  de  ces  petits,  je  me  le 
«  tiendrai  fait  à  moi-même.  *  (Origene,  Comin.  sur  saint  Matthieu), 

Même  sujet. 

Ah  !  mes  frères ,  combien  de  réprouvés  dans  les  flammes  ont 
moins  péché  que  vous  !  combien  donc  le  feu  qui  les  brûle  vous 
tourmentera-t  il  plus  qu'eux,  si  votre  nom  est  écrit  dans  le  livre 
de  mort  !  Intetrogabit  ossa  et  medullas^  et  cogitationes  nostras.  Plus 
perçant  qu'un  glaive  à  deux  tranchans  ,  ce  feu  pénétrera  jusqu'au 
fond  du  cœur,  et  en  démêlera  les  replis  les  plus  cachés, les  inten- 
tions les  plus  secrètes.  Il  interrogera  toutes  les  puissances  de  l'âme, 
tous  les  membres  du  corps.  Il  interrogera  tant  de  pensées,  tant  de 
sentimens,  tant  de  paroles,  tant  d'actions  criminelles.  Il  les  interro- 
gera, il  les  comptera,  il  les  dévorera.  Il  s'élancera  sur  sa  tremblante 
victime;  et,  le  nombre  de  ses  iniquités  surpassât-il  celui  des  cheveux 
de  sa  tête,  tout  sera  puni,  tout  sera  la  proie  des  flammes.  Et  que  de- 
viendrez-vous  alors,  vous,  qui  déjà  redevables  à  la  justice  divine, 
au  lieu  d'expier  vos  péchés  anciens,  ne  faites  chaque  jour  qu'y  en 
ajouter  de  nouveaux ,  et  préparer  des  alimens  à  ces  flammes  venge- 
resses PPour  redoubler  contre  vous  leurs  atteintes  furieuses,  il 


l44  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

faudra  donc  que  le  Tout-Puissant  tire  des  trésors  de  sa  colère  les 
plus  affreux  miracles,  et,  dans  ces  gouffres  brûlans,  la  rigueur  de 
votre  supplice  sera  la  marque  funeste  à  laquelle  on  vous  distinguera 
du  peuple  des  réprouvés  :  Interrogabit  ossa  et  medullas ,  et  cogita- 
tiones  nostras.  (  L'abbé  Richard.) 

Feu  de  l'Enfer,  feu  vérilable. 

La  religion  nous  montre  les  réprouvés  plongés  dans  des  brasiers 
ardens,  livrés  aux  plus  cuisantes  atteintes  d'un  feu  qui  leur  sert  de 
vêtement  embrasé,  qui  s'attache  avec  fureur  à  toutes  les  puissances 
de  leur  ame,  qui  exercera  son  activité  sur  toutes  les  parties  de  leur 
corps,  et  qu'à  cette  vue ,  armé  d'un  glaive  menaçant,  elle  dit  aux 
pécheurs  :  voilà  votre  place.  Dieu  a  choisi  parmi  tous  les  êtres  créés 
le  plus  majestueux  et  le  plus  cruel,  pour  en  faire  l'instrument  de 
ses  vengeances,  le  plus  digne  de  sa  grandeur  et  de  sa  colère.  Fai- 
bles hommes,  qui  succombez  à  la  douleur  que  vous  cause  une  étin- 
celle de  feu  ,  dites-moi  comment  vous  pourrez  soutenir  l'ardeur 
de  ces  flammes  dévorantes  ? 

Non  ,  mes  frères  ,  ce  n'est  point  ici  un  épouvantait  fait  pour  alar- 
mer la  simplicité  des  enfans  et  la  crédulité  des  peuples  :  c'est  une 
vérité  qui  a  fait  trembler  les  héros  de  la  foi ,  les  anges  du  désert , 
les  plus  grands  personnages  qui  aient  paru  dans  l'Eglise  de  Jésus- 
Christ;  et  la  réalité  du  feu  de  l'Enfer  est  unanimement  reconnue 
par  tous  les  docteurs  catholiques ,  parce  qu'elle  est  évidemment 
appuyée  sur  les  oracles  divins;  parce  que  les  Prophètes  et  les  Apô- 
tres nous  offrent  en  mille  endroits  de  leurs  écrits  ,  et  sous  les  traits 
les  plus  naturels  et  les  plus  frappans  ,  limage  du  feu  mêlée  aux 
menaces  de  la  colère  céleste,  parce  que  Jésus-Christ  lui-même 
nous  montre  le  mauvais  riche  enseveli  dans  les  flammes;  et ,  pour 
prévenir  dans  nos  esprits  jusqu'au  moindre  doute,  il  nous  a  laissé 
dans  l'Evangile  le  précis  de  ce  foudroyant  arrêt,  qui  condamnera 
les  pécheurs  au  feu.  Après  cela,  malheur  à  quiconque  refuserait  de 
croire  !  Malheur  à  nous  si  nous  ne  saisissons  pas  avec  les  plus  sa- 
ges et  les  plus  éclairés  des  hommes  tous  les  moyens  d'échapper  à 
ce  feu,  qui  dévore  les  réprouvés  dans  l'enfer  :  Devorabit  eosignis. 

Feu  de  l'Enfer,  feu  épouvantable;  car,  dit  saint  Augustin,  c'est 
la  toute  puissance  de  Dieu  qui  le  met  en  œuvre,  et,  dans  la  main 
d'un  Dieu  vengeur  de  ses  lois ,  quelle  doit  être  la  vivacité  de  ce 
feu  miraculeux  et  immortel  !  Eh  quoi  !  tous  les  feux  de  la  terre 
n'en  sont  qu'une  ombre,  dit  saint  Bernard  :  quoi  !  ces  fournaises 


DES  PRÉDICATEURS.  %4$ 

embrasées  qui  fondent  les  métaux,  calcinent  les  corps  les  plus 
durs,  et  dont  on  ne  peut  soutenir  l'approche  sans  un  secret  fré- 
missement; ces  montagnes  fumantes  qui,  du  fond  de  leurs  noirs 
abîmes,  vomissent  des  torrens  de  flammes,  et  re'pandent  la  con- 
sternation dans  les  champs  qui  les  environnent;  ces  nuages   en- 
flammes,    qui  portent  la  foudre  dans  leur  sein,  l'envoient  avec 
fracas  jeter  parmi  les  pâles  mortels  la  terreur  et  la  mort;  ce  déluge 
de  feu,  qui  tomba  sur  des  villes  coupables,  et  changea  leur  infâme 
re'gion  en  un  vaste  brasier;  ce  feu  plus  terrible  encore,  qui  doit  à 
la  fin  des  temps  causer  un  incendie  général ,  et  faire  du  monde 
entier  un  affreux  monceau  de  cendres  :  quoi  !  tout  cela,  tous  ces 
feux  jetés  et  réunis  dans  les  prisons  de  l'Enfer   ne  seraient  que 
quelques   traits   échappés  de  ses   flammes  :  Ignis  œterni  mlssUia 
surit P  Que  l'épouvante  les  saisisse,  disait  Moïse,  en  parlant  des 
ennemis  de  son  peuple  ;  qu'elle  leur  glace  le  sang  dans  les  veines, 
et  les  rende  immobiles  comme  des  pierres  :  Fiant  immobiles  quasi 
lapis.  Grand  Dieu!  et  n'expirerions-nous  pas  de  frayeur,  si  vous 
nous  montriez  ces  feux  allumés  par  votre  colère  dans  les  sombres 
profondeurs  de  l'avenir  ? 

O  flammes  infernales,  qu'anime  le  souffle  du  Tout-Puissant!  ô 
tempêtes  de  feu,  qui  jamais   ne   s'apaisent!  pluie  brûlante,  qui 
tombe  à    torrens  précipités!    tonnerres  effroyables,  qui  éclatent 
de  toutes  parts,  du  milieu  de  cette  mer  de  soufre  embrasé,  où  la 
justice  de  Dieu  se  promène  avec  fureur,  écrasant  sous  ses  coups  des 
milliers   de  criminels ,  que  l'Ecriture  et  les  Pères  nous  représen- 
tent chargés  de  chaînes  de  feu,  abîmés  dans  des  flots  de  feu,  trans- 
formés eux-mêmes  en  feu;  et  dans  ce  feu,  dont  la  violence  surpasse 
toutes  les  forces  de  la  nature,   parvenus,  ce   semble,  au  dernier 
période  de  la  douleur!  car,  quelle  est  l'étrange  impression  de  ce 
feu  sur  ses  victimes?  J'essaierais  en  vain  de  vous  le  faire  com- 
prendre,   et  j'abandonne    à  vos   réflexions  cette   triste    vérité 
qu'un  seul  instant  passé  dans  les  feux  de  l'Enfer  est  infiniment 
plus  douloureux  que  des  siècles  entiers  qui  réuniraient  sur  vous 
tous  les  maux  imaginables  de  ce   monde  :  Non  modo  hase  parva 
suntjsednulla.  C'est  la  pensée  de  saint  Augustin;  n'a-t-elle  pas  de 
quoi  vous  frapper  et  vous  consterner?  Et  cependant  ce  n'est  pas 
tout  :  écoutez  ce  qui  me  reste  à  vous  dire  de  ce  feu  qui  dévore 
les  réprouvés  dans  l'Enfer  :  Devorabit  eos  ignis. 

Feu  de  l'Enfer,  feu  raisonnable,  et  qui  redouble  encore  l'acti- 
vité de  ses  flammes  selon  le  nombre  et  la  grièvecé  de  ses  crimes  j 
Justice  suprême ,  qui  punissez  les  damnés  ,  ,oui  ?vous  rendez  à 

m.  ïo 


!2J6  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

chacun  selon  ses  œuvres  ;  et  c'est  dans  le  séjour  de  la  confusion  et 
du  désordre  que  vous  montrez  aussi  l'ordre  équitable  de  vos  châ- 
timens.  Hélas  !  si  une  seule  offense  mortelle  nous  rend  dignes  à 
vos  yeux  du  feu  de  la  réprobation ,  et  si  vous  ordonnez  à  ce  feu 
vengeur  d'en  poursuivre  avecune  rigueur  presque  infinie  la  tache 
ineffaçable,  avec  quelle  fureur  devez-vous  donc  la  déchaîner  con- 
tre une  ame  défigurée  et  noircie  par  une  multitude  de  crimes!  (Le 

MEME.) 

Quelles  sont  les  victimes  de  la  colère  de  Dieu  dans  l'Enfer? 

Là  ,  c'est  un  pécheur  scandaleux  dont  les  exemples  et  les  con- 
seils séduisirent  tant  dames  faibles  et  innocentes  ;  artisan  de  leur 
malheur,  vil  suppôt  du  démon  ,  ennemi  déclaré  de  Jésus-Christ 
jusque  dans  l'empire  de  sa  religion,  il  lui  fit  une  guerre  ouverte; 
il  eut  voulu  anéantir  le  fruit  de  sa  croix;  il  lui  ravit  le  prix  de  son 
sang  ;  et  il  ne  serait  pas  l'objet  de  toute  sa  fureur  au  milieu  des 
flammes  vengeresses  !  Sanguinem  ejus  de  manu  tua  requiram. 

Là ,  c'est  un  grand  du  monde  que  la  justice  et  la  reconnaissance 
invitaient  à  glorifier  l'auteur  de  son  élévation  par  de  plus  profonds 
hommages,  et  qui  tira  de  sa  grandeur  même  mille  secours  pour 
outrager  avec  plus  d'audace  et  plus  de  succès  la  main  bienfaisante 
et  magnifique  qui  l'avait  élevé  au  dessus  des  autres  hommes.  Puis- 
sans  dieux  de  la  terre,  de  quel  triste  éclat  vous  brillerez  dans  les 
Enfers ,  quand  le  Dieu  fort  et  terrible ,  déployant  contre  vous 
toute  l'activité  d'un  feu  vengeur  de  ses  droits,  ne  vous  laissera  de 
votre  grandeur  passée  que  le  funeste  privilège  de  sentir  plus  que 
les  autres  la  grandeur  et  l'excès  de  ses  tourmens  :  Potentes  poten- 
ter  tormenta  patîentur  ! 

Là,  c'est  un  riche  du  monde;  et  parce  qu'il  ne  fit  entrer  pour 
rien  l'obligation  de  l'aumône  dans  l'usage  de  ses  richesses,  parce 
qu'il  n'eut  pour  tant  d'infortunés  Lazares  que  des  entrailles  de  fer; 
coupable  du  crime  que  l'Evangile  reproche  au  mauvais  riche,  le 
voilà,  comme  lui,  plongé  dans  des  feux  dont  il  ressent  les  plus 
vives  atteintes  ;  comme  lui,  se  désespérant  dans  le  sein  de  ses  dou- 
leurs, et  criant  plus  haut  que  le  reste  des  damnés  :  Crucior  in  hac 
flamma. 

Là,  c'est  une  infinité  d'ames  sensuelles  et  voluptueuses,  qui 
expient  d'infâmes  plaisirs  par  les  plus  horribles  tortures,  Religion 
sainte,  n'est-ce  pas  surtout  aux  flammes  honteuses  de  l'impureté 
que  sont  réservées  les  flammes  les  plus  dévorantes  de  l'Enfer?  Oui, 
vous  nous  dites  que  c'est  contre  ce   vice  abominable  qui  aura 


r      DES    PREDICATEURS.  I/j7 

traîné  dans  la  boue  d'une  satisfaction  brutale  une  chair  consacrée 
par  le  sceau  du  baptême,  et  dont  l'opprobre  rejaillit  en  quelque 
sorte  sur  l'auguste  chef  dont  nous  sommes  les  membres;  que  le 
Dieu  de  sainteté  et  de  justice  éclate  dans  ces  prisons  embrasées, 
et  que  plus  on  a  goûté  de  criminelles  délices,  plus  on  y  est  immolé 
à  d'ineffables  tourmens  :  Quantum  in  deliciis  fuU}  tantum  date  Mi 
tormentum  et  luctum. 

Or,  à  la  vue  de  ces  réprouvés  étincelans  de  feu,  dites-moi 
chrétiens,  si  l'Enfer  n'est  pas  bien  terrible.  Région  cruelle,  s'é- 
criait saint  Bernard  ,  du  fond  de  sa  solitude;  région  de  feu,  que 
ton  souvenir  porte  d'effroi  dans  mon  ame  !  C'était  un  saint  près  de 
recevoir  de  la  main  du  Seigneur  la  couronne  de  gloire,  et  i 
tremblait  avec  ses  vertus  et  ses  miracles  !  Quelles  doivent  donc 
être  les  frayeurs  de  ceux  qui  ne  sont  pas  moins  coupables  que  tant 
de  grands  criminels ,  parmi  les  réprouvés ,  et  auxquels  il  ne  man- 
que plus  qu'un  trait  de  ressemblance  avec  eux,  qu'à  l'instant  où 
je  parle  l'Enfer  s'ouvre  pour  les  engloutir?  Devorabit  eos  ignis. 
Grand  Dieu!  retenez  vos  foudres  suspendues  sur  nos  têtes,  et, 
pour  nous  faire  opérer  notre  salut  avec  crainte  et  tremblement, 
laissez-nous  contempler  encore  le  théâtre  de  vos  fureurs. 

Est-ce  la  peine  du  feu  qui  forme  le  plus  cruel  tourment  des 
réprouvés?  Non,  chrétiens;  multipliez  mille  et  mille  fois  toutes 
les  rigueurs  du  feu  de  l'Enfer,  dit  saint  Ghrysostôme,  jamais  ses 
impressions  les  plus  douloureuses  n'égaleront  l'affreux  supplice 
que  cause  aux  réprouvés  la  perte  de  Dieu;  pourquoi?  parce  que 
cette  peine  de  sentiment  attachée  a  l'entière  séparation  de  l'Être  su- 
prême, reprend  saint  Augustin,  ne  peut  se  mesurer  que  sur  l'infi- 
nité des  perfections  divines,  c'est-à-dire  que  cette  peine  est  grande 
et  terrible  à  proportion  que  Dieu  est  grand  et  aimable.  Elle  est 
donc  un  mystère  inconcevable  d'horreurs,  et  doit  plonger  une 
ame  damnée  dans  un  abîme  de  tristesse  et  de  désespoir  crue  l'es- 
prit humain  ne  saurait  approfondir  :  Separari  a  Deo  tanta  pœna 
quantus  ipso. 

Peine  étrange  qui  semble  nous  crier  du  milieu  des  flammes  im- 
mortelles de  ne  plus  mettre  de  bornes  à  nos  frayeurs.  Oui,  c'est 
elle  surtout  qui  m'épouvante.  Et  qu'importe  q^e  je  ne  la  conçoive 
pas,  ou  plutôt  n'est-ce  pas  l'impuissance  où  l'homme  est  pendant  la 
vie  de  s'en  former  une  juste  idée,  qui  doit  me  la  faire  envisager  sous 
les  traits  les  plus  effra^ans  ?  Et,  puisque  tous  les  Docteurs  et  les 
Pères  de  l'Eglise  me  la  représentent  comme  l'enfer  de  l'Enfer;  puis- 
qu'elle surpasse  tellement  la  peine  du  feu,  que  celle-ci  n'est  rien 

10. 


1^8  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE. 

comparée  à  celle-là  ;  puisqu'on  ne  la  conçoit  qu'après  la  mort  et 
dans  l'état  désespéré  de  la  réprobation,  ah!  je  fatiguerai  le  ciel 
de  mes  cris  et  de  mes  larmes,  pour  qu'il  me  soit  donné  de  ne  la 
concevoir  jamais.  Je  dirai  :  Seigneur,  ne  me  damnez  pas.  J'ai  vu 
votre  bras,  armé  de  feux  dévorans,  me  menacer  d'un  supplice  qui 
m'a  fait  pâlir  d'effroi.  Hélas  !  en  voilà  un  autre  qui  se  montre  de 
loin,  sous  l'aspect  le  plus  horrible  :  tous  mes  sens  frissonnent,  et  je 
me  jette  à  vos  pieds.  O  mon  Dieu  !  que  votre  justice  ne  livre  point 
mon  ame  à  cette  bête  féroce ,  dont  les  morsures  épouvantables  font 
souffrir  un  tourment  incompréhensible  comme  vous-même  :  Sepa- 
rari  a  Dco  tanta  pcena  quantus  ipse.  (Le  même.) 

Preuves  de  l'éternilé  des  preuves  de  l'Enfer. 

Ne  nous  dites  pas,  comme  le  font  de  prétendus  philosophes, 
(rue  tout  ce  que  nous  disons  des  supplices  éternels  qu'endurent 
les  médians  dans  l'Enfer  n'est  rien  qu'un  amas  de  fictions  et  un 
vain  épouvantail  pour  les  faibles  ,  et  que  notre  but  ,  en  l'accrédi- 
tant, est  de  déterminer  les  hommes  par  la  crainte  à  la  pratique  de 
lavertu,  au  lieu  d'essayer  de  les  y  déterminer  en  leur  en  faisant  voir 
la  beauté  et  les  attraits.  A  ceux  qui  tiendraient  un  pareil  langage, 
je  leur  répondrai  en  peu  de  mots  que  si  ce  que  nous  soutenons 
n'était  pas,  il  faudrait  nécessairement,  ou  que  Dieu  lui-même  ne 
fût  qu'une  fiction  sans  réalité,  ou  que,  s'il  existe,  il  ne  s'occupât 
aucunement  de  ce  qui  se  passe  parmi  les  hommes  ;  que  le  vice ,  la 
vertu  ,  le  bien,  le  mal ,  ne  fussent  que  des  noms,  et  que  c'est  à  tort 
que  les  législateurs  décernent  deschâtimens  contre  ceux  qui  trans- 
pressent les  lois  les  plus  sages.  (Saint  Justin,  IIe  Apologie,  n°  9.) 

Tourmens  de  l'Enfer,  tourmens  universels,  tourmens  éternels. 

Quel  nom  le  mauvais  riche  donne-t-il  à  l'Enfer  ?  C'est  le  lieu 
des  tourmens,  s'écrie-t-il ,  locum  tormentorum  ;  paroles  énergiques 
qui  renferment  l'universalité  des  peines  qu'on  y  souffre.  Oui,  mes 
frères,  dans  les  douleurs  inexprimables  que  cause  aux  réprouvés 
un  déluge  de  feu,  dans  l'état  de  souveraine  misère  où  les  jette 
l'abandon,  la  malédiction  de  Dieu,  bien  loin  que  rien  adoucisse 
leurs  maux,  tout  les  irrite,  tout  les  multiplie;  les  objets  qui  les 
environnent,  les  pensées  qui  les  occupent,  les  remords  qui  les 
chirent,le  ciel,  la  terre, leur  séjour,  leur  cœur , le  passé,  l'avenir, 
tous  les  temps,  toutes  les  créatures,  tous  les  fléaux  réunis  et  dé- 
chaînés contre  eux»  Donnez  l'essor  à  votre  imagination ,  laissez- 


i  DES    PRÉDICATEURS.  l4,9 

la  s'égarer  et  se  perdre  dans  une  foule  de  maux  les  plus  affreux  à 
la  nature,  et  dont  la  seule  idée  vous  glace  d'effroi  :  la  religion  vous 
dit  que  cet  étrange  amas  de  peines  se  trouve  dans  l'Enfer,  que  c'est 
dans  l'Enfer  que  s'accomplit  celte  menace  du  Tout-Puissant,  dont 
les  pécheurs  n'éprouvent  point  ici-bas  les  effets.  Je  rassemblerai 
sui  eux  tous  les  maux  :  Congregabo  super  eos  mala.  Encore  tous 
les  maux  de  la  vie  présente  ne  sont,  dans  le  langage  des  livres 
saints  ,  que  quelques  gouttes  de  sa  colère  ;  et  c'est  comme  un  tor- 
rent qu'elle  tombe  sur  les  réprouvés.   La  multitude  et  l'excès  de 
leurs  souffrances  demandent  des  forces  surnaturelles:  présent  fatal 
que  leur  fait  la  justice  divine ,  afin  d'épuiser  sur  eux  tous  ses  coups. 
Justice    infinie,  vous  régnez  seule  dans  l'Enfer  :  hélas!  voyez- 
vous  ici  quelque  coupable  qui  doive  augmenter  le  nombre  de  vos 
victimes  ,  et  que  vous  attendiez  sur  ce  théâtre  de  vos  vengeances  ? 
C'est  le  lieu  des   tourmens  ,  sombre  et   lugubre  cachot  dont 
Dieu  lui-  même  nous  offre  une  image  dans  l'Ecriture.   Cette  nuit 
profonde  qui  enveloppa  les  Egyptiens  et  les  tenait  comme  enchaî- 
nés par  des  liens  de  ténèbres,   ces  spectres  hideux  et  menaçans 
que  la  pâleur  des  éclairs  présentait  à  leurs  regards ,  le  sifflement 
des  serpens  et  leurs  cruelles   morsures ,  l'aspect  soudain  et  les 
hurlemens  de  mille  bêtes  féroces  ,  le  bruit  d'une  tempêle   conti' 
nuelle;  cette  nuit,  dis-je,  sans  exemple,  et  qui  les  vit  tous  immo- 
biles et  la  plupart  expirans  de  frayeur,  était  sortie,  dit  l'Esprit- Saint, 
di  fond  des  Enfers,  comme  un  faible  essai  des  ténèbres  qui  leur 
étaient  réservées:  Noctem.  ab  altissimis  lnjeris  supervenientem.... 
Imago  tenebrarum  quœ  supei  ventura  illis  erat.  Combien  plus  noire 
et  plus  terrible  est  la  demeure  des  réprouvés,  cette  région  cou- 
verte des  ombres  de  la  mort  et  le  centre  de  tous  les  supplices! 
Etre  enseveli  dans  d'épaisses  ténèbres ,  n'entendre   que    les   cris 
forcenés  des  compagnons  de  son  infortune  et  y  mêler  les  siens  ; 
ne  voir  dans  cette  funeste  nuit,  éclairée  par  de  tristes  lueurs,  que 
désordre  et  confusion,  qu'objets  d'épouvante  et  de  désespoir,  ces 
grincemens  de  dents,  expression  de  la  rage,  ces  monstres  de  scélé- 
ratesse  auxquels  on   est  associé  ,  cet  amas  de  calamités  dont  on 
est  investi ,  ces  affreux  démons ,  victimes  et  ministres  tout  a    la 
fois  des   vengeances  du  Très-Haut  ;  et  parce  que  le  péché  rend 
l'homme  esclave  de  Satan,  abandonné  à  la  puissance  des  légions 
infernales,   être  le  jouet  et  la  proie  de  toute  leur  fureur  ,  et  sous 
les  coups  de  ces  impitoyables  bourreaux  ,  sans  cesse  au  comble  de 
de  la  douleur  et  de  l'effroi,  offrir  à  tout  l'Enfer  un  modèle  accom- 
pli du  malheur;   quelle  horrible  destinée  !    On  ne  peut  y  penser 


l5o  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

sans  frémir:   ah!  devons-nous  rien  épargner  pour  nous  y   sous- 
traire ? 

C'est  le  lieu  des  tourmens.  Dans  le  ciel  l'harmonie  et  l'union 
des  cœurs  ajoutent  des  charmes  au  bonheur  des  saints;  mais  l'En- 
fer est  le  règne  de  la  discorde,  qui  y  déploie  toutes  ses  horreurs  : 
Nullus  ordo,  sed  sempiternus  horror.  Et  quel  surcroît  de  disgrâces 
pour  les  réprouvés  !  ennemis  irréconciliables,  chacun  d'eux  a  les 
mains  levées  contre  tous,  tous  ont  les  mains  levées  contre  lui, 
d'autant  plus  acharnés  à  se  tourmenter  mutuellement  qu'ils  ont 
contribué  mutuellement  à  se  perdre  et  à  se  damner  :  Per  quœ  peccat 
quis,  per  hœc  et  torquetur.  Là ,  les  complices  des  mêmes  crimes  , 
enveloppés  dans  un  même  désastre,  se  regardent  d'un  œil  de  cour- 
roux. Une  haine  immortelle  a  succédé  à  des  liaisons  injustes,  à  des 
amours  profanes  ;  on  se  jurait  sur  la  terre  un  attachement  vain- 
queur des  années  et  de  la  mort,  on  n'est  réuni  dans  l'Enfer  que  pour 
y  accroître  réciproquement  son  supplice.  Quels  sont  les  gémisse- 
mens  et  les  cris  d'un  père  et  d'une  mère,  doublement  malheureux 
et  coupables  d'avoir  ajouté  à  leur  propre  perte  celle  de  leurs  en- 
fans  !  Hélas  î  ces  enfans  trop  chéris  sont  devenus  des  tigres  cruels; 
la  nature  est  muette  dans  leur  cœur;  ils  ne  la  connaissent  que 
pour  l'outrager  ;  ils  ne  s'attachent  aux  auteurs  de  leurs  jours  que 
pour  les  punir  de  leur  fausse  tendresse  et  redoubler  leur  désespoir: 
Per  quœ  peccat  quis,  per  hœc  et  torquetur.  Et  ce  maître  débauché 
voit  à  ses  côtés  les  ministres  de  ses  passions  irriter  ses  douleurs, 
et  lui  faire  payer  chèrement  leurs  funestes  services.  Et  cette  fem- 
me, si  fière  d'une  vaine  beauté,'tidole  autrefois  rassasiée  d'encens  et 
d'hommages  ,  ne  trouve  plus  dans  ses  anciens  adorateurs,  que  des 
démons  rugissans.  Et  cet  écrivain  scandaleux  et  impie,  qui  voulut 
établir  la  célébrité  de  son  nom  sur  les  ruines  de  la  religion  et  des 
mœurs,  est  livré  aux  mépris,  aux  insultes  ,  aux  outrages  d'une 
multitude  d'infortunés  qu'il  a  entraînés  dans  l'abîme,  pour  prix  de 
leurs  applaudissemens  et  de  leurs  éloges  :  Per  quœ  peccat  quis,  per 
hœc  et  torquetur.  Que  dirai-je  de  ces  vils  brigands,  de  ces  cœurs 
perfides ,  de  ces  âmes  noires,  de  ces  caractères  insociables  et  féro- 
ces dont  l'Enfer  est  plein,  et  qui  en  augmentent  le  trouble  ?  J\ul/us 
ordo  ,  sed  sempiternus  horror.  O  vases  d'iniquité  que  la  colère  de 
Dieu  heurte  les  uns  contre  les  autres,  troupe  immense  remplie 
d'un  esprit  d'orage  et  du  fiel  du  dragon,  dit  l'Ecriture,  eh  bien  ! 
tourmentez-vous  ;  nul  repos  ,  nulle  paix  ,  guerre  éternelle ,  ami 
contre  ami,  frère  contre  frère,  époux  contre  épouse,  réprouvé 
contre  réprouvé  ;  accablez-vous  de  sanglans  reproches ,  lancez- 


DÈS    PRÉDICATEURS.  l5l 

vous  mille  imprécations,  haïssez,  maudissez  comme  on  vous  hait 
et  l'on  vous  maudit,  soyez  tous  ensemble  la  pâture  de  vos  fureurs 
réciproques  :  vous  remplissez  les  vues  de  cette  justice  inexorable 
qui  arme  contre  les  pécheurs  toutes  les  créatures  et  les  pécheurs 
eux-mêmes:  Armabit creaturam  ad  ultionem  inimicorum.  Et  vous! 
à  qui  je  présente  cet  odieux  tableau  ,  n'entendez  -  vous  pas  ce 
qu'il  vous  dit  ?  Voulez-vous  paraître  sur  cette  scène  abominable 
pour  y  jouer   aussi  le  rôle  d'un  damné  ? 

C'est  le  lieu  des  tourmens.  Il  les  appelle  et  les  attire  de  toute 
part,  il  en  va  chercher  jusque  dans  le  ciel.  Les  délices  ineffables 
qui  comblent  les  vœux  des  élus  aigrissent  les  maux  des  réprouvés, 
et  ensanglantent,  pour  ainsi  dire,  toutes  leurs  plaies.  Du  fond  de 
ce  gouffre,  ils  lèvent  les  yeux  vers  la  céleste  Jérusalem  :  Elevans 
oculos.  Et  que  voient-ils?  que  verrez-vous  vous-même  si  vos  pé- 
chés vous  associent  à  leur  malheur?  Gomme  eux,  franchissant 
d'un  seul  regard  le  vaste  chaos  qui  vous  séparera  du  séjour  de  la 
lumière  et  de  la  félicité,  vous  y  verrez  de  loin  Lazare  dans  le  sein 
d'Abraham,  des  proches,  peut-être,  avec  qui  vous  aurez  passé 
vos  jours  mortels  sous  un  même  toit,  et  qui  jouiront  d'un  sort  bien 
différent  du  vôtre;  tant  d'ames  dont  vous  aurez  traité  la  sagesse 
de  folie ,  qui  brilleront  alors  au  dessus  de  votre  tête  et  feront  re- 
tentir la  sainte  Sion  de  leurs  cris  d'allégresse.  Un  bonheur  auquel 
on  n'eut  jamais  de  droit,  ou  dont  on  écarte  le  souvenir,  touche 
moins  un  malheureux  qui  en  est  privé  :  mais  le  royaume  des  cieux 
était  à  vous,  et  vous  voyez  les  biens  qu'il  prodigue  à  d'autres,  tan- 
dis que  voire  partage  est  dans  les  ténèbres  extérieures  et  les  flam- 
mes dévorantes.  O  violens  transports  d'une  fureur  jalouse!  vous 
voudrez  vous  élancer  vers  l'heureuse  patrie  qui  vous  préparait 
un  trône  de  gloire  et  le  diadème  de  l'immortalité  :  inutiles  efforts! 
retenu  par  des  chaînes  pesantes,  vous  retomberez  sur  vous-même 
en  frémissant  de  rage  et  d'envie;  vous  serez  plus  déchiré  par  l'i- 
dée du  bonheur  que  vous  aurez  perdu  que  par  le  sentiment  des 
autres  peines  que  vous  souffrirez;  et  les  joies  du  ciel,  dit  saint 
Chrysostôme,  vous  tourmenteront  plus  que  les  supplices  de  l'En- 
fer :  Plus  a  cœlo  torquentur  quam  ab  Inferno.  Oui,  mes  frères,  si  le 
ciel  ne  nous  met  pas  en  possession  de  tous  les  biens,  il  achèvera 
de  nous  écraser  sous  le  poids  de  tous  les  maux.  Il  faut  qu'il  nous 
rende  heureux  ou  malheureux;  et  puisqu'il  a  moins  coûté  aux 
saints  qui  y  sont  admis  qu'il  ne  coûte  aux  damnés  qui  en  sont  ex- 
clus, insensés  que  nous  sommes  !  ne  vaut-il  pas  mieux  nous  en  as- 
surer  la   conquête    au  prix    de   quelques    violences  passagères 


l52  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE 

que  d'en  déplorer  la  perte  par  des  larmes  intarissables  et  des  re- 
grets désespérans?  Voilà  la  leçon  que  nous  donne  l'Enfer. 

C'est  le  lieu  des  tourmens.  Sceptre  de  fer  qui  frappez  les  dam- 
nés, qu'ajoutez-vous  donc  encore  à  leurs  souffrances?  Ah!  chré- 
tiens ,  la  vue  de  leurs  crimes.  Leurs  crimes  n'eurent  ici-bas  que  la 
durée  de  l'éclair;  mais  ils  subsisteront  toujours  dans  les  abîmes  du 
passé;  et ,  gardien  sévère  de  ce  funeste  dépôt,  le  passé  le  conser- 
vera sans  cesse  pour  le  leur  remettre  sans  cesse  devant  les  yeux  : 
Recordare.  La  vérité,  dit  T ertullicn ,  peut  bien  être  obscurcie 
quelque  temps,  parce  qu'elle  n'est  pas  Dieu;  mais  elle  ne  saurait 
être  étouffée  ni  éteinte,  parce  qu'elle  vient  de  Dieu,  et  tôt  ou  tard 
elle  rentre  dans  ses  droits.  Le  supplice  des  médians  sera  de  lavoir 
toujours  :  Evigilabunt  utvideant  semper  ;  àe  voir  sous  leurs  traits 
hideux  toutes  les  iniquités  qui  ont  souillé  le  cours  de  leur  vie, 
tous  les  déréglemens  de  leur  cœur,  de  leur  esprit,  de  leur  imagina- 
tion ;  ces  noirceurs  delà  calomnie,  ces  bassesses  de  l'intérêt,  ces 
perfidies  de  l'ambition  ,  ces  emportemens  de  la  vengeance,  ces  in- 
famies de  la  volupté,  ces  ravages  du  scandale,  ces  discours  licen- 
cieux, ces  haines  cruelles,  ces  injustices  énormes  :  spectacle  qu'ils 
ne  pourront  ni  écarter  ni  soutenir,  et  qui,  tout  seul,  serait  un 
enfer.  Car,  si  l'on  a  vu  des  hommes ,  poursuivis  par  l'image  de  leurs 
crimes,  tourner  contre  eux-mêmes  leurs  mains  désespérées,  et  se 
sauver  de  ces  furies  domestiques  par  une  mort  violente ,  quel  est 
donc  l'état  d'une  ame  réprouvée  à  qui  une  clarté  vengeresse  mon- 
tre incessamment  tousses  péchés,  tels  qu'ils  sont  aux  yeux  de 
Dieu;  ces  péchés  qu'elle  ne  voyait  qu'à  travers  le  nuage  de  la  dis- 
sipation et  sous  des  couleurs  trompeuses  ;  ces  péchés  dissimulés 
au  tribunal  de  la  pénitence  ou  présentés  avec  des  adoucissemens 
infidèles;  ces  péchés  effacés  de  son  souvenir  et  endormis  au  fond 
de  sa  conscience  à  l'ombre  du  sacrilège,  sortis  tout  à  coup  de  leur 
retraite,  l'épouvantent,  l'investissent  et  l'accablent,  tandis  qu'une 
voix  formidable  ne  cesse  de  lui  redire  :  Recordare  9  regarde,  voilà 
ton  ouvrage  et  ce  que  tu  as  emporté  de  ton  séjour  sur  la  terre. 
Tu  ne  te  connaissais  pas,  un  voile  de  malice  te  cachait  la  corrup- 
tion de  ton  coeur  et  l'opprobre  de  tes  égaremens  ;  Dieu  l'a  déchiré 
dans  sa  colère.  Vois  ces  monstres  qui  t'environnent  :  tu  l'as  ou- 
tragé par  eux  ,  c'est  par  eux  aussi  qu'il  se  venge  ;  tu  leur  as  donné 
lajne ,  ils  ne  te  quitteront  plus.  Porte  à  jamais  la  honte  et  le  tour- 
ment qu'ils  ajoutent  à  tes  maux  :  Porta  confusionem  titam,  porta 
tormentum  tuicm. 

C'est  le  lieu  des  tourmens,  Gomment  peindre  ce  ver  immortel  qui 


DES    PRÉDICATEURS.  l53 

ronge  le  cœur  du  reprouvé,  qui  lui  montre  le  néant  des  faux  biens 
dont  la  poursuite  lui  a  coiAité  tant  de  peines  superflues,  qui  lui  retrace 
les  secours  de  salut  que  son  Dieu  lui  offrait ,  et  dont  l'usage  lui 
eût  été  si  facile,  qui  lui  crie  qu'il  est  l'auteur  de  sa  perte,  l'unique 
auteur  de  tous  les  maux  où  il  est  plongé?  Comment  peindre  ces 
mouvemens  de  dépit,  d'indignation  et  de  fureur  qui  le  transpor- 
tent contre  lui-même  à  la  vue  de  son  extrême  folie  ?  Objet  de  mé- 
pris et  d'horreur  à  ses  propres  yeux,  de  quels  traits  il  voudrait 
encore  se  percer  pour  ajouter,  s'il  était  possible,  à  son  malheur! 
Grand  Dieu!  quel  supplice  de  ne  trouver  dans  les  rigueurs  d'un 
sort  infiniment  cruel  rien  de  si  insupportable  que  soi-même;  de 
se  détester  plus  que  tous  les  maux  dont  on  est  la  proie;  d'être  son 
accusateur,  son  bourreau,  son  démon,  et  de  se  tourmenter  avec 
plus  de  rage  que  ne  le  font  ensemble  tous  les  ministres  de  votre 
courroux  et  toutes  les  flammes  de  l'Enfer!  O  Dieu  !  qu'un  cœur 
coupable  fournit  à  votre  justice  un  terrible  vengeur  de  ses 
crimes  ! 

C'est  le  lieu  des  tourmens.  Mais  que  fais-je?et  qui  peut  les  comp- 
ter? les  trésors  d'une  justice  infinie  sont  inépuisables  :  Quisnow't 
potestatem  irœ  tuœ  ,et  prœ  timoré  tuo  iram  tuam  dinumerare?  Et 
ces  tourmens  sans  nombre,  sans  adoucissement,  sans  relâche,  cet 
effroyable  amas  de  peines  et  de  supplices  dont  je  n'ai  fait  que 
vous  tracer  une  ébauche,  voilà  ce  dont  la  religion  menace  les  hom- 
mes faibles  ,  sensibles  ,  délicats,  si  amateurs  d'eux-mêmes  ,  si  en- 
nemis des  plus  légères  souffrances,  si  occupés  à  écarter  d'eux 
les  moindres  disgrâces  de  la  vie.  Eh!  dans  quelles  alarmes  doit 
donc  les  jeter  la  vue  de  l'Enfer  et  le  péril  prochain  de  tomber  dans 
cet  abîme  de  tous  les  tourmens!  ils  sont  éternels  :  dernier  trait  du 
tableau  de  l'Enfer  qui  doit  mettre  le  comble    à  nos  frayeurs. 

En  vain  ,  pour  nous  rassurer  ,  voudrions-nous  répandre  des 
nuages  sur  cette  vérité  fondamentale  de  notre  foi  ;  les  Prophètes, 
les  Apôtres,  Jésus-Christ,  toute  l'Eglise  nous  crie  que  le  supplice 
des  pécheurs  dans  l'Enfer  est  aussi  interminable  que  la  récom- 
pense des  justes  dans  le  ciel.  La  mort  fixe  le  cœur  de  l'homme 
dans  un  état  immuable  soit  de  haine,  soit  d'amour  pour  Dieu; 
et,  toujours  coupables  à  ses  yeux,  les  réprouvés  seront  toujours 
l'objet  de  ses  vengeances:  ils  ont  outragé  une  majesté  infinie;  leur 
châtiment  ne  pouvant  être  infini  dans  sa  rigueur,  il  le  sera  dans  sa 
durée.  Ils  en  furent  avertis  :  qui  les  a  empêchés  de  se  dérober  au 
malheur  dont  on  les  menaçait  ?  pourquoi  ont-ils  poussé  l'extrava- 
gance et  la  fureur  jusqu'à  vouloir  se  perdre  ?  Dieu  est-il  respon- 


I  54  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

sable  de  leur  infortune,  et  ne  sont-ce  pas  eux  qui  lui  ont  arraché 
la  foudre  des  mains  ?  Mais  regardez  le  Calvaire  ,  et  vous  n'aurez 
pas  de  peine  à  croire  que  l'Enfer  est  éternel.  Ilya,  dit  saint  Ber- 
nard, une  étroite  liaison  entre  le  dogfnie  terrible  d'une  éternité 
malheureuse  et  les  satisfactions  infinies  de  l'Homme-Dieu.  Il  n'était 
pas  nécessaire  qu'un  Dieu  mourut;  il  ne  serait  donc  jamais  mort 
pour  l'expiation  du  péché,  si  le  péché  pouvait  être  expié  par  le 
supplice  passager  de  toutes  les  créatures.  Ainsi  Jésus-Christ  sur  la 
croix  nous  apprend  que  le  réprouvé  sera  toujours  dans  l'Enfer  :  Si 
hœc  non  fuissent  ad  mortem  sempitemam ,  nunquam  Deus  more- 
retur. 

Toujours  dans  l'Enfer  !  ô  effrayante  vérité!  toujours  être  acca- 
blé sous  le  poids  de  la  colère  et  des  malédictions  de  Dieu  ;  toujours 
brûler,  blasphémer,  se  déchirer,  se  désespérer!  et  quand  on  aura 
s  uffert  autant  de  millions  d'années,  disent  les  Pères,  qu'il  y  a  de- 
toiles  qui  brillent  dans  le  firmament,  d'atomes  répandus  dans  les 
airs,  de  gouttes  d'eau  rassemblées  dans  le  sein  de  la  mer,  de  grains 
de  sable  entassés  sur  ses  rivages,  être  encore  dans  le  même  état, 
dans  la  même  désolation  ,  dans  les  mêmes  transports  de  rage;  et 
quand  ensuite,  en  ne  versant  qu'une  larme  dans  un  siècle,  on  en 
aurait  assez  répandu  pour  former  les  plus  grands  fleuves,  pour 
inonder  la  terre,  pour  remplir  tout  cet  espace  immense  qui  la  sé- 
pare du  ciel,  n'avoir  pas  avancé  d'un  moment  la  fin  de  ses  suppli- 
ces; et  quand,  après  cette  durée  prodigieuse  on  aura  souffert  encore 
durant  la  plus  longue  révolution  de  temps  que  l'esprit  humain 
puisse  imaginer,  n'avoir  pas  même  fait  un  pas  dans  cette  carrière 
interminable  de  souffrances,  s'en  occuper  sans  cesse,  souffrir  par 
la  pensée  tout  ce  que  l'on  souffrira  en  effet,  porter  à  chaque  ins- 
tant ,  et  à  jamais ,  tout  le  poids  de  l'éternité  malheureuse  :  ah!  chré- 
tiens, nous  essaierons  en  vain  de  sonder  ce  terrible  mystère  de 
la  justice  divine. 

Prosternons-nous  en  tremblant  devant  le  grand  Dieu,  dont  le 
bras  s'appesantit  avec  tant  de  force  sur  les  réprouvés,  et  fait  mon- 
ter la  fumée  de  leurs  tourmens  dans  les  siècles  des  siècles  :  Fiunus 
tormentorum  eorum  ascenclet  in  sœcula  sœculorum.  La  justice  des 
hommes,  dit  l'éloquent  évêquede  Meaux,  n'est  qu'une  ombre  de 
celle  de  Dieu.  Si  elle  laisse  un  libre  cours  à  la  miséricorde  dans 
cette  vie ,  elle  reprend  ses  droits  dans  l'autre ,  elle  règne  dans 
l'Enfer,  C'est  là  que  cette  justice,  souveraine,  inévitable,  agit  selon 
sa  nature,  et  qu'étant  infinie,  elle  s'exerce  à  la  fin  par  des  suppli- 
ces infinis  et  éternels.  (  L'abbé  Richard.) 


DES    PREDICATEURS. 


55 


La  foi  <loil  corriger  nos  erreurs  et  perfectionner  nos  lumières  sur  l'éternité 

des  peines. 

Dieu  propose  aux  hommes  une  révélation  aussi  pleine  de  ter- 
reur que  cligne  de  respect,  savoir,  que  tout  péché  mortel  de  sa  na- 
ture mérite  d'être  puni  par  un  supplice  éternel.  Dieu  ,  dis-je,  nous 
propose  ce  point  de  créance  avec  tout  le  poids  de  son  autorité  et 
par- la  bouche  des  Prophètes  ;  car,  leur  feu  ,  dit  Isaïe,  ne  s'éteindra 
jamais;  et  par  la  bouche  des  Apôtres  :  ceux  qui  résistent  à  l'Evan- 
gile en  souffriront,  selon  le  témoignage  de  saint  Paul,  éternelle- 
ment la  peine;  et  parles  oracles  delà  Sagesse  incarnée  :  Allez,  mau- 
dits, au  feu  éternel,  qui  vous  a  été  préparé  depuis  le  commence- 
ment du  monde;  et  par  le  consentement  unanime  de  toute  l'Eglise, 
laquelle  a  toujours  interprété  l'Ecriture  en  ce  sens;  et  parles  dé» 
cisions  des  conciles  qui  nous  l'ont  expressément  déclaré;  et  parla 
tradition  des  deux  Lois,  l'ancienne  et  la  nouvelle,  qui,  sur  ce  dog- 
me important,  ont  toujours  tenu  le  même  langage;  enfin,  par 
toutes  les  maximes  de  la  foi  qui  nous  annonce  une  peine  éternelle 
dans  sa  durée,  comme  due  à  un  seul  péché,  et  même  à  un  péché 
d'un  moment,  quand  il  va  jusqu'à  nous  séparer  de  Dieu,  et  à 
rompre  le  sacré  nœud  qui  nous  doit  unir  à  lui.  Est-il  donc  une 
vérité  plus  solidement  établie  ?  Mais  sur  cette  vérité,  néanmoins , 
sur  cette  révélation  si  authentiquement  proposée,  l'esprit  de  l'hom- 
me a  souvent  formés  des  difficultés,  c'est-à-dire,  des  erreurs  ;  et  lors- 
qu'il s'y  est  soumis,  il  a  voulu  chercher  des  raisons  pour  se  justifier 
à  soi-même  cette  étonnante  proportion  dune  éternité  de  peine  avec 
un  moment  de  péché.  Or,  à  quoi  nous  sert  la  foi,  ou  à  quoi  nous 
doit-elle  servir  ?  je  l'ai  dit ,  et  je  le  répète,  à  corriger  ces  erreurs, 
comme  étant  opposées  à  la  vérité  primitive  et  infaillible,  et  à  forti- 
fier, à  perfectionner  les  lumières  qui  nous  donnent  quelque  idée 
de  ce  mystère  si  éloigné  de  nos  vues  humaines  et  de  nos  connais- 
sances. Voilà  le  plan  de  cette  première  partie,  qui  renferme  sur 
les  jugemens  de  Dieu  les  plus  grandes  instructions.   Ecoutez -moi. 

Ne  parlons  point  de  l'athéisme,  qui,  niant  un  Dieu,  nie  consé- 
quemment  l'auteur  d'une  peine  éternelle.  Ne  nous  arrêtons  point 
non  plus  à  l'impiété  d'Epicure,  qui,  faisant  mourir  l'ame  avec  le 
corps ,  détruit  le  sujet  capable  de  souffrir  une  peine  éternelle. 
Voici  trois  erreurs  moins  grossières  et  plus  raisonnables  en  appa- 
rence, qui  ont  attaqué  l'éternité  des  peines  dans  la  proportion 
qu'elle  a  avec  le  péché;  caries  uns  ont  prétendu  que  cette  éter- 


ï56  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

nité  de  supplices  pour  un  péché,  quelque  énorme  qu'il  puisse  être, 
répugnait  à  la  bonté  de  Dieu  ;  les  autres  ont  cru  de  plus  qu'elle 
blessait  les  lois  de  la  justice  de  Dieu  ;  et  les  derniers,  enchérissant 
encore,  ont  pensé  qu'  elle  était  même  au  dessus  de  la  toute-puis- 
sance de  Dieu.  Dieu  est  trop  bon  pour  affliger  éternellement  une 
ame  pécheresse  ;  Dieu  est  trop  juste  pour  venger  dans  des  siècles 
infinis  ce  qui  s'est  passé  dans  un  instant;  Dieu  n'est  pas  assez 
puissant  pour  faire  que  ,1a  créature  subsiste  une  éternité  entière 
dans  les  souffrances  et  dans  la  douleur.  Voilà  leurs  raisonnemens  ; 
mais  moi ,  mes  frères ,  je  soutiens  que  notre  foi,  dans  ses  principes, 
a  de  quoi  nous  affermir  contre  toutes  ces  erreurs  :  et  comment  est- 
ce  qu'elle  y  procède?  apprenez-le. 

Non,  répond-elle  aux  premiers,  une  peine  éternelle  pour  un  pé- 
ché n'est  point  incompatible  avec  la  bonté  divine;  et  ce  qui  vous 
trompe,  c'est  la  fausse  opinion  que  vous  avez  conçue  de  cette 
bonté  souveraine  d'un  Dieu.  Car  vous  voulez  qu'elle  consiste  dans 
une  molle  indulgence  à  tolérer  le  mal  et  à  l'autoriser;  mais  c'est 
cela  même  qui  la  détruirait,  puisqu'elle  ne  serait  plus  ce  qu'elle 
est  dès  qu'elle  cesserait  de  haïr  le  péché  autant  qu'elle  le  déteste 
et  qu'elle  le  hait.  Pourquoi  disons  nous  que  Dieu  est  souveraine- 
ment bon  (  c'est  la  belle  remarque  de  Tertullien),  sinon  parce  qu'il 
a  souverainement  le  mal  en  horreur?  Et  qu'est-ce,  à  l'égard  de 
Dieu  ,  que  d'avoir  une  souveraine  horreur  pour  le  mal ,  si  ce  n'est 
de  le  poursuivre  sans  relâche  et  d'en  être  l'implacable  vengeur  ? 
Quis  enim  boni  auctor,  nisi  qui  inirniciis  mail  ;  et  quis  inimicus  mali\ 
nisi  qui  expugnator ;  quis  autein  expugnator,  nisi  qui  et  punilor? 

Ainsi  raisonnait-il  contre  Marcion.  Comprenez  donc,  ô  homme 
(c'est  toujours  le  même  Tertullien  qui  parle),  comprenez  ce  que 
c'est  qu'un  Dieu  bon.  C'est  un  Dieu  essentiellement  opposé  au  pé- 
ché, un  Dieu  toujours  ennemi  du  péché,  et  par  une  suite  nécessaire, 
un  Dieu  persécuteur  éternel  du  péché  :  tellement  qu'il  ne  serait 
plus  Dieu  s'il  y  avait  un  instant  où  il  n'agît  pas  contre  le  péché 
pour  le  condamner  et  pour  le  punir,  parce  que  ce  ne  serait  plus 
un  Dieu  bon  de  la  manière  qu'il  lest  et  qu'il  le  doit  être.  Mais  que 
voudrait  le  pécheur?  En  se  faisant  des  idées  de  bonté  selon  les  in- 
térêts de  sa  passion  ,il  voudrait  un  Dieu  sous  lequel  les  crimes  pus- 
sent être  quelque  jour  en  paix  :Deu;n  malles  sub  quo  delicta  ali- 
quando gauderent ;  et  il  jugerait  ce  Dieu  bon,  qui  rendrait  l'hom- 
me méchant  par  l'assurance  dune  rémission  future  :  Et  illum  ho- 
num  judicares,  qui  hominem  malum  faceret  securitate  delicti.  Delà  , 
poursuit  encore  Tertullien,  vous  ne  voulez  point  reconnaître  cette 


DES    PRÉDICATEURS.  l5j 

bonté  dont  l'essence  est  de  ne  vouloir  jamais  convenir  avec  le 
mal,  et  d'avoir  pour  lui  une  haine  sans  retour.  Mais  si  vous  ne  la 
reconnaissez  pas,  tous  les  saints  et  tout  ce  qu'il  y  a  eu  de  vrais  fidè- 
les versés  dans  la  science  de  Dieu  l'ont  reconnue;  ils  l'ont  haute- 
ment confessée,  ils  l'ont  publiée  et  glorifiée,  parce  que,  éclairés 
d'une  sagesse  supérieure  à  la  vôtre  et  toute  céleste,  ils  ont  vu 
que  Dieu  devait  être  bon  de  la  sorte,  et  que  selon  les  règles  de 
sa  sainteté  il  ne  le  pouvait  être  autrement. 

Pour  remonter  à  la  source  de  l'erreur  que  je  combats,  Origène 
fut  le  premier  qui  voulut  faire  Dieu  plus  miséricordieux'qu'il  n'est  en 
lui-même,  ou  plutôt,  comme  dit  saint  Augustin  ,  qui  voulut  paraître 
lui-même  plus  miséricordieux  que  Dieu,  lorsqu'il  avança  qu'après 
un  certain  temps  les  peines  des  âmes  réprouvées  finiraient  .'héré- 
sie dont  il  se  fit  le  chef,  et  pour  laquelle  l'Eglise  le  frappa 
de  ses  anathèmes.  Aussi ,  chrétiens ,  observez  ,  je  vous  prie  ,  le 
prodigieux  égarement  de  l'homme,  quand  il  n'est  pas  conduit 
par  la  foi.  Cet  Origène,  qui,  par  un  sentiment  présomptueux  de  la 
bonté  de  Dieu,  ne  voulait  pas  que  la  peine  des  damnés  fût  éter- 
nelle, par  une  autre  erreur  toute  contraire,  mettant  des  bornes  à 
la  miséricorde  de  Dieu,  s'emporta  jusqu'à  soutenir  que  la  gloire 
des  bienheureux  aurait  elle-même  son  terme,  et  que  comme  les 
réprouvés  passeraient  de  l'état  de  souffrances  à  celui  de  repos, 
ainsi  les  saints  qui  régnent  avec  Dieu  changeraient  de  temps  en 
temps,  par  une  triste  et  monstrueuse  vicissitude,  leur  état  de  re- 
pos dans  un  état  de  souffrance ,  pour  se  purifier  toujours  davan- 
tage, et  s'acquitter  pleinement  des  anciennes  dettes  qu'ils  auraient 
contractées  dans  la  vie.  Voilà,  reprend  saint  Augustin ,  comment 
cet  homme  si  déclaré,  d'une  part,  en  faveur  de  la  divine  miséri- 
corde, l'outrageait  de  l'autre,  et  perdait  l'avantage  dont  il  se  pré- 
valait d'en  être  le  plus  zélé  partisan  ;  puisque,  s'il  donnait  auxames 
réprouvées  une  fausse  espérance  de  la  béatitude,  il  ôtait  aux  âmes 
prédestinées  la  solide  assurance  de  l'éternité  de  leur  bonheur. 
Mais  après  tout,  pouvait  dire  Origène,  pourquoi  donc  tant  exal- 
ter la  bonté  de  notre  Dieu  ,  Créateur  de  l'univers,  si  de  longs  siè- 
cles de  satisfaction  et  de  peine  ne  suffisent  pas  pour  expier  à  ses 
yeux  un  seul  crime,  et  pour  éteindre  le  feu  de  sa  colère?  Ah!  s'écrie 
saint  Grégoire,  l'homme  est  toujours  subtil  à  tirer  des  conséquen- 
ces de  la  bonté  de  Dieu  contre  Dieu  même  !  Et  moi  je  réponds  : 
Pourquoi  donc  l'Ecriture  nous  fait-elle  entendre  tant  de  menaces 
et  tant  d'arrêts  foudroyans  qui  condamnent  le  pécheur  à  cette 
éternité  de  supplices,  s'il  y  a  lieu  de  penser  qu'ils  ne  doivent  pas 


!  58  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

toujours  souffrir?  Chose  étrange!  ajoute  ce  grand  pape;  nous 
nous  mettons  en  peine  de  garantir  la  bonté  de  Dieu,  et  nous  ne 
craignons  pas  de  le  faire  auteur  du  mensonge  ,  pour  sauver  sa  mi- 
séricorde, comme  s'il  était  moins  véritable  dans  ses  paroles  que 
favorable  dans  ses  jugemens  :  Deum  satagunt  perhibere  misei^icor- 
dejUj  et  non  verentur  prœdicare fallacem. 

En  effet,  la  même  Ecriture  qui  m'apprend  que  Dieu  a  des  en- 
trailles de  miséricorde  pour  tous  les  hommes,  me  déclare  en  même 
temps,  et  dans  les  termes  les  plus  formels,  qu'il  y  a  des  flammes 
éternelles  allumées  pour  le  tourment  des  pécheurs.  Il  ne  m'est  pas 
plus  permis  de  douter  de  l'un  que  de  l'autre;  mais  je  dois  r>ar  l'un 
rectifier  les  faux  préjugés  dont  je  pourrais  me  laisser  prévenir  à 
l'égard  de  l'autre;  car,  au  lieu  de  dire  :  Dieu  est  la  source  de 
toute  bonté,  donc  il  ne  punira  pas  éternellement  le  péché;je  dois 
dire  :  Dieu  punira  éternellement  le  péché,  quoiqu'il  soit  la  source 
de  toute  bonté  et  la  bonté  même,  puisque  la  foi  me  l'enseigne  de 
la  sorte,  et  que  c'est  une  vérité  fondamentale  dans  la  religion. 
Ainsi,  la  bonté  de  Dieu  n'exclut  point  l'éternité  des  peines,  ni 
l'éternité  des  peines  n'est  point  contraire  à  la  bonté  de  Dieu.  Mais 
comment  et  par  où  se  concilient  dans  le  même  Dieu  cette  bonté 
suprême  et  cette  extrême  sévérité?  c'est  ce  qu'il  ne  m'appartient 
pas  de  pénétrer,  mais  c'est  ce  que  je  suis  obligé  de  croire.  Il  me  j 
suffit  desavoir  l'un  et  l'autre ,  et  de  le  savoir  comme  je  le  sais ,  avec  j 
une  entière  certitude,  dès  que  l'un  et  l'autre  m'est  révélé  par  l'Es- 
prit de  Dieu  :  je  me  tiens  là,  et  je  ne  vais  pas  plus  avant.  Ce  n'est 
pas  que,  sans  diminuer  d'un  seul  moment  les  peines  de  l'Enfer,  je 
ne  pusse  absolument  concevoir  tout  ce  que  je  sais  et  tout  ce  que 
je  crois  de  la  bonté  de  Dieu  ;  ce  n'est  pas  qu'il  me  fut  si  difficile 
de  comprendre  qu'une  bonté  assez  ennemie  du  péché  pour  avoir 
fait  descendre  un  Dieu  sur  ïa  terre,  afin  de  le  détruire,  pour  l'a- 
voir porté  à  se  revêtir  de  notre  chair,  à  prendre  sur  soi  toutes 
nos  misères,  à  mourir  sur  une  croix  ,  l'est  encore  assez  pour  le  dé- 
terminer,  ce  même  Dieu  si  saint  et  si  bon ,  à  ne  faire  jamais  grâce 
au  péché.  Mais  la  voie  est  plus  courte  et  plus  sûre  tout  ensemble, 
de  respecter  ce  mystère  sans  l'examiner  ,  et  de  me  contenter  du 
témoignage  de  ma  foi,  que  je  ne  puis  démentir.  Elle  est  infaisable 
dans  ses  connaissances,  et  ses  connaissances  sont  au  dessus  de 
toutes  mes  vues.  Quand  ,  en  me  faisant  reconnaître  dans  Dieu  une 
bonté  suprême,  en  voilà  plus  qu'il  ne  faut  pour  résoudre  tous 
mes  doutes;  et,  c'est  ainsi,  chrétiens,  que  la  foi  corrige  la  première  er- 


DES    PREDICATEURS.  lf)Q 

reur  touchant  la  peine  éternelle  du  pécheur  impénitent  et  réprouve. 
Passons  à  la  seconde. 

C'est  qu'une  peine  éternelle  ne  peut  s'accorder  avec  la  justice 
de  Dieu  :  pourquoi  ?  parce  que  le  propre  de  la  justice  est  de  con- 
former le  châtiment  à  l'offense;  en  sorte  que,  ni  l'offense,  par  sa 
gravité,  ne  soit  point  au  dessus  de  la  peine,  ni  la  peine,  par  sa  ri- 
gueur, au  dessus  de  l'offense.  Or,  où  est  cette  égalité  et  cette  oro- 
portion  entre  une  éternité  de  peine  et  un  péché  de  quelques  jours 
de  quelques  heures,  et  même  d'un  seul  moment?  Si  j'avais,  mes 
chers  auditeurs  ,  à  justifier  cet  article  de  notre  foi  autrement  que 
par  la  foi  même ,  je  pourrais  vous  répondre  que  s'il  n'y  a  pas  en- 
tre cette  éternité  et  ce  péché  une  proportion  de  durée,  il  peut  y 
avoir  et    il  y   a   en  effet   une   proportion   de  malice  d'une  part 
et,  d'autre  part,  de  satisfaction  et  de  punition  :  de  malice  dans  le 
péché,  et  de  satisfaction  dans  le  châtiment.  Je  m'explique  ■  car  ce 
qui  nous^trompe,  c'est  de  vouloir  mesurer  la  durée  de  la  satisfac- 
tion que  la  justice  de  Dieu  ordonne,  par  la  durée  de  l'action  cri- 
minelle dont  le  pécheur  s'est  rendu  coupahle.  Faux  principe    dit 
saint  Augustin  ;  et  pour  en  voir  sensiblement  l'illusion,  il  n'y  a 
qu'à  considérer  ce  qui  se  passe  tous  les  jours  dans  la  justice  même 
des  hommes.  Qu'est-ce  que  l'ignominie  d'un  supplice  infâme    et 
que  la  tache  qu'il  imprime,  laquelle  ne  s'effacera  jamais  ?  quest-ce 
qu'un  état  de  servitude  et  qu'un  esclavage  perpétuel?qu'est-ce  une 
l'ennui  d'un  bannissement,  d'un    exil,  d'une  captivité  aussi  Jon- 
que que  la  vie?  Tout  cela  n'est-ce  pas,  autant  qu'il  le  peut  être 
une  espèce  d'éternité?  Or,  nous  voyons  néanmoins  que  la  justice 
humaine  emploie  tout  cela   contre  un  attentat   presque  aussitôt 
commis  et  achevé  qu'entrepris  et  commencé.  Et  quand,  pour  ven- 
ger cet  attentat  si  peu  médité  quelquefois,  et  si  prornptement  exé- 
cuté, elle  fait  servir  tout  cela,  nous  ne  trouvons  rien  dans  la  peine 
qui  excède  le  crime.  Elle  va  plus  loin  ;  et  qu'est-ce  que  la  mort? 
demande  encore  saint  Augustin,  cette  mort,  de  toutes  les  choses 
terribles,  selon  la  nature,  la  plus  terrible;  cette  mort  qui,  de  tous 
les  biens   temporels,  enlève  à  l'homme,  en  le  détruisant,  le  plus 
précieux,  qui  est  la  vie;  cette  mort  dont  le  coup  est  irrémédiable 
et  dont  les  suites  par  là  même  sont  comme  éternelles?  Toutefois 
que  ce  soit  le  châtiment  de  certains  crimes,  quelque  subits  d'ail- 
leurs  et  quelque  passagers  qu'ils  aient  été,  c'est  ce  que  nous  ap- 
prouvons; c'est  en  quoi  nous  admirons   et  la  sagesse    et  l'équité 
des  lois  du  monde.  11  est  vrai ,  continuel  e  même  Père ,  et  cette 
observation  convient  parfaitement  à  mon  sujet,  il  est  vrai  que  le 


!5q  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

sentiment  de  celte  mort  passe,  mais  l'effet  ne  passe  point;  et  c'est 
surtout  ce  que  se  propose  la  loi. 

Car  prenez  garde,  s'il  vous  plaît,  que  la  première  et  la  plus  di- 
recte intention  de  la  loi  n'est  pas  de  tourmenter  pour  quelque 
temps  le  criminel  sur  qui  elle  lance  son  arrêt  ;  mais  que  par  cet 
arrêt  irrévocable  elle  pe'nètre  jusque  dans  l'avenir,  et  que  sa  vue 
principale  est  de  le  retrancher  pour  jamais  du  commerce  et  de  la 
société  des  vivans ,  dont  elle  l'a  jugé  indigne  :  Qui  vero  morte 
mulctatur,  numquid  moram  qua  occiditur,  quœ  brevis  est ,  ejus  sup- 
plicium  leges  œstimant  ;  an  non  potius  quod  in  sempiternum  eum 
auferant  de  societate  viventium?  Ce  sont  les  paroles  du  saint  doc- 
teur; d'où  il  s'ensuit  que  pour  mesurer  la  proportion  de  la  peine 
et  de  l'offense,  ce  n'est  donc  pas  une  règle  toujours  à  prendre  que 
la  durée  de  l'un  ou  de  l'autre ,  et  que  dans  un  supplice  qui  ne  finit 
jamais,  pour  un  péché  qui  finit  si  vite,  et  dont  le  plaisir  est  si  court, 
la  justice  divine  peut  être  à  couvert  de  tout  reproche. 

Voilà ,  encore  une  fois ,  chrétiens ,  la  réponse  que  j'aurais  à  vous 
faire,  et  qui  serait  pour  vous,  sinon  une  preuve  convaincante,  du 
moins  une  des  plus  fortes  et  des  plus  sensibles  conjectures.  Mais 
ce  n'est  point  là  ce  que  je  me  suis  prescrit  ;  et  sans  quitter  mon 
dessein,  j'en  reviens  à  la  foi. 

Que  me  dit-elle?  deux  choses  :  que  Dieu  est  juste,  et  que  ses  ven- 
geances sont  éternelles.  Elle  ne  me  peut  tromper  sur  aucune  de 
ces  deux  vérités,  puisque  ce  sont  autant  d'oracles  émanés  de  la 
première  vérité.  Par  conséquent,  ce  sont  pour  moi  deux  vérités 
incontestables;  par  conséquent,  ces  deux  vérités  ne  se  combat- 
tent point  l'une  et  l'autre,  et  concourent  parfaitement  ensemble  ; 
par  conséquent,  la  peine  des  damnés  subsistant  dans  toute  son 
éternité,  la  justice  de  Dieu  subsiste  dans  toute  son  intégrité  :  que 
dis-je  ?  c'est  dans  cette  éternité  même  qu'éclate  la  justice  divine, 
puisque  la  peine  des  damnés  n'est  éternelle  que  parce  que  Dieu 
est  juste,  et  qu'autant  qu'il  est  juste;  par  conséquent,  lorsqu'on 
me  représente  cette  peine  éternelle,  je  ne  dois  pas  conclure  que 
Dieu  est  injuste  :  car  rien  d'injuste,  dit  saint  Augustin,  quand 
c'est  le  juste  par  excellence  qui  l'a  résolu  :  Nihil  injustum  esse  po- 
test  quod  placet  justo.  Mais  la  seule  conclusion  que  je  dois  tirer 
est  celle  de  saint  Ambroise  :  qu'il  faut  donc  que  le  péché  soit  le 
plus  grand  de  tous  les  maux,  puisqu'un  Dieu  si  juste  le  punit  par 
la  plus  grande  de  toutes  les  peines;  qu'il  faut  donc  que  le  péché 
renferme  un  fonds  de  malice  inépuisable,  puisqu'au  jugement 
même  de  la  souveraine  justice,  il  demande  pour  réparation  une 


DES    PRÉDICATEURS.  l6l 

éternité  tout  entière;  qu'il  faut  donc  que  le  monde  soit  bien 
aveugle,  lorsqu'il  regarde  avec  tant  d'indifférence  le  péché,  et  qu'il 
en  témoigne  si  peu  de  crainte,  puisqu'un  seul  péché  le  conduit 
dans  le  plus  profond  abîme  de  la  misère  pour  n'en  sortir  jamais. 
Tout  cela  fondé  sur  les  principes  indubitables  et  inébranlables  de 
la  religion. 

Que  lui  reste-t-il  à  cette  foi  si  droite  et  si  éclairée?  de  corriger 
la  troisième  erreur,  qui  refuse  à  Dieu  le  pouvoir  d'exercer  sur  le 
même  sujet  une  vengeance  éternelle,  et  de  lui  faire  toujours  égale- 
ment sentir  les  cruelles  atteintes  et  les  vives  impressions  du  feu 
qui  le  brûle.  Erreur  entre  toutes  les  autres,  la  plus  frivole  et  la 
plus  vaine,  pour  quiconque  a  quelque  notion  d'un  Dieu  tout-puis- 
sant. Comme  si  Dieu  ne  pouvait  pas  donner  au  feu,  qu'il  a  choisi 
pour  être  l'instrument  de  sa  colère ,  des  qualités  propres ,  et  au 
dessus  de  l'ordre  naturel.  Comme  si  Dieu ,  qui  de  rien  a  tout  créé 
et  qui  d'un  seul  acte  de  sa  volonté  soutient  tout,  ainsi  que  la  foi 
nous  le  fait  connaître,  manquait  de  force  et  de  vertu  pour  sou- 
tenir toute  l'activité  de  ce  feu ,  sans  aliment  et  sans  matière.  Comme 
s'il  était  difficile  à  Dieu,  après  avoir  formé,  et  le  corps  et  l'ame, 
de  rendre  l'un  incorruptible  aussi  bien  que  l'autre,  sans  le  rendre, 
non  plus  que  l'autre,  impassible  ;  et  de  les  conserver  dans  les  flam- 
mes, pour  en  éprouver  les  plus  violentes  ardeurs,  sans  en  recevoir 
la  plus  légère  altération.  Comme  si  c'était  là  de  plus  grands  mira- 
cles pour  Dieu,  que  tant  de  prodiges  éclatans  que  la  loi  nous  met 
devant  les  yeux,  et  où  elle  nous  donne  à  entendre  qu'il  n'a  même 
fallu  que  le  doigt  du  Seigneur  :  Digitus  Dei  est  hic  i.  Qu'est-ce 
donc  quand  il  déploie  tout  son  bras,  et  qu'il  l'appesantit  sur  de 
rebelles  créatures  frappées  de  sa  haine?  Qui  le  peut  savoir  et 
quelle  horreur  de  l'apprendre  par  soi-même  ?  Brachium  Domini 
cui  revelatum  est^?  Ah!  mes  chers  auditeurs,  ne  cherchons  point 
par  d'inutiles  questions  et  des  recherches  dangereuses  à  diminuer 
les  salutaires  frayeurs  qu'excite  en  nous  l'esprit  chrétien.  Croyons, 
et  dans  un  saint  tremblement  rendons  à  la  bonté  de  notre  Dieu 
à  la  justice  de  notre  Dieu,  à  la  puissance  de  notre  Dieu,  tous  les 
hommages  qui  leur  sont  dus.  N'écoutons  point  notre  cœur  qui  se 
trompe  et  qui  voudrait  nous  tromper.  Parce  que  la  vue  d'un  tour- 
ment éternel  le  trouble,  et  que  ce  trouble  intérieur  l'importune  et 
le  gêne  dans  ses  passions  déréglées,  il  lâche  par  toutes  sortes  de 
moyens  à  rompre  ce  frein ,  et  devient  ingénieux  à  inventer  mille 

Exod.,  8.  -  2  Isaï.,  53. 

T.    III.  Ir 


ï62  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

subtilités  contre  les  vérite's  les  plus  essentielles.  Ne  discourons 
point  tant,  mais  agissons.  Ce  ne  sera  ni  notre  philosophie,  ni  tous 
nos  discours  qui  nous  garantiront  de  ce  jugement  de  Dieu  si  for- 
midable :  mais  ce  qui  nous  en  préservera ,  c'est  la  docilité  de  notre 
foi  avec  la  sainteté  de  nos  œuvres  ;  et  voilà  sans  contredit  de  tous 
les  partis  le  plus  sage,  puisque  c'est  évidemment  le  plus  sûr. 

Je  ne  prétends  pas  néanmoins  que  la  raison  ne  puisse  être  ici 
consultée,  selon  qu'elle  est  soumise  à  la  foi  et  qu'elle  compatit 
avec  la  foi.  Je  ne  craindrai  point  même  de  la  faire  ici  parler,  et  de 
recueillir  tout  ce  qu'elle  a  découvert,  pour  justifier  la  conduite  de 
Dieu  et  cet  arrêt  irrévocable,  qui,  réprouvant  le  pécheur,  le  con- 
damne à  une  peine  éternelle.  Car  c'est  là,  chrétiens,  le  terrible 
mystère  qui  de  tout  temps  a  exercé  les  premiers  hommes  de  l'E- 
glise et  les  plus  versés  dans  les  choses  divines.  Et  quoique  les 
jugemens  du  Seigneur  n'aient  pas  besoin  de  la  justification  des 
hommes,  puisqu'ils  se  justifient  assez  par  eux-mêmes,  comme  dit 
le  Prophète  :  Judicia  Domini  vera,  justificata  in  semetipsa*',  toute- 
fois ces  saints  docteurs  ont  pensé  que  sur  l'éternité  malheureuse 
des  réprouvés,  il  était  bon  de  voir  toutes  les  convenances  qui  s'y 
rencontrent,  et  pour  cela  même  d  user  de  toutes  les  lumières  et 
de  toutes  les  raisons  que  l'esprit  humain,  tout  borné  qu'il  est, 
nous  fournit.  Peut-être  les  avez-vous  déjà  plus  d'une  fois  enten- 
dues, ces  raisons  que  j'ai  à  produire  ;  mais  peut-être  aussi  vais-je 
vous  les  proposer  tout  autrement  qu'on  ne  vous  les  a  fait  conce- 
voir. Car  mon  dessein  ,  en  les  produisant  ,  n'est  pas  tant  de  vous 
en  faire  sentir  toute  la  force,  que  de  vous  faire  ensuite  compren- 
dre comment  la  foi  les  perfectionne.  C'est  à  quoi  je  me  suis  engagé, 
et  ce  qui  demande  une  nouvelle  attention. 

Or,  la  première  raison  est  de  saint  Jérôme  et  de  saint  Augustin. 
Oui ,  mes  frères,  dit  saint  Jérôme,  l'homme  pécheur  doit  éternel- 
lement satisfaire  à  Dieu  ,  parce  que  sa  volonté  était  de  résister 
éternellement  à  Dieu.  Cette  pensée  est  solide  et  vraie  ;  mais,  pour  y 
bien  entrer,  écoutons  saint  Augustin,  lequel  a  pris  soin  de  l'éclair- 
cir  et  de  la  mettre  dans  tout  son  jour.  Car,  selon  la  belle  remarque 
de  ce  saint  docteur,  dans  une  volonté  perverse  et  criminelle ,  ce 
n'est  point  précisément  l'effet  qu'il  faut  regarder ,  mais,  encore 
plus  la  volonté,  l'affection  du  cœur;  et,  quoique  l'effet  manque, 
parce  qu'il  ne  dépend  pas  de  l'homme,  il  est  juste  que  la  volonté 
soit  punie ,  et  qu'elle  le  soit  d'une  peine  proportionnée  à  sa  mau- 

Ps.  18. 


DES    PREDICATEURS.  l63 

vaise  disposition  :  Merito  malus  punitur  affectas ,  etlani  quum  no>i 
succedit  effectas.  Or,  j'en  appelle  au  témoignage  de  la  conscience- 
et  n'est-il  pas  certain  que  ces  amateurs  d'eux-mêmes  et  du  monde 
que  ces  esclaves  du  plaisir  et  de  leurs  sensuelles  cupidités,  que 
tant  de  pécheurs  vendus  au  péché,  se  trouvent  devant  Dieu,  scru- 
tateur des  âmes  et  de  leurs  plus  secrètes  intentions,  tellement 
disposés,  qu'ils  voudraient  ne  quitter  jamais  cette  vie  présente 
dont  ils  goûtent  les  faux  biens,  qu'ils  voudraient  éternellement  y 
jouir  de  leurs  passions,  et  que  volontiers  ils  renonceraient  à  toute 
autre  félicité  ?  Si  donc  l'acte  du  péché  ne  dure  pas,  l'amour  du  pé- 
ché et  l'attachement  au  péché  est  en  quelque  sorte  éternel  :  de  ma- 
nière que  dans  la  disposition  du  pécheur  est  renfermée  une  volonté 

secrète,  ou  pour  parler  avec  l'école,  une'volon  té  interprétative  d'être 
à  jamais  pécheur,  puisqu'il  voudrait  toujours  posséder  cequi  entre- 
tient son  péché.  Aussi ,  c'est  la  réflexion  de  saint  Grégoire  ,  pape 
à  bien  considérer  les  impies  et  tout  ce  que  nous  comprenons  sous 
le  nom  de  pécheurs,  il  s  ne  cessent  de  pécher  que  parce  qu'ils  cessent 
de  vivre  ;  et  ils  souhaiteraient  de  ne  cesser  jamais  de  vivre  ,  p^  ir 
ne  cesser  jamaisde  pécher;  et  s'ils  désirentde  vivre,  ce  n'est  point 
proprement  pour  la  vie:  car  sans  le  péché  cette  vie,  qui  leur  est 
si  chère  et  si  précieuse,  leur  deviendrait  insipide  et  ennuyeuse.  Il 
y  a  donc  toute  la  proportion  nécessaire  entre  l'éternité  de  leur 
peine  et  la  malignité  de  leur  cœur,  et  l'on  ne  doit  point  tant  s'é 
tonner  que  le  châtiment  n'ait  point  de  fin,  après  que  la  volonté 
de  pécher  n'a  point  eu  de  terme. 

Ce  n'est  pas  assez  ;  mais  à  cette  raison  saint  Thomas  en  ajoute 
une  seconde.  C'est,  dit  ce  docteur  angélique  ,  qu'en  quelque  ris* 
position  de  volonté  que  puisse  être  l'homme   quand   il  pèche  ,  il 
m'est  évident  que  le  péché  qu'il  commet  est  irréparable  de  sa  ra- 
ture; qu'étant  irréparable  il  est  en  ce  sens  éternel ,  et  que  par  là 
même  il  mérite  un  supplice  éternel.  Appliquons-nous  à  ceci ,  chré- 
tiens. Tout  péché  mortel  une  fois  commis  ne  peut  être  aboli  qu'en 
Tune  de  ces  deux  manières  :  ou  de  la  part  du  pécheur,  par  une  sa- 
tisfaction digne  d'être  acceptée;  ou  de  la  part  de  Dieu,  par  un  ^ 
cession  gratuite  et  absolue  de  ses  intérêts.  Que  le  pécheur,  je  dis 
le  pécheur  réprouvé ,  satisfasse  dignement  à  Dieu,  c'est  de  vnoi 
il  est  incapable  dès  qu'il  est  privé  de  la  grâce.  Que  Dieu  cède  ses 
droits,  c'est  à  quoi  rien  ne  l'oblige,  et  ce  qu'on  ne  peut  exiger  do 
lui.  Donc  à  s'en  tenir  aux  termes  de  la  justice,  ce  péché  dans  toute 
l'éternité  ne  se  réparera  jamais,  et  paraîtra  toujours  aux  yeux  de 
Dieu  comme  péché  Or,  tandis  que  le  péché  demeure  sans  être  effacé 

n. 


-g/  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

aar  nulle  réparation,  il  doit  avoir  sa  peine,  conclut  l'ange  de  l'é- 
cole    et  la  durée  de  la  peine  doit  répondre  à  la  durée  du  péché. 

Il  y  a  plus,  et  cestla  troisième  raison  que  les  théologiens,  après 
saint  Augustin  ,  tirent  encore  de  la  nature  du  péché.  Car  qu'est- 
ce  que  le  péché  ?  c'est  un  éloignement  volontaire  de  Dieu,  c'est  un 
mépris  formel  de  Dieu,  c'est  un  amour  de  la  créature  préférable- 
ment  à  Dieu  ,  c'est  une  injure  ,  et  linjure  la  plus  atroce  faite  à  la 
majesté  de  Dieu.  Cela  posé  comme  une  vérité  universellement  re- 
connue mesurons,  dit  saint  Augustin  ,  la  grièveté  de  cette  injure 
par  la  grandeur  du  maître  qu'elle  outrage,  et  nous  trouverons 
qu'elle  est  infinie  dans  son  objet,  puis  qu'elle  blesse  une  grandeur 
infinie.  Or  un  péché  dont  la  malice  est  infinie  demande  une  peine 
infinie  :  et  comment  le  sera-t-elle  ?  Sera-ce  en  elle-même  et  dans 
son  essence  ?  c'est  ce  qui  ne  se  peut,  et  ce  que  nul  être  créé  n'est 
en  état  de  porter.  Reste  donc  que  ce  soit  une  peine  infinie  autant 
qu'elle  le  peut  être  ,  je  veux  dire  dans  son  éternité  ,  et  qu'elle  s'é- 
tende jusque  dans  l'immensité  des  siècles  à  venir.  Voilà  l'unique 
voie  que  Dieu  ait  de  se  satisfaire  soi-même.  Sans  cette  éternité,  il  y 
aurait  toujours  une  distance  infinie  entre  l'offense  et  la  peine  ; 
mais  par  cette  éternité  ,  quoique  Dieu  ne  soit  jamais  pleinement 
satisfait  parce  que  la  peine  étant  éternelle,  n'est  jamais  entière- 
ment remplie,  il  y  a.  néanmoins  entre  le  châtiment  et  le  crime 
toute  l'égalité  possible. 

Telles  ont  été  ,  dis-je,  mes  chers  auditeurs  ,  sur  le  grand  sujet 
de  l'éternité  malheureuse  les  productions  de  l'esprit  de  l'homme. 
Voilà  où  sont  parvenus  ces  esprits  sublimes  que  Dieu  avait  rem- 
plis de  sa  sagesse  et  du  don  d'intelligence.  Voilà  les  découvertes 
qu'ils  ont  faites,  et  les  lumières  qu'ils  ont  suivies.  Respectons  leurs 
sentimens  ;  ils  sont  solidement  établis.  Prenons  bien  leurs  vues, 
et  elles  nous  paraîtront  justes  et  toutes  saintes.  Mais  avouons-le, 
après  tout  ;  il  faut  que  la  foi  vienne  au  secours  pour  les  perfection* 
ner  et  les  confirmer.  Vous  voulez  savoir  par  où  elle  les  confirme  et 
les  perfectionne  :  ah!  chrétiens  ,  c'est  un  de  ces  secrets  qui  ne  sont 
connus  qu'aux  âmes  humbles  et  aux  vrais  fidèles.  Car  si  la  foi  don- 
ne à  toutes  ces  connaissances  une  perfection  et  une  force  particu- 
lière ce  n'est  point  en  élevant  nos  esprits  ,  mais  plutôt  en  les 
abaissant  ;  ce  n'est  point  en  leur  laissant  une  liberté  présomp- 
tueuse d'examiner  et  déraisonner,  mais  en  les  soumettant  à  l'auto- 
rité et  à  la  mystérieuse  obscurité  de  la  parole  de  Dieu;  ce  n'est  point 
en  tirant  le  voile  qu'elle  nous  met  sur  les  yeux  ,  et  en  nous  pré- 
sentant la  vérité  dans  un  plein  jour  ,  mais  en  nous  réduisant,  con- 


DES    PRÉDICATEURS.  l6S 

tre  toutes  les  difficultés  et  tous  les  embarras,  à  cette  réponse  de 
saint  Paul,  qui  dans  un  mot  résout  tous  les  doutes  et  toutes  les 
incertitudes  :   O  altitude*  *  !  O  jugement  de  mon  Dieu  !   ô  trésors 
inépuisables  et  cachés,  non  seulement  de  sa  sagesse  et  de  sa  miséri- 
corde,  mais  de  sa  justice!  Je  puis  bien  en  entrevoir  quelques  ap- 
parences; mais  m'appartient-il  d'en  pénétrer  le  fond  ?   Quam  in- 
comprehensibilia  sunt  judicia  ejus ,  et  investigabiles  vice  ejus  !  Et 
qui  de  nous,  en  effet,  peut  lire  dans  le  sein  de  Dieu  tout  ce  qu'il 
veut,  et  pourquoi  il  le  veut  ?  Qui  de  nous  a-t-il  appelé  à  ses  con- 
seils .    Quis  novit  sensum  Domini  ,  aut  quis  consiliarius  ejus  fuit  ? 
Quand  donc  j'aurai  fait  mille  efforts  pour  sonder  cet  abîme,  si  je  ne 
veux  pas  m  égarer  et  me  perdre,  je  dois  toujours  en  revenir  au 
principe  fondamental,  et  m'écrier  en  m'humiliant  :  O  cdtitudo! 

Chose  admirable,  chrétiens  :   dès  que  la  foi  nous  a  mis  en  cette 
préparation  de  cœur  et  dans  cette  soumission  intérieure,  c'est  alors 
que,   disposés  à  faire  le  sacrifice  de  tous  nos  raisonnemens  et  à 
y  renoncer,  nous  pouvons  mieux  raisonner  que  jamais;  et  en  voici 
1  évidente  démonstration  :  parce  que,  n'ayant  plus  ni  préjugés,  ni 
vues  propresà  quoi  nous  demeurions  opiniâtrement  attachés,  nous 
voyons  d'un  œil  plus  épuré,  et  nous  jugeons  d'un  sens  beaucoup 
plus  rassis.  Ces  hautes  idées  que  la  foi  nous  donne  de  la  majesté 
de  Dieu,  de  la  bonté  de  Dieu,  de  sa  justice  et  de  sa  sainteté  ;  par 
conséquent,  de  l'audace  de  l'homme  qui  s'élève  par  le  péché  contre 
cette  majesté  infinie,  de  l'ingratitude  de  l'homme  qui  se  tourne  par 
le  péché  contre  cette  bonté  souveraine,  de  la  malignité  et  de  la 
corruption  du  cœur  de  l'homme  qui  offense  parle  péché  cette  jus- 
tice inflexible  et  cette  sainteté  éternellement  et  nécessairement  en- 
nemie de  tout  désordre  ;  ces  grands  objets  n'étant  plus  affaiblis , 
ou  par  les  fausses  préventions  d'un  esprit  indocile,  ou  par  les  aveu- 
gles cupidités  d'un  cœur  passionné,  se  présentent  dans  toute  leur 
force,  et  font  sans  obstacle  toute  leur  impression.  On  les  com- 
prend avec  moins  de  peine  ,  et  même  à  certains  momens  il  semble 
qu'on  en  ait  une  connaissance  distincte,  et  je  ne  sais  quel  senti- 
ment actuel  qui  remplit  l'ame  et  qui  la  saisit.  Il  semble  qu'on  ait 
devant  les  yeux  l'éternité  tout  entière  ,  et  qu'on  en  parcoure  l'im- 
mense étendue.  On  la  voit ,  autant  qu'il  est  possible  à  la  faiblesse 
de  nos  esprits,  dans  toute  son  horreur,  et  au  lieu  de  s'arrêtera  de 
vaines  discussions ,  on  ne  pense  qu'à  s'humilier  devant  la  toute- 
puissance  de  Dieu,  et  à  prévenir  ses  redoutables  arrêts.  On  dit 

1  Rom.,  il. 


It>6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

comme  le  saint  homme  Job  :  Vere  scio  quod  ita  sit  x  ;  oui ,  il  en 
est  ainsi  ;  car  c'est  ainsi  que  la  parole  même  de  mon  Dieu  me  l'a- 
sure  :  et  le  plus  sage  parti  pour  moi  n'est  pas  d'entrer  en  de  sèches 
disputes  et  d'opiniâtres  contestations  sur  la  vérité  de  cette  divine 
parole;  mais  de  prendre  de  solides  mesures  pour  éviter  l'affreux 
malheur  qu'elle  m'annonce.  Tout  ce  que  j'ai  donc  à  faire  est  de  me 
p  osterner  aux  pieds  de  mon  juge  ,et  de  me  tenir  devant  lui  dans 
hn  saint  tremblement,  et  de  le  fléchir  par  l'humilité  et  par  la  ferveur 
ce  ma  prière.  Serais-je  le  plus  juste  des  hommes,  voilà  la  disposi- 
tion ou  je  dois  être  et  où  je  dois  demeurer  jusques  au  dernier  sou- 
p.r  de  ma  vie  :  Etiam  si  habuero  quippiam  justum^  non  respon- 
aeboj  secl judicem  meum  deprecabor.  C'est  là,  encore  une  fois,  ce 
qu  on  dit ,  et  c'est  là  qu'on  porte  toutes  ses  réflexions.  Effet  salu- 
taire de  la  toi ,  d'une  foi  prudente,  mais  du  reste  docile  ,  et  dans 
sa  pieuse  docilité  mille  fois  plus  éclairée  que  toute  la  science  et 
toute  la  sagesse  du  monde  ;  d'une  foi  soumise  que  Dieu  soutient 
par  certaines  touches  secrètes,  qu'il  élève  par  certaines  lumières  de 
sa  grâce,  et  à  qui  il  découvre  ses  plus  impénétrables  mystères: 
tt  e  a  été  la  foi  des  saints.  Était-ce  dans  eux  petitesse  d'esprit? 
était-ce  superstition  ?  Mais  ne  savons-nous  pas  d'ailleurs  quels 
feraient  ces  rares  génies,  et  ce  que  toute  l'antiquité  a  pensé  de  ces 
grands  hommes  qu'elle  a  révérés  comme  ses  maîtres,  et  que  nous 
nous  proposons  encore  comme  nos  guides  et  nos  modèles  ?  Ce 
quils  ont  cru,  ne  pouvons-nous  pas  bien  le  croire?  et  serons-nous 
bien  justifiés  au  tribunal  de  Dieu  quand  nous  lui  dirons  :  Sei- 
gneur, je  n'ai  tenu  nul  compte  de  cette  éternité,  je  l'ai  négligée  par- 
ce que  je  ne  la  croyais  pas  ?  Non,  vous  ne  la  croyez  pas  ;  mais 
pourquoi  ?  parce  que  vous  ne  vouliez  pas  la  croire,  parce  que  vous 
a'.iectiez  de  ne  pas  la  croire,  afin  de  n'être  point  troublé  dans  vos 
désordres  ,  car  voilà  le  principe  ordinaire  de  l'incrédulité.  Cepen- 
dant, mon  cher  auditeur,  que  vous  l'ayez  crue,  ou  que  vous  ne 
l  ayez  pas  crue,  elle  n'en  est  pas  moins  réelle;  les  preuves  qui  pou- 
vaient vous  en  convaincre  n'en  sont  pas  moins  solides ,  et  ce  sera 
votre  condamnation.  (Bourdaloue,  Sur  V Éternité  malheureuse.) 

Péroraison. 

Affreuse  image  des  tourmens  de  l'enfer,  retracez-vous  avec  force 
à  1  esprit  de  tous  les  pécheurs;  ils  s'arrêteront  au  milieu  de  leurs 

1  Job,,  9. 


,  DES  PRÉDICATEURS.  167 

courses  criminelles;  leurs  plus  fougueuses  passions  reculeront 
épouvantées,  et  obéiront  en  esclaves  à  la  vue  d'une  éternité  mal- 
heureuse. Ils  ne  la  craignent  pas,  parce  qu'ils  n'y  pensent  pas; 
mais,  s'ils  en  écartent  le  souvenir,  ils  n'en  détruisent  pas  la  réa- 
lité, ils  n'en  diminuent  pas  l'horreur.  Qu'ils  y  pensent;  et  je  les 
défie,  pour  peu  qu'ils  s'aiment  encore  eux-mêmes  et  que  leurs 
vrais  intérêts  les  touchent,  de  n'en  être  pas  frappés  et  consternés. 
Image  terrible,  poursuivez-les  jusque  dans  le  tumulte  du  monde 
et  au  milieu  de  leurs  fêtes  les  plus  brillantes ,  elles  perdront  à  leurs 
yeux  tous  leurs  attraits  ;  ils  ne  verront  plus  que  le  malheur  qui  les 
menace;  ils  ne  songeront  plus  qu'à  s'y  dérober  et  à  prévenir  par 
une  sincère  conversion  la  perte  entière  et  irréparable  d'eux- 
mêmes. 

Affreuse  image  des  tourmens  de  l'enfer,  présentez- vous  aux 
chrétiens  convertis  et  pénitens;  que  les  peines  de  leur  nouvelle  vie 
leur  paraîtront  légères  et  douces,  comparées  aux  châtimens  éter- 
nels dont  elles  sont  l'échange  !  De  quels  maux  peut-on  se  plain- 
dre, quand  on  a  mérité  ceux  de  l'enfer?  Si  Dieu  les  y  eût  préci- 
pités lorsqu'ils  l'outragaient,  et  qu'ensuite  il  leur  eût  été  donné  de 
revenir  sur  la  terre  pour  y  expier  leurs  crimes ,  avec  quel  zèle, 
avec  quels  transports  ils  se  livreraient  à  toutes  les  rigueurs  de  la 
plus  austère  pénitence?  Eh  quoi!  avoir  été  préservé  de  l'enfer, 
est-ce  une  moindre  faveur  que  d'en  avoir  été  arraché  ?  Mais  dans 
la  cruelle  incertitude  si  leurs  péchés  ne  subsistent  plus  dans  le 
souvenir  de  Dieu;  s'ils  les  ont  détestés,  pleures,  expiés,  tout  ce 
qui  peut  calmer  leurs  frayeurs  ne  doit-il  pas  leur  être  précieux 
et  cher?  Ils  embrasseront  donc  avec  joie  tout  ce  qui  porte  l'em- 
preinte de  la  pénitence,  persuadés  que  plus  leurs  regrets  seront 
amers  et  leurs  satisfactions  continuelles,  plus  ils  auront  lieu  de  se 
flatter  d'une  réconciliation  sincère  avec  Dieu.  Oui,  une  vie  de  con- 
trainte, de  violences ,  de  peines  et  de  croix,  est  ce  qu'il  y  a  de  plus 
consolant  pour  quiconque  a  mérité  l'enfer. 

Afreuse  image  des  tourmens  de  l'enfer  ,  allez  réveiller  les  âmes 
endormies  au  sein  de  la  tiédeur;  qu'elles  apprennent  que,  s'il  est 
une  voie  qui  paraît  droite  et  qui  conduit  à  la  mort,  c'est  celle  où 
elles  marchent  avec  tant  d'indolence  et  de  sécurité.  Qu'elles  fré- 
missent en  voyant  qu'elles  se  jouent  sur  les  bords  d'un  précipice, 
où  tout  les  pousse  et  les  entraîne,  le  monde  ,  le  démon ,  leur  pro- 
pre cœur.  Quand  il  ne  serait  que  douteux  si  l'enfer  sera  ou  ne  sera 
point  leur  partage,  ne  devraient-elles  pas  tout  entreprendre  pour 
mettre  du  moins  les  vraisemblances  de  leur  côté?  et,  dès  qu'il 


l68  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

s'agit  du  dernier  des  malheurs,  la  vraie  sagesse  ne  veut-elle  pas 
que  nous  mettions  entre  lui  et  nous  un  intervalle  immense,  qu'on 
ne  risque  rien,  qu'on  ne  néglige  rien  parce  que  les  précautions  ne 
sauraient  être  excessives,  lorsque  la  peine  de  la  méprise  est  le  com- 
ble de  l'infortune.  Mais  leur  état  n'est  pas  un  problème  :  lorsqu'il 
en  coûte  peu  pour  se  sauver,  on  doit  être  assuré  que  l'on  se  damne, 
à  moins  que  ce  ne  soit  une  grande  ferveur  qui  facilite  l'accom- 
plissement des  devoirs  du  salut.  Sainte  Thérèse  ne  vit-elle  pas  sa 
place  marquée  au  fond  de  l'abîme,  si  elle  ne  s'élevait  pas  à  la  plus 
haute  sainteté?  Il  est  des  âmes  pour  qui  la  pratique  des  conseils 
de  l'Evangile  est  étroitement  liée  avec  l'observation  des  préceptes 
les  plus  essentiels  de  la  loi.  (  L'abbé  Richard.  ) 


DES    PRÉDICATEURS.  I&) 


PLAN  ET  OBJET  DU  QUATRIEME  DISCOURS 
SUR  L'ENFER 

EXORDE. 

Crucior  in  hac  jîamma. 
Je  souffre  dans  cette  flamme.  (S.  hue,  16.) 

Quel  est  cet  affreux  séjour  où  la  justice  divine  précipite  ce  ri- 
che impitoyable?  Quelles  sont  ces  ténèbres  profondes  où  il  va  être 
enseveli  sans  retour?  Quels  sont  ces  cris  de  rage  et  ces  liurlemens 
de  désespoir  qu'il  pousse,  dis-je  ,  du  fond  des  abîmes,  et  qui 
viennent  épouvanter  notre  oreille,  et  remplir  notre  cœur  d'effroi ï 
Et  quelle  est  enfin  l'horrible  demeure  qui  lui  fait  lire  à  son  entrée 
cette  inscription  formidable  :  Là  il  y  aura  des  pleurs  et  des  grince- 
mens  de  dents  :  Ibi  erit  fletus  et  stridor  dentium. 

Ah!  chrétiens,  ce  séjour  est  celui  qu'un  Dieu  irrité  prépare  à 
la  révolte  et  à  l'endurcissement  ;  c'est  cette  prison  ténébreuse  où 
sa  justice  retient  dans  une  captivité  éternelle  les  victimes  dévouées 
à  sa  fureur;  c'est  cet  étang  de  feu  où  sa  colère  environnant  et  pé- 
nétrant le  pécheur  jusque  dans  sa  plus  intime  substance,  venge 
par  d'inexprimables  tourmens  sa  bonté  méconnue  et  sa  gloire  ou- 
tragée; c'est  l'Enfer  en  un  mot,  où  Dieu  a  voulu  rassembler  sur 
la  tête  du  pécheur  tous  les  fléaux  à  la  fois,  et  semble,  pour  le  pu- 
nir, épuiser  sa  toute-puissance.  L'Enfer!  à  ce  mot  seul,  le  juste 
frissonne,  et  le  pécheur  est  saisi  d'épouvante.  L'Enfer!  à  cette 
horrible  pensée,  l'impie  lui-même  se  trouble  et  craint  de  fixer  ses 
regards  sur  ce  formidable  tableau.  Oserons-nous  cependant  y 
chercher  aujourd'hui  des  instructions  salutaires,  et  ne  craindrons- 
nous  pas  de  révolter  des  oreilles  délicates  par  ces  lugubres  des- 
ciiptions,  ou  de  porter  dans  des  cœurs  sensibles  de  dangereuses 
terreurs?  Non,  non,  trop  souvent  peut-être  la  condescendance 
ménage  de  vaines  délicatesses;  trop  souvent  des  cœurs,  que  devrait 
serrer  la  douleur,  ne  remportent  d'autres  fruits  de  la  parole  sainte 


lyo  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

que  les  émotions  passagères  d'un  stérile  attendrissement.  Il  faut  du 
moins  quelquefois,  si  avec  votre  salut  nous  voulons  le  nôtre,  il 
faut  nous  rappeler  que  si  le  Dieu  qui  nous  envoie  est  le  Dieu  des 
miséricordes ,  il  est  aussi  ie  Dieu  des  vengeances;  qu'il  nous  com- 
mande de  prêcher  l'Evangile  tout  entier,  et  qu'il  nous  ferait  un 
jour  porter  la  peine  d'en  avoir  laissé  tomber  clans  l'oubli  les  plus 
terribles  mais  les  plus  utiles  vérités;  et  dans  quels  jours,  si  ce 
n'est  dans  les  jours  de  pénitence  et  de  salut,  souffrirez- vous  dans 
vos  prêtres  une  sainte  liberté?  dans  quels  jours  permettrez-vous 
aux  ministres  de  Jésus-Christ  de  faire  retentir  dans  la  chaire  chré- 
tienne une  doctrine,  qui  si  souvent  arracha  le  pécheur  à  ses  dé- 
sordres ,  ou  réveilla  le  pécheur  indifférent  et  lâche  de  son  funeste 
assoupissement? 

Un  orateur  chrétien  dont,  pour  ma  confusion  ,  je  prononce  au- 
jourd'hui le  nom  dans  cette  chaire,  Bourdaloue  a  dit  qu'il  était  utile 
de  prêcher  l'Enfer  à  la  cour  des  rois.  Suivons  le  conseil  de  ce  saint 
homme,  méditons  sur  l'Enfer  et  comprenons  combien  il  nous  im- 
porte d'éviter  : 

Des  tourmens  qui  sont  sans  mesure  dans  leur  rigueur,  iei  Point; 

Des  tourmens  qui  sont  sans  consolation  dans  leur  amertume, 
2°  Point.  (M.  Borderies  ,  sur  VEnjev.  ) 

D.'eu  seul  peut  nous  apprendre  quelles  seront  dans  l'Enfer  ses  rigueurs. 

J'ouvre  les  livres  sacrés,  et  partout  je  trouve  empreinte  l'indi- 
gnation de  Dieu  contre  le  péché,  partout  je  rencontre  les  effets 
lamentables  de  sa  juste  fureur  :  c'est  là  que  la  malédiction  pronon- 
cée contre  le  premier  coupable  le  poursuit  sans  relâchejusque  dans 
sa  postérité  la  plus  reculée;  c'est  là  que  les  crimes  de  la  terre  for- 
cent la  mer  à  franchir  ses  barrières,  pour  engloutir  dans  une 
épouvantable  calamité  d'innombrables  prévaricateurs;  c'est  là  que 
d'infâmes  excès  appellent  sur  cinq  villes  criminelles  une  pluie  en- 
flammée qui  ne  laisse  plus  survivre  que  le  souvenir  de  leurs  forfaits  ; 
c'est  là  que  le  peuple  choisi  voit  lui-même  le  glaive  du  Seigneur 
punir,  sur  des  milliers  de  rebelles,  les  soulèvemens  de  leur  or- 
gueil et  de  leur  ingratitude.  Cependant,  tant  quele  pécheur  est  sur 
la  terre,  Dieu  ne  frappe  qu'avec  ménagement,  et  sa  justice  est 
encore  enchaînée  par  sa  miséricorde;  mais  une  fois  que  la  mort  a 
fixé  le  coupable  dans  l'état  d'une  horrible  immutabilité,  le  Sei- 
gneur [(pour  parler  avec  le  prophète  ),  le  Seigneur  reprend 
enfin  saliberté,  et  ce  Dieu  de  bonté  n'est  plus  que  le  Dieu  des 


DES    PRÉDICATEURS.  I7I 

vengeances:  Deus  uhiomim,  Dominus  Dcus  ultionum  libère egit. 
Dieu  n'a  plus  pour  le  pécheur  que  la  sévérité  d'un  juge  inexorable  , 
et  ferme  son  cœur  à  la  pitié  pour  peser  clans  une  balance  équitable 
des  délits  auxquels  il  faut  que  sa  justice  applique  un  légitime  châ- 
timent ;  il  voit  dans  le  péché  une  malice  dont  l'œil  d'un  Dieu  peut 
seul  sonder  la  profondeur  ;  il  voit  d'un  côté  une  charité  infinie  qui 
répand  les  bienfaits,  et  de  l'autre  une  noire  ingratitude  qui  les  ou- 
blie :  d'un  côté,  une  miséricorde  infinie  qui  descend  aux  priè- 
res, et  de  l'autre,  une  froide  insensibilité  qui  les  méprise;  cl  un 
côté,  un  pouvoir  infini  qui  menace,  et  de  l'autre,  une  faiblesse  in- 
solente qui  résiste;  il  voit ,  en  un  mot,  une  créature  séparée  par 
i  ne  distance  infinie  de  son  Créateur  et  de  son  maître,  oser,  du 
fond  de  son  néant,  lever  la  tête  contre  sa  majesté  suprême,  lutter 
contre  ses  immuables  décrets  et  attenter  à  sa  souveraine  indépen- 
dance :  c'en  est  assez,  il  faut  que  la  peine  soit  proportionnée  aux 
faits  ,  et  puisque  la  malice  du  pécheur  est  infinie  ,  il  faut  que  le 
châtiment  soit  infini  comme  elle.  Je  le  sais,  chrétiens,  pour  faire 
valoir  les  privilèges  de  la  justice  divine,  et  pour  plaider  sa  cause, 
il  faut  même  au  ministre  de  la  sainte  parole  une  noble  hardiesse 
qui  lui  fasse  dédaigner  les  soulèvemens  et  les  clameurs  de  l'incré- 
dulité. Pour  oser  défendre  l'équité  des  célestes  vengeances,  les 
Prophètes  de  la  loi  nouvelle  ont  besoin  d'un  courage  qui,  com- 
me Ezéchiel  autrefois,  soutienne  leur  constance  et  durcisse  leur 
front  contre  les  outrages.  Car,  qui  ne  connaît  point  les  intermina- 
bles déclamations  des  impies  contre  un  dogme  dont  le  roi  de  l'uni- 
vers a  fait  le  rem  paît  de  son  autorité  et  le  fondement  inébran- 
lable de  son  trône?  Qui  ne  les  a  point  entendus,  tanlôt  compatissant 
à  l'humaine  faiblesse,  s'efforcer  d'épargner  des  peines  trop  cruelles 
à  de  doux  et  irrésistibles  penchans  ;  tantôt  pesant  avec  audace  les 
prérogatives  du  Juge  souverain, lui  permettre  de  récompenser  la 
>  ertu  ,  mais  lui  défendre  de  punir  le  crime;  toujours  poursuivant 
de  leurs  insultes  et  de  leurs  dédains  le  zèle  qui  réveille  de  formi- 
dables souvenirs,  ne  connaître  pour  lui  crue  le  nom  d'aveugle  et 
d'impitoyable  cruauté.  Vous  nous  accusez;  mais  quels  sont  les  ob- 
jets d'un  intérêt  si  vif?  Qui  peut  vous  inspirer  une  sollicitude  si 
1  endre  ?  Quoi!  serait-ce  pour  des  hommes  nés  pour  le  malheur  de 
leurs  semblables  ,  et  dont  le  nom  ne  rappelle  que  d'odieuses  ra- 
pines ou  de  barbares  fureurs  ?  serait-ce  pour  de  tels  hommes  que 
vous  éprouveriez  ces  compatissantes  alarmes?  et  nous-mêmes, 
serions-nous  cruels  pour  essayer,  en  montrant  l'Enfer  a  leurs 
yeux,  de  porter  clans  ces  cœurs  pervers  l'épouvante ,  les  remords 


IJ2  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

et  le  repentir  ?  Serait-ce  pour  les  délits  ignorés  que  vous  réser- 
veriez vos  réclamations  ?  et  consentiriez-vous  à  laisser  l'Enfer 
s'ouvrir  pour  des  attentats  livrés  à  l'exécration  publique  ,  pourvu 
qu'il  ne  menaçât  point  des  désordres  plus  prudens,  ou  des  for- 
faits plus  circonspects?  Quoi!  la  demeure  d'un  éternel  désespoir 
engloutira  sans  pitié  l'homme  obscur,  dont  les  lois  humaines  ont 
surpris  et  puni  le  crime,  et  elle  n'osera  recevoir  l'homme  puissant 
qui  enchaînera  leur  autorité  ou  le  coupable  adroit  qui  trompe 
leur  vigilance?  Si  un  misérable  enlève  un  peu  d'or  à  ses  frères, 
la  colère  céleste  le  poursuivra  sans  ménagement,  et  si  dans  le  se- 
cret un  méchant  leur  ravit  l'honneur,  elle  mettra  ce  crime  en  ou- 
bli? L'Enfer  punira  la  rage  homicide  qui  s'est  assouvie  dans  le  sang 
de  ses  ennemis,  et  n'aura  point  de  flammes  pour  cette  haine  mieux 
dissimulée,  mais  plus  noire,  qui  par  ses  artifices ,  prépare  à  l'in- 
nocence une  mort  plus  lente  et  plus  cruelle  !  (  Le  même.  ) 

Comment  une  créature  bornée  pourra-t-elle  soutenir  le  fardeau  de  la  colère  de  Dieu? 

Dieu  saura  y  pourvoir  dans  sa  toute-puissance  :  il  étendra  les 
facultés  de  pécheur,  et  les  animera  d'une  vigueur  inconnue  pour 
que  les  traits  inépuisables  de  l'indignation  divine  trouvent  tou- 
jours où  frapper,  et  que  le  pécheur  puisse  sans  défaillir  être  aussi 
malheureux  qu'il  a  été  coupable;  il  donnera  à  son  ame  une  plus 
active  énergie  qui,  loin  de  s'affaiblir  dans  les  tourmens  ,y  puisera 
une  force  nouvelle  ,  à  son  intelligence  une  plus  vaste  étendue  qui 
embrassera  tout  à  la  fois,  et  la  passé  pour  en  détester  l'usage,  et 
le  présent  pour  en  porter  le  poids,  et  l'avenir  pour  en  mesurer  la 
formidable  longueur;  à  son  cœur  des  sentimens  plus  vifs,  pour  dé- 
sirer le  bien  qui  n'est  plus  fait  pour  lui ,  et  pour  abhorrer  le  mai 
qui  le  presse  et  l'environne  de  toutes  parts.  Que  dis-je?  cet  élé- 
ment lui-même,  si  redoutable  et  si  violent,  dont  sur  la  terre  une 
impression  passagère  coûte  les  plus  cuisantes  douleurs ,  le  feu 
l'enveloppera  comme  un  vêtement,  pénétrera  tous  ses  sens,  cir- 
culera dans  ses  veines  ,  parviendra  jusqu'à  son  ame,  et  tourmente- 
ra par  d'intolérables  ardeurs  cetts  substance  spirituelle  qui,  par 
sa  nature ,  semblait  pour  toujours  à  l'abri  de  ces  atteintes.  Le  voilà 
ce  séjour  que  Job  envisageait  avec  tant  d'épouvante,  s'éjour  de 
ténèbres  et  de  désolation  ,  où  règne  une  confusion  et  une  horreur 
éternelle.  La  voilà  cette  terre  que  David  et  Isaïe  nous  ont  peinte  ave<j 
de  si  épouvantables  couleurs;  sol  brûlant  arrosé  par  des  torrens  Je 
bitume,  où  Dieu  versera  sur  la  tête  du  pécheur  une  pluie  embrasée,  et 
lui  fera  boire  à  longs  traits,  dans  le  calice  de  sa  fureur,  le  feu  7  le  sou- 


DES    PREDICATEURS.  1J> 

fre,  le  vent  impétueux  clos  tempêtes  :  Ignis,  et  sulphur,ct  spiritus  pro- 
cellarum  pars  calicis  eorum.  Venez,  chrétiens,  il  faut  qu'aujour- 
d'hui qu'en  dépit  de  vos  résistances  et  de  vos  délicatesses,  je  vous 
entraîne  jusqu'au  bord  de  ces  sombres  demeures.  Venez,  suivant 
le  conseil  de  saint  Bernard,  contempler  l'Enfer  pendant  que  vous 
vivez  encore,  de  peur  qu'un  jour  la  mort  ne  vous  y  précipite  sans 
retour.  Venez,  approchez  de   ces  abîmes  dont  la  vue  seule  vous 
donne  de  si  importantes  leçons.  Approchez  le  premier,   ministre 
de  Jésus-Christ,  qui  faites  aujourd'hui  retentir  la  chaire  évangéli- 
que  de  ces  vérités  redoutables  ;  venez-y  apprendre  à  honorer  par 
des  vertus  angéliques  le  caractère  sacré  dont  vous  fûtes  revêtu  , 
venez-y  considérer  la  place  que  Dieu  réserve  à  ceux  dont  il  a  or- 
donné d'écouter  les  leçons  et  de  fuir  les  exemples.  Mais  approchez 
aussi ,  chrétiens,  qui  que  vous  soyez,  justes  et  pécheurs.  Appro- 
chez, justes,  si  quelquefois  le  joug-  de  la  vertu  pèse  à  votre  faiblesse, 
si  comparant  à  l'indépendance  des  pécheurs  leur  mollesse  et  à  l'en- 
chaînement de  leurs  bruyans  plaisirs,  vos  sacrifices,  vos  austérités 
et  votre  solitude,  vous  sentez  chanceler  votre   courage,  et  dans 
votre  cœur  s'élever  peut-être  de  coupables  regrets  ;  venez  appren-  _ 
dre  ici  à  quel  prix  le  démon  vend  ce  bonheur  dont  ils  voudraient 
vous  rendre  jaloux,  et  contemplez-les,  payant  leur  fausse  liberté 
par  une    cruelle  servitude ,  leurs   joies   insensées  par  des  larmes 
amères,  et  leurs  voluptés  honteuses  par  d'horribles  tourmens.  Pé- 
cheurs  qui,   pour    vous   livrera   d'indignes    excès,   avez  fermé 
l'oreille  à  la  voix  de  la  conscience  et  aux  invitations  de  votre  Dieu  , 
qui ,  depuis  long-temps  peut-être,  dormez  d'un  funeste  sommeil , 
réveillez-vous  enfin  à  cescris  lamentables,  au  bruit  de  ceschaînes, 
à  ces  imprécations  et  à  ces  fureurs;  et  puisque  les    charmes   de 
la  vertu  n'ont  pu  attendrir  votre  cœur,  qu'il  cède  du    moins  à   la 
terreur  ,   et  qu'il    sèche    d'effroi  à  la  vue  du  sort  de  ses  pareils. 
(  Le  MEME.  ) 

Qu'est-ce  que  la  peine  du  dam? 

C'est  une  profonde  douleur  et  un  cuisant  regret  qu'une  ame 
damnée  ressent  d'avoir  perdu  son  Dieu.  C'est  une  horrible  chose, 
mes  frères,  un  malheur  bien  étrange,  quoique,  l'on  ne  s'en  doute 
pas, que  de  perdre  un  Dieu.  Ah  !  mes  frères,  Dieu  n'est  pas  connu 
sur  la  terre.  Non,  nous  ne  le  connaissons  pas  ce  Dieu  grand,  ce 
Dieu  bon,  ce  Dieu  souverainement  aimable. Nous  sommes,  hélas  ! 
abîmés  dans  l'amour  des  choses  périssables,  notre  cœur  est  plon- 
gé dans  la  vanité  du  monde,  selon  le  Sage?  et  nous  ne  nous  con- 


j-4  NOUVELLE    UÎBLIOTHÈQUE 

duisons ,  HH  saint  Paul,  que  comme  des  enfans  qui  ne  s'arrêtent 
qu'à  ce  qui  frappe  leurs  sens.  De  là  vient  que  nous  avons  une  idée 
si  grossière  de  notre  Dieu,    et   que  nous  sommes  si  peu  touchés 
de  sa  perte.  Mais,  après   la  mort,   les  obscurités  de  la  foi  seront 
dissipées,  les  biens  trompeurs  et  les  plaisirs  criminels  de  ce  monde 
ne  nous  ensorcelleront  plus  ,  et  nous  verrons  Dieu  pour  lors  com- 
me à  découvert  et  tel  qu'il  est  en  lui-même  :  sicuti  est1.  Ah!  pé- 
cheurs, il  se  montrera  à  vous  sous  le  visage  le  plus  beau  ,  le  plus 
aimable  et  le  plus  attrayant  ;  vous  serez  charmés  de  ses  adorables 
perfections,  transportés  de  sa  beauté  ravissante;  vous  connaîtrez, 
à  ce  moment  fatal,  que  vous  étiez  faits  uniquement  pour  lui ,   et 
que,  comme  il  devait  faire  votre  souverain  bonheur  après  la  mort, 
il  devait  être  aussi  le  seul  objet  de  votre  amour  pendant  la  vie. 
Dans  cette  pensée  vous  vous  porterez  vers  lui  avec  plus  d'ardenr 
et  de  vivacité  qu'une  flèche  ne  vole  à  son  but,  ou  qu'une  pierre  ne 
tend  à  son  centre.  Mais  quelle  sera  ta  surprise  ,  mon  cher  frère, 
quel  sera  ton  accablement  de  te  voir  arrêté,  repoussé  par  une 
main    invisible  ,  arraché   avec    violence  des  chastes    embrasse- 
mens    de   ce  divin   Epoux  î  Quel    sera  ton  désespoir  d'entendre 
sans  cesse  retentir  à  tes   oreilles  cette  effroyable  parole:  Retire- 
toi  de   moi!  Dans   cette  extrémité,  lu   redoubleras   tes   efforts, 
tu  pousseras  des  cris,  tu  t'agiteras,  tu  te  tourmenteras,  mais  tou- 
jours inutilement.  Elles  viendront,  ces  vierges  folles,  frappera  la 
porte  du  ciel:  Ouvrez-nous,  Seigneur,  diront-elles  :  Domine,  Do- 
mine,  aperinobis'2.  Je  ne  vous  connais  point,  dira  Dieu.  Yoilà  toute 
la  réponse  qu'elles  doivent  attendre.  Quoi  !  Seigneur,  s'écrieront 
ces  âmes  réprouvées,  vous  ne  nous  connaissez  point!  Eh  !  ne  som- 
mes-nous pas  vos  enfans?  et  vous  ,  n'êtes-vous  pas  notre  père  ?  El  J 
ne  sommes-nous  pas  votre  peuple?  et  vous,  n'êtes-vous  pas  notre 
Dieu?  Votre  Père!  non,  je  ne  suis  pas  votre  père,  répliquera  Dieu 
tout  irrité,  je  suis  votre  Juge  impitoyable,  votre  ennemi  implaca- 
ble; et  si  je  suis  encore  votre  Père,  regardez-moi  comme  un  Père 
sans  tendresse,    sans   miséricorde  :  Absque  miser icordia^.   Voire 
Dieu!  non,  je  ne  suis  pas  votre  Dieu,  ni  vous  mon  peuple:  Vos 
non  populus  meus,  et  ego  non  ero  vester1*.  Non,  non,  je  ne  suis 
pas  le  Dieu   d'un  impudique  ,  d'un  larron,  d'un  jureur,  d'un  ivro- 
gne, d'un  athée  et  d'un  h  "mime  sans  religion  ;  et  si  je  suis  encore 
votre  Dieu,  regardez-moi  désormais  comme  un  Dieu  terrible,  un 
Dieu  fulminant,  un  Dieu  inexorable.  Ah!  mes  frères,  jugez  de  la 
désolation  et  du  désespoir  d'une  amequia  perdu  et  irrité  son  Dieu, 

*  I.  Joan.,  m,  2 — .2  Mali  h.  vxv,  11.  — 5  Oscc,  î,  G.  —  Mbid.,  î,  9. 


DES    PRÉDICATEURS.  1^5 

par  l'exemple  d'Absalon  ,  à  qui  David ,  son  père,  avait  fait  dire  qu'il 
ne  voulait  pas  absolument  le  voir.  Ce  malheureux  enfant  était  à 
Jérusalem  ,  proche  du  palais  de  son  père;  il  faisait  continuelle- 
ment retentir  le  lieu  où  il  était  de  ses  soupirs  et  de  ses  plaintes; 
livré  à  l'affliction  la  plus  accablante,  il  souhaitait  mille  fois  sa  des- 
truction et  sa  mort.  Non  ,  disait-il,  je  ne  puis  supporter  cet  arrêt. 
J'ai  offensé  mon  père,  je  le  sais;  mais  s'il  veut  se  ressouvenir  tou- 
jours de  mon  péché  et  me  priver  de  sa  présence  ,  qu'il  envoie  des 
soldats,  des  bourreaux,  et  qu'au  plus  tôt  on  me  donne  la  mort  : 
Si  memov  est  iiiiquitatis  meœ ,  inierjiciat  me.  (Le  père  Brydaine, 
Sur  V Enfer.) 

Même  sujet. 

Oh!    qu'une  ame   damnée  va   faire   dans    l'Enfer   de    cruelles 
réflexions  sur  la  perte  de  son  Dieu,  jusque  là  que  son  esprit,  sa  mé- 
moire, son  entendement ,  sa  volonté,  son  cœur  en  seront  étrange- 
ment tourmentés.  Hélas!  j'ai  perdu  mon   Dieu!  dira- t-elle,  toute 
désolée.  Dieu  perdu  !  Dieu  perdu  !  O  ciel  !  quelle  perte  !  j'ai  perdu 
mon  Dieu!  oui,  malheureuse  tu  l'as  perdu.  Pleure,  pleure,  pauvre 
misérable  ;  pleure  sans  cesse,  augmente  teslarmes,  redouble  tes  sou- 
pirs, pousse  les  hauts  cris,  fais  retentir  tout  l'Enfer  de  tes  pleurs 
et  de  tes  gémissemens ,  pour  nous  marquer  la  grandeur  de  la  perte 
que  tu  as  faite.  Hélas!  s'écrie  cette  infortunée  d'une  voix  perçante 
et  lamentable  ,  j'ai  perdu  mon  Dieu,  et  en  le  perdant,  j'ai  perdu 
un  bien  infini,  l'être  le  plus  beau  ,  le  plus  aimable,   le  plus  saint, 
le  plus  parfait,  celui  qui  fait  la  félicité  des  Anges,  le  bonheur  des 
saints,  toute  la  joie  du  ciel.  J'ai  perdu  mon  Dieu,  et, en  le  perdant, 
j'ai  perdu  le  roi  le  plus  libéral,  le  Sauveur  le  plus  débonnaire,  le 
maître  le  plus  doux,  le  meilleur  de  tous  les  pères,  le  plus  fidèle 
de  tous  les  amis,  le  plus  tendre  de  tous  les  époux.  J'ai  perdu  mon 
Dieu,  et,  en  le  perdant,  j'ai  perdu  le  ciel ,  ce  séjour  de  délices,  ce 
magnifique  royaume,  cette  éternité  de  gloire.  Plaisirs,  douceurs, 
joie,   consolation,   espérance,  honneurs,  richesses,  vie,  tout  est 
perdu  pour  moi.  J'ai  perdu  mon  Dieu,  et  pourquoi?  pour  un  pécbé 
de  quelques  momens,  pour  un  plaisir  criminel,  pour  une  vile  créa- 
ture, pour  un  bas  intérêt,  pour  une  fumée  d'honneur,  pour  une 
bagatelle,  pour  un  rien,  si  j'ose  le  dire.  J'ai  perdu  mon  Dieu,  et 
comment  ?par  ma  foute.  O  Dieu  !  essentiellement  bon,  souveraine- 
ment aimable,  j'ai  pu  vous  posséder,  et  je  vous  ai  malheureuse- 
ment perdu,  parce  que  je  l'ai  bien  voulu.  Beau  ciel,   doux  séjour 
desbienheureux,  vous  pouviez  être  mon  sort,  mon  héritage}  et 


I-()  NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE 

je  vous  ai  perdu,  parce  qu'il  m'a  plu  de  vous  perdre.  Saints  et 
Saintes  du  Paradis,  parmi  lesquels  j'ai  quantité  de  parens  et  d'amis  ; 
je  pouvais  être  saint  et  heureux  comme  fous,  et  je  ne  le  suis  pas, 
uniquement  parce  que  je  n'ai  pas  voulu  l'être.  Vous  êtes  dans  le 
séjour  de  la  gloire ,  parce  que  vous  avez  fait  tout  ce  que  vous  avez 
pu;  et  moi,  je  me  trouve  dans  ces  horribles  cachots,  parce  que 
je  n'ai  voulu  rien  faire.  Hélas!  il  m'était  si  aisé  d'être  saint!  Oh! 
si  j'eusse  fait  comme  un  tel  et  un  tel  de  ma  connaissance,  comme 
cet  ami ,  ce  frère,  avec  lequel  j'ai  vécu  !  si  j'eusse  fait  ce  que  Dieu 
m'inspirait  un  tel  jour!  si  j'eusse  confessé  ce  péché!  si  j'eusse  res- 
titué ce  bien  mal  acquis  !  si  j'eusse  évité  cette  personne,  ce  cabaret, 
cette  danse!  si  j'eusse  profité  de  cette  mission  !  si  j'eusse  prié,  jeûné, 
si  j'eusse  fait  pénitence!  et  je  le  pouvais  :  il  ne  tenait  qu'à  moi. 
Tant  de  bons  exemples,  tant  d'instructions,  tant  de  salutaires  avis, 
tant  de  sacremens,  tant  de  grâces  ,  tout  me  portait  à  faire  mon  sa* 
lut.  Ah!  si  je  lavais  fait,  je  serais  présentement  dans  le  ciel ,  je  pos- 
séderais mon  Dieu.  Mais  je  n'ai  pas  voulu  le  faire,  et  je  suis  dans 
l'Enfer,  banni  de  sa  présence,  privé  de  tous  les  biens,  accablé  de 
tous  lesjnaux;  et,  ce  qu'il  y  a  de  plus  cruel  en  ceci,  c'est  que  tous 
ces  effroyables  malheurs  ne  me  sont  uniquement  arrivés  que  par 
ma  faute  ;  je  suis  moi  seul  la  cause  de  mon  malheur.  Enfin,  j'ai 
perdu  mon  Dieu,  s'écriera  le  damné,  et  pour  combien  de  temps? 
non  pas  seulement  pour  quelques  momens,  pour  quelques  jours; 
non  pas  seulement  pour  quelque  mois,  pour  quelques  années, 
mais  pour  des  siècles  entiers,  pour  des  millions  de  siècles,  pour 
une  épouvantable  éternité.  (Le  même.) 

Les  corps  auront  part  aux  supplices  éternels. 

Celui  qui  aura  été  juste  reprendra  son  corps  à  ce  dernier  jour, 
afin  que  ce  corps  lui-même,  au  milieu  des  Anges,  participe  à  sa 
manière  au  bonheur  de  l'éternité.  Celui  qui  sera  mort  dans  le  pé- 
ché reprendra  un  corps  également  éternel ,  mais  susceptible  néan- 
moins de  recevoir  les  châtimens  qui  lui  sont  réservés,  afin  qu'é- 
ternellement au  milieu  des  flammes  de  l'Enfer,  il  brûle  sans  jamais 
se  consumer  :  et  c'est  avec  justice  que  Dieu  en  agit  ainsi,  soit  à  l'égard 
des  uns,  soit  à  l'égard  des  autres;  car  ici-bas  nous  ne  faisons  rien 
sans  la  participation  de  notre  corps;  et,  puisque  le  corps  nous  sert 
dans  toutes  nos  actions  il  est  juste  qu'il  partage  le  sort  de  l'âme 
pour  l'éternité. 

Ainsi  donc,  mes  frères,  veillons  sur  nos  cerps.  Il  nous  faudra 


DES    PREDICATEURS.  I97 

rendre  compte  à  Dieu  de  tout  ce  que  nous  aurons  fait  par  leur 
ministère.  Ne  dites  point  :  Personne  ne  me  voit  ;  car  celui  qui  nous 
a  créés  voit  tout  ce  que  nous  faisons.  Les  taches  du  péché  demeu- 
rent aussi  empreintes  sur  nos  corps.  Dieu,  pour  nous  purifier 
de  toutes  nos  fautes  passées,  nous  a  donné  le  baptême;  mais  c'est 
à  nous  à  nous  garantir  des  fautes  à  venir,  afin  de  conserver  tou- 
jours pur  le  vase  de  notre  corps,  et  de  ne  point  perdre  le  ciel, 
en  nous  rendant  coupables  de  quelques  unes  des  fautes  qui  seraient 
capables  de  nous  en  exclure  à  jamais.  (  Saint  Cyrille  de  Jérusa- 
lem ,  Catéchèse  XVIIV) 

Différens  degrés  dans  les  supplices  des  médians. 

D'après  les  témoignages  divers  de  l'Évangile,  il  nous  est  facile 
de  conclure  qu'il  y  a  pour  les  médians  différentes  espèces  d 
supplices.  Le  Sauveur  nous  y  parle  de  ténèbres  extérieures,  ce 
qui  suppose  aussi  des  ténèbres  intérieures  ;  d'une  géhenne  de  feu, 
de  grincemens  de  dents ,  de  ver  qui  ne  sommeille  et  ne  meurt 
jamais,  d'étang  de  feu,  de  flammes  qui  ne  s'éteignent  pas,  d'enfers, 
de  lieux  bas,  de  profondeurs  de  la  terre;  ce  sont  là  autant  de  lieux 
différens,  où  sont  distribués  les  malheureux  réprouvés,  pour  y 
souffrir,  chacun  selon  la  gravité  de  leurs  fautes,  des  supplices  plus 
ou  moins  violens,  conformément  à  ces  paroles  de  l'Evangile  :  «Tel 
«recevra  plus  de  coups,  tel  autre  recevra  moins  de  coups.  » 

Que  tout  chrétien  sache  donc  et  ne  perde  jamais  de  vue  qu'il  ne 
peut  dans  cette  vie  être  parfaitement  en  sûreté,  mais  qu'il  ne  doit 
non  plus  jamais  désespérer,  puisque  nous  avons  pour  intercesseur 
auprès  de  son  Père  Notre  Seigneur  Jésus-Christ;  pourvu  toutefois 
que  nous  ne  recherchions  point  les  délices  de  la  vie,  mais  que  nous 
songions  à  effacer  le  souvenir  de  nos  péchés  par  un  sincère  re- 
pentir. Mais  tout  pécheur  qui,  perdant  de  vue  ses  péchés,  sortira 
de  ce  monde  encore  tout  couvert  des  taches  qu'ils  lui  auront  im- 
primées, la  colère  de  Dieu  tombera  sur  lui;  et  alors  malheur,  mille 
fois  malheur  aux  fornicateurs,  aux  impudiques,  aux  ravisseurs  du 
bien  d'autrui ,  à  tous  ceux  qui  perdent  dans  les  joies  folles  du 
siècle  le  temps  qui  leur  a  été  accordé  pour  faire  pénitence  !  Ce 
temps  précieux,  un  jour  viendra  qu'ils  le  chercheront,  mais  ils  ne 
le  trouveront  pas.  A  cette  heure  redoutable  du  dernier  jugement, 
le  prêtre  sera  séparé  du  prêtre,  l'évêque  de  i'évêque,  le  père  du 
fils,  la  fille  de  la  mère,  l'ami  de  l'ami,  l'époux  de  l'épouse:  les 
réprouvés  seront  rejetés  de  devant  la  face  de  Dieu;  et  quand  enfin 
t.  m.  12 


I„8  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

ils  se  verront  seuls,  prives  de  tous  secours,  abandonnés  même  de 
l'espérance,  donnant  un  libre  cours  à  leurs  larmes  et  à  leurs  gé- 
missemens,  ils  s'écrieront  :  «  Oh!  comment  avons-nous  pu  perdre 
«  dans  l'inutilité  et  la  tiédeur  le  temps  qui  nous  avait  été  accordé 
«  pour  un  autre  usage  !  Que  ferons-nous?  Hélas  !  il  ne  nous  est  plus 
«  donné  de  faire  pénitence  :  le  temps  en  est  passé.  Nous  ne  ver- 
«  rons  plus  les  innombrables  légions  des  anges  et  des  saints;  nous 
«  ne  contemplerons  plus  cette  véritable  lumière  qui  éclaire  le  séjour 
«  de  la  félicité.  Nous  voilà  isolés,  relégués  loin  de  Dieu,  loin  du 
«  bonheur . .  .  Adieu ,  justes  ;  adieu ,  Apôtres ,  Prophètes ,  Martyrs, 
«  Saints  de  tous  les  ordres;  »  et  pendant  qu'ils  prononceront  ces 
paroles,  une  force  irrésistible  entraînera  chacun  d'eux  dans  le  lieu 
que  Dieu  lui-même  aura  marqué  et  préparé  pour  son  supplice ,  à 
raison  de  ses  mauvaises  actions  ;  et  ce  sera  là  que  leur  ver  ne 
mourra  point,  que  le  feu  qui  les  dévorera  ne  s'éteindra  jamais. 

(Saint  Ephbem,  sermon  LXXII.) 

Tourmens  de  l'Enfer  sans  consolation  dans  leur  amertume. 

Lorsque  fatigué  de  nos  crimes,  et  sortant  enfin  de  son  long  si- 
lence, Dieu  se  détermine  à  verser  sur  la  terre  les  fléaux  de  son 
indignation,  quoiqu'il  paraisse  irrité,  il  a  cependant  des  pensées 
de  paix  et  non  pas  d'affliction ,  et  ses  desseins  sont  encore  des 
desseins  de  miséricorde.  Justes  et  pécheurs ,  tous  du  sein  même 
des  calamités  peuvent  recueillir  des  fruits  de  bénédiction  et  de 
salut  :  les  justes ,  en  s'humiliant  sous  la  main  du  Dieu  qui  les  frappe, 
adorant  en  silence  ses  impénétrables  décrets,  et  plaçant  dans  son 
amour  l'inébranlable  fondement  de  leur  espérance;  les  pécheurs, 
en  apaisant  le  courroux  céleste  par  des  pleurs ,  ou  du  moins  en 
intéressant  à  leur  infortune  ceux  qui ,  plus  fidèles ,  peuvent  pré- 
senter au  Seigneur,  en  faveur  des  coupables,  des  prières  plus  pures 
et  un  cœur  plus  innocent  :  mais  quand  le  pécheur,  comme  parle 
le  Prophète,  a  été  envoyé  dans  les  filets  de  la  mort,  et  que  les 
chaînes  de  l'Enfer  l'ont  une  fois  entraîné  dans  ses  abîmes ,  plus  de 
relâche  pour  lui  dans  ses  affreuses  angoisses ,  plus  d'adoucissement 
à  ses  cruelles  amertumes;  il  ne  peut  trouver  de  consolation  ni  dans 
le  témoignage  de  sa  conscience,  ni  dans  le  secours  de  ses  amis, ni 
dans  le  souvenir  de  Dieu ,  ni  dans  l'espoir  de  voir  un  terme  à  ses 
tourmens.  Cette  conscience  qui,  faible  et  timide  autrefois,  n'osait 
qu'à  peine  se  faire  entendre ,  ou  qui ,  comme  un  censeur  importun, 
s'était  vue  réduite  enfin  à  garder  le  silence,  cette  conscience  re- 


DES  PRKDIGATKUllS.  1JQ 

prend  ses  droits  ;  et,  sans  ménagement  comme  sans  relâche,  dé- 
chire le  pécheur  par  de  continuels  remords  et  de  sanglans  repro- 
ches ,  et  lui  présente  dans  un  même  tahleau  ses  faiblesses  dans 
l'enfance,  ses  débordemens  dans  l'âge  mûr,  ses  turpitudes  dans  la 
vieillesse ,  ses  fausses  vertus  et  ses  crimes  trop  réels,  ses  scandales 
publics  et  ses  excès  secrets ,  la  lâcheté  de  son  respect  humain  et 
l'insolence  de  son  impiété.  Vainement  le  pécheur  veut  se  détour- 
ner de  cet  horrible  tableau  ;  la  conscience  le  porte  sans  cesse  à  ses 
regards  et  le  force  de  reconnaître  la  grandeur  de  ses  crimes  et  la 
justice  de  sa  sentence.  Non  ,  ni  les  chaînes  qui  le  captivent,  ni  les 
feux  qui  l'embrasent,  ni  les  démons  qui  l'assiègent ,  n'ont  point  de 
tourmens  ni  de  fureur  qui  égalent  le  supplice  que  lui  fait  endurer 
le  ver  cruel  qui  ronge  incessamment  son  ame  et  ne  doit  pas  mourir. 
Ainsi  ce  témoignage  delà  conscience  qui,  sur  la  terre  fait  la  paix  et 
la  consolation  du  juste  au  sein  de  la  tribulation,  ne  fait  dans  l'Enfer 
que  rendre  plus  vif,  pour  le  pécheur,  le  sentiment  de  ses  maux  et 
redoubler  sa  rage.  Il  pouvait  être  heureux ,  et  il  s'est  enfoncé  de 
plein  gré  dans  Je  malheur,'  la  vertu  avait  pour  son  cœur  des 
charmes  secrets ,  et  il  a  préféré  le  vice  avec  son  infamie.  Ah  !  c'est 
alors  qu'empruntant  le  langage  de  Job,  il  s'écrie  dans  l'amertume 
de  sa  douleur  :  Si  l'Enfer  est  mon  partage,  c'est  moi  qui  me  suis 
préparé,  dans  ces  horribles  ténèbres,  le  lit  brûlant  sur  lequel  je 
suis  pour  jamais  étendu  :  Jnfernus  domus  mea  est,  et  in  tenebris 
stravi  lectulum  meum. 

Mais  pour  adoucir  ces    déchiremens  cruels,  pour  calmer  ces 
violentes  agitations,  pour  le  défendre  contre  lui-même,  où  seront 

1  les  amis  dont  il  puisse  espérer  la  commisération ,  ou  invoquer  l'as- 
sistance? Des  amis?  il  lui  en  reste  peut-être  encore  dans  le  ciel, 
sur  la  terre  et  jusque  dans  l'Enfer  même ,  mais  cette  douce  amitié 
dont  le  nom  seul  portait  autrefois ,  aux  jours  de  l'affliction  ,  la  sé- 

i  rénité  et  la  joie  dans  son  ame,  aigrit  encore  ses  blessures  et  irrite 

'son  désespoir.  Dans  le  ciel,  s'il  en  est  qui  jadis  portèrent  le  nom 
de  ses  amis,  ils  adorent  les  secrets  de  la  justice  suprême,  partaient 
son  courroux,  et  ne  voient  plus  dans  celui  qu'ils  aimèrent  autre- 
fois que  l'ennemi  de  Dieu,  le  juste  objet  de  ses  vengeances.  Hélas! 
ils  furent  faibles  comme  lui ,  plus  coupables  peut-être  ;  leur  cœur 

i  s'ouvrit  au  repentir,  le  sien  fut  insensible,  et  maintenant  ils  sont 
|au  sein  du  bonheur,  quand  il  est  plongé  pour  jamais  dans  l'abîme 
|de  l'infortune.  Sur  la  terre,  ses  amis ,  anciens  compagnons  de  ses 
désordres,  ont  depuis  long-temps  oublié  sa  mémoire,  ou  si  quel- 
ques-uns, devenus  plus  pieux  et  tremblans  sur  son  éternité,  veu- 

12. 


j8o  nouvelle  bibliothèque 

lent  intéresser  l'Église  au  salut  d'une  ame  si  long-temps  criminelle, 
les  prières  de  cette  tendre  mère  s'élèvent  en  vain  vers  le  trône  de 
la  miséricorde ,  et  c'est  en  vain  qu'elle  offre  sur  l'autel  cette  vic- 
time sainte  dont  le  sang,  malgré  son  pouvoir,  ne  doit  jamais 
éteindre,  ni  même  amortir  des  flammes  éternelles.  Ah!  dans  l'En- 
fer, du  moins,  les  amis  qu'il  y  retrouve,  accablés  des  mêmes  maux, 
chargés  des  mêmes  fers,  brûlés  des  mêmes  flammes ,  compatiront 
à  ses  douleurs,  et  confondront  avec  lui  leurs  plaintes  et  leurs  lar- 
mes. Non,  et  c'est  surtout  dans  l'Enfer  que  ceux  qui  lui  furent 
les  plus  chers  deviennent  ses  plus  implacables  ennemis.  Amis 
cruels,  ah!  souvenez-vous  de  votre  ancienne  union  ,  et  respectez, 
dans  votre  ami,  l'excès  de  son  adversité.  Non,  ils  ne  songeront 
qu'à  lui  reprocher  leur  propre  destinée;  ils  lui  rediront  sans  cesse 
que  ce  fut  lui,  dont  les  séductions  corrompirent  leur  innocence, 
dont  les  railleries  impies  ébranlèrent  leur  foi,  dont  les  scandales 
affermirent  leurs  pas  dans  le  chemin  du  crime  ;  eux-mêmes  ils  de- 
viendront les  bourreaux  de  cet  indigne  ami ,  ils  s'attacheront  à  sa 
poursuite,  le  forceront  de  reconnaître  et  d'avouer  la  justice  de  son 
châtiment,  l'accableront  de  malédictions  et  d'outrages,  et  le  tour- 
menteront sans  cesse  par  de  nouvelles  fureurs.  Voilà  les  consola- 
tions que  l'amitié  prépare  dans  l'Enfer  aux  plus  cruelles  infortunes. 
Cherchera-t-il  dans  le  souvenir  de  son  Dieu  quelque  allégement 
à  ses   maux?  Mais  comment    pourrait-il  ne  pas  s'aigrir  encore  à 
la  pensée  de  ce  juge  inflexible  ,  de  ce  maître  impitoyable  qui,  sans 
se  lasser,  le  frappe  des  coups  redoubles  de  sa  justice,  et  dont  le 
souffle  tout-puissant  allume  et  entretient  ces  feux  cruels  qui  le 
dévorent. 

Tentera-t-il  de  l'apaiser  par  les  pleurs  du    repentir?   Hélas! 
quand,  sur   la  terre,  la  grâce  excitait  dans  son  coeur  de  pieux 
mais  trop  peu  durables  mouvemens ,  il  trouvait  de  la  douceur  à 
pleurer  aux  pieds  de  son  Dieu  sur  ses  honteux  excès;  mais  main- 
tenant qu'il  connaît  son  immuable  destinée,  les  larmes  brûlantes 
qui  coulent  de  ses  yeux  ne  sont  plus  que  des  larmes  de  rage  et  de 
désespoir.  Essaiera-t-il  de  faire  monter  jusqu'à  son  trône  les  ac- 
cens  de  sa  douleur  ?  du  fond  de  ces  abîmes  lui  criera-t-il ,  comme 
autrefois  sur  la  terre  :  Ayez  pitié  de  moi ,  ayez  pitié  de  moi ,  selon 
votre  grande  miséricorde  !  Miserere  met  secundum  magnam  mise- 
ricordiam  tuam  !  La  voûte  d'airain  qui  pèse  sur  sa  tête  et  ferme  sa 
prison  lui  renvoie  ses  clameurs,  et  les  démons,  qui  sérient  de  ses 
larmes,  lui  répètent  sans  cesse  avec  une  joie  féroce  :  Pourquoi! 
vos  cris,  et  pourquoi  vos  plaintes  sous  les  coups  dont  vous  vous! 


DES    PRÉDICATEURS.  l8l 

sentez  brisé?  vos  cris  sont  inutiles,  et  votre  douleur  incurable  : 
Quid  clamas  super  contritione  tua  ?  insanabilis  est  dolor  tuus.  Dieu 
pour  jamais  l'a  banni  de  sa  présence.  Ah  !  c'est  maintenant  qu'il 
comprend  enfin  quelle  est  la  rigueur  de  cet  exil  :  c'est  maintenant 
qu'il  déplore,  par  une  tardive  et  inutile  douleur,  l'ingratitude  qui 
si  long-temps  le  rendit  sourd  à  la  voix  de  son  Dieu  ;  l'impiété  qui 
lui  fit  tant  de  fois  outrager  et  braver  sa  présence.  Hélas  !  quand  il 
était  sur  la  terre,  durant  ces  jours  de  la  clémence  et  de  l'amour, 
Dieu  suivait  tous  ses  pas  avec  une  infatigable  sollicitude  ;  sans  cesse 
il  se  présentait  à  lui  sur  le  chemin  de  la  vie  pour  adoucir  les  ennuis 
de  son  pèlerinage,  le  consoler  dans  ses  peines,  le  délasser  dans  ses 
travaux.  Dieu  était  près  de  lui,  dans  les  adversités,  pour  que,  rebuté 
par  les  créatures,  il  se  rejetât  enfin  dans  ses  bras;  Dieu  était  près 
de  lui  dans  ses  infirmités,  attendant  que  l'impuissance  des  secours 
humains  le  fît  consentir  à  ne  pas  dédaigner  son  appui;  Dieu  était 
près  de  lui  dans  ses  égaremens  même,  et  il  ne  refusait  pas  de  devoir 
au  dégoût  et  à  la  lassitude  le  retour  d'un  cœur  flétri  par  ses  excès; 
enfin,  Dieu  était  près  de  lui  à  ce  dernier  moment  où  la  mort,  cou- 
vrant de  son  voile  funèbre  les  objets  d'une  affection  coupable,  ne 
lui  laissait  plus  entrevoir  que  les  horreurs  d'un  effroyable  avenir. 
Oui,  Dieu  vint  encore  se  présenter  à  cette  heure  fatale  pour  ob- 
tenir de  ses  yeux,  si  long-temps  attachés  à  la  terre,  qu'ils  portas- 
sent du  moins  sur  lui  un  seul  et  mourant  regard  de  repentir  et  d'a- 
mour. Malheureux!  où  est  ton  Dieu  ?  Ubi  est  Deus  tuus?  Où  sont 
ses  soins  empressés,  ses  jalouses  inquiétudes,  ses  ménagemens  pa- 
ternels? Ubi  est  Deus  tuus  ?  Tu  ne  le  connais  plus  que  parles 
bourreaux  odieux  qui ,  tout  à  la  fois  objets  et  ministres  de  sa  co- 
lère, doivent,  en  blasphémant,  le  venger  de  tes  outrages  par  d'in- 
exorables rigueurs.  Où  est  ton  Dieu?  où  sont  ses  invitations  si 
tendres  par  lesquelles  tant  de  fois  il  essaya  d'ébranler  ton  cœur? 
où  est  cet  éclat  de  sa  gloire  qui,  sur  la  terre ,  vint  si  souvent  éton- 
ner tes  regards  ?  Ubi  est  Deus  tuus?  Jamais  un  rayon  de  sa  lumière 
ne  doit  percer  l'horrible  nuit  qui  t'environne,  ni  jamais  sa  douce 
voix  se  faire  entendre  à  ton  oreille  au  milieu  de  cet  affreux  tu- 
multe, de  ces  imprécations  et  de  ces  hurlemens.  (M.  Borderies.) 

Châtiment  éternel  des  médians. 

Quiconque  s'attache  sincèrement  à  Dieu  et  l'aime  de  tout  son 
cœur ,  comme  il  veut  être  aimé,  Dieu  s'unit  à  lui  ;  et  l'union  avec 
Dieu  pour  l'homme,  c'est  sa  vie,  c'est  la  lumière  ,  c'est  la  jouis- 


182  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

sance  de  tous  les  biens  qui  sont  en  Dieu.  Pour  ceux  qui  jugent  à 
propos  de  se  séparer  de  lui,  il  les  punit  en  acceptant  la  séparation 
qu'ils  ont  mise  entre  eux  et  lui.  Or,  la  séparation  d'avec  Dieu, 
c'est  la  mort;  la  séparation  d'avec  la  lumière,  ce  sont  les  ténèbres; 
la  séparation  d'avec  Dieu,  c'est  la  perte  de  tous  les  biens  qui  sont 
en  Dieu.  Voilà  pourquoi  ceux  qui  ont  perdu,  par  leur  apostasie, 
les  biens  dont  j'ai  parlé,  se  trouvent  privés  de  tous  les  biens,  se 
trouvent  par  là  même  accablés  de  tous  les  maux.  Leur  châtiment 
est  en  quelque  sorte  volontaire  de  leur  part;  ils  ont  consenti  à  être 
victimes  de  tous  les  maux,  lorsqu'ils  ont  jugé  à  propos  de  renon- 
cer à  celui  dont  l'essence  renferme  tous  les  biens.  Et  de  même 
que  les  biens  que  nous  trouvons  en  lui  sont  éternels  et  sans  lin, 
par  la  même  raison  la  perte  de  ces  biens  est  aussi  sans  fin  et  éter- 
nelle. (  Saint  Irénée,  Contre  les  Hérésies,  Lw.\.  ) 

Quelle  est  la  source  des  peines  de  l'Enfer? 

C'est  la  dernière  malédiction  de  la  colère  de  Dieu  :  Maledicti  ! 
De  là  que  s'ensuit-il  ?  que  nul  homme ,  quel  qu'il  puisse  être,  n'en 
peut  exprimer  les  désolans  effets,  fût-ce  le  plus  malheureux 
des  réprouvés  mêmes  ,  quoiqu'il  en  fasse  en  Enfer  une  funeste 
expérience.  Cette  proposition  vous  surprend  et  vous  paraît  outrée, 
je  ne  l'avance  cependant  que  sur  la  foi  de  la  parole  de  Dieu. 
Seigneur,  disait  le  roi  -  prophète  ,  qui  connaît  jusqu'où  va 
1  excès  de  votre  colère  ?  Quis  novit  potestatem  irœ  tuœ  ?  Et  quand 
on  le  connaîtrait ,  l'accablement  du  trouble  et  de  l'effroi  qui  mar- 
chent à  sa  suite  permettrait-il  de  l'exprimer  comme  il  faut  :  et  prœ 
timoré  tuo  iram  tuam  dinumerare ?  En  effet,  mes  frères,  quels 
exemples  sensibles  peut-on  donner  ici-bas  des  dernières  malédic- 
tions de  la  colère  de  Dieu  ?  quelques  traits  échappés  de  son  bras 
vengeur;  quelques  étincelles  sorties  de  son  ardente  colère  ^quel- 
ques éclairs  d'un  tonnerre  qui  repose;  et,  pour  me  servir  de  la 
belle  expression  de  Daniel,  quelques  gouttes  au  plus  d'un  déluge 
universel:  Stillavit super  nos  maledictio.  Malédiction  de  stérilité, 
malédiction  de  captivité  ,  malédiction  de  mortalité,  lancées  si  sou- 
vent sur  des  villes  et  sur  des  nations  criminelles,  légers  indices 
des  dernières  malédictions  de  la  colère  de  Dieu  :  Stillavit  maledic- 
tio. Dieu  maudit  la  terre,  après  le  péché  du  premier  homme  ,  et 
elle  se  couvre  en  un  instant  de  ronces  et  d'épines.  Dieu  maudit 
Caïn  ,  après  son  fratricide ,  et  sa  vie  n'est  plus  qu'une  mort  conti- 
nuelle. Dieu  maudit  l'Egypte  après  sa  tyrannie,  et  elle  est  frappée 


DES    PRÉDICATEURS.  l83 

de  plaies,  inondée  de  sang,  remplie  de  deuil,  couverte  de  ïiaorts. 
Ne  sont-ce  pas  là  des  malédictions  de  Dieu  bien  terribles,  et  peut> 
on  en  concevoir  assez  d'horreur?  Dieu  cependant,  dit  le  Prophète, 
n'a  pas  encore  versé,  il  n'a  fait  qu'épancher  sa  malédiction:  Super 
eos  effundam  quasi  aquam  iram  meam. 

Stillavit  maledictio.  Tous  ces  fléaux  si  lamentables,  qui  ravagent 
en  peu  de  temps  les  contrées  les  plus  florissantes,  et  dont  les  seuls 
présages  alarment  l'univers  ,  fléau  de  peste,  fléau  de  famine  ,  fléau 
de  discorde  ,  fléau  de  guerre,  faibles  écoulemens  delà  coupe  amère, 
que  Dieu  réserve  tout  entière  pour  le  jour   de  sa  fureur  :  Stil- 
lavit maledictio  !  Ah  !  Seigneur  ,  s'écrie  saint  Jérôme  sur  ce  passa- 
ge, si  les  moindres  mouvemens  de  votre  colère    divine   sèment 
partout  la  désolation  et  l'effroi,  et  font  taire  devant  eux  toute  la 
terre ,  que  sera-ce  du  débordement  général  de  vos  malédictions  ? 
Si  tant  a  est  stilla,  quid erit  de  totis  imbribus  ?  Elles  investiront  un 
malheureux  réprouvé,  dit  le  Prophète,  comme  un  vêtement  ac- 
cablant de  douleur,  dont  il  ne  pourra  plus  se  défaire  :  Induit  ma- 
ledictionem  sicut  vestimentum.  Elles  le  pénétreront,  comme  leau 
pénètre  et  imbibe  la  terre  :  Intravit  sicut  aqua  in  interiora  ejus  ; 
elles  passeront  jusque  dans   sa  substance:  Sicut  oleum  in  ossibus 
ejus.  Tous  les  sens  ,  toutes  les  facultés ,  toutes  les  puissances  in- 
térieures de  son  ame  en  porteront  les  mortelles  empreintes.  Tout 
ce  qu'il  pensera  ,  tout  ce  qu'il  désirera ,  tout  ce  qu'il  dira ,  durant 
toute  l'éternité,  dans  son  esprit,  dans  son  cœur,  dans  sa  bouche, 
deviendra  malédiction.  Ne  sortons  point  de  l'Evangile  de  ce  jour, 
pour  voir  le  fatal  accomplissement    d'une    si    terrible  prophétie. 
Malédiction  dans  les  pensées  du  réprouvé  ,  parce  qu'il  n'en  aura 
jamais  que  d'affligeantes.  Recordare  :  Souvenez-vous  ,  disait  Abra- 
ham au  mauvais  riche ,  en  lui  parlant  de  la  part  de  Dieu  ;  souve- 
nez-vous, et  de  quoi?  des  biens  que  vous  avez  reçus,  des  maux  que 
vous  avez  faits,  des  grâces  dont  vous  avez  été  prévenu,  et  des  ingra- 
titudes dont  vous  les  avez  payées;  des  instructions  que  vous  avez 
entendues,  et  des  pernicieuses  maximes  que  vous  avez  suivies;  des 
bons  exemples  que  vous  avez  vus,  et  des  mauvais  que  vous  avez  imi- 
tés; du  temps  que  l'on  vous  a  donné,  et  des  années  que  vous  avez 
perdues;  des  moyens  que  vous  aviez  de  vous  sauver,  et  des  mesu- 
res que  vous  avez  prises  pour  vous  perdre.  Pensez-y  bien  mainte- 
nant; voilà  désormais  votre  occupation,  ou  plutôt  votre  supplice: 
Recordare  quia  recepisti  bona.  Malédiction  dans  ses   désirs  ,  parce 
qu'il  n'en  formera  jamais  que  d'inutiles:  Si  quis  ex  mortuis  ierit ? 
Ah  !  si  quelqu'un  de  nous,  disait  le  mauvais  riche,  revenait  sur  la 


I  84  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

terre!  s'il  m'était  permis,  dit  un  réprouvé,  de  rentrer  dans  la  carrière 
du  salut  !  si  mon  malheur  n'était  pas  sans  remède,  mon  arrêt  sans 
appel ,  ma  perte  sans  retour  !  Si  le  sang  d'un  Dieu  pouvait  encore 
couler  sur  moi,  que  j'en  ferais  bien  un  autre  usage!  Le  démon  et 
tous  ses  artifices  ne  me  tromperaient  pas  ;  le  monde  "et  ses 
charmes  ne  me  tenter  aient  pas  ;  la  pénitence  et  ses  rigueurs  ne  me 
rebuteraient  pas.  Que  ne  puis-je  encore  ce  quejen'ai  pas  voulu; 
ou  que  n'ai-je  voulu  ce  que  je  ne  puis  plus  maintenant!  Siquis  ex 
mortuis  ierlt !  regrets  inutiles,  vains  désirs, vœux  superflus;  malé- 
diction enfin  jusque  dans  ses  expressions.  Ce  ne  seront,  dit  le  Sau- 
veur, que  larmes  arrachées  par  le  dépit,  sanglots  entrecoupés 
par  le  désespoir  ,  plaintes  étouffées  par  la  rage:  Ibi  erit  Jletus  et 
stridor  dentium.  Cette  muette  tristesse,  cet  affreux  silence,  cette 
noire  et  sombre  fureur,  que  l'Evangile  donne  au  réprouvé  pour 
tout  langage,  n'est-ce  pas  là  le  comble  de  la  malédiction,  puisque 
c'est  leur  ôter  même  la  triste  consolation  de  s'en  plaindre ,  et  par- 
conséquent  à  nous ,  mes  frères ,  à  plus  forte  raison ,  le  pouvoir  de 
l'exprimer,  et  de  le  faire  entendre  comme  il  faut.  Reste  donc  la 
durée  de  la  peine,  dont  je  ne  vous  dis  qu'un  mot,  et  que  je  vous 
laisse  à  méditer,  parce  que  les  discours  sont  ici  superflus. 

Durée  sans  bornes  et  sans  mesure,  durée  de  tous  les  siècles  à 
venir,  durée  néanmoins  que  le  temps,  en  s'écoulant,  ne  diminue 
point;  durée  dont  les  commencemens  s'éloignent , s'abîment  et  se 
confondent,  sans  que  sa  fin  approche;  durée  d'un  seul  moment, 
que  l'on  appelle  éternité,  et  qui  sera  désormais  la  durée  de  l'être 
de  Dieu  :  JEternus.  Vous  convenez  sans  peine ,  chrétiens  auditeurs, 
que  cette  durée  ne  se  peut  expliquer  ni  même  comprendre.  Vous 
désespérez  même  d'en  pouvoir  avoir  la  moindre  idée,  lorsque,  après 
avoir  supputé  dans  votre  mémoire  tous  les  nombres  imaginables  , 
parcouru  dans  votre  esprit  les  espaces  les  plus  vastes ,  creusé  dans 
votre  imagination  les  suppositions  les  plus  incompréhensibles', 
vous  trouvez  encore  au  bout  l'éternité  tont  entière.  Imaginez-vous 
qu'un  homme  est  condamné  à  subir  les  peines  de  l'Enfer,  jusqu'à 
ce  qu'il  ait  noyé  l'univers  de  ses  larmes ,  en  ne  versant  cependant 
qu'une  larme  de  mille  ans  en  mille  ans  :  hélas!  Cain  n'aurait  en- 
core versé  que  cinq  ou  six  larmes.  Bon  Dieu!  quelle  épouvanta- 
ble durée  de  temps ,  s'il  fallait  attendre  qu'il  eût  rempli  ce  lieu  ; 
mais  que  serait-ce  avant  qu'il  eût  rempli  l'espace  qu'occupe  cette 
ville ,  avant  qu'il  en  eût  versé  suffisamment  pour  faire  plusieurs 
grandes  rivières?  Que  serait-ce  s'il  fallait  souffrir  jusqu'à  ce  qu'il 
en  eût  assez  versé  pour  remplir  l'espace  que  la  mer  occuoe  ;  assez 


DES   PHBJDICATEtmS.  l85 

pour  inonder  la  terrre  ;  assez  pour  remplir  cette  immense  étendue, 
qui  est  depuis  la  terre  jusqu'au  ciel?  Cette  pensée  fait  frémir  :  l'es- 
prit alarmé  se  confond,  se  perd  dans  cette  épouvantable  étendue 
de  siècles.  Cependant  quelque  effrayante,  quelque  inconcevable 
que  soit  cette  durée,  ce  n'est  pas  encore  l'éternité;  puisqu'après 
cette  durée  d'un  temps  presque  infini,  l'éternité  reste  encore 
tout  entière;  puisqu'il  viendra  un  temps  où  un  damné  pourra  dire 
que  s'il  avait  versé  une  seule  larme  de  mille  ans  en  mille  ans,  de- 
puis qu'il  est  dans  les  supplices,  et  que  Dieu  eût  conservé  cette 
larme,  tout  l'univers  serait  déjà  noyé  de  ses  pleurs.  Mais  de  là 
ne  devez-vous  pas  conclure ,  que  les  peines  d^  l'enfer  sont  plus 
affreuses  que  l'on  ne  peut  dire?  Car  si  ces  deux  termes  indéfinis', 
Toujours  et  Jamais ,  dans  les  moindres  maux  de  la  vie  absorbent 
nos  pensées,  tarissent  nos  expressions  et  nous  désespèrent  ;  ajoutés  à 
de  véritables  supplices,  à  des  peines  extrêmes,  à  de  rigoureux  châti- 
mens,  ne  les  mettent-ils  pas  hors  de  la  sphère  de  nos  esprits  et  de  la 
portée  de  nos  discours?  Qui  peut  dire  ou  faire  sentir  comme  il  faut 
ce  que  c'est  qu'agoniser  toujours,  et  n'expirer  jamais,  toujours  lan- 
guir, et  ne  jamais  mourir,  toujours  brûler,  et  ne  consumer  jamais,  ne 
vouloir  jamais  ce  qui  sera  toujours,  et  vouloir  toujours  Ce  qui  ne  sera 
jamais?  Jamais  de  relâche,  et  toujours  des  tourmens!  toujours  de 
nouveaux  supplices,  et  jamais  un  coup  de  grâce!  Voilà ,  chrétiens , 
le  dernier  trait,  que  le  pinceau  le  plus  habile  ne  peut  assez  vive- 
ment représenter  dans  la  peinture  de  l'Enfer.  Mais  n'est-ce  pas  au 
fond  celui  qui  vous  révolte  ?  Sans  cette  éternité  désespérante ,  vous 
souffririez  peut-être  que  l'on  vous  parlât  plus  souvent  de  l'Enfer; 
et  sa  pensée  ne  trouverait  plus  tant  d'opposition  dans  vos  esprits. 
Mais  pensez-y,  chrétiens  auditeurs,  ou  ny  pensez  pas;  que  l'on 
vous  en  parle,  ou  qu'on  la  passe  sous  silence ,  l'éternité  des  peines 
de  l'Enfer  n'en  est  ni  moins  véritable  ni  moins  terrible.  Il  y  a  plus 
de  quinze  siècles  que  les  incrédules  ont  voulu  sur  cet  article  de 
foi  fermer  la  bouche  aux  prédicateurs  de  l'Evangile,  en  le  traitant 
de  figure  et  d'hyperbole.  L'Eglise  s'est  contentée  de  leur  répon- 
dre par  des  anathèmes,  et  de  leur  faire  craindre  d'éprouver  ce 
qu'ils  ne  voulaient  pas  entendre.  Dans  la  suite  des  temps ,  à  tou- 
tes les  vaines  objections  que  formait  l'incrédulité  sur  la  justice  d'une 
peine  éternelle  pour  un  péché  d'un  moment,  les  Pères  ont  répondu 
que  c'était  la  justice  de  Dieu  ;  et  que  si  au  faible  jugement  des  hom- 
mes elle  paraissait  trop  sévère,  et  excéder  les  règles  ordinaires  de 
la  justice,  c'est  qu'elle  était  justice  de  Dieu,  et  par  conséquent  in- 
compréhensible,  comme  sa  bonté   et   ses  autres  attributs  ; /foc 


l86  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

magis  mirabilis  Dei  virtus,  disait  Salvien  ,  quod  quantum  ad  imoe- 
cillitatem  humanam  pertinet ,  pœne  injustitiœ  speciem  magnitudo 
justitiœ  habere  videatur.  Qu'attendez-vous  donc,  pour  le  croire  et 
pour  le  craindre?  Que  quelqu'une  de  ces  infortunées  victimes  re- 
vienne de  l'autre  monde  vous  en  instruire  ?  Mais  la  foi  d'une  telle 
apparition  serait-elle  plus  sûre  que  celle  de  l'Evangile?  Non,  non, 
disait  Abraham  au  mauvais  riche,  qui  lui  demandait  en  faveur  de  ses 
frères  un  pareil  prodige;  ils  ont  la  Loi  et  les  Prophètes  :  s'ilsne  croient 
pas  ces  témoins  vivans,  ils  ne  croiront  pas  plus  les  morts.Profitons  de 
cet  avis  :  tenons-uous  à  l'Evangile.  (Le  père  Segaud,  Sur  lEnfer.\ 

Éternité  de  l'Enfer,  motif  de  conversion. 

Croyez  à  celui  qui  promet,  à  ceux  qui  auront  cru ,  de  leur  don- 
ner en  récompense  la  vie  éternelle  ;  croyez  à  celui  qui  punira  des 
feux  éternels  de  l'Enfer  ceux  qui  auront  refusé  de  croire.  Ah! 
quand  ce  grand  jour  du  jugement  sera  arrivé,  de  quelle  gloire  la 
foi  se  verra  entourée  !  à  quels  supplices  l'incrédulité  sera  en  proie! 
quelle  sera  la  joie  des  fidèles  !  quels  seront  les  regrets  des  impies 
de  n'avoir  pas  cru  lorsqu'ils  étaient  sur  la  terre  ;  et  de  ne  pouvoir 
revenir  sur  la  terre  pour  croire  !  Une  flamme  dévorante  brillera 
sans  pitié  tous  ceux  qui  lui  auront  été  livrés;  et  ces  épouvantables 
tourmens  n'auront  jamais  ni  fin  ni  relâche.  Ces  corps  et  ces  âmes, 
par  une  permission  spéciale  de  Dieu  ,  brûleront  toujours  sans  ja- 
mais se  consumer,  afin  que  leur  supplice  soit  éternel.  Alors  la  dou- 
leur du  repentir,  les  larmes,  les  gémissemens ,  les  prières,  tout  se- 
ra inutile  et  infructueux.  Trop  tard,  hélas  !  il  faudra  qu'ils  croient 
à  des  tourmens  éternels,  eux  qui  n'ont  point  voulu  croire  à  d'éter- 
nelles récompenses. 

Ah  !  chrétiens,  tandis  qu'il  en  est  temps  encore,  mettez  donc  et 
votre  vie  et  votre  salut  en  sûreté.  Nous  vous  offrons  en  ce  mo- 
ment et  nos  sentimens  et  nos  conseils  paternels,  dans  la  vue  de  vo- 
tre salut;  et,  parce  qu'il  ne  nous  est  point  permis  de  haïr ,  et  que 
jamais  nous  ne  sommes  plus  agréables  à  Dieu  que  (Juand  nous 
souffrons  patiemment  les  injures  sans  chercher  à  nous  en  venger, 
nous  vous  y  exhortons  de  tout  notre  cœur.  Tandis  que  vous  en 
avez  la  possibilité,  tandis  qu'il  vous  reste  encore  à  parcourir  quel- 
que partie  de  votre  carrière  mortelle,  hâtez-vous  de  satisfaire  à 
Dieu ,  sortez  des  épaisses  ténèbres  de  la  superstition,  et  ouvrez  vos 
yeux  à  la  brillante  lumière  de  notre  sainte  religion.  Nous  ne  vous 
envions  point  vos  avantages  ;  nous  ne  cherchons  point  à  vous  dé- 
rober la  connaissance  des  bienfaits  de  Dieu  ;  nous  ne  répondons 


DES    PRÉDICATEURS.  187 

à  votre  haine  que  par  la  bienveillance  ;  et  pour  ces  tourmens  ,  ces 
supplices  que  vous  nous  faites  endurer,  nous  vous  montrons  le 
chemin  qui  mène  à  la  vie  et  au  bonheur.  Croyez  et  vivez  ;  et,  après 
nous  avoir  tourmentés  dans  le  temps,  venez  vous  enivrer  avec 
nous,  pendant  l'éternité,  des  joies  célestes.  Que  personne  ne  se 
laisse  arrêter  par  la  considération  de  la  multitude  de  ses  péchés  , 
ni  du  nombre  de  ses  années,  et  ne  désespère  de  son  salut.  Tant 
que  l'homme  est  sur  la  terre,  il  lui  reste  encore  le  temps  de  se  re- 
pentir ;  les  chemins  de  la  miséricorde  divine  lui  sont  encore  ouverts: 
il  n'y  a  que  dans  l'autre  vie,  lorsque  déjà  l'on  est  livré  aux  feux 
qui  ne  doivent  point  avoir  de  fin  ,  que  tout  cela  devient  inutile. 
(  Saint  Cyprien  ,  Livre  a  Démétrianus.) 

Même  sujet. 

Voilà  ce  que  la  foi  nous  enseigne  :  un  feu   éternel ,  une  éter- 
nelle séparation  de  Dieu  ;  voilà  ce  que  toutes  les  Ecritures  nous 
annoncent.  Ce  qui  m'étonne  et  ce  qui  serait  capable  de  me  trou- 
bler, si  les  mêmes  Ecritures  ne  m'en  découvraient  le  mystère  ,  c'est 
qu'une  vérité  si  touchante  nous  touche  si  peu,  et  que,  parmi  ceux 
à  qui  je  parle  ,  il  y  en  ait  peut-être  qui  jamais  n'en  ont  encore  été 
bien  touchés;  ce  qui  m'étonne,  c'est  qu'étant  si  délicats  ,  si  ama- 
teurs de  nous-mêmes  ,  si  sensibles  à  la  douleur,   ce  feu  que  la  co- 
lère de  Dieu  allume  pour  punir  nos  crimes  ne  fasse  sur  nous  que 
les  plus  faibles  impressions;  ce  qui  m'étonne,  c'est  que,  ne  pou- 
vant ignorer   que  la  perte  de  Dieu  est  notre  souverain  mal,  et  que 
cette  perte  de  Dieu  ,  irréparable  dans  l'Enfer,  dépend  de  la  perte 
volontaire  que  nous  en  faisons  en  cette  vie,  nous  consentions  tous 
les  jours  librement  à  le  perdre  ,  que  nous  le  perdions  sans  inquié- 
tude, sans  chagrin  ;  que  nous  le  perdions  même  souvent  avec  joie, 
et  que  de  toutes  les  pertes  que  nous  faisons  dans  le  monde,  celle- 
là  nous  soit  la  plus  indifférente;  ce  qui  m'étonne,  c'est   que  la 
même  foi  qui  nous  dit  qu'il  y  a  un  Enfer  où  l'on  brûle  et  où  l'on 
est  privé  de  Dieu,  nous  dit  encore  qu'un  seul  péché  nous  expose 
à  l'un  et  à  l'autre,  que  Dieu  n'a  pas  de  moindre  vengeance  pour 
le  punir  que  l'un  et  l'autre,  et  que  le  péché  néanmoins,  et  le  pé- 
ché le  plus  mortel,  soit  traité  parmi  nous  de  jeunesse  ,   de  fragilité 
excusable,  et  souvent  même  de  jeu,  de  galanterie,  de  bel  esprit  et 
de  belle  humeur.  Est-ce  stupidité  ,  est-ce  inadvertance ,  est-ce  fu- 
reur, est-ce  enchantement?  Croyons-nous  ce  point  fondamental 
du  Christianisme  ?  ne  le  croyons-nous  pas  ?  Si  nous  le  croyons,  où 


l88      ,  NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE 

est  notre  sagesse  ?  si  nous  ne  le  croyons  pas,  ou  est  notre  religion? 
Je  dis  plus  ;  si  nous  ne  le  croyons  pas,  que  croyons  -  nous  donc  , 
puisqu'il  n'est  rien  de  plus  croyable ,  rien  de  plus  formellement 
révélé  par  la  parole  divine  ,  rien  de  plus  solidement  fondé  dans  la 
raison  humaine,  rien  dont  la  créance  soit  plus  nécessaire  pour  te- 
nir les  hommes  dans  le  devoir,  rien  sur  quoi  le  doute  soit  plus  per- 
nicieux, puisqu'il  les  porte  à  tous  les  désordres  ?  Mais,  pour  ne  le 
pas  croire,  ou  pour  ne  le  croire  qu'imparfaitement,  en  sommes-nous 
plus  à  couvert  ?  Aurons-nous  bien  devant  Dieu  de  quoi  nous  jus- 
tifier, en  lui  disant  :  Je  ne  croyais  pas  ?  Sauverons-nous  par  là  les 
conséquences  de  la  chose  ?  et  si  elle  se  trouve  vraie,  quoique  nous 
ne  l'ayons  pas  crue,  où  en  serons-nous?  Est-ce  raisonner  en  hommes 
que  de  risquer  sur  un  tel  sujet?  Que  ne  faisons-nous  pas  tous  les 
jours  pour  éviter  un  mal  incertain,  par  la  raison  seule  de  son  incer- 
titude? Avons-nous  fait  un  pacte  avec  l'Enfer,  comme  ces  pécheurs 
dont  parle  le  Prophète  ;  ou  avons-nous  une  démonstration  et  une 
évidence  parfaite  qu'il  n'y  ait  point  d'Enfer  ?  Ce  que  les  impies 
allèguent  pour  le  combattre  est-il  comparable  à  ce  qu'établit  la 
foi  ?  sommes- nous  donc  sages  de  quitter  le  parti  de  la  foi,  et  n'est- 
il  pas  non  seulement  le  plus  sur,  mais  le  plus  plausible,  le  plus 
raisonnable  ?  Quelle  peine  plus  naturelle  pour  une  ame  révoltée 
contre  Dieu  que  la  perte  de  Dieu  ?  quel  châtiment  plus  juste  pour 
une  ame  sensuelle  et  adonnée  à  d'infâmes  plaisirs  et  défendus  par 
la  loi  de  Dieu  que  le  feu  ?  Quoique  ce  tourment  du  feu,  qui  est  le 
mal  de  la  créature,  soit  eu  lui-même  si  affreux,  a-t-il  rien  qui  ap- 
proche de  la  griéveté  du  péché,  qui  est  le  mal  du  Créateur  ?  et 
n'est-il  pas  de  l'ordre  que  le  mal  du  créateur  soit  vengé  par  celui 
de  la  créature  ?  (Bourdaloue,  Sermon  sur  l'Enfer.  ) 

L'Enfer  commence  dès  ce  monde  pour  le  méchant. 

Le  Fils  de  Dieu,  dans  la  parabole  de  l'Evangile  ,  nous  représente 
les  pécheurs  comme  exclus,  comme  excommuniés  du  troupeau, 
parce  qu'étant  des  membres  pourris,  ils  ne  participent  point  à  la 
vie.  C'est  pourquoi  le  pain  de  vie  leur  est  refusé  ,  c'est  pourquoi  ils 
sont  séparés  du  banquet  céleste ,  qui  est  la  vie  du  peuple  fidèle; 
d'où,  passant  plus  outre,  je  dis  qu'étant  séparés  de  cette  unité,  ils 
commencent  leur  Enfer  même  sur  la  terre,  et  que  leurs  crimes  les 
y  font  descendre  ;  cur  ne  nous  imaginons  pas  que  l'Enfer  consis- 
te dans  ces  épouvantables  tourmens,  dans  ces  étangs  de  feu  et  de 
soufre  ,  dans  ces  flammes  éternellement  dévorantes,   dans  cette 


DES   PRÉDICATEURS.  189 

rage  ,  dans  ce  "désespoir,   dans  cet  horrible  grincement  de  dents. 
L'Enfer  ,  si  nous  l'entendons  ,  c'est  le  péché  même;  l'Enfer,  c'est 
d'être  éloigné  de  Dieu  ;  et  la  preuve  en    est  évidente   par  les 
Ecritures. 

Job  nous  représente  l'Enfer  en  ces  mots  :  «  C'est  un  lieu  ,  dit-il, 
«  où  il  n'y  a  nul  ordre  ,   mais  une  horreur  perpétuelle  ;  »  de  sorte 
que  l'Enfer,  c'est  le  désordre  et  la  confusion.  Or,  le  désordre  n'est 
pas  dans  la  peine  ;  au  contraire  ,  j'apprends  de  saint  Augustin  que 
la  peine,  c'est  l'ordre  du  crime.   Quand  je  dis  péché,  je  dis  le  dés- 
ordre, parce  que  j'exprime  la  rébellion  ;  quand  je  dis  péché  puni , 
je  dis  une  chose  très  bien  ordonnée  ;  car  c'est  un  ordre  très  équi- 
table que  l'iniquité  soit  punie;  d'où  il  s'ensuit  invinciblement  que 
ce  qui  fait  ht  confusion  dans  l'Enfer,  ce  n'est  pas  la  peine  ,  mais  le 
péché.  Que  le  dernier  degré  de  misère,  ce  qui  fait  la  damnation  et 
l'Enfer  ,  c'est  d'être  séparé  de  Dieu,  qui  est  la  véritable  béatitude. 
Si  d'ailleurs  il  est  plus  clair  que  le  jour  que  c'est  le  péché  qui  nous 
en  sépare ,  comprends  ,  ô  pécheur  misérable ,  que  tu  portes  ton 
Enfer  en  toi-même,  parce  tu  y  portes  ton  crime,  qui  te  fait  des- 
cendre vivant  en  ces  effroyables  cachots  où  sont  tourmentées  les 
âmes  rebelles.  Car,  comme  l'Apôtre  saint  Paul, parlant  des  fidèles 
qui   vivent  en  Dieu   par   la  charité,   assure  «  que    leur  demeure 
«  est  au  ciel,  et  leur  conversation  avec  les  Anges;  »  ainsi  nous 
pouvons  dire  très  certainement  que  les  méchans  sont  abîmés  dans 
l'Enfer,  et  que  leur  conversation  est  avec  les  diables  :  étrange  sé- 
paration du  pécheur,  qui  trouve  son  Enfer  même  en  cette  vie  !  Et 
n'est-il  pas  juste  qu'il  trouve  l'Enfer,  puisqu'il  est  séparé  du  sacré 
troupeau  que  la  charité  fait  vivre  en  notre  Seigneur?  (  Bossuet, 
Sermon  sur  la  gloire  de  Dieu  dans  la  conversion  des  pécheurs?) 

La  pénitence  est  inutile  dans  l'Enfer. 

N'attendons  point  que  la  mort  nous  ait  introduits  dans  les  En- 
fers, pour  faire  pénitence,  puisqu'alors  notre  pénitence  serait 
inutile.  En  vain  celui  qui  habite  ces  régions  désolées  fait  entendre 
d'horribles  grincemens  de  dents  ;  en  vain  sa  langue  est  dévorée 
d'une  chaleur  insupportable  ;  il  ne  se  trouvera  jamais  personne 
qui  l'humecte  de  la  moindre  goutte  d'eau  ,  personne  qui  soulage 
ses  horribles  tourmens  parla  moindre  parole  de  consolation  ;  mais 
il  entend  sans  cesse  retentir  les  paroles  terribles  que  le  Seigneur 
adressa  autrefois  au  mauvais  riche. 

Si  donc  nous  sommes  persuadés  de  tout  cela,  si  nous  regardons 


!q0  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

les  choses  Je  ce  monde  comme  un  songe,  si  nous  nous  considérons 
ici  comme  dans  une  hôtellerie  que  nous  allons  bientôt  quitter,  oc- 
cupons-nous donc  de  notre  voyage,  et  empressons-nous  de  nous 
munir  de  tous  les  viatiques  nécessaires,  pour  arriver  au  but  que 
nous  nous  sommes  proposé.  Pour  cela,  il  ne  suffit  pas  dédire: 
Il  faut  croire;  ce  ne  sont  point  des  feuilles  que  l'on  nous  demande, 
mais  des  fruits  ;  car,  disait  le  Sauveur,  «  tous  ceux  qui  disent:  Sei- 
«  gneur,  Seigneur ,  n'entreront  point  dans  le  royaume  des  cieux  ; 
«  mais  ceux  qui  font  la  volonté  de  mon  Père.  » 

Gardons-nous  donc  bien  de  nous  laisser  séduire;  accordons  que 
notre  vie  entière  se  passe  au  milieu  des  délices  de  toute  espèce  ; 
mais  qu'est-ce  que  notre  vie ,  mise  en  parallèle  avec  des  siècles 
infinis  ?  Ici  tout  a  une  fin  ,  les  biens  comme  les  maux;  mais  là  les 
châtimens  sont  éternels.  Si  le  corps  est  ici  -  bas  la  proie  des  flam- 
mes, du  moins  Famé  n'en  est  point  atteinte  et  s'envole  librement; 
mais  là,  une  fois  que  le  corps  par  sa  résurrection  s'est  revêtu  d'in- 
corruptibilité, l'ame  est  éternellement  dévorée  par  les  flammes. 
Car  les  pécheurs  ressuscitent  aussi  avec  un  corps  incorruptible  ; 
non  point  pour  être  couronnés  de  gloire  comme  les  justes  ,  mais 
afin  de  demeurer  éternellement  dans  les  supplices  qu'ils  ont  mé- 
rités. Si  donc  nous  avons  peine  à  supporter  la  vapeur  d'un  bain 
tant  soit  peu  trop  échauffé,  comment  pourrons-nous  subsister  dans 
ce  fleuve  de  feu  au  milieu  duquel  nous  serons  précipités  ?  (  Saint 
Chrysostôme  ,  De  la  Pénitence.) 

Péroraison. 


O  Dieu  puissant  et  terrible  !  ces  vérités  redoutables  seraient- 
elles  enfin  sans  fruit  pour  notre  salut  ?  Hélas!  ce  serait  vainement 
que  les  hommes  tonneraient  à  notre  oreille,  si  vous  ne  parliez 
vous-même  à  notre  cœur.  Ah  !  puisque  ce  cœur  s'est  montré  si 
long-temps  insensible  à  vos  invitations  ,  triomphez  aujourd'hui 
par  vos  menaces  de  sa  dureté,  et  subjuguez  par  la  crainte  ce  rebelle 
que  n'a  pu  captiver  votre  amour.  Si  les  passions  essayaient  de  le 
séduire  encore  par  leurs  illusions  et  leurs  amorces,  montrez-lui 
l'Enfer,  et  qu'il  apprenne  quel  est  le  terme  formidable  où  les  pé- 
cheurs verront  aboutir  cette  route  spacieuse  que  le  plaisir  leur  sè- 
me de  fleurs.  Si  les  sacrifices  que  vous  lui  commandez  intimidaient 
sa  faiblesse  ,  montrez-lui  l'Enfer  ,  et  qu'il  porte  sans  murmure  un 
joug  tque  rendra  plus  léger  la  vue  des  réprouvés  et  de  leur  cruel 


fcES~PRÉDlCÀTEUÎtS.  191 

esclavage.  S'il  sentait  se  ranimer  d'indignes  affections ,  montrez- 
lui  l'Enfer,  et  que  des  ardeurs  coupables  s'éteignent  à  l'aspect  de 
ces  feux  allumés  par  votre  fureur.  Enfin,  sauvez  -  nous  de  lEnfer, 
par  la  vue  de  l'Enfer  même,  et  qu'à  cette  école  nous*apprenions 
à  mériter  les  récompenses  éternelles.  Ainsi-soit-il,  (M.  Borderies.) 


igi  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 


FOI. 


REFLEXIONS    THEOLOGIQUES  ET  MORALES    SLR    CE  SUJET. 


Notion  de  la  foi. 


Le  saint  concile  de  Trente  nous  enseigne  que  la  foi  est  le  com- 
mencement,  le  fondement,  la  racine  de  toute  notre  justification . 

La  foi  est  le  commencement  de  notre  justification.  C'est  elle  qui, 
son  flambleau  à  la  main,  nous  conduit  dans  les  voies  de  la  perfec- 
tion, nous  mène  à  toutes  les  vertus  chrétiennes,  nous  ouvre  la 
porte  de  l'enceinte  sacrée  où  elles  résident,  nous  y  introduit,  nous 
les  fait  connaître,  et, répandant  sur  elles  sa  vive  lumière,  les  fait 
briller  à  notre  vue  de  tout  leur  éclat,  et  du  sien  propre. 

La  foi  est  le  fondement  de  notre  justification.  C'est  sur  elle 
qu'est  établi ,  que  repose  ,  qu'est  affermi  l'édifice  de  notre  salut. 
Que  cette  base  fondamentale  soit  ébranlée,  le  bâtiment  qu'elle  sup- 
porte s'écroule  aussitôt,  et  tombe  tout  entier  en  ruines.  Mais  tant 
qu'elle  reste  solide,  l'édifice  est  aisément  entretenu;  ou,  s'il  éprou- 
ve quelque  dégradation,  il  peut  être  promptement  réparé. 

La  foi  est  la  racine  denotre  justification,  de  cet  arbre  dévie  que 
nous  devons  cultiver  avec  un  soin  assidu.  Racine  profonde,  qui 
communique  à  tous  ses  rameaux,  et  y  fait  couler  la  sève  vivifiante: 
racine  ferme  qui  le  soutient,  et,  le  fixant  fortement,  lui  fait  braver 
les  orages  et  les  tempêtes;  racine  féconde,  qui  l'enrichit  de  fruits 
abondans  et  salutaires.  Elle  est,  comme  l'appelle  le  Sage,  la  racine 
de  l'immortalité. 

Quelle  est  donc  cette  vertu  primordiale  qui  amène  à  sa  suite  , 
comme  son  cortège ,  toutes  les  autres  vertus  ,  et  de  laquelle  notre 
sainteté  reçoit  son  principe  ,  sa  stabilité,  sa  fécondité  ?  Tous  les 
docteurs  s'accordent  à  définir  la  foi ,  une  lumière  surnaturelle  in- 
fuse dans  nos  esprits,  par  laquelle  nous  croyons  fermement  en 
Dieu  et  à  toutes  les  vérités  qu'il  nous  a  révélées. 


DES     PRÉDICATEURS.  I93 

La  foi  est  une  croyance  ;  mais  toute  croyance  des  objets  reli- 
gieux n'est  pas  la  foi.  Il  est  des  vérités  sacrées  que  notre  raison 
nous  présente,  nous  prouve,  nous  persuade,  et  porte  au  dernier 
degré  de  conviction ,  qui  est  la  certitude.  Ainsi  l'existence  ,  et  plu- 
sieurs des  perfections  de  l'Etre  Suprême  ,  nos  principales  obliga- 
tions, soit  envers  lui,  soit  entre  nous,  n'ont  besoin,  pour  être  con- 
nues, que  de  cette  lumière  naturelle  dont  il  a  gratifié  la  nature  hu- 
maine, et  ont  en  effet  été  professées  par  beaucoup  de  nations  qui 
n'avaient  point  le  bonheur  de  la  foi.  En  concluerons-nous  que  ces 
vérités,  qui  forment  ce  qu'on  appelle  la  religion  naturelle,  n'appar- 
tiennent point  à  la  foi,  et  lui  sont  étrangères  ?  Non  sans  doute. 
Une  vérité  ne  peut-elle  pas  être  rendue  sensible  par  divers  moyens, 
et  certaine  par  différens  motifs  ?  Ce  qu'un  flambeau  m'avait  fait 
apercevoir  à  travers  l'obscurité,  le  soleil  ,  chassant  les  ténèbres  , 
me  le  fait  voir  ensuite  dans  sa  plénitude,  et  avec  une  entière  clarté. 
Telle  est  à  peu  près,  sur  les  principes  de  la  religion  naturelle,  la 
connaissance  successive  que  nous  donnent  la  raison  et  la  foi.  Une 
lumière  naturelle  les  avait  fait  découvrir  à  notre  intelligence.  Les 
rayons  du  soleil  de  vérité,  descendus  du  haut  des  cieux  dans  notre 
esprit,  d'abord  achèvent  d'éclairer  l'intellect,  en  dissipent  les  om- 
bres, en  éclaircissent  les  difficultés  ,  excitent  la  volonté,  et  la  font 
adhérer  fortement  aux  vérités  qu'ils  font  briller  de  leur  lumière. 

La  vertu  théologale  et  surnaturelle  de  la  foi  diffère  de  la 
croyance  naturelle  par  son  motif,  par  son  principe,  par  sa  nature, 
par  ses  objets,  par  ses  effets. 

Les  motifs  généraux  de  toute  croyance  naturelle  sont  la  force 
du  raisonnement,  le  rapport  des  sens,  le  témoignage  des  hommes. 
Le  motif  unique  de  la  foi  chrétienne  est  l'autorité  du  Dieu  révé- 
lateur. C'est  sous  ce  point  de  vue  exclusif  qu'elle  considère  les  vé- 
rités saintes.  Elle  les  adopte  parce  que  Dieu  les  enseigne.  Les 
motifs  naturels  servent  bien  à  établir  la  foi  :  ils  attestent  que  Dieu 
a  parlé  ;  ils  démontrent  que  Dieu  ne  peut  ni  recevoir  l'erreur,  ni 
la  donner.  Ainsi  ce  sont  eux  qui  amènent  notre  raison  à  l'autorité 
divine.  Mais  là  ils  l'abandonnent  :  ils  la  remettent  entre  les  mains 
de  cette  infaillible  véracité,  qui  sera  désormais  son  guide,  son 
docteur,  son  oracle. 

Le  principe  de  la  croyance  humaine  est  dans  une  raison  droite 
que  n'aveuglent  pas  les  préjugés,  que  n'égarent  pas  les  passions. 
Le  principe  de  la  foi  divine  est  la  motion  surnaturelle  de  la  grâce. 
Elle  est,  nous  dit  le  Sage,  un  don  de  Dieu,  un  don  de  choix.  Nous 
acquérons  la  croyance ,  nous  recevons  la  foi  ;  il  est  en  notre  pou- 
t.  m,  i3 


jp^  nouvelle  bibliothèque 

voir  de  la  mériter,  il  est  au  dessus  de  nos  efforts  de  nous  la  donner. 
La  croyance  naturelle  est  de  sa  nature  spéculative  :  c'est  un 
simple  acte  de  l'intelligence,  qui  croit  ce  qui  lui  est  démontré. 
La  foi  surnaturelle  est  non  seulement  spéculative,  mais  pratique  : 
elle  se  soumet  non  seulement  l'intelligence,  mais  la  volonté;  non 
seulement  elle  croit,  mais  elle  veut  croire;  elle  donne  non  seule- 
ment un  assentiment,  mais  une  imperturbable  adhésion;  elle  con- 
siste non  seulement  dans  la  croyance,  mais  dans  l'attachement  à  la 
croyance.  Consultons  l'expérience,  et  peut-être  la  nôtre  propre. 
Combien  de  gens  ne  sont  pas  pénétrés  des  vérités  dont  ils  sont 
convaincus!  Ils  n'en  doutent  pas;   mais  ils  n'en  sont  nullement 
touchés.  Elles  ne  leur  sont  pas  étrangères;  elles  leur  sont  indiffé- 
rentes. Leur  esprit  reconnaît  l'évidence;  leur  cœur  en  repousse  les 
conséquences.  Pharaon  et  ses  magiciens,  dans  les  miracles   de 
Moïse,  admirent  le  doigt  de  Dieu ,  et  cependant  s'endurcissent  con- 
tre les  obligations  qu'il  leur  impose.  La  grâce  de  la  foi  pénètre 
jusque  dans  le  cœur  ;  en  s'y  répandant  elle  l'amollit  de  son  onc- 
tion ;  elle  y  grave  fortement  les  vérités  qu'elle  a  imprimées  dans 
l'esprit;  elle  lui  fait  chérir  ce  qu'elle  enseigne,  désirer  ce  qu'elle 
promet.  Ainsi  la  prudence  humaine,  qui  n'est  qu'une  simple  persua- 
tion,  a  un  terme;  c'est  la  certitude,  au  delà  de  laquelle  il  n'y  a 
plus  rien;  et  quand  elle  y  est  arrivée,  elle  ne  peut  le  passer.  Au 
contraire,  la  foi,    qui,  outre   la  conviction ,  est  un   sentiment, 
peut  toujours  s'accroître.  Son  activité  n'a  point  de  mesure;  ses 
élans  peuvent  continuellement  devenir  plus  vifs.  Tout  chrétien 
peut  et  doit  dire  avec  les  Apôtres  :  Seigneur,  augmentez  en  moi 
la  foi. 

Les  objets  de  la  croyance  naturelle  sont  uniquement  ceux  que 
la  raison  connaît  et  démontre.  Ils  sont  aussi,  comme  nous  l'avons 
vu,  confirmés  par  la  foi.  A  l'autorité  de  simple  persuasion  dont 
jouit  la  raison,  la  foi  ajoute  l'autorité  d'empire  qu'elle  possède; 
et,  apposant  aux  vérités  reconnues  son  sceau  divin,  elle  les  con- 
sacre, et  érige  en  devoir  l'inébranlable  persuasion.  L'existence  de 
l'Ètre-Suprême,  les  récompenses  de  l'autre  vie,  qui  sont  des  vé- 
rités évidemment  présentées  par  la  raison  ,  sont  en  même  temps, 
selon  saint  Paul ,  des  dogmes  de  cette  foi  sans  laquelle  il  est  im- 
possible de  plaire  à  Dieu,  Mais  le  domaine  de  la  foi  s'étend  bien 
au  delà  des  limites  étroites  de  notre  intelligence.  Du  ciel  dont  elle 
vient  elle  fait  descendre  sur  nous  des  vérités  d'un  ordre  supérieur, 
{uistjuelleîi  toute  raison  humaine  est  par  elle* môme  incapable 
fj^tteiriclre,  §i  ç}\$  ne  Igs  revêt  pas  \o\\m  <i  une  entière  çhvtéf 


DKS    PRÉDICATEURS.  IO^ 

elle  leur  imprime  à  toutes  une  entière  certitude;  et,  dans  les  ob- 
jets qu'elle  nous  présente,  elle  surpasse  la  persuasion  naturelle 
de  toute  la  distance  qui  est  entre  l'enseignement  divin ,  et  la  con- 
naissance humaine. 

Ainsi  les  effets  de  la  foi  sont  bien  autrement  abondans  que 
ceux  de  la  simple  croyance.  Si  nous  considérons  sa  nature,  elle 
est  une  vertu  infuse  que  nous  devons  conserver  et  cultiver  en  nous 
avec  soin.  Si  nous  levons  les  yeux  vers  l'autorité  dont  elle  émane, 
nous  voyons  l'infaillible  véracité  qui  bannit  tout  doute  et  fait  re- 
jeter sans  examen  toute  difficulté.  Si  nous  mesurons  son  étendue, 
elle  comprend  des  vérités  qui  excèdent  notre  raison.  Nous  devons 
donc  croire  avec  une  entière  certitude ,  et  une  absolue  soumission , 
même  les  parties  de  son  enseignement  que  nous  sommes  dans 
l'impuissance  de  comprendre. 

La  foi  est  un  bienfait  du  Seigneur.  Jésus-Christ  déclare  que  nul 
ne  peut  venir  à  lui,  si  Dieu  ne  l'y  attire.  Son  Apôtre  nous  répète 
de  sa  part  que' c'est  par  la  grâce,  et  non  par  nous-mêmes,  que  la 
foi  nous  sauve,  parce  qu'elle  est  un  don  de  Dieu.  La  foi,  qui  tend 
directement  à  Dieu ,  vient  immédiatement  de  Dieu.  Elle  est  une 
chaîne  qui  du  trône  céleste  descend  sur  nous,  pour  nous  y  atta- 
cher, et  qui,  remontant  de  nous  à  ce  principe  de  tout  bien  ,  nous 
y  lie  plus  fortement  encore.  La  foi  est  une  grâce;  elle  est  donc, 
comme  le  nom  même  l'indique,  absolument  gratuite.  Nous  som- 
mes .  à  l'égard  de  la  foi ,  comme  des  malades  qui  reçoivent  le  salut 
des  remèdes  qui  leur  sont  appliques.  Libertins  de  cœur  et  d'esprit , 
cesse*  d'abuser  de  ce  principe  pour  exeuser  votre  incrédulité  ;  et 
de  prétendre  que,  si  vous  ne  croyez  pas  nos  vérités  saintes,  c'est 
que  le  don  de  la  foi  vous  manque ,  et  qu'il  n'est  pas  en  votre  pou- 
voir de  vous  le  donner.  Cette  défaite  illusoire,  qui  autorise  toute 
impiété,  a  été  positivement  prescrite  par  le  divin  Maître ,  quand  il 
reprochait  à  ses  disciples  la  modicité  de  leur  foi,  et  aux  Juifs  leur 
incrédulité  formelle.  Le  malade  n'a  pas  la  puissance  de  détruire 
lui-même  sa  mortelle  infirmité  ;  mais  il  dépend  de  lui  d'appeler  le 
médecin  qui  la  guérisse,  de  se  soumettre  aux  remèdes  qu'il  lui  pres- 
crit. Implorez  de  même  la  grâce  de  la  foi ,  et  elle  viendra  au  secours 
de  votre  faiblesse.  Soumettez-vous  à  son  enseignement,  et,  en  s'ac- 
croissant,  elle  vous  fortifiera  de  plus  en  plus.  Dieu  ne  vous  la  doit 
pas  ;  mais  il  la  promet  à  vos  veux,  à  votre  soumission,  à  vos  efforts. 
Il  ne  vous  la  doit  pas;  mais  il  la  doit  à  lui-même  et  à  ses  promesses. 
Ne  prétextez  donc  plus  la.  nécessité  de  la  grâce  pour  vous  y  sous^ 
frairo,  lafoj  est  à  la  foji  un  Jnenfait  gratuit  et  une  véçom^me? 


io6'  nouvelle  bibliothèque 

Dieu  la  donne  à  qui  il  veut,  et  il  ne  la  refuse  jamais  à  ceux  qui  s'en 
rendent  dignes,  en  la  désirant,  en  la  sollicitant,  en  la  recher- 
chant, en  y  coopérant. 

Reconnaissons  que  c'est  un  trait  de  la  sagesse  et  de  la  bonté 
divine  d'avoir  fait  de  la  foi,  en  même  temps  qu'une  vertu,  une 
grâce  qui  en  facilite  l'exercice.  La  foi  nous  présente  deux  sortes  de 
vérités,  les  unes  spéculatives,  qu'elle  nous  oblige  à  croire,  les 
autres  pratiques  qu'elle  nous  ordonne  d'observer.  Mais,  parmi  les 
premières,  il  y  en  a  qui  surpassent  la  portée  de  notre  intelligence; 
entre  les  secondes,  beaucoup  contrarient  nos  inclinations.  L'intel- 
lect se  soumet  difficilement  à  croire  ce  qu'il  ne  peut  comprendre  : 
la  volonté  a  peine  à  pratiquer  ce  qui  lui  est  désagréable.  Mais  la 
grâce  de  la  foi  allège  ce  que  le  principe  de  la  foi  peut  avoir  d'o- 
néreux. Elle  fortifie  la  raison  contre  les  doutes,  et  la  volonté 
contre  les  séductions.  Elle  convainc  l'une,  et,  dans  la  révélation 
divine  qu'elle  fait  retentir  à  ses  oreilles  ,  lui  montre  un  motif  évi- 
dent de  croire  même  les  dogmes  incompréhensibles.  Elle  aide 
l'autre,  et,  dans  ses  promesses  et  ses  menaces  de  l'autre  vie,  lui 
apporte  un  secours  puissant  pour  la  faire  triompher  de  ses  répu- 


gnances. 


Ce  n'est  que  de  Dieu ,  qui  seul  se  connaît  lui-même,  que  l'homme 
peut  recevoir  des  connaissances  certaines  sur  cet  être  infini.  Elles 
lui  sont  pour  l'ordinaire  communiquées  par  des  hommes  ;  mais 
c'est  de  Dieu  qu'elles  viennent  primitivement  :  et  dans  la  voix  de 
l'homme  le  chrétien  reconnaît  et  adore  la  parole  de  Dieu  qui  lui 
est  transmise.  Que  l'hérétique  ne  nous  reproche  donc  plus  d'attri- 
buer à  des  hommes  l'infaillibilité  que  nous  reconnaissons  dans 
l'Église  enseignante.  Ce  n'est  pas  des  hommes  qui  prononcent 
les  définitions  doctrinales  que  nous  révérons  les  vérités  irréfraga- 
bles :  c'est  de  l'Esprit-Saint  dont  ils  sont  les  organes,  et  qui  par 
ses  inspirations  les  préserve  de  toute  erreur.  C'est  de  Jésus-Christ, 
qui  a  promis  au  corps  de  ses  Apôtres,  réuni  à  son  chef,  d'être  avec 
eux  tous  les  jours  jusqu'à  la  consommation  des  siècles.  Les  vérités 
qu'ont  transmises  à  l'Eglise  les  écrivains  sacrés,  et  que  l'Eglise 
présente  avec  autorité  à  notre  foi,  sont  un  extrait  de  la  science 
divine.  Lors  donc  que  le  fidèle  soumet  à  la  révélation  divine  son 
entendement,  et  se  pénètre  de  l'intime  persuasion  des  vérités  qu'il 
ne  comprend  pas,  il  laisse  une  lueur  faible  s'effacer  devant  une 
vive  lumière  :  il  quitte  un  guide  incertain  ,  pour  suivre  un  conduc- 
teur impertubable  :  il  abandonne  une  règle  douteuse,  pour  s'at- 
tacher à  une  loi  indéfectible  ;  il  préfère  à  ses  idées  trompeuses  un 


DES    PIIÉD1CATEURS.  1QJ 

oracle  infaillible  :  il  substitue  la  raison  de  Dieu  à  sa  raison ,  la  con- 
naissance de  Dieu  à  sa  connaissance,  le  jugement  de  Dieu  à  son 
jugement. 

Appuyé  sur  cette  base  immuable  de  la  parole  divine ,  la  foi  du 
chrétien  est  inébranlable  comme  elle.  Dieu  a  parlé  :  que  toute  in- 
certitude s'évanouisse ,  que  toute  curiosité  se  réprime ,  que  tout 
préjugé  se  dissipe,  que  toute  passion  se  réforme,  que  tout  raison- 
nement se  taise,  que  toute  intelligence  s'abaisse  et  se  soumette 
humblement  au  joug  de  la  foi.  Quelle  évidence  plus  grande  que  ce 
qu'enseigne  l'auteur  de  toute  évidence  ?  Telle  fut  l'imperturbable 
foi  du  grand  Patriarche,  le  père  des  croyans,  qui,  se  confiant  sur 
les  promesses  divines  plus  que  sur  les  lumières  de  sa  propre  raison, 
espéra  contre  tout  motif  humain  d'espérer.  Telle  a  été  la  foi  de 
tout  ce  qui  a  existé  de  saints,  de  ces  génies  profonds,  de  ces  per- 
sonnages si  savans  que  nous  présentent  les  fastes  de  la  religion. 
Tout  ce  qui  n'a  pas  ce  caractère  d'une  inaltérable  fermeté  n'est 
pas  digne  d'être  appelé  la  foi  chrétienne. 

11  est  donc  aussi  insensé  que  coupable  cet  orgueil  quia  l'effron- 
terie  de  se  décorer  du  nom  de  philosophie  ;  qui  dédaigne  les 
dogmes  qu'il  devrait  adorer;  qui,  loin  de  se  soumettre  à  l'ensei- 
gnement divin,  a  la  prétention  d'assujétir  l'enseignement  divin  à 
ses  jugemens;  qui  ose  demandera  Dieu  le  comment  de  ses  révéla- 
tions, le  pourquoi  de  ses  préceptes;  qui  s'arroge  le  pouvoir  de 
mesurer  la  grandeur  de  l'Etre  infini  sur  ses  courtes  pensées;  et  qui 
déclare  fastueusement  impossible  tout  ce  que  son  étroite  compré- 
hension ne  peut  contenir.  Quelle  extravagance  de  vouloir  que  les 
dogmes  d'une  Religion  divine  soient  proportionnés  à  l'intelligence 
humaine!  Dans  le  monde  physique  que  Dieu  abandonne  à  nos  dis- 
putes ,  nous  rencontrons  à  chaque  pas  des  mystères.  Ce  que  nous 
voyons,  ce  que  nous  touchons,  souvent  nous  ne  le  comprenons 
pas.  Nous  ne  pouvons  ni  douter  de  l'existence  des  choses  naturel- 
les ,  ni  savoir  comment  elles  existent:  et,  par  une  inconséquence 
frappante,  les  plus  inaccessibles  à  notre  raison,  les  choses  de  Dieu, 
les  vérités  qu'il  nous  révèle,  nous  les  rejetons  sur  le  fondement 
unique  que  nous  ignorons  comment  elles  peuvent  être.  Dieu  se- 
rait-il infini  si  nous  pouvions  le  connaître  pleinement  ?  Il  en  est 
à  cet  égard  de  notre  foi  comme  de  notre  raison.  Dieu  a  posé  des 
bornes  à  la  raison  pour  qu'elle  fût]  réservée  :  il  a  laissé  des  obscu- 
rités dans  la  foi  pour  qu'elle  fût  soumise.  Mais  sa  bienfaisante  sa- 
gesse a  donné  à  celle-là  une  étendue,  à  celle-ci  une  clarté  suffi- 
sante pour  nos  besoins.  Elle  ne  produit  rien  de  superflu;  elle  ac- 


igS  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

corde  tout  l'utile.  Et  la  raison,  et  la  foi,  nous  découvrent ,  cha- 
cune dans  leur  ordre ,  tout  ce  qu'il  nous  importe  de  savoir.  De 
quel  avantage  nous  seraient  les  connaissances  naturelles  auxquel- 
les la  raison  ne  peut  atteindre  ?  Quel  bien  nous  reviendrait  de  voir 
clairement  les  vérités  sacrées  que  la  foi  nous  cache?  Ainsi  la  foi  est 
obscure ,  et  elle  doit  l'être.  Elle  est  obscure  en  ce  qu  elle  ne  dis- 
sipe pas  les  nuages  dont  Dieu  environne  son  trône.  Elle  est  obscure 
de  même  que  la  mer  paraît  noire  à  raison  de  son  immense  profon- 
deur. Elle  est  obscure  ;  mais  ses  ténèbres  conviennent  à  son  état 
présent.  Sans  cette  obscurité  ,  quel  mérite  aurait  notre  croyance  ? 
Elle  est  obscure  ;  mais  les  abîmes  de  l'incrédulité  sont  plus  impé-  j 
nétrables  encore.  Elle  ne  peut  rejeter  nos  incompréhensibilités 
qu'en  se  jetant  dans  des  contradictions.  Elle  est  obscure,  mais 
seulement  dans  ses  objets.  Que  nous  importe  que  ses  dogmes  soient 
incompréhensibles,  s'ils  nous  sont  rendus  certains?  Dieu  veut 
une  soumission  qui  croie  ,  et  non  une  curiosité  qui  examine.  Il 
nous  présente  ses  vérités  à  croire,  et  son  être  à  adorer.  Notre 
œil  n'a  qu'un  horizon  restreint  dans  lequel  sa  vue  puisse  s'étendre. 
Au  delà  des  limites  que  lui  assigna  la  main  qui  le  créait ,  ses  re- 
gards ne  peuvent  atteindre.  Il  voit  nettement  les  objets  que  le 
soleil  éclaire;  mais,  trop  faible  pour  fixer  cet  astre,  il  ne  peut  sou- 
tenir ses  rayons  étincelans.  Nous  voyons  de  même  clairement  les 
objets  sur  lesquels  le  soleil  de  vérité  répand  sa  vive  clarté.  Mais  si 
nous  entreprenons  de  le  contempler  lui-même,  nous  serons  aussi- 
tôt éblouis  de  son  éclat.  Plus  la  raison  est  éclairée  ,  plus  elle  sent 
la  nécessité,  plus  elle  reconnaît  l'obligation  de  se  soumettre  à  la 
foi.  Ses  lumières  lui  découvrent  les  bornes  qu'elle  respecte,  et 
qu'elle  n'entreprend  pas  de  franchir.  L'aveugle  incrédulité  court 
imprudemment  se  heurter  contre  ses  bornes  sacrées  que  ses  efforts 
impuissans  ne  lui  feront  jamais  outre-passer. 

A  son  inébranlable  fermeté  notre  foi  doit  joindre  une  autre  qua- 
lité essentielle  :  c'est  une  profonde  humilité.  Si  la  foi  est  la  base  du 
Christianisme,  l'humilité  est  la  base  de  la  foi.  Recherchez  le  prin- 
cipe de  toutes  les  hérésies  qui  dans  les  divers  siècles  ont  divisé 
l'Eglise,  et  de  l'erreur  bien  plus  funeste  qui  la  désole  encore  de 
nos  jours  :  partout  vous  trouverez  l'orgueil.  Des  hommes  pré- 
somptueux ont  prétendu  élever  l'édifice  de  leur  croyance  sur  leurs 
vaines  idées  ;  et  le  bâtiment,  dénué  du  fondement  qui  seul  pouvait 
le  soutenir,  s'est  écroulé  sur  eux.  Jésus-Christ  l'a  positivement 
déclaré  :  ceux-là  sont  incapables  d'avoir  la  foi ,  qui  recherchent , 
non  la  gloire  que  Dieu  distribue,  mais  celle  qui  vient  des  hommes. 


DES    PRÉDICATEURS.  IQr) 

Il  plaît  au  Père  céleste,  maître  du  ciel  et  de  la  terre,  de  cacher 
ses  mystères  aux  sages  et  aux  prudeus  du  siècle,  et  de  les  révéler 
aux  petits.  La  foi,  nous  l'avons  vu,  est  une  grâce;  mais  c'est  aux 
humbles  que  Dieu  accorde  ses  grâces  :  il  résiste  aux  superbes.  La 
foi,  nous  venons  de  le  voir  encore,  exige  une  docilité  entière  de 
l'intellect  pour  ce  qu'elle  enseigne,  une  soumission  passive  de  la 
volonté  à  ce.  qu'elle  prescrit.  Qui  pourra,  sans  une  sincère  humi- 
lité, remplir  ses  devoirs  essentiels?  Considérez  un  centurion  ido- 
lâtre, une  Chananéenne  infidèle,  transportant  par  leur  humilité,- 
aux  nations,  le  don  de  la  foi,  dont  l'orgueil  des  prêtres,  des  scribes, 
des  pharisiens,  dépouillait  la  Synagogue.  Entre  la  foi  et  l'humilité 
il  y  a  une  relation  ,  une  correspondance  intime.  Il  ne  peut  y  avoir 
ni  foi  solide  sans  humilité,  ni  véritable  humilité  sans  foi.  L'humi- 
lité donne  à  la  foison  prix,  et  la  foi  à  l'humilité  son  mérite.  L'hu- 
milité fait  la  grandeur  de  la  foi,  et  la  foi  la  perfection  de  l'hu- 
milité. 

La  nécessité  de  la  foi  pour  le  salut  est  une  de  ces  vérités  si  clai- 
rement établies,  si  souvent  répétées  dans  les  livres  saints,  qu'il 
faut  renoncer  à  être  chrétien  pour  en  douter.  Le  réparateur  du 
péché  n'était  pas  encore  donné  au  monde,  que  déjà  il  était  indis- 
pensable de  croire  en  lui  pour  être  sauvé.  Le  Juif  ne  pouvait  obte- 
nir les  récompenses  éternelles  que  par  sa  ferme  confiance  dans  les 
promesses  qui  annonçaient  au'' genre  humain  son  Rédempteur. 
Depuis  que,  descendu  du  ciel,  et  revêtu  delà  nature  humaine,  le 
Verbe  éternel  a  réalisé  les  oracles  qui  l'avaient  prédit,  ce  devoir 
sacré  est  devenu  plus  strict  encore.  Cette  foi  certaine  et  inébran- 
lable dans  le  divin  Sauveur,  qui  fut,  et  qui  sera  toujours  le  moyen 
absolument  nécessaire  du  salut ,  en  est  encore  le  moyen  le  plus 
efficace.  En  nous  montrant  notre  terme,  en  éclairant  la  route  qui 
y  conduit,  elle  nous  y  pousse  et  nous  le  fait  atteindre. 

Mais  quelle  est  cette  loi  si  positivement,  si  absolument  com- 
mandée ?  Quelles  sont  les  vérités  que  "sous  peine  de  damnation 
tout  Chrétien  est  obligé  de  professer?  Cette  question,  pour  être 
éclaircie,  exige  des  distinctions  entre  les  choses  que  l'on  doit 
croire,  entre  les  personnes  qui  doivent  croire,  entre  les  manières 
dont  on  doit  croire. 

Le  précepte  de  la  foi  est  de  deux  genres,  l'un  positif,  l'autre 
négatif.  Le  premier  nous  astreint  à  croire  fermement  tout  ce  qui 
est  révélé  par  Dieu,  et  défini  par  son  Eglise;  le  second  nous  dé- 
fend de  nier  ou  de  révoquer  en  doute  aucune  des  vérités  révélées 
ou  définies.  Le  second  de  ces  préceptes  est  général  et  absolu.  Tout 


200  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

homme  qui  sciemment  combat  un  article  de  foi ,  par  cela  seul  re- 
nie sa  foi,  se  sépare  de  l'Église,  est  exclus  du  salut.  Quant  au  pré- 
cepte affirmatif ,  il  souffre  quelques  exceptions  qu'il  est  important 
d'expliquer. 

On  peut  croire  les  dogmes  sacrés  de  deux  manières:  ou  pro- 
fesser distinctement  chaque  dogme  en  particulier,  ce  que  les  théo- 
logiens appellent  la  foi  explicite;  ou  avoir  une  croyance  générale 
de  tout  ce  que  l'Église  enseigne,  avec  une  disposition  précise  à 
croire  nommément  et  en  particulier  chacune  des  vérités  que  l'E- 
glise croit  et  décide  :  cette  croyance  est  appelée  par  les  docteurs 
la  foi  implicite.  Tout  homme  est  tenu  de  croire  nommément  et  ex- 
plicitement les  articles  de  foi  dont  il  est  instruit.  Tout  chrétien 
est  strictement  obligé  à  connaître  les  vérités  contenues  au  sym- 
bole des  Apôtres,  et  ce  qui  concerne  les  sacremens,  les  comman- 
demens  de  Dieu  et  de  l'Église.  C'est  donc  un  devoir  général,  et 
qui  ne  souffre  pas  d'exception  ,  de  croire  distinctement,  positive- 
ment ,  explicitement  ces  points  principaux  et  fondamentaux  de  la 
catholicité.  Mais,  outre  ces  vérités  qu'il  est  ordonné  à  tout  chré- 
tien de  savoir  et  de  croire,  il  en  est  d'autres  également  certaines , 
pareillement  définies  par  l'Eglise  dans  les  difrerens  siècles ,  que 
les  hommes  plus  simples  et  moins  instruits  peuvent  légitimement 
ignorer.  Tout  fidèle  n'est  pas  obligé  d'être  théologien.  Ces  dogmes 
sont  implicitement  renfermés  dans  celui  de  l'infaillibilité  de  l'Eglise. 
Il  suffit  à  celui  qui  n'en  est  pas  positivement  instruit  de  les  renfer- 
mer dans  l'irréfragable  autorité  de  l'Eglise  catholique.  Telle  est 
en  conséquence  la  règle:  croire  distinctement,  etd'une  foi  explicite, 
toutes  les  vérités  que  l'on  connaît,  ou  que  l'on  doit  connaître  ; 
croire  en  général,  et  d'une  foi  implicite  ,  celles  dont  on  n'a  pas  et 
dont  on  n'est  pas  obligé  d'avoir  une  notion  positive.  La  mesure 
d'instruction  de  chaque  individu  est  la  mesure  du  degré  implicite 
ou  explicite  de  sa  foi. 

De  tous  les  bienfaits  dont  la  munificence  divine  nous  a  gratifiés, 
le  plus  précieux,  le  plus  utile,  celui  qui  donne  du  prix  à  tous  les 
autres,  est  le  don  de  la  foi.  Sans  la  foi  les  fruits  de  la  rédemption 
sont  perdus  pour  nous  ;  le  sang  de  Jésus-Christ  nous  devient  inu- 
tile. Sans  la  foi,  qu'est-ce  même  que  notre  existence,  qui  ne  nous 
mène  plus  au  bonheur  éternel  ?  Mais  que  d'avantages  ne  nous  ap- 
porte pas ,  même  dès  la  vie  présente  ,  cette  admirable  vertu  !  Les 
sciences  humaines  s'acquièrent  lentement,  péniblement,  et  sont 
presque  toutes  mêlées  d'incertitudes.  En  un  mot,  la  foi  remplit 
notre  esprit  d'une  multitude  de  connaissances,  toutes  sublimes, 


DES    PAÉDIC,VT£URS.  201 

toutes  certaines.  Considérez  ce  que  connaissaient  de  Dieu,  ce  que 
possédaient  de  principes  moraux  les  peuples  que  la  foi  n'avait 
pas  instruits.  Comparez  la  théologie,  la  morale  des  plus  beaux 
génies  de  l'antiquité  avec  les  enseignemens  de  notre  religion.  Le 
plus  simple  catéchisme  renferme  plus  de  vérités  que  tous  les  vo- 
lumineux écrits  de  ces  hommes  si  vantés.  Le  paysan  le  plus  gros- 
sier parmi  nous  a,  sur  Dieu  et  sur  ses  propres  devoirs,  des  no- 
tions plus  étendues,  plus  exactes,  plus  certaines',  que  n'avaient 
les  plus  profonds  philosophes.  Ainsi  agit  dans  divers  ouvrages), 
dans  la  création  et  dans  la  religion  ,  l'auteur  de  l'une  et  de  l'autre. 
La  voix  toute-puissanle,  qui  d'un  mot  fit  éclore  la  lumière  et  la 
répandit  dans  l'univers  ,  est  la  même  qui  la  fait  naître  et  briller 
dans  nos  esprits. 

La  foi  est  cette  sagesse  par  laquelle  Salomon  reconnaissait  qu'il 
lui  était  venu  toute  sorte  de  biens.  En  tranchant  tout  raisonne- 
ment ,  en  levant  toute  difficulté,  en  dissipant  tout  doute,  elle  met 
nos  esprits  dans  un  calme  profond.  Appuyée  sur  la  véracité  divine, 
ma  raison  se  repose  dans  une  entière  sécurité.  Elle  ne  craint  plus 
les  illusions  qu'elle  est  si  sujette  à  se  faire,  les  erreurs  dans  les- 
quelles elle  est  si  fréquemment  tombée.  Il  n'y  a  pas  une  circon- 
stance de  ma  vie  où  je  néprouvel'influence  bienfaisante  de  ma  foi. 
La  prospérité  m'accueille-t-elle,  elle  me  modère.  L'adversité  vient- 
elle  fondre  sur  moi?  elle  me  soutient.  Si  je  suis  dans  la  richesse  , 
elle  me  rend  charitable.  Si  j'éprouve  la  pauvreté,  elle  me  rend 
soumis.  Au  milieu  des  honneurs,  elle  me  préserve  de  l'orgueil,  et 
de  l'abjection  parmi  les  opprobres.  Elle  me  console  dans  les  dou- 
leurs, me  soulage  dans  les  maladies.  De  tous  les  biens,  de  tous 
les  maux  de  cette  vie,  elle  me  fait  des  moyens  de  salut.  En  m'élevant 
au  dessus  des  événemens ,  elle  me  les  montre  sous  leur  vrai  point 
de  vue,  et  me  met  hors  de  leur  atteinte.  En  donnant  toutes  les 
vertus  ,  elle  les  épure,  parce  qu'elle  en  ôte  la  prétention,  et  étouffe 
le  désir  de  s'en  faire  honneur  devant  les  hommes.  Tout  est  pos- 
sible à  celui  qui  croit,  disait  le  Sauveur  du  monde.  C'est  la  foi  du 
centurion,  de  la  Chananéenne,  de  l'hémorhoïsse,  de  l'aveugle  de 
Jéricho  ,  des  porteurs  du  paralytique,  qui  obtient  de  lui  des  gué- 
risons  miraculeuses.  C'est  la  foi  de  Marthe,  qui  méritera  résur- 
rection de  Lazare.  Lorsqu'il  accorde  à  ses  disciples  le  don  des 
miracles ,  c'est  encore  à  leur  foi  qu'il  l'attache. 

Mais  ces  biens,  qui  appartiennent  à  la  terre,  sont  les  moindres 
bienfaits  de  la  foi.  Cette  vertu  est  descendue  du  ciel  pour  nous  y 
conduire.  Si  nous  y  sommes  fidèles,   elle  nous  y  portera,  et  ne 


202  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

nous  quittera  qu'après  nous  avoir  introduits  clans  ce  sanctuaire 
éternel.  Celui  qui  croiten  moi,  dit  le  divin  Maître,  et  il  le  répète 
plusieurs  fois  ,  possède  la  vie  éternelle  :  et  il  nous  fait  répéter  par 
son  Apôtre  que  ,  si  nous  le  confessons  de  bouche ,  et  si  nous 
croyons  du  fond  du  |cœur  que  Dieu  l'a  ressuscité,  nous  serons 
sauvés.  Il  semblerait  qu'il  n'y  a  dans  le  christianisme  d'autre  vertu 
que  la  foi  ;  qu'il  n'y  a  pour  être  sauvé  d'autre  condition  que  d'a- 
voir la  foi.  Gardons-nous  cependant  de  tomber  dans  cette  erreur. 
La  foi  seule  peut  nous  sauver;  mais  elle  ne  peut  pas  nous  sauver 
seule.  Elle  est  le  fondement  des  vertus  chrétiennes  ;  mais  sur  ce 
fondement  il  faut  élever  l'édifice.  Le  vaisseau  qui  porte  les  navi- 
gateurs peut  seul  les  sauver  au  milieu  des  tempêtes  et  des  écueils; 
mais  il  ne  les  sauve  que  parce  qu'ils  emploient  leur  art  et  leurs 
forces.  Ainsi  la  foi  nous  est  nécessaire;  mais  elle  devient  inutile  si 
elle  n'est  pas  accompagnée  des  œuvres.  Entre  la  foi  et  les  œuvres  il 
y  a  une  correspondance  intime.  Ce  fut  une  erreur  des  anciens  hé- 
rétiques ,  renouvelée  par  les  hérésies  du  seizième  siècle ,  que  la  foi 
justifie  sans  les  œuvres.  C'est  une  autre  erreur  également  dange- 
reuse ,  soutenue  par  les  pélagiens,  et  victorieusement  réfutée  par 
saint  Augustin,  que  les  œuvres  sont  le  principe  unique  de  l'élection 
des  uns  de  préférence  aux  autres.  Entre  ces  hérésies  opposées , 
nous  marchons  d'un  pas  assuré ,  éclairés  par  l'Ecriture  et  la  tradi- 
tion ,  et  guidés  par  l'Église.  La  foi  est  nécessaire  aux  œuvres,  et  les 
œuvres  à  la  foi.  Les  œuvres  rendent  la  foi  salutaire,  et  la  foi  rend 
les  œuvres  méritoires.  Sans  les  œuvres  la  foi  est  stérile;  sans  la  foi 
les  œuvres  sonfinefficaces.  Plus  la  foi  est  vive ,  plus  les  bonnes  œu- 
vres sont  abondantes  :  et  réciproquement  l'abondance  des  bonnes 
œuvres  augmente  la  vivacité  de  la  foi.  Quand  la  foi  languit ,  les 
œuvres  se  ralentissent  ;  et  l'interruption  des  œuvres  rend  la  foi 
languissante.  (  Le  C.  de  La  Luzerne  ,  Considérations  sur  divers 
points  de  la  morale  chrétienne.} 


DES  PRÉDICATEURS.  203 


DIVERS  TASSAGES  DE  L'ÉCRITURE  SUR  LA  FOL 

Scrutator  majestatis  opprimetur  a  gloria. 

Celui  qui  veut  sonder  la   majesté   sera    accablé   de   sa   gloire. 
(Prou.,  25,  27.) 

Justus  in  fuie  sua  vivet. 

Le  juste  vivra  de  sa  foi.  (Habac,  2,  40 

Qui  crédit  Deo ,  attendit  mandat is. 

Celui  qui  croit  à  Dieu  estattentifjà  ce  qu'il  lui  ordonne.  (Eccli., 
32,  28.) 

Qui  incredulus  est  non  erit  recta  anima  ejus  in  semetipso. 

Celui  qui  est  incrédule  n'a  pas  lame  droite.  (Habac. y  2  ,  \. 

Filius  Hominls  veniens ,  putas  ne  iiweniet fidemin  terra? 

Lorsque  le  Fils  de  l'Hommeviendra ,  pensez-vous  qu'il  trouve  de 
la  foi  sur  la  terre/3  (Luc,  18,  8.) 

Qui  non  crédit,  jamjudicat us  est. 

Celui  qui  ne  croit  point   est  déjà  jugé.  (Joan.,  3,  18.) 

Justus  autem  exfide  vivit. 

Le  juste  vit  de  la  foi.  (Rom.,  1,  17.) 

Vosmetipsos  tentate  si  estis  injide;  ipsi  vos  probate. 

Examinez-vous  vous-mêmes  pour  savoir  si  vous  avez  de  la  foî, 
éprouvez-vous  vous-mêmes.  (IL  Cor.,  i3,  5.) 

Ostende  mihi  fidem  tuam  sine  operibus,  et  ego  ostendam  tibi  ex 
operibusjidem  meam. 

Montrez-moi  votre  foi  qui  est  sans  œuvres ,  et  moi  je  vous  rr  on 
trerai  ma  foi  par  mes  œuvres.  (Jac,  2.   18.) 

Fides  sine  operibus  mortua  est. 

La  foi  sans  les  œuvres  est  morte.  (Ibid.,  20.) 

Fides,  si  non  habeat  opéra ,  mortua  est  in  semetipsa. 

La  foi  qui  n'a  pas  les  œuvres  est  morte  en  elle-même.  (/£,,  17.") 

Confitentur  se  nosse  Deum;factis  autem  negant. 

Ils  font   profession  de  connaître  Dieu  ,  mais  ils  le  renoncent 
par  leurs  œuvres.  (Ad  Tit.,  1 ,  16.) 

Videtis  quoniam  ex  operibus  justificatur  homo}   non  ex  fide 
tantum. 

Vous  voyez  que  l'homme  est  justifié  par  les  œuvres,  et  non  par 
la  foi  seulement,  (Jac.)  20,  24.) 


204  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 


PLAN  ET  OBJET  DU  PREMIER  DISCOURS 
SUR  LA  FOI. 

EXORDE. 

Expandit  nubem  in  protcctionem  eorum,  et  iynem  ut  luceret  eis  per  noctem. 

Il  fit  paraître  un  nuage  pour  les  protéger,  et  une  lumière  pour  les  éclairer  dans  les 

ténèbres.  (Ps.  civ,  39.) 

Telle  est  limage  de  notre  foi.  Ce  prodige  éclatant,  dont  fut  té- 
moin le  peuple  hébreux  dans  le  désert ,  nous  retrace  parfaitement 
les  deux  rapports  qui  la  caractérisent,  son  obscurité  et  sa  lumière. 
Elle  est  obscure ,  parce  qu'elle  a  Dieu  pour  objet;  lumineuse,  parce 
qu'elle  est  donnée  à  l'homme  ;  obscure,  parce  que  Dieu  est  grand; 
lumineuse,  parce  qu'il  est  juste;  obscure, parce  que  l'homme  est 
borné;  lumineuse,  parce  qu'il  est  raisonnable  ^obscure,  pour  ne  point 
la  confondre  avec  les  vérités  qui  tombent  sous  les  sens  ;  lumi- 
neuse, pour  la  distinguer  de  l'erreur  ;  obscure  enfin,  parce  qu'elle 
doit  nous  soumettre;  et  lumineuse,  parce  qu'elle  doit  nous  con- 
duire. Ainsi ,  ne  séparant  point  ces  deux  idées  que  renferme  mon 
texte,  j'exposerai  les  ténèbres  de  la  foi ,  les  lumières  de  la  foi.  Ave1 
Maria.  (M.  de  Boulogne,  Sur  la  fol.) 

Nécessité  des  ténèbres  de  la  foi,  fondées  sur  la  grandeur  de  Dieu. 

Que  Dieu  soit  incompréhensible ,  c'est  une  vérité  dont  nous 
sommes  tous  invinciblement  pénétrés.  En  vain  notre  raison  ,  ou- 
bliant quelquefois  son  ignorance  et  sa  faiblesse,  veut  s'efforcer 
de  s'élever  jusqu'à  lui;  nous  sentons  alors,  pour  ainsi  dire,  une 
main  invisible  qui  nous  repousse,  et  nous  fait  rentrer  avec  humi- 
liation dans  notre  néant.  Aussi  l'esprit  humain,  toujours  audacieux 
dans  ses  prétentions,  n'a  jamais  cru,  de  bonne  foi,  qu'il  fut  capable 
de  mesurer,  par  sa  pensée,  le  vaste  abîme  qui  se  trouve  entre  lui 
et  Dieu  ;  un  orgueil  plus  subtil  nous  séduit  et  nous  abuse.  Nous 
n'osons  point  pénétrer  son  essence,  mais  nous  voulons  contrôler 
ses  desseins  ;  nous  respectons  ses  attributs ,  mais  les  mystères  qu'il 


DES    PnÉDICATEURS.  20& 

propose  trouvent  en  nous  des  rebelles;  nous  nous  soumettons 
aveuglement,  lorsqu'en  maître  absolu  il  dispose  des  biens  et  des 
maux  de  la  vie  et  de  la  mort;  mais  nous  prétendons  que  son  do- 
maine souverain  ne  s'étend  point  sur  nos  pense'es  : 'insensés  !  comme 
si  en  Dieu  tout  n'était  pas  la  même  chose  que  sa  nature;  et  que, 
par  conse'quent,  ses  desseins  ,  ses  volontés  ,  les  mystères  qu'il  nous 
révèle,  ne  dussent  pas  être  aussi  incompréhensibles  que  lui-même  • 
comme  s'il  pouvait  y  avoir  devant  lui,  dit  saint  Paul,  des  sages 
et  des  docteurs;  comme  s'il  n'était  pas  de  sa  majesté  de  régner 
sur  nos  esprits  autant  que  sur  nos  corps,  ou  que,  lorsqu'il  daigne 
s'abaisser  jusqu'à  nous  pour  nous  instruire,  il  dût  cesser  d'être 
souverainement  grand,  et  nous  infiniment  petits. 

Je  vous  l'avoue  ici,  Messieurs ,  rien  ne  m'a  tant  frappé  dans  cette 
matière  ,  que  le  contraste  étonnant  de  la  grandeur  de  Dieu  avec 
la  faiblesse  de  l'homme;  et  lorsque,  donnant  l'essor  à  mon  imagina- 
tion, je  m'élève  par  la  pensée,  autant  que  mon  infirmité  peut  le 
permettre,  dans  cette  région  intellectuelle,  où  la  Divinité  se  dé- 
couvre à  l'esprit  humain  avec  de  si  nobles  attraits;  quand  je  con- 
temple cet  assemblage  majestueux  des  perfections  qui  la  décorent, 
cette  gloire  éblouissante,  cette  toute-puissance  qui,  d'une  parole 
enfanla  l'univers,  et  qui,  d'un  souille  doit  le  réduire  en  poudre; 
lorsqu'ensuite ,  entraîné  par  le  poids  de  la  matière,  forcé  d'inter- 
rompre une  spéculation  délicieuse,  je  reviens  à  regret  sur  la  terre 
pour  ramper  avec  mes  semblables;  et  qu'encore,  tout  'pénétré  de 
la  grandeur  de  Dieu,  tout  ébloui  de  sa  magnificence,  j'aperçois 
ce  globe  fragile  que  j'habite,  pétri  de  boue  ,  habité  par  l'erreur  et 
ses  tristes  chimères,  environné  de  ténèbres,  égaré,  confondu 
comme  un  atome  imperceptible  dans  l'immensité  de  l'univers  ; 
quand  je  vois,  dans  un  coin  dece  globe,  un  vil  insecte  couvert  de 
poussière,  misérable  jouet  de  la  nature,  destiné  à  la  corruption 
enveloppé  dans  la  nuit  des  sens,  dégradé  par  des  passions  humi- 
liantes; un  vain  fantôme  d'un  moment  qui  ne  fait  que  se  montrer 
à  la  terre  et  disparaître,  ignorant  jusqu'à  la  nature  de  l'air  qu'il 
respire  ,  du  sol  qui  le  nourrit,  de  l'herbe  qu'il  foule  aux  pieds 
plus  voisin  du  néant  que  de  l'être,  un  homme  enfin,  puisqu'il  faut 
le  nommer  ;  lors,  dis-je,  que  je  vois  cet  homme,  du  fond  de  son 
bourbier,  lever  insolemment  sa  tête  altière,  interroger  le  maître 
du  tonnerre  et  lui  demander  raison  de  ses  desseins;  interdit,  épou- 
vanté à  la  vue  de  tant  d'orgueil  réuni  avec  tant  de  misère,  je  ne 
sais  ce  qui  s'offre  à  mes  yeux  de  plus  insupportable,  ou  l'excès  de 
l'audace,  ou  l'excès  du  ridicule. 


206  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

O  vous,  qui  réclamez  sans  cesse  les  droits  fastueux  d'une  raison 
superbe,  vous  qui  regardez  comme  indigne  d'elle  ce  qui  n'est  point 
marqué  au  sceau  de  l'évidence,  vous  qui  prétendez  que  l'infini  doit 
se  mettre  au  niveau  de  votre  petitesse ,  et  concentrer  ses  vastes 
desseins  dans  le  cercle  étroit  de  vos  idées,  quels  seraient  vos  sen- 
îimens  si  Dieu  daignait  lui-même  vous  instruire  en  personne,  et 
vous  annoncer  ici  les  mêmes  vérités  qui  font  murmurer  votre  or- 
gueil ?  Je  suppose  qu'il  parût  en  ce  moment  au  milieu  de  vous, 
qu'il  vînt  prendre  ma  place,  et  qu'armé  de  sa  foudre,  resplendis- 
sant de  gloire,  il  fît  entendre  dans  ce  temple  cette  voix  puissante 
qui  féconda  le  néant,  cette  voix  magnifique  et  terrible  qui  brise 
les  cèdres,  ébranle  la  terre,  retentit  jusqu'au  fond  des  abîmes,  et 
qu'il  vous  dît,  avec  cet  air  de  majesté  qui  convient  au  maître  du 
monde  :  Vils  mortels,  soumettez-vous, croyez,  parce  que  c'est  moi 
qui  parle,  quia  verbum  ego  locutus  sum  l ,  qui  de  vous,  je  ne  dis 
pas  aurait  assez  d'audace ,  mais  se  croirait  en  droit  de  répondre  : 
Non,  je  ne  puis  obéir;  car,  ce  que  vous  m'annoncez  surpasse  ma 
faible  intelligence?  Ah!  bien  loin  de  concevoir  une  pareille  idée,  le 
silence  de  l'admiration  et  du  respect  régnerait  dans  tout  cet  audi- 
toire; un  saint  frémissement,  une  crainte  religieuse  s'emparerait 
de  tous  les  cœurs;  chacun  de  nous,  abîmé  dans  son  néant,  s'écrie- 
rait comme  autrefois  le  peuple  d'Israël  :  Que  le  Seigneur  ne  nous 
parle  plus,  de  peur  que  nous  mourions*  :  tant  il  est  vrai,  Messieurs, 
que  ses  pensées  ne  sont  pas  nos  pensées,  que  ses  voies  ne  sont  pas 
nos  voies,  et  que  ses  conseils  sont'autant  au  dessus  de  nos  conseils 
que  le  ciel  est  au  dessus  de  la  terre!  Quand  Dieu  parle,  notre  raison 
n'a  point  de  droit  sur  l'évidence,  et  le  comble  du  délhVest  de  vou- 
loir que  le  terme  de  nos  connaissances  soit  le  terme  de  ses  volon- 
tés. (LE  MÊME.) 

Utilité  des  ténèbres  de  la  foi,  fondées  sur  la  sagesse  de  Dieu. 

Et  d'abord  ce  sont  les  ténèbres  delà  foi  qui  conservent  à  la  vérité 
la  souveraine  indépendance  qui  lui  est  essentielle.  Hélas!  nous 
naissons  faibles,  ignorans  et  mortels,  et  nous  imprimons  surtout 
ce  qui  nous  environne  le  caractère  de  nos  imperfections,  le  sceau 
de  notre  faiblesse,  et  l'image  de  notre  mortalité.  La  vérité  simple!, 
pure,  éternelle  dans  sa  source,  semble  devenir  mortelle  etpéris- 

jéréfty,  sxifiy,  5.  {%)  Exo(J.  xx,  19? 


DES    PREDICATEURS.  20J 

sable  par  la  contagion  de  notre  fragilité ,  si  la  foi  ne  vient  à  son 
secours.  Immuable  'en  elle-même,  elle  change  alors  par  rapport  à 
nous  :  livrée  au  néant  de  nos  pensées,  elle  suit  leur  marche  irré- 
gulière  et  flottante;  jouet  des  vicissitudes  humaines,  elle  s'abat 
et  se  relève  comme  les  empires,  s'épart  et  se  corrompt  comme  les 
mœurs,  s'éclipse  et  renaît  sous  cent  formes  nouvelles;  aujourd'hui 
sur  le  trône,  demain  forcée  à  se  cacher  et  à  rougir:  incertaine 
comme  nos  jugemens,  qui  varient  eux-mêmes  autant  que  nos  af- 
fections et  nos  humeurs;  victime  d'une  raison  qui  se  croit  née  pour 
être  souveraine,  et  qui  néanmoins  est  autant  partagée  dans  ses 
idées  que  notre  cœur  dans  ses  désirs  ,  d'une  raison  plus  féconde  en 
erreurs  que  nos  passions  en  crimes;  esclave  tout^à  la  fois  des  pré- 
jugés et  des  coutumes  ,  des  exemples  et  des  lois,  des  goûts  et  des 
temps,  des  impressions  anciennes  et  de  la  nouveauté,  de  l'éduca- 
tion et  de  l'habitude  ,  de  l'intérêt  et  des  circonstances,  du  tempé- 
rament et  de  lâge,  des  maladies  et  de  la  santé,  des  lieux  et  des 
climats  :  telle  est  la  vérité ,  mes  frères ,  si  elle  ne  se  sauve  dans  l'a- 
sile de  la  foi.  En  vain  notre  divin  législateur  nous  eût  conduits 
par  le  flambeau  de  l'évidence  ;  en  vain  nous  eût-il  rendu  sensibles 
les  mêmes  vérités  qui  nous  étonnent ,  elles  n'eussent  jamais  con- 
servé cette  indépendance  absolue  qui  les  caractérise  :  tel  est  l'or- 
gueil épouvantable  de  l'esprit  humain  ;  qu'il  se  plaît  même  à  se  rai- 
dir contre  l'ascendant  irrésistible  de  l'évidence.  Toujours  inquiet, 
toujours  présomptueux,  flexible  à  toutes  les  idées ,  inépuisable 
dans  ses'subtilités  ,  aimant  mieux  s'agiter  dans  ses  propres  chaînes 
que  de  goûter  la  douceur  du  repos,  toujours  errant  dans  la  vaste 
région  des  doutes ,  il  combat  ses  lumières  par  ses  lumières  mêmes. 
Dieu  existe,  ce  principe  est  aussi  lumineux  que  le  soleil  :  son  évi- 
dence nousTrappe,  nous  subjugue,  se  fait  jour  dans  notre  esprit 
par  tous  les  sens;  elle  nous  investit,  pour  ainsi  dire,  et  le  senti- 
ment, ce  juge  infaillible  que  rien  ne  séduit,  parle  en  sa  faveur 
encore  plus  haut  que  la  raison.  Cependant,  ô  infamie!  ô  oppro- 
bre éternel!  l'esprit  humain,  encore  plus  corrompu  que  superbe, 
a  tenté  plus  d'une  foi  d'altérer  cette  vérité,  et  d'étouffer  en  ce  point 
le  cri  delà  nature  par  toutes  les  souplesses  de  l'art.  Mortels  au- 
dacieux, cessez  d'en  appeler  à  l'évidence,  vous  n'en  seriez  pas  plus 
dociles;  la  vérité  toujours  battue  par  les  orages  de  l'opinion,  tou- 
jours emportée  par  le  tourbillon  de  vos  chimères,  ne  jouirait 
jamais  de  son^immutabilité  ;  et,  celle  qui  a  été  conçue  avant  les  abî- 
mes, celle  qui„es|;  de  tous  les  siècles,  serait,  par  rapporta  ypus. 
gusri  (DjmngeaiUô  (jue  1$  scène  dun^onde. 


2o8  NOUVELLE     BIBLIOTHEQUE 

Réfugiée  clans  les  ténèbres  de  la  foi,  la  vérité  ne  craint  point 
ces  humiliantes  vicissitudes  :  armée  de  ce  bouclier  impénétrable, 
elle  triomphe  sans  peine  de  toutes  les  inégalités  d'une  raison  ca- 
pricieuse. Je  la  vois  alors  régner  en  souveraine;  assise  sur  les  dé- 
bris des  empires;  recevant,  durant  toute  la  suite  des  siècles,  l'hom- 
mage uniforme  et  constant  de  l'univers;  du  haut  de  son  trône 
inaccessible,  contemplant  dans  un  repos  majestueux  le  cours  rapide 
des  âges  qui  emporte  tout,  et  le  torrent  inépuisable  des  opinions 
humaines;  conservant  toujours  son  ascendant  sur  les  hommes, 
toujours  au  dessus  de  l'erreur,  toujours  une,  simple,  immuable, 
indépendante,  comme  le  Dieu  dont  elle  émane. 

Ce  sont  les  ténèbres  delà  foi  qui  impriment,  à  la  vérité  ,  ce  ca- 
ractère de  grandeur  qui  la  rend  respectable,  et  la  distingue  glo- 
rieusement de  tous  lessentimens  humains.  Dès  que  sa  découverte 
sera  le  fruit  de  nos  lumières,  nous  la  regarderons  comme  un  bien 
qui  nous  est  propre, comme  l'ouvrage  de  notre  discernement;  nous 
ne  la  distinguerons  plus  de  ces  productions  frivoles,  et  de  ces  bril- 
lantes bagatelles  que  notre  imagination  enfante  en  se  jouant;  nous 
verrons  l'homme,  sur  la  même  vérité,  être  tour  à  tour,  ou  cré- 
dule jusqu'à  l'excès,  ou  opiniâtre  jusqu'à  l'impiété.  La  science  du 

salut  sera  pour  lors  confondue  avec  les  dons  de  la  nature  :  comme 

i 
les  sciences  profanes,  elle  aura   ses  ignorans    et  ses   philosophes. 

Ceux-ci,  remplis  d'eux-mêmes  ,  insulteront  fièrement  à  l'humble 
ignorance  des  autres.  Les  simples  auront  toujours  à  rougir  de  leurs 
propres  ténèbres;  mais  ce  voile  favorable,  dont  la  foi  s'enveloppe, 
fait  disparaître  cette  affligeante  inégalité  :  à  ses  yeux  tout  est  savant 
et  tout  est  peuple;  mêmes  mystères  pour  tous,  et  par  conséquent, 
plus  d'orgueil  dans  les  uns,  ni  de  honte  dans  les  autres  :  semblable 
à  une  bonne  mère  qui  ne  souffre  aucune  prééminence  parmi  ses 
enfans ,  et  n'a  de  prédilection  que  pour  le  plus  docile.  Sur  ce  prin- 
cipe aussi  juste  que  consolant ,  un  chrétien  simple  et  grossier,  sans 
connaissances  et  sans  lumières,  tient  parmi  les  enfans  de  la  foi  une 
place  aussi  honorable  que  les  Augustin  et  les  Chrysostôme. 

Ce  sont  les  ténèbres  de  la  foi  qui  concourent  au  bien  de  l'univers 
moral,  qui  secondent  les  desseins  de  la  Providence  dans  le  gou- 
vernement du  monde,  entretiennent  cette  harmonie  et  ce  concert 
d'où  résulte  le  bonheur  de  la  terre.  L'homme  ici-bas  est  moins 
fait  pour  méditer  que  pour  agir.  Le  Créateur,  en  le  formant,  exigea 
de  lui  plus  de  devoirs  que  de  connaissances,  plus  de  mœurs  que 
de  spéculations,  plus  de  vertus  que  de  raisonnemens.  Consoler 
l'affligé,  soulager  l'indigent,  [servir  son  prince,  se  dévouer  à  sa 


DES    PRÉDICATEURS.  200, 

patrie,  chercher  plus  à  perfectionner  son  cœur  que  son  esprit, 
s'appliquer  à  des  œuvres  utiles  plutôt  qu'à  des  discussions  qui  n'o- 
pèrent rien  ;  pratiquer  la  morale  salutaire  de  l'Evangile  au  lieu  de 
sonder  ses  mystères  impénétrables;  vivre  plus  pour  aimer  Dieu  que 
pour  le  définir,  pour  le  servir  que  pour  le  comprendre,  pour  obéir 
à  ses  préceptes  que  pour  sonder  ses  desseins  ;  en  un  mot,  être  plus 
serviteur  fidèle,  plus  homme  de  bien  que  dissertateur  inutile,  plus 
chrétien  charitable  que  chrétien  philosophe  :  telle  est,  pour  la  plu- 
part ,  notre  destination  dans  l'ordre  de  la  Providence.  Des  lumières 
plus  sublimes  nous  eussent  distraits  de  ces  devoirs;  avec  plus  de 
pénétration  nous  eussions  été  plus  empressés  de  connaître  que 
d'agir  :  insensibles  à  la  voix  de  la  société  qui  nous  rappelle  sans 
cesse  dans  son  sein,  des  spéculations  stériles  eussent  absorbé  toute 
notre  vie:  oui,  nous  dédaignerions  de  ramper  sur  la  terre  si  nous 
pouvions  comprendre  ce  qui  se  passe  dans  le  ciel. 

Ce  sont  les  ténèbres  de  la  foi  qui  nous  rendent  la  religion  si 
touchante,  et  qui  donnent  à  l'économie  de  la  grâce  tant  de  char- 
mes et  de  beautés.  Quel  spectacle  admirable  se  découvre  ici  à  mes 
regards!  Quel  plan  ,  quel  chef-d'œuvre  de  sagesse!  Dieu  est  ho- 
noré, l'homme  est  soumis  :  les  occasions  démérite  se  multiplient  ; 
notre  constance  est  éprouvée;  on  se  rend  à  soi-même  le  témoigna- 
ge consolant  de  sa  fidélité;  nos  désirs  s'étendent  à  mesure  qu'ils 
sont  moins  remplis;  notre  amour  s'épure  à  mesure  qu'il  est  plus 
éprouvé;  les  humbles  sont  distingués  des  superbes,  les  âmes 
droites  de  celles  que  les  passions  dominent  ;  les  esprits  les  plus  su- 
blimes croient  les  plus  petites  choses  ,  et  les  choses  les  plus 
sublimes  sont  crues  par  les  esprits  les  plus  bornés.  Dieu  se  mon- 
tre assez  pour  que  les  simples  le  découvrent,  et  il  se  cache  assez 
pour  que  les  superbes  soient  confondus.  Otez  à  la  foi  ses  nuages , 
et  ce  bel  ordre  disparaît ,  et  le  système  de  la  grâce  s'écroule ,  et 
notre  orgueil  triomphe  ,  et  le  cœur  n'a  plus  de  part  dans  la  con- 
viction de  l'esprit:  et  l'Etre  Suprême  cesse  à  nos  yeux  d'être 
grand,  et  la  raison  n'a  plus  de  sacrifices  à  lui  faire,  et  la  religion 
n'est  plus  qu'une  philosophie  sèche  qui  n'offre  rien  d'affectueux 
à  l'ame ,  et  notre  amour  perd  tout  son  prix ,  nos  désirs  leur  ali- 
ment, notre  récompense  ses  richesses  ,  notre  humilité  son  prin- 
cipal fondement,  nos  vertus  leur  éclat  ;  notre  soumission  son  mé- 
rite. (Le  Même.) 

L'intelligence  humaine  est  faible  et  bornée. 

Dieu  vous  a  donné  la  sagesse  pour  reconnaître  le  besoin  que 
T.  III  14 


2ÏO  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

vous  avez  d'une  lumière  supérieure  qui  vous  éclaire,  et  pour  en 
accepter  le  bienfait.  Il  ne  vous  l'a  pas  donnée  pour  croire  qu'elle 
puisse  suffire  à  tous  vos  besoins.  Il  vous  l'a  donnée  comme  les 
yeux  du  corps  qui  dirigent  votre  marche.  Si  les  yeux  voulaient 
voir  sans  le  secours  de  la  lumière,  à  quoi  bon  cette  brillante  fa- 
culté de  la  vue  dont  l'auteur  de  la  nature  les  a  doués?  Elle  ne  ser- 
virait à  rien,  ou  ne  ferait  qu'entraîner  le  corps  au  précipice.  Il  en 
est  de  même  de  l'orgueilleuse  sagesse  qui  prétend  découvrir  les 
choses  de  Dieu,  sans  la  lumière  de  son  esprit. Elle  s'aveugle  et  se 
perd  elle  même.  C'est  cette  fausse  sagesse  quia  fait  la  plupart  des 
hérésies.  Elles  ont  quitté  la  voie  sûre  que  Dieu  lui-même  avait  tracée, 
pour  se  jeter  dans  des  routes  écartées;  elles  ont  remis  le  sceptre  de 
la  science  aux  mains  de  la  raison ,  qui  les  a  précipitées  dans  des 
chaos  d'erreurs  et  d'extravagances.  Le  démon  s'est  joué  de  ces  es- 
prits inquiets.  Ils  ne  se  sont  accordés  entre  eux  que  sur  \es  opi- 
nions les  plus  délirantes.  Et  qu'une  vérité  se  présentât  à  eux  con- 
fusément et  comme  en  énigme,  elle  leur  échappait  comme  un  songe 
de  nuit,  ou  bien  ils  ne  s'entendaient  plus  entre  eux. 

Comprenez  par  là  combien  notre  intelligence  humaine  est  faible, 
est  insuffisante,  combien  elle  est  bornée  de  toutes  parts.  Ainsi 
Dieu  l'a-t-il  ordonné,  et  certes  avecjustice;  car  si  aujourd'hui  que 
le  péché  du  premier  homme  l'a  réduit  à  tant  d'ignorance,  elle  a 
l'orgueil  de  se  prétendre  indépendante,  et  de  vouloir  se  soustraire 
à  l'autorité  divine,  à  quel  excès  de  démence  ne  serait-elle  pas  tom- 
bée si  elle  n'eût  pas  été  châtiée  aussi  sévèrement?  Si  dans  l'état 
d'innocence ,  enchaînée  à  un  corps  mortel  ,  elle  a  cédé  à  l'artifi- 
cieuse promesse  du  démon  qui  lui  disait  :  Vous  allez  ressembler  à 
Dieu,  que  n'eût-elle  pas  osé  se  permettre  si  elle  avait  été  créée  dans 
la  brillante  situation  dont  le  démon  lui  donnait  la  fausse  espérance! 
Et  voilà  le  délire  où  donnent  certains  hérétiques  de  nos  jours  (  les 
manichéens  ).  Ils  ne  rougissent  pas  de  dire  qu'aujourd'hui  encore, 
après  sa  dégradation ,  lame  humaine  ne  tient  que  d'elle-même  sa 
propre  existence,  qu'elle  partage  l'essence  de  Dieu  lui-même.  Telle  a 
été  chez  les  Grecs  l'une  des  sources  de  leur  idolâtrie.  (  Saint  Jean 
Chrysostome1.) 

Une  foi  contredite  et  réprouvée  par  l'Église  n'est  qu'une  foi  présomptueuse 

et  imprudente. 

En  effet,  prenez-y  garde ,  mon  cher  auditeur,  dès-là  que  dans 

1  Hom.  vu,  in  Epist.  ad  Cor. 


DES   PRÉDICATEURS.  21  I 

les  disputes  qu'enfante  chaque  jour  l'orgueil  de  l'esprit  humain   et 
l'amour  de  la  nouveauté  trop  féconds  en  systèmes  dangereux;  dès 
là  que  j'embrasse  des  dogmes  inconnus  à  l'Eglise'  et  odieux  à  l'E- 
glise, ma  foi  n'est  plus  une  foi  sage  et  prudente.  Pourquoi  ?  parce 
qu'elle  ne  se  tient  plus  dans  l'arrangement  de  subordination  et  de 
dépendance  établi  par  Jésus-Christ  :   car,  suivant  les   dispositions 
adorables  de  ce  Dieu  Sauveur,  c'était  à  l'Eglise  de  régler  ma  foi  et 
de  déterminer  ma  croyance.  Mais  que  fait-on,  qu'ont  fait  du  moins 
les  hérétiques  de  tous  les  temps  ?  Guidé  par  la  présomption ,  ébloui 
par  de  vaines   apparences,  infatué  de  l'idée  de  son  mérite,   plein 
de  soi-même,  et  entêté  de  soi-même,  on  ose  s'asseoir  sur  la  chaire 
d'autorité  :  on  cite  au  tribunal  de  sa  raison  et  les  différens  partis 
qui  contestent,  et  l'Eglise  à  laquelle  seule  il  appartient  de  pronon- 
cer sur  ces  contestations  ;  on  se  rend  attentif  à  ses  jugemens  ,  non 
pour  les  suivre,  mais  pour  les  critiquer;  non  pour  s'instruire,  mais 
pour  les  réformer;  non  pour  les  défendre,  mais  pour  les  combat- 
tre; non  pour  se   soumettre  à  l'Eglise,   mais  pour    se  soumettre 
l'Eglise;  pour  la  reprendre,  pour  la  détromper,  pour  l'humilier, 
pour  la  confondre.  Or ,  est- ce  en  dire  trop  d'une  pareille   conduite 
que  de  dire,  avec  saint  Augustin  ,  qu'elle  est  le  comble  de   la  pré- 
somption :  présomption  de  s'estimer  soi-même  jusqu'à  se  préférer 
à  l'Église,  jusqu'à  se  mettre  au  dessus  de  l'Eglise,  jusqu'à  se  per- 
suader qu'on  a  des  lumières  qu'elle  n'a  pas;  qu'on  voit  ce  qu'elle 
ne  voit  pas  ;  enfin  jusqu'à  se  compter  pour  tout,  et  ne   la  compter 
pour  rien.  Folie  et  présomption  encore  plus  grande,  lorsqu'avec 
cela  on  se  flatte  d'avoir  la  véritable  foi ,  comme   si  la  foi  pouvait 
être  où  se  trouve  tant  de  présomption  et  si  peu  d'humilité;  comme 
si  on  pouvait  arriver  à  la  véritable  foi  par  d'autres  voies  que  par 
celles    qu'il  a  plu  à    Jésus-Christ  de  nous  marquer  et  de  nous 
ouvrir. 

Une  foi  contredite  et  réprouvée  par  l'Eglise  n'est  qu'une  foi 
terrestre  et  humaine  ;  car  dès  là  que  votre  foi  est  opposée  à  celle 
de  l'Église  ,  que  peut-elle  être  que  la  foi  de  vos  préjugés,  de  vos 
idées  particulières ,  de  votre  vanité,  de  votre  curiosité,  de  votre 
ambition  ,  de  votre  orgueil,  de  votre  intérêt?  Tout  au  plus  pour- 
riez-vous  prétendre  qu'elle  serait  la  foi  de  vos  recherches  ,  de  vos 
découvertes,  de  votre  esprit,  de  votre  raison  ;  mais  elle  ne  sera 
point  une  foi  de  soumission  et  d'obéissance  à  Dieu  ,  elle  sera  une 
foi  de  science  et  d'étude;  elle  ne  sera  point  un  sacrifice  fait  à  Dieu 
de  vos  lumières  et  de  votre  esprit;  elle  sera  le  triomphe  d'un  esprit 
présomptueux,  dune  raison  superbe,  qui  s'élève  au-dessus  de  l'au- 

i4. 


fel2  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

torité.  En  croyant ,  vous  ne  céderez  qu'à  vous-même ,  vous  ne  ren- 
drez hommage  qu'à  vous-même  :  votre  foi  sera  une  foi  que  vous 
vous  donnez ,  et  non  une  foi  que  vous  recevez  :  Fidem  ipsi  cons- 
tituunt,  non  accipiunt  :  ce  sera  la  foi  de  l'homme ,  ce  ne  sera  point 
la  foi  de  Jésus-Christ;  ce  sera  une  foi  humaine  et  profane,  une  foi 
charnelle  et  terrestre,  et  par  conséquent  une  foi  stérile  et  vide  de- 
vant Dieu,  une  foi  même  humiliante  et  flétrissante  pour  vous;  une 
foi  aussi  indigne  de  l'homme  que  de  Dieu,  une  foi  stérile,  une  foi 
basse  et  rampante. 

Ce  serait  un  abus  ,  chrétiens  ,  de  ne  regarder  la  foi  que  comme 
un  joug  d'esclavage  et  de  servitude.  La  foi  chrétienne  est  humble 
et  soumise  ;  mais  qu'il  y  a  de  sublimité  et  de  noblesse  dans  sa  sou- 
mission et  dans  son  humilité!  qu'elle  élève  l'homme  en  l'abaissant! 
qu'elle  lui  donne  de  véritable  grandeur  en  lui  ôtantcette  grandeur 
fausse  et  imaginaire  qui  n'est  qu'une  enflure  d'orgueil  et  de  présomp- 
tion! Les  yeux  invariablement  attachés  sur  Dieu,  elle  n'entend,  elle 
n'écoute  que  lui.  Si  les  livres  saints  sont  l'objet  de  son  respect, 
c'est  qu'elle  y  voit  empreint  le  doigt  de  Dieu  ;  si,  sur  tant  d'objets 
impénétrables  à  ses  lumières  ,  elle  juge  que  tel  est  le  sens  des  Ecri- 
tures, c'est  que  Dieu  même,  par  le  ministère  de  son  Eglise  ,  lui  a 
déterminé  le  sens  des  Ecritures  ;  le  véritable  fidèle  ne  fut  donc  ja- 
mais, dans  sa  croyance ,  le  jouet  de  ses  passions  et  des  passions 
d'autrui.  Libre,  indépendant  dans  ce  qui  intéresse  la  foi,  Une  fait 
hommage  de  sa  raison  qu'à  Dieu  seul  ;  homme  ,  il  ne  soumet  pas 
son  esprit  à  celui  des  autres  hommes  ;  il  ne  cède  point  à  la  supé- 
riorité de  leurs  génies ,  à  l'étendue  de  leurs  connaissances,  à  la 
force  de  leurs  raisonnemens  ;  il  ne  se  rend  qu'à  l'autorité  de  Dieu 
qui  les  inspire  ;  il  écoute  l'homme,  et  il  n'obéit  qu'à  Dieu.  Ainsi, 
en  se  soumettant,  il  s'élève,  tandis  que  l'homme  présomptueux, 
en  s'élevant  contre  l'Eglise,  s'avilit  et  se  dégrade  :  c'est  ordinaire- 
ment par  vanité,  par  fierté,  qu'on  prend  le  parti  de  se  soustraire  à 
l'autorité  de  l'Eglise  ;  il  paraît  beau  de  ne  s'en  rapporter  qu'à  soi- 
même,  de  ne  croire  qu'à  soi-même,  et  c'est  là  l'écueil  le  plus  dan- 
gereux pour  la  foi,  l'attrait  de  la  liberté  et  de  l'indépendance  :  li- 
berté fausse  et  imaginaire.  Déchirez  le  voile  qui  vous  cache  l'inté- 
rieur de  ces  hommes  fiers  et  hautains  ;  pour  un  maître  qu'ils  re- 
jettent, combien  de  maîtres  qui  les  dominent  et  qui  les  tyranni- 
sent !  Tant  de  songes  qui  les  jouent,  de  caprices  qui  les  entraî- 
nent ,  de  prétentions  qui  les  aveuglent ,  de  haines  qui  les  aigris- 
sent ,  d'ambition  qui  les  transporte  ;  tant  de  jalousie  qui  les  en- 
flamme, de  respect  humain  qui  les  asservit,  de  vues  et  d'espéran- 


DES    PRÉDICATEURS.  2l3 

ces  charnelles  qui  les  engagent,  d'entêtement  et  d'opiniâtreté 
qui  les  retiennent,  de  faux  raison nemens  qui  les  trompent ,  de  flat- 
terie et  d'adulation  qui  les  éblouissent,  de  cupidite's  qui  les  trou- 
blent en  agitant  leur  cœur.  Esclave*  bien  plus  que  nous  ,  ces  chefs 
de  partis  ,  ces  hommes  présomptueux  cesseraient  bientôt  d'être 
contre  l'Eglise  s'ils  savaient  être  à  eux-mêmes.  Pour  les  ramener, 
c'est  rarement  l'esprit  qu'il  faudrait  éclairer  et  convaincre ,  c'est 
presque  toujours  leur  cœur  qu'il  faudrait  épurer  et  changer:  et 
encore,  pour  un  petit  nombre  d'hommes  qui  conservent  celte  om- 
bre vaine  de  liberté  fantastique  et  apparente  ,  combien  qui  ram- 
pent dans  une  servitude  publique  et  déclarée  !  Esclaves,  non  plus 
d'eux-mêmes  ,  mais  des  autres  hommes ,  un  peuple  séduit  mécon- 
naîtra l'autorité  la  plus  légitime  ,  et  il  pliera  lâchement  sous  une 
autorité  usurpée.  Un  Calvin ,  un  Luther ,  un  prophète  d'erreurs 
et  de  mensonges ,  autour  duquel  fume  encore  la  foudre  de  l'Eglise 
qui  vient  de  le  frapper,  s'érigera  en  oracle  ;  on  adoptera  ses  rê- 
veries ,  on  s'asservira  à  ses  idées ,  on  se  dévouera  à  soutenir  sa 
querelle  ,  on  quittera  le  nom  de  catholique  pour  se  revêtir  d'un 
nom  de  schisme  et  de  séparation.  Ariens,  nestoriens,  pélagiens, 
a  »  t  -il  donc  pu  se  trouver  des  chrétiens  assez  peu  jaloux  d'un  si 
beau  nom  pour  se  charger  de  ces  titres  d'ignominie?  Oui,  c'est 
ainsi  qu'une  folie  présomption  s'abaisse  en  croyant  s'élever,  et  que, 
par  ses  hauteurs  mal  entendues ,  elle  se  dégrade  aux  yeux  des 
siècles  futurs.  C'est  ainsi  que  le  Dieu  juste  venge  l'Eglise  son 
épouse;  et  souvent  pour  mieux  confondre  les  projets  de  l'indoci- 
lité, il  répandra  dans  ces  âmes  altières  et  superbes  l'esprit  de  som- 
meil et  de  vertige:  mélange  monstrueux  de  hauteur  et  de  bassesse, 
de  fierté  et  de  souplesse,  d'obstination  et  de  complaisance,  de  cré- 
dulité et  d'incrédulité ,  on  les  verra  combattre  les  décisions  les 
plus  sages,  et  adopter  les  systèmes  les  plus  extravagans  ;  s'entêter 
contre  les  vérités  les  plus  claires,  et  prostituer  leur  croyance  à 
des  fables  insensées,  à  des  espérances  chimériques,  à  de  trompeu- 
ses prédictions  ;  étonner  successivement  l'univers  par  leur  obstina- 
tion à  ne  rien  croire,  et  par  leur  facilité  encore  plus  bizarre  à  croire 
tout  :  révoltés  contre  des  maîtres  que  Dieu  leur  avait  donnés  ,  ti- 
mides et  souples  sous  des  maîtres  que  Dieu  ne  leur  donne  pas,  se 
faisant  un  honneur  insensé  de  se  dégrader  par  la  servitude  d'une  foi 
basse  et  rampante ,  et  s'égarer  dans  les  variations  d'une  foi  volage 
et  inconstante. 

A-t-elle  été  une  foi  rompue  la  barrière  de  la  dépendance  ,  on 
ne  trouve  plus  ,  dit  saint  Chrysostôme,  qu'un  champ  vaste  et  sans 


2l4  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

limites  ;  on  y  entre  sans  guide  et  sans  lumière,  sans  chemin  assuré; 
chacun  s'y  trace  lui-même  la  voie  qu'il  veut  suivre ,  et  y  creuse 
l'abîme  où  il  va  se  perdre.  Quand  la  foi  est  l'ouvrage  de  la  raison 
humaine  ,  elle  en  a  toute  la  mobilité  et  l'inconstance.  Le  systè- 
me le  mieux  concerté  vient  échouer  contre  une  difficulté  qu'on 
n'avait  pas  prévue;  il  faut  revenir  sur  ses  pas,  prendre  une  autre 
route  ,  se  former  de  nouveaux  principes  et  d'autres  appuis  à  sa 
croyance  :  appuis  aussi  fragiles  que  l'esprit  qui  les  imagina,  ils  se 
brisent  dans  la  main  qui  les  manie,  et  on  se  voit  réduit  à  en 
chercher  de  nouveaux  qui  ne  durent  pas  plus  long-temps.  La  vie 
s'écoule  dans  des  agitations  et  des  variations  éternelles  ;  toujours 
opposé  à  soi-même,  jamais  assuré  de  soi-même ,  on  commence  et 
pn  cesse  tout-à-coup  de  croire  :  on  élève  et  on  renverse  ;  on  bâtit 
et  on  détruit;  on  se  prête  à  tous  les  sentimens  ,  et  on  ne  se  tient  à 
aucun  ;  sans  jamais  se  fixer,  on  ne  fait  qu'errer  d'opinions  en  opi- 
nions ,  et  avouer  par  ces  changemens  continuels  que  l'édifice  de 
la  foi ,  quand  il  n'est  pas  élevé  sur  la  pierre  fondamentale  de  l'E- 
glise, est  trop  faible  pour  résister  aux  orages  de  l'inconstance  hu- 
maine ;  et  si  l'esprit ,  quand  il  a  secoué  le  joug  de  l'Eglise  ,  n'est 
pas  d'accord  avec  lui-même,  comment  s'accorderait-il  avec  les 
autres  ? 

Il  n'y  a  que  la  soumission  à  l'Eglise  qui  puisse  maintenir  l'uni- 
té de  la  foi  parmi  les  peuples  ,  divisés  entre  eux  par  les  mœurs,  par 
les  coutumes,  par  les  lois,  par  l'opposition  des  génies  et  encore 
plus  des  intérêts:  tandis  qu'ils  s'en  tiennent  à  l'autorité  de  l'Eglise,  le 
Scythe  et  le  Parthe,  le  Grec  et  le  Romain,  le  Juif  et  le  Gentil,  l'hom- 
me libre  et  l'esclave  parleront  le  même  langage  -,  tous  les  peuples 
ne  seront  qu'un  peuple  ,  et,  malgré  l'immense  étendue  des  terres 
et  des  mers  qui  les  séparent,  l'ancien  et  le  nouveau  monde  ne  se- 
ront qu'une  cité.  Mais  elle  ne  peut  s'introduire,  la  licence  de 
composer  sa  croyance,  de  régler  sa  foi  au  gré  de  sa  raison  ,  qu'il 
n'y  ait  bientôt  sur  la  terre  autant  de  religions  qu'il  y  a  d'hommes 
et  d'esprits  opposés  de  caractère  et  d'humeur.  Montrez-moi  depuis 
la  naissance  du  christianisme  une  secte  séparée  de  l'Eglise  qui  n'ait 
vu  naître  dans  son  sein  le  trouble  ,  la  division  ,  le  schisme.  Dans 
l'arianisme,  je  vous  montrerai  des  hommes  qui  disent  ana thème  à 
Arius  ;  dans  la  secte  pélagienne,  des  hommes  qui  insultent  à  Pela- 
ge ;  dans  la  réforme  de  Luther  et  de  Calvin ,  des  hommes  qui  ré- 
prouvent les  dogmes  des  prétendus  réformateurs.  Or,  le  royau- 
me de  Jésus-Christ  est  un  royaume  de  paix;  la  foi  de  Jésus-Christ 
est  une  foi  d'union  et  de  concorde  ;  cette  foi  de  schisme  et  de  di- 


DES    PRÉDICATEURS.  2l5 

vision  n'est  donc  point  la  foi  de  Jésus-Christ;  c'est  une  foi  que 
Jésus-Christ  ne  connaît  pas  ;  c'est  cet  empire  de  Satan  où  l'erreur 
ne  domine  que  pour  le  diviser  et  le  mettre  en  guerre  avec  lui-mê- 
me ;  enfin  je  dis  que  la  foi  contraire  à  celle  de  l'Eglise  est  une 
foi  douteuse  et  incertaine,  une  foi  flottante  et  chancelante  :  car 
dès  lors  que,  sur  tant  de  matières  obscures  et  difficiles  ,  je  ne  puis 
m'assurer  de  ma  foi  par  l'autorité  de  l'Eglise,  quelle  sera  pour  moi 
la  source  du  repos  et  de  la  tranquillité  intérieure  ?  Sera-ce  l'évi- 
dence des  Ecritures  ?  Mais  d'où  sont  venues  les  erreurs  des  siècles 
passés  ?  N'est-ce  pas  des  Ecritures  corrompues  et  altérées  par  des 
versions  infidèles  ,  détournées  à  des  sens  étrangers  par  des  expli- 
cations fausses  et  hardies ,  dépravées  par  des  raisonnemens  cap- 
tieux ?  des  Ecritures  mal  entendues  ,  mal  expliquées ,  mal  inter- 
prétées ?  des  Ecritures  soumises  à  la  raison  ,  prises  et  entendues 
selon  les  décisions  de  la  raison  ?  Quel  novateur  n'a  point  appelé 
de  l'Eglise  à  l'Ecriture,  du  jugement  des  pasteurs  au  jugement  de 
l'Esprit-Saint,  de  l'autorité  à  la  vérité  ?  Non,  chrétiens,  disait 
Tertullien  ,  et  n'en  a-t-il  pas  été  lui-même  une  triste  preuve?  non, 
je  ne  crains  pas  de  l'avancer,  les  Ecritures,  selon  l'esprit  d'incrédu- 
lité ou  de  témérité,  d'indiscrétion  ou  de  piété  qui  nous  anime, 
peuvent  fournir  l'occasion  et  comme  la  matière  des  hérésies  :  Nec 
periclitor  dicere,  Scriptui'as  sic  esse  dispositas  ut  hœreticis  materiam 
su  bministrarent. 

Sera-ce  sur  la  science,  sur  la  vertu,  sur  le  mérite  de  ceux  dont 
on  adopte  les  sentimens  ?  Sera-ce  sur  sa  raison,  sur  ses  propres 
connaissances  ?  Mais  dans  des  mystères  si  inaccessibles  à  un  esprit 
borné,  la  foi  ne  serait  alors  appuyée  que  sur  un  fondement  faible 
et  incertain  ;  mais  alois  on  n'aura  que  des  motifs  douteux  de  croi- 
re, tout  cela  ne  peut  donc  être  une  règle  sûre  de  la  foi. 

Ames  indociles,  écoutez  donc  la  voix  de  saint  Augustin  ,  qui 
vous  crie  :  Quo  te  committis  misera  ?  Avez-vous  considéré  de  quel 
avantage  vous  vous  privez  en  renonçant  à  l'autorité  de  l'Eglise  ? 
Avez-vous  pensé  au  péril  que  vous  courez  dans  cette  voie  de  la 
seule  raison  et  des  Écritures?  Quo  te  committis?  Combien  de 
personnes  plus  éclairées  que  vous  se  sont  perdues  dans  ces  sen- 
tiers difficiles  et  embarrassés  !  Vous  ne  voyez  dans  la  route  que 
vous  tenez  que  des  débris  funestes,  que  de  tristes  marques  de  nau- 
frage? Quo  te  committis  ?  Vous  avez  tout  à  craindre  ;  pouvez-vous 
être  tranquille  ?  Et  si  vous  l'êtes  au  milieu  de  tant  de  sujet  d'in- 
certitudes et  d'alarmes  ,  cette  tranquillité  ne  peut  venir  que  d'un 
excès  de  présomption  ou  d'une  obstination  déplorable  dans  Ter- 


2l6  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

reur  ;  votre  foi  n'en  est  pas  moins  par  elle-même  une  foi  chance- 
lante et  incertaine,  une  foi  douteuse  et  flottante,  qui  ne  peut,  qui 
ne  doit  pas  s'assurer  d'elle-même.  Quo  te  committis  ?  Où  allez- 
vous  ?  vous  ne  le  voyez  pas  :  nous  le  voyons,  vous  n'êtes  plus  dans 
la  soumission ,  vous  n'êtes  plus  dans  la  voie  du  salut.  (Le  P.  de 
Neuville,  Sur  la  Foi.) 

^Le  monde  ne  subsiste  que  par  la  foi. 

Vous  qui  vous  riez  sans  cesse  de  notre  foi ,  répondez-nous,  est- 
il  quelque  action  importante  dans  la  vie  que  la  foi  ne  doive  né- 
cessairement précéder  ?  Vous  voyagez ,  vous  traversez  les  mers  ; 
n'est-ce  point  parce  que  vous  croyez  qu'un  jour  vous  reviendrez 
chez  vous  ?  Vous  confiez  à  la  terre  mille  semences  différentes, 
n'est-ce  point  parce  que  vous  croyez  que  ces  semences  vous  pro- 
duiront des  fruits  quand  la  saison  en  sera  venue  ?  et  ainsi  de  tput 
le  reste.  Vous  adorez  vos  dieux;  n'est-ce  point  parce  que  vous 
croyez  qu'ils  prêteront  une  oreille  propice  à  vos  prières  ?  Le  pre- 
mier venu  d'entre  vous  ne  croit-il  point  à  tel  ou  tel  auteur?  Celtii 
qui  regarde  l'eau  et  le  feu  comme  le  principe  de  toutes  choses  , 
ne  croit-il  point  à  Thaïes  et  à  Heraclite  Pet  ainsi  des  autres. 

Ainsi  donc ,  puisque  vous  ne  comprenez ,  vous  ne  connaissez 
rien  par  vous-mêmes,  et  que  tout  ce  que  vous  écrivez  dans  des 
milliers  d'ouvrages  vous  ne  l'avancez  qu'en  vertu  de  la  croyance 
que  vous  avez  à  tel  ou  tel ,  pourquoi  seriez-vous  donc  assez  in- 
justes pour  tourner  en  ridicule  notre  foi? 

Mais,  dites-vous,  nous  croyons  à  des  sages,  à  des  hommes  pro- 
fondément versés  dans  toute  espèce  de  connaissances  :oui,  sans 
doute ,  vous  croyez  à  des  hommes  qui  ne  disent  jamais  rien  de  fixe 
ni  de  solide;  qui,  pour  défendre  leurs  opinions,  déclarent  la 
guerre  à  tous  ceux  qui  pensent  autrement  qu'eux  ;  qui  ne  con- 
naissent dans  leurs  discussions  qu'une  opiniâtreté  inflexible  ;  qui, 
en  ébranlant  réciproquement  les  principes  les  uns  des  autres,  ont 
porté  partout  une  désolante  incertitude,  et  ont  prouvé,  par 
leurs  éternelles  disputes ,  que  l'homme  ne  peut  rien  savoir  sur 
la  terre. 

Croyez  donc  à  votre  Platon  et  à  vos  autres  docteurs  ;  pour  nous, 
nous  voulons  croire  à  Jésus-Christ  ;  Quelle  injustice  est  la  vôtre  ! 
Nous  reconnaissons  tous  des  docteurs  et  des  maîtres;  nous  nous 
accordons  entre  nous ,  en  ce  que  tous  tant  que  nous  sommes  nous 
les  regardons  comme  dignes  de  notre  foi  ;  et  vous  voudriez  qu'il 


DES    PRÉDICATEURS.  21^ 

vous  fut  permis  de  croire  aux  vôtres,  sans  que  nous  eussions  nous* 
mêmes  le  droit  de  recevoir  les  dogmes  qui  nous  ont  été  donnés 
par  notre  maître  Jésus-Christ!  Et  certes,  si  nous  voulions  compa- 
rer toutes  choses  de  part  et  d'autre ,  sans  doute  nous  avons  plus 
de  raisons  de  le  croire  que  vous  n'en  avez  de  croire  vos  philoso- 
phes. Les  œuvres  étonnantes  qu'il  a  accomplies ,  les  miracles  de 
puissance  qu'ils  a  opérés,  et  qui  étaient  faits  pour  subjuguer  les 
esprits  les  plus  incrédules ,  et  pour  prouver  que  celui  qui  les  fai- 
sait était  certainement  plus  qu'un  mortel  :  voilà  les  motifs  de  notre 
croyance.  Dites-nous  ce  que  vos  philosophes  ont  fait  de  sembla- 
ble pour  que  vous  ayez  plus  de  raison  de  vous  attacher  à  leur 
doctrine,  que  nous  n'en  avons  de  nous  attacher  à  celle  de  Jésus- 
Christ?  (Arnobe,  Contre  les  Païens,  livre  IL) 

La  foi  est  nécessaire  à  tout. 

I 
Rien  de  plus  nécessaire  en  toutes  choses  que  la  foi.  Tout   ce 

qui  se  fait  dans  le  monde,  même  par  ceux  qui  ne  sont  pas  dans 
l'Eglise,  ou  même  qui  sont  ses  ennemis,  ne  se  fait  que  par  la  foi. 
C'est  par  la  foi  que  deux  personnes,  étrangères  l'une  à  l'autre, 
s'unissent  parles  liens  du  mariage.  La  culture  des  terres  est  fon- 
dée sur  la  foi.  Ce  n'est  que  parce  qu'il  croit  en  retirer  des  fruits 
que  le  laboureur  la  cultive.  La  plupart  des  grandes  affaires  [qui 
occupent  les  hommes  sur  la  terre  n'ont  point  d'autre  fondement 
que  la  foi  ;  et  ceux  qui  ne  reçoivent  point  nos  saintes  Ecritures  , 
et  qui  néanmoins  ont  une  opinion  et  une  théologie  quelconque, 
ne  peuvent  leur  donner  d'autre  appui  que  la  foi. 

Mais  ce  qu'il  est  surtout  impossible  de  faire  sans  la  foi ,  c'est  de 
plaire  à  Dieu.  Comment,  en  effet,  l'homme  prendra-t-il  sur  lui  de 
servir  Dieu  avec  zèle,  s'il  ne  croit  point  à  un  Dieu  rémunérateur? 
Quand  une  jeune  fille  formera-t-elle  le  vœu  d'une  éternelle  virgi- 
nité, si  d'avance  elle  ne  croit  pas  que  la  pureté  doit  obtenir  sa 
couronne?  La  foi  est  comme  l'œil  de  la  conscience.  C'est  la  foi  qui 
lui  communique  toute  lumière  ;  c'est  elle  qui  enchaîne  la  gueule 
des  lions,  comme  nous  le  voyons  par  l'exemple  de  Daniel.  Est-il 
quelque  chose  de  plus  terrible  pour  les  démons  que  la  foi?  non, 
certes  ;  nous  n'avons  point  d'armes  plus  redoutables  à  employer 
contre  eux,  nous  n'avons  point  de  bouclier  plus  impénétrable  que 
notre  foi. 

C'est  encore  la  foi  qui  met  le  sceau  de  la  perfection  au  grand 
œuvre  de  notre  justification.  Parmi  les  nombreux  exemples   que 


2l8  NOUVELLE   BIBLIOTHEQUE 

pourrait  nous  fournir  l'ancienne  Loi,  qu'il  nous  suffise  d'en  citer 
un  seul,  celui  d' Abraham.  Ce  patriarche,  selon  le  témoignage 
même  de  l'Ecriture,  ne  dut  pas  seulement  sa  justification  à  ses  œu- 
vres, mais  encore  et  surtout  à  sa  foi.  Nulle  part  il  n'est  appelé 
l'ami  de  Dieu  que  quand  il  eut  cru,  et  que  tout  ce  qu'il  avait  fait 
de  bonnes  œuvres  eut,  si  j'ose  ainsi  parler,  trouvé  son  complément 
dans  sa  foi. 

Tant  que  cette  foi  vivra  dans  nos  cœurs,  nous  ne  saurions  être 
en  danger  de  périr,  et  nous  serons  ornés  de  toute  espèce  de  vertus 
et  de  mérites.  Car  telle  est  la  puissance  de  la  vertu  et  de  la  foi, 
qu'elle  fait  marcher  sur  les  mers,  comme  l'exemple  de  saint  Pierre 
nous  le  prouve.  Ce  n'est  pas  tout  encore  :  cette  vertu,  cette  puis- 
sance sont  si  grandes,  que  non  seulement  celui  qui  a  la  foi  obtient 
sa  propre  guérison ,  mais  que  même  il  peut  encore  obtenir  celle 
des  autres,  et  les  soulager  ainsi  dans  leurs  maux.  C'est  ce  que 
l'Ecriture  nous  fait  entendre,  lorsqu'en  parlant  d'un  paralytique 
elle  ne  nous  dit  pas  :  Jésus  voyant  sa  foi,  mais  bien  :  Jésus  voyant 
la  foi  de  ceux  qui  avaient  apporté  le  malade,  il  lui  dit:  »  Levez- 
vous.  »  C'étaient  ceux  qui  l'avaient  apporté  qui  avaient  la  foi,  et 
c'est  le  malade  qui  obtint  sa  guérison.  Il  en  fut  de  même  de  Laza- 
re :  il  meurt;  mais  la  foi  de  ses  sœurs  fut  si  puissante,  qu'elle  l'ar- 
racha des  bras  de  la  mort.  Et  ici ,  chrétiens  ,  quelle  réflexion  se 
présente!  Quoi!  des  fidèles,  par  leur  foi  seule,  ont  pu  ressusciter 
des  morts,  parce  qu'ils  croyaient  pour  eux  ;  et  vous,  si  vous  croyez 
pour  vous-même,  n'est-il  pas  plus  certain  encore  que  vous  en  re- 
tirerez les  plus  grands  avantages  ?  Humiliez-vous  donc  d'avoir  si 
peu  de  foi;  mais  songez  en  même  temps  à  l'immense  étendue  de 
la  bonté  divine.  Dieu  est  tout  prêt  à  se  montrer  propice  envers 
vous,  si  réellement  vous  lui  offrez  un  cœur  repentant.  Dites-lui 
donc,  mais  dites-lui  du  fond  de  votre  cœur:  «  Je  crois  ,  Seigneur  ; 
«  aidez  mon  incrédulité;  »  ou  bien  encore  :  «  Seigneur,  augmentez 
«  ma  foi.  »  (Saint  Cyrille  de  Jérusalem  ,  Catéchèse  F.) 

La  foi  est  le  fondement  de  la  vie  chrétienne. 

Le  vrai  et  solide  fondement  de  notre  foi,  c'est  Jésus  Christ  :  il 
est  le  rocher;  notre  foi  est  la  base  assise  sur  le  rocher,  et  tout  l'édi- 
fice de  la  vie  chrétienne  est  lui-même  bâti  sur  la  foi.  Ainsi,  lors- 
que quelqu'un  reçoit  le  don  de  la  foi,  il  est  placé  sur  le  rocher 
solide  qui  est  Jésus-Christ  ;  et  les  édifices  construits  sur  le  rocher, 


DES    PRÉDICATEURS.  2IO, 

ne  sauraient  être  ébranles  ni  par  la  pluie,  ni  par  les  vents,  ni  par 
les  eaux. 

Ecoutez  maintenant  ce  que  c'est  que  cette  foi  :  l'homme  croit 
d'abord;  et  lorsqu'il  croit,  il  aime;  et  lorsqu'il  aime,  il  est  justifié; 
et  lorsqu'il  est  justifié,  c'est  un  grand  édifice  auquel  la  main  de 
l'ouvrier  a  mis  la  dernière  perfection.  «  Ainsi  cet  homme  devient 
la  maison  ,  le  temple,  la  demeure  de  Jésus-Christ.  »  C'est  alors  que 
l'homme  commence  à  soigner  avec  zèle  tout  ce  qui  a  rapport  au 
culte  de  Jésus-Christ,  qui  habite  au  dedans  de  lui;  c'est  alors  qu'il 
met  tout  en  œuvre  pour  orner  le  temple  de  son  cœur  de  toutes  les 
vertus. 

Pour  perfectionner  cet  édifice,  il  faut  employer  de  saints  jeûnes, 
de  pieuses  mortifications;  et  c'est  la  foi  qui  donne  le  courage  de 
les  supporter.  Il  faut  adresser  au  ciel  de  fréquentes  et  ferventes 
prières  :  c'est  la  foi  qui  les  rend  agréables  à  Dieu.  Il  faut  avoir  l'a- 
mour de  Dieu  qui  est  aussi  appuyé  sur  la  foi.  Cet  homme  a  be- 
soin, outre  cela,  de  douceur  et  d'humilité;  et  c'et  la  foi  qui  est  la 
racine  de  ces  vertus.  Il  faut  qu'il  veille  sur  tous  ses'sens,  qu'il  garde 
soigneusement  le  précieux  dépôt  de  la  chasteté;  et  c'est  la  foi  qui 
nous  révèle  tous  les  charmes  de  cette  belle  vertu.  Il  faut  qu'il  s'en, 
tretienne  sans  cesse  dans  une  pureté  angélique  ;  et  c'est  la  foi  qui 
en  fait  l'ornement.  Il  faut  qu'il  cherche  la  sagesse;  et  c'est  la  foi 
qui  la  lui  fait  trouver.  Il  faut  qu'il  s'applique  à  aimer  son  prochain, 
et  cet  amour  s'accroît  par  la  foi.  Enfin ,  il  faut  qu'il  se  livre  à  la 
pratique  de  toutes  les  bonnes  œuvres  ;  et  c'est  la  foi  qui  les  vivifie 
toutes,  comme,  à  leur  tour,  elles  prouvent  que  la  foi  est  vivante 
dans  nos  cœurs.  (Saint  Jacques  de  Nisibe,  Premier  sermon  de  la 
Foi.  ) 

La  foi,  fondement  de  toutes  les  autres  vertus  du  chrétien. 

La  foi  est  le  principe  de  l'oraison,  conformément  à  cette  parole  : 
«  Comment  invoqueront-ils,  s'ils  ne  croient  pas  !  ?»  Par  cette  foi, 
j'entends  la  foi  commune  des  chrétiens  que  saint  Paul  a  définie  en 
cette  sorte  :  «  La  foi  est  la  subtance  et  le  soutien  des  choses  qu'il 
faut  espérer,  la  conviction  des  choses  qui  ne  paraissent  pas  2.  » 
Cette  conviction  est  expliquée  par  ces  paroles  du  même  Apô- 
tre :  «Il  sut  pleinement;  il  eut  une  pleine  persuasion  que  Dieu 
peut  faire  tout  ce  qu'il  promet  3  ;  »  et  c'est  encore  ce  qu'il  appelle 
ailleurs  «  la  plénitude  de  la  foi  et  de  l'espérance  4.  »  Cette  même 

*  Rom.,  x,  14.  —  2  Hebr.,  xi,  1.  — .*  R0m.,  iv,  21,  — *Hebr.,  vi,  11;  x,  22. 


aa©  NOUVELLE   BIBLIOTHÈQUE 

foi,  sur  quoi  est  fondée  une  si  pleine  confiance  et  espérance,  est 
en  même  temps  animée  par  la  charité ,  selon  ce  que  dit  saint  Paul  : 
«  La  foi  opère  par  la  charité  *.  » 

Voilà  donc  les  trois  vertus  des  chrétiens  :  la  foi ,  l'espérance  et 
la  charité,  fondées  primitivement  sur  la  foi.  C'est  ce  qui  fait  dire 
au  Prophète,  et  après  lui  à  saint  Paul  :  «  Le  juste  vit  [de  la  foi 2.  » 
S'il  vit  de  la  foi,  il  prie  en  foi,  et  la  foi, comprend  toutes  ses 
prières. 

Il  faut  donc  être  appuyé  sur  ce  fondement;  et  c'est  là  ce  qui 
constitue  le  chrétien.  L'homme,  comme  homme,  s'appuie  sur  la 
raison  ;  le  chrétien  sur  la  foi.  Ainsi  il  n'a  pas  besoin  de  raisonner^ 
ni  de  discourir,  [ni  même  de  considérer,  en  tant  que  considérer 
est  une  espèce  de  discours,  mais  de  croire;  et,  jusque  là,  je  suis 
d'accord  avec  ces  mystiques  qui  excluent  si  soigneusement  le  dis- 
cours. Je  veux  bien  aussi  qu'on  l'exclue,  mais  par  la  foi,  qui  n'est 
ni  raisonnante,  ni  discursive;  mais  qui  a  son  appui  immédiatement 
sur  Dieu  :  d'où  s'ensuit  la  foi  des  promesses  et  de  l'espérance, 
et  enfin  la  charité  qui  est  la  perfection. 

Four  espérer  en  Dieu,  pour  aimer  Dieu,  on  n'a  donc  besoin 
d'aucun  discours  :  quand  on  en  ferait,  ce  n'est  pas  là  notre  fonde- 
ment, et  le  chrétien  n'a  besoin  que  de  la  foi  seule. 

«Le  fruit  de  la  foi,  c'est  l'intelligence,  »  comme  dit  saint  Au- 
gustin. Mais  quand  on  ne  viendrait  pas  à  l'intelligence,  la  foi,  dans 
son  obscurité  ,  suffit  ;  et  tout  ce  qu'on  a  d'intelligence  en  cette  vie 
étant  trop  faible  pour  faire  l'appui  de  l'homme,  toute  l'intelligence 
doit  être  plongée  finalement  dans  la  foi. 

Par  la  même  raison,  toute  délectation,  toute  douceur,  se  doit 
encore  perdre  là  dedans  :  car  le  cœur  humain  ne  doit  s'appuyer 
ni  sur  goût,  ni  sur  douceur,  mais  uniquement  sur  la  foi  qui  est 
le  bon  fondement.  (Bossuet,  Lettres  de  Piété  et  de  Direction,) 

Lumières  de  la  foi  dans  l'examen  des  motifs  de  crédulité. 

Si  quelqu'un  veut  faire  la  volonté  démon  Père,  dit  Jésus-Christ  °, 
il  examinera  ma  doctrine,  et  il  verra  si  elle  vient  de  Dieu,  ou  si 
je  parle  de  moi-même.  Il  examinera,  remarquez  bien  ceci,  mes 
frères;  et  vous,  impies,  qui  souriez  dédaigneusement  à  notre  cré- 
dulité, connaissez  enfin  ce  que  nous  sommes  :  il  examinera  ma 

*  Gai.,  v,  6.— s  Habac.,  ti,  4;  Rom.,  i,  17. —  s  Joan,  vu.  17. 


DES    PRÉDICATEURS.  221 

doctrine,  ccgnoscet  de  doctriiia.  Bien  différente  de  l'erreur,  elle 
ne  redoute  pas  le  grand  jour,  et  je  ne  viens  point  en  imposer  à 
l'univers.  S'il  est  de  ma  grandeur  d'abaisser  cette  raison  superbe 
qui  s'élève  contre  ma  science,  il  est  aussi  de  ma  bonté  de  la  sou- 
tenir et  de  la  vaincre  par  l'ascendant  des  témoignages.  Croyez-m'en 
sur  ma  parole,  mortels,  vous  le  devez  à  mon  autorité;  mais  exa- 
minez si  j'ai  parlé,  vous  vous  le  devez  à  vous-mêmes.  Respectez  la 
profondeur  de  mes  desseins,  l'intérêt  de  ma  gloire  l'exige;  mais 
instruisez-vous  des  titres  de  ma  mission  et  des  merveilles  opérées 
par  mon  ministère,  l'intérêt  de  rna  religion  le  demande  :  elle  perd 
infiniment  à  n'être  point  connue,  et  n'est  jamais  plus  grande,  plus 
belle  ni  plus  aimable  ,  que  lorsqu'elle  est  approfondie. 

Enhardi  par  cette  invitation  ,  le  fidèle  se  rend  raison  de  sa  foi  ; 
il  interroge  tous  les  temps,  entre  en  commerce  avec  tous  les  lieux, 
rapproche  le  passé  du  présent,  fait  parler  les  événemens,  surmonte 
l'évidence  spéculative  par  l'évidence  morale.  Les  preuves  s'accu- 
mulent, les  faits  se  pressent  sous  ses  yeux.  Tout  le  frappe;  les 
monumens  l'instruisent,  les  sens  viennent  au  secours  de  sa  raison  , 
une  nuée  de  témoins,  une  foule  de  prodiges  déposent  en  faveur 
de  sa  foi,  La  voix  majestueuse  de  tous  les  siècles ,  celle  de  tous  les 
grands  hommes  qui  l'ont  précédé  se  fait  entendre  :  Nous  avons 
pensé  comme  vous,  s'écrient-ils;  vous  êtes  notre  héritier,  vous 
jouissez  de  nos  lumières,  vous  possédez  tous  nos  trésors.  De  nou- 
velles scènes  s'offrent  à  ses  regards  surpris  :  les  livres  saints  sont 
ouverts;  il  y  voit  l'origine  de  sa  religion,  dont  les  fondemens  ont 
été  posés  avec  ceux  de  l'univers;  les  révolutions  des  empires  ser- 
vant aveuglément  ses  desseins  et  ses  vues,  les  conquérans  et  les 
héros,  par  leurs  conquêtes  ou  par  leur  chute,  préparant,  sans  le 
savoir,  son  élévation  et  sa  gloire  ;  le  dépôt  sacré  de  la  vérité  sur- 
nageant sans  cesse  à  travers  le  torrent  immense  des  erreurs  hu- 
maines.  Il  y  voit  ce  tableau  majestueux  que  forme  le  rapport  des 
deux  alliances,  la  première  toute  en  promesses,  la  seconde  toute 
en  réalité;  l'une  qui  prépare,  l'autre  qui  accomplit.  Il  y  voit  tout 
cet  appareil  imposant  de  l'ancienne  loi,  annonçant  à  la  terre  le 
plus  grand  des  événemens,  la  venue  du  Sauveur  du  monde;  le 
Messie  remplissant  enfin  l'attente  des  nations  ;  son  Evangile  an- 
noncé, ses  progrès  rapides,  les  changemens  merveilleux  qu'il 
opère,  la  vérité  répandant  partout  les  rayons  de  sa  vive  lumière, 
la  face  de  la  terre  renouvelée,  les  mœurs  épurées,  Dieu  adoré  en 
esprit  et  en  vérité,  trois  cents  ans  de  persécutions  et  de  triomphes, 
l'opprobre  de  la  croix  triomphant  de  l'univers  :  à  ce  spectacle, 


232  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

l'admiration,  l'amour,  le  respect,  l'attendrissement  et  la  joie  se 
succèdent  tour  à  tour  dans  son  ame;  cette  éclatante  perspective 
répand  sur  la  religion  et  sur  là  foi  une  magnificence,  une  pompe, 
un  torrent  de  lumière  qui  le  subjuguent ,  l'entraînent  et  le  trans- 
portent :  Et  lux  in  lenebris  lacet. 

Aux  lumières  de  l'examen  s'unissent  celles  de  l'autorité.  Les 
premières,  je  l'avoue,  ne  sont  point  faites  pour  la  multitude; 
grossière,  inhabile  aux  travaux  de  l'esprit,  tout  occupée  de  ses 
besoins ,  elle  ne  saurait  se  dévouer  à  des  recherches  auxquelles  se 
refusent  son  loisir  et  ses  forces.  Une  voie  plus  abrégée  et  plus 
simple  vient  s'offrir  à  sa  faiblesse,  suppléer  à  son  ignorance,  placer, 
malgré  ses  ténèbres  ,  la  raison  à  côté  de  sa  docilité;  de  sorte  que, 
marchant  toujours  sur  les  routes  obscures  de  la  foi,  sa  foi  marche 
toujours  néanmoins  à  la  clarté  de  la  lumière. 

Enfin ,  le  moment  est  arrivé.  Le  Sauveur  des  hommes  a  rempli 
sa  mission  ,  ses  desseins  sont  accomplis;  il  est  temps  qu'il  retourne 
vers  celui  qui  l'avait  envoyé.  O  terre  malheureuse  ,  verse  des  larmes 
sur  ton  sort!  Privée  de  ce  divin  soleil ,  te  voilà  donc  plongée  pour 
jamais  dans  le  chaos  de  l'incertitude.  Suspendons  nos  alarmes, 
Messieurs,  tout  est  prévu.  Il  a  tout  disposé  pour  l'instruction 
comme  pour  le  bonheur  du  monde  :  les  coopérateurs  de  son  zèle 
sont  assemblés,  et  c'est  en  leur  présence  qu'il  me  semble  le  voir 
s'adresser  au  genre  humain  ,  et  lui  tenir  ce  langage. 

Jusques  ici,  ô  mortels,  vous  avez  été  le  jouet  de  la  superstition 
et  de  l'erreur;  contemplez,  si  vous  le  pouvez  sans  rougir,  l'état  de 
l'univers.  Où  est  la  vérité,  quel  est  son  asile,  quel  en  est  l'inter- 
prète, quelle  autorité  vous  y  soumet,  à  quels  traits  la  reconnaissez- 
vous?  Voyez  la,  errante  de  ville  en  ville,  tristement  enchaînée  au 
char  de  l'opinion;  suivez  cette  longue  chaîne  d'absurdités,  que 
l'homme  traîne  honteusement  après  lui  depuis  la  corruption  de  sa 
nature  ;  voyez-le  s'abîmer  dans  l'immense  chaos  de  ses  idées,  rou- 
ler d'écueils  en  écueils,  et  s'agiter  vainement  dans  un  mensonge 
inépuisable,  sans  règle,  sans  principes,  sans  plan  de  doctrine, 
sans  système,  sans  autorité,  sans  objet,  étourdi  plutôt  qu'éclairé 
par  les  clameurs  frivoles  des  faux  sages.  Voyez  ces  prétendus  asiles 
de  la  vérité,  séjours  fastueux  de  l'ignorance  et  du  doute;  quelle  lu- 
mière ont  répandue  sur  vous  ces  orgueilleux  sophistes  qui  les  ont 
élevés?  en  trouvez- vous  un  seul,  je  ne  dis  pas  qui  ait  dissipé  ses 
ténèbres,  mais  qui ,  du  moins,  par  un  effort  sublime,  ait  pu  lui 
arracher  un  coin  de  son  bandeau  ?  Voyez  ces  temples,  ces  profanes 
autels  consacrés  à  des  divinités  infâmes  ou  ridicules ,  qui  insultent 


DES   PREDICATEURS.  22° 

publiquement  à  la  pudeur  et  au  bon  sens  de  l'univers  :  voilà  les 
fastes  de  la  raison  humaine,  et  l'affreux  résultat  de  trente  siècles 
de  philosophie  et  de  disputes.  Enfin,  la  vérité  va  trouver  un  point 
fixe.  Mortels,  ouvrez  les  yeux  ;  cette  lumière  des  nations,  si  long- 
temps et  si  pompeusement  annoncée,  va  luire  sur  vos  têtes  j  elle 
a  déjà  paru  en  ma  personne,  mais  obligé  de  quitter  la  terre, 
je  ne  puis  l'éclairer  que  par  le  ministère  de  mes  représentans. 
Les  voilà  donc,  ces  hommes  tout  divins,  chargés  de  cette  noble 
entreprise;  oui,  quoique  vos  semblables,  ils  seront  vos  maîtres. 
Instruits  de  mes  volontés,  remplis  de  mon  esprit,  ne  craignez  rien 
pour  leur  doctrine;  elle  sera  toujours  invariable,  comme  la  vérité 
dont  je  les  ai  établis  dépositaires.  Les  colonnes  de  l'univers  s'é- 
branleront plutôt  qu'ils  ne  chancelleront  dans  leur  foi  :  ils  sont 
mortels,  il  est  vrai,  mais  leur  enseignement  n'en  sera  pas  moins 
durable.  Une  chaîne  non  interrompue  de  successeurs  remplis  du 
même  esprit ,  revêtus  du  même  caractère ,  le  perpétuera  d'âge  en 
âge ,  et  formera  ainsi  dans  tous  les  temps  un  tribunal  auguste,  où 
la  vérité  viendra  plaider  ses  droits ,  discuter  ses  intérêts ,  affermir 
son  empire,  se  venger  des  outrages  de  la  raison  ou  prévenir  son 
audace,  se  purifier  de  l'alliance  des  passions  ou  se  prémunir  con- 
tre leurs  atteintes;  un  tribunal  vénérable,  où  le  fidèle  trouvera 
toujours  une  règle  vivante,  un  préservatif  contre  la  séduction, 
un  remède  contre  son  inconstance  un  trésor  inépuisable  de  lu- 
mières. (M.  de  Boulogne) 

La  foi  doit  nous  guider  dans  la  recherche  de  la  vérilé. 

Dans  le  système  des  hérétiques,  c'est  la  raison,  non  la  foi,  qui 
doit  nous  servir  de  guide,  et  il  y  a  faiblesse  d'esprit  à  croire.  Ré- 
pondez-moi :  Quel  motif  avez-vous  d'adopter  la  raison  plutôt  que 
la  foi?  lui  pouvez-vous  refuser  l'autorité  de  le  faire  par  le  poids 
des  motifs  qui  la  commandent  ?  et  ces  motifs  ne  valent-ils  pas  bien 
la  peine  qu'on  les  examine  ?  On  n'est  pas  crédule  pour  être  croyant. 
Tous  les  jours  vous  livrez  votre  confiance  à  des  hommes  pour  des 
objets  de  moindre  importance.  Je  vous  crois  bien  ,  moi ,  pourquoi 
ne  m'en  croiriez-vous  pas,  lorsque  je  vous  propose  une  vérité 
salutaire? 

Ne  confondez  pas  celui  qui  n'apporte  dans  ses  recherches  qu'une 
curiosité  stérile  sur  des  choses  de  peu  d'importance,  avec  celui  qui 
n'étudie  que  pour  s'instruire.  Il  y  a  certes  entre  l'un  et  l'autre  une 
grande  différence.  Qu'il  y  ait  du  mal  à  exposer  indiscrètement 


224  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

nos  mystères  à  tles  yeux  profanes,  qui  ne  s'arrêteront  que  pour 
les  tourner  en  ridicule,  est-on  blâmable  de  demander  qu'on  ap- 
prenne à  les  connaître  de  la  bouche  d'un  homme  vraiment  reli- 
gieux ?  Vous  voulez  du  raisonnement  ;  mais  tous  les  hommes 
en  sont-ils  capables? Que  vous  soyez  en  état  de  le  faire,  vous  que 
j'admets  volontiers  au  nombre  des  esprits  privilégiés;  l'accorde- 
rons-nous à  la  multitude?  Mais  aussi  parce  qu'elle  manque  des  percep- 
tions et  de  la  sagesse  nécessaires,  lui  interdirons-nous  toute  con- 
naissance de  la  religion?  L'y  amener  par  degrés,  l'introduire  de 
connaissance  en  connaissance  jusqu'au  sanctuaire,  voilà  notre 
méthode  :  en  est-il  de  plus  raisonnable  etde  plus  religieuse  ?  Quel 
risque  y  voyez-vour. ?  Pour  moi,  je  n'en  vois  pas.  Pourquoi  les 
retenir  si  long-temps  sur  la  route?  Parce  qu'il  est  des  esprits  té- 
méraires, impétueux,  qu'il  fautarrêter;  il  en  estaussi  de  plus  lents 
qu'il  faut  exciter.  Telle  est  la  sage  économie  qui  nous  est  com- 
mandée par  la  vraie  religion  ,  par  nos  saints  oracles,  par  l'usage 
et  la  tradition  de  la  vénérable  antiquité.  Nous  y  sommes  fidèles  : 
et  intervertir  cet  ordre,  ce  serait  ouvrir  une  voie  sacrilège  pour 
arrivera  la  vraie  religion.  Agir  de  la  sorte  c'est  manquer  son  but. 
Eût-on  le  génie  le  plus  élevé,  si  Dieu  ne  nous  soutient,  on  ne 

fait  que  ramper  à  terre 

Il  faut  même  croire  pour  chercher  la  religion;  car  si  l'on  ne 
croyait  pas  qu'il  y  en  eût  une  ,  pourquoi  la  chercherait-on?  Il  n'y 
a  point  d'hérétiques  qui  n'avouent  qu'il  faut  croire  à  Jésus- 
Christ.  Autrement  ils  ne  seraient  pas  chrétiens.  Mais  à  qui  nous 
en  rapporterons-nous  sur  les  vérités  qui  le  regardent  ,  puisque 
nous  n'avons  pas  vu  le  Sauveur  ?  Cette  foi  n'est  fondée  que  sur  l'o- 
pinion confirmée  des  peuples  et  des  nations  ,  qui  ont  cru  jusqu'au- 
jourd'hui les  mystères  de  l'Eglise  catholique.  Pourquoi  n'en  croi- 
rai-je  pas  à  leur  témoignage,  de  préférence  au  vôtre  ?  Est-ce  vous 
qui  m'apprendrez  mieux  ce  qu'il  me  commande  de  faire  et  de  pra- 
tiquer? Ce  qui  a  déterminé  ma  créance, je  le  répète,  c'est  l'éclat 
de  la  prédication ,  le  concours  des  témoignages,  et  l'assentiment 
de  l'univers  ;  c'est  l'ancienneté.  Vous,  vous  êtes  en  si  petit  nom- 
bre, et  si  peu  d'accord  entre  vous  ;  vous  êtes  de  si  fraîche  date  :  où 
est  votre  autorité?  Croyez,  sur  la  parole  de  tous  les  peuples,  qu'il 
faut  croire  à  Jésus-Christ;  et  apprenez  de  nous  ce  qu'il  a  enseigné. 
L'univers  tout  entier  n'aurait  rien  à  me  répondre  :  j'aurais  plus  de 
peine  encore  à  me  persuader  que  j'ai  tort  de  croire  à  Jésus-Christ, 
que  de  consentir  à  rien  apprendre  sur  la  religion ,  que  de  la  part 
de  ceux  à  qui  j'ai  l'obligation  de  croire.  Quelle  présomption  ,  ou 


DES    PRÉDICATEURS,  225 

plutôt  quelle  démence!  Je  vous  instruis  de  ce  que  veut  de  nous 
Jésus-Christ,  à  qui  vous  croyez  vous-même.  Si  je  n'y  croyais  pas 
est-ce  que  vous  m'y  feriez  croire,  vous  que  l'on  accuse  d'avoir  des 
doctrines  perverses?  C'est  l'Ecriture  qu'il  faut  croire:  mais  toute 
doctrine  écrite  que  l'on  produit ,  si  elle  est  nouvelle  ou  qu'elle 
ne  soit  autorisée  que  par  peu  de  personnes,  sans  être  confirmée 
par  quelques  raisons  ,  quand  on  l'embrasse,  ce  n'est  pas  à  elle 
qu'on  donne  sa  croyance,  mais  à  ceux  qui  la  veulent  recevoir, 
C'est  pourquoi,  si  les  Ecritures  dont  il  s'agit  n'étaient  présentées 
que  par  vous ,  il  ne  serait  pas  permis  de  vous  croire,  étant  en  aussi 

petit  nombre  et  aussi  peu  connus  que  vous   l'êtes Vous 

vous  mettez  en  contradiction  avec  vous-mêmes,  puisque  vous  en 
appelez*à]l'Ecriture  plutôt  encore  qu'à  la  raison.  Vous  m'opposerez 
le  nombre  de  vos  adhérens.  Remontez  à  la  source;  examinons 
quels  ont  été  vos  auteurs,  et  courez  vous  cacher  au  sein  de  votre 
obscurité. 

Jésus-Christ  ne  recommandait  rien  plus  fortement  que  la  sou- 
mission de  la   foi.  Ses  historiens  nous  l'attestent  :  le  premier   le 
plus  absolu  de  ses  commandemens  à  qui  recourait  à  lui    c'était 
que  l'on  crût.  Il  exaltait  la  foi  du  centenier  :  vous,  vous  blâmez  la 
nôtre.   Telle  est   la  conduite  qu'a  tenue  le  Fils   de  notre  Dieu. 
Voulant  nous  donner  un  moyen  de  corriger  nos  mœurs  dépravées 
et  corrompues ,  qu'a-t-il  fait?  Parce  que  ce  moyen  était  inouï    et 
que  le  monde  s'en  scandalisait ,  il  l'a  soutenu  à  force  de  miracles  ■ 
par  l'autorité  de  ses  miracles,  il  s'est  acquis  la  foi  des  peuples    il 
a  formé  une  Eglise  nombreuse;  par  la  propagation  de  cette  Eglise 
il  a  eu  le  témoignage  de  la  tradition  et  de  l'antiquité*  et  par  là 
enfin,  il  a  fortifié  sa  religion,  mais  en  sorte  que  ni  le  paganisme 
ni  les  hérésies  ne  l'ébranlassent  jamais.  Qu'est-ce  donc   que   le 
sage  a  de  mieux  à  faire   que  de  prendre  pour  guide  ou  pour  mo- 
dèle celui  qui  est  la  vérité?  Autorité  salutaire,  qui  nous  détache 
de  nos  affections  terrestres,  et  nous  élève  jusqu'au  Dieu  principe 
de  la  vérité.  Il  n'y  a  que  l'autorité  qui  frappe  et  entraîne  ceux  que 
leur  propre  raison  ne  ferait  qu'égarer.  S'il  n'était  pas  vrai  qu'il  y 
a  une  Providence  qui  préside  aux  choses  humaines,  il  n'y  a  plus 
d'étude  à  faire  delà  religion.  A.  défaut  de  la  raison,  dont  les  rayons 
sont  toujours  enveloppés  de  nuages  bien  difficiles  à  franchir  nous 
avons  l'autorité  des  miracles  et  celle  du  grand  nombre.  Pourquoi 
m'allez-vous  dire ,  ne  s'en  fait-il  plus  aujourd'hui  ?  parce  que  l'im- 
pression s'en  affaiblirait   s'ils   étaient  vulgaires.  Les  phénomènes 
de  la  nature  ne  nous  émeuvent  plus  par  l'habitude  où  nous  som 
t.  m.  ï5 


226  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

mes  de  les  voir.  Les  miracles  ne  sont  nécessaires  que  pour  les  com- 
mencemens,  afin  de  conquérir  la  conversion  des  mœurs.  Eh! 
n'est-ce  pas  encore  un  miracle  sans  cesse  jépété  que  cet  héroïsme  de 
vertus  chrétiennes  où  parviennent  non  seulement  les  hommes  les 
plus  éclairés,  mais  des  chrétiens  des  deux  sexes  des  dernières 
classes  de  la  société,  répandus  dans  tous  les  lieux  de  l'univers? 
Vous  objecterez  qu'il  en  est  bien  peu  qui  se  signalent  par  une  aussi 
sublime  perfection,  mais  encore  qui  y  conservent  la  sagesse  né- 
cessaire. Il  n'est  pas  moins  vrai  que  les  peuples  ne  les  entendent 
raconter  qu'avec  admiration ,  qu'avec  un  respect  mêlé  d'a- 
mour, que  le  récit  de  ces  merveilles  excite  le  secret  reproche  de 
n'en  pas  faire  autant,  et  ranime  dans  les  âmes  les  plus  languissantes 
de  vives  étincelles  de  vertu.  A  la  vue  dune  aussi  manifeste  pro- 
tection du  ciel  et  d'aussi  éclatans  succès,  pourrions-nous  balan- 
cer encore  à  nous  réfugier  au  sein  de  cette  Eglise ,  qui  est  arrivée 
à  ce  comble  d'autorité  de  se  faire  reconnaître  par  le  genre  humain 
tout  entier,  par  une  constante  succession  d'évêques ,  à  commen- 
cer par  le  siège  apostolique  jusqu'à  nous,  malgré  les  vociférations 
de  l'hérésie  foudroyée,  soit  par  le  jugement  du  peuple  fidèle,  soit 
par  les  décrets  des  conciles  ,  soit  par  la  majesté  des  miracles;  de 
sorte  que  l'on  ne  peut  refuser  à  l'Eglise  le  premier  rang  sans  se 
rendre  coupable  ou  d'une  grande  impiété  ou  de  la  plus  téméraire 
arrogance.  Et  s'il  n'est  point  de  voie  qui  mène  plus  sûrement  à  la 
sagesse  et  au  salut  que  de  plier  sa  raison  à  la  foi ,  n'est-ce  pas  mé- 
connaître étrangement  le  bienfait  que  nous  tenons  de  la  protection 
divine,  que  de  vouloir  résister  à  une  autorité  qui  se  recommande 
par  de  si  puissans  motifs  ?  Pour  la  science  la  plus  indifférente  com- 
me la  plus  facile,  il  nous  faut  des  maîtres  qui  nous  y  introduisent* 
et  pour  l'intelligence  des  livres  sacrés,  où  sont  contenus  les  se- 
crets de  la  sagesse  divine,  il  n'y  aurait  pas  besoin  d'interprètes? 
N'est-ce  pas  là  le  dernier  excès  de  la  présomption  et  de  l'orgueil  ? 
Si  donc  vous  n'êtes  pas  rebelles  à  mes  instances  et  à  votre  pro- 
pre raison,  et  si,  comme  j'aime  à  le  croire,  vous  êtes  sensibles  à 
vos  vrais  intérêts,  ne  vous  montrez  pas  indociles  à  ma  voix.  Aban- 
donnez-vous avec  une  foi  sincère,  une  ferme  espérance  et  une 
charité  simple  aux  meilleurs  maîtres  de  la  doctrine  chrétienne 
et  catholique,  et  ne  cessez  pas  de  prier  le  Seigneur,  qui  nous  a 
donné  l'être  par  sa  bonté,  qui  nous  a  châtiés  par  sa  justice  et 
délivrés  par  sa  clémence.  (Saint  Augustin,  De  l'utilité  de  la  foi.) 


DES    PREDICATEURS,  Z1J 

Nous  croyons  parce  que  c'est  Dieu  qui  a  parlé. 

/W  cru,  c'est  pourquoi  f  ai  parlé  ;  mais  fai  été  dans  la  dernière 
humiliation*.  Le  grand  Apôtre,  faisant  l'application  de  ces  paroles 
du  psaume,  a  dit:  Parce  que  nous  avons  un  même  esprit  de  foi,  se' 
Ion  qu'il  est  écrit:  fai  cru,  c'est  pourquoi  j'ai  parlé  ^.  Et  nous  aussi 
nous  avons  cru ,  c'est  pourquoi  nous  vous  parlons.  Il  faut  donc 
commencer  par  bien  entendre  le  sens  que  saint  Paul  donnait  à  ces 
paroles,  pour  mieux  connaître  la  pensée  du  prophète.  Point  de 
meilleure  méthode  pour  expliquer  un  auteur  que  de  saisir  l'en- 
semble de  ce  qu'il  a  voulu  dire  plutôt  que  d'isoler  ses  proposi- 
tions. Qu'est-ce  donc  que  saint  Paul  avait  en  vue  quand  il  citait 
David  ?  La  future  résurrection  qui  doit  nous  mettre  en  jouissance 
de  ces  biens  ineffables  qu'il  est  impossible  à  toute  intelligence  hu- 
maine de  bien  concevoir.  Parce  qu'ils  surpassent  toute  imagina- 
tion ,  l'Apôtre  a  commencé  par  reconnaître  lui-même  qu'il  ne  lui 
est  pas  possible  de  les  expliquer,  et  qu'il  faut  donc  y  croire  plutôt 
que  d'essayer  de  les  décrire.  Toutefois,  pour  empêcher  que  l'on 
n'abusât  de  son  silence,  en  l'accusant  de  ne  donner  que  des  promes- 
ses imaginaires,  il  prévient  l'objection  par  le  mot  du  Prophète, 
comme  s'il  disait  :  En  demandant  que  l'on  y  croie,  ce  n'est  pas 
une  chose  nouvelle  que  je  propose  :  je  ne  fais  que  conformer  ma 
croyance  à  l'exemple  des  saints.  En  effet,  le  psalmiste,  sur  le 
point  d'annoncer  au  peuple  juif  des  événemens  d'un  or- 
dre supérieur  à  toutes  les  probabilités  humaines,  avait  débuté 
par  s'écrier  :  J'ai  cru;  c  est  pour  cela  que  fai  parlé.  Et  quels  étaient- 
ils  ces  événemens  qui  s'offrent  à  ses  regards  si  long-temps  avant 
leur  accomplissement  ?  Il  voit  la  future  Jérusalem  détruite,  son 
temple  renversé,  ses  habitans  sous  le  joug  de  l'étranger, captifs  et 
transportés  dans  une  terre  lointaine,  un  peuple  barbare  remplaçant 
le  peuple  de  Dieu  dans  ses  antiques  possessions  ;  il  voit  les  enfans 
d'Israël,  abattus  par  le  désespoir,  s'imaginer  que  leurs  maux  sont 
sans  remède,  se  disant  l'un  à  l'autre  :  Si  dans  le  temps  que  nous 
possédions  Jérusalem,  ni  ses  remparts,  ni  ses  murailles,  ni  les  ar- 
mes de  ses  citoyens,  ni  toutes  les  ressources  de  l'opulence  n'ont 
pu  sauver  son  temple  et  arracher  son  peuple  aux  horreurs 
de  la  servitude  sous  laquelle  il  gémit,  quel  espoir  nous  res- 
te-t-il     aujourd'hui    de    pouvoir    jamais     rentrer     dans   notre 


1  .  cxy,  1.  (2)  n  Cor.  iv,  13, 

(5. 


228  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

patrie?  Vainement  leurs  Prophètes  essaieront-ils  de  consoler  ce 
peuple  affligé ,  en  l'assurant  d'un  prochain  retour  ;  vainement 
Isaïe,  entre  autres,  leur  dira  :  Ecoutez-moi ,  vous  qui  cherchez  la 
justice  et  cherchez  le  Seigneur  ,  rappelez  dans  votre  esprit 
cette  roche  dont  vous  avez  été  taillés ,  et  cette  citerne  profonde  dont 
vous  avez  été  tirés  1 .  Jetez  les  yeux  sur  Abraham  votre  père ,  et 
sur  Sara,  qui  vous  a  enfantés,  et  considérez  que  l'ayant  appelé 
lorsqu'il  était  seul,  je  l'ai  béni  et  je  l'ai  multiplié.  Remontez 
jusqu'à  votre  berceau.  Le  père  de  votre  race,  qu'était-il  ?  Un  étran- 
ger, un  vieillard  à  qui  son  âge  avancé  ne  laissait  point  l'espérance 
d'aucune  postérité;  roche  stérile,  incapable  de  porter  des  fruits; 
c'est  elle  pourtant  que  j'ai  fécondée  jusqu'à  en  faire  sortir  ce  grand 
peuple  qui  bientôt  a  couvert  de  si  vastes  contrées;  citerne  d'où 
l'eau  ne  jaillit  point  de  sa  propre  source,  mais  s'emplit  des  rosées 
du  ciel.  Sera-t-il  aujourd'hui  plus  difficile  au  Seigneur  de  remplir 
Jérusalem  avec  le  peu  qui  lui  reste,  qu'il  ne  le  fut  de  remplir  le 
monde  par  un  seul  homme  ?  A  la  suite  d'Isaïe,  Ezéchiel  venait  ra- 
nimer leurs  espérances  par  la  vive  image  d'une  campagne  pleine 
d'ossemens  desséchés ,  et  qui  se  raniment  tout  à  coup  à  la  voix  du 
Seigneur  :  tel  allait  être  le  merveilleux  changement  promis  aux 
enfans  d'Israël.  Maisils  refusaient  d'y  croire.  David,  au  contraire  , 
quelque  inexécutable  qu'il  fût  en  apparence,  y  croit,  et  l'annonce. 
De  même,  saint  Paul  :  La  foi,  dit-il,  nous  tient  lieu  de  l  évidence 
des  biens  que  nous  attendons.  Nous  ne  les  voyons  pas,  nous  ne  les 
comprenons  pas  même,  mais  nous  y  croyons.  D'aussi  magnifiques 
promesses  ne  s'apprécient  pas  par  des  raisonnemens  humains, 
mais  par  la  seule  foi.  Ce  que  Dieu  fait  est  trop  au  dessus  des  pen- 
sées de  l'homme.  Sa  raison  est  trop  faible  pour  se  mesurer  avec  les 
conseils  d'une  sagesse  aussi  profonde ,  aussi  magnifique.  Ce  n'est 
point  en  raisonnant,  maisen  croyant  que  l'on  honore  le  Seigneur  : 
aussi  le  même  Apôtre ,  parlant  du  saint  patriarche ,  loue-t-il  sa 
foi,  laquelle,  dit-il,  n'hésita  point  et  n'eut  pas  la  moindre  défiance 
delà  promesse  de  Dieu, mais  rendit  gloire  à  Dieu, pleinement  per- 
suadé qu'il  est  tout  puissant  pour  faire  tout  ce  qu'il  a  promis.  Ani- 
més du  même  esprit  de  foi ,  croyons  comme  Abraham,  comme  Da- 
vid, ce  que  nous  ne  voyons  pas,  avec  l'infaillible  certitude  de  le 
voir  un  jour.  Et  pourquoi  le  même  esprit  de  foi?  Parce  que  la  foi 
est  une  vertu  surnaturelle  que  nous  devons  demander  à   l'Esprit 


*  Is.  l,  1,2. 


DES    PRÉDICATEURS.  220, 

saint,  capable  seul  de  nous  élever  jusqu'à  la  hauteur  de  cette  foi, 
par  dessus  toutes  les  ignorances  orgueilleuses  de  notre  raison.  Il 
y  a  donc  une  foi  privilégiée,  celle  par  laquelle  on  fait  des  miracles, 
et  que  saint  Paul  compte  également  parmi  les  dons  extraordinai- 
res de  l'Esprit  saint  ;  et  une  foi  plus  simple,  en  vertu  de  laquelle 
nous  sommes  appelés  fidèles,  n'ayant  point  le  don  des  miracles^ 
mais  tenant  à  la  connaissance  de  la  religion.  Or,  celle-là  même  on 
ne  l'obtient  pas  sans  la  grâce  de  l'Esprit  saint.  Aussi  lisons-nous 
dans  le  livre  des  Actes,  au  sujet  de  Lydie:  Que  le  Seigneur  lui  ou- 
vrit le  cœur  pour  entendre  avec  soumission  ce  que  Paul  disait  *. 
Jésus-Çhrist  ne  disait-il  pas  lui-même:  Personne  ne  peut  venir  a 
moi  si  mon  Père ,  qui  mya  envoyé ,  ne  U attire  2  ? 

A  cela  vous  m'arrêtez  pour  me  dire  :  Si  la  foi  est  un  don  de  Dieu, 
où  est  le  péché  de  ceux  qui  ne  l'ont  pas,  puisque  ni  le  Seigneur 
ne  leur  ouvre  le  cœur,  ni  le  Père  ne  les  attire  ?  Je  réponds  que 
l'on  n'est  pas  moins  coupable  en  ne  se  rendantpoint  digne  de  cette 
grâce.  Il  faut  la  mériter.  Dieu  se  réserve  d'attirer  et  d'ouvrir  le 
cœur;  il  exige  un  cœur  qui  le  demande  et  qui  soit  docile  à  ses 
mouvemens.  Vous  en  avez  la  preuve  dans  le  centurion  Corneille , 
que  le  Seigneur  appela  à  lui  parce  que  ses  prières  étaient  montées 
à  l'avance,  en  présence  du  Seigneur.  Saint  Paul  ne  nous  le  laisse 
pas  ignorer  :  C'est  par  la  grâce  que  vous  êtes  sauvés  en  vertu  de  la 
foi;  et  cela  ne  vient  pas  de  vous ,  puisque  c'est  un  don  de  Dieu:  cela 
ne  vient  point  de  vos  œuvres ,  afin  que  nul  ne  s  en  glorifie  3,  écrivait- 
il  aux  Ephésiens.  Dieu  ne  nous  fait  nulle  contrainte,  nulle  violence: 
et  bien  que  notre  vertu  soit  en  grande  partie  et  presque  en  totalité 
son  ouvrage,  il  veut  bien  nous  laisser  quelque  part  du  mérite,  afin 
d'en  prendre  occasion  de  nous  récompenser.  Et  certes,  si  David 
reconnaissait  la  nécessité  de  la  foi  pour  croire  à  des  promesses  pu- 
rement temporelles,  à  plus  forte  raison  le  chrétien  en  a-t-il  besoin 
pour  des  espérances  d'un  ordre  tout  spirituel  et  des  biens  sur  les- 
quels les  sens  n'ont  point  de  prise.  A  moins  d'une  foi  ferme,  on 
chancelle,  on  s'égare ,  on  n'a  point  de  foi.  La  raison  humaine  n'est 
qu'un  poids  de  plus  qui  nous  accable  et  nous  laisse  dans  la  con- 
fusion ,  la  foi  seule  est  une  ancre  qui  nous  soutient  et  donne  un 
solide  point  d'appui  à  nos  espérances.  Nous  croyons  parce  que 
c'est  Dieu  qui  a  parlé,  et  que  sa  parole  est  infaillible.  Il  n'en  est 
pas  ainsi  delà  parole  de  l'homme.  (  Saint  Jean  Chrysostome  4). 

1  Act.  xvi,  14.  — 2  Jean,  vi,  44.  —  3  Ephes.,  u,  8. — 4  Exp.  in  ps.  ex 


a3û  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

Il  faut  tout  sacrifier  pour  la  foi. 

Chrétiens,  quoi  qu'on  nous  propose,  soyons  fermes  en  Jésus-Christ 
et  dans  les  maximes  de  son  Evangile.  Pourquoi  veut-on  nous  inti- 
mider parpa  perte  des  biens  dumondePTertulliena  dit  un  beau  mot 
que  je  vous  prie  d'imprimer  dans  votre  mémoire:  «  La  foi  ne  con- 
naît point  de  nécessités.  »  Vous  perdrez  ce  que  vous  aimez. —  Est-il 
nécessaire  que  je  le  possède?  —  Votre  procédé  déplaira  aux  hom- 
mes. —  Est-il  nécessaire  que  je  leur  plaise  ?  —  Votre  fortune  sera 
ruinée.  —  Est-il  nécessaire  que  je  la  conserve?  Et  quand  notre 
vie  même  serait  en  péril  :  mais  l'infinie  bonté  de  mon  Dieu  n'ex- 
pose pas  notre  lâcheté  à  des  épreuves  si  difficiles;  quand  notre  vie 
même  serait  en  péril,  je  vous  le  dis  encore  une  fois,  la  foi  ne  con- 
naît point  de  nécessités';  il  n'est  pas  même  nécessaire  que  vous 
viviez ,  mais  il  est  nécessaire  que  vous  serviez  Dieu  ;  et,  quoi  qu'on 
fasse,  quoiqu'on  entreprenne,  que  l'on  tonne,  que  l'on  foudroie, 
que  Ton  mêle  le  ciel  avec  la  terre,  toujours  sera-t-il  véritable  qu'il 
ne  peut  jamais  y  avoir  aucune  nécessité  de  pécher,  «  puisqu'il  n'y 
a  parmi  les  fidèles  qu'une  seule  nécessité  qui  est  celle  de  ne  prê- 
cher pas.  v  (  Bossuet,  Sermon  pour  le  jour  de  la  Pentecôte.  ) 

Péroraison. 

En  attendant,  mes  frères,  connaissez  tout  le  prix  des  lumières  dont 
vous  jouissez  par  la  foi  ;  bien  loin  de  vous  croire  de  vils  esclaves, 
asservis  par  une  aveugle  crédulité,  regardez-vous  comme  les  en- 
fans  de  la  lumière,  utfilii  lucis  1.  Les  entraves  de  votre  foi  ne  sont 
point  des  chaînes  qui  vous  lient,  mais  plutôt  des  ailes  qui  vous 
élèvent  jusqu'aux  cieux.  Ce  n'est  poiut  être  libre  que  d'avoir, 
comme  l'impie  ,1e  triste  pouvoir  de  s'égarer;  n'obéir  qu'aux  ora- 
cles de  la  Divinité,  c'est  la  vraie  liberté  de  la  raison;  j'ose  donc 
la  réclamer  ici  hautement  pour  l'honneur  de  ma  foi.  C'est  la  rai- 
son qui  me  conduit  à  la  soumission  ;  c'est  la  raison  qui  m'apprend 
à  savoir  ignorer  ce  qu'on  ne  peut  connaître  ;  plus  on  a  de  lumières, 
plus  on  est  soumis;  l'orgueil  est  le  vice  de  l'ignorance.  C'est  la 
raison  qui  me  dit  que  ce  présent  auguste  n'a  point  été  donné  à 
quelques  hommes  vains,  à  l'exclusion  de  tous  les  autres,  et  que 
1  univers  n'a  pas  rêvé  pendant  dixdiuit  siècles.  C'est  la  raison  qui 

4  Ephes.,  v,  28. 


DES    PRÉDICATEURS.  a3l 

nie  fait  sentir  que  la  soumettre  ce  n'est  point  la  combattre,  l'hu- 
milier ce  n'est  point  l'avilir,  la  fixer  ce  n'est  point  la  détruire.  C'est 
la  raison  qui  me  fait  comprendre  que ,  si  le  jeu  le  plus  léger  de  la 
nature  déconcerte  toutes  nos  idées,  les  grands  objets  de  la  foi 
peuvent  donc  aussi  nous  confondre.  C'est  la  raison  qui  me  per- 
suade que,  puisque  l'impiété  n'a  rien  dans  le  fond  qui  satisfasse  plei- 
nement, il  vaut  bien  mieux  se  soumettre  à  des  mystères  incompré- 
hensibles qu'à  d'incompréhensibles  erreurs.  C'est  la  raison  qui  me 
crie  à  haute  voix  que  Dieu ,  nous  ayant  fait  connaître  tout  ce  qu'il 
faut  pour  nous  conduire,  pour  l'aimer  et  l'adorer,  il  est  absurde 
de  vouloir  aller  plus  loin ,  parce  que  le  reste  n'est  pas  fait  pour 
nous.  C'est  la  raison  qui  me  découvre  que,  quand  Dieu  parle,  le 
plus  grand  de  tous  les  mystères  est  notre  rébellion  et  notre  or- 
gueil. Enfin,  c'est  la  raison  qui  m'invite  à  me  soumettre  à  une  foi 
qui  fait  ma  consolation  en  cette  vie  et  mon  bonheur  dans  l'autre^ 
(M.  de  Boulogne.) 


— < 


232  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 


PLAN  ET  OBJET  DU  SECOND  DISCOURS 
SUR    LA  FOI. 

EXORDE. 

F  ides  tua  te  salvumfecit. 
Votre  foi  vous  a  sauvé.  (Luc,  xvm.) 

C  est  ce  que  Jésus-Christ  dit  à  l'aveugle  de  Jéricho,  attribuant 
à  sa  foi  le  prodige  qu'il  venait  de  faire  en  lui  rendant  la  vue,  et 
f c'est  ce  qui  doit  nous  faire  juger  du  pouvoir  de  la  foi  sur  le  cœur 
de  Dieu.  L'Evangile  est  plein  des  miracles  opérés  en  faveur  de  cette 
vertu.  Jésus-Christ  en  fait  le  sujet  continuel  de  ses  éloges ,  quel- 
quefois celui  de  son  admiration,  lui  qui  étant  Dieu  ne  devait,  ce 
me  semble,  rien  admirer. 

Mais  cette  foi,  si  magnifiquement  louée ,  et  récompensée  par  le 
Fils  de  Dieu,  quelle  estime  devons-nous  en  faire,  à  la  considérer  par 
rapport  à  notre  salut  ?  Ce  que  le  cœur  est  dans  le  corps  de  l'homme, 
la  foi  l'est  dans  l'ame  du  chrétien.  Ellle  est  le  principe  de  sa  vie 
surnaturelle,  le  fondement  de  la  véritable  piété,  la  source  de  toute 
justice. 

Dans  ces  temps  de  nuage  et  d'obscurcissement,  où  l'impiété  s'ef- 
force de  nous  ravir  ce  bienfait  inestimable  de  cette  foi  divine,  oh! 
redoublons  nos  soins  pour  la  conserver,  la  ranimer,  la  faire  croî- 
tre et  fructifier  dans  nos  âmes.  Après  les  preuves  si  nombreuses 
et  si  éclatantes  de  la  révélation,  preuves  que  je  ne  viens  point 
développer,  elles  sont  le  sujet  d'un  autre  discours  :  celui-ci  les  sup- 
pose; après,  dis-je,  cette  foule  de  témoignages  qui  disposent  si 
hautement  en  faveur  de  la  divinité  de  notre  foi;  la  raison  elle-même 
conduit  à  la  foi,  comme  la  foi,  nous  conduit  à  Dieu.  Or,  la  foi 
doit  exercer  sur  nous  un  double  empire,  l'un  sur  l'esprit ,  l'autre 
sur  le  cœur;  sur  l'esprit,  en  le  soumettant  aux  vérités  qu'elle  en- 
seigne: sur  le  cœur,  en  l'assujettissant  aux  devoirs  qu'elle  impose. 
Il  faut  croire  les  vérités  de  la  foi,  il  faut  pratiquer  les  œuvres  de 
la  foi;  ces  deux  obligations  renferment  tout  ce  que  la  foi  exige  de 
nous,  et  sont  inséparables  l'une  de  l'autre  :  Ave,  Maria.  (J/abbé 
Richard,  Sur  la  foi.) 


DES    PRÉDICATEURS.  233 

Ce  que  c'est  que  la  foi. 

La  foi  est  l'assentiment  parfait,  et  sans  aucune  hésitation,  que 
nous  donnons  à  ce  'qui  nous  est  annoncé  de  la  part  de  tDieu  ,  et 
qui  nous  en  fait  confesser  la  vérité  avec  une  conviction  et  uneper- 
suasion  complètes.  Telle  était  la  foi  d'Abraham,  au  témoignage  de 
l'Apôtre. 

C'est  donc  bien  évidemment  un  péché  contre  la  foi  que  cet  or- 
gueil qui  fait  rejeter  quelques  uns  des  articles  renfermés  dans  nos 
saintes  Ecritures ,  ou  qui  essaie  d'introduire  des  choses  qui  ne  sont 
point  renfermées  dans  les  livres  dépositaires  de  notre  croyance  ; 
tandis  que  notre  Seigneur  nous  dit:  «  Mes  brebis  entendent  ma 
voix ,  »  et  que  l'Apôtre  nous  recommande  avec  tant  de  soin  de  ne 
rien  retrancher  de  ce  qui  est  contenu  dans  l'Ecriture,  et  de  n'y  rien 
ajouter.  (  Saint  Basile,  Sermon  sur  la  Foi.) 

Il  faut  croire  les  vérités  de  la  foi. 

Croire  les  vérités  qu'il  a  plu  à  Dieu  de  révéler  au  monde,  quel- 
que obscures  ,  quelque  incompréhensibles  qu'elles  puissent  être  , 
et  les  croire  sans  hésiter,  avec  une  pleine  conviction,  une  persua- 
sion plus  forte  qu'aucune  autre  persuasion,  parce  que  la  source 
d'où  ces  vérités  célestes  sont  émanées  les  rend  plus  certaines,  plus 
infaillibles  que  tout  ce  que  nous  pouvons  connaître  par  les  lumiè- 
res de  la  raison  et  le  témoignage  des  sens  :  voilà  la  foi  chrétienne, 
la  foi  qui  nous  sauve.  Or,  mes  frères ,  cette  soumission  de  notre 
esprit  aux  vérités  de  la  foi ,  tout  la  justifie ,  tout  la  commande. 
Voyons  combien  elle  est  juste  et  digne  de  Dieu,  combien  elle  est 
nécessaire  et  avantageuse  à  l'homme ,  nous  en  conclurons  qu'il  est 
également  de  notre  devoir  et  de  notre  intérêt  de  croire  ce  que  la 
foi  nous  enseigne. 

Qu'une  créature  raisonnable  humilie  sa  raison  devant  la  raison 
souveraine ,  dont  la  sienne  n'est  qu'une  faible  émanation  ;  qu'un 
esprit  étroit  et  borné  reconnaisse  son  impuissance  à  porter  ses 
vues  jusqu'à  la  hauteur  et  à  l'immensité  de  celles  Dieu ,  Père  et 
Créateur  de  tous  les  esprits,  infiniment  élevé  au  dessus  d'eux  par 
l'excellence  de  son  être,  la  profondeur  de  sa  sagesse  et  l'abon- 
dance de  ses  lumières,  quoi  de  plus  juste  ?  Qu'importe  que  nous 
ne  comprenions  pas  ce  que  nous  croyons  ,  dès  que  nous  savons 
que  c'est  Dieu ,  la  vérité  par  essence,  qui   nous   ordonne  de  le 


234  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

croire?  Le  peuple  d'Israël  n'aperçoit  le  mont  Sinaï  qu'environné 
d'une  épaisse  fumée  ;  mais  au  travers  de  tous  les  nuages  il  entend 
et  reconnaît  la  voix  de  Dieu  :  il  ne  la  respecte  pas  moins  ;  il  se 
prosterne  et  adore.  Ah  !  si  d'un  côté  il  faut  fermer  les  yeux  pour 
croire  ce  que  Dieu  nous  dit,  de  l'autre  ne  faudrait  il  pas  s'aveugler 
pour  ne  pas  croire  un  Dieu  qui  parle  ?  Où  Dieu  parle,  que  l'hom- 
me se  taise  ;  que  les  étoiles  s'éclipsent  devant  le  soleil ,  et  toutes 
les  intelligences  créées,  aux  premières  lueurs  de  la  vérité  éternelle  : 
tel  est  l'ordre  fondé  sur  la  nature  même  des  choses. 

La  gloire  de  la  foi  est  de  nous  y  soumettre.  Par  là  elle  nous 
tient  dans  une  juste  dépendance  à  l'égard  de  Dieu,  dont  le  domai- 
ne absolu  et  universel  s'étend  sur  tout  notre  être,  sur  notre  enten- 
dement comme  sur  notre  volonté.   Si  notre  volonté  doit  être  sou- 
mise à  ce  que  Dieu  commande,   pourquoi  notre  entendement  ne 
le  serait-il  pas  à  ce  Dieu  révélé  ,  Dieu  ne  pouvant  exercer  sur  lui 
son  autorité  qu'en  lui  ordonnant  de  mettre  ses  lumières  aux  pieds 
de  celui  dont  il  les  tient,  et  de  croire  par  la  foi  ce  qu'il  lui  fait 
connaître  par  la  révélation,  sans  lui  permettre  de  lever  le  voile 
qui  couvre  les  choses  révélées,  sans  laisser  à  l'esclave  la  liberté 
d'attenter  aux  secrets  de  son  maître  ?  Il  est  digne  delà  souveraineté 
du  premier  être  ,   dit  le  grand  Bossuet ,  de  régner  ainsi  sur  l'es- 
prit de  l'homme,  cet  esprit  vain  et  superbe  qui  s'évanouissait  dans 
ses  pensées,  qui  ambitionnait  la  science  de  Dieu  même  ,  et  voulait 
être  l'égal  du  Très-Haut.  La  curiosité  et  l'orgueil  l'ont  perdu, 
voilà  ses  plus  dangereuses  passions  ;  qu'il  les  enchaîne,  qu'il  les 
immole  sur  l'autel  de  la  foi.  Ce  sacrifice  honorera  le  Seigneur,  lui 
rendra  la  gloire  qu'une  folle  présomption  lui  avait  ravie. 

Et  ce  sacrifice  ;  mes  frères,  Dieu  l'exige.  Oui,  Dieu  a  résolu  de 
captiver  tout  entendement  sous  le  joug  de  la  foi,  d'abaisser  et  de 
briser  toute  hauteur  qui  ose  s'élever  contre  les  vérités  mystérieuses 
de  la  foi.  Quiconque  ne  croit  pas  ,  dit  l'Evangile,  sera  condamné: 
Qui  non  crediderit,  condemnabitur.  Eût-il  toutes  les  vertus  qui 
forment  la  probité  mondaine  ,  et  dont  les  sages  du  siècle  aiment 
à  se  parer  aux  yeux  des  hommes ,  il  n'est  aux  yeux  de  Dieu  qu'un 
objet  d'anathème,  il  est  déjà  jugé  :  Jam  judicatus  est.  Aussi  pour- 
quoi ne  pas  se  soumettre  à  l'autorité  divine  ?  Pourquoi  faire  cet 
outrage  au  Dieu  de  vérité  ,  de  ne  pas  le  croire  sur  sa  parole,  tandis 
qu'on  croit  un  simple  mortel  sur  la  sienne  ;  d'oser  dire  au  Dieu 
de  grandeur  et  de  majesté  :  Je  n'obéirai  pas  ?  Voilà  le  crime  de 
l'incrédule  ;  rebelle  à  son  créateur ,  il  lui  refuse  l'hommage  de 
cette  intelligence  qu'il  a  reçue  de  lui.  Elle  est  bien  faible,  bien  bor- 


DES    PREDICATEURS.  ?**" 

née  ;  un  atome  est  un  abîme  où  sa  raison  se  perd  ,  et  il  prétend 
sonder  les  profondeurs  de  sa  divinité!  Il  ne  se  comprend  pas  lui- 
même,  et  il  veut  comprendre  l'infini  î  Quel  aveuglement,  quel  de- 
lire!  et  c'est  le  comble  de  l'impiété  ,  comme  de  la  folie ,  de  s'éle- 
ver contre  la  vérité  suprême ,  lorsqu'il  est  indubitable  qu'elle  a 
parlé. 

Adorons  -  la  sous  le  nuage  dont  elle  se  couvre  :  respectons  la 
barrière  sacrée  qui  environne  le  sanctuaire  où  elle  habite  une  la- 
micre  inaccessible.  Ce  n'est  pas  encore  le  temps  delà  voir  de  près  et 
de  contempler  toutes  ses  merveilles;  nos  yeux  ne  pourraient  en 
soutenir  le  vif  éclat.  Nous  marchons  ici-bas  dans  un  lieu  obscur  , 
où  la  sombre  lueur  de  la  foi  doit  nous  suffire,  jusqu'à  ce  que  nous 
arrivions  au  grand  jour  où  tout  sera  manifesté.  Sage  et  admira- 
ble économie  de  la  religion  !  Elle  nous  fait  acheter  les  biens  du 
ciel  au  prix  de  ceux  qui  leur  répondent  sur  la  terre,  et  qui  n  en 
sont  qu'une  ombre  ;  la  gloire  par  l'humiliation  ,  le  repos  par  le  tra- 
vail ,  la  joie  par  Jes  souffrances,  et  les  ravissantes  clartés  de  la  foi 
béatifique  par  une  humble  soumission  aux  dogmes  ténébreux  de  la 
foi.  Il  faut  que  notre  esprit  subisse  la  loi  commune,  qu'il  soit  exer- 
cé, éprouvé  par  une  obéissance  aveugle,  avant  d'être  pleinement 
heureux  dans  la  jouissance  delà  vérité  même.  Quoi  de  plus  équi- 
table ?  Pour  une  éternité  de  splendeurs  glorieuses  ,  est-ce  trop  de 
quelques  momens  d'obscurité  ?  Videmus  nunc  in  œnigmate ,  tune 
autemfacie  adfaclem.  Et  voyez ,  mes  frères ,  combien  est  agréa- 
ble à  Dieu  l'hommage  que  notre  foi  lui  rend!  Par  la  foi  nous  hono- 
rons sa  souveraine  véracité ,  et  nous  reconnaissons  que  l'entende- 
ment humain  doit  céder  à  cet  Esprit  incréé  ,  éternel,  océan  sans 
bornes  de  sagesse  et  de  lumières  :  par  la  foi  nous  soumettons  à 
Dieu  la  plus  orgueilleuse  puissance  de  notre  ame,  cet  esprit  si 
fier,  si  indépendant,  naturellement  porté  à  ne  croire  que  ce  qu'il  voit 
et]ce qu'il  comprend;  par  la  foi  nous  immolons  à  Dieu  cette  raison, 
la  plusbrillante  prérogative  de  l'homme,  la  plus  noble  portion  de 
son  être,  et  qui  en  fait  le  roi  de  la  nature.  Ce  sacrifice  est  comparé  par 
les  saints  Pères  à  celui  d'Abraham;  il  le  surpasse  même,  puisque,  au 
lieu  que  ce  père  des  croyans  ne  fit  que  prendre  le  glaive  et  lever  le 
bras,  nous  portons  le  coup,  nous  frappons  la  victime,  victime 
d'autant  plus  glorieuse  au  Seigneur,  à  qui  elle  est  offerte  ,  qu'elle 
est  plus  précieuse  et  plus  chère  à  l'homme  qui  la  lui  présente  : 
voilà  l'excellence  et  le  mérite  de  la  foi.  Cette  vertu  est  le  triomphe 
du  Souverain  dominateur  des  esprits  ;  c'est  une  victoire  écla- 
tante que  l'homme,  aidé  de  la  grâce,  remporte  sur  lui-même,  pour 


236  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE 

se  soumettre  à  l'autorité  du   Dieu  révélateur  qui  exige  ce  tribut 
d'obéissance. 

Tribut  légitime  sans  doute,  et  de  quel  prix  doit-il  être  aux  yeux 
de  Dieu,  puisque  c'est  le  titre  que  l'Église  lui  présentera  pour  nous 
le  rendre  propice  à  l'heure  de  la  mort?  Seigneur,   dira-t-elle  par 
la  bouche  de  son  ministre,  jetez  un  regard  miséricordieux  sur 
cette  ame  prête  à  paraître  au  tribunal  de  votre  justice.  Elle  a  bien 
des  sujets  de  redouter  la  sévérité  de  vos  jugemens;  elle  a  péché, 
mais  elle  n'a  pas  cessé  de  croire  :  Licet  peccaverit,  tamen  credidit. 
Auguste  et  ineffable  Trinité,  Père,  Fils,  Esprit-Saint,  souvenez- 
vous  qu'elle  a  toujours  confessé,  invoqué,  loué  votre  nom.  Elle 
s'est  humiliée,  anéantie  devant  l'obscurité  impénétrable  de  vos 
mystères,   elle  les  a  crus  et  adorés.  Soyez  plus  touchée  de  sa  foi 
que  de  ses  égaremcns.  Si  elle  vous  a  offensée  en  se  soumettant , 
par  un  effet  de  la  fragilité  humaine,  à  l'empire^des  sens,  elle  vous 
a  glorifiée  en  s'élevant,  par  un  généreux  effort,  au  dessus  d'eux  et 
d'elle-même,  au  dessus  de  ses  idées,  de  ses  répugnances,  des  ré- 
voltes de  son  esprit  et  de  sa  raison ,   pour  se  soumettre  à  votre 
parole  et  vous  rendre  par  là  le  culte  le  plus  digne  du  Dieu  de  vé- 
rité :  Licet pccccwerit ,  tamen  credidit.  (L'abbé  Richard.) 

L'hommage  de  notre  raison  à  Dieu  est  nécessaire  et  avantageux  à  l'homme. 

Eh!  dans  quel  abîme  de  ténèbres  et  de  maux  ne  serions-nous 
pas  ensevelis  sans  le  bienfait  inestimable  de  la  foi  ?  Privé  de  sa  lu- 
mière (car  tout  n'est  pas  mystère  dans  ce  que  la  foi  nous  révèle  : 
si  elle  nous  propose  des  vérités  obscures,  elle  nous  en  montre  de 
lumineuses  :  la  nuit  est  d'un  côté,  mais  le  jour  le  plus  pur  est  de 
l'autre);  privé,  dis-je,  de  la  lumière  de  la  foi,  l'homme  ne  sait 
plus  ce  qu'il  est,  ni  d'où  il  vient,  ni  où  il  va,  ni  ce  qu'il  doit  à 
Dieu,  à  ses  semblables,  à  lui-même.  Sur  tous  ces  objets  d'une  si 
haute  importance,  sa  raison  est  muette  ou  ne  fait  que  bégayer. 
L'insuffisance  de  la  raison  humaine  en  matière  de  religion  et  de 
morale  ne  s'est  que  trop  manifestée  durant  une  longue  suite  de 
siècles  :  aussi  le  plus  sage  philosophe  de  l'antiquité  profane,  So- 
crate,  a  fait  cet  aveu  bien  glorieux  à  notre  foi ,  que  les  hommes  ne 
sortiraient  jamais  de  leur  ignorance  et  de  leurs  égaremens,  si  un 
être  bienfaisant  ne  descendait  du  ciel  pour  faire  luire  sur  eux  un 
flambeau  divin  ,  seul  capable  de  les  éclairer  et  de  les  guider,  et 
qu'il  fallait  l'attendre. 

Il  est  venu  ,  Chrétiens  ;  il  luit  à  nos  yeux,  ce  flambeau  allumé 


hES  PRÉDICATEURS.  ^37 

aux  rayons  de  la  Divinité  même  ;  il  a  chassé  devant  lui  toutes  les 
ombres,  il  a  dissipé  tous  les  prestiges  de  l'erreur  et  du  mensonge. 
Par  ses  divines  lumières ,  la  foi  nous  établit  dans  la  possession  tran- 
quille des  vérités  le  plus  étroitement  liées  avec  nos  devoirs  et  les 
plus  nécessaires  à  notre  bonheur. 

Lumières  de  la  foi,  lumières  à  la  portée  de  tous  les  esprits,  elles 
se  communiquent  à  tous  les  âges  et  à  tous  les  états;  elles  viennent 
s'offrir  à  nous  dès  notre  enfance,  et  nous  accompagnent  jusqu'au 
tombeau.  Il  ne  faut  point  les  acheter  par  de  pénibles  discussions, 
des  recherches  laborieuses.  Elles  ne  demandent  que  des  âmes  at- 
tentives et  dociles  à  la  voix  du  ciel,  qui  les  instruit;  de  sorte  que 
les  connaissancees  les  plus  précieuses  à  l'homme  sont  encore  les 
plus  faciles  à  acquérir  :  avantage  de  la  foi  chrétienne  qui  est  une 
des  preuves  les  plus  sensibles  qu'elle  vient  de  Dieu  ,  puisque  si , 
d'une  part,  Dieu  veut,  selon  le  grand  Apôtre,  que  tous  les  hom- 
mes parviennent  à  la  connaissance  de  la  vérité  et  au  terme  du  salut, 
et  si,  de  l'autre,  la  plupart  des  hommes  n'ont  ni  la  capacité  ni  le 
loisir  de  se  livrer  à  de  longues   études  pour  découvrir  les  vérités 
qu'il  leur  importe  le  plus  de  connaître,  il  était  de  la  sagesse  de  Dieu 
de  leur  donner  un  moyen  de  s'instruire  proportionné  et  convena- 
ble à  tous,  aux  petits  comme  aux  grands  ,  aux  pauvres  comme  aux 
riches,  aux  esprits  bornés  comme   aux  génies  sublimes;   et  ce 
moyen  ne  peut  être  que  la  foi  fondée  sur  la  révélation.  La  voie  de 
la  discussion  et  du  raisonnement  n'est  point  faite  pour  la  multi- 
tude :  elle  ne  ferait  que  s'y  égarer  et  se  perdre.  La  voie  de  l'auto- 
rité et  du  précepte  est  la  plus  abrégée,  et  la  seule  qui  réponde  à 
sa  situation  et  à  ses  besoins.  L'incrédule  en  convient,  et  avoue  que 
notre  religion  est  bonne  pour  le  peuple  :  donc  elle  est  la  véritable 
religion  ,  celle  que  Dieu  a  donnée  aux  hommes,  puisque  le  peuple 
est  la  totalité  morale  du   genre  humain ,  et  que ,  d'ailleurs ,  tout 
homme  est  peuple  dans  la  science  de  la  religion. 

Lumières  delà  foi ,  lumières  uniformes  et  invariables.  Allez,  par- 
courez toutes  les  contrées  qu'elles  éclairent,  écoutez  la  voix  de  toutes 
les  Églises  du  monde  chrétien,  elles  vous  diront  qu'elles  ont  le  même 
Evangile,  qu'elles  chantent  le  même  Symbole,  qu'elles  font  profes- 
sion de  la  même  foi  que  nous.Pv.emontez  de  siècle  en  siècle  jusqu'aux 
Apôtres  ;  nous  croyons  ce  qu'ils  ont  cru  et  enseigné  ce  qu'ont  cru 
et  enseigné  après  eux  les  Irénée ,  les  Cyrille ,  les  Ambroise ,  les  Au- 
gustin, les  Chrysostôme,  les  Jérôme,  les  plus  beaux  génies  de  l'uni- 
vers; ce  qu'ont  cru  tant  d'autres  personnages  révérés,  princes,  pon- 
tifes, savans,  martyrs,  solitaires,  justes  de  tous  les  états,  modèles  de 


2}8  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQTJB 

piété  et  de  sagesse ,  héros  en  tout  genre  de  vertu.  Leur  foi  nous  a 
été  transmise  sans  aucune  altération.  Comme  elle  n'est  pas  l'ou- 
vrage des  hommes,  elle  ne  se  ressent  pas  de  la  mutabilité  des  cho- 
ses humaines.  Elle  est  la  lumière  véritable  et  indéfectible  qui  nous 
éclaire  dans  les  voies  ténébreuses  de  cette  vie.  Elle  réprime  la  lé- 
gèreté et  l'inconstance  de  notre  esprit,  qui,  sans  ce  frein  salutaire, 
flotterait  d'opinions  en  opinions  sans  pouvoir  se  fixer,  se  reposer 
sur  aucune,  et  nous  laisserait  dans  des  perplexités  cruelles  sur 
nos  plus  chers  intérêts.  Voyez  les  hérétiques  qui  ont  osé  se  sous- 
traire à  l'autorité  de  la  foi;  égarés  dans  des  routes  diverses,  ils  ne 
s'accordent  pas  entre  eux.  Quel  trouble,  quelle  confusion  ,  quelle 
opposition  de  sentimens  !  Combien  de  fois  n'en  ont-ils  pas  changé 
sur  les  points  les  plus  essentiels  de  la  religion  !des  volumes  entiers 
ont  à  peine  suffi  à  recueillir  les  variations  d'une  seule  de  leurs 
sectes.  L'erreur  se  reproduit  sous  mille  formes1,  c'est  une  hydre  à 
cent  têtes  :  mais  la  vérité  du  Seigneur  demeure  éternellement  la 
même  :  Veritas  Domine  manet  in  œternum. 

Heureux  le  peuple  attaché  à  cette  Eglise  où  réside  la  vérité  de 
Dieu  ,  à  laquelle  Dieu  a  confié  le  dépôt  de  sa  parole,  qu'il  a  établie 
la  règle  vivante  et  infaillible  de  notre  croyance,  toujours  inspirée 
par  son  esprit,  toujours  invincible  aux  puissances  des  ténèbres, 
toujours  enseignant  la  saine  doctrine  qu'elle  puise  à  la  source  des 
oracles  divins,  dont  elle  est  la  gardienne  et  l'interprète.  Nous 
sommes  ce  peuple  privilégié. 

Lumières  de  la  foi,  lumières  qui  nous  donnent  les  connaissances 
les  plus  sublimes  et  les  plus  intéressantes  :  la  connaissance  de  Dieu, 
la  connaissance  de  l'homme;  l'une  et  l'autre  si  supérieures  aux 
faibles  vues  de  la  raison.  Que  connaissons-nous  par  la  foi?  Dieu 
et  ses  adorables  perfections ,  les  secrets  et  les  profondeurs  de  son 
essence  infinie,  la  trinité  des  personnes  dans  l'unité  de  sa  nature, 
les  décrets  de  sa  sagesse,  les  voies  de  sa  providence,  les  richesses 
de  sa  miséricorde,  les  prodiges  de  son  amour.  Combien  la  foi  élève 
et  ennoblit  notre  esprit  en  le  remplissant  de  la  science  des  choses 
de  Dieu,  en  l'approchant  et  le  nourrissant  de  la  vérité  suprême, 
d'où  toutes  les  autres  vérités  émanent  comme  de  leur  source  pri- 
mitive !  De  là  elle  nous  fait  descendre  au  dedans  de  nous-mêmes , 
et,  à  la  lueur  de  son  flambeau,  nous  voyons  la  cause  fatale  de  ce 
poids  de  corruption  qui  nous  entraîne  vers  la  terre ,  de  cette  guerre 
intestine  dont  notre  cœur  est  le  théâtre,  de  Ce  mélange  d'élévation 
et  de  bassesse,  d'amour  de  la  vertu  et  de  penchant  au  vice;  de 
cette  tyrannie  des  passions ,  qui  fait  que  l'homme  est  une  énigme 


DES    PRÉDICATEURS.  2%$ 

impénétrable  à  ses  propres  yeux ,  et  qu'aucun  des  sages  du  siècle 
n'a  pu  éclaireir.  Elle  nous  apprend  que  l'homme  n'est  point  tel 
qu'il  est  sorti  des  mains  du  Créateur,  que  la  dégradation  de  son 
être  est  la  peine  de  sa  désobéissance;  qu'il  est  un  sujet  rebelle  et 
disgracié  :  mais  qu'un  médiateur  lui  a  été  donné  pour  le  réconcilier 
avec  Dieu,  guérir  tous  ses  maux  et  le  combler  de  biens.  Dès  lors 
tout  s'explique,  et  les  misères  de  l'homme  n'accusent  plus  la  bonté 
ni  la  justice  de  Dieu. 

Lumières  de  la  foi,  lumières  les  plus  vastes  et  les  plus  multi- 
pliées. Que  de  choses  la  foi  nous  révèle  !  Aussi  étendue  que  l'éter- 
nité, dit  saint  Bernard,  elle  enferme  dans  son  sein  le  présent,  le 
passé,  l'avenir.  Nous  fait-elle  remonter  à  la  naissance  des  siècles  : 
elle  nous  montre  l'univers  sortant  du  néant  à  la  voix  de  Dieu,  et 
nous  rend  spectateurs  des  merveilles  de  la  création  :  cieux,  astres, 
terre,  mer,  animaux,  l'homme ,  tout  reçoit  1  être  et  la  vie  des  mains 
du  Tout-Puissant,  qui  consomme  son  ouvrage  dans  l'espace  de 
six  jours  et  sanctifie  le  septième.  Ce  ne  sont  pas  ici  des  conjectures 
hasardées,  des  suppositions  arbitraires,  mais  des  faits  certains  dont 
Dieu  lui-même  est  le  garant  comme  il  en  fut  l'auteur.  Vains  sys- 
tèmes de  la  philosophie  sur  l'origine  du  monde  et  des  peuples  qui 
l'habitent!  Ils  sont  d'une  fausseté,  d'une  absurdité  palpables,  dès 
qu'ils  s'écartent  de  ce  que  nous  en  apprend  la  révélation. 

Que  de  vérités  utiles  et  du  plus  grand  intérêt,  dans  tout  le  cours 
de  la  vie,  la  fui  nous  découvre  encore,  et  que  nous  n'aurions  pu 
connaître  sans  elle!  La  propagation  delà  tache  originelle  et  le 
moyen  de  l'effacer  que  nous  présente  la  bonté  divine,  notre  im- 
puissance pour  le  bien,  la  nécessité  de  la  grâce  ,  l'efficacité 
de  la  prière,  la  vertu  inépuisable  des  sacremens ,  le  culte  saint 
que  le  Seigneur  exige  et  les  hommages  qui  lui  plaisent,  le  pardon 
qu'il  promet  à  notre  repentir  et  la  piscine  salutaire  où  nous  pou- 
vons laver  toutes  nos  offenses,  l'usage  consolant  que  nous  pou- 
vons faire  de  nos  maux  pour  augmenter  nos  mérites  ,  la  présence 
d'un  Homme- Dieu  sur  nos  autels,  l'excellence  et  la  perpétuité  de 
son  sacrifice,  les  ressources  infinies  qu'il  offre  à  tous  nos  besoins. 

Que  dirai-je  encore  ?  La  foi  étend  nos  vues  au  delà  des  bornes 
du  temps.  Elle  nous  trace  le  grand  tableau  de  la  vie  future;  du 
lieu  de  notre  exil,  elle  nous  fait  considérer  la  gloire  et  les  délices 
de  la  Jérusalem  céleste,  où  nous  sommes  attendus.  Nous  connais- 
sons les  récompenses,  les  vertus  et  jusqu'aux  noms  de  ses  heureux 
habitans.  Nous  entretenons  avec  eux  un  commerce  de  religion , 
et  nous  les  prions  de  s'intéresser  en  notre  faveur  auprès  de  Dieu; 


2/fo  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

pleins  de  charité  et  à  la  source  de  toutes  les  grâces  ,  ils  les  deman- 
dent pour  nous,  et  les  obtiennent  :  c'est  la  communion  des  saints. 
Cependant,  quand  le  nombre  des  élus  sera  rempli,  ce  monde  fi- 
nira. La  foi ,  dépositaire  des   secrets  du  Très-Haut ,  nous  instruit 
des  événemens  qui   signaleront  la  consommation  des  siècles.  La 
fin  de  tout  est  venue  :  l'univers  en  feu  s'écroule  et  tombe  en  ruines 
de  toute  part.  Le  son  de  la  fatale  trompette  pénètre  jusqu'au  fond 
des  sépulcres,  et  en  ranime  les  cendres  :  tous  les  morts  ressusci- 
tent; leurs  corps  se  réunissent  pour  jamais  à   leurs  âmes;  toutes 
les  générations  humaines  sont  assemblées.  Dieu  paraît:  il  justifie 
sa  providence,  et  met  le  dernier  sceau  à  tous  les  arrêts  de  sa  justice; 
les   médians  sont  couverts  d'opprobre,  les  bons   rayonnans  de 
gloire.  Ceux-ci ,  bénis  du  Seigneur  ,  retournent  triomphans  au  sé- 
jour de  la  félicité;  ceux-là,  maudits  et  poussant  des  cris  de  dé- 
sespoir, rentrent  dans  le  lieu  de  leurs  tourmens.  Il  n'y  aura  plus 
de  temps  alors ,  ce  sera  le  règne  de  l'éternité.  (Le  même.) 

La  foi  des  chrétiens  est  fondée  sur  la  raison  de  Dieu. 

Celse  reproche  à  notre  foi  de  n'être  appuyée  sur  aucune  raison 
solide.  C'est,  selon  lui,  l'esprit  de  sédition,  l'utilité  qu'on  espérait 
en  retirer,  la  crainte  enfin,  qui  ont  déterminé  tant  de  personnes 
à  embrasser  le  Christianisme. 

Eh  quoi!  une  religion  qui  a  la  raison  de  Dieu  même  pour  fon- 
dement ne  vous  paraît  point  établie  sur  une  raison  solide!  Vous 
ne  pensez  donc  plus  que  la  foi  des  Chrétiens  a  pour  principe  ce 
même  Dieu,  qui  a  daigné  instruire  les  hommes  parla  bouche  de 
ses  Prophètes,  et  leur  promettre  tant  de  siècles  auparavant  l'avé- 
nement  de  ce  Christ  qui  devait  être  le  Sauveur  de  tout  le  genre 
humain  ?  Or,  ce  Christ  est  venu.  Les  miracles  sans  nombre  qu'il 
a  opérés  nous  l'ont  montré  de  manière  à  ne  nous  laisser  aucun 
doute;  et  c'est  lui  qui  a  jeté  dans  le  monde  les  premières  semences 
de  la  foi  divine  que  nous  avons  embrassée. 

Celse  n'a  pas  plus  raison  d'avancer  que  nous  cachons  les  princi- 
paux dogmes  de  notre  croyance.  Bien  loin  de  les  cacher,  nous  les 
publions  hautement.  Dès  qu'un  païen  quitte  ses  idoles  pour  venir 
se  joindre  à  nous,  la  première  chose  que  nous  cherchons  à  lui  inspi- 
rer, c'est  un  mépris  profond  pour  tout  ce  qui  naguère  encore 
était  l'objet  de  son  culte.  Nous  nous  efforçons  de  lui  faire  com- 
prendre combien  il  est  absurde  de  prodiguer  à  des  créatures  des 
hommages  qui  doivent  être  réservés  au  seul  Créateur. 


DES    PREDICATEURS.  1^\ 

Mais  où  est  donc  cet  esprit  de  sédition  qu'il  nous  reproche? 
Quand  nous  a-t-on  vus  secouer  le  joug  de  l'obéissance  ?  quand  nous 
a-t-on  vus  nous  révolter  contre  les  autorités  et  contre  les  magistrats*1 

ri 

L'univers  sait  que  les  Chrétiens  meurent  avec  courage  pour  leur  foi  ; 
mais  il  sait  aussi  qu'ils  meurent  quand  il  le  faut  pour  leurs  ser- 
mens.  Où  sont  donc  ces  prétendues  terreurs  que  nous  inspirons? 
Philosophes,  à  quoi  bon  des  assertions  sans  preuves?  Nous 
vous  sommons  de  prouver  ce  que  vous  avancez,  à  moins  que  vous 
n'entendiez  par  ces  terreurs  ridicules  ces  vérités  appuyées  sur  nos 
saintes  Ecritures  :  que  Dieu  est  le  Juge  suprême,  et  qu'il  demande 
compte  à  tous  les  hommes  de  ce  qu'ils  ont  fait.  Que  Celse  appelle 
cela,  s'il  veut,  des  terreurs  ridicules  ;  mais  qu'il  sache,  après  tout, 
qu'un  de  ses  dogmes  aussi  enseigne  que  les  hommes  injustes  seront 
punis.  (  Origène,   Contre  Celse ,  liç.  III.) 

La  foi,  ayant  pour  base  la  parole  de  Dieu  ,  ne  peul  nous  tromper. 

Les  Ecritures  appellent  quelquefois  Dieu  la  raison,  non  seule- 
ment parce  qu'il  est  la  source  de  toute  raison,  de  toute  intelligence 
et  de  toute  sagesse,  mais  principalement  parce  que  la  raison  de 
Dieu  est  simple  comme  son  essence ,  et  placée  bien  au  dessus  de 
celle  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  élevé  dans  les  créatures.   Cette 
raison,  c'est  la  vérité  subsistante  véritablement  en  Dieu,  el  qui, 
renfermant  une  idée  claire  et  infaillible  de  toutes  choses ,  devient 
le  fondement  de  notre  foi,  en  même  temps  que  cette  foi  divine  elle- 
même,  pour  les  fidèles, une  colonne  ferme,  inébranlable  qui  les  sou- 
tient dans  la  vérité,  et  leur  donne  une  connaissance  parfaite,  simple, 
immuable,  de  toutes  les  vérités  qu'ils  doivent  croire.  Je  dis  immuable  : 
car,  s'il  est  vrai  que  la  connaissance  que  nous  avons  des  choses  unit 
en  quelque  sorte  ces  mêmes  choses  à  notre  intelligence  qui  les  com- 
prend, etqu'au  contraire  l'ignorance  est  cause  de  nos  fluctuations,  de 
noschangemens,  de  nos  incertitudes,  rien  ne  pourra  jamais  ébranler 
dans  sa  foi  l'homme  qui  croit  à  la  vérité  elle-même;  et   c'est  là  ce 
qui  lui  donnera  cette  constance,  cette  immutabilité  dont  je  parle. 
D'autres  auront  beau  le  traiter  d'insensé;   intimement  uni   à    la 
souveraine  vérité,  il  sait  mieux  que  personne  combien  son  intel- 
ligence est  éloignée  de  toute  folie.  Les  autres  ne  savent  point  que 
c'est  à  la  lumière  de  la  vérité  qu'il  s'est  arraché  aux  erreurs  qui  les 
entraînent  eux-mêmes;  mais,  pour  lui,  il  sait  que   la  sagesse  le 
dirige,  et  qu'au  lieu  de  ces  doutes,  de  ces  opinions  incertaines, 
qui  tour  à  tour  se  succédaient  naguère  dans  son  esprit,  grâce  à 

T.    III.  l6 


2/.2  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

la  foi  que  le  ciel  a  fait  naître  en  lui,  ses  idées  ne  doivent  désor- 
mais avoir  cette  incertitude  ,  cette  variabilité  qui  ne  l'ont  que  trop 
long-temps  dominé. 

C'est  de  la  sorte  que  les  fondateurs  de  notre  divine  croyance  se 
sont  tous  laissé  massacrer  pour  rendre  témoignage  à  la  vérité; 
prouvant  par  là,  jusqu'à  l'évidence,  que  les  lumières  que  nous  donne 
la  foi  chrétienne,  en  même  temps  qu'elles  sont  simples,  sont  en- 
core marquées  du  plus  frappant  caractère  de  Divinité,  ou  plutôt 
que  c'est  dans  notre  foi,  et  dans  notre  foi  seule  ,  que  l'homme  peut 
trouver  la  véritable  connaissance  de  Dieu.  (Saint  Denis  1  Aréopa- 
gite ,  Des  Noms  divins.  ) 

La  foi  des  chrétiens  est  vraisemblable. 

Quoi  de  plus  digne  d'éloge  que  cette  foi  qui  nous  fait  croire 
aux  paroles  d'un  Dieu  créateur,  souverain  de  toutes  choses?  Que 
de  raisons  n'avons-nous  pas  de  rendre  des  actions  de  grâces  à  ce- 
lui qui  nous  a  conduits  à  cette  foi  salutaire,  et  de  confesser  que  , 
sans  l'aide  de  Dieu  ,  il  n'aurait  jamais  pu  accomplir  un  si  grand 
œuvre  ? 

Si,  de  plus,  nous  croyons  fermement  au  récit  de  ceux  qui  ont 
écrit  les  Evangiles;  si  leur  piété,  si  leur  candeur,  si  la  sincérité 
qui  règne  dans  leur  ouvrage,  nous  entraînent,  nous  subjuguent 
et  nous  empêchent  de  soupçonner  la  moindre  fraude,  la  moindre 
fourberie,  la  moindre  ruse,  le  moindre  détour  de  leur  part,  qu'y 
a-t-il  en  cela  de  si  surprenant?  N'en  usons-nous  pas  de  même  à 
l'égard  des  historiens ,  de  quelque  pays  qu'ils  soient? 

Voyez  aussi  si  notre  foi  ne  change  pas  à  leur  avantage  ceux  qui 
prêtent  une  oreille  docile  à  nos  instructions,  précisément  par  cela 
seul  qu'elle  est  raisonnable  et  fondée  sur  le  sens  commun.  Car, 
encore  que  la  perversité,  renforcée  par  une  éducation  vicieuse, 
ait  pu  persuader  à  plusieurs  que  des  images  d'or,  d'argent,  de 
bois,  sont  des  dieux  dignes  d'adoration,  le  bon  sens  veut  cepen- 
dant que  nous  ne  considérions  pas  comme  des  dieux  une  matière 
vile  et  sujette  à  la  corruption ,  que  nous  ne  prenions  point  la  créa- 
ture pour  celui  qui  a  créé,  qui  soutient,  qui  gouverne  tout.  Il  n'y 
a  point  d'ame  raisonnable  qui  ne  revienne  de  temps  en  temps  à 
ces  principes  delà  simple  raison  ,  et  qui  ne  découvre  par  intervalle 
des  absurdités  dans  une  pareille  théologie.  Tourmentée  d'un 
besoin  véritable  d'aimer  son  Créateur  ,  de  s'attacher  à  lui ,  elle 


DES    PRÉDICATEURS.  2^3 

cherche  avec  empressement,  et  gémit  parfois  de  ne  trouver  dans 
son  culte  que  des  simulacres  sourds  et  impuissans. 

Qu'y  a-t-il  au  contraire  de  semblable  dans  notre  religion  ?  Elle 
nous  montre  Dieu  et  l'homme  tels  qu'ils  sont;  et  comme  les  lu- 
mières qu'elle  nous  communique  sur  ces  deux  grands  sujets  sont 
pleinement  satisfaisantes,  notre  ame  s'en  contente,  et  notre  rai- 
son se  nourrit  délicieusement  des  vérités  qu'un  Dieu  lui-même  est 
venu  lui  apporter  sur  la  terre.  (  Origène  ,  Contre  Celse,  lw%  H.) 

La  foi  nous  fait  croire  ce  qui  est  au  dessus  de  la  raison. 

Il  y  a  dans  la  nature  de  Dieu  des  choses  qui  sont  au  dessus  de 
notre  intelligence,  mais  qui  n'en  sont  pas  moins  incontestables 
aux  yeux  de  notre  foi;  et  cela  n'arrive  pas  seulement  dans  les 
choses  purement  spirituelles ,  niais  même  dans  les  choses  corpo- 
relles. Aux  noces  de  Cana  en  Galilée,  l'eau  fut  changée  en  vin. 
Notre  langue  peut-elle  exprimer,  notre  intelligence  peut-elle  com- 
prendre comment  les  lois  de  la  nature  ont  pu  être  ainsi  changées; 
comment  l'eau  a  pu  perdre  soudain  ses  qualités  pour  prendre  le 
goût  et  la  couleur  du  vin  ?  Comment  cela  s'est-il  opéré  ?  C'est  ce 
qui  est  au  dessus  de  nos  sens  et  de  notre  intelligence.  Cependant, 
pour  cela,  doutons-nous  de  la  vérité  de  ce  prodige  ?  et  n'y  voyons- 
nous  pas  un  effet  de  la  toute-puissance  de  celui  à  qui  toute  la  na- 
ture est  soumise?  Pareillement,  avec  cinq  pains,  le  Sauveur  ras- 
sasia cinq  mille  personnes  et  un  nombre  infini  de  femmes  et  d'en- 
fans.  Nos  yeux  sont  impuissans,  notre  esprit  est  trop;  borné  pour 
savoir  comment  cela  s'est  fait.  Il  ne  nous  reste  d'autre  parti  à  pren- 
dre que  de  croire  fermement  à  la  toute-puissance  de  Dieu,  qui, 
n'ayant  certainement  pas  besoin  que  ces  œuvres  si  incompréhen- 
sibles lui  conciliassent  notre  admiration,  mais  prévoyant  cepen- 
dant que  les  hommes  en  viendraient  un  jour  à  un  tel  point  d'au- 
dace, de  témérité  et  de  folie,  que  de  porter  un  jugement  sur  la 
nature  la  plus  secrète  et  la  plus  intime  de  Dieu  ,  a  voulu  confon- 
dre notre  orgueil,  et  réprimer  cet  essor  présomptueux  de  notre 
raison,  en  nous  présentant  des  difficultés  inexplicables  dans  les 
choses  les  plus  simples  et  les  plus  rapprochées  de  nous.  (Saint 
Hilaire  de  Poitiers,  De  la  Trinité ,  liv.  III.) 

Il  faut  pratiquer  les  œuvres  de  la  foi. 

C'était  un  bien  absurde  novateur  que  cet  hérésiarque  des  der- 

16. 


2^4  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

niera  siècles,  qui,  s'ërigeant  en  réformateur  du  Christianisme , 
voulut  en  réduire  tous  les  devoirs  à  une  foi  de  pure  spéculation, 
qui  justifie  indépendamment  des  œuvres  et  au  milieu  de  la  cor- 
ruption du  vice  :  l'Eglise  l'a  frappé  de  ses  an  a  thème  s.  La  foi  ne 
nous  a  pas  été  donnée  pour  satisfaire  la  curiosité  de  notre  esprit, 
ou  pour  être  une  riche  parure  de  notre  ame,  sans  aucune  consé- 
quence pour  nos  mœurs.  Devenus  par  elle  enfans  de  Dieu,  elle 
nous  impose  l'obligation  de  vivre  en  enfans  de  Dieu.  La  foi  est  le 
commencement  du  salut,  les  œuvres  en  sont  la  consommation  :1a 
foi  est  le  fondement  de  l'édifice,  les  œuvres  en  sont  l'élévation  et 
le  comble;  la  foi  donc  et  les  œuvres,  deux  choses  absolument  né- 
cessaires pour  entrer  dans  le  royaume  des  cieux.  Et  voici  le  rap- 
port mutuel  entre  l'une  et  l'autre  :  c'est  que  la  foi  est  un  principe 
actif  et  continuel  de  bonnes  œuvres,  et  que  les  bonnes  œuvres 
sont  la  sauve-garde  et  le  mainiien  de  la  foi. 

La  foi  est  un  principe  de  bonnes  œuvres  par  sa  nature  même, 
qui  est  d'être  agissante  et  féconde.  Si  elle  reste  oisive  et  stérile, 
c'est  qu'elle  est  morte  :  Fides,  si  non  habeat  opera,  morlua  est. 
Cette  foi  précieuse  est,  selon  le  concile  de  Trente,  une  racine 
surnaturelle,  qui,  placée  dans  le  cœur  de  l'homme  et  nourrie  par 
l'influence  de  la  grâce,  produit  des  fruits  de  justice  et  de  sain- 
teté. Tous  les  siècles  de  la  religion  nous  en  offrent  la  preuve  sen- 
sible. C'est  à  la  vivacité  de  la  foi  que  le  grand  Apôtre  attribue  les 
œuvres  merveilleuses  des  Patriarches,  des  Prophètes,  des  Justes  de 
l'ancienne  alliance;  et,  pour  ne  parler  que  de  ceux  de  la  loi  de 
grâce,  voyez  cette  multitude  de  saints  qu'elle  a  enfantés,  et  qui 
régnent  aujourd'hui  dans  le  ciel.  Retracez-vous  l'image  brillante 
de  toutes  les  vertus  qu'ils  ont  pratiquées,  de  tous  les  trésors  de 
mérites  qu'ils  ont  amassés,  de  tous  les  degrés  de  perfection  où  ils 
se  sont  élevés,  de  tout  ce  qu'ils  ont  fait  de  grand  et  d'admirable 
pour  la  gloire  de  Dieu ,  pour  le  bonheur  et  le  soulagement  de  leurs 
frères,  pour  leur  propre  sanctification  :  voilà  les  fruits  de  la  foi 
dans  ces  héros  de  l'Evangile.  Plus  ils  eurent  de  foi,  plus  ils  firent 
de  progrès  dans  les  voies  de  la  sainteté,  et  accumulèrent  bonnes 
œuvres  sur  bonnes  œuvres.  C'est  la  foi,  dit  saint  Paul,  qui  donne 
la  naissance  et  le  mouvement  à  toutes  les  autres  vertus.  Elle  influe 
sur  elles,  elle  agit  avec  elles,  elle  va  jusqu'à  en  produire  les  difré- 
rens  actes ,  ceux  mêmes  de  la  charité  :  Ficles  quœ  per  dilecttonem 
operatur.  O  foi!  ô  principe  efficace  de  toutes  les  vertus  chrétien- 
nes !  pouvons-nous  dire ,  à  en  juger  par  nos  œuvres ,  que  vous 
régnez  dans  notre  cœur? 


DES    PREDICATEURS.  ifo 

Mais  d'où  vient  à  la  foi  cette  fécondité  glorieuse,  qui;  est  une 
propriété  de  son  être  et  son  caractère  distinctif  ?  de  la  sainteté  de 
sa  morale  et  de  la  force  des  motifs  dont  elle  l'appuie  pour  nous 
porter  à  en  faire  la  règle  de  nos  mœurs  ?  Quelle  morale  aussi  pure, 
aussi  élevée  que  celle  de  la  foi  ?  quelle  est  la  vertu  qu'elle  ne  com- 
mande pas?  quel  est  le  vice  qu'elle  ne  réprouve  pas?  Elle  interdit 
jusqu'à  la  pensée  du  mal  ;  elle  condamne  jusqu'à  une  parole  oiseuse! 
Quels  sublimes  devoirs  elle  nous  impose,  soit  envers  Dieu,  soit 
à  l'égard  de  nos  semblables,  soit  par  rapport  à  nous-mêmes  ?  de- 
voirs renaissans  chaque  jour,  et  dont  l'accomplissement  demande 
une  activité  continuelle.  Ils  sont  marqués  en  termes  clairs  et  inef- 
fables dans  l'Evangile,  répétés  mille  fois,  et  développés  dans  la 
chaire  de  vérité. 

Amour  de  Dieu  qui  ne  souffre  aucune  préférence,  et  qui  purifie, 
qui  sanctifie  toutes  les  inclinations  de  notre  cœur;  respect  et  sou- 
mission sans  bornes ,  qui  nous  dévoue  à  l'exécution  de  toutes  ses 
volontés  :  voir  Dieu  au  dessus  de  tout,  et  faire  tout  pour  Dieu; 
rien  pour  la  cupidité,  la  vanité,  la  sensualité,  l'amour-propre  : 
avoir  pour  tous  les  hommes  une  charité  sincère,  prévenante,  offi- 
cieuse, qui  ne  se  permet  pas  contre  eux  la  moindre  aigreur,  le  plus 
léger  ressentiment  :  supporter  leurs  défauts,  compatir  à  leurs  pei- 
nes, soulager  leurs  besoins,  pardonner,  oublier  leurs  offenses;  et, 
plein  de  douceur,  d'indulgence  envers  les  autres,  réserver  toute 
sa  sévérité  pour  soi-même  :  dompter  ses  passions ,  réprimer  ses 
penchans,  pleurer  ses  fautes  et  s'en  punir,  immoler  la  nature  à  la 
grâce,  faire  succéder  le  travail  à  la  prière  :  haïr  le  monde,  renon- 
cer à  ses  plaisirs,  craindre  ses  honneurs,  souffrir  ses  mépris,  con- 
tent d'avoir  Dieu  pour  seul  juge  et  pour  témoin ,  et  ne  pensant 
qu'à  lui  plaire  :  vivre  enfin  dans  la  tempérance,  dans  la  justice, 
dans  la  piété,  dans  le  détachement  de  tout  ce  qui  passe,  et  dans 
l'attente,  le  désir  des  biens  futurs  ,  et,  à  force  de  combats  et  de 
victoires,  élever  sur  les  ruines  de  l'homme  terrestre  et  charnel 
l'homme  spirituel  et  céleste  :  tel  est  le  précis  des  obligations  du 
chrétien. 

Ce  ne  sont  pas  là  de  simples  conseils,  ce  sont  des  préceptes; 
c'est  ce  que  la  foi  prescrit  à  tous  ses  disciples.  Chaque  peuple  a 
ses  lois  :  la  loi  du  peuple  chrétien  est  la  plus  parfaite  qui  ait  pu 
être  donnée  aux  hommes  ;  aussi  est-elle  destinée  à  former  les  hom- 
mes les  plus  parfaits  qui  puissent  paraître  sous  le  ciel.  Le  sage, 
dont  la  philosophie  païenne  a  tant  parlé  ,  sans  en  avoir  jamais 
connu  que  le  nom ,  c'est  parmi  les  enfans  de  la  foi  qu'il  faut  le 


246  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE 

chercher.  L'honnête  homme  du  siècle  n'est  qu'une  chétive  ébau- 
che de  l'homme  de  la  foi.  La  probité  mondaine,  ou  fausse,  [ou 
chancelante,  et  toujours  trop  bornée,  est  infiniment  au  dessous 
de  la  justice  chrétienne  si  vraie,  si  pleine,  si  solide,  qui  règle 
les  sentimens  et  les  actions,  qui  perfectionne  l'homme  tout  entier, 
en  fait  une  nouvelle  créature  en  Jésus-Christ;  et  cette  justice, 
formée  de  la  réunion  de  toutes  les  vertus,  est  l'ouvrage  de  la  foi. 

Comment  donc  opère-t-elle  ce  prodige  dans  l'homme  qui  n'est 
que  misère  et  faiblesse  ?  par  les  puissans  motifs  qu'elle  lui  présente 
pour  l'engager  à  observer  ses  préceptes. 

Tantôt  c'est  le  devoir  et  l'équité.  Quel  Dieu  plus  grand,  plus 
adorable,  plus  digne  qu'on  obéisse  à  ses  ordres,  qu'on  s'immole 
à  sa  gloire  et  à  son  bon  plaisir,  que  celui  que  la  foi  nous  découvre  ? 
La  raison  ne  faisait  que  l'entrevoir  dans  un  jour  sombre.  Dieu 
n'est  bien  connu  qu'à  la  lumière  de  la  foi.  Quand  cette  foi  sainte 
nous  le  montre  dans  tout  l'éclat  de  sa  majesté  ,  avec  toutes  les  ri- 
chesses de  son  être  et  le  magnifique  cortège  de  ses  perfections 
infinies,  on  est  saisi,  pénétré  d'un  respect  religieux  qui  porte  à  la 
soumission  :  on  sent  tous  les  droits  qu'il  a  sur  ses  créatures;  on 
comprend  que  sa  volonté  suprême  doit  être  la  règle  de  la  leur;  on 
ne  balance  pas,  quoi  qu'il  en  coûte,  à  lui  payer  le  tribut  de  son 
obéissance. 

Tantôt  c'est  la  reconnaissance  et  l'amour  :  eh!  pouvions-nous 
souhaiter  un  Dieu  plus  prodigue  de  ses  dons  et  de  lui-même,  un 
Dieu  plus  aimant  et  plus  aimable  que  celui  que  la  foi  nous  révèle? 
Pour  nous  sauver,  il  descend  du  trône  de  sa  gloire ,  il  se  revêt  de 
notre  nature,  il  se  fait  notre  victime,  et,  en  proie  aux  plus  vives 
souffrances,  il  expire  sur  une  croix.  Merveille  ineffable  de  l'amour 
divin!  plus  on  la  médite,  plus  on  est  touché,  ravi,  transporté. 
C'est  un  abîme  où  le  cœur  s'attendrit  et  s'enflamme.  Dieu  m'a  aimé 
jusqu'à  me  sacrifier  sa  vie;  ne  dois-je  pas  au  moins  vivre  pour 
lui,  après  qu'il  est  mort  pour  moi?  et,  tout  couvert  de  son  sang, 
me  siérait-il  de  me  plaindre  de  la  rigueur  de  ses  lois? 

Tantôt  c'est  le  repentir  et  la  douleur.  La  foi  a  dissipé  les  ténè- 
bres qui  nous  cachaient  l'énormité  du  péché.  Elle  nous  montre, 
d'une  part,  l'injure  qu'il  a  faite  à  Dieu,  son  autorité  foulée  aux 
pieds,  sa  sainteté  outragée ,  sa  bonté  méprisée,  son  amour  dédai- 
gné, ses  bienfaits  oubliés,  payés  de  la  plus  noire  ingratitude;  et, 
de  l'autre,  la  haine  que  Dieu  porte  au  péché,  les  foudres  qu'il  a 
lancées  sur  lui  dans  tout  le  cours  des  âges,  son  indignation  ,  sa  fu- 
reur, qui  n'ont  pu  être  apaisées  que  par  la  mort  de  son  Fils.  A 


DES    PRÉDICATEURS.  1^ 

cette  vue  on  s'humilie,  on  se  confond,  on  déteste,  on  confesse 
son  crime,  et  on  l'expie. 

Tantôt  enfin  c'est  la  crainte  ou  l'espérance.  Ces  deux  grands 
ressorts  du  cœur  humain  n'agissent  dans  toute  leur  étendue  et  avec 
toute  leur  force  qu'entre  les  mains  de  la  foi.  Quel  sort  plus  for- 
midable que  celui  dont  elle  nous  menace,  en  nous  montrant  de 
loin  ces  lieux  d'horreurs  et  de  désespoir,  ces  abîmes  de  feu  où  la 
justice  de  Dieu  exerce  à  jamais  les  plus  terribles  vengeances  sur 
ceux  qui  ont  abusé  de  sa  miséricorde?  mais  quelle  plus  heureuse 
destinée  que  celle  que  la  foi  nous  promet,  en  faisant  briller  à  nos 
yeux  la  gloire  et  la  magnificence  de  la  céleste  Sion  ,  où ,  dans  le 
sein  de  la  Divinité  ,  ravis  de  ses  charmes  et  enivrés  de  son  amour, 
nous  puiserons  dans  leur  source  des  délices  pures  et  inaltérables  ? 
Félicité  suprême  !  effroyable  malheur  !  ah  !  on  est  prêt  à  tout  faire 
pour  mériter  l'une  et  se  garantir  Je  l'autre. 

C'est  ainsi  que  la  foi ,  par  les  hautes  idées  dont  elle  remplit 
notre  esprit ,  par  les  sentimens  nobles  et  généreux  qu'elle  fait 
naître  dans  le  cœur,  est  un  principe  de  sanctification.  Elle  attaque 
l'homme  par  tous  ses  endroits  sensibles,  et  le  mettout  entier  dans 
les  intérêts  du  devoir  et  de  la  vertu.  Un  seul  des  motifs  qu'elle 
lui  présente  suffirait  pour  en  obtenir  les  sacrifices  les  plus  dou- 
loureux :  jugez  de  leurs  impressions  victorieuses,  lorsqu'ils  se 
réunissent  pour  concourir  au  même  but  et  l'élever  à  la  perfection 
où  Dieu  l'appelle.  (L'abbé  Richard.  ) 

Présence  el  absence  de  la  foi.  Leurs  effels. 

«  Je  vous  l'ai  dit  :  Vous  mourrez  dans  vos  péchés.  Car  si  vous 
«  ne  croyez  pas  que  c'est  moi  qui  suis  le  Christ,  vous  mourrez 
«  dans  vos  péchés  *.  »  D'où  vient  donc  que  les  hommes  meurent 
dans  leurs  péchés,  si  ce  n'est  parce  qu'ils  ne  croient  point  que 
Jésus  est  le  Christ?  Celui  donc  qui  ne  meurt  point  dans  ses  pé- 
chés est  celui  qui  croit  au  Christ;  et  celui  qui  meurt  dans  ses  péche's, 
quand  même  il  prétendrait  avoir  la  foi  au  Christ,  ne  croit  réelle- 
ment point  au  Christ.  II  ne  suffit  pas  de  dire  :  J'ai  la  foi.  Sans  les  œu- 
vres elle  est  morte ,  comme  parle  saint  Jacques  dans  son  Epître  2. 

Quel  est  donc  celui  qui  croit  véritablement,  si  ce  n'est  celui 
qui  en  est  venu  au  fpoint  de  ne  plus  tomber  dans  les  péchés  qui 
donnent  la  mort  à  î'ame ,  tant  sa  raison  9  fortifiée  par  sa   foi ,  a 

\  Joan.,  vm,  24.  —  2Jac,  \\,  20. 


2/^8  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

d'empire  sur  lui?  Elle  est  sa  règle;  il  rejette  avee  horreur  tout  ce 
qui  lui  est  contraire.  Il  en  est  de  même  de  celui  qui  croit  à  la  jus- 
tice :  si  sa  foi  estsincère,  il  ne  fera  jamais  de  tort  à  qui  que  ce  soir. 
De  même  encore  de  celui  qui  croit  à  la  sagesse  :  jamais  il  ne  lais- 
sera pénétrer  ni  dans  ses  paroles  ni  dans  ses  actions  rien  qui  lui 
soit  opposé. 

De  même  aussi  celui  qui  croit  à  la  raison,  au  Fils  de  Dieu^ 
qui  était  dans  Dieu  dès  le  commencement,  tant  qu'il  conserve 
cette  foi ,  ne  fait  jamais  rien  de  contraire  à  la  raison  ;  et  comment , 
s'il  est  persuadé  que  Jésus  est  véritablement  notre  paix,  s'efror- 
cerait-il  ,  lui  disciple  de  ce  même  Jésus,  d'allumer  partout  les  feux 
de  la  discorde  et  de  la  haine?  Je  dis  plus  :  puisque  le  Christ  est 
non  seulement  la  sagesse  de  Dieu  ,  mais  encore  sa  puissance  ,  ce- 
lui qui  croit  au  Christ,  en  tant  qu'il  est  la  puissance  de  Dieu, 
doit  pouvoir  tout  lorsqu'il  s'agit  de  quelque  belle  action ,  de 
quelque  œuvre  éclatante  de  charité.  Si  donc  nous  nous  laissons 
abattre ,  c'est  que  nous  ne  croyons  point  à  Jésus-Christ  en  tant 
qu'il  est  la  force,  le  courage  et  la  puissance.  C'est  la  faiblesse  de 
notre  foi  qui  est  la  vraie  cause  de  tous  nos  maux.  (Origène, 
Comment,  sur  saint  Jean,  XX.) 

Merveilles  opérées  par  la  foi. 

C'est  par  la  foi  d'Àbel  que  son  sacrifice  fut  agréable  à  Dieu  ; 
c'est  parce  que  Hénoch  avait  plu  à  Dieu  par  sa  foi  qu'il  ne  fit 
que  passer  parla  mort  pour  arriver  à  une  vie  bienheureuse;  c'est 
par  sa  foi  que  Noé  mérita  d'être  seul  sauvé  du  déluge  universel  ; 
c'est  à  cause  de  sa  foi  qu'Abraham  fut  justifié  ,  qu'Isaac  fut  chéri, 
et  Jacob  sauvé;  c'est  à  cause  de  sa  foi  que  Joseph  fut  vainqueur  de 
la  tentation;  c'est  par  la  foi  que  Moïse  opéra  tant  de  prodiges, 
qu'il  frappa  l'Egypte  de  sept  plaies  cruelles,  qu'il  partagea  les  flots 
de  la  mer,  et  qu'il  y  fit  passer  son  peuple;  c'est  par  la  foi  qu'il 
jeta  un  peu  de  bois  dans  une  sourceamère,  et  qu'il  la  rendit  douce  ; 
qu'il  fit  descendre  la  manne  du  ciel;  qu'il  vainquit  Amalec  ;  qu'il 
demeura  quarante  jours  sur  le  mont  Sinaï  sans  prendre  aucune 
nourriture  ;  qu'il  frappa  Séon  et  Og ,  rois  des  Amorrhéens.  C'est 
aussi  par  la  foi  que  Josué ,  fils  de  Navé ,  divisa  les  eaux  du  Jour- 
dain, y  fît  passer  les  Israélites  ,  fit  tomber  les  murs  de  Jéricho, 
fit  périr  trente  et  un  rois  ,  et  fit  arrêter  le  soleil  à  Gabaon. 

Notre    Seigneur  lui-même  disait  à  tous  ceux  qui  venaient  le 
trouver  pour  obtenir  leur  guérison  :  «  Qu'il  vous  soit  fait  selon 


DES    PKÉDICATEUIIS.  %/[() 

«  votre  foi  K  »  Ainsi  parla-t-il  à  un  aveugle  et  à  ee  père  dont  le 
fils  était  malade,  et  ainsi  de  plusieurs  autres.  Et  lorsque  le  Sei- 
gneur donna  à  ses  disciples  le  pouvoir  de  conférer  le  baptême,  il 
leur  dit:  «  Quiconque  croira,  et  sera  baptisé,  sera  sauvé;  mais 
«  celui  qui  ne  croira  pas  sera  condamné  -  ;  »  et  ailleurs  :  «  Pourvu 
«  que  vous  ayez  la  foi  et  que  le  doute  ne  s'élève  point  dans  votre 
«  ame,  il  n'est  rien  que  vous  ne  puissiez  faire  s.  » 

Rendons- nous  donc  à  cette  foi  divine  qui  en  a  transporté  quel- 
ques uns  dans  les  cieux  ,  qui  a  triomphé  des  eaux  du  déluge,  qui 
a  rendu  mères  des  femmes  long-temps  stériles,  qui  a  soustrait 
des  hommes  au  tranchant  du  glaive,  qui  en  a  tiré  d'autres  d'une 
fosse  profonde,  qui  rend  les  pauvres  riches,  sauve  ceux  qui  souf- 
frent la  persécution,  qui  a  faitdescendre  le  feu  du  ciel,  a  divisé  les 
flots  de  la  mer,  a  fendu  les  rochers,  rappelé  les  morts  à  la  vie,  a 
guéri  les  malades,  fermé  la  gueule  des  lions,  éteint  les  flammes 
dévorantes,  humilié  les  superbes,  et  exalté  les  humbles  :  car  tou- 
tes ces  merveilles  ont  été  opérées  par  la  foi.  (Saint  Jacques  de  Ni- 
sibe,  Sermon  Ier  de  la  Foi.) 

Péroraison. 

ODieu!  séparez  notre  cause  d'avec  celle  de  ces  pécheurs  sut 
qui  vous  vengerez  avec  tant  de  sévérité  cette  foi  dont  vous  êtes 
1  auteur  ,  et  qui  est  le  prix  de  votre  sang  :  Discerne  causam  mcam 
de  génie  non  sancta  :  ne  permettez  pas  que  ce  qui  doit  être  le 
principe  et  le  gage  de  notre  salut  devienne  par  notre  faute  !e  sujet 
de  notre  réprobation  ,  et  que  le  plus  beau  don  de  votre  amour  ne 
serve  qu'à  nous  rendre  dans  l'éternité  les  plus  odieux  objets  de 
votre  colère  et  de  votre  justice.  Nous  sommes  votre  peuple;  re- 
gardez du  haut  des  eieux,  et  voyez  dans  le  sein  de  votre  Eglise 
tant  de  justes  vivant  de  la  foi,  dont  la  conduite  est  conforme  à 
leur  croyance,  qui  vous  glorifient  par  la  pureté  de  leurs  mœurs 
et  par  des  œuvres  de  lumières  :  nous  ne  voulons  avoir  de  part  et 
de  ressemblance  qu'avec  eux;  nous  voulons  marcher  sur  leurs  tra- 
ces dans  les  voies  du  siècle  saint,  selon  l'expression  de  vos  Ecri- 
tures: In  partes  vade  sœculi  sancîi ,  cum  vivis  ctdantibus  confes- 
slonern  Deo. 

Nous  l'avons  compris,  Seigneur,  les  bonnes  œuvres  sont  les 
fruits  naturels  de  la  foi  ;  la  foi  se  conserve ,  se  fortifie  par  les  bon- 


1  Matth.,  ix,  29.  —  *  Marc,  xvi,  1G.  —  s  Ibid.,  xi,  22, 


25o  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

nés  œuvres:  ce  n'est,  d'ailleurs,  qu'aux  bonnes  œuvres  qu'a  été  pro- 
mis l'héritage  céleste.  Non,  ce  ne  sont  pas  les  grandes  lumières, 
les  beaux  discours,  les  sentiniens  mêmes  et  les  désirs,  mais  la  vertu 
et  les  œuvres  que  vous  couronnez.  Inspirez-nous  donc  plus  de 
zèle  et  d'ardeur  pour  toutes  les  œuvres  de  salut,  ces  véritables 
richesses  du  chrétien ,  les  seuls  biens  qui  nous  suivront  au  sortir 
de  cette  vie.  A  une  forte  persuasion  des  vérités  que  la  foi  nous 
enseigne ,  faites  que  nous  joignions  la  pratique  constante  des  de- 
voirs qu'elle  nous  impose,  afin  démériter  les  récompenses  qu'elle 
nous  promet  dans  l'éternité  bienheureuse.  Ainsi  soit-il.  (L'abbé 
Richard.) 


DES  PRÉDICATEURS.  .  2^1 


PLAIV  ET  OBJET    DU   TROISIEME  DISCOURS 

SUR  LA  FOI. 

EXORDE. 

Et  dixit  Jésus  centurioni  :  vade,  et  sicut  credidisti ,  fiai  tibi. 

Jésus  dit  au  centurion  :  Allez,  et  qu'il  vous  soit  fait  selon  que  vous  avez  cru. 

(Math.,  c.  8.) 

N'est-il  pas  surprenant  que  le  Sauveur  du  monde,  au  lieu  d'at- 
tribuer les  miracles  de  sa  toute-puissance  à  sa  toute-puissance  mê- 
me et  à  la  vertu  souveraine  de  Dieu,  les  ait  communément  attri- 
bués, dans  l'Evangile,  à  la  foi  des  hommes  ?  Puissant  en  œuvres  et 
en  paroles,  il  délivrait  les  possédés,  il  guérissait  les  malades,  il  res- 
suscitait les  morts;  mais  quoiqu'il  pût  bien  au  moins  s'en  réserver  la 
gloire ,  tandis  qu'il  en  laissait  aux  autres  l'avantage ,  il  la  donne  en- 
core tout  entière  à  la  foi,  comme  si  la  foi  seule  eut  opéré  par  lui 
ce  que  lui  seul  il  opérait  pour  la  foi.  Allez,  dit-il  dans  notre  Evau- 
gile,  et  qu'il  vous  soit  fait  selon  votre  foi  :  Vade  ,  et  sicut  credi- 
disti ,  fiât  tibi.  C'est  la  réponse  qu'il  fait  à  ce  centenier  qui  lui 
vient  demander  la  guérison  de  son  serviteur  ,  frappé  d'une  mor- 
telle paralysie,  et  c'est  la  réponse  qu'il  a  faite  en  tant  d'autres  oc- 
casions et  sur  tant  d'autres  sujets  :  partout  admirant  la  foi,  lui  qui 
ne  devait  rien,  ce  semble,  admirer;  partout  exaltant  la  foi,  partout 
publiant  la  force  et  l'efficace  de  [la  foi,  partout  faisant -entendre 
qu'il  ne  pouvait  rien  refuser  à  la  foi  :  Vade ,  et  sicut  credidisti, 
fiât  tibi,  C'est  de  là  même  que  les  hérétiques  des  derniers  siècles 
ont  prétendu  tirer  cette  fausse  conséquence ,  que  tout  l'ouvrage 
et  toute  l'affaire  du  salut  de  l'homme  roulent  uniquement  sur  la  foi  ; 
erreur  que  l'Eglise  a  frappée  d'anathème,  et  qui  va  directement  à 
détruire  dans  le  Christianisme  la  pratique  et  la  nécessité  des  bonnes 
œuvres.  Mais  moi ,  mes  chers  auditeurs ,  sans  donner  dans  une 
telle  extrémité,  je  tire  de  mon  Evangile  un  sujet  beaucoup  plus 
solide ,  et  qui  sert  de  fondement  à  toute  la  morale  chrétienne  ;  et 
m'attachant  à  ces  paroles  du  Fils  de  Dieu  :  Qu'il  vous  soit  fait 
comme  vous  avez  cru  :  Sicut  credidisti ,  fiât  tibi,  je  veux  vous  par- 


2L>2  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

1er  des  vrais  effets  de  la  foi  par  rapport  au  salut.  C'est  dans  Marie 
que  cette  vertu  a  fait  éclater  tout  son  pouvoir  ;  puisque  c'est  par 
la  foi  que  Marie  conçut  le  Verbe  divin  •  adressons-nous  à  elle,  et 
disons-lui ,  Ave. 

De  quelque  manière  que  je  prétende  ici  m'expliquer,  Chrétiens, 
mon  dessein  n'est  pas  de  chercher  des  tempéramens  pour  concilier 
l'opinion  des  hérétiques  de  notre  siècle  avec  la  doctrine  de  l'Égli- 
se touchant  l'efficace  et  la  vertu  de  la  foi,  puisque  saint  Augus- 
tin m'apprend  qu'entre  l'erreur  et  la  vérité  il  n'y  a  point  d'autre 
parti  que  la  confession  de  l'une  et  l'abjuration  de  l'autre.  L'opinion, 
disons  mieux  l'erreur  des  hérétiques  de  notre  siècle,  est  que  la 
foi  seule  nous  justifie  devant  Dieu  ;  que  nos  bonnes  œuvres,  quel- 
que parfaites  qu'elles  soient  ,  ne  contribuent  en  rien  au  salut;  que 
la  vie  éternelle  ne  nous  est  point  donnée  par  titre  de  récompense, 
mais  par  forme  de  simple  héritage  :  héritage  que  nous  ne  pouvons 
mériter ,  et  dont  nous  prenons  possession  sans  y  avoir  acquis  au- 
cun droit.  Tel  est  le  langage  de  l'hérésie  ;  mais  voici  celui  de  la 
foi  même:  car  il  est  de  la  foi  que  la  foi  seule  ne  suffit  pas  pour 
nous  sauver  ;  il  est  de  la  foi  que  nos  bonnes  œuvres  doivent  faire 
une  partie  de  notre  justification  ;  il  est  de  la  foi  qu'en  vertu  de  nos 
bonnes  œuvres  nous  acquérons  un  droit  légitime  à  la  gloire  que 
Dieu  nous  prépare,  et  que  cette  gloire,  par  un  effet  merveilleux  de 
îa  grâce  de  Jésus- Christ ,  est  tout  à  la  fois,  comme  s'exprime 
saint  Augustin  ,  et  le  don  de  Dieu ,  et  le  mérite  de  l'homme. 

Cependant,  Chrétiens,  sans  m'engager  dans  une  controverse 

qui  ne  convient  ni  au  temps  ni  à  l'assemblée  où  je  parle  ,  j'avance 
deux  propositions  non  seulement  orthodoxes  ,  mais  incontesta- 
bles, et  qui  vont  partager  ce  discours,  savoir  :  que  c'est  la  foi  qui 
nous  sauve ,  première  proposition  ;  et  que  souvent  aussi  c'est  la  foi 
qui  nous  condamne,  seconde  proposition  :  elles  semblent  l'une 
et  l'autre  contradictoires  ;  mais  la  contradiction  apparente  qu'elles 
renferment  me  donnera  lieu  de  vous  développer  les  plus  beaux 
principes  et  les  plus  grandes  maximes  de  la  théologie  sur  cette 
importante  matière  :  le  juste  sauvé  par  la  foi  ,  parce  que  c'est  sur- 
tout de  la  foi  que  vient  notre  justification  ;  vous  le  verrez  dans  la 
première  partie  :  le  pécheur  condamné  par  la  foi ,  parce  que  la  foi, 
sans  les  œuvres ,  devient  contre  lui  un  titre  de  réprobation  ;  je  vous 
le  ferai  voir  dans  la  seconde  partie  :  commençons.  (Botjrdaloue  , 
Su r  la  Fol.) 


DES    PREDICATEURS. 


Rien  de  plus  utile  que  la  foi. 


233 


Quelque  éclairé  que  soit  l'homme,  il  peut  douter;  quelque  juste 
qu'il  soit,  il  peut  tomber;  quelque  constant  qu'il  soit,  il  peut 
être  affligé.  Son  esprit  dans  ses  doutes  a  donc  besoin  de  lumière  ; 
son  cœur  dans  ses  désordres  a  donc  besoin  de  règle  ;  son  ame  dans 
ses  peines  a  donc  besoin  de  consolation.  Or,  qui  peut  l'assurer  de 
tous  ces  avantuges,  si  ce  n'est  pas  la  foi  ?  C'est  la  lumière,  dit  saint 
Jean,  qui  éclaire  les  hommes:  Crédite  in  luceni  utfdii  lacis  sitis  *-. 
C'est  la  règle,  dit  saint  Paul ,  qui  dirige  les  hommes  ï  Fuie  purifieans 
corda  eorum*.  C est  le  motif,  dit  saint  Jacques,  qui  console  les 
hommes:  Prohatiojidei  vestrœ patientiam  operatur^.  Sans  elle,  en 
matière  de  créance,  l'esprit  n'est  que  ténèbres  ;  en  matière  de  con- 
duite, le  cœur  est  sujet  à  la  corruption,  et,  dans  la  nécessité  de 
souffrir,  la  vie  est  un  martyre  sans  soulagement  et  sans  mérite.  La 
foi  oppose  ses  dogmes  à  nos  doutes,  ses  règles  à  nos  désordres, 
ses  promesses  à  nos  peines.  En  un  mot,  elle  fixe  l'esprit  par  son 
autorité  :  Crédite  in  incein  ut  fdii  lucis  sitis.  Elle  règle  le  cœur  par 
sa  pureté  :  Fide purijîcans  corda  eorum.  Elle  console  l'aine  par  sa 
solidité  :  Probatlo  fi.dei  vestrœ patientiam  operatur.  Est-il  rien  de 
plus  utile  ?  est-il  rien  de  plus  grand  ? 

Dieu  aime  tous  les  hommes,  dit  l'Apôtre,  et  veut  le  salut  de  tous 
les  hommes.  Il  faut  donc  qu'il  donne  à  tous  les  hommes  un  moyen 
de  le  connaître,  un  moyen  de  l'écouter,  un  moyen  de  lui  obéir,  un 
moyen  qui  soit  commun  à  tous,  qui  soit  utile  à  tous,  qui  soit  pro- 
portionné à  tous;un  moyen  qui  convienne  au  pauvre  comme  au  riche, 
au  faible  comme  au  puissant,  aux  esprits  grossiers  comme  aux  génies 
sublimes;  un  moyen  qui  puisse  nous  instruire,  qui  puisse  nous  sou- 
mettre, qui  puisse  nous  fixer;  un  moyen  qui  nous  serve  et  d'appui 
et  de  guide  dans  des  temps  de  nuages,  de  troubles  et  de  séduc- 
tion. Or  ,  quel  sera  ,  mes  frères,  cet  appui ,  ce  guide,  ce  moyen  ? 
Sera-ce  la  conscience?  Mais  la  conscience  ne  se  tait-elle  pas  ,  ne 
se  corrompt-elle  pas ,  ne  s'a\eugie-t  elle  pas?  N'a-t-elie  pas  ses 
doutes  ,  ses  embarras,  ses  erreurs?  Sera-ce  la  raison  ?  Mais  la  rai- 
son peut-elle  sonder  ,  discuter,  pénétrer  dans  les  desseins  de  Dieu? 
Tout  homme  pense-t-il ,  juge-t-il,  déeide-t-il  de  même?  Sera-ce  la 
science?Mais  toutes  les  sciences  n'ont-elles  pas  des  difficultés,  des 
bornes,  des  incertitudes? Elles  ne  se  développent  que  parle  travail, 

1  Joan.,  xif,  36  — s  Ad.,  xv,  9,  — s  Jacob.,  ï,  3. 


2^4  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

elles  ne  se  perfectionnent  que  par  degrés,  elles  ne  s'acquièrent  que 
par  parties;  elles  exigent  du  talent,  du  secours  ,   de  l'application. 
Et  qui  en  est  capable  ?  Il  est  peu  de  savans ,  et  ces  savans  ne  sont 
jamais  d'accord.  Sera-ce  la  multitude?  Mais  cette  multitude  n'est- 
elle  pas  le  centre  de  la  confusion?  Que  de  préjugés,  que  d'igno- 
rance, que  de  contradictions  !  Ici  on  parle  d'une  façon,  là  on  parle 
d'une  autre.  Chaque  pays  a  ses  usages,  chaque  ville  a  ses  oracles, 
chaque  peuple   a  ses  idées,    chaque  famille  a  ses  intérêts.  Tous 
pensenten  hommes,  tous  s'exprimenten  hommes,  tous  disputent 
en  hommes;  et  quel  est  l'homme  qui  ne  puisse  pas  me  tromper  ou 
se  tromper  lui-même?   Quel   est  l'homme  qui  ait  droit   sur   mes 
pensées,  sur  mes  sentimens  ?  Quel  est  l'homme  qui  puisse  m'assu- 
jétir  à  ses  caprices  et  à  ses  imaginations?  Il  faut  donc  une  autorité 
supérieure  pour  me  fixer.  Et  quelle  est-elle  cette  autorité  ?  C'est 
l'autorité   de   la    foi;  autorité    incontestable,   puisqu'elle    vient 
de  Dieu,  puisqu'elle  me  porte  à   Dieu,  puisqu'elle  me  soumet  à 
Dieu  ;   autorité  universelle,  puisqu'elle   s'étend  sur  tous   les   es- 
prits, sur  tous  les  âges ,   sur  tous    les  états,  sur  les  grands   aussi 
bien   que   sur   les   petits:     autorité   sensible,  puisqu'elle  est  ma- 
nifestée par  l'accomplissement  des  prophéties,  par  la  réalité   des 
miracles,  par  les  sueurs  des  Apôtres,  par  le  sang  des  martyrs.  Au- 
torité favorable,  dit  saint  Augustin,  puisqu'elle  dissipe  toutes  nos 
craintes,    toutes  nos   répugnances ,  toutes    nos    inquiétudes,   et 
qu'elle  n'éclaire  pas  moins  les  intelligences  les   plus  faibles   que 
les  plus  élevées  :  lntellectus  vlam  aperitfides.  Autorité  souveraine, 
dit  saint  Ambroise,  puisqu'elle  nous   découvre  les  mystères    les 
plus  obscurs,  les  secrets  les  plus  cachés,  et  qu'elle  nous  fournit  les 
connaissances  les  plus  impénétrables  à  la  raison  humaine:   Quod 
mens  humana  ratione  investi  gare  non  potest,  fidei  plenitudo  com- 
plectitur.  Autorité  invariable,  puisque  la  malice  des  hommes,  les 
pièges  de  l'erreur  ,   les   artifices  du  monde  ,   les  portes  mêmes 
de  l'Enfer  ne  peuvent  l'altérer  ;  et   que  Dieu  est  toujours  avec 
ceux  qui  enseignent  et  avec  ceux  qui  croient  :    Portœ  Inferi  non 
prœvalebunt.  Autorité  infaillible,  puisqu'elle  est  fondée  sur  la  vé- 
rité de  Dieu ,  sur  la  parole  de  Dieu ,  sur  l'Eglise   de  Dieu.  Eglise 
toujours  inspirée  ,  toujours  conduite,  toujours  animée  par  son  es- 
prit; Eglise  toujours  inaccessible  au  mensonge, au  prestige,  à  l'il- 
lusion; Eglise  clans  laquelle  il  est  toujours  présent,  présent  dans  sa 
doctrine,  présent  sur  ses  autels,  présent  dans  ses  sacremens,  présent 
jusqu'à  la  fin  des  siècles  :  Usque  ad  cojisummationem  sœculi.  .  .  . 
Mais  quoi!   dit  l'incrédule;   quoi!  pouvez-vous  donc  croire  ce 


DES    PRÉDICATEURS.  ^55 

que  vous  ne  voyez  pas,  ce  que  vous  n'entendez  pas,  ce  que  vous 
ne  comprenez  pas?  Quelle  honte,  quelle  faiblesse,  quelle  puérilité! 
Et  moi  je  dis  :  quelle  sagesse!  Non  ,  je  ne  comprends  pas  ce  pré- 
cepte, cet  article,  ce  mystère;  et,  c'est  parce  que  je  ne  le  com- 
prends pas,  dit  Tertullien  ,  que  j'en  suis  assuré  :  Ideo  certum  est 
quia  inipossibile.  Je  ne  comprends  pas  cette  décision,  cette  censure, 
cette  condamnation;  et,  c'est  parce  que  je  ne  le  comprends  pas, 
répond  le  docteur  de  la  grâce  ,  que  je  trouve  du  mérite  à  la  croire": 
Quid  est  fuies,  nisi  credere  quod  non  vides?  Je  ne  comprends  pas 
l'unité  de  nature,  la  trinité  des  personnes,  la  liberté  et  l'immuta- 
bilité, la  présence  réelle  d'un  même  corps  dans  tous  les  temples 
et  dans  toutes  les  hosties;  et,  c'est  parce  que  je  ne  les  comprends 
pas,  dit  saint  Paul,  que  cela  est  divin  :  F  ides  est  argumentum  non 
apparentium  *.  Je  ne  comprends  pas  ce  qui  est  contenu  dans  1  fi- 
oriture1, dans  les  conciles,  dans  la  tradition  ;  et,  c'est  parce  que  je 
ne  le  comprends  pas  que  je  dois  m'y  soumettre  :  Non  sumus  suj fidéli- 
tés cogitare  aliquid  ex  nobis  quasi  ex  nobis  -.  Je  ne  comprends 
pas  ce  que  Dieu  a  révélé  sur  la  giace,  sur  la  Providence,  sur  la 
prédestination  ;  mais,  quoique  je  ne  comprenne  pas  ce  que  disent 
les  savans  sur  l'étendue  de  la  terre,  sur  le  mouvement  de  la  mer, 
sur  les  périodes  des  astres ,  je  les  en  crois  sur  leur  science,  sur  leur 
témoignage  ,  sur  leur  réputation.  Je  crois  des  hommes,  et  pourquoi 
donc  ne  croirai-je  pas  Dieu?  Si  testimonium  hominum  accipimus , 
majus  est  tcstimoniiun  Dei 3. 

Ne  me  dites  donc  point  que  la  foi  est  obscure  :  cette  obscurité 
même  est  le  sceau  de  la  Divinité.  Cette  foi  est  obscure,  il  est  vrai  ; 
mais  ,  tout  obscure  qu'elle  est,  elle  a  soumis  les  rois,  elle  a  captivé 
le  grands,  elle  a  convaincu  les  idolâtres.  Cette  foi  est  obscure; 
mais  ,  tout  obscure  qu'elle  est ,  elle  a  changé  l'Orient,  elle  a  con- 
verti l'Occident,  elle  a  renouvelé  la  face  de  la  terre.  Cette  foi  est 
obscure;  mais,  tout  obscure  qu'elle  est,  elle  est  appuyée  sur  les 
promesses  de  Jésus-Christ ,  sur  les  merveilles  de  Jésus-Christ,  sur 
l'Evangile  de  Jésus-Christ.  Cette  foi  est  obscure;  mais,  tout  obs- 
cure qu'elle  est,  elle  s'est  établie  malgré  la  fureur  des  tyrans,  mal- 
gré la  cruauté  des  bourreaux,  malgré  les  persécutions  du  monde. 
Cette  foi  est  obscure  ;  mais  ,  tout  obscure  qu'elle  est ,  elle  me  fait 
voir  dans  toutes  les  nations  une  même  loi,  une  même  profession , 
une  même  religion.  Cette  foi  est  obscure  ;  mais,  tout  obscure  qu'elle 
est,  elle  m'affermit  plus  que  tout  ce  que  je  vois,  que  tout  ce  que 

*Hcbr.,  ii,  1.  — 2 II  Cor.,  m,  5.  —  s  I  Joan.,v;  9. 


2)6  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

je  sais,  que  tout  ce  que  j'entends  :  quand  même  un  Ange  me  par- 
lerait contre  elle,  je  ne  le  croirais  pas.  Cette  foi  est  obscure;  mais, 
tout  obscure  qu'elle  est,  si  je  ne  la  suis  pas ,  je  me  trouble,  je  m'é- 
gare, je  me  perds,  je  ne  vois  qu'un  vertige,  qu'idoles,  que  fantô- 
mes. Oui,  mes  frères,  cherchez,  disputez,  examinez  tout  ce  qu'il 
vous  plaira;  sans  la  foi,  vous  marcherez  sans  guide,  sans  assurance, 
sans  tranquillité;  sans  la  foi,  vous  ne  croirez  rien,  vous  ne  verrez 
rien,  vous  n'approfondirez  rien  ;  sans  la  foi,  vous  serez  toujours  flot- 
tans,  toujours  aveugles,  toujours  irrésolus.  C'est  la  lumière  qui  éclaire 
vos  esprits,  c'est  la  règle  qui  dirige  le  cœur  :  elle  fixe  l'un  par  son  au- 
torité ,  elle  règle  l'autre  par  sa  pureté  :  Fide  purificans  corda  eorum. 
Et  comment  règle-t-elle  le  coeur  ?  Elle  le  règle  par  ses  maximes, 
par  ses  avis,  par  ses  conseils,  par  ses  reproches,  par  ses  inspira- 
tions. Elle  le  règle,  parce  qu'elle  modère    ses   penchans,  parce 
qu'elle  réprime  ses  vices,  parce   qu'elle  réforme  ses  désirs,  parce 
qu'elle  ennoblit  tous  ses  sentimens;  elle  dérègle,  parce  qu'elle   le 
soutient  dans  ses  combats  ,  parce  qu'elle  l'arrache  à  ses  habitudes, 
parce  qu'elle  le  délivre  de  ses  dangers,  parce  qu'elle  le  fortifie  contre 
les  occasions.  Elle  le  règle,  parce  qu'elle  lui  découvre  la  faiblesse 
de  la  nature,  le  charme  de  la  tentation,  le  besoin  de  la  grâce,  le 
pouvoir  de  la  liberté.  Elle  le  règle ,  parce  que  c'est  la  jaciric  du 
bien  ,  la  source  du  mérite,  la  semence  du  bon  grain ,  le  fondement 
du  salut,  l'arbre  seul  qui  produit  le  fruit  de  vie  :  Justus  meus  ex 
fide  vivit.  Qui  est-ce  qui  m'apprend  ce  que  je  dois  à  Dieu,  ce  que 
je  dois  aux  hommes,  ce  que  je  me  dois  à  moi-même?  c'est  la  foi. 
Qui  est-ce  qui  m'apprend  ce  que  je  dois  à  l'Eglise ,  ce  que  je  dois 
aux  pasteurs  ,  ce  que  je  dois  à  ma  famille?  c'est  la  foi.  Qui  est-ce 
qui  m'apprend  ce  que  je  dois  à  la  piété,  ce  que  je  dois  à  la  modes- 
tie, ce  que  je  dois  à  l'édification  ?  c'est  la  foi  :  Justus  meus  ex  fide 
vivit.  Qui  est-ce  qui  m'apprend  à  être  doux  à  l'égard  de  mes  do- 
mestiques, vigilant  à  l'égard  de  mes  enians,  libéral  à  l'égard  des 
pauvres,   compatissant  à  l'égard    des  malheureux,  humble  dans 
la  «randeur,  sobre  dans  mes  repas,  chaste  dans  mes  discours,  la- 
borieux dans  ma  condition  ?  c'est  la  foi  :  Justus  meus  ex  fide  vivit. 
Qui  est-ce  qui  m'apprend  à  veiller  sur  mes  sens  ,  à  borner  mes  plai- 
sirs, à  crucifier  ma  chair?  Qui  est-ce  qui  m'apprend  à  jeûner,  à  prier, 
à  me  mortifier?  Qui  est-ce  qui  m'apprend  à  calmer  la  colère,  à  évi- 
ter l'injustice,  à  mépriser  les  honneurs?  Qui  est-ce  qui  m'apprend 
à  déplorer  mes  fautes,  à  pleurer  mes  iniquités,  à  reelifier  mes  in- 
clinations? c'est  la  foi.  Justus  meus  ex  fide  vivit.  Qui  est-ce  qui 
m'apprend  à  adorer  mon  Dieu  comme  mon  principe,  à  le  servir 


DES    PRÉDICATEURS.  207 

comme  mon  maître,  à  l'aimer  comme  mon  père,  à  le  réclamer 
comme  mon  appui,  à  le  glorifier  comme  mon  Sauveur?  c'est  la 
foi.  La  foi  seule  me  le  fait  adorer,  parce  quelle  me  découvre  sa 
grandeur;  elle  me  le  fait  redouter,  parce  qu'elle  m'annonce  sa  jus- 
tice; elle  me  le  fait  honorer,  parce  qu'elle  me  révèle  sa  puissance; 
elle  me  le  fait  aimer,  parce  qu'elle  me  révèle  sa  miséricorde;  elle 
me  le  fait  glorifier,  parce  qu'elle  me  représente  sa  sainteté  :  Justiis 
meus  ex  fide  vivit. 

C'est  cette  foi  qui  a  fait  voir  au  monde  ce  que  le  monde  n'avait 
point  encore  vu,  une  abstinence  qui  réduit  l'homme  à  vivre  d'un  peu 
de  pain  et  d'eau  ,  une  charité  qui  lui  fait  embrasser  jusqu'à  son  en- 
nemi, une  patience  qui  va  jusqu'à  chérir  les  affronts,  les  injures,  les 
tourmens  et  les  croix.  C'est  cette  foi  qui  inspire  aux  Chrétiens  un 
détachement  qui  lui  fait  sacrifier  parens,  amis,  fortune,  dignités; 
une  chasteté  qui  s'interdit  tout  commerce  avec  les  sens,  tout  rap- 
port avec  les  hommes,  la  liberté  même  du  regard  et  delà  pensée; 
une  abnégation  qui  va  même  jusqu'à  se  cacher,  jusqu'à  s'oublier, 
jusqu'à  se  haïr,  jusqu'à  donner  son  sang  plutôt  que  de  commettre  la 
plus  légère  faute.  C'est  cette  foi  qui  lui  fait  préférer  la  pauvreté  aux 
richesses,  l'abaissement  à  l'élévation  ,  la  solitude  à  l'éclat,  la  mort 
même  à  la  vie  ,  et  quelquefois  les  souffrances  les  plus  longues  à  la 
mort  la  plus  douce.  C'est  cette  foi  qui  est  le  germe,  la  sève,  l'ali- 
ment de  toutes  les  perfections.  Est-elîe  faible,  la  ferveur  s'affaiblit; 
est-elle  timide,  le  zèle  se  relâche  ;  est-elle  languissante,  la  piété 
exnire  :  Defecit  sanctus^  quoniam  clunùiutœ  surit  veritates  a  fil  lis 
hominum  *. 

Otez,  ôtez  la  foi  de  l'univers,  qu'elle  ne  domine  plus  sur  l'es- 
prit, qu'elle  n'agisse  plus  sur  le  cœur,  qu'elle  ne  conduise  plus 
l'homme,  que  serait-il,  et  que  deviendrait-il  ?  Quel  chaos  de  chi- 
mères et  de  fables!  Quelle  confusion  de  systèmes  et  de  sectes! 
Quel  assemblage  de  vices  et  de  superstitions!  Vous  verrez  l'adul- 
tère permis,  le  vol  autorisé,  la  violence  soufferte;  vous  verrez 
l'intempérance  consacrée,  l'homicide  dissimulé,  le  crime  même 
divinisé;  vous  verrez  tous  les  peuples  vivre  sans  frein,  sans  règle, 
sans  guide,  adorer  à  l'envi  l'ouvrage  de  leurs  mains  ,  et  immoler 
ce  qu'ils  ont  de  plus  cher.  En  dis-je  trop,  mes  frères?  et  que  dis-je 
qu'on  ne  voie  pas  encore  chez  ces  nations  barbares,  qui  ne  font 
peut-être  de  plus  honteuses  choses  que  nous,  que  parce  qu'elles 
sont  moins  éclairées  que  nous?  Qui  peut  empêcher  le  vindicatif 

1  Ps.,  xi,  2. 

t.  in,  17 


Kg  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

de  désirer  la  perte  de  son  ennemi ,  si  la  foi  ne  calme  pas  sa  fureur? 
Oui  peut  empêcher  l'avare  d'usurper  le  bien  de  son  prochain ,  si 
la  foi  ne  modère  pas  sa  cupidité?  qui  peut  empêcher  l'impudique 
de  se  livrer  à  sa  brutalité,  si  sa  foi  n'amortit  pas  ses  feux?  C'est 
à  elle  de  combattre  ces  monstres ,  et  ce  n'est  qu'elle  qui  peut  en 
triompher  :  Sine  fuie  impossibile  est  placere  Deo.  C'est  par  les  œu- 
vres il  est  vrai,  c'est  par  la  vertu  ,  c'est  par  la  grâce  que  nous 
conservons  la  justification  que  nous  avons  reçue.  Mais  quelle  grâce, 
quelle  vertu  ,  quelles  œuvres  peuvent  produire  en  nous  un  solide 
mérite  si  la  foi  n'en  est  pas  la  base  et  le  soutien  ?  Sine  fide  impos- 
sibile est  placere  Deo.  Que  l'hérésie  nous  vante  ses  patrons,  qu'elle 
inspire  ses  prophètes,  qu'elle  produise  ses  saints,  qu'elle  les  donne 
en  snectacle,  qu'elle  canonise  leurs  actions;  qu'elle  relève  leurs 
aumônes,  leurs  prières,  leurs  austérités;  qu'elle  leur  attribue  des 
o-uérisons,  des  prodiges,  des  extases  (car  il  suffit  souvent  d'être 
rebelle  à  l'Eglise ,  pour  être  canonisé  par  l'erreur)  :  tout  cela  ne 
les  sauvera  point,  parce  qu'on  ne  peut  jamais  se  sauver  sans  la 
foi  :  Sine  fide  impossibile  est  placere  Deo.  Je  veux  que  leur  sain- 
teté ne  soit  point  une  hypocrisie,  leurs  aumônes  des  singularités, 
leurs  austérités  des  grimaces  ;  je  veux  même  que  leurs  guérisons  ne 
soientpointdes  artifices,  des  prestiges,  des  fantômes,  leurs  extases 
des  illusions;  je  veux  qu'ils  soient  plus  sûrs,  qu'on  ne  le  croit  peut- 
être  de  l'avenir  funeste  qu'ils  annoncent,  n'importe,  n'importe;  fus- 
sent-ils encore  oîus  charitables,  plus  mortifiés ,  plus  austères  qu'on 
ne  le  suppose;  fussent-ils  toujours  dans  la  contemplation,  fissent- 
ils  des  miracles,  eussent-ils  des  révélations;  je  le  dis  ,  et  il  est  vrai, 
sans  la  foi  toute  leur  charité,  toutes  leurs  aumônes,  toutes  leurs 
mortifications,  leurs  prières,  leurs  extases,  leurs  miracles  mêmes 
(s'il  était  possible  d'en  faire  contre  Dieu  et  contre  son  Eglise), 
leurs  miracles,  quelque  grands  qu'on  les  dise,  ne  les  empêcheront 
pas  d'être  réprouvés.  Une  erreur,  une  seule  erreur  suffit  pour  les 
damner  et  elle  suffit  pour  damner  tous  ceux  qui  les  écoutent,  tous 
ceux  qui  les  protègent,  tous  ceux  qui  les  imitent  :  Sine  fide  impos- 
sibile est  placere  Deo  *.  Eh  quoi  !  dit  Tertullien,  est-ce  par  les  yeux 
qu'on  doit  juger  de  l'homme?  Est-ce  par  la  montre  qu'on  juge  de 
la  piété  ?  Est-ce  par  les  personnes  qu'on  juge  de  la  foi  ?  An  ex per- 
sonis probamus fidem?  an  exfdepersonasPNon,  non,  c'est  par  la 
foi  qu'on  juge  des  personnes;  c'est  par  la  foi  qu'on  juge  de  la  piété, 
c'est  par  la  foi  qu'on  juge  du  chrétien.  Pourquoi?  parce  qu'il  n'y 

»  Hebr.,  XI,  6. 


DBS    PREDICATEURS.  25û 

a  que  la  foi  qui  produise  des  justes,  parce  qu'il  n'y  a  que  la  foi  oui 
forme  les  parfaits ,  parce  qu'il  n'y  a  que  la  foi  qui  forme  les  élus. 
C'est  la  lumière  qui  éclaire  les  hommes,  c'est  la  rè<de  qui  dirige 
les  hommes,  c'est  le  motif  qui  console  les  hommes.  Elle  fixe  l'es- 
prit par  son  autorité,  elle  règle  le  cœur  par  sa  pureté,  elle  console 
î'ame  par  sa  solidité  :  Probatio  fidei  vestrœ  patient iam  operatur  '. 
L'homme  est  né  pour  être  heureux,  et  la  nature  môme  le  rend 
ennemi  de  la  douleur;  mais,  quelque  effort  qu'il  fasse  pour  bannir 
l'affliction ,  il  rencontre  toujours  des  objets  qui  l'affligent.  Il  en 
trouve  dans  sa  famille,  il  en  trouve  dans  sa  maison,  il  en  trouve 
au  milieu  de  ses  amis ,  il  en  trouve  parmi  ses  plaisirs  mêmes.  Qui 
le  consolera,  si  la  foi  ne  le  console  pas?  Sera-ce  le  monde?  le 
monde  rit  de  ses  pleurs.  Seront-ce  ses  parens?  ses  parens  évitent 
sa  présence.  Sera-ce  le  temps?  le  temps  ne  sert  qu'à  prolonger  ses 
peines.  Seront-ce  ses  patrons?  ses   patrons  n'écoutent  plus  ses 
plaintes.  Tout  le  fuit,  tout  l'accable,  tout  le  désespère.  La  foi  seule 
peut  calmer  ses  alarmes,  dissiper  le  nuage,  rappeler  la  sérénité* 
la  foi  seule  peut  adoucir  son  sort,  soutenir  son  courage    assurer 
sa  récompense  ;  la  foi  seule  peut  faire  succéder  la  lumière  aux  té- 
nèbres, la  joie  à  la  tristesse,  l'espérance  à  la  crainte  :  Fides  est 
sperandarum  substantiel  rerum.  Je  souffre ,  dit  saint  Paul ,  et  qu'est 
ce  que  je  souffre  qui  puisse  m'ébranler?  Qu'on   m'accuse,  qu'on 
m'exile,  qu'on  me  lapide,  que  mes  frères  me  trahissent,  que  les 
païens  m'outragent,  que  les  tyrans  me  condamnent,  que  la  mer 
que  la  terre,  que  l'enfer  conjurent  contre  moi  ;  non ,  j'en  suis  sûr 
ni  les  plaisirs,  ni  les  tourmens,  ni  le  mépris,  ni  la  grandeur    ni 
les  hommes,  ni  les  Anges,  ne  m'oteront  jamais  l'amour  de  Jésus- 
Christ  :  Certus sum.  Et  qui  est-ce  qui  le  rend  si  sûr  de  son  amour? 
C'est,  répond  saint  Jérôme,  qu'il  est  sûr  de  sa  foi  :  Unde  certus 
erat,  nisi  ex  fidei jirmitate? 

C'est  par  la  foi,  ce  n'est  que  par  la  foi  que  Dieu  dans  tous  les 
temps  a  consolé,  fortifié,  sanctifié  ses  adorateurs.  C'est  parla  foi 
qu' Abel  unit  son  sang  au  sang  de  ses  victimes  ;  c'est  par  la  foi  qu'E- 
noch quitta  le  monde  sans  éprouver  la  mort;  c'est  parla  foi  que 
Noé  se  fit  une  Arche,  même  avant  le  déluge  ;  c'est  par  la  foi  que 
Sara  vit  sa  stérilité  cesser  dans  sa  vieillesse;  c'est  par  la  foi  qu'A- 
braham immole  Isaac,  et  attend  tout  d'Isaac;  c'est  par  la  foi  que 
Moïse  brave  le  Nil,  et  méprise  la  cour;  c'est  par  la  foi  qu'Israël 
voit  reculer  les  eaux  pour  lui  faire  un  passage;  c'est  par  la  foi  que 

1  Jacob.,  i,  3. 


26\>  nocvelle  bibliothèque 

Judith  trioraplie  d  Holopherne,  Barac  de  Sisara,  David  de  Goliath, 
Samson  des  Philistins  5  c'est  par  la  foi  que  les  malades  sont  guéris, 
les  aveugles  éclairés,  les  possédés  délivrés,  les  morts  mêmes  res- 
suscites. Le  temps  me  manquerait,  dit  l'Apôtre  ,  si  je  voulais  vous 
rappeler  toutes  les  conquêtes  de  la  foi  :  Deficiet  me  tempus.  Vous 
représenterai-je  ces  chaînes,  ces  cachots,  ces  scies,  ces  glaives, 
ces  gibets,  ces  feux  qui  ont  éprouvé  et  couronné  la  patience  des 
saints?  Vous  dirai-je  tout  ce  qu'ils  ont  souffert  dans  les  déserts, 
dans  les  forets,  dans  les  mines,  dans  les  cavernes?  Ajouterai-je 
les  mépris,  les  injures,  les  ignominies  qui  les  ont  assaillis  ?  Il  n'en 
est  pas  un  seul  qui  n'ait  eu  à  combattre,  et  qui  n'ait  combattu  avec 
le  bouclier  de  la  foi  :  Omîtes  testimonlo  fidei  probati  sunt.  Cette  foi 
leur  apprenait  que  la  voie  des  épines  est  la  voie  de  l'éternité;  que 
les  souffrances  du  juste  produisent  ses  mérites;  que  la  haine  du 
monde  est  un  gage  de  l'amour  du  Sauveur  :  Test imonio  fidei  pro- 
bati sunt.  Cette  foi  leur  apprenait  que  le  crime  ne  s'efface  que  par 
des  larmes,  que  la  joie  ne  s'expie  que  par  la  douleur,  que  la  passion 
ne  se  dompte  que  par  les  afflictions  :  Testimonio  fidei  probati  sunt. 
Cette  foi  leur  apprenait  que  l'humiliation  est  le  partage  des  élus, 
que  le  plaisir  est  l'héritage  des  enfans  du  siècle,  que  personne  ne 
se  sauve  que  par  la  croix  :  Testimonio  fidei  probati  sunt.  Cette  foi 
leur  apprenait  que  Jésus-Christ  souffrait  dans  eux,  qu'il  avait  souf- 
fert pour  eux,  et  que  ce  n'était  qu'en  souffrant  qu'ils  pouvaient 
l'aimer,  qu'ils  pouvaient  lui  ressembler,  qu'ils  pouvaient  le  pos- 
séder :  Testimonio  fidei  probati  sunt.  Guidés  par  cette  foi,  ils  le 
suivaient,  ils  l'adoraient,  ils  le  considéraient  sur  l'autel  du  Cal- 
vaire, ils  se  rappelaient  ses  opprobres,  ses  tourmens,  ses  soupirs; 
ils  regardaient  ces  mains  percées,  ces  lèvres  mourantes,  ce  côté 
ouvert.  Voilà,  se  disaient-ils,  voilà  le  Chef,  et  voilà  le  modèle  qui 
nous  est  proposé.  Que  souffrons-nous ,  que  pouvons-nous  souffrir 
qui  égale  ses  peines  ?  Ah  !  si  Dieu  même  n'épargne  pas  son  Fils 
doit-il  donc  épargner  ses  disciples?  doit-il  épargner  ses  créatures? 
doit-il  épargner  de  vils  esclaves  qui  vivent  dans  le  crime  ?  Aspi* 
cientes  in  auctorem  fidei  et  consommatorem  Jesum. 

C'est  ainsi,  mes  frères,  c'est  ainsi  que  la  foi  anime  le  fidèle  :  il 
ne  demande  point  de  grâce  pendant  la  vie ,  afin  de  trouver  grâce 
à  la  mort;  plus  il  souffre  sur  la  terre,  plus  il  s'élève  au  ciel; 
moins  il  trouve  de  consolation  parmi  les  hommes,  plus  il  en  trou- 
ve aux  pieds  de  Jésus-Christ.  C'est  un  Dieu  ,  s'écrie  t-il  avec  saint 
Augustin,  c'est  un  Dieu  qui  me  frappe,  mais  ce  Dieu  est  un  Père  : 
Pater  est.    C'est  un  roi  qui  se  venge;  mais  ce  roi  est  un  Père: 


DES    PRÉDICA.TEURS.  26 1 

Pater  est.  C'est  un  Juge  qui  nie  punit  ;  mais  ce  Juge  est  un  Père: 
Pater  est.  C'est  un  maître  qui  me  corrige;  mais  ce  maître  est  mon 
guide,  mon  appui ,  ma  défense  et  mon  père  :  Pater  est.  Qu'il 
m'éprouve,  qu'il  m'afflige,  qu'il  me  désole,  qu'il  me  poursuive 
autant  qu'il  lui  plaira  ,  j'obéis  ,  je  me  tais.  Son  cœur  m'assure 
contre  ses  coups  ,  sa  rigueur  même  me  prouve  sa  tendresse  :  Sœ- 
viat  quantum  imlt^pater  est.  Heureuses  larmes  !  heureuses  croix  ! 
heureuses  tribulations  qui  m'approchez  de  ma  chère  patrie  !  que 
vous  m'êtes  précieuses  et  que  vous  m'êtes  chères  !  Capio  dissolvi 
et  esse  cum  Christo  ?  Tels  sont,  chrétiens,  tels  sont  nos  avantages. 
(  Le  P.  Segaud  ,  Sur  la  Foi.  ) 

Notre  justification  tient  de  la  foi. 

C'est  la  foi  qui  nous  sauve  :  Cette  vérité  nous  est  trop  expressé- 
ment marquée  dans  l'Ecriture  pour  en  pouvoir  douter  ;  mais  le 
point  est  de  savoir  comment  et  en  quel  sens  il  est  vrai  que  la  foi 
nous  sauve.  Sur  quoi  je  dis  que  la  foi  nous  sauve  en  deux  manières, 
et  comme  perfection  de  nos  bonnes  œuvres,  et  comme  principe  de 
nos  bonnes  œuvres.  Comme  perfection  de  nos  bonnes  œuvres , 
parce  que  c'est  surtout  de  la  foi  que  vient  aux  bonnes  œuvres  que 
nous  pratiquons,  leur  efficace  et  leur  prix  :  comme  principe  de 
nos  bonnes  œuvres,  parce  que  c'est  de  la  foi  que  nous  vient  à 
nous-mêmes  cette  sainte  ardeur  qui  nous  porte  à  les  pratiquer. 
La  suite  vous  fera  mieux  eatendre  ces  deux  pensées  ';  appliquez- 
vous  à  l'une  et  à  l'autre. 

De  quelque  sorte  que  les  théologiens  expliquent  le  mystère  de 
la  justification  des  hommes  ,  il  est  toujours  vrai,  comme  l'Ecriture 
nous  l'enseigne,  que  c'est  de  la  foi  que  nos  actions  tirent  leur  prix 
et  leur  efficace  devant  Dieu;  et  par  conséquent,  que  la  foi  est 
comme  la  perfection  de  nos  vertus  et  de  toutes  nos  bonnes  œu- 
vres. Je  ne  puis  être  sauvé,  ni  prétendre  aux  récompenses  de  Dieu, 
que  par  le  mérite  des  bonnes  œuvres  :  vérité  constante;  mais  je 
dois  aussi  reconnaître  que  mes  bonnes  œuvres  ne  peuvent  avoir 
de  mérite  devant  Dieu  que  par  la  foi  ;  c'est  la  foi  qui  leur  doit 
imprimer  ce  sceau  de  la  vie  éternelle  que  saint  Paul  appelle  excel- 
lemment :  Signaculum  justitiœ  fidei  1.*Et  de  même,  dit  saint 
Chrysostôme,  qu'une  pièce  de  monnaie  qui  n'aurait  pas  la  marque 
du  prince,  quelque  précieuse  qu'elle  fût  d'ailleurs,  ne  serait  censée 

1  Rom.  4. 


2Ô2  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Je  nulle  valeur  et  de  nul  usage  clans  le  commerce;  ainsi ,  quoi  que 
je  fasse  d'honnête,  de  louable,  et  même  de  grand  et  d'héroïque  , 
si  je  ne  le  fais  dans  l'esprit  de  la  foi,  et  si  tout  cela  ne  porte  le 
caractère  delà  foi,  je  ne  m'en  dois  rien  promettre  pour  le  salut. 
Voilà,  Chrétiens,  ce  qui  de  tout  temps  a  passé  pour  incontesta- 
ble dans  notre  religion,  et  ce  que  nous  devons  établir  pour  règle 
de  toute  notre  conduite;  voilà  ce  que  l'Apôtre  prêchait  aux  Juifs 
avec  tant  de  zèle;  voilà  ce  que  saint  Augustin  prouvait  aux  Pela- 
giens  avec  tant  de  force  et  tant  de  solidité;  voilà  ce  que  les  Pères 
de  l'Eglise  remontraient  sans  cesse  aux  hérétiques  de  leur  siècle  ; 
et  voilà  ce  que  les  prédicateurs  de  l'Evangile  doivent  encore  au- 
jourd'hui, et  plus  que  jamais,  faire  comprendre  à  leurs  auditeurs, 
que,  sans  la  foi  ,  je  dis  sans  une  foi  pure ,  sincère,  humble,  obéis- 
sante, tout  ce  que  nous  faisons  nous  est  inutile  par  rapport  à 
l'éternité  bien  heureuse. 

Prenez  garde,  Chrétiens,  et  suivez-moi.  Les  Juifs  se  confiaient 
dans  les  œuvres  de  la  loi  de  Moïse ,  c'est-à-dire,  dans  les  sacrifices 
qui  leur  étaient  ordonnés  ;  et  pourvu  qu'ils  l'observassent  fidèle- 
ment et  inviolablement,  cette  loi,  ils  s'assuraient  que  toutes  les 
promesses  faites  à  Abraham  devaient  s'accomplir  dans  eux.  Vous 
vous  trompez,  mes  frères,  leur  disait  saint  Paul  ;  ce  n'est  point 
la  pratique  de  votre  foi  qui  vous  sauvera ,  c'est  la  foi  de  Jésus- 
Christ*  Vous  avez  ;  beau  immoler  des  victimes,  vous  avez  beau 
vous  purifier,  vous  avez  beau  faire  profession  d'un  culte  exact  et 
religieux;  si  toutes  ces  observances  et  toutes  ces  cérémonies  ne 
sont  sanctifiées  par  la  foi ,  vous  ne  faites  rien.  C'est  par  la  foi  que 
vous  avez  été  justifiés  ,  et  c'est  la  loi  qui  doit  vous  donner  accès 
auprès  de  Dieu  :  Justificati  ex  ficle  *  :  ainsi  leur  parlait  cet  hom- 
me apostolique.  Les  Pélagiens  faisaient  fond  sur  leurs  bonnes 
œuvres  naturelles  ,  et  se  persuadaient  que  Dieu  y  avait  égard  dans 
la  distribution  de  ses  grâces,  et  que  la  raison  pourquoi  il  appelait 
les  uns  et  n'appelait  pas  les  autres  ,  pourquoi  il  choisissait  les  uns 
préférablement  aux  autres ,  était  que  les  uns  se  disposaient  avec 
plus  de  soin  que  les  autres,  par  les  bonnes  œuvres  de  la  nature, 
à  recevoir  cette  grâce  de  vocation  et  de  choix  ;  et  il  faut  avouer, 
avec  saint  Prosper ,  que  cette  erreur  avait  quelque  chose  de  spé- 
cieux; mais  c'était  une  erreur,  et  saint  Augustin  fut  suscité  de 
Dieu  pour  la  combattre  et  la  détruire.  Non  ,  mes  frères ,  repre- 
nait ce  docteur  incomparable,  il   n'en  va  pas  de  la   sorte;   ces 

Boni.,  5. 


DES    PREDICATEURS. 


263 


bonnes  œuvres  naturelles,  sur  quoi  vous  vous  appuyez ,  n'ont  au- 
cun effet  pour  le  salut;  ce  n'est  point  là  ce  qui  engage  Dieu  à  nous 
accorder  sa  grâce,  et  jamais  il  ne  nous  en  tiendra  compte  dans 
l'éternité  :  c'est  à  la  foi  qu'il  a  attaché  tout  le  mérite  de  notre  vie , 
et  sans  la  foi  rien  ne  nous  peut  conduire  à  lui.  Enfin,  les  héréti- 
ques presque  de  tous  les  siècles  ont  tiré  avantage  de  leurs  bonnes 
œuvres,  et,  par  une  aveugle  présomption,  se  sont  flattés  de  vivre 
dans  leur  secte  plus  saintement  que  les  Catholiques,  d'être  plus 
réformés  qu'eux,  plus  austères  qu'eux,  plus  adonnés  aux  exercices 
de  la  charité  et  de  la  pénitence  qu'eux ,  et ,  à  n'en  juger  que  par 
l'extérieur,  peut-être  ont-ils  eu  quelquefois  sujet  de  le  prétendre. 
Mais,  parce  que  leur  fui  n'était  pas  saine,  les  Pères  leur  répon- 
daient toujours  que  c'était  en  vain  qu'ils  se  glorifiaient  ;  que  tou- 
tes ces  œuvres  de   piété,  quoique  éclatantes,  n'étaient  que  des 
œuvres  mortes,  leurs  vertus  que  des  fantômes  ;  et  que, de  fécon- 
des qu'elles  eussent  été  avec  la  foi ,  elles  devenaient ,  sans  la  foi , 
des  arbres  stériles;  qu'il  n'y  avait  que  le  champ  de  l'Eglise  où  l'on 
put  espérer  de  cueillir  de  bons  fruits;  que  quiconque  semait  ailleurs 
que  dans  ce  champ  perdait  et  dissipait  (car  je  neine  sers  ici  que  de 
leurs  expressions  )  ;   que  c'était  dans  cette  Église  universelle  ,  et 
par  conséquent  dépositaire  unique  de  la  vraie  foi ,   que  Dieu  , 
selon  le  témoignage  de  David  ,  voulait  être  loué  :  Apud  te  laus 
mea  in  ecclesia  magna  *  ;  que,  hors  delà,  il  n'y  avait  ni  louanges , 
ni  prières  qu'il  écoutât;  et  que,  quand  un  homme  dont  la  foi  se 
trouvait  corrompue   osait  paraître  devant  les  autels  pour  s'acquit- 
ter d'un   devoir  de  religion  ,  c'était  à  lui  particulièrement  qu'il 
adressait  ces  terribles  paroles  :   Quare  tu  enarras  justitias  meas 
et  assumis  testamentum  meuniper  os  tiium  2  ?  Pourquoi  t'ingères- tu 
à  sanctifier  mon  nom,  et  pourquoi,  n'ayant  pas  la  foi  de  mes  servi- 
teurs ,  entreprends-tu  de  me  rendre  des  services  que  je  ne  puis 
agréer  ?  que  les  bonnes  œuvres,  séparées  de  la  foi,  bien  loin  d'être 
aux  sectateurs  de  1  hérésie  un  fonds  de  mérite,  seraient  plutôt  un 
sujet  de  confusion,  puisque  Dieu,  non  seulement  ne  leur  saurait 
nui  gré  d'avoir  fait  le  bien  qu'ils  faisaient  en  ne  croyant  pas  ce 
qu'ils  devaient  croire  ;  mais  qu'il  les  jugerait  même  avec  plus  de 
rigueur,  pour  n'avoir  pas  cru  ce  qu'ils  devaient  croire  en  faisant  le 
bien  qu'ils  faisaient:  Ac  perhoc  solo  Dci meoque  judicio3(ces  paroles 
sont  remarquables),  non  solum  minus  laudandi  sunt,  quia  se  con- 
tinent quum  non  credant,  seâ  etiam  multo  magis  vituperandi,  quia 

1  Ts,  2i.  — Mbid.,  49.-3  Aug. 


264  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

non  credunt  quum  se  contineant  ;  en  un  mot,  que,  dans  le  Chris- 
tianisme ,  ce  n'était  point  absolument  parla  substance  des  œuvres, 
mais  par  )a  qualité  de  la  foi ,  que  Dieu  faisait  le  discernement  des 
justes  :  Deus  quippe  noster  et  sapiens  judex  ,justos  ab  injustis,  non 
operum,  sed  ipsius  fulel  lege  discernit  ;  tout  cela  est  de  saint  Au- 
gustin. D'où  il  conclut  qu'un  Chrétien,  qui  ,  dans  sa  condition, 
pratiquerait  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  saiut  etde  plus  parfait,  mais 
qui  n'aurait  pas  l'intégrité  de  la  foi ,  avec  toute  sa  perfection  et  sa 
prétendue  sainteté  ,  serait  éternellement  l'objet  de  la  réprobation 
divine  :  Per  quam  discretionem  fit  ut  homo  injuriarwn  patientissi- 
mus,  eleemosynarum  largissimus^  si  non  rectam  fidern  in  Deum 
habet  cum  suis  istis  laudabilibus  moribus,  ex  hac  vita  dcunnandus 
abscedat. 

Tel  était,  mes  chers  auditeurs ,  le  langage  de  ces  grands  hommes 
que  Dieu  nous  a  donnés  pour  maîtres;  et  voilà  la  source  de  l'af- 
freux désordre  où  sont  tombés  tant  d'esprits  superbeset  séduits  par 
le  démon  de  l'infidélité.  Àh  !  Chrétiens,  qui  le  pourrait  comprendre  et 
s'en  former  une  juste  idée  ?Qui  pourrait  dire  combien,  par  exemple, 
l'hérésie  seule  de  Calvin  a  détruit  de  mérites  ,  a  ruiné  de  bonnes 
œuvres,  a  corrompu  de  vertu  ,  a  fait  périr  devant  Dieu  de  fruits 
admirables  que  la  grâce  devait  produire  ,  et  que  la  vraie  foi  aurait 
vivifiés  ?  Car  enfin  ,  reconnaissons-le  ici,  quand  ce  ne  serait  que 
pour  adorer  la  profondeur  impénétrable  des  jugemens  de  Dieu; 
avouons-le  de  Lonne  foi ,  et  par  le  témoignage  que  nous  rendrons 
à  une  vérité  qui  ne  nous  intéresse  en  rien  ,  convainquons-nous 
sensiblement  et  efficacement  d'une  autre,  où  il  s'agit  de  tout  pour 
nous.  Dans  ces  sectes  malheureuses  que  l'hérésie  et  le  schisme 
suscitaient,  il  y  a  eu  du  bien  au  moins  apparent.  Au  milieu  de 
cette  ivraie,  l'ennemi  même  qui  l'avait  semée,  affectail  de  faire 
paraître  le  bon  grain.  On  y  voyait  des  hommes  modestes  et  chari- 
tables, abstinens;  mais  notre  religion  nous  oblige  à  croire  que, 
parce  qu'ils  ne  portaient  pas  sur  le  front  ce  signe  du  Dieu  vivant, 
c'est-à-dire,  le  signe  de  la  foi,  quelques  merveilles  qu'ils  fissent, 
Dieu  leur  disait  toujours  :  Je  ne  vous  connais  point.  Ils  priaient, 
mais  leurs  prières  étaient  réprouvées;  ils  jeûnaient ,  mais  Dieu  mé- 
prisait leurs  jeûnes: et  s'ils  eussent  pensé  à  s'en  plaindre,  et  à  lui 
en  demander  rais-on  ;  s'ils  lui  eussent  dit ,  comme  les  juifs  :  Quare 
jejunavimus ,  et  non  aspexisti;  humilicwinius  animas  nostras,  et 
nescisti*?   Hé!  Seigneur,  pourquoi    avons-nous  jeûné    sans  que 

1  Isai.,  58. 


DES    PREDICATEURS. 


^65 


vous  ayez  jeté  les  yeux  sur  nous;  et  pourquoi  nous  sommes-nous 
humiliés  en  votre  présence,  sans  que  vous  l'ayez  su  ou  que  vous 
ayez  paru  le  savoir?  Dieu,  toujours  juste  et  toujours  sûr  de  son 
procédé  ,  leur  eût  fait  cette  réponse,  pleine  de  raison  et  d'indi- 
gnation tout  ensemble  :  Ecce  in  die  jejunii  vestri  invenitur  volun- 
tas  vestra  l  ;  c'est  que  ,  malgré  vos  abstinences  et  vos  jeûnes,  j'ai 
découvert  votre  orgueil,  votre  opiniâtreté,  votre  rébellion  :  une 
volonté  et  une  disposition  de  cœur  tout  opposée  à  cette  obéissance 
de  l'esprit  qu'exigeait  la  foi  de  mon  Eglise  :  Ecce  in  die  jejunii 
vestri  invenitur  voluntas  vestra.  Réponse  qui  les  aurait  confondus. 

Et  en  effet,  quand,  au  moment  de  la  mort  où  ils  devaient  être 
jugés  de  Dieu,  ils  venaient  lui  produire  leurs  bonnes  œuvres,  mais 
leurs  bonnes  œuvres  faites  dans  l'hérésie ,  Dieu,  tout  porté  qu'il 
est  à  récompenser,  se  voyait  comme  forcé  de  les  rejeter,  et  de 
leur  prononcer,  par  la  bouche  d'un  autre  prophète,  ce  triste  et 
redoutable  arrêt:  Seminastis  multum^et  intulistis  pariun:  Il  est  vrai, 
vous  avez  beaucoup  semé,  mais  le  comble  de  votre  misère  est 
que  vous  n'avez  rien  à  recueillir  :  Respexistis  ad  amplius ,  et  ecce 
faetum  est  minus:  Vous  avez  cru  gagner  plus  que  vos  frères  qui 
suivaient  avec  simplicité  la  route  commune  delà  foi  ;  mais  en 
poursuivant  un  gain  chimérique,  vous  avez  perdu  le  gain  réel  et 
solide  que  vous  pouviez  faire  :  Intulistis  in  domum,  et  exsufflavi 
illud:  Vous  avez  fait  un  amas  et  un  trésor,  mais  c'était  un  amas 
de  poussière  que  le  vent  a  emporté  et  dissipé.  Et  pourquoi  tout 
cela,  ajoute  le  Seigneur  :  Quam  ob  causant,  dicit  Dominus  exerci- 
tuumP  Ecoutez-en,  Chrétiens,  la  raison  :  Quia  domus  mea  déserta 
est,  et  vos  jestinastis  unusquisque  indomum  suam:  C'est  que  vous 
avez  abandonné  ma  maison  qui  est  l'Eglise,  et  que  vous  vous 
êtes  retirés  chacun  dans  vos  maisons  particulières  ;  c'est  que  vous 
vous  êtes  fait  des  Eglises  à  votre  mode,  que  vous  vous  êtes  laissés 
aller  à  des  nouveautés,  que  vous  avez  écouté  des  maîtres  et  des 
docteurs  que  je  n'autorisais  pas,  et  que,  par  une  infidélité  bizarre 
et  capricieuse,  vous  avez  préféré  leurs  sentimens  et  leur  conduite 
à  la  règle  universelle  que  j'avais  établie  :  voilà,  disait  Dieu,  par 
son  Prophète,  voilà  le  ver  qui  a  gâté  toutes  vos  œuvres. 

Or,  chrétiens,  ce  que  Dieu  disait  alors  ,  nous  pouvons  bien  en- 
core le  dire,  et  nous  l'appliquer  à  nous-mêmes.  Car,  quoiqu'il  n'y 
ait  point  d'hérétiques  déclarés  parmi  les  Catholiques  mêmes,  ou 
plutôt  parmi  ceux  qui  en  portent  le  nom ,  vous  savez  combien  il 

4  Isai.,  58. 


%66  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

y  en  a  dont  la  foi  nous  doit  être  au  moins  très  suspecte ,  parce  que 
ce  n'est  pas  une  foi  pure  et  entière.  Ils  n'ont  pas,  ce  semble,  quitté 
l'Eglise;  niais  on  peut  être  extérieurement  dans  l'Eglise,  et  n'a- 
voir pas  la  foi  de  l'Eglise.  On  peut  être  dans  la  communion  du 
corps  de  l'Eglise,  et  n'être  pas  dans  la  communion  de  son  esprit. 
Ce  sont  des  gens  qui  vivent  bien  ;  vous  le  dites,  et  la  charité 
m'engagea  le  croire,  malgré  bien  des  exemples  qui  pourraient 
me  rendre  cette  bonne  vie  équivoque  et  assez  douteuse.  Mais  en- 
fin qu'ils  soient  des  anges,  si  vous  le  voulez,  par  leurs  mœurs; 
qu'ils  soient  des  martyrs  :  si  cependant  ils  n'ont  pas  la  pureté  de  la 
foi,  T humilité  de  la  foi  ,  la  sincérité  de  la  foi,  la  plénitude  de  la 
foi  ,  je  vous  répondrai,  avec  saint  Paul ,  que  dans  leur  vie  préten- 
due angélique  il  leur  est  impossible  de  plaire  à  Dieu:  Sine  fuie 
impossibile  est  placere  Deo  l  ;  et  j'ajouterai,  avec  saint  Cyprien  , 
que  ce  n'est  point  leur  sang  que  Dieu  demande ,  mais  leur  foi  : 
Non  quœrit  in  vobis  sanguinem^  sedjidem.  (  Bourdaloue.) 

Rien  de  plus  exposé  que  la  foi. 

Qui  est-ce  qui  perd  la  foi?  et  comment  la  perd-on?  Les  uns  la 
perdent  par  la  présomption,  les  autres  parle  libertinage, plusieurs 
par  la  séduction.  Voulez-vous  donc  conserver  la  foi?  dit  l'Ecritu- 
re; défiez-vous  de  vos  lumières  :  F  ides  veslra  non  sit  in  sapientia 
humana  \  Défiez  vous  de  vos  passions  :  Vœ  dissolutis  corde  qui  non 
credunt  3.  Défiez-vous  du  monde  :  Spiritum  verilatis  mundus  non 
potest  accipereA.  JNos  lumières  sont  faibles,  nos  passions  sont 
violentes,  le  monde  est  contagieux.  Que  d'obstacles  au  salut, que 
de  risques  pour  le  Christianisme,  que  de  dangers  pour  la  foi!  La 
faiblesse  de  nos  lumières  attaque  son  autorité,  la  violence  de  nos 
passions  combat  sa  pureté,  la  contagion  du  monde  détruit  dans 
nous  sa  solidité.  Que  ne  devons-nous  donc  pas  craindre,  et  pour 
nous,  et  pour  elle? 

L'esprit  humain  est  tout  ensemble  un  prodige  de  faiblesse  et  de 
témérité.  Rien  de  plus  borné  dans  ses  connaissances  ,  rien  de  plus 
étendu  dans  ses  recherches  :  incapable  de  comprendre  ce  qu'il  voit, 
ce  qu'il  touche;  réduit  à  ne  pouvoir  se  comprendre  lui-même,  il  se 
flatte,  il  s'élève,  il  vole  jusqu'au  trône  de  la  Divinité:  Dieu  n'a  rien  de 
caché  qu'il  ne  veuille  dévoiler,  rien  de  mystérieux  qu'il  ne  veuille 
sonder,  rien  d'infini  qu'il  ne  veuille  mesurer.  Tantôt  il  règle  sapuis- 

1  Uebr.,  11.  —  2  I  Cor.,  n,  0.  —  5Eccli.,  n,  1S.  —  *  Joan.,  xiv,  17. 


DES    PRÉDICATEURS.  267 

sance,  tantôt  il  restreint  sa  bonté;  il  va  jusqu'à  douter  de  sa  nature  et 
de  son  existence.  Dieu  est-il  Dieu?  gouverne-t-il  les  hommes?  parle- 
t-il  par  ses  ministres?  Comment  prédestine-t-il?  comment  réprou- 
ve-t-il?  Est  il  sur  cet  autel?   est  il  dans  cette  hostie?  agit-il  par  la 
grâce?  comment  agit  la  grâce  ?  Sommes-nous  libres,  ne  le  sommes- 
nous  pas?  Que  d'embarras,    que  de  perplexités!   L'un  croit  un 
point,  et  l'autre  le   rejette;  celui-ci  admet  un  article  ,  celui-là  le 
condamne;  il  y  en  a  qui  veulent  tout  voir,  tout  lire,  tout  appro- 
fondir; il  yen  a  qui   sont  les   juges  des  Ecritures,  des  Pères,  des 
conciles:  chacun  se  fait  l'arbitre  et  l'auteur  de  sa  foi.  Dès  qu'on  se 
pique  d'esprit,  on  renonce  à  la  docilité,  on  examine  les  mystères, 
les  sacremens  ,  l'Evangile  même;  on  veut  parler  de  tout ,  disputer 
de  tout,  décider  de  tout.  D'abord  on  se  ménage,  on  s'observe,  on 
croit  ne  point  risquer,  mais  peu-à-peu  le  poison  gagne ,  le  doute 
suit,  l'erreur  prend  racine  :  on  s'enivre  de  sa  science,  on  s'éva- 
nouit  dans  ses    idées,    on  s'entête   dans  ses    sentimens;  il  fau- 
drait reculer,  on  le  voit,  on  le  sent;  mais  on  rougit  de  le  faire, 
on  n'ose  plus  le   faire ,  on  croit   qu'il   est  trop  tôt  ou  trop   tard 
de  le  faire  :  on  méprise  tout,  on  rejette  tout,    on  résiste  à  tout 
à  force  de  délai,  on  meurt  sans  repentir;  à  force  d'examen,   on 
perd  la  soumission  ,  et,  sans  la  soumission,   il  n'y    a  plus  de  foi  : 
DiJexerunt  hommes  magis  tenebras  quant  lucem. 

Avouons-le,  mes  frères,  n'est-ce  pas  là  ce  qui  arrive  tous  les 
jours?  n'est-ce  pas  là  ce  qui  est  arrivé  de  tous  temps  à  ceux  qui 
n'ont  suivi  que  leurs  propres  lumières?  Arius était  savant,  Entichés 
était  instruit,  Nestorius  était  éclairé,  Pelage  était  pénétrant,  Mâ- 
nes était  subtil,  et,  malgré  cela,  que  de  travers,  que  de  fables,  que 
d'absurdités  ces  hommes  présomptueux  n'ont-ils  pas  adoptées  ! 
Arius  nie  la  divinité  du  Verbe  ,  Eutichès  confond  les  deux  natu- 
res, Nestorius  multiplie  les  personnes,  Pelage  ne  donne  rien  à  la 
grâce,  Manès  donne  tout  au  destin.  Tous  ont  voulu  marcher  par 
des  routes  nouvelles  ,  sans  règle,  sans  guide,  sans  discernement; 
tous  se  sont  égarés,  tous  se  sont  aveuglés  ;  l'unique  fruit  de  leurs 
discussions  a  été  leur  incrédulité.  Semblables  aux  Bethsamites,  ils 
ont  regardé  l'Arche,  et  ils  ont  tous  péri,  même  à  la  vue  de  l'Ar- 
che :  DiJexerunt  niagis  tenebras  quant  lucent. 

Mais,  direz-vous ,  est-ce  un  crime  de  douter?  est-ce  un  crime 
d'examiner  ?  est-ce  un  crime  de  s'instruire  ?  est-ce  un  crime  de  dis- 
puter? Que  de  prétextes  pour  ne  pas  se  soumettre  !  Est-ce  un  crime 
de  douter?  oui,  mes  frères,  c'en  est  un  ,  si  vous  doutez  de  ce  qui 
a  été  révélé  par  Jésus-Christ;  c'en  est  un,  si  vous  doutez  de  ce  qui 


%6$  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

a  été  enseigné  par  les  Apôtres  de  Jésus-Christ;  c'en  est  un,  si 
vous  doutez  de  ce  qui  a  été  proposé  par  l'Eglise  de  Jésus-Christ. 
Est-ce  un  crime  que  d'examiner  ?  oui,  c'en  est  un,  si  vous  examinez 
avec  prévention ,  avec  malignité  ;  c'en  est  un  ,  si  vous  examinez  ce 
que  vous  devez  adorer ,  ce  que  vous  devez  respecter,  ce  que  vous 
ne  pouvez  concevoir  ,  et  ce  que  vous  ne  devez  jamais  comprendre. 
Est-ce  un  crime  de  s'instruire?  oui,  c'en  est  un,  si  vous  vous  in- 
struisez sans  humilité,  sans  respect,  sans  docilité;  c'en  est  un,  si,  au 
lieu  de  vous  faire  instruire  par  l'Eglise,  vous  voulez  instruire  l'E- 
glise même.  Il  y  a  une  Eglise  enseignante,  et  ce  sont  les  pasteurs: 
Docete  omnes gentes.  Il  y  a  une  Eglise  écoutante ,  et  ce  sont  les  fi- 
dèles :  Qui  audierint,  vivent.  Le  corps  des  pasteurs  ne  peut  se 
tromper ,  quand  il  enseigne  les  fidèles;  les  fidèles  ne  peuvent 
se  tromper,  quand  ils  croient  ce  qu'enseigne  le  corps  des  pasteurs. 
Mais  si  ceux  qui  doivent  enseigner  se  contentent  d'écouter ,  si 
ceux  qui  doivent  écouter  prétendent  enseigner,  les  uns  et  les  au- 
tres se  perdent.  Est-ce  un  crime  de  disputer?  oui,  c'en  est  un,  si 
vous  disputez  avec  passion,  avec  emportement,  avec  opiniâtreté  ; 
c'en  est  un,  si  vous  disputez  contre  les  règles  de  la  foi,  contre  les 
jugemens  de  la  foi,  contre  les  dépositaires  de  la  foi;  c'en  est  un, 
si,  en  disputant  contre  l'Eglise,  vous  vous  mettez  en  danger 
de  perdre  votre  foi. 

Croyez-vous  donc,  disait  saint  Bernard  à  un  religieux  apostat, 
croyez-vous,  quand  il  s'agit  de  la  foi,  que  vous  puissiez  penser, 
nier,  contester  tout  ce  que  vous  voulez?  Croyez-vous  que  vous 
puissiez  errer  de  secte  en  secte,  d'opinions  en  opinions,  de  nou- 
veautés en  nouveautés?  Non,  non,  la  foi  condamne  ces  détours, 
ces  contestations,  ces  égaremens;  l'unique  parti  du  Chrétien,  c'est 
de  se  captiver,  d'obéir  et  de  croire  :  Nontibi  licetinfide  putare  vel 
disputareprœ  libitu  non  hac  illacque  vagari  per  inania  opinionum , 
per  dévia  errorum.  Et  quels  sont  ceux,  mes  frères,  dont  Jésus- 
Christ  a  admiré  la  foi  ?  Sont-ce  les  juges ,  les  maîtres ,  les  docteurs 
de  la  loi?  Non,  c'est  un  centenier  sans  doctrine  ,  c'est  une  chana- 
née  sans  études,  c'est  une  hémorhoïsse  sans  subtilité,  ce  sont  tous 
ceux  qui  ont  conservé  la  soumission  et  la  simplicité  de  l'enfance. 
Et  pourquoi  donc,  dit  Tertullien,  pourquoi  chercher  encore 
des  guides,  des  règles,  des  certitudes?  Qu'avons-nous  be- 
soin de  guides,  puisque  nous  avons  Jésus-Christ?  Qu'avons-nous 
besoin  de  règles ,  puisque  nous  avons  l'Evangile?  Qu'avons-nous 
besoin  de  certitude,  puisque  nous  avons  l'Eglise?  Nobis  curiosi- 
tate  non  opus  estpost  Christum  Jesum ,  nec  inquisitionc  post  Evan- 


DES    PREDICATEURS.  269 

qeliam.  Dans  tout  le  reste  formez-vous  des  principes,  inventez 
des  systèmes,  faites  des  découvertes  ,  jugez,  décidez,  mesurez  tout 
au  poids  de  la  raison,  j'y  consens;  mais  dès  que  la  foi  parle,  esprit, 
jugement,  intelligence  humaine  ,  tout  doit  plier, tout  doit  s'humi- 
lier: Cedat  curiositas  fidei,  cedat  gloria  salutl.  Rien  de  plus  op- 
posé à  son  autorité  que  la  faihlesse  cle  nos  lumières;  mais  rien  de 
plus  contraire  à  sa  pureté  que  la  violence  de  nos  passions.  C'est 
le  second  danger  que  nous  avons  à  craindre. 

Danger  commun  à  tous  les  hommes ,  présent  à  tous  les  hom- 
mes, funeste  à  tous  les  hommes;  danger  qui  suit  de  la  nature  du 
corps,  de  la  révolte  des  sens,  de  la  corruption  du  cœur;  danger 
qui  naît  avec  nous ,  qui  croît  avec  nous ,  qui  ne  cesse  qu'avec  nous. 
Tout  homme  a  ses  passions ,  et  toujours  la  passion  lutte  contre  la 
foi:  l'une  et  l'autre  se  choquent,  l'une  et  l'autre  s'attaquent,  l'une  et 
l'autre  se  détruisent.  Si  la  foi  triomphe,  il  faut  que  la  passion  expire, 
si  la  passion  l'emporte  ,  il  faut  que  la  foi  cède  :  la  contradiction  est 
sensihle,  elle  est  continuelle.  La  foi  dit  que  Dieu  est  notre  fin, 
que  la  vertu  est  notre  asile,  et  le  ciel  notre  patrie  ;  la  passion  dit 
que  la  terre  est  notre  partage,  que  le  plaisir  fait  notre  honneur, 
que  la  fin  de  l'homme ,  c'est  l'homme  même  :  la  foi  dit  que  la  vie 
n'est  qu'un  songe,  la  fortune  qu'une  ombre,  l'honneur  qu'une 
fumée,  que  souvent  le  pécheur  meurt  dans  son  péché  ;  îa  passion 
dit  qu'il  faut,  pour  jouir  du  temps,  profiter  de  ses  biens,  vivre  dans 
la  grandeur,  qu'il  suffit  de  penser  à  mourir  quand  on  meurt  :  la 
foi  dit  que  la  religion  est  l'ouvrage  de  Jésus-Christ,  qu'il  y  a  un 
Enfer  pour  punir  les  coupables,  que  le  corps  détruit  ne  détruit 
pas  notre  ame;  la  passion  dit  que  lame  suit  le  corps,  que  l'Enfer 
n'alarme  que  les  faibles ,  que  la  religion  n'est  fondée  que  sur  la 
politique  :  Vœ  dissolutis  corde  qui  non  credunt. 

Que  la  passion  se  taise ,  la  raison  parlera,  la  vérité  se  montrera, 
l'Evangile  se  conservera.  Que  la  passion  se  taise,  on  ne  sera  plus 
dans  l'Eglise  opposé  à  l'Eglise,  on  n'abusera  plus  de  sa  liberté 
pour  nier  la  liberté,  on  ne  résistera  plus  à  la  grâce,  lors  même 
qu'on  dit  qu'on  y  peut  résister.  Que  la  passion  se  taise ,  on  ne  mur- 
murera plus  contre  la  Providence,  on  ne  contredira  point  les  pré- 
ceptes, on  ne  rejettera  point  les  miracles,  et  on  n'en  supposera 
point.  Que  la  passion  se  taise,  on  évitera  les  chicanes,  les  détours,  les 
altercations ,  pour  prendre  le  parti  le  plus  sûr,  et  le  seul  qui  soit  sûr. 
Que  la  passion  se  taise ,  on  ne  verra  plus  tant  d'hommes  sans  let- 
tres se  piquer  de  doctrine,  tant  de  laïques  oublier  leur  ignorance, 
tant  de  femmes  savantes  sans  études,  tant  d'impies  incrédules  jus- 


2rr0  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

qu'à  l'athéisme.  Que  la  passion  se  taise,  on  préférera  l'espérance  à 
l'incertitude,  la  charité  à  la  haine,  l'obéissance  à  tous  les  intérêts 
de  l'esprit  et  du  cœur  :  Vœ  dissolutis  corde  qui  non  credunt. 

C'en  est  fait,  disait  Dieu,  ma  voix  ne  se  fait  plus  entendre,  ma 
vérité  ne  peut  plus  subsister,  mon  esprit  est  forcé  d'abandonner 
les  hommes  :  Non permanebit  spirltns  meus  in  homine.  Pourquoi? 
parce  que  l'homme  a  corrompu  ses  voies  ,  parce  que  l'homme  ne 
se  conduit  qu'en  homme,  parce  que  l'homme  est   l'esclave  de  la 
chair  :  Quia  caroest.  Et  qui  est-ce  qui  inspire  aux  grands,  aux  ri- 
ches, aux  heureux  du  siècle,  ces  doutes,  ces  railleries,  ces  mépris 
scandaleux  des  personnes  et  des  choses  les  plus  saintes  ?  C'est  que 
leur  état  est  le  règne  de  la  passion  :  Quia  caro  est.  Qui  est-ce  qui  a 
produit  tant  de  schismes  déclarés  ou  cachés ,  tant  d'apostasies  se- 
crètes ou  publiques,  tant  d'hérésies  anciennes  ou  nouvelles  ?  C'est 
qu'on  a  toujours  vu  dominer  la  passion  :  Quia  caro  est.  Qui  est-ce 
qui  lait  qu'on  abandonne  l'arbre  pour  s'attacher  à  des  branches 
fragiles,  déjà  mortes  et  séparées  du  tronc?  C'est  orgueil ,  c'est  ja- 
lousie, c'est  intérêt,  c'est  antipathie;  en  un  mot,  c'est  que  l'indé- 
pendance flatte  la  passion  :  Quia  caro  est.  C'est  toujours  la  passion 
qui  prépare  à  l'irréligion  ;  la  corruption  des  mœurs  corrompt  les 
sentimens,  et  le  libertinage  du  cœur  conduit  bientôt  au  libertinage 
de  l'esprit  :  Quia  caro  est.  C'est  ee  libertinage  qui  a  excité  tous  les 
crimes ,  fomenté  loutesles  erreurs,  multiplié  toutes  les  sectes;  c'est 
ce  libertinage  qui  a  perverti  l'Allemagne ,  soulevé  la  France,  aveu- 
glé l'Angleterre;  c'est  ce  libertinage  qui  a  révolté  contre  l'Eglise 
tant  de  vierges  ennuyées  de  la  virginité,  tant  de  solitaires  affligés 
d'être  seuls,  tant  de  prêtres  ennemis  du  travail  et  de  la  continence  : 
Quia  caro  est.  Si  l'on  croyait,  il  faudrait  craindre;  si  l'on  crai- 
gnait, il  faudrait  se  réformer;   si  l'on  se  réformait,  il  faudrait  ré- 
primer  ses  passions  :  voilà  ce   qui  arrête ,  voilà  ce  qui  révolte. 
Nos  passions  sont  nos  dieux  ;  nous  aimons   mieux   expirer  avec 
elles  que  de  vivre  sans  elles:  J\ on  permanebit  s piritus  meus  in  ho- 
mine   quia  caro  est.  Demandez  à  ce  libertin  ce  qu'il  croit  ;  souf- 
frez   souffrez ,  mes  frères ,  que  je  vous  le  demande  à  vous-mêmes  : 
que  merépondrez-vous?  que  pourrez-vous  me  répondre?  Croyez- 
vous  donc  que  Dieu  éclaire  vos  démarches?  et,  si  vous  le  croyez, 
comment  osez-vous  l'offenser?  Croyez- vous  qu'il  réside  dans  nos 
temples?  et  si  vous  le  croyez,  comment  pouvez-vous  l'insulter? 
Croyez-vous  qu'il  vous  donne  son  corps?  et,  si  vous  le  croyez  , 
comment  osez-vous  le  profaner?  Croyez-vous  qu'un  seul  péché 
suffit  pour  vous  damner?  et,  si  vous  le  croyez,  comment  pouvez- 


DES    PRÉDICATEURS.  2^1 

vous  y  persévérer?  Quand  vous  croyez  que  le  prince  est  présent, 
vous  le  respectez  ;  quand  vous  croyez  qu'il  est  irrité,  vous,  le  flé- 
chissez; quand  vous  croyez  qu'il  veut  vous  soulager,  vous  le  priez; 
quand  vous  croyez  qu'il  vous  a  fait  du  bien,  vous  l'aimez  ;  quand 
vous  croyez  qu'il  a  parlé,  vous  obéissez  :  et  cependant  vous  n'o- 
béissez pas  à  Jésus-Christ ,  vous  n'aimez  pas  Jésus-Christ,  vous 
ne  fléchissez  pas  Jésus-Christ,  vous  ne  respectez  pas  Jésus- 
Christ  :  comment  donc ,  comment  le  croyez-vous? Non,  non,  vous 
nous  trompez  ;  vous  vous  trompez  vous-mêmes.  Dès  qu'on  vit  mal, 
on  croit  peu  :  vous  n'avez  point  la  foi,  ou  c'est  une  foi  morte; 
et,  tandis  que  la  passion  vous  tyrannisera,  la  foi  ne  vivra  point 
en  vous  :  Fides  sine  operibus  mortua  est.  Craignez  tout  de  la  fai- 
blesse de  vos  lumières,  craignez  tout  de  la  violence  de  vos  pas- 
sions; enfin  ,  craignez  tout  de  la  contagion  du  monde  :  c'est  de 
tous  les  dangers  peut-être  le  plus  grand. 

Le  monde  est  le  séducteur  de  tous  ses  habitans  :  parens,  amis , 
patrons,  tout  y  est  dangereux;  on  n'y  voit  que  des  crimes,  on  n'y 
trouve  que  des  pièges.  Et  comment  croyez-vous  ,  disait  le  Fils  de 
Dieu,  que  le  grain  de  la  foi  puisse  germer  dans  celte  terre  in- 
grate? Putas  invenict  jidem  in  terra?  Allez,  jetez  les  yeux  sur 
les  villes  et  sur  les  campagnes  :  que  de  trompeurs,  que  d'hy- 
pocrites ,  que  de  pharisiens  !  le  désert  même  n'est  pas  inacces- 
sible à  tous  ces  faux  prophètes  :  Attendue  a  falsis  prophetis.  Il  y 
en  a  de  furieux  qui  cachent  leur  fureur  sous  la  peau  d'agneau  : 
In  vestimentis  ovium.  Il  y  en  a  de  sensuels,  qui  s'engraissent  en 
laissant  dépérir  le  troupeau  :  Pascentes  semetipsos.  11  y  en  a  de 
délicats,  qui  font  porter  aux  autres  des  fardeaux  qu'ils  n'osent 
pas  toucher  :  Digito  nolunt  tangere.  Il  y  en  a  qui  condamnent 
tout  ce  qu'ils  ignorent,  et  qui  veulent  ignorer  tout  ce  qui  les 
condamne  :  Quodcumque  ignorant,  blasphémant.  Il  y  en  a  qui  font 
trafic  de  louanges,  afin  d'être  loués:  Os  eorum  loquitur  superba. 
Il  y  en  a  qui  sacrifient  leur  conscience  à  leur  élévation  :  Mirantur 
personas  cpiœstus  causa.  On  en  voit  de  dissimulés  qui  emploient 
la  ruse  pour  se  faire  illusion  :  lllusores.  On  en  voit  de  rebelles 
qui  ne  reconnaissent  ni  tribunal  ni  juge  :  Non  obedientes.  On  en 
voit  de  hardis,  qui  ne  rougissent  ni  de  la  satire  ni  de  la  calomnie  : 
Criminatores.  On  en  voit  de  téméraires,  qui  présentent  le  poison 
sans  le  tempérer  :  Despumantes  suas  confusioncs.  On  en  voit  de 
modérés,  qui  entourent  de  fleurs  la  coupe  qui  le  porte  ;  Subdoli, 
On  en  voit  de  séditieux,  qui  ne  se  séparent  du  commun  que  pour 
faire  parti  :  Segregant  semetipsos.  Il  y  en  a  qui|n'ont  qu'une  foi  de 


2J2  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

politique,  d'éducation ,  de  cérémonie  :  Hi  surit  qui  ad  tempus  cre- 
dunt.  Il  y  en  a  qui  ne  croient  que  ce  qu'ils  voient  ou  ce  qu'ils  ima- 
ginent: NisividerO)  non  credam.  Les  uns,  plus  légers  que  le  vent, 
doutent,  flottent,  chancellent,  sans  savoir  ce  qu'ils  croient:  A 
ventis  circumferuntur.  Les  autres,  plus  irrités  que  les  flots  cle  la 
mer,  sont  toujours  clans  l'agitation:  Fluctus  feri  maris.  Ceux-ci, 
comme  des  arbres  dont  la  sève  se  perd,  ne  portent  que  des 
feuilles,  sans  porter  aucun  fruit:  Arbores  autumnales.  Ceux-là, 
comme  des  astres  vagabonds,  portent  partout  le  tonnerre  et  la 
foudre  :  Sidéra  errant  la. 

Je  n'ajoute  rien,  mes  frères,  aux  paroles  de  l'Ecriture:  tels  sont 
ses  oracles  ,  et  tels  sont  vos  dangers.  Qui  de  vous  ne  les  craindra 
pas  ?  Qui  de  vous  n'y  succombera  pas  ?  Hélas!  qu'il  est  aisé,  quand 
on  vit  dans  le  monde,  de  penser  comme  le  monde,  de  parler  com- 
me le  monde,  de  s'égarer  avec  le  monde!  qu'il  est  aisé  d'être  la 
dupe  de  ses  complaisances,  de  ses  liaisons,  de  son  amitié  !  qu'il 
est  aisé  de  céder  aux  promesses  ou  aux  menaces ,  aux  mépris  ou  aux 
louanges,  à  un  emploi  ou  à  un  bénéfice  !  Ne  lavez-vous  point  vu  ? 
ne  l'avez-vous  point  fait  ?  Rendez-vous  compte  ici  de  votre  foi. 
Que  me  dit  la  foi  ?  devez-vous  donc  vous  dire  ;  mais  disons-le  sans 
préjugé,  sans  passion,  sans  emportement  ;  disons-le  avec  droiture, 
avec  équité,  avec  religion  :  Que  me  dit  la  foi?  me  dit  elle  de  parler, 
d'écrire,  de  cabaler,  de  décider,  dénie  soulever  contre  l'oint  du  Sei- 
gneur et  contre  ses  ministres  ?  Que  me  dit  la  foi?  me  dit-elle  dénie  li- 
vrer à  la  colère,  aux  murmures,  aux  clameurs,  aux  outrages,  à 
l'invective  contre  tous  ceux  qui  savent  plus  que  moi ,  qui  pensent 
mieux  que  moi  ?  Que  me  dit  la  foi  ?  me  dit  -  elle  de  suivre  une 
Eglise  sans  chef,  un  troupeau  sans  soumission,  un  Sauveur  sans 
miséricorde  ?  Que  me  dit  la  foi  ?  me  dit-elle  de  raisonner  sans 
principes  ,  de  dogmatiser  sans  connaissances,  de  prononcer  au  gré 
de  mes  passions  ,  ou  des  passions  d'autrui,  et  de  m'ériger  en  juge 
contre  mes  juges  mêmes  ?  Que  me  dit  la  foi  ?  me  dit-elle  d'écou- 
ter, de  suivre  ,  d'adopter  tout  ce  que  la  prévention  a  de  faux  ; 
tout  ce  que  la  haine  a  de  fiel,  tout  ce  que  la  cabale  a  de  poison  et 
de  férocité  ?  Que  me  dit  la  foi  ?  me  dit-elle  de  déchirer,  d'insulter, 
de  calomnier  des  gens  que  je  ne  vois  point,  que  je  ne  connais 
point,  qui  ne  me  veulent  ni  ne  me  font  aucun  mal  ,  qui  me  font 
même  du  bien,  qui  en  ont  fait  dans  tous  les  temps, dans  tous  les 
pays,  et  qui  peut-être  n'auraient  point  d'ennemis  ,  s'ils  ne  combat- 
taient point  contre  les  ennemis  de  Jésus-Christ  ?  Que  me  dit  la 
foi  ?  me  dit-elle  de  résister  à  mon  prince,  à  mes  guides  ,  à  mes  pas- 


DÉS    PRKDICAT.EUKS.  %^3 

teurs,  et  de  préférer  les  ruisseaux  empoisonnés  de  Babylone  aux 
sources  d'eaux  vives  qui  coulent  à  Jérusalem  ?  Que  me  dit  la  foi? 
me  dit-elle  de  changer,  d'altérer,  d'abroger  les  lois  ,  les  pratiques, 
les  cérémonies  de  l'Eglise,  et  d'interdire  aux  autres,  aussi  bien 
qu'à  moi-même,  l'usage  des  sacremens  ?  Que  me  dit  la  foi  ?  me 
dit-elle  de  dire  ce  que  je  ne  pense  pas,  de  signer  ce  que  je  ne 
crois  pas  ,  d'être  tantôt  à  Paul ,  et  tantôt  à  Géphas  ,  de  parler  en 
public  autrement  qu'en  secret ,  de  n'avoir  d'autre  religion  que  mon 
caprice  et  mon  intérêt?  Que  me  dit  la  foi  P  me  dit-elle  de  retenir 
des  livres  défendus,  de  les  lire  malgré  toutes  les  défenses,  de  les 
portera  la  faveur  des  ténèbres,  de  les  glisser  furtivement  de  mai- 
son en  maison,  d'être  le  patron  et  le  panégyriste  de  leurs  auteurs, 
de  leurs  partisans  ?  Que  me  dit  la  foi?  me  dit-elle  de  protéger  la 
nouveauté,  de  m'en  faire  le  panégyriste,  d'aller  de  cercle  en  cercle 
semer  des  dogmes  proscrits,  les  appuyer  par  de  faux  bruits, 
ajouter  l'imposture  à  l'opiniâtreté  et  acheter  par  mes  déclama- 
tions le  titre  de  bel  esprit  ?  Est-ce  donc  là,  mes  frères,  est-ce  donc 
là  la  foi  ?  Non  ,  non,  à  tous  ces  traits  je  reconnais  l'aigreur ,  l'en- 
vie, la  jalousie,  l'erreur.  Ce  n'est  point  là  la  foi  de  Jésus  -  Christ, 
elle  est  plus  simple,  plus  humble  ,  plus  prudente,  plus  docile. 
C'est'  une  foi  fausse,  c'est  une  foi  masquée,  c'est  une  foi  chimé- 
rique. 

Le  fidèle  ne  s'instruit  qu'avec  soumission  ,  et  il  commence  par 
se  soumettre  avant  que  de  s'instruire  ;  il  tient  plus  à  sa  foi  qu'aux 
honneurs  ,  qu'aux  plaisirs  ,  qu'aux  richesses  du  monde  ;  il  évite 
tous  les  pièges,  toutes  les  discussions,  tous  les  risques,  parce 
que  c'est  tout  risquer  que  de  risquer  sa  foi.  Il  ne  se  fait  point  de 
l'Eglise  un  fantôme,  afin  de  la  combattre  ;  il  croit  ce  qu'elle  croit, 
il  rejette  ce  qu'elle  rejette,  il  approuve  ce  qu'elle  approuve,  il  con- 
damne sans  résistance  tout  ce  qu'elle  condamne  ;  il  sait  qu'on  ne 
peut  sans  crime  ,  ni  l'accuser,  ni  la  réformer,  ni  la  contredire  ,  ni 
l'abandonner  ;  il  sait  que  c'est  le  seul  centre  d'unité,  hors  duquel  il 
n'y  a  ni  vertu,  ni  vérité,  ni  salut,  ni  infaillibilité;  il  sait  que  la  vraie 
foi  n'admet  point  de  partage  ;  qu'un  point,  qu'un  seul  point  retran- 
ché ,  en  détruit  la  substance,  que  son  mérite  ne  consiste  que  dans 
sa  totalité.  (  Le  P.  Segaud.) 

La  foi  sans  les  œuvres  devient,  contre  le  Chrétien,  un  titre  do  réprobation. 

Il  ne  faut  pas  s'étonner,  Chrétiens ,  que  ce  soit  la  même  foi  qui 
t.  ni.  18 


2-74  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

nous  sauve  et  qui  nous  condamne  devant  Dieu.  Elle  ne  fait  en  cela 
que  ce  que  fait  Jésus-Christ  même  ,  lequel ,  étant  l'auteur  de  notre 
salut,  devient  tous  les  jours,  par  l'abus  que  nous  faisons  de  ses 
mérites  et  de  sa  grâce,  l'auteur  de  notre  perte  Jternelle  et  de  no- 
tre réprobation.  Ainsi  la  foi ,  qui  ne  nous  a  été  donnée  que  pour 
nous  justifier,  ne  laisse  pas  de  servir  à  nous  condamner  selon  les 
différentes  manières  dont  nous  nous  comportons  à  son  égard  , 
et  les  divers  traitemens  qu'il  reçoit  de  nous.  Mais  encore  pour- 
quoi nous  condamne-t-elle?  et  comment  nous  condamne-t-elle? 
Deux  choses  qui  me  restent  à  éclaircir,  et  qui  demandent  une  at- 
tention toute  nouvelle. 

Je  dis  que  la  foi  nous  condamne  lorsque  nous  ne  vivons  pas  se- 
lon ses  maximes,  parce  que,  vivant  alors  dans  le  désordre,  nous 
la  retenons  captive  dans  l'injustice,  suivant  l'expression  de  saint 
Paul,  que  nous  lui  enlevons  le  plus  beau  fruit  de  sa  fécondité, 
qui  sont  les  bonnes  œuvres,  comme  parlent  saint  Hilaire  et  saint 
Ambroise;  et  que,  dans  le  sentiment  de  l'apôtre  saint  Jacques, 
nous  la  faisons  enfin  mourir  elle-même  au  milieu  de  nous.  Or,  ne 
sont-ce  pas  là  autant  d'outrages  que  nous  lui  faisons,  et  qu'elle 
doit  venger,  pour  ainsi  dire,  en  nous  condamnant  ?  Prenez  garde; 
nous  la  retenons  captive  dans  l'injustice  :  ce  sont  les  propres  paro- 
les du  maître  des  nations:  Quiveritatem  Del  in  injustitia  datinent '; 
Ils  tiennent,  dit-il ,  comme  dans  les  fers  la  vérité  de  Dieu.  Or,  la 
vérité  de  Dieu  n'est  en  nous  que  par  la  foi  ;  et  tandis  que  nous 
menons  une  vie  corrompue,  il  est  évident  que  nous  faisons  vio- 
lence à  cette  foi,  que  nous  la  tenons  dans  la  sujétion  et  dans  l'es- 
clavage ,  comment  cela  ?  parce  que  nous  ne  lui  donnons  pas  la 
liberté  d'agir  en  nous  comme  elle  voudrait  et  comme  elle  de- 
vrait. Dans  la  naissance  du  Christianisme, remarque  saint  Bernard, 
lorsqu'il  y  avait  des  persécutions,  la  foi  était  libre  pendant  que 
les  fidèles  étaient  captifs.  Maintenant  que  les  persécutions  ont 
cessé,  les  fidèles  jouissent  d'une  liberté  dont  ils  abusent,  et  la  foi 
est  comme  enchaînée.  Quel  sujet  pour  nous  de  confusion  et  de 
condamnation!  Jusque  dans  les  prisons  et  dans  les  cachots,  les 
martyrs  publiaient  la  foi  qu'ils  avaient  dans  le  cœur,  et,  malgré  les 
tyrans',  ils  confessaient  hautement  Jésus  Christ.  Il  est  bien  étran- 
ge, lorsque  1  Eglise  est  dans  une  profonde  paix,  que  la  foi  des 
Chrétiens  n'ait  plus  la  même  liberté ,  et  que  cette  liberté  lui  soit 
ôtée  par  les  Chréliens  mêmes,  qui  deviennent  ses  propres  persé- 
cuteurs, et  qui  lui  sont  plus  cruels  que  les  infidèles,  puisqu'ils  la 
mettent  dans  une  captivité  où  les   infidèles  n'ont  pu  la  réduire: 


DES    PRÉD1CA.11DRS.  27O 

Qui  çevitatem  Dei  in  injustida  dctinent.  Remarquez  celte  parole  : 
in  injustitia;  car  saint  Paul  ne  dit  pas  seulement  que  nous  rete- 
nons notre  foi  captive,  mais  que  nous  la  tenons  captive  dans  l'in- 
justice, qui  est  pour  elle  la  plus  honteuse  et  la  plus  odieuse  ser- 
vitude. En  effet,  cette  foi  est  toute  sainte,  et  nous  la  faisons  de- 
meurer dans  des  âmes  toutes  criminelles.  Elle  est  toute  pure  et  toute 
chaste,  et  nous  la  faisons  hahiter  dans  des  âmes  voluptueuses  et 
toutes  sensuelles  :  Qui  veritatem  Dei  in  injustitia  deiinent.  Que  fait 
donc  la  foi?  Ah!  mei  chers  auditeurs,  permettez-moi  d'user  de 
cette  figure,  notre  foi  ainsi  traitée  par  nous-mêmes,  ainsi  désho- 
norée et  profanée  ,  s'élève  contre  nous  ;  elle  demande  à  Dieu  jus- 
tice, elle  crie  à  son  tribunal;  et  ne  doutons  point  que  Dieu  ne  l'é- 
coute, et  qu'a  notre  ruine  il  ne  prenne  ses  intérêts. 

D'autant  plus  coupables  envers  elle  et  plus  condamnables  que, 
par  les  déréglemens  de  notre  vie,  nous  lui  faisons  perdre  ses  plus 
beaux  fruits  et  sa  plus  heureuse  fécondité.  Car,  comme  nous  l'a- 
vons déjà  vu,  la  foi  est  la  source  de  toutes  les  vertus,  et  une 
source  féconde,  qui  produit  sans  cesse  de  nouveaux  fruits  de 
grâce,  ou  qui  les  peut  produire.  En  voulez-vous  la  preuve  sen- 
sible? Sans  parler  de  ces  saints  patriarches  de  l'ancienne  Loi,  et  de 
leurs  œuvres  merveilleuses  que  f  Apôtre  nous  a  si  bien  marquées 
dans  son  Epître  aux  Hébreux,  rappelez  en  votre  esprit  tout  ce 
qu'ont  fait  dans  la  Loi  nouvelle  tant  de  martyrs  de  l'un  et  de  l'au- 
tre sexe,  tant  de  solitaires  et  de  pénitens;  tout  ce  que  font  en- 
core tant  de  religieux  dans  le  cloître ,  et  tant  d'ames  vertueuses 
jusques  au  milieu  du  monde.  Remettez-vous  le  souvenir  de  tout 
ce  que  vous  avez  entendu  dire  de  leurs  longues  oraisons  ,  de  leurs 
sanglantes  macérations,  de  leurs  veilles  et  de  leurs  travaux,  de 
leurs  abstinences  et  de  leurs  jeûnes  ,  de  la  ferveur  de  leur  zèle  et 
de  la  constance  infatigable  avec  laquelle  ils  ont  pratiqué  jusques 
au  dernier  soupir  de  leur  vie  toute  la  perfection  de  l'Evangile. 
Voilà  les  fruits  de  la  foi  :  voilà  ce  que  la  foi  peut  opérer  en  nous- 
mêmes  et  par  nous-mêmes.  Car,  si  l'ardeur  des  fidèles  s'est  ralentie, 
la  vertu  de  la  foi  ne  s'est  point  altérée;  elle  a  toujours  les  mêmes 
vérités  à  nous  proposer,  et  dans  ces  mêmes  vérités  les  mêmes 
motifs  pour  nous  exciter  :  mais  nous,  Chrétiens,  vivant  selon  l'es- 
prit du  siècle  et  selon  la  chair,  nous  étouffons  ces  fruits  dès  leur 
naissance. Nous  avons  la  foi:  mais,  tout  agissante  qu'elle  est,  elle 
ne  nous  rend  pas  plus  vigilans,  pas  plus  adonnés  aux  œuvres  de 
la  piété  ;  c'est  une  foi  oisive  et  stérile,  parce  que  nous  en  arrêtons 
toute  l'action. 

18, 


y-6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Nous  allons  même  plus  loin;  nous  la  faisons  mourir,  selon  la 
pensée  et  l'expression  de  l'apôtre  saint  Jacques.  Car  ce  qui  vivifie 
la  foi,  ce  qui  en  est  comme  l'esprit,  ce  sont  les  bonnes  œuvres. 
De  même  donc  que  le  corps  est  mort,  dès  là  qu'il  est  séparé  de 
l'ame  qui  lui  donnait  la  vie,  ainsi  la  foi  doit  être  censée  morte, 
dès  là  qu'elle  n'est  plus  accompagnée  des  œuvres  qui  l'animaient: 
Sicut  eniin  corpus  sine  s piritu  mortuumest,  ita  et  Jldes  sine  operibus 
morlua  est  *.  Et  à  prendre  la  chose  dans  un  sens  plus  réel  encore 
et  sans  figure,  on  peut  dire  que  rien  ne  conduit  plus  directe- 
ment ni  plus  promptement  à  l'infidélité  et  au  libertinage  de  créan- 
ce que  le  libertinage  des  mœurs.  Or,  après  avoir  été  homicide  de 
votre  foi,  que  devez-vous  attendre  autre  chose  qu'un  jugement 
sévère  et  rigoureux  ?  Oui,  mon  cher  auditeur,  pensez  bien  à  ces 
deux  paroles  :  homicide  de  votre  foi.  Voilà  le  grand  crime  dont  on 
vous  demandera  compte  un  jour,  et  dont  il  faudra  porter  la  peine. 
C'est  alors  que  cette  foi  morte  dans  votre  cœur,  ou  par  l'inutilité, 
ou  même  par  le  désordre  de  votre  vie,  commencera  tout  à  coup 
à  revivre ,  qu'elle  ressuscitera,  qu'elle  se  produira  devant  Dieu 
pour  votre  conviction  et  pour  votre  condamnation. 

Je  dis  pour  votre  conviction  :  car,  voulez- vous  savoir,  non  plus 
précisément  pourquoi ,  mais  comment  elle  vous  condamnera  ?  Il 
est  aisé  de  vous  le  faire  comprendre.  Ce  sera  en  vous  convainquant 
de  trois  choses ,  savoir  :  que  vous  pouviez  vivre  en  Chrétien ,  que 
vous  deviez  vivre  en  Chrétien  ,  et  que  vous  n'avez  vécu  rien  moins 
qu'en  Chrétien.  Trois  convictions  qui  vous  fermeront  la  bouche, 
et  qui ,  malgré  vous ,  vous  feront  souscrire  vous-même  à  l'arrêt  de 
votre  éternelle  réprobation.  Elle  vous  convaincra  que  vous  pou- 
viez vivre  en  Chrétien,  parce  que  rien  ne  vous  manquait  pour  cela, 
ni  lumières,  ni  secours.  Ni  lumières,  puisqu'elle  vous  servait  elle- 
même  de  maître,  puisqu'elle  vous  avait  révélé  toutes  ces  vérités 
pour  vous  éclairer,  puisqu'elle  vous  les  faisait  entendre  sans  cesse 
au  fond  de  votre  cœur,  tantôt  pour  vous  exciter  par  l'espérance, 
tantôt  pour  vous  retenir  par  la  crainte,  tantôt  pour  vous  engager 
par  un  saint  amour,  tantôt  pour  vous  attirer  par  un  solide  intérêt, 
toujours  pour  vous  instruire  et  pour  vous  toucher.  Ni  secours, 
puisque,  dans  le  Christianisme,  vous  aviez  toutes  les  sources  de  la 
grâce  ;  tant  de  sacremens  pour  vous  purifier,  pour  vous  fortifier, 
pour  vous  réconcilier,  pour  vous  nourrir  et  vous  faire  croître; 
tant  de  ministres  du  Seigneur,  dépositaires  de  la  loi  de  Dieu  pour 

«  Jacob,  2. 


DES    PRÉDICATEURS.  277 

vous  l'enseigner,  dispensateurs  des  trésors  de  Dieu  pour  vous  les 
distribuer,  remplis  de  l'esprit  de  Dieu  pour  vous  le  communiquer, 
revêtus  de  toute  la  puissance  de  Dieu  pour  vous  sanctifier;  tant  de 
bons  conseils,  d'exhortations  pathétiques  et  véhémentes,  de  salutai- 
res exemples;  enfin,  tant  de  moyens  dont  le  détail  serait  infini,  et 
dont  l'usage  vous  aurait  immanquablement  sauvé.  Or,  d'avoir  connu 
et  d'avoir  pu,  voilà  pourquoi  le  mauvais  serviteur  sera  jugé  avec 
plus  de  sévérité,  sera  plus  rigoureusement  condamné,  sera  plus 
grièvement  puni. 

Encore  plus  digne  des  châtimens  de  Dieu ,  parce  que  la  foi 
vous  convaincra  non  seulement  que  vous  pouviez  vivre  en  Chré- 
tien ,  mais  que  vous  le  deviez  :  car  votre  parole  y  était  engagée. 
Vous  l'aviez  ainsi  promis  à  la  face  des  autels  et  sur  les  sacrés  fonts 
du  baptême.  Vous  aviez  solennellement  renoncé  au  démon  et  à 
toutes  ses  œuvres ,  renoncé  au  monde  et  à  toutes  ses  pompes ,  re- 
noncé à  la  chair  et  à  tous  ses  désirs  sensuels.  On  l'avait  dit  pour  vous, 
et  dès  que  vous  vous  trouvâtes  en  état  de  le  ratifier,  vous  l'aviez 
dit  vous-même.  Or,  ce  n'est  point  en  vain  qu'on  promet  à  Dieu  ; 
et  de  tous  les  engagemens  il  n'en  est  point  de  plus  inviolables  que 
ceux  que  l'on  contracte  avec  un  tel  maître.  Dès  là  donc  que  vous 
vous  étiez  soumis  à  la  foi,  vous  vous  étiez  soumis  à  la  loi.  C'est-à- 
dire  dès  là  que  vous  aviez  été  honoré  du  caractère  de  Chrétien, 
et  que  vous  aviez  commencé  à  porter  le  nom  de  Chrétien],  vous 
étiez  conséquemment  et  indispensablement  obligé  à  tous  les  de- 
voirs du  Chrétien  ,  vous  en  étiez  responsable  à  votre  foi  et  à  Dieu 
même.  Et  en  effet,  pour  développer  encore  mieux  la  chose  et  la 
considérer  plus  à  fond,  de  toutes  les  contradictions,  n'est-ce  pas 
une  des  plus  grossières,  de  ne  pas  agir  comme  l'on  croit,  ou  de  ne  pas 
croire  comme  l'on  agit?  Et  de  toutes  les  infidélités,  n'est-ce  pas  une 
des  plus  criminelles  et  des  plus  monstrueuses,  d'avoir  renoncé  en 
présence  de  Dieu  à  l'Enfer  et  à  toutes  les  œuvres  de  ténèbres,  qui 
sont  autant  de  péchés  proscrits  par  la  loi,  et  de  les  commettre  impu- 
nément, volontairement,  habituellement?  d'avoir  renoncé  aux 
vaines  pompes  du  monde,  et  d'en  être  adorateur;  de  les  désirer 
uniquement,  d'y  aspirer  incessamment,  de  les  rechercher  sans  re- 
lâche, et  de  ne  travailler  que  pour  cela,  et  qu'en  vue  de  cela? 
d'avoir  renoncé  à  la  chair,  de  n'écouter  que  ses  passions  et  de  sui- 
vre aveuglément  toutes  ses  cupidités  ? 

Voilà  néanmoins  de  quoi  la  foi  vous  convaincra,  et  c'est  le  der- 
nier témoignage  qu'elle  rendra  contre  vous  :  je  veux  dire  que,  pou- 
vant vivre  en  Chrétien ,  vous  n'avez  vécu  rien  moins  qu'en  Chré- 


2^8  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

tien.  Car  c'est  alors  que,  développant  tous  ses  principes  et  toutes 
ses  maximes,  elle  les  comparera  avec  votre  vie,  ou  que,  dévelop- 
pant toute  votre  vie,  elle  la  comparera  avec  ses  maximes  et  ses 
principes.  Or,  quelle  opposition  entre  l'une  et  l'autre!  Une  foi  qui 
n'enseigne  à  l'homme  que  les  mépris  des  biens  terrestres  et  péris- 
sables ,  et  une  vie  tout  employée  à  les  acquérir ,  à  les  conserver , 
aies  accumuler  par  tous  les  moyens  justes  ou  injustes  qu'inspire 
une  avarice  insatiable.  Une  foi  qui  n'apprend  à  l'homme  qu'à  s'hu- 
milier, qu'à  s'abaisser,  qu'à  fuir  les  honneurs  mondains  elles  fausses 
grandeurs  du  siècle;  et  une  vie  tout  occupée  de  soins,  de  projets, 
d'intrigues,  souvent  très  criminelles,  pour  l'avancement  d'une  for- 
tune humaine.  Une  foi  qui  ne  prêche  à  l'homme  que  mortification, 
que  pénitence ,  que  détachement  de  soi-même  ;  et  une  vie  passée 
dans  les  jeux,  dans  les  spectacles,  dans  les  assemblées  et  les  par- 
ties de  plaisir,  dans  les  plus  honteuses  voluptés.  Une  foi  de  pra- 
tique et  d'action  ,  et  une  vie  dénuée  de  toutes  les  œuvres  chrétien- 
nes. Est-ce  donc  ainsi  qu'on  est  Chrétien  ou  qu'on  vit  en  Chrétien? 
est-ce  en  ne  faisant  rien  de  ce  que  la  foi  ordonne,  et  en  faisant 
tout  ce  qu'elle  défend  ?  Tels  sont  les  reproches  que  vous  devez 
attendre  de  votre  foi;  et  à  des  reproches  si  bien  fondés  et  sans 
nulle  excuse,  que  doit-il  succéder  autre  chose  qu'un  jugement  sans 
miséricorde  ? 

Concluons,  mes  chers  auditeurs  ,  par  cette  pensée  avec  laquelle 
je  vous  renvoie,  et  que  vous  ne  pouvez  trop  méditer.  Il  faut,  ou 
que  ma  foi  me  sauve,  ou  que  ma  foi  me  condamne.  Entre  ces 
deux  extrémités,  point  de  milieu.  Si  ma  foi  n'est  pas  le  principe 
de  ma  justification,  elle  sera  immanquablement  le  sujet  de  ma 
réprobation.  11  ne  tient  qu'à  moi  qu'elle  ne  soit  pour  moi  un  moyen 
de  salut,  parce  qu'il  ne  tient  qu'à  moi  d'en  faire' un  usage  tel  que 
je  dois,  et  tel  que  Dieu  le  demande.  Mais  si,  par  ma  faute,  ce  n'est  pas 
un  moyen  de  salut  pour  moi ,  ou  que  je  me  rende  ce  moyen  de  salut 
inutile  par  l'abus  que  j'en  ferai,  il  ne  dépend  plus  alors  de  moi 
que  ce  ne  soit  pas  contre  moi  un  moyen  de  damnation  ,  parce  que 
c'est  un  talent  que  Dieu  m'a  mis  dans  les  mains  pour  lui  en  ren- 
dre compte,  et  pour  en  retirer  tout  le  fruit  qu'il  en  attendait.  Ce 
serait  donc  bien  me  tromper  moi-même,  de  regarder  la  foi  que  j'ai 
reçue  comme  une  de  ces  choses  indifférentes  qui  ne  peuvent  nuire 
lorsqu'elles  ne  servent  pas.  Si  ma  foi  ne  me  fait  pas  le  plus  grand 
de  tous  les  biens ,  elle  me  fera  le  plus  grand  de  tous  les  maux. 
C  est  à  moi  de  prendre  mon  parti  entre  l'un  et  l'autre ,  mais  je  n'ai 
que  l'un  ou  l'autre  à  choisir,  Que  dis-je,  et  y  a-t-ii  là-dessus  à  dé- 


DES    PREDiCATEURS.  2J0, 

libérer?  y  a-t-il  à  hésiter  un  moment,  dès  qu'il  est  question  de  se 
garantir  d'une  éternité  malheureuse,  et  de  se  procurer  une  sou- 
veraine félicité?  (Bourdaloue.) 

Bonheur  de  celui  qui  vit  dans  la  foi. 

Ce  que  je  vous  souhaite,  c'est  que  vous  marchiez  dans  la  voie 
de  pure  foi,  pour  éviter  toute  illusion.  Prenez  garde  que  la  plu- 
part des  âmes  qui  s'imaginent  marcher  par  cette  voie   n'y  mar- 
chent point:  on  tient  infiniment  plus  qu'il  ne  paraît  aux  expérien- 
ces intérieures   qu'on  fait.  Si  on  est  en  garde  contre   soi-même, 
on  tend  toujours  insensiblement  à  chercher  un  appui  et  une  certi- 
tude intérieure  dans  ses  goûts  ,  dans  ses  sentimens  les  plus  vifs  et 
dans  toutes  les  choses  qui  ont  saisi  l'imagination.  On  regarde  son 
propre  goût  comme  un  attrait  de  grâce,  ses  propres  vues  comme 
des  lumières  surnaturelles  ,   et   ses   propres   désirs   comme  des 
volontés  de  Dieu;  on  s'imagine  que  tout  ce  qu'on  éprouve   en  soi 
est  passif  et  imprimé  de   Dieu  :  par  là  on   se  fait  insensiblement 
en   soi-même  une   direction  intérieure    fondée  sur   l'inspiration 
immédiate.  Iîn'ya  plus  ni  autorité  ni  loi  extérieure  qui  arrête  et  qui 
puisse  contre-balancer  cette  inspiration.  Voila  le  danger  du  fana- 
tisme pour  les  âmes  qui  se  croient  désappropriées  et  transformées 
sans  Vêtre  :  si  elles  l'étaient,  leur  véritable  désappropriation  les 
éloignerait  infiniment  de   cette  illusion  par  laquelle  elles  s'appro- 
prient leur  lumière,  et  s'en  font  un  appui  pour  être  indépendantes. 
Oh!  que  les  profondes  ténèbres  de  la  pure  foi  sont  bien  différen- 
tes de  cette  fausse  voie  !  On  ne  voit  rien   de  particulier  ;  l'on  ne 
cherche  à  rien  voir;  on  se  contente  de  croire  comme  les  plus  pe- 
tits d'entre  le  peuple;  on  ne  sait  qu'obéir,  que  se  laisser  contre- 
dire et  corriger,   que  se  défier  de   soi,  que  sentir  sans  cesse  son 
impuissance  totale;  on  n'a  aucun  besoin  de  chercher  curieusement 
dans  l'avenir   pour   se  consoler  du   présent,  ni  de  se  flatter  de 
prédictions  quand  on  a  le  cœur  pleinement  content  de  la  seule 
volonté  de  Dieu  en  chaque  moment  de  la  vie;  on   n'a  besoin  de 
chercher  aucun  soutien  dans  ces  vues  de  l'avenir;  on  mérite  d'y 
être  trompé  dès  qu'on  les  cherche  par  une  ingratitude  secrète, 
dans  l'état  présent  où  la  seule  volonté  de  Dieu  ne  suffit  pas  à  un 
cœur  malade.  Mais  cette  vue  de  foi  si  nue  est  le  plus  long  et  le 
plus  grand  de  tous  les  martyres  :  il  faut  s'y  laisser  dépouiller  de  tout 
ce  qui  console  et  qui  soulage  la  nature.  Il  est  facile  de  parler  af- 
fectueusement de  cet  étal;  mais  il  est  terrible  de  le  porter  jusqu'à 
la  mort.  En  cet  état,  si  on  faisait  des  miracles,  on  les  ferait  sans 


280  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

s'y  arrêter;  on  les  ferait  par  pure  fidélité  ,  comme  on  pratique  les 
vertus  les  plus  journalières,  comptant  pour  rien  ce  qu'on  a  fait  , 
et  passant  outre  pour  continuera  être  fidèle.  En  cet  état,  l'homme 
reçoit  ses  bonnes  pensées  comme  d'emprunt,  de  même  qu'un  pau- 
vre se  couvrirait  d'un  manteau  prêté  charitablement.  Cet  homme 
n'est  pourtant  ni  inconstant  ni  irrésolu  ;  mais  sa  fermeté  ne  vient 
d'aucune  confiance  en  sa  propre  lumière:  au  contraire,  c'est  par 
défiance  de  sa  propre  lumière  et  par  simple  docilité  qu'il  est  tran- 
quille dans  la  main  de  Dieu.  Sa  voie  est  toute  fondée  sur  la  désap- 
propriation  de  ses  propres  vues,  qui  seraient  toujours  incertaines. 
Ainsi  ce  n'est  point  par  une  décision  fondée  sur  les  forces  de  son 
esprit  qu'il  se  détermine  avec  tant  de  paix  et  de  constance,  mais 
par  simple  fidélité  à  la  lumière  du  moment  présent  et  par  le 
retranchement  de  toutes  les  recherches  inquiètes  de  l'amour- 
propre.  En  cet  état,  loin  de  se  passer  de  l'autorité  de  l'Eglise ,  on 
sent  de  plus  en  plus  le  besoin  d'être  porté  sans  cesse  entre  ses 
bras  comme  un  petit  enfant  ;  on  n'est  jamais  surpris  de  voir  qu'on 
s  est  trompé;  on  le  confesse  de  bon  cœur;  on  quitte  sans  peine 
une  pensée  qu'on  avait  sans  appropriation.  On  jette  sans  regret 
une  feuille  d'arbre  qu'on  a  cueillie  sans  y  être  attaché;  mais  on 
ne  jetterait  pas  de  même  un  diamant  faux  qu'on  aurait  acheté  com- 
me étant  d'un  grand  prix.  Quand  on  a  besoin  de  juger,  on  tâche 
de  le  faire  avec  conseil ,  et  sur  toutes  les  lumières  tant  naturelles 
que  surnaturelles  qu'on  a  alors.  Quand  on  fait  devant  Dieu  le 
moins  de  mal  qu'on  a  pu,  on  est  encore  tout  prêta  se  laisser  mon- 
trer par  autrui  qu'on  s'est  trompé  et  qu'on  a  manqué  à  toutes  les 
règles.  Si  on  est  dans  cette  docilité  pour  toutes  les  choses  com- 
munes de  la  vie,  à  l'égard  de  toute  personne  qui  nous  reprend,  à 
combien  plus  forte  raison  doit-on  être,  par  celte  désappropriation 
intérieure,  dans  une  docilité  sans  réserve  et  dans  une  soumission 
absolue  d'esprit  à  l'égard  de  cette  Eglise  visible,  qui  aura,  par  les 
promesses,  l'autorité  de  Jésus-Christ  jusqu'à  la  fin  des  siècles!  Tels 
sont  les  petits  enfans,  les  enfans  bien-aimés  :  l'onction  leur  en- 
seigne tout,  parce  qu'elle  leur  enseigne  au  dessus  de  tout  à  sentir 
leur  ignorance  et  leur  impuissance  ;  à  écouter  l'Eglise,  et  à  ne  se 
point  écouter  eux-mêmes;  à  croire  ce  qu'elle  enseigne  et  non  ce 
qu'ils  ont  pensé.  Cette  profonde  leçon,  que  l'onction  intérieure  leur 
donne,  comprend  toutes  les  autres.  Dieu  «  cache  ses  vérités  aux 
<«  sages  et  aux  prudens1,»  c'est-à-dire,  à  ces  docteurs   superbes 

1  Luc,  x,  21. 


DES    PRÉDICATEURS.  s8l 

qui  veulent  juger  l'Eglise,  au  lieu  de  se  laisser  juger  par  elle.  En 
même  temps  «  il  révèle  aux  petits  1  »  ses  miséricordes,  parce  qu'il 
se  complaît  dans  leur  petitesse.  Ils  sont  «  bienheureux,  parce  qu'ils 
«  sont  pauvres  d'esprit2,  »  et  qu'ils  se  sont  désappropriés  de  leur 
propre  volonté,  comme  un  homme  doit  se  désapproprier  quand 
il  se  donne  à  Dieu  dans  un  désert.  (Fénelon,  Lettres  sur  V Église.) 


Péroraison. 

Mais  il  serait  donc  plus  à  souhaiter  de  n'avoir  jamais  eu  la  foi? 
Oui,  mes  frères,  il  serait  plus  avantageux  de  ne  l'avoir  jamais  eue 
que  de  l'avoir  profanée  par  une  vie  criminelle.  Mais  cela  même 
ne  sera  plus  en  votre  pouvoir;  car,  melgré  vous,  il  sera  éternelle- 
ment vrai  que  vous  aurez  été  Chrétiens,  et  il  faudra  éternellement 
porter  la  peine  de  ne  l'avoir  été  que  de  nom  et  dans  la  spécula- 
tion ,  sans  l'être  de  mœurs  et  dans  l'action.  Pour  prévenir  ce  re- 
proche et  l'affreux  châtiment  dont  nous  sommes  menacés ,  quelle 
résolution  avons-nous  à  prendre?  point  d'autre  que  de  conserver 
la  foi  et  de  vivre  selon  la  foi.  Cette  foi  nous  dit  des  choses  qui  ré- 
pugnent à  nos  sens,  mais  il  s'y  faut  soumettre.  Elle  nous  dit  que 
le  monde  est  notre  plus  dangereux  ennemi;  fuyons-le.  Elle  nous 
dit  de  nous  haïr  nous-mêmes  et  de  nous  renoncer  nous-mêmes; 
travaillons  à  acquérir  ce  saint  renoncement,  et  pratiquons-le  autant 
qu'il  est  nécessaire.  Elle  nous  dit  de  mortifier  la  chair  par  l'esprit 
et  d'en  réprimer  les  désirs  ;  combattons-les  généreusement  et  con- 
stamment. Elle  nous  dit  d'être  humbles  jusque  dans  la  grandeur, 
d'être  pauvre  jusque  dans  l'abondance,  d'être  pénitens  jusqu'au 
milieu  des  aises  et  des  commodités;  entreprenons  tout  cela  et  ve- 
nons à  bout  de  tout  cela.  Nous  aurons ,  dans  les  secours  de  la  grâce 
et  dans  les  motifs  de  notre  foi,  de  quoi  nous  animer,  ae  quoi  nous 
fortifier,  de  quoi  nous  rendre  tout  facile.  Demandons-les  avec  con- 
fiance ces  secours,  et  Dieu  ne  nous  les  refusera  pas.  Ayons-les  con- 
tinuellement devant  les  yeux  ces  motifs,  et  ils  nous  soutiendront. 
Alors  nous  mériterons  d'entendre  un  jour  de  la  bouche  de  Jésus- 
Christ  ce  qu'il  dit  au  centenier  de  notre  Evangile  :  S/eut  crerlidisti, 
fiât  tibi  :  Qu'il  vous  soit  fait  comme  vous  avez  cru.  Vous  avez  fait 
valoir  le  talent  que  je  vous  avais  confié,  vous  avez  rendu  votre  foi 

*  Luc,  X,  21.  — 2  Matlb.,  v,  S, 


23s  NOUVELLE    B  BLIOTJÏEQUE 

fertile  en  bonnes  œuvres  et  agissante;  venez  en  recevoir  la  récom- 
pense. Vous  avez  marché  par  le  chemin  qu'elle  vous  traçait,  vous 
l'avez  suivi  et  vous  y  avez  persévéré  ;  venez  prendre  possession  de 
mon  royaume  céleste,  qui  est  le  terme  où  elle  vous  appelait  et  où 
vous  jouirez  d'une  félicité  éternelle.  (Bourdaloue.) 


DES    PRÉDICATEURS.  283 


PLAN  ET  OBJET   DU  QUATRIEME  DISCOURS 
SUR  LA  FOI  PRATIQUE. 

EXORDE. 

Parate  viam  Domini  ;  rectas  facile  semitas  ejus. 
Préparez  la  voie  du  Seigneur  ;  faites-lui  des  sentiers  droits.  (Luc,  ch.  3.) 

Cette  préparation  de  cœur,  et  cette  droiture  de  démarche  que 
le  Sauveur  exige  des  fidèles  pour  disposition  à  ses  approches  , 
consistent,  selon  saint  Amhroise,  à  régler  sa  vie  sur  sa  créance,  et 
à  réformer  ses  mœurs  sur  sa  foi.  Car  c'est  une  erreur,  dit  ce  Père, 
presque  aussi  ancienne  que  la  religion  ,  de  réduire  tout  le  mérite 
nécessaire  au  salut,  au  seul  mérite  de  la  foi;  et  l'exercice  de  la 
foi  à  une  simple  soumission  desentimens,  sans  une  entière  confor- 
mité de  conduite  :  comme  si  c'était  assez  de  croire  pour  se  sauver, 
et  d'être  intérieurement    soumis  pour   être  véritablement  fidèle. 

Si  cette  erreur  est  trop  grossière  pour  trouver  aujourd'hui  parmi 
nous  des  docteurs  et  des  apologistes,  le  siècle  où  nous  sommes 
est  assez  corrompu  pour  lui  fournir  encore  des  sectateurs  et  des 
disciples.  Quoi,  de  plus  en  vogue  en  effet,  de  nos  jours  que  ce 
nombreux  parti  de  prétendus  Chrétiens,  qui  se  contentent  tout  au 
plus  d'une  surface  et  d'une  montre  de  religion  dont  ils  respectent, 
si  vous  le  voulez,  les  dehors  et  les  cérémonies,  mais  dont  ils  n'ont 
ni  l'intérieur  ni  l'esprit,  et  qu'ils  démentent  à  toute  heure  par 
leur  conduite;  qui,  dans  le  sein  du  Christianisme  et  de  l'Eglise, 
ne  se  comportent  pas  même  en  philosophes  et  en  sages  ;  qui  se 
persuadent  enfin  que,  pour  être  Chrétien,  il  suffit  d'avoir  reçu  le 
baptême  et  de  croire  l'Evangile ,  sans  en  suivre  les  enseignemens. 
•et  sans  en  remplir  les  devoirs  par  une  foi  pratique  ? 

C'est  cette  prodigieuse  multitude  de  faux  Chrétiens  et  de  mau- 
vais Catholiques  que  j'attaque  dans  ce  discours  ,  et  que  j'attaque 
par  leur  fort  même.  Car  ils  se  font  fort  de  la  foi  :  et  je  vais  leur 
montrer  qu'ils  ont  sujet  de  craindre  de  n'avoir  pas  la  foi  qu'ils 
professent. 


284  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Ils  s'assurent  sur  la  foi  :  et  je  vais  leur  prouver  que  toute  l'as- 
surance qu'ils  peuvent  avoir  ,  c'est  que  ce  qu'ils  ont  de  foi  ne  sert 
qu'à  les  rendre  encore  plus  coupables  devant  Dieu. 

Juste  crainte,  et  funeste  assurance:  voilà  donc  le  partage  de  la 
plupart  des  Chrétiens  d'aujourd'hui.  Juste  crainte  qu'ils  n'aient 
perdu  la  foi  dont  ils  se  flattent  :  ce  sera  mon  premier  point. 

Funeste  assurance  que  le  peu  de  foi  qui  leur  reste  ne  fera  que 
leur  attirer  un  jugement  plus  rigoureux,  et  une  condamnation 
plus  sévère  :  ce  sera  le  sujet  du  second  point. 

N'entreprenons  point  de  parler  de  la  foi ,  sans  l'assistance  spé- 
ciale  de  cette  heureuse  Vierge  que  sa  foi  vive  a  rendue  mère, 
et  mère  de  Dieu.  Ave.  (  Le  P.  Segaud,  Sur  la  Foi  pratique.) 

Quand  on  vit  mal,  la  créance  est  ordinairement  conforme  à  la  conduite. 

C'est  la  pensée  de  saint  Chrysostôme,  qui  ne  fait  point  difficul- 
té de  placer  les  mauvais  Chrétiens  auprès  des  hérétiques  :  Hœreti- 
corum  affines  dico}  qui  quasi  non  crederent  sic  'vtiunt.  Et  la  rai- 
son qu'en  apporte  saint  Grégoire  a  de  quoi  faire  trembler  tout 
chrétien  dont  les  mœurs  ne  répondent  point  à  la  foi  qu'il  professe. 
C'est,  dit  ce  Père,  qu'il  n'arrive  que  trop  souvent,  soit  par  un 
malheureux  penchant  de  la  nature  corrompue,  soit  par  un  redou- 
table effet  desjugemens  de  Dieu, que  de  mauvaises  mœurs  pro- 
duisent de  mauvais  sentimens  ;  que,  pour  étouffer  ses  remords,  on 
achète  la  paix  aux  dépens  de  sa  foi ,  et  que  l'égarement  de  l'esprit 
suit  de  près  le  dérèglement  du  cœur.  Divino  sœpe  judicio  contingit, 
ut  perhoCs  quod  quis  nequiter  vivit ,  perdat  quod  salubriter  crédit. 

Ce  sentiment  commun  parmi  les  Pères  n'est  point  une  de  ces 
décisions  sévères  échappées  à  l'ardeur  de  leur  zèle.  Celle-ci  est 
fondée  sur  la  doctrine  de  saint  Paul ,  qui  nous  avertit  en  général 
que  la  conscience  et  la  foi  courent  les  mêmes  dangers,  brisent  con- 
tre les  mêmes  écueils ,  et  sont  souvent  ensevelies  dans  un  même 
naufrage  :  Bonam  conscientiam  quidam  rcpellentes  circa  /idem 
naufragaverunt  ;  qui  nous  fait  entendre  en  particulier  qu'une  per- 
sonne chrétienne,  telle  qu'on  n'en  voit  que  trop  à  la  honte  du 
Christianisme ,  qui  passe  ses  jours  dans  la  recherche  des  plaisirs, 
dans  l'oubli  de  ses  devoirs,  dans  le  mépris  des  vertus  propres  de 
son  état ,  toute  vivante  qu'elle  paraît  aux  yeux  des  hommes,  est 
morte  devant  Dieu:  Vivais  tnortua  est:  qu'elle  est  pire  qu'une 
infidèle  :  et  est  infideli  deterior.  C'est  sur  ce  principe  que  le 
grand    Apôtre    exhorte   tous    les    fidèles    à  s'examiner,    à  s'é- 


DES    PRÉDICATEURS.  S>85 

prouver  ,  à  s'assurer  eux-mêmes  ,  s'ils  ont  véritablement  de  la  foi, 
ou  si  la  foi  qu'ils  ont  est  une  foi  véritable:  Vosmetipsos  tentate  si 
estis  injidc.  Il  est  donc  à  craindre  ,  selon  saint  Paul  ,  qu'on  ne 
s'abuse  sur  ce  sujet  ;  l'avis  est  des  plus  sérieux  et  des  plus  intéres- 
sans.  Il  s'agit  de  la  base  de  tout  le  Christianisme,  dû  fondement 
de  toutes  nos  espérances,  de  l'unique  ressource  de  salut  qui  vous 
reste,  pécheurs,  dans  le  malheureux  état  où  vous  êtes,*  de  la  foi, 
en  un  mot,  que  vous  vous  flattez  d'avoir  encore,  et  que  peut-être, 
hélas  !  vous  n'avez  plus.  Au  reste,  je  ne  prétends  point  décider  , 
je  ne  veux  rien  prononcer  :  je  me  contente,  avec  saint  Paul,  de 
vous  faire  ici  juges  de  votre  propre  foi.  Vosmetipsos  tentate  si  estis 
in  fide.  Pour  entrer  dans  cet  examen  important,  rappelez-vous, 
je  vous  prie,  ce  que  vous  apprennent  les  premiers  élémens  de  vo- 
tre foi  :  que  le  vrai  fidèle  est  celui  qui  croit  toutes  les  vérités  de 
Dieu  révélées  à  son  Eglise,  qui  fait  profession  de  les  soutenir,  s'il 
le  faut,  aux  dépens  de  son  sang  et  de  sa  vie  ,  et  qui  les  croit  uni- 
quement par  déférence  à  l'autorité  divine.  En  sorte  qu'il  y  a  trois 
choses  à  considérer  dans  tout  fidèle  :  l'objet  et  la  matière  de  sa  foi  ; 
ce  sont  toutes  les  vérités  révélées  ;  l'habitude  et  l'acte  de  sa  foi  • 
c'est  cette  disposition  à  donner  pour  elle  son  sang  et  sa  vie  :  le 
principe  et  le  motif  de  sa  foi  ;  c'est  l'infaillible  autorité  de  Dieu. 
La  véritable  foi,  la  foi  catholique,  cette  foi  qui  nous  distingue 
des  infidèles  et  des  hérétiques  ,  est  d'abord  universelle  et  indivisi- 
ble dans  son  objet;  en  second  lieu  ferme  et  inébranlable  dans  ses 
actes,  surnaturelle   enfin  et  divine  dans  son  principe. 

Otez  une  de  ces  conditions  :  c'en  est  fait  ,  ce  n'est  plus  cette 
foi  chrétienne,  sans  laquelle  il  est  impossible  de  plaire  à  Dieu,  dit 
saint  Paul  :  Sine  fide  impossible  est  placere  Dco  ,  et  que  le  même 
Apôtre  en  deux  mots  a  si  bien  définie  une  captivité  méritoire  qui 
soumet  notre  esprit  tout  entier  sous  son  autorité  :  In  captwitatem 
rédigeas  omnem  intellectum ;  parce  que,  dit  saint  Ambroise,  elle 
nous  ôte  trois  funestes  libertés  que  nous  prétendons  naturelle- 
ment avoir  et  retenir  en  matière  de  créance  :  de  ne  croire  que  ce 
que  nous  voulons ,  que  comme  nous  le  voulons,  et  parce  que  nous 
le  voulons  croire. 

Or,  je  dis  qu'il  est  bien  à  craindre  que  la  plupart  de  ceux  qui 
parmi  vous  mènent  une  vie  si  opposée  à  la  loi  divine  qu'ils  pro- 
fessent ne  soient  du  nombre  de  ces  infidèles,  qui  ne  croient  que 
ce  qui  leur  plaît,  que  comme  il  leur  plaît,  et  que  parce  qu'il  leur 
plaît  ;  et  que  par  conséquent  ils  n'aient  point  une  foi  véritable. 
Encore  une  fois  je  ne  décide  point ,  je  ne  prononce  rien ,  je  ne  fais 


286  NOUVELLE    BiBLIOTilEQUHL 

que  proposer  les  raisons  qu'il  y  a  de  clouter  ;  c'est  à  vous  de  ju^er 
si  je  suis  bien  fondé  dans  mes  doutes  ;  ou  plutôt  si  vous  êtes  bien 
fonde's  dans  votre  foi  :  Vosmeptipsos  tentate  si  estis  in  fide. .  . . 

Car,  sans  vouloir  rien  décider  ici  que  sur  votre  témoignage, je 
vous  demande  à  quel  homme  de  bon  sens  persuadera-t-on  jamais 
que  ces  personnes  mondaines  que  vous  connaissez  chrétiennes 
par  leur  baptême,  mais  païennes  par  leurs  mœurs;  curieuses  de 
touteautre  science  que  de  celle  du  salut,  occupées  de  tout  autre  soin 
que  de  celui  de  servir  Dieu,  jalouses  de  toute  autre  gloire  que  de 
celle  de  plaire  à  leur  Sauveur,  et  pour  qui  c'est  une  simplicité  de 
lui  obéir,  une  faiblesse  de  le  craindre,  un  déshonneur  même  de 
l'imiter  et  de  le  suivre;  à  quel  homme  raisonnable  persuadera-t-on 
jamais  que  ces  sortes  de  personnes  croient  d'esprit  et  de  cœur, 
sans  restriction  et  sans  doute,  les  sévères  maximes  de  l'Evangile  ? 

Que  ces  esclaves ,  par  exemple,  de  la  terre,  qui  bornent  tous  leurs 
empressemens  à  amasser  des  richesses,  souvent  aux  dépens  de  la  jus- 
tice, sont  bien  persuadés  de  ces  premiers  élémens  de  la  foi  :  heu- 
reux les  pauvres,  et  malheureux  les  riches  :  Beati  paupcres^vœ  vo- 
bis  d'witibusl  Que  ces  idolâtres  de  la  fortune,  qui  ne  cherchent 
qu'à  profiter  de  la  chute  des  autres,  et  à  s'élever  sur  leurs  ruines, 
n'importe  par  quelles  intrigues,  sont  bien  convaincus  de  cet  ora- 
cle divin:  la  miséricorde  de  Dieu  est  pour  les  petits,  et  la  sévérité 
pour  les  grands  :  Eœiguo  concedtiur  misericordia  ;  potentes  poten- 
ter  tormenta  patientur.  Que  ces  heureux  du  temps  qui  coulent 
leurs  jours  dans  l'oisiveté,  dans  la  mollesse,  dans  les  jeux  et  les 
divertissemens,  sans  autre  inquiétude  que  celle  de  leurs  plaisirs,  sont 
bien  pénétrés  de  cet  arrêt  décisif;  autant  de  sensualité  et  de  déli- 
catesse, autant  de  supplices  et  de  tourmens  :  Quantum  in  deliciis 
fuit,  tantum  date  illi  tormentum.  Que  ces  enfans  du  siècle,  dont 
les  occupations  épuisent  tout  le  loisir,  qui  laissent  à  ce  qu'ils  ap- 
pellent peuple  le  soin  de  remplir  les  devoirs  de  la  religion,  qui 
ne  se  donnent  pas  le  temps  de  penser  à  leur  salut,  ou  qui  n'y  pen- 
sent que  pour  renvoyer  cette  affaire  capitale  à  un  temps  plus  in- 
certain, et  où  l'on  est  incapable  de  tout,  ont  bien  gravé  dans  leur 
esprit  cette  grande  leçon  du  Christianisme  :  Que  sert  à  l'homme 
de  gagner  tout  l'univers  s'il  vient  a.  perdre  son  ame  ?  Qidd prodest? 
Que  ces  partisans  du  monde  qui  ont  pour  lui  de  si  forts  attache  - 
mens,  qui  sont  si  prévenus  en  sa  faveur,  qui  applaudissent  en 
toute  occasion  à  ses  maximes,  qui  se  font  honneur  de  suivre  en 
tout  ses  usages,  tiennent  comme  un  article  de  foi  cet  anathème 
évangélique  :  Malheur  au  monde  trompeur  et  à  ses  pièges  sédui- 


DES    PRÉDICATEURS.  287 

sans:  Vœmundo  ascandalis.  Encore  une  fois  ,  à  quel  homme  sensé 
persuadera-t-on  jamais  de  si  étranges  paradoxes  ?  Eh  !  mes  frères! 
si  Dieu, par  impossihle,  changeant  tout  à  coup  le  plan  de  la  reli- 
gion, et  la  morale  de  l'Evangile,  s'il  venait  à  canoniser  ce  qu'il 
analhématise,  les  richesses,  les  grandeurs,  les  plaisirs,  le  monde 
et  ses  amusemens;  et  anathématiser  ce  qu'il  canonise,  le  désinté- 
ressement, l'humilité,  la  patience,  la  retraite  :  croyez-vous  de 
bonne  foi  que  le  grand  nombre  de  ces  Chrétiens  relâchés  que 
j'attaque  eût  besoin  de  changer  de  créance  et  de  conviction  ?  Je  ne 
parle  ici,  comme  vous  le  voyez,  ni  des  faibles  idées  que  quelques 
lins  se  font  exprès  de  certains  péchés  griefs  pour  les  commettre 
sans  remords,  ni  des  systèmes  outrés  de  miséricorde  que  d'autres 
se  forment  à  leur  gré  pour  s'entretenir  de  leurs  déréglernens.  Ce 
sont  là  des  hérésies  visibles  et  de  palpables  erreurs,  qui  combattent 
directement  la  foi  que  nous  avons  soin  de  leur  reprocher  quand 
l'occasion  s'en  présente.  Je  ne  parle  ici  que  des  premières  vérités  de 
la  religion,  qu'ils  font  tous  profession  de  croire,  mais  qu'il  est  à 
craindre  qu'ils  ne  croient  pas  tous 

Aussi,  lorsque  les  anciens  infidèles  objectaient  aux  premiers 
Apôtres  la  disproportion  qui  se  trouvait  dès  lors  entre  la  créance 
et  les  mœurs  de  plusieurs  Chrétiens,  que  répondaient-ils  ,  je  vous 
prie?  qu'ils  doutaient  fort  que  ces  Chrétiens  de  nom  eussent  véri- 
blement  la  foi.  Ils  étaient  parmi  nous,  disait  saint  Jean,  mais  ils 
n'étaient  pas  des  nôtres  :  car  tout  ce  qui  s'appelle  Chrétien  n'est 
pas  pour  cela  Chrétien  :  Ex  nobis  prodierunt,  sed  non  erant  ex  no- 
bis  ,  quoniam  non  sunt  omnes  ex  Jiobis. 

Ne  pourraient-il  pas  nous  faire  encore  aujourd'hui  la  même  ob- 
jection? S'ils  nous  demandaient,  par  exemple,  d'où  vient  que  dans 
le  Christianisme,  où  l'on  reconnaît  non  pas  comme  eux  des  dieux 
corrompus,  mais  un.  Dieu  infiniment  saint,  on  voit  cependant  ré- 
gner les  mêmes  vices  que  dans  le  paganisme,  où  en  étant  vicieux 
on  ne  fait  après  tout  que  se  conformer  à  ce  que  l'on  croit  et  imi- 
ter ce  que  l'on  adore  ?  pourquoi,  dans  le  Christianisme  où.  l'on 
croit  un  œil  invisible,  toujours  ouvert  pour  observer;  une  oreille 
inévitable,  toujours  attentive  pour  écouter;  une  main  incorruptible, 
toujours  armée  pour  punir  le  mal,  on  fait ,  on  dit ,  on  pense  mille 
choses  en  secret  dont  on  ne  voudrait  pas  avoir  qui  que  ce  fût  pour 
témoin?  comment,  dans  le  Christianisme  où  l'on  tient  réellement 
présent  sur  les  autels  son  Créateur,  son  Sauveur  et  son  Juge,  les 
temples  sont  souvent  sans  adorateurs,  les  adorateurs  sans  respect, 
et  presque  toujours  sans  piété  et  sans  ferveur  ?  A   tous  ces  dou- 


S*88  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

tes  et  à  mille  autre  pareils,  aussi  bien  fondes,  que  pourriezvous 
répondre  vous-mêmes?  Diriez- vous  qu'il  ne  faut  pas  juger  de  la 
créance  par  les  œuvres;  que  la  spéculation  et  la  pratique  sont  deux 
choses  bien  différentes;  que,  parmi  les  païens  mêmes,  ceux  qui 
pensaient  le  mieux  ne  faisaient  pas  souvent  mieux  que  les  au- 
tres. Témoin  un  Sénèque,  qui,  sur  le  mépris  des  richesses,  écri- 
vait en  Chrétien,  et  ne  vivait  pas  même  en  philosophe.  Je  veux, 
mes  frères,  que  cela  soit  vrai  des  leçons  sèches  de  la  philosophie 
païenne  :  ceux  qui  les  donnaient  sans  les  suivre  pouvaient  bien 
ne  les  pas  croire  :  il  n'en  est  pas  de  même  des  vérités  merveilleuses 
de  la  religion  chrétienne,  dont  le  propre  a  toujours  été  d'échauf- 
fer les  cœurs  en  éclairant  les  esprits;  en  sorte  que  la  grâce  qui  les 
fait  croire  aide  aussi  à  les  pratiquer. 

Quels  changemens  ces  divines  vérités  n'ont-elles  pas  opérés  dès 
les   commencemens   de   l'Eglise   naissante?  quelques  années    de 
Christianisme,  dit  un  saint  Père  ^firent  changer  de  face  à  l'uni- 
vers, mirent  au  monde  un  monde  tout  nouveau,  métamorphosèrent 
des  hommes  en  Anges,  et  transformèrent  des  monstres  d'iniquité 
et  des  suppôts  de  Satan  en  autant  de  modèles  de  vertu  et  de  res- 
semblances du  Sauveur  !  quel  amour  de  préférence  pour  Dieu  dans 
ces  hommes  autrefois  adorateurs  du   démon  et  du  monde  !   quel 
généreux  dépouillement  de  tout  pour  embrasser  la  pauvreté  du 
Sauveur!  quelle  étendue  de  charité   pour  le  prochain  dans  ces 
hommes  auparavant  amateurs  d'eux  seuls!  quelle  cordialité  pour 
leurs  persécuteurs  mêmes    qu'ils  traitaient  en  amis,   et  pour  qui 
ils  s'intéressaient  comme  pour  leurs  frères    à  l'exemple  du  Sau- 
veur !  quelle  austérité   de  vie  dans   ces  anciens  idolâtres  de  leurs 
corps!  quelle  force,  quel  courage  dans  la  violence  qu'ils  leur  fai- 
saient souffrir  comme  aux  ennemis  nés  de  leurs  âmes,  et  dans  la 
croix  qu'ils  leur  faisaient  porter  comme  aux  membres  adoptés  du 
Sauveur!  enfin  quelle  conformité  de  créance  et  de  conduite   dans 
ces  premiers  fidèles,  puisqu'un  de  leurs  apologistes,  parlant  aux 
tyrans  qui  voulaient  brûler  l'Evangile  pour  abolir  le  Christianisme, 
ne  faisaient  pas  difficulté  de  dire  que  leur  dessein  était  inutile;  parce 
que  les  enfans  du  Christianisme  naissant  étaient  autant  d'Evan- 
giles vivans.  En  pourrait-on  bien   dire  autant  de  la  plupart  des 
Chrétiens  du  siècle?  La  défense  de  l'apologiste  serait-elle  encore 
aussi  sûre,  et  l'entreprise  du  tyran  aussi  difficile?  Hélas,  mes  frères, 
vous   le   savez,  l'Evangile  aujourd'hui  parmi  vous  ne  se  trouve 
presque  plus  que  dans    es   livres,  et    ne  se  lit   guère  dans  les 
mœurs. 


DES    PRÉDICATEURS.  289 

Et  vous  voulez  après  cela,  Chrétiens  indignes  de  votre  nom  et 
de  votre  origine,  que  je  croie  fermement  que  vous  avez  la  même 
foi  qui,  dans  vos  pères,  a  produit  tant  de  prodiges?  Quoi!  cette  foi 
aura  pu  porter  un  grand  nombre  de  riches  à  se  dépouiller  des 
biens  dont  ils  étaient  les  légitimes  possesseurs,  à  vendre  leurs  hé- 
ritages, à  en  déposer  le  prix  aux  pieds  des  Apôtres  ,  et  elle  ne 
pourra  vous  engager  à  vous  dessaisir  des  biens  illicites  dont  vous 
êtes  les  ravisseurs  injustes,  ou  du  moins  les  injustes  détenteurs;  à 
payer  vos  domestiques,  à  satisfaire  vos  créanciers,  à  acquitter  ces 
dettes  que  vous  laissez  vieillir  par  de  frauduleuses  remises,  pour 
étaler  avec  plus  de  pompe,  après  votre  mort,  des  monumens  au- 
thentiques de  vos  artificieux  larcins  !  Cette  foi  aura  eu  la  force, 
dans  une  infinité  de  héros  chrétiens,  de  tirer  des  plus  grands  maux 
les  plus  grands  avantages;  l'or  de  la  charité,  du  feu  de  la  tribu- 
lation;  le  germe  de  la  fécondité,  du  sein  de  la  destruction;  l'ac- 
croissement de  ses  forces ,  du  dépérissement  de  ses  membres  ;  la 
conquête  de  ses  ennemis,  du  meurtre  de  ses  enfans;  le  salut  de 
ses  cruels  persécuteurs,  du  sang  de  ses  saints  persécutés  :  et  elle 
n'aura  pas  le  pouvoir  de  corriger  vos  emportemens  domestiques, 
de  modérer  vos  ressentimens  personnels,  d'étouffer  vos  haines 
criminelles,  d'en  arrêter  les  sombres  projets,  d'en  réprimer  les  indi- 
gnes éclats;  d'empêcher  ces  coups  de  langue  meurtrière  qui  donnent 
tout  à  la  fois  la  mort  aux  présens  par  la  part  qu'y  prend  leur  com- 
plaisance, et  aux  absens  par  le  tort  qu'en  souffre  leur  honneur! 
Cette  foi  aura  été  assez  puissante  pour  vaincre  dans  ses  premiers 
élèves  toutes  les  oppositions  de  la  chair  à  une  pureté  sans  tache, 
qui  défend  tout  commerce  avec  les  sens,  et  qui  interdit  jusqu'à 
la  pensée  du  mal;  qui  demande  une  vigilance  continuelle,  et  une 
mortification  sans  relâche;  qui  embrasse  la  pénitence  et  comme  la 
réparation  du  péché,  et  comme  la  sauve-garde  de  l'innocence;  et 
elle  sera  trop  faible  en  vous  pour  finir  ces  amitiés  trop  tendres; 
pour  retrancher  ces  conversations  séduisantes;  pour  faire  cesser 
ces  tête-à-tête  si  funestes  à  la  pudeur;  pour  rompre  ce  com- 
merce scandaleux  déguisé  sous  tant  de  beaux  noms,  et  paré  de 
tant  de  spécieux  prétextes  ;  pour  vous  retirer  enfin  de  toute  occa- 
sion du  péché,  quelque  douceur  que  vous  y  trouviez,  et  quelque 
intérêt  qui  vous  y  attache.  (Le  Même.) 

La  foi  inutile  sang  les  œuvres. 

Ecoutez  Jésus  ,  écoutez  ses  commandemens,  Je  vous  ai  dit  : 
Ecoutez,  et  croyez  tout  ce  qu'il  enseigne;  je  yous  parle  mainte- 


2g0  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

nant  d'une  autre  manière,  et  je  vous  dis:  Ecoutez,  et  faites.  Si  vous 
avez  créance  à  sa  doctrine ,  venez  à  lépreuve  des  œuvres ,  «  et 
«  montrez  votre  foi  par  vos  actions  *.  »  Et  certainement,  Chrétiens, 
si  nous  en  croyons  sa  parole,  de  quelque  science  que  soit  éclairé 
celui  qui  ne  garde  point  ses  préceptes,  il  ne  doit  pas  se  vanter  de 
la  connaître.  Le  disciple  bien-aimé  le  dit  nettement  en  sa  première 
Epître  :  «  Celui  qui  assure  qu'il  le  connaît,  et  ne  garde  pas  ses 
«  commandemens,  c'est  un  menteur,,  et  la  vérité  n'est  point  en 
«  lui  2.  »  Non  ,  il  ne  connaît  pas  Jésus-Christ,  parce  qu'il  ne  le  con- 
naît pas  comme  il  le  veut  être;  il  le  connaît  comme  un  curieux  qui 
se  divertit  de  sa  doctrine  et  ne  songe  pas  à  la  pratique,  ou  qui  en 
fait  un  sujet  de  spéculations  agréables.  Chrétiens,  ce  n'est  pas  ainsi 
que  Jésus-Christ  veut  être  connu;  au  contraire,  il  nous  assure  qu'il 
ne  connaît  pas  ceux  qui  le  connaissent  de  la  sorte.  11  veut  des  ou- 
vriers tidèles ,  et  non  pas  des  contemplateurs  oisifs  ;  et  ce  n'est  rien 
de  la  foi,  si  elle  ne  fructifie  en  bonnes  œuvres.  Mais  afin  de  nous 
en  convaincre,  remarquez,  s'il  vous  plaît,  que  toute  la  vie  chré- 
tienne nous  étant  représentée  dans  les  Ecritures  comme  un  édi- 
fice spirituel,  les  mêmes  Ecritures  nous  disent  aussi  que  la  foi  en  est 
le  fondement.  C'est  pourquoi  saint  Paul  nous  enseigne  que  «  nous 
«  sommes  fondés  en  la  foi  3.  »  Or,  vous  savez  que  le  fondement  a 
deux  qualités  principales  :  il  est  en  premier  lieu  le  commencement, 
et  secondement  il  est  le  soutien  de  l'édifice  qui  se  prépare.  Donc, 
pour  bien  connaître  la  foi,  nous  devons  juger  en  premier  lieu 
qu'elle  n'est  qu'un  commencement,  et  secondement  qu'elle  n'est 
destinée  que  pour  être  le  soutien  de  quelque  chose.  L'une  et  l'autre 
de  ces  qualités  exigent  nécessairement  la  suite  des  œuvres  ,  parce 
que,  en  qualité  de  commencement,  elle  nous  oblige  à  continuer, 
et,  en  qualité  de  soutien,  elle  nous  invite  à  bâtir  dessus;  et  l'un  et 
l'autre  se  font  pour  les  œuvres. 

Mais  découvrons  dans  un  plus  grand  jour  ces  deux  importantes 
raisons.  Je  conclus  la  première  en  peu  de  paroles,  et  la  seconde, 
qui  sera  plus  de  notre  sujet,  aura  une  plus  grande  étendue.  Croire, 
disons-nous,  c'est  commencer,  et  il  est  aisé  de  l'entendre;  car  tout 
le  dessein  du  Christianisme  n'étant  que  de  soumettre  notre  esprit 
à  Dieu,  la  foi,  dit  saint  Augustin,  commence  cette  œuvre  :  Fides 
est  prima  cpiœ  subjugat  animam  Deo.  «  La  foi  est  la  première  qui 
«  soumet  l'ame  à  Dieu.  »  Et  le  concile  de  Trente  a  défini  que  «  la 
«foi  est  le  commencement  du  salut  de  l'homme  :  »  Fides  est  hu~ 

*  Jac,  u,  18,  —  MJoan.,  u,  14.  — :  Col.,  i,  23. 


DES    PRÉDICATEURS.  2£  I 

manœ salutis  inilium.  La  foi  est  donc  un  commencement;  c'est  la 
première  de  ses  qualités.  Et  plût  à  Dieu  que  tous  les  Chrétiens 
l'eussent  bien  compris!  Car  parla  ils  pourraient  connaître  que 
de  s'en  tenir  à  la  foi ,  sans  s'avancer  dans  les  bonnes  œuvres,  c'est 
s'arrêter  dès  le  premier  pas,  c'est  abandonner  tout  l'ouvrage  dès 
le  commencement  de  l'entreprise,  et  s'attirer  justement  ce  repro- 
che de  1  Evangile  :  Hic  homo  cœpit  œdifœare  et  non  potuit  consum- 
«  mare  l  :  «  voilà  ce  fou  ,  cet  insensé  qui  avait  commencé  un  beau 
«  bâtiment,  et  qui  ne  l'a  pas  achevé.  »  Il  a  fait  grand  amas  de  ma- 
tériaux, il  a  posé  les  fondemens  d'un  grand  et  superbe  édifice,  et,  le 
fondement  étant  mis,  tout  d'un  coup  il  quitte  l'ouvrage.  Ole  fou  ! 
ô  l'extravagant!  Hic  homo  cœpit  œdijicare. 

Mais  éveillez-vous,  Chrétien!  c'est  vous  qui  êtes  cet  homme  in- 
sensé :  vous  avez  commencé  un  grand  bâtiment;  vous  avez  déjà 
établi  la  foi ,  qui  en  est  le  fondement  immuable.  Pour  poser  ce  fon- 
dement de  la  [foi,  quels  efforts  il  a  fallu  faire  !  La  place  destinée 
pour  le  bâtiment  était  plus  mouvante  que  le  sable:  Chrétien,  c'est 
l'esprit  humain  toujours  chancelant  dans  ses  pensées,  il  a  fallu 
l'affermir.  Que  de  miracles,  que  de  prophéties,  que  d'écritures, 
que  d'enseignemens  ont  été  nécessaires  pour  servir  d'appui  !  Il  y 
avait  d'un  côté  des  précipices ,  précipices  terribles  et  dangereux 
de  l'erreur  et  de  l'ignorance;  il  a  fallu  les  combler;  et  de  l'autre, 
a  des  hauteurs  superbes,  qui  s'élevaient,  dit  le  saint  Apôtre,  contre  la 
«  science  de  Dieu2;  »il  a  fallu  les  abattre  et  les  aplanir.  Parlons  en 
termes  plus  intelligibles:  il  a  fallu  s'aveugler  soi-même,  démentir  et 
débavouer  tous  ses  sens,  renoncer  à  son  jugement,  se  soumettre  et 
se  captiver  dans  la  partie  la  plus  libre ,  qui  est  la  raison.  Enfin,  que 
n'a-t-il  pas  fallu  entreprendre  pour  poser  ce  fondement  de  la  foi? 
Et,  après  de  si  grands  efforts  et  tant  de  préparatifs  extraordinai- 
res, on  laisse  l'entreprise  imparfaite,  et  l'on  met  de  beaux  fonde- 
mens sur  lesquels  on  ne  bâtit  rien  !  Peut-on  voir  une  pareille  folie? 
Et  ne  vois-tu  pas,  insensé,  que  ce  fondement  attend  l'édifice,  que  ce 
commencement  de  la  foi  demande  sa  perfection  par  la  bonne  vie,  et 
que  ces  murailles  à  demi  élevées,  qui  se  ruinent,  parce  qu'on  né- 
glige de  les  achever ,  rendent  hautement  témoignage  contre  ta  folle 
et  téméraire  conduite?  Mais  cela  paraîtra  bien  mieux,  si,  après 
avoir  regardé  la  foi  comme  le  commencement  de  l'édifice,  nous 
considérons  maintenant  qu'elle  n'est  pas  établie  pour  demeurer  s^ule, 
mais  pour  servir  de  soutien  à  quelque    autre  chose.  Car  s'il  est 

l  kuc,  «y,  30,  — 2 II  Cor.,  x,  5. 

»9- 


3Q2  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

ainsi,  Chrétiens,  quelle  ne  soit  pas  établie  pour  demeurer  seule, 
mais  pour  servir  d'appui  à  quelque  autre  chose,  je  vous  laisse  à 
juger  en  vos  consciences  quelle  injure  vous  faites  au  divin  Sauveur, 
si,  ayant  mis  en  vos  âmes  un  fondement  si  inébranlable,  vous 
craignez  encore  de  bâtir  dessus:  n'est-ce  pas  lui  dire  manifestement 
que  vous  vous  défiez  du  soutien  qu'il  vous  présente,  et  que  vous 
n'osez  vous  appuyer  sur  sa  parole  ?  c'est-à-dire  que  sa  foi  vous  pa- 
raît douteuse,  sa  doctrine  mal  soutenue,  ses  maximes  peu  assurées. 
(Bossuet,  Sermon  sur  la  soumission  due  à  la  parole  de  Jésus-  Chrit.) 

L'indifferencc-pratique  est  coupable  en  elle-même. 

J'appelle  indifférence  pratique  ce  système  qui  réduit  le  Christia- 
nisme à  la  simple  croyance  :  comme  si  l'on  était  Chrétien  ainsi  que 
l'on  est  philosophe,  par  de  stériles  spéculations,  qui  n'imposent 
aucun  sacrifice  aux  passions,  et  qui  ne  sauraient  produire  aucune 
vertu  !  Observons  d'abord  que  toute  religion  impose  nécessaire- 
ment de  grands  devoirs,  par  cela  seul  qu'elle  règle  les  rapports 
de  l'homme  avec  Dieu,  notre  premier  principe  et  notre  fin  der- 
nière. Elle  doit  lui  dévouer  la  raison  ,  le  cœur,  les  sens  même;  en 
un  mot,  l'homme  tout  entier  :  donc  retrancher  de  la  religion  les 
pratiques  et  les  devoirs  ,  ce  serait  la  détruire  dans  ce  qui  la  consti- 
tue essentiellement;  en  réprouvant  l'impiété,  ce  serait  en  adopter 
les  principes  dans  toute  la  conduite  de  la  vie. 

De  là  cette  conséquence  qu'il  suffira  de  vous  développer,  pour 
vous  faire  comprendre  le  crime  et  l'illusion  de  cet  état:  U indiffé- 
rence pratique  n'est  que  U  impiété  pratique. 

Considérez  en  effet  l'impiété,  non  plus  dans  le  vague  de  ses 
systèmes,  mais  réduite  en  action,  et  appliquée  à  la  conduite 
de  la  vie  :  quels  seront  ses  effets?  D'abord  elle  éloigne  les  hommes 
des  devoirs  consacrés  pour  le  culte  extérieur  qui  est  comme  le 
corps  de  la  religion.  Pénétrant  dans  le  cœur,  elle  anéantit  les  sen- 
timens  et  les  vertus  d'où  résulte  leculte  intérieur  qui  en  estXame. 
C'est  ainsi  qu'effaçant  l'image  de  la  Divinité  du  souvenir  des  hom- 
mes, l'impiété  leur  apprend  à  vivre  sans  religion  et  sans  Dieu.  Or, 
l'indifférence  détruit  également  lareligion  ,  parce  qu'elle  nouscon- 
duit  i°  à  l'abandon  des  devoirs  extérieurs  delà  religion;  2°  à 
l'oubli  des  sentimens  et  des  vertus  qu'elle  nous  prescrit. 

Elle  nous  conduit  à  l'abandon  des  devoirs  extérieurs.  L'indif- 
férent se  rassure  d'ordinaire  sur  son  attachement  aux  principes 
de  la  foi;  mais  observez-le  bien,  mes  frères,  tout  se  lie  et  s'en- 
chaîne dans  cette  religion  divine;  le  Christianisme  est  tout  prati- 


DES    PRÉDICATEURS.  3g(3 

que,  et  il  n'est  pas  un  principe  qui  ne  nous  impose  un  devoir: 
voyons  comment  l'homme  indifférent  les  remplit.  En  vain  la  re- 
ligion ramène  les  temps  consacrés  à  la  pénitence  et  à  la  prière,  en 
vain  ont  reparu  ces  augustes  solennités,  toujours  sanctifiées  chez 
nos  pères,  par  le  renouvellement  de  la  foi,  f l'amendement  des 
mœurs  et  la  ferveur  de  la  piété  ;  en  vain  l'Eglise ,  dont  il  se  dit  en- 
fant soumis,  appelle  tous  les  fidèles  à  se  réconcilier  à  Dieu:  lin- 
différent  se  sépare,  il  s'excommunie  lui-même  :  Segregant  semet- 
ipsos.  Si  l'on  se  montre  dans  le  temple  à  certains  jours ,  on  y  pa- 
raît plus  distrait  qu'à  un  spectacle  profane.  Si  on  se  résigne  à 
remplir  quelques  observances  simples  et  faciles,  c'est  que  le  inonde 
les  a  rangées  parmi  les  bienséances;  et  ces  faibles  restes  d'une  foi 
qui  s'éteint  sont  moins  un  hommage  que  l'on  rend  à  Dieu,  qu'un 
tribut  de  plus  que  l'on  croit  devoir  à  l'opinion  .... 

L'indifférent  ne  manque  jamais  de  nous  répondre  que  c'est  par 
le  cœur  que  l'on  est  Chrétien  ;  que  la  religion  n'existe  que  par  les 
sentimens,  ne  se  prouve  que  par  les  vertus;  montrons-lui  donc 
que,  sous  le  rapport  des  sentimens  et  des  vertus,  son  indifférence 
se  confond  encore  avec  l'impiété. 

Quelquefois  ,  je  le  sais,  vous  le  verrez  dévoué  à  ses  devoirs  en- 
vers les  hommes,  sensible  pour  les  malheureux,  fidèle  à  l'amitié; 
ajoutez  à  ces  qualités  mille  autres  qualités  sociales:  n'examinons 
pas  ici  la  réalité  de  ses  vertus;  accordons  pour  un  moment  que 
l'estimable  réunion  d'une  rare  droiture  d'esprit,  d'une  extrême 
bonté  de  cœur,  avec  une  parfaite  modération  de  caractère,  ait 
été  assez  favorisée  par  les  circonstances  pour  que  cette  vertu  , 
sans  boussole  et  sans  guide,  ait  échappé  à  tous  les  écueils  du 
monde,  comme  à  tous  les  orages  des  passions;  toujours  est-il  vrai 
que  ces  vertus  tout  humaines  n'ont  rien  de  commun  avec  Jésus- 
Christ,  par  qui  seul  nous  serons  sauvés.  Cherchez  dans  leur  con- 
duite quelles  sont  les  vertus  que  la  foi  leur  .inspire,  ou  les  actions 
qu'elle  détermine.  Observez  si  elle  est  jamais  le  motif  qui  les 
anime,  ou  le  frein  qui  les  arrête?  Eux-mêmes  vous  diront  qu'ils 
obéissent  à  l'honneur,  à  la  droiture  naturelle;  que,  quand  ils  ces- 
seraient de  croire  en  Dieu,  rien  ne  changerait  dans  leur  conduite. 
Hélas!  nous  leur  répondrons  en  gémissant  que,  loin  d'être  de 
vrais  chrétiens,  ils  ne  seraient  pas  même  de  vertueux  païens.  In- 
terrogez ces  peuples  anciens,  assis  à  l'ombre  de  la  mort;  apprenez 
d'eux  combien  l'homme  a  besoin  de  Dieu  dans  tous  les  momens 
de  son  existence;  toutes  leurs  actions  publiques  et  particulières, 
leurs  délibérations,  leurs  entreprises,  portaient  le  caractère  de  la 


2q4  nouvelle  bibliothèque 

religion.  Les  autels,  les  sacrifices,  les  dieux,  se  trouvaient  par- 
tout, clans  le  sénat ,  dans  les  armées,   dans  les  places  publiques, 
sur  les  limites  de  leurs  champs,  et  jusqu'au  sein  de  leurs  foyers. 
Dans   les  ténèbres   où   ils    étaient  plongés ,   il   semble  que   leur 
ame  se  retournât  sans   cesse  vers  la  Divinité;  ils  n'agissaient  que 
sous  ses  auspices,  et   n'étaient  tranquilles  que  sous  ses  regards. 
Grand  Dieu!  et  les  Chrétiens  de  nos  jours  vous  ont  relégué  dans 
vos  temples!  vous   y  restez  délaissé,    solitaire,    sans  qu'il   vous 
soit  permis  d'intervenir  dans  la   conduite  de  leur  vie    ou  le    rè- 
glement de  leur  maison  !  Non ,  non  ,  qu'ils  interrogent  de  bonne 
foi  leur  conscience  :    elle  leur  répondra  qu'ils   sont  aussi    éloi- 
gnés des  sentimensque  des  pratiques.  Ils  croient  en  vous,  ô  mon 
Dieu!   mais  ils  ne  savent  pas  vous  aimer,  et  ils  ne  daignent  pas 
vous  craindre.  Riches  des  biens  dont  vous  les  comblez,  les  voit- 
on    lever  les   yeux  vers    la  main  qui  les  leur  distribue?  Frappés 
par  votre  justice,  ils  ont  murmuré  peut-être,  mais  ils  ne  se  sont 
pas  repentis;   ils    confessent  votre  existence,    mais  ils  ont   mis 
entre  eux   et   vous    un   immense   intervalle   que  leur  ame  appe- 
santie ne  songe  pas  même  à  franchir.  Si  on  les  presse  de  mettre 
ordre  à  leur  conscience,  et  de  pourvoir  à   leur  éternité,  il  n'en 
n'est  pas  un  qui  ne  vous  réponde  qu'il  est  bon  fils,  bon  époux, 
bon  père,  et  que  Dieu  n'en  demande  pas  davantage.  O  triste  et 
scandaleux  renversement!  les  hommes  sont  tout,  Dieu  n'est  rien  ! 
Si  les  hommes  n'ont  pas  à  se  plaindre,  Dieu  n'a  rien  à.  exiger,  pas 
même  la  dette  sacrée  de  la  reconnaissance  et  de  l'amour!  On  ne 
parle  parmi  nous  que  de  principes  et  de  moralité ,  et,  à  la  tête  de 
la  morale,  nous  avons  placé  l'oubli  de  Dieu! 

Eh  quoi!  les  peuples  les  plus  sauvages,  les  hordes  les  plus  bar- 
bares unissent  leurs  voix  pour  honorer  le  Père  commun  !  Depuis 
qu'il  existe  des  hommes,  la  terre  entière  n'est  qu'un  temple  qui 
retentit  d'un  bout  à  l'autre  des  accens  de  la  religion,  des  gémisse- 
mens  de  la  prière ,  des  hymnes  de  la  reconnaissance,  et  des  Chré- 
tiens publieront  hautement  que  l'homme  a  des  droits  sur  l'homme, 
et  que  Dieu,  le  gardien  et  le  vengeur  de  tous  les  droits,  ne  s'est 
réservé  pour  lui-même  aucun  hommage  ;  aucun  tribut!  O  vous 
qui  reconnaissez  dans  le  ciel  un  maître,  un  bienfaiteur,  un  père, 
auriez-vous  pu  penser  que  que  ces  titres  sacrés  ne  vous  imposent 
aucun  devoir  ?  Quoi!  pourvu  que  vous  remplissiez  quelques  de- 
voirs envers  les  hommes,  où  l'orgueil  a  peut-être  plus  de  part  que 
la  vertu,  vous  seriez  déchargé  de  toute  obligation  envers  Dieu  ! 
pourvu  que  vous  disiez  :  Je  suis  chrétien  %  le  ciel  vous  laisse»  ail  le 


DES    PRÉDICATEURS.  395 

droit  inconcevable  de  négliger  la  religion  et  de  la  décréditer  par 
vos  exemples!  Vous  vous  flattez  pourtant  de  trouver  grâce  devant 
Dieu,  parce  que  vous  n'en  êtes  pas  venu  jusqu'à  vous  ranger  parmi 
les  impies.  Ainsi  vous  vous  croyez  justifié  par  cela  seul  qu'il 
existe  un  état  plus  désespéré  que  le  vôtre.  Mais  à  quoi  se  réduit 
la  différence?  L'impie  vit  indépendant  de  la  Divinité,  parce  qu'il 
a  dit  dans  son  cœur:  77  n'y  a  pas  de  Dieu.  L'indifférent  croit  à  son 
existence,  et  vit  comme  si  Dieu  n'était  pas.  L'impie  combat  des 
vérités  nécessaires  ;  l'indifférent  les  néglige  en  les  adorant.  L'impie 
sera  quelquefois  meilleur  que  ses  principes;  l'indifférent  se  dé- 
prave en  dépit  des  siens.  L'un  est  plus  insensé  dans  ses  opinions, 
l'autre  plus  inconséquent  dans  sa  conduite.  L'impiété  se  termine 
à  la  haine  de  Dieu;  l'indifférence  à  l'oubli,  pour  ne  pas  dire  au 
mépris  de  Dieu.  (L'abbé  Legris-Duval,  Sur  l'indifférence  prati- 
que.) 

L'indifférence  pratique  est  funeste  dans  ses  conséquences. 

C'est  un  préjugé  particulier  à  notre  siècle,  de  croire  qu'il  suffit 
de  conserver  la  foi  pour  s'acquitter  envers  la  religion ,  pour  vivre 
en  paix  et  mourir  tranquille ,  pour  satisfaire  enfin  à  la  grande 
obligation  de  l'exemple  envers  la  société.  Non  seulement  votre  foi 
ne  vous  justifiera  pas  sans  les  œuvres,  mais  elle  sera  votre  con- 
damnation; non  seulement  elle  ne  vous  consolera  pas,  mais  elle 
doit  être  votre  tourment,  et  pendant  la  vie  et  à  la  mort;  non 
seulement  votre  foi  n'édifiera  pas  la  société,  mais,  unie  à  l'indiffé- 
rence, elle  en  deviendra  le  scandale:  telles  sont  les  suites  mal- 
heureuses de  l'indifférence  pratique. 

Elle  sera  votre  condamnation.  Parmi  toutes  les  preuves  que 
nous  pourrions  vous  en  donner,  nous  nous  bornerons  à  cette 
opposition  constante  et  volontaire  que  l'indifférence  établit  entre 
votre  conscience  et  votre  conduite,  qui  devient  une  contradiction 
de  tous  les  momens  et  une  inconséquence  de  toute  la  vie.  Qu'est- 
ce,  en  effet,  qu'un  Chrétien  qui  croit  sans  pratiquer  ?  C'est  un 
homme  profondément  convaincu  qu'un  Dieu  est  descendu  du  ciel 
pour  nous  éclairer  par  l'Evangile,  qu'il  en  a  dicté  tous  les  oracles, 
qu'il  l'a  consacré  par  ses  exemples,  qu'il  l'a  scellé  de  son  sang;  et 
cet  Evangile,  il  ne  le  suit  pas  !  Il  croit  que  l'Eglise  tient  ici-bas  la 
place  de  Jésus-Christ  même,  pour  nous  diriger  et  nous  instruire; 
et  cette  Eglise,  il  ne  l'écoute  pas!  Il  sait,  il  croit  d'une  foi  ferme 
que  la  mort  peut  le  livrer  à  chaque  instant  entre  les  mains  de  la 
justice  éternelle  ,  et  il  ne  s'y  prépare  pas  !  Mais  de  tous  les  mys- 


1Ç)6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

tères  que  peut  renfermer  le  cœur  de  l'homme  clans  l'excès  de  l'in- 
sensibilité, voici  le  plus  effrayant  :  Vous  croyez  à  un  Enfer,  et 
vous  ne  faites  rien  pour  l'éviter!  que  dis-je  ?  vous  accumulez 
chaque  jour  vos  offenses.  Courbé  sous  le  poids  des  iniquités,  vous 
vous  jouez  en  aveugle  sur  le  bord  des  abîmes  éternels,  et  vous  en 
sondez  sans  effroi  la  profondeur  !  Ah!  laissez  à  l'incrédule  la  gloire 
affreuse  de  s'endurcir  contre  son  Dieu  !  Etes-vous  entraîné  loin 
de  lui  par  des  passions  qui  se  seraient  changées  en  habitudes  ,  vo- 
tre foi  vous  condamne;  elle  vous  dit  que,  vous  exposer  à  mourir 
dans  cet  état,  ce  serait  agir  en  insensé.  Nous  direz-vous  que  nul 
désordre  ne  vous  accuse,  vous  prononcez  vous-même  votre  arrêt. 
Quoi  !  il  vous  serait  si  facile  de  consacrer  par  la  foi  les  vertus  qui 
vous  honorent,  et  vous  en  voulez  perdre  le  fruit  pour  l'éternité  ! 
Quoi!  sans  avoir  à  redouter  ni  la  rigueur  des  sacrifices ,  ni  l'humi- 
liation des  aveux,  vous  pourriez  vous  refuser  à  des  démarches 
consolantes,  que  Dieu  commande,  d'ailleurs,  avec  une  autorité 
absolue  ! 

En  vain  dans  cet  état  espérez-vous  goûter  les  consolations  de 
la  foi  pour  avoir  part  à  ses  bienfaits;  ce  n'est  pas  assez  de  la  con- 
naître ,  elle  veut  des  âmes  aimantes  et  capables  de  la  sentir  pro- 
fondément. Notre  religion  n'est  point  un  système  ni  une  opinion 
religieuse;  ainsi  que  la  nomme  le  monde,  la  religion  est  un  sen- 
timent ,  le  plus  heureux,  le  plus  puissant  des  sentimens  ;  elle  fait 
le  bonbeur  du  Juste  ,  elle  embellit  la  prospérité  ;  mais  au  jour  de 
l'adversité  elle  déploie  sa  vertu  divine.  Le  Juste  est  grand  dans  le 
malheur  ,  il  est  heureux  des  biens  qu'il  attend,  heureux  des  ver- 
tus qu'il  pratique.  Dans  le  ravissement  de  l'espérance  et  de  l'amour, 
il  est  heureux  des  maux  qu'il  souffre ,  et  des  larmes  qu'ils  lui 
font  répandre.  Mais  vous  qui ,  glacés  par  l'indifférence,  vous  con- 
tentez de  reconnaître  la  vérité  et  vous  contentez  de  l'adorer  de 
loin,  où  puiserez-vous  la  consolation?  Sera-ce  dans  les  vertus 
touchantes  de  la  foi  ?  mais  vous  ne  les  pratiquez  pas  ;  dans  les 
biens  ineffables  qu'elle  nous  présente?  vous  ne  faites  rien  pour  les 
mériter  ;  dans  la  méditation  de  sa  céleste  doctrine  ?  elle  vous  trou- 
ve toujours  rebelle.  Ah  !  lorsque  abattu  par  l'infirmité,  aban- 
donné par  le  monde  ,  frappé  peut-être  de  ces  plaies  cruelles  du 
cœur  qui  ne  se  guérissent  jamais,  vous  reviendrez  à  la  religion, 
le  seul  appui  de  l'homme  et  sa  dernière  amie  dans  le  malheur,  elle 
s'attendrira  sur  vos  douleurs ,  sans  doute  ;  mais  que  pourra-t-elle 
pour  votre  bonheur?  Elle  ouvre  à  vos  yeux  l'Evangile;  partout 
vous  y  lisez  votre  arrêt  ;  partout  c'est  un  Dieu  qui  punit  le  servi- 


TES    PRÉDICATEURS.  297 

teur  inutile,  qui  condamne  l'arbre  stérile,  qui  se  plaît  à  surpren- 
dre le  pécheur  ;  un  Dieu  qui  ne  récompense  que  l'amour,  et  ne 
fait  grâce  qu'au  repentir.  (Le  Même.) 

I/indifférence-pralique  est  le  scandale  de  la  société. 

Ne  nous  dites  pas  que  vous  respectez  la  religion  ,  que  vous  la 
recommandez  dans  vos  familles;  un  mot  suffit  pour  vous  répon- 
dre :  vos  principes  sont  pour  vous  seul,  vos  exemples  sont  pour 
les  autres;  plus  même  vous  leur  aurez  inspiré  de  confiance  par 
l'élévation  de  vos  sentimens,  plus  ils  seront  portés  à  juger 
que  les  pratiques  religieuses  sont  médiocrement  utiles  ,  puisque 
enfin  vous  les  négligez,  et,  vous  voyantsur  tout  le  reste  justes,  modé- 
rés, fidèles  à  tous  vos  devoirs,  comment  ne  penseront-ils  pas  que  la 
religion  n'en  est  pas  un,  puisque  vous  réservez  pour  elle  l'indif- 
férence et  l'abandon?  Alors,  si  leurs  principes  se  dépravent,  si,  né- 
gligeant à  leur  tour  le  service  de  Dieu,  ils  passent  rapidement  de 
l'indifférence  à  l'irréligion,  de  l'irréligion  à  l'immoralité  profonde; 
si  ,  jusqu'au  sein  de  vos  familles,  vous  voyez  s'établir  la  licence 
et  le  scandale ,  quels  regrets  vous  vous  serez  préparés  !  O  combien 
de  parens  verseront  des  larmes  amères,  en  voyant  mettre  en  prin- 
cipe par  leurs  enfans  ce  qu'ils  auront  eux-mêmes  établi  dans  la 
pratique!  Malheureux!  pour  n'avoir  pas  compris  que  la  religion 
conserve  en  vain  ses  temples  et  ses  autels,  si  on  lui  ravit  les  vertus 
qui  répondent  de  son  existence,  et  qu'après  une  génération  indif- 
férente il  ne  peut  naître  qu'une  génération  incrédule.  Le  monde 
a  vu  plus  d'une  fois  des  peuples  égarés  par  le  fanatisme  religieux 
quitter  la  religion  de  leurs  pères,  pour  passer  à  des  cultes  étran- 
gers et  à  des  religions  nouvelles;  mais  à  la  suite  de  l'indifférence 
vient  le  mépris  de  toute  religion,  la  nuit  profonde  de  la  barbarie; 
et  pour  réunir  en  un  seul  mot  toutes  les  erreurs,  tous  les  fléaux, 
tous  les  forfaits,  si  nous  cessions  d'être  Chrétiens,  il  ne  nous  reste 
que  l'athéisme,  athéisme  populaire,  universel,  sans  ressource  et  sans 
espérance.  Repoussée  par  la  persécution,  la  religion  rentre  sou- 
vent clans  les  empires,  et  s'y  établit  avec  gloire;  chez  un  peuple 
indifférent,  elle  languit,  elle  s'éteint  comme  la  dernière  étincelle 
d'un  flambeau  qui  finit,  pour  ne  se  rallumer  jamais.  (Le  même.) 

La  foi  des  prétendus  chrétiens  de  nos  jours  ne  sert  qu'à  les  rendre  plus  coupables 

devant  Dieu. 

Que  diriez-vous  d'un  criminel  qui  sous  les  yeux  de  son  juge, 


90,8  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

prêt  à  prononcer  son  arrêt,  lui  ferait  mille  outrages  ?  Que  pense- 
riez vous  d'un  vil  sujet,  qui,  au  service  d'un  puissant  roi/  em- 
pressé à  lui  faire  du  bien,  négligerait  les  moyens  de  gagner  ses 
bonnes  grâces  ?  Quel  nom  donneriez  vous  à  un  fils,  qui,  sui- 
des bontés  de  son  père,  abuserait  des  faveurs  qu'il  en  reçoit, 
pour  entretenir  son  libertinage?  Ne  les  mettriez-vous  pas  au  rang 
des  insensés  et  des  fous?  Voilà  qui  vous  êtes,  vous  tous  qui  pen- 
sez bien,  et  qui  vivez  mal.  Faites  un  moment  avec  moi,  je  vous 
prie,  le  parallèle  de  votre  conduite  et  de  votre  foi  :  et  voyez  si 
l'une,  rapprochée  de  l'autre,  ne  forme  pas  contre  vous  une  évidente 
conviction  de  folie. 

Je  crois,  dites-vous,  et  je  crois  que  Dieu  est  présent  partout; 
qu  il  éclaire  chacune  de  mes  actions,-  que  pas  une  de  mes  pensées 
ne  lui  échappe;  qu'il  tient  la  foudre  en  main  pour  punir  le  cou- 
pable, et  qu'il  n'a  qu'à  la  laisser  partir  pour  m'écraser  et  me  per- 
dre au  moment  où  je  suis.  De  si  effrayantes  vérités  devraient  bien 
me  retenir  dans  le  devoir,  et  ni 'empêcher  de  transgresser  ses  lois 
si  respectables.  N'importe,  péchons  toujours,  quoique  en  sa  pré- 
sence :  violons  ses  lois,  bravons  ses  menaces  ;  que  ce  glaive  ven- 
geur, qui  pend  sur  nos  têtes ,  et  qui  ne  tient  qu'à  un  fil,  ne  nous 
donne  ni  inquiétude  ni  frayeur.  Quelle  conséquence  !  Je  crois  que 
Dieu  m'a  aimé  de  toute  éternité  ,  et  qu'il  m'a  aimé  d'un  amour  de 
prédilection  et  de  choix;  qu'après  m'avoir  tiré  du  néant  il  me 
conserve  encore;  qu'il  m'a  fait  naître,  non  seulement  dans  la  vraie 
religion,  mais  aussi  dans  l'Eglise  véritable  ;  que  par  là  ,  avant  même 
que  je  pusse  le  connaître,  il  m'a  mis  en  possession  du  corps,  du 
sang,  des  mérites  de  son  Fils;  de  si  tendres  souvenirs  devraient 
bien  confondre  mon  ingratitude,  et  me  porter  à  la  reconnaissance. 
Mais  non,  outrageons  ce  prodigue  bienfaiteur;  perçons  le  sein  de 
ce  père  des  miséricordes  ;  crucifions  de  nouveau  ce  roi  de  gloire. 
Si  son  amour  nous  importune,  éloignons-en  la  pensée.  Si  sa  grâce 
nous  sollicite,  résistons  à  ses  inspirations.  Si  notre  conscience 
nous  trouble  ,  étouffons-en  les  remords, pour  pécher  en  assurance. 
Quelle  conclusion  ! 

Je  crois  qu'il  y  a  pour  moi  un  Paradis  et  un  Enfer,  c'est-à-dire, 
une  alternative  de  félicités  ou  de  tortures  éternelles;  les  unes 
destinées  aux  bons,  et  les  autres  réservées  aux  méchans.  Je  vis 
dans  le  péché  :  j'y  puis  mourir  à  toute  heure.  La  pénitence  seule 
peut  me  sauver,  et  il  ne  tient  qu'à  moi  d'y  avoir  recours.  De  si 
pressans  intérêts  méritent  bien  qu'on  y  pense.  Cependant  point 
de  réflexions.  Fermons  les  yeux  au  ciel.  Jetons-nous  tête  baissée 


DES    PRÉDICATEURS.  9-99 

dans  l'abîme.  Trésor  de  récompense!  Rassasiement  de  joies!  Cou- 
ronne d'immortalité!  cédez  à  un  moment  de  plaisir,  à  un  point 
d'honneur,  à  un  vil  intérêt,  à  un  peu  de  bien  mal  acquis.  Et  vous, 
ver  rongeur,  flammes  dévorantes,  éternité  de  regrets ,  de  déses- 
poir et  de  fureur,  prenez  la  place  d'un  léger  effort,  d'une  restitu- 
tion juste,  d'un  aveu  salutaire,  et  d'un  saint  repentir.  Quel  raison- 
nement, ou  plutôt  quel  délire! 

Et  ne  me  dites  pas  que  ce  sont  là  de  fausses  suppositions  ;  que 
je  fais  raisonner  le  pécheur  comme  il  me  plaît ,  afin  de  le  confon- 
dre, et  que  s'il  avait  les  vérités  de  la  foi  bien  présentes,  il  ne  se- 
rait pas  assez  fou  pour  les  contredire  de  sang  froid.  Mais  qu'il  n'y 
pense  pas,  et  qu'ainsi  il  est  moins  coupable  de  folie  que  de  né- 
gligence. Pitoyable  ressource  !  comme  si  la  négligence  dans  une 
affaire  aussi  intéressante  que  le  salut  n'était  pas  le  comble  de  la 
folie,  et  qu'ici  le  manque  d'attention  et  de  défaut  de  sens  ne  fût 
pas  la  même  chose;  mais  j'ai  des  preuves  convaincantes  que,  lors 
même  que  les  vérités  de  la  religion  sont  les  plus  présentes  à  son 
esprit,  le  pécheur  ne  laisse  pas  d'en  tirer  des  conclusions  contra- 
dictoires en  pratique. 

N'avez-vous  jamais  vu  un  de  ces  heureux  du  siècle,  qui  a  fait 
une  fortune  opulente,  et  qui  conduit  au  tombeau  un  autre  favori 
de  la  fortune,  qui  a  vécu  dans  la  même  opulence  que  lui  ?  Peut-il 
ne  pas  faire  de  sérieux  retours  sur  lui-même?  J'ai  déjà  tant  d'an- 
nées accomplies;  elles  ont  passé  les  bornes  marquées  à  la  plupart 
de  ceux  à  qui  je  survis  :  et  j'assiste  aujourd'hui  à  la  pompe  funèbre 
d'un  de  mes  contemporains  et  de  mes  amis.  Quelle  part  ai-je  à  ce 
spectacle?  et  quel  est  ici  mon  personnage?  Assisté-je  aux  funé» 
railles  d'un  autre ,  ou  sont-ce  mes  propres  funérailles  que  l'on 
prépare?  Si  ces  restes  de  vie  que  je  traîne  me  disent  que  je  suis 
encore  au  monde,  ce  mort  qu'on  ensevelit  à  mes  yeux  me  crie 
que  j  en  dois  bientôt  sortir.  Ces  rides  qui  défigurent  mon  visage, 
ce  corps  qui  plie  déjà  sous  le  faix  des  ans  ,  ces  infirmités  qui  de 
jour  en  jour  minent  mes  forces;  tout  seconde  sa  voix,  et  m'an- 
nonce ma  fin  prochaine.  Cependant  que  fais-je  sur  la  terre  ?  J'y 
amasse  du  bien  ;  j'y  accumule  des  trésors;  je  me  réjouis  dans  la 
pensée  que  l'année  prochaine  verra  grossir  mes  revenus.  Fatal 
aveuglement!  folie  incurable!  Ah!  je  ne  dois  plus  penser  qu'à 
ta  mort.  Il  faut  me  préparer  à  paraître  devant  Dieu,  m'occuper 
de  bonnes  oeuvres,  et  n'avoir  d'autre  soin  que  mon  salut.  Ainsi 
raisonne-t-d,  sans  doute,  en  idée.  Qu'en  conclut- il  en  pratique  ? 
Hélas  !  ses  belles  réflexions  s'évanouissent  avec  l'objet   qui   les   a 


300  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

fait  naître.  Le  défunt  dans  sa  fosse,  il  oublie  qu'il  est  sur  le  bord 
de  la  sienne;  et,  au  sortir  du  convoi,  il  va  peut-être  signer  encore 
quelque  contrat  usuraire;  ou,  s'il  a  part  à  l'héritage,  disputer  à 
l'Eglise  ou  aux  pauvres  quelque  legs  pieux  du  mort. 

Autre  exemple  encore  plus  commun:  Voyez  un  de  ces  jeunes 
libertins  qui  vivent  comme  s'il  n'y  avait  point  pour  eux  d'autre 
vie;  voyez-le  étendu  sur  un  lit  de  douleur,  observez-le,  surtout 
dans  ces  momens  critiques  où  on  lui  administre  les  sacremens  : 
écoutez-le  parlera  l'assemblée;  demander  aux  assistans  pardon  de 
ses  scandales;  donner  des  avis  de  conversion  et  des  leçons  de  pé- 
nitence à  ses  compagnons  de  débauche.  Tous  fondent  en  larmes 
plus  encore  de  joie  que  de  douleur.  Chacun  croit  entendre  un  ora- 
cle. Il  n'est  personne  qui  ne  le  canonise  par  avance.  Belles  mora- 
lités en  effet  dans  la  spéculation!  Mais  quelles  en  sontles  suites  pour 
la  conduite?  Hélas!  à  peine  est-il  hors  du  péril,  qu'il  reprend  les 
mêmes  habitudes,  mêmes  excès,  mêmes  intrigues,  mêmes  em- 
portemens,  mêmes  fureurs:  et  ce  pécheur,  qui  raisonnait  il  y  a 
peu  de  jours  en  vrai  saint,  aux  approches  de  la  mort,  agit  en  vrai 
libertin,  tel  après  qu'avant  sa  maladie 

Le  second  chef  de  l'accusation  que  la  foi  produira  contre  les 
Chrétiens  prévaricateurs  ne  sera  pas  moins  considérable.  Ce  sera 
celui  d'infidélité  dont  ils  se  seront  rendus  coupables,  en  violant 
les  promesses  qu'ils  lui  auront  faites  si  souvent  à  la  face  des  au- 
tels. Saint  Chrysostôme  expliquant  ces  terribles  paroles  de  l'Apô- 
tre :  Point  de  miséricorde  pour  celui  qui  retient  injustement  la 
vérité  de  Dieu  captive  ,  nous  représente  éloquemment  cette  foi, 
s'élevant  au  jugement  dernier  contre  ces  prétendus  fidèles;  leur  re- 
prochant et  l'infidélité  de  leurs  promesses,  et  l'énormité  de  leurs 
déréglemens;  et  demandant  vengeance  à  Dieu  de  ce  qu'ils  l'ont 
retenue  asservie  et  captivée  sous  les  honteuses  lois  de  leurs  bruta- 
les passions;  malgré  tous  les  engagemens  qu'ils  avaient  pris  avec 
elle  dans  les  sacremens  :  Ira  Dei  super  omnem  injustitiam  homi- 
num,  qui  veritatem  Del  in  injustitia  detinent. 

Justice,  Seigneur!  s'écriera-t-elle;  justice  contre  ces  Chrétiens 
baptisés ,  qui  m'ont  en  toute  occasion  sacrifiée  aux  suggestions  du 
malin  esprit,  auxquelles  ils  avaient  solennellement  renoncé  dans 
leur  baptême,  pour  suivre  uniquement  mes  leçons.  Justice  contre 
ces  fidèles  confirmés ,  qui  n'ont  pas  eu  honte  de  me  déshonorer 
pour  plaire  au  monde,  dont  ils  avaient  juré  dans  leur  confirmation 
de  mépriser  les  mépris  et  les  outrages  mêmes,  plutôt  que  de  rou- 
gir jamais  de  leur  religion.  Justice  contre  ces  Catholiques  profana- 


des  prédicateurs.  3oi 

teurs  de  la  divine  Eucharistie ,  qu'ils  ont  reçue  de  moi  ,  et  qu'ils 
ont  outragée  malgré  moi,  en  abusant  d'un  corps  nourri  tant  de  fois 
du  corps  adorable  d'un  Dieu.  Justice  contre  ces  époux  séparés  et 
ces  épouses  désunies,  qui  m'ont  trahie  parleur  mésintelligence,  en 
rompant  une  union  sainte  qu'ils  avaient  contractée  dans  mon  sein 
comme  la  fidèle  image  de  l'union  indissoluble  de  Jésus-Christ  et 
de  son  Eglise.  Justice  contre  ces  indignes  ecclésiastiques ,  qui 
m'ont  scandalisée  en  scandalisant  ceux  que  je  regardais  comme 
mes  enfans,  et  qui  m'ont  fait  tort  en  mésusant  d'un  bien  que  je 
leur  avais  confié  ,  comme  le  patrimoine  des  pauvres.  Justice  enfin 
contre  tous  ces  parjures  élèves  de  mes  soins,  qui  ne  m'ont  payée 
que  d'ingratitude,  qui  m'ont  défigurée  aux  yeux  de  l'univers,  et 
qui  m'ont  réduite  à  regretter  la  différence  que  l'on  faisait  autrefois 
de  mes  disciples  et  de  ceux  du  paganisme.  J'étais  dans  l'esprit  et 
dans  le  cœur  de  ces  pécheurs,  comme  un  flambeau  divin,  dont  ils 
tâchaient  d'obscurcir  la  lumière;  comme  un  feu  sacré  dont  ils 
s'efforçaient  d'éteindre  la  flamme,  comme  un  talent  précieux  dont 
ils  affectaient  en  toute  occasion  de  ravaler  le  prix.  Arbitre  souve- 
rain de  leur  sort,  témoin  de  leurs  engagemens,  et  juge  de  leur  con- 
duite, vengez-moi ,  vengez  ma  liberté  ,  mon  intérêt  et  ma  gloire  : 
ou  plutôt  vengez-vous  vous-même,  Seigneur:  c'est  de  vous  qu'ils 
m'ont  reçue.  Vengez  votre  Fils  ;  c'est  son  sang  qui  m'a  produite. 
Vengez  votre  esprit  ;  c'est  la  source  qui  m'a  fait  naître  ;  et  ne 
souffrez  pas*  qu'impunément  ils  aient  enseveli  dans  l'horreur  de 
leurs  désordres  la  première  des  vertus  chrétiennes  :  Ira  Dei  su- 
per omnem  injustitiam  hominum^  qui  verilatem  Del  in  injustitia 
detinent. 

Àdescris  si  justes,  pécheurs,  que  pourrez-vous répondre  ?Vous 
plaindrez-vous  encore,  comme  vous  faites  si  souvent,  de  !a  sévérité 
des  lois  que  vous  imposait  la  foi  ;  mais  c'est  alors  que  la  foi  vous 
fera  mieux  sentir  que  jamais  combien  vos  plaintes  étaient  injustes. 
Vous  vous  plaigniez,  vous  répondra-t-e!le;  de  la  sévérité  de  mes 
lois;  aviez- vous  raison  de  vous  en  plaindre?  Qu'exigeaient-elles  de 
vous  que  vous  n'exigiez  pas  vous-mêmes  de  vos  semblables?  Elles 
vous  prescrivaient  la  charité,  la  patience, l'humilité,  la  douceur.  Ne 
souhaitiez-vous  pas  que  l'on  fut  à  votre  égard,  doux,  humble,  pa- 
tient, charitable?  Vil  vermisseau  de  la  terre,  sorti  de  la  même 
poussière  que  le  reste  des  hommes,  était-il  juste  que  votre  prochain 
fût  obligé  de  se  contraindre  pour  vous  ,  et  que  vous  ne  fussiez  pas 
tenu  de  vous  gêner  pour  lui?  qu'il  fût  chargé  de  supporter  vos  dé- 
fauts ,  et  que  vous  fussiez  exempt  de  lui  pardonner  ses  offenses  ? 


302  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

que  vos  besoins  devinssent  les  siens,  et  que  ses  intérêts  ne  fussent 
pas  les  vôtres?  qu'il  fut  damné  pour  vous  avoir  fait  tort,  et  que 
vous  fussiez  sauvé  après  lui  avoir  porté  tant  de  fois  préjudice  ?  eu 
un  mot ,  que  vous  vécussiez  seul  privilégié  parmi  tant  d'hommes 
devenus  par  ma  loi  vos  redevables  et  vos  tributaires  ?  Quelle 
partialité  ! 

Vous  vous  plaigniez  tous  les  jours  de  la  sévérité  de  mes  lois  ; 
en  quoi  donc  les  trouviez-vous  si  sévères?  en  ce  qu'elles  réprimaient 
tous  vos  mauvais  penchans  ,  l'envie,  l'avarice,  l'ambition,  la  sen- 
sualité. Fallait-il,  pour  vous  satisfaire,  donner  libre  carrière  à  des 
monstres  si  cruels?  Quels  ravages  n'auraient-ils  pas  causés  dans 
l'univers?  C'eût  été  bientôt  un  chaos  ou  plutôt  un  Enfer,  que  la 
religion  chrétienne,  semblable  au  paganisme,  aurait  peuplé  de 
vices;  au  lieu  d'en  faire,  comme  elle  en  a  fait  autrefois  dans  les 
premiers  siècles  de  1  Eglise,  un  Paradis  enrichi  de  vertus.  Quel 
renversement! 

Vous  vous  plaigniez  à  toute  heure  de  la  sévérité  de  mes  lois  ; 
mais  quels  efforts  faisiez-vous  donc  pour  vous  y  conformer,  et 
pour  les  suivre?  Demandiez-vous  la  grâce  de  les  accomplir?  évi- 
tiez-vous  l'occasion  de  les  enfreindre?  témoigniez-vous  quelque 
regret  de  les  avoir  violés  tant  de  fois?  Ah!  si  vous  aviez  fait  tout 
ce  que  vous  pouviez  ,  vous  auriez  bientôt  reconnu  qu'elles  ne  de- 
mandaient rien  d'impossible;  rien  même  de  si  rebutant  et  de  si 
dur  à  la  nature.  Les  douceurs  qu'elles  vous  promettaient  ne  vous 
auraient  pas  manqué  dans  la  suite,  si  vous  n'aviez  pas  manqué 
d'abord  aux  secours  qu'elles  vous  offraient.  Un  peu  de  cdurage 
vous  aurait  rendu  plus  fort,  et  mon  joug  plus  léger.  Mais  vous  cé- 
diez à  vos  répugnances;  vous  entreteniez  vos  révoltes  ,  vous  ai- 
miez vos  faiblesses,  et  vous  vous  plaigniez  toujours  de  la  sévérité 
de  mes  lois.  Quelle  iniquité! 

Enfin  vous  vous  plaignez  sans  cesse  de  la  sévérité  de  mes  lois. 
Mais  tant  d'honnêtes  païens  et  de  mauvais  Chrétiens  se  sont-ils 
plaints  de  même  des  lois  autant  ou  plus  sévères  encore  qu'ils  ont 
reçues  du  monde  ou  du  démon ,  en  les  recevant  de  leurs  propres 
passions  dont  ils  s'étaient  rendus  comme  vous  les  malheureux  escla- 
ves? Ecoutez,  faux  fidèles,  écoutez  ces  infidèles  oracles  étaler  leurs 
succès,  et  apprenez  des  hommages  qu'on  a  rendus  à  leurs  trom- 
peuses paroles ,  les  hommages  que  vous  deviez  à  la  véritable  foi. 

Moi,  dira  un  Pythagore,  je  portai  dans  l'Italie  grand  nombre 
de  jeunes  gens  à  renoncer  à  leurs  plaisirs  ;  de  femmes  mondaines 
à  fouler  aux  pieds  leur  faste;  de  personnes  de  tout  âge  et  de  tout 


DES    pRÉDICATEUHS»  3o3 

sexe  à  aimer  le  silence,  le  recueillement,  la  méditation  et  la  re- 
traite. Cependant  l'espérance  de  l'immortalité  que  je  leur  donnais, 
par  la  transmigration  de  leurs  âmes,  n'était,  à  proprement  parler, 
qu'une  succession  de  morts. 

Moi ,  dira  un  Hégésias ,  je  parlai  si  bien  dans  la  Grèce  sur  les 
dégoûts  du  monde,  sur  les  amertumes  de  la  vie,  sur  les  misères 
du  temps ,  que  l'on  en  vit  plusieurs  courir  d'eux-mêmes  au  tom- 
beau et  avancer  leur  trépas.  Cependant  je  n'avais  ni  Paradis  à 
leur  promettre  ni  Dieu  mort  pour  leur  salut  à  leur  proposer  pour 
exemple. 

Moi,  dira  un  Zenon,  j'élevai  l'homme  au  dessus  de  l'homme , 
l'esprit  au  dessus  du  corps  ,  et  le  corps  même  au  dessus  des  dou- 
leurs. Cependant  mon  stoïque héroïsme  n'était  au  fond  qu'un  vain 
orgueil. 

Et  moi,  dira  le  démon ,  j'ai  pris  l'homme  par  lui-même;  je  l'ai 
fait  esclave  de  ses  sens,  martyr  de  ses  désirs,  victime  de  ses  pas- 
sions; et  cependant  pour  de  véritables  maux,  je  ne  lui  ai  jamais 
offert  que  des  biens  apparens. 

Ah!  Chrétiens!  toutes  ces  comparaisons,  hélas!  trop  sensibles 
d'école  à  école,  de  disciples  à  disciples,  ne  vous  feront-elles  pas 
rougir  de  votre  indolence  à  la  foi,  et  convenir  de  l'injustice  que 
vous  lui  faisiez,  en  vous  plaignant  de  la  sévérité  de  ses  lois?  Se- 
conde accusation. 

Enfin  le  dernier  chef  d'accusation ,  et  le  plus  grief  de  tous  ceux 
que  la  foi  portera  contre  les  Chrétiens  de  mauvaises  mœurs,  ce 
sera  celui  d'hypocrisie,  dans  les  preuves  même  les  plus  éclatantes 
qu'ils  auront  données  de  leur  religion,  et  qui  n'auront  servi  qu'à 
les  faire  paraître  ce  qu'ils  n'étaient  pas.  C'est  le  sens  de  ce  redou- 
table arrêt  du  Sauveur  du  monde,  qui  condamne  tout  méchant 
serviteur,  c'est-à-dire  tout  mauvais  Chrétien,  à  être  mis  au  rang  des 
hypocrites  :  Partemque  ejus ponet  cum  hypocritis.  (Le  P.  Segaud.) 

Péroraison. 

Voilà  donc  tout  ce  que  produit  cette  foi  morte  dont  se  glori- 
fient tant  de  mauvais  Chrétiens  ,  qui  la  déshonorent  par  leur  vie. 
C'est  de  les  rendre  certains  qu'ils  n'en  seront  que  plus  punis,  plus 
tourmentés  ,  plus  malheureux  dans  l'autre  monde.  Triste  emploi, 
d'être  réduit  à  porter  partout  son  arrêt,  et  à  prononcera  toute 
heure  sa  condamnation!  Funeste  assurance,  de  savoir  qu'on 
aggrave  de  jour  en  jour  sa  perte,  et  qu'on  creuse  de  moment  e& 


3o4  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

moment  son  précipice  !  désolante  pensée,  d'être  obligé  de  se  dire  : 
Je  suis  Chrétien,  et  Catholique  par  la  grâce  de  Dieu  ;  j'en  ai  le 
nom,  j'en  porte  le  caractère,  j'en  tiens  la  foi ,  quoique  je  n'en  fasse 
pas  les  œuvres.  Mais  cette  foi  gratuite,  que  j'ai  reçue  de  la  pure 
miséricorde  de  mon  Dieu  ,  ne  servira  qu'à  me  rendre  le  principal 
objet  de  sa  haine  ;  qu'à  proportionner  ses  fureurs  à  sa  bonté, 
qu'à  mesurer  sur  ses  faveurs  mon  supplice.  Ce  nom  glorieux,  qui 
me  distingue  des  infidèles  ,  me  rangera  bien  au  dessous  des  païens, 
des  athées  mêmes,  dont  j'abhorre  les  sentimens,  et  dont  je  déplo- 
re le  sort,  m'attirera  de  plus  grièves  peines  que  les  leurs,  quoi- 
qu'elles soient  extrêmes  ;  me  plongera  dans  un  abîme  de  malheurs, 
qui  me  fera  envier  leur  malheur  même.  Ce  caractère  ineffaçable, 
qui  devait  faire  ma  gloire  et  mon  bonheur  ,  sera  comme  un  signal 
à  toutes  les  flammes  de  l'Enfer  à  se  réunir  contre  moi;  à  tous  les 
damnés  d'insulter  à  ma  misère;  à  tous  les  démons  mêmes  de  me 
charger  d'opprobres,  et  de  m'accabler  de  tourmens  pendant  l'éter- 
nité tout  entière. 

Ce  n'était  pas  là  votre  dessein,  divin  Auteur  et  redoutable  ven- 
geur de  la  foi  ;  ce  n'était  pas  voire  dessein,  en  nous  la  donnant , 
de  nous  damner  et  de  nous  perdre.  Vous  vouliez  sans  doute,  en 
nous  mettant  au  rang  de  vos  disciples,  nous  mettre  au  nombre 
de  vos  élus  ;  et  si  vous  nous  avertissez  tant  de  fois  dans  votre 
Evangile  que  vous  demanderez  plus  à  qui  aura  plus  reçu  ,  que 
vous  nous  punirez  de  nos  péchés  a  proportion  de  nos  lumières, 
que  les  domestiques  et  les  enfans  de  la  foi  auront  à  votre  tribunal, 
pour  accusateurs  et  pour  juges,  les  étrangers  et  les  infidèles,  ce 
n'est  que  pour  nous  engager,  par  une  crainte  salutaire,  à  faire  un 
bon  usage  de  ce  don  si  précieux  ,  à  le  conserver  et  à  l'accroître 
même  par  une  continuelle  ferveur,  à  le  faire  valoir  par  une 
exacte  conformité  de  sentimens  de  nos  paroles  et  de  nos  mœurs, 
et  à  nous  rendre  par  là  dignes  de  vos  récompenses  éternelles ,  etc. 
(  Le  même.  ) 


DES    PRÉDICATEURS.  3o5 


GRACE. 


RÉFLEXIONS  THEOLOGIQUES  ET  MORALES  SUR  CE  SUJET. 


Traiter  de  la  grâce  est  délicat  et  difficile  ;  et  pourtant  instruire 
sur  la  grâce  est  important  et  nécessaire.  Il  n'y  a  point  de  dogme 
qu'il  soit  plus  dangereux  d'approfondir,  parce  que,  sur  les  ques- 
tions qu'il  présente,  les  erreurs  sont  très  funestes,*  il  n'y  en  a  point 
qu'il  soit  plus  utile  de  développer,  parce  que  c'est  celui  qui  est  le 
plus  fécond  en  conséquences  morales.  Dans  cette  discussion  épi- 
neuse, il  faut  joindre  à  la  profondeur  la  circonspection,  et  la  pré- 
cision à  l'étendue.  Il  faut  montrer  la  toute-puissance  de  la  grâce, 
sans  exagérer  son  action,  et  craindre  le  double  danger  clelui  attribuer 
trop  d'influence,  ou  d'accorder  à  la  liberté  trop  d'indépendance. 
Dans  la  ténébreuse  obscurité  de  ce  mystère,  on  navigue  entre  deux 
écueils  également  périlleux.  Les  efforts  pour  éviter  l'un  portent 
à  aller  se  heurter  et  se  briser  contre  l'autre.  Que  de  déplorables 
naufrages  sur  tous  les  deux  nous  présente  l'histoire  de  la  religion  ! 
Pénétré  du  sentiment  de  sa  liberté,  Pelage  combat  la  nécessité  de 
la  grâce  ;  frappés  des  textes  formels  qui  établissent  la  nécessité  et 
le  pouvoir  de  la  grâce,  Calvin  et  les  novateurs  plus  récens  lui 
attribuent  une  force  nécessitante.  Ainsi,  se  laissant  entraînera  ses 
préjugés  et  à  l'entêtement  de  ses  vaines  pensées,  l'orgueil  porte  à 
l'extrême  les  dogmes  sacrés,  et  en  fait  des  hérésies.  De  ce  qui  de- 
vrait être  l'objet  d'une  foi  humble  ,  il  fait  l'objet  de  sa  présomp- 
tueuse curiosité.  11  prétend  assujétir  à  ses  décisions  des  mystères 
qu'il  lui  est  enjoint  d'adorer  en  silence  l. 

Systèmes  catholiques  sur  la  grâce. 

Il    est  vrai  pourtant  qu'outre  ces  systèmes  erronés  qu'a  en- 
fantés l'esprit  d'insurbordination  ,  des  théologiens  catholiques,  des 

*  Eccli.,  m,  22. 

T.  III,  20 


3o6  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

docteurs  très  respectables  se  sont  efforcés  d'expliquer  les  incom- 
préhensibles opérations  de  la  grâce  ,  et  que,  loin  de  condamner 
leurs  divers  systèmes ,  l'Eglise  a  permis  de  les  enseigner  tous,  et 
de  les  soutenir.  Ces  docteurs  justement  célèbres,  occupés  à  con- 
fondre les  hérétiques,  ne  voulant  pas  laisser  une  apparence  de 
victoire  à  ces  hommes  toujours  prêts  à  triompher  sans  raison,  ont 
jugé  utile  de  montrer  la  possibilité  d'une  conciliation  entre  des 
dogmes  dont  l'apparente  opposition  avait  causé  tant  d'erreurs. 
Mais  d'abord,  soumis  à  l'irréfragable  autorité  de  l'Eglise,  ils  se 
sont  religieusement  renfermés  dans  les  bornes  sacrées  qu'ont  po- 
sées ses  décrets ,  et  leurs  divers  systèmes  ne  portent  aucune 
atteinte  aux  dogmes  qu'elle  a  définis.  Ensuite  ils  ont  présenté 
leurs  idées,  non  comme  des  vérités  certaines,  mais  comme  des 
opinions  probables  ;  non  comme  des  assertions  qu'on  fût-  tenu 
de  croire,  mais  comme  des  propositions  que  l'on  pouvait  admettre, 
et  qui,  selon  eux,  levaient  les  difficultés  et  détruisaient  les  erreurs 
sur  la  grâce.  Si  quelques  théologiens  ont  été  plus  loin  que  leurs 
maîtres,  ont  prétendu  asservir  les  esprits  à  leurs  opinions,  et  les 
ériger  en  dogmes,  ce  sont  des  torts  personnels  que  ne  partagent 
ni  les  sages  auteurs  de  ces  systèmes  ni  les  écoles  pieuses  qui  les 
soutiennent. 

Peut-être,  au  reste,  eiit-il  été  plus  à  désirer  que  ces  questions, 
qui  ne  tiennent  point  au  fond  de  la  religion,  n'eussent  jamais  été 
agitées,  et  qu'on  les  eût  mises  au  nombre  de  celles  que  saint  Paul 
veut  que  Von  évite,  parce  qu'elles  engendrent  des  contestations  $, 
Qu'est-il  résulté,  en  effet,  de  toutes  ces  discussions  scoîastiques  sur 
les  divines  opérations  de  la  grâce?  Des  controverses  interminables, 
souvent  soutenues  avec  trop  de  chaleur,  et  de  tous  côtés  des  dif- 
ficultés insolubles.  Quelles  lumières  ont  jetées,  sur  l'obscuritéde  ces 
mystères,  ces  disputes  continuées  depuis  plusieurs  siècles?  L'inef- 
fable conduite  de  la  grâce  est-elle  mieux  connue  qu'avant  ces 
débats?  Ce  qui  fut  obscur  pour  les  grands  docteurs  de  l'antiquité 
a-t-il  été  rendu  plus  clair  parles  théologiens  modernes?  Nous  avons 
peine  à  comprendre  une  multitude  de  choses  qui  sont  sur  la  terre , 
que  nous  avons  sous  les  yeux,*  et  nous  prétendrions  connaître  plei- 
nement, expliquer  clairement  les  choses  célestes,  pénétrer  dans 
les  secrets  de  Dieu,  et  en  savoir  ce  qu'il  ne  lui  a  pas  plu  de  nous 
révéler  2!  Et  ne  doit-il  pas  nous  suffire  que  Dieu  nous  ait  appris 
sur  sa  grâce,  ce  qu'il  nous  importe  de  savoir  pour  régler  notre  con. 

*  Iï.  Timoth.,  ii,  23.  —  2  Sap  ,  ix,  16,  17. 


DES    PRÉDICATEURS.  OOJ 

duileï'  Quand,  nous  ouvrant  son  sein,  il  nous  introduirait  dans 
la  profondeur  de  ses  décrets,  et  nous  découvrirait  les  admirables 
moyens  par  lesquels  sa  grâce  triomphe  de  notre  liberté  en  la 
laissant  tout  entière,  quel  avantage  nous  reviendrait  de  cette  con- 
naissance plus  étendue?  Ces  nouvelles  lumières  nous  éclaireraient- 
elles  davantage  sur  nos  devoirs  envers  la  grâce ,  sur  les  moyens 
d'en  profiter?  La  grâce  n'agirait-elle  pas  toujours  de  la  même  ma- 
nière ?  Ne  serions-nous  pas  toujours  obligés  d'y  correspondre?  Ce 
n'est  pas  notre  conscience  spéculative  sur  la  grâce ,  c'est  l'usage 
pratique  que  nous  en  aurons  fait ,  que  nous  présenterons  au  tri- 
bunal suprême.  Bannissons  d'ici  tous  les  systèmes,  et  les  abandon- 
nant aux  controverses  de  l'école,  bornons-nous  à  considérer  ce 
que  Dieu  nous  ordonne  de  croire  sur  sa  grâce  et  de  pratiquer 
au  sujet  de  sa  grâce. 

Notion  de  la  grâce. 

La  grâce  dont  il  s'agit  ici  n'est  pas  la  grâce  habituelle,  la  grâce 
sanctifiante,  l'état  de  grâce  :  nous  parlons  de  la  grâce  actuelle, 
de  la  motion  transitoire,  souvent  momentanée,  que  nous  im- 
prime la  miséricorde  divine  ;  don  le  plus  précieux  de  tous  les 
dons  qu'elle  puisse  nous  accorder  sur  la  terre  ;  don  surnaturel  dans 
son  principe  qui  est  Dieu,  dans  sa  nature  qui  est  divine ,  dans  son 
motif  qui  est  les  mérites  de  Jésus-Christ,  clans  son  effet  qui  est  de 
nous  faire  pratiquer  les  œuvres  méritoires,  dans  son  but  qui  est 
le  céleste  séjour;  don  qui  fait  les  justes  et  leur  procure  la  persévé- 
rance, qui  anime  les  pénitens  et  les  soutient  dans  leurs  travaux; 
qui  ranime  les  pécheurs  et  les  retire  de  leurs  voies  criminelles; 
don  qui  repousse  les  tentations,  réprime  les  passions,  rectifie  les 
inclinations,  réforme  les  habitudes;  don  des  dons,  source  abon- 
dante de  cette  eau  salutaire  qui  éteint  les  feux  de  notre  concupis- 
cence, qui  étanche  notre  soif  des  biens  futurs  ,  et  qui  jaillit  pour 
nous  jusque  dans  la  vie  éternelle  i.  Le  grand  docteur  de  la  grâce 
qui  en  avait  été  le  miracle,  saint  Augustin,  dit  qu'elle  est  une  bonne 
concupiscence  opposée  à  la  concupiscence  vicieuse.  Agissant  toutes 
deux  par  des  moyens  semblables,  mais  dans  des  sens  contraires, 
elles  produisent  des  effets  opposés.  L'une  et  l'autre  préviennent 
les  mouvemens  et  les  lumières  de  la  raison  naturelle.  L'une  et 
l'autre  nous  inclinent  d'une  douce  manière,  soit  au  bien,  soit  au 
mal.  L'une  nous  présente  le  vice  sous  les  formes  les  plus  spécieu- 

1  Joan.,  îv,  13,  14, 

20, 


3o8  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

ses;  l'autre  nous  découvre  toute  la  beauté  de  la  vertu.  Celle-là 
adoucit  les  amertumes  et  les  peines  qui,  dès  cette  vie,  sui- 
vent le  péché;  celle-ci  allège  ce  que  la  pratique  des  bonnes  œu- 
vres peut  avoir  de  pénible.  Ce  sont  deux  vents  :  l'un  favorable,  qui 
nous  conduit  au  port;  l'autre  contraire,  qui  nous  pousse  contre 
des  écueils  et  dans  l'abîme. 

Le  péché  de  notre  premier  père  a  causé  dans  notre  ame  deux 
ravages  principaux  :  il  a  obscurci  notre  intelligence,  il  a  corrompu 
notre  volonté.  Aveugles  que  nous  sommes,  comment  verrons-nous 
ce  qui  est  utiie  à  notre  salut?  Devenus  faibles  et  impuissans  à  agir, 
comment  l'opérerons-nous  ?  Enseignez-moi  vos  voies ,  ô  mon  Dieu, 
et  daignez  m'y  diriger,  disait  un  Prophète1.  Ses  vœux  ont  été  exau- 
cés. Ce  que  le  premier  Adam  terrestre  avait  perdu ,  le  second  Adam 
tout  céleste  la  recouvré  2.  Les  ruines  du  genre  humain  dont  le 
premier  avait  couvert  la  terre,  le  second  les  répare,  et  il  en  con- 
struit l'édifice  de  sa  cité  sainte,  delà  Jérusalem  spirituelle.  La  grâce 
qu'il  nous  a  acquise  au  prix  de  son  sang  est  l'instrument  qu'il  em- 
ploie à  ce  grand  ouvrage.  Elle  est  un  rayon  lumineux  et  brûlant  de 
ce  soleil  de  vérité;  elle  entre  dans  notre  esprit,  et  l'éclairé;  elle  pé- 
nètre dans  notre  cœur,  et  l'embrase.  Par  sa  vive  clarté,  elle  nous 
fait  apercevoir  ce  que  nous  devons  aimer;  par  sa  chaleur  vivifiante, 
elle  nous  fait  chérir  ce  qu'elle  nous  a  appris  à  connaître. 

Divers  degrés  de  la  grâce. 

Toutes  les  grâces  divines  ont  le  même  objet ,  qui  est  de  nous 
faire  opérer  le  bien  dans  l'ordre  du  salut.  Toutes  sont  suffisantes 
pour  nous  faire  produire  leur  effet;  mais  toutes  ne  sont  pas  éga- 
lement fortes.  Il  en  est  de  divers  degrés,  que  Dieu  nous  distribue 
selon  les  vues  de  sa  sagesse.  Connaissant  notre  faiblesse,  notre 
déplorable  inclination  au  mal,  il  voit  que  par  notre  perversité 
nous  rendrons  insuffisans  les  secours  qui  pourraient,  qui  devraient 
nous  suffire.  A  ces  grâces  ordinaires  et  communes,  sa  miséricorde 
en  joint  d'autres,  choisies  et  plus  puissantes,  qui  répandent  dans 
l'esprit  de  plus  claires  lumières;  qui  donnent  à  la  volonté  de  plus 
fortes  impulsions;  qui  animent  le  cœur  de  sentimens  plus  vifs; 
qui  agissent  plus  efficacement  sur  nos  âmes,  et  produisent  in- 
failliblement leur  effet.  D'où  tirent-elles  leur  efficacité?  La  por- 
tent-elles dans  leur  nature?  Est-elle  le  résultat  de  la  coaptation, 

»  Tsal.,  \\\y,  4,  5.  —  a  i  Q0Tt)  xv,  47. 


DES    PRÉDICATEURS.  3oO, 

de  lattempération  que  Dieu  en  fait  à  nos  dispositions?  C'est  une 
question  qu'agitent,  et  sur  laquelle  disputent  les  écoles,  mais 
qu'il  nous  importe  peu  d'examiner.  Occupons-nous  de  celles  des 
propriétés  de  la  grâce  qui  nous  intéressent,  qui  sont  relatives 
à  nous  ,  et  dont  les  conséquences  morales  doivent  influer  sur 
notre  conduite. 

Nécessité  de  la  grâce. 

La  première  qualité  que  nous  devons  considérer  dans  la  grâce 
est  la  nécessité;  nécessité  positive,  absolue,  qui  n'est  pas  seule- 
ment une  nécessité  de  convenance;  nécessité  générale,  qui  n'est 
pas  bornée  à  quelques  hommes,  mais  qui  les  comprend  tous; 
qui  n'est  pas  restreinte  à  certaines  circonstauces,  mais  qui  s'é- 
tend à  tous  les  actes  de  la  vie  chrétienne,  quels  qu'ils  puissent 
être. 

En  vain  représenterons-nous  aux  regards  du  monde  des  vertus 
éclatantes,  des  actes  distingués  de  probité,  de  générosité,  de  bien- 
faisance; si  tout  cela  n'est  pas  marqué  du  sceau  de  la  grâce,  tout 
cela  est  dans  l'ordre  du  salut  comme  s'il  n'était  pas.  Ce  sont  des 
vertus  inutiles  pour  le  ciel,  des  œuvres  mortes  pour  l'éternité. 
Sans  la  rosée  salutaire  de  la  grâce,  l'homme  est  dans  le  champ  du 
Seigneur  un  arbre  stérile  qui  ne  porte  aucun  fruit  de  salut;  l'ame 
est  une  terre  desséchée,  aride  *,  qui  ne  peut  rien  produire  de  bon. 
En  vain ,  dit  le  Prophète-Roi ,  travaillerons-nous  à  élever  l'édifice 
de  notre  sanctification,  si  Dieu  ne  le  construit;  en  vain  veille- 
rons-nous pour  le  défendre,  si  Dieu  ne  daigne  s'en  faire  le  gar- 
dien2. Jérémie  reconnaît  que  la  vie  de  l'homme  n'est  pas  en  son 
pouvoir,  et  qu'il  ne  lui  appartient  point  de  diriger  ses  pas  5;  Jésus- 
Christ  nous  déclare  que  nul  ne  peut  venir  à  lui,  s'il  n'est  attiré 
par  le  Père  céleste  4.  L'Ecriture  nous  présente  un  emblème  bien 
frappant  de  cette  nécessité  du  secours  d'en  haut.  Celui  de  tous  les 
hommes  que  Dieu  ait  revêtu  de  la  plus  grande  force,  Samson,  ne 
pouvait  rien  que  par  l'assistance  divine.  S'il  déchire  un  lion  avec 
autant  de  facilité  qu'un  chevreau,  s'il  brise  les  vigoureux  liens 
dont  il  est  enchaîné  avec  autant  de  facilité  que  le  feu  consume  du 
lin,  s'il  détruit  lui  seul  un  nombre  de  Philistins,  c'est,  et  le  livre 
sacré  a  constamment  le  soin  de  le  faire  remarquer,  c'est  parce 
que  l'esprit  du  Seigneur  s'est  saisi  de  lui.  Et  quand,  par  son  im- 

1  Ps.  cxui,  6.  — 2  Ibid-,  cxxvi,  1.  — 3  Jerem.,  x,  2J>.  —  4  Joan.,  vi,  4i. 


3io  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

prudente  indiscrétion  ,  il  se  livre  au  pouvoir  de  ses  ennemis,  c'est 
parce  qu'il  ignore  que  le  Seigneur  s'est  retiré  de  lui  l.  Reconnais- 
sons humblement  cette  faiblesse  qui  ne  nous  permet  pas  de  nous 
élever  à  aucun  bien  de  l'ordre  spirituel ,  qui  nous  empêche  de  re- 
pousser de  nous  aucun  mal.  Reconnaissons  ce  bien  indispensable 
que  nous  avons  du  secours  divin  généralement,  absolument,  et 
sans  exception,  pour  quoi  que  ce  soit  de  relatif  au  salut.  Recon- 
naissons-en la  nécessité  pour  toutes  nos  actions.  Sans  Dieu  nous 
ne  pouvons  rien  faire  2.  Reconnaissons-en  la  nécessité  pour   nos 
prières.  Rien  de  plus  aisé,  à  ce  qu'il  semble,   que  de  prononcer 
le  doux  nom  de  Jésus;  et  l'Apôtre  nous  enseigne  que  nous  ne  le 
pouvons  que  par  le  Saint-Esprit3.  Reconnaissons-en  la  nécessité 
pour  les  actes  les  plus  intimes  de  notre  a  me.  Jusqu'à  nos  moindres 
pensées,  nous  sommes  impuissans  à  les    former  de  nous-mêmes; 
nous  n'avons  de  pouvoir  qu'à  l'aide  du  Seigneur  *.  Ce  ne  sont  pas 
là  des  systèmes,  des  opinions  ;  ce  sont  des  vérités  incontestables, 
des  dogmes  révélés,  dont  la  certitude  fondée  sur  la  parole  divine 
est  définie  par  l'Eglise. 

Qualités  de  la  grâce. 

Continuons  de  considérer  les  diverses  propriétés  de  la  grâce. 
Que  de  choses  admirables  et  incompréhensibles  elle  nous  pré- 
sente! Que  de  qualités  qui  semblent  inconciliables  elle  réunit! 
Que  d'clfets  divers  et  en  apparence  opposés  elle  produit,  et  quel- 
quefois par  un  seul  et  même  acte  !  La  grâce  est  à  la  fois  pleine  de 
force  et  de  douceur;  c'est  même  pour  l'ordinaire  sa  douceur  qui 
fait  sa  force.  Elle  estefficace,  et  entraîne  infailliblement  la  volonté; 
et  cependant  elle  laisse  à  la  volonté  sa  liberté  pleine  et  entière. 
Elle  est  un  don  purement  gratuit,  qui  pourtant  nous  est  promis. 
Eije  prévient  nos  vœux  et  nos  mérites,  quoique  nous  l'obtenions 
par  nos  prières  et  que  nous  l'acquérions  par  nos  œuvres.  Elle  di- 
rige et  réforme  nos  inclinations, en  s'y  accommodant.  Elle  agit 
quand  elle  veut;  mais  elle  saisit  les  temps  favorables.  Elle  est  pa- 
tiente, et  attend  le  pécheur  jusqu'à  la  fin  ;  mais  elle  se  lasse,  et 
l'abandonne  à  son  endurcissement.  Elle  est  infiniment  variée,  et 
clans  cette  diversité  de  formes  elle  tend  toujours  au  même  but, 
qui  est  de  nous  conduire  à  la  vie  éternelle. 


1  Jud.,  xiv,  6  ;  ibid.,  19  ;  ibid.,  xv,  14  ;  ibid.,  xvi,  20.  —  2  Job.,  Xv,  5.  — 3 1  Cor., 
vu,  13. —MI  Cor.,  in,4,  5. 


DES    PRÉDICATEURS.  3ll 

La  grâce  ne  détruit  pas  la  liberté. 

Mais  est-ce  que,  en  dirigeant  infailliblement  notre  volonté,  la 
grâce  lui  ôte  sa  liberté  ?  Loin  de  nous  cette  autre  erreur  aussi 
dangereuse,  aussi  criminelle,  aussi  funeste  que  l'erreur  opposée. 
Si,  avec  tous  les  souverains  pontifes  et  les  évêques  du  cinquième 
siècle,  nous  anathématisons  l'hérésie  pélagienne  qui  détruit  l'empire 
absolu  de  la  grâce,  nous  répétons  pareillement  les  anathèmes  pro- 
noncés par  le  concile  de  Trente  contre  les  hérésies  du  seizième 
siècle,  qui  anéantissent  la  liberté  en  soutenant  et  l'impuissance  de 
résister  à  la  grâce ,  et  la  perte  du  libre  arbitre  depuis  le  péché  du 
premier  homme  *  ;  anathèmes  dont  sont  frappés  avec  une  égale 
force  les  novateurs  plus  récens  qui ,  sous  des  expressions  un  peu 
différentes ,  renouvellent  les  mêmes  erreurs.  Non ,  celui  qui  nous 
donna  notre  liberté  ne  veut  pas  la  détruire.  L'Auteur  de  la  nature 
et  l'Auteur  de  la  grâce  ne  peuvent  pas  se  contredire.  Ce  qu'il  me 
révèle  et  ce  qu'il  me  fait  sentir  ne  sont  pas  en  opposition.  L'homme 
est  tombé  librement;  librement  il  doit  se  relever.  Sa  mauvaise  vo- 
lonté l'égara;  sa  bonne  volonté  doit  le  ramener.  Il  ne  fut  pas  né- 
cessité à  pécher  ;  il  ne  sera  pas  nécessité  à  se  convertir.  Il  n'y  a  pas 
de  grâce  si  faible  qu'avec  son  secours  nous  ne  puissions  opérer  le 
bien  :  il  n'y  en  a  pas  de  tellement  forte  que  malgré  elle  ne  nous 
puissions  faire  le  mal.  Notre  volonté,  sous  l'empire  de  la  grâce,  n'est 
pas  un  instrument  matériel,  purement  passif  et  sans  action,  qui 
suit  nécessairement  l'impulsion  qui  lui  est  donnée.  Je  suis  libre, 
ma  raison  me  le  démontre,  un  sentiment  plus  fort  que  la  raison 
m'en  donne  une  persuasion  plus  intime  ;  et  la  parole  de  Dieu,  plus 
certaine  encore  que  tout  cela,  me  le  révèle  et  m'interdit  tout 
doute.  Le  premier  péché  que  l'on  prétend  avoir  été  si  fatal  à  notre 
liberté  était  encore  tout  récent,  quand,  pour  prévenir  un  second 
crime,  Dieu  disait  à  Gain  :  Si  tu  fais  le  bien,  n'en  recevras-tu  pas 
la  récompense  ;  et  si  tu  nus  le  ma!,  la  peine  de  ton  péché  ne  sera- 
t-elle  pas  aussitôt  sur  toi?  Mais  la  concupiscence  qui  t'y  porte  sera 
sous  ton  empire,  et  tu  en  seras  le  maître2.  J'atteste  et  le  ciel  et  la 
terre ,  fait-il  dire  à  son  peuple  par  Moïse ,  que  je  vous  ai  proposé 
la  vie  ou  la  mort,  la  bénédiction  ou  la  malédiction.  Faites  donc 
choix  de  la  vie  3.  Et,  après  avoir  mis  Israël  en  possession  de  la 
terre  qu'il  lui  avait  promise,  il  lui  fait  de  nouveau  offrir  par  Josué 

1  Conc.  Trid.  sess.,  v,  can.  5.  — â  Gen.,  »,  7.  —  3  Deut.,  xxx,  19, 


3l2  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

l'option  entre  son  service  et  le  culte  des  dieux  étrangers  *.  Inspiré 
par  i'Esprit-Saint,  le  sage  fils  de  Sirach  déclare  que  dès  le  com- 
mencement Dieu  a  remis  l'homme  entre  les  mains  de  son  propre 
conseil.  Il  a  ajouté  des  préceptes  qui  conserveront  l'ame  si  elle  veut 
les  observer.  Il  a  posé  devant  l'homme  l'eau  et  le  feu ,  afin  qu'il 
mette  la  main  à  celui  qu'il  lui  plaira.  La  vie  et  la  mort,  le  bien  et 
le  mal  sont  devant  nous.  Ce  qui  nous  aura  plu  sera  la  règle  de  ce 
qui  nous  sera  donné  -,  Le  grand  apôtre  de  la  grâce,  qui  en  a  si 
nettement  établi  la  nécessité  et  la  puissance  suprême,  établit  aussi 
fortement  le  concours  de  la  liberté.  S'il  reconnaît  que  c'est  par  la 
grâce  qu'il  est  devenu  tout  ce  qu'il  est,  il  ajoute  aussitôt  que  cette 
grâce  n'est  pas  restée  vaine  en  lui;  mais  qu'il  a  travaillé  abondam- 
ment, non  pas  lui  seul ,  mais  la  grâce  de  Dieu  avec  lui  3.  Il  exhorte 
ses  disciples  de  Corinthe  à  ne  pas  recevoir  en  vain  la  grâce  4.  Il 
recommande  à  ceux  de  Thessalonique  de  ne  pas  laisser  éteindre 
en  eux  l'esprit  de  Dieu  5.  Ne  savez-vous  pas,  dit-il  aux  Romains, 
que,  quel  que  soit  celui  à  qui  vous  vous  êtes  soumis,  vous  êtes 
réellement  esclaves  de  celui  à  qui  vous  obéissez,  soit  du  péché, 
pour  y  trouver  la  mort,  soit  de  la  loi ,  pour  former  votre  justice  G? 
S'il  est  impossible  de  résister  à  la  grâce,  si  la  grâce  et  la  con- 
cupiscence sont  comme  deux  poids  placés  dans  les  bassins  d'une 
balance,  dont  le  plus  fort  entraîne  physiquement  et  nécessaire- 
ment l'autre,  que  les  novateurs  de  ces  derniers  siècles,  qui  présen- 
tent ces  assertions  comme  des  dogmes,  répondent  à  ce  raisonne- 
ment de  saint  Augustin.  Voici  deux  hommes  placés  dans  les  mêmes 
circonstances,  absolument  semblables,  également  inclinés  au  vice, 
également  assistés  de  la  grâce.  Comment  arrive-t-il  que  l'un  fasse 
le  bien  et  l'autre  le  mal?  N'est-il  pas  évident  que  la  différence  entre 
eux  consiste  dans  l'usage  différent  qu'ils  font  de  leur  liberté  ?  L'un 
veut  correspondre  à  la  grâce,  l'autre  lui  résister.  Justes,  qui  vous  affli- 
gez de  vous  être  quelquefois  refusés  à  la  grâce  ;  pénitens,  qui  vous 
accusez  de  l'avoir  tant  de  fois  combattue,  d'après  nos  novateurs 
vous  êtes  bien  insensés  de  vous  reprocher  des  résistances  auxquelles 
vous  étiez  nécessités?  Quel  peut  être  votre  tort  d'avoir  fait  ce  que 
vous  étiez  dans  l'impuissance  de  ne  pas  faire  ?  Et  Dieu  même,  quelle 
idée  s'en  forment  et  nous  en  donnent  les  auteurs  de  ces  systèmes? 
C'est  une  contradiction  de  donner  des  préceptes  dont  l'observation 
est  rendue  impossible.  Les  reproches  si  souvent  répétés  dans  les 


1  Jos.,  xxiv,  H,  Il  —  aEccli.,  xv,  14,  18.  — 3 1  Cor.,  xv,  10.— 4  IICor.,vr,  1. 
—  3 1  Thés,,  y,  19.  —  «  Rom.  vi,  16. 


DES    PRÉDICATEURS.  3  I  3 

livres  saints  à  ceux  qui  repoussent  la  grâce1,  sont  manifestement 
des  injustices  et  même  des  absurdités  ,  s'ils  ont  été  forcés  à  la  re- 
pousser. La  punition  de  péchés  rendus  nécessaires  est  une  évidente 
barbarie.  Une  grâce  nécessitante  n'est  ni  adaptée  à  la  nature  hu- 
maine,  ni  conforme  à  la  Providence  divine. 

Mystère  de  l'accord  entre  la  grâce  et  la  liberté. 

Tels  sont  les  deux  dogmes  sacrés,  incontestables,  qu'il  ne  nous 
est  pas  permis  de  séparer,  quoiqu'il  ne  nous  soit  pas  accordé  de 
les  concilier.  Souverain  Seigneur  des  actions  humaines,  Dieu  en 
dispose  absolument  selon  son  bon  plaisir;  et  cependant  il  nous 
donne  la  liberté  d'en  user  autrement.  Il  s'assujétit  notre  volonté, 
mais  ne  la  captive  pas;  la  rend  obéissante,  mais  non  esclave  :  en  la 
soumettant  à  son  empire,  il  lui  laisse  le  pouvoir  de  se  révolter. 
Il  obtient  tout  de  nous  avec  une  infaillible  certitude,  quoique  nous 
soyons  les  maîtres  de  tout  lui  refuser.  Sa  puissance  suprême  incline 
nos  cœurs  comme  elle  veut,  et  en  même  temps  c'est  nous  qui  les 
inclinons  2.  La  docilité  à  la  grâce  est  elle-même  un  don  de  la  grâce, 
mais  un  don  qui  renferme  une  libre  obéissance  à  la  grâce.  Dieu 
régit  notre  volonté;  mais  il  la  régit  en  Dieu,  c'est-à-dire  par  des 
moyens  qui  excèdent  nos  conceptions  bornées.  Faibles  mortels  , 
nous  ne  sommes  capables  de  faire  exécuter  nos  volontés  qu'à  ce 
qui  est  hors  d'état  de  nous  résister.  Il  n'appartient  qu'à  la  puis- 
sance infinie  de  dominer  avec  un  empire  également  absolu,  de 
diriger  par  une  impulsion  également  certaine  ce  qui  a  un  pouvoir 
entier  de  résistance,  et  ce  qui  en  est  incapable.  Il  n'appartient 
qu'à  la  sagesse  infinie  d'employer  des  moyens  qui  assurent  in- 
failliblement l'efficacité  de  son  opération ,  en  conservant  dans 
son  intégrité  les  droits  de  la  liberté  humaine,  et  de  laisser 
notre  cœur  pleinement  libre  sous  l'action  d'une  grâce  qui  pro- 
duit jusqu'à  ses  affections.  Raison  présomptueuse,  qui  prétends 
rabaisser  à  ta  portée  la  hauteur  infinie  des  décrets  divins ,  hu- 
milie-toi devant  des  vérités  qu'il  test  ordonné  de  croire  et  in- 
terdit de  comprendre.  Celui  qui  dirige  tous  tes  pas  ne  t'accorde 
pas  la  connaissance  de  ses  voies  3.  La  grâce  est  toute  puissante, 
et  notre  volonté  toujours  libre.  Ces  deux  dogmes  partent  de  la 
Divinité  qui  les  révèle;  mais  le  nœud  qui  les  unit  reste  caché  dans 

1  Prov.  i,  24;  Malt.,  ixm,  37  ;  Act.  vu,  51  ;  Rom.,  x,  31,  el  alibi  passim.—  2  III 
Reg.  vin,  58,  61.  —  »  Prov.  xx,  24. 


3l4  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

les  profondeurs  divines  ,  où  il  ne  nous  est  pas  accordé  de  pénétrer. 
Ce  sont  deux  rayons  qui ,  du  soleil  de  vérité,  découlent  sur  nous 
pour  éclairer  notre  route  et  diriger  notre  marche.  Mais  si  nous 
entreprenons  de  diriger  nos  regards  vers  le  centre  étincelant  où 
ils  se  réunissent,  éblouis  de  son  éclat,  nos  faibles  yeux  sont 
aussitôt  forcés  de  se  rabaisser  vers  la  terre. 

La  grâce  nous  prévient. 

Puisque  la  grâce  ne  vient  point  de  nos  mérites  ,  elle  les  prévient; 
si  elle  les  prévient,  elle  les  fait  naître;  n'en  étant  pas  l'effet,  elle 
en  est  la  cause.  Le  dogme  de  la  grâce  préventive  est  une  consé- 
quence nécessaire  du  dogme  de  la  grâce  gratuite.  Telle  est  notre 
déplorable  impuissance  à  tout  bien,  que  nous  ne  pouvons  aller  à 
Dieu  ,  si  lui-même  ne  vient  à  nous  et  ne  nous  amène  à  lui  com- 
me par  la  main.  Nous  ne  le  cherchons  que  parce  qu'il  nous  a 
recherchés.  Nous  ne  retournons  à  lui  par  la  pénitence  qu'après 
qu'il  nous  a  convertis  1.  Je  t'ai  chéri  d'une  éternelle  charité,  nous 
dit-il,  c'est  pour  cela  que  je  t'ai  attiré  à  moi  dans  ma  miséricorde2. 

La  grâce  s'oblient. 

La  grâce  prévient  spontanément  nos  vœux  et  nos  mérites;  nous 
devons  croire  fermement  cette  vérité.  Mais  en  même  temps  nous 
ne  pouvons  pas  douter  qu'elle  ne  soit  l'effet  de  nos  prières  et 
la  récompense  de  nos  bonnes  couvres.  Pour  concilier  ces  deux 
points  de  la  foi  chrétienne,  considérons  que,  de  même  que  la 
bonté  divine  nous  accorde  des  grâces  de  différens  degrés,  de 
même  la  sagesse  suprême  observe  dans  leur  distribution  un  or- 
dre et  une  succession.  Les  dons  célestes  se  suivent  et  s'enchaî- 
nent ;  le  bon  usage  des  uns  attire  les  autres.  La  première  impul- 
sion qui  est  donnée  à  notre  cœur,  et  qui  l'excite  à  désirer  le  bien, 
ne  peut  pas  avoir  été  méritée,  puisqu'elle  précède  tout  mérite. 
Mais  si,  nous  laissant  aller  à  ce  pieux  mouvement,  le  secondant 
même  par  nos  efforts,  nous  concevons  le  désir  de  plaire  à  Dieu 
par  l'observation  de  ses  commandemens,  cette  correspondance  à 
la  première  grâce  en  fait  descendre  sur  nous  de  plus  puissantes , 
qui  se  multiplient  et  s'accroissent  sans  cesse  à  mesure  que  nous  y 
répondons  avec  fidélité  3.  Ainsi  dans  la  voie  sainte  nous  marchons 

*  Jerem.,  xxxi,  18;  19,  —  *  lbid  ,  5,  «->  3  Prov.  îv,  9. 


DES    PRÉDICATEURS.  3  I  5 

de  vertus  en  vertus  K  Celui  qui  a  commencé  notre  bonne  œuvre 
la  perfectionne  de  jour  en  jour,  jusqu'à  ce  qu'il  la  couronne  dans 
le  grand  jour  de  Jésus-Christ  2. 

La  grâce  accordée  aux  prières. 

Le  premier  moyen  d'obtenir  les  grâces  est  de  les  demander.  En- 
tre la  prière  et  la  grâce  il  y  a  une  relation  intime.  La  grâce,  com- 
me nous  l'avons  vu,  nous  inspire  la  volonté  de  prier  et  nous 
communique  la  force  de  bien  prier.  Mais  ensuite  notre  prière, 
animée  par  la  grâce,  nous  obtient  d'autres  grâces  plus  puissantes, 
qui  donnent  à  l'intelligence  des  lumières  plus  claires,  à  la  vo- 
lonté de  plus  vives  impulsions, au  cœur  dessentimens  plus  tendres. 
La  grâce,  dit  le  célèbre  concile  d'Orange,  nous  est  nécessaire 
pour  implorer  la  grâce;  et  réciproquement  la  demande  de  la 
grâce  est  indispensable  pour  obtenir  les  grâces  plus  efficaces  dont 
nous  avons  besoin.  Serait-il  de  la  dignité  et  de  la  justice  de  Dieu 
d'accorder  ses  grâces  privilégiées  à  celui  qui  ne  les  demande  pas? 
Il  convenait  au  suprême  domaine  du  Créateur  que  nous  ne  pus- 
sions rien  ,pas  même  l'invoquer  sans  son  secours.  Mais  il  était  en 
même  temps  digne  de  sa  bonté,  en  nous  rendant  son  assistance 
nécessaire,  de  nous  donner  un  moyen  de  l'obtenir.  Ce  moyen 
certain  est  la  prière.  Nos  prières  sont  des  traits  qui  atteignent 
infailliblement  son  but,  et  qui  ne  rentrent  dans  la  main  qui  les 
lance  que  chargés  de  la  proie  qu'ils  lui  procurent.  Nos  supplica- 
tions,  comme  autrefois  celle  d'Ëlie,  ouvrent  le  ciel  et  en  font 
descendre  la  rosée  céleste.  Ils  connaissaient  la  vertu  puissante  de 
la  prière,  ils  en  avaient  fait  l'heureuse  expérience,  ces  saints  per- 
sonnages inspirés  de  l'Esprit  divin,  qui  reconnaissaient  que  c'était 
à  leurs  vœux  et  à  leurs  instances  qu'ils  devaient  tout  ce  qu'ils  pos- 
sédaient de  sagesse  3.  Le  divin  Rédempteur  ne  s'est  pas  contenté 
de  nous  mériter  la  grâce  par  ses  souffrances;  il  nous  a  donné  par  ses 
préceptes  le  moyen  de  l'obtenir,  et  de  nous  rendre  propres  ses  mé- 
rites. Demandez,  ordonne- t-il,  et  il  vous  sera  accordé  ;  cherchez, 
et  vous  trouverez;  frappez,  et  il  vous  sera  ouvert.  Car  quiconque 
demande  obtient,  celui  qui  cherche  trouve,  et  on  ouvre  à  celui 
qui  frappe.  Mon  Père,  du  haut  du  ciel,  donnera  son  excellent  es- 
prit à  ceux  qui  le  lui  demanderont  '*. 


1  Psal.,  lxxxui,  8.  — 2  Philippe  i,  6.r-3  Sap. ,  vu,  7;  ibid,,  vm,  21.  — 4  Luc, 
Xi,  9,  10,  13, 


3l6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

La  grâce  accordée  aux  bonnes  œuvres. 

La  seconde  manière  d'attirer  sur  nous  l'abondance  des  grâces, 
c'est  d'en  profiter.  Dieu  se  présente  à  la  porte  de  votre  cœur  ;  il  y 
frappe  par  sa  grâce.  Si  vous  écoutez  sa  voix  qui  vous  appelle,  si 
vous  lui  ouvrez,   il  entrera  dans  vous  *  :  il  y  entrera  accompagné 
de  toutes  ses  bénédictions,  dont  il  remplira  votre  ame.   Le  trésor 
en  est  immense;  et  il  promet  son  amitié  à  ceux  qui  savent  se  ren- 
dre recommanclables  à  ses  yeux  par  l'usage  qu'ils  font  des  dons 
de  sa  bienfaisance2.  Il  y  a  peu  de  vérités  plus  fréquemment  répé- 
tées  dans  les  livres  saints,  comme  il  n'y  en  a  point  de  plus  fé- 
condes en  bonnes  œuvres  que  ce  principe  fondamental  de  la  con- 
duite chrétienne.  Faisons  des  grâces  l'emploi  pour  lequel   Dieu 
nous  les  accorde,  et  nous  en  acquerrons   de  nouvelles  3.  Saint 
Paul  môme,  qui  établit  si  positivement  l'absolue  gratuité  de  la 
grâce,  semble  regarder  comme  une  dette  plus  que  comme  un  don, 
comme  une  justice  plus  que  comme  une  bienfaisance  ,  cette  récom- 
pense que  Dieu  daigne  nous  accorder  de  notre  correspondance 
à  ses  grâces4.  Condamnons  donc  avec  l'Eglise  ces  désespérantes 
assertions,  que  Dieu  refuse  sa  grâce  à  celui  qui  fait  ce  qui  est  en 
son  pouvoir,  et  que,  selon  les  forces  de  l'humanité,  il  y  a  des  pré- 
ceptes dont  l'observation  est  impossible  aux  justes,  malgré  leur 
volonté  et  leurs  efforts ,  la  grâce  qui  rendrait  ces  commandemens 
praticables  leur  manquant.  Il  n'y  a  pas  de  grâce,  quelque  faible 
qu'elle  soit ,  qui  ne  puisse  attirer  des  grâces  plus  puissantes  ;  il  n'y 
a  pas  de  bonne   œuvre,  quelque  légère  qu'elle  paraisse,   qui  ne 
les  attire,  C'est  souvent  à  de  bien  petits  efforts  de  notre  part  qu'est 
attachée  l'abondance  des  dons  célestes.  Un  léger   sacrifice  d'inté- 
rêt, le  retranchement  d'une  vanité  mondaine,  la  fuite  d'une  occa- 
sion agréable,  mais  dangereuse,  la  privation  d'un  plaisir,  une  vio- 
lence faite  à  l'humeur,  ont  été  très  souvent  le  principe  de  grâces 
puissantes  et  multipliées,  et  la  première  cause  du  salut. 

Grâces  accordées  aux  pécheurs. 

Ce  n'est  pas  encore  assez  pour  la  bonté  divine  de  nous  accorder 
ses  grâces  lorsque  nous  les  méritons,  et  de  les  proportionner  aux 

1  Apoc,  m,  10.—  a  Sap.,  vu,  14,  —  sProv.  xii,  2;  Sap.,   v,   15;  Eccli.,  xliii, 
37,  et  alibi  passim.  —  4  Rom.,  iv,  4  ;  Hebr.,  vi,  10. 


DES    PRÉDICATEURS.  3lJ 

efforts  que  nous  faisons  pour  les  mériter.  Ce  n'est  là  en  quelque 
sorte  qu'une  bonté  humaine.  Ne  nous  plaisons-nous  pas,  quelque  ver- 
tueux que  nous  soyons ,  à  répandre  nos  bienfaits  sur  ceux  qui  les 
reconnaissent  et  qui  cherchent  à  nous  plaire  ?  Ce  qui  caractérise 
la  munificence  divine,  et  qui  ne  peut  appartenir  qu'à  elle,  c'est 
d'offrir  ses  dons  à  ceux  qui  ne  les  méritent  pas  ;  de  ne  pas  cesser 
de  les  offrir  à  ceux  qui  s'obstinent  à  les  refuser;  de  multiplier  ses 
instances  à  mesure  qu'ils  renouvellent  leurs  outrages.  Faibles  créa- 
tures ,  notre  patience,  qui  n'a  d'autre  étendue  que  la  petitesse 
de  notre  cœur  ,  est  bientôt  à  bout.  Celle  de  Dieu  a  pour  mesure 
la  grandeur  de  Dieu  même,  et  n'a  de  bornes  que  sa  justice.  Pé- 
cheurs, quelque  éloignés  que  vous  soyez  de  Dieu,  il  attend  que 
vous  reveniez  à  lui  l.  Sa  patience  n'est  pas  une  longanimité  inerte 
et  oisive.  Non  seulement  il  vous  tend  les  bras  pour  vous  recevoir, 
mais  il  vous  invite,  il  vous  sollicite,  il  vous  presse  d'y  revenir. 
Ce  tendre  père  de  famille  qui,  après  avoir  hâté  par  ses  vœux  le 
retour  de  son  fils  prodigue ,  se  jette  à  son  cou  aussitôt  qu'il  le 
revoit,  et  le  rétablit  dans  tous  ses  droits;  ce  bon  pasteur  qui 
court  dans  le  désert  après  la  brebis  égarée ,  et  la  rapporte  joyeux 
au  bercail,  ne  sont  que  de  faibles  emblèmes  de  cette  bonté 
patiente  à  la  fois  et  active,  qui  ne  cesse  de  vous  rechercher 
et  de  vous  présenter  les  motifs,  de  vous  donner  les  moyens  de 
rentrer  en  grâce  avec  elle.  Elle  vous  poursuivra  de  ses  bienfaits 
jusqu'au  dernier  moment  de  votre  vie;  et  les  années  de  la  miséri- 
corde ne  finiront  que  lorsque  commenceront  les  siècles  de  la 
justice. 

Conséquences  morales  des  dogmes  de  la  grâce. 

Ce  n'est  pas  assez  de  connaître  ce  que  la  grâce  fait  pour  nous. 
Ce  qui  est  infiniment  plus  important,  c'est  de  considérer  ce  que 
nous  devons  faire  pour  elle,  de  le  bien  savoir,  de  nous  en  péné- 
trer. Nous  ne  présenterons  pas  au  tribunal  suprême  la  connais- 
sance que  nous  aurons  eue  de  la  grâce,  mais  l'usage  que  nous  en 
aurons  fait.  Sortons  donc  maintenant  d'une  spéculation  qui  reste- 
rait inutile  si  elle  ne  nous  conduisait  à  une  pratique  salutaire. 

Rapprochons  les  divines  propriétés  de  la  grâce  que  nous  ve- 
nons  d'examiner,  des  conséquences  morales  qu'il  est  nécessaire 

*Is.,  xxx,  -3. 


3i8  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

d'en  lirer  pour   diriger  notre  conduite  ;  et  dans  les  dogmes  de  la 
grâce,  voyons  nos  devoirs  envers  la  grâce. 

Sans  la  grâce  nous  ne  pouvons  rien  :  il  faut  nous  en  humilier. 
Avec  la  grâce  nous  pouvons  tout  :  il  faut  la  désirer.  La  grâce  est 
un  bienfait  gratuit  :  il  faut  en  être  reconnaissant.  La  grâce  est 
promise  :  il  faut  y  avoir  confiance.  La  grâce  est  obtenue  par  les 
prières  :  il  faut  l'implorer.  La  grâce  est  accordée  aux  bonnes  œu- 
vres :  il  faut  la  mériter.  La  grâce  ne  détruit  pas  la  liberté  :  il  faut 
y  coopérer.  La  grâce  saisit  les  occasions  favorables  :  il  faut  en 
profiter  avec  soin.  La  grâce  se  lasse  enfin  de  nous  attendre  :  il  faut 
craindre  de  la  perdre. 

Humilité. 

Entre  le  dogme  de  la  nécessité  de  la  grâce  et  le  précepte  de  l'hu- 
milité ,  il  y  a  une  correspondance  intime  ,  et  l'Apôtre  nous  la  rend 
bien  sensible.  Qu'est-ce  qui  vous  distingue?  nous  dit-il.  Que  possé- 
dez-vous que  vous  ne  l'ayez  reçu?  Et  puisque  vous  l'avez  reçu, 
comment  pouvez-vous  vous  en  glorifier  comme  d'un  bien  qui  vous 
serait  propre  1  ?  Peut-il  être  infecté  d'orgueil  celui  que  le  besoin 
continuel  d'un  secours  supérieur  rappelle  sans  cesse  à  la  persua- 
sion de  sa  faiblesse  et  au  sentiment  de  son  impuissance?  L'humi- 
lité, cette  vertu  fondamentale  de  la  vie  chrétienne,  si  fréquem- 
ment, si  fortement  prescrite  par  Jésus-Christ,  est  à  la  fois  et  l'ef- 
fet et  le  principe  de  la  grâce.  Elle  en  est  l'effet,  et  parce  que  c'est 
la  grâce  qui  la  donne,  et  parce  que  c'est  la  foi  de  la  grâce  qui  en 
fait  sentir  la  nécessité.  Elle  en  est  le  principe  :  le  chef  des  Apôtres 
nous  enseigne  que  Dieu  résiste  aux  superbes  ,  et  que  c'est  aux 
humbles  qu'il  accorde  sa  grâce  2. 

Désir. 

Nous  désirons  essentiellement  notre  bonheur  :  nous  devons 
donc  désirer  ardemment  ce  qui  est  le  moyen  de  parvenir  à  un 
bonheur  sans  mesure  et  sans  terme  ;  le  moyen  nécessaire  sans  le- 
quel nous  sommes  incapables  de  l'atteindre;  le  moyen  efficace  avec 
lequel  il  est  en  notre  pouvoir  de  l'acquérir.  Le  bien  principal,  le 
bien  souverain  du  temps  est  évidemment  celui  qui  nous  procure 
le  bien  de  l'éternité.  La  grâce  doit  donc  être,  si  nous  sommes  non 

*  I  Cor.,  iv,  7.  —  *  I,  Petr.,  y,  5, 


DES    PRÉDICATEURS.  3lO, 

seulement  religieux,  mais  seulement  raisonnables,  l'objet  de  nos 
vœux  les  plus  ardens.  Le  guerrier  dans  les  combats  désire  d'être 
fortifié  d'un  secours  qui  lui  donne  la  victoire.  Si  notre  vie  est  une 
guerre  continuelle,  et  l'Esprit-Saint  nous  le  certifie  *,  nous  devons 
soupirer  après  le  secours  tout  puissant  qui  nous  communiquera 
une  force  triomphatrice. 

Reconnaissance. 

Maître  absolu  de  ses  dons,  Dieu  ne  nous  en  doit  aucun. 
Grâces  donc,  grâces  continuelles  au  ^Seigneur,  de  son  ineffable 
don  2.  Nous  rougirions  d'être  ingrats  envers  nos  semblables  du 
plus  léger  bienfait.  De  quelle  reconnaissance  nos  cœurs  ne  doi- 
vent-ils pas  être  inondés  pour  le  plus  précieux  des  biens  que  no- 
tre Créateur  plein  de  munificence  daigne  nous  accorder,  non 
seulement  sans  que  nous  l'ayons  mérité,  mais  lors  même  que 
nous  nous  en  rendions  indignes  !  C'est  le  maître  outragé  qui 
tend  les  bras  à  l'esclave  rebelle.  C'est  un  Dieu  dont  la  sainteté  ab- 
horre le  péché  et  dont  la  miséricorde  recherche  le  pécheur.  Quelle 
stupide,  quelle  honteuse  insensibilité  est  la  nôtre,  si  nous  ne 
sommes  pas  touchés  d'une  aussi  immense  bonté  ! 

Confiance. 

Assurés  par  les  promesses  de  l'éternelle  vérité  que  là  grâce  ne 
nous  manquera  pas,  nous  devons  prendre  dans  ce  secours  tout 
puissant  une  entière  confiance  3.  Loin  de  nous  toute  pusillanimité» 
Quelque  faible  que  soit  ma  nature,  quelque  emportées  que  soient 
mes  passions,  quelque  séduisantes  que  soient  mes  tentations,  sftr 
de  la  grâce,  je  suis  certain  de  pouvoir,  ou  persévérer  dans  les  voies 
de  la  justice  ou  y  rentrer.  Soutenu  par  la  main  divine,  je  ne  vois 
plus  de  sacrifice  qui  m'étonne,  d'effort  qui  me  coûte,  d'obstacle 
qui  m'arrête.  Courage  donc  pécheurs,  qui  ne  vous  sentez  pas  la 
force  de  vous  soustraire  aux  illusions  du  monde.  C'est  Dieu  qui 
vous  arrachera  à  ces  tentations4.  Courage,  âmes  timides,  qui 
craignez  d'entrer  en  combat  avec  les  ennemis  intérieurs  et  exté- 
rieurs  du  salut.  Vous  ne  combattrez  pas  seuls.  Dieu  est  avec  vous, 
comme  un  puissant  guerrier  :  il  abattra  devant  vous  les  ennemis 

*  Job.,  vit,  1.  —  2  Corinth.,  ne,  15.  —  *  I  Petr.,  i,  13.  ■—  *  Ps.,  xyu,  30, 


320  NOUVELLE    BlBLlOïJifcQUE 

qui  vous  attaquent  *  Marchez,  comme  David,  au  nom  du  Dieu 
des  armées  :  comme  lui  vous  triompherez  du  fier  géant  qui  me- 
nace le  camp  d'Israël. 

Demande. 

Dieu  désire  nous  accorder  ses  grâces  :  il  daigne  nous  les  pro- 
mettre. Mais  il  veut  que  nous  les  lui  demandions  :  et  c'est  encore 
un  de  ses  bienfaits  d'établir  entre  lui  et  nous  cette  communication 
de  prières  et  de  grâces  :  de  prières  qui  de  nous  s'élèvent  jusqu'à 
lui;  de  grâces  qui  de  lui  descendent  sur  nous.  Justes,  adressez- 
vous  donc,  comme  saint  Paul,  avec  une  sainte  confiance,  à  ce  trône 
de  bienfaisance  ,  vous  y  trouverez,  vous  y  obtiendrez  les  secours 
nécessaires  à  votre  persévérance2.  Pécheurs,  demandez  avec  David 
au  Dieu  de  votre  salut  la  grâce  de  votre  conversion  3.  Hommes  de 
tout  état,  implorez  l'assistance  de  cette  main  tutélaire  qui  vous  di- 
rigera, vous  retiendra,  vous  soutiendra,  vous  défendra  dans  les 
voies  de  la  sanctification. 

Coopération. 

Mais  jamais  nos  vœux  n'attireront  la  grâce,  si  nos  actions  la  re- 
poussent. Ce  don  céleste,  qui  est  la  cause  de  nos  efforts,  en  est 
aussi  la  récompense.  Les  premières  grâces  ne  nous  furent  accor- 
dées que  pour  nous  en  faire  mériter  de  plus  abondantes.  Nous  ne 
sommes  nés  à  la  grâce  que  pour  y  croître  4.  Ainsi  le  grand  Apô- 
tre, oubliant  ce  qu'il  laisse  derrière  lui ,  et  s'avancant  continuelle- 
ment vers  ce  qu'il  aperçoit  devant  lui,  poursuit  sa  carrière  de 
grâces  en  grâces,  et  de  mérites  en  mérites,  pour  atteindre  le  prix 
auquel  le  destine  la  vocation  de  Jésus-Christ  5«  Tels  ont  été  tous 
les  saints.  C'est  aux  grâces  dont  ils  ont  été  comblés  qu'ils  doivent 
là  félicité  dont  ils  jouissent  ;  mais  ce  furent  à  leurs  bonnes  œuvres 
qu'ils  durent  l'abondance  des  grâces.  Ce  qu'ils  furent,  nous  le  som- 
mes ;  ce  qu'ils  purent ,  nous  le  pouvons  ;  ce  qu'ils  méritèrent  d'obte- 
nir, nous  sommes  comme  eux  les  maîtres  de  nous  le  procurer.  Fai- 
sons donc  les  mêmes  efforts,  ils  obtiendront  les  mêmes  succès  ; 
opérons  les  mêmes  œuvres ,  elles  obtiendront  le  même  prix  ;  mar- 
chons sur  les  mêmes  traces,  elles  nous  conduiront  au  même 
terme. 

1  Jercm.,  xx,  11.  — 8Hebr.,  iy,  16.  —  3Ps.  ixxxiv,  5.  — *II  Petr.,   m,   18.— 
«Philipp.,  in,  13,  14. 


DES    IRÉDICATEUnS.  ^21 

Mériter  la  grâce  est  nécessaire  pour  l'obtenir;  mais  la  grâce  elle- 
même  nous  en  facilite  le  moyen.  Il  suffit  de  lui  être  fidèle,  de  cé- 
der à  son  impulsion  ,   d'employer  la  force  qu'elle   communique, 
de  coopérer  avec  elle  au  bien  auquel  elle  excite,  pour  lequel  elle 
aide,  qu'elle  opère  elle-même.   C'est  pour  nous  procurer  le  mé- 
rite de  cette  coopération  que,  par  une  disposition  incompréhen- 
sible à  nos  faibles  conceptions  ,  en  dirigeant  infailliblement  notre 
volonté,  elle  lui  laisse  toute  sa  liberté.  Usons-en  comme  elle  nous 
inspire  d'en  user  :  voilà  tout  ce  qu'elle  exige  pour  nous  enrichir 
de  grâces  nouvelles.  Trouverons-nous  trop  pesant  un  joug  qu'elle 
allège  de  sa  force  suprême,    en  le  supportant  avec  nous  ?  Re- 
garderons-nous comme  pénible   une   marche  dans  laquelle  elle 
nous  soutient',    et  en  quelque   sorte   nous  porte  ?  Elle  ne  nous 
demande  de  faire  pour  elle  que  ce  qu'elle  fait  pour  nous  la  pre- 
mière.   Incapables    de  la  prévenir,  au  moins  secondons-la.  Im- 
puissans  au   bien  sans  elle  ,  concourons-y  du   moins  avec  elle* 
(  Le  G.  de  La  Luzerne  ,  Considérations  sur  divers  points  de   la 
Morale  chrétienne .) 


T,    III.  21 


322  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 


DIVERS  PASSAGES  DE  L'ÉCRITURE  SUR  LA  GRACE. 


Vocabis  me,  et  ego  respondebo  tibi. 

Vous  m'appellerez,  et  je  vous  répondrai.  (Job.,  14,  1.5,) 

Ipsi  fuerunt  rebelles  lumini. 

Ils  ont  été  rebelles  à  la  lumière.  (Idem,  i/±  ,  3.) 

Vocavi,  et  non  erat  qui  audiret. 

J'ai  appelé ,  et  personne  ne  m'a  écouté.  (  ls.,  5o ,  i.  ) 
F  Vocavi  vos ,  et  non  respondistis. 

Je   vous   ai  appelés  sans  que  vous   m'ayez  répondu.  (Je'r.,  y, 
i3.) 

Hodie  si  vocem  ejus  audieritis ,  nolite  obdurare  corda  vestra. 

Si  vous  entendez  aujourd'hui  la  voix  du  Seigneur,  gardez-vous 
bien  d'endurcir  vos  cœurs.  (  Ps.,  94,  8.) 

Venite  ad  me     omnes  qui  laboratis  et  onerati  estis ;  et  ego  refi- 
ciatn  vos. 

Venez  à  moi ,  vous  tous  qui  êtes  fatigués  et  chargés,  et  je  vous 
soulagerai.  (Math.,  11,  28.) 

Nemo  potesl  venue  ad  me,  nisijuerit  ei  datum  a  Pâtre  meo. 

Personne  ne  peut  venir  à  moi,  s'il  ne  ne  lui  est  donné  par  mon 
Père.  [Idem. ,  6 ,  66.  ) 

Sine  me  nihil  potestis  facere. 

Sans  moi  vous  ne  pouvez  rien  faire,  (Joan.,  i5,  5.  ) 

F  os  semper  Spiritui  Sancto  résistais. 

Vous  résistez  toujours  au  Saint-Esprit.  (  Jet.,  y,  5i.  ) 

Non  volentis ,  neque  currentis  ,  sed  miserentis  est  Dei. 

Cela  ne  dépend  point  de  celui  qui  veut,  ni  de  celui  qui  court, 
mais  de  Dieu  qui  fait  miséricorde.  (  Rom.,  9.  ) 

Nemo  potest  dicere  Dominus  Jésus ,  nisiin  Spiritu  Sancto. 

Personne  ne  peut  dire  que  Jésus-Christ  est  le  Seigneur,  si  ce 
n'est  pas  le  Saint-Esprit.  (/.  Cor.,  12,  3.) 

Abundantius  illis  omnibus  laboravi',  non  ego  autem^  sed  gratia 
Dei  mecum. 

J'ai  travaillé   plus  que  tous  les  autres ,  non  pas  moi  toutefois , 
mais  la  grâce  de  Dieu  avec  moi.  (  Idem.,  i5 ,  10.) 

Eochortamur  vos  ne  in  vacuum  gratiam  Dei  recipiatis. 


DES    PRÉDICATEURS,  3a3 

Nous  vons  exhortons  à  ne  point  recevoir  en  vain  la  grâce  de 
Dieu.  (//.  Cor.,  6,  i.) 

Deus  est  qui  opëraturin  vobis ,  et  velle  et  perficere  pro  bona  vo~ 
luntate. 

C'est  Dieu  qui  opère  en  vous  le  vouloir  et  le  faire,  selon  son  bon 
plaisir.  (Ibid.,i}  i3.  ) 

Omnia  possum  in  eo  qui  me  confortât. 

Je  puis  tout  en  celui  qui  me  fortifie.  (Philipp.  4,3.) 

Deus  omîtes  homines  vult  salvos  fieri ,  et  ad  agnitionem  veritatis 
venire. 

Dieu  veut  que  tous  les  hommes  soient  sauvés,  et  qu'ils  viennent 
à  la  connaissance  de  la  vérité.  (7.  77/72.,  2,4-) 

Vocavit  (iws  Deus)  -vocatione  sua  sancta  ,  non  secundum  opéra 
*  nostra  ,  sed  secundum  propositum  suum  et  gratiam,  quœ  data  est 
nobis  in  Christo  Jesu. 

Dieu  nous  a  appelés  par  sa  vocation  sainte,  non  selon  nos  œu- 
vres, mais  selon  le  décret  de  sa  volonté,  et  selon  la  grâce  qui  nous 
est  donnée  en  Jésus-Christ.  (//.  Tim.    1,9.) 

Contemplantes  ne  quis  desit  gratiœ  Dei. 

Prenez  garde  que  quelqu'un  ne  manque  à  la  grâce  de  Dieu. 
(  Heb.,  12,  i5.) 

Ego  sto  ad  ostium  et  pulso  ;  si  quis  audierit  vocem  meam  ,  et 
apcruerit  mihi  janiiam^  intrabo  ad  illum. 

Je  suis  à  la  porte,  et  je  heurte  5  si  quelqu'un  entend  ma  voix 
et  m'ouvre  la  porte,  j'entrerai  chez  lui.  (  Jpoc.}  3,  20.) 


1  imin   uni. 


31. 


3<>/î  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 


PLAN  ET  OBJET  DU  PREMIER  DISCOURS 

SUR  LA  GRACE, 


EXORDE. 


Respondit  Jésus,  el  dixlt  et  :  Si  scires  donum  Dei. 
Jésus-Chrisl  lui  répondit  :  Si  vous  connaissiez  le  don  de  Dieu.  (Jean,  ch.  1.) 

Ce  don  de  Dieu  que  ne  connaissait  pas  encore  cette  femme  Sama- 
ritaine dont  il  est  parlé  dans  notre  Evangile  ,  et  que  le  Sauveur  des 
hommes  lui  fit  connaître,  c'est,  selon  tous  les  Pères  de  l'Eglise 
et  tous  les  interprètes  de  l'Ecriture,  la  grâce  même  de  Jésus- 
Christ.  Cette  grâce  sans  laquelle  nous  ne  pouvons  rien,  et  avec  la- 
quelle nous  pouvons  tout  ;  cette  grâce,  par  où,  comme  dit  l'Apôtre , 
nous  sommes  tout  ce  que  nous  sommes,  si  nous  sommes  quelque 
chose  devant  Dieu;  cette  grâce  qui  nous  éclaire,  qui  nous  attire, 
qui  nous  persuade,  qui  nous  convertit;  cette  grâce  qui  nous  porte 
au  hien  et  qui  nous  éloigne  du  péché;  cette  grâce  qui  nous  met 
en  état  de  gagner  le  ciel  et  d'y  parvenir;  cette  grâce  qui  opère  en 
nous  et  avec  nous  tout  ce  que  nous  faisons  pour  Dieu,  et  qui, 
dans  l'ordre  du  salut,  nous  donne  par  son  efficace,  non  seulement 
le  pouvoir,  mais  la  volonté  et  l'action  :  voilà,  clis-je ,  mes  chers 
auditeurs,  l'excellent  don  qu'il  nous  est  si  important  à  nous-mê- 
mes de  bien  connaître.  Don  parfait,  qui  nous  vient  d'en  haut  et 
qui  descend  du  Père  des  lumières.  Don  au  dessus  de  tous  les  dons 
de  la  nature,  et  auprès  duquel  saint  Paul  regardait  comme  de  la 
boue  tous  les  dons  de  la  fortune.  Don  des  dons,  que  Jésus-Christ 
seul  a  pu  nous  mériter,  et  que  nous  recevons  de  la  miséricorde 
infinie  de  Dieu. 

Cependant,  par  une  ignorance  grossière, nous  ne  le  connaissons 
pas;  et,  par  une  ingratitude  encore  plus  criminelle,  nous  ne  pre- 
nons pas  soin  de  le  connaître.  De  là  vient  que  si  souvent  nous  le 
recevons  en  vain;  et  que,  bien  loin  de  nous  en  servir  pour  glori- 
fier Dieu,  et  pour  nous  sanctifier  nous-mêmes,  nous  en  abusons 


DES    PREDICATEURS.  3s5 

jusqu'à  nous  pervertir  nous-mêmes  et  à  mépriser  Dieu.  Car  c'est 
pour  cela  que  Jésus-Christ  nous  dit  comme  à  la  Samaritaine  :  Si  sci- 
resdonum  Dei  *•  si  vous  connaissiez  le  don  de  Dieu.  Tâchons  donc 
aujourd'hui,  Chrétiens,  à  nous  en  former  une  juste  idée.  Entrons 
dans  ce  trésor  immense  des  miséricordes  divines.  Mesurons-en , 
s'il  est  possible,  et  la  hauteur  et  la  profondeur;  et  puisque  Marie 
en  a  reçu  la  plénitude,  pour  parler  utilement  delà  grâce,  im- 
plorons le  secours  du  Saint-Esprit  par  l'intercession  de  cette  mère 
de  grâce,  en  lui  adressant  les  paroles  de  l'Ange  :  Ave,  Maria. 

Disposer  tout  avec  douceur,  et  tout  exécuter  avec  force,  ce  sont 
les  deux  excellentes  propriétés  que  l'Ecriture  attribue  à  la  sagesse. 
Mais  il  n'y  a,  dit  saint  Augustin,  que  la  sagesse  de  Dieu  à  qui  ces 
deux  propriétés  conviennent  tout  à  la  fois  dans  le  degré  de  perfec- 
tion qui  nous  est  exprimé  par  ses  paroles  :  Sapientia  attingit  a  fine 
usque  ad  jinem  fortiter,  et  disponit  omnia  suaviter  2.  En  effet,  la  sa- 
gesse des  hommes,  étant  aussi  bornée  qu'elle  est,  se  trouve  sujette 
à  deux  défauts  tout  contraires.  Est-elle  douce  dans  sa  conduite,  il 
est  à  craindre  qu'elle  ne  devienne  faible  dans  l'exécution.  Est-elle 
efficace  et  ferme  dans  l'exécution,  il  y  a  danger  qu'elle  ne  soit  dure 
dans  sa  conduite.  Sa  douceur ,  quand  elle  prédomine,  se  tourne 
en  mollesse,  et  sa  force  dégénère  en  un  excès  de  sévérité.  Mais  il 
n'appartient  qu'à  la  gagesse  de  Dieu  de  réunir  parfaitement  ces 
deux  vertu»,  ce  semble,  si  opposées.  Car  elle  a  seule  l'avantage , 
non  seulement  de  ne  séparer  jamais  la  douceur  de  la  force,  mais 
de  trouver  la  force  dans  sa  douceur,  et,  par  un  secret  inconnu  à 
tout  autre  qu'à  elle,  de  faire  consister  sa  force  dans  sa  douceur 
même.  Or,  ce  que  l'Ecriture  nous  dit  de  la  sagesse  de  Dieu,  je  puis 
le  dire  également  de  la  grâce,  puisque  la  grâce  dont  je  parle  n'a- 
git en  nous  que  comme  l'instrument  de  cette  sagesse  souveraine, 
qui  est  en  Dieu  la  cause  principale  de  notre  salut. 

Et  voilà,  Chrétiens,  l'idée  la  plus  justeque  je  puisse  vous  donner 
delà  grâce  de  Jésus-Christ  :  en  voilà  les  deux  caractères,  douceur 
et  force.  Douceur  de  la  grâce,  dans  la  manière  engageante  dont 
elle  dispose  le  pécheur  à  sa  conversion.  Force  delà  grâce,  dans  les 
étonnantes  victoires  qu'elle  remporte  sur  le  pécheur  au  moment  de 
sa  conversion.  Or,  sans  chercher  d'autre  preuve  ,  il  me  suffit  de 
vous  proposer  pour  exemple  de  l'un  et  l'autre  cette  femme  de  no- 
tre Evangile:  car,  vous  verrez  d'abord  quelle  fut  l'aimable  conduite 
de  la  grâce  pour  gagner  le  cœur  de  cette  pécheresse.  Vous  jugerez 

•  Jean,  4,  —  *  Sap.,  8. 


3^6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

ensuite  quel  lui  le  merveilleux  pouvoir  de  la  grâce,  par  l'admirable 
changement  qu'elle  opéra  dans  le  cœur  de  eetle  pécheresse  :  Altin- 
gît  a  fine  usque  ad  finem  fortiter,  et  disponit  omnia  suavité/'. 
La  grâce  de  Jésus-Christ  employanttous  les  charmes  de  sa  douceur 
pour  convertir  la  Samaritaine:  ce  sera  la  première  partie.  La  grâce 
de  Jésus-Christ,  par  son  efficace  et  par  sa  force,  convertissant  en 
effet  la  Samaritaine,  et,  de  l'abîme  du  péché  où  elle  était  plongée, 
l'élevant  tout  à  coupau  comble  de  la  sainteté:  ce  sera  la  seconde 
partie  ;  l'une  et  l'autre  renferment  tout  mon  dessein  ,  et  vont  faire 
le  partage  de  ce  discours.  (Boukdaloue  ,  Sur  la  Grâce.) 

Nécessité  de  la  grâce. 

De  même  qu'une  terre  desséchée  ne  peut  produire  aucun  fruit, 
tant  qu'elle  n'est  point  arrosée  par  les  pluies  bienfaisantes  du  ciel, 
de  même  nous  ne  saurions  porter  des  fruits  de  vie,  nous  ne  sau- 
rions rien  faire  pour  le  salut,  si  Dieu  ne  nous  envoyait  d'en  haut 
cette  pluie  salutaire  qui  rend  la  vie  à  notre  volonté. 

Gédéon  considérait  sans  doute  les  merveilleux  effets  de  la  grâce 
divine,  lorsque,  les  yeux  fixés  sur  cette  toison  qui  était  l'image  du 
peuple,  et  qui  était  entièrement  desséchée,  quoiqu'elle  eût  été 
couverte  de  la  roséedu  ciel  un  instant  auparavant,  ilannoncaàce 
même  peuple  que  bientôt  il  serait  desséché  comme  cette  toison , 
c'est-à-dire  qu'il  serait  privé  de  l'Esprit-Saint  que  Dieu  lui  avait 
envoyé. 

Nous  avons  donc  absolument  besoin  de  cette  rosée  de  la  grâce, 
pour  n'être  point  à  la  fin  entièrement  consumés  par  la  chaleur; et 
pour  n'être  point  réduits  à  une  honteuse  stérilité.  Prions  Dieu  de 
nous  l'accorder  avec  effusion  :  efforçons-nous  de  notre  côté  de  ne 
point  mettre  d'obstacles  à  ses  effets,  et  quand  nous  l'avons  reçue, 
conservons-la  comme  le  plus  précieux  des  trésors.  (Saint  Irénée, 
Contre  les  hérétiques.) 

Nécessité  de  la  grâce  pour  connaître  Dieu. 

Quanta  la  difficulté  que  l'homme  éprouve  d'arriver  delui-même 
à  la  connaissance  de  la  vérité,  Celse  nous  renvoie  à  Platon,  et  cite 
cette  pensée  de  son  livre  intitulé  Timée  :  «  11  est  bien  difficile  à 
«  l'homme  de  trouver  l'architecte,  le  père  d'un  si  grand  ouvrage; 
«  mais  il  est  impossible  de  le  faire  connaître  à  tous  les  hommes.  » 


DES    PRÉDICATEURS.  327 

Je  sens  tout  ce  que  ces  paroles  ont  de  force  et  de  sublimite. 
Mais  voyez,  je  vous  prie,  si  nos  divines  Ecritures  ne  nous  en- 
seignent pas  une  vérité  mieux  appropriée  aux  besoins  de  l'hu- 
manité, lorsqu'elles  nous  disent  que  le  Verbe  de  Dieu,  qui  était 
en  Dieu  au  commencement,  s'est  fait  chair  pour  venir  apprendre 
à  tous  les  hommes  ce  que,  selon  Platon,  il  serait  impossible  de  leur 
apprendre,  supposé  que  l'on  pût  soi-même  arriver  à  le  connaître. 

Nous  le  disons  donc  :  oui,  la  nature  humaine  ne  peut,  livrée  à 
elle  seule  ,ni  chercher  Dieu  comme  il  faut,  ni  le  trouver  ;  il  faut 
qu'elle  soit  aidée  dans  ses  recherches  par  celui  même  qui  en  est 
l'objet  :  et  ce  Dieu  ne  se  découvre  qu'à  ceux  qui,  après  avoir  fait 
tout  ce  qui  dépendait  d'eux,  confessent  qu'ils  ne  peuvent  rien  sans 
lui  ;  qu'à  ceux  enfin  à  qui  la  justice  lui  semble  exiger  qu'il  se  décou- 
vre, et  se  fasse  connaître  autant  qu'un  Dieu  peut  se  faire  connaître 
à  des  hommes.  Comme  vous ,  philosophes,  nous  reconnaissons  que 
l'essence  de  Dieu  est  ineffable  ;  comme  vous,  nous  savons  qu'il  est 
difficile  aux  faibles  regards  de  l'homme  de  découvrir  le  Créateur 
de  tout  ce  monde  qui  nous  environne  :  mais  si,  ne  disant  point 
avec  vous  que  l'on  peut  former  dans  son  esprit  l'idée  de  Dieu  des 
idées  de  tous  les  autres  objets  qui  sont  la  matière  de  nos  connais- 
sances, et  parla  s'approcher  en  quelque  sorte  du  souverain  bien, 
nous  adorons  le  Verbe  de  Dieu,  qui  a  dit  :  «  Personne  ne  peut 
«  connaître  le  Père,  si  ce  n'est  le  Fils  et  celui  à  qui  le  Fils  aura  voulu 
«  le  révéler  *.  »  Ainsi  Dieu,  selon  nous,  ne  peut  être  connu  sans  une 
grâce  divine,  sans  un  bienfait  spécial  de  Dieu.  Sans  ce  secours 
surnaturel,  nous  le  disons,  et  nous  le  disons  sans  restriction,  la 
connaissance  de  Dieu  surpasse  infiniment  les  forces  de  notre  nature; 
et ,  sans  la  grâce,  non  seulement  nous  ne  pouvons  arriver  à  cette 
connaissance  parfaite  que  nous  en  donne  le  Verbe,  nous  ne  pou- 
vons pas  même  trouver  dans  nos  idées  rien  qui  puisse  nous  en 
donner  la  moindre  notion.  (Origène,  Contre  Celse.) 

Nécessité  efficace  el  influence  de  la  grâce. 

«  Je  suis  la  vraie  vigne ,  et  mon  Père  est  le  vigneron  ,  le  labou- 
reur 2.  »  On  croit  que  sur  le  chemin  de  la  montagne  des  Olives  il  se 
trouvait  beaucoup  de  vignes ,  qui  donnèrent  lieu  au  Sauveur  de 
dire  ces  paroles.  Nous  devons  apprendre  par  cet  exemple  et  par 
les  autres  de  même  nature  à  nous  servir  de  tous  les  objets  qui  se 

1  Matth.  xi,  !*._—  2  Joan.,  xv,  i. 


328  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE 

présentent,  pour  nous  élever  à  Dieu  et  par  ce  moyen  sanctifier, 
pour  ainsi  parler,  toute  la  nature. 

Nous  avons  ici  à  considérer  trois  choses  :1a  vigne  ou  la  tige, 
qui  est  Jésus-Christ;  les  branches  de  la  vigne,  c'est-à-dire  les  fidè- 
les ;  et  le  laboureur,  qui  est  le  Père  éternel.  Les  deux  premières 
choses  nous  font  sentir  combien  nous  sommes  unis  à  Jésus-Christ, 
et  le  besoin  extrême  que  nous  avons  de  cette  union. 

Notre  union  avec  Jésus-Christ  présuppose,  premièrement,  une 
même  nature  entre  lui  et  nous  ,  comme  les  branches  de  la  vigne 
sont  de  même  nature  que  la  tige.  Il  fallait  donc  que  Jésus-Christ 
fût  de  même  nature  que  nous  :  ce  qui  aussi  fait  dire  à  saint  Augus- 
tin  qu'il  a  prononcé  ces  paroles  selon  qu'il  est  homme. 

Elles  présupposent,  secondement,  une  intime  union  entre  lui 
et  nous,  jusqu'à  faire  un  même  corps  avec  lui ,  comme  le  sarment 
et  les  branches  de  la  vigne  font  un  même  corps  avec  la  tige. 

Elles  présupposent,  en  troisième  lieu,  une  influence  intérieure 
de  Jésus-Christ  sur  nous,  telle  qu'est  celle  de  la  tige  sur  les  bran- 
ches qui  en  tirent  tout  le  suc,  dont  elles  sont  nourries. 

De  là  suit  une  extrême  dépendance  de  tous  les  fidèles  à  l'égard 
de  Jésus-Christ.  Comme  les  branches  sécheraient  et  périraient  sans 
ressource,  et  ne  seraient  plus  propres  que  pour  le  feu ,  sans. le  suc 
qu'elles  tirent  continuellement  de  la  tige,  il  en  serait  de  même  de 
nous,  si  nous  ne  recevions  continuellement  de  Jésus-Christ  la  grâce 
qui  nous  fait  vivre. 

Remarquons  donc  bien  qu'il  ne  suffit  pas  que  Jésus-Christ 
nous  enseigne  par  sa  parole  et  par  ses  exemples,  mais  encore  que 
nous  avons  besoin  de  la  continuelle  influence  de  sa  grâce ,  sans 
laquelle  nous  péririons. 

Combien,  d'un  côté,  devons-nous  avoir  de  joie,  d'être  unis  si  in- 
timement à  Jésus-Christ;  et  de  l'autre,  quelle  doit  être  notre  hu- 
milité dans  le  besoin  continuel  que  nous  avons  de  la  grâce! 

Elle  ne  pouvait  être  mieux  marquée  que  par  le  besoin  que 
les  membres  ont  de  leur  chef,  ou,  ce  qui  est  de  même  nature, 
par  celui  que  les  branches  ont  de  leur  tige.  Car  un  seul  moment 
d'interruption  d'une  influence  si  nécessaire  les  ferait  mourir. 

Entrons  donc  dansla  pratique  de  ce  commandement  du  Sauveur: 
Demeurez  en  moi ,  et  mol  en  vous  ;  comme  la  branche  ne  peut  porter 
du  fruit,  il  en  est  de  même  de  vous  :  vous  ne  pourrez  rien  faire 
sans  moi^, 

1  Joan.,  xv,  4,  5. 


DES     I  INDICATEURS.  329 

Fous  tic  pouvez  rien  faire,  rien  du  tout;  vous  ne  pouvez  porter 
le  moindre  fruit,  ni  pousser  par  conséquent  la  moindre  (leur;  parce 
que  la  fleur  n'est  que  le  commencement  du  fruit.  Il  avait  dit  que 
le  laboureur  purgerait  le  plant  qui  porte  du  fruit ,  afin  qu'il  en  por- 
tât davantage  K  Mais,  de  peur  que  nous  ne  crussions  que  nous 
ne  devions  à  sa  grâce  que  l'abondance  des  fruits,  à  cause  qu'il 
avait  dit  que  la  plante  serait  purgée  pour  porter  beaucoup,  il 
ajoute  :  Vous  ne  pouvez  porter  de  fruit ,  si  vous  ne  demeurez  en 
moi,  et  encore  plus  précisément:  Fous  ne  pouvez  rien  sans  moi: 
Vous  ne  pouvez  commencer  le  bien,  loin  que  vous  le  puissiez 
achever.  Personne  ne  peut  rien  penser  de  soi-même  2  :  personne  ne 
peut  prononcer  le  nom  du  Seigneur  Jésus  que  par  le  Saint-Esprit  r> , 
ni  avoir  le  Saint-Esprit  que  par  Jésus-Christ  qui  doit  l'envoyer, 
comme  il  le  dira  dans  la  suite.  Et  non  seulement  l'envoyer  au  de- 
hors, mais  encore  au  dedans,  selon  ce  que  dit  saint  Paul  que  tous 
les  membres  unis  ensemble  :  doivent  l  accroissement  par  tous  les 
vaisseaux  et  par  toutes  les  liaisons  qui  portent  et  communiquent  la 
nourriture  et  la  vie*.  Chacun  selon  sa  mesure  :  ce  que  le  môme 
Apôtre  attribue  ailleurs  à  la  distribution  de  la  grâce  du  Saint-Es- 
prit, qui  partage  ses  dons  à  chacun  ,  selon  quil  lui  plaît  <\ 

Tenons-nous  dans  une  grande  dépendance,  à  chaque  instant, 
à  chaque  action. 

C'est  par  la  foi  qu'on  tire  le  suc  de  cette  divine  racine  :  tenons- 
nous  toujours  dans  la  foi. 

Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie  doit  être  notre  cher  objet,  et  le 
moyen  le  plus  efficace  de  s'unir  à  lui  comme  à  celui  sans  lequel 
on  ne  peut  rien,  de  qui  on  tire  tout  le  bon  suc  de  la  grâce,  la 
vraie  nourriture  de  Famé. 

Mais  voici  le  comble  delà  ie.  C'est  que  la  racine  n'aime  pas 
moins  sa  vie  que  les  branches  à  la  recevoir.  Le  chef  est  fait  pour 
se  communiquer,  et  Jésus-Ci  mt  pour  se  donner  à  nous.  Les  uns 
sont  apôtres,  les  autres  docteurs  &\  mais  tout  cela  est  pour  les 
membres,  outre  que  le  chef  influe  par  lui-même. 

Approchez-vous  de  lui ,  et  recevez  la  lumière ,  et  vos  visages  ne 
seront  jamais  chargés  de  confusion  7. 

La  confusion  est  pour  ceux  qui  s'éloignent  de  Jésus;  parce  que 
laissés  à  eux-mêmes  ils  sèchent,  ils  meurent ,  ils  ne  sont  que  fai- 
blesse et  péché. 


*  Joan.,  xv,  2.  —  2  II  Cor.,  in,  5.  —  3 1  Ccr.,    xn,  o.  —  *  Eplics.,    iv,  \G, 
Cor.,  xn,  W,  15.  —  c  lbid.,  28.  —  7  Ps.  xxxin,  G. 


33o  NOUVELLE    BIBLIOT  ;      Q\j£ 

Si  la  vigne,  si  les  membres  du  co  Mivaient  sentir  ce  qu'ils 

doivent  à  la  racine  et  au  chef,  ils  St  en  continuelles  actions 

de  grâces.  Rendons  grâces  au  Seignr  tre  Dieu.  Saint  Paul  ne 

nous  prêche  que  l'action  de  grâces.  ]  foi,  la  prière,  l'action  de 
grâces,  c'est  le  principe,  c'est  le  moyen,  c'est  le  fruit  de  notre 
union  avec  Jésus-Christ.  (  Bossuet,  Méditations  sur  l'Evangile.) 

La  grâce  ne  nécessite  pas  les  aclions. 

C'est  en  vain  que  l'homme,  abandonné  à  lui-même  et  à  ses 
seules  forces ,  met  la  main  à  l'œuvre  pour  réprimer  ses  affections 
désordonnées,  pour  les  réduire  au  silence,  et  rétablir  le  calme  et 
la  tranquillité  dans  son  ame.  Tout  son  zèle  ,  tous  ses  efforts  sont 
inutiles;  mais  si  au  désir  violent  qu'il  éprouve  d'arriver  à  ce  but, 
au  soin  et  à  la  vigilance  avec  lesquels  il  y  travaille  ,  vient  se  joindre 
encore  le  secours  de  la  grâce  de  Dieu  ,  il  est  bientôt  au  comble  de 
tous  ses  vœux  ;  car  Dieu  est  toujours  prêt  à  venir  au  secours  des 
âmes  qui  veulent  opérer  leur  salut.  Si,  au  contraire,  celte  ardeur 
vient  à  cesser;  si,  après  avoir  fait  un  pas  en  avant,  il  s'arrête  et 
même  recule,  il  ne  tarde  point  à  perdre  la  grâce  que  Dieu  lui 
avait  donnée.  Sauver  une  ame  malgré  elle  ne  convient  qu'à  celui 
qui  use  de  violence;  mais  la  sauver  sans  lui  ravir  sa  liberté,  c'est 
l'effet  d'une  indulgence  paternelle.  C'est  ainsi  que  notre  Dieu 
veut  en  agir  toujours  avec  ses  enfans  ;  il  veut,  en  les  aidant  à  bien 
faire,  leur  conserverie  mérite  d'avoir  bien  fait,  afin  de  pouvoir 
dans  les  cieux  couronner  leurs  méri  es,  tout  en  couronnant  ses 
dons.  (Saint  Clément  d'Alexandrie,  Quel  riche  sera  sauvé  PHom.) 

Il  est  de  noire  sagesse  d'observer  les  occasions  de  la  grâce  el  de  ne  pas  les  manquer 

Quel  est  pour  nous  le  point  capital  et  la  grande  maxime  de  la 
sagesse  chrétienne?  retenez-la  bien,  mes  chers  auditeurs,  et  ne 
l'oubliez  jamais.  C'est  d'observer  avec  soin  les  occasions,  et  de  ne 
les  pas  manquer.  Car,  combien  de  choses  dont  vous  ne  voyez  pas 
les  conséquences  et  qui  vous  semblent  venir  du  hasard  sont  au- 
tant de  moyens  que  Dieu  a  choisis  pour  vous  retirer  du  monde, 
et  dont  peut-être  il  lui  a  plu  de  faire  i V'pendre  votre  prédestina- 
tion même  :  par  exemple,  l'engagem  i  que  vous  avez  avec  ce 
serviteur  de  Dieu,  ce  livre  de  piété  c  vous  goûtez,  ce  sermon 
édifiant  et  convaincant  que  vous  ente  2z,  cette  mort  subite  qui 
qui  vous  effraie,  cette  perte  de  biens  ni  vous  afflige,  cette  dis- 
grâce qui  vous  humilie,  cette  infirmité  qui,  malgré  vous,  vous 


LES     PREDICATEURS. 


33 


réduit  à  mener  une  vie  réglée,  et  vous  empêche  de  vous  livrer 
aux  mêmes  excès.  Si  les  desseins  de  Dieu  vous  étaient  pleinement 
connus,  et  que  vous  sussiez  que  c'est  à  cela  qu'il  a  voulu  atta- 
cher votre  salut,  ne  les  ménageriez-vous  pas,  ces  occasions  si 
importantes?  Or,  vous  n'en  savez  que  trop,  pour  y  adorer  au 
moins  les  conseils  secrets  de  cette  Providence  toute  paternelle 
qui  vous  gouverne;  et  si  vous  n'en  savez  pas  davantage,  c'est  ce 
qui  vous  oblige  encore  à  vivre  dans  une  dépendance  plus  absolue 
de  cette  grâce,  en  qui  vous  vous  confiez.  Mais  si  cet  une  occa- 
sion de  salut,  me  direz-vous,  et  que  Dieu  y  ait  attaché  la  grâce 
de  ma  conversion,  il  est  sûr  que  je  me  convertirai.  Je  le  veux, 
Chrétiens  ;  mais  il  est  sûr  que  vous  ne  vous  convertirez  jamais 
sans  un  bon  usage  de  cette  grâce  et  de  l'occasion  où  elle  vous 
est  préparée.  Car,  de  quelque  nature  que  soit  cette  grâce,  il  est  de 
la  foi  que  son  effet  ne  peut  être  séparé  de  votre  fidélité;  et  de 
quelque  manière  qu'elle  agisse,  il  en  faut  toujours  revenir  aux 
deux  paroles  du  Sauveur  des  hommes  :  Vigilate  et  orate  l  ;  veil- 
lez et  priez.  Priez,  parce  que  vous  ne  pouvez  rien  sans  la  grâce; 
et  veillez,  parce  que  la  grâce,  toute  puissante  qu'elle  est,  ne  fait 
rien  sans  vous.  Priez,  afin  qu'il  y  ait  pour  vous  un  temps  et  un 
jour  de  salut;  et  veillez,  afin  que  ce  jour  de  salut  ne  vous  échappe 
pas.  Voilà  en  deux  mots  les  deux  points  fixes  et  tout  le  précis  de 
la  théologie  d'un  Chrétien.  Poursuivons. 

J'ajoute  que  la  grâce  qui  opère  notre  conversion,  quelque  inté- 
rêt que  nous  ayons  à  la  rechercher,  est  toujours  la  première  à 
nous  prévenir;  et  c'est,  dans  la  doctrine  des  Pères,  ce  qu'elle  a 
de  plus  essentiel.  Car,  si  je  la  pouvais  prévenir,  dès  là  elle  ne  serait 
plus  grâce,  parce  qu'elle  supposerait  en  nous  le  mérite  de  l'avoir 
prévenue.  Je  sais  que  nous  pouvons,  quoique  pécheurs,  chercher 
Dieu  par  la  grâce,  et  le  trouver.  Mais,  reprend  saint  Bernard, 
nous  ne  chercherions  jamais  Dieu  par  la  grâce  si  Dieu,  par  une 
autre  grâce,  ne  nous  avait  lui-même  cherchés  :  Nisi  enini prius 
quœsita,  et  non  quœreres ,  sicut  nec  eligeres  nisi  electa  2.  Or,  c'est 
ce  qui  paraît  sensiblement  dans  la  conversion  de  cette  femme  de 
Sainarie.  Le  Fils  de  Dieu  n'attend  pas  qu'elle  fasse  quelque  avance 
pour  venir  à  lui  :  il  l'aborde,  il  lui  parle,  il  l'engage,  sans  qu'elle 
y  pense,  dans  un  entretien  qui  doit  être  le  principe  de  son  salut, 
Tel  est  le  mystère  et  le  prodige  tout  en:  nble  de  la  charité  de  mon 
Dieu,  de  vouloir  bien  prévenir  lui-r       e  des  pécheurs,  c'est- à- 

1  Maiih.,  2G.  —  2  Bernard. 


àô2  NOUVELLE     BIBLIOTHÈQUE 

dire,  de  vouloir  bien  rechercher  lui-même  de  viles  créatures;  de 
vouloir  bien  appeler  lui-même  des  aines  ingrates  et  rebelles,  des 
aines  criminelles  et  dignes  de  toutes  ses  vengeances,  des  âmes  fai- 
bles et  inconstantes,  dont  peut-être  il  prévoit  les  infidélités  et  les 
rechutes:  de  les  rechercher,  dis-je,  et  d'aller  an  devant  d'elles,   ! 
dans  un  temps  où  elles  ne  pensent  point  à  lui;  je  dis  plus  ,  dans  un  ! 
temps  où  elles  s  éloignent  de  lui,  où  elles  se  soulèvent  contre  lui , 
ou  même  elles  ont  en  quelque  sorte  horreur  de  lui.  Ah  !  Seigneur     I 
puis-je  m'écrier   ici,    touché  du  sentiment  de  saint  Bernard,  et 
en  m'appliquant  ce  dogme  de  notre  religion  si  opposé  au  pélagia- 
msme  :  ah  î  Seigneur,  est  ,       pnc  vrai  que,  tout  aimable  que  vous 
êtes,  je  ne  puis  de  moi-m       2  vous  aimer,  et  que  ma  misère  aille 
encore  jusqu'à  ne  pouvoir         rer  d'être  aimé  de  vous,  si  vous  n'ex- 
citez en  moi  ce  désir?  Est-         tic  vrai  que,  tout  Dieu  que  vous  êtes, 
vous  soyez  dans  la  nécessit       e  faire  les  premières  démarches  pom- 
me réconcilier  avec  vous,  ou  de  m' avoir  éternellement  pour  en- 
nemi? Ne  serait-ce  pas  assez  que  vous  fussiez  disposé  à  me  rece- 
voir? Mais  du  moins,  ô  non   Dieu,  puisque  vous  voulez  bien 
commencer,  ne  répondrai-je  point  à  votre  amour?  Ajouterai- je  à 
l'impuissance  malheureuse  de  vous  prévenir  le  crime  impardon- 
nable de  ne  vous  pas  seconder?  Non,  Seigneur,  et  vous  me  faites 
trop  bien  comprendre  ce  que  je  vous  dois,  pour  que  mon  cœur 
demeure  dans  une  si  mortelle  indifférence.  Puisqu'il  est  de  l'hon- 
neur de  votre  grâce  que  ce  soit  elle  qui  me  recherche,  je  veux 
bien  me  soumettre  à  cette  loi.  Oui,  mon  Dieu,  je  veux  bien  m'hu- 
milier  dans  cette  vue  ;  je  veux  bien  reconnaître  devant  vous  ma 
faiblesse,  et  me  confondre  dans  la  pensée  que  de  moi-même  je  ne 
puis  faire  un  pas  pour  aller  à  vous;  et  qu'avec  toutes  vos  perfec- 
tions, je  ne  puis  vous   aimer  si  vous  ne  m'aimez,  et  si  vous  ne 
m'aimez  avant  que  je  vous  aime.  Mais  du  reste,  Seigneur,  ce  sera 
pour  moi  un  puissant  motif  de  reconnaissance  et  de  fidélité;  et  le 
souvenir   de  votre  infinie  miséricorde   en  nie  cherchant  malgré 
toute  mon  indignité,  en  me  prévenant,  et  en  me  remettant  dans 
vos  voies,  m'attachera  désormais  à  vous  d'un  lien  si  étroit,  que 
la  nature,  que  la  passion,  que  le  monde  avec  tous  ses  charmes, que 
rien,  quoique  ce  puisse  être,  ne  le  pourra  rompre.  Tel  est  le  fruit 
que  l'ame  chrétienne  doit  tirer  de  ce  point  de  foi  utilement  et  so- 
lidement médité. 

Mais  encore  comment  est-ce  que  la  grâce  nous  prévient?  est-ce 
avec  autorité  et  avec  empire?  non,  dit  le  Prophète  royal,  mais 
par  des  bénédictions  de  douceur  :  Prœvenisti  cum  in  benedictionU 


DES    PRÉDICAlEUUS.  ??33 

lus dulcedinis  '.Car,  si  el!c  nous  prévient,  c'est  en  nous  deman- 
dant ce  qu'elle  veut  obtenir  de  nous;  et  en  cela,  remarque  saint 
Prosper,  consiste   la  différence   de  la   grâce  et  de  la  loi;  la    loi 
commande,  et  la  grâce  invite;  la  loi  menace,  et  la  grâce  attire;  la 
loi  contraint,  et  la  grâce  engage.  Or,    c'est   ce  mélange  de  la   loi 
et  de  la  grâce  qui  fait  tout  le   mystère  de  l'aimable  et  souveraine 
domination  de  Dieu  sur  nos  cœurs.  11  ne  tenait  qu'au  Sauveur  du 
monde  d'user   de  tout  son  pouvoir,  et  d'obliger  la  Samaritaine  à 
lui  rendre  d'abord  et  sans  réplique  une  obéissance  forcée;  mais, 
parce  que  c'est  sa   grâce  qui  agit  en  elle,  il  veut  qu'elle  obéisse, 
non  seulement  sans  répugnance,  mais  avec  joie  et  avec  amour.  Par 
où  donc  commence-t-il?  il  la  prie  de  l'écouter  et  de  le  croire  :  Mil- 
lier ^   crecle  miJii^.  Car,  quoique  Dieu,  par  l'efficace  de  sa  grâce, 
soit  maître  de  nos  volontés,  et  qu'il  puisse,  comme  il  lui  plaît,  dis- 
poser de  nous,  il  n'en  dispose  néanmoins  qu'avec  réserve ,  et,  si 
j'ose  me  servir  du  terme  de  l'Ecriture,  qu'avec  respect;  e'est-à- 
tlire  ,  en  nous  inspirant,  en  nous  persuadant,  en  nous  demandant 
ce  qu'il  veut  nous  faire  valoir  :  Tu  autem ,  dominator  virtutis ,  cuni 
magna  reverentia  disponis  nos"3.  Je  dis  plus,   quoique  maître  ab- 
solu, il  nous  demande  peu  pour  nous  donner  beaucoup.  Que  de- 
mande Jésus-Christ  à  cette  Samaritaine?  un  peu  d'eau  :  Da  mihi  hi- 
hère'*)  et  pourquoi  de  l'eau?  pour  lui  faire  naître  le  désir  d'une 
eau  bien  plus  excellente  qu'il  lui  veut  donner,  de  cette  eau  salu- 
taire  et  vivifiante   dont  la  source  rejaillit  jusque  dans  la  vie  éter- 
nelle :  Fous  aquœ  salieutis  in  vilain  œternam  s;  de  cette  eau  qui 
doit  pour  jamais  étancher  notre  soif  et  nous  établir  dans  une  paix 
et  dans  une  félicité  parfaites  :  Quibiberit  ex  aqua  quant  ego  dabo  ei, 
non  sitiet  in  œternum  G.  Belle  idée  ,  mes  chers  auditeurs,  de  ce  que 
nous  éprouvons  tous  les  jours  dans  la  conduite  de  la  grâce.  Que 
demande-t-elle  d'abord  ?  presque  rien  :  un  peu  d'attention  sur  nous- 
mêmes  ,  un  peu  de  règle  dans  nos  actions,  un  peu  de  discrétion 
dans  nos  paroles,  un  peu  d'assujétissement  à   nos  devoirs.  Don- 
nez-moi cela,  nous  dit  Dieu;  c'est  bien   peu  :  mais  de  ce  peu  dé- 
pendent toutefois  les  grâces  les  plus  abondantes;  et,  en  effet,  c'est 
souvent  par  ce  peu  ,  je  veux  dire  par  cette  petite  victoire  rempor- 
tée sur  la  passion,  par  cette  petite  violence  faite  à  l'humeur, par  ce 
petit  sacrifice  de  l'intérêt,  par  ce  petit  effort  de  la  charité,  par  ce 
petit  retranchement  d'une  vanité  mondaine  que  nous  nous  met- 
tons en  état  de  recevoir  la  plénitude  des  dons  célestes  et  des  misé- 

*  Ps.  20.  —  -  Joan.,  4.  —  3  Sap.,  12.  —  *  Joan=,  4.  —  *  Ibid.  —  c  ibid. 


334  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

licordes  du  Seigneur.  C'est  parla  que  commencent  les  grands  ehan- 
gomens  ,  les  grandes  conversions;  et,  ne  sommes-nous  pas  bien 
coupables  si  nous  refusons  à  Dieu  ce  qu'il  exige  de  nous,  quand  l'a- 
vantage qu'il  nous  promc!  esl  tellement  au  dessus  de  ce  qu'il  attend. 
Disons  néanmoins  ene  quelque  chose  de  plus  touchant.  Je 
prétends,  avec  saint  G.  stôme,  que  la  grâce  ,  pour  agir  avec 
plus  de  douceur  ,  s'acc  de  à  nos  inclinations  ,    à  nos  goûts, 

à    nos    talens,    et   mêi  quelque   sorte   à    nos    faiblesses, 

à  nos  imperfections  ,  à  :  ifauts  :  j'en  ai   la  preuve   dans  cette 

femme  de  notre  Evangil  m  autre  que  le  Fils  de  Dieu  qui  l'eût 
entendue  disputer  et  rai  .er  sur  les  points  les  plus  importans 
de  la  religion  l'aurait  i\  '  Lee;  un  autre  lui  eût  dit  qu'il  ne  lui 
appartenait  pas  de  pénét.  dans  ces  matières,  que  ces  questions 
épineuses  et  subtiles  n'étaient  pas  de  son  ressort,  et  que  la  grande 
science  d'une  femme  devait  être  de  n'en  point  trop  savoir,  ou  de 
ne  point  affecter  de  paraître  en  trop  savoir  :  car  c'est  la  réponse 
commune  qu'ont  eue  de  tout  temps  à  essuyer  les  femmes  curieuses, 
et  qu'on  a  toujours  fait  valoir  contre  elles  ;  mais  notre  divin  Maî- 
tre n'ignorait  pas  que  ce  n'est  point  ainsi  qu'on  les  convertit,  et 
que  cette  réponse  mortifiante  pour  elles  ,  bien  loin  de  les  corriger, 
ne  sert  qu'à  les  aigrir  et  les  irriter.  Que  fait-il  donc?  Il  tient  une 
conduite  tout  opposée.  Cette  femme  est  vaine  et  curieuse  ,  il  l'en- 
gage par  sa  curiosité  même  ;  elle  se  pique  d'être  savante  ,il  ne  dé- 
daigne point  de  raisonner  avec  elle  sur  ce  qu'il  y  a  dans  la  reli- 
giondeplus  profond  et  déplus  sublime.  En  instruisant  les  peuples, 
il  se  servait  de  paraboles  ,  c'est-à-dire  de  comparaisons  simples 
et  familières  ,  pour  s'accommoder  à  la  grossièreté  de  leurs  esprits; 
mais  il  n'entretient  celle-ci ,  toute  pécheresse  qu'elle  est,  que  de 
matières  élevées  et  en  des  termes  proportionnés  à  la  grandeur  des 
sujets  dont  il  veut  bien  conférer  avec  elle  :  de  la  nature  de  Dieu, 
de  la  perfection  de  son  être,  de  la  pureté  de  son  culte,  de  l'ado- 
ration en  esprit;  et  par  là  il  la  détrompe ,  sans  l'offenser,  des  faus- 
ses idées  dont  elle  était  prévenue  touchantla  Divinité  et  les  hom- 
mages que  nous  lui  devons.  Or,  n'est-ce  pas  ainsi  que  la  grâce  agit 
et  sur  nos  esprits  et  sur  nos  cœurs  ?  n'est-ce  pas  ainsi  qu'elle  se 
conforme  à  nous  ,  ne  nous  sanctifiant  presque  jamais  (  remarquez 
ceci,  je  vous  prie) ,  ne  nous  sanctifiant  presque  jamais  d'une  ma- 
nière contraire  à  nos  inclinations  naturelles  ,  mais  perfectionnant 
selon  Dieu,  les  inclinations  naturelles,  pour  nous  sanctifier.  Som- 
mes-nous ardens  et  agissans  ,  elle  nous  anime  d'un  saint  zèle,  et 
nous  porte      a  pratique  des  bonnes  œuvres;  sommes-nous  tendres 


DES   PRÉDICATEURS.  335 

et  affectueux ,  elle  nous  inspire  pour  Dieu  une  tendresse  d'amour 
qui  nous  fait  quelquefois  re'pandre  à  ses  pieds  des  torrens  de  larmes; 
sommes-nous  dune  humeur  facile  ,  elle  rectifie  cette  facilité  d'hu- 
meur ,  et  la  convertit  en  charité  pour  le  prochain  ;  sommes-nous 
d'un  esprit  rigide  et  sévère,  elle  tourne  cette  sévérité  en  ferveur 
delà  pénitence;  elle  prend,  dit  l'Apôtre  saint  Pierre,  par  rap- 
port à  nous,  autant  de  différentes  formes  qu'elle  trouve  en  nous 
de  dispositions  différentes  :  Multiformis  gratiœ  Dei  l  ;  grâce  qui 
nous  engage  à  être  saints  comme  on  voudrait  l'être,  si  Dieu  nous 
en  donnait  le  choix,  et  que  nous  n'eussions  qu'à  en  délibérer  avec 
nous-mêmes  ;  afin,  dit  sai  Chrysostôme  ,  qu'il  ne  nous  reste  nul 
prétexte  pour  nousdisp.  r  de  la  suivre,  puisqu'elle  veut  bien  se 
servir  de  notre  fonds  pc  accomplissement  de  ses  desseins;  puis- 
qu'il n'y  arien  dans  nous  qu'elle  ne  mette  en  œuvre  pour  l'ou- 
vrage de  notre  salut  ;  puisqu'elle  ne  demande  point  d'autre  natu- 
rel que  le  nôtre,  point  d  autre  complexion  que  la  nôtre,  point 
d'autres  talens  que  les  nôtres,  pour  faire  de  nous  ce  que  Dieu 
veut  que  nous  soyons  ;  enfin,  puisque,  dans  un  sens  que  vous  en- 
tendez assez,  nous  pouvons,  en  ne  cessant  point  d'être  ce  que 
nous  sommes,  devenir  par  elle  tout  ce  que  nous  ne  sommes  pas. 

(  BoURDALOUE.) 

Force  de  la  grâce. 

Quelque  obscure  que  soit  notre  foi,  si  nous  la  regardons  en 
elle-même  et  dans  ses  mystères,  elle  a  cependant,  selon  la  pensée 
de  tous  les  théologiens,  une  espèce  d'évidence  dans  ses  motifs; 
je  veux  dire  que  ce  qu'elle  nous  révèle  est  au  moins  évidemment 
croyable,  parla  qualité  des-motifs  qui  nous  obligent  à  le  croire. 
Or,  il  m'a  toujours  paru  et  il  me  paraît  encore  qu'un  de  ces  mo- 
tifs les  plus  puissans  et  les  plus  convaincans  est  devoir  ce  que  la 
grâce  opère  quelquefois  en  certaines  âmes,  que  Dieu,  comme  dit 
le  grand  Apôtre,  a  prédestinées  pour  en  faire  des  vases  de  miséri- 
corde: ceci,  mes  chers  auditeurs,  vous  édifiera  et  vous  consolera. 
Quand  les  magiciens  de  Pharaon  virent  les  étonnans  prodiges  que 
faisait  Moïse  dans  tout?  Egypte,  par  le  seul  attouchement  de 
cette  baguette  mystérieux  qui  leur  donna  tant  de  terreur,  ils  con- 
fessèrent enfin  que  le  doigt  de  Dieu  était  là,  c'est-à-dire,  qu'ils  y 
reconnurent  le  caractère  d'une  vertu  divine  dont  ce  législateur 
était  l'instrument:  Et  dlierunt  malefici  ad  Pharaonem:  Digitus 

1  I  Peir.,  4. 


336  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

Del  est  hic  !.Et  moi,  Chrétiens,  quand  je  n'envisagerais  que  la 
conversion  de cetle  femme  Samaritaine,  telle  qu'elle  est  rapportée 
dans  l'Evangile,  je  conclurais,  sans  hésiter,  qu'il  y  a  un  principe 
surnaturel  qui  agit  en  nous,  que  Dieu  a  de  secrets  ressorts  pour 
remuer  noscœurs  etles  tourner  comme  il  lui  plaît,  que  nous  ne  re- 
cevons du  ciel  que  des  impressions  qui  ne  peuvent  venir  que  de 
la  grâce,  et  que,  par  les  divines  opérations  de  cette  grâce,  notre 
liherté,  sans  rien  perdre  de  son  indifférence  et  de  ses  droits,  est 
parfaitement  soumise  à  l'empire  de  Dieu. 

Or,  en  quoi  consiste  le  miracle  de  cette  conversion  ?  Le  voici,  par 
rapport  aux  deux  puissances  de  l'ame  à  qui  la  grâce  intérieure  est 
immédiatement  communiquée ,  savoir,  l'entendement  et  la  volonté, 
ou  ,  si  vous  voulez,  l'esprit  et  le  cœur.  Miracle  de  la  grâce  dans  la 
victoire  qu'elle  remporte  sur  l'esprit  de  la  Samaritaine;  miracle  de 
la  grâce  dans  le  changement  qu'elle  fait  du  cœur  de  la  Samari- 
taine; miracle,  dis-je,  opéré  d'une  façon  toute  miraculeuse,  et  avec 
des  circonstances  qui  ne  permettent  pas  de  douter  que  ce  ne  soit 
l'ouvrage  delà  main  toute  puissante  de  Dieu:  Digitus  Dei  est  hic. 
Ecoutez-moi,  Chrétiens,  et  suppléez,  par  une  attention  toute  nou- 
velle ,  à  la  nécessité  où  je  me  troirs  d'abréger  en  peu  de  paroles 
ce  qui  demanderait  un  discours  es 

Miracle  delà  grâce  et  de  sa  foi  ans  la  victoire  qu'elle  rem- 
porte sur  l'esprit  de  la  Samaritaine.  Suivez  le  texte  sacré,  et  vous 
en  allez  convenir.  C'était  tout  eusemi.de  une  infidèle  et  une  héré- 
tique, puisque,  selon  la  remarque  d'Qrigène,  les  Samaritains  étaient 
dans  le  fond  idolâtres,  et  adoraient  les  fausses  Divinités  de  leurs 
ancêtres ,  et  que  néanmoins  ils  ne  laissaient  pas  de  pratiquer  en 
même  temps  une  espèce  de  Judaïsme,  mais  de  Judaïsme  corrompu 
par  leurs  opinions  particulières:  ce  qui  les  divisait,  et,  par  un 
schisme  déclaré,  les  séparait  du  reste  des  Juifs:  Non  enim  coutun- 
tur  Judœi  Samaritanis  2.  C'était  une  hérétique  vaine  et  suffisan- 
te, opiniâtre  et  indocile,  préoccupée  de  son  erreur  et  déterminée 
à  la  soutenir,  qui  se  piquait  de  raisonner  et  d'être  subtile  en  ma- 
tière de  religion  :  car  tout.cela  paraît  dans  l'en  tretien  que  Jésus- Christ 
eut  avec  elle.  Or,  vous  savez  l'extrême  difficulté,  pour  ne  pas 
dire  l'impossibilité  morale  de  réduire  un  esprit,  encore  plus  l'es- 
prit dune  femme,  quand  elle  est  de  ce  caractère.  Vous  savez  com- 
bien il  est  rare  de  voir  une  femme  entêtée  d'une  hérésie  (je  dis 
entêtée;  car,  persuadée  par  raison  ,   à  peine  le  fut-elle  jamais)  se 

*  Exod.,  8.  —  2  Joan.,  4. 


DES    PREDICATEURS.  337 

mettre  en  état  de  reconnaître  la  vérité,  la  cherchée  de  bonne  foi 
et  s'y  soumettre.  Soit  que,  par  une  malheureuse  fatalité,  1  hérésie 
ait  cela  de  propre,  de  rendre  les  cœurs  inflexibles  et  de  les  en- 
durcir; soit  que  Dieu  ,  par  une  punition  due  à  ce  péché,  qui,  de 
tous  les  péchés,  est,  dans  un  sens,  le  plus  grief  et  le  plus  punissa- 
ble, ait  coutume  de  répandre  dans  les  esprits  d'épaisses  ténèbres 
qui  les  aveuglent  toujours  de  plus  en  plus,  et  que  saint  Augustin 
appelle  pour  cela:  Pœnales  cœcitates:  l  encore  une  fois,  vous 
savez  combien  ce  retour  de  l'hérésie  à  la  foi,  de  l'orgueil  de  l'une 
à  l'humilité  de  l'autre, demande  d'efforts,  et  combien  dans  l'ordre 
même  de  la  grâce  il  approche  du  miracle.  Cependant  c'est  ce  que 
la  grâce  opère  aujourd'hui  ;  mais,  par  une  vertu  qui  ne  peut  être  que 
la  vertu  du  Très-Haut,  Jésus-Christ  convertit  cette  femme:  de  Samari- 
taine qu'elle  était,  il  la  ramènepremièrement  à  la  pureté  du  culte  juif 
et  puis  il  en  fait  une  parfaite  Chrétienne.  Après  l'avoir  fait  renon- 
cer aux  superstitions  de  ses  pères  et  au  schisme  où  elle  a  été  éle- 
vée, après  lui  avoir  fait  condamner  les  erreurs  qu'elle  soutenait 
avec  tant  d'obstination  et  tant  de  zèle,  il  lui  fait  connaître  ce 
qu'il  est  et  pourquoi  il  est  venu,  le  sujet  et  la  fin  de  sa  mission,  sa 
qualité  de  Christ  et  de  Sauveur,  sa  divinité  même  :  mystères  natu- 
rellement incroyables  ,  et  qu'elle  ne  pouvait  découvrir  qu'à  la 
faveur  des  plus  pures  lumières  de  la  grâce  qu'il  lui  communique. 
Non  seulement  il  lui  révèle  ces  points  si  importans  et  si  sublimes 
mais  il  les  lui  persuade  ,  mais  il  les  lui  fait  goûter.  Quoiqu'elle  eût 
refusé  d'abord  de  traiter  avec  lui,  elle  l'écoute  enfin  avec  docilité 
et  respect;  quoique  tout  ce  qui  venait  des  Juifs  lui  fût  odieux,  elle 
veut  bien,  tout  Juif  qu'il  est,  le  reconnaître  et  l'adorer  comme 
auteur  de  son  salut;  quoiqu'elle  ne  vît  en  lui  que  les  apparences 
d'un  homme,  elle  proteste  et  croit  fermement  qu'il  est  le  Christ 
vrai  Fils  de  Dieu.  Ne  faut-il  pas  confesser  qu'une  telle  conversion 
fut  l'œuvre  du  Seigneur,  et  s'écrier  avec  David:  Hœc  mutatio 
dexterœ  Excelsi  -  ? 

Mais,  en  changeant  l'esprit  de  cette  Samaritaine,  la  grâce  n'aoit 
pas  moins  puissamment  dans  son  cœur.  Car,  outre  qu'elle  était 
obstinée  dans  sa  fausse  créance,  elle  était  impudique  et  libertine 
dans  ses  mœurs  :  péchés,  dit  saint  Chrysostome,  qui,  malgré  leur 
opposition,  ne  laissent  pas  d'avoir  comme  une  espèce  d'affinité 
puisque  l'hérésie,  à  proprement  parler,  n'est  autre  chose  qu'une 
corruption  de  l'esprit,  comme  l'adultère  et  l'impudicité  sont  une  ré- 

1  August.  —  2Psi  78. 

T.    III.  22 


338  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

bellion  de  la  chair.  Or,  Dieu,  ajoute  saint  Chrysostome,  vengeur 
de  l'un  et  de  l'autre,  punit  et  confond  souvent  l'un  par  l'autre,  en 
permettant  que  ces  révoltes  de  l'esprit  contre  la  vérité  soient  com- 
munément suivies  des  plus  honteux  déréglemens  de  la  sensualité. 
Et,  en  effet,  nous  voyons  ces  âmes  si  présomptueuses  et  si  fières 
sur  ce  qui  concerne    la  religion,  n'être  pas  ordinairement  les  plus 
fermes  dans  leurs  devoirs,  ni  les  plus  inébranlables  dans  la  tenta- 
tion. Telle  était  cette  pécheresse  de  Samarie,    avec  sa  prétendue 
science  et  sa  vaine  subtilité.   Elle  vivait  dans  un  concubinage  pu- 
blic, dans  un  concubinage  auquel  elle  s'était  abandonnée,  et  dont 
elle  avait  contracté   même  une  longue  habitude  :    Quinque  enim 
viros  habuisti,  et  nunc  quem  habes  non  est  iuus  vir  J.  Or,   s'il  y  a 
une  maladie  difficile  à  guérir,  c'est  celle-là  :  s'il  y  a  un  démon  ca- 
pable de  résister  à    Dieu  et  à  sa  grâce ,  il   est  évident  que  c'est  cet 
esprit  impur.  Mais  en  cela  même,  la  grâce  de  Jésus-Christ  trouve  la 
matière  de  son  triomphe.  Cette  pécheresse,  cette  prostituée,  cette 
femme  esclave'des  plus  sales  passions,  est  enfin  purifiée  et  sanctifiée. 
Il  semble  que  Jésus  Christ  lui  ait  donné  un  autre  cœur  ;  qu'après  lui 
avoir  arraché  ce  cœur  charnel  et  corrompu  d'où  procédaient  tant  de 
désordres,  il  ait  créé  en  elle  un  cœur  nouveau,  un  cœur  épuré  non 
seulement  de  toutes  les  souillures  du  péché,  mais  de  toutes  les  af- 
fections de   la  terre.  Ce   n'est  plus  cette  Samaritaine  scandaleuse 
qui  s'était  fait  un  front  pour  le  crime,  et  qui  servait  aux  âmes  de  dé- 
mon pour  les  perdre;  c'est  une  créature  toute  nouvelle  en  Jésus-Christ: 
Nova  in  Christo  creatura  2:  uneame  transformée    en  Dieu  et  qui 
ne  respire    plus  que    l'amour  de  Dieu  ;  qui  n'a  plus  rien  que  de 
chaste  dans  ses  pensées,  que  de  modeste  dans  ses  paroles,  que  de 
réglé  dans  ses  actions;  qui,  par  sa  conduite  exemplaire,  est  désor- 
mais un  modèle  de  vertu,  et  qui  va  répandre  partout  l'odeur  de  sa 
sainteté.  Quel  prodige,  mes  chers  auditeurs  !  et  ne  devons-nous  pas 
toujoursreprendre  avec  le  Prophète  :  Hœc  mutatio  dexterœ  Excelsi? 
Mais  si  la  grâce  de  Jésus-Christ  fait  un  miracle  dans  la  conver- 
sion de  cette  femme,  la  manière  miraculeuse  dont  elle  le  fait  mon- 
tre encore  bien  quelles  sont  sa  force  et  sa  puissance.  Car,  n'est-il 
pas  étonnant,  Chrétiens,  que  deux  changemens  si  prodigieux  ne 
coûtent   au  Sauveur  du  monde  qu'un  moment?  Quand  Dieu  agit 
selon  les  lois  et  le  cours  ordinaire  de  sa  Providence,  il  garde,  ou 
du  moins  il  paraît  garder  des  mesures  ;  et ,  dans  l'ordre  surnaturel 
aussi  bien  que  dans  l'ordre  naturel,  il  s'accommode  à  notre  faiblesse. 

t  Joan.,4.—  2  IT  Cor.,  S. 


DES    PRÉDICATEURS.  33  Q 

Car  il  ne  fait  pas  les  saints  dans  un  instant;  il  les  sanctifie  peu  à 
peu,  et,  par  des  progrès  quelquefois  insensibles,  il  les  conduit  de 
degré  en  degré  jusqu'au  terme  d'une   sainteté  consommée.  Mais 
quand  il   agit  souverainement  et  en  Dieu,  il  ne  s'assujetit    point 
de  la   sorte.  Il  ne  prépare  point  le  sujet  qui  doit  servir  de  fond  à 
son  action.  Une  parole  qu'il  profère  fait  sortir  des  millions  d'êtres 
du  néant,  étend  les  cieux,  affermit  la  terre,  donne  à  ce  vaste  uni- 
vers toute  sa  perfection  :  D/x/t,  etfacta  sunt l.  Ainsi  le  Fils  de  Dieu 
ne  dit  qu'une  parole  à  la  Samaritaine  :  Ego  sum*  :  Oui ,  c'est  moi, 
moi    qui  suis  ce  Messie    que  vous   attendez;  et   tout  à  coup    la 
voilà  convaincue,  la  voilà  touchée,  la  voilà  pénétrée  des  plus  saints, 
mais  des  plus  vifs  et  des  plus  tendres  sentimens.  Parole,  reprend 
saint  Augustin  ,  plus  efficace  que  celle  dont   Dieu  créa  le  monde. 
Parole  qui,  par  une  seconde  création,  mais  bien  plus  admirable 
que  la  première,  réforma  dans  le  cœur  de  cette  femme  ce  que  le  pé- 
ché avait  détruit.  Je  dis  création  plus  admirable  que  la  première, 
puisque^dans  la  première  le  néant  sur  lequel  Dieu  travaille  obéit  sans 
contradiction  à  sa  parole;  au  lieu  que,  dans  celle-ci,  Dieu  travail- 
lait sur  le  néant  du  péché,  qui,  tout  néant  qu'il  est,  est    capable 
comme  péché  de  lui  résister.  Mais  encore  par  quelle  marque  sen- 
sible le  Fils  de  Dieu  s'autorisa-t-il  dans  l'esprit  de  la  Samaritaine, 
et  par  où  trouva-t-il  une  si  facile  et  si  prompte  créance?  Le  vit- 
elle  en  ce  moment-là  commander  aux  tempêtes  et  à  la  mer,  gué 
rir  les  aveugles-nés,  ressusciter   les  morts   de  quatre  jours?  Ah î 
Chrétiens,  voici   la  merveille  qui  surpasse  toutes  les   autres.   Le 
monde  converti  sans  miracle,  et  sans  miracle  devenu  chrétien,  si 
l'on  voulait  ainsi  le  supposer,  ce  serait,  disait  saint  Augustin,   le 
plus  grand  de  tous  les  miracles  ;  ce  serait  le  miracle  des  miracles, 
et  le  plus  convaincant  pour  un  païen  qui  ne  croirait  pas  les  autres 
miracles.  Or  ,  nous  le  voyons,  mes  chers  auditeurs,  ce  miracle  des 
miracles  accompli  dans  cette  Samaritaine.  Les  pharisiens  et  les  doc- 
teurs de  la  Loi  voyaient  tous  les  jours  les  miracles  de  Jésus-Christ; 
ils  en  étaient  les  témoins  oculaires;  ils  parlaient  à  Lazare  qu'il  avait 
publiquement  ressuscité,aux  malades  qu'il  avait  guéris;  et  cependant, 
par  une  obstination  inflexible,  ils  persistaient  dans  leur  incrédulité. 
Mais  celle-ci,  sans  miracles,  non  seulement  croit  en  lui,  mais  s'attache 
à  lui,  sedonneàlui,  renonce  atout  pour  lui.  D'où  vient  cela?dela 
toute- puissance  de  la  grâce,  qui  n'a  besoin  que  d'elle-même  pour 
triompher  du  coeur  de  l'homme.  Ce  n'est  pas  tout.  Quand  le  Fils  de 

22. 


3^0  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE 

Dieu  convertissait  les  autres  pécheurs,  ce  n'était  qu'après  leur  avoir 
donné  pour  sa  personne,  par  quelque  signalé  bienfait,  un  fonds 
de  confiance  et  d'estime.  Pour  guérir  leurs  âmes,  il  commençait 
par  guérir  leurs  corps;  et,  par  condescendance  à  leur  faiblesse  , 
il  les  engageait  à  croire  ce  qu'il  était,  en  leur  faisant  éprouver  dans 
leurs  besoins  ce  qu'il  pouvait.  Mais,  parce  qu'il  a  résolu  de  faire 
paraître  dans  cette  pécheresse  de  Samarie  toute  la  force  de  la  grâce, 
il  la  convertit  purement,  je  veux  dire  sans  autre  attrait,  sans  autre 
engagement  d'intérêt  que  celui  de  sa  conversion  même.  Elle  ne 
croit  point  en  lui  comme  la  femme  chananéenne,  parce  qu'il  a  dé- 
livré sa  fille  du  démon,  ni  comme  Ihémorhoïsse,  parce  qu'il  lui  a 
rendu  la  santé;  mais  elle  croit  en  lui  pour  lui  seul;  elle  s'attache  à 
lui  sans  autre  vue  que  l'avantage  d'être  à  lui  et  de  ne  vivre  que 
pour  lui.  C'est  là  que  je  reconnais  le  caractère  d'une  grâce  victo- 
torieuse  et  toute-puissante  :  Hœc  nuitatio  dexterœ  Excelsi. 

Enfin  le  miracle  de  la  grâce,  c'est  qu'en  sanctifiant  cette  femme, 
elle  sanctifia  tout  le  pays  de  Samarie ,  et  qu'elle  la  rendit  capable 
de  communiquer  aux  Samaritains  le  don  de  la  foi.  De  pécheresse 
qu'elle  était,  dit  saint  Grégoire,  pape,  elle  se  trouve  miraculeuse- 
ment transformée  en  Apôtre:  Quœ  advenerat peccatrix ,  revertitur 
prœdicalrix.  Avant  que  les  Apôtres  aient  paru,  elle  va  annoncer 
Jésus-Christ  à  ceux  qui  ne  le  connaissent  pas;  et  sans  déroger  à  la 
dignité  de  saint  Pierre,  ni  à  celle  des  autres  Apôtres,  on  peut  dire 
que  la  première  Apôtre  du  Christianisme  c'est  la  Samaritaine.  En 
effet,  son  zèle  la  presse  de  telle  sorte  qu'elle  ne  peut  s'arrêter  un 
moment:  elle  laisse  le  vaisseau  qu'elle  avait  apporté  avec  elle, 
elle  ne  pense  plus  à  puiser  de  l'eau,  elle  quitte  Jésus-Christ  pour 
Jésus-Christ  même ,  elle  rentre  dans  la  ville,  elle  invite  tout  le 
monde  à  le  venir  voir  et  à  l'écouter,  aimant  mieux  aller  travailler 
pour  sa  gloire  que  de  goiiter  plus  long-temps  les  douceurs  de  son 
entretien,  et  ressentant  déjà  ces  saintes  ardeurs  et  ces  divins  empres- 
semens  de  l'esprit  de  foi,  qui  n'est  jamaiscontentde  connaître  Dieu 
s'il  ne  le  fait  encore  connaître  autant  qu'il  le  peut  et  qu'il  le  doit. 
(Le  MEME.) 

Comment  la  grâce  agit  en  nous. 

Il  est  vrai  que  les  hommes ,  comme  un  auteur  de  notre  temps 
l'a  très  bien  remarqué,  «  n'ont  point  assez  de  forces  pour  suivre 
«  toute  leur  raison.  »  Aussi  suis-jetrès  persuadé  que  nul  homme, 
sans  la  grâce ,  n'aurait  pas',  par  ses  seules  forces  naturelles,  toute 


DES    PRÉDICATEURS.  3/\  l 

la  constance,  toute  la  règle,  toute  la  modération  ,  toute  la  défiance 
de  lui-même  qu'il  lui  faudrait  pour  la  découverte  des  vérités  mê- 
mes qui  n'ont  pas  besoin  de  la  lumière  supérieure  de  la  foi.  En  un 
mot,  celte  philosophie  naturelle  qui  irait,  sans  préjugé,  sans  im- 
patience, sans  orgueil ,  jusqu'au  bout  de  la  raison  purement  hu- 
maine, est  un  roman  de  philosophie.  Je  ne  compte  que  sur  la 
grâce  pour  diriger  la  raison  même  dans  les  bornes  étroites  de  la 
raison,  pour  la  découverte  delà  religion  ;  mais  je  crois  avec  saint 
Augustin  que  Dieu  donne  à  chaque  homme  un  premier  germe  de 
grâce  intime  et  secrète,  qui  se  mêle  imperceptiblement  avec  la 
raison,  et  qui  prépare  l'homme  à  passer  peu  à  peu  de  la  raison  jus- 
qu'à la  foi.  C'est  ce  que  saint  Augustin  nomme  inchoationes  quœ- 
clam  fidei  coiiceptionibus  similes  '.C'est  un  commencement  très 
éloigné  pour  parvenir  de  proche  en  proche  jusqu'à  la  foi  , 
comme  un  germe  très  iuforme  est  le  commencement  de  l'enfant 
qui  doit  naître  long-temps  après.  Dieu  mêle  le  commencement  du 
don  surnaturel  avec  les  restes  de  la  bonne  [nature ,  en  sorte  que 
lhomme  qui  les  tient  réunis  ensemble  dans  son  propre  fonds ,  ne 
les  démêle  point,  et  porte  au  dedans  de  soi  un  mystère  de  grâce 
qu'il  ignore  profondémement.  C'est  ce  que  saint  Augustin  fait  en- 
tendre par  ces  aimables  paroles:  Paulatim  tu,  Domine,  manu  nu~ 
tissima  et  misericordissima  pertractans  etcomponens  cormeum,  etc.*. 
La  plus  sublime  sagesse  du  Verbe  est  déjà  dans  l'homme  ,  mais 
elle  n'y  est  que  comme'du  lait  pour  nourrir  des  enfans:  Ut  infantiœ 
tuœ  lactesceret  sapientiatua.  11  faut  que  le  germe  de  la  grâce  com- 
mence à  éclore    pour  être  distingué  de  la  raison. 

Cette  préparation  du  cœur  est  d'abord  d'autant  plus  confuse 
qu'elle  est  générale;  c'est  un  sentiment  confus  de  notre  impuis- 
sance, un  désir  de  ce  qui  nous  manque ,  un  penchant  à  trouverait 
dessus  de  nous  ce  que  nous  cherchons  en  vain  au  dedans  de  nous- 
mêmes,  une  tristesse  sur  le  vide  de  notre  cœur,  une  faim  et  une 
soif  de  la  vérité,  une  disposition  sincère  à  supposer  facilement 
qu'on  se  trompe,  et  à  croire  qu'on  a  besoin  de  secours  pour  ne  se 
tromper  pas. 

On  peut  remarquer  ceci  en  étudiant  de  près  certains  hommes. 
Par  exemple,  on  en  trouvera  deux  auxquels  on  se  méprendra  aisé- 
ment. L'un  aura  beaucoup  plus  d'activité  et  de  pénétration  d'es- 
prit que  l'autre;  il  paraîtra  né  philosophe,  amateur  passionné  de 
la  vérité  et  de  la  vertu ,  désintéressé ,  généreux ,  et  uniquement  oc- 

1  Ad.  Simpl.  —  2  Confoss.,  vi,  5, 


f 

342  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

cupé  clés  plus  hautes  spéculations;  mais  observez-le  de  près:  vous 
trouverez  un  homme  amoureux  de  son  esprit  et  de  sa  sagesse,  et 
qui  cherche  la  sagesse  et  la  vertu  pour  enrichir  son  esprit,  pour 
s'orner  et  s'élever  au-dessus  des  autres;   cet  amour-propre  l'indis- 
pose pour  la  découverte  de  la  pure  vérité;  il  veut  prévaloir,  il  craint 
de  paraître  dans  quelque  erreur,  et  il  s'expose  d'autant  plus  à  er- 
rer, qu'il  est  jaloux  de  paraître  n'errer  jamais  en  rien.  Au  contraire, 
l'autre,  avec  beaucoup  moins  d'intelligence,  occupe  son  esprit  de 
la  vérité  et  non  de  son  esprit  même;  il  va  d'une  démarche  simple 
et  directe  vers  la  vérité,  sans  se  replier  sur  soi  par  complaisance; 
il  a  une  secrète  disposition  à  se  défier  de  soi ,  à  sentir  sa  faiblesse, 
à  vouloir  être  redressé.  Celui  qui  paraît  le  moins  avancé  l'est  infi- 
niment plus  que  l'autre.  Dieu  trouve  dans  l'un  un  fonds  qui  re- 
pousse son  secours,  et  qui  est  indigne  de  la  vérité  ;  il  met  en  l'au- 
tre cette  pieuse  curiosité,  cette  docilité  salutaire  qui  prépare  la  foi. 
Ce  germe  secret  et  informe  est  le  commencement  de  l'homme 
nouveau  :  Conceptionibus  suniles.  Ce  n'est  point  la  raison  seule,  ni 
la  nature  laissée  à  elle-même  ,  c'est  la  grâce  naissante   qui  se  cache 
sous  la  nature  pour  la  corriger  peu  à  peu.  (Fénelon,  Lettres  sur 
la  Religion.) 

La  conversion  est  l'effet  d'une  grâce  prompte  et  puissante. 

Qu'au  barreau  et  dans  les  déclamations  publiques  l'éloquence 
étale  ses  richesses;  qu'elle  affecte  la  pompe  des  paroles  :  quand  on 
traite  des  mystères  delà  religion,  l'expression  simple  et  pure  de 
la  vérité  n'a  pas  besoin  de  l'artifice  du  langage.  La  foi  ne  veut, 
pour  tout  ornement  que  la  substance  des  choses;  n'attendez 
donc  pas  de  moi  que  je  vous  parle  avec  élégance  ,  mais  avec  force, 
ni  que  j'aie  recours  à  cette  rhétorique  étudiée,  mensongère,  qui 
ne  s'occupe  que  de  flatter  les  oreilles.  Jje  rendrai  bien  mieuxhom- 
mage  à  la  miséricorde  démon  Dieu,  en  n'employant  que  le  langage 
naïf  de  la  vérité.  Apprenez  ce  qui  se  sent  plutôt  qu'il  ne  se  démon- 
tre ;  ce  qui  ne  s'acquiert  point  par  de  longues  et  pénibles  études. 
Non.  Il  faut  le  puiser  à  la  source  d'une  grâce  prévenante  qui  d'elle- 
même  épanche  ses  trésors. 

Du  temps  où  j'étais  plongé  dans  les  ténèbres  et  dans  une  pro- 
fonde obscurité,  flottant  sur  la  mer  orageuse  du  siècle,  j'errais  çà 
et  là,  sans  avoir  de  route  fixe,  ne  sachant  pas  même  quelle  direc- 
tion prendre  ,  tant  j'étais  loin  de  la  vérité  et  de  la  lumière.  Je  re- 
gardais comme  bien  dur  à  croire   et  bien  difficile  à  exécuter,  vu 


£»*   PRÉDICATEURS.  343 

les  préventions  où  j'étais  alors,  ce  qu'on  me  promettait  de  la  bonté 
de  Dieu  pour  être  sauvé  ;  que  l'on  pût  naître  encore  une  seconde 
fois,  prendre  une  vie  nouvelle  dans  les  eaux  sacrées  du  baptême, 
s'y  régénérer,  en  se  dépouillant  de  ce  qu'on  avait  été  jusque  là; 
devenir,  sans  changer  de  corps,  un  homme  tout  nouveau.  Où  est, 
me  disais-je  en  moi-même  ,  la  possibilité  de  renoncer  tout  à  coup, 
soit  à  des  penchans  naturels  ,  soit  à  des  habitudes  invétérées;  de 
devenir  sobre,  quand  on  est  accoutumé  à  la  bonne  chère  et  au 
luxe  des  festins;  de  ne  se  montrer  qu'avec  l'extérieur  le  plus  sim- 
ple, quand  on  ne  paraissait  en  public  qu'avec  une  riche  parure, 
éclatante  d'or  et  de  pourpre?  Demandez  à  cet  homme,  nourri 
dans  les  dignités  et  les  honneurs  où  il  mettait  son  bonheur;  de- 
mandez-lui de  descendre  à  la  vie  privée,  «à  cet  homme  d'intri- 
«  gués,  environné  de  la  troupe  de  ses  cliens ,  qui  se  croit  honoré 
«  par  l'assiduité  des  devoirs  qu'ils  s'empressent  de  lui  rendre;  il 
«  regarde  comme  une  grande  peine  de  se  trouver  vis-à-vis  de  lui- 
«  même  *.  »  Qui  s'est  laissé  enchaîner  durant  tout  le  cours  de  sa 
vie  passée  par  les  liens  des  voluptés  devient, par  l'empire  de  l'ha- 
bitude, l'esclave  de  ses  sensualités,  de  ses  passions  et  de  ses  vices. 
Telles  étaient  les  pensées  qui  m'occupaient,  et  m'ôtaient  l'espé- 
rance de  pouvoir  m'arracher  jamais  à  des  maux  qui  avaient  pris 
sur  moi  l'ascendant  de  la  nature. 

Mais  après  que  les  souillures  de  ma  vie  eurent  été  lavées  dans 
le  bain  régénérateur,  et  que  la  lumière  d'en  haut  eut  pénétré  mon 
ame  purifiée;  après  que,  en  recevant  l'Esprit-Saint,  j'eus  été  en- 
fanté à  une  seconde  vie  ;  «  renouvelé  par  les  merveilleux  effets  de 
«  cette  grâce  céleste,  j'ai  vu  tout  à  coup  mes  doutes  se  dissiper; 
«  ce  qui  était  auparavant  scellé  pour  moi  s'est  ouvert  à  mes  yeux; 
«  les  choses  qui  ne  présentaient  que  ténèbres  sont  devenues  lumi- 
«  neuses  ;  des  difficultés  qui  me  paraissaient  insurmontables  se 
«  sont  évanouies  2  ;  »  ce  qui  me  semblait  impossible  s'est 
aplani.  En  sorte  qu'il  était  visible  que  ce  qu'il  y  avait  en  moi  au- 
paravant de  charnel  et  sujet  au  péché  venait  de  la  terre,  et  que  ce 
que  l'Esprit-Saint  commençait  d'animer  venait  purement  de  Dieu. 
Vous  n'ignorez  pas  plus  que  moi  ;  vous  êtes  le  premier  à  recon- 
naître ce  que  nous  avons  perdu  et  ce  que  nous  avons  gagné  à 
mourir  au  péché,  à  commencer  à  vivre  à  la  vertu.  Si  je  le  rap- 
pelle, ce  n'est  pas  pour  m'en  faire  honneur  à  moi-même:  on  est 
toujours  suspect  et  criminel  de  se  vanter  soi-même.  Ce  n'est  point 

1  Traduit  par  Bossuel,  Panég.  —  2Le  même,  Serm. 


344  NOUVELLE   BIBLIOTHEQUE 

vanité,  mais  reconnaissance,  d'attribuer  la  gloire  de  ce  qu'il  y  a 
de  bien  en  nous  à  Dieu  ,  et  non  pas  à  l'homme;  de  rapporter  à 
la  grâce  de  la  foi  le  bonheur  de  n'être  plus  dans  le  péché,  comme 
à  l'erreur  de  l'homme  l'état  de  péché  où  Ton  était.  N'est-ce  pas  de 
Dieu  seul  que  vient  tout  ce  que  nous  pouvons?  Dans  lui,  la  source 
de  notre  être,  est  le  principe  de  notre  force.  Seulement,  gardons- 
nous  d'une  confiance  présomptueuse.  «  Sans  la  crainte,  on  ne 
«  peut  garder  l'innocence,  parce  qu'elle  en  est  la  garde  assu- 
«  rée  '.  »  Méritons  par  la  crainte  que  le  Seigneur,  qui  a  bien 
voulu  éclairer  nos  âmes,  y  maintienne  sa  présence,  par  le  con- 
cours d'un  saint  empressement  de  notre  part  à  acquitter  les  œu- 
vres de  justice.  Ne  permettons  pas  que  le  bienfait  que  nous  avons 
reçu  engendre  une  négligence  qui  rouvrirait  l'accès  de  notre  ameà 
l'ennemi  du  salut.  Si  vous  ne  sortez  point  des  voies  de  la  justice  et 
de  l'innocence  ;  si  vous  y  marchez  d'un  pas  ferme  et  assuré  ;  si,  vous 
tenant  fortement  attaché  au  Seigneur,  vous  persévérez  à  être  ce 
que  vous  avez  commencé,  sa  grâce  vous  donnera  d'autant  plus  de 
facilité  et  de  force  qu'elle  s'accroîtra  davantage  en  vous.  Il  n'en 
est  pas  des  dons  célestes  comme  de  ceux  que  nous  recevons  de  la 
main  des  hommes,  toujours  étroits  et  mesurés;  les  dons  de  l'Esprit- 
Saint  s'épanchent  avec  largesse,  avec  l'abondance  du  fleuve  qui 
déborde;  tout  ce  qu'il  demande,  c'est  que  nos  cœurs  en  soient 
avides,  qu'ils  s'ouvrent  pour  les  recevoir;  et  la  mesure  de  la  foi 
que  nous  y  apportons  est  la  mesure  des  faveurs  dont  nous  y  de- 
vons être  investis.  A  quelle  force,  à  quelle  puissance  ne  s'élève  pas 
l'ame  ainsi  régénérée  !  Non  seulement  elle  se  voit  émancipée  des 
liens  qui  l'attachaient  au  monde,  inaccessible  à  sa  contagion;  mais 
agrandie  et  fortifiée ,  elle  commande  en  souveraine  à  toute  l'armée 
des  démons.  (Saint  Gyprien  ,  Lettre  a  Do?iat.) 

Péroraison. 

La  grâce  est  donc  une  qualité  spirituelle  que  Jésus-Christ  ré- 
pand dans  nos  âmes,  laquelle  pénètre  le  plus  intime  de  notre  sub- 
stance,qui  s'imprime  dans  le  plus  secret  de  nous-mêmes,  et  qui  se 
répand  dans  toutes  les  puissances  et  les  facultés  de  l'ame  qui  la 
possède  intérieurement,  la  rend  pure  et  agréable  aux  yeux  de  ce 
divin  Sauveur,  la  fait  être  son  sanctuaire,  son  tabernacle,  son 
temple,  enfin  son  lieu  de  délices.  Quand  une  ame  est  ainsi  toute 

1  Traduit  par  Bossuct,  Serm. 


des  PRÉDICATEURS.  34  ?> 

remplie,  l'abondance  de  ses  eaux  rejaillit  jusqu'à  la  vie  éternelle; 
c'est-à-dire  qu'elle  élève  cette  aine  jusqu'à  l'heureux  état  de  la 
perfection.  N'est-ce  pas  ce  que  dit  Jésus-Christ  :  «  Des  fleuves  sor- 
tiront de  son  ventre'1;»  la  fontaine  de  ces  eaux  vives'rejaillissant 
jusqu'à  la  vie  éternelle,  qui  est  précédée  ici-bas  de  la  grâce  et  de 
la  sainteté.  On  voit  l'épanchement  de  ces  eaux  jusque  sur  les  sens 
extérieurs;  sur  les  yeux,  par  la  modestie;  dans  les  paroles,  par  le 
silence  religieux ,  et  par  une  sainte  circonspection  et  retenue  à 
parler;  en  un  mot,  une  personne  paraît  mortifiée  en  toutes  ses 
actions;  elle  se  montre  partout  possédée  de  la  grâce  au  dedans 
d'elle-même  ,  contraire  à  l'esprit  du  monde,  ennemie  de  la  nature 
et  des  sens,  mais  toute  pleine  des  vertus  et  de  l'esprit  de  Jésus- 
Christ.  (  Bossuet,  Exhortation  aux  Ursuîines  de  Meaux.  ) 

1  Joan.,  vu,  58. 


346  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 


PLAN  ET  OBJET  BU  SECOND  DISCOURS 
SUR  LA  GRACE. 

EXGRDE. 

Respondit  Jésus  et  dixh  ex,  si  sclres  donum  Dti. 
Jésus  repondit  et  lui  dit  :  si  vous  connaissiez  le  don  de  Dieu.  (Jean,  iv,  10.) 

Ce  don  de  Dieu  ,  que  la  femme  de  Samarie  ne  connaissait  point, 
que  Jésus-Christ  lui  fait  connaître,  c'est  la  grâce.  Grâce,  source  fé- 
conde, où  les  justes  viennent  puiser  leur  innocence  et  leur  ferveur; 
les  pénitens,  leurs  soupirs  et  leurs  larmes;  les  A pôtres,  leur  zèle 
et  leur  courage;  les  martyrs,  leur  constance  et  leur  intrépidité. 
Grâce  de  Jésus-Christ  !  à  ce  nom  de  la  grâce ,  quelle  ardeur,  quel 
empressement,  quelle  attention  s'empare  de  vous!  Fasse  le  ciel 
que  ce  soit  une  attention  sainte  et  religieuse,  une  attention  du 
cœur  autant  que  de  l'esprit,  une  attention  inspirée  par  la  grâce 
et  digne  de  la  grâce!  Loin  d'ici,  loin  de  vous,  mes  chers  auditeurs, 
cette  attention  d'orgueil  et  de  présomption  pour  décider,  de  vaine 
et  de  profane  curiosité  pour  s'amuser,  de  licence  et  d'audace  pour 
raisonner,  pour  disputer;  de  critique  et  de  malignité  pour  censu- 
rer; de  préjugés  et  de  passions  pour  s'aigrir,  pour  s'irriter.  Grand 
Dieu!  quelle  épreuve  pour  les  ministres  de  votre  Evangile,  si  sous 
vos  yeux,  à  l'ombre  de  votre  croix,  au  pied  de  cet  autel  où  cha- 
que jour  vous  êtes  immolé  victime  de  paix  et  de  charité,  ils  ont  à 
redouter  de  pareils  scandales  !  Disputes  fatales  qui,  dans  les  siècles 
passés,  après  avoir  ravagé  le  sanctuaire,  ont  agité  les  peuples, 
ébranlé  les  trônes,  bouleversé  les  empires;  ah!  que  leur  flam- 
beau redoutable  ne  s'allume  jamais  parmi  nous!  Instruits  par  l'in- 
fortune de  nos  pères,  épargnons  aux  âges  qui  nous  suivront  la 
triste  nécessité  de  donner  à  nos  malheurs  les  larmes  que  nous  ne 
pouvons  refuser  aux  temps  qui  nous  ont  précédés. 

Jamais  peut-être  on  n'a  tant  travaillé  que  de  nos  jours  à  sonder 
cet  abîme  de  la  grâce,  à  pénétrer  les  voies  de  la  grâce,  à  lever, 


DES    PRÉDICATEURS.  347 

presque  à  déchirer  le  voile  qui  couvre  le  secret  de  la  grâce;  mais 
en  a-t-on  mieux  connu  ce  qu'il  importe  principalement  de  savoir 
du  mystère  delà  grâce? 

Ce  n'est  plus  seulement  aux  habitans  de  la  schismatique  Sama- 
ne,  à  Israël,  aveugle  zélateur  de  la  loi;  c'est  au  Chrétien  que  l'on 
pourrait  dire  :  Si scires  donum  Dei .  ...  Si  vous  connaissiez  le  don 
delà  grâce!  Et  que  faudrait-il  pour  le  connaître?  humilier,  détruire, 
déraciner  votre  orgueil;  de  là,  de  là  uniquement  nos  erreurs,  nos 
egaremens  par  rapport  à  la  grâce:  orgueil  audacieux  et  téméraire, 
qui  ôte  à  la  grâce  la  louange  et  l'honneur  de  la  vertu;  orgueil  ca- 
ché et  déguisé,  qui  rejette  sur  la  grâce  la  honte  et  l'opprobre  du 
vice!  Je  m'explique  :  nous  connaissons  par  la  foi  deux  principaux 
caractères  de  la  grâce,  sa  douceur  et  ses  ménagemens,  sa  force  et 
sa  puissance.  Douceur  et  ménagement  de  la  grâce;  quoiqu'elle 
puisse  tout  sur  le  cœur  de  l'homme,  elle  ne  nous  en  laisse  pas 
moins  notre  liberté:  force  et  puissance  de  la  grâce;  quoiqu'elle 
nous  laisse  notre  liberté,  elle  peut  tout  sur  le  cœur  de  l'homme. 

Or,  qu'arrive-t-il?  cette  douceur,  ces  ménagenieus,  ces  insinua- 
tions de  la  grâce  qui  agit  quelquefois  d'une  manière  si  délicate 
qu'elle  semble  se  confondre  avec  nos  lumières,  avec  nos  penchans, 
avec  nos  inclinations ,  le  pénitent  superbe  et  présomptueux  est 
tenté  d'en  abuser  pour  s'attribuer  ses  vertus;  cette  force,  cette 
puissance  de  la  grâce  qui  se  rend  quelquefois  sensible  par  des  mi- 
racles étonnans  de  conversions,  le  pécheur  hypocrite  en  abuse 
pour  excuser  son  péché.  Je  reprends  donc  et  je  dis  :  Si  scires 
donum  Del.  Pénitent  superbe  et  présomptueux,  voulez-vous  savoir 
ce  que  vous  devez  de  reconnaissance  à  la  douceur  et  aux  ména- 
gemens de  la  grâce?  Pécheur  hypocrite,  voulez-vous  savoir  ce 
que  vous  faites  d'outrage  à  la  force  et  à  la  puissance  de  la  grâce? 
"Voyez  ce  que  la  grâce  fait  pour  cette  femme  de  Samarie,  dont 
parle  notre  Evangile  ;  voyez  ce  que  cette  femme  fait  avec  la  grâce. 
Ce  que  la  grâce  fait  pour  elle  vous  apprendra  qu'à  Dieu  seul  ap- 
partient la  gloire  de  la  vertu  ;  ce  qu'elle  a  fait  avec  la  grâce  vous 
apprendra  qu'à  1  homme  seul  appartient  le  crime  du  péché.  En 
un  mot,  la  douceur,  les  ménagemens  de  la  grâce  ne  donnent  à 
l'homme  pénitent  aucun  sujet  de  se  glorifier.  La  force  et  la  puis- 
sance de  la  grâce  ne  fournissent  à  l'homme  pécheur  aucun  pré- 
texte pour  s'excuser.  Deux  vérités  importantes  que  je  me  propose 
de  développer  sans  sortir  de  l'Évangile  du  jour.  (Le  P.  de  Neu- 
ville, Sur  la  Grâce.) 


3/|8  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

La  grâce  nous  élève  jusqu'à  Dieu. 

En  vertu  de  la  grâce  qui  nous  sanctifie  comme  en  fans  de  Dieu, 
«  nous  sommes  les  héritiers  de  Dieu  et  les  cohéritiers  de  Jésus- 
«  Christ  dans  le  royaume  de  Dieu  *.  »  Héritiers  de  Dieu,  parce  que 
Dieu,  dit  saint  Augustin,  ne  nous  a  point  promis  d'autre  héri- 
tage que  la  possession  de  lui-même. Or,  c'est  la  grâce  sanctifiante 
qui  nous  assure  cet  héritage  céleste ,  et  Dieu ,  le  meilleur  et  le 
plus  libéral  de  tous  les  pères,  ne  peut  nous  le  refuser  tandis  que 
sa  grâce  est  en  nous,  et  que  nous  sommes  en  grâce  avec  lui.  Go- 
héritiers  de  Jésus-Christ;  car  nous  devenons  capables  non  seule- 
ment de  posséder,  mais  de  mériter  le  royaume  de  Dieu,  et  le  mé- 
riter par  autant  de  titres  que  nous  pratiquons  de  bonnes  œuvres 
et  que  nous  faisons  d'actions  chrétiennes  ;  puisqu'il  est  encore  de 
la  foi  que  toutes  nos  œuvres,  élevées,  sanctifiées  et  comme  divi- 
nisées par  la  grâce,  nous  servent  de  mérites  pour  la  gloire;  que 
chacune  en  particulier  est  pour  nous  comme  un  droit  acquis  à  cette 
gloire;  que  les  plus  viles  et  les  plus  basses  en  apparence  ont  une 
sainteté  proportionnée  à  cette  gloire;  qu'à  un  verre  d'eau  donné 
pour  Dieu  est  dû,  par  justice  et  par  récompense ,  un  degré  de  cette 
gloire;  et  qu'ainsi  la  vie  du  juste  sur  la  terre  devient  un  mérite 
continuel  dont  Dieu,  selon  saint  Paul,  veut  bien  être  dès  main- 
tenant le  dépositaire  pour  en  être  éternellement  le  rémunérateur. 
Il  est  vrai  ;  mais  aussi,  renversant  la  proposition,  concluez  de  là 
quelle  perte  fait  un  pécheur  qui  vient  à  déchoir  de  l'état  de  grâce, 
puisqu'il  n'est  pas  moins  hors  de  sa  foi  que  hors  de  cet  état.  Toutes 
nos  œuvres  sont  des  œuvres  mortes ,  de  nul  prix  devant  Dieu,  et 
incapables  de  nous  obtenir  la  récompense  des  élus  de  Dieu.  Ce 
n'est  pas  que ,  dans  l'état  de  péché ,  quoique  privés  de  la  grâce 
habituelle,  nous  ne  puissions  faire  des  actions  louables  et  ver- 
tueuses, des  actions  saintes  et  surnaturelles,  des  actions  même 
utiles  pour  le  salut,  puisque  au  moins  elles  peuvent  nous  servir  de 
dispositions  pour  nous  convertir  à  Dieu;  mais  je  ne  vous  instruirais 
pas  à  fond  de  votre  religion ,  si  je  ne  vous  avertissais  que  toutes 
ces  actions,  quoique  saintes,  quoique  surnaturelles,  quoique  uti- 
les, hors  de  l'état  de  grâce  ne  méritent  rien  pour  le  ciel;  que  Dieu 
ne  nous  en  tiendra  jamais  compte  dans  l'éternité,  et  qu'au  lieu 
qu'étant  consacrées  par  la  grâce,  elles  nous  auraient  acquis  des  tré- 

1  Rom.,  vin,  17. 


DES    PRÉDICATEURS.  3>4«) 

sors  de  gloire;  du  moment  qu'elles  n'ont  pas  cet  avantage,' elles 
ne  peuvent  nous  conduire  à  ce  royaume  que  Dieu,  comme  juge 
équitable,  réserve  à  ses  amis.  Or,  ma  douleur  est  devoir  des  Chré- 
tiens insensibles  à  de  si  importantes  vérités  ;  des  Chrétiens  qui 
perdent  la  grâce  tranquillement,  qui  la  perdent  sans  chagrin  et 
sans  trouble ,  et  qui  par  là  ne  montrent  que  trop  leur  peu  de  foi  et 
même  leur  secrète  irréligion.  O  homme  !  concluait  le  grand  saint 
Léon,  indigné  du  scandale  que  je  déplore,  et  touché  d'un  si  pro- 
digieux aveuglement;  ô  homme!  qui  que  vous  soyez,  reconnaissez 
donc  aujourd'hui  votre  dignité;  et,  sanctifié  comme  vous  l'êtes 
par  la  grâce  qui  vous  associe  à  la  nature  divine,  ne  retombez  pas 
dans  votre  première  bassesse.  (Bourdaloue,  Sermon  sur  la  Cow 
ceptlon  de  In  Vierge,} 

La  douceur,  les  menagemens  de  la  grâce  ne  donnent  à  l'homme  pénitent  aucun  sujet 

de  se  glorifier. 

Quoique  ce  soit  de  la  racine  empoisonnée  de  l'orgueil  que  nais- 
sent, que  naîtront  toutes  les  fausses  doctrines  qui  d'âge  en  âge 
troubleront  la  paix  de  l'Eglise,  cependant  saint  Augustin  avait 
raison  de  l'avancer,  qu'entre  toutes  les  hérésies  Terreur  péla- 
gienne  méritait  plus  que  les  autres  d'être  appelée  l'hérésie  de  l'or- 
gueil humain;  non  seulement  parce  qu'il  n'appartient  qu'à  la  plus 
audacieuse  présomption  de  contester  à  Dieu  le  principe  de  tout 
bien  et  la  gloire  des  vertus  évangéliques ,  afin  de  l'attribuer  à 
l'homme  ,  mais  parce  que,  entre  tous  les  articles  de  notre  foi,  il 
n'en  était  aucun  plus  clairement  marqué,  plus  nettement  exprimé, 
plus  hautement  annoncé  que  le  dogme  qu'attaque  l'impiété  de 
Pelage.  De  toutes  parts  s'élevaient  des  voix  de  proscription  contre 
sa  pernicieuse  doctrine.  Son  baptême,  sa  foi,  ses  espérances  en 
Jésus-Christ,  les  livres  saints,  les  prières  publiques,  les  liturgies, 
l'auguste  sacrifice,  tout  lui  parlait  de  la  nécessité  de  la  grâce.  Afin 
de  s'insinuer,  de  se  maintenir  dans  l'esprit  des  peuples,  cette  secte, 
il  est  vrai,  aussi  souple,  aussi  adroite  que  fière  et  hautaine,  em- 
ploya toutes  les  ruses  de  la  politique,  toute  la  pénétration  du 
génie,  toutes  les  richesses  de  la  science,  toutes  les  grâces  du  lan- 
gage, tous  les  charmes  de  la  politesse,  tout  l'éclat  des  plus  grands 
noms,  toutes  les  apparences  delà  piété  la  plus  austère. 

Malgré  tant  d'appuis,  elle  périt  bientôt  accablée  sous  les  ana- 
thèmes  du  monde  entier.  L'erreur  passe ,  la  vérité  demeure  :  les 
sectes  ne  sont  que  pour  quelques  jours,  pour  quelques  années;  si 


35o  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

vous  le  voulez,  pour  quelques  siècles  :  l'Eglise  seule  ne  connaît 
point  l'outrage  des  temps;  elle  sera  immortelle  comme  le  Dieu 
dont  elle  est  l'ouvrage. 

Or,  cette  erreur,  depuis  si  long-ïemps  foudroyée,  ne  revit-elle 
point  trop  souvent  au  fond  de  nos  cœurs? Peu  accoutumés  à  réfléchir 
sur  ce  qui  se  passe  au  plus  intime  de  notre  ame,  connaissons-nous 
assez  les  richesses  de  la  grâce?  Cette  grâce  dont  l'action  mesurée, 
tempérée,  amollie,  pour  ainsi  dire  ,  par  sa  douceur,  par  ses  ména- 
gemens,  nous  conduit  par  des  détours  imperceptibles,  reçoit-elle 
toujours  l'hommage  de  louange  et  d'honneur  qu'elle  mérite?  Ap- 
pliquez-vous, mes  chers  auditeurs  ;je  soutiens  que  cette  douceur, 
ces  ménagemens  de  la  grâce  doivent  être  le  plus  grand  objet  de 
notre  reconnaissance.  Etudiez  avec  moi  notre  Evangile,  vous  ap- 
prendrez que  c'est  à  la  douceur,  aux  ménagemens  de  la  grâce  qui 
l'attend,  que  le  pécheur  doit  le  temps  de  se  convertir;  à  la  dou- 
ceur, aux  ménagemens  de  la  grâce  qui  le  prévient,  que  le  pé- 
cheur doit  les  premiers  désirs  de  sa  conversion;  à  la  douceur,  aux 
ménagemens  de  la  grâce  qui  l'invite,  qui  l'attire,  qui  le  détermine, 
que  le  pécheur  doit  sa  conversion  :  trois  réflexions,  dont  il  suit 
que  la  douceur  et  les  ménagemens  de  la  grâce  ne  donnent  à 
l'homme  pénitent  aucun  sujet  de  se  glorifier.  Reprenons. 

Douceur  de  la  grâce  qui  attend  le  retour  du  pécheur;  mé- 
nagemens de  la  grâce  qui  donne  au  pécheur  le  temps  ,  le  moment 
du  retour;  patience  de  Dieu  à  soutenir,  à  supporter  le  pécheur: 
ce  n'est  point  encore  la  grâce  qui  amollit,  qui  attendrit  le  cœur 
de  l'homme,  c'est  la  grâce  encore  renfermée  dans  le  cœur  de  Dieu; 
ce  n'est  point  encore  la  grâce  qui  parle  au  pécheur,  c'est  la  grâce 
qui  s'intéresse  pour  le  pécheur  ;  ce  n'est  point  encore  la  grâce  qui 
forme  le  pénitent,  c'est  la  grâce  qui  prépare  la  pénitence.  Or, 
cette  grâce ,  parce  qu'elle  est  un  silence  plutôt  que  la  voix  de  Dieu, 
parce  qu'elle  est  plutôt  un  repos  et  qu'elle  n'est  point  une  action 
de  Dieu,  nous  ne  la  sentons  pas,  nous  ne  l'apercevons  pas.  Re- 
pos, silence  de  Dieu,  qui  est  déjà  un  grand  bienfait  delà  média- 
tion de  Jésus-Christ;  il  oblige  l'homme  pénitent  à  la  plus  grande 
reconnaissance;  c'est  déjà  un  titre  qui  le  force  d'avouer,  avec  l'A- 
pôtre, qu'il  ne  serait  rien  sans  la  grâce  de  Jésus-Christ  ;  que,  s'il  est 
quelque  chose ,  c'est  par  la  grâce  de  Jésus-Christ  :  Gratta  autem 
Dei  sum  ici  quod  sum  *. 

Fatigué  d'une  longue  course,  Jésus  s'arrête, il  attend;  et  qu'at- 

1  I  ad  Cor.,  xv,  10, 


DES    PRÉDICATEURS.  35  I 

tend-il?  Qu'attend-il?    une  arao  infidèle,   étrangère  à  la   nation 
sainte,  ennemie  du  peuple  à   qui  Dieu  confia  sa  Loi,  son  temple, 
son  autel,  ses  Ecritures,  ses  oracles,  ses  promesses  !  Engagée  dans 
les  voies  d'une  schismatique  séparation,  elle  offensait  par  un  culte 
réprouvé  le  Dieu    qu'elle    adorait.   Aussi  coupable  par  ses  vices 
que  par  ses  erreurs, elle  ajoutait  ses  crimes  propres  et  personnels 
aux  crimes  de  ses  pères:  l'égarement  de  l'esprit ,  la  corruption  du 
cœur ,  la  dépravation  des  mœurs  ,  la  présomption  ,  le  libertinage, 
l'indocilité.  Ce  Dieu  qu'elle  ignore,  qu'elle  veut  ignorer,   ce  Dieu 
que  depuis  tant  d'années  elle  outrage,  qu'elle  veut  outrager,  ce 
Dieu  l'attend.  Ah!  Seigneur,  que  nous  serions  heureux  si  nous 
savions  imiter  votre  douceur  et  votre  patience!  mais  que  nous  se- 
rions à  plaindre  si  vous  aviez  notre  fausse  délicatesse,  notre  sen- 
sibilité, cette  ardeur  à  poursuivre,  à  punir  les  outrages!  plus  cri- 
minels,  parce   que  c'est  un  Dieu  que  nous  avons  offensé,  nous 
serions  bien  plus  malheureux  si  celui  que  nous  avons  offensé  n'é- 
tait qu'un  homme!  la  Samaritaine  rencontrerait  un  maître  sévère, 
inexorable;   elle  trouve  un  père  tendre,  dont  elle  n'a   pu  lasser 
la  patience  par  ses  iniquités.  (Le  P.  De  Neuville.) 

Le  pécheur  doit  à  la  douceur  et  aux  roénagcmcns  de  la  grâce  qui  le  prévient  les 
premiers  désirs  de  sa  conversion. 

Assis  aux  bords  de  la  fontaine  de  Jacob,  Jésus  semble  se  livrer 
à  la  douceur  d'un  repos  profond,  sedebat ;  c'est  le  repos  d'un  Dieu 
sauveur,  repos  plus  fécond  en  prodiges  que  l'activité  laborieuse 
des  hommes  :  du  sein  de  cette  tranquillité  apparente,  il  forme  les 
dessins ,  il  concerte  les  projets ,  il  ébauche  l'ouvrage  de  ses  misé- 
ricordes sur  cette  ame  marquée  de  toute  éternité  pour  rendre  sen- 
sible la  conduite  intérieure  du  Dieu  de  la  grâce.  La  femme  de  Sa- 
marie  s'avance  :  est-ce  un  heureux  hasard  qui  la  guide  vers  cette 
fontaine  destinée  à  devenir  pour  elle  une  source  de  vie  et  de  jus- 
tice ?  Elle  ignore  la  révolution  désirable  qui  va  l'associer  au  peuple 
saint,  la  faire  entrer  dans  l'héritage  des  élus;  elle  ignore  le  bon- 
heur qui  l'attend;  ce  qu'elle  ne  sait  pas,  Jésus  le  sait,  ses  pas  sont 
comptés,  une  Providence  aimable  veille  sur  elle  et  pour  elle;  elle 
obéit  à  une  voix  qu'elle  n'entend  pas;  elle  suit  un  attrait  qu'elle 
ne  distingue  pas ,  qu'elle  ne  démêle  pas.  Providence  de  la  grâce  ! 
qu'en  penserons-nous,  lorsque  les  nuages  seront  dissipés ,  lorsque 
nous  verrons  se  développer  le  plan  ,  la  suite ,  le  tissu  des  événe- 
mens,  des  situations,  des  circonstances  où  nous  fûmes  successive- 


3j2  nouvelle  bibliothèque 

ment  placés?  Tout  semblait  prendre  la  loi  des  caprices  d'une 
aveugle  fortune,  tout  était  réglé  par  une  sagesse  profonde  !  Je  vous 
fuyais,  o  mon  Dieu  ,  s'écriait  saint  Augustin ,  vous  me  suiviez;  je 
m'éloignais  de  vous,  vous  étiez  auprès  de  moi,  semblable  à  la 
femme  de  Samarie ,  je  ne  pensais  qu'à  étancher  la  soif  de  mes  af- 
fections déréglées,  de  mes  vicieuses  cupidités;  pressé  par  la  soif 
qu'allume  au  dedans  de  vous  le  pur  amour,  vous  couriez  après 
moi  dans  les  sentiers  de  mes  égaremens. 

Car  tel  est,  mes  chers  auditeurs,  le  prodige  de  cette  douceur,  de 
ces  ménagemens,  de  ces  attentions  de  la  grâce  prévenante ,  que 
non  seulement,  aussi  heureux  que  la  femme  de  Samarie,  nous 
trouvons  la  grâce  lorsque  nous  ne  la  cherchons  pas,  mais  souvent 
encore  la  grâce  nous  trouve  lorsque  nous  la  fuyons.  Que  dis-je  ? 
c'est  quelquefois  par  les  routes  mêmes  que  nous  prenons  pour  nous 
en  écarter  que  la  grâce  vient  à  nous,  que  la  grâce  nous  attire  à 
elle.  Le  monde  nous  enlève  à  Dieu,  afin  de  nous  rendre  à  Dieu  : 
que  fera  la  grâce?  elle  emploiera  le  monde,  ses  rebuts,  ses  hau- 
teurs ,  ses  bizarreries  ,  ses  caprices,  son  inconstance,  sou  ingrati- 
tude, ses  injustices,  ses  trahisons ,  ses  perfidies  :  nous  n'apercevons 
autour  de  nous  que  des  rivaux ,  que  des  concurrens  appliqués  à 
nous  traverser,  à  nous  tendre  des  pièges,  à  nous  envelopper  dans 
le  labyrinthe  de  leurs  ténébreuses  intrigues  ;  que  des  protecteurs 
fiers,  hautains,  superbes,  intéressés,  durs,  insensibles;  nous  ne 
voyons  que  des  amis  faibles ,  lâches ,  timides ,  faciles  à  se  rebuter, 
prompts  à  nous  abandonner  ;  que  des  esprits  critiques,  malins,  ja- 
loux, épouvantés  à  l'aspect  d'un  mérite  supérieur. 

Ce  sont  nos  passions  qui  nous  précipitent  dans  le  désordre; 
afin  de  nous  ramener  au  devoir  ;  que  fera  la  grâce  ?  elle  se  servira 
de  nos  passions,  de  leurs  désirs  inquiets  pour  nous  fatiguer; 
de  leurs  craintes,  de  leurs  soupçons  pour  nous  désoler;  des  revers, 
des  disgrâces  qui  les  accompagnent  pour  nous  rebuter;  de  la  honte, 
de  l'opprobre  qui  les  suit  pour  nous  intimider  ;  de  leurs  succès , 
de  leurs  prospérités  pour  nous  instruire,  nous  détromper,  nous 
dégoûter  :  plein  de  dépit ,  d'ennui ,  d'amertume,  triste,  agité,  im- 
portun à  lui-même,  notre  cœur  cherchera  un  asile,  la  grâce  le  lui 
présentera  ;  je  ne  dis  point  assez,  la  grâce  lui  inspirera  le  désir  d'y 
venir  oublier  ses  infortunes  et  ses  douleurs. 

En  effet ,  ne  nous  y  trompons  pas,  chrétiens  ;  que  servirait  à  la 
Samaritaine  que  le  Dieu  sauveur  eût  soutenu  ses  égaremens  dans 
l'abondance,  dans  la  plénitude  de  ses  miséricordes,  si  à  la  patience 
qui  l'attend,  à  la  Providence  qui  la  guide,  il  n'ajoutait  la  lumière 


r      DES    PRÉDICATEURS.  353 

qui  l'éclairé,  la  voix  intérieure  qui  l'appelle,  le  sentiment,  l'attrait 
qui  l'invite  ?  Jésus  serait  à  ses  yeux,  il  serait  encore  absent  de  son 
cœur,  elle  le  verrait,  elle  ne  le  connaîtrait  pas,  elle  ne  l'aimerait 
pas.  En  vain  Jonc  notre  cœur  dépris,  désabusé  des  fausses  pros- 
pérités du  monde,  des  délices  trompeuses  de  la  volupté  ,  rougirait 
de  son  indigne  esclavage,  ses  liens  ne  tomberaient  pas.  Telle  est 
notre  misère,  remarque  saint  Bernard,  que  nous  n'irons  pointa 
Dieu,  si  Dieu  ne  vient  le  premier  à  nous;  que  nous  ne  le  cherche- 
rons qu'après  qu'il  nous  aura  cherchés  :  JSon  quœreres,  nisi  prius 
quœsita.  Pour  me  perdre  je  n'aibesoin  que  de  moi-même;  pour  me 
sauver  j'ai  besoin  de  Dieu  :  loin  de  pouvoir  me  convertir  sans  la 
grâce,  le  concile  d'Orange  décide  que,  sans  un  mouvement  de  la 
grâce,  je  ne  puis  désirer,  invoquer  la  grâce  de  ma  conversion  : 
Ipsam  gratiam  facere  ut  a  nobis  invocetur.  Or,  si  je  ne  puis  désirer 
la  grâce  de  me  convertir  qu'autant  que  la  grâce  me  prévient, 
comment,  sans  être  prévenu  par  la  grâce,  formerais-je  le  désir  de 
ma  conversion  ? 

Vérité  fondamentale  de  la  religion  ,  nous  la  voyons  clairement 
marquée  dans  notre  Evangile  :  Jésus  est  sous  les  yeux  de  la  femme 
de  Samarie,  elle  ne  le  voit  pas;  elle  le  voit,  elle  n'y  pense  pas;  elle 
y  pense,  ce  n'est  que  pour  hâter  sa  fuite  :  élevée  dans  la  haine  du 
temple,  de  la  cité  sainte  du  culte  véritable,  elle  méprise  un  fils 
de  Juda ,  elle  s'en  croit  méprisée  :  A  on  enim  co-utuntur  Judœi  Sa- 
maritains K  C'est  Jésus  qui  la  prévient ,  qui  l'arrête ,  qui  lui  parle, 
qui  commence  cet  entretien  dont  sa  prompte  et  sincère  conver- 
sion fut  le  fruit. 

Grâce  prévenante  !  sentirons-nous  ,  reconnaîtrons-nous  jamais 
assez  un  pareil  bienfait  ?  A.h!  mes  chers  auditeurs,  qu'un  père  tendre 
se  laisse  désarmer  par  les  soupirs  de  l'enfant  prodigue;  Joseph,  par 
le  repentir  de  ses  frères  et  les  prières  de  Jacob;  Assuérus,  par  les 
pleurs  d'Esther;  que  Jésus-Christ  soit  touché  de  la  foi  de  la  Chana- 
néenne,  du  silence  de  la  femme  adultère,  des  larmes  de  la  Mag- 
deleine,  des  regrets  et  de  la  pénitence  de  Pierre;  que  Dieu  soit 
ému ,  attendri ,  gagné  par  les  cris  ,  par  la  douleur  d'un  cœur  con- 
trit et  humilié,  je  n'en  suis  point  surpris,  les  prodiges  de  sa  pa- 
tience à  supporter  le  péché,  m'ont  annoncé  les  miracles  de  sa 
facile  indulgence  à  recevoir  les  pécheurs.  Rejetterait-il  avec  dureté 
celui  qu'il  voulut  attendre  avec  tant  de  persévérance? Ne  promet-il 
pas  le  bienfait  de  la  réconciliation  lorsqu'il  accorde  le  temps  du 

*  S.  Jean,  iv,  9. 

T,   UJ,  $3 


354  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

repentir?  Pourquoi  diffère-  t-il  de  se  venger,  si  ce  n'est  pour  avoir 
lieu  de  pardonner? 

Mais,  que  le  pasteur  abandonné  coure  après  la  brebis  fugitive  , 
que  le  maître  insulté  recherche  le  serviteur  inutile,  l'esclave  re- 
belle et  obstiné  dans  sa  rébellion;  qu'un  Dieu  qui  déteste  le  pé- 
ché prévienne  le  pécheur,  qu'il  s'abaisse  jusqu'à  prier,  jusqu'à  dire 
comme  il  le  disait  dans  notre  Evangile:  Da mihi  ^Donnez-moi  vo- 
tre cœur,  ce  cœur  que  je  vous  demande,  ce  cœur  que  vous  me  re- 
fusez depuis  tant  d'années,  ce  cœur,  l'objet  de  mes  désirs,  le  prix 
de  mon  sang,  ce  cœur  que  moi  seul  je  mérite,  que  moi  seul  je 
puis  rendre  heureux:  da  mihi;  donnez-moi  ce  cœur  rebuté  du  mon- 
de et  corrompu  par  le  monde,  ce  cœur  qui  dans  les  voies  du  monde 
n'a  trouvé  que  crimes  et  que  disgrâces,  toujours  coupable  et  tou- 
jours malheureux  :  da  mihi  ;  donnez-moi  ce  cœur,  victime  infortu- 
née de  tant  de  passions  ,  ce  cœur  agité  par  tant  de  désirs,  alarmé 
partant  de  craintes,  troublé  de  tant  de  soupçons,  dévoré  partant 
de  jalousies,  désespéré  par  tant  de  trahisons;  flétri,  desséché  par 
tant  d'ennuis  ;  miné,  consumé  par  tant  de  chagrins,  déchiré  par 
tant  de  remords  et  de  repentirs:  da  miliL  Insensé,  vous  ne  savez 
ni  ce  que  vous  cherchez  ni  ce  que  vous  fuyez:  Si scires  do num 
Deiï  Le  monde  est-il  capable  de  remplir  l'immense  étendue  de  vo- 
tre cœur?  Vous  aurez  toujours  plus  de  désirs  que  le  monde  ne 
peut  donner  de  prospérités;  montrez-moi  une  ambition  rassasiée 
d'honneurs  ;  une  vanité  satisfaite  de  louanges;  un  orgueil  content 
de  distinction  ;  une  avarice  qui  se  croit  assez  de  richesses  :  un  cour- 
tisan qui  n'aspire  pas  à  plus  de  faveurs  qu'il  n'en  a  ;  un  politique 
qui  ne  souhaite  point  de  nouveaux  et  de  plus  grands  succès;  une 
volupté  qui  n'eut  pas  toujours  soif  de  plaisirs  et  de  délices;  un 
homme  heureux  dans  le  monde  et  par  le  monde;  un  homme  qui 
ait  assez  pour  ne  plus  désirer,  ou  qui  ne  s'ennuie  pas  de  lui-même 
lorsqu'il  est  parvenu  au  terme  de  ses  désirs  ?  Omnis  qui  bibit 
ex  aqua  sitiet  iterum  -.  Un  autre  maître  vous  invite  ,  éprouvez 
s'il  ne  vous  fera  pas  une  autre  destinée;  vous  ne  connaissez  que  la 
tyrannie  des  passions,  vous  ignorez  l'aimable  empire  de  ma  grâce, 
le  doux  silence,  le  repos  profond ,  le  calme  enchanteur  qu'il  ré- 
pand dans  une  ame  docile  à  sa  voix  :  Qui  biberit  ex  aqua  quant  ego 
claboei,  non  sitiet  in  œternum  3.  Je  ne  vous  dis  donc  plus  donnez-moi 
votre  cœur ,  da  mihi;  laissez  votre  cœur  à  lui-même ,  il  ne  tardera 
pas  d'être  à  moi  ;  vous  ne  me  l'enlevez  que  malgré  lui,  je  le  rap- 

*  Jean.,  !V,  13.  —  8  Ibid,,  13  —  3  Ibid. 


DES    PREDICATEURS. 


3*>  w 
0  3 


pelle  sans  cesse  par  mes  grâces,  il  m'appelle  continuellement  par 
ses  regrets;  pourquoi  vous  obstiner  contre  lui ,  contre  moi  ?  Encore 
un  moment,  vous  êtes  dans  le  tombeau  ;  ne  vous  suffit-il  poiut 
des  malheurs  du  temps  ,  si  vous  n'y  ajoutez  les  malheurs  de  l'éter- 
nité? Un  soupir  profond  effacera  vos  iniquités,  les  larmes  d'une 
sincère  pénitence  éteindront  le  feu  de  mon  tonnerre;  soyez  à  moi, 
je  suis  à  vous  :  revenez ,  j'oublierai  que  vous  m'avez  quitté  :  Du 
mihi.  (Le  même.) 

Le  pécheur  doit  à  la  douceur  et  aux  ménagemens  de  la  grâce  sa  conversion. 

Et  c'est  ici,  mes  chers  auditeurs,  que  plus  nous  avançons  dans 
les  voies  de  la  grâce,  plus  nous  serons  forcés  de  nous  écrier  avec 
l'Apôtre  que  les  opérations  de  la  grâce  ne  sont  que  mystère  impé- 
nétrable aux  plus  heureuses  conjectures  :  Investi gabile  s  -vice  ejus1  ! 
Mystère  de  secret ,  d'obscurité  profonde  dans  les  succès,  dans  les 
triomphes  de  la  grâce!  Qu'est-ce  qui  entraîne,  détermine,  change 
le  pécheur?  Souvent  il  l'ignore  lui-même;  c'est  un  mouvement 
intérieur  dont  il  ne  démêle  ni  le  principe  ni  le  progrès  :  mille  fois 
on  avait  approfondi  la  même  vérité,  on  n'avait  point  été  détrompé; 
on  avait  senti  le  même  attrait,  on  n'avait  point  été  pénétré.  Depuis 
des  années  Augustin  était  pressé,  sollicité  ,  convaincu;  il  était  tou- 
jours pécheur;  quelques  mots  prononcés  comme  sans  dessein,  un 
coup  d'œil  sur  les  Epîtres  de  saint  Paul ,  il  est  pénitent;  ses  larmes 
coulent,  elles  emportent  ses  habitudes  et  ses  passions,  La  voix 
d'Ambroise  avait  échoué ,  la  voix  d'un  enfant  réussit.  Augustin 
connaît  les  grâces  auxquelles  il  a  résisté,  Augustin  ne  connaît  pas 
la  grâce  à  laquelle  il  a  cédé:  Investigabiles  vice  ejus! 

Mystère  de  ménagemens,  de  douceur,  d'insinuation  dans  les 
opérations  si  variées  de  la  grâce,  dans  les  formes  différentes  sous 
lesquelles  elle  se  produit  :  tantôt  c'est  un  rayon  vif  et  perçant 
dont  l'impression  rapide  dissipe  tout  à  coup  les  nuages  les  plus 
sombres;  tantôt  une  lueur  d'abord  faible,  tempérée,  qui  s'aug- 
mente, qui  s'épure,  qui  jette  un  plus  grand  éclat  à  mesure  qu'on 
se  rend  plus  attentif;  tantôt  un  éclair  qui  consume  en  un  instant 
le  bandeau  qu'avaient  jeté  sur  la  raison  et  sur  la  foi  les  enchante- 
mens  du  monde  et  de  la  cupidité;  tantôt  une  main  propice,  qui, 
par  une  action  plus  lente,  plus  concentrée,  le  lève,  le  soutient 
peu  à  peu:  ici  c'est  la  voix  du  Dieu  puissant  qui  ébranle  le  désert, 

1  Ad  Rom.,  il,  33, 

23, 


356  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

qui  brise  les  cèdres,  qui  renverse  un  Saùl  persécuteur;  là  un  souf- 
fle léger,  un  doux  murmure  de  l'esprit  de  paix  et  de  silence,  qui, 
pour  ainsi  dire,  se  fait  entendre  sans  parler  ;  un  regard ,  et  Pierre 
est  baigné  de  ses  pleurs.  Quelquefois  Dieu  se  montre  en  juge  sé- 
vère, en  maître  irrité,   la  foudre  à  la  main,  prêta  écraser  le  pé- 
cheur; souvent  il  paraît  en  ami  fidèle,  qui  avertit,  qui  reprend, 
qui  persuade;  en  père  tendre,  il  s'alarme,  il  s'afflige,  il  se  plaint, 
il  vous  plaint,  moins  touché  de  vos  perfidies  qu'attendri  sur  vos 
malheurs  :  que  sais-je,  Chrétiens?  Lumières  qui  éclairent,  attraits 
qui  engagent,  terreurs  qui   épouvantent,    charmes   qui  invitent, 
remords  qui  troublent,  espérances  qui  attirent ,  menaces  qui  inti- 
mident, reproches    aimables  qui  attendrissent,  craintes  qui  em- 
poisonnent les  plaisirs  du  péché,  amour  qui  fait  disparaître  les  pei- 
nes de  la  vertu,  confusion  qui  humilie ,  force  et  courage  qui  rassu- 
rent; point  de  forme,  point  de  figure  que  la  grâce  ne  prenne,  qu'elle 
ne  quitte  successivement;  elle  s'accommode  à  tous  les   génies,  à 
tous  les  caractères ,  à  toutes  les  situations;  souple,  insinuante, 
elle  entre  dans  l'abîme  des  erreurs  pour  les  dissiper,  des  penchans 
pour  les  combattre,  des  passions  pour  les  détruire;  elle  se  sert  du 
péché  même  contre  le  pécheur;  on  dirait  presque  que  pour  domi- 
ner le  cœur  elle  se  soumet  à  son  empire,  qu'elle  parvient  à  donner 
la  loi,  en  commençant  en  quelque  façon  par  la  recevoir  :  Investi- 
gabiles  vice  ejus  ! 

En  voulons-nous  une  preuve?  Retournons  à  notre  Evangile  : 
quel  triomphe  de  la  grâce  porta  jamais  un  caractère  plus  marqué 
de  douceur  et  de  ménagemens  !  Attentif  à  préparer  et  à  saisir  les 
momens  de  salut,  le  Dieu  sauveur  a  su  conduire  cette  ame  infidèle 
loin  du  bruit  et  du  tumulte,  afin  que,  dans  le  silence  de  la  soli- 
tude ,  elle  entende  mieux  la  voix  de  la  grâce  et  la  voix  de  son  pro- 
pre cœur;  un  léger  service  qu'il  demande,  qu'elle  semble  vouloir 
refuser,  devient  le  nœud  de  sa  conversion  ;  elle  ne  voit  dans  Jésus 
qu'un  voyageur  sorti  de  Juda  ;  elle  déclare  qu'un  mur  éternel  de 
division  sépare  Jérusalem  de  Samarie  :  Non  enim  co-utuntur  et  Ju- 
dœi  Samaritcuiis.  Jésus  l'avertit  qu'elle  se  trompe  lorsqu'elle  con- 
i  oncl  ce  qu'il  est  avec  ce  qu'il  paraît;  que  c'est  à  lui  de  faire  des 
grâces ,  non  d'en  demander;  de  recevoir  des  hommages,  non  d'en 
rendre;  il  ne  lui  découvre  pas  encore  la  vérité ,  il  lui  montre  son 
erreur  ;  Si  scires  quis  est  qui  dicit  tibi^  da  mihi  biberex.  Frappée 
de  ce  premier  rayon  de  lumière ,  elle  veut  se  relever ,  s'illustrer 

\  Jean,  iv,  \7>, 


DES    PREDICATEURS^  35j 

par  la  gloire  du  patriarche  qu'elle  regarde  comme  le  chef  de  son 
peuple.  Jésus  lui  annonce  que  la  gloire ,  les  prospérités ,  l'opulence 
des  patriarches  ne  furent  que  l'ombre  des  richesses  qu'il  vient  ap- 
porter sur  la  terre  :  Aqua  quam  ego  dabo  fiet  fons  aquœ  salientîs 
in  vilain  œternamx.  Ces  biens  dont  Jésus  enrichira  la  terre,  elle 
souhaite  de  les  obtenir;  on  lui  déclare  qu'ils  sont  réservés  aux 
âmes  pures  et  chastes  :  Voca  virum  tuum...  non  est  tuus  vir^.  Ce 
seul  mot,  en  lui  reprochant  ses  engagemens  criminels,  lui  apprend 
que  rien  n'est  inconnu  à  cet  homme  qu'elle  ne  connaît  pas;  que 
Jésus  est  un  prophète  dont  les  regards  pénétrans  percent  la  dis- 
lance de  tous  les  temps,  de  tous  les  lieux  :  Propheta  es  tu  3.  Afin 
de  se  dérobera  une  lumière  importune,  elle  se  jette  dans  les  con- 
troverses de  religion,  unique  asile  de  la  honteuse  volupté,  lors- 
qu'elle veut  se  plonger  dans  un  sommeil  si  profond  qu'elle  n'ait 
point  à  craindre  le  réveil  de  la  raison. 

Jésus  lui  montre  le  crime  de  sa  schismatique  séparation  ;  mais 
ils  arrivent,  ils  sont  arrivés  les  jours  où  tous  les  peuples  ne  se- 
ront qu'un  peuple,  les  jours  où  le  culte  d'esprit  et  de  vérité  rempla- 
cera le  culte  d'ombres  et  de  figures  :  Venit  hora,  et  nunc  est;*.  Son 
cœur  agité, pressé  intérieurement,  s'ouvre  au  désir,  à  l'espérance 
du  Messie;  pour  croire  à  sa  parole,  pour  obéira  sa  voix,  il  ne  lui 
manque  que  de  le  connaître:  Quum  venerit,  nobis  aitnuntiabit om~ 
nici'\  Jésus  ne  la  laisse  point  dans  une  longue  incertitude;  ce  Mes- 
sie promis  à  vos  pères,  vous  le  voyez,  vous  l'entendez;  fidèle, 
docile,  la  Samaritaine  cède,  elle  se  rend;  les  préjugés  de  sa  nais- 
sance, les  erreurs  de  son  cœur,  ses  vices,  ses  passions,  tout 
tombe  aux  pieds  de  Jésus-Christ:  Ego  sumQ,  (Le  même). 

Divers  effets  de  la  grâce. 

Ceux  qui  ont  été  jugés  dignes  d'être  faits  enfans  de  Dieu  sont 
conduits  de  différentes  manières  par  l'Esprit-Saint,  et  trouvent 
dans  la  grâce  différens  charmes.  Pour  les  uns,  c'est  un  festin  déli- 
cieux où  les  attendent  les  mets  les  plus  agréables,  et  dont  ils  se 
repaissent  avec  un  plaisir  ineffable.  Tantôt  on  les  voit  se  réjouir 
comme  l'époux  auprès  de  son  épouse  ;  tantôt,  comme  de  purs  es- 
prits, ils  oublient  entièrement  le  corps  dont  ils  sont  revêtus ,  et 
semblent  aussi  légers  que  les  anges.  D'autres,  comme  enivrés  par 
nos  saints  mystères,  semblent  nager  dans  une  satisfaction  qu'aucun 

*  S.  Jean,  iv,  13.  —  2  IbiJ.  —  *  ibid.  -,  «  Ibîd.  — s  lbid.  —  G  Ibid. 


358  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

langage  humain  ne  saurait  exprimer.  Quelquefois  leurs  joues  sont 
sillonnées  de  larmes ,  parce  qu'ils  déplorent  alors  l'aveuglement  I 
et  la  perte  des  hommes  qui  sont  leurs  frères.  Dans  d'autres  mo- 
mens,  ils  sont  enflammés  de  tant  d'amour,  qu'ils  voudraient  pou- 
voir prodiguer  les  soins  de  la  plus  tendre  charité  à  tout  ce  qu'il  y  i 
a  d'hommes  sur  la  terre,  et  les  renfermer  tous,  pour  ainsi  dire,  i 
dans  leur  cœur.  Puis,  tournant  leurs  regards  sur  eux-mêmes,  ils 
sont  tout  à  coup  si  remplis  de  l'idée  de  leur  néant,  ils  se  méprisent  ! 
à  un  tel  point,  qu'ils  se  croient  les  derniers  des  mortels.  Tantôt  ils 
sont  inondés  d'une  joie  dont  le  Saint-Esprit  est  la  source;  tantôt  | 
ils  sont  remplis  d'un  courage  qui  les  rend  propres  à  hraver  tous 
les  obstacles,  et,  comme  de  généreux  soldats,  ils  s'avancent  au 
combat.  Le  plus  souvent  ils  sont  dans  une  douce  paix,  dans  un 
calme  délicieux,  qui  est  encore  au  dessus  de  tout  le  reste  par  le 
bonheur  qu'il  leur  procure. 

Toutefois,  dans  ces  merveilleux  effets  de  la  grâce,  il  est  différens 
degrés;  et  on  ne  les  ressent  tels  que  nous  venons  de  les  peindre 
que  quand  on  est  parfait  ou  bien  près  de  1  être.  C'est  alors ,  et  alors 
seulement,  que  pour  le  Chrétien  tout  devient  contentement,  re- 
pos, charité,  compassion,  bonté,  bienfaisance.  11  n'est  plus  lui- 
même  ,  il  devient  tour  à  tour  chacune  des  vertus  avec  lesquelles  il 
est  comme  identifié. 

Il  arrive  pourtant  aussi  quelquefois  que,  dès  le  premier  pas  que 
fait  un  chrétien  pour  sa  conversion ,  son  cœur  est  rempli  de  l'opé- 
ration ineffable  de  la  grâce.  L'homme  intérieur  qui  habite  en  lui 
est  comme  ravi  par  la  prière;  et  il  est  plongé  dans  les  méditations 
continuelles  de  la  vie  à  venir  qui  l'occupe  tout  entier.  Son  cœur 
est  inondé  d'une  volupté  pure  et  ineffable,  en  sorte  que  son  ame 
tout  entière  est  dans  l'étonnement  de  ce  que  Dieu  fait  pour  lui. 
Elle  est  élevée  au  dessus  de  la  terre;  elle  plane  dans  les  cieux; 
elle  a  oublié  tout  ce  qui  est  terrestre;  ses  sens  intérieurs  sont  rem- 
plis ,  par  l'effet  de  la  grâce  divine ,  d'un  objet  bien  plus  digne 
d'elle,  et  cet  objet  c'est  Dieu.  (Saint  Macaire,  De  la. Charité.) 

La  force  et  la  puissance  de  la  grâce  ne  fournissent  au  pécheur  aucun  prétexte  pour 

s'excuser. 

Ce  que  j'ai  dit  avec  l'Apôtre,  que  les  voies  de  la  grâce  sont  une 
abîme  dont  il  est  impossible  de  sonder  la  profondeur,  nous  pou- 
vons ,  nous  devons  le  dire  des  voies  de  notre  propre  cœur  :  il  s'é- 
gare en  tant  de  détours,  il  se  couvre  sous  tant  de  voiles,  il  s'enve- 


DES   PRÉDICATEDRS.  35o, 

loppe  dans  l'obscurité  de  tant  de  nuages,  que  l'œil  le  plus  attentif 
ne  réussit  point  à  démêler  la  trace  de  ses  pas.  Il  n'est  aucune  de 
nos  cupidités  qui ,  pour  nous  tromper,  ne  sache,  quand  il  le  faut, 
emprunter  les  dehors  de  la  vertu  même  qu  elle  détruit.  Humble, 
souple,  rampant  afin  de  s'élever,  l'orgueil  humain  ne  cède  à  la 
grâce  tout  le  mérite  de  la  vertu  que  pour  rejeter  sur  la  grâce  tout 
l'opprobre  du  vice. 

Séduction  d'orgueil  masqué,  déguisé,  fourbe  et  hypocrite,  je  ne 
crains  point  de  l'avancer,  séduction  plus  propre  à  se  répandre,  à 
se  perpétuer,  que  les  hauteurs  d'un  orgueil  audacieux!  Pourquoi? 
parce  que  la  voix  de  son  imposture  est  appuyée  du  suffrage  de 
toutes  les  passions  qui,  à  l'ombre  de  cette  fausse  humilité,  régnent 
dans  une  paix  profonde;  parce  que  la  gloire  d'une  vertu  pénible 
et  austère  a  moins  d'attraits  pour  la  multitude  qu'un  plaisir  auto- 
risé et  justifié;  parce  que,  pour  l'homme  de  cupidité,  il  n'est  point 
de  situation  aussi  douce  que  la  situation  dans  laquelle  il  croit 
qu'il  peut  se  permettre  tout  sans  avoir  rien  à  se  reprocher.  Je  n'au- 
rais donc  rempli  que  la  moindre  partie  de  mon  ministère,  si,  après 
avoir  confondu  l'orgueil  qui  abuse  de  la  douceur  et  des  ménage- 
mens  de  la  grâce  pour  s'attribuer  ses  vertus,  je  ne  vengeais  la  grâce, 
de  l'orgueil  qui  abuse  de  la  force,  et  de  la  puissance  de  la  grâce 
pour  excuser  son  péché.  Pécheurs,  connaissez  la  grâce,  connaissez- 
vous  vous-mêmes:  vous  prétendez  que  si  vous  aviez  la  grâce,  vous 
seriez  pénitens;  que  vous  n'êtes  pécheurs  que  parce  que  vous 
n'avez  pas  la  grâce  :  moi  je  dis  :  Vous  n'attribuez  à  la  grâce  une  force, 
une  puissance  qu'elle  n'a  pas,  que  parce  que  vous  voulez  excuser 
votre  péché;  vous  ne  demeurez  dans  votre  péché  que  parce  que 
vous  ne  profitez  pas,  que  parce  que  vous  ne  voulez  pas  profiter  de 
la  force,  delà  puissance  qu'a  la  grâce;  par  conséquent,  loin  que 
la  force  et  la  puissance  de  la  grâce  excusent  votre  péché ,  vos 
excuses  sont  un  nouveau  péché. 

Une  grâce  qui  obtient  le  consentement  de  la  volonté,  en  ôtant 
à  la  volonté  le  pouvoir  de  refuser  son  consentement;  une  grâce 
qui  ne  puisse  demeurer  inutile  dans  l'homme,  par  la  mollesse,  l'in- 
dolence, l'obstination,  l'indocilité  de  l'homme,....  une  grâce  qui 
n'est  jamais  dans  le  pécheur,  parce  qu'il  cesserait  nécessairement 
d'être  pécheur  aussitôt  qu'il  la  recevrait:  voilà  la  grâce,  la  seule 
grâce  que  connaît  un  pécheur  qui  cherche  des  excuses  à  son  péché, 
la  seule  qu'il  cherche  à  connaître.  Or,  je  soutiens  qu'il  ne  peut 
puiser  cette  idée  de  la  grâce  que  dans  le  désir ,  dans  l'intérêt  de 
pallier  son  péché,  de  justifier  son  péché,  d'excuser  son  péché: 


36o  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

pourquoi?  parce  que  cette  idée  qu'il  se  forme  de  la  puissance  de 
la  grâce  est  une  erreur  réfutée,  condamnée  par  tout  ce  que  nous 
éprouvons,  par  tout  ce  qu'il  éprouve  lui-même  de  la  force  et  de 
la  puissance  de  la  grâce. 

Reprenons.  Erreur  qui  outrage,  qui  déshonore  la  véritable  puis- 
sance de  la  grâce.  En  effet,  raisonnons.  Vous  dites  :  La  grâce  peut 
tout  sur  le  cœur  de  l'homme,  je  le  dis  avec  vous  :  je  demande  en 
quoi  consiste  ce  pouvoir  de  la  grâce.  Vous  répondez  qu'il  consiste 
dans  une  supériorité  d'attrait,  de  mouvement,  d'impression  qui 
met  l'homme  dans  la  nécessité  absolue  de  se  livrer  au  nouveau 
penchant  par  lequel  ses  anciennes  affections  sont  subjuguées  et 
dominées  :  ainsi  le  cœur  ne  suit  pas,  il  est  entraîné;  s'il  cède,  s'il 
plie,  ce  n'est  point  parce  qu'il  est  souple  et  docile,  c'est  parce  que, 
trop  faible,  il  n'a  pas  réellement  le  pouvoir  de  résister.  Or,  je  sou- 
tiens qu'en  se  faisant  une  pareille  idée  de  la  grâce,  on  enlève  à  la 
grâce  tous  les  caractères  de  grandeur  ,  de  noblesse,  de  majesté,  de 
divinité  qui  conviennent  à  l'action  d'un  Dieu,  à  la  grâce  d'un  Dieu: 
j'entends  l'indépendance  de  la  grâce,  la  sagesse  de  la  grâce,  la  fé- 
condité de  la  grâce,  la  puissance  divine  de  la  grâce,  le  mystère 
même  de  la  grâce.  Suivez-moi,  et  ne  craignez  point  que  le  nuage 
d'une  discussion  trop  abstraite  enveloppe  ces  vérités  sublimes. 

Je  reviens  donc  ,  et  je  dis  :  Vous  prétendez  que  la  grâce  n'est 
qu'un  attrait  essentiellement  vainqueur  ou  vaincu,  selon  qu'il  est 
combattu  par  un  attrait  plus  faible  ou  plus  fort.  Ah  !  mes  chers 
auditeurs,  reconnaissez-vous  la  liberté  ,  l'indépendance  indéfinie 
àe  la  grâce,  dans  cette  grâce  toujours  et  absolument  inutile  ,  lors- 
que la  cupidité  a  plus  de  pouvoir  et  d'activité  pour  la  combattre? 
dans  cette  grâce  qui,  lorsqu'elle  triomphe,  doit  moins  la  victoire  à 
ses  propres  forces  qu'à  la  faiblesse  des  passions?  C'est-à-dire  que 
l'on  n'affranchit  la  puissance  de  la  grâce  des  résistances  et  des  op- 
positions de  la  liberté,  que  pour  la  faire  ramper  sous  les  lois  de 
la  cupidité;  c'est-à-dire,  que  l'homme  ne  sera  jamais  libre,  et  que 
la  grâce  sera  presque  toujours  esclave. 

Reconnaissez-vous  la  fécondité  infinie  de  la 'grâce,  dans  cette 
grâce  à  laquelle  on  ne  laisse  plus  le  droit  ni  de  choisir  les  momens, 
ni  de  ménageries  caractères,  ni  de  saisir  les  situations,  ni  de  pré- 
parer les  circonstances,  ni  d'écarter  les  obstacles;  puisque  pour 
tous  les  momens,  tous  les  caractères,  toutes  les  situations,  toutes 
les  circonstances,  tous  les  obstacles,  le  sort  de  la  grâce  estassujéti 
à  des  conditions  étrangères ,  qu'elle  est  toujours  ou  nécessaire- 
ment victorieuse  ou  nécessairement  vaincue? 


DES   PRÉDICATEURS.  36  r 

Reconnaissez-vous  la  puissance  infinie  de  la  grâce ,  clans  cette 
grâce  qui  ne  peut  tout  sur  le  cœur,  que  parce  que  le  cœur  ne  peut 
rien  contre  elle?  Prenez  garde:  homme,   par  conséquent  limité 
dans  ma  force  de  résistance,  afin  de  me  faire  plier  sous  l'effort  d'un 
mouvement  supérieur,   il  faut  être  plus  que  moi,  je  le  sais;  mais 
est-il  évident  qu'on  doive  être  autant  que  Dieu?  Le  dirai-je?  On 
peut  se  faire  une  idée  d'uxf  pareil  triomphe,  sans  remonter  jusqu'au 
trône  delà  Divinité.  Les  créatures  nous  en  offrent  des  exemples: 
mais  enlever  notre  cœur  à  ses  passions,  sans  lui  ravir  sa  liberté; 
en  obtenir  tout,  en  lui  laissant  le  pouvoir  de  refuser  tout;  c'est 
là  ce  qui  demande,  je  ne  dis  pas  seulement  des  connaissances  in- 
finies pour  le  choix,  des  grâces  ;  je  ne  dis  pas  seulement  une  sa- 
gesse infinie  dans  l'ordre  et  la  distribution  des  grâces;  je  dis,  c'est 
là  ce  qui    demande  une  puissance    infinie    dans   l'auteur  de   la 
grâce.    J'appelle   une   puissance   infinie,   une    puissance   qui   ne 
règne  pas  avec  moins  d'empire  sur  ce  qui  peut  résister  que  sur  ce 
qui  ne  le  peut  pas  :  car,  commander  à  ce  qui  n'oppose  aucune  ré- 
sistance, ou  ne  vaincre  qu'en  dépouillant  du  pouvoir  de  résister, 
tels  sont  les   triomphes  de  l'homme.  Parmi  nous  le  héros  n'est 
vainqueur  que  quand  l'ennemi  reste   désarmé.  Mais  dominer  le 
cœur  sans  l'assujétir ,  en  être  toujours  maître  sans  qu'il  soit  jamais 
esclave:  voilà,  je  le  répète,  ce  qui  n'appartient  évidemment  qu'à 
Dieu,  ce  qui   caractérise  l'action,  la  grâce  de  Dieu.  Encore  une 
fois,  régner  sur  un  cœur  qui  ne  serait  pas  libre,  là  je  ne  verrais 
qu'un  Dieu  plus  puissant  que  l'homme;  régner  sur  un  cœur  libre, 
là  j'adore  le  Dieu  tout-puissant;  je  ne  dis  point  assez,  là  j'adore 
ce  chef-d'œuvre ,  ce  prodige,  ce  miracle  de  toute-puissance,  dont 
la  hauteur  et  la  sublimité  épouvantent  l'esprit  et  ne  permettent  à 
la  raison  que  l'hommage  de  l'humble  silence. 

Enfin ,  dans  la  puissance  de  cette  grâce  élevée  sur  les  ruines  de 
la  liberté,  reconnaissez-vous  l'abîme,  la  profondeur,  l'obscurité 
impénétrable  du  mystère  de  la  grâce  ?  Une  grâce  qui  peut  tout  sur 
un  cœur  toujours  libre  ;  un  cœur  toujours  libre  sur  l'action  d'une 
grâce  qui  peut  tout ,  qui  opère  tout  :  un  cœur  que  la  grâce  déter- 
mine et  qui  se  détermine  avec  la  grâce  ;  voilà  le  mystère  :  je  ne  vois 
pas ,  je  ne  conçois  pas ,  il  faut  croire.  Mais  la  liberté  sans  la  grâce, 
ou  la  grâce  sans  la  liberté,  on  voit  tout,  on  conçoit  tout,  il  ne 
reste  rien  à  croire.  Qu'est-ce  donc  que  méconnaître  dans  l'homme 
le  pouvoir  de  résister  à  la  grâce  ?  C'est  renverser,  détruire  l'indé- 
pendance et  la  liberté  de  la  grâce,  la  sagesse  et  la  fécondité  de  la 
grâce,  la  puissance  infinie  de  la  grâce,  le  mystère  même  de  la 


362  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

grâce.  Par  conséquent,  qu'est-ce  que  méconnaître  dans  l'homme 
le  pouvoir  de  résistera  la  grâce  ?  C'est  renverser,  détruire,  anéantir 
l'empire  de  la  grâce  sous  le  vain  prétexte  de  la  mieux  établir. 
Par  conséquent  encore,  en  quoi  consiste  la  véritable  puissance  de 
la  grâce  ?  Elle  ne  consiste  point  en  ce  qu'il  n'est  aucune  grâce  à  la- 
quelle on  résiste;  elle  consiste  en  ce  qu'il  n'est  aucune  résistance 
que  la  grâce  ne  puisse  vaincre  :  elle  ne  consiste  point  en  ce  qu'il 
n'est  aucune  grâce  qui  ne  fasse  des  saints;  elle  consiste  en  ce  qu'il 
n'est  aucun  homme  dont  la  grâce  ne  puisse  faire  un  saint,  en  ce 
qu'il  n'est  aucun  saint  qui  ne  soit  devenu  saint  par  la  grâce,  reprend 
saint  Augustin  ;  qu'il  ne  fut,  qu'il  ne  sera  point  de  saint  dont  on 
puisse  dire,  dont  on  ne  doive  dire,  aussi  bien  que  de  l'Apôtre,  ce 
n'est  pas  la  grâce  seule,  ce  n'est  pas  l'homme  seul,  c'est  la  grâce 
avec  l'homme,  c'est  l'homme  avec  la  grâce  {\Non  gratia  Dei  sola  , 
nec  ipse  solus ,  sed  gratta  Dei  cum  Mo.  (Le  P.  de  Neuville.) 

Réponse  aux  objections. 

Mais  n'est-ce  point  affaiblir  la  puissance  de  la  grâce ,  resserrer 
les  droits,  l'empire  de  la  grâce,  déshonorer  la  grâce,  que  de  re- 
connaître dans  l'homme  le  pouvoir  de  résister  à  la  grâce?  Ah!  mes 
ch  ers  auditeurs!  l'Esprit  saint  ignorait-il  le  pouvoir  de  la  grâce, 
déshonorait-il  la  grâce,  lorsqu'il  disait  par  le  Sage:  J'ai  appelé,  vous 
avez  refusé  de  venir:  Focaviy  et  renuistis  1.  Par  le  prophète  Isaïe  : 
J'ai  tendu  les  bras  à  un  peuple  incrédule  et  indocile  :  Ad  populum 
non  credentem  et  contradicentem  2.  Jésus-Christ  ignorait-il  le  pou- 
voir delà  grâce  ,  déshonorait-il  la  grâce  lorsqu'il  se  plaignait  qu'il 
avait  voulu  rassembler  les  enfans  de  Sion  ,  que  Sion  ne  l'avait  pas 
voulu?  Folui....  et  noluisti  5.  Saint  Etienne  déshonorait-il  la  grâce, 
lorsqu'il  reprochait  aux  Juifs  leurs  résistances  à  la  grâce?  Spiritui 
Sancto  résistais  4.  Saint  Paul  déshonorait-il  la  grâce  lorsqu'il  aver- 
tissait les  premiers  Chrétiens  de  ne  pas  recevoir  la  grâce  en  vain , 
de  ne  pas  éteindre  l'esprit  de  la  grâce  ?  Exhorta  mur  ne  in  vacuum 
gratiam  Dec   recipiatis,...  Spiritum  nolite  extinguere  h.  Saint  Au- 
gustin déshonorait-il  la  grâce,  lorsqu'il  décidait  qu'il  dépend  de 
nous  de  répondre  ou  de  ne  pas  répondre  à  la  grâce  ?   Consentira 
vocationi  divinœ,  vel  ei  dissentire ,  propriœ  voluntatis  est. 

Saint  Prosper  déshonorait-il  la  grâce,  lorsqu'il  reconnaissait  que 

1  Prov.  ii,  24.  —  s  Ad  Rom. ,  x,  21.  -  3  Matlb.,  xxni,  37.  —  *  Act.,  vu,  51.  — 
5  H  Ad  C,  vi,  1;  AdThess.,  y,  19. 


' 


DES    PRÉDICATEURS.  363 

rejeter  la  grâce,  c'est  le  fait  de  notre  indocilité;  que  consentir  à 
la  grâce ,  c'est  l'ouvrage  et  de  la  volonté  de  Dieu,  et  de  la  vo- 
lonté de  l'homme?  Quod  réfutât  ur,  ipsorum  nequitiœ  est ,  quod 
suscipitur  et  gratiœ  est  divinœ  et  humanœ  njoluntatis. 

Le  concile  de  Trente  déshonorait-il  la  grâce,  lorsqu'il  pronon- 
çait anathème  à  qui  soutiendrait  que  l'homme  ne  peut  pas  refuser 
son  consentement  à  la  grâce  ?  Si  quis  dixerit....  non  posse  dissen- 
tire  si  vellt ,  anathema  sit. 

Anathème,  à  qui  soutiendrait  que  la  liberté  de  l'homme  a  péri  par 
le  péché  du  premier  homme  :  Si  quis  Uberum  hominis  arbitrium,  post 
Adœ  peccatum,  amissum  et  extinctum  esse  dixerit,  anathema  sit  *; 

Anathème,  à  qui  soutiendrait  que  cette  doctrine  de  la  grâce 
fait  outrage  à  la  gloire  de  Dieu,  ou  aux  mérites  de  Jésus-Christ  :  Si 
quis  dixerit per  hanc  doctrinam  gloriœ  Dei,  vel meritis  Christi  de- 
rogari ,  anathema  sit 2. 

Qu'est-ce  donc  qui  déshonore  la  grâce?  voulez-vous  le  savoir? 
c'est  le  pécheur  qui  emploie  la  force ,  la  puissance  de  la  grâce  pour 
s'en  faire  une  excuse  de  ses  péchés  ;  c'est  le  pécheur  qui  ne  s'ob- 
stine dans  une  erreur  si  injurieuse  à  la  grâce,  que  parce  qu'il  veut 
juger  de  la  nature  de  la  grâce  par  l'intérêt  de  ses  passions,  au  lieu 
déjuger  de  ses  passions  par  les  lumières  de  la  grâce;  parce  qu'il 
juge  delà  grâce,  parce  qu'il  voudrait  en  éprouver,  au  lieu  déjuger 
de  la  grâce  sur  ce  qu'il  en  éprouve. 

Car  oubliez,  j'y  consens,  les  preuves  solides  sur  lesquelles  je 
viens  d'établir  la  vraie  doctrine  de  \\  grâce,  pour  dissiper  tous  les 
nuages,  pour  réfuter  tous  les  prétextes,  je  n'ai  besoin  que  de  l'ex- 
périence, et  je  dis  :  Si  l'homme  peut  résister,  si  l'homme  ne  résiste 
point  à  la  grâce,  pourquoi  les  justes  et  les  plus  saints  d'entre  les 
justes  se  reprochent-ils,  ont-ils  toujours  à  se  reprocher  tant  de 
combats  contre  la  grâce,  tant  de  résistances  à  la  grâce,  tant  d'infi- 
délités à  la  grâce?  Pourquoi  ces  exhortations  des  Prophètes,  des 
Apôtres,  des  ministres  de  1  Evangile,  si  souvent  réitérées,  pour 
nous  avertir  du  danger  auquel  s'expose  uneame  qui  dispute  contre 
la  grâce,  qui  néglige  la  grâce,  qui  abuse  de  la  grâce,  qui  laisse  échap- 
per, qui  perd  les  momens  de  la  grâce  ?  Pourquoi ,  dans  le  sacré 
tribunal  de  la  pénitence,  le  pécheur,  lorsqu'il  se  connaît,  lorsqu'il 
veut  se  faire  connaître ,  s'accuse-t-il  de  ses  délais,  de  son  indocilité, 
de  son  obstination,  d'avoir  rejeté  la  grâce,  de  s'être  refusé  à  la 
grâce,  de  s'être  endurci  contre  la  grâce?  Pourquoi  s'en  accuse-t- 

\  Session  6,  canon  5,  Conc.  ïrid,  ?»  2  Ibid.;  canon  53. 


364  NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE. 

il  ?  pourquoi  le  pleure-t-il  comme  le  péché  qui  a  mis  le  comble  à 
tous  les  autres  péchés  ?  Pourquoi  demeurons-nous  alors  incertains 
de  ce  qui  doit  nous  étonner  davantage,  ou  tant  de  péchés  avec 
tant  de  grâces,  ou  tant  de  grâces  malgré  tant  de  péchés  ?  Alors  on 
parle  le  langage  de  la  simple  et  naïve  vérité  :  on  n'accuse  plus 
la  grâce,  on  n'accuse  que  soi-même;  on  avoue  que  souvent  on  n'a 
point  été  plus  vivement  pressé,  remué,  attendri,  agité  par  la  grâce, 
que  dans  les  instans  où  l'on  rejetait  ses  égaremens  sur  l'absence  de  la 
grâce.  (Le  même.) 

La  grâce  est  accordée  à  nos  prières. 

Chrétiens,  vous  êtes  le  troupeau  béni  de  Jésus-Christ,  les  lumiè- 
res du  monde,  le  sel  de  la  terre,  si  vous  êtes  ce  que  vous  devez 
être ,  c'est-à-dire  «  parfaits ,  comme  votre  Père  céleste  est  par- 
«  fait  *  ;  avec  un  corps  terrestre,  vous  êtes  comparables  aux  anges, 
qui  sont  de  purs  esprits.  Songez-y  sans  cesse  :  votre  combat  ne 
dure  qu'un  instant,  mais  votre  récompense  sera  éternelle.  Plus  vous 
observez  avec  exactitude  les  préceptes  et  les  conseils  de  votre  re- 
ligion, plus  vous  redoublez  la  fureur  du  démon,  votre  irréconci- 
liable ennemi;  et  plus  il  cherche,  dans  le  secret,  à  vous  tendre  des 
pièges  où  vous  puissiez  enfin  trouver  votre  perte. 

Soyez  donc  toujours  en  garde  contre  les  embûches  qu'il  vous 
tend.  «  Personne  ne  sera  couronné  s'il  n'a  combattu  2,  »  et  qui- 
conque combattra  de  grand  cœur  est  assuré  que  la  grâce  de  Dieu 
ne  l'abandonnera  pas;  mais  si  quelqu'un  néglige  d'appeler  la  grâce 
à  son  secours,  qu'il  ne  s'en  prenne  qu'à  lui  de  sa  perte  s'il  vient  à 
être  abandonné  par  la  grâce.  Car  celui  qui  l'appelle  constamment 
à  son  aide,  l'aura  toujours  pour  appui.  Elle  lui  apprendra  ce  qu'il 
faut  faire  pour  plaire  à  Dieu  ;  mais ,  sans  son  secours ,  il  n'y  par- 
viendra jamais  malgré  tous  ses  efforts.  C'est  donc  à  l'homme  à 
demander  la  grâce,  afin  qu'elle  éclaire  ses  yeux,  qu'elle  enflamme 
son  cœur,  et  quelley  fasse  germer  toutes  les  vertus.  (Saint  Ephrem, 
Traité  de  la  Perfection.) 

Péroraison. 

Ah!  mes  chers  auditeurs,  la  puissance  de  la  grâce  fait  les 
saints  ,  la  puissance  de  la  grâce  n'excuse  point  le  pécheur  ! 
A  Dieu  seul  toute  la  gloire  de  la  vertu ,  à  l'homme  seul  toute 

*  Malth..  v,  48.—  2  IITim.,  n,  5. 


DES    PRÉDICATEURS.  365 

la  honte  du  vice!  Le  juste  ne  se  sauve  que  par  le  bienfait  de 
la  grâce;  le  pécheur  ne  périt  que  par  ses  re'sistances  à  la  grâce. 
Deux  vérités  que  je  me  flatte  de  vous  avoir  développées  dans  ce 
discours  ;  deux  vérités  que  saint  Augustin  montre  clairement  mar- 
quées dans  la  parabole  du  Père  de  famille  :  Tous  ceux  qui  sont  in- 
vités ne  viennent  pas;  tous  ceux  qui  viennent  ont  été  invités: 
ceux-ci  ne  peuvent  se  glorifier,  ils  ne  sont  venus  que  parce  qu'ils 
ont  été  appelés:  Quia  vocati  venerunt.  Ceux-là  ne  peuvent  se  jus- 
tifier; ils  furent  appelés,  ils  n'ont  pas  voulu  venir,  et  ils  pouvaient 
le  vouloir  :  Ut  venirent  vocati  crant  in  libéra  voluntate.  Voilà  la 
vraie  doctrine  de  la  grâce,  voilà  ce  que  la  foi  nous  révèle ,  ce  que 
l'Eglise  nous  enseigne  de  la  puissance  actuelle  qui  fait  les  justes  et 
les  pénitens  :  ce  qui  est  opposé  à  cette  doctrine  n'est  qu'erreur,  il 
faut  le  réprouver;  ce  qui  est  au  delà  de  cette  doctrine,  quelle  né- 
cessité de  l'approfondir?  Simples  dans  notre  foi,  ne  raisonnons 
point  sur  ce  que  nous  ignorons  de  la  grâce;  sages  dans  notre  con- 
duite, réglons  nos  mœurs  sur  ce  que  nous  savons  de  la  grâce: 
pleins  de  douleur,  de  repentir,  pleurons  l'abus  de  tant  de  grâces 
que  nous  avons  reçues  sans  en  profiter;  pleins  de  reconnaissance 
et  de  vigilance,  profitons  des  grâces  que  nous  recevons.  L'Esprit 
saint  nous  parle  encore  aujourd'hui,  souvenons-nous  que  c'est  au- 
jourd'hui qu'il  faut  lui  répondre  :  Hodie  si  vocem  Domini  audieri- 
tiSy  nolite  ob  dur  are  corda  vestra.  Nos  infidélités  n'ont  pu  le  rebu- 
ter, cessons  de  le  contrister  par  d'indignes  et  criminelles  résistances: 
ainsi  dociles  à  la  grâce,  par  laquelle  il  fait  des  saints  sur  la  terre, 
nous  arriverons  à  la  grâce  par  laquelle  il  fait  des  heureux  clans  le 
ciel.  Ainsi  soit-il.  (Le  P.  de.  Neuville.) 


366  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 


PLAN  ET  OBJET  DU  TROISIEME  DISCOURS 
SUR  LA  GRACE. 

EXORDE. 

Si  scires  donum  Dei. 
Si  vous  connaissiez  le  don  de  Dieu.  (Jean ,  iv.) 

Tous  les  biens  répandus  dans  ce  vaste  univers  viennent  de  Dieu; 
nous  sommes  comme  environnés,  investis  de  ses  dons.  Quel  est 
celui  dont  Jésus-Christ  parle  à  la  Samaritaine,  si  supérieur  à  lousles 
autres,  qu'il  semble  les  compter  pour  rien  comparés  à  ce  don  par  ex- 
cellence? La  voix  unanime  des  Pères  de  l'Eglise  et  des  interprètes 
de  l'Ecriture  nous  crie  que  c'est  la  grâce. 

La  grâce  est  ce  qu'il  y  a  déplus  précieux  dans  les  trésors  du 
ciel:  mais  n'est-elle  pas  la  chose  du  monde  qui  nous  occupe  et 
nous  touche  le  moins  ?  Qui  est-ce  qui  parle  de  la  grâce?  Qui  est- 
ce  qui  en  connaît  le  prix?  Qui  est-ce  qui  en  fait  l'objet  de  ses  vœux 
les  plus  ardens?  Les  dons  de  la  nature  et  de  la  fortune  emportent 
tous  nos  désirs  :  nous  nous  fatiguons,  nous  nous  épuisons  à  les  re- 
chercher et  à  les  poursuivre:  ceux  de  la  grâce,  à  peine  songeons- 
nous  aies  demander,  ou  nous  ne  les  demandons  qu'avec  une  froi- 
deur qui  les  repousse  et  nous  rend  indignes  de  les  recevoir.  Que 
si  nous  les  recevons;  si  Dieu,  qui  veut  sincèrement  nous  sauver, 
nous  accorde  les  secours  nécessaires  pour  arriver  au  terme  heu- 
reux du  salut ,  quel  usage  en  faisons-nous  ?  Trop  souvent  la  grâce 
demeure  stérile  entre  nos  mains;  elle  ne  produit  pas  les  fruits  de 
justice  et  de  sainteté  auxquels  Dieu  les  destinait.  On  la  néglige,  on 
la  rejette  et  l'on  se  damne. 

Indifférence  pour  la  grâce, infidélité  à  la  grâce;  deux  désordres 
qui  régnent  dans  le  Christianisme,  et  qui  sont  la  source  funeste  de 
tous  les  autres.  Mais  d'où  viennent-ils  eux-mêmes  ?  de  l'ignorance 
où  nous  vivons  de  ce  que  la  foi  nous  enseigne  sur  le  dogme  sacré 
de  la  grâce,  Oh  !  si  vous  connaissiez  ce  don  de  Dieu ,  ou  si  j'étais 


DES    rRÉDICÀTliURS.  367 

assez  heureux  pour  vous  le  faire  connaître,  que  vous  changeriez  à 
son  égard  et  de  sentimens  et  de  conduite!  Si  scires  cïonum  Del! 

Mais  la  grâce  a  ses  mystères,  ses  abîmes  ;  à  Dieu  ne  plaise  que 
j'entreprenne  de  dissiper  les  ténèbres  qui  les  couvrent  et  d'en  sonder 
la  profondeur.  Adorons  le  secret  de  Dieu  dans  les  opérations  inef- 
fables de  sa  grâce,  de  peur  qu'en  voulant  le  pénétrer  nous  ne  soyons 
accablés  sous  le  poids  de  sa  gloire.  Cherchons,  non  ce  qui  satisfe- 
rait le  plus  notre  curiosité ,  mais  ce  qui  est  le  plus  propre  à  réfor- 
mer nos  mœurs,  à  corriger  cette  indifférence  pour  la  grâce,  cette 
infidélité  à  la  grâce,  que  la  plupart  des  Chrétiens  ont  à  se  repro- 
cher :  double  principe  de  réprobation  que  je  veux  m'efforcer  de 
détruire  et  auquel  j'oppose  ces  deux  propositions  qui  feront  le  par- 
tage de  ce  discours.  Il  n'est  rien  que  nous  devions  plus  désirer  que 
la  grâce  ;  premier  point  :  il  n'est  rien  que  nous  devions  plus  crain- 
dre que  d'abuser  de  la  grâce;  second  point.  Grâce  de  mon  Dieu  , 
pour  parler  dignement  de  vous,  j'ai  recours  à  vous-même  :  j'im- 
plore votre  assistance  par  l'entremise  de  cette  Vierge-Sainte  qui  fut 
comblée  de  vos  dons,  qui  en  reçut  la  plénitude  \Avey  Maria. (L'abbé 
Richard,  Sur  la  Grave.) 

De  la  nalurc  de  la  grâce. 

Vous  me  demanderez  sans  doute  en  quoi  donc  consiste  la  grâce. 
Je  vous  répondrai  que  la  grâce  (sans  examiner,  selon  la  philoso- 
phie de  l'Ecole,  son  entité  )  est  Dieu  opérant  dans  l'ame:  1.  La 
grâce  donne  à  l'entendement  une  illustration;  2.  elle  donne  à  la 
volonté  un  attrait  prévenant,  un  plaisir  indélibéré,  un  sentiment 
doux  et  agréable,  qui  est  en  elle  sans  elle;  3.  elle  augmente  la 
force  de  la  volonté,  afin  qu'elle  puisse  actuellement  dans  ce  mo- 
ment vouloir  le  bien  ;  4.  elle  l'excite  à  se  servir  de  cette  force  nou- 
vellement donnée.  Jusque-là,  cette  grâce  n'est  que  prévenante,  et 
en  nous  sans  nous.  Or,  rien  de  ce  qui  est  en  nous  sans  nous  ne 
nous  détermine;  autrement  notre  détermination  serait  mise  en 
nous  sans  nous;  nous  ne  nous  déterminerions  pas,  mais  nous  se- 
rions déterminés  ad  imum,  comme  les  bêtes,  ainsi  que  parle  saint 
Thomas.  Ce  serait  se  jouer  des  termes  que  de  dire  dans  cette  sup- 
position: L'homme  est  dans  lindifférence  active,  et  dans  la  liberté 
d'exercice;  l'homme  délibère,  se  détermine  lui-même,  et  choisit. 
Tous  ces  termes  deviendraient  ridicules. 

Pour  ce  qui  est  d'augmenter  la  force  de  la  volonté ,  c'est  le 
moyen  le  plus  décisif  pour  faire  vouloir  l'homme  sans  U  nécessi» 


363  NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE 

ter.  Aussi  voyons-nous  que  saint  Augustin  ,  après  avoir  dit:  Facit 
ut  velimus ,  ou  quelque  autre  chose  semblable,  s'explique  en  ajou- 
tant: Adjuvando.  En  effet,  comme  le  péché  n'est  qu'une  défaillance 
de  la  volonté ,  et  qu'au  contraire  le  bon  vouloir  est  une  force  de 
la  volonté  qui  se  tourne  au  bien,  c'est  tourner  la  volonté  qui  se 
tourne  au  bien,  et  la  soutenir  contre  le  mal,  aussi  efficacement 
qu'il  est  possible,  sans  la  nécessiter;  c'est  opérer  le  bon  vouloir  en 
elle  et  avec  elle,  que  de  lui  donner  une  force  nouvelle  pour  le  bien: 
Adjuvando. 

On  peut  dire  même  que  la  grâce  médicinale  doit  être  principale- 
ment une  grâce  de  force  pour  aider  la  puissance ,  parce  que  le 
mal  ne  consiste  que  dans  l'affaiblissement  de  cette  même  puissan- 
ce: ainsi  le  mal  étant  l'impuissance  de  vouloir  ,  le  remède  doit 
être  une  grâce  de  pouvoir  vouloir;  mais  de  pouvoir  si  proportion- 
né à  l'affaiblissement  actuel,  que  la  volonté  dans  ce  moment  se 
trouve  aussi  forte  par  la  grâce  que  si  elle  était  saine  et  entière.  Il 
faut  encore  ajouter  que  Dieu  voit  cette  proportion  telle,  que  la 
volonté  voudra  ce  qu'elle  doit  vouloir:  Quomodo  els  vocari nptum 
est;....  quomodo  scit  ei  congruere,  utvocantem  non  respuat. 

Mais  enfin  la  liberté  qu'Adam  a  perdue  est  la  même  que  Jésus- 
Christ  a  rendue  à  ses  enfans.Or,  celle  d'Adam  était  de  pleine  indif- 
férence active  :  donc  la  grâce  qui  prévient  et  qui  fortifie  la  volonté 
de  l'homme ,  loin  de  la  nécessiter  au  bien ,  doit  la  remettre  dans 
le  véritable  équilibre  entre  le  bien  et  le  mal ,  comme  Adam  y  était 
avant  son  péché. 

Ilfaut  encore  observer  que  saint  Augustin  n'a  jamais  disputé  avec 
les  Pélagiens  de  la  nature  de  la  liberté  de  mérite  et  de  démérite;  il 
l'a  toujours  supposée  avec  eux  précisément  telle  qu'il  l'avait  éta- 
blie contre  les  Manichéens,  sans  en  rien  rétracter.  Il  n'a  été  ques- 
tion pour  saint  Augustin  que  de  soutenir  que  la  grâce  que  Djeu 
donne  pour  s'assurer  du  bon  vouloir  des  élus  ne  détruit  point 
cette  liberté.  Ainsi  il  est  évident  qu'il  faut  trouver,  selon  saint  Au- 
gustin, sous  l'impression  actuelle  de  cette  grâce  prévenante  ,  la 
même  liberté  qu'il  avait  établie  contre  les  Manichéens ,  et  que  les 
Pélagiens  voulaient  défendre  contre  lui.  Voilà  ce  qui  regarde  la 
<*race  prévenante,  qui  est  en  nous  sans  nous,  qui  est  une  grâce 
tout  ensemble  de  secours  et  d'attrait ,  de  force  et  d'invitation  :  elle 
donne  et  elle  demande;  elle  donne  la  force  de  vouloir ,  et  elle  ex- 
cite au  vouloir  même. 

Venons  à  la  grâce  de  coopération.  Dieu,  après  nous  avoir  ex- 
cités et  fortifiés,  agit  avec  nous;  c'est  ce  qui  est  marqué  dans  les 


DES    PRÉDICATEURS.  36q 

prières  de  l'Eglise',  aussi  bien  que  clans  les  ouvrages  des  théolo- 
giens. Dieu  produit  avee  nous  notre  acte ,  qui  est  notre  bon  vou- 
loir; il  en  est  cause  avec  nous  ,  mais  cause  immédiate  et  indivisible 
avec  nous.  Mais  tout  ce  qui  n'est  que  secours,  force  nouvelle, 
coopération  sans  prévention  de  causalité  par  essence,  ne  peut 
nécessiter.  Je  ne  nécessite  point  un  goutteux  à  marcher,  quand  je 
ne  fais  que  le  soutenir,  que  l'aider,  que  l'inviter,  que  lui  donner 
des  alimens  propres  à  remplir  ses  nerfs  d'esprits  abondans ,  pourvu 
que  je  ne  l'entraîne  point.  Ainsi  nous  pouvons  prendre  à  la  lettre 
ces  paroles  :  Deus  operatur  in  vobis  et  velle  et  perflcere  * ,  sans 
admettre  autre  chose  que  le  concours  surnaturel  pour  la  grâce 
coopérante  et  concomitante.  Facit  ut  vclimus ;  mais  c'est  toujours 
adjuvando.  Il  est  vrai  seulement  que  Dieu  proportionne  si  bien 
pour  ses  élus  la  grâce  prévenante,  excitante  et  fortifiante,  au  be- 
soin de  la  volonté  ,  qu'il  s'assure  de  sa  coopération  :  Quomodo  scit 
ci  congruere,  ut  vocantem  non  respuat  :  ita  suadetur>  ut  persua- 
deatur.W  le  fait  parce  qu'il  a  une  prédilection  pour  ses  élus ,  et  une 
volonté  spéciale  pour  leur  salut,  qu'il  n'a  point  pour  celui  des  hom- 
mes qui  ne  sont  qu'appelés,  quoiqu'il  veuille  sincèrement  sauver 
ceux-ci;  i°  en  ce  qu'il  leur  donne  des  moyens  suffisans  de  salut; 
2°  en  ce  qu'il  veut  effectivement  les  sauver,  s'ils  y  coopèrent 
comme  ils  le  peuvent. 

C'est  cette  volonté  spéciale  du  salut  des  élus  qui  ne  peut  être  frus- 
trée de  son  effet.  C'est  d'elle,  et  non  pas  de  la  grâce,  dont  saint 
Augustin  dit  souvent  qu'elle  est  invincible,  indéclinable  ,  toute- 
puissante.  La  grâce  n'est  point  indéclinable  par  sa  nature  ou  es- 
sence :  si  elle  l'était ,  il  faudrait  de  bonne  foi  admettre  avec  les 
Contre-Remontrans  de  Dordrecht  le  système  de  l'irrésistibilité 
de  l'homme  à  la  grâce;  car  irrésistible  et  indéclinable  sont  ter- 
nies synonymes  entre  gens  de  bonne  foi.  C'est  se  moquer  de 
dire  qu'on  peut  résister  à  ce  qui  est  indéclinable  et  tout-puissant* 
Donnez  aux  Contre-Remontrans  Yindéclinabilitè  ou  irrésistibilité, 
ils  n'en  demanderont  jamais  davantage.  Mais  saint  Augustin  n'em- 
ploie ces  termes  que  pour  la  volonté  prédestinante  :  si  elle  n'est 
que  congrue,  son  effet  n'est  que  très  vraisemblable,  et  non  abso- 
lument certain.  Mais  faut-il  s'étonner  que  son  effet  soit  certain  et 
indéclinable,  puisque  Dieu  le  voit  déjà  présent  à  ses  yeux?  Dieu 
voit  comme  présent  tout  ce  qu'il  veut,  ce  qui  est  déjà  présent  de* 
vant  lui  ne  saurait  point  ne  pas  être  :  en  tout  cela  il  n'y  a  qu'une 
nécessité  conséquente  ou  identique. 

*  Philip.,  n,  13. 

f.   III,  24 


3jO  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

Mais  la  grâce  est-elle  par  son  essence  une  cause  nécessaire  de 
mon  vouloir?  Est-il  vrai  que  non  seulement  Dieu  produise  avec 
moi  mon  vouloir,  ce  qui  n'est  que  le  simple  concours  surnaturel, 
mais  encore  que  sa  grâce,  mise  en  moi  sans  moi,  soit  la  cause  qui 
me  détermine  à  vouloir?  En  un  mot,  est-il  une  cause  prévenante 
qui  détermine  nécessairement  son  concours  et  le  bien  pour  mon 
acte?  Si  on  le  dit,  les  Contre-Pvemontrans  n'ont  plus  rien  à désirer.. 
Voilà  l'indéclinabilité  ou  irrésistibilité  qui  vient  de  l'essence  de  la 
grâce  même  ;  en  sorte  que  l'irrésistibilité  sera  aussi  absolue  que 
les  essences  sont  immuables.  Si  vous  voulez  nier  sérieusement 
l'irrésistibilité,  il  ne  vous  reste  plus  qu'à  dire  que  la  volonté  pré- 
destinante est  indéclinable  et  toute-puissante  par  une  nécessité  ou 
irrésistibilité  purement  conséquente  et  identique.  Il  n'est  pas  pos- 
sible que  ce  qui  est  ne  soit  pas  :  or  le  bon  vouloir  de  l'homme  est 
déjà  présent  aux  yeux  de  Dieu.  Mais  comment  Dieu  s'est-il  assuré 
de  ce  bon  vouloir  de  l'homme  ?  Saint  Augustin  ne  s'explique  pas, 
et  il  y  aurait  de  la  témérité  à  aller  plus  loin  que  lui.  Il  dit  :  In  nobis 
mirabili  modo  et  incffabili  operatur1.  Il  dit  ailleurs,  en  parlant 
des  peuples  qui  s'attachèrent  à  David:  Numquid  corporalibus  ullis 
vinculis  alligavit?  Jntus  egit,  corda  tenait ,  corda  movit ,  eosque 
■voluntatibus  eorum  rquas  ipse  in  Mis  operatus  est,  tra.vit*.  Mais  il 
dit  ces  choses  autant  pour  l'ordre  naturel  que  pour  le  surnaturel; 
il  le  dit  autant  des  mauvaises  volontés  des  impies,  par  exemple, 
de  Nabuchodonosor,  de  Cyrus,  d'Artaxercès ,  de  Saùl  et  d'Achi-  i| 
tophel ,  que  des  amis  de  Dieu.  Il  ne  s'agit  point  précisément  de  la 
grâce  médicinale  pour  les  actes  méritoires.  Sa  thèse  est  générale, 
qu'il  donne  comme  une  vérité  qu'on  ne  peut  révoquer  en  doute 
sans  être  impie,  savoir  :  que  Dieu  a  une  puissance  toute-puissante 
d'incliner  les  cœurs  où  il  veut  :  Sine  dubio  habens  humanorum  cor- 
dium  quo  placeret  inclinandoriim  omnipotentissimam  potestatem  3. 
Mais  c'est  sur  de  tels  passages  que  les  Gontre-Remontrans  établis- 
sent leur  irrésistibilité;  et  ils  ne  manquent  pas  d'attribuer  à  la  na- 
ture ou  essence  de  la  grâce  ce  que  saint  Augustin  ne  dit  que  de  la 
volonté  de  Dieu.  Ils  ne  manquent  pas  de  citer  ces  paroles  du  même 
endroit  :  Non  est  itaque  dubltandum  uoluntati  Dei,  qui  et  in  cœh\ 
et  in  terra,  oninia  qnœcumque  volait  Jecit ,  et  qui  etiam  illa  quœ 
futura  sunt Jecit,  Juunanas  'voluntates  non  posse  resistere  quominus 
ipse  faciat  quod  vult  :  quandoquidem  etiam  de  ipsis  hominum  vo 

1  De  Prœd.  Sanct.,  cap.  xix,  n,  42,  tom,  x.  •—  l  De  corrept.  et  Grat.,  cap.  xiv, 
n.  45,  t.  x.  — »  Ibid. 


DES    PRÉDICATEURS,  3^1 

luntatibus ,  quod  vult ,  quum  imlt,facit  l.  Si  vous  dites  que  cette 
irrésistibilité  dont  parle  saint  Augustin,  quand  il  dit  :  Humanas 
vohintates  non  posse  resistere,  vient  de  la  nature  de  la  grâce  même, 
voilà  X irrésistibilité  de  Dordrecht.  Si,  au  contraire,  vous  dites  que 
la  grâce  n'est  point  par  sa  nature  irrésistible,  c'est-à-dire  indécli- 
nable ou  nécessitante,  mais  que  c'est  seulement  le  décret  ou  la 
volonté  de  Dieu,  qui  ne  peut  être  frustrée  de  son  effet,  puisqu'il 
voit  déjà  comme  présent  tout  ce  qu'il  veut,  vous  ne  mettez  l'effi- 
cacité de  la  grâce  que  dans  sa  congruité  :  Ita  suadetur,  ut  persua- 
de atar .  .  .  Quomodo  eis  vocari  aptum  est .  .  .  Quomodo  scit  ei  con* 
gruere  y  ut  vocantem  non  respuat. 

Alors  vous  dites,  avec  saint  Augustin,  que  la  nécessité  qu'impose 
la  volonté  toute-puissante  n'est  point  une  nécessité  nécessitante, 
puisqu'elle  n'est  qu'identique.  Dieu  voit  ce  que  nous  appelons  fu- 
tur contingent,  comme  une  chose  déjà  présente  et  déjà  faite  :  Qui 
etiam  il! a  quœ  futiira  surit  jecit.  Il  a  déjà  fait  ce  bon  vouloir  qui 
est  encore  futur  à  l'égard  de  l'homme,  et  par  conséquent  il  en  est 
bien  assuré  :  Certissime  liberantur.„.  indeclinabiliter....  insuperabi- 
liter....  omuipotentissima  potestatc.  Tout  cela  est  vrai;  il  le  voit 
déjà  fait  :  Faut-il  s'étonner  que  l'homme  ne  puisse  résister  à  une 
volonté,  quand  il  est  déjà  vrai  qu'il  ne  lui  résiste  point?  D'ailleurs 
il  est  vrai  que  Dieu  a  dans  les  trésors  de  sa  sagesse  et  de  sa  puis- 
sance des  moyens  infinis  et  inépuisables  de  gagner  les  cœurs  des 
hommes,  de  les  persuader,  de  les  toucher,  de  les  incliner,  de  leur 
faire  vouloir  ce  qu'il  veut,  de  tourner  même  selon  ses  desseins 
leurs  volontés  les  plus  impies  :  In  nobis  mirabili  modo  et  ineffa- 
bili  operatur.  Ce  n'est  point  par  des  liens  grossiers ,  par  des  causes 
nécessitantes  de  leur  propre  nature ,  qu'il  s'assure  de  notre  vou- 
loir. Si  un  ami  d'un  génie  supérieur  à  son  ami  est  souvent  sûr  de 
le  persuader  certissimey  quoiqu'il  ne  puisse  ni  mettre  quelque 
chose  en  lui,  ni  en  oter  quelque  chose;  s'il  est  vrai  qu'il  peut  tout 
sur  cet  ami  par  la  persuasion  raisonnable,  à  combien  plus  forte 
raison  Dieu  ,  qui  sait  tout  et  qui  porte  dans  les  cœurs  toute  la  force 
qu'il  lui  plaît,  peut-il  s'assurer  de  vouloir  le  bien  à  l'homme  quand 
il  l'a  résolu!  Eh!  qu'y  a-t-il  déplus  naturel,  pour  ainsi  dire,  que 
de  vouloir  ce  qui  est  véritablement  bon?  Qu'est-ce  que  le  péché, 
sinon  une  erreur  et  une  déraison?  Encore  une  fois,  qu'est-ce  que 
le  péché,  sinon  une  chute,  une  faiblesse,  une  défaillance  de  la 
volonté?  Plus  Dieu  éclaire  et  fortifie  l'homme,  plus  il  l'éloigné  de 

De  corrept.  et  grat.,  cap.  xiv,  n.  45,~tom.  x. 


3^2  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

la  défaillance,  de  l'erreur  et  du  vice.  Il  s'assure  donc  de  l'entende- 
ment et  puis  de  la  volonté  de  l'homme,  i°  en  le  persuadant:  ita 
suadetur,  ut  persuade atur  ;  2°  en  le  fortifiant  contre  sa  faiblesse  : 
adjuuando. 

Pour  les  moyens  de  persuader  et  de  fortifier,  ils  sont  infinis 
dans  les  trésors  de  Dieu  :  Mirabili  modo  et  inefjabili.  Il  ne  serait 
pas  Dieu  s'il  ne  savait  pas  s'assurer  quand  il  lui  plaira  du  cœur  de 
chaque  homme ,  et  pour  faire  le  bien ,  et  pour  régler  le  mal.  Voilà 
la  vérité  générale,  tant  pour  Tordre  naturel  et  même  pour  toutes 
les  actions  des  impies,  que  pour  l'ordre  surnaturel  et  pour  les 
bonnes  œuvres  des  saints.  Il  ne  reste  qu'à  dire,  après  saint  Augus- 
tin, que  Dieu  fait  par  sa  grâce  médicinale,  dans  un  pécheur  pour 
sa  conversion,  ou  dans  un  juste  pour  sa  persévérance,  ce  qu'il  a 
su  faire  dans  le  cœur  des  impies,  par  exemple,  dans  le  cœur  des 
Juifs  qui  condamnèrent  et  crucifièrent  Jésus  Christ ,  pour  s'assurer 
de  l'accomplissement  de  son  décret  sur  la  mort  du  Sauveur  :  Quod 
consiliam  et  m  anus  tua  decreverunt  Jieri  r.  C'est  seulement  en  ce 
sens  que  saint  Augustin  dit  :  Eosque  uoluntatibus  eorum,  quas  ipse 
in  Mis  operatus  est,  traxit  :  c'est-à-dire,  seulement,  qu'il  invite, 
qu'il  attire,  qu'il  incline;  quomodo  eis  vocari aptum  est..,,  quomodo 
scit  ei  congruere,  ut  vocantem  non  respuat ;  qu'il  s'insinue,  et  in- 
vite si  bien  qu'il  persuade;  itasuadetur,  ut persuadeatur  •  qu'il  aide 
et  fortifie  l'homme  contre  lui-même,  adjuvando  ;  qu'enfin  il  opère 
avec  l'homme,  comme  cause,  le  vouloir  de  l'homme  même;  eosque 
voluntatibus  eorum,  quas  ipse  in  Mis  operatus  est ,  traxit.  Aussi 
voyons-nous  que  saint  Augustin  déclare  que  la  prédestination 
n'ajoute  rien  à  la  simple  prescience,  que  le  seul  don  des  grâces 
qui  aident,  qui  persuadent,  et  qui  sont  si  congrues,  que  la  volonté 
qui  peut  les  rendre  inefficaces  ne  veut  pas  le  faire;  quomodo  scit  ei 
çongruere^ut  vocantem  non  respuat.  Voilà  la  dernière  borne.  Entre 
cette  doctrine  et  l'irrésistibilité  des  Contre-Remontrans  de  Dor- 
drecht,  c'est-à  dire,  des  plus  outrés  Protestans  ,  il  n'y  a  aucun  mi- 
lieu réel  dont  un  homme  sincère  et  sérieux  puisse  s'accommoder. 
(  Fénelon  ,  Lettre  sur  la  nature  de  la  grâce.) 

Nécessité  de  la  coopération  à  la  grâce. 

«  Si  le  Seigneur  ne  bâtit  point  la  maison  ,  ceux  qui  la  bâtissent 
«  ont  travaillé  en  vain;  si  le  Seigneur  ne  garde  point  la  cité,  c'est 

1  Act.,  iv,  28. 


DES    PRÉDICATEURS.  373 

«  inutilement  que  veillent  ceux  qui  sont  préposés  à  sa  garde  i.  - 
Gardons-nous  de  conclure  de  ces  paroles  que  nous  ne  devons  plus 
nous  occuper  ni  de  la  construction  de  l'édifice,  ni  de  la  garde  de 
la  cité.  Le  Prophète  royal  veut  seulement  nous  apprendre  par  là 
que  tous  nos  efforts  seraient  inutiles,  soit  pour  construire,  soit 
pour  garder ,  sans  l'aide  de  la  main  de  Dieu  ;  car  partout  où  s'é- 
lèvent un  édifice  solidement  construit  et  une  ville  à  l'abri  de  toute 
attaque,  on  attribue  avec  raison  à  cette  main  puissante,  et  la  soli- 
dité de  l'un  et  la  sécurité  de  l'autre. 

L'Apôtre  nous  tient  le  même  langage,  lorsqu'il  nous  apprend 
que  la  seule  volonté  de  l'homme  ne  suffit  point  pour  arriver  au 
salut.  C'est  en  vain  que  notre  faible  nature  fait  tous  ses  efforts  pour 
atteindre  d'elle-même  le  but  :  il  faut  que  notre  bonne  volonté  et 
notre  résolution  généreuse  soient  aidées  et  secondées  du  se- 
cours divin. 

Ainsi  de  même  qu'un  laboureur  reconnaît  que  les  fruits  qu'il  re* 
recueille  dans  son  champ  lui  viennent  de  Dieu;  de  même  qu'un 
Danton  nier  attribue  avec  raison  le  bienfait  de  sa  conservation  à  une 
protection  spéciale  de  Dieu ,  non  pas  toutefois  qu'ils  ne  sentent 
très  bien  l'un  et  l'autre  qu'ils  ont  contribué  en  quelque  chose,  par 
leur  travail  et  leur  industrie,  l'un  à  diriger  son  vaisseau,  l'autre  à 
remuer  la  terre  ,  mais  parce  qu'ils  sentent  très  bien  que  le  travail 
seul  vient  d'eux,  mais  que  la  conservation  du  navire,  ainsi  que 
les  fruits  du  champ,  viennent  de  Dieu  seul:  de  même  aussi ,  dans 
le  cours  de  notre  vie,  nous  ne  devons  épargner  ni  nos  travaux  , 
ni  notre  ardeur,  ni  notre  industrie;  mais  c'est  de  Dieu  seul  que 
nous  devons  espérer  notre  salut.  «  Celui  qui  plante,  dit  l'Apôtre, 
«  celui  qui  arrose,  )  n'est  rien  :  il  n'y  a  que  Dieu  qui  donne  l'ac- 
«  croissement  2.  »  Il  faut  cependant  que  l'homme  plante ,  il  faut 
qu'il  arrose;  autrement,  c'est-à-dire,  s'il  pouvait  se  sauver  sans 
qu'il  lui  en  coûtât  aucun  travail ,  tous  les  commandemens  seraient 
inutiles.  Que  dis-je?  au  lieu  de  nous  fatiguer  nous-mêmes  à  pour- 
suivre une  carrière  pénible,  au  lieu  de  nous  efforcer  sans  cesse 
pour  arriver  au  terme,  ne  vaudrait-il  pas  mieux  alors  nous  livrer 
à  une  indolente  oisiveté,  et  attendre  de  Dieu  seul  une  chose  pour 
laquelle  nous  n'avons  rien  à  faire?  (Origène,  Des  Piincipes.} 

La  grâce  ne  nous  rend  point  impeccables. 
Quoique  la  grâce  habite  dans  un  Chrétien  ,  il  arrive  néanmoins 

1  Psaî.,  cxxvi,  1,  2.  -»  2  Cor.  m,  7. 


3^4  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

souvent  qu'il  reste  encore  en  lui  quelque  fonds  secret  de  corrup- 
tion. Quelquefois,  sentant  au  dedans  de  lui  la  grâce  de  Dieu,  il  se 
croit  au  dessus  de  toute  faiblesse,  et  il  est  ravi  du  contentement 
intérieur  qu'il  e'prouve  et  de  l'amour  qu'il  a  pour  son  Dieu.  Mais  tout 
à  coup  les  mauvaises  pensées  l'agitent;  le  péché  lui  paraît  encore 
avoir  des  charmes.  11  s'y  sent  comme  entraîné,  et  pourtant  il  n'a 
pas  encore  perdu  la  grâce.  Userait  peu  sage  de  se  croire  à  l'abri  de 
toute  faute,  àès  que  l'on  a  ressenti  dans  son  cœur  les  heureux  ef- 
fets de  la  grâce.  Ceux  qui  sont  versés  dans  les  choses  du  ciel  savent 
bien  qu'un  cœur,  même  encore  en  possession  de  la  grâce,  peut 
être  tourmenté  par  de  mauvaises  pensées.  Souvent  nous  rencon- 
trons parmi  nos   frères  les  solitaires  des  âmes  assez  favorisées  de 
la  grâce  pour  n'avoir  point  ressenti  la  plus  légère  atteinte  de  la 
concupiscence  pendant   un  espace  de  cinq   ou  six  ans;   ils  s'en 
croyaient  délivrés  à  jamais  :  mais  tout  à  coup  le  germe  de  corrup- 
tion qui  demeurait  caché  dans  leur  cœur  se  développe;  et  plus 
d'une  fois  nous  les   avons  entendus    s'écrier,  au  moment  où  les 
feux  de  la  concupiscence  leur   faisaient  ressentir  plus  que  jamais 
toute  leur  ardeur  :  «Hélas!  après  un  si  long  temps,  de  quelle  source 
«  empoisonnée  a  donc  pu  naître  en  nous  tant  de  corruption  !  » 

Si  vous  êtes  sage,  ne  dites  donc  pas  :  J'ai  le  bonheur  de  possé- 
der au  dedans  de  moi  le  trésor  de  la  grâce  ;  me  voilà  pour  toujours 
délivré  du  péché;  car,  je  vous  l'assure,  les  Apôtres  eux-mêmes, 
quoiqu'ils  eussent  reçu  le  Saint-Esprit,  n'étaient  point  pour  cela 
à  l'abri  de  toute  attaque.  A  leur  joie  se  mêlait  une  crainte  et  un 
tremblement  salutaires,  quand  ils  pensaient  que  la  grâce  pouvait 
leur  échapper.  (Saint  Mac  aire,  Egyptien,  Homélie  XVII) 

Dieu  demandera  compte  de  l'usage  que  l'on  aura  fait  de  la  grâce. 

Dieu  est  juste  ;  ses  jugemens  sont  équitables:  il  n'a  aucun  égard 
aux  personnes;  mais  il  jugera  chacun  de  nous  sur  la  mesure  des 
bienfaits,  soit  corporels,  soit  spirituels,  qu'il  nous  aura  départis  , 
sur  le  degré  de  science  et  d'intelligence  qu'il  nous  aura  donné  ;  il 
nous  demandera  quels  fruits  de  bonnes  œuvres  nous  avons  pro- 
duits, et  il  rendra  à  chacun  selon  ses  œuvres. 

Nous  devons  donc  nous  y  attendre  :  Dieu  nous  redemandera  au 
dernier  jour  des  fruits  de  vertus  à  raison  des  bienfaits  dont  il  nous 
aura  comblés;  non  seulement  des  bienfaits  naturels,  mais  bien 
plus  encore  du  grand  et  surnaturel  bienfait  de  sa  grâce.  Ainsi  nul 
ne  pourra  trouver  d'excuse  au  jour  du  jugement,  JEt  que  personne 


DES    PRÉDICATEURS.  3^5 

d'entre  vous  ne  s'élève  au  dessus  de  ses  frères,  en  disant:  Je  pos- 
sède le  précieux  trésor  de  sa  grâce.  Vous  ne  savez  point  ce  qui 
vous  arrivera  demain;  vous  ne  savez  ni  quelle  sera  la  fin  de  votre 
frère,  ni  quelle  sera  la  vôtre. 

Que  chacun  donc  se  surveille  avec  le  plus  grand  soin;  qu'il  se 
juge  soi-même  avec  sévérité;  qu'il  éprouve  si  le  désir  qu'il  a  de 
posséder  Dieu  est  sincère  et  ardent,  et  qu'ensuite,  sans  se  rassu- 
rer ni  sur  la  grâce  qu'il  possède  actuellement  ni  sur  les  onctions 
saintes  qu'il  a  reçues,  il  coure  sans  relâche  ,  jusqu'à  ce  qu'il  arrive 
au  terme  heureux  où  l'attendent  le  repos  de  lame,  une  parfaite 
liberté,  le  silence  complet  des  passions.  Gloire  et  adoration  au 
Père,  au  Fils  et  au  Saint-Esprit  dans  tous  les  siècles  des  siècles. 
Ainsisoit-il.  (Le  Même,  Serm.  XXX.) 

Il  faut  coopérer  à  la  grâce.  Avec  elle  on  peut  tout.  Exemple. 

Quels  durent  être  les  sentimens  de  cette  tendre  vierge  (sainte 
Pélagie),  qui  n'était,  pour  ainsi  dire,  jamais  sortie  de  son  appar- 
tement virginal,  lorsque  tout-à-coup  elle  voit  des  soldats  y  en- 
trer précipitamment,  tandis  que  d'autres  veillent  en  sentinelle  à 
la  porte,  qu'elle  se  voit  saisie  et  emmenée  pour  comparaître  à  un 
tribunal?  Elle  n'avait  pour  la  défendre  et  la  protéger  ni  son  père, 
ni  sa  mère,  ni  voisin,  ni  ami;  seule,  elle  se  voyait  assaillie  par 
cette  troupe  de  bourreaux.  Qu'elle  ait  pu  trouver  des  forces  pour 
marcher,  pour  répondre  à  ces  bourreaux  et  à  ces  soldats;  qu'elle 
ait  osé  lever  les  yeux  et  faire  entendre  quelques  mots;  qu'elle  ait 
osé  respirer  en  leur  présence,  c'est  déjà  un  prodige  digne  de  toute 
notre  admiration. 

Ah!  sans  doute  ce  n'était  plus  la  nature  humaine  toute  seule 
qui  agissait  alors.  La  plus  grande  partie  de  son  héroïsme  venait 
de  Dieu  et  de  sa  grâce.  Toutefois  sa  volonté  à  elle-même  ne  de- 
meurait point  oisive.  La  vierge  du  Christ  apportait  de  son  côté 
au  combat  un  cœur  noble  et  généreux,  une  volonté  déterminée, 
un  ferme  propos,  un  amour  et  un  zèle  à  toute  épreuve;  el  c'est 
par  un  effet  de  la  grâce  divine  que  toutes  ces  saintes  dispositions 
ont  été  couronnées  d'une  glorieuse  persévérance  jusqu'à  la  fin. 

Ainsi  donc  elle  est  digne  de  toute  notre  admiration  ;  et  c'est 
avec  raison  que  nous  l'appelons  bienheureuse,  puisqu'elle  a  été  si 
puissamment  aidée  du  secours  et  delà  grâce  de  Dieu,  et  admirable 
en  ce  qu'elle  a  montré  de  son  côté  tant  de  résolution  dans  cette 
lutte  cruelle,  Qui  ne  s'étonnerait  avec  raison  de  la  voir  en  un  seul 


3j()  NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE 

instant  prendre,  confirmer  et  exécuter  une  pareille  resolution? 
Vous  le  savez  tous,  combien  de  fois,  après  avoir  médité  pendant 
long-temps  un  dessein  et  l'avoir  concerté  avec  toute  la  maturité 
possible,  ne  l'avons-nous  point  laissé  tout  à  coup  s'évanouir,  au 
moment  où  il  fallait  faire  quelques  efforts  pour  l'exécuter ,  parce 
qu'une  crainte  subitejs'est  emparée  de  notre  ame  et  est  venue  ébran- 
ler notre  constance!  Mais  admirez  la  puissance  de  la  grâce  dans 
Une  faible  vierge  ;  un  seul  instant  lui  suffit  pour  prendre  la  plus 
terrible  des  résolutions  et  pour  la  mettre  à  exécution.  Avec  cepuis- 
sant  auxiliaire,  rien  ne  l'arrête;  ni  la  terreur  en  voyant  ces  hom- 
mes qui  l'entourent,  ni  la  violence  avec  laquelle  on  l'entraîne,  ni 
sa  solitude  même  qui  l'exposait  à  tant  de  dangers;  rien,  en  un 
mot,  n'ébranle  son  courage.  Elle  conserve  le  même  calme,  la 
même  présence  d'esprit  que  si  elle  eût  été  environnée  de  ses  amis 
et  de  personnes  connues.  Ah!  sans  doute,  Chrétiens,  sans  doute 
qu'intérieurement  elle  n'était  point  seule;  elle  avait  pour  conseil- 
ler Jésus-Christ  lui-même:  c'est  lui  qui  lui  prêtait  son  secours,  qui 
encourageait  son  zèle  et'qui  soutenait  son  cœur;  c'est  lui,  en  un  mot, 
qui,  par  sa  grâce,  éloignait  d'elle  toute  espèce  de  crainte;  et  ce 
n'était  point  sans  raison  que  ce  Dieu  plein  de  bonté  en  agissait 
ainsi  avec  elle ,  puisque  cette  martyre  courageuse  avait  commencé 
par  se  montrer  digne  de  son  secours.  (Saint  Chrysostome,  Homélie 
XLl,  su?%  sainte  Pélagie,^ 

Conciliation  des  passages  de  l'Ecriture  sur  la  grâce  et  sur  le  libre  arbitre. 

Si  nous  faisons  bien  attention  au  langage  de  l'Ecriture,  nous  y 
Verrons  clairement  que,  quand  elle  établit  la  nécessité  de  la  grâce, 
elle  n'exclut  point  le  libre  arbitre  ;  de  même  qu'en  parlant  en  fa- 
veur du  libre  arbitre,  elle  n'exclut  point  la  grâce:  comme  si  le  li- 
bre arbitre  tout  seul  ou  la  grâce  toute  seule  suffisaient  pour  le 
salut  de  l'homme.  Ce  que  veut  dire  l'Ecriture,  c'est  que  le  salut  de 
l'homme  ne  peut  s'opérer  ni  avec  le  libre  arbitre  tout  seul,  ni  avec 
la  grâce  seulement. 

Ainsi ,  lorsque  le  Seigneur  nous  dit  :  Sans  moi  vous  ne  pouvez 
rien  faire,  il  ne  dit  pas:  Votre  libre  arbitre  ne  vous  sert  à  rien, 
mais  bien  il  ne  peut  rien  sans  ma  grâce.  Et  quand  nous  lisons ,  le 
mérite  n'est  ni  de  celui  qui  veut ,  ni  de  celui  qui  court,  mais  bien 
de  Dieu  qui  fait  miséricorde,  on  ne  nous  dit  point  que  dans  celui 
qui  veut,  et  dans  celui  qui  court,  le  libre  arbitre  est  inutile  et  ne 
produit  rien ,  mais  seulement  que  si  nous  voulons  et  si  nous  nou 


DES  PRÉDICATEURS.  Zj,*]. 

empressons  à  faire  ce  que  Dieu  nous  commande,  il  ne  faut  point 
l'imputer  à  notre  libre  arbitre  ,  mais  à  la  grâce.  Car,  quand  l'Ecri- 
ture nous  dit,  le  mérite  n'est  ni  de  celui  qui  veut,  ni  de  celui  qui 
court,  il  faut  sous-entendre,  s'il  veut  et  s'il  court.  Ainsi ,  lorsque 
quelqu'un  donne  un  habit  à  un  pauvre  à  qui  il  ne  doit  rien,  et  qui 
par  lui-même  ne  peut  point  se  procurer  un  vêtement,  quoique  ce 
pauvre  ait  la  faculté  de  se  servir  ou  de  ne  point  se  servir  de  l'ha- 
bit qui  vient  de  lui  être  donné,  il  ne  faut  cependant  pas,  s'il  s'en 
sert,  imputer  à  celui  qui  a  été  revêtu  le  mérite  de  s'en  être  revêtu, 
mais  bien  à  celui  qui  lui  a  donné  cet  habit;  et  dans  ce  cas,  l'on 
pourrait  dire  :  Ce  n'est  point  le  fait  de  celui  qui  a  été  revêtu ,  s'il 
est  revêtu,  mais  le  fait  de  celui  qui  a  eu  pitié  de  sa  nudité.  A  plus 
forte  raison  pourrait-on  parler  de  la  sorte  si  celui  qui  a  donné 
l'habit  donne  en  même  temps  au  pauvre  le  pouvoir  delà  conser 
ver  et  de  s'en  servir,  comme  Dieu  l'a  fait  à  l'égard  de  l'homme 
en  le  douant  de  cette  rectitude  naturelle  dont  nous  avons  parlé 
tant  de  fois,  et  qu'il  lui  a  donné  la  faculté  de  conserver  en  s'en 
servant. 

Si  donc  celui  qui  est  nu,  et  à  qui  l'on  ne  devrait  rien,  ne  recevait 
point  d'habit,  ou  si,  après  en  avoir  reçu  un,  il  le  jetait  avec  dédain, 
sa  nudité  ne  devrait  plus  être  imputée  à  personne  qu'à  lui.  De 
même,  lorsque  Dieu  accorde  de  vouloir  et  de  s'empresser  à  son 
service  à  un  homme  conçu  et  né  dans  le  péché,  et  à  qui  il  ne  doit 
rien  que  des  châtimens,  assurément  le  mérite  n'en  est  ni  à  celui  qui 
veut,  ni  à  celui  qui  s'empresse  ,  mais  bien  au  Dieu  qui,  prenant 
pitié  de  sa  misère,  a  jugé  à  propos  de  venir  à  son  secours.  Et  si  cet 
homme  ne  reçoit  point  la  grâce  qui  lui  est  donnée,  ou  s'il  la  re- 
jette, c'est  à  lui,  et  non  à  Dieu,  qu'il  faut  s'en  prendre,  s'il  persé- 
vère dans  son  iniquité  et  dans  son  endurcissement.  Il  faut  inter- 
préter dans  le  même  sens  tous  les  autres  passages  de  l'Ecriture; 
c'est-à-dire  que,  s'il  est  question  de  la  grâce,  il  faut  tenir  pour 
certain  que  le  libre  arbitre  n'est  point  exclus;  et  de  même,  quand 
l'Ecriture  parle  de  manière  à  n'attribuer  en  apparence  le  salut 
qu'à  notre  libre  arbitre,  il  ne  faut  point  le  séparer,  même  par  la 
pensée,  de  la  grâce  divine,  sans  laquelle  il  est  impuissant  pour  le 
bien.  (Saint  Anselme,  Traité  de  ï accord  de  la  grâce  et  du  libre 
Arbitre.  ) 

La  loi  inutile  sans  la  grâce. 

Je  ne  m'étonne  pas  si,  vivant  comme  nous  vivons, nous  ne  sentons 
pas  la  guerre  éternelle  que  nous  fait  la  concupiscence.  Lorsque 


3^8  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

vous  suivez  en  nageant  le  cours  de  la  rivière  qui  vous  conduit,  il 
vous  semble  qu'il  n'y  a  rien  de  si  doux  ni  de  si  paisible  ;  mais  si 
vous  remontez  contre  l'eau,  si  vous  vous  opposez  à  sa  chute,  c'est 
alors,  c'est  alors  que  vous  éprouvez  la  rapidité  de  son  mouvement. 
Ainsi,  je  ne  m'étonne  pas ,  Chrétien  ,  si  menant  une  vie  paresseuse, 
si  ne  faisant  aucun  effort  pour  le  ciel,  si  ne  songeant  point  à  té- 
lever  au  dessus  de  l'homme  pour  commencer  à  jouir  de  Dieu,  tu 
ne  sens  pas  la  résistance  de  la  convoitise  :  c'est  qu'elle  t'importe 
toi-même  avec  elle.  Vous  marchez  ensemble  d'un  même  pas,  et 
vous  allez  tous  deux  dans  la  même  voie  :  ainsi  son  impétuosité 
t'est  imperceptible. 

Un  saint  Paul,  un  saint  Paul  la  sentira  mieux,  parce  qu'il  a  ses  affec- 
tions avec  Jésus-Christ.  Les  inclinations  charnelles  le  blessent,  parce 
qu'il  aime  la  loi  du  Sauveur;  tout  ce  qui  s'y  oppose  lui  devient  sensi- 
ble. Aspirons  à  la  perfection  chrétienne,  suivons  un  peu  Jésus-Christ 
dans  la  voie  étroite,  et  bientôt  notre  expérience  nous  fera  reconnaî- 
tre notre  infirmité.  C'est  alors  qu'étant   fatigués  parles  opiniâtres 
oppositions  de  la  convoitise,  nous   confesserons  que  les  forces 
nous  manquent,  si  la  grâce  divine  ne  nous  soutient.  Car  enfin  ce 
n'est  pas  un  ouvrage  humain  de  dompter  cet  ennemi  domestique , 
qui  nous  persécute  si  vertement,  et  qui  ne  nous  donne  aucune  re- 
lâche. Etant  ainsi  déchirés  en  nous-mêmes,  nous  nous  consumons 
par  nos  propres  efforts  ;  plus  nous  pensons  nous  pouvoir  relever 
par  notre  naturelle  vigueur,  et  plus  elle  se  diminue.  Comme  un 
pauvre  malade  moribond  qui  ne  sait  plus  que  faire,  il  s'imagine 
qu'en  se  levant  il  sera  un  peu  allégé  ;  il  achève  de  perdre  son  peu 
de  force  par  un  travail  qu'il  ne  peut  supporter;  et  après  qu'il  s'est 
beaucoup  tourmenté  à  traîner  ses  membres  appesantis  avec  une 
extrême  contention,  il  retombe  ainsi  qu'une  pierre  ,  sans  pouls  et 
sans  mouvement,  plus  faible  et  plus  impuissant  que  jamais  :  ainsi 
en  est-il  de  nos  volontés,  si  elles  ne  sont  secourues  par  la  grâce. 
Or,  la  grâce  n'est  point  par  la  Loi  :  «  Car  si  la  grâce  était  par  la 
»  Loi ,  c  est  en  vain  que  Jésus-Christ  serait  mort  \  ;  »  et  ce  grand 
scandale  de  la  croix  serait  inutile.   C'est  pourquoi  l'Evangéliste 
nous  dit  :  «  La  Loi  a  été  donnée  par  Moïse  ;  mais  la  grâce  et  la  vé- 
rité ont  été  faites  par  Jésus-Christ  2.  »  D'où  je  conclus  que ,  sous  le 
vieux  Testament,  tous  ceux  qui  obéissaient  à  la  grâce,  c'était  par 
le  mérite  de  Jésus-Christ;  et  de  là  ils  appartenaient  au  Christianis- 
me, parce  que  la  grâce  ni  la  justice  ne  sont  point  par  la  Loi.  Et  delà, 

1  Gaai  ,  ii,  21.^8  Joan.,  i,  17. 


DBS    PRÉDICATEURS.  3^9 

pour  revenir  à  mon  texte,  j'infère  avec  l'Apôtre  que  «  la  lettre 
»  tue.  »  Voyez  si  je  prouverai  bien  ce  que  je  propose,  et  renouve- 
lez vos  attentions. 

Insistons  toujours  aux  mêmes  principes;  et  ainsi,  pour  revenir 
à  notre  passage,  figurez-vous  cet  homme  malade  que  je  vous  dépei- 
gnais tout  à  l'heure,  cet  homme  tyrannisé  par  ses  convoitises,  cet 
homme  impuissant  à  tout  bien,  qui,  selon  le  concile  d'Orange, 
«  n'a  rien  de  son  cru  que  le  mensonge  et  le  péché  ' .  »  Que  pro- 
duira la  Loi  en  cet  homme,  puisqu'elle  ne  peut  lui  donner  la  grâce! 
Elle  parle,  elle  commande,  elle  tonne,  elle  retentit  aux  oreilles 
d'un  ton  puissant;  mais  que  sert  de  frapper  les  oreilles,  puisque  la 
maladie  est  au  cœur  ?  Je  ne  craindrai  point  de  le  dire,  tout  ce  bruit 
de  la  Loi  ne  fait  qu'étourdir  le  pauvre  malade:  elle  l'effraie,  elle 
l'épouvante;  mais  il  vaudrait  bien  mieux  le  guérir,  et  c'est  ce  que 
la  Loi  ne  peut  faire.  Quel  est  donc  l'avantage  qu'apporte  la  Loi? 
Elle  fait  connaître  le  mal,  elle  allume  le  flambeau  devant  le  mala- 
de ,  elle  lui  montre  le  chemin  de  la  vie  :  «  Fais  ceci,  et  tu  vivras  ,  » 
lui  dit-elle  2.  Mais  à  quoi  sert  de  montrer  à  ce  pauvre  paralytique 
qui  est  au  lit  depuis  trente  huit  ans,  à  quoi  sert  que  vous  lui  mon- 
triez l'eau  miraculeuse  qui  peut  le  guérir?  «  Je  n'ai  personne,  » 
dit-il  3.  Il  est  immobile,  il  faut  le  porter;  et  il  est  impossible  que 
la  Loi  le  porte. 

Mais  la  Loi,  direz-vous,  n'a-t-elle  donc  aucune  énergie?  Certes, 
son  énergie  est  très  grande,  mais  très  pernicieuse  à  notre  malade. 
Que  fait-elle?  Elle  augmente  la  connaissance,  et  cela  même  aug- 
mente le  crime;  elle  me  commande  de  la  part  de  Dieu,  elle  me  fait 
comprendre  ses  jugemens.  Avant  la  loi,  je  ne  connaissais  pas  que 
Dieu  fût  mon  juge,  ni  qu'il  prît  la  qualité  de  vengeur  des  crimes  ; 
mais  la  Loi  me  montre  bien  qu'il  est  juge,  puisqu'il  daigne  bien 
être  législateur.  Mais  enfin  que  produit  cette  connaissance?  Elle 
fait  que  mon  péché  est  inexcusable ,  et  ma  rébellion  phis  auda- 
cieuse. C'est  pourquoi  l'Apôtre  nous  dit  que  «  le  péché  a  abondé 
par  la  Loi  4,  »  qu'elle  lui  donne  de  nouvelles  forces,  «qu'elle  le  fait 
«  vivre  §  ;  »  parce  qu'à  tous  les  autres  péchés,  elle  ajoute  la  déso- 
béissance formelle,  qui  est  le  comble  de  tous  les  maux.  De  cette 
sorte,  que  fait  la  loi?  Elle  lie  les  transgresseurs  par  des  malédic- 
tions éternelles,  parce  qu'il  est  écrit  dans  cette  loi  même  :  «  Mau- 
«  dit  est  celui  qui  n'observe  pas  ce  qui  est  écrit  dans  ce  livre  (;.  » 
(Bossuet,  Sermon  pour  le  jour  de  la  Pentecôte.) 

1  Conc.  Arausir.,  n,  can.  xxn.  —  2  Luc,  x,  28.  —  ?  Jean.,  V,  7.  ~4Rom.;  Vj  23. 
-*  s  Ibid.;  vu,  9,  -s  «  Peut,,  xxyu,  26. 


38o  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Difficulté  a  recouvrer  la  justice Tperdue. 

Nous  apprenons  clans  les  saintes  Lettres  que,  dans  la  première 
intention  de  Dieu,  la  grâce  sanctifiante  ne  devait  être  donnée 
qu  une  seule  fois,  et  que  si  les  hommes  venaient  à  la  perdre,  jamais 
elle  ne  pourrait  leur  être  rendue.  Gela  paraît  d'abord  bien  étrange; 
cependant  il  n'est  rien  de  plus  véritable,  et  c'est  le  fondement  du 
Christianisme.  Mais  d'où  vient  donc,  direz-vous,  que  les  hommes 
sont  justifiés?  Eh!  fidèles,  ne  le  savez- vous  pas?  c'est  que  Jésus- 
Christ  est  intervenu.  Entendez  ce  que  c'est  que  notre  justice  :  la 
justice  du  Christianisme  n'est  pas  un  bien  qui  nous  appartienne; 
ce  n'est  pas  à  nous  qu'on  le  restitue,  c'est  un  don  que  le  Père  a 
fait  à  son  Fils,  et  ce  Fils  miséricordieux  nous  le  cède;  il  veut  que 
nous  jouissions  de  son  droit;  nous  l'avons  de  lui  par  transport,  ou 
plutôt  nous  ne  l'avons  qu'en  lui  seul,  parce  que  le  Saint-Esprit 
nous  a  faits  ses  membres  :  c'est  l'espérance  du  Chrétien.  Donc  la 
grâce  de  la  justice,  dans  la  première  intention  de  Dieu,  ne  devait 
point  être  rendue  à  ceux  qui  la  perdent  ;  et  si  Dieu  s'est  laissé  flé- 
chir en  notre  faveur  à  la  considération  de  son  Fils,  il  ne  s'ensuit 
pas  pour  cela  qu'il  ait  tout-à-fait  oublié  son  premier  dessein ,  ni 
qu'il  se  soit  entièrement  relâché  de  sa  première  rigueur.  Il  a  fallu 
trouver  un  milieu  afin  de  nous  retenir  toujours  dans  la  crainte  : 
de  sorte  qu'il  a  posé  cette  loi  éternellement  immuable,  qu'autant 
de  fois  que  nous  perdrions  la  justice  >  s'il  se  résolvait  à  nous  par- 
donner, il  se  rendrait  de  plus  en  plus  difficile.  Par  exemple,  nous 
l'avons  reçue  au  baptême;  avec  quelle  facilité,  Chrétiens!  nous  le 
voyons  tous  les  jours  par  expérience,  nous  n'y  avons  rien  contri- 
bué du  nôtre,  et  nous  n'avons  pas  même  senti  la  grâce  que  l'on 
nous  a  faite.  Si  nous  péchons  après  le  baptême,  nous  ne  trouvons 
plus  cette  première  facilité;  il  faut  nécessairement  recourir  aux 
larmes  et  aux  travaux  de  la  pénitence,  qui  est  appelée  par  l'anti- 
quité un  baptême  laborieux.  Ecoutez  le  concile  de  Trente  J  :  on 
ne  répare  point  la  justice  par  le  sacrement  de  pénitence  sans  de 
grandes  peines  et  de  grands  travaux  :  le  premier  baptême  n'est 
point  pénible,  le  second  est  laborieux.  D'où  vient  cette  nouvelle 
difficulté,  sinon  de  la  raison  que  nous  avons  dite?  Vous  avez  perdu 
la  justice;  ou  vous  n'y  reviendrez  jamais,  ou  ce  sera  toujours  avec 
plus  de  peine  :  et  si  nous  violons  les  promesses  non  seulement  du 
sacré  baptême,  mais  encore  de  la  pénitence,  par  la  même  suite  de 

1  Hess.,  xiv»  de  Pœnit.,  cnp.  tu 


DUS    PllÉDICATliUIVS.  38  I 

raisonnemens ,  la  difficulté  se  fera  plus  grande, 'Dieu  se  rendra 
toujours  plus  inexorable. 

Et,  pour  rechercher  cette  vérité  jusque  dans   sa  source,  je  re* 
marque  avec  le  docte  Tertullien,  au  second  livre  contre  Marcion, 
que  «  tout  l'usage  de  la  justice  sert  à  la  bonté  :  Omnc  justitiœ  optts 
«  procuratio  bonitatis  est  l  ;  »  parce  que  sa  fonction  principale  c'est 
de  soutenir  sa  miséricorde  en  la  faisant  craindre  à  ceux  qui  seront 
assez  aveugles  pour  ne  l'aimer  pas.  Et  c'est  pourquoi  si  la  malice 
des  hommes  méprise  la  miséricorde  divine  ,  en  manquant  à  la  foi 
donnée  dans  le  sacrement,  et  violant  les  promesses  de  la  péni- 
tence, ou  la  justice  divine  devient  entièrement  inflexible,  ou  s'il 
lui  plaît  de  se  relâcher ,  elle  se  rend  de  plus  en  plus  rigoureuse; 
autrement,  si  je  l'ose  dire,  elle  trahirait  sa  bonté  en  l'abandonnant 
au  mépris.  En  eftet,  se  peut-il  voir  un  pareil  mépris  que  de  man- 
quer à  une  amitié  tant  de  fois  réconciliée?  Un  pécheur  pressé  en 
sa  conscience  regarde  la  main  de  Dieu  armée  contre  lui  ;   il  voit 
déjà  l'Enfer    ouvert  sous  ses  pieds:  quel  spectacle!   Dans  cette 
crainte,  dans  cette  frayeur,  il  s'approche  de  ce  trône  de  miséri- 
corde qui  jamais  n'est  fermé  à  la   pénitence.  Et  il   n'attend   pas 
qu'on  l'accuse,  il  se  rend  dénonciateur  de  ses  propres  crimes;  il 
est  prêt  à  passer  condamnation  pour  prévenir  l'arrêt  de  son  juge. 
La  justice  divine  se  met  contre  lui,  il  se  joint  à  elle  pour  la  fléchir, 
il  avoue  qu'il  mérite  d'être   sa  victime,  et  toutefois  il  demande 
grâce  au  nom  du  médiateur  Jésus-Christ.  On  lui  propose  la  con- 
dition de  corriger  sa  vie  déréglée;  il  promet:  c'est,  fidèles,  ce  que 
nous  avons  fait  dans  l'action  de  la  pénitence.  Mais  bien  plus,  nous 
avons  donné  Jésus-Christ  pour  caution  de  notre  parole;  car,  étant 
le  médiateur ,  il  est  le  dépositaire  et  la  caution  des  paroles  des 
deux  parties.  Il  est  caution  de  celle  de  Dieu  ,  par  laquelle  il  nous 
promet  de  nous  pardonner; et  il  l'est  aussi  de  la  nôtre  par  laquelle 
nous  promettons  de  nous  corriger.  Nous  avons  pris  à  témoin   son 
corps  et  son  sang  qui  a  scellé  la  réconciliation  à  la  sainte  Table;  et 
après  la  grâce  obtenue,  nous  cassons  un  acte  si  solennel!   nous 
nous  repentons  de  notre  pénitence!   nous  retirons  de  la  main  de 
Dieu  les  armes  que  nous  lui  avions  consacrées  !  nous  désavouons 
nos  promesses,  et  Jésus-Christ  en  est  garant  !  Nous  nous  étions  ré- 
conciliés avec  Dieu,  son  amitié  nous  est  importune  ;  et  pour  com- 
ble d'indignité,  nous  renouons  avec  le  diable  le  traité  que  la  pé* 
nitence  avait  annulé!  Vous  en  frémissez,  mais  c'est  néanmoins  ce 
que  nous  faisons  toutes  les  fois  que  nous  perdons  par  de  nouveaux. 

1  N«  13. 


3^2  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

crimes  la  justice  reparée  par  la  pénitence.  Voilà  les  sentimens  que 
nous  avons  de  Dieu  :  si  notre  bouche  ne  le  dit  pas,  nos  œuvres  le 
crient;  et  c'est  le  langage  que  Dieu  entend. 

(  Bossuet,  Sur  la  pénitence.) 

Efficacité  de  la  grâce  pour  surmonter  nos  plus  fortes  inclinations. 

La  première  raison  de  ceux  qui,  sous  le  nom  du  Christianisme, 
mènent  une  vie  païenne  et  séculière,  c'est  qu'il  est  d'une  trop 
haute  perfection  de  vivre  selon  l'Evangile  ;  et  que  cette  grande 
pureté  d'esprit  et  de  corps,  cette  vie  pénitente  et  mortifiée,  cet 
amour  des  amis  et  des  ennemis,  passe  la  portée  de  l'esprit  humain. 
De  vouloir  montrer  en  particulier  la  possibilité  de  chaque  précep- 
te, ce  serait  une  entreprise  infinie:  prouvons-le  par  une  raison  gé- 
nérale, et  disons  que  c'est  pécher  par  les  principes,  que  ce  n'est 
pas  entendre  le  mot  de  commandement,  que  de  dire  que  l'exécution 
en  est  impossible.  En  effet,  le  commandement,  c'est  la  règle  de 
Faction  ;  or ,  toute  règle  est  une  mesure:  Mensura  homogenea , 
dit  saint  Thomas , proportionata  mensurato  *'.  «  C'est  une  mesure  , 
«dit-il,  qui  doit  s'ajuster  avec  la  chose  :  »  Par  conséquent  si  la  loi 
de  Dieu  est  la  règle  et  la  mesure  de  nos  actions  ,  il  faut  qu'il  y  ait 
delà  proportion,  afin  qu'elles  puissent  être  égalées;  toute  mesure 
est  fondée  sur  la  proportion. 

Que  si  le  commandement  que  Dieu  nous  donne  était  au-dessus 
de  nous,  nous  aurions  raison  de  lui  dire:  Seigneur,  vous  me  donnez 
une  règle  à  laquelle  je  ne  puis  me  joindre,  dont  je  ne  puis  pas  même 
approcher:  cela  n'est  pas  de  votre  sagesse.  Aussi  n'en  est-il  pas  de 
la  sorte;  et  lui-même  en  donnant  sa  loi,  il  a  été  soigneux  de  nous 
dire  :  Ah  !  mon  peuple,  ne  te  trompe  pas;  «  le  préceple  que  je]  te 
«  donne  aujourd'hui  n'est  pas  au-dessus  de  toi ,  il  n'est  pas  séparé 
«  de  toi  par  une  longue  distance:  »  Mandai wn  hoc,  quod  ego  prœci- 
plo  tibi  hodie,  non  supra  te  est,  neque  procul posîtum:  2  «  Il  ne  faut 
«  point  monter  au  ciel,  il  ne  faut  point  passer  les  mers  pour  le 
«  trouver:  »  Nec  in  cœlo  situmr...  neque  trans  mare  positum~\  C'est 
une  règle  que  je  te  donne;  et  afin  que  tu  puisses  t  ajuster  à  elle  , 
je  la  mets  au  niveau,  tout  auprès  de  toi:  Juxta  te  est  sermo  valde , 
valde,  valde;  «  Il  est  tout  auprès  ;  en  ta  bouche,  et  en  ton  cœur 
pour  l'accomplir  :  »  In  ore  tuo  et  in  corde  tuo,  utfacias  illum  4.  Et 
vous  direz  après  cela  qu'il  est  impossible! 

1  I  Part,  qusest.  m,  art.  v,  ad  2  ;  I  2,  quaest.  xix,  art.  iv,  ad  2.  —  a  Deut.,  xxx, 
11.  — s  Ibid.,  12,  13.  —  *  Ibid.,  x-tv» 


DES    rRÊDlGATEïJRS,  383 

f  Mais  peut-être  que  vous  penserez  que  cela  s'entend  du  vieux 
Testament,  qui  est  beaucoup  ua-dessous  de  la  perfection  évangé- 
lique.  Que  de  choses  j'aurais  à  répondre  pour  combattre  cette  pen- 
sée! car  il  est  écrit  que  «  les  chemins  tortus  deviendront  droits  :  » 
Eruntprava  in  directa  1,  Mais  je  m'arrête  à  cette  raison;  qu'elle 
est  solide!  qu'elle  est  chrétienne!  Quel  est  le  mystère  de  l'Evan- 
gile? Un  Dieu  homme,  un  Dieu  abaissé:  Et  Verbum  caro  factum 
est11.  «  Le  Verbe  s'est  fait  chair,  »  Et  pourquoi  s'est  il  abaissé?  Appre- 
nez-le par  la  suite  .*  Et  habitcwit  in  nobis  :  "°  C'est  afin  de  demeurer 
avec  nous,  dit  le  bien  aimé  disciple:  et  ailleurs;  pour  lier  société 
avec  nous  :  Ut  societas  nost?*a  sitcum  Pâtre  et  Filio  ejus  Jesu  Chris- 
to.  Il  ne  pouvait  y  avoir  de  société  entre  sa  grandeur  et  notre  bas- 
sesse, entre  sa  majesté  et  notre  néant  ;  il  s'abaisse,  il  s'anéantit  pour 
s'accommoder  à  notre] portée.  Il  se  couvre  d'un  corps  comme  d'un 
nuage,  non  pour  se  cacher,  dit  saint  Augustin  ,  mais  pour  tempé- 
rer son  éclat  trop  fort,  qui  aurait  ébloui  notre  faible  vue  :  IS'ube 
tegitur  C/iiistus,  non  ut  obscuretur,  sed  ut  temperetur  Ik.  Ce  Dieu , 
qui  est  descendu  du  Ciel  en  la  terre  pour  se  mettre  en  égalité  avec 
nous,  mettra-t-il  au-dessus  de  nous  ses  préceptes  ?  et  s'il  veut  que 
nous  atteignions  à  sa  personne ,  voudra-t-il  que  nous  ne  puissions 
atteindre  à  sa  doctrine  ?  Ah!  mes  frères,  ce  n'est  pas  entendre  le 
mystère  d'un  Dieu  abaissé;  une  telle  hauteur  ne  s'accorde  pas  avec 
une  telle  condescendance. 

Ce  n'est  pas  que  je  veuille  rien  diminuer  de  la  perfection  évan- 
gélique;  mais  je  suis  ravi  en  admiration,  quand  je  considère  atten» 
tivement  par  quels  degrés  Dieu  nous  y  conduit.  Il  nous  laisse  bé- 
gayer comme  des  enfans  dans  la  loi  de  la  nature;  il  nous  forme 
peu  à  peu  dans  la  loi  de  Moïse  :  il  pose  les  fondemens  de  la  véri- 
té par  des  figures;  il  nous  flatte,  il  nous  attire  au  spirituel  par  des 
promesses  temporelles  ;  il  supporte  mille  faiblesses,  comme  il  dit 
lui-même ,  à  cause  de  la  Pureté  des  cœurs  à  laquelle  il  s'accommode 
par  condescendance;  il  ne  nous  meneau'  grand  jour  de  son  Evan- 
gile, qu'après  nous  y  avoir  ainsi  disposés  par  de  si  longues  prépa- 
rations: et  encore  dans  cet  Evangile  il  y  a  du  lait  pour  les  en- 
fans  ,  il  y  a  du  solide  pour  les  hommes  faits  ;  Facti  estis  quibus  lacté 
opus  sic,  non  sol/do  cibo  :  3  «  Vous  êtes  devenus  comme  des  per- 
«  sonnes  à  qui  on  ne  devrait  donner  que  du  lait,  et  non  une  nour- 
riture solide.  »  Lac  vobis  polumdedi:Q  «  Je  ne  vous  ai  nourri  que  de 

1  Luc,  m,  5.  —  a  Joan.,  i,  14.  — 3 1  Joan.,  i,  3.  —  4  In.  Joan.  Tract.,  xxiv,  n° 
4,  t.  m,  part,  h,  col.  53a.  —  s  Heb.,  y,  12.  —  6 1  Cor.,  m,  2, 


384  NOUVELLE     BIBLIOTHEQUE 

lait  »;  tout  y  est  dispensé  par  ordre.  Ce  Dieu  qui  nous  conduit  ainsi 
pas  à  pas,  et  par  un  progrès  insensible,  ne  nous  montre-t-il  pas 
manifestement  qu'il  a  dessein  de  ménager  nos  forces,  et  non  pas 
de  les  accabler  par  des  commandemens  impossibles  qui  nous  pas- 
sent ?  Venez,  venez,  et  ne  craignez  pas,  soumettez-vous  à  sa  loi  ; 
c'est  un  joug,  mais  il  est  doux;  c'est  un  fardeau,  mais  il  est  léger; 
Jugum  enim  meum  suave  est,  et  onus  meum  levé  *♦  C'est  lui-même 
qui  nous  en  assure;  et  il  ne  dit  pas  qu'il  est  impossible  de  le  porter 
sur  nos  épaules. 

Toutefois  je  passe  plus  loin ,  et  je  veux  bien  accorder ,  Mes- 
sieurs, que  les  commandemens  de  Dieu  sont  impossibles:  oui, 
à  l'homme  abandonné  à  lui-même  et  sans  le  secours  de  la  grâce. 
Or,  c'est  un  article  de  notre  foi,  que  cette  grâce  ne  nous  quitte 
pas  que  nous  ne  l'ayons  premièrement  rejetée;  et  si  tu  la  perds, 
Chrétien,  Dieu  te  fera  connaître  un  jour  si  évidemment  que  tu  ne 
las  perdue  que  par  ta  faute,  que  tu  demeureras  éternellement  con- 
fondu de  ta  lâcheté:  Non  deserit,  si  non  deseratur  2.  «  Il  ne  se  re- 
«  tire  pointa  moins  que  l'on  ne  l'abandonne  le  premier.  »  «J'ai 
bien  lu,  dit  saint  Augustin,  qu'il  en  a  ramenés  à  la  divine  voie  plu- 
«  sieurs  de  ceux  qui  l'abandonnaient  ;  mais  qu'il  nous  ait  jamais 
«  quittés  le  premier ,  c'est  une  chose  entièrement  inouie.  »  C'est 
donc  une  extrême  folie  de  dire  que  les  commandemens  nous  sont 
impossibles,  puisque  nous  avons  si  près  de  nous  un  si  grand  se- 
cours: aussi  tous  ceux  qui  l'ont  assuré  ont  senti  justement  le  coup 
de  foudre;  et  tant  que  l'Eglise  sera  Eglise,  une  telle  proposition 
sera  condamnée  par  un  anathème  irrévocable. 

Par  ce  principe  solide  et  inébranlable  que  tout  est  possible  à 
la  grâce,  se  détruit  facilement  la  vaine  pensée  des  hommes  mon- 
dains qui  accusent  leur  tempérament  de  tous  leurs  crimes.  Non, 
disent-ils,  il  n'est  pas  possible  de  se  délivrer  de  la  tyrannie  de 
l'humeur  qui  nous  domine:  je  résiste  quelquefois  à  ma  colère, 
mais  enfin  à  la  longue  ce  penchant  m'emporte;  pour  me  changer, 
il  faut  me  refaire  :  c'est  ce  qu'ils  disent  ordinairement,  vous  recon- 
naissez leurs  discours.  Eh  bien,  Chrétiens,  s'il  faut  vous  refaire, 
est-ce  donc  que  vous  ignorez  que  la  grâce  de  Dieu  nous  réforme 
et  nous  régénère  en  hommes  nouveaux?  Les  Apôtres,  naturelle- 
ment tremblans  et  timides,  sont  rendus  invincibles  par  cette 
grâce  :  Paul  ne  se  plaît  plus  que  dans  les  souffrances  :  Cyprien , 
renouvelé  par  cette   grâce ,  «  voit  ses  doutes  se  dissiper,  ce  qui 

»  Maith.,  xr,  30,  —  2  S.  Aug.,  in  Ps,  «xiv,  n.  9,  t,  iv,  col.  1629. 


DES    PRÉDICATEURS.  385 

«  était  auparavant  scellé  pour  lui  s'ouvrir  devant  lui,  les  choses  qui 
«ne  lui  représentaient  que  ténèbres  devenir  lumineuses;  il  sur- 
«  monte  aisément  des  difficultés  qui  lui  paraissaient  insurmon- 
«  tables  :  »  Confirmare  se  dubia , patere  clausay  lucere  tenebrosa.... 
gerl  posse  quod  impossibile  videbatur  l  :  et  le  reste  qu'il  explique 
si  éloquemment  dans  cette  épître  à  Donat.  Augustin ,  dans  la  plus 

I   grande  vigueur  de  son  âge,  professe  la  continence,  que  dix  jours 
auparavant  il  croit  impossible. 

Et  tu  appréhendes,  fidèle,  que  Dieu  ne  puisse  pas  vaincre  ton 
tempérament  et  le  soumettre  à  sa  grâce?  c'est  entendre  bien  peu 
sa  puissance;  car  le  propre  de  cette  grâce,  c'est  de  savoir  changer 
nos  inclinations  et  de  savoir  aussi  s'y  accommoder.  C'est  pourquoi 
saint  Augustin  dit  qu'elle  est  «convenable  et  proportionnée  ;  qu'elle 
«  est  douce,  accommodante  et  contempérée  :  »  Apta,  congruens , 
conveniens,  contemperata  :  permettez-moi  la  nouveauté  de  ce  mot; 
je  n'ai  pu  rendre  d'une  autre  manière  ce  beau  contemperata  de 
saint  Augustin  ;  ceux  qui  ont  lu  ses  livres  à  Simplicien  savent  que 
tous  ces  mots  sont  de  lui  :  «  qu'elle  sait  nous  fléchir  et  nous  attirer 
»  de  la  manière  qui  nous  est  propre:  »  Quemadmodiim  aptum 
crat  2;  c'est-à-dire  qu'elle  remue  si  à  propos  tous  les  ressorts  de 
notre  ame  qu'elle  nous  mène  où  il  lui  plaît  par  ses  propres  incli- 
nations, ou  en  retranchant  ce  qu'il  y  a  de  trop,  ou  en  ajoutant  ce 
qui  leur  manque ,  ou  en  détournant  leur  cours  sur  d'autres  objets. 
Ainsi  l'opiniâtreté  se  tourne  en  constance,  l'ambition  devient  un 
grand  courage  qui  ne  soupire  qu'après  les  choses  véritablement 
élevées,  la  colère  se  change  en  zèle,  et  cette  complexion  tendre  et 
affectueuse  en  une  charité  compatissante. 

Mais  à  qui  est-ce,  mes  frères,  que  je  dis  ces  choses?  ceux  qui 
nous  allèguent  sans  cesse  leurs  inclinations  ,  qui  se  déchargent  sur 
leur  complexion  de  tous  leurs  vices ,  ne  connaissent  pas  cette 
grâce  ;  ils  ne  croient  pas  que  Dieu  se  mêle  de  nos  actions,  ni  qu'il  y 
en  ait  d'autre  principe  que  la  nature  :  autrement ,  au  lieu  de  dé- 
sespérer de  pouvoir  vaincre  leur  tempérament,  ils  auraient  recours 
à  celui  qui  tourne  les  cœurs  où  il   lui  plaît  :  au   lieu  d'imputer 

leur  naufrage  à  la  violence  de  la  tempête ,  ils  tendraient  les  mains 
à  celui  dont  le  Psahniste  a  chanté,  «  qu'il  bride  la  fureur  de  lu 
«  mer,  et  qu'il  calme,  quand  il  veut,  ses  flots  agités  :  »    Tu  domi- 

naris  potestati  maris,  motum  autemjlucluum  ejus  tumitigas  \ 
Puis  donc  qu'ils  ne  croient  pas  en  la  grâce,  montrez-leur  par  une 

*  De  div.  Quœst.  ad  SimpL,  lib.  r,  t.  yr,  col.  95.  — 8  Ps.  ï-xxxvm,  10. 
t.  ni.  a5 


38(5  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

autre  voie  que  Ton  peut  se  vaincre  soi-même.  Je  ne  veux  que  la  vie 
de  la  cour  pour  les  en  convaincre  par  expérience  ;  dans  un  si  grand 
auditoire,  il  n'est  pas  qui  ne  s'y  rencontre  plusieurs  courtisans. 
Qu'est-ce  que  la  vie  de  la  cour?  faire  céder  toutes  ses  passions  au 
désir  d'avancer  sa  fortune.  Qu'est-ce  que  la  vie  de  la  cour?  dissi- 
muler tout  ce  qui  déplaît,  et  souffrir  tout  ce  qui  offense,  pour 
agréer  à  qui  nous  voulons.  Qu'est<ce  encore  que  la  vie  de  la  cour? 
étudier  sans  cesse  la  volonté  d 'autrui ,  et  renoncer  pour  cela,  s'il 
est  nécessaire,  à  nos  plus  chères  pensées  :  qui  ne  sait  pas  cela  ne 
sait  pas  la  cour.  Mes  frères ,  après  cette  expérience,  saint  Paul  va 
vous  proposer  de  la  part  de  Dieu  une  condition  bien  équitable  : 
Sicut  exhïbuistis  memhravestra  servirc  i/nmunditiœ,  et  iniquitati  ad 
iniquitatem ,  ita  nunc  exhibete  membra  vestra  servi re  justUiœ  in 
sanctifœationem  1  :  «  comme  vous  vous  êtes  rendus  les  esclaves  de 
«  l'iniquité  et  des  désirs  séculiers,  en  la  même  sorte  rendez-vous 
«  les  esclaves  de  la  sainteté  et  de  la  justice.  » 

Mon  frère  ,  certainement  vous  avez  grand  tort  de  dire  que  Dieu 
vous  demande  l'impossible  ;  bien  loin  d'exiger  de  vous  l'impos- 
sible, il  ne  vous  demande  que  ce  que  vous  faites  :  Sicut  exhibuis- 

tis....,  ita  muic  exhibete «  Faites,  dit-il,  pour  la  justice  ce  que 

«  vous  faites  pour  la  vanité.  »  Vous  vous  contraignez  pour  la  va- 
nité, contraignez-vous  pour  la  justice;  vous  vous  êtes  tant  de  fois 
surmonté  vous-même  pour  servir  à  la  vanité  ,  ah  !  surmontez-vous 
quelquefois  pour  servir  à  la  justice.  C'est  beaucoup  se  relâcher, 
pour  un  Dieu,  de  ne  demander  que  l'égalité;  néanmoins  il  se  ré- 
duit là  :  Sicut  exhibuistis....,  ita  nunc  exhibete.  Encore  se  réduira- 
t-il  beaucoup  au  dessous  ;  car,  quoi  que  vous  fassiez  pour  son 
service ,  quand  aurez-vous  égalé  les  peines  de  ceux  que  la  nécessité 
engage  au  travail,  l'ambition  aux  intrigues  de  la  cour,  l'amour 
infâme  etuléshonnête à  des  lâchetés  inouïes,  l'honneur  aux  emplois 
de  la  guerre,  l'avarice  à  des  voyages  immenses  et  à  un  exil  perpé- 
tuel de  leur  patrie;  et,  pour  passer  aux  choses  de  nulle  importance, 
le  divertissement ,  la  chasse,  le  jeu,  à  des  veilles,  à  des  fatigues,  à 
des  inquiétudes  incroyables?  Et  quand  je  vous  parle  de  Dieu,  vous 
commencez  à  ne  rien  pouvoir!  Vous  m'alléguez  sans  cesse  le  tem- 
pérament et  cette  complexion  délicate:  où  est-elle  dans  ce  carnaval? 
où  est-elle,  lorsque  vous  passez  les  jours  et  les  nuits  à  jouer  votre 
Lien  et  celui  des  pauvres?  elle  est  revenue  dans  le  carême  :  il  n'y 
a  que  ce  qui  regarde  l'intérêt  de  Dieu  que  vous  appelez  impos- 

1  Rom.,  Yr,  19. 


DES    PRÉDICATEURS,  38j 

sible.  Ah  !  j'atteste  le  ciel  et  la  terre  que  vous  vous  moquez  de  lui 
lorsque  vous  parlezJJe  la  sorte,  et  que,  quoi  que  puisse  dire  votre 
lâcheté,  le  peu  qu'il  demande  de  vous  est  beaucoup  plus  facile  que 
ce  que  vous  faites. 

Eh  bien!  mon  frère,  ai-je  bien  dit  que  tu  ne  pouvais  maintenir 
long-lemps  ton  impossibilité  prétendue?  as -tu  encore  quelque 
froide  excuse?  as-tu  quelque  vaine  raison  que  tu  puisses  encore 
opposer  à  l'autorité  de  la  loi  de  Dieu?  Chrétiens,  écoutons  encore; 
il  a  quelque  chose  à  nous  dire;  voici  une  raison  d'un  grand  poids. 
La  coutume  l'entraîne,  dit- il,  c'est  ainsi  qu'on  vit  dans  le  monde; 
il  faut  vivre  avec  les  vivans,  il  est  impossible  de  faire  autrement. 
Nous  en  sommes,  Messieurs,  en  un  triste  état;  et  les  affaires  du 
Christianisme  sont  bien  déplorées,  si  nous  sommes  encore  obligés 
à  combattre  cette  faible  excuse.  O  Eglise!  ô  Evangile!  ô  vérités 
chrétiennes!  où  en  seriez-vous,  si  les  martyrs  qui  vous  ont  dé- 
fendus s'étaient  laissés  emporter  par  le  grand  nombre;  s'ils  avaient 
déféré  à  la  coutume,  s'ils  avaient  voulu  périr  avec  la  multitude 
des  infidèles  ? 

Mon  frère,  qui  que  tu  sois  qui  gémis  sous  la  tyrannie  de  la  cou- 
tume, après  que  l'Eglise  t'a  désarmé,  je  n'ai  que  ce  mot  à  te  re- 
partir, et  je  l'ai  pris  de  Tertullien,  dans  le  livre  de  l'Idolâtrie:  ït^ 
veux  vivre  avec  les  vivans;  à  la  bonne  heure,  je  te  ie  permets;  «  il* 
«  nous  est  permis  de  vivre  avec  eux ,  mais  non  de  mourir  avec  eux  :  >» 
Licet  conviverc .  .  .,  commori  non  licet  l  :  autre  chose  est  la  société 
de  la  vie,  autre  chose  est  la  corruption  de  la  discipline.  Réjouis-toi 
avec  tes  égaux  par  la  société  de  la  nature,  s'il  se  peut  par  celle  de 
la  religion;  mais  que  le  péché  ne  fasse  point  de  liaison,  que  la 
damnation  n'entre  pas  dans  le  commerce.  La  nature  doit  être 
commune,  et  non  pas  le  crime;  la  vie,  et  non  pas  la  mort;  nous 
devons  participer  aux  mêmes  biens,  et  non  pas  nous  associer  aux 
mêmes  maux:  Convivamus  cum  eis,  conlœtemur  ex  communione 
naturœ ,  non  superstitionis  :  pares  anima  sumiis,  non  disciplina  ; 
compossessores  mundi\  non  errons**.  Loin  de  nous  cette  société 
damnable  :  il  y  a  pour  nous  une  autre  vie  et  une  autre  société  à 
prétendre  :  Licet  convivere,  commori  non  licet.  Chrétiens,  si  vous 
méditez  sérieusement  les  grandes  choses  que  je  vous  ai  dites,  ja- 
mais ,  jamais ,  j'en  suis  assuré,  jamais  vous  ne  répondrez  que  ce  que 
nous  prêchons  est  impossible.  (Bossuet,  Sur  les  vaines  excuses  des 
pécheurs.) 


«  De  Idol,  n.  14.  —  s  Ibid. 

a5« 


388  ,         NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Péroraison. 
Vous,  pécheurs,  qui  sentez  en  ce  moment  les  impressions  de 
celte  grâce  divine,  et  qui  voulez  sincèrement  vous  convertir,  ne 
laissez  pas  s'affaiblir  les  sentimens  qu'elle  a  mis  dans  votre  cœur. 
Livrez-vous  tout  entiers  à  son  impulsion,  et  agissez  avec  elle:  elle 
aplanira  les  difficultés,  elle  adoucira  les  sacrifices,  elle  vous  fera 
surmonter  tous  les  obstacles  que  le  monde  et  l'Enfer  opposent  à 
votre  conversion  ;  elle  vous  a  conduits  à  ce  discours  pour  vous  y 
livrer  un  dernier  combat  et  vaincre  toutes  vos  résistances.  Ap- 
plaudissez-vous de  sa  victoire;  votre  défaite  est  pour  tous  le  plus 
beau  des  triomphes. 

Et  vous,  justes,  qui  vivez  sous  l'empire  de  la  grâce ,  mais  que  la 
grâce  ne  trouve  pas  toujours  dociles  à  sa  voix,  écoutez-la  désormais 
avec  le  plus  religieux  respect  et  la  plus  parfaite  soumission.  Crai- 
gnez de  la  rebuter,  de  la  contrister  par  vos  refus  :  une  de  ses  in- 
spirations rejetées,  un  de  ses  mouvemens  étouffés,  les  moindres 
négligences  peuvent  avoir  les  suites  les  plus  funestes  :  ne  lui  refu- 
sez donc  rien  de  ce  qu'elle  vous  demande.  Souvent  elle  demande 
peu  pour  donner  beaucoup;  un  peu  plus  de  vigilance  et  d'atten- 
tion sur  vous-mêmes ,  d'égards  et  de  complaisance  pour  les  autres, 
de  violence  faite  à  votre  humeur,  dassujétissement  et  d'exactitude 
à  vos  devoirs;  que  sais-je?  une  légère  mortification,  une  pratique, 
une  prière,  une  lecture  faite  dans  son  temps.  C'est  à  ce  peu,  c'est 
à  la  fidélité  dans  les  petites  choses  qu'elle  attache  souvent  ses  plus 
orandes  faveurs.  Ne  vous  bornez  pas  à  une  médiocrité  de  vertu 
qui  favorise  la  paresse  et  flatte  l'amour-propre  :  ce  serait  renverser 
les  desseins  de  la  grâce,  qui  travaille  sans  cesse  à  faire  mourir  en 
nous  la  nature;  ce  serait  courir  le  risque  de  manquer  le  but  où 
Dieu  vous  appelle.  Sainte  Thérèse  vit  sa  place  marquée  au  fond 
des  abîmes,  si  elle  ne  s'élevait  pas  à  la  plus  haute  sainteté  :  telle 
était  la  mesure  de  justice  qu'elle  avait  à  remplir.  Chacun  de  nous 
a  la  sienne;  peut-être  que  la  vôtre  est  au  dessus  du  commun  des 
Chrétiens,  et  qu'elle  exige  un  courage,  une  constance,  des  efforts 
extraordinaires.  L'incertitude  même  du  degré  de  perfection  où 
vous  devez  atteindre  doit  vous  inspirer  une  vive  ardeur,  et  vous 
engager  à  faire  toujours  plus  dans  la  crainte  de  ne  pas  faire  assez. 
Marchons  dans  les  voies  de  la  grâce  ;  agissons  en  tout  selon  les 
mouvemens  intérieurs  de  la  grâce,  et  nous  arriverons  au  séjour 
de  la  doire  et  de  la  félicité  éternelle.  Ainsi  soit-il.  (  L'abbé  Ri- 

GHARD.  ) 


DES   PRÉDICATEURS.  889 


HUMILITÉ. 


RÉFLEXIONS    THÉOLOGIQUES    ET    MORALES    SUR   L'HUMILITÉ 

ET  L'ORGUEIL. 

Nous  aimons  tant  l'humilité  dans  les  autres  :  quand  travaille- 
rons-nous à  la  former  clans  nous-mêmes?  Partout  où  nous  l'aper- 
cevons hors  de  nous,  elle  nous  plaît,  elle  nous  charme.  Elle  nous 
plaît  clans  un  grand,  qui  ne  s'enfle  point  de  sa  grandeur  ;  elle  nous 
plaît  clans  un  inférieur,  qui  reconnaît  sa  sujétion  et  sa  dépendance; 
elle  nous  plaît  dans  un  égal;  et  quoique  la  jalousie  naisse  assez 
communément  entre  les  égaux,  si  c'est  néanmoins  un  homme 
humble  que  cet  égal,  et  que  la  Providence  vienne  à  l'élever,  nous 
lui  rendons  justice,  et  ne  pensons  point  à  lui  envier  son  élévation. 
Or,  puisque  l'humilité  nous  paraît  si  aimable  dans  autrui,  pourquoi 
donc,  lorsqu'il  s'agit  de  l'acquérir  nous-mêmes,  et  de  la  pratiquer, 
y  avons-nous  tant  d'opposition?  Quelle  diversité,  et  quelle  con- 
trariété de  sentimens!  Mais  voici  le  mystère,  que  je  puis  appeler 
mystère  d'orgueil  et  d'iniquité  :  car  que  fait  l'humilité  dans  les 
autres?  elle  les  porte  à  s'abaisser  au  dessous  de  nous,  et  voilà  ce 
que  nous  aimons  :  mais  que  ferait  la  même  humilité  dans  nous  ? 
elle  nous  porterait  à  nous  abaisser  au  dessous  des  autres ,  et  voilà 
ce  que  nous  n'aimons  pas. 

On  s'est  échappé  dans  une  rencontre:  on  a  parlé,  agij  mal  à 
propos;  c'est  une  faute;  et  si  d'abord  on  la  reconnaissait,  si  l'on 
en  convenait  de  bonne  foi,  et  qu'on  en  témoignât  de  la  peine,  la 
chose  en  demeurerait  là.  Mais  parce  qu'on  veut  se  justifier  et  se 
disculper  ;  parce  qu'on  ne  veut  pas  subir  une  légère  confusion , 
combien  s'en  attire-t-on  d'autres  !  Vous  contestez,  et  les  gens 
s'élèvent  contre  vous  :  ils  vous  traitent  d'esprit  opiniâtre;  et  pi- 
qués de  votre  obstination,  ils  prennent  à  tâche  de  vous  mortifier, 
de  vous  rabaisser,  de  vous  humilier.  Avec  un  peu  d'humilité,  qu'on 
s'épargnerait  d'humiliations  ! 

Il  s'est  élevé  bien  des  snvans  dans  le  monde,  et  il  s'en  forme 


3 go  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE 

tous  les  jours.  Quelles  découvertes  n'ont-ils  pas  faites  et  ne  font- 
ils  pas  encore?  Depuis  l'hysope  jusqu'au  cèdre ,  et  depuis  la  terre 
jusqu'au  ciel,  est-il  rien  de  si  secret,  soit  clans  l'art,  soit  dans  la 
nature,  où  l'on  n'ait  pénétré?  Hélas!  on  n'ignore  rien,  ce  me 
semble,  et  l'on  possède  toutes  les  sciences,  hors  la  science  de  soi- 
même.  Selon  l'ancien  proverbe,  cité  par  Jésus-Christ  même,  on 
disait,  et  l'on  dit  encore  :  Médecin^  guérissez-vous  vous-même  l 
ainsi  je  puis  dire:  Savans,  si  curieux  de  connaître  tout  ce  qui  est 
hors  de  vous,  eh!  quand  apprendrez-vous  à  vous  connaître  vous- 
mêmes  ? 

.  Il  est  vrai,  vous  ne  parlez  de  vous  que  dans  les  termes  les  plus 
modestes  et  les  plus  humbles.  Vous  rejetez  tous  les  éloges  que 
l'on  vous  donne,*  vous  rabaissez  toutes  les  bonnes  qualités  qu'on 
vous  attribue;  vous  paraissez  confus  de  tous  les  honneurs  qu'on 
vous  rend  ;  enfin,  vous  ne  témoignez  pour  vous-même  que  du  mé- 
pris. Tout  cela  est  édifiant.  Mais,  du  reste,  ce  même  mépris  de 
votre  personne,  que  quelque  autre  vienne  à  vous  le  marquer,  ou 
par  une  parole,  ou  par  un  geste,  ou  par  une  œillade,  vous  voilà 
tout  à  coup  déconcerté:  votre  cœur  se  soulève,  le  feu  vous  monte  au 
visage,  vous  vous  mettez  en  défense,  et  vous  répondez  avec  aigreur. 
Que  d'humilité  et  d'orgueil  tout  ensemble!  Mais  tout  opposés  que 
semblent  être  l'un  et  l'autre,  il  n'est  pas  malaisé  de  les  concilier. 
C'est  qu'à  parler  modestement,  et  à  témoigner  du  mépris  pour  soi- 
même,  il  n'y  a  qu'une  humiliation  apparente ,  et  qu'il  y  a  même 
une  sorte  de  gloire;  mais  à  se  voir  méprisé  de  la  partdautrui,  c'est 
là  que  l'humiliation  est  véritable ,  et  par  là  même  qu'elle  devient 
insupportable. 

Humilions-nous,  mais  sincèrement,  mais  profondément,  et  notre 
humilité  vaudra  mieux  pour  nous  que  les  plus  grands  talens, 
mieux  que  tous  les  succès  que  nous  pourrions  avoir  dans  les  em- 
plois même  les  plus  saints  et  dans  les  plus  excellens  ministères, 
mieux  que  tous  les  miracles  que  Dieu  pourrait  opérer  par  nous  : 
comment  cela  ?  parce  que  notre  humilité  sera  pour  nous  une  voie 
de  salut  beaucoup  plus  sûre.  Plusieurs  se  sont  perdus  par  l'éclat 
de  leurs  talens,  de  leurs  succès,  de  leurs  miracles  :  nul  ne  s'est 
perdu  par  les  sentimens  d'une  vraie  et  solide  humilité. 

Ainsi,  vous  ne  pouvez  vous  appliquer  à  l'oraison?  Humiliez- 
vous  de  la  sécheresse  devotre  cœur,  et  des  perpétuelles  évagations 
de  votre  esprit.  Votre  faiblesse  ne  peut  soutenir  le  travail  ?  Hu- 

*  Luc,  4. 


DES    PRÉDICATEURS.  3()I 

miliez-vous  de  l'inaction  où  vous  êtes  et  du  repos  où  vous  vivez. 
Votre  santé  ne  vous  permet  pas  de  pratiquer  des  austérités  et  des 
pénitences?  Humiliez-vous  des  ménagemens  dont  vous  usez  et 
(\es  soulagemens  dont  vous  ne  sauriez  vous  passer.  De  cette  sorte, 
l'humilité  sera  devant  Dieu  le  supplément  des  œuvres  qui  vous 
manquent,  supplément  sans  comparaison  plus  méritoire  que  ces 
œuvres  mêmes.  Car  au  dessus  de  toutes  les  œuvres,  ce  qu'il  y  a 
dans  le  Christianisme  de  plus  difficile,  ce  n'est  pas  de  faire  orai- 
son, ce  n'est  pas  de  travailler  ni  de  se  mortifier,  mais  de  s'humilier. 

Vous  vous  plaignez  de  n'avoir  pas  reçu  de  Dieu  certains  dons 
naturels  qui  brillent  dans  les  autres,  et  qui  les  distinguent;  mais 
surtout  vous  ajoutez  que  ce  qui  vous  afflige,  c'est  de  ne  pouvoir 
pas,  faute  de  talent,  glorifier  Dieu  comme  les  autres  le  glorifient: 
illusion.  Car  si  vous  examinez  bien  le  fond  de  votre  cœur,  vous 
trouverez  que  ce  qui  vous  afflige,  ce  n'est  point  précisément  de  ne 
pouvoir  pas  glorifier  Dieu  comme  les  autres,  mais  de  ne  pouvoir 
pas,  en  glorifiant  Dieu  comme  les  autres,  vous  glorifier  vous-même. 
Que  notre  orgueil  est  subtil,  et  qu'il  a  de  détours  pour  nous  sur- 
prendre !  jusque  dans  la  gloire  de  Dieu,  il  nous  fait  désirer  et 
chercher  notre  propre  gloire. 

Quand  on  voit  dans  le  ministère  évangélique  un  homme  doué 
de  certaines  qualités ,  d'un  esprit  vif,  d'un  génie  élevé,  d'une  ima- 
gination noble,  d'une  éloquence  naturelle,  on  conclut  que  c'est 
un  sujet  bien  propre  à  procurer  la  gloire  de  Dieu,  sans  examiner 
d'ailleurs  s'il  a  le  fonds  d'humilité  nécessaire  qui  doit  servir  de 
base  à  toutes  les  œuvres  saintes  et  les  soutenir.  Mais  Dieu  en  juge 
tout  autrement  que  nous.  Car  si  cet  homme  manque  d'humilité,  si 
c'est  un  homme  vain  et  présomptueux,  on  peut  dire  de  lui  ce  que 
Samuel  dit  de  chacun  des  six  enfans  de  Semëi,  frères  de  David  et 
ses  aînés  :  Ce  n'est  point  là  celui  que  le  Seigneur  a  choisi l.  Sur  qui 
donc  tombera  son  choix?  Sur  un  homme  modeste  et  humble. 
Voilà  l'homme  de  sa  droite,  voilà  le  digne  sujet  qu'il  emploiera 
aux  plus  merveilleux  ouvrages  de  sa  grâce,  et  de  qui  il  tirera  plus 
de  gloire.  Mais  c'est  un  mérite  médiocre,  ou,  pour  ainsi  parler,  ce 
n'est  rien  selon  les  idées  du  monde.  Je  réponds  qu'indépendamment 
de  tout  autre  mérite  ,  il  a  devant  Dieu  le  mérite  le  plus  essentiel , 
qui  est  celui  de  l'humilité;  et  de  plus  j'ajoute  que,  n'étant  rien  ou 
presque  rien  dans  l'estime  commune,  c'est  cela  même  qui  relève 
davantage  la  gloire  de  Dieu,  à  qui  seul  il  appartient  de  faire  de 
rien  les  plus  grandes  choses. 

1  i  fteg.  16. 


39a  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

On  peut  m'objecter  ce  que  l'expérience,  après  tout,  nous  fait 
connaître,  par  exemple,  de  deux  prédicateurs;  l'un,  avec  les  avan- 
tages qu'il  a  reçus  de  la  nature,  réussit  beaucoup  mieux  dans  l'o- 
pinion du  public,  et  l'emporte  infiniment  sur  l'autre.  On  goûte  le 
premier,  on  le  suit;  au  lieu  que  l'autre,  dépourvu  des  mêmes  dis- 
positions et  des  mêmes  dons,  travaille  dans  l'obscurité,  et  qu'il 
n'est  fait  de  lui  aucune  mention.  Je  sais  tout  cela  ;  mais  je  sais  aussi 
que  nous  donnons  dans  une  erreur  grossière  sur  ce  qui  regarde  la 
gloire  de  Dieu.  Nous  croyons  la  trouver  où  elle  n'est  pas,  et  nous 
ne  la  cherchons  pas  où  elle  est.  Etre  admiré,  vanté,  écouté  des 
grands,  produit  aux  yeux  des  plus  nombreuses  et  des  plus  augustes 
assemblées,  voilà  où  nous  faisons  consister  la  gloire  de  Dieu;  mais 
souvent  elle  n'est  point  là.  Où  donc  est-elle?  dans  la  conversion 
des  pécheurs,  dans  l'instruction  des  ignorans,  dans  l'avancement  et 
l'édification  des  âmes;  et  un  bon  missionnaire,  homme  sans  nom, 
sans  réputation  ,  mais  humble  ,  zélé,  plein  de  confiance  en  Dieu, 
vivant  parmi  des  sauvages,  parcourant  des  villages  et  des  campa- 
gnes, convertira  plus  de  pécheurs, instruira  plus  d'esprits  simples, 
gagnera  plus  d'ames  à  Jésus-Christ ,  et  les  avancera  plus  dans  les 
voies  de  Dieu  que  le  plus  célèbre  prédicateur.  Disons  en  deux 
mots  :  l'un  fait  beaucoup  plus  de  bruit,  mais  l'autre  beaucoup  plus 
de  fruit.  Or  ce  bruit  ne  sert  communément  qu'à  glorifier  l'homme, 
mais  ce  fruit,  c'est  ce  qui  glorifie  Dieu. 

Un  Père  a  eu  raison  de  dire  que  le  souvenir  de  nos  péchés  nous 
est  infiniment  plus  utile  que  le  souvenir  de  nos  bonnes  œuvres. 
Pour  entendre  la  pensée  de  ce  saint  docteur,  il  faut  bien  distinguer 
deux  choses,  nos  actions  et  le  souvenir  de  nos  actions.  Or,  il  n'en 
est  pas  de  l'un  comme  de  l'autre,  et  ils  ont  des  effets  tout  opposés. 
Nos  bonnes  actions  nous  sanctifient  ;  mais  le  souvenir  de  nos 
bonnes  actions  nous  corrompt,  parce  qu'il  nous  enorgueillit  :  au 
contraire,  nos  mauvaises  actions  nous  corrompent;  mais  le  souvenir 
de  nos  mauvaises  actions  sert  à  nous  sanctifier,  parce  qu'il  sert  à 
nous  humilier.  De  là ,  double  conséquence.  Pratiquons  la  vertu  ; 
et  dès  que  nous  l'avons  pratiquée ,  que  l'humilité  nous  mette  un 
voile  sur  les  yeux  pour  ne  plus  voir  le  bien  que  nous  avons  fait.  Et 
par  une  règle  toute  différente,  fuyons  le  péché  ;  mais  quand  nous 
avons  eu  le  malheur  d'y  tomber,  que  l'humilité  nous  tire  le  voile 
de  dessus  les  yeux  pour  voir  toujours  le  mal  que  nous  avons  com- 
mis. Ainsi  nous  serons  vertueux  sans  danger  ;  et  ce  ne  sera  pas 
même  sans  fruit  que  nous  aurons  été  pécheurs. 

Il  y  a  un  monde  au  dessus  de  nous ,  un  monde  au  dessous  de 


t  DES   PRÉDICATEURS.  3p3 

nous,  et  un  monde  autour  de  nous.  Un  monde  au  dessus  de  nous, 
ce  sont  les  grands  ;  un  monde  au  dessous  de  nous,  ce  sont  ceux 
que  la  naissance  ou  le  besoin  a  réduits  dans  une  condition  infé- 
rieure à  la  nôtre;  un  monde  autour  de  nous,  ce  sont  nos  égaux. 
Selon  ces  divers  degrés,  nous  prenons  divers  sentimens.  Ce  monde 
qui  est  au  dessus  de  nous ,  devient  souvent  le  sujet  de  notre  va- 
nité, et  de  la  vanité  la  plus  puérile.  Ce  monde  qui  est  au  dessous 
de  nous,  devient  ordinairement  l'objet  de  nos  mépris  et  de  nos 
fiertés.  Et  ce  monde  qui  est  autour  de  nous,  excite  plus  communé- 
ment nos  jalousies  et  nos  animosités.  Il  faut  expliquer  ceci,  et  re- 
prendre par  ordre  chaque  proposition. 

Le  monde  qui  est  au  dessus  de  nous,  devient  souvent  le  sujet 
de  notre  vanité.  Je  ne  dis  pas  qu'il  devient  le  sujet  de  notre  ambi- 
ti  ,n  :  cela  est  plus  rare.  Car  il  n'est  pas  ordinaire  qu'un  homme 
dune  condition  commune,  quoique  honnête  d'ailleurs,  se  mette 
dans  l'esprit  de  parvenir  à  certains  degrés  d'élévation  et  de  gran- 
deur. Mais  du  reste  il  tombe  dans  une  faiblesse  pitoyable  :  c'est  de 
vouloir  au  moins  s'approcher  des  grands,  de  vouloir  être  connu 
des  grands  et  les  connaître,  de  n'avoir  de  commerce  qu'avec  les 
grands  ,  de  ne  visiter  que  les  grands ,  de  s'ingérer  dans  toutes  les 
affaires  et  toutes  les  intrigues  des  grands  ,  de  s'en  faire  un  mérite 
et  un  point  d'honneur.  Ecoutez-le  parler,  vous  ne  lui  entendrez  ja- 
mais citer  que  de  grands  noms ,  que  des  personnes  de  la  première 
distinction  et  du  plus  haut  rang,  chez  qui  il  est  bien  reçu,  avec 
qui  il  a  de  fréquens  entretiens,  qui  l'honorent  de  leur  confiance, 
et  par  qui  il  est  instruira  fond  de  tout  ce  qui  se  passe:  fausse 
gloire  et  vraie  petitesse,  où,  voulant  s'élever  au  dessus  de  soi-même, 
l'on  se  rabaisse  dans  l'estime  de  tous  les  esprits  droits  et  de  bon 
sens! 

Le  monde  qui  est  au  dessous  de  nous ,  devient  ordinairement 
F  ,bjet  de  nos  mépris  et  de  nos  fiertés.  Dès  qu'on  a  quelque  supé- 
riorité sur  les  autres,  on  veut  la  leur  faire  sentir.  On  les  traite  avec 
hauteur,  on  leur  parle  avec  empire,  on  ne  s'explique  en  leur  pré- 
sence qu'en  des  termes  et  qu'avec  des  airs  d'autorité  ;  on  les  tient 
dans  une  soumission  dure  et  dans  une  dépendance  toute  servile  : 
comme  si  l'on  voulait  en  quelque  manière  se  dédommager  sur 
eux  de  tous  les  dédains  qu'on  a  soi-même  à  essuyer  de  la  part  des 
maîtres  de  qui  l'on  dépend.  Car  voilà  ce  que  l'expérience  tous  les 
jours  nous  fait  voir  :  des  gens  humbles  et  souples  jusqu'à  la  bas- 
sesse devant  les  puissances  qui  sont  sur  leur  tête,  mais  absolus  et 


394  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

fiers  jusqu'à  l'insolence  envers  ceux  qu'ils  ont  sous  leur  domi- 
nation. 

Le  monde  qui  est  autour  de  nous  ,  excite  plus  communément 
nos  jalousies  et  nos  animosités.On  ne  se  mesure  ni  avec  les  grands 
ni  avec  les  petits,  parce  qu'il  y  a  trop  de  disproportion  entre  eux 
et  nous  :  mais  on  se  mesure  avec  des  égaux.  Et  comme  il  n'est  pas 
possible  que  légalité  demeure  toujours  entière ,  et  que  l'un  de 
temps  en  temps  n'ait  l'avantage  sur  l'autre,  de  là  naissent  mille 
envies  qui  rongent  le  cœur,  qui  même  éclatent  au  dehors,  et  se 
tournent  en  querelles  et  en  inimitiés.  Car  c'est  assez  qu'un  homme 
l'emporte  sur  nous,  ou  sans  qu'il  l'emporte,  c'est  assez  qu'il  con- 
coure en  quelque  chose  avec  nous  ,  pour  nous  indisposer  et  nous 
aigrir  contre  lui;  et  n'est-ce  pas  là  ce  qui  cause  entre  les  personnes 
de  même  profession  ,  et  jusque  dans  les  états  les  plus  saints,  tant 
de  partis  et  tant  de  divisions?  Etrange  injustice  où  nous  porte 
notre  orgueil  !  Ayons  l'esprit  de  Dieu,  et  suivons-le.  Conduits  par 
cet  esprit  de  sagesse  et  d'équité,  de  charité,  d'humilité,  nous  ren- 
drons au  monde  que  la  Providence  a  placé  au  dessus  de  nous,  tout 
ce  qui  lui  est  dû,  mais  sans  nous  en  faire  esclave  et  sans  nous  pré- 
valoir, par  une  vaine  ostentation,  de  l'accès  que  nous  aurons  au- 
près de  lui.  Nous  conserverons  sur  le  monde  que  le  ciel  a  mis  au 
dessous  de  nous ,  tous  nos  privilèges  et  tous  nos  droits ,  mais 
sans  le  mépriser,  ni  lui  refuser  aucun  devoir  de  civilité  ,  d  honnê- 
teté, dune  charitable  condescendance;  et  nous  vivrons  en  paix 
avec  tout  le  monde  qui  est  autour  de  nous ,  sans  le  traverser  mal 
à  propos  dans  ses  desseins,  ni  lui  envier  le  bien  qu'il  possède. 

Des  gens  de  bien  ,  ou  réputés  tels ,  se  font  un  prétendu  mérite 
dune  sorte  d'indépendance  qu'ils  confondent  mal  à  propos  avec 
l'indépendance  chrétienne.  S'établir  dans  une  sainte  indépendance 
selon  l'Evangile,  c'est  mourir  tellement  à  toutes  choses  et  à  soi- 
même  que  rien  de  tout  ce  qui  n'est  pas  Dieu  ne  touche  l'ame  ni 
ne  l'affectionne.  D'où  vient  qu'elle  est  au  dessus  de  toutes  les  pré- 
tentions, de  tous  les  intérêts,  de  tous  les  événemens  humains.  La 
prospérité  ne  l'enfle  point,  l'adversité  ne  l'abat  point.  Elle  ne 
craint  que  Dieu,  elle  n'aime  que  Dieu,  elle  n'espère  qu'en  Dieu^ 
elle  ne  cherche  qu'à  plaire  à  Dieu,  et  elle  verrait  ainsi  tout  l'uni- 
vers ligué  contre  elle ,  qu'elle  demeurerait  tranquille  et  en  paix 
dans  le  sein  de  Dieu.  Ce  n'est  pas  qu'elle  veuille  par  là  s'affranchir 
de  certains  devoirs  envers  le  monde,  de  certaines  bienséances  et  de 
certains  égards,  ni  qu'elle  se  propose  de  suppléer  seule  à  tous  les 
besoins ,  et  de  n'avoir  recours  à  personne  :  mais  comme  en  tout 


! 


DF.S  PRÉDICATEURS.  '  3o,5 

cela  elle  n'envisage  que  Dieu  ;  qu'elle  n'agit  que  selon  le  gré  de 
Dieu  et  qu'avec  une  pleine  conformité  à  toutes  les  dispositions  de 
sa  providence,  rien  aussi  de  tout  cela,  quelque  chose  qui  arrive, 
ne  l'ait  impression  sur  elle  et  n'est  capable  de  l'altérer.  Telle  a  été 
l'indépendance  des  Saints,  et  telle  est  celle  du  vrai  Chrétien.  Mais 
de  dire  :  Je  veux  prendre  des  mesures  pour  ne  dépendre  de  qui 
que  ce  soit,  parce  que  la  dépendance  m'est  onéreuse;  j'aime 
mieux  vivre  dans  une  retraite  entière  et  dans  l'obscurité,  sans  me 
mêler  de  rien ,  ni  avoir  part  à  rien  ;  j'aime  mieux  me  passer  de 
tout ,  et  n'avoir  ni  vues  ,  ni  desseins  ,  ni  espérances  ,  pour  ne  de- 
voir rien  à  personne ,  et  pour  n'être  point  obligé  à  des  assiduités 
et  à  des  ménagemens  qui  me  déplaisent  :  penser  de  la  sorte,  et  se 
conduire  suivant  ces  principes,  c'est  une  indépendance  toute  na- 
turelle, une  indépendance  de  philosophe,  une  indépendance  d'or- 
gueil. Dieu  veut  au  contraire  qu'il  y  ait  entre  nous  un  rapport  mutuel 
et  continuel;  que  nous  ayons  affaire  les  uns  aux  autres,  que  nous 
nous  demandions  et  nous  prêtions  secours  les  uns  aux  autres  ;  que 
nous  sachions  nous  assujétir,  nous  captiver,  nous  faire  violence  les 
uns  pour  les  autres.  Voilà  l'ordre  de  sa  sagesse,  et  c'est  ce  qui  entre- 
tient la  subordination,  ce  qui  maintient  la  charité  et  l'union  ,  sur- 
tout ce  qui  rabaisse  notre  présomption,  enfin  ce  qui  nous  fait 
mieux  sentir  la  grandeur  du  Dieu  que  nous  adorons  ,  puisqu'il 
n'appartient  qu'à  lui  de  se  suffire  à  lui-même,  et  d'être  seul  tout- 
puissant  et  indépendant. 

La  ressource  de  l'orgueilleux,  lorsque  l'évidence  des  choses  le 
convainc  malgré  lui  de  son  incapacité  et  de  son  insuffisance,  est 
de  lui  persuader  quelle  lui  est  commune  avec  les  autres.  Ce  qu'il 
n'est  pas  capable  de  bien  faire ,  il  ne  peut  croire  qu'il  y  ait  quelqu'un 
qui  le  fasse  bien.  Un  mauvais  orateur  ne  convient  qu'avec  peine 
qu'il  y  en  ait  de  bons.  Il  reconnaîtra  aisément  qu'il  y  en  a  eu  autre- 
fois, parce  qu'il  n'entre  avec  ceux  d'autrefois  en  nulle  concur- 
rence. Il  les  exaltera  même  comme  des  modèles  inimitables  ;  il  les 
regrettera,  il  demandera  où  ils  sont,  il  s'épanchera  là-dessus  dans 
les  termes  les  plus  pompeux  et  les  plus  magnifiques  :  mais  pour- 
quoi? est-ce  qu'il  s'intéresse  beaucoup  à  la  gloire  de  ces  morts? 
Non  certes  :  mais  pour  une  maligne  consolation  de  son  orgueil,  il 
voudrait,  en  relevant  le  mérite  des  morts,  obscurcir  le  mérite  des 
vivans  et  le  rabaisser. 

S'humilier  dans  l'humiliation,  c'est  l'ordre  naturel  et  chrétien; 
mais  dans  1  humiliation  même  s'élever  et  s'enfler,  c'est,  ce  semble  , 
le  dernier  désordre  où  peut  se  porter  l'orgueil.  Voilà  ce  qui  arrive 


396  NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUB 

tous  les  jours.  Des  gens  sont  humiliés  :  on  ne  pense  point  à  eux, 
on  ne  parle  point  d'eux,  et  on  ne  les  pousse  à  rien.  En  sont-ils 
moins  orgueilleux,  et  est-ce  à  eux-mêmes  qu'ils  s'en  prennent  des 
mauvais  succès  qui  leur  ont  fait  perdre  tout  crédit,  ou  à  la  cour, 
ou  ailleurs?  Bien  loin  delà,  c'est  alors  que  leur  cœur  se  grossit 
davantage,  et  qu'ils  deviennent  plus  présomptueux  que  jamais.  S'ils 
demeurent  en  arrière,  ce  n'est,  à  ce  qu  'ils  prétendent,  que  par  in- 
justice de  la  cour,  que  par  l'ignorance  du  public.  A  les  en  croire , 
et  par  la  seule  raison  qu'on  ne  les  avance  pas,  tout  est  renversé 
dans  le  monde.  Il  n'y  a  plus  ni  récompense  de  la  vertu,  ni  distinc- 
tion des  personnes,  ni  discernement  du  mérite.  Que  l'orgueil  est 
une  maladie  difficile  à  guérir!  L'élévation  le  nourrit;  et  l'humi- 
liation, qui  devrait  l'abattre,  ne  sert  souvent  qu'à  le  réveiller  et  à 
l'exciter. 

Notre  vanité  nous  séduit,  et  nous  fait  perdre  l'estime  du  monde 
dans  les  choses  mêmes  où  nous  la  cherchons  et  par  les  moyens  que 
nous  y  employons.  Une  femme  naturellement  vaine  s'ingère  [dans 
les  conversations  à  parler  de  tout,  a  raisonner  sur  tout.  Elle  juge, 
elle  prononce,  elle  décide,  parce  qu'elle  se  croit  femme  spirituelle 
et  intelligente;  mais  elle  aurait  beaucoup  plus  de  raison  et  d'esprit 
si  elle  s'en  croyait  moins  pourvue;  et  voulant  trop  faire  voir 
qu'elle  en  a,  c'est  justement  par  là  même  qu'elle  en  fait  moins 
paraître. 

On  loue  beaucoup  les  grands  :  car  ils  aiment  à  être  loués  et  ap- 
plaudis. Mais  à  bien  considérer  les  louanges  qu'on  leur  donne,  on 
trouvera  que  la  plupart  des  choses  dont  on  les  loue,  et  qui  semblent 
en  effet  louables  selon  le  monde,  sont  dans  le  fond  et  selon  le 
Christianisme,  selon  même  la  seule  raison  naturelle,  plutôt  des 
vices  que  des  vertus. 

Tel  aurait  été  un  grand  homme,  si  on  ne  l'avait  jamais  loué; 
mais  la  louange  l'a  perdu  :  elle  l'a  rendu  vain  ;  et  sa  vanité  Va  fait 
tomber  dans  des  faiblesses  pitoyables,  et  en  mille  simplicités  qui 
inspirent  pour  lui  du  mépris.  Je  dis  en  mille  simplicités,  car 
quelque  fonds  de  mérite  qu'on  ait  d'ailleurs,  il  n'y  a  point,  ni  dans 
les  discours,  ni  dans  les  manières  d'agir,  d'homme  plus  simple 
qu'un  homme  vain.  On  lui  fera  accroire  toutes  choses  dès  qu'elles 
seront  à  sa  louante.  Esl-il  chagrin  et  de  mauvaise  humeur  :  louez-le, 
et  bientôt  vous  lui  verrez  reprendre  toute  sa  gaîté.  Les  gens  le  re- 
marquent, le  font  remarquer  aux  autres,  et  s'en  divertissent.  C'est 
ainsi  que,  sans  le  vouloir  ni  l'apercevoir,  il  vérifie  dans  sa  per- 
sonne cette  parole  de  l'Évangile,  que  celui  qui  s'élève  sera  abaissé 


DES    PRÉDICATEURS.  3gj 

et  humilié  '.  Gomme  donc  l'ambition,  selon  le  mot  de  saint  Ber- 
nard, est  la  croix  de  l'ambitieux,  je  puis  ajouter  que  souvent  l'or- 
gueil devient  l'humiliation  de  l'orgueilleux. 

Cet  homme  est  toujours  content  de  lui;  et,  n'eût-il  eu  aucun 
succès,  il  se  persuade  toujours  avoir  réussi  le  mieux  du  monde. 
Contentez-vous  de  savoir  ce  qui  en  est,  et  d'en  croire  ce  que  vous 
devez;  mais,  du  reste,  pourquoi  cherchez-vous  à  le  détromper  de 
son  erreur,  puisqu'elle  le  satisfait  et  ne  nuit  à  personne?  Ce  n'est 
pas  qu'il  n'y  ait  quelquefois  des  raisons  qui  peuvent  vous  engager 
à  lui  ouvrir  les  yeux  et  à  lui  faire  connaître  l'illusion  où  il  est; 
mais,  avouez-le  de  bonne  foi,  c'est  une  malignité  secrète,  c'est 
une  espèce  d'envie  qui  vous  porte  à  l'humilier  et  à  lui  faire  perdre 
cette  idée  dont  il  s'est  laissé  prévenir  en  sa  faveur;  car  mille  gens 
sont  ainsi  faits;  non  seulement  ils  sont  jaloux  de  la  réputation  so- 
lide et  vraie  qu'on  a  dans  le  monde,  mais,  de  plus,  par  une  déli- 
catesse infinie  de  leur  orgueil,  ils  sont  en  quelque  manière  jaloux 
de  la  bonne  opinion,  quoique  mal  fondée,  qu'un  homme  a  de  lui- 
même. 

Qu'il  me  soit  permis  de  faire  une  comparaison  :  il  j  a  des  mé- 
rites, et  en  très  grand  nombre,  qui  ne  devraient  se  produire  à  la 
lumière  qu'avec  la  précaution  dont  on  use  à  l'égard  de  certaines 
étoffes  pour  les  débiter;  on  ne  les  montre  que  dans  un  demi-jour 
parce  que  le  grand  jour  y  ferait  paraître  des  défauts  qui  en  rabais- 
seraient le  prix.  Combien  de  gens  peuvent  s'appliquer  la  parole  du 
prophète  :  Mon  élévation  a  été  mon  humiliation]  c'est-à-dire  qu'ils 
semblent  ne  s'être  élevés  que  pour  se  rendre  méprisables,  que 
pour  laisser  apercevoir  leur  faible  ,  que  pour  perdre  toute  la  bonne 
opinion  qu'on  avait  conçue  d'eux.  Tant  qu'ils  se  sont  tenus  à  peu 
près  dans  le  rang  où  la  Providence  les  avait  fait  naître ,  ils  réussis- 
saient, on  les  honorait,  on  parlait  d'eux  avec  éloge;  mais,  par  une 
manie  que  l'orgueil  ne  manque  point  d inspirer,  ils  ont  voulu 
prendre  l'essor  et  porter  plus  haut  leur  vol.  C'est  là  qu'on  a  com- 
mencé à  les  mieux  connaître,  et  qu'en  les  connaissant  mieux 
on  a  appris  à  les  estimer  moins.  En  un  mot,  ils  étaient  aupara- 
vant dans  leur  place ,  et  ils  y  faisaient  bien  ;  mais  ils  n'y  sont  plus 
et  tout  ce  qui  n'est  pas  dans  sa  place  blesse  la  vue.  (Bocrdaloue, 
Pensées  diverses  sur  l'humilité  et  l  orgueil,] 

*  Matth.,  23. 


3q8  HOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Solide  et  véritable  grandeur  de  l'humilité  chrétienne. 

Vous  êtes  étrangement  philosophe,  et  quoique  je  ne  cloute  en 
aucune  manière  du  fonds  de  votre  Christianisme,  la  proposition 
que  vous  me  fîtes  il  y  a  quelque  temps  au  sujet  de  l'humilité  ne 
m'édifia  pas,  et  me  parut,  s'il  faut  vous  le  dire,  bien  païenne. 
Nous  parlions  de  l'ambition  ,  surtout  de  l'ambition  des  gens  de  la 
cour,  qui  sacrifient  tout  à  cette  passion  dont  ils  sont  possédés  ,et 
qui  se  repaissent  toute  leur  vie  d'honneurs  et  de  fausses  gran- 
deurs. Je  tâchais  de  vous  inspirer  des  sentimens  plus  modestes,  et 
je  vous  trouvais  un  peu  trop  occupé  du  désir  de  vous  avancer  et 
de  faire  une  certaine  figure  dans  le  monde.  Je  ne  condamnais  pas 
absolument  là-dessus  une  émulation  raisonnable,  et,  vous  accor- 
dant en  apparence  quelque  chose  ,  pour  ne  vous  pas  rebuter  d'a- 
bord par  une  morale  trop  relevée ,  je  m'appliquais  à  vous  amener 
insensiblement  aux  principes  de  la  religion  et  aux  maximes  de 
Jésus-Christ.  Mais  tout  d'un  coup  vous  prîtes  feu,  et,  dans  cette  petite 
saillie  dont  je  n'eus  pas  de  peine  à  m'apercevoir,  il  vous  échappa 
de  dire,  d'un  air  assez  vif  et  même  d'un  ton  assez  haut,  qu'après 
tout  l'ambition  était  le  caractère  des  âmes  nobles;  qu'entre  les 
passions  c'était  sans  contredit  la  plus  belle,  ou  du  moins  la  plus 
excusable  dans  un  homme  de  quelque  naissance;  qu'elle  élevait 
le  cœur,  et  que  dans  la  vie  il  fallait  un  peu  d'orgueil  pour  savoir 
tenir  son  rang  et  se  séparer  du  vulgaire;  comme  si  vous  eussiez 
voulu  me  faire  entendre  que  l'humilité,  quoique  sainte  du  reste  et 
très  respectable,  ne  convenait  guère  qu'à  des  âmes  étroites  et  qu'à 
des  esprits  faibles  et  peu  propres  aux  grandes  entreprises;  car  j'ai 
lieu  de  croire  que  c'était  là  votre  pensée. 

Nous  sommes  là-dessus,  vous  et  moi,  dans  des  opinions  bien 
différentes;  et  quand  j'examine  à  fond  ce  que  c'est  que  la  vertu 
d'humilité,  en  quoi  elle  consiste,  sur  quels  principes  elle  est  éta- 
blie, par  quelles  règles  elle  se  conduit,  de  quelles  faiblesses  elle 
nous  guérit,  quelle  supériorité  elle  nous  donne  au  dessus  des 
idées  communes,  à  quoi  elle  dispose  et  quelles  victoires  elle  rem- 
porte; enfin  ce  qu'elle  nous  fait  entreprendre  et  ce  qu'elle  nous 
fait  exécuter;  quand,  dis-je,  j'envisage  tout  cela,  je  conclus  bien 
autrement  que  vous,  et  je  prétends  qu'entre  les  vertus  il  n'en  est 
point  qui  marque  plus  de  solidité  dans  l'esprit  ni  plus  de  fermeté 
dans  l'ame  que  l'humilité;  que  bien  loin  de  rétrécir  le  cœur,  elle 
l'élargit;  que  bien  loin  d'abattre  le  courage,  elle  le  rehausse;  que 


DES    PRÉDICATEURS.  3g§ 

c'est  un  préservatif  contre  mille  petitesses,  contre  mille  indigni- 
tés et  mille  lâchetés  qui  sont  si  ordinaires  dans  l'usage  du  monde; 
que  c'est  une  disposition  aux  plus  grands  desseins,  et  que,  par 
une  constance  inébranlable,  elle  sait  également  les  former  et  les 
accomplir.  Voilà  ce  que  j'appelle  une  vraie  grandeur,  et  ce  qui 
doit  sans  doute  suffire  pour  vous  détromper  de  l'erreur  où  vous 
semblez  être. 

Allons  par  ordre ,  s'il  vous  plaît,  et,  pour  mieux  éclaircir  le 
point  de  vue  dont  il  est  question  entre  nous  ,  expliquons  d'abord 
les  termes  et  donnons-en  une  notion  juste;  car  il  est  vrai  qu'il  y  a 
une  timidité  naturelle  qui  nous  rend  doux,  dociles,  soumis;  qui 
nous  retient  dans  les  rencontres  et  nous  empêche  de  nous  ingérer 
dans  aucune  affaire;  qui  nous  ferme  la  bouche  et  qui  nous  lie  en 
quelque  sorte  les  mains  lorsqu'il  conviendrait  d'agir,  de  se  décla- 
rer, de  se  défendre.  Ce  n'est  point  là  humilité,  mais  pusillanimité, 
mais  excès  de  crainte  et  de  confiance  outrée  de  soi-même,  qui  n'a 
pour  principe  que  le  tempérament.  Souvent  même,  sous  les  dehors 
dune  humilité  apparente,  il  y  a  dans  cette  pusillanimité  beau- 
coup d'orgueil  qui  s'y  mêle,  et  d'un  orgueil  puéril.  Il  faudrait  par- 
ler dans  l'occasion;  mais  on  se  tait  sans  prononcer  une  parole  : 
pourquoi  ?  parce  qu'on  craint  de  répondre  mal  à  propos  et  de 
s'exposer  à  la  raillerie.  Il  faudrait  prendre  une  résolution  et  la 
soutenir;  mais  on  se  tient  oisif  et  l'on  demeure:  pourquoi  ?  parce 
qu'on  a  peur  de  ne  pas  réussir  et  d'avoir  à  essuyer  la  confusion  d'un 
mauvais  succès.  Il  faudrait  résister  et  maintenir  ses  prétentions 
dès  qu'elles  sont  raisonnables;  mais  on  cède,  et  l'on  ne  fait  pas  la 
moindre  démarche  :  pourquoi  ?  par  l'appréhension  de  succomber 
et  de  donner  ainsi  plus  d'avantage  à  un  concurrent  ;  de  sorte  qu'on 
est  humble  et  qu'on  le  paraît,  non  par  vertu ,  mais  par  une  imper- 
fection de  la  nature,  et  quelquefois  par  une  fausse  gloire. 

Traitez  cette  espèce  d'humilité  comme  il  vous  plaira,  j'y  con- 
sens, puisque  ce  n'est  point  celle  dont  je  prends  ici  la  défense  : 
sous  le  nom  d'humilité,  j'entends  une  humilité  purement  évangé- 
lique  et  toute  chrétienne,  telle  que  le  Fils  de  Dieu  nous  l'a  ensei- 
gnée, et  telle  que  les  Saints,  après  ce  divin  maître,  l'ont  pratiquée. 
Je  veux  dire  une  humilité  qui,  par  les  lumières  de  la  raison  et  de 
la  religion,  nous  découvre  notre  néant  et  le  fond  de  notre  misère; 
qui  nous  remplit  par  là  d'un  saint  mépris  de  nous-mêmes,  et  nous 
fait  vivement  comprendre  que  de  nous-mêmes  nous  ne  sommes 
rien  ni  ne  pouvons  rien;  par  conséquent,  que  nous  ne  devons  rien 
nous  attribuer  à  nous-mêmes ,  hors  le  péché  j  mais  que  nous  de- 


^OO  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

vons  tout  rapporter  à  Dieu,  comme  au  souverain  auteur,  et  lui 
rendre  gloire  de  tout;  qui,  selon   le   même  sentiment  et  dans  la 
même  vue,  nous  fait  regarder  avec  indifférence  toutes  les  distinc- 
tions et  tous  les  honneurs  du  siècle,  parce  qu'au  travers  de  leur 
lustre  le  plus  brillant,  nous  en  découvrons  l'illusion  et  la  vanité,  et 
que  d'ailleurs  nous  savons  qu'ilssont  opposés  à  l'état  de  Jésus- Christ 
dans  le  cours  de  sa  vie  mortelle;  qui,  sans  nous  mesurer  avec  le 
prochain,  nous  porte  à  l'honorer,  à  tenir  volontiers  au  dessous  de 
lui  le  dernier  rang  et  à  rester  dans  l'oubli ,  tandis  que  d'autres  sont 
dans  une  haute  estime  et  dans  la  splendeur;  enfin  qui,  ne  comp- 
tant jamais   sur  elle-même,  compte    uniquement  sur  Dieu,  mais 
avec  une  confiance  d'autant  plus  ferme  et  plus  assurée  qu'elle  a 
des  témoignages  plus  certains,  qu'il  prend  plaisir  à  seconder  les 
faibles  ,  et  qu'il  aime  à  exercer  sa  miséricorde  et  sa  toute-puissance 
en  faveur  des  petits  ;  telle  est,  dis-je,  l'humilité  dont  je  parle,  et 
que  je  conçois  comme  une  des  vertus  la  plus  propre  à  former  de 
grandes  aines  et  à  les  perfectionner.  Peut-être  serez-vous  obligé 
d'en  juger   ainsi  vous-même ,  si  vous  voulez  peser  mûrement  la 
chose  et  entrer  dans  quelques  réflexions. 

I.  Car  prenez  garde,  je  vous  prie,  et  remarquez  d'abord  avec 
moi,  de  quoi  l'humilité  nous  délivre,  ce  qu'elle  corrige  dans  nous, 
ou  de  qoui  elle  nous  préserve.  Personne  n'ignore ,  et  vous  ne  de- 
vez pas  l'ignorer,  quelles  sont  les  petitesses,  pour  ne  pas  dire  les 
bassesses ,  où  l'ambition  et  l'orgueil  nous  réduisent.  Je  ne  sais  ce 
que  vous  pensez;  mais  moi,  je  ne  me  figure  point  d'homme  plus 
petit  ni  d'ameplus  vile  qu'un  ambitieux  qui  se  laisse  dominer  par 
la  passion  de  s'agrandir,  et  qui  veut,  par  quelque  voie  que  ce  soir, 
la  satisfaire;  ou  qu'un  orgueilleux  qui  s'infatue  de  ses  prétendues 
bonnes  qualités ,  et  se  laisse  posséder  d'une  envie  démesurée  d'être 
applaudi  et  vanté  dans  le  monde,  Afin  de  vous  en  convaincre  par 
vous-même,  suivez-le  en  esprit,  et  comme  pas  à  pas,  cet  ambi- 
tieux ,  dans  la  route  qu'il  s'est  tracée  et  qu'il  se  représente  comme 
le  chemin  de  la  fortune.  Est-il  une  démarche  si  humiliante  où  il 
ne  s'abaisse,  dès  qu'il  croit  qu'elle  peut  le  conduire  à  son  terme; 
et  dans  l'espérance  de  monter,  à  quoi  ne  descend-il  point?  Est-il 
une  complaisance  si  servile  où  il  ne  s'assujétisse,  pour  s'insinuer 
auprès  de  celui-ci  et  pour  se  concilier  les  bonnes  grâces  de  celui- 
là  ?  Est-il  hauteurs,  dédains,  rebuts  qu'il  n'essuie,  jusqu'à  ce  qu'il 
soit  parvenu  à  engager  l'un  dans  ses  intérêts,  et  à  se  ménager  la 
protection  de  l'autre  ?  Que  d'assiduités,  que  de  souplesses,  que  de 
flatteries ,  et  si  j'ose  ainsi  m'exprimer ,  que  d'infamies!  Il  n'a  honte 


DES    PRÉDICA.TEtTKS.  /\OJ 

de  rien,  pourvu  qu'il  puisse  atteindre  où  il  vise  et  réussir  dans  ses 
intrigues  :  et  quelles  intrigues?  souvent  les  plus  criminelles  et  les 
plus  lâches,  où  sont  violées  toutes  les  lois  de  la  bonne  foi  et  de 
l'honneur;  où  sont  employés  l'artifice,  la  calomnie,  la  fraude,  la 
trahison.  Il  en  aurait  horreur  s'il  n'était  pas  livré  à  la  passion  qui 
l'aveugle,  et  s'il  en  jugeait  de  sens  rassis.  On  en  est  saisi  d'éton- 
nement  et  indigné,  quand,  malgré  les  soins  extrêmes  qu'il  apporte 
à  tenir  cachés  tant  de  mystères  d'iniquité,  on  vient  à  connaître 
toutes  ses  menées,  et  à  percer  le  voile  qui  les  couvrait.  Dites-moi 
comment  vous  trouvez  là  cette  noblesse  de  sentimens  d'où  naît, 
à  vous  en  croire,  l'ambition? 

Et  d'ailleurs  faites  quelque  attention  à  toute  la  conduite  de 
l'orgueilleux.  Ce  n'est  pas  pour  la  première  fois  que  j'en  parle ,  et 
autant  de  fois  qu'il  y  a  lieu  d'en  parler,  j'en  ressens  toujours  un 
nouveau  mépris.  Tâchez  à  découvrir  les  différentes  pensées  qu'il 
roule  dans  son  esprit,  ou  plutôt  toutes  ses  imaginations  également 
frivoles  et  folles  ;  examinez  quel  est  le  fond,  ou  de  ses  joies  se- 
crètes et  de  ses  vains  triomphes,  ou  de  ses  peines  les  plus  vives  et 
de  ses  déplaisirs  les  plus  piquans.  Est-il  occupé  d'autres  choses  que 
de  lui-même,  de  son  mérite,  de  ses  talens?  Est-il  un  avantage  si 
léger  dont  il  ne  se  prévale,  et  qui,  dans  son  idée,  ne  lui  donne  sur 
les  autres  une  prééminence  où  il  n'est  pas  aisé  de  parvenir?  Est-il 
rien  de  bienfait,  si  ce  n'est  pas  lui  qui  la  fait,  et  est-il  rien  de  bien 
pensé,  s'il  n'est  pas  selon  son  sens  ?  Ajoutez  ces  témoignages  fa- 
vorables qu'il  se  rend  perpétuellement  et  hautement  à  soi-même, 
ces  fades  et  ennuyeuses  vanteries  dont  il  fatigue  quiconque  veut 
bien  l'écouter,  cet  amour  delà  louange,  même  la  plus  grossière, 
ce  goût  avec  lequel  il  la  reçoit  et  ce  gré  qu'il  en  sait,  en  sorte  qu'il 
suffit  de  le  louer  pour  obtenir  tout  de  lui  :  au  contraire,  cette  vi- 
vacité et  cette  délicatesse  sur  un  mot  qui  peut  l'offenser,  ces  agi- 
tations où  il  entre,  ces  mélancolies  où  il  tombe,  ces  jalousies,  ces 
amertumes  de  cœur,  ce  fiel  dont  il  se  ronge,  ces  soupçons  et  ces 
ombrages  qu'il  prend  d'un  signe,  dune  œillade,  d'une  parole  jetée 
au  hasard  et  sans  dessein.  En  vérité,  qu'est-ce  que  cela?  et  pour 
omettre  cent  autres  articles,  je  vous  demande  si  vous  comprenez 
rien  de  plus  mince  et  de  plus  étroit  qu'une  ame  de  cette  trempe 
et  un  esprit  disposé  de  la  sorte? 

Or,  voilà  de  quoi  l'humilité    chrétienne  est  le  correctif  le  plus 
efficace  et  le  plus  certain.  De  toutes  ces   faiblesses  il  n'y  en  a  pas 
une  dont  elle  ne  soit  exempte  et  qu'on  puisse  lui  imputer.   Qu'est- 
ce  qu'un  Chrétien  vraiment  humble?  C'est  un  homme  sage  et  ré- 
t.  nr.  20 


/.02  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

«lé  clans  toutes  ses  vues,  ou  n'en  ayant  point  d'autres  que  les  vues 
de  Dieu  et  de  son    adorable  Providence  ;   un  homme  droit   dans 
toutes  ses  voies ,  et  incapable  de  prendre  aucunes  mesures  hors 
des  lois  de  la  fidélité  la  plus  inviolable  et  de  la  plus  exacte  probité; 
un  Lomtne  désintéressé  et  religieux  dans  ses  abaissemens  volon- 
taires,  ennemi  de  la  flatterie  et  de  toule  sujétion  mercenaire  et 
forcée:  un  homme  équitable  dans  ses  jugemens;  sans  prévention, 
sans  envie;  reconnaissant  le  mérite  partout  où  il  est,  et  se  faisant 
un  devoir  de  le  révérer  et  de  l'exalter  même  à  son  propre  préjudi- 
ce; un  homme  indépendant   de  tous  les  respects  humains  et  des 
vaines  opinions  du  monde ,  parce  qu'il  ne  cherche  point  à  plaire  au 
monde  et  qu'il  le  compte  pour  rien.  De  Là,  toujours  égal  dans  l'hu- 
miliation comme  dans  l'élévation  ,  dans  le  blâme  et  dans  la  louan- 
ge ,  dans  la  bonne  et   la  mauvaise  réputation:   soutenant  l'une  et 
l'autre  avec  une  tranquillité  inaltérable;  ne  se  laissant,  ni  éblouir 
par  l'éclat  d'une  vie  agissante  et  comblée  d'éloges,   ni  contrister 
par  l'obscurité  d'une  vie  abjecte  et  inconnue.  De  là  encore,  et  par 
la  même  conséquence  ,  un  homme  patient  dans  les  injures,  les  par- 
donnant de  cœur,    plutôt  prêt    à  faire  des  avances  et  à  prévenir, 
qu'à  exiger  de  justes  satisfactions  :  du  reste,   plein  de  retenue,  de 
modestie  dans  ses  entretiens,  dans  toutes  ses  manières;  ne  disant 
rien  de  soi,  si  ce  n'est  pour  se  déprimer  et  pour  s'avilir  ;  honnête, 
affable,  paisible,  ne  contestant  avec  personne,  ne  voulant  jamais 
l'emporter  sur  personne;  et  tout  cela  par  des  motifs   supérieurs  et 
divins,  malgré  les  révoltes  de  la  nature  et  son   extrême  sensibilité. 
Observez  bien  tous  ces  traits,  et  j'ose  me  promettre  que  vous  con- 
clurez avec  moi  qu'un  homme  de  ce  caractère  doit  être  incontesta- 
blement réputé  pour  un  grand  homme.  Mais  reprenons. 

Un  homme  sage  et  réglé  dans  toutes  ses  vues  :  c'est-à-dire,  un 
homme  qui  s'en  tient  précisément  à  ce  qui  est  selon  Tordre  du  ciel , 
et  n'aspire  point  au  delà;  qui  ne  s'abandonne  pointa  une  ardeur 
insensée  de  croître,  mais  se  renferme  dans  les  bornes  qu'il  a  plu  à 
Pieu  de  lui  marquer  ;  qui  dit,  comme  David  :  Seigneur,  mon  cœur 
ne  s  est  point  élevé,  je  ne  me  suis  point  évanoui  dans  mes  pensées  ni 
dans  mes  désirs ,  et  je  n'ai  point  porté  mes  regards  au  dessus  de 
moi  i.  Ce  n'est  pas  qu'il  soit  tout-à-fait  à  couvert  des  atteintes  d'une 
secrète  ambition.  L  orgueil,  qui  nous  est  si  naturel,  veut  toujours 
faire  de  nouveaux  progrès,  et  d'un  degré  passer  à  un  autre;  il  y  a 
même  des  temps,  des  conjonctures  où  la  tentation  est  difficile  à 

1  Ps.  150, 


DES    PRÉDICATEURS.  4°3 

vaincre.  Mais  l'humble  Chrétien  sait  la  réprimer ,  sait  la  surmon- 
ter, et  par  une  sainte  violence  se  rendre  maître  d'une  passion  dont 
l'empire  néanmoins  est  si  étendu.  Il  est  ce  que  Dieu  l'a  lait  naî- 
tre, ce  que  Dieu  veut  qu'il  soit  :  cela  suffit ,  et  que  lui  faut-il  davan- 
tage? Si  dans  le  cours  des  années  la  Providence  l'appelle  à  quelque 
chose  de  plus,  il  la  laisse  agir,  et  attend  en  paix  qu'elle  se  déclare. 
Jusque  là  nul  empressem  ent ,  nulle  inquiétude  :  point  d'autre  soin 
que  de  vivre  selon  Dieu  dans  son  état,  et  de  fournir  saintement  sa 
carrière.  Dans  une  telle  modération,  qu'il  y  a  de  force  !  et  pour  s'y 
maintenir,  qu'il  y  a  de  combats  à  livrer  et  de  victoires    à  rempor- 


ter sur  soi-même  î 


Un  homme  droit  dans  toutes  ses  voies  :  c'est  une  suite  imman- 
quable de  la  disposition  où  il  est  de  ne  marcher  que  dans  les 
voies  de  Dieu,  et  de  ne  s'écarter  jamais.  Ne  voulant  rien  être  que 
selon  le  gré  de  Dieu,  et  de  lui-même  ne  prétendant  à  rien  autre 
chose,  il  n'a  pour  son  avancement  propre,  ni  projets  à  conduire, 
ni  moyens  à  imaginer,  ni  ressorts  à  faire  jouer:  d'où  il  s'en  suit 
qu'il  n'a  besoin  ni  de  partis,  ni  d'industrie,  ni  de  surprises.  Il  suit 
toujours  une  même  ligne,  et  va  toujours  son  chemin,  sans  détours 
et  sans  déguisemens.  D'ailleurs  instruit  des  maximes  de  l'Evan- 
gile, qui  est  la  vérité  même,  il  n'a  garde,  en  quelque  rencontre 
que  ce  soit,  d'avoir  recours  au  mensonge  que  l'Evangile  con- 
damne; et  libre  de  tout  désir  de  se  pousser  qui  pourrait  le  séduire 
et  corrompre,  il  est  bien  éloigné  de  mettre  en  œuvre  de  criminel- 
les pratiques  dont  il  voit  toute  l'imposture  et  toute  la  honte, 

Un  homme  religieux  et  désintéressé  dans  ses  abaissemens  vo- 
lontaires:  car  il  y  a  une  humilité  prétendue  qui  n'a  de  l'humi- 
lité que  les  apparences;  il  y  a  de  feints  abaissemens  qui  ne  consis- 
tent qu'en  de  fausses  démonstrations  et  des  dehors  trompeurs. 
Souvent  le  mondain  s'humilie,  il  s'abaisse:  mais  pourquoi?  Je  l'ai 
dit  et  je  le  répète:  c'est  par  une  fragile  espérance,  c'est  par  une 
flatterie  basse,  c'est  par  un  vil  et  sordide  esclavage.  La  religion 
inspire  au  Chrétien  humble,  jusque  dans  ses  soumissions  les  plus 
profondes,  bien  plus  de  générosité  et  plus  de  dignité.  Il  rend 
honneur  au  prochain  ;  il  a  pour  le  prochain  toute  Ja  déférence, 
tous  les  ménagemens  et  tous  les  égards  possibles;  il  ne  refuserait 
pas,  s'il  le  fallait,  de  ramper  sur  la  poussière  et  sous  les  pieds  du 
prochain  ;  mais,  dans  l'homme,  il  n'envisage  que  Dieu.  C'est  à  Dieu 
qu'il  obéit  en  obéissant  à  l'homme  ;  c'est  à  Dieu  qu'il  offre  son 
encens,  en  rendant  hommage  à  l'homme;  c'est  devant  Dieu  qu'il 

26. 


4o4  NOUVELLE     BIBLIOTHEQUE 

se  prosterne  en  s'inclinant  devant  l'homme  :  Dieu  est  le  seul  ob- 
jet de  son  culte,  comme  il  en  doit  être  l'unique  récompense. 

Un  homme  équitable  dans  ses  jugemens  :  et  voici ,  j'ose  le  dire, 
un  des  plus  nobles  efforls  de  l'humilité.  Parce  que  nous  sommes 
ordinairement  préoccupés,  soit  en  notre  faveur  par  notre  amour- 
propre,  soit  contre  le  prochain  par  une  maligne  envie,  on  ne  peut 
guère  compter  sur  l'équité  des  jugemens  que  nous  portons,  ou 
de  nous-mêmes,  ou  des  autres.  Mais  par  une  règle  toute  con- 
traire, parce  que  l'humble  Chrétien  est  dégagé  de  ces  préventions 
qui  nous  aveuglent,  il  est  beaucoup  plus  en  état  de  juger  saine- 
ment; et  comme  il  ne  sait  point  dissimuler,  ni  trahir  la  vérité  qu'il 
connaît,  il  parle  selon  qu'il  pense,  et  communément  il  pense  bien. 
Si  donc  il  s'agit  de  lui-même,  il  ne  cherche  point  à  se  faire  valoir 
au  delà  de  son  prix  ;  et  s'il  est  question  du  prochain  ,  il  lui  fait 
une  justice  entière,  et,  bien  loin  de  vouloir  le  rabaisser  ni  obscur- 
cir ses  avantages,  il  est  le  premier  à  les  publier. 

Nous  en  avons  dans  l'Evangile  un  exemple  des  plus  célèbres,  et 
quiconque  examinera  bien  la  conduite  de  Jean-Baptiste  à  l'égard 
de  Jésus-Christ  y  trouvera  une  bonne  foi,  et  dans  cette  bonne  foi 
un  caractère  de  grandeur  qu'on  ne  peut  assez  admirer.  Jean  prê- 
chait aux  peuples  la  pénitence  ;  toutes  les  rives  du  Jourdain  reten- 
tissaient du  bruit  de  son  nom;  on  s'assemblait  en  foule  autour  de 
lui,  et  il  s'était  fait  une  nombreuse  école  qui  le  suivait  et  recevait 
ses  enseignemens  comme  des  oracles  :  jamais  crédit  ne  fut  à  un 
plus  haut  point.  Mais,  après  tout,  Jean-Baptiste  n'était  que  le  pré- 
curseur du  Messie ,  et  il  n'avait  été  envoyé  qu'en  cette  qualité. 
Aussi  est-ce  à  cette  qualité  seule  que  se  borne  toute  l'idée  qu'il  a 
de  lui-même  et  qu'il  en  donne  à  ces  députés  qui ,  de  la  part  de  la 
Synagogue,  viennent  l'interroger  pour  savoir  qui  il  est? Etes- vous 
le  Christ  ?  lui  demandent-ils  ;  êtes-vous  ÉlieP  étes-vous  Prophète1  ? 
Que  l'occasion  était  délicate  pour  un  homme  qui  eût  été  moins 
humble  !  Mais  à  ces  demandes  il  répond  simplement  et  sans  hési- 
ter, qu'il  n'est  ni  le  Christ,  ni  E  lie,  ni  Prophète.  Qui  êtes- vous  donc? 
répliquent  ces  envoyés.  Je  suis,  leur  dit-il,  la  voix  de  celui  qui 
crie  dans  le  désert  :  Préparez  le  chemin  au  Seigneur**  :  voilà  tout 
ce  que  je  puis  vous  apprendre  de  moi. 

Ce  n'est  point  encore  assez;  mais  la  même  équité  qui  le  fait  ju- 
ger si  modestement  de  lui-même,  lui  fait  rendre  à  Jésus-Christ,  en 
cette  rencontre  et  en  toutes  les  autres,  le  plus  juste  et  le  plus 

*  Joan.,  1.  — 2  Joan.,  2ô. 


DES     PREDICATEURS.  4°& 

glorieuxtemoignage.il  annonce  aux  députés  de  Jérusalem  la  venue 
du  Messie.  77  est  au  milieu  de  vous,  mais  'vous  ne  le  connaissez 
point.  Cest  lui  qui  doit  venir  après  moi,  et  dont  je  ne  suis  pas  digne 
de  délier  les  souliers  *.  Il  s'écrie  en  le  voyant  et  l'appelle  le  sauveur 
des  hommes  :  Voilà  V Agneau  de  Dieu ,  voilà  celui  qui  efface  les 
péchés  du  monde.  Il  fait  plus:  quand  ses  disciples,  s'apercevant 
que  l'école  de  leur  maître  commençait  à  déchoir,  et  que  celle  de 
Jésus-Christ  s'établissait  de  jour  en  jour  et  s'accréditait ,  témoi- 
gnant là  dessus  quelque  jalousie,  il  leur  déclare  que  désormais  ils 
doivent  s'attacher  à  ce  nouveau  maître;  il  les  lui  envoie  :  car  c'est 
à  lui  décroître,  conclut-il,  et  à  moi  de  diminuer^.  Qu'on  me  dise 
s'il  est  rien  de  plus  grand  que  ce  procédé,  et  si  ce  n'est  pas  ainsi 
que  pensent  les  plus  solides  esprits  et  les  cœurs  les  mieux  placés? 
De  tout  cela  il  est  aisé  de  comprendre  comment  un  Chrétien 
humble  est  indépendant  de  tous  les  respects  humains  et  des  vaines 
opinions  du  monde,  dès  là  qu'il  ne  se  soucie  ni  de  l'estime  du 
monde,  ni  de  sa  faveur,  et  qu'il  peut  dire  comme  l'Apôtre  :  Pour 
moi,  il  m'importe  peu  que  vous  me  jugiez  vous  ou  quelque  autre 
homme  que  ce  soit;  je  nyai  quun  juge,  à  proprement  parler,  et  ce 
juge  cest   Dieu^.  Comment  il  garde   toujours   la   même  égalité 
dame  et  la  même  paix  au  milieu  de  toutes  les  vicissitudes  où  il  est 
exposé,  puisque  ni  l'une  ni  l'autre  fortune  ne  font  impression  sur 
lui  ;  comment  il  endure  les  plus  mauvais  traitemens  avec  une  pa- 
tience à  l'épreuve  de  tout,  parce  qu'il  n'y  a  point  d'outrages  dont 
il  ne  se  croie  digne,  et  que  d'ailleurs  il  acquiert  par  là  plus  de 
ressemblance  avec   le  sacré  modèle  qu'il  fait  gloire  d'imiter,  et 
qui  lui  est  proposé  dans  la  personne  adorable  de  son  Sauveur  ; 
comment  on  ne  l'entend  jamais  faire  parade  de  ses  bonnes  œuvres, 
vanter  ses  prétendus  exploits,  étaler  en  de  longs  récits  les  affaires 
où  il  a  eu  part,  et  de  quelle  manière  il  s'y  est  comporté;  censurer 
celui-ci,  railler  de  celui-là,  entrer  continuellement  en  dispute  et 
s'ériger  en  homme  habile  et  important.  Comment,  au  contraire,  on 
le  voit  à  toute  occasion  se  tenir  autant  qu'il  peut  à  l'écart,  user 
de  réserve,  donnera  chacun  une  attention  favorable,  approuver, 
excuser,  tourner  les  choses  en  bien,  et  devenir  ainsi  du  meilleur 
commerce  et  de  la  société  la  plus  aimable.  Voilà,  dis-je,  ce  qu'on 
ne  doit  point  avoir  de  peine  à  comprendre,  et  voilà  par  où  la 
même  humilité  qui  nous  abaisse  sert  à  nous  relever.  Comme  donc 
l'Ecclésiastique  a  dit  :  Plus  vous  êtes  grand,  plus  vous  devez  vous 

1  Joan,  26.  —  -  Joan.,  5.  —  3  1  Cor.,  4. 


4o6  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

humilier  l;  je  ne  fais  nulle  difficulté  de  renverser  la  proposition, 
et,  sans  altérer  en  aucune  sorte  cette  divine  parole ,  j'ajoute  :  Plus 
vous  vous  humilierez,  plus  vous  serez  grand. 

II.  Mais  n'en  demeurons  pas  là,  car  il  s'agit  présentement  de  sa- 
voir si  l'humilité  n'est  point  un  obstacle  aux  grandes  actions,  et 
à  certaines  entreprises  où  il  faut  delà  magnanimité  et  une  résolu- 
tion que  rien  n'ébranle.  La  raison  de  douter  est  que  1  humilité  a 
pour  fondement  la  connaissance  de  notre  faiblesse  ,  et  une  condi- 
tion actuelle  et  habituelle  de  notre  insuffisance,  d'où  viennent  les 
bas  sentimens  et  la  défiance  que  l'on  conçoit  de  soi-même.  Un 
homme  véritablement  humble  est  persuadé  qu'il  n'est  rien,  qu'il 
ne  peut  rien,  et  que,  de  son  fonds,  il  n'est  bon  à  rien.  Or,  dans 
cette  persuasion ,  il  n'est  pas  naturel  qu'il  forme  des  projets  au- 
dessus  de  lui,  ni  qu'il  veuille  s'engager  en  des  ministères  et  des 
fonctions  qui  demandent  des  talens  rares  et  singuliers.  Cela  ne 
paraît  pas  naturel,  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai,  selon  le  mot  de 
saint  Léon,  que  rien  n'est  difficile  aux  humbles ,  qu'il  n'y  a  point 
de  si  vaste  dessein  dont  l'exécution  les  étonne  j  qu'ils  sont  capables 
de  tout  oser,  et  d'affronter  tous  les  périls  avec  l'assurance  la  plus 
ferme  et  l'intrépidité  la  plus  héroïque  j  que  plus  ils  se  croient  fai- 
bles, plus  en  même  temps  ils  s'estiment  forts ,  et  que  plus  ils  se 
défient  d'eux-mêmes,  plus  ils  sentent  redoubler  leur  zèle  et  por- 
tent loin  leurs  vues.  Sont-ce  là  des  paradoxes  ?  sont-cedes  vérités? 
Je  prétends  qu'il  n'est  rien  de  plus  réel  que  ces  merveilleux  effets 
de  l'humilité  chrétienne;  je  prétends  que  c'est  à  quoi  elle  nous 
dispose  et  ce  qu'elle  produit  en  nous.  Je  vais  vous  développer  ce 
mystère,  et  voici  comment  nous  devons  l'entendre. 

Car  autant  qu'un  Chrétien  humble  se  défie  de  lui-même,  autant 
il  se  confie  en  Dieu  ;  moins  il  s'appuie  sur  lui-même,  plus  il  s'ap- 
puie sur  Dieu.  Or  il  sait  que  rien  n'est  impossible  à  Dieu.  Il  sait 
que  Dieu  prend  plaisir  à  faire  éclater  sa  gloire  dans  notre  infir- 
mité, et  que  c'est  aux  plus  petits,  dès  qu'ils  ont  recours  à  lui,  qu'il 
communique  sa  grâce  avec  plus  d'abondance.  Muni  de  ces  pen- 
sées, et  comme  revêtu  du  pouvoir  tout-puissant  de  Dieu  même, 
est-il  rien  désormais  de  si  laborieux  et  de  si  pénible ,  rien  de  si 
sublime  et  de  si  grand  dont  il  craigne  de  se  charger  et  dont  il 
désespère  de  venir  à  bout?  Que  Dieu  l'appelle,  il  n'hésitera  pas 
plus  que  le  prophète  Isaïe  à  lui  répondre  :  Me  voici,  Seigneur,  en- 
voyez-moi 2.  Que  Dieu  en  effet  l'envoie,  il  ira  partout.  11  se  pré- 

*  Eccli.,  20.—  Msai.,  6. 


DES    PRÉDICATEURS.  4°7 

sentera  devant  les  puissances  du  siècle,  il  entrera  dans  les  cours 
des  princes  et  des  rois ,  il  leur  annoncera  les  ordres  du  Dieu  vi- 
vant, et  ne  sera  touché  ni  de  l'éclat  de  leur  pourpre,  ni  de  leurs 
menaces,  ni  de  leurs  promesses.  Il  plantera  ,  selon  les  expressions 
figurées  de  l'Ecriture ,  et  il  arrachera;  il  bâtira  et  il  détruira;  il 
amassera  et  il  dissipera. 

Quelle  espèce  de  prodige,  et  quel  admirable   accord  de  deux 
choses  aussi  incompatibles,  ce  semble,  que  le   sont  tant  de  dé- 
fiance d'une  part,  et  de  l'autre  tant  de  confiance  et  de  force!  Car 
au  milieu  de  tout  cela,  le  même  homme  qui  agit  si  délibérément 
et  si  courageusement  ne  perd  rien  de  son  humilité;  c'est-à-dire, 
qu'il  conserve  toujours  le  souvenir  de  sa  faiblesse;  qu'il  se  regarde 
toujours  comme  un  serviteur  inutile,  comme  un  enfant;  quil  dit 
toujours  à  Dieu,  dans  le  même  sentiment  de  Jérémie  :  Ali l Sei- 
gneur, mon  incapacité  est  telle  que  je  ne  puis  pas  même  prononcer 
une  parole1.  Non,  il  ne  le  peut  de  lui-même  et  par  lui-même,  mais 
tandis  qu'il  en  fait  la  confession  la  plus  affectueuse  et  la  plus  sin- 
cère, il  n'oublie  point  d'ailleurs  ce  que  lui  apprend  le  docteur  des 
nations,  qu'il  peut  tout  en  celui  qui  le  fortifie  2.  De  sorte  qu'il  ne 
balance  pas  un  moment  à  se  mettre  en  oeuvre  et  à  commencer, 
quel  que  soit  l'ouvrage  où  la  vocation  de  Dieu  le  destine.  Qu'il  y 
voie  mille  travers  à  essuyer  et  mille  oppositions  à  vaincre  ;  que  le 
succès  lui  paraisse  non  seulement  douteux,  mais  hors  de  vraisem- 
blance, il  espère  contre  l'espérance  même.  Ce  n'est  point  par  une 
témérité  présomptueuse ,  puisque  son  espérance  est  fondée  sur  ce 
grand  principe  de  saint  Paul ,  que  Dieu  fait  choix  de  ce  qui  paraît 
plein  de  folie  selon  le  monde  pour  confondre  les  sages;  quil  choisit 
ce  qui  est  faible  devant  le  monde  pour  confondre  les  forts  ;  et  quil  se 
sert  enfin  de  ce  quil  y  a  de  plus  bas  et  de  plus  méprisable ,  même 
des  choses  qui  ne  sont  point  pour  détruire  celles  qui  sont  3. 

Ainsi ,  quand  ce  jeune  berger,  qui  d'un  coup  renversa  Goliath, 
vit  approcher  ce  Philistin  dune  énorme  stature  :  Tu  viens  a  moi, 
lui  dit-il ,  avec  Vépèe,  la  lance  et  le  bouclier;  mais  moi  je  viens  a  toi 
au  nom  du  Seigneur,  et,  tout  désarmé  que  je  suis,  je  me  tiens  certain 
delà  victoire1^.  Car,  voici,  ajoute-t-il,  ce  que  je  te  déclare:  Le  Sei- 
gneur te  livrera  entre  mes  mains  ;  je  te  donnerai  la  mort,  et  te  cou- 
perai la  tête,  afin  que  tGiite  la  terre  sache  qu'il  y  a  un  Dieu  en 
Israël,  et  que  ce  n'est  ni  par  Vépée,  ni  par  la  lance  quil  sauve. 

Ainsi  le  même  David  se  trouvant  investi  d'ennemis  qui  l'assail- 

*  Jérém.,  8.  —  2  Philip.,  4.  —  s  j  Cor.,  27.  —  4I  Reg.,  17. 


4o8  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

laient  de  toutes  parts,  s'écriait  avec  une  sainte  hardiesse  :  J.e  Sei- 
gneur est  notre  ressource  ,  nous  combattrons,  et  il  réduira  en  poudre 
tous  ceux  qui  nous  persécutent. 

Tel  est  par  proportion  le  langage  des  âmes  humbles,  d'autant 
plus  assurées  de  la  protection  divine,  qu'elles  se  répandent  moins  I 
d'elles-mêmes;  et  du  reste  d'autant  plus  tranquilles  sur  la  réussite 
de  leurs  entreprises  qu'étant  humbles,  elles  craignent  moins  de 
subir  la  honte  des  fâcheux  événemens  que  Dieu  quelquefois,  pour 
les  éprouver,  peut  permettre.  Un  homme  du  monde,  suivant  son 
orgueil  ,  comme  nous  lavons  déjà  remarqué,  ne  se  hasarderait  pas 
si  aisément.  Il  ne  voudrait  pas  exposer  son  honneur;  et,  pour  se 
déterminer ,  il  lui  faudrait  de  sérieux  examens  et  de  longues  déli- 
bérations. Mais  dès  qu'on  a  l'humilité  dans  le  cœur,  on  n'est  plus 
si  jaloux  d'un  vain  nom  ,  ni  si  sensible  aux  reproches  qu'on  s'atti- 
rera ,  supposé  qu'on  vienne  à  échouer.  On  s'abandonne  à  la  con- 
duite de  l'Esprit  de  Dieu,  et  du  reste  on  se  soumet  à  tout  ce  qui 
en  peut  arriver  pour  notre  humiliation  devant  les  hommes. 

Ce  ne  sont  point  là  de  simples  spéculations;  on  en  a  vu  la  pra- 
tique. Fut-il  jamais  une  entreprise  pareille  à  celle  des  Apôtres , 
lorsqu'ils  se  partagèrent  dans  toutes  les  contrées  de  la  terre  pour 
travaillera  la  conversion  du  monde  entier?  Les  plus  fameux  con- 
quérans  dont  l'histoire  profane  a  vanté  les  faits  mémorables  ont 
porté  leurs  armes  et  étendu  leurs  conquêtes  sur  quelques  nations; 
mais  ces  saints  conquérans,  ou,  pour  mieux  dire,  ces  saints  et 
zélés  propagateurs  de  la  loi  chrétienne  se  proposèrent  de  sou- 
mettre généralement  tous  les  peuples  à  l'empire  de  Jésus-Christ. 
Dans  ce  vaste  projet  ils  n'exceptèrent  ni  âge,  ni  sexe ,  ni  rangs,  ni 
qualités,  ni  états.  A  en  juger  selon  la  prudence  du  siècle,  c'était 
un  dessein  chimérique,  et  l'on  sait  néanmoins  avec  quelle  ardeur 
ils  s'y  employèrent,  avec  quelle  constance  ils  le  soutinrent,  avec 
quel  bonheur  ils  l'accomplirent. 

Or  qu'était-ce  que  ces  Apôtres  ?  de  pauvres  pêcheurs ,  petits  se- 
lon le  monde,  et  humbles  selon  l'Evangile.  Leur  humilité  ne  borna 
point  leurs  vues,  elle  ne  leur  resserra  point  le  cœur,  elle  ne  les 
affaiblit  ni  ne  les  arrêta  point.  Avec  cette  humilité,  ils  ont  passé 
les  mers,  ils  ont  parcouru  les  provinces  et  les  royaumes,  ils  ont 
répondu  aux  juges  et  aux  magistrats,  ils  ont  résisté  aux  grands, 
ils  ont  confondu  les  savans,  ils  ont  instruit  les  infidèles  et  les  bar- 
bares, ils  ont  triomphéjde  l'idolâtrie  et  du  paganisme;  et,  dans  la 
suite  des  temps,  combien  ont-ils  eu  d'imitateurs  et  de  successeurs, 
humbles  comme  eux ,  et  appliqués  sans  relâche  à  perpétuer  les 


DES    UlEDlCATfiUilS.  4°9 

fruits  de  leur  zèle?  Combien  en  ont-ils  encore  de  nos  jours  qui, 
par  une  sainte  alliance,  réunissent  dans  leurs  personnes  et  la 
même  humilité  et  la  même  élévation  de  sentimens  ? 

Pour  en  revenir  aux  Apôtres,  et  pour  dire  en  particulier  quelque 
chose  de  saint  Paul,  on  ne  peut  lire  ses  Epîtres,  et  ne  pas  voir  que 
ce  fut  un  des  esprits  les  plus  sublimes,  et  une  des  plus  grandes 
âmes.  Quel  feu,  quelle  vivacité,  et  tout  ensemble,  quelle  solidité! 
Pense-t-on  plus  noblement?  s'exprime-t-on  plus  éloquemment? 
Que  n'a-t-il  pas  fait!  que  n'à-t-il  pas  souffert  !  Supérieur  à  tout, 
aux  dangers,  aux  embûches  ,  aux  persécutions,  aux  trahisons,  aux 
calomnies,  aux  opprobes,  aux  fers,  à  la  faim,  à  la  soif,  au  glaive, 
à  la  mort  :  car,  disait-il ,  nous  sommes  au  dessus  de  tout  cela  1.  Saint 
Chrysostôme  en  était  ravi  d'admiration,  et  n'avait  point  de  termes 
pour  faire  entendre  ce  qu'il  en  concevait.  Cependant  ce  vaisseau 
d'élection ,  ce  grand  Apôtre ,  quel  mépris  faisait-il  de  lui-même  et 
comment  en  parlait-il  ?  Il  se  traitait  de  pécheur,  de  blasphémateur, 
de  persécuteur  de  l'Eglise,  d'homme  indigne  de  l'apostolat,  d'avor- 
ton :  tant  l'humilité  lui  représentait  vivement  ses  misères ,  et  tant 
elle  le  rabaissait  dans  son  estime. 

Que  ne  pourrions-nous  pas  ajouter  de  ces  sociétés  et  de  ces 
ordres  religieux,  qui  sont  pour  l'un  et  l'autre  sexe  des  écoles  de 
perfection,  et  dont  la  sainteté  est  l'édification  du  monde  chré- 
tien? Que  n'en  a-t-il  pas  dû  coûter  pour  former  ces  grands  corps, 
pour  en  rassembler  tous  les  membres,  pour  les  assortir  et  les  ré- 
gler? Que  d'études  et  de  soins!  que  de  méditations,  de  réflexions, 
de  conseils!  Mais  aussi  quels  progrès  surprenans!  Ces  sociétés  se 
sont  multipliées,  ces  ordres  religieux  se  sont  répandus  dans  tous 
les  lieux  éclairés  de  la   foi  et  soumis  à  l'Eglise  de  Jésus-Christ. 
Comme  autant  de  républiques ,  ils  ont  leur  forme  de  gouverne- 
ment, leurs  lois,  leurs  statuts,  leurs  offices,  leurs  fonctions,  leurs 
observances,  qu'il  a  fallu  ordonner  avec  une  pénétration  et  une 
sagesse  qui  descendît  aux  moindres   détails ,   qui   prévît   toutes 
choses  et  ne  laissât  rien  échapper.  Voilà  par  où  ils  se  sont  main- 
tenus depuis  des  siècles,  et  ils  se  maintiennent.  Or,  après  Dieu  et 
la  grâce  de  Dieu,  je  demande  à  qui  nous  sommes   redevables  de 
ces  saints  établissemens.  Est-ce  à  d'habiles  politiques  et  à  leurs 
intrigues?  Est-ce  à  des  philosophes  fiers  de  leur  science  et  pleins 
d'eux-mêmes?  Là  dessus  je  ne  puis  mieux  répondre  que  par  les 
paroles  du  Fils  de  Dieu  à  son  Père  :  Seigneur,  Père  tout- puissant , 

1  Koni.,  8. 


4lO  NOUYELLE    BIBLIOTHEQUE 

je  vous  bénis  et  vous  rends  grâces,  et  d'avoir  caché  ces  choses  aux 
sages  selon  la  chair  et  aux  savans  ;  mais  de  les  avoir  révélées  aux 
petits1',  d'y  avoir  employé  d'humbles  instituteurs,  un  humble 
François  d'Assise,  un  humble  François  de  Paule  et  d'autres. 
Parce  qu'ils  étaient  humbles ,  ils  n'en  ont  été  que  plus  propres  à 
entrer  dans  les  grandes  vues  de  la  Providence  sur  eux,  et  que 
mieux  préparés  à  les  seconder. 

Je  finis,  car  peut-être  n'en  ai-je  déjà  que  trop  dit:  mais,  quoiqu'il 
en  soit ,  apprenez  à  réformer  vos  idées  touchant  une  des  vertus 
les  plus  essentielles  du  Christianisme ,  qui  est  l'humilité.  Autant 
qu'elle  nous  porte  à  nous  mépriser  nous-mêmes,  autant  devons- 
nous  l'estimer.  Puissiez-vous  en  bien  connaître  le  mérite,  et  plaise 
au  ciel  qu'au  milieu  de  tous  vos  honneurs,  vous  travailliez  désor- 
mais à  l'acquérir.  (  Le  même  ,  Pensées  diverses.  ) 


1  Luc,  10. 


DES    PRÉDICATEURS.  41* 


DIVERS  PASSAGES  DE  L'ÉCRITURE  SUR  L'HUMILITÉ. 


Quid superbit  terra  et  cinis? 

Quel  sujet  de  s'élever  peut  avoir  celui  qui  n'est  que  terre  et 
poussière?  Eccli.,  10. 

Humiliatio  in  medio  tui. 

Votre  humiliation  est  au  milieu  de  vous-même.  (Mich.9  6.) 

Ego  sum  vermis  et  non  homo ,  opprobrium  hominum  et  abject io 
plebis. 

Je  suis  un  ver  de  terre  et  non  un  homme  :  je  suis  l'opprobre  des 
hommes  et  le  rebut  du  peuple.  (Ps.,  21.) 

Ubi  est  humilitas ,  ibi  et  sapientia. 

Où  est  l'humilité,  là  se  trouve  la  sagesse.  (Prov.y  11.) 

Gloriam  prœcedit  humilitas. 

L'humilité  précède  la  gloire,  {Jbid.,  i5.) 

Humilem  spiritu  suspiciet  gloria. 

La  gloire  sera  le  partage  de  l'humble  d'esprit.  (/£.,  '2g.) 

Humiles  spiritu  salvabit. 

Le  Seigneur  sauvera  les  humbles  d'esprit.  [Ps.,  33.) 

Quia  humiliati  surit,  non  disperdam  eos. 

Parce  qu'ils  se  sont  humiliés ,  je  ne  les  perdrai  point.  (IL  Pa- 
ralip.,  12.) 

Quanto  magnus  es,  humilia  te  in  omnibus,  et  coram  Deo  inuenies 
gratiam. 

Plus  vous  êtes  grand,  plus  vous  devez  vous  humilier  en  toutes 
choses,  et  vous  trouverez  grâce  devant  Dieu.  {Eccli.,  3.) 

Superbum  sequitur  humilitas. 

L'humiliation  suivra  le  superbe.  [Prou.,  29., 

Est  qui  nequiter  humiliât  se. 

Tel  s'humilie  par  des  mauvaises  vues.  {Eccli.,  19.) 

Discite  a  me  quia  mitis  sum  et  humilis  corde. 

Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  et  humble  de  cœur.  [Math.,  11.) 

Omnis  qui  se  exaltât  humiliabitiu\  et  qui  se  humiliât  exalta  bitur. 


4l2  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

Quiconque  s'élève  sera  abaissé,  et  quiconque  s'abaisse  sera 
élevé.  {Luc.  i/\.^ 

Humiliamini  sub  potenti  manu  Dei,  ut  vos  exaltet  in  tempore 
visitationis. 

Humiliez-vous  sous  la  main  puissante  de  Dieu,  afin  qu'il  vous 
élève  quand  le  temps  sera  venu.  (Pet.,  5.) 


DES  PRÉDICATEURS.  /\l\ 


PLAN  ET  OBJET  DU  PREMIER  DISCOURS 
SUR  L'HUMILITÉ  CHRÉTIEIVIVE. 

EXORDE. 


Hoc  sentite  in  vobis  quod  et  in  Christo  Jesu ,  qui  cum  in  forma  Dei  esset ,   semetip- 

sum  exinanivit. 


Ayez  dans  vous  les  sentimens  de   Jésus-Christ,  qui,  élant  Dieu,   s'est  anéanti  lui- 
même.  (S.  Paul  aux  Philip. ,  ch.  11.) 


Tandis  que  l'Eglise  s'applique,  durant  les  saints  jours,  à  nous 
remettre  sous  les  yeux  l'exemple  de  la  plus  parfaite  humilité  dans 
la  personne  du  Fils  de  Dieu,  anéanti ,  dit  saint  Paul ,  jusqu'à  pren- 
dre la  forme  d'un  esclave,  humilié  jusqu'à  endurer,  pour  notre 
salut,  le  supplice  infâme  de  la  croix,  pouvons-nous,  Chrétiens 
auditeurs,  insister  trop  fortement  sur  la  pratique  d'une  vertu,  sans 
laquelle,  à  proprement  parler,  il  n'y  a  point  de  Christianisme?  Déjà 
nous  vous  avons  parlé  de  la  gloire  de  lhumilité  chrétienne;  et 
c'était  la  grande  conséquence  que  le  grand  Apôtre  tirait  des  pa- 
roles que  nous  venons  de  vous  faire  entendre.  Jésus  Christ,  dit-il, 
s'est  humilié,  il  s'est  anéanti,  exinanivit  semetipsum ,  et  c'est  pour 
cela  que  Dieu,  son  Père,  l'a  exalté  en  gloire,  et  qu'il  lui  a  donné 
un  nom  au  dessus  de  tous  les  noms.  Nous  allons  vous  entretenir  de 
sa  nécessité.  Avant  de  la  proposer  d'après  les  leçons  de  i'Evangile, 
j'avais  à  détruire  les  préjugés  que  le  monde  lui  oppose.  J'aurais  donc 
à  me  reprocher  de  n'avoir  point  prêché  assez  chrétiennement  une 
des  plus  importantes  vertus  du  Christianisme,  si ,  après  vous  avoir 
parlé  dans  un  premier  discours,  selon  les  principes  mêmes  de  la 
raison  ,  je  ne  vous  faisais  pas  entendre  une  voix  plus  forte  et  plus 
efficace,  celle  de  la  religion.  Les  hommes  voudraient  faire  regar- 
der l'humilité  comme  une  vertu  obscure;  je  vous  en  ai  montré  la 
solide  gloire  aux  yeux  même  du  monde.  J'ai,  par  là,  combattu  une 
erreur.  Il  en  est  une  seconde  plus  dangereuse  encore  :  c'est  celle 
qui  voudrait  ne  voir  dans  l'humilité  qu'une  vertu  de  perfection. 


4l4  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Opinion  non  moins  fausse  que  j'entreprends  de  détruire,  e  1  vous 
montrant  que  l'humilité  est  une  vertu  nécessaire  à  tous  les  Chré- 
tiens. Ave,  Maria. 

On  souscrit  sans  peine  aux  éloges  que  l'humilité  mérite;  il  en 
coûte  davantage  pour  se  convaincre  de  l'obligation  étroite  de  les 
mériter.  A  mesure  qu'on  se  forme  une  plus  haute  idée  de  cette 
vertu,  on  en  renvoie  la  pratique  à  ce  petit  nombre  d'ames  choisies 
qui  marchent  dans  les  voies  sublimes  de  la  perfection;  et  l'on  croit 
pouvoir,  sans  ce  moyen,  suivre  celles  du  salut.  Rien  néanmoins, 
mes  chers  auditeurs,  de  plus  certain  que  la  nécessité  indispensa- 
ble de  l'humilité.  Si  vous  envisagez  la  ioi  chrétienne,  l'humilité 
en  est  expressément  l'objet  ;  si  vous  faites  attention  aux  vices  que 
cette  loi  pure  condamne,  1  humilité  seule  peut  en  être  le  préser- 
vatif; si  vous  examinez  mûrement  le  caractère  des  vertus  que  cette 
loi  sainte  prescrit,  l'humilité  en  est  la  condition  inséparable.  Par 
conséquent  nécessité  de  précepte,  nécessité  de  précaution  ,  néces- 
sité de  mérite.  Donnons  quelque  jour  à  ces  trois  réflexions,  et 
voyez  si  je  suis  fondé  à  soutenir  que,  sans  l'humilité,  il  n'y  a 
point  de  véritable  Christianisme.  (Le  P.  Lenfant  ,  Nécessité  de 
l ,  humilité. 

Nécessité  de  l'humilité,  nécessité  de  précepte. 

Oui,  mes  chers  auditeurs,  l'humilité  est  un  des  principaux  ca- 
ractères des  Chrétiens.  Vertu  inconnue  aux  philosophes  et  aux 
sages  du  paganisme;  on  les  a  quelquefois  entendus  déclamer  contre 
l'orgueil  qui  dictait  leurs  frivoles  déclamations.  Je  n'en  apporterai 
pas  pour  preuve  la  vanité  que  respirait  si  sensiblement  leur  con- 
duite, car  il  est  possible  de  connaître  et  d'estimer  une  vertu  ,  quoi- 
que on  n'ait  pas  le  courage  de  la  pratiquer.  Mais  je  conclurai  que 
l'humilité,  telle  que  nous  l'enseigne  le  Christianisme,  fut  pour 
eux  totalement  étrangère,  de  ce  qu'ils  n'ont  jamais  exposé  ni  les 
vrais  principes,  ni  les  solides  motifs,  ni  le  parfait  caractère.  Quel- 
ques uns  faisaient  consister  la  gloire  à  paraître  la  fuir.  Ils  n'étaient 
pas  humbles;  ils  étaient  subtils.  Ils  changeaient  l'objet  de  la  va- 
nité, ils  n'attaquaient  pas  directement  la  vanité  même.  Quelques 
autres  paraissaient  affecter  la  générosité  qui  supporte  les  humilia- 
lions  :  ils  n'étaient  pas  humbles;  ils  voulaient  se  montrer  forts,  et 
triompher,  dïsaient-ils,  des  inconstances  de  la  fortune,  par  les  dé- 
dains d'une  fière  supériorité.  Ceux-ci  méprisaient  la  pompe  et  le 
faste  ;  mais  il  se  glorifiaient  de  la  pompe  même  et  du  faste  de  leurs 


DUS    PRÉDICATEURS.  /\lï> 

mépris  :  ils  n'étaient  pas  humbles;  ils  étaient  ou  secrètement  ja- 
loux ,  ou  naturellement  ennemis  de  l'étalage  de  la  vanité.  Ceux-là 
se  paraient  des  dehors  imposans  d'une  remarquable  simplicité, 
mais  pour  censurer  hautement  ceux  dont  ils  se  séparaient  par  hu- 
meur ;  ils  n'étaient  pas  humbles,  ils  achetaient  le  droit  de  satiriser 
le  genre  humain  par  la  bizarrerie  de  leur  singularité. 

C'est  uniquement  à  l'école  de  Jésus -Christ  que  les  hommes  re- 
çoivent les  leçons  de  cette  humilité  réfléchie  qui  leur  apprend  à  se 
bien  connaître;  de  cette  humilité  vraie  qui,  avant  que  de  former 
le  langage,  réforme  les  sentimens;  de  cette  humilité  intérieure  qui 
fixe  son  séjour  et  son  règne  dans  le  cœur  qu'elle  sanctifie;  de  cette 
humilité  éclairée  qui  découvre  le  prix  réel  des  abaissemens,  de 
cette  humilité  résignée  qui  consent  au  moins  à  les  souffrir,  si  elle 
n'est  point  encore  assez  ardente  pour  les  aimer;  en  un  mot,  de 
cette  humilité  surnaturelle  dans  ses  causes  et  universelle  dans  ses 
effets,  qui  a  Dieu  pour  principe,  et  dans  laquelle  Dieu  n'aperçoit 
point  de  déguisement. 

Or,  c'est  cette  humilité,  mes  chers  auditeurs,  que  je  dis  être 
l'objet  du  précepte.  Non,  sans  doute,  ce  n'est  pas  un  simple  con- 
seil que  donne  Jésus-Christ  à  ses  disciples  ,  quand  il  leur  dit  : 
Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  et  humble  de  coeur  :  Discite  a 
me  quia  înitis  sum  et  humilis  corde  \.  La  preuve  est  sensible  :  puis- 
que, voulant  réprimer  parmi  eux  quelques  mouvemens  d'une  am- 
bition déréglée,  il  en  vient  jusqu'à  leur  proposer,  pour  modèle, 
l'humilité  d'un  enfant,  leur  déclarant,  en  termes  exprès,  que,  ne 
pas  s'en  rapprocher,  c'est  se  fermer  le  royaume  des  cieux  :  Nisi 
efâciamini  sicut  parvuli,  non  intrabitis  in  regnum  cœlorum^.  (Le 

MÊME.) 

Jésus-Christ  a  commencé  sa  vie  par  l'humilité. 

Voyons  combien  Dieu  aime  l'humilité.  O  divin  acte  d'obéissan- 
ce, par  lequel  Jésus-Christ  commence  sa  vie!  Nouveau  sacrifice 
d'un  Dieu  soumis ,  en  quel  temple  serez-vous  offert  au  Père  éter- 
nel? Où  est-ce  qu'on  verra  la  première  fois  cet  auguste,  cet  admi- 
rable spectacle  d'un  Dieu  humilié  et  obéissant?  Ah!  ce  sera  dans 
les  entrailles  de  la  Sainte  Vierge  :  ce  sera  le  temple,  ce  sera  l'autel 
où  Jésus  consacrera  à  son  Père  les  premiers  vœux  de  l'obéissance. 
Et  d'où  vient,  ô  divin  Sauveur!  que  vous  choisissez  cette  vierge 

1  Matth.,  v,  29.—  2  Ibid.,  xvm. 


4l6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

pour  être  le  temple  sacré,  où  vous  rendez  à  votre  Père  céleste  vos 
premières  adorations  avec  une  humilité  si  profonde  ?  C'est  l'amour 
de  l'humilité  qui  l'y  oblige;  c'est  à  cause  que  ce  divin  temple  est 
bâti  sur  l'humilité,  sanctifié  par  l'humilité.  Le  Verbe  abaissé  et 
humilié  a  voulu  que  l'humilité  préparât  son  temple;  et  il  n'y  a 
point  pour  lui  de  demeure  au  monde,  sinon  celle  que  l'humilité 
aura  consacrée.  Le  voulez-vous  voir  par  l'Ecriture  ?  renouvelez , 
Chrétiens,  vos  attentions  pour  y  voir  que  l'humilité  de  Marie  a  mis 
la  dernière  disposition  que  le  Fils  de  Dieu  attendait,  pour  établir 
sa  demeure  en  ce  nouveau  temple.  Je  remarque  dans  l'Evangile 
de  ce  jour  que,  dans  cet  admirable  entretien  de  la  Sainte  Vierge 
avec  l'Ange,  elle  ne  lui  parle  que  deux  fois  ;  mais,  ô  admirables 
paroles!  Dieu  a  voulu  qu'en  ces  deux  réponses  nous  vissions  pa- 
raître dans  un  grand  éclat  deux  vertus  d'une  beauté  souveraine, 
et  capables  de  charmer  le  cœur  de  Dieu  même  :  l'une  est  la  pu- 
reté virginale;  l'autre,  une  humilité  très  profonde. 

L'ange  Gabriel  annonce  à  Marie  qu'elle  concevra  le  Fils  du 
Très-Haut,  le  roi  et  le  libérateur  d'Israël.  Qui  pourrait  s'imaginer, 
Chrétiens,  qu'une  femme  pût  être  troublée  d'une  si  heureuse  nou- 
velle? Quelle  espérance  plus  glorieuse  lui  peut-on  donner?  Quelle 
promesse  plus  magnifique,  mais  quelle  assurance  plus  grande, 
puisque  c'est  un  Ange  qui  lui  parle  de  la  part  de  Dieu  !  et  néan- 
moins Marie  est  troublée,  elle  craint,  elle  hésite,  peu  s'en  faut 
qu'elle  ne  réponde  que  la  chose  ne  se  peut  faire  :  «  Comment  cela  se 
«  pourrait-il  faire,  puisque  j'ai  résolu  de  demeurer  vierge  !?  "Voyez, 
mes  frères,  qu'elle  s'inquiète  pour  sa  pureté  virginale  :  Si  je  con- 
çois le  Fils  du  Très-Haut,  ce  me  sera,  à  la  vérité,  une  grande  gloire; 
mais,  ô  sainte  virginité!  que  deviendrez  vous?  je  ne  puis  consentir 
à  vous  perdre.  O  pureté  admirable,  qui  n'est  pas  seulement  à  l'é- 
preuve de  toutes  les  promesses  des  hommes,  mais  encore,  et  voici 
bien  plus  ,  de  toutes  les  promesses  de  Dieu  !  Qu'attendez-vous  ,  ô 
Verbe  divin,  ehaste  amateur  des  âmes  pudiques?  Qui  est-ce  qui 
vous  fera  venir  sur  la  terre,  si  cette  pureté  ne  vous  y  attire  ?  At- 
tendez, attendez,  son  heure  n'est  pas  encore  arrivée ,  et  son  tem- 
ple n'a  pas  reçu  sa  dernière  disposition. 

En  effet,  l'Ange  répond  à  Marie  :  «  Le  Saint-Esprit  surviendra 
«  en  vous  2.  »  Il  surviendra,  dit-il;  il  n'était  donc  pas  encore  venu. 
Telle  est  la  première  parole  de  la  Sainte  Vierge,  qui  a  été  pronon- 
cée par  la  pureté  ;  écoutez  maintenant  la  seconde  :  *  Voici  la  ser- 

1  Luc,  i,  34. —  2  Luc,  i,  35. 


DES    PRÉDICATEURS.  4*7 

«  vante  du  Seigneur,  qu'il  me  soit  fait  selon  votre  parole.  *  »  Vous 
voyez  assez  de  vous-même  ,  sans  qu'il  soit  nécessaire  que  je  vous 
le  dise,  que  c'est  l'humilité  qui  parle  en  ce  lieu;  voilà  le  langage 
de  l'obéissance.  Marie  ne  s'élève  pas  par  sa  nouvelle  dignité  de 
mère  de  Dieu  ;  et  sans  se  laisser  emporter  aux  transports  d'une 
joie  si  juste ,  elle  déclare  seulement  sa  soumission  ,  et  aussitôt  les 
cieux  sont  ouverts,  tous  les  torrens  de  grâces  tombent  sur  Marie, 
l'inondation  du  Saint-Esprit  la  pénètre  toute  ,  le  Verbe  se  fait  un 
corps  de  son  sang  très  pur  ;  «  le  Père  la  couvre  de  sa  vertu  2  »  ;  et 
ce  Fils  qu'il  engendre  toujours  dans  son  sein  ,  parce  qu'il  est  si 
grand,  si  immense,  si  je  puis  parler  de  la  sorte,  qu'il  n'y  a  que  l'in- 
finité du  sein  paternel  qui  soit  capable  de  le  contenir,  il  l'engen- 
dre dans  le  sein  de  la  sainte  Vierge.  Gomment  s'est  pu  faire  un  si 
grand  miracle  ?  C'est  que  l'humilité  l'a  rendue  capable  de  contenir 
l'immensité  même  :  c'est  à  cause  de  l'humilité,  ô  Vierge!  que  vous 
recevez  en  vous  la  première,  «  celui  qui  est  destiné  pour  tout  le 
«  monde,  qui  a  été  promis  et  attendu  tant  de  siècles  3  ».  Vous  de- 
venez le  temple  d'un  Dieu  incarné ,  et  l'humilité  qui  vous  a  rem- 
plie lui  rend  cette  demeure  si  agréable  que  par  une  grâce  parti- 
culière il  veut  que  «  vous  possédiez  toute  seule ,  durant  l'espace 
«.  de  neuf  mois  entiers,  l'espérance  de  la  terre,  la  gloire  des  siècles, 
«  le  bien  commun  de  tout  l'univers  *  »  :  tant  il  est  vrai  que  l'hu- 
milité est  la  source  de  toutes  les  grâces,  et  qu'elle  seule  peut  atti- 
rer Jésus-Christ  en  nous. 

Ah  !  je  ne  m'étonne  pas ,  Chrétiens,  si  Dieu  paraît  si  fort  éloigné 
des  hommes,  ni  s'il  retire  de  nous  ses  miséricordes  :  c'est  que  l'humi- 
lité est  bannie  du  monde.  Un  homme  humble,  je  l'ai  déjà  dit,  mais 
il  faut  le  redire  encore,  un  homme  retenu  et  modeste,  est  une  chose 
|inouïe.  Eh  bien,  néant  superbe!  que  faut-il  pour  te  rabaisser,  si  un 
Dieu  anéanti  n'y  suffit  pas  ?  il  n'y  a  rien  au  dessus  de  lui ,  et  il  se 
(donne  un  maître  en  se  faisant  homme:  et  toi ,  resserré  de  toutes 
oarts  dans  les  chaînes  de  ta  dépendance,  tu  ne  peux  prendre  un 
lîsprit  soumis.  Mais  peut-être  que  vous  me  direz  :  Je  suis  si  sou- 
ple, je  suis  si  soumis  ,  je  fais  ma  cour  si  adroitement,  et  je  sais  si 
)ien  m'abaisser  !  Ah  !  ne  croyez  pas  m  imposer  par  cette  apparence 
nodeste.  Est-ce  que  je  ne  vois  pas  clairement  que  tu  ne  te  sou- 
nets  que  par  un  principe  d'orgueil  ?  Est-ce  que  je  ne  lis  pas  dans 
on  cœur  que  tu  ne  t'abaisses  sous  ceux  que  l'on  nomme  les  tout- 
imissans,  tant  la  vanité  est  aveugle,  qu'afin  de  dominer  sur  les  au- 

jl  *  Luc,  i,  38.  — 2  Ibid.,  35,  — 5  Eusèb.,  Hom.  n.  — 4  Ibid. 

T,    III,  »7 


/tg  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

très  ?  H  faut  que  l'orgueil  soit  enraciné  bien  profondément  dans 
vos  âmes ,  puisque  même  vous  ne  pouvez  vous  humilier  que  par 
un  sentiment  d'arrogance;  mais  cette  arrogance  que  vous  nous 
cachez,  parce  qu'elle  nuirait  à  votre  fortune ,  s'il  vient  à  luire  sur 
vous  un  petit  rayon  de  faveur,  paraîtra  bientôt  dans   toute  sa 

force. 

O  cœur  plus  léger  que  la  paille!  cette  prospérité  inopinée  t'em- 
porte jusqu'à  ne  pouvoir  plus  te  reconnaître.  Et  comment  as-tu  si 
fort  oublié  et  la  boue  dont  tu  sors  peut-être,  et  toutes  les  faibles- 
ses qui  t'environnent!  Rentre,  6  superbe!  dans  ton  néant;  et  ap- 
prends de  la  sainte  Yierge  à  ne  pas  te  laisser  éblouir  par  l'éclat  et 
par  la  douceur  d'une  grandeur  nouvelle  et  imprévue.  Cette  haute 
dignité  de  Mère  de  Dieu  ne  fait  que  l'abaisser  davantage,  mais  cet 
abaissement  fait  sa  gloire;  Dieu,  ravi  d'une  humilité  si  profonde, 
vient  lui-même  s'humilier  dans  ses  entrailles.  (Bossuet,  Pour  la 
fête  de  l  Annonciation) 

Le  royaume  de  Jésus-Christ  a  pour  fondement  l'humilité. 

«  Il  s'éleva  une  dispute  entre  les  disciples  de  Jésus,  lequel  d'eux 
«  tous  paraissait  être  le  plus  grand  J.  »  Cette  dispute,  assez  fié 


daient  les  uns  aux  autres  :  «  Lequel  d'entre  eux  trahirait  leur  maî- 
tre 2.  »  Rien  ne  Peut  éteindre  l'ambition   dans  les   hommes 
L'exemple   de  la  douceur  et  de   l'humilité  de  Jésus  Christ  devai 
faire  mourir  ce  sentiment;  et  cependant  ses  disciples,  gens  gros 
siers  qu'il  avait  tirés  de  la  pêche  et  de  la  nacelle,  s'y  laissent  em 
porter.  C'est  ce  qu'on  voit  souvent  dans  l'histoire  de  l'Evangile;  e 
Jésus  les  avait  réprimés  par  les  paroles  les  plus  fortes ,  «  surtou 
lorsque  les  deux  ftls  de  Zébédée  lui  demandèrent  les  première 
places  de  son  royaume  3.  »  Cependant  la  même  dispute  renaîi 
et  dans  le  plus  grand  contre- temps  qui  fut  jamais.  Ils  venaient  d 
voir  le  lavement  des  pieds;  et  Jésus,  qui  leur  ordonnait  de  suivr 
cet  exemple,  pour  les  y  exciter  davantage,  les  avait  fait  souveni 
que  lui  qui  le  leur  donnait  était  leur  Seigneur  et  leur  maître.  Com 
bien  plus  se  devaient-ils  abaisser,  eux  qui  n'étaient  que  les  sei 


vHeurs  ! 


ipo. 

ni 

■1er 


*  Luc,  xxu,  24.  —  2  Luc,  xxii,  23.  — 3  Matih.,  xx,  23  ;  Marc.,  x,  42. 


DES    PREDICATEURS,  4J<i 

Ils  l'allaient  perdre  ;  déjà  il  ne  leur  parlait  que  de  sa  mort  pro- 
chaine, de  la  trahison  qui  se  tramait  contre  lui ,  et  de  toutes  les 
suites  funestes  de  ce  complot.  Quoiqu'ils  ne  dussent  être  occupés 
que  d'un  si  triste  et  si  étrange  événement,  leur  ambition  les  em- 
porte; et,  encore  assis  à  la  table  où  Jésus  leur  avait  donné  la  com- 
munion, mystère  d'abaissement,  où  le  caractère  de  l'humilité  de 
Jésus  jusqu'à  la  mort  de  la  croix  était  imprimé,  l'action  de  grâces 
étant  à  peine  achevée,  ils  se  disputent  entre  eux  la  première  place. 
Connaissons  le  génie  de  l'ambition  ,  qui  ne  nous  quitte  jamais  au 
milieu  des  événemens  les  plus  tristes  et  parmi  les  pensées  et  les 
exemples  qui  nous  devraient  le  plus  porter  à  des  sentimens  con- 
traires. 

Jésus-Christ  leur  dit  sur  ce  sujet  ce  qu'il  leur  avait  déjà  dit 
dans  les  occasions  que  nous  venons  démarquer;  et  il  le  répète 
dans  un  temps  dont  toutes  les  circonstances  le  doivent  encore 
plus  imprimer  dans  les  esprits  ,  puisque  c'était  celui  de  sa  'mort 
prochaine  et  de  son  dernier  adieu. 

Mais  il  faut  encore  regarder  plus  loin  :  il  venait  établir  un  nou- 
vel empire,  qui  aurait  son  gouvernement  et,  pour  ainsi  parler,  ses 
magistrats  ;  et  il  se  sert  de  cette  occasion  pour  montrer  quel  de- 
I  vait  être  le  génie  de  ce  nouveau  gouvernement. 

Ce  qu'il  a  dessein  d'établir,  c'est  la  différence  des  empires  et 
des  gouvernemens  du  monde  d'avec  celui  qu'il  venait  former  dans 
ceux-là  ;  c'est  le  faste  :  tout  se  fait  avec  hauteur  et  avec  empire 
souvent  même  avec  arrogance,  avec  violence;  mais,  parmi  vous,  le 
premier  et  le  plus  grand  doit  devenir  le  plus  petit,  et  celui  qui 
gouverne  doit  être  le  serviteur  de  tous;  de  même  que  le  Fils  de 
l'homme  n'est  pas  venu  se  faire  servir,  mais  servir  lui-même,  et 
donner  sa  vie  pour  la  rédemption  de  plusieurs:  «  car  vous  voyez 
«  que  je  suis  parmi  vous  comme  celui  qui  sert,  puisque,  même 
«  pendant  que  vous  étiez  assis  à  table,  j'en  suis  sorti  pour  vous 
«  servir  et  pour  vous  laver  les  pieds  x.  » 

Il  ne  dit  donc  pas  qu'il  n'y  a  point  de  conducteur,  ni  qu'il  n'y 
a  point  de  premier  parmi  eux;  mais  il  dit  à  ses  conducteurs  et  à 
elui  même  qu'il  avait  déjà  désigné  tant  de  fois  pour  être  le  pre- 
nier,  que  leur  administration  est  une  servitude;  qu'ils  doivent, 
i  son  exemple,  être  la  victime  de  ceux  qu'ils  ont  à  conduire,  et 
m'ils  doivent  paraître  les  derniers  de  tous  parleur  humilité. 

C'est  ce  qu'pnt  pratiqué  les  Apôtres.  «  Paul  se  rend  serviteur  de 

1  Mallh.,  xx,  2fi,  27,  28  ;  Luc,  xxu,  20,  27. 

27. 


^20  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

«  tous,  et  se  fait  tout  à  tous,  afin  de  les  sauver  tous1;  »  Pierre,  qui 
était  le  premier  :  «  Je  parle  à  vous,  qui  êtes  prêtres,  moi,  qui  suis 
«  prêtre  comme  vous,  et  qui  suis  de  plus  témoin  des  souffrances  de 
«  Jésus-Christ,  et  devant  participera  sa  gloire:  paissez  le  troupeau 
«  de  Dieu  qui  vous  est  commis  ,  veillant  sur  sa  conduite ,  non  par 
«  nécessité  et  par  contrainte,  ni  par  intérêt,  mais  par  une  affec- 
«  tion  sincère  et  volontaire;  non  en  dominant  sur  l'héritage  du 
«  Seigneur,  mais  en  vous  rendant  le  modèle  de  tout  le  troupeau  : 
«  et  lorsque  le  prince  des  pasteurs  paraîtra ,  vous  recevrez  une  cou- 
«  ronne  de  gloire  qui  ne  se  flétrira  jamais  2.  » 

Voyez  comme  il  se  souvient  des  paroles  de  Jésus-Christ.  Le  maî- 
tre dit  :  «■  Les  rois  des  nations  les  dominent ,  mais  il  n'en  est  pas 
«  ainsi  parmi  vous  1  ;  »  et  le  disciple  ne  dominant  point  sur  l'héri- 
tage du  Seigneur,  il  faut  donc  ôter  du  milieu  de  nous  l'esprit  de 
domination  ,  l'esprit  de  fierté  et  de  hauteur ,  l'esprit  d'orgueil,  l'es- 
prit d'intérêt;  mais  songer  à  gagner  les  cœurs  par  l'humilité,  par 
l'amour,  et  en  donnant  bon  exemple. 

Le  maître  dit  :  «  Ceux  qui  exercent  la  domination  et  la  puissance 
«  sur  eux  sont  appelés  bienfaiteurs  2.  »  C'était  un  titre  qu'on  avait 
donné  à  de  grands  rois  ,  qu'on  appelait  Evergetes ,  bienfaiteurs,  et 
on  le  donnait  ordinairement  aux  grandes  puissances  de  la  terre  : 
elles  aimaient  à  être  honorées  de  titres  qui.  marquaient  bonté,  li- 
béralité, magnificence.  Les  plus  grands  titres  des  grands  rois  sont 
ceux  qui  sont  tirés  de  la  douceur:  témoin  ce  titre  de  très  clément, 
qu'on  donnait  aux  empereurs  ;  et  celui  de  sérénissime  ,  dont  on 
honore  encore  les  rois  et  les  princes.  Mais  vous  ,  dit  le  Sauveur, 
ne  soyez  point  bienfaiteurs  en  cette  sorte,  pour  vous  faire  hon- 
neur de  ce  titre  ;  mais  en  vous  rendant  en  effet  serviteurs  de  ceux 
que  vous  aurez  à  conduire. 

Le  maître  dit:  «  J'ai  été  parmi  vous  comme  serviteur,  et  je  suis 
«  venu  pour  donner  ma  vie  en  rédemption  pour  plusieurs  5  ;  »  et 
saint  Paul  a  dit  aussi,  comme  on  a  vu,  non  seulement  :«Je  me  suis 
«  rendu  serviteur  de  tous;  »  mais  encore:  «  S'il  faut  que  je  soisim- 
«  mole  ,  et  tout  mon  sang  répandu  en  effusion  sur  le  sacrifice  de 
«  votre  foi ,  je  m'en  réjouis  6  ;  »et  encore  :  «  Je  vais  être  immolé ,  et 
«l'effusion  commence  déjà  7.» 

Ce  n'est  pas  qu'il  ne  doive  y  avoir  dans  les  pasteurs  de  l'Eglise 
une  autorité;  et  s'ils  ne  doivent  pas  agir  d'une  certaine  façon  avec 

»  I  Cor.,  tx,  19,  22.  —  2  I  Pctr.,  v,  i,  2,  3,  4.  —  s  Luc,  xxh,  25,  26.  —  *  Ibid., 
S  j  Matth.,  xx,  28.  —  «  Philip.,  n,  17.  Ù-*  c  II  tint»,  iv,  6.  —  7  Tit.,  h,  14. 


DES    PRÉDICATEURS.  421 

empire,  saint  Paul  n'aurait  pas  écrit  à  Tite  :«  Parlez  avec  tout  em- 
«  pire ,  que  personne  ne  vous  méprise  1  ;  et  il  n'aurait  pas  menacé 
«  lui-même  de  venir  avec  la  verge  ,  et  de  châtier  toute  désobéis- 
sance 2.  »  Mais  c'est,  dit  saint  Augustin,  que  ce  n'est  pas  nous, 
mais  Dieu  et  sa  vérité  que  nous  voulons  faire  craindre  dans  notre 
parole. 

Voilà  donc  comme  à  cette  fois  et  après  l'exemple  de  la  monde 
Jésus-Christ  ses  Apôtres  sont  changés;  ils  ne  songent  plus  à  exer- 
cer un  empire  hautain,  ils  gagnent  tout  par  l'humilité  et  la  doi> 
ceur;  ils  n'envient  plus  à  Pierre  la  prééminence  ;  il  prend  partout 
la  parole,  et  personne  ne  la  lui  conteste  3.  Voyez,  dit  saint  Chrysos- 
tôme  4,  comme  il  se  met  partout  à  la  tête,  et  comme  il  agit  dans 
cette  société,  commeen  étant  le  chef.  Personnene  s'y  oppose  plus, 
et  ce  désir  de  préséance  dont  ils  ont  été  autrefois  si  animés  a  en- 
tièrement cessé.  Pierre  agit  partout  comme  le  premier,  se  laisse 
reprendre^par  Paul  s:  sur  quoi  les  Pères  remarquent  :  il  ne  dit  pas  : 
Je  suis  le  premier ,  et  je  dois  être  révéré  et  obéi  par  ceux  qui  sont 
après  moi;  mais  il  se  laisse  contredire  jusqu'à  lui  résister  en  face, 
et  il  loue  les  lettres  de  saint  Paul6,  où  il  est  expressément  porté,  « 
«qu'il  ne  marchait  pas  droit  selon  la  vérité  de  l'Evangile  7,  »  jus- 
qu'à les  mettre  au  rang  des  Ecritures  inspirées  de  Dieu. 

Changeons  donc  aussi  avec  les  Apôtres.  Si  la  mort  de  Jésus-Christ 
a  éteint  en  eux  ces  sentimens  d'une  ambition  toujours  renaissante, 
faisons-les  aussi  mourir  en  nous;  et,  puisque  les  chefs  du  troupeau 
sont  si  humbles,  songeons  à  l'humilité  qui  convient  aux  simples 
brebis.  (Bossuet,  Méditations.) 

La  religion  a  établi  son  règne  par  l'humilité. 

Eh!  comment  ne  pas  reconnaître  le  précepte  de  l'humilité,  si 
l'on  approfondit  avec  quelque  soin  la  religion  ?  Ses  lois,  ses  ensei- 
gnemens,  ses  maximes,  son  caractère,  tout  concourt  à  nous  prê- 
cher cette  vertu.  C'est  par  l'humilité  que  la  religion  a  établi  son  rè- 
gne; c'est  du  sein  de  l'humilité  qu'elle  a  vu  éclater  ses  triomphes; 
c'est  dans  l'humilité  qu'elle  place  sa  gloire;  c'est  avec  l'humilité 
qu'elle  a  remporté  tant  de  victoires  sur  le  monde  ;  c'est  en  y  intro* 
duisantUhumilité  qu'elle  l'a  converti.  Je  dirai  plus  encore  ;  car  je 
vois  l'humilité,  dont  la  religion  nous  fait  un  devoir  clans  la  morale, 

1  ICor.,  iv,  11.  — 2II  Tim.,  iv,  6.  — 3  Act.  i,  13,  15;  h,  14;  m,  12;  iv  ,  8;  v, 
29;  x,  5;  xi  ,  4,  17;  xv ,  7,  etc.  —  4  In  Act.  Apost.,  Hom-  m,  et  alibi. — 
u  Gai.,  h,  11,  14.  —  e  n  pet.,  m,  15,  16.  — 7  Gai.,  h,   11,  14. 


^•2  2  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

teîîemettt  liée  avec  les  mystères  qu'elle  nous  propose  que,  quand 
même  il  n'y  aurait  pas  une  loi  positive  et  déterminée  qui  l'ordonne, 
ce  précepte  dériverait  naturellement  des  divers  points  que  la  foi 
nous  révèle.  Ecoutons-la,  mes  cbers  auditeurs,  pendant  quelques 
momens;  et  nous  apercevrons  toujours  l'humilité  comme  le  point 
fixe  et  invariable  où  vont  aboutir  toutes  les  conséquences  des  vé- 
rités que  nous  découvre  la  révélation. 

Elle  en  jette  les  premiers  fondemens  en  nous  racontant  la  sim- 
ple histoire  de  notre  origine.  Un  vil  limon,  telle  est  la  substance  de 
ce  corps  sorti  de  la  terre,  et  qui  doit  bientôt  y  rentrer;  destiné,  il 
est  vrai ,  à  servir  de  demeure  à  une  ame  immortelle  que  créa  la  puis- 
sance de  Dieu,  et  qu'elle  y  unit.  La  condition  de  l'homme  qui  re- 
traçait en  lui  l'image  de  Dieu  était  brillante  ;  mais  avili  par  le  péché 
qui  l'a  rendu  coupable  ,  dépouillé  de  la  justice  originelle,  assujéti 
aux  misères  de  1  humanité,  condamné  à  la  mort,  et  privé  du  droit 
d'entrer  dans  le  Ciel,  son  héritage  et  sa  patrie,  il  n'a  peuplé  l'uni- 
vers que  d'enfans  de  colère,  qui  naissent  dans  la  disgrâce  du  Créa- 
teur; et  voilànotre  apanage.  Si  nous  échappons  à  ses  suites  funes- 
tes, c'est  par  un  bienfait  que  nous  ne  pouvons  pas  mériter  par 
nous-mêmes.  L'homme  avait  creusé  l'abîme,  et  Dieu  seul  pouvait 
l'en  retirer. Il  l'a  fait,  mes  chers  auditeurs;  mais,  quoique  soutenus 
do  sa  force ,  quelle  faiblesse  nous  reste!  quel  penchant  au  mal! 
quel  désordre  d'inclination!  De  nous-mêmes,  c'est-à-dire  de  nous 
seuls,  nous  ne  pouvons  rien  faire  de  méritoire  pour  le  salut.  C'est 
principalement  aux  secours  de  la  grâce  que  nous  en  devons  les  œu- 
vres et  la  volonté.  Cette  grâce,  par  son  nom  même,  annonce  qu'elle 
ne  nous  est  pas  due.  Ellenaîtdela  bonté  de  Dieu,  elle  suit  de  ses  pro- 
messes, elle  est  le  fruit  des  mérites  de  son  divin  Fils.  Souvent  no- 
tre infidélité  la  néglige,  notre  liberté  lui  résiste,  notre  aveugle- 
mentla  méconnaît,  et  notre  obstination  en  abuse.  Si  notre  docilité 
lui  cède,  notre  persévérance  est  incertaine.  Nous  ignorons  et  l'état 
où  Dieu  nous  voit  dans  cette  vie,  et  celui  dans  lequel  la  mort  vien- 
dra nous  fixer. 

Eh  !  nous  oserions  croire  qu'il  nous  soit  permis  de  n'être  pas 
humbles  au  milieu  de  ces  assemblages  d'humiliations!  Des  péchés 
personnels  que  la  conscience  reproche  avec  certitude,  et  dont  la 
rémission  ne  nous  est  pas  clairement  connue,  laisseraient  à  notre 
orgueil  toute  sa  sécurité!  L'idée  d'un  maître  suprême,  dont  un 
seul  regard  sonde  les  cœurs ,  ne  nous  rappellerait  pas  à  l'humble 
discussion  de  ce  qu'il  aperçoit  dans  le  notre!  L'attente  d'un  juge- 
ment décisif  qui  peut  à  chaque  instant  s'exercer  n'alarmerait  pas 


DF.S    P  INDICATEURS.  42^ 

notre  indépendance!  La  perspective  d'une  formidable  éternité  qui 
s'avance  n'exciterait  pas  dans  nous  une  salutaire  terreur!  Eh!  il 
faut  nécessairement  ou  effacer  de  sa  mémoire  de  tels  objets,  ou 
voir  l'humilité  marcher  à  sa  suite.  Je  ne  connais  pas  le  secret  de 
concilier  la  témérité  de  l'orgueil  avec  la  vivacité  de  la  foi.  A  me- 
sure  que  la  lumière  de  celle-ci  m'éclaire,  elle  m'humilie  profondé- 
ment. Je  vois  que  la  misère  et  le  péché  sont  mon  apanage.  Com- 
ment donc,  et  par  quel  excès  révoltant  me  pardonnerais-je  d'y 
joindre  l'orgueil  ? 

S  il  est  capable  de  rougir,  offrons-lui  ce  que  la  religion  a  de 
plus  propre  à  le  confondre.  Dites-moi,  Chrétiens,  vous  qui  re- 
gardez l'humilité  plutôt  comme  un  mérite  de  perfection  que 
comme  une  vertu  de  devoir,  et  qui  la  laissez  en  partage  à  une 
piété  éminente,  comme  si  elle  n'entrait  pas  dans  les  obligations 
étroites  du  Christianisme,  reconnaissez:vous  Jésus-Christ  pour 
votre  législateur ,  votre  sauveur  et  votre  modèle  ?  Ma  demande 
vous  étonne,  je  le  crois;  mais,  à  plus  juste  titre,  votre  conduite  me 
surprend. 

Si  vous  professez  la  religion  d'un  Dieu  fait  homme,  humilié  et 
anéanti,  ses  paroles  sont  donc  votre  oracle,*  ses  exemples  sont 
donc  votre  règle*  vous  savez  donc,  selon  le  témoignage  de  l'A- 
pôtre, que  c'est  sur  la  conformité  avec  le  Fils  de  Dieu  qu'est 
fondée  l'économie  de  votre  salut.  En  un  mot,  puisque  vous  êtes 
Chrétiens,  vous  adorez  donc  Jésus-Christ  sur  la  croix.  La  vue  seule 
de  ce  trône  sanglant,  sur  lequel  l'humilité  le  plaça  ne  suffit  pas 
pour  en  graver  la  loi  dans  vos  cœurs  !  Vous  reconnaissez  votre 
maître  livré  pour  vous  aux  excès  de  l'ignominie;  et  vous  ne 
voulez  être  ses  Disciples  que  dans  l'éclat  de  sa  gloire!  Vous  le 
voyez  rassasié  d'opprobres,  votre  avidité  des  honneurs  est  insa- 
tiable! Vous  venez  devant  lui  courber  vos  têtes,  et  vous  donnez 
libre  carrière  à  l'enflure  de  vos  sentimens!  Vous  lui  dites:  Seigneur, 
sauvez-moi  *  et  vous  ne  l'entendez  pas  quand  il  vous  répond  : 
Humiliez-vous  ! 

Car,  que  vous  dit  autre  chose,  et  comment  peut  vous  l'exprimer 
avec  plus  de  force,  cette  croix  que  la  sagesse  de  Dieu  a  opposée  à 
l'orgueil  du  monde?  Pensez-vous  qu'elle  ne  demande  de  votre  part 
que  la  stérilité  d'un  hommage  de  quelques  momens  ?  que  c'en 
soit  assez  de  laisser  à  la  porte  du  temple  le  superbe  étalage  de  vos 
vanités ,  pour  avoir  droit  de  reprendre  bientôt  après  les  airs  impé- 
rieux de  votre  fierté?  qu'il  vous  soit  permis  de  vous  partager 
ainsi  entre   les   démonstrations   d'une   humilité   qui  coûte  peu, 


424  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

parce  que  l'exemple  universel  l'autorise,  et  les  impressions  habi- 
tuelles d'un  orgueil  dominant  que  l'on  ne  vous  voit  jamais  répri- 
mer ?  et  qu'après  avoir  paru  vous  abaisser  devant  Dieu  ,  par  quel- 
ques actes  d'une  adoration  au  moins  équivoque ,  si  elle  n'est  pas 
souvent  hypocrite ,  vous  puissiez  vous  en  dédommager  sur  les 
hommes,  en  les  accablant  de  vos  dédains?  Si  vous  respectez  cette 
croix,  retenez  donc  ses  leçons.  Devant  elle  vous  prosternez  vos 
corps  ;  ce  n'est  pas  tout  :  il  faut  apprendre  d'elle  à  régler  votre 
conduite.  Il  ne  suffit  pas  de  demander  au  Sauveur  une  place  dans 
son  royaume;  il  faut  consentir  à  l'acheter,  en  partageant  son  ca- 
lice *.  La  gloire  que  Dieu  lui  a  donnée,  nous  dit  saint  Paul,  est 
le  fruit  de  ses  anéantissemens  2.  Il  est  donc  juste,  il  est  évidem- 
ment nécessaire  que  l'humilité  vous  ouvre  la  route  qui  doit  vous 
faire  parvenir  à  la  posséder.  Non  ,  ne  vous  y  trompez  pas,  si  vous 
n'êtes  pas  les  disciples  d'un  Dieu  humble,  jamais  vous  ne  régnerez 
avec  un  Dieu  triomphant.  (Le  P.  Lbnfant.) 

Nécessité  de  l'humilité,  nécessité  de  précaution  contre  les  vices. 

Rien  ne  me  serait  plus  facile  que  d'accumuler  ici  des  autorités 
aussi  respectables  par  leur  poids  que  frappantes  par  leur  nombre. 
Que  j'ouvre  les  livres  saints,  que  je  consulte  les  Pères,  que  j'in- 
terroge les  Sages,  tout  vient  à  mon  appui.  Les  hommes  mêmes 
qui  n'ont  pas  su  acquérir  les  mérites  de  l'humilité  ont  reconnu 
hautement  les  déplorables  suites  de  l'orgueil.  La  raison ,  le  senti- 
ment, l'expérience,  tout  s'élève  de  concert  contre  ce  vice.  Le  di- 
rai-je  ?  l'orgueil  s'arme  contre  l'orgueil  ;  il  se  déteste  lorsqu'il 
s'aperçoit.  Celui  sur  lequel  il  a  secrètement  établi  son  règne,  le 
voit  avec  indignation  dans  celui  qui  en  laisse  paraître  l'empire;  et 
la  vanité  ne  souffre  jamais  davantage  que  quand  il  lui  faut  sup- 
porter celle  d'autrui.  Il  faut  à  l'humilité  elle-même  toute  sa  force, 
pour  résister  à  ce  que  l'orgueil  laisse  apercevoir  d'odieux.  Mais, 
pour  en  marquer  mieux  les  funestes  déréglemens,  tirons  une 
preuve  sensible  et  palpable  de  la  conduite  des  hommes.  J'ose 
avancer  que  ce  qu'elle  présente  de  condamnable  a  presque  tou- 
jours pour  mobile  et  pour  premier  ressort  l'activité  de  l'orgueil. 
Venons  au  détail. 

Dieu  nous  révèle  une  partie  de  ce  qui  était  renfermé  dans  les 
trésors  de  sa  sagesse.  L'autorité  de  la  foi  commande  à  nos  esprits, 

1  Matlh.,  xx,  2-2.  —  2  Ilebr.,  n,  9. 


DES    PRÉDICATEURS.  /\1$ 

et  leur  docilité  est  l'hommage  du  à  la  vérité  de  la  parole  divine. 
Mais  parce  que  cette  parole  humilie  cet  esprit  que  le  joug  de  la 
foi  doit  captiver,  aussitôt  il  proteste  contre  ses  oracles;  il  refuse 
de  souscrire  à  ses  décisions.  L'orgueil  de  l'impie  ne  dit  pas  avec 
l'Ange  rehelle  :  Je  m'élèverai  jusque  dans  les  cieux;à  côté  du 
trône  même  de  Dieu  ,  je  placerai  le  mien  :  In  cœlum  conscendam , 
super  astra  Dei  exaltabo  solium  meum  *é  Mais,  par  une  audace 
aussi  insensée  :  Je  ferai,  se  dit-il  à  lui-même,  je  ferai  descendre 
jusqu'à  moi  le  trône  de  Dieu  ;  je  citerai  ses  ministres  au  tribunal 
de  mon  intelligence;  j'entrerai  dans  la  profondeur  de  ses  secrets, 
et  je  ne  croirai  point  ce  qu'il  ne  m'est  pas  possible  d'expliquer. 
Dieu  ne  peutm'expliquer  ce  que  je  ne  puis  comprendre. 

Ainsi  pensent  et  parlent  fièrement  un  nombre  d'hommes  qui 
n'accordent  pas  même  à  l'incompréhensible  sagesse  de  Dieu  de 
pouvoir  s'étendre  au  delà  des  bornes  de  la  raison.  Cette  faible 
raison ,  l'orgueil  en  fait  leur  divinité ,  et ,  par  le  plus  absurde  ren- 
versement de  l'ordre ,  ce  n'est  plus  la  raison  qui  doit  à  un  Dieu 
infini  l'hommage  de  sa  soumission  ;  mais  c'est  Dieu  qui  lui  doit 
un  compte  exact  de  sa  conduite.  De  là,  les  résistances  de  l'impiété. 
Qu'eût-il  fallu  pour  en  garantir  ?  ou  que  faudrait-il  pour  les 
vaincre?  Ah!  donnez-nous  à  instruire  un  esprit  humble,  quelque 
éclairé  d'ailleurs  qu'il  puisse  être;  un  esprit  qui,  connaissant  la 
nature  du  vrai,  sache  en  démêler  les  preuves,  mais  qui,  se  con- 
naissant lui-même,  veuille  sentir  jusqu'à  quel  point  il  peut  appro- 
fondir la  vérité ,  un  esprit  qui  ne  se  persuade  pas  que  la  mesure 
de  ses  forces  est  la  mesure  de  la  puissance  divine;  un  esprit  qui, 
dans  l'enceinte  limitée  de  ses  connaissances  ,  ne  prétende  pas  ren- 
fermer la  sublime  immensité  de  Dieu  ;  et  bientôt  l'humilité  fera 
un  Chrétien  fidèle  de  celui  qui  fut  un  incrédule  présomptueux. 
Ce  qu'on  appelle  force  d'esprit  n'est  que  la  force  de  l'orgueil. 

D'où  partent  les  téméraires  efforts  de  cette  opiniâtreté  soutenue, 
qui,  sous  prétexte  de  conserver  l'ancienne  foi  de  nos  Pères,  la 
propose,  l'arrange,  l'interprète,  l'altère  et  la  dénature  selon  ses 
idées  ,  plutôt  que  d'en  recevoir  les  dogmes  sacrés  des  mains  de  cette 
Eglise  sainte  à  laquelle  seule  Jésus-Christ  en  a  confié  l'invariable 
dépôt  ?  Ce  ne  fut  d'abord  que  la  singularité  hasardée  d'un  senti- 
ment. Mais  ,  parce  que  l'orgueil  vint  à  sa  défense,  de  cette  opinion 
nouvelle,  il  fit  éclore  un  système  entier;  il  arma  l'obstination;  il 
révolta  contre  l'autorité  ;  il  enflamma  le  faux  zèle  ;  il  forma  les 

1  Is.  xiv,  13. 


/{u6  NOUVEL!  E     BIBM0TIIÈQT7E 

sectes:  ii  déchira  le  sein  de  l'Eglise.  Hélas!  combien  elle  recou- 
virerait  d'enfans  soumis  à  sa  voix,  si  ceux  dont  elle  pleure  les  éVa- 
remens  daignaient  entendre  au  moins  la  voix  de  l'humanité! 

Mais ,  puisque  je  parle  ici  à  des  fidèles  qui  laissent  à  la  religion 
tous  ses  droits,  faisons  donc  un  pas  de  plus.  Cette  religion  que 
vous  dites  croire  si  bien,  pourquoi  la  pratiquez-vous  si  mal?  pour- 
quoi ce  dédain  du  culte  extérieur  qu'elle  consacre,  cet  éloigne- 
ment  des  sacremens  auxquels  elle  invite,  cette  opposition  auxver- 
tus  qu'elle  prescrit?  est-ce  mépris,  dégoût,  lâcheté  de  votre  part? 
non  ;  ou  plutôt  c'est  tout  cela  réuni  par  un  orgueil  secret  qui  le 
produit.  L'orgueil  fait  entendre  aux  grands  que  l'appareil  de  la 
religion  est  pour  le  peuple.  Pour  ne  pas  se  confondre  avec  celui- 
ci,  on  abandonne  entièrement  celui-là;  comme  si  la  qualité  de 
Chrétiens  ne  suffisait  pas  pour  ranger  humblement  toutes  les  con- 
ditions sous  les  étendards  du  Christianisme.  L'orgueil  effrayé  fré- 
mit à  l'idée  des  fautes  dont  la  confession  est  nécessaire;  il  en  dé- 
tourne, comme  si,  à  la  honte  réelle  qui  consiste  seulement  à  les 
commettre,  il  ne  fallait  pas  substituer  l'humble  aveu  qui  les  ex- 
pie. L'orgueil,  avide  des  suffrages  du  monde,  redoute  les  raille- 
ries que  paraît  attirer  quelquefois  l'accomplissement  des  devoirs; 
alors,  de  peur  d'édifier,  on  scandalise;  comme  s'il  était  plus  im- 
portant de  plaire  aux  hommes  que  d'obéir  humblement  à  Dieu. 
L'orgueil  même,  en  estimant  la  vertu ,  rougit  de  celles  qui  le  con- 
trarient, qui  le  gênent.  En  convenant  qu'il  s'est  égaré  ,  il  souffri- 
rait, si  l'on  pouvait  remarquer  son  repentir.  La  prétendue  honte 
du  retour  le  fait  persister  dans  ses  écarts.  Il  peut  sentir  la  néces- 
sité de  faire  le  bien;  mais  toujours  c'est  l'humilité  qui  l'opère. 
(Le  Même.) 

L'humilité  ,  remède  du  vice  inséparable  de  notre  nature. 

Admirez  en  vous  la  conduite  de  votre  Père  céleste  :  il  sait  que 
vous  êtes  superbes  ;  c'est  le  vice  inséparable  de  notre  nature;  con- 
tre cette  enflure  de  l'orgueil  il  fait  un  remède  de  votre  infirmité; 
apprenez  à  profiler  de  votre  faiblesse.  Vous  en  profiterez  si  elle 
vous  enseigne  à  être  humbles,  à  vous  défier  de  vous-mêmes,  à 
marcher  toujours  avec  crainte;  vous  en  profiterez  si  elle  vous  ap- 
prend à  dire  avec  Job  :  «  Quand  j'ai  résisté  à  la  tentation,  mon 
«  cœur  ne  s'est  point  enflé  par  cette  victoire,  et  je  n'ai  pas  baisé 
«  ma  main  de  ma  propre  bouche  l.  Qu'est-ce  à  dire,  baiser  sa  main 

1  Job.,  xxxi,  27. 


DF.S    PREDICATEURS.  427 

àe  sa  bouche?  c'est-à-dire  attribuer  le  bon  succès  à  sa  propre 
force,  se  remercier  soi  même  de  ses  bonnes  œuvres.  Loin  devons, 
ô  fidèles!  cette  pensée  :  si  votre  main  était  forte,  vous  pourriez 
lui  imputer  votre  victoire;  vous  pourriez  la  baiser  sans  crainte 
et  lui  rendre  grâce  du  bien  que  vous  faites  ;  mais,  la  sentant  faible 
et  impuissante,  il  faut  élever  plus  haut  votre  vue,  et  dire  avec  le 
divin  Apôtre :«  Rendons  grâces  à  Dieu,  qui  nous  a  donné  la  victoire 
«par  notre  Seigneur  Jésus-Christ.  »  (Bossuet,  Sermon  pour  le 
jour  de  Pâques.) 

Nécessite  de  l'humilité,  nécessité  de  mérite  pour  acquérir  des  vertus. 

Quand  je  dis  que  l'humilité  est  nécessaire  au  mérite  des  vertus, 
je  m'appuie  et  sur  l'expérience  qui  nous  représente  toujours  les 
vertus  les  plus  parfaites  comme  étant  aussi  les  plus  humbles,  et 
sur  des  principes  certains  qui  démontrent  que  dès  qu'on  n'est  pas 
sincèrement  humble  on  ne  saurait  être  solidement  vertueux. 

Que  l'humilité  accompagne  toujours  les  vraies  vertus;  c'est  là, 
mes  chers  auditeurs,  une  vérité  dont  la  conviction  est  si  forte  et 
si  générale  que  le  monde  lui-même  censure,  dans  les  personnes 
pieuses  d'ailleurs,  les  plus  légers  écarts  de  la  vanité,  comme  une 
tache  qui  obscurcit  et  qui  dément  l'éclat  de  la  piété  ;  censure ,  il  est 
vrai,  souvent  trop  rigoureuse,  si  l'on  ne  fait  attention  qu'aux 
motifs  qui  la  déterminent  et  à  la  manière  amère  dont  elle  se  pro- 
duit; puisque  enfin  la  piété  qui  combat  les  vices  ne  les  déracine 
pas  tout  à  coup,  et  puisque  souvent  c'est  plutôt  pour  humilier  la 
vertu  que  le  monde  en  observe  les  légers  défauts  que  pour  corri- 
ger en  lui  ces  défauts  mêmes;  mais  censure  néanmoins  équitable 
et  fondée,  en  ce  qu'elle  suppose  que  c'est  toujours  sous  les  traits  de 
l'humilité  que  la  vertu  doit  paraître. 

Et  c'est  ainsi,  en  effet,  que  la  religion  m'en  retrace  l'image.  Je 
vois  la  cendre  jointe  au  cilice  pour  servir  de  symbole  à  la  péni- 
tence; c'est  que  l'humilité  du  cœur  en  accompagne  le  repentir.  Je 
vois  à  l'extrémité  du  Temple  le  Publicain  qui  n'ose  pas  lever  les 
yeux,  tandis  qu'il  demande  grâce;  c'est  que  l'humilité  sollicite  le 
pardon  que  la  confiance  espère.  Je  vois  à  la  suite  de  Jésus-Christ 
une  femme  qui,  rebutée  en  apparence  par  ses  mépris,  lui  avoue 
qu'elle  les  mérite,  et  persiste  avec  succès  à  implorer  sa  puissance; 
c'est  que  l'humilité  soutient  la  prière  et  en  fait  l'efficacité.  Je  vois 
dans  les  transports  d'un  saint  amour  Magdeleine  prosternée  de- 
vant le  Sauveur;  c'est  que  la  charité  qui  l'enflamme  est  dirigée  par 


4^8  NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE 

l'humilité.  Il  faut  vous  convaincre  par  les  plus  frappans  exemples  : 
je  vois  la  plus  parfaite  des  créatures,  la  plus  sainte  des  vierges, 
celle  qu'un  Dieu  a  choisie  pour  être  sa  mère,  je  la  vois  opposer  à  la 
supériorité  de  la  gloire  qu'on  lui  annonce  l'humble  témoignage  de 
sa  bassesse  et  de  son  néant:  je  le  vois  lui-même,  ce  Dieu  incarné, 
aux  pieds  de  ses  apôtres,  et  leur  donnant  l'exemple,  dans  sa  per- 
sonne, de  l'humilité  qu'ils  doivent  prêcher  en  son  nom. 

C'est  sur  [des  traces  si  respectables  et  si  sûres  que  s'est  formé  ce 
nombre  de  héros  chrétiens  dont  l'Eglise  a  consacré  le  souvenir 
dans  ses  fastes,  et  qu'elle  a  placés  sur  ses  autels.  Toujours , au  mi- 
lieu des  vertus  qui  en  ont  fait  des  saints  ,  l'humilité  s'est  montrée 
dans  eux  comme  l'aliment  de  leur  sainteté.  Plus  d'une  fois  la  sain- 
teté a  mêlé  la  splendeur  à  celle  du  trône.  De  puissans  monarques 
ont  fait  servir  leur  gloire  à  celle  de  la  religion.  Alors,  jusqu'au 
sein  même  de  leur  grandeur,  on  a  remarqué  ces  humbles  senti- 
mens  qui,  laissant  à  la  sublimité  du  rang  toute  sa  dignité,  mani- 
festent la  perfection  de  l'âme.  On  a  vu  se  réunir  à  l'autorité  qui 
commande  l'humilité  qui  s'abaisse,  la  même  main  qui  faisait  res- 
pecter le  sceptre  se  faire  admirer  en  servant  les  pauvres ,  et  ceux 
qui ,  par  leur  pouvoir,  sont  l'image  de  Dieu  sur  la  terre ,  donner  à 
la  terre  le  grand  exemple  du  pouvoir  qu'ont  sur  les  hommes  les 
leçons  d'un  Dieu.  Plus  d'une  fois  l'éclat  d'une  sainteté  éminente 
s'est  joint  à  celui  de  la  science  la  plus  profonde.  Alors ,  jusque 
dans  le  sein  de  l'érudition  la  plus  étendue  et  de  la  capacité  la  plus 
vaste,  on  a  remarqué  cette  humble  simplicité  qui  rapporte  au 
Père  des  lumières  toutes  celles  qu'il  répand  ,•  on  l'a  vu ,  dis-je,  asso- 
cier à  la  pénétration  de  la  sagacité  la  docilité  de  la  soumission ,  à 
la  force  du  raisonnement  la  vivacité  de  la  foi,  au  mérite  des  plus 
ingénieuses  recherches  la  naïve  ingénuité  delà  plus  modeste  can- 
deur. Plus  d'une  fois  l'héroïsme  de  la  sainteté  a  brillé  avec  celui 
de  la  bravoure  et  des  exploits  ;  alors ,  j  usqu'au  milieu  de  la  célébrité 
et  des  triomphes ,  on  a  remarqué  cette  humble  reconnaissance  qui 
rend  grâce  au  Dieu  des  armées  des  honneurs  de  la  victoire.  On  a 
vu  prosterné  humblement  dans  les  temples  le  même  héros  qui 
avait  paru  si  formidable  dans  les  combats,  déposer  auprès  de  Dieu 
qui  en  règle  le  sort  les  palmes  qu'il  y  avait  cueillies ,  adorer  son 
maître  après  avoir  dompté  ses  ennemis ,  et  couronner  ses  succès 
par  l'humilité  qui  en  rend  hommage  au  souverain  arbitre  des  évé- 
nemens.  Plus  d'une  fois  le  crédit  éclatant  de  la  sainteté  a 
été  signalé  par  des  miracles.  Alors  ,  jusqu'au  milieu  des  ac- 
clamations d'un  peuple  étonné,   on  a  remarqué  cette  humble 


I 


DES  PREDICATEURS.  42o 

timidité  qui  craint  qu'on  n'attribue  à  l'homme  des  merveilles  dont 
il  n'est  que  l'instrument,  et  dont  Dieu  seul  peut  être  l'auteur.  On 
a  vu  la  grandeur  d'un  prodige  relevé  par  le  prodige  aussi  étonnant 
peut-être  de  l'humilité  qui  en  fait  la  gloire,  qui  se  cache  après 
avoir  montré  la  force  du  bras  de  Dieu  ,  et  qui  se  dérobe  aux  ap- 
plaudissemens  des  hommes  pour  ne  recevoir  que  de  Dieu  seul  la 
récompense  de  ses  vertus. 

Je  ne  dis  rien,  mes  chers  auditeurs,  dont  les  annalesde  la  religion 
ne  mettent  la  preuve  dans  le  plus  grand  jour;  et  lorsqu'elle  nous 
peint  en  traits  sublimes  les  connaissances  de  ses  Prophètes,  le  zèle 
de  ses  Apôtres  ,  le  courage  de  ses  Martyrs,  elle  a  soin  d'orner  le 
tableau  de  leurs  vertus,  en  y  ajoutant  celui  de  leur  humilité!  C'est 
à  ce  signe  qu'elle  les  avoue,  et  c'est  parla  qu'elle  les  caractérise. 
D'accord  avec  elle  sur  ce  point ,  vous  en  jugez  ainsi ,  mes  chers  au- 
diteurs; selon  vous-mêmes,  c'est  l'humilité  qui  distingue  les  hom- 
mes solidement  vertueux  de  ceux  qui  n'en  ont  que  l'apparence. 
Toute  vertu  qui  n'est  pas  humble  vous  devient  suspecte;  d'où  je 
conclus  que  vous  sentez  la  liaison  de  toutes  les  vertus  avec  l'humi- 
lité. (Le  P.  Lenfant.) 

La  vraie  sagesse  est  dans  l'humilité. 

Chrétiens,  de  même  que,  par  le  baptême,  vous  avez  renoncé  à 
tous  les  faux  biens  de  ce  monde  visible  et  sujet  à  la  corruption 
de  même  vous  devez  encore  renoncer  à  la  sagesse  de  la  chair,  si  vous 
voulez  trouver  la  sagesse  véritable.  Vous  aurez  renoncé  à  la  sa- 
gesse de  la  chair,  si  vous  avez  soin  de  vous  tenir  dans  l'humilité 
et  si  vous  vous  persuadez  intérieurement  que  vous  êtes  loin  d'a- 
voir atteint  la  perfection  que  vous  recommande  la  loi  de  Jésus- 
Christ  sous  laquelle  vous  vivez.  Ces  sentimens  sont  ce  qui  plaît  le 
mieux  à  Dieu  dans  le  cœur  de  l'homme;  comme,  au  contraire, 
rien  ne  le  révolte  davantage  que  l'orgueil  et  la  présomption,  vices 
qui  sont  la  cause  de  tous  nos  maux ,  puisque  c'est  à  cause  d'eux 
que  nos  premiers  parens  ont  été  exilés  du  paradis  de  délices.  Con- 
sidérez donc  comment  Jésus-Christ,  le  Fils  de  Dieu,  s'est  humilié 
en  revêtant,  comme  dit  saint  Paul,  la  forme  d'un  esclave;  et  s'il 
vous  semble  parfois  qu'il  y  a  en  vous  quelque  sagesse ,  à  cause  des 
dons  que  Dieu  y  a  répandus,  dites-vous  à  vous-même:  Cela  ne 
vient  point  de  moi,  je  l'ai  reçu  d'une  autre  main  que  de  la  mienne; 
et  celui  qui  me  l'a  donné  pourra  de  même  m'en  dépouiller,  quand 
il  le  jugera  convenable.  (S.  Macaire  le-Grand ,  Sur  la  Charité,) 


^3o  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

Exhortation  à  l'humilité. 

Mes  frères,  un  Prophète  nous  dit,  ou  plutôt  Dieu  nous  dit 
par  la  bouche  d'un  Prophète  :  «  Sur  qui  fixerai-je  mes  regards,  si 
«  ce  n'est  sur  l'homme  doux ,  humble ,  et  qui  craint  mes  paroles1  ?  » 
Et  le  Seigneur  lui-même  dans  son  Evangile  nous  dit  :  Apprenez 
de  moi  que  je  suis  doux  et  humble  de  cœur.  Ainsi  donc  celui  qui 
a  acquis  l'humilité  est  devenu  la  demeure  de  Dieu  ;  et  il  a  acquis 
en  même  temps  la  paix  et  la  charité.  Efforcez-vous  donc  de  par- 
venir à  la  possession  de  cette  belle  vertu  ;  car  l'orgueil  est  odieux 
aux  yeux  de  Dieu,  des  anges  et  des  saints.  C'est  à  cause  de  lui  que 
les  anges  ont  été  précipités  de  leur  gloire,  et  qu'ils  sont  devenus 
des  démons  ;  c'est  à  cause  de  lui  qu'ils  sont  tombés  du  ciel  dans 
les  abîmes  des  enfers.  Mais  quand  un  Dieu ,  conduit  par  son  infinie 
bonté  pour  les  hommes,  descendit  du  ciel  sur  la  terre,  il  s'hu- 
milia jusqu'à  prendre  un  corps  semblable  au  nôtre,  et  passa  toute 
sa  vie,  jusqu'à  son  dernier  soupir,  dans  l'humilité  et  l'abaissement. 
C'est  pourquoi,  mes  frères,  glorifions-nous  avec  le  Prophète  qui 
disait  :  «  Seigneur,  regardez  mon  humilité  et  mes  travaux,  et  par- 
«donnez-moi  mes  péchés  2.  »  (S.  Antoine,  abbé,  Sermon  aux 
moines ,  sect.  V.) 

Péroraison. 

Tout  se  réunit  donc  pour  vous  persuader  l'humilité  :  vertu 
noble  qui  règle  les  cœurs,  sans  les  abattre;  les  rangs,  sans  les 
confondre;  les  honneurs,  sans  les  détruire;  le  maintien,  sans 
l'avilir;  le  pouvoir,  sans  y  déroger;  vertu  de  laquelle  naissent  les 
autres,  la  docilité  à  la  parole  de  Dieu,  la  fidélité  à  ses  lois,  la  ré- 
signation à  sa  volonté;  la  douceur  qui  prévient  vos  frères,  la  cha- 
rité qui  les  secourt;  la  patience  qui  les  supporte;  et,  par  rapport 
à  vous,  la  paix  qui  tranquillise,  la  modération  qui  se  contente  de 
peu ,  la  confiance  qui  met  en  Dieu  sa  force  et  son  espoir.  Il  ne 
trompera  pas  votre  attente  ,  âmes  humbles  ;  vous  soutiendra 
dans  ce  monde  par  sa  grâce;  il  vous  couronnera  dans  l'autre  de 
son  éternelle  gloire  que  je  vous  souhaite.  (Le  P.  Lenfant.) 

1  Is.,  lxvi,  2.  —  2  Ps.  xxiv,  18. 


DES    PRÉDICATEURS.  43  % 


PLAIV  ET  OBJET  DU  SECOND  DISCOURS 
SUR  L'HUMILITÉ. 

EXORDE. 

■ 

Discite  a  me  quia  mitis  sum  et  humilis  corde. 
Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  el  humble  de  cœur.  (Mallh.,  xi,  29.) 

Tous  les  trésors  de  science  et  de  sagesse  qui  sont  en  Jésus- 
Christ,  dit  saint  Augustin,  se  réduisent-ils  donc  à  nous  apprendre 
qu'il  est  doux  et  humble  de  cœur?  l'humilité  est-elle  une  vertu  si 
rare  et  si  difficile,  qu'il  ait  fallu  que  le  Fils  de  Dieu  vînt  nous  l'en- 
seigner et  la  persuader  par  ses  leçons  et  son  exemple?  Oui,  mes 
frères,  tant  le  vice  qui  lui  est  contraire  est  enraciné  dans  le  cœur 
de  l'homme!  Les  anciens  philosophes  avaient  fait  des  éloges  pom- 
peux de  plusieurs  vertus  qui  brillèrent  au  milieu  des  ténèbres  du 
paganisme;  jamais  ils  ne  parlèrent  de  l'humilité  :  ils  n'en  connais- 
saient pas  même  le  nom.  Telle  est,  dit  encore  saint  Augustin,  la 
supériorité  de  cette  vertu  sur  toutes  les  autres  qu'elle  resta  par  sa 
trop  grande  élévation  cachée  aux  yeux  de  ces  faux  sages,  qui  n'é- 
taient, selon  l'expression  de  saint  Jérôme,  que  des  animaux  d'or- 
gueil, enflés  de  leur  prétendu  mérite,  cachant  sous  le  fastueux 
appareil  de  leurs  discours  un  désir  extrême  de  se  faire  admirer, 
ne  cherchant  qu'à  satisfaire  leur  vanité  en  cette  vie,  et  qu'à  éter- 
niser leur  gloire  après  leur  mort. 

L'orgueil  est  la  plus  dangereuse  maladie  de  l'homme  :  passion 
fatale,  source  de  tous  nos  égaremens  et  de  tous  nos  malheurs,  nous 
devons  nous  efforcer  de  la  détruire  au  dedans  de  nous-mêmes, 
pour  élever  sur  ses  ruines  la  sainte  vertu  de  l'humilité,  vertu  toute 
céleste,  que  la  religion  seule  nous  a  fait  connaître.  Il  faut  qu'elle 
soit  bien  agréable  à  Dieu,  et  bien  essentielle  dans  l'ordre  du  salut, 
puisque  Jésus-Christ,  qui  est  la  sagesse  et  la  sainteté  infinie,  l'a 
choisie  parmi  toutes  les  vertus  pour  en  être  spécialement  le  maître 
et  le  modèle  :  Disette  a  me  quia  mitis  sum  et  humilis  corde% 


432  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Cependant,  mes  frères,  l'esprit  des  ténèbres,  qui  est  le  chef  et 
le  roi  des  superbes,  a  introduit  et  accrédité  dans  le  inonde  une 
double  erreur,  par  rapport  à  l'humilité,  pour  nous  détourner  d'une 
vertu  qu'il  nous  importe  si  fort  d'acquérir.  Les  uns  croient  qu'elle 
n'est  pas  d'une  obligation  rigoureuse ,  et  la  regardent  comme 
une  vertu  de  simple  conseil  ;  les  autres  l'accusent  de  rétrécir  les 
esprits  et  les  cœurs ,  et  la  renvoient  aux  âmes  basses  et  rampantes. 

Détruisons  ces  deux  erreurs  :  montrons  l'humilité  sous  son 
véritable  aspect,  qui  me  paraît  bien  propre  à  vous  la  faire  aimer 
et  pratiquer.  C'est  une  vertu  indispensable,  c'est  une  vertu  hono- 
rable. Nécessité  de  l'humilité  chrétienne;  grandeur  de  l'humilité 
chrétienne;  tel  est  le  fond  et  le  partage  de  ce  discours.  Implorons 
les  lumières  de  l'Esprit-Saint  par  l'intercession  de  cette  auguste 
Vierge,  qui  fut  dans  la  plus  haute  élévation  la  plus  humble  de 
toutes  les  créatures.  Ave,  Maria.  (L'abbé  Richard,  Sur  l humilité.) 

Nécessité  de  l'humilité  chrétienne. 

Quoi  de  plus  nécessaire  au  salut  qu'une  vertu  sans  laquelle  on 
ne  saurait  plaire  à  Dieu,  sans  laquelle  on  n'aura  point  les  autres 
vertus  qui  conduisent  à  Dieu  ?  Or,  telle  est  l'humilité  ;  elle  est  donc 
pour  tout  Chrétien  d'une  nécessité  indispensable  :  et  c'est  le  sen- 
timent de  saint  Augustin ,  qui  n'a  pas  craint  de  dire  que  toute  la 
religion  du  Chrétien  est  dans  l'humilité  :  Tota  Christiani  religio 
humilitas  est. 

On  ne  saurait  plaire  à  Dieu  sans  l'humilité ,  puisque  Dieu  dé- 
teste les  superbes  :  combien  de  fois  il  nous  le  déclare  dans  les  livres 
saints  !  L'orgueil  est,  de  tous  les  vices,  le  plus  abominable  à  ses 
yeux.  11  n'a  pu  le  souffrir  dans  ses  anges;  comment  le  supporte- 
rait-il dans  l'homme?  Il  exige  que  nous  soyons  humbles,  et  il  ne 
pouvait  pas  ne  pas  l'exiger  :  car  il  est  le  Dieu  de  vérité,  et  l'or- 
gueil n'est  que  fausseté  et  mensonge;  il  est  jaloux  de  sa  gloire,  et 
l'orgueil  veut  la  lui  ravir  :  deux  caractères  de  ce  vice  qui  le  lui 
rendent  infiniment  odieux.  Il  faut  que  l'humilité  attaque  cet  ad- 
versaire du  Très-Haut,  et  l'empêche  d'établir  son  empire  dans  nos 
cœurs  :  s'il  y  règne,  c'en  est  assez  pour  que  Dieu  nous  efface  du 
livre  de  ses  élus. 

Non,  l'humilité  n'est  pas  une  pieuse  imposture,  qui  cache  à 
l'homme  des  imperfections  qu'il  a,  et  lui  montre  des  défauts  qu'il 
n'a  pas.  Elle  n'est  fondée  que  sur  la  vérité  :  car  qu'est-ce  que 
l'homme,  que  vanité  et  misère  universelle?   dit  l'Esprit -Saint, 


DES    PRÉDICATEURS.  4^3 

vit    peu,  n'y    ayant,    pour  ainsi   dire,  qu'un   pas   de   sa  nais- 
sance à  sa  mort  ;  et  il  ne  trouve  au  fond  de  son  être  qu'igno- 
rance, faiblesse,  corruption  :  triste  héritage  qu'il  a  reçu  d'un  père 
coupable,  et  frappé,  avec  toute  sa  postérité,  des  malédictions  du 
ciel  ;  un  corps  assujéti  à  mille  besoins,  assailli  de  mille  infirmités, 
en  proie  à  mille  douleurs,  jusqu'à  ce  qu'il  rentre  dans  le  sein  de  la 
terre  d'où  il  est  sorti ,  pour  y  être  la  pâture  des  vers  ;  un  esprit 
environné  d'épaisses  ténèbres,  rayon  presque  éteint,  reste  pitoyable 
de  celui  que  le  Créateur  avait  mis  dans  le  premier  homme  ;  si 
incertain   et  si  borné  dans  ses   connaissances ,  dépendant  de  la 
matière  à  laquelle  il  est  uni,  s'affaiblissant  avec  ses  organes,  dupe 
de  ses  préjugés,  et  le  jouet  des  plus  grossières  erreurs  ;  un  cœur 
tyrannisé  par  les  passions  qui  lui  font  une  guerre  continuelle,  et 
l'empêchent  de  goûter  un  moment  de  repos  ;  si  déréglé,  si  dépravé, 
qu'il  faut  presque  en  désavouer  tous  les  sentimens ,  en  réprimer 
tous  les  désirs,  en  mortifier  tous  les  goûts  :  voilà  l'homme  dans 
l'état  de  dégradation  où  sa  nature  est  tombée,  en  punition  de  la 
désobéissance  de  son  chef;  et  telle  est  sa  dépendance  de  la  main 
invisible  qui  l'a  créé  et  qui  le  conserve,  que,  si  elle  venait  à  lui 
manquer,  il  cesserait  d'agir  et  de  vivre.  De  lui-même  il  ne  peut 
rien,  il  n'est  rien  :  il  s'imagine  être  quelque  chose,  dit  l'Apôtre, 
il  se  trompe  ;  il  doit  dire  avec  le  Prophète  :  Tout  ce  que  je  suis,  o 
mon  Dieu  î  est  comme  un  néant  devant  vous  :  Substantia  mea  tan- 
quam  nihilum  ante  te.  Eh!  si  toutes  les  nations  sont  devant  Dieu 
comme  si  elles  n'étaient  pas,  qu'est-ce  donc  à  ses  yeux  qu'un  faible 
mortel,  relégué  pour  un  instant  dans  un  coin  de  la  terre,  et  qui, 
l'instant  d'après,  s'évanouit  comme  une  ombre?  (Le  même.) 

L'homme  n'a  rien  en  lui  qui  le  porte  à  s'élever. 

Mais  tout  est-il  méprisable  dans  l'homme  ?  n'a-t-il  pas  de  bon- 
nes qualités  qui  balancent  les  mauvaises,  qui  les  font  disparaître 
en  les  couvrant  de  leur  éclat?  ne  possède-t-il  pas  des  avantages 
réels  qui  doiventlui  inspirer  une  noble  fierté  et  une  secrète  com- 
plaisance en  lui  même  ?  non,  Chrétiens.  Parlez-vous  de  ces  avan- 
tages extérieurs  qui  sont  l'effet  du  hasard  ,  quelquefois  l'ouvrage 
de  l'intrigue,  ou  le  fruit  de  l'injustice,  naissance,  dignités,  riches- 
ses? Ces  dons  de  la  fortune  ne  fournissent  à  l'homme  aucun  sujet 
de  s'élever  au  dessus  de  ses  semblables.  C'est  une  bien  sotte  vanité 
de  mesurer  ce  que  l'on  est  et  ce  que  l'on  vaut  par  des  choses  qui 
ne  sont  pas  nous,  puisqu'elles  sont  hors  de  nous,  ou  qui  ne  nous 
t.  m.  28 


^34  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

rendent  ni  plus  grands   ni  meilleurs,  qui  peuvent  même  s'allier 
avec  les  défauts  les  plus  gro&siers  et  les  plus  révoltans. 

Parlez-vous  d'avantages  intérieurs  qui  sont  dans  l'homme,  es- 
prit,  talens, vertus  PMais  qui  est-ce  qui  ne  se  fait  pas  illusion  là- 
dessus?  Qui  est-ce  qui  ne  se  flatte  pas  dans  le  jugement  qu'il  porte 
de  lui-même?  Notre  amour-propre  nous  séduit,  nous  trompe  en 
nous  traçant  un  portrait  brillant  de 'notre  mérite:  l'illusion  s'ac- 
croît et  se  fortifie  par  des  louanges  peu  sincères ,  par  de  fausses  dé- 
monstrations d'estime  ,  sorte  de  monnaie  qui  a  cours  dans  le  mon- 
de, et  dontles  hommes  sont  convenus  de  se  payer  réciproquement, 
pour  mettre  du  moins  les  apparences  à  la  place  de  la  réalité.  Mais 
je  veux  que  vous  ayez  tout  le  mérite  et  toutes  les  perfections  que 
vous  vous  flattez  d'avoir:  fussiez-vous  le  mortel  le  plus  accompli, 
le  plus  magnifiquement  pourvu  des  dons  de  la  nature  et  de  la  grâ- 
ce, vous  n'en  seriez  pas  moins  obligé  d'être  humble.  La  vérité  vous 
dirait  par  la  bouche  du  grand  Apôtre:  Qu'avez-vous  que  vous 
n'ayez  reçu?  et,  si  vous  l'avez  reçu,  pourquoi  vous  en  glorifier, 
comme  si  vous  le  teniez  de  vous-même?  De  vous-même,  vous 
n'êtes  que  néant  et  péché  :  toutes  les  faveurs  que  Dieu  peut,  répan- 
dre sur  vous  ne  changeraient  pas  le  fond  de  votre  être.  Un  vase 
d'argile,  fût-il  rempli  de'  pierres  pre'cieuses,  en  serait-il  moins  fait 
de  terreet  de  boue?  Un  hommequi  ne  vit  que  d'aumônes  peut-il  se 
regarder  riche  de  son  fonds?  Celui  qui  n'est  que  dépositaire  d'un 
bien  a-t-illieu  de  s'applaudir  de  son  opulence? Soyez  donc  humble 
au  milieu  des  avantages  dont  vous  jouissez:  ils  ne  viennent  pas  de 
vous,  d'autres  en  possèdent  autant  et  plus  que  vous.  Comparez- vous 
à  ceux  que  le  ciel  a  plus  favorisés  que  vous  de  ses  dons ,  à  ces  illus- 
tres personnages  qui  furent  l'ornement  de  leur  siècle;  que  vous 
vous  trouverez  petit  devant  eux!  que  votre  partage  vous  paraîtra 
faible  et  borné  ,  plus  propre  à  vous  inspirer  des  sentimens  d'hu- 
milité par  ce  qui  lui  manque  que  d'orgueil  par  ce  qu'il  vous  of- 
fre! De  quelque  côté  que  vous  jetiez  les  yeux,  vous  ne  découvrirez 
que  des  sujets  d'humiliation,  et  dans  ce  que  vous  êtes,  et  dans 
ce  que  vous  n'êtes  pas.  (Le  Même.) 

L'homme  n'a  rien  de  son  propre  fonds. 

Pensez  donc  que  vous  n'avez  rien  en  propre ,  rien  de  votre  pro- 
pre fonds.  Vous  êtes  un  homme  à  talens,  on  vante  votre  éloquen- 
ce :  dites-vous  à  vous-même  que  vous  n'avez  rien  de  plus  que  les 


DES    FilÉDlClTEURS.  /j35 

autres;  dites-vous  que  plus  vous  avez  reçu,  plus  vous  devez  être 
humble  et  modeste ,  en  raison  de  ce  que  Dieu  vous  aurait  accordé 
déplus  qu'aux  autres;  car  il  vous  sera  demandé  un  compte  plus  ri- 
goureux. Vos  talens  mêmes,  sans  l'humilité,  n'en  deviennent  que 
plus  funestes  à  vous  et  aux  autres.  Vous  en  tirez  vanité  ?  Est-ce,  dites- 
vous,  quelque  chose  de  si  difficile  d'instruire  par  des  paroles  ?  ii 
l'est  beaucoup  d'instruire  par  sa  vie;  c'est  là  lavéritable  éloquence. 
Vous  prêchez  doctement  qu'il  faut  être  humble;  les  paroles  ne 
s'impriment  pas  dans  les  aines  comme  les  œuvres.  Si  votre  vie 
n'est  pas  bonne,  bien  loin  de  profitera  ceux  qui  vous  écoutent 
vous  leur  nuirez  davantage,  parce  que  je  suis  en  droit  de  vous  ré- 
pondre qu'apparemment  ce  que  vous  me  proposez  est  inexécuta- 
ble. Je  me  dis  :  Si  cet  homme  qui  parle  si  bien  ne  fait  pas  ce  qu'il 
dit,  je  suis  bien  plus  pardonnable  de  n'en  rien  faire,  moi  qui  ne 
parle  pas.  De  quel  droit  publies-tu  mes  sévères  ordonnances  ?  vous 
dira  le  Seigneur:  ce  que  tu  prêches  en  paroles,  tu  le  combats  par 
tes  œuvres!  (Saint  Chrysostôme,  Homélie  XXX,  in  acta.) 

Alliance  de  l'humilité  avec  les  autres  vertus. 

Que  dirai-je  de  l'alliance  étroite  et  indissoluble  de  l'humilité  avec 
les  autres  vertus  chrétiennes?  Nommez-en  une  à  laquelle  l'humi- 
lité soit  étrangère,  et  qui  puisse  subsister  sans  elle;  la  foi,  qui 
captive  notre  entendement  sous  le  joug  des  mystères  incompré- 
hensibles de  la  religion  ;  la  piété,  qui  nous  approche  de  Dieu  et 
nous  anéantit  en  sa  présence;  la  pénitence,  qui  renferme  l'aveu 
de  nos  fautes,  si  pénible  à  la  vanité  et  à  l'amour-propre;  la  pa- 
tience, qui  souffre  ses  maux  sans  se  plaindre;  la  charité,  qui  nous 
rend  sensibles  à  ceux  de  nos  frères,  nous  fait  pardonner  une  in- 
jure et  embrasser  un  ennemi.  Parcourez  tous  les  devoirs  de 
l'homme  envers  Dieu  et  envers  ses  semblables  ;  vous  verrez  que 
l'humilité  en  est  l'ame  et  le  soutien ,  qu'elle  entre  dans  toutes  les 
vertus ,  qu'elle  y  trouve  toujours  sa  place  et  demande  souvent  la 
première. 

L'orgueil,  au  contraire,  ou  les  empêche  de  naître,  ou  leur 
donne  la  mort.  C'est  l'orgueil  qui  fait  la  plupart  des  incrédules  et 
des  impies.  Ces  beaux  esprits  si  vantés  ne  veulent  pas  s'abaisser 
au  niveau  de  la  multitude ,  se  confondre  avec  elle  par  leur  croyance 
et  leur  conduite  :  ils  prétendent  s'élever  plus  haut,  ils  courent 
après  la  gloire  humaine ,  et  Dieu  les  frappe  d'aveuglement ,  parce 

28. 


^36  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

qu'il  ne  se  découvre  qu'aux  humbles.  Comment  pouvez-vous  croire, 
disait  Jésus-Christ  aux  Pharisiens,  vous  qui  aimez  à  recevoir  de  la 
gloire  les  uns  des  autres?  Quomodo  potestis  credere,  qui  gloriam 
ab  iiwicem  quœritis?  C'est  l'orgueil  encore  plus  que  l'intérêt  qui 
divise  les  hommes,  qui  enfante  les  jalousies,  les  haines,  les  que- 
relles, les  vengeances.  Il  n'y  a,  dit  le  Sage,  que  des  démêlés  et 
des  dissensions  parmi  les  orgueilleux;  ils  ne  cherchent  qu'à  se  sup- 
planter ,  qu'à  se  déchirer  et  se  détruire. 

L'humilité  est  encore  la  sauve-garde  des  autres  vertus  et,  pour 
ainsi  dire,  le  sel  qui  les  conserve.  Sans  elle,  elles  se  gâtent,  elles 
se  corrompent  et  deviennent  la  proie  de  l'orgueil.  Il  ne  faut  qu'un 
sentiment  de  vanité  pour  enlever  au  juste,  parvenu  au  comble 
de  la  perfection ,  le  fruit  de  ses  travaux  et  de  ses  combats.  A-t-il 
jeté  sur  eux  et  sur  lui-même  un  œil  de  complaisance:  à  l'instant 
dépouillé  de  tous  ses  mérites,  il  devient  pauvre  et  misérable  aux 
yeux  de  Dieu  :  tout  le  souffle  empoisonné  de  l'orgueil  est  funeste 
à  tout  ce  qui  en  ressent  les  atteintes!  Sa  malignité  va  plus  loin  :  il 
change  le  bien  en  mal  et  toutes  les  vertus  en  vices.  Dès  qu'il  est  le 
principe  secret  de  nos  actions  les  plus  louables,  les  plus  saintes, 
et  qu'elles  ont  pour  but,  non  d'obéir  et  de  plaire  à  Dieu,  mais  de 
nous  attirer  l'estime  et  les  louanges  des  hommes,  ce  sont  autant 
de  péchés;  et,  au  lieu  de  récompenses  qui  semblaient  nous  être 
dues,  nous  ne  méritons  que  des  châtimens.  Ainsi  donc  point  de 
vertus  sans  l'humilité;  sans  elle,  ou  elles  sont  des  crimes,  comme 
la  plupart  des  vertus  païennes  ,  ou  elles  perdent  tout  leur  prix,  et 
ne  sont  plus  dignes  des  regards  du  Très-Haut.  La  pureté  même  de 
Marie  n'aurait  pu  lui  être  agréable,  dit  saint  Bernard,  si  l'humilité 
n'en  avait  soutenu  et  relevé  l'éclat  à  ses  yeux.  (L'abbé  Richard.) 

Grandeur  de  l'humilité  chrétienne. 

Pour  dissiper  tous  les  préjugés  de  l'orgueil  mondain  sur  la  bas- 
sesse prétendue  de  l'humilité  chrétienne,  et  pour  vous  découvrir 
la  noblesse,  la  dignité,  la  grandeur  de  cette  vertu,  je  vous  mon- 
trerai l'élévation  de  ses  idées  et  de  ses  sentimens,  la  fermeté  et 
l'intrépidité  de  sa  conduite.  De  là  nous  conclurons  qu'elle  est  une 
vertu  aussi  honorable  qu'indispensable,  et  que  c'est  sur  l'orgueil 
lui-même  que  retombe  l'injuste  reproche  de  bassesse  qu'il  fait  à 
l'humilité.  L'humilité  est  une  vertu  très  éclairée,  et  qui  règle  ses 
sentimens  et  ses  affections  sur  ses  lumières.  Elle  ne  prend  point 
l'apparence  pour  la  réalité,  le  faux  pour  le  vrai;  elle  juge  saine- 


DES    PRÉDICATEURS,  4^7 

ment  des  choses  ;  elle  n'estime  que  ce  qui  mérite  d'être  estimé ,  et 
n'aime  que  ce  qu'elle  estime.  Elle  méprise  la  gloire  du  monde  et 
l'opinion  des  hommes  ,  parce  que  l'une  et  l'autre  est  méprisable  : 
celle-là,  puisqu'elle  est  vaine,  frivole,  fausse  et  renfermée  dans 
les  bornes  du  temps;  celle-ci,  puisque,  bonne  ou  mauvaise,  elle 
ne  nous  rend  ni  meilleurs  ni  pires,  elle  nous  laisse  tels  que  nous 
sommes.  Elle  dit,  avec  le  grand  Apôtre  :  Peu  m'importe  que  les 
hommes  me  jugent  ;  il  est  un  Juge  souverain  de  tous  les  hommes, 
à  qui  seul  je  désire  de  plaire,  le  seul  que  je  cherche  à  me  rendre 
favorable.  Elle  sait  aussi  bien  que  l'orgueil ,  qu'il  y  a  ici-bas  des 
dignités,  des  honneurs,  des  applaudissemens,  des  renommées: 
mais  elle  regarde  d'un  œil  d'indifférence  et  de  mépris  tout  ce  vain 
amas  d'illusions ,  et  le  foule  aux  pieds  pour  prendre  son  essor  et 
s'élever  jusqu'au  Créateur.  Rien  n'est  si  grand,  si  saintement  fier 
et  ambitieux  que  l'humilité.  Elle  dédaigne  tout  ce  qui  n'est  pas 
Dieu  ou  ne  conduit  pas  à  Dieu  :  hors  de  Dieu ,  tout  est  trop  petit 
pour  elle,  indigne  d'elle.  Elle  a  un  sentiment  profond  de  la  gran- 
deur suprême,  qui  la  dégoûte  de  toute  grandeur  subalterne  et  pé- 
rissable. Elle  est  éclairée  d'un  rayon  céleste  qui  éclipse,  efface 
tout  à  ses  yeux;  qui  ne  lui  laisse  apercevoir  que  Dieu,  devant 
lequel  toutes  les  créatures  ne  lui  paraissent  plus  que  des  atomes. 

Est-ce  là,  mes  frères,  une  vertu  basse  et  ignoble?  Quelle  vertu, 
au  contraire,  plus  digne  de  l'homme  raisonnable  et  chrétien  ?  Rien 
de  plus  sublime  et  en  même  temps  de  plus  aimable  que  l'humilité. 
Astre  nouveau  ,  qui  n'a  paru  dans  le  monde  qu'avec  l'Evangile,  sa 
douce  lumière  attire  également  les  esprits  et  les  cœurs.  Tout  ce 
qui  est  beau  s'embellit  encore  par  les  charmes  de  cette  vertu  :  elle 
donne  un  nouveau  lustre  au  mérite  que  l'on  a  ;  elle  supplée,  même 
devant  les  hommes,  au  mérite  que  l'on  n'a  pas  :  elle  a,  dit  saint 
Chrysostôme,  je  ne  sais  quoi  qui  plaît,  qu'on  admire  et  qu'on 
aime. 

En  effet,  ne  point  se  glorifier  des  avantages  de  la  naissance,  du 
rang  et  de  la  fortune,  se  montrer  d'autant  plus  affable  qu'on  est 
plus  élevé,  être  indifférent  aux  éloges  et  aux  censures  du  monde, 
joindre  au  mérite  supérieur  une  modestie  sincère  qui,  ou  l'ignore, 
ou  s'efforce  de  le  cacher;  au  faîte  des  honneurs  ne  point  perdre 
de  vue  sa  misère  et  son  néant  ;  au  sein  de  l'obscurité  mettre  toute 
son  ambition  et  son  bonheur  à  n'être  connu  que  de  Dieu  ;  voir  les 
succès  des  autres  sans  envie  et  ses  propres  disgrâces  sans  chagrin  ; 
ne  répondre  aux  injures  que  par  un  silence  modeste  ou  des  pa- 
roles douces  ;  fermer  les  yeux  sur  ses  bonnes  qualités,  et  les  tenir 


438  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

ouverts  sur  ses  défauts,  n'imputant  ceux-ci  qu'à  soi-même  et  rap- 
portant les  autres  à  Dieu,  dont  on  les  tient  ;  il  y  a  là,  mes  frères, 
une  droiture  d'esprit,  une  solidité  de  raison,  une  élévation  et  une 
pureté  de  vues,  un  amour  de  la  vérité  et  de  la  justice,  une  généro- 
sité, un-Jiéroïsme  de  désintéressement,  en  un  mot  une  réunion  de 
traits  admirables  qui  forment  un  grand  caractère,  et  c'est  le  ca- 
ractère de  l'humilité  chrétienne. 

Oseriez-vous, mondains ,  lui  opposer  celui  de  l'orgueil?  Quel 
contraste  et  quel  nouvel  éclat  en  rejailliraient  sur  lhumilité  ?  car, 
autant  l'humilité  est  élevée  par  ses  idées  et  ses  sentimens  ,  au- 
tant l'orgueil  est-il  bas  et  rampant  dans  les  siens.  Aveuglement, 
faiblesse,  folie,  voilà  les  traits  qui  le  caractérisent  et  le  rendent 
souverainement  méprisable.  Aveuglement  de  l'orgueilleux  qui  ne 
voit  pas  les  sujets  d'humiliation  qu'il  porte  au  dedans  de  lui-même  : 
ïlumiliatio  tua  in  medio  tuï.  La  vanilé  est  fille  de  l'ignorance  et  la 
compagne  ordinaire  delà  médiocrité.  Plus  on  a  d'esprit  et  de  lu- 
mières, plus  on  doit  découvrir  en  soi  d'imperfections  et  de  défauts 
qui  échappent  à  une  vue  courte.  Ainsi,  les  rayons  du  soleil  en- 
trant dans  un  lieu  obscur  y  font  apercevoir  mille  atomes  aupara- 
vant imperceptibles  à  l'œil.  Faiblesse  de  l'orgueilleux  qui  s'enfle  du 
plus  léger  avantage,  qui  se  nourrit  de  fumée  et  goûte  avec  délices 
un  fade  encens;  qui  poursuit  une  lueur  fugitive,  qui  se  passionne 
pour  une  chimère,  et  ne  peut  résister  au  penchant  qui  l'entraîne 
vers  elle,  je  veux  dire  vers  un  bien  aussi  trompeur ,  aussi  fragile 
que  les  applaudissemens  et  les  louanges  du  monde  :  folie  de  l'or- 
gueilleux, pour  qui  le  Dieu  de  majesté  et  toute  la  cour  céleste 
sont  des  spectateurs  moins  dignes  de  son  attention  que  les  faibles 
mortels,  cendre  et  poussière  comme  lui  dont  il  brigue  les  suf- 
frages, et  qui  aime  mieux  plaire  à  des  créatures  qui  disparaissent 
comme  des  ombres,  et  dont  il  n'a  rien  à  craindre  ni  à  espérer, 
qu'à  l'Etre  souverain  qui  demeure  toujours  et  qui  tient  entre  ses 
mains  son  sort  éternel. 

Concevez-vous,  Chrétiens,  rien  de  plus  insensé,  et,  soit  du  côté 
de  l'esprit,  soit  du  côté  du  cœur,  rien  de  plus  petit  et  de  plus  vil 
qu'un  esclave  de  l'orgueil  P  Qu'on  nous  dise  encore  que  l'orgueil 
est  la  passion  des  grandes  âmes  !  Eh  !  pourquoi  donc  n'ose-t-ii  se 
montrer?  d'où  vient  qu'il  se  cache  et  n'agit  que  sous  mille  dégui- 
semens  ?  d'où  vient  qu'on  avoue  sans  peine  ses  autres  faibles  et 
qu'on  ne  veut  pas  convenir  de  celui-ci?  On  en  rougit  dès  qu'on  l'a 
laissé  entrevoir,  on  le  déteste  dans  ceux  en  qui  on  l'aperçoit  : 
sentiment  gravé  dans  tous  les  cœurs  qui  nous  fait  connaître  que 


DES    PRÉDICATEURS.  43,0, 

rien  n'est  plus  honteux  ni  plus  haïssable  que  ce  -vice.  Que  fait  l'or- 
gueil pour  se  soustraire  au  mépris  et  à  la  haine  qu'il  inspire?  Il 
se  couvre  de  l'apparence  de  l'humilité;  il  s'étudie  à  en  prendre 
l'air,  le  langage,  les  manières;  il  aime  à  paraître  sous  la  forme  et 
les  traits  de  cette  vertu.  O  sainte  humilité,  vos  droits  sont  vengés, 
votre  triomphe  est  complet,  l'orgueil  lui-même  vous  rend  hom- 
mage en  se  montrant  à  nos  yeux  couvert  de  votre  voile  sacré,  et 
paré  des  beautés  qu'il  emprunte  de  vous. 

Mais  allons  plus  loin  :  voyons  comment  à  la  noblesse  et  à  l'élé- 
vation des  sentimens  l'humilité  sait  joindre  la  fermeté  et  l'intrépi- 
dité de  la  conduite,  de  sorte  que,  bien  loin  d'être  contraire  à  la 
grandeur  d'aine,  elle  en  est  le  fondement  et  la  source. 

Représentez-vous  un  homme  véritablement  humble,  libre,  in- 
dépendant de  tout  respect  humain,  exempt  des  retours  intéressés 
de  l'amour-propre,  des  inquiétudes  secrètes  de  la  vanité,  plein 
d'un  généreux  mépris  pour  les  éloges  et  les  censures  du  monde , 
n'écoutant  que  son  devoir  et  n'envisageant  que  Dieu  ;  rien  ne  l'é- 
tonne,  rien  ne  l'intimide,  rien  ne  gêne  l'usage  de  ses  forces  natu- 
relles, il  les  déploie  tout  entières,  et  Dieu,  qui  protège  les  hum- 
bles, bénit  et  seconde  ses  efforts.  Qu'est-ce  qui  pourrait  l'arrêter  ou 
l'affaiblir?  Les  difficultés? il  n'en  est  point  pour  les  humbles,  dit 
saint  Léon  :  Nihil  arduum  est  humilibus.  Plus  il  se  défie  de  lui- 
même,  plus  il  se  confie  en  Dieu,  pour  lequel  il  travaille  et  il  combat. 
Il  peut  tout,  comme  saint  Paul,  en  celui  qui  le  fortifie.  La  gloire, 
qu'il  lui  est  ordonné  de  fuir,  il  ne  la  cherche  pas  :  si  elle  se  pré- 
sente à  lui  dans  la  route  où  il  marche ,  comme  il  n'y  est  pas  entré 
pour  elle,  il  n'en  sortira  pas  à  cause  d'elle;  il  la  renvoie  au  sou- 
verain Maître  dont  il  se  regarde  comme  le  serviteur  inutile ,  et  à 
qui  seule  elle  appartient.  L'humiliation  ,  si  ses  espérances  sont 
trompées,  il  ne  la  craint  pas;  il  irait  au  devant  d'elle  si  la  prudence 
lui  permettait  de  suivre  le  mouvement  de  son  cœur;  il  se  plairait 
dans  ses  abaissemens,  à  l'exemple  du  grand  Apôtre,  parce  qu'il  y 
acquerrait  plus  de  ressemblance  avec  Jésus-Christ,  et  un  titre  de 
plus  aux  récompenses  du  ciel. 

Ne  voyez-vous  pas,  Chrétiens,  qu'avec  de  telles  dispositions  on 
est  capable  de  tout  oser,  de  tout  exécuter?  Aussi  saint  Augustin 
n'a  pas  craint  de  dire  que  toute  la  force  est  dans  l'humilité  :  Omnis 
fortitudo  in  kumilitate ,  au  lieu  que  tout  orgueil  est  faible,  ajoute 
ce  saint  docteur:  Fragilis  est  omnis  superbia.  Oui,  l'orgueil  est  une 
passion  lâche  et  pusillanime,  que  l'idée  d'un  mépris,  d'une  raille- 
rie, d'un  affront,  épouvante,  empêche  d'entreprendre  des  choses 


44o  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

dont  l'issue  paraît  douteuse,  ou  qui,  si  on  les  entreprend,  les  fait 
échouer,  soit  par  sa  nature,  qui  est  d'affaiblir  le  courage  et  d'ôter 
la  confiance  nécessaire  au  succès,  soit  par  une  punition  de  Dieu, 
qui  se  plaît  à  humilier  les  superbes.  L'humilité  nous  délivre  de 
toutes  les  petitesses,  de  toutes  les  craintes  de  la  vanité  et  de  l'a- 
mour-propre,  et  par  là  nous  dispose  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  grand 
et  de  sublime,  parce  que  le  Seigneur  est  alors  avec  nous. 

(  L'abbé  Richard.  ) 

C'est  par  l'humilité  que  nous  arriverons  à  la  gloire. 

Ecoutez  Jésus-Christ  :  Le  Fils  de  V homme  n'est  pas  venu  sur  la 
terre  pour  se  faire  servir,  mais  pour  servir  les  autres,  et  donner  son 
ame  pour  le  salut  de  plusieurs.  Et  quelle  a  été  la  récompense  de 
son  humilité?  Quelle  gloire  pour  lui  et  pour  nous,  bien  qu'il  n'eût 
besoin  de  gloire  ni  d'honneur!  C'est  son  anéantissement  même 
qui  a  été  le  principe  de  notre  élévation.  En  s'humiliant  il  a  dompté 
la  mort,  écrasé  le  serpent  ennemi,  détruit  l'empire  du  péché;  il 
nous  a  rouvert  les  portes  du  royaume  céleste,  il  s'est  élevé  dans  le 
Ciel  à  la  droite  de  Dieu  son  père  pour  y  être  notre  prédécesseur; 
il  a  répandu  la  piété  sur  la  terre;  il  y  a  dissipé  Terreur ,  ramené  la 
vérité,  et  nous  a  comblés  de  biens.  Toutes  les  langues  humaines 
s'uniraient,  qu'elles  ne  pourraient  exprimer  les  bienfaits  de  sa  di- 
vine incarnation.  Avant  les  humiliations  de  son  humanité,  il  n'é- 
tait connu  que  des  Anges.  Ce  sont  ses  abaissemens  qui  nous  l'ont 
manifesté;  son  humilité  n'a  fait  que  rehausser  l'éclat  de  sa  gloire. 
(  Saint  Chrysostôme,  Homélie  sur  les  enfans  de  Zèbêdêe.  ) 

Il  ne  faut  pas  craindre  de  s'avilir  en  s'humiliant. 

Ne  craignez  pas  de  vous  avilir  en  vous  humiliant.  Pouvez-vous 
jamais  être  autant  humilié  que  l'a  été  Jésus-Christ?  Et  l'excès  même 
de  ses  humiliations,  en  opérant  le  salut  des  hommes,  l'a  élevé  au 
comble  de  la  gloire.  Pas  d'autre  porte  que  l'humilité  pour  entrer 
dans  le  ciel.  En  suivre  une  autre,  c'est  se  perdre.  Après  un  tel  exem- 
ple, pouvez-vous  craindre  de  déroger  à  votre  grandeur  en  vous 
humiliant?  Au  contraire,  vous  l'élevez  encore,  vous  la  faites  élever 
davantage,  vous  vous  montrez  le  digne  aspirant  au  royaume  du 
ciel. 

Ce  n'est  pas  en  dédaignant  l'humilité  que  vous  vous  mettez  en 
paix  avec  vous-même  et  avec  le  prochain.  Qui  prétend  à  la  con- 


DES    PBÉD1CA.TBURS.  441 

sidération  et  à  la  gloire,  risque  souvent  de  la  perdre  et  de  tomber 
au  dernier  rang  dans  l'opinion  des  autres.  C'est  toujours  par  des 
moyens  contraires  en  apparence  que  nous  obtenons  ce  que  nous 
désirons.  Jésus-Christ  ne  cesse  de  nous  donner  cette  importante 
leçon  dans  son  Evangile.  Les  passions  de  l'avarice,  de  l'ambition, 
il  les  combat  de  cette  manière.  A  l'ambitieux  il  dit  :  Pourquoi  cette 
affectation  de  libéralité  en  présence  de  témoins?  Pour  acquérir  de 
la  considération  et  de  la  gloire,  prenez  un  moyen  contraire,  faites 
vos  bonnes  œuvres  en  secret,  et  vous  arriverez  à  votre  but;  à  l'a- 
vare :  Pourquoi  cette  fureur  d'accumuler,  afin  d'être  riche?  Ne 
gardez  pas  vos  richesses  dans  vos  mains ,  distribuez-les  dans  celles 
des  pauvres,  et  vous  posséderez  des  richesses  réelles,  inaliénables. 
Ainsi  à  l'orgueilleux  :  Pourquoi  cette  avidité  de  distinctions  et  de 
préséances?  afin  de  primer  sur  les  autres?  Descendez  à  la  dernière 
place,  et  l'on  vous  appellera  à  la  première.  Le  secret,  pour  être 
grand,  c'est  de  ne  point  chercher  à  le  paraître.  Vous  vous  mépre- 
nez donc  étrangement  sur  le  vrai  caractère  de  la  grandeur.  Jésus- 
Christ,  pour  anéantir  dans  ses  Apôtres  tout  sentiment  d'orgueil, 
ne  cesse  de  leur  déclarer  qu'on  acquiert  la  grandeur  qu'en  la  mé- 
prisant, qu'on  la  perd  en  la  recherchant,  par  opposition  à  la  mo- 
rale des  païens ,  à  qui  seul  il  peut  appartenir  d'avoir  l'esprit  de  do- 
mination. 

L'orgueil  n'est  que  bassesse  réelle;  la  véritable  grandeur,  c'est 
l'humilité;  les  grandeurs  du  monde  n'en  ont  que  le  nom  et  l'appa- 
rence; ceux  que  l'on  y  appelle  grands  ne  doivent  ce  titre  qu'à  la 
déférence  commandée  par  le  besoin  et  par  la  crainte.  L'humilité 
nous  fait  grands  de  cette  grandeur  intérieure  qui  tient  de  celle  de 
Dieu  même.  Les  hommes  ont  beau  nous  refuser  ce  titre,  leur 
vaine  opinion  ne  nous  l'enlève  pas;  tandis  que  ce  grand,  aux  pieds 
de  qui  tout  rampe,  n'a  qu'un  masque  de  grandeur  dont  on  n'est 
pas  dupe.  Ces  hommages  forcés  ne  durent  pas;  ceux  que  l'on  rend 
à  l'humilité  viennent  du  cœur  et  ne  changent  pas. 

Nous  en  avons  la  preuve  dans  ces  illustres  saints  qui  ont  été  d'au- 
tant plus  humbles  à  leurs  propres  yeux  qu'ils  étaient  plus  élevés 
au  dessus  des  autres.  Ni  la  mort,  ni  le  temps  n'ont  point  été  re- 
cueil de  leur  grandeur  et  de  leur  gloire. 

La  raison  toute  seule  dépose  en  faveur  de  notre  doctrine.  Cet 
homme  orgueilleux  et  vain  se  croit  plus  grand  que  tout  le  reste; 
il  regarde  tout  le  monde  comme  au  dessous  de  lui;  personne, 
selon  lui,  ne  mérite  de  marcher  son  égal.  On  a  beau  le  charger 
cl  honneurs,  on  n'en  fait  j'hais  assez  pour  ce  qu'il  vaut.  Avide 


! 


c 


44?,  NOUVELLE    BlBLiOTTlÈQUE 

de  louanges,  il  lui  en  faut  à  tout  prix,  et  pour  en  avoir  il  brigue: 
tous  les  suffrages.  Il  flatte,  il  caresse,  il  rampe  à  son  tour  auxj 
pieds  de  ceux  pour  qui  il  n'a  que  du  mépris.  Etrange  inconsé-  i 
quence!  il  veut  des  flatteurs,  et  c'est  lui  qui  prodigue  des  flatte- 
ries ;  il  faut  qu'on  l'adore,  et  il  rampe;  qu'il  domine  sur  tout  l'uni- 
vers, et  il  n'a  pour  tout  le  genre  humain  qu'un  insolent  mépris  : 
il  tremble,  cet  arrogant,  en  présence  de  tous  les  événemens  hu- 
mains, dont  il  connaît  trop  bien  l'inconséquence  et  la  fragilité. 
Celui,  au  contraire,  qui  est  humble,  n'ignore  pas  davantage  ce 
que  c'est  que  lhomrne,  un  composé  de  grandeur  et  de  bassesse; 
il  sait  donc  qu'en  se  rabaissant  dans  la  pensée  de  sa  faiblesse,  il 
ne  fait  que  se  mettre  à  la  place  où  la  nature  elle-même  l'a  mis.  Que 
si  on  lui  accorde  quelque  honneur,  la  haute  opinion  où  il  est  de 
la  dignité  de  l'homme  agrandit  à  ses  yeux  l'estime  qu'on  lui  dé- 
fère. Par  ce  juste  tempérament,  il  est  donc  toujours  conséquent  à 
lui-même,  sans  orgueil  dans  les  dignités,  sans  faiblesse  dans  les 
disgrâces,  élevé  au  dessus  des  passions  qui  agitent  l'orgueilleux, 
inaccessible  à  la  colère,  à  la  vaine  gloire,  à  la  jalousie.  De  quel 
côté  se  trouve  donc  la  véritable  grandeur?  Dégagée  de  tous  les 
liens  terrestres,  cette  ame  sublime  défie  tous  les  événemens  de  la 
vie.  Dans  son  libre  essor,  elle  se  rit  de  tous  les  pièges,  et  n'en 
craint  aucun;  Vautre,  terrestre  et  rampante,  s'offre  d'elle-même  à 
la  défaite.  La  première  maîtrise  les  passions  humaines,  et  ne  les 
connaît  que  pour  en  triompher;  l'autre  est  la  victime  de  toutes, 
elle  ne  sait  que  trembler  ou  obéir  à  leur  commandement.  Quoi 
de  plus  humilié  que  l'Ange  superbe,  que  son  orgueil  précipita  du 
ciel  dans  les  enfers  ?  quoi  de  plus  élevé  que  l'homme  quand  il 
sait  être  humble?  C'est  à  celui-là  qu'il  est  donné  de  fouler  aux 
pieds  les  serpens  et  les  scorpions.  (S.  Chrysostôme,  Homélie  LXV^ 
in  Mattlu) 

L'humilité  n'est  pas  incompatible  avec  la  magnanimité  la  plus  héroïque. 

Admirable  accord  delà  plus  modeste  des  vertus  avec  la  magna- 
nimité la  plus  héroïque!  Moïse  était  humble;  il  se  croyait  indigne 
d'être  l'ambassadeur  de  Dieu  et  le  libérateur  de  son  peuple.  Avec 
quelle  noble  hardiesse  il  se  présenta  devant  Pharaon  ,  et  le  menaça 
des  plus  terribles  châtimens ,  s'il  n'obéissait  pas  aux  ordres  du 
Seigneur  Dieu  dont  il  était  le  ministre  !  David  était  humble  :  l'hu- 
milité la  plus  profonde  respire  ,  éclate  dans  ses  divins  cantiques  : 
ne  se   rendit-il  pas  formidable  à.  tous  ses  ennemis,  et  digne  par 


DES    PRÉDICATEURS.  44$ 

ses  vertus  guerrières  et  politiques  de  l'admiration  de  tous  les 
siècles  ?  Jérémie  était  humble;  et  il  se  comparait  à  un  faible  enfant 
qui  sait  à  peine  bégayer,  et  il  fut  inébranlable  comme  une  colonne 
de  fer,  comme  un  mur  d'airain  devant  les  princes  et  les  rois  de 
Juda  :  et,  pour  venir  à  des  temps  moins  éloignés  du  nôtre,  Fran- 
çois de  Paule  était  humble,  ce  saint  patriarche  d'un  ordre  religieux, 
qui  a  pour  fondement  et  pour  devise  l'humilité.  Il  est  appelé  à  la 
cour  d'un  de  nos  rois,  si  fameux  dans  l'histoire  par  ses  taîens  et 
ses  vices  :  terrible  dans  sa  colère,  dévoré  par  la  crainte  de  la  mort, 
il  demande  du  thaumaturge  de  son  siècle  un  miracle  qui  pro- 
longe sa  vie.  Ses  prières  et  ses  promesses  sont  inutiles  :  1  humble 
ermite  ose  parler  sans  ménagement  à  ce  fier  monarque,  accou- 
tumé à  n'entendre  que  le  langage  de  l'adulation.  Il  lui  annonce  sa 
fin  prochaine;  il  lui  montre  le  tombeau  où  il  va  descendre,  et 
l'exhorte  à  fléchir  par  son  repentir  et  ses  larmes  la  justice  di- 
vine, 

Mais  quel  est  le  plus  merveilleux  de  tous  les  événemens  que  nous 
présentent  les  annales  de  l'univers;  celui  qui  trouva  le  plus  d'ob- 
stacles à  vaincre,  et  devant  lequel  disparaissent  tous  les  travaux 
et  les  succès  des  Sages,  des  politiques,  des  conquérans?  C'est  la 
soumission  de  tous  les  peuples  à  l'empire  de  Jésus-Christ;  c'est  un 
monde  idolâtre  changé  en  un  monde  chrétien.  Or,  je  vous  le  de- 
mande, sont-ce  des  hommes  humbles  ou  des  hommes  orgueilleux 
qui  en  avaient  formé  le  projet,  et  qui  l'ont  si  heureusement  accom- 
pli ?  n'est-ce  pas  l'ouvrage  des  Apôtres,  ces  zélés  prédicateurs  de 
l'humilité  dont  ils  étaient  en  même  temps  de  parfaits  modèles? 
Combien  n'ont-ils  pas  eu  d'imitateurs,  qui,  perpétuant  d'âge  en 
âge  la  doctrine  de  l'humilité,  ont  appris,  par  leur  exemple,  aux 
partisans  du  monde  que  l'on  peut  être  un  homme  humble  et  un 
grand  homme;  que  l'humilité  n'étouffe  point  les  talens,  mais 
qu'elle  les  épure  et  les  dirige  à  leur  véritable  fin  ;  qu'elle  n'est  point 
ennemie  des  actions  glorieuses  et  utiles,  qu'elle  en  éloigne  seule- 
ment les  vues  basses  qui  en  dégraderaient  la  noblesse;  que,  loin 
d'affaiblir  celte  grandeur  dame  qui  enfante  et  exécute  les  plus 
hautes  entreprises,  elle  en  est  le  ressort  le  plus  puissant,  elle 
l'enflamme  par  la  sublimité  des  motifs  qu'elle  lui  offre. 

Vous  en  serez  à  jamais  la  preuve,  ô  Vincent  de  Paule!  l'honneur 
de  la  France  qui  vous  vit  naître.  Qui  fut  plus  humble  que  vous, 
et  qui  sut  mieux  que  vous  se  rendre  utile  au  monde?  Ce  que  les 
plus  grands  monarques  n'auraient  osé  entreprendre,  vous  lavez 
exécuté,  triomphant  de  tous  les  obstacles,  créant  des  ressources 


444  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

lorsque  tout  était  désespéré,  secourant  tous  les  malheureux,  cor- 
rigeant les  abus,  retranchant  les  scandales,  formant  des  institu- 
tions, des  établissemens  qui  subsistent  encore  pour  le  bonheur 
public,  et  qui,  avec  le  tableau  de  votre  vie,  apprendront  à  nos 
derniers  neveux  que  le  plus  humble  des  hommes  fut  le  plus  grand 
bienfaiteur  de  l'humanité.  (L'abbé  Richard.) 


Nécessite  et  exemples  d'humilité. 


, 


Les  exercices  pieux  ,  la  tempérance,  l'obéissance,  l'accomplisse- 
ment le  plus  parfait  des  commandemens,  ne  sont  rien  sans  l'hu- 
milité. Si  l'on  peut  dire  que  l'orgueil  est  le  commencement  et  la 
fin  de  tous  les  maux,  on  peut  dire  aussi  que  l'humilité  est  le  com- 
mencement et  la  fin  de  tous  les  biens. 

Mais  voyez  combien  les  ruses  de  l'esprit  impur  sont  subtiles  et 
dangereuses  !  son  but  est  de  dominer  sur  tous  les  hommes.  Or, 
pour  arriver  à  ce  but,  il  sait  tendre  à  chacun  le  piège  qui  lui  offre 
le  plus  de  chances  de  succès.  Il  attaque  le  Sage  par  la  sagesse ,  le 
riche  par  les  richesses,  le  tempérant  par  la  tempérance,  l'homme 
pieux  par  sa  piété,  et  ainsi  des  autres  vertus,  dont  il  essaie  de 
nourrir  notre  orgueil  aux  dépens  de  l'humilité,  de  cette  vertu 
précieuse  que  Jésus-Christ  nous  désigne  lui-même  comme  l'éten- 
dard autour  duquel  ses  soldats  doivent  combattre,  quand  il  nous 
dit  :  «  Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  et  humble  de  cœur  *  :  » 
et  ailleurs  :  «  Quand  vous  aurez  fait  ce  qui  vous  est  commandé, 
«  dites  :  Nous  sommes  des  serviteurs  inutiles  2.  » 

Pourquoi  donc  nous  trompons-nous  ainsi  nous-mêmes?  Pour- 
quoi, si  Dieu  nous  fait  la  grâce  d'être  bien  réglés  dans  nos  mœurs, 
nous  élevons-nous  au  dessus  de  ceux  qui  ont  encore  des  faiblesses, 
quand  l'Apôtre  nous  dit  :  «  Que  celui-là  seul  est  approuvé,  que 
«  Dieu  lui-même  approuve3.  »  Pourquoi  nous  enorgueillir  de  ce 
que  nous  travaillons  davantage,  quand  nous  en  voyons  d'autres 
qui  mènent  un  genre  de  vie  contemplatif,  puisque  Marie  est 
approuvée  dans  l'Evangile  ,  pour  avoir  embrassé  le  même  parti? 
Pourquoi  concevrions-nous  ces  hautes  pensées  de  nous  -  mêmes, 
de  ce  que  nous  avons  fui  le  monde  et  que  nous  habitons  la  soli- 
tude, tandis  que,  sans  humilité,  cela  ne  nous  servira  de  rien  4? 
Ah  !  prenez  bien  garde  que  ce  genre  de  vie  plus  parfait  que  vous 
avez  choisi,  ne  devienne ,  à  cause  de  votre  orgueil,  l'occasion  de 
votre  chute. 

1  Matlh.,xi,  29.-.2Luc^xvlF>10>_3n  Cor.,x,  18.  —M  Cor.,  iv,  7. 


DES    PRÉDICATEURS.  44^ 

Vous  êtes  riche  et  juste  :je  le  veux;  mais  vous  ne  l'êtes  point 
encore  autant  qu'Abraham,  qui  cependant  disait  de  lui-même  :  Je 
ne  suis  que  cendre  et  que  poussière.  Vous  avez  en  main  l'autorité 
sur  vos  frères  :  je  le  veux.  Moïse  avait  une  autorité  bien  plus 
étendue  encore  que  la  vôtre,  et  néanmoins  l'orgueil  n'entra  jamais 
dans  son  cœur.  Vous  avez  les  agrémens  de  la  figure  et  la  force  du 
corps,  vous  avez  même  le  front  ceint  d'un  diadème  :  je  le  veux; 
mais  vous  n'êtes  peut-être  point  encore  au  niveau  de  David  ,  qui 
disait  pourtant  dans  son  humilité  :  «  Je  suis  un  ver  de  terre  et  non 
«un  homme  1.  »  Vous  avez  le  don  de  science  :  je  vous  l'accorde; 
mais  l'avez-vous  au  même  degré  que  les  trois  jeunes  Hébreux  dont 
l'un  (c'était  Danielj  disait  à  Dieu  :  «  Seigneur,  à  nous  seuls  la  con- 
«  fusion  2  ;  »  et  dont  les  deux  autres  disaient  :  «  C'est  par;  l'esprit 
«  d'humilité  que  nous  recevrons  votre  miséricorde  3.  »  Si  ces  hom- 
mes justes  ont  montré  une  si  grande  humilité,  que  doivent  donc 
faire  des  pécheurs  comme  nous? 

Gardez-vous  donc  bien  de  vous  livrer  à  ce  vice  honteux  de  l'or- 
gueil, de  peur  que  votre  ennemi  ne  s'empare  à  jamais  de  votre 
arne.  Reprochez-vous  amèrement  les  plus  petites  pensées  d'orgueil 
et  de  complaisance  en  vous-même.  Le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Es- 
prit, la  sainte  Trinité  tout  entière  fixent  avec  délices  leur  séjour 
dans  le  cœur  de  l'homme  humble.  Fuyons  donc  l'orgueil  que  Dieu 
déteste.  Aimons  ,  chérissons  l'humilité  qui  seule  a  rendu  les  justes 
agréables  aux  yeux  de  Dieu.  C'est  un  don  bien  important ,  c'est  un 
grand  bonheur  que  l'humilité  ;  c'est  un  grand  honneur  de  la  pos- 
séder; c'est  en  elle  que  se  trouve  la  véritable  et  parfaite  sagesse. 
L'orgueil  du  Pharisien  avait  été  la  cause  de  son  humiliation,  et  le 
Publicain  ne  fut  exalté  que  parce  qu'il  était  humble.  Puissions-nous 
avec  lui  partager  à  jamais  dans  le  ciel  les  récompenses  que  Dieu 
réserve  à  l'humilité,  et  être  admis  avec  lui  dans  la  société  de  tous 
les  justes,  pour  y  chanter  à  jamais  les  louanges  du  Dieu  qui  exalte 
les  humbles  ,  et  à  qui  convient  toute  gloire  dans  tous  les  siècles  ! 
Ainsi  soit-il.  (Saint  Ephrem,  Sermon  XLL) 

Autres  exemples  d'humilité. 

Je  ne  puis  mieux  faire  pour  vous  montrer  l'excellence  de  l'hu- 
milité que  de  vous  remettre  sous  les  yeux  les  nobles  exemples 
de  ceux  qui  l'ont  pratiquée.  Ecoutez  d'abord  l'Ecriture. 


1  Ps.  xxi,  7.  —  3  Dan.,  ix.  —  5  Ibid.,  m,  59. 


r 


i. 

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/f/jt)  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

Abraham  mérita,  par  le  suffrage  le  plus  glorieux,  d'être  appelé 

l'ami  de  Dieu  ;  néanmoins  nous  le  voyons  passant  subitement  det 

la  contemplation  de  la  majesté  divine  à  celle  de  son  propre  néant, 

rester  comme  anéanti  en  présence  de  Dieu ,  et  ne  conserver  plus 

de  force  que  pour  s'écrier  :  «  Pour  moi ,  je  ne  suis  que  poussière 

«et  que  cendre  j.»  L'Ecriture  nous  parle  encore  de  Job  en  ces 

termes  :  «  Job  était  juste  2.  »  Oui,  ce  saint  personnage  était  juste; 

mais  cependant  je  l'entends  s'accuser  lui-même  en  disant  :  «  Per- 

«  sonne  n'est  exempt  de  souillure,  quand  même  sa  vie  n'aurait  duré 

«  qu'un  jour  5.  »  Un  autre  serviteur  de  Dieu,  Moïse,  avait  mérité 

le  surnom  de  fidèle  serviteur.  Il  ne  se  crut  pas  pour  cela  en  droit 

de  parler  magnifiquement  de  lui.  Son  cœur  ne  se  laissa  pas  même 

aller  à  l'orgueil,  lorsqu'il  entendit  sortir  du  buisson  ardent  cette 

voix  divine,  puisqu'il  se  contente  de  s'écrier  :  «  Qui  suis-je,  Sei- 

«  gneur,  pour  que  vous  m'envoyiez  de  la  sorte,  moi  qui  ai  la  langue 

«  si  pesante  et  la  voix  si  grêle  !  Vous  le  savez,  Seigneur,  je  ne  suis 

«  semblable  qu'à  cette  vapeur  légère  qui  s'élève  d'un  vase  d'eau 

«  que  la  flamme  échauffe4.  »  Il  n'est  pas  moins  frappant,  ni  moins 

digne  de  notre  admiration  ,  l'exemple  que  nous  donne  David,  ce 

prince  qui  reçut  de  Dieu  même  un  éloge  si  flatteur,  quand  Dieu 

lui  dit  :  «  J'ai  trouvé  un  homme  selon  mon  cœur  5.  »  Néanmoins 

j'entends  le  même  Prophète  qui  s'écrie  dans  son  humilité  :  «  Ayez 

«  pitié  de  moi,  Seigneur,  selon  votre  infinie  miséricorde  6.  » 

Ce  n'est  pas  encore  assez  de  témoignages  pour  vous  prouver 
toute  l'excellence  de  l'humilité.  Ecoutez  quelque  chose  qui  sur- 
passe tout  ce  que  vous  avez  entendu  jusqu'ici  :  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ,  le  Fils  unique  du  Dieu  de  toute  majesté,  n'est  point 
venu  sur  la  terre  pour  y  faire  parade  de  sa  gloire  et  de  sa  puis- 
sance ;  tout  annonce  au  contraire  en  lui  la  plus  profonde  humi- 
lité ,  conformément  à  ce  qu'en  avait  annoncé  le  Prophète 
Isaïe  7,  Et  certes,  quand  un  Dieu  s'humilie  à  ce  point,  que  de- 
vons-nous faire,  nous  qui  ne  sommes  rien  que  par  sa  grâce?  [Saint 
Clément,  pape,  Epit.  1  aux  Cor.) 

Péroraison. 

¥]  Embrassez-la  donc,  Chrétiens ,  cette  vertu  si  nécessaire  et  si  glo- 
rieuse.  Demandez-la  au  Seigneur  par  des  vœux  ardens  et  continuels,* 

*  Gen.,  xvin,  27.  —  2  Job.,  i,  1.  — 5  Ibid.,  iv,  17.  —  *  Exod.,  m,   11.  et  iv,  10. 
|  s  Ps.  lxxxviii,  21,  —  6  Ps.  i,  1.  — 7 1s.,  lui,  1  et  sqq. 


des  riiÉmcATEuns.  447 

n'épargnez  rien  de  votre  côté  pour  l'acquérir;  meditez-en  l'impor- 
tance, la  nécessité,  la  facilité,  les  avantages:  formez-en  souvent 
des  actes  intérieurs  :  un  sentiment,  un  acte  d'humilité  est  plus  pré- 
cieux mille  fois,  vaut  infiniment  mieux  pour  nous  que  tous  les  ap- 
plaudissemens  et  toutes  les  louanges  du  monde.  Humilions-nous 
devant  Dieu:  qui  peut  penser  à  cet  Etre  Suprême  sans  s'anéantir 
devant  son  infinie  grandeur?  Humilions-nous  devant  les  hommes: 
une  humilité  sincère  ne  se  renferme  pas  dans  le  cœur,  elle  se  ma- 
nifeste au  dehors  par  des  signes  sensibles  et  que  malgré  lui  le  mon- 
de révère.  Humilions-nous  à  nos  propres  yeux,  n'ayant  de  mépris 
que  pour  nous-mêmes,  et  gardons-nous  de  mépriser  personne: 
c'est  le  précis  de  la  science  et  de  l'humilité.  Nous  connaissons  nos 
défauts,  nos  misères  et  nos  vices;les  bonnes  qualités  des  autres  nous 
sont  inconnues;  peut-être  sont-ils  ou  deviendront-ils  plus  agréa- 
bles que  nous  au  yeux  du  souverain  Maître.  Souvenons-nous  enfin 
pour  mieux  connaître  le  trésor  de  l'humilité  et  le  prix  inestimable 
des  humiliations,  que  plus  nous  aurons  été  humbles  et  humiliés 
sur  la  terre,  plus  nous  serons  élevés  et  glorifiés  dans  le  Ciel,  que 
je  vous  souhaite,  etc.  (L'abbé  Richard.) 


448  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 


=-» 


PLAN  ET  OBJET  DU  TROISIEME  DISCOURS 
SUR  L'HUMILITÉ. 


EXORDE. 


Incropans  non  sinebat  eu  loqui,  quia  sciebant  ipsum  esse  Christum  ;  facta  aulem  die, 

egressus  ibat  in  desertum. 

Il  leur  défendait  de  dire  qu'ils  savaient  qu'il  fut  le  Christ,  et  dès  qu'il  fut  jour  ,  il 
sortit,  et  se  retira  dans  un  lieu  désert.  {Luc,  4,  41,  42.) 


Sans  doute,  il  faudra  qu'il  consente  bientôt  à  sortir  de  cette 
obscurité  qui  lui  est  si  cbère  ,  et  l'éclat  de  ses  innombrables  pro- 
diges, perçant  le  voile  dont  il  aime  tant  à  se  couvrir,  trahira  dans 
peu  sa  grandeur  et  le  secret  de  son  incomparable  puissance.  Si  le 
Pharisien  superbe  et  le  Scribe  endurci  s'obstinent  à  fermer  leur 
cœur  au  charme  de  ses  leçons  et  à  l'attrait  de  ses  vertus  plus  puis- 
sant et  plus  doux  encore,  il  faudra  bien  qu'il  les  force  à  reconnaî- 
tre le  Fils  de  Dieu  dans  l'arbitre  souverain  de  l'univers  ,  et  qu'il  leur 
montre  enfin  dans  les  aveugles  qu'il  éclaire  ,  dans  les  boiteux  qu'il 
redresse,  et  dans  les  morts  qu'il  ressuscite,  des  témoins  irrécusa- 
bles de  la  mission  qu'il  tient  de  son  Père  et  de  sa  céleste  origine. 
Mais  aujourd'hui  qu'il  descend  de  cette  montagne  sur  laquelle  ont 
retenti  des  prodiges  si  inconnus  avant  lui ,  aujourd'hui  qu'il  vient 
de  donner  pour  fondement  au  bonheur  véritable  l'abnégation,  le 
mépris  de  soi-même  et  la  fuite  des  honneurs ,  il  ne  peut  consentir 
à  se  voir  sitôt  poursuivi  par  l'admiration  et  les  éloges;  et  si  la  com- 
misération pour  le  malheur  arrache  d'innombrables  prodiges  casa 
bonté,  il  veut  du  moins  écarter  les  applaudissemens  et  échapper 
à  sa  gloire  ;  ou  plutôt  il  voulait  guérir  dans  notre  cœur  une  mala- 
die plus  funeste  mille  fois  que  celle  qui  appelle  l'exercice  de  sa  puis- 
sance: il  voulait  guérir  notre  orgueil  et  nous  apprendre  enfin  que 
vainement  nous  prétendrions  nous  honorer  du  nom  de  ses  disci- 
ples, si  nous  méconnaissions  une  vertu  dont  il  nous  a  donné  tant 
de  fois  l'exemple  et  la  leçon.  Loin  de  rechercher  les  égards  des 
hommes,  le  disciple  de  l'Evangile  les  redoute  et  les  fuit;  loin  de 


DES    PRÉDICATEURS.  44Q 

s'exposer  au  grand  jour,  il  ne  se  plaît  que  sous  l'abri  d'une  ob- 
scurité modeste;  loin  d'appeler  les  applaudissement ,  au  premier 
pressentiment  de  la  louange  il  sent  son  cœur  qui  se  trouble  et  son 
front  qui  rougit;  en  un  mot,  il  ne  trouve,  pour  sa  piété,  d'appui 
solide  et  de  vraie  sauve-garde  que  dans  l'humilité. 

Mais  cette  vertu  dont  le  nom  seul  inspire  tant  d'effroi  aux  su- 
perbes enfans  du  siècle,  voit  trop  souvent  les  enfans  mêmes  de  la 
foi  la  dédaigner  ou  la  proscrire ,  et  trop  souvent  la  piété  la  plus 
fervente  et  la  plus  généreuse,  quand  il  s'agit  de  pratiquer  l'humi- 
lité, ne  retrouve  plus  ses  résolutions  et  rappelle  en  vain  son  cou- 
rage. L'humilité  ne  règle  plus  les  sentimens  et  les  discours  du  dis- 
ciple de  l'Evangile;  la  vierge  chrétienne  ne  fait  plus  de  l'humilité 
son  plus  bel  ornement;  la  piété  opulente  l'éloigné  de  ses  palais,  et 
les  retraites  elles-mêmes  de  la  pénitence  et  de  la  mortification  ne  lui 
offrent  pas  toujours  un  sûr  asile.  Essayons  de  la  faire  rentrer  au- 
jourd'hui dans  ses  droits;  mais,  renonçant  à  guérir  l'orgueilleux 
aveuglement  des  mondains,  osons  adresser  nos  conseils  aux  en- 
fans mêmes  delà  lumière,  et  ne  craignons  pas  de  les  mettre  en 
garde  contre  une  des  plus  funestes  et  peut-être  des  plus  commu- 
nes illusions. 

Dans  ce  dessein ,  considérons  que  la  piété  véritable  ne  saurait 
exister  sans  l'humilité  :  premier  Point  ; 

Sur  quels  motifs  une  piété  véritable  fonde  son  humilité  : 
deuxième  Point.  (M.  Borderies,  Sur  V Humilité.) 

La  piété  véritable  ne  saurait  exister  sans  l'humilité. 

Que  l'humilité  soit  comme  une  étrangère  pour  les  enfans  du 
siècle ,  et  qu'ils  la  bannissent  loin  de  leur  opulence,  de  leur  faste 
et  de  leurs  honneurs  :  c'est  une  destinée  qui  n'a  pas  de  quoi  sur- 
prendre, quand  on  a  appris  de  l'apôtre  saint  Jean  quel  empire  ty- 
rannique  l'orgueil  exerce  sur  le  monde;  mais  que  l'on  voie  quel- 
quefois la  piété  elle-même  refuser  de  reconnaître  cette  fille  du  ciel, 
craindre  d'entendre  ses  leçons,  et  prétendre  se  soutenir  sans  son 
appui,  voilà,  Chrétiens,  un  désordre  qui  confond  toutes  les  pen- 
sées, une  illusion  que  peuvent  seules  expliquer  la  corruption  de 
l'homme  et  sa  profonde  ignorance.  La  piété  et  l'humilité  sont  unies 
sous  la  loi  de  grâce  par  des  nœuds  indissolubles,  en  sorte  que  là 
où  vous  ne  trouvez  point  l'humilité,  là  vous  pouvez  assurer  que  la 
piété  est  inconnue  ;  ou  si  l'on  veut  encore  lui  donner  ce  nom ,  ce 
t.  in.  29 


45o  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

ne  sera  qu'une  piété  aveugle,  une  piété   stérile,  enfin  une  piété i 
scandaleuse. 

L'effet  inévitable  des  passions  est  de  troubler  l'esprit  de  l'hom- 
me, et  de  dérober  à  ses  regards  la  lumière  qui  doit  éclairer  et  con-| 
duire  ses  pas.  Les  passions,  peu  contentes  de  courber  leurs  esclaves 
sous  de  pesantes  chaînes,  les  plongent  encore  dans  de  profon- 
des ténèbres ,  où  le  jour  de  la  vérité  ne  se  laisse  qu'à  peine  entre- 
voir. L'ambitieux,  l'avare,  l'impudique,  sont  autant  de  captifs 
aveugles  qui  cherchent  en  tâtonnant  la  véritable  route,  et  ne  ren- 
contrent à  chaque  pas  que  chutes  et  que  précipices;  mais  l'aveu- 
glement n'est  jamais  plus  dangereux ,  ni  la  nuit  jamais  plus  som- 
bre ,  que  lorsque,  profitant  du  silence  des  autres  passions,  et  se 
glissant  sous  des  dehors  sacrés ,  l'orgueil  parvient  à  contracter, 
avec  la  piété  elle-même,  une  monstrueuse  alliance.  Ah!  c'est  alors 
que  l'ennemi  du  salut  voit  arriver  notre  défaite  et  son  triomphe; 
c'est  alors  que  le  flambeau  même,  destiné  à  nous  diriger,  devient 
entre  ses  mains  un  guide  infidèle  qui  nous  conduit  plus  sûrement 
à  une  perte  inévitable  :  Si  lumen  quod  in  te  est  tenebrœ  sunty  ipsœ 
tenebrœ  quantœ  erunt. 

En  effet,  quel  plus  profond  aveuglement  que  celui  d'un  Chré- 
tien ,  qui  essaie  d'accorder  la  piété  avec  l'oubli  d'une  vertu  qui  en 
est  manifestement  le  seul  appui  solide?  qui  s'appelle  disciple  de 
l'Evangile,  et  ignore  que  l'abnégation  et  le  mépris  de  soi-même 
forment  le  caractère  distinctif  des  enfans  de  la  Loi  nouvelle  ?  qui 
fait  gloire  d'avoir  Jésus-Christ  pour  maître ,  mais  qui,  s'il  s'agit 
d'abjection  et  d'abaissement,  ne  veut  plus  entendre  ses  leçons?  Je 
le  sais,  Chrétiens,  il  faut  s'interdire  une  excessive  rigueur  :  si  la 
piété,  pour  être  fragile  quelquefois,  était  toujours  un  aveuglement, 
qui  pourrait  éviter  ce  reproche  ?  Pour  être  pieux,  est-on  invulné- 
rable? S'il  faut  s'attendre  à  soutenir  des  combats,  il  faut  s'atten- 
dre aussi  à  pleurer  sur  des  défaites  :  lame  la  plus  intrépide  peut 
céder  quelquefois  à  de  lâches  terreurs;  le  détachement  le  plus  gé- 
néreux peut  être  séduit  quelquefois  par  les  prestiges  du  siècle,  les 
penchans  et  les  résolutions  d'un  cœur  vertueux  ne  suffisent  pas 
toujours  pour  en  soutenir  la  corstance.  Hélas!  qu'est-ce  trop  sou 
vent  que  la  vie  du  Chrétien  ?  qu'un  triste  enchaînement  de  craintes 
à  l'aspect  du  danger,  et  de  gémissemens  au  souvenir  de  la  faiblesse. 
Mais  du  moins  celui  que  la  tentation  entraîne  soudainement  ne 
prétend  pas  concilier  la  fidélité  avec  la  désobéissance,  le  désordre 
avec  la  ferveur  :  c'est  un  sommeil  auquel  il  s'est  laissé  surprendre; 
mais  bientôt  la  foi  le  réveille,  et  il  court  obtenir  son  pardon  par 


DES    PRÉDICATEURS.  4^)1 

des  larmes  et  son  repentir.  Mais  le  Chrétien  qui,  dans  sa  conduite 
de  tous  les  jours,  oublie  les  lois  de  l'humilité,  et  se  pique  toutefois 
d'une  piété  véritable,  a  fait  taire  depuis  long-temps  les  cris  d'une 
conscience  trop  délicate;  a  accoutumé  son  cœur  à  ne  plus  s'ef- 
frayer de  l'opposition  révoltante  qu'offrent  ses  sentimens  hautains 
et  les  humbles  maximes  de  l'école  chrétienne,  et  s'est  établi  dans 
l'inexplicable  détermination  de  suivre  le  chemin  que  trace  la  piété, 
et  de  délaisser  cependant  sa  compagne  la  plus  chère  et  la  plus  in- 
séparable. (Le  même.) 

Sans  humilité  la  piété  est  stérile,  malgré  nos  lectures  et  les  exhortations  du  prêtre. 

On  veut  des  livres  qui  flattent  la  sensibilité  du  cœur,  on  rejette 
ceux  qui  en  abaisseraient  l'orgueil.  Dans  l'histoire  des  Saints,  on 
leur  envie  une  constance  héroïque  que  Dieu  ne  nous  demandera 
jamais,  et  non  ce  renoncement  à  nous-mêmes  et  cette  patience 
dans  les  mépris,  qu'il  nous  demande  tous  les  jours.  Dans  l'Evan- 
gile, on  s'attendrit  sur  les  souffrances  de  Jésus ,  on  donne  des  lar- 
mes à  ses  douleurs,  mais  on  frémit  de  partager  ses  opprobres  et 
ses  affronts.  Enfin,  on  est  familier  avec  les  expressions  de  la  spiri- 
tualité la  plus  haute,  et  on  ne  connaît  ni  le  détachement  des  hon- 
neurs, ni  le  goût  de  l'obscurité,  ni  le  mépris  de  soi-même,  vérita- 
bles élémens  de  ce  sublime  langage.  Si  l'on  entend  la  parole  du 
Dieu,  ce  n'est  pas  avec  cette  défiance  qui  met  à  profit  les  moindres 
leçons,  mais  avec  une  présomption  qui  rend  inutiles  tous  les  efforts 
du  zèle.  Veut-on  ,  dans  la  chaire  de  la  vérité,  offrir  des  soutiens  à 
la  foi,  la  nôtre  est  inébranlable  :  inspirer  l'horreur  du  vice,  cette 
peinture  fait  horreur  à  notre  délicatesse  :  y  montrer  le  prix  des 
vertus  chrétiennes  ,  ce  sont  des  vertus  communes  que  notre  piété 
dédaigneuse  regarde  de  bien  haut  :  y  foudroyer  l'orgueil,  nous 
nous  indignerons  peut-être    contre  cet   orgueil  entreprenant  et 
plein  d'audace,  qui  souvent  a  rencontré  et  heurté  le  nôtre;  mais 
nous  nous  garderons  bien  de  reconnaître  cet  amour-propre  circon- 
spect et  réservé  qui  nous  fait  envelopper  nos  prétentions  de  tant  de 
précautions  et  de  tant  de  prudence.  Enfin  }  le  ministre  sacré  dé- 
couvre-t-ii  l'ulcère  secret  de  notre  cœur,  prétend-il  montrer  sans  mé- 
nagement qu'il  faut  que  le  Chrétien  soit  humble  et  fasse  le  ciel  que 
celui  qui,  dans  ce  moment,  vous  parle  si  souvent  d'humilité,  à  ce 
nom  répété  par  lui  tant  de  fois,  éprouve  du  moins  une  confusion 
salutaire!  mais  enfin,  le  ministre  du  Seigneur  plaide-t-il  la  cause 
de  l'humilité,  se  plaint-il  de  l'oubli  où  les  Chrétiens  laissent  kii- 

29, 


/j52  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

guir  cette  vertu,  les  accuse-t-il  d'inconséquence  et  de  contradic- 
tion ,  loin  de  nous  émouvoir  à  ces  reproches  et  à  ces  menaces , 
nous  semblons  assister  à  un  combat  qui  nous  est  étranger  et  dont 
nous  sommes  les  spectateurs  désintéressés.  Que  dis-je  ?  nous  goû- 
tons à  en  être  les  témoins  un  contentement  criminel  :  notre  mali- 
gnité nomme  tout  bas  les  cœurs  faibles  qu'atteignent  les  traits  de 
la  sainte  parole  ;  et  tel  est  notre  aveuglement  que  nous  nous  livrons 
à  une  secrète  et  indigne  satisfaction,  quand  il  nous  faudrait  sécher 
de  douleur,  en  reconnaissant  entre  nos  misères  et  le  tableau  tracé 
sous  nos  yeux  une  déplorable  ressemblance. 

Non,  n'attendez  rien  d'utile  de  cette  piété  pleine  de  vanité  et 
de  recherche  que  Dieu  réprouve  et  que  l'Evangile  méconnaît,  ou 
plutôt  n'en  attendez  que  des  scandales.  Vainement  vous  espéreriez 
que  la  régularité  de  sa  conduite  et  l'onction  de  son  langage  peu- 
vent du  moins  ménager  au  prochain  quelque  avantage  et  à  la  Re- 
ligion quelque  honneur.  Non ,  car  comment  se  méprendre  long- 
temps sur  le  motif  secret  qui  règle  ses  démarches  ou  anime  son 
zèle?  On  voit  que  l'intérêt  propre  lui  suggère  ses  bonnes  œuvres  , 
et  on  les  dédaigne;  lui  conseille  ses  pratiques  de  dévotion,  et  on 
leur  insulte  ;  lui  dicte  tous  ses  discours ,  et  on  les  couvre  de  mé- 
pris. Car,  au  témoignage  de  saint  Grégoire ,  sans  l'humilité  tout 
cet  assemblage  de  vertus  dont  on  s'entoure  n'est  qu'une  occasion 
de  perdition  et  de  ruine  :  Si  omittitur  kumilitas ,  omnis  congregatio 
virtutum  ruina  est. 

Je  sais,  Chrétiens,  que  le  monde,  si  indulgent  pour  ses  amis, 
poursuit  avec  rigueur  les  disciples  de  Jésus-Christ,  qu'il  pardonne  - 
aux  partisans  du  siècle  leurs  vices  les  plus  honteux,  et  condamne 
sans  pitié,  dans  les  Chrétiens,  les  plus  excusables  faiblesses;  mais 
je  sais  aussi  que  la  piété  qui  veut  accorder  l'oubli  de  l'humilité  avec 
les  maximes  crucifiantes  de  l'Evangile,  scandalise  justement  les 
mondains,  et  qu'elle  répondra  un  jour,  au  tribunal  de  Jésus-Christ, 
des  blasphèmes  que  d'inexcusables  illusions  auront  fait  vomir 
contre  son  adorable  doctrine.  Celui-ci,  disent-ils,  s'est  toujours 
montré  fidèle  à  sa  croyance,  sa  Religion  ne  s'est  jamais  démentie, 
il  a  toujours  été  chrétien;  mais  quel  est  donc  cet  Evangile  qui  lui 
a  toujours  laissé  la  préoccupation  de  lui  même,  l'affectation  dans 
les  manières,  la  suffisance  dans  les  discours?  Celui-là,  après  de 
longs  désordres,  veut  expier  dans  les  bras  de  la  Religion  ses  trop 
fameux  égaremens  ;  mais  quel  est  donc  cet  Evangile  qui  allie  avec 
la  pénitence  la  somptuosité  des  repas ,  le  luxe  des  ameublemens 
et  tous  les  orgueilleux  apprêts  d'une  vie  commode  et  voluptueuse? 


DES    PRÉDICATEURS.  4^3 

Cette  femme  a  quitté  le  siècle  par  piété,  et  n'y  reparaît  plus  que 
pour  obéir  aux  bienséances;  mais  quel  est  donc  son  Evangile  qui 
autorise  toujours  la  recherche  dans  ses  vêtemens,  l'élégance  dans 
sa  parure  ,  et  peut-être  pour  plaire  encore,  les  séductions  et  les  ar- 
tifices? Enfin  cette  autre  édifia  toujours  par  une  vie  exemplaire, 
elle  montra  toujours  une  piété  profonde  ;  mais  quel  est  donc  son 
Evangile,  qu'on  ne  puisse  parler  dans  sa  maison  de  la  douceur  des 
aines  pieuses  et  de  leur  humilité,  sans  voir  son  époux  garder  le 
silence,  ses  enfans  sourire  et  ses  serviteurs  gémir?  Tel  est  le  lan- 
gage des  mondains  :  c'est  par  de  tels  discours  que  vous  les  avez 
vus  déchirer  la  piété  sous  vos  yeux;  c'est  ainsi  qu'ils  parlent  de 
vous-mêmes,  s'ils  découvrent  en  vous  un  christianisme  sans  humi- 
lité; c'est  ainsi  que  vous  ferez  retomber  sur  la  religion  sainte  de 
Jésus-Christ  le  scandale  de  vos  préjugés  et  de  votre  aveuglement. 
(Le  Même.) 

Il  faut  s'exercer  sans  cesse  à  l'humilité. 

Si  vous  êtes  parvenu  à  quelque  haut  degré  de  puissance  et  de 
gloire,  gardez-vous  bien  de  perdre  de  vue  l'humilité  :  car  si  un 
jour  vous  venez  à  en  descendre ,  votre  chute  ne  vous  surprendra 
point,  comme  cela  arrive  à  plusieurs  qui,  par  ingratitude  ou  par 
ignorance,  refusent  de  reconnaître  la  main  qui  les  a  comblés  de 
bienfaits.  En  effet,  s'ils  eussent  reconnu  leur  bienfaiteur,  ils  ne 
se  seraient  pas  montrés  rebelles  à  ses  commandemens  ,  et  s'ils  n'a- 
vaient pas  été  rebelles  à  ses  commandemens,  certes,  ils  ne  seraient 
pas  tombés  dans  ce  profond  abîme ,  car  il  est  écrit  :  «  Celui  qui  se 
sera  élevé  sera  abaissé  l.  » 

Ainsi  donc ,  mes  frères ,  étudions-nous  sans  cesse  à  nous  hu- 
milier devant  Dieu ,  afin  qu'il  nous  exalte  au  moment  de  sa  vi- 
site; celui  qui  ne  voudra  point  s'humilier  ainsi  de  plein  gré  en 
présence  de  Dieu  sera  forcé,  malgré  lui,  de  se  voir  humilier. 
Chérissons  donc  l'humilité,  puisque  notre  Seigneur  lui-même 
nous  a  dit  :  «  Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  et  humble  de 
cœur  2.  »  Gloire  soit  à  lui  dans  tous  les  siècles  des  siècles.  Ainsi 
soit-il.  (Saint  Ephrem  de  Syrie,  Parénese  XXXI,  de  ï humilité.) 

Le  chemin  à  l'humilité  est  l'humiliation. 

Quel  est  le  moyen  le  plus  court  et  le  plus  sûr  pour  parvenir  à  la 
vraie  humilité,  si  difficile  à  acquérir? 


1  Matth.,  xxni,  12.  —  2  lbkl.,  xi,  29. 


454  NOUVELLE    BIBLIOTI1ÈQUE 

Saint  Bernard  y  répond  admirablement  lorsqu'il  dit  que  le  che- 
min à  l'humilité,  c'est  l'humiliation.  Quand  on  se  sert  de  tout  ce 
qu'il  y  a  dans  la  vie  chrétienne  de  contraire  à  l'orgueil  de  l'homme 
pour  avancer  dans  la  vertu,  c'est  assurément  le  chemin  le  plus 
court.  Porter  le  fardeau  de  la  loi  de  Dieu ,  le  poids  de  sa  divine 
conduite  et  tout  ce  qu'il  lui  plaît  de  nous  envoyer  par  sa  provi- 
dence ;  s'anéantir  sous  sa  main  puissante  ;  marcher  et  avancer  ainsi 
dans  le  chemin  de  la  vertu ,  et  ne  s'arrêter  jamais ,  c'est  le  vrai 
moyen  pour  parvenir  à  l'humilité.  (Dossuet,  Lettres  de  piété  et 
de  direction.  ) 

L'humilité  est  la  source  d'une  véritable  paix. 

Le  secret  pour  être  en  paix  avec  tout  le  monde,  c'est  d'avoir  un 
modeste  sentiment  de  soi-même.  Qui  est  humble  n'est  en  guerre 
avec  personne.  Qu'on  l'outrage,  il  se  tait;  qu'on  lui  prodigue  les 
injures,  il  supporte  tout  sans  se  plaindre.  N'est-ce  pas  là  le  moyen 
le  plus  sûr  d'être  en  paix ,  non  seulement  avec  les  hommes ,  mais 
avec  Dieu?  De  toutes  les  vertus,  celle  qui  fait  le  mieux  ressortir  le 
caractère  du  Chrétien,  c'est  l'humilité.  Abraham,  tout  favorisé  de 
Dieu,  reconnaît  qu'il  n'est  que  cendre  et  poussière.  Dieu  lui-même 
rend  à  Moïse  ce  témoignage,  qu'il  était  le  plus  doux  et  le  plus 
humble  des  hommes.  Ce  chef  d'un  si  grand  peuple,  qui  venait  d'é- 
Oraser  la  puissance  de  l'Egypte  avec  la  même  facilité  que  vous  fe- 
riez de  vils  insectes  ;  qui  avait  opéré  de  si  grandes  merveilles  dans 
le  passage  de  la  mer  Rouge  et  dans  le  désert,  vous  le  voyez  déférer 
humblement  aux  avis  de  Jéthro.  A  son  langage  vous  le  prendriez 
pour  un  homme  du  commun.  Il  ne  ressemble  pas  à  ces  grands 
fastueux  qui  dédaignent  les  conseils  les  plus  salutaires,  parce  qu'ils 
leur  viennent  d'un  particulier.  Libre  de  partager  la  table  de  Pha- 
raon, d'aspirer  à  son  sceptre,  et,  avec  la  dignité  royale,  aux  hon- 
neurs divins  ,  puisque  les  Egyptiens  mettent  au  même  rang  leurs 
dieux  et  leurs  rois,  Moïse  préfère  d'aller  s'unira  ses  frères,  à  de 
misérables  esclaves  accablés  de  travaux  et  d'humiliations.  Dites- 
moi  s'il  n'y  a  pas  plus  de  grandeur  réelle,  plus  d'élévation,  plus  de 
magnanimité,  de  courage  dans  l'humilité  que  dans  tout  le  faste  de 
l'orgueil.  Saint  Chrysostome  1.) 

1  Hom.,  in  Epis  t.  1  ad  Cor. 


DES    PREDICATEURS.  4^ 

Caractères  de  l'humilité. 

L'homme  humble  ne  se  laisse  jamais  séduire  par  la  vaine  gloire  ; 
rempli  de  la  crainte  du  Seigneur,  qui  est  le  commencement  de  la 
sagesse,  il  n'est  jamais  détourné  par  l'orgueil  de  se  rendre  com- 
plaisant envers  son  prochain.  Il  ne  compte  pour  rien  sa  propre 
volonté,  ne  contredit  jamais  la  vérité,  mais  se  fait  une  gloire  de 
lui  obéir  en  toutes  choses.  Il  ne  porte  point  envie  à  son  prochain, 
quand  il  le  voit  réussir  dans  quelque  entreprise;  il  ne  se  réjouit 
point  du  désastre  d'un  autre,  mais  il  partage  la  joie  de  ceux  qui  en 
éprouvent,  il  verse  des  larmes  avec  ceux  qui  pleurent.  Au  milieu 
du  dénuement  le  plus  complet,  il  ne  perd,  point  courage;  comme 
on  ne  le  voit  jamais  devenir  insolent  au  sein  delà  prospérité  et  de 
la  gloire.  Il  ne  sème  point  la  discorde  entre  ses  frères;  il  est  au 
contraire  en  tout  leur  conciliateur,  et  ne  rend  point  le  mal  pour 
le  mal.  Non  seulement  il  aime  et  il  honore  ceux  qui  sont  au  dessus 
de  lui,  mais  même  ses  inférieurs.  La  colère  ne  l'enflamme  point,  sa 
bouche  ne  prononce  jamais  d'injures  ;  il  n'a  jamais  recours  ni  à  la 
malice  ni  à  la  ruse.  Il  se  montre  soumis  à  tous  les  ordres  de  Dieu: 
faut-il  se  lever,  même  au  milieu  de  la  nuit,  pour  travailler,  il  n'ac- 
corde jamais  rien  à  la  paresse.  Si  on  lui  fait  des  reproches,  il  ne 
réplique  point  par  des  murmures;  il  déteste  l'amour -propre,  et  ne 
désire  jamais  occuper  les  premières  dignités;  il  est  désarmé  d'en- 
tendre quelques  discours  de  spiritualité,  et  il  a  continuellement 
présens  à  la  pensée  les  commandemens  du  Très-Haut.  Ah!  heu- 
reux mille  fois  ceux  qui  ont  tous  ces  caractères  de  l'humilité;  c'est 
à  eux  que  le  Seigneur  dit  :  Désormais  je  ne  vous  appellerai  plus 
mes  serviteurs,  mais  bien  mes  amis  et  mes  frères.  (  Saint  Ephrem, 
Deuxième  exhortation.  ) 

Moyens  pour  acquérir  l'humilité. 

Plût  au  ciel  que  l'homme  n'eût  point  renoncé  volontairement 
à  la  gloire  qu'il  tenait  de  Dieu!  Grâce  alors  à  la  puissance  divine 
qui  l'avait  ennobli ,  à  la  sagesse  infinie  qui  lui  prêtait  sa  lumière, 
il  aurait  joui  à  jamais  de  la  véritable  élévation  qui  convenait  à  sa 
nature.  Mais  sitôt  que  son  cœur  se  fut  livré  au  péché  et  qu'il  eut 
renoncé  au  désir  d'une  gloire  toute  divine  dans  son  principe ,  il 
perdit  ce  qu'il  pouvait  acquérir  ,  en  voulant  saisir  un  bien  auquel 
sa  nature  ne  pouvait  atteindre.  Dans  ce  fâcheux  état  où  l'orgueil  a 


2^56  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

placé  l'homme,  le  seul  moyen  de  salut  qui  s'offre  encore  à  lui ,  le 
seul  remède  à  la  maladie  qui  le  dévore,  c'est  d'être  humble  ,  de  ne 
rechercher  jamais  en  rien  l'éclat  ni  la  gloire,  surtout  de  ne  jamais 
compter  sur  soi,  mais  uniquement  sur  Dieu.  De  la  sorte  il  corri- 
gera ses  erreurs,  guérira  ses  blessures,  et  rentrera  dans  la  soumis- 
sion aux  ordres  de  Dieu,  à  laquelle  il  avait  voulu  se  soustraire. 

Dès  que  le  démon  est  parvenu  à  déterminer  la  chute  d'un 
homme,  en  lui  présentant  l'appât  d'une  vaine  gloire,  il  ne  cesse 
plus  de  l'attaquer  par  les  mêmes  moyens  :  il  lui  représente  les 
grandes  richesses  qu'il  possède  comme  une  chose  de  la  plus  haute 
importance,  afin  qu'il  en  conçoive  de  l'orgueil,  quoique,  à  vrai 
dire,  ces  richesses  ne  fassent  rien  à  la  gloire  d'un  homme;  car, 
après  tout,  un  trésor  peut  bien  servir  d'aliment  à  l'avarice,  mais 
il  n'ajoute  rien  à  la  réputation  de  celui  qui  le  possède.  S'il  peut 
produire  quelque  effet,  c'est  de  l'aveugler  et  de  le  rendre  l'esclave 
de  l'orgueil  le  plus  insensé  et  le  plus  ridicule. 

Toutefois,  il  n'y  a  pas  que  les  richesses  qui  portent  ainsi  l'orgueil 
dans  le  cœur  humain.  Si  un  homme  peut  s'enorgueillir  de  ce  qu'il 
vit  au  sein  de  l'opulence,  de  ce  que  sa  table  est  toujours  couverte 
de  mets  exquis,  de  ce  qu'il  est  revêtu  d'habits  magnifiques,  les  di- 
gnités et  les  honneurs  ne  sont  pas  moins  propres  à  l'enivrer.  Il  ne 
voit  pas  combien  il  est  insensé  de  se  glorifier  d'une  chose  qu'un 
caprice  vous  donne,  qu'un  caprice  peut  vous  ôter,  d'une  gloire 
qui  a  bien  moins  de  réalité  qu'un  songe.  D'autres  font  vanité ,  et 
de  la  force  de  leurs  bras,  et  de  la  rapidité  de  leurs  pieds  ,?et  de  la 
beauté  de  leurs  formes  corporelles,  et  ils  ne  pensent  point  que 
tout  cela  passe,  et  que  le  temps  suffit  pour  réduire  en  poussière 
:ette  vaine  idole.  Il  n'y  a  pas  jusqu'à  la  sagesse  elle-même  et  la 
prudence  qui  ne  puissent  servir  d'aliment  à  l'orgueil  ;  tandis  que  ces 
qualités  de  l'âme  ne  sont  rien  si  la  sagesse  divine  ne  s'y  joint  pas; 
tandis  qu'il  est  évident  que  rien  n'est  plus  foible  j^que  cette  sa- 
gesse de  l'homme,  quand  elle  n'est  point  appuyée  sur  celle  de 
Dieu. 

En  quoi  donc  l'homme  peut-il  se  glorifier  sans  blesser  la  vérité  ? 
En  quoi  l'homme  est-il  véritablement  grand?  Le  voici;  c'est  Dieu 
lui-même  qui  nous  l'apprend  par  la  bouche  d'un  Prophète  :  «  S'il 
«  connaît,  dit-il,  s'il  comprend  que  je  suis  le  Seigneur  *.  »  Voilà  le 
beau  côté  de  lhomme.  C'est  en  cela  que  sa  nature  est  sublime. 
Voilà  sa  gloire  et  sa  suprême  destination  :  «  C'est  de  connaître  ce 

*  Jer.,  ix,  24. 


DES    PRÉDICATEURS.  4^7 

«  qui  est  grand,  de  s'y  attacher,   et  de  ne  se  glorifier  que  dans  le 
«  Seigneur,  selon  le  langage  de  l'Apôtre  *.  »  L'homme  ne  peut  se 
glorifier  que  de  cette  manière ,  en  reconnaissant  qu'il  n'est  pas 
l'auteur  de  sa  propre  justification  j  mais  que  tout  ce  qu'il  y  a  de 
bien  en  lui  vient  de  Dieu.  De  quoi  pourriez-vous  concevoir   de 
l'orgueil?  Dans  vos  travaux,  c'est  Dieu  qui  vous  donne  la  force  et 
le  courage.  «  J'ai  travaillé  plus  que  tous  les  autres ,  dit  saint  Paul  ; 
«  que  dis-je?  j'ai  travaillé!  ce  n'est  pas  moi ,  mais  la  grâce  de  Dieu 
«  avec  moi  2.»  Sinous  échappons  aux  dangers,»»  en  ferons-nous  hom- 
«  mage  à  notre  prudence ,  quand  il  est  évident  que  c'est  le  Dieu 
«  auquel  nous  espérons  qui  nous  tire  de  ces  mêmes  dangers  contre 
«  toute  espérance  des  hommes3.  »  Pourquoi  donc  vous  enorgueil- 
lir ainsi  de  ce  qu'il  y  a  de  bien   en  vous ,   de  ce  qui  vous  arrive 
d'heureux,  tandis  que  vous  ne  devriez  penser  qu'à  rendre  grâce  à 
votre  bienfaiteur?  Entendez-le  qui  vous  crie  :  «  Qu'avez-vous  que 
«  vous  n'ayez  reçu  ?  et  si  vous  l'avez  reçu,  pourquoi  vous  en  faites- 
«  vous  gloire,  comme  si  vous  ne  l'aviez  pas  reçu  4?  »  Ce  n'est  point 
vous  qui  êtes  venu  à  la  connaissance  de  Dieu    par  vos  propres 
forces;  mais  c'est  Dieu,  dont  la  miséricorde  infinie  vous  a  choisi. 
Ce  n'est  point  vous  qui  avez  saisi  de  vous-même  Jésus-Christ  :  c'est 
Jésus-Christ  qui  vous  a  saisi  en  se  faisant  homme  pour  vous.  Est- 
ce  parce  que  vous  êtes  comblé  d'honneurs  que  vous  vous  glori- 
fiez ?  et  faut-il  qu'un  bienfait  de  Dieu  devienne  en  vous  le  principe 
de  l'orgueil  le  plus  insensé  ?  «  Ah  !  n'élevez  point  ainsi  votre  cœur, 
«  mais  craignez  5;  bientôt  un  jugement  sévère  va  succéder  à  la  fa- 
veur ;  et  le  grand  juge  va  examiner  ce  que  vous  avez  fait  de  ses 
dons.  Ce  pharisien  superbe  perdit  à  cause  de  son  orgueil  la  gloire 
de  sa  justice  ;  et,  au  contraire,  cet  humble  publicain,  qui  rappor- 
tait toute  sa  vie  à  Dieu,  descendit  du  temple  justifié.  Imitez  l'exemple 
de  ce  dernier  :  ne  vous  mettez  jamais  en  esprit  au  dessus  de  votre 
frère ,   quelque  pécheur  qu'il  fût  ;  car  souvent  l'humilité  justifie 
celui  qui  a  le  plus  de  péchés. 

Vous  croyez  avoir  fait  quelque  chose  de  bien  ?  Rendez  grâce 
à  Dieu ,  et  ne  vous  mettez  point  au  dessus  de  votre  prochain  :  car 
en  quoi  avez-vous  été  utile  à  votre  prochain  quand  vous  avez  con- 
fessé votre  foi ,  ou  que  vous  avez  souffert  les  rigueurs  et  les  priva- 
tions de  l'exil  pour  le  nom  de  Jésus-Christ  ?  C'est  pour  vous  que 
vous  avez  travaillé,  et  non  pour  votre  prochain.  Vous  seul  en  re- 

1  I  Cor.,  i,  31.  —  2  Ibid. ,  xv ,  10.  —  s  ibid. ,  i,  6.  ~  *  Ibid.,  iv,  7.  —  s  Rom., 
xi,  18. 


458  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

cueillerez  les  fruits.  Craignez  d'imiter  le  démon  dans  sa  chute,  en 
voulant  l'imiter  dans  son  orgueil.  Souvenez-vous  de  cette  maxime  : 
«  Dieu  résisteaux  superbes, mais  il  donne  la  grâce  aux  humbles1.  » 
Ayez  aussi  toujours  présente  à  la  pensée  cette  maxime  du  Sau- 
veur :  «  Quiconque  s'humilie  sera  exalté,  et  quiconque  s'exalte 
«  sera  humilié  3,  m  Ne  devenez  point  pour  vous-même  un  juge 
aveugle  et  injuste;  si  vous  croyez  avoir  fait  quelque  chose  de  bien, 
ne  perdez  point  le  souvenir  de  vos  anciennes  fautes.  C'est  la  meil- 
leure manière  d'empêcher  l'orgueil  de  pénétrer  dans  votre  aine  et 
d'y  faire  des  progrès;  c'est  le  plus  sûr  remède  que  vous  puissiez  op- 
poser à  l'enflure  qu'il  produit.  Si  vous  voyez  faire  quelque  faute  à 
un  de  vos  frères ,  gardez-vous  de  n'avoir  des  yeux  que  pour  cette 
action:  rappelez-vous  ce  qu'autrefois  vous  lui  avez  vu  faire  de  bien. 
Puis,  vous  comparant  ensuite  avec  lui,  vous  le  trouverez  souvent 
meilleur  que  vous  n'êtes,  si  vous  examinez  la  chose  en  juge  impar- 
tial. Voilà  les  moyens  que  nous  devons  employer  pour  repousser 
les  insinuations  de  l'orgueil  et  conserver  l'humilité.  Imitons  en 
tout  notre  Seigneur:  il  est  descendu  du  ciel  pour  vivre  sur  la  terre, 
au  sein  de  la  plus  profonde  humilité;  et  toute  sa  vie  n'a  eu  pour 
but  que  de  nous  apprendre  combien  cette  vertu  nous  est  nécessaire. 
Comment  donc  parviendrons-nous  à  cette  salutaire  humilité?  Il 
faut  que  tout  ce  qui  vous  environne,  vos  vêtemens ,  votre  démar- 
che, vos  meubles,  votre  table,  votre  maison,  vous  le  retracent 
sans  cesse;  il  faut  qu'elle  se  montre  encore,  et  dans  vos  discours, 
et  dans  vos  chants,  et  dans  vos  conversations  avec  votre  prochain, 
en  sorte  que  dans  tout  cela  l'on  remarque  beaucoup  plus  de  mo- 
destie que  d'envie  de  paraître.  Que  je  ne  vous  voie  jamais  mettre 
dans  vos  discours  l'orgueil  d'un  sophiste  ;  dans  vos  chants,  l'affec- 
tation d'un  musicien  plein  de  lui-même;  dans  vos  disputes,  l'opi- 
niâtreté superbe  d'un  philosophe:  soyez  au  contraire  condescen- 
dant envers  vos  amis,  doux  envers  vos  inférieurs,  patient  envers 
ceux  que  la  colère  emporte,  humain  envers  les  faibles  ;  ne  mépri- 
sez jamais  personne,  consolez  les  affligés,  soyez  facile  dans  tous 
vos  rapports  avec  vos  frères  ,  gai  en  répondant  lorsqu'on  vous  in- 
terroge, poli,  d'un  abord  facile  à  tout  le  monde;  qu'on  ne  vous 
entende  jamais  publier  vos  louanges,  qu'on  ne  vous  voie  jamais  su- 
borner quelqu'un  pour  les  publier;  cachez,  autant  que  vous  pour- 
rez, ce  qu'il  y  aura  en  vous  d'excellentes  qualités  ;  et  soyez  tou- 
jours prêt  à  vous  accuser,  à  cause  des  nombreux  péchés  que  vous 

1  Prov.,  m,  54.  —  2  Luc,  xiv,  H. 


DES    PRÉDICATEURS.  4^9 

avez  commis.  Mettez  autant  de  soins  pour  éviter  d'être  glorifié 
parmi  les  hommes,  que  d'autres  en  mettent  pour  acquérir  de  la 
gloire.  Que  si  vous  êtes  parvenu  à  quelque  dignité  éminente,  si 
les  hommes  vous  rendent  des  respects  et  vous  accordent  de  la  gloi- 
re, soyez  en  tout  semblable  à  vos  inférieurs,  ne  vous  prévalez  ja- 
mais de  votre  autorité;  «  car  celui  qui  veut  être  le  premier  doit, 
«  selon  la  parole  du  Sauveur,  se  faire  le  serviteur  de  tous  \i» 

Attachez-vous  donc  à  acquérir  l'humilité;  aimez-la,  et  elle  sera 
votre  gloire.  Le  Seigneur  vous  reconnaîtra  pour  son  disciple,  il  vous 
glorifiera  si  vous  imitez  l'humilité  de  celui  qui  a  dit:  «  Apprenez  de 
moi  que  je  suis  doux  et  humble  de  cœur  2;  »  et  vous  trouverez  le  re- 
pos de  vos  âmes.  Gloire  lui  soit  rendue  dans  tous  les  siècles.  Ainsi 
soit-il.  (Saint  Basile,  Homélie  XX.) 

Le  Chrétien  sera  humble  s'il  se  souvient  qu'il  est  homme. 

Il  semble  d'abord  que  c'est  faire  outrage  à  celui  qui  s'est  nourri 
des  vérités  de  la  religion  les  plus  sublimes,  que  de  lui  rappeler 
qu'il  est  homme,  et  qu'il  ne  faudrait  pas  le  faire  descendre  à  des 
considérations  si  vulgaires,  quand  sa  piété,  depuis  long-temps,  a 
dû  le  détacher  des  affections  de  la  terre  et  l'élever  à  de  hautes  mé- 
ditations. Gependant,  quand  on  voit  des  Chrétiens  ne  montrer  si 
souvent,  au  lieu  de  lapatience  dans  les  humiliations,  que  l'indigna- 
tion et  la  révolte  ;  au  lieu  de  l'amour  de  l'obscurité,  qu'un  désir  in- 
satiable d'applaudissemens  et  de  gloire;  au  lieu  d'une  charitable 
condescendance  pour  des  égaux,  qu'une  dédaigneuse  arrogance; 
enfin,  au  lieu  d'une  autorité  paternelle  sur  des  inférieurs,  qu'une 
tyrannique  domination,  il  faut  bien  les  faire  souvenir  de  leur  condi- 
tion, et  ne  pas  souffrir  qu'ils  se  séparent,  dans  leur  injuste  mépris, 
de  ceux  que  la  nature  a  rendus  leurs  pareils  par  une  origine  commu- 
ne ainsi  que  par  la  même  destinée. 

Aussi  l'Eglise  ,  quand  elle  veut  préparer  ses  enfans  aux  abaisse- 
mens  de  la  pénitence  solennelle,  ne  croit  pas  pouvoir  leur  adresser 
déplus  éloquente  leçon  qu'en  leur  rappelant  qu'ils  sont  hommes, 
jugeant  qu'il  n'est  point  de  sacrifices  si  humilians  qui  ne  devien- 
nent légers  et  faciles  à  cet  unique  souvenir  :  Mémento,  homo,  quia 
pulvis  es  et  in pulverem  reverteris. 

Et,  en  effet,  pour  emprunter  ici  son  langage,  oubliez,  j'y  con- 
sens pour  un  moment,  oubliez  tant  de  considérations  propres  à 

1  Marc,  x,  44.  —  aMatlh.,  xi,  29. 


46o  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

abaisser  votre  orgueil,  et  que  la  pieté  dont  vous  faites  profession  a 
dû  depuis  long-temps  vous  offrir:  du  moins  souvenez-vous  que 
vous  êtes  homme,  souvenez-vous  des  misères  de  votre  nature,  de 
sa  dégradation,  de  ses  assujétissemens,  de  sa  faiblesse:  Mémento, 
homo;  et  alors,  loin  de  redouter  pour  vous  la  présomption  d'une 
vaine  complaisance,  je  craindrai  plutôt  le  découragement  et  le  dé- 
sespoir. Souvenez-vous  que  l'artisan  suprême  a  pétri  du  même  li- 
mon le  roi  et  son  sujet,  le  maître  et  son  esclave 5  qu'il  n'a  pas  em- 
ployé une  argile  de  choix  pour  former  cette  maison  de  boue  cù 
votre  ame  est  captive,  et  que  son  souffle  peut  enfin  chaque  jour 
en  briser  le  frêle  édifice:  Pulvis  es.  Et  alors  vous  sentirez  qu'avec 
une  telle  bassesse  et  une  telle  fragilité,  il  convient  mal  de  porter 
sur  son  front  tant  d'assurance  et  tant  de  hauteur,  et  qu'il  vous 
faut  combler  enfin  l'intervalle  immense  que  vos  prétentions  immo- 
dérées voulaient  mettre  entre  vous  et  vos  égaux.  Souvenez -vous  du 
sort  qui  vous  attend:  ver  de  terre  sorti  de  la  corruption,  et  destiné 
à  ramper  un  instant  dans  cette  vallée  de  larmes,  levez  la  tête  et 
enflez-vous,  tant  qu'il  vous  plaira,  d'un  fol  orgueil,  la  boue  où  vous 
prîtes  naissance  vous  réclame;  et,  malgré  vos  résistances,  il  faudra, 
dans  quelques  heures,  inévitablement  y  rentrer:  In  pulverem  rêver- 
teris.  Et  alors  vous  serez  plus  traitable  peut-être,  et  plus  accessi- 
ble pour  ceux  qu'attend,  comme  vous,  une  fin  si  humiliante;  ^et 
peut-être  que  l'avilissement  auquel  vous  êtes  condamné,  dissipant 
les  vaines  pensées  que  vous  aviez  conçues  de  votre  perfection,  ne 
vous  laissera  plus  pour  vous  que  le  mépris,  que  la  pitié,  que  le 
dégoût:  In  pulverem  reverteris. 

Mais  vous  vous  consolez  peut-être  de  votre  honte  réelle  en  con- 
sidérant que  tous  les  hommes  la  partagent  enfin  avec  vous,  et  vous 
n'en  cherchez  pas  moins  à  vous  séparer  de  la  foule  par  la  frivole 
supériorité  de  quelques  avantages  imaginaires  :  du  moins  il  faudra 
toujours  que  la  misère  de  votre  condition  s'y  trahisse  par  quelque 
endroit;  il  faudra  que  cette  rouille  secrète  s'attache  à  tous  vos  pri- 
vilèges et  ternisse  l'éclat  dont  vous  voudriez  éblouir  nos  regards  ; 
enfin  il  faudra  que,  dans  cette  splendeur  même  et  dans  cet  appa- 
reil qui  serveni  de  prétexte  à  votre  orgueil,  vous  vous  souveniez 
que  vous  êtes  homme,  et  que  vous  fassiez  toujours  la  part  de  l'hu- 
milité. Vous  nous  montrez  avec  faste  la  magnificence  de  vos  pa- 
lais, le  luxe  de  vos  ameublemens,  la  somptuosité  de  vos  repas,  la 
pompe  de  vos  fêtes;  voilà  pour  l'orgueil.  Mais,  parce  que  vous 
êtes  homme,  il  faut  que  cette  immense  fortune,  dont  vous  êtes  si 
vain ,  laisse  circuler  sur  son  origine  de  honteuses  rumeurs ,  que 


DES    PRÉDICATEURS.  4°*I 

l'on  fixe  dans  votre  famille  lepoque  de  son  agrandissement  sou- 
dain, que  l'on  aille  jusqu'à  citer  la  bassesse  adroite  ou  le  crime 
heureux  dont  cette  opulence  fut  le  fruit  :  voilà  pour  l'humilité. 
Vous  aimez  à  parler  de  l'éclat  de  votre  naissance,  à  compter  la 
longue  suite  de  vos  aïeux,  à  nous  relever  dans  nos  annales  leurs 
nombreux  services  et  leurs  mémorables  exploits  :  voilà  pour  l'or- 
gueil. Mais,  parce  que  vous  êtes  homme,  il  faut  que  d'une  race  de 
héros  vous  ayez  la  confusion  de  voir  sortir  un  lâche  qui  renon- 
cera sous  vos  yeux  au  patrimoine  de  leur  gloire,  un  cœur  dégradé 
qui,  héritant  de  leur  nom  sans  hériter  de  leurs  vertus,  associera 
pour  jamais  à  leurmémoirerévéréela  honte  ineffaçable  de  ses  vices 
ou  de  ses  forfaits  :  voilà  pour  l'humilité.  Vous  obtenez  une  gloire 
plus  solide,  et  vous  goûtez  la  douceur  d'entendre  célébrer  l'éléva- 
tion de  vos  sentimens,  la  variété  de  vos  connaissances  ,  les  char- 
mes de  votre  esprit  :  voilà  pour  l'orgueil.  Mais,  parce  que  vous 
êtes  homme  ,  il  faut  que  votre  conscience,  désavouant  tout  basées 
éloges  pompeux,  vous  force  de  reconnaître  que  ce  cœur  si  haut 
ne  s'est  pas  toujours  souvenu  de  sa  noblesse,  que  ces  connaissan- 
ces si  étendues  rencontrent  souvent  des  limites  ,  et  que  cet  esprit 
enfin,  dont  on  vante  les  agrémens  et  les  saillies,  a  besoin,  dans 
le  secret,  de  préparer  ses  succès  par  de  honteuses  précautions  et 
de  puérils  artifices  :  voilà  pour  l'humilité.  (M.  Borderies.) 

Le  Chrétien  sera  humble  s'il  se  souvient  qu'il  est  Chrétien. 

Je  sais,  Chrétiens,  que  notre  corruption  essaie  de  faire  un  ac- 
cord avec  l'Evangile ,  et  que,  n'osant  espérer  grâce  pour  des  vices 
odieux,  elle  voudrait  du  moins  sauver  l'orgueil,  sa  passion  la  plus 
chère,  et  le  soustraire  aux  arrêts  d'une  inflexible  sévérité;  bien 
plus,  grâce  à  ces  raffinemens  du  monde  fet  à  ses  subtilités,  l'or- 
gueil parvient  à  s'ennoblir  et  à  se  déguiser  sous  des  noms  honora- 
bles. S'enfler  de  son  pouvoir  ou  de  ses  titres,  c'est  un  témoignage 
qu'on  doit  à  sa  grandeur;  s'aigrir  des  délais,  s'irriter  des  refus, 
c'est  une  juste  et  noble  fierté;  refuser  d'obéir,  briser  le  joug  du 
devoir,  c'est  la  conscience  de  ses  droits;  enfin  les  enfans  de  lumière 
eux-mêmes  semblent  trouver  trop  pesant  le  précepte  de  l'humilité, 
et  c'est  au  fond  des  cloîtres  qu'ils  prétendent  reléguer  l'obligation 
et  le  pouvoir  de  l'accomplir.  Eh  quoi  !  est-ce  pour  les  seuls  habi- 
tansdes  cloîtres  ou  bien  pour  tous  ses  disciples  que  Jésus,  offrant 
à  la  terre  l'exemple  d'une  vertu  inconnue  avant  lui,  a  voulu  que 
l'humilité  le  séparât,  par  une  distinction  inattendue,  de  tous  les 


/,()2  nouvelle  bibliothèque 

orgueilleux  précepteurs  qu'avait  entendus  le  genre  humain,  et 
servît  de  premier  appui  à  ses  divines  leçons?  Discite  a  me,  quia  mh 
tis  sum  et  humilis  corde.  Parlait-il  pour  les  seuls  habitans  des  cloî- 
tres ou  bien  pour  tous  ses  disciples  lorsqu'il  menaçait  l'orgueil  d'un 
honteux  abaissement,  et  promettait  à  l'humilité  la  seule  grandeur 
véritable:  Qui  se  humiliât  exallabitur^  ou  lorsque,  plaçant  près 
de  lui  des  petits  enfans ,  il  proposait  aux  hommes  pour  modèle 
d'humilité  cet  âge  d'innocence  et  d'oubli  de  soi-même  qui ,  encore 
insensible  aux  intérêts  du  siècle,  s'inquiète  peu  de  ses  vaines  sol- 
licitudes, et  ne  connaît  ni  la  soif  des  honneurs,  ni  les  dépits  de 
l'ambition  trompée ,  ni  la  haine  d'un  rival  et  ses  sombres  fureurs  ? 
Nisi  efâciamini  sicut  parvuli,  non  intrabitis  in  regnum  cœlorum. 
Enfin  est-ce  pour  juger  les  seuls  habitans  des  cloîtres  ou  bien  tous 
ses  disciples  qu'il  doit  se  faire  précéder,  au  dernier  jour,  par  l'in- 
strument de  sa  mort  ignominieuse,  et  réduire  au  silence  les 
prétextes  de  la  lâcheté  et  les  murmures  de  l'orgueil,  en  offrant  à 
tous  les  regards  l'irrécusable  témoin  de  son  humilité  ? 

Ah!  Chrétiens,  cette  croix  qui,  à  ce  jour  formidable,  doit  faire 
couler  tant  de  pleurs  et  confondre  les  superbes  contempteurs  des 
affronts  de  Jésus,  peut  vous  épargner  aujourd'huile  malheur  d'un 
repentir  inutile ,  si  vous  voulez  recevoir  en  chrétien  ses  touchan- 
tes leçons  :vous  avez  pu  obscurcir  par  vos  préjugés  ou  altérer  par 
vos  sophismes  larigueur  d'un  commandement  que  Jésus  vous  avait 
intimé  tant  de  fois  durant  les  jours  de  sa  vie  mortelle;  mais  sur  la 
croix  le  précepte  de  l'humilité  est  écrit  pour  le  Chrétien  en  carac- 
tères de  sang,  lisibles  pour  tous  ,  et  repoussant  toute  réclamation 
et  toute  excuse;  car,  selon  la  pensée  de  l'apôtre  saint  Pierre,  la 
croix  n'offre  pas  seulement  au  Chrétien  un  Sauveur  lavant  dans  son 
sang  les  iniquités  du  monde,  mais  elle  lui  présente  aussi  un  guide 
qui,  par  ses  exemples,  nous  trace  la  route  que  nous  devons  tenir: 
Christus  passus  est  vobis  relinquens  exemplum  ut  sequamini  ves~ 
tigia  ejus. 

Non  ,  puisqu'il  convient  que  le  serviteur  ne  soit  pas  mieux  traité 
que  son  [Seigneur,  ni  le  disciple  mieux  que  son  maître,  le  Chré- 
tien ne  peut  repousser  l'humilité,  au  pied  d'une  croix  sur  laquelle 
le  Fils  de  Dieu  a  voulu  endurer  de  si  sanglans  outrages  ;  au  pied 
de  la  croix,  l'amour-propre  oublie  ses  délicatesses,  la  fierté  ses 
hauteurs ,  l'orgueil  son  arrogance ,  et  il  découle  de  ce  bois  sacré 
une  onction  secrète  qui  guérit  l'enflure  du  cœur,  et  mêle  le  baume 
d'une  ineffable  consolation  à  l'amertume  des  plus  humilians  sacri- 
fices. S'il  vous  faut  endurer  les  dédains ,  et  les  rebuts  réservés  si 


DES    PRÉDICATEURS.  4^3 

souvent  à  la  pauvreté ,  la  croix  vous  montre  le  Sauveur  terminant, 
dans  le  plus  honteux  dépouillement  ,  une  vie  passée  dans  l'indi- 
gence. Si  vous  êtes  tombé  du  faîte  des  honneurs,  la  croix  vous 
montre  le  Roi  des  rois  descendu  à  l'abjection  la  plus  profonde.  En- 
fin, si  la  calomnie  vous  déchire  sans  pitié,  si  l'orgueil  ou  l'injus- 
tice vous  abreuvent  de  dégoûts,  la  croix  vous  dit  que  Jésus  a  voulu 
choisir  encore  pour  lui  le  fiel  le  plus  amer  et  les  épines  les  plus 
cruelles  :  Christus  passus  est  vobis  relinqueiis  exemplum  ut  sequa- 
mim '  vestigia  ejus.  (Le  Même.) 

Jésus-Christ  recommande  l'humilité. 

La  première  des  leçons  que  notre  divin  législateur  a  voulu  don- 
ner aux  hommes  est  celle  de  l'humilité  :  c'est  par  là  qu'il  ouvre 
son  code  de  salut  :  Heureux  les  pauvres  d'esprit.  L'architecte  qui 
se  propose  d'élever  un  grand  et  magnifique  bâtiment  commence 
par  assurer  le  fondement  en  proportion  de  l'édifice;  voilà  ce  que 
fait  Jésus-Christ.  A  l'édifice  de  cette  philosophie  sublime  qu'il  al- 
lait introduire  sur  la  terre  ,  il  donne  pour  base  l'humilité ,  sachant 
bien  que  du  moment  où  elle  serait  solidement  assise  dans  les  cœurs, 
toutes  les  autres  vertus  viendraient  s'y  ranger  à  la  suite.  Vaine- 
ment on  posséderait  tout  le  reste;  sans  humilité,  vous  n'avez  fait 
que  bâtir  sur  le  sable,  et  tout  votre  travail  est  sans  profit. 

Je  n'appelle  point  humilité  un  langage  qui  n'est  que  sur  les 
lèvres;  je  la  veux  dans  le  cœur  et  dans  l'esprit;  je  la  veux 
dans  le  fond  de  la  conscience,  où  l'œil  de  Dieu  pénètre  seul. 
Celle-là  suffit  pour  nous  concilier  la  miséricorde  divine:  témoin 
le  publicain  de  l'Evangile  qui,  sans  autres  bonnes  œuvres,  fut 
justifié  parce  qu'il  s'était  accusé  lui-même  :  Seigneur^  ayez  pitié 
de  moi  qui  suis  un  pécheur  ^  tandis  que  le  Pharisien  ne  put  trouver 
grâce.  Si  l'humble  aveu  de  ses  fautes,  bien  que  dépouillé  de  toute 
autre  espèce  de  mérite,  assure  la  miséricorde  du  Seigneur,  que  ne 
doivent  pas  en  attendre  les  bonnes  œuvres  accompagnées  de  l'hu- 
milité ?  Ainsi  Paul,  le  plus  parfait  parmi  les  justes,  disait  n'être 
que  le  plus  grand  des  coupables  ;  il  ne  se  contentait  pas  de  le 
dire ,  il  en  était  fortement  persuadé ,  pratiquant  cette  maxime 
du  Maître  :  Quand  vous  aurez  tout  fait ,  dites  encore  que  vous 
lï êtes  que  des  serviteurs  inutiles.  (Saint  ChrysostÔme,  Homélie  sur 
la  vocation  de  saint  Paul.) 

Jésus-Christ  exalte  l'humilité. 
C'est  à  l'humilité  que  Jésus-Christ  assigne  le  premier  rang  parmi 


464  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

ses  béatitudes,  parce  que  le  déluge  des  maux  qui  inondent  la  terre 
n'a  point  d'autre  source  que  l'orgueil.  Le  Démon  avait  été  de  la 
nature  des  Anges  ;  c'est  l'orgueil  qui  en  a  fait  un  Démon.  Enivré 
par  les  folles  espérances  qu'il  lui  donna,  le  premier  homme  s'aban- 
donne à  l'orgueil  :  il  est  déchu  de  tous  ses  privilèges,  et  tombe 
dans  la  mort.  Il  s'est  imaginé  qu'il  allait  devenir  l'égal  de  Dieu  ,  et 
perd  même  ce  qui  lui  avait  été  donné.  VoiVa  Adam  devenu  comme 
ïun  de  nous,  lui  dit  ironiquement  le  Démon,  en  insultant  à  sa 
délirante  audace  :  telle  est  la  chimère  de  ses  imprudens  imitateurs  ; 
l'orgueil  leur  fait  croire  qu'ils  seront  semblables  à  Dieu. 

L'orgueil  étant  donc  le  principe  de  tous  nos  maux,  parce  qu'il 
est  la  source  de  tous  nos  désordres,  le  père  du  péché,  Jésus-Christ, 
pour  le  guérir  par  son  contraire,  nous  propose  l'humilité,  comme 
en  étant  le  préservatif  et  le  remède.  C'est  là  le  fondement  sur  le- 
quel repose  tout  l'édifice.  Avec  l'humilité,  on  bâtit  avec  assurance; 
sans  l'humilité  vous  élèveriez  jusqu'au  ciel  l'édifice  de  vos  vertus, 
le  bâtiment  croule  et  tombe  en  ruines;  prières,  jeûnes,  œuvres  de 
miséricorde,  combats  et  victoires  sur  la  chair,  tout,  en  un  mot,  est 
stérile  et  mort  sans  l'humilité. 

Heureux,  nous  dit  le  souverain  législateur,  heureux  les  pauvres 
d'esprit,  parce  que  le  royaume  du  ciel  est  à  eux.  Quels  sont  les 
pauvres  d'esprit  ?  ceux  qui  sont  humbles  et  contrits  de  cœur.  On 
peut  être  humble  par  la  bassesse  de  son  état ,  par  nécessité ,  non 
par  choix.  Ce  n'est  point  là  la  vertu  dont  parle  Jésus-Christ. 
L'humilité  vraie ,  dont  il  fait  ici  l'éloge,  c'est  celle  qui  provient 
d'un  cœur  pénétré  de  la  crainte  de  Dieu ,  qui  s'abaisse,  se  déprime 
d'elle-même  dans  ses  pensées  et  ses  affections,  se  reconnaissant 
dans  une  indigence  totale;  d'où  vient  qu'il  dit  heureux,  non  pas  seu- 
lement les  humbles,  mais  les  pauvres  desprit!  dans  le  même  sens 
que  les  paroles  du  Prophète  :  Sur  qui  jetterai- je  les  yeux ,  sinon  sur 
le  pauvre  contrit  et  humilié? 

Pourquoi  tant  recommander  si  fort  l'humilité  à  ses  Disciples,  tous 
d'une  condition  si  humble?  Avaient-ils  eu  jusque  là  la  moindre 
occasion  de  concevoir  de  l'orgueil,  eux  dont  la  profession  et  l'in- 
digence ne  faisaient  que  des  hommes  grossiers,  méprisables  à  leurs 
propres  yeux  comme  à  ceux  des  autres?  Quand  cette  leçon  ne  les 
eût  pas  regardés  spécialement,  elle  n'en  était  pas  moins  impor- 
tante pour  tous  ceux  qui  l'entendaient  de  sa  bouche,  ou  qui  de- 
vaient la  recueillir  de  la  bouchée  de  ces  mêmes  Apôtres.  Elle  les 
vengeait  du  mépris  que  l'orgueil  pouvait  concevoir  de  leur  ap- 
parente bassesse.  Mais  il  y  a  plus  :  si  peut-être  alors  cette  instruc- 


DES    PRÉDICATEURS.  4^5 

lion  ne  leur  était  pas  également  nécessaire,  elle  ne  manquerait 
pas  de  le  devenir,  pour  le  temps  qu'ils  se  verraient  en  possession 
de  faire  des  œuvres  si  extraordinaires,  de  se  voir  honorés  de  l'ad- 
miration des  peuples,  d'être  si  avant  dans  la  confiance  du  Seigneur. 
Y  avait-il  richesses,  dignités,  empire  même  capable  d'exalter  l'or- 
gueil ,  comme  les  privilèges  singuliers  auxquels  ils  étaient  desti- 
nés, avant  même  d'avoir  reçu  le  don  des  miracles?  Le  seul  aspect 
de  ce  nombreux  concours  de  peuple  empressé  d'apporter  à  leur 
maître  l'hommage  de  l'admiration  suffisait  pour  leur  inspirer  des 
pensées  humaines.  (Saint  Cïirysostôme,  Homélie  XV,  in  Matth.) 

Péroraison. 

Eh  quoi!  Seigneur,  en  faut-il  tant  pour  consentir  à  être  humble? 
et  ma  conscience,  malgré  les  réclamations  de  l'orgueil,  ne  me  dit- 
elle  pas  assez  haut  que,  quand  l'humilité  ne  serait  pour  les  autres 
qu'une  vertu  de  conseil,  elle  serait  encore  pour  moi  une  vertu  de 
justice  et  de  rigueur?  Car  j'aurais  beau  être  insensible  à  vos 
exemples  et  à  vos  lecons,j'aurais  beau  méconnaîtrela  loi  imposée  aux 
enfans  d'Adam  et  les  humiliantes  servitudes  de  ma  condition ,  du 
moins  il  faut  bien  me  souvenir  de  ma  faiblesse,  de  ma  corruption, 
de  mes  égaremens  peut-être  ;  et  si  cette  vue  ne  produit  pas  en  moi 
l'humilité ,  l'endurcissement  de  mon  cœur  expliquera  seul  cette  in- 
justice. Que  d'autres  prétendent  aux  honneurs!  je  suis  pécheur, 
l'humiliation  doit  punir  celui  qui,  par  le  péché,  s'est  dépouillé 
de  sa  véritable  grandeur  ;  qu'ils  se  montrent  jaloux  des  distinctions  ! 
je  suis  pécheur,  le  dernier  rang  convient  à  celui  qui  a  préféré 
l'asservissement  des  passions  aux  privilèges  de  l'adoption  divine  ; 
qu'ils  aspirent  à  la  gloire!  je  suis  pécheur,  je  dois  expier  sous  le 
joug  de  la  confusion  et  du  mépris  mon  avilissement  et  ma  dégra- 
dation volontaires  ;  enfin  ,  je  suis  pécheur ,  c'est  par  l'humilité  que 
je  dois  apaiser  un  Dieu  irrité  par  mon  orgueil  et  mériter  moi-même 
de  partager  un  jour  la  seule  gloire  véritable. 

O  Jésus,  qui  le  premier  apprîtes  à  la  terre  à  connaître  le  prix 
et  le  nom  même  de  l'humilité,  vous  venez  de  porter  sous  mes  yeux 
le  flambeau  de  la  vérité,  et  de  poursuivre  mon  amour-propre  jus- 
que dans  ma  piété  même,  dont  il  voudrait  se  faire  une  dernière 
retraite.  O  Fils  de  Dieu!  anéanti  jusqu'à  devenir  le  Fils  delhomme, 
vous  avez  bien  acquis  le  droit  de  me  commander  l'humilité  ,  vous 
qui,  bien  différent  des  maîtres  d'une  sagesse  profane,  ne  vous 
contentez  pas  de  m'en  donner  le  précepte,  mais  qui  me  la  prêchez 
t.   m,  3o 


£66  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

par  vos  exemples,  depuis  la  paille  chétive  qui,  à  votre  naissance, 
vous  a  servi  de  couche,  jusqu'au  bois  de  l'ignominie  sur  lequel 
en  mourant  -vous  fûtes  étendu.  Mais  quoi  !  le  cri  de  ma  conscience 
ne  devrait-il  pas  être  ma  première  leçon  ?  Au  milieu  de  ces  vertus 
d'appareil  dont  je  fais  gloire,  ne  l'entends-je  pas  quelquefois  me 
reprocher  mes  misères ,  mes  faiblesses ,  ma  corruption  peut-être  ? 
Ah!  si  je  n'ai  pas  le  courage  d'en  révéler  la  honte,  il  faut  bien  du 
moins  que  je  sois  assez  juste  pour  être  humble  à  ce  souvenir. 
Pourquoi  murmurer  après  tout,  et  pourquoi  me  plaindre  ?  L'hu- 
milité n'a-t-elle  pas  aussi  ses  charmes  et  ses  douceurs?  elle  em- 
bellit la  vertu ,  elle  rehausse  le  prix  des  talens ,  elle  relève  l'éclat 
de  la  naissance,  elle  ennoblit  la  pauvreté,  elle  est  le  fondement 
d'une  piété  solide  et  le  garant  des  récompenses  éternelles.  Ainsi 
soit-il.  (  M.  Borderies.) 


DES    PRÉDICATEURS.  4% 


IMMORTALITE  DE  L'AME. 


REFLEXIONS  TIIEOLOGIQUES  ET  MORALES  SUR  CE  SUJET. 


La  vie  de  l'homme  consiste  dans  l'union  de  son  ame  avec  son 
corps;  sa  mort  est  la  séparation  de  ces  deux  substances.  Mais  de 
ce  qu'elles  cessent  d'exister  ensemble,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'elles 
cessent  absolument  d'exister.  Leur  union  n'est  pas  une  chose  qui 
leur  soit  essentielle.  Je  conçois  un  corps  humain  existant  sans  une 
ame;  et  dans  le  fait,  avant  que  le  corps  mort  se  dissolve  et  tombe 
en  pourriture,  je  le  vois  tout  entier,  et  tel  qu'il  était,  à  son  mou- 
vement près,  qui  est  un  accident  et  non  un  attribut  essentiel  des 
corps.  Je  conçois  de  même  une  substance  spirituelle  existante 
sans  qu'elle  soit  unie  à  la  matière.  J'ai  l'idée  de  Dieu  ,  l'idée  de 
l'Ange;  je  puis  de  même  avoir  l'idée  isolée  et  indépendante  de  son 
corps.  C'est  Dieu,  créateur  de  l'ame  et  du  corps,  qui  les  a  unis  par 
sa  volonté  ;  qui,  par  sa  même  volonté,  peut  les  faire  subsister  sé- 
parés; et  comme  ces  deux  êtres  ne  sont  pas  l'un  à  l'autre  des  cau- 
ses d'existence,  ils  ne  se  sont  pas  non  plus  mutuellement  des  cau- 
ses de  destruction. 

La  séparation  de  deux  substances  unies  pour  former  un  seul 
tout,  est,  à  la  vérité,  la  destruction  de  ce  tout  :  les  parties  dont  il 
était  composé  ne  le  composant  plus,  il  a  cessé  d'être  ce  qu'il  était. 
Ainsi,  à  la  séparation  de  l'ame  et  du  corps,  l'homme  n'est  plus 
homme ,  puisquiiLnexiste  plus  un  composé  de  corps  et  dame. 
Mais  la  séparation  de  deux  substances  dont  l'union  formait  un 
tout  n'est  pas  la  destruction  de  ces  substances  elles-mêmes;  et 
nous  en  avons  la  preuve  dans  ce  qui  arrive  au  corps  lui-même  : 
peu  après  sa  séparation  d'avec  lame,  il  se  dissout,  se  corrompt; 
les  particules  de  matière  dont  il  était  composé  se  séparent  les  unes 
des  autres;  ainsi  le  corps  lui-même,  au  bout  de  quelque  temps, 
est  détruit,  mais  ses  parties  ne  le  sont  pas  ;  dans  leur  division, 
elles  continuent  d'exister,  et  vont  se  réunir  à  d'autres  particules 

3o. 


/,fi8  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

de  matière  pour  former  d'autres  corps.  Nos  adversaires  prétendent 
eux-mêmes  qu'il  ne  périt  pas  un  seul  atome  dans  le  monde  :  la 
scission  qui  détruit  l'ensemble  laisse  subsister  toutes  les  parties. 
Or,  si  la  séparation  de  substances  homogènes  ,  telles  que  sont  les 
parties  de  la  chair  humaine ,  n'entraîne  la  destruction  d'aucune  de 
ces  parties,  à  plus  forte  raison,  de  la  séparation  de  deux  substan- 
ces aussi  différentes  par  leur  nature  que  le  sont  l'ame  et  le  corps, 
on  ne  peut  pas  conclure  que  l'ame  est  détruite  et  cesse  d'exister, 
parce  qu'elle  cesse  d'être  unie  au  corps. 

Un  être  peut  éprouver  la  destruction  de  deux  manières:  ou  par 
la  dissolution,  ou  par  l'anéantissement.  Le  corps  humain  (et  il  en 
est  de  même  de  tous  les  autres  corps)  se  détruit  par  dissolution , 
par  la  divulsion  de  ses  parties  :  le  lien  qui  les  unissait  étant  rom- 
pu, elles  se  divisent,  et  cessent  de  former  le  même  corps,  qui  dès 
lors  est  détruit.  Mais  l'ame  n'est  pas,  comme  le  corps,  un  composé 
de  parties;  elle  est,  ainsi  que  nous  l'avons  prouvé,  absolument 
simple  et  indivisible  :  elle  ne  peut  pas  perdre  un  arrangement 
qu'elle  n'a  point  ;  ce  qui  n'est  point  composé  n'est  pas  susceptible 
de  décomposition  ;  ce  qui  n'a  point  de  parties  ne  peut  pas  périr 
par  la  séparation  de  ses  parties.  La  dissolution,  la  corruption  d'une 
substance  spirituelle  est  une  contradiction  formelle  dans  les  ter- 
mes. Ainsi ,  d'abord  ce  serait  une  absurdité  de  dire  que  le  corps , 
par  sa  dissolution,  entraîne  celle  de  l'ame. 

Il  ne  serait  pas  moins  déraisonnable  de  soutenir  que  la  destruc- 
tion du  corps,  qui  est,  non  une  annihiliation  ,  mais  une  simple 
dissolution,  produisît  l'annihilation  absolue  de  l'ame  :  ce  serait  un 
effet  hors  de  proportion  avec  sa  cause.  Quelle  connexion  y  a-t-il 
entre  le  principe,  le  corps  est  dissout,  et  la  conclusion,  donc  l'ame 
est  anéantie?  Quelle  est  l'idée  qui  unit  ces  deux-là?  qui  montre 
que  l'une  découle  nécessairement  de  l'autre?  d'après  laquelle  la 
première  de  ces  propositions  ne  peut  pas  être  vraie  sans  que  la  se- 
conde le  soit? 

L'ame,  indissoluble,  ne  peut  être  détruite  que  par  l'anéantisse- 
ment; d'où  il  résulte  évidemment  qu'elle  ne  peut  être  détruite  par 
aucun  agent  naturel.  En  effet,  i°  toutes  les  forces  de  la  nature 
consistent  dans  le  mouvement;  elles  n'agissent  que  parle  contact; 
elles  ne  détruisent  les  êtres  qu'en  les  heurtant,  les  brisant,  divi- 
sant et  dispersant  leurs  parties  ;  mais  la  substance  spirituelle  n'est 
pas  susceptible  de  contact;  elle  ne  donne  aucune  prise  au  choc; 
il  est  évident  que  ce  qui  n'a  pas  de  solidité  ne  peut  pas  être  heur- 
té; que  ce  qui  n'a  pas  de  parties  ne  peut  pas  éprouver  une  division 


DES    PRÉDICATEURS.  4^9 

de  parties.  i°  Ce  n'est  pas  seulement  la  substance  spirituelle  que 
les  agens  naturels  sont  dans  l'impuissance  d'anéantir;  tout  anéaîi- 
tissement  est  au  dessus  de  leurs  forces.  L'intervalle  entre  le  néant 
et  l'être  est  infini;  il  faut  donc,  pour  le  franchir  et  pour  faire 
passer  de  l'un  à  l'autre  la  puissance  infinie  ;  celui-là  seul  peut 
faire  rentrer  dans  le  néant,  qui  seul  a  pu  en  faire  sortir.  L'annihi- 
lation ,  de  même  que  la  création ,  est  un  acte  de  la  Toute-Puis- 
sance :  l'homme  ne  peut  que  composer  et  décomposer;  il  est  au 
dessus  [de  son  pouvoir  d'ajouter  à  la  nature  ou  d'en  retrancher 
un  seul  atome. 

Puisque  la  destruction  ,  ou  ,  ce  qui  revient  au  même,  l'annihila- 
tion de  l'ame  ne  peut  être  que  l'effet  de  la  volonté  libre  du  Tout- 
Puissant,  elle  ne  peut  nous  être  connue  que  par  une  manifestation 
positive,  faite  par  le  Tout-Puissant,  de  cette  volonté.  Incrédules, 
qui  soutenez  cet  anéantissement,  il  vous  est  donc  nécessaire,  pour 
le  prouver,  de  produire  une  révélation  divine  qui  le  déclare. 

Si  la  nature  de  l'ame  prouve  métaphysiquement  qu'elle  est  indis- 
soluble, qu'elle  ne  renferme  par  conséquent  en  elle-même  aucun 
principe  de  destruction ,  que  la  ruine  du  corps  auquel  elle  est 
unie  ne  lui  porte  aucune  atteinte,  de  même  que  le  déchirement 
d'un  habit  laisse  dans  son  entier  le  corps  qui  en  est  revêtu,  la  des- 
tination que  lui  abonnée  son  Auteur  est  encore  un  motif  d'en 
être  convaincu. 

Ce  n'est  pasjl'ame  qui  est  faite  pour  le  corps;  c'est  au  contraire 
le  corps  qui  est  fait  pour  l'ame.  Tout  nous  le  montre  :  la  dignité 
de  l'ame,  l'autorité  qu'elle  a  sur  le  corps,  dont  elle  commande 
avec  empire  tous  les  mouvemens;  l'obéissance  constante  du  corps 
a  ses  ordres,  tandis  qu'elle  reste  maîtresse  de  résister  aux  impres- 
sions que  le  corps  lui  communique;  son  activité  naturelle ,  tandis 
que  le  corps  est  inerte  de  sa  nature.  Le  corps  n'est  qu'un  instru- 
ment que  l'ame,  agent  libre  et  actif,  meut,  conduit  et  applique 
selon  sa  volonté  aux  usages  qui  lui  plaisent;  est-ce  une  conséquence 
naturelle  et  juste  que  l'agent  soit  détruit  parce  que  l'instrument 
dont  il  se  servait  est  brisé  ? 

L  ame  est  destinée  à  régir  le  corps  ,  à  le  conserver,  à  le  préser- 
ver des  dangers  auxquels  l'expose  son  aveugle  imbécillité.  Mais'n'a- 
t-elle  que  cette  destination  ?  Si  elle  n'en  avait  pas  d'autre,  on  au- 
rait quelque  fondement  d'imaginer  qu'à  la  dissolution  du  corps 
l'ame,  devenue  inutile  aux  desseins  de  son  Auteur,  serait  anéantie 
par  lui,  ainsi  que  le  pensent,  au  sujet  des  bêtes,  ceux  qui  leur  ac- 
cordent une   ame   spirituelle.  Ce  n'est    pas   encore  ici    le   lieu 


470  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

d'examiner  quelle  peut  être  la  destination  ultérieure  de  l'âme  hu- 
maine; mais  il  est  certain  qu'outre  la  sollicitude  et  le  régime  du 
corps,  elle  a  été  créée  pour  une  autre  fin.  Si  les  soins  du  corps 
étaient  le  seul  objet  de  sa  création ,  toutes  ses  opérations  n'au- 
raient d'autre  but  que  les  besoins  du  corps  ;  et  jamais  ses  pensées, 
semblables  alors  à  celles  des  bêtes ,  ne  s'élèveraient  au  delà.  De 
quoi  lui  servirait,  dans  ce  cas ,  d'avoir  la  connaissance  de  son  Au- 
teur, la  notion  du  bien  et  du  mal  moral,  le  sentiment  de  sa  liberté, 
capable  de  choisir  entre  l'un  et  l'autre  ?  Un  Créateur  sage  lui  au- 
rait-il donné  ces  facultés  sans  motif  et  sans  dessein?  Ainsi,  quand 
nous  voyons  l'âme  s'élever  au  dessus  du  corps,  et  en  quelque 
sorte  s'en  séparer  par  ses  idées,  par  ses  méditations,  par  ses  affec- 
tions, par  ses  désirs,  par  ses  volontés,  nous  pouvons  légitimement 
conclure  que  le  corps  n'est  pas  son  seul  objet,  son  unique  fin.  En 
traitant  de  ia  spiritualité  de  l'ame,  nous  avons  vu  qu'outre  les  opé- 
rations qu'elle  fait  par  l'intermédiaire  du  corps,  elle  en  produit 
d'autres,  qui  lui  sont  exclusivement  propres ,  dans  lesquelles  le 
corps  n'entre  pour  rien ,  pour  lesquelles  elle  n'a  aucun  besoin 
de  lui,  auxquelles  il  ne  concourt  ni  ne  sert  nullement.  Ne 
peut-on  pas  encore  en  inférer  que,  séparée  du  corps,  l'ame  restera 
toujours  capable  de  ces  fonctions? 

Nos  adversaires  font  le  raisonnement  contraire  :  «  La  vie  de 
»  l'ame  n'est  que  la  succession  de  ses  pensées  :  ainsi,  en  cessant 
«  de  penser,  elle  cesse  de  vivre.  Mais  toutes  ses  pensées  tiennent  à 
«  ses  sens,  lui  viennent  de  ses  sens  :  on  ne  conçoit  pas  qu'elle  pense 
«  indépendamment  de  ses  organes;  on  ne  conçoit  pas  qu'elle  existe 
«  sans  son  essence,  qui  est  la  pensée.  Que  pourrait-elle  donc  être 
«  sans  le  corps,  qui  est  nécessaire  à  son  être?  » 

C'est  une  question  qu'agitent  les  métaphysiciens,  de  savoir  si 
l'essence  de  l'ame  consiste  dans  la  pensée  actuelle  ou  dans  la  fa- 
culté de  penser.  Nous  n'avons  pas  à  y  entrer  :  accordons  aux  in- 
crédules leur  principe;  consentons  que  lame  ne  soit  jamais  sans 
quelque  pensée  :  tout  ce  qui  en  résultera  ,  c'est  que  lame  séparée 
du  corps  continuera  toujours  d'avoir  des  idées.  Je  conçois  une 
substance  spirituelle,  pensante,  sans  le  ministère  des  sens, 
puisque  j'ai  l'idée  de  Dieu  absolument  incorporel.  Il  ne  répugne 
pas  davantage  que  l'ame  produise  des  pensées  ,  quoiqu'elle  ne  soit 
plus  unie  à  un  corps.  Bayle,  dont  l'autorité  ne  doit  pas  être  sus- 
pecte aux  incrédules,  reconnaît  que  Dieu  pourrait  imprimer  à 
lame  séparée  du  corps,  immédiatemeut  et  sans  l'intermédiaire  des 
sens,  les  idées  mêmes  qui  viennent  des  sensations. 


DES    PRÉDICATEURS.  ^  l 

Je  vais  plus  loin  :  et,  avec  l'orateur  philosophe,  je  dis  que  Ton 
conçoit  plus  facilement,  plus  clairement  l'aine  existante  et  pen- 
sante, lorsqu'elle  est  isolée  et  séparée  du  corps,  que  quand  elle  y 
est  unie.  L'union  de  lame  avec  le  corps  est  incompréhensible  ; 
l'influence  réciproque  de  ces  deux  substances  passe  nos  lumières  ; 
je  crois  cette  réciprocité  d'opérations  parce  que  je  la  sens;  mais  la 
manière  dont  elle  s'effectue  est  pour  moi  un  mystère.  La  pensée 
de  l'être  purement  spirituel  se  comprend  bien  plus  aisément  : 
l'incompréhensibilité  de  la  communication  n'est  plus;  ce  mystère 
a  disparu.  Moins  je  comprends  comment  le  corps  fait  naître  dans 
l'ame  des  pensées,  plus  je  conçois  les  pensées  dans  l'aine  devenue 
indépendante  du  corps.  Il  me  semble  absurde  de  prétendre  qu'un 
être  essentiellement  actif  a  essentiellement  besoin,  pour  exercer 
son  action,  de  la  conjonction,  du  concours,  de  la  coopération 
d'un  autre  être  essentiellement  passif  et  inerte. 

Toutes  les  pensées  de  lame  lui  viennent ,  dit-on  ,  des  sens  ;  pas- 
sons pour  un  moment  l'assertion  :  qu'en  résulte-t-il ?  C'est  un  rai- 
sonnement aussi  faux  que  celui-ci  :  l'ame ,  pendant  la  vie ,  pense 
par  l'intermédiaire  des  sens,  donc  elle  ne  peut  jamais  penser  au- 
trement; son  état  actuel  est  de  penser  par  le  corps,  donc  il  est 
impossible  qu'il  y  ait  pour  elle  un  autre  état  dans  lequel  elle  pense 
sans  le  corps. 

Mais,  d'ailleurs,  les  matérialistes  ne  cessent  de  répéter  ce  prin- 
cipe fondamental  de  leur  système,  que  toutes  les  pensées  sont 
produites  par  les  sens  ;  mais  ils  ne  le  prouvent  jamais.  Ils  donnent 
comme  un  axiome  incontestable  ce  qui  est  en  question ,  ce  qu'on 
leur  conteste,  ce  dont  on  leur  démontre  évidemment  la  fausseté. 
J'ai  traité  ce  point  assez  amplement  ailleurs,  pour  n'avoir  pas  à  y 
revenir  ici. 

«L'ame,  disent  encore  quelques  incrédules,  éprouve  toutes 
«  les  révolutions  du  corps;  elle  doit  donc  subir  aussi  celle  de  la 
«  mort.  » 

Et  le  fait  et  la  conséquence  du  fait,  tout  est  faux  dans  ce  rai- 
sonnement. 

En  premier  lieu,  en  traitant  de  la  spiritualité  de  l'ame ,  à  laquelle 
on  oppose  la  même  difficulté,  j'ai  montré  qu'il  n'est  pas  vrai  que 
l'ame  subisse  toutes  les  vicissitudes  que  ressent  le  corps.  Dès  qu'il 
y  a  quelques  unes  des  révolutions  éprouvées  par  le  corps  qui 
n'affectent  pas  lame,  comment  peut-on  assurer  qu'elle  subira  celle 
de  la  mort  ? 

En  second  lieu ,  quand  il  serait  vrai  que  l'effet  constant  et  tou- 


4^2  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

jours  uniforme  de  l'union  de  l'ame  avec  le  corps,  est  que  Faîne 
partage  tout  ce  qu'éprouve  le  corps,  il  n'en  résulterait  nullement 
que  l'union  de  ces  deux  substances  est  nécessaire  à  leur  existence. 
Dans  les  deux  hypothèses  ,  soit  de  la  survivance  de  l'ame  au  corps, 
soit  de  sa  destruction  avec  le  corps,  cette  communauté  d'affec- 
tions et  de  modifications  peut  toujours  avoir  lieu;  elle  ne  prouve 
donc  ni  l'une  ni  l'autre  hypothèse.  En  un  mot,  si  l'union  de  l'es- 
prit avec  le  corps  est  accidentel ,  l'esprit  peut  subsister  sans  cette 
union.  On  ne  prouve  pas  qu'elle  est  essentielle,  en  disant  que, 
tant  qu'elle  dure ,  lame  passe  par  les  mêmes  vicissitudes  que  le 
corps. 

Quelques  autres  incrédules  disent  que  «  si  lame  ne  peut  être 
«détruite  que  par  l'anéantissement,  elle  peut  au  moins  tomber 
«  dans  un  état  d'inertie  et  d'insensibilité  qui  est ,  pour  elle,  la  mort. 
«  Le  corps  meurt,  parce  que  ses  mouvemens  organiques,  quicon- 
«  stituent  sa  vie,  cessent  :  de  même  l'ame,  dont  la  vie  consiste  dans 
«  la  pensée,  cesse  de  vivre  lorsqu'elle  cesse  de  penser.  » 

Il  ne  suffit  pas  de  dire  que  Dieu,  à  la  mort  de  l'homme,  pour- 
rait, de  même  qu'il  fait  cesser  dans  le  corps  des  mouvemens  or- 
ganiques ,  priver  l'ame  de  la  faculté  de  penser;  il  faudrait  prouver 
qu'il  fait  cet  usage  de  sa  toute-puissance.  La  simple  possibilité  de 
la  cessation  des  pensées  n'est  nullement  une  preuve  que  la  mort 
de  Famé  suive  celle  du  corps.  Les  incrédules  ne  donnant  de  leur 
allégation  aucune  raison,  nous  y  répondrions  suffisamment  par 
une  simple  et  sèche  dénégation  ;  mais  nous  pouvons  leur  opposer 
des  raisonnemens  plus  positifs.  D'abord,  si  l'activité  et  la  faculté 
de  penser  sont  de  l'essence  de  l'ame,  on  ne  conçoit  pas  que  Dieu, 
en  la  laissant  subsister,  la  rende  inerte  et  incapable  de  former  des 
pensées.  Ensuite,  tandis  qu'elle  est  unie  au  corps,  l'ame  produit 
beaucoup  de  pensées  absolument  indépendantes  du  corps  :  on 
peut  légitimement  en  conclure  qu'elle  les  conservera  lorsqu'elle 
sera  dégagée  du  corps  :  ce  n'est  pas  l'union  qui  les  lui  donne;  la 
séparation  ne  peut  donc  pas  les  lui  faire  perdre. 

Concluons  que  le  corps  et  l'ame  sont  deux  substances,  lesquelles, 
de  même  qu'elles  sont  de  natures  différentes ,  ont  aussi  leur  exis- 
tence indépendante  l'une  de  l'autre  ;  et  qu'il  est  au  pouvoir  de  celui 
qui  les  a  unies,  et  qui  les  fait  exister  ensemble  dans  l'état  d'union  , 
de  les  séparer,  et  de  faire  subsister  après  la  séparation  ,  soit  toutes 
les  deux,  soit  l'une  des  deux.  Dieu  en  agit-il  ainsi  envers  l'ame? 
Lui  applique-t-il  alors  la  sanction  de  la  loi  naturelle ,  par  des  ré- 
compenses pour  l'observation ,  par  des  peines  pour  l'infraction  ? 


DES    PRÉDICATEURS.  47$ 

C'est  ce  que  nous  allons  voir  dans  l'article  suivant  :  de  la  possibi- 
lité nous  allons  passer  au  fait,  et  après  avoir  montré  ce  qui  peut 
être,  nous  allons  examiner  ce  qui  est. 

«  V immortalité  de  l'ame  (j'ai  déjà  observé  que  souvent  on  con- 
fond l'immortalité  avec  la  survivance)  «est  une  chose  qui  nous  im- 
«  porte  si  fort,  et  qui  nous  touche  si  profondément,  dit  Pascal,  qu'il 
«  faut  avoir  perdu  tout  sentiment  pour  être^'dans  l'indifférence  de 
«  savoir  ce  qui  en  est.  Toutes  nos  actions  et  toutes  nos  pensées  doi- 
«  vent  prendre  des  routes  si  différentes,  selon  qu'il  y  aura  des  biens 
«  éternels  à  espérer,  ou  non ,  qu'il  est  impossible  de  faire  une  dé- 
«  marche  avec  sens  et  jugement  qu'en  la  réglant  par  la  vue  de  ce 
«  point,  qui  doit  être  notre  dernier  objet.  » 

Mais  l'importance  même  de  ce  dogme  est  ce  qui  lui  suscite  ses 
plus  grands  ennemis.  L'obligation  qu'il  impose  de  régler  toutes  les 
actions  sur  la  considération  d'une  autre  vie  soulève  contre  lui 
ceux  qui  |ne  veulent  avoir  d'autres  règles  que  leurs  passions.  La 
crainte  des  jugemens  divins,  que  la  bonté  divine  unie  à  la  justice 
leur  présentait  pour  les  préserver  ou  les  retirer  du  désordre,  est  ce 
qui  les  précipite  dans  le  fond  du  désordre.  Pour  se  soustraire  à 
une  doctrine  qui  trouble  leurs  plaisirs ,  ils  imaginent  de  se  donner 
l'affreuse  sécurité  de  l'incrédulité  :  semblables  à  l'animal  imbécile 
qui  se  croit  échappé  au  danger  quand  il  a  cessé  de  le  voir. 

A  ce  système,  aussi  funeste  qu'il  est  faux,  nous  opposons  le 
principe  certain  et  fondamental  de  toute  morale,  qu'en  terminant 
cette  vie  l'ame,  conservée  par  son  Créateur,  entre  dans  une  se- 
conde vie ,  où  elle  reçoit  le  prix  des  vertus  qu'elle  a  pratiquées , 
ou  la  peine  des  vices  auxquels  elle  s'est  abandonnée. 

A  ne  considérer  que  la  puissance  de  Dieu ,  l'annihilation  de 
l'ame  au  moment  de  la  mort  est  certainement  possible.  La  substance 
spirituelle  ne  renferme  aucun  principe  interne  de  destruction , 
mais  il  peut  y  en  avoir  un  principe  externe  :  son  indissolubilité 
ne  s'oppose  pas  à  ce  que  le  pouvoir  suprême  qui  l'a  tirée  du  néant 
l'y  fasse  rentrer.  Le  Tout-Puissant,  comme  nous  l'avons  dit  ail- 
leurs, peut  tout  ce  qu'il  veut;  il  n'y  a  d'impossible  pour  lui  que  ce 
qu'il  ne  peut  pas  vouloir;  et  il  ne  peut  pas  vouloir  ce  qui  contrarie 
ses  divins  attributs.  Si  donc  l'anéantissement  de  l'ame  humaine  est 
opposée  à  des  perfections  autres  que  la  toute-puissance,  nous 
sommes  assurés  que  Dieu  n'y  emploiera  pas  sa  toute-puissance  : 
il  ne  le  pourra  pas,  parce  qu'il  ne  le  voudra  pas. 

Pour  procéder  à  la  preuve  de  la  survivance  de  l'ame ,  je  com- 
mence par  rappeler  un  fait  que  j'ai  déjà  énoncé  au  commencement 


4?4  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

de  ce  chapitre  :  c'est  que  les  biens  de  cette  vie  sont  communs  aux 
bons  et  aux  médians,  et  indifféremment  distribués  aux  uns  et 
aux  autres.  On  peut  même  dire  qu'à  cet  égard  les  scélérats  sont 
mieux  traités  généralement  que  les  honnêtes  gens.  La  raison  en 
est  que,  n'ayant  en  vue  que  ces  sortes  de  biens,  ils  emploient,  pour 
se  les  procurer,  toutes  sortes  de  moyens  honnêtes  et  malhonnêtes, 
que  les  hommes  vertueux  ne  se  permettent  pas.  Je  n'ai  pas  besoin 
de  prouver  cette  vérité,  que  fait  voir  évidemment  et  continuelle- 
ment l'expérience.  Nos  adversaires  ne  la  contestent  même  pas  : 
au  contraire,  ils  se  font  de  la  prospérité  des  médians  sur  la  terre 
un  de  leurs  principaux  argumens  contre  la  Providence;  argument 
qui  véritablement  aurait  de  la  force,  si  le  dogme  de  la  vie  future 
n'en  donnait  pas  la  solution. 

D'après  cette  répartition  des  biens  et  des  maux  de  la  vie,  égale 
entre  les  justes  et  les  malfaiteurs,  si  même  elle  n'est  pas  plus  favo- 
rable à  ceux-ci,  nous  faisons  le  raisonnement  contraire  à  celui 
des  incrédules,  et  bien  mieux  fondé  que  le  leur  :  nous  disons  que 
Dieu  ne  récompensant  pas  dans  cette  vie  les  vertus,  et  n'y  punis- 
sant pas  les  vices,  c'est  une  conséquence  nécessaire  qu'il  y  ait, 
après  la  mort,  un  autre  état  où  la  récompense  sera  accordée  et  le 
châtiment  infligé;  qu'il  se  doit  à  lui-même  cette  sanction,  et  qu'il 
manquerait  à  sa  sagesse,  à  sa  bonté  et  à  sa  justice,  s'il  manquait  à 
l'exercer. 

i°  Il  est  contraire  à  la  sagesse  de  vouloir  une  fin  sans  en  vouloir 
les  moyens.  Dieu  veut  que  l'homme  fasse  le  bien  et  évite  le  mal , 
et  il  lui  en  donne  le  précepte;  nous  l'avons  vu  dans  l'article  pré- 
cédent :  il  est  donc  de  sa  sagesse  de  pourvoir  à  l'observation  de  ce 
précepte,  en  donnant  à  l'homme  un  motif  puissant,  universel  et 
toujours  subsistant,  de  suivre  la  vertu  et  de  s'éloigner  du  vice.  Les 
motifs  qui  déterminent  l'homme  sont  le  désir  du  bonheur  et  la 
crainte  du  malheur  :  la  sagesse  divine  exige  donc  qu'il  soit  pourvu 
à  l'observation  du  précepte ,  en  attachant  le  bonheur  à  la  vertu  et 
le  malheur  au  vice.  Mais  dans  la  vie  présente,  cette  sanction  n'est 
pas  effectuée  :  il  doit  donc  y  avoir ,  après  cette  vie ,  un  autre  état 
où  elle  se  réalise. 

Dans  l'hypothèse  des  incrédules ,  quel  motif  assez  fort  pourra 
déterminer  l'homme  aux  sacrifices  que  souvent  exige  la  pratique 
de  la  vertu?  S'il  n'a  d'autres  biens  à  espérer  que  ceux  de  la  vie  ac- 
tuelle, son  unique  intérêt  sera  de  se  les  procurer  par  toutes  sortes 
de  voies;  et  comme  le  vice  apporte  souvent  plus  d'avantages  présens 
ue  la  vertu,  il  aura,  dans  une  multitude  d'occasions,  plus  d'in- 


DES    PRÉDICATEURS.  47^ 

terêt  à  commettre  le  mal  qu'a  opérer  le  bien.  Ainsi,  la  sagesse  infi- 
nie se  contredirait  elle-même:  elle  donnerait  à  la  fois  le  précepte  de 
l'observation  et  le  motif  de  l'infraction;  elle  mettrait  le  moyen  en 
opposition  avec  la  fin. 

p  2°  S'il  n'y  a  de  bonheur  que  dans  cette  vie»  la  bonté  divine 
est  évidemment  en  défaut  :  l'existence  qu'elle  a  donnée  à  l'homme 
n'est  qu'un  don  funeste  ;  les  souffrances  n'ont  plus  de  dédomma- 
gement; les  combats  contre  les  passions,  plus  de  récompenses; 
les  victoires  sur  les  passions,  plus  de  palmes;  les  travaux,  plus 
de  salaires;  les  douleurs,  plus  de  consolations.  Les  incrédules, 
qui  relèvent,  qui  exaltent,  qui  même  quelquefois  exagèrent  les 
maux  que  souffrent  les  justes  sur  la  terre ,  font  sentir  bien  claire- 
ment la  nécessité  d'une  vie  différente  sous  l'empire  d'un  Dieu  bien- 
faisant. Un  maître  bon  doit  faire  le  bonheur  de  ceux  qui  suivent 
ses  ordres.  Otez  la  vie  future ,  quel  est  le  bonheur  que  Dieu  pro- 
cure aux  observateurs  de  ses  commandemens  ? 

Est-il  conforme  à  la  bonté  du  Créateur  que  sa  créature,  par 
l'acte  le  plus  parfait  d'obéissance  et  de  vertu  qu'elle  puisse  faire , 
détruise  son  bonheur  ?  Le  comble  de  la  perfection  est  de  mourir 
pour  la  vertu  :  si  cet  acte  héroïque  ne  mène  pas  au  bonheur ,  il 
anéantit  tout  celui  que  l'homme  pouvait  espérer. 

3°  Est-il  juste  à  un  supérieur  qui  a  donné  des  ordres ,  de  traiter 
également  et  indifféremment  ceux  qui  les  enfreignent  et  ceux  qui 
les  remplissent  ?  C'est  cependant  ce  qu'imputent  à  Dieu  ceux  qui 
prétendent  qu'il  a  borné  l'existence  de  l'homme  à  cette  vie.  Il  faut 
même  qu'ils  aillent  plus  loin;  comme  le  vice  jouit  plus  souvent 
des  agrémens  et  des  avantages  de  ce  monde  que  la  vertu ,  ils  doi- 
vent, conséquemment  à  leur  système,  soutenir  que  la  justice  divine 
a  voulu  et  a  établi  un  ordre  de  choses  dans  lequel  c'est  à  l'infrac- 
tion de  ses  commandemens  qu'elle  a  attaché  le  bonheur,  et  c'est 
à  cause  de  l'observation  qu'elle  rend  misérable.  Voici  le  raisonne- 
ment qu'ils  attribuent  au  dominateur  essentiellement  et  infiniment 
juste  :  En  créant  un  être  libre, je  lui  ai  donné  des  préceptes;  je 
lui  ai  ordonné  de  les  observer,  en  n'épargnant  ni  efforts  ni  tra- 
vaux; je  lui  ai  défendu  de  les  violer,  quelque  satisfaction,  quelque 
avantage  qu'il  pût  y  trouver;  et  celui  qui  m'aura  obéi  aura,  pour 
tout  prix  de  ses  sacrifices,  les  peines  qu'ils  lui  auront  causées  ; 
celui  au  contraire  qui  m'aura  désobéi  aura  pour  unique  punition 
la  jouissance  des  plaisirs  qu'il  se  sera  procurés.  Malheur  aux  obser- 
vateurs du  commandement,  bonheur  aux  infracteurs;  sage  celui 
qui  se  rend  heureux  aux  dépens  de  ses  semblables ,  insensé  celui 


4j6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

qui  fait  le  bonheur  public  par  ses  privations  :  voilà  le  système  de 
justice  divine  de  nos  adversaires. 

Concluons  en  trois  mots  :  ou  le  pre'cepte  divin,  de  faire  le  bien 
et  d'éviter  le  mal,  n'est  muni  d'aucune  sanction,  ou  il  a  sa  sanc- 
tion dans  la  vie  présente,  ou ,  comme  nous  le  soutenons ,  sa  sanc- 
tion est  réservée  à  une  vie  future.  De  ces  trois  choses,  la  première 
répugne  manifestement  aux  attributs  divins;  la  seconde  est  formel- 
lement démentie  par  une  expérience  constante  et  évidente;  reste 
donc  la  troisième. 

J'oserai  donc  le  dire  à  la  suite  des  docteurs  de  l'Eglise ,  s'il  n'y 
a  pas  de  sanction  dans  une  autre  vie ,  il  n'y  a  pas  de  vertu  sur  la 
terre,  il  n'y  a  pas  de  Dieu  dans  le  ciel.  C'est  bannir  la  vertu  que 
de  lui  ôter  ses  motifs;  c'est  anéantir  Dieu  que  de  le  priver  de  ses 
attributs. 

Contre  cette  preuve  si  frappante  des  récompenses  et  des  peines 
de  l'autre  ^vie ,  on  propose  une  difficulté.  «  L'administration  de 
«  Dieu  dans  Tordre  moral  doit  être  constante ,  comme  l'est  celle 
«  de  l'ordre  physique  :  l'immutabilité  de  l'Etre  suprême  répugne 
«  aux  variations.  L'autre  vie ,  s'il  y  en  a  une,  doit  donc  être  admi- 
se nistrée  comme  celle-ci,  où  le  vice  fleurit  et  la  vertu  souffre.  S'il  y 
«  a  un  ordre  de  choses,  non  seulement  différent,  mais  diamétrale- 
«  ment  opposé  à  celui-ci,  il  faut  dire  de  deux  choses  l'une  :  ou  que 
«  l'état  actuel  n'est  pas  un  ordre ,  mais  est  un  désordre  qui  a  be- 
«  soin  d'être  réparé,  et,  dans  ce  cas,  comment  peut-il  être  l'ou- 
«  vrage  d'une  sagesse  infinie?  ou  que  l'état  actuel  est  bien  ordonné, 
«  et,  dans  ce  second  cas,  quel  besoin  y  a-t-il  qu'il  soit  réparé? 
«  Dire  que  l'ordre  actuel  est  juste ,  et  qu'un  ordre  contradictoire 
«le  sera  aussi,  est  une  évidente  contradiction.  Si  l'on  dit  que 
«  l'ordre  actuel  n'est  pas  juste,  qui  nous  répond  que  l'ordre  futur, 
«  œuvre  du  même  auteur,  le  sera  davantage?  » 

Le  vice  de  cette  objection  est  de  regarder  l'ordre  de  la  vie  fu- 
ture comme  différent  et  même  comme  l'opposé  de  l'ordre  de  la 
vie  présente  :  ce  sont  deux  états  différens;  mais  ce  n'est  qu'un  seul 
et  même  ordre.  Tout  ordre  de  choses  a  plusieurs  parties  ;  et  l'ordre 
moral  est  le  composé,  le  résultat  des  deux  états.  Dieu,  auteur  de 
cet  ordre,  fait  passer  l'ame  humaine  par  l'un,  pour  la  conduire 
à  l'autre. 

Dans  toute  administration  il  faut  distinguer  la  fin  qu'elle  se  pro- 
pose et  les  moyens  qu'elle  emploie ,  le  temps  où  elle  met  en  jeu 
les  moyens,  et  celui  où  elle  leur  fait  atteindre  leur  fin,  La  con- 
stance de  l'administration  ne  consiste  pas  et  ne  peut  pas  consis- 


DES    PRÉDICATEURS.  4?7 

ter,  dans  l'identité  des  moyens  et  de  la  fin  ,  mais  dans  leur  rapport 
soutenu  et  perpétuel.  Dans  l'ordre  physique,  qu'on  objecte,  dira- 
t-on  que  l'administration  divine  manque  de  constance,  parce 
qu'elle  fait  passer  les  corps  par  divers  états?  Par  exemple  du  mo- 
ment où  la  graine  est  confiée  à  la  terre  jusqu'à  celui  où  elle  est 
devenue  un  arbre  qui  donne  à  son  tour  des  graines,  combien 
ne  subit-elle  pas  de  changemens!  Dans  Tordre  moral,  Dieu  veut 
que  le  mérite  ou  le  démérite  de  la  vie  présente  conduise  constam- 
ment aux  récompenses  ou  aux  peines  de  la  vie  future.  Il  y  a  entre 
ces  choses  un  rapport  régulier,  et  jamais  interverti  :  c'est  une  con- 
tinuité, une  unité  de  vues  de  l'administrateur,  qui,  par  les  mêmes 
moyens,  mène  constamment  l'être  qu'il  dirige  à  la  même  fin  :  il 
n'y  a  pas  de  variations  dans  ses  conseils,  qui  sont  continuellement 
les  mêmes  :  son  immutabilité  est  d'autant  moins  compromise  que 
de  toute  éternité  il  a  décrété  que  l'homme  parvînt  à  sa  fin  der- 
nière dans  l'autre  vie  par  ses  actions  dans  celle-ci. 

Il  n'est  donc  pas  vrai  que  l'ordre  de  choses  qui  succédera  à 
celui-ci  en  soit  la  réparation  :  il  en  est  la  suite.  L'état  actuel  est  la 
préparation  à  l'état  futur  ;  l'état  futur  est  le  complément ,  la  con- 
sommation de  l'état  actuel.  De  ce  que  l'ordre  de  choses  sera  diffé- 
rent dans  l'autre  vie,  il  ne  s'ensuit  nullement  que  l'ordre  de  cette 
vie  soit  un  désordre  ;  il  est  au  contraire  dans  l'ordre  que  le  mérite 
précède,  et  que  la  récompense  vienne  après.  Il  n'y  a  pas  de  con- 
tradiction à  dire  que  l'état  présent  est  juste,  et  que  l'état  futur  le 
sera  aussi  ;  que,  dans  cette  vie,  Dieu  distribue  a  tous  les  hommes, 
bons  ou  mauvais ,  les  prospérités  et  les  revers  ,  pour  les  récom- 
penser ou  les  punir  dans  l'autre  de  l'usage  qu'ils  en  auront  fait.  Il 
est  dans  l'ordre  que  la  vertu  soit  éprouvée  pour  mériter;  il  est 
dans  la  justice  que  la  couronne  soit  accordée  à  la  victoire  après 
le  combat.  Si  la  vertu  n'avait  pas  ses  peines,  quel  mérite  aurait-on 
à  la  suivre  ?  Si  le  vice  n'offrait  pas  quelques  douceurs ,  serait-on 
bien  louable  de  l'éviter?  Supposons  un  ordre  différent;  la  vertu 
récompensée  et  le  vice  puni  dès  cette  vie,  par  les  prospérités  ou 
les  adversités  temporelles.  Je  demande  comment,  dans  cette  hypo- 
thèse, la  vertu  pourrait  acquérir  le  mérite  si  précieux  de  la  persé- 
vérance; comment  le  vice  pourrait  obtenir  le  temps  si  salutaire 
du  repentir.  L'ordre  successif  de  la  liberté  et  de  salaire  est,  je  le 
répète,  le  plus  digne  de  la  sagesse,  de  la  justice,  de  la  bonté  di- 
vine, et  en  même  temps  le  plus  convenable,  le  plus  attempéré  à  la 
nature  humaine. 

A  la  ridicule  demande  :  Si  ï  ordre  actuel  n'est pas  juste ,  qui  nous 


478  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

répond  que  V ordre  jutur  le  sera  ?  je  réponds,  sans  hésiser ,  l'ordre 
actuel  m'en  est  garant.  Sûr  que  l'auteur  de  l'un  et  de  l'autre  or- 
dre, ou,  pour  parler  exactement,  de  l'ordre  moral  unique,  mais 
successif,  est  essentiellement  et  infiniment  juste;  voyant  que  dans 
la  partie  actuelle  de  cet  ordre  il  ne  déploie  pas  sa  justice,  j'en  con- 
clus qu'il  la  manifestera  dans  la  partie  future.  Il  ne  peut  pas  y 
avoir  d'injustice  dans  un  ordre  de  choses  qui  prépare  et  qui  effec- 
tue l'exercice  de  la  plus  stricte  et  de  la  plus  parfaite  justice. 

«  Dieu,  disentencore quelques  incrédules,  étant  souverainement 
«  libre  et  indépendant,  ne  pourrait-il  pas  relâcher  des  droits  de  sa 
«  justice  et  s'abstenir  de  la  punition  des  coupables  ?  S'il  le  peut , 
«  ne  le  doit-il  pas  ?  Sa  bonté  infinie  ne  lui  en  fait-elle  pas  un 
«  devoir?  » 

Ceux  qui  proposent  cette  difficulté  en  ont-ils  pesé  les  consé- 
quences ?  A  quels  maux  le  genre  humain  ne^  serait-il  pas  exposé  s'il 
n'y  avait  pas  de  punition  pour  leurs  auteurs  ?  Sans  la  sanction  de 
l'autre  vie,  le  régime  de  la  Providence  ressemblerait  à  un  gouver- 
nement qui  manquerait  de  lois  répressives,  et  sous  lequel  tous  les 
crimes  se  commettraient  impunément.  La  justice  est  une  qualité 
essentielle  de  tout  gouvernement  raisonnable;  elle  est  la  bienfai- 
sance des  souverains.  N'y  aurait-il  que  le  Roi  des  rois  qui  en  serait 
privé  ?  N'y  aurait-il  que  le  gouvernement  delà  Providence  dont  elle 
serait  bannie  ? 

La  bonté  de  Dieu  ne  contrarie  donc  pas  l'exercice  de  sa  justice. 
Les  effets  de  ces  deux  attributs  sont  différens  ;  mais  ces  attributs 
ne  sont  pas  opposés:  au  contraire,  Dieu  ne  serait  pas  bon  s'il  n'était 
pas  juste  :  c'est  un  grandbienfait  envers  l'humanité  que  le  châtiment 
de  ceux  qui  la  désolent.  La  bonté  et  la  justice  ne  sont  qu'une 
même  perfection,  dont  les  opérations  diffèrent  selon  les  objets 
sur  lesquels  elles  agissent.  Dieu  démentirait  sa  bonté,  comme  sa 
justice ,  s'il  ne  punissait  pas  les  infracteurs  de  ses  commandemens. 

Une  autre  preuve  du  dogme  de  la  vie  future  est  l'universalité, 
l'antiquité,  la  perpétuité  de  cette  croyance.  Toutes  les  nations  an- 
ciennes et  nouvelles ,  policées  et  sauvages ,  ont  professé  cette  doc- 
trine. Partout  où  on  a  cru  l'existence  d'un  Dieu  (et  nous  avons  vu 
que  partout  elle  a  été  crue) ,  on  a  été  persuadé  qu'il  est  le  rémuné- 
rateur delà  vertu  et  le  vengeur  du  crime. 

Dans  quelque  temps,  dans  quelque  pays  que  l'on  voie  des  peu- 
ples, on  trouve  cette  foi  établie.  Ghaldéens,  Phéniciens,  Egyp- 
tiens ,  Perses ,  Indiens,  Celtes  ,  Germains,  sauvages  des  forêts  amé- 
licaines,  peuplades  de  la  mer  du  Sud,  hordes  de  l'Afrique,  tout 


1 


DES    PRÉDICATEURS.  479 

ce  qui  a  existé ,  tout  ce  qui  existe  de  nations ,  a  été  constamment 
réuni  clans  une  même  croyance  :  elle  devance  de  beaucoup  les 
premiers  historiens;  les  philosophes  les  plus  éclairés  l'ont  ensei- 
gnée; les  poètes  les  plus  anciens  la  célèbrent;  les  honneurs  funè- 
bres, le  respect  pour  les  tombeaux,  de  beaucoup  antérieurs  à  tous 
les  temps  connus ,  constamment  perpétués  dans  tout  le  cours  des 
siècles,  répandus  et  usités  sur  toute  la  surface  de  la  terre,  attes- 
tent hautement  l'universalité  absolue  de  ce  dogme.  Gicéron  té- 
moigne l'immémoriale  antiquité  de  cette  persuasion,  qu'il  fait  re- 
monter jusqu'aux  temps  voisins  delà  Divinité.  Il  dit  que  l'opinion 
contraire  est  récente.  Selon  Plutarque,  l'origine  de  cette  doctrine 
est  absolument  inconnue;  elle  s'est  propagée  depuis  l'éternité. 
Il  faut  une  ignorance  profonde  de  l'histoire  de  l'esprit  humain 
pour  révoquer  en  doute  cette  réunion  de  tous  les  esprits  dans  la 
ferme  conviction  des  récompenses  et  des  peines  qui  doivent  sui- 
vre la  mort. 

Or ,  cette  persuasion  si  générale  de  tout  le  genre  humain  ne 
peut  être  que  la  voix  de  la  nature,  puisqu'elle  ne  vient  ni  des  sens, 
dont  elle  détache,  ni  des  passions,  qu'elle  réprime,  ni  d'aucune 
autre  cause  d'erreurs  qui  ait  pu  être  générale  et  influer  sur  la  tota- 
lité des  temps  et  des  lieux.  Nous  la  voyons  aussi  ancienne,  aussi 
perpétuelle ,  aussi  générale  que  l'idée  de  la  Divinité  ;  elle  y  est 
intimement  liée;  elle  ne  peut  venir  que  de  la  même  source;  c'est 
la  même  lumière  qui  nous  fait  apercevoir  ces  deux  vérités  égale- 
ment importantes.  Que  ce  dogme  vienne  naturellement  à  l'esprit, 
par  la  simple  considération  des  attributs  divins  et  de  l'ordre  actuel 
du  monde,  qu'il  émane  d'une  tradition  primitive  qui  remonte  à  la 
Divinité,  son  universalité  est ,  dans  l'un  et  l'autre  cas,  une  preuve 
de  sa  vérité. 

Les  incrédules  combattent  les  deux  parties  de  cette  preuve. 
Qs  prétendent  d'abord  que]  l'opinion  de  l'autre  vie  n'est  pas,  à 
beaucoup  près,  universelle;  ils  citent  des  sectes  entières  de  phi- 
losophes qui  n'y  croyaient  pas;  ils  rapportent  des  passages  d'au- 
teurs qui  établissent  qu'il  n'y  a  rien  après  cette  vie  :  «  Cicéron 
<  ajoutent-ils,  en  marque  l'origine,  et  la  fixe  au  philosophe  Phéré- 
i  cide.  Comment,  concluent-ils,  peut-on  appeler  générale',  dans 

tout  le  genre  humain,  une  opinion  dont  on  connaît  l'auteur,  et 

qui  a  été  tant  combattue  ? 

Quand  nous  disons  que  la  croyance  de  la  vie  future  est  univer- 
>elle,  nous  parlons  d'une  universalité  morale,  que  n'empêche 
îoint  un  petit  nombre  d'individus.  Que  sont  quelques  sectes  phi- 


48o  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

losophiques  sur  tout  le  genre  humain  ?  et  quelle  autorité  peuvent- 
elles  avoir,  quand  elles  sont  combattues  par  d'autres?  D'ailleurs, 
quelle  est  la  proposition  impie,  funeste,  absurde,  ridicule,  qui 
n'ait  pas  été  enseignée  dans  quelques  écoles  philosophiques?  Si 
nous  reprenions  tous  les  auteurs  dont  on  cite  des  passages,  nous 
pourrions  montrer  que  plusieurs  d'entre  eux  exposent  des  opinions 
plus  qu'ils  n'établissent  la  leur;  que  d'autres  se  sont  contredits  et 
ont  enseigné,  dans  divers  endroits,  la  doctrine  contraire;  mais 
nous  n'avons  pas  à  entrer  dans  ce  détail,  leur  petit  nombre  nous 
en  dispense.  Quand  nous  accorderions  que  tous  ceux-là  étaient 
dans  l'opinion  delà  destruction  de  l'ame,  que  résulterait-il  du  sen- 
timent d'une  demi-douzaine  ou  d'une  douzaine  au  plus  d'individus 
que  l'on  cite? 

Ce  que  l'on  fait  dire  à  Cicéron  au  sujet  de  Phérécide  aurait  plus 
d'importance  s'il  était  véritable,  parce  qu'il  annoncerait  une  ori- 
gine connue  de  notre  doctrine;  mais,  en  lisant  le  texte  objecté, 
la  difficulté  s'évanouit.  Cicéron, dans  le  premier  livre  de  ses  Tus- 
culanes,  examine  les  opinions  des  divers  philosophes  sur  l'immor- 
talité de  l'ame.  Il  attribue  si  peu  à  Phérécide  l'invention  de  ce 
dogme  qu'il  croit  qu'antérieurement ,  et  pendant  plusieurs  siècles, 
on  avait  disputé  sur  ce  sujet;  il  ajoute  que  ce  qui  reste  écrit  de 
plus  ancien  sur  cette  matière  est  de  Phérécide,  syrien.  La  raison 
en  est  simple  :  c'est  que  Phérécide  est,  avec  Thaïes  son  contempo- 
rain, le  plus  ancien  philosophe  connu;  il  fleurissait  environ  cinq 
cent  quatre-vingts  ans  avant  Jésus-Christ.  Pythagore,  chef  de  la 
plus  ancienne  école,  était  son  disciple.  Il  précède  de  plus  de  deux 
siècles  Platon,  Aristote ,  Epicure,  Zenon ,  fondateurs  des  diverses 
autres  sectes.  Ainsi,  dire  que  Phérécide  est,  entre  les  philosophes, 
le  premier  dont  les  écrits  enseignent  l'immortalité  de  l'ame,  c'est 
dire  que,  depuis  l'origine  de  la  philosophie,  ce  dogme  a  été  ensei 
gné  dans  les  écoles.  L'assertion  de  Cicéron,  au  lieu  de  contrarier 
ce  que  nous  lui  avons  vu  avancer  ailleurs  sur  l'immémoriale  anti 
quité  de  notre  croyance,  y  est  absolument  favorable. 

On  nous  fait  contre  l'universalité  du  dogme  de  l'autre  vie  une 
objection  qui  mérite  une  plus  ample  discussion.  «  Le  peuple  juif 
«  n'avait  primitivement  aucune  idée  de  peines  et  de  récompenses 
«  après  la  mort.  La  preuve  en  est  certaine;  c'est  que  Moïse,  dans  la 
«  religion  qu'il  donne  aux  Hébreux,  n'en  fait  aucune  mention.  Tou 
«  tes  ses  lois  n'ont  d'autre  sanction  que  les  récompenses  et  lespei 
«  nés  temporelles.  C'est  un  fait  non  contesté;  et,  pour  s'en  assurer, 
«  il  n'y  a  qu'à  lire  le  Pentateuque ,  et  spécialement  la  partie   de 


DES    PRÉDICATEURS.  4& 

«  l'Exode,  du  Lévitique  et  du  Deutéronome,qui  renferme  la  légis- 
te lation  judaïque.  Si  Moïse  avait  enseigné  le  dogme  de  la  vie  future, 
«  se  serait-il  formé  parmi  les  Juifs  une  secte,  celle  desSadducéens, 
«  qui,  en  suivant  la  loi  de  Moïse,  rejetait  la  survivance  de  l'ame  ? 
«  La  croyance  de  l'ame  immortelle  est  nécessaire  ou  non  :  si  elle 
«  n'est  pas  nécessaire,  pourquoi  Jésus-Christ  l'a- 1- il  annoncée  Psi 
«  elle  est  nécessaire,  pourquoi  Moïse  n'en  a-t-il  pas  fait  la  base  de 
«  sa  religion?  Or,  Moïse  était  instruit  de  ce  dogme,  ou  il  ne  l'était 
«  pas  :  s'il  l'ignorait,  il  était  indigne  de  donner  des  lois  ;  s'il  le  sa- 
«  vait  et  le  cachait,  quel  nom  voulez-vous  qu'on  lui  donne? 

«  Il  paraît  que  la  doctrine  d'une  autre  vie  n'a  été  connue  du 
«  peuple  hébreu  que  pendant  la  captivité;  il  l'a  reçue  des  peuples 
«  chez  lesquels  il  était  répandu  :  l'Ecclésiaste  même  est  positif  sur 
«  ce  point;  il  déclare  formellement  que  l'homme  meurt  comme  la 
«  bête,  qu'il  n'a  rien  à  cet  égard  de  plus  qu'elle,  et  que  leur  eondi- 
«  tion  est  commune.  Il  n'est  donc  pas  vrai,  conclut-on,  que  cette 
«  doctrine  soit  d'une  antiquité  immémoriale  parmi  les  hommes.  » 

Il  est  vrai  que  la  partie  du  Pentateuque  qui  contient  les  lois  don- 
nées par  Moïse  de  la  part  de  Dieu  ne  présente  qu'une  sanction 
temporelle,  et  ne  munit  ces  lois  que  de  promesses  et  de  menaces, 
de  biens  et  de  maux  de  cette  vie;  mais  il  faut  distinguer,  dans  les 
livres  de  Moïse,  la  législation  de  ce  qui  est  historique.  Si,  dans  la 
publication  de  ses  lois,  il  ne  parle  pas  de  la  vie  future,  dans  le 
récit  des  faits  il  suppose  plusieurs  fois  ce  dogme  :  d'où  il  résulte 
que  la  doctrine  dune  autre  vie  était  connue  et  crue  de  lui  et  des 
Juifs  de  son  temps.  Nous  voyons  aussi  cette  vérité  énoncée  dans 
plusieurs  des  livres  saints  antérieurs  à  la  captivité  de  Babylone; 
d'où  il  suit  encore  que  les  Juifs  ne  Tout  pas  puisée  dans  leur  cap- 
tivité; or,  d'après  ces  faits,  le  silence  de  la  loi  ne  prouve  rien.  Il 
s'agit  de  prouver  ces  vérités. 

r  D'abord  Moïse  suppose,  dans  plusieurs  endroits,  le  dogme  de 
l'autre  vie.  Lorsque  Gain  méditait  le  premier  crime  qui  souilla  la 
terre,  Dieu,  pour  l'en  détourner,  lui  dit:  Si  tu  fais  le  bien,  tu  en 
recevras  le  salaire  ;  si  tu  fais  mal,  ton  crime  sera  aussitôt  devant 
toi»  Il  est  certain  que  le  salaire  promis  à  la  vertu  n'est  pas  une  ré- 
compense temporelle;  car  quel  a  été,  dans  ce  monde,  le  prix  de 
la  piété  d'Abel?  une  mort  violente  et  prématurée.  Puisque  ,  selon 
la  parole  divine,  il  a  dû  être  récompensé,  il  l'a  donc  été  dans  une 
vie  autre  que  celle-ci. 

Racontant  la  mort  d'Abraham ,   Moïse  dit  que  ce  patriarche  a 
été  réuni  à  son  peuple ,  c'est-à-dire  à  ses  ancêtres.  Ce  n'est  pas  du 
T,  in.  3  r 


tjg2  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

corps  d'Abraham  et  de  sa  sépulture  qu'il  parle  ;  puisque  les  pères 
d'Abraham  étaient  enterrés  da  )s  la  Mésopotamie,  et  que  ce  patri- 
arche le  fut  à  Hébron  ,  dans  la  terre  de  Chanaan,  à  côté  de  Sara. 
Moïse  emploie  aussi  une  expression  semblable  au  sujet  de  la  mort 
d'Isaac. 

Jacob,  parlant  de  sa  vie ,  l'appelle  un  pèlerinage.  Cette  expres- 
sion, non  seulement  serait  inexacte,  mais  n'aurait  aucun  sens,  si 
la  vie  ne  conduisait  pas  à  un  terme.  Que  serait  un  pèlerinage  qui 
aurait  pour  but  le  néant  ? 

Le  même  saint  personnage  mourant  dit  au  Seigneur  qu'il  at- 
tend de  lui  le  salut.  Quel  salut  peut-il  attendre  après  la  mort,  si 
au  de-là  de  la  mort  il  n'y  a  rien?  Quelques  commentateurs  enten- 
dent cette  expression  dans  un  autre  sens:  selon  eux,  Jacob  atten- 
dra celui  qui  doit  apporter  le  salut,  c'est-à-dire  le  Messie:  il 
compte  donc  exister  encore  après  la  dissolution  de  son  corps?  Ce 
qui  n'est  plus  rien  ,    peut-il  être  dans  l'attente  de  quelque  chose  ? 

Balaam,  inspiré  par  le  Seigneur,  désire  de  mourir  de  la  mort  des 
justes,  et  que  ses  derniers  momens  soient  semblables  aux  leurs. 
Quel  intérêt  pourrait  avoir  à  une  mort  sainte  celui  qui  serait  dans 
la  persuasion  de  mourir  tout  entier? 

Entre  les  choses  que  défend  Moïse  de  la  part  de  Dieu  est  l'usage 
observé  par  les  infidèles,  dont  Homère  et  Virgile  font  mention , 
d'interroger  les  morts.  Y  aurait-il  quelque  ombre  déraison  à  faire 
cette  défense  à  un  peuple  qui  aurait  cru  qu'il  ne  reste  rien  des 
lïiOrts  ? 

Objectera-t-on  que,  dans  ces  divers  passages,  Moïse  n'enseigne 
pas  directement  la  survivance  de  l'ame  au  corps  ;  qu'il  ne  la  prouve 
pas  ;  qu'il  n'ordonne  pas  de  la  croire?  La  raison  est  simple  et  évi- 
dente: ce  n'était  pas  une  chose  nécessaire;  les  Juifs  connaissaient 
ce  dogme  parla  tradition  de  leurs  pères;  ils  n'en  doutaient  pas: 
la  simple  supposition  qu'en  fait  Moïse,  en  rapportant  des  faits  an- 
ciens, a  bien  plus  de  force  que  n'aurait  un  enseignement  positif. 
S'il  l'établissait  formellement,  on  objecterait  que  c'est  lui  qui  l'a 
appiis  à  son  peuple;  s'il  cherchait  à  le  prouver,  on  ne  manquerait 
pas  d'en  conclure  que  les  Israélites  n'y  croyaient  pas.  Mais  lorsqu  il 
.  rapporte  simplement  et  sans  réflexion  des  faits  qui  le  supposent, 
il  est  clair  qu'il  parle  à  des  gens  qui  en  avaient  antérieurement  la 
connaissance  et  la  persuasion. 

Si  du  Pentateuque  nous  passons  aux  autres  livres  qui  formaient 
le  canon  des  saintes  Ecritures  conservées  par  le  peuple  juif,  nous 


DES    PRÉDICATEURS.  483 

y  trouverons  des  preuves  encore   plus  certaines  que  cette  nation 
avait  une  connaissance  très  distincte  du  dogme  de  l'autre  vie. 

Le  livre  de  Job  était  connu  et  révéré  des  Israélites,  comme  un 
ouvrage  inspiré.  Nous  y  lisons  des  témoignages  exprès,  et  du  juge- 
ment que  Dieu  doit  prononcer,  et  même  de  la  résurection  des 
corps.  Tel  est  celui-ci:  Je  sais  que  mon  rédempteur  est  vivant,  et 
que  je  ressusciterai  de  la  terre  le  dernier  jour  ;  que  je  serai  encore  re- 
vêtu de  ma  peau,  et  que  je  verrai  mon  Dieu  dans  ma  chair  j  que  je 
le  verrai,  dis-je,  moi-même  et  non  un  autre  ;  et  que  je  le  contemplerai 
de  mes  propres  yeux.  Celte  espérance  repose  dans  mon  cœur. 

Moïse  avait  défendu,  comme  nous  venons  de  le  voir,  d'invoquer 
et  d'interroger  les  morts.  Au  mépris  de  cette  interdiction,  on  voit 
les  Israélites  tomber  plusieurs  fois  dans  cette  superstition:  tel  est, 
entre  autres,  le  fait  de  Saùl.  Ce  prince  va  trouver  une  pythonisse, 
évoque  et  consulte  l'âme  de  Samuel,  qui  lui  répond  et  lui  annonce 
sa  ruine.  David,  dans  ses  psaumes,  fait  très  souvent  mention  du  ju- 
gement que  Dieu  prononcera  sur  les  hommes  :  bornons-notis  à 
quelques  passages  où  il  célèbre  la  récompense  que  Dieu  accordera 
aux  justes.  Mon  cœur  s'est  réjoui;  ma  langue  a  chanté  des  cantiques 
d allégresse,  et  de  plus  ma  chair  reposera  dans  l 'espérance ,  parce 
que  vous  ne  laisserez  pas  mon  ame  dans  ï enfer,  et  que  vous  ne  souj- 
f rirez  pas  que  votre  saint  éprouve  la  corruption.  Je  paraîtrai  devant 
vos  jeux  dans  la  justice:  je  serai  rassasié  quand  votre  gloire  m  ap- 
paraîtra. Les  enfans  des  hommes  seront  dans  V espérance  sous  V om- 
bre de  vos  ailes:  ils  seront  enivrés  de  l  abondance  qui  est  dans  votre 
maison,  vous  les  ferez  boire  dans  le  torrent  de  vos  délices  ;  car  la 
source  delà  vie  est  en  vous,  et  nous  verrons  la  lumière  dans  votre 
lumière  même ,  etc. 

Salomon,  dans  beaucoup  d'endroits,  annonce  aussi  positive- 
ment le  jugement  et  ses  suites  après  la  mort.  Au  livre  des  Prover- 
bes il  dit,  entre  autres,  que  l'impie  sera  rejeté  à  cause  de  sa  malice; 
mais  que  le  juste  espère  au  jour  de  sa  mort.  Quelle  espérance  peut 
concevoir  celui  qui  va  être  anéanti? 

Le  texte  de  l'Ecclésiaste  qu'on  nous  oppose  ne  peut  faire  illusion 
qu'à  quelqu'un  qui  ne  connaît  pas  l'objet  de  ce  livre.  Salomon  y 
présente  diverses  erreurs ,  divers  égaremens  des  hommes,  qu'il  ap- 
pelle des  vanités;  ce  qu'il  dit  de  la  parité  de  fin  entre  l'homme  et 
la  bête  est  de  ce  nombre;  et  il  venait  immédiatement  auparavant 
de  donner  le  préservatif  contre  cette  assertion  des  impies.  J'ai  vu 
sous  le  soleil,  avait-il  dit,  V impiété  au  lieu  du  jugement ,  et  V ini- 
quité au  lieu  delà  justice;  et  j 'ai  dit  en  mon  cœur,  Dieu  jugera  le 

3i, 


484  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

juste  et  l'injuste,  et  alors  sera  le  temps  de  toutes  choses.  Peu  après 
le  texte  objecté,  il  rapporte  encore  divers  autres  discours  et  divers 
désirs  des  hommes  irréligieux  ;  mais  il  leur  impose  aussitôt  silence: 
Ne  dites  rien  inconsidérément,  et  que  votre  cœur  ne  se  hâte  point  de 
proférer  des  paroles  devant  Dieu.  Car  Dieu  est  dans  le  ciel  et  vous 
sur  la  terre:  cest  pourquoi  parlez  peu.  C'est  dans  ce  même  esprit 
que,  quelques  chapitres  après ,  parlant  ironiquement,  il  paraît 
exhorter  la  jeunesse  à  se  livrer  aux  plaisirs  et  à  satisfaire  tous  les 
désirs  de  son  cœur;  mais,  reprend-il  sur-le-champ,  sachez  que 
Dieu  vous  fera  rendre  compte  en  son  jugement  de  toutes  ces  choses. 
Enfin,  dans  le  dernier  chapitre,  il  exhorte  l'homme  à  se  souvenir 
de  sonCréateur  pendant  les  jours  de  sa  jeunesse,  avant  que  le  temps 
de  ï affliction  soit  arrivé,  avant  que  la  poussière  rentre  dans  la 
terre  d'où  elle  fut  tirée,  et  que  l esprit  retourne  à  Dieu  qui  le  donna. 
Et  il  donne  ainsi  la  conclusion  de  tout  son  livre  :  Ecoutons  tous 
ensemble  la  fin  de  ce  discours:  craignez  Dieu  et  observez  ses  corn- 
mandemens',  car  c  est  le  tout  de  l  homme,  et  Dieu  fera  rendre  compte, 
en  son  jugement,  de  tout  ce  qui  aura  été  fait,  soit  du  bien,  soit  du 
mal.  Il  est  donc  évident  que  le  monarque,  auteur  de  l'Ecclésiaste, 
était  persuadé  de  la  vérité  d'une  autre  vie;  et  que  les  incrédules 
confondent,  ou  veulentfaire  confondre  l'objection  qu'il  se  propose 
et  qu'il  combat,  avec  son  opinion. 

Comme  c'est  une  question  entre  les  docteurs  de  savoir  si  le  li- 
vre de  la  Sagesse  est  ou  n'est  pas  de  Salomon  ,  ou  même  s'il  n'est 
pas  d'un  temps  postérieur  à  la  captivité,  je  n'en  rapporterai  aucun 
passage  :  j'observerai  seulement  que  notre  doctrine  y  est  formelle- 
ment et  plusieurs  fois  établie. 

Les  Prophètes  ne  sont  pas  moins  précis  :  j'en  citerai  seulement 
deux.  Ceux  de  votre  peuple,  dit  Isaïe,  qu'on  a  fait  mourir  revivront. 
Ceux  qui  étaient  a  moi  et  quon  a  tués  ressusciteront.  Réveillez- 
vous,  et  louez  le  Seigneur,  vous  qui  habitez  dans  la  poussière.  Je  les 
délivrerai,  dit  Osée,  de  la  puissance  de  la  mort.  O  mort  !  je  serai 
ta  mort;  enfer!  je  serai  ta  ruine. 

A  ces  passages  déjà  bien  nombreux  il  serait  facile  d'en  ajouter 
beaucoup  d'autres,  qui  montreraient  que  la  doctrine  d'une  autre 
vie,  et  du  salaire  qu'on  y  reçoit  de  la  conduite  tenue  dans  celle-ci, 
a  été  de  tout  temps  connue  du  peuple  juif.  De  plus,  tous  les  livres 
que  nous  venons  de  citer  étant  antérieurs  à  la  captivité  de  Baby- 
lone,  c'est  une  assertion  évidemment  fausse  de  prétendre  que  le 
peuple  juif  n'a  été  instruit  de  ce  dogme  important  que  pendant 
ou  après  sa  captivité. 


DES    PRÉDICATEURS.  4^5 

Or,  d'après  ces  témoignages,  l'objection  proposée  est  résolue  : 
elle  a  pour  but  de  montrer  que  notre  doctrine  était  inconnue  à 
Moïse  et  au  peuple  auquel  il  donnait  des  lois  ;  et  c'est  pour  le  prou- 
ver qu'on  allègue  que,  dans  les  lois  de  Moïse,  il  n'est  fait  aucune 
mention  de  la  sanction  après  la  mort.  Mais  s'il  est  démon tré  d'ailleurs 
que  Moïse  la  connaissait,  son  silence,  dans  la  législation,  ne  peut 
pas  prouver  qu'on  l'ignorât.  Si  Moïse  en  fait  mention  dans  la  partie 
historique  du  Pentateuque,  qu'importe  à  cette  question  qu'il  n'en 
parle  pas  dans  la  partie  législative  ?  Il  fait  remonter  la  connais- 
sance de  ce  dogme  important  jusqu'à  une  révélation  faite  par  le 
Seigneur  ,  dès  le  premier  temps  où  il  y  a  eu  des  hommes ,  et  il  en 
montre  la  croyance  dans  les  patriarches  antérieurs  à  lui.  D'après 
cela,  nous  n'avons  pas  même  besoin  d'examiner  pourquoi  il  n'en  a 
pas  fait  le  fondement  de  ses  lois.  N'eussions-nous  aucune  idée  du 
motif  qui  a  pu  l'engager  à  l'y  omettre,  nous  n'en  serions  pas  moins 
certains  que  cette  persuasion  était  de  beaucoup  antérieure  à  lui , 
et  que  par  conséquent  notre  assertion  sur  l'immémoriale  antiquité 
de  notre  doctrine  est  véritable. 

Mais  comme  du  silence  de  Moïse  dans  sa  législation  sur  la  sanc- 
tion de  l'autre  vie ,  on  fait  une  objection  contre  la  divinité  de  sa 
mission ,  il  n'est  pas  inutile  d'examiner  ici  les  raisons  qui  ont  pu 
l'engager  i°  à  donner  à  ses  lois  une  sanction  temporelle  ;  2°  à  ne  pas 
y  faire  mention  de  la  sanction  éternelle. 

En  premier  lieu,  il  était  très  convenable  que  la  loi  du  peuple 
juif  fût  munie  de  la  promesse  des  prospérités,  en  cas  d'observation, 
et  de  la  menace  de  revers,  en  cas  d'infraction.  Trois  raisons  nous 
le  persuadent. 

La  première  est  que,  par  cette  sanction  temporelle  et  par  son 
exécution,  Moïse  prouvait  manifestement  la  divinité  de  sa  loi. 
D'autres  législateurs  ont  pu  se  dire  inspirés  par  leurs  dieux;  mais 
ils  n'ont  jamais  pu  munir  leurs  lois  que  des  récompenses  et  des 
peines  qui  sont  au  pouvoir  des  hommes  :  aucun  d'entre  eux  n'a  été 
assez  hardi  pour  annoncer  que  les  événemens  physiques  ou  poli- 
tiques seraient  le  salaire  de  l'observation  et  de  l'infraction.  Il  n'y  a 
que  celui  qui  tient  la  nature  dans  sa  main,  qui  puisse  en  faire  la 
sanction  de  ses  préceptes.  Il  est  digne  du  Tout-Puissant  de  parler 
un  langage  qui  ne  peut  appartenir  qu'à  lui.  Quel  autre  qu'un  Dieu 
oserait  promettre  la  fertilité  des  terres,  la  salubrité  des  saisons,  les 
victoires  sur  les  ennemis,  aux  observateurs  de  sa  loi,  et  menacer 
des  maux  contraires,  les  violateurs  ?Quel  autre,  surtout,  aurait  le 
pouvoir  surnaturel  de  réaliser  ces  promesses  et  ces  menaces  ?  L'an- 


486  .       NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

nonce  de  cette  sanction  et  son  exécution  constante  dans  les  diverses 
révolutions  du  peuple  juif  sont  une  preuve  incontestable  de  la  di- 
vinité delà  loi  Judaïque  :  c'est  une  prophétie  vérifiée  par  une  suite 
dévénemens. 

La  seconde  raison  de  la  sanction  temporelle  des  lois  mosaïques 
est  la  nature  même  de  ces  lois  et  leur  objet  direct:  elles  avaient 
pour  but  de  faire ,  des  Israélites ,  une  nation  séparée  des  autres , 
qui  serait  le  peuple  de  Dieu.  Toutes  les  nations  de  la  terre  appar- 
tiennent, sans  doute,  à  leur  Créateur  ;  mais  les  descendans  de  Ja- 
cob devaient  devenir  le  peuple  de  Dieu,  à  un  titre  particulier  et 
propre  à  eux  seuls.  Dieu  laisse  toutes  les  nations  de  la  terre  se 
gouverner  selon  leurs  lois,  et  il  en  abandonne  l'administration  à 
leurs  souverains  ;  mais,  quant  aux  Israélites,  il  en  faisait  une  na- 
tion à  part,  qui  devait  se  conserver  en  corps  de  société  politique, 
jusqu'à  ce  qu'elle  eût  donné  à  la  terre  le  Messie  libérateur.  En 
conséquence  il  voulut  être  lui-même  le  législateur  de  ce  peuple, 
dans  l'ordre  temporel ,  et  son  véritable  monarque ,  en  qui  résidât 
la  constante  administration  de  l'état.  C'est  ce  gouvernement  tem- 
porel de  Dieu,  appelé  théocratie,  qu'établissent  les  lois  que,  par 
le  ministère  de  Moïse,  il  a  données  à  Israël.  Pour  cela  ,  trois  mois 
après  la  sortie  de  l'Egypte,  le  peuple  hébreu  étant  dans  le  désert 
de  Sinaï,  au  pied  de  la  montagne  de  ce  nom,  Dieu  lui  fit  proposer 
par  Moïse  de  lui  appartenir  spécialement  entre  les  peuples,  d'être 
son  royaume  propre  et  sa  nation  sainte.  Il  y  mit  pour  condition 
que  les  Israélites  écouteraient  sa  voix  et  observeraient  son  pacte. 
Tout  le  peuple  ayant  déclaré  qu'il  se  soumettrait  à  la  volonté  de 
Dieu,  Dieu  donna  à  Moïse,  sur  la  montagne ,  les  lois  que  ce  saint 
conducteur  porta  de  sa  part  au  peuple.  Il  se  fit  ainsi,  pour  me  ser- 
vir de  l'expression  même  du  texte  sacré,  un  pacte  en  vertu  duquel 
Dieu  fut  le  souverain  de  l'état  judaïque,  tant  qu'il  devait  durer;  et 
les  Juifs  s'obligèrent  à  lui  obéir,  non  seulement  comme  à  leur 
Dieu ,  mais  comme  à  leur  roi.  La  constitution  de  l'état  fut  de  ce 
moment  une  théocratie;  et  les  lois  que  Moïse  apporta  du  haut  de 
la  montagne,  furent  les  lois  civiles  dictées  par  le  souverain  de  cet 
état.  On  comprend  dès  lors  qu'il  était  naturel  que  des  lois  civiles 
fussent  munies  d'une  sanction  civile ,  et  que  des  promesses  et  des 
menaces  de  l'ordre  temporel  engageassent  à  l'observation  des  lois 
de  cet  ordre. 

Une  troisième  raison,  qui  rendait  très  convenable  la  sanction 
des  récompenses  et  des  peines  temporelles,  était  la  nature  du 
peuple  auquel  était  donnée  la  loi.  Comme  il  était  très  charnel,  les 


DES    PRÉDICATEURS.  4^7 

motifs  sensibles  étaient  ceux  qui  avaient  surluileplus  d'influence; 
et  c'est  peut-être  en  partie  par  cette  raison  que  Dieu  les  lui  pro- 
posa ,  pour  l'attacher  par  ses  inclinations  mêmes  à  l'observation 
de  sa  loi. 

En  second  lieu,  nous  pouvons  aisément  présumer  une  raison 
pour  laquelle  la  législation  de  Moïse  ne  fut  pas  sanctionnée  des 
récompenses  et  des  peines  de  l'autre  vie  :  c'est  que  ce  n'était  pas 
chose  nécessaire.  Les  Israélites,  instruits  par  la  tradition  de  leurs 
pères,  croyaient  fermement  et  sans  aucun  doute  le  dogmedelavie 
future;  d'ailleurs  leurs  prêtres  et  leurs  prophètes,  chargés  de  les 
instruire,  ne  manquaient  pas  de  leur  rappeler  ce  dogme  fondamen 
tal  ;  et  nous  en  voyons  beaucoup  de  traces  dans  les  livres  prophé- 
tiques. Il  n'y  avait  donc  pas  de  nécessité  à  en  faire  mention  dans 
la  loi.  Il  en  est,  à  cet  égard  ,  de  Moïse  comme  des  autres  législa- 
teurs; lesquels,  quoiqu'ils  fondassent,  leurs  lois  sur  de  prétendues 
inspirations  de  la  Divinité,  ne  rappelaient  pas  spécialement  la  doc- 
trine de  la  vie  future  ,  laissant  aux  ministres  religieux  le  soiii  de 
l'enseigner,  de  la  prouver,  de  l'expliquer. 

«  On  insiste  sur  ce  que  la  loi  émanée  de  Dieu  et  publiée  par 
«  Moïse  n'était  pas  purement  politique,  mais  était  en  même 
«  temps  religieuse;  qu'elle  fixait  le  dogme,  prescrivait  la  morale, 
«  réglait  le  culte,  et  qu'une  sanction  temporelle  n'a  nulle  propor- 
«  tion  avec  des  lois  et  des  devoirs  de  l'ordre  spirituel.   » 

Un  souverain  temporel  ne  peut-il  pas  prêter  son  autorité  à  la 
religion,  et  munir  de  la  sanction  temporelle,  qui  est  en  son  pou- 
voir, les  préceptes  religieux?  Ce  que  font  tous  les  souverains  de  la 
terre,  Dieu,  dictant  ses  lois  en  qualité  de  souverain  de  la  théocra- 
tie judaïque  ,  a  pu  le  faire.  La  doctrine  énoncée  dans  la  loi  n'était 
pas  nouvelle  pour  les  Juifs  :  ce  n'est  que  le  dogme  de  l'unité  de 
Dieu  méconnu  dans  les  nations,  mais  transmis  par  les  patriarches 
à  leurs  descendans.  Ils  savaient  tous  fort  bien  que  les  adorateurs 
des  faux  dieux  seraient  punis  dans  une  autre  vie  :  la  morale  de  la 
loi  mosaïque  n'est  autre  que  la  loi  naturelle.  Les  Juifs  savaient 
aussi  très  bien  ,  antérieurement  à  la  promulgation  mosaïque,  que 
ceux  qui  violaient  ces  principes  gravés  dans  le  cœur  de  l'homme  , 
développés  d'ailleurs  et  transmis  par  leurs  pères,  encouraient  des 
peines  après  la  mort.  Ainsi,  relativement  au  dogme  et  à  la  morale, 
la  menace  de  ces  peines  n'était  pas  nécessaire.  Quant  ait  culte,  il 
est  certain  par  l'histoire  patriarcale  qu'avant  Moïse  il  en  existait 
un;  et  on  ne  peut  pas  douter  que  ce  ne  fut  par  révélation.  Dès  les 
deux  premiers  fils  d'Adam  des  sacrifices  sont  offerts  :  on  voit  sou- 


4^8  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

vent  des  autels  élevés,-  on  connaît  des  prêtres,  Melchisédec  l'était  : 
comment  les  hommes  auraient-ils  deviné  la  nécessité  de  ces  cho- 
ses ?  Les  rites  essentiels  du  culte  divin  étaient  donc  antérieurs  à 
Moïse.  Il  convenait  cependant  que  la  loi  les  rappelât,  les  fixât  et 
en  assurât  l'observation  :  la  sanction  temporelle  suffisait  à  cet  effet, 
la  sanction  spirituelle  étant  connue  d'ailleurs.  Si  la  loi  entre  dans 
de  très  grands  détails  sur  les  diverses  parties  de  ce  culte  ,  on  aurait 
peine  à  prouver  que  ce  sont  des  objets  exclusivement  religieux,  et 
étranger  à  un  code  politique ,  surtout  Dieu  se  faisant  le  roi  du 
peuple  juif  :  les  cérémonies  de  son  culte  entraient  dans  l'ordre  ci- 
vil ,  et  faisaient  partie  des  hommages  qu'on  lui  rendait  spéciale- 
ment à  ce  titre. 

«  On  oppose  à  la  loi  de  Moïse  la  loi  de  Jésus-Christ;  et  on  de- 
«  mande  pourquoi,  si  le  dogme  del'autre  vie  est  nécessaire,  Moïse 
«  n'en  a  pas  parlé?  et  pourquoi,  s'il  ne  l'est  pas,  Jésus-Christ  l'a 
«   enseigné  ?  » 

La  réponse  résulte  de  ce  que  nous  venons  de  dire.  Il  n'était  pas 
nécessaire  que  Moïse  rappelât  un  dogme  dont  personne  ne  dou- 
tait. Il  était  nécessaire  que  Jésus-Christ  établît  une  vérité  qui  de 
son  temps  était  contestée,  et  parmi  les  Juifs  auxquels  il  parlait, 
par  les  Sadducéens,  par  quelques  sectes  philosophiques;  et  parmi 
les  nations  auxquelles  sa  religion  devait  être  portée. 

«  On  prétend  que  si  elle  avait  été  consignée  dans  les  livres  du 
«  peuple  juif,  les  Sadducéens  ne  l'auraient  pas  niée.  »  Avec  ce  bel 
argument,  on  prouverait  que  tous  les  points  de  foi  qui  ont  été 
contestes  par  quelque  hérésie  ne  sont  pas  dans  les  saintes  Ecritures. 
Le  saducéisme,  établi  chez  les  Juifs  environ  deux  cents  ans  avant 
Jesus-Christ,  et  cent  ans  après  qu'Epicure  eut  débité  ses  rêveries 
philosophiques,  avait  probablement  cette  origine.  Nous  voyons 
Jesus-Christ  reprocher  à  ses  sectaires  de  se  tromper,  et  d'ignorer 
les  Ecritures  et  la  vertu  de  Dieu.  Ceux  qui  n'étaient  pas  Saddu- 
céens croyaient  donc  le  dogme  de  l'autre  vie  révélé  dans  les  saintes 
Ecritures. 

«  Après  avoir  combattu  le  fait  de  l'universalité  de  notre 
«  croyance ,  les  incrédules  attaquent  la  conséquence  que  nous  en 
«  tirons.  Us  prétendent  que  la  persuasion  générale  du  dogme  de 
«  1  autre  vie  n'est  pas  une  preuve  de  sa  vérité ,  mais  qu'elle  peut 
«  provenir  de  la  politique  des  souverains  et  des  législateurs ,  ou 
«  être  l'effet  de  l'éducation.  »  Cette  frivole  difficulté  n'exige  pas 
une  longue  réponse. 

Si  c'est  la  politique  et  la  législation  qui  ont  introduit  le  dogme 


DES    PRÉDICATEURS.  4$9 

des  récompenses  et  des  peines  après  la  mort,  je  demande  i°  com- 
ment cette  persuasion  peut  se  trouver  parmi  des  peuples  qui  n'ont 
ni  politique  ni  législation  ;  i°  qu'on  nomme  le  politique,  le  légis- 
lateur à  qui  on  fait  honneur  de  cette  invention  ;  3°  quel  est  celui 
qui  aurait  eu  le  pouvoir  de  faire  adopter  le  produit  de  son  imagi- 
nation à  tout  le  genre  humain ,  aux  peuples  les  plus  éloignés  de 
lui ,  les  plus  opposés  à  lui  ;  4°  Par  quelle  vertu  secrète  ce  dogme 
a  pu  se  conserver  au  milieu  des  révolutions  qui  ont  détruit  les  états 
où  il  était  reçu,  et  survivre  aux  institutions  politiques  qui  l'a- 
vaient établi  ? 

Les  opinions  qui  n'ont  d'autre  fondement  que  l'éducation  va- 
rient selon  les  temps  et  les  pays,  comme  les  éducations  elles-mê- 
mes :  elles  se  dissipent  avec  l'âge,  par  la  réflexion,  par  l'usage  du 
monde.  L'éducation,  partout  différente,  ne  peut  pas  établir  partout 
une  doctrine  uniforme  et  constante. 

Les  institutions  de  la  politique  et  les  leçons  de  l'éducation  ne 
sont  ni  ne  peuvent  être  les  causes  de  cette  universalité  de  doc- 
trine; elles  en  sont  au  contraire  les  effets.  C'est  parce  que  ce  dogme 
est  généralement  reconnu,  que  les  souverains  raisonnables  en 
font  le  plus  ferme  appui  de  leur  autorité,  et  les  instituteurs  ver- 
tueux la  base  de  leurs  éducations. 

Après  avoir  prouvé  la  vérité  de  la  survivance  de  l'ame ,  consi- 
dérant cette  doctrine  sous  un  autre  point  de  vue  ;  après  avoir 
montré  combien  les  efforts  de  l'incrédulité  ,  pour  l'ébranler,  sont 
vains  et  impuissans ,  observons  combien  ils  sont  dangereux  ;  fai- 
sons voir  que  s'ils  pouvaient  obtenir  du  succès  ils  seraient  funes- 
tes à  l'humanité  ;  pernicieux ,  et  pour  l'homme  isolé  et  pour 
l'homme  en  société;  destructeurs  de  tout  bonheur,  corrupteurs 
de  toute  vertu. 

Que  les  scélérats  soient  désolés,  bourrelés,  tourmentés  de  l'idée 
d'une  vie  future,  je  le  demande  avec  confiance,  est-ce  un  mal? 
Cette  terreur  qui  les  suit  jusqu'au  sein  de  leurs  criminels  plaisirs 
n'est-elle  pas ,  au  contraire ,  un  bienfait  signalé  de  la  Providence , 
et  pour  eux,  et  pour  la  société  dont  ils  sont  membres?  La  voix 
qui  rappelle  à  la  vertu  ne  peut  être  qu'une  voix  amie;  le  senti- 
ment qui  ramène  au  bon  ordre  est  certainement  salutaire. 

Et  n'est-ce  donc  que  pour  les  médians  qu'est  établi  l'ordre  mo- 
ral ?  L'idée  de  vivre  en  core  après  sa  mort  élève  lame  de  l'homme  ver- 
tueux. L'espérance  d'une  seconde  vie  est  bien  plus  flatteuse  pour 
lui  que  celle  du  néant  ;  sa  destination  est  bien  plus  noble,  si,  à  la 
suite  de  cette  courte  vie ,  la  partie  principale  de  lui-même  existe 


490  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

encore  pour  recevoir  le  prix  de  ses  bonnes  actions,  que  s'il  est  dé- 
truit tout  entier  comme  les  bêtes.  Dans  les  malheurs  qu'il  éprouve 
en  ce  moment ,  la  plus  douce  consolation  est  de  se  représenter  le 
bonheur  qui  l'attend  dans  un  monde  nouveau.  11  ne  sera  jamais 
ébranlé  par  les  maux  actuels,  celui  qui  s'appuie  fortement  sur  l'es- 
pérance des  biens  futurs.  Il  regardait  comme  légères  et  passagères 
ses  dures  tribulations,  celui  qui  élevait  ses  regards  vers  le  poids 
immense  de  gloire  réservé  pour  lui  dans  l'éternité.  Si  je  me  trom- 
pe ,  fait  dire  Gicéron  au  vieux  Caton ,  dans  ma  croyance  de  l'im« 
mortalité  des  âmes,  j'ai  du  plaisir  à  me  tromper  ainsi.  Je  ne  veux 
pas  qu'on  m'arrache  une  erreur  qui  fait  mes  délices.  Si,  comme  le 
pensent  quelques  minces  philosophes,  je  ne  dois  rien  sentir  après 
mon  trépas,  je  n'ai  pas  à  craindre  que  les  philosophes  morts  me 
raillent  de  mon  erreur. 

Utile  pour  élever  l'ame  de  l'homme,  et  pour  le  consoler  dans 
ses  malheurs,  la  pensée  de  la  vie  future  l'est  encore  pour  lui  faire 
embrasser  la  vertu,  pour  l'y  maintenir  quand  il  s'y  est  attaché, 
pour  l'y  ramener  quand  il  a  eu  le  malheur  de  s'en  écarter.  Quel 
encouragement  aux  actions  généreuses  peut  égaler  la  contempla- 
tion d'un  Dieu  qui  en  est  le  témoin ,  le  juge  et  le  rémunérateur  ? 
Otez  la  croyance  de  l'autre  vie,  quel  intérêt  peut  avoir  l'homme 
placé,  dans  des  circonstances  très-fréquentes  ,  entre  la  vertu  qui 
exige  des  sacrifices ,  et  le  vice  qui  promet  des  avantages,  sinon  de 
préférer  le  vice  à  la  vertu  ?  Remettez  cette  salutaire  persuasion] 
vous  rendez  à  l'homme  un  intérêt  de  suivre  la  vertu  supérieur  à 
tous  ceux  que  le  vice  peut  présenter.  Cet  intérêt  de  la  vie  future 
donne  un  motif  universel  pour  toutes  les  personnes,  pour  toutes 
les  actions,  pour  toutes  les  circonstances;  un  motif  facilement 
aperçu,  un  motif  continuellement  actif,  un  motif  dont  le  poids  ne 
peut  raisonnablement  être  balancé  par  aucun  autre;  et  pour 
nous  en  convaincre,  nous  n'avons  besoin  que  de  l'aveu  même  des 
adversaires  de  notre  dogme.  En  constatant  sa  vérité,  ils  reconnais- 
sent formellement  son  utilité.  Bergier  a  réuni  un  grand  nombre 
de  confessions  positives  des  incrédules;  je  ne  puis  mieux  faire 
que  de  copier  ses  expressions. 

«  Les  destructeurs  de  l'ame  sont  forcés  d'avouer  la  nécessité  du 
«  dogme  que  nous  établissons.  Epicure  n'a  jamais  osé  prétendre 
«  que  sa  doctrine  pût  être  utile  à  la  société,  si  elle  devenait  com- 
«  mune;  il  la  donnait  comme  un  mystère  destiné  seulement  à  faire 
«  la  félicité  d'un  philosophe,  comme  si  un  philosophe  n'était  plus 
«  un  homme!  Spinosa  convenait  qu'il  vaut  mieux  que  le  peuple 


DES    PRÉDICATEURS.  49 1 

«  fasse  suri  devoir  par  religion  que  pat  crainte  :  or,  la  religion  serait 
«  nulle,  sans  la  croyance  de  la  vie  future.  Pomponace  dit  qu'il  a 
«  fallu ,  pour  le  bien  commun ,  proposer  au  très  grand  nombre  des 
«  hommes  les  peines  et  les  récompenses  de  l'autre  vie,  parce  qu'ils 
«  sont  nés  avec  de  mauvaises  inclinations.  Bayle  soutient,  contre 
«  Cardan ,  qu'il  n'est  pas  vrai  que  ce  domine  ait  produit  plus  de 
«  mal  que  de  bien ,  même  à  ne  considérer  les  choses  que  par  des 
»  vues  politiques;  que  la  doctrine  contraire  désespère  les  gens  de 
«  bien.  Tolland,  dans  ses  lettres  philosophiques,  avoue  que,  pour 
«  réprimer  les  méchans ,  il  a  été  nécessaire  d'établir  l'opinion  des 
«  peines  et  des  récompenses  après  la  mort.  Selon  Schaftsbury, 
«  croire  que  les  mauvaises  actions  sont  punies  parla  justice  divine, 
«  est  le  meilleur  remède  contre  le  vice,  et  Se  plus  grand  encoura- 
«  gement  à  la  vertu.  Bolingbroke  observe  que  la  doctrine  des 
«  peines  et  des  récompenses  futures  est  propre  à  donner  de  la 
«  force  aux  lois  civiles,  et  à  réprimer  les  vices  des  hommes.  David 
«  Hume  ne  veut  point  reconnaître  pour  bons  citoyens  ni  bons  po- 
«  litiques  ceux  qui  s'efforcent  de  désabuser  le  genre  humain  des 
«  préjugés  de  la  religion. 

«  Même  concert  parmi  les  incrédules  français  :  l'auteur  de  la 
«  lettre  de  Thrasybule  à  Leucippe  convient  que  la  croyance  d'une 
«  autre  vie  est  le  plus  ferme  fondement  des  sociétés,  porte  les  hom- 
«  mes  à  la  vertu,  et  les  détourne  du  crime.  Dans  les  sentimens 
«  des  philosophes  sur  la  nature  de  l'ame,  l'auteur  confesse  que  la 
«  morale  des  athées  est  dangereuse  en   général ,  et  n'est  bonne  à 
«  prêcher  qu'aux  honnêtes  gens.  Dans  les  Dialogues  sur  lame,  il 
«  est  dit  que,  pour  des  hommes  faibles  et  corrompus,  [une  religion 
«  dogmatique  et  la  supposition  d'une  première  cause  deviennent 
«  nécessaires;  qu'une  origine  divine  et  l'attente  d'un  honneur  éter- 
«  nel   flattent  l'amour-propre  ,  et  peuvent   produire  de   grandes 
«  choses.  L'auteur  du.  Système  de  laNatiwe  prouve  qu'aucun  motif 
«  naturel  n'est  assez  fort  pour  détourner  du  vice  un  homme  né 
«  avec  des  passions  vives,  et  qu'il  n'est  pas  le  maître  d'y  résister  : 
«  il  est  donc  très  à  propos  de  recourir  à  un  motif  surnaturel.  Dans 
«  les  Lettres  à  Sophie ,  il  est  dit  que  l'hypothèse  de  l'immortalité 
«  de  lame  est,  de  toutes  les  fictions,  la  plus  propre  au  bonheur 
«  du  genre  humain  en  général,  et  à  la  félicité  des  particuliers  qui 
«  le  composent.  L'auteur  du  livre  de  YEsprit  est  d'avis  qu'il  faut 
«  conserver,  même    aux  fausses  religions,  ce  qu'elles  ont  d'utile; 
«  qu'il  ne  faut  point  détruire  ni  le  Tartare  ni  l'Elysée. 

«  On  demandera  peut-être  comment,  avec  de  pareils  aveux,  de 


4^2  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

«  prétendus  zélateurs  désintérêts  de  l'humanité  osent  écrire  contre 
«  la  croyance  d'une  autre  vie  ?  Ce  n'est  point  à  nous  de  répondre. 
«  C'est  au  lecteur  judicieux  de  leur  rendre  la  justice  qui  leur  est 
«  due.  » 

Il  est,  en  effet,  assez  extraordinaire  de  voir  ceux  qui  font  des 
aveux  aussi  précis  de  l'utilité  de  notre  doctrine ,  soutenir  en  même 
temps  qu'elle  ne  sert  de  rien  à  la  morale ,  qu'elle  lui  est  même 
plus  nuisible  qu'utile.  «  Si  on  nous  dit  que  le  dogme  des  récom- 
«  penses  et  des  peines  à  venir  est  le  frein  le  plus  puissant  pour  ré- 
«  primer  les  passions  des  hommes,  nous  répondrons  en  en  appelant 
«  à  l'expérience.  Cette  merveilleuse  spéculation  n'en  impose  nulle- 
«  ment  aux  méchans  ;  elle  est  incapable  de  changer  les  tempéra- 
«  mens  des  hommes,  et  d'anéantir  leurs  passions.  Dans  les  nations 
«  qui  en  sont  le  plus  fortement  convaincues  ;  on  voit  des  assassins, 
«  des  voleurs,  des  fourbes,  des  oppresseurs  ,  des  adultères,  des  vo- 
«  luptueux  :  leur  persuasion  de  la  réalité  d'une  autre  vie  n'influe 
«  nullement  sur  leur  conduite  :  d'abord,  parce  que  le  tourbillon 
«  des  plaisirs  et  la  fougue  des  passions  les  emportent;  ensuite, 
«  parce  qu'ils  voient  cet  avenir  dans  le  lointain,  et  que  leurs  jouis- 
«  sances  sont  présentes;  enfin,  parce  qu'ils  ont  le  projet  de  faire 
«  pénitence,  et  qu'ils  se  flattent,  à  l'aide  de  la  miséricorde,  d'é- 
«  chapper  à  la  justice.  Si  même  l'idée  religieuse  agit  sur  les  mé- 
«  chans ,  ce  n'est  que  pour  redoubler  la  méchanceté  de  leur  carac- 
«  tère,  la  justifier  à  leurs  propres  yeux,  leur  fournir  des  prétextes 
«  pour  l'exercer.  L'expérience  d'un  grand  nombre  de  siècles  nous 
«  montre  à  quel  excès  la  scélératesse  et  les  passions  sont  portées, 
«  quand  elles  sont  autorisées  ou  déchaînées  par  la  religion  ,  ou  du 
«  moins  quand  elles  ont  pu  se  couvrir  de  son  manteau.  Les  hom- 
«  mes  n'ont  jamais  été  plus  ambitieux,  plus  avides,  plus  fourbes, 
«  plus  cruels,  plus  séditieux,  que  quand  ils  se  sont  persuadés  que 
«  la  religion  leur  ordonnait  ou  leur  permettait  de  l'être.  » 

Cette  difficulté  renferme  deux  parties  :  d'abord  l'inutilité,  et 
ensuite  l'inconvénient  de  la  croyance  à  une  vie  future. 

Sur  le  premier  point  nous  répondrons  : 

i°  Il  y  a  dv,s  pécheurs  parmi  ceux  qui  croient  à  une  autre  vie. 
Y  en  a-t-il  proportionnellement  moins  parmi  ceux  qui  n'y  croient 
pas? 

2°  Le  dogme  de  la  survivance  de  l'ame  n'empêche  pas  tous  les 
crimes  ;  donc  il  n'en  empêche  pas  beaucoup.  Yoilà  un  singulier 
argument! 

3°  La  foi  à  un  jugement  après  la  mort  ne  détruit  pas  les  autres 


DES    PRÉDICATEURS.  4£)3 

motifs  tle  vertu,  elle  ne  fait  qu'y  ajouter  le  plus  puissant  de  tous. 

4°  «  Dire  que  la  religion  n'est  pas  un  motif  réprimant,  parce 
«  qu'elle  ne  réprime  pas  toujours  ,  c'est  dire  que  les  lois  civiles 
«  ne  sont  pas  non  plus  un  motif  réprimant;  »  et  on  peut  dire  la 
même  chose  de  la  morale,  de  l'éducation. 

5°  Si  la  foi  de  l'autre  vie  n'a  pas  la  force  de  réformer  le  tempé- 
rament, de  réprimer  les  passions,  comment  tant  d'hommes  célè- 
bres dans  les  fastes  de  la  religion  ont-ils,  par  cette  considération  , 
dominé  leur  tempérament,  triomphé  des  passions  les  plus  fou- 
gueuses ? 

6°  La  confiance  dans  la  miséricorde  divine  est  un  motif  de 
conversion  bien  plus  que  de  persévérance  dans  le  mal.  Celui  qui 
n'en  aurait  pas  l'espoir,  aurait-il  plus  de  raisons  de  se  corriger? 

y0  La  considération  delà  miséricorde  est  balancée  par  celle  de  la 
justice.  Combien  de  péchés  celle-ci  a  prévenus  et  celle-là  a  réparés  ! 

Sur  le  second  point  nous  répondrons  aussi  sommairement  : 

i°  De  ce  que,  parmi  ceux  qui  croient  à  l'autre  vie,  il  y  a  des 
pécheurs,  s'ensuit-il  que  ce  soit  cette  croyance  qui  les  ait  fait  pé- 
cher ? 

2°  «  C'est  mal  raisonner  contre  la  religion,  dit  encore  Montes- 
«  quieu,  de  rassembler  dans  un  grand  ouvrage  une  longue  énu- 
«  mération  des  maux  quelle  a  produits,  si  l'on  ne  fait  de  même 
«  des  biens  qu'elle  a  faits.  Si  je  voulais  raconter  tous  les  maux 
«  qu'ont  produits,  dans  le  monde,  les  lois  civiles,  la  monarchie, 
•  le  gouvernement  républicain  ,  je  dirais  des  choses  effroyables.  » 

3°  Il  est  souverainement  injuste  d'imputer  à  la  religion  préci- 
sément ce  qu'elle  interdit.  Quel  est  le  vice  qu'elle  ne  proscrive 
pas,  le  crime  qu'elle  ne  condamne  pas?  Ceux  qui  la  font  servir  de 
prétexte  à  leurs  passions  font  le  contraire  de  ce  quelle  ordonne, 
et  on  l'accuse  d'autoriser  leurs  excès  ! 

4°  On  connaît  les  crimes  qu'ont  commis,  sous  prétexte  de  reli- 
gion, quelques  scélérats.  Peut-on  connaître,  imaginer,  calculer 
tous  ceux  qu'elle  a  empêché  de  commettre?  Peut-on  embrasser, 
dans  son  esprit,  toutes  les  actions  vertueuses  dont  elle  a  été  le 
principe? 

«  On  objecte  contre  l'utilité  du  dogme  de  la  vie  future  une 
«  autre  expérience  :  on  dit  que,  parmi  ceux  des  philosophes  qui 
«  n'y  croyaient  pas ,  il  y  en  a  eu  de  vertueux.  » 

Admettons  que  quelques  hommes  aient  pu  être  vertueux  sans 
le  motif  des  espérances  et  des  craintes  de  l'autre  vie,  peut-on  légi- 
timement en  conclure  que  ce  motif  n'a  pas  une  force  très  puis- 


4g4  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

santé  pour  porter  les  hommes  à  la  vertu  ?  La  question  consiste  à 
savoir  si  l'incrédule  a  autant  de  motifs  pour  résister  à  ses  passions, 
pour  sacrifier  son  intérêt  personnel  à  l'intérêt  général,  que  celui 
qui  croit  à  la  vie  future.  Il  est  évident  que  celui-ci  a  d'abord  tous 
les  mêmes  motifs  que  celui-là  ,  et  que  de  plus  il  en  a  un  autre  à 
tous  égards  infiniment  supérieur. 

Qu'il  y  ait  eu  quelques  hommes  à  qui  des  passions  peu  vives , 
un  jugement  sain  ,  l'étude  de  la  philosophie,  le  frein  des  lois  ,  les 
usages  civils  et  religienx,  les  exemples  environnans,  aient  fait 
pratiquer  la  vertu  malgré  leur  incrédulité,  cela  est  indifférent  à 
notre  question.  Il  faut  à  la  morale  un  fondement  qui  réunisse  tous 
les  genres  d'universalité  :  le  genre  humain  ne  peut  pas  être  com- 
posé de  philosophes. 

On  nous  oppose  l'expérience  ;  répondons  d'après  l'expérience. 
Quand  est-ce  que  les  républiques  de  la  Grèce  et  de  Rome  perdi- 
rent, avec  leurs  mœurs,  d'abord  leur  splendeur,  et  ensuite  jusqu'à 
leur  existence?  Ne  fut-ce  pas  quand  la  philosophie  épicurienne  y 
eut  fait  des  progrès?  Plusieurs  auteurs,  même  païens,  en  ont  fait 
l'observation.  Les  stoïciens  ,  dit-on  ,  n'admettaient  pas  les  peines 
après  la  mort,  et  cependant  ils  étaient  très  vertueux.  Mais  outre 
que  parmi  eux  il  y  en  avait  qui  croyaient  ce  dogme ,  si  beaucoup 
d'entre  eux  avaient  des  vertus,  ils  avaient  aussi  des  vices,  spéciale- 
ment l'orgueil.  Considérons  d'ailleurs  la  doctrine  de  ces  deux  éco- 
les sur  la  morale.  Epicuie  avait,  dit-on,  personnellement  des  ver- 
tus, et  il  avait  débité  sur  la  vertu  de  belles  maximes  :  mais  Cicéron 
dit  de  lui  qu'il  n'a  jamais  connu  personne  qui  eut  plus  de  peur 
des  choses  qu'il  prétendait  n'être  pas  à  craindre  :  de  la  mort  et  des 
dieux.  Ses  disciples  furent  plus  vicieux,  et  en  cela  plus  conséquens 
que  lui  :  il  adoptèrent  ses  principes  d'incrédulité,  et  laissèrent  là 
ses  maximes  de  vertu  qui  n'étaient  pas  fondées  sur  les  principes. 
Zenon  et  ses  stoïciens  prêchaient  fortement  la  vertu;  mais  leurs 
princioes  étaient  outrés,  et  nullement  adaptés  à  la  nature  de 
l'homme,  comme  le  leur  reprochent  Cicéron  et  Plutarque,  auteurs 
très  raisonnables.  La  raison  en  était  simple  :  ne  donnant  pas  à  la 
vertu  sa  véritable  base ,  ils  en  substituaient  d'imaginaires  ,  impuis- 
santes à  la  soutenir  ;  et ,  pour  ne  pas  tomber  dans  le  relâchement, 
ils  donnaient  dans  l'exagération. 

c  Pour  montrer  l'inutilité  de  la  croyance  d'une  autre  vie,  on 
«  prétend  que  les  hommes  sont  excités  à  la  vertu  par  des  motifs 
«  bien  plus  puissans,  par  le  désir  de  l'estime  et  la  crainte  du  blâme, 
«  par  l'amour  de  la  gloire  et  l'espoir  de  vivre  à  jamais  dans  la  me- 


DES    PRÉDICATEURS.  49^ 

«  moire  des  hommes,  et  surtout  par  la  satisfaction  intérieure  que 
'<  l'on  ressent  d'une  bonne  action,  et  par  le  remords  qui  tourmente 
c  à  la  suite  d'une  mauvaise.  » 

Je  demande  d'abord  en  quoi  ces  motifs  naturels  et  tous  les  autres, 
s'il  en  est,  que  l'on  pourrait  alléguer,  sont  opposés  au  motif  sur- 
naturel de  l'attente  des  biens  et  de  la  crainte  des  maux  d'une  autre 
vie?  En  proposant  l'un,  la  religion  ne  rejette  pas  les  autres;  loin 
de  les  affaiblir,  elle  y  ajoute;  elle  les  corrobore  en  les  consacrant. 

Le  désir  de  l'estime  ,  la  crainte  du  blâme,  l'amour  de  la  gloire, 
selon  les  païens  eux-mêmes ,  tenaient  au  dogme  de  l'immortalité. 
Dans  nos  principes  religieux  ce  sont  des  sentimens  honnêtes  et 
utiles;  nos  livres  saints  les  recommandent  et  célèbrent  la  gloire 
des  hommes  célèbres  par  leur  vertu.  Mais  j'ai  déjà  observé  que 
ces  motifs,  quoique  précieux,  ne  sont  pas  suffisans.  Ils  n'ont  ni  l'u- 
niversalité des  personnes ,  le  vulgaire  n'est  pas  susceptible  de  se 
déterminer  par  des  sentimens  si  délicats;  ni  l'universalité  des  de- 
voirs, ils  n'excitent  qu'aux  vertus  d'éclat;  ni  l'universalité  des 
circonstances,  ils  formeront  aussi  souvent  des  hypocrites  que 
d'honnêtes  gens. 

La  satisfaction  de  la  bonne  conscience  tient  à  l'espoir  qu'elle 
donne  d'un  bonheur  suprême  après  la  mort.  Otez  le  fondement 
sur  lequel  porte  la  joie  intérieure  d'une  action  généreuse,  quelle 
raison  a  d'être  content  de  lui-même  l'homme  qui  s'est  sacrifié 
au  bien  public,  ou  qu'un  acte  de  vertu  livre  à  des  contradictions, 
à  des  persécutions,  à  des  souffrances  ,  si  ces  maux  sont  le  prix 
unique  de  son  action,  s'il  n'a  aucun  dédommagement  à  en  espérer? 

Si  le  contentement  de  soi-même  est  le  seul  prix  de  la  vertu, 
l'homme  vain  et  persuadé  de  son  mérite  sera  toujours  récompensé, 
quelque  vicieux  qu'il  soit  :  l'homme  modeste,  qui  ne  se  trouve 
jamais  assez  juste,  n'aura  aucun  prix  de  ses  bonnes  actions. 

L'homme  de  bien  peut  éprouver  cette  satisfaction,  et  s'en  faire 
un  motif  pour  persévérer:  mais  comment  la  faire  connaître  au 
méchant  pour  le  rappeler  au  devoir  ?  comment  lui  persuader 
qu'un  sentiment  qu'il  n'a  pas  éprouvé,  dont  par  conséquent  il  ne 
se  forme  pas  l'idée,  lui  procurera  un  bonheur  supérieur  à  celui 
qu'il  attend  et  qu'il  ressent  de  ses  passions  satisfaites? 

Observons  enfin  les  contradictions  des  incrédules.  Tantôt  ils  ca- 
lomnient la  sagesse  de  la  Providence,  sous  le  prétexte  du  malheur 
que  la  vertu  apporte  aux  justes  ;  tantôt  ils  combattent  sa  justice, 
sous  le  prétexte  contraire  que  le  juste  est  heureux  par  sa  vertu. 


/gg  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Il  nous  reste  à  examiner  si  le  remords  est  un  motif  plus  puis- 
sant et  suffisamment  efficace. 

Je  reconnais  le  grand  bienfait  du  Créateur  envers  sa  créature 
raisonnable  et  libre ,  d'avoir  placé  le  crime  entre  le  scrupule  et  le 
remords  ;  entre  le  scrupule  qui  le  précède  pour  le  prévenir ,  et  le 
remords  qui  le  suit  pour  le  réparer.  Il  est  conforme  à  la  bonté  de 
rendre  embarrassée  et  pénible  la  route  du  vice ,  et  de  ramener  le 
pécheur  par  son  propre  sentiment  ;  il  est  convenable  à  la  sagesse 
de  tirer  du  fond  même  de  l'iniquité  un  remède  contre  elle ,  et 
d'employer  le  dérèglement  même  de  l'homme  à  lui  faire  régler  sa 
conduite  :  il  est  digne  de  la  justice  de  placer  dans  l'intérieur  de 
l'homme  un  témoin  ,  un  accusateur  ,  un  juge,  un  bourreau  qui 
commence  la  punition  de  son  crime  :  c'est  un  acte  admirable 
d'autorité  de  confondre  les  prévaricateurs  par  leur  propre  aveu,  et 
de  leur  faire  rendre  à  la  vertu  un  hommage  d'autant  moins  sus- 
pect, qu'il  est  contraire  à  leurs  inclinations  les  plus  dominantes. 

Mais  le  jugement  de  la  conscience  a  une  connexion  intime 
avec  le  jugement  de  Dieu.  Si  le  crime  n'a  aucun  châtiment  à 
craindre,  le  remords  n'a  point  d'objet;  c'est  un  sentiment  sans  rai- 
son. Affranchissez  le  méchant  des  craintes  de  l'avenir,  quel  motif 
l'engagera  à  céder  aux  reproches  de  sa  conscience  ?  Quel  autre 
intérêt  aura-t-il  que  de  s'efforcer  d'étouffer  ses  remords  en  multi- 
pliant ses  forfaits  ?  Suivant  le  système  de  l'incrédulité,  le  remords 
est  inexplicable  dans  son  principe,  inutile  dans  ses  effets  ,  funeste 
dans  ses  conséquences. 

En  établissant  le  principe  que  le  remords  est  la  punition  suffi- 
sante des  crimes,  il  ne  faut  pas  se  contenter  d'en  tirer  une  consé- 
quence partielle,  il  est  nécessaire  de  la  suivre  dans  sa  totalité. 
Ainsi,  avec  le  jugement  de  Dieu,  il  faut  abolir  tous  les  jugemens 
humains,  renverser  les  tribunaux,  annuler  les  lois  pénales.  Quel 
incrédule  voudrait  vivre  dans  un  pays  où ,  pour  toute  punition , 
les  criminels  seraient  abandonnés  au  tourment  de  leur  con- 
science? 

Dans  ce  système,  les  plus  criminels  seraient  les  moins  punis, 
parce  que  le  remords  non  seulement  n'est  pas  en  proportion,  mais 
est  souvent  en  raison  inverse  des  délits.  C'est  une  question  de  sa- 
voir si  on  peut  se  défaire  entièrement  de  ses  remords;  mais  un  fait 
certain  est  qu'on  parvient  à  les  diminuer.  Un  autre  fait  également 
constant  par  l'expérience  est  que  l'homme  se  reproche  plus  vive- 
ment ses  désordres  dans  leur  commencement  que  lorsque ,  par 
une  longue  succession  de  péchés,  il  s'y  est  accoutumé.  Ainsi,  le 


DES    PRÉDICATEURS.  4±)~ 

malheureux  qui,  par  faiblesse,  a  succombé  à  une  séduction  bien 
flatteuse,  à  une  très  vive  tentation  ,  et  qui  se  reproche  ensuite 
amèrement  sa  faute,  est  bien  plus  sévèrement  puni  que  le  scélérat 
qui,  s'étant  jeté  depuis  long-temps  dans  le  crime,  s'efforce  d'impo- 
ser silence  à  sa  conscience. 

Il  y  aura  même  dans  cette  hypothèse  beaucoup  de  vices  qui  ne 
seront  aucunement  punis.  Ce  sont  ceux,  et  ils  ne  sont  pas  à  beau- 
coup près  rares ,  sur  lesquels  on  se  fait  illusion.  Que  d'hommes, 
par  une  fausse  conscience,  transforment  à  leurs  propres  yeux  leurs 
défauts  en  vertus;  l'ambition  en  grandeur  d'ame,  l'avarice  en  éco- 
nomie, la  vengeance  en  justice,  le  fanatisme  en  zèle,  l'indiscrétion 
en  franchise,  la  fausseté  en  prudence!  etc.  Quelle  sera  donc  la  pu- 
nition de  tous  ces  vices,  dissimulés  à  celui  même  qui  en  est  infecté  ? 

«  On  nous  objecte  de  plus  lame  des  bêtes  :  elle  est  spirituelle 
«  comme  celle  de  l'homme;  et  cependant  on  ne  lui  attribue  pas  la 
«  survivance  au  corps  qu'elle  anime.  » 

Nous  avons  prévenu  cette  difficulté  :  ce  n'est'pas  parce  que  notre 
aine  est  spirituelle  que  nous  assurons  qu'elle  survivra  à  notre 
corps,  c'est  parce  qu'elle  est  raisonnable,  libre,  capable  de  mé- 
rite et  de  démérite  ;  ce  n'est  pas  la  puissance  de  Dieu  qui  est  inca- 
pable d'anéantir  notre  substance  spirituelle;  ce  sont  sa  sagesse,  sa 
bonté  ,  sa  justice,  qui  demandent  qu'il  la  conserve.  Admettons  le 
système  qu'il  y  a  dans  les  bêtes,  comme  dans  l'homme,  une  sub- 
stance spirituelle  :  est-elle,  comme  celle  de  l'homme,  susceptible 
de  connaître,  capable  de  pratiquer  le  bien  et  le  mal?  La  parité 
entre  l'âme  de  l'homme  et  celle  de  la  bêle,  quant  à  la  survivance 
au  corps,  n'est  donc  pas  exacte  :  il  n'y  a  pas  la  même  raison  pour 
la  conservation  de  l'une  et  de  l'autre.  De  la  spiritualité  de  l'ame  des 
autres  animaux  il  suit  seulement  qu'elle  n'est  pas  corruptible, 
qu'elle  n'a  pas  un  principe  intérieur  de  corruption  :  de  son  inca- 
pacité, de  son  impuissance  à  faire  bien  ou  mal,  irrésulte  qu'il  n'y  a 
pas  d'obstacle  à  ce  qu'elle  soit  anéantie  par  celui  qui  l'a  créée.  (Le 
C.  de  La.  Luzerne  ,  Dissertation  sur  la  Loi  naturelle.) 


T.    III, 


3  2 


4y8  NOUVELLE     BIBLIOTHÈQUE 


DIVERS  TASSAGES  DE  L'ÉCRITURE   SLR  L'IMMORTALITÉ    DE    L'AME. 


Salutare  tuum  expectabo,  Domine. 
J'attendrai  votre  salut,  ô  mon  Dieu!  (  Gen.,  35,  20.) 
Mo riatur  anima  mea  morte  justorum  et  fiant  novissima  mea  ho- 
rum  similia. 

Que  je  meurs  de  la  mort  des  justes  ,  et  que  mes  derniers  jours 
soient  semblables  aux  leurs.  (Num.,  33,  10.) 

Nec  inveniatur  in  te  qui....  pythones  consulat  aut  dîvinos ,  nec 
quœrat  a  mortuis  'veritatem. 

Qu'il  ne  se  trouve  personne  parmi  vous  qui....  consulte  les 
pythonisses,  ou  qui  se  mêle  de  deviner,  ou  qui  demande  aux 
morts  la  vérité.  [Deut.,  18,  10,  11.) 

Scio  quocl  Redemptov  meus  vwit ,  et  in  noinssimo  die  de  terra 
surrecturus  sum. 

Je  sais  que  mon  Rédempteur  est  vivant,  et  que  je  ressusciterai 
de  la  terre  au  dernier  jour.  (Job,  19,  25.) 

Non  derelinques  animant  meam  in  inferno ,  nec  dabis  Sanctum 
tuum  videra  corruptionem. 

Vous  n'abandonnerez  point  mon  aine  au  pouvoir  de  la  mort,  et 
vous  ne  permettrez  point  que  votre  Saint  éprouve  la  corruption. 
(Ps.,  i5,  10.) 

Ego  in  justifia  apparebo  conspectui tuo^satiabor  quum  apparuerit 
gloria  tua. 

Je  paraîtrai  devant  vous  avec  ma  seule  justice  ;  je  serai  rassasié 
quand  je  verrai  votre  gloire.  [Ps.,  16,  17.) 

In  malitia  sua  expelletur  impius,  sperat  autem  justus  in  morte 
sua. 

Le  méchant  sera  chassé  dans  sa  malice,  mais  le  juste  espère  dans 
sa  mort.  {Prou.,  14,  32.) 

Vidi  sub  sole  in  loco  judicii  impietatem,  et  in  loco  justitiœ  ini- 
quitatem,  etdixi  in  corde  meo:  Justum  et  impium  judicabit  Deus,  et 
tempus  omnis  rei  tune  erit. 

J'ai  vu,  sous  le  soleil,  l'injustice  à  la  place  du  jugement,  et  l'ini- 
quité à  la  place  de  la  justice  ;  et  j'ai  dit  dans  mon  cœur  ;  Dieu  jugera 


DES    PllUDICATEUllS.  4<)9 

le  juste  et  l'impie,  et  alors  ce  sera  le  temps  de  toutes  choses.  (EccL, 
3,  16,  17.) 

Mémento  Creatoris  in  diebus  juventutis tuœ t  antequamveniat  dies 
affïictionis...  et  revertatur pulvis  in  terrain  suam  unde  erat,  et  spiri- 
tasredeat  ad  Deum,  qui  dédit  ilhuh. 

Souvenez-vous  de  votre  Créateur  aux  jours  de  votre  jeunesse, 
avant  que  le  temps  de  l'affliction  vienne  ;  avant  que  la  poussière 
rentre  dans  la  terre  d'où  elle  est  sortie,  et  que  l'esprit  retourne  à 
Dieu  qui  l'a  donné.  {Ibid..  12,  1,  7.) 

Vivent  mortui  tui;  interfecti  met  résurgent  :  expergescimini  et  lau- 
date,  qui  habitatis  in  pulvere. 

Les  morts  que  vous  pleurez  vivront ,  les  massacrés  d'Israël  res- 
susciteront; réveillez-vous,  louez  le  Seigneur,  vous  qui  habitez 
dans  la  poussière.  (7s.,  26,  19.) 

De  manibus  mortis  liberabo  eos  ;  de  morte  redimam  eos.  Ero  mors 
tua,  0  mors!  morsus tuus  ero,  inferne! 

Je  les  rachetterai  des  mains  de  l'Enfer;  je  les  arracherai  des  mains 
de  la  mort.  Mort,  je  serai  ta  mort;  Enfer,  je  serai  ta  désolation. 
(Osée,  i3,  i4-) 

Si  Christ  us  prœdicatur  quod  resurrexit  a  mortui  s,  quomodo 
quidam  dicunt  in  vobis  quoniam  resurreciio  mortuorum  non  est? 

Puisqu'on  vous  a  prêché  que  Jésus-Christ  est  ressuscité  d'entre 
les  morts,  comment  quelques  uns  d'entre  vous  disent-ils  que  les 
morts  ne  ressuscitent  point?  (I ad  Cor.,  i5,  12.) 

Si  resurreciio  mortuorum  non  est ,  neque  Cliristus  resurrexit. 

Si  les  morts  ne  ressuscitent  pas,  Jésus-Christ  n'est  donc  pas  res- 
suscité? (Ibid,,  i3.) 

Si  in  hac  vita  tantum  in  Christo  sperantes  sumus,miserabiliores 
sumus  omnibus  hominibus. 

Si  l'espérance  que  nous  avons  en  Jésus-Christ  n'est  que  pour 
cette  vie ,  nous  sommes  les  plus  misérables  de  tous  les  hommes. 
(Ibid.y  19.) 

Omnes  quidem  resurgemus,  sed  non  omnes  immutabimur. 

Nous  ressusciterons  tous,  mais  nous  ne  serons  pas  tous  changés, 
(Ibid.,  5i.) 


3u. 


5qO  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE 


PLAN  ET  OBJET  DU  PREMIER  DISCOURS 
SUR  L'IMMORTALITÉ  DE  L'AME. 


EXORDE. 


Qui  crédit  in  me,  cliam  ai  mortuus  fucrii,  vivet. 
Celui  qui  croit  en  moi  vivra  même  après  sa  mort.  [En  S.  Jean,  c.  11.) 

Ce  n'est  donc  point  à  la  courte  durée  des  temps  que  doit  se  bor- 
ner l'existence  et  la  destine'e  des  hommes.  Il  est  donc  pour  tous  les 
Chrétiens,  pour  ceux  mêmes  qui  n'auront  point  eu  le  bonheur  de 
l'être,  une  autre  vie  que  celle-ci,  une  vie  stable  es  permanente, 
une  vie  éternelle  où  chacun  recevra  selon  ses  œuvres.  Le  Dieu 
puissant  qui  nous  a  formés  ,  pour  le  servir  sur  la  terre,  saura  donc 
conserver  notre  orne,  au  milieu  des  horreurs  du  trépas,  qu'il  ne 
laissera  régner  que  sur  le  corps.  Ce  monde  terrestre  que  nous  ha- 
bitons n'est  donc  point  notre  véritable  patrie.  Une  patrie  céleste 
nous  attend  et  nous  devons  y  aspirer  sans  cesse.  Nous  n'avons  donc 
point  à  craindre  cet  anéantissement  total  de  notre  être,  dont  l'im- 
pie nous  menace,  et  qu'il  désire  inutilement  pour  lui-même  ;  et  pour 
m'exprimer  avec  saint  Paul  paraissant  devant  l'Aréopage  ,  nous 
sommes  donc  la  race  immortelle  de  Dieu  ,  et  ce  Dieu  a  marqué  son 
jour  pour  nous  juger,  et  pour  juger  tout  l'univers. 

Mais  quel  est  le  but  que  je  me  propose  dans  cette  entrée  de  dis- 
cours? Yiens-je  donc,  comme  les  premiers  Apôtres  envoyés  aux 
nations  païennes,  vous  annoncer  les  premiers  élémens  de  la  reli- 
gion de  Jésus-Christ?  Dois-je  vous  parler  comme  à  des  hommes 
capables  de  former  un  doute  sur  le  siècle  à  venir,  si  nécessaire  à 
réparer  les  désordres  du  siècle  présent?  Ne  serait-ce  pas  même 
une  indécence  et  un  scandale  de  vous  adresser  les  preuves  d'une, 
vérité  que  la  nature  ne  vous  démontre  pas  moins  que  la  re- 
ligion? Et  la  chaire  évangélique  où  l'on  doit  parler  à  des  Chrétiens 
qui  nous  écoutent ,  ne  serait-elle  point  comme  profanée  par  des 
raisonnement  réservés,  ce  semble,  pour  des  impies  qui  ne  viennent 


des  prédicateurs.  Soi 

pas  nous  écouler  ?  Mes  chers  frères ,  je  sens  comme  vous  l'incon- 
vénient de  ces  dissertations  philosophiques,  où  l'on  paraît  vous 
supposer  sans  foi  et  sans  religion,  et  auxquelles  cependant  la  fc  i 
seule  et  la  religion  vous  attirent.  Mais  ne  suffit-il  pas  du  malheur 
des  temps  pour  m'autoriser  à  traiter  à  fond,  devant  vous,  de  l'im- 
mortalité de  votre  ame,  et  à  confirmer  votre  foi  sur  ce  grand  prin- 
cipe ?  Ne  savez-vous  pas  comme  moi  que  nous  vivons  dans  un 
siècle  où  la  religion  de  plusieurs  a  fait  naufrage  ;  où  l'on  ose 
anéantir  l'éternité  de  l'homme,  pour  mieux  anéantir  toute  religion, 
soit  naturelle,  soit  révélée;  dans  un  siècle  où  les  esprits  les  plus 
fiers  de  leurs  lumières,  les  plus  enivrés  de  leur  mérite,  se  font 
gloire  d'un  système  qui  les  abrutit  pour  ce  monde ,  et  les  anéantit 
pour  l'autre;  et  produisent  sur  ce  point  mille  raisonnemens  cap- 
tieux, qui  se  font  adopter  par  une  foule  d'esprits,  ou  faibles  de 
leur  nature ,  ou  aveuglés  par  leurs  passions  ?  Qu'il  me  soit  donc 
permis,  Chrétiens,  de  justifier  à  vos  yeux,  la  vérité  de  votre  avenir, 
et  de  vous  démontrer  une  immortalité  qui  fait  sans  doute  le  plus 
cher  objet  de  vos  désirs  et  de  vos  espérances.  Quelque  inutiles,  au 
reste,  que  ces  démonstrations  vous  paraissent  pour  l'édification  de 
vos  mœurs ,  du  moins  serviront-elles  à  vous  découvrir ,  et  toute  la. 
faiblesse  de  l'impie  qui  ose  attaquer  votre  immortalité,  et  tout 
l'avantage  que  vous  pouvez  tirer  de  ce  principe  même ,  trop  peu 
médité  des  Chrétiens  de  nos  jours.  Deux  idées  que  je  me  propose 
de  vous  développer  :  l'une  pour  affermir  votre  foi  sur  ce  principe 
fondamental  de  toute  religion;  et  l'autre  pour  vous  animer,  dans 
la  pratique,  à  ce  qu'il  y  a  dans  votre  religion  de  plus  sublime  et  de 
plus  grand.  L'une  et  l'autre  renfermeront  tout  mon  dessein. 

Point  de  vérité  plus  inébranlable  à  tous  les  ennemis  de  la  reli- 
gion que  le  grand  principe  de  l'immortalité  de  lame  :  ce  sera  le 
sujet  de  la  première  partie.  Point  de  vérité  plus  capable  de  former 
des  héros  à  la  religion  que  le  grand  principe  de  l'immortalité  de 
lame  :  ce  sera  le  sujet  de  la  seconde  partie.  Dieu  Sauveur,  Dieu 
immortel  et  prince  de  l'immortalité,  c'est  à  vous  de  me  soutenir 
dans  ce  discours;  j'ai  besoin  de  la  plus  puissante  de  vos  grâces,  et 
je  vous  la  demande  par  l'intercession  de  la  plus  sainte  des  Vierges. 
Ave,  Maria,  (Le  P.  Le  Chapelain,  Sur  V immortalité  de  lame.) 

Immortalité  de  l'ame,  vérité  inébranlable. 

C'est  un  beau  mot  de  Tertullien ,  et  qui  se  trouve  justifié  par 
l'aveu  unanime  de  tous  les  siècles,  que  jamais  l'homme  n'a  me- 


502  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

connu  l'existence  de  la  Divinité,  ou  d'un  premier  Etre ,  créateur 
de  tous  les  êtres,  à  moins  qu'il  ne  fût  expédient  pour  lui-même  que 
cet  Etre  souverain  ne  fût  point  en  effet  :  Nemo  Deum  non  esse  cré- 
dit, nisi  cui  expedit  non  esse  K  Je  dis  de  même  de  tous  les  hommes 
qui  ne  jugeant  des  choses  que  par  les  sens,  et  prévenus  des  maximes 
insensées  du  libertinage,  refusent  de  croire,  ou  ne  croient  qu'à 
demi  cet  avenir  éternel  que  la  religion  nous  oblige  d'espérer  ou 
de  craindre.  Et  je  prétends  que  l'on  n'a  jamais  douté  de  ce  grand 
principe  que  par  l'intérêt  personnel  que  l'on  avait  d'en  douter; 
c'est-à-dire  qu'il  n'y  eut  jamais  qu'une  vie  déréglée  et  corrompue 
qui  fut  capable  de  faire  penser  à  quelques  libertins  que  toute  la 
durée  de  l'homme  se  réduit  à  la  vie  présente  ,  et  que  le  but  de  ses 
espérances  finit  au  moment  inévitable  de  la  mort.  Je  prétends  qu'à 
considérer  la  chose  en  elle-même,   et  indépendamment  des  lu- 
mières que  la  foi  nous  donne  sur  l'immortalité  de  notre  ame; 
jamais  vérité  ne  fut  plus  évidente  au  jugement  d'une  raison  éclairée, 
ni  plus  inébranlable  à  tous  les  efforts  d'une  raison  pervertie  et  cor- 
rompue par  l'ascendant  des   passions   humaines.  Ecoutez-en   la 
preuve,  et  prêtez-moi,  je  vous  prie,  toute  votre  attention. 

Une  vérité  si  lumineuse  que  l'on  ne  peut  la  combattre  sans 
attaquer  en  même  temps  la  certitude  des  principes  les  plus  évidens 
ei-  eux-mêmes,  des  principes  les  plus  infaillibles  au  jugement  delà 
seule  raison,  et  de  la  raison  la  plus  ennemie  de  la  Religion  de  Jésus- 
Christ;  une  telle  vérité  n'est-elle  pas,  entre  toutes  les  autres,  la  plus 
inébranlable  aux  vains  raisonnemens  de  la  philosophie  humaine? 
Or,  telle  est,  mes  chers  auditeurs,  et  telle  sera  toujours  cette  grande 
vérité  que  le  sentiment  naturel  nous  démontre,  et  qui  nous  an- 
nonce à  tous  la  durée  immortelle  de  notre  ame.  Car,  pour  ne  sup- 
poser rien  qui  puisse  nous  être  contesté  dans  un  discours  de  cette 
conséquence,  il  faut  que  l'impie  reconnaisse  dans  le  Dieu  qu'il 
veut  bien  encore  adorer,  et  la  spiritualité  de  sa  nature,  et  l'infail- 
libilité de  sa  sagesse  et  l'infinité  de  sa  justice.  La  spiritualité  de  sa 
na  ure,  qui  en  fait  un  esprit  pur,  infiniment  au  dessus  de  la  ma- 
tière dont  il  est  le  créateur,  l'infaillibilité  de  sa  sagesse  qui  n'a  pu 
donner  à  l'homme  des  désirs  infinis,  sans  quelque  objet  capable 
de  les  satisfaire.  L'infinité  de  sa  justice  qui  ne  lui  permet  pas  de  re- 
garder indifféremment  sur  la  terre,  et  l'homme  vertueux  et 
l'homme  coupable.  Et  voilà,  Chrétiens,  ce  qui  doit  nous  faire  com- 
prendre à  quel  point  l'immortalité  de  notre  ame  est  supérieure  à 

1  Tertullicn. 


DES    PRÉDICATEURS.  5o3 

tous  les  raisonnemens  impies  que  l'on  peut  former  contre  elle; 
puisque  l'on  ne  peut  combattre  cette  -vérité  fondamentale  sans 
dégrader  la  nature  de  Dieu ,  sans  méconnaître  la  sagesse  de  Dieu, 
sans  anéantir  la  justice  de  Dieu.  Je  reprends,  mes  chers  frères,  et 
je  vous  invite  à  me  suivre  dans  le  cours  de  ces  argumens  victo- 
rieux ,  où  j'ai  cru  devoir  m'engager ,  non  seulement  pour  la  gloire 
de  la  religion  dont  nous  sommes  les  disciples,  mais  pour  l'intérêt 
commun  du  genre  humain,  à  qui  l'on  entreprend  de  ravir  le  plus 
essentiel  et  le  plus  beau  de  ses  privilèges.  (  Le  Même.) 

Nier  l'immortalité  de  l'ame,  c'est  outrager  la  nature  de  Dieu. 

Dieu  ,  en  créant  l'homme ,  l'avait  d'abord  destiné  à  être  immor- 
tel. Dégradé  par  le  péché,  il  perdit  cet  heureux  privilège;  mais 
l'intention  du  Créateur  était  qu'il  lui  fût  un  jour  rendu.  Sa  bonté 
et  sa  puissance  lui  permettaient-elles  de  ne  pas  se  montrer  aussi 
bienfaisant  à  l'égard  de  l'œuvre  de  ses  mains  que  les  hommes  le 
sont  à  l'égard  de  ce  qui  leur  est  soumis  ?  Or ,  nous  voyons  partout 
le  témoignage  que  les  hommes  veulent  voir  se  propager  et  se  mul- 
tiplier ce  qui  leur  appartient.  L'intention  du  Créateur  a  donc  été 
que  l'homme  corrompu  par  le  péché  fût  un  jour  réformé  et  re- 
nouvelé. L'incrédule  ne  combat  cette  assertion  que  par  l'opinion 
où  il  est  que  Dieu  ne  peut  pas  ressusciter  un  corps  anéanti  par  la 
mort;  et  il  mesure  la  toute  puissance  de  l'Etre  souverain  par  sa 
propre  faiblesse.  Il  est  facile  de  tirer  d'objets  existans,  ou  qui  ont 
existé  autrefois,  la  preuve  de  la  vérité  de  cet  ordre  de  choses  à 
venir,  dont  on  accuse  l'impossibilité.  Un  peu  de  boue  façonnée 
par  les  mains  du  Créateur  a  fait  l'homme,  vous  le  savez.  Appre- 
nez-moi, je  vous  le  demande,  vous  dont  la  science  prétend  péné- 
trer tous  les  mystères,  par  quel  mécanisme  un  peu  de  poussière 
s'est  transformée  en  chair?  comment  un  limon  grossier  a  produit 
et  les  os  et  la  peau ,  et  toute  la  structure  de  l'homme,  tant  à  l'exté- 
rieur que  dans  les  parties  diverses  qui  composent  cette  substance 
si  savamment  organisée,  et  qui,   toutefois,   n'est  qu'une  si  faible 
portion  dans  l'universalité  des  êtres?  Ce  mystère  vous  échappe; 
vous  ne  concevez  rien  à  la  naissance  de  l'homme  ;  et  pourtant 
vous  ne  pouvez  la  nier.  Pourquoi  nieriez-vous  sa  régénération? 
car  c'est  le  même  Dieu  qui  opère  dans  l'une  ou  dans  l'autre.  Il 
sait  bien  comment  il  s'y  prendra ,  pour  rendre  à  sa  première  forme 
le  corps  tombé  en  dissolution.  Il  est  tout-puissant;  vous  ne  lui 


r>o4  NOUVEIXIÎ    BIRT.IOTIIÈOUP, 

contesterez  pas  sans  doute  cotte  qualité....  Que  la  résurrection  des 
morts  soit  possible,  le  fait  le  prouve;  puisque  plus  d'un  mort  a 
été  ressuscité.  Lazare  était  depuis  quatre  jours  enfermé  dans  le 
tombeau  ;  Lazare  fut  ressuscité  l.  Le  iils  unique  de  la  veuve  de 
Naïm,  ressuscité,  fut  rendu  à  sa  mère,  au  moment  où  on  Fallait 
emporter  de  sa  maison  2.  Non  seulement  notre  Dieu  a  exercé  par 
lui-même  le  pouvoir  de  ressusciter  les  morts,  il  l'a  encore  donné 
à  ses  Apôtres.  Jl  suffit  dune  seule  résurrection  bien  authentique 
pour  conclure  en  faveur  de  toutes.  Qui  peut  faire  l'une  peut  aussi 
bien  faire  les  autres.  Dans  les  arts  mécaniques,  ceux  qui  sont 
chargés  de  grandes  et  vastes  constructions  commencent  par  les 
exécuter  en  petit,  et  par  en  tracer  les  modèles  sur  des  plans  d'une 
moindre  dimension.  Ainsi  le  Créateur  de  l'univers,  en  formant  le 
Ciel,  ce  merveilleux  ouvrage  de  ses  mains,  n'a  voulu  exposera 
notre  admiration  qu'un  échantillon  de  sa  sagesse  et  de  sa  puis- 
sance,  afin  que  nous  remontions  du  peu  que  nous  voyons  à  ce 
que  nous  ne  pouvons  ni  voir  ni  comprendre....  Le  potier  qui  a 
fait  un  ouvrage  de  terre  peut  le  refaire  quand  il  vient  à  se  briser; 
et  le  Tout-Puissant  ne  pourrait,  refaire  son  propre  ouvrage  !  Ecou- 
tez saint  Paul  :  Quand  vous  jetez  en  terre  une  semence,  ce  que 
vous  semez  n'est  pas  la  substance  elle-même  qui  doit  en  provenir 
dans  son  temps,  mais  il  le  deviendra  3.  Ce  grain,  par^exemple, 
que  vous  répandez  au  hasard  sur  la  terre ,  il  s'y  corrompt  ;  il  a  l'ap- 
parence de  la  mort;  bientôt  vous  le  verrez  qui  lève,  devient  épi, 
se  développe;  il  a  repris  la  vie  pour  se  multiplier.  L'homme  re- 
naîtra, mais  pour  n'être  que  ce  qu'il  était.  Son  renouvellement 
n'est  pas  un  accroissement  comme  celui  du  blé;  c'est  donc  quelque 
chose  de  plus  aisé  à  concevoir  que  cette  foule  de  phénomènes 
qui  accompagnent  la  résurrection  d'un  simple  grain.  Tout,  autour 
de  nous,  présente  à  nos  regards  une  scène  continuelle  de  muta- 
tion et  de  renouvellement.  La  vie  de  l'homme  n'est  qu'une  longue 
suite  de  morts ,  de  résurrections  anticipées;  le  sommeil  lui-même 
n'en  est  que  limage  journalière,  etc. 

Ah!  de  grâce,  ne  nous  enlevez  pas  notre  plus  glorieuse  espé- 
rance, le  soutien  et  le  remède  de  notre  faiblesse,  la  seconde  nais- 
sance qui  nous  enfantera  à  une  vie  nouvelle  où  l'on  ne  meurt  plus  : 
nous  en  avons  Dieu  lui-même  pour  garant.  Et  quels  sont  les  enne- 
mis de  cette  foi?  Des  hommes  ennemis  de  toute  vertu,  âmes  basses 
et  dégradées  par  la  passion  et  par  le  crime,  plongées  tout  entières 

1  Jonn,,  xî,  Ô9.  —  2  Luc,  xn,  12.  —  "I  Cor.,  xv. 


: 


DJ'S    PRÉDICATEURS.  5o5 

dans  les  brutales  voluptés  des  sens.  Que  ceux-là  repoussent  la  ré- 
surrection, ils  ont  trop  d'intérêt  de  la  craindre;  ils  s'effraient,  avec 
raison,  d'un  renouvellement  qui  les  fera  comparaître  par-devant 
le  Souverain  Juge,  pour  y  recevoir  le  châtiment  d'une  vie  toute 
pleine  d'iniquités;  serviteurs  infidèles,  qui,  après  avoir  dissipé  les 
biens  qui  leur  avaient  été  confiés,  se  livrent  contre  leurs  maîtres 
aux  plus  insolens  complots,  s'étourdissent  sur  les  suites  et  s'ima- 
ginent que  rien  n'arrivera  qu'en  conséquence  de  leurs  vœux  et  de 
leurs  espérances.  Loin  de  tout  esprit  sage  de  semblables  pensées. 
A  quoi  servirait-il  de  pratiquer  la  justice?  Quel  avantage  recueil- 
lerait-on d'avoir  été  vrai,  bon,  honnête?  Quels  fruits  promettrait- 
on  à  ses  laborieux  sacrifices?  S'il  n'y  a  pas  de  résurrection  ,  à  quoi 
sert  de  s'appliquer  à  l'étude  de  la  sagesse,  de  maîtriser  ses  sens, 
de  dompter  ses  passions ,  d'obéir  aux  saintes  lois  de  la  tempérance 
et  de  la  pudeur,  de  n'accorder  au  sommeil  que  peu   de  temps, 
d'endurer  les  plus  dures  privations?  S'il  n'y  a  point  de  résurrection , 
plus  de  vie  après  la  mort.  La  mort  est  l'anéantissement.  Supprimez 
et  toute  législation  qui  condamne  le  crime  et  tous  les  tribunaux 
qui  les  punissent.  Qu'il  soit  permis  à  l'homicide  de  tremper  impu- 
nément ses  mains  dans  le  sang  de  sa  victime  ;  laissez  l'adultère 
violer  librement  la  sainteté  du  nœud  conjugal  ;  que  le  riche  avare, 
que  le  spoliateur  du  bien  d'autrui  jouissent  en  paix  du  fruit  de 
leurs   rapines;  qu'aucun  frein   n'arrête  ni  le  calomniateur   ni  le 
parjure  :  tout  est  égal  à  la  mort  entre  eux  et  l'homme  juste,  fidèle 
observateur  de  sa  parole  et  de  tous  ses  devoirs  ;  car  s'il  n'y  a  point 
de   châtiment  pour  le   crime,  il  n'y  a  point  non  plus  de  récom- 
pense pour  la   vertu.   On   peut  être  sans  pitié  pour  le  pauvre, 
puisqu'il  n'y  a  rien  à  attendre  pour  le  miséricordieux.  Une  pareille 
doctrine  à  quoi  est-elle  bonne?  A  verser  dans  la  société  un  dé- 
luge de  crimes  :  la  raison  elle-même  s'en  révolte  ;  elle  ne  peut  con- 
venir qu'à  des  scélérats  et  à  des  brigands,  pour  les  exciter  au  crime 
et  leur  en  assurer  l'impunité. 

Il  n'y  aurait  pas  de  résurrection  !  Mais  que  deviennent  les  ora- 
cles de  nos  livres  saints?  Ce  ne  serait  donc  plus  qu'une  fable  que 
l'histoire  de  Lazare  ,  et  du  mauvais  riche  de  l'Evangile,  que  la  pro- 
phétie d'Ezéchiel,  alors  que,  transporté  en  esprit  dans  une  vaste 
plaine  couverte  d'ossemens,  il  vit  tous  les  morts  se  lever  sur  leurs 
pieds,  leurs  chairs  se  réunir  et  reprendre  la  vie  !,  image  frappante 
de  la  résurrection  générale?  Ce  n'est  point  l'âme  qui  ressuscitera  ; 

t  Ezéch.,  xxxuf,  1  el  seq. 


!i;il 


5o6  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

immortelle  de  sa  nature,  elle  n'avait  pu  mourir.  Il  faudra  done 
qu'au  jour  du  jugement  elle  retrouve  le  même  corps  dont  elle 
avait  fait,  durant  leur  commun  séjour  sur  la  terre,  le  compagnon 
de  ses  bonnes  ou  de  ses  mauvaises  actions.  Chaste  ou  adultère,  ii 
innocente  ou  criminelle,  elle  n'avait  pas  été  seule;  le  corps  avait 
été  de  moitié  dans  ses  œuvres,  plus  souvent  encore  il  avait  été 
l'instrument  des  prévarications  de  lame  coupable;  et  l'ame  serait 
jugée  indépendamment  du  corps!  S'il  fut  son  complice,  il  doit  être 
puni  comme  elle.  S'il  fut  associé  à  ses  sacrifices,  il  doit  être  ré- 
compensé comme  elle.  Aussi  voyez,  quand  l'Ecriture  nous  raconte 
les  tourmens  des  enfers,  elle  parle  de  feux  ,  de  ténèbres,  d'un  ver 
dévorant.  Est-ce  pour  l'ame?  est-ce  pour  le  corps?  Mais  l'ame  se 
parée  du  corps  ne  donnerait  point  de  prise  ni  à  l'activité  du  feu 
qui  n'agit  que  sur  les  sens,  ni  à  l'obscurité  des  ténèbres  ,  qui  ne 
tombent  que  sur  l'organe  de  la  vue ,  ni  à  la  dent  du  ver  qui  ne 
pourrait  rien  contre  un  pur  esprit.  (Saint  Grégoire  de  Nysse  , 
Sur  la  fête  de  Pâques ,  IIP  discours.) 


Nier  l'immortalité  de  l'ame  c'est  dégrader  la  sagesse  de  Dieu. 

Ici ,  mes  chers  frères ,  descendons  un  moment  dans  nous-mê- 
mes, pénétrons  le  fond  de  notre  cœur,  et  interrogeons  le  senti 
ment  naturel  qui  le  domine;  ou  plutôt,  sans  qu'il  soit  besoin  de 
pénétrer  le  cœur  de  l'homme  et  de  l'approfondir,  voyons-y  d'uni] 
coup  d'œil  ce  que  nous  ne  pouvons  nous  déguiser  à  nous-mêmes.ij 
et  ce  que  nous  apprend  chaque  jour  l'expérience  de  tous  les  hom- 
mes. Eh  quoi  !  c'est  que  ce  cœur,  tout  occupé  qu'il  est  d'objets  fri- 
voles, n'en  est  pas  moins  infini  dans  sa  capacité,  et  insatiable  dans 
ses  désirs;  c'est  que  ce  cœur  est  une  espèce  d'abîme  qui  absorbe 
etdigloutit  tout,  qui  ne  dit  jamais;  c'est  assez,  et  à  qui  le  monde 
entier  ne  suffirait  pas  pour  le  remplir.  Que  l'homme  en  effet  le 
plus  avide  de  richesses,  d'honneurs  ou  de  plaisirs,  rencontre  à  ce 
moment  sous  ses  pas  tout  ce  qu'il  a  jamais  pu  désirer,  depuis  qu'il 
existe,  sera-t  -il  vraiment  satisfait  ?  Non,  il  commencera  dès  lors  à 
former  de  nouveaux  projets  de  fortune  qui  seront  suivis  de  mille 
autres ,  à  mesure  qu'il  acquerra.  Si  c'est  l'ame  d'un  héros  fier  et 
superbe  de  ses  victoires,  ou  bien  elle  cherchera  un  autre  univers 
à.  conquérir,  comme  celle  d'Alexandre  ;  ou  bien  elle  se  lassera  de 
l'élévation  la  plus  désirée,  ainsi  que  ces  princes  fameux  qui,  de 
venus  les  maîtres  de  la  terre,  succombaient  au  dégoût  de  leui 
propre  puissance ,  qui  ne  leur  paraissait  plus  mériter  ce  qu'il  en 


DES    PRÉDICATEURS.  5o? 

avait  coulé  de  travaux  et  de  fatigues  pour  y  parvenir.  Si  c'est  une 
ame  commune  et  vulgaire,  d'abord  ses  désirs  seront  moins  vastes; 
mais  seront-ils  moins  ardens  et  moins  multipliés  dans  la  sphère 
étroite  ou  l'ordre  de  la  Providence  l'aura  bornée  ?  Non,  que  l'homme 
gémisse  dans  le  sein  de  la  pauvreté,  ses  premiers  vœux  ne  seront 
que  pour  le  seul  nécessaire;  mais  qu'il  possède  le  nécessaire  de  la 
nature,  il  voudra  dans  le  moment  le  nécessaire  de  la  condition  ;  mais 
qu'il  jouisse  du  nécessaire  le  plus  commode  selon  l'état  où  il  est 
monté,  il  aspirera  dès  le  même  instant  au  superflu,  et  au  superflu  le 
plus  magnifique;  et  s'il  vient  à  bout  d'y  parvenir,  il  désirera  toujours 
également  de  plus  en  plus.  Il  pourra  cesser  enfin  d'acquérir  selon 
ses  désirs,  mais  il  ne  cessera  jamais  de  désirer  d'acquérir  encore. 
Telle  est,  Chrétiens,  vous  ne  le  savez  que  trop,  la  nature  du  cœur 
de  tous  les  hommes;  et  le  cœur  du  plus  grand  héros,  pour  l'im- 
mensité des  désirs,  n'est  point  différent  de  celui  du  reste  des  hu- 
mains. 

Or,  cette  vérité  d'expérience  une  fois  reconnue,  raisonnons  un 
moment,  mes  chers  auditeurs,  et  concluons,  avec  la  dernière  évi- 
dence, que  l'on  ne  peut  méconnaître  la  durée  immortelle  de  notre 
ame,  sans  anéantir  la  sagesse  du  Dieu  créateur,  c'est-à-dire,  sans 
regarder  ce  Dieu  infiniment  sage,  comme  un  être  borné  dans  ses 
lumières,  qui  n'a  pas  su  pénétrer  ou  la  nature  des  biens  du  monde, 
incapables  de  nous  satisfaire,  ou  l'immensité  de  notre  cœur,  inca- 
pable d'en  être  satisfait.  Car  s'il  a  bien  connu ,  ce  Dieu  qui  nous  a 
formés,  la  disproportion  mutuelle  et  de  notre  cœur  et  des  biens  du 
monde,  il  faut  donc  qu'il  ait  un  objet  et  un  objet  proportionné  à 
l'ardeur  de  ce  désir  infini  d'êtreheureux,  gravé  dans  notre  ame  par  le 
doigt  de  Dieu; il  faut  donc  que  cette  capacité  sans  bornes,  cette  es- 
pèce d'immensité  du  cœur  humain ,  nous  annonce  un  bien  destiné 
du  ciel  à  le  remplir  et  à  le  satisfaire.  Or  ce  bien  infini  après  lequel 
nous  soupirons  malgré  nous-mêmes  ,  et  qui  ne  saurait  être  pour  le 
cœur  qui  le  désire  un  objet  chimérique  et  imaginaire,  ce  n'est 
pas  dans  nous-mêmes  qu'il  se  trouvera  jamais.  L'homme  sent  trop 
bien,  à  la  vue  de  l'état  déplorable  où  le  péché  l'a  réduit,  qu'il 
n'est  pas  fait  pour  se  contenter  de  lui-même.  Ce  n'est  pas  au  mi- 
lieu du  monde,  et  parmi  tous  les  objets  qu'il  offre  à  nos  regards, 
que  peut  se  rencontrer  l'objet  véritable  de  ce  bonheur  ,  puisque 
l'empire  du  monde  entier,  loin  d'épuiser  les  désirs  de  l'homme, 
ne  ferait  qu'en  multiplier  le  nombre  et  en  augmenter  la  vivacité. 
C'est  donc  dans  un  avenir,  et  un  avenir  éternel,  que  la  multitude 
et  la  variété  de  nos  désirs  doivent  trouver  leur  centre  et  leur  par- 


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lie. 


5o8  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE 

fait  accomplissement.  Il  n'appartient  clone  qu'à  l'immortalité  seule 
de  remplir  la  capacité  infinie  du  cœur  humain,  qiii  ne  saurait  être 
satisfait  par  une  félicité  passagère  et  bornée,  telles  que  seront  tou 
jours  les  félicités  de  la  terre.  Et  dès  là  ce  n'est  point  l'effet  d'une 
erreur,  comme  dit  l'impie,  ce  n'est  point  l'effet  d'une  ambition 
dans  l'homme,  c'est  sa  destinée  naturelle  et  nécessaire,  de  cher 
cher  un  autre  univers,  d'aspirer  à  de  nouveaux  cieux,  d'attendre 
un  second  avenir  qui  ne  finira  jamais. 

Eh  quoi!  dirais  je  à  ces  esprits  terrestres  qui  renferment  dans 
l'espace  des  temps  l'étendue  bornée  de  leurs  espérances,  et  qui 
voudraient  nous  réduire  au  sort  désespérant  dont  ils  font  leur  bon 
heur;  quoi!  serions-nous  donc  les  seules  êtres  raisonnables  dans 
ce  monde  visible,  pour  être  en  même  temps  les  plus  imparfaits  et 
les  plus  malheureux  de  tous  les  êtres,  et  n'y  aurait-il  que  l'homme 
assez  disgracié  de  son  Créateur,  pour  ne  pas  savoir  se  renfermer 
dans  les  bornes  naturelles  de  sa  destinée?  Je  vois  le  reste  des  êtres, 
heureux  à  leur  manière ,  sans  envier  d'autre  situation  que  celle 
quileur  est  marquée  par  l'Auteur  de  la  nature;  je  vois  le  poisson 
vivre  content  dans  le  sein  des  eaux,  l'oiseau  satisfait  de  voler  li- 
brement dans  l'espace  des  airs;  les  animaux  des  campagnes  ne  dé- 
sirer plus  rien,  quand  la  terre  leur  présente  la  pâture  nécessaire  à 
leurs  besoins,  et  l'homme  seul  ne  serait  pas  satisfait  des  avantages  \ 
temporels  qui  devraient  être  tout  son  partage!  Non,  ce  ne  sera  pas 
seulement,  quand  il  s'agit  de  contenter  l'homme,  que  se  sera  de+ 
mentie  cette  sagesse  admirable  du  Créateur,  qui  éclate  par  tant  de 
merveilles  dans  les  plus  petits  êtres  de  l'univers.  Dès  que  l'homme, 
comblé  de  tous  les  biens  du  temps,  désire  toujours  au-delà  de  ce 
qu'il  possède,  de  tels  biens  ne  sont  point  proprement  le  partage 
de  l'homme,  il  lui  en  faut  un  autre  plus  vaste  et  plus  proportionné 
à  ses  désirs,  et  la  sagesse  divine  ne  sera  jamais  justifiée  à  notre 
égard,  si,  nous  ayant  pourvus  d'un  cœur  incapable  de  se  contenter 
du  monde  visible  et  présent,  elle  ne  réserve  pas  à  ce  cœur  immense 
un  monde  invisible  et  éternel,  capable  d'en  remplir  la  capacité. 

Et  que  l'on  ne  m'oppose  point  ici  que  c'est  un  désordre,  un  dé- 
règlement dans  lhomrue,  de  désirer  toujours,  de  ne  se  contenter 
jamais;  et  que  le  Dieu  de  sagesse  n'est  point  tenu  de  satisfaire  cette 
avidité  insatiable  du  cœur,  qui  prend  sa  source  dans  notre  corrup- 
tion même.  Non,  mes  chers  auditeurs,  ce  n'est  point  là  de  quoi  af- 
faiblir la  démonstration  de  notre  immortalité,  fondée  sur  les  désirs 
infinis  du  cœur  humain.  Je  sais,  comme  vous,  que  c'est  un  désor- 
dre, un  dérèglement  dans  l'homme,  de  s'attacher  passionnément  à 


it 


DES  PRÉDICATEURS.  DOjÛ 

lia  recherché  des  biens  du  monde,  cl  aux.  charmes  de  leur  posses- 
sion. Mais  pourquoi  cette  attache  passionnée  est-elle  dans  l'homme 
un  si  grand  désordre?  Oh  .'Chrétiens,  c'est  que  l'homme,  en  se  li- 
llvrant  au  bonheur  terrestre,  oublie  dès  lors  l'excellence  et  la  di- 
Ignité  de  sa  nature  destinée  à  quelque  chose  de  plus  grand;  c'est 
i  »qu'il  paraît  alors  se  dire  à  lui-même,  par  une  illusion  qui  le  dé- 
cigrade, qu'a  force  d'accumuler  biens  sur  biens,  il  pourra  se  former 
|| enfin  sur  la  terre  un  bonheur  parfait  et  capable  de  combler  tous 
■ses  désirs.  Voilà  quel  est  le  vrai  désordre  de  l'homme  dans  son  at- 
(  tachement  excessif  au  monde  et  à  toutes  les  sortes  de  bonheur  que 
j  le  inonde  lui  présente.  Mais  il  répond,  ce  même  homme,  à  la  di- 
i|gnité  de  sa  nature,  mais  il  fait  voir  toute  sa  grandeur,  mais  il  pu- 
i  bliela  gloire  même  du  Dieu  qui  l'a  formé ,  loin  de  se  rendre  cou- 
■pable,  quand  il  ne  veut  pas  se  contenter  de  tous  les  biens  finis, 
■parce  que  cette  avidité  insatiable,  malgré  l'excès  ou  plutôt  par 
iirexcès  même  qui  l'accompagne,  est  le  signe  le  plus  évident  de  l'in- 
e  (capacité  des  biens  du  monde  pour  le  satisfaire,  et  la  plus  forte 
■démonstration  de  la  vérité  même  dont  il  s'agit:  que  le  cœur  hu- 
.Imain  est  nécessairement  inquiet  et  agité  dans  le  sein  du  bonheur 
Ile  plus  apparent,  destiné  qu'il  est  à  posséder  éternellement  son 
IjDieu,  et  à  trouver  dans  ce  seul  objet  le  centre  immortel  de  son 
Jirepos,  en  y  trouvant  le  terme  de  tous  ses  désirs!  Fecistl  nos  ad  te, 
mbomiiie,  et  ir requiet um  est  cor  nostrwn,  douce  reqidescatin  te  '. 
■Ainsi  parlait  saint  Augustin,  poussé  parla  force  du  sentiment  qui 
^l'obligeait  de  recourir  à  l'éternité,  pour  remplir  le  vide  infini  de 
[son  cœur;  et  tel  sera  toujours  le  langage,  je  ne  dis  pas  de  l'homme 
Jlconverti  et  sanctifié,  comme  cet  illustre  docteur  de  l'Eglise,  mais 
Ijde  tout  homme  raisonnable  et  sensé  qui  saura  réfléchir  sur  son 
Ijame,  dont  la  capacité  immense  annoncera  toujours  un  avenir  éter- 
,  inel,  parce  qu'il  n'y  a  que  cet  avenir  qui  soit  capable  de  rassasier 
Jcet  appétit  sans  bornes  pour  le  bonheur  dont  la  nature  nous  a  pour- 
Jvus.  (L.  P.  Le  Chapelain.) 

Nier  l'immortalité  de  l'ame  c'est  anéantir  la  justice  de  Dieu. 

Ne  pensons  pas  que  tout  se  termine  à  ce  cercle  étroit  de  la  vie  ; 
Imais  croyons  qu'il  y  aura  un  jugement  où  chacun  recevra  la  récom- 
'  pense  ou  la  punition  de  ses  œuvres.  Vérité  si  manifeste, si  incon- 


1  August. 


•f 


5IO  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

testable  que  tous  les  hommes,  Juifs,  hérétiques,  n'importe,  en  tom 
bent  d'accord.  S'ils  n'ont  pas  tous  une  idée  saine  de  la  résurrec- 
tion, du  moins  tous  s'accordent  sur  un  jugement  à  venir,  sur  des 
châtimens  réservés  aux  coupables,  sur  l'existence  d'un  tribunal  qui 
prononcera  sur  les  destinées  futures  ,  en  raison  delà  conduite  que 
l'on  aura  tenue.  Eh!  s'il  n'en  était  pas  ainsi,  pourquoi  ce  beau  ciel 
que  Dieu  a  déployé  par  dessus  nos  têtes?  pourquoi  aurait-il  créé 
les  abîmes  des  mers  et  le  fluide  de  l'air  pour  les  besoins  de  l'homme  ? 
pourquoi,  en  un  mot,  cette  providence  si  libérale,  si,  après  nous 
avoir  comblés  de  tant  de  biens,  il  devait  nous  abandonner  à  l'ins- 
tant du  trépas?  Combien  d'hommes  ,  après  avoir  vécu  dans  l'exer- 
cice delà  vertu  et  dans  les  traverses  continuelles,  ont  quitté  la  vie 
s  ans  avoir  connu  un  seul  moment  de  bonheur!  D'un  autre  côté, 
combien  aussi  meurent  souillés  de  crimes,  chargés  de  rapines,  ri- 
ches des  dépouilles  de  la  veuve  et  de  l'orphelin,  après  avoir  vécu 
jusqu'au  dernier  moment  dans  l'opulence  et  les  délices,  dans  l'ab- 
sence de  tous  les  maux!  Quand  donc  les  premiers  recevront-ils  la 
récompense  de  leur  vertu,  les  autres  l'expiation  de  leurs  crimes, 
si  la  mort  vient  les  anéantir  tout  entiers?  S'il  existe  un  Dieu,  comme 
il  n'est  pas  possible  d'en  douter,  c'est  une  conséquence  nécessaire 
qu'il  soit  juste.  Or,  s'il  est  juste,  il  est  également  impossible  de 
nier  qu'il  ne  doive  traiter  les  uns  et  les  autres  selon  leurs  mérites. 
Si  donc,  ce  n'est  pointdans  la  vie  présente  que  les  justes  auront 
été  récompensés,  ni  les  méchans  punis,  il  est  évident  qu'il  reste  |i 
après  la  mort  un  autre  temps  où  la  justice  s'exercera  à  l'égard  de 
tous.  (Saint  Chrysostome,  Du  jugement  futur.) 

Même  sujet. 

Mais  quelle  preuve  encore  plus  sensible  de  notre  immortalité  je 
découvre cfen s  la  justice  divine!  Quoique  les  lois  humaines  aient 
pourvu,  autant  qu'il  était  en  elles,  à  récompenser  les  bons  et  à  ré- 
primer les  méchans  dans  ce  monde  visible,  quel  est  surtout  dans  ce 
siècle  pervers,  quel  est  le  sort  du  vice  et  de  la  vertu  ? 

Dieu  juste,  permettez-moi  de  vous  adresser  encore  la  parole ,  et 
de  vous  dire  avec  vos  Prophètes  :  Justus  quidem  tu  es,  Domine,  si 
disputent  tecum.  Votre  justice  suprême  est  indépendante  de  tous 
les  faibles  raisonnemens  des  hommes;  souffrez  cependant  que  je 
vous  adresse  cette  juste  plainte:  Verumtamen  justa  loquar  ad  te* 
Pourquoi  vois-je  prospérer  la  voie  des  impies?  Mes  pieds  ont  chan- 
celé; j'ai  pensé  tomber  d'indignation  et  de  douleur,   en  voyant  la 


DliS    PIlliDICATliURS.  5  I  I 

:  paix  des  médians.  Ils  ont  obtenu  les  richesses,   les  honneurs,  la 

gloire;  on  applaudit  à  leurs  coupables  désirs,  on  bénit  leurs  injus- 

I  tices.  Jusques  à  quand,  Seigneur,  jusques  à   quand  laisserez-vous 

|  triompher  les  pécheurs  ?  Usquequo,  Domine,  usqnequo  pcccatores 

I  gloriabuntxir? 

Et  tandis  que  le  vice  lève  une  tête   altière,  dans  quel  délaisse- 
il  ment  vois-je  languir  l'humble  vertu  et  la  timide   innocence?  Heu- 
reuses  encore,  si  elles  n'étaient  pas  outragées  et  opprimées  par 
B  les  méchans!  C'est  donc  en  vain  que  j'ai  purifié  mon    ame:  Ergo 
[]  sine  causa  justificavi  cor  meuin.  En  vain  j'ai  sacrifié  à  l'innocence 
r  les  plus  doux  penchans  de  mon  cœur;  en  vain  je  consacre  au  bien 
|  public  ma  fortune,  mon  repos,  ma  vie;  en  vain  je  me  dépouille, 
i  pour  soulager  les  misérables.  O  pudeur!  ô  tempérance  !  ô  justice! 
ô  charité!  vous  ne  seriez  donc  plus  que  de  laborieuses  chimères! 
\  Passions ,  je  vous  rends  votre  liberté.  Pourquoi  me  ferais-je  vio- 
lence  pour   vous   contraindre?    Abandonnez-vous   avec  sécurité 
à  tous  les  désordres  et  à  toutes  les  injustices  qui   échappent  à  la 
I  vengeance  des  lois  et  à  la  censure  publique:  trahissez  mes  rivaux, 
!  trompez  les  simples,  opprimez  les  faibles,  dépouillez  les  peuples, 
I  perdez  les  misérables;  nous  périssons  comme  les  méchans,  vivons 
I  comme  eux.  O  Dieu!  pourquoi  abandonnez-vous  l'innocence  \Quare 
b  oblwisceris  tribulationis  nostrœ  ? 

Encore,  en  suivant  les  préjugés  de  ma  faible  raison  ,  je  pourrais 
I  concevoir  l'impunité  du  crime;  mais   que  Dieu  abandonne  l'inno- 
[  cence  et  la  vertu  ,  que  le  juste  qui  l'adore  ,  et  l'impie  qui  l'outrage, 
que  l'homme  généreux  qui  protège  les  faibles,  et  le  lâche  qui  les 
opprime;  que  l'homme  compatissant,  qui  essuie  les  larmes  des  mal- 
heureux, et  le  barbare  qui  les  fait  couler,  soient  égaux  devant  lui! 
Quedis-je?  que  le  crime  soit  mieux  traité  que  l'innocence;  que  le 
vice  soit  récompensé  et  la  vertu  punie!  O  Dieu!  comment  conci- 
lier ce  désordre  avec  votre  justice  ?  pardonnez  aux  crimes  ,  mais  ne 
i   punissez  pas  la  vertu:  Quare  via  impiorum  prosperatur  ?    Quare 
oblivisceris  tribulationis  nostrœ  ? 

J'ai  dit  dans  mon  cœur:  il  n'en  peut  être  ainsi ,  il  faut  que  l'or- 
dre soit  rétabli  ;  le  Dieu  juste  doit  venger  les  bons  et  punir  les  mé- 
chans :  Dixi  in  corde  meo:  justum  et  impium  judicabit  Dominus, 
Oui,  quand  je  n'aurais  d'autre  preuve  d'une  vie  future  que  la  pros- 
périté des  méchans  et  le  malheur  des  justes,  je  serais  convaincu 
qu'il  existe  un  autre  monde,  où  les  inégalités  cruelles  de  celui-ci 
sont  réparées.  Le  temps  est  un  chaos  ;  l'ordre  est  dans  l'éternité. 
La  vie  future  peut  seule  résoudre  le  mystère  de  la  vie  présente, 


1 


012  NOUVELLE     1UDLLO  l'ULQUE 

comme  elle  peut  seule  en  réparer  le  désordre:  Justiim  et  impium 
judieabit  Dominas ,  et  tempus  omnisrei  tune  erït. 

Substances  invisibles  qui  m'entendez,  et  qui  êtes  encore  enve- 
loppées sous  les  ombres  de  la  mortalité  (^  car  ce  n'est  point  à  l'hom- 
me extérieur  que  je  veux  parler  en  ce  moment,  c'est  à  l'homme 
intérieur,  c'est  aux  esprits  qui  animent  les  corps  que  j'ai  mainte- 
nant sous  les  yeux);  âmes  immortelles,  il  est  donc  vrai  que  vous 
n'êtes  pas  confondues  avec  la  masse  terrestre  que  vous  animez;  et 
que  vous  n'irez  pas  vous  perdre  avec  elle  dans  la  poussière  des 
tombeaux.  Si  vous  entendez  retentir  dans  le  corps  qui  vous  envi- 
ronne une  réponse  de  mort,  vous  entendiez  retentir  clans  vous- 
mêmes  la  réponse  de  l'immortalité.  Non,  la  mort  ne  détruit  que  les 
corps;  elle  affranchit  les  âmes.  Le  sépulcre  est  le  berceau  de  la  vé- 
ritable vie. 

Tristes  humains,  quand  vous  venez  pleurer  sur  les  tombeaux 
des  personnes  qui  vous  furent  chères  ,  et  que  votre  raison  troublée 
par  la  douleur  semble  croire  qu'ils  ne  sont  plus,  je  puis  donc  vous 
dire,  en  quelque  manière  ,  comme  l'ange  du  Seigneur  le  disait  aux 
saintes  femmes  qui  venaient  pleurer  sur  le  sépulcre  de  Jésus:  Ce- 
lui que  vous  pleurez  n'est  point  ici  :  Non  est  hic.  Vous  voyez  grave 
sur  sa  tombe:  Ici  il  repose  :  Hic  jacet.  Ne  vous  y  trompez  plus; 
non,  il  ne  repose  point  ici;  il  n'y  a  sous  cette  tombe  que  sa  dépouille 
mortelle,  que  le  voile  corruptible  dont  il  était  enveloppé:  Non  est 
hic.  De  même  que  le  soleil,  au  moment  où  il  semble  aller  s'enve- 
lopper dans  les  ombres  de  la  nuit ,  va  éclairer  un  autre  univers , 
ainsi  quand  celui  que  vous  avez  aimé  a  paru  se  perdre  dans  les  om- 
bres de  la  mort,  il  est  passé  dans  une  autre  vie  :  Non  est  hic.  Quel 
est  son  sort  dans  cette  vie  nouvelle?  Hélas!  j'ignore  sa  destinée. 
Heureux  ou  malheureux,  je  vous  déclare  qu'il  est  vivant ,  qu'il  est 
immortel.  O  mort!  nos  âmes  sont  donc  au-dessus  de  ta  puissance,  et 
où  est  ta  victoire  ?  Ubi  est  mors  Victoria  tua  ?  Que  le  corps  retourne 
à  la  terre  d'où  il  est  sorti,  en  attendant  la  résurrection  qui  doit 
lui  rendre  la  vie  à  lui-même:  Pulvis  revertatur  adterramsuam;  que 
l'esprit  revole  vers  la  Divinité  d'où  il  est  descendu:  Spiritus redeat 
ad  Deum,  qui  dédit  illum.  (M.  de  Beauvais,  évêque  de  Senez, 
Immortalité  de  lame.) 

Le  sentiment  de  l'immortalité  de  l'ame  triomphe  des  obstacles  que  le  monde  oppose  à 

notre  bonheur. 

Quel  doit  être  dans  nous  le  fondement  de  cette  vertu  sublime, 


DKS    PRÉDICATEUR.  5l3 

de  cet  héroïsme  chrétien,  dont  je  prétends  que  notre   nature  est 
pour  nous  sans  cesse  la  source  et  le  principe?  Non,  ce  n'est  point 
cet  appareil  de  piélé publique  et  extérieure,  cette  assistance  habi- 
tuelle aux  prières,  aux  cérémonies,  aux  offices  de  l'Eglise;  non, 
ce  n'est  point   là  pour  le  disciple   de  Jésus-Christ  l'héroïsme  et  la 
sublimité,  l'essence  même  et  le  fond  du  Christianisme.  Eh  quoi 
donc!  Ah!  Chrétiens,  c'est  ici  que  le  monde  et  Jésus-Christ  doi- 
vent nous  paraître  encore  plus   opposés   que  dans   tout  le  reste  ; 
car  c'est  par  le  faste  et  la  pompe  de  leur  vaine  grandeur;  c'est  par 
le  bruit  de  leurs  exploits  et  l'éclat  de  leurs  vains  titres,  ou,  pour 
m'exprimer  mieux  encore,  c'est  par  des  vices  brillans,  colorés  du 
nom  de  vertus,  que  s'annoncent  presque  toujours  les  héros  du 
monde  ;-  c'est  par  là  qu'ils  se  font  distinguer  du  vulgaire  pendant 
leur  vie,   et  qu'ils  prétendent   s'éterniser,  en  dépit  de  la  mort, 
dans  l'esprit  des  peuples  ;  au  lieu  que  ce  qui  doit  fonder  l'héroïsme 
de  l'homme  chrétien ,  et  ce  qui  doit  l'annoncer  aux  regards  du 
monde  ,   c'est    le    sentiment   de  1  humilité  ,    de  la   modestie    la 
plus  marquée,   par  le  peu  d'estime  qu'il  montre  de  lui-même  et 
le  respect  qu'il  fait  paraître  pour  le  commun  des  hommes,  malgré 
la  bassesse  et  l'infériorité  de  leur  condition.  Voilà,  mes  chers  frè- 
res ,  selon  tous  les  maîtres  et  les  docteurs  de  la  morale ,  ce  qui  fut 
toujours  dans  l'homme  le  fondement  d  u  Christianisme ,  et  d  u  Chris- 
tianisme le  plus  sublime  et  le  plus  relevé. 

Or,  ce  sentiment  humble  et  modeste  de  nous-mêmes  qui,  sans 
nous  dégrader,  nous  égale  au  commun  des  hommes,  n'est-ce  pas 
ce  sentiment-là  même  que  fait  naître  d'abord  dans  le  cœur  humain 
le  sentiment  de  son  immortalité  ?  Chose  admirable  !  c'est  ce  senti- 
ment qui  élève  l'homme  au  dessus  des  puissances  et  des  majestés 
terrestres,  et  c'est  ce  même  sentiment  qui  abaisse  notre  orgueil  jus- 
qu'à le  détruire  et  l'anéantir;  c'est  ce  sentiment  d'élévation  natu- 
relle qui  place  l'homme  au  dessus  du  reste  de  l'univers,  et  c'est  ce 
même  sentiment  qui  égale  au  dernier  des  humains  le  plus  fier  des 
hommes  et  le  plus  grand!  Estimons-nous  en  effet,  d'aiileurs ,  tant 
qu'il  nous  plaira  :  que  découvrons-nous  dans  notre  nature  de  plus 
respectable  que  cette  immortalité  qui  nous  distingue?  et  tant  d'a- 
vantages dominans,  attachés  à  l'éclat  de  la  naissance  et  de  la  con- 
dition, à  la  supériorité  des  talens  et  du  génie;  tous  ces  dons  de  la 
nature,  qui  ne  peuvent  aboutir  qu'au  néant,  nous  paraîtront-ils 
comparables  au  titre  d'immortel  qui  nous  assure  la  gloire  de  l'é- 
ternité ? 

Or ,  ce  grand  privilège ,  d'où  coule,  pour  ainsi  dire,  l'essence  de 
t.  m.  33 


5i/£  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

notre  véritable  gloire,  n'est-il  pas  également  le  propre,  et  des  petits 
et  des  grands ,  et  des  seigneurs  et  des  maîtres ,  et  des  monarques 
et  des  sujets?  Eh!  sur  quoi  donc  notre  orgueil  oserait-il  mépriser 
encore  le  moindre  des  hommes,  dès  qu'il  n'est  rien  de  plus  noble, 
de  plus  respectable  dans  l'homme  que  l'homme  lui-même  ?  et  tous 
les  titres  de  la  vanité  humaine,  qui  nous  élèvent  etnous  honorent 
presque  uniquement  dans  la  société  du  monde,  pourraient-ils  nous 
placer  dans  notre  estime  au  dessus  de  nos  semblables,  qui,  aussi 
bien  que  nous,  ont  Dieu  pour  principe,  et  doivent  retournera 
Dieu  pour  l'éternité  ? 

Mais  pénétrons  plus  avant  dans  l'idée  de  cet  héroïsme  chrétien 
dont  vous  possédez  le  principe,  dans  ce  sentiment  d'immortalité 
qui  vous  est  commun  avec  le  reste  des  hommes.  L'homme  humble 
et  modeste  n'est  encore,  pour  ainsi  dire,  que  l'homme  renfermé 
dans  lui-même,  qui  ne  paraît  point  au  dehors;  et  l'héroïsme  de  la 
religion  paraît  exiger  de  ses  sujets  quelque  chose  déplus  magnifi- 
que et  de  plus  grand,  c'est-à-dire,  un  mérite  qui  frappe  et  qui 
éclate  par  de  plus  illustres  victoires;  et  c'est  ce  qui  va  se  dévelop- 
per à  vos  yeux  clans  le  courage  de  l'homme  immortel  ;  car  j'appelle 
un  héros  chrétien,  pour  en  achever  ici  le  tableau,  l'homme  assez 
généreux  pour  s'élever,  avec  la  grâce,  au  dessus  de  la  chair  et  de 
ses  convoitises,  au  dessus  du  monde  et  de  ses  périls,  au  dessus  de 
la  fortune  et  de  ses  disgrâces,  au  dessus  de  la  mort  et  de  ses  ter- 
reurs. Or,  ne  suffit-il  pas,  en  effet,  de  nous  rappeler  le  souvenir 
de  notre  immortalité,  de  nous  pénétrer  de  ce  sentiment  qui  nous 
annonce  toute  la  gloire  et  la  grandeur  de  l'homme  ;  pour  triom- 
pher de  ces  ennemis  qu'il  nous  paraît  si  terrible  de  combattre  et  de 
vaincre,  c'est-à-dire,  pour  triompher  constamment,  avec  la  grâce, 
et  de  toutes  les  convoitises  de  la  chair,  et  de  tous  les  dangers  du 
monde,  et  de  toutes  les  disgrâces  de  la  fortune,  et  de  toutes  les 
horreurs  de  la  mort?  Soutenez-moi  de  votre  attention,  mes  chers 
frères,  dans  l'exposition  rapide  d'une  morale  si  rarement  présen- 
tée à  l'homme  du  siècle,  et  cependant  la  plus  noble,  la  plus  glo- 
rieuse et  la  plus  intéressante  qui  puisse  être  pour  l'humanité. 

i°  Pour  former  dans  tous  les  Chrétiens  des  héros  de  leur  reli- 
gion il  s'agit  donc,  sur  le  fondement  établi  de  l'humilité  évangé- 
lique  de  les  élever  d'abord  au  dessus  de  la  chair  et  de  ses  convoi- 
tises c'est-à-clire,  de  leur  inspirer  cette  force  plus  qu'humaine  qui 
les  rende  braves  contre  eux-mêmes ,  qui  leur  fasse  dominer  cette 
chair  mortelle  qui  leur  est  unie ,  et  la  traiter  en  esclave  et  en 
coupable,  comme  elle  doit  être  traitée,  pour  obéir  sans  cesse  aux 


DES    PKÉD1CATEURS.  5  I  5 

ordres  de  l'esprit  qui  la  commande:  force  chrétienne,  je  l'avoue, 
bien  rare  de  nos  jours,  et  presque  inouïe  dans  les  personnes  du 
siècle ,  mais  force  nécessaire  à  tous  les  disciples  de  l'Evangile,  dont 
toute  la  morale  paraît  tendre  à  la  destruction  du  vieil  homme  et  à 
l'édification  de  l'homme  nouveau,  qui  ne  peut  s'établir  que  sur  les 
ruines  de  l'homme  charnel  et  animal;  force  chrétiennequi,  dès  les 
premiers  temps ,  a  éclaté  dans  tous  les  grands  hommes  du  Chris- 
tianisme, et  en  a  fait  autant  de  victimes  de  leur  ferveur  et  de  mar- 
tyrs de  leurs  austérités,  qui  suppléaient  dans  eux  à  la  cruauté  des 
tyrans;  force  chrétienne  qui.caractérisa  spécialement  saint  Paul , 
qui  fut  comme  lame  de  cette  vertu  crucifiée  ,  dont  il  portait  sur 
son  corps  les  marques  vénérables,  et  qu'il  recommandait,  parla 
voix  de  la  parole  et  de  l'exemple,  à  toutes  les  nations  dont  Dieu 
l'avait  fait  le  docteur  et  l'apôtre  :  Ego  stigmata  Domîni  Jesu  in 
cor  pore  meo  porto  *. 

Or,  mes  chers  auditeurs  ,  quelque  sublime  que  vous  paraisse  ce 
premier  degré  de  l'héroïsme  chrétien,  n'en  trouvez-vous  pas  le 
principe  dans  ce  sentiment  d'immortalité  que  la  nature  et  la  reli- 
gion vous  inspirent,  dans  ce  sentiment  de  grandeur  et  d'élévation 
qui  fait  connaître  à  votre  ame  combien  elle  est  au  dessus  de  ce  mi- 
sérable corps ,  qui  lui  sert  comme  de  prison  sur  la  terre,  et  qui 
gêne  l'exercice  de  ses  opérations  les  plus  nobles  et  les  plus  capa- 
bles de  la  sanctifier?  Et  si,  en  effet,  au  lieu  d'écouter  les  sugges- 
tions de  la  chair  et  des  sens,  vous  écoutiez  la  voix  de  cette  ame 
immortelle  qui  vous  anime ,  cette  voix  puissante  sur  un  esprit  rai- 
sonnable et  chrétien  ne  vous  obligerait-elle  pas  à  mortifier  sans 
cesse  cette  chair  sensuelle  et  voluptueuse  qui  ne  tend  qu'à  usur- 
per sur  l'esprit  tout  l'empire  que  cet  esprit  même  doit  avoir  et 
conserver  sur  elle?  Eh  quoi!  disait  un  ancien  sage,  persuadé  par 
les  lumières  de  sa  raison  que  le  premier  devoir  de  l'homme  est  de 
soumettre  le  corps  à  l'esprit  :  Quoi!  je  serais  assez  lâche,  assez  fai- 
ble, assez  indigne  de  cette  raison  qui  m'éclaire,  de  cet  esprit  qui 
me  fait  vivre  et  penser,  pour  devenir  l'esclave  de  mon  corps,  de 
ses  appétits  déréglés  et  de  ses  besoins  imaginaires  ?  Non ,  concluait- 
il  dès  que  le  Ciel  m'a  pourvu  d'une  raison  pour  me  conduire  et 
me  servir  de  guide ,  pour  décider  de  mes  actions,  de  mes  sentimens 
et  de  mes  idées ,  dès  là  je  suis  trop  grand ,  je  suis  destiné  à  de  trop 
grandes  choses  pour  m'asservir  aux  désirs  de  ce  corps  mortel,  dont 


«  Ad  Gai.,  6, 

33, 


5i6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

les  soins  nécessaires  qu'il  en  faut  prendre  ne  me  font  déjà  que 
trop  esclave  :  Major  sum  et  ad  majora  natus ,  quant  ut  sim 
mancipium  mei  corporis.  Ainsi  parlait  un  philosophe  sans  le  se- 
cours des  idées  chrétiennes  si  supérieures  à  toute  la  sagesse  du  pa- 
ganisme. Or,  si  la  philosophie  purement  humaine  ,  qui  n'offrait  à 
l'homme  que  de  faibles  lueurs  sur  la  gloire  de  son  immortalité, 
ne  laissait  pas  d'animer  l'esprit  d'un  sage  païen  à  prendre  sur  son 
corps  tout  l'empire  qui  lui  était  dû,  eh!  comment  un  Chrétien, 
sous  la  loi  de  l'Evangile,  qui  lui  révèle  son  immortalité  dans  le 
plus  grand  jour,  pourrait- il  demeurer  l'esclave  de  cette  chair  cor- 
ruptible, que  Dieu  l'a  chargé  de  soumettre  aux  lois  austères  de  sa 
religion  Pou  plutôt  comment  un  Chrétien  ,  convaincu  de  cette  im- 
mortalité qui  doit  être  le  principe  de  son  bonheur,  comme  il  est 
celui  de  sa  religion ,  ne  ferait-il  pas  les  plus  grands  efforts  pour 
dompter  cette  partie  de  lui-même ,  toujours  rebelle  aux.  lois  du 
Christianisme,  pour  la  maintenir  dans  cette  subordination  néces- 
saire, que  la  seule  raison  serait  en  état  de  nous  prescrire  et  de  nous 
persuader? 

Eh!  comment  donc!  mes  chers  auditeurs,  comment,  à  plus 
forte  raison,  n'aspirerez-vous  pas  à  retrancher  de  vos  mœurs  tous 
les  désordres  dont  le  soin  excessif  du  corps  est  infailliblement  le 
principe;  je  veux  dire  cette  habitude  de  mollesse,  de  sensualité, 
d'indolence;  cette  inaction  éternelle  pour  le  devoir,  cet  amour 
outré  pour  le  plaisir;  en  un  mot,  cette  idolâtrie  de  la  chair,  deve- 
nue le  vice  dominant  du  inonde  chrétien,  et  qui  de  tant  d'esprits 
immortels  fait  en  quelque  sorte  des  êtres  charnels  et  terrestres, 
des  êtres  toujours  esclaves  d'un  corps  dont  ils  devaient  régler  en 
souverains,  et  à  tous  les  momens,  les  appétits  et  les  désirs?  Com- 
ment enfin,  avec  le  secours  des  idées  chrétiennes,  jointes  au  senti- 
ment de  votre  immortalité ,  ne  prendrez- vous  pas  un  empire  con- 
stant et  invariable  sur  un  corps,  toujours  à  craindre  quand  vous 
le  flattez,  et  qui  ne  vous  flatte  lui-même  que  comme  un  ennemi 
perfide,  pour  vous  corrompre  et  pour  vous  perdre? 

2°  Mais  ce  n'est  pas  à  cette  seule  victoire  que  le  sentiment  de 
notre  immortalité  nous  anime,  et  le  même  courage  qu'il  nous  in- 
spire pour  triompher  de  la  chair  et  de  ses  convoitises  doit  nous  faire 
encore  triompher  du  monde  et  de  ses  plus  grands  périls,  c'est-à- 
dire,  nous  détacher  assez  de  ce  monde  trompeur  pour  nous  porter, 
suivant  la  maxime  de  saint  Paul,  à  devenir  des  hommes  qui  usent 
de  ces  biens  passagers  comme  n'en  usant  pas  :  Qui  utuntur  hoc 
mundo  tanquam  non  utuntur, 'Or ,  mes  chers  auditeurs,  nous  man- 


DES    PRÉDICATEURS.  5l^ 

quera-t-il  jamais,  ce  détachement  généreux  qui  garantit  de  tous  les 
dangers  du  monde,  si  nous  savons  nous  pénétrer  de  la  dignité 
d'une  aine  qui  nous  élève,  par  son  éternelle  durée,  infiniment  au 
dessus  du  monde  et  de  tous  les  temps;  et  le  seul  défaut  de  cette 
réflexion  sur  la  disparité  infinie  d'un  monde  qui  passe,  et  d'une 
ame  qui  demeure  éternellement,  n'est-il  pas  la  source  de  cet  indigne 
esclavage  où  le  monde  réduit  tant  de  milliers  d'hommes  qui  ne 
sentent  pas  même  le  poids  de  leurs  chaînes,  ou  du  moins  qui  ne 
peuvent  se  résoudre  à  les  rompre  ou  à  les  briser?  Oui,  Chrétiens, 
c'est  cette  distraction  trop  volontaire  sur  le  souvenir  de  votre  éter- 
nelle destinée  qui  laisse  usurper  au  monde  cet  empire  tyrannique 
qu'il  exerce  en  mille  occasions  sur  vos  esprits  et  sur  vos  cœurs; 
et  si  vous  le  considérez  un  moment  avec  les  yeux  de  l'homme  im- 
mortel, ce  seul  regard,  qui  vous  en  découvrira  tout  le  néant, je 
ne  dis  pas  uniquement  par  rapport  à  Dieu,  l'Etre  des  êtres,  mais 
relativement  à  vous-mêmes,  à  qui  Dieu  fait  part  de  son  éternité, 
ce  seul  regard  que  vous  jetterez  sur  le  monde  dissipera  tout  ce 
qu'il  a  pour  vous  de  dangereux,  et  vous  fera  bientôt  régner,  par 
vos  mépris,  sur  ce  monde  funeste,  qui  n'a  d'ascendant  sur  votre 
conduite  que  par  la  voie  de  l'illusion  et  de  l'erreur. 

Eh!  quel  pouvoir  en  effet  aurait  le  charme  du  monde  pour  nous 
dominer,  s'il  ne  tirait  pas  sa  force  de  la  faiblesse  de  l'esprit  hu- 
main, qui  se  laisse  aveugler  par  les  désirs  du  cœur?  J'entends  si 
cet  esprit,  malheureusement  trompé,  ne  se  figurait  pas  une  espèce 
de  félicité  dans  tous  les  objets  que  le  monde  lui  présente,  quel  at- 
trait pourraient  avoir  encore,  et  ses  richesses  pour  nous  at- 
tacher, et  ses  dignités  pour  nous  éblouir,  et  ses  amusemens  pour 
nous  séduire,  et  sesexemples  pour  nous  entraîner,  et  seslois pour 
nous  contraindre  ?  Quel  empire  de  tels  objets  pourraient-ils  avoir 
sur  le  cœur  de  l'homme,  si  l'image  flatteuse  que  l'on  aime  à  s'en 
former  ne  nous  offrait  pas  un  bonheur  que  nous  croyons  réel,  et 
dont  nous  voulons  acquérir  la  possession  à  quelque  prix  que  ce 
puisse  être?  Car  c'est  ce  préjugé  contagieux  qui  traîne  tant  de  cap- 
tifs à  la  suite  du  monde,  qui  livre  à  sa  tyrannie  tant  de  victimes 
malheureuses,  déterminées  à  s'immoler  pour  son  service,  et  qui 
ne  sacrifieraient  pas  un  moment  de  plaisir  terrestre  pour  le  Dieu 
qui  les  a  formés,  qui  les  nourrit,  les  éclaire  et  s'efforce  de  les 
sanctifier.  Or,  pour  bannir  de  notre  cœur  cette  illusion  trop  ordi- 
naire ,  et  qui  ranime  sans  cesse  son  attachement  pour  les  vanités 
du  monde  ,  que  faut-il  de  plus,  mes  chers  frères,  que  de  compa- 
rer ce  qu'il  est  à  ce  que  nous  sommes ,  sa  durée  passagère  à  la  du- 


5  I  8  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

rée  immortelle  qui  nous  attend,  et  sa  félicité  périssable  à  l'éternel 
bonheur,  seul  capable  de  nous  satisfaire? 

Car,  regarderons-nous  un  monde  qui  passe ,  ainsi  que  l'éclair, 
comme  devant  faire  le  bonheur  d'un  être  qui  ne  passera  jamais  ? 
Regarderons -nous  un  monde  essentiellement  borné  dans  sa  puis- 
sance, comme  capable  de  remplir  un  cœur,  qui  aspire  à  des  biens 
infinis,  comme  lui-même?  Non,  fût-il  aussi  vrai  qu'il  est  trom- 
peur, aussi  fidèle  qu'il  est  perfide,  aussi  constant  qu'il  est  volage, 
aussi  reconnaissant  qu'il  est  ingrat,  aussi  puissant  qu'il  est  faible; 
fût-ilaussi  digne  de  nos  hommages  qu'il  est  évidemment  digne  de 
nos  mépris,  ce  monde  séduisant,  qui  éblouit  presque  tous  les  yeux , 
dès  qu'il  est  périssable  et  qu'il  doit  cesser  d'être,  il  n'a  plus  sur 
moi  d'empire;  il  perd  pour  moi  ses  charmes  les  plus  dangereux, 
parce  que,  n'y  voyant  plus  rien  qui  puisse  faire  mon  bonheur,  je 
n'y  vois  rien  dès  lors  qui  mérite  mes  attachemens  et  mes  services. 
Interrogez-vous  ici  vous-mêmes,  Chrétiens;  ne  sont-ce  pas  là  les 
réflexions  que  suggère  à  vos  esprits  l'idée  de  votre  immortalité, 
quand  vous  savez  en  faire  usage  pour  vous  conduire?  Et  ne  suffit- 
il  pas  de  ces  réflexions  simples ,  soutenues  du  pouvoir  de  la  grâce, 
pour  vous  rendre  constamment  victorieux  du  monde ,  pour  vous 
faire  conclure  avec  Jésus-Christ  que  c'est  donc  aux  biens  immor- 
tels que  doivent  s'attacher  tous  vos  désirs,  comme  aux  seuls  ob- 
jets proportionnés  à  leur  étendue;  et  que  tous  les  mérites  mêmes, 
toutes  les  qualités,  toutes  les  vertus,  tous  les  biens  de  l'esprit 
ainsi  que  du  corps,  dès  qu'ils  n'ont  de  valeur  qu'au  jugement  du 
monde,  ne  sont  plus  dignes  de  l'ambition  d'une  ame  qui  ne  doit 
s  enrichir  et  se  contenter  que  des  célestes  trésors  :  Thesaurisate 
vobis  thesauros  in  cœlo  *; 

3°  Portons  nos  vues  plus  loin  sur  ce  grand  objet  qui  doit  faire 
éclater  dans  nous  toute  la  grandeur  de  la  religion  ;  triompher  de 
la  chair  et  de  ses  convoitises,  du  monde  et  de  ses  périls:  c'est  une 
double  victoire  au  dessus  de  tous  les  héros  profanes.  Mais  les  héros 
chrétiens  cesseraient  de  l'être,  s'ils  ne  triomphaient  encore  de  la 
fortune  et  de  ses  disgrâces;  et  c'est  ce  nouveau  triomphe  qui  ca- 
ractérisera toujours  l'homme  immortel,  c'est-à-dire,  l'homme  per- 
suadé de  son  immortalité,  et  qui  sait  tirer  de  ce  noble  principe 
des  lumières  pour  se  conduire.  Eh  !  que  pourrait-on  faire  pour 
abattre  le  courage  de  ces  hommes  à  l'égard  desquels  les  périls 

1  Matlh.,  6. 


ci 


DES    PRÉDICATEURS,  5  If) 

de  la  vie  humaine  ne  sont  pas  de  véritables  dangers,  ni  ses  mal- 
heurs, de  véritables  misères?  et  ne  doivent  ils  pas  être,  avec  quel- 
que proportion,  comme  Dieu  même,  quoique  dans  un  sens  bien 
différent,  patiens  à  supporter  tout  et  à  tout  souffrir,  par  la  seule 
raison  qu'ils  sont  éternels  ?  Patiens,  patiens,  quia  œtemus.  Oui, 
mes  chers  auditeurs,  que  ce  sentiment  d'immortalité  règne,  comme 
il  doit  régner  sur  tous  les  sentimens  de  votre  ame;  et  dès  là  je  ne 
crains  plus  pour  vous  ce  spectacle  éternel  d'images  funestes  qui 
vous  environnent;  cette  variété  comme  infinie  de  disgrâces  que  la 
justice  ou  plutôt  la  bonté  divine  a  semées  de  toutes  parts  dans  l'u- 
nivers, pour  occasionner  cette  variété  admirable  de  consolations 
qu'elle  communique  à  tous  les  cœurs  religieux  qui  la  réclament. 
Eh  !  qu'importe  en  effet,  dès  que  le  sentiment  de  l'immortalité  nous 
sert  de  guide;  qu'importe  que  la  faiblesse,  la  maladie,  la  mortalité 
soient  comme  les  compagnes  inséparables  de  notre  corps?  Qu'im- 
porte que  la  fortune  ,  qui  est  comme  la  divinité  du  monde  profane, 
nous  menace,  dans  le  court  espace  de  la  vie,  de  ses  plus  terribles 
fléaux,  dès  que  la  foi  et  la  raison  nous  persuadent  que  tous  les 
efforts  du  monde  pour  nous  détruire  ne  sauraient  en  effet  nous 
anéantir?  Pourquoi  même  nous  occuper  de  soins,  de  prévoyances  , 
d'inquiétudes  pénibles  pour  ce  moment  si  rapide  de  la  vie  présente, 
dès  qu'il  nous  reste  à  parcourir  une  immensité  de  siècles,  un  ave- 
nir sans  borne  et  sans  mesure ,  qui  mérite  uniquement  de  nous 
occuper  ? 

Que  l'univers  entier  s'évanouisse  donc  avec  toutes  ses  espéran- 
ces; que  la  nature  retombe  dans  le  chaos,  que  les  élémens  se  con- 
fondent, que  notre  corps  se  réduise  en  poussière,  ou  se  dissipe  en 
vapeur,  qu'il  soit  dévoré  par  les  animaux,  ou  consumé  dans  les 
entrailles  de  la  terre.  Dès  que  les  ruines  du  monde  ne  peuvent 
entraîner  celles  de  l'esprit  qui  nous  anime;  qu'elles  ne  dissoudront 
pas  ce  qui  n'est  pas  même  capable  de  dissolution  ;  dès  que  cette 
argile  qui  compose  le  corps  humain ,  et  qui  n'est  pas  proprement 
nous-mêmes,  sera  réparée  avec  honneur,  pour  participer  à  la 
gloire  de  lame,  mais  non  plus  avec  la  même  servitude  de  la  part 
de  cette  ame,  et  sa  même  dépendance  de  la  chair  et  de  ses  sens; 
dès  que  nous  lisons,  dans  l'avenir  que  Dieu  nous  prépare,  une  si 
noble  destinée,  eh!  de  quel  intérêt  peut  être  pour  nous  tout  ce 
qui  peut  se  passer  sur  la  surface  de  la  terre?  Et  ne  suffit-il  pas  de 
nous  maintenir  dans  ce  haut  rang  d'élévation  où  l'immortalité 
nous  place,  pour  voir  circuler  indifféremment  sous  nos  yeux  ces 
disgrâces,  ces  félicités  humaines  qui  font  la  grande  occupation  du 


02O  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

monde?  Et  ne  peut-on  pas  nous  comparer  alors  à  ces  hommes 
situés  sur  la  cime  d'une  montagne  d'où  ils  entendent  sans  crainte 
souffler  les  vents,  éclater  la  foudre,  et  crever  sous  leurs  pas  le 
nuage  enflammé  qui  épouvante  le  reste  des  mortels  ?  Sentimens 
sublimes,  mes  chers  auditeurs,  et  dont  la  noblesse  semble  passer  le 
commun  des  hommes,  et  le  commun  même  des  Chrétiens;  mais  qui, 
bien  appréciés,  loin  d'être  audessusde  leurreligion,  ne  sontque  les 
sentimens  émanés  de  leur  nature  même,  dont  la  voix  infaillible 
leur  promet  une  éternité  de  consolation  ,  pour  un  moment  de 
peines  et  de  disgrâces.  Qu'il  n'y  ait  point  de  vertu,  point  de  con- 
stance, point  de  grandeur,  point  de  fermeté  soutenue  dans  l'homme 
du  siècle;  qui  de  nous,  Chrétiens,  pourrait  en  être  surpris?  C'est 
ce  qui  doit  être,  c'est  ce  qui  sera  toujours  dans  ces  hommes  qui 
se  rendent  mortels  autant  qu'il  est  en  eux,  en  bornant  au  monde 
qui  passe,  toutes  leurs  ressources  et  leurs  espérances.  Je  ne  m'é- 
tonnerai donc  point  que  ce  héros  qui  bravait  la  mort  au  milieu  des 
périls  brillans  de  la  guerre;  que  ce  philosophe  qui  soutenait  gé- 
néreusement une  illustre  disgrâce;  je  ne  m'étonnerai  point  que 
l'un  et  l'autre  se  désolent  et  se  désespèrent  quand  ils  se  voient 
malheureux  en  secret,  sans  pouvoir  se  soutenir  de  l'approbation 
de  leurs  admirateurs.  Il  faut  bien  que  la  faiblesse  du  plus  grand 
homme  perce  à  travers  cette  force  apparente  dont  il  n'offre  le 
spectacle  que  pour  éblouir  les  yeux  qui  le  considèrent,  et  se 
procurer  en  mourant  la  vaine  douceur  de  penser  qu'on  le  vantera 
dans  le  monde,  où  il  ne  sera  plus,  comme  ayant  paru  grand  jus- 
qu'à la  fin  sur  la  scène  passagère  de  la  vie  humaine.  Mais  pour  des 
hommes  tels  que  j'ai  droit  de  vous  supposer  ici,  mes  chers  frères, 
pour  des  Chrétiens  qui  se  croient  destinés  à  cette  grande  éternité 
qui  doit  être  la  mesure  de  nos  sentimens,  comme  celle  de  nos 
œuvres;  que  ces  hommes,  ces  Chrétiens  paraissent  encore  faibles 
et  abattus  sous  le  poids  de  la  disgrâce,  comme  s'ils  ignoraient  qu'il 
est  pour  eux  une  immortalité,  qui  doit  les  venger  enfin  de  l'in- 
justice du  monde  et  du  malheur  des  temps;  c'est,  Chrétiens,  ce 
que  j'aurais  peine  à  me  figurer  dans  vous,  malgré  l'excès  de  la  fai- 
blesse humaine;  parce  que  ce  serait  dégénérer  tout  à  la  fois,  et  du 
sentiment  de  votre  nature,  et  des  principes  de  votre  religion; 
parce  que  ce  serait  évidemment  vous  dégrader  vous-mêmes,  et  au 
jugement  de  la  raison  humaine,  infaillible  sur  ce  point,  et  au  ju- 
gement plus  infaillible  encore  de  votre  foi. 

4°  Enfin,  pour  achever  de  former  en  nous  des  héros  du  Chris- 
tianisme, il  faut  nous  faire  triompher  encore  de  l'horreur  natu- 


DES   PRÉDICATEURS.  £>2I 


relie  de  la  mort.  Et  c'est  à  ce  degré  de  force  et  de  courage  que 
s  élève  aisément  notre  ame,  au  souvenir  de  l'immortalité,  l'objet 
de  sa  foi  et  de  sou  espérance.  Eli!  d'où  provient  en  effet,  Chré- 
tiens, ce  sentiment  d'horreur  si  universellement  répandu  dans  le 
cœur  des  hommes,  à  la  seule  pensée  de  la  mort?  D'où  peut  pro- 
venir cette  horreur,  que  de  la  fausse  idée  que  s'en  forme  l'esprit 
humain,  et  qui  la  lui  fait  regarder  comme  le  moment  fatal  où  tout 
échappe  à  l'homme,  et  où  il  ne  reste  de  son  être  que  ce  qui  peut 
l'humilier.  Image  de  la  mort  trop  réelle  sans  doute  par  rapport  à 
l'homme  du  monde  dont  l'espoir  se  termine  au  tombeau;  et  qui 
la  rend  si  puissante  pour  troubler  cette  paix  funeste,  dont  il  pré- 
tend jouir  sur  la  terre  :  O  mors,  quam  amara  est  me/noria  tua, 
homini pacem  habenti  in  substantiis  suis  *!  Mais  image  de  la  mort 
trop  peu  sincère,  par  rapport  à  l'homme  immortel,  qui  n'a  qu'à  se 
considérer  lui-même,  pour  insulter  à  cette  mort  fatale,  qui  porte 
l'esprit  de  terreur  dans  les  âmes  mondaines  :  Ubi  est  mors  Victoria 
tua,  ubi  est  stimulus  tuas  2  ?  Eh!  que  craindrons-nous  en  effet  à 
l'abri  de  notre  immortalité,  que  redouterons-nous  de  cette  mort 
si  terrible  pour  les  hommes  vulgaires  ? 

Sera-ce  le  dépouillement  général  où  elle  nous  réduit,  en  nous 
enlevant  tout  ce  qui  nous  environne?  Mais  que  perdons-nous  donc 
en  quittant  le  monde,  qui  mérite  la  tristesse  de  nos  regrets ,  si  nous 
comparons  cette  perte  à  l'immortalité  que  la  religion  nous  assure, 
et  même  à  la  dignité  naturelle,  que  suppose  dans  notre  ame  le 
privilège  de  sa  haute  destinée?  Car,  ce  qui  devrait  nous  surpren- 
dre, si  nous  savions  réfléchir  sur  nous-mêmes,  ce  serait  sans  doute 
qu'un  esprit,  tel  que  le  nôtre,  et  créé  pour  vivre  éternellement, 
pût  cependant  s'occuper  des  idées  du  temps  et  des  frivolités  de  la 
vie;  ce  serait  que  cet  esprit,  plus  grand  que  le  inonde,  pût  estimer 
comme  un  vrai  bonheur  la  vie  qui  l'attache  à  ce  monde  même;  et 
comme  un  désastre,  le  moment  qui  doit  le  séparer  de  tant  d'occu- 
pations vaines  qui  dégradent  sa  grandeur  et  son  activité.  Voilà, 
Chrétiens,  immortels  comme  nous  le  sommes,  ce  qui  devrait  être 
l'objet  de  notre  étonnement,  quand  nous  réfléchissons  sur  notre 
attachement  excessif  pour  ce  monde  dont  les  riens  nous  occupent, 
et  à  qui  nous  daignons,  en  mourant,  laisser  de  véritables  regrets. 
Eh  quoi!  serions-nous  si  peu  sensés  que  de  croire  notre  bonheur 
tellement  dépendant  de  quelques  revenus,  de  quelques  charges, 
de  quelques  dignités ,  dont  la  gestion  remplit  le  vide  de  nos  mo- 

*  Eccli.,  41.—  «lad  Cor.,  1.". 


522  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE. 

mens,  ni  de  croire  que  ce  bonheur,  tellement  renfermé  dans  ce 
nombre  de  personnes  chéries  qui  composent  les  sociétés  ou  les 
familles,  tellement  déterminé  par  le  spectacle  continu  de  cette 
terre  qui  nous  porte,  de  ces  cieux  mobiles  qui  se  promènent  sur 
nos  têtes,  de  ces  milliers  d'astres  qui  nous  éclairent;  serions-nous 
si  peu  raisonnables  que  de  penser  qu'après  la  perte  de  pareils  ob- 
jets, il  ne  peut  y  avoir  pour  nous  de  véritable  bonheur?  Non, 
cette  faiblesse  d'esprit  ne  tombera  jamais  sur  des  hommes  de  l'é- 
ternité, pour  qui  ce  monde  matériel  n'est  au  plus  que  l'ombre 
grossière  d'un  autre  monde  infiniment  plus  magnifique,  qui  doit 
servir  comme  de  palais  à  leur  ame,  et  de  spectacle  éternel  à  ses 
regards.  Que  craindrons  -  nous  donc  des  approches  de  la  mort  et 
de  ses  sujets? 

Sera-ce  cette  humiliation  profonde  où  elle  semble  plonger 
toutes  les  grandeurs  attachées  à  l'humanité,  et  l'humanité  elle- 
même?  Mais  si  nous  pensons  en  immortels,  nous  jugerons  que 
la  mort  n'abaisse  point  l'ame  en  effet, mais  seulement  le  corps, 
le  corps  mortel  qui  lui  est  uni;  que  si  ce  corps  mourant  tombe  et 
se  réduit  en  poussière,  l'ame  se  lève  alors,  se  dégage  de  ses  liens, 
et  devient  plus  pénétrante,  plus  élevée,  plus  digne  de  l'excellence 
qu'elle  possède,  à  mesure  qu'elle  approche  de  son  Dieu,  qui  la 
rappelle  de  la  terre  au  ciel.  Que  si  le  corps  à  ce  moment  fatal 
perd  le  mouvement  que  lui  imprimait  l'ame  et  qui  le  faisait 
vivre,  cette  ame  acquiert  alors  des  connaissances  qu'elle  n'avait 
pas,  et  dont  le  seul  défaut  la  faisait  languir  au  milieu  de  toutes  les 
lumières  qu'elle  pouvait  acquérir  d'ailleurs.  Qu'enfin  si  le  corps  va 
se  confondre  avec  la  terre  dont  il  était  formé,  l'esprit  va  se  réunir 
avec  le  Dieu  dont  il  était  émané. 

Oui,  il  est  vrai  que  la  mort  abaisse  et  même  anéantit  dans 
l'homme  toute  espèce  de  grandeur  dont  le  monde  est  la  source; 
qu'elle  dépouille  l'homme  qui  ne  pense  pas  au-delà  du  temps  des 
vains  titres  qui  le  distinguent,  et  lui  arrache  à  la  fois  tous  les  sou- 
tiens et  les  appuis  de  son  orgueil.  Mais,  en  humiliant  les  grands, 
les  potentats  de  la  terre,  il  n'est  pas  moins  vrai  que  la  mort  ne  sau- 
rait proprement  abaisser  les  hommes  mêmes.  Que  dis-je!  Et  si 
quelque  chose  peut  vraiment  humilier  l'homme  ici  bas ,  n'est-ce 
point  la  vie  même  dont  il  jouit ,  et  qui  fait  la  gloire  du  corps  qui 
doit  périr,  en  faisant  l'abaissement  de  l'ame  qui  ne  périra  jamais? 
Que  la  mort  nous  frappe  en  effet,  elle  brise  pour  nous  tout  au  plus 
le  lien  de  société  qui  nous  attachait  au  monde;  mais  la  vie  hu- 
maine n'affaiblit-elle  pas,  pour  tout  le  cours  de  sa  durée,  cette  so- 


DES    PRÉDICATEURS.  0  2.3 

ciété  éternelle  que  l'esprit  de  l'homme  doit  avoir  avec  son  Dieu  j 
Que  la  mort  soit  accompagne'e  d'images  lugubres  qui  ne  me  pré- 
sentent que  ténèbres ,  que  corruption  et  pourriture ,  je  ne  crains 
point  de  sentir  alors  la  misère  de  ces  disgrâces;  mais  la  plus  belle 
vie,  la  vie  du  plus  grand  homme,  qu'est-elle  autre  chose  qu'une 
suite  de  fragilités,  de  bassesses,  de  mille  sortes  de  disgrâces  qui  ne 
se  font  que  trop  vivement  sentir  à  l'humanité?  Si  donc  j'ai  horreur 
de  l'abaissement  et  de  l'humiliation,  ce  n'est  point  proprement  la 
mort  qui  m'élève  au  dessus  des  misères  de  la  vie;  c'est  cette  vie 
elle-même  qui  m'assujettit  à  ses  misères,  dont  je  dois  faire  1  objet 
de  mes  frayeurs.  Que  craindrons  ^nous  enfin  de  cette  mort  qui  nous 
menace,  dès  que  l'idée  de  notre  immortalité  nous  éclaire? 

Sera-ce  la  sévérité  du  jugement  de  Dieu  dont  elle  doit  être  sui- 
vie? Ah!  mes  chers  auditeurs,  j'avoue  que  c'est  un  instant  bien 
redoutable,  que  celui  qui  emporte,  pour  ainsi  dire,  avec  soi ,  1  e- 
lernité  toute  entière.  Mais  n'est-ce  point  encore  une  illusion  de 
votre  part,  hommes  chrétiens  et  immortels,  de  vous  abandonner 
ainsi  aux  terreurs  de  la  mort,  parce  que  vous  avez  lieu  de  craindre 
le  jugement  de  Dieu  qui  doit  la  suivre?  Est-ce  donc  le  seul  mo- 
ment de  cette  mort  si  redoutée,  qui  décidera  de  l'éternité  des 
hommes?  Est-ce  ce  moment  seul  qui  doit  être  l'objet  des  jugemens 
de  Dieu,  ou  plutôt  n'est-ce  pas  la  vie  entière  de  l'homme  vertueux 
ou  coupable  que  Dieu  interrogera  pour  le  juger?  Et  si  le  dernier 
de  nos  momens  a  de  quoi  nous  effrayer,  parce  qu'il  est  celui  qui 
nous  transporte  au  tribunal  de  la  justice  divine;  ne  pouvons-nous 
pas,  dans  l'usage  chrétien  des  instans  qui  le  précèdent,  chercher 
le  préservatif  de  toutes  les  craintes  que  ce  dernier  moment  nous 
prépare?  C'est  donc  uniquement  à  l'homme  du  monde,  à  l'homme 
qui  croit  devoir  périr  avec  le  monde ,  de  trembler  au  souvenir  et 
aux  approches  de  la  mort;  et  l'homme  immortel  qui  se  connaît, 
n'y  voit  rien  à  son  égard  de  vraiment  terrible.  N'y  voit-il  pas  môme 
de  quoi  éclater  de  joie,  de  quoi  triompher  à  son  aspect,  qui  con- 
sterne l'impie  le  plus  hardi,  ainsi  que  le  plus  faible  et  le  plus  ti- 
mide de  tous  les  hommes  :  Ubi  est  mors,  Victoria  tua;  ubi  est  sti- 
mulus tuus  P 

Et  c'est  ici,  mes  chers  auditeurs,  qu'il  est  aisé  de  concevoir  la 
différence  infinie  des  héros  du  monde  et  des  héros  formés  par  la 
religion!  Quel  que  soit  ce  héros  que  le  monde  nous  vante,  il  ne 
peut  se  défendre  d'appréhender  la  mort,  ou,  s'il  ne  la  craint  pas,  il 
n'est  redevable  de  sa  fermeté  qu'à  la  faiblesse  ou  à  l'égarement  de 
ses  idées.  Il  faut  qu'il  cesse  d'écouter  sa  raison,,  pour  devenir  vrai- 


5î4  NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE 

ment  brave,  et  qu'il  s'oublie  lui-même,  pour  s'exposer  tranquille- 
ment aux  périls  de  la  mort.  C'était  à  la  religion,  et  à  la  religion 
seule,  de  présenter  au  monde  un  spectacle  dont  il  n'avait  jamais 
été  le  témoin  ;  le  spectacle  de  ces  hommes  qui  atteignent  la  perfec- 
tion de  l'héroïsme  raisonnable  et  chrétien  ;  de  ces  hommes  tou- 
jours intrépides  et  braves,  sans  se  soucier  de  leur  vie,  par  principe 
de  raison  et  de  religion  ;  de  ces  hommes  dont  la  valeur  ne  doit  sa 
source,  ni  à  l'imbécillité  qui  s'oppose  à  la  réflexion  dans  l'homme 
vulgaire,  ni  à  l'exemple  de  la  foule  qui  entraîne  au  combat  le  plus 
lâche ,  ni  au  respect  humain  qui  défend  de  reculer  dans  le  péril,  ni  à 
tant  d'autres  considérations  vaines  qui  font  les  héros  apparens  du 
monde;  de  ces  hommes  enfin  qui  s'exposent,  parce  qu'ils  se  con- 
naissent eux-mêmes;  et  qui  s'immolent  de  sang-froid,  parce  qu'ils 
se  croient  au  dessus  de  la  mort. 

Spectacle  merveilleux  dont  le  monde  profane  ne  fournira  ja- 
mais un  seul  exemple ,  mais  spectacle  renouvelé  des  millions  de  fois 
par  la  vertu  de  la  religion,  dans  tant  de  martyrs  obligés  de  paraître 
et  de  soutenir  leur  foi  devant  les  tyrans!  Voyons  en  effet,  pour 
nous  mieux  convaincre  d'une  vérité  qui  nous  honore,  voyons 
d'une  part  ce  héros  prétendu  que  l'honneur  fait  monter  sur  la 
brèche  ou  descendre  dans  l'arène.  Quelle  agitation  sous  ce  calme 
apparent  qu'il  affecte  !  quel  excès  de  crainte  sous  cet  air  magna- 
nime dont  il  se  pare!  au  dehors  il  vous  paraît  plus  qu'un  homme; 
pénétrez  au  dedans,  à  peine  y  découvrez-vous  un  être  raisonnable 
et  présent  à  lui-même.  Mais  changeons  plutôt  de  spectacle,  et 
portons  les  yeux  sur  un  plus  digne  objet.  Voyons  cet  homme  im- 
mortel, ce  héros  chrétien  entouré  de  supplices  et  de  bourreaux 
menaçans,  qui  emploient  mille  genres  de  mort  pour  lui  arracher  le 
souffle  de  vie  qui  lui  reste.  Quelle  joie  céleste  sur  son  visage!  quelle 
ardeur  divine  dans  ses  regards!  quelle  impatience  pour  le  trépas!  il 
anime  le  tyran,  déjà  furieux  par  de  nouveaux  traits  de  zèle  pour  sa 
religion;  son  plus  grand  tourment,  c'est  de  ne  pas  encore  souffrir, 
ou  de  ne  pas  souffrir  assez;  il  s'élance  de  lui-même  au  milieu  des 
flammes,  il  y  glorifie,  il  y  bénit  son  Dieu;  et  son  cœur  est  plus 
promptemenl  consumé  par  l'amour,  que  ne  l'est,  son  corps  par  la 
flamme  qui  l'environne.  Or,  vous  me  demandez  pourquoi  tant  de 
différence  dans  ces  deux  sortes  de  martyrs  que  je  vous  présente? 
Ah!  Chrétiens,  c'est  que  l'un  n'est  que  la  victime  du  monde,  et  que 
l'autre  est  le  martyr  de  sa  foi;  c'est  que  l'un  croit  tout  perdre  par 
la  mort,  et  l'autre  tout  acquérir  par  la  mort  même;  c'est  que  l'un  se 
croit  fait  pour  le  temps,  et  que  l'autre  se  sent  né  pour  l'éternité; 


DES    PRÉDICATEURS.  525 

c'est  que  l'un  ne  voit  briller  devant  lui  nul  rayon  d'espérance,  et 
que  l'espérance  de  l'autre,  félon  l'expression  de  l'Écriture , 'est 
pleine  d'immortalité:  Spes illorum immortalitate  plena  est  K  (Le  P. 
Le  Chapelain.) 


Péroraison. 


Il  n'est  donc  rien,  mes  chers  auditeurs,  de  plus  généreux  et  de 
plus  fort  que  l'homme  chrétien,  qui  se  conduit  par  le  principe  de 
son  immortalité  ,  puisque  la  force  de  ce  grand  principe   doit  le 
faire  triompher  avec  la  grâce,  et  de  toutes  les  convoitises  de  la 
chair,  et  de  tous  les  charmes  du  monde,  et  de  toutes  les  disgrâces 
de  la  fortune,  et  de  toutes  les  horreurs  de  la  mort.  Cessons  donc 
de  nous  plaindre  désormais  de  notre  faiblesse,   pour  exercer  les 
vertus  communes  du  Christianisme.  Dès  que  la  nature  nous  anime 
elle-même  à  l'accomplissement  des  plus  grands  sacrifices,  qui  font 
éclater  dans  l'homme  chrétien  toute  la  gloire  de  sa  religion,  pour- 
rions-nous être  trop  faibles  avec  la  grâce  pour  sortir  victorieux 
des  épreuves  ordinaires,  auxquelles  est  exposée  la  vertu  de  l'hom- 
me ,  tant  que  son  ame  demeure  dépendante  du  corps  mortel  où 
elle  habitePCequi  nous  affaiblit,  mes  chers  frères,  ce  qui  nous  dé- 
pouille en  quelque  manière  de  cette  force  d'idées  et  de  sentimens 
qui  a  contribué  à  produire  tant  de  grands  hommes  dans  la  reli- 
gion de  Jésus-Christ,  c'est  que  nous  ne  savons  point  comme  eux 
réfléchir  sur  nous-mêmes,  et  voir  dans  notre  nature  quelque  chose 
de  plus  grand  que  tout  ce  qui  peut  attirer  les  regards  et  l'admira- 
tion du  monde.  C'est  que,  follement  épris  de  ces  vains  titres    de 
ces  noms  fastueux ,  dont  le  monde  pare  et  couronne  ses  esclaves 
nous  ne  savons  point  nous  revêtir  de  cette  sublime  grandeur  que 
nous  assure  l'immortalité.  Mais  renoncez  pour  un  moment    heu- 
reux du  siècle,  aux  illusions  de  l'orgueil  humain  qui  vous  séduit 
et,  sans  considérer  dans  vos  personnes  ce  mérite  de  fortune  gui 
ne  vous  est  point  propre  ,  osez  regarder  dans  vous  l'homme  seul 
dépouillé  de  tout  autre  apanage  que  celui  de  la  nature.  Laissez 
à  part  ces  noms  brillans  dont  vous  éblouissez  le  monde,  et  qui  se- 
ront toujours  si  différens  de  vous-mêmes.  Le  guerrier  célèbre   le 
magistrat  fameux,  le  savant,  le  prince,  le  héros,  oubliez  ici  tout 
ce  qui  vous  distingue  sur  le  théâtre  de  la  vie  humaine,  et  ne  voyez 
plus  dans  vous-mêmes  que  l'homme  immortel ,  et  vous  me  direz 


Sap.,  3. 


ii 


j26  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

alors  si  ce  titre  sublime,  dont  Dieu  honora  votre  nature,  ne  vous 
inspire  pas  de  courage  supérieur  à  tous  les  titres  humains  qui  vous 
décorent;  et  vous  me  direz  si  vous  craignez  encore  de  succomber 
dans  les  combats  violens  que  la  chair  vous  livre;  et  vous  me  direz 
si  le  monde  peut  arracher  de  voire  cœur  d'autre  sentiment  que 
le  mépris  ;  et  vous  me  direz  si  la  fortune,  dont  vous  adorez  l'idole, 
peut  avoir  des  revers  et  des  disgrâces  qui  vous  étonnent;  et  vous  i 
me  direz  si  la  mort  même  qui  porte  partout  l'épouvante  ne  porte 
pas  la  joie,  la  sérénité  et  le  triomphe  dans  votre  ame. 

Ne  voyez  plus  dans  vous-mêmes  que  l'homme  immortel,  et  vous 
ne  craindrez  plus,  comme  l'homme  du  monde,  de  vous  voir  à  fond 
et  de  vous  connaître.  Vous  fuirez  plus  vivement  que  vous  ne  les 
avez  désirés,  ces  plaisirs  turbulens  qui  vous  dérobent  la  vue  de 
votre  vraie  grandeur,  en  vous  faisant  sortir  hors  de  vous-mêmes;! 
et  toutes  vos  passions  devenues  tranquilles,  parce  que  vous  serez 
ici  bas  sans  intérêt,  ne  vous  détourneront  plus  de  votre  céleste 
patrie  ;  et  le  spectacle  pour  vous  le  plus  importun  sera  celui  de 
ces  hommes  qui,  à  force  de  vœux  et  de  soupirs,  semblent  vouloir 
retenir  le  Chrétien  mourant  sur  la  terre,  et  s'opposer  au  vol  rapide 
de  son  ame  vers  l'éternité. 

Ne  voyez  plus  dans  vous  mêmes  que  l'homme  immortel,  et 
vous  comprendrez  bientôt  ce  que  vous  avez  mille  fois  entendu 
sans  le  bien  comprendre,  qu'il  est  insensé  de  s'occuper,  de  s'em- 
barrasser principalement  de  tout  ce  qui  ne  s'étend  pas  au-delà  des 
bornes  du  temps  ;  qu'il  n'y  a  de  vrai  sage  que  l'homme  qui  pense, 
qui  agit,  qui  travaille,  qui  juge  et  décide  relativement  à  l'éternité; 
que  tout  ce  que  le  monde  honore  du  nom  d'affaire  n'est  trop 
souvent  qu'une  suite  de  bagatelles  sérieuses ,  d'amusemens  même 
puérils,  et  quelquefois  coupables;  que  le  salut  auquel  tout  chré- 
tien aspire  doit  remplir  tous  les  momens  de  la  plus  longue  vie; 
et  que  le  plus  grand  des  héros  s'abaisse  au  dessous  du  moindre 
des  Chrétiens  ,  dès  que  l'éternité  seule  n'est  pas  la  règle,  la  me- 
sure et  le  terme  de  ses  œuvres. 

Ne  voyez  plus  dans  vous  [que  l'homme  immortel  ,  et  bientôt 
vous  aurez  peine  à  vous  reconnaître,  tant  vous  serez  différent  de 
vous-mêmes.  Je  veux  dire,  et  bientôt  votre  esprit,  devenu  plus 
pénétrant,  se  détrompera  de  ses  vaines  idées;  et  bientôt  votre 
cœur  désabusé  changera  de  sentimens  et  de  désirs  ;  et  bientôt 
votre  imagination  plus  sage  ne  sera  plus  également  frappée  des 
mêmes  objets  ;  et  bientôt  votre  mémoire  chargée  de  mille  traits 
frivoles  de  l'histoire  du  monde  ne  vous  rappellera  plus  que  le 


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DES    PREDICATEURS.  52J 

souvenir  de  ces  hommes  éternels,  qui  regardaient  la  vie  humaine 
comme  un  passage;  et  bientôt  toute  votre  ame,  comme  transformée 
par  ces  réflexions  toutes-puissantes,  ne  verra  plus  rien  qui  soit 
digne  de  ses  vœux  et  de  ses  poursuites,  que  le  ciel  même  et  son 
éternité  que  je  vous  souhaite,  au  nom  du  Père,  etc.  (Le  Même.) 


Autre  péroraison. 


Expergiscimini^  réveillez-vous  donc  en  ce  moment,  vous  tous 
qui  habitez  dans  la  poussière  de  la  terre:  Expergiscimini ,  qui  ha- 
bitatisinpuhere.  Cendres  malheureuses  des  médians,  dormez,  dor- 
mez dans  vos  sépulcres,  et  jouissez  du  moins  de  ce  repos  jusqu'au 
dernier  jour  du  monde,  où  vous  devez,  hélas!  partager  avec  vos 
âmes  les  souffrances  éternelles;  mais  vous,  cendres  heureuses  des 
saints,  qui  reposez  sur  nos  autels ,  et  vous  aussi,  cendres  des  justes, 
qui  êtes  encore  confondues  sous  le  pavé  de  nos  temples  avec  celles 
du  vulgaire  des  morts,  poussière  auguste,  vous  sortirez  donc  un 
jour  du  milieu  des  ruines  de  l'univers,  ainsi  que  Jésus-Christ  est 
sorti  du  tombeau,  et  vous  serez  réunies  à  vos  âmes,  pour  partager 
leur  félicité,  comme  vous  avez  partagé  leurs  vertus:  Expergisci* 
mini  etlaudate.  A  une  espérance  si  grande  et  si  consolante,  déjà 
il  me  semble  voir  ces  ossemens  arides  et  ces  froides  cendres  à  tra- 
vers les  tombes  qui  les  couvrent,  se  réveiller  et  tressaillir  d'avance 
dans  la  poussière  de  leurs  sépulcres  :  Expergiscimini  et  laudate^ 
qui  habiiatis  in  pulvere. 

Je  crois  donc,  et  comment  refuserais-je  de  croire  un  dogme  si 
honorable  et  si  consolant  pour  l'humanité?  Je  crois,  comme  je  le 
répète  tous  les  jours  dans  le  Symbole  de  ma  foi,  je  crois  la  résurrec- 
tion de  la  chair  et  la  vie  éternelle  :  Credo  carnis  resurrectionem  et 
vitam  œternam^Q  crois  que  celui  qui  a  ressuscité  Jésus,  nous  res- 
suscitera avec  lui  :  Qui  suscitavit  Jesum,  et  nos  cumJesu  suscitabit. 
Je  crois  qu'au  dernier  jour  du  monde,  dans  ce  jour  où  le  ciel  et  la 
terre  périront,  ce  corps  fragile,  et  qui  va  bientôt  tomber  en  pou- 
dre, sortira  du  tombeau.  Alors,  mes  cendres,  plus  nobles  que  les 
astres  qui  nous  éclairent,  et  que  le  Seigneur  doit  éteindre  du  souf- 
fle de  sa  bouche  comme  une  faible  lumière ,  alors  mes  cendres  se- 
ront ranimées  par  le  souffle  du  Tout-Puissant ,  et  deviendront 
incorruptibles  et  immortelles  comme  mon  ame.  Voilà  l'espérance 
qui  repose  dans  mon  sein ,  et  qui  adoucit  pour  moi  les  horreurs 
du  trépas:  Reposita  est  hœc  spesmea  in  sinu  meo.  Justes,  ne  sentez 
vous  point  votre  ame,  ne  sentez-vous  point  votre  chair  elle-même 


628  NOUVELLE   BIBLIOTHEQUE 

qui  doit  être  associée  à  son  sort,  frémir  d'un  doux  saisissement 
dans  l'attente  du  Dieu  vivant?  Cor  meum  et  caro  mea  exultave- 
runt  in  Deum  vivum. 

Et  vous,  pécheurs  impénitens,  qui,  au  lieu  de  ressusciter  avec 
Jésus-Christ,  demeurez  encore  ensevelis  dans  les  ombres  de  la 
mort,  et  qui  différez  votre  salut  à  un  avenir  qui  ne  dépend  point 
de  vous,  et  qui  peut-être,  hélas  !  vous  sera  refusé,  ne  sentez-vous 
point  votre  chair  elle-même  frémir  de  crainte  et  d'horreur,  dans 
l'attente  des  douleurs  immortelles  qui  leur  sont  réservées?  (  Car, 
a  dit  l'auteur  de  toute  vérité,  de  même  que  les  justes  se  réveil- 
lent pour  la  gloire,  les  pécheurs  se  réveilleront;  grand  Dieu, 
quel  réveil!  ils  se  réveilleront  pour  un  opprobre  éternel).  O jus- 
tes, applaudissez-vous  de  votre  immortalité!  O  pécheurs,  frémissez 
de  votre  immortalité!  (M.  de  Beau  vais,  évêque  de  Seriez.  ) 


DES  PRÉDICATEURS.  5ap, 


PLAN  ET  OBJET  DU  SECOND  DISCOURS 
SUR    L  IMMORTALITÉ  DE  LAME. 


EXORDE. 

Ubi  est ,  mors,  vicloria  tua? 

0  mort!  où  est  la  victoire?  (I  Gorintk.,  xv,  ob\) 

• 

Est-ce  donc  à  nous ,  mes  frères ,  jouets  infortunes ,  tristes  victi- 
mes du  trépas,  à  faire  une  pareille  demande  :  O  mort  !  où  est  ta  vic- 
toire ?  Hélas!  elle  est  dans  ce  deuil  général  qui  couvre  la  terre, 
clans  ces  tombeaux  pressés  qui  la  surchargent ,  dans  cette  foule  de 
générations  qui  s'écoulent  comme  un  torrent  et  disparaissent 
comme  un  nuage.  O  mort  où  est  ta  victoire  ?  Ali  !  Chrétiens,  voyez- 
la  dans  ces  empires  qu'elle  renverse,  dans  ces  trônes  qu'elle  abat, 
ces  amis  qu'elle  nous  enlève,  ces  biens  qu'elle  nous  ravit,  dans  nos 
mœurs  et  nos  lois,  nos  arts  et  nos  sciences  qu'elle  anéantit  tour  à 
tour,  dans  nous-mêmes  enfin  qu'elle  use  et  qu'elle  détruit.  .  .Dans 
nous!  qu'ai-je  donc  avancé?  Quoi!  serait-il  vrai  que  tout  périt 
dans  l'homme  ?  Non,  sans  doute  ;  il  est  en  lui  un  être  pur  et  res- 
pectable, inaccessible  aux  traits  du  temps  et  à  l'empire  delamort: 
son  ame,  cette  noble  portion  de  lui-même,  doit  échapper  au 
grand  naufrage  delà  nature  entière.  Nous  avons  donc  le  droit  d'in- 
sulter à  la  mort,  et  de  lui  demander  avec  une  sainte  fierté:  O  mort! 
où  est  ta  victoire  :  Ubi  est,  mors ,  Victoria  tua? 

Ce  cri  sublime  d'une  ame  qui  se  sent  plus  forte  que  la  terre 
plus  durable  que  le  temps,  quelle  impression  fait-il  sur  nous?Nous 
sommes  immortels  :  que  nous  dit,  mes  chers  frères,  celte  grande 
espérance  ?  Hélas  !  elle  produit  des  spéculations  vaines,  et  jamais 
ces  pensées  fécondes  qui  partent  du  cœur;  des  rêves  philosophi- 
ques, et  jamais  ces  héroïques  sentimens  qui  enfantent  le  salut. 
C'est  en  nous  une  idée,  et  non  une  persuasion;  tout  au  plus  un 
désir,  et  non  une  espérance.  Oh  !  que  nous  faut-il  donc  pour  tou- 
chervivement  nos  âmes?  et  quelle  léthargie  est  la  nôtre,  si  l'attente 
d'une  autre  vie  nous  laisse  froids  et  insensibles? 

t.  m,  34 


53o  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Non  moriar,sed  vwaml;')e  ne  mourrai  point,  mais  je  vivrai. 
C'était  le  saint  transport  du  Prophète,  c'est  celui  de  toute  ame  que 
le  inonde  n'a  point  enchantée;  c'est  l'élan  généreux  du  fidèle  qui  vit 
de  la  foi  des  promesses:  je  ne  mourrai  point,  mais  je  vivrai.  La 
terre  retourne  à  la  terre,  et  ï esprit  vers  le  Dieu  qui  la  fait  2.  Mon 
corps  doit  se  dissoudre;  mais  mon  corps  n'est  pas  moi,  c'est  tout 
au  plus  le  voile  grossier  qui  cache  mon  être  véritable,  et  la  mort 
n'est  pour  moi  que  le  commencement  de  la  vie:  Non  moriar,  sed 
vivant.  Arrêtons-nous  à  cette  idée.  Ici-bas  les  passions  grossières 
nous  humilient  et  nous  dégradent;  le  sentiment  de  l'immortalité 
nous  élève  et  nous  agrandit;  les  misères  inséparables  de  notre  con- 
dition viennent  empoisonner  nos  jours  les  plus  sereins;  le  senti- 
ment de  l'immortalité  nous  soutient  et  nous  console.  En  deux  mots, 
l'immortalité  de  notre  aine  est  la  plus  glorieuse  de  nos  prérogati- 
ves; c'est  la  plus  douce  de  nos  espérances.  Jvc3  Maria.  (  M.  de 
Boulogne,  Immortalité  de  Vaine.) 

1  Psal.,  cxvn,  47.  — *  *  Eccles.,  xn,  7. 


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DES    PRÉDICATEURS.  53 


AUTRE  EXORDE. 


^i  nous  jetons  nos  regards  sur  le  théâtre  de  ce  monde,  nous  ne 
pouvons  qu'être  frappés   de  deux  choses ,    et   des  travaux  sans 
nombre  dont  l'homme  se  tourmente  sous  le  soleil,  comme  parle 
le  Sage,  et  de  la  brièveté  de  ses  fragiles  destinées.  Que  de  mouve- 
mens  ,   que  d'inquiétudes  sur  cette  terre  que  nous  habitons  !  Ce 
sont  des  politiques  qui  poursuivent  de  vastes  desseins  dont  ils  se 
promettent  de  recueillir  la  gloire,  des  savans  qui  s'enfoncent  dans 
de  pénibles  recherches,  pour  jouir  enfin  de  leur  propre  renommée, 
des  spéculateurs  hardis  qui  voudraient,  parleurs  combinaisons, 
enchaîner  les  caprices  delà  fortune,  dans  l'espoir  de  goûter  un 
jour  le  repos  au  sein  de  l'abondance  ;  ce  sont  des  peuples  entiers 
livrés  à  des  agitations  perpétuelles,  vivant  pour  le  commerce  et 
les  arts,  et  plaçant  dans  je  ne  sais  quels  biens  qui  leur  échappent 
la  suprême  félicité.  Ainsi  tout  roule  dans  un  tourbillon  perpétuel 
de  projets,  d'affaires  et  de  plaisirs.  Cependant  que  d'espérances 
trompées!  Tout  ce  qui  occupe  la  scène  du  monde  n'y  brille  qu'un 
instant  ;  ce  qui  vit  aujourd'hui,  demain  ne  sera  plus.  La  génération 
présente  ira  se  perdre  avec  les  générations  passées;  tout  meurt, 
les  empires  comme  les  hommes ,  et  nous-mêmes  nous  foulons  tous 
les  jours  aux   pieds  cette   terre    qui  doit  être   notre    tombeau. 
Or,  au  milieu  de  ces  vicissitudes  perpétuelles  de  générations  qui 
passent,  de  générations  qui  arrivent,  n'est-il  pas  bien  raisonnable 
de  nous  demander  à  nous-mêmes  si  tout  finit  avec  le  corps?  Ces 
personnages  qui  se   sont  rendus  illustres  par  leurs  vertus,  ces 
hommes  célèbres  dont  la  mémoire  vit  dans  les  annales  des  peuples, 
nos  pères  dont  les  ossemens  reposent  parmi  nous,  ne  sont-ils 
qu'une  vile  poussière?  Mon  être  tout  entier  sera-t-il  renfermé  sous 
la  pierre  du  tombeau?  y  a-t-il  au-delà  de  la  vie  dans  laquelle  j'existe 
une  vie  toute  nouvelle?  Dois-je  y  trouver  le  malheur  ou  la  félicité? 
Fut-il  jamais  une  question  plus  digne  de  l'homme  sensé?  et  où  est 
celui  qui  puisse  en  tout  temps,  en  tout  lieu,  la  bannir  de  sa  pensée  ? 
Pascal  a  dit  :  «  L'immortalité  de  l'ame  est  une  chose  qui  nous 
«  importe  si  fort  et  qui  nous  touche  si  profondément,  qu'il  faut 
«  avoir  perdu  tout  sentiment  pour  être  dans  l'indifférence  de  sa- 

à3, 


532  NOUVELIiB    BIBLIOTHEQTJB 

«  voir  ce  qui  en  est.  Toutes  nos  actions ,  toutes  nos  pensées ,  doi 
«  vent  prendre  des  routes  si  différentes,  selon  qu'il  y  aura  des 
«  biens  éternels  à  espérer  ou  non  ,  qu'il  est  impossible  de  faire  une 
«  démarcbe  avec  sens  et  jugement,  qu'en  se  réglant  par  la  vue  de 
«  ce  plan  qui]  doit  être  notre  premier  objet.  »  C'est  donc,  Messieurs, 
présenter  à  vos  esprits  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand  et  de  plus  digne 
de  leurs  pensées,  que  de  leur  rappeler  leur  immortalité.  Voyons 
ce  que  les  seules  lumières  naturelles  peuvent  nous  découvrir  sur 
l'existence  d'une  vie  future  où  se  trouvent  des  récompenses  pour 
la  vertu  et  des  châtimens  pour  le  vice.  Les  considérations  puis- 
santes que  nous  avons  à  exposer  en  sa  faveur ,  nous  les  puiserons 
dans  la  connaissance  approfondie  et  combinée  de  l'homme  et  de 
Dieu.  Tel  est  le  sujet  de  cette  conférence.  'M.  Fraysslnous,  Im- 
mortalité de  Vaine.) 

L'immortalité  de  l'ame  est  la  plus  glorieuse  de  nos  prérogatives. 

Garantir  son  esprit  des  préjugés  du  siècle,  et  son  cœur  de  l'avi- 
lissement des  passions ,  c'est,  dit  saint  Augustin,  la  vraie  gran- 
deur de  l'homme.  Or,  tels  sont  les  deux  effets  qu'opère  en  nous 
le  saint  espoir  de  la  vie  future.  11  nous  préserve  également  de  nos 
erreurs  et  de  nos  vices  ;  nous  y  trouvons  tout  à  la  fois  la  source 
des  plus  vives  lumières ,  le  principe  des  plus  grands  sentiniens  ;  et 
c'est  ici,  sans  doute,  le  lieu  de  s'écrier  avec  l'Apotre  :  Nous  nous 
glorifions  dans  l'espérance:  Gloriamur  in  spe  *.  Oui,  Messieurs, 
le  plus  grand  nombre  de  nos  erreurs  prend  sa  source  dans  notre 
amour  pour  la  vie  présente.  Renfermés  dans  le  temps,  nous 
sommes  trop  près  des  objets  pour  en  juger  sainement.  Entraînés 
par  le  tourbillon,  les  vérités  les  plus  frappantes  échappent  à  nos 
esprits  distraits;  nous  n'y  voyons  plus  qu'une  énigme.  Peut-être 
voyons-nous,  mais  nous  ne  sentons  pas.  Pour  connaître  parfaite- 
ment le  monde  et  son  néant,  la  vie  et  sa  rapidité,  les  hommes  et 
leurs  inconséquences ,  il  faut  sortir  du  temps,  abandonner  les  fi- 
gures qui  passent,  et  habiter  par  la  pensée  l'immuable  région  de 
l'immortalité.  C'est  à  cette  hauteur  que  s'élève  le  vrai  fidèle.  Que 
l'air  qu'il  y  respire  est  salutaire  et  pur!  Là  s'effacent  toutes  les  illu- 
sions, là  disparaissent  tous  les  nuages.  Du  point  de  vue  où  il  se 
place,  il  n'aperçoit  que  des  atomes  là  où  le  monde  imagine  des 
colosses.  Il  jette  un  regard  sur  la  terre,  et  il  n'y  voit,  comme  Jé- 
rémie  a,  qu'un  sombre  et  triste  vide  que  dominent  de  toutes  parts 


ii 


1  Rom.,  v,  5.  —  *  Jérém.,  iy,  23. 


DES   PRÉDICATEURS.  533 

et  le  mensonge  et  le  néant:  Aspexi  terrain,  et  ecce  vacua  erat ,  et 
nihili.  Il  y  voit   le  puissant  du  siècle  n'acquérir  tant  d'honneurs 
que  pour  se  forger  plus  de  chaînes  ;  le  riche  n'augmenter   ses 
possessions   que  pour  multiplier  ses  ennemis;  le  conquérant  ne 
remporter  de  grandes  victoires  que  pour  laisser  après  lui  de  plus 
grands  débris;  le  voluptueux,  qui  croit  goûter  des  plaisirs   et  ne 
trouve  jamais  que  des  remords  ;  l'avare ,  qui  vit  de  rien ,  pour 
mourir  riche;  le  héros  du  siècle,  qui  prend  la  gloire  pour  la  gran- 
deur, la  renommée  pour  l'immortalité;  le  mondain,  qui  ne  fait 
qu'agrandir  le  vide  de  son  ame  en  s'attachant  à  plus  d'objets;  le 
savant,  qui  raisonne  sur  le  temps  et  le  consume  sans   remords; 
le  philosophe,  qui  se  croit  un  sage  et  n'est  qu'un  sophiste;  le  pé- 
cheur obstiné  réduit  à  la  condition  déplorable  d'être  assez  lâche 
pour  faire  le  brave  contre  Dieu;  l'incrédule  contraint  sans  cesse 
de  lutter  contre  la  religion  qu'il  est  forcé  de  respecter,  contre  sa 
raison  qui  le  condamne,  contre  sa  fermeté  qui  l'abandonne,  contre 
sa  conscience  qui  le  poursuit,  contre  la  mort  qui  l'épouvante  et 
qui  le  presse,  et  qui  le  pousse,  et  qui   le  traîne  de   doutes  en 
doutes,  de  passions  en  passions,  de  malheurs  en  malheurs  jusqu'à 
la  porte  du  tombeau,  au-delà  duquel  se  présente  à  lui  un  Dieu 
juste  qu'il  redoute,  un   Dieu  bon  qu'il  n'ose  espérer,  et  le  triste 
et  sombre  néant,  dont  il  voudrait  se  faire  une  ressource,  et  qui 
n'est  que  son  désespoir.  Il  y  voit  enfin  tous  les  hommes ,  qui  con- 
sument leur  vie  dans  un  stupide  enchantement,  qui  se  flattent  et 
se  méprisent,  s'embrassent  et  se  détestent,  épuisent  tous  leurs 
biens  pour  épuiser  leurs  jours,  forment    sans  cesse   des  vœux 
extrêmes  pour  des  objets  frivoles;  jamais  à  Dieu  par  leurs  plai- 
sirs, jamais  à  leurs  semblables  par  leurs  passions,  jamais  à  eux- 
mêmes  par  leurs  affaires  :  insensés ,  qui  regrettent  le  passé,  abu- 
sent du  présent,  remettent  à  l'avenir  le  soin  de  leur  salut,  et  ne 
vivent  ainsi  que  par  des  regrets  ou  par  des  espérances! 

C'est  encore  du  sein  de  l'immortalité  qu'il  voit  la  pompe  du  pou- 
voir, l'orgueil  de  la  naissance,  tous  les  sentiers  de  la  prospérité  et 
de  la  gloire  aboutir  au  tombeau.  Le  temps,  qui  s'écoule  avec  une 
incroyable  vitesse  pour  faire  place  à  l'éternité,  se  perd  dans  ce 
vaste  Océan  comme  un  faible  ruisseau;  il  entraîne  dans  sa  fuite 
nos  plus  hardies  entreprises,  ne  fait  qu'un  même  débris  et  des 
héros  et  des  trophées,  et  des  vainqueurs  et  des  vaincus  ;  il  confond 
dans  un  même  néant  et  nos  chagrins  et  nos  plaisirs,  et  nos  craintes 
et  nos  espérances  :  la  vertu  seule  ne  meurt  point;  toujours  au- 
guste, si  elle  n'est  pas  toujours  heureuse,  et,  au  milieu  de  ce  dé- 


5^4  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

sastre  universel,  brillant  seule  d'une  gloire  immortelle.  (M.  de 
Boulogne.) 

Qu'est-ce  que  l'homme  qui  attend  l'immortalité? 

Celui  qui  se  nourrit  des  hautes  espérances  que  lui  présente 
1  avenir  ne  nous  semble  courir  qu'après  de  vaines  ombres;  il  ex- 
cite notre  pitié,*et  nous  croyons  l'avoir  assez  flétri  en  l'appelant 
avec  dédain  un  homme  de  l'autre  monde.  Mot  insensé!  le  com- 
prenez-vous bien  ,  mes  frères?  savez-vous  donc  ce  que  c'est  qu'un 
homme  de  l'autre  monde?  C'est  un  homme  dont  ce  monde-ci 
n  est  pas  digne,  dont  tous  les  jours  sont  pleins,  qui  n'a  rien  et  qui 
possède  tout,  qui  sait  mériter  l'estime  des  hommes  et  s'en  passer; 
un  homme  prodigue,  mais  de  ses  aumônes;  avare,  mais  de  son 
temps;  jaloux,  mais  de  sa  perfection;  fier,  mais  de  son  ame;  es- 
clave, mais  de  ses  devoirs:  un  homme  qui  ne  connaît  qu'un  mal, 
le  péché;  qu'une  règle,  la  vérité;  qu'un  gain,  le  ciel;  qu'un  désir, 
Dieu  même  :  c'est  un  homme  maître  de  tous  les  temps  ;  [du  passé, 
dont  il  jouit  par  le  spectacle  de  ses  vertus  qui  ne  périssent  point; 
du  présent,  dont  il  enchaîne  la  rapidité  par  un  travail  utile;  de 
1  avenir ,  où  règne  son  témoin  et  son  juge  ;  du  passé,  qui  revit 
pour  l'éternité;  du  présent,  qui  fructifie  pour  l'éternité;  de  l'ave- 
nir, ou  l'attend  l'éternité  :  c'est  un  homme  qui  se  respecte  trop 
pour  voir  en  soi  quelque  chose  de  plus  grand  que  soi-même;  qui 
sait,  sur  ce  principe,  s'élever  sans  être  vain,  s'abaisser  sans  s'avilir, 
commander  sans  fierté,  obéir  sans  bassesse,  et  qui  porte  ainsi  par- 
tout une  ame  égale,  que  rien  n'enfle  et  que  rien  n'humilie:  c'est 
un  homme  de  l'autre  monde.  Mais  qu'est-ce  donc  qu'un  homme 
de  celui-ci?  c'est  un  homme  tel  qu'un  ancien  l'a  défini  :  le  plus 
vain  et  le  plus  misérable  de  tous  les  êtres ,  nihil  superbius  et  mi- 
serius;  un  homme  que  désespère  le  moindre  mépris,  qu'enflamme 
la  plus  légère  offense',  qu'abat  le  plus  faible  revers,  c'est  un 
homme  borné  comme  ses  possessions ,  frivole  comme  ses  hon- 
neurs, vain  comme  ses  titres,  mobile  comme  l'opinion,  changeant 
comme  le  préjugé,  inconstant  comme  la  fortune:  c'est  un  homme 
qui  revient  sans  cesse  de  la  crainte  à  la  joie,  de  la  joie  à  la  crainte; 
qui  s  agite  sans  dessein,  et  se  tourmente  sans  objet;  qui  se  traîne 
tristement  dans  un  même  cercle  de  sensations  usées,  se  dégoûte  de 
tout  et  ambitionne  tout,  se  plaint  des  hommes  et  les  recherche; 
qui  adore  le  monde  et  le  maudit ,  se  lasse  de  ses  joies  comme  de 
ses  peines;  qui  n'aime  ni  ses  devoirs  ni  ses  passions,  n'est  content 


• 


DES    PRÉDICATEURS.  535 

ni  de  lui  ni  de  sa  fortune,  ni  de  ses  plaisirs  ni  de  ses  affaires,  ni 
du  vice  ni  de  la  vertu.  Voilà  ,  mes  frères  ,  ce  que  c'est  que 
l'homme  de  ce  monde.  (Le  Même.) 

Importance  du  dogme  de  l'immorlalilé  de  l'ame. 

L'immortalité  de  l'ame  est  une  chose  qui  nous  importe  si  fort, 
et  qui  nous  touche  si  profondement,  qu'il  faut  avoir  perdu  tout 
sentiment  pour  être  dans  l'indifférence  de  savoir  ce  qui  en  est. 
Toutes  nos  actions  et  toutes  nos  pensées  doivent  prendre  des 
routes  si  différentes  ,  selon  qu'il  y  aura  des  biens  éternels  à  espé- 
rer, ou  non,  qu'il  est  impossible  de  faire  une  démarche  avec  sens 
et  jugement  qu'en  la  réglant  par  la  vue  de  ce  point,  qui  doit  être 
notre  premier  objet. 

Ainsi  notre  premier  intérêt  et  notre  premier  devoir  est  de 
nous  éclaircir  sur  ce  sujet,  d'où  dépend  toute  notre  conduite.  Et 
c  est  pourquoi ,  parmi  ceux  qui  n'en  sont  pas  persuadés,  je  fais 
une  extrême  différence  entre  ceux  qui  travaillent  de  toutes  leurs 
forces  à  s'en  instruire,  et  ceux  qui  vivent  sans  s'en  mettre  en 
peine  et  sans  y  penser. 

Je  ne  puis  avoir  que  de  la  compassion  pour  ceux  qui  gémis- 
sent sincèrement  dans  le  doute,  qui  le  regardent  comme  le  der- 
nier des  malheurs,  et  qui,  n'épargnant  rien  pour  en  sortir,  font 
de  cette  recherche  leur  principale  et  leur  plus  sérieuse  occupa- 
tion. Mais  pour  ceux  qui  passent  leur  vie  sans  penser  à  cette  der- 
nière fin  de  la  vie,  et  qui,  par  cette  seule  raison  qu'ils  ne  trouvent 
pas  en  eux-mêmes  des  lumières  qui  les  persuadent,  négligent  d'en 
chercher  ailleurs,  et  d'examiner  à  fond  si  cette  opinion  est  de 
celles  que  le  peuple  reçoit  par  une  simplicité  crédule,  ou  de  cel- 
les qui,  quoique  obscures  d'elles-mêmes,  ont  néanmoins  un  fonde- 
ment très  solide,  je  les  considère  d'une  manière  toute  différente. 
Cette  négligence  en  une  affaire  où  il  s'agit  d'eux-mêmes,  de  leur 
éternité,  de  leur  tout,  m'irrite  plus  qu'elle  ne  m'attendrit;  elle 
m'étonne  et  m'épouvante  ;  c'est  un  monstre  pour  moi.  Je  ne  dis 
pas  ceci  par  le  zèle  pieux  d'une  dévotion  spirituelle.  Je  prétends, 
au  contraire,  que  l'amour-propre,  que  l'intérêt  humain,  que  la  plus 
simple  lumière  de  la  raison  doit  nous  donner  ces  sentimens.  11  ne 
faut  voir  pour  cela  que  ce  que  voient  les  personnes  les  moins  éclai- 
rées. 

Il  ne  faut  pas  avoir  l'ame  fort  élevée  pour  comprendre  qu'il  n'y 


! 

536  NOUVELLE   BIBLIOTHÈQUE 

a  point  ici  de  satisfaction  véritable  et  solide;  que  tous  nos  plaisirs 
ne  sont  que  vanité;  que  nos  maux  sont  infinis;  et  qu'enfin  la  mort, 
qui  nous  menace  à  chaque  instant,  doit  nous  mettre  dans  peu  d'an- 
nées, et  peut-être  en  peu  de  jours,  dans  un  état  éternel  de  bon- 
heur, ou  de  malheur,  ou  d'anéantissement.  Entre  nous  et  le  ciel, 
l'enfer  ou  le  néant,  il  n'y  a  donc  que  la  tvie  qui  est  la  chose  duj 
monde  la  plus  fragile;  et  le  ciel  n'étant  pas  certainement  pour  ceux 
qui  doutent  si  leur  ame  est  immortelle,  ils  n'ont  à  attendre^que 
l'enfer  ou  le  néant. 

Il  n'y  a  rien  de  plus  réel  que  cela,  ni  de  plus  terrible.  Faisons 
tant  que  nous  voudrons  les  braves,  voilà  la  fin  qui  attend  la  plus 
belle  vie  du  monde. 

C'est  en  vain  qu'ils  détournent  leur  pensée  de  cette  éternité  qui 
les  attend,  comme  s'ils  pouvaient  l'anéantir  en  n'y  pensant  point. 
Elle  subsiste  malgré  eux,  elle  s'avance  ;  et  la  mort  qui  doit  l'ouvrir, 
les  mettra  infailliblement,  dans  peu  de  temps,  dans  l'horrible  né- 
cessité d'être  éternellement  ou  anéantis,  ou  malheureux. 

Voilà  un  doute  d'une  terrible  conséquence;  et  c'est  déjà  assu- 
rément un  très  grand  mal  que  d'être  dans  ce  doute  ;  mais  c'est  au 
moins  un  devoir  indispensable  de  chercher  quand  on  y  est.  Ainsi 
celui  qui  doute  et  qui  ne  cherche  pas  est  tout  ensemble,  et  bien  in- 
juste et  bien  malheureux.  Que  s'il  est  avec  cela  tranquille  et  satis- 
fait, qu'il  en  fasse  profession,  et  enfin  qu'il  en  fasse  vanité,  et  que 
ce  soit  de  cet  état  même  qu'il  fasse  le  sujet  de  sa  joie  et  de  sa  va- 
nité, je  n'ai  point  de  termes  pour  qualifier  une  si  extravagante 
créature. 

Où  peut-on  prendre  ces  sentimens?  Quel  sujet  de  joie  trouve-t- 
on à  n'attendre  plus  que  des  misères  sans  ressource?  Quel  sujet  de 
vanité  de  se  voir  dans  des  obscurités  impénétrables  ?  Quelle  con- 
solation de  n'attendre  jamais  de  consolation. 

Ce  repos,  dans  cette  ignorance,  est  une  chose  monstrueuse  ,  et 
dont  il  faut  faire  sentir  l'extravagance  et  la  stupidité  à  ceux  qui  y 
passent  leur  vie,  en  leur  représentant  ce  qui  se  passe  en  eux-mêmes 
pour  les  confondre  par  la  vue  de  leur  folie  :  car  voici  comment 
raisonnent  les  hommes,  quand  ils  choisissent  de  vivre  dans  cette 
ignorance  de  ce  qu'ils  sont,  et  sans  rechercher  d'éclaircissement. 

Je  ne  sais  qui  m'a  mis  au  monde,  ni  ce  que  c'est  que  le  monde, 
ni  que  moi-même.  Je  suis  dans  une  ignorance  terrible  de  toutes 
choses.  Je  ne  sais  ce  que  c'est  que  mon  corps,  que  mes  sens,  que 
mon  ame  :  et  cette  partie  même  de  moi  qui  pense  ce  que  je  dis,  et 
qui  fait  réflexion  sur  tout  et  sur  elle-même ,  ne  se  connaît  non 


DES    PRÉDICATEURS.  537 

plus  que  le  reste.  Je  vois  ces  effroyables  espaces  de  l'univers  qui 
m'enferment,  et  je  me  trouve  attaché  à  un  coin  de  cette  vaste 
étendue,  sans  savoir  pourquoi  je  suis  plutôt  placé  en  ce  lieu  qu'en 
un  autre ,  ni  pourquoi  ce  peu  de  temps  qui  m'est  donné  à  vivre 
m'est  assigné  à  ce  point  plutôt  qu'a  un  autre  de  toute  l'éternité 
qui  m'a  précédé,  et  de  toute  celle  qui  me  suit.  Je  ne  vois  que  des 
infinités  de  toutes  parts,  qui  m'engloutissent  comme  un  atome,  et 
comme  une  ombre  qui  ne  dure  qu'un  instant  sans  retour.  Tout  ce 
que  je  connais,  c'est  que  je  dois  bientôt  mourir;  mais  ce  que  j'ignore 
le  plus,  c'est  cette  mort  même  que  je  ne  saurais  éviter. 

Comme  je  ne  sais  d'où  je  viens,  aussi  ne  sais-je  où  je  vais;  et  je 
sais  seulement  qu'en  sortant  de  ce  monde  je  tombe  pour  jamais, 
ou  dans  le  néant,  ou  dans  les  mains  d'un  Dieu  irrité,  sans  savoir 
à  laquelle  de  ces  deux  conditions  je  dois  être  éternellement  en 
partage. 

Voilà  mon  état,  plein  de  misère,  de  faiblesse,  d'obscurité.  Et  de 
tout  cela  je  conclus  que  je  dois  donc  passer  tous  les  jours  de  ma 
vie  sans  songer  à  ce  qui  doit  m'arriver;  et  que  je  n'ai  qu'à  suivre 
mes  inclinations  sans  réflexion  et  sans  inquiétude,  en  faisant  tout 
ce  qu'il  faut  pour  tomber  dans  le  malheur  éternel ,  au  cas  que  ce 
qu'on  en  dit  soit  véritable.  Peut-être  que  je  pourrais  trouver 
quelque  éclaircissement  dans  mes  doutes;  mais  je  n'en  veux  pas 
prendre  la  peine,  ni  faire  un  pas  pour  le  chercher  :  et  en  traitant 
avec  mépris  ceux  qui  se  travailleraient  de  ce  soin ,  je  veux  aller 
sans  prévoyance  et  sans  crainte  tenter  un  si  grand  événement,  et 
me  laisser  mollement  conduire  à  la  mort,  dans  l'incertitude  de 
l'éternité  de  ma  condition  future. 

En  vérité,  il  est  glorieux  à  la  religion  d'avoir  pour  ennemis 
des  hommes  si  déraisonnables,  et  leur  opposition  lui  est  si  peu 
dangereuse,  qu'elle  sert  au  contraire  à  l'établissement  des  princi- 
pales vérités  qu'elle  nous  enseigne.  Car  la  foi  chrétienne  ne  va 
principalement  qu'à  établir  ces  deux  choses,  la  corruption  delà 
nature,  et  la  rédemption  de  Jésus-Christ.  Or,  s'ils  ne  servent  pas  à 
montrer  la  vérité  de  la  rédemption  par  la  sainteté  de  leurs  mœurs, 
ils  servent  au  moins  admirablement  à  montrer  la  corruption  de  la 
nature  par  des  sentimens  si  dénaturés. 

Rien  n'est  si  important  à  l'homme  que  son  état;  rien  ne  lui  est 
si  redoutable  que  l'éternité.  Et  ainsi,  qu'il  se  trouve  des  hommes 
indifférens  à  la  perte  de  leur  être,  et  au  péril  d'une  éternité  de  mi- 
sère, cela  n'est  point  naturel.  Ils  sont  tout  autres  à  l'égard  de  toutes 
les  autres  choses:  ils  craignent  jusqu'aux  plus  petits,  ils  les  pré- 


538  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

voient,  ils  les  sentent;  et  ce  même  homme  qui  passe  les  jours  et 
les  nuits  dans  la  rage  et  clans  le  désespoir  pour  la  perte  d'une 
charge,  ou  pour  quelque  offense  imaginaire  à  son  honneur,  est 
celui-là  même  qui  sait  qu'il  va  tout  perdre  par  la  mort,  et  qui  de- 
meure néanmoins  sans  inquiétude,  sans  trouble  et  sans  émotion. 
Cette  étrange  insensibilité  pour  les  choses  les  plus  terribles,  dans 
un  cœur  si  sensible  aux  plus  légères,  est  une  chose  monstrueuse; 
c'est  un  enchantement  incompréhensible ,  et  un  assoupissement 
surnaturel. 

Un  homme  dans  un  cachot,  ne  sachant  si  son  arrêt  est  donné, 
n'ayant  plus  qu'une  heure  pour  l'apprendre ,  et  cette  heure  suffi- 
sant, s'il  sait  qu'il  est  donné,  pour  le  faire  révoquer,  il  est  contre 
la  nature  qu'il  emploie  cette  heure-là,  non  à  s'informer  si  cet  arrêt 
est  donné ,  mais  à  jouer  et  à  se  divertir.  C'est  l'état  où  se  trou- 
vent ces  personnes,  avec  cette  différence  que  les  maux  dont  ils 
sont  menacés  sont  bien  autres  que  la  simple  perte  de  la  vie,  et  un 
supplice  passager  que  ce  prisonnier  appréhenderait.  Cependant  ils 
courent  sans  souci  dans  le  précipice,  après  avoir  mis  quelque  chose 
devant  leurs  yeux  ,  pour  s'empêcher  de  le  voir,  et  ils  se  moquent 
de  ceux  qui  les  en  avertissent. 

Ainsi,  non  seulement  le  zèle  de  ceux  qui  cherchent  Dieu  prouve 
la  véritable  religion  ,  mais  aussi  l'aveuglement  de  ceux  qui  ne  le 
cherchent  pas,  et  qui  vivent  dans  cette  horrible  négligence.  Il  faut 
qu'il  y  ait  un  étrange  renversement  dans  la  nature  de  l'homme 
pour  vivre  dans  cet  état,  et  encore  plus  pour  en  faire  vanité.  Car, 
quand  ils  auraient  une  certitude  entière  qu'ils  n'auraient  rien  à 
craindre  après  la  mort  que  de  tomber  dans  le  néant,  ne  serait-ce 
pas  un  sujet  de  désespoir  plutôt  que  de  vanité?  N'est  ce  donc  pas 
une  folie  inconcevable ,  n'en  étant  pas  assurés ,  de  faire  gloire 
d'être  dans  ce  doute? 

Et  néanmoins  il  est  certain  que  l'homme  est  si  dénaturé,  qu'il 
y  a  dans  son  cœur  une  semence  de  joie  en  cela.  Ce  repos  brutal 
entre  la  crainte  de  l'enfer  et  du  néant  semble  si  beau,  que  non 
seulement  ceux  qui  sont  véritablement  dans  ce  doute  malheureux 
s'en  glorifient,  mais  que  ceux  mêmes  qui  n'y  sont  pas  croient  qu'il 
leur  est  glorieux  de  feindre  d'y  être.  Car  l'expérience  nous  fait 
voir  que  la  plupart  de  ceux  qui  s'en  mêlent  sont  de  ce  dernier 
genre  ;  que  ce  sont  des  gens  qui  se  contrefont,  et  qui  ne  sont  pas 
tels  qu'ils  veulent  paraître.  Ce  sont  des  personnes  qui  ont  ouï  dire 
que  les  belles  manières  du  monde  consistent  à  faire  ainsi  l'em- 
porté. C'est  ce  qu'ils  appellent  avoir  secoué  le  joug;  et  la  plupart 
tie  le  font  que  pour  imiter  les  autres. 


DES  PRÉDICATEURS.  539 

Mais,  s'ils  ont  encore  tant  soit  peu  de  sens  commun,  il  n'est  pas 
difficile  de  leur  faire  entendre  combien  ils  s'abusent  en  cherchant 
par  là  de  l'estime.  Ce  n'est  pas  le  moyen  d'en  acquérir,  je  dis  même 
parmi  les  personnes  du  monde  qui  jugent  sainement  des  choses, 
et  qui  savent  que  la  seule  voie  d'y  réussir,  c'est  de  paraître  hon- 
nête, fidèle,  judicieux  et  capable  de  servir  utilement  ses  amis; 
parce  que  les  hommes  n'aiment  naturellement  que  ce  qui  peut 
leur  êire  utile.  Or,  quel  avantage  y  a-t-il  pour  nous  à  ouïr  dire  à 
un  homme  qu'il  a  secoué  le  joug;  qu'il  ne  croit  pas  qu'il  y  ait  un 
Dieu  qui  veille  sur  ses  actions;  qu'il  se  considère  comme  seul 
maître  de  sa  conduite;  qu'il  ne  pense  à  en  rendre  compte  qu'à  soi- 
même  ^  Pense-t-il  nous  avoir  portés  par  là  à  avoir  désormais  bien 
de  la  confiance  en  lui,  et  à  en  attendre  des  consolations,  des  con- 
seils et  des  secours  dans  tous  les  besoins  de  la  vie?  Pense-t-il  nous 
avoir  bien  réjouis  de  nous  dire  qu'il  doute  si  notre  ame  est  autre 
chose  qu'un  peu  de  vent  et  de  fumée,  et  encore  de  nous  le  dire 
d'un  ton  de  voix  fier  et  content?  Est-ce  donc  une  chose  à  dire 
gaiement?  et  n'est-ce  pas  une  chose  à  dire  au  contraire  tristement, 
comme  la  chose  du  monde  la  plus  triste? 

S'ils  y  pensaient  sérieusement,  ils  verraient  que  cela  est  si  mal 
pris,  si  contraire  au  bon  sens,  si  opposé  à  l'honnêteté,  et  si  éloigné 
en  toute  manière  de  ce  bon  air  qu'ils  cherchent,  que  rien  n'est 
plus  capable  de  leur  attirer  le  mépris  et  l'aversion  des  hommes ,  et 
de  les  faire  passer  pour  des  personnes  sans  esprit  et  sans  jugement. 
Et ,  en  effet,  si  on  leur  fait  rendre  compte  de  leurs  sentimens,  et 
des  raisons  qu'ils  ont  de  douter  de  la  Religion,  ils  diront  des 
choses  si  faibles  et  si  basses,  qu'ils  persuaderont  plutôt  du  con- 
traire. C'était  ce  que  leur  disait  un  jour  fort  à  propos  une  per- 
sonne :  Si  vous  continuez  à  discourir  de  la  sorte,  leur  disait-il,  en 
vérité,  vous  me  convertirez.  Et  il  avait  raison;  car  qui  n'aurait 
horreur  de  se  voir  dans  des  sentimens  où  l'on  a  pour  compagnons 
des  personnes  si  méprisables? 

Ainsi  ceux  qui  ne  font  que  feindre  ces  sentimens  sont  bien  mal- 
heureux de  contraindre  leur  naturel  pour  se  rendre  les  plus  imper- 
tinens  des  hommes.  S'il  sont  fâchés  dans  le  fond  de  leur  cœur  de 
ne  pas  avoir  plus  de  lumière,  qu'ils  ne  le  dissimulent  point;  cette 
déclaration  ne  sera  pas  honteuse.  11  n'y  a  de  honte  qu'à  ne  point 
en  avoir.  Rien  ne  découvre  davantage  une  étrange  faiblesse  d'esprit 
que  de  ne  pas  connaître  quel  est  le  malheur  d'un  homme  sans 
Dieu  ;  rien  ne  marque  davantage  une  extrême  bassesse  de  cœur 
que  de  ne  pas  souhaiter  la  vérité  des  promesses  éternelles  j  rien 


54û  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE 

n'est  plus  lâche  que  de  faire  le  brave  contre  Dieu.  Qu'ils  laissent 
donc  ces  impiétés  à  ceux  qui  sont  assez  mal  nés  pour  en  être  véri- 
tablement capables,  qu'ils  soient  au  moins  honnêtes  gens,  s'ils  ne 
peuvent  encore  être  chrétiens  :  et  qu'ils  reconnaissent  enfin  qu'il 
n'y  a  que  deux  sortes  de  personnes  qu'on  puisse  appeler  raison- 
nables :  ou  ceux  qui  servent  Dieu  de  tout  leur]  cœur,  parce  qu'ils 
le  connaissent,  ou  ceux  qui  le  cherchent  de  tout  leur  cœur, 
parce  qu'ils  ne  le  connaissent  pas  encore. 

C'est  donc  pour  les  personnes  qui  cherchent  Dieu  sincèrement, 
et  qui ,  reconnaissant  leur  misère ,  désirent  véritablement  d'en  sor- 
tir, qu'il  est  juste  de  travailler,  afin  de  leur  aider  à  trouver  la  lu- 
mière qu'ils  n'ont  pas. 

Mais,  pour  ceux  qui  vivent  sans  le  connaître  et  sans  le  chercher, 
ils  se  jugent  eux-mêmes  si  peu  dignes  de  leur  soin,  qu'ils  ne  sont 
pas  dignes  des  soins  des  autres  ;  et  il  faut  avoir  toute  la  charité  de 
la  religion  qu'ils  méprisent  pour  ne  pas  les  mépriser  jusqu'à  les 
abandonner  dans  leur  folie.  Mais  parce  que  cette  religion  nous 
oblige  de  les  regarder  toujours,  tant  qu'ils  seront  en  cette  vie,comme 
capables  de  la  grâce  qui  peut  les  éclairer,  et  de  croire  qu'ils  peu- 
vent être  dans  peu  de  temps  plus  remplis  de  foi  que  nous  ne  sommes , 
et  que  nous  pouvons,  au  contraire,  tomber  dans  l'aveuglement  où 
ils  sont,  il  faut  faire  pour  eux  ce  que  nous  voudrions  qu'on  fit 
pour  nous  si  nous  étions  à  leur  place,  et  les  appeler  à  avoir  pitié 
d'eux-mêmes  et  à  faire  au  moins  quelques  pas  pour  tenter  s'ils  ne 
trouveront  point  de  lumière.  Qu'ils  donnent  à  la  lecture  de  cet 
ouvrage  quelques  unes  de  ces  heures  qu'ils  emploient  si  inutile- 
ment ailleurs,  peut-être  y  rencontreront-ils  quelque  chose ,  ou  du 
moins  ils  n'y  perdront  pas  beaucoup.  Mais,  pour  ceux  qui  y  ap- 
porteront une  sincérité  parfaite  et  un  véritable  désir  de  connaître 
la  vérité,  j'espère  qu'ils  y  auront  satisfaction,  et  qu'ils  seront  con- 
vaincus des  preuves  d'une  religion  si  divine  que  l'on  y  a  ramassées. 
(Pascal,  Pensées.) 

Immortalité  de  l'ame. 

On  a  depuis  soixante  ans  assez  plaidé  la  cause  du  désespoir  et 
de  la  mort  :  j'entreprends  de  défendre  celle  de  l'espérance.  Quelque 
chose  me  presse  d'élever  et  d'appeler  mon  siècle  en  jugement.  Je 
suis  las  d'entendre  répéter  à  l'homme  :  Tu  n'as  rien  à  craindre, 
rien  à  attendre,  et  tu  ne  dois  rien  qu'à  toi.  Il  le  croirait  peut-être 
enfin;  peut-être  qu'oubliant  sa  noble  origine,  il  en  viendrait  jus- 
qu'à se  regarder  en  effet  comme  une  masse  organisée  qui  reçoit 


DES    PRÉDICATEURS.  54 1 

F  esprit  de  tout  ce  qui  V  environne  et  de  ses  besoins  *,  jusqu'à  dire  à 
la  pourriture:  Fous  êtes  ma  mère;  et  aux  vers:  Fous  êtes  mes  frères 
et  mes  sœurs  2;  peut-être  qu'il  se  persuaderait  réellement  être 
affranchi  de  tout  devoir  envers  son  auteur;  peut-être  que  ses  dé- 
sirs mêmes  s'arrêteraient  aux  portes  du  tombeau,  et  que,  satisfait 
d'une  frêle  supériorité  sur  les  brutes  ,  passant  comme  elles  sans 
retour,  il  s'honorerait  de  tenir  le  sceptre  du  néant.  Je  veux  le 
briser  dans  sa  main;  qu'il  apprenne  ce  qu'il  est,  qu'il  s'instruise  de 
sa  grandeur,  aussi  bien  que  de  sa  dépendance.  On  s'est  efforcé  d'en 
détruire  les  titres  :  vaine  tentative!  ils  subsistent,  on  les  lui  mon- 
trera. Ils  sont  écrits  dans  sa  nature;  tous  les  siècles  les  y  ont  lus, 
tous,  même  les  plus  dépravés.  Je  les  citerai  à  comparaître  ;  et  on  les 
entendra  proclamer  l'existence  d'une  vraie  religion.  Qui  osera  les 
démentir,  et  opposer  à  leur  témoignage  ses  pensées  d'un  jour? 
Nous  verrons  qui  l'osera,  quand  tout  à  l'heure,  réveillant  les  gé- 
nérations éteintes,  et  convoquant  les  peuples  qui  ne  sont  plus,  ils 
se  lèveront  de  leur  poussière  pour  venir  déposer  en  faveur  des 
droits  de  Dieu  et  des  immortels  destins  de  l'homme. 

Et  pourquoi  périrait-il?  Qui  l'a  condamné?  Sur  quoi  juge-t-on 
qu'il  finisse  d'être?  Ce  corps  qui  se  décompose ,  ces  ossemens,  cette 
cendre ,  est-ce  donc  l'homme  ?  Non ,  non  ,  et  la  philosophie  se  hâte 
trop  de  sceller  la  tombe.  Quelle  noiu  montre  des  parties  distinc- 
tes dans  la  pensée,  alors  nous  comprendrons  qu'elle  puisse  se  dis- 
soudre. Elle  ne  l'a  pas  fait,  elle  ne  le  fera  jamais;  jamais  elle  ne 
divisera  l'idée  de  justice,  ni  ne  la  concevra  divisée  en  différentes 
portions  ayant  entre  elles  des  rapports  de  grandeur,  déforme  et  de 
distance;  elle  est  une,  ou  elle  n'est  point.  Et  le  désir,  l'amour,  la 
volonté  ,  voit-on  clairement  que  ce  soient  des  propriétés  de  la  ma- 
tière, des  modifications  de  l'étendue?  Voit-on  clairement  qu'une 
certaine  disposition  d'élémens  composés  produise  le  sentiment 
essentiellement  simple,  et  qu'en  mélangeant  des  substances  iner- 
tes, il  en  résulte  une  substance  active,  capable  de  connaître,  de 
vouloir  et  d'aimer?  Merveilleux  effet  de  l'organisation  !  cette  boue 
que  je  foule  aux  pieds  n'attend  qu'un  peu  de  chaleur,  un  nouvel 
arrangement  de  ses  parties,  pour  devenir  de  l'intelligence,  pour 
embrasser  les  cieux,  en  calculer  les  lois,  pour  franchir  l'espace 
immense,  et  chercher  par  de  là  tous  les  mondes,  non  seulement 
visibles,  mais  imaginables,  un  infini  qui  la  satisfasse,  atome  à  l'é- 
troit dans  l'univers  ! 

1  C'est  ainsi  que  Saint- Lambert  définit  l'homme.  -  2  Pniredini  dixi  :  Pater  meus 
es;  mater  mea  et  soror  mea,  vermibus»  (Job.,  x\n,  14.) 


542  NOUVELLE  BIBLIOTHEQUE 

Certes,  je  plains  les  esprits  assez  faibles  pour  croupir  dans  ces 
basses  illusions  ;  que  si  encore  ils  s'y  complaisent,  s'ils  redoutent 
d'être  détrompés,  je  n'ai  point  de  termes  pour  exprimer  l'horreur 
et  le  mépris  qu'inspire  une  pareille  dégradation. 

Et  que  disent-ils  cependant?  Ils  appellent  les  sens  en  témoi- 
gnage; ils  veulent  que  la  vie  s'arrête  là  où  s'arrêtent  les  yeux  ; 
semblables  à  des  enfans  qui,  voyant  le  soleil  descendre  au  dessous 
de  l'horizon  ,  le  croiraient  à  jamais  éteint.  Mais  quoi!  sont-ils  donc 
les  seuls  qu'ait  frappés  le  triste  spectacle  d'organes  en  dissolution  ? 
Sont-ils  donc  les  premiers  qui  aient  entendu  le  silence  du  sépulcre? 
Il  y  a  six  mille  ans  que  les  hommes  passent  comme  des  ombres 
devant  l'homme;  et  néanmoins  le  genre  humain,  défendu  contre 
le  prestige  des  sens  par  une  foi  puissante,  et  par  un  sentiment 
invincible,  ne  vit  jamais  dans  la  mort  qu'un  changement  d'exis- 
tence, et,  malgré  les  contradictions  de  quelques  esprits  abusés  par 
d'effroyables  désirs,  il  conserva  toujours  comme  un  dogme  de  la 
raison  générale  une  haute  tradition  d'immortalité.  Que  ceux-là 
donc  qui  la  repoussent  se  séparent  du  genre  humain,  et  s'en  ail- 
lent à  l'écart  porter  aux  vers  leur  pâture,  un  cœur  palpitant  d'a- 
mour pour  la  vérité,  la  justice,  et  une  intelligence  qui  connaît 
Dieu.  (De  La  Mennais,  Essai  sur  l'indifférence.) 

Même  sujet. 

A  l'aspect  de  ces  corps  célestes  qui  roulent,  éclatans  de  lumière, 
par  dessus  nos  têtes,  et  subsistent  depuis  tant  de  siècles,  on  se 
plaint  de  la  Providence  qui  a  renfermé  la  vie  de  l'homme  dans 
un  si  petit  nombre  d'années.  On  aurait  droit  de  se  plaindre,  si 
l'homme  était  condamné  à  périr  tout  entier;  mais  non.  La  plus 
noble  partie  de  lui-même ,  celle  qui  est  le  principe  de  son  exis- 
tence, celle  sans  qui  il  n'y  a  point  d'homme,  n'est  point  sujette  à 
la  mort.  La  substance  de  son  ame  est  inaltérable.  La  mort  n'a  de 
prise  que  sur  la  moindre  partie  de  son  être  ;  l'autre  ne  fait  que  ga- 
gner à  la  destruction  de  notre  corps.  Si  nous  souffrons ,  si  nous 
sommes  tributaires  des  maladies,  des  infirmités  de  la  vieillesse; 
pécheurs,  et  par  l'héritage  de  notre  premier  père,  et  par  notre  pro- 
pre faiblesse,  toujours  enclins  à  l'orgueil,  nous  avons  mérité  d'être 
châtiés  ,  et  nous  avons  besoin  de  l'être  pour  nous  humilier  et  nous 
purifier.  Ce  n'est  point  par  indifférence  que  Dieu  nous  traite  de 
la  sorte.  S'il  ne  s'était  pas  occupé  de  nous,  il  ne  nous  aurait  pas 
fait  une  ame  immortelle,  comme  ce  n'est  point  par  impuissance 


DES    PRÉDICATEURS.  543 

qu'il  a  laissé  notre  corps  assujéti  à  tant  de  misères.  S'il  n'était 
qu'impuissant,  aurait-il  imprimé  aux  astres  du  firmament ,  à  ce 
globe  de  la  terre,  un  principe  de  vie  qui  les  maintient,  sans  alté- 
ration, au  milieu  des  vicissitudes  attachées  à  tout  ce  qui  a  pris 
naissance?  Il  n'a  point  permis  que  les  corps  célestes  fussent  acces- 
sibles aux  ravages  du  temps,  à  tant  d'autres  causes  de  destruction; 
ils  n'ont  ni  ame,  ni  liberté  ;  ils  ne  peuvent  ni  pécher  ni  mériter. 
Ils  n'ont  donc  pas,  comme  nous,  besoin  de  l'aiguillon  des  mala- 
dies et  des  infirmités  pour  être  ramenés  à  l'ordre ,  et  contenus 
dans  les  bornes  de  l'humilité  et  de  l'obéissance.  Un  jour  viendra, 
où,  à  la  suite  des  épreuves  de  celte  vie  terrestre,  nos  corps  eux- 
mêmes  sortiront  de  leur  corruption,  pour  entrer  dans  la  gloire, 
et  l'éclat  dont  ils  seront  revêtus  dans  une  vie  nouvelle  surpassera 
celui  du  soleil  et  des  astres  les  plus  lumineux.  (Saint  Chrysostome, 
Sur  sainte  Anne.) 

Mèsne  sujet. 

L'homme  a  péché;  tout  ce  qui  fut  créé  sur  la  terre  a  porté  la 
peine  de  son  crime  :  en  conséquence,  toute  créature ,  dit  saint 
Paul ,  a  été assujétie  à  la  vanité^ ,  c'est-à-dire  est  devenue  corrup. 
tible.  Le  corps  de  l'homme  est  devenu  tributaire  de  la  mort  et  de 
la  souffrance;  la  terre ,  frappée  de  malédiction ,  a  été  condamnée  à 
produire  des  ronces  et  des  épines.  Tout  vieillit.  Le  ciel  lui-même , 
dit  le  Prophète,  se  consumera,  dissipé  dans  une  vaine  fumée ,  et  la 
terre  deviendra  comme  un  vêtement  usé,  mais  pour  reprendre  un 
nouvel  être  et  des  formes  nouvelles^.  Tout  périra,  non  pour  être 
anéanti,  mais  pour  être  changé;  et  la  mort  ne  sera  qu'un  germe 
d'immortalité.  Ne  me  demandez  plus  pourquoi  toutes  les  créatures 
ont  été  assujéties  à  la  vanité.  Qu'avaient-elles  fait  pour  mériter  de 
subir  le  châtiment  d'une  faute  étrangère?  Etaient-elles  coupables  ? 
non  sans  doute  ;  l'homme  seul  le  fut  :  comme  elles  avaient  été 
créées  pour  l'homme,  faut-il  s'étonner  que,  pour  punir  l'homme 
par  elles,  Dieu  les  ait  faites  assujéties  à  la  corruption?  Mais,  puis- 
qu'elles ont  partagé  son  châtiment,  un  jour  viendra  où  elles  se- 
ront de  même  associées  à  son  renouvellement.  Ecoutez  l'Apôtre: 
Avec  espérance,  ajoute-t-il,  d'être  délivrées  de  cet  asservissement  à 
la  corruption ,  pour  participer  à  la  liberté  et  à  la  gloire  des  en  fans 
de  Dieu*.  Nouveaux  cieux,  nouvelle  terre.  Ce  ne  sera  pas  vous 

*  Rom.,  vin,  20.  —  a  Ps.,  ci,  17  ;  Isa.,  m,  G.  — 3  Rom.,  vin,  21. 


544  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

seul ,  ô  homme,  qui  serez  affranchi  des  liens  qui  vous  enchaînent 
à  la  mortalité,  à  la  corruption;  toutes  les  créatures  le  seront  avec 
vous,  régénérées  comme  vous  à  une  existence  nouvelle.  Elles  ont 
participé  à  votre  servitude,  elles  participeront  à  votre  liberté;  de- 
venues corruptibles  avec  vous  ,  elles  deviendront  avec  vous  incor- 
ruptibles. 

La  terre  ,  nourrice  de  l'homme,  fut  enveloppée  dans  sa  disgrâce. 
Réhabilitée  avec  son  royal  pupille,  elle  recouvrera  sa  première 
magnificence  au  jour  où,  transformé  lui-même,  rappelé  au  trône 
de  Dieu  son  Père,  il  sera  rendu  à  son  antiquegloire.  Ainsi,  quand 
un  roi  veut  célébrer  la  pompe  nuptiale  de  son  fils,  il  renouvelle 
tout  ce  qui  fut  àson  usage,  afin  que  la  gloire  de  son  élévation  rejail- 
lisse sur  toutcequi  l'environne.  Ah!  quand  les  créatures  insensibles 
elles-mêmes  soupirent ,  selon  la  pensée  de  saint  Paul,  dans  l'at- 
tente de  leur  transformation,  quand  elles  sont,  pour  ainsi  parler, 
dans  le  travail  de  l enfantement,  vous  seul,  ô  homme  ,  vous,  créa- 
ture raisonnable  et  douée  de  sentiment,  vous  pourriez  trouver 
quelque  repos  et  concentrer  ici  bas  vos  espérances  dans  cetteterre 
étrangère  où  vous  êtes  exilé! 

Sujets  d'un  roi  qui  a  vaincu  la  mort,  et  nous  aussi  nous  pouvons 
comme  lui  triompher  de  la  mort.  Comment  cela?  m  allez-vous 
dire  :  est-ce  que  nous  ne  mourrons  pas?  S'il  n'en  était  pas  ainsi, 
Jésus-Christ  n'aurait  pas  vaincu  la  mort;  un  guerrier  n'acquiert  de 
la  gloire,  il  ne  devient  illustre  que  lorsqu'au  combat  il  terrasse 
son  ennemi,  et  non  pas  lorsqu'il  n'a  point  combattu.  Ce  qui  nous 
fait  mortels,  ce  n'est  point  le  combat  ;  mais  c'est  la  victoire  qui 
nous  rend  immortels.  A  la  bonne  heure  ,  si  nous  demeurions  tou- 
jours sous  l'empire  de  la  mort,  il  n'y  aurait  en  nous  que  mortalité. 
Qui  doit  ressusciter  après  la  mort  n'est  point,  à  proprement  par- 
ler, mortel.  Parce  que  vous  aurez  rougi  ou  pâli  durant  quelques 
momens,  on  ne  dira  pas  que  la  couleur  de  votre  visage  soit  rouge 
ou  pâle,  quand  elle  ne  l'est  pas  habituellement;  ce  ne  sont  là  que 
des  accidens  passagers.  De  même,  ne  nommez  point  mortel  ce  qui 
ne  doit  mourir  que  pour  un  temps.  Il  faudrait  le  dire  aussi  de  ceux 
qui  dorment,  puisque  dans  le  sommeil  on  est  sans  action.  — -Mais 
la  mort  corrompt  et  dissout  le  corps.  —  Qu'importe?  on  ne  meurt 
pas  pour  se  corrompre  ;  on  ne  meurt  que  pour  devenir  incorrup- 
tible. (Saint  Chrysostome1.) 

*  Hom.  siv.  in  epist.  ad  Rom,  et  Hom.  lxxvih  in  Joan. 


DES    PRÉDICATEURS.  545 

Effets  du  désir  de  l'immortalité  de  Famé. 

Saintes  vérités  du  Christianisme;  fidèle  et  irréprochable  témoi- 
gnage que  les  apôtres  ont  rendu,  au  péril  de  tout,  à  leur  Maître 
ressuscité;  mystère  d'immortalité  que  nous  célébrons,  attesté  par 
le  sang  de  ceux  qui  l'ont  vu,  et  confirmé  par  tant  de  prodiges, 
par  tant  de  prophéties,  par  tant  de  martyrs,  par  tant  de  conver- 
sions, par  un  si  soudain  changement  du  monde,  et  par  une  si 
longue  suite  de  siècles,  n'avez-vous  pu  encore  élever  les  hommes 
aux  objets  éternels?  et  faut-il,  au  milieu  du  Christianisme,  faire 
de  nouveaux  efforts  pour  montrer  aux  enfans  de  Dieu  qu'ils  ne 
sont  pas  si  peu  de  chose  qu'ils  se  l'imaginent  ?  Nous  demandons  un 
témoin  revenu  de  l'autre  monde  pour  nous  en  apprendre  les  mer- 
veilles :  Jésus-Christ,  qui  est  né  dans  la  gloire  éternelle,  et  qui  y 
retourne;  «Jésus-Christ,  témoin  fidèle,  et  le  premier  né  d'entre 
«  les  morts  »,  comme  il  est  écrit  dans  l'Apocalypse  1;  Jésus-Christ , 
qui  s'y  glorifie  d'avoir  «  la  clef  de  l'enfer  et  de  la  mort  2  »;  qui  en 
effet  est  descendu  non  seulement  dans  le  tombeau,  mais  encore 
dans  les  enfers,  où  il  a  délivré  nos  pères  et  fait  trembler  Satan  avec 
tous  ses  anges  par  son  approche  glorieuse  :  ce  Jésus-Christ  sort 
victorieux  de  la  mort  et  de  l'enfer,  pour  nous  annoncer  une  au- 
tre vie,  et  nous  ne  voulons  pas  l'en  croire!  Nous  voudrions  qu'il 
renouvelât  aux  yeux  de  chacun  de  nous  tous  ses  miracles;  que  tous 
les  jours  il  ressuscitât  "pour  nous  convaincre:  et  le  témoignage 
qu'il  a  une  fois  rendu  au  genre  humain ,  encore  qu'il  le  continue, 
comme  vous  verrez,  d'une  manière  si  miraculeuse  dans  son  Eglise 
catholique,  ne  nous  suffit  pas. 

A  Dieu  ne  plaise,  dites-vous;  je  suis  Chrétien  ,  ne  me  traitez 
pas  d'impie.  Ne  me  dites  rien  des  libertins;  je  les  connais  ;  tous  les 
jours  je  les  entends  discourir;  et  je  ne  remarque  dans  tous  leurs 
discours  qu'une  fausse  capacité,  une  curiosité  vague  et  superficielle, 
ou,  pour  parler  franchement,  une  vanité  toute  pure  ;  et  pour  fond 
des  passions  indomptables,  qui,  de  peur  d'être  réprimées  par  une 
trop  grande  autorité,  attaquent  l'autorité  de  la  loi  de  Dieu,  que, 
par  une  erreur  naturelle  à  l'esprit  humain ,  ils  croient  avoir  ren- 
versé, à  force  de  le  désirer.  Je  les  reconnais  à  ces  paroles;  vous  ne 
pouviez  pas  me  peindre  plus  au  naturel  leur  caractère  léger  et 
leurs  bizarres  pensées  :  j'entends  ce  que  me  dit  votre  bouche;  mais 

*  Apoc,  i,  5.  — 2lbid.,18. 

t.  m.  35 


5/i6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

que  me  disent  vos  œuvres?  vous  les  détestez,  dites-vous;  pour- 
quoi donc  les  imitez-vous?  pourquoi  marchez-vous  dans  les  mêmes 
voies  ?  pourquoi  vous  vois-je  aussi  éblouis  des  grandeurs  humai- 
nes, aussi  enivrés  de  la  faveur  et  aussi  touchés  de  son  ombre,  aussi 
délicats  sur  le  "point  d'honneur,  aussi  entêtés  de  folles  amours 
aussi  occupés  de  votre  plaisir,  et,  ce  qui  en  est  une  suite,  aussi 
durs  à  la  misère  des  autres,  aussi  jaloux  en  secret  du  progrès  de 
ceux  que  vous  trouvez  à  propos  de  caresser  en  public,  aussi  prêts 
à  sacrifier  votre  conscience  à  quelque  grand  intérêt ,  après  l'avoir 
défendue,  peut-être  pour  la  montre  et  pour  l'apparence,  dans  des 
intérêts  médiocres?  Avouons  la  vérité:  faibles  Chrétiens,  ou  liber- 
tins déclarés,  nous  marchons  également  dans  les  voies  de  perdi- 
tion, et  tous  ensemble  nous  renonçons  par  notre  conduite  à  l'es- 
pérance de  la  vie  future. 

Venez ,  venez,  Chrétiens ,  que  je  vous  parle  :  cette  vie  éternelle 
qui  entre  encore  si  peu  dans  votre  esprit,  la  désirez-vous  du  moins? 
Est-ce  trop  demander  à  des  Chrétiens  que  de  vouloir  que  vous  dé- 
siriez la  vie  éternelle  ?  Mais  si  vous  la  désirez ,  vous  l'acquérez  par 
ce  désir  en  le  fortifiant  ;  et  sans  tourner  davantage,  sans  fatiguer 
votre  esprit  par  une  longue   suite  de   raisonnemens,  vous  avez 
dans  cet  instinct  d'immortalité ,  le  témoignage  secret  de  l'éter- 
nité pour  laquelle  vous  êtes  nés,  la  preuve  qui  vous  la  démontre 
le  gage  du  Saint-Esprit  qui  vous  en  assure,  et  le  moyen  infaillible 
de  la  recouvrer.  Dites  seulement  avec  David,  David,   un  homme 
comme  vous;  mais  un  homme  assis  sur  le  trône  et  environné  de 
plaisirs ,  mais  un  roi  victorieux  et  comblé  de  gloire  ;  dites  seulement 
avec  lui:   «  Mon  bien ,  c'est  de  m'attachera  Dieu»:  Mihi  autem 
adhœrere  Deo  bonum  est  1  ;  un  trône  est  caduc,  la  grandeur  s'en- 
vole, la  gloire  n'est  qu'une  fumée,  la  vie  n'est  qu'un  songe;  «mon 
«bien  ,  c'est  d'avoir  mon  Dieu,  c'est  de  m'y  tenir  attaché»-  et  encore  • 
«  Qu'est-ce  que  je  veux  dans  le  ciel,  et  qu'est-ce  que  je  vous  de- 
«  mande  sur  la  terre?  Vous  êtes  le  Dieu  de  mon  cœur,  et  mon  Dieu 
«  mon  partage  éternellement  2  ». 

Mais  il  faut  pousser  ce  désir  avec  toute  la  pureté  delà  nouveauté 
chrétienne.  Je  m'explique  :  les  Juifs,  qui  n'entendaient  pas  les  mys- 
tères de  Jésus-Christ, ni,  comme  parle  l'Apôtre,«la  vertu  de  sa  ré- 
«  surrection,  et  les  richesses  inestimables  du  siècle  futur  3  »  ne  lais- 
saient pas  de  préférer  Dieu  aux  fausses  divinités:  mais  ils  voulaient 
obtenir  de  lui  des  félicités  temporelles.  Moi,  Seigneur,  je  ne  veux 

1  Pe.  «xn,  28.  —  3  Ps.,  25,  26.  —'Philip.,  m,  10,  Heb, 


DES    PREDICATEURS.  5^~ 

que  vous,  mon  Dieu, mon  partage  éternellement;  ni  dans  le  ciel 
ni  dans  la  terre,  je  ne  veux  que  vous.  Tout  ce  qui  n'est  pas  éter- 
nel,  fût-ce  une  couronne,  n'est  digne  ni  de  votre  libéralité  ni  de 
mon  courage;  et  puisque  vous  avez  voulu  que  je  connusse,  faible- 
ment à  la  vérité  ,  eu  égard  à  votre  immense  grandeur,  mais  enfin 
avec  une  certitude  qui  ne  me  laisse  aucun  doute,  votre  éternité 
tout  entière  et  votre  infinie  perfection ,  j'ai  droit  de  ne  me  con- 
tenter pas  d'un  moindre  objet:  je  ne  veux  que  vous  sur  la  terre 
et  je  neveux  que  vous,  même  dans  le  ciel;  et  si  vous  n'étiez  vous- 
même  le  don  précieux  que  vous  nous  y  faites,  tout  ce  que  vous  y 
donnez  d'ailleurs  avec  tant  de  profusion  ne  me  serait  rien.  Que  si 
vous  pouvez  former  ce  désir  avec  un  David ,  avec  un  saint  Paul 
avec  tant  de  saints  martyrs  et  tant  de  saints  pénitens,  hommes 
comme  vous,  si  vous  pouvez  dire ,  à  leur  exemple  :  Mon  Deiu  je 
vous  veux;  il  est  à  vous  :  car  ni  la  bonté  de  Dieu  ne  lui  permet  ja- 
mais de  se  refuser  à  un  cœur  qui  le  désire,  qui  l'aime;  ni  une 
force  majeure  ne  le  peut  ravir  à  qui  le  possède;  ni  il  n'est  lui-même 
un  ami  changeant  que  le  temps  dégoûte.  Quoi,  mes  frères,  que ,  de 
cette  main  bienfaisante,  lui-même  il  arrache  ses  propres  enfans  de 
ce  sein  paternel  où  ils  veulent  vivre!  il  n'y  a  rien  qui  soit  moins  de 
lui;  et  de  toutes  les  vérités,  la  plus  certaine ,  la  mieux  établie,  la  plus 
immuable,  c'est  que  Dieu  ne  peut  manquer  à  qui  le  désire  ;  et  que 
nul  ne  peut  perdre  Dieu  que  celui  qui  s'en  éloigne  le  premier  par 
sa  propre  volonté.  Qui  ne  l'entend  pas,  c'est  un  aveugle  ;  qui  le  nie 
qu'il  soit  anathème. 

Que  sentez-vous,  Chrétiens,  à  ces  paroles  ?  saint  Paul  n'a-til  pas 
eu  raison  devons  exciter  à  chercher  les  choses  célestes,  puisqu'en 
les  cherchant  vous  les  acquérez?  ses  paroles  ont-elles  piqué  votre 
cœur  du  vrai  désir  delavie?ai-je  trouvé  en  les  expliquant  ce  bien- 
heureux fonds  que  Dieu  mit  dans  votre  amepour  la  rappeler  à  lui 
quand  il  la  fit  à  son  image,  que  le  péché  vous  avait  fait  perdre,  et 
que  Jésus-Christ  ressuscité  vient  de  renouveler?  Car  enfin  d'où 
vous  vient  cette  idée  d'immortalité  ?  d'où  vous  en  vient  le  désir 
si  ce  n'est  de  Dieu?  N'est-ce  pas  le  père  de  tous  les  esprits,  qui  sol- 
licite le  vôtre  de  s'unir  au  sien,  pour  y  trouver  la  vraie  vie?  peut-il 
ne  pas  contenter  un  désir  qu'il  inspire?  et  ne  veut-il  que  nous 
tourmenter  par  une  vue  stérile  d'immortalité?  Ah  !  je  ne  m'étonne 
pas  si  nous  ne  sentons  rien  d'immortel  en  nous:  nous  ne  désirons 
même  pas  l'immortalité;  nous  cherchons  des  félicités  que  le  temps 
emporte  et  une  fortune  qu'un  souffle  renverse.  Ainsi,  étant  nés 
pour  l'éternité,  nous  nous  mettons   volontairement  sous  le  joug 

_-  35. 


548  NOUVELLE     BIBLIOTHÈQUE 

du  temps,  qui  brise  et  ravage  tout  par  son  invincible  rapidité  ;  et 
la  mort,  que  nous  cherchons  par  tous  nos  désirs,  puisque  nousne 
désirons  rien  que  de  mortel,  nous  domine  de  toutes  parts:  Sursum 
corda,  sursum  corda  :  «  Le  cœur  en  haut,  le  cœur  en  haut:  »  Quœ 
sursum  sunt  quœrite  :  «  Cherchez  ce  qui  est  en  haut  :  »  c'est  là  que 
Jésus-Christ  est  assis  à  la  droite  de  son  père;  c'est  de  là  qu'il  vous 
envoie  ce  désir  d'immortalité;  et  c'est  là  qu'il  vous  attend  pour  le 
satisfaire.  Voilà  l'abrégé  de  la  loi  nouvelle;  voilà  cette  loi  qui  ne 
change  plus,  parce  qu'elle  a  l'éternité  pour  objet;  et  c'est  là  uni- 
quement que  nous  devons  tendre. 

Mais,  en  marchant  dans  cette  voie,  apprenons  de  saint  Augus- 
tin qu'elle  exclut  trois  sortes  de  personnes.  «  Elle  exclut  première- 
«  ment  ceux  qui  s'égarent  ;  »  et  qui,  las  d'une  vie  réglée,  qu'ils  trou- 
vent trop  unie  et  trop  contraignante,  se  jettent  dans  les  voies  d'ini- 
quité, où  une  riante  diversité  égaie  les  passions  et  les  sens.  «  Elle 
«  exclut,  en  second  lieu,  ceux  qui  retournent  en  arrière,  et  qui 
«sans  sortir  de  la  voie,  abandonnent  les  pratiques  de  piété  qu'ils 
«'avaient  embrassées;  elle  exclut  enfin  ceux  qui  s'arrêtent,  et  qui 
«  croyant  avoir  assez  fait,  ne  songent  pas  à  s'avancer  dans  la  ver- 
tu 1.»  Ceux  qui  sortent  de  la  voie  des  commandemens ,  après  y 
être  rentrés  par  la  pénitence,  et  qui  retombent  dans  leurs  premiers 
crimes;  hélas!  c'est  le  plus  grand  nombre:  c'est  à  eux  que  je  dois 
parler  à  la  fin  de  ce  discours;  et  plût  à  Dieu  que  je  leur  parle  avec 
cette  voix  de  tonnerre  que  Dieu  donne  aux  prédicateurs,  quand 
il  veut  briser  les  rochers  et  fendre  les  cœurs  de  pierre. 

Mais  je  ne  vous  oublierai  pas,  ô  petit  nombre  choisi  de  Dieu- 
vous,  mes  frères,  qui,  fidèles  à  la  pénitence,  craignez  de  rentrer 
dans  les  voies  de  perdition ,  où  vous  avez  autrefois  marché  avec 
une  si  aveugle  confiance ,  vous  avez  encore  deux  choses  à  crain- 
dre ;  apprenez-les  de  Jésus-Christ  même  :  l'une ,  de  retourner  en 
arrière;  et  l'autre,  de  vous  arrêter  un  seul  moment.  Vous  faites 
un  pas  en  arrière  lorsque,  sans  retourner  au  péché  mortel,  vous 
vous  relâchez  de  l'attention  que  vous  aviez  sur  vous-mêmes,  que 
vous  prodiguez  le  temps  que  vous  ménagiez;  que  vous  ôtez  à  la 
piété  ses  meilleures  heures  :  et  vous,  lorsque,  tentée  de  relever  par 
quelque  parure  cette  modestie  qui  commence  à  vous  paraître  trop 
nue,  vous  vous  dégoûtez  de  cette  sainte  simplicité  que  vous  re«-ar- 
diez  auparavant  comme  la  vraie  marque  de  la  pudeur;  sans  jamais 
vouloir  songer  à  cette  parole  de  Jésus-Christ ,  qui  foudroie  votre 

Sermon  de  Cantiç.  novo,  n*  4,  tom.  vi,  col.  592. 


DES  PRÉDICATEURS.  54p 

négligence:  «  Celui  qui  met  la  main  à  la  charrue,  »  qui  commence 
à  cultiver  son  ame  comme  une  terre  fertile,  «  et  qui  retourne  en 
«  arrière,  »  qui  se  relâche  des  saintes  pratiques  qu'il  avait  choisies,; 
que  prononce  le  Fils  de  Dieu  ?  quoi!  peut-être  qu'il  n'atteindra  pas 
à  la  perfection?  non,  Messieurs,  sa  sentence  est  bien  plus  terri- 
ble :  «  Il  n'est  pas  propre,  dit -il,  au  royaume  de  Dieu1,  »  et  il  n'a 
que  faire  d'y  prétendre:  c'est  Jésus-Christ  qui  le  dit  ;  croyez  donc 
à  sa  parole  et  tremblez.  (  Bossuet,  Ve  Sermon  pour  le  jour  de  Pâ- 
ques. ) 

L'immortalité  de  Tarne  est  la  plus  douce  de  nos  espérances. 

Que  faites-vous;  disait  saint  Ambroise  aux  impies  de  son  temps? 
quelle  étrange  fureur  vous  anime?  quel  peut  être  le  but  de  vos  en- 
seignemens  funestes?  Quand  même  il  serait  vrai  que  l'avenir  n'est 
qu'un  songe,  c'est  un  songe  qui  nous  console,  c'est  une  erreur  qui 
nous  est  chère  ;  et  malheur  au  barbare  qui  se  fait  un  jeu  cruel  de 
nous  réveiller  î  L'argument  de  ce  saint  docteur  est  resté  dans  toute 
sa  force.  Les  impies  les  plus  déterminés  sont  encore  forcés  d'avouer 
qu'ils  devraient  trembler  de  détruire  en  nous  cette  espérance  sa- 
lutaire qui  nous  fournit  les  plus  puissans  remèdes  contre  les  mi- 
sères de  la  vie,  les  plus  douces  consolations  contre  les  horreurs 
de  la  mort:  deux  idées  simples  qui  nous  feront  conclure  avec  l'Apô- 
tre qu'il  faut  se  réjouir  dans  l'espérance,  spe  gaudentes1. 

Que  l'homme  soit  malheureux  ! hélas!  que  vais-je  faire, 

Chrétiens?  Emportés  tous  tant  que  nous  sommes  dans  un  même 
torrent  de  misères,  vous  donnerai-je  ici  le  spectacle,  aussi  triste 
que  vain,  de  m'amuser  aies  dépeindre?  Jetez  les  yeux  de  toutes 
parts ,  partout  vous  trouverez  des  hommes  qui  ne  savent  que  se 
plaindre.  Je  ne  sais  quel  cri  puissant  de  notre  déplorable  condi- 
tion domine  tous  les  bruyans  éclats ,  et  paraît  seul  se  faire  enten- 
dre dans  le  tumulte  de  la  joie  mondaine.  Contentes  de  leur  sort, 
les  brutes  coulent  en  repos  des  jours  tranquilles;  hélas!  la  paix 
dont  elles  jouissent,  l'homme  ne  la  connut  jamais.  Seul,  l'homme 
se  fait  peur  à  lui-même,  son  propre  vide  l'effraie;  uni  avec  ses  sem- 
blables, il  ne  fait  qu'étendre  ses  misères  et  participer  davantage  à 
l'infortune  générale  ;  malheureux  s'il  se  fuit ,  plus  malheureux  s'il 
se  retrouve  ;  inquiet  s'il  désire,  dégoûté  s'il  obtient;  ennemi  du  re- 
pos,  incapable  de  travail;  trop  faible  pour  jouir  de  tout ,  trop  ar^ 

.'  Luc,  ix,  62.  —  2  Rom.,  xn,  12. 


55o  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

dent  pour  se  contenter  de  peu  ;  trop  borné  dans  ses  facultés,  trop 
avide  dans  ses  jouissances,  il  n'est  point  pour  lui  de  plus  grand 
supplice  que  lui-même.  Où  fuir,  ô  mon  Dieu,  pour  échappera  ces 
maux  innombrables  ?  Mes  frères,  dans  une  autre  vie.  Sauvons-nous 
dans  le  siècle  à  venir;  une  meilleure  vie  nous  attend,  voilà  notre 
grand  et  unique  consolateur.  Il  n'est  permis  de  s'attrister  qu'à  ceux 
qui  n'ont  point  d'espérance.  Je  suis  trop  grand ,  se  dit  l'homme  im- 
mortel, pour  trouver  le  repos  ici-bas;  mon  inquiétude  devient,  en 
quelque  sorte ,  ma  plus  belle  vertu  :  c'est  ma  noblesse  qui  me  tour- 
mente ;  cette  brûlante  activité  qui  m'agite  sans  cesse  n'est  que  le 
sentiment  d'un  être  qui  se  voit  déplacé  sur  la  terre;  les  larmes  con- 
viennent à  mon  état:  larmes  précieuses ,  qu'il  est  donc  grand  le  pri- 
vilège que  j'aide  les  répandre!  Elles  m'annoncent  que  ce  n'est  ici 
que  mon  enfance,  elles  me  disent  que  le  temps  n'est  pas  digne  de 
moi,  elles  m'apprennent  à  me  détacher  de  la  vie ,  elles  m'invitent  à 
chercher  un  asile  dans  un  autre  séjour,  elles  attestent  hautement 
les  droits  que  j'ai  sur  le  ciel.  Je  pleure  ;  .  . .  .grand  Dieu  !  je  vous 
rends  grâces.  Que  je  serais  à  plaindre  si  j'étais  satisfait!  malheur  à 
moi,  si  le  monde  pouvait  remplir  le  vide  immense  de  mon  ame!  je 
ne  serais  donc  né  que  pour  le  temps  ;  je  serais  donc  aussi  borné  que 
la  terre ,  aussi  vil  que  ses  chimères  :  ces  riens  frivoles ,  qui  nous  amu- 
sent sans  nous  remplir,  seraient  donc  mon  unique  espérance.  Mon 

espérance  ! ah  !  elle  est  toute  dans  l'immortalité  :  Reposita  est 

hœc  spes  mea  in  sinu  meo  1. .  . .  Hœc  spes  ! .  .  .  Saint  et  précieux  es- 
poir! il  me  soutient,  il  me  console;  toutes  mes  autres  espérances 
ne  sont  pour  moi  que  des  agitations  violentes,  semblables  à  des 
flots  qui  repoussent  des  flots  ;  celle-ci  repose  au  fond  de  mon  cœur, 
et  lui  apporte  un  calme  inaltérable:  Reposita  est  hœc  spes  mea  in 
smu  meo.  Je  le  sens,  rien  ne  me  contente,  rien  ne  répond  à  l'ar- 
deur toujours  renaissante  de  mes  désirs;  et  voilà  mon  triomphe. 
J'ai  donc  une  autre  patrie  ;  il  y  a  donc  une  vie  plus  heureuse ,  dont 
celle-ci  n'est  qu'un  essai,  une  ébauche  imparfaite;  il  n'y  a  point  de 
proportion  entre  les  vains  objets  qui  m'environnent  et  la  capacité 
de  mon  ame,  sans  doute  parce  que  Dieu  se  l'est  réservée  pour  la 
satisfaire  un  jour  lui-même  et  la  remplir  entièrement.  (M.  de  Bou- 
logne.) 

Que  deviendra  le  monde  si  l'on  ne  pense  qu'à  la  vie  future  ? 
Mes  frères,  il  deviendra  ce  qu'il  était  dans  les  beaux  jours  du 
1  Job.,  xix,  27. 


DES   PREDICATEURS.  55 1 

Christianisme,  une  société  d'hommes  laborieux  et  sages,  qui  fera 
l'admiration  du  ciel  et  de  la  terre.  Que  deviendra  le  monde?  eh 
hien  !  puisque  vous  le  voulez,  il  sera  totalement  bouleversé;  les 
fêtes  et  les  spectacles,  les  yeux  et  les  festins,  tous  les  plaisirs  tu- 
multueux et  vains  d'une  vie  mondaine  seront  bientôt  évanouis  ; 
le  souffle   de  l'immortalité  fera  tout  à  coup   disparaître  et  ces 
imposantes  chimères,   et  ces  illusions  séduisantes,   et  ces  gra- 
ves riens,  qui  occupent  un  si  grand  espace  dans  notre  vie.  Que 
deviendra  le  monde?  voyez  plutôt,  Chrétiens,  ce  qu'il  est  de- 
venu :  luxe  effréné,  profusions   criminelles,  cabales,  mépris  des 
lois ,  trahisons ,  extinction  de  toute  pudeur,  forfaits  inouïs.  D'où 
nous  sont  venus  et  ces  excès  et  ces  horreurs,  et  ces  scandales? 
Serait-ce  donc  que  nous  n'agissons  plus,  que  nous  ne  vivons  plus 
que  pour  une  autre  vie  ?  Que  deviendra  le  monde  ?  eh  quoi  !  le  lieu 
de  votre  exil  et  de  votre  pèlerinage  vous  occupe-t-il  si  fort  ?  Cette 
terre  étrangère,  cette  terre  de  Chanaan  où  nous  n'avons,  comme 
Abraham,  que  le  droit  de  sépulcre;  ce  frêle  tabernacle  qui  va  être 
enlevé  comme  la  tente  d'un  pasteur,  ce  vil  amas  de  boue  vous  in- 
téresse-t-il  au  point  d'exciter  tant  vos  inquiétudes? Que  deviendra 
le  monde?  mes  frères,  que  vous  importe?  Déjà,  pour  la  plupart, 
vous  avez  essuyé  ses  rebuts  et  ses  dédains  :  il  insulte  peut-être  à 
l'empressement  que  vous  avez  de  lui  plaire;  il  vous  fuit,  il  vous 
abandonne  ;  ses  modes  ne  sont  plus  pour  vous  que  des  ridicules  ; 
vos  divertissemens,  on  les  appelle  vos  folies.  Vous  craignez  de  vous 
voir;  mais  un  monde  malin  remarque  vos  rides  et  compte  vos  an- 
nées ;  vos  goûts  s'émoussent ,  vos  facultés  s'altèrent  ;  vos  sens  sont 
déjà  morts;  vous  n'êtes  plus  qu'un  reste  de  vous-mêmes,  vous  ne 
faites  plus  qu'achever  de  mourir;  et  vous  osez  encore  vous  in- 
quiéter de  ce  que  deviendra  le  monde  !  Insensés  !  encore  une  fois 
que  vous  importe  ? 

Déjà  il  fond,  il  croule  sous  vos  pieds  ,  il  tombe ,  il  dépérit  cha- 
que jour  :  je  n'aperçois  partout  que  des  débris,  je  ne  vis  que  parmi 
des  mourans,  j'erre  dans  un  vaste  tombeau  ;  mes  frères,  hâtez- 
vous  d'en  sortir;  que  chacun  songe  à  le  quitter  de  peur  d'être 
accablé  sous  ses  ruines;  mes  frères,  sauvez-vous  du  naufrage.  Déjà 
ce  monde  est  la  proie  des  flammes  ;  je  vois  les  élémens  dissous  par 
la  chaleur,  les  cieux  qui  passent  avec  le  bruit  d'une  tempête,  une 
lueur  mourante  qui  n'éclaire  plus  que  des  monceaux  de  cendre... 
Osez  vous  élancer  dans  le  sein  de  l'immortalité;  de  là,  jetez  les 
yeux  sur  cet  incendie  général;  cherchez  encore,  si  vous  le  pou- 
vez, l'espace  qu'occupa  l'univers;  et  après  n'y  avoir  rencontré  que 


552  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

la  nuit  et  le  silence,  que  le  chaos  et  le  néant,  demandez-nous  en- 
core que  deviendra  le  monde.  Que  deviendra  le  inonde?  et  moi, 
je  vous  demande  avec  la  vérité  éternelle  :  Que  sert  h  V homme  de 
gagner  l'univers ,  s'il  vient  à  perdre  son  ame  1  ?  et  moi ,  je  vous  dis  : 
Insensé,  on  vous  redemandera  votre  ame  cette  nuit  2;  et  moi,  je 
vous  annonce  que,  pour  un  homme  immortel,  une  seule  chose  est 
nécessaire  5  ;  et  moi ,  je  n'ai  d'autre  réponse  que  ces  paroles  de 
l'Ecriture  :  Sauvez  votre  ame  :  Salva  animam  tuam  *  ;  et  moi ,  je 
m'écrie  :  Néant,  néant,  et  néant  sur  toutes  les  créatures  *  vanité 
des  vanités,  tout  nest  que  vanité  5.  (Le  même.) 

Nous  sommes  immortels,  il  ne  faut  donc  que  savoir  mourir. 

Infortuné!  s'écrie-t-il  avec  l'Apôtre  6,  qui  me  délivrera  de  ce  corps 
de  mort?  O  mon  ame!  quand  verras-tu  la  fin  de  ta  course  pénible? 
quand  seront  déployées  tes  facultés  immenses  ?  quand  jouiras-tu 
du  pouvoir  d'aimer  sans  mesure?  Sainte  Jérusalem,  dont  on  m'a 
raconté  tant  de  choses  grandes  et  ineffables,  quand  verrai-je  tes 
murs  sacrés  et  tes  portes  brillantes?  Ah!  bientôt  arrivera  cette 
heure  fortunée,  hientôt  seront  brisés  mes  tristes  fers,  bientôt 
mes  faibles  yeux  pourront  fixer  le  soleil  de  justice;  oui,  bientôt. 
Terre,  vil  et  triste  cachot,  masse  impure  et  grossière,  c'en  est 
fait,  je  te  quitte  pour  m'élancer  dans  les  pures  régions  de  la  vie; 
encore  un  pas  et  je  respire.  O  mort!  je  te  rends  grâces,  tu  ne 
troubles  pas  mes  desseins,  mais  tu  les  accomplis,*  tu  n'interromps 
pas  mon  ouvrage,  mais  tu  le  perfectionnes*  et  que  m'importent 
mes  dépouilles  mortelles,  si  j'emporte  avec  moi  tout  ce  qui  sent, 
tout  ce  qui  aime  ?  Jusqu'à  présent  j'ai  sommeillé,  l'instant  de  mon 
réveil  approche*  j'entends  mon  Sauveur  qui  m'appelle,  je  le  sens, 
3e  le  vois.  O  lumière!  ô  amour!  ô  vérité  !  ô  bonheur  de  Dieu  même! 
Mon  ame  pourra-t-elle  y  suffire?  Que  de  nouveaux  prodiges  se 
déploient  devant  moi!  Plus  de  doutes  qui  me  tourmentent,  plus 
de  préjugés  qui  m'égarent,  plus  de  passions  qui  m'humilient,  plus 
de  péchés  qui  me  souillent.  Grand  Dieu  !  est-ce  donc  là  ce  que  les 
hommes  appellent  mourir? 

Et  vous,  Chrétiens,  qui,  jouissant  de  la  même  espérance,  vou- 
driez encore  cependant  que  votre  règne  fut  de  ce  monde,  que  vous 
dirai-je?  comment  vous  nommerai-je?  Hélas!  puisque   vous  le 

1  Malth.,  xvi,  26.  — a  Luc. ,  xn,  20.  — Mbid.,  x,  42.  —  *  Gènes.,  xix,  17.  — . 
s  Eccles.,  i,  2.  —  c  Ro»i.,  Vu,  24. 


DES    PRÉDICATEURS.  553 

voulez,  vous  seriez  dignes  de  rester  sur  la  terre,  cœurs  lâches  et 
rampans,  et  vous  vous  plaisez  encore  dans  ce  honteux  séjour!  et 
vous  voudriez  y  prendre  des  racines  profondes,  et  il  faut  qu'on 
vous  en  arrache  comme  par  violence,  et  ce  n'est  qu'en  pleurant 
que  vous  voyez  tomber  vos  chaînes,  et  la  mort  est  pour  vous  le 
dernier  des  malheurs,  et  vous  ne  désirez  que  de  vous  enfoncer 
bien  avant  dans  la  vie;  et  bien  loin  d'éprouver  le  sublime  besoin 
de  sortir  de  ce  monde,  vous  vous  traînez  lentement  et  à  regret  vers 
cette  terre  des  vivans  où  vous  attendent  les  véritables  biens!  Nous 
sommes  immortels  :  ah!  mourons  donc,  mes  chers  frères,  et  mou- 
rons tous  les  jours;  mourons  à  nos  sens  et  à  nous-mêmes,  mou- 
rons au  monde  et  à  nos  passions,  mourons  pour  voir  Dieu  face  à 
face,  mourons  pour  être  délivrés  de  cette  chair  de  péché,  mourons 
pour  jouir  de  la  lumière  et  de  la  vérité,  mourons  pour  vivre  à 
jamais,  mourons...,.  Nous  sommes  immortels,  il  ne  faut  donc  que 
savoir  mourir. 

Eh  quoi!  l'on  aura  vu  des  païens  attendris,  animés  par  les  dis- 
cours de  Platon  sur  l'immoralité  de  l'ame,  se  donner  eux-mêmes  la 
mort  pour  terminer  des  jours  qui  retardaient  à  leurs  yeux  le  terme 
de  leur  délivrance,  et  nous,  mes  frères,  nous,  enfans  de  la  foi,  nous 
à  qui  sont  réservées  les  promesses  de  la  vie  à  venir,  nous  écou- 
tons ce  qu'on  nous  dit  d'une  autre  vie  avec  aussi  peu  d'intérêt  que 
s'il  ne  s'agissait  que  d'un  beau  rêve.  Ah!  il  n'est  point  ici  ques- 
tion de  se  donner  la  mort ,  mais  de  la  désirer,  mais  de  la  méditer, 
mais  de  conclure  sagement.  Nous  sommes  immortels,  il  ne  faut 
donc  que  savoir  mourir.  (Le  même.) 

Péroraison. 

O  mon  Dieu!  un  si  grand  intérêt  n'est-il  donc  pas  assez  sérieux 
pour  mériter  qu'on  y  pense  ?  Mes  frères,  il  n'y  a  que  deux  mondes, 
celui  du  temps  et  celui  de  l'éternité;  ceux  qui  s'inquiètent  tant  du 
premier  ne  sont  pas  dignes  du  second  :  vous  n'avez  qu'à  choisir; 
les  discussions  sont  inutiles,  il  faut  prendre  un  parti.  Que  vois-je 
donc,  Chrétiens?  hésiteriez-vous  encore?  eh  quoi!  serait-il  vrai 
que  je  vous  parle  un  langage  barbare  ?  la  morale  que  je  vous  prêche 
est-elle  trop  sublime  pour  vos  sens?  Si  j'invectivais  en  ce  moment 
contre  mon  siècle,  si  je  faisais  ici  la  peinture  piquante  de  vos 
mœurs,  vous  sortiriez  peut-être  de  votre  pesante  léthargie,  parce 
que  ce  discours  serait  moins  pour  vous  une  instruction  qu'un 
spectacle;  mais  quand  je  vous  entretiens  de  la  vie  future,  quand  je 


554  NOUVELLE    BIBLIOTHÉQUB 

m'efforce  de  vous  transporter  dans  le  siècle  à  venir,  dans  la  Cité 
permanente,  je  parais  vous  parler  une  langue  étrangère.  Cepen- 
dant le  temps  presse  :  si  nous  osons  encore  balancer,  ô  mon  Dieu! 
que  sera-ce  de  nous?  Tonnez  donc,  Seigneur;  suppléez  à  mon 
impuissance  ;  frappez  vous-même  ce  grand  coup  qui  nous  réveille 
de  notre  assoupissement,  et  faites-nous  comprendre  que  rien  n'est 
plus  digne  de  nous  occuper  sur  la  terre,  que  vous,  ô  mon  Dieu, 
notre  aine  et  son  immortalité.  Ainsi  soit-il.  (Le  même.) 


DES    PREDICATEURS.  $*& 


PLAN  ET  OBJET    DU   TROISIÈME  DISCOURS 
SUR  LIMMORTALITÉ  DE  LAME.      . 


EXORDE. 


Ibunt  hi  in  suppiicium  œternam,  justi  autem  in  vitam  œternam. 

Ceux-ci  iront  dans  le  supplice  éternel,  et  les  justes  iront  dans  la  vie  éternelle.  (Mallh. , 

25,  46.) 

Voilà,  mes  frères,  à  quoi  se  termineront  enfin  les  désirs ,  les  es- 
pérances ,  les  conseils  et  les  entreprises  des  hommes  :  voilà  ou 
viendront  enfin  échouer  les  vaines  réflexions  des  sages  et  des  es- 
prits forts,  les  doutes  et  les  incertitudes  éternelles  des  incrédules, 
les  vastes  projets  des  conquérans ,  les  monumens  de  la  gloire  hu- 
maine, les  soins  de  l'ambition  ,  les  distinctions  des  talens ,  les  in- 
quiétudes de  la  fortune,  la  prospérité  des  empires,  et  toutes  les 
révolutions  frivoles  de  la  terre.  Tel  sera  le  dénoûment  redouta- 
ble qui  nous  développera  enfin  les  mystères  de  la  Providence  sur 
les  diverses  destinées  des  enfans  d'Adam,  et  qui  justifiera  sa  con- 
duite dans  le  gouvernement  de  l'univers.  Cette  vie  n'est  donc 
qu'un  instant  rapide,  et  le  commencement  d'un  avenir  éternel. 
Des  tourmens  qui  ne  finiront  plus,  ou  les  délices  d'une  félicite 
immortelle ,  partageront  enfin  le  sort  de  tous  les  hommes  ;  et  l'une 
de  ces  deux  destinées  doit  être  la  nôtre. 

Cependant  l'image  de  ce  grand  spectacle,  qui  avait  pu  autrefois 
effrayer  la  férocité  des  tyrans ,  ébranler  la  fermeté  des  philoso- 
phes ,  troubler  la  mollesse  et  les  voluptés  des  Césars ,  adoucir  les 
peuples  les  plus  barbares  ,  former  tant  de  martyrs,  peupler  les  dé- 
serts, et  soumettre  tout  l'univers  au  joug  de  la  Croix  ;  cette  image 
si  effrayante  n'est  presque  plus  destinée  aujourd'hui  qu'à  alarmer 
la  timidité  du  simple  peuple  :  ces  grands  objets  sont  devenus  des 
peintures  vulgaires  qu'on  n'ose  presque  plus  exposer  à  la  fausse 
délicatesse  des  puissans  et  des  sages  du  monde;  et  tout  le  fruit 
que  nous  retirons  d'ordinaire  de  ces  sortes  de  discours,  c'est  de 
faire  demander,  au  sortir  de  là,  si  tout  se  passera  comme  nous  l'a- 
vons dit. 

Car>  mes  frères  ,  nous  vivons  dans  des  temps  où  la  foi  de  plu- 


0 


556  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

sieurs  a  fait  naufrage;  où  une  affreuse  philosophie,  comme  un  ve-j 
nin  mortel,  se  répand  en  secret,  et  entreprend  de  justifier  les  abo-l 
minations  et  les  vices  contre  la  foi  des  peines  et  des  récompenses 
futures.  Cette  plaie  a  passé  des  palais  des  grands  jusque  dans  le 
peuple;  et  partout  la  piété  des  justes  est  blessée  par  les  discours 
de  l'irréligion  et  les  maximes  du  libertinage.     -   , 

Et  certes,  mes  frères,  je  ne  suis  pas  surpris  que  des  hommes 
dissolus  doutent  d'un  avenir,  et  tâchent  de  combattre  ou  d'affai- 
blir une  vérité  si  capable  de  troubler  leurs  voluptés  criminelles.  Il 
est  affreux  d'attendre  un  malheur  éternel.  Le  monde  n'a  point  de 
plaisir  à  l'épreuve  d'une  pensée  si  funeste  :  aussi  le  monde  a  de 
tout  temps  essayé  de  l'effacer  du  cœur  et  de  l'esprit  des  hommes  : 
il  sent  bien  que  la  foi  d'un  avenir  est  un  frein  incommode  aux 
passions  humaines,  et  qu'il  ne  réussira  jamais  à  faire  des  volup- 
tueux tranquilles  et  déterminés  qu'il  n'en  ait  fait  auparavant  des 
incrédules. 

Otons  donc,  mes  frères,  à  la  corruption  du  cœur  humain  un  ap- 
pui si  monstrueux  et  si  fragile  :  prouvons  aux  âmes  dissolues 
qu'elles  survivront  à  leurs  désordres  ;  que  tout  ne  meurt  pas  avec 
le  corps  ;  que  cette  vie  finira  leurs  crimes,  mais  non  par  leurs  mal- 
heurs; et,  pour  mieux  confondre  l'impiété,  attaquons-la  dans  les 
vains  prétextes  sur  lesquels  elle  s'appuie. 

Premièrement,  qui  sait,  nous  dit  l'impie,  si  tout  ne  meurt  pas 
avec  nous?  Cette  autre  vie  dont  on  nous  parle  est-elle  bien  sûre? 
Qui  en  est  revenu  pour  nous  dire  ce  qui  s'y  passe? 

Secondement,  est-il  digne  de  la  grandeur  de  Dieu,  disent-ils  en- 
core, de  s'abaisser  à  ce  qui  se  passe  parmi  les  hommes?  que  lui 
importe  que  des  vers  de  terre  comme  nous  s'égorgent,  se  trom- 
pent, se  déchirent,  vivent  dans  les  plaisirs  ou  dans  la  tempérance? 
n'est-ce  pas  un  orgueil  à  l'homme  de  croire  qu'un  Dieu  si  grand 
s'occupe  de  lui  ? 

Enfin,  quelle  apparence,  ajoutent-ils,  que  Dieu  ayant  fait  naître 
l'homme  tel  qu'il  est,  il  punisse  comme  des  crimes  des  penchans 
de  plaisir  que  nous  trouvons  en  nous,  et  que  la  nature  nous  a  don- 
nés ?  Voilà  toute  la  philosophie  des  âmes  voluptueuses  ;  l'incerti- 
tude d'un  avenir;  la  grandeur  de  Dieu  qu'une  vile  créature  ne 
peut  offenser;  la  faiblesse  née  avec  l'homme,  et  à  qui  il  serait  in- 
juste d'en  faire  un  crime. 

Prouvons  donc  d'abord,  contre  l'incertitude  des  impies,  que  la 
vérité  d'un  avenir  est  justifiée  par  les  plus  pures  lumières  de  la  rai- 
son ;  en  second  lieu ,  contre  l'idée  indigne  qu'ils  se  forment  de  la 


DES    PRÉDICATEURS.  D07 

grandeur  de  Dieu ,  que  cette  vérité  est  justifiée  par  sa  sagesse  et 
par  sa  gloire;  enfin  ,  contre  le  prétexte  tiré  de  la  faiblesse  de 
l'homme,  qu'elle  est  justifiée  par  le  jugement  même  de  sa  propre 
conscience.  La  certitude  d'un  avenir,  la  nécessité  d'un  avenir,  le 
sentiment  secret  d'un  avenir  :  voilà  tout  mon  discours. 

0  Dieu  !  ne  regardez  pas  l'outrage  que  les  blasphèmes  de  l'im- 
piété font  à  votre  gloire  ;  regardez  seulement,  et  voyez  de  quoi  la 
raison,  que  vous  n'éclairez  plus,  est  capable.  Reconnaissez  dans 
les  égaremens  monstrueux  de  l'esprit  humain  toute  la  sévérité  de 
votre  justice,  lorsqu'elle  l'abandonne,  afin  que  plus  j'exposerai  ici 
les  blasphèmes  insensés  de  l'impie,  plus  il  devienne  à  vos  yeux  un 
objet  digne  de  votre  pitié  et  des  richesses  de  votre  miséricorde. 

(Massillon,  Vérité  d'un  avenir.) 

Certitude  d'un  avenir. 

Il  est  triste  sans  doute  d'avoir  à  justifier  devant  des  fidèles  la 
vérité  la  plus  consolante  de  la  foi  ;  de  venir  prouver  à  des  hommes 
à  qui  l'on  a  annoncé  Jésus-Christ  que  leur  être  n'est  pas  un  as- 
semblage bizarre  et  le  triste  fruit  du  hasard;  qu'un  ouvrier  sage 
et  tout-puissant  a  présidé  a  noire  formation  et  à  notre  naissance; 
qu'un  souffle  d'immortalité  anime  notre  boue;  qu'une  portion  de 
nous-mêmes  nous  survivra  ,  et  qu'au  sortir  de  cette  maison  terres- 
tre notre  ame  retournera  dans  le  sein  de  Dieu,  d'où  elle  était  sor- 
tie, et  ira  habiter  la  région  éternelle  des  vivans  ,  où  il  sera  rendu  à 
chacun  selon  ses  œuvres. 

C'est  par  cette  vérité  que  Paul  commença  d'annoncer  la  foi  de- 
vant l'Aréopage.  Nous  sommes  la  race  immortelle  de  Dieu,  disait- 
1  à  cette  assemblée  de  sages,  et  il  a  établi  un  jour  pour  juger  l'uni- 
vers1.C'est  par  là  que  les  hommes  apostoliques  jetèrent  les  premiers 
Pondemens  de  la  doctrine  du  salut  parmi  les  nations  infidèles  et 
corrompues.  Mais  pour  nous,  mes  frères,  qui  arrivons  à  la  fin  des 
siècles,  après  que  la  plénitude  des  nations  est  entrée  dans  l'Eglise; 
:jue  tout  l'univers  a  cru;  que  tous  les  mystères  ont  été  éclaircis, 
toutes  les  prophéties  accomplies,  Jésus-Christ  glorifié,  la  voie  du 
ciel  ouverte  et  frayée  :  nous  qui  paraissons  dans  les  derniers  temps, 
pu  le  jour  du  Seigneur  est  bien  plus  proche  que  lorsque  nos  pè- 
res crurent;  hélas!  quel  devrait  être  notre  ministère,  sinon  de  dis- 
30ser  les  fidèles  à  cette  grande  attente ,  et  de  leur  apprendre  à  se 

1  Act.,  17,  29,  31. 


, 


558  NOUVELLE    BIBMOTHÈQUB 

tenir  prêts  pour  paraître^devant  Jésus-Christ,  qui  vavenir,  loin  cle 
combattre  encore  ces  maximes  monstrueuses  et  insensées  que  la 
première  prédication  de  l'Evangile  avait  effacées  de  l'univers  ! 

L'incertitude  prétendue  d'un  avenir  est  donc  le  premier  fonde- 
ment de  la  sécurité  des  âmes  incrédules.  On  ne  sait  ce  qui  se  passe 
dans  cet  autre  monde  dont  on  nous  parle,  disent-ils  -r  aucun  des 
morts  n'en  est  revenu  pour  nous  le  dire;  peut-être  n'y  a-t-il  rien 
au  delà  du  trépas  ;  jouissons  donc  du  présent,  et  laissons  au  hasard 
un  avenir,  ou  qui  n'est  point ,  ou  du  moins  qu'on  ne  veut  pas  que 
nous  connaissions. 

Or,  je  dis  que  cette  incertitude  est  suspecte  dans  le  principe 
qui  la  produit,  insensée  dans  les  raisons  sur  lesquelles  elle  s'ap- 
puie, affreuse  dans  ses  conséquences;  ne  me  refusez  pas  votre  at- 
tention. 

Suspecte  dans  le  principe  qui  la  produit.  Car,  mes  frères,  corn-  [ 
ment  s'est  formée  dans  l'esprit  de  l'impie  cette  incertitude  sur  la- 
venir?  Il  n'y  a  qu'à  remonter  à  l'origine  d'une  opinion  pour  sa- 
voir si  les  intérêts^de  la  vérité  ou  des  passions  l'ont  établie  sur  lai 


terre. 


L'impie  porta  en  naissant  les  principes  de   religion  naturelle  I 


qu  on  ne  peut  ^aoouuiun  ^*  »*»v,»..v.  ,  *  ^vcuvuwvsu  xuuma  Lca  seim- 
mens  de  la  nature  ;  on  lui  apprit  à  connaître  un  Dieu,  à  l'aimer, 
à  le  craindre  ;  on  lui  montra  la  vertu  dans  les  règles  :  on  la  lui 
rendit  aimable  dans  les  exemples  ,  et  quoiqu'il  trouvât  en  lui  des 
penchans  opposés  au  devoir,  lorsqu'il  lui  arrivait  de  s'y  laisser  era-l 
porter,  son  cœur  prenait  en  secret  le  parti  de  la  vertu  contre  saj 
propre  faiblesse. 

Ainsi  vécut  d'abord  l'impie  sur  la  terre  :  il  adora  avec  le  reste 
des  hommes  un  Être  suprême  ;  il  respecta  ses  lois  ;  il  redouta  ses 
châtimens  ;  il  attendit  ses  promesses.  D'où  vient  donc  qu'il  n'a 
plus  connu  de  Dieu;  que  les  crimes  lui  ont  paru  des  polices  hu- 
maines, l'enfer  un  préjugé,  l'avenir  une  chimère,  lame  un  souffle 
qui  s'éteint  avec  le  corps? Par  quel  degré  est-il  parvenu  à  ces  con- 
naissances si  nouvelles  et  si  surprenantes  ?  par  quelles  voies  a-t-il 
pu  réussir  à  se  défaire  de  ses  anciens  préjugés  si  établis  parmi  les 
hommes,  et  si  conformes  aux  sentimens  de  son  cœur  et  aux  lumiè- 
res de  sa  raison?  A-t-il  examiné?  a-t-il  consulté?  a-t-il  pris  toutes 
les  précautions  sérieuses  que  demandait  l'affaire  la  plus  importante 
de  sa  vie?  s'est-il  retiré  du  commerce  des  hommes  pour  laisser 


Si) 


ï< 


\> 


DES    PRÉDICATEURS.  55p, 

plus  de  loisir  aux  réflexions  et  à  l'étude  ?  a-t-il  purifié  son  cœur, 
de  peur  que  les  passions  ne  lui  fissent  prendre  le  change  ?  De  quel- 
les attentions  n'a-t-on  pas  besoin,  pour  revenir  des  premiers  sen- 
timens  dont  lame  avait  été  d'abord  imbue  ? 

Ecoutez-le,  mes  frères,  et  adorez  ici  la  justice  de  Dieu  sur  ces 
hommes  corrompus  qu'il  livre  à  la  vanité  de  leurs  pensées.  A  me- 
sure que  ses  mœurs  se  sont  déréglées,  les  règles  lui  ont  paru  sus- 
pectes ;  à  mesure  qu'il  s'est  abruti,  il  a  tâché  de  se  persuader  que 
l'homme  était  semblable  à  la  bête.  Il  n'est  devenu  impie  qu'en  se 
fermant  toutes  les  voies  qui  pouvaient  le  conduire  à  la  vérité;  en 
ne  se  faisant  plus  de  la  religion  une  affaire  sérieuse  ;  en  ne  l'exami- 
nant que  pour  la  déshonorer  par  des  blasphèmes  et  des  plaisante- 
ries sacrilèges  ;  il  n'est  devenu  impie  qu'en  cherchant  à  s'endurcir 
contre  les  cris  de  sa  conscience  et  se  livrant  aux  plus  infâmes  vo- 
luptés. C'est  par  cette  voie  qu'il  est  parvenu  aux  connaissances  ra- 
res et  sublimes  de  l'incrédulité  :  c'est  à  ces  grands  efforts  qu'il 
doit  la  découverte  d'une  vérité  que  le  reste  des  hommes  jusqu'à 
lui  avait  ou  ignorée  ou  détestée. 

Voilà  la  source  de  toute  incrédulité;  le  dérèglement  du  cœur. 
Oui,  mes  frères,  trouvez-moi,  si  vous  le  pouvez,  des  hommes  sa- 
ges, véritables,  chastes,  réglés,  tempérans,  qui  ne  croient  point  de 
Dieu,  qui  n'attendent  point  d'avenir,  qui  regardent  les  adultères, 
les  abominations ,  les  incestes ,  comme  les  penchans  et  les  jeux 
d'une  nature  innocente.  Si  le  monde  a  vu  des  impies  qui  ont  paru 
sages  et  tempérans,  c'était,  ou  qu'ils  cachaient  mieux  leurs  désor- 
dres ,  pour  donner  plus  de  crédit  à  leur  impiété  ;  ou  la  satiété  du 
plaisir  qui  les  avait  menés  à  cette  fausse  tempérance  ;  la  débauche 
avait  été  la  première  source  de  leur  irréligion  :  leur  cœur  était 
corrompu  avant  que  leur  foi  fît  naufrage  ;  ils  avaient  intérêt  de 
croire  que  tout  meurt  avec  le  corps,  avant  que  d'être  parvenus  à 
se  le  persuader;  et  un  long  usage  du  plaisir  avait  bien  pu  les  dé- 
goûter du  crime,  mais  non  pas  leur  rendre  la  vertu  plus  aimable. 

Quelle  consolation  pour  nous  ,  mes  frères,  qui  croyons,  qu'il 
faille  renoncer  aux  mœurs ,  à  la  probité,  à  la  pudeur,  à  tous  les 
sentimens  de  l'humanité,  avant  que  de  renoncer  à  la  foi ,  et  n'être 
plus  homme  pour  n'être  plus  Chrétien  ! 

Voilà  donc  l'incertitude  de  l'impie  déjà  suspecte  dans  son  prin- 
cipe ;  mais,  en  second  lieu ,  elle  est  insensée  dans  les  raisons  sur 
lesquelles  elle  s'appuie. 

Car,  mes  frères,  pour  prendre  le  parti  étonnant  de  ne  rien 
croire  ?  et  d'être  tranquille  sur  tout  ce  qu'on  nous  dit  d'un  avenir 


56o  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

éternel,  il  faudrait  sans  doute  des  raisons  bien  décisives  et  bien 
convaincantes.  Il  n'est  pas  naturel  que  l'homme  hasarde  un  intérêt 
aussi  sérieux  que  celui  de  son  éternité,  sur  des  preuves  légères  et 
frivoles;  encore  moins  naturel  qu'il  abandonne  là-dessus  les  sen- 
timens  communs,  la  foi  de  ses  pères,  la  religion  de  tous  les  siècles, 
le  consentement  de  tous  les  peuples ,  les  préjugés  de  son  éduca- 
tion, s'il  n'y  a  été  comme  forcé  par  l'évidence  de  la  vérité.  A  moins 
que  l'impie  ne  soit  bien  sûr  que  tout  meurt  avec  le  corps,  rien 
n'approche  de  sa  fureur  et  de  son  extravagance.  Or,  en  est-il  bien 
assuré?  Quelles  sont  les  grandes  raisons  qui  l'ont  déterminé  à 
prendre  ce  parti  affreux?  On  ne  sait,  dit-il,  ce  qui  se  passe  dans 
cet  autre  monde  dont  on  nous  parle;  le  juste  meurt  comme  l'im- 
pie, l'homme  comme  la  bête;  et  nul  ne  revient  pour  nous  dire 
lequel  des  deux  avait  eu  tort.  Pressez  encore ,  et  vous  serez  effrayé 
de  voir  la  faiblesse  de  l'incrédulité;  des  discours  vagues,  des  dou- 
tes usés,  des  incertitudes  éternelles,  des  suppositions  chimériques, 
sur  lesquels  on  ne  voudrait  pas  risquer  le  malheur  ou  le  bonheur 
d'un  seul  de  ses  jours ,  et  sur  lesquels  on  hasarde  une  éternité 
tout  entière. 

Voilà  les  raisons  insurmontables  que  l'impie  oppose  à  la  foi  de 
tout  l'univers;  voilà  cette  évidence  qui  l'emporte  dans  son  esprit 
sur  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  évident  et  de  mieux  établi  sur  la  terre. 
On  ne  sait  ce  qui  se  passe  dans  cet  autre  monde  dont  on  nous 
parle!  O  homme!  ouvrez  ici  les  yeux.  Un  doute  seul  suffit  pour 
vous  rendre  impie,  et  toutes  les  preuves  de  la  religion  ne  peuvent 
suffire  pour  vous  rendre  fidèle  !  vous  doutez  s'il  y  a  un  avenir,  et 
vous  vivez  par  avance  comme  s'il  n'y  en  avait  point  !  Vous  n'avez 
pour  fondement  de  votre  opinion,  que  votre  incertitude,  et  vous 
nous  reprochez  la  foi  comme  une  crédulité  populaire  ! 

Mais  je  vous  prie,  mes  frères  ,  de  quel  côté  est  ici  la  crédulité  ? 
est-elle  du  côté  de  l'impie ,  ou  du  côté  du  fidèle?  Le  fidèle  croit  un 
avenir  sur  l'autorité  des  divines  Ecritures,  c'est-à-dire  le  livre, 
sans  contredit,  qui  mérite  le  plus  de  créance;  sur  la  déposition  des 
hommes  apostoliques,  c'est-à-dire  de  ces  hommes  justes,  simples, 
miraculeux,  qui  ont  répandu  leur  sang  pour  rendre  gloire  à  la 
vérité,  et  à  la  doctrine  desquels  la  conversion  de  l'univers  a  rendu 
un  témoignage  qui  s'élèvera  jusqu'à  la  fin  des  siècles  contre  l'impie; 
sur  l'accomplissement  des  prophéties,  c'est-à-dire  le  seul  carac- 
tère de  vérité  que  l'imposture  ne  peut  imiter  ;  sur  la  tradition  de 
tous  les  siècles,  c'est-à-dire  sur  des  faits  qui,  depuis  la  naissance 
du  monde ,  ont  paru  certains  à  tout  ce  que  l'univers  a  eu  de  plus 


DES    tfilivDICATEUUS.  56 1 

grands  hommes,  de  justes  plus  reconnus,  de  peuples  plus  sages  et 
plus  polis;  en  un  mot,  sur  des  preuves  du  moins  vraisemblables. 
L'impie  ne  croit  point  d'avenir  sur  un  simple  doute,  sur  un  pur 
soupçon.  Qui  le  sait?  nous  dit-il  ;  qui  en  est  revenu?  il  n'a  aucune 
raison  solide,  décisive  pour  combattre  la  vérité  d'un  avenir.  Car 
qu'il  la  publie,  et  nous  nous  y  rendrons.  Il  se  défie  seulement  qu'il 
n'y  a  rien  après  cette  vie,  et  là-dessus  il  le  croit. 

Or,  je  vous  demande,  qui  est  ici  le  crédule?  est-ce  celui  qui  a 
pour  fondement  de  sa  croyance  ce  qu'il  y  a  du  moins  de  plus 
vraisemblable  parmi  les  hommes  et  de  plus  propre  à  faire  impres- 
sion sur  la  raison  ,  ou  celui  qui  s'est  déterminé  à  croire  qu'il  n'y  a 
rien  sur  la  faiblesse  d'un  simple  doute?  Cependant  l'impie  croit 
faire  plus  d'usage  de  sa  raison  que  le  fidèle  ;  il  nous  regarde  comme 
des  hommes  faibles  et  crédules ,  et  il  se  considère  lui-même  comme 
un  esprit  supérieur,  élevé  au  dessus  des  préjugés  vulgaires,  et  que 
la  raison  seule  et  non  l'opinion  publique  détermine.  O  Dieu! 
que  vous  êtes  terrible  lorsque  vous  livrez  le  pécheur  à  son  aveu- 
glement, et  que  vous  savez  bien  tirer  votre  gloire  des  efforts  mê- 
mes que  vos  ennemis  font  pour  la  combattre! 

Mais  je  vais  encore  plus  loin.  Quand  même,  dans  le  doute  que 
se  forme  l'impie  sur  l'avenir,  les  choses  seraient  égales,  et  que  les 
vaines  incertitudes  qui  le  rendent  incrédule  balanceraient  les  vé- 
rités solides  et  évidentes  qui  nous  promettent  l'immortalité,  je 
dis  que,  dans  une  égalité  même  de  raisons,  il  devrait  du  moins  dé- 
sirer que  le  sentiment  de  la  foi  sur  la  nature  de  nos  âmes  fût 
véritable;  un  sentiment  qui  fait  tant  d'honneur  à  l'homme,  qui 
lui  apprend  que  son  origine  est  céleste  et  ses  espérances  éter- 
nelles ;  il  devrait  souhaiter  que  la  doctrine  de  l'impiété  fût  fausse  • 
une  doctrine  si  triste,  si  humiliante  pour  l'homme,  qui  le  confond 
avec  la  bête,  qui  ne  le  fait  vivre  que  pour  le  corps,  qui  ne  lui 
donne  ni  fin,  ni  destination,  ni  espérance,  qui  borne  sa  destinée 
à  un  petit  nombre  de  jours  rapides,  inquiets,  douloureux,  qu'il 
passe  sur  la  terre  :  toutes  choses  égales ,  une  raison  née  avec  quel- 
que élévation  aimerait  encore  mieux  se  tromper  en  se  faisant  hon- 
neur qu'en  se  déclarant  pour  un  parti  si  ignominieux  à  son  être. 
Quelle  ame  a  donc  reçue  l'impie  des  mains  d'une  nature  peu  fa- 
vorable, pour  aimer  mieux  croire,  dans  une  si  grande  inégalité  de 
raisons,  qu  il  n'est  fait  que  pour  la  terre,  et  se  regarder  avec  com- 
plaisance, comme  un  vil  assemblage  de  boue,  et  le  compagnon 
du  bœuf  et  du  taureau?  Que  dis-je,  mes  frères?  quel  monstre 
dans  l'univers  doit  être  l'impie,  de  ne  se  délier  même  du  senti- 
t,  i.i.  3G 


56*2  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

ment  commun  que  parce  qu'il  est  trop  glorieux  à  sa  nature,  et 
de  croire  que  la  vanité  toute  seule  des  hommes  l'a  introduit  sur  la 
terre,  et  leur  a  persuadé  qu'ils  étaient  immortels? 

Mais  non ,  mes  frères  ;  ces  hommes  de  chair  et  de  sang  ont  rai- 
son de  refuser  l'honneur  que  la  religion  fait  à  leur  nature ,  et  de 
se  persuader  que  leur  ame  est  toute  de  houe,  et  que  tout  meurt 
avec  le  corps.  Des  hommes  sensuels ,  impudiques ,  efféminés ,  qui 
n'ont  plus  d'autre  frein  qu'un  instinct  brutal  ;  plus  d'autre  règle 
que  l'emportement  de  leurs  désirs;  plus  d'autre  occupation  que 
de  réveiller  par  de  nouveaux  artifices  la  cupidité  déjà  assouvie  ; 
des  hommes  de  ce  caractère  ne  doivent  pas  avoir  beaucoup  de 
peine  à  croire  qu'ils  n'ont  en  eux  aucun  principe  de  vie  spiri- 
tuelle ;  que  le  corps  est  tout  leur  être  ;  et  comme  ils  imitent  les 
mœurs  des  bêtes,  ils  sont  pardonnables  de  s'en  attribuer  la  nature. 
Mais  qu'ils  ne  jugent  pas  de  tous  les  hommes  par  eux-mêmes;  il 
est  encore  sur  la  terre  des  âmes  chastes,  pudiques,  tempérantes; 
qu'ils  ne  transportent  pas  dans  la  nature  les  penchans  honteux  de 
leur  volonté;  qu'ils  ne  dégradent  pas  l'humanité  tout  entière, 
pour  s'être  indignement  dégradés  eux-mêmes;  qu'ils  cherchent 
leurs  semblables  parmi  les  hommes  ;  et  se  trouvant  presque  seuls 
dans  l'univers ,  ils  verront  qu'ils  sont  plutôt  les  monstres  que  les 
ouvrages  ordinaires  de  la  nature. 

D'ailleurs,  non  seulement  l'impie  est  insensé,  parce  que  dans 
une  égalité  même  de  raison  son  cœur  et  sa  gloire  devraient  le  dé- 
cider en  faveur  de  la  foi,  mais  encore  son  propre  intérêt.  Car,  mes 
frères,  on  la  déjà  dit  :  que  risque  l'impie  en  croyant?  quelle  suite 
fâcheuse  aura  sa  crédulité ,  s'il  se  trompe  ?  il  vivra  avec  honneur, 
avec  probité,  avec  innocence  ;  il  sera  doux ,  affable ,  juste,  sincère, 
religieux,  ami  généreux,  époux  fidèle,  maître  équitable;  il  modé- 
rera des  passions  qui  auraient  fait  tous  les  malheurs  de  sa  vie  ;  il 
s'abstiendra  des  plaisirs  et  des  excès  qui  lui  eussent  préparé  une 
vieillesse  douloureuse  ou  une  fortune  dérangée;  il  jouira  de  la 
réputation  de  la  vertu  et  de  l'estime  des  peuples;  voilà  ce  qu'il 
risque.  Quand  tout  finirait  avec  cette  vie ,  ce  serait  là  le  seul  se- 
cret de  la  passer  heureuse  et  tranquille;  voilà  le  seul  inconvénient 
que  j'y  trouve.  S'il  n'y  a  point  de  récompense  éternelle,  qu'aura- 
t-il  perdu  en  l'attendant?  il  a  perdu  quelques  plaisirs  sensuels  et 
rapides,  qui  l'auraient  bientôt  ou  lassé  par  le  dégoût  qui  les  suit, 
ou  tyrannisé  par  les  nouveaux  désirs  qu'ils  allument  :  il  a  perdu 
l'affreuse  satisfaction  d'être ,  pour  l'instant  qu'il  a  paru  sur  la  terre, 
cruel,  dénaturé,  voluptueux,  sans  foi,  sans  mœurs,  sans  con- 


DES    PRÉDICATEURS.  563 

science,  méprisé  peut-être,  et  déshonoré  au  milieu  de  son  peuple. 
Je  n'y  vois  pas  de  plus  grand  malheur  ;  il  retombe  dans  le  néant, 
et  son  erreur  n'a  point  d'autre  suite. 

Mais  s'il  y  a  un  avenir,  mais  s'il  se  trompe  en  refusant  de  le 
croire,  que  ne  risque-t-il  pas?  la  perte  des  biens  éternels,  la  pos- 
session de  votre  gloire,  ô  mon  Dieu!  qui  devait  le  rendre  à  jamais 
heureux.  Mais  ce  n'est  là  même  que  le  commencement  de  ses  mal- 
heurs ;  il  va  trouver  des  ardeurs  dévorantes,  un  supplice  sans  fin 
et  sans  mesure,  une  éternité  d'horreur  et  de  rage.  Or,  comparez 
ces  deux  destinées;  quel  parti  prendra  ici  l'impie  ?  Risquera-t-il  la 
courte  durée  de  quelques  jours  ?  risquera-t-il  une  éternité  tout 
entière?  s'en  tiendra-t-il  au  présent,  qui  doit  finir  demain,  et  où  il 
ne  saurait  même  être  heureux?  craindra-t-il  un  avenir  qui  n'a  plus 
d'autres  bornes  que  l'éternité,  et  qui  ne  doit  finir  qu'avec  Dieu 
même?  Quel  est  l'homme  sage  qui,  dans  une  incertitude  même 
égale,  osât  ici  balancer  ?  et  quel  nom  donnerons-nous  à  l'impie 
qui,  n'ayant  pour  lui  que  des  doutes  frivoles,  et  voyant  du  côté  de 
la  foi  l'autorité,  les  exemples,  la  prescription  ,  la  raison,  la  voix 
de  tous  les  siècles  ,  le  monde  entier,  prend  seul  le  parti  affreux  de 
ne  point  croire;  meurt  tranquille,  comme  s'il  ne  devait  plus  vivre; 
laisse  sa  destinée  éternelle  entre  les  mains  du  hasard,  et  va  tenter 
mollement  un  si  grand  événement?  O  Dieu!  est-ce  donc  là  unhomme 
conduit  par  une  raison  tranquille,  ou  un  furieux  qui  n'attend  plus 
de  ressource  que  de  son  désespoir?  L'incertitude  de  l'impie  estdonc 
insensée  dans  les  raisons  sur  lesquelles  elle  s'appuie. 

Mais,  en  dernier  lieu,  elle  est  encore  affreuse  dans  ses  consé- 
quences. Et  ici  souffrez  que  je  laisse  les  grandes  raisons  de  doc 
trine  :  je  ne  veux  parler  qu'à  la  conscience  de  l'incrédule,  et  m'en- 
tenir  aux  preuves  du  sentiment. 

Or,  si  tout  doit  finir  avec  nous,  si  l'homme  ne  doit  rien  attendre 
après  cette  vie,  et  que  ce  soit  ici  notre  patrie,  notre  origine,  et  la 
seule  félicité  que  nous  pouvons  nous  promettre ,  pourquoi  n'y 
sommes-nous  pas  heureux?  Si  nous  ne  naissons  que  pour  les  plai- 
sirs des  sens,  pourquoi  ne  peuvent-ils  nous  satisfaire  et  laissent-ils 
toujours  un  fonds  d'ennui  et  de  tristesse  dans  notre  cœur?  Si 
l'homme  n'a  rien  au  dessus  de  la  bête,  que  ne  coule-t-il  ses  jours 
comme  elle,  sans  souci,  sans  inquiétude,  sans  dégoût,  sans  tris- 
tesse dans  la  félicité  des  sens  et  de  la  chair?  Si  l'homme  n'a 
point  d'autre  bonheur  à  espérer  qu'un  bonheur  temporel , 
pourquoi  ne  le  trouve-t-il  nulle  part  sur  la  terre?  d'où  vient  que 
les  richesses  l'inquiètent,  que  les  honneurs  le  fatiguent,  que  les 

36. 


56*4  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

plaisirs  le  lassent,  que  les  sciences  le  confondent  et  irritent  sa  cu- 
riosité loin  de  la  satisfaire,  que  la  réputation  le  gêne  et  l'embar- 
rasse, que  tout  cela  ensemble  ne  peut  remplir  l'immensité  de  son 
cœur,  et  lui  laisse  encore  quelque  chose  à  désirer?  Tous  les  autres 
êtres,  contens  de  leur  destinée,  paraissent  heureux,  à  leur  ma- 
nière, dans  la  situation  oii  l'auteur  de  la  nature  les  a  placés;  les 
astres,  tranquilles  dans  le  firmament,  ne  quittent  pas  leur  séjour 
pour  aller  éclairer  une  autre  terre;  la  terre,  réglée  dans  ses  mouve- 
mens,  ne  s'élance  pas  en  haut  pour  aller  prendre  leur  place;  les 
animaux  rampent  dans  les  campagnes  sans  envier  la  destinée  de 
l'homme,  qui  habite  les  villes  et  les  palais  somptueux;  les  oiseaux 
se  réjouissent  dans  les  airs,  sans  penser  s'il  y  a  des  créatures  plus 
heureuses  qu'eux  sur  la  terre;  tout  est  heureux,  pour  ainsi  dire, 
tout  est  à  sa  place  dans  la  nature  :  l'homme  seul  est  inquiet  et  mé- 
content, l'homme  seul  est  en  proie  à  ses  désirs,  se  laisse  déchirer 
par  des  craintes,  trouve  son  supplice  dans  ses  espérances ,  devient 
triste  et  malheureux  au  milieu  de  ses  plaisirs  ;  l'homme  seul  ne 
rencontre  rien  ici-bas  où  son  cœur  puisse  se  fixer. 

D'où  vient  cela  ?  ô  homme  !  ne  serait-ce  point  parce  que  vous 
êtes  ici-bas  déplacé,  que  vous  êtes  fait  pour  le  ciel,  que  votre  cœur 
est  plus  grand  que  le  monde,  que  la  terre  n'est  pas  votre  patrie, 
et  que  tout  ce  qui  n'est  pas  Dieu  n'est  rien  pour  vous  ?  Répondez 
si  vous  pouvez,  ou  plutôt  interrogez  votre  cœur,  et  vous  serez 
fidèle. 

En  second  lieu,  si  tout  meurt  avec  le  corps,  qui  est-ce  qui 
a  pu  persuader  à  tous  les  hommes,  de  tous  les  siècles  et  de  tous 
les  pays,  que  leur  ame  était  immortelle  ?  d'où  a  pu  venir  au  genre 
humain  cette  idée  étrange  d'immortalité  ?  Un  sentiment  si  éloigné 
delà  nature  de  l'homme,  puisqu'il  ne  serait  né  que  pourles  fonc- 
tions des  sens,  aurait'il  pu  prévaloir  sur  la  terre  ?  Car  si  l'homme 
comme  la  bête  n'est  fait  que  pour  le  temps,  rien  ne  doit  être  plus 
incompréhensible  pour  lui  que  la  seule  idée  d'immortalité.  Des 
machines  pétries  de  boue,  qui  ne  devraient  vivre  et  n'avoir  pour 
objet  qu'une  félicité  sensuelle,  auraient-elles  jamais  pu  ou  se  don- 
ner ou  trouver  en  elles-mêmes  de  si  nobles  sentimens  et  des  idées 
si  sublimes?  Cependant  cette  idée  si  extraordinaire  est  devenue 
l'idée  de  tous  les  hommes  ;  cette  idée,  si  opposée  même  aux  sens, 
puisque  l'homme,  comme  la  bête,  meurt  tout  entier  à  nos  yeux, 
s'est  établie  sur  toute  la  terre  ;  ce  sentiment,  qui  n'aurait  pas  du 
même  trouver  un  inventeur  dans  l'univers,  a  trouvé  une  docilité 
universelle  parmi  tous  les  peuples  ;  les  plus  sauvages  comme  les 


DES    PRÉDICATEURS.  565 

plus  cultivés,  les  plus  polis  comme  les  plus  grossiers,  les  plus  infi- 
dèles comme  les  plus  soumis  à  la  foi.  (  Le  même.  ) 

Immortalité  de  lame  puisée  dans  la  considération  de  ses  sentimens  qui  sont  communs 

à  tous  les  hommes. 

Oui,  nous  avons  dans  nous  je  ne  sais  quel  présage  et  quel  pres- 
sentiment d'une  vie  à  venir.  Pourquoi,  en  effet,  cette  envie  secrète 
de  nous  survivre  à  nous-mêmes ,  d'éterniser  notre  nom  dans  la 
mémoire  de  nos  semblables?  Le  villageois  l'éprouve  comme  le  sa- 
vant et  comme  le  guerrier.  Le  savant  veut  aller  à  l'immortalité  par 
ses  ouvrages,  le  guerrier  par  ses  exploits,  et  le  villageois  voudrait 
vivre  du  moins  dans  le  souvenir  de  ses  enfans;  il  s'afflige  de  l'idée 
que  bientôt  il  pourra  bien  en  être  oublié;  il  voudrait  pouvoir  atta- 
cher son  nom  au  bâtiment  qu'il  acbève,  à  l'arbre  qu'il  a  planté,  au 
terrain  ingrat  qu'il  a  su  rendre  fertile.  Mais  voyez  surtout  dans 
les  hommes  fameux  cet  amour  immense  de  célébrité  qui  s'étend 
dans  la  postérité  la  plus  reculée,  et  se  repaît  de  la  pensée  que 
leurs  grandes  et  belles  actions  feront  l'entretien  de  tous  les  âges  : 
pourquoi  cela,  s'ils  n'étaient  préoccupés  de  je  ne  sais  quel  espoir 
de  jouir  eux-mêmes  de  leur  gloire  dans  les  siècles  futurs  ? 

Dans  tous  les  temps  on  a  préconisé  et  avec  raison  le  dévoû- 
ment  de  ceux  qui  savaient  mourir  pour  leur  patrie;  et  si  l'ame  est 
immortelle,  je  conçois  très  bien  comment  on  peut  sacrifier  la  vie 
présente;  mais,  si  tout  se  borne  au  tombeau,  l'existence  actuelle 
est  le  bien  suprême.  La  vie  est  d'un  prixinfini  comparée  au  néant; 
vivre  serait  donc  la  souveraine  loi  ;  mourir  pour  ses  semblables  serait 
une  inconséquence.  Oui,  l'homme  n'affronte  la  mort  que  parce 
qu'il  y  voit  le  passage  à  une  seconde  vie.  Ici  le  sentiment  entraîne 
la  raison ,  même  dans  celui  qui  serait  matérialiste  d'opinion.  En 
mourant  pour  votre  pays,  vous  aspirez  à  la  gloire,  lui  dirai-je;  mais 
si  après  la  mort  vous  n'êtes  pas  plus  que  la  statue  ou  la  toile  peinle 
qui  pourra  vous  représenter,  que  vous  importent  les  chants  du 
poète,  les  éloges  de  l'orateur  ou  les  récits  de  l'histoire?  Caton , 
qui  n'était  pas  animé  par  ces  motifs  purs  que  le  Christianisme  in- 
spire, était  de  bonne  foi  quand  il  disait  :  «  Je  n'eusse  jamais  entre- 
«  pris  tant  de  travaux  civils  et  militaires  si  j'avais  cru  que  ma  gloire 
«  dût  finir  avec  ma  vie...  Mais  je  ne  sais  comment  mon  esprit,  en 
«  s' élevant  au  dessus  de  lui-même,  semblait  croire  que  c'était  en 
«  sortant  de  cette  vie  qu'il  commençait  de  vivre.  »  Voilà,  Messieurs, 
comme  dans  les  hommes  Célèbres  cet  amour  dont  ils  étaient  pos- 


566  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

sédés  avait  sa  racine  dans  l'espoir  secret  d'une  vie  qui  devait  com- 
mencer à  la  mort.     (  M,  Frayssinous,  Immortalité  de  Vame.) 

Considération  en  faveur  de  l'immortalité  de  l'ame  puisée  dans  ses  désirs. 

Une  troisième  considération  en  faveur  de  l'immortalité  de  l'ame , 
je  la  puise  dans  ses  désirs;  je  m'explique.  Sensible,  l'homme  désire 
le  bonheur,  et  y  tend  comme  vers  son  dernier  terme  ,  et,  s'il  ne  le 
trouve  pas  sur  la  terre,  ne  faut-il  pas  qu'il  le  trouve  dans  une  vie 
meilleure?  Donnons  à  ces  idées  le  développement  convenable.  Je 
vous  invite  ici,  Messieurs ,  à  descendre  au  fond  de  vos  cœurs,  pour 
y  écouter,  dans  le  silence  des  sens  et  de  l'imagination,  la  voix  de 
la  vérité,  et  chacun  de  vous  dira  avec  moi:  Mon  ame  éprouve  je 
ne  sais  quel  désir  d'être  heureuse  que  rien  de  terrestre  ne  peut 
satisfaire.  Je  cherche  avec  inquiétude  quelque  chose  que  les  créa- 
tures ne  peuvent  me  donner;  je  cours  après  une  ombre  toujours 
poursuivie  et  toujours  fugitive;  plus  d'une  fois  je  soupire  malgré 
moi  de  dégoût  et  d'ennui;  je  voudrais  un  plaisir  pur,  fixe,  perma- 
nent; je  comprends  que  le  bonheur  se  trouve  dans  un  cœur  dont 
tous  les  désirs  sont  remplis;  mais  ce  repos  où  le  trouver  ?  Quel  est 
le  mortel  qui  jamais  l'a  goûté  sur  la  terre?  qu'il  vienne  donc  nous 
en  révéler  le  secret.  Au  milieu  de  ses  palais  superbes,  de  sesjardins 
délicieux,  de  larichessede  ses  trésors,  de  l'éclat  de  sa  gloire,  de 
l'abondance  des  plaisirs,  Salomon  avoue  qu'il  n'est  pas  heureux; 
et  pourquoi  ne  l'est-il  pas?  C'est  que  son  oreille  ne  se  rassasie  ja- 
mais d'entendre,  ni  son  ceil  de  voir,  ni  son  cœur  de  désirer.  Alexan- 
dre a  conquis  l'univers,  la  terre  s'est  tue  devant  lui.  Eh  bien! 
Alexandre  est  plutôt  fatigué  que  rassasié  de  gloire;  il  soupire,  il 
pleure  au  milieu  des  trophées  du  monde  vaincu.  Tibère,  dégoûté 
delà  puissance,  va  se  renfermer  dans  l'île  de  Caprée;  il  cherche  dans 
le  raffinement  de  la  débauche  ce  qu'il  n'a  pu  trouver  dans  la  gran- 
deur. Tibère  sera  trompé,  le  bonheur  n'habitera  pas  avec  lui  dans 
le  séjour  de  ses  infamies;  il  sentira  sa  misère,  et  sera  forcé  d'en 
faire  l'aveu  devant  le  monde  entier.  Quels  exemples  mémorables 
du  néant  des  choses  humaines,  et  de  leur  insuffisance  pour  nous 
rendre  heureux  !  Je  les  ai  rappelés  pour  nous  faire  sentir  quelle 
était  l'avidité  du  cœur  humain,  et  comment  sur  la  terre  il  se 
voyait  frustré  de  ses  espérances. 

Maintenant  je  me  replie  sur  moi-même  et  je  me  dis  :  Je  désire 
d'être  heureux  ;  c'est  le  besoin  le  plus  impérieux  de  mon  ame,  c'est 
le  penchant  nécessaire  de  ma  nature.  Ce  désir,  ce  n'est  pas  moi 


DES    PRÉDICATEURS.  56^ 

qui  me  le  suis  donné,  je  ne  suis  pas  le  maître  de  m'en  dépouiller,  jt» 
l'ai  reçu  de  Dieu  avec  l'être  et  la  vie.  Que  si  Dieu  lui-même  me  l'a 
donné,  si  tel  est  le  but  où  il  me   fait  tendre  sans  cesse,  ne  faut-il 
pas  que  tôt  ou  tard  il  m'y  fasse  parvenir?  Serait-il  le  Dieu  de  vé- 
rité s'il  me  trompait  dansées  désirs  qu'il  m'inspire,  s'il  me  mar- 
quait le  terme,  en  me  laissant  dans  l'impuissance  de  l'atteindre  Pet 
si  ce  bonheur  pour  lequel  je  sens   qu'il  m'a  fait  n'existe  pas  pour 
moi  sur  la  terre,  ne  faut-il  pas  que  Dieu  l'ait  placé  au  delà  du  tom- 
beau? Dans  'la  nature  entière,  tout  marche  à  ses  fins:  le  soleil  et 
les  astres, par  leurs  mouvemens  réguliers,  remplissent  toute  leur 
destinée;  les  animaux  remplissent  la  leur  en  obéissant  àleur  instinct 
merveilleux.  L'homme,  dans  cette  chaîne  immense  des  êtres  ,    se- 
rait-il le  seul  à  ne  pas  remplir  la  sienne,  et  la  Providence  l'aurait- 
elle  condamné  à  courir  sans  cesse  après  la  fin  de  sa  nature  sans  y 
parvenir  jamais?  Ayons  de  plus  justes,   de  plus  consolantes  idées 
des  desseins  du  Créateur  et  de  l'excellence  de  la  nature  humaine. 
(Le  Même.) 

Immortalité  de  l'ame  prouvée  par  la  croyance  universelle  du  genre  humain. 

Une  quatrième  considération ,  je  la  tire  de  la  croyance  univer- 
selle du  genre  humain.  C'est  un  fait  attesté  parles  annales  des  peu- 
ples anciens  et  modernes,  que  la  croyance  de  la  vie  future  a  tou- 
jours été  celle  du  monde  entier.  La  superstition,  les  vices,  l'ignorance, 
ont  bien  pu  la  dégrader;  les  sophistes  ont  bien  pu  la  combattre; 
mais  elle  est  restée  toujours  dominante  au  milieu  de  toutes  les 
nations  de  la  terre.  De  longs  détails  seraient  inutiles  sur  un  fait 
si  bien  avéré.  Nous  allons  nous  appuyer  seulement  de  quelques 
témoignages.  Cette  doctrine  était  si  universelle  dans  l'antiquité  que 
Cicéron  ne  craignait  pas,  dans  son  traité  de  X  Amitié  y  de  faire  dire 
à  Lœlius:  «  Je  ne  puis  goûter  ces  novateurs  qui  avancent,  de  nos 
«  jours ,  que  tout  finit  au  tombeau  ;  je  suis  bien  plus  frappé  de  l'au- 
«  torité  des  anciens  ,  de  celle  de  nos  ancêtres  et  de  celle  des  per- 
«  sonnages  illustres  qui  ont  été  la  gloire  et  l'ornement  de  la  Grèce, 
«  et  surtout  de  celui  qui  fut  déclaré  le  plus  sage  de  tous.  » 

Dans  une  de  ses  épîtres,  Sénèque  fait  observer  que,  lorsqu'il 
s'agit  de  l'immortalité  de  nos  âmes,  le  consentement  universel  des 
hommes  n'a  pas  peu  d'empire  sur  nos  esprits.  Je  ne  prétends  pas 
que  Cicéron  et  Sénèque  aient  été  aussi  éclairés,  aussi  fermes  dans 
leur  croyance  que  le  sont  les  Chrétiens;  je  n'ai  eu  d'autre  but  que 
de  les  citer  comme  témoins  irrécusables  de  la  foi  de  l'antiquité, 


568  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

Dans  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur  cette  matière,  vous  trouveriez 
recueillis  les  passages  les  plus  positifs  sur  la  foi  des  peuples  anciens, 
des  Egyptiens ,  Ghaldéens,  Indiens,  Grecs,  Romains,  Gaulois, 
Germains.  Pour  ne  parler  que  des  Gaulois,  dont  l'antique  croyance 
peut  nous  intéresser  davantage,  nous  Français,  nous  apprenons 
de  César  que  les  Druides  animaient  le  courage  des  guerriers  et  les 
exhortaient  à  braver  les  périls  par  l'espoir  de  l'immortalité.  C'est 
dans  ce  sentiment,  dit  encore  Lucain,  qu'ils  puisent  l'ardeur  im- 
pétueuse qui  les  fait  courir  à  la  mort;  suivant  eux,  rien  n'est  plus 
lâche  que  d'épargner  une  vie  qu'on  ne  perd  pas  sans  retour.  Voyez, 
au  reste,  cette  croyance  des  peuples  se  manifester  jusque  dans  leurs 
superstitions  et  leurs  pratiques  les  plus  ridicules.  C'est  elle,  en  effet, 
qu'indiquent  les  apothéoses ,  les  rêveries  de  la  métempsycose, 
l'Elysée  et  le  tartare  de  la  mythologie,  le  jugement  de  Minos  et  de 
Rhadamante,  l'évocation  des  ombres,  la  crainte  puérile  des  morts. 
Quant  aux  peuples  modernes,  il  suffit  des  relations  des  voyageurs 
qui  ont  visité  les  diverses  parties  du  globe.  La  foi  de  l'immortalité 
était  dans  le  Nouveau-Monde  avant  que  Christophe  Colomb  y 
abordât.  «  Nous  la  trouvons  établie  d'un  bout  de  l'Amérique  à 
«l'autre,  en  certaines  régions  plus  vague  et  plus  obscure,  end'au- 
«  très  plus  développée  et  plus  parfaite,  mais  nulle  part  inconnue,  » 
a  dit  l'illustre  Robertson.  (Le  Même.) 

Le  doute  de  l'impie  sur  la  vérité  d'un  avenir  est  opposé  à  l'idée  d'un  Dieu  sage. 

Est-il  digne  de  la  grandeur  de  Dieu,  dit  l'impie,  de  s'amuser  à 
ce  qui  se  passe  parmi  les  hommes  ;  de  compter  leurs  vices  ou  leurs 
vertus;  d'étudier  jusqu'à  leurs  pensées  et  à  leurs  désirs  frivoles  et 
infinis?  les  hommes,  des  vers  de  terre  qui  disparaissent  sous  la 
majesté  de  ses  regards,  valent-ils  la  peine  qu'il  les  observe  de  si 
près?  et  n'est-ce  pas  penser  trop  humainement  d'un  Dieu  qu'on 
nous  fait  si  grand,  que  de  lui  donner  une  occupation  qui  ne  serait 
pas  même  digne  de  l'homme? 

Mais  avant  de  fairesentir  toute  l'extravagance  de  ce  blasphème, 
remarquez,  je  vous  prie,  mes  frères,  que  c'est  l'impie  lui-même 
qui  dégrade  ici  la  grandeur  de  Dieu  ,  et  le  rend  semblable  à  l'hom- 
me. Car  Dieu  a-t-il  besoin  d'observer  les  hommes  de  près  pour 
être  instruit  de  leurs  actions  et  de  leurs  pensées?  lui  faut-il  des 
soins  et  des  attentions  pourvoir  ce  qui  se  passe  sur  la  terre?  N'est- 
ce  pas  en  lui  que  nous  sommes,  que  nous  vivons,  que  nous  agissons? 
et  pouvons-nous  éviter  ses  regards,    ou  peut  il  lui-même  les  fer- 


DES    PRÉDICATEURS.  56o, 

mer  à  nos  crimes?  Quelle  folie  donc  à  l'impie  de  supposer  que  ce 
qui  se  passe  sur  la  terre  deviendrait  un  soin  et  une  occupation  pour 
la  Divinité,  si  elle  voulait  y  prendre  garde!  Son  unique  occupa- 
tion est  de  se  connaître  et  de  jouir  d'elle-même. 

Cette  réflexion  supposée,  je  réponds  premièrement:  s'il  est  de 
la  grandeur  de  Dieu  délaisser  les  biens  et  les  maux  sans  châtiment 
et  sans  récompense,  il  est  donc  égal  d'être  juste,  sincère,  officieux, 
charitable  ou  cruel ,  fourbe ,  perfide,  dénaturé  :  Dieu  n'aime  donc 
pas  davantage  la  vertu  ,  la  pudeur,  la  droiture,  la  religion  quel'ini- 
pudicité,la  mauvaise  foi,  l'impiété,  le  parjure;  puisque  le  juste  et 
l'impie,  le  pur  et  l'impur,  auront  le  même  sort,  et  qu'un  anéantis- 
sement éternel  va  bientôt  les  égaler  et  les  confondre  pour  toujours 
dans  l'horreur  du  tombeau. 

Que  dis-je,  mes  frères?  Dieu  semble  même  se  déclarer  ici-bas  en 
faveur  de  l'impie  contre  l'homme  de  bien  ;  il  élève  l'impie  comme 
le  cèdre  du  Liban;  il  le  combîe  d'honneurs  et  de  richesses;  il  fa- 
vorise ses  désirs;  il  facilite  ses  projets:  car  les  impies  sont  presque 
toujours  les  heureux  de  la  terre.  Au  contraire,  il  semble  oublier 
le  juste;  il  l'humilie;  il  l'afflige;  il  le  livre  à  la  calomnie  et  à  la 
puissance  de  ses  ennemis;  car  l'affliction  et  l'opprobre  sont  d'ordi- 
naire ici-bas  le  partage  des  gens  de  bien.  Quel  monstre  de  divinité, 
si  tout  finit  avec  l'homme,  et  s'il  n'y  a  point  d'autres  maux  et  d'au- 
tres biens  à  espérer  que  ceux  de  cette  vie!  Est-elle  donc  la  pro- 
tectrice des  adultères ,  des  sacrilèges  ,  des  crimes  les  plus  affreux  ; 
la  persécutrice  de  l'innocence ,  de  la  pudeur ,  de  la  piété,  des  vertus 
les  plus  pures?  Ses  faveurs  sont  donc  le  prix  du  crime,  et  ses  châ- 
timens  la  seule  récompense  de  la  vertu!  Quel  Dieu  de  ténèbres,  de 
faiblesse,  de  confusion  et  d'iniquité  se  forme  l'impie! 

Quoi  !  mes  frères ,  il  serait  de  sa  grandeur  de  laisser  le  monde 
qu'il  a  créé  dans  un  désordre  si  universel;  de  voir  l'impie  prévaloir 
presque  toujours  sur  le  juste;  l'innocent  détrôné  par  l'usurpateur; 
le  père  devenu  la  victime  de  l'ambition  d'un  fils  dénaturé;  l'époux 
expirant  sous  les  coups  d'une  épouse  barbare  et  infidèle?  Du  haut 
de  sa  grandeur,  Dieu  se  ferait  un  délassement  bizarre  de  ces  tris- 
tes événemens  sans  y  prendre  part!  Parce  qu'il  est  grand,  il  serait 
ou  faible,  ou  injuste,  ou  barbare!  parce  que  les  hommes  sont  pe- 
tits, il  leur  serait  permis  d'être,  ou  dissolus  sans  crime,  ou  ver- 
tueux sans  mérite  ! 

O  Dieu  !  si  c'était  là  le  caractère  de  votre  Être  suprême  ;  si  c'est 
vous  que  nous  adorons  sous  des  idées  si  affreuses,  je  ne  vous  re- 
connais donc  plus  pour  mon  père  ,  pour  mon  protecteur,  pour  le 


5^o  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

consolateur  de  mes  peines,  le  soutien  de  ma  faiblesse,  le  rémuné- 
rateur de  ma  fidélité  !  Vous  ne  seriez  donc  plus  qu'un  tyran  indo- 
lent et  bizarre,  qui  sacrifie  tous  les  hommes  à  sa  vaine  fierté,  et 
qui  ne  les  a  tirés  du  néant  que  pour  les  faire  servir  de  jouet  à 
son  loisir  ou  à  ses  caprices! 

Car  enfin,  mes  frères,  s'il  n'y  a  point  d'avenir,  quel  dessein 
donc  digne  de  sa  sagesse  Dieu  aurait-il  pu  se  proposer  en  créant 
les  hommes  ?  Quoi  !  il  n'aurait  point  eu  d'autre  vue  en  les  formant 
qu'en  formant  la  bête?  L'homme,  cet  être  si  noble,  qui  trouve  en 
lui  de  si  hautes  pensées,  de  si  vastes  désirs,  de  si  grands  senri- 
mens  ;  susceptible  d'amour,  de  vérité,  de  justice  ;  l'homme,  seul  de 
toutes  les  créatures,  capable  d'une  destination  sérieuse,  de  con- 
naître et  d'aimer  l'Auteur  de  son  être;  cet  homme  ne  serait  fait 
que  pour  la  terre,  pour  passer  un  petit  nombre  de  jours  comme 
la  bête  en  des  occupations  frivoles  ou  des  plaisirs  sensuels?  il 
remplirait  sa  destinée  en  remplissant  un  rôle  si  méprisable  ?  il 
n'aurait  paru  sur  la  terre  que  pour  y  donner  un  spectacle  si  risi- 
ble  et  si  digne  de  pitié?  et  après  cela  il  retomberait  dans  le 
néant  sans  avoir  fait  aucun  usage  de  cet  esprit  vaste  et  de  ce 
cœur  élevé  que  l'Auteur  de  son  être  lui  avait  donné  ?  O  Dieu  !  où 
serait  ici  votre  sagesse ,  de  n'avoir  fait  un  si  grand  ouvrage  que 
pour  le  temps  ;  de  n'avoir  montré  des  hommes  à  la  terre  que 
pour  faire  des  essais  badins  de  votre  puissance  et  délasser  votre 
loisir  par  cette  variété  de  spectacles?  Numquid  enim  vane  consti- 
tuisti  omîtes  fdios  hominum  1  ?  Le  Dieu  des  impies  n'est  donc 
grand  que  parce  qu'il  est  plus  injuste,  plus  capricieux  et  plus 
méprisable  que  l'homme?  Suivez  ces  idées,  et  soutenez-en,  si  vous 
pouvez,  toute  l'extravagance.  (Massillon.) 

L'ame  ne  meurt  point  avec  le  corps. 

Qui  pourrait  douter  encore  que  la  mort  ne  soit  un  bien ,  quand 
on  voit  tout  ce  qu'il  y  a  en  nous  d'inquiet,  de  honteux,  d'hostile 
contre  nous-mêmes,  de  violent,  d'orageux,  d'entraînant  vers  le 
vice,  tomber  tout  d'un  coup  épuisé  et  anéanti,  comme  une  bête 
féroce  autour  de  laquelle  le  sépulcre  qui  vient  de  s'ouvrir  se  re- 
ferme comme  une  prison;  sa  rage  est  désormais  impuissante,  et  la 
terre  dissout  bientôt  l'assemblage  de  ses  membres;  lorsqu'en 
même  temps  tout  ce  qui  est  en  nous  ami  de  la  vertu ,  attaché  à 

1  Ps.  lxxxviii,  48. 


DES    PRÉDICATEURS.  %Jl 

l'ordre,  ardent  pour  la  gloire;  tout  ce  qui  tend  au  bien,  tout  ce 
qui  est  soumis  à  Dieu  ,  s'élève  vers  cette  sublime  hauteur,  habite 
avec  celui  qui  est  bon  par  excellence,  avec  ce  bien  suprême  et 
éternel,  s'attache  à  lui  et  ne  se  sépare  plus  de  celui  auquel  il  est 
lié  par  une  sorte  de  parenté,  ainsi  qu'il  est  dit  :  «  Nous  sommes  les 
«  enfans  de  la  race  de  Dieu  1.  » 

En  effet ,  l'ame  ne  meurt  point  avec  le  corps,  cela  est  évident, 
si  elle  n'en  fait  point  partie  ;  et  l'Ecriture  nous  apprend  en  plu- 
sieurs endroits  qu'elle  n'en  fait  point  partie.  «  Ainsi  Adam  a  reçu 
«  de  Dieu  l'esprit  de  vie,  et  a  été  créé  homme  avec  une  ame  vi- 
«  vante  2.  »  David  dit  :  «  Tourne-toi,  mon  ame,  et  cherche  ton 
v  repos,  car  le  Seigneur  t'a  comblée  de  bienfaits  3;  »  or  quels  sont 
ces  bienfaits?  écoutez  :  «  Parce  que,  dit-il, il  a  sauvé  mes  pieds  du 
«  danger  de  tomber.  »  Il  le  remercie ,  il  accepte  la  mort  avec  re- 
connaissance ,  parce  que  l'erreur  est  arrivée  à  son  terme,  parce  que 
le  péché  est  détruit,  niais  non  pas  la  nature  elle-même.  Aussi, 
comme  affranchi  et  libre  désormais ,  il  s'écrie  :  «  Je  plairai  au  Sei- 
«  gneur  dans  le  royaume  de  vie  4;  »  car  c'est  là  effectivement 
qu'est  le  royaume  de  vie.  Enfin  il  appelle  ce  repos  des  âmes  la 
terre  des  vivans ,  où  le  péché  ne  pénètre  plus,  et  où  la  vertu  vit 
dans  toute  sa  gloire.  Notre  terre,  au  contraire,  est  la  terre  des 
morts,  puisqu'elle  est  habitée  par  le  péché  :  c'est  donc  avec  raison 
qu'il  a  été  dit  :  «  Laissez  les  morts  ensevelir  leurs  morts  5.  » 

David  dit  encore  ailleurs-  :  «  Ton  ame  restera  dans  le  bien ,  et  à 
«  tes  descendans  appartiendra  la  terre  6  ;  *  c'est-à-dire  l'ame  qui 
craint  Dieu  restera  dans  le  bien,  ne  s'en  séparera  jamais  et  le  pos- 
sédera. Et  cela  peut  s'entendre  aussi  de  celui  qui  vit  encore  avec 
le  corps,  et  qui,  s'il  craint  Dieu,  habite  dans  le  bien,  se  nourrit  de 
choses  célestes,  possède  son  corps,  le  domine  comme  le  maître 
domine  son  esclave,  et  jouit  déjà  du  glorieux  héritage  des  divines 
promesses.  Si  nous  voulons  après  la  mort  du  corps  être  aussi  dans 
le  bien ,  prenons  garde  maintenant  que  notre  ame  ne  devienne 
comme  adhérente  au  corps,  ne  se  mêle  à  lui,  ne  s'attache  à  lui,  ne 
soit  entraînée  par  lui;  qu'étourdie  elle-même  de  l'agitation  qu'il 
éprouve,  elle  ne  vacille  et  ne  chancelle  comme  un  homme  ivre; 
qu'entraînée  par  ses  voluptés,  elle  ne  se  laisse  aller  à  la  séduction 
des  sens  :  car  l'œil  du  corps  est  erreur  et  fraude,  puisque  la  vue 
nous  trompe;  son  oreille  porte  la  déception,  puisque  l'ouïe  nous 

1  Act.,  xvn,  28. —2Gen.,   H,  7.  —  sps.  cxiv,   7,  8,   9.  —  *  Ibid.,  lv,  13.— 

•  Mallh.,  vin,  22.  — • e  Ps.  xxiv,  13. 


5^2  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

trompe;  tous  ses  sens  portent  l'erreur.  Ce  n'est  donc  pas  inutile 
ment  qu'il  a  été  dit  :  «  Que  tes  yeux  sachent  voir  ce  qui  est  droit, 
«  que  ta  langue  ne  se  porte  point  à  la  fausseté  *,  »  Gela  n'aurait 
point  été  dit  si  l'erreur  était  moins  fréquente.  Tu  as  regardé  une 
courtisane,  son  visage  t'a  séduit,  elle  t'a  paru  belle  :  tes  yeux  se 
sont  trompés,  ils  ont  mal  vu,  ils  t'ont  fait  un  faux  rapport  ;  car  s'ils 
eussent  bien  vu,  ils  eussent  découvert  les  honteuses  passions  del"11 
la  courtisane,  sa  dégoûtante  audace,  son  indécente  impudieité,  son 
cœur  flétri,  ses  horribles  désordres,  les  plaies  de  son  ame,  les  ci-lw 
catrices  de  sa  conscience.  «  Qui  regarde  une  femme  avec  concu- 
«  piscence  respire  déjà  l'adultère  au  fond  de  son  cœur  2  :  >»  ce  n'estl^ 
donc  pas  la  vérité  qu'il  regarde  ,  puisqu'il  cherche,  non  pas  la  vé 
rite ,  mais  l'adultère;  car  il  a  regardé  par  concupiscence  et  non 
pour  connaître  la  vérité.  Ainsi  l'œil  s'égare  là  où  le  sentiment  s'é 
gare;  ainsi  le  sentiment  est  trompeur;  ainsi  l'œil  est  trompeur. 
Et  aussi  il  est  dit  :  «  Ne  laisse  pas  séduire  ton  œil,  de  peur  que  ton 
«  ame  ne  soit  séduite;  car  la  femme  séduit  Famé  précieuse  de 
«  l'homme  3.  »  Et  notre  oreille  aussi  nous  trompe  :  «  Le  jeune 
«  homme  se  laisse  entraîner,  éblouir,  et  tromper  par  les  douces  et 
«  flatteuses  paroles  de  la  femme  adultère  4.  »  Ne  nous  lions  doue 
point  à  ces  amorces  qui  couvrent  de  dangereux  pièges  :  le  cœur 
séduit  se  trouble,  l'esprit  agité  s'embarrasse ,  l'erreur  des  sens  les 
enveloppe  tous  deux.  Ne  suivons  point  ce  qui  charme  ou  séduit; 
suivons  ce  qui  est  bon,  attachons-nous-y,  imitons-le.  Cette  présence 
du  bien,  ces  rapports  avec  le  bien,  nous  rendent  nous-mêmes  meil- 
leurs; le  bien  imprime  à  nos  mœurs  une  teinte  de  sa  couleur,  et 
devient  pour  nous  comme  le  lien  d'une  sorte  de  société.  Celui 
qui  s'attache  au  bien  participe  lui-même  au  bien  ,  car  il  est  écrit  : 
«  Avec  le  saint  tu  seras  saint ,  avec  le  pervers  tu  seras  pervers , 
«  avec  l'innocent  tu  seras  innocent  5.  »  Cette  union  familière, 
cette  imitation  constante  amènent  à  la  longue  une  sorte  de  simili- 
tude. Aussi  le  Psalmiste  ajoute:  «  Car  c'est  vous,  Seigneur,  qui 
«  prêtez  à  mon  flambeau  la  lumière  6.  »  Or,  celui  qui  approche  le 
plus  de  la  lumière  en  sera  plus  tôt  éclairé,  et  une  plus  grande  partie 
de  la  lumière  céleste  brillera  en  lui.  L'ame  qui  s'attache  à  Dieu,  au 
bien  invisible  et  immortel,  fuit  tout  ce  qui  est  du  corps ,  tout  ce 
qui  est  terrestre  et  mortel  ;  elle  s'assimile  à  celui  qu'elle  désire , 
dans  lequel  elle  vit  et  dont  elle  se  nourrit.  «  Ainsi  remplie  de  ce 
«  qui  est  immortel ,  peut-elle  donc  elle-même  être  mortelle  '  ?  » 

1  Prov.,   iv,  25.  —  2  Mallh.,  v,  28.  -  s  Prov.,  vi,  25,    26.  —  4  Prov,,  vu,  13. 
—  *  Ps.,  xvii,  28.  —  c  ibid.,  31.  —  '  Ezech  ,  xvin,  28. 


DES  PRÉDICATEURS.  5^3 

L'ame  qui  pèche  meurt,  non  pas  par  sa  propre  dissolution;  mais 
elle  meurt  à  Dieu,  et  cela  est  juste,  puisqu'elle  a  vécu  au  péché. 
Celle  qui  ne  pèche  pas  ne  meurt  point;  elle  reste  dans  sa  substance, 
elle  reste  dans  la  vertu  et  dans  la  gloire.  Et  en  effet,  comment  sa 
substance  pourrait-elle  mourir,  puisque  c'est  l'ame  qui  porte  avec 
elle  la  vie,  puisque  son  union  au  corps  est  la  vie,  sa  séparation  la 
mort?  L'ame  est  donc  la  vie;  mais,  si  elle  est  la  vie,  elle  ne  com- 
porte pas  la  mort,  qui  est  contraire  à  sa  nature.  Ainsi  la  neige  ne 
comporte  point  la  chaleur,  car  la  chaleur  la  dissout  aussitôt;  ainsi 
la  lumière  ne  comporte  point  les  ténèbres,  car  elle  les  dissipe;  où 
paraît  la  lumière,  la  nuit  cesse  ;  l'approche  du  feu  détruit  la  neige  : 
ainsi  l'ame,  qui  est  la  vie,  ne  comporte  point  la  mort,  et  ne  meurt 
point.  (Saint  Ambroise,  Que  la  mort  est  un  bien.) 

Il  ne  faut  pas  écouter  ceux  qui  nient  l'immortalité  de  l'ame. 

Ne  prenez  jamais  conseil  de  ces  hommes  pervers  et  insensés 
qui  disent  :  Du  jour  où  je  ne  serai  plus,  qu'ai -je  à  attendre?  Mal- 
heur à  l'homme  qui  admet  ces  désolantes  doctrines  !  Pour  nous, 
nous  croyons  que  la  mort  sera  suivie  d'un  jugement,  et  que  nous 
recevrons  ensuite,  soit  en  douleur,  soit  en  félicité,  la  récompense 
que  nous  aurons  méritée.  Pour  vous,  ô  mes  frères,  croyez  invin- 
ciblement tout  ce  qui  est  renfermé  dans  les  divines  Ecritures,  et 
fuyez  comme  une  peste  les  discours  des  incrédules.  Voyez  Hé- 
rode:  assis  sur  le  trône,  revêtu  de  la  pourpre  des  rois,  il  devient 
la  pâture  des  vers,  parce  qu'il  n'a  point  voulu  rendre  gloire  à 
Dieu  *; 

Si  l'ennemi  de  tout  bien ,  rendu  furieux  par  le  spectacle  de 
votre  vertu,  parvient  à  soulever  contre  vous  quelques  personnes, 
n'abandonnez  point  la  piété  par  la  crainte  des  hommes.  Ecoutez 
le  Sauveur:  «  S'ils  m'ont  persécuté,  dit» il,  ils  vous  persécuteront 
«  aussi  2.  »  Ainsi  rien  de  plus  important  que  de  fuir  les  discours 
corrompus  de  ces  hommes  qui  sont  tombés  dans  un  si  honteux 
libertinage  d'esprit.  Fuyez-les,  de  peur  que,  donnant  votre  assen- 
timent à  leurs  paroles  trompeuses,  et  vous  éloignant  de  la  voie 
étroite,  vous  ne  vous  entendiez  un  jour  condamner  aux  flammes 
de  ce  feu  qui  ne  s'éteint  pas,  par  ces  redoutables  paroles:  «  Mon 
«  fds,  souvenez-vous  que  vous  avez  reçu  des  biens  dans  votre  vie, 
«  tandis  que  Lazare  n'a  reçu  que  des  maux.  Maintenant  Lazare 

1  Act.,  xii,  25.  —  2  Joan.,  xv,  18. 


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5«4  NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE 

«  est  consolé;  et  vous,  vous  devenez  la  proie  des  plus  cruels  tour- 
ce  mens  i.  »  Mais  dirigez  toute  votre  intention  vers  Dieu,  afin  qu'au 
jour  du  jugement  votre  ame  se  réjouisse  avec  les  justes  des  vertus 
que  vous  aurez  pratiquées  sur  la  terre  durant  le  cours  de  votre  IJc: 
vie,  et  que  personne  ne  puisse  vous  ravir  une  joie  qui  aura  pour 
principe  ce  Dieu  à  qui  appartient  toute  gloire  dans  tous  les  siè 
clés  des  siècles.  (  Saint  Ephrem  ,  Discours  ascétique,) 

Lo  doulc  de  l'impie  sur  la  vérité  d'un  avenir  est  opposé  au  sentiment  de  la 

conscience. 

Mais  puisque  ce  Dieu  est  si  juste,  doit-il  punir,  comme  des 
crimes,  des  penchans  de  plaisirs  nés  avec  nous  et  qu  il  nous  a  lui- 
même  donnés  ?  Dernier  blasphème  de  l'impiété  et  dernière  partie 
de  ce  discours;  j'abrège  et  je  finis. 

Mais  premièrement,  qui  que  vous  soyez  qui  nous  tenez  ce  lan- 
gage insensé,  si  vous  prétendez  justifier  toutes  vos  actions  par  les 
penchans  qui  vous  y  portent  ;  si  tout  ce  que  nous  désirons  de- 
vient légitime  ;  si  nos  inclinations  doivent  être  la  seule  règle  de 
nos  devoirs;  sur  ce  pied-là  vous  n'avez  qu'à  regarder  la  fortune  de 
votre  frère  avec  un  œil  d'envie  ,  afin  qu'il  vous  soit  permis  de  l'en 
dépouiller;  sa  femme  avec  un  cœur  corrompu  pour  être  autorisé  à 
violer  la  sainteté  du  lit  nuptial,  malgré  les  droits  les  plus  sacrés  de 
la  société  et  de  la  nature.  Yous  n'avez  qu'à  vous  défier  d'un  ennemi 
pour  être  en  droit  de  le  perdre;  qu'à  porter  impatiemment  l'auto- 
rité d'un  père  ou  la  sévérité  d'un  maître  pour  tremper  vos  mains 
dans  leur  sang;  vous  n'avez,  en  un  mot,  qu'à  porter  en  vous  les  pen- 
chans de  tous  les  vices  pour  vous  les  permettre  tous  ;  et  comme 
chacun  en  retrouve  en  soi  les  semences  funestes ,  nul  ne  sera  ex- 
cepté de  cet  affreux  privilège.  Il  faut  donc  à  l'homme,  pour  se  con- 
duire, d'autres  lois  que  ses  penchans,  et  une  autre  règle,  que  ses  dé- 
sirs. 

r.  Les  siècles  païens  eux-mêmes  reconnurent  la  nécessité  d'une 
philosophie,  c'est-à-dire,  d'une  lumière  supérieure  aux  sens  qui  en 
réglât  l'usage  et  fit  de  la  raison  un  frein  aux  passions  humaines. 
La  nature  toute  seule  les  conduisit  à  cette  vérité,  et  leur  apprit  que 
l'aveugle  instinct  ne  devait  pas  être  le  seul  guide  des  actions  de 
l'homme;  il  faut  donc  que  cet  instinct  ou  ne  vienne  pas  de  la  pre- 
mière institution  de  la  nature,  ou  qu'il  en  soit  un  dérangement, 

1  Luc.,  xvi,  25. 


DES    PRÉDICATEURS.  5y5 

puisque  toutes  les  lois  qui  ont  paru  clans  le  monde  n'ont  été  faites 
que  pour  le  modérer;  que  tous  ceux  qui  dans  tous  les  siècles  ont 
eu  la  réputation  de  sages  et  de  vertueux  n'en  ont  pas  suivi  les  im- 
pressions ;  que  parmi  tous  les  peuples  on  a  toujours  regardé  comme 
des  monstres  et  l'opprobre  de  l'humanité  ces  hommes  infâmes 
qui  se  livraient  sans  réserve  et  sans  pudeur  à  la  brutale  sensualité, 
et  que  cette  maxime  une  fois  établie,  que  nos  penchans  et  nos  dé- 
sirs ne  sauraient  être  des  crimes,  la  société  ne  peut  plus  subsister, 
les  hommes  doivent  se  séparer  pour  être  en  sûreté,  aller  habiter 
les  forêts,  et  vivre  seuls  comme  des  bêtes. 

D'ailleurs,  rendons  justice  à  l'homme  ou  plutôt  à  l'Auteur  qui 
l'a  formé.  Si  nous  trouvons  en  nous  des  penchans  de  vice  et 
de  volupté,  n'y  trouvons-nous  pas  aussi  des  sentimens  de  vertu, 
de  pudeur  et  d'innocence  ?  Si  la  loi  des  membres  nous  entraîne 
vers  les  plaisirs  des  sens,  ne  portons-nous  pas  une  autre  loi 
écrite  dans  nos  cœurs  qui  nous  rappelle  à  la  chasteté  et  à  la  tem- 
pérance ?  Or,  entre  ces  deux  penchans,  pourquoi  l'impie  décide-t-il 
que  celui  qui  nous  pousse  vers  les  sens  est  le  plus  conforme  à  la 
naiure  de  l'homme?  Est-ce  parce  qu'il  est  le  plus  violent?  mais  sa 
violence  seule  prouve  son  dérèglement ,  et  ce  qui  vient  de  la  na- 
ture doit  être  plus  modéré.  Est-ce  parce  qu'il  est  toujours  le  plus 
fort?  mais  il  est  des  âmes  justes  et  fidèles  en  qui  il  est  toujours 
soumis  à  la  raison.  Est-ce  parce  qu'il  est  le  plus  agréable  ?  mais  une 
preuve  que  ce  plaisir  n'est  pas  fait  pour  rendre  l'homme  heureux, 
c'est  que  le  dégoût  le  suit  de  près;  et  que  de  plus,  pour  l'homme 
de  bien,  la  vertu  a  mille  fois  plus  de  charmes  que  le  vice.  Est-ce 
enfin  parce  qu'il  est  plus  digne  de  l'homme  ?  vous  n'oseriez  le  dire, 
puisque  c'est  par  là  qu'il  se  confond  avec  la  bête.  Pourquoi  déci- 
dez-vous donc  en  faveur  des  sens  contre  la  raison,  et  voulez  vous 
qu'il  soit  plus  conforme  à  l'homme  de  vivre  en  bête  que  d'être  rai- 
sonnable ? 

Enfin,  si  tous  les  hommes  étaient  corrompus  et  se  livraient  tous 
aveuglément,  comme  les  animaux  sans  raison,  à  leur  instinct  brutal 
et  à  l'empire  des  sens  et  des  passions,  vous  auriez  peut-être  raison 
de  nous  dire  que  ce  sont  là  des  penchans  inséparables  de  la  na- 
ture, et  de  trouver  dans  l'exemple  commun  une  excuse  à  vos  dés- 
ordres. Mais  regardez  autour  de  vous  ;  ne  trouvez-vous  plus  de 
justes  sur  la  terre?  Il  ne  s'agit  pas  ici  de  ces  vains  discours  que 
vous  faites  si  souvent  contre  la  piété  et  dont  vous  sentez  vous- 
même  l'injustice  ;  parlez  de  bonne  foi,  et  rendez  gloire  à  la  vérité. 
N'est-il  plus  d'ames  chastes,  fidèles,  timorées,  qui  vivent  dans  la 


5^6  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

crainte  du  Seigneur  et  dans  l'observance  de  sa  loi  sainte  ?  D'où 
vient  donc  que  vous  n'avez  pas  sur  vos  passions  le  même  empire 
que  ces  justes?  n'ont-ils  pas  hérité  de  la  nature  les  mêmes  pen- 
chans  que  vous?  les  objets  des  passions  ne  réveillent-ils  pas  dans 
leur  cœur  les  mêmes  sentimens  que  dans  le  vôtre?  ne  portent-ils 
pas  en  eux  les  sources  des  mêmes  misères  ?  Qu'ont  les  justes  par- 
dessus vous,  que  la  force  et  la  fidélité  qui  vous  manque  ? 

O  homme,  vous  imputez  à  Dieu  une  faiblesse  qui  est  l'ouvrage 
de  vos  propres  déréglemens!  Vous  accusez  l'Auteur  de  la  nature 
des  désordres  de  votre  volonté!  Ce  n'est  pas  assez  de  l'outrager, 
vous  voulez  le  rendre  responsable  de  vos  outrages;  et  vous  pré- 
tendez que  le  fruit  de  vos  crimes  devienne  le  titre  de  votre  inno- 
cence? De  quelles  chimères  un  cœur  corrompu  n'est-il  pas  capable 
de  se  repaître  pour  se  justifier  à  lui-même  la  honte  et  l'infamie  de 
ses  vices  ?  (  Massillon.  ) 

Péroraison. 

Que  conclure  de  ce  discours  ?  que  l'impie  est  à  plaindre  de  cher- 
cher dans  une  affreuse  incertitude  sur  les  vérités  de  la  foi  la  plus 
douce  espérance  de  sa  destinée  ;  qu'il  est  à  plaindre  de  ne  pouvoir 
vivre  tranquille  qu'en  vivant  sans  foi,  sans  culte,  sans  Dieu,  sans 
conscience  ;  qu'il  est  à  plaindre  s'il  faut  que  l'Evangile  soit  une  fa- 
ble ;  la  foi  de  tous  les  siècles,  une  crédulité;  le  sentiment  de  tous 
les  hommes ,  une  erreur  populaire  ;  les  premiers  principes  de  la 
nature  et  de  la  raison,  des  préjugés  de  l'enfance;  le  sang  de  tant  de 
martyrs  que  l'espérance  d'un  avenir  soutenait  dans  les  tourmens, 
un  jeu  concerté  pour  tromper  les  hommes  ;  la  conversion  de  l'u- 
nivers, une  entreprise  humaine;  l'accomplissement  des  prophe"- 
ties,  un  coup  du  hasard;  en  un  mot,  s'il  faut  que  tout  ce  qu'il  y  a 
de  mieux  établi  dans  l'univers  se  trouve  faux  afin  qu'il  ne  soit  pas 
éternellement  malheureux.  Quelle  fureur  de  pouvoir  se  ménager 
une  sorte  de  tranquillité  au  milieu  de  tant  de  suppositions  insen- 
sées! 

O  homme!  je  vous  montrerai  une  voie  plus  sûre  de  vous  calmer. 
Craignez  cet  avenir  que  vous  vous  efforcez  de  ne  pas  croire;  ne 
vous  demandez  plus  ce  qui  se  passe  dans  cette  autre  vie  dont  on 
vous  parle  ;  mais  demandez-vous  sans  cesse  à  vous-même  ce  que 
vous  faites  dans  celle-ci  :  calmez  votre  conscience  par  linnocence 
de  vos  mœurs,  et  non  par  l'impiété  de  vos  sentimens.  Mettez  votre 
cœur  en  repos  en  y  appelant  Dieu,  et  non  pas  en  doutant  s'il  vous 


DUS    PRÉDICATEURS.  5jJ 

regarde.  La  paix  de  l'impie  n'est  qu'un  affreux  désespoir  :  cher- 
chez votre  bonheur,  non  en  secouant  le  joug  de  la  foi,  mais  en 
goûtant  comhien  il  est  doux  ;  pratiquez  les  maximes  qu'elle,  vous 
prescrit,  et  votre  raison  ne  refusera  plus  de  se  soumettre  aux  mys- 
tères qu'elle  vous  ordonne  de  croire  :  l'avenir  cessera  de  vous  pa- 
raître incroyable  dès  que  vous  cesserez  de  vivre  comme  ceux  qui 
bornent  toute  leur  félicité  dans  le  court  espace  de  cette  vie.  Alors, 
loin  de  le  craindre,  cet  avenir,  vous  le  hâterez  par  vos  désirs; 
vous  soupirerez  après  ce  jour  heureux  où  le  Fils  de  l'homme,  le 
Père  du  siècle  futur,  viendra  punir  les  incrédules  et  conduire  dans 
son  royaume  tous  ceux  qui  auront  vécu  dans  l'attente  de  la  bien- 
heureuse immortalité.  (  Le  même,  j  ? 

Autre  péroraison. 

Il  est  donc  vrai,  Messieurs,  que  le  tombeau  n'est  pas  le  terme 
de  la  vie  humaine,  que  ce  qui  pense  et  vit  dans  nous  ne  meurt 
pas,  que  ce  cœur  qui  soupire  après  le  bonheur,  que  cette  intelli- 
gence qui  soupire  après  la  vérité,  seront  enfin  satisfaits.  Oui,  loin 
denousce  matérialisme  qui  tient  l'homme  courbé  vers  la  terre,  cette 
terre  que  nous  ne  touchons  quedel'extrémité  du  corps,  comme  pour 
nous  apprendre  à  la  dédaigner.  Qu'elles  sont  consolantes,  qu'elles 
sont  sublimes  ces  destinées  de  l'homme  appelé  à  vivre  au  delà  de 
tous  les  temps!  Il  ne  s'agit  pas  ici  de  cette  immortalité  accordée, 
sur  la  terre,  à  la  mémoire  de  ceux  qu'ont  illustrés  leur  génie  et 
leurs  travaux  :  ce  n'est  là  qu'une  vaine  image  de  cette  véritable 
immortalité  qui  doit  être  le  partage  de  la  vertu.  Dans  son  enthou- 
siasme lyrique,  le  poète  romain,  épris  de  la  beauté  de  ses  ouvrages, 
osait  s'écrier  :  Je  viens  d'élever  un  monument  plus  durable  que 
l'airain;  non,  je  ne  mourrai  pas  tout  entier,  non  omnis  moiiar. 
Messieurs,  il  disait  vrai  :  son  nom  vit  encore  dans  la  mémoire  des 
hommes  ;  mais  que  font  à  son  bonheur  les  éloges  de  la  postérité  ? 
Il  se  promettait  une  gloire  dont  il  ne  devait  pas  jouir:  et  nous, 
nous  annonçons  à  celui  qui  pratiquera  la  vertu  une  gloire  dont  il 
doit  être  l'immortel  possesseur.  Comme  cette  pensée  fait  voir  les 
choses  humaines  sous  un  jour  tout  nouveau  !  Par  cette  lumière,  en 
effet,  je  découvre  que  ce  monde  n'est  pas  un  spectacle  de  ma- 
chines organisées  pour  un  temps,  qui  doivent  être  brisées  pour 
toujours,  et  dont  le  Créateur  se  ferait  comme  un  divertissement  et 
un  jeu.  Je  vois  au  contraire  que  l'être  infini  s'est  proposé  des  fins 

T.    III.  37 


dignes  de  son  infinité,  que  les  dons  qu'il  a  faits  à  nos  âmes  sont 
sans  repentance,  et  qu'après  leur  avoir  donné  le  pouvoir  de  le  con- 
naître et  de  le  glorifier,  il  veut  réellement  être  connu  et  glorifié 
par  elles  à  jamais.  L'antiquité  profane  avait  imaginé  un  Sage  qu'elle 
n'a  jamais  vu,  qui  serait  immobile  au  milieu  des  ruines  de  l'univers  ; 
mais  cette  imagination  devient  une  réalité  dans  le  juste  que  soutient 
et  qu'anime  l'espoir  de  la  bienheureuse  immortalité.  Alors  que 
mille  secousses  diverses  agitent  la  terre,  que  tout  s'ébranle  et 
tombe  autour  de  lui,  debout  sur  les  choses  créées,  il  contemple 
les  choses  éternelles.  Ce  qui  peut  lui  arriver  de  plus  extrême, 
c'est  de  mourir;  et  que  lui  importe  la  mort,  si  son  ame  est  immor- 
telle? Ainsi,  avec  le  dogme  de  l'immortalité  de  l'ame,  le  malheur 
est  consolé,  la  vertu  encouragée,  le  vice  réprimé,  la  Providence 
justifiée, l'homme  et  le  monde  moral  expliqués.  C'est  là  comme  la 
chaîne  mystérieuse  qui  descend  du  trône  du  Créateur  jusqu'à  nous, 
pour  lier  la  terre  au  ciel,  l'homme  à  son  Dieu,  et  le  temps  à  l'é- 
ternité. (M.  FllAYSSINOUS.) 


DES    PREDICATEURS. 


°79 


■ 


PLA1V  ET  OBJET   DU  QUATRIÈME  DISCOURS 
SUR  L'IMMORTALITÉ  DE  L'HOMME. 

EXORDE. 

Jusd  autem  in  perpetnum  vivent. 
Les  justes  vivront  éternellement.  (Sap.,  v,rjB.) 

L'un  des  grands  objets  que  se  propose  aujourd'hui  l'Eglise,  dans 
le  culte  qu'elle  rend  à  la  troupe  immortelle  des  saints,  c'est  de  réveil- 
ler en  nous  les  pensées  et  les  désirs  de  l'immortalité.  Hélas!  envi- 
ronnés de  tant  de  maux  ici-bas,  sujets  à  tant  d'humiliantes  fai- 
blesses, condamnés  à  la  triste  nécessité  de  mourir,  quelle  espérance 
devrait  nous  être  plus  chère  que  celle  d'une  seconde  et  meilleure 
vie,  où  nous  serons  affranchis  pour  jamais  du  péché,  de  la  dou- 
leur et  de  la  mort?  Et  cependant,  ô  honte!  combien  d'hommes 
sont  insensibles  à  cette  bienheureuse  espérance!  combien  même, 
le  faut-il  dire?  sont  ennemis  de  leur  propre  immortalité,  s'effor- 
cent de  n'y  point  croire ,  et ,  comme  pour  se  rassurer  contre  elle, 
se  réfugient  dans  l'affreuse  et  vaine  attente  du  néant  ! 

O  divine  religion  des  Chrétiens,  que  tu  es  consolante  pour  le 
juste!  quels  transports  et  quels  ravissemens  tu  lui  causes,  lorsque 
non  contente  de  lui  promettre  au  de  là  des  bornes  du  temps  un 
glorieux  et  éternel  avenir,  tu  lui  montres  déjà  ses  frères  en  pos- 
session des  biens  qui  l'y  attendent;  que  tu  lui  fais  chanter  et  célé- 
brer son  futur  bonheur  dans  celui  dont  ils  jouissent;  et  qu'avant 
de  1  introduire  au  fortuné  séjour  qu'ils  habitent,  tu  l'associes  dès 
à  présent  à  leurs  joies,  par  la  céleste  pompe  et  la  sainte  allégresse 
de  tes  solennités!  Oui,  mes  frères,  nous  pouvons  regarder  cette 
fête  comme  celle  de  notre  immortalité.  Ne  cherchons  donc  pas 
d'autre  sujet  à  nos  discours  que  notre  immortalité  même,  dont  le 
sentiment  est  gravé  par  la  nature  dans  le  fond  de  nos  cœurs,  dont 
la  croyance  est  commune  à  tous  les  peuples,  mais  dont  la  pleine 
connaissance,  l'idée  juste  et  parfaite  n'est  due  qu'à  la  religion  vé- 
ritable. En  effet,  si  la  raison  nous  enseigne  qu'il  y  a  quelque  chose 
en  nous  qui  ne  meurt  point,  et  que  la  plus  noble  portion  de  nous- 
mêmes  survit  à  la  dissolution  de  ce  corps  de  boue,  nous  avions 

37. 


58()  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

besoin  de  la  foi  pour  apprendre  que  ce  corps  lui-même  ne  meurt 
pas  pour  toujours,  que  notre  limon  sera  une  seconde  fois  animé 
d'un  souffle  dévie,  et  que  l'homme  entier,  vainqueur  du  trépas, 
ira  jouir  dans  le  sein  de  Dieu  d'une  immortelle  félicité.  Ainsi  se 
vérifiera  cette  belle  parole  de  l'Ecriture  :  Dieu  a  créé  l'homme  im- 
périssable: Deus  creaçit  hominem  inexterminabilem  1.  Nulle  partie 
de  son  être  ne  sera  détruite;  son  ame,  substance  spirituelle,  est 
par  sa  nature  même  hors  des  atteintes  de  la  mort  :  Non  tanget  illos 
tormentum  mortis^;  et  sa  chair,  toute  corruptible  qu'elle  est,  ne 
descendra  dans  la  poussière  du  tombeau  que  pour  en  sortir  un 
jour  incorruptible  :  Oportet....  corruptibile  hoc  induere  incorrup- 
tionem  ~\  Disons-le  donc  en  deux  mots  :  immortalié  de  tout  l'homme, 
premièrement  de  l'âme,  qui  ne  saurait  mourir,  secondement  du 
corps,  qui^revivra  pour  ne  mourir  plus.  Tel  est  tout  mon  dessein. 
(Le  P.  de  Mac.-Gartuy,  Immortalité  de  Uame.) 

Nier  l'immortalité  de  l'ame,  c'est  nier  la  sagesse  de  Dieu. 

Et  d'abord,  que  deviendrait,  dans  cette  supposition  insensée, 
la  sagesse  du  Créateur?  Daignez  m'écouter,  mes  frères.  N'est-il 
pas  évident  au  premier  coup  d'oeil  qu'entre  les  êtres  que  renferme 
ce  monde  visible,  le  plus  excellent  est  l'homme,  et  que  tout  le 
reste  n'a  même  été  fait  que  pour  lui?  Et  pour  quel  autre  habitant 
ce  magnifique  palais  aurait-il  été  préparé  ?  pour  qui  le  soleil  ré- 
pandrait-il ses  feux  et  sa  lumière?  pour  qui  la  terre  se  couvrirait- 
elle  de  moissons,  et  la  nature  entière  déploierait-elle  un  si  pom- 
peux et  si  ravissant  spectacle  ?  Qui  ne  voit  que  l'air  qui  nous 
environne  est  destiné  à  entretenir  sa  vie,  l'eau  des  fleuves  à  étan- 
cher  sa  soif  et  à  fertiliser  ses  champs,  les  animaux  à  le  servir 
comme  leur  roi  ?  Lui  seul  ici-bas  porte  l'empreinte  de  la  Divinité, 
et  en  exerce  les  droits  avec  un  empire  auquel  rien  ne  se  peut  sous- 
traire. En  vain  les  monstres  sauvages  se  confieraient-ils  en  leur 
force  ;  plus  fort  par  la  raison  seule,  il  les  dompte  et  les  enchaîne. 
En  vain  la  terre  cache-t-elle  au  fond  de  ses  entrailles  les  métaux 
précieux  que  réclame  son  industrie  ;  il  les  en  arrache ,  pour  les 
plier  à  tous  ses  usages.  La  mer  aura  beau  mugir  et  élever  ses  va- 
gues irritées  jusqu'au  ciel  ;  il  l'oblige  à  les  courber  sous  lui  et  à 
le  porter  en  frémissant  jusqu'aux  extrémités  du  monde.  Que  les 
vents  soufflent  avec  furie  ;  il  saura  les  captiver  dans  la  voile,  et  les 

*  Sap.,  i;  23.  —  2  lbid.,  m,  1.  —  3  I  Cor.,  xv,  53. 


DES   PRÉDICATEURS.  68 1 

contraindre  à  le  pousser  clans  le  port.  Tout  devient  esclave  de 
ses  volontés  ou  tributaire  de  ses  besoins.  Les  astres  du  firma- 
ment seront  assujétis  à  ses  calculs,  et  lui  serviront  de  guides  à 
travers  l'immense  océan  et  les  vastes  déserts.  Ne  mesurez  pas  la 
grandeur  de  son  être  à  l'espaee  que  son  corps  occupe  sur  la  terre, 
mais  à  l'étendue  de  cet  esprit  qui  lui-même  mesure  l'univers;  qui, 
du  point  imperceptible  où  il  est  placé,  atteint  jusqu'à  la  hauteur 
des  cieux  et  jusqu'au  fond  des  abîmes,  remonte  dans  le  passé, 
embrasse  le  présent,  et  s'étend  dans  un  avenir  sans  bornes. 

C'est  cet  esprit/ou  cette  ame  immatérielle,  qui  fait  l'excellence  et 
la  dignité  de  l'homme.  C'est  à  cette  substance  noble ,  active,  in- 
telligente et  libre,  qu'il  est  donné  de  penser,  de  connaître,  de  ju- 
ger et  de  vouloir.  Elle  s'élance  dans  les  régions  intellectuelles, 
voit  les  choses  invisibles ,  et  conçoit  l'idée  de  l'infini.  Essentielle- 
ment  distincte,  par  sa  nature  et  par  les  penchans  qui  lui  sont  pro- 
pres, du  corps  grossier  qu'elle  anime  et  qu'elle  gouverne,  elle  se 
sent  dégradée  si  elle  le  flatte  ,  souillée  si  elle  obéit  à  ses  désirs; 
elle  le  châtie,  le  subjugue  et  quelquefois  l'immole.  Elle  se  pas- 
sionne pour  le  vrai ,  le  beau  ,  l'honnête ,  le  sublime  ;  elle  trouve  à 
la  vertu  des  charmes  qui  lui  font  mépriser  tous  les  autres  biens; 
elle  préfère  la  chasteté  aux  délices ,  la  gloire  au  repos ,  le  devoir 
à  la  vie  même.  Que  dis-je?  elle  a  des  ailes  pour  s'élever  jusqu'au 
sein  de  Dieu;  elle  contemple  avec  ravissement  ses  perfections 
ineffables,  le  bénit ,  l'adore,  et  se  laisse  consumer  à  son  amour. 
Comment  tout  ne  serait-il  pas  fait  pour  elle  ,  puisqu'elle  seule 
connaît  l'auteur  de  toutes  choses,  sent  le  prix  de  ses  bienfaits, 
entretient  un  divin  commerce  avec  lui,  ose  l'appeler  son  père,  et 
lui  payer,  au  nom  de  toutes  les  créatures,  le  tribut  d'actions  de 
grâces  et  de  louanges  qui  lui  est  dû?  Telle  est  l'ame  de  l'homme 
faite  à  l'image  de  Dieu  ;  inférieure  d'un  degré  seulement  aux  an- 
ges: Minuisti  emn  paulo  minus  ah  angelïs  1;  incomparablement 
supérieure  à  tout  le  reste:  Omnia  suhjecisti  sub  pedibus  ejus  2;  si 
pure  et  si  céleste  dans  son  origine,  si  étrangère  à  tout  ce  qui  est 
terrestre  et  corruptible,  que  les  livres  sacrés  la  nomment  le  souffle 
même  du  Très- Haut:  Inspiravit  in  jaciem  ejus  spiraculum  vilœ  3. 
Et  parce  que  le  limon  du  corps  se  dissout ,  on  supposera  que 
cette  ame  toute  spirituelle  doit  périr  avec  lui  !  parce  que  la  pous- 
sière retourne  en  poussière,  qu'un  assemblage  d'élémens  grossiers 
et  matériels  se  désunit  et   se  décompose ,   on  croira  qu'une  sub- 

1  Ps.  vin,  7.  — 2Ibi<l.,  8.  —  s  Gen.,  11,  7. 


582  NOUVELLE   BIBLIOTHEQUE 

stanee  simple,  immatérielle  ,  incapable  de  décomposition  ,  puis- 
qu'elle n'est  point  composée  de  parties,  doit  être  entraînée  dans 
la  ruine  d'un  édifice  de  boue  qui  s'écroule!  Non,  il  ne  peut  y 
avoir  de  mort  naturelle  ni  de  dissolution  pour  lame;  il  faudrait 
un  acte  de  la  toute-puissance  divine  pour  l'anéantir.  Mais,  grand 
Dieu!   vous  ne  l'anéantirez  pas;  j'en  ai  pour  garant  certain  votre 


sagesse. 


Eh  !  de  quel  dessein  ose-t-on  vous  soupçonner  ?  Quoi  !  vous 
avez  fait  le  monde  entier  pour  l'homme;  et  l'homme,  vous  ne 
l'auriez  fait  que  pour  le  détruire?  vous  auriez  produit  à  si  grands 
frais  une  ombre  vaine  qu'un  moment  verrait  s'évanouir  ?  Tandis 
que  nous,  faibles  mortels,  nous  tâchons  d'imprimerie  sceau  de 
l'immortalité  à  nos  ouvrages,  vous,  ouvrier  immortel  et  divin, 
vous,  la  source  de  l'être  et  de  la  vie,  vous  n'auriez  travaillé  que 
pour  la  mort  et  le  néant  ?  Semblable  à  un  architecte  insensé  et 
bizarre  ou  à  un  enfant  qui  se  joue,  vous  n'édifieriez  que  pour 
abattre,  ne  planteriez  que  pour  arracher  ?  Et  lorsqu'à  la  fin  de  tous 
les  temps  cette  grande  destruction  serait  consommée,  ce  jeu  meur- 
trier fini,  si  l'un  des  esprits  célestes,  vous  interrogeant  sur  les  rui- 
nes de  l'univers,  vous  disait:  *<  Mais,  Seigneur,  pourquoi  donc  êtes- 
vous  sorti  de  votre  repos?  que  vous  êtes-vous  proposé  en  formant 
ce  magnifique  ensemble  d'un  monde  qui  n'est  plus  ;  en  créant  cette 
multitude  innombrable  d'êtres  animés  et  inanimés ,  qui  tous  ex- 
citèrent notre  admiration,  dont  quelques  uns  furent  doués  comme 
nous  d'intelligence,  et  pratiquèrent  de  sublimes  vertus?  »  Vous 
lui  répondriez:  «  Regarde  ces  débris  fumans  ,  ces  monceaux  de 
cendres,  d'ossemens  et  de  poussière:  voilà  le  terme  où  devait  abou- 
tir tant  de  merveilles  ;  voilà  l'objet  que  j'ai  eu  en  vue  dans  mes 
pensées  éternelles;  voilà  ce  qui  devait  enfin  rester  des  œuvres  du 
Tout-Puissant  !  »  O  Dieu  !  qui  ne  croirait  blasphémer  votre  sagesse 
en  vous  prêtant  un  tel  langage  ?  mais  serait-il  moins  indigne  de 
votre  bonté  ?  (Le  même.) 

Nier  l'immorlalilé  de  l'ame,  c'esl  nier  la  bonté  de  Dieu. 

Si  nous  étions  destinés,  mes  frères,  à  mourir  tout  entiers,  il  fa  a  - 
drait  dire  que  le  Créateur,  loin  de  se  montrer  notre  père,  n'aurait 
distingué  notre1  nature  par  tant  de  glorieux  privilèges  que  pour 
nous  rendre  malheureux  entre  tous  les  êtres  ;  ses  bienfaits  les  plus 
signalés  ne  seraient  plus  que  des  raffinemens  de  cruauté  à  notre 
égard.  En  effet  l'homme,  considéré  selon  le  corps,  est  sujet  à  plus 


DES    PRÉDICATEURS.  583 

d'infirmités  et  de  douleurs  que  le  reste  des  animaux;  et  lui  seul 
anticipe  les  maux  par  la  prévoyance,  les  aggrave,  les  multiplie,  les 
prolonge  par  la  réflexion,  par  les  longs  souvenirs  et  les  amers  re- 
grets. Si  les  autres  vieillissent  et  meurent  comme  lui,  lui  seul  a  le 
triste  sentiment  de  sa  décadence,  voit  le  moment  fatal  s'approcher, 
connaît  les  horreurs  d'une  dissolution  inévitable  et  l'affreuse  corrup- 
tion du  tombeau.  Quel  autre  que  lui  éprouve  les  peines  de  l'ame , 
plus  cruelles  mille  fois  que  toutes  les  souffrances  du  corps,  les  sol- 
licitudes accablantes,  les  chagrins  dévorans,  la  noire  mélancolie  et 
l'horrible  désespoir?  Outre  ses  propres  douleurs,  il  porte  encore 
le  poids  des  douleurs  étrangères;  il  pleure  dans  les  disgrâces  de 
ceux  qu'il  aime,  il  tremble  dans  leurs  périls,  il  meurt  en  quelque 
sorte  dans  chacun  des  amis  et  des  proches  que  la  mort  lui  enlève. 
Au  milieu  de  tant  d'afflictions  et  de  misères,  pour  surcroît  et  pour 
comble  de  tourment,  il  a  une  soif  ardente  du  bonheur;  il  le  cher- 
che et  le  poursuit  par  un  penchant  irrésistible  de  sa  nature;  il  le 
demande  à  tout  ce  qui  l'environne,  le  veut  à  tout  prix,  ne  peut 
s'en  passer,  et  ne  le  trouve  nulle  part.  Tout  ce  qu'on  lui  présente 
comme   capable  de  satisfaire  ses  désirs   le  ^trompe  et  les  irrite.  Il 
porte  gravée  dans  le  fond  de  son  être  l'idée  d'un  bien  parfait,  im- 
muable, infini,  seul  proportionné  à  ses  besoins  et  à  la  vaste  capa- 
cité de  son  cœur;  et  il  ne  rencontre  que  des  biens  bornés,  impar- 
faits, périssables:  il  les  essaie   l'un  après  l'autre,  et  bientôt  les 
méprise.  Nulle  beauté  ne  le  charme  long-temps  ,  parce  qu'il  n'en 
est  point  dont  il  ne  découvre  les  défauts  ,  et  qui  tôt  ou  lard  ne  se 
flétrisse  ;  les  amusemens  le  lassent  par  leur  frivolité  ;  les  plaisirs 
des  sens  sont  trop  vils  ,  et  finissent  par  la  satiété  et  le  dégoût  ;  les 
richesses  causent  plus  d'embarras  et  de  soucis  qu'elles  ne  produi- 
sent de  vraies  joies,  et  jamais  elles  ne  firent  un  heureux;  les  hon- 
neurs, les  dignités,  le  pouvoir,  ne  sont  que  d'illustres  servitudes  , 
et  ne  produisent  guère  que  la  gêne,  la  contrainte  et  l'ennui;  la 
gloire  est  un  vain  bruit  et  une  fumée,  qui  laisse  le  cœur  vide,  et 
n'en  guérit  point  la  tristesse;  la  science  est  une  illusion,  puisque 
les  plus  savans  ignorent  bien   plus  de  choses  que  leurs  éludes 
n'ont  puleur  en  apprendre.  N'auriez  vous  donc  fait  l'homme,  ô 
Dieu  bon!  que  pour  souffrir  des  maux  trop  réels,  et  se  consumera 
la  recherche  de  biens  imaginaires?  Dans  toutes  vos  au  très  créatures, 
je  vois  une  juste  proportion  entre  les  besoins  et  les  objets  destinés 
à  les  satisfaire.  La  brute  peut  rassassier  ses  appétits  bornés,  et  elle 
estheureuse.  Mais  moi,  j'ai  une  faimetune  soif  que  rien  ici-bas  ne 
peut  apaiser.  Je  suis  affamé  de  l'être,  de  la  vie,  de  la  parfaite 


584  *  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

beauté,  tic  la  vérité  substantielle,  du  bonheur  sans  mélange,  de  la 
grandeur  et  de  la  gloire  qui  dure.  Voilà  mes  besoins;  vous  me  les 
avez  donnés  ;  et  pour  les  satisfaire,  vous  m'auriez  préparé  le  néant! 
S'il  n'y  a  rien  pour  moi  au  delà  de  ce  monde  et  du  temps  ,  pour- 
quoi ces  désirs  plus  grands  que  l'univers,  plus  étendus  que  les  siè- 
cles ?  pourquoi  ces  pensées  qui  se  nourrissent  de  l'infini,  et  lies 
espérances  qui  courent  dans  un  avenir  sans  terme?  Si  je  n'existe 
que  pour  mourir,  d'où  me  vient  cette  horreur  de  la  destruction  , 
cet  amour  et  cette  invincible  passion  pour  l'immortalité?  Si  je  ne 
dois  jamais  vous  voir  ni  vous  posséder,  Seigneur,  pourquoi  m'a-t- 
il  été  donné  de  vous  connaître?  pourquoi  ai-je  compris  que  vous 
êtes  mon  unique  bien  ?  pourquoi  avez-vous  creusé  dans  mon  sein 
un  abîme  que  vous  seul  pouvez  remplir  ?  O  mon  Dieu!  persuadé, 
certain  que  vous  n'avez  pas  mis  en  moi  un  gage  trompeur,  et  que 
cette  terre  n'est  qu'un  lieu  de  passage  et  d'épreuve ,  où  je  me  pré- 
pare pour  une  bienheureuse  éternité,  je  me  soumets  sans  peine  à 
tout  ce  qu'il  faut  souffrir  pour  arriver  à  ce  terme  de   tous  mes 
vœux.  Mais  s'il  était  vrai,  comme  l'insensé  ose  le  dire,  que  vous  ne 
me  traînez  à  travers  tant  d'épines  et  de  douleurs ,  dans  le  sentier 
pénible  de  la  vie ,  que  pour  m'immoler  et  m'anéantir  au  bout  de 
la  carrière,  comment  pourrais-je  vous  bénir  de   m'avoir  donné 
l'être  ?  comment  pourrais-je  croire  à  votre  bonté,  le  plus  adorable 
de  vos  attributs  ?  (Le  même.) 

Nier  l'immortalité  de  l'amc  ,  c'est  détruire  toute  notion  de  la  divine  justice. 

Il  est  impossible  de  jeter  un  regard  sur  la  société  humaine  et  le 
monde  moral  sans  être  frappé  du  désordre  et  de  la  confusion  qui 
y  régnent.  Que  voyons  nous,  en  effet,  et  surtout  qu'avons-nous  vu? 
Tous  les  droits  et  tous  les  devoirs  foulés  aux  pieds;  les  adultères? 
les  rapines  et  les  meurtres  impunis;  le  vice  en  honneur,  la  vertu 
pouvant  à  peine  trouver  grâce;  l'impiété  applaudie,  la  religion  li- 
vrée aux  dérisions  et  aux  sarcasmes  ;  d'horribles  complots  tramés 
ouvertement  contre  le  ciel  et  contre  la  majesté  sacrée  des  rois  ; 
d'effroyables  révolutions  bouleversant  les  empires;  des  échafauds 
inondés  de  sang  innocent;  des  lois  iniques  proscrivant  la  fidélité 
et  commandant  la  trahison  et  la  révolte  ;  d'exécrables  doctrines 
enseignées  à  la  tendre  enfance,  à  l'imprudente  jeunesse,  à  la  mul- 
titude aveugle,  comme  les  préceptes  delà  plus  sublime  sagesse;  un 
dessein  formé  et  suivi  avec  persévérance,  de  replonger  l'univers 
dans  le  chaos  et  de  réduire  l'homme  à  l'état  de  la  bête;  un  déré- 


DES    PREDICATEURS. 


585 


glement  si  prodigieux  dans  les  mœurs  que  la  décence  ne  permet 
plus  de  nous  reprocher  nos  vices.  Si  tous  les  siècles  n'ont  pas  ete 
témoins  des  mêmes  excès,  de  tous  temps  il  y  a  eu  des  usurpations 
heureuses,  des  guerres  barbares,  de  sanglantes  rébellions,  des  ini- 
quités criantes;  de  tout  temps  on  a  vu  des  médians  qui  prospé- 
raient etdes  gens  de  bien  qui  gémissaient  dansl' oppression.  EtDieu, 
spectateur  tranquille  et  indifférent  de  ces  affreuses  scènes,  les  lais- 
serait se  succéder  dans  tout  le  cours  des  siècles,  sans  y  ajouter 
enfin  une  dernière  scène  et  un  dénoûment  digne  de  lui ,  qui  ré- 
parerait tant  de  désordres  et  ferait  triompher  sa  justice!  Que  dis- 
je?  mettant  lui-même  le  comble  à  l'horreur  du  spectacle,  il  n'at- 
tendrait les  acteurs  au  sortir  de  ce  théâtre  souillé  de  sang  et  de 
crimes  que  pour  les  frapper  tous  également  d'une  éternelle  mort, 
sans  distinction  d'innocent  ou  de  coupable,  de  saint  ou  de  sacri- 
lège, de  meurtrier  ou  de  victime?  O  Dieu!  si  tels  étaient  vos  juge- 
mens,  qui  oserait  en  défendre  l'équité?  que  pourriez-vous  répon- 
dre vous-même  à  un  juste,  un  martyr  qui,  au  moment  où  il  vient 
d'expirer  pour  vous  dans  les  supplices  ,  tombant  entre  vos  mains, 
et  pour  tout  prix  de  sa  fidélité,  vous  voyant  prêt  à  le  plonger  dans 
le  néant,  vous  dirait  :  «  Seigneur,  j'ai  accompli  toutes  vos  volontés, 
et  je  vous  ai  tout  sacrifié  sans  réserve.  Pour  me  punir  de  vous 
avoir  tant  aimé,  des  hommes  injustes  qui  vous  haïssaient  m'ont  en- 
levé la  vie  du  corps,  et  vous  maintenant  vous  allez  anéantir  mon 
ame!  Je  ne  murmure  point  ;  que  vos  suprêmes  arrêts  s'exécutent! 
Je  ne  me  repens  point  d'avoir  donné  pour  vous  tout  mon  sang; 
je  le  ferais  volontiers,  s'il  m'était  encore  permis  de  le  faire.  Mais, 
grand  Dieu  !  devaisje  après  cela  m'at tendre  à  subir  le  même  sort 
que  vos  ennemis  et  mes  bourreaux  ?  est-ce  là  ce  que  mon  dévoue- 
ment a  mérité  de  votre  justice  ?  et  s'il  pouvait  y  avoir  un  juge  entre 
vous  et  moi,  trouverait-il  que  vous  récompensiez  bien  la  vertu  ?  » 

(  Le  MEME.  ) 

La  justice  divine  exige  une  autre  vie. 

Et  d'abord  que  demande  la  justice  divine?  La  raison  nous  dit 
que  Dieu  ,  juste  appréciateur  des  choses  ,  ne  saurait  voir  du  même 
œil  le  parricide  et  l'enfant  soumis,  l'ami  fidèle  et  l'ami  perfide, 
l'avare  impitoyable  et  le  cœur  généreux,  l'affreux  homicide  et  le 
sauveur  de  son  semblable.  Penser  autrement ,  ce  serait  supposer 
Dieu  moins  parfait  que  l'homme.  Oui,  malgré  les  défauts  de  sa  na- 
ture, l'homme  ne  peut  se  défendre  d'une  horreur  secrète  du  vice, 


586  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

lors  même  qu'il  a  la  faiblesse  de  s'y  livrer,  ni  d'un  amour  secret 
pour  la  vertu,  lors  même  qu'il  n'a  pas  le  courage  de  la  pratiquer. 
Oui,  je  trouve  au  fond  de  ma  conscience  que  la  vertu  est  estima- 
ble, digne  d'éloges  et  de  récompense,  que  le  vice  est  méprisable, 
digne  d'opprobre  et  de  châtiment:  tel  est  le  cri  de  la  nature,  telle 
est  la  notion  de  justice  imprimée  dans  nos  âmes.  Ainsi,  par  une 
suite  d'idées  enchaînées  les  unes  aux  autres,  je  suis  conduit  à  pen- 
ser qu'il  n'y  a  pas  de  Dieu  sans  justice,  ni  de  justice  sans  récom- 
penses pour  la  vertu  et  sans  châtimens  pour  le  vice. 

Or,  c'est  en  vain  que  vous  chercheriez  sur  la  terre  cet  ordre  de 
choses,  seul  conforme  à  la  rigoureuse  équité.  Il  est  vrai  que, pour 
encourager  les  bons  et  pour  effrayer  les  médians  ,  pour  avertir 
plus  sensiblement  les  hommes  que  sa  providence  veille  sur  eux  , 
et  pour  leur  faire  pressentir  ce  qui  les  attend,  Dieu  fait  quelque- 
fois éclater  sa  justice  envers  l'homme  de  bien  par  les  prospérités 
dont  il  le  comble  ,  et  envers  le  coupable  par  des  coups  si  effrayans 
et  si  visibles  qu'il  est  impossible  de  la  méconnaître.  Plus  d'une 
fois  des  infirmités  humiliantes  et  cruelles  ,  des  déplaisirs  mortels, 
des  chagrins  dévorans  ,  une  ruine  subite  et  totale,  Tont  sentir  aux 
coupables  la  main  vengeresse  qui  s'appesantit  sur  leur  tête.  Mais, 
il  faut  en  convenir,  malgré  les  exemples  de  ce  genre,  si  la  vie  pré- 
sente n'était  pas  liée  à  un  autre  ordre  de  choses,  ce  monde  ne  se- 
rait qu'un  chaos,  qu'une  énigme  inconcevable,  qu'un  perpétuel 
désordre  qui  accuserait  la  Providence  et  sa  justice.  Dans  tous  les 
temps  et  chez  tous  les  peuples  ,  que  nous  présente  l'histoire  ?  bien 
souvent  des  vertus  méconnues,  des  vices  honorés,  des  forfaits 
échappés  au  glaive  de  la  justice  humaine,  des  familles  ruinées  par 
la  mauvaise  foi,  des  victimes  infortunées  de  la  haine  et  de  l'envie, 
des  prisons  où  gémit  l'innocence,  des  échafauds  où  périt  la  vertu. 
Ces  désordres  sont  si  choquans  que  les  esprits  faibles,  impatiens ,  en 
ont  pris  occasion  de  blasphémer  contre  la  Providence,  de  la  regar- 
der comme  étrangère  au  gouvernement  des  choses  humaines,  de 
croire  ainsi  comme  perdus  les  efforts  de  l'homme  de  bien,  étant 
tentés  de  s'écrier  comme  ce  Romain  succombant  aux  champs  de 
Philippes  :  O  vertu ,  tu  n'es  donc  qu'un  fantôme  !  Sans  doute,  Mes- 
sieurs, une  telle  impiété  sera  toujours  loin  de  notre  bouche  et 
plus  loin  encore  de  notre  cœur.  Ces  désordres  qui  éclatent  de  tou- 
tes parts  sous  nos  yeux  doivent  nous  rappeler  l'ordre  éternel  dont 
Dieu  est  la  source.  Je  sais  qu'il  a  dans  les  trésors  de  sa  puissance 
de  quoi  réparer  tout  ce  qu'il  y  a  de  déréglé  dans  le  monde  présent. 
Je  m'élance  dans  le  sein  de  son  éternité ,  c'est  de  là  qu'abaissant 


DES    PRÉDICATEURS.  58^ 

nies  regards  sur  la  terre  je  la  vois  dans  son  véritable  point  de 
vue;  je  reconnais  que  ce  qu'il  y  a  de  plus  discordant  rentre  dans 
l'harmonie  universelle,  par  sa  liaison  avec  les  desseins  infinis  de 
celui  qui  vit  et  règne  au-delà  des  temps.  Les  souffrances  de  l'homme 
vertueux  sont,  à  mes  yeux,  non  des  injustices,  mais  des  épreuves, 
mais  des  combats  qui  mènent  à  la  gloire  ;  et,  quand  je  compare 
ce  qu'il  souffre  avec  la  couronne  qui  lui  est  réservée,  je  ne  vois 
plus  dans  ses  afflictions  que  les  angoisses  d'une  ame  en  travail  de 
son  immortalité.  Voilà  ce  qu'a  voulu  nous  dire  le  Sage  par  ces  gra- 
ves paroles:  «  J'ai  vu  sous  le  soleil  l'impiété  au  lieu  du  jugement, 
«  et  l'iniquité  au  lieu  de  la  justice,  et  j'ai  dit  dans  mon  cœur  :  Dieu 
«  jugera  le  juste  et  l'injuste,  et  alors  ce  sera  le  temps  du  rétablisse- 
«ment  de  toutes  choses.  »  (M.  Frayssinous.  ) 

Immortalité  de  l'ame  prouvée  par  le  témoignage  de  l'Écriture. 

Le  corps  est  humain,  l'ame  est  divine.  Notre  Seigneur  a   dit: 
«  J'ai  le  pouvoir  de  déposer  mon  ame,  et  j'ai  le  pouvoir  de  la  re- 
«  prendre  K  »  L'amené  meurt  donc  pas  avec  le  corps,  puisqu'elle 
peut  être  déposée  et  reprise,  et  «  remise  entre  les  mains  de  notre 
Père  éternel  2.  »  Mais  on  va  dire  que  cette  faculté  appartient  à  Jé- 
sus-Christ seul,   quoiqu'il  eût  revêtu  toute  la  nature  humaine.  Il 
serait  trop  long  de  discuter  cette  haute  question.  Pour  y  répondre, 
écoutons  seulement   encore  les  divines  paroles  :«  Que  sais-tu  si 
«cette  nuit  même  ton  ame  ne  te  sera  pas  redemandée  3?  »  Jésus- 
Christ  n'a  pas  dit  :  Si  ton  ame  ne  mourra  pas  en  toi,  mais  ne  te 
sera  pas  redemandée;  si  ce  qui  t'a  été  donné  ne  te  sera  pas  redemandé 
ou  repris.  L'ame  est  reprise ,  elle  ne  meurt  donc  pas  ;  ce  que  l'on 
reprend  existe  encore,  ce  qui  meurt  n'existe  plus.  Comment  l'ame 
pourrait-elle  mourir,  quand  Dieu  a  dit  dans  sa  sagesse  :  «  Necrai- 
«  gnez  pas  ceux  qui  peuvent  tuer  le  corps,  car  ils  ne  peuvent  tuer 
«l'ame  4?  »  quand  nous  voyons  le  prophète  s'écrier:   «  Seigneur, 
«  mon  ame  est  toujours  dans  mes  mains  5  ?  »    Toujours,  dit-il ,  et 
non  pas  pour  un  temps.  «Remets  ton  ame  entre  les  mains  de  Dieu6.» 
Non  seulement  quand  elle  a  quitté  le  corps ,  mais  même  lorsqu'elle 
habite  le  corps,  elle  est  entre  les  mains  de  Dieu;  car  tu  ne  peux 
la  voir  :  «  Tu  ne  sais  pas  d'où  elle  vient  ni  où  elle  va  7  ;  »  elle  est  en 
toi  et  elle  est  avec  Dieu.  Enfin  «  le  cœur  du  roi  est  dans  la  main 
de  Dieu8  ;  »  il  est  régi  et  gouverné  par  lui.  Le  cœur  est  rempli  par 

1  Joan.,  x,  18.  —  2  Luc,  xxnr,  46.  ~- >  Ibid.,  xh,  20.  —  4  Matlh.,  x,  23.  —  *Ps. 
cxvm,  109.  —  c  Ibid.,  xxx,  6.  —  '  Joan.,  m,  8.  —  8  Trov.,  xx,  1. 


588  NOUVELLE  BIBLIOTHÈQUE 

l'esprit,  et  l'esprit  est  le  domaine  de  Pâme,  et  le  courage  appar- 
tient à  lame;  non  pas  ce  courage  qui  s'appuie  sur  la  force  du  bras , 
mais  celui  qui  consiste  en  sagesse,  en  tempérance,  en  piété  et  en 
justice.  Si  le  cœur  de  l'homme  est  dans  la  main  de  Dieu,  à  plus 
forte  raison  Pâme  doit-elle  y  être;  et  alors  elle  ne  peut  être  enfer- 
mée dans  le  tombeau  avec  le  corps,  ou  mêlée  aux  cendres  du  bû- 
cher funéraire,  mais  elle  jouit  d'un  pieux  repos.  0  vaine  folie  des 
hommes  qui  construisent  de  magnifiques  tombeaux,  comme  s'ils 
devaient  servir  de  demeure  à  l'ame  et  non  pas  au  corps  seul  î  De 
nombreux  témoignages  de  l'Ecriture  nous  apprennent  que  l'ame 
doit  habiter  un  plus  noble  séjour.  Nous  lisons  dans  les  livres  d'Es- 
dras  que,  lorsque  le  jour  du  jugement  sera  venu,  la  terre  rendra 
les  corps  des  morts,  et  la  poussière  rendra  les  dépouilles  que  ren- 
ferment les  tombeaux;  et  les  réservoirs  des  âmes,  dit-il,  rendront 
les  âmes  qui  leur  ont  été  confiées,  «  et  le  Très-Haut  apparaîtra  sur 
«  le  tribunal  suprême  *.  »  Ce  sont  ces  réservoirs  dont  Notre  Sei- 
gneur a  dit:  «  Il  y  a  plusieurs  demeures  dans  le  royaume  de  mon 
«  Père2,  »  et  ce  sont  ces  demeures  qu'en  allant  à  son  Père  il  va 
préparer  pour  ses  disciples.  Mais  j'ai  voulu  me  servir  des  paroles 
d'Esdras,  pour  que  les  Gentils  sachent  que  ce  qu'ils  admirent  dans 
les  livres  de  la  philosophie  est  emprunté  à  nos  livres  saints.  Et  plût 
à  Dieu  qu'elle  n'y  eût  pas  mêléses  vaines  et  inutiles  rêveries,  qu'elle 
n'eût  pas  dit  que  les  mêmes  âmes  étaient  communes  aux  hommes 
et  aux  bêtes  ,  et  que  le  plus  beau  prix  auquel  pût  prétendre  l'ame 
du  plus  grand  philosophe  était  d'aller  habiter  le  corps  d'une  abeille 
ou  d'un  rossignol ,  afin  que  celui  dont  les  discours  avaient  in- 
struit les  hommes  vînt  plus  tard  adoucir  leurs  mœurs  par  la  suavité 
du  miel  ou  l'harmonie  des  chants!  Il  leur  eût  suffi  de  dire  que 
l'ame  dégagée  du  corps  se  rendait  dans  le  aides  ou  lieu  qui  ne 
peut  être  vu  ,  et  que  nous  nommons  en  latin  infernus ,  enfer.  L'Ecri- 
ture a  appelé  ces  demeures  «  les  réservoirs  des  âmes,  animarum 
vrompluaria* .  » 

Pour  aller  au  devant  des  plaintes  des  hommes  sur  le  sort  des 
justes  des  premiers  âges,  qui  sont  privés  pour  long-temps  de  la 
récompense  qu'ils  ont  méritée,  l'Ecriture  dit  encore  dans  son  admi- 
rable élévation  «  que  ce  jour  du  jugement  est  semblable  à  une 
«  couronne  4  ,  »  et  qu'il  n'y  aura  là  ni  retard ,  ni  priorité,  ni  pre- 
miers, ni  derniers.  Ce  jour  de  la  couronne  est  attendu  par  tous  ;  et 
dans  ce  jour  les  vaincus  seront  couverts  de  honte,  les  vainqueurs 

1  Esdras,  vu,  52.  — 2  Joan.,  xiv,  2.  —  3  ry  Esdras,  vit;  23.  —  *  Ibùl.,  v,  42. 


DES    PRÉDICATEURS,  589 

recevront  la  palme  de  la  victoire.  Et  elle  ne  cache  pas  que  ceux 
qui  ont  été  les  premiers  engendrés  au  monde  semblent  avoir  été 
plus  forts  et  les  derniers  plus  faibles;  elle  compare  les  générations 
du  siècle  «  à  celles  de  la  femme  même  *.  »  Le  sein  est  épuisé  par 
les  fruits  qu'il  a  produits  ;  les  enfans  nés  dans  la  jeunesse  sont  plus 
forts  que  ceux  qui  ont  été  mis  au  monde  dans  la  vieillesse;  le  siè- 
cle est  dégénéré  et  épuisé,  et  n'offre  plus  que  l'image  d'une  créa- 
ture décrépite  que  la  force  de  sa  jeunesse  a  abandonnée.  Jusqu'à 
l'accomplissement  des  temps,  les  âmes  attcndentla  récompense  qui 
leur  est  due.  Aux  unes  est  réservée  la  gloire,  aux  autres  le  châti- 
ment ;  et  pourtant  cette  longue  attente  n'est  pas  pour  les  unes  sans 
quelques  jouissances,  pour  les  autres,  sans  quelques  peines;  car 
les  âmes  impies  voient  déjà  la  moisson  de  gloire  réservée  à  celles 
qui  ont  suivi  la  loi  de  Dieu  et  les  demeures  gardées  pour  elles  par 
les  anges;  elles  voient  aussi  déjà  les  supplices  futurs  de  leur  faus- 
seté ,  de  leur  orgueil;  dans  la  confusion  et  la  honte ,  elles  voient 
la  gloire  du  Très-Haut;  elles  rougissent  de  paraître  en  présence 
de  celui  qu'elles  ont  offensé;  comme  Adam,  elles  ont  péché  ;  comme 
lui,  elles  sont  dans  la  confusion.  Tombé  pour  avoir  transgressé  les 
ordres  de  Dieu,  notre  premier  père  se  cachait;  et  dans  la  honte  de 
sa  chute  ,  dans  le  trouble  de  sa  conscience  coupable,  il  craignait 
l'éclat  de  la  divine  présence.  Ainsi  lame  du  pécheur  ne  pourra 
supporter  l'éblouissant  éclat  de  cette  lumière  céleste  qu'elle  se 
souviendra  d'avoir  eue  pour  témoin  de  ses  fautes.  (  Saint  Ambroise, 
Que  la  mort  est  un  bien.) 

Nos  corps  ressusciteront  pour  ne  plus  mourir. 

L'ame  ne  mourant  point ,  si  le  corps  qui  meurt  ne  devait  pas 
ressusciter  un  jour,  il  s'ensuivrait  que  cet  admirable  assemblage 
de  deux  substances  si  différentes,  unies  par  un  nœud  secret  et  in- 
compréhensible, ce  chef-d'œuvre  de  la  sagesse  et  de  la  puissance 
de  Dieu  serait  détruit  à  jamais  par  la  mort.  Mais  cet  assemblage  est 
ce  que  nous  appelons  proprement  l'homme.  Si  donc  les  deux  por- 
tions qui  composent  son  être  ne  devaient  plus  se  réunir,  et  que 
l'une  d'elles  eût  péri  pour  toujours,  le  plus  merveilleux  des  ou- 
vrages du  Créateur  demeurerait  éternellement  mutilé  comme  s'il 
n'était  pas  en  son  pouvoir  de  le  conserver  ou  de  le  rétablir  tout 
entier.  ;     ,       «, 

*  IV  Esdras,  iv,  40  ;  v,  53. 


Ogo  NOUVELLE    BIBLIOTHEQUE 

Mais  quoi!  ce  corps  serait-il  donc  par  lui-même  si  vil  que  les 
toutes- puissantes  mains  qui  l'ont  formé  dédaignassent  de  le  retirer 
de  la  poussière?  Sans  doute,  et  nous  venons  de  le  dire,  il  est  bien 
inférieur  par  sa   nature  à  lame  spirituelle  qui  lui  communique  la 
vie.  Mais  entre  les  œuvres  matérielles  de  Dieu  ,  en  est-il  une  seule 
qui  l'égale  ?  Comparez,  mes  frères,  et  jugez.  Le  soleil  nous  éblouit 
par  son  éclat,  et  toutefois  brille-t-il,  comme  l'œil  de  l'homme,  du 
feu  du  génie  ?  et  répand-il,  si  j'ose  ainsi  parler,  la  lumière  de  l'in- 
telligence? La  sérénité  du  plus  beau  jour  est-elle  comparable  au 
sourire  qui  embellit  le  visage  de  l'homme?  à  cette  expression  de 
douce  joie,  de  paix,  de  noble  modestie,  de  pudeur  et  de  bienveil- 
lance qui  anime  quelquefois  tous  ses  traits  ?  Lit-on  dans  le  ciel  le 
plus  pur,  comme  sur  le  front  du  juste,  la  candeur  et  l'innocence  ? 
Les  oiseaux  nous  charment  par  la  mélodie  de  leurs  voix  et  de  leurs 
chants  ;  mais  qu'est-ce  que  tous  leurs  concerts,  auprès  de  la  parole 
de  l'homme  et  des  sons  merveilleux  qui  expriment  et  communi- 
quent le  sentiment  et  la  pensée,  qui,  en  frappant  l'oreille,  éclairent 
les  esprits,  émeuvent  profondément  les  cœurs,  rapprochent  les 
objets  éloignés,  peignent  les  invisibles  ,  et  font  d'un  des  moindres 
organes  du  corps  l'admirable  instrument  d'un  commerce  spirituel 
entre  les  âmes?  Il  est  des  animaux  qui  ont  en  partage  la  beauté,  la 
force,  l'agilité,  la  grâce;  mais  en  est-il  qui  aient  reçu  ce  port  ma- 
jestueux de  l'homme,  ces  yeux  élevés  vers  le  ciel,  cette  attitude 
du  commandement  et  cette  dignité  qui  annonce  le  roi  de  la  nature? 
Oh  !  mes  frères ,  quel  dut  être  ce  corps  dans  l'état  de  sa  beauté 
originelle,  lorsqu'il  sortit  pour  la  première  fois  des  mains  de  son 
Auteur,  brillant  de  gloire  et  de  majesté,  portant  sur  le  front  l'em- 
preinte toute  vive  et  toute  pure  de  la  ressemblance  divine.  Puis- 
que, dans  l'état  même  de  dégradation  où  l'a  réduit  le  péché,  il  sur- 
passe encore  de  si  loin  tout  ce  que  ce  monde  visible  offre  de  plus 
parfait, il  y  est  encore  le  centre  de  toutes  choses,  le  seul  être  maté- 
riel digne  des  regards  et  de  l'amour  du  Créateur,  le  seul  pour  qui 
tous  les  autres  existent;  car  ce  ne  sont  point  nos  âmes,  mais  nos 
corps  qui  ont  besoin  de  cette  terre  pour  les  porter  et  les  nourrir, 
de  cette  lumière  des  cieux  pour  les  éclairer,  de  cet  air  que  nous 
respirons  pour  entretenir  leur  vie.  Quelle  apparence  donc  que  le 
plus  beau  et  le  plus  accompli  des  objets  sensibles   et  corporels, 
celui  auquel  se  rapportent  tous  les  autres,  soit  presque  le  moins 
durable  de  tous  ?  Les  astres  roulent  depuis  six  mille  ans  sur  nos 
têtes  sans  avoir  rien  perdu  de  leur   splendeur;  la  terre,    après 
tant  de  siècles ,  ne  chancelle  point  sur  ses  bases,  et  conserve  sa  fé- 


DES   PRÉDICATEURS,  5()I 

condité  tout  entière;  les  fleuves  n'ont  pas  vu  tarir  leurs  sources; 
les  cèdres  et  les  pins  antiques  couronnent  encore  les  mêmes  mon- 
tagnes où  les  virent  nos  aïeux;  et  le  corps  de  l'homme  serait  sem- 
blable à  l'herbe  des  champs ,  qui  s'élève  le  matin  ,  tombe  et  se  flé- 
trit le  soir?  il  n'aurait  un  moment  d'éclat  et  de  vie  que  pour  être 
changé  bientôt  en  un  vil  fumier,  et  devenir  pour  toujours  la  proie 
de  la  pourriture  et  des  vers  ?  Non  seulement  il  serait  moins  du- 
rable que  tant  d'autres  ouvrages  de  Dieu  qui  n'ont  été  faits  que 
pour  lui;  mais,  chose  plus  étrange  encore,  il  durerait  bien  moins 
que  ses  propres  ouvrages  ?  Tandis  que  ces  superbes  monumens , 
ces  palais  et  ces  sanctuaires  qu'il  a  construits  ,  ces  marbres  et  ces 
bronzes  qu'il  a  su  animer  en  quelque  sorte,  en  leur  imprimant  les 
traits  de  sa  propre  ressemblance,  résistent  aux  ravages  du  temps 
et  attirent  encore  les  regards  des  générations  les  plus  reculées  ;  lui 
même,  presque  aussitôt  détruit  que  formé,  il  serait  depuis  long- 
temps enseveli  dans  la  poussière,  pour  ne  s'en  relever  jamais?  et 
il  aurait  fait  des  images  de  lui-même  moins  périssables,  que  le  mo- 
dèle fait  de  la  main  du  Tout-Puissant  et  marqué  au  sceau  de  sa  di- 
vine ressemblance  ? 

Mais  de  plus,  ce  corps  qui  élève  des  sanctuaires  à  la  Divinité, 
qui  lui  dresse  des  autels  et  les  orne  avec  magnificence,  n'est-il  pas 
lui-même  le  plus  digne  temple  qu'elle  habite  ici-bas  ?  En  est-il 
qu'elle  préfère  à  un  corps  chaste,  domicile  d'une  ame  vertueuse  et 
sainte?  Que  sont  à  ses  yeux  des  édifices  de  bois  et  de  pierre,  ou 
même  d'or  et  de  porphyre  ,  auprès  de  ce  temple  vivant  qui  lui-même 
offre  l'encens ,  adore  et  prie  ?  Voyez-le  qui  se  courbe  tout  entier, 
se  prosterne ,  et  semble  se  vouloir  anéantir  devant  la  majesté  su- 
prême. Voyez  cette  bouche  qui  se  colle  contre  le  pavé  du  lieu  saint, 
et  le  baise  avec  un  religieux  respect;  ces  yeux  qui  se  fixent  sur  le 
tabernacle  et  se  remplissent  de  pieuses  larmes;  ce  cœur  qui  pal- 
pite d'amour  pour  son  Dieu;  ces  mains  qui  s'élèvent  vers  le  ciel, 
comme  pour  porter  l'hommage  de  l'adoration  jusqu'au  pied  du 
trône  de  l'Eternel.  Entendez  cette  voix  et  cette  langue,  qui  chan- 
tent avec  une  si  douce  harmonie  ses  louanges ,  et  invitent  haute- 
ment toutes  les  créatures  à  célébrer  avec  elles  ses  grandeurs  ! 

Mais ,  ô  merveille  !  ce  n'est  pas  assez  pour  ce  corps  d'argile  de 
rendre  un  culte  si  pur  à  l'Auteur  de  son  être,  il  faut  encore  qu'il 
imite  en  quelque  sorte  ses  vertus,  qu'il  soit  l'instrument,  le  minis- 
tre et  comme  le  représentant  de  sa  providence  bienfaisante  sur 
la  terre.  Quel  est  le  genre  de  bonne  œuvre  pour  lequel  il  ne  s'em- 
presse, auquel  tous  ses  membres  ne  concourent?  Ne  sont-ce  pas 


5p2  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

les  entrailles  qui  s'émeuvent  au  récit  de  l'infortune?  N'est-ce  pas 
le  bras  qui  s'étend  pour  soutenir  ou  relever  l'infirme,  pour  essuyer 
les  pleurs  de  l'affligé,  pour  répandre  des  largesses  dans  le  sein  du 
pauvre?  Nesont-cepas  les  mains  qui  travaillent  pour  vêtir  l'homme 
nu,  pétrir  le  pain  de  l'homme  affamé,  dresser  la  couche  del'homme 
languissant  et  malade  ?  N'est-ce  pas  de  la  bouche  et  des  lèvres  que 
coulent  ces  paroles  tendres  et  consolantes,  le  baume  le  plus  salu- 
taire et  le  plus  doux  que  la  charité  puisse  appliquer  aux  blessures 
du  cœur?  Où  est,  en  un  mot,  le  bien  que  fait  à  l'humanité  une 
ame  sensible  et  généreuse ,  sans  que  le  corps  y  contribue  avec  elle, 
et  en  fasse  même  souvent  les  principaux  frais?  Quelquefois  il 
épuise  ses  forces,  et  se  consume  tout  entier  au  service  de  Dieu  et 
du  prochain  ;  et  pour  récompense  ,  ce  Dieu  de  bonté  le  vouerait  à 
nue  éternelle  destruction  !  il  romprait  sans  pitié  et  sans  retour 
l'alliance  d'une  ame  et  d'un  corps  si  saintement  unis  pour  tous  les 
offices  de  la  piété  et  de  la  miséricorde!  Non,  Seigneur,  non,  je 
ne  le  croirai  jamais.  (  Le  P.  de  Mac-Càrtiiy.  ) 

Excellence  du  corps  de  l'homme. 

Ce  corps,  formé  de  la  terre,  Dieu  ne  nous  l'a  pas  donné  pour 
que  notre  ame  rampe  avec  lui  sur  la  terre,  mais  pour  que  nous 
relevions  lui-même  vers  le  ciel.  Ce  corps  n'est,  il  est  vrai,  qu'une 
matière  terrestre;  mais  il  ne  tient  qu'à  moi  de  le  rendre  tout  cé- 
leste. Quel  honneur  pour  l'homme  !  quelle  auguste  prérogative 
pour  son  ame!  Il  est  dit  de  Dieu  :  Qu'il  fait  tout,  quil  change  et 
transfère  les  choses  à  son  gré  *  ;  il  a  donné  à  l'homme  un  pouvoir 
égal  au  sien.  C'est  moi,  nous  dit-il,  qui  ai  fait  le  ciel  et  la  terre  2. 
O  homme,  tu  peux,  toi  aussi,  transporter  le  ciel  sur  la  terre!  Je 
t'ai  fait  un  corps  brillant  de  beauté;  achève  l'ouvrage  en  parant 
ton  ame  de  vertus.  J'ai  dit  au  premier  des  jours  :  Que  la  terre  pro- 
duise de  l herbe  et  toutes  sortes  d arbres  fruitiers  3$  commande  à 
ta  chair,  toute  terrestre  qu'elle  est ,  de  produire  des  fruits,  et  elle 
obéira  à  ton  commandement.  C'est  moi  qui  fais  les  orages  etles  tem- 
pêtes; j'ai  créé  les  vents  et  ce  dragon,  dont  jemejoue  clans  ma  toute- 
puissance.  Ce  dragon ,  c'est  le  démon.  Nous  pouvons ,  mes  frères, 
prendre  sur  lui  l'empire ,  le  vaincre  et  nous  jouer  de  ses  fureurs, 
comme  on  fait  des  résistances  d'un  timide  passereau.  Je  fais  luire 
mon  soleil  sur  les  bons  et  sur  les  médians  :  imite-moi ,  dit  le  Sei- 

*  Dan.,  h,  21.  — 2  Amos.,  v,  8.  —  *  Gen.,  il,  11. 


DES    PRÉDICATEURS.  5û3 

gneur,  en  faisant  du  bien  à  tes  amis  et  à  tes  ennemis.  J'ai  allume 
à  la  voûte  du  firmament,  ces  astres  qui  répandent  la  lumière*  à 
mon  exemple,  fais  luire  le  flambeau  de  la  vérité  aux  yeux  de  ceux 
qui  sont  dans  les  ténèbres  de  l'erreur  et  de  l'ignorance.  Connaître 
Dieu  est  un  bien  plus  grand  que  celui  de  voir  le  soleil.  S'il  est  hors 
de  ta  puissance  de  créer  un  homme,  tu  peux  du  moins  le  rendre 
juste  et  agréable  aux  yeux  de  son  Créateur.  (Saint  Ciirysostome  *,) 


L'homme  est  un  étranger  sur  la  terre. 


Nous  ne  sommes,  dans  ce  monde,  que  comme  des  soldats  sous 
la  tente.  Celui  qui  n'est  que  campé  ne  s'avise  pas  de  se  bâtir  une 
maison  dans  le  lieu  où  il  est  aujourd'hui  pour  n'y  être  plus  demain- 
y  prétendre  établir  un  domicile,  ce  serait  donner  une  bien  faible 
idée  de  sa  fidélité  et  de  son  courage.  Il  n'y  est  que  pour  se  tenir 
prêt  à  combattre.  A  la  bonne  heure  ,  quand  il  sera  de  retour  dans 
sa  patrie,  il  s'occupera  de  bâtiment  ou  de  commerce.  Que  faisons- 
nous  dans  le  monde,  qu'y  combattre?  Quand  nous  serons  rendus 
à  la  patrie  céleste ,  nous  penserons  à  nous  y  faire  notre  établisse- 
ment, à  nous  y  enrichir,  ou  plutôt  le  roi  de  cet  empire  a  pourvu 
à  ce  que  nous  n'y  manquions  de  rien.  Il  nous  y  prépare  d'assez 
abondantes  richesses.  Ne  nous  occupons  dans  la  terre  de  l'exil  et 
de  la  milice  qu'à  nous  y  faire  de  bons  retranchemens  contre  l'en- 
nemi. Il  ne  nous  faut  ici  qu'une  tente  et  point  de  maison.  Vous 
avez  entendu  dire  que  les  peuples  nomades  de  Scythie  passent 
leur  vie  sur  des  chariots  qui  les  transportent  d'un  lieu  à  un  autre, 
sans  avoir  de  domicile  fixe.  Tel  doit  être  le  Chrétien  •  il  a  bien 
assez  à  faire,  aux  prises  comme  il  est  avec  les  démons,  pour  ne 
s'occuper  pas  d'un  autre  intérêt  que  de  celui  de  se  défendre  lui- 
même,  ou  d'avoir  à  défendre  les  autres  contre  les  attaques  de  ses 
ennemis  du  salut.  Vous  vous  construisez  de  magnifiques  habita- 
tions, ô  mon  frère!  est-ce  donc  pour  vous  lier  à  la  terre  par  des 
chaînes  plus  pesantes  ?  Vous  amassez  des  trésors  que  vous  cachez 
soigneusement;  est-ce  pour  attirer  l'ennemi  par  l'appât  d'une 
proie?  Vous  bâtissez  des  murailles;   est-ce  pour  vous  y  empri- 


sonner? 


Jésus-Christ,  dans  l'Évangile,  appelle  les  Pharisiens  sépulcres 
blanchis ,  pleins  au  dedans  de  corruption  et  d iniquité  ^^  et  trom- 
pant les  yeux  par  de  beaux  dehors  :  combien  encore,  parmi  nous, 

4  Hom„  xv,  in  I  ad  Timoth,—*  Matth.,  xxm,  27. 

T.    III,  ^8 


594  NOUVELLE    BIBLIOTHÈQUE 

de  ces  Pharisiens  !  On  donne  tous  ses  soins  à  l'extérieur  :  pureté 
apparente;  au  dedans  corruption,  iniquité.  Tout  pour  le  corps, 
rien  pour  l'aine.  Soulevez  toutes  ces  consciences  ;  vous  y  verrez 
la  pourriture  et  les  vers;  une  infection  épouvantable,  c'est-à-dire, 
les  vices  et  les  désordres  les  plus  honteux.  Ce  qui  était  bien  déplo- 
rable, sans  doute,  pour  les  Pharisiens  ,  l'est  plus  encore  pour  des 
Chrétiens,  dont  la  grâce  de  la  régénération  a  fait  les  temples  du 
Saint-Esprit,  les  sanctuaires  de  Dieu  lui-même.  On  relègue,  avec 
grand  soin,  les  sépulcres  loin  de  nos  cités.  Sépulcres  où  réside  la 
pourriture  du  péché,  pouvez -vous  bien  prétendre  à  la  Cité  céleste  ? 
(Saint  Ghrysostôme  *.) 

Futilité  des  objections  contre  la  résurrection  des  corps. 

Que  les  insensés  et  les  impies  viennent  maintenant;  qu'à  ces 
pensées  si  hautes  et  si  divines ,  à  l'autorité  si  imposante  de  toutes 
les  Eciitures,  au  fait  si  incontestable  de  la  résurrection  de  Jésus- 
Christ ,  et  aux  conséquences  décisives  qu'en  tirait  s?int  Paul,  ils 
opposent,  quoi?  J'ai  honte  de  le  dire  :  l'impossibilité  prétendue  où 
sera  le  Dieu  tout-puissant  de  faire  revivre  ce  qui  est  mort,  après 
avoir  donné  la  vie  à  ce  qui  n'était  pas,  et  de  retrouver,  dans  ce  qu'ils 
appellent  le  vaste  sein  de  la  nature,  les  élémens  dispersés  de  nos 
corps,  après  les  avoir  su  trouver  dans  les  profonds  abîmes  du 
néant.  Qu'ils  reproduisent  ces  difficultés  vaines ,  dont  les  païens 
eux-mêmes  rougirent,  et  qu'ils  abandonnèrent;  nous  les  méprise- 
rons ,  et  il  nous  suffira  de  leur  répondre  :  qu'une  seule  chose  est 
impossible  à  Dieu ,  c'est  de  ne  pouvoir  pas  faire  tout  ce  qu'il  veut, 
ou  de  ne  pas  accomplir  tout  ce  qu'il  a  promis;  que  supposer  quel- 
que obstacle  insurmontable  à  une  puissance  sans  bornes,  c'est 
aller  jusqu'aux  dernières  limites  de  la  déraison,  c'est  se  contre- 
dire dans  les  termes  ;  que  pour  avoir  droit  de  nier  la  résurrection 
parce  qu'elle  est  incompréhensible,  il  faudrait  pouvoir  citer  au 
moins  une  seule  œuvre  de  Dieu  que  l'on  comprenne,  il  faudrait 
au  moins  être  en  état  de  comprendre  notre  propre  existence 
qui  est  elle-même  pour  nous  un  mystère  impénétrable;  enfin,  que 
si  nous  voyons  tous  les  jours  ces  savans  hommes  qui  ont  dérobé 
à  la  nature  une  partie  de  ses  secrets ,  décomposer  sous  nos  yeux 
des  substances  matérielles,  former,  de  leurs  élémens  combinés 
avec  art,  des  substances  nouvelles,  décomposer  encore  celles-ci 


1  Hom.,  lxx  et  lxxiv,  in  Mauh. 


DES    PRÉDICATEURS.  5p,5 

et  des  mêmes  élémens  reformer  les  premières,  il  serait  étrange 
que  le  souverain  Auteur  de  la  nature  ne  pût  pas,  après  la  dissolu- 
tion de  nos  corps  et  les  divers  changemens  qu'ils  auront  subis, 
rassembler  leurs  élémens  épars,  pour  reconstruire  l'édifice  de  nos 
membres,  et  rétablir  ainsi  son  premier  ouvrage. 

Oh  !  qu'il  sera  facile  à  la  parole  créatrice  et  toute-puissante  d'o- 
pérer cette  merveille!  avec  quelle  promptitude,  au  son  de  la  trom- 
pette, c'est-à-dire  à  la  voix  du  Fils  de  Dieu,  l'air,  les  eaux,  la  terre 
et  les  abîmes  rendant  les  débris  de  nos  corps  dévorés,  enfouis, 
évaporés,  consumés  en  mille  manières;  nos  cendres  et  notre  pous- 
sière disséminées  se  rapprochant  en  un  clin-d'œil,  et  reprenant 
leur  ancienne  forme,  tous  les  morts  sortiront  vivans  de  leurs  sé- 
pulcres et  comparaîtront  devant  l'arbitre  suprême  de  leur  sort, 
pour  recevoir  le  salaire  dû  à  leurs  œuvres  :  Et  (ledit  mare  mor- 
tuos...  et  mors  et  infernus  dederunt  mortuos  suos..  etjudicatum  est  de 
singulis  i.  (Le  P.  de  Mac-Garthy.) 

Péroraison. 

Telle  sera  donc,  mes  frères,  la  fin  de  toutes  choses  :  ou  plutôt 
tel  sera  le  commencement  d'un  ordre  de  choses  qui  n'aura  plus  de 
fin.  Voilà  vos  destinées,  ô  hommes  immortels  qui  m'entendez. 
Votre  ame,  cette  portion  excellente  de  votre  être,  par  laquelle  vous 
êtes  semblables  à  Dieu  et  aux  anges,  ne  cessse  pas  de  vivre,  au 
moment  où  le  souffle  de  la  vie  abandonne  le  corps;  mais  plutôt 
elle  s'échappe  alors  de  sa  prison,  et  prend  son  vol  vers  la  région 
des  vivans,  qui  est  le  lieu  de  son  éternité.  Le  corps  lui-même  ne 
demeure  pas  englouti  dans  le  tombeau  où  il  est  condamné  à  des- 
cendre; il  ne  s'y  consume  que  pour  se  dégager  de  ce  qu'il  avait  de 
corruptible,  et  se  mettre  en  état  de  recevoir  sa  forme  immortelle, 
comme  l'or  se  fond  dans  le  creuset,  pour  en  sortir  plus  brillant 
et  plus  pur.  O  enfans  des  hommes ,  comment  avez  vous  oublié  ce 
que  vous  êtes,  et  ce  que  vous  devez  un  jour  devenir?  Gomment 
vos  cœurs  se  sont-ils  appesantis  et  collés  à  cette  terre  qui  n'est  pas 
votre  patrie?  Faits  pour  des  biens  si  grands  et  si  réels,  appelés  à 
posséder,  non  l'apparence  et  l'ombre,  mais  la  substance  même 
du  parfait  bonheur  et  de  la  vraie  gloire  ,  comment  vous  attachez- 
vous  à  des  bagatelles  qui  vous  trompent,  et  à  des  fantômes  qui 
s'évanouissent  au  moment  où  vous  les  embrassez?  Filii  àominum, 
usquequo  gravi  corde?  ut  quid  diligitis  vanitatem  et  quœritis 
mendacium  2  ?  Que  vous  sert,  ô  avare,  ce  trésor  de  boue,  que  vous 

Àpoc,  xx,  13.  — s  Ps.;  iv,  5. 

38. 


fîrtg  NOUVELLE    BiliLIOTnÈQUE 

amassez  au  prix  de  tant  de  sollicitudes  et  de  sacrifices?  qu'y  a-t-il 
de  commun  entre  ce  vil  métal  que  la  mort  va  vous  enlever,  et  Y  es- 
prit immortel  qui  est  en  vous  ?  Hélas  !  par  quelle  indigence  et  quel 
dénûment  éternel  vous  expierez  un  jour  cette  passion  insensée 
pour  des  richesses  périssables!  Ut  quid  diligitis  vanilatem  et  quœ- 
rilis  mendacium?  Et  vous,  ô  superbe  esclave  de  l'orgueil,  n'est- 
ce  pas  une  illusion  et  un  mensonge  que  cette  fumée  de  gloire 
dont  vous  êtes  si  avide?  vous  a-t-elle  procuré  un  seul  instant  de 
pure  et  véritable  joie,  pour  vous  dédommager  de  l'opprobre  et  de 
l'ignominie  qu'elle  vous  prépare  dans  l'éternité?  Ut  quid  diligitis 
vanitatem  et  quœritis  mendacium?  Mais  vous  surtout,  ô  volup- 
tueux, que  cherchez-vous  dans  la  fange  des  plus  honteux  plaisirs? 
Oh!  par  combien  de  remords  et  de  dégoûts  ces  infâmes  penchans 
vous  conduisent  à  des  tourmens  sans  mesure  et  à  un  désespoir 
sans  fin  !  Ut  quid  diligitis  vanitatem  et  quœritis  mendacium  ?  Lais- 
sez, laissez,  ô  aveugles,  de  criminelles  chimères,  et  tournez  toutes 
vos  pensées  vers  les  solides  biens  et  les  ineffables  délices,  qui  se- 
ront la  récompense  immortelle  des  justes  :  Scitote  quoniam 
mirificavit  Dominus  sanctum  suum  l.  Hommes  de  peu  de  foi ,  ne 
me  demanderez-vous  pas  quel  gnge  nous  vous  donnons  de  ces 
hautes  destinées  que  nous  osons  vous  promettre  dans  l'avenir  : 
Multi  dicunt,  quis  oslendit  nobis  bona  2?  Eh!  Seigneur,  en  faut-il 
d'autre  garant  que  la  noblesse  même  et  la  dignité  de  notre  na- 
ture, que  cette  empreinte  de  votre  grandeur  qui  est  en  nous,  et 
qui  nous  distingue  si  glorieusement  de  tout  ce  qui  nous  envi- 
ronne? Signatum  est  super  nos  lumen  vultus  tui,  Domine  3.  Puis-je 
douter  qu'il  n'y  ait  en  moi  quelque  chose  d'immortel  et  de  divin, 
quand  je  me  vois  si  supérieur  à  tout  ce  qui  n'est  pas  vous,  ou  qui 
ne  porte  pas  le  caractère  de  votre  ressemblance  ?  quand  je  sens  en 
moi-même  je  ne  sais  quoi  d'insatiable  et  d'immense ,  qu'aucun  ob- 
jet créé  ne  peut  satisfaire,*  pour  qui  tout  ce  qui  doit  finir  n'est 
rien  ;  qui  déborde  de  toutes  parts  ce  monde  visible  ;  qui  se  trouve 
à  l'étroit  dans  tout  ce  qui  a  des  bornes  *  qui  ne  peut  se  reposer  à 
l'aise  que  dans  le  sein  de  l'infini,  ni  goûter  de  contentement  et  de 
bonheur  qu'en  vous  seul?  Dedisti  lœtitiam  in  corde  meo  /k.  Ah! 
que  d'autres  s'applaudissent  de  la  fécondité  de  leurs  terres;  qu'ils 
recueillent  avec  joie  leurs  riches  moissons,  et  les  fruits  abondans 
de  l'olivier  et  de  la  vigne  :  A  fructu  frumenti ,  vini  et  olei  multi- 
plicati  sunt  5.  Pour  moi ,  mon  Dieu,  soit  qu'il  vous  plaise  de  m'ac- 

1  Ps.,  iv,  4.  —  2  Ibid.,  6.  —  s  ibid.,  7.  — 4    Ps.,  iv,  7.  —  «  Ibid.,  8. 


DES    PRÉDICATEURS.  5gj 

corder  ou  de  me  refuser  les  dons  de  la  fortune  et  les  jouissances 
passagères  de  ce  monde,  je  vivrai  dans  la  paix,  content  et  heureux 
de  votre  seul  amour  :  In  p ace  in  idipsum  dormiam  et  requiescam  '. 
L'espérance  que  vous  me  donnez  d'une  glorieuse  immortalité 
dans  votre  royaume  suffit  pour  combler  tous  mes  vœux  et  mes 
plus  vastes  désirs  :  Quoniam  tu.  Domine ,  singulariter  in  spe  con- 
stituisti me - '•.  Puisse,  mes  frères,  cette  précieuse  espérance  se 
réaliser  en  notre  faveur!  Puissions-nous  être  tous  éternellement 
réunis  dans  le  sein  de  notre  Dieu!  C'est  la  grâce  que  je  vous  sou- 
haite, au  nom  du  Père,  et  du  Fils,  et  du  Saint-Esprit,  Ainsi  soit-il. 
(Le  P.  de  Mac-Cartpiy.) 

*  Ps.  iv,  9-  —  2  lbid  ,  10. 


FIN    DU    TROISIEME    VOLUME. 


TABLE  DES  MATIÈRES 

CONTENUES  DANS  CE  VOLUME. 


Pages. 
PLAN    ET    OBJET    DU    TROISIÈME    DISCOURS    SUR    LES  CRAINTES    ET    LES    ESPÉRANCES    DE 

l'église.  1 

L'étendue  et  la  perpétuité  de  l'Église  sont  assurées.  3 

L'Église  n'a  aucun  besoin  des  princes  de  la  terre ,  parce  que  les  promesses  de  son 

Époux  tout-puissant  lui  suffisent.  8 
Menaces  des  livres  saints  contre  les  églises  en  particulier.  —  Nous  avons  à  crain- 
dre les  mêmes  maux.  15 
Les  Églises  en  particulier  doivent  trembler,  parce  que  les  peuples  ont  péché.  24 
Péroraison.  29 
Plan  et  objet  du  quatrième  discours  sur  le  triomphe  de  l'église.  SI 
Triomphe  de  l'Eglise  sur  les  persécutions.  32 
Triomphe  de  l'Eglise  sur  les  hérésies.  37 
Étonnante  dépravation  des  mœurs  dans  l'Eglise  môme  :  le  triomphe  de  sa  charité 

au  milieu  de  tant  de  désordres.  40 

L'état  dont  nous  gémissons  est  pour  l'Église  un  gage  acsuré  de  triomphe.  43 

Péroraison.  48 

ENFER  OU  ÉTERNITÉ  MALHEUREUSE. 

Réflexions  préliminaires  sur  ce  sujet.  50 

Cause  de  l'incrédulité  sur  l'Enfer.  51 

Révélation  du  dogme  de  l'Enfer.  ib. 

Incomprchensibilité  des  peines  de  l'Enfer.  52 

Violence  des  tourmens  de  l'Enfer.  53 

Les  tourmens  de  l'Enfer  inégaux.  ib. 

Quatre  principaux  supplices  en  Enfer.  54 

Séparation  de  Dieu.  55 

Peine  du  feu.  57 

Objections  contre  le  feu  de  l'Enfer.  59 

Remords.  ib. 

L'Éternité.  61 

Objections  contre  l'éternité  des  peines.  63 

Désespoir  des  damnés.  64 

Conséquences  morales  du  dogme  de  l'Enfer.  65 

Penser  à  l'Enfer.  66 

Craindre  l'Enfer.  67 

Eviter  l'Enfer.  69 

Etonnante  insensibilité  sur  l'Enfer.  70 

Divers  passages  de  l'Écriture  sur  l'Enfer  et  sur  l'éternité  malheureuse.  72 

PLAN    ET    OBJET    DU    PREMIER  DISCOURS   SUR   L'ENFER.  74 

Justice  de  Dieu  dans  la  rigueur  des  peines  de  l'Enfer.  75 

L'éternité  des  peines  n'est  point  incompatible  avec  l'équité  de  Dieu.  81 

Dieu  punira-t-il  un  péché  d'un  moment  par  un  supplice  éternel  ?  —  Réponse.  84 


600  TABLE    DES    MATIERES. 

Certitude  de  l'Enfer.  86 

Le  feu  de  l'Enfer.  88 

Quand  on  vil  bien  ,  on  ne  doule  point  de  l'Enfer.  90 

Qui  est  revenu  des  Enfers  pour  nous  apprendre  ce  qui  s'y  passe  ?  91 

On  demande  si  les  corps  peuvent  brûler  dans  les  Enfers  sans  être  consumés.  Ib. 

Erreur  des  partisans  d'Origcne  sur  l'éternité  des  peines.  92 

Où  est  l'Enfer?  93 
Supplice  du  pécheur  dans  l'Enfer,  la  vue  de  son  péché  et  des  suites  de  son  péché.     94 

Peinture  des  peines  de  l'Enfer.  96 

Eternité  des  peines  de  l'Enfer.  98 

La  colère  de  Dieu  est  sans  bornes  dans  les  Enfers.                      •  103 

S'il  n'y  avait  pas  d'Enfer,  il  n'y  aurait  point  de  frein  contre  le  crime.  106 

Le  feu  de  l'Enfer  est  éternel.  108 

Péroraison.  109 

PLAN  ET    OBJET   DU    SECOND    DISCOURS  SUR    l'eNFER.  HO 

Le  souvenir  du  passé  déchire  le  pécheur  en  Enfer.  112 

Le  présent  accable  le  pécheur  dans  l'Enfer  par  la  plus  cruelle  douleur.  1 18 
L'image  toujours  présente  du  bonheur  dont  le  pécheur  est  déchu  fait  son  tourment 

dans  l'Enfer.  122 

Le  pécheur  verra  ses  péchés  dans  l'Enfer.  129 

L'avenir  désole  le  pécheur  dans  l'Enfer  par  le  plus  affreux  désespoir.  131 

Les  tourmens  de  l'Enfer  sont  sans  espérance.  134 

Péroraison.  138 

Plan  et  orjet  du  troisième  discours  sur  l'enfer.  140 

Supplices  des  méchans  dans  l'Enfer  après  la  mort.  141 

Ce  que  c'est  que  le  feu  de  l'Enfer.  142 

Même  sujet.  143 

Feu  de  l'Enfer,  feu  véritable.  144 

Quelles  sont  les  victimes  de  la  colère  de  Dieu  dans  l'Enfer?  146 

Preuves  de  l'éternité  des  peines  de  l'Enfer.  148 

Tourmens  de  l'Enfer,  tourmens  universels,  tourmens  éternels.  Ib. 
La  foi  doit  corriger  nos  erreurs  et  perfectionner  nos  lumières  sur  l'éternité  des 

peines.  155 

Péroraison.  166 

Plan  et  objet  du  quatrIeme  discours  sur  l'enfer.  169 

Dieu  seul  peut  nous  apprendre  quelles  seront  dans  l'Enfer  ses  rigueurs.  170 

Comment  une  créature  bornée  pourra-t-elle  soutenir  le  fardeau  de  la  colère  de 

Dieu?  172 

Qu'est-ce  que  la  peine  du  dam?  173 

Même  sujet.  17o 

Les  corps  auront  part  aux  supplices  éternels.  176 

Différens  degrés  dans  les  supplices  des  méchans.  177 

Tournions  de  l'Enfer  sans  consolation  dans  leur  amertume.  178 

Châtiment  éternel  des  méchans.  181 

Quelle  est  la  source  des  peines  de  l'Enfer?  182 

Éternité  de  l'Enfer,  motif  de  conversion.  186 

Même  sujet.  187 

L'Enfer  commence  dès  ce  inonde  pour  le  méchant.  188 

La  pénitence  est  inutile  dans  l'Enfer.  189 

Péroraison.  190 

FOI. 


Réflexions  théologiqucs  et  morales  sur  ce  sujet.  192 

Notion  de  la  foi.  ^93 

Divers  passages  de  l'Écriture  sur  la  foi.  203 

Plan  et  objet  du  premier  discours  sur  la  foi.  204 

Nécessité  des  ténèbres  de  la  foi,  fondées  sur  la  grandeur  de  Dieu.                       Ib. 


TABLE    DES    MATIERES.  Go  I 

Utilité  des  ténèbres  do  la  foi,  fondées  sur  la  sagesse  de  Dieu.  200 

L'intelligence  humaine  est  faible  et  bornée.  209 
Une  foi  contredite  et  réprouvée  par  l'Église  n'est  qu'une  foi  présomptueuse  et 

imprudente.  210 
Le  monde  ne  subsiste  que  par  la  foi.  216 
Lafoiest  nécessaire  à  tout.  217 
La  foi  est  le  fondement  de  la  vie  chrétienne.  218 
La  foi,  fondement  de  toutes  les  autres  vertus  du  chrétie  .  219 
Lumières  de  la  foi  dans  l'examen  des  motifs  de  crédulité.  220 
La  foi  doit  nous  guider  dans  la  recherche  de  la  vérité.  223 
Nous  croyons,  parce  que  c'est  Dieu  qui  a  parlé.  227 
Il  faut  tout  sacrifier  pour  la  foi.  230 
Péroraison.  I b  , 
Plan  et  objet  du  second  discours  sur  la  foi.  232 
Ce  que  c'est  que  la  foi.  233 
Il  faut  croire  les  vérités  de  la  foi.  Ib. 
L'hommage  de  notre  raison  à  Dieu  est  nécessaire  et  avantageux  à  l'homme.  236 
La  foi  des  Chrétiens  est  fondée  sur  la  raison  de  Dieu.  240 
La  foi,  ayant  pour  base  la  parole  de  Dieu  ,  ne  peut  nous  tromper.  241 
La  foi  des  Chrétiens  est  vraisemblable.  242 
La  foi  nous  fait  croire  ce  qui  est  au  dessus  de  la  raison.  243 
11  faut  pratiquer  les  œuvres  de  la  foi.  lb . 
Présence  et  absence  de  la  foi.  Leurs  effets.  247 
Merveilles  opérées  par  la  foi.  248 
Péroraison.  249 
Plan  et  objet  du  troèisime  discours  sur  la  foi.  231 
Rien  de  plus  utile  que  la  foi.  253 
Notre  justification  vient  delà  foi.  261 
Rien  de  plus  exposé  que  la  foi.  266 
La  foi  sans  les  œuvres  devient,  contre  le  Chrétien,  un  titre  de  réprobation.  273 
Bonheur  de  celui  qui  vit  dans  la  foi.  279 
Péroraison.  281 
Plan  et  objet  du  quatrième  discours  sur  la  foi  pratique.  283 
Quand  on  vit  mal,  la  créance  est  ordinairement  conforme  à  la  conduite.  284 
La  foi  inutile  sans  les  œuvres.  289 
L'indifférence-pratique  est  coupable  en  elle-même.  292 
L'indifférence  pratique  est  funeste  dans  ses  conséquences.  293 
L'indifférence-pralique  est  le  scandale  de  la  société.  297 
La  foi  des  prétendus  Chrétiens  de  nos  jours  ne  sert  qu'à  les  rendre  plus  cou- 
pables devant  Dieu.  Ib. 
Péroraison.  303 

GRACE. 


Réflexions  théologiques  et  morales  sur  ce  sujet.  305 

Systèmes  catholiques  sur  la  grâce.  Ib. 

Notion  de  la  grâce.  307 

Divers  degrés  de  la  grâce.  308 

Nécessité  de  la  grâce.  309 

Qualités  de  la  grâce.  310 

La  grâce  ne  détruit  pas  la  liberté.  31  * 

Mystère  de  l'accord  entre  la  grâce  et  la  liberté.  313 

La  grâce  nous  prévient.  314 

La  grâce  s'obtient.  Ib. 

La  grâce  accordée  aux  prières.  315 

La  grâce  accordée  aux  bonnes  œuvres.  316 

Grâces  accordées  aux  pécheurs.  Ib. 

Conséquences  morales  des  dogmes  de  la  grâce.  317 


6*02  TABLE    DES    MATIERES 


Humilité. 

Désir. 

Reconnaissance. 

Confiance. 

Demande. 


318 

lb. 

319 

lb. 

320 
Coopération.  ^ 

Divers  passages  de  l'Écriture  sur  la  grâce.  3^9 
Plan  et  objet  du  premier  discours  sur  la  crace.  3o7 
Nécessité  de  la  grâce.  -Jg 
Nécessité  de  la  grâce  pour  connaître  Dieu.  j£ 
Nécessité  efficace  et  inlluence  de  la  grâce.  >»27 
La  grâce  ne  nécessite  pas  les  actions.  3™ 
Il  est  de  notre  sagesse  d'observer  les  occasions  de  la  grâce  et  de  ne  pas  les  man- 
quer. Jh 
Force  de  la  grâce.  333 
Comment  la  grâce  agit  en  nous.  34Q 
La  conversion  est  l'effet  d'une  grâce  prompte  et  puissante.  3^2 
Péroraison.  544 
Plan  et  objet  du  second  discours  sur  la  grâce.  ~^ 
La  grâce  nous  élève   jusqu'à  Dieu.  -$§ 
La  douceur,  les  ménagemens  de  la  grâce  ne  donnent  à  l'homme  pénitent  aucun 

sujet  de  se.  glorifier.  3.J0, 
Le  pécheur  doit  à  la  douceur  et  aux  ménagemens  de  la  grâce  qui  le  prévient  les 

premiers  désirs  de  sa  conversion.  3*;i 

Le  pécheur  doit  à  la  douceur  et  aux  ménagemens  de  la  grâce  sa  conversion.       5*;*; 

Divers  effets  de  la  grâce.  357 
La  force  et  la  puissance  de  la  grâce  ne  fournissent  au  pécheur  aucun  prétexte 

pour  s'excuser.  55g 

Réponse  aux  objections.  sgg 

La  grâce  est  accordée  à  nos  prières.  364 

Péroraison.  /£. 

Plan  et  objet  du  troisième  discours  sur  la  grâce.  366 

De  la  nature  de  la  grâce.  367 

Nécessité  de  la  coopération  a.  la  grâce.  372 

La  grâce  ne  nous  rend  point  impeccables.  573 

Diou  demandera  compte  de  l'usage  que  l'on  aura  fait  de  la  grâce.  374 

Il  faut  coopérer  à  la  grâce.  Avec  elle  on  peut  tout.  Exemple.  375 

Conciliation  des  passages  de  l'Ecriture  sur  la  grâce  et  sur  le  libre  arbitre.  376 

La  loi  inutile  sans  la  grâce.  377 

Difficulté  à  recouvrer  la  justice  perdue.  380 

Efficacité  de  la  grâce  pour  surmonter  nos  plus  fortes  inclinations.  382 

Péroraison.  588 

HUMILITÉ. 


Réflexions  théologiques  et  morales  sur  l'humilité  et  l'orgueil.  380 

Solide  et  véritable  grandeur  de  l'humilité  chrétienne.  398 

Divers  passages  de  l'écriture  sur  l'humilité.  411 

Plan  et  objet  du  premier  discours  sur  l'humilité  chrétienne.  413 

Nécessité  de  l'humilité,  nécessité  de  précepte.  414 

Jésus-Christ  a  commencé  sa  vie  par  l'humilité.  415 

Le  royaume  de  Jésus-Christ  a  pour  fondement  l'humilité.  418 

La  religion  a  établi  son  règne  par  l'humilité.  419 

Nécessité  de  l'humilité  ,  nécessité  de  précaution  contre  les  vices.  422 

L'humilité  ,  remède  du  vice  inséparable  de  notre  nature.  426 

Nécessité  de  l'humilité,  nécessité  de  mérite  pour  acquérir  des  vertus.  427 

La  vraie  sagesse  est  dans  l'humilité.  429 

Exhortation  à  l'humilité.  430 


TABLE    DES    MATIERES.  6o3 

Péroraison.  450 

Plan  et  objet  du  second  discours  sur  l'humilité.  451 

Nécessité  de  l'humilité  chrétienne.  452 

L'homme  n'a  rien  en  lui  qui  le  porte  à  s'élever.  455 

L'homme  n'a  rien  de  son  propre  fonds.  454 

Alliance  de  l'humilité  avec  les  autres  vertus.  455 

Grandeur  de  l'humilité  chrétienne.  456 

C'est  par  l'humilité  que  nous  arriverons  à  la  gloire.  440 

11  ne  faut  pas  craindre  de  s'avilir  en  s'humilianl.  Ib. 

L'humilité  n'est  pas  incompatible  avec  la  magnanimité  la  plus  héroïque.  442 

Nécessité  et  exemples  d'humilité.  444 

Autres  exemples  d'humilité.  445 

Péroraison.  446 

Plan  et  objet  du  troisième  discours  sur  l'humilité.  448 

La  piété  véritable  ne  saurait  exister  sans  l'humilité.  449 
Sans  humilité  la  piété  est  stérile,  malgré  nos  lectures  et  les  exhortations  du  prêtre.  451 

Il  faut  s'exercer  sans  cesse  à  l'humilité.  455 

Le  chemin  à  l'humilité  est  l'humiliation.  Ib. 

L'humilité  est  la  source  d'une  véritable  paix.  454 

Caractères  de  l'humilité.  455 

Moyens  pour  acquérir  l'humilité.  Ib. 

Le  Chrétien  sera  humble  s'il  se  souvient  qu'il  est  homme.  459 

Le  Chrétien  sera  humble  s'il  se  souvient  qu'il  est  Chrétien.  461 

Jésus-Christ  recommande  l'humilité.  465 

Jésus-Christ  exalte  l'humilité.  là. 

Péroraison.  465 


IMMORTALITE  DE  L'AME. 


Réflexions  théologiques  et  morales  sur  ce  sujet.  467 
Divers  passages  de  l'Écriture  sur  l'immortalité  de  l'ame.  498 
Plan  et  objet  du  premier  discours  sur  l'immortalité  de  l'ame.  500 
Immortalité  de  l'ame,  vérité  inébranlable.  501 
Nier  l'immortalité  de  l'ame,  c'est  outrager  la  nature  de  Dieu.  503 
Nier  l'immortalité  de  l'ame,  c'est  dégrader  la  sagesse  de  Dieu.  506 
Nier  l'immortalité  de  l'ame,  c'est  anéantir  la  justice  de  Dieu.  509 
Même  sujet.  510 
Le  sentiment  de  l'immortalité  de  l'ame  triomphe  des  obstacles  que  le  monde  op- 
pose à  notre  bonheur.  512 
Péroraison.  525 
Autre  péroraison.  527 
Plan  et  objet  du  second  discours  sur  l'immortalité  de  l'ame3  529 
L'immortalité  de  l'ame  est  la  plus  glorieuse  de  nos  prérogatives.  552 
Qu'est-ce  que  l'homme  qui  attend  l'immortalité?  554 
Importance  du  dogme  de  l'immortalité  de  l'ame.  555 
Immortalité  de  l'ame.  540 
Même  sujet.  542 
Même  sujet.  345 
Effets  du  désir  de  l'immortalité  de  l'ame.  545 
L'immortalité  de  l'ame  est  la  plus  douce  de  nos  espérances.  549 
Que  deviendra  le  monde  si  l'on  ne  pense  qu'à  la  vie  future  ?  550 
Nous  sommes  immortels,  il  ne  faut  donc  que  savoir  mourir.  552 
Péroraison.  555 
Plan  et  objet  du  troisième  discours  sur  l'immortalité  de  l'ame.  555 
Certitude  d'un  avenir.  557 
Immortalité  de  l'ame  puisée  dans  la  considération  de  ses  sentimcns  qui  sont  com- 
muns à  tous  les  hommes.  565 


6o4  TABLE    DES    xMATIERES. 

Considération  en  faveur  de  l'immortalilé  de  l'ame  puisée  dans  ses  désirs.  566 

Immortalité  de  l'ame  prouvée  par  la  croyance  universelle  du  genre  humain.  K67 

Le  doute  de  l'impie  sur  la  vérité  d'un  avenir  est  opposé  à  l'idée  d'un  Dieu  sage.  068 

L'ame  ne  meurt  point  avec  le  corps.   .  '  k-q 

Il  ne  faut  pas  écouter  ceux  qui  nient  l'immortalité  de  l'ame.  575 

Le  doute  de  l'impie  sur  la  vérité  d'un  avenir  est  opposé  au  sentiment  de  la 

conscience.  574, 

Téroraison.  576 

Autre  péroraison.  577 

Plan  et  objet  du  quatrième  discours  sur  l'immortalité  de  l'uomme.  579 

Nier  l'immortalité  de  l'ame,  c'est  nier  la  sagesse  de  Dieu.  580 

Nier  l'immortalité  de  l'ame,  c'est  nier  la  bonté  de  Dieu.  582 

Nier  l'immortalité  de  l'ame  ,  c'est  détruire  toute  notion  de  la  divine  justice.  584 

La  justice  divine  exige  une  autre  vie.  585 

Immortalité  de  l'ame  prouvée  par  le  témoignage  de  l'Écriture.  587 

Nos  corps  ressusciteront  pour  ne  plus  mourir.  589 

Excellence  du  corps  de  l'homme.  592 

L'homme  est  un  étranger  sur  la  terre.  593 

Futilité  des  objections  contre  la  résurrection  des  corps.  594 

Péroraison.  595 


FIN  DE  L.\  TABLE. 


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La  Bibliothèque 
Université  d* Ottawa 


Echéance 


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The  Library 
university  of  Ottawa 
Date  due 


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CE  BQT  2961 

•D3H6    1836  V003 

CCC   CASSANCEt  PI    KOUVELLE  Bïb! 
ACC#  1034637 


U  D'  /  OF  OTTAWA 


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