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Full text of "Nouvelle géographie universelle; la terre et les hommes"

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in  2010  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


Iittp://www.arcliive.org/details/nouvellegogra05recl 


NOUVELLE 


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LA    TERRE   ET   LES    HOMMES 

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188Ô 


NOUVELLE 

GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE 


LIVRE  V 

L'EUROPE  SCANDINAVE   ET   RUSSE 


CHAPITRE    PREMIER 

LE    DANEMARK 

I 

Le  gardien  des  portes  de  la  Baltique,  petit  Etat  aiicpiel  appartiennent 
l'Islande  et  les  Farôer,  et  même,  dans  le  Nouveau  Monde,  les  vastes  éten- 
dues inhabitées  du  Grœnland  et  trois  Antilles,  n'est  plus  (pi'un  débris 
historique.  De  tous  les  royaumes  d'Europe,  le  Danemark  est,  à  l'eveep- 
tion  de  la  Grèce,  le  moins  considérable  par  le  nombre  de  ses  habi- 
tants '  ;  encore  est-il  bien  inférieur  à  l'IIellade,  si  l'on  lient  compte  des 
hommes  de  même  race,  solidaires  par  l'origine  et  par  la  langue,  qui 
vivent  en  dehors  des  limites  ofiicielles  de  la  contrée.  Tandis  que  les  Grecs 
des  îles,  de  la  Thcssalie,  de  l'Épire,  de  la  Thrace,  de  la  Macédoine,  de 

'       Superficie  du  Djoemnik.  Population  en  I8R0.      Populalinn  probable  l'ii  I88J.     l'opulalion  kilonictriquo 

58  302  kilomètres  carrés.   1  969  050  liabilaiits.       2  055  000  liabitanls.  53  hnbilanls. 

ï.  I 


<i  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

l'Asie  Mineure,  sont  beaucoup  plus  nombreux  que  ceux  du  royaume  pro- 
prement dit,  et  peuvent  lutter  de  concert  avec  eux  pour  l'accomplissement 
de  ce  qu'ils  appellent  la  «  grande  idée  »,  les  Danois,  refoulés  dans  leur 
étroit  domaine,  n'ont  de  l'autre  côté  de  leurs  frontières  qu'un  petit  groupe 
de  concitovens.  Ceux-ci  restent  désormais  privés  de  leur  autonomie  natio- 
nale, malgré  les  stipulations  d'un  traité  solennel,  que  l'Allemagne  se 
croit  maintenant  autorisée  à  violer.  Il  est  vrai  que  les  populations  inté- 
ressées ne  l'ont  point  dégagée  de  son  devoir;  mais  elle  considère  comme 
suffisant  de  s'être  fait  autoriser  par  l'Autriche,  cosignataire  du  traité. 
Deux  puissances  se  partagent  la  responsabilité  pour  la  violation  du  droit, 
une  en  a  le  profit. 

Simple  fragment  d'une  terre  démolie  qui  réunissait  autrefois  la  Scandi- 
navie à  l'Allemagne  du  ÎSord,  le  Danemark  s'est  trouvé  par  son  histoire 
en  rapports  constants  avec  les  deux  pays  voisins.  Il  posséda  jadis  une 
grande  étendue  des  côtes  de  la  Baltique,  l'Esthonie  même.  En  1597,  il  se 
mit  à  la  tèle  de  l'Union  Scandinave,  par  le  traité  de  Kalmar,  el  jusqu'en 
1814  il  posséda  la  Norvège;  au  sud  de  la  Baltique,  divers  territoires 
devenus  allemands  lui  appartinrent  aussi,  et  récemment  encore  des  terres 
germaniques,  le  Holstein,  le  Schleswig  méridional,  le  Lauenburg,  faisaient 
j)artie  intégrante  de  la  monarchie.  Aucun  peuple  d'Eiu'ope  ne  fit  au- 
tant de  conquêtes  que  le  peuple  danois,  car  c'est  du  Jylland  et  des 
îles,  aussi  bien  que  des  fjords  de  la  Norvège  et  de  la  Suède,  que  sor- 
taient les  conquérants  connus  sous  le  nom  de  Normands  :  ils  se  mon- 
trèrent et  s'établirent  partout  en  vainqueurs,  dans  les  Iles  Britanniques, 
sur  les  côtes  de  France,  sur  les  bords  de  la  Méditerranée  et  jusque  sur 
les  côtes  septentrionales  du  Nouveau  Monde,  découvert  par  des  Scan- 
dinaves longtemps  avant  Colomb.  Le  Danemark  serait  certainement 
devenu  le  centre  d'un  immense  empire,  s'il  avait  eu  plus  de  cohésion 
géographique  el  de  plus  vasles  dimensions.  Mais  l'étroite  péninsule  du 
Jylland,  couverte  de  forêts  et  de  landes  infertiles,  les  îles  éparses  de 
ta  Baltique,  et  le  littoral  norvégien,  dépourvu  de  tout  territoire  agri- 
cole, découpé  par  les  fjords  en  d'innombrables  fragments,  n'étaient  pas 
groupés  d'une  manière  assez  compacte  pour  que  les  conquêtes  faites  au 
dehors  pussent  s'agréger  autour  de  la  mère  patrie;  elles  devaient  rester 
sans  cohésion,  sans  lien,  comme  les  contrées  mêmes  d'où  s'étaient 
élancées  les  bandes  d'invasion.  Les  pays  danois  n'avaient  d'unité  naturelle 
que  par  l'Océan  tempétueux  qui  baigne  leurs  rivages. 

Jadis,  du  moins,  le  Danemark  avait  l'avantage  de  posséder  toutes  les 
p;jrtes  de   la   Baltique   el    de    commander  ainsi    l'entrée   de   celle  mer 


PELI'LE   DANOIS,   PÉNINSULE    DU  JYLLAND.  3 

intériouro;  désormais  ce  privilège  stratégique  est  illusoire.  Le  Siiiul 
n'apiiarlient  au  Danemark  que  par  l'une  de  ses  rives;  à  son  entrée  mé- 
ridionale, le  Petit  Belt  est  occupé  par  la  Prusse,  qui  pourrait  en  moins 
de  vingt-quatre  heures  faire  camper  une  armée  sur  les  rivages  septen- 
trionaux du  détroit.  Quant  au  Grand  Belt,  largement  ouvert  entre  Fvcn 
et  Sjalland,  il  peut  être  tourné  par  des  armées,  et  les  flottes  de  guerre 
le  forceraient  sans  peine.  Ainsi  le  peuple  danois  se  trouve  livré  d'avance 
aux  entreprises  des  puissants  voisins.  Mais,  quel  que  soit  l'avenir  auquel 
il  est  destiné,  ce  n'en  est  pas  moins  un  groupe  d'hommes  énergiques, 
ayant  son  droit,  sa  langue  propre,  ses  traditions,  ses  espérances,  son 
esprit  de  solidarité  nationale. 


II 


1-a  péninsule  du  Jylland,  de  même  que  l'archipel  danois  de  la  DaUii|ue, 
appartient  géologiquemeiit  aux  deux  régions,  l'Allemagne  et  la  Scandi- 
navie. Toute  la  partie  méridionale  de  la  péninsule  continue  la  plaine  de 
la  Germanie  du  Nord,  recouverte  des  innombrables  débris  de  roches  erra- 
tiques; mais  dans  la  partie  la  plus  large  du  Jylland  s'étendent  des  forma- 
tions d'âge  antérieur,  couches  miocènes  et  crétacées,  dont  les  dernières 
s'avancent  entre  Aarhus  et  le  Ijord  de  Randers,  pour  reparaître  au 
sud-est  dans  l'ile  de  Sjalland.  puis,  au  delà  du  Sund,  dans  les  pro- 
montoires extrêmes  de  la  Scanie.  Ces  masses  résistantes  ont  servi  de 
point  d'appui  aux  terres  de  formation  moderne,  après  les  grandes  érosions 
qui  ont  eu   lieu   à  l'issue  de  la  Baltique. 

Au  nord  de  la  frontière  allemande,  le  faite  général  de  la  péninsule  con- 
tinue de  longer  la  côte  orientale,  de  moins  près  que  dans  le  Schleswig- 
Holstein.  Les  rivières  du  Jylland,  qui  s'écoulent  de  part  et  d'autre  vers  le 
Kattegat  et  vers  la  mer  du  Nord,  ont  leur  ligne  de  partage  plus  rapprochée 
de  l'axe  géométrique  de  la  presqu'île  que  les  cours  d'eau  du  Sclilesvvig; 
mais  les  deux  versants  diffèrent  beaucoup  dans  leur  aspect  et  présentent 
le  même  contraste  que  sur  le  territoire  germanique  :  la  pente  occidentale 
est  uniforme  et  s'abaisse  doucement  ;  la  pente  orientale  est  plus  sou- 
daine, plus  inégale,  plus  variée  :  le  sol  lui-même  contraste  comme  les 
rivages,  à  l'ouest  tracés  régulièrement  en  longues  plages  à  ]ieine  iii- 
flécliies,   à   l'est    découpés   en    (jords  et   s'avancjant   en  piomontoires. 

Les  collines  de  la  région  du  Jylland  tournées  vers  le  Kattegat  appar- 
lieiuient  pnur  la  pln|iail   à   la   formalion  des  terrains  de   transport  et  se 


•4  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

composenl  surlout  rie  sable,  (Targile,  de  marnes,  proveriaiil  des  débris  du 
granit,  du  gneiss  et  de  la  craie.  Des  blocs,  des  graviers  d'origine  glaciaire, 
recouvrent  çà  et  là  les  couches  plus  anciennes.  Ces  collines  ne  se  déve- 
loppent point  le  long  de  la  mer  en  rangées  continues;  elles  s'élèvent  en 
massifs  distincts,  dont  plus  d'un  sommet  dépasse  la  hauteur  de  cent 
mètres  :  aux  yeux  des  habitants  de  la  plaine  basse  ce  sont  de  véritables 
montagnes.  Immi^diatement  au  nord  de  la  frontière  germanique,  entre 
Christiansfeld  et  Kolding,  un  de  ces  massifs,  le  Skaranilingsbanke,  se 
dresse  à  1"20  mètres  au-dessus  des  eaux  tortueuses  du  Petit  Belt  ;  d'autres 

>'    1.    <■    JIONTAGSES    B    DU    DANEMAUK. 


7'20-  y^O  tsToe^-^ar. 


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afeOà/Om         c^e/ûnu^^i 


croupes  s'élèvent  entre  les  deux  fjords  de  Vejle  et  do  Ilorsens  ;  de  plus  hau- 
tes dominent  au  sud  la  cité  d'Aarhus.  Cette  région  des  collines  orientales 
est  1res  fertile,  et  les  hêtres  y  trouvent  un  terrain  favorable  :  d'admirables 
forêts  recouvrent  les  hauteurs  et  descendent  jusqu'au  bord  de  la  mer. 

A  l'ouest  des  petits  massifs  de  collines  des  bords  du  Kattegat  s'élève  le 
groupe  culminant  de  tout  le  Danemark,  dominé  par  l'Kjer  bavnhôj, 
haut   de    I7'2   mèlres.   Un   autre  sommet,    la    «  Montagne  du  Ciel   »   ou 

'• ucibjerg,  cpii  s'élève  au  noid-ouest,  est  moins  haut   de  14  mètres, 

mais   il   est   plus   coimu,   grâce   à    la   vue  grandiose    que    l'on   a   de    la 


iêd^^'i^f^'  "Il 


COLLINES  ET    BRUYERES  DU  JVLLAND.  7 

terrasse  la  plus  liaulo.  Le  Giulenan,  la  rivière  la  ]ilus  nlioiidaiile  du 
jiays,  forme  deux  grands  lacs  à  la  base  méridionale  du  Ilimmellijerg 
et  par  delà  s'étend  un  vaste  horizon  de  landes,  de  bois,  de  cultures, 
de  lacs  et  de  villages,  borné  au  loin  par  la  ligne  circulaire  de  la  mer. 
Au  nord  de  la  coupure  bizarre  du  Lim-ljord,  les  collines  se  redressent 
de  nouveau  pour  former  une  véritable  arête,  le  «  Dos  du  Jylland  »  {Jyske 
Âas),  dont  le  principal  sommet  atteint  la  hauteur  de  120  mètres  et  qui 
s'amincit  peu  à  peu  vers  la  pointe  de  Skagen.  Le  faîte  du  Jyske  Aas  est, 
comme  celui  de  la  péninsule  tout  entière,  jusqu'à  la  Trave,  beaucoup 
plus  rapproché  de  la  mer  intérieure  que  de  l'Océan.  Une  des  plus  hautes 
croupes,  dominant  au  sud  la  ville  de  Frederikshavn,  se  dresse  même  immé- 
diatement au-dessus  des  flots  de  la  Baltique.  Au  bord  de  la  mer  du  Nord  se 
voit  aussi  une  colline,  le  Bulbjerg,  roche  crayeuse  complètement  isolée. 
Tout  le  versant  occidental  du  Jylland,  des  deux  côtés  des  golfes  du 
Lim-fjord  ou  Liim-fjord,  n'était  jadis  qu'une  vaste  lande  doucement  in- 
clinée vers  l'Océan,  jusqu'aux  dunes  du  littoral.  La  culture  a  changé  en 
beaucoup  d'endroits  l'aspect  de  la  plaine,  surtout  dans  le  voisinage  des 
ruisseaux;  mais  elle  se  montre  encore  sur  de  vastes  étendues  telle  qu'elle 
était  avant  la  construction  des  routes  et  des  chemins  de  fer,  avant  l'emploi 
(le  la  charrue,  des  amendements  et  des  engrais  artificiels.  Le  pays  est  en 
tout  semblable  au  (jeeat  de  l'Allemagne  du  Nord,  aux  Iieiden  de  la  Drenlhe 
et  de  la  Veluwe,  et  rapi)elle^  les  landes  françaises,  autant  que  le  permettent 
les  différences  du  climat  et  de  la  flore.  Dans  le  Jylland  aussi,  les  terres 
sablonneuses  sont  revêtues  de  grandes  bruyères  et  d'autres  plantes 
ligneuses  croissant  en  épais  fourrés  ;  des  flaques  d'eau  sont  éparses  sur  les 
terrains  dépourvus  de  penle  ;  des  tourbières  se  forment  peu  à  peu  à  la 
place  des  anciens  étangs  ;  comme  dans  les  landes  de  Gascogne,  les  débris  des 
végétaux  s'amassent  en  couches  noirâtres  sous  les  buttes  de  sable  qui  les 
recouvrent;  partout,  sous  les  couches  supérieures,  le  sous-sol,  saturé  du 
tannin  des  bruyères,  forme  une  plaque  dure  d'al,  —  Valios  des  landes 
françaises,  —  auquel  se  mêle  l'oxyde  de  fer,  assez  riche  en  plusieurs  en- 
droits j)our  qu'il  ait  été  possible  de  l'exploiter  en  minerai  ;  des  assises  de 
marne  se  trouvent  aussi  dans  quelques  parties  du  sous-sol  des  landes  et 
facilitent  l'œuvre  de  l'agriculteur  qui  veut  conquérir  le  sable  par  les 
amendements.  Les  dunes  du  littoral  jyllandais  ressemblent  aussi  à  celles 
des  côtes  françaises,  mais  elles  sont  beaucoup  moins  hautes,  —  pnis(pie 
les  plus    élevées  ont   seulement  55  mètres',  —  et  renferment  une  forte 

'    Ed.  Ersicv,  Notes    manuscritet. 


X  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

[iroportioii  de  sable  calcaire,  ce  qui  les  rend  moins  mobiles  :  elles  se  soni 
poiirlant  avancées  plus  d'une  fois  vers  l'intérieur  de  la  péninsule,  el 
même  tout  près  de  la  pointe  de  Skagen  se  voit  une  ancienne  tour  d'église, 
reste  d'un  édiiice  englouti  par  les  sables  avec  le  village  qui  l'entourait. 
Au  sud  du  Lim-fjord,  les  événements  de  ce  genre,  que  racontent  les 
chroniques,  ont  été  nombreux  :  les  dunes,  plus  hautes,  n'y  sont  pas, 
comme  dans  le  Jylland  septentrional,  garanties  des  vents  du  nord-ouest 
par  le  promontoire  norvégien  de  Lindesnœs.  Do  même  que  celles  de 
France,  les  dunes  danoises  ont  dû  être  fixées  par  des  plantations  d'arbres, 
surtout  de  pins;  on  a  dû  aussi  en  maints  endroits  construire  des  épis 
pour  consolider  le  littoral. 

Par  le  tracé  de  sa  côte  le  Jylland  occidental  ressemble  également  aux 
landes  françaises.  Sur  un  développement  d'environ  575  kilomètres,  la 
rive  de  la  mer  du  Nord  se  compose,  non  pas,  il  est  vrai,  d'une  seule 
plage  rectiligne  comme  celle  qui  s'étend  de  Biarritz  à  la  pointe  de  Grave, 
mais  d'une  série  de  jilages  faiblement  infléchies,  qui  s'appuient  de  distance 
en  distance  à  des  points  résistants  :  de  saillie  à  saillie,  chaque  plage 
est  dessinée  nettement  en  courbe  géométrique,  comme  si  le  compas  avait 
tracé  la  ligne  où  viennent  déferler  les  flots  du  large.  Mais  en  dedans  de 
ces  flèches  régulières  qui  forment  le  littoral  maritime,  la  côte  primitive 
découpe  ses  contours  irréguliers  dans  l'intérieur  des  terres.  Des  étangs, 
semblables  à  ceux  des  Landes,  se  sont  ainsi  formés  le  long  de  la  mer  du 
Jylland  :  ce  sont  aussi  d'anciens  golfes  d'eau  salée,  que  les  apports  des 
rivières  de  l'intérieur  et  les  pluies  ont  changés  en  réservoirs  d'eau  douce, 
et  que  les  alluvions  comblent  peu  à  peu  ;  ils  n'ont  qu'une  faible  profon- 
deur, et  même  plusieurs  d'entre  eux  ont  des  fonds  de  vase  qui,  suivant  les 
saisons  et  les  tempêtes,  sont  alternativement  noyés  et  émergés  ;  des  che- 
naux navigables,  étroites  fosses  qui  serpentent  au  milieu  des  bancs  vaseux, 
pareils  aux  «  crassals  »  de  l'étang  d'Arcachon,  donnent  accès  aux  petites 
embarcations.  Quoique  ces  nappes  d'eau  douce  soient  bien  loin  de  res- 
sembler aux  golfes  allongés  qui  découpent  le  littoral  rocheux  de  la  Nor- 
vège et  où  la  sonde  ne  trouve  le  fond  qu'à  des  centaines  de  mètres, 
elles  ont  reçu  des  indigènes  le  nom  de  fjord.  L'une  des  plus  grandes,  le 
Iiingkjôbing-ljord,  qui  n'a  })as  moins  de  500  kilomètres  carrés  de  su- 
perficie, et  que  la  llèclie  de  Klitlandel  ou  de  «  Terre  des  Dunes  » 
sépare  de  l'Océan  sur  une  longueur  de  près  de  40  kilomètres,  ne  jieut 
recevoir  |)ourtanl  que  des  bateaux  de  moins  de  2  mètres  de  tirant  d'eau, 
el  ceux-ci,  qui  passent  dans  un  étroit  clienal  de  sortie  creusé  p;ir  le 
jusant,  ne  peuvent   pas    toujours  franchir  la  baiie  périlleuse  de  Nyminde- 


COTE   OCCIDENTALE   DU  JYLLAND,    LIM-FJO^D. 


?.    DE    FIIXGKJOBING    \    AGCEtl    AVAN 


gnl),   qui   se  déplace  fréquemment   de  centaines  et  même  de   milliers  de 

mètres.  Au  nord  du   Ringkjobing-fjord,  des  coulées  sans  jiroroadeur  vont 

rejoindre     le     Sladil-fjord,    et    celui-ci 

communique    lui-même  par  un  dédale 

de  lacs  et   de  ruisseaux  paresseux  avec 

un  troisième  étang,     le    Nissum-fjord. 

(pi'un  liiible  cordon  littoral  percé  d'une 

seule  ouverture  sépare    de  la    mer  du 

Nord.  Celte    porte    marine,    non  moins 

dangereuse  que  celle  de  Nyminde-gab, 

fut  jadis   mise   sous   la  protection  des 

dieux  :  c'est     l'embouchure    de    Thor, 

Thorsminde,  à  moins  que,  suivant  une 

étymologie  moins   poétique,    mais   plus 

jirobable,  il  ne  faille  y  voir  la    Torsk- 

minde  ou  la  «  Bouche  des  Morues  ». 

Le  Lim-ljord  est  un  bassin  à  la  fois 
lacustre  et  maritime  dont  l'histoire 
géologique  est  plus  complexe  que  celle 
des  étangs  voisins.  Il  traverse  de  part 
en  part  toute  la  péninsule  du  Jjlland 
et  se  compose  de  trois  parties  bien  dis- 
tinctes, ayant  ensemble  une  superlîcie  de 
1170  kilomètres  carrés.  A  l'ouest,  un 
vaste  étang,  semblable  au  Ringkjo- 
bing-fjord,  est  comme  lui  limité  du 
côté  de  la  mer  par  une  mince  flèche 
de  sable  qu'ébranlent  les  flots  et  qui 
n'a  pas  même  un  kilomètre  de  largeur 
en  plusieurs  endroits.  A  son  extrémité 
orientale,  cet  étang  communique  par 
un  étroit  canal  avec  un  labyrinthe  de 
lacs  poissonneux  qui  entourent  la  grande 
île  de  Mors  et  tout  un  archipel  d'ilôts, 
puis  se  rejoignent  en  une  mer  inté- 
rieure, de  plus  de  400  kilomètres  carrés,  "  "■"' 
séparée  du  Skagcr  Rak  par  un  simple  cordon  de  dunes  et  ramifiée  au 
loin  vers  le  sud  en  golfes  et  en  baies.  A  l'est  de  ce  bassin  ccnlra!  du 
Lim-fjord,    la    n'-gion  des  lacs  se   continue  jus(|u'au  (h'Iroit  d'AaIboig  :  la 


L<I..Gr        8-20- 


à» 05* 50 

I  :  mo  1)10 


tO  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

commence  un  fjord  étroit  et  allongé,  semblable  à  tous  ceux  qui  découpent 
la  côte  orientale  tournée  vers  la  Baltique,  tels  que  les  fjords  de  Mariager, 
de  Randers,  de  Ilorsens,  de  Yejle,  de  Kolding,  de  Iladerslev,  et  d'autres 
encore,  jusqu'à  la  baie  de  Kiel  :  nulle  part,  ce  ijord  oriental  n'a  plus 
de  2  kilomètres  de  largeur  ;  c'est  une  simple  fosse  navigable  s'ouvranl 
sur  la  mer  par  une  bouche  de  plus  de  5  mètres  de  profondeur.  L'étude 
de  la  carte  géologique  montre  que,  dans  son  ensemble,  le  dédale  des  eaux 
intérieures  auquel  on  a  donné  le  nom  de  Lim-ijord  suit  les  contours  des 
formations  miocène  et  crétacée  :  au  pied  de  ces  assises,  plus  solides  que 
les  terrains  de  transj)ort  environnants,  le  sol  a  pu  être  facilement  affouillé 
par  les  inondations. 

Le  cordon  littoral  qui  limite  à  l'ouest  le  bassin  du  Lini-fjord  a  été  coupé 
à  diverses  reprises  pendant  les  tempêtes',  notamment  en  16'24,  en  17!20 
et  en  1760.  Le  28  novembre  1825,  à  l'époque  où  de  terribles  inondations 
dévastèrent  toutes  les  côtes  basses  de  la  mer  du  Nord  et  mirent  sous  l'eau 
le  Waterland  hollandais,  d'Amsterdam  à  Alkmaar,  la  plage  extérieure  du 
Lim-fjord,  connue  sous  le  nom  de  Harboôrc  Tange,  céda  sous  la  pression 
des  eaux,  et  l'étang  se  trouva  réuni  à  la  mer  par  une  de  ces  nombreuses 
Nyminde  (Nouvelle  Bouche)  qui  se  sont  ouvertes  sur  le  littoral  jyllandais". 
Avant  l'ouverture  de  la  brèche  d'Agger,  toute  la  partie  occidentale  du 
Lim-ijord  était  remplie  d'eau  douce  ;  mais  l'irruption  des  flots  salés  et 
l'établissement  d'un  courant  de  mer  à  mer  changèrent  la  composition  du 
liquide  dans  fout  le  détroit  :  les  poissons  de  mer  y  ont  pénétré  peu  à  peu , 
repoussant  ceux  de  l'eau  douce'  ;  la  teneur  en  sel  a  dépassé  18  pour  1000 , 
puisque  des  bancs  d'huîtres  se  sont  formés  çà  et  là,  grâce  au  naissain  que 
les  courants  de  houle  transportent  de  l'ouest  à  l'est*.  Cette  bouche,  qui 
fut  utilisée  la  première  fois  pour  la  navigation  en  1854,  n'a  cessé  de  se 
déplacer  et  de  changer  de  forme  et  de  profondeur  suivant  les  oscillations 
des  flots  et  des  tempêtes;  souvent  il  n'y  eut  qu'un  mètre  et  demi  d'eau 
sur  la  barre;  souvent  aussi  la  sonde  y  marqua  près  de  trois  mètres. 
Kn  180"»,  une  tempête  jterça  de  nouveau  la  llèche  :  au  sud  de  l'ancien 
«  grau  »  ou  canal  d'Agger  se  forma  une  nouvelle  bouche,  le  canal  de 
lîôn,  ipii  s'agrandit  et  s'approfondit  peu  à  peu;  dès  l'année  1875  le  seuil 
d'Agger  était  comi)lèlement  obstrué  par  les  sables',    tandis  que  des  ba- 

•  Ed.  Ersiev,  Den  Danskc  Slat,  1855-1857. 

'  Clir.  tVterseii,  Om  Aygertatigen  fur  og  nu.  Danske  geografiske  Selskab,  I,  1877;  —  Ostcrbol, 
Fra  Ayger  Soyn,  iiièino  recueil,  II,  1878. 
'  Fodilcrscn,  Danske  geografi^l.e  Selskab,  I,  1877. 

*  Vim  liaer,  Bullclin  tic  rAcadémie  des  Seienccs  de  Stiiiil-l'éteishourg.  l  V.  ISOÔ. 
'  (^lir  l'elcistMi,  oiivia''e  cilé. 


LI.M-FJORD,   SOULEVEMENT    DES   COTES   DU  JYLLAND  11 

teaux  de  pêche  et  même  des  embarcations  de  commerce  utilisaient  en 
grand  nombre  le  nouveau  canal '.  Dans  son  ensemble,  tout  l'appareil  du 
littoral  a  été  repoussé  d'environ  deux  kilomètres  vers  l'orient. 

La  partie  septentrionale  de  la  presqu'île  danoise  participe  au  mouvement 
d'ascension  graduelle  qui  foit  surgir  des  flots  les  côtes  rocheuses  de  la 
Norvège  et  de  la  Suède  :  encore  à  cet  égard,  le  Jylland,  quoique  rattaché  à 
l'Allemagne  par  l'isthme  cimbriquc,  est  une  terre  Scandinave.  La  région 
de  la  péninsule  où  se  trouve  probablement  la  charnière  d'oscillation  entre 
l'aire  de  soulèvement  et  l'aire  d'affaissement  passe  au  nord  de  la  frontière 
politique  actuelle,  à  peu  près  dans  la  partie  la  plus  large  de  la  péninsule  -  : 
comparé  au  massif  du  Jylland,  le  Slesvig  des  Danois, —  le  Schlcswig  des  Alle- 
mands,—  n'est  qu'un  débris  dont  les  anciens  rivages  ont  été  découpés  en  îles 
ou  même  en  bas-fonds  et  laissés  en  mer  à  une  grande  distance  de  la  côte 
actuelle.  Tandis  qu'au  sud  de  la  ligne  de  séparation  entre  les  terrains  qui 
se  soulèvent  et  ceux  qui  s'affaissent,  les  rivages  de  la  terre  ferme  ont  été 
changés  en  îles,  au  nord  on  voit  au  contraire  d'anciennes  îles  qui  sont 
devenues  partie  du  continent  :  telles  sont  les  petites  péninsules  qui  s'avan- 
cent dans  la  mer  à  l'est  d'Aarhus  et  qui,  sur  la  carte,  ressemblent  à  des 
fruits  suspendus  à  une  branche  d'arbre.  Au  nord  de  ces  presqu'îles,  le  lac 
Kolindsund  rappelle  par  son  nom  qu'il  fut  un  détroit  marin  ou  du  moins 
un  golfe,  et  dans  les  environs  se  trouvent  plusieurs  villages  dont  le  nom, 
se  terminant  en  ii  (île),  indique  l'ancienne  condition  insulaire".  Certaines 
parties  de  la  côte  septentrionale  se  terminent  brusquement  par  une  sorte 
de  falaise  de  4  à  8  mètres  de  hauteur  sur  laquelle  se  dessinent  en  lignes 
horizontales  différentes  couches  de  tourbe,  beaucoup  plus  compacte  et  plus 
noire  que  la  tourbe  ordinaire,  et  recouvertes  de  sable  marin.  Quelques 
géologues  pensent  que  ces  lits,  d'origine  fort  ancienne,  appartiennent  à 
une  formation  soulevée  rapidement  au-dessus  de  la  mer'  ;  mais  une  déni- 
vellation lente  de  la  mer,  relativement  au  sol,  explique  ces  phénomènes. 
Immédiatement  au  sud  de  l'endroit  où  commence  le  mince  pédon- 
cule de  la  presqu'île  se  montrent  les  traces  de  phénomènes  géolo- 
giques tout  différents  :  des  forêts  sous-marines  d'aunes,  de  bouleaux, 
de  chênes,  et  des  couches  de  tourbe,  qui  jadis  croissaient  en  des 
marais  d'eau  douce,  se  trouvent  maintenant  dans  les  profondeurs  des 
bancs  vaseux   qu'inonde  la  mer;   en  draguant  les  chenaux  pour   frayer 

'  Entrées  sur  le  seuil  de  Ron  en  187C  :  820  navires. 
'  Ed.  Ersiev,  Notes  manuscrites. 

*  Forchhaniiiier,  Forhandlincjer  ind  de  skandinavisUe  yaturforskeres  Mode  i  Gôleborg,  1839;  — 
0.  Peschcl,  Neue  Problème  der  veryleichcnden  Erdkunde. 

*  Mph.  Beliiairo,  De  la  Plaine  marilime  dijniis  liouUnjne  jusqu'au  Dancmaïk. 


12  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

le  passage  aux  navires,  les  marins  liouilent  quelquefois  leurs  instruments 
contre  les  arbres  engloutis. 

De  même  que  la  côte  des  Landes  françaises,  celle  des  Landes  danoises 
se  prolonge  en  pente  très  douce  au-dessous  des  flots  et  c'est  en  moyenne 
à  60  kilomètres  seulement,  après  avoir  perdu  depuis  longtemps  la  vue  des 
côtes,  que  l'on  trouve  des  fonds  de  50  à  40^ètres.  En  maints  parages 
de  cette  mer,  sui'tout  au  large  du  Blaavands  Huk,  l'éperon  sud-occidental 
du  Jylland,  des  has-fonds  dangereux  interdisent  aux  bâtiments  l'approclie  de 
la  côte.  Aucun  port  ne  s'ouvre  pour  les  gros  navires  sur  la  plage  occiden- 
tale de  cette  longue  péninsule  du  Jylland  que  traversent  deux  degrés  de 
latitude.  De  peur  d'être  jetées  à  la  côte  par  les  vents  de  l'ouest  ou  du 
nord-ouest,  les  embarcations  s'éloignent  de  cette  rive  inliospilalière,  sur- 
tout de  la  terrible  Jammer-Bugt  ou  «  Baie  de  la  Calamité  »,  qui  se 
développe  entre  les  deux  promontoires  de  Boshage  et  de  Hirtshals.  Le 
srand  chemin  de  la  navigation  entre  la  mer  du  Nord  et  la  Baltique  est 
la  fosse  du  Skager  Rak,  libre  de  tout  écùeil  et  partiellement  abritée  du 
vent  le  plus  dangereux  par  les  hautes  terres  de  la  Norvège  méridionale. 

Parmi  les  îles  de  la  Baltique,  celle  de  Fyen  ou  Fionie  pourrait  être 
considérée  comme  une  partie  géologique  du  JjUand,  bien  qu'elle  en  soit 
maintenant  séparée  par  l'étroit  passage  du  Petit  Belt,  dont  la  moindre 
largeur  est  de  G50  mètres  et  le  seuil  le  plus  élevé  de  8  mètres.  D'ailleurs 
Fven  fut  certainement  autrefois  rattachée  au  tronc  de  la  péninsule  ;  elle 
se  compose  des  mêmes  terrains  de  transport,  et  ses  collines,  revêtues  de 
hêtres,  s'élèvent  à  pou  près  à  la  même  hauteur  que  celles  du  Jylland 
oriental  ;  elles  ne  sont  pas  moins  gracieuses  et  dominent  le  même  horizon 
champêtre  de  prairies  bien  arrosées,  de  champs  et  de  bosquets;  elles 
sont  aussi  parsemées  de  blocs  erratiques  nombreux  :  l'un  d'eux,  la 
j)ierie  de  Ilesselager,  n'a  pas  moins  de  50  mètres  de  circonférence  et 
fait  saillie  de  6  mètres  au-dessus  du  sol.  Fyen  n'est  évidemment  qu'un 
débris  :  au  nord  les  péninsules  qui  entourent  le  ijord  d'Odense,  au 
sud  les  îles  de  Taasinge,  d'.Erô,  de  Langeland,  ont  été  déchiquetées  par 
les  flots  ;  un  plateau  commun  porte  ces  terres  maintenant  divisées.  On 
a  peine  à  distinguer  sur  la  carte  les  fosses  d'érosion  creusées  par  la 
mer  entre  les  îles.  D'après  Forchhammer,  ces  canaux  de  séparation  seraient 
des  fosses  ouvertes  par  la  grande  inondation  «  cimbrique  «  ;  mais  rien  ne 
prouve  que  ce  déluge  ait  eu  lieu  ;  les  oscillations  du  sol  exjiliquent  la 
formation  (les  chenaux. 

\  l'est  du  Grand  Belt,  Sjâlland  (le  Scelaud  des  .\llemands),  Môi'n, 
Falster,  Laaiand,   ne  fornionl  non  plus  qu'une  seule  terre,   rompue  ])ar 


ILES  DANOISES. 


13 


d'étroites  coulées  d'oriiiine  géologiquemcnt  récente.  Une  grande  partie 
de  Sjàlland  et  Tilc  de  Môen  appartiennent  par  leurs  roches  aux  âges 
de  la  craie;    mais  au  nord  et  au  sud    de  cette  bande  crayeuse,  qui  con- 


—    FYEN    ET    LKS    ILES    MERIDIONALES. 


De  Oà5  Mètres 


linue  dans  la  Baltique  la  zone  jyliandaise  de  même  loniialion,  s'i'leii- 
dcnt  aussi  des  terrains  modernes,  couverts  des  débris  i[u'a|ipor(èrenl  les 
glaces  du  Nord  :  ces  terrains  forment,  d'un  côté,  la  partie  septentrionale 
de  Sjiilland,  di-  l'aiilre  les  Iles  de  Falster  et  de  l.aaiaiid.  Dans  ce  LiiiMipe 
géologique,   11-    faîte  est    encore   beaucoup   j)lus   éloigné   du    centre  de   la 


14 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


contrée  «in'il  ne  IV'sl  clans  le  Jylland  cl  tlans  le  Schleswiij  :  il  ne  se 
trouve  pas  même  dans  la  grande  île  de  Sjàlland  ;  c'est  à  l'extrémité 
de  la  petite  île  do  Môen  que  se  dressent  les  escarpements  culminants 
de  tout  l'arcliipel  :  une  colline  entourée  de  petits  lacs,  l'Âborrcbjerg, 
s'élève  à  la  hauteur  de  141  mètres,  extraordinaire  [lour  le  Danemark, 
et  non  loin  de  celte  croupe,  du  côté  de  l'est,  la  roche,  abruptemenl 
coupée,  domine  encore  de  100  mètres  et  même  de  156  mètres  les 
flots    de   la   Baltique.  Ces   brusques   hauteurs,  appelées  Môens   Klinl  ou 


N"    i.    SJALLAND  ET    LES   ILES    MERIDIONALES. 


ûe  Oà  5  mètres  da  5  n 

1  :  I  1011100 


«  Falaises  de  Môen  »,  se  terminent  au-dessus  des  Ilots  par  des  parois 
verticales,  dont  la  craie,  rayée  d'assises  parallèles  de  silex  comme  les 
falaises  de  la  Normandie,  réfléchit  au  loin  les  rayons  du  midi;  on  la 
voit  briller  parfois  jusqu'à  50  kilomètres  en  mer.  Des  effondrements 
d'assises  ont  donné  à  ces  roches  abruptes  les  contournements  les  plus 
l)izarres;  des  strates  reployées,  renversées  même,  y  rappellent  en  petit 
les  |i!isseinents  du  Jura  et  des  fjrandes  Alpes'.  Les  valleuses,  ouvertes 
dr  di--laii(i'  en  dislaiice  dans  la  fiilaise,  laissent  descendre  les  forèls  de 
liêlics  JM^qu'aii    bord   de   la    mer.    Les   navigateurs   qui    se   rendent  du 


'  Chr.  Puggaard,  Uïicns.  Geologi,  18àl. 


MÔEN  ET    SES    FALAISES,   SJALLAND.  15 

grand  bassin  de  la  Baltique  vers  Wismar,  Kicl  ou  Lûbeck,  peuvent  souvent 
distinguer  à  la  fois  les  murailles  de  Môen  et  les  hauts  promontoires  de 
Rûgen,  unis  jadis,  séparés  maintenant  par  un  détroit  de  bo  kilomètres 
de  largeur  et  de  '20  mètres  de  profondeur.  11  paraît  probable  que  Môen, 
après  s'être  affaissée  relativement  au  niveau  de  la  mer,  s'est  exhaussée 
de  nouveau,  et  maintenant  encore  elle  s'élèverait  avec  une  grande  lenteur. 
Elle  se  compose  en  réalité  de  sept  îles  distinctes  dont  les  détroits  se 
sont  graduellement  asséchés;  en  1100,  elle  était  divisée  en  trois 
fragments.  Un  des  villages  de  Môen,  Borre,  de  nos  jours  perdu  dans 
les  terres  au  milieu  des  marais,  était  en  1510  au  bord  de  la  mer  et  la 
flotte  des  Lûbeckois  put  s'embosser  devant  ses  maisons  et  les  brûler.  De 
même  Stcge,  devant  lequel  s'amassent  de  plus  en  plus  les  alluvions,  est 
menacée  de  perdre  son  port.  M.  Puggaard  évalue  l'exhaussement  de 
Môen  à  G  centimètres  par  siècle.  Comme  Rûgen,  l'île  de  Moen  est  très 
fréquentée  en  été  comme  lieu  de  repos  :  c'est  une  résidence  des  plus 
agréables,  grâce  à  ses  coteaux  et  à  ses  vallons,  à  ses  bois,  à  ses  petits 
lacs,  au  labyrinthe  de  détroits  et  d'îlots  qui  la  séparent  de  Sjalland. 

La  grande  terre  dont  Môen  n'est  qu'un  fragment  détaché,  se  termine 
également  à  l'est  par  des  escarpements  crayeux  de  40  mètres  de  hau- 
teur; mais  ces  falaises,  connues  sous  le  nom  de  Stevns  Klint,  se  com- 
posent de  couches,  régulièrement  stratifiées,  qui  contrastent  avec  les  replis 
bizarres  de  Môens  Klint.  Dans  son  ensemble,  Sjalland  continue  l'île  de 
Môen  par  sa  pente  générale;  cependant  quelques  croupes  de  plus  de  100 
mètres  se  montrent  encore  en  plusieurs  endroits  de  l'île.  In  vaste  golfe, 
ramifié  en  une  multitude  de  détroits  et  de  baies  tortueuses,  l'Ise-fjord, 
pénètre  au  loin  dans  la  partie  septentrionale  de  l'île  et  lui  donne  une 
variété  d'aspect  comparable  à  celle  que  présente,  à  l'autre  extrémité  de 
Sjalland,  le  dédale  des  canaux  et  des  écueils  :  ses  plages,  comme  celles 
de  Môen,  ont  été  évidemment  soulevées,  car  on  y  voit  d'anciens  fonds 
émergés,  actuellement  à  plusieurs  pieds  au-dessus  du  niveau  niuiu. 


Tandis  que  le  Grand  Belt,  à  l'ouest  de  Sjalland,  sépare  nettement 
cette  île  de  Fyen  et  de  Langeland,  un  autre  détroit,  le  célèbre  Oresund, 
ou  simplement  le  Sund,  est,  du  côte  de  l'est,  comme  un  fossé  de  sépa- 
ration géologique,  car  la  partie  de  la  Suède  que  l'on  voit  se  profiler  au 
nord-est  de  Copenhague,  et  qui  se  rapproche  du  château  de  Helsingôr 
jusfpi'à  la  distance  de  4100  mètres  seulement,  se  compose  de  roches 
paléozoïques,  d'un  âge  bien  antiiricur  aux    formations  de  Sjalland.   Les 


13  NOUVELLE    GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

petites   îles    danoises   du  Kaltcgat,   Samsii,   Aniiolt,    Lasô,    consistent   en 

terrains  d'origine    moderne  ;    mais    il    n'en  est  pas  ainsi  de    Bornholm, 

située  en  pleine  Baltique,  au  sud-est  de  la  pointe  méridionale  de  Scanic. 

Cette   île  est  suédoise  au   point  de  vue  géologique,   car  elle   est  formée 


5.    BORNHOLM 


E  de  P 


de  /O  é  90  de  90  a  4-0 

1  :  3Ô0  000 
0  iO  kll. 


de  40  awdefs 


presque  en  entier  de  roches  anciennes,  grès  et  schistes  appuyés  sur  le 
granit  ;  le  détroit  qui  la  sépare  de  la  Scanie  a  seulement  ou  kilomètres 
de  largeur,  et  sa  plus  grande  profondeur  n'atteint  jias  même  50  mètres. 
Néanmoins  Bornholm  fait  bien  avec  raison  parlie  du  Danemark,  qui 
d'ailleurs  comprenait  jadis   toute  la  partie  méridionale  de   la  péninsule 


BOR.MIOLM.  19 

du  Nord.  En  1G5S,  lorsque  les  Suédois  jinrent  possession  des  trois 
provinces  de  Skânc  ou  Scanie,  de  Halland  et  de  Bleking.  Bornliolm 
était  aussi  comprise  dans  le  traité  de  cession,  et  fut  occupée  par  les 
soldats  étrangers  que  commandait  Prinzenskjold  ;  mais  la  population  de 
l'île  extermina  dans  une  nuit  tous  les  envahisseurs,  à  l'exception  de  douze, 
qui  se  trouvaient  en  dehors  de  la  forteresse  de  Ilamniershus  :  ce  furent 
les  «  Vêpres  de  Bornholm  ». 

Des  îles  de  la  Baltique,  Bornholm  est  celle  qui  se  dislingue  par 
la  forme  la  plus  géométrique  :  c'est  un  parallélogramme  ayant  à  peu 
près  20  kilomètres  de  hauteur  sur  23  kilomètres  de  base  et  se  rele- 
vant en  pente  douce  du  sud  au  nord.  Le  plateau  granitique  n'est 
couvert  que  d'une  mince  couche  de  terre  végétale  et  n'avait  autre- 
fois pour  toute  végétation  que  des  bruyères;  mais  de  grandes  plan- 
tations ont  été  faites  et  des  bois  s'étendent  maintenant  au  centre 
de  l'île,  autour  du  sommet  principal,  le  Rytterknaegten,  qui  s'élève  à 
152  mètres.  Des  l'avins,  descendant  pour  la  plupart  en  ligne  droite 
vers  la  côte  la  plus  rapprochée,  découpent  les  roches  du  plateau  de  dis- 
tance en  distance;  de  petites  criques,  ouvertes  dans  les  fiilaises  ou  dans 
les  plages  à  l'issue  de  ces  ravins  fertiles,  servent  de  ports  aux  embarca- 
tions d'un  faible  tirant  d'eau.  Tout  à  fait  à  l'angle  septentrional  de 
Bornholm,  la  pointe  Hammeren  est  presque  entièrement  détachée  de  la 
grande  terre  par  un  isthme  bas  où  se  trouve  un  lac  très  profond,  que 
les  habitants  d'Allinge  avaient  proposé  de  transformer  en  un  port  de  re- 
fuge; mais  ils  ont  dû  reculer  devant  l'obstacle  que  leur  opposent  les 
berges  granitiques  du  lac.  C'est  immédiatement  au  sud  de  ce  lac  que 
se  voient,  sur  une  colline  escarpée,  les  vastes  ruines  de  Hammershus, 
oii  résidaient  autrefois  les  gouverneurs  de  l'île,  et  qui  de  loin  res- 
semblent à  une  cité  démolie.  Un  des  phares  importants  de  la  Baltique, 
placé    sur  le  cap   même,  éclaire  maintenant  la    «  mer  de  Hammeren  »  '. 

«  Principales  îles  danoises,  d'après  J.  B.  Trap,  Statislisk-iopographisk  Beskrivdse  af  Danemark, 
1878  : 

Superficie.  Populalion  en  ISSO. 

Fî«"  (Fioniel 5003  kil.  carres.  )   ^vcc  .E'.-ôclTaasinse.     2iG450  1.ab. 

Langeland 284     »         »  ) 

Sjaliand 0988     .  •  \ 


Mden 240 


818  710 


Falsler.        ...       5.55  »        »        i 

Laaland 1191  «         »         ] 

Birnholm 600  >         .  55  360 

Superficie  des  îles  danoises  :  15  551  kiiom.  carrés. 

Population  en  1880  :  1  100  520  hahilanls. 


20  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

Au  nord,  les  îlots  cl  les  écueils  d'Ertholmene,  généralement  connus 
sous  le  nom  de  Chrisliansô,  la  plus  grande  île  du  petit  archipel,  appar- 
tiennent aussi  au  Danemark,  comme  dépendance  de  Bornholm.  Ils  forment 
un  port  de  refuge,  éclairé  par  l'un  des  principaux  phares  de  la  Balti(jue. 


Le  climat  général  de  la  presqu'île  et  des  îles  danoises  est  maritime, 

c'est-à-dire  relativement  modéré 
dans  la  saison  des  chaleurs  et  dans 
colle  des  froidures  ;  les  îles  de  la 
Ilaltique,  plus  exposées  à  l'influence 
maritime,  ont  un  climat  moyen 
plus  doux  que  l'intérieur  du  Jyl- 
land  ;  néanmoins,  à  Copenhague,  il 
y  a  environ  cent  jours  de  gelée 
]iar  an  ;  mais  l'écart  moyen  entre 
un  mois  d'hiver  et  un  mois  d'été 
n'est  que  de  17  degrés;  il  est  de 
15  degrés  sur  la  côte  occidentale  du 
.Ivlland'.  D'année  en  année,  les  va- 
riations hivernales  sont  fort  gran- 
des, ainsi  que  le  prouve  l'état  des 
détroits,  tantôt  lihres  de  glaces  pen- 
dant toute  l'année,  tantôt  fermés 
pendant  deux  ou  trois  mois  par  des 
dalles  cristallines,  assez  fortes  pour 
permettre  le  passage  des  voyageurs. 
Surtout  la  traversée  du  Grand  Belt 
présente  beaucoup  de  difficultés  en 
temps  d'hiver,  et  quand  les  glaces 
obstruent  le  détroit,  les  bateaux  qui 
servent  au  transport  des  passagers 


l  ■  l.OOOOW) 


et  des  bagages  sont  chargés  sur  dos  traîneaux  de  construction  spéciale. 
On  a  exactement  noté  depuis  179-4  la  durée  de  ce  transport  sur  glace 
[htramporl] ,  qvii   parfois  n'est  pas    nécessaire  un  seul  jour,   mais   qui 


'  Tempéralure  moyenne  des  saisons  et  de  Tannée  à  Copenhague  : 

l'i'inlcmps C%.">     C.  |    Automne 

Été 17%2J       I    Hiver 

Année .    .  8°, 25 


9«,5  C. 
—  0°,5 


CLIMAT    DU   DANEMARK.  21 

on  1871  dura  deux  mois  entiers,  du  i"  janvier  au  1"  mars'.  On  sait 
qu'en  1658  le  roi  de  Suède  Charles  X  Gustave  passa  sur  la  glace,  de 
Fyen  à  Langeland,  puis  à  Laaland,  avec  son  armée,  ses  fourgons,  ses 
pièces  d'artillerie,  ses  trains  d'approvisionnement  :  le  roi  de  Danemark, 
menacé  dans  sa  capitale,  dut  signer  la  paix.  Le  vent  dominant,  celui 
qui  apporte  les  pluies,  aussi  bien  dans  le  Jylland  que  dans  les  îles  bal- 
tiques,  est  celui  qui  souffle  des  mers  occidentales;  on  peut  même  dire 
que  ce  courant  atmosphérique  a  contribué  pour  une  certaine  part  — 
moindre  pourtant  que  le  manque  de  ports  —  à  foire  regarder  toute  la 
presqu'île  de  Jylland  et  l'archipel  voisin  dans  la  direction  de  l'orient.  La 
côte  de  l'ouest  est  la  zone  des  coups  de  vent  et  des  longues  plages  basses, 
la  zone  la  plus  menacée  par  l'érosion  des  vagues.  Les  arbres,  ployés  par 
les  tempêtes  fréquentes,  tournent  leurs  branches  vers  l'intéi'ieur  des 
terres  et  leur  cime  est  rasée  comme  si  elle  avait  été  coupée  par  le  fer^ 
Même  sur  les  côtes  orientales  du  Jylland,  les  arbres  sont  inclinés  sous 
l'effort  du  courant  aérien  dominant;  néanmoins  les  habitants  s'y  trou- 
vent plus  à  l'abri;  ils  ont  pu  on  toute  sécurité  bâtir  leurs  villes«t;t  cul- 
tiver leurs  champs  le  long  du  littoral.  Dans  les  îles,  les  vents  sont 
moins  violents  et  les  navires  rangent  la  rive  orientale  de  Sjalland  pour 
éviter  les  écueils  de  la  côte  suédoise,  où  soufflent  aussi  les  vents  occi- 
dentaux. C'est  dans  celte  région  du  Danemark,  sur  une  baie  de  l'île  de 
Sjàlland  tournée  vers  l'orient,  que  s'est  fondée  la  ville  la  plus  popu- 
leuse de  toute  la  Scandinavie.  L'histoire  générale  de  la  contrée  a  donc 
subi  profondément  l'influence  des  courants  aériens. 


III 


La  flore  et  la  iaune  du  Jylland  et  des  îles  danoises  diffèrent  peu  do 
celles  des  terres  environnantes,  Scanie  et  Schleswig  :  sous  le  même  climat 
se  sont  développées  les  mêmes  formes  animales  et  végétales;  mais  l'honimo 
du  pays,  le  Danois,  forme  bien  un  [)euplo  à  part,  ayant  ses  traditions  dis- 
tinctes, son  caractère,  sa  volonté  nationale.  Quoique  de  race  germani(pio. 
il  se  considère  comme  séj)aré  de  l'Allemand  par  l'origine  aussi  bien  que 
par  les  souvenirs  de  guerres.  Il  repousse  toute  idée  de  fusion  politique 
avec  l'Allemagne  et  ne  lient  pas  davantage  à  se  confondre  avec  ses 
voisins  suédois  et  norvégiens.   L'union  Scandinave,  telle   qu'il   la  désire. 

•  Chr.  Hnnscn,   Danske  Gcografiskc  Sciskab  Tiilskiift,  II,  1878. 
'  Ed.  Erslcv,  Den  Danske  Stat. 


22  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

devrait  être  plutôt  une  fédération  de  trois  peuples  gardant  leurs  mœurs 
et  leurs  lois  respectives. 

Bien  que  l'histoire  proprement  dite  du  Danemark  ne  remonte  guère  à 
plus  d'un  millier  d'années,  les  débris  de  toute  espèce  trouvés  sur  le  sol 
du  Jvlland  et  des  îles  danoises  ont  permis  de  pénétrer,  bien  au  delà  des 
siècles  historiques,  jusqu'aux  âges  où  le  climat  local  était  tout  différent 
de  ce  qu'il  est  de  nos  jours.  Le  Danemark  est  devenu  célèbre  par  les 
nombreux  témoignages  des  civilisations  primitives  trouvés  par  les  archéo- 
logues. Ce  que  les  côtes  de  la  Méditerranée  avaient  été  pour  l'archéologie 
classique,  les  rives  du  Kattegat  et  de  la  Baltique  occidentale  l'ont  été, 
quoique  à  un  degré  moindre,  pour  l'archéologie  préhistorique  en  général'. 
Les  débris  des  industries  rudimcntaires  de  nos  ancêtres  y  ont  été  ra- 
massés par   centaines    de  milliers. 

De  tous  ces  musées  naturels,  ceux  dont  l'exploration  offre  peut-être 
le  plus  d'intérêt  sont  les  tourbières  où  se  sont  carbonisées  successivement 
plusieurs  générations  de  forêts  ;  les  couches  superposées  des  arbres  per- 
mettent de  déterminer  approximativement  l'époque  où  vécurent  les  ani- 
maux dont  on  retrouve  les  débris,  et  les  hommes  qui  y  laissèrent  leurs 
outils  en  silex.  La  végétation  forestière  qui  ombrage  actuellement  les 
tourbes  est  celle  des  hêtres  ;  mais  au-dessous  les  étages  des  forêts  en- 
glouties sont  représentes  par  les  trois  strates  végétales  bien  distinctes 
des  pins,  des  chênes  et  des  trembles.  L'ancienne  flore  du  fond  de  la 
tourbière  consiste  en  bouleaux  nains  et  autres  arbrisseaux,  qui  croissent 
aujourd'hui  vers  le  sud  de  la  Laponie.  A  celte  époque,  le  climat  du 
Danemark  était  celui  de  la  zone  circumpolaire;  mais  l'homme  y  vivait  di^jà, 
car  on  a  trouvé  des  silex  travaillés  de  l'âge  néolithique  dans  la  couche  du 
fond,  à  côté  des  ossements  des  rennes  et  des  élans'.  Quant  aux  restes  de 
mammouths  et  d'autres  grands  mammifères,  nulle  part  on  ne  les  ren- 
contre en  Danemark,  comme  eu  France  et  en  Angleterre,  dans  un  sol 
où  l'homme  ait  laissé  des  traces  de  son  industrie^. 

On  sait  combien  grande  aussi  est  l'importance  qu'ont  prise  dans  l'ar- 
chéologie pH'historiipie  les  amas  de  coquillages  recueillis  çà  et  là  sur  les 
cotes  du  Jylland  et  des  îles  danoises.  Les  habitants  y  voyaient  autrefois 
des  couches  de  débris  rejetés  par  les  vagues;  mais  Worsaae  et  Steenstrup, 
qui  ont  étudié  ces  restes,  y  ont  reconnu  des  affaldsdijnger.,  kjœkkcn- 
mœdilinrjer  ou  «  débris  de  cuisine  ».  Ils  se  composent  surtout  de  coquilles 

'  Worsaae,  La  colonisation  de  la  Russie  cl  du  iionl  scandinai-e,  traduct.  Beauvois. 
'  Slccnslrup,  Geognostisk  Undersugelse  af  Skovnwserne. 
'  Worsaae,  ouvrage  cilé. 


ANCIENNES  POPULATIONS  DU  DANEMARK.  23 

ti'luiîtros  et  d'aulrcs  mollusques,  ainsi  que  d'arèles  de  poissons,  mais  ils 
renferment  aussi  des  os  rongés  de  cerfs,  de  chevreuils,  de  cochons,  de 
bœufs,  de  castors  et  de  chiens  :  on  y  a  trouvé  des  restes  de  chats  et  de 
loutres.  Les  ossements  du  grand  pingouin,  Valca  impennis,  qui,  pendant 
ce  siècle,  existait  encore  en  Islande  et  au  Grimland,  se  rencontrent  égale- 
ment dans  les  tertres  de  débris  du  Danemark  ' ,  mais  parmi  les  fragments 
d'oiseaux  on  n'a  point  remarqué  ceux  du  poulet  :  à  cette  époque,  l'habitant 
des  îles  n'avait  que  le  chien  pour  animal  domestique.  Quelques-uns  des 
amas  de  déchets  culinaires  ont  jusqu'à  500  mètres  de  longueur  sui-  une 
largeur  de  50  à  60  mètres  et  5  mètres  de  hauteur  :  leur  volume  est  donc 
(le  plusieurs  dizaines  de  milliers  de  mètres  cubes,  ce  qui  témoigne  de  la 
multitude  de  ceux  qui  prenaient  part  à  ces  repas  ou  de  la  longue  durée  des 
siècles  pendant  lesquels  ils  ont  été  continués  de  la  même  manière.  Les  po- 
pulations de  cette  époque  étaient  alors  à  leur  âge  de  pierre,  car  parmi  les 
débris  on  n'a  découvert  que  des  armes  et  des  outils  de  pierre  et  d'os,  ainsi 
que  des  poteries  grossières.  La  forme  du  littoral,  la  salure  des  mers  de- 
vaient aussi  différer  complètement  de  ce  qu'elles  sont  aujourd'hui,  caries 
huîtres,  si  communes  alors  dans  les  eaux  voisines  de  l'archipel  danois,  ne 
peuvent  y  vivre  de  nos  jours,  à  cause  de  la  trop  faible  salinité  du  flot-  :  on 
ne  les  rencontre  que  sur  les  bancs  de  la  rive  occidentale,  dans  la  mer  du 
Nord.  Quelques-uns  des  ossements  d'animaux  trouvés  dans  les  kjœkken- 
mœddinger  témoignent  aussi  d'un  climat  plus  rigoureux  que  le  climat 
danois  de  notre  époque. 

Aux  témoignages  du  passé  trouvés  dans  les  tourbières  et  dans  les  restes 
des  anciens  repas,  s'ajoutent  les  armes,  les  outils,  les  ornements  que  l'on 
a  recueillis  en  multitudes  dans  les  tombeaux  mégalithiques  de  formes 
diverses,  à  une,  deux  ou  plusieurs  chambres,  qui  parsèment  les  terres 
danoises.  Pai'mi  ces  monuments  du  travail  humain,  les  plus  anciens  sont 
les  tombellcs  rondes  et  les  tertres  allongés.  Les  chambres  de  géants  {jo£t- 
testuer  ou  stcendysser) ,  bâties  avec  plus  d'art,  sont  composées  de  plusieurs 
compartiments  en  blocs  de  granit  revêtus  j)ar  un  monticule  de  terre  :  plu- 
sieurs semblent  avoir  été  des  tertres  de  famille  :  on  trouve  dans  ces  lombes, 
avec  des  ustensiles,  des  armes  et  des  parures,  les  ossements  d'animaux 
domestiques  et  sauvages  enterrés  en  compagnie  des  morts.  Ces  tombeaux 
appartiennent  pour  la  plupart  à  la  dernière  époque  de  l'âge  de  la  pierre 
polie  et  à  l'âge  du  bronze,  et  la  population  sédentaire  était  déjà  fainilia- 

'  Siccnsirup,  Videnskabeliye  îleddeleUer  for  den  naiurhistoriske  Forening,  1855. 

'  Von  Baer,  Bulletin  de  l'Académie  des  Sciences  de  Saint-Pclcistiouig,  lomc  IV,  1862. 


2t  NOUVELLE  GÉOGR\PUIE  UNIVERSELLE. 

risée  avec  l'élève  du  bétail  et  les  procédés  élémentaires  de  l'agricul- 
ture. C'est  à  la  fin  du  deuxième  siècle,  vers  le  temps  de  Septime  Sévère, 
que  le  fer  aurait  définitivement  prévalu  dans  ces  contrées  ',  et  de  cette 
époque  datent  aussi  les  premières  inscriptions  runiques.  Des  objets  fort 
curieux,  d'origine  locale  ou  d'importation  étrangère,  ont  été  découverts 
dans  quelques-unes  des  sépultures  :  telle  est  la  coupe  trouvée  à  Stevns 
Klint,  dans  l'île  de  Sjàlland,  dont  la  bordure  en  argent  ciselé  porte  une 
inscription  grecque.  A  Bornholm,  l'âge  de  fer  se  développait  avec  des 
caractères  particuliers.  On  trouve  dans  l'île  des  milliers  de  tombeaux 
appelés  brandpletter  :  ce  sont  des  Irous,  remplis  de  charbons,  de  cendres 
et  d'ossements  humains,  avec  des  restes  d'armes  et  d'instruments  de  fer 
ou  de  bronze  tordus  par  le  feu  :  un  seul  cimetière,  celui  de  Kannikcgaard, 
près  de  Nexô,  contient  plus  de  douze  cents  de  ces  tombeaux  ;  deux  autres 
champs  funéraires  en  ont  chacun  neuf  cents  ;  mais  les  tombes  les  plus 
récentes  étaient  pour  la  plupart  isolées.  Les  pratiques  de  l'incinération 
ont  fait  disparaître  une  grande  partie  des  richesses  enfouies  dans  le  sol 
avec  les  morts. 

D'après  le  philologue  Rask  et  l'archéologue  ^'ilsson^  des  tribus  la- 
ponnes, quels  qu'aient  été  d'ailleurs  les  Danois  des  âges  de  pierre,  auraient 
occupé  tout  le  Danemark  aux  temps  qui  précèdent  l'histoire.  Dahlmann, 
Eschriclit  et  d'autres  savants  pensent  au  contraire  que  les  Finnois  lapons 
auraient  pénétré  dans  les  péninsules  et  les  îles  méridionales  de  la  Scandi- 
navie seulement  en  groupes  de  colons  errants,  faisant  leurs  semailles, 
tantôt  sur  un  point,  tantôt  sur  un  autre,  dans  le  sol  brûlé  des  tourbières 
ou  des  bois.  En  tout  cas,  il  est  certain  que  des  populations,  bien  distinctes 
par  l'origine  des  Germains  Scandinaves  qui  habitent  actuellement  le 
Danemark,  ont  séjourné  dans  la  contrée.  Les  études  comparées  de  crânes, 
faites  par  Sasse  dans  les  cimetières  de  Sjàlland,  ont  démontré  que  jusqu'au 
seizième  siècle  une  race  d'une  très  faible  capacité  crânienne  s'est  main- 
tenue dans  le  pays  à  côté  des  habitants  à  grande  tète,  de  race  frisonne.  Ces 
hommes  ont  maintenant  disparu'.  Quelques  détails  de  costume  indique- 
raient aussi  le  séjour  d'anciennes  races  celtiques  dans  le  pays  :  le  bonnet 
à  coifft;  relevée,  à  ailes  pendantes  sur  les  épaules,  que  portaient  générale- 
ment les  jtaysannes  de  Fyen,  d'/Frô,  de  Falsler,  à  une  époque  récente 
encore,  présente  une  singulière  ressemblance   avec  les  bonnets  des  Cau- 

'  Erigclhanlt,  Slalueltes  romaines  el  autres  objets  d'art  du  premier  Oijc  de  fer;  —  Ernesl 
Desjardins,  j\otes  manuscrites. 

'  Skandinaviska  Nordens  Urineùnare. 

■•  Schmidl,  Jalirbûclier,  187G;  —  Seligmaim,  Beluns  Gcographisches  Jahrhuch,  1876. 


POPULATIONS    DU  DANEMARK.  25 

choises  et  des  paysannes  d'Anvers.  Plusieurs  archéologues  ont  voulu  intéror 
de  la  conformité  du  costume  la  communauté  d'origine  des  races  elles- 
mêmes'. 

Après  les  grands  mouvements  de  la  migration  des  peuples,  cpii  entraî- 
nèrent les  Cimbres  de  la  péninsule  vers  les  Gaules  et  l'Italie,  puis  les 
Hérules  des  îles  et  de  la  Chcrsonèse  vers  Rome,  les  Angles,  les  Saxons, 
les  Jutes  vers  l'Angleterre,  une  autre  population,  obéissant  à  la  poussée 
des  peuples  vers  l'occident,  vint  s'établir  en  quelques  endroits  des  îles 
méridionales  du  Danemark,  Laaland,  Falster,  Langeland.  Ces  immigrants 
étaient  des  Slaves  ;  des  traditions  et  des  noms  de  lieux  témoignent  de  leur 
séjour'.  Mais  les  principaux  envahisseurs  furent  les  Danois,  ancienne  confé- 
dération de  tribus  Scandinaves.  On  sait  qu'après  s'être  emparés  des  contrées 
qui  sont  devenues  le  Danemark,  les  Danois  continuèrent  longtemps  du  côté 
de  l'ouest  leurs  incursions  de  conquête  ;  rivaux  des  pirates  norvégiens,  ils 
disputèrent  pendant  des  siècles  aux  Anglo-Saxons  la  possession  de  la 
Grande-Bretagne  et  aux  Celtes  celle  de  l'Irlande. 

En  général,  chez  les  Danois,  la  moyenne  des  blonds  purs,  aux  yeux  d'un 
bleu  pâle,  est  plus  considérable  que  chez  les  Allemands.  Plus  vifs  que  les 
Hollandais,  ils  sont  comme  eux  patients,  courageux  et  forts.  Pleins  de  bon 
sens,  ils  agissent  d'ordinaire  à  bon  escient  et  traitent  les  Allemands  de 
vantards  et  d'écervelés' ;  néanmoins  ils  ont  aussi  leurs  jours  de  fête  pen- 
dant lesquels  ils  aiment  à  s'oublier  :  au  silence  ordinaire  succèdent  les 
chants  et  le  bruit.  Sous  le  calme  des  traits,  le  Danois  garde  une  âme 
ardente  et  poétique  :  il  voit  les  flots  de  la  mer  battre  ses  rivages  et  se 
rappelle  la  vie  aventureuse  de  ses  ancêtres  qui  parcouraient  le  monde  sur 
leurs  barques  battues  des  vents.  Sa  littérature  lui  conserve  un  trésor  de 
nobles  chants  que  les  jeunes  gens  répètent  dans  les  réunions  joyeuses. 
Les  hommes  d'étude  se  distinguent  par  la  vigueur,  la  mélliode,  la  clarté. 
Partout  la  population  a  le  goût  des  livres,  et  le  théâtre  est  pour  elle  une 
école  de  littérature  autant  qu'un  lieu  d'amusement.  «  Pas  seulement  pour 
le  plaisir  !  »  dit  une  inscription  peinte  sur  le  riiieau  du  théâtre  nnlional 
de  Copenhague. 

La  langue  danoise,  d'origine  Scandinave,  mais  beaucoup  moins  pure 
que  l'islandais,  s'est  constituée  en  langue  distincte  vers  le  treizième  siècle  ; 
mais  elle  ne  prit  guère  son  rang  comme  idiome  littéraire  ([u'à  l'époque 
de  la  Réforme,  au  milieu  du  seizième  siècle  :  ses  anciennes  sagas  appar- 

'  Vanderkindcre,  Recherches  sur  l'Ethnologie  de  la  Belgique. 
'  Sctiicrn,  Oui  slariske  Slednaviie. 
'  J.  J.  Ampère,  Esquisses  du  iiord 


26  NOUVELLE    GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

tiennent  h  la  litlérature  Scandinave  proprement  dite.  De  tous  les  dialectes 
danois,  parmi  lesquels  on  range  aussi  celui  de  Bornholm,  le  plus  original 
et  le  plus  riche  en  vieux  mots  est  celui  du  Jylland  septentrional  ;  mais  ce 
n'est  pas  celui  qui  a  prévalu.  Le  parler  de  Sjalland  a  pris  une  importance 
prépondérante  dans  le  pays,  grâce  à  l'influence  dominante  de  la  capitale, 
et  s'est  confondu  peu  à  peu  avec  la  langue  danoise  elle-même.  Suivant  les 
époques,  le  danois  s'est  enrichi  do  termes  empruntés  au  latin,  au  français, 
au  suédois,  dont  il  ne  diffère  que  faihlenienl;  mais  c'est  à  rallemand  qu'il 
a  pris  le  plus  grand  nombre  de  mots  :  au  bas-allemand  lors  de  la  prospé- 
rité commerciale  des  villes  de  la  Hanse,  au  haut-allemand  quand  ce  dia- 
lecte l'eut  emporté  comme  langue  littéraire  de  la  Germanie.  Autrefois, 
plusieurs  auteurs,  prosateurs  et  poètes,  ont  écrit  dans  les  deux  langues, 
afin  de  parler  non  seulement  à  leurs  compatriotes  danois  et  norvégiens, 
mais  aussi  au  public  allemand,  et,  par  son  intermédiaire,  au  reste  du 
monde.  Cependant  le  peuple  danois  tient  d'autant  plus  à  sa  propre  langue 
qu'il  se  sent  menacé  dans  son  existence  même  :  il  se  rattache  avec  ferveur 
aux  traditions  nationales,  à  sa  vieille  littérature,  à  sa  poésie  issue  des 
sagas,  et  remplie  du  souvenir  des  aïeux.  Depuis  le  grand  Thorvaldsen, 
l'art  danois  a  cherché  ses  propres  sentiers,  et  même  l'art  industriel,  celui 
des  porcelaines,  de  l'orfèvrerie,  des  meubles,  cherche  à  s'inspirer  des  an- 
tiquités trouvées  dans  le  sol  de  la  patrie. 


IV 


Toutes  les  villes  importantes  du  Jylland  sont  situées  sur  le  Itord  ou  du 
moins  sur  le  versant  de  la  mer  orientale.  Les  populations  étaient  natu- 
rellement attirées  de  ce  côté,  qui  leur  offre  un  triple  avantage  :  des  terrains 
plus  fertiles,  des  ports  plus  profonds,  plus  abrités  et  de  plus  facile  accès, 
et  le  voisinage  des  îles  fécondes  et  peuplées  de  Fyen  et  de  Sjalland.  Autre- 
fois, quand  les  Danois,  avides  de  conquêtes  et  de  pillages,  regardaient  au 
hiiii  vers  l'Angleterre  et  les  autres  pays  de  l'Europe  occidentale,  ils  s'étaient 
portés  en  grand  nombre  sur  la  côte  de  l'ouest.  A  celle  époque,  la  ville  de 
Ribe,  située  près  de  la  frontière  actuelle  du  territoire  allemand,  était  fort 
importante.  Elle  s'enrichit  alors  d'un  butin  considérable,  apporté  des  pays 
lointains  en  offrande  à  ses  prêtres  et  à  ses  moines.  Maintenant  Uibe  en- 
tretient à  grand  peine  ses  communications  avec  la  mov  :  le  sinueux 
llibe  Aa,  qui  va  se  perdre  à  l'ouest  dans  les  vases  du  littoral,  est  cora- 
plèlemenl  obslrué  par  les  boues  à  marée  basse,  de  même  que  le  canal 


VILLES   DU  JYLLAND. 


27 


creusé  à  travers  les  alluvions  du  rivage.  Plus  au  nord,  Ringkjôbing,  bâti 
sur  la  rive  de  sa  grande  lagune,  n'est  qu'un  faible  bourg  de  pèche,  bien 
que  choisi  comme  chef-lieu  du  plus  vaste  bailliage  de  la  péninsule. 
Jusqu'à  la  pointe  de  Skagen,  aucune  ville  ne  se  montre  sur  le  rivage;  à 
peine  quelques  hameaux  apparaissent-ils  au  milieu  des  dunes,  entre  les 
étangs.  Le  chef-lieu  du  Thy,  territoire  insulaire  qui  s'étend  à  l'ouest  du 
Lim-fjord,  Thisted  ou  «  Ville  du  Thy  »,  est  situé  au  bord  de  ce  golfe 
intérieur  :  c'est  là  que  naquit  Malte-Brun,  le  grand  géographe  qu'exila 
sa  patrie  et  qui  devint  l'une  des  gloires  de  la  France. 

Sur  la  rive  orientale  du  Jylland,  la  première   ville  qui  se  présente  au 


X^    T.    BUE    DE   TEJLE. 


l/aprta  ta^Qi-u.  li^  lELlI  .lii/ci 


i'rcJKpa^^rAà2^^i^ 


SaUcï  qm  coarrcal  cL  dcc 


nord  du  territoire  annexé  par  l'Allemagne  est  Kolding,  située  à  l'extré- 
mité d'un  fjord  sans  profondeur,  et  près  de  laquelle  se  voient  les  vastes 
ruines  d'un  château  du  seizième  siècle,  brûlé  en  1808,  lorsque  Ber- 
nadolle  occupait  la  contrée  avec  des  troupes  françaises.  Kolding  est 
moins  importante  que  la  ville,  naguère  fortifiée,  de  Fredericia,  qui  com- 
mandait le  détroit  du  Petit  Belt  à  son  embouchure  septentrionale  :  plu- 
sieurs monuments  y  rappellent  la  victoire  remportée  par  les  Danois  le 
G  juillet  1849  sur  l'armée  du  Schleswig-Holslein.  Plus  loin  le  fjord  do 
Vcjle  s'ouvre  dans  la  côte  du  Jylland  ;  ses  eaux,  que  dominent  de  part 
et  d'autre  des  collines  couvertes  de  hêtres,  diminuent  en  profondeur 
de  l'est  à  l'ouest  avec  une  régularité  singulière  et  vont  mourir  sur  une 
plage  basse  que  traverse  un  étroit  chenal  pour  les  embarcations  :  le  nom 


Î8  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   IMVERSELLE. 

même  de  Vejle  est  synonyme  de  fond  émergé.  La  ville  occupe  une  sorte 
d'isthme  de  terrains  consolidés  entre  la  gracieuse  courbe  de  la  baie  et  les 
fonds  tourbeux  qui  ont  remplacé  les  eaux  de  l'estuaire  desséché.  A  une 
petite  distance  au  nord-ouest  de  Vejle  est  l'ancien  bourg  royal  de  Jelling. 
où  se  voient  les  tertres  funéraires  de  Gorra  et  de  Thyra,  élevés  vers  960 
par  leur  fils  Harald  «  à  la  Dent  Bleue  »  :  entre  ces  monticules  se  trouve 
une  église;  des  runes  déchiffrées  par  Finn  Magnuson,  Rask,  Rafn',  et  de 
curieuses  figures  symboliques  ornent  des  pierres  érigées  en  l'honneur  des 
deux  souverains. 

Horsens,  patrie  de  Bering,  est  située  comme  Vejle  à  l'extrémité  d'un 
fjord,  tandis  qu'Aarhus,  la  ville  la  plus  populeuse  du  Jylland,  est  bâtie  sur 
le  rivage  même  de  la  mer  et  possède  un  port  bien  abrité.  Aarhus  est  lu 
station  centrale  des  chemins  de  fer  du  Jylland  et  le  principal  point  d'al- 
tache  de  la  péninsule  avec  Copenhague*.  La  prééminence  politique  appar- 
tenait jadis  à  Viborg,  qui  se  trouve  au  bord  d'un  lac,  non  loin  du  centre 
géométrique  du  Jylland  :  c'est  dans  celte  ancienne  ville  que  les  rois  ont 
le  plus  souvent  siégé;  elle  possède  une  cathédrale,  l'une  des  plus  belles 
églises  du  Danemark,  rebâtie  il  y  a  quelques  années.  A  l'est,  Randers 
peut  trafiquer  directement  avec  la  mer  par  le  fjord  dont  elle  occupe  l'ex- 
trémité; mais  les  navires  qui  ont  franchi  la  barre,  profonde  de  moins  do 
4  mètres  à  marée  basse,  doivent  s'arrêter  à  une  petite  distance  en  dedans 
de  l'embouchure,  au  profond  mouillage  d'Udbyhoi.  Randers  est,  après 
Grenoble,  un  des  centres  principaux  de  la  fabrication  des  gants  appelés 
«  gants  de  Suède  ». 

.\alborg,  longuement  étendue  sur  la  rive  méridionale  du  Lim-fjord, 
que  traverse  en  cet  endroit  un  superbe  pont  de  chemin  de  fer,  fait  un 
commerce  assez  actif;  mais  la  barre  du  fjord  ne  permet  l'entrée  qu'aux 
petites  embarcations,  et  pourtant  il  serait  fort  nécessaire  de  posséder  un 
grand  port  de  commerce  et  de  refuge  près  de  la  pointe  de  la  pénin- 
sule, entre  les  deux  mers  tempétueuses  du  Skager  Rak  et  du  Kattegat. 
Cette  extrémité  de  In  péninsule  est  des  plus  dangereuses  sur  les  deux 
rivages  pendant  les  mauvais  temps  :  du  coté  du  Skager  Rak,  la  plage  est 
bordée  en  maints  endroits  d'épaves  rompues;  entre  l'Ile  de  Liisô  et  la 
pointe  de  Skagen,  il  se  perd  au  moins  chaque  année  de  trente  à  qua- 
rante navires,  sur  les  quarante  ou  cinquante  mille  qui  passent  dans  le 
détroit,  et  dans  une  seule  tempête  du  mois   de    novembre    lîSTtî   trenle- 

'  tlcmoiies  de  la  Société   îles  Antiquaires  du  .\ord,    1845-I8i9. 

'  Valeur  îles  oxporlalions  (i'Aarliiis  en  1870  :  1 1  480  000  francs. 

''  Slciuvonicnl  du  pnrl  d'A-ilboi^  eu  187C  :    1  ITjO  navires,  jaugeant  T'iCCO  tonnes. 


AARHUS.  RANDERS,  SKAGEN,  Ol-ENSE.  ;29 

neuf  bâtiments  ont  échoué  à  Vcjle  ;  souvent  les  habitants  de  la  contrée 
ont  à  se  mettre  à  la  merci  des  vagues  pour  sauver  les  naufragés'.  L»; 
port  de  Frederikshavn,  creusé  au  sud  de  la  baie  autour  de  laquelle  se 
recourbe  Skagen,  est  tout  à  fait  insuffisant  comme  havre  de  refuge,  el 
l'on  a  songé  à  l'agrandir  et  à  le  compléter  par  le  mouillage  des  îlots 
de  pêcheurs,  connus  sous  le  nom  de  Hirtsholmene  :  ce  havre  en  eau  pro- 
fonde resterait  ouvert  au  commerce  pendant  toute  l'année.  La  ville  de 
Skagen,  composée  de  quelques  groupes  de  maisons  abritées  par  les 
dunes,  est  le  lieu  de  pèche  le  plus  important  du  Danemark.  Merlans, 
morues,  turbots,  soles  et  autres  poissons  y  sont  capturés  en  multitudes  : 
aussi  Skagen,  de  même  que  sa  voisine  Frederikshavn,  est-elle  constam- 
ment visitée  par  des  bâtiments  viviers  qui  viennent  et  reviennent  y 
prendre  leur  cargaison  de  poissons  vivants,  pour  les  vendre  à  Copenhague 
et  en  d'autres  villes  danoises'. 

C'est  dans  l'île  de  Fyen  ou  Fionie  que  s'élève  l'une  des  plus  anciennes 
cités  du  Danemark,  Odense,  la  «  Ville  consacrée  à  Odin  ».  Elle  était  déjà 
bâtie  avant  qu'une  maison  de  pierre  s'élevât  au  milieu  des  cabanes  de 
pêcheurs,  qu'ont  remplacées  maintenant  les  palais  de  Copenhague;  sa 
cathédrale  renferme  quelques  tombeaux  d'anciens  rois  ;  elle  est  la  patrie 
du  poète  et  charmant  conteur  Andersen,  issu  d'une  très  humble  famille, 
comme  la  plupart  des  grands  écrivains  du  Danemark.  Capitale  du  vaste 
jardin  que  forme  l'île  de  Fyen,  entourée  d'admirables  cultures,  Odense 
est  aussi  un  centre  d'industrie  et  de  commerce,  bien  qu'elle  se  trouve 
à  une  certaine  dislance  de  la  mer  et  ne  communique  avec  elle  que  par 
un  canal  de  faible  profondeur,  où  ne  peuvent  même  pénétrer  les  navires 
de  5  mètres  de  tirant  d'eau.  Grâce  au  chemin  qui  traverse  l'île,  Odense 
se  complète,  à  l'ouest,  par  les  ports  d'embarquement  de  Middelfart  el  de 
Strib,  sur  le  Petit  Belt,  cl  à  l'est  par  le  port  fortifié  de  Nyborg.  sur  h- 
Grand  Belt.  Au  sud  de  Fyen,  vis-à-vis  de  la  petite  île  de  Taasinge,  osl 
située  la  petite  ville  de  Svenborg,  oiJ  se  trouvent  dos  chantiers  de  con- 
struction ;  elle  est  le  rendez-vous  de  navigation  et  le  marché  des  insu- 
laires de  Taasinge,  d'^Frô,  de  Langeland.  Cette  d(>rnière  île  est  la  patrie 
des  frères  Oersted,  le  physicien  el  le  juriste;  le  philologue  Rnsk  était 
fils  d'un  petit  paysan  de  Fyen.  Svenborg  est  dans  l'une  des  plus  belles 
parties  du  Danemark.  De  tous  les  coteaux  des  environs,  la  vue  s'éleiid 
sur  de  ravissants  paysages.  La  plus  haute  colline  de  Taasinge,  Bregiiingc, 


'  Ed.  Ersicv,  Den  Danuke  Slat. 

'  Irmingcr.  Notice  sur  les  pèches  du  Danemark;  Revue  maritime  et  coloniale,  sep'    I8ii5. 


50  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

a  seulement  81  mètres  de  hauteur;  mais  de  la  cime  on  voit  à  ses  pieds, 
comme  sur  une  carte,  un  espace  de  5500  kilomètres  carrés  :  bois  de  hêtres, 
campagnes  cultivées  et  bras  de  mer  parsemés  d'embarcations'. 

La  capitale  de  Sjàlland,  Copenhague  (en  danois  K/vbenhani),  renferme 
à  elle  seule  la  huitième  partie  de  la  population  du  royaume  :  ensemble 
toutes  les  villes  danoises  n'ont  pas  dans  leurs  murs  autant  d'hommes 
que  la  cité  maîtresse,  assise  au  bord  du  détroit  de  la  Baltique.  Évidem- 
ment Copenhague  est  plus  grande  que  ne  semble  le  comporter  le  rang 
politique  d'un  chef-lieu  de  royaume  déchu  :  c'est  qu'elle  possède  en  effet 
un  rôle  à  part,  non  comme  ville  danoise,  mais  comme  cité  européenne, 
appartenant,  pour  ainsi  dire,  à  toutes  les  nations  septentrionales  du 
continent. 

La  position  géographique  de  Copenhague,  comme  celle  de  Constanti- 
nople,  présente  un  double  avantage  :  là  se  croisent  le  chemin  d'une  mer 
à  l'autre  mer  et  la  route,  quelquefois  solide  en  hiver,  qui  réunit  deux 
péninsules.  Uc  la  Baltique  aux  parages  de  la  Grande-Bretagne,  de  l'Alle- 
magne et  du  Jylland  à  la  Suède,  c'est  par  le  même  point  que  doivent 
passer  marchandises  et  voyageurs.  Un  canal  et  un  pont,  pour  ainsi  dire, 
se  traversent  à  angle  droit  là  où  s'élève  la  ville  de  Copenhague,  et  natu- 
rellement cette  ville  est  devenue  puissante  par  le  commerce.  Il  est  vrai 
que  rÔresund,  sur  lequel  est  située  Copenhague,  n'est  pas  le  seul  détroit 
qui  fasse  communiquer  la  Baltique  et  qui  continue  le  Kaltegat;  mais  il 
est  de  beaucoup  le  plus  facile  pour  la  navigation,  et  pratiquement  on 
peut  le  considérer  comme  le  seul.  Le  Petit  Belt,  écarté  du  chemin  na- 
turel des  navires,  est  comme  un  fleuve  tortueux  qui  semble  se  confondre 
avec  un  fjord  de  la  cote  du  Jylland.  Le  Grand  Belt,  assez  large  et 
assez  profond  pour  livrer  passage  à  des  flottes,  est  gêné  par  des  écueils 
et  des  bancs  de  sable,  et  quand  la  navigation  se  faisait  seulement  à  la 
rame  ou  à  la  voile,  les  bâtiments  avaient  à  craindre,  dans  le  long  et 
sinueux  détroit,  de  fréquents  changements  de  vents  et  de  courants. 
L'Oresund  présente  au  contraire  un  canal  (jui  s'ouvre  en  droite  ligne  de 
mer  à  mer  et  oii  le  passage  n'est  gêné  que  par  un  petit  nombre  d'Iles  et 
d'écueils.  Les  navires  que  poussent  le  vent  et  le  flot  peuvent  entrer 
souvent  d'une  mer  dans  l'autre  sans  avoir  à  changer  la  disposition  de 
leur  voilure.  Le  vent  d'ouest,    qui  souffle  d'ordinaire  dans  ces  parages, 

'  Ed.  Erslcv,  Lcercbog  i  den  alinin(h'li(je  Geografi. 


Nouvelle  Ceojraphie  l'mverseUe  -T.\'    PI  1- 


COPENHAGUE,    LE  S 


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::::] 


Kchenjti 


J^D   ET  L'ISE-FJORD 


Taris    U.ivhrtlH  S-  (' 


ttooc 


COPENHAGUE.  51 

n'est  pas  plus  gênant  à  l'entrée  qu'à  la  sortie  de  la  méditerranée  hallique; 
seulement,  pour  en  éviter  les  violences,  les  marins  doivent  chercher  à 
longer  la  rive  abritée  de  Sjâlland,  et  c'est  précisément  le  long  de  cette 
côte  que  l'eau  est  le  plus  profonde  et  le  moins  semée  de  bancs.  La  ville 
bâtie  par  les  dominateurs  de  la  contrée  pour  commander  la  navigation 
du  détroit  devait  donc  s'élever  sur  la  rive  occidentale  du  Sund  :  d'avance, 
le  courant  de  l'eau  et  le  souffle  du  vent  avaient  assigné  la  prépondérance 
commerciale  et  politique  à  ce  littoral    insulaire'. 

Quant  à  l'endroit  particulier  de  la  côte  où  devait  se  construire  la 
Constantinople  du  détroit  baltique,  il  semblait  tout  d'abord  indiqué  par 
l'emplacement  de  Helsingôr,  car  c'est  là  que  s'ouvre  la  porte  proprement 
dite  du  détroit  ;  d'une  rive  à  l'autre,  la  mer  s'est  rétrécie  en  fleuve.  En 
effet,  la  position  stratégique  de  Helsingôr  a  toujours  été  d'une  extrême 
importance,  surtout  depuis  que  l'invention  de  l'artillerie  a  permis  aux 
Danois  de  commander  tonte  la  largeur  du  passage.  Toutefois  l'emplace- 
ment de  Copenhague  avait  l'avantage  sur  Helsingôr  d'offrir  au  commerce 
une  rade  sûre,  un  vaste  port  naturel  :  la  brèche  ouverte  entre  la  grande 
île  de  Sjâlland  et  l'ilot  d'Amager  invitait  les  navires,  et  ceux-ci  durent 
en  profiter  dès  que  le  commerce  entre  les  deux  mers  eut  pris  un  cours 
régulier.  Quand  le  village  est  cité,  pour  la  première  fois  dans  l'histoire, 
en  1045,  il  n'a  d'autre  nom  (fue  Hafti  ou  «  Port  »,  comme  s'il  était 
le  port  par  excellence;  vers  1200,  le  chroniqueur  du  Danemark,  Saxo 
Grammaticus,  l'appelle  Portas  Mercatnrum  :  c'est  la  désignation  qui 
lui  est  restée  jusqu'à  nos  jours.  Même  au  point  de  vue  militaire,  Copen- 
hague occupe  une  position  de  même  valeur  que  Helsingôr,  car  le 
chenal  des  navires  longe  précisément  sa  rade  et  se  continue  au  sud  vers 
la  Baltique  par  le  passage  des  Drogden,  entre  Amager  et  Saltholm  :  les 
bas-fonds  et  les  écueils  ferment  aux  grands  vaisseaux  la  partie  du  Sund 
qui  s'étend  à  l'est  vers  les  côtes  suédoises.  Ainsi  les  forts  de  Copenhague, 
de  même  que  ceux  de  Helsingôr,  dominent  le  passage  où  de  l'une  à 
l'autre  mer  doivent  passer  les  navires,  amis  ou  ennemis,  de  commerce 
ou  de  guerre.  La  suprématie  politique  de  Copenhague,  dès  que  cette 
ville  eut  été  choisie  pour  résidence  royale,  fut  conquise  facilement  ; 
bientôt  les  forces  vives  du  royaume  s'y  trouvèrent  concentrées  :  de  là 
devait  partir  désormais  toute  initiative  du  Danemark,  et  c'est  là  aussi 
que  les  ennemis  devaient  essayer  de  frapper  pour  avoir  tout  le  pays  à 
leur  merci.  Par  sa  position  géographique,  Copenhague  est  bien  le  centre 

'  Ed .  Erslev,  Den  Danskc  Slat  ;  —  J.  G.  Kulil,  Die (jeographische  Laije  dcr  Hauptsiildte  Europas. 


32  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

(le  tout  le  demi-cercle  qui  se  développe  de  la  pointe  de  Skagen  à 
Bornholm;  mais  sa  puissance  d'altraction  s'étend  bien  au  delà,  et  sou- 
vent Copenhague,  la  ville  la  plus  populeuse  de  toute  la  Scandinavie, 
eut  l'amliilion  d'en  devenir  la  capitale  commune,  ainsi  que  l'avait  été 
Roskilde,  pendant  im  tiers  de  siècle,  sous  le  règne  de  Marguerite  et  de 
ses  successeurs.  Longtemps  la  Scanie  resta  terre  danoise,  et  c'est  de- 
puis deux  générations  seulement  que  la  Norvège  a  cessé  d'être  associée 
politiquement  au  Danemark.  Toutefois,  si  Copenhague  jouit  d'une  admi- 
rable situation  commerciale,  elle  n'est  pas,  comme  capitale  d'État,  en- 
tourée de  terres  ayant  une  cohésion  suffisante  pour  qu'elle  ait  pu  main- 
tenir sa  puissance  parmi  les  cités  du  Nord.  Qu'est  l'archipel  danois  en 
comparaison  de  ces  vastes  plaines  dans  lesquelles  se  sont  groupés,  d'une 
part  les  populations  allemandes,  de  l'autre  les  Slaves  septentrionaux 
et  qui  ont  fini  par  constituer  les  deux  empires  d'Allemagne  et  de  Russie? 
A  côté  de  ces  puissants  Etats,  le  Danemark  n'a  plus  à  compter  sur  ses 
propres  forces  :  la  rivalité  de  ses  voisins  est  pour  lui  la  meilleure  chance 
de  salut  ;  mais  ce  salut  est  précaire  et  le  moindre  ébranlement  politique 
peut  être  utilisé  pour  satisfaire  les  convoitises  de  l'un  ou  de  l'autre. 
Copenhague  et  le  Sund  seraient  de  bien  précieux  butins  de  conquête. 
La  ville  de  Pierre  le  Grand  n'était,  disait  son  fondateur,  qu'une  «  fenêtre 
ouverte  sur  l'Europe  »  ;  Copenhague  ne  pourrait-elle  devenir  une  porte 
ouverte  sur  le  monde?  Heureusement,  deux  rivaux  égaux  en  puissance, 
trois  en  comptant  la  Grande-Bretagne,  ont  en  même  temps  les  yeux 
fixés  sur  elle. 

La  capitale  du  Danemark  est  bâtie,  pour  ainsi  dire,  dans  un  détroit, 
entre  Sjiilland  et  Amager.  Des  vases  mouvantes  ont  été  conquises  sur  la 
mer  par  des  remblais  ;  des  îles,  ayant  encore  conservé  leur  nom  de  holm, 
ont  été  rattachées  au  rivage  ;  mais  autour  des  ports  de  guerre  et  de 
commerce  maint  canal  donne  à  la  ville  une  physionomie  toute  hollan- 
daise. Souvent  ravagée  par  les  incendies,  Copenhague  est  on  grande  partie 
moderne,  et  la  ceinture  de  murs  et  de  fossés  qui  l'enfermait  du  côté 
de  la  terre  est  détruite  presque  en  entier  pour  permettre  la  construction 
de  nouveaux  quartiers  dans  la  campagne,  surtout  des  côtés  du  nord  et 
de  l'ouest,  vers  Frederiksberg;  mais  une  citadelle  et  des  forts  bâtis  au 
bord  de  la  mer  séparent  la  cité  proprement  dite  de  la  plage  marine,  et 
même  en  pleine  mer  des  fortifications  s'élèvent  sur  des  îlots  artificiels. 
Ces  remparts,  ces  canons  rappellent  la  glorieuse  résistance  de  la  ville, 
lorsque  la  llolle  do  Nelson  vint,  en  1801,  attaquer  et  détruire  les  vais- 
seaux danois  dans  la  rade.    Six   ans   après,  en    pleine  i)aix,  les   Anglais 


i;jiuwiwi;iijLi:ii!rFiiii  .riiiLiiii 


COPENHAGUE. 


55 


(levaient  revenir  pour  bombarder  Copenhague,  brûler  ses  édifices,  enlever 
sa  flotte. 

Bâtie  en  pierres  et  en  briques  badigeonnées  de  gris,  Copenhague  est 
une  ville  assez  belle,  riche,  disposant  d'un  budget  considérable.  Elle  a' 
quelques  monuments  curieux,  et,   dans  ces  édifices,  des  trésors  pour  les 


8.    —     COPEMIXCrE. 


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Gravé  par  £r]iar  d 


savants  et  les  artistes.  Près  du  port,  la  place  octogonale  d'Anialicnborg, 
décorée  d'une  statue  équestre  en  bronze  de  Frédéric  V,  est  entourée  de 
palais,  résidence  ordinaire  du  roi,  et  ceux-ci  sont  à  leur  tour  cn\i- 
ronnés  de  jardins.  Le  palais  de  Christiansborg,  où  se  tiennent  encore 
les  réceptions  officielles  du  souverain  et  où  S(^  réunissent  les  deux  cham- 
bres du  Parlement,  renferme  une  galerie  de  tableaux,  précieuse  surtout 
par  SCS  toiles  de  l'école  hollandaise  et  par  sa  collection  de  peintures  de 
l'école  danoise.  Près  de  ce   palais  est  la  bibliothèque  royale,  riche  d'en- 


36  NOUVELLE    CÉOGUAPUIE    LMVERSELLE. 

viron  un  dt'iiii-million  tie  volumes  et  de  17  UU(J  manuscrits.  L'Univer- 
sité, fondée  déjà  depuis  quatre  siècles  et  fréquentée  par  plus  de  mille 
étudiants,  contient  aussi  près  de  '250  OUO  volumes,  parmi  lesquels  des 
ouvrages  d'un  prix  inestimable,  notamment  la  collection  des  sagas  islan- 
daises, composée  de  2000  manuscrits.  Le  «  Palais  du  Prince  »  possède 
l'admirable  musée  des  antiquités  du  Nord,  fondé  par  iNjerup  et  surtout 
par  Thomson  :  c'est,  avec  la  collection  de  Stockholm,  le  cabinet  de  ce 
genre  le  plus  complet  du  monde  et  celui  qui  put  le  plus  longtemps 
servir  de  modèle;  on  y  voit  plus  de  40  000  objets  classés  de  manière  à 
raconter  les  mœurs  des  hommes  qui  se  sont  succédé  sur  le  sol  du  Dane- 
mark pendant  les  âges  antérieurs  à  l'histoire.  Dans  le  même  édifice  se 
trouve  l'excellent  musée  d'ethnographie  comparée,  créé  également  par 
Thomsen.  Le  château  de  Rosenborg,  palais  du  dix-septième  siècle  qui 
dresse  au  milieu  d'un  jardin  sa  masse  carrée  flanquée  de  hautes  tours, 
renferme  des  collections  d'objets  de  toute  espèce,  moins  riches  peut-être 
que  ceux  du  «  caveau  vert  »  de  Dresde,  mais  admirablement  classés  par 
le  célèbre  Worsaae  suivant  les  époques  :  une  des  chambres  contient  une 
grande  collection  de  cristaux  de  Venise.  Dans  un  autre  château,  Char- 
lottenborg,  s'est  installée  l'Académie  des  Beaux-Arts.  Quant  à  l'observa- 
toire, c'est  le  j)lus  vénérable  établissement  de  ce  genre  que  possède 
l'Europe  :  la  première  pierre  en  fut  posée  eu  1657,  un  demi-siècle  après 
que  Tycho-Brahe  eut  élevé,  dans  l'île  de  Hveen,  le  «  Château  du  Ciel  », 
aujourd'hui  détruit.  Non  loin  de  la  Bourse,  que  surmonte  un  clocher 
bizarre,  formé  de  quatre  dragons  entrelacés,  se  voit  un  énorme  cénotaphe 
de  style  égyptien,  consacré  à  la  mémoire  de  Thorvaldsen  et  renfermant  son 
œuvre  entier  et  ses  collections  diverses  ;  au  centre  de  l'édifice,  dans  une 
grande  cour,  est  le  tombeau  du  maître,  entouré  de  son  peuple  de  statues. 
L'église  métropolitaine  est  également  ornée  de  quelques  sculptures  dues 
au  ciseau  du  statuaire,  le  plus  illustre  enfant  de  la  cité.  De  nombreuses 
sociétés  savantes  ont  été  fondées  à  Copenhague  :  la  plus  importante  est 
la  Société  des  Antiquaires  du  Nord;  en  1876  s'est  fondée  une  Société  de 
Géographie,  qui  compte  actuellement  près  d'un  millier  de  membres. 

Plus  le  Danemark  s'amoindrit,  et  plus  la  disproportion  entre  l'État  et 
la  capitale  paraît  frappante.  La  grande  industrie  du  pays  s'est  concen- 
trée dans  Copenhague  et  dans  ses  faubourgs  :  fonderies,  raffineries,  fila- 
tures, fabriques  de  porcelaines,  de  terres  cuites,  et  toutes  les  usines  où  se 
préparent  le  gréemcnl  et  l'approvisionnement  des  navires,  couvrent  de 
vastes  étendues  de  terrains  dans  le  voisinage  du  port  et  dans  plusieurs 
autres  quartiers.    Plus  de  la   moitié  du  commerce  du   royaume  a  pour 


COPENHAGUE  ET  SES  ENVIRONS.  57 

marché  la  capitale,  et  quoique  Copenliague  n'ait  guère  plus  du  quart  de 
la  flotte  commerciale  appartenant  au  Danemark',  plus  de  la  moitié  de  la 
navigation  du  royaume  se  fait  dans  son  port*  :  une  grande  partie  des 
matières  premières  de  la  contrée  est  exportée  de  celte  ville,  et  c'est  là 
que  viennent  s'emmagasiner  la  plupart  des  produits  manufacturés  de 
l'étranger.  Quant  à  la  valeur  de  ce  commerce,  elle  dépasse  de  beaucoup 
la  moitié  des  échanges  totaux  du  royaume,  car  ses  négociants  reçoivent 
presque  toutes  les  marchandises  de  grand  pris,  et  les  principales  lignes 
de  bateaux  à  vapeur  ont  leur  point  d'attache  dans  son  port  :  les  quatre 
cinquièmes  de  la  flotte  commerciale  à  vapeur  du  Danemark  appartiennent 
aux  armateurs  de  Copenhague'.  Cette  ville  a  été  choisie  comme  siège  de 
la  compagnie  des  télégraphes  du  Nord,  qui  possède  près  de  8000  kilomètres 
de  fils,  allant  de  l'Angleterre  et  de  la  France  au  Japon,  à  travers  la  Russie 
et  la  Sibérie.  Au  sud,  l'île  d'Amager  est  un  jardin  de  la  capitale,  grâce  à 
ses  cultivateurs  de  la  Hollande  du  Nord,  immigrés  en  1514  :  les  colons, 
maraîchers  de  père  en  fils,  portent  encore  en  partie  l'ancien  costume 
national ,  et  leurs  fermes  rivalisent  en  propreté  avec  les  villas  qui  les 
entourent.  Une  autre  île,  Saltholm  ,  est  une  dépendance  naturelle  de 
Copenhague,  bien  qu'elle  en  reste  séparée  par  le  chenal  de  Drogden. 
Elle  est  si  basse  que  de  loin  les  bestiaux  à  la  pâture  semblent  marcher 
sur  les  eaux;  néanmoins  elle  possède  de  grandes  carrières  de  roche  cal- 
caire. 

£n  longeant  le  rivage  du  Sund,  au  nord  de  Copenhague,  on  voit  se 
àuccéder,  dans  un  pays  charmant,  les  maisons  de  plaisance,  les  jardins,  le< 
parcs  jusqu'aux  bains  de  Klampenborg  et  aux  bois  de  Jaegersborg  ;  mais 
c'est  dans  l'intérieur  du  Sjâlland  que  s'étendent  les  plus  vastes  forêts  et 
qu'ont  été  bâtis  les  plus  beaux  châteaux.  Le  plus  considérable,  celui  de 
Frederiksborg,  qui  s'élève  près  du  bourg  de  Hillerôd,  est  un  somptueux 

'  Flotte  commerciale  de  Copenhague  au  1"  janvier  187fi  : 

43a  navires,  jaugeant  ensemble 72190  tonnes. 

•  Mouvement  du  port  de  Copenhague  en  1876,  non  compris  le  cabotage  avec   les  poris  danois  : 

Entrées  de  voilier'; 4  590  navires,  jaugeant     211800  tonnes. 

Sorties  -  4  963         »  »  500 ')27 


Ensemble 9  553 


Entrées  de  bateaux  à  vapeur.    .    .        1222  •■  IJitOtii! 

Sorties  »  ,■       .    .    .       1 655  ..  95 042 


Ensemble 2  875         .  »  245  OIW 


Total  de  la  navigation  ....     12228  navires,  jaugeant     755535  tonnes. 
'  Flottille  à  vapeur  de  Copenhague  au  1"  janvier  1876  : 

112  bateaux,  jaugeant 51  5'U  Innnes. 


gg  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

monument  reflétant  ses  tours  clans  les  eaux  d'un  lac.  Le  chemin  de  fer 
de  Copeniiague  à  Ilelsingôr  décrit  une  grande  sinuosité  vers  l'ouest  pour 
passer  à  ce  Versailles  du  Danemark,  bâti  au  dix-septième  siècle  par  le  roi 
Christian  IV,  ainsi  qu'au  château  de  Fredensborg,  résidence  d'été  du 
souverain,  construit  au  commencement  du  siècle  passé  par  Frédéric  V. 
Ce  palais  est  célèbre  par  les  beaux  arbres  de  son  parc  et  par  ses  nom- 
breuses statues  que  sculpta  AViedewelt,  le  prédécesseur  de  Thorvaldsen. 

Kronborg  dresse  son  énorme  masse  carrée,  hérissée  de  clochetons  et  de 
tourelles,  sur  une  langue  de  terre  qui  s'avance  au  plus  étroit  du  Sund, 
comme  pour  réunir  Ilelsingôr  la  danoise  à  la  suédoise  Helsingborg.  A  la 
fin  du  seizième  siècle,  il  a  remplacé  le  château  d'Ôrekrog,  et  celui-là 
même  avait  été  bâti  sur  l'emplacement  du  Flynderborg ;  la  tradition  ra- 
conte que  dans  les  souterrains  le  héros  Ogier  le  Danois  (Holger  Danske) 
dort  d'un  long  sommeil,  attendant  pour  se  réveiller  le  jour  où  la  patrie 
en  détresse  aura  besoin  de  son  bras.  Ce  château  est  aussi  celui  de  Hamlet, 
et  la  poésie,  plus  que  l'histoire,  l'a  fait  connaître  des  hommes.  Du  haut 
de  ses  terrasses  on  cherche  vainement  à  voir  «  l'effrayante  falaise  »  dont 
parle  Shakespeare  ;  les  événements  que  raconte  le  poète  n'ont  point  eu 
lieu,  mais  on  y  assiste  par  la  pensée  et  l'on  croit  entendre  résonner  dans 
les  salles  quelques-unes  de  ces  grandes  paroles  qui  ne  s'oublieront  point. 

Le  courant  du  Sund  passe  devant  Helsingor  ou  Elseneur  :  c'est  là  que 
se  ti'ouve  le  point  de  jonction  naturel  entre  les  deux  mers.  Les  rois  de 
Danemark  avaient  pris  soin  de  fortifier  cette  position,  afin  de  prélever 
un  péage  sur  les  navires  de  passage.  Encore  au  milieu  du  siècle,  toutes 
les  nations  commerçantes  consentaient  à  payer  ce  tribut  et  les  bâtiments 
devaient  s'arrêter  sous  le  canon  d'Elseneur.  Enfin,  en  1855,  les  États- 
Unis  refusèrent  d'acquitter  ce  droit  humiliant,  et  en  1857  une  convention 
de  rachat  abolissait  définitivement  le  péage,  moyennant  une  somme  de 
87  545  000  francs,  ])ayable  par  seize  nations,  en  proportion  de  leur 
commerce.  De  nos  jours,  la  rade  d'Elseneur  n'est  plus  encombrée  comme 
aux  temps  du  péage  ;  mais  environ  50  000  navires  passent  au  large  des 
quais  et  le  petit  port  est  encore  fréquenté  comme  marché  d'approvision- 
nement :  de  quatre  à  six  mille  navires  s'y  arrêtent  tous  les  ans  pour  se 
procurer  des  vivres  frais'. 

'  Visites  lies  navires  do  passage  en  187G  :  4723. 
Mouvement  commercial  d'Elseneur  à  l'enlrée  et  à  la  sortie  en  1876  : 

015  voiliers,  jaugeant 48  020  tonnes. 

•447  bateaux  h  vapeur,  jaugeant.     42  030       » 

Ensoniblo.    .    .    .     1002  navires,  jaugeant  ....     90050  tonnes. 
Flotte  commerciale  d'Elseneur.    .       111  navires,  jaugeant  .    .       .     42  555  tonnes. 


ROSKILDE,   KÔRSÔR.  41 

Iloskilde,  qui  fui  la  capitale  et  la  cité  la  plus  populeuse  du  Dane- 
mark avant  Copenhague,  devait  graduellement  perdre  de  son  impor- 
tance dès  que  les  petites  embarcations  sur  lesquelles  naviguaient  les 
anciens  Danois  furent  remplacées  par  de  grands  navires  :  le  fjord 
dont  Roskildc  occupe  l'extrémité  méridionale  est  obstrué  de  bancs  de 
sable,  et  seulement  des  barques  j)lates  peuvent  remonter  jusqu'à  la 
ville.    Après  avoir  été   la   capitale   du    royaume,   Hoskilde    en    fut    long- 


4k5'"~^  .-^-  ^  "^'Z  " 

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UOïEde  Cr 


D'après iw  du-ie^  cU^  t£uu,  jffof or 

^^_^^  Profondeurs      en         Mctpcs 

Sables  <{uicoD.vKQieidccouv°^  deOâà.  debâlO.  delOaa-dela 


temps  la  métropole  religieuse;  elle  se  remplit  d'églises  et  de  couvents, 
et  maintenant  encore  elle  possède  la  plus  belle  cathédrale  du  pays,  bâtie 
à  la  lin  du  onzième  siècle  par  Harald  «  à  la  Dent  Bleue  ».  C'est  le 
Saint-Denis  du  Danemark  :  un  grand  nombre  des  souverains  du  pays 
y  sont  ensevelis.  La  contrée  qui  entoure  Roskilde  est  avec  Elseneur  la 
région  classique  de  l'ancienne  histoire  danoise,  encore  mêlée  de  fables. 
A  Roskilde  même  sont  les  fontaines  sacrées  qui  oui  doinK'  leur  mmi 
à    la   ville. 

Seulement  deux  villes  de  Sjiilland  sont  dans  riiihTieur  de  l'ile.  juin  du 
rivage  :  Soro,  célèbre  par   sa  grande  école,    In-ritièrc    di-   l'abli.ixr  qu'il- 


42  NOUVELLE  GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

lustra  Saxo  Grammalicus,  ot  Slagelse,  enrichie  par  l'agriculture  des  cam- 
pagnes environnantes.  Toutes  les  autres  villes  de  l'île  doivent  leur  impor- 
tance à  leurs  expéditions  maritimes.  Kalundborg,  au  nord-ouest,  servait 
jadis  d'avant-port  à  Copenhague  pour  les  voyageurs  du  Jylland  ;  Korsôr, 
gardant  l'issue  de  sa  lagune  intérieure  en  forme  de  cratère,  est  le  point 
d'attache  des  bateaux  qui  vont  et  viennent  à  travers  le  Grand  Belt  ;  Kjôge 
à  l'est,  Nestved,  Yordingborg  au  sud,  sont  aussi  les  havres  extérieurs 
de  Copenhague  sur  le  pourtour  de  l'île.  Falster  a  le  port  bien  abrité  de 
Nykjôbing,  et  Laaland  expédie  des  bestiaux  et  du  blé  par  Nakskov  et  son 
fjord  tout  semé  d'îlots. 

La  ville  principale  de  Bornholm  est  Rônne,  située  près  de  l'angle  sud- 
occidental  de  l'île'.  Ses  industries  principales  sont  l'horlogerie  et  la 
poterie;  elle  ne  se  fait  pas  remarquer  comme  plusieurs  bourgs  de 
Bornholm  par  ses  clochers  isolés,  servant  de  beffrois,  et  par  ses  églises 
en  granit,  du  douzième  et  du  treizième  siècle  :  quatre  de  ces  monu- 
ments sont   des   églises  rondes. 


Depuis  le  commencement  du  siècle,  la  population  du  Danemark  actuel 
a  plus  que  doublé;  de  929  000,  elle  a  monté  à  deux  millions  d'habitants. 
Encore  peu  dense,  proportionnellement  à  la  surface  du  territoire,  elle  ne 
cesse  de  s'accroître,  puisque  la  natalité  dépasse  en  moyenne  des  deux  cin- 
quièmes la  mortalité,  qui  est  inférieure  à  celle  de  tous  les  Etats  européens. 
L'excédent  de  population  se  porte  surtout  vers  les  villes  :  pendant  les  années 
qui  se  sont  écoulées  de  1840  à  1878,  les  citadins  se  sont  accrus  de  90  pour 
cent,  tandis  que  la  population  des  campagnes  n'a  guère  augmenté  que  île 
45  pour  cent.  Depuis  le  milieu  du  siècle,  le  mouvement  d'émigration  a 
pris  aussi  une  certaine  importance  :  on  a  vu  dans  une  seule  année  plus 
de  7000  personnes  quitter  le  royaume,  proportion  d'éniigrants  très  élevée 

'  Villes  du  Danemark  ayant  tiOOO  hahitanls  ou  ilavanlage  en  1880  : 


Copenhague,  avec  Fredeiiksberg 

(Sjàllan.l) 261259  hab. 

Aarlius  (Jylland) 24630  » 

n,lense(Fyen) 20000  » 

Aallx.rg       »        liOllO     »        j   Vejlc  (Jylland) 7  100 

lianders      .. i:,r)00     »           Slagel.se  (Sjàlland) 0  000 

llmsens      ..         1 2  700     »        |    Uoskilde        6  000 

IleisingcirouElseneui- (Sjàlland).  8  700     »       |   lionne  (Boniholin) 6  000 


Fredericia  (Jylland) 8  000  liai.. 

Viborg  »      7  700     » 

Kolding  » 7  500     »     ' 

Svenbarg  (Fyen) 7  220     » 


POPULATION,    AGlUCULTLTiE   DU   DANEMAUK.  « 

pour  l'un  des  plus  petits  Etats  de  l'Europe'.  Quant  aux  immigrants,  ils 
proviennent  surtout  des  anciennes  provinces  du  Danemark  annexées  à 
rAllcmagnc. 

L'agriculture,  qui  lait  vivre  directement  les  trois  cinquièmes  de  la  popu- 
lation danoise,  est  dans  un  état  prospère,  quoique  plus  d'un  tiers  de  la 
contrée  se  compose  encore  de  landes,  de  marais,  de  terres  incultes  ou  de 
jachères'.  Parmi  les  plantes  cultivées,  le  seigle  et  l'orge  l'emportent  en- 
core de  beaucoup  sur  le  froment  dans  les  cultures  du  Danemark';  mais 
les  proportions  se  modifient  peu  à  peu  au  profit  de  la  céréale  la  plus 
noble.  Les  progrès  de  l'agriculture  danoise  sont  dus  principalement  à 
l'abolition  des  droits  d'entrée  sur  les  céréales  importées  en  Angle- 
terre. Dès  que  les  marchés  britanniques,  les  plus  importants  du  monde, 
furent  ouverts  aux  expéditeurs  du  Danemark,  les  prix  des  céréales  s'ac- 
crurent aussitôt  dans  tous  les  districts  agricoles  du  Jylland  et  des  îles. 
En  même  temps,  les  autres  produits  du  sol,  directs  ou  indirects,  aug- 
mentèrent en  valeur,  et  de  tous  les  ports  danois  s'établit  un  mouvement 
régulier  d'exportation  en  légumes,  en  fruits,  en  beurre,  en  bestiaux.  Le 
Jvlland  surtout  a  prospéré  comme  pays  d'élève,  car  il  possède  d'excellentes 
races  d'animaux  :  les  gros  animaux  du  Thy  sont  fort  appréciés  et  donnent 
beaucoup  de  lait;  dans  les  campagnes  herbeuses  des  bas-fonds  l'engrais- 
sement des  animaux  de  boucherie  se  fait  très  rapidement  '.  Toutes  \no- 
portions  gardées,  le  Danemark  est  le  pays  d'Europe  qui  possède  le  plus 
de   bêtes    à    cornes,   et  s'il    est    di'passé   par  quelques  contrées   pour   le 


'  Éraigralion  du  Danemark,  de  1809  à  1878:   57  701  personnes 

-           Champs  rnilivés  en  céréales  et  fiirincux  (18701 1  191  850  hcclarcs 

»         plantes  fourragères jOGoO         >■ 

»                "         plantes  industrielles.    .  (î'.'l"          '■ 

l'rcs  et  pâturages 1  19 1  3-J I         f 

Jardins '20  487) 

Bois  et   forêts .  162  327 


Ensemble  des  terres  en  rapport 2  921  89a  hectares. 

Terrains  incultes,  908  ."JOl  hectares. 
'•  Production  on  céréales  en  1879  : 

Froment I  751  000  hectolitres.    1   Seigle 4  950  OOO  hectolitres. 

Méteil 1  100  000         ),  \  Orge 7113  000  „ 

Avoine,  10  229  000  hectolitres.  —  Sarrasin,  194  000  hectolitres. 
Valeur  totale  de  la  récolte,  253  500  000  francs. 

*  Anitnaux  domestiques  du  Danemark  en  1878  : 

Chevaux 352  400   1   Moutons 1  7lO()l)(l 

Bœufs  et  vaches 1  5  i8  250      Porcs 50  i  000 


44  NOUVELLE  GÉOGR.VPHIE   TNIVERSELLE. 

nombre  dos  brebis  et  des  cochons,  il  n'en  est  pas   moins  parmi  les  pays 
bîs  plus  riches  en  animaux  de  ces  espèces  '. 

11  existe  en  Danemark  de  très  grands  domaines  :  récemment  encore, 
diverses  propriétés  étaient  privilégiées,  celles  de  barons,  de  comtes  ou  de 
soigneurs  héréditaires,  dont  l'impôt  moyen,  compté  on  «  blé  dur  »,  repré- 
sentait les  taxes  de  55  hectares  d'excellentes  terres.  Actuellement  ces  privi- 
lèges ont  été  abolis  ;  mais  l'habitude  s'est  maintenue  do  classer  les  terres 

s"    10.    —     ^nMDnE    PnOPnnTIOWEL    des    bœufs,    des    porcs    et    des    moutons    dans    les    pays    D'EUROPE. 


2000 
1000 
ISOO 
1700 

1600 
JSOO 
IVOO 
1300 
1200 
1100 
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Roumanie 

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Hondrie 

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Crav  è  par  £rhard 

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Mnn>yf 

d'après  les  impôts  on  «  tonnes  de  blé  dur  »,ot  les  paysans  ou\-niènios  se 

divisent  on   trois  classes  :   ceux,   assez    riches  ])our  la    |ilupart,    dont  la 
terre  acquilte  un  impôt  déplus  d'une  tonne  de  blé  dur,  les  ijaardmnntl  ; 

ceux  (pii  ont   soulonieut  une  maison,   et   qui  paient  un  impôt  ini'ériour 

'   Troiiorlion  ilos  aiiiiii;iiix  pni-  IdIKI  haliitanls  en  iliviTses  cnnlréos  : 

lliL'uN.  Montons.               Porcs. 

Danemark  (1878) 708  ItO".                 264 

Serl)ie  (IStill) (ino  'iiOl              106-2 

Allemaïiic  (l!s7r.i. ,"88  (iO'.l                   17." 

Aulricliï-llon-ii.'  (1870) ."M  (iOi>                 1% 

ilussic  d'Euiopc  (1877) ,"12  (■>I2                  l.'l 

France  (1877) 310  03.5                 l.")G 

Iles  l!nlainii|!ies  (18711) .-j-lg  110.")                  lil 


AGRICULTURE,  PÊCHERIES  DU  DANEMARK.  K 

à  une  tonne  de  hli-  dur,  les  huusm^end ;  enfin  ceux  qui  demeurent  chez 
autrui,  les  inderstcr.  Mais  on  peut  dire  que  la  moyenne  et  la  petite  pro- 
priété sont  la  règle';  la  plupart  des  paysans  sont  dans  une  réelle  aisance 
et  leurs  maisons  sont  commodes,  bien  aérées,  pourvues  de  meubles  solides, 
ornées  avec  un  certain  luxe.  D'après  les  statistiques  officielles,  l'ensemble 
des  richesses  du  Danemark  est  évalué  de  6  à  7  milliards  et  demi,  soit  de 
5000  à  5750  francs  par  tète,  et  l'accroissement  annuel  de  la  fortune 
nationale  serait  en  moyenne  de  120  millions.  Dans  aucun  pays,  les 
caisses  d'épargne  n'ont  proportionnellement  plus  de  capitaux  :  à  en  juger 
par  la  statistique  de  ces  établissements,  les  Danois  seraient  le  peuple  le 
plus  économe  de  l'Europe;  tandis  que  l'épargne  moyenne  de  r.\nglais  est 
de  54  francs,  elle  est  de  plus  de  1(30  francs  par  habitant  du  Danemark. 
Ce  pays  est  le  seul  de  l'Europe  continentale  où  le  droit  aux  secours 
soit  reconnu  et  où  des  taxes  spéciales  soulagent  la  misère  ;  mais  c'est 
dans  les  villes,  surtout  à  Copenhague,  que  vont  s'employer  les  revenus 
de  ces  taxes  :  dans  les  campagnes,  le  bien-être  est  général.  En  Danemark 
et  dans  les  autres  pays  Scandinaves,  les  partis  avancés  se  composent  sur- 
tout de  paysans,  tandis  qu'en  France  et  dans  le  reste  de  l'Europe  les 
populations  rurales  sont  généralement  plus  arriérées  que  les  habitants  des 
villes.  Connaissant  fort  bien  leurs  droits,  les  paysans  danois  se  plaignent 
surtout  de  la  répartition  des  charges  du  budget. 

La  pèche  ne  contribue  pas  à  cette  prospérité  générale  de  la  contrée 
autant  qu'on  pourrait  le  croire,  vu  l'étendue  des  côtes  et  l'abondance  de 
la  vie  animale  dans  les  mers  qui  les  baignent.  Les  habitants  des  îles  et  du 
Jylland  oriental  trouvent  dans  l'agriculture  un  moyen  d'existence  plus 
facile  que  dans  les  hasards  de  la  pèche;  ils  ne  veulent  pas  s'exposer  au 
danger  pour  se  procurer  une  denrée  qu'ils  vendraient  à  vil  prix  ;  les  jeunes 
gens  du  littoral  préfèrent  s'engager  dans  des  voyages  au  long  cours,  où  ils 
peuvent  compter  sur  un  gain  plus  sûr  et  plus  régulier".  Cependant  la 
pèche  est  loin  d'être  une  industrie  complètement  négligée,  surtout  le  long 
des  côtes  occidentales,  où  la  terre  infertile  ne  fournit  pas  au  cultivateur 
un  revenu  suffisant.  Là  d'ailleurs  les  eaux  sont  fort  riches  en  poisson. 
A  Nyminde-gab,  c'esl-à-dii'e  à  la  bouche  du  fjord  de  Ringkjnbing,  ou  pécha 
en  1802  plus  de  7(10(100  m(>rlans  et  25  000  morues;  les  thons  v  sont 
énormes.  Aux  alentours  de  la  pointe  de  Skagcn,  sur  les   rives  basses  du 

'  Grandes  propriétés  pn  1871 |  l)'2X 

l'ropriclcs  moyennes  (ili-  12  à  I  liiiiri.' (le  l)lé  dur) 71873 

i-eliles  pi oprii:lés  (iul-dessous  d'une  lonnc) 152  8511 

'  Irmingcr,  Notice  sur  les  Pêches  du  Danemark;  Reine  ni.iriliine  cl  to.o:iialc,  sc|it.  1805. 


46  NOUVELLE  GÉOGRAPUIE   UNIVERSELLE. 

Lim-fjord,  dans  la  rivière  de  Gudcii  et  le  fjord  de  Uaiidcrs,  ainsi  que  sur 
les  rives  du  Belt,  la  pèche  est  également  fort  active,  et  les  marins  de 
Bornhoira  capturent  des  harengs  et  des  saumons  qu'ils  transportent  à 
Swinemiinde,  d'oiî  ils  sont  expédiés  sur  Berlin,  Vienne  et  Paris.  A  Mid- 
delfart,  dans  l'île  de  Fyen,  il  existe  depuis  1695  une  corporation  de  pêcheurs 
qui  se  livrent  pendant  l'hiver  à  la  chasse  du  marsouin  (dcIphinHS  phocaena), 
dont  ils  recueillent  l'huile  :  une  pèche  annuelle  de  mille  de  ces  animaux 
leur  donne  un  bénélice  suffisant '. 

Le  Danemark  n'est  pas  un  pays  de  grande  industrie  :  si  ce  n'est  à  Copen- 
hague et  dans  quelques  villes  de  Fyen  et  du  Jylland,  il  n'y  a  guère  que 
des  fabriques  de  draps  grossiers  et  des  distilleries  :  les  mines  de  chaibon, 
la  force  motrice  de  l'eau  manquent  au  pays.  Dans  les  rares  districts  des  îles 
où  quelque  ruisseau  coule  sur  une  pente  inclinée,  comme  à  Frederiksvierk, 
à  l'issue  du  lac  d'Arre,  les  usines  se  pressent  au  bord  du  courant.  Mais  les 
Danois  obtiennent  par  un  commerce  actif  tous  les  objets  manufacturés 
dont  ils  ont  besoin.  Proportionnellement  au  nombre  de  ses  habitants,  le 
Danemark  se  livre  à  un  mouvement  d'échanges  plus  considérable  que  la 
France.  Pendant  les  dix  années  qui  se  sont  écoulées  de  1866  à  1875, 
le  commerce  extérieur  du  pays  s'est  augmenté  de  près  de  moitié  ;  mais 
l'accroissement  s'est  porté  surtout  sur  l'importation.  L'ensemble  du  trafic 
danois  est  évalué  en  moyenne  à  550  millions  de  francs,  dont  plus  de  500 
millions  à  l'importation  ^  La  situation  même  de  la  contrée  semblerait 
devoir  assurer  à  l'Allemagne  le  premier  rang  parmi  les  nations  avec  les- 
quelles commerce  le  Danemark,  et  jusqu'en  1875  c'est  en  effet  avec  les 
ports  allemands  qu'avait  lieu  la  plus  grande  partie  des  échanges  ;  mais, 
en  dépit  de  l'éloignement,  la  Grande-Bretagne  a  fini  par  distancer  ses  rivaux 
de  Hambourg,  de  Lubeck,  de  Stcttin  '.  Du  reste,  l'Allemagne  est  l'intermé- 
diaire de  presque  tout  le  trafic  du  Danemark  avec  l'Europe  continentale, 
uotanmient  avec  la  France,  la  Belgique,  la  Néerlande  et  l'Austro-Hongrie. 

Le  mouvement  commercial  de  la  contrée  devant  se  faire  presque  en 
entier  par  mer,  la  navigation  est  d'une  extrême  importance  :  elle  dépasse 

'   Iriiiingcr,  Piotice  sur  les  Pèches  du  Danemarli. 

-  Cunimcrce  extérieur  en  18S1 (i02  TJO  000  IVaiic». 

liii|ioiliilions 545  000  000       » 

Expm-lalions 257  7bO  000       » 

'  Commerce  du  Doncmark  avec  les  pajs  ctrangeis  en  1875  : 


Gramle-liielagne  .    .    .    .  ISit 010  100  francs. 

Allemagne 185  7-29  tlOO      » 

Suède 07  871000      » 

Norvège 55  220  900      » 


Colonies  danoises  ....  1  i  722  500  francs 

Russie 1 1  780  600      » 

Néerlandc 1 1  078  900      » 

France f»  6)5  800     • 


STATISTIQUE  LU  DANEMARK.  i' 

2  millions  de  tonnes',  dont  la  plus  forte  part  est  encore  représentée  par 
les  voiliers.  La  flotte  de  commerce  nationale  comprend  plu3  de  5000  na- 
vires, presque  tous  mus  par  le  vent,  et  d'un  port  total  d'environ 
250  000  tonnes-. 

Grâce  aux  détroits,  aux  nombreux  fjords,  les  communications  sont 
faciles  au  Danemark,  si  ce  n'est  dans  certaines  parties  du  .Tylland,  et  dans 
chaque  île  des  routes  réunissent  les  uns  aux  autres  tous  les  ports  princi- 
paux ;  les  chemins  de  fer  sont  assez  nombreux  dans  le  pays,  et  Copen- 
hague étend  comme  de  grands  bras  ses  lignes  ferrées  vers  toutes  les  côtes 
de  Sjalland  '.  Le  réseau  télégraphique  et  le  mouvement  postal  se  sont 
accrus  dans  la  même  proportion  \ 

L'instruction  publique  est  très  développée  en  Danemark,  la  fréquenta- 
tion des  écoles  étant  obligatoire  de  l'âge  de  sept  ans  à  celui  de  quatorze. 
Toutes  les  villes  importantes  ont  des  gymnases  publics,  écoles  «  latines  » 
et  de  sciences  exactes,  ainsi  que  des  écoles  spéciales,  et  tous  les  villages 
ont  des  écoles  primaires  inférieures  et  supérieures  ;  en  outre,  il  s'est 
formé  depuis  le  milieu  du  siècle  plus  de  cinquante  écoles  secondaires  de 
paysans.  A  côté  des  établissements  d'instruction  appartenant  h  l'État,  sept 
institutions  privées  ont  aussi  le  droit  de  délivrer  des  certificats  qui  don- 
nent aux  élèves  accès  dans  l'Université  \  Depuis  l'année  1875,  les  femmes 
peuvent  suivre  les  cours  universitaires  au  même  titre  que  les  hommes  et 
concourir  pour  les  mêmes  diplômes.  Il  est  certain  que,  prise  dans  son 
ensemble,  la  nation  danoise  est  une  de  celles  qui  se  sont  élevées  le  plus 
haut  par  l'instruction  moyenne  et  par  l'amour  de  la  lecture'  aussi  bien 
que  par  le  bien-être  matériel.  Mais,  par  un  singulier  contraste,  c'est  parmi 

'  .Navigation  dans  les  poils  danois  en  1875  : 

De  port  danois  à  port  danois.    .   .    .     46  826  navires,  jaugeant       COfl  20."i  tonnes. 
Entre  port  danois  et  port  étranger.     41768       »  i>  I175  871      » 

Ensemble 88  504  navires,  jaugeant     2  175  107  tonnes. 

'  Flotte  commerciale  du  Danemark  en  18S2  . 

522G  navires,  jaugeant 2G0  .■>60  tonnes. 

Dont  227  bateaux  à  vapeur,  jaugeant (il  450       » 

5  Chemins  de  fer  du  Danemark,  le  l"  janvier  1881  '  1770  kilomètres. 
♦  Longueur  des  lignes  télégraphiques  en  Danemark,  le  1"  janvier  1881,  5653  kilomèlres. 
Télégrammes,  en  1876,910  655:  451  197  àrintérieur;  276  146  :i  Tétranger;  255  5!2cn  Iransit. 

Mouvement  iiustal,  en  1880 25  .".22  000  lettres  et  cartes. 

26  042  000  journaux. 
'  Ëlabllssemenls  d'éducation  publiipie  en  1875  : 

2940  écoles  primaires;  Uigjronases,  55  écoles  secondaires  de  villages,  4  écoles  normales. 
'  Feuilles  périodiques  paraissant  en  Danemark,  en  1876  :  200. 


48  NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

les  Danois  que  les  peines  de  cœur  et  les  chagrins  de  toute  espèce  poussent 
le  plus  d'hommes  au  désespoir  :  nulle  part,  si  ce  n'est  en  Saxe,  les  suicides 
ne  sont  aussi  Iréquents'. 


VI 


D'après  la  constitution  danoise,  plusieurs  l'ois  modiliée  depuis  18(30, 
tous  les  citoyens  âgés  de  trente  ans,  résidant  depuis  un  an  dans  la  commune 
et  ne  recevant  point  de  secours  de  la  chaiité  puhlique,  forment  le  corjs 
électoral.  Ils  nomment  directement,  pour  le  terme  de  trois  années,  les 
membres  du  Folkcthing  ou  de  l'Assemblée  populaire,  dont  le  nombre  est 
fixé  à  102  pour  toute  la  monarchie.  Les  54  membres  élus  du  Landsthimj 
ou  de  la  Chambre  haute  sont  nommés  pour  huit  ans  par  des  corps  électo- 
raux, composés  en  partie  des  plus  fort  imposés  des  villes  et  des  campa- 
gnes, en  partie  de  délégués  des  citoyens.  A  ces  54  membres  temporaires, 
le  roi  en  ajoute  12  à  vie,  qu'il  choisit  parmi  les  membres  actuels  et  les 
anciens  membres  de  l'Assemblée.  Représentants  et  sénateurs,  formant 
ensemble  la  Diète  ou  Rigsday,  sont  rémunérés  les  uns  et  les  autres  au 
même  taux,  environ  neuf  francs  par  jour,  pour  leurs  fonctions.  De  même 
que  dans  les  autres  pays  constitutionnels,  c'est  la  Chambre  populaire  qui 
discute  en  premier  lieu  le  budget  présenté  par  le  gouvernement.  Tous  les 
quatre  ans,  le  Landsthing  choisit  dans  son  sein  les  quatre  juges  assistants 
de  VHôtesteret  ou  Cour  Suprême,  qui  seule  peut  connaître  des  accusations 
portées  contre  les  membres  de  l'une  ou  de  l'autre  Chambre. 

Le  pouvoir  executif  est  exercé  par  un  ministère  composé  de  six  mem- 
bres :  le  ministre  des  finances  et  président  du  conseil,  les  ministres  des 
affaires  étrangères,  de  l'intérieur,  de  l'instruction  publique  et  des  cultes, 
de  la  justice  et  de  l'Islande,  de  la  guerre  et  de  la  marine.  En  droit,  ils 
sont  individuellement  et  collectivement  responsables  de  leurs  actes,  et,  en 
cas  de  condamnation,  ils  ne  pourraient  être  pardonnes  qu'avec  le  consen- 
tement du  Folkething.  Le  roi  doit  professer  la  religion  luthérienne,  re- 
connue comme  religion  de  l'État;  sa  liste  civile  est  de  1400000  francs; 
celle  du  prince  héritier  s'élève  à  168  000  francs.  Les  juges  des  18  tribu- 
naux de  première  inslance  sont  nommés  i)ar  le  roi,  de  même  que  ceux 
des  deux  cours  d'appel,  siégeant  l'une  à  Copenhague  pour  les  îles,  l'autre 

'          Dimeiiiarli.    .    .    .     288  suicides  par  million  d'iKiLiLmls  (-250  de  ISG'J  à  1878). 
France 1 10       »  » 

(IL  {'..  LiiiMliiird,  Tiaitr  lie  cliiiHitijlo(jic  médicale.)' 


ADMIMSTUMION    DU   DANE.MAUK. 


à  Viborg  pour  le  Jyllaiul.  Jusqu'à  une  époijue  récente,  le  pouvoir  judiciaire 
et  le  pouvoir  administratif  étaient  réunis  dans  les  mêmes  mains  :  depuis, 
une  loi  de  1868  a  décidé  que  cet  état  de  choses   changerait    dans   un 


—   in'HlXS    DE   fFJt    DU    l'VNF.MA 


avenir  prochain;  les  deux  pouvoirs  doivent,  dé-^ormais,  être  séparés,  mais 
celte  transformation,  qui  s'accomplit  graduiillemenl,  n'est  pas  encore  ter- 
minée. 

La  procédure  civile,  qui  se  faisait  par  écrit,  se  fait  aujourd'hui  publique- 
ment cl  par  débat  contradictoire.  Les  avocats,  qui  sont  en  même  temps 
avoués,  se  divisent  en  trois  classes,  et  seulement  un  petit  nombre  d'entre 


î)0  NOUVliLLE   GÉOGRAPUIE   UNIVERSELLE 

eux,  les  avocals  à  la  cour  suprême,  ont  le  droit  de  plaider  devant  tous 
les  tribunaux  :  on  ne  comptait  dans  le  royaume  que  H  de  ces  hommes 
de  loi  en  1872. 

Bien  que  le  culte  luthérien  soit  officiellement  la  religion  de  l'État,  la 
liberté  des  confessions  est  entière  en  Danemark,  et,  si  ce  n'est  par  la  voie 
indirecte  du  budget,  nul  n'est  tenu  de  contribuer  à  l'entretien  d'un  culte 
qui  n'est  pas  le  sien.  Les  fidèles  ont  même  conquis  le  droit  de  se  grouper 
et  de  se  cotiser  pour  la  fondation  de  paroisses  dites  «  électives  »,  dont  ils 
nomment  et  payent  les  desservants. 

Les  sept  évèques  du  royaume,  sans  compter  celui  de  l'Islande,  ceux 
de  Sjâlland,  Laaland-Falster,  Fyen,  Ribe,  Aarhus,  Viborg,  Aalborg,  sont 
des  personnages  considérables,  jouissant  de  grands  privilèges  ;  mais  ils 
n'ont  pas  accès  dans  la  Chambre  haute.  D'ailleurs  la  population  pres- 
que tout  entière,  d'après  les  registres  de  l'église,  est  classée  comme 
luthérienne  :  le  nombre  des  dissidents  ne  s'élève  pas  même  à  un  centième 
des  habitants. 

Parmi  les  non-luthériens,  les  juifs  sont  en  majorité,  puis  viennent  les 
anabaptistes  et  les  mormons;  les  catholiques  romains  ne  sont  qu'au  cin- 
quième rang'. 

D'après  la  loi  de  réorganisation  de  l'armée,  passée  en  18G7,  tous  les 
Danois  valides  âgés  de  22  ans  doivent  le  service  militaire  à  l'Etat,  pendant 
huit  ans  dans  l'armée  régulière,  pendant  huit  autres  années  dans  la 
réserve.  En  réalité,  ils  ne  servent  que  durant  une  période  d'exercice  variant 
de  quatre  mois  à  neuf  mois,  suivant  les  corps;  mais  un  certain  nombre  de 
recrues  sont  rappelées  pour  de  nouveaux  exercices,  et  tous  les  ans  les  sol- 
dats prennent  part  à  des  manœuvres  qui  durent  de  trente  à  quarante-cinq 
jours. 

La  force  totale  de  l'armée  de  ligne  est  évaluée  à  55  000,  celle  de  la  ré- 
serve à  15  000  hommes.  Le  nouveau  projet  de  réorganisation  vise  surtout 
une  meilleure  instruction  militaire  et  une  plus  grande  rapidité  dans  la 
mobilisation  des  troupes. 

La  conscription  recrute  les  hommes  de  la  côte,  surtout  les  marins  et 
les  pêcheurs,  pour  le  service  des  navires.  Les  équipages  de  la  flotte  com- 
prenaient en  1885,  vers  la  fin  de  l'année,  1157  hommes,  sous  les  ordres 


'  Danois  classés  par  roliiiions,  en  1881)  ; 

Lulhûriens I '.t.")l  .î(ll    i   Mormons  d  aiilros  soctos ,  4  433 

Juifs.    .    .            3i)l(i       Callidliiinc- 3000 

Anabaplislcs 3  (>87   I   Urlnnnés 1  363 


mm 


ADMÎMSTRATinX   DU   llANEMAI'.K.  53 

d'un  vice-amiral,  de  2  contre-amiraux,  lô  commandanls,  el  110  autres 
officiers'. 

Les  possessions  coloniales  du  Danemark  sont  fort  étendues  :  il  est  vrai 
que  les  deux  plus  vastes  territoires  qui  lui  appartiennent,  l'Islande  et  le 
Groenland,  sont  en  grande  partie  inhabitables  :  c'est  avec  difficulté  que 
l'on  a  pu  pénétrer  çà  et  là  sur  le  pourtour  des  immenses  champs  de  glace 
qui  occupent  l'intérieur  du  Groenland;  on  ignore  même  comment  celte 
île  se  termine  du  côté  du  pôle.  Après  l'Islande,  les  possessions  les  plus 
importantes  du  Danemark  sont  trois  des  petites  Antilles  :  Sainte-Croix, 
Saint-Thomas  et  Saint-Jean,  situées  à  l'angle  nord-oriental  de  la  mer  des 
Caraïbes,  aux  «  débouquements  »  de  cette  méditerranée  vers  l'Atlantique. 
Le  port  de  Saint-Thomas  est  l'un  des  principaux  centres  de  rendez-vous 
et  de  croisement  pour  les  navires'. 

Le  budget  du  petit  Etat,  dont  les  possessions  parsèment  néanmoins 
un  espace  si  considérable  du  monde,  est  très  prospère,  en  comparaison 
de  celui  des  grands  États.  En  moyenne,  ses  dépenses,  qui  s'élèvent  d'or- 
dinaire à  60  millions  de  francs,  sont  couvertes  par  les  revenus,  et  la  dette 
a  été  considérablement  réduite  pendant  les  dernières  années;  la  dette 
extérieure  est  presque  complètement  amortie,  et  l'intérêt  de  la  dette 
intérieure  ne  s'élève  qu'à  10560000  francs'.  Devenu  trop  faible  comme 
puissance  militaire  pour  n'être  pas  à  la  merci  de  sa  voisine  du  sud,  le 
Danemark  a  cessé  de  faire,  comme  autrefois,  de  continuels  préparatifs 
pour  une  guerre  à  outrance.  La  plupart  des  forteresses  ont  été  abandonnées 

'  Etal  de  la  marine  danoise  en  188^  : 

Navires  cuirassés 10  porUint        91  canons. 

^apeurs  à  tiélice  non  cuirasses 10       »            126       n 

))       3  roues 2       II               4       » 

Canonnières  à  hélice 15        u             29       n 

Torpilleurs 10 

Bateaux  à  voiles 25 

Total 70  vaisseaux. 

-  Possessions  du  Danemark  : 

Superficie.  Population  en  ISSO.     Population  kilamélrique. 


Farder. 


1  553 

kil. 

carrés. 

11220  hab. 

8       hab. 

104  785 

» 

72  450     .1 

0.7     II 

88  100 

II 

10  000     » 

0.1     II 

359 

)i 

35  760     1, 

9i 

19i577 

kil. 

carrés. 

127  450  liai). 

0.7  liali. 

Groenland    .    . 
Petites  Antilles 

Ensemble. 
'  Budget  du  Danemark  : 

Bcceltes  en  18S3  .    ........     74  539  833  francs. 

Dépenses       I) 70  542  131       » 

1866.    .    .     Capital  de  la  dette    364  212  075  francs.         Intérêt    53  4-26  425  francs. 
1882.   .    .         Il         »  15S031962      »  »        13  516  916     » 


54  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

OU  ne  sonl  plus  entretenues  avec  le  soin  que  demandent  des  places  fortes  : 
les  principaux  châteaux  du  Danemark  sont  des  musées  ou  des  palais  de 
plaisance,  comme  Rosenborg  et  Frederiksborg. 

Administrativement,  le  pays  est  divisé  en  dix-huit   bailliages  [amter) 
ou  préfectures,  subdivisés  en  156  arrondissements  [herreder]  : 


DIVISIÛ.NS 

BAILIIACES. 

Sll'EUFlClE, 

l'Ol'LXATlO.N 

GÉ0CRAPIII(JCE5. 

£.■<  1S80. 

Copenhague  (ville)  .... 

iù  kil.  car. 

254  850  hab. 

»          (cainpagui-  .    . 

12H       » 

121  890     " 

SlALlAND  ET  MOEN 

Frederiksborg  

Ilolbiek 

15o3       n 
16-24       .- 

83  550     » 
93  5o0     » 

Sorô 

1472       . 

87  500     .. 

Praeslô 

1660       .. 

101  130     » 

BOR-MIOLM 

Bornholui. 

584       .. 

35  350     > 

Laala.nd  et  Falsier.    .    .    . 

Maribo 

1060       .. 

97  000     • 

Ftks  et  Îles  toisises  .    .    . 

1705       . 
1611 

128  900     . 
117  000     . 

Svenborg  .    

1 

Hjôrring 

2775       .. 

100  550     » 

Tbisted 

1087       •• 
2956       . 

64  000     . 
96  200     « 

Aalborg 

Viborg  .    .    

5051 

93  330     .. 

JlLLAND.      .     .     

Randcrs                       ... 

2455      .. 

104  320     » 

.\aihus . 

2477       .. 

140  900     . 

1 

Vejle 

2536       .. 

108  500     . 

! 

Ringkjôbing 

4327       .. 

87  400     » 

Ribe.                   .    .       .    . 

30i3 

73  250     • 

CHAPITRE    II 

LA    PÉNINSULE  SCANDINAVE 

XUliVÈCE     ET     SUÈDE 


I 

La  grande  presqu'île  Scandinave  comprend  deux  Etats  distincts,  quoique 
gouvernés  par  un  même  roi  et  liés  l'un  à  l'autre  par  des  relations  fort 
étroites.  Norvège  et  Suède,  Norge  et  Sverige,  veillent  avec  une  singulière 
jalousie  à  leur  indépendance  politique  respective,  et  même  pour  les  usages 
et  le  genre  de  vie  le  contraste  entre  les  deux  peuples  se  marque  nettement. 
Au  point  de  vue  géographique,  la  Norvège  et  la  Suède  forment  aussi 
des  régions  naturelles  en  opposition  tranchée,  puisque  l'une  se  compose, 
d'une  manière  générale,  de  plateaux  et  de  montagnes  tournant  leur  versant 
brusque  vers  l'AlIanliquc,  tandis  que  l'autre  est  une  longue  déclivité  s'abais- 
sant  vers  une  mer  intérieure.  Mais  le  contraste  physique  et  la  séparation 
politique  n'empêchent  pas  que  la  Norvège  et  la  Suède,  ou  le  Weslarfold  et 
l'Âustarfold  —  comme  on  les  appela  jadis'  —  ne  fassent  partie  d'un 
corps  qui  présente  un  caractère  distinct  des  autres  parties  de  l'Europe  el 
qu'il  importe  d'étudier  dans  son  ensemble.  Le  nom  de  Scandinavie  ou  d'île 
de  Scandia,  appartenant  autrefois  à  l'extrémité  méridionale  de  la  Suède, 
s'est  étendu  peu  à  peu  à  toute  la  péninsule,  indépendamment  de  ses  divi- 
sions politiques,  et  cette  communauté  du  nom  indique,  en  effet,  que  les 
diverses  régions  baignées  à  l'ouest  par  la  mer  du  Nord,  et  par  la  Baltique 
à  l'est,  se  rapprochent  et  s'embrassent  pour  ne  plus  former  qu'un  seul 
individu  géographique.  La  frontière  naturelle  de  la  presqu'île  rejoint  direc- 
tement l'extrémité  septentrionale  du  golfe  de  Botnie  au  Varanger-Ijord,  sur 

'  G.  Ilaag,  Die  Vôlker  um  die  OsUee,  Baltische  Sludicn,  1878. 


56  .NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

la  mer  Glaciale,  cl  quoique  les  conventions  politiques  aient  fait  ployer  la 
ligne  de  séparation  de  la  manière  la  plus  bizarre  dans  la  direction  do 
l'ouest,  en  laissant  la  Russie  couper  presque  entièrement  du  reste  de 
la  Scandinavie  politique  le  territoire  de  Finmark,  de  pareilles  limites, 
tracées  au  milieu  des  solitudes,  n'ont  qu'une  faible  importance  :  c'est  bien 
à  l'endroit  indiqué  par  la  nature  que  la  Scandinavie  s'enracine  dans  la 
masse  énorme  de  la  Russie  d'Europe. 

Même  dans  les  limites  que  lui  a  laissées  sa  puissante  voisine,  la  Scandi- 
navie est  une  des  contrées  les  plus  vastes  du  continent,  dépassant  la 
France,  l'.Vllemagne,  l'Austro-Hongrie,  n'ayant  que  la  Russie  de  supé- 
rieure pour  la  grandeur  du  territoire.  Grâce  à  sa  position,  à  la  fois  sur 
une  mer  intérieure  qui  lui  permettait  de  communiquer  avec  l'Europe 
de  l'orient  et  du  centre,  et  sur  le  grand  Océan  extérieur  qui  la  mettait  en 
rapport  avec  le  reste  du  monde,  la  Scandinavie  devait  acquérir  dans  l'équi- 
libre des  nations  une  certaine  importance  ;  ses  enfants,  les  Goths,  les  Nor- 
mands, les  Varègues,  ont  en  effet  laissé  une  trace  profonde  dans  l'histoire 
comme  navigateurs  et  conquérants.  Plus  tard,  quand  l'Europe  moderne 
s'était  déjtà  constituée,  les  Suédois,  maîtres  d'une  partie  des  rivages  orien- 
taux et  méridionaux  de  la  Baltique,  ont  pu  porter  leurs  armes,  d'une  part 
jusque  dans  les  Vosges,  dans  le  Jura  français,  sur  le  Danube  supérieur, 
d'autre  part  jusque  dans  les  steppes  russes  voisines  de  la  mer  Noire; 
mais  c'est  précisément  alors,  par  le  désastre  de  Poltava,  que  commença  la 
décadence  politique.  Avant  même  d'avoir  perdu  toutes  leurs  possessions 
en  dehors  de  la  péninsule,  les  Suédois  étaient  déjà  menacés  sur  leur  propre 
sol,  au  nord  de  la  Baltique  :  en  même  temps  que  le  premier  démembre- 
ment de  la  Pologne,  Frédéric  II  préparait  celui  de  la  Suède  '.  Pendant  les 
guerres  du  commencement  du  siècle,  les  brusques  oscillations  politiques 
du  pays,  les  soudains  changements  d'alliances,  le  renversement  de  la 
dynastie,  enfin  la  perte  définitive  de  tout  territoire  sur  le  continent,  prou- 
vèrent dans  quelle  large  mesure  la  destinée  des  Etats  Scandinaves  dépen- 
dait de  leurs  puissants  voisins. 

Quoique  ramenée  vers  le  sud,  pour  ainsi  dire,  par  la  douceur  de  son  cli- 
mat maritime,  la  Suède  est  pourtant  dans  son  ensemble  un  pays  trop  froid 
pour  que  la  population  ait  pu  s'accroître  au  point  d'égaler  celle  des  Etals 
de  l'Europe  tempérée;  elle  est  restée  presque  déserte,  en  comparaison  de 
l'Allemagne  et  de  la  Russie  centrale.  Par  le  nombre  des  habitants,  la 


'  Article  secrcl  du  traité  de  1704,  Archives  do  Berlin;  —  A.  Goffioy,  Gustave  III  et  la  cour  de 
France,  t.  1,  p.  53. 


PÉNINSULE  SCANDINAVE.  57 

Suède  el  la  Norvège,  considérées  comme  si  elles  ne  formaient  qu'une  seule 
nation,  dépassent  la  Belgique  d'un  cinquième  environ;  mais  l'espace 
sur  lequel  sont  éparses  les  populations  Scandinaves  est  vingt-six  fois 
plus  considérable'. 


Dans  la  péninsule,  la  Norvège  est  le  pays  des  plateaux  et  des  montagnes, 
la  Suède  celui  des  longues  déclivités  et  des  plaines.  Celles-ci,  dont  les  cavi- 
tés renferment  trois  grands  lacs,  s'étendent  des  profondeurs  du  Kattegat 
vers  le  golfe  de  Finlande  et  séparent  du  reste  de  la  presqu'île  son 
appendice  méridional,  la  Scanie,  bas  plateau  d'environ  100  mètres 
de  hauteur,  couvert  de  collines  aux  formes  arrondies,  creusé  de  dé- 
pressions lacustres.  11  reproduit  en  Suède  le  pays  des  lacs  de  la  Fin- 
lande. A  l'ouest,  l'Océan  prolonge  ses  bras  ramifiés  jusque  dans  le  cœur 
des  hauts  plateaux,  tandis  qu'à  l'est,  les  lacs  se  déversent  par  une  pente 
douce  vers  la  mer  intérieure  de  la  Baltique.  La  Norvège  presque  tout 
entière  est  une  bande  de  territoire  montagneux  présentant  des  contre- 
forts escarpés  du  côté  de  l'Atlantique,  et  sur  ses  plateaux  neigeux  s'élèvent 
les  plus  hauts  sommets  de  la  presqu'île  Scandinave;  l'ensemble  du  massif 
a  été  comparé  à  une  vague  prodigieuse  qui  se  serait  (igée  soudain  au 
moment  oii  elle  va  déferler.  Un  tiers  de  la  Norvège,  mais  seulement  un 
douzième  de  la  Suède',  se  trouvent  à  plus  de  600  mètres  d'altitude. 

Sur  le  développement  de  1900  kilomètres  qu'il  présente,  des  bords  du 
Varanger-fjord  au  Lindesmcs,  le  massif  Scandinave  est  loin  d'offrir  l'aspect 
d'une  chaîne  de  montagnes,  telle  que  la  figurent  naturellement  les  petites 
cartes.  Dans  son  ensemble,  la  Norvège  se  compose  de  plateaux  ayant  de 
000  à  900  mètres  de  hauteur,  sur  lesquels  les  montagnes  se  sont  redressées 
comme  sur  un  socle  commun.  Une  entaille  profonde  fuit  communiquer  les 
deux  versants  et  divise  ces  plateaux  en  deux  parties  bien  distinctes  :  au 
nord,  lelvjdlen,  qui  se  prolonge  du  Finmark  au  plateau  de  Trondhjem;  au 

'  Superficif^  Pnpulation 

il'aprésBelim  el  Wagni-r.  en  1881.  Populolion  kilomclrique. 

Norvège .325  i23  kil.  riir.  I  O'IT,  nOO  hah.  G     liai). 

Suède VoO  47i  •  i  57'.>  '245     «  11. 


Péninsule  Scandinave   .    .     775  897  kil.  car.  6  497  245  liah.  8.5  liab. 

'  Ed.  Erslcv,  Lœrchog  i  dcn  almindeliger  Gcoijrafi. 


58  NOUVELLE   GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

sud,  le  Dovrc  et  les  massifs  voisins.  La  hauteur  moyenne  des  sommités  nor- 
végiennes n'est  que  la  moitié  de  celle  dos  Alpes,  tandis  que  la  base  géné- 
rale du  système  Scandinave  dépasse  d'un  tiers  en  largeur  la  base  du 
système  alpin. 

Même  à  l'extrémité  nord-orientale,  dans  tout  le  Finmark,  il  n'y  a  point 
de  faîte;  le  pays  entier,  dont  l'altitude  est  d'environ  500  mètres,  est  une 
vaste  protubérance  ondulée,  composée  de  roches  paléozoïques,  sur  les- 
quelles s'élèvent  çà  et  là  des  montagnes  ayant  en  moyenne  500  mètres 
de  hauteur.  La  fière  cime  du  Raste  kaïssa  se  dresse  près  de  la  frontière 
russe,  au-dessus  de  la  vallée  du  Tana-elf  :  elle  dépasse  850  mètres, 
élévation  que  n'atteint  aucun  autre  sommet  dans  la  direction  de  l'est, 
jusqu'aux  monts  Oural  :  non  loin  de  là,  disent  les  Lapons,  se  trouve 
un  cône  d'où  s'échapperaient  parfois  des  vapeurs  brûlantes  (?)  et  autour 
duquel  les  neiges  fondraient  rapidement'.  Quoique  l'altitude  géné- 
rale du  pays  soit  peu  considérable,  les  promontoires  qui  s'avancent 
dans  la  mer,  à  l'extrémité  de  chaque  njarg  ou  presqu'île  den- 
telée, se  terminent  presque  tous  par  de  hautes  terrasses  abruptement 
coupées  et  que  l'on  croirait  être  les  soubassements  de  sommets  alpins  : 
un  de  ces  caps  est  le  Nord-Kyn  ou  Kinerodden,  la  saillie  la  plus  septen- 
trionale du  continent  d'Europe;  deux  autres,  la  pointe  peu  élevée  de 
Knivskiàrroddcn  et  le  haut  cap  Nord,  plus  rapprochés  du  pôle  de  six 
kilomètres,  appartiennent  à  une  île  de  granit,  Magerô  %  séparée  de  la  Nor- 
vège par  un  étroit  canal.  Le  formidable  rocher,  que  des  crevasses  découpent 
en  piliers  énormes,  domine  de  plus  de  300  mètres  le  mouvement  continuel 
des  flots  :  sur  le  flanc  oriental  de  la  falaise,  à  mi-hauteur  des  escarpements, 
s'avance  une  «  corne  »,  bloc  détaché  que  les  marins  signalent  au  passage. 
Le  cap  Nord  est  un  des  points  indiqués  par  le  navigateur  autrichien 
Weyprecht  comme  un  des  endroits  les  plus  favorables  pour  l'établisse- 
ment d'un  observatoire  polaire  de  météorologie. 

Au  suil-ouest  du  cap  Nord,  les  hauteurs  du  littoral  et  des  îles  se  suc- 
cèdent en  montagnes  âpres,  assez  rapprochées  les  unes  des  autres  pour 
offrir  de  loin  l'aspect  d'une  chaîne  continue  :  c'est  là  que  commence  le 
Kjôlen  profirement  dit''  ou  le  faîte  do  la  Scandinavie  du  nord.  Dans  l'île  de 
Seiland,  le  fleuve  de  glaces  le  plus  septentrional  de  l'Europe  s'épanche  des 


'  Glubus,  XXXII,  n»  2. 

'  Polir  rorllioj;rii[ihc  des  noms  yéogniiilii(|iics  de  la  Norvi^jjc,  nous  suivons  l'oiiviaj;!'  ivccnl  d' 
M.O.  J.  lirocli,  Le  roi/aume  de  Norvège  et  te  peuple  norvéïjien.  Toulelois  nous  cunlimienins  d'em- 
ployer avec  un  grand  nombre  d'aulcurs  la  leltre  6'  au  lieu  de  \'o  barré. 

'-  Kjulen  en  norvégien;  Këlai  en  suédois. 


MONTAGNES   DE   LA   SCANDINAVIE. 


12.  ILE   i:*CEIln 


59 

neiges  persistantes  d'un  cirque  de  rochers,  et,  sur  la  ferre  ferme,  le  gla- 
cier de  Talvik  descend  d'ordinaire  jusqu'au  rivage  de  i'AIten-tjord.  Sur  le 
versant  méridional  du  même  massif  un  autre  courant  glacé,  pareil  à  ceux 
du  Groenland,  s'écoule  dans  les  eaux  de  Jôkel-fjord'  :  c'est  le  seul  endroit 
de  la  Scandinavie  où  l'on  puisse  voir  encore  le  spectacle,  si  fréquent  dans 
une  époque  géologique  antérieure,  de  fragments  de  glace  se  rompant 
au-dessus  do  l'eau  qui  les  mine  ou  bien  se  détachant  des  tranches  déjà 
submergées  et  repa- 
raissant à  la  surface 
pour  voyager  au  loin 
emportés  par  le  flot. 
Au  sud  de  ces  premiers 
glaciers,  la  Norvège  en 
offre  beaucoup  d'au- 
tres, dix  et  cent  fois 
supérieurs  en  étendue , 
mais  tous  se  fondent 
avant  d'atteindre  la 
mer. 

Les  plus  hautes 
montagnes  du  Kjôlen 
septentrional  sont  le 
Kabna-kaïssa  et  le  Sa- 
rckt-jaokko,  qui  s'élè- 
vent à  plus  de  2000  mè- 
tres ;  mais  la  plus  con- 
nue est  le  Sulitjelma, 
qui  se  dresse  encore  au 

nord  du  cercle  polaire,  au-dessus  des  ramifications  orientales  du  Salten- 
fjord.  Ce  n'est  pas  un  pic  isolé,  mais  plutôt  un  groupe  de  soinuKîts  reposant 
sur  un  plateau,  haut  de  près  de  1500  nièlres  et  recouvert  d'une  prodigieuse 
quantité  de  neiges,  où  s'alimentent  des  glaciers.  Au  sud  de  ce  massif,  et 
séparé  de  lui  par  un  lac  profond,  se  dresse  le  Saulo,  moins  élevé  que  les 
cimes  principales  du  Sulitjelma,  mais  solitaire,  imposant  d'aspect  et  domi- 
nant un  panorama  très  étendu,  limité  du  côté  de  l'ouest  et  du  sud-ouest 
par  l'énorme  plateau  que  recouvre  le  Svartisen  ou  le  «  filacier  Noir  »  : 
c'est  le  plus  grand  névé  de  la  Scandinavie  septenlrioMah';  il  couvre  un  espace 


<^V*3h    AMG£RO  ^     "-■-■:■ 


Us  profondeurs  sotil  opprojimiilives. 


*  Widerbcg,  Notes  manusoiies. 


60  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

de  600  à  800  kilomètres  carrés.  Xa  sud  de  la  rivière  Vefsen,  un  autre 
plateau,  le  Slore-Borgefjcld,  porte  un  névé  de  580  kilomètres  carrés.  Des 
montagnes  de  1400  et  de  ioOO  mètres  de  hauteur  s'élèvent  encore  dans 
cette  partie  duKjôlen;  puis  le  faîte  s'abaisse  et  de  larges  passages  s'ou- 
vrent dans  son  épaisseur  entre  les  deux  versants.  Un  plateau  marécageux, 
réunissant  deux  lacs  et  par  eux  deux  vallées,  qui  s'inclinent  l'une  vers 
le  fjord  de  Trondhjem,  l'autre  vers  le  fleuve  Indals,  atteint  à  peine  l'altitude 
de  450  mètres.  Près  delà,  une  route  carrossable,  la  plus  septentrionale  du 
faîte,  a  son  point  culminant  à  510  mètres;  à  quelque  distance  au  sud,  de 


PnOFlI,   DU    FAITE    se 


Les  hauteurs  sont  ciiKjuante  fois  plu 


ôlKl  kil. 
s  que  les  longueurs. 


l'autre  côté  du  massif  de  Kjôlhoug,  le  chemin  de  fer  de  Trondhjem  à 
Sundsvall  franchit  le  Kjôlen  à  594  mètres  de  hauteur.  Quelques  grands 
sommets,  tels  que  le  Scilentind,  peu  inférieurs  au  Sulitjelma,  se  dressent 
isolés  dans  cette  partie  méridionale  du  Kjolen  qui  s'épanche  vers  le  golfe 
de  Botnie  par  une  longue  déclivité  sillonnée  de  vallées  parallèles,  dont  les 
parties  supérieures  sont  occupées  par  des  lacs  allongés,  semblables  à 
ceux  du  versant  italien  des  Alpes'. 

Des  bas  chaînons,  des  terrasses  rejoignent  les  ramifications  du  Kjolen 
au  Tivcden  et  à  d'autres  collines,  en  grande  partie  composées  de  débiis, 
qui  servaient  autrefois  de  limite  naturelle  aux  deux  moitiés  de  la  Suède, 
Nordan-skot;'  cl  Sunnan-sko^s  la  «  Forêt  du  Nord  »  et  la  «  Forêt  du  Sud  >v. 


Altitudes  des  montagnes  principales  du  Kjolen  seplenlrioii;iI  elde  la  Lapoiiic: 


Rasle-kaïssu 862  mèlics 

Cap  Nord 508       » 

Kabna-kaïssa 2270 

Sommet  de  Se iland 9i2       » 

Sarekijaùkko  (d'après  Rabot)    .  2135       » 


Sulitjelma 1880  mètres. 

SaiiU) IGOS       » 

Kjdllioug 1280       » 

Faxefjeld 940       ^ 

Soleutiud 1788       » 


MONTAGNES  DE  LA  SCANDINAVIE.  01 

Quant  aux  divers  groupes  de  hauteurs  qui  s'élèvent  dans  la  partie  orien- 
tale de  la  Péninsule,  et  notamment  dans  la  Scanie,  jadis  île  séparée 
du  reste  de  la  Suède  par  de  larges  détroits,  il  faut  les  considérer  comme 
tout  à  fait  distincts  des  massifs  du  faîte  norvégien,  quoicpa'ils  soient  formés 
presque  an  entier  des  mêmes  roches  cristallines  et  paléozoïques  et  qu'ils 
aient  été  parcourus  pendant  l'époque  glaciaire  par  les  blocs  erratiques 
venus  du  Kjôlen.  Cependant  des  roches  basaltiques  forment  un  petit  massif 
en  Scanie,  et  des  trapps  se  sont  répandus  au-dessus  des  couches  sédi- 
mentaires   dans  la  Yestrogothie.   Les  hauteurs  du  sud  constituent   dans 

X°   li.    PnOMOSTOIRE   DF.   KCLLES. 


OsOé/OMet  C/e/0ù90. 

1  :  -.in  noo 


de  SOa^-aeli 


leur  ensemble  un  plateau  très  inégal,  dont  le  point  culminant  arrondit 
sa  croupe  à  une  trentaine  de  kilomètres  au  sud  du  lac  Wettern.  Près  de 
là  se  dresse  le  Taherg,  montagne  à  brusques  parois  qui  se  compose  entiè- 
rement d'un  minerai  de  fer  magnétique  contenant  j)rès  d'un  tiers  de  métal 
pur.  Dans  la  Suède  méridionale,  quelques  collines,  d'autant  plus  belles 
qu'elles  sont  isolées,  s'élèvent  çà  et  la  au-dessus  des  plaines  du  littoral  : 
tel  est  le  promontoire  silurien  de  Kullen,  qui  s'avance  en  forme  de  harpon 
à  rentrée  septentrionale  du  Sund;  les  marins  cherchent  cette  falaise  qui 
les  gui(l(!  en  dressant  peu  à  peu  sa  pointe  au-dessus  des  Ilots'. 


'  Altitudes  principales  de  la  Suède  méridionale 
Galtascn,  au  sud  de  Jonkôpinp.   .     526  mètres. 
Tabcrg  »  »         .    .     ôl'i       » 

Kinne-kuUe  (au  sud-est    du    lac 

WeiKTu) 298       .. 


Billing  (entre  les  lacs  Wettern  cl 

'«Vcncrn) 275  mètres. 

Mosscberg,  id 205       » 

I    Kullen,  au  nord  du  Sund.    .    .    .  188       » 


62  NOUVELLE   GÉOGr.Al'HlE   UNIVERSELLE. 

Tandis  qu'à  l'est  le  Kjôlen  méridional  s'abaisse  définitivement  vers  les 
plaines  de  la  Suède,  il  se  continue  an  sud-ouest  par  le  plateau  de  Trondhjem, 
dont  la  hauteur  moyenne  est  de  mille  mètres  dans  sa  partie  centrale  et 
qui  s'incline  doucement  vers  ses  bords;  le  chemin  de  fer  de  Christiania'  à 
Trondhjem,  qui  le  gravit  au  sud  par  la  vallée  du  Glommen  et  passe 
par  la  ville  minière  de  Rôros,  franchit  le  seuil  à  670  mètres  d'alti- 
tude seulement;  mais  tout  le  reste  du  plateau  de  la  Norvège  méridio- 
nale est  un  pays  élevé,  coupé  du  côté  de  la  mer  par  de  brusques  escar- 
pements. C'est  là  que  se  dressent  les  plus  grands  sommets  de  la  pénin- 
sule Scandinave  et  de  toute  l'Europe  au  nord  du  Tatra  :  là  s'étendent  les 
fjeldme^  ou  champs  de  neige  les  plus  vastes,  et  chacun  d'eux  est  entouré 
de  glaciers  (brae),  que  dominent  quelques  saillies  ayant  la  forme  de 
dents  (tind),  de  cornes  (horn),  d'arêtes  {egg),  de  croupes  {kol  ou  nul). 
Les  massifs  distincts  sont  nombreux  et  peuvent  être  classés  diversement, 
suivant  l'importance  que  les  géographes  donnent  aux  échancrures  du  pla- 
teau. Au  nord-est  s'élève  le  Dovre  (en  français  Dofrines),  dont  le  nom  est 
appliqué  souvent  à  tout  le  plateau,  et  au-dessus  duquel,  parmi  d'autres 
montagnes  de  plus  de  2000  mètres,  se  dresse  la  pyramide  émoussée, 
d'ailleurs  peu  imposante",  du  Snôhatten,  longtemps  considérée  à  tort 
comme  le  plus  haut  sommet  de  la  Norvège.  Les  Alpes  de  Romsdal,  les 
Langfjelde  se  succèdent  au  sud,  dans  le  voisinage  de  fjords  aux  cent  bras. 
Les  «  Monts  des  Géants  »  ou  Jolunfjelde,  dont  les  cimes  nombreuses  domi- 
nent les  ramifications  orientales  du  Sogne-fjord,  méritent  bien  leur  nom, 
car  ces  pointes  sont  les  plus  élevées  de  la  Scandinavie,  et  l'une  d'elles,  le 
Galdhôpiggen  ou  Ymesfjeld,  redresse  les  saillies  bizarres  de  ses  crêtes  à 
plus  de  2  kilomètres  et  demi  au-dessus  de  l'Atlantique.  Il  n'est  point  de 
montagnes  en  Europe  d'où  le  regard  se  promène  sur  un  horizon  plus  vaste 
d(;  neiges  et  de  rochers;  dans  l'immense  étendue  nul  vallon  verdoyant  ne 
révèle  le  séjour  de  l'homme,  et  l'on  n'y  voit  pas  même  de  taches  sombres 
indiquant  les  forêts*.  Plus  à  l'ouest,  et  déjà  découpé  au  sud  par  les  golfes 
latéraux  du  Sogne-fjord,  s'étend  le  névé  de  Justedal  (ou  Jostedal),  le  plus 
grand  plateau  neigeux  de  la  Scandinavie  et  de  l'Europe  continentale,  car 
ce  névé,  entouré  de  roches  encore  inaccessibles,  ne  recouvre  pas  moins  de 
000  kilomètres  carrés  d'un  manteau  de  neige  immaculée,  de  toutes  parts 


'  il  serait  plus  régulier  d'écrire  Kristiaiiia  ;  mais  l'ancienne  orlliograplie  du  nom  s'est  maintenue 
à  côté  de  la  forme  nouvelle. 

*  Fjetd  en  norvégien;  fjâll  en  suédois. 
=  Cari  VogI,  ?;ord-FaUii. 

*  lluilli,  Millheilungen  von  Pctcrmann,  1870. 


MONTAGNES  DE  LA   NORVÈGE   MÉRIDIONALE. 


03 


frangé  de  glaciers  qui  descendent  dans  les  cirques'.  Au  sud  du  Hardanger- 
fjord,  un  autre  grand  névé,  celui  du  Folgefonn  ou  rolgelonden,  s'étend 

N°    13      P1.ATEACX    ET    MOXTAGXES   DE    lA    NnilVÈCE    MÉr.IOIONllE. 


OtC  j  5Û0M  Dr  û  i  50  J  at  SGO  i  1000 

l  :  iâooOdO 


sur  un  espace  évalué  à  280  kilomètres  carrés,  et  de  la  mer  même,  par  delà 
le  rempart  d'îles  montueuscs  qui  bordent  le  littoral,  on  aperçoit  ces  neiges 


'  C.  de  Souc,  Le  névé  de  Jusledal  et  ses  glaciers,  Clirisliania,  1870. 


04  NOUVELLE  GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

brillant  entre  les  roches  noires,  au  fond  des  sombres  avenues  des  fjords. 
Beaucoup  d'autres  massifs,  moins  hauts  ou  moins  fréquentés  des  voya- 
geurs, complètent  le  relief  de  la  Norvège  méridionale,  le  Hardangervidde, 
les  Oplande,  les  monts  d'Ovre-Telemark  (ou  Thelemark)  et  ceux  du  Sae- 
tersdal,  qui  vont  se  terminer  à  la  roche  aride,  allongée  et  polie  du  cap 
Lindesnaes'. 

Quoique  situés  sous  une  latitude  plus  méridionale  que  le  Kjôlen,  le 
Justedal  et  les  massifs  environnants  doivent  leur  abondance  plus  considé- 
rable de  névés  à  la  plus  grande  largeur  de  leur  base,  située  en  partie 
au-dessus  de  la  limite  des  neiges  persistantes,  qui  dans  cette  région  de  la 
Norvège  entoure  les  monts  à  l'altitude  moyenne  de  1200  à  1400  mètres. 
Les  glaciers  de  Justedal  sont  aussi  les  plus  étendus  de  la  péninsule;  grâce 
au  voisinage  des  villes,  Christiania,  Stavanger,  Bergen,  Trondhjera,  ce  sont 
aussi  les  plus  connus,  et  depuis  longtemps  déjà  on  en  raconte  les  mouve- 
ments alternatifs  de  progrès  et  de  recul.  Pendant  le  cours  du  dix-huitième 
siècle,  ces  glaciers  ne  cessèreul  d'augmenter  :  des  fermes,  des  champs  cul- 
tivés furent  envahis  par  les  moraines,  et  la  population  dut  graduellement 
battre  en  retraite  devant  les  fleuves  solides  ;  de  petits  glaciers  commençaient 
à  perler  sur  les  pentes  des  alentours,  et  plusieurs  cimes  qui  précédemment 
se  débarrassaient  de  leurs  neiges  tous  les  ans,  restaient  blanches  pendant 
l'été.  Depuis  1807,  un  mouvement  de  retraite  a  commencé  pour  les  gla- 
ciers :  quelques-uns  d'entre  eux  se  montrèrent  de  700  et  même  de  1000 
mètres  moins  avant  dans  les  vallées,  et  les  moraines  restent  isolées  au  mi- 
lieu des  pâturages.  Mais  on  cite  aussi  des  fleuves  de  glace  de  la  Norvège  mé- 
ridionale qui  n'ont  cessé  d'avancer  :  tel  est  le  Buerbrae,  dans  le  Folgefonn, 
qui  continuait  sa  marche  en  1871,  et  dont  l'extrémité  inférieure  se  trou- 
vait alors  à  577  mètres  d'altitude'.  Actuellement  plusieurs  des  glaciers  du 
Justedal  descendent  au-dessous  de  500,  de  400,  même  de  500  mètres.  Deux 
glaciers  qui  s'épanchent  du  versant  méridional  de  ce  massif,  le  Boiumbrae 
et  le  SuphcUebrae,  s'arrêtent  l'un  à  149  mètres,  l'autre  à  50  mètres  seu- 
lement au-dessus  des  eaux  du  Fjœrln-fjord,  un  des  bras  du  Sogne-fjord  ". 
En  étudiant  les  intervalles  des  rubans  do  glace  boueuse,  David  Forbes  évalua 
la  marche  aninielie  d'un  courant  glacé  de  cette  région  à  51  mètres  par  an, 


'  Alliludes  diverses  de  la  Norvège  méridionale 
Vmcsfjold  (.loliiiifji-ldrne)  ....     2500  met. 

Si  ùhallcn  (Dovroljeld) 2522     « 

Lodalskuupc  (Jusledalsbrx)    .    .    .      2055     u 

'  Frilz,  Milthcitungen  von  Pdermann,  X,  1876. 
-  S.  A.  Sexe,  Le  Glacier  de  Doium  en  juillet  1868 


Slygfjcld  (Oplande) 1880  met. 

Folgefonn 1050     » 

Romsd;dhorn  (Alpes  de  Romsdal)  .     1255     » 


MONTAGNES  ET   GLACIERS  DE   LA  NORVEGE  MERIDIONALE.  61 

et  crut  pouvoir  déduire  de  ses  observations  que  le  mouvement  des  glaces 
norvégiennes,  interrompu  par  un  plus  long  hiver,  est  plus  rapide  en  été 
que  celui  des  glaces  de  la  Suisse.  Du  10  au  19  juillet  1868,  en  dis. 
jours,  le  glacier  de  Boium  progressa  de  plus  d'un  demi-mètre  par  jour, 
d'un  millimètre  toutes  les  trois  minutes. 

Quoique  les  névés  de  la  Norvège  soient  beaucoup  plus  étendus  que  ceux 
des  Alpes,  les  glaciers  proprement  dits  du  pays  Scandinave  ne  peuvent  se 
comparer  à  ceux  de  l'Europe  centrale.  Forbes  évalue  les  deux  plus  vastes 
glaciers  du  Justedal,  le  Lodal  et  le  Negaardsbrae,  à  un  septième  au  plus  de 
la  surface  du  glacier  d'Alelsch  :  il  semblerait  au  premier  abord  en  devoir 
être  autrement,  car  les  cimes  norvégiennes  reçoivent  une  plus  grande 
quantité  de  neige  que  les  Alpes  de  la  Suisse.  La  cause  du  contraste  que 
présentent  les  dimensions  des  glaciers  dans. les  deux  contrées  provient  de 
la  forme  des  montagnes.  Tandis  que  les  grandes  Alpes  sont  pour  la  plu- 
part d'aspect  pyramidal  et  découpent  en  dents  de  scie  le  bord  de  l'horizon, 
les  monts  de  la  Norvège  sont  des  fragments  de  plateaux  sur  lesquels  se 
dressent  quelques  groupes  isolés  de  rochers  aux  cimes  arrondies  qui 
méritent  plutôt  le  nom  de  dent  {iind)  que  celui  de  pic  {piy)-  Dans  les  Alpes, 
les  dépressions  des  cimes  sont  des  cirques  inclinés,  que  des  couloirs  larges 
ou  étroits  réunissent  à  d'autres  sillons  de  la  montagne,  n'ayant  générale- 
ment qu'une  seule  issue  par  laquelle  s'écoulent  en  un  courant  de  glace 
les  neiges  tombées  sur  les  sommets  :  grâce  à  la  déclivité  générale  des  roches, 
le  glissement  des  molécules  neigeuses  se  fait  régulièrement  sur  toute  la 
pente.  Dans  les  massifs  norvégiens  il  n'en  est  pas  ainsi  :  la  neige  tombe 
sur  des  plateaux  très  faiblement  inclinés  ou  dans  de  profondes  gorges 
ouvertes  comme  des  lézardes  dans  l'épaisseur  de  la  masse  rocheuse;  trans- 
formée en  névé  et  en  glace,  elle  s'épanche  sur  tout  le  pourtour  du  plateau 
en  cascades  gelées,  aux  gradins  peu  élevés,  mais  larges,  —  d'où  le  nom  de 
brae  sous  lequel  on  les  désigne  ;  —  il  ne  se  forme  de  glaciers  que  dans  les 
endroits  où  la  masse  de  glaçons  tombée  des  terrasses  supérieures  est  com- 
primée dans  une  vallée  plus  étroite. 

Les  montagnes  de  la  Norvège,  vues  de  la  mer,  frappent  le  spectateur  par 
leurs  arêtes  noires,  leurs  couloirs  neigeux,  leurs  terrasses  blanches  se 
confondant  avec  les  nuages  ou  contrastant  avec  le  ciel  bleu.  Chaque  année 
plus  nombreux,  les  voyageurs,  anglais  pour  la  plupart,  viennent  se  retrem- 
per dans  cette  nature  austère.  Mais  dans  son  ensemble  elle  doit  à  son 
architecture  même  d'offrir  des  paysages  beaucoup  plus  monotones  que  les 
Alpes  et  les  autres  chaînes  de  montagnes.  Les  plateaux  de  1  <K)0  à  I  jttO  mètres 
de  hauteur,  que  la  neige  ne  recouvre  plus  en  entier  pendant  l'été,  et  que 


08  ■  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNI VEnSELLE. 

l'on  connaît,  suivant  les  provinces,  sous  les  noms  de  Hede  ou  «  Bruyère  » 
et  de  yidthne  ou  «  Etendues  »,  sont  des  espaces  mornes,  plus  désolés  que 
ledéserl.  Seulement  quelques  hauteurs  neigeuses,  pareilles  à  des  tentes 
posées  sur  le  plateau,  apparaissent  çà  et  là.  Des  flaques  blanches  non  encore 
fondues  se  voient  à  l'ombre  des  rochers  et  parmi  les  amas  de  cailloux;  des 
pierres  brisées  par  les  gelées  parsèment  le  sol  comme  les  dalles  d'un  édifice 
ruiné.  Il  faut  des  siècles  pour  qu'une  nouvelle  couche  d'humus  arrive  à 
se  former.  La  terre  est  une  argile  rougcâtre  et  gluante,  où  l'on  marche 
avec  peine;  des  tourbes,  des  prairies  tremblantes  se  sont  formées  dans  les 
bas-fonds,  et  des  eaux  noires  cheminent  paresseusement  d'élang  en  étang, 
cherchant  la  pente  d'où  elles  pourront  se  précipiter  dans  les  basses  vallées. 
La  végétation  n'est  représentée  que  par  des  mousses,  des  lichens,  d'hum- 
bles graminées  ;  des  genévriers,  de  petits  saules  même  se  montrent  dans 
les  endroits  bien  abrités;  mais  les  traces  de  l'homme  sont  absentes,  si 
ce  n'est  dans  les  rares  endroits  où  des  routes,  serpentant  à  l'abri  des 
monticules,  évitant  les  marécages,  franchissent  le  plateau  pour  réunir  les 
deux  versants. 

A  la  base  des  montagnes,  on  se  croirait  dans  une  autre  nature,  et  du 
moins  l'on  est  déjà  sous  un  autre  climat.  Là  séjourne  l'homme,  et  sa 
demeure  se  voit  au  milieu  de  la  verdure  des  arbres,  à  côté  des  eaux  ruis- 
selantes. Du  côté  de  la  mer,  les  escarpements  du  plateau  se  montrent  dans 
toute  leur  hauteur;  on  les  suit  du  regard,  en  remontant  des  éboulis  qui 
cachent  le  pied  des  roches  aux  cimes  de  l'arête  d'écroulement  qui  limite 
le  plateau  :  quelques  croupes  neigeuses  s'aperçoivent  à  travers  les  entailles 
du  massif  ou  se  confondent  avec  les  nues  du  ciel.  Mais  c'est  l'opposition 
de  la  surface  unie  des  golfes  et  des  roches  abruptes  qui  s'y  reflètent,  c'est 
le  panorama  toujours  changeant  des  fjords,  ce  sont  les  promontoires 
entourés  d'écueils,  les  archipels  d'ilôts,  le  dédale  des  bras  de  mer,  qui 
donnent  aux  tableaux  du  littoral  norvégien  leur  étrangeté  sauvage.  Nulle 
part  dans  le  reste  de  l'Kurope,  pas  même  entre  les  longues  péninsules 
irlandaises  de  Kerry,  pas  même  dans  les  firlhs  écossais  gardés  par  des 
promontoires  basaltiques,  les  montagnes  entre  lesquelles  serpentent  les 
eaux  marines,  ne  se  dressent  plus  grandioses  et  plus  féeriques.  Le  na- 
vire qui  pénètre  dans  les  sombres  avenues  de  fjords,  entre  des  parois 
de  rochers  dont  quelques-unes  sont  verticales,  apparaît  d'en  haut  conmie 
un  insecte  qui  se  débat  au  fond  d'un  puits.  Le  l}akke-ljord,  qui  s'est  ouvert 
du  nord  au  sud,  sur  la  côte  méridionale,  entre  Stavanger  et  Lindesnies, 
n'est  qu'une  fissure,  une  «  fente  du  sol  «,  comme  les  canons  du  Colorado. 
De   niènir,   le  Lysc-fjord,  à   l'est  de  Stavanger,  et  les  graiules   avenues 


DÉCOUPURES,   ARCIIIPKLS  DU   LITTORAL. 


69 


convergeant  vers  Christianssund,  ressemblent  à  des  fossés  ramifiés  creusés 
en  abîmes  dans  l'épaisseur  des  roches. 

Frangeant  la  côte  de  Norvège,  de  Magerô  au  fjord  de  Stavanger,  des 
montagnes  insulaires,  jetées  en  un  désordre  apparent,  élargissent  en  pleine 
mer  le  versant  occidental  du  faîte  Scandinave.  En  dehors  des  péninsules 
monlueuses  qui  ne  tiennent  au  continent  que  par  des  isthmes  baignant 
dans  les  eaux  des  fjords,  s'élèvent  d'autres  sommets,  formés  des  mêmes 


N°    16.    ARCHIPEL    ItlIOTS    DANS    LE    SKJAUGAAllD    NORVEGIEN'. 


E.d.P    8»40 


^'è^:m 


roches,  présentant  le  même  aspect,  moins  élevés  seulement  et  plon- 
geant leur  base  dans  une  mer  plus  profonde  :  plus  loin  viennent  encore 
d'autres  îles  moins  hautes  qui  continuent  en  mer  le  promontoire  partiel- 
lement immerge,  puis  au  delà  se  succèdent  les  îlots  et  les  écueils, 
innombrables  découpures  du  skjdrrjanrd.  Les  Norvégiens  comparent  ces 
îles  extérieures  à  des  animaux  marins  :  les  rochers  qui  se  voient  à 
l'extrémité  de  mainte  grande  île  sont  appelés  par  eux  des  kabc  ou  des 
«  petits  ï,  eoninic  les  biileincaiix  qui   suivent  toujours  leur  mère.  Même 


70  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

dans  les  lies  Britanniques,  plusieurs  rochers  gardent  encore  le  nom 
de  calves  que  leur  ont  laissés  les  anciens  envahisseurs  Scandinaves  :  tel 
est  le  Calf,  qui  se  dresse  à  côté  du  promontoire  méridional  de  l'île 
de  Man'. 

C'est  dans  la  province  de  Tromsô,  au  nord  de  la  Norvège,  que  les  îles 
du  littoral  sont  en  plus  grand  nombre,  s'étendent  plus  largement  sur  les 
eaux  et  dressent  leurs  plus  hauts  sommets  :  en  plusieurs  endroits,  c'est 
même  en  dehors  du  continent  que  se  prolonge  le  véritable  faîte  de  la  con- 
trée. En  effet,  le  Kjôlen  proprement  dit  est  assez  bas  à  l'est  de  la  chaîne 
de  montagnes,  découpée  en  de  nombreux  fragments,  que  forment  l'île 
Senjen  et  les  archipels  des  Vester  Aalen  et  des  Lofoten,  et  qui  se  dirige  au 
sud-ouest,  en  s'écartant  peu  à  peu  de  la  grande  terre,  de  manière  à  em- 
brasser un  large  golfe  connu  sous  le  nom  de  Vest-fjord.  Quelques-uns  des 
sommets  de  cette  chaîne  maritime  dépassent  1000  mètres  de  hauteur,  et 
même  il  en  est  un,  dans  Hindô,  la  plus  grande  île  des  Lofoten,  qui  s'élève 
à  1500  mètres.  Depuis  Forbes,  de  nombreux  voyageurs  ont  comparé  la 
chaîne  dentelée  des  Lofoten,  profilant  ses  pointes  sur  le  ciel,  à  la  mâchoire 
d'un  requin.  Dans  quelques-unes  des  îles  les  plus  escarpées,  l'arête  est 
si  aiguë  qu'il  serait  impossible  d'y  marcher  ;  on  ne  pourrait  s'y  tenir 
qu'assis,  une  jambe  sur  chaque  versant.  A  droite,  à  gauche,  les  paysages 
diffèrent  complètement  :  d'un  côté,  le  dédale  des  îles,  des  détroits,  des 
fjords  et  les  montagnes  du  continent  ;  de  l'autre,  les  écueils  extérieurs 
et  la  mer  sans  limites.  Le  contraste  n'est  pas  moins  remarquable  entre  les 
pentes  tournées  vers  le  midi  et  celles  qui  s'inclinent  vers  le  nord  :  sur  un 
des  versants  s'étendent  de  belles  prairies  d'un  vert  d'émeraude,  toutes 
émailiées  de  fleurs  ;  sur  l'autre,  d'âpres  rochers  couverts  de  mousses  et 
portant  çà  et  là  quelques  touffes  xie  bruyères'.  Les  parages  des  Lofoten, 
parsemés  de  milliers  de  barques  pendant  la  saison  de  la  pèche,  sont  fort 
redoutables  à  cause  de  leurs  brouillards,  de  leurs  vents,  de  leurs  violentes 
marées.  On  connaît  le  Mael-strom  ou  Môskô-strom  qui  se  porte  de  la  mer 
extérieure  au-devant  de  la  marée  du  Vest-Ijord,  entre  les  deux  îles  de 
Mosken  et  de  Moskenœs.  Le  tourbillon  qui  se  produit  entre  les  deux  masses 
d'eau  est  devenu,  grâce  aux  récits  des  marins,  le  type  légendaire  de  tous 
les  «  gouffres  »  océaniques;  mais  dans  les  mêmes  parages  de  la  Scandinavie 
du  nord  les  marins  ont  à  éviter  d'autres  remous  qui  ne  sont  pas  moins 
dangereux.  L'écart  de  la  marée  dépasse  4  mètres  sur  plusieurs  points  du 


'  Mohn,  MiUheilmigen  von  Pciermaiin,  VI,  1878. 
*  Scbubelcr,  Die  Vflanzenwell  !\'orweyens. 


ILKS  DU  LITTORAL  KORVÉCIEN.  71 

littoral. et  les  barrières  de  rochers  qui  s'opposent  au  passage  du  flot  causent 
des  différences  de  niveau  considérables  entre  deux  bassins  rapprochés.  En 
plusieurs  parties  de  l'arehiiiel,  on  voit  le  flux  s'élancer  en  véritables  rapides 
à  travers  les  détroits';  il  est  aussi  très  sensible  dans  les  fjords. 

Au  sud  des  Lofoten,  il  n'y  a  point  d'îles  comparables  en  étendue  à 
Hindô,  Senjen,  Sôrô,  Langô  et  autres  grandes  îles  du  littoral  de  Tromsô*, 
mais  on  compte  encore  par  centaines  celles  qui  sont  assez  étendues  pour 
offrir  un  abri  à  des  fiimilles  de  pécheurs  ou  même  de  laboureurs,  et 
des  pâtis  pour  leurs  bestiaux.  Parmi  ces  îles  du  littoral,  que  doivent  con- 
tourner les  marins  et  qui  leur  servent  à  reconnaître  leur  position,  plu- 
sieurs se  distinguent  par  la  bizarrerie  de  leur  forme  :  on  les  compare 
à  des  tours,  à  des  châteaux  ;  une  roche,  mince,  élancée,  entourée  d'oiseaux 
qui  tourbillonnent,  est  12  Staven  ou  le  «  Bâton  du  Géant  »  ;  une  autre,  le 
Hestmanden,  est  un  cavalier,  enveloppé  d'un  manteau,  qui  chevauche 
éternellement  dans  le  brouillard  ou  dans  la  tempête.  La  plus  connue  de 
ces  îles  bizarres,  le  Torghatten,  situé  vers  le  sud  de  la  province  de  Norr- 
land,  est  un  énorme  rocher  de  240  mètres  percé  vers  la  moitié  de  sa 
hauteur  par  une  grotte  de  270  mètres  de  long,  d'une  régularité  singulière 
et  parallèle  à  la  côte  de  la  grande  terre.  De  ses  deux  porches,  l'un,  celui 
du  sud-ouest,  a  66  mètres;  l'autre,  celui  du  nord-est,  56  mètres  de  hau- 
teur. Les  voyageurs  pénètrent  dans  cette  caverne  pour  contempler,  comme 
à  travers  un  prodigieux  télescope,  le  spectacle  de  la  mer,  avec  ses  îles,  ses 
écueils,  ses  navires".  D'après  la  légende,  cette  énorme  ouverture  aurait  été 
faite  par  la  flèche  d'un  géant  dont  on  voit  encore,  à  quelques  kilomètres 
de  distance,  le  buste  pétrifié*. 

Toutes  les  îles  de  la  côte  norvégienne  %  en  y  comprenant  celles  des  bords 
du  Skager  Rak,  et  sans  tenir  compte  des  écueils  que  lave  le  flot  de  marée, 

"  Widerberg,  Koles  mamisciites. 

*  Supeificie  des  plus  grandes  iles  norvégiennes  : 

Hindo 2238  liilomèlres  carrés     1   Langti.        .  .       886  kilomètres  carres. 

Senjen lOOC)         »  »  Seiland 593         >■  i> 

Sôro 971         I.  »        I  Ost  Vagô 541         »  » 

'  Vibc,  Kûsten  Norwegens,  Erijiinzungshcfl  zu  den  MiUhcilungen  von  Pclainann. 

*  Xavier  Marinier,  Expédition  au  Spilzherg. 
'  lies  de  la  Norvège,  d'après  0.  J.  lîrocli  : 

Superficie.  Iles  habitées.  PopuLilionàla  fin<Ie  1875. 

Iles  h  l'est  du  cap  Nord 220  liiL  car.  10  1500  habitants. 

Iles  du  cap  Nord  aux  Lofoten  ,    .    .    .     13370         .'  110  58000         » 

Des  Lofoten  au  Ijord  de  SLivanper  .    .       7  820         ..  Hh  148  000         » 

Autres  iles 490         »  1 95  30  500         . 

Ensemble .    .     21900  Lil.  car.  1160  238000  habitants. 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UiMYERSELLE. 


\D    ET    DEinoiT    DE    KALMXIt. 


s'étendent  sur  un  espace  évalué  à  près  île  22  000  kilomèlrcs  carrés,  c'est- 
à-dire  environ  la  quatorzième  partie  de  la  surface  du  pays;  mais  grâce  à 

leurs  ports,  à  leur  facilité 
d'accès,  à  la  douceur  rela- 
tive de  leur  climat,  aux 
pêcheries  qui  les  entou- 
rent, elles  sont  relative- 
ment beaucoup  plus  peu- 
plées que  la  terre  ferme, 
et  contiennent  environ  le 
huitième  des  >(orvégiens. 
Les  îles  du  littoral  sué- 
dois sont  en  proportion 
beaucoup  moins  nombreu- 
ses que  celles  de  la  Nor- 
vège ;  en  divers  endroits, 
notamment  le  long  des  cô- 
tes de  Scanie,  la  mer  est, 
sur  des  kilomètres  de  dis- 
lance, complètement  libre 
d'îlots  et  d'écueils.Maissur 
la  côte  de  Kaltegat,  notam- 
ment au  nord  de  Goteborg, 
tout  le  long  du  Bohuslàn, 
les  îles,  les  îlots,  les  écueils 
forment  un  skjârgaard  qui 
ressemble  à  celui  de  la 
Norvège,  si  ce  n'est  qu'il 
n'offre  point  de  monta- 
gnes et  qu'il  est  dépourvu 
de  toute  végétation.  Les  ro- 
ches, jaunes  et  rougeàtres, 
polies  jadis  par  les  gla- 
ces et  maintenant  par  les 

' ' ' 1 1 vagues   de   tempête,    i)ré- 

sentent  çà  et  là  l'aspect  de 
monstres  couchés.  Au  nord  de  la  province  de  Kalmar,  sur  les  bords  de 
la  Ualliquc,  de  petites  îles  parsèment  les  flots  en  multitudes,  surtout  vers 
l'issue  des  golfes  et  des  rivières;  mais  ce  sont  des  roches  basses  et  s'éle- 


ILES  ET  FJORDS  DE  LA  SCANDLNAVIE.  75 

vaut  (lu  milieu  d'eaux  sans  profondeur  :  elles  continuent  les  plaines  sué- 
doises, tandis  que  celles  de  la  Norvège  forment  les  escarpements  extérieurs 
des  massifs.  Dans  la  mer  Baltique,  deux  grandes  îles,  —  sans  compter 
Bornholm,  —  appartiennent  aussi  à  la  plaine  Scandinave  :  ce  sont  les  îles 
d'Oiand  et  de  Gotland,  qui  se  développent  du  nord-est  au  sud-ouest,  pa- 
rallèlement l'une  à  l'autre  et  à  l'axe  de  la  Suède  elle-même  '.  Ôland, 
composée  de  roches  calcaires  anciennes,  comme  la  côte  voisine,  semble 
n'être  en  réalité  qu'un  littoral  extérieur,  encore  plus  régulier  que  le  lit- 
toral intérieur;  longue  de  150  kilomètres  environ,  cette  île  est  formée 
dans  toute  sa  partie  méridionale  par  une  terrasse  de  pâtis  infertiles  ne 
dépassant  pas  42  mètres  au  point  culminant  et  bordée  sur  tout  son  pour- 
tour de  villages,  de  hameaux,  de  moulins  à  vent  :  cette  terrasse  est  Valvar, 
et  ses  berges,  dominant  la  riche  campagne  du  littoral,  sont  le  landborg. 
Le  détroit  ou  sund  de  Kalmar,  qui  sépare  l'île  de  la  grande  terre,  n'a  pas 
même  5  kilomètres  et  demi  au  passage  le  plus  étroit,  et  devant  Kalmar 
le  chenal  n'a  guère  que  7  mètres  de  profondeur,  tandis  qu'au  nord  et  au 
sud  la  sonde  trouve  une  vingtaine  de  mètres  en  moyenne.  Gotland,  beau- 
coup plus  éloignée  du  continent,  ne  se  rattache  à  la  côte  suédoise,  du  côté 
du  sud-ouest,  que  par  le  vaste  banc  de  Iloborg  et  par  une  sorte  de  péninsule 
sous-marine,  limités  à  droite  et  à  gauche  par  des  profondeurs  de  plus  de 
50  mètres.  Plus  étendue  qu'Oland,  elle  est  aussi  plus  haute,  puisqu'une 
de  ses  collines  s'élève  à  60  mètres  :  elle  se  continue  à  l'extrémité  septen- 
trionale par  la  petite  «  île  des  Moutons  »  ou  Fârô,  et  le  plateau  sous- 
marin  va  former  encore  plus  au  nord  l'île  basse  de  Gotska  Sandôn. 


III 


L'orographie  sous-mariae  des  côtes  de  la  ^'orvège  ressemble  au  relief 
extérieur  :  là  où  les  roches  se  dressent  au  dehors  en  falaises  abruptes,  là 
aussi  elles  s'enfoncent  dans  la  mer  en  soudains  précipices.  Ainsi  c'est 
précisément  au  sud  des  terrasses  de  Justedal,  chargées  de  névés,  et  à  la 
base  occidentale  des  «  montagnes  des  Géants  »,  que  se  creuse  le  Sogne- 
fjord,  où  la  sonde  ne  trouve  le  fond,  près  de  l'embouchure,  entre  Vig  et 
Vacrholmen,  qu'à   1244  mètres  au-dessous  de  la  surface  '   :   l'écart  des 

I 

Superficie.  Population.  Popul    ki.oin. 

Golland  (avec  îles  voisines).    .     3159  kiL  car.      54  500  liai),  en  1875.       17  h.ih. 

Olanil 1545         »  45  000     .  »  54     i- 

A.  BIjll,  Om  Veijelationsforlioldene  ved  Sugnefjordcn. 


-,i  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

points  les  plus  élevés  et  les  plus  bas  n'est  guère  moindre  de  4  kilomètres 
dans  cette  région  de  la  Scandinavie.  Il  est  des  falaises  qui  montent  d'un 
jet  à  des  centaines  de  mètres  de  hauteur  en  murs  verticaux  ou  même 
surplombants,  et  qui  servent  de  base  à  des  cimes  neigeuses.  Ainsi  le 
Thorsnuten,  situé  au  sud  de  Bergen,  sur  les  bords  du  Hardangcr-fjord, 
atteint  une  altitude  de  plus  de  1600  mètres  à  moins  de  4  kilomètres  du 
rivage,  et  dans  plusieurs  endroits  du  fjord  on  a  jeté  la  sonde  à  550  mètres 
sans  trouver  le  fond  '.  Dans  mainte  baie  de  la  Norvège,  on  voit  les  cascades 
bondir  du  haut  des  parois,  même  de  plus  de  600  mètres  de  hauteur', 
et  se  précipiter  d'un  seul  élan  jusque  dans  la  mer,  de  sorte  que  les  embar- 
cations peuvent  se  glisser  entre  les  rochers  et  la  parabole  des  cataractes. 
Quand  les  nuages  cachent  les  rebords  des  terrasses  d'où  s'élancent  les 
eaux,  on  croirait  que  celles-ci  tombent  du  haut  du  ciel  ".  Parfois  on  peut 
assister  à  de  singuliers  combats  entre  les  tempêtes  et  les  «  ruisseaux 
suspendus  ».  Des  coups  de  vent  soudains  dispersent  la  cascade  en  brouil- 
lards, la  soutiennent  dans  l'espace,  ou  même  la  font  refluer  dans  l'air  ; 
le  front  de  la  montagne  se  hérisse  d'une  étrange  chevelure  d'argent*. 
Plusieurs  des  ruisseaux  qui  tombent  du  haut  des  rochers  disparaissent 
dans  l'air,  changés  en  vapeurs  diaphanes,  puis  se  reforment  sur  une 
saillie  du  précipice  pour  s'évaporer  encore".  En  hiver  et  au  printemps, 
ce  sont  des  avalanches  de  neige  et  de  pierres  qui  tombent  des  hautes  tis- 
sures dans  le  fond  des  vallées,  enterrant  parfois  les  cabanes. 

Au  premier  abord,  les  fjords  norvégiens  ont  une  apparence  très  irré- 
gulière :  on  dirait  que  la  côte  est  découpée  comme  au  hasard  et  que  les 
îlots,  les  îles,  les  péninsules  s'enchevêtrent  en  un  inextricable  labyrinthe. 
Pourtant  une  certaine  ordonnance  finit  par  se  révéler  dans  ce  dédale. 
Comparés  aux  firths  de  l'Ecosse,  les  fjords  Scandinaves  sont  beaucoup 
plus  réguliers  de  formes  :  c'est  qu'ils  appartiennent  à  une  nature  où  les 
traits  sont  plus  simples;  le  Kjolen,  le  Dovre,  le  Justedal  n'ont  rien  du 
désordre  pittoresque  des  Grampians.  Il  est  peu  de  Ijords  qui  s'ouvrent  lar- 
gement sur  la  mer  par  d'amples  golfes  :  presque  tous  ne  communiquent 
avec  l'Océan  que  par  une  étroite  tranchée  ouverte  entre  deux  hauts  pro- 
montoires. Les  deux  rives  opposées,  berges,  collines  ou  falaises,  sont  sen- 
siblement parallèles  et  se  i)rolongent  en  sinuosités  régulières.  Plusieurs 


*  Sexe,  Mœrker  efler  en  listid  i  omcgnen  af  Hardangerfjorden. 
°  k.  Blylt,  Ont  Veijelaûonsforholdcne  ved  Soijnefjorden. 

Ampère,  Esquisses  du  Mord. 
"  Sexe,  ouvrage  cilé. 
'  E.  Colteau,  Annuaire  du  Club  alpin  /'mnçais.  I,  187i. 


^N,' 


FJORDS  ET  CLUSES  DES  MASSIFS  SCANDINAVES.  77 

fjords  se  Ijifiirqueiil  avant  d'attoimlro  la  mer.  embrassant  une  ile  aux 
parois  verticales,  dont  toutes  les  saillies  correspondent  aux  courbes  ren- 
trantes du  continent.  D'autres,  notamment  les  deux  golfes  intérieurs  les  plus 
conmis,  leSogne-fjord  et  leHardanger-fjord,  scramiricnlàdroiteelàgauche  ; 
mais  un  grand  nombre  de  ces  branches  latérales  s'unissent  h  l'avenue 
maîtresse  en  formant  avec  elle  un  angle  droit,  et  c'est  également  à  angle. 

N*»    18.    —    MASSIFS    CCADRAVGULAIBES    DE    LA    NOUVÈGE    IIÉIIIDIONALE    SÉPADÉS    PAR    DES    CLESES. 


droit  que,  de  chaque  côte,  d'autres  cluses  plus  étroites  viennent  les  rejoin- 
dre. Dans  l'ensemble  de  sa  lamure,  comparable  par  la  forme  à  celle  d'un 
chêne,  maint  fjord  est  formé  de  canaux  perpendiculaires,  ou  du  moins 
brusquement  ratiacliés  les  uns  aux  autres,  dont  l'orientation  générale  est 
précisément  celle  des  coupures  profondes  qui  séparent  les  massifs  norvé- 
giens. L'architecture  générale  de  la  contrée  se  retrouve  dans  les  creux  des 
fjords  aussi  bien  que  dans  le  relief  des  montagnes  :   le  canal  conlinire  la 


78  NOUVELLE  GEOGUArillE   UNIVERSELLE. 

vallée  el  no  forme  avec  elle  qu'une  seule  et  même  lézarde;  d'autres  fentes 
du  sol,  en  partie  remplies  d'eau,  en  partie  émergées,  croisent  les  pre- 
mières, et  la  contrée  se  trouve  ainsi  divisée  et  subdivisée  en  d'innom- 
brables fragments,  quadrangulaires  ou  du  moins  régulièrement  taillés,  de 
grandeur  inégale,  les  uns  en  terre  ferme,  les  autres  partiellement  ou  com- 
plètement entourés  d'eau,  plateaux,  péninsules,  massifs  insulaires.  La 
manière  dont  s'est  fracturé  tout  le  faîte  Scandinave  rappelle  le  fendille- 
ment des  terres  humides  qui  se  dessèchent  au  soleil.  Le  géologue  Kjerulf  ' 
a  tenté  de  refiiire  la  carte  de  la  Norvège  en  indiquant  toutes  les  fissures 
primitives  qui  sont  devenues  des  fjords;  on  pourrait  croire,  il  est  vrai, 
que  ces  fentes  sont  de  simples  cavités  d'érosion,  auxquelles  viennent  s'unir 
latéralement  d'autres  sillons  creusés  à  angle  droit,  dans  le  sens  de  la  pente 
la  plus  considérable;  mais  comment  expliquer  dans  ce  cas  qu'elles  s'ou- 
vrent généralement  dans  les  roches  les  plus  dures,  et  non  dans  celles  qui 
présentent  la  moindre  résistance?  Comment  voir  un  simple  phénomène 
d'érosion  dans  ces  fentes  qui  se  poursuivent  régulièrement  à  travers  fjords 
el  montagnes,  sur  des  centaines  de  kilomètres  de  distance?  Du  Molde-ljord 
au  Lindesnses,  une  série  de  fentes  parallèles  se  continue  du  nord  au  sud  ; 
une  autre  série  de  fissures  va  rejoindre  au  sud-est  le  Ijord  de  Christiania; 
enfin  d'autres  «  traits  d'incision  »,  ainsi  que  les  nomme  M.  Kjeruif,  se 
montrent  parallèlement  à  la  côte,  entre  Molde  et  Trondhjem,  entre  Arendal 
et  Christiania. 

Il  est  impossible  de  calculer  le  développement  réel  de  la  côte  norvé- 
gienne en  suivant  toutes  les  indentalions  des  fjords  primaires  et  secon- 
daires, car  il  faudrait  tenir  compte  également  de  tous  les  détroits  qui 
séparent  les  péninsules,  les  îles  et  les  îlots  :  la  longueur  seule  des  chenaux 
de  navigaliiin  peut  être  évaluée  au  décuple  de  la  ligne  extérieure  des 
rivages,  soit  à  près  de  20  000  kilomètres.  On  peut  dire  qu'il  existe  ainsi 
sur  toute  la  côte  de  Norvège  une  sorte  de  méditerranée,  sinon  pour  l'étendue 
des  eaux,  du  moins  pour  les  routes  maritimes,  et  c'est  en  effet  en  dedans 
du  cordon  des  îlots  extérieurs  que  se  fait  presque  tout  le  mouvement  du 
cabotage  norvégien,  dont  l'importance  est  si  considérable  ;  il  n'est  qu'un 
petit  nombre  de  ])arages  où  les  embarcations  soient  obligées  de  se  hasarder 
en  pleine  mer  |)our  contourner  un  promontoire,  comme  par  exemple  le 
cap  Slad,  situé  à  l'angle  d(>  la  péninsule  norvégienne,  entre  la  mer  du 
Nord  proprement  dite  et  rAllantitpie  boréal.  Quant  aux  petits  bateaux,  les 
rameurs  peuvent  les  porter  de  fjord  à  fjord  par  les  dépressions  qui  les 

'  Ont  skuiitujsmaerkcr.  ijlacialfurmattonen  0(j  terrasser. 


X..avelle  (■rt.'..opsi.hipl'iiiveT-sene^    T.V    PLU 


LE  SOGNE-FJORD    ET   LES 


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Dresse  par  A.Vuillpmin   dat»w  Us  Curteg  ,U  i'Insittut ^*^niphi^tu-  lU  Svrvèye 


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LICIERS    DE  JUSTEDAL 


Hachette  el  (T  Pai'is. 


iJ-  ' 


^SnndHalsh.in,,,.,, 
V.S'oune.viaiv/ 


Ul.ica 


^^H, 


•J.ofiâ'iskaopn  *s5 

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Thundalskivkti^  ' 


li    1- .^iR  (; ..  K    NU    r    s 


iiiUi' M.    ri\u^ 


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A  .l.l.ilj,  1,1 


y     s  ,„„_, 


/',  ,;  -    1  ,;f../ 


Gravé  papErKard.12  r.Dug'imy-Trouin. Paris. 


DRAUH£-FJORD  ET  COCRAST 
PE  SVERDVIKEX. 


tir  / 


FJORDS  DE  LA  COTE  SCANDINAVE.  'l'i 

continuent  à  travers  les  presqu'îles  et  dont  plusieurs,  dominées  par  des 
parois  de  mille  mètres,  n'ont  pas  même  cent  mètres  de  hauteur.  Les  Nor- 
végiens désignent  ces  a  portages  »  sous  le 
nom  d'ejder'. 

Quelques-uns  des  fjords  sont  si  bien 
protégés  contre  les  tempêtes  et  les  vagues 
du  large  par  les  îles  et  les  rochers  qui  en 
gardent  l'entrée,  que  l'eau  douce,  apportée 
par  la  fonte  des  neiges  ou  tombée  directe- 
ment en  pluie,  se  maintient  h  la  surfoce 
sur  plus  d'un  mètre  d'épaisseur  :  elle  nage 
sur  l'eau  saline  et  pesante  du  fond.  Elle 
est  si  pure  que  les  marins  peuvent  y  pui- 
ser pour  renouveler  leur  provision  d'eau, 
el  que  les  algues  du  bord  baignées  par  elle 
périssent  peu  à  peu  ;  çà  et  là,  elles  sont 
même  remplacées  par  des  plantes  d'eau 
douce  à  croissance  hàlive  *.  En  hiver, 
quand  le  continent  ne  verse  plus  d'eau 
douce  dans  le  fjord,  l'équilibre  de  salure 
se  rétablit^  par  l'écoulement  de  l'eau  plus 
légère  qui  s'enfuit  vers  l'Océan.  Les  seuls 
fjords  qui  gardent  alors  à  leur  surface  une 
couche  liquide  non  saline  sont  ceu.'î  qui 
reçoivent  une  ou  plusieurs  rivières  abon- 
dantes :  ce  sont  en  même  temps  des  golfes     [     :  ''■-      >  ^^^^    1 

marins  et  des  fleuves.  Ainsi  le  fjord  de     '< -. — — ^ — :; — '^  "c>..,J 

Drammen,  qui  reçoit,  à  la  ville  même  de               |        |                    |-        | 
ce  nom,  le  puissant   cours  d'eau  appelé             </.o.mM               ^.,00.. ^c. 
Dramms-elv,  le  deuxième  de  la  ^'orvège  , '   "'"""'' , 

0  r;  kil. 

en  importance,  ressemble  d'abord  par  sa 

largeur  régulière,  de  2  à  5  kilomètres,  et  par  sa  profondeur  moyenne  de 
plus  de  100  mètres,  à  toutes  les  autres  cavités  du  même  genre;  mais,  rév 
tréci  soudain  à  qucbpies  centaines  de  mètres,  au  défilé  de  Sverdviken,  il 
se  transforme  tout  à  couj)  en  un  fleuve  de  5  mètres  de  profondeur  seule- 
ment, dont  le  courant,  d'après  Kjerulf,  se  porte  conslammcnl  vers  la  mer 


"v\! 


•  Harlung,  Thaï-  und  SeebilJmgen,  Zcilscluift  fur  Erdiiuude,  1878,  n"  70. 
'  A.  Blyll,  Om  Veyelalionsfoiholdcne  ved  Sogncfjorden. 
'  Cari  Vogt,  Nord-Fahii. 


80  NOUVELLE    GÉOGUAPllIE    UNIVERSELLE. 

on  temps  de  crue,  avec  une  vitesse  de  15  kilomètres  à  l'Iieuro  pendant  le 
reflux  et  de  7  à  0  kilomètres  pendant  le  flux. 

Plusieurs  fjords,  interrompus  par  des  barrières  rocheuses,  ont  été  com- 
plètement divisés  en  parties  distinctes  :  du  côté  d'amont,  le  golfe,  ali- 
menté par  les  neiges  et  les  ruisseaux,  est  devenu  un  lac  d'eau  douce  ;  du 
côté  d'aval,  il  a  gardé  son  eau  saline.  Un  simple  émissaire,  bruissant  au 
milieu  des  pierres,  maintient  la  communication  entre  le  réservoir  supé- 
rieur et  celui  d'en  bas.  Mais,  outre  ces  barrages  qui  ont  diminué  la  lon- 
gueur des  golfes  et  qui  ont  ainsi  accru  le  domaine  de  la  terre  ferme,  il  en 
est  beaucoup  d'autres  qui  ne  s'élèvent  pas  jusqu'à  la  surface  marine  ou 
du  moins  ne  forment  que  des  chaînes  d'écueils  :  ainsi  dans  le  Sogne-fjord 
des  moraines  déposées  jadis  sur  le  fond,  inférieur  de  plus  de  mille  mètres 
au  niveau  actuel  des  mers,  s'élèvent  jusqu'à  182  et  à  54  mètres  de  la  sur- 
face'. La  plupart  des  fjords  se  trouvent  partiellement  obstrués  à  leur  em- 
bouchure par  ces  amas  sous-marins,  auxquels  les  habitants  de  la  Norvège 
septentrionale  donnent  le  nom  de  havbroen  ou  «  ponts  de  mer''  ».  Les 
deux  côtés  du  fjord  de  Christiania  sont  bordés  de  dépôts  caillouteux  d'une 
régularité  singulière,  qui  sont  d'anciennes  moraines  portées  en  dehors 
du  continent'. 

Quelle  est  l'origine  des  barrages  qui  se  succèdent  de  distance  en  dis- 
tance de  la  bouche  des  fjords  à  leur  extrémité  supérieure?  Les  observa- 
tions des  géologues  permettent  de  répondre  avec  assurance.  Quelques-unes 
de  ces  barrières  de  rochers  sont  des  seuils  entre  deux  vallées,  sembla- 
bles à  ceux  du  pays  émergé*;  d'autres  sont  formées  par  des  talus  d'éro- 
sion; mais  plusieurs  sont  des  moraines,  en  tout  semblables  à  celles  que 
les  glaciers  d'autrefois  ont  laissées  dans  les  vallées  émergées,  à  la  base 
des  montagnes.  Et  les  ijords  eux-mêmes  ne  racontent-ils  pas  le  séjour 
des  anciens  courants  de  glace?  De  même  que  les  firths  d'Ecosse,  les  fjords 
Scandinaves  existaient  avant  l'époque  glaciaire,  et  c'est  précisément  grâce 
aux  énormes  masses  d'eau  cristallisée  qui  les  emplissaient  qu'ils  ont  pu  se 
maintenir  dans  leur  forme  première  :  le  seul  changement  qu'ils  aient  subi 
sous  la  pression  des  glaces  est  d'avoir  été  creusés  plus  profondément  et 
d'avoir  eu  leurs  parois  et  leur  lit  usés  et  polis  par  les  glaciers  mouvants. 
Tandis  (|ue,  sous  les  climats  plus  chauds  ou  moins  humides,  les  golfes 
étaient  comblés  peu  à  peu  j)ar  les  alluvions  des  torrents,  par  les  sables 

'  Einiirid  llcILind,  On  llic  fjords,  lalics  and  ciiquesof  Norway  and  Greenland. 

'  lloiljyc,  Observations  sur  les  phénomènes  d'érosion  en  Norvège. 

'  Th.  KjiMulf,  Om  skitrimismacrker,  glacialformalionen  og  terrasser. 

*  Th.  Kjmilf,  Die  Eisicit,  IraïUiclion  alloiiiaiulc  de  Ibi-tung. 


FJORDS  ET   GLACIEHS.  81 

c!es  mers,  tandis  que  certaines  régions  de  l'Océan  lui-même,  comme  par 
exemple  la  mer  du  Nord,  étaient  presque  en  entier  emplies  par  les  débris, 
jusqu'à  00  ou  100  mètres  de  la  surface,  les  cavités  des  Ijords  avaient 
toujours  la  même  profondeur;  à  mesure  que  les  glaces  se  retiraient, 
en  laissant  çà  et  là  des  moraines  frontales,  les  eaux  remplissaient 
ces  abîmes ,  dont  plusieurs  sont  plus  profonds  que  les  mers  avoisi- 
nantes. 

Mais  depuis  que  l'époque  glaciaire,  qui  n'a  pas  encore  cessé  pour  le 
Groenland,  est  terminée  pour  la  Scandinavie,  un  nombre  inconnu  de 
siècles  s'est  écoulé.  Les  glaciers  ont  reculé  peu  à  peu  dans  l'intérieur  des 
fjords,  puis  leur  extrémité  inférieure,  que  ne  lavaient  plus  les  flots,  a 
remonté  de  plus  en  plus  loin  dans  les  dépressions  ouvertes  sur  !o  flanc 
des  monts.  C'est  alors  que  commença  pour  les  eaux  courantes  et  pour  la 
mer  l'immense  travail  géologique  du  comblement  des  baies.  Les  eaux 
fluviales  apportent  leurs  alluvions  et  les  déposent  en  plages  unies  au  pied 
des  montagnes,  tandis  que  la  mer  étale  en  nappes  de  sable  ou  de  vase 
tous  les  débris  de  rochers  qu'elle  sape  et  triture.  Déjà  dans  un  grand 
nombre  de  fjords  cette  œuvre  de  transformation  du  domaine  des  eaux  en 
terre  ferme  a  fait  des  progrès  très  sensibles,  et  si  l'on  connaissait  le  taux 
séculaire  du  dépôt  des  alluvions,  on  pourrait  calculer  approximativement 
l'époque  à  laquelle  les  glaces  ont  abandonne  les  cavités  du  fjord.  Sur  toute 
la  convexité  des  côtes  méridionales  de  la  Norvège  qui  se  développe  entre 
le  fjord  de  Porsgrund  et  la  grande  baie  de  Stavanger,  presque  toutes  les 
anciennes  indentations  du  littoral  ont  disparu  :  il  n'en  reste  que  des 
criques,  de  petits  ports,  des  lacs,  des  étangs,  des  prairies  humides.  Dans 
cette  région  exposée  au  soleil  du  midi  et  bien  abritée  des  vents  du  nord  par 
la  masse  du  plateau,  les  glaciers  ont  cessé  d'exister  depuis  beaucoup  plus 
longtemps  que  sur  les  côtes  occidentales,  tournées  vers  les  vents  pluvieux 
de  l'Atlantique,  et  cette  période  a  suffl  pour  changer  en  terre  ferme  presque 
toutes  les  anciennes  découpures  de  la  côte  que  l'étude  du  terrain  nous 
révèle  avoir  existé.  De  ces  fjords  oblitérés  du  sud  de  bi  Norvège  aux 
fjords  encore  entiers  des  côtes  septentrionales,  où  les  glaces  continuent 
lie  descendre  jusque  dans  le  voisinage  de  la  mer,  on  peut  observer  tous  les 
degrés  possibles  de  transition.  La  Norvège,  l'un  des  pays  les  plus  curieux 
du  monde  par  la  formation  de  ses  plateaux  et  de  ses  rivages,  aussi  bien  que 
[)ar  les  phénomènes  de  toute  esj)èce  qui  s'y  produisent,  semble  être  la  con- 
trée où  pourra  se  résoudre  définitivement  le  problème  relatif  à  la  durée  de 
l'époque  géologique  actuelle.  Là  chaque  courant  de  glace  encore  existant, 
chaque  ancien  lit  de  glacier  raconte  en  détail  l'histoire  des  alternatives  du 

V.  11 


82 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


climat  pendant  la  périoile  qni  snccétia  aux  âges  glaciaires;  chaque  fjord  est 
comme  un  appareil  météorologique  et  géologique  indiquant  par  les  écueils 
de  ses  moraines,  les  stries  de  ses  parois,  les  alluvions  de  ses  ruisseaux, 
tous  les  changements  qui  se  sont  accomplis  dans  le  milieu  local.  Est-co 


FJOrtDS    COMTÏl.KS   AU   NORD    DU    LINDESN^S 


r  ..G     ! 


C    deP 


Ds  O  à  SOOM  deSOOauJel? 

1     210000 

0  Ckil. 


qu'une  palieiile  comparaison  de  ces  phéiionu^'nes  ne  fournira  pas  les  moyens 
de  ii\er  la  durée  de  la  période  moderne  et  de  donner  à  ce  cycle,  comme 
aux  années  el  aux  siècles,  un  sens  précis  qui  ju-rmette  de  le  classer  dans 
la   clironidogio   rigoureuse?    Lu  essai   de   ce  genre    a   élé   déjà  lait   par 


FJORDS   ET    GLACIERS    DE    L\   SCANDINAVIE.  85 

Theodor  Kjcnilf.  dan?  un  ouvrage  sur  les  stries,  les  formations  glaciaires 
et  les  terrasses  de  la  Norvè<re'. 


IV 

Sur  le  versant  oriental  du  faîte  Scandinave  les  lacs  correspondent  aux 
fjords  :  un  abaissement  du  sol  les  transformerait  en  golfes  d'eau  salée, 
de  même  qu'un  exhaussement  changerait  en  lacs  les  Qords  de  la  côte 
norvégienne.  Il  est  même  un  très  grand  nombre  de  vallées  qui  traversent 
de  part  en  part  le  Kjôlen  ou  les  massifs  du  sud  de  la  Norvège,  et  qui  sont 
occupées  de  distance  en  distance  par  des  marais  et  de  petits  lacs  qui  sem- 
blent être  les  restes  d'un  ancien  détroit  ouvert  entre  les  Ijords  des  deux 
versants.  En  exemple  de  ces  longs  fossés  marécageux  qui  réunissent  les 
deux  déclivités  opposées,  on  cite  d'ordinaire  le  col  qui  s'ouvre  au  sud  du 
massif  de  Snehœtlen  et  du  Dovrefjeld.  Le  lac  appelé  Lesjeskogen-vand  occupe 
précisément,  à  625  mètres  d'altitude,  le  point  culminant  du  passage  et 
grandit  ou  diminue  en  superficie  suivant  l'abondance  des  pluies  et  des 
neiges  fondues  :  de  chacune  des  extrémités  de  ce  lac  gracieux,  parsemé 
d'îlots,  jaillit  une  rivière  :  au  nord-ouest,  la  Rauma,  qui  va  rejoindre  le 
Molde-fjord  ;  au  sud-est,  le  Lougen,  qui  s'écoule  dans  le  grand  Mjôsen  et 
de  là  dans  le  fjord  de  Christiania.  En  se  retirant,  les  glaciers  ont  laissé 
dans  ces  lacs,  aussi  bien  que  dans  les  fjords,  des  moraines  qui  les  ont  çà 
et  là  brusquement  couj)és  en  bassins  séparés  ou  qui  se  révèlent  seulement 
par  des  bas-fonds  ou  des  isthmes  rompus  que  les  eaux  recouvrent  peu  à 
peu  de  sable  et  de  limon:  soulevées  plus  tard,  ces  moraines  ont 
pris  le  même  aspect  que  si  elles  étaient  formées  d'alluvions  ordinaires.  Les 
apports  des  torrents  s'avancent  dans  les  eaux  lacustres  en  plaines  gran- 
dissantes, et  (le  même  que  les  terres  nouvelles  des  fjords,  ils  permettront 
aux  observateurs  de  calculer  un  jour  la  durée  des  âges  écoulés  depuis  la 
fin  de  la  période  glaciaire  en  Scandinavie.  Plusieurs  des  lacs  ont  gardé 
leur  caractère  de  fjords  et  leur  profondeur  encore  toute  maritime.  M.  Ilel- 
land  a  mesuré  et  sondé  plus  de  cinquante  de  ces  restes  de  fjords,  et  dans 
l'un  d'eux,  le  Ilveningdals-vand,  du  district  de  Romsdal,  la  profondeur 
atteint  486  mètres,  soit  432  mètres  au-dessous  du  niveau  de  la  mer'. 
Mais  ce  ne  sont  pas  seulement  les  bassins  des  lacs  et  des  fjords   qui 


'  Oui  shtrinysmaerkcr,  (jlacialfonnalionen  ocj   tenasser.  lS71. 
-  On  tlie  Ijoidt,  lakes  and  arques  in  îSonvmj  ami  Crccnlnnd. 


8*  .NOUVELLE   GÉOGUAPIIIK   UNIVERSELLE. 

témoignent  de  Tancionne  action  des  glaces  descendues  des  monts  norvé- 
giens. Partout  dans  la  contrée  le  sol  a  gardé  des  traces  de  leur  passage, 
et  même  en  dehors  des  limites  de  la  péninsule  se  voient  en  foule  les  preuves 
de  l'action  des  glaciers  Scandinaves.  La  Suède  et  la  Norvège  ne  sont  qu'une 
faible  partie  de  l'espace  où  se  sont  dispersés  les  pierres  et  les  débris  du 
Kjolen  et  du  Dovre.  La  Finlande,  un  tiers  de  la  Russie  d'Europe,  l'Alle- 
magne du  Nord,  le  Danemark,  sont  compris  dans  l'immense  région  dont 
les  terres  superficielles  sont  dues  pour  une  grande  part  aux  débris 
apportés  de  la  Scandinavie  et  du  Kjolen  oriental,  grossis  par  les  débris 
des  roches  locales  emportés  au  passage  par  la  nappe  de  glace.  A  l'excep- 
tion de  la  fosse  très  profonde  du  Skager  Rak,  qui  semble  avoir  été  un 
fjord',  les  mers  riveraines  de  la  Scandinavie,  dont  la  profondeur  moyenne 
est  si  faible  en  comparaison  de  celle  que  présente  l'Océan',  sont  les  lits  de 
cette  nappe  de  glace,  et  même  en  quelques  endroits  on  a  pu  en  reconnaître 
des  traces  directes  au-dessous  des  rives  actuelles.  Les  stries  laissées  par 
les  glaces  en  mouvement  se  poursuivent  sous  le  flot  :  à  Carlskrona, 
M.  Axel  Erdmann  les  a  nettement  reconnues  jusqu'à  la  profondeur  de 
7  mètres  :  plus  bas,  elles  ont  été  oblitérées  par  les  eaux  ou  recouvertes 
par  les  sables. 

Déjà,  depuis  un  demi-siècle,  Esmark  expliquait  la  dispersion  des  erra- 
tiques par  la  marche  des  glaciers  Scandinaves.  En  France,  M.  Charles 
Marlins  est  le  géologue  qui  le  premier  exposa  la  théorie  de  l'ancienne 
extension  des  glaces  sur  tout  le  nord  Scandinave;  dès  1840,  il  soutenait 
cette  opinion,  combattue  alors  par  des  hommes  tels  que  Berzelius  et 
Min-chison,  mais  acceptée  désormais  par  tous  les  savants.  Les  traces  de 
l'aclion  glaciaire,  stries,  polis,  moraines,  blocs  erratiques,  sont  trop 
visibles  pour  qu'il  soit  possible  de  les  contester  :  il  n'est  pas  de  carte 
géologique  de  la  Scandinavie  où  la  forme  des  collines  ne  témoigne  du  pas- 
sage des  glaciers  ;  il  n'est  guère  de  site  où  l'on  ne  reconnaisse,  comme 
dans  la  plaine  suisse  ou  sur  les  rives  méridionales  des  lacs  lombards,  ces 
«  paysages  morainiques  »  si  remarquables  par  leurs  buttes,  leurs  levées 
de  pierre  recouvertes  de  verdure,  leurs  petits  lacs  et  leurs  marais  épars 
dans  la  campagne.  De  même  que  dans  toutes  les  régions  recouvertes  jadis 
par  les  glaces,  on  voit  en  Scandinavie  des  amas  de  boues  glaciaires  et  des 
blocs  erratiques  en  si  grand  nombre,  qu'en  maints  endroits  ils  donnent 

'  M'ilin.  Milllieilungen  von  Pclcrmanu,  XI,  IS70. 

'       f  lofondeur  iiuiyeiine  de  l,i  Balliquo.  d'-ipros  Oito  Kiiiinmol ....         07  mètres. 

In  mer  du  .Nord         .•  ..         ....         89       » 

»                 >             l'Océan                      ■■  »        ....  5i52      » 


ANClEiNS  GLACIERS  DE   LA  SCANDINAVIE. 


85 


il  toute  la  contrée  une  physionomie  spéciale  :  on  signale  seulement  cenx 
qui  se  distinguent  par  d'énormes  dimensions,  par  une  forme  bizarre  ou  par 
l'oscillation  de  leur  masse  reposant  sur  une  base  étroite.  Même  de  loin,  le 
voyageur  qui  suit  les  côtes  de  la  Norvège  méridionale  distingue  parfai- 


N»   »l    CIiniSIIlMV    ET    SES  ILES. 


tement,  à  la  forme  arrondie  des  promontoires,  à  l'aspect  «  moutonné  » 
des  roches,  à  la  physionomie  générale  de  toute  la  contrée,  que  les  glaces 
ont  poli  la  pierre  en  glissant  sur  elle  pendant  des  siècles.  Dans  l'intérieur 
de  la  Suède,  des  collines  ont  été  comme  rasées  à  une  certaine  hauteur  : 
après  en  avoir  gravi  les  pentes,  on  se  trouve  sur  un  plateau  presque  uni, 
dont  la  puissante    masse  glacée  a  fait  dis[)arailre  les   roches  saillantes. 


86  NOUVELLE   GLOGRAPHIE   UNIVERSELLE 

Ainsi  usé  par  les  glaciers,  le  pays  a  pris  sur  de  vastes  étendues  un  aspect 
des  plus  monotones.  Même  les  tables  de  laves  qui  se  sont  épanchées  sur 
les  formations  anciennes  dans  le  voisinage  des  grands  lacs  ont  quelque  peu 
changé  d'aspect  depuis  que  les  glaces  en  ont  usé  les  saillies.  On  peut 
citer  en  exemple  les  deux  masses  polygonales  de  Halleborg  ou  Halleberg 
et  de  Hunneborg  ou  Hunncberg,  séparées  l'une  de  l'autre  par  une  étroite 
cluse,  où  passe  le  chemin  de  fer  de  Wenersborg  à  Jonkôping.  A  peine 
a-l-on  gravi  les  escarpements  de  l'une  ou  l'autre  montagne,  que  l'on  se 
trouve  sur  un  plateau  faiblement  accidenté,  parsemé  de  blocs  erratiques, 
entre  lescjuels  s'étendent  des  marais  et  des  lacs. 

Les  ornières  divergentes  tracées  par  les  glaces  autour  des  massifs  sont 
faciles  à  reconnaître,  même  en  plusieurs  endroits,  à  la  vue  d'une  simple 
carte,  sans  que  l'observateur  ait  à  parcourir  le  terrain.  Par  l'ensemble  de 
ses  traits,  la  représentation  de  tel  bassin  fluvial  raconte  encore  les  phé- 
nomènes divers  de  la  marche  des  glaciers  :  on  voit  leur  lit,  leurs  berges, 
la  marche  qu'ils  ont  suivie,  les  résistances  qu'ils  ont  rencontrées.  Des  îles, 
des  archipels,  limités  nettement  par  les  eaux  qui  les  entourent,  gardent 
encore  les  marques  les  plus  visibles  des  burins  qui  les  ont  sculptés.  Néan- 
moins, l'aspect  de  la  contrée  trompe  quelquefois,  et  c'est  à  tort  que  l'on  attri- 
bue à  l'action  des  glaciers  certains  alignements  dus  à  des  plis  de  roches 
ployées  par  l'effet  de  pressions  latérales.  Ainsi  le  groupe  d'îles  situé  dans  le 
fjord  de  Christiania,  immédiatement  à  l'ouest  de  la  capitale,  se  compose 
de  terres  toutes  orientées  dans  le  sens  du  nord-est  au  sud-ouest,  toutes 
entaillées  de  criques  et  séparées  de  détroits  ayant  la  même  direction;  les 
arêtes  de  ces  îles,  les  chenaux  des  passages,  les  bancs  de  sable  même 
affectent  une  disposition  parallèle.  Or  les  stries  burinées  par  les  anciens 
glaciers  sont  dirigées  précisément  à  angle  droit  de  tous  ces  plissements 
parallèles'. 

S'il  est  facile  désormais  d'expliquer  les  stries  des  roches  Scandinaves,  il 
est  plus  diflicile  de  se  rendre  compte  de  la  formation  des  (har,  levées  étroites 
de  hauteurs  variables,  de  5  à  (30  mètres,  qui  se  rencontrent  par  milliers  en 
Scandinavie,  dans  la  Finlande  et  la  Russie  septentrionale.  Basses  et  courtes 
dans  les  hautes  vallées,  où  on  les  connaît  sous  le  nom  de  kross-stcns  âsnr,  elles 
forment,  en  débouchant  dans  la  plaine  suédoise,  des  remparts  parallèles  qui 
se  prolongent  avec  peu  d'interruptions  à  des  distances  considérables,  même 
à  plus  d'un  degré  de  latitude.  Presque  parallèles  aux  stries  glaciaires,  dans 
le  sens  du  nord  au  sud  et  au  sud-est,  avec  des  ondulations  serpentines  à 

«  Th.  KjiMulf,  Cdile  giutoyiquc;  —  Alboit  llcim,  Suies  maïuisciitcs. 


ANCIENS  GLACIEUS  DE  LA  SCANDINAVIE.  89 

droite  et  à  gauche  comme  celles  d'un  fleuve,  elles  reçoivent  aussi  des  asar 
latéraux,  toutes  reproduisant  le  type  général  d'un  noyau  {kàrii)  composé 
de  pierres  arrondies  ou  anguleuses,  de  foutes  les  grandeurs,  non  stratifiées 
et  couvertes  d'un  «  manteau  »  dé  sable  et  de  limon,  bien  lavés  et  stratifiés 
par  les  eaux. 


Dapr>!?  Tûrncbolim. 

Los  asar  ont  él'i  rcprésenlês 


nlinus,  quoiqu'il  n'en  reste  que  drs  rragtneiits. 


On  signala  d'abord  les  levées  des  âsar  comme  ayant  été  de  prodigieuses 
moraines  ;  mais  on  cherchait  vainement  le  lit  des  glaciers  qu'elles  auraient 
longés,  et  l'on  constatait  que  les  pierres  du  noyau  sont  plus  arrondies 
on  moyenne  que  celles  des  moraines  latérales  dans  les  Alpes  :  l'on  arriva 
même  à  nier  avec  Berzélius  la  relation  directe  de  cause  et  d'effet  entre  les 
glaciers  et  les  â>ar'.  Axel  Kidinaiiii  alli-ibiie  aussi  l;i  lunnation  des  iisar  à 


Tli.  Kjrniir,  Die  Eiiwil,  Irailiirlinn  nllcinnndc   de  Ilaitun^ 


90  NOUVELLE   GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

l'action  des  eaux  marines,  qui,  ]iar  l'effet  des  changements  de  niveau  du 
sol,  auraient  repris  les  pierres  des  moraines  pour  les  aligner  en  cordons 
littoraux'.  II  est  vrai  que  plusieurs  âsar,  notamment  celui  que  l'on  voit 
immédiatement  au  nord  de  Stockholm,  et  dont  les  carriers  ont  déjà  déblayé 
une  partie  considérable,  sont  recouverts  de  coquilles  marines,  dos  mêmes 
espèces  que  celles  de  la  mer  Baltique  actuelle  ;  mais  ces  dépôts  coquil- 
liers  sont  tout  à  fait  superficiels  et  se  sont  formés  lors  d'un  abaissement 
temporaire  du  sol  après  l'époque  glaciaire.  Deux  théories  principales 
restent  en  présence  :  l'une,  proposée  par  M.  Tôrnebolim,  voit  dans  les 
âsar  des  alignements  de  débris  dus  à  des  torrents  sous-glaciaires  comme 
ceux  du  Grœnland  ;  l'autre  les  considère  comme  l'effet  d'une  sorte  île 
division  du  travail  dans  les  moraines  de  fond'.  Suivant  les  matériaux  qui 
les  composent  en  plus  grande  partie,  les  hautes  levées  des  âsar  sont  con- 
nues sous  les  noms  de  sandâsar  ou  «  faites  de  sable  »  et  de  rulhten- 
âsar  ou  «  faîtes  de  galets  «.  On  rencontre  également  dans  quelques  âsar 
des  entonnoirs  [âsgropar),  enfoncements  circulaires  ou  elliptiques  ayant 
jusqu'à  500  mètres  de  tour  et  davantage,  et  une  profondeur  variable  de 
5  à  '20  mètres  :  le  fond  en  est  rempli  d'argile,  déposée  jadis  par  les  eaux 
tourbillonnantes*.  Dans  l'as  de  Stiômsholm,  on  voit  59  de  ces  entonnoirs 
sur  une  distance  d'environ  140  kilomètres\  Ces  traces  d'anciens  remous 
ne  sont-elles  pas  comme  les  innombrables  chaudières  de  géants  (yâttc- 
i/ri/ter),  le  témoignage  de  l'action  des  torrents  et  rivières  qui  par- 
couraient la  nappe  do  glace  et  dont  le  lit  se  déplaçait  continuellement 
sous  l'effet  des  obstacles  qu'elles  rencontraient^?  En  Norvège,  où  les 
pentes  sont  beaucoup  plus  rapides  qu'en  Suède  et  où  par  conséquent 
les  cours  d'eau  et  de  glace  avaient  un  moindre  développement,  des 
cirques  montagneux  à  la  mer,  les  âsar,  connus  sous  le  nom  de  racr, 
n'atteignent  plus  le  même  développement,  et  ces  levées  se  sont  pour 
la  plupart,  d'après  M.  Kjcruif,  confondues  avec  les  moraines.  Le  mot 
norvégien  aas  s'applique  à  toutes  les  hauteurs,  même  aux  sommet? 
rocheux. 

L'as   le  plus  connu  de  la  Scandinavie  et  le  plus  souvent  décrit  est   cette 
longue  chaiiit!  (|ui,  sous  divers  noms,  Brnnkebergs  as,  Lângâscn,   et  d'au- 

'  Th.  Kjoriiir,  Die  Eiszeii,  Inulinlioii  ill|plllalull^  de  llailiiiig. 

■'  Cil.  Mjrliiis,  Bulletin  de  la  Sociélé  Gèologiiju:,  1815,  18  iG;  —  RdIutI  Cliainbers,  Eitinburijk 
Al  If  Pbil.  Journal,  18ôj;  ^  Axel  Krtlmann,  Carie  géolngiciiie  de  la  Suède. 
■•  l'ienv.  Kropolkin,  A'ote  manuscrites. 

*  Geolo{iiska  FOrenimjens  i  Stockholm  Fôrliandlingar.  vol.  I. 
'  A.  Erdinann,  Etptsi  des  formations  qaaternairts  de  la  Suéde. 
*>  Tui'iicljoliiii,  Notes  ntunuscritcs. 


ASAR  DE  LA  SUEDE. 


très  encore,  court  sur  une  longueur  de  plus  àe  100  kilonièlrcs.  du  littoral 
baltique,  au  sud  de  Stockholm,  jusqu'aux  environs  d'Lpsala.  Des  rives  de 
la  mer  jusqu'au  lac  Wettern,  près  d'Âskersund,  on  ne  trouve  pas  moins 


ASin    DINS    LF.   BASSI.N   DD    DAL-EI 


[  d.F 


-xr\i 


'.^- 


ForêU  somces  de  blocs  erratiques 

I  :  170  000 


de  liuit  fisar  principaux,  sans  compter  les  ramilicalions  secondaires  qui 
s'y  rattaclieni,  et  p:irmi  eux  il  en  est  qui  dépassent  nolablcment  en  lon- 
gueur ITis  de  Brunkebcrg.  Des  bords  du  lac  Miilaren,  près  d'Enkoping,  on 


92  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

peut  suivre  un  de  ces  cordons  d'anciens  galets  à  500  et  540  kilomètres  dans 
la  direction  du  nord.  Les  routes  empruntent  d'ordinaire  les  faîtes  des  âsar 
ou  en  longent  les  talus,  afin  d'éviter  les  marais  ou  les  terres  détrempées 
qui  s'étendent  à  droite  et  à  gauche;  pour  la  traversée  des  lacs,  des  âsar 
surgissant  au-dessus  des  eaux  sont  des  levées  naturelles  que  les  voyageurs 
peuvent  rejoindre  facilement  par  quelques  coups  de  rame.  Dans  le  Malaren, 
toute  la  partie  occidentale  du  lac  est  presque  entièrement  séj)arée  du  grand 
bassin  par  un  de  ces  remparts  d'une  régularité  singulière. 


Les  dépôts  d'alluvions  marines  que  l'on  trouve  reposant  sur  des  terres 
actuellement  émergées  témoignent  des  mouvements  qui  ont  agité  le  sol 
de  la  Scandinavie  depuis  l'époque  glaciaire.  D'abord  les  terrains  s'affais- 
sèrent et  le  niveau  de  la  mer  s'éleva,  relativemcnl  aux  plages,  de  150  et 
de  200  mètres,  peut-être  même  en  quelques  endroits  de  500  mètres,  ainsi 
que  le  prouvent  les  dépôts  d'origine  marine  avec  des  restes  d'animaux 
arctiques  reposant  sur  des  roches  siriécs  par  les  glaces.  Puis  il  se  fit  un 
mouvement  en  sens  inverse  et  le  sol  s'exhaussa,  ramenant  à  l'air  libre 
les  formalions  di'-posées  précédemment  au  fond  de  la  mer.  Pendant  ces 
alternatives  de  niveau,  le  relief  de  la  Scandinavie  dut  changer,  les  contours 
des  îles  et  des  péninsules  émergées  ne  ressemblant  pas  toujours  à  ceux  des 
terres  que  la  mer  avait  englouties.  C'est  ainsi  qu'une  vaste  région  silu- 
rienne qui  s'étendait,  aux  premiers  temps  de  l'époque  glaciaire,  le  long 
du  rivage  suédois,  immédiatement  au  nord  et  au  nord-ouest  de  l'archipel 
d'.\land,  n'émergea  pas  lors  de  la  réapparition  des  plaines  littorales  de  la 
Baltique.  L'ancienne  existence  de  ce  territoire  silurien  est  rappelée  par  les 
blocs  nombreux  de  calcaire  et  de  grès  que  les  glaciers  ou  les  glaces  flot- 
tantes ont  transportés  au  loin  vers  le  sud,  jusque  dans  le  voisinage  de 
Stockholm;  elle  est  rappelée  surtout  par  le  sol  très  fertile,  d'origine  cal- 
caire, qui  recouvre  toute  la  partie  du  littoral  entre  Gefle,  Westcrâs  et 
Stockholm.  Cette  terre  féconde  provient  de  l'érosion  continuelle  par  les 
glaces  flollantes  des  couches  de  calcaire,  d'argile  et  de  schistes  (jui  jadis 
occupaient  la  région  maritime  actuelle,  à  l'orient  de  Celle'. 

'  Anol  Eidinann.  Efi}Osà  dfs  formalions  qiialcrnniies  de  la  Suéde. 


SOULÈVEMENT   DE    LA    SCANDIN  WIE.  95 

-  Les  dépressions,  les  soulèvements  du  sol  sont  en  maints  endroits  des 
faits  d'une  telle  évidence  que  nul  géologue  ne  pouvait  nier  l'ancien  exhaus- 
sement des  plaines  Scandinaves;  mais  la  croyance  aux  brusques  révolutions 
terrestres,  aux  cataclysmes,  était  générale  autrefois,  et  tous  pensaient  que 
les  changements  de  niveau  entre  la  terre  et  les  mers  étaient  l'œuvre  d'un 
jour  et  coïncidaient  avec  une  transformation  de  toute  l'économie  plané- 
taire. L'étonnement  fui  grand  quand  les  premiers  observateurs  parlèrent 
d'un  déplacement  continu  des  rivages  s'accomplissant  avec  une  extrême 
lenteur,  et  les  savants  les  plus  éminents,  attachés  aux  idées  qu'ils  avaient 
professées  et  qui  avaient  fait  leur  réputation,  repoussèrent  longtemps 
comme  une  hérésie  la  nouvelle  hypothèse  qui  leur  était  soumise.  Cepen- 
dant, depuis  un  temps  immémorial,  les  paysans  et  les  pêcheurs  des  rives 
du  golfe  de  Botnie  avaient  reconnu  l'accroissement  graduel  de  leurs  côtes 
et  l'amoindrissement  des  eaux;  les  vieillards  montraient  les  divers  points 
du  littoral  où  la  mer  venait  affleurer  pendant  leur  enfance  et,  dans 
l'intérieur  des  terres,  les  plages  tracées  jadis  par  les  flots.  D'ailleurs 
les  noms  de  lieux,  la  position  plus  ou  moins  continentale  de  porls  aban- 
donnés, d'édifices  construits  autrefois  sur  le  rivage,  les  débris  de  ba- 
teaux trouvés  loin  de  la  mer,  enfin  les  monuments  écrits  et  quelques 
passages  des  chants  populaires  ne  pouvaient  laisser  aucun  doute  sur  la 
retraite  des  eaux  marines.  La  première  Luleâ,  fondée  par  Gustave-Adolphe, 
avait  paru  se  déplacer  de  plusieurs  kilomètres  vers  l'ouest  dans  l'espace 
d'un  siècle  et  demi  :  de  port,  elle  était  devenue  bourgade  champêtre 
et  il  hillut  reconstruire  à  l'est  une  nouvelle  ville'.  En  1750,  Celsius,  le 
premier,  se  crut  autorisé,  par  la  comparaison  de  Ions  les  témoignages 
recueillis,  à  émettre  l'hypothèse,  non  d'un  soulèvement  du  sol  de  la 
Scandinavie,  mais  d'un  abaissement  graduel  de  la  Baltique,  dans  la  pro- 
portion d'un  peu  plus  d'un  centimètre  par  an.  11  fut  accusé  d'impiété 
par  les  théologiens  de  Stockholm  et,  même  dans  le  Parlement,  les  deux 
ordres  du  clergé  et  des  bourgeois  condamnèrent  son  abominable  proposi- 
tion*. Pourtant  un  point  de  repère  taillé  en  1751  par  Celsius  et  Linné  à  la 
base  d'un  rocher  de  l'île  Lôfgrund,  non  loin  de  Geflc,  révéla,  treize  ans  plus 
tard,  une  différence  de  niveau  évaluée  à  18  centimètres.  En  1749,  un 
voyageur  maintenant  oublié,  l'Autrichien  Ilell,  affirmait  aussi  que  la  sur- 
face de  l'Atlantique  boréal  s'abaissait  près  du  cap  Nord,  autour  do 
l'île  Maaso'. 

'  Lcnpiild  von  liucti,  Rcisc  diirch  Nomcyen  uml  Lapplnnd. 

'  Anton  von  Elïi'l,  Die  OsOee. 

'  Osc:ir  l'cscliol,  Acue  Vrohicme  ilir  rcrghichcnden  Enllunrle. 


94  NOUVEI-LE   GEnORAPIIIE   CMYEUSELLE. 

Actuellemenl,  il  serait  impossible  de  repousser  dans  son  entier  l'iiypn- 
thèse  de  Celsius,  d'après  laquelle  l'émersion  des  côtes  de  la  Scandinavie  du 
nord  serait  due  à  l'abaissement  du  niveau  de  la  Baltique.  On  sait  que  la 
surface  de  la  mer  n'est  pas  d'une  parfaite  régularité  géométrique,  et  que 
les  eaux  sont  plus  ou  moins  hautes  dans  certains  parages,  par  l'effet 
d'attractions  locales  des  montagnes  ou  des  couches  profondes  :  ainsi,  dans 
la  Baltique  même,  les  mesures  trigonométriques  exactes  ont  établi  qu'elle 
est  d'un  demi-mètre  environ  plus  haute  sur  les  rivages  de  Memel  que  sur 
ceux  de  Kiel  et  d'Eckernfôrde '.  Toutefois,  ainsi  que  l'avait  déjà  dit  Lazzaro 
Moro,  il  y  a  plus  d'un  siècle,  c'est  la  terre  et  non  point  la  mer  qui 
est  surtout  l'élément  mobile  et  changeant  :  c'est  elle  qui  se  soulève  et 
s'abaisse  relativement  au  niveau  peu  mobile  de  l'Océan.  En  1807,  Léopold 
de  Buch  le  premier  renversa  l'hypothèse  de  Celsius  et  proclama  que  la 
masse  entière  de  la  Scandinavie  s'élève  d'un  mouvement  séculaire  au- 
dessus  des  mers  environnantes.  Depuis  cette  époque,  les  géologues  ont 
reconnu  des  phénomènes  d'exhaussement  sur  de  nombreux  rivages,  dans 
l'ancien  et  dans  le  nouveau  monde ,  et  jusque  parmi  les  îles  de  l'Océanie; 
mais  la  Scandinavie  est  toujours  celle  de  toutes  les  contrées  où  l'on  a 
fait  le  plus  grand  nombre  d'observations  sur  les  mouvements  du  sol  :  elle 
est  le  type  auquel  sont  comparées  toutes  les  autres  terres  soulevées  avec 
lenteur  \ 

Les  débris  maritimes  qui  témoignent  de  l'apparilion  récente  des 
terres  Scandinaves  se  rencontrent  en  beaucoup  d'endroits.  Des  osse- 
ments de  cétacés  ont  été  découverts  çà  et  là  dans  l'intérieur.  En  1860 
notamment,  on  trouva  au  nord-est  de  la  ville  de  Warberg,  près  du  lac 
Wcselângen,  à  l'altitude  d'environ  20  mètres,  des  restes  qui  furent  re- 
connus par  M.  Lilljeborg  comme  ayant  appartenu  à  une  baleine  mysti- 
cetus.  Des  bancs  de  coquillages  modernes  contournent  les  flancs  des 
collines  ou  des  montagnes  à  des  hauteurs  diverses  et  jusqu'à  178  mètres 
d'altitude,  non  loin  de  Trondhjem";  toutefois,  il  faut  le  dire,  les  coquilles 
marines  que  l'on  trouve  sur  ces  terrasses,  à  divers  étages,  n'appartien- 
nent pas  toutes  exactement  à  la  même  faune.  Les  lits  les  plus  élevés  sont 
composés  d'espèces  de  la  zone  arctique,  dont  les  congénères  vivent  en- 
core sur  les  côtes  du  Spitzberg  ;  plus  bas,  les  couches  consistent  en  espèces 
d'une  faune  moins  glaciale,  et  près  du  rivage  les  cocjuillos  sont  exactement 
les  mêmes  (pie  celles  des  mers  voisines.  Ainsi  peut  se  mesurer  l'aniéliora- 

'  Millhciliitujeit  von  ]'etermaun,  1875,  p.  229. 

-  I.yi'll,  Hise  ofLniid  in  Swcilen,  I'liil(iso|)liical  Transactions,  1855. 

'  Tli.  Kji'iulf;  —  Mnliii,  iV(/<  ilaijatin  for  ^'aliirvidenskaberne.  Chiislmnia,  1876. 


SOULÈVEMENT   DE    L\    SCANDINAVIE.  95 

tion  graduelle  du  climat  pendant  toute  la  période  d'exiiaussement  qui 
se  continue  encore  pour  la  Scandinavie  '. 

Les  traces  du  soulèvement  récent  des  côtes  sont  en  maints  endroits  par- 
faitement visibles  de  la  mer  :  des  îles,  des  promontoires  portent  encore 
à  des  hauteurs  diverses  les  ceintures  émergées  des  anciennes  plages. 
L'ancienne  berge  de  Trondhjem  est  assez  nettement  marquée  pour  que  de 
la  ville  on  puisse  la  suivre  du  regard  sur  le  flanc  de  la  montagne.  Mais 
c'est  principalement  sur  le  littoral  du  P'inmark  que  l'on  peut  reconnaître 
sans  peine  les  hauts  rivages  abandonnés,  la  vue  n'étant  point  arrêtée  par 
les  arbres  et  les  broussailles.  Au-dessus  de  Vadsô,  ville  riveraine  du 
Varanger-fjord,  on  voit  se  succéder  sur  les  flancs  du  plateau  d'énormes 
degrés,  semblables  aux  marches  d'un  escalier  :  ce  sont  des  plages  délais- 
sées, dont  l'une  n'a  pas  moins  de  745  mètres  de  largeur,  et  qui  sont  cou- 
vertes de  cailloux,  en  tout  semblables  à  ceux  de  la  rive  actuelle,  quoique 
revêtus  de  mousse  et  légèrement  rongés  par  les  intempéries.  Tromsô,  la 
capitale  de  la  province  du  nord,  est  elle-même  bâtie  sur  une  plage  soule- 
vée, où  se  trouvent  des  lits  entiers  de  coquillages  des  espèces  qui  habitent 
maintenant  la  mer  voisine.  Au-dessus  de  cette  plage  exhaussée,  que  le 
regard  suit  comme  une  ligne  blanche,  sur  tout  le  pourtour  des  îles 
et  de  la  terre  ferme,  on  distingue  nettement  une  autre  terrasse  dont  la 
hauteur,  relativement  à  la  première,  varie  de  4  à  6  mètres  et  où  se  sont 
construites  la  plupart  des  maisons  de  pêcheurs  :  sur  celte  ancienne  grève, 
les  coquillages  sont  aussi  très  nombreux.  EnOn,  à  l!2  mètres  plus  haut, 
on  remarque  une  autre  plage  d'érosion,  mais  celle-ci  est  en  partie  recou- 
verte par  les  éboulis  des  roches  supérieures. 

Sur  les  rives  suédoises  de  la  Baltique,  le  mouvement  d'émcrsion  est  le 
plus  rapide  du  côté  du  nord.  Tandis  qu'à  l'extrémité  septentrionale  du 
golfe  de  Botnie  le  soulèvement  est  évalué  à  1"',00  par  siècle,  il  ne  serait 
plus  que  d'un  mètre  par  le  travers  des  îles  d'Aland,  et,  vers  Kalmar,  le 
niveau  relatif  de  la  terre  et  de  la  mer  ne  changerait  point.  La  pointe  ter- 
minale de  la  Scanie,  qui  se  relève  peut-être  mainlenant%  paraît  s'être 
enfoncée  graduellement  sous  les  eaux  de  la  Baltique.  Plusieurs  rues  des 
villes  de  Trelleborg,  Yslad,  Malniô,  ont  déjà  disparu  :  celle  dernière  s'est 
abaissée,  de  l°',r)0  depuis  les  observations  faites  par  Linné,  et  la  côte  a 
perdu  en  moyenne  une  zone  de  50  mètres  de  large.  Des  forêts  immergées 

•  Svi'ii  Lnvén,  Mémoires  de  l'Acad.  des  Sciences  île  Suède,  1859,  l8iG;  —  MIsson,  Les  llabi- 
lanls  primilifs  de  la  Scandinavie. 

*  Ax('l  Erdinaiiii,  Geo/,  foren  »  Slockholin  Fuiliamll.,l.  I.  p.  95. —  Jcnlzsdi,  l'Iiysiscli-œkonc- 
misclic  GcsdUclinfl  zu  KOniijihci  j,  187ô.  n"  2. 


98  NOUVELLE    GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

et  des  couches  de  tourbe  que  l'on  trouve  à  une  certaine  distance  des  plages 
actuelles,  et  où  l'on  a  recueilli  des  objets  en  métal,  ont  fait  penser  aux 
géologues  que  depuis  le  neuvième  siècle  la  dépression  a  été  de  4  à  5  mètres. 
Ils  ont  pu  comparer  la  péninsule,  du  moins  dans  toute  sa  partie  orientale, 
à  un  plan  solide  tournant  autour  d'une  charnière,  située  dans  le  voisi- 
nage de  Kalmar.  Grâce  à  ce  mouvement,  le  golfe  de  Botnie  s'épanche- 
rait avec  lenteur  dans  le  bassin  méridional  de  la  Baltique,  et  si  l'élévation 
du  fond  continuait  de  s'accomplir  avec  la  même  l'égularité  que  depuis  le 
milieu  du  siècle  dernier,  trois  ou  quatre  mille  années  suffiraient  pour  chan- 
ger en  isthme  l'archipel  des  Qvark,  voisin  de  l'embouchure  de  l'Umeâ, 
et  pour  faire  un  lac  d'eau  douce  de  toute  la  partie  septentrionale  du  golfe. 
Mais  sur  les  côtes  de  la  Norvège  le  mouvement  est  loin  de  présenter  la 
même  régularité,  et  nulle  part  il  ne  paraît  être  aussi  rapide  que  dans  le 
Norrland  suédois  :  il  semble  même  que  le  phénomène  d'élévation  n'a  pas 
eu  lieu  en  plusieurs  endroits  du  littoral  norvégien,  même  dans  le  nord. 
Ainsi  File  de  Tiôtô,  dont  parlent  les  sagas,  est  de  nos  jours  une  grande 
île  basse,  comme  aux  premiers  temps  de  l'histoire  de  Norvège  ;  d'après 
Keilhau,  l'élévation  de  l'île  de  Munkholmen,  près  de  Trondhjem,  ne  peut 
avoir  dépassé  6  mètres  pendant  les  dix  derniers  siècles,  car  les  vieilles 
construclions  qu'elle  porte  furent  certainement  élevées  au-dessus  de  la 
mer;  enfin  un  écueil  de  la  baie  de  Trondhjem,  sur  lequel  un  nageur  pou- 
vait prendre  ])ied  du  temps  des  premiers  viking,  se  trouverait  encore 
à  la  même  profondeur  au-dessous  de  l'eau.  A  Christiania,  d'après  Eugène 
Bobert,  l'exhaussement  aurait  été  nul  depuis  trois  cents  ans;  mais  d'au- 
tres ont  trouvé  une  pousf^ée  de  51  centimètres  par  siècle  pour  Moss  et 
les  rives  du  fjord'.  Du  reste,  les  anciennes  grèves  qui  se  prolongent  sur 
les  flancs  des  montagnes  du  littoral  norvégien  ne  se  maintiendraient  pas 
toutes  à  la  même  altitude.  Celle  de  Trondhjem  est,  d'après  Kjerulf,  d'une 
liorizoulalilé  parfaite,  mais  les  mesures  dues  à  Bravais  ont  prouvé  que  les 
lignes  d'érosion  de  1  Altcn-fjord,  près  de  Bossekop,  ne  sont  point  parai- 
lèlcs  et  que  les  masses  rocheuses  situées  vers  le  fond  des  golfes  ont  été  le 
plus  énergiquemenl  soulevées'.  A  l'e.xtrémité  orientale  du  fjord,  les  deux 
banquettes  superposées  se  trouvent  respectivement  à  67"", 4  et  à  27"", 7 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  tandis  que  ces  grèves,  s'abaissant  progres- 
sivement vers  l'entrée,  n'y  sont  plus  qu'aux  altitudes  de  28", 6  et  de  1 4"\  I . 
De  même  (pic  pendant  la  période  actuelle,  les  oscillations  qui  se  sont  ])ro- 


'  T.  KJL'i'ulf,  Slenriijel  og  Fjeldlâren. 

*  Vui/aye  en  Scandinavie,  ii  boiil  di^  la  Recherche. 


SOULÈVEMENT   DE   LA   SCANDINAVIE.  97 

duites  dans  la  masse  de  la  péninsule  Scandinave  pendant  la  période  gla- 
ciaire ont  été  fort  inégales.  Tandis  que  sur  le  penchant  septentrional  du 
plateau  du  Smâland  et  de  la  Vestrogothie  les  argiles  de  formation  sous- 
marine  se  montrent  en  plages  à  200  ou  250  mètres  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer  actuelle,  elles  ne  se  trouvent  qu'à  58  mètres  environ  dans  le 
Halland  méridional  et  sur  les  frontières  méridionales  du  Smâland  ;  en 
Scanic  enfin,  on  les  voit  à  des  hauteurs  variables  de  15  à  50  mètres'. 
Ces  lits  de  coquillages  sont  exploités  en  certains  endroits  pour  les  amende- 
ments agricoles. 

Les  périodes  de  soulèvement  ont  dû  être  interrompues  souvent  par  des 
âges  de  repos  plus  ou  moins  longs,  car  si  la  plupart  des  terrasses  sont  des 
moraines  égalisées  par  les  flots  et  d'anciens  deltas  d'alluvions  apportées  par 
les  rivières  de  l'intérieurS  il  en  est  aussi  que  les  flots  ont  creusées  dans 
l'épaisseur  du  rocher.  Or,  de  pareilles  échancrures  ne  peuvent  avoir  été 
taillées  dans  la  pierre  dure  que  par  un  travail  prolongé  pendant  un  nombre 
considérable  de  siècles  :  des  roches  émergeant  avec  lenteur  n'auraient  pu 
être  que  faiblement  usées  à  la  surface".  Comment  expliquer  aussi,  autre- 
ment que  par  un  long  temps  d'arrêt  dans  le  soulèvement  du  littoral,  cer- 
taines «  marmites  de  géants  »  ou  jdtte(jryter,  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
avec  celles  qui  proviennent  de  l'action  des  torrents  glaciaires,  et  qui  sont 
dues  à  l'action  du  flot  marin  faisant  tournoyer  les  pierres  dans  les  fissures 
du  granit  ou  des  schistes?  A  l'ouest  du  Lindesnaes,  une  de  ces  banquettes, 
nivelée  par  le  heurt  des  vagues,  se  continue  dans  l'intérieur  de  la  roche 
par  une  série  de  marmites  ovales  d'une  régularité  parfaite,  forées  horizon- 
talement dans  la  paroi,  et  l'une  d'elles  jusqu'à  8  mètres.  La  roche  n'a-t-elle 
pas  dû  longtemps  garder  son  niveau  pour  que  les  eaux  aient  pu  terminer 
ce  travail  !  D'après  Lyell',  le  soulèvement  de  la  côte  norvégienne  représente- 
rait une  période  d'au  moins  24  000  ans.  M.  Kjerulf,  prenant  pour  argu- 
ment les  nombreuses  cascades  du  littoral  et  la  grande  profondeur  des  fjords, 
croit  que  le  mouvement  d'élévation  a  été  beaucoup  plus  rapide \  Depuis  la 
fin  de  l'époque  glaciaire,  les  torrents  n'ont  pas  encore  eu  le  temps  d'égaliser 
leurs  lits  et  de  combler  les  gouffres  profonds  des  golfes  dans  lescpiels  ils 
se  jettent;  mais  que  de  siècles  il  faut  pour  égaliser  le  lit  d'un  fleuve! 

L'opinion  la  plus  commune  parmi  les  géologues  Scandinaves  est  que 


'  Axel  Erdmann,  Exposé  dex  formulions  quaternaires  de  la  Suéde. 
'  Sexe,  On  Ihe  risc  of  land  in  Scandinavia. 

'  n.  Mohn,  Slrandlinier  t  Sorye;  Nyl  Magazin  for  NalurTidcnskabcrnc.  Christianin,  1876. 
*  Antiquilij  of  Man. 

'  Om  Tcrrasserne  i  iSorgc  og  daes  Dclydmng  for  Tidsregningen  tilbage  til  Istidcn. 
V.  13 


■98  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

la  pression  des  forces  intérieures  n'agit  pas  d'une  manière  générale  du 
sud  au  nord  de  la  péninsule,  mais  qu'elle  se  produit  par  ondulations, 
en  laissant  entre  les  diverses  régions  d'exhaussement  des  espaces  inter- 
médiaires immobiles  ou  du  moins  très  lentement  soulevés  '.  Mais  cette 
théorie  ne  peut  être  définitivement  mise  hors  de  doute  que  par  l'observation 
rigoureuse  et  la  comparaison  des  points  de  repère  fixés  en  diverses  parties 
du  littoral  maritime  et  sur  le  bord  des  lacs  de  l'intérieur.  Depuis  1852, 
on  étudie  jour  par  jour  le  niveau  moyen  de  la  mer  et  de  la  plaine  Scandi- 
nave sur  treize  points  de  la  côte  et  sur  les  bords  du  Mâlaren,  du  Hjel- 
maren,  du  Wcttern  et  du  Wenern.  Grâce  à  ces  mesures  précises,  qui  jus- 
qu'à maintenant  ont  paru  constater  l'mégalité  de  la  poussée,  on  pourra 
tôt  ou  tard  se  rendre  compte  des  ondulations  du  sol  et  savoir  dans  quelle 
mesure  les  montagnes  de  la  Scandinavie  participent  aux  mouvements  du 
socle  maritime  qui  les  porte. 

Quelle  est  la  cause  des  exhaussements  du  sol,  reconnus  pour  la  première 
fois  en  Scandinavie?  Faut-il  y  voir  un  phénomène  local,  sans  rapport  direct 
avec  les  autres  frémissements  du  sol  européen,  ou  bien  un  fait  dépendant 
de  la  grande  vie  planétaire?  L'abaissement  du  niveau  marin  y  entre-t-il 
pour  une  certaine  part,  et  la  surface  de  la  mer  est-elle  variable  comme  celle 
du  sol?  Plusieurs  causes  agissent-elles  ensemble,  tantôt  se  neutralisant, 
tantôt  s'ajoutant  l'une  à  l'autre?  Le  temps  n'est  pas  venu  de  répondre  avec 
certitude.  Oscar  PescheP  se  demandait  si  les  oscillations  de  la  Scandinavie 
ne  proviennent  pas  des  changements  de  volume  que  subissent  incessam- 
ment les  silicates  des  roches.  En  se  cristallisant,  les  silicates  occupent  un 
moindre  espace;  ils  secontractentet  toute  la  masse  surincombante  s'abaisse; 
mais,  sous  l'influence  de  l'acide  carbonique,  dégagé  par  les  innombrables 
organisinos  de  la  mer,  les  roches  se  dilatent  de  nouveau',  et  le  continent 
est  soulevé.  C'est  ainsi,  grâce  aux  infiniment  petits,  que  les  terres  monte- 
raient peu  à  peu  au-dessus  des  eaux. 


VI 


La  brièveté  de  la  période  qui  s'est  écoulée  depuis  l'époque  glaciaire 
est  probablement  l'une  des  grandes  causes  de  l'état  d'inachèvement  dans 
lequel  se  trouvent  encore  les  versants  maritimes  de  la  contrée.  Le  prin- 

'  A\il  KnliiiaiiM.  Mémoires  de  rAcafli'inie  des  Sciences  de  Suéde,  ISôO. 

*  ISeite  l'iuhiciiie  der  veryleiclicnden  Eidkiiiidf. 

^  BiscliolT,  Lehrbucli  der  chemischen  und  phijsikatischen  Géologie. 


LACS  DE  Li  SCANDINAVIE.  99 

cipal  travail  géologique  des  eaux  courantes  est  de  régulariser  les  jiontes 
en  leur  donnant  une  courbe  parabolique  de  la  source  à  l'embouchure.  Les 
différences  des  terrains,  les  oscillations  du  sol,  les  mille  phénomènes 
entremêlés  de  la  vie  planétaire  n'ont  pas  permis  à  un  seul  fleuve  de  la 
Terre  l'accomplissement  définitif  de  son  œuvre  ;  mais  nulle  part  l'irrégu- 
larité des  lits  fluviaux  n'est  plus  grande  qu'en  Scandinavie  :  ces  lits  for- 
ment une  succession  de  gradins,  et  non  une  courbe  régulière,  indiquant 
l'œuvre  prolongée  de  l'eau  courante'. 

Déjà,  nous  l'avons  vu,  les  étangs  et  les  lacs  sont  nombreux  sur  les  pla- 
teaux norvégiens  et  dans  les  hautes  vallées  qui  servent  de  cols  entre  les 
deux  versants.  Du  côté  de  l'Atlantique  boréal,  les  escarpements  ont  trop 
peu  de  largeur  pour  retenir  beaucoup  de  lacs  dans  leurs  vasques  de  granit, 
et  ceux  qui  s'étendent  à  la  base  ne  sont  que  des  fragments  découpés  des 
Ijords  ;  mais  sur  le  versant  suédois  et  sur  les  pentes  norvégiennes  tournées 
vers  le  Kattegat  et  le  Skager  Rak,  les  bassins  emplis  d'eau  parsèment  le 
sol  en  multitudes.  La  Finlande  méridionale  est  la  seule  contrée  d'Europe 
où  ils  soient  plus  nombreux  en  proportion.  C'est  au  treizième  de  la  super- 
ficie totale  de  la  péninsule  que  l'on  évalue  la  surface  couverte  de  lacs 
dans  la  Scandinavie  '  ;  mais  dans  certaines  régions  de  la  Suède,  no- 
tamment dans  leSôdermannland,  entre  Stockholm  et  Norrkoping,  les  lacs  et 
les  étangs  occupent  une  si  grande  partie  de  ce  territoire  qu'on  s'habitue  à 
les  rencontrer  dans  toutes  les  directions  :  «  on  n'y  fait  pas  plus  attention 
qu'aux  arbres  dans  la  forêt.  »  «  Lorsque  Dieu  sépara  la  terre  de  l'eau,  dit 
un  proverbe,  il  oublia  le  Sôderraannland.  »  Fresque  toute  la  Suède  méri- 
dionale a  conservé  le  même  aspect  inachevé  :  la  surface  lacustre  y  occupe 
plus  de  la  huitième  partie  du  sol.  La  plupart  des  lacs  n'ont  point  de  maisons 
sur  leurs  bords;  des  forêts  silencieuses  de  sapins,  de  bouleaux  et  deciiènes, 
d'où  s'élève  rarement  un  chant  d'oiseau,  réfléchissent  leur  branchage  dans 
l'eau  verdàtreou  rougie  parle  tannin  des  bruyères  ;  des  champs  de  roseaux 
occupent  les  bancs  du  littoral,  tandis  qu'ailleurs  des  blocs  et  des  collines 
naissantes  montrent  leurs  têtes  au-dessus  de  la  surface;  aucune  voile 
n'anime  l'étendue  solitaire  des  eaux  :  une  barque  attachée  an  rivage,  une 
cabane  dans  une  clairière  voisine,  c'est  là  tout  ce  qui  rappelle  le  séjour  de 
l'homme. 

'  Ilartung,  Beitrag  zur  Kcnntniss  von  TIml-  und  Seebildungen,  Zeilschrift  dcr  Gescllschaft   fijr 
Erdkunde,  n"  i  et  b,  1878. 

î  Lacs  de  la  Suède -42570  kil.  carrés,  soit     110  du  leniloirc. 

Norvège I"'23n        ,.  »       I  2» 

Lacs  de  la  presqu'île  Scandinave  ....     57800  kil.  carrés,  soil     1,15  du  leniUure. 


100  NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

Il  est  certain  toutefois  que  l'étendue  des  eaux  lacustres  a  considérablenienl 
diminué  depuis  l'époque  historique,  en  partie  par  le  travail  des  rivières 
qui  ont  abaissé  des  seuils  de  rochers  et  déblayé  des  moraines  et  des  âsar, 
en  partie  par  le  labeur  de  l'homme  qui  a  creusé  çà  et  là  des  fossés  de 
dessèchement.  Les  débris  d'enceintes  fortifiées  que  l'on  rencontre  si  nom- 
breux au  sommet  des  collines  et  des  promontoires  sont  maintenant  entourés 
de  tourbières,  de  marais  et  de  prairies  marécageuses  :  un  examen  attentif 
de  ces  terres  basses  en  voie  de  comblement  montre  qu'elles  étaient  jadis 
des  lacs  ou  des  golfes  navigables  et  l'on  y  a  même  trouvé  des  restes 
d'embarcations.  Les  enceintes  fortifiées  étaient  donc,  au  moins  partielle- 
ment, défendues  par  les  eaux'.  Dans  une  contrée  si  riche  en  lacs,  en 
étangs,  il  était  tout  naturel  de  s'établir  dans  une  île  ou  dans  une  pénin- 
sule pour  se  mettre  à  l'abri  des  incursions  soudaines  :  c'est  ainsi,  par 
des  postes  insulaires,  que  presque  toutes  les  villes  suédoises  ont  com- 
mencé. 

Les  plus  grands  lacs  de  la  Suède  sont  eux-mêmes  un  exemple  de  l'assè- 
chement graduel  qui  se  fait  en  Scandinavie.  Jadis  unis,  ils  formaient  un 
détroit  entre  la  mer  du  ÎNord  et  la  Baltique  :  d'anciennes  plages  couvertes 
de  fossiles  en  sont  la  preuve.  On  a  trouvé  des  huîtres  sur  la  rive  méri- 
dionale du  lac  Mâlaren  et  en  beaucoup  d'autres  endroits  de  la  Scandinavie 
orientale,  indice  certain  que  des  mers  ayant  au  moins  17  parties  de  sel 
sur  1000  parties  d'eau  lavaient  autrefois  les  rivages  de  la  contrée*.  Une  des 
îles  du  lac,  Bjôrkô,  était  naguère  parsemée  d'ossements  d'oiseaux  de  mer, 
aussi  bien  conservés  que  si  l'île,  encore  environnée  d'eaux  marines,  ve- 
nait d'être  abandonnée  par  les  mouettes  couveuses*.  Bien  plus,  dans  les 
profondeurs  des  lacs  vivent  de  petits  animaux  d'origine  océanique  dont 
l'organisme  s'est  adapté  peu  à  peu  à  l'eau  douce  qui  remplaça  par  degrés 
l'eau  salée  dans  les  cavités  lacustres*.  Même  le  lac  norvégien  Mjosen,  qui 
se  trouve  pourtant  bien  éloigné  du  détroit  marin  dont  le  Wetlern  et  le 
Wenern  faisaient  partie,  renferme  dans  ses  abîmes  une  espèce  animale, 
mysis  relicta,  qui  témoigntï  d'une  ancienne  communication  avec  les  mers 
voisines,  aussi  froides  alors  que  l'est  de  nos  jours  l'océan  Arctique. 

Désormais  séparés  du  flot  marin  par  des  isthmes  graduellement  élargis, 
les  grands  bassins  lacustres  qui  partagent  la  Suède  en  deux  régions  dis- 
tinctes se  sont  élevés  avec  l'ensemble  de  la  contrée,  et  maintenant  leur 

'  A\el  Erdmiiiin,  Exposé  des  fornuitinns  qualeniniics  de  la  Suède. 

"  Von  Baci-,  Bulletin  de  rAcadémie  des  Sciences  de  Sainl-Pétersbourg,  tome  IV,  1862. 

'  Stolpc,  Revue  d'Anthropologie,  tome  11,  n°  5,  1875. 

•  Svcn  Lovén;  —  Sars;  —  Charles  Marliiis. 


WEiNERN,   WETTERN,  MÀLAREN. 


101 


niveau  est  supérieur  à  celui  de  la  mer,  bien  que  le  lit  de  la  plupart  d'entre 
eux  se  trouve  encore  au-dessous  de  la  surlace  de  la  Baltique.  Le  Wenern,  le 


N°   2».    LiCS    WENEEX    ET   WEITERN'. 


Profondeurs  au-dessous  du  niveau        De  0  i  50  m.  au-dessus  du  niveau  De  SO  m.  au-dessus  du  niveau 

de  la  mer.  de  la  nier.  de  la  mer,  au  delà. 


plus  vaste  des  lacs  Scandinaves,  puisqu'il  comprend  à  lui  seul  un  dixième 
de  toutes  les  eaux  intérieures  de  la  Scandinavie,  est  à  l'allitudc  moyenne 
de  plus  de  44  mètres;  mais  dans  ses  parties  les  plus  profondes  la  sonde  a 


103 


NOUVELLE  GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 


mesuré  89  mètres.  Comparé  au  Léman,  le  Wenern  est  un  réservoir  de  deux 
à  trois  fois  plus  considérable  par  sa  contenance,  mais  il  ne  formerait 
que  le  quart  du  Ladoga.  Le  Wettern,  deux  fois  plus  élevé  que  le  Wenern, 
est  aussi  plus  creux  :  le  fond  du  lit,  à  126  mètres,  est  encore  de  58  mètres 
inférieur  au  niveau  des  mers  environnantes.  Le  Hjelmaren,  plus  rapproché 
de  la  Baltique  et  supérieur  de  25  à  24  mètres  seulement  à  la  surface  ma- 
rine, est  le  seul  des  grands  lacs  de  l'ancien  détroit  qui  n'atteigne  pas  dans 
ses  profondeurs  l'altitude  du  plan  maritime  :  il  n'a  que  18  mètres  dans  les 


X"    25.    LAC    UALAREN. 


parties  les  plus  creuses  de  son  bassin.  Aussi  pourrait-on  le  vider  entière- 
ment dans  le  lac  Mularen,  en  approfondissant  le  canal  de  jonction,  et 
conquérir  ainsi  plusieurs  centaines  de  kilomètres  carrés  :  du  moins  tra- 
vaille-l-on  à  réduire  de  2  mètres  le  niveau  du  lac  et  à  le  régler  au  moyen 
d'un  barrage,  qui  laissera  échapper  au  besoin  plus  de  150  mètres  par 
seconde;  grâce  à  ces  travaux,  des  milliers  d'hectares  de  terre  seront  sous- 
traits aux  inondations'. 

Quant  au  lac  Malaicn,  il  n'est  pas  encore  entièrement  séparé  de  la  mer  : 


'  Djuikliiu,  lljclm(ircsiiiiknin(is-fruijan  i  sill  sisia  skcde. 


WENERN,   WETTERN,  MALAREN,   IIJELMAREN.  103 

il  est  toujours  golfe  par  l'une  de  ses  extrémités,  et  quand  les  vents  d'est 
soutiennent  le  niveau  des  eaux  lacustres,  un  courant  maritime,  Vuppsjô, 
fait  pénétrer  un  peu  d'eau  saline  dans  la  partie  orientale  du  lac.  Avec 
ses  nombreux  détroits,  ses  treize  cents  îles,  îlots  ou  récifs,  cette  mer  inté- 
rieure doit  être  considérée,  non  comme  une  seule  nappe  d'eau,  mais 
comme  un  ensemble  de  bassins  séparés  ayant  chacun  son  niveau  propre, 
légèrement  différent  de  celui  des  autres.  Il  se  compose  en  réalité  de  quatre 
biefs,  disposés  de  l'ouest  à  l'est  comme  les  degrés  d'un  escalier.  Le  degré 
supérieur,  qui  est  le  bassin  de  Kôping,  est  à  une  hauteur  moyenne  dépas- 
sant de  74  centimètres  le  niveau  de  la  Baltique;  le  deuxième  bassin,  celui 
des  fjords  de  Westeras,  est  à  l'altitude  de  60  centimètres  ;  la  nappe  du 
Bjôrkfjârd  se  trouve  à  la  cote  moyenne  de  45  centimètres,  tandis  que  le 
bassin  oriental,  qui  baigne  la  ville  de  Stockholm,  le  Riddarfjard,  est  d'un 
pied  en  moyenne,  soit  environ  29  centimètres,  au-dessus  de  la  Baltique  '. 
Des  asar  ou  levées  de  galets  séparaient  autrefois  les  divers  bassins  ;  mais 
ils  ont  été  rompus  par  la  pression  des  eaux,  et  le  dédale  des  criques  du 
Malaren  s'est  trouvé  réuni  en  un  seul  lac.  Un  courant  fluvial,  que  les 
petites  embarcations  ne  pourraient  vaincre,  et  qu'il  a  fallu  contourner 
par  une  écluse,  se  porte  incessamment  du  Malaren  vers  la  mer  sous  les 
ponts  de  Stockholm. 

Outre  les  bassins  lacustres  de  la  Suède  méridionale,  on  compte  encore 
dans  le  reste  de  la  Scandinavie  55  lacs  occupant  chacun  la  surface  de  plus 
de  100  kilomètres  carrés.  Dans  le  nombre,  il  en  est  même  plusieurs  qui 
dépassent  le  Iljelmarenen  étendue^  :  tels  sont  ceux  d'où  s'écoulent  les  prin- 
cipales rivières  descendant  vers  la  Baltique,  le  Torneâ  Trâsk,  le  Luleâ  Jaur, 
le  Stor  Âfvan,  le  Storsjô  suédois,  le  Siljan,  «  œil  bleu  de  la  Dalécarlic  »; 


*  A.  Erdinann,  Exposé  des  formalioiis  quaternaires  de  la  Suède. 
'  Princip;iui  lacs  de  la  Scandinavie  : 


Wencrn  (Suède) SSOS  kil.  car. 

Wellern  n  ....  181)0  » 

Malaren  .•  ....  Il  65  » 

Luleii  Jaur  ►  ....  '.)07 

Stor  Afvan  >'  ....  >s'2l)  » 

TorncS  Trask    n  ....  528  » 

Slorsjô  .  ....  'MO  « 

lljeliriarcn  !■  ....  4SI)  » 

Siljan  II  ....  5.")6  " 

Mjo.sen  (Norvège).    .    .    .  36  i  « 

Aile  Vand  »  ....  26!) 

Rands-Ijord       n  ....  151  » 

Tyri-fjiinl  n  ....  151 


Allitudc. 

Profondeur  exlrêine. 

44  inèlres. 

90  mètres. 

88,2     .. 

126       » 

0,74  II 

50       II 

376 

? 

419 

V 

346 

•I 

300 

'! 

23,5     ,1 

18       .. 

160 

128       II 

1:^1 

451       » 

516         II 

9 

130        f 

î 

Gl 

281       » 

104  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

mais  la  plupart  de  ces  lacs,  éloignés  des  régions  populeuses,  n'ont  pas 
encore  été  explorés  avec  soin  et  la  profondeur  en  est  inconnue.  Le  plus 
grand  lac  de  la  Norvège,  le  Mjôsen,  est  l'un  des  mieux  étudiés  de  l'Europe, 
grâce  au  voisinage  de  Christiania,  et  les  fonds  en  ont  été  mesurés  :  dans 
la  partie  la  plus  creuse  du  réservoir  on  a  jeté  la  sonde  à  451  mètres.  Le 
niveau  du  lac  se  trouvant  à  121  mètres,  la  partie  la  plus  basse  du  lit  est 
à  550  mètres  au-dessous  de  la  surface  maritime  :  ce  bassin  d'eau  inté- 
rieure, ancien  golfe  protégé  des  alluvions  par  les  glaces  qui  l'emplissaient 
jadis,  est  resté  plus  profond  que  ne  le  sont  la  Baltique  et  la  mer  du  Nord. 
En  hiver,  tous  les  lacs  Scandinaves  sont  couverts  d'une  dalle  glacée,  qui  se 
maintient  pendant  une  moyenne  de  cent  à  deux  cents  jours,  suivant  la 
latitude  de  la  contrée  et  la  rigueur  de  l'hiver  ;  mais  il  est  très  rare  que 
même  les  étangs  et  les  petits  lacs  sans  profondeur  gèlent  jusqu'aux  pierres 
du  lit  :  peu  de  temps  après  que  la  première  glace  s'est  formée,  les  nuages 
apportent  d'ordinaire  une  grande  quantité  de  neige  qui  défend  les  eaux 
profondes  contre  le  froid  et  sauve  ainsi  de  la  mort  les  tribus  des  poissons. 
De  longues  fentes  s'ouvrent  çà  et  là  dans  la  couche  glacée  et  laissent  péné- 
trer l'air  dans  le  réservoir  caché.  Au  printemps,  le  souffle  des  vents  tièdes 
et  l'agitation  des  flots  rompent  entièrement  la  glace,  des  allées  d'eau  libre 
y  serpentent  à  perte  de  vue,  puis  les  glaçons  intermédiaires  diminuent 
peu  à  peu  d'étendue,  ou  sont  dispersés  sur  les  cotes  et  bientôt  les  embar- 
cations se  hasardent  sur  le  flot  devenu  libre. 

Les  lacs,  ijords  intérieurs,  se  distinguent  comme  les  Ijords  par  la  régu- 
larité géométrique  de  leur  orientation.  Plusieurs  se  succèdent  dans  une 
même  fissure  ;  d'autres  se  rencontrent  ou  même  se  traversent  à  angles 
brusques.  En  examinant  l'ensemble  de  la  contrée,  on  voit  nettement  ces 
«  traits  d'incision  »  dont  parle  Kjcrulf  et  qui  découpent  toute  la  Norvège 
méridionale  en  plaques  inégales  :  on  dirait  une  feuille  de  mica  aux  cris- 
taux indistincts.  Suivant  le  croisement  dos  traits,  les  lacs  se  groupent  en 
figures  diverses  :  c'est  ainsi  qu'à  l'angle  sud-occidental  de  la  Norvège,  ils 
limitent  des  espaces  triangulaires  (voir  la  figure  27)  ;  dans  le  Telemar- 
ken,  ils  forment  un  bizarre  polygone  (voir  la  figure  28)  où  la  direction  de 
'chaque  incision  se  trouve  représentée  par  un  vand  d'eau  pure. 


Les  rivières  alimentées  par  les  innombrables  lacs  de  la  Scandinavie 
consistent  elles-mêmes  pour  la  plupart  on  un  onchaînement  de  lacs  de 
toute  forme  et  do  toute  grandeur,  tantôt  se  rétrécissant  entre  deux  jiarois, 
tantôt  s'épanchant  au  loin  dans  les  campagnes  en  baies  et  en  lacs  latéraux. 


LACS  ET  RIVIÈRES   DE   LA   SCANDINAVIE. 


105 


Tous  les  lits  fluviaux  de  la  Suède  et  de  la  Norvège  roulent  une  quantité 
d'eau  très  considéralile,  proportionnellement  à  la  surface  de  leur  bas- 
sin.  Trois  conditions   favorables   au  maintien  d'un  débit  abondant  sont 


N»    »6.    —    «   THAIT?    Il  INCISION   11    DE    LA   SORVÈGE    MÉBIDIONILE,    D  APtlES    KJFRrLF. 


CapLindesna^s 


100  \-M  :oo  kil. 


réunies  dans  la  péninsule  :  les  pluies  sont  fortes  sur  tout  le  versant 
occidental  et  dans  la  région  des  sources,  le  sol  rocheux  ne  laisse  guère 
pénétrer  d'eau  dans  ses  profondeurs,  et  sous  le  climat  humide  l'éva- 
poralion  est  relativement  faible.  Comparée  à  la  France,  la  Scandinavie 
verse  cerlainemenl  à  la  mer  nue  ipianlili'  d'eau  bien  supérieure  en  pro- 

V.  U 


106 


NOUVELLE    GEOGKAI'HIE    IMVERSELL 


portion  :  ou  peut  eu  juger  par  le  débit  de  ceux  des  fleuves  peu  nom- 
breux qui  ont  été  déjà  mesurés.  Toutefois  il  n'y  a  point  dans  la  pénin- 
sule Scandinave  de  cours  d'eau  de  la  puissance  du  Rbùne  ou  de  celle 
du  Rhin  :  le  relief  de  la  contrée  n'a  pas  permis  à  un  grand  bassin  de 
se  développer.  Sur  l'un  'des  versants,  les  cours  d'eau  de  la  Norvège,  à 
peine  échappés  aux  glaciers  ou  aux  névés,  sont  reçus  par  les  fjords;  sur 
l'autre  versant,  les  rivières  suédoises,  entraînées  directement  vers  la  Bal- 
tique par  l'inclinaison  du  terrain,  ne  peuvent  se  réunir  en  un  seul  tronc 
fluvial.  Celles  qui  s'épanchent  dans  le  golfe  de  Botnie  occupent  des  val- 


!7.    —    LACS   AH    SfD-Ol!EST 


lées  presque  parallèles  les  unes  aux  autres,  toutes  inclinées  vers  le  sud- 
est,  suivant  la  pente  générale  de  la  contrée  et  dans  la  direction  prise  au- 
trefois par  les  glaciers.  Dans  la  Suède  méridionale,  les  eaux  rayonnent 
dans  tous  les  sens  vers  les  golfes  environnants  :  aucun,  si  ce  n'est  le  (lola- 
clf,  ne  réunit  à  la  fois  des  eaux  venues  de  la  plaine  et  descendues  de  la 
montagne. 

Le  fleuve  le  |ilus  alioudaut  de  la  Scandinavie,  le  Glommen,  coule  en 
Norvège  :  il  m-  déverse  dans  les  eaux  orientales  du  fjord  de  Christiania,  qui 
reçoit  aussi  le  Drauuns-elv,  celui  de  tous  les  cours  d'eau  Scandinaves  qui 
a  le  plus  changé  la  forme  primitive  de  sa  vallée  par  l'apport  des  allu- 
\i()ns  :  les  terres  (pi'il  a  dé|)Osées  ont  comblé  déjà  une  partie  considérable 


r.lVIKRES  DE  I.V   SCANDINAVIE. 


1117 


(In  graïul  lac  Tyri-fjord  (Miir  ligure  '29).  Le  Gu(a-elf'  est  à  peine  inférienr 
en  portée,  grâce  à  la  niasse  d'eau  que  le  Wenern  reçoit  du  Klar-elf  et  de  ses 
antres  affluents  et  qu'il  déverse  au  sud  par  l'émissaire  de  Wenersborg;  mai<: 
il  fut  un  temps  où  le  grand  lac  Fœmiind,  qui  ^'écoule  maintenant  an  sud 


V    *«.    LACS    IIE    TELtMARCREN 


par  le  Klar-elf,  et  (pii  est  par  conséquent  un  tributaire  du  Kallcgal,  s'é|ian- 
cliait  au  sud-est  par  le  Dal-elf,  envoyant  ainsi  ses  eaux  vers  le  golfe  de 
Botni(ï  :  l'ancien  lit  de  la  rivière,  le  Ficmunsgrav,  se  voit  encore  à  un  ou 


'  Etv  on  norvégien,  ctf  en  suéilois,  onl  le  sens  de  fleiivc.  I/nsage  veut  que  l'arlicle  en  Sdil  ajuiiip 
>ii  nom  de  certains  cours  d'eau,  presque  tous  de  faible  importance.  Ainsi  les  deux  ruisse.iux  do 
Chrisliania  siml  appelés  Akers-chcn  el  Lo-clven.  En  Suède,  le  fleuve  Klar  esl  d'ordinaire  dé>ignc 
par  le  nom  de  Klar-clfvcn.  On  dit  aussi  Dal-elf  ri  D^d-elfu'n. 


108  NOUVELLE    GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

deux  mètres  au-dessus  du  niveau  actuel  du  lac'.  Mais  si  le  Gôta-elf  était 
jadis  privé  des  eaux  du  lac  Faemund,  il  reçut  d'autre  part  toutes  les  eaux 


LE    lïBI-FJOBD. 


î^^îrr 


t^T-TpE^z:^ 


R?nl3ifj'an 


Tyri         fjorc/ 


du  Glommen  et  son  volume  se  trouvait  en  conséquence  plus  que  doublé.  Au 
j>ied  de  la  colline  (pii  porte  le  hourij  de  Kongsvinger,  au  nord-est  do  Chris- 
tiania,  le  Glommen  tourne   brusquement  à   l'ouest  ;  jadis  il  continuait 


'  0.  J.  Riocli,  Le  royaume  de  Norvège  et  le  peuple  norvégien. 


RIVIERES  DE   LA  SCANDINAVIE.  109 

directement  son  cours  vers  le  sud-est,  parallèlement  au  Klar-elf,  par  le  lac 
Aklangen  et  le  Wenern.  Pendant  les  fortes  crues,  une  partie  des  eaux  du 
Glommen  s'échappe  encore  par  l'ancien  lit;  des  lacs  allongés  ayant  gardé 
la  forme  serpentine  du  fleuve  occupent  l'ancienne  vallée,  où  passe  le 
chemin  de  fer  de  Christiania  à  Stockholm.  Par  une  remarquable  coïnci- 
dence, les  deux  fleuves  qui  coulent  à  l'orient  du  Glommen  ont  été  rejetés 
également  vers  la  droite  et  descendent  au  Wenern  par  des  vallées  appar- 
tenant jadis  à  d'autres  cours  d'eau.  Le  Fryken  allait  se  jeter  dans  le  lac  là 
où  se  trouve  de  nos  jours  la  ville  de  Carlstad  ;  il  entre  maintenant  dans 
le  Wenern  à  une  vingtaine  de  kilomètres  plus  à  l'ouest.  Le  Klar-elfven, 
qui  emprunte  actuellement  l'ancien  lit  du  Fryken,  passait  par  une  étroite 
vallée  emplie  de  lacs  qui  continue  exactement  au  sud-est  la  vallée  supé- 
rieure'. Ce  déplacement  de  trois  fleuves  parallèles  dans  la  direction  de 
l'ouest  semble  indiquer  une  impulsion  latérale  provenant  sans  doute  d'une 
légère  oscillation  du  sol.  C'est  ainsi  que  la  Vistule,  l'Elbe  et  l'Oder  ont 
dévié  de  leurs  vallées  primitives. 

Au  nord  du  Dal-elf,  appauvri  et  grossi  tour  à  tour  par  ces  petites 
évolutions  géologiques,  si  nombreuses  en  Scandinavie,  les  principaux 
fleuves  du  Norrland  sont  remarquables  par  une  singulière  égalité  d'al- 
lures et  de  débit  ;  ils  sont  aussi  à  peu  près  égaux  les  uns  aux  autres 
par  la  surface  de  leur  bassin,  par  la  nature  du  sol  qu'ils  arrosent  et  par 
la  quantité  d'eau  de  pluie  qu'ils  reçoivent  :  Ljusna,  Ljungan,  Indals, 
Angerman,  Umeâ,  Skellefteâ,  Piteâ,  Luleii,  Kalix,  Torneâ',  se  succèdent 
ainsi  du  sud  au  nord  en  versant  dans  le  golfe  de  Botnie  une  masse  liquide 
que  l'on  doit  évaluer  pour  tous  ces  fleuves  à  plus  de  2000  mètres  cubes. 
Chacune  de  ces  rivières  se  prolonge  au  loin  dans  la  mer  par  son  courant, 
mais,  les  flots  du  golfe  botnien  étant  à  peine  saumâtres,  on  ne  peut  guère 
remarquer  à  ces  embouchures  fluviales  le  contraste  que  l'on  observe,  sur 
l'autre  versant,  aux  bouches  du  Gôta-elf  et  du  Glommen.  Au-dessous  des 
eaux  douces  du  Gôta-elf,  que  l'on  voit  couler  jusqu'à  une  grande  distance 
dans  le  Kattegat,  l'eau  du  golfe  reflue  en  sens  inverse  :  à  plusieurs  kilo- 
mètres en  amont  de  Gôteborg,  on  recueille  encore  l'eau  salée  de  la  mer  au 
fond  du  lit  fluvial  '. 

Les  rivières  de  la  Scandinavie  sont  pour  la  plupart  mieux  réglées  dans 
leur  débit  que  les  fleuves  de  l'Europe  continentale,  grâce  aux  lacs  qu'elles 
traversent  dans  leur  cours  et  qui  en  égalisent  les  crues.  A  la  fin  d'avril 

'  Tôrncbnliin,  Pioles  maniiscrilcs. 

-  On  (•■crit  ;iussi  Ijnc-plf,  Slicllefle-clf.  Pitc-filf,  Luifi-clf,  Tornc-clf. 

'  Ekman,  On  the  gênerai  catttet  o(  Ihe  océan  currcnU. 


110  NOUVELLE  GÉOGIiAPlUE  UNIVERSELLE. 

cl  on  mai,  les  iifigos  riui  fondent  an  premior  soleil  dn  prinlemps,  phis 
en  automne  les  grandes  pluies  qu'amènent  les  vents  d'ouest,  élèvent  le 
niveau  des  lacs;  mais,  en  recevant  le  trop-plein  des  eaux,  ces  lacs  éga- 
lisent le  débit  des  émissaires,  le  réduisant  pendant  la  saison  des  crues, 
pour  le  soutenir  ensuite  pendant  les  sécheresses.  li'écart  annuel  du  ni- 
veau, dans  les  bassins  lacustres,  varie  d'un  à  quatre  mètres;  mais  on  p 
vu  parfois  les  crues  monter  beaucoup  plus  haut  par  l'effet  des  éboulis 
qui  barraient  les  courants  de  sortie  :  c'est  ainsi  qu'en  l'année  1795  le 
Vormen,  qui  emporte  l'excédent  des  eaux  du  Mjôsen,  fut  barré  complè- 
lement  par  une  chute  de  rochers;  pendant  tout  un  hiver  on  put  traverser 
le  Vormen  sur  les  rochers  desséchés  du  lit, et  le  niveau  du  Mjosen  s'éleva 
de  sept  mètres'.  L'étranglement  de  la  plupart  des  vallées  à  l'issue  des  lacs 
a  permis  d'établir  en  beaucouj)  d'endroits  des  barrages  qui  règlent  complè- 
tement le  débit  des  rivières  en  lui  donnant  en  chaque  saison  l'imporlancc 
voulue  pour  les  usines  ou  pour  la  batellerie.  De  même  que  les  crues,  les 
débâcles  sont  rarement  dangereuses,  car  tous  les  fleuves  abondants  de  la 
Scandinavie  coulent  dans  la  direction  du  sud  ;  lorsque  la  dalle  glacée,  qui 
pendant  tout  l'hiver  a  servi  de  chemin,  vient  à  se  rompre,  ce  sont  d'abord 
les  glaces  voisines  de  l'embouchure  qui  se  détachent,  et  la  débâcle  se  fait 
successivement  du  sud  au  nord,  sans  que  des  embarras  de  glaçons  viennent 
se  former  aux  étroits  des  rivières. 

Mais,  quoique  réguliers  dans  leur  régime,  les  cours  d'eau  de  la  Scan- 
dinavie ne  se  prêtent  à  la  navigation  qu'en  un  petit  nombre  d'endroits, 
soit  vers  leurs  bouches,  soit  dans  le  voisinage  des  lacs  qu'ils  traversent. 
La  forme  rudimentaire  des  vallées  fluviales,  encore  disposées  en  gradins, 
est  ftivorable  à  l'industrie,  qui  cherche  des  forces  motrices,  mais  elle  ne 
convient  pas  aux  inténMs  du  trafic  :  à  chaque  barrage  naturel,  les  bateaux 
sont  arrêtés,  et  si  d'audacieux  rameurs  osent  descendre  les  rapides,  c'est 
au  péiil  lie  leur  vie.  Tel  cours  d'eau,  coulant  par  étages  successifs  et 
coupé  de  lacs  à  chacune  de  ses  terrasses,  semble  n'avoir  pas  conquis  son 
individualité  ou  même  se  trouve  entremêlé  à  d'autres  bassins.  Ainsi  le 
Tornea-elf  appartient  en  réalité  à  deux  bassins  fluviaux  :  par  un  de  ses 
bras,  le  Tarandô,  qui  coule  en  serpentant  dans  une  dépression  maréca- 
geuse, il  s'unit  au  Kalix-elf  ;  par  l'autre,  il  rejoint  le  Muonio-elf,  tronc 
principal  du  fleuve  qui,  sous  le  nom  de  Torneâ,  sert  jusqu'à  la  mer  de 
fronlièrc  comnuine  à  la  Suède  et  à  la  Hussie.  Enfin,  un  très  grand  iKunbre 
tie  fleuves  se  hifunpient   avant  de  se    jiMer  dans  la  mer,  non  aiihiui'  d'Iles 

'  Va\.  Eislcv,  Geografi. 


I j„  ,!.■   IlioM.  ,1-:,|m;-   |.li..l..„.,|.l.. M.    Knn.U, 


RIVIERES   DE   LA  SCANDINAVIE.  113 

alluviales,  mais  autour  de  massifs  rocheux  :  leurs  diiamations  sont  d'an- 
ciens détroits  changés  en  lits  d'eau  courante.  On  peut  citer  en  exemple 
le  Gôta-elf,  entourant  de  sa  double  embouchure  l'ile  de  Hisingen. 

La  principale  beauté  des  eaux  courantes  de  la  Scandin.ivie  leur  est  donnée 
par  les  rapides  et  les  cascades.  On  peut  dire  que  sur  le  versant  norvégien 
tous  les  ruisseaux  se  précipitent  plutôt  qu'ils  ne  descendent  vers  la  mer  :  on 
voit  en  maints  endroits  des  gerbes  d'eau,  tombant  du  haut  des  roches  nei- 
geuses, réunir  leurs  filets  à  plusieurs  centaines  de  mètres  plus  bas  dans  les 
vallées  ;  même  quelques  rivières  abondantes  de  la  Norvège  plongent  d'une 
hauteur  de  plus  de  cent  mètres.  >'on  loin  de  Trondhjem,  le  A'orings-fos ', 
qui  s'abîme  dans  un  gouffre  en  une  seule  nappe  de  144  mètres  de  chute, 
n'est  visible  en  entier  que  pour  les  hardis  voyageurs  qui  se  penchent  au- 
dessus  des  corniches  vertigineuses  ou  qui  se  suspendent  aux  saillies  des 
rochers  ;  mais  de  loin  on  peut  voir  les  vapeurs  qui  s'élèvent  en  nuages,  et 
le  reflux  de  l'air  entraîné  gronde  en  un  tonnerre  incessant.  Le  Rjukan- 
fos,  formé  par  un  affluent  du  Skien-elv,  dans  la  région  méridionale  de  la 
Norvège  appelée  le  Teleraarken,  a  245  mètres  de  hauteur  verticale  :  du  haut 
des  rochers  situés  en  face  des  chutes,  on  contemple  l'immense  bouillon- 
nement des  flots  qui  s'entrechoquent  et  les  nuées  d'eau  brisée  qui  montent 
dans  le  cirque,  voilant  à  demi  la  base  des  deux  grandes  nappes  de  la  cas- 
cade ;  un  rocher  insulaire,  uni  à  la  surface  et  couvert  de  gazon,  ombragé 
de  quelques  arbrisseaux,  surplombe  la  chaudière  écumeuse.  Dien  infé- 
rieure par  son  élévation,  puisqu'elle  a  seulement  21  mètres,  mais  beau- 
coup plus  considérable  par  le  volume  de  ses  eaux,  est  la  cataracte  du 
Glommen,  le  Sarps-fos,  oîi,  même  en  hiver,  une  masse  de  lÛU  à  l.")()  mèties 
cubes,  s'échappant  de  dessous  une  dalle  de  glace  toujours  frémissante,  se 
précipite  en  plusieurs  cascades  pour  aller,  en  aval  des  ra|)i(les,  se  perdre 
de  nouveau  sous  une  couche  glacée;  lors  de  la  fonte  des  neiges,  le  débit 
de  la  chute  dépasse  400  mètres  cubes  en  moyenne,  l'eau  qui  s'enfuit  par 
seconde  est  de  800  mètres,  plus  du  double  de  la  quantité  d'eau  qu'emporte 
le  Rhin  au-dessous  de  Schaffhouse  :  du  haut  d'un  pont  de  chemin  de  fer 
nouvellement  construit,  on  voit  à  ses  pieds  l'ensemble  des  chutes,  avec  les 
cascatelles  latérales,  et  le  remous  des  eaux  apparaissant  çà  et  là  au-dessous 
du  nuage  de  vapeur,  (juoiquc  peu  éloignée  de  Christiania,  la  cascade  du 
Glommen,  la  plus  puissante  de  l'Europe,  est  moins  connue  que  celle  du 
Gôta-elf,  visitée  par  tous  les  voyageurs  qui  se  rendent  de  Gôleborg  au  lac 


'  Fos,  fouen,  en  Dorvcgicn,  a  le  sens  de  rapide  ou  de   cascade;  !'-■  mol  suédois  fou  s'applique 
seulcmeol  aux  rapides. 

y.  iô 


iii  NOUVELLE   GÉOGRAPIIIE  UNIVERSELLE. 

^Venel■n  :  c'est  la  fameuse  chute  de  TroUliatlan  ou  du  <i  Bonnet  de  Sorcier  », 
qui  descend  de  55  mètres  en  trois  bonds  successifs,  enfermant  des  rochers 
verdoyants  entre  ses  eaux  fuyantes.  La  force  motrice  du  Trollhiittan,  évaluée 
par  les  mécaniciens  à  225000  chevaux-vapeur,  est  en  partie  utilisée  par 
l'industrie,  mais  les  usines  n'empêchent  pas  l'accès  de  la  cascade,  comme 
aux  bords  du  Sarps-fos,  et  la  nature  sauvage  des  alentours  a  gardé  sa 
beauté. 

Sur  le  versant  de  la  Baltique,  la  pente  plus  allongée  du  sol  n'a  pas 
permis  aux  fleuves  de  tomber  en  cascades  aussi  élevées  que  celles  du  ver- 
sant occidental  ;  néanmoins  il  en  est  aussi  de  très  imposantes.  Ainsi  le 
majestueux  Dal-elf,  qui  dans  toute  sa  partie  inférieure  n'est  guère  qu'une 
succession  de  lacs,  se  rétrécit  tout  h  coup  à  f]lf-Karleby,  et,  divisé  en  deux 
bras,  s'écroule  en  rapides  d'une  hauteur  totale  de  15  mètres,  pour  entrer 
bientôt  après  dans  la  mer.  Le  Skellefteâ  et  le  Luleâ  ont  aussi  de  puis- 
santes cascades  et  des  rapides.  Au  Kjommelsaskas  ou  «  Saut  du  Lièvre  », 
le  Luleâ  s'élance  en  un  jet  d'une  paroi  de  plus  de  80  mètres,  sur  une  lar- 
geur de  plusieurs  centaines  de  mètres,  et  plus  haut  un  lac,  séparé  d'un 
autre  réservoir  par  un  simple  seuil,  se  déverse  bruyamment  en  une  cata- 
racte de  42  mètres  :  les  Lapons  donnent  ta  ce  lac  tombant  le  nom  d'Adna- 
muorkekortje  ou  «  Grande  Chute  Nuageuse  ». 


VII 

Le  principal  courant  des  côtes  norvégiennes  se  porte,  on  le  sait,  dans  la 
direction  du  sud-ouest  au  nord-est.  Les  eaux  tièdes  venues  des  parages 
tropicaux  viennent  frapper  les  bancs  extérieurs  de  la  péninsule  Scandinave 
en  lui  apportant  parfois  du  bois  des  Antilles  et  des  graines  que  les  Lapons 
recueillent  soigneusement  pour  s'en  faire  des  amulettes'.  La  marche  des 
eaux  vers  la  Norvège  septentrionale  est  un  phénomène  si  connu,  que  lors- 
qu'un objet  est  tombé  d'un  bateau,  les  marins  parlent  plaisamment  d'aller 
le  «  chercher  à  Berlevaag  »,  c'est-à-dire  à  l'extrême  pointe  orientale  de  la 
Laponie.  Ce  courant  d'eau  tiède  donne  son  climat  à  la  Norvège  et  au 
peuple  norvégien  son  commerce,  son  industrie,  sa  nourriture  de  chaque 
jour,  la  vie,  pourrait-on  dire,  car,  sans  l'afflux  des  eaux  tropicales,  les 
bords  des  fjords  resteraient  inhabités,  obstrués  par  les  glaces.  La  péninsule 
Scandinave  forme  avec  le  CroMiland  la  porte  marine  qui  fait  communiquer 

'  Srhiibelcr,  Pjlanzenwell  IS'onvcgcns. 


CLIMAT  DE    LA   SCANDINAVIE,  il5 

l'océan  Atlantique  et  l'océan  Glacial  ;  mais,  à  latitude  éïale,  quel  contraste 
de  climat  entre  les  deux  contrées  correspondantes  !  D'un  côté,  les  glaces 
et  les  neiges;  de  l'autre,  surtout  les  brouillards  et  les  pluies.  Dans  la 
grande  île  occidentale,  pas  un  seul  arbre;  dans  la  péninsule  de  l'est,  de 
hautes  forêts,  des  vergers  de  pommiers,  de  poiriers,  de  pruniers,  de  ceri- 
siers, des  jardins,  où  la  vigne  même  est  cultivée  en  espalier  sur  des  couches 
d'engrais!  Et  pourtant  une  partie  de  la  Scandinavie,  que  l'on  peut  évaluer 
à  155  000  kilomètres  carrés,  est  déjà  comprise  dans  la  zone  polaire,  et 
pendant  l'hiver  la  nuit  s'ajoute  à  la  nuit  en  ténèbres  continues.  En  été,  au 
contraire,  le  jour  qui  meurt  se  confond  avec  celui  qui  naît.  Des  montagnes 
de  Finmark,  on  jouit  du  spectacle  étonnant  que  présente  à  l'époque  du 
solstice  d'été  le  soleil  de  minuit  rasant  l'horizon  et  remontant  dans  les 
cieux.  Du  haut  de  la  cime  d'Avasaxa,  qui  domine  le  cours  de  la  Torneâ,  non 
loin  du  cercle  polaire,  on  voit  le  soleil  décrire  quinze  fois,  du  16  au 
50  juin,  un  cercle  complet  dans  l'espace;  tandis  qu'on  reste  baigné  dans 
la  lumière  du  soir,  on  aperçoit  à  ses  pieds  toutes  les  régions  du  sud  recou- 
vertes par  le  grand  manteau  de  la  nuit  ;  les  montagnes  neigeuses,  au 
lieu  de  refléter  une  lumière  blanche,  resplendissent  des  couleurs  écla- 
tantes où  se  mêlent  le  pourpre  du  couchant  et  le  vert  délicat  de  l'aurore. 
Avec  les  grands  lacs,  les  tourbières  sans  fin,  les  montagnes  toujours  nei- 
geuses, les  tempêtes  et  la  mer  sans  limites,  ces  longues  journées,  alternant 
avec  les  longues  nuits,  contribuent  à  donner  à  la  vie  de  la  contrée  son 
expression  sévère  et  grandiose,  qui  la  fait  tant  aimer  de  ses  habitants. 

La  forme  du  littoral  norvégien  contribue  pour  une  part  notable  au 
réchauffement  de  la  contrée.  La  température  de  l'eau  dans  les  fjords  et 
jusqu'au  fond  de  leur  cuvette  est  plus  élevée  que  ne  l'est  celle  de  l'atmosphère 
ambiante  pendant  la  moyenne  de  l'année  '.  On  aurait  pu  croire  que  dans  ces 
abîmes,  comme  dans  ceux  de  la  mer,  le  thermomètre  aurait  à  traverser 
des  couches  lourdes  et  froides  rapprochées  du  point  de  glace  ;  mais  les 
recherches  faites  par  le  professeur  Mohn  ont  prouvé  que  ces  bassins  sont 

'  Température  des  fjords  et  de  l'air  : 

Air.  Air. 

Eau  profonde.  Année.  Janvier.  Eau  profonde.  Année.   Janvier. 

Skager  Rak 50  7»,2        0»,5  |  Ranen-fjord 4»,8  5",5  —  20.5 

Karstrand-fjonl.    ...  G»  C»           0»,9  Vest-fjord  (entrée)   .    .  G»  4"  — 1».2 

Hardangcr-rjord   .    .    .  C.a  'M         0"  .       (intérieur).    .  60,2  5"  —4» 

Osier-fjord G»,3  C",8        0«         Ofutcn-fjord C",l  2»  —  0» 

Sogne-ljord C»,2  ',<>  —  0»,o      Sljem-sund 4»,2  1»,5  -  6» 

Nord-fjord G»,G  G"  —  lo,2      Allen-fjord 3o,2  0o,9  —  7«.7 

Throndlijcms-fjord  .    .  Co.S  5"  —  20,8  !   Varanger-fjord  ....  5o,1    —  fo     —  \0« 


116  .NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

remplis  d'une  eau  relativement  tiède  :  en  janvier,  il  y  a  jusqu'à  15  defïrés 
d'écart  entre  l'air  de  la  surface  et  la  masse  liquide  des  profondeurs.  Celte 
haute  température  des  fjords  provient  de  la  disposition  de  leurs  bassins. 
Ne  communiquant  avec  la  haute  mer  que  par-dessus  des  seuils  immergés, 
ils  ne  reçoivent  de  l'Océan  que  de  l'eau  tiède  apportée  par  les  courants  du 
sud-ouest.  Directement  à  l'ouest,  sous  les  mêmes  latitudes,  dans  les  mers 
des  Farôcr  et  de  l'Islande,  les  eaux  profondes  ont  une  température  infé"- 
rieure  au  point  de  glace  ;  mais  ces  couches  liquides  ne  peuvent  pénétrer 
dans  les  fjords,  défendus  |)ar  leur  rebord  de  rociiers  ;  jamais  ces  bassins 
ne  gèlent,  si  ce  n'est  au  bord  des  rivages  les  plus  éloignés  de  la  haute 
mer.  Ainsi  tout  le  littoi-al  de  la  Norvège  se  trouve,  pour  ainsi  dire,  pourvu 
d'un  immense  appareil  de  chauffage  par  ces  réservoirs  extérieurs,  emplis 
d'une  eau  dont  la  température  est  supérieure  de  ])lusieurs  degrés  à  la 
température  normale.  Si  les  seuils  placés  à  l'entrée  des  fjords  disparais- 
saient soudain  et  permettaient  ainsi  la  libre  entrée  des  eaux  froides  dans 
les  golfes  de  la  Scandinavie,  un  grand  cliangement  se  ferait  aussitôt  dans 
le  climat,  comme  si  la  péninsule  tout  entière  s'était  déplacée  de  plusieurs 
degrés  dans  la  direction  du  pôle'. 

Le  régime  thermométrique  des  eaux  du  littoral  norvégien  présente  un 
remarquable  contraste  suivant  les  saisons.  En  été,  en  automne,  la  tempé- 
rature diminue  de  la  surface  au  fond,  tandis  qu'en  hiver  la  chaleur  de 
l'eau  s'accroît  graduellement  en  proportion  de  la  profondeur.  Ce  renverse- 
ment des  températures,  qui  s'accomplit  de  l'une  à  l'autre  moitié  de 
l'année,  est  dû  à  l'inlluenee  <le  l'atmosphère.  Pendant  la  belle  saison,  l'air 
est  plus  chaud  cpie  l'eau  sur  laquelle  il  repose  :  il  attiédit  donc  les  couches 
su]ieriH;ii'lles  de  l'Océan,  et  cette  chaleur  se  transmet  de  haut  en  bas,  mais 
fort  lentement,  tandis  que  les  couches  plus  froides  et  plus  lourdes  se 
maintiennent  dans  les  ])iofondeurs.  En  hiver,  l'eau  de  la  surface,  en  con- 
tact avec  un  air  de  tein|iérature  inférieure,  se  refroidit  rapidement;  les 
couches  profondes  s(;  maintiennent  sans  changement;  mais,  de  la  surface 
au  fond,  la  descenle  naturelle  des  eaux  froides  produit  des  échanges  de 
couches  li(pii(lcs  ijui  r(''gularisent  la  série  des  températures.  Les  courbes 
thermales  de  chaque  saison,  figurées  par  le  météorologiste  Mohn  en  d'in- 
génieux tableaux  gra|ihiques,  oscillent  de  part  et  d'autre,  des  deux  côtés 
d'un  point  lixe  de  leinpiTiiture  qui  se  rencontre  vers  180  mètres  au-dessous 
de  la  surface. 

L'inlluenee  des  eaux  tièdes  du  lilloial  norvégien  sur  la  tenqiérature  de 

'  M  ilin,  Pclermnnn's  MiHUciliinijcn,  18TG,  n'XI. 


CLIMAT   DE    LA    SC AMilN'AVIE. 


117 


la  péninsiilo  serait  d'ailleurs  bien  minime,  si  les  vents  n'apportaient  sur 
le  continent  ralmosplièrc  maritime.  Les  courants  aériens  qui  prédominent 
sur  les  côtes  de  Norvège  sont  les  vents  du  sud-ouest  et  du  sud,  c'esl-à-dire 
les  plus  chauds  :  ce  sont  eux  qui  par  leur  souffle  repoussent  vers  le  nord 


30,    ISOTIIEPMES   HE    L  AIR    EN   NORVÈGE. 


les   lif^nes   isolliermiques   de   la    Scandinavie   et    leur   font   suivre   la    côlo 
presque  en  sens  inverse  de  leur  direction  normale. 

Cependant  il  se  produit  dans  le  mouvement  général  des  airs  une  cer- 
taine alternance.  Les  vents  dominants  de  l'hiver,  même  du  printemps  et 
(le  l'automne,  sont  des  brises  qui  s'élancent  de  toutes  les  issues  des  vallées 


«8  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

et  de  l'ouverture  des  fjords  vers  la  surface  de  la  mer,  dont  la  tempéra- 
ture est  toujours  supérieure  au  point  de  glace.  En  été,  c'est  le  contraire  ; 
les  vents  se  portent  de  l'Océan  vsrs  les  régions  échauffées  de  l'in- 
térieur. Avec  les  différences  causées  par  les  climats,  c'est  le  même 
phénomène  que  celui  des  moussons  sur  le  littoral  de  l'Hindoustan. 
Le  régime  de  ces  vents  côtiers  de  la  ^orvège  a  pour  conséquence 
de  modifier  de  mois  en  mois  la  température  de  la  surface  marine 
et  celle  de  la  côte.  Les  eaux  tièdes  qu'apportent  les  courants  du  sud-ouest 
venant  se  heurter  contre  les  rivages  de  la  Scandinavie,  il  semblerait  tout 
naturel  que  la  plus  haute  température  de  la  mer  se  fît  sentir  précisément 
sur  la  côte  et  que  l'eau  se  refroidît  graduellement  au  large  du  littoral, 
dans  le  sens  de  l'est  à  l'ouest.  Mais  il  n'en  est  ainsi  que  pendant  une 
courte  période  de  l'été  :  durant  tout  le  reste  de  l'année,  c'est  à  une  cer- 
taine distance  des  côtes,  paralièlement  à  leur  direction,  que  court  l'axe  de 
plus  haute  température  ;  les  lignes  isothermiques  se  replient  toutes  en 
pointe  vers  le  nord-est,  à  la  distance  variable  d'un  à  cinq  degrés  à  l'ouest 
de  la  terre.  Les  vents  qui  viennent  de  passer  sur  les  neiges  de  l'intérieur 
refroidissent  toute  la  zone  littorale  des  eaux,  et,  là  seulement  où  s'éteint 
leur  force,  l'eau  du  large  garde  sa  température  normale  \  Dans  leur  mou- 
vement alternatif,  de  l'hiver  à  l'été  et  de  l'été  à  l'hiver,  les  vents  s'inflé- 
chissent régulièrement  de  manière  à  suivre  la  côte.  En  hiver,  ils  longent 
les  terres  en  remontant  vers  le  nord,  aidant  ainsi  les  navires  qui  cinglent 
du  Lindesnaes  vers  le  cap  >'ord  ;  en  été,  ils  se  recourbent  dans  le  sens 
opposé  et  sont  alors  favorables  à  la  navigation  qui  se  porte  de  Hammer- 
fest  vers  Christiania".  D'ailleurs  la  force  du  vent  est  toujours  plus  consi- 
dérable dans  le  voisinage  des  côtes  occidentales  que  dans  l'intérieur  de  la 
péninsule,  et  les  tempêtes,  fréquentes  en  hiver,  très  rares  en  été,  sévissent 
avec  beaucoup  de  violence  dans  les  vallées  des  montagnes  tournées  vers 
l'Atlantique.  Les  orages,  qui  d'ordinaire  éclatent  pendant  la  saison  des 
chaleurs,  sont  peu  nombreux  et  rarement  accompagnés  de  grêle.  A  l'en- 
trée du  Lyse-ijord,  non  loin  de  Stavanger,  on  observe  quelquefois,  mais 
seulement  quand  souffle  le  vent  du  sud-est,  des  éclairs,  accompagnés  de 
tonnerre,  qui  jaillissent  d'une  paroi  de  rochers  à  la  hauteur  d'environ 
900  mètres  au-dessus  de  l'eau'.  Les  météorologistes  n'ont  pas  encore 
exposé  avec  précision  dans  (juelles  coiulilicns  atmosphériques  se  produit 
cet  étrange  phénomène. 

'  Mulin,  MillIiciliiiKjcn  von  Petermann,  XI,  1870. 

■  (J.  J.  lirocli.  Le  royaume  de  Norvège  et  le  peuple  nonàgien. 

'  Kiol'liiig,  —  Vibe,  Uic  Kùslen  i\'orweijcits,  Ergunzuiigshefl  zu  Pelenaauu's  Milllieiluiigea, 


CLIMAT  DE  LA  SCANDINAVIE.  ll!t 

'Avec  les  vents  tièdes,  qui  lui  apportent  sa  douce  température,  la  Scan- 
dinavie reçoit  aussi  une  grande  abondance  de  pluies;  mais  les  deux  ver- 
sants sont  très  inégalement  partagés.  Dans  les  îles  extérieures,  notamment 
dans  les  Lofoten,  il  pleut  en  moyenne  un  jour  sur  deux;  à  Bergen  et  sur 
toute  la  partie  du  littoral  f[ui  s'étend  au  nord  vers  le  cap  Stad,  la  chute 
annuelle  de  pluie  n'est  pas  inférieure  à  '2  mètres;  mais  au  delà  des  gla- 
ciers et  des  névés,  tels  que  le  Jusledalsbraî  et  le  Svartisen,  qui  re(;oivent 
une  si  grande  quantité  d'humidité  sous  forme  de  neige,  la  moyenne  do 
l'eau  tombée  n'est  plus  que, d'un  mètre;  en  plusieurs  endroits  de  la 
plaine  norvégienne  abrités  des  vents  pluvieux,  par  exemple  à  Troniso  et  à 
Christiania,  la  chute  de  pluie  est  d'un  demi-mètre  seulement  :  on  cite 
même  une  partie  du  Dovre  où  le  vent,  desséché  par  son  passage  sur  les 
névés,  n'apporte  par  an  qu'un  tiers  de  mètre  d'eau.  Dans  toute  l'étendue 
de  la  Suède,  défendue  à  l'ouest  par  le  faîte  des  monts  et  des  plateaux  Scan- 
dinaves, la  moyenne  de  l'eau  tombée  est  de  525  millimètres,  moindre  par 
ccnséquent  que  celle  de  Ir.  France  et  des  Iles  Britanniques'.  Par  un  bizarre 
contraste,  la  limite  des  neiges  persistantes  descend  beaucoup  plus  bas  sur 
les  pentes  occidentales  des  montagnes  de  Folgefonden  el  de  Justedal,  attié- 
dies par  les  vents  marins,  que  sur  les  déclivités  tournées  vers  le  froitl 
orient  :  la  cause  en  est  à  l'abondance  d'humidité  qu'apportent  les  courants 
aériens  de  l'ouest  et  du  sud-ouest.  Mais  du  sud  au  nord  la  limite  des  neities 
s'abaisse  régulièrement,  de  J^ÔO  mètres  ou  de  1500  mètres  sur  l'un  ou 
l'autre  versant  du  Folgefonden,  à  000  ou  même  à  730  mètres  sur  le  mon- 
tagnes voisines  du  cap  Nord. 

Les  lignes  isothermiques  tracées  sur  les  cartes  de  la  péninsule,  grâce 
aux  observations  régulières  faites  dans  les  53  stations  météorologiques  de 
la  Norvège  et  dans  les  29  stations  de  la  Suède,  présentent  en  été  comme 
en  hiver  la  même  forme  générale  :  elles  se  développent  presque  parallèle- 
ment à  la  côte  occidentale,  puis  décrivent  leur  principale  courbe  dans  le 
sens  du  sud-ouest,  comme  le  littoral  norvégien  lui-même,  de  Trondlijem  à 
Christiania.  Même  pendant  le  mois  le  plus  froid  de  l'hiver,  quelques  par- 
ties des  côtes  gardent  une  température  supérieure  au  point  de  glace';  à 


'  Chute  moyenne  des  pluies  dans  la  péninsule  Scandinr.vc  ; 

SORÏLCE. 

Flôro,  près  de  Bergen.  .    .  2")00   niiiliinèlres 

Bergen 1X00 

Slavanger 1088 

Lindesnses •   .    .  1140  » 

Tdnsbcrg 588 

Christiania 558  » 


SIEDE. 

Cotes  du  Kattcgat 716  niiiliinèlres. 

Intérieur  du  (jolaland.  .    .    .  515  » 

Côtes  du  Svealand ."il  l  « 

Côtes  du  sud-csl i'29  » 

Sud  du  Norriand 508  » 

ISorrbotlen.  ......  406  » 


120 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


Chrislanssund,  au  Lindesnss,  on  ne  compte  en  moyenne  aucun  jour  de 
l'année  dont  la  température  descende  au-dessous  de  zéro;  à  Bergen,  déjà 
moins  réchauffée  par  les  vents  du  sud-ouest,  les  jours  froids  sont  de  vingt- 

N°   51.    ANOMALICS    HE    TESirt'R.STlT.E    DANS    LA    TÉNINSILE    SCANDINAVE. 


EdeP 


D'a^ires  Scliûbeler. 


t  :  It 000009 


quatre  par  an';  même  à  Hammerfest,  grâce  à  l'anomalie  lliernii(|ue.  un 
ruisseau  ne  cesse  de  couler  pendant  toute  l'année  et  les  habitants  vont 
y  puiser  de  l'eau  en  plein  hiver".  Mais,  loin  des  rivages,  tout  le  reste  de 


'  Scliiiljclor,  Pflanzenwell  Nortoegens. 

*  L.  \oii  lîutli,  Rcisc  durcit  l\'onvc(jcn  itnd  Lapplaiid. 


CLDIAT    DE    l\    SCANDINAVIE. 


la  péninsule  se  trouve  alors  compris  dans  les  limites  Je  l'isollicrme  de 
zéro.  Calciih'e  pour  l'année  entière,  la  ligne  de  congélation  embrasse  l'in- 
térieur du  Finmark  norvégien  et  du  Xorrbollen  suédois,  et,  plus  au  sud. 


FCARTS   PE    TFMPtnATfHE   EVTfir    IFS    MOIS    II  ETE    ET    t.ES    ïrOIS    D  I 


le  plateau  du  Dovre  et  quebjues  autres  massifs  autour  de  Iloios.  Toutes 
ces  régions  sont  presque  inhabitées  :  d.ms  la  Norvège,  où  elles  occupent 
prc";  d'un  cinquième  du  territoire,  elles  n'ont  pas  même  un  centième  de 
la  population.  Lt-s  habitants  se  pressent  naturellement  dans  les  parties 
(le  la  contrée  dont  la  température  moyenne  est  la  plus  haute.  Très  peu 
de  maisons  sont  à  plus  de  000  mètres  sur  les  pentes  des  montagnes,  et 
».  1J 


122  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

même  on  ne  rencontre  guère  de  granges  ou  de  chalets  d'été  à  plus  de 
900  mètres;  çà  et  là  néanmoins  des  groupes  de  paysans  vivent  en  des  val- 
lées qui  sembleraient  ailleurs  complètement  inhabitables.  11  est  des  villages 
du  plateau  méridional  où  l'on  attend  la  lumière  du  soleil  pendant  des 
mois  entiers,  même  pendant  plus  de  la  moitié  de  l'année.  Sollôisa  ou 
«  Sans-Soleil  »,  dans  le  district  de  Bergen,  est  ainsi  nommé,  parce  qu'il 
n'est  jamais  éclairé  directement  par  les  rayons  solaires'.  Tandis  que  la 
moyenne  annuelle  de  toute  la  Norvège  est  seulement  de  2°, 5  centigrades, 
celle  des  lieux  habités,  calculée  en  tenant  compte  du  nombre  des  résidents, 
peut  être  évaluée  à  5  degrés.  En  Suède,  cette  température  est  d'un  degré 
plus  élevée*. 

De  l'ouest  à  l'est,  du  rivage  dentelé  des  fjords  aux  plaines  de  la  Suède 
et  de  la  Laponie,  l'anomalie  que  présente  le  climat  du  littoral  diminue 
rapidement  :  tandis  que  sur  les  côtes  de  Norvège  la  température  moyenne 
dépasse  de  20  degrés  la  température  normale  de  sa  latitude,  l'anomalie 
n'est  plus  que  de  10  degrés  au  nord  de  Christiania  et  d'Upsala.  Le  climat 
change;  de  maritime  il  devient  continental,  et  ses  écarts,  journaliers, 
mensuels,  annuels,  sont  de  plus  en  plus  considérables  :  de  10  degrés 
sur  la  côte  entre  le  mois  de  juillet  et  le  mois  de  juin,  ils  sont  de  50 
degrés  dans  la  Laponie  suédoise  (voir  figure  52).  Du  cap  Sladt  aux  Lo- 
foten,  la  variation  de  la  température  entre  les  divers  mois  de  l'année 
est  de  12  à  15  degrés  seulement,  tandis  qu'à  Ilaparanda,  à  l'extrémité 
du  golfe  de  Botnie,   la   variation   est   de   52   degrés".  Dans  ces  régions 

'  Schubeler,  PflanzemLclt  ?iorwe(jens. 

-  0.  J.  Ridcli,  Le  royaume  de  Norvkje  et  le  peuple  norvégien. 

^  Tempéralures  moyennes  et  extrêmes  de  la  Scandinavie  : 

^ORVÊGE.  SIÈDE. 
I.jl.    Moyi-niic.  Jjnvier.    Juillet.      Écart.        Lat.      Moyenne.      Janvier.       Juillet.     Écart. 

Hammcrfcsl    .    .  70"7'     1",8    —  5",!     tl».â     10»,4 

Vardô 7tlo|'     n'>.8    —0»  S".8     14»,8 

Tromsi)  .   .   .  GO^U'    'J",2    —  4'',2    •M",5    15»,? 

Jockmock    .    .    .                                                                 GCôG'  —  1".9    —  I7",l      ir>o,8     2()o,G 

Ilaparanda.    .    .                                                                 CoOoI'  —  0<',2    —12".'.»     14>\9     27'',8 

Pitca 65»19'  1°,01 

Umea Gô^ôO'  \'\5      —  O^.ô     14'',7     21» 

Ilernosarid  .    .                                                                     G2''58'  2'\8 

Falun.   .   .    .                                                                 60»40'  5»,6     —  6<>,o     IS^G     22M 

Bergen    ....  00o4'    7»  0»,4    14«,5     14",  I 

Ohristiania .    .    .  50054'  5<',2    —  i»,!     IG»,»    Slo.G 

Upsaia 59052'  -40,6     —  4",5     1CM     200,6 

Slodihulm  .    .   .                                                             5902O'  50,1      —  50,5     150,8    I9o,3 

Golcliorg.    .    .    .                                                                      57042'  60,7      —10,4     lO",!     17o,5 

Wisby 57"59'  Co,2     —  0o,8     t5o,4    16o,2 

Karishamn  .   .   .                                                              5GoiO'  eo,8     —  Oo.C     I5o,9     16o,5 


CLBI.VT  ET  FLORE  DE  LA  SCANDINAVIE  i:3 

du  noiil,  les  étés  sont  à  peu  près  aussi  chauds  que  dans  la  Suède  mé- 
ridionale, mais  les  hivers  y  sont  beaucoup  plus  froids  et  l'on  y  a  même 
subi  des  températures  au-dessous  de  50  degrés.  Les  glaces  épaisses  qui 
se  forment  pendant  l'hiver  dans  les  marais  tourbeux  de  la  Laponie  se 
maintiennent  parfois  durant  toute  l'année;  elles  n'ont  pas  le  temps  de 
fondre,  tandis  que  l'orge  et  la  pomme  de  terre  croissent  et  mûrissent  à 
la  surlace. 

VIII 

Les  lignes  isothermiques  de  l'année,  de  l'hiver  et  de  l'éié,  oscillent 
diversement  suivant  les  expositions  du  sol,  et,  combinées  avec  les  autres 
lignes  de  climat  indiquant  l'abondance  des  pluies,  la  force  et  la  direction 
des  vents,  peuvent  marquer  d'une  manière  générale  les  zones  de  végéta- 
tion. Cependant  on  remarque  des  anomalies  apparentes.  Quoique  la  tempé- 
rature moyenne  soit,  à  tous  les  degrés  de  latitude,  plus  élevée  sur  les  côtes 
de  la  ^"orvège  que  sur  le  versant  oriental  du  plateau,  plusieurs  espè'jes 
d'arbres  se  montrent  beaucoup  plus  haut  vers  le  nord  en  Suède  qu'en 
Norvège.  Ainsi  le  sapin  cesse  de  former  des  forêts  en  Norvège  dès  les  fron- 
tières du  Norrland,  vers  le  cercle  polaire;  mais  on  le  voit  en  Suède  bien 
au  nord  de  la  même  latitude.  Par  un  phénomène  analogue,  le  bouleau, 
qui  s'arrête  à  5'20  mètres  sur  les  pentes  norvégiennes  des  montagnes,  dans 
le  groupe  de  Sulitjelma,  monte  au  double  de  la  hauteur  sur  le  versant 
suédois  '. 

Plus  de  deux  mille  plantes  européennes  ont  leur  limite  septentrionale 
en  Scandinavie  :  une  carte  exposée  par  M.  Sciiui)eler  au  Congrès  gé'ogra- 
phique  de  Paris  indique  les  limites  polaires,  connues  jusqu'à  maintenant, 
de  1900  végétaux  cultivés  et  sauvages  des  côtes  norvégiennes.  En  voyageant 
du  sud  au  nord  et  de  l'ouest  à  l'est,  on  voit  successivement  disparaître 
les  plantes  de  l'Europe  tenqién'ç  :  aux  paysages  gracieux  succèdent  des 
tableaux  sévères.  On  dépasse  d'abord  la  région  du  hèlre  et  du  charme,  qui 
comprend  la  Scanie  méridionale,  la  zone  du  littoral  sur  le  Kattegat  et 
même  la  côte  du  sud-ouest  de  la  Norvège,  puisqu'il  existe  encore  une  forêt 
de  hêtres  sauvages  un  peu  au  nord  de  Bergen  :  c'est  la  plus  septentrio- 
nale du  monde.  Le  mélange  de  ces  arbres  à  feuillage  vert  avec  les  coni- 
fères est  ce  qui  fait  le  grand  charme  des  rivages  du  Christiania-fjord,  sur- 
tout dans  les  détroits  que  défend  au  sud  la  forteresse  d'Oskarsborg.   Ln 

•  Wablenberg;  —  P.  G.  Lorcni,  Miltheilungen  von  Pelermunn,  1\,  1869. 


124  .NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   LNIVERSELLE. 

bois  irormoaiix  se  montre  sur  les  })ords  du  iiolfe  de  Lysler.  La  région 
du  chêne  embrasse  une  partie  plus  considérable  de  la  Scandinavie  :  elle 
comprend  toute  la  Suède  moyenne  juscju'au  Dal-elf  et  la  côte  norvégienne 
jusque  sous  le  05'  degré  de  latitude,  non  loin  de  Cbrislianssund.  L'aune 
lilancliàtre,  le  pin,  le  saj)in,  le  bouleau  pénètrent  beaucoup  plus  avant 
dans  la  partie  septentrionale  de  la  péninsule  et  montent  plus  haut  sur 
les  flancs  des  collines  et  des  montagnes  :  le  bouleau  croît  même  sur 
le  plateau  du  Finmark;  au  pied  des  hautes  parois  qui  dominent  les 
fjords  au  nord  et  qui  réverbèrent  la  chaleur  du  midi,  on  s'étoune  de  ren- 
contrer des  plantes  qui  sembleraient  devoir  appartenir  seulement  à  des 
terres  plus  rapprochées  des  tropiques  de  dis  ou  quinze  degrés,  et  pourtant 
des  restes  d'avalanches  et  des  éboulis  de  pierres  couvertes  de  mousses 
alpines  se  voient  à  côté  de  ces  végétaux  du  midi  '.  La  limite  de  végétation 
des  arbres  ne  traverse  qu'une  toute  j)etite  partie  de  la  Norvège,  sur  les 
liords  septentrionaux  du  Varanger-fjord  :  la  rive  du  sud  est  ombragée  de 
véritables  forèîs  de  pins,  de  sapins,  de  bouleaux,  de  trembles,  de  sureaux 
et  de  sorbiers,  mais  au  nord  du  golfe,  où  les  tourbières  renferment  les 
débris  d'aucienuts  forêts,  il  ne  reste  plus  maintenant  que  des  mousses  et 
des  lichens,  à  peine  çà  et  là  quelque  plante  méritant  le  nom  d'arbre;  suivant 
l'expression  de  Linné,  «  les  derniers  des  végétaux  couvrent  la  dernière 
des  terres ■«. 

Toutes  les  espèces  végétales  de  la  Scandinavie  sont  d'origine  étrangère 
et  n'ont  j)euplé  la  contrée  que  depuis  la  disparition  des  glaces  ;  cependant 
le  feuillage  des  arbres  est  si  foncé  et  les  Heurs  ont  des  couleurs  si  vives, 
que  la  plupart  des  botanistes  croiraient  en  les  voyant  se  trouver  en  pré- 
sence de  variétés  nouvelles.  On  a  remarqué  aussi  que  l'arôme  de  toutes  les 
espèces  de  plantes  et  de  fruits  augmente  graduellement  vers  le  nord", 
tandis  que  le  sucre  y  diminue  en  proportion.  Les  baies  sauvages  sont 
beaucoup  meilleures  en  Scandinavie  que  dans  les  pays  plus  méridionaux, 
et  les  ménagères  en  préparent  des  compotes,  servies  sur  toutes  les  ta- 
bles lie  la  Norvège.  Trondhjem  est  une  ville  fameuse  par  l'excellence  de 
ses  fruits,  pommes,  poires,  cerises  :  même,  près  de  là,  à  Frosten,  les  noix 
arrivent  à  maturili'.  Les  qualités  spéciales  des  fruits  de  la  contrée  tien- 
nent aussi  à  la  rapidité  de  leur  croissance.  Grâce  à  la  douceur  de  la  tem- 
pérature moyenne  et  à  l'influence  à  peine  interrompue  de  la  lumière 
pendant  l'été,   les   céréales  cultivées  sur  le   littoral   norvégien   nuuissent 

'  A.  l'IyK,  OinVciieldlionsforholdene  red  Sojnefjoidcn. 
-  Cil.  M;iiliiis,  iJu  Spilibcrg  au  Sahara. 
•■  Sclmbulej',  Die  Pflantenwelt  Aorii'Cf/ow. 


i''^'!"îBîilîiffl!îli:iii'!l:liiî 


i-A' 


CULTLP.es    de   la    SCANDINAVIE. 


127 


dans  le  même  espace  de  temps  que  sous  les  latitudes  plus  méridionales. 
Ainsi,  sous  le  70''  degré  de  latitude,  à  Alten,  l'orge  arrive  à  maturité 
en  90  jours,  précisément  l'espace  de  temps  qu'il  faut  à  la  même  plante  à 
Christiania,  en  Alsace,  aux  bords  du  ^'il.  Par  une  bizarrerie  singulière, 
qui  témoigne  de  ce  que  peut  l'industrie  de  l'homme,  les  insulaires  de  Ilindo 
exportent  souvent  à  Christiania  de  l'orge  et  des  pommes  de  terre  '.  Toutc- 


HAISONS    DE    niOVISIONS,    TOÈS  PE    IIlTItnDvI.. 

Dassin  de  Taylor,  d'aines  une  photogra|^hie  do  M.  Frilli. 

fois  il  est  des  régions  de  la  Lr.ponie  suédoise  où  l'orge  est  cultivée  sans 
qu'elle  arrive  jamais  à  une  maturité  complète,  même  lorsque  la  saison  a 
été  le  plus  favorable  :  vers  la  lin  du  mois  d'août,  les  «  nuits  de  fer  » 
(jernnatterna)  ne  permettent  pas  à  la  plante  d'achever  le  cycle  de  sa  crois- 
sance. Avant  d'engranger  la  récolte,  il  faut  la  sécher.  On  prend  soin  de  la 
diviser  en  petites  gerbes,  que  l'on  suspend  les  unes  au-dessus  des  autres 
au  moyen  de  perches,  ou  bien  on  les  étend  sur  le  loit  de  cabanes  dont  le 


•  Millheilumjen  ton  l'clcmmnn,  1801,  n°  G. 


128  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

poèlc  répand  une  épaisse  fumée'.  Fréquomnaent  aussi,  les  orges  du  Jeiui- 
land  ne  peuvent  mûrir  et  les  paysans  les  fauchent  comme  fourrage  :  ils 
disent  alors  que  «  l'année  est  verte  »  *. 

La  forêt  qui  recouvre  les  plaines  unies  de  la  Suède  ou  les  pentes  régu- 
lières ne  diffère  point  de  nos  forets  ordinaires  de  l'Europe  tempérée  :  c'est 
le  litnd,  la  futaie  d'accès  facile  que  le  cultivateur  défriche  et  transforme 
en  champs  à  céréales.  Mais  le  skog,  la  forêt  sauvage,  a  un  caractère  tout 
spécial  :  c'est  à  la  fois  un  chaos  de  rochers,  un  fourré  d'arbres  et  de  buis- 
sons. Les  blocs  de  granit  ou  de  porphyre  entassés  en  désordre  dressent  çà 
et  là  leurs  saillies  h  nu  ;  presque  partout  une  couche  épaisse  de  mousse  et 
d'herbages  les  revêt  comme  d'un  tapis  ;  les  sureaux,  les  framboisiers,  les 
myrtilles  croissent  dans  les  anfracluosités  ;  les  grands  troncs  des  pins,  des 
sapins,  des  aunes,  des  bouleaux,  glissent  leurs  racines  entre  les  pierres. 
Tout  sentier  se  perd  dans  ce  labyrinthe  des  arbres  et  des  roches.  C'est  la 
solitude  redoutée,  que  hantait  autrefois  le  troll,  c'est-à-dire  le  «  mau- 
vais »,  où  le  voyageur  égaré  rencontrait  la  skofjfru,  la  terrible  «  femme 
des  halliers  ». 

En  Suède,  la  faible  altitude  moyenne  du  sol  a  permis  à  la  végétation  arbo- 
rescente de  recouvrir  une  très  grande  partie  du  territoire,  et  l'on  ne  saurait 
évaluer  l'espace  boisé  à  moins  des  deux  cinquièmes  (4'2pour  100).  La  Norvège, 
plus  haute  en  moyenne,  est  aussi  beaucoup  moins  riche  en  forêts  :  seule- 
ment la  cinquième  partie  du  sol  est  couverte  de  grands  bois.  Depuis  long- 
temps, les  pins  des  forêts  de  Gefle,  sur  les  bords  du  Dal-elf,  sont  tout  par- 
ticulièrement reclierchés  pour  fournir  du  bois  de  mâture  aux  marines 
d'Europe.  Ils  doivent  leurs  qualités  exceptionnelles  à  l'épaisseur  uniforme 
de  leurs  couches  ligneuses,  qui  est  d'un  millimètre  environ.  Sous  un  climat 
plus  froid,  les  couches  du  pin  sylvestre  sont  trop  minces,  trop  denses  et 
n'ont  pas  l'élasticité  nécessaire  ;  sous  un  climat  plus  chaud,  le  bois,  que 
la  sève  alimente  toute  l'année,  a  les  couches  trop  larges  et  trop  molles. 
La  viaie  moyenne  de  résistance,  de  souplesse  et  d'égalité  du  pin  est  donnée 
par  le  climat  de  la  Suède  ciMitrale,  correspondant  à  celui  des  Vosges,  entre 
800  et  l^OO  mètres  d'altitude,  et  des  Alpes  françaises,  entre  1500  et  1700 
mètres  :  c'est  là  aussi,  dans  ces  montagnes,  la  zone  d'élévation  où  les  con- 
structeurs ont  à  chercher  leurs  bois  de  mâture'. 

L'étendue  même  des  forêts  Scandinaves  a  jus(|u'à  nos  jours  accoutumé 
les  habitants  à  la  [)rotligalilé  dans  l'usage  des  bois  pour  le  chauffage,  la 

'  Cil.  Mailiiis,  Du  Spitzbcrg  au  Saltaïa. 

*  Forseli,  Slalistik  van  Scliueilen. 

'  Mémoii'os  (le  Bravais,  Gliaik's  Marliiis,  Cliurles  Grad,  etc.  .       '     ' 


FLORE  ET    FAINE  DE   LA    SCANDINAVIE.  <29 

construction,  les  usages  industriels,  l'exportation,  et  par  suite  de  vastes 
espaces  ont  été  déboisés.  De  Malmô  à  Stockholm,  sur  tout  le  parcours 
du  chemin  de  fer,  on  voit  partout  des  bois  entrecoupés  d'eaux  et  de 
cultures,  mais  pas  de  massifs  de  grands  arbres  exploitables  pour  la  ma- 
rine; pourtant  d'anciennes  sagas  nous,  racontent  que  ce  pays  était  autre- 
fois une  immense  forêt  de  chênes  et  de  hêtres;  des  bandes  de  porcs  la 
parcouraient  comme  ils  parcourent  aujourd'hui  les  chênaies  des  Serbes 
et  des  Croates'.  Dans  la  Norvège  méridionale,  il  ne  reste  plus  de  forêts 
dignes  de  ce  nom  par  la  hauteur  des  arbres  que  loin  des  roules  d'accès, 
et  déjà  de  nombreuses  usines  métallurgiques  ont  dû  être  abandonnées 
parce  que  le  combustible  manque  pour  la  fusion  du  fer.  En  ces  régions 
froides,  la  végétation  des  arbres  est  lente  et  la  destruction  des  forêts  y 
devient  ainsi  la  cause  d'un  appauvrissement  prolongé  de  la  contrée. 
Tandis  que  les  Norvégiens  emploient  peut-être  en  proportion  cinq  fois 
plus  de  bois  que  les  Français,  seulement  pour  la  coiisoniniatiou  lotale, 
leur  sol  en  produit  cinq  fois  moins  sur  une  même  surface,  à  cause  de  la 
faible  épaisseur  des  couches  ligneuses  annuelles,  noui'ries  par  un  sol  cris- 
tallin; sur  les  pentes  de  plusieurs  montagnes",  la  destruction  des  arbres  a 
déjà  fait  baisser  de  100  mètres  le  front  supérieur  de  la  forêt.  Des  mesures 
de  préservation  ont  dû  être  édictées  :  en  vertu  d'une  loi  de  1875,  les 
propriétaires  des  provinces  septentrionales  de  la  Suède  doivent  respecter 
désormais  les  fûts  ayant  moins  de  25  centimètres  d'épaisseur  à  hauteur 
d'homme.  Dans  l'île  de  Gotland,  on  a  même  dû  interdire  complètement 
l'exploitation  du  bois  pour  la  vente. 

Les  animaux  sauvages  qui  peuplaient  autrefois  les  forêts  de  la  Scandi- 
navie sont  devenus  rares.  Les  ours,  les  loups,  les  lynx,  les  goulus  sont  mis 
à  prix,  de  même  que  les  renards  et  les  oiseaux  de  {iroie,  et  ne  se  voient 
plus  que  dans  les  régions  écartées'.  L'élan  n'a  point  encore  dispinii  des 
montagnes  de  la  Nwvège,  et  il  en  existe  même  une  bande  au  nord  de 
Christiania  :  elle  serait  rapidement  tîxterminée,  s'il  n'était  défendu  de  la 
chasser.  Le  chevreuil,  le  cerf  se  rencontrent  aussi  dans  les  forêts  de  la 
Norvège,  etquelques  îles  des  environs  de  Bergen  et  de  Trondhjem  sont  des 
parcs  de  chasse  pour  leurs  propriétaires.  L'aurochs  vivait  en  Scanie  à 
l'époque  de  la  pierre  :  on  en  voit  un  au  musée  de  I.und  portant  encore  la 

'  L.  V.  Buch,  {{fisc  (Iwch  ^orwcyen  und  Lnpplnnd, 

'  0.  J,  Brocli,  Le  royaume  de  Norvcge  et  le  peuple  norvégien. 

'  Animaux  sauv.ngcs  tués  en  Suède,  d'après  Statislisk  Tidskrifl,  1883,  I  : 

Our9.         Loups.        Lynx.      Clouions.     ncilorJs.    Oiscniix  de  proie. 

De  1856  h  1860.  .  .  .   618    W.>         87'.    611      —       — 

De  1876  b  1880.  .  .  .   2'JO    183    331    651    58  719    72  755 

ï.  17 


iÂO  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

marque  d'une  blessure  fiiite  par  une  flèche  en  silex'.  Çà  et  là  se  main- 
tiendrait le  castor,  jadis  si  commun  et  de  nos  jours  si  rare  en  Europe. 
Le  lièvre,  peu  timide  en  hiver,  quand  son  pelage  se  confond  par  la  blan- 
cheur avec  les  neiges  environnantes,  est  commun  dans  les  régions  mon- 
tagneuses du  nord  de  la  Scandinavie,  et  les  rongeurs  lemraing  (lemmis 
norvégiens)  descendent  en  bandes  innombrables  des  plateaux  norvégiens 
vers  la  mer.  Quant  au  renne,  on  ne  le  retrouve  plus  à  l'état  sauvage  dans 
les  vallées  suédoises  ;  naguère  encore  il  vivait  en  grands  troupeaux  sur 
toutes  les  hautes  terres  de  la  Norvège  méridionale,  des  montagnes  de  Tele- 
marken  au  plateau  de  Dovre,  mais  le  nombre  en  a  beaucoup  diminué  depuis 
que  les  chasseurs  se  servent  de  fusils  à  lir  rapide  et  à  longue  portée.  Dans 
la  Scandinavie  du  nord,  le  renne  sauvage  a  cessé  d'exister  :  on  ne  voit  plus 
que  l'animal  domestique  des  Lapons.  Le  renne  qui  vivait  en  Scanie,  et  dont 
on  trouve  des  squelettes  çà  et  là  dans  les  tourbières,  appartenait  à  une 
autre  race  que  ceux  de  la  Laponie  :  il  était  probablement  l'animal  dont 
parle  César  et  qui  peuplait  la  forêt  Hercynienne.  Le  ftiit  que  le  renne  n'a 
pas  émigré  de  Scanie  en  Laponie  est  prouvé  par  l'absence  complète  de 
restes  de  ce  quadrupède  dans  toute  la  vaste  région  de  la  péninsule  Scan- 
dinave qui  sépare  les  deux  provinces  \  C'est  de  l'est,  des  régions  de  la 
Russie  septentrionale,  que  sont  venus  les  immigrants  nomades  avec  leurs 
troupeaux  de  rennes  domestiques. 

Presque  toutes  les  espèces  d'oiseaux  qui  vivent  sur  les  rives  méridionales 
de  la  Baltique  se  rencontrent  aussi  dans  la  péninsule  Scandinave,  mais 
beaucoup  moins  nombreux  :  les  forêts  de  la  Suède  sont  plus  silencieuses 
ipie  les  bosquets  de  l'Allemagne  ;  toutefois  on  a  remarqué  que  les  progrès 
de  la  culture  dans  la  Scanie  et  dans  la  Suède  centrale  ont  augmenté  dans 
le  pays  les  tribus  d'oiseaux  chanteurs.  Quant  aux  oiseaux  de  mer,  ils  tour- 
billonnent autour  des  rochers  du  littoral  norvégien  en  aussi  grand  nombre 
qu'autour  des  «  piliers  »  de  la  mer  des  Shetland  et  des  Fàrôer  ou  des 
Fuglasker  d'Islande.  Quelques  îles  des  Lofoten  et  des  Tester  Aalen  portent 
spécialement  le  nom  de  mjker  ou  de  «  montagnes  des  oiseaux  »,  à  cause  de 
la  multitude  des  jùngouins,  des  macareux,  des  guilleraots,  des  mouettes, 
(pii  nichent  sous  les  mottes  de  gazon  des  terrasses.  De  loin,  ces  nyker, 
enveloppées  du  vol  incessant  des  oiseaux  mâles,  paraissent  revêtues  d'une 
vapeur  tremhlolanle.  Le  bruissement  des  ailes  s'entend  à  des  kilo- 
mètres de  dislance,  et  de  près   resscMihlc  à  un  siniement  de  lempète.  Le 


'  NiUsnn,  Les  liabiiattls  primitifs  de  la  l'irandinniic. 

-  l^'il^sull,  iiioine  ouvni-e;  —  \Voisa;iu,  La  colonisation  rie  la  Riis.ie  et  du  Nord  Scandinave. 


FAUNE  DE  LA  SCANDINAVIE.  131 

man{|iic  de  ports  ou  de  criques  d'abri  rend  ces  îles  d'un  accès  difficile 
pour  riioninie  ;  mais  il  y  aborde  pendant  les  jours  de  calme  et  lait  sa  pro- 
vision d'œufs  et  d'oiseaux  au  moyen  de  chiens  bassets  qui  pénètrent  dans 
les  galeries  souterraines  des  nids.  L'eider,  assez  rare  dans  les  fjords  méri- 
dionaux de  la  Norvège,  est  très  commun  dans  les  îles  du  Finmark,  de  même 
que  dans  l'archipel  des  Vester  Aalen  et  des  Lofoteu  :  richesse  principale  des 
habitants,  il  est  protégé  contre  les  chasseurs  de  passage  par  une  loi  sé- 
vère de  1860. 

Les  mers  qui  baignent  le  littoral  norvégien  sont  aussi  très  riches  en  vie 
animale,  beaucoup  plus  que  les  eaux  baltiques  des  rives  suédoises.  Le 
repaire  du  fabuleux  «  serpent  de  mer  »,  le  Molde-fjord,  entre  Aalesund 
et  Christianssund,  est,  de  toutes  les  baies  de  la  Scandinavie,  celle  qui 
abonde  le  plus  en  organismes  marins'.  Dans  aucune  mer  européenne, 
si  ce  n'est  près  de  la  côte  du  Portugal,  les  pêcheurs  ne  promènent  leurs 
hameçons  à  de  plus  grandes  profondeurs  que  dans  les  eaux  du  littoral 
norvégien.  A  200  mètres,  à  400  mètres  même,  ils  capturent  une  espèce 
de  morue,  le  Iota  des  abîmes;  un  saumon  d'eau  salée,  corcgonus  silus; 
un  requin  bizarre,  spinax  nicjer,  dont  la  peau  semble  hérissée  d'aiguilles 
de  cristal,  et  la  «  chimère  monstrueuse  »,  poisson  grotesque  et  vorace 
que  les  Norvégiens  appellent  le  «  roi  de  la  mer  ».  Dès  l'année  1855,  le 
célèbre  Âsbjornson,  le  poète  naturaliste,  draguant  le  fond  du  llardanger- 
fjord,  à  560  mètres,  ramena  de  ces  abîmes  un  admirable  échinoderme 
en  forme  d'étoile,  tout  différent  des  espèces  d('jà  connues,  et,  dans  sa 
joie,  il  lui  donna  le  nom  mythologique  de  Brisinga,  comme  s'il  avait 
retrouvé  le  hrisiiuj  sacré,  l'ornement  de  la  déesse  Freya,  jeté  dans  la  mer 
par  Lokc,  le  méchant  dieu'.  C'est  grâce  à  ces  pèclies  en  eau  profonde 
que  les  deux  Sars  et  d'autres  naturalistes  norvégiens  ont  fait  leurs  impor- 
tantes découvertes  dans  la  faune  océanique  :  en  peu  d'années  Sars  le  père 
signala  l'existence  de  427  espèces  nouvelles,  sans  compter  les  poissons, 
presque  tous  retirés  des  parages  de  Skraaven,  dans  les  Lofolen,  de  500 
à  480  mètres  de  profondeur.  Le  cétacé  que  les  pêcheurs  hollandais  pour- 
chassaient, il  y  a  deux  siècles,  sur  les  côtes  du  Finmark,  a  dis])aru  com- 
plètement des  mers  Scandinaves  :  la  crique  de  Bosekop  ne  mérite  plus 
aujourd'hui  son  nom  di;  «  Baie  de  la  Baleine  »,  et  les  habilanls  du  pays 
conservent  précieusement  comme  des  objets  étrangers  les  côtes  de  baleint^ 
abandonnées  jadis  sur  les  pl'ages.  Lorsque  Léopold  de  Bucli  visita   la  L  .- 


'  Sars;  —  Car)  \o^l,  i\'oid-Faliit. 

*  Sars,  On  some  rcmarkablc  forms  of  animal  life. 


152  NOUVELLE   GEOGRArillE   UNIVERSELLE. 

poilie  au  commencement  du  siècle,  le  cimetière  de  Hasvik  était  presque 
entièrement  entouré  d'une  ban'ièi'e  formée  de  ces  ossements. 

On  sait  quelle  est  l'importance  de  la  pèche  dans  certaines  parties  des 
mers  qui  Laignent  le  littoral  Scandinave.  Les  côtes  suédoises  de  Gôleborg, 
du  llalland,  du  Boluislan,  fournissent  une  part  considérable  de  leur  ali- 
mentation aux  habitants,  et  des  milliers  de  bateaux  poursuivent  la  morue, 
les  harengs  et  d'autres  poissons  du  Kat légat  au  cap  Nord.  Un  dixième  de  la 
]io[iulation  norwégienne  est  ichthyophage  ;  mais  son  industrie  est  soumise 
à  bien  des  mécomptes  à  cause  du  déplacement  des  bancs  de  poissons.  Les 
harengs,  qui,  il  y  a  cent  ans,  foisonnaient  dans  les  mers  de  Goteborg,  dis- 
parurent soudain  au  commencement  du  siècle,  et  la  population  riveraine, 
privée  de  ses  ressources  alimentaires  les  plus  abondantes,  tomba  dans  une 
grande  misère.  Les  harengs  sont  revenus,  beaucoup  moins  nombreux 
d'abord,  puis  en  quantités  énormes,  dans  l'hiver  de  1878  à  1879.  De 
même,  sur  la  côte  norvégienne  comprise  entre  Lindesnœs  et  le  cap  Stad, 
les  harengs  se  sont  présentés  en  hiver  très  irrégulièrement,  et  souvent 
même  ils  ont  complètement  manqué  :  de  1567  à  1644,  pendant  près  d'un 
siècle,  ils  avaient  disparu  de  la  côte.  De  1808  à  1855  on  put  pêcher  le  hareng 
en  abondance  aux  environs  de  Bergen  et  au  sud  de  cette  ville,  puis  il  se 
déplaça  graduellement  vers  le  Lindesnœs,  pour  osciller  ensuite  çà  et  là. 
D'après  0.  Sars,  le  déplacement  des  bancs  de  harengs  provient  de  la  plus 
ou  moins  grande  richesse  des  «  pâturages  »  de  crevettes,  d'annélides  et  de 
mollusques,  et, dans  une  moindre  mesure,  de  l'induence  des  vents  et  des 
courants.  C'est  entre  les  caps  Lindesnœs  et  Stad  et  dans  les  parages  de 
Goteborg,  que  se  fait  actuellement  la  «  pèche  d'hiver  »  du  hareng,  qui 
arrive  en  janvier  sur  les  côtes.  La  pêche  estivale  de  ce  poisson  est  plus 
variable  que  celle  de  l'hiver,  et  les  pêcheurs  doivent  se  porter  successive- 
ment sur  divers  points  de  la  côte,  du  Lindesnies  aux  Lofoten.  Dans  les 
parages  du  nord,  c'est  aussi  un  fait  d'expérience  que  les  bancs  de  morues 
se  déplacent,  suivant  les  périodes,  de  l'un  à  l'autre  côté  des  Lofoten.  La 
grande  pêche  printanière  de  la  morue  occupe  toute  la  population  des 
îles  et  des  étrangers  venus  en  masse.  La  morue  séchée  va  nourrir  les 
paysans  de  la  Suède,  de  la  Russie,  de  la  Hollande,  de  l'Italie;  tandis  que 
le  poisson  salé  se  répand  en  Allemagne,  en  Espagne,  au  Portugal,  à 
Cuba;  son  foie  sert  à  la  préparation  de  l'huile  et  10  à  27  millions  de  têtes 
sont  li-ansformées  en  guano.  Après  avoir  jeté  son  frai,  la  morue  remonte 
vers  le  Finmark,  suivie  par  les  pêcheurs,  qui  font  en  été  une  espèce  de 
regain.  Le  maquereau,  le  hoinnrd,  i|ue  les  pauvres  pèchent  avec  des 
paniei's;  le  saumon,  (pii   abonde  aux  bouches  des  rivières;  la  lingue  et 


PÈCHES  SUR  LES  CÔTES  DE  NORVÈGE.  133 

d'autres  poissons  complètent  les  ressources  de  la  population  norvégienne. 
Actuelleraenl,  on  a  imaginé  de  mettre  le  télégraphe  au  service  de  la  pêche, 
et  dès  qu'une  «  montagne  »  de  harengs,  de  morues,  de  maquereaux  ou  de 
squales  se  montre  dans  le  voisinage  des  côtes  ou  des  îles,  un  avis  pré- 
vient aussitôt  les  marins  du  littoral.  En  1877,  il  y  avait  déjà  près  de 
4000  kilomètres  de  ces  «  télégraphes  aux  harengs  »  sur  les  côtes  et  dans 
les  fjords.  Quel  contraste  entre  le  langage  instantané  des  fils  électriques  et 
les  charmes  inventés  jadis  par  les  pêcheurs  pour  forcer  le  poisson  à  se  di- 
riger vers  les  filets  !  C'était  naguère  une  superstition  générale  sur  les  côtes 
de  Norvège  que  les  esprits  de  la  mer  ne  pouvaient  souffrir  un  langage  hu- 
main compréhensihle.  Aussi  les  marins  et  les  pêcheurs  avaient-ils  inventé 
une  langue  imagée,  aux  comparaisons  et  aux  tours  les  plus  bizarres,  afin 
que  les  monstres  de  l'abîme  ne  réussissent  pas  à  en  pénétrer  le  mystère.  Dans 
quelques  villages,  celte  étrange  incantation  de  la  mer  subsisterait  encore. 
La  pêche  de  la  morue  est  la  vie  même  des  populations  i-iveraines  du 
Finmark,  Norvégiens,  Finnois  et  Russes,  aussi  bien  que  Lapons.  Quand  les 
mers  fournissent  une  récolte  abondante  de  poisson,  la  mortalité  diminue, 
la  population  s'accroît,  l'aisance  devient  générale.  Les  harengs  se  montrent-ils 
en  nombre  vers  la  fin  de  l'été  dans  les  ijords  de  la  Laponie,  la  tristesse 
est  universelle,  car  les  pêcheurs  savent  par  une  longue  expérience  que  les 
harengs  et  les  morues  ne  fréquentent  pas  successivement  les  mêmes  eaux 
dans  la  même  année  ;  les  bancs  pressés  des  premiers  annoncent  pour  le 
printemps  suivant  une  bien  pauvre  récolte.  Mais  que  les  harengs  soient 
peu  nombreux,  et  l'on  prépare  les  engins  de  capture  dans  tous  les  ports 
du  littoral;  on  construit  de  nouvelles  barques,  on  se  groupe  en  nom- 
breuses compagnies  de  pêche  ;  d'avance  on  sait  que  les  j)oissons  désirés 
arriveront  en  multitudes.  Les  pêcheurs  de  profession.  Norvégiens,  Finnois, 
Russes  et  Lapons,  ne  sont  pas  les  seuls  qui  prennent  part  à  la  curée 
dans  les  années  de  bonne  pêche  :  on  voit  accourir  aussi  vers  le  littoral  des 
caravanes  d'hommes,  de  femmes,  d'enfants,  de  chiens  et  de  rennes.  Les 
Lapons  des  forêts,  attirés  vers  la  mer,  partent  comme  les  oiseaux  émi- 
grants  et  reviennent  comme  eux. 

IX 

La  population  de  la  Scandinavie  n'a  d'histoire  écrite  que  depuis  une 
vingtaine  de  générations.  Les  premières  chroniques,  datant  de  la  fin  du 
onzième  siècle,  sont  prcsqu(!  complètement  perdues  :  de  cette  époque  et 
des  âges  aiili'rirurs  depuis  le  inilicii  dn  neuvième  siècle,  il  ne  reste  que 


154  KOLVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

les  vagues  traditions  rapportées  par  les  sagas.  Au  delà,  dans  la  nuit  des 
temps,  on  ne  trouve  que  les  témoignages  laissés  sur  le  sol  ou  dans  la  terre 
par  les  anciennes  peuplades. 

Par  ses  débris  archéologiques,  la  Suède  méridionale  ressemble  beaucoup 
aux  îles  danoises  et  paraît  avoir  été  habitée  par  des  hommes  de  la  même 
race  et  de  mœurs  analogues  ;  mais  au  nord  de  cette  région  s'étend  un  autre 
domaine.  La  Suède  septentrionale  et  la  Norvège  n'ont  point  de  kjokken- 
nioddinger  des  âges  de  la  pierre,  si  ce  n'est  un  seul,  trouvé  près  des  bords 
du  fjord  de  Trondhjom,  à  Slenkjaer;  mais  cet  amas  de  débris  ne  renferme 
que  des  objets  appartenant  aux  temps  de  la  pierre  polie.  Jusqu'à  nos  jours, 
ni  instruments  d'os,  ni  outils  de  pierres  éclatées  ou  taillées  grossièrement, 
telles  qu'on  les  voit  dans  les  kjokkenmôddinger  danois  et  les  cavernes  à 
ossements  de  la  Belgique  et  de  la  France,  n'ont  clé  rencontrés  dans  les  ré- 
gions de  la  Scandinavie  situées  au  sud  du  détroit  formé  par  les  grands 
lacs.  On  en  conclut  que  la  Scandinavie  du  nord  était  alors  déserte  :  les 
immigrants  n'y  pénétrèrent  qu'à  l'époipie  de  la  pierre  polie;  les  objets 
de  ces  âges  sont  les  plus  anciens  qu'on  y  ait  découverts'.  Les  mammouths, 
les  rhinocéros,  dont  les  restes  se  trouvent  mêlés  dans  les  cavernes  de  la 
France  aux  débris  de  l'industrie  humaine  paléolithique,  manquaient  égale- 
ment dans  la  péninsule  Scandinave  :  depuis  la  retraite  des  glaces,  ils 
n'avaient  pas  eu  le  temps  de  s'emparer  du  pays. 

On  ignore  l'époque  précise  à  laquelle  doivent  être  attribués  les  restes 
des  premiers  Scandinaves  et  de  leur  industrie,  mais  des  indices  géolo- 
giques nous  prouvent  que  cet  âge  est  déjà  fort  éloigné  de  nous  :  il  date 
sans  doute  des  temps  où  les  glaces,  qui  couvraient  autrefois  toute  la 
contrée,  se  fondirent  peu  à  peu.  Mais  il  est  probable  que  Niissou  donne 
aux  premiers  habitants  du  pays  une  trop  haute  antiquité  :  les  preuves  qu'il 
c"<te  à  l'appui  de  ses  hypothèses  n'ont  peut-être  pas  toute  la  valeur  qu'il 
leur  attribuait  et  que  leur  conteste  M.  Torell.  Le  long  des  côtes  de  la  Bal- 
tique se  développe  de  l'est  à  l'ouest,  de  la  ville  d'Yslad  à  Trelleborg  et  à 
la  pointe  de  Falslei-bo,  une  sorte  de  large  rempart  composé  de  graviers  et 
de  sables,  interrompu  çà  et  là,  et  divisé  en  fragments  inégaux  formés  pro- 
bablement à  des  époques  différentes  :  on  lui  donne  le  nom  de  Jàravall 
ou  de  «  colline  de  Jiira  ».  Au-dessous  de  ces  graviers,  Nilsson'  a  décou- 
vert des  pointes  de  flèches  et  de  lances  reposant  sur  le  fond  d'anciennes 
tourbièics  se  trouvant  actuellement   à  jilus  de  2  mètres  en  contrebas  du 

'  V\ois.aac,  La  colunistttioii  de  la  Russie  et  du  Nord  Scandinave,  —  Mlsson,  Les  hahUanls  pri- 
td/Zi/s  de  ta  Scandimwie;  —  Kucli.  Coiifjrès  d'Anlliiopuloyie  de  Stockholm,  187i. 
*  Les  liubitanls  primitifs  de  la  Scandiiiaiic. 


ANCIENNES  POPULATIONS  DE  LA  SCANDINAVIE.  dôS 

niveau  ilo  la  nier.  Mais  le  Jaravall.  que  l'on  croyait  aulrelois  de  formation 
ancienne,  paraît  être  un  cordon  littoral  d'origine  moderne.  Quant  aux 
squelettes  humains  trouvés  à  différentes  époques  sur  les  côtes  du  Bolius- 
lan,  dans  les  bancs  de  coquillages  exhaussés  maintenant  au-dessus  de  la 
mer,  ils  n'ont  point  été  vus  ni  étudiés  par  des  savants  dans  l'esprit  cri- 
tique desquels  on  puisse  avoir  confiance.  En  1845,  on  découvrit  deux  de 
ces  squelettes  dans  la  péninsule  de  Stângenâs,  près  de  Bro,  cachés  encore 
sous  des  strates  horizontales  de  coquilles  marines,  actuellement  soulevées 
à  50  mètres  au-dessus  de  la  mer  ;  mais  rien  ne  prouve  que  les  strates 
de  coquilles  se  trouvent  bien  dans  leur  position  première,  et  l'on  ignore 
si  les  squelettes  appartiennent  ou  non  à  l'âge  de  la  pierre'. 

Les  sépultures  de  l'âge  de  la  pierre  polie,  fort  nombreuses  dans  la 
Scanie,  dans  la  Gothie  et  dans  le  Bohuslân,  c'est-à-dire  dans  la  Scandinavie 
méridionale,  manquent  comme  les  kjokkenmoddinger  dans  le  nord  de  la 
péninsule.  Elles  se  présentent  sous  diverses  formes  :  dolmens  ou  slend- 
ôsar,  érigés  pour  la  plupart  sur  des  buttes  funéraires;  hdllkixtnr  ou  sortes 
de  grands  cercueils  en  pierres  levées,  entourées  de  terre;  fjiingijrifler, 
sépultures  à  galeries,  appelées  aussi  jdttesturjor  ou  chambres  de  géants. 
Ces  ossuaires,  assez  vastes  pour  contenir  jusqu'à  vingt  corps  et  même 
davantage,  forment  le  plus  souvent  un  carré  long,  parfois  un  cercle,  et 
sont  recouverts  d'un  toit  plat  en  grosses  dalles  de  granit,  sur  lequel 
s'élèvent  des  monticules  en  terre  ou  des  amas  de  pierres  :  une  longue 
et  étroite  galerie  conduit  de  l'extérieur  dans  la  salle  funéraire,  et  presque 
toutes  s'ouvrent  du  côté  du  sud  cl  de  l'est.  Les  blocs  ne  sont  jamais  tail- 
lés, et  les  instruments  et  les  armes  trouvés  à  côté  des  cadavres,  à  crâne 
dolichocéphale  pour  la  plupart,  appartiennent  tous  aux  âges  néolithiques. 
A  cette  époque,  presque  toutes  les  sépultures  renfermaient  des  perles 
d'amiue  disposées  en  colliers  et  en  parures  :  ou  les  trouve  même  dans 
les  tombeaux  de  l'intérieur  des  terres  où  l'ambre  devait  avoir  été  trans- 
porté des  rives  de  la  Baltique.  Les  Scandinaves  de  l'époque  des  dolmen 
aimaient  aussi  à  se  parer,  comme  les  chasseurs  Peaux-Bouges,  de  col- 
liers et  de  pendeloques  faits  en  os  et  eu  dents  d'animaux  sauvages'. 
Est-ce  du  même  âge  que  datent  les  nombreuses  pierres  dans  lesquelles  ont 
été  creusées  des  ccuelles  et  que  l'on  connaît  d'ordinaire  sous  le  nom  de 
«  pierres  des  Elfes  »  ou  clfstcnar  ?  Des  paysans  y  sacrifient  encore  aux 
génies  de  la  terre  on  mettant  dans  les  écuellcs  des  aiguilles,  de  l'argent, 


'  llildcbrand,  Noirs  manuscrilef. 

'  Oscar  Mi)iilcrus,  La  Suéde  préhistorique. 


136  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

du  papier,  ou  bien  en  les  oignant  de  saindoux  pour  olitenir  la  guérison 
de  certaines  maladies  '  :  c'est  là  une  coutume  qui  naguère  existait  aussi 
en  Poméranie  et  qui  se  retrouve  encore  dans  les  Indes;  elle  était  générale 
dans  les  pays  à  dolmens. 

Sur  trente-six  mille  trouvailles  des  âges  de  la  pierre  faites  jusqu'en  1874 
dans  le  territoire  de  la  Suède,  trente-quatre  mille  l'ont  été  dans  les  pro- 
vinces méridionales,   c'est-à-dire   la  Gothie.    Les    contrées    du  nord    res- 
tèrent donc  fiiiblement  peuplées   pendant   la   période  de   la  pierre  polie; 
mais  les  haches  et  les  flèches  de  cet  âge  que  l'on  trouve  sur  le  littoral  nor- 
végien sont  du  même  type  que  celles  de  la  Scanie  :  plus  au  nord,  dans  la 
Laponîe  actuelle,  des  fouilles  ont  révélé  aussi  des  armes  et  des  instruments, 
mais  ils  sont  en  schiste  ou  en  os  et  d'un  modèle  original*.  Lorsque  l'âge 
du  bronze  vnit  en  Scandinavie  succéder  à  celui  de  la  pierre,  c'est  aussi  dans 
la  Gothie  que  se  développa  surtout  la  civilisation  pénétrant  du  sud-est  par 
deux  voies  différentes,  celle  du  Danube  et  de  l'Allemagne  du  centre,  et 
celle  des  rivières  qui  descendent  du  pays  slave  dans  la  Baltique'.  De  cette 
époque  datent  les  écritures  hiéroglyphiques  ou  «  sculptures  des  rochers  » 
{luillristnitvjfir)  que  l'on  rencontre  çà  et  là  dans  la  Scanie,  la  Gothie,  le 
Bohuslâa  de  Suède  et  de  Smaalenene  île  Morvège,   et  qui  représentent  des 
flottilles,  de  grands  bateaux  à  tète  de  dragon,  des  voitures,  des  charrues, 
des  bœufs,  et  d'autres  animaux,  des  guerriers,  des  chasseurs  et  des  marins*. 
De  beaux  vases,  des  parures,  des  diadèmes  de  bronze,  ainsi  que  des  tissus 
iinement  brodés,   témoignent  de   l'originalité    artistique    des    indigènes 
des  âges  du  bronze;  toutefois  un  grand  nombre   d'archéologues  pensent 
que  l'influence  des  Étrusques  a  été   prédominante  dans  cette  période  de 
l'art  Scandinave;  d'ailleurs,  la  plupai-l  des  antiquités  suédoises  des  deux 
époques  de  l'âge  du  bronze  ont  été  certainement  fondues  dans  le  pays,  ainsi 
qu'en  témoignent  les  moules  en  pierre  trouvés  çà  et  là;  mais  le  bronze 
(icvMil   être  importé  à  l'état  d'alliage,  car  il  contient  environ  un  dixième 
d'élain,  et  ce  métal  manque  dans  la  péninsule  Scandinave;  peut-être,  ainsi 
que  l'admetlenl  MM.  Bataillard  et  de  Mortillet,  la  fabrication  des  objets  en 
bronze  était-elle  le  métier  de  tribus  errantes,  comparables  aux  Bohémiens 
de  nos  jours.  Nilsson  ci'oit  avoir  retrouvé  dans  la  contrée  de  nombreuses 
traces  de  l'industrie  phénicienne  ;   il  attribue  à  ces  Sémites  les  pierres 


'  Dcsor,  Lc^  pierres  à  ècuelles. 

^  Ilvifli,  Anliiiuilés  nori'c'riienne.i  :  \i<\.  I,    ("lu'istiunia.  1880;  —  Monlclius,   Conijrcs  d'Aiithro- 
poloijic  cl  d' .\rclicolo(jie  préhislariquc,  secliim  de  Slockliolm,  1874. 
'  Oscar  Miiuli'lius,  La  Sucdc  préhislorique. 
♦  Oàcar  Monli'lius,  niomc  ouvrage. 


ANTIOriTÉS   SCAMllNWES.  137 

tombales  où  sont  figurés  des  vaisseaux  et  des  images  de  navires,  de  liaciies, 
de  glaives;  mais  cette  opinion  du  savant  archéologue  n'est  pas  générale- 
ment admise,  à  cause  du  manque  d'inscriptions  :  on  ne  comprendrait  pas 
que  les  Phéniciens  se  fussent  abstenus  de  graver  des  lettres  précisément 
sur  les  monuments  laissés  par  eux  en  Scandinavie'.  Quant  à  la  civilisa- 
lion  grecque,  elle  n'est  certainement  pas  représentée  en  Scandinavie,  si  ce 
n'est  peut-être  par  quelques  trouvailles  entièrement  isolées  faites  sur  les 
côtes  orientales  de  la  Suède  ^ 

Mais  l'influence  de  Rome  agit  [luissamment,  quoique  d'une  manière 
indirecte,  sur  les  populations  de  la  péninsule  du  nord.  En  dehors  même 
des  frontières  de  l'empire,  les  populations  barbares  suivaient  l'impulsion  qui 
leur  était  donnée  par  les  conquérants  du  monde  méditerranéen  ;  elles  se 
servaient  mieux  du  fer  que  leur  avaient  apporté  les  Celtes  et  commençaient 
à  employer  une  série  de  lettres,  parente  de  l'alphabet  des  Latins  et  dérivée 
de  celui  qu'employaient  les  tribus  celtiques  de  l'Italie  du  Nord.  D'ailleurs 
cette  série  des  runes  ou  des  «  mystères  »  (runar  ou  runir),  variant  chez 
l(>s  Celles  et  les  Germains,  s'est  grandement  modifiée  pendant  le  cours  des 
âges  :  sur  divers  monuments  les  inscriptions  doivent  se  lire  de  droite  à 
gauche,  tandis  que  d'ordinaire  elles  se  lisent  de  gauche  à  droite,  comme 
les  lettres  latines;  plusieurs  se  composent  de  lignes  «  boustrophédon  ». 
où  l'ordre  des  lettres  alterne  de  l'un  à  l'autre  côté  ;  il  en  est  aussi  qu'on 
lit  de  haut  en  bas.  Les  caractères  changent  suivant  les  temps  et  les  lieux, 
et  dans  le  nord  notamment,  loin  des  contrées  de  provenance,  ils  se  dis- 
tinguent par  l'originalité  de  leur  forme  ;  c'est  aussi  en  Scandinavie  que 
leur  nombre,  d'abord  de  vingt-quatre,  se  réduisit  à  seize".  Les  runes 
étaient  gravées  sur  les  pierres  ou  sur  les  os,  taillées  dans  le  bois,  dans  la 
corne,  ciselées  sur  les  parures  et  sur  les  armes  :  les  musées  de  la  Scan- 
dinavie en  renferment  de  grandes  collections,  qui  n'ont  guère  fourni  de 
renseignements  sur  l'histoire  spéciale  de  la  race,  mais  qui  en  ont  du  moins 
fait  connaître  la  langue  et  ses  variations  successives.  Au  moyen  âge  on 
écrivait  même  des  livres  entiers  en  caractères  runiques  :  la  loi  de  Scanie 
[SkânclcKjen) ,  qui  date  du  treizième  siècle,  a  l'-lé  écrite  de  cette  manière*. 
Les  ornements  d'or  appelés  bractéates,  que  l'on  trouve  en  quantité  ntMif 
fois  plus  considérable  eu  Scandinavie  que  dans  tous  les  autres  pays  de  l'Ku- 
ropc  réunis,  sont  pour  la  plupart  couverts  de  signes  runiques;  les  figures 

'  Mainov.  hvrsthja  Koiissk.  Geo/jrdf.  Ohchtcheslia,  1877,  n°  6. 

*  Worsaac,  La  colonisalion  de  la  Russie  el  du  yord  scanilhiuvc. 

^  Wiiiiinei-,  Ueber  den  Uisprung  und  die  Entwickehmg  der  Runenschrifl  im  .'\oiden. 

*  Osciir  Miititflius.  La  Suède  préhistorique. 

V.  18 


158  NOUVELLE    GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

de  héros,  de  chevaux,  d'oiseaux,  de  dragons,  que  les  artistes  de  l'époque 
y  gravèrent,  semblent  toutes,  d'après  Worsaae,  se  rapporter  à  des  légendes 
du  >"ord. 

L'âge  du  fer,  pendant  lequel  les  connaisseurs  des  «  mystères  »  écrivaient 
leurs  caractères  sacrés,  se  fond  peu  à  peu  avec  les  âges  historiques  vers 
l'époque  des  grandes  expéditions  normandes  ;  mais  peut-on  limiter  ainsi 
les  différents  âges?  Aux  temps  de  Rome,  lorsque  les  Scandinaves  échan- 
geaient déjà  des  marchandises  pour  des  monnaies  italiennes,  n'avaient-ils 
pas  en  même  temps  des  armes  de  fer,  des  ornements  de.  bronze  et  d'or, 
des  outils  de  pierre?  Les  runes  n'ont-ils  pas  continué  d'être  employés 
dans  l'ile  de  Gotland  jusqu'au  seizième  siècle,  c'est-à-dire  jusqu'à  une 
époque  postérieure  à  l'invention  de  l'imprimerie,  et  les  calendriers  runi- 
ques  ne  sont-ils  pas  restés  en  usage  en  certains  districts  reculés  de  la 
Scandinavie,  et  même  de  l'Angleterre',  jusqu'à  une  époque  encore  plus 
rapprochée  de  nous?  L'âge  du  schiste  ne  s'est-il  pas  continué  en  La- 
ponic  jusqu'à  la  fin  du  siècle  dernier'?  Chaque  civilisation  nouvelle  vient 
se  substituer  par  degrés  aux  plus  anciennes,  non  les  supprimer  brusque- 
ment. Les  rites  religieux  de  cultes  antiques,  maintenus  sous  le  nom  de 
superstitions,  témoignent  de  ce  mélange  des  âges,  semblables  aux  eaux 
encore  distinctes  de  plusieurs  fleuves  coulant  dans  un  même  lit.  Ainsi  le 
jeudi  ou  jour  de  Thor  {Thorsda<j  en  suédois)  était  encore,  il  y  a  un  siècle, 
tenu  pour  saint  en  diverses  parties  de  la  péninsule,  notamment  dans  les 
Alpes  Scandinaves  et  dans  la  Gothie.  Même  au  commencement  du  siècle, 
quelques  vieilles  femmes  ne  filaient  jamais  et  ne  fîiisaient  point  de  beurre 
le  jeudi  :  la  plupart  des  travaux  pénibles  ou  importants  étaient  interdits 
ce  jour-là  par  la  coutume  :  la  «  vieille  barbe  rouge  »  défendait  de  le 
profaner  par  le  travail.  D'autre  part,  tous  les  actes  de  magie  devaient  avoir 
lieu  le  jour  de  Thor  pour  être  efficaces,  et  celui  qui  était  né  le  jeudi  avait 
le  don  de  voir  les  esprits  et  les  revenants.  Encore  pendant  ce  siècle, 
aucune  des  cérémonies  du  baptême,  du  mariage,  de  l'enterrement  ne  se 
pratique  le  jeudi.  Les  paysans  ignorent  la  cause  de  cet  usage,  mais  le 
jour  de  l'ancien  dieu  du  Tonnerre  reste  pour  eux  un  jour  païen,  dans 
leijucl  on  ne  doit  célébrer  aucun  des  rites  de  la  religion  chrétienne'.  Finn 
Magnusen  raconte*  (]ue  les  paysans  de  certaines  hautes  vallées  de  la  Nor- 
vège avaient,  jusqu'à  la  lin  du  siècle  dernier,  la  coutume  d'adorer  le  jeudi 

'  Ashmolenn  Muséum,  ii  Oxford. 

'  }tuséc  d' clhtwijrdjih'u'  scaniHnavc  de  M.  llazeliiis,  à  Stuckliolm. 

^  .Nilsson,  Les  hahiUints  primitifs  de  la  Scandinavie. 

♦  Annuler  (or  ^ordisk  Oldkyndiijhed,  1858-18">y. 


POPULATIONS  SCANDINAVES.  139 

des  pierres  d'une  forme  ronde,  qu'ils  oiirnaient  de  beurre  et  plaçaient  dans 
de  la  paille  fraîche  au  siège  d'honneur;  à  certaines  époques  on  les  lavait  de 
pelit-lait,  à  la  Noël  on  les  arrosait  de  bière,  dans  l'espoir  de  fixer  le  bonheur 
au  foyer  domestique.  Encore  de  nos  jours,  la  pierre  polie  de  l'âge  néoli- 
thique est  employée  dans  les  campagnes  écartées  comme  talisman  contre  les 
maladies. 


Venus  des  bords  de  la  mer  Noire  et  du  Danube,  les  Gôtar  et  les  Svear, 
compris  maintenant  sous  le  nom  général  de  Scandinaves,  ont  eu  à  traverser 
toute  une  moitié  de  l'Europe  pour  entrer  dans  leur  nouvelle  patrie.  On  a  sou- 
vent émis  l'idée  (jue  les  inuiiigrants  avaient  pénétré  dans  la  péninsule  du 
nord  en  passant  par  la  Russie  septentrionale  et  la  Finlande  ;  mais  les  com- 
paraisons faites  entre  les  armes  et  les  instruments  trouvés  dans  les  diverses 
contrées  ne  justifient  point  ces  hypothèses.  Les  Scandmaves  semblent  être 
venus  du  sud-est  et  du  sud  en  Danemark,  et  c'est  de  là  qu'ils  ont  passé 
d'abord  en  Scanie,  puis  dans  la  Suède  du  Nord  et  en  Norvège.  Les  Finnois 
et  les  Lapons  étaient  entrés  par  le  nord,  les  Scandinaves  arrivèrent  par 
l'extrémité  opposée  de  la  péninsule.  Les  Goths  ou  Gotar  furent  le«  premiers 
conquérants.  Les  Svear,  ou  fils  des  «  Ases  bienheureux:  »,  vinrent  en- 
suite; ils  dépassèrent  les  parties  méridionales  de  la  péninsule  où  s'étaient 
établis  les  Goths,  s'emparèrent  peu  à  peu  de  toute  la  contrée,  et  leur 
Asgârd,  qui  se  déplaçait  à  chacune  de  leurs  migrations,  s'établit  au  centre 
du  pays.  La  différence  qui  existe  entre  les  deux  groupes  Scandinaves  des 
Gotar  et  des  Svear  est  encore  fort  sensible,  non  seulement  pour  le  dialecte, 
mais  aussi  pour  les  mo-urs  :  quant  à  la  forme  du  crâne  et  au  ty[)e  phy- 
sique, ils  ne  présentent  pas  de  contrastes  suffisamment  a|)préciables  ;  dans 
ce  pays,  comme  dans  tous  les  autres,  les  principales  différences  de  types 
et  de  physionomies  sont  causées  par  la  profession  et  le  genre  de  vie,  non 
par  l'origine.  La  tète  typique  des  Suédois,  telle  qu'elle  a  été  décrite  par 
A.  Rclzius  et  Nilsson,  est  un  ovale  allongé,  légèrement  plus  large  en  arrière 
qu'en  avant,  mais  arrondi  des  deux  côtés;  sa  plus  grande  longueur  est  à  sa 
plus  grande  largeur  dans  la  pro])ortion  de  i  à  7)  ou  de  0  à  7. 

Le  Dalécarlien,  c'est-à-dire  l'habitant  du  Dalarue,  dans  le  haut  bassin 
du  Dal-rlf,  est  celui  (juc  l'on  signale  d'ordinaire  comme  r<'i)r(''sentant  le 
type  natioiuil  le  plus  pur  des  Svear,  qui  ont  donné  leur  nom  aux  Suédois 
ou  Svcnskar  de  nos  jours.  En  général,  il  est  de  haute  taille',  souple, 
élancé,  quoi(pi(!  fortement  bàli;   son  visage  est  fier,  aniuK' de  beaux  u'iix 

'  Skilurc  iiKiveiiiie  des  Suédois,  d'a|iii;s  Ueddoe  ;  l^.TO. 


UO  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

d'un  Lieu  profond,  domint'  par  un  lar^o  front  découvert  ;  il  est  prévenant 
sans  indiscrétion,  gai  sans  emportement,  décidé  sans  violence.  L'honnêteté 
à  toute  épreuve,  tel  est,  pour  ainsi  diie,  le  capital  des  émigrants  du  Da- 
larnc,  qui  viennent  par  milliers  à  Stocklioim,  où  on  les  emploie  à  tous 
les  travaux  qui  demandent  de  la  force  ou  de  l'adresse  :  on  les  reconnaît 
partout  de  loin,  grâce  à  leur  costume  national,  aux  couleurs  éclatantes. 
I^s  Suédois  qui  diffèrent  le  plus  du  Dalécarlien  sont  les  habitants  des 
plaines,  qui  ont  très  souvent  la  figure  grave,  presque  sévère. 

Le  mélange  des  populations  s'est  fait  grâce  aux  progrès  continuels  du 
commerce  et  de  la  colonisation  à  l'intérieur  :  dans  un  pays  où  les  habi- 
tants sont  parsemés  sur  de  si  vastes  espaces,  l'industrie  locale,  quelque 
développée  qu'elle  fût,  ne  pouvait  pas  suffire,  le  service  des  échanges  devait 
employer  un  très  grand  nombre  de  personnes,  et  les  voyages  devaient  être 
fréquents,  même  à  l'étranger.  Les  trouvailles  faites  dans  le  sol  prouvent 
qu'après  la  chute  de  l'empire  romain  les  Suédois  étaient  en  rapports  de 
commerce  continuels  avec  Constantinople;  Gland  et  surtout  Gotland  ont 
fourni  aux  antiquaires  des  multitudes  de  monnaies  byzantines  qui  té'moi- 
gnent  d'un  grand  mouvement  d'échanges.  Plus  tard,  vers  la  fin  du  neu- 
vième siècle,  Gotland  devint  aussi  un  marché  d'expédition  vers  l'Orient 
proprement  dit  :  on  y  découvre  de  temps  à  autre  des  trésors  de  monnaies 
arabes  ou  coufiques,  provenant  de  Bagdad  ou  du  Khorassan.  Les  villes 
(pii  précédèrent  Stockholm  comme  entrepôts  du  lac  Malaren  recevaient 
aussi  une  partie  de  ce  trafic  oriental.  Les  relations  durèrent  jusqu'au 
douzième  siècle,  où  elles  furent  interrompues  par  les  guerres  de  la  Russie 
inéiidionale.  Ainsi  que  l'a  démontré  M.  Riant  en  s'appuyanl  sur  les  docu- 
ments trouvés  aux  archives  de  Stockholm,  les  Scandinaves  prirent  aussi  une 
très  grande  part  au  mouvement  des  Croisades.  C'est  principalement  par  des 
incursions  armées  que  les  Scandinaves  entraient  en  rapports  avec  l'étran- 
ger, il  est  vrai  que  les  pirates  suédois,  à  l'exception  de  ceux  qui  se  dirigè- 
rent vers  l'ouest  avec  les  Normands,  n'ont  pas  laissé  dans  l'hisloire  des 
traces  aussi  profondes  que  les  vikings  du  Danemark  et  de  la  Norvège  ; 
mais  la  cause  en  est  à  la  direction  qu'ont  prise  leurs  expéditions  de  guerre. 
Dans  leurs  combats,  ils  ne  se  trouvaient  point  en  contact  avec  des  peuples 
ayant  une  civilisation  avancée  comme  les  Français  ou  les  riverains  de  la 
Méditerranée  :  des  Finnois,  des  Lettons,  des  Wendes  et  les  tribus  slavonnes 
du  vaste  Gardarike,  devenu  la  Russie  de  nos  jours,  |iouvaient  seuls  ra- 
conter les  exploits  de  ces  conquérants  venus  de  l'ouest'. 

'  Wallonhacli,  Eiii  Dliil,  aiif  Scliweilciix  UaiiphlaiU  uml  Schticdens  Geschiclite. 


POPULATIONS   SCAMjI.NAVES. 


uz 


Les  c'irangers  n'ont  pu  avoir  qu'une  bien  foible  influence  directe  sur  la 
population  Scandinave,  car  depuis  les  temps  historiques  la  péninsule  n'a 

N*   53.    FINLANDAIS    ET    LAPONS    DE    LA    SUÈDE    SEPTENTRIONALE. 


jamais  été  envahie  par  des  armées  victorieuses,  à  moins  qu'on  ne  veuille 
compter  les  petites  invasions  des  Russes  en  1719  et  en  1809,  et  les  immi- 
grants pacifiques  n'y  sont  entrés  qu'en  petit  nombre.  Le  mouvement  de 
colonisation  le  plus  considérable  est  venu  de  In  l'iiilande.  IK-s  la  (in  du  div- 


14i  NOUVELLE    GEOCnAPlllE    UNIVERSELLE. 

soplièmo  sièclo,  des  paysans  finnois  traversaient  le  golfe  de  lîotnie  pour 
aller  s'établir  dans  le  haut  Jemtland,  sur  la  frontière  norvégienne,  où  leurs 
descendants  vivent  encore,  mêlés  aux  cultivateurs  suédois.  D'autres  colonies 
de  Finlandais  vivent  dans  les  provinces  du  nord.  Les  persécutions  reli- 
gieuses ont  aussi  contribué  pour  une  faible  part  au  peuplement  de  la 
contrée.  Dès  la  fin  du  seizième  siècle,  dos  centaines  d'ouvriers  ■wallons, 
invités  par  un  Hollandais  devenu  maître  de  mines,  se  réfugiaient  en  Suède 
et  s'établissaient  principalement  dans  le  village  industriel  d'Oslerby,  près 
des  mines  de  Dannemora.  Leurs  descendants,  presque  tous  bruns,  ont 
conservé  jusqu'à  nos  jours  des  traces  de  leur  origine  et  gardent  soigneu- 
sement l'orthographe  de  leurs  noms  français;  tous  les  forgerons  de  Danne- 
mora sont  aussi  de  descendance  -wallonne.  Depuis  cette  époque,  beaucoup 
d'autres  exilés  ont  demandé  un  asile  à  la  Suède,  mais  ce  n'est  pas  à  leur 
influence,  toute  locale,  c'est  à  la  sympathie  naturelle  des  Suédois  pour 
les  Français  que  l'on  doit  attribuer  l'ardeur  avec  laquelle  on  étudiait  la 
langue  de  Racine  et  l'on  imitait  les  mœurs  de  Paris  au  bord  de  la  mer 
Baltique.  Les  Suédois  aimaient  à  être  appelés  les  «  Français  du  Nord  », 
et  certes  ils  ont  droit  h  ce  nom  par  leur  sociabilité,  leur  politesse  et 
leur  goût.  Quant  aux  Norvégiens,  on  les  dit  au  contraire  les  «  Anglais 
de  la  Scandinavie  »  :  par-dessus  la  mer,  ils  regardent  vers  la  Grande- 
Bretagne,  avec  laquelle  se  fait  leur  principal  commerce  et  d'oii  les 
visiteurs,  marins  et  voyageurs  de  plaisir,  leur  viennent  eu  plus  grand 
nombre.  Ils  ne  se  distinguent  en  général  ni  par  la  mobilité  ni  par  la  sou- 
plesse, mais  par  la  force  et  la  ténacité.  Ils  réfléchissent  avant  de  répon- 
dre; ils  se  décident  lentement  à  vouloir,  mais  ce  qu'ils  veulent,  ils  savent 
le  réaliser.  Chez  eux,  les  mystiques  sont,  paraît-il,  beaucoup  plus  nom- 
breux qu'en  Suède,  qui  pourtant  est  la  patrie  de  Svedenborg. 

Les  habitants  de  la  péninsule  ne  parlent  pas  la  même  langue  ;  mais 
leurs  dialectes,  tous  également  dérivés  de  l'ancien  idiome  nordique  ou 
norrœna,  dans  lecpiol  sont  écrits  les  runes,  se  ressemblent  assez  pour  être 
unis  par  des  transitions  insensibles.  Ainsi  le  scanien  sert  d'intermédiaire 
au  suédois  et  au  danois,  et,  suivant  la  capitalo  de  laquelle  dépeudail  la 
contrée,  les  habitants  ont  éli'^  class(''s  successivement  comme  pariant  l'idiome 
de  Copenliague  ou  celui  de  Slockholni.  Le  dialecte  qui  a  prévalu  en  Suède 
est  en  effet  celui  que  l'on  parle  dans  la  métropole  et  les  <listricts  environ- 
nants :  c'est  un  parler  sonore,  à  consonances  pleines  et  plus  original  que 
le  danois,  grâce  à  l'ancien  tn-sor  de  mots  qu'il  a  conservés  ;  mais  parmi 
les  dialectes  suédois  il  eu  est  de  plus  curieux  encore  par  leurs  formes 
antiques,  notamment  le  dalécarlien,  le  gollandais  et  les  patois  qui  se  par- 


SCANDINAVES  ET  LAPONS.  145 

lent  en  dehors  des  frontières  de  la  Suède  actuelle,  dans  quelques  parties  de 
la  Finlande  et  dans  les  îles  du  littoral  esthonien.  Quant  au  norvégien  litté- 
raire, c'est  la  langue  danoise,  à  laquelle  s'ajoutent  quelques  mots  et  des 
tournures  locales.  Dans  certaines  vallées  écartées  s'est  maintenu  l'ancien 
norso,  curieux  langage  très  rapproché  de  l'islandais  et  formant  avec  lui  un 
groupe  glottologique  distinct.  Quelques  patriotes  norvégiens  ont  voulu 
rendre  la  suprématie  au  parler  de  leurs  aïeux  et  créer  ainsi  une  nou- 
velle langue  littéraire  :  des  sociétés  se  sont  fondées,  des  journaux,  des 
livres  ont  été  publiés  en  vieux  norvégien;  mais  ces  tentatives  n'ont  pas 
été  encouragées  par  l'opinion.  D'autre  part,  des  écrivains  essaient  de  rap- 
procher les  idiomes,  de  leur  rendre  l'unité  de  la  langue  norse  du  neu- 
vième siècle.  En  18G9,  des  savants  danois,  suédois,  norvégiens,  se  réuni- 
rent à  Stockholm  pour  l'adoption  d'une  orthographe  commune  aux  langues 
Scandinaves,  mais  des  rivalités  nationales  ont  empêché  jusqu'à  maintenant 
l'entente  définitive  entre  les  grammairiens. 


A  côté  de  ces  populations  Scandinaves,  qui  sont  parmi  les  plus  ho- 
mogènes de  l'Europe,  vivent  des  tribus  encore  presque  asiatiques,  peu 
nombreuses,  mais  des  plus  intéressantes  par  leur  aspect  physique,  leurs 
origines,  leur  genre  de  vie  :  ce  sont  les  Lapons.  Ces  peuplades,  partiel- 
lement nomades,  comme  les  Tsiganes  ou  Rouminisal  que  l'on  voit  en 
diverses  parties  de  la  Suède,  occupent  à  l'extrémité  septentrionale  de  li\ 
péninsule,  dans  les  hauts  bassins  des  fleuves  suédois  tributaires  du  golfe 
de  Botnie,  dans  le  territoire  finlandais  cédé  par  la  Suède  à  la  Russie, 
enfin  dans  la  presqu'île  de  Kola,  im  immense  espace  évalué  à  :200  000 
kilomètres  carrés,  mais  très  faiblement  peuplé  :  on  n'y  compte  guère  que 
50000  habitants,  soit  une  personne  pour  chaque  superficie  de  six  à  sept 
cents  hectares*. 

Il  est  certain  que  les  Lapons  nomades,  parcourant  à  leur  aise  les  phiines 
presque  désertes  de  la  péninsule,  avaient  établi  des  campements  bisuicoup 
plus  au  sud,  dans  les  contrées  que  peuplent  actuellement  les  Scandinaves. 
Des  traces  de  leur  idiome  se  retrouvent  dans  la  langue  suédoise,  et  divers 
noms  de  lieux  seraient  expliqués  par  leur  langage.  Encore  de  nos  jours, 
des  familles  de  Lapons  vivent  jusque  dans  le  cœur  du  Jemtland,  vers  le 
63'  degré  de  latitude,  où  leur  domaine  est  nettement  limité  par  la  dis- 

'  Lapons  de  Norvège  et  gens  de  s-ing  raèlc  en  IS"" -I  MIO 

»      do  Suède  en  1875 0  tidO 

.      d.î  Russie  et  da  Finlande  en  187C 8000 

V.  ly 


146  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

parilioii  de  la  mousse  des  rennes,  nourriture  de  leurs  troupeaux  ;  mais  la 
pression  continue  des  immigrants  suédois  et  norvégiens  n'a  cessé,  sur  les 
deux  rivages,  de  refouler  ces  premiers  occupants  dans  l'intérieur  des 
terres.  Les  légendes  relatives  aux  nains  (dvercjar),  aux  sorciers  (troll), 
aux  gens  des  rochers  [bergfolk),  racontent  sous  une  forme  mythique  les 
combats  d'extermination  que  les  colons  Scandinaves  livrèrent  aux  Lapons, 
les  anciens  habitants  de  la  contrée. 

Connus  désormais  sous  leur  nom  suédois  de  Lapons,  qui  signifierait 
«  Nomades  »  d'après  les  uns,  «  Habitants  des  cavernes  »  d'après  les  autres, 
les  Sames,  Sameh  ou  Samelats  parlent  une  langue  finnoise,  que  l'on  dit 
ressembler  plus  à  celle  des  Mordves  qu'à  tout  autre  dialecte  ouralo- 
altaïquc  et  qui  renferme  d'anciennes  formes  et  des  racines  manquant  au- 
jourd'hui à  l'idiome  finlandais  ;  mais  quoiqu'on  donne  officiellement  aux 
Lapons  le  nom  de  Fin  dans  le  Finmark  norvégien,  ils  se  distinguent  nette- 
ment des  Finlandais  proprement  dits,  non  seulement  par  les  contrastes 
que  produit  la  différence  de  civilisation,  mais  aussi  par  l'aspect  physique, 
la  taille,  la  forme  du  crâne'.  Aussi  des  anthropologistes  ont-ils  vu  dans  les 
groupes  de  populations  des  races  tout  à  fait  séparées,  ayant  reçu  la  langue 
de  vainqueurs  finnois,  mais  sans  aucune  parenté  de  sang  avec  eux.  Tandis 
que  Virchow  considère  les  Lapons  comme  une  branche  des  Finnois,  Schaaf- 
hausen  voit  en  eux  les  descendants  de  peuplades  mongoles  refoulées  au 
nord  et  cheminant  vers  l'ouest  le  long  des  côtes  de  l'Océan  glacial.  On 
croyait  aussi  naguère  que  les  Sames  se  distinguaient  de  tous  les  autres 
hommes  par  une  ignorance  absolue  du  chant.  «  Les  Lapons,  dit  Fétis, 
sont  le  seul  peuple  qui  ne  chante  pas  ;  »  mais  cette  assertion  est  erronée. 
Les  Lapons,  très  bavards  de  leur  nature,  savent,  sinon  chanter  d'une  ma- 
nière agréable  pour  les  oreilles  suédoises,  du  moins  fort  bien  moduler 
quelques  sons  musicaux,  et  l'on  a  recueilli  plusieurs  de  leurs  chansons  ^ 
Du  reste,  les  anciens  noms  de  famille,  parmi  lesquels  on  en  trouve  beau- 
coup de  suédois,  de  norvégiens,  de  finlandais,  de  russes  même,  témoi- 
gnent que  la  souche  n'est  pas  une  :  les  Lapons  sont  un  peuple  mélangé. 

En  général,  les  Sames  de  l'intérieur,  qui  sont  probablement  les  plus 
purs  de  race,  sont  des  hommes  de  très  petite  taille,  comparés  à  leurs 
voisins  les  Suédois  du  nord,  de  stature  presque  gigantesque.  Toutefois 
ils  ne  sont  point  en  moyenne  aussi  petits  qu'on  se  le  figurait  par  goût 
pour    le   merveilleux.    Jadis   on    se   j)laisait   à    signaler   le    contraste    des 

•  Capacité  moyenne  des  crânes  de  Lapons,  d'après  \.  Relzius 1521  cent,  cubes. 

Indice  céphalique  moyen  »  >■  85,50       » 

-  Gublaf  von  Dùben,  Om  Lappland  och  La}iparnc. 


LAPONS.  W 

géants  patagons  et  des  nains  de  Laponie,  vivant  aux  deux  extrémités  du 
monde  habitable;  mais,  de  même  qu'il  a  fallu  diminuer  la  taille  idéale 
attribuée  aux  Indiens  des  terres  raagellaniques,  de  même  il  faut  exhausser 
celle  que  l'on  donne  ordinairement  aux  Lapons.  D'après  Dulk,  la  stature 
moyenne  des  indigènes  pasteurs  de  rennes  serait  d'un  mètre  soixante  cen- 
timètres, et  même  quelques-uns  pourraient  être  considérés  en  tout  pays 
comme  des  hommes  de  belle  taille;  von  Dûben,  le  savant  qui  a  étudié  les 
peuplades  du  Nord  avec  le  plus  grand  soin,  croit  ne  devoir  évaluer  cette 
taille  moyenne  qu'à  un  mètre  et  demi  :  c'est  à  peu  près  la  mesure  donnée 
par  Mantegazza  (152, 4  centimètres).  Le  buste  des  Saraes  est  assez  long, 
seulement  leurs  jambes  sont  légèrement  arquées  '.  On  a  remarqué  aussi  que 
les  Lapons  pêcheurs,  toujours  occupés  à  ramer,  ont  les  jambes  faibles,  com- 
parées à  leurs  bras  et  à  leur  poitrine.  L'extrême  laideur  que  l'on  attribue 
à  ces  populations  du  Nord  n'existe  que  dans  l'imagination  de  leurs  voisins. 
Les  Lapons  ont,  pour  la  plupart,  il  est  vrai,  les  pommettes  saillantes,  un 
nez  épaté  à  l'extrémité,  les  yeux  petits,  la  figure  triangulaire,  la  barbe  rare, 
la  peau  souvent  jaunâtre  chez  les  hommes  ;  mais  le  crâne  est  fort  large,  le 
front  élevé  et  noble,  plus  ample  en  général  que  celui  des  Scandinaves', 
la  bouche  est  souriante,  l'éclair  du  regard  vif  et  bienveillant.  D'ordinaire 
l'œil  est  noir,  mais  la  couleur  de  la  chevelure  varie  singulièrement  :  la 
plupart  ont  les  cheveux  châtains,  d'autres  les  ont  tout  à  fait  noirs,  d'au- 
tres encore  tout  à  fait  blonds.  La  voix  des  Lapons  n'est  pas  aussi  métal- 
lique et  sonore  que  celle  des  Suédois;  toutefois  elle  n'est  faible  et  sourde 
que  chez  les  buveurs  d'eau-de-vie,  devenus  beaucoup  plus  rares  que  jadis, 
surtout  en  Suède,  par  suite  de  l'interdiction  absolue  des  liqucMus  dans  le 
pays  depuis  1859  :  c'est  le  café  qui  remplace  maintenant  l'eau-de-vie 
comme  boisson  générale  des  Lapons  ;  ceux  qui  en  ont  les  moyens  en  boi- 
vent presque  toute  la  journée,  en  y  mêlant  du  sel,  et  parfois  du  fromage, 
du  sang,  de  la  graisse'.  Grâce  à  l'extrême  salubrité  du  pays  et  malgré  la 
saleté  repoussante  et  l'air  impur  de  leurs  cabanes,  les  Lapons  jouissent  en 
général  d'une  excellente  santé  et  deviennent  très  âgés  :  la  mortalité  est 
moins  forte  chez  eux  que  chez  les  civilisés  du  littoral  ;  mais,  ainsi 
qu'Acerbi  le  remarquait  déjà  au  siècle  dernier,  ils  ont  souvcmU  les  yeux 
rouges  et  malades  à  cause  de  la  fumée  des  tentes  et  de  leurs  couliiiuels 
voyages  au  milieu  des  neiges. 

'  Georg  Ilarlung,  Albert  Diilk,  Falnien  durcit  Noru'egrn  und  die  Lappmnrk. 
■  G.  voD  Dubea,  Om  Lapplaiid  och  Lapparne;  —  La  Laponie  et  les  Lapons,  Congres  iiiler- 
natioanl  des  Sciences  g('ogra|ibiqucs.  Paris,  1878. 
^  G.  vou  Dubcn,  ouvrage  cité. 


148  NOUVELLE    GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

Suivant  leur  senre  de  vie,  les  Sames  se  partagent  en  Lapons  des  mon- 
tagnes et  en  Lapons  des  côtes,  en  pasteurs  de  rennes  et  en  pécheurs.  Un 
bien  petit  nombre  d'entre  eux,  établis  dans  les  plaines  des  alentours  du 
irolfe  de  Botnie,  s'occupent  de  culture,  mais  ceux-là  même  comptent  prin- 
cipalement sur  le  produit  de  leur  pèche  dans  les  lacs  et  les  rivières.  Leurs 
cabanes  se  composent  de  simples  toitures  posées  sur  des  trous  ou  de  lattes 
placées  en  forme  de  cônes,  et  recouvertes  d'une  toile  ou  d'une  étoffe  de 
laine,  qui  laisse  échapper  la  fumée  par  le  sommet  de  l'échafaudage.  Des 
maisonnettes  sont  perchées  sur  des  pieux;  quelques  familles  habitent  des 
réduits  dont  les  parois  penchent  en  dehors,  de  sorte  que  la  façade  présente 
l'aspect  d'un  losange  reposant  sur  l'une  de  ses  pointes.  Ce  sont  généralement 
les  hommes  qui  s'occupent  du  ménage  de  ces  étroites  demeures  '  :  faut-il 
voir  dans  cette  coutume  un  reste  de  gynécocratie  ou  «  droit  de  la  mère  », 
qui  prévalait  chez  tant  de  peuples  anciens  ? 

Les  Lapons  du  littoral  de  l'océan  Arctiipie,  plus  nombreux  que  ceux  de 
l'intérieur^,  doivent  demander  aux  eaux  marines  les  ressources  que  les 
Lapons  des  forêts  trouvent  dans  l'élève  du  renne.  Ceux-ci  sont  forcément 
nomades,  mais  ils  ne  voyagent  pas  en  tribus  comme  les  peuplades  errantes 
des  pays  chauds,  tels  que  les  Bédouins  et  les  Turkmènes  ;  chaque  famille 
vit  isolément  dans  la  forêt.  Ce  n'est  point  par  insociabilité  que  les  Lapons 
se  séparent  ainsi  de  leurs  semblables.  Il  leur  faut  de  vastes  espaces  pour 
leurs  troupeaux  de  rennes,  car  chaque  Lapon  a  besoin  pour  vivre  d'au 
moins  vingt-cinq  bêtes,  et  le  lichen  des  rennes,  une  fois  brouté,  ne  re- 
pousse que  lentement.  Les  troupeaux  ne  reviennent  paître  au  même  endroit 
qu'après  dix  années  révolues;  il  est  vrai  qu'ils  se  noui-rissent  en  été  d'herbes 
et  de  feuilles  d'arbres  :  si  le  lichen  devait  suffire  à  l'alimentation  du  renne, 
l'immense  espace  de  la  Laponie  serait  trop  étroit  pour  les  quelques  mil- 
liers de  nomades  qui  le  parcourent,  car  c'est  le  renne  qui  nourrit  les 
familles  errantes  en  leur  donnant  sou  lait,  malheureusement  très  peu 
abondant  ;  même  en  b.iver,  le  Lapon  «  mange  »  le  lait  de  renne  qu'il  a 
conservé  gelé  sous  forme  de  rondelles.  Mais  la  chair  et  le  sang  du  renne 
servent  aussi  à  l'alimentation  des  Sames.  Le  repas  ordinaire  de  la  journée 
est  la  «  soupe  de  sang  »,  faite  de  farine  et  de  sang  mêlé  de  caillots,  que 
les  ménagères  savent  garder  pendant  les  mois  il'hiver  à  l'état  liquide  dans 
des  tonneaux  ou  des  outres  en  estomacs  de  renne".  Dépendant  ainsi  de  son 
troupeau  pour  sa  subsistance  aussi   bien   que   pour   son   habillement,  le 

'  Guslaf  I)ùl)en,  Om  Lappland  och  Lapparne. 

-  Lapons  (le  la  Niirvogo  en  1875  :  sédeiilaires,  14645;  nomades,  1073. 

'  G.  llailung  uiid  K.  Diilk,  FahrUn  durch  ÎSoiwajen  uiul  (lie  Lappinuik. 


TÏPES    ET     COSTUMES     UE     H     UruSI 

Dessin  de  Lis,  d'après  photographias. 


LAPONS.  ■151 

Lapon  qui  n'a  qu'une  centaine  de  rennes  ne  peut  nourrir  sa  famille  que 
d'une  manière  incertaine;  il  est  considéré  comme  pauvre  et  doit  se  ratta- 
cher en  qualité  de  client  à  quelque  pasteur  plus  fortuné.  La  moyenne  des 
rennes  par  Lapon,  en  comptant  les  pêcheurs  et  les  agriculteurs,  est  de 
treize  à  quatorze  seulement,  d'après  von  Dùben;  elle  tend  à  diminuer  à 
mesure  que  la  vie  nomade  est  remplacée  par  la  résidence  fixe.  Celui  qui  pos- 
sède un  troupeau  de  trois  cents  rennes  est  dt-jà  tenu  pour  riche,  et  l'on  cite 
parmi  les  Lapons  de  véritables  potentats  qui  possèdent  jusqu'à  '20U0  rennes, 
représentant  une  valeur  d'au  moins  60  000  francs  et  formant  peut-être 
la  deux  centième  partie  de  tous  les  troupeaux  de  rennes  domestiques  '. 
Ces  personnages  connaissent  bien  le  chemin  des  marchés  du  littoral  pour 
y  exporter  des  cuirs  et  des  fromages,  et  pour  y  placer  leur  argent  à  gros 
intérêts.  Déjà  chez  les  Lapons,  comme  chez  leurs  voisins  les  Scandinaves,  se 
voit  le  contraste  de  la  richesse  et  de  la  pauvreté.  Mais  que  les  demeures 
appartiennent  à  des  Lapons  opulents  ou  misérables,  qu'elles  renferment 
dans  une  armoire  quelques  tasses  en  porcelaine  ou  simplement  des  jattes 
en  bois,  elles  n'en  sont  pas  moins  des  cabanes  étroites,  humides  et  nauséa- 
bondes, oii  l'on  s'étonne  que  l'homme  puisse  habiter;  mais  il  n'y  a  point 
d'insectes.  La  puce  ne  vit  pas  en  Laponic  ;  en  revanche,  le  cousin  y  est  en  été 
un  terrible  fléau  pour  les  étrangers,  sinon  pour  les  Lapons  eux-mêmes,  qui 
s'oignent  d'une  substance  graisseuse  pour  éviter  les  piqûres  et  qui  habitent 
en  été  les  régions  où  les  nuages  ailés  sont  dissipés  par  le  vent  de  la  mer. 
Depuis  le  milieu  du  dix-septième  siècle,  les  habitants  de  toute  la  Laponic 
se  disent  chrétiens;  ils  possèdent,  grâce  aux  missionnaires,  une  petite  lit- 
térature religieuse,  et,  suivant  le  territoire  qu'ils  occupent,  ils  observent  les 
rites  ordonnés  par  le  gouvernement  local  :  en  Scandinavie,  ils  sont  protes- 
tants, et  possèdent  même  quelques  ouvrages  religieux  écrits  en  leur  idiome; 
sur  le  sol  russe,  ils  appartiennent  au  culte  orthodoxe  grec.  Les  prêtres  des 
deux  religions  ont  pu  facilement,  en  mainte  occasion,  exalter  les  passions 
de  cette  race  «  extatique  »  "  ;  cependant  il  reste  encore  bien  des  traces  des 
anciennes  coutumes  païennes,  analogues  au  charaanisme  des  Mongols.  Le 
tambour  de  magie  jouait  un  grand  rôle  dans  leurs  cérémonies,  de  même 

'  Rennes  domestiques  de  toulo  la  Laponic  dans  les  Élafs  du  nord  : 

Suède       en  1870 220  800,  soit  pour  6  702  Lapons  165  rennes  par  ranullc. 

Norvi'gc  ])  1875.  .  . 
Finlande  n  1865.  .  . 
Russie       11    1859.  .   . 

Ensemble Ô57  'JUO 

'  Ampère,  Esquisses  du  Nord. 


96  570    » 

21500 

22 

iO  300    I) 

615   ) 

)   525 

230  (?) 

152  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

que  l'écorce  de  pin  ou  de  bouleau  sur  laquelle  les  sorciers  avaient  tracé  des 
images  d'instruments,  d'animaux,  d'hommes  et  de  dieux.  Cette  écorce,  dite 
par  les  Norvégiens  «  arbre  des  runes  »,  était  consultée  par  les  Lapons  dans 
tous  les  actes  de  leur  vie  :  l'interprétation  des  signes  mystérieux  était  le 
grand  art  et  la  sagesse  suprême.  On  dit  que  le  dernier  «  arbre  des  runes  » 
a  été  détruit  vers  le  milieu  du  siècle  ;  les  seiteh  ou  pierres  de  forme  bi- 
zarre, parfois  grossièrement  sculptées,  autour  desquelles  se  célébraient  les 
rites,  ont  été  jetées  dans  les  lacs  par  les  Lapons  eux-mêmes  ou  sont  conser- 
vées dans  les  musées  de  la  Suède;  mais  si  les  fétiches  ont  disparu,  mainte 
cérémonie  qui  s'explique  seulement  par  l'ancien  culte  est  restée.  Les  chiens, 
les  meilleurs  amis  du  Lapon,  sans  l'aide  desquels  le  nomade  ne  pourrait 
gouverner  son  troupeau  de  rennes,  ne  sont  plus  enterrés  avec  leurs  maî- 
tres, et  le  cadavre  n'est  plus  enveloppé  dans  une  écorce  de  bouleau  où  sont 
représentés  des  ours,  des  loups,  des  rennes  ;  mais  on  jette  encore  dans  la 
tombe  des  espèces  de  coquillages  appelés  «  âmes  de  chien  »  :  le  Lapon, 
converti  au  christianisme,  n'ose  plus  se  faire  accompagner  par  son  chien 
dans  les  forêts  d'un  autre  monde,  mais  du  moins  un  symbole  rappelle 
son  compagnon  de  chasse.  De  même  que  dans  tous  les  pays  d'Europe,  on 
célèbre  aussi  en  Laponie  la  fête  du  solstice  par  des  feux  allumés  sur  les 
hauteurs;  mais  où  le  soleil  pourrait-il  être  plus  en  honneur  que  sous  ces 
latitudes,  où  dans  l'espace  de  quelques  semaines  il  a  délivré  la  terre  de 
ses  neiges  et  renouvelé  complètement  sa  parure  de  feuilles  et  de  fleurs? 

On  s'imagine  d'ordinaire  que  le  nombre  des  Lapons  diminue  d'année  en 
année  et  que  cet  élément  de  population  est  destiné  à  disparaître  bientôt, 
comme  mainte  tribu  des  Peaux-Rouges  ou  diverses  peuplades  de  l'Océanie. 
Il  ne  paraît  pas  qu'il  en  soit  ainsi.  Du  moins  dans  le  Finmark,  c'est-à-dire 
dans  la  partie  de  la  Laponie  appartenant  à  la  Norvège,  le  nombre  des 
Lapons  s'est  accru  :  d'après  les  listes  d'imposition  dressées  en  1507,  en 
1799  et  en  1813,  les  nomades  auraient  même  triplé  depuis  trois  siècles'  : 
dans  la  Norvège  seule  ils  ont  septuplé.  Si  la  population  du  littoral  aug- 
mente ainsi,  c'est  en  grande  partit;  par  l'effet  de  la  pression  des  Nybyg- 
gare  ou  «  Paysans  Nouveaux  »,  colons  finlandais  et  suédois  qui  s'avancent 
graduellement  vers  la  mer  en  rétrécissant  le  terrain  des  nomades  et  en  les 
forçant  à  se  rapprocher  peu  à  peu  des  côtes  :  à  la  lin  du  dix-huitième 

'  Lapons  en  1799  : 

Suède  el  Finlande 5113 

Norvège 5000 

Russie 1000 

Ensemble.    ...  9ll.> 


LAPONS.  ihâ 

siècle,  CCS  étrangers  étaient  déjà  plus  nombreux  que  les  Sames  dans  le 
Norrbotten  suédois.  Les  Lapons  de  la  Suède  ont  probablement  diminué 
depuis  le  commencement  du  siècle,  quoiqu'on  disent  des  statistiques 
contradictoires  :  le  témoignage  unanime  des  colons  ne  laisse  aucun  doute 
sur  le  fait  d'un  refoulement  graduel  des  nomades  au  delà  des  frontières 
suédoises  :  de  plus  en  plus,  la  région  des  forêts,  appropriée  par  les 
colons  Scandinaves  et  finlandais,  se  ferme  aux  immigrations  temporaires 
des  Lapons.  De  même,  les  Sames  de  la  Russie  et  les  Kvàner,  descendants 
d'anciens  immigrants  finnois  apparus  pour  la  première  fois  à  l'ouest 
du  fleuve  Tornea,  pendant  les  guerres  de  Cbarles  XII,  quittent  en  grand 
nombre  leurs  campements  pour  aller  s'établir  sur  les  côtes  norvégiennes. 
Jadis  les  migrations  se  faisaient  alternativement  tantôt  dans  un  sens, 
tantôt  dans  l'autre,  suivant  les  saisons  :  les  Lapons  norvégiens  avaient 
l'babitude  de  gagner  le  territoire  finnois  au  commencement  de  la  saison 
froide  pour  y  faire  liiverner  leurs  troupeaux,  et  de  leur  côté  les  Lapons 
finlandais  émigraient  en  été  vers  le  littoral  de  Norvège  :  c'était  un  échange 
de  services  entre  les  populations  des  deux  contrées.  Les  bureaucrates  de 
Saint-Pétersbourg  virent  dans  ces  migrations  périodiques  un  manque  de 
respect  pour  la  «  sainte  frontière  »,  et  depuis  18o!2  il  est  interdit  aux 
nomades  Scandinaves  de  la  franchir  sans  de  gênantes  formalités.  Mais  les 
sujets  russes,  trouvant  précisément  en  Norvège  plus  de  liberté  et  plus 
d'avantages  commerciaux  que  sous  l'administration  de  leurs  propres  gou- 
vernants, sont  allés  par  milliers  chercher  leurs  moyens  d'existence  chez 
leurs  voisins  de  la  Laponie  Scandinave  :  ouverts  toute  l'année  à  la  pêche  et 
au  trafic,  le  port  de  Yadsô  et  les  autres  havres  de  la  côte  norvégienne  sont 
des  lieux  de  rendez-vous  nécessaires  pour  les  populations  limitrophes,  blo- 
quées en  hiver  par  les  glaces  de  la  mer  Blanche.  Dès  le  milieu  du  siècle 
dernier,  les  pêcheurs  russes,  montés  sur  leurs  misérables  embarcations, 
comm(;nçaienl  à  se  hasarder  dans  les  parages  du  Finmark  :  on  les  dit 
encore  plus  hardis  que  les  Kviiner  et  que  les  Norvégiens'.  Jadis  ceux-ci 
étaient  pour  la  plnparL  les  descendants  de  liaïuiis  venus  de  la  Norvège 
méridionale. 

Si  la  (lis|)ariti(iu  des  Lapons  n'est  pas  à  craiiuirc,  du  moins  se  rajipro- 
chent-ils  de  plus  en  plus  par  les  mœurs  et  la  civilisation  des  jjopulalions 
avec  lesquelles  ils  sont  en  rapports,  et  peu  à  peu  ils  ne  formeront  qu'une 
seule  et  même  nation.  Déj<à  la  fusion  se  préparait  depuis  des  siècles,  puisque 
les  Lapons  ont  reçu  leur  culture  des  Scandinaves;  c'est  d'eux  qu'ils  ont 

'  Leopold  von  Buch,  Reise  durch  yurwcgen  and  Luppland. 

T.  20 


154  NOUVELLE   GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

appris  l'art  d'élever  les  animaux  domcsliques  :  dans  l'idiome  lapon,  le 
chien  seul  est  désigné  par  un  nom  original  ;  les  Lapons  ne  connaissent  les 
chevaux  et  les  bœufs,  les  brebis  et  les  chèvres,  les  chats,  les  cochons,  que 
par  leurs  appellations  Scandinaves.  Le  renne  leur  était  connu,  mais  seule- 
ment comme  animal  de  chasse  :  la  diminution  du  gibier  les  a  forcés  à 
imiter  leurs  voisins  en  mettant  le  renne  sous  le  joug.  Maintenant  ce  sont 
aussi  des  Scandinaves,  surtout  les  Norvégiens,  qui  enseignent  aux  Lapons 
l'art  de  la  grande  pèche,  les  divers  travaux  industriels  de  la  vie  sédentaire, 
et  leur  donnent  peu  à  peu  les  mœurs  des  peuples  civilisés  d'Europe.  11  est 
vrai,  d'autre  part,  que  si  le  Lapon  des  forêts  de  l'intérieur  s'est  peu  à  peu 
rapproché  du  Suédois  par  les  idées  et  le  genre  de  vie,  l'immigrant  kvân 
ou  Scandinave  s'est  fortement  «  laponisé  »  ;  il  est  devenu  plus  petit,  mais 
aussi  plus  résistant  que  ses  compatriotes  du  sud,  et  son  visage  porte  les 
marques  évidentes  du  croisement  de  sa  race  avec  celle  des  aborigènes. 
Comme  le  Lapon,  il  sait  prendre,  atteler  et  diriger  le  renne;  comme  lui, 
il  a  pour  mets  national  la  «  soupe  de  sang  »  ;  son  vêtement  diffère  à  peine 
de  celui  du  Lapon,  et  non  seulement  il  sait  converser  avec  l'indigène  dans 
l'idiome  finnois,  mais  il  l'emploie  aussi  fréquemment  dans  sa  propre  fa- 
mille. Du  reste,  les  deux  races  différentes  vivent  à  côté  l'une  de  l'autre 
dans  la  plus  parfaite  harmonie.  Quoique  certains  auteurs  parlent  de  la 
rareté  des  mélanges  entre  les  diverses  populations,  la  statistique  de  la  ÎNor- 
vège  constate  que,  parmi  les  Ougriens  du  Finraark,  plus  d'un  cinquième 
se  compose  d'hommes  de  sang  mêlé'.  En  Suède  aussi,  quelques  centaines 
d'individus  appartiennent  à  la  fois  aux  deux  races,  et  la  plupart  des  croise- 
ments se  font  entre  Lapons  et  Suédoises ^  Les  écoles,  on  peut  le  dire,  sont 
les  agents  destructeurs  de  la  nationalité  laponne.  En  effet,  les  enfants, 
obligés  d'aller  à  l'école,  et  pour  la  plupart  loin  du  canipoment  paternel, 
contractent  des  habitudes  qu'il  leur  est  difficile  d'abandonner  plus  tard. 
Ils  ne  reprennent  pas  tous  la  vie  nomade  de  leurs  pères,  et  ceux  qui  restent 
dans  les  villages  des  Suédois  finissent  par  se  croire  Suédois  eux-mêmes,  et 
leur  descendance  se  confond  avec  celle  de  la  race  dominante  ". 

«  Finnois  et  Lapons  norvégiens  du  Finmark  réputés  de  race  pure  en  1875.    ...     25512 

Descendants  de  Finnois  et  de  Lapons  » ...        t  08i) 

»  de  Norvégiens  et  de  Finnois  ou  de  Lapons     » .    .       4  572 

*  Lapons  «  sang  niélé  »  de  la  Suède  en  1870  : 

12  nés  d'un  père  lapon  et  d'une  mère  finnoise, 
\hl  »  0  .'  siiédciise, 

•41  »  suédois  '1  laponne, 

.^2  «  linnois  »  • 

'  TôrncLulini,  Idoles  manuscrites. 


LAPONS  ET  NORVÉGIENS.  155 


X 


Le  relief  même  el  le  climat  de  la  Norvège  ont  décidé  de  l'emplace- 
ment des  villes.  A  l'exception  de  celles  que  l'exploitation  des  mines  a  fait 
établir  dans  l'intérieur,  elles  devaient  toutes  se  fonder  au  bord  de  la  mer, 
sur  les  rives  des  criques  bien  abritées  des  vents  du  nord  et  d'un  accès 
facile  aux  navires.  Les  villages  même  manquent  presque  complètement 
loin  des  rivages  :  les  paysans  ont  chacun  leur  gaard,  groupe  de  maison- 
nettes en  bois  servant  aux  divers  usages  de  la  ferme,  et  les  églises,  les 
édifices  municipaux,  les  maisons  postales  s'élèvent  à  part,  en  quelque 
endroit  visible  de  loin  ou  bien  à  la  jonction  des  routes.  En  outre,  c'est 
dans  la  partie  méridionale  de  la  contrée,  là  où  le  climat  est  le  moins 
rude  et  où  le  soleil  fait  son  apparition  tous  les  jours  de  l'année,  que  la 
population  a  dû  naturellement  se  grouper  et  fonder  ses  villes  de  com- 
merce. Jadis,  quand  les  marins  normands  regardaient  surtout  vers  la 
Grande-Bretagne  et  les  autres  pays  de  l'Europe  occidentale  pour  y  faire 
des  incursions  de  pillage  ou  pour  y  fonder  des  colonies  conquérantes, 
les  golfes  occidentaux  de  la  Norvège,  ceux  de  Trondhjem,  de  Bergen,  étaient 
les  mieux  situés  et  c'est  de  ce  côté  de  la  contrée  qu'allaient  s'établir  les 
hardis  navigateurs.  Mais  dès  que  les  Norvégiens  eurent  cessé  d'avoir  la 
conquête  et  la  piraterie  pour  industrie  principale,  dès  que  par  la  coloni- 
sation à  l'intérieur  ils  eurent  ajouté  à  la  pèche  et  au  trafic  l'exploitation 
des  mines  et  la  culture  des  vallées,  le  versant  méridional  des  monts,  tourné 
vers  le  golfe  de  Christiania  et  vers  les  rivages  du  Danemark,  de  la  Scanie, 
de  l'Allemagne,  devait  conquérir  la  prééminence.  Sur  21  villes  de  plus  de 
4000  habitants,  14,  c'est-à-dire  les  deux  tiers,  se  trouvent  dans  cette  partie 
de  la  Norvège,  fort  petite  pourtant  en  comparaison  du  territoire  qui  regarde 
vers  l'Atlanlique.  D'ailleurs,  à  l'exception  de  (Ihrisliania,  cité  moderne,  et 
de  Bergen,  l'ancien  marché  hanséatique,  toutes  les  villes  du  littoral  nor- 
végien se  ressemblent.  Placées  à  l'extrémité  d'un  Ijord,  sur  une  grève 
arrondie  et  près  d'une  eau  profonde  où  mouillent  les  gros  bâtiments,  elles 
s'élèvent  en  amphithéâtre  sur  les  pentes  d'une  colline  et  se  composent 
uniformément  de  maisons  en  bois,  grandes  et  petites,  peintes  en  blanc, 
en  gris,  en  jaune,  en  rose,  la  plupart  en  rouge  de  sang.  Nulles  sculptures 
ni  ornements  extérieurs  comme  sur  les  chalets  suisses  :  seulement  un 
cadre  découpé  entoure  chaque  fenêtre.  Les  maisons  ne  sont  autre  chose 
que  de  grandes  boîtes  posées  sur  un  soubassement  de  pierre  ;  mais  elles 


156 


NOUVELLE    GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 


sont  ornées  à  rintérieiir  ol  les  fenêtres  sont  fleuries  de  roses,  de  verveines, 
de  géraniums.  Les  églises,  toutes  dominées  par  flèche,  coupole  ou  tou- 
relles, sont  d'une  architecture  un  peu  lourde  :  les  blocs  massifs  de  granit 
qui  portent  rédifice  et  les  poutres  qui  en  forment  la  charpente  ne  se  prè- 


51.   BAS   CLOÎIME.V,    r.Ar.PSDOBG    ET    FIIEDEBIRSTAD. 


lent  guère  à  la  fantaisie  de  l'artiste;  pour  donner  le  mouvement  et  la  vie  à 
l'enseniMe,  l'arcliilccle  a  dû  élever  nef  sur  nef,  les  hérisser  de  chiclielons 
et  de  croix  de  bois  découpés  s'ouvrant  en  bouches  de  dragons.  Telle  église, 
par  exemple  celles  de  Borgund,  sur  un  affluent  du  Sogne-fjord,  et  de  Ilit- 
terdal,  dans  le  Tclcmarken,  offre  une  vague  ressemblance  avec  des  tem- 
|)Ics  d(>  la  Chine  et  du  Tibet. 


VILLES   NORVÉGIENNES,   CHRISTIANIA.  Vol 

La  première  ville  du  littoral  norvégien,  sur  sa  frontière  méridionale,  est 
Frederikshald,  que  domine  au  sud,  du  haut  d'un  rocher,  la  forteresse  de 
Frederiksteen,  défendant  jadis  la  Norvège  contre  les  Suédois  :  un  obélisque 
marque  l'endroit  où  tomba  Charles  XII,  en  1718;  un  autre  obélisque  est 
érigé  en  l'honneur  de  Colbiernsen,  le  défenseur  de  la  place.  Maintenant  Fre- 
derikshald n'a  plus  à  veillera  la  défense  du  territoire,  elle  s'occupe  surtout 
de  l'expédition  des  bois  apportés  par  le  Tistedals-elv.  Telle  est  aussi  la  prin- 
cipale industrie  de  Frederikstad,  située  à  la  bouche  du  Glommen  et  cou- 
vrant un  espace  immense  de  ses  quartiers  épars,  de  ses  maisons  isolées,  de 
ses  entrepôts  de  bois,  de  ses  grandes  usines.  De  même,  Sarpsborg,  quoique 
simple  bourgade,  occupe  autant  de  place  qu'une  capitale  et  s'étend  à  plu- 
sieurs kilomètres  de  distance  à  l'ouest  des  manufactures  et  des  scieries 
dont  les  cataractes  de  Sarp  mettent  les  roues  en  mouvement.  C'est  égale- 
ment du  commerce  des  bois  que  s'occupe  la  gracieuse  ville  de  Moss,  située 
sur  un  isthme  entre  deux  golfes  et  deux  ports,  et  disposant  ainsi  de  deux 
voies  commerciales,  l'une  vers  Christiania,  l'autre  vers  la  haute  mer.  C'est 
à  Moss  que  fut  signé  en  1814  le  traité  d'union  entre  les  deux  royaumes 
de  Suède  et  de  Noi'vège  '. 

Christiania  ou  Krisliania,  la  capitale  de  la  Norvège  et  la  deuxième  cité 
de  la  Scandinavie  par  l'importance  de  sa  population,  est  une  ville  iloiit  la 
position  était  indiquée  d'avance  par  les  conditions  géographiques  de  la 
contrée.  Elle  occupe  précisément  l'extrémité  d'un  fjord  qui  sépare  les  deux 
presqu'îles  secondaires  de  la  Norvège  méridionale  et  de  la  Gothie,  décou- 
pées au  sud  de  la  grande  péninsule  Scandinave.  Le  fjord  de  Christiania  est 
facile  à  défendre,  puisque  ses  rives  se  rapprochent  devant  Ilvidsteen  et 
Drôbak,  de  manière  à  ne  laisser  qu'un  étroit  canal,  commandé  maintenant 
par  les  canons  d'Oskarsborg  ;  il  se  termine  au  milieu  des  terres  par  un 
vaste  bassin  eu  forme  de  croissant,  où  des  ports  peuvent  s'établir  à  l'abri 
de  chaque  langue  de  terre.  Christiania  en  possède  deux  principaux,  Piper- 
viksbugten  à  l'ouest  cl  Bjoniken  à  l'est  :  celui-ci  est  le  plus  fréquenté, 
et  le  long  de  ses  quais  s'amarrent  les  navires,  bien  défendus  des  vents  ; 
mais  les  glaces  ferment  la  baie  en  moyenne  pendant  un  tiers  de  l'année. 

'    Mouvempnt  commercial  et  llolle  inirchande  des  trois  priucipaux  ports  de  la  cùle  orientale  du 

fjoril  de  Christiania  en  tS8'2  : 

Enlri'cs  et  sorties  .    .  Frederikshald   .    .    .  1190  navires,  jaugeant  I2'2  590  tonnes. 

„               ..  Frederikstad.    .    .    .  Z'.ibS       ••               «  ôiô  iOO       <' 

,<              I,  Moss 416       il              ..  7.">2I0      » 

Flottille  de  commerce.  Fieilerikshald  .    .  1 17  navires,  jaugeant  23  700  tonnes. 

n               „  Frederikstad.   .    .    .  142       »               n  41  050       » 

»               »  Moss 5!        li               ..  14  260       n 


158  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

Le  grand  lac  marin  de  Christiania  était  connu  jadis  sous  le  nom  de  Viken 
ou  de  «  Golfe  »  par  excellence  :  c'était  l'un  des  meilleurs  parmi  ces  havres 
d'embûche  et  de  refuge  où  les  vikings  préparaient  leurs  flottilles  et  venaient 
les  cacher  au  retour  de  leurs  expéditions.  Maintenant  le  bassin  de  Chris- 
tiania doit  surtout  son  importance  commerciale  à  la  fécondité  des  terres  qui 
le  bordent  et  qui  sont  disposées,  pour  ainsi  dire,  en  forme  d'espalier,  de 
manière  à  recevoir  toute  la  force  des  rayons  solaires.  Le  district  même 
d'Akershus,  entourant  la  capitale,  possède  à  lui  seul  plus  de  la  moitié  des 
terrains  cultivés  du  royaume,  et  les  produits  en  sont  naturellement  exportés 
par  les  marins  de  Christiania.  En  outre,  les  meilleurs  bois  de  la  Norvège, 
en  grande  partie  détruits  maintenant,  croissaient  sur  le  versant  des  col- 
lines et  des  montagnes  qui  regardent  le  fjord  et  c'est  là  aussi  que  se  trou- 
vent les  gisements  de  minéraux  les  plus  considérables. 

D'ailleurs  les  vallées  qui  s'inclinent  vers  le  golfe  de  Christiania  sont 
disposées  de  manière  à  donner  de  très  vastes  dimensions  au  bassin  com- 
mercial de  la  capitale.  Le  plus  vaste  lac  de  la  Norvège,  le  Mjôsen,  se  pro- 
longe au  loin  vers  le  nord  comme  s'il  continuait  encore  le  golfe  maritime 
dont  il  faisait  jadis  partie.  Le  Glomraen,  le  Dramms-elv  et  d'autres  cours 
d'eau  se  déversent  dans  le  fjord,  et  quoique  leurs  embouchures  ne  se  trou- 
vent pas  dans  le  voisinage  immédiat  de  Christiania,  il  n'a  pas  été  difficile 
de  construire  des  chemins  dans  les  plaines  basses  de  leurs  bassins,  et  la 
capitale  est  ainsi  devenue  le  centre  de  convergence  de  toutes  les  routes 
commerciales  descendues  des  vallées  environnantes.  Bien  plus,  par  les 
dépressions  du  plateau  des  Oplande,  ainsi  que  par  le  Gudbrandsdal,  Chris- 
tiania communique  facilement  avec  les  rivages  atlantiques  de  la  Norvège, 
surtout  avec  le  Trondlijems-fjord  et  le  Molde-fjord,  et  c'est  principa- 
lement sur  la  voie  historique  de  Trondhjem  à  Christiania,  parcourue 
maintenant  par  un  chemin  de  fer,  que  se  sont  accomplis  presque  tous  les 
événements  considérables  des  luttes  séculaires  qui  ont  divisé  les  popula- 
tions des  deux  versants.  Christiania,  qui  se  trouve  à  peu  près  sous  la 
même  latitude  que  Stockholm,  est  également  rattachée  à  cette  ville  par 
une  voie  naturelle  passant  au  nord  des  grands  lacs,  et  forme  ainsi  le 
sommet  d'un  triangle  dont  l'ancienne  métropole  de  la  Norvège  et  la  capi- 
tale actuelle  de  la  Suède  occupent  les  deux  autres  angles'.  Par  ses  rela- 
tions maritimes,  le  golfe  allongé  de  Christiania  correspond  exactement 
à  la  pointe  aiguë  du  Jylland  et  se  trouve  aussi  placée  au  sommet  d'un 
triangle  :  les  navires  qui  sortent  du  fjord  voient  s'ouvrir  devant  eux  deux 

*  J.  G.  Kohi,  Die  Gcograpliiichc  Lagc  dcr  Ilauptstàdte  Europa's, 


CHRISTIANIA.  1L9 

chemins,  celui  du  Skager  Ral<,  qui  les  mène  vers  Hambourg,  Dunkcrque 
ou  Londres,  celui  du  Kaftegat,  par  lequel  ils  peuvent  se  diriger  vers  Co- 
penhague ou  les  ports  de  la  Baltique. 

Dès  le  milieu  du  onzième  siècle,  une  ville  d'Oslo  ou  Opslo  existait  à  l'en- 
droit occupé  de  nos  jours  par  le  faubourg  oriental  de  Christiania  qui  porte 
le  même  nom,  et  deux  cent  cinquante  ans  après  la  forteresse  d'Akcrshus 
s'élevait  sur  un  rocher  voisin,  dominant  une  partie  de  la  ville  actuelle  et 
les  embouchures  de  deux  cours  d'eau,  l'Akers-elven  et  le  Lo-elven.  C'est 
en  1624,  après  un  violent  incendie,  que  s'éleva  la  nouvelle  cité,  à  laquelle 
le  roi  de  Danemark  Christian  IV  donna  son  nom.  Elle  est  presque  entière- 
ment bcàtie  en  pierre  et  en  briques  depuis  l'incendie  de  18^8;  les  carrières 
de  syénite  et  de  granit  qui  bordent  le  fjord,  ainsi  que  les  bancs  voisins 
d'argile  glaciaire,  lui  fournissent  les  matériaux  dont  elle  a  besoin  pour 
construire  ses  palais.  Comme  toute  capitale,  elle  a  de  nombreux  édifices 
publics  et  c'est  là  que  siègent  le  Parlement,  les  tribunaux,  les  grandes 
écoles.  L'université  du  royaume,  établie  en  18 M  et  connue  d'ordinaire 
sous  le  nom  de  Fredericiana,  est  fréquentée  par  un  millier  d'étudiants; 
elle  a  été  doublée  en  étendue  pour  qu'on  pût  y  exposer  convenablement  les 
nombreuses  collections  du  musée,  ainsi  que  la  bibliothèque  grandissante, 
composée  maintenant  de  200  000  volumes;  en  outre,  un  jardin  botanique, 
un  musée  d'antiquités  et  de  peintures  curieuses,  surtout  pour  l'étude  des 
paysans  du  Nord,  un  observatoire  astronomique  et  l'observatoire  de  météo- 
rologie, rendu  célèbre  par  les  travaux  de  M.  Mohn,  dépendent  de  l'université. 

Christiania,  centre  d'industrie  et  de  commerce,  est  enrichie  par  des 
filatures,  des  ateliers  de  construction  et.de  nombreuses  distilleries.  Pour 
la  valeur  des  échanges,  elle  est  le  marché  le  plus  animé  de  la  Norvège; 
el  pour  l'exportation,  elle  dépasse  aujourd'hui  Bergen,  qui  l'égalait  naguère'. 
Des  services  de  bateaux  à  vapeur  rattachent  Christiania  à  toutes  les  villes 
du  littoral  Scandinave,  aux  grands  ports  de  l'Europe  occidentale  et  même 
à  New-York  ;  en  outre,  un  réseau  de  chemins  de  fer  qui  va  rejoindre 
Trondhjeni  au  nord,  Geflc  au  nord-est,  Stockholm  à  l'est,  Gôteborg  et 
Malmo  au  sud,  accroît  d'année  en  année  l'importance  de  Christiania  comme 

•    Mouvement  de  la  navi;;alion  dans  le  port  de  Christiania  en  1882  : 

Entrées.    ..........      1922  navires,  laugejnt        568  OiO  tonnes. 

Sorties \T>i6       ,^  »  447  500        « 

En>eiiil)le 5208  navires,  jaugeant     1  010  iiO  tonnes. 

Flottille  appartenant  aux  armateurs  de  Christiania  : 

278  voiliers,  jaugeant 101  560  tonnes. 

49  bateaux  à  van  'ir,   iaii  ■■.Mut 10  2110       )i 


Î60  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

lieu  de  trafic,  et  sa  population,  qui  dépassait  à  peine  8000  habitants  au 
commencement  du  siècle,  a  plus  que  décuplé  depuis  cette  époque  :  elle 
augmente  de  plus  de  mille  personnes  par  an.  D'ailleurs,  la  capitale  de  la 
Norvège  est,  si  l'on  tient  compte  de  sa  haute  latitude,  une  des  villes  de  la 
Scandinavie  les  plus  agréables  à  habiter,  grâce  à  la  pureté  de  l'air  qu'on  y 
respire,  à  l'élévation  relative  de  sa  température,  à  la  beauté  de  ses  envi- 
rons. Du  rocher  d'Akershus,  qui  s'avance  dans  le  golfe  en  forme  de  fer  de 
lance,  on  voit  à  ses  pieds  la  plus  grande  partie  de  la  ville,  les  navires 
de  la  rade  et  les  lies  vertes  éparses  dans  l'eau  :  vers  l'ouest,  la  pres- 
qu'île de  Ladegaards,  rattachée  à  la  terre  par  un  étroit  pédoncule,  reflète 
dans  la  baie  les  grands  arbres  de  son  parc,  ses  villas,  son  palais  de  plai- 
sance; plus  loin,  de  nombreux  îlots,  tous  de  forme  régulière  et  disposés  en 
lignes  parallèles,  ressemblent  aux  perles  d'un  collier  dont  le  fil  vient  de  se 
détacher.  Au  nord  de  la  plaine  où  s'allongent  aux  côtés  des  roules  les  fau- 
bourgs de  Christiania  s'élèvent  des  collines  de  300  et  même  de  plus  de 
400  mètres,  d'où  l'on  contemple  tout  le  tracé  géographique  du  fjord  par- 
dessus les  promontoires,  les  isthmes  et  les  archipels. 

Le  bassin  du  Glommen,  quoique  le  plus  considérable  de  la  Norvège,  n'a 
point  de  villes  importantes  dans  sa  partie  supérieure,  si  ce  n'est  la  cité  mi- 
nière de  Rôros,  qui  se  trouve,  grâce  à  la  proximité  de  Trondhjem,  plus  dans 
le  cercle  d'attraction  de  cette  ancienne  capitale  que  dans  celui  de  Christia- 
nia. La  ville  d'Eidsvold,  située  sur  l'émissaire  navigable  du  lac  Mjôsen,  a 
toujours  une  certaine  importance  comme  point  de  départ  des  voyageurs 
qui  se  rendent  vers  Rôros  et  Trondhjem,  car  c'est  là  que  s'arrête  encore 
le  chemin  de  fer  de  Christiania  et  que  commence  la  navigation  du  Mjôsen 
vers  Haraar.  Eidsvold  est  le  lieu  où  se  réunit  on  1814  le  premier  Storthing 
de  la  Norvège  après  le  traité  d'union  avec  la  Suède.  Depuis  des  siècles  déjà, 
Eidsvold  était  le  rendez-vous  commun  de  tous  les  Opplânder  ou  «  Hommes 
d'en  haut  »  et  c'est  là  qu'Olaf  le  Saint  avait  été  élu,  en  1020,  roi  de  la 
Norvège.  Hamar,  sur  la  rive  orientale  du  lac,  était  la  métropole  religieuse 
de  la  contrée  et  l'on  y  voit  encore  les  restes  imposants  d'une  cathédrale. 
La  ville  fut  détruite  en  1509  par  les  Suédois;  les  habitants  s'enfuirent  à 
Opslo  et  contribuèrent  ainsi  à  la  prospérité  du  bourg  qui  devait  êtit>  [)lus 
lard  la  capitale  de  la  Norvège. 

Toutes  les  villes  de  la  cùle  au  sud  et  à  l'ouest  de  Christiania  sont  des 
marelles  de  commerce,  expédiant  à  l'étranger  des  planches  et  des  minerais 
comme  Drammen,  du  poisson  comme  Stavanger  :  des  voiles  se  pressent  à 
l'entrée  des  Ijords,  des  vaisseaux  tracent  incessamment  leur  sillage  le 
long  des  rives  ;  le  ciel  bas  est  rayé  de  traînées  de  vapeur.  Une  étonnante 


CHRISTIANIA,   EIDSVOLD,   DRAMMEN. 


t6l 


activité  maritime,  comparable  à  colle  que  l'on  voit  aux  abords  des  grands 
ports  anglais,  se  montre  dans  tout  le  Skager  Rak  et  par  delà  le  Lindesnœs 
jusqu'à  Stavanger  :  à  la  fin  de  l'année  1882,  les  flottes  commerciales  des 
ports  norvégiens  du  Skager  Rak  et  du  golfe  de  Stavanger,  dans  les  districts 
de  Christiania  et  de  Chistianssand,  comprenaient  plus  de  cinq  mille 
cent  navires,  jaugeant  treize  cent  quarante  mille  tonneaux  et  montés 
par  près  de  quarante-six  mille  hommes  d'équipage'.  Ainsi  le  pays  des 


X°   35.    —    DRAMMEX    ET    DRAMMS-ELV. 


E    deP 


P 

t. 


C^OàSOM. 


^e  50  à  100 


de /OO  au  de/à 


«  Phéniciens  du  Nord  »,  étroit  littoral  contournant  des  monts  et  des  plateaux 
inhabités,  possède  une  marine  plus  puissante  que  do  vastes  pays  ayant  des 
dizaines  de  millions  d'habitants  comme  la  France,  l'Espagne  ou  la  Russie. 
Drammen,  l'une  des  grandes  villes  de  la  Norvège,  est  un  des  ports  les 
plus  actifs  de  cette  contrée  commerçante.  Située  à  l'endroit  oii  le  Dramms- 
elv,  fleuve  sorti  du  vaste  lac  do  Tyri-fjord,  s'élargit  en  estuaire,  elle  se 
compose  en  réalité  de  deux  villes  longues  et  étroites  qui  bordent  les  rives 


'  Tabeller  vedkoinmende  yorges  Skibsfarl  i  A.nrct  ii 


XC-I  NOUVELLE    GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

divergentes  :  un  des  ponts  a  plus  de  300  mètres.  Le  port  de  Drammen, 
réuni  à  la  mer  par  l'étroite  porte  oij  passe  le  courant  de  Svelvigcn,  est 
comme  un  bassin  fermé  offrant  les  mêmes  avantages  que  la  rade  de  Chris- 
tiania'; il  possédait  naguère  plus  de  navires  que  la  capitale  elle-même,  mais 
dans  CCS  dernières  années  le  nombre  en  a  notablement  diminué;  le  mou- 
vement commercial  y  est  d'ailleurs  moins  considérable.  L'industrie  locale 
consiste  surtout  dans  l'exportation  des  planches,  mais  les  négociants  de  la 
ville  ont  su  profiter  de  leurs  richesses  en  bois  pour  l'expédier  sous  forme  de 
meubles,  de  parquets,  d'ornements  divers.  En  outre,  Drammen  est  le  port 
d'expédition  pour  la  ville  minière  de  Kongsberg  ou  «  Montagne  du  Roi  >', 
située  au  sud-ouest,  sur  la  rivière  Laugen.  Les  gisements  d'argent  découverts 
en  1625  ont  été  exploités  depuis  cette  époque,  excepté  pendant  quelques 
années  au  commencement  du  siècle,  et  fournissent  en  moyenne  pour  une 
valeur  de  plus  d'un  demi-million  de  francs;  mais  la  valeur  relative  de  l'ar- 
gent a  baissé  ;  les  mines  se  sont  appauvries,  et  la  ville  est  déchue  :  de  1815 
à  1850,  les  mines  furent  travaillées  à  pertc^  Konsgberg  eut  jadis  plus  de 
10  000  habitants  et  fut,  après  Bergen,  la  première  ville  de  la  Norvège;  main- 
tenant elle  n'a  plus  même  la  moitié  de  son  ancienne  population.  L'hôtel 
des  monnaies  de  la  Norvège  y  a  été  maintenu.  C'est  dans  une  vallée  paral- 
lèle à  celle  de  Konsgberg,  à  25  kilomètres  à  l'ouest,  que  s'élève  la  fameuse 
église  de  Hitterdal,  massif  pyramidal  de  nefs  et  de  clochetons  en  bois. 

Sur  les  rives  occidentales  du  fjord  de  Christiania  se  succèdent  les  ports 
de  Ilolmestrand,  de  Horlen,  de  Tônsberg,  de  Sandefjord  ;  puis  vient,  à 
l'embouchure  du  Laugen,  la  ville  de  Laurvik.  Ilorten,  naguère  simple  vil- 
lage, est  devenue  ville  active  depuis  que  sa  crique  a  été  choisie  pour  station 
principale  de  la  flotte  militaire  du  pays.  D'après  les  chroniques  du 
moyen  âge,  Tônsberg,  qui  fut  l'une  des  quatre  «  villes  municipales  »  du 
royaume,  est  le  plus  ancien  port  de  la  Norvège,  car  on  en  parle  dès  la  fin 
du  neuvième  siècle  comoK!  d'une  cité  florissante,  où  venaient  en  grand 
nombre  des  navires  du  Danemark  et  du  «  pays  des  Saxons  »  ;  mais  déjà 
l'emplacement  où  Laurvik  se  trouve  de  nos  jours  était  un  lieu  célèbre,  car 
là  s'élevaient  le  temple  de  Skiringosal,  que  le  peuple  visitait  en  foule,  et 
le  palais  du  roi  Harald  aux  Beaux  Cheveux.  A  l'ouest  du  fjord  de  Laurvik 
s'ouvre  un  autre  golfe,  où  le  havre  de  Porsgrund  sert  d'avant-port  à  la 
ville  de  Skieii,  marché  des  paysans  du  Telemarken. 

Sur  la  côte  du  Skager  Ilak,  chaque  bourgade  est  un  port,  et  quelques 

'    Mouvonionl  du  port  de  Itiainmi'ti  en  ISS'i  :  lôlh  navires,  jaugcanl  255  ô'2o  tonnes. 

Flotte  commerciale  :  250  voiliers  et  II  bateaux  à  vapeur,  jaugeant  ensemble  82  210  tonnes. 
'    Daubréf,  ;  —  G.  Leonhard,  Scandinavische  Erzlayer-Stâtlen. 


ARENDAL.   CURISTIANSSAND,   STAVANGER. 


165 


villes  se  révèlent  de  distance  en  distance  par  le  nombre  des  embarcations 
qui  se  pressent  à  l'entrée  des  baies  :  Kragcro,  défendue  à  l'est  par  les  bancs 
de  Jomiruland,  que  les  marins  disent  plaisamment  être  un  «  morceau  du 
Danemark  écboué  sur  les  côtes  de  la  Norvège  »  ;  Osterrisôr;  Tvedestrand  ; 
Arendal,  le  port  le  plus  ricbe  de  toute  la  Scandinavie  en  bateaux  de  cabo- 
tage, et  la  ville  d'où  partent  souvent  les  voyageurs  pour  aller  visiter  les 
lacs  et  les  cascades  du  Telemarken.  Puis   viennent  Grimstad,  Lillesand, 


S.iGERO    tT   JOMFBCLAVD. 


Christianssand,  ville  de  marins,  de  constructeurs,  de  sauveteurs  et  de  ra- 
doubiers,  qui  possède  de  belles  terres  de  culture  conquises  par  les  allu- 
vions  sur  la  mer;  Mandai,  le  port  le  plus  voisin  du  Lindesnaîs,  promon- 
toire bien  connu  des  marins.  Au  delà,  le  littoral  se  recourbe  vers  le  nord, 
et  sur  un  isthme  étroit,  à  l'extrémité  de  la  côte  de  Jiidcren,  peuplée  de 
moutons,  se  présente  la  fière  Stavanger,  l'une  des  cités  les  plus  commer- 
çantes de  la  Norvège  et  la  quatrième  du  pays  par  le  nombre  de  ses  habi- 
tants :  pourtant  sa  population  ne  s'élevait  pas  même  à  un  millier  de  per- 
sonnes au  commencement  du  dix-septième  siècle;  en  1800,  elle  n'avait 


1G6 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


encore  que  2400  habitants.  La  pêche  des  harengs,  la  fabrication  des  lai- 
nages et  le  commerce  ont  fait  la  prospérité  de  l'antique  bourgade.  Jadis 
siège  épiscopal,  Stavanger  possède  toujours  une  belle  église,  bâtie  au 
douzième  et  au  treizième  siècle  dans  le  style  ogival  anglais. 

Haugesund  garde  l'entrée  septentrionale  du  Bukke-fjord,  que  surveille 
Stavanger  du  côté  du  sud  ;  mais  elle  est  beaucoup  moins  commerçanio'.  La 
ville  principale  de  toute  la  partie  du  littoral  comprise  entre  le  Lindesnœs  et 
le  cap  Stad  est  l'ancienne  Bergen,  jadis  Bjorgvin,  la  «  Prairie  de  la  Monta- 
gne »,  fondée  dans  la  deuxième  moitié  du  onzième  siècle  au  milieu  d'un 
labyrinthe  d'îles,  d'ilôts  et  de  péninsules  inégales  :  sept  montagnes,  sans 
compter  les  sommets  secondaires,  se  dressent  en  amphithéâtre  autour  d'elle. 
Bergen,  patrie  du  poète  Holberg  et  du  naturaliste  Michel  Sars,  fut  long- 
temps la  ville  la  plus  populeuse  de  la  Norvège;  maintenant  encore  elle  dé- 
passe de  beaucoup  toutes  les  cités  autres  que  la  capitale.  Elle  fut  jadis 
l'un  des  marchés  les  phis  fréquentés  de  la  Hanse,  et  les  négociants  germa- 
niques y  possédaient  une  ville  dans  la  ville,  composée  de  greniers  et  de 
magasins  portés  sur  pilotis  et  rattachés  à  la  terre  ferme  par  des  appon- 
tements  ;  de  véritables  garnisons  de  commis  et  de  serviteurs,  comprenant 
jusqu'à  5000  hommes,  défendaient  le  quartier  des  Hanséates  :  c'est  en 
1763  seulement  que  fut  vendue  la  dernière  maison  appartenant  à  la  colonie 
allemande,  mais  un  grand  nombre  de  noms  de  famille  rappellent  les 
négociants  qui  avaient  presque  entièrement  monopolisé,  au  quinzième 
siècle,  le  trafic  de  Bergen,  et  l'architecture  hanséatique  donne  encore  à 
certains  quartiers  une  physionomie  que  l'on  ne  retrouve  pas  dans  les 


'  Mouvement  et  flottes  des  principaux  ports  de  la  côte  méridionale  de  la  Norvège,  entre  Dramnien 
et  Haugesund  en  18S'2  : 


Mouvement  d 

a  port. 

Flotte  de  commerce. 

Ilolmeslrand. 

175  navires,  jaugeant 

25  520  tonnes. 

41  navires, 

jaugeant 

9  812  tonnes. 

Ton«lier<;  .    . 

512 

» 

72  100       II 

155 

Il 

II" 

56  515     II 

Sandefjord.    . 

.        211 

Il              II 

55  750       II 

85 

)i 

II 

21  755     II 

Laurvik.    .    . 

.     1  022 

»             Il 

105  010       .. 

84 

1) 

1) 

26  168     II 

Skien.    .    .    . 

541 

Il             II 

01020       « 

40 

1) 

» 

16  123     11 

l'orsgrund.    . 

750 

II 

151  050       i> 

90 

» 

1) 

55  560     11 

Kragerô . 

1  018 

Il              II 

100  520       II 

106 

» 

11 

55  587     1) 

Ostcrrisor .    . 

57(i 

II 

70  580       11 

85 

1) 

II 

29  022     II 

Tvedestrand  . 

105 

1, 

54  040       11 

110 

» 

n 

41  600     II 

Arendal.    .    . 

809 

II 

204  050       II 

411 

» 

1) 

1 75  690     II 

Grimstad   .    . 

.        272 

Il             II 

54  5.50       11 

125 

II 

11 

45  647     1. 

Lillesand  .    . 

27i 

Il             II 

22  220      II 

59 

h 

11 

23  1 35     II 

Christianssand 

.     1  558 

1.              Il 

150  850       II 

118 

)' 

» 

50  236     11 

JLndal  .    .    . 

571 

II 

42  140       11 

99 

» 

i> 

27  490     1. 

Stavanger  .    . 

781 

Il             II 

1581110       11 

678 

II 

II 

122  660     11 

llaugesimd.    . 

054 

Il              11 

00  550       « 

262 

» 

1) 

25  945     1' 

STAVANGER,   BERGEN'. 


167 


autres  villes  de  la  Norvège.  Antérieurement  encore,  ce  fut  un  monopole 
de  commerce  concédé  aux  marchands  de  Bergen  qui  fut  la  cause  de  la  rup- 
ture délînitive  des  communications  de  la  Scandinavie  avec  le  continent 
américain.  Ce  qu'avaient  fait  l'initiative  et  le  commerce  libre,  les  conces- 
sions royales  ne  réussirent  point  à  le  maintenir  :  le  Groenland  appartenant 
au  trésor  royal,  il  était  interdit  de  le  visiter  à  tout  marin,  islandais,  nor- 
végien ou  étranger;  seuls  des  pilotes  de  Bergen  avaient  le  droit  de  cingler 


Esi  de  Pa 


Es.  aeC.- 


I   :  AS  000 


vers  ces  parages,  mais  ils  furent  assassinés  on  1484  par  des  négociants 
hanséates,  et  le  secret  de  la  navigation  dans  les  mers  américaines  fut  perdu 
pour  les  Norvégiens'.  Les  exportations  de  Bergen  consistent  principalement 
en  poisson,  que  les  Norvégiens  échangent  contre  les  denrées  coloniales,  les 
céréales,  les  fruits,  les  vins,  les  articles  manufacturés,  importés  par  les 
navires  étrangers,  surtout  par  ceux  de  l'Angleterre.  Jadis,  tous  les 
pêcheurs  du  nord,  même  ceux  des  côtes  de  Laponie  et  des  îles  Lofoten. 


'  Rafn,  Mémoires  de  la  Soc.  fies  Aiit.  du  y'ord,  1845-1849;  —  Giili  Biynjiilffson,  Globiis.  1871. 


168  NOnVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

venaient  vendre  leur  poisson  à  Bergen  ;  pour  se  débarrasser  de  leur  pèche, 
ils  faisaient  l'immense  voyage  de  mille  kilomètres  ou  davantage  à  travers 
les  pluies  et  les  tempêtes  :  en  juillet,  puis  en  automne,  les  négociants  de 
Bergen  voyaient  ainsi  venir  des  centaines  ou  des  milliers  de  barques  et 
pouvaient,  suivant  la  quantité  du  poisson,  régler  le  prix  d'achat.  La  fonda- 
tion de  Bodô,  de  Tromsô,  de  Hammerfest  et  d'autres  marchés  du  nord  a 
rendu  désormais  inutiles  ces  exodes  périodiques  des  pécheurs  '. 

Bergen,  on  le  sait,  est  une  des  villes  que  les  pluies  fréquentes  rendent 
peu  agréables  aux  voyageurs.  Dans  le  district  environnant,  la  lèpre,  cette 
hideuse  maladie,  heureusement  inconnue  dans  la  plupart  des  régions 
tempérées,  fait  toujours  des  victimes;  on  y  compte  plus  de  deux  mille 
lépreux,  dont  l'aspect  n'est  pas  moins  horrible  que  celui  des  malheureux 
de  l'Orient  attaqués  de  la  même  maladie.  Les  cultivateurs  des  vallées  éloi- 
gnées de  la  mer  n'en  sont  jamais  atteints  :  c'est  à  la  nourriture  presque 
exclusivement  composée  de  poisson  gras  qu'est  attribué  le  développement 
de  ce  mal  chez  les  pêcheurs  du  littoral.  D'après  les  statistiques  officielles, 
le  nombre  des  lépreux  diminue  d'année  en  année,  grâce  à  une  meilleure 
hygiène. 

Au  nord  de  Bergen  se  succèdent  d'autres  ports  de  pèche,  dont  le  com- 
merce est  assez  actif  pour  avoir  fait  surgir  de  véritables  villes  sur  les  ro- 
ches nues  de  la  côte  :  telles  sont  Aalesund  et  Christianssund,  bâties  sur 
des  îlots,  à  l'entrée  de  Ijords  qui  se  ramifient  au  loin  dans  l'intérieur'. 
Mais  à  l'est  de  l'île  Hitleren  s'ouvre  un  autre  fjord,  celui  de  Trondhjem, 
mieux  formé  que  tous  les  golfes  voisins  pour  inviter  les  flottes,  car  s'il 
ne  communique  avec  la  mer  que  par  un  canal  étroit  d'ailleurs  bien  abrité 
et  où  ne  pénètre  pas  la  houle  du  large,  il  se  développe  à  l'intérieur  en  vastes 
bassins  où  se  jettent  plusieurs  fleuves  :  un  territoire  fort  étendu  s'incline 
vers  le  fjord  et  son  embouchure  maritime.  En  outre,  c'est  précisément 
devant  le  fjord  de  Trondhjem  que  se  trouve  la  partie  la  plus  infléchie 
de  la  côte  entre  le  cap  Stad  et  l'archipel  des  Lofoten  :  elle  forme  en  cet 
endroit  une  espèce  de  golfe  vers  lequel  se  dirigent  volontiers  les  navires 
pour  se  porter  plus  avant  dans  l'intérieur  des  terres.  Trondhjem  possède 
aussi  le  grand  avantage  d'être  à  l'extrémité  de  la  dépression  naturelle  qui 
sépare  le  Kjolen  des  plateaux  du  midi  de  la  Norvège,  et  récemment  elle 
a  été,  seule  parmi  les  villes  de  la  côle  occidentale  de  la  presqu'île,  réunie 

'   Mouvement  du  port  de  Bergen  en  1882  :  1282  navires,  jaugeant  85  170  tonnes. 

Flotte  de  commerce  :  507  navires,  dont  108  à  vapeur,  jaugeant  ensemble  90  167  tonnes. 
''   Mouvement  du  port  de  Christianssund  en  1882.   .     2 14  navires,  jaugeant    ôO  ifiO  tonnes. 

Flotte  de  commerce  »  »     .   .     125      »  h  12  605      » 


lîERGEN.   TROi\DHJEM. 


ICI» 


par  une  voie  ferrée,  passant  à  plus  de  600  mètres  d'allitude,  d'une  part  à 
Christiania,  de  l'autre  aux  rivages  du  golfe  de  Botnie  :  ce  privilège  promet 
d'augmenter  rapidement  les  relations  commerciales  de  Trondlijem'.  Quoique 
située  entre  le  65"  et  le  G4'  degré  de  latitude,  la  ville  ne  souffre  pas  d'un  cli- 
mat trop  rigoureux,  grâce  aux  vents  de  l'Atlantique,  et  les  habitants  montrent 
comme  une  gloire  de  leur  ville  un  tilleul  qui,  par  son  existence  même, 
témoigne  en  faveur  du  climat  ;  même  au  nord  de  Trondlijem,  près  du  vil- 


S'    ">S.    TBONDIIJE 


lage  de  Frôsten,  on  voit  des  noyers  dont  les  fruits  arrivent  jiarfois  à  matu- 
rité. Néanmoins  on  peut  dire  que  Trondlijem  se  trouve  liicii  sur  la  limite 
de  la  région  facile  à  coloniser  :  plus  loin,  le  climat  devient  trop  rude,  la 
terre  trop  avare.  Telle  est  la  raison  qui  n'a  pas  permis  à  l'ancienne  Nidaros, 
le  Trondlijem  actuel,  de  maintenir  son  rang  de  capitale,  malgré  les  avan- 
tages de  sa  position  géographique  :  par  respect  du  passé,  on  lui  a  pour- 
tant laissé  son  rang  de  métropole  religieuse  et  c'est  dans  sa  cathédrale  <pie 
viennent  se  faire  sacrer  les  rois.  Ce  monument  ogival,  le  ]ihis  beau  de  la 


'  Uouvemcnt  commercial  tic  Trondbjem  en  1882  :  510  na\ircs,  jaugeant  177  207  tonnes. 
».  22 


170  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

Norvège,  date  de  différentes  époques,  de  la  fin  du  onzième  au  commen- 
cement du  quatorzième  siècle,  et  dans  les  temps  modernes  il  a  fallu  rebâtir 
une  partie  de  l'édifice  détruite  par  les  incendies.  Sur  un  amas  de  rochers 
qui  domine  la  ville  se  dressait  autrefois,  suivant  la  tradition,  le  château 
de  Hakon  Jarl,  le  dernier  chef  païen  de  la  Norvège,  qui  sacrifia,  dit  la  saga, 
son  propre  fils  aux  dieux. 

Dans  les  environs  de  Trondhjem,  quelques  villages  industriels  utilisent 
une  part  de  l'énorme  force  motrice  fournie  par  les  cataractes  et  les  rapides 
des  torrents  ;  les  bois  flottés  sont  amenés  en  abondance  par  les  cours 
d'eau  ;  une  mine  voisine  fournit  le  meilleur  minerai  de  fer  chromé  qui 
existe',  et  c'est  aussi  dans  le  même  district,  quoique  sur  le  Glommen, 
que  se  trouve  la  ville  minière  de  Rôros,  dont  les  gisements  de  cuivre,  ren- 
fermant de  4  à  8  pour  100  de  métal  pur,  sont  exploités  depuis  le  milieu 
du  seizième  siècle,  en  partie  par  des  mineurs  d'origine  allemande,  et  sont 
indiqués  de  loin  par  d'énormes  amas  de  scories.  Situé  à  plus  de  600  mè- 
tres d'altitude,  sous  un  climat  des  plus  rudes,  ce  bourg  doit  être  considéré 
par  ses  habitants  comme  un  triste  lieu  d'exil  :  c'est  en  été  seulement  que 
les  mineurs  peuvent  travailler  à  l'air  libre  au  tri  du  minerai  ;  pendant  un 
hiver  de  neuf  mois  ils  sont  obligés  de  travailler  sous  terre.  De  m.ème, 
au  nord  de  Trondhjem,  les  petites  villes  fondées  pour  l'exploitation  des 
pêcheries  n'ont  pu  surgir  qu'à  de  grandes  distances  les  unes  des  autres. 
Ainsi  la  première  ville  digne  de  ce  nom,  Tromsô,  capitale  de  la  province 
septentrionale,  n'est  pas  à  moins  de  800  kilomètres  en  droite  ligne  au 
nord-est  de  Trondhjem  :  avec  les  détours  dans  les  Icden  ou  détroits  du 
skjârgaard,  il  faut  compter  au  moins  un  millier  de  kilomètres,  soit  quatre 
jours  d'une  rapide  navigation  à  vapeur.  D'ordinaire,  les  voyages  durent 
plus  d'une  semaine. 

Tromsô,  sur  un  port  étroit  que  traverse  un  courant  très  rapide,  llammer- 
fest,  située  encore  beaucoup  plus  au  nord,  Vardô  ou  Vardôhus,  bâtie  dans 
un  îlot  à  l'extrémité  de  la  péninsule  des  «  Yarègues  »  (Varjag-Njarg), 
et  Vadsô,  sur  les  bords  du  Varanger-fjord,  sont  les  stations  d'armement 
d'où  partent  les  bateaux  de  pèche  pour  le  Spitzberg  et  les  mers  glaciales. 
Ce  sont  les  postes  avancés  de  l'Europe  dans  la  direction  du  pôle.  La  na- 
ture est  belle  dans  ces  contrées,  mais  d'un  aspect  sévère,  et  quand  vient 
la  longue  nuit  de  l'hiver,  illuminée  souvent  par  les  fusées  silencieuses  de 
l'aurore  boréale,  elle  prend  quelque  chose  de  terrible.  Néanmoins  ces  villes 
sont  fort  joyeuses.  Les  fêtes,  les  danses,  les  représentations  théâtrales  s'y 

•  Cari  Vogl,  Nord-Fahit. 


TRONDUJEM,  TROMSÔ,  ilAMMEUFEST.  171 

succèdent  sans  relâché  ;  les  étrangers  y  sont  accueillis  avec  empressement 
et  promenés  de  dîners  en  dîners.  Comme  les  riches  négociants  de  Gênes  et 
de  Marseille,  ceux  de  Tromsô  ont  aussi  leurs  maisons  de  campagne  éparses 
sur  les  terrasses  et  les  collines  des  alentours,  au  milieu  des  forêts  de  bou- 
leaux. Hammerfest  marque  l'extrémité  septentrionale  de  l'arc  de  méridien 
qui  se  prolonge  jusqu'au  Danube  à  travers  la  Scandinavie,  la  Finlande,  les 
provinces  baltiques,  la  Pologne,  l'Austro-Hongrie,  les  Principautés  Danu- 
biennes, sur  près  de  50  degrés  de  latitude.  Une  colonne  en  granit  finlandais 
rappelle  l'heureux  achèvement,  sous  la  direction  de  Struve,  de  celle  grande 
œuvre  de  triangulation  '.  Hammerfest  est  dans  le  voisinage  de  l'Ai  (en- fjord, 
bien  connu  par  les  explorations  de  Lottiu,  Bravais,  Martins,  lors  de  l'expé- 
dition française  de  la  Recherche  en  1838  et  1850. 


XI 


En  Suède,  les  villes  ont  eu  plus  d'espace  qu'en  Norvège  pour  se  fonder  ; 
elles  ne  sont  pas  obligées  de  se  blottir  au  pied  des  montagnes  ou  d'empié- 
ter sur  les  grèves  :  les  plaines  de  l'intérieur  leur  sont  ouvertes,  etplusieurs 
se  sont  élevées  loin  de  la  Baltique  ou  du  Kattegat,  au  bord  des  grands  lacs 
ou  même  en  pleine  campagne,  au  croisement  des  chemins.  Seulement  au 
nord  de  la  vallée  du  Dal-elf,  la  faible  population  de  la  contrée  a  dû  se 
grouper  dans  le  voisinage  des  embouchures  fluviales,  seuls  endroits  où  ils 
puissent  jouir  de  communications  faciles  avec  le  reste  du  monde.  Presque 
toutes  les  villes  de  la  Suède,  disposant  largement  de  l'espace,  occupent  une 
superficie  aussi  considérable  que  celle  des  grandes  cités  en  France  ou  en 
Italie  :  leurs  rues  seraient  ailleurs  des  avenues  ou  des  places;  les  maisons, 
séparées  les  unes  des  autres,  du  moins  dans  les  faubourgs,  sont  basses  et 


'  cil.  Martins,  Vn  tour  de  naturaliste  dans  l'extrême  nord.  Revue  des  Peux  Mondes,  1 1  août  1865. 
*  Villes  de  la  Norfège  ayant  plus  de  4000  habitants. 


Christiania  ou  Kiisliania.    .    .    .  77  050  hab. 

•  (avec  les  faubourgs,  en  1879)  115  000  » 

Bergen,  en  1875 54  400  v 

Trondhjem.  .    » 22000  » 

Stavanger.    .  » 20  350  » 

Draramcn.    .   » 18  850 

Chrislianssand  ou  Kristianssnnd  .  12150  « 

Frederikshald  k 9  950  i> 

Frcderiksslad    ■ 9  700  » 

Laurvik.   .    .    » 7  850  » 

Chrislianssund  ou  Kristianssund.  7500  » 


Aalesund  en  1875 5  800  hab. 

Skien.  .    .    .    ]i 5465  » 

llorlen.    .    .    «       5460  » 

Tromso.    .    .  » 5  450  » 

Tonsberg  .    .   » 5100  » 

Kragerô.  .    .  » 4  800  » 

Moss.   ...» 4450  .. 

Uaugesund.  .  » 4  400  » 

Kongsberp.  .  n 4  300  » 

.Vrcndal.  .    .    i' 4  ICO  • 

Mandai.    .    .   " 4  050  . 


172 


NOIVELLE  GÉOGRArilIE  UNIVERSELLE. 


spacieuses.  Elles  sont  en  général  d'une  grande  propreté,  peintes  en  jaune, 
en  vert,  le  plus  souvent  en  rouge  sombre,  et  munies  d'une  échelle  exté- 
rieure pour  faciliter  le  sauvetage  au  moindre  signal  d'incendie. 

La  ville  principale  de  tout  le  versant  de  la  Suède  tourné  vers  le  Kattegat 
est  Gôteborg,  la  ville  du  Gôta,  car  elle  est  située  sur  l'une  des  embou- 
chures de  cette  remarquable  rivière,  qui  se  bifurque,  non  dans  une  pé- 


39.    —    GOTEBORG    ET    CAS    GOTA-ELF. 


Far. 


l 


t 


^2^^ 


D'après  I  Etôt-Ma 


ninsule  d'alluvions,  mais  au  milieu  d'un  territoire  rocheux.  La  fortune  de 
Gôteborg  comme  cité  commerciale  s'explique  par  son  heureuse  position. 
Cette  ville,  la  deuxième  de  la  Suède  et  la  troisième  de  la  péninsule  par  sa 
population,  est  sur  la  rive  d'un  ileuve  navigable  dans  sa  partie  inférieure 
el  dont  les  embarcations  peuvent  même  depuis  un  demi-siècle  remonter 
les  rapides  et  les  cascades  pour  entrer  dans  le  lac  Wenern.  Plusieurs  autres 
emplacements  du  littoral  ont  aussi  l'avantage  de  posséder  un  bon  port  et  de 
faciles  communications  avec  l'intérieur;  mais  ce  qui  distingue  spécialement 
Gôteborg,  c'est  d'être  l'étape  intermédiaire  entre  la  porte  de  la  Baltique  et 


GOTEBOnC.  173 

le  golfe  de  la  ^fo^vège  méridionale,  entre  Copenhague  et  Christiania  ;  c'est 
aussi  d'être  sur  le  point  du  littoral  qui  fait  face  à  la  pointe  du  Danemark, 
de  sorte  que  les  marchandises  venues  de  Stockholm  et  du  reste  de  la  Suède 
peuvent  s'entreposer  à  Gôteborg  pour  être  expédiées,  soit  à  l'ouest  par  le 
Skager  Rak,  soit  au  sud  par  le  Kattegat.  Ce  croisement  des  routes  commer- 
ciales a  fait  l'importance  de  la  ville,  et, quoique  relativement  moderne, 
elle  s'est  accrue  beaucoup  plus  rapidement  que  d'autres  plus  anciennes, 
également  favorisées  par  la  nature.  D'ailleurs,  le  Danemark  et  la  Suède  se 
disputèrent  pendant  des  siècles  la  possession  de  l'embouchure  du  Gota-elf, 
et  des  marchés  de  commerce  fortifiés,  Gamla  Lôdese,  Kongelf,  Xva  Elfs- 
borg,  se  déplaçant  çà  et  là  sur  le  fleuve,  se  succédèrent  en  amont  et  en 
aval  de  la  position  occupée  par  la  ville  actuelle.  Maintenant  Gôteborg  est 
une  imposante  cité.  La  vieille  ville,  coupée  de  canaux  au-dessus  desquels 
tournent  des  ponts  mobiles,  s'est  entourée  d'une  ville  nouvelle,  large  zone 
de  promenades  et  de  parterres  qui  ont  remplacé  les  anciennes  fortifications 
et  que  bordent  les  somptueuses  demeures  de  riches  armateurs;  on  y  a  ré- 
cemment établi  un  des  plus  beaux  jardins  botaniques  d'Europe.  Un  pont 
unit  la  ville  à  la  rive  basse  de  l'île  Ilisingen.  L'animation  est  grande  sur 
le  fleuve,  presque  toujours  libre  de  glaces,  sur  les  quais  et  dans  les  rues 
de  Gôteborg,  car,  si  la  ville  est  inférieure  à  la  capitale  par  le  nombre  de^ 
habitants,  elle  lui  est  supérieure  par  l'industrie  et  le  mouvement  des 
marchandises  avec  l'étranger.  Les  eaux  et  la  vapeur  font  mouvoir  dans  les 
faubourgs  et  dans  les  environs  les  broches  de  nombreuses  filalures  de  coton 
et  la  seule  filature  mécanique  de  lin  qu'il  y  ait  en  Suède  ';  en  outre,  la  ville 
possède  des  raffineries,  des  fabriques  de  tabac,  des  scieries  et  des  alelicrs  de 
marqueterie,  des  chantiers  de  construction  et  toutes  les  manufactures  où 
se  préparent  le  gréement  et  les  approvisionnements  maritimes'.  Les 
pêcheurs  et  les  matelots  de  Gôteborg  et  de  tout  le  Bohuslàn  sont  admirés 
pour  leur  courage,  leur  force  et  leur  mâle  fierté.  On  les  recherche  beaucoup 
pour  équiper  les  navires  de  toutes  les  marines  du  nord,  en  Norvège,  en 
.\llemagne,  en  Angleterre  et  jusqu'en  Amérique.  C'est  à  Gôleborg,  e(  en 
grande  partie  aux  Irais  de  l'un  de  ses  négociants,  M.  Oscar  Dickson,  qu'ont 

'  Elis  Sidcnbladh,  Royaume  de  Suède. 

'  Hourement  du  commerce  l'iranger  de  Giiteliorg  en  1881  : 

Eotrécs 1779  navires,  jaugeant       568  4ôî)  tonnes. 

Soilies 2051         »  -  ô89iM0       « 


Ensemble  du  commerce  eulcrieur.     3815  navires,  jaugeant     1157  0-iÛ  tonnes. 
11       avec  le  cabotage    .    .    .     8000         »  n  1500  000       n 

Flotte  de  commerce  de  Goieborg  :  217  na\irr«,  jaugeant  81  ilôfi  lonnes. 


l-i  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   L'MVERSELLE. 

été  organisées,  en  1S7'2,  l'expédilion  polaire  de  Nordenskjôld,  qni  com- 
prenait quatre  navires,  en  1875  et  en  1876,  celles  qui  démontrèrent  la 
praticabilité  des  mers  entre  la  Norvège  et  les  bouches  du  Yenisei,  enfin, 
en  1878,  celle  qui  vient  de  contourner  la  Sibérie  par  le  détroit  de  Bering. 
D'autres  explorations  nautiques  se  préparent  sous  la  même  direction  vers 
les  régions  polaires.  Grâce  à  la  même  initiative,  la  cité  commerçante  pos- 
sède quelques  précieuses  collections  et  des  monuments  artistiques,  entre 
autres  la  statue  de  son  fondateur  Gustave-Adolplie. 

Au  nord  de  Gôteborg,  le  littoral  est  bordé  de  petites  villes,  nichées  dans 
les  anfractuosi tés  des  rochers  du  skjàrgaard  :  Marstrand,  Uddevalla,  Lysekil, 
Fjàllbacka,  Strômstad.  Marstrand  et  Lysekil  sont  visitées  en  été  par  des  mil- 
liers de  baigneurs,  venus  de  Gôteborg,  et  Strômstad  est  fameuse  pour  ses 
pêcheries  de  homards'.  Dans  le  bassin  du  Wenern  et  du  Gôta-elf,  dont  Gô- 
teborg occupe  l'issue,  se  trouvent  quelques  autres  villes  d'une  certaine  im- 
portance. En  face  de  l'embouchure  du  Klar-elf  dans  le  lac  Wenern,  Carlstad 
ou  Karlstad,  la  capitale  de  la  province  de  Wermland,  s'élève  en  plein  lac 
sur  un  îlot  que  deux  ponts  réunissent  à  la  terre  ferme  ;  Christinehamn  ou 
Kristinehamn,  située  également  à  l'endroit  où  une  rivière  entre  dans  le  lac 
Wenern  et  forme  un  port  accessible  aux  navires,  a  pris  dans  ces  dernières 
années  un  développement  rapide,  grâce  à  son  port,  au  croisement  de  deux 
voies  ferrées  importantes  et  à  son  marché  pour  les  fers,  qui  viennent  des 
usines  de  Philipstad  et  des  mines  de  Persberg,  les  premières  de  la 
Suède  pour  la  quantité  du  minerai  '  ;  Mariestad  et  Lidkôping,  qui  se  suc- 
cèdent sur  la  rive  sud-orientale,  sont  aussi  des  ports  fréquentés  ;  Wenersborg, 
bâtie  sur  une  péninsule,  à  l'extrémité  méridionale  du  Wenern,  se  trouve  à 
l'origine  du  Gôta-elf,  qui,  à  peine  sorti  du  lac,  se  précipite  en  cascade, puis, 
après  s'être  calmé  dans  un  bassin  tranquille  parsemé  d'îlots,  plonge  dans 
le  défilé  grondant  de  Trollhâttan.  A  l'ouest  de  W^enersborg,  le  port  donne 
entrée  dans  un  canal  qui  permet  aux  embarcations  d'éviter  la  première 
chute,  et  plus  bas,  sur  la  rive  gauche  du  fleuve  qui  descend  en  rapides, 
vient  le  fameux  canal  de  Trollhâttan,  dont  les  navires  montent  ou  des- 
cendent les  écluses  étagées  sur  la  pente  de  la  montagne,  semblables  aux 
degrés  d'un  escalier  de  géants.  Wenersborg,  qui  communique  avec  Gôtc- 

'  Mouvement  commercial  des  porls  suédois  au  nord  de  Gôteborg,  en  1877  : 

Marstrand 1552  navires,  jaugeant    131910  tonnes. 

Uddevalla lOM         .■  »  1U690       » 

Lysekil 1.497        »  »  158175      » 

Siromsiad U71         .  ..  98  170      » 

»  Production  des  raines  de  Persberg,  en  1881  •  5(j  754  tonnes. 


GUTEBORG,   WENERSBORG,  HELSINGBORG.  175 

borg  par  ce  canal  et  par  le  fleuve,  est  aussi  réunie  par  un  chemin  de 
fer  au  port  d'Uddevalla,  beaucoup  plus  rapproché,  tandis  qu'au  sud-est 
elle  se  rattache  au  réseau  général  de  la  Suède  par  une  voie  de  fer  qui 
passe  dans  le  bizarre  défilé  ouvert  entre  les  hauteurs  de  Halleborg  et  de 
ïlunneborg. 

Kongsbacka,  Warberg,  Falkenberg,  sont  les  principaux  ports  qui  se 
succèdent  au  sud  de  Gôteborg,  le  long  du  Kattegat.  La  ville  de  Halmstad, 
la  capitale  du  Halland.  située  à  l'embouchure  du  Nissan,  dont  les  rives 
se  prolongent  en  mer  par  deux  jetées,  était  jadis  une  des  places  forti- 
fiées qui  défendaient  les  côtes  suédoises  contre  le  Danemark.  Au  delà 
des  deux  promontoires  de  Ilallandsas  et  de  KuUen,  s'ouvre  déjà  la  porte 
du  Sund,  et  la  ville  de  Helsingborg,  souvent  attaquée,  souvent  prise  par 
les  armées  Scandinaves  qui  se  la  sont  disputée,  fait  face  à  la  danoise 
Helsingor.  L'ancienne  ville  forte,  devenue  maintenant  une  paisible  ville 
de  commerce,  mais  toujours  dominée  par  la  tour  d'un  château,  qui  res- 
semble de  loin  à  un  énorme  bloc  de  grès  rouge,  possède  dans  le  voisi- 
nage, au  sud  du  cap  Kullen,  les  gisements  de  charbon  de  Hôganàs,  desquels 
ont  été  retirées  déjà  plus  de  0  millions  de  tonnes  de  combustible  ;  récem- 
ment d'autres  couches  beaucoup  plus  puissantes  ont  été  découvertes  à 
150  mètres  de  profondeur,  au  sud  de  la  ville,  sur  un  point  de  la  côte  très 
facile  d'accès  pour  les  navires'.  C'est  près  de  Helsingborg,  au  manoir  de 
Knutstorp,  que  naquit  Tycho  Brahe,  en  1546.  L'ilot  de  Ilveen,  qu'on  aper- 
çoit au  sud  dans  les  eaux  du  Sund,  mais  plus  rapproché  de  la  côte  suédoise, 
à  laquelle  il  appartient  politiquement,  est  le  célèbre  domaine  oii  s'élevait 
l'observatoire  d'Uraniborg,  rasé  depuis  par  une  favorite  de  Christian  IV. 
C'est  là  que  Tycho  Brahe  fit  pendant  vingt  années  l'étude  du  ciel  et  qu'il 
rédigea  son  catalogue  de  777  étoiles,  publié  après  sa  mort.  Les  observa- 
lions  météorologiques  de  l'illustre  astronome  ont  été  comparées  avec  celles 
que  l'on  a  faites  dans  les  dernières  années  à  Copenhague,  et  prouvent  que 
l'état  général  de  l'atmosphère,  rapporte  au  même  calendrier,  n'a  pas 
changé  depuis  trois  siècles'. 

Helsingborg  fait  déjà  partie  de  cette  région  du  sud-ouest  de  la  Scanie  où 
la  population  se  presse  en  des  villes  et  des  bourgades  nombreuses  et  où  la 
densité  moyenne  des  habitants  est  même  supérieure  à  celle  de  la  France. 
La  fertilité  du  sol  et  la  douceur  relative  du  climat  ont  contribué  pour  une 

'  JIouTcmcnt  commercial  de  \Varl)orfr,  en  1877  :  1674  navires,  jaugeant  lil  763  tonnes. 

I)                   I)               Ualmstad,         n         5307  «                i  1 41 522       « 

Commerce  étranger  do  Helsingborg,  en  1881  :  0523  »                i  407  252       i. 
'  llollea,  Bulletin  de  l'Académie  danoise,  1876. 


176  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE, 

forte  part  au  peuplement  exceptionnel  de  la  contrée;  mais  l'appel  du 
commerce  est  la  principale  cause  de  celte  forte  agglomération  d'hommes 
dans  la  Scanie  occidentale.  Les  villes  riveraines  ont,  comme  leur  voisine 
Copenhague,  l'avantage  d'être  situées  sur  le  Sund,  et  quoique  les  chenaux 
de  orande  navigation  ne  longent  pas  leur  rive,  elles  n'en  profitent  pas 


iO.    LANDSKRONA 


moins  d'une  part  considérable  du  trafic  qui  se  fait  incessamment  par  le 
détroit;  en  outre,  deux  ile  ces  villes,  Landskrona  et  Malmo,  d'où  l'on  voit 
la  capitale  du  Daiicniark  par  delà  le  détroit,  peuvent  en  être  considérées 
comme  les  faubourgs  suédois  :  elles  profitent  de  tous  ses  progrès  et  pren- 
nent part  à  sa  fortune'.  Landskrona  est  surtout  célèbre  comme  forteresse 


'  Coinmeice  extérieur  de  Laiulskiona,  en  18.S'.  :  V24ô  navires,  jaugeant  200  'JOO  tonnes. 


LA.NDSKIiONA.  M.VLMO,  Ll.ND.  1T7 

et  la  ville  iiropiviiu'iit  dite  est  très  à  l'étroit  entre  une  vaste  citadelle 
entourée  de  fossés  et  le  fort  de  Grâen,  îlot  bizarrement  découpé  en  figures 
géométriques  par  des  bassins  et  des  fossés  taillés  dans  le  granit.  Malmô  est 
la  ville  de  commerce,  quoique  ses  abords  soient  assez  périlleux  et  dé- 
fendus par  des  Ijancs  de  sable  ;  des  travaux  considérables  ont  été  faits  pour 
conquérir  sur  la  mer  un  port  de  plus  de  6  mètres  de  profondeur,  et  les 
terrains  ajoutés  à  la  terre  ferme  portent  toute  une  ville  nouvelle,  avec 
des  gares,  des  entrepôts,  des  fabriques,  des  chantiers  de  construction.  Le 
plus  bel  édifice  de  Malmô  est  dans  l'ancien  quartier  :  c'est  un  charmant 
hôtel  de  ville  de  la  Renaissance,  décoré  an  centre  d'une  tribune  on  «  bre- 
lèche  »  en  encorbellement.  Grâce  au  nouveau  port',  d'où  l'on  expédie 
surtout  (les  denrées  agricoles,  Malmô  est  devenue  la  troisième  cité  de  la 
Suède;  elle  a  de  beaucoup  dépassé  sa  rivale  d'autrefois,  la  ville  univer- 
sitaire de  Lund,  située  au  nord-est  au  milieu  des  campagnes  les  plus  fer- 
tiles de  la  Scanie.  Avant  la  Réforme,  Lund  était  la  ville  primatiale  de  la 
Scandinavie  ;  elle  se  disait  la  «  métropole  »  du  Danemark  et  les  rois 
venaient  y  prêter  serment  :  un  tumulus  des  environs,  la  butte  de  saint 
Liborius,  était  le  lieu  des  cérémonies  du  couronnement.  Dépouillée  de  ses 
privilèges,  puis  ruinée  par  les  guerres,  Lund  déchut  rapidement,  et  vers 
la  fin  du  siècle  dernier  elle  n'avait  plus  qu'un  millier  d'habitants.  Elle 
s'est  relevée  peu  à  peu,  grâce  à  son  université',  fondée  en  16C8  par  le 
roi  Charles  X,  qui  avait  pour  but  politique  d'assimiler  promptement  par 
l'emploi  de  la  langue  suédoise  les  provinces  récemment  conquises;  main- 
tenant elle  possède  de  beaux  édifices,  de  gracieux  jardins,  des  parcs,  et, 
parmi  ses  collections,  le  musée  archéologique  fondé  par  Niisson  ;  la  slaluo 
du  poète  Tegner,  qui  fut  longtemps  professeur  de  l'université,  orne  une 
des  promenades  de  la  ville.  La  cathédrale  de  Lund,  édiiicc  byzantin  du  on- 
zième siècle,  est  un  des  monuments  les  plus  remarquables  de  la  Suède. 

La  langue  de  sable  qui  forme  la  pointe  sud-occidenlal(\  de  la  Suède  porte 
à  son  extrémité  les  deux  bourgs  de  Skanôr  et  de  Falslerbo,  ne  formant  en- 
semble qu'un  seul  municipe;  jadis  très  riche,  lorscpie  les  harengs  se  pres- 
saient en  foul(!  dans  les  mers  voisines,  la  double  ville  a  dc'cliu,  el,  devenue 
trop  pauvre  j»(»ur  lutlcr  coiilre  les  sables  einaliissaiils,  l'aKterbd  a  vu  son 
territoire  disparaître  en  partie  sous  les  dunes.  A  l'e^l,  Tri;lleli(iig  el  la  ville 

'    Mouvi'incnl  du  port  de  Midiiio  eu  1878  : 

(J87.>  navires,  jaugeant ït^O '>fiG  tonnes  (en  1877,  l  O.Vi  SJO  Innne-V 

Dont    i)i72  bateaux  à  vapeur  d'un  poil  loUil  de  .    .      8^8  478       ii 

Commerce  extérieur  (sans  le  cabolage),  en  1881  :  8J1.'>  navires,  jaugeant  '.H).'>  405  lonnos. 
'  l'rofessein's,  li:  éluilianls,  j7.")  ;  l)d)liolli''i|  le.  10)  001)  volumes  el  '.'01)0  nnnus?rili. 


178 


NOUVELLE   GÉOGUAI'IIIE   UNIVERSELLE. 


])lus  coniniorçante  d'Ystad  se  succèdenl  sur  la  côte  méridionale  de  la  Scanie  '. 
Cliristianstad  ou  Kristianstad,  chef-lieu  d'un  liin  de  la  Scanie,  est  bâtie, 
non  loin  de  l'angle  intérieur  du  goH'e  appelé  par  les  Suédois  «  baie  de 
Hanô  »,  dans  une  plaine  marécageuse  qui  fut  jadis  un  fjord  et  que  l'on  a 
desséchée,  tout  en  approfondissant  la  rivière  Helge  et  en  la  rendant  navi- 
gable aux  petits  bateaux  à  vapeur*.  Plus  loin  viennent  les  ports  de  Sôlves- 


FALSTERBO    ET    SKANOR. 


De  O  è  5  M 


de  10  auJelà 


Itorg  et  de  Carlshamn,  qui  sert  à  l'exportation  des  denrées  de  "\Vexio,  située 
au  loin  dans  l'intérieur,  dans  un  labyrinllie  de  lacs  et  de  forêts.  Rônnehy, 
bourgade  placée  près  de  l'embouchuic  de  la  rivière  de  même  nom,  est 
la  plus  fréquentée  des  stations  de  bains  suédoises;  ses  eaux  minérales 
dépassent  toutes  les  sources  connues  par  leur  richesse  en  sulfate  de  fer  et 

'  Miiiivoini'nl  ci)imiu'i'ci:il  di^  Tn'llcborf;  el  d'Vslad  en  1877  : 

Tnllcluir;; 1526  navires,  piisoanl     91  000  tonnes. 

Ysi;i,l 1896        »  "        219150      . 

-  Miiuveinetil  du  poit  de  Cluistiaiislad  en  1877  :   l'21  navires,  jaugeant  59  572  tonnes. 


CARLSKRONA.    KALM.Ui,   .NOKUKOl'I.M;.  179 

d'aluiiiiiio'.  Lors  de  lu  fondation  do  Carlskrona,  les  liaLitanls  de  Ronneby 
reçurent  l'ordre  d'éniigrer  pour  aller  haliiter  la  nouvelle  ville,  qui  se  caelie 
à  l'est,  près  du  cap  sud-oriental  de  la  Scandinavie,  derrière  un  rempart 
d'îles  fortifiées.  Carlskrona,  chef-lieu  du  Blekinge,  ainsi  nommée  en  l'hon- 
neur de  Charles  XI,  est  la  principale  station  navale  de  la  Suède.  C'est  une 
ville  bâtie  sur  un  îlot  de  granit,  qu'entoure  une  cyclade  d'autres  îles  et 
que  des  jetées  et  des  digues  réunissent  à  des  rochers  et  à  la  terre  ferme  : 
les  docks,  les  bassins  de  carénage  sont  creusés  dans  le  roc  vif,  des  forts  se 
dressent  çà  et  là  hors  de  la  rade,  où  les  navires  reposent  à  l'ancre  sur  une 
eau  toujours  tranquille.  Un  aqueduc  de  8  kilomètres  apporte  dans  la  vilh; 
et  dans  l'arsenal  une  excellente  eau  de  source'. 

Kalmar,  chef-lieu  de  làn  comme  Carlskrona,  est  une  vieille  cité  qui 
doit  son  importance  à  sa  position  sur  le  seuil  même  du  détroit  qui  sépare 
Borgholm  et  les  campagnes  d'Ûland  de  la  terre  ferme;  mais  le  retentis- 
sement historique  de  son  nom  lui  vient  du  traité  d'union  conclu  en  I.3ÎI7 
entre  les  trois  Etats  Scandinaves  et  malheureusement  suivi  de  guerres 
sanglantes.  Au  delà  de  Kalmar  se  succèdent  plusieurs  ports  :  Mônsterâs; 
Oskarshamn,  qui  entretient  des  communications  régulières,  même  en  hiver, 
avec  Wisby.  dans  l'île  de  Gotland;  Figeholm,  Westervik,  Camleby"'.  Plus 
au  nonl,  l'un  des  fjords  qui  découpent  le  littoral  mène  vers  A'orrkoping,  le 
«  Marché  du  Nord  »,  dcyi  mentionné  vers  la  fin  du  douzième  siècle  comme 
rival  de  Sôderkôping  ou  «  Marché  du  Sud  »,  situé  à  l'extrémité  d'un  Ijord 
plus  méridional.  Norrkôpiiig  couvre  un  espace  de  plusieurs  kilomètres 
carrés  sur  les  deux  bords  de  la  Motala,  le  large  torrent  qui  porte  à  la  mer 
l'eau  surabondante  du  lac  Wetlern  et  de  beaucoup  d'auties  bassins  lacus- 
tres de  moindres  dimensions.  Dans  la  cité  même,  cette  eau  descend  en 
cascades  et  en  rapides  qui  donnent  la  force  motrice  aux  roues  et  aux  tur- 
bines des  manufactures  de  Norrkôping,  souvent  désignée  orgueilleusement 
par  les  Suédois  sous  le  nom  de  «  Manchester  de  la   Scandinavie   ».    La 

'  Elis  SidetiLladh,  Le  royaume  de  Suède. 

'  Mouvement  des  ports  de  Blekinge  en  1877  : 

•  Solvesbnr;; 492  navires,  j.iugeanl     77  OUI)  lonncs. 

Carlsliamn 1780         ■•  »         2Ô9Ô7U       » 

Ronneby 1505         ..  ■•         1154C0       . 

Carlskrona 2251  2'."7ilTll       » 

'  Noureinent  des  ports  dn  laii  de  Kalinai'  en  1877  : 

Kalmar 4505  na>ire»,  jaiiiicant  .V>1  420  lonncs. 

Borgholm 17211  HH  441)       » 

Oskarshamn 22(57  55M)III)       • 

Weslenik '.t9:>  114  2 M)       . 

Flotlille  commerciale  (11-  hairnai  en  1871).        lîl  -  ■•  l.">5.j!)        • 


180 


NOUVELLE   GÉOGRAI'IIIE   UNIVERSELLE. 


faljiicatioii  dos  draps  a  pris  une  telle  imporlaiiee  à  Norrkôpiniii;,  que  ses 
55  fabriques  rournissaieut  ea  1876  les  deux  tiers  de  toutes  les  étoffes  de 
laine  préparées  dans  le  royaume  '.  Cette  ville  possède  aussi  des  établisse- 
ments pour  la  filature  et  le  tissage' des  cotons,  la  préparation  des  farines, 
le  raffinage  des  sucres;  elle  a  plus  de  six  mille  ouvriers  d'industrie  pro- 
duisant ensemble  pour  une  valeur  d'environ  55  millions  de  francs  ;  en 
outre,  ses  eliantiers  de  construction  livrent  à  l'Etat  ses  canonnières  et  ses 


NG    ET    FINSPANC. 


navires  cuirassés.  Le  commerce  de  Norrkôping  avec  l'étranger  consiste  prin- 
cipalement en  importations  de  matières  premières  et  de  houille;  elle  expé- 
die surtout  de  l'avoine,  des  bois,  du  fer,  des  allumettes  cliimiques«et  les 
marbres  de  carrièies  voisines".  Au  sud,  les  mines  de  cuivre  d'.Vtvidaberg, 
qui  rivalisèrent  d'importance  avec  celles  de  Faliin,  et  où  furent  creusées 
les  plus  iirol'oudes  galeries  de  la  Suède,  sont  abandoimées  maintenant. 
Au    nord-ou<'-l    de  Norrkiiiiiiii;   est    la  célèbre  manufacture  de   canons   de 


Elis  Siili'iihlnilli,  liniir.jimf  ilc  finale. 

Mdiivi'iiicMl  lie  l;i  ii;uij;;iliiiti  di'  Norikoping,  en  1877  :  2S'22  n.iviivs,  jnrpo.mt  Çflli  .")(!0  tonnes. 


NORRKOPING,   LINKUPING,  JÔXKÔI'ING,   STOCKHOLM.  iSl 

Finspâng,  située  dans  une  région  très  pittoresque,  remarquable  par  ses 
(alaises  qui  se  terminent  abruptement  au-dessus  de  la  plaine  de  Norrkô- 
ping  :  en  peu  de  contrées,  les  anciennes  dislocations  du  sol  se  révèlent 
d'une  manière  plus  nette. 

Motala,  située  à  l'endroit  où  le  fleuve  de  même  nom  s'échappe  du  lac 
Wettern,  est  aussi  un  lieu  de  fabriques;  cependant  elle  ne  saurait,  pas  plus 
«pie  les  autres  villes  du  bassin  de  la  Motala,  se  comparer  à  Xorrkôping  par 
l'importance  de  son  industrie.  Dans  cette  région,  Linkoping  et  .lônkôping 
sont  les  deux  cités  les  plus  fameuses.  Linkoping,  près  de  laquelle  naquit 
Berzelius,  communique  maintenant  avec  la  mer  jiar  un  canal  à  écluses; 
c'est  une  antique  ville  épiscopale  dont  l'église,  souvent  dévastée  par  les 
incendies,  a  du  moins  conservé  son  chœur  ogival.  Jonkôping,  bâtie  à  l'cc- 
trémité  méridionale  du  lac  Wettern.  entre  cette  vaste  nappe  d'eau  el  le 
gracieux  «  lac  des  Moines  »  ou  Munksjôn,  et  traversée  par  un  canal  dont 
l'eau  réflécliil  les  arbres  touffus  d'une  promenade,  est  surtout  une  ville 
d'industrie.  A  l'est,  près  des  hautes  cascades  de  Husqvarna  qui  se  précipi- 
tent vers  le  Wettern,  se  trouve,  parmi  d'autres  usines  groupées  en  village, 
l'un  des  principaux  établissements  métallurgiques  de  la  Suède,  où  se  fabri- 
quent des  fusils,  des  machines  à  coudre,  des  instruments  de  toute  espèce  ; 
au  sud-est,  des  hauts  fourneaux  fondent  le  minerai  de  la  fiimeuse  mon- 
tagne de  Taberg;  enfin,  sur  les  bords  du  Munksjôn.  au  sud  de  la  ville,  est 
la  plus  grande  manufacture  d'allumettes  chimiques  du  monde  :  les  pro- 
duits en  sont  connus  jusqu'aux  îles  des  antipodes  et  dans  l'intérieur  de 
la  Chine.  En  1870,  les  ouvriers  de  la  fabrique,  au  nombre  de  1800, 
dont  la  moitié  étaient  occupés  à  domicile,  fabriquèrent  '200  millions  de 
boîtes,  ou  près  de  '20  milliards  d'allumettes,  pour  une  valeur  de  près  de 
4  millions  de  francs'  :  la  consommation  annuelle  de  l'usine  représente 
des  forêts  entières.  Au  nord  de  Jonkôping,  dans  une  îli*  du  Wettern,  est 
l'ancienne  résidence  royale  de  Wising.  Skara,  qui  se  vante  d'être  la  ville 
ia  plus  antique  de  la  Suède,  est  située  au  nord-ouest,  entre  les  deux 
grands  lacs.  i 

Stockholm,  !a  capitale  de  la  Suède  cl  la  cilé  la  plus  populeuse  de  h 
péninsule  Scandinave,  occupe  une  siluation  |irivilégiée  parmi  les  cités  sué- 
doises du  versant  baltique.  Bàlie  à  peu  près  vers  le  milieu  de  la  côte  orien- 
tale de  la  péninsule,  elle  occupe  les  deux  bords  d'un  détroit  qui  fait  com- 
muniquer \m  fjord  (lu  littoral  avec  le  grand  lac  Miilaren.  raniilu'  en  de 
nombreuses   baies   jn<i|n'à    plus   de    100    kilomètres   dans   l'intérieur   des 

'  Elis  Siùcnblailli,  lintjaume  de  Siirile. 


182  .NOUVELLE  GEOGRAPHIE    L'.MVERSELLE. 

lerres  ot  navigable  pour  les  petites  embarcations  dans  toute  son  étendue. 
La  région  que  i)aignc  le  Malaren  est  une  de  celles  dont  les  terrains  sont 
le  plus  fertiles  et  le  plus  faciles  à  cultiver  ;  les  forêts  y  sont  vastes  et 
composées  de  grands  arbres  ;  des  gisements  de  fer  et  d'autres  métaux  ajou- 
tent leurs  richesses  à  celles  de  la  surface  ;  partout  se  présentent  des 
emplacements  favorables  pour  la  construction  des  villes,  et  le  commerce 
avec  l'étranger  leur  est  facile.  Dans  les  premiers  temps  de  l'histoire  Scan- 
dinave, d'autres  sites  que  celui  de  Stockholm  avaient  été  choisis  pour  la 
capitale  du  royaume  des  Svearet  toutes  ces  villes  avaient  prospéré.  La  pre- 
mière, BJôrkô,  jadis  Birka,  bâtie  pour  la  défense  dans  une  île  située  en 
plein  Malaren,  à  une  quarantaine  de  kilomètres  à  l'ouest  de  Stockholm, 
.  est  encore  une  vaste  nécropole  :  on  y  compte  plus  de  "2000  tombeaux, 
dont  plusieurs  ont  été  soigneusement  explorés  et  l'on  y  a  trouvé  des 
monnaies  du  huitième  au  onzième  siècle  qui  témoignent  d'un  grand  com- 
merce avec  l'étranger,  des  pièces  byzantines  et  koufiques,  et  même  des 
caouris  d'Afrique.  Les  kjôkkenmôddinger  de  l'ancienne  ville,  en  partie 
décompo.sés  et  changés  en  terre  noire,  fournissent  aux  marchés  de  Stock- 
holm ses  meilleures  pommes  de  terre.  A  Bjôrkô  succédèrent  Sigluna, 
Upsala  et  d'autres  villes,  qui  sont  encore  parmi  les  cités  importantes  de  la 
contrée  ;  mais,  vers  le  milieu  du  treizième  siècle,  le  régent  de  la  Suède, 
Birger  Jarl,  lassé  des  incursions  que  des  pirates  faisaient  jusque  dans  l'in- 
térieur du  Malaren,  eut  l'idée  de  fortiOer  l'ilot  de  pécheurs  qui  se  trouve 
au  milieu  du  goulet  maritime  à  l'issue  du  lac  :  c'est  là,  dans  cette  po- 
sition unique  en  Suède,  que  s'éleva  la  cité  capitale  de  Stockholm,  sans 
rivale  dans  la  péninsule  depuis  cinq  cents  années,  et  l'une  des  villes  les 
plus  pittoresques  de  r£uro])e. 

La  saillie  du  littoral  où  le  fjord  communiquant  avec  le  bassin  du  Mala- 
ren vient  s'unir  à  la  Baltique  est  un  centre  nature!  pour  toute  la  Suède  : 
c'est  là  que  viennent  converger,  comme  à  l'essieu  d'une  roue  dont  il  ne 
resterait  que  la  moitié,  les  rayons  que  les  roules  suivies  de  tout  temps 
par  les  colons  et  les  armées  forment  à  travers  le  pays.  De  ces  voies  histo- 
riques, la  principale  est  celle  (pii  ^uit  la  ilé|>ression  des  grands  lacs,  du 
Malaren  aux  bouches  du  (lôla-elf.  l'ar  ce  chemin,  dont  Goleborg  garde  l'ex- 
trémité occidentale,  Stockholm  dispose  des  poris  du  Kattegat  et  même  en 
hiver,  lorsque  les  rives  de  la  Baltique  sont  prises  par  les  glaces,  elle  |)eut 
expédier  à  l'ouest  et  recevoir  par  le  lihn^  Atlanti([ue  ses  marchandises  el 
ses  denrées.  Enfin  la  forme  même  de  la  Baltiipie  assuie  à  la  capitale  de  la 
Suède  de  précieux  avantages  comme  cité  maritime.  Lu  effet,  la  mer  inté- 
rieure forme  au  larse  de  la  saillie  de  Stockholm  une  sorte  de  carrefour  des 


■Vouvelle  (;f..gVaphi.-  ruiv.rsoll..  TAM'IIII 


STOCKHOLM 


i  ENVIRONS. 


Harhrtlr  et  C'T  Par 


STOCKHOLM.  185 

voies  maritimes  :  au  nord  se  prolonge  le  golfe  de  Botnie  ;  au  sud,  le  bassin 
principal  de  la  Baltique  s'ouvre  vers  les  côtes  de  l'Allemagne  ;  au  sud-est, 
le  goll'e  de  Riga,  en  partie  fermé  par  des  îles,  pénètre  dans  l'intérieur  de 
la  Courlande  et  de  la  Livonie,  tandis  que,  directement  vers  l'est,  le  golfe 
de  Finlande  s'avance  à  la  rencontre  des  grands  lacs  de  la  Russie'.  C'est 
par  cette  voie  que  la  Suède,  relativement  plus  puissante  qu'elle  ne  l'est 
aujourd'hui,  envoyait  dans  le  Gardarike  ses  expéditions  de  guerre  :  Stock- 
holm était  située  précisément  en  ftice  de  son  ennemie,  et  longtemps  on  a 
j)U  croire  qu'elle  aurait  la  supériorité  dans  la  lutte  ;  mais  à  son  tour  la 
Russie  a  bâti  sa  capitale  à  la  bouche  de  la  Neva  et  ses  forts  avancés  dans 
l'archipel  d'Aland,  d'où  elle  lient  le  regard  fixé  sur  la  côte  voisine.  Stock- 
holm a  gardé  et  développé  tous  ses  avantages  commerciaux  ;  mais  l'impor- 
tance de  sa  position  comme  place  stratégique  est  réduite  à  néant  par 
l'immensité  des  forces  d'attaque  de  la  puissance  slave. 

Slockliolm  est  l'une  des  belles  cités  du  monde,  surtout  par  un  soir 
d'été,  quand  le  soleil  couchant  dore  les  façades  de  ses  palais  et  se  reflète 
en  une  longue  et  toujours  frémissante  traînée  de  lumière  dans  les  eaux 
rapides  du  courant.  La  ville  élève  ses  édifices  et  développe  ses  quais  sur 
tant  d'îles  et  de  péninsules,  qu'elle  présente,  suivant  le  point  de  vue, 
une  variété  infinie  d'aspects  ;  mais  elle  reste  toujours  belle,  grâce  à  l'ho- 
rizon de  collines  et  de  grands  bois,  grâce  aux  longues  perspectives  des  eaux, 
peuplées  de  navires,  incessamment  sillonnées  par  les  canots,  qui  vont  se 
perdre  au  loin,  d'un  côté  vers  la  mer,  de  l'autre  vers  le  lac  Mâlaren.  Au 
centre,  l'ancienne  cité  baigne  dans  les  eaux  du  détroit  et  tient  deux  îlots 
attachés  à  ses  rives  comme  deux  barques  aux  flancs  d'un  vaisseau  ;  mais 
cette  île  étroite,  où  s'élevaient  la  forteresse  et  le  palais  de  Birger  Jarl,  a 
depuis  longtemps  cessé  de  contenir  les  habitants  de  la  cité  grandissante  : 
au  nord  s'étend  le  vaste  quartier  de  Norrmalm,  qui  prolonge  ses  avenues 
de  plus  en  plus  avant  sur  la  terre  ferme  et  sur  l'île  de  Kungsholm  :  au 
sud,  l'autre  moitié  de  la  ville,  le  quartier  peu  aristocratique  de  Stidcr- 
malni,  au-dessous  duquel  un  cliemin  de  fer  passe  en  tunnel,  remplit  la 
|)lus  grande  partie  d'une  île  entourée  tl'eaux  sans  profondeur  et  rejoint 
par  des  ponts  les  faubourgs  extérieurs  situés  sur  le  continent.  Des  viaducs 
et  de  larges  chaussées  traversent  tous  les  détroits  de  Stockholm,  et  même 
du  côté  de  la  mer,  à  l'est  de  la  ville  proprement  dite,  des  môles  rejoignent 
à  la  terre  les  îlots  cpars  :  quelques-uns  des  quartiers  de  la  cité  suédoise 
rappellent  la  ville  merveilleuse  des  lagunes  adriati«pies. 

*  J.  G.  Kohi,  Die  Geographische  Larje  (1er  llaiiphliidle  Enropn's. 


184  NOUVELLE   GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

L'édifice  le  plus  imposant  de  Stockholm  est  le  palais  royal,  énorme  cube 
d(<  pierres  élevé  précisément  à  l'endroit  où  le  fondateur  de  la  ville  avait 
bâti  sa  forteresse  :  il  renferme  plus  de  huit  cents  chambres,  dont  quelques- 
unes  rappellent  des  scènes  historiques,  tandis  que  d'autres  n'ont  d'intérêt 
que  par  leurs  tableaux  et  leurs  tapisseries  ;  de  la  terrasse  on  peut  contem- 
pler à  ses  pieds  le  port,  les  îles  et  la  plus  grande  partie  de  la  ville. 
Mon  loin  du  palais  s'élève  le  plus  ancien  monument  de  Stockholm,  la 
Storkyrka  ou  «  Grande  Eglise  »,  fondée  par  Birger  Jarl  en  1264,  mais 
souvent  réparée  depuis  :  c'est  là  que  sont  couronnés  les  rois  de  Suède, 
l'iiddarholra  ou  l'île  des  Chevaliers,  qui  se  rattache  du  côté  de  l'ouest  à 
l'île  de  la  Cité,  possède  l'autre  église  royale  de  Stockholm,  toute  décorée 
d'étendards  et  de  trophées  de  guerre  :  là  se  voient,  parmi  d'autres  tom- 
beaux, ceux  de  Gustave-Adolphe,  de  Charles  XII,  et  celui  de  Charles-Jean 
Ijernadotte,  haut  sarcophage  de  porphyre  rouge.  Devant  cette  église  se 
dresse  une  lière  statue  de  chevalier  représentant  le  fondateur  de  Stock- 
holm, Birger  Jarl.  L'îlot  de  Riddarholm  ne  renferme  pas  d'habitations 
privées,  mais  seulement  des  monuments  nationaux.  De  même  la  pointe 
de  la  Cité,  rattachée  maintenant  à  Norrmalm  par  le  plus  beau  pont  de  la 
ville,  ne  porte  que  des  édifices  publics,  dont  le  principal  est  le  somptueux 
«  palais  de  la  Noblesse  »,  Riddarhuset,  où  se  réunissait  autrefois  l'assem- 
blée des  nobles.  Sur  presque  toutes  les  places  de  la  ville  s'élèvent  des  sta- 
tues de  bronze,  représentant  pour  la  plupart  des  souverains  :  une  d'elles, 
entourée  de  verdure,  est  l'effigie  de  Berzelius,  qui  vécut  à  Stockholm,  y 
professa  et  y  mourut. 

En  face  du  palais  royal,  sur  une  péninsule  de  Norrraalm  qui  s'avance 
vers  Skeppsholmen  (l'île  des  Navires),  s'élève  le  musée  national.  Ce  vaste 
ensemble  de  collections  possède  quelques  remarquables  sculptures,  surtout 
des  anlicjues  ayant  appartenu  à  Gustave  III;  il  renferme  1500  talileaux, 
parmi  lesquels  ceux  des  écoles  flamande  et  hollandaise  sont  les  mieux 
représentés;  mais  c'est  par  les  salles  de  la  galerie  «  préhistorique  »,  con- 
sacrées aux  âges  antérieurs  à  l'histoire,  remplies  d'objets  classés  admira- 
blement par  M.  Ilildebrand,  que  le  nmsée  de  Stockholm  se  distingue  parmi 
ceux  d'Euiope.  Récemment  M.  Ilazelius  a  fondé  un  musée  ethnographique 
spécialement  Scandinave,  qui  s'est  enrichi  en  peu  d'années  par  de  nom- 
breux présents  et  qui  deviendra  tôt  ou  lard  un  des  établissements  na- 
tionaux les  plus  imjtortants  :  tout  ce  qui  a  rapport  au  genre  de  vie,  au 
costume,  à  l'industrie,  aux  arts  des  Scandinaves  et  des  Lapons,  s'y  trouve 
rcprésenh'.  Le  pahuN  de  l'Académie  des  sciences  renferme  aussi  un  pré- 
ciL'ux  musée,  dont   les  trésors  consistent  principalement  en   objets  d'Iiis- 


STOCKHOLM.  187 

loire  naturelle  sont  ailmirablemont  classés  :  on  y  remarque  surtout  le 
célèbre  bloc  de  fer,  météorique  ou  terrestre,  du  poids  de  W  tonnes,  rap- 
porté de  l'île  Disco  par  Nordenskjôld  et  devenu  la  cause  de  tant  de  discus- 
sions entre  savants.  La  bibliothèque  de  l'Académie  est  très  riche  en  docu- 
ments précieux,  et  l'on  y  voit  entre  autres  l'herbier  de  Linné  et  toute 
l'œuvre  manuscrite  de  Svedenborg;  nxiis  c'est  ailleurs,  dans  le  parc  dit 
Humlegârdon,  au  nord  de  la  ville,  que  se  trouve  le  palais  de  la  biblio- 
thèque nationale,  construit  de  manière  à  pouvoir  être  indéfiniment  agrandi 
à  mesure  que  s'accroîtront  les  richesses  :  il  contient  près  de  200  000  vo- 
lumes, parmi  lesquels  la  traduction  latine  des  quatre  Évangélistes  connue 
sous  le  nom  de  Codex  aurcus, et  la  fameuse  «  Bible  du  Diable»,  recueil  de 
formules,  en  partie  magiques,  dont  quelques  feuillets  dateraient  du  neu- 
vième siècle.  La  bibliothèque  possède  aussi  8000  manuscrits,  des  collec- 
tions d'autographes  historiques  et  d'autres  documents  originaux,  archives 
précieuses,  où  plusieurs  savants,  entre  autres  M.  Geffroy  et  M.  Riant,  ont 
trouvé  les  éléments  d'importantes  recherches  historiques.  Stockholm  est 
une  ville  où  l'instruction  est  en  grand  honneur;  ses  plus  hautes  écoles  sont 
r.Vcadémie  des  lieaux-arts  et  l'Académie  de  musique,  d'où  sortent  d'excel- 
lents élèves.  L'Université  libre,  qui  se  constitue  peu  à  peu,  comptait  ôiO  au- 
diteurs des  deux  sexes  eu  1878.  Un  de  ses  professeurs  de  hautes  mathéma- 
liques  est  une  dame  russe,  nommée  au  concours.  Madame  Kovalevskaya. 

L'industrie  de  Stockholm  est  très  active  et  comprend  des  usines  de 
toute  espèce,  fonderies,  raffineries,  filatures,  chantiers,  et  même  dans  le 
voisinage  une  fabrique  de  porcelaine  et  de  faïence  fine'.  Le  commerce 
est  très  important"  :  il  suffit,  pour  s'en  faire  une  idée,  de  voirie  mouve- 
miînl  du  port  et  les  foules  qui  se  portent  souvent  vers  l'énorme  édifice 
de  la   gare   centrale,  située  précisément  au  nord  de    lliddarliolm,  dans  le 

'  Faliriiiucs  de  Slockholiii  oi\  ISSl  ;  285  élablissemonls  en  ntlivilé,  occupaut  'J.JIO  ouvriers  et 
cuvrières  cl  produisant  pour  uue  valeur  de  41  000  000  do  Iraucs. 

-  Mouveuient  du  port  de  Slockliolni  en  1877  : 

Cabotage  : 
Entrées.  .    10  4.^2  voilier?:,  SIôô  bateaux  à  vnpeiw,    soit   18  G07  navires,  jaupeanl      fl7.î."r>H  tonnes. 
Sorties.    .  11490       -        810J       »  »  -     19  595      »  »  952  29')     » 

Commerce  extérieur  : 
Kntrées.  .      1  071  voiliers,     501  bateaux  à  vapeur,   soit     1  575  navires,  jau^'oant      ri50  505  tonnes. 
Sorties.    .        957       »  59t'>       »  »  »       1555       i>  n  576  249     » 


Ensendile il  510  navires,  jauffcanl  2  652  405  tonnes. 

Dont   17  5()0  lialeaui  à  vapi'ur,  d'un  port  de 1  752  170  tonnes. 

Flotte  roininerciale  de  Slockbohn  en  1875  :  254  navires,  dont  161      bateaux  à  vapeur  de  la  force 
de  6080  cbcvaux.  (En  1881  :  248  navires,  jaugeant  27  280  tonnes.) 


188  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

quartier  de  Norrmalm,  là  où  s'étendait  naguère  le  lac  de  Clarasjo.  Une 
petite  flottille  de  guerre  se  tient  dans  le  voisinage  des  arsenaux  et  des 
chantiers  de  Skeppsholmen,  et  dans  toutes  les  criques,  le  long  de  tous  les 
quais,  sont  amarrés  des  bateaux  de  commerce.  Mais  le  port  étant  fermé 
tous  les  ans  par  les  glaces,  pendant  une  période  de  trois  à  cinq  mois,  on 
a  songé  à  l'établissement  d'un  havre  extérieur  à  Nynàs,  sur  le  littoral 
même  de  la  Baltique,  que  l'on  réunirait  à  la  ville  par  un  chemin  de  fer, 
afin  d'abréger  pour  la  navigation  la  période  du  chômage.  Au  commen- 
cement de  l'année  1879,  les  ingénieurs  ont  mis  la  première  main  à  la 
construction  de  quais  et  d'entrepôts  au  nord-est  de  la  ville,  afin  de  trans- 
former le  bras  de  mer  appelé  Lilla  Wàrtan  en  un  grand  port  de  dépôt  pour 
les  marchandises  encombrantes,  bois,  fers  et  charbons.  Le  pont  qui  tra- 
^crse  le  détroit  sera  déplacé  et  reporté  plus  au  nord,  en  face  de  Lidingô'. 
Stockiiolm  ne  s'est  pas  contentée  de  communiquer  avec  la  mer  par  les  trois 
chenaux  naturels  qui  serpentent  entre  les  îles  de  la  côte,  elle  s'est  creusé 
aussi  à  travers  une  colline  le  canal  sinueux  de  Sôder  Telge  ou  Sôdertelge, 
qui  réunit  directement  le  ijord  de  Himmersjô  au  principal  bassin  du  lac 
Màlaren  :  ainsi  les  navires  de  Stockholm  peuvent  gagner  la  mer  en  cinglant 
à  l'ouest  vers  le  canal,  aussi  bien  qu'en  se  laissant  porter  à  l'est  par  le  cou- 
rant. En  1879,  le  port  du  Miilaren  est  le  point  de  départ  de  97  itinéraires 
distincts  pour  les  bateaux  à  vapeur. 

La  capitale  de  la  Suède,  elle-même  si  bien  située,  est  environnée  de 
sites  admirables,  au  milieu  desquels  s'élèvent  les  châteaux  et  les  maisons 
de  plaisance.  Déjà  tout  près  de  Stockholm,  dans  l'île  du  «  Parc  »  ou 
Djurgârden,  s'élèvent  la  villa  que  lit  bâtir  le  sculpteur  Bystrôm  cl  qu'il 
enrichit  d'œuvres  d'art,  le  pavillon  de  Rosendal  et  la  tour  du  Belvédère, 
d'où  l'on  voit  à  ses  pieds  le  labyrinthe  des  îles  et  la  ville  joyeuse  avec 
ses  «  bateaux-mouches  »  qui  s'entrecroisent  incessamment  en  rayant 
l'eau  dans  tous  les  sens.  Au  nord  sont  les  châteaux  de  Haga,  d'Ulriksdal, 
entourés  d'ombrages.  A  l'ouest  sont  les  îles  du  Mâlaren,  avec  leurs  ruines 
et  leurs  habitations  modernes,  leurs  bouquets  d'arbres  et  leurs  pelouses  : 
la  masse  énorme  du  palais  de  Drottningsholm  se  montre  sur  l'une  des 
treize  cents  îles  et  renferme  encore  une  intéressante  collection  de  tableaux, 
quoique  privée  de  ses  meilleures  toiles,  dont  s'est  emparé  le  nmsée  natio- 
nal. IMus  à  l'ouest,  sur  un  promontoire  de  la  côte  méridionale,  le  château 
de  (jri|)sholm  dresse  ses  tours  rondes  qui  virent  maints  drames  royaux. 
(jii|i^liidni   reiirciiiie   un   musée   historique,    comparable  à  celui  de  Yei- 

'  CurI  Ruseiiber'',  iYo/cs  manuscrites. 


STOCKHOLM,   UPSALA.  189 

sailles  ;  mais,  comme  Drottningshoira,   il  a  dû  céder  ses  meilleurs  ta- 
bleaux au  musée  de  la  capitale. 

A  l'entrée  du  Stàket  Sund  se  voient  les  débris  d'une  forteresse  qui 
défendait  les  approches  des  deux  cités  de  Sigtnna  et  d'Upsala,  de  même 
que  la  forteresse  de  ^Vaxholm  défend  maintenant  les  abords  de  la  ca- 
pitale. Au  nord,  une  maison  marque  la  place  de  l'antique  Sigluna  oij, 
d'après  la  légende,  le  chef  Sigge  se  nomma  dieu  et  se  lit  élever  un  tem- 
ple, le  premier  de  ceux  que  bâtirent  les  Svear  en  pénétrant  dans  la  con- 
trée; de  l'autre  côté  du  Ijord,  sur  un  promontoire,  un  village  moderne 
remplace  la  deuxième  Sigluna,  qui  était  à  son  tour  devenue  puissante  et 
dont  «  les  murs  avaient  six  lieues  de  circonférence  »  ;  mais  elle  fut  détruite 
comme  la  première,  et  les  pirates,  disent  les  chroniqueurs,  enlevèrent  ses 
portes  d'argent.  Plus  loin  vers  le  nord  se  montre  le  château  de  Skokloster, 
inachevé,  mais  superbe  avec  ses  larges  façades  et  ses  quatre  tours  d'angle, 
et  renfermant  de  belles  collections  d'armes  et  de  livres.  Puis  le  bras  du 
Ijord,  après  avoir  serpenté  sur  une  longueur  de  50  kilomètres,  termine 
enfln  son  dernier  méandre  et  l'on  voit  se  dresser  au  bord  de  la  rivière 
Fyris  les  édifices  d'Upsala,  qui  fut,  avant  Stockholm,  la  métropole  des 
Suédois.  Son  nom  n'est-il  pas  celui  de  la  «  Haute  Salle  »,  de  la  Walhalla 
où  trônaient  les  dieux  Scandinaves? 

Mais  la  ville  actuelle  d'Upsala  n'est  pas  celle  où  siégeait  Odin  ;  elle 
n'en  était  que  le  marché  de  commerce,  le  port  d'échanges  avec  l'étran- 
ger. L'ancienne  ville,  Garala-Upsala,  est  au  nord,  dans  la  plaine,  à  la 
base  d'un  as  ou  petite  chaîne  de  collines  sableuses.  Naguère  il  ne  res- 
tait de  la  «  Vieille  Upsala  »  que  des  cabanes  et  une  petite  église  repo- 
sant, dit-on,  sur  les  subslructions  d'un  temple  où  se  faisaient  des  sa- 
crifices humains  ;  mais  un  village  se  reforme  peu  à  peu  autour  de  la  ' 
station  du  chemin  de  fer,  et  le  paysage  a  perdu  son  caractère  auguste. 
Non  loin  de  l'église  s'élèvent  trois  monticules,  remaniés  par  la  main  de 
l'homme,  où,  d'après  la  tradition,  seraient  ensevelis  les  dieux  Odin,  Thor 
et  Freya.  Un  autre  tertre  plus  bas,  désigné  sous  le  nom  de  Tingshôg,  ser- 
vait de  tribune  aux  rois  pour  haranguer  la  niullitude.  Du  sommet  des 
buttes  on  aperçoit  dans  la  plaine  solitaire  des  milliers  il'autres  élévations, 
en  partie  artificielles,  dont  la  plupart  recouvrent  i)robablement  des  corps. 

Au  sommet  et  sur  les  pentes  de  la  colline  d'Upsala,  qui  succéda  comme 
capitale  à  Gamia-Upsala,  se  dressent  trois  des  édifices  les  plus  célèbres 
de  la  Suède  :  le  château,  l'université,  la  cathédrale.  L'église  d'Upsala  est. 
.-.près  celle  de  Trondbjem,  le  plus  beau  monument  religieux  de  l'époque 
ogivale  qui   se  trouve  en  Scandinavie;  mais  de  plus  que  l'église  norvé- 


190 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


gienne  elle  a  l'avantage  d'avoir  gardé  sa  nef  entière,  malgré  les  cinq 
incendies  qui  l'ont  dévastée.  De  loin,  ses  deux  tours,  terminées  par  des 
coupoles  en  forme  de  tiares,  ont  un  aspect  étrange,  sans  rapport  avec  l'ar- 


p.irErha*d 


cliitecture  de  l'édifice;  de  piès,  la  façade,  appuyée  sur  ses  quatre  puissants 
contre-forts,  et  presque  nue,  sans  ornements,  imj)ose  par  la  noble  sévé- 
rité de  ses  lignes  :  elle  est  probablement  telle  que  l'a  conçue  rarcbitectc 
qui  la  commença  en  1287,  le  Français  Etienne  de  Bonneuil.  Dans  l'inté- 


UPSALA.  i03 

rieur  de  l'église  reposent  les  corps  de  Gustave  Wasa,  d'Oxenstjerna,  de 
Linné,  et  dans  la  sacristie  on  remarque,  parmi  d'autres  objets  antiques, 
l'idole  de  Thor.  Le  chàleau  d'Upsala,  énorme  masse  de  brique  rouge  flan- 
quée de  tours  rondes,  s'élève  au  sommet  de  l'as  et  domine  toute  la  cité. 
Moins  ancien  que  la  cathédrale,  il  rappelle  aussi  le  nom  de  Gustave  Wasa, 
qui  dressa  cette  forteresse  sur  sa  colline  pour  tenir  sous  le  feu  de  ses  ca- 
nons le  palais  de  l'archevêque;  c'est  près  de  là  que  fut  tenu  le  célèbre 
synode  qui  supprima  tous  les  biens  des  églises  et  des  couvents  pour  les 
attribuer  à  l'Etat,  interdisant  même  le  culte  catholique,  afin  que  les 
«  Suédois,  devenus  un  seul  homme  »,  n'eussent  «  qu'un  seul  Dieu  ». 

Des  terrasses  du  château  on  aperçoit  la  ville  dans  son  ensemble,  et 
d'un  coup  d'œil  on  peut  voir  qu'elle  appartient  aux  étudiants,  carJes  plus 
grands  édifices  compris  dans  le  champ  de  la  vue  sont  des  bâtiments  uni- 
versitaires :  en  l'absence  des  «  treize  nations  »  ou  groupes  provinciaux  des 
élèves,  la  ville  semble  morte.  La  célèbre  école,  qui  fêta  son  quatre-cen- 
tième anniversaire  en  1877,  doit  son  nom  de  Carolina  au  roi  Charles  IX 
et  le  surnom  de  Rediviva  à  Charles-Jean  Bernadotte,  qui  fit  construire  le 
palais  moderne  de  l'université,  destiné  à  être  prochainement  remplacé  '. 
Cet  édifice,  devenu  tout  à  fait  insuffisant  pour  les  collections  qu'il  pos- 
sède, renferme  la  plus  précieuse  bibliothèque  de  la  Suède,  comprenant 
environ  200  000  volumes  et  8000  manuscrits,  parmi  lesquels  le  plus  an- 
cien monument  des  idiomes  du  Nord,  le  fameux  Codex  argenteus  ou  tra- 
duction des  Evangiles  en  langue  gothique  par  Ulfilas.  Derrière  le  château, 
à  l'est  de  la  ville,  s'étend  le  jardin  botanique,  où  malgré  la  rigueur  du 
climat,  malgré  le  vent  du  nord  qui  fait  rage,  se  voit,  en  plein  air  et  dans 
les  serres,  une  admirable  collection  de  végétaux,  digne  du  professeur 
d'Upsala  qui  découvrit  tant  de  mystères  de  la  vie  des  plantes  :  c'est  avec 
un  véritable  attendrissement  que  l'on  reconnaît  dans  les  serres,  parmi  les 
arbres  de  la  zone  tempérée  et  les  arbustes  médilerranéens,  le  myrte  planté 
de  la  main  de  Linné.  Une  belle  statue  de  marbre,  par  Byslroni,  repré- 
sentant Linné  assis  et  pensant,  s'élève  sous  la  coupole  de  l'ampliithéàtre 
de  botaiiiiiue,  et  le  jardin,  qui  continue  les  plantations  modernes  à  la  base 
du  château,  est  resté  tel  que  l'avait  disposé  le  maître.  Au  sud-est  de  la 
ville,  non  loin  des  Mora-Stenor,  «  Pierres  de  Mora  »,  érigées  dans  la 
«  prairie  royale  »  où  les  rois  étaient  élus,  la  maison  de  campagne  de 
Linné,  llammarby,  est  aussi  un   lieu  de  pèlerinage  pour  les  botanistes. 


•  Aiitoiiinc  1877  ;  Professeurs  lllulaircs,  eitrcordinaires,  adjoints  el  agr('gi's,  1 15.  Éludianls,  l-iS$  : 
lliéologic,  ÔC8  ;  jurisiirudciicc,  1 42 ,  incJecinc,  180 ,  philosopliie  (philologie,  sciences  naliirelles),  7U4. 
V  25 


!M  ^■Ol■VELLE  GÉOGRAPHIE   L'MVERSELLE. 

L'endroit  de  sa  naissance,  près  de  Wexiô,  dans  la  Suède  méridionale,  est 
indiqué  par  un  obélisque  dominant  le  chemin  de  fer  de  Stockholm  à  Malmô. 
Celsius,  le  collègue  et  l'ami  de  Linné,  naquit  et  mourut  à  Upsala. 

Cette  ville  possède  quelques  établissements  industriels,  et  des  bains  v 
utilisent  la  fontaine  jadis  sainte  dont  l'onde  intarissable  coule,  dit  la  lé- 
gende, Icà  où  fut  versé  le  sang  d'Éric,  le  patron  de  la  Suède.  Le  làn  d'Upsala 
possède  les  grandes  richesses  minières  de  Dannemora,  village  situé  dans 
une  région  de  forêts  et  de  lacs,  au  nord-est  de  son  chef-lieu.  Les  célèbres 
gisements  de  fer,  dont  tous  les  produits  s'expédient  à  des  industriels  de 
Birmingham,  son.t  exploités  en  carrière,  et  les  mines,  dont  quelques-unes 
ont  encore  des  appellations  wallonnes,  s'ouvrent  à  l'air  libre  comme  des 
cratères  ou  des  cirques  d'effondrement.  La  carrière  principale,  d'une  forme 
elliptique  irrégulière  de  270  mètres  de  long  sur  une  soixantaine  de  mètres 
de  large,  est  un  abîme  de  150  mètres  de  piofondeur  aux  parois  verticales, 
mais  offrant  çà  et  là  quelques  saillies;  même  un  contre-fort  de  soutène- 
ment laissé  dans  le  fond  s'arrondit  en  arche  énorme  de  l'un  à  l'autre  mur. 
Du  haut  des  planchers  qui  s'avancent  au-dessus  du  gouffre  on  cherche  à 
distinguer  les  détails  de  l'énorme  précipice,  et  souvent  le  regard  se  perd 
dans  une  vapeur  où  le  brouillard  se  mêle  aux  gaz  dégagés  par  les  explo- 
sions :  la  glace  et  la  neige  se  maintiennent  sur  le  fond  de  la  mine  jusque 
dans  le  cœur  de  l'été  et  des  pendentifs  de  glaçons  contrastent  avec  la  roche 
sombre  ;  mais  en  automne,  et  même  au  commencement  de  l'hiver,  un 
reste  d'été  séjourne  dans  les  profondeurs  du  puits.  Les  ouvriers,  les  uns 
montés  sur  des  échelles,  les  autres  suspendus  par  dès  cordages,  s'atlaquciit 
aux  murailles  noires  du  minerai,  contenant  en  moyenne  de  40  à  50  pour 
100  de  métal  pur,  ou  travaillent  dans  les  galeries  latérales  ou  dans  les 
puits  ouverts  au  fond  de  la  carrière  ;  à  Usterby  et  dans  les  autres  usines 
des  environs  de  Dannemora,  la  roche  extraite'  se  traite  immédiatement, 
sans  addition  de  fondant.  Quelques  propriétaires  des  mines  sont  les  héri- 
tiers d'une  vieille  corporation  de  travailleurs,  depuis  longtemps  enrichie, 
et  composée  maintenant  en  grande  partie  des  jtersonnages  considérables  de 
la  contrée. 

Outre  les  deux  capitales,  Stockholm  et  Upsala,  quelques  autres  villes 
d'une  certaine  importance  communiquent  directement  avec  la  mer,  grâce 
aux  fjords  du  Miilaren.  Un  de  ces  fjords,  presque  à  l'exlrémilé  occidentale 
du  lac,  baigne  les  murs  de  l'antique  cité  épiscopale  de  Wesleriis,  tandis  que 
la  dernière  baie  s'avance  jusipi'au  «  Marché  »  ou  Ko])iiig,  ancienne  rési- 

'  Troduction  de  la  iiiiiic  de  Daiiiicmora  eu  1881  :  ÔG'ilO  tonnes. 


L'I'SALA,   DANXEMORA,  ÔREBRO,  GEFLE. 


ÎDJ 


dcncc  du  chimiste  Schoelc.  Plus  loin,  sur  la  rivière  navigable  d'Arbogn, 
qui  longe  la  base  de  l'un  des  escarpements  les  plus  curieux  de  la  Suède, 
témoignant  d'une  brisure  du  sol,  est  la  ville  industrieuse  d'Arboga,  qui 
expédie  à  Stockholm  les  céréales  de  ses  plaines,  les  bois  de  ses  forêts  et 
les  fers  importés  des  mines  de  Nora,  et  près  de  laquelle  débouche  dans 
l'Arboga  le  canal  sorti  du  lac  Hjelmar  ou  Hjelmaren,  tandis  que  l'émis- 
saire naturel  passe  plus  à  l'ouest  et  fait  mouvoir  les  usines  d'Eskilstuna, 
fournissant  Stockholm  de  meubles,   d'outils,   de  machines.   Ôrebro,  à  la 


,rl."ï- 


:-^        <^/-0' 


pointe  occidentale  du  lac  Hjelmaren,  est  aussi  une  ville  de  commerce 
très  animée,  fièrc  de  son  hùlel  de  ville  ogival;  grâce  à  sa  position  cen- 
trale, elle  fut  jadis  souvent  clioisie  comme  lieu  de  nMiiiion  pour  hs  diètes 
et  les  conciles. 

Au  nord  de  Slockliolm  se  succèdeni  plusieurs  |>or(s,  abrilt'S  ]i;ir  un 
dédale  d'ilôts.  Elf-karleby,  à  rembouchiire  du  iJal-elf,  possède  la  jirinci- 
pale  pêcherie  de  saumons  qu'il  y  ail  en  Suède  et  envoie  le  produit  de  ses 
pêches  à  Stockholm  et  à  l'étranger,  surtout  en  Allemagne.  La  ville  la  plus 
considérable  du  littoral  est  Geflc,  d'apparence  presque  américaine  par  l'ev- 
Irêmc  régularité  de  ses  quartiers  bâtis  sur  les  deux  bords  d'inie  rivière 
canalisée;  de  sou   port  s'expédient  loiit(s  les  denrées  de   la  vailir  du  Dal- 


196  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

elf ',  surtout  les  bois,  les  fers  et  les  cuivres  de  Dannemora  et  de  Falun,  et 
dans  le  voisinaîïe  les  eaux  font  mouvoir  les  machines  de  fabriques  considé- 
rables. Falun,  noircie  par  la  fumée  des  usines,  s'est  élevée  dans  l'intérieur 
des  terres,  grâce  aux  gisements  de  cuivre  qui  se  trouvent  dans  le  voisinage. 
Ces  gisements,  d'une  valeur  très  inégale,  puisque  certaines  parties  contien- 
nent seulement  un  deux-centième  de  métal  pur,  tandis  que  d'autres  en  ont 
un  cinquième,  font  la  richesse  de  Falun  depuis  plus  de  cinq  siècles  ;  mais 
le  produit  en  a  considérablement  diminué  pendant  les  dernières  années  : 
de  même  que  les  mines  de  Cornouaille  en  Angleterre,  elles  ne  peuvent  plus 
soutenir  la  concurrence  des  minerais  de  l'Amérique  du  Sud  et  de  l'Aus- 
tralie. Leur  production  s'éleva  jadis  à  5000  tonnes  par  an  ;  actuellement 
elle  est  près  de  dix  fois  moindre.  L'aspect  des  mines  de  Falun  témoigne  de 
l'imprévoyance  des  premiers  mineurs.  L'entrée  ressemble  à  un  cratère  de 
volcan  :  c'est  un  gouffre  d'environ  5G0  mètres  de  long  sur  120  mètres  de 
large,  et  d'une  profondeur  de  60  mètres,  formé  par  l'effondrement  des 
galeries  en  1078.  Dans  le  voisinage  de  Falun,  un  promontoire  de  rochers 
qui  s'avance  dans  le  lac  Runnen  porte  la  maison,  très  vénérée  par  les 
Suédois,  dans  laquelle  Gustave  Erichson,  qui  devint  plus  tard  Gustave  I", 
trouva  un  refuge  (-outre  les  Danois  en  1520;  elle  renferme  quelques  objets 
curieux,  surtout  des  armes. 

Au  nord-ouest  de  Falun,  les  bourgs  dalécarliens  des  bords  du  lac  Siljan, 
Leksand,  Ràttvik,  Orsa,  Vâmhus,  Mora,  —  qui  se  souleva  le  premier  à 
l'appel  de  Gustave,  —  sont  les  chefs-lieux  d'énormes  communes  où  l'on 
voit,  tous  les  jours  de  fête,  les  paysans  débarquer  par  milliers  pour  en- 
tendre le  prêche.  Ces  villages  n'ont  pas  d'industrie  propre  :  c'est  à  Stock- 
holm que  les  jeunes  gens  émigrés  du  Dalarne  vont  exercer  les  métiers  d'hor- 
logers ou  d'artistes  en  cheveux,  vendre  des  pierres  à  aiguiser  et  d'autres 
petits  objets.  Du  côté  du  nord,  (Jstersund,  située  sur  les  bords  du  Storsjôii 
ou  «  Grand  Lac  »,  est,  dans  l'intérieur  des  terres,  le  dernier  groupe  d'ha- 
bitations qui  ait  titre  de  ville;  elle  a  quelque  importance  comme  étape 
entre  Trondhjem  et  le  golfe  de  Botnie,  et  son  port  est  très  fréquenté  par 
les  goélettes  et  les  bateaux  à  vapeur  qui  vont  de  l'une  à  l'autre  rive  du 
lac'.  Au  delà  ne  se  trouvent  que  des  hameaux  et  des  campements  de  La- 
pons. Celui  qu'on  visite  le  plus  à  cause  de  ses  beaux  sites  est  le  «  Paradis 
de  la  Laponie  »,  le  cirque  de  Qvikkjokk,  que  domine  à  l'ouest  la  cime 
neigeuse  du  Suliljelnui. 


'  Mnuvomont  du  port  de  Geflp,  en  1877  :  2727  navires,  jniifre.inl  587  200  tonnes. 
'  Mouvement  du  port  d'Oslersund  en  1877  :  1525  navires,  jaugeant  510  4t)7  tonnes. 


FALIN,   VILLES  DE   DALÉCARLIE  ET  DE  NORRLAND. 


197 


Les  ports  qui  se  succèdent  au  nord  de  Gefle,  près  des  embouchures 
des  rivières,  se  resseraljlent  tous  par  leur  aspect,  leur  construction,  leur 
commerce.  Sôderhamn,  Hudiksvall,  Sundsvall,  Hernôsand,  Umeâ,  Skel- 
lefteâ,  Piteâ,  Luleâ,  Râneâ,  Neder  Kalix',  exportent  également  des  bois  en 


Dessin  de  BeneJicl,    d'après  une  photographie  de  M.  0.  Wililund. 

billes  et  en  planches,  des  goudrons,  et  communiquent  régulièrement  |)ar 
des  bateaux  à  vapeur  avec  Stockholm.    La  dernière  ville,   ou  plutôt  la 


emeni  dos  principaux  porls  suédois  du  golfe 

de  Boln 

ie  au  nord  de  Cefle, 

en  1877 

Sodertiamn  .        .    . 

2078 

navires, 

jaugeant 

440  954 

tonnes. 

lliidiksvalL   . 

.           .       916 

200  015 

Sundsvall.    . 

4222 

578482 

llornosand.  .    . 

.     4207 

554  610 

Lmo.p.  . 

.     1097 

52  782 

Skellcfteâ.    . 

.       548 

149954 

Pile3 

.       ."iGO 

175  676 

Lule3 

1507 

195  091 

Rânc3  

.    .                  200 

65  106 
111  660 

^cde^  Kalii. 

558 

llnparanda.  .    . 

297 

71514 

198  NOUVELLE  GÉOGRAPUIE  UNIVERSELLE. 

dernière  bourgade,  car  elle  n'a  pas  même  un  millier  d'habitants,  est  Hapa- 
randa  (Haaparanta)  ou  la  «  Ville  des  Trembles  »,  fondée  sous  le  nom  de 
«  Ville  du  roi  Charles-Jean  »  lors  de  la  cession  de  Torncâ  à  la  Russie 
en  1809.  En  vertu  des  traités,  cette  dernière  ville  aurait  dû  continuer 
d'appartenir  à  la  Suède,  puisqu'elle  est  située  dans  une  île,  plus  près  de 
la  rive  droite  du  fleuve  que  de  la  rive  gauche,  et  que  le  courant  occi- 
dental se  dessèche  souvent  en  été;  toutefois  la  Russie  est  assez  puissante 
pour  interpréter  les  conventions  à  son  gré.  Haparanda  ne  se  trouve  pas 
encore  dans  les  limites  de  la  zone  polaire  ;  mais  c'est  de  là  que  partent  les 
voyageurs  pour  aller  passer  sur  la  montagne  d'Avasaxa  une  «  nuit  de 
la  Saint-Jean  »  constamment  éclairée  par  les  rayons  du  soleil.  Plus  au 
nord-est,  sur  le  territoire  russe,  séparé  seulement  de  la  Suède  par  le  cours 
de  la  Tornea,  le  village  de  Pcllo  marque  l'extrémité  septentrionale  de  l'arc 
mesuré  par  iMaupertuis  pour  déterminer  la  ligure  de  la  terre. 


Wisby,  capitale  de  Golland,  est  la  seule  ville  importante  des  îles  suédoises 
de  la  Raltique.  C'est  une  antique  cité,  que  l'on  dit  avoir  été  fondée  par  des 
Slaves  de  la  Vineta  poméranienne  fuyant  devant  les  inondations  ;  la  ville 
des  émigrants  fut  bâtie  au  bord  d'une  terrasse  de  rochers  en  débris,  d'où 
jaillissent  des  sources  d'eau  pure,  cause  évidente  du  choix  des  fugitifs'. 
Alliée  aux  autres  cités  hanséatiques,  Wisby  prit  rapidement  une  grande 
importance  et  compta  dans  ses  murs  jusqu'à  12  000  bourgeois;  en  outre, 
des  milliers  d'ouvriers  et  de  marins  demeuraient  en  dehors  de  l'enceinte. 
Les  Allemands,  fort  nombreux,  nommaient  la  moitié  du  conseil  de  la  cité 
et  possédaient  plusieurs  églises,  dont  la  plus  belle,  fondée  par  les  immi- 
grants de  Liibeck  en  1190,  est  encore  le  monument  principal  de  Wisby. 
Les  environs  de  cette  ville  et  toute  l'ile  de  Gotland  sont  le  paradis  des 
archéologues,  et  l'on  ne  cesse  d'y  foire  des  trouvailles  qui  enrichissent  le 
musée  de  Stockholm  et  d'autres  collections.  Les  droits  maritimes  de  Wisby 
étaient  le  code  des  marins  du  Nord,  comme  ceux  d'Oleron,  dont  ils  sont 
partiellement  dérivés,  l'étaient  pour  les  marins  de  l'Occident.  Longtemps 
la  capitale  de  Gotland  garda  son  indépendance  républicaine;  mais  en  1501 
le  roi  de  Danemark  Waldemar  111  en  détruisit  le  château,  ruina  ses  églises, 
emporta  ses  richesses.  Des  murs  brisés,  des  églises  dont  il  ne  reste  que 
les  voûtes  ou  les  piliers,  des  fragments  admirables  d'architecture  normande 
ou  ogivale,    ra|)p('llent  ce  désastre,  dont  la   ville  ne  s'est  point  complète- 

'  Koilcrick  Mmclilson.  Qiiartcriii  Joiiriiiit  of  Ihe  Geai.  Soc.  of  Loniloii,  vol.  III,  18 SG. 


IIAPARA.NDA,   WISBY.  109 

ment  relevée.  Cependant  son  port,  qni  peut  rece\oir  des  navires  d'un  tirant 
d'eau  de  5  mètres,  fait  encore  un  commerce  considérable',  ses  marins  se 
livrent  à  la  pèche,  et  ses  plages  attirent  en  été  des  milliers  de  baigneurs 
du  continent  voisin'.  Un  chemin  de  (er  traverse  l'île,  de  Wisby  à  un  vil- 
lage voisin  de  la  côte  du  sud-est. 


XII 


La  population  de  la  Scandinavie,  régulièrement  recensée  depuis  17^1, 
s'accroît  rapidement  ;  depuis  le  commencement  du  siècle  elle  a  plus  que 
doublé  en  Norvège,  presque  doublé  en  Suède';  depuis  1870,  le  nombre  des 
habitants  n'a  cessé  d'augmenter  dans  tous  les  làn  suédois,  même  dans  l'ile 
de  Gotland,  qui  envoie  sur  la  grande  terre  presque  tout  l'excédent  de  sa  po- 
pulation. Tandis  que  la  période  du  doublement  de  la  population  est  d'en- 
viron 62  ans  dans  le  royaume  occidental,  elle  est  de  près  de  72  ans  dans 
celui  de  l'est'.  La  principale  cause  de  l'accroissement  annuel  est  l'excédent 


'  Mouvemeiil  des  ports  de  GotlanJ  en  1876  :  Entrées,  767  navires;  sorties,  79')  nav 
1ÛG5  navires.  —  Mouvement  total  du  port  de  Wisby  en  1877:  846  navires,  jaugeant  159 
-  Villes  de  la  Suède  ayant  jilus  de  4500  habitants  au  51  décembre  1882  : 


Slocidiolm  (1885) 190  850  bab. 

Gôteborg 81  200     ii 

Malmô.  .    .        40  500     'i 

Norrk6|iing. 27  500     » 

Gefle 

Carlskrona 

Jonkoping 

Upsala.   ........ 

Lund 

Ilelsingborg 

Ôrcbro 

Kabnar  

Landskrona 

Christianstad .... 

Linkôping 

Suiidsvall 

Halmslad 

Ëlskilstrina 


19  00(1 

1S700 

17  875 

10  850 

14  400 

12  480 

12  150 

1 1  525 

10  220 

9  400 

9  400 

9  .500 

8  700 

8  525 

Soderlianin 
Carislad   .    . 
Falun   .    .    . 
Uddevalla.    . 
Yslad.  . 
Visby.     .    .    . 
(^rlsbanm.  . 
VVestervik. 
Vesteras.  . 
Hernosand.  . 
Oskarsbanifi. 
Vexiô    .    .    . 
Vencrsboig  . 
lioras.  .    .    . 
Kristinehaniii 
Nykdping.     . 
Sala.     .    . 
LidkiipiiiL'.  . 


ires,  total  : 
027  tonnes. 

8  520  hab. 

7  800  11 

7  425  ., 

:  175  ■. 

7  100  (. 

ti  750  il 

(i  500  n 

t;  450  » 

6  500  .. 

5  575  )) 

5  450  11 

5  550  I) 

5  250  I. 

5  100  X 

5  075  1. 

5  050  )i 

4  875  I) 

4  780  I» 


'  Population  des  deux  Élats  de  la  péninsule  Scandinave  à  différenles  rpoques  : 
Norvège.  S,„,l,.. 

1800 880  000  bab.  2  547  0i'0  liab. 

1876 1804000     »    .\ccr.  :  112  p.  100  4429700     ..   Ac<t.  :  89  p.  100 

1884  (probable).     1988000     »        »       120       »  4586 1  OU     »        d       95       » 

0.  i.  Broch,  Le  royaume  de  Norvège  cl  le  peuple  norvàgien. 


200  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

des  naissances  sur  les  morts'  ;  mais  la  plus  longue  durée  de  la  vie  moyenne 
est  aussi  une  autre  cause  de  l'augmentation  des  habitants.  Ainsi  la  propor- 
tion de  la  mortalité  en  Suède,  qui  était  de  27  à  28  pour  1000  pendant  la 
dernière  moitié  du  dix-huitième  siècle,  n'était  plus  que  de  18,2  pour  1000 
pendant  la  période  qui  s'est  écoulée  de  1871  à  1881.  En  Norvège,  létaux 
de  la  mortalité  est  moindre  encore  :  sans  les  mort-nés,  il  n'est  que  de 
17,1  sur  1000  habitants;  c'est  la  plus  faible  proportion  que  présente 
un  pays  d'Europe;  on  meurt  presque  deux  fois  moins  en  Norvège  qu'en 
Russie.  De  tous  les  pays  du  continent,  c'est  celui  qui  a  le  bonheur  de 
perdre  le  moindre  nombre  d'enfants  en  bas  âge.  Tandis  qu'en  dehors  de 
la  Scandinavie  le  quart  des  enfants  périt  avant  d'arriver  à  l'âge  de  cinq 
ans,  c'est  vers  dix-huit  ans  seulement  que  la  jeune  génération  norvégienne 
se  trouve  réduite  aux  trois  quarts".  Dans  la  Norvège  même,  le  pays  le  plus 
salubre  est,  d'après  Broch,  le  Guldbrandsdalen,  au  nord  du  lac  Mjôsen. 
11  y  a  certainement  en  Scandinavie  une  amélioration  de  la  race,  contras- 
tant de  la  manière  la  plus  heureuse  avec  la  détérioration  qui  se  produit 
en  d'autres  contrées,  surtout  par  l'effet  de  la  «  sélection  militaire  ».  Les 
mesures  auxquelles  ont  été  soumis  les  conscrits  de  la  milice  suédoise  oi.t 
établi  ce  fait  remarquable,  que  leur  taille  s'est  accrue  de  18  millimètres 
pendant  les  trente-cinq  dernières  années". 

Les  deux  Etats  de  la  péninsule  ayant  joui  d'une  paix  profonde  depuis 
1815,  les  seules  causes  de  retard  dans  l'accroissement  de  la  population 
ont  été  les  mauvaises  récoltes  et  les  crises  générales  du  commerce  et  de 
l'industrie.  En  1868  et  1869,  il  y  eut  même  une  légère  diminution  dans  le 
nombre  des  habitants,  non  que  le  chiffre  des  morts  eût  dépassé  celui  des 
naissances,  mais  la  proportion  des  émigrants  s'accrut  soudain,  et  quelques 
districts  se  trouvèrent  presque  dépeuplés.  On  vit  alors  jus(ju'à  200  per- 
sonnes quitter  le  port  de  Goteborg  pour  l'Angleterre  et  l'Amérique  en  une 
seule   semaine;  en  outre,   un  grand    mouvement  d'émigration  se  portait 


Nalalito  anniiolli 

Norv 

•jo  (18-1-1880) 

52  775 

52  508 

Suéde  (ISSii 
154  500 
79  4fl0 

Péninsule. 
187  075 

Mortalité       n 

1 1 1  708 

Delgica 

II. 

Excellent    . 
'  Ad.  Quélelet,  Patria 

20  407 

5i90U 

75  3(i7 

Survivants  à  cinq  ans  pour  1000  naissances. 

Norvèpn 811 

Suède 7()8 

Angleteno 757 

Suisse 720 

'  Elis  S!(!eiiljl;idh,  Rnjaumc  de  Suide,  1878. 


Belgique 72.> 

France 710 

Hollande 68!» 

Bavière.  ...  àOU 


POPULATION  DE  LA  SCANDINAVIE.  201 

vers  le  Nouveau  Monde  par  les  ports  du  continent  d'Europe.  En  1800,  pins 
de  57  000  personnes  quittèrent  les  deux  États  de  la  péninsule,  soit,  pour 
cette  seule  année,  la  huitième  partie  de  tous  les  Scandinaves  ayant  émi- 
gré depuis  le  milieu  du  siècle  '  ;  même  les  Lapons,  parmi  lesquels  se  trou- 
vait une  famille  de  pasteurs  de  rennes,  obéirent  à  l'entraînement  général 
pour  se  rendre  en  Amérique';  en  1870  l'expatriation  se  ralentissait  ; 
mais  dans  ces  derniers  temps,  le  nombre  des  émigrants  des  deux  royaumes, 
Suède  et  Norvège,  est  redevenu  très  considérable  pour  un  pavs  si  faible- 
ment peuplé:  il  dépasse  70000  par  an.  De  ce  nombre,  ce  sont  les  popu- 
lations maritimes  qui  ont  toujours  envoyé  à  l'étranger  la  plus  forte  part 
proportionnelle  de  colons.  Les  Scandinaves  des  États-Unis  habitent  surtout 
les  régions  septentrionales  de  la  république  américaine ,  l'illinois,  le  Wis- 
consin,  le  Minnesota,  l'Iowa  ;  plusieurs  gros  villages  de  ces  Etats  sont  en- 
tièrement pei  plés  de  Norvégiens  ou  de  Suédois.  Quant  à  la  colonie  fondée 
par  eux  en  lt58  sur  les  bords  du  Delaware,  cette  nouvelle  Suède,  Nija  Sce- 
rige,  avait  été  cédée  à  la  Hollande  dès  l'année  1655,  puis  avec  les  autres 
possessions  néerlandaises,  elle  devint  une  colonie  de  l'Angleterre  :  rien,  si 
ce  n'est  un  nom,  n'y  rappelle  le  séjour  des  Scandinaves. 

L'immigration,  assez  faible,  est  loin  de  compenser  en  Scandinavie  le 
mouvement  de  sortie  des  habitants.  Elle  consiste  d'ailleurs  pour  une  grande 
part  en  anciens  colons  ou  fils  de  colons  revenus  d'Amérique  :  c'est  par 
centaines  seulement  que  l'on  compte  les  autres  immigrants,  surtout  Danois 
et  Allemands.  Quelques  Anglais  s'établissent  aussi  dans  les  villes  maritimes 
de  la  Norvège  et  h  Gôteborg.  En  1 88 1 ,  le  nombre  des  étrangers  qui  ont  immi- 
gré en  Suède  a  été  de  2957  individus  ;  quant  au  nombre  de  ceux  qui  ont 
obtenu  l'indigénat  suédois  il  s'est  élevé  seulement  à  70  personnes.  Dans  les 
régions  du  nord  de  la  péninsule,  les  espaces  déserts  se  peuplent  aussi 
graduellement  de  Finlandais  immigrés  ;  mais  le  nombre  des  Scandinaves 
qui  se  portent  du  midi  vers  ces  contrées  est  bien  supérieur  :  mémo 
en  Laponie,  ils  sont  devenus  maintenant  la  population  prépondérante. 
En  1845,  les  Norségiens  de  Tromsô  et  du  Finmark  n'étaient  que 
16  500;  en  1805,  ils  avaient    triplé,    quintuplé  en  1875. 

D'une  manière  générale,  la  densité  de  la  population  est  proportionnelle 
à  la  lempératuie  moyenne  :  les  hommes  augmentent  en  raison  de  l'éloi- 
gnement  du  pôle  et  de  la  moindre  élévation  du  sol;  mais,  en  outre,  l'appel 
du  commerce  attire  les  habitants  dans  quelques  districts  privilégiés  :  sur  les 

'  Émigrants  norvégiens  (le  1856  à  1882.  d'après  Brocti 289  200 

)i  suédois       àei8j\  àl&H-i,d'apvkiUSvciigcsofficialaStiUiiliiikfiiUk,ifl     585  780 

»  Torcll  et  Nordenskjôld,  Schwedischc  Expeditionen  nach  SpUzbcrgcn. 

V.  20 


202 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


Lords  du  Sund,  en  foce  de  Copenliague,  la  population  est  proporlionnelle- 
mcnt  plus  considérable  qu'elle  ne  l'est  en  France.  Quelques  campagnes  de 
la  Scanie,  de  Blekinge,  de  Halland,  sont  depuis  si  longtemps  peuplées  et  en 


IM:\.«1TE    IlE    H    POPrLATIOX   SCANDINAVE    EX    IST 


□ 


Le  uomht'O  ilcs  i 


ttlilO  AlOtSO      Jt20m40       JfiOtSO        j,6Ciaû      itSOêiSV 

habitent»  par  iiloftétre  carre 

csl  proportionnel    à    la  population,  d'aprùs  In  iiirtliode  .Minnrd. 
1  :  leoooooo 


cullurc  qu'elles  sdiil  ((iiiipK'Ieini'iil  dt'harrassées  de  leurs  blocs  erratiques  : 
partout  le  sol  végétal  s'étend  en  couche  continue. 

De  même  (pie  dans  tous  les  pays  civilisés,  b^  nombre  des  habitants 
s'accroît  plus  rapidement  dans  les  villes  ijue  dans  les  districts  ruraux 
de  la  Scandinavie,  siirloiit  en  .Norvège.  Dans  ce  dernier  jiays,  l'augmenta- 


POPULATION,  AGRICULTURE  DE  LA  SCANDINAVIE.  205 

tion  des  habitants  porte  exclusivement  sur  les  zones  industrielles,  mari- 
times et  de  pèche;  les  habitants  des  contrées  d'agriculture  et  de  pâturage 
ont  diminué,  ceux  des  régions  forestières  maintenant  à  peu  près  leur  force 
numérique'.  Les  villes  norvégiennes,  vers  lesquelles  se  porte  presque  tout 
l'excédent  de  population,  n'avaient  en  1665  que  8  pour  100  des  habitants; 
elles  en  avaient  plus  de  18  pour  100  en  1875  :  encombrées  de  matériaux 
de  construction,  elles  semblent  être  nées  d'hier,  tant  on  y  voit  de  maisons 
neuves.  En  Suède,  la  proportion  des  citadins  aux  ruraux  est  seulement  de 
16  à  84.  Ce  royaume  étant  beaucoup  plus  riche  que  la  Norvège  en  terri- 
toire agricole  a  pu  garder  aussi  dans  ses  campagnes  une  population  rela- 
tivement plus  forte. 


L'agriculture  Scandinave,  très  en  progrès  depuis  le  milieu  du  siècle, 
voit  s'ouvrir  devant  elle  une  longue  perspective  d'améliorations  prochaines, 
grâce  à  l'étendue  considérable  du  territoire  improductif  qui  peut  être 
encore  soumis  à  la  culture.  Il  est  vrai  que  la  plus  grande  partie  de  la 
péninsule  est  impropre  au  travail  de  la  charrue.  Des  lacs,  des  rochers, 
des  amas  de  pierres,  des  névés  et  des  glaciers  recouvrent  de  vastes  espaces, 
et  dans  les  régions  septentrionales  le  climat  est  trop  rude  pour  que 
l'homme  ne  soit  pas  obligé  de  laisser  à  la  terre,  si  ce  n'est  en  quelques 
endroits  bien  abrités,  ses  productions  naturelles  d'arbres,  de  broussailles 
ou  d'herbes  à  croissance  spontanée.  Tandis  que  les  cultures  propre- 
ment dites  s'étendent  sur  près  de  la  moitié  du  territoire  danois,  elles  ne 
couvrent  en  Suède  qu'une  superficie  d'un  quinzième,  en  diminuant  gra- 
duellement du  sud  au  nord,  de  la  province  de  Malmo,  où  elles  occupent 
plus  des  deux  tiers  du  territoire,  aux  solitudes  de  la  Laponie,  oii  quelques 
petits  champs  dans  les  clairières  sont  les  seules  complètes  de  l'agriculture. 
En  Norvège,  la  zone  du  territoire  cultivable  est  si  étroite,  que  le  sol  labouré 
ne  représente  pas  même  le  centième  de  la  superficie  du  royaume*.  Mais 
sur  les  deux  versants  des  Alpes  Scandinaves  l'accroissement  du  domaine; 
agricole  se  fait  aux  dépens  des  toiirbièroset  des  bois.  Tandis  qu'en  1865  la 
superficie  des  terres  arables  n'était  évaluée  qu'à  2  554  000  hectares,  elle 
en  occupait  2920000  quinze  années  plus  lard  :  l'augmentation  des  cul- 
tures nouvelles  avait  donc  été  de  586000  hectares,  soit  de  près  de  iOOOO 
par  an.  Une  part  considérable  des  terres  conquises   l'a  été  directement  sur 


'  0.  J.  Urncli,  Le  royaume  rie  Norvège  el  le  peuple  noncgien. 
•  Sclliibcler,  Pflanzenwelt  IS'orweyrns. 


20* 


NOUVELLE  GEOGUAPHIE   UNIVERSELLE. 


—    PnOPORTIOX    COM(*AI;tE    DU    TEnRlTOIRE  AGRICOLE 
EX  >'ORVÈGE,    E.V    SUÈDE    ET    EN    DASEMARK, 


les  eaux  des  marécages  ou  des  lacs  :  c'est  ainsi  que,  de  1841  à  1876,  le 
gouvernement  suédois  a  contribué  par  des  subsides  au  dessèchement  de 
198  000  hectares  inondés;  en  outre,  de  vastes  espaces  ont  été  repris  sur 

l'eau  par  les  particuliers,  sans 
l'intervention  de  l'État.  De  même, 
les  Norvégiens  augmentent  cha- 
que année  leurf  faible  territoire 
agricole  de  plusieurs  milliers 
d'hectares  conquis  sur  les  ma- 
rais et  sur  les  fjords'.  Dans  tou- 
tes les  hautes  vallées  de  la  Scan- 
dinavie, dans  toutes  les  plaines 
éloignées  de  la  mer,  des  colonies 
d'agriculteurs  procèdent  graduel- 
lement à  la  transformation  du 
sol.  Ainsi,  dans  la  Suède  centrale, 
la  province  de  Smâland  a  tiré  son 
nom  des  «  petits  »  cultivateurs 
qui  en  ont  colonisé  les  forêts  jadis 
solitaires  :  gagnant  de  proche  en 
proche  sur  le  désert  des  rochers 
et  des  bois,  les  intrépides  pion- 
niers ont  couvert  la  contrée  de  pe- 
tites oasis  de  cultures,  où  ils  res- 
tèrent longtemps  presque  ignorés 
du  reste  de  la  Suède  et  dans  une 
indépendance  toute  républicaine". 
L'agriculture  primitive  de  la  contrée  ne  connaissait  d'autre  métliode 
que  celle  des  «  brûlis  »  :  on  incendiait  une  partie  de  la  forêt  ou  de  la 
tourbière,  et  la  semence  était  jetée  dans  les  cendres.   En  quelques  lares 


Frisch,  Mitiheilmigen  von  Petermann,  XI,  1800. 
Superficie  du  territoire  agricole  de  la  Scandinavie  : 

Norvi-cc. 

Céréales  et  farineux 213  000  hectares. 

Cultures  potagères  et  industrielles.  2  000         n 

Prairies  artificielles 400  000         » 

»       naturelles.    .    .        ...  000000         » 

Bois  et  forcU 7  500  000         « 

Jachères  et  terres  incultei.   .   .    .  22  620  000        » 


Suède. 
1  ;.7S  100  hectares. 
Si  000         » 
710  100         .. 
1  !l  l.")  500         » 
17  114  000         II 
19  207  000        II 
{Slatisitd  Tidskrift,  1885.) 


AGRICULTURE  DE  LA  SCANDINAVIE.  205 

districts  de  l'intérieur  cette  méthode  rudimentaire  des  anciens  Lapons  est 
encore  usitée;  mais,  dans  son  ensemble,  l'agriculture  suédoise  est  une  de 
celles  qui  se  distinguent  par  une  bonne  rotation  des  assolements,  l'em- 
ploi régulier  des  amendements  et  des  engrais,  le  judicieux  usage  des 
machines.  La  Suède,  qui  au  siècle  dernier  devait  importer  des  céréales 
étrangères',  produit  plus  de  céréales  qu'il  ne  lui  en  faut  pour  sa  consom- 
mation, pour  l'entretien  des  animaux  domestiques  et  pour  la  fabrication 
des  eaux-de-vie  ;  elle  en  exporte  des  quantités  considérables,  mais  elle  doit 
importer,  en  moindres  proportions,  des  farines  de  seigle  et  de  froment. 
Ouant  à  la  Norvège,  ses  champs,  jouissant  de  plus  de  chaleur  et  d'humi- 
dité, produisent  à  surface  égale  plus  que  ceux  de  la  Suède;  mais  ils  sont 
trop  peu  étendus  pour  nourrir  toute  la  population  :  on  évalue  à  un  tiers  de 
sa  consommation  annuelle  les  produits  du  sol  que  la  Norvège  doit  im- 
porter de  l'étranger.  Même  la  froide  Russie  du  Nord  lui  envoie  des  farines 
par  le  port  d'Arkhangelsk. 

L'élève  du  bétail  a  fait  dans  ces  dernières  années  des  progrès  correspon- 
dants à  ceux  de  l'agriculture  proprement  dite  :  non  que  les  animaux  aient 
augmenté  en  nombre,  mais,  beaucoup  mieux  soignés,  ils  donnent  plus 
de  bénéfices  à  leurs  propriétaires.  La  Grande-Bretagne,  qui  ne  cesse  de 
chercher  autour  d'elle  des  lieux  de  production  pour  alimenter  ses  mar- 
chés, s'est  adressée  depuis  longtemps  à  la  Suède,  et  celle-ci  lui  envoie 
des  bestiaux  vivants,  du  beurre,  des  œufs,  principalement  par  le  port 
de  Gôteborg.  Cependant  les  deux  royaumes  de  la  péninsule,  surtout  la 
Suède,  sont  très  inférieurs  au  Danemark  pour  l'importance  de  leurs  trou- 
peaux :  le  sol  ne  s'y  prête  pas  autant  à  la  production  des  foins".  Les 
races  indigènes  ont  été  presque  partout  modifiées  par  les  croisements. 
Dans  les  hautes  vallées  du  Kjôlen  et  sur  le  littoral  norvégien  se  maintient 
encore  une  «  race  des  montagnes  »,  sans  beauté,  petite,  dépourvue  de 
cornes,  mais  d'une  sobriété  remarquable  :  elle  se  contente  de  tous  les 
fourrages  et  l'on  a  même  pu,  en  diverses  parties  de  la  Norvège,  la  mettre 
au  régime  du  poisson.  Les  moutons  des  bruyères,  petits,  anguleux,  cou- 
verts d'une  laine  grossière,  n'ayant  que  du  poil  aux  jambes,  à  la  tète  et 

•  Ljunghorg.  La  Suède,  trad.  par  L.  de  Lillieliùuk. 

'  Animaux  doracsliqiies  de  la  Scandinavie  : 

Nor»i-gc  CD  18"G.  Suùclc  en  18S1. 

Chevaux. l")8  noo  4.")9  500 

Bœufs  cl  vach- - 10l()tll7  2  227  757 

Muutons 1  1)8(1  ~t{W  i  457  402 

Chèvres ."j22  800  107  005 

Porcs loi  020  419  1117 

Rennes  (m  1875) 101708  200  000 


206  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

quelquefois  à  la  queue,  sont  d'une  force  d'endurance  extraordinaire  :  le 
long  des  côtes  de  Stavanger  et,  jilus  au  nord,  dans  toutes  les  îles»du  litto- 
ral, on  en  laisse  des  troupeaux  pendant  l'hiver  sous  les  vents,  les  pluies 
et  les  neiges,  et  ces  animaux,  se  nourrissant  de  bruyères  et  d'algues 
marines,  parviennent  à  gagner  le  printemps  sans  mourir.  L'île  de  Gotland 
possède  aussi  une  race  particulière  de  chevaux,  ardents  ponies  à  demi 
sauvages,  qui  passent  presque  toute  l'année  en  plein  air. 

On  sait  combien  grande  est  l'importance  des  forêts  dans  l'économie 
rurale  de  la  Scandinavie  :  en  effet,  l'exportation  des  bois  représente  la 
moitié  des  ventes  totales  de  la  Suède  ;  les  poutres,  les  planches,  les  tra- 
verses, les  étais  de  raines  sont  expédiés  des  ports  du  golfe  de  Botnie,  de 
Gôteborg,  au  Brésil,  au  Cap  de  Bonne-Espérance,  en  Australie,  jusque  dans 
la  Nouvelle-Zélande  ;  mais  plus  de  la  moitié  de  cette  exportation  se  dirige 
sur  l'Angleterre.  Les  ventes  de  bois  faites  par  les  Scandinaves  représentent 
chaque  année  une  somme  qui  dépasse  250  millions  de  francs  ;  les  Suédois 
en  vendent  pour  i50.  Malgré  l'imjjortance  de  l'industrie  des  bois,  on 
n'a  pourtant  pas  donné  à  la  sylviculture  proprement  dite  l'attention  qu'elle 
mérite  ;  on  s'est  borné  à  l'exploitation  des  forêts  naturelles.  C'est  loin  des 
endroits  habités  que  se  font  les  coupes  les  plus  considérables  :  les  bûche- 
rons, tenus  pour  la  plupart  dans  une  sorte  d'esclavage  par  les  marchands 
qui  leur  ont  fait  à  gros  intérêts  les  avances  nécessaires,  doivent  se  bâtir 
des  huttes  provisoires  pour  y  jiasser  la  saison  du  froid  et  de  l'obscurité, 
qui  est  celle  du  travail  excessif;  quant  aux  chevaux,  ils  restent  sans  abri, 
garantis  seulement  par  des  couvertures  de  laine.  Les  billes,  marquées  à 
la  hache,  sont  traînées  sur  la  neige  jusqu'au  bord  des  rivières,  où  elles 
flottent  de  cascade  en  cascade  et  de  lac  en  lac,  jusqu'à  l'usine  qui  doit 
les  débiter  en  poutres  et  en  planches.  Dans  plusieurs  districts  de  l'inté- 
rieur, le  lit  des  rivières  et  le  fond  des  lacs  sont  complètement  couverts  de 
troncs  d'arbres  qui,  n'ayant  pu  faire  leur  voyage  entier  de  flottaison  dans 
une  seule  année,  se  sont  desséchés  en  été  sur  les  grèves,  puis,  imprégnés 
d'eau  pendant  les  crues,  n'ont  pu  continuer  de  flotter  à  la  surface'.  En 
desséchant  certains  lacs,  on  trouve  les  alliivions  du  fond  mêlées  à  plu- 
sieurs couches  superposées  d'arbres  pourris. 

On  peut  évaluer  à  i  millions  de  personnes,  soit  à  près  des  deux  tiers  de 
la  p()|)ulation  Scandinave,  ceux  qui  vivent  de  la  culture  du  sol  et  de  l'exploi- 
tatidii  directe  de  ses  iiroduils.  Les  petits  piopriétaires  forment  une  assez 
grande  proportion  des  lialiiliiiils  des  campagnes,  et  la  plupail  des  fei'Uiiers 

'  0.  J.  Fiai'h    Le  roijaiime  de  yorvcge  et  le  peuple  twrecijien. 


RÉGIME  nS  LA  PROPRIÉTÉ   EN   SCANDINAVIE.  200 

ciillivenl  loiir  domaine  temporaire  sous  la  garantie  de  coutumes  tradition- 
nelles qui  leur  donnent  une  réelle  indépendance.  Les  paysans  norvégiens,  de 
même  que  ceux  de  la  Suède,  ont  toujours  conservé  le  droit  de  choisir  leur 
demeure  et  d'acquérir  des  tenues  ;  ils  n'étaient  point  serfs  comme  ceux 
de  la  plus  grande  partie  de  l'Europe,  et  les  lois  du  Danemark,  qui  ohli*- 
geaient  le  paysan  à  rester  au  lieu  de  sa  naissance  jusqu'à  sa  (pianm- 
ticme  année,  ne  furent  jamais  en  vigueur  au  nord  du  Skagcr  Rak.  Les 
propriétés  communes  étaient  et  sont  encore  fort  nombreuses  en  Scandi- 
navie ;  les  terrains  non  cultivés,  les  pâturages  des  montagnes  et  les  forêts 
appartenaient,  pour  la  plupart,  à  plusieurs  chefs  de  famille,  à  toute  une 
paroisse  ou  même  à  plusieurs  d'entre  elles.  En  maints  endroits  aussi, 
l'ancienne  propriété  collective  avait  été  remplacée  par  la  distribution  régu- 
lière des  terres  entre  les  divers  communiers  pendant  un  certain  nombre 
d'années  :  chaque  part  était  attribuée  successivement  à  tous  les  sociétaires. 
Ailleurs,  la  propriété  était  divisée  d'une  manière  inégale,  en  vertu  d'usages 
et  de  traditions  ayant  reçu  force  de  loi.  La  plupart  des  forêts  étaient  répar- 
ties d'après  les  différentes  sortes  d'arbres  :  un  d'eux  possédait  les  pins,  un 
deuxième  les  sapins,  un  autre  encore  avait  les  bouleaux,  l'herbe  que  brou- 
taient les  bètes  appartenait  à  un  quatrième,  tandis  que  le  sol  même  était 
attribué  à  un  possesseur  distinct.  Maintenant,  une  loi  de  la  Norvège  défend 
de  diviser  la  forêt  entre  deux  propriétaires,  dont  l'un,  maître  du  sol,  et 
l'autre,  maître  des  arbres,  deviendraient  forcément  ennemis.  Le  régime  de 
la  propriété  commune  s'amoindrit  sans  cesse  au  profit  des  propriétés  par- 
ticulières :  cependant,  en  1876,  près  de  la  septième  partie  du  sol  de  la  Nor- 
vège se  composait  encore  de  terres  possédées  en  communauté,  et  m("'me 
dans  les  départements  de  l'ouest,  entre  Lindcsnaîs  et  h,'  fjord  de  Trondhjem, 
la  moyenne  de  ces  propriétés  occupait  les  trois  dixièmes  de  la  contriV. 

Les  propriétaires  norvégiens  ont  conservé  l'ancien  odehrcl  ou  droit 
«  allodial  »  de  rentrer  en  possession  d'une  propriété  rurale  vendue;  mais 
la  somme  à  payer  est  fixée  non  par  le  j)remier  prix  de  vente,  mais  a|)rès 
nouvelle  estimation  :  d'ailleurs,  Vodelsret  n'appartient  qu'aux  familK's 
ayant  joui  de  la  propriété  au  moins  pendant  vingt  années,  et  ce  droit  est 
perdu  quand  la  propriété  a  déjà  changé  de  mains  depuis  trois  ans.  L'héri- 
tage, jadis  différent  pour  les  fils  et  \)ouv  les  (illes,  dont  la  part  n'était 
jamais  que  de  moitié,  est  maintenant  égal  pour  les  deux  sexes,  et  le  testa- 
teur ne  peut  disposer,  en  dehors  de  sa  descendance  directe,  que  d'un  ipiart 
do  sa  propriété. 

Il  résulte  de  cette  dernière  disposition  légale  que  les  terres  sont  très 
divisées.  Si  l'on  ne  tient  pas  compte  des  petites  parcelles  de  terrain  si- 


5flO  NOLVELLE  GÉOGRAPHIE  UMVEP.SELLE. 

tuées  dans  les  villes  et  ne  servant  qu'à  la  culture  de  fleurs  et  de  légumes 
autour  des  maisons  d'habitation,  les  domaines  de  culture  proprement  dits 
sont  au  nombre  d'environ  450  000  dans  toule  la  Scandinavie,  500  000  en 
Suède,  150  000  en  Norvège.  La  tendance  naturelle  de  la  population  Scan- 
dinave serait  d'accroître  continuellement  le  nombre  des  parcelles,  chaque 
paysan  désirant  devenir  son  propre  maître  et  posséder  son  maiital  ou  son 
«  hommée  »  de  sol,  mais  la  loi  est  intervenue  pour  empêcher  le  morcel- 
lement à  outrance  de  la  contrée  ;  en  Suède,  elle  interdit  le  partage  de  la 
terre  quand  la  fraction  en  devient  insuffisante  à  faire  vivre  de  son  pro- 
duit un  ménage  de  trois  personnes  au  moins.  Dès  l'année  1827,  une  loi, 
qui  depuis  a  été  copiée  en  Allemagne  et  en  Autriche-Hongrie,  permettait 
au  propriétaire  de  plusieurs  parcelles  de  réclamer  une  distribution  nou- 
velle du  sol,  en  vue  du  groupement  de  tous  les  fragments  épars  :  ainsi  les 
domaines  ont  pu  s'arrondir  au  profit  de  l'agriculture'.  En  moyenne,  ces 
])ropriétés  ne  sont  pas  de  grande  étendue;  la  Scandinavie  n'a  pas,  comme 
la  Grande-Bretagne  et  comme  l'Irlande,  de  ces  possessions  qui  sont  des  pro- 
vinces', si  ce  n'est  pourtant  dans  le  Norrland,  où  le  négociant  Dickson, 
de  Gôteborg,  pourrait  parcourir  ses  domaines  pendant  des  journées  entières 
sans  en  atteindre  les  limites. 

Les  fermiers,  moins  nombreux  que  les  propriétaires',  sont  presque  tous 
protégés  par  de  longs  baux  ;  mais  ceux  d'entre  eux  que  l'on  nomme  hustnàn 
ou  torpare  n'acquittent  pas  leur  bail  en  argent,  ils  le  payent  en  travaux  sur 
les  terrains  du  maître  ou  bien  en  services  dans  les  forêts  ou  dans  les 
mines.  Il  en  est  aussi  qui  sont  propriétaires  pour  une  parcelle  de  terrain 
et  fermiers  pour  une  autre  ;  beaucoup  aussi  sont  forcés  par  leur  situa- 
tion précaire  de  trouver  un  moyen  secondaire  d'existence  :  ils  se  font 
artisans,  bûcherons  ou  pêcheurs. 


On  sait  quelle  est  l'importance  de  la  pêche  en  Scandinavie,  notamment 
en  Norvège  :  la  richesse  de  la  mer  en  poissons,  bien  plus  que  la  fertilité 
du  sol,  a  peuplé  les  contrées  du  littoral,  et  de  nos  jours  encore,  les 
districts  du  Nord,  en  Finmaiken  et  en  Nordland,  seraient  coniplètement 

'  C.  E.  Ljiingberg,  La  Suéde,  Irnd.  par  Lillicliôôk. 

-  Prnpriélaires  suédois  possédant  moins   de  2  lieclares 68  000 

de  2  à  20            »       170000 

de  20  à  100         »       24r>00 

«             »        plus  de  100        .■       2800 

*  Prnpriélaires  en  Norvège  en  1805.    .     8."i  pour  100.  En  Surdo.    .     02  pour  100. 

Fermiers                r               »         ,    .     lô         »                            •      .    .     ."i8  » 


AGRICULTURE,   PÊCHERIES  DE   LA  SCANDINAVIE. 


211 


déserts  si  des  bancs  do  poissons  n'attiraient  les  flottilles  des  pêcheurs. 
Les  morues  et  les  harengs,  nous  l'avons  vu,  sont  les  principaux  tré- 
sors que  la  mer  tient  en  réserve  pour  les  riverains  de  la  Norvège.  Aux 
Lofoten  et  dans  le  Finmarken,  la  pèche  de  la  morne  occupe  plus  de  8000 
bateaux,  montés  par  55  000  hommes  environ  ',  dont  un  tiers  peut-être 
sont  destinés  à  mourir  dans  les  flots,  et  l'on  prend  plus  de  40  millions 
de  ces  poissons  pendant  une  bonne  saison  de  pèche,  comme  celle  de  l'an- 
née 1877  -.  L'îlot  de  Skraaven,  dans  le  Vest-fjord,  les  parages  de  Hennings- 
vâr  surtout,  sont  les  lieux  de  pêcherie  les  plus  animés,  et  mainte  grève 


\^    17.    l'ÈCIIF-RIES    DU    VEPT-FJOnD. 


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ûeOà  eSOm. 


de  P50  à  500  de  500aj  de/à 

1     153"  non 

50  kil. 


d'écueii  y  devient  temporairement  une  véritable  usine.  Tout  sert  dans  cet 
animal  que  l'on  capture  en  si  prodigieuses  quantités  :  naguère,  les  pêcheurs 
des  Lofoten  n'utilisaient  la  morue  que  pour  en  extraire  le  foie  et  en  faire 
cette  huile  qui  a  pris  une  importance  de  premier  ordre  dans  la  médication 
moderne;  après  l'opération,  ils  rejetaient  le  reste  de  l'animal;  mais  actuel- 
lement, connaissant  mieux  la  valeur  du  poisson,  ils  l'expédient  directement 


'   I87Ô.  l'ècherics  du  Finmniken 4272  bateaux.         15  510  hommes. 

des  Lofoten -4271        »  17  202        » 

■  l'cchc  de  la  morue  sur  les  cotes  de  la  Norvège  en  1S77  : 

District  dos  Lofoten 2!»  .-.On  0(10  morues. 

r.       du  Finmarken 17.v..i00n        ,. 

Autres  districts 8  000  000 


212  NOUVELLE  GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

à  rélranyer  ou  réchangcnt  avec  les  traitants  russes  pour  de  la  farine  et  des 
étoffes;  le  résidu  qu'ils  obtiennent  après  l'extraction  de  l'huile  de  foie  est 
expédié  à  Trondhjem,  où  il  est  considéré  comme  le  plus  puissant  des  en- 
grais; la  vessie  natatoire  est  envoyée  à  la  Havane  pour  y  être  mangée  ou 
pour  y  servir  à  la  fabrication  de  la  colle;  la  chair  desséchée  est  réduite 
en  une  espèce  de  farine  dont  on  fait  d'excellents  pâtés  ;  enfin  la  rogue, 
c'est-à-dire  les  œufs  de  poisson  salés,  est  employée  comme  appât,  et  jadis 
était  surtout  vendue  en  France  aux  pécheurs  de  sardine;  seulement  elle  a 
beaucoup  perdu  de  sa  valeur  marchande  dans  ces  dernières  années,  depuis 
qu'on  emploie  de  préférence  la  rogue  artificielle.  Suivant  la  préparation 
qu'on  lui  fait  subir,  la  morue  ou  cabillaud  prend  les  noms  de  stockfisk, 
klepfisk,  tôrfisk,  runddsk  ou  rôdskjaer  :  chacune  des  nations  commerçantes 
que  les  négociants  de  Bergen  approvisionnent  de  morues  a  sa  préparation 
préférée.  Avant  1857,  des  privilégiés  avaient  seuls  droit  à  la  pèche.  La 
mer  était  fictivement  divisée  entre  des  propriétaires  riverains  qui  grou- 
paient de  distance  en  distance  dans  les  îles  et  sur  les  promontoires  des 
colonies  de  pécheurs,  et  se  faisaient  payer  par  eux  une  redevance.  Mainte- 
nant la  mer  est  libre,  si  ce  n'est  le  dimanche  :  toute  pèche  est  interdite  du 
samedi  soir  au  dimanche  soir,  de  cinq  heures  à  cinq  heures  '. 

La  pêche  du  hareng,  moins  sûre  que  celle  de  la  morue,  ne  lui  cède 
guère  en  importance.  L'ensemble  de  cette  pèche  s'élève  en  Norvège  dans 
les  bonnes  années  à  un  million  de  barils,  soit  à  ÔOO  millions  de  harengs, 
dont  le  tiers  environ  est  expédié  en  Russie.  Pour  ce  pays,  le  hareng  est 
encaqué  dans  des  barils  de  sapin,  le  goût  résineux  de  ce  bois  étant  fort 
apprécié  par  les  Russes  ;  pour  les  autres  contrées,  les  barils  sont  en  bois 
de  hêtre.  Sur  les  côtes  de  Norvège,  deux  pèches  se  succèdent  :  la  pre- 
mière, en  été  et  en  automne,  quand  le  poisson  s'approche  du  littoral  à  la 
recherche  des  crevettes,  des  mollusques,  des  annélides,  qui  composent  sa 
nourriture  ;  la  deuxième,  ou  pêche  d'hiver,  de  la  fin  de  janvier  au  mois 
de  mars,  à  l'époque  du  frai,  quand  le  hareng  voyage  en  bancs  énormes  ; 
mais  celle  dernière  pèche  a  toujours  été  variable,  et  souvent  les  marins 
cherchent  vainement  le  poisson,  tandis  qu'en  d'autres  occasions  les  filets, 
trop  remplis,  se  rompent  sous  le  poids.  D'ordinaire,  les  pêcheurs  qui 
montent  les  embarcations  en  sont  les  propriétaires  associés  et  se  partagent 
les  bénéfices,  le  chef  de  la  pèche  ou  notebns  (maître  de  lilet)  ayant  la  plus 
grosse  part  comme  possesseur  principal.  Des  villajics  temporaires  se  fon- 
dent sur  les   rivages  voisins,  des  stations  de  poste  et  de  télégraphe   s'y 

-  [irucli,  Le  royaume  de  i\orvcge  cl  te  peuple  norvcijicn. 


PÊCHERIES  DE  LA  NORVÈGE.  213 

élèvent,  et  l'on  y  construit  des  appontements  pour  les  bateaux  à  vapeur'. 

En  Suède,  la  pêche  du  hareng  est  celle  qui  a  le  plus  de  valeur  dans 
l'économie  de  la  contrée  ;  toutefois  elle  ne  suffit  pas  à  nourrir  les  habi- 
tants, qui  doivent  importer  des  harengs  de  la  Norvège.  On  évalue  à 
200  000  hectolitres  en  moyenne,  représentant  un  peu  plus  de  4  millions 
de  francs,  toute  la  pêche  du  hareng  sur  les  côtes  baltiques  de  la  Suède; 
mais  il  f^iut  eu  outre  tenir  compte  des  pèches  du  Bohuslân,  au  nord  de 
Goteborg,  souvent  médiocres,  parfois  très  abondantes. 

Après  la  morue  et  le  hareng,  les  pêcheurs  Scandinaves  poursuivent 
encore  d'autres  poissons,  qui  servent  pour  une  part  notable  à  leur  ali- 
mentation et  au  commerce  de  leurs  ports.  En  moyenne,  les  marins  nor- 
végiens pèchent  de  7  cà  8  millions  de  maquereaux,  ayant  une  valeur  d'un 
million  de  francs.  Le  saumon,  qui  remonte  dans  presque  toutes  les  rivières 
de  la  péninsule,  est  pris  en  très  grandes  quantités  au  pied  des  cataractes, 
qu'il  essaie  de  franchir  en  s'élançant  à  coups  de  queue  de  rapide  en  rapide. 
Dans  certains  cours  d'eau  du  littoral  de  l'ouest  les  saumons  ne  sont  pas 
moins  appréciés  que  ceux  de  l'Ecosse  :  d'ailleurs,  une  part  très  considé- 
rable de  cette  pèche  est  destinée  à  l'Angleterre  et  à  l'Allemagne,  et  plu- 
sieurs torrents  de  la  Norvège  du  Nord  sont  affermés  à  de  riches  Anglais 
qui  viennent  passer  la  belle  saison  dans  la  contrée.  Naguère,  les  pêcheurs 
norvégiens  s'attaquaient  aussi  au  squale  pèlerin,  le  plus  grand  des  pois- 
sons qui  habitent  les  mers  de  Norvège,  puisqu'il  a  de  12  à  15  mètres  de 
long,  et  que  le  foie,  la  seule  partie  de  son  corps  recherchée  par  le  pêcheur, 
donne  jusqu'cà  7  hectolitres  d'huile.  Mais  cette  espèce  de  squale,  fuyant 
comme  la  baleine  devant  les  pêcheurs,  a  presque  entièrement  disparu  des 
côtes  de  la  Norvège, et  l'on  ne  poursuit  plus  maintenant,  principalement 
dans  les  eaux  du  Finmarken,  que  le  hâkjerring  (sctjmmis  borealls)  et  un 
autre  requin.  Les  navires  appartenant  aux  armateurs  de  Tônsberg  (|uil- 
tent  le  golfe  de  Christiania  pour  aller  dans  les  mers  boréales  pêcher  le 
phoque^  et  le  puissant  rorqual,  que  des  canons  tuent  de  loin  en  lançant 

'  Pêche  du  hareng  d'hiver  en  .Norvège  : 

Année  1869  (bonne).     Année  1871  (mauvaise). 

Nombre  des  balcaux  de  pêche 2  630  3163 

»       des  pêcheurs 15  001  18  056 

Pêche  en  hectolitres 945  200  101250 

Valeur  du  poisson  sur  la  grève 4  583  000  francs.    1  il?  000  fraucs. 

Pêche  de  hareni^s  de  toute  espèce,  en  hectolitres  (1871).  .    .     1  214  800 
Valeur  sur  place 8183  500  francs. 

'  Chasse  aux  phoques  par  les  marins  de  la  Norvège  on  ISTl  : 

Phoques  lues,  90  575;  vuleur,  1000  000  francs. 


2t4  NOUVELLE   GÉOGUAPHIE  UNIVERSELLE. 

dos  harpons  munis  île  balles  explosibles.  El  tandis  que  les  marins  entre- 
prenants vont  chercher  de  nouvelles  proies  dans  les  mers  lointaines,  des 
pêcheurs  s'occupent  dans  la  péninsule  même  de  repeupler  des  lacs  et  des 
rivières,  dont  les  habitants  naturels  avaient  été  exterminés.  Un  établisse- 
ment de  pisciculture  a  été  fondé  à  Ilernosand,  sur  les  bords  du  golfe  de 
Botnie,  et  des  parcs  d'kuîtres  ont  été  établis  çà  et  là  sur  les  côtes  de  Nor- 
vège'. Les  baies  terminales  de  quelques  fjords,  disposées  naturellement  en 
forme  de  réservoirs,  ont  été  changées  en  parcs,  où  Ton  nourrit  des  pois- 
sons, défendus  par  des  grillages  contre  les  espèces  voraces*. 


L'industrie  des  mines,  de  même  que  celle  de  la  pèche,  n'a  plus,  relative- 
ment à  la  culture  du  sol,  l'importance  qu'elle  eut  autrefois  en  Scandinavie. 
Les  mines  d'argent  de  Kongsberg,  les  veines  de  cuivre  de  Rôros  et  de  Falun 
n'ont  plus  sur  le  marché  des  métaux  leur  ancienne  influence,  et  même 
les  amas  ferrugineux  de  la  Dalécarlie  ont  trouvé  des  gisements  rivaux  en 
diverses  parties  du  monde.  A  peine  quelques  parcelles  d'or  sont-elles  reti- 
rées des  mines  de  Falun;  celles  d'Arendal,  qui  servirent  à  frapper  les  «  du- 
cats à  lunettes  »  de  Christian  IV,  sont  abandonnées,  et  les  rivières  laponnes, 
dont  les  sables  contiennent  de  la  poudre  d'or,  coulent  sous  un  climat  trop 
rude  pour  que  de  nombreux  orpailleurs  se  donnent  la  peine  d'aller  en  ex- 
plorer les  plages.  Les  rivières  les  plus  riches  sont,  dit-on,  celles  qui  des- 
cendent du  groupe  de  Peldoniemi,  sur  les  frontières  de  la  Norvège  et  de 
la  Finlande  russe,  vers  les  sources  du  Tana  et  de  l'Ivalo  :  en  1872,  les 
cinq  cents  chercheurs  qui  s'étaient  rendus  vers  le  nouvel  Eldorado  recueil- 
lirent seulement  de  50  à  CO  kilogrammes  d'or  fin. 

Quelques  gisements  qui,  sous  un  ciel  clément  et  dans  un  pays  peuplé, 
seraient  exploités  par  des  milliers  de  travailleurs  et  entourés  d'usines, 
restent  sans  utilité  économique,  bien  qu'ils  aient  été  signalés  depuis  long- 
temps par  les  géologues.  Ainsi  les  veines  de  cuivre,  renfermant  une  moitié 
de  métal  pur%  que  l'on  trouve  à  Kaa-fjoid,  sur  les  bords  de  l'Alten-fjord, 
n'ont  pu  être  sérieusement  exploitées  que  pendant  une  assez  courte  période. 
liCS  fers  de  Skjœrstad,  sur  la  côte  norvégienne,  près  de  Bodô,  ne  sont  pas 
utilisés  non  plus,  bien  que  les  couches  renferment  assez  de  minerai  pour  ali- 
menter toutes  les  usines  du  monde.  De  même,  dans  le  Norrbolten  suédois, 
on  s'est  borné  à  reconnaître  les  fers  de  (îellivara.  et  tout  au  plus  en  a-t-on 

'  Valeur  des  pèches  marines  du  litlnral  de  la  Norvège,  sur  le  lieu  de  lièclie,  en  18S0  :  "1  350  000  fr. 
'  G.  lletling,  Die  Fisch-Cultur  AoneegcHs. 
^  Charles  Mnrtins,  Spilzbcig  et  Sahara. 


MINES  ET  INDUSTRIE  DE   L\  SCANDINAVIE.  213 

grallé  la  surface  :  on  n'a  pas  encore  construit  les  lignes  de  chemin  de  fer 
qui  doivent  rejoindre  ce  massif,  d'une  part  au  cours  navigable  de  la  Lulea, 
de  l'autre  à  la  mer  de  Norvège  par  l'une  des  brèches  du  Kjôlen.  Les  gise- 
ments de  fer  de  cette  partie  de  la  Suède  septentrionale  sont  pourtant  d'une 
richesse  extrême.  Le  minerai,  dont  la  teneur  moyenne  en  métal  est  de  50 
à  70  pour  100,  est  disposé  en  veines  parallèles,  entre  des  roches  de  gneiss 
que  le  temps  a  délitées.  Grâce  à  sa  plus  grande  dureté,  le  fer  ne  s'est 
pas  laissé  entamer  par  les  agents  atmosphériques  et  s'élève  en  saillies 
noires  ou  rouges,  mamelonnées  ou  pointues,  qui  çà  et  là  forment  de 
véritables  collines.  C'est  par  milliards  de  tonnes  que  l'on  évalue  les 
masses  de  fer  qui  se  trouvent  dans  ces  veines  de  minerai,  dont  l'indus- 
trie s'emparera  tôt  ou  tard  quand  ses  moyens  d'attaque  seront  devenus 
plus  puissants. 

Mais  la  Suède  possède  encore  dans  les  régions  du  centre  et  du  sud  assez 
de  mines  de  fer  pour  subvenir  à  sa  propre  industrie  et  même  pour  exporter 
à  l'étranger  des  quantités  considérables  de  minerai  et  de  métal  fondu.  Les 
mines  de  la  Dalécarlie  et  des  provinces  voisines  fournissent  chaque  année 
de  700  000  à  900  000  tonnes',  qui  servent  à  fabriquer  350  000  tonnes  de 
fonte,  réduite  en  fer,  qu'achètent  surtout  les  Anglais'.  Si  la  Suède  possédait 
d'autres  bassins  houillers  que  celui  des  environs  de  Ilelsingborg,  dans  la 
Scanie,  si  les  forêts  n'étaient  pas  épuisées  presque  toutes  dans  le  voisinage 
immédiat  des  gisements  miniers,  et  surtout  si  les  industriels  de  tous  les 
pays  n'employaient  pas  maintenant  des  procédés  qui  leur  permettent 
d'utiliser  leurs  minerais  de  qualité  médiocre,  la  production  de  l'excel- 
lent fer  suédois  serait  promptemont  doublée.  Celle  du  cuivre,  naguère 
deux  fois  plus  considérable,  n'a  pu  soutenir  la  concurrence  des  minerais 
du  Nouveau  Monde,  et  le  nombre  des  mineurs  a  beaucoup  diminué'.  Quant 
au  zinc,  la  Suède  en  possède  plusieurs  mines.  Celle  d'où  l'on  extrait  les 
trois  quarts  de  tout  le  minerai  du  royaume  appartient  à  la  Société  ])clge 
de  la  Vieille-Montagne,  qui  l'exporte  pour  ses  usines  de  Belgique'  :  c'est 
Ammeberg,  à  l'extrémité  septentrionale  du  lac  Wettern. 

'  Exporlalion  ilii  minerai  de  fer  siicilois  (1876)  :  TOtî  950  (onncs. 
'  Ou\Tiers  de  l'industrie  du  fer  en  Snèile,  en  1881  : 

Mines.    ...  5895 

Hauts  foumeHux 4  500 

Autres  usines _ 15  939 

'  Production  du  enivre  en  Norvège  (  187  4) ...     .  412  tonnes. 

1)  ,<  en  Suède     (movenne  de    1878    à  1881) 1002       » 

lAtractiondufiiinerji        u  (1881) .     29  350       » 

*  Production  du  ininer.ii  de  zinj  en  Suède,  ea  18ïl  :     5  551  tonnes. 


216  >Ol"VELLE   GÉOGRAI'HII:;    LMVEUSELLE. 

L'industrie  des  familles  est  encore  beaucoup  plus  développée  en  Suède 
que  dans  toutes  les  contrées  d'Europe  à  population  dense  :  on  comprend 
que  dans  un  pays  où  les  marchés  sont  ta  de  si  grandes  distances  les  uns 
des  autres,  chaque  famille  doive  chercher,  autant  qu'il  est  possible,  à 
subvenir  directement  à  ses  propres  besoins.  Certains  procédés  de  travail, 
certains  ornements  ne  se  trouvent  que  dans  les  hameaux  écartés  de  la 
Scandinavie  et  sont  probablement  un  héritage  des  siècles  antérieurs  à 
l'histoire.  M.  Hazelius,  le  fondateur  du  musée  Scandinave  de  Stockholm, 
et  d'autres  savants  archéologues,  étudient  activement  cette  industrie  d'ori- 
gine préhistorique;  bientôt  il  n'en  sera  plus  temps,  lorsque  les  produits 
des  manulactures  auront  pénétré  jusque  dans  les  derniers  villages  des 
montagnes. 

Les  principales  fabriques  de  la  Scandinavie  utilisent  les  produits  na- 
turels du  sol  et  des  mers  avoisinantes,  les  poissons,  les  fers  et  les  bois. 
Dans  tous  les  ports  on  s'occupe  de  la  construction  et  du  gréemenl  des 
bateaux  de  pèche,  du  tissage  des  filets  et  autres  engins,  de  la  salaison 
et  de  l'expédition  des  poissons  capturés.  Les  usines  métallurgiques,  on  le 
sait,  traitent  le  minerai  en  assez  grande  abondance  pour  expédier  à  l'étran- 
ger une  part  considérable  de  leurs  produits,  tandis  que  le  bois  de  la  Scan- 
dinavie est  exporté,  sous  forme  de  planches  ou  de  meubles,  jusque  dans 
les  colonies  européennes  les  plus  éloignées.  La  plupart  des  scieries  méca- 
niques sont  établies  le  long  de  la  région  côlière,  vers  l'issue  des  rivières 
qui  apportent  les  gros  bois  à  Gefle,  à  Sôderhamn,  à  Hudiksvall,  à  Sunds- 
vall,  à  Ilernôsand'.  C'est  tout  récemment  que  les  Suédois  ont  commencé 
d'exporter  leurs  bois  autrement  qu'en  billes  ou  en  planches  et  qu'ils  ont 
expédié  des  parquets  et  des  objets  de  menuiserie  fine.  Cette  indus- 
trie s'est  développée  surtout  à  Goteborg  et  de  là  s'est  répandue  dans 
toutes  les  villes  suédoises  d'où  s'exportent  les  bois.  Ou  les  expédie 
aussi  découpés  en  milliards  d'allumettes'.  Pour  cette  industrie,  la  Suède 
est  maintenant  au  premier  rang;  le  bois  de  tremble,  qui  donne  les 
meilleurs  produits ,  a  singulièrement  augmenté  de  valeur,  depuis  qu3 
chaque  fabrique  emploie  par  milliers  les  fûts  de  celte  espèce  d'arbre 
et  qu'elle  expédie  par  tonnes  les  boîtes  d'allumettes.  La  Suède  et 
avec  elle  la  Norvège  sont  aussi  les    contrées  de  la  Terre  qui  transforment 

'  Scieries  mccauiques  de  la  Suède  en  d87S  .  1550. 

•  Fabrication  des  allumettes  en  Suède  (1881)  :  ôl  fabriques;  4691  ouvriers. 

Valeur 10  9lil  000  francs. 

ExporlalioQ  (I8,S-J) 10  JOO  tonnes. 


INDUSTRIE  SCANDINAVE.  217 

en  papier  la  plus  grande  quanlité  de  bois  :  depuis  1837  déjà,  cette  indus- 
Irie  est  pratiquée  dans  une  usine  de  Trollhaltan,  et  maintenant  une  quaran- 
taine d'autres  usines  se  livrent  à  ce  travail  dans  les  deux  royaumes  :  on 
peut  évaluer  à  50  000  tonnes  au  moins  la  pâte  de  papier  que  les  manu- 
facturiers Scandinaves  obtiennent  par  les  procédés  modernes;  les  amas  de 
sciure  de  bois  que  l'on  voyait  se  dresser  en  véritables  collines  aux  abords 
des  scieries  se  transforment  désormais  en  carton  pour  les  boîtes,  en  pa- 
pier d'emballage,  de  livres  et  surtout  de  journaux. 

Parmi  les  industries  que  la  Norvège  et  la  Suède  ont  dû  apprendre  de 
l'étranger,  la  plus  importante  est  celle  de  la  filature  et  du  tissage  des 
cotons.  Les  premiers  essais  se  firent  seulement  après  les  guerres  d^ 
l'Empire;  maintenant  les  deux  pays  doivent  importer  pour  leurs  manu- 
factures une  quantité  de  coton  évaluée  à  plus  de  13  000  tonnes',  et  des 
milliers  d'ouvriers  sont  occupés  à  le  filer  et  à  le  tisser  en  étoffes.  Plus  an- 
cienne, l'industrie  des  draps,  qui  avait  commencé  à  Jônkôping  et  ji  Upsala 
dès  les  premières  années  du  dix-septième  siècle,  a  pris  aussi  une  importance 
considérable,  mais  insuffisante  pour  lisser  la  moitié  des  étoffes  dont  le  pays 
a  besoin'.  Quelques  manufactures  s'occupent  aussi  de  la  fobrication  d'-; 
(issus  de  lin,  de  chanvre,  de  jute  et  de  soie.  En  Suède,  l'industrie  manu- 
facturière, sans  les  usines  métallurgiques,  comprenait  en  1881  un  ensemble 
(le  282,")  fabriques,  produisant  pour  une  valeur  de  23i  millions  de  franc-^. 
La  population  totale  des  ouvriers,  composée  d'hommes  faits  pour  les  trois 
quarts,  dépasse  80  000,  c'est-à-dire  que  500  000  personnes  environ  viveii' 
directement  de  l'industrie  :  Gôtcborg,  Stockholm,  Norrkôping  sont  les  trois 
chefs-lieux  des  fabriques;  la  moitié  des  produits  manufacturés  de  la  Suède 
provient  de  ces  trois  villes  et  de  leurs  districts.  La  Norvège  occupe,  pro- 
portionnellement au  nombre  de  ses  habitants,  à  peu  près  autant  d'ou- 
vriers que  la  Suède,  soit  environ  55  000.  A  certains  égards,  elle  est  plus 
favorisée  que  la  contrée  voisine  pour  le  dévidoppement  futur  do  son  indus- 
trie :  moins  riche  en  fer,  elle  reçoit  plus  facilement  les  houilles  anglaises 
et  commerce  directement  pendant  toute  l'année  avec  la  Grande-Bretagne 
et  avec  l'Europe  continentale  ;  en  outre,  elle  dispose,  grâce  aux  cascades  et 
aux  rapides,  de  forces  motrices  encore  plus  considérables,  cl  cela  presque 
partout  ilans  le  voisinaj^e  immédiat  de  la  mer. 


'    Importalion  (le  rnlon  en  filirc  dans  la  Norvège,  en  1882 2  iôl  tonnes. 

1.  ,.  ..  la  Suède,  en  1882 10  500       » 

"   Fabriques  de  draps  en  Suède  (1881) ,40 

Nombre  des  ouvriers ,")  440 

Vaienr  do  la  fidincalion 1  T.  1)4  4  000  francs. 

N.  28 


218  NOL'VELLE   GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

Si  la  Norvège  n'est  pas  supériouro  à  la  Siièilo  par  son  indusliio,  elle  l'est 
du  moins  par  son  commerce  :  à  cet  égard,  elle  a  merveilleusement  profité 
des  facilités  que  lui  donnent  les  ports  nombreux  de  son  littoral  et  sa  posi- 
tion géographique  relativement  à  la  Grande-Bretagne.  Les  échanges  de  ce 
pelilElat,  qui  dépassaient  à  peine 8  millions  au  milieu  du  dix-huitième  siè- 
cle, s'élèvent  maintenant  à  400  ou  'h)0  millions  chaque  année;  ceux  de  la 
Suède,  qui  pourtant  a  plus  de  deux  fois  la  population  de  la  iNorvège,  n'at- 
teignent pas  un  milliard'.  C'est  avec  l'Angleterre  que  les  deux  nations  font 
leur  principal  commerce;  l'Allemagne,  le  Danemark,  la  France  viennent 
ensuite  par  ordre  dans  le  mouvement  des  échanges.  De  Suède  comme  de 
Norvège,  c'est  le  bois  qui  est  le  principal  objet  d'exportation;  puis  vien- 
nent, en  Suède,  les  métaux  et  les  céréales,  en  Norvège  le  poisson".  Les 
articles  d'importation  les  plus  importants  sont  naturellement  les  objets 
raanufocturés  ;  la  Scandinavie  reçoit  les  matières  travaillées  en  échange 
de  ses  matières  premières.  C'est  depuis  1873  seulement  que  les  droits  de 
douane  sont  abolis  enlre  les  deux  royaumes  pour  les  produits  de  l'une  ou 
l'autre  nation  ;  encore  cette  liberté  douanière  est-elle  soumise  à  quelques 
restrictions,  et  de  l'un  à  l'autre  pays  les  voyageurs  ont  toujours  à  subir  le 
désagrément  d'une  visite  de  bagages. 

Le  mouvement  de  la  navigation  a  pris  en  Norvège  un  développement  pro- 
digieux :  toutes  proportions  gardées,  ce  pays  est  celui  qui  possède  la  plus 
grande  flotte  commerciale  du  monde,  et,  nous  le  savons,  les  deux  tiers  de 
ces  navires,  auxquels  il  faudrait  encore  ajouter  des  bateaux  de  pèche  par 
milliers,  appartiennent  aux  côtes  méridionales  de  la  Norvège,  entre  le  fjord 
de  Christiania  et  celui  de  Stavanger,  si  bien  placés  tous  les  deux  pour 
accueillir  des  flottes  entières.  Dans  les  ports  du  royaume,  les  deux  tiers 
de  la  navigation  se  font  sous  pavillon  norvégien",  et  dans  tous  les  ports 

'  Mouvement  commercial  des  deux  Etats  scaïKliiKives  en  ISSI  : 

.Nni-ïi-^c.  Suéde. 

linporlïitinns .    .     229  5 Ib' 000  francs.  ',00 /»00  000  francs. 

Exportations 108  098  000       »  ."21150  000       i- 

Ensemble 397  iii  000  francs.  724  K>0  000  francs. 

Soit,  par  habitant. 200       »  158       " 

-  Exportations  prineip.  de  Norvéïje  en  1882  :         Exporlalions  primip.  de  Suéde  en  1881  : 

Rois 50  f>:>9  200  11 .  liois ir.l  912  000  francs. 

Poisson 54  500  500  n  Céréale 5r.  782  500      » 

(Ihiie 5  902  01)0  »  Métaux.    ....        54407100       » 

-  .Mouvement  de  la  navigation  ilans  les  poils  de  la  Norvège  en  1882  : 

12  890  navires,  jaugeant 2  192  009  tonnes. 

Dont    0  754       »         norvégiens,  jaugeant 1  ■442  053       » 


COMMERCE  ET  >AVIG.\T10N  DE   L.V  SCANDINAVIE. 


219 


('•Irangors  se  montrent  ces  navires  du  Nord,  portant  leur  chargement  de 
bois  ou  de  poisson.  La  plupart  des  habitants  pauvres  des  villes,  au  lieu 
<le  j)lacer  leurs  petites  économies  à  la  caisse  d'épargne  ou  dans  les  banques, 
les  emploient  dans  une  «  part  »  de  navire;  tous  sont  armateurs  direc- 
tement ou  indirectement  :  de  là  les  progrès  extraordinaires  qu'a  faits  la 
navigation  de  la  Norvège  pendant  les  dernières  années'.  Le  tonnage  des 
navires  norvégiens  dépasse  d'un  tiers  i'(>iisemble  du  tonnage  de  la  Hotte 
irançaise. 

Le  développement  du  littoral  suc'-dois,  la  population  relativement  cons'i- 
(léralile  qui  en  occupe   les  régions  méridionales  et   le  commerce  de  mar- 


—  Fjimn  IT 


i-                       Z   „  : 

58- 
50 

'M 

1 

m 

l    deG 

chandises  encombrantes,  telles  que  les  fers  et  les  bois,  attirent  vers  les 
ports  de  la  Suède  une  très  grande  quantité  de  navires';  mais  ce  ne  sont 
pas  les  armateurs  suédois  qui  possèdent  la  plus  forte  part  de  celte  flotte 


'  Flolle  commerciale  île  la  Norvège  au  51  déccmbrr  188-2  : 

7915  navires,  jaugeant  1  550  OOi  tonnes  et  montés  par  GO  595  marins. 
-  Mouvement  île  la  navigation  étrangère  dans  les  poris  suédois  en  18î<l  : 


5  158  navires  suédois  cliargés, 

757       11       norvégiens  ii 
5 -iSfi        11       danois,  finnois,  etc. 


jaiigeanl . 


9  521  navires  cliargés,  jaugeant.   .    .    . 


9  219  navires  suédois  cliargés, 

2  0(15        11       norvégiens   n 

5  11(1        11        danois,  finnois, etc., cliargés 


jaugeant 


|(i  (iCil  navii-es  chargés,  jaugeant. 


Mouveiiipul  total 


25  985  navires  chargés,  jaugeant. 


711  579  tonnes 
159  195       « 
G 15  129       " 


1  527  201   tonnes. 


1  0G8  270  tonnes. 
591  40 I 

1  0G9  797       1. 

2  729  528  tonnes. 


l  250  7J9  tonnes. 


221) 


NOUVELLE   GEOGnAPIllE   L'MVERSELLK. 


inarcliande.  Ils  en  ont  seulement  un  peu  plus  du  tiers  :  les  marins  danois 
du  port  de  Copenhague  et  les  matelots  norvégiens  se  sont  emparés  de 
presque  tous  les  autres  transports.  La  différence  de  plus  d'un  million  de 
tonnes  qui  se  maintient  d'année  en  année  entre  l'importation  et  l'expor- 
tation provient  du  poids  et  de  l'encombrement  des  marchandises  que  la 
Suède  vend  à  l'étranger  :  aussi  des  milliers  de  navires  entrent  à  vide  dans 
les  ports  suédois.  Dans  son  ensemble,  la  flotte  de  commerce  appartenant  à 
la  Suède  ne  représente  guère  que  le  tiers  de  celle  des  Norvégiens  ;  mais 
elle  est  encore  en  proportion  quatre  fois  supérieure  à  celle' d(»  la  France'. 
I.e  commerce  intérieur  des  lacs  et  des  fjords  emploie  plus  de  la  moitié  de 
1;(  flotte,  si  l'on  compte  le  nombre  des  embarcations,  mais  il  ne  représente 


—  soMnRE  rnnriiRTu 


que  le  cinquième  du  tonnage.  Lu  force  totale  des  équipages  est  évaluée  à 
20(100  hommes-'. 


I.e  relie!'  accidenlé  du  sol  de  la  Norvège  n'a  permis  le  creusement  que 
d'un  pelit  nonibie  de  canaux,  simples  dérivations  de  toirenis  ;  mais  la 
Suède,  plus  unie,  a  pu  ouvrir  des  chemins  à  ses  navires  dans  l'intérieur 
des  plaines.  Dès  le  commencement  du  quinzième  siècle,  d'après  Siden- 
bhulh,  se  iiieni  des  essais  de  canalisation  ;  mais  c'est  deux  siècles  plus 


'   .Manne  iiianliainlo  smuloiso  cii  ISSI  (toiii|iic'naiil  Ions  les  navires  au-dessus  île  10  tonnes): 

Voiliers ."ir)'.t7  jantïeaiil 450  368  tonnes. 

Uateaux  il  vapiin  .    .  7,">4  )i       79  215       »      (luree  île  "Ji  745  eli.-vaj>. 

Kuscinlile 4151    navin'i.  jiiiigeaiil  .    .      T/JUCiL")  lo:ini'<. 

»  Elis  t^i  lenlilailli.  I.ii  Siicic. 


CANAUX  DE  LA   SCANDINAVIE.  223 

tard  que  s'ouvrit  le  premier  canal  à  écluses  entre  l'émissaire  du  Hjelmaren, 
à  Eskiisluna.  et  le  Mâlaren.  Depuis  cette  époque,  toute  la  Suède  méri- 
dionale a  été  transformée  en  île  par  la  construction  des  canaux  de  Gota, 
qui  forment  une  ligne  de  communication  non  interrompue,  d'une  lon- 
gueur de  420  kilomètres,  entre  la  Baltique  et  le  Kattegat.  La  nappé  de 
j)artage  des  eaux  est  le  lac  Wiken,  à  95  mètres  d'altitude.  De  ce  lac  de  faîte, 
le  canal  s'abaisse  à  l'est  vers  le  Weltern.  puis  de  là  par  d'autres  lacs 
vers  le  fjord  baltiquc  de  Sôderkôping  :  de  ce  côté,  59  écluses  sont  les 
degrés  successifs  par  lesquels  montent  ou  descendent  les  navires.  A  l'ouest 
du  Wiken,  le  canal  s'abaisse  par  19  écluses  jusqu'au  grand  lac  Wenern, 
d'où  s'échappe  le  fleuve  Gôta,  continuation  naturelle  du  canal.  Mais  ce 
fleuve  est  coupé  de  rapides  et  de  cataractes.  Dans  les  premières  années  du 
dix-septième  siècle,   les  premières  chutes,  celles  de  Rânnuni.  voisines  de 

>■*  50.  PROFrL  DC  CANAL  DE  COTA  Or  HE  GOTIME. 


L'cdielle  des  hauteurs  esc  cenluple  de  celle  des  longueurs. 

Wenersborg,  ('taient  déjà  contournées  |)ar  un  canal  ;  mais  au-dessous  les 
chutes  de  Trollhàttan  paraissaient  offrir  un  obstacle  invincible.  Svcden- 
borg,  le  doux  mystique  et  l'ingénieur  hardi,  projeta  le  premier  la  con- 
struction d'un  canal  ;  mais  cette  œuvre,  interrompue  après  la  mort  de 
Charles  Xll,  ne  fut  terminée  qu'en  1800,  et.  depuis,  l'ingénieur  Nils 
Erikson  l'a  remplacée  par  un  autre  canal  dont  les  onze  écluses  monu- 
mentales taillées  dans  le  roc  vif  sont  un  modèle  pour  les  hommes  de  i'arl 
et  un  sujet  d'admiration  pour  tous.  Des  bateaux  d'un  tirant  d'eau  fie  près 
de  5  mètres  peuvent  se  rendre  de  l'une;  à  l'autre  mer  par  cet  enchainemeUI 
de  lacs,  de  rivières,  de  tranchées  et  de  gradins  écluses. qui  constituent  le 
canal  dcGôla;  en  outre  ils  peuvent  se  diriger  par  des  canaux  secondaires 
à  une  grande  distance  de  la  voie  principale  et  jusqu'en  Norvège  par  le 
canal  de  Dalsland,  branche  du  réseau  navigable,  longue  de  255  kilomètres, 
qui  commence  dans  une  baie  du  Wi'nern,  remonl(>  au  nord-ouest  eu  tra- 
versant  plusieui-s  lacs,  et  fiaucliil  une  calaracle  sur  un  poul-viailuc  d'iuic 


22i  NOUVELLE   GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

singiilièiv  hardiesse,  conslruit  par  Nils  Erikson,  comme  la  plupart  des  tra- 
vaux d'art  de  la  Suède.  Le  mouvement  de  la  batellerie  est  très  considérable 
sur  ce  canal,  de  même  (jue  sur  ceux  de  Gôta,  et  sur  les  écluses  des  envi- 
i-ons  de  Stockholm  '. 

La  Norvège  a  devancé  la  Suède  de  deux  années  dans  la  construction  des 
chemins  de  fer  :  dès  1854  elle  ouvrait  une  première  voie  ferrée,  de  Chris- 
tiania à  Eidsvold  ;  toutefois  la  nature  du  terrain  n'a  pas  permis  que  le  ré- 
seau ilu  royaume  occidental  put  prendre  autant  d'importance  que  celui 
du  royaume  oricnlal'.  Des  grandes  lignes  norvégiennes,  une  seule  est  ter- 
minée, celle  qui  traverse  toute  la  péninsule,  du  fjord  de  Trondhjem  à  celui 
de  Chrisliania  et  à  la  frontière  suédoise  près  de  Frcderikshald  ;  le  dernier 
tronçon,  qui  relie  Eidsvold  à  Hamar,  sur  les  bords  du  lac  Mjôsen,  a  été  fim' 
en  1880.  lia  voie  de  Trondhjem  au  golfe  de  Botnie,  qui  sera  la  plus  septen- 
trionale du  monde,  n'a  pas  encore  franchi  le  faîte  Scandinave;  le  chemin 
de  fer  de  Bergen  s'arrête  au  pied  des  montagnes  qu'il  devra  traverser  en 
souterrain  pour  redescendre  au  sud- est  vers  Drammen,  et  la  voie  du  litto- 
ral, qui  rejoindra  Christiania  et  Stavanger,  ne  se  compose  que  de  ses  deux 
amorces  terminales.  Quanta  la  Suède,  elle  a  pu,  grâce  à  ses  plaines,  au  bon 
marché  des  terrains,  à  la  grande  quantité  des  matériaux  de  construction  — 
l)ois,  fer,  pierres,  galets  et  sable  —  se  construire  un  ensemble  de  voies 
ferrées  plus  considérable,  en  proportion  du  nombre  des  habitants,  que 
celui  de  tout  autre  État  d'Europe,  même  de  la  Belgique.  La  Suède  est  la 
seule  contrée  de  l'Ancien  Monde  qui  possède  plus  de  1550  kilomètres  de 
chemins  de  fer  par  million  d'individus  :  il  est  vrai  que  le  kilomètre  de 
voie  suédoise  ne  coûte  pas  même  100000  francs  en  moyenne  et  que  jusqu'à 
maintenant  le  plus  lonp  tunnel  du  réseau,  de  i27  mèlres,  est  celui  qui  passe 
sous  le  (piartier  méi'idional  de  Stockholm. 

Les  communications  postales  et  lélégraphiques  ont  pris  également  dans 
ces  dernières  années  un  développement  rapide,  quoique  bien  inférieur  en 


'  Mouveiiu'iil  iK-  hi  ii:ivig;iliiiii  sur  les  caiiiuix  île  la  SiièJe  eu  1S70  :  25  108  voilieis  el  bateaux  ; 
•221105  bateaux  a  v.ipciii-. 

-  Iti'seau  (les  elieiniiis  île  Ter  île  la  Seauiliiiavie  : 

Norvège.  Suède. 

Longueur,  en  18i$5 I  .')'i7  kilom.  6  400  kilom. 

Frais    d'élablissemeul,  .'i  la   lin   do   18SI.       IlS0'JiJ24  l'ranrs.        (i07  ô:»'.»  700  francs. 

UeceUes »  li  02 '2725        »  i."i  570  021       >. 

Dq)en.ses i)  -4  874  842        »  25  156  771)       » 

Voyageurs  Iransportés ii  1  937  485  7  075  775 

Tonnes  (le  innrilriiiilises  expédiées        »  870  551  6  459  775 


I 


CHEMINS  DE   FER  ET  TÉLÉGRAPHES  DE   LA  SCANDINAVIE.  225 

proportion  à  celui  des  chemins  de  fer.  Non  seulement  toutes  les  voies 
ferrées  sont  bordées  de  lignes  télégraphiques,  mais,  en  outre,  les  stations 
de  pèche  et  de  navigation  du  littoral  sont  rattachées  à  Stockholm,  et  des 
iils  immergés  passent  au-dessous  du  golfe  de  Botnie,  de  la  Baltique  mé- 

•"   51.    —    CHEMINS    DE    FEr.    DE    LA    PÉMIVSILE    fCAMiIXAVE    ES    18T?. 


ridionale,  du  Sund  et  du  Kattegat.  La  Norvège  est  même  le  pays  d'Eu- 
rope et  du  monde  qui  possède,  non  la  plus  grande  longueur,  mais  le 
nombre  le  plus  considérable  di;  câbles  immergés,  les  nombreuses  inden- 
lations  de  ses  côtes  interrompant  en  mille  endroits  les  communication.^ 
par  terre.  D'îlot  en  ilôt,  les  fils  télégraphiques  se  continuent  jusque  dans 
le  voisinage  immédiat  du  cap  Nord. 


•i-16  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  l'MVERSELI.E. 

Quoique  la  jtroporlion  des  lettres  écrites  soit  moins  élevée  qu'en  An- 
gleterre, en  France  et  dans  l'Europe  centrale',  l'instruction  générale  est 
très  développée  en  Scandinavie.  La  fréquentation  des  écoles  par  les  enfants 
de  sept  à  quatorze  ans  est  obligatoire  en  Suède  et  en  Norvège.  Toute  com- 
mune urbaine,  toute  paroisse  rurale  doivent  posséder  au  moins  une  école 
primaire  et  un  instituteur  ayant  reçu  son  brevet  dans  l'une  des  écoles  nor- 
males de  l'Etat.  La  gratuité  de  ces  établissements  primaires  est  complète, 
mais  il  existe  aussi  des  écoles  payantes,  fondées  par  l'État,  les  communes 
et  les  particuliers.  L'Etal  et  l'Eglise  protestante  gardent  leur  droit  de  sur- 
veillance sur  les  écoles  libres,  et  le  conseil  d'éducation,  où  l'évèque  et  le 
consistoire  ont  la  haute  main,  peut  forcer  les  parents  à  envoyer  leurs 
enfants  aux  écoles  du  gouvernement  si  le  résultat  des  examens  périodiques 
leur  paraît  justifier  cette  mesure;  les  parents  qui  n'envoient  pas  leurs  en- 
fants à  l'école  aux  âges  indiqués  sont  réprimandés  ou  punis. 

Naguère  presque  toutes  les  écoles  de  la  Norvège  étaient  des  écoles  ambu- 
lantes. La  faible  population  des  hameaux  et  les  grandes  distances  à  parcou- 
rir à  travers  les  rochers  et  les  neiges  ne  permettant  pas  aux  enfants  de  se 
rendre  aux  écoles  de  village,  c'est  l'instituteur  qui  se  déplaçait.  11  par- 
courait le  district  en  s'arrètant  successivement,  pendant  un  certain  nom- 
bre de  semaines,  dans  une  ferme  hospitalière  où  les  enfants  des  habitations 
voisines  venaient  se  grouper  autour  de  lui.  L'arrivée  du  maître  d'école 
était  un  événement  :  bientôt  la  plupart  des  enfants  savaient  au  moins 
leurs  lettres,  et  l'instituteur  pouvait  continuer  sa  roule  en  laissant  der- 
rière lui  des  moniteurs  chargés  de  faire  répéter  les  leçons  jusqu'à  une 
nouvelle  visite.  Grâce  à  ces  maîtres  de  passage,  le  goût  de  l'étude  s'est  dé- 
veloppé dans  les  campagnes  les  plus  reculées.  Depuis,  les  paysans,  les 
marins,  les  mineurs,  dont  la  voix  est  prépondérante  dans  les  conseils,  ont 
fait  établir  des  milliers  d'écoles  fixes  où  sont  enseignés  les  rudiments  des 
sciences  et  de  la  musique.  Maintenant  les  écoles  itinérantes*  ne  sont  plus 
que  l'exception  dans  les  régions  méridionales  de  la  contrée,  mais  par  la 

'  Ciiiiiiiiunic;ili(ins  postales  et  télégraphiques  de  la  Scandinavie  eu  1882  : 

Norvège.  Suôdc. 

Transport  des  leltros 12  923  000;  0,7  par  hab.  57  513  000;  8,2  par  liab. 

))        des  journaux 11859  000  27  G65  000 

Lignes  télégraphiques.    ....  757ikiloni.  8575kilnm. 

Télcgramines 719  563     )  810  590     » 

'  Écoles  primaires  en  Scandinavie  -, 

.Noric^c.  Suéde 

1857.    .     200  écoles  fixes.     0771  éc.  itinérantes. 
1874.    .1170     »         1'         1911     »  »         1881.    .   0127  écoles  fixes.    5122  éc.  itinérantes. 


INSTRUCTION  PUBLIQUE  EN  SCANDINAVIE.  227 

force  dos  choses  elles  sont  restées  nombreuses  dans  les  districts  du  noni, 
où  la  population  ne  se  compose  que  de  petits  groupes  isolés'.  Le  maitre 
d'école  est  souvent  chargé,  à  la  manière  des  juges  de  paix,  de  résoudre 
par  la  conciliation  les  différends  qui  surgissent  entre  les  campagnards. 
L'instruction  secondaire  est  aussi  plus  développée  dans  la  péninsule 
Scandinave  que  dans  la  plupart  des  pays  d'Europe,  et  l'on  se  réjouit  à  la 
vue  des  riches  bibliothèques,  pleines  de  documents  précieux,  des  collections 
d'histoire  naturelle  et  des  laboratoires  que  possède  mainte  école  secondaire 
des  provinces,  loin  de  Stockholm  et  de  Christiania'  et  des  villes  univer- 
sitaires d'Upsala  et  de  Lund.  Le  mouvement  littéraire  et  scientifique  est 
très  actif,  et  en  Suède  seulement  plus  de  mille  ouvi'ages  nouveaux  sont 
publiés  chaque  année.  En  1877,  le  nombre  des  revues  et  des  journaux 
suédois  s'élevait  à  296,  dont  le  tiers  environ  paraissant  à  Stockholm.  La 
Norvège  en  publiait  ISO  en  187G,  tandis  que  vingt-deux  ans  auparavant, 
en  1854,  on  n'y  comptait  que  7  publications  périodiques'. 


Mais  quels  sont,  en  Scandinavie  comme  dans  les  autres  contrées,  les 
rapports  directs  à  établir  entre  les  progrès  de  l'instruction  et  ceux  de  la 
moralité  publique?  Comment  les  reconnaître  distinctement  au  milieu  de 
toutes  les  influences  entremêlées  :  h  quelle  cause,  à  quel  ensemble  d'im- 
pulsions diverses  faut-il  attribuer,  d'une  part  les  progrès  et  de  l'autre  les 
faits  de  démoralisation  que  l'on  observe  dans  le  mouvement  de  la  nation 
toujours  en  travail?  On  peut  constater  du  moins  le  contre-coup  des  mau- 
vaises récoltes  et  des  crises  industrielles  sur  la  criminalité.  La  misère  et 
la  dépravation  se  suivent  de  près. 

L'intempérance  est  le  vice  des  peuples  du  Nord,  elles  sagas  nous  disent 
que  dans  les  assemblées  des  vikings  l'hydromel  coulait  h  flots.  Vers  le 
milieu  du  siècle,  l'ivrognerie  était  devenue  un  fléau  qui  menaçait  d'avilir 
définitivement  une  grande  partie  de  la  population.  En  1855,  plus  de  qua- 
rante mille  fabriques  d'eau-de-vie  fonctionnaient  dans  le  seul  royaume  de 
Suède  et  fournissaient  annuellement  d'énormes  quantités  de  brànvin  ;  à 

'  Inslruclion  [iiiinaire  en  Scandinavie  : 

.Norvèsc  Suède. 

École;.   .  (I87i).    ,    .         li3SI  (1881).       .         9  .>49 

(nslituleurs     «     .    .    .         ."J  89,ï  n     .    .    .        1M2J  (.■j052  hommes;  6068  femmes. 

Élèves  (1875)  .    .        .     215  090  »...     067  SlMïUr  68i  151  ava:il  l'âge  scolaire). 

'  Élèves  des  écolci  sccomlaires  de  garçons  en  Scandinavie  : 

.Nonvge,  y  520  en  1870;  Sunle,  15  775  en  1J!77. 

*  Biodi,  Le  roiiaumc  de  Nwvètje  et  le  peuple  norvéjicn. 


228  NOUVELLE   GÉOGUAI'IIIE   UNIVERSELLE. 

cette  époque,  la  fabrication  s'était  déjà  centralisée,  tandis  que  vers  1850 
chaque  agriculteur,  chaque  fermier  était  en  même  temps  distillateur;  on 
comptait  alors  170  000  distilleries  dans  le  royaume.  Mais  depuis  une  ving- 
taine d'années  la  fahrication  de  l'eau-de-vie,  surveillée  et  gênée  par  les 
règlements  du  fisc,  a  notablement  diminué'.  Dans  les  villes,  des  sociétés 
de  citoyens  se  sont  formées  pour  avoir  seules  le  droit  de  vendre  l'eau-de-vic 
en  détail  et  au  débit,  à  condition  par  elles  de  ne  retirer  aucun  bénéfice  de 
la  vente  et  de  distribuer  le  gain  aux  caisses  du  niunicipe,  du  conseil 
général,  des  sociétés  agricoles  :  ce  système,  connu  à  l'étranger  sous  le  nom 
de  «  système  de  Gôteborg  »,  du  nom  de  la  ville  qui  l'appliqua  la  première, 
présente  ce  grand  avantage,  que  l'appât  du  lucre  ne  transforme  pas  le  mar- 
chand d'eau-de-vie  en  un  conseiller  de  vice,  en  un  tentateur  toujours  à 
l'affût  de  victimes.  Les  débits  d'eau-de-vie  des  sociétés  de  Gôteborg  ne  sont 
pas  des  gin-palaces,  comme  les  tavernes  vers  lesquelles  se  précipitent  les 
foules  de  l'Angleterre. 

La  Suède  est  une  des  contrées  d'Europe  où  le  plus  grand  nombre  d'en- 
fants naissent  de  mariages  non  légalisés*.  Mais  il  ne  faudrait  pas  voir  dans 
ce  fait  la  preuve  d'un  relâchement  de  mœurs  exceptionnel.  Il  n'y  a,  pour 
ainsi  dire,  pas  d'enfants  trouvés  en  Suède  :  toutes  les  mères  élèvent  ou  font 
élever  leurs  enfants.  En  outre,  près  d'un  dixième  des  nouveau-nés,  comp- 
tés parmi  les  enfants  illégitimes,  naissent  de  parents  enregistrés  comme 
fiancés  et  jouissent,  après  le  mariage  de  leurs  parents,  de  tous  les  avantages 
reconnus  par  la  loi  aux  enfants  légitimes.  Quant  à  la  proportion  si  forte 
de  naissances  illégitimes  que  présente  Stockholm,  elle  provient  en  grande 
partie  d'une  immigration  temporaire  des  filles-mères  qui  viennent  de  toutes 
les  parties  de  la  contrée  dans  les  hospices  de  maternité  de  la  capitale,  où 
elles  sont  admises  sans  avoir  même  à  donner  leur  nom"'.  Jusqu'à  mainte- 
nant, les  non-luthériens,  autres  que  les  catholiques,  les  juifs  et  une  pa- 
roisse de  baptistes  restent  en  dehors  de  la  loi  pour  le  mariage, et  leurs 
enfants  sont  en  conséquence  réputés  illégitimes. 

'  l'Hidiidion  movenno  iiimiielk'  Je  ('l'au-dii-vie  : 

De  18JÛ  à  W)o (lo  78  OnOnOO  à  150  000  000  litres. 

De  1875  il   I8S0 ,1e  'il  700  000  à     32  000  000     « 

(Elis  SiiliMil.lailli.) 
-  Naiss:incPS  illégitimes  en  Siif-ile  (  ISTI-ISSI  )  : 

Compagnes 8.9  imiir  100. 

Villes 22.2 

Stockholm 57  » 


l'ays  entier 10.8  jjuur  100. 

'  Elis  Siclenliladii,  Kiiijaiiiiic  de  Stiùilc. 


I  -1 


GOUVERNEMENT  DE  L\  NORVÈGE.  231 


XIII 


GOUVERNEMENT  ET  ADMINISTRATION  DE  LA  NORVEGE 

Le  royaume  indépendant  de  Norvège,  uni  à  la  Suède  par  la  personne  du 
roi,  est  un  État  constitutionnel,  ayant,  comme  presque  tous  les  États  d'Eu- 
rope, des  assemblées  délibératives  représentant  la  nation  en  face  du  sou- 
verain. Le  pouvoir  législatif  en  Norvège  est  aux  mains  du  Stortliing,  assem- 
Mée  composée  de  1 1  i  membres  qui  se  groupent  en  deux  sections, 
YOdelsthnifj,  correspondant  à  une  Chambre  populaire  et  comprenant  85  re- 
présentants, et  le  Lagtliiiig  ou  «  Chambre  des  sénateurs  »,  de  '29  membres 
élus  par  le  Storthing.  Tout  projet  de  loi  doit  être  adopté  par  les  deux  sec- 
lions  ;  le  vote  contraire  do  l'une  d'elles  entraîne  la  réunion  des  deux  Cham- 
bres, qui  statuent  définitivement  par  une  délibération  commune,  à  la  suite 
de  laquelle  l'adoption  de  la  loi  doit  être  sanctionnée  par  une  majorité  des 
deux  tiers.  L'effet  des  lois  votées  par  l'assemblée  peut  être  suspendu  par  le 
veto  du  roi,  que  celui-ci  peut  renouveler  de  trois  en  trois  années,  après 
chaque  nouveau  vote  et  jusqu'à  trois  fois.  Après  ce  délai,  la  volonté  de 
l'assemblée  l'emporte,  ainsi  qu'en  lémoigne  l'issue  d'un  conflit  récent.  Les 
jiropositions  du  souverain  attendent  leur  tour  d'inscription,  et  le  Storthing 
peut  passer  à  l'ordre  du  jour  sans  les  discuter. 

Les  représentants  au  Storthing  sont  élus  pour  trois  ans,  deux  tiers 
par  les  districts  ruraux,  un  tiers  par  les  villes.  Sont  électeurs  les  citoyens 
norvégiens  de  vingt-cinq  ans  révolus,  fonctionnaires  ou  anciens  fonction- 
naires publics,  propriétaires  d'immeubles  cadastrés,  ainsi  que  ceux  qui, 
dans  les  villes,  payent  patente  comme  marchands,  artisans  ou  capitaines 
de  navires,  et,  dans  les  campagnes,  possèdent  un  bail  emphytéotique  de 
plus  de  cinq  années.  L'élection  n'a  lieu  qu'au  second  degré  ;  aussi  les 
électeurs  sont-ils  en  général  assez  peu  zélés'.  Réunis  d'ordinaire  dans  les 
églises,  ils  choisissent  un  nombre  déterminé  d'entre  eux,  soit  par  ville, 
soit  par  préfecture,  pour  désigner  les  représentants  de  la  nation,  qu'ils 
l)cuvent  d'ailleurs  choisir  parmi  tous  les  électeurs  âgés  de  plus  de  trente  ans. 
D'après  un  vote  de  l'Assemblée,  auquel  le  roi  a  vainement  opposé  ses  trois 
vélo,  les  membres  du  gouvernement  font  partie  du  StoiVhing  et  assistent  aux 
délibérations.  Les  sessions  de  l'assemblée  sont  annuelles  et  ne  peuvent 

'  .Nombre  des  électeurs  en  1870  ;  MO  JOO;  volants  :  57175. 


252  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

durer  plus  de  doux  mois  sans  le  consentement  du  roi;  mais  celui-ci  ne 
possède  pas  le  droit  de  dissolution.  La  constitution  fran(;aise  de  1791  es', 
une  de  celles  qui  ont  servi  de  modèle  à  la  loi  fondamentali>  de  la  Xorvège'. 

Le  roi,  qui  réside  à  Stockholm,  doit  cependant,  d'après  la  constitution, 
habiter  la  Norvège  durant  une  partie  de  l'année.  Il  exerce  le  pouvoir  avec 
l'assistance  d'un  Conseil  d'Etat  (Statsràd),  comprenant  deux  ministres  et 
neuf  conseillers,  tous  citoyens  norvégiens.  Un  des  ministres  et  deux  conseil- 
lers se  tiennent  auprès  du  roi  lorsqu'il  séjourne  en  Suède  ;  l'autre  minis- 
tre et  sept  conseillers  Ibrment  le  gouvernement  de  la  Norvège  à  Christiania. 
Sur  l'avis  de  ce  cabinet,  le  roi  nomme  les  titulaires  aux  fonctions  civiles, 
militaires  et  ecclésiastiques;  mais  il  ne  peut  conférer  de  titres  de  noblesse, 
le  Storthing  les  ayant  abolis  depuis  longtemps,  malgré  l'opposition  royale 
manifestée  par  trois  votes  successifs  :  d'après  cette  décision  du  Parlement, 
tout  fils  de  comte  ne  devait  plus  avoir  que  le  titre  de  baron,  et  tout  fils  de 
baron  redevenait  simple  citoyen  ;  c'est  ainsi  que,  par  extinction  graduelle, 
la  noblesse  a  disparu. 

Autrefois  le  pouvoir  judiciaire,  qui  était  en  même  temps  le  pouvoir 
législatif,  appartenait  exclusivement  au  peuple,  qui  l'exerçait  par  ses  délé- 
gués dans  les  assemblées.  Actuellement  encore,  les  électeurs  nomment  les 
deux  juges  de  la  commission  de  paix  qui  siègent  dans  chaque  commune 
et  devant  lesquels  sont  portées  toutes  les  affaires  civiles  avant  le  com- 
mencement des  poursuites  ;  dans  les  affaires  de  police,  quand  l'amende 
est  encourue  par  un  citoyen,  elle  doit  être  soumise  d'abord  à  son  accep- 
tation volontaire  avant  d'être  prononcée.  Dans  les  affaires  criminelles  et 
relatives  à  la  propriété,  la  nation  est  aussi  directement  représentée  par 
quatre  jurés  siégeant  à  côté  du  juge  et  votant  au  même  titre  que  lui  et 
souvent  contre  lui.  D'ailleurs,  les  juges  sont  toujours  responsables  pour 
lo  tort  commis  par  eux  par  ignorance  ou  par  improbité  :  cités  devant  un 
tribunal  supérieur,  ils  sont  passibles  de  peines  graves  dans  leur  personne 
ou  dans  leurs  biens,  et  leurs  héritiers  peuvent  être  poursuivis,  en  cas  de 
mort,  pour  les  amendes  encourues. 

Au  ])oint  de  vue  judiciaire,  la  Norvège  possède  116  tribunaux  de  pre- 
mière instance  —  50  pour  les  villes  et  80  pour  les  campagnes  —  qui 
jugent  toutes  causes  civiles  et  criminelles.  Chacun  d'eux  ne  comprend 
qu'un  seul  juge  [byfoged  dans  les  villes,  sorenskrivcr  dans  les  campa- 
gnes), sauf  celui  de  Christiania,  composé  de  8  juges  et  d'un  président. 
l'oMi'   toute   contestation   concernant    la    propriété,    le    tribunal    s'adjoint 

'  0.  J.  Broch,  Le  royaume  de  Noni'ye  et  le  peuple  iwncgien. 


GOUVERNEMENT  DE  LA  NORVÈGE.  253 

quatre  jurés  nommés  à  cot  effet.  Les  tribunaux  de  deuxième  instance 
sont  au  nombre  de  cinq,  ayant  chacun  un  président  et  un,  deux  ou 
trois  juges.  Des  juridictions  spéciales  existent  pour  les  ecclésiastiques 
et  les  professeurs,  de  même  que  pour  les  militaires.  Une  Cour  suprême, 
comprenant  un  président  et  dix  juges,  statue  en  dernier  ressort  sur  les 
arrêts  rendus  par  le  tribunal  de  Christiania,  les  tribunaux  de  deuxième 
instance,  les  tribunaux  consistoriaux,  ceux  de  police  et  les  conseils  de 
guerre.  Pour  ces  dernières  affaires,  deux  officiers  supérieurs  sont  adjoints 
aux  membres  de  la  Cour  suprême.  Enfin  ceux-ci,  réunis  aux  37  membres 
du  Lagthing,  forment  un  tribunal  qui,  sous  le  nom  de  Cour  du  royaume 
[Riijsret),  juge  tous  les  crimes  ou  délits  commis  par  les  ministres,  les 
membres  du  Storthing,  dti  conseil  d'État  ou  de  la  Cour  suprême,  dans 
l'exercice  de  leurs  fonctions. 

L'église  luthérienne,  religion  de  l'État,  jouit  d'un  pouvoir  considérable 
en  Norvège,  puisqu'elle  dispose  de  propriétés  fort  étendues  et  dirige  eu 
grande  partie  l'éducation  des  enfants.  Quoique  désignés  par  le  roi,  les 
ecclésiastiques  en  fonctions  ne  reçoivent  pas  d'appointements  directs  ;  mais 
ils  possèdent  un  logement  et,  à  la  campagne,  l'usufruit  de  terres  com- 
munales; en  outre,  ils  reçoivent  des  dîmes  et  des  offrandes  dont  la  loi 
fixe  le  minimum,  et  s'attribuent  le  revenu  des  bénéfices.  On  ne  peut  esti- 
mer à  moins  de  4700  Irancs  la  moyenne  de  rente  pour  chaque  ecclé- 
siastique. Ils  sont  relativement  peu  nombreux  :  à  la  fin  de  1877,  on 
n'en  comptait  que  657  ;  suivant  la  même  proportion,  il  n'y  aurait  que 
l^OOO  prêtres  en  France.  Le  pays  est  divisé  en  6  évêchés  {stifter),  83  dé- 
canats  ou  prévôtés  {provstier),  4 il  paroisses  (prxstegjeld)  et  909  pastorats 
{sogné).  Tous  les  cultes  autres  que  le  rite  luthérien  jouissent  d'une  tolé- 
rance parfaite,  mais  ils  ne  comptent  qu'un  très  petit  nombre  d'adhé- 
rents; quelques  juifs  vivent  dans  le  pays,  mais  ils  n'y  forment  pas  de 
communautés  '. 

D'après  la  constitution,  le  service  militaire  est  obligatoire  pour  tous  les 
Norvégiens  ayant  vingt-cin(|  ans  révolus;  ne  sont  exempts  du  service  que  les 
ecclésiastiques,  les  pilotes,  les  habitants  de  la  province  de  Finmarken.  En 
réalité  l'armée  ne  se  compose  guère  que  de  cadres,  de  bataillons  d'exercices 
et  d'écoles  militaires.  Les  troupes  de  ligne  en  service  continu  ne  forment 
pas  même  un  total  de  2000  hommes  et  se  composent  presque  uniquement 

'  Non-itilbérieiis  de  Norvège  en  1875  : 

Proleslanls 4800   1  Catholiques .')02 

Mormons 5i2   |   Quakers  45-' 

Juils 54 

T.  50 


254 


NOUVELLE   GÉOGRAPIIIE  UMVEUSELLE. 


do  volontaires  engagés  pour  trois  ans.  Tous  les  conscrits  passent  jiar  l'ccolo 
(les  recrues,  qui  dure  au  moins  42  jours  pour  l'infanterie,  90  jours  pour 
l'artillerie  et  la  cavalerie,  et  reviennent  pendant  deux,  trois  ou  quatre  ans 
prendre  part  à  des  exercices  de  moins  d'un  mois.  Le  roi  peut  entretenir  à 
Stockholm  une  garde  de  volontaires  norvégiens,  et  la  constitution  l'autorise 
à  déplacer  5000  hommes  d'un  royaume  dans  l'autre  pour  les  exercices 
militaires  ;  mais  en  toute  autre  circonstance  le  passage  de  troupes  de  Nor- 
vège en  Suède  ou  de  Suède  en  Norvège  est 
s»  52.  _  vARoô.  interdit. 

La  flotte  militaire  est  relativement  beau- 
coup plus  considérable  que  l'armée,  car 
elle  comprenait,  à  la  (in  de  l!S85,  4  cuiras- 
sés, 55  autres  bateaux  à  vapeur  d'une  puis- 
sance totale  d'environ  5000  chevaux-vapeur, 
portant  160  canons.  Des  fortifications  dé- 
fendent l'entrée  du  fjord  de  Christiania,  où 
se  trouve  Ilorten,  la  principale  station  de  la 
flotte  de  guerre  ;  en  outre,  quelques  autres 
forts  s'élèvent  sur  certains  points  exposés 
des  côtes.  Le  plus  septentrional  de  la  Nor- 
vège et  du  monde  est  celui  de  Vardô,  à  l'en- 
trée du  Varanger-I'jord  :  il  est  en  pleine 
zone  polaire,  au  nord  du  7(1^  degré  de  lati- 
tude. Les  matelots  de  la  flotte,  au  nombre 
de  2050,  sont  presque  tous  volontaires; 
en  outre,  les  hommes  de  22  à  55  ans  ayant 
navigué  à  l'étranger,  s'occupant  de  cabo- 
tage ou  de  pêche,  ou  vivant  dans  les  ports 
de  mer,  sont  inscrits,  au  nombre  de  00000, 
et  peuvent  être  appelés  en  cas  de  péril  national. 

Le  budget  de  la  Norvège,  qui  était  jadis  généralement  en  équilibre,  se 
trouve  en  déficit  depuis  quelque  temps.  Pour  l'année  1881-1882,  il 
s'élevait  à  55120500  francs,  provenant,  presque  pour  moitié,  du  re- 
venu des  douanes.  Les  payements  les  plus  considérables  ne  servent  pas, 
comme  dans  la  plupart  des  Etats,  à  couvrir  les  dépenses  de  guerre  ou 
le  service  d'anciens  emprunts.  Cependant  la  Norvège  a  contracté  aussi 
des  dettes,  |)rincipalement  pour  la  construction   do  ses  chemins  de  fer'. 


'  Dette  Je  la  Norvèjzc  en  188'i  :  117012  000  francs. 


GOUVERNEMENT  DE  LA  NORVEGE. 


235 


Administrativemcnl,  le  pays  se  divise  en  517  communes,  dont  61  com- 
munes urbaines  et  456  communes  rurales  (herreder).  Les  affaires  des 
municipes  sont  gérées  par  deux  assemblées  élues,  un  conseil  administratif 
(formandskab),  composé  de  5  à  12  membres,  et  un  conseil  représentatif 
(rcprxseiUantskab)  en  comprenant  le  triple.  L'exécution  de  leurs  décisions 
est  confiée,  dans  les  communes  urbaines,  à  des  magistrats  {borgesmester 
et  ràdmand)  nommés  par  le  roi,  et,  dans  les  communes  rurales,  aux  pré- 
fets [amtmand)  et  aux  baillis  lfo(jed),  ainsi  tpi'à  des  officiers  de  police 
[Icnsmand),  nommés  par  le  préfet. 

Les  61  communes  urbaines  se  composent  de  39  villes  et  22  ports;  les 
communes  rurales  forment  58  bailliages  ou  arrondissements  {fogdcricr). 
Ensemble,  elles  se  partagent  entre  18  préfectures  ou  départements  (amter)  ; 
la  capitale  Cliristiania  et  la  ville  de  Bergen  forment  en  outre  2  préfec- 
tures. Chaque  préfecture  est  administrée  par  un  conseil  préfectoral  [amts- 
formandskab) ,  composé  des  présidents  des  conseils  communaux,  sous  la 
présidence  du  préfet. 


PRÉFECTlliES. 

VILLES  MU.NCIP.lLES. 

SITEIIFICIE. 

POPEL.VTION 
l"JASviEnlS7fi. 

POPLL.\TION 

MLOSIÉiniQlE. 

Smaalencnc 

Frederiksliald 

kil.car. 
4,007 

liiib. 

107  629 

hab. 

27 

Akcrshiis.    . 

Eidsvolil 

,5,15.5 

114778 

2,2 

Christiania 

9 

77  041 

85,60 

Iledemarkcn 

Kongsvingor 

25,986 

119  774 

5 

Chiislians 

Busl«eru(l 

25,041 
14.C54 

M  5  988 
101867 

7,5 
7 

Drammeii 

Jarisberg  cl  Laiirvik   .    .    . 

Laiirvik 

2,22!t 

S9  520 

40 

Bratsberg 

14,777 
9,981 
6,273 

83  980 
75  979 
77  509 

0 

8 

12 

Lisler  et  Mandai 

Chiislianssand 

Slavangcr 

Slavaiigei- . 

8,8.")9 

114164 

13 

.Sôndre-Bei'nenliiis  .... 

15,t5S 

121  .527 

8 

2 

5 1  58 1 

17,192 

N'ordrc-Berf'enliij';  .... 

18,251 

86  205 

5 

Roinsdal .    . 

Christianssund 

14,015 

11 G  858 

8 

Sondic-Ti'ondlijom  .... 

Trondlijeni 

18,550 

116814 

6 

Nord:i;-Tiiiiidlijcin  .... 

Lcvanger 

22,760 

81  889 

4 

Nordiand 

Bodô 

57,960 

105  579 
.55  95'» 

24  252 

3 

2 

0,5 

Troinsô 

Uamiiierfol    . 

25,170 

•'i7.5>'() 

Finniai  kcii 

236  KOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


XIV 


GOUVERNEMENT    ET     A  DM  I M  STR  A  TIOX     DE     LA     SUEDE 

La  Constitution  modifiée  du  0  juin  1809,  qui  régit  actuellement  la 
Suède,  a  fait  de  l'Etat  une  monarchie  parlementaire.  Néanmoins  le  roi 
est  censé  gouverner  seul,  et  s'il  est  assisté  d'un  Conseil  d'État,  ce  n'est 
que  pour  prendre  ses  avis  et  recevoir  de  lui  les  renseignements  dont  il 
peut  avoir  besoin.  Dix  membres,  dont  un  premier  ministre,  nommé  ]»ar 
le  roi,  forment  ce  Conseil  d'État.  Sept  d'entre  eux  dirigent  les  cabinets  des 
affaires  étrangères,  de  l'intérieur,  des  finances,  de  la  justice,  de  la  guerre, 
de  la  marine,  des  cultes  avec  l'instruction  publique  :  des  trois  minis- 
tres sans  portefeuille,  deux  au  moins  doivent  être  d'anciens  fonction- 
naires civils.  Toutes  les  affaires  administratives  sont  soumises  au  roi  en 
son  conseil.  Chaque  conseiller  émet  son  opinion,  consignée  dans  un  procès- 
verbal  de  séance,  puis  le  roi  décide;  si  la  décision  qu'il  prend  est  jugée 
contraire  à  la  loi,  le  conseiller  rapporteur  de  l'affaire  refuse  sa  signature, 
donne  sa  démission,  et  la  question  se  trouve  portée  devant  la  Diète.  Des 
membres  des  Conseils  d'État  de  Suède  et  de  Norvège  doivent  être  présents 
toutes  les  fois  qu'une  affaire  intéressant  les  deux  royaumes  se  débat  ou  se 
décide  devant  le  roi.  Pendant  ses  voyages  hors  de  la  Suède  et  de  la  Norvège, 
le  souverain  ne  peut  s'occuper  du  gouvernement  du  pays,  qui  est  alors 
confié  au  prince  héritier,  ou,  à  défaut  de  ce  personnage,  au  Conseil  d'État. 
Le  traitement  du  roi  est  de  1  105  000  francs,  payés  par  la  Suède,  et  de 
497  000  francs,  part  de  contribution  du  peuple  norvégien.  En  1875,  la 
diète  refusa  de  faire  payer  à  la  nation  les  frais  du  couronnement. 

L'ancienne  représentation  nationale  de  la  Suède  se  composait  des  quatre 
ordres  de  la  noblesse,  du  clergé,  des  bourgeois  et  des  paysans  ;  mais,  en 
1866,  les  États  eux-mêmes,  cédant  à  l'opinion  publique,  décidèrent  la 
transformation  du  corps  législatif.  D'a])rès  la  loi  nouvelle,  le  peuple  sué- 
dois est  représenté  par  une  Diète  (niksdag),  composée  de  deux  Chambres 
correspondant  aux  lords  et  aux  communes,  aux  sénateurs  et  aux  députés 
d'autres  contrées  d'Europe.  Les  membres  de  la  première  Chambre  sont 
élus  pour  neuf  ans  par  les  conseils  généraux  des  provinces  et  les  conseils 
municipaux  des  grandes  villes,  dans  la  proportion  d'un  membre  par 
50  000  habitants.  Ne  peuvent  être  élus  que  des  hommes  d'au  moins  trente- 
cinq  ans,  possédant  des  immeubles  d'une  valeur  de  I  l'iOOO  francs  (80000 


GOrVERNEMENT  DE  LA   SIÈDE.  237 

couronnes)  et  jouissant  d'un  revenu  annuel  de  ùGOO  francs  (4000  cou- 
ronnes). La  première  Chambre  devant  représenter  surtout  la  richesse, 
tout  élu  qui  tombe  pendant  la  durée  de  son  mandat  dans  une  position 
financière  inférieure  à  celle  que  la  loi  exige  des  candidats  est  tenu  de 
renoncer  à  son  siège.  D'ailleurs,  les  membres  de  la  haute  Chambre  ne 
reçoivent  pas  d'indemnité.  Leur  nombre  est  actuellement  de  135. 

La  seconde  Chambre  se  compose  maintenant  de  108  députés,  tous  élus 
pour  trois  années  par  les  citoyens  payant  contribution.  Chaque  district 
judiciaire  nomme  un  député  pour  12000  à  40000  habitants  (27500  en 
moyenne);  chaque  ville,  mieux  représentée  que  la  campagne, élit  un  député 
pour  0  700  à  18  800  habitants  (10  820  en  moyenne).  En  1882,  le  nombre 
total  des  électeurs  était  de  281  100,  sur  lesquels  00  000  seulement  exer- 
cèrent leur  droit  de  vote.  Quoique  la  deuxième  Chambre  soit  censée  défen- 
dre surtout  les  intérêts  du  peuple,  les  candidats  doivent  justifier  de  condi- 
tions de  fortune  suffisantes  :  ils  sont  inéligibles  s'ils  n'ont  pas  en  propriété 
un  immeuble  de  1000  couronnes  ou  à  bail  un  bien-fonds  de  GOOO  cou- 
ronnes, ou  si  leur  revenu  annuel  imposable  n'est  pas  au  moins  tli> 
800  couronnes.  En  outre,  ils  doivent  être  éligibles  depuis  au  moins  une 
année  dans  la  commune  où  ils  se  présentent  et  avoir  dépassé  l'âge  de 
vingt-cinq  ans.  Les  élus  reçoivent  pour  chaque  session,  dont  la  durée  légale 
est  de  quatre  mois,  une  somme  fixe  de  1200  couronnes  (1680  francs), 
sans  compter  leurs  frais  de  déplacement.  Le5  présidents  et  les  vice-prési- 
dents des  deux  Chambres  sont  choisis  par  le  roi  parmi  les  membres  de 
chaque  Chambre  respective.  Toutes  les  affaires  soumises  à  la  discussion  et 
au  vote  de  la  Diète  sont,  au  pré;dable,  élaborées  par  des  comités,  uoinnu-^ 
par  moitié  dans  chacune  des  deux  Chambres. 

Les  2r)5i  communes  rurales  de  la  Suède,  aussi  bien  que  les  110  villes  et 
bourgades,  ont  le  droit  de  régler  elles-mêmes  leurs  affaires  locales.  Cha- 
cune possède  son  conseil  municipal,  désigné  diversement  suivant  le  rang 
de  la  commune,  et  choisit  son  président  ;  toutefois,  dans  la  ville  de  Stock- 
holm, le  grand-gouverneur  (ôfvcr  Slàt-HaUarcn)  est  de  droit  président  de 
l'assemblée  communale.  Les  gouvernements  forment  aussi  des  communes 
d'un  ordre  supérieur,  et  des  conseillers  généraux  élus  se  réunissent  pendant 
quelques  jours  au  mois  de  septembre,  sous  la  présidence  d'un  personnage 
nommé  par  le  roi  :  en  réalité,  leur  session  est  de  trop  courte  durée  pour 
qu'elle  puisse  avoir  ime  sérieuse  influence  sur  la  marche  des  affaires.  Les 
quatre  villes  de  la  Suède  dont  la  population  dé()asse  2,')  00(1  habitants, 
Stockholm,  Gôteborg,  Malmô  et  Norrkoping,  sont  séparées  des  di>-lricls  des 
conseils  généraux  et  administrées  par  leur  conseil  municipal. 


238  NOUVELLE   GEOGRAPHIE  UNIVEUSELLE. 

Le  fotlc  siiéJois  actuel  a  moins  subi  rinfluencc  du  droit  romain  que  la 
plupart  des  autres  codes  d'Europe  :  son  origine  principale  se  trouve 
dans  les  lois  coutumières.  On  croit  que  ces  lois,  dont  les  textes  les  plus 
anciens  datent  du  commencement  du  treizième  siècle,  étaient  écrites  en 
caractères  runiques  sur  des  balkar  ou  tables  de  bois  séparées,  d'où  le  nom 
de  halk,  donné  encore  aujourd'hui  aux  diverses  sections  du  code  civil  : 
plusieurs  de  ces  codes  ruraux  étaient  écrits  en  vers,  sous  forme  de  dictons, 
afin  qu'il  fût  plus  facile  de  les  retenir  de  mémoire.  Aux  lois  traditionnelles 
des  campagnes  s'ajoutèrent  les  codes  des  villes,  plus  ou  moins  inspirés  par 
ceuxdeYisby  et  des  autres  cités  hanséatiques'.En  iii2,  coutumes  et  lois, 
les  antiques  lanclskapslafiar,  furent  réunies  en  un  seul  code  de  lois  géné- 
rales, qui  prit  le  nom  de  landslag.  En  1754,  le  code  fut  modifié  de  nou- 
veau, et  depuis  cette  époque  il  a  été  plusieurs  fois  remanié.  Militaires  et 
ecclésiastiques  sont  régis  par  des  lois  spéciales. 

La  presse  jouit  d'une  grande  liberté  en  Suède,  où  d'ailleurs  il  est  rare 
que  les  questions  sérieuses  au  point  de  vue  religieux,  politique  ou  social 
soient  abordées.  Quand  un  particulier  se  croit  lésé  par  un  journal,  un  jury 
s'assemble,  composé,  après  les  récusations  ordinaires,  de  neuf  membres, 
trois  choisis  par  l'accusé,  trois  par  le  plaignant,  trois  par  le  tribunal.  La 
condamnation  est  prononcée  par  six  voix. 

Les  tribunaux  de  première  instance  se  composent,  dans  les  villes,  du 
bourgmestre  et  de  ses  assesseurs;  dans  les  108  districts  des  campagnes, 
d'un  juge  de  district  assisté  de  douze  paysans  propriétaires.  Le  juge  décide 
seul;  mais  si  la  totalité  des  jurés  diffère  de  son  avis,  c'est  le  leur  qui 
prévaut.  Trois  cours  royales,  celle  de  Stockholm  pour  la  Suède  du  nord, 
celle  de  .lonkôping  pour  la  Gothie,  celle  de  Christianstad  pour  la  Scanie 
et  Blckingc,  jugent  en  appel,  revisent  les  condamnations  à  mort  pro- 
noncées par  les  juges  de  première  instance  et  s'occupent  de  toutes  les 
fautes  commises  par  les  juges  et  les  fonctionnaires  dans  l'exercice  de  leur 
charge.  Une  Cour  suprême,  siégeant  à  Stockholm,  se  compose  de  seize 
juges,  divisée  en  deux  chambres,  dont  une  seule  pour  l'examen  de  chaque 
affaire;  quand  il  s'agit  de  procès  où  sont  impliqués  des  militaires,  deux 
officiers  supérieurs  sont  adjoints  à  la  cour  ;  en  outre,  le  roi  possède  deux 
voix  au  trilumal  quand  son  bon  plaisir  est  de  s'occuper  d'une  afiaire.  Dans 
quebpios  rares  occasions  une  Cour  du  royaume  se  constitue  pour  juger  les 
membres  du  Conseil  d'État  ou  de  la  Cour  suprême. 

Le  cuile  !iilh('iii'n  est  en  Suède  la  religion  d'Etat.  D'a|m's  le-^  fables  de 

'  Sclilvlor;  —  Siilciil)1;ulli,  La  Siu-dc;  —  Geffrny,  Académie  rfi's  sciences,  28  sopl.  1878. 


GOUVERNEMENT  DE  LA  SUEDE.  239 

recensement,  qui  d'ailleurs  ne  peuvent  manquer  de  compter  les  indiffé- 
rents parmi  les  fidèles  de  la  relijiiou  officielle,  la  nation  suédoise  presque 
tout  entière  appartiendrait  au  rite  luthérien;  mais  dans  cette  Église  même 
les  diversités  sont  grandes  :  les  membres  de  certaines  communautés  du 
Xorrland,  emportés  par  la  ferveur  religieuse,  ajoutent  la  danse  sacrée  à 
leurs  autres  cérémonies  et  sautent,  tournent  ou  se  balancent  dans  l'extase, 
jusqu'à  ce  qu'ils  soient  hors  d'haleine.  Les  sectes  protestantes  séparées  de 
l'État  comprennent  seulement  quelques  milliers  de  personnes,  et  les  israé- 
liles,  auxquels  l'autorisation  d'entrer  dans  le  pays  n'a  été  donnée  qu'eu 
1810,  n'ont  [)as  encore  eu  le  temps  de  fonder  dans  les  villes  commerçantes 
de  communautés  considérables.  Les  catholiques  romains  sont  encore  moins 
nombreux  que  les  juifs  dans  le  royaume'.  C'est  depuis  1870  seulement  que 
l'accès  aux  fonctions  de  l'État  est  accordé  à  tous  les  Suédois,  même  à 
ceux  qui  n'appartiennent  pas  à  la  confession  luthérienne. 

Le  pouvoir  de  l'Église  unie  h  l'État  est  encore  très  considérable,  quoi- 
qu'il soit  attaqué  de  deux  côtés  à  la  fois,  par  les  libres-penseurs  et  par  les 
dissidents  zélés.  Par  les  pasteurs  et  les  consistoires,  elle  prend  une  grande 
part  à  l'administration  locale.  Elle  tient  les  registres  de  l'état  civil,  excepté 
dans  la  ville  de  Stockholm.  Pour  les  membres  de  l'Église  suédoise,  le 
mariage  béni  par  les  pasteurs  est  seul  valable.  L'union  civile  n'est  tolérée 
que  si  l'un  des  conjoints  appartient  à  la  religion  juive  ou  à  une  secte  dis- 
sidente reconnue  ;  dans  ce  cas,  le  mariage  ne  peut  se  célébrer  légalement 
à  moins  de  trois  publications  des  bans  dans  l'église  luthérienne.  Les 
écoles  primaires  sont  placées  sous  la  surveillance  directe  des  pasteurs  et 
des  consistoires  :  ils  veillent  à  la  récitation  du  catéchisme  de  Luther,  à 
l'observance  des  cérémonies  pieuses,  à  la  «  confirmation  »  régulière  de 
tous  les  enfants.  En  outre,  l'Église  a,  comme  la  nation,  ses  assemblées 
délibérantes.  Un  synode  fut  institué  en  1865  afin  de  gagner  l'assenti- 
ment des  pasteurs  au  changement  de  Constitution  qui  devait  supprimer 
le  clergé  comme  l'une  des  classes  distinctes  de  la  Diète.  Cette  assem- 
Idéc  se  compose  de  00  membres,  30  laïques  et  50  ecclésiastiques,  parmi 
lesquels  tous  les  évèques  ilu  royaume  :  l'archevêque  est  de  droit  pi-ési- 
dent  du  synode.  Le  pays  est  divisé  en  douze  diocèses',  auxquels  on  peut 

'  Population  do  la  Suède  d'après  les  cultes  en  1870  : 


Lulhcriens 4102  087 

Méthodistes,  Baplistes,  Mormons.  .    .  5  809 

Israélites 1  850 


Catholiques  romains 593 

Réformés 1!)0 

Catholiques  grecs 50 

'  Archevêché  :  Upsala. 
Évéchés  :  Linkoping,  Skara,  Strcngniis,  Wesleràs,  Wcxio,  Lund,   Gulchi)rg,   Kalmar,  Carislad, 
Ilcrnosand,  Wisby. 


240  NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

on  ajouter  un  treizième,  le  consistoire  de  Stockholm,  en  réalité  indé- 
pendant du  diocèse  archiépiscopal  d'L'psala.  Les  diocèses  se  subdivisent 
en  décanats  ou  prévôtés,  en  pastorats  et  en  paroisses  :  celles-ci  sont  au 
nombre  d'environ  2500. 

Les  deux  universités  de  la  Suède,  celles  d'Upsala  et  de  Lund,  ont  une 
existence  indépendante  qui  en  foit  des  corps  distincts  dans  l'ensemble  de 
l'Etat  ;  cependant  elles  dépendent  officiellement  de  l'Eglise,  les  vice-chan- 
celiers de  ces  écoles  étant  pour  la  première  l'archevêque  d'Upsala,  et  pour 
la  seconde  l'évèque  de  Lund.  Dans  chacune  de  ces  universités,  l'étudiant 
est  tenu  de  faire  partie  d'une  «  nation  »  ;  dès  qu'il  est  inscrit  à  l'école, 
il  doit  se  faire  porter  sur  la  liste  de  ses  compatriotes.  A  Upsala  les  nations 
sont  au  nombre  de  treize  :  la  plupart  sont  désignées  d'après  les  anciennes 
])rovinces  historiques;  trois  portent  les  noms  de  Stockholm,  de  Gôte- 
borg,  de  Kalmar.  Chacun  de  ces  groupes  forme  une  petite  république 
s'administrant  elle-même,  jouissant  de  privilèges  spéciaux  et  possédant  en 
biens-fonds  et  en  argent  un  capital  assez  considérable,  dont  les  revenus 
sont  employés  principalement  à  soutenir  les  étudiants  pauvres.  Us  ont  de 
grandes  salles  pour  les  assemblées  générales  et  les  fêtes,  des  bibliothèques, 
des  cabinets  de  lecture.  Il  en  est  même  qui  sont  propriétaires  de  châteaux 
de  plaisance.  L'autonomie  des  corps  d'étudiants  ne  se  borne  point  à  l'ad- 
ministration de  leur  fortune,  c'est  à  leurs  a  compatriotes  »  que  les  étu- 
diants ont  à  s'adresser  pour  obtenir  leurs  certificats,  et  dans  certains  cas  les 
fonds  qui  leur  permettent  de  continuer  leurs  études'.  La  juridiction  uni- 
versitaire s'étend  pour  les  étudiants  jusqu'à  00  kilomètres  autour  d'L'psala. 

Dans  l'histoire  de  l'enseignement,  les  deux  universités  présentent  le 
même  contraste  que  jadis  les  écoles  de  Montpellier  et  de  Paris.  Les  tradi- 
tions de  la  vieille  Upsala  sont  spiritualistes  ;  celles  de  Lund,  relativement 
jeune,  puisqu'elle  a  été  fondée  deux  siècles  plus  tard,  sont  positivistes. 
Depuis  quelques  années,  les  dames  peuvent  suivre  les  cours  des  univer- 
sités :  plusieurs  sont  inscrites  à  celle  d'Upsala. 


Le  service  militaire  en  Suède  était  naguère  institué  en  grande  partie 
comme  aux  temps  de  Charles  l.\.  L'élément  principal  de  l'armée  se  compo- 
sait d'hommes  enrôlés  pour  3,  0  ou  12  années,  une  autre  part,  Vindelta, 
était  fournie  par  les  propriétaires  do  certains  fiefs  (torp),  tenus  de 
jirocurer  à  l'Etat  soit  un  fantassin,   soit    un  cavalier  en  tout  temps  ou 

'  Vnir  Georges  Cogoidan,  Revue  des  Deux  Mondes,  15  mai  1875. 


ARMliL   ET  FLOTTE  DE  LA  SUEDE.  2H 

seaicmcnt  pendant  la  gueri'c,  de  subvenir  partiellement  à  son  entretien 
en  l'occupant  pendant  les  congés  ;  enfin  la  conscription  par  le  sort  augmen- 
tait la  force  de  l'armée  de  quelques  bataillons.  La  réorganisation  du  ser- 
vice s'est  faite  sur  le  modèle  allemand  :  désormais  toutes  les  troupes  se 
composent  d'enrôlés.  Dans  l'île  de  Gotland,  une  force  spéciale,  d'environ 
8000  hommes,  est  considérée  comme  faisant  partie  de  l'armée  active,  mais 
elle  n'est  tenue  au  service  que  dans  l'intérieur  de  l'île.  Grâce  à  la  longue 
paix  dont  a  joui  la  Suède,  au  petit  nombre  des  soldats  et  à  leur  genre  de 
vie  tout  pacifique,  la  population  n'est  pas  épuisée  comme  dans  la  plupart 
des  pays  d'Europe;  tandis  qu'ailleurs  on  a  dû  abaisser  la  taille  des  hommes 
réputés  aptes  au  service  militaire,  on  propose  de  l'augmenter  en  iSuèdc  : 
actuellement,  elle  ne  doit  pas  être  inférieure  a  l'",60  pour  les  troupes  en- 
rôlées. En  principe,  tout  citoyen  suédois  est  astreint  au  service  de  la  milice 
de  20  à  25  ans,  sans  qu'il  lui  soit  permis  de  se  racheter  ni  de  fournir  un 
remplaçant.  L'ensemble  de  l'armée  est  évalué  à  40  000  hommes  sur  le 
pied  de  paix.  En  temps  de  guerre,  l'arméi^  s'élèverait  à  176  000  soldats. 

Les  principaux  forts  de  la  Suède  sont  Waxholm  et  Oscar  Fredriksborg, 
qui  défendent,  avec  quelques  ouvrages  détachés,  les  passes  de  Stockholm; 
Kungsholmen,  Drottningskàr  et  les  autres  fortifications  qui  bordent  le 
chenal  de  Carlskrona  ;  Carlsborg,  sur  la  rive  occidentale  du  lac  Wettern, 
à  l'entrée  du  canal  de  Gôta  :  cette  place  est  le  dépôt  militaire  central  du 
royaume.  La  forteresse  de  Caristeen,  sur  un  îlot  de  la  côte  du  Bohuslan, 
près  de  Marstrand,  au  nord  de  Gôteborg,  est  désormais  sans  importance, 
quoiqu'on  y  tienne  garnison.  L'école  militaire  est  immédiatement  en  de- 
hors de  Stockholm,  au  château  de  Carlherg.  Les  autres  écoles  spéciales, 
génie,  artillerie,  étal-major,  sont  aussi  à  Stockholm  ou  dans  les  en- 
virons. 

La  station  navale  la  plus  importante  de  la  Suède  est  celle  de  Carlskrona  ; 
mais  Stockholm  possède  aussi,  à  l'est  des  grands  quartiers,  dans  l'île  de 
Skeppsholm.ui,  son  arsenal,  ses  chantiers  de  constnirlion,  ses  corvett;  s 
cà  l'ancre.  La  flotte  se  recrutait  de  la  même  manière  que  l'armée 
de  terre  :  d'hommes  enrôlés  pour  une  péi'iode  délerminée.  de  volon- 
taires et  de  matelots  indella,  les  hàtamdn,  fournis  et  entretenus  pendant 
les  congés  par  les  propriétaires  fonciers  de  la  région  du  littoral.  Environ 
400  mousses,  admis  de  li  à  16  ans,  sont  groupés  en  deux  compagnies 
qui  se  répartissent  sur  les  navires  stationnés  à  Carlskrona.  En  outre,  tous 
les  capitaines,  S(>conds,  mécaniciens  et  matelots  de  la  Hotte  marchande, 
entre  les  âges  de  20  à  55  ans,  seraient  tenus  de  servir  pendant  la  guerre 
si  elle  venait  à  éclater.  Cet  effectif  di'iponible  s'élève  à  un  millier  d'ol- 
V.  51 


yn  iNOUVElLE    GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

liciers  cl  à  6000  matelots.  La  milice  des  districts  côtieis,  exercée  en  temps 
de  paix  avec  celle  de  l'armée  de  terre,  serait  aussi  destinée  en  temps  de 
;ruerro  à  prendre  rang  parmi  les  troupes  marines  :  son  effectif  est  d'envi- 


ron 20  UUO  hommes.  L'école  marine  spéciale,  réorganisée  à  diverses  re- 
prises, se  trouve  maintenant  à  Stockholm. 

La  flollc  de  guerre  comprenait,  en  icS77,  14  navires  cuirassés,  28  autres 
vaisseaux  à  vapeur,  10  voiliers  et  87  j)elites  emharcalions,  canonin'ères  et 
batteries  flottantes.  Les  liais  de  construction  de  la  marine  de  guerre  appro- 
chent de  "28  millions  de  francs. 

Le  budget  national  de  la  Suède  est  un  de  ceux,  bien  rares  en  lùuope, 
qui  se  soldent  en  i»éiiélice.  liCS  recettes  de  la  pliipait  des  exercices  annuels 


FLOtTE,  BUDGET,  ADMINISTRATION  DE  LA  SUEDE.  243 

donnent  un  excédent  :  le  surplus  s'est  même  élevé  à  '25  millions  de  francs 
on  1874.  En  moyenne,  le  budget  national  est  de  120  millions,  dont 
50  millions  sont  fournis  par  les  douanes  et  plus  de  24  millions  par  les 
chemins  de  fer;  l'impôt  sur  l'eau-de-vie,  qui  est  la  troisième  source  d>; 
receltes  en  importance,  donne  à  l'État  près  de  18  millions  de  francs. 
D'autre  part,  la  dépense  faite  pour  l'entretien  de  l'armée  et  de  la  Hotte 
atteint  57  millions'.  Avant  l'année  1855,  la  Suède  n'avait  pas  contracté 
de  dette  à  l'étranger,  et  dans  le  pays  même  elle  ne  devait  qu'une  somme 
insigniflante  à  la  Banque  nationale.  Depuis  cette  époque,  elle  a  fait  suc- 
cessivement plusieurs  emprunts,  dont  le  moulant  total  est  d'environ  504 
millions;  mais  ces  dettes,  dont  le  service  annuel  est  d'un  peu  plus  de 
15  millions,  sont  entièrement  garanties  par  les  propriétés  de  l'Etat.  Le 
réseau  des  chemins  de  fer  représentait  à  lui  seul,  à  la  fln  de  1880,  un 
capital  de  294  500  000  francs  (et  les  prêts  faits  à  des  compagnies  particu- 
lières s'élevaient  à  une  ceulaine  de  millions).  En  outre,  l'État  possèile  une 
centaine  de  millions  en  fonds  divers,  des  terres  affermées  en  bon  rapport  et 
de  vastes  étendues  boisées  :  ce  domaine  comprenait  en  1878  une  surface 
totale  de  forêts  et  de  terrains  incultes  évaluée  à  5  221  500  hectares,  et 
cette  immense  propriété,  dont  la  valeur  nominale  est  de  45  millions 
de  francs,  soit  un  peu  plus  de  8  à  9  francs  par  hectare,  et  dont  le  revenu 
net  n'a  pas  atteint  660  000  francs  en  1876,  s'accroît  tous  les  ans  par 
l'achat  de  landes  et  de  bois.  L'évaluation  générale  de  la  situation 
linancière  donne  pour  l'excédent  de  l'actif  sur  le  passif  une  somme  de 
200  millions  de  francs. 

Quant  aux  finances  communales,  elles  sont  moins  brillantes  que  celles 
de  l'État'  :  plusieurs  communes  sont  endettées;  mais,  dans  l'ensemble,  les 
propriétés  qu'elles  possèdent  représentent  une  valeur  plus  considérable 
que  celle  de  leur  jjassif.  En  1875,  les  propriétés  foncières  des  particuliers 
taxées  pour  l'impôt  étaient  évaluées,  au-dessous  de  leur  valeur  réelle,  à 
2491  millions  de  francs;  mais  il  faut  ajouter  à  celte  somme  875  millions 
pour  il'autres  pi'opriélés  immobilières.  Toutes  les  assurances  contractées 
auprès  de  compagnies  exclusivement  suéduises  s'élevaient  à  plus  de  2  mil- 
liards 500  millions  (h;  francs. 

■  HuJgcl  (le  l'auDéc  1881  :  109  VU!  .'.110  fnnrs. 

'  Budgnl  (les  communes  en  I88ll  : 

Rpcetles 62  Oô7  000  francs. 

Dépenses 65  651  000       > 

Actif  en  immeubles  et  en  cif;ince> 218  000(100       » 

Passif  .... 120  300  000       y 


2U 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


La  Suède  n'a  pas  de  colonies  étrangères.  L'Anlille  Saint-Bartliélemy,  qui 
lui  avait  été  cédée  en  1784,  a  été  vendue  à  la  France  en  1878. 

La  Suède  est  divisée  en  24  provinces  ou  lan,  dont  voici  le  tableau  : 


Miilmo  (Malmôhus).  . 
Clirislinnslail.  .  .  . 
Carlski'ona  (Blekinjre' 
VVcxin  (Kronobcru). 

Juiikopiii,' 

Kalinar.  ...... 


Liûkoping  (ÛstergdllaiîH) 
llalmstad  (llalland).  . 
llaiiestad  (Skaraliorg)  . 
VVenersborg  (F.lsborg).  . 
Goleborg  et  Bohus.  .  . 
VVisby  (fiolland).    .   .    . 


GôTA  ItiKS. 


13.  Stockiioui  et  \illc.    .    .    . 

14.  Upsala 

1.").  Nykoping  (Sodermanlaiid  i 

16.  VVesteràs  (WeslmanlaiidV  . 

17.  Ôrcbro  (Norikc).    .    .    . 

18.  Carlïtad  (Wermland).    .    . 

19.  Fahm  (Slora  Kopparborg" . 


SvE.v 


20.  Cette  (Gelleborg) 

21.  Hernosand  (Weslernorrlaiid 

22.  Uitersnnd  (Jemtland).   .    . 
25.  Umeâ  (Weslerbotlen). 

24.  Luleâ  (NoirboUen).   .    .   , 


NoiiRLAXD  tT  Laplane  (Laponie) 


Grands  lacs  :  Wencrn,  Wettern,  Miilar  et  lljel- 
raar 


POPUHTio:< 

EN    18S1. 


kil.  rni-. 

4  784 
6  495 
5015 
9  949 

11500 

1 1  497 
11066 

4919 
8  505 

12  815 

5  057 
5116 


92  714 


mai 


7  824 
5516 
6  815 
6  794 
9  072 
19  025 
29  579 


84  423 


19214 
24  050 
50  771 
56  828 
104415 


POPULATIO.N 

KILOMÊTB. 


9109 


412  12S 


549  355 
229  504 
158  152 
108  986 
195  787 
244  557 
265  557 
154  622 
256  712 
287  085 
263  706 
54  026 


2  5875^0 


525  655 
m  570 
147  572 
127  954 
181  106 
265714 
190  509 

1  547  884 

180  454 
171602 

85  284 
107  819 

91  812 


057  051 


47 
19 
19 
22 
27 
28 
32 
24 


41 

22 
25 
20 
22 
15 
7 

10 

10 
7 
1.8 

0.9 


4  572  215 


CHAPITRE  III 

LES    ILES    DEL'OCÊAN    GLACIAL    D'EUROPE 


Les  mers  qui  s'étendent  au  nord  do  la  péninsule  Scandinave  et  de  la 
Russie,  jusque  dans  les  régions  inexplorées  voisines  du  pôle,  ont,  comme 
l'Atlantique  boréal,  leurs  îles  et  leurs  archipels,  souvent  réunis  les  uns 
aux  autres  par  un  continent  de  glace.  Ces  terres,  dont  quelques-unes  n'ont 
été  encore  entrevues  qu'à  travers  la  neige  et  les  brouillards,  et  auxquelles 
s'ajouteront  peut-être  dans  un  avenir  prochain  d'autres  îles  découvertes 
sur  le  chemin  du  pôle,  ne  sont  pas  même  comptées  d'ordinaire  comme 
faisant  partie  de  l'Europe  :  avec  l'extrémité  septentrionale  du  Groenland  et 
les  archipels  polaires  du  nord  de  l'Amérique,  elles  forment  un  monde  à 
part  qui  n'appartient  pas  encore  à  l'homme.  Sans  doute,  des  Etats  d'Eu- 
rope ont  pu  revendiquer  la  possession  du  Spitzberg,  y  faire  planter  leurs 
drapeaux  ;  mais  ces  terres  lointaines  n'en  restent  pas  moins  des  soli- 
tudes, englouties  pendant  des  mois  entiers  dans  la  nuit  de  l'hiver,  puis 
éclairées  par  un  soleil  qui  tournoie  dans  les  cieux,  guidant  rarement  sur 
les  flots  d'autres  navires  que  ceux  d'aventureux  pêcheurs.  Peut-être  les 
naturalistes  qui  explorent  les  îles  du  monde  polaire  y  découvriront-ils 
un  jour  des  richesses  qui  attireront  des  colons  dans  ces  régions  déso- 
lées; mais  jusqu'à  maintenant,  des  chasseurs  de  morses  et  des  naufra- 
gés ont  été  les  seuls  à  y  séjourner  pendant  l'hiver.  Quoique  situées  en 
dehors  du  monde  habité,  ces  terres  inhospitalières  rappellent  néanmoins 
quelques-unes  des  gloires  les  plus  pures  de  l'humanité.  Ces  mers  dange- 
reuses ont  été  parcourues  dans  tous  les  sens  par  des  hommes  sans  peur 
qui  ne  cherchaient  ni  des  batailles,  ni  la  fortune,  mais  seulement  la  joie 
d'être  utiles.  Les  noms  de  Barents,  de  Ileemskerk  et  de  Bernard,  de  \M\- 
loughby  et  de  Parry,  de  Nordenskjôld,  de  Payer  et  de  Weyprechl.  rappel- 
lent des  hauts  faits  de  courage  et  de  persévérance  dont  la  race  iiumaire 


24'!  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

peut  rester  lière  à  jamais,  et  pas  une  année  ne  s'écoule  sans  que  d'au- 
tres liomnies  vaillants  s'élancent  sur  les  traces  des  premiers  explora leui's, 
afin  d'agrandir  le  monde  connu  et  de  pénétrer  plus  avant  dans  les  mystères 
du  pôle. 


La  première  terre  de  l'océan  Glacial,  à  450  kilomètres  environ  au  nord- 
ouest  des  côtes  du  Finmarken,  est  complètement  séparée  de  la  Scandinavie 
par  des  abîmes  océaniques  :  dans  ces  parages,  la  mer  n'a  pas  moins  de 
540  mètres  de  profondeur.  Découverte  par  le  Hollandais  Barents  le 
1"  juillet  I50(i,  Becren-Eyland  ou  «  l'Ile  des  Ours  »,  ainsi  nommée  d'une 
bête  qu'on  y  tua,  ne  l'ut  revue  que  sept  années  plus  tard,  par  l'Anglais 
Bennet,  qui  lui  donna,  en  l'Iionneur  de  son  patron  Cberie,  le  nom  de  Chérie 
ou  de  Clierry-Island,  inscrit  encore  sur  un  grand  nombre  de  cartes.  De  nos 
jours,  elle  est  visitée  fréquemment  par  les  pêcheurs  norvégiens,  car  des 
poissons,  les  requins,  les  morues,  même  les  harengs,  se  jouent  en  multi- 
tude autour  de  ses  falaises  percées  de  grottes  :  des  ateliers  temporaires 
de  salaison  ont  été  fondés  sur  les  côtes  de  l'ilc;  une  véritable  maison 
s'élève  au  bord  d'une  crique,  dans  la  partie  septentrionale  de  Beeren 
Eyland  ;  mais  les  morses,  jadis  si  communs,  ont  presque  entièrement  dis- 
paru de  l'île  :  en  1608,  un  équipage  de  navire  y  tua  en  sept  heures  de 
chasse  près  d<^  mille  pinnipèdes  de  cette  espèce'. 

>'aguèro  tous  les  navigateurs  signalaient  cette  île  comme  n'ayant  qu'une 
1res  faible  étendue  :  encore  en  1864,  Nordenskjold  et  Dunér  lui  attri- 
liuaienl  une  surface  de  Ùij  kilomètres  carrés  seulement.  Les  levés  exacts 
(l(!s  ex|)loraleurs  suédois  de  1868,  au  nombre  desquels  se  retrouvait  Nor- 
denskjold, indiquent  la  superficie,  exactement  décuple,  de  670  kilomètres. 
Des  lacs,  des  marais  parsèment  une  partie  de  cette  étendue,  tandis  qu'au 
sud-est  le  sol  se  redresse  en  collines,  dont  l'une,  nommée  par  les  An- 
glais Mounl  Misery  à  cause  de  l'aspect  désolé  de  ses  pentes,  se  dresse, 
d'après  Mohn,  à  455  mètres  au-dessus  de  vastes  névés;  mais  on  n'y  voit 
pas  de  véritables  glaciers.  Les  roches  de  l'île,  renfermant  des  gisements 
de  galène,  ont  été  exi)lorées  pour  la  première  fois  par  le  géologue  Keilhau; 
elles  consistent  en  calcaires  et  en  grès  de  la  formation  carbonifère,  et  l'on 
y  trouve  en  maints  endroits  de  puissantes  couches  de  houille  portant  des 
impressions  de  sigillariées,  de  calamités  et  d'autres  plantes  fossiles  :  des 


'  Torcll  iitiil  Ndrdenskjôld,  Die  schwcdischcn  Expcdiltonen  iiacli  Spitzbergen  und  Bdren-Eiland, 
IratliicliiJii  alli'iiianili;  de  l'assar^c. 


BEEREN-EYLAXD,   SPITZBRRG.  217 

bateaux  à  vapeur  qui  passaient  à  côté  de  l'île  ont  utilisé  ce  combustible. 
A  l'époque  où  se  déposaient  ces  strates,  Beeren-Eyland  faisait  partie  d'un 
f,^rand  continent,  qui  s'étendait  probablement  jusqu'au  nord  de  l'Amérique, 
à  en  juger  par  l'identité  de  la  flore  houillère  dans  toutes  les  îles  de  l'océan 
Glacial;  plus  tard  le  continent  disparut  en  entier  sous  les  flots,  et  les  îles 
qui  se  voient  maintenant  en  sont  des  fragments  émergés'.  Lorsque  se 
forma  la  houille  de  Beeren-Eyland,  le  climat  de  l'île,  qui  est  maintenant 
plus  froide  peut-être  que  le  Spitzberg',  ressemblait  à  celui  de  l'Europe 
centrale  :  sur  18  espèces  de  plantes  recueillies  par  Nordenskjold  et  Malm- 
grèn  dans  les  houilles  et  les  roches  de  Beeren-Eyland,  15  sont  identiques 
à  celles  de  la  flore  houillère  suisse.  Mais  de  nos  jours  que  cette  île,  tou- 
jours battue  des  vents  humides,  paraît  désolée  !  On  n'a  point  à  s'étonner 
du  premier  nom,  laramerberg  ou  «  Mont  de  Désolation  »,  que  lui  donna 
Barents.  Sa  flore,  d'une  extrême  pauvreté,  ne  comprend  qu'une  trentaine 
de  phanérogames,  parmi  lesquelles  une  espèce  de  rhododendron,  et  80 
espèces  de  mousses,  dont  la  verdure,  vue  de  loin,  ressemble  pourtant  çà 
et  là  à  celle  des  prairies.  Parmi  les  12  espèces  d'insectes,  on  ne  ren- 
contre pas  un  coléoptèrc,  mais  presque  toutes,  d'après  Malmgrèn,  ont  des 
formes  particulières,  comme  si  l'île  même  était  leur  lieu  d'origine.  En 
été,  Beeren-Eyland  est  couverte  de  mouettes  et  de  canards  qui  s'y  repo- 
sent avant  tle  cingler  vers  le  nord;  en  automne,  les  oiseaux  voyageurs  s'y 
arrêtent  de  nouveau  en  retournant  vers  les  terres  du  sud. 


L'île  des  Ours  est  le  promontoire  méridional  d'un  plateau  sous-marin 
qui  s'étend  au  loin  vers  le  nord  et  h;  nord-est  jusque  dans  les  parages 
inconnus  de  l'océan  Glacial.  Le  canal  de  '200  kilomètres  de  largeur  qui 
sépare  Beeren-Eyland  des  îles  les  plus  rapprochées  n'a  que  des  profon- 
deurs peu  considérables,  variant  de  50  à  r)'25  mètres.  En  1857,  un  banc 
de  glace  continu  recouvrait  entièrement  ce  large  détroit. 

L'arciii|)i'l  du  Spitzberg  —  ou  mieux  de  Spitsbergen  —  est  un  ensem- 
ble, formé  de  cinq  grandes  îles  et  de  nombreux  îlots,  s'allongeant  du  sud 
au  nord  sur  un  espace  de  j)lus  de  4  degrés  de  latitude  :  ses  derniers  îlots 
ne  sont  à  guère  plus  de  1000  kilomètres  du  piMe.  Les  géographes  évaluenl 
diversement  la  superficie  de  ces  contrées  neigeuses;  mais,  grâce  aux  obser- 
vations précises  qui  ont  été  faites  sur  plusieurs  points  du  littoral,  on  peut 


'  Oswald  Ik-nr,  Vcber  die  neuesten  EnUk'ckungen  im  hohcn  f\orikn. 
'  0.  Torell  und  .Nordcnskjold,  ouvrage  cilr. 


248  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

désormais  donner  pour  la  surface  du  groupe  entier  des  évaluations  approxi- 
matives. Déjà  Scoresby,  dans  les  vingt  premières  années  du  siècle,  avait 
relevé  astronomiquement  quelques  points  des  côtes,  et  des  explorateurs 
anglais,  Brook,  Franklin,  Becchey,  Parry,  avaient  reconnu  avec  précision 
les  côtes  du  Nord.  En  1S5S,  les  officiers  français  de  la  Recherche  ont  tracé 
exactement  les  contours  de  la  grande  baie  méridionale  appelée  Bell-Sound, 
et  durant  les  cinq  explorations  consécutives  qu'il  a  dirigées,  notamment 
dans  celle  de  1864,  M.  Nordenskjôld  a  fixé,  avec  JDI.  Dunér,  Chydenius, 
Lindhagen,  la  position  exacte  de  ISO  points  différents.  En  1870,  MM.  Heug- 
lin  et  Zeil  ont  pu  rectifier  sommairement  le  tracé  des  anciennes  cartes  pour 
une  notable  partie  des  côtes  orientales,  ajouter  au  profil  des  rivages  un 
grand  nombre  de  promontoires  et  de  criques,  indiquer  dans  l'intérieur 
des  montagnes  et  des  champs  de  glace  ;  mais  ils  laissent  à  leurs  succes- 
seurs bien  des  corrections  à  faire  et  des  traits  à  signaler.  La  mesure  d'un 
arc  de  méridien  du  sud  au  nord  de  l'île,  opération  qui  serait  d'une  si  haute 
importance  pour  l'étude  de  l'aplatissement  polaire,  n'a  encore  été  que 
préparée,  quoique  Sabine  se  fût  offert  déjà,  il  y  a  plus  d'un  demi-siècle,  à 
en  diriger  l'exécution'.  Dès  l'année  1865,  le  géographe  Debes  attribuait  à 
l'ensemble  de  l'archipel  une  surface  de  58  SOO  kilomètres  carrés";  mais 
une  récente  expédition,  celle  de  Leigh  Smith  et  d'Ulve,  en  1871,  a  donné 
à  la  Terre  du  Nord-Est  une  étendue  de  beaucoup  supérieure  à  celle  qu'on 
lui  assignait  jusqu'alors  :  elle  se  trouve  ainsi  accrue  à  l'est  d'un  territoire 
d'au  moins  5500  kilomètres  carrés".  On  peut  évaluer  au  luiitième  de  la 
France  la  surface  des  vastes  solitudes  du  Spitzberg. 

Lorscpie  Barents  découvrit  cet  archipel  du  Nord  en  1596,  et  même  en 
atteignit  la  rive  septentrionale,  on  croyait  que  le  Grônland  s'étendait  beau- 
coup plus  à  l'est.  Quelques-uns  pensaient  même  qu'il  allait  rejoindre  le 
continent  d'Asie,  et  diverses  légendes  en  parlent  comme  d'un  Trollbolen  ou 
«  Pays  dos  Sorciers'  «  occupant  loul  le  nord  du  monde.  Quoiqu'un   des 

'   Beecliey,  Voyage  of  discoverii  Inwards  ihc  I\'orUi  Pôle. 

'  Pelermann's  Mitllieilung^n,  1805;  —  Pclcnnaun,  Spitiberi/en  und  dic  nrklisclic  Central 
Région,  Ergaiizungslielï,  n°  10.  —  Ch.  GraJ,  Esquisse  physique  des  îles  SpiUberyen. 

'  Terre  du  Nord-Esl  el  îles  voisines lôilOO  (?)  kil.  caiTos. 

Spitzberg  occidental       »  »       ,"il  2(50         "         » 

lies  du  Piince  Charles  . 1  000         » 

Terre  de  Barents  et  iles  voisines 1  .^30         j         « 

Edges  Island  ou  Staus  Forelaod  (Terre  des  États)  el  iles  voisines.        0  JIO         »  » 

Ensemble (il '200       kil.  carrés. 

♦  De  Ras,  llel  Doop  Register  mn  SpiUlicrgen,  Tijdsclirifl  van  bel  aardrijkskundig  Genootschap  tî 
Aiiislcrdani,  1877,  iV  5. 


LK    SOLEIL     (JE     M  I  S  C  I  T     AU 

Dessin  (le  F(i( 


•ii'irzDKnc.    —    TUE   pnisE   au  xonD   du    iion> 
j,  il'upi'ès  une  |>liolographic  du  Comte  Wilczck 


SPITZBERG.  251 

compagnons  do  Barents,  Cornelis  Ri,j|),  eût  fait  la  circumnavigation  do 
l'archipel',  n^nouvoloe  pour  la  première  fois  en  1865  par  le  capitaine 
norvégien  Carlsen,  cet  important  voyage  fut  complètement  oublié  et  l'on 
continua  longtemps  à  désigner  ces  îles  du  Nord  sous  le  nom  de  Groenland, 
diversement  reproduit  sur  les  cartes  :  on  les  appelait  aussi  Niculand, 
comme  tant  d'autres  îles  nouvellement  découvertes.  Cependant  le  nom  de 
Spitzberg,  qui  date  de  l'époque  même  de  la  découverte,  finit  par  prévaloir. 
Les  brusques  saillies  des  montagnes  du  Sud  valurent  ce  nom  à  tout  l'ar- 
chipel, ainsi  que  le  dit  le  journal  «  escrit  de  la  main  prospre  de  Guillaume 
liernard  »,  compagnon  de  Hecmskerk  et  de  Barents  :  «  La  terre  estoit  la 
]dus  part  rompue,  bien  hault,  cl  non  autre  (jue  monts  et  montaignos 
agues,  parquoy  l'appellions  Spitsbergen.  » 

Encore  de  nos  jours,  les  cartes  du  Spitzberg  sont  en  contradiction  aji- 
jiarente  les  unes  avec  les  autres  par  l'effet  de  la  nomenclature  tout  à 
fait  arbitraire  adoptée  par  la  plupart  des  cartographes  appartenant  aux 
différentes  nations,  l'n  faux  patriotisme  a  fait  en  mainte  occasion  rem- 
placer par  de  nouvelles  désignations  les  noms  qu'avaient  choisis  les  pre- 
miers navigateurs,  et  les  mots  hollandais,  anglais,  suédois,  s'entremêlent 
ainsi  d'une  manière  fâcheuse.  Tel  cap,  telle  baie  ont  jusqu'à  dix  appella- 
tions distinctes.  Il  importe  de  restituer,  sous  peine  d'injustice  et  d'inextri- 
cables confusions,  le  nom  primitif  à  chaque  montagne,  à  chaque  promon- 
loire,  à  chaque  îlot,  excepté  là  où  un  usage  constant  et  général  a  depuis  de 
longues  années  fait  disparaître  l'ancienne  désignation.  Au  nord-ouest,  une 
pointe,  le  Biscayers  llook,  rappelle  les  anciens  Basques  ;  mais  un  seul 
point  du  littoral  de  Spitzberg  porte  maintenant  un  nom  français  :  c'est 
l'ancien  Schoonhaven  ou  «  Beau  Port  »,  devenu  la  «  baie  de  la  Recherche  » 
ilepuis  que  les  explorateurs  Martins,  Lottin,  Bravais,  Robert,  y  ont  fait 
b'urs  observations  scientifiques'.  La  petite  «  baie  des  Basques  »  ou  «  Refuge 
Français  »,  où  le  pécheur  basque  Jean  Vrolicq  avait  établi  en  1055  le 
séchoir  principal  de  ses  pêcheries,  a  définitivement  perdu  son  nom,  quoi- 
(|u'ou  eu  connaisse  encore  l'cmijlacement,  un  |ieu  au  sud  de  la  baie  de 
Magdalciia;  quant  à  la  »  lÎMiji'  des  rraiiclio\s  »,  où  pêcliaicnl  aussi  lo 
Basques  de  Saint-.leau-di'-Luz ',  il  faut  y  voir  probablement  l'inwyck  di's 
premiers  navigateurs,  le  l'ell-Sound  des  Anglais.  Sur  la  côte  occidentale, 
qui  de  tout  temps  fui   liè<  fréipienlée  |iar  les  pêcheurs,  jucscjue  toutes  les 

'  Cl.  Muikliam,  Journal  n(  tlic  R.   Georjrapliical  Society,   I87ô;  —  UuUcr,   Gescliieilciiis  der 
Miiorrisrhe  Compagnie  ;  —  Kari  et  Pnsihuiiiiis,  Congrès  des  Sciences  géographiques,  Paris,  I87J 
'   Voyage  en  Saindinnrie  cl  au  Spitzberg  de  la  corvelle  h  Flecheiclic.  4  vol.  iii-8,  avec  all.is. 
■■  lles^tl  G(!iTil."!z,  llisloire  du  pays  nommé  SpiUberglie.  1012. 


252  NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

appeJlations  géographiques  inaiiilenues  sont  d'origine  anglaise  on  néerlan- 
daise :  au  nord,  sur  les  bords  du  délroil  de  llinlopen  et  sur  le  littoral  de 


N"  d\.    ARCHIPEL    DO    SPITZIIEUG. 


dsprcs  la  Carte  de  b  Manne  anjl' 


la  Terre  du  INord-Est,  les  désignalions  imposées  par  les  explorateurs  sué- 
dois se  mêlent  surtout  aux  noms  anglais,  tandis  qu'à  l'est  MM.  lleuglin 
et  Zeil  ont  couvert  de  termes  allemands  la   carie  de  leur  itinéraire.  Kniin 


SPITZREKG. 


233 


l'île  occidentale,  dite  Prince  Charles  Foreland,  a  reçu  un  nom  russe  pour 
l'un  de  ses  promontoires,  le  cap  Svetoï  ou  «  cap  Sacré  ». 

L'archipel  des  «  Montagnes  Aiguës  »  n'a  pas  de  sommets  d'une  très 
grande  hauteur.  La  cime  la  plus  élevée  qui  ait  été  mesurée  jusqu'à  présent 
est  le  pic  de  Horn  Sound,  qui  se  dresse  près  de  la  baie  de  même  nom, 
vers  l'extrémité  méridionale  de  la  grande  île,  mais  que  l'on  voit  rarement 
au-dessus  des  brouillards  qui  l'enveloppent.  On  dit  aussi  que  des  pointes 
de  1500  mètres  dominent  l'âpre  chaîne  de  l'île  du  Prince  Charles,  pa- 
rallèle à  la  côte  occidentale  du  Spitzberg.  11  n'existe  point  sur  les  terres 
de  l'archipel  d'autres  sommets  atteignant  la  hauteur  d'un  kilomètre  ;  le 
plus  élevé  que  l'homme  ait  gravi  est  celui  de  la  a  Montagne  Blanche  »,  à 
l'est  de  la  grande  île,  observatoire  d'où  Nordenskjôld  a  pu  contempler 
en  1865  un  admirable  panorama.  L'intérieur  des  îles,  partout  où  des 
explorateurs  ont  pu  le  dominer  de  quelque  montagne  bien  placée,  se 
présente  sous  la  forme  d'un  onduleux  plateau,  percé  çk  et  là  de  roches 
tachetées  de  neige  dans  leurs  anfractuosités  et  contrastant  avec  l'immense 
étendue  blanche  par  leurs  noires  saillies.  En  moyenne,  les  névés  de  l'île 
de  West  Spilsbergen  s'étendent  à  500  ou  600  mètres  d'altitude;  ceux  de 
l'île  du  Nord-Est  sont  plus  élevés  d'une  centaine  de  mètres  '. 

Quoique  l'intérieur  de  l'archipel  du  Spitzberg  soit  à  peu  près  complète- 
ment inconnu,  cependant  les  énormes  quantités  de  débris  qui  se  sont 
amassées  à  l'extrémité  des  glaciers  permettent  d'affirmer  que  la  nature 
du  terrain  est  la  même  au  milieu  des  îles  et  sur  leur  pourtour.  Les 
roches  que  l'on  a  rencontrées  le  plus  communément  sont  les  granits,  les 
gneiss,  les  assises  de  formation  paléozoïque  :  le  gneiss  forme  en  entier  le 
haut  archipel  des  Sept  Iles,  au  nord  de  la  Terre  du  Nord-Est,  et  toute  la 
partie  septentrionale  de  l'archipel  est  d'origine  ancienne  ;  mais  plus  au 
sud  on  rencontre  des  roches  appartenant  à  presque  toute  la  série  des  âges 
secondaires,  notamment  le  trias  et  le  jura,  et  même  à  l'époque  tertiaire. 


'  Allitudes  diverses  de  l'archipel  : 

Fr.lXCE   CHARLES    FORCLAND. 

Sommet  principal 1500  (?)  mcl. 

CRASDK    ÎI.F.    (WEST-SPITSBERGEX). 

Pic  de  llorn  Sound 1580  (?)mè:. 

Mont  Lindstrnm  (Ice  Sound I  .    .  1200 
Jliddle  Iluok  (Bcll-Sound)  ...  810         p 
Montagne  Blanclie  (|>ointc  orien- 
tale)        900 

Cap  Afiardh  (baie  Agardh).    .    .  570         » 
Mont  Chydenius  (centre).  .    .    .       600         • 

Mont  LoYcn  (nord) 5IU        i> 


TERRE   DC   .\ORD-EST. 

Snbttoppen  (capBird.au  nordouesl). 

570  met 

210     » 

500     » 

SEPT    iLES. 

Ile  Parrj-,  cime  principale  .... 

515  met 

Ile  Martens    •            »         .... 

420     .. 

Ile  Phipps      •            »         ... 

549     . 

BARENTS    LiMi. 

Mont  Fraas 

600  met 

254  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

Des  assises  miocènes,  près  de  Bell-Sound,  renferment  loute  une  végétation 
fossile,  peupliers,  aunes,  noisetiers,  platanes  et  cyprès,  qui  prouvent  qu'à 
cette  époque  le  climat  du  Spitzberg  devait  être  à  peu  près  le  même  que  celui 
de  la  Scandinavie  vers  le  60'' degré  de  latitude'.  Quelques-unes  des  cou- 
ches calcaires  renfermant  de  beaux  marbres  pourraient  être  exploitées,  si 
elles  se  trouvaient  sous  d'autres  climats;  les  gisements  de  phosphates  de 
rijs-fjord  sont  également  fort  riches,  et  même  une  compagnie  linancière 
a  tenté  de  les  exploiter;  enfin,  sur  la  côte  occidentale,  au  nord  du  Bell- 
Sound,  les  glaciers  entraînent  des  fragments  de  houille,  déjà  signalés  par 
Scoresby.  Le  géologue  Blomstrand,  explorant  les  bords  de  King's  Bay,  entre 
rijs-fjord  et  la  baie  Magdalena,  a  fini  par  trouver  les  couches  mêmes  de 
houille  à  '2500  mètres  du  rivage,  dans  le  lit  desséché  d'un  torrent  glaciaire. 
Ce  charbon,  qui  brûle  avec  une  extrême  facilité  et  laisse  peu  de  cendres, 
sera  peut-être  un  jour  de  quelque  importance  industrielle  :  comme  celui 
(le  Beeren-Eyland,  il  est  très  riche  en  arbres  fossiles,  et  ceux-ci,  appar- 
tenant aux  mêmes  espèces,  témoignent  ainsi  d'une  même  douceur  dans 
l'ancien  climat". 

Sur  les  côtes  du  Spitzberg,  les  roches  volcaniques  ne  manquent  pas  non 
plus  et  présentent  çà  et  là  l'aspect  le  plus  pittoresque.  Ces  masses  érup- 
tives,  formées  d'hypérite,  que  ^'ordenskjôld  considère  comme  une  cendre 
cristallisée  sous  une  forte  pression,  ne  se  dressent  nulle  part  en  pitons, 
en  cônes  isolés,  mais  elles  se  montrent  en  coupes  et  en  nappes  sur  les 
escarpements  des  falaises  et  se  divisent  en  prismes  irréguliers,  offrant  de 
loin  une  certaine  ressemblance  avec  les  colonnades  basaltiques.  En  divers 
endroits,  elles  paraissent  s'être  distribuées  à  la  facjon  des  laves  sur  les 
assises  du  trias  et  du  jura.  Les  falaises  d'hypérite  sont  nombreuses  sur 
les  deux  bords  du  détroit  de  Hinlo|)en,  et  plusieurs  îles  sont  entièrement 
composées  de  cette  roche  volcanique.  L'archipel  dont  les  terres  sont  parse- 
mées au  sud  de  Stans  Foreland  et  que  l'on  appelle  les  «  Mille  Iles  »,  bien 
ipi'on  n'en  ait  guère  compté  qu'une  centaine,  consiste  également  en 
laves  hypcritiques,  ainsi  (pie  les  divers  promontoires  qui.  de  la  Terre  de 
Barents  et  de  la  grande  île  de  Spitzberg,  s'avancent  dans  la  baie  de 
(jinevra  ;  au  pied  de  la  haute  colline  du  iMôwenberg  ou  «  Mont  des 
Mouettes  »,  les  piliers  de  lave  reposent  sur  des  marnes  stratifiées  que  l'eau 
détruit  facilement  ;  quand  la  base  vient  à  manquer,  elles  surplombent 
pendant  quelque  temps  la  mer,  puis  s'écroulent  les  unes  après  les  autres. 


'  (Jsw.ilii  lli'iT,  lifber  (lie  Polarlùndn. 

''  .Nordfnskjolil,  Ceoloyy  of  Spitibergen,  Gcological  Miignzinc,  l!>70,  Joe.  ii,  vol.  IlL 


MONTAGNES.   CLIMAT  DU   SIMTZBERG.  255 

En  quelques  endroits,  on  voit  des  groupes  de  piliers,  semblnbles  à  de 
gigantesques  obélisques,  se  dresser  isolément  au  bord  de  l'abîme.  Presque 
partout  des  massils  de  laves  s'avancent  en  saillies  aiguës,  laissant  entre 
elles  des  ravines  emplies  de  neige  :  cette  alternance  de  nappes  blanches, 
d'aiguilles  noires  et  de  colonnes  en  faisceaux  autour  desquelles  tour- 
billonnent les  mouettes,  forme  un  ensemble  bizarre,  que  ses  premiers 
spectateurs,  Heuglin  et  Zeil,  ont  comparé  à  des  monuments  d'architecture 
ogivale  '.  Les  hypérites  du  Spitzberg  contiennent  une  certaine  quantité 
de  fer,  et  même  ils  se  recouvrent  à  l'air  d'une  légère  couche  de  rouille.  Au 
pied  de  ces  falaises,  i'aiguiile  aimantée  se  trouble  et  donne  de  fausses 
directions  aux  marins  qui  la  consultent. 

Pendant  l'année  presque  tout  entière,  les  roches  doucement  inclinées 
du  Spitzberg  sont  cachées  par  la  neige  :  on  ne  les  voit  reparaître,  au 
commencement  de  l'été,  que  dans  le  voisinage  de  la  mer,  sur  les  pentes 
inférieures.  La  limite  moyenne  des  neiges  persistantes  dans  les  îles  de 
l'archipel  a  été  diversement  fixée  par  les  naturalistes;  mais  on  peut  dire 
que  cette  ligne  varie  à  l'iniini,  suivant  la  nature  et  l'inclinaison  des 
roches,  l'exposition  et  les  mille  conditions  du  climat".  Là  où  le  vent  et  le 
soleil  ont  l'un  et  l'autre  travaillé  à  dégarnir  les  pentes,  la  roche  peut  être 
complètement  débarrassée  de  neiges  jusqu'à  la  hauteur  de  400  et  même 
de  500  mètres  :  dans  l'archipel  septentrional  des  Sept  Iles,  iSordenskjôld 
et  ses  compagnons  ne  virent  pas  même  une  plaque  de  neige  au-dessous 
de  500  mètres;  sur  quelques  roches  isolées,  d'où  se  sont  écroulées  les 
neiges,  la  végétation  peut  se  montrer  jusqu'à  plus  de  000  mètres  au-dessus 
de  la  mer.  Mais  là  où  les  orages  et  les  avalanches  ont  amassé  les  neiges, 
où  l'ombre  les  a  protégées  des  rayons  solaires,  elles  se  maintiennent  pen- 
dant toute  l'année,  et  la  limite  des  neiges  persistantes  se  confond  ainsi  avec 
la  ligne  des  rivages. 

Sous  un  pareil  climat,  les  ruisseaux  ne  peuvent  avoir  qu'une  existence 
temporaire  :  de  petits  cours  d'eau  se  forment  dans  les  couloirs  d'ava- 
lanches, puis,  arrivés  dans  les  terres  basses  du  littoral,  cherchent  leur 
chemin  à  travers  les  graviers  :  en  maints  endroits,  leur  cours  est  obs- 
trué de  ponts  de  neige,  aux  arches  irrégulières  ornées  de  pendentifs 
transparents.  Mais  les  grandes  vallées,  largement  ouvertes  dans  l'épaisseur 
du  plateau,  sont  emplies  par  des  glaciers  qui  descendent  presque  tous  jus- 
qu'à la  mer  et  dont  quelques-uns  s'avancent  même  en  dehors  du  rivage. 


Pelermnnn'.i  Milthetluiufeii,  1871,  n"  5. 

Karl  Wi'v,  icclil,  Melamorphjsen  du  Po'.arciies. 


256  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

La  plupart  de  ces  fleuves  glacés,  formés  eux-mêmes  de  névés  d'une  faillie 
altitude,  n'ont  qu'une  pente  peu  considérable,  beaucoup  moindre  que  celle 
des  glaciers  des  Alpes,  et  s'inclinent  d'une  pente  égale  sans  grandes  cre- 
vasses, sans  écroulement  de  séracs  :  d'ailleurs,  les  pliénomènes  qu'on  y 
observe  sont  les  mêmes  que  sous  les  latitudes  tempérées.  Engagés  dans  le 
névé  par  leur  vaste  bassin  d'alimentation,  ils  sont  en  général  assez  courts 
en  proportion  de  leur  largeur,  car  plusieurs  d'entre  eux  occupent  de  pro- 
montoire à  promontoire  tout  le  littoral  de  vastes  baies.  Le  plus  vaste  est 
sans  aucun  doute  celui  de  la  côte  orientale  de  la  Terre  du  ^'ord-Est,  que 
l'on  croit,  mais  sans  avoir  encore  pu  le  constater  d'une  manière  pré- 
cise, former  une  paroi  glacée  de  plus  de  100  kilomètres  de  longueur.  Tout 
près  de  la  pointe  méridionale,  un  glacier  présente  sur  la  mer  un  front  de 
20  kilomètres;  celui  de  Ilorn-Sound  n'est  guère  moins  large,  et,  sur  la 
côte  orientale,  le  glacier  de  Markham,  ceux  d'Inglefield,  de  Negri,  de  Hoch- 
stetter,  interrompent  la  ligne  des  côtes  sur  des  espaces  bien  plus  considé- 
rables. Parmi  les  courants  de  glace  qui  s'épanchent  des  monts  du  Spitz- 
berg,  il  en  est  aussi  que  l'on  dirait  être  de  simples  cataractes  saisies  tout 
à  coup  par  la  gelée  :  ainsi  l'un  des  glaciers  qui  tombent  dans  la  baie 
Magdalena  n'a  que  240  mètres  de  l'une  à  l'autre  rive. 

La  plupart  des  glaciers  du  Spitzberg  se  terminent  du  côté  de  la  mer  par 
des  coupures  soudaines  qui  permettent  de  voir  la  structure  intime  du 
fleuve  congelé.  On  voit  nettement  les  bandes  de  neige  durcie,  inégales  en 
dureté,  en  transparence,  en  teintes  blanchâtres  ou  azurées;  les  ondula- 
lions  des  couches  indiquent  dans  quel  sens  s'est  fait  le  mouvement  du 
glacier  ;  la  masse  tout  entière  s'avance  lentement  au-dessus  des  flots  en 
présentant  à  Ri  mer  sa  haute  paroi  bombée  vers  le  milieu  par  le  courant 
qui  l'entraîne.  Tandis  qu'en  Suisse  la  tranche  des  glaciers,  à  l'endroit  de 
leur  chute,  est  en  moyenne  de  10  à  25  mètres',  la  paroi  verticale  des 
glaciers  du  Spitzberg  se  dresse  cà  60,  à  80,  à  100  mètres,  et  même  on  a 
mesuré  121  mètres  de  hauteur  pour  le  mur  terminal  du  glacier  de  Horn- 
Sound.  Baignés  par  les  eaux  tièdes  (jue  les  courants  d'origine  tropicale 
amènent  sur  les  rivages  du  Spitzberg  et  qui  ont  en  moyenne  une  tempé- 
rature de  4  degrés  centigrades,  les  glaciers  de  la  côte  occidentale  ne  peu- 
vent s'avancer  sur  le  fond  même  de  la  mer,  en  dehors  du  lit  émergé  qui 
les  encaisse  :  toute  la  partie  qui  baigne  se  fond  rapidement,  et  la  face  in- 
férieure du  glacier  marque  la  hauteur  précise  à  laquelle  s'est  arrêtée  la 
marée  moulante.   Mais,   à  l'hiMnc  du    icilux.   U)ule   la  masse  projetée  en 

'  Cil.  Gnid,  Esquisse  pltysiquc  des  'des  SpildH'njen. 


GLACIERS  DU  SPITZRERG.  257 

avant  se  trouve  sans  appui;  longtemps  elle  résiste,  grâce  à  la  cohésion  de 
ses  parties  ;  soudain  un  craquement  se  fait  entendre,  suivi  du  tonnerre  de 
la  chute  :  tout  un  pan  de  la  muraille  glacée  s'est  abîmé  dans  la  mer.  Le 
flot,  refoulé  par  l'écroulement,  revient  en  masses  écumeuses  se  heurter 
contre  le  glacier;  vagues  et  glaçons  s'entrechoquent  et  se  confondent;  puis, 
quand  le  bouillonnement  de  l'eau  s'est  apaisé,  on  voit  les  blocs  flottants 
naviguer  de  conserve  en  se  balançant  sur  les  vagues  :  on  dirait  une  troupe 
de  personnages  fantastiques  cheminant  vers  la  haute  mer.  Quelques-uns 
de  ces  blocs,  plongeant  dans  une  eau  profonde,  gardent  d'énormes  dimen- 
sions. Dans  son  «  Voyage  au  Pôle  Boréal  »,  entrepris  en  1775,  Phipps, 
qui  se  trouvait  alors  près  de  Smeerenberg,  au  nord-ouest  de  l'archipel, 
décrit  un  de  ces  fragments  de  glace,  se  dressant  à  15  mètres  de  hau- 
teur au-dessus  de  la  surface  marine  et  plongeant  de  40  mètres  au-des- 
sous de  la  surface  de  l'eau.  Dans  la  paroi  du  glacier  de  Fairhaven,  d'où 
s'était  écroulé  ce  bloc  et  qui  n'avait  pas  moins  de  91  mètres  de  hau- 
teur, s'ouvrait  une  arche  d'où  les  eaux  grises  d'un  torrent  s'élançaient  en 
cascade. 

La  côle  orientale  du  Spilzberg  el  de  la  Terre  du  Nord-Est,  rasée  par  le 
couiant  polaire,  est  en  général  beaucoup  plus  difficile  d'accès  que  la  côte 
occidentale,  et  souvent  il  est  impossible  d'y  aborder.  Tandis  qu'à  l'ouest 
la  banquise  est  généralement  creusée  en  golfe  et  permet  aux  navires  d'at- 
teindre en  été  la  rive  septentrionale  de  l'archipel,  les  promontoires  et  les 
îles  de  l'est  sont  unis  par  une  couche  de  glace  continue.  Tous  les  golfes  et 
les  détroits  restent  cachés  :  aussi  les  contours  géographiques  de  cette  partie 
de  l'archipel  sont-ils  bien  moins  connus  et  moins  nettement  tracés  par  les 
cartographes  que  ceux  du  littoral  de  l'ouest.  On  peut  dire  que  par  le 
régime  de  ses  glaciers  la  côte  orientale  du  Spilzberg  ressemble  au  littoral 
du  Groenland  :  là  déjà,  les  glaces,  s'avançant  au  loin  dans  une  eau  déjà 
froide  et  qu'ils  refroidissent  encore  par  leur  contact',  peuvent  coiiliiiucr  de 
cheminer  sur  le  fond  de  la  mer  en  repoussant  les  vagues  devant  elle-^  : 
des  criques,  des  baies,  même  de  véritables  fjords  sont  complètement  obli- 
térés. De  celle  manière,  la  côte  orientale  du  Spilzberg,  égalisée  par  le 
front  mouvant  des  glaces,  semble  beaucoup  moins  découpée  que  la  rive 
opposée,  dont  les  indenlalions  restent  pour  la  plupart  ouvertes  au  flot 
marin.  Seulement  au  large,  elles  soiil  partiellement  si'jiarées  de  la  mer 
par  des  amas  de  débris  analogues  aux  «  ponts  de  mer  »  de  la  côle  norvé- 


»  Cil.  M:irlins,  Mémoire  sur  les  tempéinliires  de  In  mer  Ghiciatc,  à  la  surface,  à  île  ijrandes 
profondeurs  el  dans  le  voisinage  des  glaciers  du  Spilzberg. 


258 


NOUVELLE   GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


gieraïc   ;    ces  moraines  sous-marines  sont   connues  par   les  pécheurs  du 
Spitzberg  sous  le  nom  de  «  bancs  des  phoques  ». 

Les  glaciers  du  Spitzberg,  de  même  que  ceux  de  la  Suisse,  ont  eu,  pen- 
dant la  période  moderne,  de  nombreuses  alternatives  :  ils  diminuent  et 
grandissent  tour  à  tour.  Actuellement,  un  certain  nombre  de  glaciers  pa- 


BANQCISE5    PU    SPITZBERG   E\    1869. 


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SPITZBERG 


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raissent  être  dans  leur  période  de  croissance,  tandis  que  d'autres  sont  en 
voie  de  diminution.  Encore  en  1858,  le  glacier  de  Frithiof,  incliné  vers  le 
lîell-Sound,  sur  la  rive  septentrionale  de  ce  golfe,  était  un  courant  de  glace 
peu  étendu,  séparé  des  eaux  par  une  large  zone  de  terres  boueuses  que 
traversaient  des  ruisseaux  :  sur  une  bulle,  s'élevait  une  croix  indiquant 
la  tombe  d'un  matelot.  L'aspect  des  moraines  témoignait  du  retrait  des 


GLACIERS  ru   SPITZBEnC. 


259 


glaces;  mais  pendant  l'hiver  de  1860  à  1801  le  courant  cristallin  se  gonfla 
rapidement,  recouvrit  toute  la  grève  et  déborda  au  loin  dans  la  mer,  en 
comblant  l'un  des  meilleurs  ports  du  Spitzberg,  que  les  baleiniers  et  les 
chasseurs  de  rennes  fréquentaient  autrefois.  Maintenant,  le  glacier  de 
Frithiof  est  devenu  l'un  des  plus  considérables  du  Spitzberg,  et  les  mate- 
lots n'osent  guère  s'en  approcher  en  barque,  à  cause  des  blocs  qui  s'en 
écroulent.  Les  glaciers  que  les  explorateurs  français  ont  étudiés  en  1858 


AIE  nn  i,\  nFfiiFnciiE  ex 


dans  la  ])aie  de  la  lieL^horche  se  sont  accrus  également,  et  l'aspect  de  la 
baie  est  tout  autre  qu'il  n'était  à  cette  époque.  Des  changemsals  de 
même  nature  ont  été  observés  dans  le  Slor-fjord  et  d'autres  grandes 
baies,  où  d'anciennes  îles  sont  perdues  maintenant  dans  le  glacier  débordé. 
En  revanche,  il  semble  (pie  la  mer  de  glace  qui  remplissait  le  Nord-sund, 
indentation  septentrionale  de  l'ijs-fjord,  a  considérablement  reculé.  La 
comparaison  des  cartes  hollandaises  avec  les  cartes  modernes  ne  permet 
pas  d'arriver  à  une  autre  conclusion,  car  ces  parages  étaient  constamment 
visites  par  les  pêcheurs  néerlandais  et  l'on  ne  comprendrait  pas  que 
l'existence  de  la  grande  baie  du  nord  leur  fût  toujours  restée  inconnue'. 


•  Nordcnskjrild,  Geologiail  Mngaiinc,  décade  ii,  vol.  III,  n"  1. 


200  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

De  même  que  sur  les  rivages  de  la  Scandinavie,  les  traces  d'e.xliausse- 
ments  modernes  sont  fréquents  sur  le  littoral  du  Spitzberg.  D'anciennes 
plages  qui  témoignent  du  soulèvement  de  l'archipel  se  voient  sur  le  pour- 
tour presque  entier  des  îles  :  çà  et  là  coupées  par  les  glaciers  et  les  ravins 
d'érosion,  elles  se  poursuivent  à  des  hauteurs  inégales  le  long  des  côtes  ; 
la  plus  élevée  que  Heuglin  ait  observée  est  à  15  mètres  d'altitude,  et, 
suivant  l'inclinaison  du  sol,  elle  se  développe  soit  dans  le  voisinage  im- 
médiat de  la  mer,  soit  à  plusieurs  kilomètres  dans  l'intérieur  ;  d'autres 
observateurs  ont  vu  de  ces  grèves  soulevées  à  l'altitude  de  45  mètres. 
De  grandes  quantités  de  bois  de  dérive  rejetées  sur  les  plages,  bien 
au-dessus  de  l'atteinte  du  flot,  ainsi  que  des  os  de  baleine,  des  coquil- 
lages appartenant  à  des  espèces  encore  vivantes,  permettent  de  mesurer 
du  regard  l'exhaussement  qui  s'est  produit  pendant  l'époque  contem- 
poraine. C'est  à  l'angle  nord-occidental  de  la  Terre  du  Nord-Est  que 
les  effets  du  soulèvement  sont  le  plus  visibles.  L'île  Basse  {Loïc  hland) 
tout  entière  est  probablement  d'apparition  récente  :  ses  roches  par- 
semées de  lacs  semblent  à  peine  asséchées,  et  çà  et  là,  dans  l'intérieur 
des  terres,  des  fragments  de  navires  sont  mêlés  aux  arbres  flottés  et  aux 
ossements  de  baleine.  Une  rangée  d'écueils  émerge  peu  à  peu  entre  la 
grande  terre  et  cette  île  nouvelle,  dont  la  superflcie  peut  être  évaluée  à 
50  kilomètres  carrés. 


Attiédi  par  les  courants  maritimes  et  les  vents  du  sud-ouest,  l'archipel 
du  Spitzberg  participe  à  l'adoucissement  général  du  climat  dont  jouissent 
la  Scandinavie  et  toute  l'Europe  occidentale.  Il  est  vrai  que  l'isotherme 
indi(piant  la  température  moyenne  du  point  de  glace  passe  immédiatement 
au  nord  de  la  péninsule  Scandinave;  la  pointe  méridionale  du  Spitzberg 
est  coupée  par  la  ligne  isothermique  de  — 5  degrés,  et  l'on  peut  évaluer 
à  — 7  et  à  — 8°  la  température  annuelle  des  côtes  du  nord-est.  Pareil 
climat  est  de  ceux  où,  dans  le  nord  de  l'Amérique  et  de  l'Asie,  la  popu- 
lation est  déjà  très  clairsemée,  mais  où  vivent  néanmoins  des  populations 
indigènes  et  de  nombreux  immigrants  ou  voyageurs,  Canadiens,  Anglais 
ou  Russes.  En  été,  le  climat  du  Spitzberg  est,  sinon  l'un  des  plus  agréables 
de  la  Terre,  du  moins  l'un  des  plus  salubres.  Les  divers  explorateurs  sué- 
dois qui  ont  visité  l'île  pendant  les  dernières  décades  ont  unanimement 
constaté  qu'on  y  respire  beaucoup  plus  librement  que  dans  la  Scandinavie 
mériilionale  :  pendant  cette  saison,  rhumes,  catarrhes,  toux,  affeclions 
de   poitrine,   toutes  ces    maladies   restent    inconnues   des   éipiipagcs;   on 


CLIMAT  DU  SriTZBERG.  201 

s'expose  à  tous  les  changements  de  température  sans  craindre  un  refroi- 
dissement, et  les  matelots  qui  prennent  un  bain  force  peuvent  sans  impru- 
dence laisser  sécher  sur  leur  corps  leurs  habits  mouillés.  D'après  eux,  le 
Spitzberg  devrait  être  recommande  par  les  médecins  comme  un  excellent 
séjour  d'été  à  un  grand  nombre  de  malades.  Peut-être  que  dans  un  avenir 
prochain  des  hôtels  pareils  à  ceux  des  sommets  alpins  seront  érigés  au 
bord  des  criques  du  Spitzberg,  pour  l'accommodation  de  chasseurs  et  de 
malades  venus  de  l'Angleterre  et  du  continent'.  Toutefois  ce  climat  salubre 
reste  toujours  froid,  inégal,  changeant.  Jamais  le  ciel  n'est  serein  pendant 
une  journée  entière.  Des  vents  refroidis  par  les  banquises  ou  les  glaciers 
viennent  à  de  courts  intervalles  abaisser  la  température  de  l'atmosphère'; 
souvent,  ainsi  que  Scoresby  le  raconte  dans  ses  voyages,  on  peut  voir  des 
navires  pourchassés  dans  toutes  les  directions  par  des  vents  différents'; 
cependant  un  vent  du  sud  presque  constant  souffle  dans  le  détroit  de 
Hinlopen,  empêchant  ainsi  la  marche  des  navires  à  voiles  qui  essayent  de 
pénétrer  dans  ce  bras  de  mer  par  l'entrée  septentrionale'  :  c'est  là  ce  que 
faisait  déjà  remarquer  Friedrich  Martens  au  dernier  siècle.  A  toutes  les 
époques  de  l'année,  même  aux  «  jours  caniculaires  »,  il  tombe  de  la 
neige  et  la  température  peut  descendre  au-dessous  du  point  de  glace.  Au 
mois  de  juin  1810,  Scoresby  l'a  vu  marquer — 9\4  et  jusqu'à  mainte- 
nant la  plus  haute  température  que  l'on  ait  observée,  le  1'»  juillet  18(31, 
était  de  16  degrés.  En  hiver,  le  mercure  descend  fréquemment  jusqu'au 
point  de  sa  propre  congélation  ;  cependant  les  voyageurs  disent  (pie  la 
température  moyenne  est  relativement  douce,  les  vents  du  midi  souillant 
avec  régularité  et  souvent  avec  violence  pendant  cette  saison  :  le  froid 
n'est  pas  alors  plus  vif  qu'il  ne  l'est  dans  les  plaines  de  la  Suède,  à 
20  degrés  jjIus  au  sud.  Il  arrive  même,  en  plein  mois  de  janvier,  que 
la  température  s'élève  au-dessus  du  point  de  glace ^  Mais  quand  le  soleil 
apparaît  à  l'horizon,  pour  décrire  dans  le  ciel  du  nord  une  courbe  gran- 
dissant de  jour  en  jour,  le  calme  se  rétablit  dans  l'atmosphère,  et  c'est 
alors  que  les  froids  sont  le  plus  intenses  ;  ils  dépassent  de  beaucoup  ceux 
de  l'hiver  astronomique. 

Déjà  la  pointe  méridionale  du  Spitzberg,  sous  la  latitude  de  71)"  ÔO', 
est  assez  éloignée  de  l'cqualeur  pour  que  le  soleil,  vu  de  cette  i)arlie  de 


'  Trircll  et  Noidenskjold  ;  —  Miltlicilimrjen  von  Pclamaiiii.  111,  1872. 

'  Ch.  Miirlins,  Du  Spidherg  au  Sahara. 

'  Account  of  Ihc  Arclic  Heçiîuns,  18'2(). 

*  Spitxbenjisclie  (nier  Grunlilnilische  lic'scbcschrcdmnij. 

'  D'a|iiùs  Nordenskjôld,  +  ô^jO  en  IM73. 


262  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

la  contrée,  s'arroto,  au  plus  haut  de  sa  course,  à  37  degrés  au-dessus  do 
l'horizon  ;  observée  du  cap  Nord  ou  des  Sept  Iles,  la  hauteur  de  l'astre  est 
seulement  de  35  degrés.  Pendant  quatre  mois  entiers,  il  est  vrai,  le 
soleil,  tournant  incessamment  dans  la  partie  méridionale  du  ciel,  éclaire 
de  ses  rayons  obliques  les  glaces  et  les  rochers  du  Spitzberg  et  contribue, 
avec  les  pluies,  les  brouillards,  les  vents  tièdes,  à  débarrasser  la  terre  de 
ses  frimas  ;  mais  le  grand  hiver  se  compose  aussi  de  quatre  mois  de  nuit, 
pendant  lesquels  la  seule  lumière  est  celle  des  aurores  boréales.  Sous  l'in- 
fluence des  vents  du  sud,  qui  soufflent  assez  régulièrement  pendant  les 
mois  d'hiver,  le  météore  lumineux  est  presque  en  permanence,  mais  ses 
fusées  ont  beaucoup  moins  d'éclat  que  celles  des  aurores  vues  de  contrées 
plus  méridionales'.  Quant  aux  orages  bruyants,  déchirant  les  airs  par  les 
iu'usques  étincelles  de  la  foudre,  ils  sont  inconnus  dans  les  mers  du 
Spitzberg  ^ 

En  hiver,  les  îles  de  l'archipel  sont  unies  par  une  banquise  continue 
qui  se  hérisse  de  saillies  et  d'aiguilles  par  la  pression  mutuelle  des  glaçons 
que  les  vents  et  les  courants  heurtent  les  uns  contre  les  autres.  Au  nord, 
à  l'est,  le  continent  glacé  s'étend  jusqu'à  d'énormes  distances,  tandis  qu'à 
l'ouest,  nous  l'avons  vu,  la  banquise  riveraine,  limitée  par  les  eaux  tièdes 
du  large,  ne  s'éloigne  que  faiblement  de  la  côte  :  cependant  il  arrive  par- 
fois que,  même  au  commencement  de  l'été,  le  Spitzberg  soit  défendu  de 
tous  les  côtés  par  les  bancs  de  glace  et  ne  soit  abordable  aux  navires  que 
par  d'étroits  chenaux  s'ouvrant  entre  les  immenses  dalles  rompues  çà  et  là. 
L'inégalité  de  température  que  présentent  les  différentes  couches  d'eau, 
les  unes  amenées  par  les  courants  maritimes,  les  autres  provenant  de  la 

'  Nordenskjokl,  lellrc  du  25  février  1875. 

Température  moyenne  Températures  moyennes 

du  Spitzberg  au  7T  degré  30'  de  latitude,  enlS""2etl87ôdan>riiu'erna(;cder>i'orden;kj(ild, 

,    d'upic.s  Cil.  Martins:  i  Mossel-lwy  (79°  55')  : 

Janvier —  18»  2'  —    Q»    9' 

Février —  17»  I'  —22»    7' 

Mars —  I.")"  (!'  —17»    G' 

Avril —'.)»'/  —180  12' 

Mai' —    ;>»  5'  —    8»    5' 

Juin .            .  —    0»  5'                               1»    1' 

Juillet 2»  8'                               .fOO' 

Août 1»  4'                               2»    9' 

Septembre —    'i»  5'  —    5»    !)' 

Octobre —    8»  .V  —12»    C 

Novembre — 14»  5'  —    8»    1' 

Décembre '.    .    .    .  -15»  —  li»   4' 

Année —   8o22'  —    8»   9' 


CLIMAT.  FLORE  ET  FAUNE  DU  SPITZBERG.  263 

fasion  des  glaces,  a  pour  conséquence  la  formation  de  brouillards  qui 
cachent  absolument  la  terre  et  le  ciel  pendant  des  journées  entières  :  en 
août  1875,  Payer  et  Weyprecht  restèrent  pendant  554  heures,  —  soit 
plus  de  quatorze  jours,  —  dans  un  de  ces  épais  brouillards  qui  font  du 
jour  une  véritable  nuit.  Dans  les  mers  du  Spitzberg,  c'est  le  détroit  de 
Ilinlopen  surtout  qui  est  le  plus  souvent  fermé  aux  navires  comme  par 
un  mur  de  brouillards  :  les  eaux  froides  descendues  des  glaciers  et  celles 
qu'apporte  le  contre-courant  polaire  s'y  rencontrent  avec  les  flots  plus 
chauds  provenant  des  mers  méridionales*. 

Sous  le  ciel  gris  et  pâle  du  Spitzberg,  la  flore  est  d'une  extrême  pau- 
vreté :  celle  de  Novaïa  Zemla  est  riche  en  comparaison.  Il  n'y  a  d'autres 
arbres  dans  les  îles  que  les  bois  de  dérive  déposés  au  bord  des  plages, 
surtout  à  l'abri  des  îles  et  des  promontoires,  au  sud  et  au  nord  de  l'archi- 
pel. Les  arbustes  mêmes  manquent  entièrement  au  Spitzberg,  quoique  les 
tribus  arborescentes  soient  représentées  par  deux  espèces  de  saules  nains 
et  par  Vempetrum  niyrum,  seules  plantes  qui  ra])pellent  les  forêts  de 
l'Europe  tempérée.  La  végétation  dominante,  celle  qui  contribue,  avec  les 
rochers,  les  neiges  et  les  glaces,  à  donner  sa  physionomie  normale  à  la 
contrée,  consiste  en  mousses,  toujours  gonflées  par  l'humidité  du  sol,  et 
en  lichens,  recouvrant  les  pierres  comme  une  rouille  :  on  en  compte  plus 
de  200  espèces*.  Pendant  les  rapides  semaines  de  l'été,  les  plantes  phané- 
rogames se  hâtent  de  fleui-ir.  et  leurs  corolles  ressemblent  à  celles  des 
Alpes  par  l'éclat  des  couleurs.  D'après  Heuglin,  on  compterait  dans  les 
diverses  îles  de  l'archipel  120  espèces  de  phanérogames,  de  trois  à  quatre 
fois  plus  qu'en  Islande.  Malmgrèn,  le  naturaliste  qui  a  le  plus  long- 
temps exploré  l'archipel,  énumère  seulement  96  plantes  à  fleurs  visibles  et 
4  fougères".  La  flore  du  Spitzberg  appartient  à  la  fois  à  la  zone  arctique  et 
à  la  Scandinavie,  puisqu'elle  comprend  Si  plantes  que  l'on  retrouve  au 
Groenland  et  09  qui  se  voient  aussi  dans  la  péninsule  Scandinave.  De 
toutes  ces  espèces,  une  seule  est  alimentaire,  le  cochlearia  fencslrata  : 
moins  amer  que  les  plantes  congénères  des  terres  plus  méridionales,  ce 
végétal  peut  être  mangé  en  salade  et  fournit  ainsi  aux  navigateurs  un 
précieux  remède  prophylactique  contre  le  scorbut,  la  maladie  la  plus  re- 
doutée des  navigateurs  polaires  \ 


'  F.  Marlens;  —  NnriIcnskjnM  ;  — i'.h.  (iraJ,  Esquisse  physique  des  iks  Spitzbcrgen. 
'  Pries,  Pelennann'i  ilillheUunijen,  1808,  n»  2. 

'  Vebersiclil  fier  l'hanero(jamcn-Flora  Spilzbergens;  —  Die  tchwediichen  Expedilionen  nacli 
Spitzbergen  und  Bdren-Eiland. 

*  Ch.  Mui'liiis,  Du  SpUiherij  au  Sahara. 


264  NOUVELLE   GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

En  comptant  les  cétacés,  la  faune  du  Spitzbcrg  comprend  seize  espèces 
de  mammifères;  mais  de  ces  animaux,  quatre  seulement  habitent  la  terre 
ferme  ;  encore  l'ours  blanc  est-il  plutôt  un  nomade  qui  voyage  d'île  en  île, 
porté  sur  les  glaces  mouvantes.  Les  autres  mammifères  terrestres  indi- 
gènes sont  le  renne,  un  campagnol,  semblable  à  celui  que  l'on  rencontre 
sur  les  bords  de  la  baie  de  Hudson,  et  le  renard  bleu,  poursuivi  des  chas- 
seurs à  cause  de  sa  précieuse  fourrure.  On  a  prétendu  que  le  renne  a  été 
introduit  dans  l'archipel  par  les  Russes  ou  les  Scandinaves.  Mais  dès  l'an- 
née 1010,  avant  que  Russes  ou  Scandinaves  eussent  pénétré  dans  ces  îles 
du  nord,  l'Anglais  Jonas  Poole  y  chassait  le  renne,  et  c'est  lui  qui  donna 
au  Iloi-n-Sound  son  nom  de  «  Baie  de  la  Corne  »,  à  cause  d'un  andouiller 
de  renne  qu'il  y  trouva.  Encore  de  1860  à  1868,  les  chasseurs  extermi- 
naient en  moyenne  de  deux  à  trois  milliers  de  ces  animaux  par  an;  mais 
Nordenskjôld  se  demande  comment  les  troupeaux  ont  pu  jusqu'à  mainte- 
nant réparer  cette  perte  annuelle  considérable,  et  mentionne,  sans  la  par- 
tager, l'opinion  de  certains  naturalistes  qui  croient  à  des  immigrations  des 
rennes  de  Novaïa  Zemla  par-dessus  les  banquises  :  il  est  d'ailleurs  pro- 
bable que  les  rennes  ont  diminué  depuis  que  des  groupes  de  sportsmen 
anglais  débarquent  dans  la  grande  île  en  parties  de  chasse.  Quant  aux 
morses,  ils  ont  à  peu  près  disparu  du  Spitzberg  méridional.  En  1821),  les 
équipages  de  seize  navires  en  tuaient  encore  130  dans  une  saison,  ce  qui 
est  très  peu  en  comparaison  des  tueries  du  dernier  siècle.  On  ne  trouve 
plus  de  troupeaux  de  trente  ou  quarante  morses  que  sur  les  côtes  septen- 
trionales de  l'archipel.  Des  multitudes  d'oiseaux  tournoient  autour  des  ro- 
chers isolés  et  des  écueils  dont  le  renard  ne  peut  aller  ravager  les  couvées  ; 
mais  ces  oiseaux,  comprenant  27  ou  28  espèces  distinctes,  sont  de  passage  : 
un  seul,  le  lagopède,  demeure' dans  l'archipel  pendant  toute  l'année.  Nul 
reptile  n'existe  au  Spitzberg,  et  longtemps  on  a  cru  que  les  poissons  man- 
quaient presque  complètement  dans  les  mers  environnantes;  mais  en  1861 
le  nombre  des  espèces  découvertes  dépassait  déjà  la  vingtaine.  Malmgrèu 
a  trouvé  seulement  quinze  espèces  d'insectes  ;  quant  aux  papillons,  aux 
sauterelles,  aux  coléoptères,  ils  manquent  complètement.  Dans  les  neiges 
(jui  se  fondent  au  contact  de  l'eau  de  mer  sur  les  plages  du  Sjiitzberg 
vivent  en  myriades  des  crustacés  phosphorescents,  pareils  à  des  étincelles 
bleuâtres.  Quand  on  chemine  sur  le  rivage,  au  milieu  de  tous  ces  ani- 
malcules sautant  de  côté  et  d'autre,  on  cmirait  miuclier  au  milieu  des 
flammes'. 

«  >\ir(lonsk)oltl,  lollro  du  22  février  1875. 


PECHERIES  DU  SPITZBERG.  2fi7 

Comme  les  oiseaux  de  passage,  l'homme  n'est  au  Spitzberg  qu'un  visi- 
teur de  la  belle  saison.  Cependant  des  marins  naufragés,  des  chasseurs, 
des  savants  ont  hiverné  sur  les  côtes,  et  le  Russe  Starachtchin,  après  avoir 
passé  vingt-trois  années  sur  la  côte  occidentale  du  Spitzberg,  au  Green- 
Harbour,  l'une  des  baies  de  l'Ijs-fjord,  finit  par  y  mourir  de  vieillesse, 
en  18"26;  tous  les  débris  de  cabanes  que  l'on  rencontre  sur  les  côtes  de 
l'archipel  sont  connus,  quels  qu'en  aient  été  les  constructeurs,  sous  le 
nom  de  «  huttes  de  Russes  »,  comme  si  elles  rappelaient  le  long  séjour 
de  quelque  pêcheur  de  cette  nation.  Xa  dernier  siècle,  les  côtes  du  Spitz- 
berg étaient  beaucoup  plus  fréquentées  qu'elles  ne  le  sont  aujourd'hui  : 
alors  les  grands  cétacés  peuplaient  les  mers  environnantes,  et  la  foule  des 
baleiniers,  composée  parfois  de  douze  mille  individus,  revenait  chaque 
année  les  poursuivre.  Des  villages  en  planches  s'élevaient  sur  les  côtes,  à 
l'abri  des  promontoires  ;  des  marchés  temporaires  se  tenaient  en  plein  air 
entre  les  matelots  des  diverses  nations;  parfois  aussi  des  combats  se  li- 
vraient entre  les  pêcheurs  des  flottes  rivales  ou  même  ennemies.  Le  plus 
beau  village,  Smeerenburg  ou  Smeerenberg,  était  naturellement  celui  des 
Hollandais,  les  pécheurs  les  plus  nombreux  et  les  plus  actifs  :  ils  y  retrou- 
vaient les  estaminets  d'Amsterdam,  et  tout  un  quartier,  la  <t  Cuisine  de 
Haarlem  »,  était  occupé  par  les  fondeurs  de  graisse'.  Pendant  la  grande 
période  de  la  chasse  à  la  baleine,  de  1669  à  1778,  14  167  navires  de  pèche 
hollandais,  parcourant  surtout  les  mers  qui  s'étendent  à  l'ouest  et  au  nord- 
ouest  de  Spitzberg,  tuèrent  57  500  baleines,  qui  leur  valurent  un  profit  de 
9-2  775000  francs  ^ 

Ce  havre  de  Smeerenburg,  qui  s'ouvre  précisément  à  l'angle  nord-occi- 
dental de  la  grande  île,  a  été  visité  en  1878  par  le  schooner  hollandais 
Willem  Barents,  et  l'équipage  a  dressé,  au  nom  de  la  patrie,  un  monument 
aux  marins  qui  découvrirent  l'archiiiel  et  à  ceux  de  leurs  compatriotes  qui 
y  moururent.  Celte  partie  du  Spitzberg  en  est  la  région  historique  par 
excellence  :  c'est  près  de  là  que  les  Basques,  les  Hanséates,  les  Danois, 
les  Norvégiens  avaient  aussi  leurs  principaux  dépôts  de  pèche  ;  au  sud 
est  la  baie  Magdelena,  qui  a  été  la  mieux  étudiée  de  toutes  par  les  natu- 
ralistes; au  nord-est,  Foul-bay  est  l'un  des  ports  les  plus  fréquentés  du 
littoral;  plus  au  nord  sont  les  îles  de  Norvège,  où  Sabine  a  fait  ses  obser- 
vations magnéti(jues  et  qui  est  devenue  le  point  de  départ  des  obser- 
vations  astronomii{ues    faites    dans   l'archipel    par    Nordenskjôld    et  ses 


Cil.  Martins,  Du  Spitiherg  au  Sahara. 

Sccrcsby,  Accounl  of  thc  ArcUc  Kcijiuns  and  ilcfciiplion  of  llie  iwilheni  uhnic  fislienj 


208 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 


compagnons.  Cet  endroit  ou  quelque  promontoire  voisin  ne  serait-il  pas 
le  lieu  le  plus  convenable  pour  l'établissement  de  l'un  de  ces  observa- 
toires   circumpolaires 


smeeuenbcbc. 


que  Wcyprecht  pro- 
pose de  fonder  pour 
arriver  à  connaître 
dans  tous  leurs  détails 
les  oscillations  météo- 
rologiques des  régions 
glaciales  "?  En  prévi- 
sion de  l'établissement 
futur  de  cette  station, 
les  deux  gouverne- 
ments de  la  Suède  et 
de  la  Russie  se  sont 
déjà  disputé  le  droit 
do  souveraineté  terri- 
toriale :  mais  que  les 
instruments  soient  en- 
voyés de  Stockbohn  ou 
de  Saint-Pétersbourg, 
il  importe  peu,  pourvu 
que  les  observations 
se  fassent.  11  serait 
d'autant  plus  utile  d'é- 
tablir une  station  mé- 
téorologique au  Spitz- 
berg,  que  cet  archipel 
t  Perron  paraît  être  placé  au 
point  de  contact  entre 
la  zone  américaine  et 

'  la  zone  asiatique   des 

vents.  En  hiver  c'est 
le  pôle  do  froid  de  la  Sibérie,  en  été  celui  de  l'archipel  de  l'Amérique 
glaciale,  qui  semblent  exercer  la  plus  grande  influence  sur  le  climat  du 
Spitzberg  '. 


de  'ÛOauàe^à 


'  A.   Wijk.nnilir,    Zcilschiift    der    Octlerreichischen    CcselUchafl    fiir    Météorologie,     ISTC, 
II-    10. 


SPITZBERG,   TERRE   DE   WICHE.  209 

Au  nord  du  Spitzborfj:,  il  n'existe  point  de  terre  ferme,  au  moins  jus- 
qu'au 85"  degré  de  latitude,  car  Parry  s'est  avancé  jusqu'au  8"2''4i',  et. 
dans  la  direction  du  pôle  ne  se  montrait  aucun  indice  d'îles  ou  de  con- 
tinent. Le  désert  des  cieux,  oîi  ne  se  voyait  aucun  vol  d'oiseaux,  et 
l'absence  de  montagnes  flottantes  de  glace  dans  les  mers  que  parcourut 
Parry,  —  car  les  blocs  de  10  à  12  mètres  de  bauteur  qui  bérissaient  les 
banquises  ne  peuvent  être  considérés  comme  des  pans  de  glaciers,  — 
prouvent  que  les  terres  manquent  sur  de  vastes  étendues  dans  la  di- 
rection du  pôle,  et  naturellement  c'est  dans  ces  parages,  où  se  fait 
encore  sentir  l'influence  des  tièdes  courants  du  sud,  que  plusieurs  na- 
vigateurs ont  essayé  de  forcer  la  banquise  pour  cingler  vers  le  pôle 
boréal.  Si  l'on  en  croit  des  traditions  non  appuyées  de  preuves  aullien- 
tiqucs,  des  marins  bollandais,  notamment  Cornelis  Roule,  se  seraient 
avancés,  à  l'époque  des  grandes  pècbes  de  la  baleine,  jusqu'à  cinq  degrés 
du  pôle;  mais  Parry  dut  abandonner  son  navire  dans  le  golfe  de  Treuren- 
berg,  sur  les  eaux  d'une  petite  l)aie  qui  garde  le  nom  du  bâtiment,  Ilecla 
Covc,  et  s'élancer  vers  le  nord  avec  de  petites  embarcations  et  des  traî- 
neaux. La  glace  qu'il  parcourait  se  composait  de  banquises  que  les  vents 
et  les  courants  avaient  pressées  les  unes  contre  les  autres  et  redressées, 
renversées  en  aiguilles  et  en  saillies  de  toutes  les  formes  :  il  ne  progressait 
que  lentement  et  finit  même  par  ne  plus  avancer  du  loiil  ;  tandis  que  ses 
attelages  cbeminaient  péniblement  vers  le  nord,  toute  la  masse  glacée, 
entraînée  par  un  courant  polaire,  flottait  vers  le  midi.  Il  fallut  revenir  au 
mouillage'.  Récemment,  en  1872  et  en  1875,  inie  autre  tentative  faite 
par  un  explorateur  des  plus  hardis,  Nordenskjôld,  n'eut  aucun  succès. 
Jusqu'au  delà  du  80"  degré  de  latitude,  la  glace  était  trop  faible  poiu-  sup- 
porter le  poids  des  traîneaux,  et  ]dus  an  nord  elle  était  tellement  ini'gale 
et  crevassée  que  la  marche  y  était  presque  impossible  :  plusieurs  fois  le 
capitaine  Palander  ne  put  même  faire  parcourir  à  ses  traîneaux  la  distance 
de  800  mètres  par  jour. 

A  l'est  du  S|iil7,bei-g,  la  mer  Glaciale  n'est  pas  libre  de  terres  comme 
dans  la  direction  du  nord  :  de  la  côte  orientale  du  Spitzberg,  de  même  ipic 
(le  l'ili!  de  Barents  et  de  Stans  Foreland,  on  voit  parfaitenieiil,  p;ir  un 
temps  clair,  à  la  distance  de  120  à  1  iO  kilomètres,  une  longue  chaîne  «le 
montagnes  élevées  a{)partenant  à  une  terre  mystérieuse  naguère,  car  les 
navigateurs  ne  la  décrivaient  pas  tous  de  la  même  manière.  C'est  la 
«  Terre  de  Wiclie  »  ou  Wichc's  Land,  ainsi  nommée  en  1G17  en  l'hon- 

<  William  Edw.  Pan  y,  Sanativc  of  an  allempl  lo  rcach  llie  Aoi7/i  Pôle. 


'270  .NOUVELLE  GEOGRAPHIE  INIYERSELLE. 

neur  du  marchand  Richard  Wiche,  Wyche  ou  Wycko,  par  les  baleiniers 
anglais  qui  aperçurent  cette  île  les  premiers.  Après  un  intervalle  de  près 
de  deux  siècles  et  demi,  en  1801,  un  autre  Anglais  aperçut  l'île  de  nou- 
veau'. Six  années  plus  tard,  .MM.  Heuglin  et  Zeil  revirent  cette  terre, 
avec  ses  pics  brillants  de  neige,  et,  la  croyant  au  nord  de  la  position  in- 
diquée pour  "Wiche's  Land,  ils  baptisèrent  la  contrée  découverte  par  eux 
du  nom  de  leur  roi,  Charles  de  Wûrltemberg.  De  leur  côté,  les  explora- 
teurs suédois,  qui  avaient  déjà  discerné  vers  l'est  une  de  ces  montagnes 

s"   53.    —    TERHE    DE    WlllUi;    ET    ILES    SOlTELLtME.NT    DÊCOIVEKIES. 


Est    de   Par, 


:^st  -de   {jree. 


Diaprés   divers  docurnents 


lointaines,  lui  avaient  donné  l'appellalion  de  «  Promontoire  Suédois  ». 
Les  rivalités  nationales  contribuaient,  avec  les  récits  confus  des  naviga- 
teurs, à  rendre  les  cartes  incertaines  ;  naguère  ces  hauts  rivages  voisins 
du  Sj)itzberg  étaient  aussi  confondus  par  les  Suédois  avec  la  «  Terre  de 
(jiles  »  (ou  Gillis),  aperçue  en  1707  par  le  cai)itaine  hollandais  Cornélius 
Giles^  Knlin  en  1(S7'2,  le  Norvégien  Altiuaiui  a  pu,  grâce  à  l'absence  de> 
glaces,  côtoyer  la  terre  de  Wiche;  mais,  (rompe  par  la  forme  des  caps  qui 
s'avançaient  au  loin  dans  la  brume,  il  crut  avoir  longé  un  archipel,  tandis 
que,  la  mf-me  année,  son  compatriote  Johuscn   reconnut  dans  ces  terres 

'  Cl    M;iiKti;irn,  Jlic  Geographkal  Rcviexc,  fcbruary  1874. 

»  Cl.  MiiikliMiii.  Jiittrnul  of  thc  H.  Gcoyrapliicat  Societij,  1873. 


TEP.RE   DE    WICIIE,    TERRE   DE   CILES.  271 

une  seule  île  de  80  kilomètres  de  lon^rueur,  couverte  sur  ses  grèves  méri- 
dionales d'une  énorme  quantité  de  bois  flottés  occupant  une  largeur  de 
plusieurs  centaines  de  mètres.  Un  troisième  Norvégien,  le  capitaine  MIsen, 
visita  aussi  en  1N7'2  la  Terre  de  Wiclie,  conquise  désormais  à  la  géogra- 
phie. Le  «  Promontoire  Suédois  »  vu  par  Nordenskjôld  n'en  est  probable- 
ment que  l'extrémité  septentrionale.  Dans  son  ensemble,  la  terre  est 
basse;  mais  il  s'y  dresse  des  montagnes  en  massifs  et  en  chaînes:  du 
haut  d'un  sommet  qui  s'élève  au  nord-est  de  l'île,  Johnsen  a  pu  se  faire 
une  idée  générale  de  ses  contours  et  signaler,  du  côté  de  l'ouest,  la  plus 
haute  montagne  de  Wiche's  Land,  à  laquelle  il  a  donné  le  nom  de  Ilaar- 
lagrehaugen.  Comme  le  Spitzberg,  l'île  nouvellement  découverte  a  pour 
habitants  des  ours  et  des  renards  polaires  et  des  multitudes  de  rennes  :  il 
faut  donc  que  la  végétation,  quoique  composée  seulement  de  lichens  et 
d'herbes  basses,  y  soit  relativement  abondante.  Cette  île  participe  aussi  au 
mouvement  général  d'émergence  que  les  physiciens  ont  observé  sur  les 
côtes  du  Spitzberg  :  des  troncs  d'arbres  flottés,  à  demi  pourris,  ont  été 
vus  par  Johnsen  à  6  mètres  au-dessus  du  niveau  actuel  de  la  mer  ;  c'est 
ainsi  que  le  soulèvement  récent  a  pu  être  mesuré'.  Quant  aux  deux  îles 
qu'ont  vues  récemment  les  marins  Andreasen,  sur  la  Fcg'rt,  etJohanneseu, 
^iir  hi  Lena,  nul  ne  les  a  encore  visitées. 

La  Terre  de  Giles  ou  de  GilliS  (Gillis-Land)  a  été  retrouvée  dans  ces  der- 
niers temps,  à  l'est  de  la  Terre  du  Nord-Est,  précisément  à  l'endroit  où 
Giles  l'avait  inditjuée  et  où  la  représente  la  carte  de  Van  der  Keulen, 
publiée  probablement  va  1710'.  En  18(34,  le  Norvégien  Tobiesen  et  ses 
compagnons  raper(;urent  au  sud-est,  sans  pouvoir  y  abordei'.  Mais  il 
existe  encore  d'autres  îles  dans  ces  régions,  car  dès  l'année  1(314  le 
navigateur  Baffin  avait  reconnu  terre  au  nord-est  du  Spitzberg.  Sur  les 
cartes  dressées  par  Petermann,  le  géographe  qui,  de  son  cabinet  de  Gotha, 
a  tant  fait  pour  accroître  nos  connaissances  sur  les  régions  polaires,  la 
Terre  de  (}iles,  par  erreur  senible-t-il.  est  dessinée  à  200  kilomètres 
environ  au  nord-est  des  rivages  les  plus  avancés  du  Spitzberg  et  semblerait 
<e  rattacher  à  l'archipel  nouvellement  découvert  de  François-Joseph. 
Ll'aillcurs,  celle  terre  n'a  pas  encore  été  visitée  :  on  ne  sait  s'il  faut  la 
considérer  comme  une  île,  un^  archipel  ou  un  simjjle  promontoire  ;  mais 
on  ne  saurait  douter  de  son  existence.  Au  printemps,  les  pêcheurs  qui  ont 
hiverné  sur  la  côte  septentrionale  du  Spitzberg  voient  les  bandes  d'oiseaux 

'  I-a  Tour  ilu  Pin,  Annales  hyilrograph'Kjucs,  l'  tn'mcsire  1871. 

'  !■".  di'  lias,  Hcl  Duup  licgistcr  van  Spilsbergen,  Tijdschiifl  v;in  kel  aardr.  Genool.  le  .Viii:tcrdain> 
1877,  n»5. 


272  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

voyngciirs  s'enfuir  vers  le  nord  et  le  nord-est,  d'où  elles  reviennent  en  sep- 
tembre. L'île  inconnue  est  précisément  sur  le  chemin  de  ces  migrations 
d'oiseaux.  D'après  les  chasseurs  de  morses  qui  fréquentent  les  Sept  lies, 
situées  au  nord  du  Spitzberg,  c'est  de  la  terre  lointaine  que  viendraient 
les  morses  et  les  ours  blancs  nombreux  qui  fréquentent  ce  petit  archipel'. 


On  sait  depuis  1874  que  les  mers  glaciales  de  l'Europe  entourent  de 
leurs  banquises  un  groupe  d'îles  encore  plus  étendu  que  le  Spitzberg, 
mais  d'un  abord  beaucoup  plus  difficile,  car  il  se  trouve  presque  en  entier 
au  nord  du  80"  degré  de  latitude,  et  sa  température  moyenne  est  au  moins 
de  10  à  16  degrés  au-dessous  du  point  de  glace;  dans  les  mers  qui  s'éten- 
dent au  sud,  la  moyenne  de  l'année  1875  a  été  de  — 10  degrés  pour  les 
navigateurs  qui  ont  dû  y  séjourner'.  Cet  archipel  inhospitalier  est  le 
Fi-anz-Josefs  Land  ou  «  Terre  de  François-Joseph  ».  L'Austro-IIongrie, 
pourtant  l'une  des  nations  maritimes  qui  semblent  avoir  le  moins  d'in- 
térêt direct  à  l'exploration  des  régions  polaires,  a  l'honneur  d'avoir  dé- 
couvert cet  archipel,  et  ces  terres  du  nord  seraient  devenues  possession 
autrichienne  si  le  rude  climat  qui  les  sépare  du  reste  de  l'Europe  ne  les 
avait  privées  d'avance  de  toute  valeur  économique.  Nulle  expédition  n'a  été 
plus  glorieuse  que  celle  du  Tefjettlinff,  à  la  fois  pour  les  marins  italiens 
et  dalmates  de  l'équipage  et  pour  ses  deux  vaillants  chefs.  Payer  et  Wey- 
precht.  Il  est  vrai  qu'ils  n'ont  pas  eu  à  cingler  vers  la  terre  découverte 
par  eux,  puisqu'ils  y  ont  été  entraînés  par  les  courants  avec  la  l)anquise 
qui  tenait  leur  navire;  mais  pendant  leur  captivité  de  deux  hivers  dans 
les  mers  boréales  ils  ne  se  sont  pas  bornés,  comme  tant  d'autres  naviga- 
teurs polaires,  à  lutter  courageusement  contre  la  nature  ennemie,  ils  ont 
su  lui  arracher  bien  des  secrets,  et  Weyprecht  notamment  en  a  rapporté 
son  livre  précieux  sur  les  Métamorphoses  de  la  (jlacc  polaire. 

Partis  pour  contourner  l'ancien  monde  par  le  nord  de  la  Sibérie  et 
revenir  par  le  détroit  de  Bering,  les  aventureux  voyageurs,  saisis  par  les 
glaces,  purent  aborder  enfin  à  une  petite  île  à  laquelle,  dans  leur  joie  de 
fouler  le  sol  ferme,  ils  donnèrent  le  nom  d'île  Wilczek,  en  l'honneur  du 
promoteur  de  l'entreprise.  Mais  de  cette  île  ils  apercevaient  au  nord  de 
vastes  terres,  avec  des  montagnes  et  des  glaciers.  Payer  j)ut  utiliser  les 
courtes  semaines  qui  le  s('']iaraient  du  voyage  de  retour  pour  traverser  du 


'  Miltlieitiingen  von  Pelermann,  1872,  ii"  i 

*  Julius  l'jjcr,  expédition  <iuslro-homjroise  au  pôle  nord 


ARCHIPEL  DE  FRANÇOIS-JOSEPH.  -273 

sud  au  nord  la  partie  orientale  de  l'arcliipel,  en  reconnaître  les  grands 
traits  géographiques  et  pour  y  faire  de  nombreuses  observations  de  détail. 

Un  détroit  irrégulier  et  se  ramifiant  des  deux  côtés  en  fjords,  le  «  sund 
Austria  »,  se  développe  du  sud  au  nord  entre  deux  très  grandes  îles,  à 
l'ouest  la  Terre  de  Zichy,  à  l'est  la  Terre  de  Wilczek,  portant  ainsi  le  même 
nom  que  l'île  méridionale  du  groupe.  Des  îles  nombreuses,  toutes  dési- 
gnées par  des  appellations  patriotiques  ou  par  les  noms  de  géologues  ou 
de  géographes,  parsèment,  le  sund,  et  du  haut  d'un  cap  élevé  de  la  der- 
nière de  ces  îles,  Payer  et  ses  compagnons  ont  pu  voir,  par  delà  les  eaux 
d'une  vaste  mer  libre,  se  dessiner  les  contours  montagneux  de  deux  autres 
terres,  à  l'ouest  celle  du  Roi  Oscar,  au  nord  celle  de  Petermann  :  aucun 
nom  ne  pouvait  être  mieux  choisi  que  ce  dernier  pour  désigner  la  terre 
européenne  la  plus  rapprochée  du  pôle  qui  ait  été  vue  jusqu'à  nos  jours  : 
elle  s'étend  au  nord  par  delà  le  85°  degré  de  latitude.  En  1879,  un  navire 
hollandais,  le  WHIcni  Barents,  reconnut  une  des  pointes  méridionales  de 
l'archipel,  le  Barents  hoek,  et  l'année  suivante  l'Anglais  Lcigh  Smilh 
explora  toute  la  région  occidentale  de  la  Terre  de  François-Joseph,  autour 
d'un  port  parfaitement  abrité  auquel  il  donna  le  nom  de  Eira-harbour, 
d'après  son  navire.  Les  découvertes  de  Leigh  Smith  ont  montré  que  l'ar- 
chipel de  François-Joseph  égale  en  grandeur  celui  du  Spitzberg,  et  diminué 
d'un  tiers  environ  la  largeur  présumée  du  bras  de  mer  qui  sépare  les  deux 
groupes  polaires'. 

Les  montagnes  de  l'archipel  ont  à  peu  près  la  même  hauteur  que  celles 
du  Spitzberg  :  leur  élévation  moyenne  varie  de  600  à  900  mètres.  Le  pic 
le  plus  considérable  de  tout  le  groupe  paraît  être  le  mont  Richthofen,  au 
sud  de  la  Terre  de  Zichy  :  il  atteint  1550  mètres,  150  mètres  de  plus  que 
le  pic  de  Ilorn-Sound,  au  Spitzberg.  En  général,  les  monts  de  François- 
Joseph  ne  se  dressent  pas  en  âpres  sommets,  ne  se  hérissent  pas  d'ai- 
guilles :  leurs  croupes  supérieures  semblent  disposées  en  forme  de  tables 
et  ces  hautes  couches  horizontales  donnent  à  l'ensemble  du  pays  sa  physio- 
nomie particulière  :  on  dirait  des  fragments  de  plateaux  plutôt  que  des 
montagnes.  La  roche  prédominante  est  l'hypérite  du  Spitzberg,  etçà  et  là 
se  voient  des  colonnes  de  basalte  :  c'est  au  milieu  du  péristyle  naturel 
d'un  de  ces  grands  monuments  de  laves  que  les  membres  de  l'expédition 
austro-hongroise  ensevelirent  un  de  leurs  compagnons.  Semblable  au 
Spitzberg  par  ses  roches  volcaniques,  la  Terre  de  François-Joseph  l'est 
aussi  par  le  mouvement  d'ascension  dont  elle  est  animée  :  sur  les  côtes 

'  Pdcrmann's  Mitlheilumjen,  1880,  u'  XII. 


274  NOUVELLE    GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

du  sunil  Austria  se  voient  rîi  et  là  d'anciennes 'berges  marines  parsemées 
de  coquillages  et  se  développant  parallèlement  au-dessus  de  la  mer  comme 
des  courbes  hypsométriques.  Outre  les  roches  éruptives,  qui  semblent 
indiquer  une  communauté    d'origine  avec  le  grand   archipel  occidental, 


S°    59.    —    ARCHIPEL   DE   FRANÇOIS- JO^Fr-n. 


Est  de  ?^r\, 


PEraiMÂ//A  LA/VO 


'  '    KÔ/V/a  OSKAR  L/IAfi 


fS 


f  S^^S  restJ- 


Lst  de  breen.' 


D'après  Leigh  5mith  et  d'autres  voyageurs 


les  explorateurs  reconnurent  aussi  des  grès  tertiaires  renfermant  de  faibles 
couches  de  lignites;  mais  dans  un  pareil  pays  les  observations  géologiques 
sont  difficiles  à  faire.  En  maints  endroits  il  est  impossible  de  distinguer 
sur  un  seul  point  du  paysage  environnant  la  couleur  naturelle  du  roc  :  non 
seulement  les  surfaces  horizontales  et  les  pentes  douces  sont  recouvertes  de 
neiges  et  de  glaces,  mais  les  escarpements  abrupts  sont  revêtus  eux-mêmes  de 


ARCHIPEL  DE  FRANÇOIS-JOSEPH.  275 

verglas  par  l'aboïKlanlc  humidité  de  l'air,  qui  se  condense  au  contact  de  la 
face  polie  des  falaises  :  «  les  rangées  symétriques  des  montagnes,  dit  Payer, 
semblent  être  incrustées  de  sucre  ;  »  des  îles  sont  entièrement  revêtues  de 
glace  comme  d'un  globe  de  verre.  Entre  tous  les  massifs  de  sommet,  les 
dépressions,  et  même  la  plupart  des  pentes  en  saillie,  sont  uniformément 
emplies  par  des  glaciers,  dont  quelques-uns  présentent  à  la  mer  un  front 
de  plus  de  20  kilomètres  de  large  et  de  50  à  60  mètres  de  baul  :  il  en 
est  un,  le  glacier  Dove,  sur  la  face  occidentale  de  la  Terre  de  Wilczek, 
dont  la  glace  vive,  d'oii  s'écroulent  d'énormes  pans  à  chaque  marée  descen- 
dante, se  développe  en  croissant  concave  sur  une  longueur  de  plus  de  GO  ki- 
lomètres. Les  glaciers  de  François-Joseph  se  distinguent  de  ceux  dos  Alpes 
par  l'immensité  des  névés,  la  nuance  grise  ou  verdàtre  de  la  glace,  la  gros- 
seur des  grains,  l'épaisseur  considérable  des  couches  annuelles,  la  rareté 
des  crevasses,  le  faible  développement  des  moraines  et  la  lenteur  de  la 
marche. 

La  végétation  de  ce  pays,  où  les  chaleurs  de  l'été  ne  peuvent  ouvrir 
que  d'étroites  clairières  dans  le  couvercle  continu  des  neiges  et  des  glaces, 
est  naturellement  d'une  extrême  pauvreté  :  en  comparaison  des  «  prai- 
ries »  de  François-Joseph,  celles  du  Spitzberg  semblent  d'une  exubérante 
richesse.  Quelques  herbes,  des  saxifrages,  un  pavot,  le  silène  acaulis,  des 
mousses  et  des  lichens,  telle  est  la  flore  de  la  contrée.  Payer  n'a  point 
vu  de  renne  :  cet  animal  ne  trouverait  sans  doute  point  à  se  nourrir 
dans  ces  îles  désolées  ;  mais  dans  les  régions  septentrionales  de  l'archi- 
pel, près  de  la  «  mer  libre  »,  se  voyaient  jiartout  les  traces  de  l'ours, 
du  lièvre  et  du  renard,  et  des  veaux  marins  étaient  en  foule  étendus  sur 
la  glace.  De  même  que  sur  les  côtes  des  Fârôer,  de  l'Islande,  du  Spitz- 
berg, les  rocs  isolés  sont  habités  par  des  myriades  de  pingouins  et  d'au- 
tres oiseaux,  et,  à  l'approche  du  voyageur,  les  mâles  s'élèvent  en  vols 
immenses,  avec  un  bruit  d'ailes  assourdissant'.  Quelle  est  la  raison  de  ce 
développement  de  vie  animale  plus  considérable  dans  la  partie  septen- 
trionale de  l'archipel  "?  La  température  plus  douce  qu'observa  Payer  dans 
ces  régions,  la  grande  étendue  de  mer  libre  qu'il  vit  s'ouvrir  devant  lui, 
étaicnt-ce  des  phénomènes  temporaires  ou  l'eilct  d'un  climat  jihis  jjropice? 
Peut-être  que  dans  ces  parages  la  mer  est  plus  profonde,  mieux  ouverte 

'  J.  Payer,  Die  Ocstencicli.-iiujar.  ^iordpol  Eipcdilion  in  den  Jahren  1872-1874; —  Millliei- 
lungen  von  Petennann.  Vf,  1870,  etc.;  —  Annales  hijdrogiapliiqms,  l*  Irimeslre  1S76. 


276  .NOUVELLE    GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

aux  courants  du  large  qu'elle  ne  l'est  au  sud  de  l'archipel.  Nulle  part  la 
cuvette  comprise  entre  le  Spitzberg,  la  Terre  de  François-Joseph  et  Novaya 
Zemla,  n'a  plus  de  500  mètres  de  profondeur  :  partout  le  fond  en  est  plat, 
et  le  lit  ne  se  creuse  un  peu  qu'à  l'orient  du  seuil  de  prolongemcut  do  la 
Terre  de  Wilczek,  dans  les  eaux  sibériennes'. 


•  Kail  Wejprcchl,  Die  Mdaiiijrphoien  des  Folareisei. 


CHAPITRE    IV 


LA    RUSSI  E    D'EUROPE 


VUE     D    ENSEMBLE 


Toute  l'Europe  orientale,  plus  de  la  moitié  du  continent,  est  unie  en 
un  seul  État,  la  Russie.  A  celte  énorme  étendue  de  plus  de  5  millions 
de  kilomètres  carrés,  représentant  une  surface  dix  fois  supérieure  à  celle 
de  la  France,  l'empire  russe  ajoute  encore  plus  du  tiers  de  l'Asie.  Ensemble, 
tout  le  territoire  soumis  au  tzar  comprend  plus  de  21  millions  de  kilo- 
mètres carrés,  un  peu  moins  du  sixième  des  espaces  continentaux  ;  encore 
pourniit-on  compter  plusieurs  contrées  qui,  sans  appartenir  officielle- 
ment à  la  Russie,  se  trouvent  néanmoins  sous  son  influence  directe. 
Il  est  vrai  qu'une  très  grande  partie  de  l'immense  empire  est  inhahitt'e  ou 
même  inhabitable  :  proportionnellement  à  son  étendue,  la  Russie  d'Europi^ 
et  d'Asie  est  deux  fois  moins  peuplée  que  le  reste  du  monde,  dont  elle 
forme  une  part  si  considérable  ;  elle  doit  avoir  actuellement  99  millions 
d'habitants,  soil  environ  le  quinzième  du  nombre  présumé  des  hommes'. 
La  véritable  Russie,  celle  où  la  population  est  assez  dense  pour  former  un 
corps  de  nation  compact,  celle  où  se  trouvent  réunies  les  ressources 
sérieuses  en  hommes  et  en  richesses,  et  (jui  donne  à  rensembic  de  ri]tat 

'  Supcriicic  et  population  de  la  Russie  d'Europe,  de  la  Finlande  et  de  la  Itussie  d'Asie  : 

Superficie  en  l^il.  carres  l'opnlntioii  Population 

(sans  la  Caspienne].  Population  recentcc.  prolialilc  en  I88i.              kiloni. 

Russie  d'Europe.       5ll(3  2")l       (1870-1870)  74  ôS.")  OIIO  Ii,ih.  8i  000  000  liab.  15.5  liai). 

Russie  d'Asie  .   .     16  5111(12       (1870-1879)  U  005  000     »  15  000  000     »             0.0  o 

Ensemble    .    .     21757  555  88  550  000  hnl).  !l'.i  0110  UOO  liai).         i.iUsh. 


278  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   L'MVERSELLE. 

sa  force  d'attaque  et  de  résistance,  ne  se  compose  en  réalité  que  d'une 
partie  de  la  Russie  territoriale  d'Europe.  Cette  région,  qui  occupe  en  sur- 
face environ  la  moitié  du  territoire  russe  en  deçà  de  l'Oural,  est  à  peu 
près  limitée  au  nord  et  à  l'est  par  le  cours  de  la  Volga  '  ;  au  sud,  elle  est 
bornée  par  les  steppes  riveraines  de  la  mer  Noire,  tandis  qu'à  l'ouest  elle 
s'étend  jusqu'aux  frontières  de  la  Roumanie,  de  la  Boukovine,  de  la  Galicie, 
et  s'est  annexé  la  Pologne;  au  nord-ouest,  elle  rejoint  par  les  provinces 
Baltiques  les  bords  du  golfe  de  Finlande  et  l'embouchure  de  la  Neva.  Le 
reste  de  l'empire,  soit  environ  les  sept  huitièmes  du  territoire,  ne  donne  pas 
encore  à  l'État  l'accroissement  de  force  qui  semble  provenir  de  l'immensité 
du  pays;  il  n'est  pour  lui  qu'une  cause  de  faiblesse,  car  le  gouvernement  doit 
entretenir  des  armées  d'employés  et  de  soldats  dans  toutes  ces  contrées  éloi- 
gnées du  centre,  y  ouvrir  des  routes,  y  construire  des  stations  et  des  forts. 
Au  point  de  vue  géographique,  la  Russie  contraste  singulièrement  avec 
le  reste  de  l'Europe.  Elle  est  une,  tandis  que  les  régions  occidentales  sont 
diverses.  Dans  son  immense  étendue,  des  rives  glacées  de  la  mer  Blanche 
aux  steppes  de  la  mer  Noire,  elle  présente  une  étonnante  ressemblance 
d'aspect.  Parmi  toutes  les  parties  de  la  Terre,  l'Europe  proprement  dite, 
que  Strabon  qualifiait  déjà  de  «  bien  membrée  »,  se  distingue  par  le  déve- 
loppement de  ses  rivages,  la  variété  de  ses  contours,  l'importance  relative 
de  ses  péninsules  :  la  mer  y  pénètre  de  toutes  parts  en  golfes  profonds,  et 
l'air  marin  est  porté  par  le  moindre  vent  vers  les  montagnes  de  l'inté- 
rieur. L'Europe  occidentale  semble  animée,  elle  s'agite  sur  la  carte  :  on 
voit  qu'elle  doit  être  habitée  par  des  peuples  eux-mêmes  pleins  de  vie  et 
se  renouvelant  incessamment,  grâce  aux  échanges  continuels  de  péninsule 
à  péninsule  et  d'un  versant  maritime  à  l'autre.  L'Europe  orientale,  c'est- 
à-dire  la  Russie,  est  au  contraire  un  quadrilatère  irrégulier,  de  formes 
lourdes,  plus  massif  que  l'Asie  par  l'ensemble  de  ses  contours,  et  le  con- 
traste n'existe  pas  seulement  dans  les  lignes  extérieures,  l'opposition  se  re- 
trouve aussi  dans  le  relief  entier  du  pays.  A  l'ouest  de  la  Russie,  le  continent 
offre  une  étonnante  variété  de  hautes  terres,  de  montagnes,  de  coteaux,  de 
vallées  et  de  plaines  ;  il  dresse  un  faîte  bien  marqué  dans  le  tronc  prin- 
cipal et  dans  chacune  des  péninsules  et  des  îles;  des  versants  nettement 
modelés  s'inclinent  vers  chaque  mer.  En  comparaison  de  ces  contrées 
au  relief  accidenté,  la  Russie  paraît  être  une  grande  plaine  :  elle  a  pour- 
tant des  plateaux,   des  élévations  de  quelques  centaines  de  mètres,  mais 


'  Le  nom  français  de  ce  fleuve  élanl  pxaclcmenl  celui  que  lui  donnent  les  Russes,  il  parait  conve- 
nable de  lui  laisser  aussi  le  genre  qui  lui  apparlicnt. 


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GRANDE  PLAINE  RUSSE.  279 

ces  hauteurs  interrompent  à  peine  l'uniformité  des  vastes  étendues  :  on 
pourrait  traverser  la  Russie  d'une  mer  à  l'autre  mer  sans  quitter  les 
campagnes  basses,  aussi  unies  en  apparence  que  la  surface  de  l'Océan. 

A  l'est  et  au  sud-est,  la  Russie  d'Europe  se  confond  avec  l'Asie,  et  l'on 
ne  sait  même  d'ordinaire  où  marquer  la  limite  do  séparation.  Suivant  l'im- 
portance qu'ils  attribuent  à  l'un  ou  à  l'autre  Irait  de  la  surface  terrestre, 
les  géographes  tracent  diversement  cette  ligne  de  frontières  entre  les  deux 
continents.  Sans  doute,  les  vestiges  laissés  par  les  anciennes  mers  dési- 
gnent comme  une  limite  naturelle  bien  distincte  la  dépression  ponto- 
caspienne  où  coulent  les  eaux  des  deux  Manîtch  '  et  les  plaines  basses 

'  Aucune  niélhode  de  Iranscriplion  des  mois  nisscs  en  caraclères  lalins  n'ayant  été  jusqu'à  mainte- 
nant adoptée  officiellement  ou  d'une  manière  générale,  nous  avons  emprunté  celle  de  M.  Dragomanov, 
qui  rend  la  prononciation  de  tous  los  sons  pouvant  être  reproduits  par  une  bouche  française  et 
marque  par  des  signes  les  lettres  que  la  pauvreté  de  notre  alphabet  oblige  d'employer  pour  rem- 
placer celles  qui  nous  manquent. 

Les  caraclères  russes  È,  fl,  K),  £,  et  même  dans  le  dialecte  officiel,  E,  sont  de  vraies  syl- 
labes, formées  par  la  combinaison  du  iola  avec  des  voyelles  et  correspondant  en  français  à  ie,  ïa, 
ïou,  ïo.  A  la  fin  des  syllabes,  ce  iota  est  exprimé  en  russe  par  fl,  que  nous  reproduisons  en  fran- 
çais par  y,  qu'il  précède  ou  qu'il  suive  une  autre  voyelle.  Exemples  :  Youg,  Kiyev,  Yelizavetgrad, 
Yougorskiy.  Après  l'a  et  Vo  et  dans  une  même  syllabe,  Vij  changeant  de  son  en  français,  nous  le 
remplaçons  par  ï.  Exemple  :  Zaraisk.  11  est  à  remarquer  que  les  noms  de  famille  russes  ter- 
mines en  skiy  (féminin  skaija)  diffèrent  des  noms  polonais  qui  finissent  en  ski  {féminin  ska). 
Exemples  :  Joukovskiy,   Derabiski. 

L'usage  s'élant  lépandu  en  France  de  prononcer  toutes  les  lettres  des  noms  étrangers,  nous  écri- 
vons kourgan.  Satin,  Simbirsk,  qui  se  prononcent  kourgane.  Satine,  Simebirsk. 

Le  r,  en  français  g,  garde  le  son  dur  devant  toutes  les  voyelles.  Exemple  :  Georgyevsk,  qui  se 
prononce  Gueorguyevsk.  Nous  le  remplaçons  par  un  v  dans  les  génitifs  où  il  est  ainsi  prononcé. 
Exemple  :  rouskavo. 

La  letlre  s  ne  doit  jamais  èlre  prononcée  comme  un  z,  même  entre  deux  voyelles.  Exemple  : 
Kasimov,  que  l'on  prononce  Kassimov. 

Les  lettres  B,  JK,  III,  1^,  'I,  IDj,  se  reproduisent  naturellement  en  français  par  les  consonnes 
simples,  doubles  ou  multiples,  de  i',  j,  ch,  Iz,  tch,  chlch.  Exemples  :  Volga,  Jitomir,  Chadrinsk, 
Tzaritzin,  Tchernigov,  Chtchigrî. 

L'bl,  ou  i  dur,  qui  n'existe  pas  en  français,  est  signalé  par  un  accent  circonllexe.  Excni|ile  :  Manitch. 

Le  X  russe  (y.  grec,  ch  allemand)  n'existant  pas  en  français,  nous  l'exprimons  par  kh.  Exemples  : 
Kherson,  Kharkov. 

La  lettre  barrée  i,  étant  déjà  employée  pour  le  polonais,  nous  gardons  celle  lettre  pour  le  même 
son  russe.  Toula,  toutzk. 

De  même  qu'on  polonais,  les  consonnes  mouillées  —  Irail  particulier  de  la  phonétique  slave,  le 
plus  difficile  à  saisir  par  les  Européens  occidentaux,  —  sont  exprimées  par  des  accents  placés  sur  la 
consonne;  mais  ce  procédé  est  suivi  d'une  manière  méthodique,  ce  qui  n'est  pas  le  cas  dans  l'ortho- 
graphe polonaise.  Nous  employons  aussi  l'accent  dans  les  cas  où  l'orthographe  russe  fait  suivre  les 
consonnes  de  voyelles  combinées  avec  le  ioUi.  Ainsi  nous  écrivons  Kazan,  Kicbinov,  —  qu'il  faut 
lire  presque  comme  Kazagne,  Kichignov,  —  Kerlch,  Ob,  Dnepr,  Tvei-. 

(Juanl  aux  mots  qui,  par  un  long  usagr.  ont  acquis  leur  naturalisation  en  français,  tels  que  Moscou, 
Oural,  il  est  convenable  de  leur  laisser  l'orthographe  sous  laquelle  ils  sont  connus. 

Enfin  les  noms  allemands  «les  provinces  Balliques,  les  noms  suédois  cl  finlandais  do  la  Finlande, 
et  les  noms  polonais  sont  maintenus  avec  l'orthographe  de  leurs  langues  respectives.  On  a  ]ieiisé  que 
certains  noms  grecs  du  Midi,  tels  que  Thcodosia  (Fcodosia),  pouvaient  garder  l'orlhographe  classique. 


280  NOUVELLE  GÉOGRAPUIE    IMVERSELLE. 

qu'emplissaient  autrefois,  au  sud  et  à  l'est  de  l'Oural,  les  eaux  des  détroits 
réunissant  la  Caspienne  et  l'Aral  au  golfe  de  l'Ob  ;  mais  durant  les  âges 
modernes  de  la  planète  le  relief  du  sol  a  graduellement  changé,  et  mainte- 
nant la  limite  entre  l'Europe  et  l'Asie  ne  peut  être  qu'une  ligne  idéale 
ou  purement  conventionnelle.  Du  côté  de  l'est,  surtout  là  où  s'ouvre  la 
grande  brèche  entre  la  Caspienne  et  les  promontoires  méridionaux  de 
l'Oural,  la  Russie  est  donc  un  pays  sans  frontières  :  elle  est  encore  dans 
une  certaine  mesure  ce  qu'elle  était  du  temps  des  Grecs,  un  pays  uniforme, 
se  confondant  au  loin  avec  les  solitudes  inconnues.  Tant  que  les  évolutions 
de  l'histoire  n'ont  eu  pour  théâtre  que  d'étroits  bassins,  de  petites  îles  ou 
des  péninsules,  aussi  longtemps  même  que  l'humanité  civilisée  eut  pour 
centre  la  mer  Intérieure,  la  région  qui  est  devenue  aujourd'hui  la  Russie 
devait  rester  un  monde  informe  et  sans  limites.  Elle  n'a  pu  enfin  acquérir 
son  rôle  et  préciser  peu  à  peu  ses  contours  que  dans  les  temps  modernes, 
grâce  à  la  prise  de  possession  de  tous  les  rivages  de  l'Ancien  Monde  par 
l'influence  des  peuples  civilisés  de  l'Europe. 

L'horizontalité  du  sol  russe  n'est  pas  seulement  superficielle,  elle  est 
profonde,  ainsi  que  le  reconnaît  le  géologue  en  étudiant  par  le  forage  les 
couches  souterraines.  Au  lieu  de  se  redresser  et  de  se  plisser  diversement 
en  formant  toutes  les  variétés  de  sol  qui  se  répercutent  dans  les  contrastes 
de  la  végétation  et  des  cultures,  les  roches  superposées  se  maintiennent 
dans  leur  parallélisme  régulier  sur  des  espaces  immenses,  et  par  leur 
décomposition  fournissent  la  même  qualité  de  sol  végétal,  revêtue  des 
mêmes  espèces  de  plantes.  Aux  roches  de  granit  ou  de  gneiss  qui  forment 
le  tronc  continental  de  la  péninsule  Scandinave  et  qui  occupent,  bien  au 
delà  des  limites  de  la  Finlande,  tout  l'espace  compris  entre  la  mer  Blanche 
et  le  bassin  de  la  Neva,  succèdent  au  sud  et  à  l'est,  jusque  dans  le  cœur 
de  l'Asie  centrale,  les  roches  paléozoïques  et  carbonifères  ;  puis  les  assises 
du  nouveau  grès  rouge,  comprenant  ces  formations  permiennes  qui  ont 
lire  leur  nom  de  l'immense  gouvernement  de  Periii,  s'étendent  vers  la  base 
de  l'Oural,  entre  les  steppes  caspiennes  et  les  bords  de  la  mer  Glaciale. 
Des  strates  jurassiques  longent  au  sud  les  étendues  permiennes  et  les 
recouvrent  au  milieu  en  formant  un  triangle  irrégulier  qui  s'amincit  peu 
à  peu,  des  toundras  du  Nord  aux  rives  de  la  Volga.  Plus  au  sud,  forma- 
tions crétacées,  tertiaires,  modernes,  se  sont  déposées  autour  d'un  pla- 
teau de  granit  qui  traverse  obliquement  la  région  des  steppes  méri- 
dionales. En  comparaison  de  ces  couches  presque  horizontales,  à  peine 
soulevées  çà  et  là  en  douces  ondulations  et  s'ctcndant  sans  changement 
d'aspect  extérieur  ou  de  structure  intime  sur  des  espaces  de  plusieurs  ceu- 


♦F  \»tlr<    itf   TA"  i<  .  ' 


GRANDE  PLAINE  RUSSE.  285 

laines  de  mille  kilomètres  carrés,  quelle  infinie  variété  présentent  tous  les 
microcosmes  de  l'Europe  occidentale,  Tirol  et  Suisse,  Allemagne,  France, 
Italie,  Ibérie,  Grande-Bretagne  !  La  dépression  qui  rejoint  la  mer  Noire  à 
la  Baltique  par  le  bassin  du  Driepr  et  celui  de  l'Oder  sépare  deux  mondes 
géologiques  :  de  chaque  côté  tout  diffère,  forme  des  contours,  saillie  des 
reliefs,  plissement  des  stratifications.  A  l'ouest,  le  sol  raconte  des  ré- 
volutions fréquentes  et  compliquées  ;  à  l'est,  il  parle  de  lentes  et  régu- 
lières oscillations.  Tandis  que  l'Europe  occidentale  se  soulevait  en  mon- 
tagnes et  se  déchirait  eu  vallées  profondes,  les  pays  du  Driepr  et  de  la  Volga 
maintenaient  leur  niveau  presque  immuable  au-dessus  des  eaux  marines'. 

Par  la  partie  superficielle  du  sol,  la  Russie  se  divise  en  deux  grandes 
régions  parfaitement  distinctes,  celle  où  les  glaces  mouvantes  ont  laissé 
des  traces  de  leur  passage  et  celle  où  ne  se  rencontrent  ni  blocs  erratiques, 
ni  argiles  glaciaires.  La  Russie  septentrionale,  à  l'exception  des  plaines 
qui  s'étendent  à  la  base  de  l'Oural,  se  trouvait  en  entier,  pendant  la  période 
des  glaces,  sous  l'influence  des  masses  d'eau  cristallisée  qui,  de  la  Scandi- 
navie et  de  la  Finlande,  cheminaient  vers  l'ouest,  le  sud  et  l'est,  en  s'épa- 
nouissant,  de  l'Ecosse  à  la  Pologne  et  de  la  Pologne  aux  rives  de  la  mer  de 
Kara,  en  un  cercle  immense  de  plus  de  4000  kilomètres  de  pourtour.  On 
admettait  jadis  comme  très  probable  l'hypothèse  que  les  blocs  erratiques 
de  cette  région  avaient  été  transportés  sur  la  mer  par  des  glaces  flottantes, 
mais  celte  théorie  a  dû  être  définitivement  écartée.  En  effet,  nulle  part  les 
débris  marins  n'accompagnent  les  blocs  voyageurs,  tandis  qu'on  trouve, 
associés  à  ces  terrains  de  transport,  des  ossements  de  mammifères  et  des 
coquillages  d'eau  douce'.  Pendant  l'époque  glaciaire,  toute  la  Russie  du 
Nord  était  un  pays  semblable  aux  pentes  suédoises  du  Kjôlen ,  où  les 
glaciers,  débordant  et  reculant  tour  à  tour,  s'étendent  sur  des  espaces 
chaotiques  dont  les  moraines  et  les  rochers  sont  entremêlés  de  lacs  et  de 
tourbières  dans  une  singulière  confusion.  Le  transj)ort  des  glaces  et  des 
fragments  de  rochers  qui  s'y  trouvaient  se  faisait  en  grande  partie  par  ces 
lacs  en  labyrinthe  qui  recouvraient  presque  la  contrée  et  dont  la  ]ilupart 
ont  été  depuis  changés  en  terre  ferme. 

Très  semblable  à  la  Russie  du  nord  par  les  faibles  ondulations  de  son 
territoire,  la  Russie  du  sud  en  diffère  nettement  par  l'histoire  géologique, 
aussi  bien  que  par  la  nature  du  sol  et  par  la  flore.  Au  sud  de  Koursk,  de 
Pollava,  de  Voronèjc,  on  ne  rencontre  plus  de  blocs  erratiques,  et  l'argile 


'   Archihald  Gcikic,  Proceedings  oflhc  R.  Gcographical  Society ,  1870,  n°  VI. 
'  Darbot  de  Marny,  Gorniij  Journal,  Kiissisclic  Revue,  IV,  n°  12,  \8'ity. 


284  .NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

glaciaire  se  trouve  remplacée  par  cette  terre  poreuse  dont  rorigine  est 
encore  un  problème  pour  les  géologues,  le  loess.  Là  où  commencent  les 
«  terres  noires  »  du  sud,  là  aussi  s'arrêtent  les  traces  des  anciens  glaciers  ; 
une  ligne  précise  sépare  les  régions  basses  parsemées  de  lacs,  de  marais, 
de  tourbières,  de  pierres  erratiques,  et  le  territoire  où  depuis  de  longues 
périodes  géologiques  se  forme  la  terre  végétale  provenant  de  la  décomposi- 
tion des  gazons.  Pour  la  végétation,  le  contraste  est  complet  entre  les  deux 
régions.  Dans  la  Russie  septentrionale,  l'arbre  dominant  est  le  sapin, 
tandis  que  sur  les  «  terres  noires  »  du  sud  la  plante  caractéristique  est 
une  espèce  de  stipa  [kovtl'),  humble  graminée  à  laquelle  s'associent  beau- 
coup d'autres  herbes  de  même  aspect.  Un  grand  nombre  de  végétaux 
appartenant  à  l'aire  végétale  du  sud  s'arrêtent  devant  les  limites  de  la 
région  des  blocs  erratiques  comme  devant  une  barrière  de  feu,  bien  qu'ils 
puissent  croître  parfaitement  sous  le  climat  du  nord  et  qu'ils  prospèrent 
dans  les  jardins  autour  de  Moscou  et  de  Saint-Pétersbourg.  La  nature  spon- 
gieuse du  sol,  qui  pourtant  s'est  asséché  en  partie  depuis  la  période  gla- 
ciaire, n'est-elle  pas  la  cause  qui  a  retenu  ces  plantes  méridionales  dans 
leur  marche  vers  le  nord'? 

La  région  de  l'empire  russe  où  se  maintinrent  longtemps  les  glaces, 
c'est-à-dire  la  Finlande  et  les  plaines  limitrophes,  est  restée  couverte  de 
lacs;  en  maints  districts  de  la  contrée,  ils  sont  encore  plus  nombreux 
qu'en  Suède  :  le  pays  asséché  ne  se  compose  que  d'isthmes  et  d'étroits 
promontoires.  Toutes  les  cavités  et  les  simples  dépressions  sont  emplies 
d'eau  :  à  la  période  glaciaire  a  succédé  la  période  lacustre  ^  C'est  dans  ce 
territoire  partiellement  inondé  que  se  trouvent  les  lacs  d'eau  douce  les  plus 
vastes,  mais  non  les  plus  profonds,  du  continent  d'Kurope,  le  Ladoga, 
l'Onega,  le  Saïma.  En  dehors  de  cette  région  du  nord-ouest,  les  bassins 
lacustres  se  rencontrent  encore  çà  et  là;  mais,  beaucoup  moins  grands, 
ils  sont  pour  la  plupart  déjà  changés  en  tourbières.  Depuis  la  disparition 
des  glaces,  les  ailuvions  apportées  par  les  rivières  et,  d'autre  pari ,  les 
mousses  empiétant  graduellement  sur  les  eaux,  ont  ou  le  temps  de  combler 
presque  toutes  les  cavités  des  lacs,  d'autant  plus  facilement  que  les  forma- 
tions géologi(pies  de  ces  contrées  de  la  Russie  n'ont  pas  la  dureté  des  gra- 
nits de  la  Finlande.  Ainsi  des  mers  intérieures,  comme  celle  qui  s'étendait 
autrefois  là  où  se  trouvent  de  nos  jours  les  marais  de  laPripet,  ont  peu  à 
peu  disparu.  On  voit  partout  dans  la  contrée  les  phénomènes  qui  lémoi- 

<  Rii|ireihl, /Jh//p(i;i  (/e/'.lc(i(/emi<;  (/es  Sciences  de  Saint- l'èlcishoiira,  tome  \  II,  1SG3. 
s  l'ieirc  Kiii|ii)lKin,  !S'utcs  manuscrites 


LACS  ET  FLEUVES  DE  LA  RUSSIE.  285 

gnent  dos  changements  successifs  :  ici,  des  lacs  sont  seulement  amoindris 
par  des  forêts  de  roseaux  et  des  rives  tourbeuses;  ailleurs,  ils  ne  sont  plus 
indiqués  que  par  des  espèces  de  puits  ou  «petites  fenêtres»  (nkochk^), 
entourées  do  mousse;  d'autres  lacs  changés  en  tourbe  sont  déjà  envahis  sur 
leurs  bords  par  des  prairies  ;  on  voit  môme  des  forêts  s'avancer  peu  à  peu  à 
la  conquête  des  anciens  lacs,  par  des  bouleaux  et  des  pins  rabougris  qui  se 
risquent  sur  le  sol  humide  et  l'assèchent  graduellement. 

En  proportion  de  l'amoindrissement  et  de  la  disparition  des  lacs,  les 
fleuves  russes  ont  augmenté  d'importance  relative  dans  la  géographie  de 
la  contrée.  A  l'exception  des  rivières  de  la  Finlande,  de  la  Neva  et  de  la 
Narova,  tous  les  grands  cours  d'eau  du  territoire  russe  ont  vidé  les  anciens 
lacs  de  leur  bassin  et  constitué  leur  individualité  fluviale.  Grâce  à  l'étendue 
des  terres  qu'ils  ont  à  traverser  avant  d'atteindre  la  mer,  ces  fleuves, 
grossis  d'une  multitude  d'affluents,  roulent  une  masse  liquide  considé- 
rable, et  cette  masse  paraît  d'autant  plus  forte  que  le  courant  en  est 
moins  rapide  :  partout  où  l'inclinaison  du  sol  est  très  faible,  l'eau  s'étalo 
largement  dans  son  lit.  La  Russie  a  des  fleuves  énormes,  notamment  la 
Volga,  qui  dépasse  en  longueur  tous  les  autres  cours  d'eau  de  l'Europe; 
mais  il  n'est  pas  exact  de  dire,  comme  on  le  répète  souvent,  que  la  Volga 
l'emporte  aussi  par  l'abondance  de  son  débit  :  à  cet  égard,  elle  le  cède  au 
Danube,  qu'alimentent  les  Alpes,  la  Forêt  Noire,  les  monts  de  la  Bohême 
et  les  Carpates.  Les  pluies  sont  beaucoup  moins  abondantes  en  Russie  que 
dans  l'Europe  occidentale,  baignée  de  tous  les  côtés  par  les  eaux  de  la 
mer;  en  moyenne,  elles  ne  peuvent  être  évaluées  à  plus  d'un  demi-mètre 
de  hauteur  totale  pendant  toute  l'année,  et,  dans  leur  cours  inférieur,  les 
fleuves  qui  descendent  vers  la  mer  Noire,  la  mer  d'Azov,  la  Caspienne, 
traversent  des  régions  au  sol  aride,  très  faiblement  arrosé,  sans  arbres, 
exposé  à  toutes  les  ardeurs  du  soleil  et  aux  fureurs  des  vents  :  l'évapo- 
ralion  est  très  forte  dans  ces  contrées,  et  mainte  rivière  y  est  bue  com])lète- 
ment  par  le  sol  et  par  l'air  avant  d'atteindre  le  lit  du  fleuve  qui  devrait 
l'emporter.  Dix  fois  grande  comme  la  France,  la  Russie  n'a  probable- 
ment pas  un  volume  d'eau  courante  trois  fois  plus  considérable.  Encore 
l'eau  du  plus  long  de  ses  fleuves,  la  Volga,  va-t-elle  se  perdre  dans  le 
bassin  de  la  Caspienne,  où  elle  s'évapore  en  entier,  sans  exhausser  le 
niveau  de  cette  mer  intérieure,  depuis  longtemps  distincte  do  l'Océan. 

Les  grands  cours  d'eau  de  la  Russie,  prenant  tous  leur  origine  en  des 
contrées  d'une  faible  élévation  au-dessus  du  niveau  do  la  nier,  no  sont 
point  séparés  les  uns  des  autres  par  des  faites  difflciles  à  franchir  :  los 
véritables   obstacles   dans    les    étendues    de   la   Russie    n'étaient    pas    les 


'286 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   L'MVEUSELLE. 


saillies  de  partage,  mais  bien  les  marécages,  les  tourbières,  les  grandes 
forêts,  les  vastes  solitudes  ;  les  fleuves  eux-mêmes,  tout  en  facilitant  les 
communications  de  l'amont  à  l'aval,  ont  arrêté  fréquemment  les  invasions 
de  guerre  et  les  relations  pacifiques  du  commerce  de  l'une  à  l'autre  rive, 
tandis  qu'entre  les  bassins  fluviaux  les  voyages  et  les  échanges  se  faisaient 
sans  peine.  D'ailleurs,  la  plupart  des  fleuves  de  la  Russie,  et,  parmi  eux, 


60.    PLUIES    DE    L  EUROPE   ORIENTALE. 


•B.rlln 


lHH      [Mmi      EU] 

^tneua^aPSChn  ytSSa^O  &a40aS5  t/aS5è70  duJOéiOO        *ud*33uaA!00 


1    ■  10  030000 


la  Volga,  enchevêtrent  leurs  sources  en  un  vaste  labyrinthe,  ils  s'unissent 
par  des  marécages  où  des  barques  pourraient  passer  pendant  les  saisons 
iduvicuses;  par  l'intermédiaire  des  nombreux  affluents  de  chaque  cours 
d'eau,  il  est  facile  d'obtenir  des  lignes  de  navigation  presque  continues 
entre  les  mers  qui  baignent  la  Russie  :  déjà  Pierre  le  Grand  a  pu  ouvrir 
aux  bateaux  de  la  Neva  le  chemin  de  la  Caspienne.  Mais  aussi  longtemps 
que  ces  canaux  n'existaient  j)as  et  (pie  de  bonnes  routes  de  commerce, 
contournant  les  marécages  et  traversant  les  forêts,  n'avaient  pas,  pour  ainsi 
dire,  ajdani  le  sol  dans  tous  les  sens,  les  seuils  ou  «  ])ortages  »  entre  les 


CLIMAT  DE  LA  RUSSIE.  2S7 

cours  navigables  des  rivières  étaient  les  chemins  naturels  pour  les  expédi- 
tions de  guerre  ou  de  commerce.  De  même  qu'aujourd'hui  dans  les  plaines 
rocheuses  de  la  Nouvelle-Bretagne  et  dans  les  llanos  de  l'Amérique  du  Sud, 
les  portages  ou  voloks  étaient  les  lieux  du  passage  accoutumé,  et  c'est  là 
que  les  tribus  en  marche  avaient  à  porter  leurs  embarcations  pour  les 
remettre  à  flot.  C'est  ainsi  que  les  faîtes  de  partage,  malgré  leur  faible  im- 
portance comme  relief,  avaient  pris  un  rôle  historique  considérable;  ils 
étaient  choisis  naturellement  comme  limites  entre  les  populations  qui  peu- 
plaient les  terres  de  chaque  versant.  Toute  la  région  du  nord-est  de  la 
Russie,  jadis  tributaire  de  la  république  de  Novgorod,  portail  le  nom  de 
Zavolotzkaya  Tchouiï  ou  de  «  Pays  des  Tchoudes  au  delà  des  Portages  ». 
Encore  de  nos  jours,  les  portages  sont  des  endroits  sacrés,  de  même  que 
certains  cols  des  Pyrénées,  et  sur  plusieurs  d'entre  eux  les  passants  sont 
tenus  de  jeter  en  amas  des  branches,  des  herbes  ou  des  pierres  '. 

Une  par  l'aspect  de  ses  grandes  plaines,  par  la  régularité  de  ses  forma- 
tions géologiques,  par  l'immense  étendue  de  ses  bassins  fluviaux,  la  Russie 
est  une  également  par  son  climat  :  du  nord  au  sud  et  du  sud  au  nord, 
les  ondulations  atmosphériques  se  propagent  rapidement  sans  rencontrer 
d'obstacles.  Quand  soufflent  les  âpres  vents  polaires,  ils  traversent  toute  la 
Russie  et  soulèvent  dans  la  mer  Noire  ces  terribles  tempêtes  qui  lui  ont 
valu  son  premier  nom  de  mer  «  inhospitalière  »  ;  quand  les  courants  équa- 
toriaux  dominent,  leur  influence  se  fait  sentir  jusqu'aux  pieds  de  l'Oural 
et  sur  les  bords  des  mers  arctiques.  Sans  doute  les  différences  du  climat 
sont  très  considérables  du  nord  au  sud,  car  sans  les  îles  de  l'océan  Glacial 
et  sans  les  régions  du  Caucase,  la  Russie  s'étend  sur  une  partie  de  la 
rondeur  planétaire  mesurée  par  "20  degrés  de  latitude  ;  d'une  extrémité  à 
l'autre  de  cet  immense  territoire,  la  différence  normale  du  climat  est  tel- 
lement grande  que  la  tempéralure  moyenne  de  \\''\i'  (■+-")  sur  les  rivages 
septentrionaux,  à  la  porte  de  Kara,  est  inférieure  à  la  température  moyenne 
de  l'hiver  (-h2'',2o)  sur  les  rivages  de  la  mer  Noire,  à  Sevastopol.  Toute- 
fois de  la  zone  glaciale  à  la  zone  tempérée  la  transition  se  fait  d'une  ma- 
nière insensible,  et  de  même  que  les  ondes  liquides  se  dévelo|i])ent  avec 
une  grande  régularité  sur  un  fond  de  mer  sans  ressauts,  de  même  les 
vagues  aériennes  traversent  la  Russie  dans  toutes  les  directions,  sans  se 
détourner  en  remous. 

Par  l'ensemble  lie  son  régime,  le  climat  de  la  Russie,  compare  à  celui 
de  l'Europe;  maritime,  est  essentiellement  continental,  c'est-à-dire  extrême 

'  Muximov,  Dretn'aija  i  yovaya  Rossiija,  1870,  n°  5. 


288  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

en  toute  saison  :  pour  les  froids  de  l'iiiver,  pour  les  ardeurs  de  l'été, 
la  Russie  est  déjà  territoire  asiatique.  Moscou,  la  ville  centrale  de  la 
Russie  d'Europe,  est  à  peu  près  sous  la  même  latitude  que  Copenhague 
et  qu'Edimbourg  ;  mais  la  moyenne  de  la  température  liiTernale,  qui  est 

N"    fl-    irCNES    nrs    TFMPKllATrRES    ÎIOVFWFS    n'tTK    HT    d'hIVER    E\*    nL'S=IF. 


C. Perron 


de  2°, 8  dans  la  capitale  de  l'Ecosse  et  de  — 0°,5  dans  colle  du  Danemark, 
n'est  plus  à  Moscou  qu'à  10  degrés  au-dessous  du  point  de  glace.  En 
revanche,  la  température  estivale,  qui  n'est  pas  menu-  de  15  degrés  à 
Edimbourg  cl  qui  dépasse  17  degrés  à  Copenhague,  atteint  presque 
18  degrés  à  Moscou;  quant  aux  écarts  mensuels  et  journaliers  enlre  le 
froid  de  l'hiver  et  le  cliaud  de  l'été,  ils  sont  encore  beaucoup  plus  consi- 
dérables. Mais,  en  ranienanl  toutes  les  oscillations  à  la  moyenne  gi'nérale 


CLIMAT   DE   LA  RUSSIE. 


2S0 


de  l'année,  le  climat  de  Moscou,  aussi  bien  que  de  toute  la  Russie,  est  de 
4  à  5  degrés  plus  froid  que  celui  des  contrées  de  l'Europe  occidentale 
situées  sous  la  même  latitude  :  tandis  que  les  régions  océaniques  du  conti- 
nent, ribérie,  la  France,  les  Iles  Britanniques,  se  trouvent  surtout  sous 
l'influence  des  vents  d'ouest  et  du  sud-ouest,  qui  sont  les  contre-courants 


C2.    ISOTHEKilES    DE    L.\    RUSSIE. 


des  alizés,  la  Russie  est  plus  soumise  à  l'action  des  vents  polaires.  OiKind, 
dans  le  langage  ordinaire,  les  Occidentaux  désignent  la  Russie  du  nom  île 
«  pays  du  Nord  »,  quoiqu'elle  occupe  la  partie  orientale  du  continent, 
cette  expression  n'est  pas  c()m|»lètement  erronée,  puisque  les  conditions  du 
climat  (iéplaieiit  la  Russie.  jMmr  ainsi  dire,  de  plusieurs  degrés  dans  la 
direction  du  pôle.  Le  mois  de  janvier  d'Odessa  et  de  Taganrog  a  In  mènn' 


290  NOL'VELLE   GEOGKArilîE   UNIVERSELIK. 

température  que  celui  de  Christiania,  à  près  de  1500  kilomètres  plus  au 
nord\ 

La  végétation  que  l'on  observe  en  traversant  le  territoire  russe  dans  le 
sens  du  méridien  rend  le  climat  visible  et  en  limite  les  zones.  Au  nord, 
sur  les  rivages  de  l'océan  Glacial,  s'étendent  des  marécages,  des  terres 
nues,  où  ne  croissent  que  la  mousse  des  rennes,  des  lichens,  de  faibles 
arbrisseaux,  moins  hauts  que  les  herbes  d'une  prairie  :  cette  zone  est  celle 
de  la  toundra,  la  vaste  plaine  humide.  Au  sud  de  la  toundra  commence 
la  région  des  forêts  basses  :  les  bouleaux,  les  mélèzes,  les  sapins  argentés 
y  croissent  assez  vigoureusement  pour  mériter  le  nom  d'arbres.  Plus  au 
sud  encore,  les  forêts  couvrent  presque  toute  la  contrée  et  sont  formées  de 
troncs  superbes,  surtout  de  bouleaux  et  de  conifères  d'essences  diverses  : 
la  culture  s'essaye  çà  et  là  dans  les  clairières.  La  région  des  forêts  à  feuilles 
caduques,  comprenant  la  plus  grande  partie  de  la  Russie  centrale,  est 
celle  de  l'agriculture  la  plus  active,  celle  où  l'on  moissonne  le  seigle,  le 
lin,  le  chanvre,  les  principales  denrées  de  la  Russie.  Les  «  terres  noires  », 
qui  occupent  une  large  bande  du  territoire,  de  la  vallée  du  Dnepr  à  la 
base  de  l'Oural,  sont  le  pays  du  froment,  des  arbres  fruitiers,  des  hautes 
herbes,  tandis  qu'au  sud  des  steppes,  les  bas-fonds  des  vallées,  le  littoral 
de  la  mer  Noire,  la  Bessarabie  et  la  Crimée  forment  une  dernière  zone, 
celle  du  maïs  et  de  la  vigne.  Le  contraste  est  brusque  entre  la  steppe  et 
la  forêt  ;  mais  partout  ailleurs  l'aspect  général  du  pays  est  d'une  grande 
uniformité,  surtout  en  hiver,  quand  les  champs  de  neige  s'étendent  à  perte 
de  vue,  quand  les  branchages  presque  noirs  des  sapins  ploient  sous  les 
masses  pyramidales  de  neige  qu'ils  ont  à  porter  et  que  les  rameaux  déli- 
cats des  bouleaux  sont  tout  mouchetés  de  blanc.  Même  en  été,  et  loin  des 
grandes  forêts,  la  campagne  cultivée  garde  son  aspect  monotone  :  elle  ne 
semble  former  qu'un  seul  et  même  champ  se  prolongeant  à  l'infini  :  on 
n'y  voit  qu'en  de  rares  endroits  les  haies  vives,  les  bouquets  de  verdure,  les 

'  Tempéraliires  moyennes  en  diverses  \illes  de  la  Russie  : 

I.alilude.        Longitiiile.     Moi*  Ip  plus  chaud-    Mois  le  plus  froid.  Moyenne  onimdle. 
Arlvhangelsk  .    .    .     (ii"52'      iCSô'Gr.      Juillet  16° 78     J.invier— 15<>4l         0»58 
llelsingfors.   ...     G0°10'       24» 58'  »       17»  11         »       —    7» 21         4» 02 

Sainl-l'élersbsurfT .     ,V.)".iO'       50°  Ifl'  »       17"  53         »       —   80  97         5» 7.5 

Doriiat 58»  2.7       26»  43'  »       17»r)9         «       —   8»  22        4»  21 

Koslioma r)7»46'      40»  56'  »       U>":)i        »      —  I3»65        5»  25 

Yelialerinenbourg  .     56»  49'      00»  55'  «       17»  36         »       —  16»5l         0»45 

Kazan 5.5»  48'      40»  26'  »       20»  32         »       -  15"  59         2»  89 

tougai'i 48»  35'      59»  10'  »      23»  11         »       —   9»  05        7»  72 

Oicssa 460  28'      23»  46'  »      22»  03        .>       —    4»  93        9»  11 

(Wild,  Dtc  Tcivpnaliincrliiillnissc des  Kiissisclicn  Reiclies.) 


CLIMAT  DE   LA  RUSSIE.  291 

fermes  isolées  avec  leurs  ombrages  et  leur  jardin.  Le  voyageur  dévore 
l'espace  dans  sa  voiture  attelée  de  chevaux  rapides,  mais  autour  de  lui  le 
paysage  ne  change  point.  Seulement,  de  loin  en  loin,  apparaissent  à  l'ho- 
rizon les  coupoles  des  églises  peintes  aux  croix  dorées. 

Des  changements  séculaires  ne  peuvent  manquer  de  se  produire  dans 
les  limites  respectives  des  zones  de  végétation  :  les  traces  de  l'époque 
glaciaire  sont  encore  assez  visibles  pour  témoigner  des  oscillations  du 
climat.  Toutefois,  pendant  la  période  historique,  ces  phénomènes  doivent 
avoir  été  bien  minimes.  Il  est  certain  que,  depuis  le  seizième  siècle,  le 
climat  n'a  point  changé  dans  les  provinces  Baltiques,  et  l'on  peut  en 
inférer  qu'il  s'est  maintenu  également  sans  grandes  modifications  dans  les 
autres  provinces  de  la  Russie.  Sur  la  Dùna  ',  le  jour  moyen  de  la  débâcle 
pendant  quarante  années  du  seizième  siècle  était  le  9  avril  ;  pendant 
quatre-vingt-onze  années  du  dix-huitième  siècle,  il  a  été  le  7  du  môme 
mois,  et  le  8  pendant  cinquante-quatre  années  du  dix-neuvième  siècle.  Do 
même,  les  dates  de  la  débâcle  de  la  Dvina  h  Arkhangelsk,  et  du  Dnepr 
à  Kiyev,  sont  restées  presque  identiquement  les  mêmes".  Les  change- 
ments de  climat  qui  ont  eu  lieu  depuis  l'établissement  de  l'homme  dans 
la  contrée  sont  dus  non  à  la  nature,  mais  aux  habitants  :  ce  sont  eux 
qui,  en  abattant  les  forèls  en  tant  de  régions  de  la  Russie,  ont  aidé  la 
nature  à  dessécher  le  sol,  à  tarir  les  sources,  donner  plus  de  violence  aux 
vents,  rendre  les  froids  et  les  chaleurs  plus  difficiles  à  supporter. 


Réunie  à  l'Asie,  grâce  à  l'assèchement  d'anciennes  mers,  et  participant 
au  climat  du  continent  oriental,  la  Russie  d'Europe  est  asiatique  à  bien 
des  égards,  de  même  que  la  Sibérie  est  partielloment  européenne.  Ainsi 
pour  la  flore,  Severlzov  trouve  que  la  limite  de  l'Europe  n'est  ni  à  l'Oural, 
ni  même  à  la  vallée  de  l'Ob,  mais  à  celle  du  Yeniseï.  Les  aires  occupées 
par  les  diverses  espèces  d'animaux  empiètent  de  la  même  manière  sur  les 
limites  naturelles  des  continents.  Enfin  les  populations  s'entremêlent  et  se 
pénètrent  réciproquement  de  l'Europe  à  l'Asie.  Quelles  que  soient  leur 
origine  et  leur  provenance  premières,  les  Slaves  Aryens  de  divers  dialectes 
qui  occupent  en  masses  compactes  la  plus  grande  partie  de  la  Russie 


'  Suivant  rcxemple  que  nous  dniinc  M.  Alfred  Rambaud  dans  \'lli$tnirc  de  la  Russie,  nous  em- 
ployons la  forme  allemande,  Dùna,  pour  désif;ner  le  fleuve  qui  passe  à  Dtinaburg  et  va  se  jcicr  dans 
la  mer  ù  Dùnamundc  après  avoir  traversé  la  ville  de  Riga,  allemande  par  son  histoire.  Le  nom  dû 
Dvina,  qui  d'ailleurs  est  le  même,  est  réservé  pour  la  Scvernaya  Kvina,  ou  Dvina  du  iNorJ. 

»  Wojcikov,  Meleorologie  in  liussland,  Russische  Revue,  IV,  n*  8. 


202  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

représentent  l'élément  européen  ;  mais  que  de  races  asiatiques  du  Nord 
par  l'aspect,  les  mœurs  et  le  langage  vivent  encore  sur  le  territoire  russe, 
soit  isolées,  soit  parsemées  en  peuplades  et  en  familles  au  milieu  des 
Slaves  !  Tandis  que  ceux-ci,  appuyés  sur  les  Européens  de  l'ouest,  dont 
aucun  obstacle  ne  les  sépare,  entre  la  mer  Baltique  et  les  Carpates,  se  grou- 
paient solidement  en  race  maîtresse  dans  toute  la  Russie  centrale,  les 
tribus  d'Asie  ont  pénétré  surtout  par  les  brèches  septentrionales  de  l'Oural 
et  par  le  large  espace  ouvert  entre  ces  monts  et  les  rivages  de  la  Caspienne. 
Au  nord,  les  Samoyèdes,  les  Zîranes,  les  Lapons,  suivant  les  plaines  voi- 
sines de  l'océan  Glacial,  peuplent  à  eux  seuls  de  vastes  étendues,  et  les 
derniers  ont  pénétré  jusque  dans  le  cœur  de  la  Scandinavie.  Au  sud,  les 
hordes  asiatiques  ont  pu  continuer  leur  route  en  Europe  à  travers  les 
steppes  riveraines  de  la  Caspienne  et  de  la  mer  Noire,  et  souvent  elles  ont 
été  assez  nombreuses  et  assez  puissantes  pour  séparer  complètement  les 
Slaves  de  toute  communication  avec  la  Méditerranée.  La  Russie  était  alors 
menacée  de  devenir  ethnographiquement  une  simple  dépendance  du  conti- 
nent d'Asie.  Deux  fois  elle  disparut  de  l'histoire,  une  première  fois  après 
la  ruine  de  l'empire  d'Occident,  une  deuxième  fois  après  l'invasion  des 
Tartares  :  ces  populations  asiatiques,  se  ruant  sur  l'Europe,  avaient  rompu 
le  lien  qui  rattachait  les  plaines  du  Driepr  et  de  la  Volga  aux  régions  occi- 
dentales du  continent.  Chaque  fois  il  fallut  pour  ainsi  dire  l'aire  une 
découverte  nouvelle  de  la  Russie.  Les  Génois  retrouvèrent  les  chemins  de 
la  mer  Noire  et  rebâtirent  en  Crimée  et  sur  les  bords  de  la  mer  d'Azov  et 
du  Don  les  villes  des  anciens  Grecs,  et  plus  tard,  sur  les  côtes  du  Nord, 
les  navigateurs  anglais,  Chancellor,  Burrough,  Jenkinsou,  relièrent  direc- 
tement la  Moscovie  à  l'Europe  occidentale  par  la  mer  Blanche  et  la  mer 
de  Norvège. 

La  carte  ethnographique  de  la  Russie,  surtout  dans  sa  partie  orien- 
tale, garde  les  traces  nombreuses  des  révolutions  qui  se  sont  accom- 
plies dans  la  distribution  des  races  jusqu'à  l'époque  oîi  les  Grands  Rus- 
siens  ont  fini  par  acquérir  la  prépondérance.  Presque  immédiatement  à 
l'est  du  confluent  de  la  Volga  et  de  l'Oka  sont  éparses  en  îles  plus  ou 
moins  grandes  des  populations  non  slaves,  ouralo-finnoises  vers  le  nord, 
raongolo-lurques  vers  le  sud.  A  l'occident  de  la  Russie,  d'autres  Finnois, 
au  nord  les  Tavastcs  et  les  Karéliens,  au  sud  les  Ehstes  et  les  Ingres,  occu- 
pent le  littoral  du  golfe  même  où  s'est  fondée  la  capitale  de  l'empire.  Au 
sud  des  Klisles  s'étend  le  domaine  d'une  autre  nationalité,  aryenne  et 
parente  des  Slaves,  et  néanmoins  bien  distincte,  celle  des  Lctio-Lithuaniens. 
Lnfin,  r.u  sud,  des  Tartares  peuplent  en  partie  la  Crimée,  tandis  que  des 


« 


POPULATIONS  DE  LA  RUSSIE.  C03 

Roumains,  Daces  latinisés,  occupent  la  partie  sud-occidentale  de  la  Russie, 
entre  le  Prout  et  le  Dnestr,  sur  les  deux  bords  de  ce  fleuve  dans  sa  partie 
inférieure,  et  même  en  certains  endroits  jusqu'au  Boug.  En  outre,  des 
Juifs  ont  établi  leurs  colonies  de  commerce  dans  toutes  les  villes  occiden- 
tales du  pays.  Latham  donne  à  la  Russie  le  nom  d'Empire  des  Quarante- 
quatre  peuples'! 

Cependant  toute  la  région  centrale,  comprise  entre  les  bords  de  la 
Volga  et  de  l'Oka,  les  grands  lacs  au  nord,  la  mer  Noire  au  sud,  est  peu- 
plée de  Slaves,  qui  s'avancent  à  l'ouest  en  une  masse  compacte,  entre  les 
Lotto-Lithuaniens  du  Neman  et  les  Roumains  du  Prout,  bien  au  delà  des 
frontières  de  l'empire.  Ceux  des  Slaves  qui  forment  la  famille  russe  et 
qui  sont  de  beaucoup  les  plus  nombreux,  se  partagent  à  leur  tour  en 
trois  groupes  qui  peuvent  être  considérés  comme  des  nationalités  dis- 
tinctes :  les  Russes  Blancs,  habitants  des  plaines  couvertes  de  forêts  qui  s'é- 
endent  de  la  rive  gauche  de  la  Dtina  aux  marais  de  la  Pripet  ;  les  Petits 
Russiens  ou  Oukraïniens,  qui  occupent  l'énorme  territoire  compris  entre 
le  Donctz  en  Russie,  le  San  en  Galicie  et  les  sources  de  la  Tisza  dans 
l'Elat  des  Magyars;  les  Grands  Russiens,  qui  peuplent  le  reste  de  la  Russie, 
principalement  toute  la  région  du  centre  et  du  nord.  Cette  diversité  du 
monde  russe  n'est-clle  pas  constatée  dans  le  titre  même  des  tzars,  «  auto- 
crates de  toutes  les  Russies»? 

Les  deux  nationalités  russes  occidentales  se  rattachent  à  une  nationalité 
sœur,  également  slave,  aux  Polonais,  avec  lesquels,  pendant  une  grande 
partie  de  leur  histoire,  elles  n'ont  formé  qu'un  seul  Etat.  Les  nombreuses 
îles  de  Polonais  que  l'on  voit  entre  le  Narev  et  le  Di'iepr,  compensant, 
pour  ainsi  dire,  les  îlots  d'Allemands  qui  se  rencontrent  dans  la  Pologne 
elle-même,  sont  les  traces  évidentes  de  cette  ancienne  union  politiipie  de 
la  Pologne  avec  la  Russie  Blanche  et  la  Petite  Russie,  toutes  également 
annexées  maintenant  à  l'empire  grand-riissien. 

Des  patriotes  poloiuiis,  vaincus  par  la  force  sur  les  champs  de  bataille, 
ont  voulu  prendre  une  revanche  ethnologique  en  expulsant  leurs  vainqueurs 
du  monde  des  Slaves  et  même  de  celui  des  Aryens  ;  pour  eux  et  pour 
leurs  amis  enthousiastes  de  l'Occident,  les  deux  nationalités  occidentales 
russes  ou  rutliènes  ne  sont  que  des  variations  provinciales  de  la  souche 
polonaise,  tandis  que  les  Moscovites  sont  des  Mongols,  des  Tarlares,  des 
Finnois,  masqués  sous  un  nom  d'emprunt  :  ils  auraient  commencé  de- 
puis le  douzième  siècle  à  parler  une  langue  ijui  n'est  point  la  leur,  et  se 

'  Russia  and  Turkeij;  Dculscim  HuiiJsciiaii,  ii*  9,  1879. 


294  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   LMVERSELLE. 

seraient  emparés  du  nom  de  Russes  par  ordre  de  Catherine  II,  volant  pour 
ainsi  dire  une  place  parmi  les  peuples  de  l'Europe.  Les  recherches  histo- 
riques et  ethnographiques  récentes  prouvent  que  les  deux  affirmations  sont 
également  erronées.  Les  Petits  Russiens  sont  bien  des  Slaves,  distincts  à  la 
fois  des  Grands  Russiens  et  des  Polonais  par  leur  langue,  leurs  chants, 
tous  leurs  monuments  nationaux'.  Quant  aux  Rlancs-Russiens,  la  majorité 
des  linguistes  classent  leur  langue  parmi  les  sous-espèces  du  grand- 
russien';  cependant  quelques  traits  phonétiques  rapprochent  cet  idiome 
du  polonais,  et  par  son  dictionnaire  il  se  rattache  au  petit-russien  :  la  vraie 
place  de  cette  langue  parmi  ses  sœurs  reste  encore  indécise.  Pour  ce  qui  est 
de  la  différence  prétendue  qui  aurait  existé  entre  la  Russie  et  la  Moscovie, 
le  témoignage  authentique  des  monnaies,  diplômes  et  autres  documents 
constate  que  les  Moscovites  n'ont  jamais  cessé  de  s'appeler  et  d'être  appelés 
Russes  ou  Roussines,  ou,  suivant  l'une  des  transcriptions  latines,  Ruthènes, 
nom  plus  spécialement  réservé  maintenant  aux  Roussines  de  la  Galicie  au- 
trichienne. D'ailleurs,  le  nom  de  Moscovites,  que  l'on  donne  fréquemment 
aux  Russes  et  que  l'on  employait  surtout  dans  une  acception  hostile,  aussi 
bien  à  l'ouest  du  Neman  qu'au  sud  des  Balkans,  n'a  qu'une  valeur  pure- 
ment conventionnelle  :  historiquement  il  est  inexact,  même  pour  les  Grands 
Russiens,  car  ceux-ci  existaient  déjà  en  corps  de  nation  avant  que  Moscou 
ne  fût  fondée,  en  1147,  et  surtout  avant  que  la  puissance  politique  des 
princes  de  la  Grande  Russie  ne  fît  connaître  à  l'Europe  le  «  royaume  Mos- 
covite" ».  Mais  ce  serait  bien  à  tort  que  les  Grands  Russiens  voudraient 
prétendre  à  la  pureté  de  leur  race  aryenne  et  revendiquer  l'hégémonie 
précisément  à  cause  d'une  sorte  de  droit  d'aînesse  dans  la  famille  slave. 
La  tradition  conservée  par  Nestor  cite  les  Radimifchi  et  les  Vatifchi  parmi 
les  colonisateurs  slaves  de  la  contrée  qui  devait  être  la  Moscovie,  et,  par 
une  étrange  coïncidence,  c'est  de  la  Pologne  même  que  seraient  venus 
ces  immigrants.  Puis  se  succédèrent  les  colons  de  Novgorod,  les  Sl'oveni 
de  Nestor,  ceux  des  bords  de  la  Dûna,  du  Di'iepr,  du  Diiestr,  c'est-à-dire 
de  la  Russie  Blanche  et  de  la  Petite  Russie.  Les  annales  racontent  celte 
colonisation,  dont  témoignent  aussi  les  noms  des  villes  anciennes,  dans  la 
Moscovie  centrale,  qui  sont  de  simples  répétitions  de  noms  oukraïnions 
ou  galiciens  :    Pereyaslavl,  Peremîclu   (Przcmyszl),   Zvenigorod,  Galitch. 


*  Alf.  Rambaud,  Histoire  de  la  Russie;  —  La  Russie  épique;  —  La  Petite  Russie  dans  les  tra- 
ditions et  l'art  populaire,  Revue  poliliquc  cl  litléraire,  déc.  187G,  —  llovelaqiic,  Linguistique. 

*  llovi'laque,   Linguistique  ;  —  Dalil,   Dictionnaire  erpticatif  de  la  langue  populaire  grande- 
russiennc  (en  russe);  —  JileIzUiv,  Essai  de  l'Iilsloire  plionétiquc  du  petit-russien  (on  russe). 

*  Allred  RaïubaiiJ,  Histoire  de  Russie;  —  ûosluniarov,  Les  deux  nationalités  russes  (en  russe). 


POPULATIONS  DE  LA  RUSSIE,   SLAVES  ET  TARTARES.  295 

D'ailleurs,  les  cthnologistes  moscovites  n'ont  jamais  nié  l'origine  mixte 
de  la  race  dominante  de  l'empire, et  en  de  curieux  mémoires  Yechevskiy, 
Kavelin,  Korsakov,  d'autres  encore  ont  traité  celte  importante  question. 
En  général,  les  Slaves  de  la  Russie  offrent  une  singulière  pureté  de  type 
dans  toutes  les  parties  de  la  contrée  où  les  immigrants  sont  venus  en 
colonies  agraires,  repoussant  les  indigènes  dans  les  forêts  des  alentours  : 
quoique  les  plus  forts,  ils  n'eussent  osé  prendre  femme  dans  une  «  race 
de  sorciers  ».  La  variété  des  types  produite  par  les  croisements  n'a  guère 
eu  lieu  que  sur  les  confins  ethnologiques'. 

Dans  la  lutte  séculaire  qui  constitue  leur  histoire,  les  populations  slaves, 
devenues  les  Russes  de  nos  jours,  se  sont  assimilé  les  éléments  étrangers 
précisément  à  cause  de  leur  prépondérance  ;  elles  ont  gagné  peu  à  peu  sur 
les  peuples  indigènes,  mais  en  se  mêlant  avec  eux,  en  prenant  de  leurs 
traits  physiques  et  de  leurs  usages,  en  admettant  même  un  petit  nombre 
de  leurs  mots  dans  la  langue  nationale.  Il  est  certain  que  le  type  russe, 
surtout  dans  le  voisinage  des  tribus  finnoises,  n'est  point  celui  des  autres 
Slaves  et  qu'il  diffère  singulièrement  de  celui  des  Danubiens  et  des  Illyriens 
parlant  des  langues  de  même  origine.  On  rencontre  fréquemment  des 
Russes  ayant  la  face  aplatie  et  les  pommettes  saillantes  du  Finnois  ;  les 
femmes  surtout  ont  gardé  cet  indice  du  mélange  des  races.  Dans  le  midi, 
d'autres  croisements  ont  fourni  un  type  différent.  Là  ce  sont  les  popula- 
tions asiatiques  venues  à  l'époque  de  la  migration  des  peuples,  juiis  les 
Mongols  et  les  Turcs,  dits  Tarlares,  qui,  en  se  mêlant  diversement  avec  les 
Slaves,  tantôt  comme  vaincus,  tantôt  comme  vainqueurs,  tour  à  tour  pre- 
nant les  femmes  du  pays  et  forcés  de  livrer  les  leurs,  ont  uni  leur  sang  à 
celui  des  Slaves.  Un  grand  nombre  de  familles  nobles  de  la  Russie  sont 
issues  de  seigneurs  tartares  et  mongols  qui  ont  accepté  le  baptême  pour 
garder  le  pouvoir.  Les  Cosaques  Zaporogues,  de  même  que  ceux  du  Don, 
de  la  Volga,  de  l'Oural,  avaient  l'habitude  d'enlever  des  femmes  tartares 
dans  leurs  expéditions,  et  c'est  ainsi  que  par  les  victoires  mêmes  des 
Slaves  s'altérait  la  pureté  de  leur  sang.  D'ailleurs,  comment  n'y  aurait-il 
pas  eu  mélange?  Aux  origines  de  l'histoire  écrite,  c'est-à-dire  il  y  a  neuf 
siècles  environ,  les  populations  slavonnes,  plus  puissantes  dans  l'Europe 
centrale  qu'elles  ne  le  sont  aujourd'hui,  étaient  en  revanche  beaurouj» 
moins  nombreuses  dans  les  plaines  orientales  :  elles  n'occupaient  ([u'un 
cinquième  du  territoire  actuel  de  la  Russie,  et  tout  le  reste  du  pays  appar- 
tenait aux  Lithuaniens,  aux  Finnois  et  à  diverses  tribus  errantes  ou  fixées, 
venues  des    steppes  de    l'Asie.    El  de  nos  jours  ijuel   changement!   Les 

'   I  ioric  KrnjiDtkiii,  Soles  mniiHxniL's. 


296 


NOUVELLE    GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 


Russes  et  autres  Slaves  peuplent  les  quatre  cinquièmes  de  l'empire  et 
débordent  au  loin,  en  Sibérie,  au  Turkestan,  dans  les  vallées  du  Caucase. 
De  pareilles  annexions  ethnographiques  ont-elles  pu  se  faire  en  neuf  cents 
années  sans  que  les  nouveaux  venus  se  soient  intimement  mélangés  avec  les 
anciens  habitants  de  la  contrée? 

A  l'époque  hellénique,  toutes  les  populations  des  plaines  qui  sont  dcve- 


65.    DISTRIBUTION    DES    SLAVLS    AU    NEUVIKME    SIECLE. 


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nues  la  Russie  étaient  confondues  sous  le  nom  de  Scythes  et  de  Sarmates. 
Parmi  ces  indigènes,  quels  étaient  ceux  dont  les  descendants  sont  les  Slaves, 
c'est-à-diie  les  «  Hommes  qui  parlent  »'.'  En  remontant  aussi  loin  dans 
l'histoire  qu'il  est  possible  de  le  faire  avec  les  rares  documents  laissés  par 
les  écrivains  grecs,  Ossolinski,  Safarik  et  Wocel  ont  retrouvé  la  première 
patrie  des  Slaves  dans  la  Volinie  et  dans  la  Russie  Blanche.  C'est  encore  là, 
pcnse-t-on,  que  le  sang  slave  est  le  moins  mêlé;  la  stérilité  du  sol  et  les 


ANCIENNES  POPULATIONS  DE  L\  RUSSIE. 


299 


marécages  nombreux  ont  délourné  les  coaquéranls,  soit  au  nord,  soit  au 
sud  de  celte  région.  II  n'y  a  d'ailleurs  rien  d'improbable  dans  l'opinion 
des  savants  qui  voient  aussi  les  ancêtres  des  Russes  dans  certains  peuples 
de  la  Scvthie  méridionale'.  Les  ossements  humains,  accompagnés  d'objets 
indiquant  une  civilisation  rudimentairc,  que  l'on  a  trouvés  sous  les  an- 
ciens tombeaux  ou  kourgans  {knunjani)  et  sous  les  emplacements  des 
camps  fortifiés  (fiorodicliklia),  dans  les  gouvernements  de  Tchernigov,  de 
Kivev,  de  Pskov,  de  Novgorod,  de  Pétersbourg  même,  sembleut  appartenir. 


61.    —    KOIKGANS    DE    TCIIEBXIGOV. 


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si  l'on  en  juge  d'après  la  forme  du  crâne,  à  la  race  slave.  Les  vieilles  prati- 
ques de  ren.sevelissement  persistèrent  dans  ces  contrées  jusqu'au  dixième  et 
au  onzième  siècle,  ainsi  que  le  prouvent  des  monnaies  byzantines  trouvées 
dans  les  kourgans,  oii  le  guerrier  repose  avec  ses  armes,  où  la  femme 
est  encore  ornée  de  ses  parures.  Parfois  les  funérailles  étaient  accompa- 
gnées de  sacrifices  d'animaux  domestiques,  ou  même  d'hommes  et  de 
femmes.  Une  grande  sé|)ulture  enfermait  les  restes  d'un  bûcher  de  plus 
de  30  mètres  de  tour,  où  se    rencontraient  nèle-mêle    des    os  calcinés 


'  Voir  suitout  ZaLcIin,  Histoire  de  la  vie  lUise  (en  russe). 


500  NOUVELLE   GÉOGRAPDIE  UNIVERSELLE. 

d'êtres  humains,  de  chevaux,  d'oiseaux,  de  poissons,  des  armes,  des  outils, 
des  bijoux.  Le  chef  n'avait  voulu  se  rendre  dans  l'autre  monde  que  dans 
l'attirail  de  sa  pompe,  avec  sa  femme  et  ses  courtisans,  ses  trésors  et  ses 
mets  préparés  pour  un  riche  festin.  Une  de  ces  vastes  tombelles  est  la 
Tchorna  Mogil'a,  explorée  par  Samokvasov  '. 

Lorsque  les  Slaves  orientaux  commencent  à  émerger  des  ténèbres  du 
moyen  âge,  vers  la  lin  du  neuvième  siècle,  ils  occupent  toute  la  région  du 
partage  des  eaux  et  des  hauts  affluents,  entre  les  bassins  de  la  Volga,  du 
Yol'khov,  de  la  Dûna,  du  Xeman,  de  la  Yistule,  du  Dnestr,  et  presque 
tout  le  bassin  du  Dnepr.  En  dehors  de  cette  vaste  étendue  se  montrent 
çà  et  là  des  îles  et  des  archipels  de  population  russe  dans  les  bassins  de  la 
mer  d'Azov  et  de  la  Caspienne,  notamment  à  l'embouchure  de  la  Koubai'i, 
où  s'était  établie  la  colonie  des  Russes  Tmoutarakaii,  fameuse  dans  les  tra- 
ditions primitives  de  la  nation.  Ces  tribus  slaves  offraient  déjà  les  éléraenls 
d'une  nationalité  puissante,  et  c'est  précisément  alors  qu'elles  prennent 
définitivement  dans  l'histoire  le  nom  de  Russes. 

On  a  beaucoup  discuté  sur  l'origine  de  cette  appellation,  que  les  anna- 
listes ont  rattachée  à  l'histoire  de  la  dynastie.  D'après  la  tradition  incor- 
porée dans  les  annales  de  Nestor,  et  longtemps  enseignée  comme  une 
indiscutable  vérité,  les  Slaves  de  Novgorod  et  leurs  voisins  envoyèrent 
une  ambassade  «  d'au  delà  de  la  mer  »  chez  les  Yarègues  ou  Yariagues 
(Vai"agi)  Russes  «  pour  les  inviter  à  venir  régner  dans  leur  pays  »  ;  Rurik 
et  ses  deux  frères  Sineous  et  Trouver  accédèrent  à  cette  invitation  et  vin- 
rent, en  832  ou  862,  s'établir  avec  «  toute  leur  tribu  russe  »  à  Novgorod, 
à  Izborsk  près  du  lac  de  Pskov  et  aux  bords  du  Lac  Blanc  ou  Belo-Ozero. 
Le  successeur  de  Rurik,  Oleg,  personnage  mystérieux  dont  la  parenté  avec 
Rurik  n'est  pas  clairement  définie,  mais  que  la  légende  transforme  en  une 
sorte  de  demi-dieu,  porta  le  siège  de  l'empire  à  Kiyev  et  en  même  temps 
le  nom  de  Russes  et  de  Russie.  Quels  étaient  ces  Yarègues  Russes  auxquels 
la  tradition  donne  celle  influence  décisive  sur  la  formation  do  la  grande 
nationalité  slave?  Au  seizième  siècle,  on  cherchait  leur  patrie  au  sud  de 
la  mer  Baltique,  chez  les  Lithuaniens-Prussiens,  que  l'on  prétendait  alors 
être  do  race  impériale  romaine,  à  cause  de  leur  nom  Latrini,  transformé  on 
Latini,  et  de  leur  lieu  sacré',  Romovo,  (jue  l'on  s'imaginait  être  une  sorte  de 
Rome.  Mais,  depuis  le  dix-huilièmo  siècle,  l'opinion  générale,  surtout  parmi 
les  savants  allemands  des  académies  de  Saint-Pétersbourg  et  parmi  les  éru- 
dits  Scandinaves,  cherche  en  Suède  l'origine  des  Yarègues.  Les  défenseurs 

'  Drevn'aija  i  lYoïai/a  R'issiija,  1876,  n*  t. 


ORIGINES  DE  LA  RUSSIE.  301 

de  cette  théorie,  développée  d'abord  par  Schlôzer,  et  depuis  par  Kiinik  et 
Rafii,  s'appuient  sur  de  nombreux  témoignages  pour  affirmer  que  le  nom  de- 
venu national  pour  la  famille  slave  dominant  dans  l'Europe  orientale  est  dii 
aux  aventuriers  normands,  Varègues,  qui  couraient  le  monde  à  la  recherche 
de  la  gloire  et  de  la  fortune.  D'après  Kiinik,  le  nom  de  Ross  ou  «  Russes  » 
est  celui  que  les  Finnois  de  la  mer  Raltique  donnaient  aux  Svear  ou 
Suédois  de  la  côte  occidentale  de  la  Baltique.  Encore  de  nos  jours,  les 
habitants  du  litloral  de  l'Upland  sont  connus  sous  l'appellation  de  Rodsla- 
gen  et  Rosslagen,  c'est-à-dire  de  «  Corporation  des  Rameurs  »,  et  depuis 
les  temps  les  plus  anciens  ils  sont  employés  au  service  des  flottes'.  Ce  se- 
raient là  les  Russes  qui  se  sont  taillé  des  royaumes  dans  les  plaines  de 
l'est,  accomplissant  en  Orient  ce  que  leurs  frères  de  race,  les  Normands, 
avaient  accompli  en  Occident,  et  les  uns  et  les  autres,  après  avoir  contourné 
l'Europe  à  l'ouest  ou  à  l'est,  auraient  fini  par  se  rencontrer  sur  les  bords 
de  la  Méditerranée.  En  effet,  des  guerriers  norvégiens,  des  Islandais  même", 
s'enrôlaient  dès  le  neuvième  siècle  dans  la  garde  des  empereurs  de  Con- 
stantinople  :  «  engagés  par  contrat  »,  ainsi  que  l'implique  probablement 
leur  nom  de  Varègues,  on  les  voit  combattre  en  troupes  d'élite  dans  toutes 
les  expéditions  byzantines  de  cette  époque.  Mais  d'autres  soldats  de  for- 
tune combattaient  aussi  Byzance;  la  Suède  possède  au  moins  une  douzaine 
de  pierres  runiques  dont  les  inscriptions  parlent  d'hommes  qui  naviguè- 
rent ou  qui  moururent  en  Orient  dans  l'expédition  d'Ingvar"  :  c'est  l'Igor 
de  l'histoire  russe  qui  essaya  vainement  de  conquérir  Constantinople. 
D'après  les  défenseurs  de  l'hypothèse  Scandinave,  presque  tous  les  noms 
de  Varègues  donnés  dans  les  anciennes  chroniques  russes  appartiendraient 
à  l'idiome  Scandinave  ou  nordique  et  se  retrouveraient  dans  les  sagas  et 
sur  les  monuments  runographiques  chi  Nord  :  malgré  l'altération  que  leur 
a  fait  subir  l'orthographe  slavonne,  ils  sont  presque  tous  faciles  à  recon- 
naître. Tous  les  hommes  «  de  la  nation  russe  »,  ainsi  que  s'exjirinK! 
Nestor,  étaient  des  Normands.  Les  ap[>ellations  des  navires  «  russes  », 
transmises  par  les  auteurs  byzantins,  sont  aussi  des  termes  nordiques,  et 
les  noms  «  russes  »  des  cataractes  du  Dnepr,  reproduits  à  côté  des  noms 
«  slaves  »  par  l'empereur  byzantin  Constantin  Porphyrogénète,  sont  évi- 
demment Scandinaves,  quoique  très  mutilés.  Enfin  Luitprand,  évoque  do 
Crémone,  qui  visita  deux  fois  Constantinoj)le  comme  ambassadeur,  affirme 
expressément  que  les  peuples  auxquels  les   Grecs  donnaient  le  nom   de 

'  NVallenbacli,  Ein  lilick  auf  Scliircdens  Umtphtadl. 

*  Italti.  liapporls  des  I^ormands  uvec  l'Orient,  Monuments  runographiques. 

°  Rafn,  Antiquités  russes. 


Ô02  NOUVELLE  GEOGRAPUIE  UNIVERSELLE. 

Russes  élaieiit  les  mêmes  que  les  Normamis  des  écrivains  occiden- 
taux'. D'ailleurs  ces  Russes  varègues  étaient  bien  peu  nombreux,  en  com- 
paraison des  populations  indigènes  au  milieu  desquelles  ils  allaient  com- 
battre "  ;  en  un  bien  petit  nombre  de  générations,  l'origine  Scandinave  des 
familles  guerrières  fut  oubliée  :  les  Germains  étaient  perdus  parmi  les 
Slaves.  Déjà  le  petit-fils  de  Rurik,  Svatosl'av,  porte  un  nom  slavon  '. 

Quelle  qu'ait  été  d'ailleurs  la  part  d'influence  des  Varègues  du  Nord  sur 
les  populations  de  la  Slavie  orientale,  les  objections  à  la  tliéorie  de  l'origine 
purement  Scandinave  du  nom  de  Russie  n'ont  pas  manqué  et,  devenues  de 
plus  en  plus  nombreuses,  elles  se  présentent  maintenant  avec  une  grande 
autorité.  Les  noms  géographiques  où  se  retrouve  la  racine  7^us  ou  ros  se 
rencontrent  en  divers  endroits,  surtout  en  Poméranie  et  dans  l'île  de 
Rijgen,  en  Lithuanie,  dans  la  Russie  Blanche,  sur  les  bords  du  Dnepr; 
Ros  est  le  nom  lithuanien  du  IS'eman,  —  d'oîi  l'appellation  de  Po-Rousî 
ou  de  «  Gens  des  Bords  du  Rous  »  donné  aux  Prussiens.  —  Probable- 
ment celte  question  d'origine  restera  toujours  obscure;  toutefois  il  est 
utile  de  rappeler  que  le  pays  de  Kiyev,  qui  était  alors  la  Russie  par  excel- 
lence, a  eu  sa  propre  légende  de  trois  frères  fondateurs  de  la  ville,  et  que 
celle  légende  se  rattache  à  des  traditions  danubiennes  et  non  balliques. 
En  8Gi  di^à,  les  princes  de  Kiyev  avaient  fait  une  expédition  contre  Con- 
slantinople,et  la  manière  dont  cette  expédition  est  racontée  est  peu  compa- 
tible avec  la  théorie  d'après  laquelle  les  «  Russes  »  n'auraient  été  que 
des  nouveaux  venus  dans  le  pays.  Le  ])atriarche  Photius  parle  des  Russes 
comme  d'une  nation  forte  et  victorieuse,  bien  connue  des  Byzantins.  Enfin, 
d'après  les  auteurs  arabes  de  la  fin  du  neuvième  siècle  et  du  commence- 
ment du  dixième*,  les  Russes  contemporains  étaient  une  nation  slave  se 
divisant  en  trois  groupes,  celui  de  Kouyaba  (Kiyev),  celui  des  Slavons  ou 
Sloveni  de  Novgorod,  et  le  groupe  de  l'Ârtsanîe,  où  l'on  veut  retrouver 
soit  les  habitants  du  pays  de  Razan  sur  l'Oka,  soit  la  population  de 
Rostov,  dans  le  gouvernement  de  Yarosl'avl,  non  loin  de  la  Volga.  En  réu- 
nissant liiu^  les  témoignages  fournis  par  les  écrivains  byzantins,  arabes  et 
juifs'',  ainsi  (pie  par  les  fouilles  des  tertres  funéraires  de  la  Russie  %  on  doit 


'  Rafn,  Rapports  des  Normands  arec  l'Orient. 

-  Wor^anu,  La  colonisation  de  la  Russie  et  du  nord  i>randinarc . 

^  Alficil  Rainbaiid,  Histoire  de  la  Russie. 

'  Kludlsoii,  Rechcrclies  sur  les  Slaves  et  les  Russes  d'Ibn-DasIa  (en  russe");  —  Garkavi,  Recils 
des  écrivains  musulmans  sur  les  Slaves  et  tes  Russes  (en  insse).  elc. 

5  Khvcjlson,  Rapport  au  Congres  archéologique  de  Kazan';  —  Altied  Ranibaud,  Revue  sckidi- 
fique,  1871),  n°  -ii. 

'  Samokvasov,    Drcvn'aya  i  yuvoija  Russiija,  1S70,  n"'  5  el  J. 


ORIGINES  DE  LA  RUSSIE.  303 

reconnaître  qu'au  moins  depuis  la  fin  du  neuvième  siècle  il  existait  dans 
le  bassin  du  Diicpr  une  nation  russe  assez  compacte,  possédant  une  cer- 
taine industrie  et  même  l'écrilure. 

Tant  que  les  communications  étaient  encore  très  difficiles  dans  les 
plaines  de  l'Europe  orientale  et  que  la  population,  peu  considérable,  so 
trouvait  arrêtée  de  tous  les  côtés  par  des  forêts  et  des  marécages,  la  consti- 
tution d'une  forte  nationalité  slave  était  impossible.  Dans  cet  immense 
espace  qui  s'étend  de  l'Oural  aux  montagnes  de  la  Bohême  et  à  celles  de 
rUlyrie,  des  centres  de  vie  indépendante  s'étaient  formés  en  mille  en- 
droits et  se  groupaient,  s'influençaient  diversement,  tandis  que  des 
ennemis,  pénétrant  par  des  brèches  ouvertes  à  l'orient  et  à  l'occidenl, 
dérangeaient  incessamment  l'équilibre  incertain  de  tous  ces  groupements 
slaves,  aux  frontières  changeantes.  A  l'ouest,  les  Hongrois,  défendus  par 
leur  citadelle  serai-circulaire  des  Carpatcs,  rompirent  la  cohésion  des 
Slaves  de  l'occidenl,  du  sud,  de  l'orient,  tandis  que  les  Allemands,  dès  le 
onzième  siècle,  s'établissaient  solidement  sur  les  rives  de  la  Baltique  et, 
refoulant  Slaves  et  Lithuaniens,  leur  enlevaient  les  chemins  de  la  mer. 
A  l'est,  les  hordes  asiatiques,  venues  des  steppes  et  suivant  leurs  troupeaux 
de  vallée  en  vallée,  déplaçaient  incessamment  les  limites  des  royaumes. 
D'ailleurs,  cette  cohésion  naturelle  qui  dans  un  grand  pays  unit  les  uns 
aux  autres  tous  les  hommes  de  même  langue  et  de  mêmes  mœurs,  ne  pou- 
vait encore  lier  en  une  seule  nation  les  habitants  clairsemés  de  la  Slavio 
orientale  :  la  patrie  était  partout  limitée  au  groupe  que  réunissaient  le 
danger  commun  et  les  intérêts  immédiats  du  combat  pour  l'existence. 

Par  son  immense  étendue,  aussi  bien  que  par  la  disposition  de  ses  ver- 
sants, inclinés  vers  des  mers  opposées,  mer  Blanche  et  mer  Noire,  Baltique 
et  mer  du  .lapon,  la  Russie  semblait  destinée  à  se  diviser  entre  des  groupes 
nombreux  de  populations  aulonomes;  mais  runiformité  de  son  relief,  la 
pénétration  réciproque  de  ses  bassins  fluviaux  facilitaient  les  conquêtes 
et  le  mouvement  de  centralisation.  Dès  qu'un  pouvoir  s'établissait  sur 
<iuel(juc,  point  des  vastes  plaines  sarmates,  il  tendait  à  s'appn)]irier  le 
territoire  entier.  Mais,  de  tous  les  gi'aiids  Klals  qui  se  fondèrent  sur  le 
lerriloire  aciuel  do  l'empire  russe,  et  où  dès  le  neuvième  siècle  i(''gnaieiil 
des  princes  de  la  dynastie  dite  de  Rurik,  lequel  devait  remporter? 

Au  milieu  de  toutes  les  tribus  slaves  que  les  premières  annales  nou»^ 
montrent  ayant  «  chacune  ses  propres  usages  et  ses  institutions  »,  trois 
centres  locaux  se  constituent  d'abord  :  Novgorod,  dans  le  pays  des  Slaves 
du  Volkliov  ;  Polotzk,  la  ville  des  Krivitchi-Bob)tchani  de  la  Diina,  et 
Kiyev,  la  cité  des  l'olani  ou  a  Habitants  des  champs  »,  dans  le  bassin  du 


304  NOUVELLE    GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

Dnepr.  De  toutes  les  régions  de  la  Slavie  orientale,  la  plus  favorisée  par 
la  nature  et  celle  qui  semblait  par  conséquent  devoir  prendre  et  garder  la 
prépondérance  politique  était  le  pays  de  Kiyev.  Un  grand  fleuve,  navigable 
malgré  ses  rapides,  parcourt  cette  contrée  et  par  la  mer  Noire  ouvre  les 
chemins  de  Constanlinople  et  de  la  Méditerranée.  Le  sol  de  cette  partie  de 
la  Piussie  est  un  des  plus  fertiles  du  monde,  le  climat  est  plus  doux  que 
relui  des  autres  plaines  orientales.  Il  semblait  donc  naturel  que  la  popula- 
tion slave  se  groupât  principalement  dans  le  bassin  du  Dnepr,  sur  les  riches 
terres  noires  qui  donnent  le  froment  en  abondance,  et  le  centre  de  la  puis- 
sance devait  se  trouver  là  où  se  portait  la  foule  des  habitants  et  où  se 
concentraient  les  richesses.  En  effet,  Kiyev,  où  l'on  voit  les  plus  anciens 
monuments  historiques  de  la  Russie,  notamment  la  «  Porte  d'Or  »  —  qui 
n'est  porte  ni  dorée,  dit  M.  Léger.  —  était  au  onzième  siècle  la  ville  la  plus 
riche  et  la  plus  grande  de  l'Europe  orientale  après  Constanlinople,  et  pre- 
nait le  rang  de  cité  mère  dans  une  confédération  flottante  embrassant  Petits 
Piussiens  et  Grands  Russiens  ;  mais  précisément  ces  contrées  du  sud,  pri- 
vilégiées en  comparaison  de  celles  du  nord,  étaient  les  plaines  que  les  races 
ennemies.  Avares,  Khazars,  Magyars,  Petchénègues,  Koumanes,  Turcs, 
Mongols,  venaient  attaquer  avec  le  plus  d'acharnement,  soit  pour  s'y  éta- 
blir eux-mêmes,  soit  pour  s'ouvrir  un  passage  vers  les  pays  de  l'ouest. 
Tandis  qu'au  nord  du  Dnepr  les  colons  russes  pouvaient  librement  tailler 
des  clairières  dans  les  forêts  et  ne  rencontraient  devant  eux  que  des  tribus 
de  sauvages  inoffensifs,  ils  ne  pouvaient  s'avancer  au  sud  que  la  lance  à  la 
main,  et  que  de  retours  offensifs  ils  eurent  h  subir!  Que  de  villages  brûlés 
et  de  troupeaux  enlevés  !  Que  de  populations  entières  emmenées  en  escla- 
vage !  La  colonisation  russe  progressa  lentement,  protégée  par  les  postes 
avancés  des  Cosaques.  C'est  vers  le  nord  et  le  nord-est  que  le  nombre  des  ha- 
bitants s'accroissait  le  plus,  et  le  siège  de  la  puissance  se  déplaçait  avec  eux. 
Vers  la  fin  du  douzième  siècle,  deux  centres  nouveaux,  situés  en  dehors 
du  bassin  du  Dnepr,  commencent  à  exercer  leur  force  d'attraction  :  en 
occident,  Vladimir  Vol'inskiy,  —  capitale  de  la  Vladimirie  ou  Lodomérie,  — 
qui  fut  bientôt  remplacée  par  Galitch  (Ilalicz),  chef-lieu  de  la  principauté 
de  (jalicie  :  en  orient,  Souzdal,  à  laquelle  succéda  sa  voisine  \  ladimir 
Zaleskiy  ou  «  Transylvaine  ».  devancière  politique  de  Moscou.  Galicie  d'une 
])arl,  Souzdalic  (l(>  l'aulre,  clicnliaient  sans  cesse  à  s'agrandir  et  à  se  rap- 
procher aux  (K'pens  de  Kiyev,  lorsque  l'invasion  des  Tarlares  vint  mettre 
un  liuine  à  ces  rivalités  en  s'euiparant  elle-même  des  rives  du  Diiejtr. 
La  Galicie  essaya  pourtant  de  se  maintenir  par  la  lutte  contre  les  Taitares; 
mais,  trop  exposée  aux  attaques  de  ses  voisins.    Polonais,    Lithuaniens, 


IiKI'LACEMENTS  DES  CENTRES  DE   LA  PUISSANCE  SLAVE.  307 

■Magyars,  elle  se  perdit  dans  ses  vastes  entreprises  guerrières  et  finit  par 
tomber,  au  milieu  du  quatorzième  siècle,  sous  la  domination  de  la  Pologne. 
Moins  chevaleresques,  les  princes  de  Vladimir  Transylvaine  et  de  Moscou 
cherchent  à  se  concilier  les  bonnes  grâces  des  conquérants  lartares,  à  gou- 
verner en  leur  nom  pour  s'assurer  la  possession  de  toute  la  Russie  du 
nord-est.  Mais  tandis  que  les  princes  de  Moscou,  ce  «  camp  sauvage,  plein 
d'esprit  tartare  »,  accroissent  de  plus  en  plus  leur  puissance  militaire, 
les  cités  républicaines  du  nord-ouest,  Pskov,  et  surtout  Novgorod,  repré- 
sentent, depuis  le  treizième  jusqu'au  commencement  du  seizième  siè- 
cle, la  civilisation  et  les  traditions  nationales  du  pays  qui  prit  alors  le 
nom  de  «  Grande  Russie  »  et  qui  est  devenu  le  domaine  du  tzar  auto- 
crate'. La  «  Grande  Novgorod  »  était  l'intermédiaire  du  commerce  de 
l'Europe  avec  la  Russie  orientale,  et  même  avec  l'Asie  ;  par  le  lac  Ilmei'i, 
la  rivière  Eovat  et  les  portages,  elle  communiquait  avec  les  bassins  de  la 
Volga,  du  Dnester,  du  Dnepr;  par  la  rivière  Volkkov  et  le  lac  Ladoga,  elle 
commandait  à  la  fois  les  chemins  de  la  mer  Noire  et  le  golfe  de  Finlande. 
Son  territoire  de  commerce  et  de  colonisation  s'étendait  des  rives  laponnes 
aux  monts  Oural.  Mais  bien  située  pour  la  défense,  à  l'abri  d'une  attaque 
soudaine,  grâce  à  son  éloignement  de  la  mer,  Novgorod  n'avait  pas  une 
position  qui  lui  permît  de  prendre  facilement  l'offensive  :  la  plus  grande 
partie  de  son  territoire  était  infertile  et  presque  inhabitée,  et  des  convois 
interceptés  pouvaient  la  réduire  à  la  famine.  Les  dissensions  des  puissantes 
familles  et  les  rivalités  des  commerçants  déchiraient  la  cité,  et  ces  luttes 
de  factions  aidèrent  les  grands-princes  de  Moscou  à  établir  leur  pouvoir 
à  Novgorod  comme  autour  de  leur  Kremlin. 

Seulement  après  la  décadence  de  la  Kiyovie  et  de  la  Galicie,  la  Russie 
Blanche  sortit  de  son  isolement  comme  centre  d'un  nouvel  empire  slave, 
sous  la  conduite  des  princes  lithuaniens,  parents  et  héritiers  de  l'ancienne 
dynastie  russe  de  Poiotzk.  A  partir  de  la  moitié  du  treizième  siècle  et  sur- 
tout au  quatorzième,  les  princes  lithuaniens  s'emparent  de  toute  la  Russie 
Blanche,  puis  de  la  Vol'înie,  de  la  Podolie,  de  la  Kiyovie,  de  la  Sévérie 
(Tchernigov),  tant(3t  par  la  force,  tantôt  du  consentement  des  villes  ou 
gi'âce  à  des  mariages  prudemment  conclus;  les  princes  de  la  Lithuanie  por- 
tent désormais  le  titre  de  «  princes  de  la  Russie  ».  Par  une  remarquable 
coïncidence,  le  roi  «le  Pologni;,  après  avoir  occupé  la  Galicie,  prend  aussi 
le  nom  de  «  prince  de  la  Russie  »,  tandis  que  le  souverain  de  Moscou, 
comme   pour  revendiquer   énergicpiement   les  terres   qui  échappent  à   sa 

'  Boustaypv.  Annales  de  la  liiléralure  russe,  VI  (en  russe). 


508  .NOUVELLE  GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

dynastie,  se  qualifie  «  prince  de  toute  la  Russie  »  :  mais  il  évite  d'ahord 
d'employer  dans  ses  rapports  avec  les  souverains  de  la  Lithuanie  ce  titre 
fastueux,  que  seulement  Jean  III  réussit  à  se  faire  reconnaître  officiel- 
lement par  le  traité  de  1505.  Au  quatorzième  siècle  et  -avant  la  fin 
du  (juinzième,  La  Lithuanie  était  trop  puissante  pour  que  le  prince  do 
Moscou  osât  la  braver.  Elle  s'était  annexé  tout  le  bassin  du  Dnepr  et  pos- 
sédait même  une  partie  du  bassin  de  l'Uka,  où  la  rivière  Ougra  formait, 
à  150  kilomètres  au  sud-ouest  de  Moscou,  la  limite  de  son  domaine.  Les 
Tartares  reculaient  vers  l'Orient  au  commencement  du  quinzième  siècle; 
les  steppes  qui  s'étendent  entre  le  Dnepr  et  le  Diiestr  s'ouvraient  à  la  colo- 
nisation, et  les  riverains  des  fleuves  pouvaient  expédier  librement  leurs 
blés  à  Constantinople  par  le  petit  port  de  Hadji-Bey,  situé  sur  l'empla- 
cement occupé  de  nos  jours  par  Odessa.  Les  princes  de  Tver,  de  Razan, 
jNovgorod  même,  se  tournent  vers  la  Lithuanie,  par  crainte  des  autocrates 
de  Moscou,  et  ceux-ci  se  sentent  menacés  dans  leur  puissance.  La  Lithuanie 
devient  la  vraie  Russie  occidentale,  un  Etat  russe  et  européen  à  la  fois  : 
le  nom  donné  à  leur  principauté  ne  s'appliquait  d'ailleurs  qu'à  une  faible 
partie  du  domaine;  jamais  les  lois  du  pays  n'ont  été  rédigées  en  lithua- 
nien ;  presque  toutes  sont  en  russe,  surtout  en   blanc-russien. 

Mais  un  événement  considérable  vint  arrêter  le  développement  noi-mal 
de  la  Lithuanie  :  son  union  politique  avec  la  Pologne.  Les  souverains 
de  ce  dernier  pays,  maîtres  de  la  Galicie,  voulaient  justifier  le  nom  de 
«  princes  de  la  Russie  »,  qu'ils  avaient  pris.  En  1580,  une  reine  de  Polo- 
gne se  mariait  au  prince  de  Lithuanie,  Jagello,  qui  dut  embrasser  à  cette 
occasion  la  religion  catholique  romaine.  D'abord  toute  personnelle,  l'union 
devint  avec  le  temps  celle  des  États,  malgré  les  protestations  des  Lithua- 
niens et  des  Blancs  Russiens  qui,  pour  conserver  l'indépendance  du  pays, 
menacèrent  même  de  s'unir  à  la  Moscovie.  Aidés  par  les  petits  nobles 
des  provinces  méridionales  qui  enviaient  les  privilèges  des  grands  vassaux 
lithuaniens  et  aspiraient  aux  droits  égalitaires  des  gentilshommes  polo- 
nais, les  rois  finiront  par  rattacher  directement  la  Yolînie  et  la  Kiyovie  à  la 
Pologne  cl  en  1569  eut  lieu  l'union  définitive  du  reste  de  la  Lithuanie. 
Les  dissensions  inlérituires  qui  furent  la  conséquence  de  cette  union  forcée, 
telle  fut  la  cause  de  la  faiblesse  de  ce  double  empire  qui  semblait  devoir, 
grâce  à  son  immense  étendue,  prendre  définitivement  riiégémonie  comme 
puissance  slave.  Plus  rapproché  de  l'Europe  proprement  dite,  jouissant 
d'une  civilisation  plus  avancée  que  les  populations  slaves  de  l'est,  disposant 
de  ressources  maléiicllcs  plus  considérables,  il  avait  aussi  l'avantage  d'oc- 
cuper la   région  où  j)asse  la  voie  historique  entre  la  mer  Noire  et  la  Bal- 


DÉPLACEMENTS   DES  CENTRES   DE   LA    PUISSANCE   SLAVE. 


zm 


tique.  Il  possédait  cotte  précieuse  dépression  qui  divise  le  continent  en  deux 
moitiés  et  où  s'entremêlent  les  sources  de  la  Vistule  et  de  ses  affluents 
avec  celles  du  Diiestr  et  du  Di'iepr.  Une  pareille  position  géographique  assu- 
rait en  apparence  à  la  Pologne  et  à  la  Lithuanie  le  rôle  principal  parmi 


iiKrLvcrsiOT  des  ce\ti\es  de  la  poissasce  slave. 


Conré«Iér.ition  ru-^^e     Principaulés 
avant  rînv,i$ioit      tic    la    dynastie 
des  Tartarcs  de  Ged 

(iiii*  sicclcy.  (IV  siècle;. 


les  nations  slaves;  mais  les  éléments  de  la  confédération  polono-lilliuano- 
riisse  différaient  trop,  les  efforts  tentés  par  les  rois  de  Pologne  en  vue  de 
la  domination  pure  se  faisaient  avec  trop  de  violence  et  le  travail  d'assi- 
milation naturelle  était  relativement  trop  faible  et  trop  lent  :  l'union 
politique  de  1509,  dite  de  Lubliu,  el  en  159j  l'union  de  Bresl-Lilovskiy, 


510  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

qui  rallachait  les  Églises  grecques  à  l'Eglise  romaine,  amenèrent  lo  choc 
des  éléments  russe  et  polonais.  Par  la  religion  catholique,  la  Pologne 
s'était  rattachée  au  monde  occidental  ;  par  la  religion  grecque,  introduite 
de  Byzance,  la  Russie  constituait  un  monde  distinct  :  la  différence  des  rites, 
entraînant  avec  elle  celle  des  mœurs,  de  la  civilisation,  de  la  politique,  des 
alliances,  traçait  à  l'est  de  la  Pologne  une  limite  qu'elle  ne  put  franchir. 
Quand  à  toutes  ces  causes  de  luttes  intestines  vinrent  s'ajouter  les  révoltes 
et  les  guerres  des  Cosaques  et  des  paysans  russes  contre  les  gentilshommes 
polonisés,  le  sort  de  la  Pologne  devint  inévitable.  D'ailleurs,  même  au  point 
de  vue  géographique,  l'empire  n'avait  jamais  pu  se  constituer  solidement. 
Gênés  par  les  Allemands  du  littoral  baltique,  les  Polonais  n'avaient  pu 
s'établir  que  temporairement  sur  les  côtes  qui  semblaient  devoir  leur  appar- 
tenir, et  la  conquête  mahométane  les  priva  des  rivages  de  la  mer  Noire. 
Ainsi,  tout  en  possédant  la  plus  grande  partie  du  territoire  qui  rattache 
l'Europe  occidentale  au  corps  de  l'Ancien  Monde  et  qui,  même  avant  l'his- 
toire écrite,  fut  d'une  telle  importance  pour  le  commerce,  Polonais  et  Lithua- 
niens n'avaient  pas  ce  qui  donne  précisément  sa  valeur  à  ce  grand  chemin 
des  nations,  c'est-à-dire  de  faciles  débouchés  sur  les  deux  mers  opposées, 
communiquant  l'une  avec  la  Méditerranée,  l'autre  avec  l'océan  Atlantique. 
Tandis  que  la  Pologne  s'affaiblissait  par  ses  guerres  et  ses  dissensions, 
la  Moscovie,  amie  des  Musulmans  du  sud  au  quinzième  siècle,  s'accrois- 
sait en  puissance.  Là  fut  le  centre  autour  duquel  gravita  le  grand  Etat 
slave.  Par  la  Volga  et  ses  affluents,  par  les  portages  et  les  fleuves  du  nord 
et  de  l'ouest,  les  princes  de  Moscou  pouvaient  atteindre  les  extrémités  de 
la  plaine  immense, et  l'unité  de  pouvoir  s'établissait  sans  peine.  Quand  les 
([uatre  mers,  au  nord  et  à  l'ouest,  au  sud  et  au  sud-est,  baignèrent  à  la 
lois  les  terres  de  l'empire  moscovite,  la  Russie  moderne  était  fondée,  et 
les  peuples  de  la  Slavie  orientale  se  trouvaient  unis  de  force.  Quand  le 
seront-ils  aussi  par  un  groupement  libre?  C'est  une  de  ces  questions  his- 
tori(paes  auxquelles  il  est  encore  impossible  de  répondre. 


On  sait  quel  a  été  pendant  ces  derniers  siècles  le  prodigieux  accroisse- 
ment de  l'empire  moscovite.  La  Russie  d'aujourd'hui  comprend  un  ter- 
ritoire au  moins  dix  fois  supérieur  en  étendu(!  à  celui  de  l'Etat  (jui  s'éta- 
blit après  la  défaite  des  Tartares,  et  dont  la  surface  est  évaluée  apjjroxima- 
tivement  à  '2  millions  de  kilomètres  carrés  '.  .L'immense  domaine  acquis 

<  Obiciulcliuv,  [{eciieil  mililaii-c  sUitisliijuc  (on  russe),  t87l. 


ACCROISSEMENTS  DE  LA  RUSSIE.  r.Il 

(lopiiis  se  mesure  par  degrés  de  longitude  et  de  latitude,  et  c'est  d'une 

manière  tout  à   fait  provisoire  qu'on  essaye  d'en  indiquer  la  surface  en 

verstes  ou  en  kilomètres  carrés.  En  ISTt?,  les  géodésiens  ont  terminé  la 

N°   66.    —  mVQlêTES    SfCCFSSlTES    DE   l'tMriIlE    BrS'SF- 


l'iciTf  le  Grand.       Je  l'itrri;  le  Ui- 


grande  Irianguliition  iMicrnalidnale  qui  avait  pour  itut  de  mesurer  l'arc  de 
parallèle  compris  entre  l'Ile  Valentia,  sur  la  côte  occidentale  de  l'Irlande, 
cl  la  ville  d'Orsk,  dans  le  gonvernemenl  d'Orenltourg.  Cet  arc  de  bô'ùt  kilo- 
mètres, embrassant  G'J  degrés  de  longitude,  soit  près  d'un  cinquième  dj 


312  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  U.MVERSELL". 

la  circonférence  terrestre,  traverse  le  territoire  russe  sur  un  espace  de 
40  degrés,  mais  les  mesures  qui  se  continuent  à  travers  toute  la  Sibérie 
jusqu'à  l'océan  Pacifique  et  à  la  pointe  du  Kamtchatka  ajoutent  encore  à 
cet  arc  une  ligne  de  100  degrés,  tracée  presque  partout  sur  le  sol  ou  dans 
les  eaux  russes. 

Le  mouvement  d'extension  territoriale  de  la  Russie  a  été  quelquefois 
arrêté  pour  un  temps,  et  même  il  est  arrivé  que  l'immense  domaine  de 
l'empire  s'est  amoindri  en  quelques  parties  de  son  pourtour.  Ainsi,  la 
Russie  céda  en  ITô^  à  la  Perse  Astrabad  et  la  province  de  Mazanderan, 
qui  d'ailleurs  ne  lui  appartenait  que  d'une  manière  fictive,  et  depuis  elle 
n'a  pas  daigné  recouvrer  ce  territoire,  le  vasselage  politique  de  la  Perso 
lui  convenant  mieux  que  l'acquisition  de  quelques  lambeaux  de  terre. 
De  même,  en  1807,  la  Russie  s'est  volontairement  limitée  au  détroit  de 
Bering,  en  vendant  aux  Etats-Unis,  moyennant  la  somme  de  près  de  40  mil- 
lions de  francs,  le  vaste  pays  d'Alaska,  resté  jusqu'à  maintenant  presque 
sans  valeur  aucune.  Enfin,  par  le  traité  de  Paris,  signé  en  1856,  une 
partie  de  la  Bessarabie  dut  être  cédée  aux  Roumains  :  vingt-deux  ans 
après,  la  Russie  reprenait  ce  territoire  en  vertu  du  traité  de  Berlin,  et  en 
outre  elle  assurait  sa  prépondérance  politique  sur  les  deux  rives  du  bas 
Danube  et  jusqu'au  delà  des  Balkans.  Chacun  des  reculs  momentanés  de 
la  puissance  russe  a  été  suivi  d'une  offensive  énergique,  ayant  pour  consé- 
quence un  accroissement  de  territoire  et  d'influence.  Depuis  que  Pierre  le 
Grand  est  monté  sur  le  trône,  les  conquêtes  et  les  acquisitions  de  l'empire 
ont  certainement  dépassé  6  millions  de  kilomètres  carrés,  soit  une  super- 
ficie égale  à  douze  fois  la  France  :  même  calculée  par  jour,  l'augmentation 
normale  est  de  plus  de  80  kilomètres  carrés,  et  précisément  pendant  le 
cours  de  ce  siècle  le  mouvement  s'est  accéléré. 

La  Russie  est  maintenant  dans  sa  période  d'agrandissement  :  elle  s'ac- 
croît, même  en  dehors  de  la  volonté  des  gouvernants,  par  la  fascination 
de  sa  puissance  :  de  nombreuses  peuplades  d'Asie,  des  Etats  même,  gravi- 
tent autour  d'elle  et  s'inféodent  graduellement  avant  de  s'assujettir  en 
entier.  A  l'ouest,  c'est-à-dire  du  côté  de  l'Europe,  l'empire  russe  est 
limité  par  d'autres  empires  et  par  des  États  que  maintient  la  rivalité 
des  puissances  ;  mais  il  reste  encore  une  moitié  de  la  Turquie  à  par- 
tager, et  peut-être  l'Auslro-Hongrie  pourra-t-elle  se  disloquer  un  jour  au 
profit  de  ses  voisins  !  Quoi  qu'il  en  soit,  la  frontière  européenne  de  la 
Russie,  fixée  par  une  double  chaîne  de  douanes  et  do  forteresses,  a  la 
même  précision  i\w'  wWc  des  autres  États  du  continent.  En  Asie,  au  con- 
traire, ses  limites  sont  ilotlantes,  jxiur  ainsi  dire;  malgré  les  traités  pro- 


ACCROISSEMENTS  DE  LA  RUSSIE.  315 

visoires  qui  fixent  les  bornes  de  l'empire  à  telle  rivière  ou  à  telle  chaîne 
de  montagnes,  la  Russie  doit  incessamment  annexer  de  nouveaux  territoires 
jusqu'à  ce  qu'elle  rencontre  un  groupe  de  populations  ou  un  État  militaire 
assez  solide  pour  lui  faire  obstacle.  L'intervalle  qui  sépare  la  Sibérie  des 
plaines  populeuses  de  la  Chine  est  encore  considérable,  mais  il  s'est  bien 
rétréci  par  l'acquisition  de  la  Mantchouric  orientale  :  de  même,  les  armées 
russes  du  Turkestan  ont  encore  bien  des  étapes  à  franchir  avant  d'arriver 
au.\  défilés  de  l'Hindou-Kouch  ;  mais  la  désorganisation  des  États  intermé- 
diaires hâte  le  choc  inévitable,  et  tôt  ou  tard  la  Russie,  déjà  limitrophe 
de  la  puissante  Allemagne,  le  deviendra  de  la  puissante  Angleterre.  Tandis 
que  le  mouvement  général  de  la  civilisation  se  porte  de  l'est  à  l'ouest, 
c'est  d'occident  en  orient  que  se  meut  l'histoire  de  la  Russie. 

Il  est  vrai  que  la  nation  russe  est  encore  bien  loin  d'avoir  remjdi  l'es- 
pace immense  annexé  par  son  gouvernement  ;  les  limites  réelles  de  la 
nationalité  russe  restent  bien  en  deçà  de  celles  que  les  traités  et  les  con- 
(juètes  ont  tracées  sur  la  carte.  Avant  d'avoir  occupé  toutes  les  terres  fer- 
tiles, toutes  les  positions  commerciales  ou  industrielles  qui  se  trouvent 
dans  l'empire,  la  nation  peut  subir  bien  des  changements,  passer  par 
des  révolutions  intestines;  mais,  quelles  que  soient  les  vicissitudes  de 
leur  vie  nationale,  les  groupes  divers  des  Slaves  resteront  l'élément  civi- 
lisateur par  excellence.  Quoique  la  force  d'assimilation  de  la  nationalité 
russe  n'ait  pu  égaler  encore  la  puissance  d'accroissement  de  l'État  ',  le 
mouvement  d'expansion  des  Russes  dans  le  territoire  annexé  n'eu  est 
pas  moins  extraordinaire.  Du  côté  de  l'Europe,  ils  ne  peuvent  déplacer 
ni  absorber  les  Finlandais,  les  Suédois,  les  Allemands,  civilisés  comme 
eux  ou  plus  qu'eux;  de  même,  à  l'est  et  au  sud-est,  la  religion  trace  des 
lignes  de  démarcation  entre  le  peuple  dominant  et  la  plupart  des  autres 
habitants  de  la  contrée,  Tartares,  Kalmouks,  Kourdcs  et  Turcomans  ;  tou- 
tefois, c'est  par  les  Russes  que  ces  populations  des  confins  asiatiques  et  de 
l'Asie  elle-même  entrent  peu  à  peu  dans  le  mouvement  de  l'histoire 
moderne,  et  déjà  l'on  j)eut,  dans  mainte  partie  de  l'empire,  observer  un 
rapide  travail  de  «  russification  ».  Mais  c'est  principalement  par  l'émi- 
gration à  l'intérieur  que  le  pays  devient  russe  jusque  dans  le  cceur  de 
l'Asie.  Le  Petit-Russien  a  colonisé  de  vastes  étendues,  moindres  pourtant 
que  les  espaces  conquis  par  les  colonies  des  Grands-Russiens.  Celui-ci 
est  le  colon  modèle.  La  pratique  de  l'émigration  est  héréditaire  chez  lui; 
ses  aïeux  émigrèreut  dans  les  forêts  moscovites,  et  de  clairière  en  clai- 

•  Mackeiizic  Wallacc,  liussia. 

T.  /,0 


5\i  NOUVELLE  GÉOGRArUIE   UNIVERSELLE. 

lière,  de  steppe  en  steppe,  les  arrière-neveux  ont  envahi  la  Sibérie,  gravi 
les  pentes  du  Caucase  et  de  l'Altaï,  descendu  le  cours  de  l'Amour  jus- 
qu'aux rivages  de  l'océan  Pacifique.  Même  par  delà  les  frontières  de  l'em- 
pire russe  se  trouvent  des  colonies  de  Grands-Russiens  que  les  voyageurs 
découvrent  avec  étonnement,  perdues  au  milieu  de  populations  étrangères. 
Comment  le  paysan  russe  regretterait-il  le  sol  qu'il  a  quitté?  En  marchant 
devant  lui,  pendant  des  jours  et  des  semaines,  dans  la  plaine  monotone,  ne 
retrouve-t-il  pas  toujours  sa  patrie?  Le  sol,  les  plantes  ont  à  peine  changé  ; 
le  même  ciel  l'éclairé  et  les  mêmes  vents  inclinent  autour  de  lui  les  arbres 
de  la  forêt.  En  quelques  jours  il  peut  se  construire  une  izba  semblable 
à  celle  qu'il  a  quittée;  la  terre  nouvelle  qu'il  défriche  lui  donnera  les 
mêmes  récoltes  que  l'ancienne,  et  peut-être  aura-t-il  la  chance  de  pouvoir 
en  jouir  plus  librement'.  Mais  là  même  où  tout  diffère,  climat,  sol,  végé- 
tation, il  sait  parfaitement  s'accommoder  au  nouveau  milieu;  il  sait  pren- 
dre les  mœurs  de  ceux  avec  lesquels  il  se  trouve,  se  «  finlandiser  »  avec  les 
Karéliens  et  devenir  Mongol  avec  les  Mongols,  Yakoute  avec  les  Yakoutes. 

L'empire  de  Russie  est  trop  vaste,  ses  villes  relativement  trop  peu 
nombreuses  et  trop  éparses,  sa  population  trop  clairsemée,  pour  qu'il  soit 
possible  de  frapper  au  cœur  la  nation  par  une  opération  militaire  :  la  for- 
midable invasion  française  de  1812,  suivie  d'un  désastre  presque  sans 
nom,  a  prouvé  quelle  est  la  force  de  résistance  de  la  Russie,  par  l'effet 
seul  de  l'étendue  du  territoire.  L'empire  n'a  pas  de  centre,  Moscou  même 
n'en  est  pas  un.  Sans  doute,  la  frontière  a  des  points  sensibles,  surtout 
la  Pologne,  dont  l'ennemi  pourrait  s'emparer  sans  toucher  aux  parties 
vitales  de  la  Russie;  mais  au  delà,  dans  ce  vaste  monde  oriental,  où  frapper 
le  coup  morlcl'.'  Le  monde  slave  se  défend  par  son  immensité. 

En  dépit  de  sa  grandeur,  la  Russie  a  toutefois  moins  d'avantages  pour  la 
facilité  des  communications  maritimes  que  mainte  petite  contrée,  comme 
le  Danemark  ou  la  Hollande.  Maîtresse  d'espaces  démesurés,  possédant 
même  un  développement  de  côtes  au  moins  égal  à  la  moitié  de  la  cir- 
conférence du  globe,  elle  n'a  pas  de  libres  issues  vers  l'Océan.  Pierre 
le  Grand,  qui  voulait  à  tout  prix  faire  de  son  empire  une  puissance  mari- 
time, eut  beau  fonder  sa  capitale  aux  bords  du  golfe  de  Finlande  et  bâtir 
Taganrog  sur  la  mer  d'A/ov,  il  ne  ])ossédait  néanmoins  que  des  bassins 
fermés.  Le  port  d'Arkhangelsk  est  bloipié  par  les  glaces  pendant  la  plus 
grande  partie  de  l'année,  et  les  navires  (|ui  l'utilisent  sont  obligés  de  con- 
tourner  toute   la    Scandinavie  avant  d'entivr  dans   les   mers  fré(pientées. 

'  Alfii'ii  Il;iiiil).iii(l,  lli!.luiic  lie  1(1  Itiissic. 


MA.NQIE   IlE   COMMUNICATIONS  MAPiITIMES.  r,15 

Pétersbour<ï  cl  les  autres  ports  de  la  Baltique  rus?e  sont  également  obs- 
trués pendant  l'hiver, et  l'issue  de  cette  mer  intérieure  est  gardée  par  des 
forteresses  appartenant  à  l'étranger.  Si  la  mer  d'Azov  et  le  Pont-Euxin 
ont  l'avantage  d'être  presque  toujours  navigables,  leur  détroit  de  sortie  se 
trouve  également  fermé  par  une  double  porte  dont  Constantinople  tient 
les  clefs.  En  Asie,  les  rivages  de  l'océan  Glacial  sont  d'un  accès  telle- 
ment difficile  aux  navires,  qu'ils  n'ont  pas  encore  été  reconnus  dans 
leur  entier.  Les  ports  du  Kamtchatka  et  Nikolayevsk  sur  l'Amour  ne 
peuvent  servir  que  dans  la  belle  saison,  et  d'ailleurs  ils  sont  entourés 
de  vastes  solitudes.  C'est  tout  récemment  que  la  Russie  a  fini  par  s'assurer 
sur  la  mer  du  Japon  la  possession  d'un  port  qui  lui  ouvre  librement  les 
roules  océaniques.  Et  ce  port  lui-même,  Vladivostok,  par  lequel  les 
Russes  ont  enfin  pris  pied  sur  l'Océan,  est  obstrué  par  les  glaces  dans  le 
fort  de  l'hiver,  et  de  longues  années  se  passeront  avant  qu'il  puisse  être 
relié  par  des  communications  faciles  avec  la  Russie  populeuse  !  Entre 
les  deux  boulevards  de  Kronstadt  et  de  Vladivostok  la  distance  n'est  pas 
moindre  de  sept  mille  kilomètres  à  vol  d'oiseau.  Comme  Etat,  ne  pos- 
sédant que  des  mers  obstruées  de  glaces  et  des  bassins  fermés,  la  Rus- 
sie est  donc  captive.  Peu  importerait  aux  populations  elles-mêmes,  si  le 
commerce  devait  toujours  être  libre  sur  les  mers  riveraines  des  Etats 
étrangers  ;  mais  en  temps  de  guerre  les  peuples  souffrent  pour  leurs  gou- 
vernements, et  si  les  détroits  sont  fermés  pour  les  vaisseaux  de  guerre  du 
tzar,  ils  peuvent  l'être  aussi  pour  les  navires  marchands.  Aussi  longtemps 
que  l'Elurope  sera  partagée  en  Etats  militaires,  il  est  donc  tout  à  fait 
naturel  que  la  Russie  fasse  effort  pour  conquérir  ses  libres  communica- 
tions avec  la  mer,  et  que  ses  armées  recommencent  de  siècle  en  siècle 
l'expédition  d'Igor,  pour  s'emparer  de  la  «  Ville  des  Césars  »  (Tzaregrad), 
la  belle  Constantinople,  assise  à  la  porte  de  la  mer  ^'oire. 

A  cette  cause  de  rivalités  incessantes  et  de  guerres  futures  s'en  ajoute 
une  autre  non  moins  sérieuse.  Si  la  Russie  a  depuis  longtemps  dépassé  ses 
limites  ethnologiques  du  côté  de  l'orient,  elle  ne  croit  pas  les  avoir  encore 
atteintes  à  l'occident.  En  dehors  de  ses  frontières,  des  Slaves  vivent  par 
millions,  et  parmi  eux  il  en  est  même,  les  Ruthènes  ou  Rousiiii,  dont  le 
nom  est  identique  à  celui  des  Russes  par  son  élymologic  et  qui  appar- 
licnncnt  à  la  famille  des  Pclils-Russiens,  vivant  déjà  sous  la  domination 
du  Izar  de  toutes  les  Russies.  Si  fermes  que  soient  les  amitiés  entre  sou- 
verains, si  solennels  que  soient  les  traités  d'alliance,  il  est  tout  naturel 
que  les  sympathies  de  race  naissent  et  se  développent  de  cIukjuo  côté  des 
frontières  officielles,  et  la   pulitiqur  intéressée  peut  utiliser  ces  sympa- 


51G  NOUVELLE    GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

thics  pour  mener  et  tromper  l'opinion,  pour  susciter  des  rivalités  et  des 
guerres.  Que  de  sang  a  été  déjà  répandu  en  l'honneur  des  «  frères  slaves  », 
cl  combien  il  en  sera  versé  encore  !  Car  les  changements  de  la  géogra- 
phie politique  ne  se  font  pas  encore  par  la  libre  volonté  des  peuples  et, 
pour  déplacer  les  frontières,  les  Etats  interviennent  toujours  avec  leurs 
armées  et  leurs  flottes.  D'ailleurs,  ce  n'est  pas  dans  des  conditions  de 
liberté  et  d'égalité  absolues  que  la  plupart  des  «  panslavistes  »  russes 
ont  imaginé  jusqu'à  maintenant  l'union  des  populations  slaves  de  l'Eu- 
rope :  la  plupart  voudraient  que  l'hégémonie  appartînt  à  la  «  Sainte 
Russie»,  représentée  par  la  nationalité  grande  russienne,  par  son  gouver- 
nement et  son  église;  mais  comment  une  pareille  union  pourrait-elle  se 
faire  sans  imposer  la  servitude  aux  faibles,  sans  préparer  aux  descendants 
quelque  grande  révolution?  Pour  la  Russie,  encore  plus  que  pour  tout 
autre  Etat,  il  importe  de  distinguer  soigneusement  entre  la  nation  et  ceux 
(|ui  la  gouvernent.  La  Russie  est  à  la  fois  un  peuple  moderne,  travaillant 
par  l'agriculture  et  l'industrie  à  la  conquête  d'une  moitié  du  continent,  et 
un  empire  vieilli  cherchant  à  se  momifier  en  des  traditions  mongoles 
et  byzantines.  «  C'est  un  pays  à  la  fois  neuf  et  vieux,  a  dit  un  écrivain', 
une  monarchie  asiatique  et  une  colonie  européenne  :  c'est  un  Janus  à 
deux  têtes,  occidental  par  sa  jeune  face,  oriental  par  sa  face  vieillie.  » 

D'ailleurs,  quels  que  soient  les  changements  intérieurs  à  prévoir  dans  le 
vaste  monde  russe,  les  Slaves  sont  destinés  par  leur  situation  même,  au 
point  de  vue  géographique,  à  jouer  un  des  principaux  rôles  de  l'histoire 
prochaine.  L'Allemagne  doit  en  grande  partie  son  importance  à  la  position 
qu'elle  occupe  au  centre  de  l'Europe  ;  mais  la  Russie  n'a-t-elle  pas,  au 
centre  de  l'Ancien  Monde,  une  position  analogue  et  stratégiquemcnt  plus 
sûre  ;  n'est-elle  pas  l'intermédiaire  naturel  entre  l'Europe  occidentale  et  la 
Chine,  entre  ces  deux  groupes  de  populations  qui  se  ressemblent  par  leur 
évolution  graduelle  et  qui  présentent  en  même  temps  de  si  nombreux 
contrastes?  Enfin,  la  Russie,  la  puissance  continentale  par  excellence,  ne 
rencontre-t-elle  pas  partout  sur  son  chemin,  de  Constantinople  à  Tien-Tsin, 
la  grande  puissance  maritime?  Par  ses  flottes,  ses  positions  militaires,  ses 
comptoirs,  ses  colonies,  l'Angleterre  prend  en  écharpe  tout  l'Ancien  Monde, 
de  l'Irlande  à  Singapour  par  le  continent  africain,  et  si  elle  n'a  pas,  comme 
la  Russie,  l'avantage  île  former  un  ensemble  géographi(iue  et  de  posséder 
dans  son  immense  empire  un  noyau  solide  de  population,  autour  duquel 
gravitent  naturellement  les  autres  habitants,  elle  a  du   moins  assez  de 

'   Anatole  Lfioy-lic Mulicu,  L'Eiiijiiie  des  Tsars. 


RISSIE  ET  FINLANDE.  517 

richesses,  d'industrie,  d'inilialivc  et  de  persévérance,  et  domine  d'assez 
haut  les  peuples  soumis  pour  qu'elle  soit  au  moins  l'égale  de  la  Russie 
dans  toute  lutte  d'influence  ou  en  guerre  ouverte.  Entre  les  deux  empires 
qui  se  rappi'ochent  et  dont  les  frontières  «  scientifiques  »  se  toucheront 
bientôt,  le  conflit  semble  inévitable.  Les  destinées  du  monde  peuvent  se 
jouer  bientôt  au  pied  des  montagnes  de  l'Asie  centrale,  dans  ces  régions 
où  des  traditions  nombreuses  ont  fait  naître  l'espèce  humaine  et  où  les 
Aryens  cherchent  l'origine  de  leurs  ancêtres. 


II 


FINLANDE. 

Quoique  faisant  partie  des  immenses  possessions  territoriales  de  la 
Russie,  la  Finlande  est  constituée  en  Etat  séparé.  Elle  est  aussi,  du 
moins  dans  la  moitié  méridionale,  un  pays  bien  circonscrit  par  des  li- 
mites naturelles  et  présentant  des  traits  physiques  particuliers.  Les  golfes 
de  Botnie  et  de  Finlande,  le  lac  Ladoga  l'entourent  à  l'ouest,  au  sud  et  au 
sud-(îst,  tandis  qu'au  nord  et  au  nord-est  le  territoire  finnois  d'I'lerdiorg, 
se  prolongeant  au  loin  vers  la  mer  Glaciale,  n'est  séparé  de  la  Suède,  de 
la  ^orvège,  de  la  Russie  que  par  des  cours  de  rivières  ou  des  lignes  toutes 
conventionnelles.  Par  sa  population,  la  Finlande,  le  seul  État  d'Europe, 
avec  la  Hongrie,  qui  ait  gardé  le  nom  d'une  nation  non  aryenne,  est  égale- 
ment bien  distincte  de  toutes  les  contrées  limitrophes  ou  voisines.  Des 
Suédois,  petits-fils  d'anciens  colons  et  conquérants,  peuplent  une  partie 
du  littoral  ;  mais  tout  le  reste  du  territoire  est  occupé  par  des  Finnois, 
parmi  lesquels  se  trouvent  peut-être  les  représentants  les  plus  purs  d'une 
race  qui  dominait  jadis  sur  une  étendue  considérable  de  l'Ancien  Monde. 
Refoulée  maiiilcnant  dans  cette  région  de  rochers,  de  lacs  et  de  marais 
que  iiniile  au  sud  le  golfe  de  Finlande,  la  race  antique  n'a  plus  à  elle 
qu'une  bien  faible  pailie  du  domaine  originaire  et  son  indé|»en(lance  n'est 
plus  qu'un  nom.  Après  avoir  sidji  la  domination  des  Scandinaves,  elle  a 
dû  changer  de  maître, et  la  Finlande  est  devenue  terre  russe;  déjà  Pierre 
le  Grand  avait  conquis  le  gouvernement  de  Wiborg,  auquel  s'ajoutèrent 
ensuite  d'autres  fragments  du  pays,  et  depuis  1809  tout  le  reste  du  pays 
est  annexé  à  l'empire,  ipKiiipie  sous  le  titre  de  grand-duché,  avec  des  ins- 
litutioiis  |iarliculièri's  ci  npiès  restitution  des  concpiètes  antérieures  de  la 
Russie.  Les  Finlandais  ont  bien   la  conscience  de  furmer  une  iti(li\i(luaiilc 


518  NOUVELLE  CÉOGRAPfllE  UNIVERSELLE. 

nationale  ;  ils  conservent  leurs  traditions  et  cultivent  pieusement  leur 
langue,  se  préparant  avec  confiance  à  un  avenir  dans  lequel  leur  rôle  poli- 
tique sera  moins  effacé  qu'il  ne  l'est  actuellement.  Mais  sur  leur  âpre  sol, 
sous  le  froid  climat  du  nord,  les  Fmlandais  ne  peuvent  espérer  d'être  ja- 
mais un  peuple  puissant  par  le  nombre,  l'industrie,  la  richesse  :  l'espace 
qu'ils  occupent  est  en  proportion  douze  l'ois  moins  peuplé  que  la  France, 
trois  fois  moins  que  la  Russie  d'Europe  proprement  dite',  mais  cinq  fois 
[ilusque  la  Russie  septentrionale  sous  les  mêmes  laliludes. 


La  Finlande  ou  Suomenr-maa,  c'est-à-dire  le  «  Pays  de  l'homme  des 
marais  «,  est  par  sa  nature  et  son  aspect  une  contrée  de  transition  entre  la 
péninsule  Scandinave  et  la  Russie.  Elle  a,  comme  la  Suède,  les  roches  gra- 
nitiques, les  vasques  pierreuses  remplies  d'eau  pure,  les  innombrables 
moraines  abandonnées  dans  les  campagnes,  mais  elle  n'a  point  de  saillie 
montagneuse  qui  ressemble  au  Kjôlen.et  son  territoire  tient  à  la  fois 
de  la  région  des  montagnes  et  des  grandes  plaines  qui  s'étendent  à  tra- 
vers la  Russie  jusqu'à  l'Oural  et  au  Caucase.  Dans  la  contrée  des  Lapons 
iinlandais,  des  massifs  isolés  et  neigeux  s'élèvent  au  milieu  des  forêts,  des 
lacs  et  des  tourbières;  mais  dans  aucune  partie  de  la  Finlande  méridionale 
ne  se  dressent  de  sommets  que  l'on  puisse  qualifier  de  montagnes  :  les 
plus  hautes  collines  sont  de  simples  gibbosités  évidemment  émoussées  par 
le  séjour  et  le  passage  d'anciens  glaciers.  Les  faîtes  de  partage  qui  séparent 
les  versants  du  golfe  de  Dolnie,  du  golfe  de  Finlande,  du  Ladoga,  de  la 
mer  Rlanc-he,  n'atteignent  en  moyenne  qu'une  hauteur  de  150  à  '200  mè- 
tres. Au  sud  de  la  Laponie  finlandaise,  le  sommet  le  plus  élevé  est  le  Teiri- 
harju,  situé  dans  le  bassin  de  la  rivière  Uleâ,  au  nord-est  du  grand  lac  de 
ce  nom.  Au  massif  dont  cette  colline  fait  partie  se  rattachent  des  chaînons 
irréguliers  désignés  çà  et  là  sous  des  noms  collectifs  :  tels  sont  le  Maan- 
selkii  ou  le  «  Dos  du  Pays  »  qui  sépare  le  bassin  du  golfe  de  Rotnie  et 
celui  de  la  mer  RIanilie,  et  le  Suomen-selkâ  ou  «  Dos  de  Finlande  ».  qui 
se  développe  au  sud-ouest  du  lac  Uleà,  parallèlement  aux  rives  de  la  Ral- 
lique,  mais  à  la  distance  moyenne  d'une  centaine  de  kilomètres  dans  l'in- 
térieur. L'angle  sud-occidental  du  |»ays,  que  continue  en  mer  l'archipel 
d'Aland,  est  une  région  inégale,  presque  moutueuse.  Dans  leur  ensemble, 
toutes  ces  chaînes  granitiques  peuvent  être  considérées  cumuie  un  plateau 


Suporfiric  do  b  Finlamlo.  l'opuhilioii  à  la  lin  ie  ISSi.  ropulation  kilomclriqiic. 

57ÔÔÔG  kilomètres  caiTos.  2  OOU  780  li;il>il;iiits.  5.  j  liahllaiils. 


IIALTEL'liS  DE  LA   FINLANDE.  519 

donl  le  faîte,  plus  rapproché  du  ijolfe  de  Botnie  que  de  la  Finlande  inté- 
lieure  et  du  lac  de  Ladoga,  se  termine  assez  brusquement  aux  bords  du 
golfe  de  Finlande'. 

Il  est  probable  que  les  collines  de  la  Finlande  méridionale  étaient  jadis 
beaucoup  plus  élevées  qu'elles  ne  le  sont  de  nos  jours,  car  on  a  trouvé 
sur  les  pentes  et  sur  les  croupes  supérieures  du  plateau  de  Valdaï,  au 
cTur  de  la  Russie,  des  fragments  de  quartz  et  d'autres  roches  de  prove- 
nance finlandaise  à  une  altitude  plus  considérable  que  celle  où  se  voient 
actuellement  les  plus  hauts  escarpements  des  montagnes  d'origine.  Après 
le  retrait  des  glaciers  qui  couvraient  autrefois  toute  la  contrée  et  qui, 
s'épanchant  vers  les  régions  méridionales,  y  transportaient  des  amas  de 
pierres  et  de  débris,  le  sol  dut  s'abaisser  graduellement  et  donner  accès 
à  la  mer,  qui  pénétra  peu  à  peu  dans  la  direction  de  l'est  pour  former  le 
golfe  de  Finlande".  Toutefois  rien  ne  prouve  que  l'affaissement  du  terri- 
toire finlandais  soit  allé  jusqu'à  creuser  un  détroit  entre  la  mer  Blan- 
che et  la  Baltique.  Si  les  témoignages  de  la  géologie  établissent  d'une 
manière  certaine  l'ancienne  existence  d'un  bras  de  mer  entre  le  Katlegat 
et  le  Miilaren,  on  reste  encore  dans  le  doute  au  sujet  d'un  détroit  qui 
aurait  séparé  jadis  la  Finlande  du  territoire  qui  est  devenu  la  Russie. 
Ouelques  lacs,  notamment  le  Ladoga,  renferment  des  poissons  et  des 
crustacés  d'origine  marine,  ce  qui  prouve  qu'ils  furent  autrefois  des  golfes 
de  la  Baltique  ;  mais  les  terrains  qui  les  environnent  n'offrent  nulle  part, 
comme  ceux  du  littoral  suédois,  des  couches  de  coquillages  d'eau  salée  : 
il  faut  aller  jusque  dans  la  vallée  inférieure  de  la  Dvina  pour  trouver  des 
bancs  de  fossiles  émergés.  Entre  les  côtes  finlandaises  et  le  versant  de  la 
mer  Blanche,  le  faîte  parsemé  de  lacs  n'offre  point,  au-dessous  d'une  alti- 
tude de  35  mètres,  de  traces  d'un  ancien  séjour  de  la  mer'. 

A  l'affaissement  succéila  le  mouvement  contraire,  qui  se  continue  do 
nos  jours.  Sur  le  littoral  (,'t  dans  l'iiitéiicur  des  terres  on  en  voit  partout 
les  indices  :  ici  des  amas  de  ])icrres  déblayés  par  les  courants  lluviaux  (jui 
devaient  approfondir  leurs  lits  à  mesure  <pie  la  mer  se  retirait;  ailleurs 
d"aiU'ienii('s  jilages  laissées  au  loin  dans  l'intérieur,  des  ports  perdus  niain- 


'  Allitiidcs  piincipalos  de  la  Finlande  : 

I.APnSIE. 

Ilaldi-ljall ...        1  2.^8  iiiMrcs. 

l'allasliinhiri 858        u 

l'i'ldooaivi.  .    , (iGlj       « 

Uuoasliinlui'i. . 044        o 

'  lljliners:!n,  Wandeiblii-hi;  HusMandu. 

'  l'icrrc  Kropotkiii,  Noies  manuscrites. 


FINt.*NDE    CENTRALE    D  APIIKS  r,YLDE> 

Saukko-waaia 050  inéli'C 

Jiwacra 585  ') 

Teiii-liarjii Ô.V)  • 

Kiwi's-waaia. 505 


520  NOUVELLE    GEOGRAIMIIE    U.MVEItSELLE. 

tenant  dans  k's  campagnes,  des  îles  rattiichées  à  la  terre  ferme,  des  éeueils 
devenus  à  leur  tour  des  îlots  et  des  îles,  et  s'entouranl  d'antres  éeueils; 
le  fond  de  la  mer  est  graduellement  exhaussé.  Le  j)hénomène  du  soulève- 
ment n'a  pas  été  observé  sur  les  cotes  de  Finlande  d'une  manière  aussi 
suivie  que  sur  les  rivages  opposés  de  la  Baltique;  néanmoins  il  existe  des 
éléments  de  comparaison  depuis  1697,  époque  à  laquelle  des  marques  ont 
été  faites  sur  les  roches  de  Wasa.  L'exhaussement  est  évalué  en  cet  endroit 
de  1  mètre  à  P.IG  par  100  années;  devant  Abo,  et  pour  tout  le  golfe  de 
Finlande,  il  est  de  60  centimètres  par  siècle  '. 

En  aucune  partie  de  l'Europe  les  blocs  erratiques  ne  sont  plus  nom- 
breux et  plus  gros  que  dans  la  Finlande.  Plusieurs  de  ces  pierres  sont  de 
telles  dimensions  que  les  paysans  peuvent  blottir  leurs  maisons  à  la  base 
de  ces  masses  jadis  mouvantes.  En  quelques  endroits,  surtout  à  l'issue  des 
vallées,  les  blocs  forment  des  «  mers  de  pierre  ».  Même  sous  la  terre  végé- 
tale, on  trouve  en  multitudes  des  fragments  de  rochers  offrant  aux  habi- 
tants du  pays  des  carrières  inépuisables.  Du  reste,  le  transport  des  blocs 
erratiques  s'est  fait  d'une  rive  à  l'autre  du  golfe  de  Finlande,  puisque  les 
rivages  des  îles  sont  parsemés  do  ces  pierres  et  que  dans  l'île  Suur  Tytters 
on  en  a  même  trouvé  de  striées'.  Les  deux  pointes  de  l'île  Ilogland,  au 
nord  et  au  sud,  sont  tellement  recouvertes  de  fragments  de  granit  finlan- 
dais, que  des  navires  y  vont  fréquemment  prendre  des  chargements  de 
pierre  et  que  la  ville  de  Pétersbourg,  ainsi  que  d'autres  cités  du  littoral, 
ont  pu  s'y  approvisionner  de  matériaux  pour  les  pavés  de  leurs  rues.  Dans 
l'îlot  dit  Laven-saari,  à  l'est  de  Hogland,  von  Baer  a  vu  un  bloc  de  granit 
dont  il  évalue  le  poids  à  près  de  lUU  tonnes  et  qu'il  croyait  avoir  été  apporté 
par  les  glaces  à  la  fin  du  siècle  dernier;  toutefois  il  n'est  point  probable 
que  cette  masse  soit  venue  récemment  de  la  côte  méridionale  de  Finlande  : 
c'est  à  l'énorme  pression  des  glaces  que  les  tempêtes  du  nord-ouest  pous- 
sent devant  elles  que  la  roche  doit  d'avoir  été  déplacée  du  fond  et  reportée 
sur  la  grève.  M.  Kropotkin  a  vu  sur  la  côte  occidentale  de  Suur  Tytters 
un  bloc  encore  plus  considérable  qu'oui  aussi  roulé  les  glaces  et  les 
vagues  de  tempête".  Des  pierres  de  moyenne  grandeur  échouent  tous  les 
ans  sur  les  îles  du  golfe  et  sur  les  côtes  do  rEhsIonic  :  (piani  aux  pier- 
railles, elles  arrivent  en  si  grandes  (luantilés,   que  le   piofil   des  criipies 


'  flEfversi(jl  af  Fiiiska  VeleiisLaps  Sucicliilcn  FOrhiiiidliiiyar,  \i>\.  \V,  18"'2. 
'  Sioj)Olkin.  Zapiski  Houssknro  Gcotjrafichtrhcslavo  OhcMchcsiva,  Iihiic  VII,  I"  liiniismi. 
"•  llclinerscn.  Wanderhiucke ;  —  Kio|)(ilkiii.  Uic  Eisu'iille  m  der  Hfi'aUclien  liiirlil  ;  —  Zapiik' 
livr;iis"ii  ollée. 


BLOCS  ERRATIQUES,   ANCIENS   GLACIERS  DE   LA   FINLANDE. 


Ô-21 


et  des  péninsules  où  elles  soni  portées  par  les  "laçons  change  parfois 
visiblement  dans  l'espace  de  peu  d'années.  La  partie  nord-occidentale  de 
l'île  Laven-saari,  dont  les  côtes  ont  été  levées  par  Spafarief  en  1815,  s'est 
agrandie  en  un  quart  de  siècle  de  péninsules  et  de  récifs  qui  permettent 
à  peine  de  reconnaître  la  forme  primitive  du  littoral  :  d'année  en  année, 
de  nouveaux  amas  de  pierres  se  montrent  au-dessus  des  flots'.  Toutefois 
le  soulèvement  de  la  côte  a  sa  part  dans  cet  accroissement  continu  de  su- 
perficie pour  les  îles  de  la  Baltique. 


PXRALLELISÎ-"'-  DES  AFFLUENTS  DU  GOLFE  DE  EOTMl 


[     d=P 


ûe  O  à  50  M 


i^eSOè/OO 
1  :  5  005  001) 


o'e-  lOO  ai>  <ie/a 


La  trace  du  passage  des  glaciers  est  encore  très  visiblement  burinée  dans 
le  sol,  et  même  la  forme  générale  du  pays  révèle  par  des  indices  certain^ 
le  travail  de  ces  puissants  fleuves  de  glace.  Il  est  dans  le  raondi;  peu  di' 
traits  géologiques  mieux  marques  que  le  parallélisme  des  vallées  (pn,  île 
part  et  d'autre,  sur  la  rive  suédoise  et  sur  la  rive  linlandaise,  viennent 
aboutir  au  golfe  de  Botnie.  Toutes  les  rivières  Scandinaves  (pii  descendent 
vers  ce  golfe  coulent  du  nord-ouest  au  sud-est;  à  l'exception  de  laTorneà, 
les  rivières  finnoises  tributaires  du  même  bassin  coulent  du   sud-est  a'i 


Vou  W.xKv ,  liuXUim  de  i Académie  de  Sainl-I'dcisbouKj,  lome  \1,  1SG5. 


il 


522  NOIVKLI.E  GKOGRAriIIK   UNIVERSELLE. 

nord-oiiost  !  elles  se  meuvent  en  sens  inverse,  mais  sur  des  lignes  qui  se 
prolongent  exactement  les  unes  les  autres  et  qui  sont  précisément  dans 
l'axe  des  lacs  allongés  occupant  les  vallées  granitiques  de  la  Finlande. 
On  dirait  qu'une  herse  immense  a  été  promenée  sur  le  bassin  géogra- 
phique, des  Alpes  Scandinaves  au  Ladoga.  En  plusieurs  parties  de  la 
contrée,  l'alignement  général  est  d'une  régularité  presque  géométrique  : 
collines,  lacs,  marais,  chaînes  de  blocs  erratiques  se  développent  parallèle- 
ment, dans  la  direction  du  nnrd-ouest  au  sud-est,  et  tous  les  travaux  hu- 


ÉTANGS    F.T    TOCBIllEnES    PMUI.LELES    EX    FEXLAMIE. 


mains,  endignomeuls,  fossés,  voies  de  comnumicalion,  rues  de  villages  et 
de  villes  ont  dû  naturellement  se  fiiirc  dans  le  même  sens.  Le  long  des 
rivages,  là  où  le  soulèvement  général  du  pays  a  fait  émerger  les  fonds 
sous-marins,  les  caps,  les  presqu'îles  et  les  îlots  sont  en  maints  endroits 
disposés  avec  la  même  régularité  que  les  coteaux  cl  les  lacs  de  l'intérieur, 
et  portent  également  les  traces  de  l'action  uniforme  des  glaciers  en  marche. 
En  exemple  de  cette  formation  des  c()tes  on  peut  citer  le  littoral  dn  golfe 
(le  Botnie,  siirloul  entre  la  bouche  du  Kiimo  et  la  rade  de  Nystad,  et  les 
rivages  du  gollc  de  liiilaiidc,  du  |>(irl  de  lioi-gii  à  l'Ile  lijorko.  A  cet  égard, 


VALLÉES   PARALLÈLES,   MORAINES   DE   LA   FINLANDE. 


525 


la  forme  du  irolfe  ou  Ijord  de  AViborg,  avec  ses  péninsules  et  ses  îles  qui 
s'emboîtent,  pour  ainsi  dire,  les  unes  dans  les  autres,  est  des  plus 
instructives.  Les  stries  ont  été  observées  sur  les  plus  hauts  sommets'  de 
la  Finlande  et  jusque  sur  les  roches  du  lit  marin.  Dans  les  environs  de 


prscA-nAnjr. 


d'après  Krapotkm 


Ilelsingfors,  des  rochers  que  l'on  retira  de  55  mètres  de  profondeur  au- 
dessous  du  niveau  marin,  étaient  distinctement  rayés  de  stries  glaciaires'. 
De  même  qu'en  Scandinavie,  les  Qsar,  appelés  aussi  harju  par  les  Fin- 
landais, se  rencontrent  en  Finlande  et  donueiit  au  bas  pays  les  traits  priu- 


t  Nûrdffnslijolil,  flciliKi  zur  Kciintiiits  (1er  Schrammen  in  l'innlantl,    Alvlcti  iler  FiDDlandi>chcii 
Sorieldtdcr  WisM-nsctiurien. 


:y2i  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

cipaux  du  paysage.  Comme  en  Suède,  quelques-uns  de  ces  âsar  traversent 
les  lacs  en  forme  de  remparts  çà  et  là  ébréchés,  et  les  routes,  continuées 
par  des  ponts  et  des  bacs,  les  suivent  dans  toute  leur  longueur.  On  peut 
ritcr  en  exemple  l'étonnant  Punga-harju,  as  de  50  mètres  de  hauteur,  qui 
réunit  l'une  à  l'autre  deux  rives  de  l'un  des  bassins  septentrionaux  du 
Saïnia,  au  sud  de  ^'y-Slolt.  Une  île,  formée  de  blocs  de  gneiss,  a  servi  de 
point  d'appui  aux  deux  moitiés  de  la  levée,  longue  de  plus  de  7  kilomètres. 
Type  de  plusieurs  autres  âsar,  le  Punga-harju  est  certainement  une  moraine 
longitudinale  qu'ont  recouverte  autrefois  les  eaux  lacustres  et  qui  en  garde 
encore  à  la  surface  des  sables  et  d'autres  alhivions'. 

Des  chaînes  étroites  de  collines,  d'origine  toute  différente,  puisqu'elles 
sont  composées  de  schistes  cristallins  et  de  calcaires,  mais  portant  aussi  le 
nom  d'àsar,  parcourent  le  pays  du  nord  au  sud  entre  les  bassins  lacustres, 
tandis  qu'au  midi  de  la  Finlande  une  véritable  digue  de  granit,  à  laquelle  on 
donne  le  nom  justifié  de  Salpau-Selkii  (enclos  ou  barrière),  forme  de  longues 
levées  parallèles  à  la  côte  du  golfe  et  rompues  çà  et  là  par  la  pression 
des  eaux  :  c'est  ainsi  que  le  lac  Saïma  est  limité  au  sud  par  un  as  qu'in- 
terrompt seulement  le  cours  du  Wuoxen,  mais  vers  le  milieu  de  son 
bassin  on  voit  à  droite  et  à  gauche  les  restes  de  l'as  brisé.  Lorsqu'un 
lac  supérieur  se  vide  dans  un  lac  inférieur  par  la  brèche  d'un  as,  des 
grèves  indiquent  sur  les  débris  du  rempart  ébréché  l'ancien  niveau  du 
bassin  a  demi  vidé,  et  dans  le  réservoir  d'en  bas,  des  couches  consis- 
tant en  sables  entraînés  recouvrent  les  limons  fins  du  lit  *  ;  en  outre,  un 
delta  d'alluvions  plus  ou  moins  considérable  se  forme  à  l'endroit  où  se 
déversait  l'émissaire  d'érosion.  Parfois  l'homme  aide  au  travail  de  la 
nature  pour  conquérir  ainsi  des  terres  fertiles.  Fort  habiles  à  diriger  les 
courants,  les  Finlandais  accroissent  chaque  année  leur  domaine,  et  de 
décade  en  décade  les  cartes  présentent  un  aspect  différent. 

Toutefois  il  peut  arriver  que  les  calculs  des  ingénieurs  sur  la  force  de 
résistance  de  leurs  digues  soient  déçus,  et  parfois  l'écoulement,  au  lieu  de 
s'accomplir  avec  la  régularité  désirée,  se  produit  avec  une  redoutable 
violence.  C'est  ce  qui  arriva  pour  le  lac  de  Hôyliainen,  au  nord  de  Joensu, 
dans  la  Finlande  orientale.  Dans  l'intention  d'abaisser  peu  à  peu  les  eaux 
de  ce  réservoir,  dont  le  niveau  se  trouvait  à  21  mètres  au-dessus  de  la  sur- 
face du  Pyliaselkà,  on  commença  en  1854  le  creusement  d'un  fossé  de 
5  mètres  de  largeur,  que  les  eaux  de  jiluie  et  de  neige  fondue  changèrent 

•  KropolUii,  hv'esliiin  Houssk.  Geograf.  Ûbchtchestva,  1871,  n"  U;  —  Zajiski  lioussk.  Gcograf. 
OhclUclieslia,  tnnie  VII,  1X75. 
-  Nui'deiiskjuld,  uuviagu  cilc. 


LACS  DE  LA  FINLANDE 


32"î 


graduellement  en  nn  ruisseau  serpentin.  Tout  à  coup,  le  3  août  1859,  les 
digues  qui  devaient  régler  la  sortie  du  trop-plein  de  l'Hôyliainen  cédèrent, 
et  l'érosion  violente  commença.  De  Joensu,  à  sept  kilomètres  de  distance. 


JjAL  U  tnOSIOS    ï^E  UOVTIA 


d  apréa  Krapotki 


mm 


I    :   S'XWI 


on  entendait  comme  un  liruil  de  tonnerre;  les  pierres  s'cntre-cliorpiaienl; 
les  arbres  brisés  étaient  emportés  par  le  courant  ;  des  maisons  entières 
flotlaienl  au  fil  de  l'eau,  des  îles  et  des  bancs  de  sable  se  formaient,  puis 
ilisparaissaient.  Le  déluge  dura  trois  jours,  et  pendant  ce  temps  la  sur- 
face du   lac  Saïma,  dans   lequel  se  précipitaient   les    eaux,    était  telle- 


526  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

ment  agitée,  que  les  navires  pouvaient  lutter  avec  peine  contre  la  vio- 
lence (lu  flot.  La  masse  d'eau  qui  s'écoula  par  le  nouveau  lit  fut  évaluée 
à  2800  millions  de  mètres  cubes,   soit  un  peu  plus  de   1 1  000  mètres 

cubes  par  seconde  :  c'est  à 


W.    HOTTIMN 


peu  près  le  débit  d'un  fleuve 
comme  le  Danube,  auquel 
serait  ajouté  celui  du  Rhône. 
En  outre,  le  volume  de  terre 
emporté  représentait  au 
moins  35  millions  de  mè- 
tres cubes,  puisque  la  vallée 
d'érosion  qui  se  creusa  dans 
ce  court  espace  de  temps 
n'a  pas  moins  de  8  kilomè- 
tres de  long,  sur  500  à  450 
mètres  de  large,  avec  une 
profondeur  de  10  ù  25  mè- 
tres*. Tous  ces  débris  dé- 
posés dans  le  Pybàselka  y 
formèrent  un  large  delta  et 
en  diminuèrent  l'étendue  de 
plusieurs  kilomètres  carrés, 
tandis  que  le  lac  d'amont  se 
réduisit  considérablement , 
surtout  vers  son  extrémité 
septentrionale,  la  moins  pro- 
fonde; là  des  bancs  de  sable 
et  des  amas  de  blocs  appa- 
rurent soudain  en  îles  et  en 
îlots,  tandis  que  d'autres 
îles  se  rattachèrent  au  conti- 
nent. Il  est  à  remarquer  que, 
malgré  la  violence  du  sou- 
dain déluge,  les  gros  blocs 
errati(|ues  ayant  plus  d'un 
mètre  de  largeur  ne  iiucnt  pas  dr|)lacés;  on  en  voit  encore  des  traînées 
transversales  à  la  direction  cbi  courant.  11  est  vrai  (pu'  même  au  commen- 


d  après  Krapotkin 

/àn&e^essec^e     ''acacfue/ 


1  :  k60  1:00 


'  Ivroiuilkiii,  Zh/ji's/.i  RoiissL  Gcoijraf.  ObiliUlicstvu,  toiiie  VII.  187 


Nouvelle  f-éoèraphie  rniverselle  .  T.V".  Pl^ 


LACS  l 


l.vavé  pur  Klhai-d 


INLANDE 


LACS  LE  LA  FINLANDE.  527 

cornent  (le  la  débâcle,  quand  l'eau  du  Hôytiainon  était  encore  à  21  mètreé 
plus  haut  que  le  lac  inférieur,  la  pente  du  courant  de  sortie  ne  dépassait 
pas  5  millimètres  par  mètre. 

Le  phénomène  des  débâcles  lacustres,  dont  il  est  rare  de  trouver  [des 
exemples  aussi  remarquables  que  celui  du  lac  Hoytiainen,  doit  se  renou- 
veler d'ailleurs  fréquemment  sur  toutes  les  parties  du  territoire.  En  vertu 
même  des  lois  de  la  pesanteur,  tous  les  lacs  élevés  de  la  contrée  doivent 
lendi-e  à  se  vider  dans  les  lacs  inférieurs,  et  partout  on  voit  en  effet  les 
lacs  diminuer  en  étendue  à  mesure  que  l'on  remonte  des  régions  basses 
de  la  Finlande,  c'est-à-dire  des  bords  du  Ladoga,  vers  les  hauteurs  rive- 
raines du  golfe  de  Botnie  et  le  faîte  de  Suomen-Selka.  Partout  des  lignes  de 
niveau,  fort  élevées  au-dessus  des  lacs  ou  des  étangs  actuels,  témoignent 
de  l'abaissement  des  lacs,  qui  se  sont  vidés,  comme  l'eau  d'un  réservoii' 
supérieur  s'épanchant  de  degré  en  degré  sur  un  «  escalier  de  Neptune  ». 
Sur  le  versant  septentrional  du  faîte  de  Finlande,  on  observe  des  jihéno- 
mènes  analogues  :  c'est  à  56  mètres  au-dessus  de  la  surfiice  actuelle  de 
rUlea-trâsk  que  se  voient  les  traces  du  niveau  de  l'ancien  lac'.  La  diilé- 
rence  du  niveau  entre  les  nappes  lacustres  d'autrefois  et  celles  de  nos  jours 
s'accroît  régulièrement  du  sud  au  nord  de  la  Finlande. 

De  tous  les  pays  d'Europe,  la  Finlande  est  celui  qui  s'est  le  moins 
débarrassé  des  eaux  superficielles  de  la  période  lacustre  qui  succéda  à 
la  période  glaciaire*  :  il  est  parsemé  de  plus  de  lacs,  d'étangs  et  de  ma- 
rais que  la  Suède  elle-même  ;  dans  la  région  méridionale,  limitée  au 
nord  par  l'Uleâ,  près  de  la  moitié  du  territoire"  est  recouverte  de  lacs. 
Depuis  que  les  glaciers  se  sont  retirés,  laissant  aux  rivières  et  aux  eaux  de 
pluie  toutes  les  dépressions  du  sol,  les  alluvions  formées  par  les  débris 
des  rochers  n'ont  encore  pu  remplir  que  de  faibles  étendues  lacustres,  et 
les  plantes  des  tourbières  n'ont  pu  envahir  entièrement  que  de  petits 
bassins.  Grâce  à  la  dureté  de  ses  roches  de  granit,  de  gneiss,  de  porphyre, 
et  à  la  (aible  hauteur  de  ses  montagnes,  que  les  pluies  ravinent  très 
lentement,  la  Finlande  a  pu  garder  son  aspect  de  terre  en  formation  :  elle 
ne  semble  pas  encore  appropriée  au  séjour  de  l'homme.  Dans  toute  cette 
région  de  la  Finlande  méridionale,  le  labyrinthe  des  lacs  est  tel,  qu'il  est 
impossible  de  distinguer  sans  une  attention  soutenue  les  limites  de  par- 
tage entre  les  versants  du  golfe  de  Botnie,  de  la  mer  de  Finlande,  du 
Ladoga  :  d'ailleurs  ces  limites  sont  en  divers  endroits  purement  conven- 

'  Kropotkin,  Izv'esliya  lioussk.  Gco<jraf.  Obchtcheslvii ,  t87l,  n"  7. 

"  Kro|HPlkiii,  ouvrage  cité. 

•  D'iiiuès  Vcse.fovskiy  :  Kl  pour  100. 


328  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

tionnelles,  et  de  simples  marais,  s'égouUant  vers  l'une  et  l'autre  mer. 
indiquent  la  zone  de  séparation  des  eaux.  Quant  aux  rivières,  la  plupart  no 
sont  que  des  enchaînements  do  lacs  :  nulle  part  on  ne  peut  mieux  étudier 
«  l'embryogénie  des  fleuves'  ». 

Le  lac  qui  est  probablement  le  plus  grand  du  territoire  finlandais  se 
trouve  en  dehors  de  la  région  lacustre  par  excellence  :  c'est  l'Enare  ou 
Inara,  situé  en  pleine  Laponie  et  s'écoulant  par  la  rivière  Pasvik  dans  le 
Varanger-fjord;  mais  ce  lac  est  si  peu  connu,  que  les  évaluations  faites  pour 
sa  superficie  varient  de  plus  do  mille  kilomètres  carrés.  Le  Saïma  ou  Saimaa, 
la  mer  intérieure  la  plus  vaste  de  la  Finlande  proprement  dite,  s'étend 
sur  un  espace  inférieur  à  la  surface  de  l'Enare,  mais  il  lui  est  de  beaucoup 
supérieur  si  l'on  mesure  en  même  temps  tous  les  réservoirs  lacustres,  tels 
(jue  le  Pihlaja  et  l'Enovesi,  qui  communiquent  avec  le  Saima  par  de  larges 
détroits.  Ces  lacs  réunis,  dont  le  trop-plein  se  déverse  dans  le  Ladoga,  occu- 
pent presque  toute  la  Finlande  orientale;  un  faîte  rocheux  étroit  qui 
s'avance  du  nord  les  sépare  d'un  autre  système  de  lacs  en  dédale,  dont  le 
[•rincipal  est  le  Paijânne,  se  déversant  au  sud,  par  le  Kymmone-elf,  dans 
le  golfe  de  Finlande.  C'est  par  des  ouvertures  (aillées  dans  la  roche  que 
depuis  1856  on  a  réuni  directement  la  nappe  du  Saïma  aux  eaux  du  golfe 
par  une  série  d'écluses,  on  permettant  ainsi  aux  navires  d'un  faible  ton- 
nage de  charger  les  denrées  au  cœur  même  de  la  Finlande. 

Los  émissaires  qui  relient  les  lacs  n'ont  encore  que  bien  peu  modifié  la 
forme  primitive  de  leurs  lits,  si  ce  n'est  pour  les  approfondir".  Les  rivières 
sont  encore  en  voie  de  formation  et  maintioiment  la  forme  primitive  de 
fjnrdcn,  ou  bras  d'une  grande  largeur,  qui  tantôt  s'étendent  en  larges 
nappes,  tantôt  tombent  en  rapides;  cependant  plusieurs  chutes  ou 
/,■  jâA/  peuvent  se  comparer  aux  cascades  de  la  Scandinavie ,  sinon  par 
la  masse  liquide  el  la  hauteur  verticale  de  la  nappe  d'eau,  du  moins  par 
la  sévérité  des  paysages  environnants.  Une  chute  de  l'Uleâ  a  près  de 
1  "2  mètres.  Les  cataractes  les  plus  célèbres  de  la  Finlande  interrompent  le 
cours  du  Wuoxen,  à  quelques  kilomètres  en  aval  de  l'endroit  où  ce 
lleuve  s'échappe  du  lac  Saïma.  Encaissé  dans  une  gorge  de  40  mètres 
(le  largeur,  le  torrent  descend  ou  hautes  vagues  écumeuses  par  une  pente 
iiulinée  de  'il  mètres  sur  5'2d  mètres  de  longueur,  puis,  au-dessous  des 
rapides,  tournoie  eu  longs  remous  dans  un  vaste  bassin  :  ce  dt'liié  gron- 
daul   ol    la    ianiousc   cluilo  (riniitra.   A  \'l   nièUvs  de  liauleiu' au-tlossus 


'  Oscar  l'oscliel.  Verylcichendc  Piohlcmc  <Icr  Erdkiiude. 

■  Kioiiolkiu,  Zapiski  Rousskaeo  Gcografilchcsluvo  Obclilclii'stva.  loino  VII,  1870. 


LACS,   ILES  DE  LA  FINLANDE.  329 

de  la  cataracte  actuelle,  les  rochers  portent  distinctement  les  traces  lais- 
sées autrefois  par  les  rapides'. 

La  côte  finlandaise  n'est  pas  moins  riche  que  la  rive  suédoise  en  criques, 
en  baies  et  en  dentelures  de  toute  espèce,  et  les  archipels  d'îles  et  d'îlots 
y  sont  beaucoup  plus  nombreux.  Au  large  de  Wasa,  l'archipel  des  Qvark 
et  SCS  mille  écucils  rétrécissent  le  golfe  de  Botnie  et  finiront  même  par  le 
fermer  en  deux  ou  trois  mille  années,  si  le  soulèvement  du  sol  continue 
au  même  taux  séculaire  que  dans  la  période  contemporaine.  A  l'angle  des 
golfes  de  Botnie  et  de  Finlande,  les  îles  d'Aland,  parsemant  la  mer  en 


de  SOa  au-delà 


multitudes,  s'avancent  au  loin  vers  les  côtes  de  Suède  et  sont  presque  tou- 
jours unies  en  hiver  par  une  dalle  continue  de  glace;  parfois  même  le  canal 
qui  sépare   l'archipel  des  côtes  suédoises  gèle  complètement  et  l'on  vit 


'  Principaux  lacs  de  la  Finlande  : 

Allrtu'll!. 

Enarc 125  mélres. 

Salma 78      » 

»       avec   Kaliavcsi,    Enovesi    et 

F'ihlavovi 78       • 

Pâijannc 78 

PyhaseIka-OrivoM 80 

Pieliçjani 90 

Ulej-trask 11  j        » 


Surface. 

1427     kilomèti'cs  cariés. 

1700              »  » 

7702              p  1. 

l.-.7i;               .  r 

1137              »  » 

1095              x  . 
108U              » 

42 


550  .NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

en  1809  les  cavaliers  cosaques  passer  au  galop  sur  la  glace  pour  sur- 
prendre la  ville  de  Grisleharan  :  de  même,  les  loups  traversent  les  détroits 
des  eau.v  finlandaises  pendant  les  rudes  hivers  et  ravagent  les  îles  habitées, 
qui  sont  au  nombre  d'environ  quatre-vingts. 

Les  côtes  méridionales  de  la  Finlande  sont  également  séparées  des  eaux 
profondes  par  des  îlots  et  des  écueils  nombreux,  entre  lesquels  louvoient 
péniblement  les  navires  ;  mais,  en  outre,  quelques  rochers  et  même  deux 
îles,  Hogland  ou  Suur-saari  (Grande  Ile)  et  Laven-saari,  s'élèvent  en  plein 
golfe.  Hogland  est  située  à  peu  près  exactement  dans  la  partie  du  golfe 
où  l'eau  commence  à  prendre  la  salure  de  la  mer.  Les  insulaires  boivent 
encore  l'eau  qui  baigne  le  rivage,  mais  seulement  sur  la  côte  orientale  de 
l'île',  car  à  l'ouest  la  salinité  du  flot  est  déjà  de  4,7  pour  100,  d'après 
Forchhammer.  Cette  île  montueuse,  dont  les  collines  atteignent  160  mètres 
au-dessus  de  la  mer  et  qui  est  composée  entièrement  de  roches  cristallines, 
granit,  diorite,  quartz,  porphyre,  est  considérée  par  quelques  géologues 
comme  une  terre  jeune,  ayant  fait  son  apparition  à  une  époque  récente. 
Néanmoins  elle  possède  la  même  faune  de  batraciens  que  la  Finlande, 
à  laquelle  du  reste  la  rattachent  temporairement  des  glaces  presque 
tous  les  hivers.  En  gravissant  une  des  plus  hautes  sommités  de  Hogland, 
le  Haukkavuori  ou  «  Mont  des  Faucons  »,  Kôppen  entendit  distincte- 
ment les  rochers  vibrer,  par  l'effet  de  la  dilatation  de  l'air  dans  les 
fissures,  en  sons  musicaux  pareils  à  ceux  de  l'orgue"  :  c'est  un  nouvel 
exemple  de  ce  chant  des  pierres  qui  ravissait  jadis  les  adorateurs  de 
Memunn. 


La  partie  septentrionale  de  la  Finlande  est  située  dans  l'intérieur  du 
cercle  polaire,  et  les  provinces  méridionales  sont  elles-mêmes  assez  rappro- 
chées de  la  zone  arctique  pour  que  les  journées  ne  soient  plus,  en  hiver, 
qu'une  éclaircie  de  quelques  heures  et  se  rejoignent  au  cœur  de  l'été  par 
les  rouges  lueurs  du  soleil  passant  à  quelques  degrés  au-dessous  de  l'hori- 
zon. i<  La  nuit,  dit  Tourgenev,  ressemble  à  un  jour  malade  »;  mais  pour  les 
habitants  du  pays  cette  comparaison  semble  injuste,  ils  aiment  cet  aspect 
delà  nature  qui  ne  veut  pas  s'endormir.  Une  légende  finnoise  raconte  que 
le  crépuscule  et  l'aube  sont  deux  fiancés  condamnés  à  rester  longtemps 
séparés;  mais  ils  se  cherchent  sans  cesse  :  pendant  la  belle  saison  d'été  ils 


'  Von  Baer,  Dutlelin  de  l'Acailimic  des  sciences  de  f^ainl-Pêlershourg,  tome  IV,  I8G2. 
'  Ruitischc  Revue,  1877,  ii°  .">. 


SOL   ET  CLIMAT  DE   LA  FINLANDE.  551 

parviennent  enfin  à  se  rejoindre  au  milieu  du  ciel  et  leurs  flambeaux  unis 
éclairent  au  loin  les  plaines,  les  montagnes  et  la  mer. 

Sous  ces  hautes  latitudes,  le  climat  est  sévère  :  les  isothermes,  que  les 
courants  atmosphériques  et  maritimes  reploient  vers  le  nord  dans  la 
péninsule  Scandinave,  s'inclinent  vers  le  sud  dans  le  territoire  finlan- 
dais, et  le  voisinage  des  grandes  plaines  orientales  permet  aux  vents 
froids  de  l'est  et  du  nord-est  d'abaisser  rapidement  la  température  de  la 
contrée.  Le  climat  est  extrême,  très  rude  en  hiver,  chaud  en  élé  sous 
l'influence  des  tièdes  vents  du  sud  et  du  sud-ouest.  On  dit  que  la  cul- 
ture du  sol  et  surtout  la  destruction  des  forêts  du  littoral  ont  adouci  la 
température  moyenne,  mais  en  même  temps  rendu  les  variations  atmo- 
sphériques plus  soudaines  et  plus  fréquentes.  La  végétation  est  plus  uni- 
forme, moins  riche  en  Finlande  que  dans  la  presqu'île  Scandinave,  à 
cause  de  l'étendue  moindre  de  la  contrée  et  de  la  plus  grande  rigueur  des 
hivers  :  au  lieu  de  2550  espèces  de  plantes  que  possède  la  Suède,  la  Fin- 
lande en  a  seulement  1800,  et  la  plupart  ont  une  aire  d'habitation  beau- 
coup moindre.  Les  chênes,  qui  croissent  parfaitement  sur  le  littoral  norvé- 
gien jusqu'à  Christiansund  et  Molde,  et  qui  peuvent  encore  vivre  jusque 
dans  les  environs  de  Trondhjem,  ne  dépassent  pas  en  Finlande  les  côtes  mé- 
ridionales, entre  le  60''  et  le  61'  degré  de  latitude,  et  même  à  l'est  du  golfe 
ils  ne  croissent  pas  spontanément  dans  les  environs  de  Pétersbourg.  Le  ceri- 
sier ne  porte  plus  de  fruits  au  nord  de  Wasa,et  le  pommier  n'a  plus  que  des 
fleurs  au  delà  du  64'  degré  de  latitude,  dans  la  province  d'Uleâborg.  Vers 
le  nord,  la  végétation  diminue  graduellement,  et  sur  les  boi'ds  septen- 
trionaux du  lac  d'Enare  se  montrent  les  dernières  forêts  de  coniières,  déjà 
clairsemés  et  rabougris.  Au  delà  s'étendent  les  plateaux  marécageux  :  les 
mousses,  les  lichens  recouvrent  le  sol  :  seulement  sur  les  pentes  bien  expo- 
sées au  soleil,  bien  abritées  des  vents  du  nord,  croissent  des  bouleaux, 
l'aune  blanc,  et  le  sorbier  des  oiseaux,  l'arbre  saint  des  anciens  Finnois  '. 
Mais  sous  l'àpre  climat  du  nord  la  végétation  d'été  parcourt  toutes  ses 
pliases  avec  une  rapidité  qui  ne  se  voit  pas  même  dans  la  zone  tempérée. 
Près  d'Uleâborg,  les  semailles  et  la  moisson  du  blé  mûr  ont  eu  lieu  dans 
l'espace  de  quarante-deux  jours'.  En  outre,  l'humidité  de  l'air  cl  les 
brouillaids  fréquents  entretiennent  une  fraîcheur  constante  dans  la  végé- 
tation des  forêts  et  des  prairies.  En  certains  districts  de  la  Finlande,  no- 
tamment dans  le  voisinage  de  Tavaslelius,   les  maisons  de  pavsans  sont 


*  Léouznn  Le  Duc,  L'Ours  ilu  Nord. 

•  Julin,  cilc  par  Accrbi,  Voyage  au  cap  Nord,  tome  I. 


552  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

recouvertes,  non  de  planches  ou  de  chaume,  mais  de  pelouses  de  gazon 
parfaitement  unies.  Rien  de  plus  charmant  que  ces  prairies  aériennes, 
entretenues  avec  le  plus  grand  soin.  Des  écorces  de  houlcau,  placées  au- 
dessous  des  couches  de  terre  gazonnée,  défendent  de  l'humidité  la  char- 
pente du  toit  et  l'empêchent  de  pourrir. 

La  faune  de  la  Finlande  ressemble  à  celle  des  contrées  limitrophes,  si 
ce  n'est  qu'elle  est  moins  riche  et  que  diverses  espèces  ont  cessé  d'en  faire 
partie  :  les  ours,  les  loups,  les  lynx,  les  gloutons,  les  renards  sont  encore 
fort  nombreux;  la  martre  a  presque  disparu'.  Les  armoiries  de  l'archipel 
d'Aland  portent  l'élan,  autrefois  très  commun  dans  les  îles.  Au  commen- 
cement du  dix-septième  siècle,  il  devenait  déjà  plus  rare,  puisque  Gustave- 
Adolphe  fit  édicter  une  loi  prononçant  la  peine  de  moi-t  contre  tout 
«  meurtrier  d'élan  »  :  c'est  en  1809,  lors  de  l'invasion  russe,  que  la  plu- 
part de  ces  animaux  furent  exterminés.  Quant  aux  castors,  que  l'on  voit  en 
si  peu  d'endroits  dans  le  reste  de  l'Europe,  ils  habitent  peut-être  encore 
les  rives  des  fleuves  de  la  Finlande  septentrionale;  mais  ils  sont  devenus  si 
rares  que  l'on  n'est  pas  même  certain  de  leur  existence'. 


Le  nom  étranger  de  Finlandais,  Finnes,  Finnois,  probablement  d'origine 
germanique,  semble  traduit  de  l'appellation  que  les  habitants  du  pays 
Suomi  ou  Suomenmaa  se  donnent  eux-mêmes  :  on  le  rapproche  de  l'anglo- 
saxon  fen  (en  français,  fagne,  fange),  qui  signifie  marécage";  toutefois 
cette  étymologie  est  contestée  par  Sjôgren'  et  d'autres  savants  :  le  nom,  de 
même  que  la  provenance  des  Finnois,  les  Fenni  de  Tacite,  reste  une  des 
questions  discutées  de  l'ethnologie.  Cependant  on  peut  dire,  d'une  manière 
générale,  que  les  habitants  actuels  de  la  Finlande  sont  en  majorité  de 
souche  ouralo-altaïque  et  qu'ils  sont  étroitement  apparentés  aux  Magyars, 
de  même  qu'aux  peuplades  non  encore  civilisées  des  Tcheremisses,  des 
Ostiakes,  des  Yogoules,  des  Samoyèdes.  Ils  sont  évidemment  très  mélan- 
gés, car  le  pays  qu'ils  habitent  et  où  ils  arrivèrent,  pense-t-on,  vers  la  fin 

'  Animaux  sauvages  tués  en  Finlande,  de  1871  à  1875  : 

Ours,  ■421;  loups,  1862;  lynx,  455;  gloutons,  195;  renards,  12591. 
Animaux  domestiques  dévorés  par  les  bêtes  sauvages,  de  18GC  à  1870  : 

Clievaux,  1802;  bêles  h  cornes,  5584  ;  moutons,  14061  ;  rennes,  2714;  pores,  1400. 

(Ignalius,  Le  Grand-Duché  de  Finlande.) 
-  Ignalius,  Le  Crawl-Duché  de  Finlande. 

*  G.  Zeusz,  Die  Deutschen  uuil  die  yachbarsiâmmc;  —  Oscar  l'esdiel,  YOlkcrhtinde;  —  Vander- 
kindere.  Recherches  sur  l'ethnologie  de  la  liehjique. 

■'■  Mémoires  de  l'Académie  des  sciences  de  Saint-Pétersbourcj,  1,  505. 


FINLANDE  ET  FINLANDAIS.  533 

du  septième  siècle  ou  vers  le  commencement  du  huitième,  a  été  souvent 
envahi, et  les  diverses  tribus  qui  s'y  sont  succédé  ont  laissé  leurs  des- 
cendants croisés  avec  la  population  actuelle.  Avant  l'époque  de  la  pierre 
polie,  les  contrées  qui  sont  devenues  la  Finlande  n'étaient  probablement 
pas  encore  habitables,  à  cause  de  la  grande  extension  des  glaces'.  Mais  dès 
les  premiers  temps  de  la  colonisation,  c'est  avec  les  tribus  orientales, 
habitant  la  Russie  du  nord,  que  les  colons  finlandais  eurent  leurs  relations 
les  plus  fréquentes,  car  presque  tous  les  objets  trouvés  à  l'est  et  à  l'ouest 
du  lac  Ladoga  se  ressemblent  par  la  matière  et  par  le  travail.  Plus  tard, 
lors  de  l'âge  du  bronze,  puis  surtout  pendant  le  premier  âge  du  fer, 
l'influence  Scandinave  devient  prédominante;  ensuite,  un  nouveau  reflux 
historique  ramène  la  civilisation  slave  dans  le  pays,  et  quand  l'histoire 
proprement  dite  commence  à  éclairer  la  Finlande,  on  retrouve  les  Scan- 
dinaves, c'est-à-dire  les  peuples  de  l'Occident,  en  contact  beaucoup  plus 
intime  que  les  Russes  avec  les  populations  de  la  contrée \  Souvent  la 
lutte  entre  les  envahisseurs  maritimes  et  ceux  qui  venaient  de  l'Orient 
par  la  région  des  forêts  et  des  marécages  devint  une  guerre  d'extermi- 
nation, et  des  districts  entiers  furent  ravagés.  11  est  étonnant  qu'au  milieu 
de  pareils  conflits  entre  les  dominateurs  du  pays  les  Finlandais  aient  gardé 
tant  d'originalité  nationale. 

Dans  les  régions  septentrionales  de  la  Finlande  l'influence  des  Lapons  a 
probablement  été  assez  considérable  par  les  croisements  sur  la  population 
finnoise  des  Ostrobotniens  et  des  Qvàner  (Kainulàiset)  ;  en  1849,  Andréas 
Warelius  citait  dans  la  province  d'Uleâborg  un  grand  nombre  de  districts  et 
de  hameaux  dont  la  population  agricole  était  de  race  mêlée  et  se  servait 
encore  partiellement  du  lapon.  Quant  à  la  Finlande  méridionale,  divers 
anlhropologisles  contestent  encore  qu'elle  ait  été  habitée  autrefois  par  les 
Lapons.  Il  est  vrai  que  les  traditions  locales  sont  unanimes  en  faveur  de 
cette  hypothèse,  et  les  noms  de  Jaettilâiset,  Hiidet,  Jatulit,  Jotunit  s'ap- 
pliqueraient encore  à  ces  aborigènes  disparus.  Des  récils  fabuleux  nous 
racontent  les  combats  que  les  premiers  immigrants  finnois  eurent  à  sou- 
tenir contre  les  magiciens  liés  aux  puissances  infernales";  or,  en  Finlande 
comme  en  Russie,  Lapons,  Samoyèdes  et  tous  les  Finnois  du  Nord  sont 
considérés  comme  des  hommes  de  magie.  Divers  noms  de  lieux  confirment 
aussi  le  passage  des  Lapons  dans  la  Finlande  méridionale  '  ;  mais  l'absence 

*  Worsa.ic,  La  colonisation  de  la  Russie  et  du  nord  Scandinave. 
'  Gusiaf  Kelzitis,  Finska  Kranicr. 

*  Andréas  Warcliiis,  Beitrâgc  zur  Kennlniss  der  Russischcn  Reichcs,  vol.  MIL 

*  Warelius;  —  Caslrcn;  —  Ujnilvy,  Mélangei  altuiqucs. 


534  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

de  débris  archéologiques  d'origine  laponne  prouve  que  ces  tribus  du  nord 
n'ont  pu  séjourner  longtemps  dans  le  pays  :  peut-être  quelques  groupes 
de  pèclieurs,  d'agriculteurs  nomades  auront-ils  campé  çà  et  là;  toutefois 
les  traces  laissées  par  eux  sont  beaucoup  moindres  que  celles  des  marins 
Scandinaves  venus  sur  les  côtes  du  golfe  pour  commercer  avec  les  Finlan- 
dais. Même  la  présence  d'un  certain  nombre  de  mots  très  anciens  qui  se 
trouvent  mêlés  au  finnois  ont  fait  admettre  à  Thomsen  que  des  peuplades 
allemandes  ont  jadis  vécu  dans  les  plaines  de  la  Russie  limitrophes  de  la 
mer  Baltique'. 

Les  Finlandais  de  la  région  relativement  populeuse  du  sud  se  divisent 
en  deux  familles  distinctes,  contrastant  même  l'une  avec  l'autre  par  des 
caractères  opposés,  les  Tavastes  et  les  Karéliens.  Les  premiers  habitent  la 
partie  sud-occidentale  de  la  Finlande,  dans  l'espace  triangulaire  limité  à 
l'ouest  et  au  sud  par  les  Suédois  du  littoral,  et  c'est  la  civilisalion  Scandi- 
nave qui  exerça  sur  eux  la  plus  grande  influence,  tandis  que  les  Karéliens 
se  sont  trouvés  en  contact  surtout  avec  les  Russes.  D'après  van  Haartman, 
qui  les  étudia  le  premier,  les  Tavastes,  qui  s'appellent  eux-mêmes  Ilàmii- 
làiset',  ce  qui  signifie  peut-être  —  à  en  juger  par  un  mot  ehstonien  — 
«  Gens  du  Pays  Humide  »,  seraient  les  Finnois  par  excellence  :  ils  sont 
en  général  forts,  trapus,  larges  de  tète,  de  visage,  de  nez,  d'épaules  et  de 
membres  ;  la  bouche  est  grande,  tandis  que  les  yeux  sont  petits,  à  fentes 
étroites  et  parfois  légèrement  obliques  ;  la  couleur  de  l'iris  est  toujours 
bleue,  de  la  nuance  la  plus  pâle  à  l'azur  le  plus  foncé.  Les  Russes  don- 
naient jadis  à  ces  Finnois  le  nom  de  «  Tchoud  aux  yeux  blancs  »  à  cause 
de  leurs  yeux  clairs".  La  chevelure  des  Tavastes  est  blonde,  même 
d'un  blanc  jaunâtre.  «  Blond  comme  un  Finnois  »  est  une  expression 
proverbiale  russe  dans  les  districts  limitrophes.  Ainsi,  tandis  que  les 
brachycéphales  de  l'Europe  centrale  et  occidentale  sont  généralement 
liruiis,  ceux  qui  vivent  en  Finlande  se  distinguent  précisément  comme  un 
peuple  blond  '  ;  mais  ils  n'ont  pas  la  peau  blanche,  le  teint  rosé  transpa- 
reut  des  Germains  blonds,  Scandinaves,  Allemands  ou  Anglo-Saxons  ;  en 
outre,  leur  barbe  est  presque  toujours  très  rare.  On  ne  rencontre  guère 
de  Tavastes,  hommes  ou  femmes,  dont  les  traits  répondent  à  l'idée  de 
beauté,  telle  que  la  comprennent  les  Européens  de  l'Occident.  Au  point 
de  vue  moral,  les  Tavastes  sont  lents  et  lourds,  souvent  mélancoliques, 

'  Ueber  den  Einflusz  der  geimanischcn  Si)rachen  auf  die  piinisch-lappischeu. 

*  Hcrberg;  —  B.irsov,  Essai  d'une  Ccograpltie  hislorique  russe  (en  russe). 
'  Maïiiov,  hv'estiija  Geoyr.  liussk.  Obchlclieslva,  iiov.  1878. 

*  Virehow,  Berliner  Gesellschafl  jur  Anthropologie,  18  ocl.  1875. 


TAVASTES  ET  KARKLIENS.  33? 

poiipronneux,  rancuniers,  avares  de  leurs  paroles,  mais  honnêtes,  recon- 
naissants des  bienfaits,  durs  à  la  fatigue,  patients  dans  la  maladie  et  les 
privations  ;  fatalistes  au  plus  haut  degré,  ils  représentent  dans  la  nation 
tinlandaise  l'élément  conservateur.  Au  onzième  et  au  douzième  siècle,  le 
centre  de  la  puissance  des  Ilanialaiset,  les  Yaiii  ou  Yeiii  des  Russes,  parait 
avoir  été  beaucoup  plus  à  l'est,  entre  le  Ladoga  et  la  Dvina  ;  mais,  attaqués 
par  les  Karéliens  du  nord,  par  les  Russes  du  sud,  ils  furent  obligés  de  s(î 
déplacer;  cependant  il  existerait  encore  des  Yerii,  au  nombre  de  '20  0(IU, 
dans  les  districts  orientaux,  vers  Petrozavodsk  et  Relozersk  '. 

De  l'ouest  à  l'est  de  la  contrée,  on  observe  une  transition  graduelle  entre 
les  Tavastes  et  les  Karéliens  ou  Karialaiset  ;  surtout  les  Savolaiset  ou  gens 
(le  Savolaks,  dans  le  district  de  Ny-Slott,  peuvent  être  considérés  commc 
l'intermédiaire  naturel  «les  deux  races.  Les  Karéliens,  qui  peuplent  la 
région  orientale  de  la  Finlande  politique,  ainsi  que  de  vastes  territoires 
de  l'empire  russe,  jusque  dans  le  voisinage  de  la  mer  Blanche,  sont  bra- 
chycéphales  comme  les  Tavastes,  mais  ils  ne  leur  ressemblent  ni  par  la 
stature,  ni  par  les  traits,  ni  par  le  caractère.  La  plupart  dépassent  la 
taille  moyenne,  et  même  il  en  est  qui  pourraient  être  classés  parmi  les 
géants;  assez  minces,  élancés,  de  tournure  élégante,  ils  ont  en  général 
des  traits  réguliers,  le  nez  droit  et  long,  le  front  large,  la  bouche  nette- 
ment dessinée.  On  ne  rencontre  chez  eux  que  bien  peu  d'individus  ayant 
les  yeux  bridés  à  la  mongole;  ils  n'ont  pas  non  plus  l'œil  pâle  et  la  che- 
velure jaunâtre  du  Tavaste  :  leur  iris  est  d'un  gris-bleu  foncé,  et  leurs 
abondants  cheveux  châtains  flottent  en  boucles  sur  leurs  tètes.  Les  Karé- 
liens sont  en  général  gais,  vifs,  entraînants,  pleins  d'initiative,  mais  ils 
n'ont  pas  toujours  autant  d'esprit  de  suite  que  de  force  d'atla«|ne.  Ils 
plaisent  par  leur  bienveillance,  autant  que  par  leur  élégance  naliuclle  et 
quelquefois  par  leur  beauté.  L'histoire  les  montre  fréquemment  engagés  en 
des  expéditions  de  guerre.  En  1187  et  1188,  ils  envahissent  même  la 
Suède,  entrent  dans  le  lac  Malaren,  incendient  la  ville  de  Sigtuna,  tuent 
l'évêque  d'Upsala.  Trois  années  après,  ils  brûlent  Abo  et  détruisent 
les  colonies  suédoises  de  la  Finlande;  puis,  quoique  baptises  par  les  Novgo- 
rodiens  au  commencement  du  treizième  siècle,  ils  leur  font  souvent  la 
guerre,  mais  s'unissent  aussi  à  eux  pour  combattre  les  Suédois'.  C'est 
également  avec  leur  aide  qu'ils  expulsèrent  les  Tavastes  des  bords  du  La- 
doga. Vers  1850,  Castrèn  les  évaluait  à  plus  d'un  million,  dont  830  000 


'  Sjiigrcn;  —  Casirèn  ;  —  lîarsnv. 

■•'  Bclaycv,  Récilt  de  l'histoire  russe  (en  russe). 

V  *5 


538  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

dans  les  limites  de  la  Finlande  actuelle  :  ils  y  sont  un  million  de  nos  jours, 
grâce  à  l'accroissement  naturel  de  la  population. 

Lors  de  leur  arrivée  dans  la  région  située  entre  les  grands  lacs  et  le 
golfe  de  Botnie,  les  Finnois  semblent  n'avoir  guère  été  plus  civilisés  que 
ne  le  sont  maintenant  les  peuples  ougriens  de  la  Russie  orientale  et  de 
la  Sibérie.  Ainsi  qu'a  pu  le  constater  Ahlqvist  par  l'étude  des  mots  finnois 
indiquant  les  conquêtes  successives  de  l'industrie  et  de  la  civilisation, 
ainsi  que  le  montrent  aussi  les  descriptions  des  légendes,  les  Finnois  pri- 
mitifs se  nourrissaient  presque  exclusivement  des  produits  de  la  chasse  et 
de  la  pèclic  ;  ils  ne  connaissaient  qu'une  agriculture  rudimentaire  et  ne 
savaient  même  préparer  beurre  ni  fromage  avec  le  lait  de  leurs  troupeaux. 
La  religion  des  Finnois,  analogue  à  celle  des  Lapons  et  des  Samoyèdes, 
semble  avoir  été  une  sorte  de  fétichisme,  mêlé  de  pratiques  pareilles  à 
celles  des  chamanes  de  la  Mongolie.  Toutes  les  annales  russes  nous  pré- 
sentent les  pays  des  Tchoud  ou  Finnois  comme  la  patrie  des  mages 
(volklivî).  Les  incantations  de  ces  magiciens,  accompagnées  du  jeu  de 
l'espèce  de  harpe  appelée  kantele,  se  terminaient  par  des  convulsions, 
comme  les  rites  des  chamanes  de  la  Sibérie.  L'ancien  Finnois  croyait 
plus  à  la  puissance  du  chant  qu'à  celle  de  l'épée.  Chez  ceux  qui  vivent 
dans  les  solitudes  de  l'intérieur,  le  naturel  poétique  est  encore  exalté  par 
une  extrême  impressionnabilité  nerveuse  qui  se  change  facilement  en 
extase.  Dans  la  science  moderne,  les  Finlandais  appliquent  surtout  leurs 
facultés  intellectuelles  à  l'étude  des  mathématiques  :  les  poètes  sont  tou- 
jours ravis  par  l'harmonie  des  nombres.  Mais,  outre  les  incantations,  les 
Finlandais  avaient  le  trésor  d'autres  chants,  du  moins  dans  la  Karélie, 
car  les  Tavastes  n'ont  pas  le  génie  poétique  :  il  est  rare  qu'on  les 
entende  chanter'.  La  race  karélienne,  au  contraire,  est  une  de  celles  qui 
sont  le  plus  naturellement  portées  vers  la  poésie,  ainsi  que  le  prouvent  les 
récits,  transmis  jusqu'à  nos  jours  de  bouche  en  bouche  et  par  fragments 
épars,  avec  lesquels  on  croit  avoir  reconstitué  une  épopée  nationale,  le 
Kalevala  ou  «  pays  de  Kaleva  »,  le  dieu  géant. 

Quelques  chants  du  Kalevala  avaient  été  déjà  révélés  par  Schrôdcr  et 
Topclius,  mais  ils  ne  furent  réunis  en  «  épopée  »  qu'en  1835,  par  Elias 
Lonnrot,  qui  avait  parcouru  dans  tous  les  sens  la  Finlande  et  les  pays 
finnois  des  gouvernements  d'Olonetz  et  d'Arkhangelsk  pour  recueillir  les 
anciens  chants;  plus  tard,  la  traduction  suédoise  du  Kalevala,  par  Caslrèn 
cl  Collar,  lit  connaître  au  monde  savant  ces  poèmes  populaires.  Cepcn- 

'  Gustol  liol/iiis,  Finsk:i  Kiatiicr. 


FINNOIS.  559 

fiant  les  recherches  continuaient,  et  hi  deuxième  édition  de  Lônnrot,  celle 
de  18  iO,  plus  que  double  de  la  première,  se  compose  de  50  ruiiot  ou 
chants  et  de  22  800  vers,  tous  entendus  de  la  bouche  des  paysans  et  datant 
de  l'époque  païenne,  à  l'exception  d'un  seul,  le  cinquantième,  qui  fui  évi- 
demment conçu  après  l'introduction  du  christianisme  en  Finlande,  c'est- 
à-dire  vers  le  treizième  siècle.  Que  le  poème  du  Kalevala  nous  soit  ou  non 
parvenu  tel  qu'il  était  chanté  par  les  anciens  Suomalaïset,  il  n'en  a  pas 
moins  exercé  une  influence  décisive  sur  le  mouvement  littéraire  finnois.  La 
langue  poétique  des  Finlandais  se  distingue  entre  toutes  par  la  douceur  et 
la  sonorité;  elle  est  en  outre  d'une  très  grande  richesse.  On  peut  juger  de 
la  multitude  de  ses  mots  dérivés  par  ce  fait,  que  le  nombre  des  vocables 
mentionnés  dans  le  dictionnaire  d'Elias  Lônnrot  ne  s'élève  pas  à  moins  de 
deux  cent  mille'. 

«  Touraniens  »  par  la  langue  et  probablement  aussi  par  l'origine,  les 
Finnois  ne  sont  point  certainement  les  inférieurs  de  leurs  voisins, et  leur 
ambition  légitime  est  d'avoir  des  égaux,  non  des  supérieurs,  parmi  les 
peuples  de  l'Europe.  En  dépit  de  la  théorie  qui  reconnaît  aux  Aryens  toute 
supériorité  intellectuelle  et  morale  sur  les  populations  d'autre  origine,  il 
est  certain  que,  pris  en  masse,  les  Suomalaïset  sont  plus  actifs,  plus 
économes,  et  surtout  plus  honnêtes  que  les  habitants  des  pays  limitrophes. 
Les  écrivains  russes  admirent  les  qualités  des  Finnois,  leur  persévérance 
dans  le  travail,  leur  probité,  la  réserve  pleine  de  dignité  avec  laquelle  ils 
évitent  de  demander  un  pourboire  ou  d'y  faire  la  moindre  allusion'.  Du 
reste,  ce  n'est  point  seulement  à  la  race  qu'il  faut  attribuer  ce  privilège 
des  Finlandais  :  tandis  que  les  paysans  russes  asservis  devaient  contracter 
tous  les  vices  de  l'esclave,  ceux  de  la  Finlande  jouissaient  d'une  liberté 
relative.  Pendant  toute  la  période  de  la  domination  suédoise,  les  habitants 
du  pays  curent  part  aux  droits  civils  et  politiques,  et  la  plupart  des  culti- 
vateurs restèrent  propriétaires  du  sol.  Maintenant  presque  tous  les  Finlan- 
dais savent  lire  et  peuvent  se  dire  instruits,  en  comparaison  des  moujik 
russes  des  gouvernements  voisins.  Mais  les  difficultés  de  la  culture  d'un  sol 
ingrat,  la  rudesse  du  climat  et  les  conditions  déplorables  de  la  propriété 
foncière  font  que  la  misère  est  grande  en  quelques  régions  de  la  contrée, 
cl  souvent  des  famines  ont  déi;imé  la  population.  Lorsque  des  étés  froids  et 
pluvieux  empêchent  les  céréales  de  mûrir  avant  les  gelées  d'automne,  la 
disette  est  inévitable  et  les  habitants  des  campagnes  sont  livrés  à  la  faim  : 

'  Suomalais-IUioisalainen  Sanakiija.  IK-lsingfors,  1806-1874. 

*  Sptncnov,  Im  Pairie  (Oletclicstvo-V'cd'eniije),  Veslnili  Evropi;  —  Koif,  Les  rcsiillnls  de  l'in- 
tlruclion  publique  (en  russe). 


540  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

souvent  alors  le  pauvre  peuple  est  obligé  de  manger  de  la  paille,  tic  mêler 
à  la  farine  des  lichens,  de  l'écorce  de  pin,  et  même  exceptionnellement 
de  la  «  farine  de  montagne  »,  espèce  de  tripoli  composée  de  débris  d'in- 
fusoires,  qui  se  recueille  au  fond  des  :inciens  lacs'.  En  180S,  la  famine 
enleva  le  quart  de  la  population  dan?  certains  districts  :  le  nombre  des 
morts  fut  triple  de  celui  des  naissances  pour  toute  la  Finlande.  Les  aveugles 
sont  proportionnellement  plus  nombreux  dans  ce  pays  que  dans  les  autres 
contrées  d'Europe,  à  l'exception  de  l'Islande,  autre  région  des  froidures. 
En  1875,  on  comptait  en  Finlande  près  de  4000  aveugles  et  en  outre  plus 
de  4000  individus  affligés  de  cécité  partielle.  C'est  à  la  fumée  qui  remplit 
quelques  chaumières,  encore  sans  cheminées,  qu'il  faut  attribuer  en  partie 
cette  proportion  d'aveugles  ;  dans  les  districts  de  l'intérieur  la  maladie  est 
aussi  attribuée  aux  étuves  de  bains  et  à  celles  où  les  Finlandais  font  sécher 
et  battent  leur  blé.  Les  étuves  de  bains,  emplies  d'une  épaisse  vapeur  que 
produit  l'eau  jetée  sur  des  pierres  brûlantes,  étaient  pour  les  Finlandais  des 
lieux  sacrés.  Plusieurs  fois  par  semaine,  hommes  et  femmes,  enfants  et 
vieillards  s'y  exposaient  à  la  vapeur,  nus  et  pèle-mèle,  en  se  frappant  de 
brindilles  de  bouleau  et  en  s'inondant  d'eau  froide.  C'est  dans  ces  étuves 
qu'étaient  conduites  les  femmes  en  couches  :  la  plupart  dos  paysans  de  h 
Finlande  ont  aspiré  l'air  pour  la  première  fois  dans  ces  réduits,  obscurcis 
par  la  vapeur'.  Actuellement  on  ne  voit  plus  de  ces  salles  communes  de 
bains  dans  les  gouvernements  d'Abo,  de  Tavaslehus,  de  Xyland,  ni  dans  la 
partie  méridionale  de  la  province  de  Wiborg. 

Une  partie  de  la  Finlande  est  exclusivement  occupée  par  des  Suédois, 
descendants  des  anciens  envahisseurs  du  pays  :  les  Finnois  leur  donnent  le 
nom  de  Ruolsalaïset.  La  population  de  l'archipel  d'Aland,  que  les  Scandi- 
naves possédaient  déjà  en  1150,  est  entièrement  suédoise;  de  même  celle 
qui  habite  quelques-unes  des  îles  d'Abo,  celles  du  Nyland  et  le  sud  de 
rOsterbutten  :  naguère  le  linnois  y  était  aussi  jieu  connu  que  le  russe.  Dès 
le  milieu  du  treizième  siècle,  la  colonisation  suédoise  avait  commencé  dans 
le  pays  à  la  suite  des  conquêtes  d'Erik  IX,  et  dans  les  siècles  suivants  elle 
ne  cessa  d'augmenter,  grâce  aux  franchises  commerciales  et  aux  privilèges 
de  toute  nature  accordés  aux  Scandinaves.  Sur  une  longueur  d'environ 
.'(1  kilomètres  à  l'ouest  du  Kymmene-elf,  afiluent  du  golfe  de  Finlande,  la 
population  est  également  suédoise  :  les  habitants  ne  se  marient  (ju'eutre 
eux;   ils  ont  conservé  leurs  mœurs  aussi  bien  que  leur  langue  et  restent 


'  Ignntius,  Le  Grand-Duché  de  Finlande. 
'  Gustaf  ilclzius,  Finska  Kianier. 


FINNOIS  ET  SUEDOIS.  541 

ainsi  toujours  étrangers  aux  Finnois  qui  les  entourent.  Ailleurs,  les  Sué- 
dois de  race  ne  se  rencontrent  guère  que  par  familles  isolées  ou  croisées 
avec  des  familles  indigènes;  dans  le  gouvernement  de  Nyland,  un  grand 
nombre  de  Suédois  parlent  le  finnois  aussi  bien  que  la  langue  de  leurs 
ancêtres'.  Jadis,  tous  les  habitants  du  pays  qui  étaient  devenus  les  égaux 
des  Suédois  par  la  culture  intellecluelle  ou  par  la  position  sociale,  et  qui 
parlaient  la  langue  Scandinave,  se  classaient  parmi  les  Suédois  :  l'aristo- 
cratie, quelle  que  fût  son  origine,  prenai'  le  nom  qui  paraissait  alors 
le  plus  honorable.  La  langue  finnoise,  qui  s'était  conservée  seulement 
comme  idiome  populaire,  était  tenue  pour  une  sorte  de  patois.  Cependant  la 
Réformation  donnait  aux  Finnois  un  commencement  de  littérature  écrite 
en  leur  traduisant  la  Bible  dès  1348;  puis,  grâce  à  l'université  d'Abo,  les 
recherches  sur  la  langue  commençaient  au  dix-scplième  siècle;  enfin, 
pendant  le  cours  de  ce  siècle,  la  littérature  finnoise  s'est  complètement 
émancipée  de  la  tutelle  Scandinave,  quoique  cependant  la  plupart  des 
ouvrages  soient  des  traductions  du  suédois.  Désormais,  les  deux  races, 
les  deux  langag(!s  n'ont  plus  à  s'envier  de  privilèges;  devenus  complètement 
les  égaux  de  leurs  anciens  maîtres,  les  Finnois  cultivés  ou  enrichis 
n'ont  plus  à  se  parer  du  nom  de  Suédois.  Depuis  1868,  tous  les  nouveaux 
maîtres  d'école,  et  depuis  1872  tous  les  employés,  sont  tenus  desavoir  le 
finnois,  et  depuis  1883,  tous  les  fonctionnaires  doivent  parler  les  deux 
langues.  On  évalue  à  280  000  habitants,  soit  à  14  pour  100  de  la  poiuila- 
tion  totale,  les  Suédois  du  territoire. 


A  l'époque  où  se  chantèrent  ])0ur  la  première  fois  les  poèmes  du  Kalc- 
vdla,  il  n'y  avait  point  de  villes  en  Finlande,  à  peine  quelques  hameaux 
situés  dans  les  clairières  des  forêts  et  sur  le  bord  des  baies  poissonneuses. 
Les  demeures  étaient  des  trous  creusés  dans  le  sol  et  recouverts  d'un  toit, 
ou  des  kola,  c'est-à-dire  des  réduits  coniques  formés  par  des  perches 
appuyées  circulairement  sur  un  tronc  d'arbre.  Il  reste  encore  de  ces  kola, 
mais  depuis  longtemps  elles  ne  serveni  plus  que  de  hangars.  Le  porte,  qui 
les  remplaça  pour  l'habitation  de  l'homme,  ressemble  à  \'i:ba  du  Grand- 
Russien  :  elle  est  formée  de  troncs  équarris  posés  les  uns  sur  les  autres, 
sans  fenêtres  et  sans  cheminée,  mais  seulement  avec  d'étroites  lucarnes  et 
une  coulisse  sous  le  toit  pour  permettre  à  la  fumée  de  s'échapper  :  un 
lourneau,  quelques  ustensiles,  des  mangeoires  pour  les  animaux  domes- 

'  Andréas  Wardius,  DcUràjc  zuf  Kenntuiss  des  lUtssisclien  Rcichcs,  vol.  XIII. 


542  -NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

ligues,  tols  étaient  les  seuls  meubles  du  porte,  où  bêtes  et  gens  vivaient 
pèle-mèle.  On  voit  encore  çà  et  là  quelques-unes  de  ces  habitations  dans 
leur  état  primitif,  telles  que  les  décrivent  les  chants  karéliens  ;  mais 
la  plupart  se  sont  agrandies,  embellies,  séparées  de  l'étable  et  de  la 
grange,  et  déjà  elles  ressemblent  à  la  maison  moderne  des  villes  et  des 
bourgades. 

Les  premières  villes  de  la  Finlande,  Abo,  Tavastehus,  Wiborg,  eurent 
pour  point  d'appui  des  châteaux  forts,  érigés  pour  la  défense  des  enva- 
hisseurs et  des  néopliyles  chrétiens.  Dans  les  régions  du  nord,  le  pays 
encore  actuellement  presque  désert,  sans  valeur  stratégique,  a  été  colonisé 
librement,  elles  bourgs  se  sont  fondés  aux  embouchures  des  rivières,  uni- 
quement pour  l'échange  des  denrées.  Torneâ,  qui  regarde  Haaparanda  la 
suédoise  par-dessus  un  bras  desséché  de  la  rivière  Torneâ,  est  le  port  des 
Lapons, et  ceux-ci  viennent  y  vendre  du  poisson,  des  langues  de  renne. 
Uleiîborg  (Oulu  des  Finnois)  est  beaucoup  plus  importante  :  les  bateaux 
qui  descendent  l'Uleâ  (Oulu-joki)  lui  apportent  en  quantité  de  la  résine  et 
du  goudron,  et  des  trains  de  bois  viennent  flotter  devant  ses  quais  ;  au  com- 
mencement du  siècle,  le  port  d'Uleâborg  était,  à  cause  de  l'exploitation 
de  ses  forets,  le  plus  fréquenté  de  toute  la  Finlande;  mais  les  ports  de  la 
région  peuplée  du  sud  l'ont  depuis  longtemps  distancé  pour  l'aclivilé  du 
commerce'.  De  même  Brahestad  (Raahe)  a  succédé  pour  le  mouvement  des 
échanges  à  l'ancien  bourg  suédois  de  Gamla  Karleby.  Plus  au  sud,  à  la 
bouche  du  Lappo-joki  ou  de  la  «  rivière  Lappo  »,  viennent  Jakobstad  ou 
Pielasaari,  la  bourgade  de  Xy  Karleby  et  la  ville  de  Wasa,  rebâtie  en 
1852  sur  le  même  fjord,  après  un  incendie  ;  les  Russes  la  désignent  offi- 
ciellement par  le  nom  de  Nikolaistad  :  raille  écueils  menacent  les  navires 
qui  cinglent  dans  la  rade,  mais  les  protègent  aussi  contre  les  vents  du 
dchors^  D'autres  ports  se  succèdent  au  sud,  Christinestad  (Ristiina), 
Bjôrneborg  (Pori),  parfaitement  située,  avec  ses  scieries  et  ses  usines,  sur 
le  bord  du  Kumo  navigable',  et  Nystad,  reliée  à  la    Suède  par  un  câble 

'  .Mouvcmenl  du  port  d'Uleâborg  à  l'entrée  et  à  la  sortie  on  1S78  : 

i2j  navires  ciiargés,  d'un  port  total  de 08  hbTy  tonnes. 

Valeur  des  échanges  en  1875 7  6'29  750  francs. 

■  Mouvement  du  jiort  de  Nikolaistad  en  1878  : 

587  navires  ciiargés,  d'un  port  total  de 100  756  tonnes. 

V.deur  des  échanges  en  1875 G  485  550  francs. 

'  Mouveineot  ronimcrcial  de  lijiirneljorg  en  1S78  : 

Entrées  et  sorties:  810  navires  chargés,  d'un  port  total  de.         212  7r)2  tonnes. 
Valeur  des  échanges  en  1875 8  740  000  francs. 


ABO,  IIELSINGFORS.  5« 

télégraphique.  Cette  ville  possédait  en  1876  une  flotte  commerciale,  com- 
prenant 24  gros  navires  et  J 1  bricks. 

Abo,  la  Turku  des  Finlandais,  est  la  plus  ancienne  cité  de  la  Fin- 
lande, et  pendant  des  siècles  elle  fut  le  boulevard  de  la  domination  suédoise 
à  l'orient  de  la  Baltique  :  c'est  là  que  se  dressa  la  première  forteresse, 
Abohus,  dominant  encore  l'embouchure  de  l'Aura-joki,  en  aval  de  la  ville. 
Protégée  à  l'ouest  contre  les  flots  de  la  haute  mer  par  un  archipel  où  les 
îlots  et  les  écueils  se  compteraient  par  milliers  et  que  prolonge  vers  la 
Suède  un  autre  labyrinthe  d'îles,  celui  des  Aland,  la  rade  d'Abo  est  peu 
éloignée  de  l'angle  du  territoire  finlandais,  entre  le  golfe  de  Botnie  et 
celui  de  Finlande,  et  par  conséquent  elle  est  devenue  un  lieu  de  rendez- 
vous  pour  les  marins  qui  fréquentent  les  deux  mers  et  l'un  des  grands 
marchés  de  la  contrée  :  le  nom  de  Turku  que  les  habitants  de  l'intérieur 
donnent  à  la  ville  indique  même  l'imporlance  exceptionnelle  d'Abo  pour 
les  échanges,  car  cette  appellation  vient  du  mot  suédois  torg,  qui  signifie 
G  marché  ».  La  deuxième  par  le  nombre  des  habitants,  elle  occupe  encore 
le  troisième  rang  parmi  les  villes  commerçantes  de  la  Finlande  ',  expé- 
diant surtout  des  bois,  des  céréales,  des  farines,  tandis  que  l'étranger  lui 
envoie  des  objets  manufacturés,  des  denrées  coloniales  et  du  coton  en 
balles  pour  les  filatures  de  l'intérieur.  Abo  fut  aussi  pendant  près  de  deux 
'siècles,  de  1040  à  1827,  le  siège  de  l'université  finlandaise  :  c'est  là 
que  l'astronome  Argelander  dressa  son  précieux  catalogue  d'étoiles  ; 
mais,  un  incendie  ayant  dévoré  les  édifices  scolaires  et  une  bibliothèque 
de  40  000  volumes,  l'université  fut  transférée  à  Helsingfors.  Néanmoins 
Abo  a  longtemps  disputé  à  la  capitale  de  la  Finlande  le  titre  de  chef-lieu 
littéraire,  surtout  pour  les  publications  suédoises. 

Helsingfors  ou  Helsinki,  patrie  de  Nordenskjfild,  est  non  seulement  la 
principale,  mais  aussi  la  plus  belle  cité  de  la  Finlande;  elle  a  de  beaux 
édifices,  des  églises  à  colonnades  et  à  coupoles,  des  promenades,  des 
parcs,  un  jardin  botanique,  actuellement  le  plus  septentrional  du  monde, 
car  il  est  de  quelques  dizaines  de  kilomètres  plus  rapproché  du  pôle  que 
ceux  de  Pélersbourg,    Upsala,   Christiania.    L'universilé   de  Helsingfors', 

'   Mouvcmniil  commercial  d'Abr)  pii  I87C  : 

Import.ilioii.    .    .     1  i  5G I  500  francs.         Exporlalion    .    .     4781-400  frnncs. 
Mouvement  du  poil  en  1878  : 

Entrées 5 li  navires  charges,  jaugeant  95  578  tonnes. 

Sorties 0'.>7       »  i>  «  tO'Jtilli       « 

'Professeurs  et  répétiteur*  au  printemps  de  1879  :  5(5.  Étudiants  inscrits:  lO'lô.  Étudiants 
effuclifs  en  1878  :  619.  Uibliothéquc  :  l'iDOOG  volumes. 


54S  XOL'VELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

riclie  en  documents  relatifs  à  la  Finlande,  est  devenue  le  centre  d'une 
activité  scientifique  considérable  ;  mais  elle  n'a  pas  l'importance  que  lui 
donnent  les  tableaux  officiels  :  des  centaines  de  personnes  restent  inscrites 
sur  les  registres  de  l'université,  quoiqu'elles  vivent  en  dehors  de  la  ville 
ou  même  ù  l'étranger;  on  voit  des  vieillards  garder  leur  titre  d'étudiants. 
Du  côté  de  la  mer,  Helsingfors  est  défendu  par  les  formidables  ouvrages 
de  Sveâborg  (Wiapori),  dont  les  murailles,  percées  d'embrasures,  s'élèvent 
sur  les  rochers  de  sept  îles  dominant  le  chenal.  Toutefois  Helsingfors  est 
surtout  une  ville  de  commerce  ;  elle  a  succédé  à  un  bourg  que  Gustave 
Wasa  avait  fondé  à  7  kilomètres  plus  au  nord,  mais  dont  les  eaux  n'étaient 
pas  assez  profondes.  Dans  le  port  actuel,  la  navigation  est  fort  active  sur- 
tout avec  la  Grande-Bretagne,  mais  aussi  avec  la  Hollande,  la  Norvège, 
Liibeck,  l'Espagne  et  Rio-de-Janeiro;  le  port  de  Helsingfors  s'est  complété 
grâce  à  la  construction  du  chemin  de  fer  qui  se  dirige  vers  la  pointe  de 
Hangi),  c'est-à-dire  vers  le  promontoire  angulaire  de  la  Finlande,  à  l'entrée 
des  deux  golfes  :  la  mer  y  est  beaucoup  plus  longtemps  libre  de  glaces  que 
dans  le  port  de  Helsingfors  et  dans  les  autres  ports  du  littoral,  dont  les 
chenaux  se  ferment  en  novembre  ou  en  décembre  pour  ne  se  rouvrir  qu'au 
mois  de  mai.  Helsingfors  est  le  marché  principal  pour  les  deux  villes  de 
l'intérieur,  Tavastehus  (Hameenlinna),  chef-lieu  de  gouvernement,  et 
Tammerfors  (Tampere),  que  l'on  peut  appeler  par  hyperbole  le  «  Man- 
chester de  la  Finlande  »  :  ainsi  que  son  nom  l'indique,  cette  ville  est  au 
bord  d'un  torrent  qui  descend  en  rapides,  elles  eaux  de  cette  rivière  font 
mouvoir  les  roues  de  nombreuses  usines,  fabriques  de  textiles,  papeteries 
et  autres  manufactures. 

A  l'est  de  Helsingfors  se  succèdent  sur  les  côtes  du  golfe  de  Finlande  les 
petits  ports  de  Borgâ,  de  Lovisa,  de  Fredriksharan,  près  de  laquelle  se 
trouvent  les  importantes  carrières  de  granit  de  Pytarlaks.  Au  sud-ouest  de 
Fredriksharan,  l'ile  fortifiée  delvotka  (Ruotsinsalmi)  commande  aussi  une 
rade  où  se  fait  quelque  commerce  et  où  stationnait  une  flottille  de  guerre. 
Déjà    près  de    la  frontière    russe  s'ouvre   le    golfe    ou    plutôt   le    fjord 

'  Mouvement  commercial  ilc  Helsingfors  en  187G  : 

Imporlalion' 58  788  880  francs. 

Expoiialion 8161493       » 

Ensemble 40  950  575  francs. 

Entrées 808  navires,  jaugeant       151  ol6  tonnes. 

Sorties 920         »  »  156  057       » 

Ensemble 1734  navires,  jaugeant       270  575  tonnes. 


i'.iNiiiiMiiV'iriii|i|ri,ii;r 


IIELSINGFORS,   WIBORG. 


3A7 


dont  Wiborff  (Wiipuri)  occupe  l'extrémité  septentrionale.   Cette  ville,   la 
troisième  de  la  Finlande  par  sa  population,  est  la  deuxième  par  son  com- 


N°   73.    WlBOnO    ET    SA    BAIE. 


De  0  à  20  met. 


De  20  à  30  mél.    De 

1  ;  503000 


mcrro,  la  première  par  sa  navigation,  grâce  surtout  à  ses  communications 
par  eau  avec  l'intérieur  et  an  voisinage  de  Saint-Pétersbourg;  mais  les 
gros  navires  doivent  s'arrêter  à  lô  kilomètres  au  sud  de  la  ville,  dans  la 
rade  de  Trângsund,  défendue  mainlcnant  par  de  puissantes  forlificalions. 
I/exj)ortation  principale  est  celle  du  bois  pour  l'Angleterre  et  d'autres  pays 


518  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

étrangers.  Le  canal  de  la  Saïma,  que  remontent  les  bateaux  à  vapeur  jus- 
qu'à Kuopio,  aboutit  àWiborg'. 

Une  seule  ville  de  quelque  importance  se  trouve  au  loin  dans  l'inlériour, 
au  nord  des  régions  relativement  populeuses  du  littoral  du  golfe  de  Fin- 
lande :  c'est  Kuopio,  chef-lieu  de  gouvernement,  bâti  en  1776  dans  une 
île,  au  milieu  du  lac  de  Kallavcsi,  à  peu  près  à  moitié  chemin  de  Ladoga 
au  port  d'Uleâborg;  le  commerce  du  beurre  lui  donne  sa  prospérité.  Ny- 
Slolt  (Château-Neuf)  ouSavonlinna,  n'est  qu'une  petite  ville  insulaire  entre 
les  deux  lacs  de  Ilaukivesi  et  de  Pihlajavesi,  remarquable  par  son  pitto- 
resque château  suédois,  dont  les  tours  rondes  se  mirent  dans  les  eaux; 
Keksholm,  sur  le  Ladoga,  est  aussi  une  ancienne  place  forte  que  se  dispu- 
tèrent Novgorodiens  et  Karélicns,  puis  Suédois  et  Russes.  C'est  un  porl 
d'exportation  pour  les  bois  et  les  granits,  de  même  que  Sordavala,  le  Ser- 
dobol  des  Russes,  située  à  l'angle  nord  occidental  du  Ladoga  \ 


La  population  de  la  Finlande  est,  en  Europe,  une  de  celles  qui  s'accrois- 
sent avec  le  plus  de  rapidité,  grâce  à  la  paix  profonde  dont  elle  jouit  depuis 
plus  d'un  demi-siècle  et  au  développement  de  son  agriculture,  de  son 
industrie,  de  son  commerce.  Le  nombre  des  habitants  a  presque  quadruplé 
depuis  le  milieu  du  dix-huitième  siècle  "',  presque  doublé  depuis  1815  ;  mais 


Commerce  de  Wiborg  en  1878  :  555i  navires,  jaugeant  421  367  tonnes. 

linporlalionparmer.       8  748  400  francs.        Parterre.    .     20  455  000  francs. 
Exportation       »       ,     12  216  950      »  '>  .     10  568  550       « 

Entrées..    .    ,        2  659  navires,  jaugeant     210  000  tonnes. 

Sorties 2  675        i'  »  211567     » 

'  Villes  principales  de  la  Finlande  en  1881  : 

llelsingfor5 45140  hab.  (liOOO  Finnois,  22480  Suédois,  etc.) 

.\bo 23  000     i>      (10600        '■  9  000         d  «  ) 

Wiborg 14  700     » 

Tammerfnr.e  15  750  " 
Uleâborg.  ,  .  .  9  700  » 
Bjùrneborg  ....  8  700     » 

Nikolaistad  (Wasa)  ...       8  000     .■ 

Knopiii 6  850     » 

>                l'opulalion  delà  Finlande  en  1750 555  000  habilanls 

).                      1)             1815 1095950  » 

I.                     Il  1865.    .  1845  245  » 

)i                     ))  1870.    .    .           .  1767  200  x 

«                     )i  1875.    .  1912  650  » 

»                     »  1880.    ...  2  000  800  i> 

Population  probable  on  1881.                .        ,  2200000 


POP-ILATION   DE  LA   FINLANDE. 


549 


"l'accroissement  eut  à  subir  un  temps  d'arrêt,  lors  de  la  famine  de  1868, 
près  de  cent  mille  habitants  ayant  été  enlevés  par  le  typhus  de  la  faim. 
Dans  les  districts  méridionaux  qui  bordent  le  golfe  de  Finlande,  la  po- 
pulation est  déjà  de  10  habitants,  et  même  dans  le  gouvernement  de 
Nyland  de  près  de  10  par  kilomètre  carré,  tandis  que  pour  toute  la  contrée, 
dans  ses  limites  politiques,  la  «  densité  kilométrique  »  des  Finlandais  est 
trois  fois  moindre  ;  mais  il  faut  remarquer,  avec  Ignatius,  que,  de  tous  les 


v^jfe<<-  -.w^-:  —'".s^^yr^ 


XÏ-SLOIT 

Dessin  de  Th.  Weber,  d'après  une  p^vuro  russe. 


pays  situés  sous  la  même  latitude,  la  Finlande  est  le  plus  peuplé  et  le 
mieux  cultivé-.  Quoique  moins  favorisée  par  le  climat,  puisque  les  isother- 
mes se  recourbent  vers  le  sud  en  passant  sur  son  territoire,  elle  a  pour 
une  même  superficie  beaucoup  plus  d'habitants  que  les  régions  de  la 
péninsule  Scandinave  situées  au  nord  du  soixantième  degré  de  latitude. 
L'immigration  n'entre  que  pour  une  bien  faible  part  dans  l'accroissement 
de  la  population.  Dans  le  gouvernement  de  Wiborg  se  sont  établis  depuis 
longtemps  des  paysans  russes  ayant  gardé  leur  religion,  qui  est  égale- 
ment celle  de  niillieiâ  de,  Karéliens  baptisés  déjà  par  les  Russes  de  Nov- 


350  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

gorod;  mais  en  dehors  des  militiares,  on  ne  compte  que  huit  mille  Russes 
dans  les  limites  du  grand-duclié,  et  les  Allemands,  industriels  et  commer- 
çants pour  la  plupart,  sont  cinq  fois  moins  nomhreux;  tous  les  fonction- 
naires civils  sont  Finlandais.  On  évalue  à  peu  près  à  un  millier  d'individus 
les  Tsiganes  qui  parcourent  le  pays  dans  le  voisinage  de  la  frontière  russe. 
Mais  le  mouvement  d'émigration  des  Finlandais  est  assez  notable  :  en  1864 
déjà,  près  de  15000  habitants  de  Saint-Pétersbourg  étaient  nés  en  Fin- 
lande, et  sur  les  côtes  du  golfe  de  Botnie,  dans  les  parties  septentrionales, 
Kvaner  et  Finnois  se  mêlent  continuellement  aux  Lapons,  aux  Suédois, 
aux  Norvégiens.  De  là,  des  émigrants  ont  même  continué  leur  voyage  jus- 
qu'en Amérique;  dans  la  ville  de  Hancock,  au  Michigan,  existe  une  petite 
colonie  finlandaise  publiant  son  journal  dans  le  langage  de  la  patrie  '. 

Le  peuple  finlandais  est  à  peine  entré  dans  la  période  industrielle,  elles 
quatre  cinquièmes  des  habitants  s'occupent  d'agriculture  et  d'élève  du 
bétail.  Cependant  la  superficie  des  terres  en  rapport  n'est  que  la  quarante- 
quatrième  partie  du  territoire  :  le  reste  est  en  jachères,  en  landes,  en  maré- 
cages, en  lacs  et  en  forêts'.  La  production  du  sol  en  céréales 'est  insuffi- 
sante, et  les  Finlandais  sont  obligés  chaque  année  d'importer  des  farines 
de  la  Russie;  en  échange,  le  pays  exporte  des  chevaux,  des  animaux  de 
boucherie',  du  lait,  du  beurre,  des  fromages;  les  marchés  de  Saint-Péters- 
bourg sont  aussi  en  grande  partie  fournis  de  gibier  et  de  poisson  par  les 
disiricts  finlandais  limitrophes.  Toutefois  le  principal  commerce  d'expor- 
tation de  la  Finlande  consiste  en  bois  et  autres  produits  de  la  forêt,  gou- 
drons et  résine.  Comme  en  Suède,  les  richesses  forestières  sont  gaspillées 
et  pour  une  barrière  on  emploie  parfois  autant  de  bois  qu'il  en  faudrait 
dans  l'Europe  occidentale  pour  la  construction  d'un  édifice.  Jadis,  pour 
conquérir  sur  la  forêt  des  terres  labourables,  on  avait  successivement  re- 
cours au  palo,  c'est-à-dire  à  la  destruction  des  arbres  par  le  feu.  Plus  de 
la  moilié  de  la  surface  boisée  du  territoire  appartient  au  gouvernement; 
mais  celui-ci  livre  au  commerce  une  quantité  de  bois  inférieure  des  trois 
quarts  à  celle  que  vendent  les  particuliers. 

'  Ignntius,  Le  Giand-Diiché  de  Finlande. 

'  SupcrDcie  da  terrains  agricoles  de  la  Finlande  en  1875  : 

Forcis 21577  200  hectares.    1   Jachères 200000  hectares. 

Cultures 8i5  000       «  |   Eaux,  rochors  et  landes.     1J027SOO       » 

'  Production  des  céréales  en  1879,  en  hectolitres  : 

Froment .wCSO  |  Orge 1998Ô00 

Seigle 37H500   |   Avoine -     5148200 

*  Détail  on  1878  :   275  500  chevaux,  1  125  000  bétes  à  cornes,  1  025  200  biobis. 


INDUSTRIE  DE  LA  FINLANDE.  351 

La  plus  grande  partie  de  la  terre  est  possédée,  sinon  par  ceux  qui  la 
cultivent,  du  moins  par  la  classe  des  paysans.  Plus  de  la  moitié  des  agri- 
culteurs sont  encore  petits  fermiers  ou  journaliers  salariés;  mais  le  ser- 
vage n'a  jamais  existé  dans  la  Finlande  suédoise  :  seulement  dans  le 
gouvernement  de  Wiborg,  qui  faisait  partie  de  la  Russie  proprement  dite 
au  commencement  du  siècle,  les  seigneurs  avaient  commencé  de  s'appro- 
prier les  paysans  avec  les  terres,  et  l'Etat  se  trouve  obligé  maintenant  de 
racheter  les  fiefs  pour  les  revendre  aux  cultivateurs'.  En  outre,  de  nom- 
breux domaines  «  nobles  »  jouissent  de  privilèges  importants  et  n'ont  pas 
les  mêmes  charges  à  supporter  que  les  terres  des  paysans.  Quant  aux 
terres  de  la  couronne,  elles  sont  louées  pour  la  plupart  à  des  fermiers 
héréditaires,  qui  ont  le  droit  de  racheter  le  sol  à  des  conditions  fixées 
d'avance  :  en  payant  trois  années  de  loyer,  ils  deviennent  propriétaires  du 
domaine  sur  lequel  ils  sont  établis. 

Li  Finlande  possède  quelques  gisements  miniers,  or  et  argent,  plomb, 
zinc,  cuivre,  étain  et  fer,  mais  ils  sont  généralement  pauvres,  et  le  manque 
de  routes  ne  permet  guère  de  les  exploiter  ;  les  carrières  de  beau  granit,  de 
porphyre,  de  marbre  ne  sont  non  plus  utilisées  que  là  oîi  les  roches  abai- 
tues  peuvent  être  chargées  immédiatement  sur  les  navires  pour  être  trans- 
portées dans  les  villes  du  littoral.  De  tous  les  métaux,  le  fer  est  le  seul 
qui  donne  lieu  à  une  exploitation  active,  mais  la  plupart  des  hauts  four- 
neaux de  la  contrée  ne  traitent  guère  que  des  minerais  étrangers  et  les 
fers  limoneux  retirés  des  marais.  Ce  minerai  lacustre  est  recueilli  comme 
le  sable  du  fond  marin  ou  le  limon  des  ports  au  moyen  de  la  drague; 
les  grains  et  les  disques  de  fer  carbonate  se  reforment  peu  à  peu, et  après 
un  certain  nombre  d'années  les  usiniers  vont  faire  une  nouvelle  récolte'. 
Dans  les  régions  méridionales,  un  grand  nombre  de  mines  exploitées  dans 
la  roche  vive  sont  abandonnées;  l'industrie  minière  se  porte  de  plus  en 
plus  vers  les  régions  du  nord  '. 

'  Propriétés  foncières  de  la  Finlande  en  1875  :  lOG  tl2. 

Terres  apparicnaiit  aux  paysans 20  2S0  2i0  hectares. 

n               i>           à  la  couronne .  14515560         >• 

■■•               i<           à  la  noblesse,  ctc 2374518         j. 

3               p>           aux  villes 60  718         i 

»               »           aux  églises  el  am  couvcnis 7  898         » 

*  Minerai  de  fer  lacustre  extrait  en  187f.'. 692  135  quintaux  inélnc|ucs. 

'           »         »         traité  dans  21  hauts  fourneaux  (1876).    .  54844i  »  » 

'           »     étranger     »               n                 n                   ,.      .  162  842  n  r 

■■           i>     do  roche  finlandaise  »                 n                  ...  5  527  »  v 

Production  de  la  fonte  cri  1879 179  500  •■  » 

*  Kropotkin,  hv'ctliya  Roussk.  Geoyraf.  Obchlchctlva,  1871,  n"  5. 


352  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

Outre  ses  grandes  usines  métallurgiques,  la  Finlande  possède  des  éta- 
blissements industriels  pour  la  fabrication  de  tous  les  objets  manufacturés 
devenus  nécessaires  aux  peuples  modernes  ;  elle  se  distingue  surtout  pour 
la  filature  et  le  tissage  des  étoffes,  et  pour  la  préparation  du  papier  : 
comme  la  Suède,  elle  trouve  dans  la  pâte  de  bois  une  matière  première 
fort  importante  pour  alimenter  ses  papeteries.  La  construction  des  navires, 
principalement  sur  les  côtes  du  golfe  de  Botnie,  est  aussi  une  industrie 
lucrative,  et  la  marine  commerciale  de  la  Finlande  est  l'une  des  plus 
considérables  de  l'Europe,  en  proportion  du  nombre  des  habitants  :  si  la 
France  était  aussi  riche  en  navires,  elle  aurait  une  flotte  de  5  millions  de 
tonneaux'.  Le  commerce  maritime  est  aussi  très  actif:  il  a  presque  triplé 
pendant  les  quinze  dernières  années'.  A  ce  trafic  des  ports,  il  faut  ajouter 
celui  qui  se  fait  par  la  frontière  de  terre  entre  la  Finlande  et  la  Russie, 
par  le  lac  Ladoga  et  surtout  par  le  chemin  de  fer  de  Wiborg  à  Saint- 
Pétersbourg.  Dans  ces  dernières  années  cette  voie  ferrée  s'est  emparée  du 
transport  d'un  grand  nombre  de  marchandises  expédiées  jadis  par  le  ca- 
botage. Enfin,  les  produits  des  manufiictures  allemandes  s'introduisent  en 
grande  quantité  dans  la  Russie  par  le  commerce  de  contrebande,  pratiqué 
tout  le  long  de  la  frontière.  Parmi  les  anciennes  coutumes  des  Finlan- 
dais, on  peut  citer  le  «  commerce  muet  »,  qui  se  fait  encore  en  divers 
endroits.  Les  paysans  qui  portent  le  beurre  sur  les  bateaux  à  vapeur  du 
Ladoga  pour  le  marché  de  Saint-Pétersbourg  déposent  leurs  denrées,  ins- 
crivent leurs  noms  et  la  quantité  de  beurre  apportée,  puis,  à  une  époque 
connue,  touchent  leur  argent  sans  qu'un  seul  mot  soit  échangé. 

Dans  la  Finlande  méridionale,  un  chemin  de  fer,  presque  parallèle  à  la 
côte,  se  développe  de  Wiborg  à  Hangô,  avec  des  embranchements  sur  Hel- 
singfors,  Abo  et  Tammerfors  '\  Le  réseau  doit  se  prolonger  de  Tammerfors 
au  nord-ouest  et  rejoindre  Uleâborg,  sous  le  65'  degré  de  latitude  ;  même 
on  a  fait  des  études  du  chemin  que  doit  suivre  la  côte  jusqu'à  Tor- 
nea  et  d'Uleaborg  jusqu'à  Uleatriisk.  Dans  une  courte  période  d'années 

'  Flollf  comiiiprciale  de  la  Finlande  en  1879  : 

1811  navires,  d'un  porl  tolal  de 292  570  tonnes, 

Dont    170  bateaux  à  vapeur,  jaugeant. 10  710      « 

^  Mouvement  de  la  navigation  et  valeur  des  échanges  dans  les  ports  finlandais  : 
186t!.  Entrées:  57 12  nav.,  jaug.       510  801  tonnes.     Sorties  :  5901  nav.,  jaug.     528 525  tonnes. 
1880.        .1        97it     ).         I       1504190      »  »         9987     »         d      1549  940      » 

(800.  Iinportalioii  .    .        .  48  000  559  francs.     E.vportalion 27  748  080  francs. 

1880.  »  ...        .     158701600       >>  „  ....    125075023       a 

5  .Ihîunns  de  fer  de  la  Finlande  en  1880  :  851  kdomètres. 


COMMERCE   DE   LA  FINLANDE. 


3D5 


la  Finlande  et  la  Suède  ne  finissent  par  rejoindre  leurs  lignes  ferrées  sur 
la  Torneâ,  dans  le  voisinage  du  cercle  polaire.  Sur  le  littoral  finlandais  et 
sur  les  lacs  de  l'intérieur,  c'est  également  à  l'aide  de  la  vapeur  toute- 
puissante  que  vont  et  viennent  les  voyageurs.  Des  services  de  paquebots 
rapides  relient  les  unes  aux 


CANAL    DE    SAIMA 


autres  toutes  les  villes  de  la 
côte,  tandis  que  des  chalou- 
pes à  vapeur  et  des  remor- 
queurs, pénétrant  dans  le 
cœur  de  la  Finlande  par  les 
vingt-huit  écluses  du  canal 
du  Saima ,  s'avancent  de 
Wiborg  jusqu'à  Kuopio  et 
même  jusqu'il  Idensalmi,  à 
400  kilomètres  de  la  mer 
en  ligne  droite,  à  plus  de 
500  kilomètres  avec  les  dé- 
tours. Comparés  aux  tra- 
vaux de  même  genre  exé- 
cutés en  Russie,  ceux  de  la 
Finlande  sont  remarquables 
par  leur  excellence,  et  les 
frais  de  construction  sont 
bcaucou[)  moins  élevés.  Les 
roules  de  Finbuule,  ];our 
les(pu'nes  on  dispose  d'ail- 
leurs de  très  bons  ma- 
tériaux, sont  parmi  les 
meilleures      de     l'Eampe.  [=.>.,.» 

Récemment,  on    a   proposé  ' ■ — '  ,  , 

la  conslruclion  d'un    canal 

de  navigaliiin  qui  réunira  i'exlrémili'  du  golfe  de  Botnie  à  la  mer 
IJIancIic  :  le  canal  projeté ,  dont  la  longueur  est  d'environ  oOO  kilo- 
nièlres,  empruntera  le  cours  de  plusieurs  rivières  et  le  grand  lac  Toi» 
(en  russe,  ïop-ozero). 

Le  mouvement  de  la  poste  cl  des  dépêches,  on  le  com[)rcnd,  est  pro- 

porlionncllement  beaucoup  plus  considérable    en    Finlande  que  dans  la 

Russie  voisine,  grâce  au  niveau  bien  supérieur  de  l'inslrnclion  publique. 

Cependant    les  écoles  sont   relativement  [)eu  nombreuses   :  en   |S80,   on 

V.  45 


551  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE, 

ne  comptait  encore  en  Finlande  que  vingt-sept  mille  enfants  dans  les 
écoles  primaires'  de  7580  élèves  dans  les  89  lycées  et  autres  écoles 
secondaires.  C'est  dans  les  familles  et  dans  les  écoles  ambulantes 
entretenues  par  les  communes  et  se  déplaçant  de  deux  en  deux  ou 
de  trois  en  trois  mois  dans  chaque  village,  que  la  plupart  des  enfants 
apprennent  la  lecture  et  le  chant;  mais  l'écriture  est  fort  négligée  par 
les  instituteurs  ambulants  :  tandis  que  presque  tous  les  enfants  de  la  pro- 
vince septentrionale  d'I'leaborg  savent  lire,  à  peine  un  sur  vingt  savent 
écrire^;  même  dans  quelques  districts  du  midi,  où  les  écoles  fixes  sont 
nombreuses,  deux  tiers  des  enfants  finlandais  ignorent  l'écriture.  Relative- 
ment à  leur  nombre,  les  Suédois  de  la  Finlande  sont  toujours  plus  instruits 
que  les  Finlandais,  ainsi  qu'on  peut  en  juger  par  les  journaux  du  pays. 
En  1771  parut  en  Finlande,  à  Abo,  la  première  gazette  suédoise,  que  sui- 
vait, cinq  ans  après,  un  journal  finlandais.  Actuellement,  la  presse  pério- 
dique finlandaise,  dont  les  progrès  sont  proportionnellement  plus  rapides, 
l'emporte  par  le  nombre  sur  les  journaux  suédois,  mais  de  quelques  feuilles 
seulement".  L'influence  administrative  d'une  part,  et  de  l'autre  celle  de 
l'université,  donnent  dans  la  presse  un  rôle  prépondérant  à  la  ca])itale  :  on 
V  publie  la  moitié  des  journaux  du  pays. 


Le  grand-duché  de  Finlande  est  uni  à  la  Russie,  non  seulement  par  la 
personne  du  tzar,  mais  aussi  par  une  solidarité  commune  vis-à-vis  de 
l'étranger  :  l'administration  des  affaires  extérieures,  le  ministère  de  la 
guerre  sont  les  mêmes  pour  les  deux  pays,  et  le  service  des  télégraphes  est 
sous  la  direction  d'employés  russes.  Le  gouvernement  de  la  Finlande,  qui  a 
gardé  dans  ses  traits  essentiels  sa  constitution  suédoise,  est  une  monarchie 
absolue  en  principe,  suivant  les  formes  de  l'ancienne  monarchie  Scandinave; 
mais  ces  formes  ont  été  modifiées  par  l'empereur,  qui  annexa  le  pays  comme 
«  sa  propriété  »  et  lui  donna  des  statuts  en  1809.  L'empereur  de  toutes  les 
Russies,  «  grand-duc  »  des  Finlandais,  a,  selon  les  termes  de  la  consli- 


'    Nombre  des  écoles  fixes.  570.  Ecoles  uuniialcs  :  2  finlandaises  et  2  suédoises. 
Ecoles  piiinaires  finlandaises,  451  :  suédoises,  loi;  finlandaises  et  suédoises,  1 1  ;  russes,  9. 
Ecoles  secondaires  :  finlandaises,  29  ;  suédoises,  bO  ;  allemandes,  i  ;  russes,  2. 

*   Sichant  lire  en  Finlande  :  Suédois,  82  pour  100.  Sachant  écrire  :  Suédois,  22  pour  100. 
I)  ))  »  Finnois,  78         »  b  «         Finnois,  7,5       » 

"   i'ulilicalioiis  jiériodiqucs  de  la  Finlande  en  185(i  :    (i  en  suédois;     t  en  liiilindais. 
»  1)  )i  11  1872  :  21  )i  \r,  » 

1)  1)  »  IJ'81  :  27  1)  12  1) 


GOUVERNEMENT  DE  LA  FINLANDE.  555 

Uition,  '(  plein  pouvoir  pour  gouverner,  pacifier,  sauver  et  défendre  le 
grand-duché  ;  pour  faire  grâce,  rendre  la  vie,  l'honneur  et  les  biens  ;  pour 
nommer  selon  son  bon  plaisir  à  tous  les  emplois  du  pays —  »  11  est  repré- 
senté à  Helsingfor?  par  un  gouverneur  g-énéral  qui  est  à  la  fois  le  plus 
haut  chef  militaire  et  le  président  du  sénat;  en  outre,  le  tzar  nomme 
dans  sa  résidence  un  ministre  d'Etat,  qui  doit  être  Finlandais  et  qui  lui 
soumet  toutes  les  affaires  réservées  à  la  décision  souveraine.  Le  sénat,  qui 
siège  à  Helsingfors,  est  en  entier  nommé  par  le  Izar  et  se  divise  en  deux 
«  départements  »,  de  la  justice  et  de  l'économie,  composés  chacun  de 
neuf  membres.  Un  procureur  général,  également  nommé  par  le  grand- 
duc,  assiste  aux  séances  du  sénat  pour  en  contrôler  toutes  les  déci- 
sions et  pour  lui  marquer  les  limites  de  ses  attributions,  car  dans  les 
cas  importants  il  faut  en  référer  à  la  volonté  impériale.  En  outre,  le 
président  émet  son  opinion  à  part  dans  le  protocole  des  délibérations. 

La  représentation  nationale  ou  «  diète  »,  à  laquelle  la  constitution  donne 
une  part  de  pouvoir  législatif  en  commun  avec  l'empereur,  se  compose 
d'environ  200  membres,  appartenant  aux  quatre  ordres  :  noblesse,  clergé 
luthérien,  bourgeoisie,  paysans,  qui,  depuis  1865,  se  réunissent  au  moins 
tous  les  cinq  ans  en  assemblée  ordinaire,  chaque  ordre  dans  une  salle  sépi- 
rée  ;  dans  certains  cas,  les  ordres  peuvent  délibérer,  mais  non  voter  en  com- 
mun. L'unanimité  des  quatre  ordres  est  nécessaire  pour  les  lois  qui  lou- 
chenl  à  la  constitution,  aux  privilèges,  à  l'impôt;  aucune  levée  de  troupes 
ne  peut  être  décrétée  sans  leur  consentement  unanime.  D'ailleurs,  la 
diète  ne  discute  que  les  affaires  soumises  à  son  examen  par  le  gouverne- 
ment ;  pour  le  reste,  elle  n'avait  que  le  droit  de  pétition  ;  mais  en  ISS'2, 
elle  a  aussi  reçu,  dans  une  mesure  assez  large,  le  droit  d'initiative  parle- 
mentaire. En  réponse  au  discours  russe  du  gouverneur,  les  Finnois  et  les 
Suédois  répondent  en  leurs  langues  respectives,  et  souvent,  pour  ne  pas 
faire  de  jaloux,  des  répliques  se  font  en  français,  langue  dont  se  servit 
Alexandre  devant  la  diète  de  Borga.  Toutes  les  familles  nobles  sont  repn''- 
scntées  à  la  diète  par  leur  chef  ou  par  un  fondé  de  pouvoir,  tandis  que  les 
autres  ordres,  plus  nombreux,  doivent  choisir  leurs  représentants'.  Les 
professeurs  votent  dans  l'ordre  du  clergé.  Les  armateurs,  les  propiiétaires 
d'immeubles,  les  notables  des  villes,  les  industriels  et  les  gens  qui  exercent 
un  métier  privilégié  sont  compris  dans  l'ordre  des  électeurs    bourgeois  : 

'  Diélc  en  1878  • 

Nobicsso .    .      121  r(>|irésenlanls.  1   itourgeoislr 4.")  repri'serUnnU. 

Qergr 5li  .■  |    l'.iysanr. .    ......  ô9  • 

Ensciiiblu    .  .  .        .     '2U1  rcprùsentanls. 


556  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

par  un  mode  créleclion  à  deux  degrés  ils  nomment  un  député  par 
6000  habitants  de  population  urbaine.  Les  électeurs  paysans  sont  les 
propriétaires  de  campagne  et  les  fermiers  de  la  couronne,  d'ailleurs  très 
peu  nombreux  :   chacun  des  59  districts  judiciaires  a  son  représentant. 

Pour  l'administration  civile,  le  pays  est  divisé  en  huit  gouvernements 
ou  Idn,  subdivisés  en  bailliages  {lidrader)  et  en  communes,  qui  gèrent  leurs 
affaires  locales  sous  le  contrôle  du  gouverneur,  de  l'intendant  de  la  cou- 
ronne, des  greffiers.  Les  électeurs  communaux  disposent  chacun  d'un 
nombre  de  voix  proportionnel  à  leur  part  d'impôt.  Les  villes,  constituées 
en  districts  administratifs  distincts,  ont  un  conseil  municipal,  élu  pour 
trois  ans,  plusieurs  radman  ou  échevins  nommés  par  le  commerce,  et  un 
ou  deux  bourgmestres,  choisis  par  le  sénat  au  nom  du  grand-duc,  entre  les 
trois  candidats  qui  ont  réuni  le  plus  de  voix  à  l'élection. 

Le  code  suédois  de  1754  régit  encore  la  Finlande,  modifié  dans  plu- 
sieurs de  ses  dispositions.  Les  tribunaux  de  district,  devant  lesquels  se 
jugent  les  affaires  de  première  instance,  sont  au  nombre  de  59,  mais 
ils  se  déplacent  souvent  de  village  en  village  pour  régler  les  causes  arrié- 
rées :  ils  se  composent  d'un  juge  et  de  cinq  paysans  au  moins,  choisis 
parmi  les  gens  «  bien  notés  »,  c'est-à-dire  au  gré  du  gouverneur.  Dans  les 
villes,  les  tribunaux  municipaux  sont  présidés  par  le  bourgmestre.  Au- 
dessus  siègent  les  trois  cours  de  justice  d'Abo,  de  Nikolaistad  et  de  Wiborg, 
et  la  cour  suprême,  composée  de  la  moitié  du  sénat  dite  département  de 
Justice.  La  peine  de  mort,  existant  encore  légalement  en  Finlande,  n'a  pas 
é!é  a|ipliquée  depuis  un  demi-siècle. 

L'armée  se  recrute  depuis  1882  par  le  service  militaire  obligatoire.  Dix 
régiments  de  chasseurs  ont  été  d'abord  organisés,  et  d'année  en  année  la 
force  s'accroît;  avec  les  réserves,  elle  s'élèvera  normalement  à  70  000  hom- 
mes, tous  commandés  par  des  Finlandais  pour  servir  dans  l'intérieur  du 
pays,  où  d'ailleurs  près  de  7000  Russes  tiennent  garnison. 

La  Finlande,  comme  la  Suède,  a  sa  religion  d'Elat;  le  culte  lutiiérien 
et  les  autres  confessions,  à  l'eKception  de  l'église  orthodoxe  russe,  n'ont 
pas  encore  reçu  l'autorisation  de  former  de  congrégations  distinctes.  Les 
Jiifs  même,  au  nombre  de  500  environ,  ne  résident  dans  le  pays  qu'en 
vertu  d'un  permis  de  séjour;  ils  ne  peuvent  se  faire  naturaliser'.  L'arche- 
vêque primai  de  l'église  luthérienne  réside  à  Abo,  et  tout  le  pays  est  divisé 

'  Finlaïuhiis  classés  d'apios  la  rdigicui  l'ii  1S75  : 

LutliiM-iens 1875126  soil  OS.O:.  des  hahitanU. 

Calluiliiiues  f;ivcs "'ti  C'ir>  '>  I .  !'2           » 

i>             riiinaiiis 506  i'  O.Où             » 


FINLANDE,    PROVINCES  BALTIOUES.  557 

on  5  évèchés,  43  prieurés,  286  paroisses,  491  congrégations  :  le  nombre 
dos  ecclésiastiques  est  d'environ  900.  La  direction  orthodoxe -russe,  de 
Wiborg  relève  du  métropolitain  de  Saint-Pétersbourg.  Jusqu'en  1866, 
l'inspection  des  écoles  appartenait  au  clergé;  maintenant  elle  est  confiée 
uix  communes,  qui  nomment  les  conseils  scolaires. 

Le  budget  finlandais  est  en  moyenne  d'environ  30  millions  de  francs. 
Comme  les  grandes  puissances,  le  petit  Etal  a  sa  dette,  égale  à  deux  années 
de  son  revenu. 


Le  tableau  suivant  donne  la  liste  des  làn,  avec  leur  superficie,  leurs  divi- 
sions et  leur  population.  En  Finlande,  comme  en  Suède,  les  villes  se  dis- 
tinguent des  bourgs  et  des  villages,  non  par  le  nombre  de  leurs  habitants, 
mais  par  leurs  privilèges  commerciaux  et  [wliliques. 


LV.\. 

SLCERFICIE 

KILOU.    C,»nRÉS. 

V.U.ES. 

BOURGS. 

D.\ILLI.\CES. 

P0PLL.\T10.\ 

I"  ).ITTIER  1881. 

PiiPLL. 

Nylaiid  (llelsingfors). 
Abo  et  Bjôrncborp.   . 
Tavastchus    .... 

Wiborg  

Sainl-Mikhcl.    .    . 

Kiiopio 

Wasa(NicoIaistafll.    . 
Ulcaborg 

1 1  872 
24171 

21  584 
55  850 

22  840 
42  750 
41  642 

165  016 

6 

2 
0 
5 
2 

7 

2 
)i 

D 

2 
1 

1 

4 
10 
6 
!) 
4 
0 
6 
6 

195  545  bab. 
540  602     » 
217  047     » 
■299  626     )• 
1 66  905     » 
251  254     » 
552  881     » 
206  161     ); 

16.5 
14.1 
10.0 
8.5 
7.3 
5.9 
8.5 
1.2 

Ensembli' .... 

560  5.)5 

50 

6 

51 

2  028  021     ,1 

5.5 

III 


Pn0VI>CES     B-^LTIQCES 


En'îTO.^IE,    IITOME,    COCBLASDE    (EHSTLA.XD,     LIVL.OD,     KLRLIXd) 

Ia's  trois  «  gouvernements  »  de  l'empire  russe  que  l'on  distingue  d'ordi- 
naire par  le  nom  de  «  provinces  Baltiqucs  »,  sans  les  joindre  à  celle  de 
Sainl-IV'Iersbourg,  qui  est  baignée  par  les  mêmes  eaux,  ne  se  séparent 
du  reste  de  la  Russie  par  aucune  limite  naturelle.   Au  nord-est   seule- 


358  NOUVELLE  GÉOGR.U'UIE   UNIVERSELLE. 

nienl.  les  deux  lacs  unis  de  Pskov  et  de  Peipous  et  le  cours  de  la  Narova 
servent  de  frontière  commune  au  gouvernement  de  Saint-Pétersbourg  du 
côté  de  l'ouest,  à  ceux  de  Livonie  et  d'Ehstonie  du  côté  de  l'est  ;  mais 
au  sud-est  et  au  sud  les  lignes  de  démarcation,  qui  tantôt  suivent  le  cours 
d'une  rivière,  tantôt  traversent  des  forêts  ou  des  marécages,  sont  toutes 
conventionnelles  :  d'un  territoire  administratif  à  l'autre  se  continuent  les 
chaînes  de  collines  et  se  prolongent  les  plaines.  Dans  la  partie  inférieure 
de  son  cours,  la  Dûna  arrose  les  campagnes  de  la  Livonie  et  de  la  Cour- 
lande  ;  mais  ce  fleuve  n'a  servi  que  dans  une  très  faible  mesure  à  donner 
aux  provinces  Baltiques  leur  cohésion  et  leur  communauté  de  destinée  : 
c'est  par  la  mer,  par  le  golfe  de  Riga,  qui  s'avance  profondément  dans  les 
terres  en  baignant  les  côtes  des  trois  provinces,  que  s'est  constituée  leur 
unité.  C'est  aussi  par  la  mer  que  sont  entrés  les  immigrants  d'origine 
allemande  devenus  les  principaux  propriétaires  du  sol,  les  commerçants 
et  les  nobles,  détenteurs  de  toute  la  richesse  nationale.  Ces  envahisseurs 
germains  ne  sont  plus  les  maîtres  politiques  de  la  contrée,  mais  ils  y  gar- 
dent encore  l'influence  prépondérante  par  la  fortune,  l'instruction,  les 
positions  acquises,  et  donnent  ainsi  un  caractère  spécial  à  la  partie  de 
l'empire  russe  qu'ils  habitent.  Par  la  masse  de  la  population  indigène, 
l'Ehstonie,  la  Livonie  et  la  Courlande  se  distinguent  aussi  d'une  manière- 
générale  des  provinces  limitrophes,  quoiqu'il  y  ait  aussi  des  Lettes  dans 
le  gouvernement  de  Vitebsk,  des  Samogitiens  dans  celui  de  Kovno,  des 
Ehstes  dans  celui  de  Saint-Pélersbourg  :  ce  n'est  qu'après  avoir  dépassé 
les  frontières  des  pays  ehstes  et  lettes  qu'on  entre  dans  la  Russie  propre- 
ment dite.  Cependant  ces  provinces  n'ont  point  d'autonomie  politique  par- 
tielle comme  la  Finlande,  ni  même  d'unité  administrative.  Depuis  long- 
temj)s  aussi,  la  statistique  générale  mêle  les  provinces  Baltiques  aux  autres 
gouvernements  de  l'empire,  dont  elles  sont  une  des  contrées  les  plus 
importantes,  non  par  l'étendue,  mais  par  le  nombre  des  habitants  et  par 
le  mouvement  commercial'. 

Dans  leur  ensemble,  les  provinces  du  littoral  baltique  sont  une  terre 
faiblement  élevée  au-dessus  de  la  mer,  mais  se  relevant  aussi  en  quelques 
massifs  de  collines  auxquelles  le  contraste  des  campagnes  basses  donne  un 
certain  relief.  Ces  hauteurs,  qui  dans  leur  formation  générale  ressemblent 

*                                             Su|icrficie,  y  compris  les  Iai*s.  Populalion  en  ISSl.      Populalion  kilomélriquc. 

Ehslonio '20  218  kil.  carrés  ô7j  000  lialiilaiiU.         10  lialiitanls. 

Livonie 17  ft-j:i         "  It40.ï00         «                'i.". 

Coiiriaiido  .            .27  28ti         "  655  800         »                25 


Ensfiiil.lo   .    .    .     Oiôliô  kil.  carrés.       2  101  000  lialiitarils.         2."  Iiabilanls. 


PROVINCES  B.VLTIQUES.  359 

aux  plateaux  accidentés  de  la  Poniéranie  et  de  la  Prusse  orientale,  consti- 
tuent aussi  une  sorte  de  faîte  entre  les  côtes  de  la  Baltique  et  les  plaines 
continentales  de  l'intérieur  ;  mais  elles  sont  interrompues  en  plusieurs 
endroits  et  livrent  passage  aux  eaux  courantes.  En  Ehstonie,  le  sol  monte 
assez  rapidement  au-dessus  de  la  côte  occidentale  et  forme  çà  et  là  des 
falaises  de  grès  et  de  calcaires  anciens,  auxquelles  les  Allemands  du  pays 
donnent  le  nom  de  glinten,  ce  qui  est  sans  aucun  doute  l'appellation  da- 
noise des  escarpements  rocheux  (klint),  légèrement  modifiée.  Au  delà, 
vers  l'orient,  quelques  tertrejs  s'élèvent  au  milieu  des  terres  basses  ; 
mais  le  terrain  ne  se  redresse  en  véritables  collines  que  dans  la  partie 
nord-orientale  de  la  province,  où  diverses  cimes  dépassent  100  mètres  de 
hauteur  :  il  en  est  même  une,  l'Emmo  Màggi  ou  la  «  Montagne  Mère  », 
qui  atteint  134  mètres;  pour  les  Ehstes,  une  pareille  élévation,  dominant 
au  loin  les  campagnes,  semblait  avoir  donné  naissance  à  toute  la  contrée. 
Les  petites  rangées  monlueuses  de  l'Ehstonie  s'abaissent  au  sud  vers  les 
frontières  de  la  Livonie  ;  mais  au  delà  des  plaines  que  parcourt  l'Embach 
ou  Emba,  les  terrains  se  relèvent  de  chaque  côté  du  Virz-jarv,  \c  plus 
grand  lac  situé  en  entier  sur  le  territoire  des  provinces  Baltiques. 

A  l'est  de  cette  nappe  d'eau,  la  chaîne  de  collines  se  redresse  peu  à 
peu  et  s'étale  en  un  large  plateau,  que  domine  le  Munna  Miiggi,  le  plus 
haut  sommet  de  la  Livonie.  Découpé  par  des  gorges  profondes  emplies 
de  forêts,  qui  donnent  aux  pentes  et  aux  sommets  l'aspect  le  plus  sé- 
vère, le  plateau  se  continue  au  sud-est  vers  la  «  Montagne  du  Diable  », 
et  par  delà  cette  hauteur  dans  les  gouvernements  de  Pskov  et  de  Vilebsk, 
tandis  qu'au  sud-ouest  un  faîte  latéral  s'avance  entre  l'Aa  et  la  Diina 
pour  former  la  «  Suisse  de  Wenden  »,  pays  gracieux  et  pillorescjuc  (oui 
parsemé  de  petits  lacs;  on  les  compte  par  centaines.  Au  sud  de  la  Dùna, 
le  sol  de  la  Courlande  forme  un  autre  plateau,  qui  longe  le  llcuve  jus- 
qu'au-dessus de  la  plaine  de  Mitau,  de  quelques  mètres  seuicnifiil  plus 
haute  que  la  mer.  La  vallée  que  parcourt  l'Aa  courlandaise  sépare  cette 
plaine  de  la  péninsule  triangulaire  comprise  entre  le  golfe  de  Higa  et  la 
l'alliquc!.  Cette  péninsule  est  une  autre  «  Suisse  »,  comparable  à  celle  de- 
là Livonie,  c'est-à-dire  un  plateau  boisé,  découpé  sur  le  pourtour  en  de 
nombreux  promontoires  et  reflétant  ses  arbres  dans  l'eau  de  petits  bassins 
lacustres.  Ce  plateau  se  termine  au  nord  par  des  collines  aux(|uelles  on  a 
donné  le  nom  peu  mérité  de  o  Montagnes  Bleues  »  et  par  un  ca|t  élevé,  le 
Domesnais,  dont  la  base  s'avance  dans  les  eaux  comme  le  laille-nur  d'un 
navire.  Au  sud,  la  côte  de  la  Baltique,  très  sablonneuse,  est  en  grande 
[)arlic  bordée  de  dunes  qui    cheminaient  jadis  vers  l'intérieur,  poussées 


560  ^OUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

par  le  vent  d'ouest,  et  qu'il  a  fallu  consulider  par  des  palissades  et  dos 
plantations  '. 

Le  territoire  des  provinces  Baltiques  est  compris  en  entier  dans  la  zone  de 
dispersion  des  blocs  erratiques  Scandinaves  et  finlandais.  Les  âsar,  en  tout 
semblables  à  celles  de  la  Suède  et  de  la  Finlande,  sont  nombreuses  dans 
l'île  d'Ôsel  et  dans  les  plaines  de  rEhstonie.  On  y  voit  aussi,  jusqu'à  la 
hauteur  de  120  mètres  sur  les  collines,  les  stries  et  les  polis  qu'ont  laissés 
les  glaces  dans  leur  passage,  et  sous  les  racines  des  arbres,  le  gazon  des 
prairies  ou  la  mousse  des  tourbières,  les  paysans  trouvent  fréquemment 
des  amas  de  pierres  granitiques  apportées  de  la  Scandinavie  et  mêlées  à 
une  argile  glaciaire,  analogue  au  till  ou  boulder-clay  de  l'Ecosse  et  de 
l'Angleterre'.  Les  erratiques  se  rencontrent  partout  où  le  sol  n'a  pas  encore 
été  mis  en  culture  et  débarrassé  de  ses  pierres  :  on  en  voit  jusqu'au  som- 
met du  Munna  Mâggi.  De  même  qu'en  Finlande  et  en  Suède,  les  collines 
sont, en  plusieurs  parties  du  territoire,  régulièrement  alignées  dans  la  di- 
rection du  nord-ouest  au  sud-est  :  la  terre  semble  avoir  été  labourée  comme 
par  une  gigantesque  charrue,  et  des  lacs  emplissent  les  dépressions  paral- 
lèles laissées  entre  les  forêts  :  en  diverses  parties  du  territoire,  les  glaces 
mouvantes  ont  eu  certainement  leur  part  dans  cette  forme  presque  géomé- 
trique du  relief.  On  peut  citer  en  exemple  de  ces  chaînes  de  hauteurs 
toutes  rabotées  et  polies  dans  le  même  sens  les  collines  qui  s'élèvent  au 
nord  de  Dorpat  (page  361). 

Sur  les  côtes  de  la  Prusse  orientale,  on  le  sait,  le  sol  est  actuellemenl 
dans  une  période  d'affaissement,  mais  dans  les  provinces  Baltiques,  du 
moins  en  Ehstonie,  le  sol  se  meut  en  sens  inverse  ;  d'après  les  obser- 
vations de  Reineke",  l'exhaussement  aurait  été  de  62  millimètres  dans 
le  port  de  Revel,  entre  les  années  1822  et  1857  :  ce  serait  peut-être 
sur  les  bords  du  golfe  de  Riga,  ancien  lac  dont  la  paroi  occidentale 
a  été  détruite  par  les  érosions  de  la  mer,  que  serait  la  charnière  d'os- 
cillation entre  les  terrains  qui   s'affaissent  et  ceu.v  qui   se  redressent  '. 

'  Allitudcs  principales  des  pro\inces  Ballir)ues: 

Mimiiii  Maiigi  (Livonii'1 523  inotrcs. 

Gaising-Kuln         »       .  502 

Teufcisbcrg  ou  «  Montagne  du  Diable  »  (Livoiiii!)  .                       .  257  » 

Emmo-Maggi  (Elislonie) l;>i  » 

Sommet  de  la  «  Suisse  »  couilandaise 131  ■> 

Domesberg  (Couilande) ^7  » 

-  Schmidt,  Bulletin  de  l'Académie  des  sciences  de  Saint-Pélershouifi ,  lomc  VIII,  1805. 

'  Sluckenberg,  Hydrographie  des  Ilussisclien  Reichc.i. 

^  V.  Bacr  und  v.  Ilelnieisen,  Beilriuje  zur  Kcnntniss  dcr  Uusxim-hcn  Ileiclics,  vu!    IV. 


ElISTONIE,  DINA. 


501 


Toutefois,  si  l'Ehslonie  ot  les  îles  voisines  s'élèvent  graduellement 
hors  des  eaux  de  la  Baltique,  ainsi  que  l'affirment  les  indigènes,  ce 
mouvement  est  beaucoup  plus  faible  que  celui  des  rivages  suédois  du 
ijolfe  de  Botnie  :  c'est  là  que  s'arrête  la  vague  dont  la  crête  est  en 
Scandinavie,  dans  le 
voisinage  du  cercle  })o- 


COIXnîES   PARALLELES    DE    DORPAT. 


Les  provinces  Balti- 
ques  appartiennent  à 
plusieurs  bassins  flu- 
viaux. Au  nord-est  les 
eaux  d'écoulement  des- 
cendent vers  le  grand 
lac  Peipous  et  par  la 
Narova  s'épanchent  dans 
le  golfe  de  Finlande. 
Ouelques  ruisseaux,  nés 
sur  le  versant  septen- 
trional de  l'Ehstonie, 
coulent  aussi  directe- 
ment dans  ce  golfe.  .\ 
l'ouest,  la  Pernau,  l'.Va 
de  Livonie,  la  Diina, 
r.\a  de  Courlande  en- 
trent dans  le  golfe  de 
Riga,  tandis  que  la  AVin- 
dau  et  d'autres  cours 
d'eau  moins  importants 

se  jettent  dans   la  Bal-  '- 

lique.  De  toutes  ces  ri- 
vières, une  seule,  la  Dûna  (la  Daugava  des  Leltes,  la  Zapadnaya  Dvina  ou 
Dvina  occidentale  des  Russes),  roule  une  masse  liquide  considérable,  que 
l'on  peut  évaluei-  à  500  mètres  cubes  par  seconde,  car  le  bassin  de  ce 
cours  d'eau  com|)rend  une  superficie  d'environ  78  000  kilomètres  carrés, et 
la  hauteur  annuelle  des  pluies  y  est  approximativement  de  ÔOO  raillimè- 


k^iiMi 


.•  t  K='£^-^^'- 


*  Von  Baor,  Bullclin  de  l'Académie  des  sciences  de  SaiiU-Pélerslioury,  loiiie  M,  18C3. 


iG 


562  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

1res.  Formée  des  ruisseaux  qui  descendent  des  vallées  occidentales  et  méri- 
dionales du  plateau  de  Valdaï,  la  Dûna  commence  par  couler  au  sud-ouest, 
puis,  en  aval  de  Vitebsk,  elle  prend  la  direction  de  l'ouest  et  du  nord-ouest. 
En  maints  endroits,  ses  rives,  basses  et  marécageuses,  ont  gardé  les  traces 
d'anciens  lits  :  le  fleuve  s'est  promené  çà  et  là  dans  les  campagnes  à  la 
recherche  de  la  pente  la  plus  favorable.  D'après  le  relief  actuel  du  sol, 
la  Dûna  aurait  dû  tout  naturellement  continuer  sa  marche  vers  le  sud 
et  serait  devenue  l'affluent  du  Dnepr;  mais  les  oscillations  de  niveau  ou 
les  érosions  rpii  se  sont  jiroduites  pendant  le  cours  des  âges  lui  ont  permis 
de  s'ouvrir  un  lit  entre  les  plateaux  siluriens  de  la  Livonie  et  de  la  Cour- 
lande  et  de  se  déverser  ainsi  dans  la  Baltique.  Les  rapides  du  fleuve  dans 
toute  la  région  rocheuse  forment  un  sérieux  obstacle  <à  la  navigation;  sur 
une  longueur  d(^  141  kilomètres,  la  chute  totale  est  de  55  mètres  seule- 
ment; mais  cette  pente  est  fort  inégale,  et  sur  plusieurs  écucils  ont  eu  lieu 
des  naufrages. 

En  aval  de  Riga,  le  fleuve  se  ramifie  en  divers  bras  serpentant  dans 
un  ancien  bassin  lacustre,  séparé  jadis  de  la  mer  par  un  cordon  de 
dunes  que  Ton  a  vainement  essayé  de  fixer  :  petite  Dûna,  Dûna  rouge, 
vieille  Dûna  et  d'autres  noms  rappellent  les  divagations  du  fleuve,  el  di- 
verses constructions,  forts,  moulins,  digues,  apparaissent  sur  les  cartes, 
tantôt  au  nord,  tantôt  au  sud  du  bras  que  suivent  les  navires'.  Ce  cordon 
a  été  rom|)u,  mais  il  s'en  est  formé  un  second,  que  les  eaux  ont  dû 
percer  également,  et  c'est  entre  les  deux  chaînes  de  monticules  sableux 
que  l'Aa  de  Courlande,  connue  dans  sa  partie  inférieure  sous  le  nom 
de  Bolder-Aa,  vient  rejoindre  la  Dûna.  Arrivée  près  de  la  mer,  à  Scblock, 
r.Va  n'a  pu  s'ouvrir  un  chemin  à  travers  les  amas  de  sable  que  les  vents 
et  les  vagues  ont  accumulés  devant  son  embouchure  ;  elle  a  dû  se  re- 
jeter à  l'est  et  couler  parallèlement  à  la  mer,  sur  plus  de  20  kilo- 
mètres de  distance,  jusqu'à  sa  rencontre  avec  la  Dûna.  Mais  ce  n'est 
là  qu'un  phénomène  temporaire  dans  la  vie  du  fleuve.  Autrefois,  l'Aa 
coulait,  non  entre  les  deux  cordons  de  dunes,  mais  au  sud  de  la  chaîne 
la  plus  méridionale,  et  un  long  étang  sans  profondeur,  ou  plutôt 
un  marécage  empli  de  joncs,  indique  le  lit  de  l'ancienne  rivière.  A  l'ouest 
de  Scblock,  des  coulées  el  plusieurs  petits  lacs  montrent  que  les  eaux 
avaient  jadis  pris  leur  chemin  dans  celle  direction,  précisément  opposée 
à  celle  qu'elles  suivent  de  nos  jours.  Enfin,  à  0  kilomètres  environ  de  la 
bouche  de  la    Dûna,   l'Aa   s'esl  ouvert   une  embouchure   jiropre  dans   le 

'  Sliickcnbori;,  Ihjdioyrnphic  des  Russischen  Iteiches. 


BOUCHE   DE  LA  DÛNA,   VALLÉE  DE  L'EMBACH. 


365 


cordon  littoral,  cl  tôt  ou  tard  elle  peut  cesser  d'être  un  affluent  du  flouv(! 
de  Riga.  Quant  à  l'Aa  de  Livonie,  l'examen  du  sol  révèle  une  histoire 
analogue.  A  peine  sortie  de  la  «  Suisse  de  Wenden  »,  dont  elle  a  proloti- 
dément  entaillé  les  terrains  par  un  défilé  aux  brusques  parois,  cette  rivière 
entre  dans  les  plaines  basses  et,  se  repliant  au  nord-ouest,  va  se  jeter  dans 
le  golfe  de  Riga  par  une  embouchure  indépendante  ;  mais  les  finisses 
rivières  en  forme  de  croissants  et  les  lacs  en  colliers,  communiquant  encore 


\»   -,C.    —    IlELTA    CIlANCEiNT    DE    LA    IliNA    ET   DES   AA 


[  d.  C  S3    ao 


OeOà  PSmetr.  cfe  25  au-dc/a, 

I  !  800000 


partiellement   avec   la   lliina,   témoignent   (pie   l'Aa   de  Livonie  rejoignait 
aussi  le  fleuve  principal  de  la  contrée. 

La  Livonie  du  nord  offre  un  autre  exemple  remarquable  d'un  change- 
ment dans  le  cours  des  eaux.  Au  centre  de  la  dépression  qui  limite  au  sud 
le  plateau  peu  élevé  et  les  coteaux  de  l'Ehstonie  s'étend  le  Yirz-jiirv  ou 
«  Lac  Rlanc  »,  najtpe  d'eau  couvrant  un  espace  d'environ  27.*i  kilomètres 
carrés.  Une  vallée  s'ouvre  à  l'angle  nord-oriciilai  de  ce  bassin  lacushv,  celh; 
par  où  s'échappe  la  rivière  Knibach,  l'un  des  jirituijiaux  affluents  du  Pei- 
pous  et,  par  ce  lac,  de  la  Narova  ;  mais  à  l'angle  noid-occidenlal  du  Virz-jiii  v 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


commence  une  autre  vallée,  qui  continue  distinctement  à  l'ouest  celle  de 
TEmbach  et  qui  va  rejoindre  la  dépression  dans  laquelle  coule  maintenant 
la  rivière  Fellin.   tributaire  du  iiolle  de  Riga  par  la  Pernau.   Une  ligne 


d'eau  ciiiilinne  séparait  autreibis  l'Elistouie  du  tronc  contiiienlal  ;  mais  par 
reilct  (lu  soulèvcmenl  des  terrains,  la  communication  par  eau  se  trouve 
iulerr()ni|ine  entre  le  golfe  de  Uiga  et  le  Virz-jiirv,  élevé  actuellement  de 
."i  nièlres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  11  fut  sans  doute  un  temps  où 
rKlislonie  était  ime  île  comme  celle  d'tisel,  de  Dago,  de  Worms,  de  Miion, 


EllSTOME  ET  SES  HABITANTS.  567 

groupées  en  archipel  entre  le  golfe  de  Riga  et  la  mer  Baltique  proprement 
dite.  Par  leurs  contours  et  leur  relief,  aussi  bien  que  par  la  nature  de 
leurs  roches,  ces  îles  et  l'Esthonie  sont  évidemment  une  même  terre  :  la 
région  continentale  est  restée  presque  insulaire  par  les  vallées  profondes 
qui  la  découpent,  et  les  îles  ne  sont  que  le  prolongement  déchiqueté  du 
continent. 


On  donne  parfois  aux  provinces  Baltiques  de  l'empire  russe  le  nom  de 
provinces  «  Allemandes  »,  mais  bien  à  tort,  car  dans  cette  contrée  la 
masse  de  la  population  n'est  aucunenieiit  germanique,  et  comme  aux  pr(>- 
miers  jours  de  l'invasion,  les  Allemands  sont  restés  ce  qu'ils  étaient  il  y  a 
sept  cents  ans,  des  étrangers.  Le  pays  appartient  toujours  aux  Ehstes  et 
aux  Lettes  par  le  droit  du  nombre. 

Les  Ehstes  —  car  telle  est  la  forme  régulière  du  nom  que  l'on  a  donné 
aux  habitants  du  pays  —  sont  un  peuple  frère  des  Finnois  qui  vivent  au 
nord  du  golfe  de  Finlande  :  ce  sont  des  Suomi,  par  l'origine  aussi  bien 
que  par  la  langue,  comme  les  populations  de  la  «  contrée  des  lacs  et  du 
granit  ».  Leur  nom  se  rencontre  dans  un  grand  nombre  de  documenta 
anciens,  de  Tacite  et  de  Ptolémce  à  Jordanès  et  aux  sagas  Scandinaves, 
sous  les  diverses  formes  d'Ostiones,  Aesthieri,  Istes,  Aistones';  les  Lettc^ 
les  appellent  Igaunas  ou  «  Expulsés  »,  mais  eux-mêmes  se  disent  Tallo- 
pocg,  «  Fils  de  la  Terre  »,  ou  bien  Marahvas.  «  Gens  du  Pays  »,  et  ils 
sont  en  effet  assez  nombreux  pour  se  croire  la  jxipulation  par  excellence 
dans  un  vaste  territoire.  L'espace  qu'ils  occupent  dépasse  do  beaucou[i 
les  frontières  de  la  province  qui  de  leur  nom  s'a])pelle  Elislonie;  ils  sont 
même  en  masses  plus  compactes  dans  la  l.ivonie  du  nord  iiue  dans  la 
province  septentrionale,  et  par  delà  le  Peipous,  jusqu'au  sud  (hi  lac  de 
Pskov,  ils  ont  des  colonies  dans  les  gouvernements  limitrophes,  Saint- 
Pétersbourg,  Pskov,  Yitebsk.  En  1870,  on  évaluait  le  nombre  total  des 
Ehstes  à  j)rès  de  huit  cent  mille*.  Quelques-uns  de  leurs  groupes  sont 
complètement  séparés  du  corps  de  la  nation.  C'est  ainsi  qu'au  sud  du 
massif  dominé  par  la  montagne  du  Diable  vivent  (paelques  centaines  de 
familles  rl'Ehstes,  formant  ensemble  environ  2tltHl  personnes,  les  unes 
groupées  dans  les  villages,  les  autres  éparses  en  des  fermes  isolées.  Décoii- 

'  Richlcr,  Gcsclncliie  (1er  Bahmlien  Prnviiizen. 

»  Gouvem.  d'Ehslonic 500  000    1  Goiivern.  de  Vitclisk 12  000 

»         de  Livonii!.  .    ....      iOOOOO    |  »         de  S^iint-IVleishoiiif;.    .      lOOOU 

Gouvcrncmcnl  de  Pskov .     10  000 


568  NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

verts,  pour  ainsi  dire,  par  Sjôgrcn  en  1841,  ces  immis^rants  ont  été  étu- 
l'iés  depuis  cette  époque  par  d'autres  philologues,  et  leur  dialecte  a  été 
reconnu  comme  très  rapproché  de  celui  des  Ehstes  du  nord;  cependant  les 
uns  et  les  autres  se  comprennent  difficilement,  ce  qui  provient  de  nom- 
breuses expressions  lettes  qui  se  sont  glissées  dans  la  langue  des  Ehstes 
de  Livonie  '. 

Dans  leur  ensemble,  et  sans  tenir  compte  des  différences  considérables 
de  type  qui  se  présentent  çà  et  là,  les  Ehstes  ressemblent  beaucoup  aux 
Tavastes  finlandais,  et  l'on  admet  généralement  qu'ils  appartiennent  à  la 
même  branche  de  la  grande  souche  finnoise^;  cependant  les  annales  russes 
les  appellent  Tchoud,  comme  les  habitants  du  versant  de  l'océan  Boréal. 
Plusieurs  ont  la  figure  plate,  les  paupières  bridées,  la  physionomie  gé- 
nérale un  peu  mongole,  et,  comme  chez  les  Finlandais,  les  yeux  sont 
bleus,  les  cheveux  d'un  blond  pâle,  souvent  jaunâtre.  On  dit  que,  dans 
l'intérieur  du  pays,  les  hommes,  jadis  très  durement  asservis  par  les  sei- 
gneurs et  mal  récompensés  de  leurs  labeurs  par  un  sol  ingrat,  sont  plus 
petits,  plus  maigres,  plus  chétifs  que  leurs  compatriotes  du  littoral".  Dans 
leurs  luttes  séculaires  contre  les  envahisseurs  danois  et  allemands,  connus 
dans  la  contrée  sous  le  nom  de  Saksad  ou  de  «  Saxons  »,  les  Ehstes  ont 
l'ait  preuve  d'une  singulière  force  de  résistance, et  des  batailles  acharnées 
ont  ensanglanté  leurs  champs.  Toutefois,  en  prenant  possession  de  la  terre 
finnoise,  les  races  germaniques  apportaient  aussi  aux  indigènes  la  con- 
naissance d'une  civilisation  plus  avancée.  A  en  juger  par  leur  vocabulaire, 
les  Ehstes  étaient  encore  presque  barbares  à  l'époque  où  ils  se  trouvèrent 
pour  la  première  fois  en  relation  avec  leurs  voisins  tudesques  et  slaves,  car 
les  noms  de  presque  tous  leurs  animaux  domestiques  et  de  la  plupart  de 
leurs  instruments  de  travail  sont  d'origine  étrangère  :  ils  ne  connaissaient 
«pie  le  chien,  le  cheval,  le  bœuf,  et  leur  seule  céréale  était  l'orge;  leurs 
demeures  étaient  des  tentes  de  peaux  comme  celles  des  Samoyèdes*;  mais 
vers  le  onzième  siècle,  à  l'époque  où  l'histoire  les  distingue  nettement,  ils 
bâtissaient  des  maisons  et  des  forteresses  en  bois,  et,  redoutables  pirates, 
ils  savaient  se  construire  des  embarcations  de  guerre'  ;  mais  celte  culture 
première  dépérit  bientôt,  puisqu'elle  est  suivie  du  servage.  Jusqu'à 
présent  les  Ehstes  ont  gardé  plusieurs  de  leurs  usages  primitifs,  surtout 

'  Wiodi'iiLiiin,  BuUelin  de  l'Académie  des  sciences  de  Sainl-Pélersbouni,  1801). 
-  Giislaf  Rctzius,  Finska  Kranier. 

^  Taille  moyenne  des  Ehstes,  d'iiprès  Giubc  :   l",lîi2;  index  moyen  du  ciàne.  77.20,  d'après 
Gi'ubc;  80.  iO,  d'.nprès  Broca. 

'  Alilf|visl,  Aiisland,  1871,  n"  51;  —  G.  Ihia^s  Uallisclie  Slwlie'i. 
^  liiclilcr,  ouviaae  cité. 


EIISTES,  LIVES.  5C9 

pour  les  cérémonies  du  mariage  :  la  fiancée  se  cache  à  l'arrivée  du  cortège 
nuptial  et  c'est  de  force  qu'on  l'amène  à  son  futur;  à  peine  entrée  dans  la 
maison  du  mari,  elle  reçoit  de  sa  belle-mère  un  coup  au  visage,  symbole 
de  ce  qui  l'attend  dans  sa  nouvelle  famille'. 

Naguère,  lorsque  des  Elistes  s'élevaient  par  leur  intelligence  ou  par  une 
heureuse  fortune  dans  la  classe  de  la  bourgeoisie  ou  de  la  noblesse,  ils 
devenaient  par  cela  même  Allemands  :  en  changeant  de  position  sociale, 
ils  changeaient  tout  naturellement  de  nationalité,  tant  il  restait  convenu 
pour  tous  que  l'Ehste  était  voué  à  la  servitude  :  il  fut  un  temps  où  le 
nom  de  Dcittsch  était  synonyme  de  seigneur  ou  d'homme  libre  et  où  les 
serfs,  de  quelque  race  qu'ils  fussent,  étaient  nommés  Uii-Deutsclicn\  Il 
n'en  est  plus  ainsi  depuis  que  la  langue  des  Ehstes  est,  comme  celle  des 
Finlandais,  devenue  un  idiome  littéraire  et  qu'il  n'y  a  plus  déshonneur 
à  la  parler.  Très  rapprochés  des  Tavastes  par  l'aspect  physique,  les 
habitants  de  l'Ehstonie  ressemblent  aussi  à  ces  Finlandais  du  nord  par 
leur  grand  amour  pour  la  poésie,  par  leurs  improvisations,  leurs  chants 
continuels,  même  pendant  le  travail.  Leur  langue  sonore,  très  riche  en 
voyelles  et  en  diphtongues  harmonieuses,  mais  pauvre  en  consonnes,  se 
prête  parfaitement  à  la  poésie,  et  dans  maint  village  écarté  on  peut  encore 
entendre  des  chants  héroïques  célébrant  la  gloire  des  aïeux.  C'est  ainsi  que 
M.  Kreutzwald  a  pu  recueillir  les  fragments  dont  il  a  composé  le  Kalevi- 
poëg,  «  Fils  de  Kalevi  »  ;  mais  cette  «  épopée  »  ne  comprend  que  de  sim- 
ples traditions  mises  en  vers  modernes  ;  elle  n'est  pas  même,  comme  le 
Kah'vala  karélien,  un  recueil  de  chants  originaux'.  Maintenant  de  six  à 
huit  journaux  paraissent  à  Revel,  Dorpat,  Saint-Pétersbourg,  et  les  écri- 
vains de  la  «  jeune  Ehstonie  »  discutent  dans  leur  langue  les  questions 
sociales  et  politiques.  En  même  temps,  le  mouvement  ehstonien  se  rap- 
proche de  celui  de  la  Finlande,  pays  dans  lequel  plusieurs  documents 
de  la  langue  et  de  la  poésie  populaire  ehstonienne  trouvent  des  éditeurs'. 
C'est  le  commencement  du   <  pnn-liniiisme  ». 


Le  peuple  qui  donna  son  nom  à  la  Livonie  a  presque  cessé  d'exister,  et 
dans  cette  province  mènu^  il  n'en  reste  plus  guère  de  traces.  Au  douzième 
siècle,  les  conquérants  aiicniands  Irouvèreiit  les  Lives  sur  les  deux  li(ir<ls 

'  Les  peuples  de  la  Russie  (en  russe). 

*  Bailli,  Allas  cllinoiiraphiquc,  Inlnidiiclioii,  xwi. 

"  Schii'fnir,  Iliillrlin  <k  l'Académie  des  sciences  de  Sainl-Pélershourq.  tome  II. 

*  Ucbcrsictd  der  Lilteralur  Finlunds,  1S72  à  1874;  —  Hussische  /{ci'hc,  1873. 

"•  il 


570  NOUVELLE  CÉ0G1!.\PU!E  UNIVEllSELLE. 

de  la  Dùna,clles  noms  géographiques  nous  permettent  de  reconnaître  leur 
séjour,  de  la  mer  jusqu'à  Sehej,  dans  le  gouvernement  de  Vitebsk'.  En 
1840,  c'est  à  peine  si  l'on  a  pu,  en  interrogeant  les  souvenirs  de  quelques 
vieillards,  recueillir  assez  de  mots  et  de  phrases  pour  rédiger  un  diction- 
naiie  et  une  grammaire  :  de  cette  manière  le  dialecte  livonien,  de  souche 
finnoise  comme  l'ehste,  a  été  sauvé  pour  la  science.  Les  seuls  Lives  qui 
vivent  encore  en  groupe  national  habitent  quelques  forêts  du  littoral,  non 
en  Livonie,  mais  en  Courlande,  dans  la  péninsule  que  termine  au  nord  le 
Dûmesnœs  :  ce  reste  d'une  nationalité  près  de  s'éteindre  se  compose  d'en- 
viron deux  raille  quatre  cents  personnes,  classées  comme  des  Ehstes  sur  la 
carte  ethnographique  de  Riltich.  Eux-mêmes  s'appellent  Randalist.  G'esT; 
au  nombre  des  Lettons  qu'il  faudra  bientôt  les  ranger,  car  leur  idiome  est 
tellement  mélangé  d'expressions  et  de  tournures  leltes  qu'il  n'est  plus  guère 
qu'un  jargon;  d'aulre  part,  la  langue  lettonne  montre  en  Livonie  les  traces 
d'un  mélange  avec  l'élément  iînno-livonien". 

Dans  la  même  province  de  Courlande,  un  autre  dialecte  finnois,  le  kré- 
vine,  que  parlaient  quelques  milliers  d'individus  près  de  Bauske,  au  sud 
de  Mitau,  a  complètement  disparu  depuis  le  commencement  du  siècle,  et 
celui-là  n'est  pas  même  représenté  dans  la  science  par  un  glossaire  com- 
plet. En  1846,  le  linguiste  Sjôgren  ne  trouva  qu'une  dizaine  de  Krévines 
ayant  conservé  un  vague  souvenir  de  la  langue  des  ancêtres.  Le  même  sort 
a  frappé  le  peuple  des  Coures  ou  Courons,  —  Kors  des  annales  russes, 
Kuren  des  Allemands,  —  qui  a  donné  son  nom  à  la  Courlande,  à  la 
Kurische  Nehrung  et  au  Kurische  Ilaff.  On  croit  qu'ils  étaient  d'origine 
finnoise;  mais  au  douzième  siècle  déjà  ils  étaient  «  lettisés  »,  comme  le 
sont  les  descendants  de  presque  tous  les  Lives \  Il  existe  encore  un  certain 
nombre  de  familles  entre  Goldingen  et  Uasenpoth,  au  nord-est  de  Libau, 
qui  se  disent  issues  des  «  rois  Coures  ».  Ces  «  rois  »,  mentionnés  pour 
la  première  fois  en  1520,  étaient  des  paysans  libres,  n'ayant  point  à 
fournir  de  corvées,  affranchis  d'impôts  et  du  service  militaire  ;  ils  avaient 
aussi  le  droit  de  chasse  :  l'opinion  générale  est  qu'ils  descendaient  de 
chefs  coures  qui  s'étaient  soumis  volontairement  aux  Allemands.  Ils 
perdirent  leurs  privilèges  en  1854;  mais  en  1805  on  en  comptait  en- 
core plus  de  quatre  cents  dans  sept  villages.  Ils  ne  se  mariaient  qu'en- 
tre eux. 

Les  Lottes  ou  Lotions,  (pii  ont  déplacé  les  Livoniens  finnois,  sont  des 

'  Barsnv,  Ci'oijraphie  liistoiiquc  (en  russe]. 
'  Uillich,  Les  Piuvinccs  Balliques  (en  russe). 
*  Riclilcr,  ouvrage  tilo. 


LIVES,   LETTONS.  ÔTt 

Aryens  de  langage,  frères  des  Lithuaniens  et  des  anciens  Dorasses  ou  Prus- 
siens, fondus  maintenant  avec  les  Germains  de  l'Europe  centrale.  Ils  se 
donnent  à  eux-mêmes  le  nom  de  Latvis,  c'est-à-dire  de  Lithuaniens,  et  leur 
ancien  nom  russe,  Lefgola,  qui  est  évidemment  le  même  mot  que  Latwin- 
Galas,  signifie  «  Fin  de  la  Lithnanie  ».  Leur  tribu  la  plus  pure  et  jadis  la 
plus  guerrière,  qui  peuple  la  partie  orientale  de  la  Courlande,  est  colle  des 
Semigaliens  ou  Jeme-Galas,  c'est-à-dire  Gens  de  la  «  Fin  de  la  Terre  ». 
Ils  occupent  un  très  vaste  territoire,  la  partie  méridionale  de  la  Livonie, 
liresque  toute  la  Courlande,  la  rive  droite  de  la  Diina,  en  aval  de  Drissa, 
dans  le  gouvernement  de  Yitebsk,  et  une  petite  partie  de  la  province  de 
Kovno  :  M.  Jordan  les  évalue  à  onze  cent  mille',  et  leur  nomlire  s'accroît 
rapidement  par  l'excédent  des  naissances.  Agriculteurs  sédentaires,  les 
Lettons  vivent  pour  la  plupart  en  des  demeures  isolées  :  on  ne  rencontre 
encore  dans  leur  pays  que  peu  de  villages  compacts  comme  en  Ehstonie. 
D'abord  alliés  des  Allemands  contre  les  Ehstes  et  les  Lives,  avec  lesquels 
ils  étaient  en  guerre,  ils  se  retournèrent  ensuite,  mais  trop  tard,  contre  les 
chevaliers  Porte-glaives  et  durent  partager  la  servitude  de  leurs  voisins.  Mais 
ils  se  réveillent,  et  leur  langue,  jadis  peu  développée  malgré  sa  beauté  et 
ne  possédant  qu'une  bien  faible  littérature,  est  appréciée  de  plus  en  plus 
par  ceux  qui  la  parlent  et  qui  naguère  n'en  connaissaient  pas  le  rang  élevé 
dans  la  famille  des  langues  aryennes  :  d'après  Schleicher,  elle  est  au 
lithuanien,  l'idiome  européen  le  plus  rapproché  du  sanscrit,  ce  que  l'ita- 
lien est  à  la  langue  latine.  Les  premiers  travaux  sérieux  de  traduction 
datent  de  la  Réformation,  et  même  le  zèle  protestant  poussa  quelques  Alle- 
mands, Einborn  par  exemple,  à  l'étude  des  croyances  et  de  l'histoire  des 
indigènes  mi'prisés.  La  première  grammaire  scicntifif|ue  lefle,  celle  de 
Slender,  le  «  père  de  la  littérature  lelloniie  »,  parut  à  la  lin  du  siècle  der- 
nier. En  1876,  le  nombre  des  journaux  Jettes  était  de  cinq,  ayant  en- 
semble près  de  vingt  mille  abonnés.  La  littérature  traduite  est  assez  riche 
et  comprend  déjà  les  œuvres  de  Schiller,  de  Shakespeare  et  d'autres  grands 
écrivains  étrangers.  Enfin,  au  dix-neuvième  siècle,  on  s'est  efforcé  dans 
les  provinces  Balliques,  comme  en  Finlande,  de  découvrir  le  trésor  des 
poésies  populaires  :  déjà  llerder  en  avait  recueilli  quelques-unes  dans  ses 
«  Voix  th's  j)euples  ».  La  première  collection  importante  de  poésies  let- 
tonnes est  celle  de  Bûlner,  publiée  en  18i4  par  la  Société  littéraire  lelte; 
■  mais,   «  par  l'gard  pour  le  public  allemand,  »  tous  les  chants  qui   ténini- 


'    Livonio AlOmUlI.cllims.    |    Vilcl)>l< 200  000  Leilnns. 

Courlande 400  OUO       »  |   Kovno 13000       • 


570  iNOUVELLE  GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

giiaienl  do  la  haine  du  peuple  letton  pour  ses  maîtres  furent  écartés 
j)ar  l'éditeur,  et  l'on  put  croire  que  la  poésie  lettonne  était  purement 
idvUique'.  Depuis  le  milieu  du  siècle,  les  patriotes  lettes  eux-mêmes  se 
siint  mis  à  l'œuvre,  et  l'on  peut  voir  maintenant  quels  étaient  les  senti- 
ments et  la  pensée  du  peuple  pendant  les  temps  du  long  servage  :  un  des 
recueils  les  plus  complets  des  chants  lettes  a  été  publié  par  la  Société  an- 
thropologique de  Moscou. 

Le  trait  qui  frappe  le  plus  dans  les  chansons  lettes  intimes  est  leur 
caractère  primitif.  Jusqu'à  maintenant  l'influence  de  la  culture  chrétienne 
allemande  est  restée  très  faible  sur  ce  peuple,  qui  conservait  encore  des 
autels  païens  au  dix-huitième  siècle,  même  jusqu'en  1855'.  Ils  ont  gardé 
dans  leurs  chants  le  nom  dos  anciens  dieux  :  Perkounas  ou  le  Tonnerre, 
Laïmé  ou  la  Fortune,  Liga,  la  déesse  do  la  Jouissance.  Le  mariage,  tel 
qu'ils  lo  racontent  dans  leurs  chansons,  a  toujours  la  forme  d'un  enlève- 
mont  ;  les  parents  du  fiancé  sont  appelés  les  «  enleveurs  »,  et  ceux  de  la 
fiancée  les  «  poursuivants  »  :  on  peut  môme  l'etrouver  dans  ces  poésies  les 
traces  de  l'époque  où  des  jeunes  gens  lettons  vivant  à  l'écart  préféraient 
le  mariage  avec  une  sœur  au  dangereux  enlèvement  d'un  fille  étrangère". 
Les  grands  chants  épiques  manquent  aux  Lottes  :  mais  on  voit  aussi  dans 
les  simples  quatrains  de  leurs  chansons  ou  dziasmes  les  traces  d'une 
période  guerrière  et  même  Aictorieuse,  pendant  laquelle  ils  «  brûlèrent  les 
châteaux  des  Russes  »,  «  défendirent  aux  Polonais  l'entrée  du  pays  j)  ou 
«  rencontrèrent  l'ennemi  au  milieu  de  la  mer  »  ;  toutefois  leurs  relations 
avec  l'Allemand  ou  le  Russe  ne  sont  racontées  d'ordinaire  que  par  des 
paroles  de  haine  ou  de  désespoir.  «  0  Riga,  Riga,  tu  es  bien  belle,  bien 
belle!  Mais  qui  t'a  faite  si  belle?  C'est  l'esclavage  des  Livoniens.  »  — 
«  Oh!  si  j'avais  cet  argent  qui  dort  au  fond  de  la  mer,  j'aurais  acheté  le 
château  de  Riga  avec  tous  les  Allemands,  et  je  les  aurais  traités  comme 
ils  m'ont  traité;  je  les  aurais  fait  danser  sur  des  pierres  chauffées.  »  Tou- 
tefois le  découragement  domino  :  «  Oh,  mon  Dieu!  où  me  sauverais-je ? 
Les  forêts  sont  pleines  do  loups  et  d'ours;  les  champs  sont  pleins  de  sei- 
gneurs. Oh,  mon  Dieu!  punis  mon  père,  punis  ma  mère  qui  m'ont  élevé 
dans  ce  pays  asservi  !  »  Kt  pourtant  que  de  fraîcheur,  de  tendresse  et 
d'amour  on  voit  dans  la  plupart  des  chansons  lettonnes,  et  quelle  pensée 
profonde  est  oxpi'imée  dans  la  dziasma  suivante,  qui  devrait  devenir  vraie 
pour  toutes  les  provinces  Raltiqucs  et  pour  le  monde  entier  :  «  Je  ne  veux 

'  J.  G.  Kiilil,  Die  YOtker  Europas;  —  L;inkon;ui  imj  von  dcr  Oelsiiilz.  Dus  Ritssisclie  Reich. 

-  Ilillicli,  Les  Pioiinces  BiiUiqucs  (en  russe) 

'  llocucil  de  la  Sociolii  d'anlliiopologie  do  Moscou,  II,  n°'  Z'tb,  347,  048. 


POPULATIONS  DES  PROVINCES  lîALTIQUES.  575 

pas  qu'on  m'exalte,  je  ne  veux  pas  fpi'ou  m'abaisse,  je  veux  seulement 
vivre  égal  parmi  des  hommes  égaux.  » 

Les  Suédois,  qui  furent  les  dominateurs  de  la  Finlande,  mirent  égale- 
ment le  pied  sur  la  rive  opposée  du  golfe,  en  Ehstonie  et  en  Livonie. 
Sur  les  côtes  de  cette  dernière  province,  près  du  golfe  de  Riga,  on  a  trouvé 
plusieurs  de  ces  assemblages  de  pierres,  en  forme  de  bordage  de  navire, 
qui  sont  des  monuments  tout  spécialement  Scandinaves  '  :  la  construction 
en  est  attribuée  ;i  des  immigrants  scaniens  ou  normands  des  premiers 
temps  du  moyen  âge,  antérieurs  même  aux  conquérants  danois  qui  s'em- 
parèrent de  l'Ehstonie  au  commencement  du  treizième  siècle.  D'ailleurs 
ne  voit-on  pas  dans  les  provinces  Baltiques  des  tombeaux  en  tout  sem- 
blables à  ceux  de  la  Scandinavie,  et  plusieurs  noms  de  lieux,  notamment 
ceux  des  îles,  Dagô,  Worms,  Odensholm,  >'uck6,  Mogô,  Kùhnô,  Runô,  ne 
rappellent-ils  pas  le  séjour  des  immigrants  de  l'ouest?  Ils  arrivèrent  bien 
plus  nombreux  encore  lorsque  l'Ehstonie,  au  milieu  du  seizième  siècle, 
puis  la  Livonie  au  dix-septième  siècle,  furent  devenues  pour  un  temps  partie 
intégrante  de  la  monarchie  suédoise.  De  nos  jours,  les  immigrants  Scandi- 
naves, auxquels  nul  colon  de  la  mère-patrie  ne  vient  plus  se  joindre  désor- 
mais, sont  réduits  à  quelques  milliers  d'individus  à  Dagô  et  en  d'autres 
îles  de  l'archipel  ehslonien^  :  ils  se  donnent  à  eux-mêmes  le  nom  d'Eibo- 
folket  ou  de  «  Gens  insulaires  ».  Dans  Runô  ils  restèrent  libres,  tous  égaux 
et  possesseurs  du  sol  et  de  la  mer. 

Les  éléments  slaves  sont  beaucoup  plus  fortement  représentés  que  l'élé- 
ment Scandinave  dans  les  provinces  Baltiques.  Des  milliers  de  Polonais 
s'établirent  dans  le  pays,  surtout  en  Courlande,  lorsqu'elle  fut  incorporée 
dans  leur  Etat  (15G1-1795).  D'après  les  statistiques,  on  compterait  encore 
plus  de  13000  Polonais  dans  les  trois  provinces;  mais,  en  outre,  un  grand 
nombre  de  nobles,  surtout  dans  la  Courlande,  portent  des  noms  polonais, 
quoiqu'ils  soient  maintenant  rangés  parmi  les  Allemands,  dont  ils  parlent 
la  langue.  Ouanl  aux  Russes,  ils  avaient  commencé  leurs  invasions  dans  les 
contrées  Balti(pies  dès  la  première  moitié  du  onzième  siècle  et  y  avaient 
fondé  Youryev  (Dorpat)  et  d'autres  villes.  La  conijuête  allemande  arrêta  la 
colonisation  militaire  des  Russes,  mais  elle  développa  leur  commerce  dans 
le  pays.  Au  dix-septième  et  au  dix-huitième  siècle,  les  persécutions  reli- 
gieuses poussèrent  dans  les  provinces  Baltiques  beaucoup  de  raskolniks  de 
Moscovie;  un  seul  faubourg  de  Riga  en  compte  8000,  et  dans  tout  le  pays 

'  Grcvinfîk;  —  Wors.iac,  Cotonisnlion  de  la  Russie  et  du  nord  Scandinaie. 
'  Suédois  des  provinces  Balliqucs,  en  1870,  d'après  Rillich  : 

Livonie,  50G;  Elislonie,  5575.  Ensemble,  5'Jll  individus. 


574  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

ils  sont  au  nombre  de  plus  de  '20  000.  C'est  environ  le  tiers  de  tous  les 
Russes  de  la  contrée,  réunis  pour  la  plupart  dans  les  villes,  notamment 
à  Riga.  Outre  les  Russes,  environ  80  000  Ehstes  et  50  000  Lettons  pro- 
fessent la  religion  orthodoxe  grecque.  C'est  principalement  depuis  la 
grande  famine  de  1840  à  1841  que  s'est  opéré  le  mouvement  de  conver- 
sion ;  les  paysans  espéraient  qu'il  Icuir  suffirait  de  partager  «  la  religion  du 
Izar  »  pour  récupérer  les  terres  enlevées  par  les  nobles  allemands.  Dans  les 
seules  années  1845  et  1840,  soixante  mille  paysans  se  convertirent'; mais, 
leur  sort  n'en  ayant  point  été  changé,  le  zèle  se  refroidit;  même  un  cer- 
tain mouvement  en  sens  inverse  se  produisit;  les  Lettons  qui  i-eçurenl 
des  terres  pour  prix  de  leur  conversion  durent  se  rendre  dans  le  gou- 
vernement de  Simbirsk,  où  ils  vivent  comme  en  exil.  Dans  ces  derniers 
temps,  le  changement  d'un  culte  à  l'autre,  encouragé  par  les  slavophiles,  a 
repris  une  grande  activité  :  on  a  vu  des  villages  entiers  passer  d'un  jour 
à  l'autre  de  la  religion  luthérienne  au  culte  orthodoxe  russe. 

Les  Allemands  ont  été  pendant  longtemps  les  dominateurs  politiques, 
et  même  quand  ils  ont  cessé  d'être  les  maîtres  par  la  force  du  glaive, 
ils  le  sont  restés  par  celle  de  l'argent,  car  ce  sont  eux  qui  détiennent  les 
terres  et  les  places.  En  1159,  lorsqu'ils  se  présentèrent  pour  la  première 
fois  aux  bouches  de  la  Biina,  ce  fut  en  naufragés  suppliants  :  bien  accueillis, 
ils  revinrent  comme  marchands,  puis  comme  convertisseurs  et  s'impo- 
sèrent comme  maîtres.  Les  châteaux  forts,  les  couvents  fortifiés  des  moines 
chevaliers  s'élevèrent  sur  les  collines,  sur  les  berges  escarpées  des  rivières, 
de  manière  à  dominer  complètement  la  contrée;  en  même  temps,  des  villes 
de  commerce  se  fondaient  aux  endroits  favorables,  et  tout  le  trafic,  des 
bords  de  la  mer  aux  régions  de  la  Russie  centrale,  passa  par  l'intermédiaire 
des  colons  germaniques.  Ainsi  se  formèrent,  au-dessus  des  populations 
indigènes  asservies,  les  deux  classes  presque  exclusivement  germaniques 
de  la  noblesse  et  de  la  bourgeoisie,  composée  des  marchands  et  des  «  ci- 
toyens honoraires  »,  et  maintenant  encore,  après  sept  cents  années,  ces 
deux  classes,  au-dessous  desquelles  les  simples  bourgeois  forment  la  classe 
intermédiaire,  ont  conservé  leur  pouvoir*.  Elles  ont  fait  bâtir  les  villes, 
construire  les  roules;  elles  ont  converti  officiellement  les  Lettons  et  les 

'  lliisch.  Beitriifie  zw  Gcscliichte  uml  Sliitistik  des  Kiiclicn-  u»d  Schulwesciis  dcr  £('.  Lulli.  Gc- 
meinden  in  lUissland. 

'  Classes  (les  provinces  Bultiiiues  : 

Nobles IHI',1 

Maivhandî»  et  i-ilnyeiis  lionoiaires  .                                                         .7  dllO 
Bourgeois li;>2'.to 


POPULATIONS  DES  PROVINCES  BALTiniES.  575 

Ehstes  d'abord  à  la  religion  catholique,  puis  à  la  réforme  prolestante; 
elles  ont  prélevé  les  dîmes  et  les  impôts,  mais  elles  n'ont  aucunement 
germanisé  le  peuple,  ainsi  que  des  écrivains  allemands  l'ont  prétendu, 
et  leur  nombre,  suivant  les  statisiiciens  de  diverses  nationalités,  ne  s'élève 
pas  même  au  douzième  des  habitants;  il  n'est  probablement  que  du 
(juinzième  ou  du  seizième  et  diminue  d'année  en  année,  la  fécondité  des 
familles  bourgeoises  étant  moindre  que  celle  des  habitants  de  la  campagne. 
L'écart  entre  les  statistiques  provient  sans  doute  de  ce  que  les  Juifs,  au 
nombre  de  plus  de  40  000,  sont  comptés  fréquemment  parmi  les  Ger- 
mains'. Les  riches  citadins  parlent  allemand,  tandis  que  le  paysan,  l'ou- 
vrier, l'artisan  même  se  servent  encore  de  leurs  anciens  idiomes.  Les  pro- 
létaires allemands  des  villes,  les  «  Klciiideutschcn  »,  sont  considérés  comme 
au-dessous  des  indigènes  par  leurs  propres  compatriotes. 

A  la  période  de  «  germanisation  »  a  succédé  la  période  de  la  «  russi- 
fication »,  expression  déjà  employée",  il  y  a  plus  d'un  siècle,  par  Cathe- 
rine II.  En  1S55,  le  code  civil  russe  fut  introduit,  et  eu  1850,  puis  en 
1807,  l'emploi  de  la  langue  russe  dans  la  correspondance  officielle  fut 
ordonné.  En  1877,  l'administration  des  municipalités  est  enlevée  aux 
corporations  allemandes  privilégiées  et  l'élection  des  conseils  municipaux 
confiée  à  tous  les  habitants  remplissant  certaines  conditions  de  cens  ou 
d'instruction;  la  correspondance  de  ces  municipalités  se  fait  encore  «  jus- 
qu'à nouvel  ordre  »  en  allemand,  et  cette  langue  garde  certains  privilèges 
sur  les  <■<  dialectes  locaux  »  ;  mais  c'est  par  le  russe  qu'elle  doit  être  rem- 
placée avecle  temps.  Dans  les  écoles  primaires,  que  fréquentent  tous  les 
Ehstes  de  religion  luthérienne  et  la  plupart  de  ceux  qui  appartiennent  à 
d'autres  cultes,  l'enseignement  se  donne  toujours  dans  les  dialectes  indi- 
gènes, tandis  que  l'allemand  reste  la  langue  des  études  secondaires 
et  supérieures.  Mais  le  gouvernement  s'occuj)e  des  mesures  prélimi- 
naires pour  la  «  russification  des  écoles  »,  et  dans  les  établissements  où  se 
préparent  les  professeurs,  la  langue  dominante  est  le  russe.  Le  service 
militaire  ne  peut  être  abrégé  que  pour  les  soldats  parlant  la  langue  de 
leurs  officiers  slaves. 

'  Allemands  dos  provinces  I!;dti(|iies  : 

Ehstonie 1 1  700  d'après  Bnekh  ;  12  1 50  d'après  Rillich. 

Livonie 0">r.l)0       ••  ■■  (il  liill       .• 

Couriandc 77  100       n  ,.  441.")0       » 

Ensemble 15.J  100       »  «  120 .420      i>  » 

'  Solovyov,  llisloire  de  la  Kussic  (en  russe),  vol.  XWI. 


576  NOUVELLE    GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

Le  sort  des  indigènes  fnt  des  plus  misérables  pendant  toute  la  période 
de  la  domination  germanique.  L'amputation  de  la  jambe  était  devenue 
la  peine  légale  du  serf  qui  s'enfuyait  de  chez  son  maître',  et  de  nos  jours 
encore  la  mère  ehstonienne  menace  son  enfant  de  la  venue  de  l'Alle- 
mand :  «  Le  Saxon  vient!  »  (Saks  tuhh).  La  mère  lettonne  annonce  de  la 
même  manière  la  venue  du  Vahzecli-,  et  ce  nom,  qui  signifie  Allemand,  est 
pour  un  Letton  l'insulte  la  plus  grossière.  Sous  le  régime  suédois,  la  con- 
dition des  serfs  s'améliora  quelque  peu  ;  grâce  à  la  diminution  et  au  règle- 
ment des  corvées,  elle  commença  de  se  rapprocher  de  celle  des  paysans  de 
la  péninsule  Scandinave,  et  le  peuple  letton  garde  jusqu'à  maintenant  le 
meilleur  souvenir  de  cette  époque;  mais  après  l'expulsion  des  Suédois 
par  les  Russes,  lorsque  la  domination  des  seigneurs  allemands  eut  été  réta- 
blie et  confirmée  par  les  chartes  des  empereurs,  la  plus  grande  partie  des 
terres  des  paysans  furent  confisquées.  Le  servage  dura  jusqu'en  1816  et 
1819  :  à  cette  époque  l'émancipation  se  fit  dans  les  trois  provinces, 
mais  sans  donner  aux  cultivateurs  le  moindre  droit  sur  la  terre  et  en 
maintenant  aux  propriétaires  la  magistrature  localer  Depuis  d856  on  eut 
recours  à  quelques  mesures  palliatives  :  la  jouissance  de  certaines  terres 
fut  assurée  aux  paysans,  quoique  le  droit  de  propriété  restât  aux  seigneurs, 
et  l'on  promulgua  quelques  règlements  permettant  le  rachat  de  fermes 
par  les  cultivateurs,  après  entente  avec  les  propriétaires.  Mais  si  une  cer- 
taine proiiortion  des  «  paysans  »  proprement  dits,  les  Bauern,  ont  pu 
s'émanciper^,  les  Knechlen  ou  «  valets  »,  qui  formaient  au  commencement 
du  siècle  les  neuf  dixièmes*  de  la  population  agricole,  et  les  trois  quarts 
aujourd'hui,  restent  dans  une  situation  lamentable;  nombre  de  paysans, 
poussés  par  la  faim,  émigrent  vers  la  Russie  intérieure,  même  jusqu'en  Cri- 
mée et  au  Caucase.  Plus  d'un  quart  des  cultivateurs  de  la  Courlande  errent 
de  domaine  en  domaine  :  ils  n'ont  point  de  sol  auquel  ils  soient  attachés 
comme  fermiers  ou  possesseui'S.  L'agriculture  des  provinces  Balliipies  est 

'  Némoires  de  la  Société  hisloriqu?  de  Moscou,  180G. 

'  J.  G.  Kohi,  ouvrage  ci  lé. 

'  Rùparlilion  de  la  propriété  foncière  dans  les  trois  provinces  : 

Co\irl:inilo.  l.ivnnio.  Eh^tonie. 

Paysans  de  la  couronne  .    .      I5.8(  ,  7      1    ,.    ,        ,^,^  0.'J|      , 

»       de  la  noblesse  .    .        i-oj             '  8.2)             '  0.8(           "^ 

Nobles 01.9       »  08.  (i       »  >.C2.8     » 

Couronne 15. C       »  ti.4       »  0.2     » 

Villes  et  autres 2.4      »  l'J.s       ,,  0        » 

Yanson,  Statistique  comparée  de  la  Russie,  1877  (on  russe). 
*  Sicvers,  Recueil  de  matériaiLT  pour  lliistoire  des  provinces  Baltiques. 


REVEL.  577 


beaucoup  plus  développée  que  celle  de  la  Russie  propre;  cependant  les 
habitants  s'enfuient  pour  aller  s'établir  dans  les  provinces  au  sol  aride, 
comme  Novgorod  ou  Vitebsk.  En  aucune  partie  de  l'empire  le  paysan  n'a 
une  moindre  part  à  la  propriété',  revendiquée  maintenant  par  la  «jeune 
Ehstonie  »  pour  les  anciens  possesseurs  du  sol. 


Les  trois  provinces  Baltiques  n'ont  pas  encore  assez  d'habitants  dans 
leurs  cam])agnes  pour  qu'il  ait  pu  se  fonder,  à  l'intérieur  du  pays,  un 
grand  nombre  de  marchés  oii  la  population  s'accumule  de  manière  à 
former  de  véritables  villes.  Les  agglomérations  considérables  n'ont  pu 
naître  que  sur  la  côte,  en  des  endroits  exceptionnellement  bien  situés  pour 
les  échanges  avec  l'étranger. 

Revel,  —  le  Kol'ivan  des  anciens  Russes,  —  la  capitale  de  l'Ehstonie, 
est  une  de  ces  villes  privilégiées  par  leur  situation  commerciale.  L'une 
des  plus  anciennes  cités  de  l'empire  russe,  car  elle  existait  déjà  lorsque 
Waldemar  II,  roi  de  Danemark,  y  bâtit  un  château  fort  en  l'année  1219, 
elle  s'élève  au  bord  d'une  baie  profonde  et  abritée  par  des  îles  ;  en 
outre,  elle  a  l'avantage  de  se  trouver  non  loin  de  l'angle  nord-occidental 
de  l'Ehstonie  entre  la  Baltique  et  le  golfe  de  Finlande,  et  grâce  à  cette  po- 
sition elle  est  le  point  de  départ  et  d'arrivée  naturel  de  plusieurs  routes 
maritimes.  Elle  fut  l'une  des  premières  parmi  les  cités  hanséatiques  de  la 
«  mer  Orientale  ».  Pendant  l'époque  de  la  domination  suédoise,  Revel,  que 
les  Scandinaves  appellent  Reval,  était  à  la  fois  leur  cité  de  guerre  et  de 
commerce  ;  c'est  là  qu'était  leur  citadelle  la  plus  puissante  et  que  les 
marchandises  affluaient  vers  leurs  entrepôts.  Maintenant  elle  est  le  plus 
utile  des  ports  avancés  que  la  capitale  de  la  Russie  possède  sur  la  Bal- 
tique :  grâce  au  chemin  de  fer  qui  longe  la  rive  méridionale  du  golfe, 
Pctersbourg  peut  importer  pendant  une  partie  de  l'hiver  beaucoup  de  mar- 
chandises que  les  glaces  arrêteraient  à  l'ouest  de  Kronstadt  ;  les  navires 
les  débarquent  à  Revel  ou  à  son  annexe  douanière  et  militaire,  Baltisch- 
Port  ou  Balliskiy-Port,  havre  plus  occidental,  baigné  par  une  mer  plus 
ouverte  et  plus  longtemps  libre  de  glaçons.  Ce  rôle  de  Revel  comme  avanl- 


'  Élcndue  moyenne  des  propricics  de  nobles  : 

Courlande 3935  heclares. 

Livonie.    .  5853        if 

Ehstonie.  .    .  3398         " 

Minsk .    ,     ioT-i         > 

Vasillcliikov,  La  proptUlé  foncière  {en  russe) 
V.  48 


Kiycv 1097  heclares. 

Smolcnsk  528         " 

Razan 209         » 


578 


NOUVELLE    GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 


port  (le  Pétersboiirg  est  la  raison  de  la  différence  considérable  qui  existe 
entre  la  valeur  des  importations  et  celle  des  exportations  de  la  ville  ehsto- 
nieniie'.  Revel,  le  quatrième  port  de  l'empire  par  la  valeur  de  ses  échanges, 
doit  aussi  une  part  de  son  activité  commerciale  à  la  situation  qu'elle  occupe 
précisément  en  face  de  Ilelsingfors,  la  capitale  de  la  Finlande.  La  ville,  fort 
pittoresque,  encore  partiellement  entourée  de  murs  et  défendue,  au  sud, 
par  des  marais  et  des  lacs,  possède  quelques  monuments  de  l'époque  han- 


séatique,  notamment  les  hôtels  des  corporations  ouvrières;  elle  est  dominée 
par  un  château  et  par  une  cathédrale  où  les  Suédois  visitent  les  tombeaux 
de  personnages  illustres  de  leur  histoire  :  le  navigateur  Krusenstern  y  est 
enseveli.  Dans  les  deux  derniers  siècles,  la  mer  s'est  retirée  de  près  d'un 
kilomètre  devant  Revel,  et  dans  les  alluvions  qui  ont  comblé  le  port  on 
a  trouvé  des  carcasses  de  navires.  Les  Khstes  ne  forment  que  la  moitié  de 
la  population  de  Revel  :  près  d'un  tiers  des  habitants  sont  Allemands  ou 

'  Valeur  ilu  coiuineiTe  de  Hovel  on  187'J  : 

Ls|)(iil:ili(in  .    .    .   .     'J9  500  000  francs.    |   Imporlation   .    .    .     551  500  000  francs. 


REVKL,   PERNAU,  DORPAT,   RIGA.  581 

d'origino  germanique.  C'est  devant  Revel,  en  1219,  que  les  piralcs  danois, 
entraînés  dans  une  déroute,  virent  tomber  des  airs,  dit  la  légende  natio- 
nale, le  drapeau  rouge  à  croix  blanche,  le  Dancbrock,  qui,  après  les  avoir 
ramenés  à  la  victoire,  devint  pour  eux  l'étendard  sacré. 

Deux  villes,  Pernau  et  Dorpat,  gardent,  au  sud  de  l'Elistonie,  la  vallée 
tortueuse  qui  rejoint  le  golfe  de  Riga  au  lac  Peipous.  Pernau,  la  Pcrnov 
des  Russes,  située  à  l'embouchure  de  la  Pernau  ou  Pernova,  est  une  ville 
de  bains  et  un  port  fréquenté';  de  même  que  le  petit  port  de  Ilapsal,  au 
nord-ouest,  elle  exporte  surtout  du  lin,  des  céréales,  des  graines  oléa- 
gineuses, et  pour  les  deux  tiers  à  destination  de  l'Angleterre.  Dorpat,  la 
Derpt  des  Russes,  —  autrefois  Youî-yev,  —  la  Tartulin  des  Ehstes,  bâtie 
en  partie  sur  une  colline  élevée  qui  domine  au  sud  le  cours  de  l'Em- 
bach,  est  surtout  connue  comme  ville  universitaire.  En  1052,  Gustave- 
Adolphe,  alors  campé  devant  Niirnberg,  décréta  la  fondation  de  cette 
liante  école,  qui  dut  fuir  plus  tai'd  devant  les  Russes,  et  qui  de  Per- 
nau, où  elle  fut  transférée,  dut  envoyer  en  Suède  ses  professeurs,  sa 
bibliothèque  et  son  musée.  Rétablie  de  nouveau  en  1802,  l'université  de 
Dorpat  a  été  respectée  depuis,  quoique  les  cours  s'y  donnent  en  allemand, 
«t  quelques-uns  des  savants  les  plus  illustres  de  la  Russie  y  ont  fait 
leurs  études \  Par  ses  trésors  scientifiques,  Dorpat  est  une  des  plus  riches 
écoles  de  l'Europe  :  sa  bibliothèque  a  plus  de  230  000  volumes,  et  toutes 
les  sciences  sont  représentées  dans  ses  musées  par  de  précieuses  collec- 
tions; l'observatoire,  qui  s'élève'  sur  la  colline,  à  côté  de  la  bibliothèque  et 
des  ruines  pittoresques  d'une  église  ogivale,  est  celui  dans  lequel  Struve 
et  Màdler  ont  fait  leurs  recherches  mémorables.  Dorpat  possède  aussi  une 
école  de  vétérinaires.  Plusieurs  sociétés  savantes,  qui  se  rattachent  indi- 
rectement à  l'université,  puldient  des  mémoires  et  dos  recueils  dont  (picl- 
ques-uns  ont  de  l'importance.  Dorpat,  située  précisément  au  point  de  croise- 
ment des  routes  de  Riga,  de  Pernau,  de  Revel,  de  Narva,  de  Pskov,  est  aussi 
une  ville  de  commerce,  et  les  Allemands,  qui  forment  la  majorité  de  la  popu- 
lation urbaine,  se  sont  enrichis  en  concentrant  dans  leurs  mains  tout  le 
mouvement  des  expéditions.  Les  Ehstes  qui  peuplent  la  ville  sont  pour  la 
plu[)art  ouvriers,  manœuvres  ou  domestitpies. 

Riga,  la  ville  principale  des  provinces  Balliques,  et  par  sa  population 

'  Mouvement  du  port  de  Pernau  en  1876  :  750  navires. 

Valeur  de  rex^orlation  en  1879  :  29  500  000  francs. 

-  Université  de  Dorpat  en  1882:  professeurs,  02;  étudiants,  142(5.  —  Un  Igel  de  l'unixcriita 
en  1877  :  234100  rouUes. 


582  NOUVELLi:   GÉOGKAPIIIE    UNIVERSELLE. 

la  cinquième  cité  de  l'empire,  est  aussi  plus  allemande  que  russe,  à  la 
fois  par  son  histoire  et  par  sa  population'.  Ce  «  comptoir  »  ou  cette 
«  grange  »,  car  on  explique  ainsi  diversement  le  nom  qui  lui  fut  donné 
par  ses  fondateurs  allemands,  ne  pouvait  être  établi  en  un  endroit  plus 
favorable  pour  le  commerce  :  c'est  là  que  le  golfe  pénètre  h  plus  avant 
dans  les  terres  et  que  vient  se  déverser  la  Dûna,  grand  fleuve  navigable 
que  devaient  remonter  jadis  toutes  les  caravanes  de  commerce  qui  se  diri- 
geaient vers  la  Russie  centrale  ou  le  bassin  du  Dnepr  :  les  deux  Aa,  de 
Livonie  et  de  Courlande,  rejoignent  le  fleuve  ou  du  moins  son  delta  d'al- 
luvions  dans  le  voisinage  même  de  Riga,  cl  cette  capitale  est  ainsi  devenue 
le  centre  naturel  des  campagnes  qu'elles  arrosent;  enfin,  par  le  chemin 
de  fer  d'Oi"ol'  %  elle  est  aussi  le  grand  port  d'expédition  de  la  Russie  cen- 
trale. Le  port  de  Riga  est  actuellement  le  troisième  de  l'empire  russe  par 
l'ensemble  de  ses  échanges  :  il  vient  après  ceux  de  Pétersbourg  et  d'Odessa; 
inférieur  à  Revel  pour  la  valeur  des  importations,  il  l'emporte  de  beau- 
coup pour  les  envois".  Les  désavantages  du  port  de  Riga  proviennent  de 
la  longueur  de  l'hiver,  qui  ferme  le  chenal  par  une  épaisse  couche  de 
glace,  et  de  la  violence  des  débâcles  qui  apportent  sur  la  ville  les  glaces 
déjà  rompues  en  amont,  tandis  que  le  fleuve  inférieur  est  encore  recou- 
vert par  une  dalle  cristalline.  La  barre  d'entrée  n'a  qu'une  profondeur 
moyenne  de  4"", 27,  et  par  conséquent  les  navires  d'un  fort  tiniiil  d'eau  ne 
peuvent  pénétrer  avec  plein  chargement  dans  la  bouche  de  la  Diina  '.  Les 
bàliments  ne  remontent  pas  tous  jusqu'à  la  ville,  située  à  12  kilomètres 
de  la  mer  environ,  sur  la  rive  droite  du  fleuve  ;  un  grand  nombre  s'ar- 
rêtent devant  le  fort  de  Diinamunde,  ainsi  nommé  de  sa  position  dans  une 
île  voisine  de  l'embouchure.  Plus  du  fiers  des  échanges  de  Riga  se  fait 
avec  l'Angleterre,  qui  envoie  du  sel,  de  la  houille,  des  tabacs,  des  spiri- 
tueux, des  denrées  coloniales,   des  objets  manufacturés,  et  qui   demamle 

'  l'opiilation  de  Higii  en   18S1    :   Alleiiianls,   iO   pour    100  1  Lelles.   30   pour    100  ;  Russes, 
20  pour  100. 

*  La  prononciation  Ac  Vo  n'élant  pas  définitivement  fixée,  même  chez  les  Grands  Russicns,  nous 
écrivons  Oiol  an  lieu  d'AI-ot. 

'  Valeur  du  commerce  de  Riga  en  1879  :  42  i  Oii  000  francs. 

Avec  l'Angleterre IGOOOOOOO  fr.    1   Avec  laNéerlande 3-2  000  000  fr. 

1)     l'Allemagne..    .  itO  000  000  »      !      »     la  France 50  000  000  » 

*  Mouvement  du  port  de  Riga  en  1879  ; 

A  l'entrée 2081  navires,  jaugeant      031270  tonnes. 

A  la  sortie 2688         »  «  937  000       » 

Ensemble bôoj  navires,  jaugeant  1  871  53 J  tonnes. 


RIGA. 


385 


en  échange  du  chanvre,  du  lin,  des  grains,  des  suifs,  des  planches.  Le 
nom  lie  «  bois  de  Riga  »  que  l'on  donne  en  France  aux  pins  sylvestres  el 


*-=57 


E  dg  G 


autres  conifères  importés  de  Russie  témoigne  aussi  do  l'miportanco 
qu'avait  prise  dans  ce  port  l'expédition  des  bois;  mais  les  forêts  qui  bor- 
dent la  Dùna  ont  été  en  grande  partie  dévastées.  Riga  est  le  plus  riche 
propriétaire  de  domaines  en  Livonie.  Schweinfurth  est  né  dans  cette  ville. 


384 


.NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


La  vieille  cité  hanséatique  a  gardé  dans  les  quartiers  du  centre  sa  pliy- 
sionomiedu  moyen  âge,  et  l'on  y  voit  quelques  monuments  vénérables,  tels 
que  le  palais  des  anciens  chevaliers  et  les  hôtels  des  corporations  ;  mais  au 
delà  des  boulevards  s'étendent  des  faubourgs  modernes,  aux  rues  larges  cl 
droites.  Son  principal  établissement  scolaire  est  une  école  polytechnique. 
Un  viaduc  de  745  mètres  franchit  le  fleuve,  porté  sur  huit  piles  solides, 
qui  résistent  aux  accumulations  de  glaces  apportées  par  la  débâcle.  Des  forts 


N"  80.    LIBAU. 


Pro^oryc^e-^^rs 


i/e  5 A  /O  m  c/e/ûrr,  etâu-a^e/à 

\  ■  là  000 


et  des  ouvrages  militaires  défendent  les  approches  de  Riga  ;  mais  l'enceinte 
de  la  ville  a  été  transformée  en  ])romenades. 

Un  cercle  de  villes  secondaires  entoure  la  capitale  dos  provinces  Bal- 
tiques.  Au  nord-est,  sur  l'Aa,  les  ruines  du  château  de  \Yenden  raiipelleut 
le  séjour  des  anciens  grands-maîtres  de  l'ordre  des  Porte-glaives.  Sur  la 
Diiiia,  Friedriclisladi  et  Jakdbstadi,  eelle-ci  fondée  par  des  Russes  émi- 
grants  et  maintenant  en  grande  partie  peuplée  de  Juifs,  sont  des  lieux 
d'arrêt  jiour  les  bateaux  à  vapeur,  ainsi  que  pour  les  radeaux  et  les 
chalands  qui  descendent  le  fleuve.  Au  sud,  l'Aa  de  Courlande,  encore 
ruisseau  près  de  liauske,  est  déjà  rivière  à  Mitau  (Mitlau,  Mitava,  en  letton 
Jdgava),  le  chef-lieu  de  la  province,  l'ancienne  résidence  ducale  dont  le 


KIGA.  MITAU,  I.IBAU.  3S5 

nom  se  répéta  si  souvent  en  France,  lorsque  Louis  XVIII  réfiinié  y  tenait 
sa  cour  au  commencement  du  siècle  :  le  vaste  château,  entouré  de  bos- 
quets et  d'étangs,  a  été  construit  dans  le  style  de  Versailles.  Mitau,  séjour 
des  familles  aristocratiques,  ville  d'écoles  et  de  pensionnats,  est  presque 
entièrement  allemande,  quoique  toute  la  campagne  environnante  soit  peu- 
plée de  Lcttes,  auxquels  les  bourgeois  de  la  capitale  donnent,  avec  quelque 
mépris,  le  nom  d'Orientaux. 

La  rivière  Windau,  qui  traverse  la  ville  de  Goldingen,  va  déboucher 
dans  la  Baltique  au  petit  port  de  Windau,  peu  fréquenté  à  cause  des 
dangers  de  la  barre'.  Le  havre  le  plus  visité  de  la  Courlande  est  plus  au 
sud,  sur  une  étroite  flèche  sablonneuse  qui  sépare  un  étang  de  la  haute 
mer.  Ce  port,  le  Liban  des  Allemands,  le  Leepaja  des  Lettons,  est  formé 
par  l'étang  ou  «  Petite  Mer  »,  que  l'on  a  réuni  à  la  Baltique  par  un  canal 
bordé  en  partie  d'estacades  reposant  sur  des  chalands  que  l'on  a  couh-s 
à  fond,  chargés  de  pierres.  Situé  plus  au  sud  que  tous  les  autres  ports 
russes  de  la  Baltique,  Libau  est  débarrassé  des  glaces  trois  semaines  avant 
Riga,  six  semaines  avant  Pétersbourg  et  communique  avec  Vilno  par  un 
chemin  de  fer;  mais  la  barre  qu'avaient  à  franchir  les  navires  pour  entrer 
dans  le  chenal  n'avait  que  de  5  mètres  à  5  mètres  et  demi  de  profondeur 
et  changeait  souvent  de  position  et  de  largeur  après  les  coups  de  vents  du 
large.  Ces  dangers  de  la  barre  expliquaient  la  moindre  importance  de  Libau  % 
comparée  à  Riga,  à  Revel,  à  Konigsberg,  cité  prussienne  que  l'on  peut 
qualifier  de  port  russe,  par  la  direction  de  son  mouvement  commercial; 
mais  de  grands  travaux  ont  été  ftiits  pour  l'approfondissement  de  la  passe 
et  le  commerce  de  Libau  s'est  grandement  accru  au  détriment  de  Kr)nigs- 
berg.  Au  sud  de  Libau,  les  pêcheurs  recueillent  dans  les  sables  environ  "20IIII 
kilogrammes  d'ambre  jaune,  mais  ils  n'en  trouvent  que  rarement  au  nord 
de  cette  ville". 


-  Mouvement  ilu  port  de  Windau  h  l'entre!!  en  1870  :  186  navires,  jaugeant  29  290  tonnes. 

Valeur  des  échanges  :  5  171  000  francs. 

-  Mouvement  du  port  de  Libau  en  1879  :  50i2  navires,  jaugeant  GG3  350  tonnes. 

ImporUilion.  .   .     18  0.j2  000  francs.   |   Exportation.    .     112  843  GOO  francs. 

-  Villes  des  provinces  Balliques  ayant  plus  de  5000  habitants  lors  du  dernier  recensement  : 


EtISTONIE. 

RcTcl(1881) 50  500  hab. 

LIVUME. 

Riga    (1881) 1G9ÔÔ0  hab. 

Dorpal     11 20  780     1) 

Pernau    „ 12  000     » 


COl'RLAXDE. 

Mitau      (1881) 29  GOO  hab. 

Libau           .1       .......  29  500  « 

Goldingen    n .  9  150  n 

Itauskc         11        6  200  » 

Jakobstadt   »       5  400  » 

49 


ÔSd  NOUVELLE    GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 


IV 


rOLOOE.      rOLSKA 

Le  nom  même  de  cette  partie  de  l'empire  russe  est  devenu  un  symbole 
d'infortune  nationale.  La  Pologne  ne  s'appartient  pas,  et  tout  ce  qui  lui 
reste  de  son  ancienne  indépendance  est  d'avoir  un  litre  à  part  dans  l'énu- 
mération  des  immenses  domaines  du  souverain  de  toutes  les  Russies  : 
encore  n'est-elle  désignée  officiellement,  depuis  quelques  années,  que  sous 
l'appellation  de  «  Pays  de  la  Vistule  »  et  c'est  par  simple  tolérance  que  le 
nom  de  Pologne,  si  cher  à  des  millions  d'hommes,  s'est  jusqu'à  nos  jours 
maintenu  dans  le  pays.  Et  même  cette  population,  rattachée  de  force  à  la 
Slavie  orientale,  n'est  qu'un  fragment  de  peuple,  séparé  d'autres  fragments 
que  se  sont  annexés  la  Prusse  et  l'Austro-IIongrie.  Le  mot  de  Pologne  n'est 
plus  qu'une  expression  d'histoire  et  d'ethnographie  :  en  politique,  il  ne 
représente  plus  rien. 

Et  cependant  il  fut  un  temps  où  le  royaume  de  Pologne,  embrassant, 
lui  aussi,  de  vastes  territoires  qui  lui  appartenaient,  soit  par  le  groupe- 
ment spontané  des  populations,  soit  par  le  droit  de  conquête  ou  d'héritages 
princiers,  était  un  des  États  les  plus  puissants  de  l'Europe.  De  Bautzen 
eu  Lusace  et  de  l'île  de  Rugen  à  Smolensk  et  aux  cataractes  du  Diiepr,  des 
Karpates  à  l'Enihach  en  Livonie,  il  n'est  pas  un  territoire  qui  n'ait  été 
[iiMidant  les  huit  derniers  siècles  occupé  par  les  Polonais,  soit  d'une  ma- 
nière permanente,  soit  temporairement.  Uni  à  la  Lithuanie,  le  royaume  de 
i'ologne  s'étendait  de  la  Baltique  au  Ponl-Kuxin  à  travers  toute  la  largeur 
du  continent;  mais  fréquemment  les  limites  se  déplaçaient,  et  lorsque  la 
Russie  et  la  Prusse  furent  entrées  l'une  et  l'autre  dans  l'ère  des  annexions 
et  des  conquêtes,  avec  Pierre  l"  et  Catherine  II,  il  devint  évident  (pie  la 
Pologne  serait  étouffée  tôt  ou  tard  entre  ses  puissants  voisins.  En  177"2, 
le  premier  partage,  qui  causa  tant  de  remords  à  Marie-Thérèse  et  dont  les 
autres  souverains  s'accommodèrent  si  allègrement,  enleva  déjà  au  royaume 
polonais  une  surface  de  plus  de  200  000  kilomètres  carrés  et  près  de  5 
millions  d'hommes  :  c'était  le  quart  du  pays,  plus  du  tiers  de  la  po- 
pulation du  royaume,  qui  était  alors  de  12  500  000  habitants'.  Vingt 
et  un  ans  après,  la  Russie  et  la  Prusse  s'emparent  chacune  d'un  territoire 

'  Ricgcr,  Diciionnaire  des  Sciences,  Polo'ine.  ;),'i2  (on  Iclioqiic) 


POLOGNE  ET   SON  HISTOIRE.  ÔS7 

encore  plus  Aaste  que  le  premier,  et  ce  deuxième  partage  est  bientôt  suivi 
d'un  troisième,  auquel  l'Autriche  est  invitée.  La  Pologne  avait  cessé  d'exis- 
ter comme  Etat.  Pendant  ce  siècle,  un  duché  de  Varsovie,  une  république 
de  Cracovie  eurent,  il  est  vrai,  une  apparence  de  vie  autonome;  mais  cette 
illusion  a  dû  s'évanouir  bientôt  devant  la  dure  réalité.  Varsovie,  place 
forte  des  armées  russes,  est  chargée  précisément  de  maintenir  les  Polonais 
dans  l'obéissance  au  tzar,  et  Cracovie  n'est  plus  qu'un  chef-lieu  de  province 
autrichienne.  Les  provinces  de  la  Vistule,  découpées  arbitrairement  dans 
l'ancien  royaume,  n'ont  plus  désormais  pour  le  gouvernement  russe  qu'une 
valeur  administrative  et  militaire  :  le  ijsc  apprécie  la  Pologne  comme  la 
région  la  plus  populeuse,  la  plus  industrielle  et  la  plus  riche  de  l'emiiire, 
et  l'état-major  voit  dans  la  Pologne  orientale  le  quadrilatère  de  forteresses 
le  plus  formidable  de  l'Europe  centrale.  A  l'ouest  de  la  Vistule,  le  pays  est 
comme  abandonné  strnlégiquement  aux  envahisseurs,  les  chemins  de  fer 
prussiens  convergeant  vers  la  Pologne  occidentale. 

Sans  chercher  à  poursuivre  les  mille  vicissitudes  des  guerres  et  dos 
alliances,  on  peut  reconnaître  facilement  les  causes  générales  qui  ont 
amené  l'écrasement  de  la  nation  polonaise.  Les  conditions  géographiques 
du  territoire  qu'elle  occupait  expliquent  en  partie  ses  destinées.  La  nature 
n'offrait  point  aux  Polonais  un  cadre  bien  limité  ni  un  massif  sur  lequel 
il  leur  fût  possible  de  s'appuyer  solidement.  Cependant  le  pays  occupé  pai' 
le  gros  de  la  race  polonaise  a  des  frontières  assez  nettement  tracées  sur 
une  grande  partie  de  son  pourtour  •  au  sud,  le  faîte  des  Carpates  est  une 
barrière  naturelle  que  les  Polonais  n'ont  franchie  sur  aucun  point 
comme  l'ont  fait  les  Ruihènes;  au  nord,  le  plateau  parsemé  de  lacs  dont  le 
versant  septentrional,  peuplé  d'AlKunands  et  de  la  descendance  des  Prus- 
siens d'autrefois,  est  un  autre  faîte  que  les  Polonais,  si  ce  n'est  par  quel- 
ques colonies  de  Kachoubes,  n'ont  point  traversé;  il  devait  contribuer 
à  donner  à  la  race  une  certaine  cohésion  en  la  séparant  de  ses  voisins. 
En  outre,  la  Vistule,  qui  traverse  la  Pologne  du  sud  au  nord,  recevant  des 
affluents  à  dr.)ile  et  à  gauche,  fait  de  toute  la  contrée  un  bassin  géogra- 
plii(pie  assez  régulier  et  d'une  grande  fiun-  de  résistance.  Mais  à  l'est  et 
à  l'ouest  le  pays  est  ouvert,  si  ce  n'est  dans  les  parties  oiî  s'étendent  des 
marécages  et  de  vastes  forêts  presque  impénétrables  :  la  vaste  dépression 
qui  a  valu  à  ses  habitants  du  bassin  de  la  Vistule  leur  nom  de  Polonais 
ou  «  Gens  des  Plaines  »  se  continue  des  deux  côtés,  en  Allemagne  et  en 

*  Gouvernements  de  la  Vistule  : 

Sapcrficic.  Populilion  on  I8SI.  Pnpulalion  kilométrique. 

127  317  kil.  carrés.  7  319  981)  liab.  58  hab.  (itussic,  IG). 


S8S  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

Russie  ;  or,  c'est  précisément  dans  ce  sens,  parallèlement  aux  degrés  de 
latitude,  qu'ont  lieu  les  mouvements  de  migration  et  que  la  pression  des 
peuples  les  uns  sur  les  autres  se  fait  de  la  manière  la  plus  énergique,  l'ar 
ces  deux  larges  brèches,  la  frontière  de  la  Pologne  devenait  flottante,  pour 
ainsi  dire,  à  la  fois  du  côté  des  Germains  et  du  côté  des  Slaves  Orien- 
taux :  les  incursions  et  les  guerres  déplaçaient  incessamment  l'équilibre 
des  populations  en  lutte  pour  la  suprématie. 

Plus  d'une  fois,  la  Pologne  fut  le  plus  puissant  des  Etals  slaves  et  mérita 
presque  de  s'attribuer  le  nom  de  Slavie.  Néanmoins,  on  peut  marquer  dans 
riiistoire  de  l'Etat  deux  périodes  distinctes  d'expansion,  dont  chacune  fut 
suivie  d'une  époque  d'affaiblissement  et  terminée  par  des  partages.  Au 
onzième  et  au  douzième  siècle,  les  agrandissements  se  firent  surtout  du 
côté  de  l'ouest,  et  la  Pologne  était  à  l'avant-garde  des  populations  slaves 
contre  les  Allemands;  du  quatorzième  au  seizième  siècle,  le  mouvement 
d'annexion  se  porta  au  contraire  du  côté  de  l'est,  contre  les  Slaves  orien- 
taux. Vers  les  commencements  de  l'histoire  écrite  du  peuple  polonais,  le 
royaume  qui  comprenait  la  Polska  proprement  dite,  c'est-à-dire  les 
«■  champs  »  de  la  Vislule  et  de  la  Warta,  la  Pologne  actuelle  et  la  Poz- 
nanie,  cherchait  à  absorber  les  tribus  parentes  qui  jieuplaient  le  terri- 
toire jusqu'à  l'Elbe.  Tantôt  ennemis  des  empereurs  d'Allemagne,  tantôt 
subissant  la  fascination  du  «  saint  Empire  romain  »  et  fiers  de  se  dire 
ses  vassaux,  les  rois  de  Pologne  réussirent  à  s'emparer  de  presque  tous 
les  pays  slaves  de  l'Occident.  Au  commencement  du  onzième  siècle,  Bo- 
leslas  le  Grand  eut  en  sa  possession  la  Moravie,  la  Slovaquie,  la  Lusace 
et  même  la  Bohème  pendant  une  courte  périodt>'.  Ses  héritiers  per- 
dirent bientôt  une  grande  partie  de  ses  conquêtes;  mais  un  siècle  plus 
tard  Boleslas  111  soumettait  au  baptême  les  l*omorianiens  (Pomérauiens) 
ou  Gens  du  Littoral,  qui,  séparés  de  la  Pologne  par  les  infranchissables 
marais  de  la  Netze,  avaient  longtemps  formé  comme  un  monde  à  part 
autour  de  Wollin  ou  Yincta,  la  Venise  baltique.  Toutefois  les  dissensions  des 
Slaves  eiiUc  (Mi\  et  la  germanisation  d'une  grande  partie  (le  leur  ierriloire 
ne  permirent  plus  à  la  Pologne  de  maintenir  sa  puissance  du  côté  de  l'occi- 
dent, et  les  ])artages  commencèrent.  Vers  la  fin  du  treizième  siècle,  le 
royaume  a  prr(hi  la  moitié  des  terres  originairement  polonaises  du  bassin 
de  l'Oder.  Invités  par  un  prince  polonais,  le  due  de  Mazovie,  les  chevaliers 
Teutons  vim-cnl  même  s'installer  à  l'angle  de  la  Baltique,  dans  le  pays  des 


'  l.clcwcl,  La  Pologne  au  moyen  âge  (en  polon.iis);  —  llilfcrding.  Histoire  des  Slaves  balliques 
(on  russe)  ;  —  Oiispenskiy,  Les  premières  monarchies  slaves  du  I\'ord-Oiiest  (en  russe). 


ANCIENNE   POLOGNE. 


589 


Prussiens-Lithuaniens,  d'où  ils  commandaient  stratégiquement  les  pays  du 
Xeman  et  de  la  basse  Vistule.  x^nsi  commençait  un  des  éléments  de  la 
puissance  qui  devait  un  jour  contribuer  à  la  destruction  de  la  Pologne. 

Au  milieu  du  quatorzième  siècle,  avec  Casimir  le  Grand,  qui  renonça 
pour  toujours  à  la  Silésie  polonaise,  l'État  ne  semble  plus  regarder  que 
vers  l'Orient;  par  la  propagande  religieuse  et  parle  mariage  de  la  reine 
de  Pologne  avec  le  prince  païen  Jagello,  il  s'unit  à  la  Lithuanie,et  toute  la 


^I.     —   C\I,ANCE«E\'T    DE   L  ETAT    POLONAIS    A    L  OL'EST   ET    A    I    E>T. 


'oloiiiiis 

liovaume 

Conquêtes 

l'olognv  et 

Prusse  tassale 

LÎTonie 

Livon 

e 

actuels. 

de 

de 

Litliuanie 

(le 

polonaise. 

et 

Bole^Ias  I 

Bolo^las  III. 

1  :  Wtmm 

h  Pologne. 

puis 
suédoise. 

Couda 

polonai 

lie 

Russie  oc<'id('nlalo  est  ouverte  à  son  influence;  ses  frontières  dépassent 
la  Duna  et  le  Di'iepr  ;  même  Sigismond  III,  au  dix-septième  siècle,  peut 
aspirer  à  devenir  le  monaniue  de  tout  l'orient  et  du  nord  de  l'Kurope  : 
à  la  fois  prétendant  au  trône  de  Suède  et  roi  de  Pologne,  il  tenta  aussi 
de  monter  sur  le  trône  de  Moscou.  Avec  Sobieski,  le  peuple  jtolonais, 
liéroïcpie  et  vaillant  entre  tous,  semble  être  devenu  définitivement  le 
champion  de  l'Occident  contre  l'Orient.  Mais  alors  l'État  était  précisé- 
ment sur  le  point  de  s'effondrer.  En  vue  de  la  centralisation  politique. 


390  NOUVELLE    GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

la  Pologne  était  devenue  le  défenseur  du  catholicisme  romain  contre  les 
protestants  et  contre  l'église  russe;  d'après  Lelewel,  ce  fut  la  cause  de 
sa  ruine '.  Les  Cosaques  et  les  paysans  oukraïniens  se  révoltèrent, et  l'État 
polonais  usa  ses  forces  à  les  réprimer.  En  1661  déjà,  le  roi  Jean-Casimir 
prédisait  à  la  diète  que  la  république  deviendrait  le  partage  des  étrangers  : 
a  La  Moscovie  et  les  Cosaques  prendront  le  grand-duché  de  Lithuanie  qui 
leur  est  rattaché  par  la  langue  et  la  religion  ;  la  grande  Pologne  s'ouvrira 
au  Brandebourgeois...  et  la  maison  d'Autriche,  en  dépit  de  toutes  ses 
bonnes  intentions,  ne  laissera  pas  échapper  Cracovie".  »  Un  siècle  plus 
tard,  les  pressentiments  de  Jean-Casimir  étaient  justifiés.  D'ailleurs,  si  les 
Polonais  étaient  assez  forts  pour  lutter  contre  leurs  puissants  voisins  pen- 
dant l'époque  du  désordre  féodal,  alors  que  les  peuples,  appartenant 
complètement  à  leurs  maîtres,  s'entreheurtaient  au  gré  des  ambitions 
personnelles,  les  conditions  changèrent  quand  les  nations  de  l'Europe  se 
furent  solidement  groupées  en  Etats  centralisés.  Alors  la  Pologne  se  trouva 
trop  faible  pour  résister,et  ses  frontières  ouvertes  laissèrent  entrer  l'ennemi. 
Le  plus  grand  désavantage  de  la  Pologne  n'était  pas  l'absence  de  limites 
naturelles  à  l'orient  et  à  l'occident,  c'était  le  manque  de  cohésion  entre 
les  habitants,  dans  les  provinces  spécialement  polonaises.  Par  suite  du 
manque  de  frontières  géographiques  à  l'ouest  et  à  l'est,  l'élément  guerrier 
des  petits  gentilshommes  ou  sziachta,  Vordo  equeslris  des  j)arc!iemins. 
s'était  développé  à  outrance  et  n'avait  plus  aucun  rapport  avec  le  peuple  tra- 
vailleur. Les  Juifs  se  présentèrent  pour  combler  le  vide  entre  les  classes. 
Aucun  pays  d'Europe  ne  contenait  et  ne  contient  encore  autant  de  Juifs, 
et  ces  hommes  de  race  étrangère,  quel  que  fût  du  reste  leur  attachement 
pour  le  sol  polonais,  constituaient  en  réalité  un  peuple  distinct  ayant 
des  intérêts  précisément  opposés  à  ceux  des  autres  habitants,  et  néanmoins 
leur  servant  d'intermédiaires  à  tous,  en  formant,  pour  ainsi  dire,  la 
bourgeoisie  de  la  contrée.  Eux  seuls  s'occupaient  du  commerce  ;  eux  seuls 
réparlissaient  les  produits,  vendant  à  la  fois  aux  serfs  et  aux  seigneurs, 
mais  empêchant  les  indigènes  de  se  mettre  en  rapports  immédiats  les 
uns  avec  les  autres  :  grâce  à  eux,  le  torrent  circulatoire  de  la  vie  écono- 
mi(pie  se  faisait  dans  toute  la  nation,  et  cependant  ils  n'étaient  pas  de  la 
nation  :  au  moment  du  danger,  ils  n'étaient  plus  là  pour  rapprocher  les 
classes  distinctes  et  les  conununautés  séparées,  et  le  j)euple,  composé 
d'hommes  qui  ne  se  connaissaient  point,  restait  perplexe  et  divisé.-  Cette 


•  La  Polor/nc  et  l'Espagne  (en  polonais). 

*  Kocliovski,  Klimakkr,  il,  500 


ANCIENNE  POLOGNE.  591 

cause  de  désorganisation  aggravait  ainsi  celle  qui  provenait  du  dédouble- 
ment de  la  Pologne,  depuis  le  onzième  et  plus  encore  depuis  le  quatorzième 
siècle,  en  deux  classes  ennemies,  celle  des  seigneurs  et  celle  des  asservis. 
Ce  qui  perdit  la  patrie,  ce  n'est  pas  tant  l'indiscipline,  ainsi  qu'on  l'a  sou- 
vent répété,  c'est  le  privilège.  Les  paysans,  qui  autrefois  avaient  possédé  la 
terre  en  communauté,  avaient  fini  par  perdre  et  leurs  terres  et  leur  droit. 
Les  nobles  étaient  devenus  maîtres  absolus  :  en  s'emparant  du  domaine, 
ils  avaient  pris  aussi  la  vie  du  paysan.  «  La  Pologne  est  le  seul  pays  où  le 
peuple  soit  comme  déchu  de  tous  les  droits  de  l'humanité,  »  disait  en  exil 
Stanislas  Leszczynski  '.  L'État,  qui  portait  le  nom  de  «  république  »,  n'était 
cependant  qu'une  confédération  de  milliers  de  monarchies  despotiques.  Les 
seigneurs,  placés  en  dehors  de  la  nation,  se  refusaient  à  payer  leur  part 
pour  les  dépenses  publiques,  même  en  cas  de  péril  national  :  quoiqu'il 
existât  un  impôt  foncier  basé  sur  le  revenu,  auquel  personne  ne  devait 
échapper,  les  propriétaires  du  sol  savaient  toujours  éviter  de  le  payer  : 
l'Ktat  polonais  n'eut  jamais  de  finances  proprement  dites;  il  lui  fut  même 
impossible  d'obtenir  la  moindre  statistique  générale  de  quelque  valeur"  : 
le  mauvais  vouloir  des  seigneurs  s'y  opposait. 

Certes,  la  vaillance  des  Polonais  atteignit  souvent  au  sublime  dans  les 
jours  désespérés.  Aucune  nation  n'eut  plus  de  héros  dans  l'infortune  : 
|)endant  les  guerres  d'insurrection,  hommes,  femmes  se  dévouèrent  à 
l'exil,  aux  tortures,  à  la  mort  avec  une  simplicité  d'âme  qui  ne  fut  jamais 
dépassée,  et  pourtant,  même  dans  ces  époques  de  grandeur  morale,  le 
peuple  polonais  restait  toujours  partagé  en  deux  nations  hostiles.  Ceux 
qui  revendiquaient  la  liberté  de  la  Pologne  ne  surent  ou  n'osèrent  donner 
la  liberté  aux  Polonais  eux-mêmes  ;  les  malheureux  serfs  restèrent  coui- 
bés  sur  la  glèbe.. Kosciuszko,  il  est  vrai,  désira  l'abolition  du  servage; 
mais  les  paysans  qui  le  suivaient  ne  jouirent  de  leur  liberté  que  pendant 
la  guerre, et  son  décret  d'émancipation  était  conçu  en  termes  si  vagues  qu'il 
ne  pouvait  avoir  aucun  effet.  Plus  tard,  lors  de  la  constitution  de  l'éphé- 
mère duché  de  Varsovie,  l'affranchissement  des  paysans  fut  officiellement 
|)r()mnlgu('',  mais  la  terre  ne  leiu'  fut  j)as  donnée,  et  leur  conilitidii  ne 
changea  qu'en  apparence  :  même  pour  des  milliers  d'entre  eux,  elle  s'ag- 
grava, car  la  liberté  de  forme  leur  enlevait  tout  droit  de  cultiver  le  champ 
sur  lequel  avaient  vécu  leurs  aïeux.  Encore  à  la  veille  de  la  deiiiière  insur- 
rection, les  paysans~^|)ropremenl  dits  n'étaient  représentés  que  |iar  'J'J  000 


•  Considéralion.i  sur  le  gouvcrncmcnl  de  la  Polorine,  1  T.'îô. 

=  Siinoncnko,  Slatisliquc  comparée  du  royaume  de  Pologne  (en  russe). 


592  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

personnes  dans  la  classe  des  propriétaires,  tandis  que  les  cultivateurs  tra- 
vaillant sur  la  terre  du  maître  étaient  au  nombre  de  deux  millions  et  que 
l'on  comptait  1400  000  ouvriers,  journaliers  et  domestiques'.  Combien 
différent  aurait  été  le  cours  de  l'histoire  si  les  hommes  qui  combattirent 
pour  l'indépendance  de  la  Pologne  avaient  pu  s'appuyer  sur  une  population 
libre,  maîtresse  de  sa  terre  et  soucieuse  de  la  défendre  !  Et  même  lorsque 
la  patrie  eut  succombé,  ce  moyen  était  le  seul  qui  pût  faire  espérer  de  la 
reconquérir.  Du  moins  les  Russes  n'auraient-ils  jamais  pu  se  présenter 
en  libérateurs  comme  ils  le  firent  en  1865,  donnant  au  paysan  une  partie 
de  la  terre  qu'il  cultivait. 

Le  plus  grand  malheur  qui  puisse  frapper  un  peuple  est  la  perte  de 
son  indépendance  nationale.  Politiquement,  le  Polonais  n'est  plus  Polo- 
nais que  par  le  souvenir  :  il  est  devenu  comme  étranger  sur  son  propre 
sol,  et  c'est  en  se  mettant  sur  ses  gardes,  pour  ainsi  dire,  qu'il  parle  sa 
propre  langue  ;  sa  pensée  même  n'est  plus  libre  ;  son  génie  ne  se  déve- 
loppe plus  conformément  à  sa  nature.  C'est  un  désastre  pour  l'humanité 
tout  entière  que  la  vie  d'un  peuple  soit  ainsi  comprimée,  mais  elle  se  fera 
jour  de  nouveau,  tout  en  déviant  de  sa  route  primitive,  car  par  leur 
industrie,  leur  civilisation,  leur  valeur  morale,  les  Polonais  ne  sont 
certainement  pas  inférieurs  à  leurs  ancêtres.  Désormais  la  Pologne,  trop 
faible  pour  reconquérir  isolément  sa  liberté,  cherchera  sa  voie  et  réalisera 
ses  progrès  de  concert  avec  les  Russes.  Au  lieu  de  lutter  pour  elle  seule, 
elle  luttera  également  pour  les  pays  auxquels  elle  est  associée  de  force. 
«  Pour  notre  liberté  et  pour  la  vôtre  »,  cetti;  noble  parole  d'un  combat- 
tant d'autrefois  peut  devenir  un  jour  la  devise  commune  des  nations  de 
la  Slavie  orientale. 


Le  «  Pays  de  la  Yistule  »,  dans  les  liniiles  bizarii's  ipii  lui  ont  été 
faites,  peut  être  considéré  comme  une  vaste  plaine  inégale  d'une  hau- 
teur moyenne  de  100  à  150  mètres.  Au  nord,  les  terres,  en  grande  partie 
recouvertes  de  forêts,  se  relèvent  en  un  large  faîte,  qui  se  dévelop|)e  de  la 
Yistule  au  Àeman  suivant  une  courbe  parallèlt;  à  celle  du  littoral  baltique; 
mais  la  ligne  de  la  fninlière,  assez  irrégulièreineiil  tracée,  ne  se  maintient 
pas  sur  l'axe  de  partage  ;  elle  longe  la  base  méridionale  du  plateau,  en 
laissant  à  l'Allemagne  presque  touti;  la  «  Suisse  prussienne  »  avec  ses  in- 
nombrables lacs.  \u  sud,  le  massif  de  Sandomieiv.  ou  le  «  Chauve  .Mont  » 

I  Schnililer,  L'Empire  des  Tsars. 


COLLINES  DE  LA  POLOGNE.  393 

(■Eysa  Gôra)  appartient  au  contraire  en  entier  à  la  Pologne  actuelle  :  il 
aligne  du  nord-ouest  au  sud-est,  c'est-à-dire  parallèlement  aux  Carpates 
septentrionales,  ses  crêtes  régulières,  çà  et  là  revêtues  de  verdure,  malgré 
le  nom  qui  lui  a  été  donné  :  une  cime  arrondie,  le  signal  de  Sainte-Cathe- 
rine, s'élève  à  plus  de  600  mètres  vers  le  centre  du  massif,  surgissant 
comme  une  île  du  milieu  d'un  plateau  faiblement  accidenté.  D'autres 
groupes  de  collines,  de  hauteur  moindre,  mais  suivant  aussi  la  même 
direction,  du  nord-ouest  au  sud-est,  parallèle  aux  Carpates,  occupent 
la  partie  méridionale  de  la  province  de  Lublin,  entre  la  Vistule  et  le 
Bug';  enfin,  au  sud-ouest  de  la  Pologne,  les  faîtes  de  partage  entre  l'Oiler 
et  la  Warta,  entre  la  Warta  et  la  Pilica",  sont  marqués  par  les  hauteurs  de 
la  «  Suisse  polonaise  »,  que  les  eaux  ont  ravinées  dans  tous  les  sens,  mais 
qui  faisaient  originairement  partie  de  toute  la  région  avancée  des  Car- 
pates'. Ces  collines  de  la  Pologne  méridionale  contrastent  avec  la  grande 
plaine  tertiaire  du  nord  par  la  diversité  de  leurs  formations,  où  sont 
représentées  les  roches  crétacées,  jurassiques,  triasiques,  carbonifères, 
dévoniennes.  Des  gisements  miniers  de  toute  espèce,  de  cuivre,  d'étaiu, 
de  zinc,  de  fer,  de  soufre,  de  charbon,  ont  été  reconnus  et  sont  partielle- 
ment exploités  dans  cette  région  montueuse  :  les  mines,  les  carrières  et  le 
voisinage  de  la  Silésie  industrielle  ont  donné  à  ces  districts  une  popula- 
tion aussi  dense  que  celle  de  la  plaine. 

Par  la  distribution  de  ses  versants  hydrographiques,  la  Pologne  n.-> 
mérite  qu'en  partie  le  nom  de  «  Pays  de  la  Vistule  »  qui  lui  a  été  officiel- 
lement imposé.  Toute  la  zone  occidentale,  confinant  à  la  Silésie  et  à  la 
Poznanie,  appartient  au  bassin  de  la  Warta,  c'est-à-dire  de  l'Oder,  et  la 
province  de  Suwalki,  dans  la  partie  nord-orientale  de  la  Pologne,  est  sur 
le  versant  du  Xeman  (Xenien  en  polonais),  qui  lui  sert  de  iiinile  à  l'est 

'  Orlhographe  iiolonaise.  D"nillcnrs,  le  Hu^'  ]iolonais  et  le  Bmig  russe  ont  un  luènio  nom.  ijue  les 
riverains  prononcent  Bog  ou  Boh. 

*  Nous  rappelons  qu'en  polonais  : 


a  se  prononce  comme,  le  français  on, 

ç             .1               »  "  ain, 

ô             .1               !■  »         ou, 

c             ..               »  ..  U, 


Cl  se  prononce  comme  le  français  Ich, 

é  »  1'  »         isicu  bref. 


'  Alliludes  diverses  de  la  Pologne  : 

Signal  de  Sainle-Catlierine  (-Ljsa  Gôra) C07>  mè'lros. 

Colline  entre  Pilica  el  Cracovic  (gouvcrnemenl  de  Kielcc)  .    .    .  483       » 

Hauteur  à  l'est  de  Janow  (gouvernement  de  Lublin) 3*20 

t.omia 211       ■> 

Lublin 18!1 

Varsovie 98       » 

V.  60 


30  i 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE    UNIVEllSI.l.l  K. 


vX  au  nord  :  tout  le  reste  du  territoire  est  arrosé  par  la  Yistule,  le 
NareAV,  le  Bug  ou  leurs  affluents.  A  son  entrée  en  Polojine,  dont  elle  a 
formé  la  frontière  depuis  l'aval  de  Cracovie,  la  Vislule  ou  Yisl'a,  qui 
vient  de  recevoir  le  San,  est  déjà  un  fleuve  majestueux,  portant  des 
bateaux  d'un  fort  toiniage  :  elle  a  de  '21)0  mètres  à  400  mètres  de  rive 
à  rive,  dans  les  campagnes  basses  qu'elle  arrose,  au  sortir  de  la  traver- 
sée des  collines,  dont  chacune  porte  couvent,  église,  château  fort  ou  ruine 
du  moyen  âge.  Grossie  dans  la  Pologne  même  des  abondantes  rivières 
Wieprz,  Pilica,  et  du  Narew  iini   au  Bug,   elle  doit  rouler  en  moyenne. 


CII\1\E    DE    l-\    LYS, 


a\aiil  de  pénétrer  sur  le  lerriloire  prussien,  une  masse  liipiide  d'au 
mnJMs  7,")0  mètres  cubes  à  la  seconde  :  elle  a  dt-jà  tout  son  volume, 
car  en  aval  de  la  frontière  elle  ne  reçoit  plus  d'autres  tributaires  que 
d<.'  faibles  ruisseaux.  Grâce  à  cette  voie  mouvante,  les  Polonais  j)euvent 
expédier  facilement  à  Danzig  leurs  bois,  leurs  céréales  et  leurs  denrées 
de  toute  nature.  On  comprend  de  quel  prix  était  jadis  pour  la  Pologne 
la  jiossession  des  bouches  de  la  Vislule  et  combien  sa  puissance  fut 
ébranlée  quand  la  a  bonne  ville  »  de  Gdansk,  la  Danzig  des  Allemands, 
tomba  aux  mains  de  (piehiue  Etat  rival  ou  se  détacha  spontanément  de 
l'uni'Mi  iKilonaise. 


VISTULE,  POLONAIS.  595 

La  Pologne  est  une  contrée  fort  riche  en  débris  préhistoriques  des  diffé- 
rents âges  de  hi  pierre,  du  bronze  et  (hi  fer.  La  vallée  du  Bug,  celle  de  la 
Vistule  étaient  précisément  une  partie  de  la  voie  naturelle  qu'avaient  à 
suivre  les  émigrants  et  les  marchands  entre  le  Pont-Euxin  et  la  mer  Bal- 
tique. Des  «  caches  »,  semljlables  à  celles  que  font  les  voyageurs  canadiens 
dans  les  solitudes  du  Far  West,  ont  été  découvertes  qh  et  là  aux  lieux 
d'étape,  principalement  sur  les  faites  de  partage  entre  les  versants.  Les 
tombeaux  païens  sont  fort  nombreux,  et  plusieurs  atteignent  d'énormes 
dimensions  :  quelques  tertres  artificiels  de  la  vallée  de  la  Vistule,  qui 
datent  de  l'époque  néolithique,  ainsi  que  l'ont  démontré  les  fouilles, 
ont  jusqu'à  un  demi-kilomètre  de  tour'.  Les  nombreux  petits  lacs  de  la 
Pologne,  dont  plusieurs  ont  été  mis  à  sec.  ont  gardé  aussi  les  traces  d'an- 
ciens établissements  lacustres  pareils  à  ceux  de  la  Suisse.  C'est  par  millier'^ 
que  l'on  a  trouvé  et  que  l'on  trouve  encore  les  urnes  funéraires  renfer- 
mant des  cendres  et  des  ossements  carbonisés,  des  épingles  de  bronze,  des 
aiHieaux,  des  j)erles,  des  boules  et  d'autres  menus  objets  :  les  restes 
de  vases  eu  terre  se  rencontrent  si  fréquemment  dans  certaines  régions 
de  la  Pologne  que  les  habitants  croyaient  à  la  formation  spontanée  de»; 
poteries  dans  l'intérieur  de  la  terre'.  Parmi  les  urnes  funéraires  (pic 
l'on  trouve  au  fond  de  toinbcaiiv  très  postérieurs  à  l'âge  de  pierre  d 
contenant  des  objets  en  métal,  on  en  a  recueilli  plusieurs  offrant  le 
profil  d'un  visage  humain  ;  quelques  débris  de  provenance  romaine 
ont  permis  d'attribuer  ces  «  urnes  à  visage  »  au  premier  siècle  de  l'ère 
vulgaire. 

D'après  M.  Kopernicki,  l'ancienne  Pologne  était  haliitée,  aux  époques 
du  bronze  et  du  fer,  par  une  race  dolichocéphale,  parfiiitement  distincte 
de  la  rac(!  brachycéphale  moderne.  Cej)endant,  dès  l'aurore  de  l'histoire 
écrite  dans  les  n'gions  de  la  Vistule,  ce  sont  des  Slaves,  ancêtres  des  Polo- 
nais actuels,  ipii  peupbMit  la  coutn'c,  ainsi  (pie  les  régions  liniilrojilie-i  de 
l'ouest,  habitées  inainlenant  par  des  Allemands  et  des  Slaves  germanisés. 
Dispersés  en  d(>  nombreuses  tribus,  qui  parfois  se  réunissaient  sous  la 
main  d'un  clnT  puni-  \r<-  cxpi'ilil idiis  de  i^ncrre.  les  Lèches  ou  Polonais  se 
distiiiiiuaiciil  iicllcini'iil  dc^  Sbivi"^  (niciilauv  :  ils  se  savaient  de  la  m("ine 
famille,  mai-^,  ain^i  (pic  le  dil  une  h'^cnde  raconti-e  pour  la  jireinièrc 
fois  au  treizième  siècle,  les  trois  frèics  Lech,  Czech  (Tchèque)  et  Bus  vi- 
vaient séparés,  suivant  chacun  sa  destinée.  Kn  Pologne,  le  nom  de  Lèches 


'  Z.ihornvslii,  Confiri-s  anlhropolocftque  inlernal'wnal  de  Paris,  1878. 

'  Albin  Kolin  und  Mchlis,  Matermlien  zur  Vorgeschichte  des  Menschen  im  osilicheii  Eiiropa. 


596  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

n'est  qu'une  expression  liltéraire,  non  employée  par  le  peuple  :  dans  les 
documents  tchèques,  il  a  le  sens  de  riche  et  noble. 

Les  Polonais  les  plus  purs  sont,  dit-on,  les  habitants  de  la  «  Grande 
Pologne  »,  ceux  de  la  Pologne  actuelle,  sur  les  deux  bords  de  la  Vistule, 
et  de  la  Poznanie,  sur  la  Warta.  Les  blonds  Mazures,  —  c'est-à-dire,  en 
lithuanien,  les  «  Trapus  »  ',  —  qui  peuplent  surtout  les  régions  de  l'est 
et  celles  du  nord,  sur  les  frontières  prussiennes,  sont  les  plus  fiers  des 
Polonais,  ceux  qui  ont  le  mieux  gardé  les  anciennes  mœurs  nationales; 
les  bruns  Krakoviaks,  les  Sandomiriens  et  les  Lublinois,  tous  Polonais 
(lu  sut!,  plus  impressionnables  que  les  Mazures,  souvent  irascibles,  sem- 
blent être  aussi  plus  vaniteux,  si  l'on  en  juge  par  leur  costume  élé- 
gant, mais  trop  chargé  de  broderies,  de  franges  et  de  chaînettes.  Parmi 
les  populations  de  la  contrée  qui  ne  sont  pas  d'origine  polonaise,  une 
jp.irlie  considérable  s'est  rattachée  à  la  masse  de  la  nation  par  les  mœurs 
cl  le  langage.  Ainsi  les  Kuprikes  ou  «  Gens  de  la  Bêche  »,  qui  vivent 
en  divers  districts  du  nord  et  du  nord-est  de  la  Pologne,  se  sont  assez 
rapprochés  des  Mazures  pour  être  en  maints  endroits  confondus  avec 
eux,  ({uoiqu'ils  descendent  principalement  des  Yatvagues  on  Yadzvingues, 
]ieuple  que  l'on  croit  de  race  lithuanienne  et  qui  fut  en  partie  exterminé 
]iar  les  Polonais.  Des  Petils-Russiens,  groupés  en  communautés  dans  la 
Pologne  sud-orientale,  à  l'ouest  de  la  rivière  Bug,  ne  se  distinguent  guère 
de  leurs  voisins  russes  de  la  Yol'înie  :  ils  habitent  aussi  une  partie  orientale 
de  la  Podiiasie  ou  «  Pays  de  dessous  la  Forêt  »,  que  séparent  en  effet  de  la 
vallée  du  .\eman  les  immenses  étendues  boisées  de  Bel'a-Veja.  Des  Lithua- 
niens, de  '250  000  à  500  000,  suivant  les  diverses  statistiques,  occupent  la 
jibis  grande  pailie  du  gouvernement  de  Souvalki,  dans  la  partie  noi'd- 
orientalt!  de  la  Pologne.  Enfin,  quelques  milliers  de  Tsiganes  et  de  Tartares 
venus  d(;  Lithuanie  sont  parsemés  en  petits  groupes  sur  le  territoire. 

Après  le  passage  des  Mongols,  les  princes,  et  surtout  les  évêques  et 
les  couvents,  firent  appel  aux  colons  allemands  pour  repeupler  les  terres 
dévastées  et  leur  accordèrent  de  grands  privilèges,  entre  autres  celui  de 
nommer  bnirs  propres  schultze  et  de  se  gouverner  eux-mêmes  suivant  le 
«  dioil  leutoni(pie  » '.  l'Iusieurs  villes  fui'ent  également  fondées  par  des 
colons  allemands,  et  la  plupart  se  régirent  d'après  le  «  droit  de  Magde- 
bourg  »,  droit  de  l'un  des  plus  anciens  municipes  de  l'Allemagne  du  Nord, 
dont  les  archevêques  avaient  été  jadis  les  chefs  de  l'église  polonaise.  Ce 


'  Krlizvnski,  Des  Mazures  (en  polonais).  Poznan,  1S72. 
'■'  RociJcII,  Cesehiclitc  PjIciis. 


POLONAIS.  597 

droit,  qui  n'était  autre  que  rindôpcndancc  administrative  de  la  commune, 
n'ompècha  jjoint  les  Allemands  des  villes  de  se  «  poloniser  »  peu  à  peu 
comme  ceux  des  campagnes.  Au  quatorzième  siècle,  les  «  Souabes  »  étaient 
établis  en  Pologne  au  nombre  de  plusieurs  centaines  de  mille,  mais  ce  pre- 
mier élément  germanique  s'est  complètement  fondu  dans  la  population  polo- 
naise et  catholique.  Des  deux  mille  paroisses  protestantes  qui  existaient  au 
seizième  siècle,  deux  seulement  subsistaient  en  1775.  Tous  les  protestants, 
qui  se  confondent  avec  les  immigrants  comptés  aujourd'hui  comme  Alle- 
mands, sont  venus  depuis  un  siècle  :  les  catholiques  étrangers  ne  dépas- 
sent guère  une  dizaine  de  mille.  Dans  les  «  Pays  de  la  Yistule  »,  les  Polo- 
nais sont  donc  en  grande  majorité  '.  Dans  le  royaume  de  Pologne,  tel  qu'il 
existait  à  la  veille  du  partage  de  1772,  l'élément  polonais  n'entrait  guère 
que  pour  un  tiers  :  telle  est  du  moins  l'évaluation  approximative  que  donne 
le  comte  Plater,  d'après  une  statistique  dressée  un  demi-siècle  plus  tard'. 
Les  Polonais,  que  l'on  juge  surtout  d'après  les  princes  fastueux  et  les 
gentilshommes  ruinés  de  cette  nation  qui  vivent  en  Occident,  offrent, 
comme  tous  les  peuples  civilisés,  une  variété  infinie  de  caractères  ;  mais 
le  type  d'ensemble,  tel  qu'il  ressort  de  l'histoire,  est  bien  conforme  à  celui 
que  décrivent  les  observateurs.  Ils  ont  en  général  plus  de  dons  naturels 
que  de  qualités  profondes  acquises  par  un  travail  persévérant.  Impétueux, 
violents,  enthousiastes,  gracieux,  habiles  à  flatter,  désireux  de  plaire,  ils 
plaisent  en  effet,  mais  ils  n'ont  pas  toujours  souci  de  mériter  l'estime  par 
leur  conduite  :   ils  se  donnent,  mais  sans  se  posséder  eux-mêmes  ;   ils 

*  Population  de  la  Pologne  par  nationalilés  : 

Dapn;»  C.alkin.  D'après  Rillirh. 

Polonais.        .....     En  18G.S  :  5000577          En  1875  :  4573856.  68.41  pour  100. 

Juifs »  764947  »  8G05'27.  15. 4j  « 

Pclits-Russicns  ....  »  428580  »  505962j 

Blancs-Russiens  .    ...  »  55517  »  268Co[  8.52  li 

Gianiis-Hiissicns .    ...  n  1 1  U6.">  »  12155/ 

Allemands »  251149  r>  570  556  5.79  :> 

Lithuaniens »  277  049  »  2*1  147  5.77  n 

'  Population,  en  1821,  du  territoire  de  l'ancienne  Pologne  (avant  le  premier  partage)  : 

Ruthènes  (Russes  blancs  et  Oukraïnicns) 7  520  000 

Polonais 6  770  000 

Juifs 2  110  000 

Lithuaniens  et  Lettons , 1900  000 

Allemands lOiOOOO 

Grands-Russiei 180  000 

Roumains 100  000 


Ensemble. 20  220  000 

(Ricger,  Dictionnaire  scientifique,  552  ) 


508  NOI  VEME   GrOGRArinf;    IMVrRSKt.LE. 

comprennent  plus  fiicilemeut  les  grands  devoirs  que  ceux  de  la  vie  jour- 
nalière. Chez  eux,  l'ambition  est  rarement  soutenue  par  la  force  d'agir, 
la  curiosité  des  choses  de  la  science  l'emporte  sur  la  constance  dans  le 
travail,  l'imagination  est  supérieure  à  la  volonté,  le  caprice  succède  au 
caprice.  Toutefois  ils  ont  de  l'énergie  par  accès  et  sont  alors  capables 
d'accomplir  les  plus  grandes  choses,  surtout  dans  l'excitation  des  com- 
bats ou  l'imprévu  des  camps,  car  ils  sont  naturellement  joueurs  et  pro- 
digues ;  ils  risquent  volontiers  la  fortune  et  la  vie.  Dans  le  malheur, 
ils  savent,  comme  le  Français,  se  plier  aux  circonstances  et  ne  s'irritent 
point  lâchement  contre  la  destinée.  Si  le  type  primitif  se  conserve  le 
mieux  chez  la  femme,  ainsi  que  le  disent  les  anlhropologistes,  les  Polo- 
naises que  l'instruction  a  développées  montrent  bien  par  leurs  rares 
qualités  la  haute  valeur  de  la  race  dont  elles  sont  issues  :  non  seulement 
elles  ont  la  bonne  grâce,  l'esprit,  la  gaieté  constante,  la  facilité  d'élocu- 
tion,  elles  ont  aussi  la  puissance  de  dévouement,  le  courage,  la  décision 
jH'ompte  et  la  clarté  de  la  pensée  :  ce  sont  elles  qui  gardent  dans  toute  sa 
noblesse  et  sa  pureté  l'idéal  de  la  nation.  Le  plus  grand  défaut  des  Polonais 
est  de  n'avoir  pas  assez  de  respect  pour  le  travail  :  soit  comme  seigneurs, 
soit  comme  serfs,  leurs  pères  ont  appris  à  mépriser  ou  à  détester  le  labeur 
matériel,  et  ces  sentiments  subsistent  encore,  déplorabh;  héritage  légué  à  la 
génération  présente.  De  là  peut-être  ce  contraste  entre  la  nature  oi'iginaire 
du  Polonais,  qui  le  porte  si  facilement  à  l'héroïsme,  et  ses  habitudes,  (pii 
le  laissent  parfois  s'avilir.  En  lisant  les  recueils  des  poésies  populaires',  on 
est  frappé  du  peu  d'originalité  des  ballades,  de  la  vulgarité  et  même  du 
cynisme  des  chansons  amoureuses.  La  plupart  des  poètes  modernes  de  la  P(i- 
logne  ont  dû  s'inspirer,  non  des  clianls  polonais,  mais  des  doumas  cl  des 
traditions  oukraïniennes,  lithuaniennes  et  même  belo-russiennes  :  c'est  ipie 
depuis  le  onzième  siècle  les  paysans  polonais  avaient  été  asservis  par  les 
seigneurs,  tandis  que  la  période  d'écrasement  ne  date  en  Lithuanie  que  du 
quinzième  siècle  et  en  Oukraïne  que  du  dix-hnilième  siècle.  Il  était  diffi- 
cile que  snns  le  régime  des  gens  de  la  szlaclifa,  lnus  laquais  des  seigneurs 
et  tyrans  des  pauvres,  une  poésie  pure  et  noble  pût  se  former  chez  les 
paysans  de  Pologne.  La  lillériiture  populaire  polonaise  se  dislingue  surtout 
des  autres  littératures  slaves  par  sa  richesse  en  proverbes  Instoriques  ayant 
tous  pris  leur  origine  dans  la  noblesse,  qui  formait,  pour  ainsi  dire,  le 
peuple  politique'. 


'  Kolbcip,  Le  Peuple  (en  poloniiis) ;  —  Pelrov,  Recueil  de  r.\cadémie  de  C.racovic. 
-  Kccucil  (lu  Duruvski. 


il 


m 


POLONAIS.  401 

Àvpc  leur  imprévoyance,  leur  faste  et  leur  générosité  naturelles,  les 
Polonais,  quoique  fort  habiles,  sont  faciles  à  tromper,  et  dans  le  pays 
même  les  exploiteurs,  juifs  et  chrétiens,  ne  manquent  pas.  Les  Israé- 
lites, un  peu  moins  nombreux  proportionnellement  que  dans  la  Galicie 
orientale,  où  se  trouve  le  centre  de  l'essaim,  se  pressent  néanmoins  en 
multitudes  dans  toutes  les  villes  polonaises.  D'ailleurs,  en  Pologne  comme 
en  Galicie  et  en  Hongrie,  leur  accroissement  annuel  est  supérieur  à  celui 
des  chrétiens  :  ils  conservent  mieux  leurs  enfants  et  vivent  jusqu'à  un  âge 
plus  avancé,  quoique  la  plupart  d'entre  eux  soient,  comme  les  artisans 
polonais,  tombés  dans  le  prolétariat  :  parmi  les  Juifs,  comme  parmi  les 
chrétiens,  les  grandes  affaires  se  font  au  profit  de  quelques-uns.  Au  milieu 
du  seizième  siècle,  on  évaluait  d'ordinaire  à  200  000  personnes  la  po- 
pulation israélite  de  Pologne;  mais  un  impôt  de  capitation,  auquel  des 
milliers  peut-être  réussirent  à  se  soustraire,  ne  donna  qu'un  total  de 
16  589  individus'.  Un  siècle  après,  en  1G59,  le  recensement  de  l'impôt  en 
indiquait  100  000,  et  en  1764,  toujours  d'après  les  registres  de  capitation, 
ils  auraient  été  429  656,  mais  l'historien  Czacki  pense  que  leur  nombre 
réel  était  1800  000.  Ils  sont  maintenant  plus  de  850000,  quoique  le 
territoire  de  la  Pologne  ait  été  réduit  des  cinq  sixièmes  depuis  le  partage 
de  1772. 

La  j)lupart  des  Juifs  polonais,  descendant  d'immigrants  venus  des  bords 
du  Rhin,  parlent  encore  le  dialecte  rhénan-franconien  de  leurs  ancêtres  \ 
Us  augmentent  ainsi,  pour  une  forte  part,  l'importance  des  colonies  ger- 
maniques, et  dans  plusieurs  villes  les  habitants  de  langue  allemande,  Juifs 
et  Germains,  forment  dôjk  la  majorité.  Lodz,  la  deuxième  cité  des  «  Pays 
de  la  Vistule  »,  est  plus  germaine  que  polonaise  par  le  langage,  et  Varsovie 
elle-même,  bien  que  les  Allemands  y  fussent  comptés  en  1870  seulement 
pour  un  vingt-cinquième  de  la  population,  avait  un  tiers  de  ses  habitants 
dont  le  parler  ordinaire  était  l'idiome  germanique.  Dans  l'ancienne  Polo- 
gne, les  villes,  dont  quelques-unes  avaient  été  fondées  par  des  colons 
allemands,  étaient  tout  à  fait  séparées  du  peuple,  isolées  dans  leurs  pri- 
vilèges locaux,  sans  rôle  dans  la  république  de  gentilshommes  qui  con- 
stituait l'Ktat  :  étrangères  à  la  véritable  Pologne,  elles  étaient  «  comme  des 
gouttes  d'huile  sur  un  étang'  ».  De  nos  jours,  les  villes,  loin  d'être,  pour 
ainsi  diie,  en  dehors  de  la  nation,  la  dirigent  au  contraire  et  là  s'élaborent, 

'  Malle-Brun,  Tableau  de  la  Polo(jne  ancienne  et  moderne;  —  Siiiioiicnlio,  Slalislique  comparée 
du  royaume  de  J'otoijnc  {en  nissc). 

■  liiclianl  liiickti,  lier  Deuhchen  Votkszahl  und  Sprachgebiel  in  den  Europùischen  Staateu. 

'  llljjp|ip,  Vcrfassuny  l'ohm;  —  A.  Lcioy-Bcauliou,  Retuc  des  Deux  Mondes,  1"  avril  1870. 

V.  M 


402  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE 

non  seulement  les  richesses  industrielles  du  pays,  mais  aussi  ses  institu- 
tions et  ses  lois.  Or,  ces  villes  sont,  comme  au  moyen  âge,  les  lieux  d'im- 
migration des  Allemands,  et  ceux-ci  prennent  ainsi  dans  le  pays  une  part 
d'influence  considérable.  Ils  sont  en  Pologne  beaucoup  plus  nombreux, 
proportionnellement  et  absolument,  que  dans  les  provinces  dites  «  alle- 
mandes «  des  bords  de  la  Baltique.  Il  est  vrai  que  le  gouvernement  russe  n'a 
pas  cru  devoir  jusqu'à  maintenant  prendre  les  mêmes  précautions  contre 
l'influence  allemande  en  Pologne  que  dans  les  provinces  d'Ehstonie,  de  Li- 
vonie  et  de  Courlande.  Comptant  sur  la  rivalité  naturelle  et  même  sur  la 
haine  qui  sépare  les  Allemands  des  Polonais,  révélée  par  le  proverbe  :  «Tant 
que  le  monde  restera  monde,  l'Allemand  ne  sera  pas  le  frère  du  Polo- 
nais !  »  le  gouvernement  a  souvent  encouragé  la  colonisation  germanique 
dans  les  pays  de  la  Yislule,  afin  d'affaiblir  ainsi  l'élément  national.  Peut- 
être  lui  faudra-t-il  quelque  jour  changer  complètement  de  système  et 
s'appuyer  au  contraire  sur  les  Polonais  pour  éviter  une  rapide  germani- 
sation des  districts  slaves  voisins  de  la  frontière'.  Tandis  que,  privée  de 
la  libre  disposition  d'elle-même,  la  Pologne  orientale  a  été  transformée 
par  les  Piusses  en  une  vaste  forteresse  contre  l'Allemagne,  les  Allemands 
se  sont  pacifiquement  établis  au  cœur  de  la  place,; et  leur  part  réelle  de 
pouvoir,  celle  que  donnent  l'intelligence  et  l'industrie,  est  bien  supérieure 
à  celle  des  habitants  russes  et  lithuaniens  de  la  Pologne,  établis  pour  la 
plupart  dans  le  voisinage  de  la  frontière  orientale. 

Heureusement  que  le  peuple  polonais  grandit  et  se  développe,  et  qu'il 
devient  de  plus  en  plus  fort  pour  lutter  contre  les  influences  extérieures. 
Quoique  privé  de  son  autonomie  politique,  il  a  certainement  plus  de  sen- 
timents patriotiques,  plus  de  valeur  morale  qu'au  dernier  siècle,  à  l'époque 
oîi  les  seigneurs  vendaient  leur  pays  au  plus  offrant  et  où  la  nation  lais- 
sait s'accomplir  le  marché  sans  y  prendre  garde.  Malgré  les  désastres  qui 
ont  suivi  l'insurrection  de  J865  et  qui  ont  frappé  surtout  les  classes 
riches,  l'abolition  des  privilèges  de  la  noblesse  et  du  clergé,  de  même  que 
les  changements  agraires  et  communaux,  réclamés  depuis  longtemps  par 
le  parti  démocratique  polonais*,  ont  eu  les  conséquences  les  plus  heu- 
reuses. Au  point  de  vue  matériel,  les  progrès  sont  de  toute  évidence. 
La  prospérité  générale  s'est  accrue  ou.  pour  mieux  dire,  la  misère  a  di- 
minué. En  1850,  le  nombre  des  propriétaires  du  sol,  presque  tous  nobles, 

'  Élrangers  en  Pologne  : 

En  1875,   103  902;  en  1881,   IM  506,  dont  67  481  non  sujets   de  l'empire. 

'  Manifosle  du  Towarifislwo  Dcmokralycznc  (Associalion  démocratique)  de  iSù'2,  signe  par 
1153  membres  de  ri!mi''r,itioa. 


POLONAIS  ET  ALLEMANDS.  405 

dépassait  à  peine  218  000  et  ne  représentait  pas  même  la  seizième  partie 
de  la  population.  La  foule  des  cultivateurs  était  composée  de  fermiers,  de 
journaliers  et  de  valets.  Mais  depuis  la  loi  de  1804  les  fermiers  et  quelques 
journaliers  sont  devenus  propriétaires,  et  depuis  1866  la  distribution  des 
terres  de  la  couronne  et  des  églises  a  commencé  en  faveur  de  ceux  qui 
n'avaient  encore  rien  reçu.  Des  mesures  analogues  ont  été  prises  dans  les 
petites  villes  et  les  bourgs.  Avant  1864,  treize  villes  seulement  sur  468 
étaient  bâties  sur  un  sol  appartenant  aux  habitants;  toutes  les  autres 
étaient,  suivant  les  us  féodaux,  la  propriété  des  seigneurs  ou  de  la  cou- 
ronne. De  ces  prétendues  villes,  537  ont  été  transformées  en  villages  agri- 
coles '  et  les  terres  en  ont  été  assignées  aux  paysans. 

Les  conséquences  de  ces  réformes  agraires  ont  été  considérables.  Les 
exploitations  agricoles,  accrues  au  profit  exclusif  des  laboureurs,  ont  aug- 
menlé  en  huit  années  de  plus  d'un  million  d'hectares  en  surface  ;  en 
1872,  la  superficie  du  territoire  de  culture  concédé  aux  paysans  s'éten- 
dait sur  un  espace  d'environ  le  tiers  de  la  Pologne,  et  plus  du  dixième  était 
en  possession  communale';  la  moyenne  du  terrain  appartenant  à  chaque 
famille  de  laboureurs  est  de  plus  de  6  hectares.  Durant  les  quinze  années 
antérieures  à  1859,  les  terres  en  culture  dans  l'étendue  du  royaume  ne 
s'étaient  accrues  que  d'environ  220  000  hectares";  l'augmentation  a  été 
de  550  000  hectares  pendant  les  dix  années  qui  ont  suivi  la  remise  des 
terres  libres  aux  paysans';  plus  de  deux  millions  d'individus,  en  y  com- 
prenant les  familles,  prennent  part  à  la  possession  de  la  terre.  La  produc- 
tion des  céréales  s'est  élevée  de  plus  d'un  tiers,  de  27  millions  à  43  millions 
d'hectolitres,  et  la  récolte  des  pommes  de  terre  a  plus  que  doublé.  Le 
bétail  a  augmenté  aussi  en  de  fortes  proportions  %  et  les  statistiques  locales 
prouvent  que  cet  accroissement  s'est  fait  surtout  dans  les  enclos  des  petits 
paysans  et  non  dans  les  domaines  des  grands  propriétaires.  Grâce  à  l'ac- 

'  Zafenski,  Statistique  comparée  (en  polonais). 

*  Propriétés  des  paysans  polonais  en  1873,  d'après  Anoutchin  : 

Feui.  Superficie  en  1872. 

Sur  les  terres  des  seigneurs  et  des  couvents,  elc.       4i0  721  2  981   000  hectares. 

»            des  villes   . 03  958  271  500          « 

»             de  la  couronne 100  OSS  127  .wO 

Ensemble 094  747  5  379  830  fieclarcs. 

'  Tenfioborskiy,  Forces  productives  de  la  Russie;  —  Scliaitzlor,  L'Empire  dés  Tsars. 

*  Simonenko,  ouvrage  cité. 

*  Statistique  du  bétail  en  Pologne  : 

lîrebis 3  723  000  en  18G0  4  180  000  en  1870. 

Dœufs  et  v.ncbcs 1997  211       ;)  2  429  920  en  1881. 

i;hevaux 590  873       s-  733  421  en  1870. 


404 


ÏÏOUYELLE   GÉOGRAPUIE   UNIVERSELLE. 


cfoisscmenl  des  ressources  agricoles,  l'industrie  manufacturière  de  la 
Pologne  a  fait  plus  que  doubler  ses  produits  depuis  les  lois  agraires 
de  18G4  :  tandis  que  la  production  industrielle  de  1857  était  évaluée  à 
42  millions  de  roubles,  soit  à  IGO  millions  de  francs  environ,  elle  était 
de  140  millions  de  roubles  en  1878.  D'ailleurs,  l'augmentation  du  bien- 
être  est  rendue  évidente  par  le  mouvement  de  la  population,  que  les  révo- 
lutions^  les  massacres,  les  épidémies  avaient  fait  jadis  si  fréquemment 
diminuer  :  les  naissances  ne  sont  pas  plus  nombreuses,  mais  la  mortalité 
a  décru  ;  la  vie  moyenne  s'est  allongée,  et,  par  un  phénomène  inattendu, 
c'est  maintenant  l'élément  polonais  qui  l'emporte  par  ses  progrès  sur  l'élé- 


K»   C    MOUVEMENT  IlE    LA    POriTATION    POlONAISr.   DE    1816    4    1881. 


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Perron 

ment  germanique.  Les  tables  dressées,  non  par  nationalités,  mais  par  reli- 
gions, prouvent  que  de  1863  à  1870  les  catholiques.  Polonais  en  grande 
majorité,  ont  augmenté  de  21  pour  100,  alors  que  les  prolestants.  Alle- 
mands presque  tous,  n'ont  gagné  que  12  pour  100.  Avant  la  constitution 
(le  la  petite  propriété  en  Pologne,  c'est  précisément  le  contraire  qui  se 
produisait  d'année  en  année.  La  fondation  de  nouvelles  écoles,  établies  par 
les  paysans  eux-mêmes  et  à  leurs  frais,  est  également  une  jireuve  remar- 
quable des  progrès  accomplis';  toutefois  l'obligation  de  parler  russe  dans 
les  écoles  est  un  grand  obstacle  à    leur  développement,   les    élèves  étant 


'  Écoles  primaires  de  la  Polo|;nc  : 

En  18G.")  :     848  ccolcs,    -47  550  élèves. 
En  \»T2  :  20'20      »       110  550     » 


En  1876  :  3181  écoles,  1fi8  5-49  élèves, 
soit  1  sur  57  liiib.  (Dans  le  districl  de 
Moscou,  1  siii'  51  hab.) 


PROGRES  MATÉRIELS  DE  LA  POLOGNE.  405 

forcés  de  «  rôpétei'  les  mots  avant  de  comprendre  les  choses  »  '.  Enfin,  les 
crimes  de  toute  espèce,  et  principalement  ceux  auxquels  on  donne  le  nom 
de  «  crimes  contre  la  propriété  »,  ont  diminué  en  d'étonnantes  propor- 
tions, du  tiers,  de  moitié,  même  des  deux  tiers,  et  cependant  le  nombre 
des  habitants  s'accroissait  d'un  million  et  demi  dans  le  même  espace  de 
temps. 

Vue  d'une  manière  générale,  il  est  certain  que  la  participation  des 
paysans  à  la  propriété  a  été  inaugurée  d'une  manière  beaucoup  plus  heu- 
reuse dans  les  «  Pays  de  la  Vistule  »  que  dans  la  Poznanie  prussienne  et 
dans  la  Galicie  autrichienne.  La  cause  en  est  surtout  aux  libertés  commu- 
nales, restreintes,  mais  non  absolument  illusoires,  dont  jouissent  les 
j)aysans  polonais.  Tous  les  cultivateurs  possédant  trois  morg  (de  l'alle- 
mand morfjen),  c'est-à-dire  un  peu  plus  d'un  hectare  et  demi,  peuvent 
discuter  dans  l'assemblée  de  la  gmina  (de  l'allemand  gemeinde)  leurs 
intérêts  agricoles,  même  les  gérer  en  partie,  et  contre  les  usuriers  ils 
ont  la  force  que  leur  donne  la  solidarité  :  là  où  l'homme  isolé  succom- 
berait, la  commune  résiste  et  triomphe.  Dans  la  Poznanie,  oii  les  paysans 
sont  restés  sous  la  magistrature  et  la  surveillance  policière  de  leurs  an- 
ciens seigneurs,  la  moitié  des  terres  de  quelques  districts  a  été  déjà 
levendue  à  vil  prix  à  ceux  qui  les  possédaient  avant  1848,  le  prolétariat 
augmente  d'année  en  année,  en  même  temps  que  la  criminalité,  et  nombre 
de  misérables  n'ont  d'autres  ressources  que  l'émigration''.  En  Galicie,  la 
situation  des  paysans  est  pire  encore,  et  la  terre,  que  les  cultivateurs 
croyaient  enfin  leur  appartenir,  passe  rapidement  entre  les  mains  des  usu- 
riers ".  Les  communes  de  Pologne,  assiégées  de  tous  les  côtés  par  les  prê- 
teurs d'argent,  envahies  déjà  partiellement  par  les  chefs  d'industrie,  auront- 
elles  l'intelligence  et  l'énergie  nécessaires  pour  défendre  leurs  champs? 
.Ius((u'à  maintenant  elles  semblent  avoir  réussi. 

Quant  à  l'œuvre  de  «  russilicalion  »  entreprise  en  Pologne,  d'ailleurs 
sans  méthode  et  sans  esprit  de  suite,  elle  ne  pouvait  aboutir,  et  la  nation 
reste  plus  polonaise  que  jamais.  Di^à  séparée  des  Russes  par  les  traditions 
patriotiques,  par  la  religion,  par  les  mœurs,  elle  continue  de  l'être  j)ar  la 
langue.  Sans  doute,  les  jeunes  gens  des  gymnases  apprennent  le  russe  et 

'  Hmée  pcdaijoyique,  187fl,  n°'  2  et  5  (en  russe). 
-  Enscl,  l'reussische  Sldlislik,  llefl  XXV[,  1874. 
■•  Vente  des  p  opriétés  de  pivsnn'i  m  G:ilicie  ; 

1807 164  ventes  ii  l'encan  en       150  villages. 

1875 fiU       ,.  ,.         ,.       409       » 

1877 2101)       «  ..         ..      1200       I. 

iUuicau  slalistique  de  Lwow.) 


40G  ^OL■V■ELLE   GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

savent  s'exprimer  dans  l'idiome  de  leurs  vainqueurs  ;  sans  doute  aussi  les 
écoles  secrètes  polonaises  ont  été  partout  découvertes  et  fermées  ;  mainte- 
nant tous  les  manuels  des  écoles  primaires  sont  rédigés  en  russe  et  les 
questions  sont  posées  par  l'instituteur  dans  la  langue  étrangère  ;  mais,  que 
les  enfants  comprennent  ou  non  la  leçon  qu'on  leur  donne,  le  polonais 
n'en  reste  pas  moins  leur  langue  maternelle,  celle  dans  laquelle  ils  pen- 
sent. La  littérature  polonaise  est  toujours  cultivée  avec  le  même  zèle, et 
chaque  année  s'enrichit  d'ouvrages  originaux  et  surtout  de  traductions 
nombreuses'. 


Les  villes  se  pressent  en  Pologne,  région  industrielle  de  l'empire  russe, 
et  principalement  dans  le  territoire  voisin  de  la  haute  Silésie,  de  ses  bas- 
sins houillers  et  de  ses  mines  :  des  deux  côtés  de  la  frontière  s'élèvent  les 
grandes  usines  et  s'agitent  les  populations  ouvrières.  D'ailleurs  le  gisement 
de  combustible  s'étend  sous  le  territoire  polonais,  où  l'on  exploite  surtout 
les  houillères  de  Dombrowa  ■. 

Dans  cette  partie  de  la  Pologne,  presque  toutes  les  eaux  s'écoulent  vers 
l'Odei-,  à  l'exception  de  quelques  ruisseaux  qui  descendent  vers  le  sud  et 
vont  rejoindre  la  Vistule  naissante,  en  amont  de  Cracovie  :  un  de  ces  ruis- 
seaux traverse  Bedzin,  le  chef-lieu  d'une  région  de  manufactures.  La  ville 
qui  commande  la  haute  vallée  de  la  Warta  est  l'antique  et  lière  cité  de 
Czestochowa,  à  l'ouest  de  laquelle,  séparée  par  le  chemin  de  fer,  grandit 
une  nouvelle  ville.  A  l'orient  s'élève  le  «  Clair  Mont  »  ou  Jasna  Géra,  por- 
tant à  la  cime  un  couvent  qui  ressemble  à  une  forteresse  et  qui  fut  en 
effet  pendant  des  siècles  un  des  principaux  châteaux  forts  de  la  Pologne  : 
en  ITOi,  les  Suédois  l'assiégèrent  en  vain.  Le  prieur  fuljusqu'à  l'année  1705 
le  commandant  militaire  de  la  place.  Grâce  à  une  image  de  la  madone, 
d'origine  byzantine,  à  laquelle  la  diète  de  1650  voua  le  royaume,  et  que  le 
peu]ii(!  considère  comme  la  «  reine  de  Pologne  »,  le  couvent  de  Czesto- 
chowa, enrichi  par  de  continuels  présents,  devint  propriétaire  d'immenses 
domaines  s'étendant  sur  la  quinzième  partie  de  l'ancienne  Pologne,  et  com- 
prenant environ  5  millions  d'hectares.  Privé  maintenant  de  ce  véritable 
royaume,  le  couvent  a  du  moins  un  riche  trésor,  agrandi  chaque  année 
pai-  les  cinquante  ou  soixante  mille  pèlerins  accourus  de  tous  les  pays 
calholiiiues  des  trois  empires  :  à  l'ouest  de  Kiyev,  Czestochowa  est  le  lieu 


'  l'iililiiMlinni  |iéri(iiliinii's  |iolon;iisi's  dans  les  poiivornoinwUs  ilo  la  Visliilr  en  IS77  :  (50. 

-  l'rci.liictiim  ili's  iKJuilloivs  ilo  I)i)iiilini\va  en  Is71  :  'JSS  000  toimes  ;  ou  1S78,   DOJ  ôOl)  loiiiies. 


KALISZ,  tODZ.  409 

de  pèlerinage  le  plus  fréquenté  du  monde  slave.  Comme  tontes  les  villes 
saintes  où  les  étrangers  se  rencontrent  en  foule,  Czçstochowa  est  aussi  un 
marché  considérable  et  fait  commerce  de  bestiaux,  de  draps,  de  toiles  et 
d'objets  de  mercerie. 

A  peine  entrée  dans  la  province  de  Kalisz,  la  Warla,  grossie  de  nom- 
breux affluents,  parcourt  une  large  vallée  d'alluvions  au  milieu  de  laquelle 
est  assise  la  ville  de  Sieradz,  non  loin  de  laquelle,  sur  le  plateau  de  l'est, 
se  trouve  une  autre  ville,  plus  populeuse,  Zdiinska  Wola,  Ensuite  la  rivière 
baigne  la  base  de  la  colline  où  s'élève  la  ville  de  Warta,  dont  elle  porte  le 
nom  ou  qui  a  reçu  le  sien  ;  puis,  après  avoir  décrit  une  grande  courbe 
vers  l'ouest,  elle  entoure  l'îlot  dans  lequel  a  été  bâtie  la  ville  de  Kol'o, 
baigne  les  murs  de  Konin  et  pénètre  en  Prusse  au  confluent  de  la  Prosna. 
Ce  cours  d'eau  sert  de  frontière  entre  les  deux  empires,  et  sur  ses  bords, 
au  milieu  des  arbres  fruitiers,  s'élève  la  cité  de  Kalisz,  le  chef-lieu  de  la 
province.  Cette  ville  historique,  maintenant  fort  commerçante  et  possédant 
des  manufactures  de  draps,  est  considérée  comme  la  plus  ancienne  de  la 
Pologne  ;  peut-être  même  est-ce  la  ville  mentionnée  par  Ptolémée  sous  le 
nom  de  Kalisia.  La  contrée  environnante  est  parsemée  de  buttes  funéraires, 
dans  lesquelles  on  a  fait  de  riches  trouvailles. 

Plusieurs  autres  villes  polonaises  se  trouvent  aussi  dans  le  bassin  de  la 
Warta  sans  être  sur  ses  bords  ou  dans  le  voisinage.  Telle  est  Turek,  située 
au  nord-est  de  Kalisz;  telles  sont  aussi,  à  l'orient  de  cette  rivière,  Leczyca, 
ancienne  résidence  de  voïvodes,  et  diverses  villes  de  filatures  et  de  fabri- 
ques d'étoffes,  Ozorkôw,  Pabianice,  Zgierz,  todz.  Cette  dernière,  qui  n'était 
encore  en  IS^l  qu'un  pauvre  village  de  moins  de  800  habitants,  est  main- 
tenant la  deuxième  cité  de  la  Pologne  par  sa  population  aussi  bien  que 
par  son  industrie.  Mais  ce  n'est  pas  une  ville  ordinaire  ;  c'est  plutôt  une 
rue  d'une  dizaine  de  kilomètres  de  longueur,  de  chaque  côté  de  laquelle  se 
succèdent  les  maisons  des  ouvriers,  les  filatures  de  coton,  les  fabriques  de 
draps,  les  teintureries  et  autres  établissements  industriels,  au  nombre  de 
plusieurs  centaines';  elle  fabrique  à  elle  seule  les  sept  huitièmes  de  toutes 
les  étoffes  de  coton  qui  se  font  en  Pologne.  La  plupart  de  ces  manuf;ictures 
appartiennent  à  des  Allemands. 

Le  bassin  de;  la  Pilica,  dont  les  eaux,  nées  près  de  la  ville  de  même 
nom,  vont  rejoindre  la  Vislule  en  amont  de  Varsovie,  a  beaucoup  moins 
d'importance  industrielle  que  celui  de  la  Warta.  Przedborz,  où  la  rivière 
n'est  pas  encore  navigable,  n'est  qu'un  marché  agricole.  La  ville  de  Piotr- 

'  Valeur  des  élofies  de  colon  fabriquées  à  liodz  en  1880  :  22  08 i  000  roubles. 

Y.  52 


4!0  NOUVELLE   GÉOGRiPIllE   UNIVERSELLE. 

Ivow,  sitiiéo  non  loin  de  la  Pilica,  dans  une  vallée  laléralc  de  l'ouesl,  esl 
une  ville  qui  doit  presque  toute  son  importance  à  san  rang  de  chef-lieu 
(le  piovince.  Tomaszôw  a  de  nombreuses  manufactures  de  draps;  mais  en 
aval  il  n'y  a  plus  dans  la  vallée  de  la  Pilica  que  des  bourgades  faiblement 
peuplées.  Radom,  capitale  de  la  province  de  son  nom,  est  dans  une  vallée 
plus  méridionale,  dont  les  eaux  sont  alimentées  par  les  sources  et  les 
neiges  de  la  Lysa  Géra.  C'est  une  vieille  cité  où  se  fait  un  commerce 
d'échange  très  actif  entre  les  montagnards  et  les  gens  de  la  plaine.  Sur  le 
versant  méridional  de  la  Eysa  Géra  sont  aussi  quelfpies  villes  indus- 
trieuses :  Kielce,  chef-lieu  du  gouvernement,  ville  d'usines  à  fer  et  de 
fabriques  de  sucre,  entourée  de  collines  pittoresques,  d'où  l'on  retirait 
autrefois  le  minerai  de  cuivre  ;  Chçciny,  près  de  laquelle  on  exploite  des 
carrières  de  marbres;  Chmielnik;  Pinczéw,  qui  possède  des  mines  de 
pyrites;  Wîslica,  ancienne  résidence  royale,  célèbre  par  le  «  statut  de 
Wislica  »,  édicté  par  Casimir  le  Grand  en  1547;  Nowe  Miaslo,  située  éga- 
lement sur  la  Nida,  et  comme  AYislica,  enrichie  par  ses  gisements  de 
soufre;  Staszôw;  Rakôw,  maintenant  simple  village,  qui  fut  au  dix-septième 
siècle  le  centre  intellectuel  des  sociniens,  l'Athène  sarmatique,  détruite 
par  ordre  du  sénat  en  1658,  vingt  ans  avant  la  promulgation  de  la  loi  votée 
contre  la  secte.  La  fière  Sandomierz  est  assise  au  bord  de  la  Yistule  et 
couronnée  de  son  ancien  château.  Cette  ville,  une  de  celles  dont  le  nom 
est  le  plus  souvent  répété  dans  l'histoire  de  la  Pologne,  était  la  capi- 
tale du  royaume  pendant  le  treizième  siècle,  et  l'une  de  ses  églises,  de 
style  byzantin,  date  de  celte  époque.  Son  commerce  lui  donna  de  grandes 
richesses;  mais  précisément  son  rôle  prépondérant  dans  l'Etat  lui  valut 
lies  sièges  et  des  incendies.  Actuellement,  elle  n'a  plus  d'importance  que 
jiar  le  flottage  des  bois  et  par  la  navigation  fluviale  pour  le  transport  des 
céréales. 

A  l'est  de  la  Yistule,  mais  en  entier  dans  son  bassin  et  dans  celui  de 
son  affluent  le  Bug,  le  gouvernement  de  J.ublin  occupe  l'angle  sud- 
oriental  de  la  Pologne  actuelle.  Sa  capitale,  longtemps  disputée  entre  les 
Polonais  et  les  Russes  de  la  Galicie,  fut  deiiuis  le  seizième  siècle  et  avant  les 
développements  rapides  de  todz,  la  deuxième  ville  delà  Pologne;  elle  ne 
le  cède  toujours  qu'à  Yarsovic  en  majesté  d'aspect.  Aux  temi)s  des  Ja- 
gello,  elle  eut,  dit-on,  40  000  habitants,  et  nulle  cité  ne  pouvait  se  mesurer 
avec  elle  dans  tout  l'espace  compris  entre  la  basse  Yistule  et  le  Di'iejjr; 
mais,  dévastée  à  diverses  reprises  par  les  Tartares  et  j)ar  les  Cosaques,  elle 
fut  réduite  plusieurs  fois  à  la  condition  de  bourgade  :  en  dehors  de  la 
ville  actuelle,  des  ruines  informes  couvrent  encore  une  grande  étendue  de 


VILLES   DE   LA   POLOGNE  MÉRIDIONALE.  411 

terrains;  il  ne  reste  que  de  pittoresques  débris  de  ses  murailles.  Lulilin 
est  devenue  célèbre  par  la  diète  orageuse  de  1568  et  1569,  où  fut  décidée 
l'incorporation  de  la  Lithuanie  à  la'  Pologne.  Comme  forteresse,  elle  a  été 
remplacée  par  la  ville  de  Zamosc,  située  sur  un  plateau  marécageux,  à 
^•20  mètres  d'altitude,  non  loin  de  la  frontière  autrichienne  et  du  laite  de 
partage  entre  le  bassin  de  la  Vistule  et  celui  du  Diiestr.  A  la  fin  du  seizième 
siècle,  le  comte  Zamoyski  en  choisit  l'emplacement  sur  ses  immenses  do- 
maines et  la  fit  bâtir  avec  des  rues  à  arcades  sur  le  modèle  des  villes  de 
Lombardie  ;  il  la  dota  aussi  d'une  académie  et  d'autres  institutions  qui 
ont  cessé  d'exister.  Mais  la  ville  commerce  toujours  avec  la  Volînie  et  la 
Galicie,  de  même  que  ses  deux  voisines,  Bi'l'goraj  et  Hrubieszôw.  La  pre- 
mière a  la  spécialité  des  tamis  :  elle  en  vend  plus  d'un  million  par  an. 
Près  de  la  seconde,  le  village  de  Horodla,  sur  le  Bug,  rappelle  le  pacte 
conclu  pour  la  première  fois  entre  la  noblesse  catholique  de  la  Lithuanie 
et  celle  de  la  Pologne  en  1415.  Toute  cette  contrée  est  des  plus  impor- 
tantes dans  l'histoire  de  la  Pologne  et  des  pays  voisins.  Un  des  villages 
voisins,  Tchermo,  l'ancienne  Tcherveii,  donna  son  nom  au  groupe  des  villes 
russes  de  la  «  Russie  Rouge  »,  devenue  plus  tard  la  Galicie. 

A  l'est  de  Lublin,  sur  un  affluent  du  Bug  et  déjà  dans  le  pays  Iiobiti' 
par  les  Petits-Russiens,  s'élève  l'une  des  plus  anciennes  villes  russes,  Kholni 
(en  polonais  Chelm);  elle  doit  son  nom,  qui  signifie  «  colline»,  à  la  butte  sur 
laquelle  s'élevait  un  château  dont  ne  purent  jamais  s'emparer  les  Tartarcs. 
Dans  les  environs,  au  nord  et  au  sud,  se  dressent  deux  anciennes  tours 
carrées,  sans  ouvertures  et  sans  vides  à  l'intérieur,  dans  lesquelles  des 
antiquaires  voient  des  symboles  d'un  culte  païen,  tandis  que  pour  d'au- 
tres elles  sont  les  marques  de  la  frontière  de  Galicie  au  treizième  siècle. 
Ville  épiscopale  des  Uniates,  c'est-à-dire  des  orthodoxes  grecs  unis  à 
l'Église  romaine,  Khoim devint  leur  capitale  en  1859,  après  la  suppres- 
sion de  l'Union  dans  la  Russie  proprement  dite;  mais  en  Pologne  il  ne 
reste  plus  qu'un  petit  nombre  des  240  000  Uniates  qui  s'y  Uouviiiciil 
en  18(34  :-des  conversions,  où  la  force  a  joué  un  certain  rôle  et  qu'ont 
accompagnées  des  conflits  sanglants,  ont  rattaché  les  Uniates  à  l'église 
orthodoxe   russe. 

La  Vistule  sert  de  frontière  commune  aux  deux  gouvernements  de  Lublin 
et  de  Radom  dans  toute  la  partie  de  son  cours  moyen  dirigée  du  sud  ;ui 
nord.  Avant  de  se  reployer  au  nord-ouest  pour  couler  vers  Varsovie,  elle 
passe  dans  un  défilé  ([ue  dominent  des  ruines  historiques,  à  l'ouest  Jano- 
wicc,  à  l'est  Kazimierz,  et  passe  devant  le  magnifique  château  et  le  parc 
de  Putawy,  ancien  domaine  princier  auquel  a  été  imposé  le  nom  de  Nowo 


41-2 


NOUVELLE   GEOGII.VPIIIE   UNIVERSELLE. 


Alexandrva,  et  dont  tous  les  trésors,  livres  précieux,  manuscrits,  objets 
d'art,  ont  été  transportés  à  Saint-Pétersbourg  :  le  palais  est  devenu  un 
institut  agricole  et  forestier.  Plus  bas,'  au  confluent  de  la  Vistule  et  de 
la  Wieprz,  la  forteresse  d'Ivangorod,  l'ancienne  Demblin,  couvre  au  sud- 
ouest  les  abords  de  Varsovie. 

Cette  capitale,  la  Warszawa  des  Polonais,  est  de  beaucoup  la  première 


N"  8i-    VARSOVIE. 


Est   de    rafis 


D'après  I  ttat-Majc-  et  d  autres  documents 


cité  de  la  Pologne,  et  dans  l'empire  slave  elle  vient  immédiatement  après 
Saint-Pétersbourg  et  Moscou.  Pourtant  ce  n'est  pas  l'une  des  villes  anciennes 
de  la  contrée  :  Gnesen,  Cracovie  existaient  déjà  depuis  des  centaines  d'années 
(jue  le  site  où  s'élève  de  nos  jours  la  puissante  Varsovie  était  encore  une 
forêt  remplie  de  bêtes  fauves  :  le  nom  de  celte  ville  apjiaraît  j)our  la  pre- 
mière fuis  au  commencement  du  treizième  siècle.  La  conlrt-e  que  parcourt 
la  Vistule  moyenne  était  occupée  surtout  par  la  peuplade  presque  indé- 
jiendanle   des  Mazurcs,  qui   se  rangea  parfois  avec  les  chevaliers  Teuto- 


VARSOVIE.  4i:. 

niques  contre  les  Polonais  et  ne  se  fondit  complètement  avec  la  monarchie 
qu'à  l'extinction  de  sa  maison  ducale  en  1526.  Lorsque  la  Lilhuanie 
fut  incorporée  à  la  Pologne,  Varsovie  fut  choisie  comme  le  lieu  de  réu- 
nion des  dictes,  précisément  parce  qu'elle  n'était  «  ni  polonaise  ni  li- 
thuanienne, et  se  trouvait  sur  le  territoire  neutre  de  la  Mazovie  ». 
C'était  en  1569.  Devenue  ainsi  le  centre  d'équilibre  de  la  Pologne  et  de  la 
Lithuanie,  et  débarrassée  des  limites  incertaines,  mais  gênantes,  qui  pro- 
venaient de  la  séparation  du  pays  en  plusieurs  Etats,  Varsovie  profita 
aussitôt  des  avantages  géographiques  de  sa  position.  Elle  est  située  sur  un 
grand  fleuve  navigable,  au  centre  d'une  plaine  fertile  qui  s'étend  des  pla- 
teaux de  la  Prusse  orientale  au  massif  de  Eysa  Géra.  C'est  vers  la  partie 
du  cours  fluvial  dont  Varsovie  occupe  le  milieu  que  les  affluents  conver- 
gent en  plus  grand  nombre  :  en  amont,  la  Wieprz  et  la  Pilica,  venues  l'une 
du  sud-est,  l'autre  du  sud-ouest,  apportent  à  la  Vistule  les  eaux  de  presque 
toute  la  Pologne  méridionale;  en  aval,  la  rivière  abondante  dans  laquelle 
viennent  de  se  mêler  le  Narew  et  le  Bug,  ajoute  sa  masse  d'eau  à  celle  du 
fleuve  principal.  De  même  que  Paris,  bâti  au-dessus  du  confluent  de  l'Oise, 
n'en  est  pas  moins  devenu  l'entrepôt  naturel  de  toutes  les  denrées  descen- 
dues par  la  rivière  tributaire,  de  même  Varsovie,  placée  au-dessus  de  la 
jonction  de  la  Vistule  et  du  Narew,  est  le  point  de  convergence  pour  les 
routes  commerciales  que  les  vallées  du  Narew  et  du  Bug  ouvrent  à  l'est 
et  au  nord-est  vers  la  Lithuanie.  En  outre,  la  capitale  de  la  Pologne  est 
située  sur  la  courbe  de  la  Vistule  qui  se  développe  à  l'est  vers  la  Russie, 
et  précisément  en  face,  le  seuil  de  partage  peu  élevé  qui  sépare  les  affluents 
du  Di'iepr  de  ceux  du  Xeman  et  de  la  Diina  se  prolonge  au  loin  vers  Mos- 
cou, comme  un  grand  chemin  pour  les  migrations  et  le  commerce'.  Cette 
route  des  caravanes  paisibles  est  aussi  la  route  des  armées,  et  les  Polo- 
nais l'ont  fréquemment  suivie  dans  leurs  expéditions  contre  les  Busses  : 
à  leur  tour,  ceux-ci  l'ont  parcourue  pour  envahir  la  Pologne  et  porter  la 
désolation  dans  Varsovie.  Peu  de  cités  ont  eu  dans  les  temps  modernes  une 
histoire  politique  plus  lamentable  que  celle  de  la  cité  polonaise  :  pourtant 
Varsovie  n'a  cessé  de  s'accroître  en  étendue  et  en  population.  Si  elle  était 
dégagée  de  l'entrave  des  fortifications  qui  gênent  son  développement  in- 
dustriel et  délivrée  du  demi-cercle  de  douanes  qui  se  développe  autour 
d'elle  de  100  à  200  kilomètres  de  distance,  il  est  certain  que  cette  ville, 
la  plus  rapprochée  du  centre  géométrique  du  continent,  prendrait  son 
rang  parmi  les  premières  cités  européennes.  Ouoiquc  traversée  par  deux 

'  J.  G.  Kotil,  Die  Gcoyraphische  La(je  der  llauplslâdte  Europa's. 


414  NOUVELLE    GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

des  grandes  voies  ferrées  de  l'Europe,  elle  n'a  pas  encore  au  service  de 
son  commerce  un  nombre  suffisant  de  chemins  de  fer.  En  outre,  elle  est 
fréquemment  menacée  par  les  débâcles  de  la  Vistule,  et  souvent  le  quar- 
tier de  Praga,  les  jardins  et  les  villas  des  faubourgs  riverains  présentent 
un  aspect  désolant  de  désordre  et  de  ruine. 

Bâtie  en  croissant  sur  la  berge  occidentale  de  la  Vistule  et  dominant 
d'environ  50  mètres  les  eaux  du  fleuve  et  ses  îles  boisées,  Varsovie  a  pour 
centre  l'ancien  palais  royal,  entouré  de  jardins  en  terrasses  qui  s'élèvent 
immédiatement  au-dessus  de  la  berge.  De  ce  palais,  qui  renferme  main- 
tenant une  bibliothèque  et  des  œuvres  d'art,  partent  les  principales 
avenues,  bordées  d'hùtels  et  d'édifices  publics.  La  vieille  ville,  aux  rues 
étroites,  s'étend  au  nord,  enfermée,  pour  ainsi  dire,  entre  les  nombreuses 
casernes  voisines  du  château  et  de  la  citadelle.  Au  sud  s'étendent  les 
nouveaux  quartiers,  percés  de  larges  avenues.  Un  viaduc  de  chemin  de  fer 
et  un  superbe  pont  de  sept  arches  traversent  les  eaux  jaunâtres  de  la  Vis- 
tule et  réunissent  la  ville  à  son  faubourg  de  Praga,  devenu  si  tristement 
fameux  par  le  sanglant  assaut  de  Souvorov  en  1794  et  par  celui  de  Paske- 
vitcli  en  1851. 

Varsovie  est  une  ville  d'université, et  sa  haute  école'  possède,  avec  une 
bibliothèque  de  552  000  volumes,  des  collections  de  toute  espèce,  un 
observatoire,  un  jardin  botanique;  après  l'insurrection  de  1850  et  1851, 
l'université,  qui  avait  été  fondée  en  1810,  fut  fermée,  et  les  cours  ne  re- 
prirent qu'en  1861  ;  le  nom  même  d'université  ne  lui  fut  rendu  qu'en  1869, 
mais  la  langue  de  l'enseignement  est  le  russe, et  l'école  n'a  pas  tous  les 
droits  universitaires  dont  jouissent  les  autres  établissements  de  l'empire. 
En  outre,  Varsovie  possède,  parmi  ses  établissements  spéciaux  d'instruction 
publique,  une  école  des  arts  et  métiers  et  un  conservatoire  de  musique. 
Le  principal  musée  est  celui  de  la  Société  des  Beaux-Arts,  et  quelques  sta- 
tues s'élèvent  dans  les  beaux  quartiers,  notamment  celle  de  Copernic, 
érigée  sur  l'une  des  belles  places  de  la  ville  par  ses  «  concitoyens  ».  La 
capitale  de  la  Pologne  se  distingue  par  son  activité  industrielle  et  commer- 
ciale :  filatures  et  manufactures  d'étoffes,  fabriques  de  tabac,  distilleries, 
brasseries,  tanneries,  cordonneries,  savonneries,  fonderies,  fabriques  de 
machines,  d'outils,  de  meubles,  de  pianos,  fournissent  annuellement  des 
produits  pour  une  valeur  de  plusieurs  dizaines  de  millions*.  Une  fabrique 
voisine,  Zyrardowska,  ainsi  nommée  en  l'honneur  de  Philippe  de  Girard,  a 

'  Étudiants  de  UlniversiU' Je  Varsovie  eu  jiinvicr  1881  :  7'J'2;    iirofosseurs,  ti8. 
"  Fahriquos  de  Varsovie  en  1879  :  307  avec  I  i  2(iO  oiivriiTS. 

Production  de  l'année  :  27  2ô0  000  roubles  {environ  08  000  000  francs). 


VARSOVIE.  •  ^17 

presque  le  monopole  de  la  fabrication  du  linge  de  table  en  Pologne  :  elle  en 
produit  pour  quatre  millions  par  an.  Quant  à  l'activité  des  échanges,  on 
peut  s'en  faire  une  idée  en  voyant  la  foule  des  Israélites  affairés  qui  par- 
courent, au  nombre  de  cent  raille  environ,  les  rues  de  Varsovie.  De  toutes 
les  villes  du  monde,  Varsovie  est  celle  où  la  population  juive  est  la  plus 
forte,  une  de  celles  où  elle  s'accroît  le  plus  rapidement  '.  La  foire  aux  laines 
de  Varsovie  est  une  des  plus  importantes  de  l'Europe  centrale*.  Comme  la 
plupart  des  autres  grandes  villes,  la  capitale  de  la  Pologne,  qui  d'ailleurs 
n'a  que  trop  de  quartiers  insalubres,  habités  par  une  population  misérable 
«■t  souffreteuse,  est  entourée  de  lieux  de  plaisance,  de  bosquets,  de  villas,  où 
se  porte  la  population  pendant  les  jours  de  fête;  surtout  le  palais  Lazienki, 
bâti  au  sud  de  la  ville,  sur  une  ancienne  plage  où  la  Vistule  avait  laissé 
une  fausse  rivière,  est  un  lieu  ravissant  par  ses  ombrages  et  ses  eaux,  qui 
reflètent  des  statues  de  marbre  blanc  et  les  colonnades  d'une  ruine  factice 
servant  de  scène  à  un  théâtre  en  plein  air.  A  l'ouest,  la  plaine  de  Wola 
rappelle  ces  élections  royales  si  chaudement  disputées,  où  l'on  vit  camper 
jusqu'à  200000  nobles  avec  leur  cortège,  plus  semblables  parfois  à  des 
ennemis  prêts  à  en  venir  aux  mains  qu'à  des  compatriotes  réunis  pour  dé- 
libérer en  paix;  plus  loin,  Wilanôv,  qui  fut  le  château  de  Solneski,  ren- 
ferme un  musée  de  peinture,  une  collection  numismatique,  une  biblio- 
thèque historique.  Parmi  les  noms  des  hommes  célèbres  qui  naquirent  à 
Varsovie  il  faut  citer  celui  de  Lelewel,  historien,  géographe,  et  par-dessus 
tout  grand  citoyen.  Chopin  naquit  dans  le  voisinage  de  la  cité. 

A  35  kilomètres  en  aval  de  Varsovie,  le  Narew,  grossi  du  Bug,  mêle 
ses  eaux  à  celles  de  la  Vistule,  en  limitant  avec  elle  une  péninsule  allongée 
où  s'est  bâtie  la  ville  de  Nowy  Dwor.  D'autres  groupes  de  constructions, 
villes  et  villages,  se  sont  élevés  sur  les  deux  rives  en  aval  du  conlluent, 
tandis  qu'au  nord,  dominant  à  la  fois  les  deux  rivières,  se  montrent  les 
remparts  de  Nowo  Georgicwsk  ou  Modlin,  place  forte  que  les  ingénieurs 
reconnaissent  comme  un  modèle  d'art  militaire  :  trente  mille,  quarante 
mille  soldats  même  peuvent  trouver  place  dans  le  camp  retranché  de 
Modlin  pour  appuyer  les  mouvements  d'une  armée  en  campagne. 

Presque  toutes  les  villes  de  la  Pologne  orientale,  dans  les  provinces 
de  Siedice,  de  tomza,  de  Varsovie,  appartiennent  aux  bassins  du   Narcw 

'  .Nombre  et  proporlinn  (Ic>  Juifs  et  des  Chrétiens  résidant  à  Varsovie  ; 

1800  :  ll8  00nChn''liens;  *5  000  Juifs,  soit  27  pour  100  «le  la  population. 
18f.9  :   l'il  .^flO  69  000         )>        .     30 

1879  :  259  880         .>      117  290        «  55 

-  Vente  en  1880  :  701510  kiloi;rainrnps,  d'une  valeur  do  5  520  000  francs. 


41S  •      NOLVELLE  GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

et  du  Biig.  Sur  la  route  de  Varsovie  à  la  forteresse  de  Brest,  on  voit  se 
succéder,  entourées  des  plus  beaux  champs  de  céréales,  les  villes  de  Ka- 
iuszyn,  (le  Siedlce,  de  Miçdzyrzecz,  de  Bial'a  (Bêla);  Wl'odavva,  sur  la  fron- 
tière de  la  Lithuanie,  ne  fait  qu'une  ville  avec  le  faubourg  de  Wl'odawka, 
situé  sur  la  rive  opposée  du  Bug;  Ostrôw  est  dans  les  campagnes  qui 
s'étendent  au  nord  de  cette  rivière;  Tjkocin  n'est  séparé  de  la  Lilhuanie 
que  par  le  cours  du  Narew;  •Eomza,  baignée  par  la  même  rivière,  fut  long- 
temps une  ville  déchue,  et  l'on  voit  encore  les  ruines  qu'y  laissa  le  pas- 
sage des  Suédois;  plus  bas,  sur  le  même  cours  d'eau,  se  trouve  Ostro- 
loka,  où  se  livra  en  1851  la  bataille  décisive  qui  ouvrit  aux  Russes  la 
route  de  Varsovie.  Puïlusk,  où  se  rencontrèrent  aussi  les  armées,  Suédois 
contre  Saxons,  Français  contre  Russes,  est  sur  la  même  rivière,  barrant 
la  route  de  Varsovie.  Les  villes  voisines  les  plus  importantes  sont  Makow 
et  Prasnysz  au  nord,  et  Nasielsk  au  sud-ouest. 

A  l'ouest  de  Varsovie  et  du  confluent  du  Narevv,  la  plupart  des  villes 
sont  éloignées  du  fleuve,  dans  les  bassins  latéraux  de  la  Vislule.  Rawa  et 
Brzeziny,  toutes  les  deux  appartenant  à  la  région  industrielle  dont  todz 
est  le  chef-lieu  ;  Skierniewice,  importante  gare  de  croisement  pour  les 
chemins  de  fer,  Kutno,  Lowicz,  Sochaczew  appartiennent  au  versant  de  la 
Bzura  ;  Gabiri  et  Gostynin  s'élèvent  sur  un  plateau  limité  au  nord  par 
la  Vistule  ;  au  nord  du  même  fleuve,  sur  les  pentes  du  faîte  mazovien, 
sont  les  villes  de  Ml'awa,  Plonsk,  Ciechanôw,  Sierpce,  Lipno.  Mais  les  deux 
cités  les  plus  importantes  de  cette  contrée  sont  bien  situées  sur  le  lleuve 
et  servent  d'étapes  aux  chalands  et  aux  bateaux  à  vapeur  qui  descendent 
ou  remontent  le  courant.  Pl'ock,  qui  domine  la  Vistule  d'une  colline  élevée, 
est  une  ville  épiscopale  fondée  au  dixième  siècle  et  fut  longtemps  la  rési- 
dence des  ducs  de  Mazovie  ;  AVl'oclawek,  moins  ancienne  et  moins  pitto- 
resqucment  située,  est  surtout  une  ville  de  commerce. 

La  province  de  Suwalki,  presque  entièrement  séparée  du  reste  de  la 
Pologne  par  de  vastes  marécages  non  encore  desséchés,  se  trouve  aussi 
dans  un  autre  bassin  hydrographique,  celui  du  Neman  :  peuplée  en 
majorité  de  Lithuaniens,  elle  appartint  à  la  Lithuanie  jusqu'au  dernier 
partage  de  la  Pologne.  Cependant  la  ville  d'Augustôw  ou  Augustowo, 
ainsi  nommée  au  milieu  du  seizième  siècle  en  l'honneur  du  roi  Au- 
guste I",  est  parcourue  par  un  ruisseau  dont  l'eau,  de  lac  en  lac  et  de 
rivière  en  rivière,  finit  par  tomber  dans  la  Vistule;  mais  un  canal  de  navi- 
gation, unissant  de  petits  lacs,  rejoint  celle  ville  au  Neman  et  la  place, 
pour  ainsi  dire,  sur  le  versant  du  fleuve.  Auguslow,  jadis  chef-lieu  de 
gouvci  iR'uiciil,  a  élé  remplacée  comme  capitale  par  la  ville  moderne  de 


■f:O.MZ.V,  AUGUSTOW.  i^9 

Siiwalki,  on  srande  pailie  peuplro  de  Juifs,  comme  les  outres  villes  de  la 
province,  Kalwarya,  Maryampol,  Wilkowyszki,  Wl'adjslawûw.  Dans  la 
province  d'Auguslôw  se  trouvent  quelques  colonies  de  raskolniks  ^rrands- 
russiens,  dont  le  nombre  s'est  récemment  augmenté  d'émigrés  revenus  du 
territoire  prussien.  Ils  étaient  onze  mille  en  1864  '. 


'  Population  des  villes  de  la  Pologne  avant  plus  de  5000  habitants 

GOUVERNEMENT   DE   PtOTRKOW. 

■Lodz       (1881)   . 19  600  hab. 

Pioli-kow      ,)       17  100     11 

Czçslochowa  (1S77) 15  500     » 


Zgici'z 

Tomaszôw 

Pabianice 

Crzeziny 

Rawa 

Nowoiadoinsk 

Ccdzin 


12  050 
8  200 
7  590 
6  250 
6  050 
6  000 
5  950 


Kalisz 

tçczyca 

Siéra  dz 

Tiiruk 

Kol 

Ozoïkôw 

Zdiiuska  Wula 

Konin 

Waila 


GOUVERNEMENT    DE   KiLlSZ. 

(1882) 18  800 

11   .....  15  550 


hab. 


15  050 
1 1  500 
9  700 
9  050 
8  650 
8  000 
5  000 


COCVEr.XEMENT  DE  KIKI.CE. 


Kielcc 

Pinezôiv 

Chinielnk 

Chçciny 

Dzialoszice 


(1881) 


10  050 
0  550 
6  350 
5  750 
5  550 


liab. 


GOUVERNEMENT    DE    r..\IiOM. 

Radô:n      (1877) 12  100  hab. 


Slas/ôw 
Przcdborz 


6  250 
5  1.50 


GOUVERNEMENT    DE   r.UDLI.N". 

Lublin  (1880) 55  000  hab. 

Zamosc      n 8  750     n 

llnibicszow  {1877; 7  700     n 

Ititgoraj            »,.....  6  570      • 

Jleini   (1880) 6  000     « 


GOUVERNEMENT   DE    V.sr,SOVIE. 

Varsovie  (février  1882)  . 

.    .100  260  hab 

Wlocl'awek 

188n     . 

.     20  660     » 

Kuino 

.     13  200     .■ 

towicz 

8  700     .. 

Gostvnin 

8  350     .: 

Kai'uszjii 

i>.m. 

7  500      '.: 

,1 

.    .    .       5  280     )■ 

Nowv  Dwor 

.       5  270     .. 

Sochaczew 

.      .            5  200        l: 

Gabin 

,, 

.    .       5  200     . 

GOUVERNEMENT    DE    S!!;ni.rX. 

Biata        (1880) 19  4.50  hnb. 

Wlodawa       »...  .18  000     ^: 

Siedlce  (1881).   ......      12.300      , 

Miedzyrzecz  (1880) 9  000      ; 


Plork 

.Mlawa 

Prasnysz 

Sierpce 

Pionsk 

Cicchanôw 

Lipno 


GOUVERNEMENT    DE    PtOrK 
1881) 


:!2  100  l.ab 

10  000  '• 

7  200  .1 

0  850  .■ 

6  300  : 
5  760 

5  050  ; 


GOUVERNEMENT    DE    LOMZ.V. 

Loinza    (1877) 15  000  hab. 

Pullusk       .< 7  700     .. 

Makôw         11  6  550     i> 

Osirôw         .1  .       6  150     I 

Tykocin        >:  6  000     :. 

Ostrolçka      o  ......  5  000     ;> 

GOUVERNEMENT   DE    SU\V.VI.KI. 

Stiw.aiki    (1880^ 18  450  hab. 


Auguslôw      1. 
Kalwarya       :; 
Wladvsl'avvôw  (If 
Wiikowyszki 
.Maryampol 


M  100 
10  000 
9  300 
6  700 
oGOO 


420  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   LMVEUSELLE. 


BASSINS     DE     L.Y     HAUTE     DU.NA     ET     DU     SEMAS 
LITHUASIE     (lIITa),     CRODNO,     VITEBSS 

De  même  que  le  nom  de  «  Pologne  »,  celui  de  «  Litluianie  »  est  une 
appellation  historique,  dont  la  valeur  a  constamment  changé  suivant  les 
conquêtes,  les  alliances  et  les  partages,  et  qu'il  ne  faut  point  confondre 
avec  celui  de  «  pays  des  Lithuaniens  ».  Tandis  que  la  Lilva  proprement 
dite,  c'est-à-dire  la  contrée  que  peuplent  les  Lithuaniens  d'origine  et  de 
langage,  ne  comprend  actuellement  qu'une  faillie  partie  de  la  Russie  occi- 
dentale dans  les  bassins  de  la  Diina  et  du  Neman,  le  nom  de  Lithuanie, 
au  point  de  vue  historique,  s'est  appliqué  à  une  étendue  de  pays  beau- 
coup plus  considérable.  Comme  la  Pologne,  la  Lilhuanie  était  un  Etat 
aux  frontières  changeantes  dont  les  dominateurs  eurent  l'ambition  de  pos- 
séder toute  la  région  des  plaines  slaves  entre  la  mer  Baltique  et  le  Pont- 
Euxin;  commandant  d'ailleurs  à  des  populations  en  grande  majorité  russes, 
les  princes  de  Lithuanie  revendiquaient  aussi  le  titre  de  souverains  de  la 
Russie.  Avant  son  union  avec  la  Pologne,  l'Etat  lithuanien  s'étendit  en 
travers  du  continent  d'une  mer  à  l'autre,  et  ses  princes  pénétraient  en 
Crimée  pour  en  ramer^er  des  captifs;  au  quinzième  siècle,  le  nom  de  Li- 
thuanie s'appliquait  à  tout  le  pays  qui  s'étend  de  la  Dûna  à  la  mer  Noire 
et  du  Bug  occidental  à  l'Oka.  Pour  les  Russes  de  Moscou,  les  Slaves  de 
Minsk,  de  Kiyev  et  de  Smolensk  étaient  des  Lithuaniens.  Au  seizième 
siècle,  après  l'union  définitive  avec  la  Pologne,  l'appellation  de  «  princi- 
pauté »  de  Lithuanie  ne  fut  conservée  que  pour  la  vraie  Lithuanie  de  langue 
et  la  Russie  Blanche;  même  encore  il  est  d'usage,  en  Pologne  comme  en 
Russie,  d'appeler  «  Lithuaniens  »  les  Slaves  Blancs-Russiens  de  l'ancienne 
Lithuanie  politique,  en  désignant  du  nom  de  «  Jmoudes  »  les  Lithua- 
niens proprement  dits.  Après  le  partage  de  la  Pologne,  ce  nom  de  Lithua- 
nie resta  aux  j)rovinces  de  Grodno  et  de  Yiluo,  et  bien  que  l'empereur 
Nicolas  en  ait  défendu  l'usage  oiïlciel  en  ISiO  ce  nom  continue  d'être 
employé  de  nos  jours,  quoique  dans  un  sens  très  vague,  et  s'applique 
d'ordinaire  aux  trois  gouvernements  de  Kovno,  de  Yilno  et  de  Grodno.  Ce 
dernier,  qui  fut  j)euplé  jadis  de  Yatvagues,  peut-être  Lithuaniens,  n'ap- 
partient plus  elhnogra|ihi(piemeul  à  la  Lithuanie;  il  faut  y  voir  plutôt  le 
pays   aux  contours   vagues  de  la   «  Russie  noire  »,  peuplée  surtout  de 


LiniLAME.  ii\ 

Blancs-Uussiolîs  et  do  Petits-Russions.  M;us  lo  ïoiivernemont  de  Vilcbsk 
pourrait  y  être  rattaché  h  meilleur  droit,  puisqu'il  a  de  150 OOU  à  200000 
Lettons  catholiques  dans  ses  districts  occidentaux;  cependant  la  majorité 
(le  la  population  y  est  composée  de  Dlancs-Russiens. 


PTIINTIPAUIE   DE   I.ITBrAN- 


d'après  Dra^omanov 


Pays  liUiuanions 

occupes  par  les  AUvuiuiids,      !«>  1' 


^  ^  ^ 

les  Malo'Kuïs.is,  Ks  U'clo-Kusscs,  les  V.liko-Kcszss. 


1  :  I50>  000 


Au  point  de  vue  pi''".i.'ra]>hi(pie,  cette  partie  de  l'empire  russe  est  aussi 
un  ensemble  assez  nettement  délimité,  car  le  bassin  du  Neman,  de  même 
que  celui  di;  la  Dijna,  a  jiour  frontières  du  côté  du  Di'iepr  des  forêts  presque 
impénétrables,  des  marécages  aussi  vastes  que  des  provinces,  et  à  l'orient 
s'élèvent  des  massifs  de  collines  où  se  fait  le  partage  des  eaux  entre  lus 


422  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   f.MVERSELLE 

affluents  du  Neman,  du  Di'iepr  et  de  la  Diiua.  Les  quatre  provinces  ont  une 
superficie  d'un  quart  plus  gi'ande  que  celle  des  «  Pays  de  la  Vistule  », 
mais  elles  sont  beaucoup  moins  riches,  et  leur  population  est  très  infé- 
rieure'. Comme  la  Pologne,  elles  restent  séparées  de  la  mer  :  à  l'ouest 
du  gouvernement  de  Kovno,  la  Courlande  confine  à  la  Prusse  par  une  zone 
étroite  de  terrain  longeant  les  eaux  de  la  Baltique. 

Le  fleuve  lithuanien  par  excellence,  le  Neman,  naît  dans  le  gouver- 
nement de  Minsk  et  contourne  au  sud  le  plateau  découpé  que  l'on  pour- 
rait appeler  la  haute  Lithuanie.  A  Grodno,  où  il  change  de  direction 
pour  couler  vers  le  nord,  il  est  assez  abondant  déjà  pour  porter  bateau, 
et  quoique  le  cours  en  soit  interrompu  par  de  nombreux  rapides,  on  voit 
augmenter  d'étape  en  étape  les  embarcations  portant  les  denrées  que  four- 
nissent les  deux  rives,  de  Pologne  et  de  Lithuanie.  A  son  entrée  en  Prusse, 
en  aval  de  Jûrburg,  le  fleuve,  qui  prend  le  nom  de  Memel,  a  500  mètres 
de  large  et  roule  probablement  une  masse  d'eau  d'au  moins  500  mètres 
cubes  par  seconde,  mais  il  se  ramifie  en  plusieurs  bras  changeants  dans 
son  delta  du  Kurische  Haff,  et  c'est  par  un  canal  seulement  que  le  trafic 
du  fleuve  se  continue  vers  le  port  de  Memel. 

Fort  nombreux  en  Lithuanie.  les  lacs  n'ont  pour  la  plupart  qu'une 
faible  étendue  :  au  nord,  à  l'est  de  la  province  de  Vilno,  les  plateaux  ro- 
cheux sont  creusés  en  une  multitude  de  bassins  où  se  sont  amassées  les 
eaux  de  pluie  et  que  d'anciennes  moraines,  des  cordons  de  blocs  erratiques, 
partagent  çà  et  là  en  vasques  secondaires  :  ces  réservoirs  forment  un  véri- 
table labyrinthe  lacustre  semblable  à  celui  du  plateau  des  Mazures,  dans 
la  Prusse  orientale.  Les  marais  couvrent  un  espace  beaucoup  plus  consi- 
dérable, surtout  dans  le  gouvernement  de  Grodno,  mais  la  population,  qui 
s'accroît  rapidement,  ne  cesse  d'empiéter  sur  le  domaine  des  eaux  et  de 
remplacer  les  marais  par  les  cultures.  Les  anciennes  forets,  qui  s'étendaient 
sur  d'assez  vastes  territoires  pour  séparer  entièrement  des  populations 
comme  l'Océan  ou  de  hautes  chaînes  de  montagnes,  ont  aussi  on  grande 
partie  disparu,  et  les  huttes  des  bûcherons,  bâties  dans  les  clairières,  ont 
été  remplacées  j)ar  des  villages,  même  par  des  villes,  autour  des(juelles  les 
défrichements  ont  nettoyé  le  sol  jusqu'à  des  lieues  de  distance. 

Cependant  il  reste  encore  une  très  vaste  forêt,  celle  de  Bel'a-Yeja  ou 
de  la  «  Tour  Blanche  »,  qui  rappelle  par  son  aspect  et  son  étendue  les  hal- 
liers  d'auli'efois.  Celle  forèl.  (pii  doit  probablement  son   nom  à  un  chà- 

'  Provia;cs  de  Kovno,  Viliio,  Groiluo,  Vilcljsk  : 

Superficie.  P.)|.ulalinn  en  1882.  Poimlalion  liloniétriqiio. 

107  070  kiloiiièircs  cari-js.  5  077  ôJ'J  lialiilaiits.  ÔO  Ijil.ilauts. 


LITIIUAME,  FORET  DE  LA    «  TOIR  BLANCHE  ». 


423 


teau  de  la  Tour  Blanche,  qui  existait  au  seizième  siècle,  au  confluent  de 
deux  affluents  du  Bug,  recouvre  de  ses  ombrages  presque  tout  le  plateau 
compris  entre  les  sources  du  ^are^v  et  le  cours  du  Bug,  au  nord  de  Drest- 
Litowskiy.  L'ensemble  de  l'espace  auquel  on  donne  l'appellation  de  Deio- 
^ejslvaya  Pouchtcha  comprend  2'20Û  kilomètres  carrés,  mais  quelques  par- 
ties de  la  forêt,  au  sud  et  au  sud-ouest,  sont  plutôt  une  région  de  landes, 
où  les  bois  de  pins  rabougris,  les  champs  de  seigle  alternent  avec  des 
bruyères,  visitées  des  abeilles.   Mais  au  nord  d'autres  futaies  se   ratta- 


LACS    ET   )IAnAl>    HANS    I.E    COIVEHNEMENT    HE    VITFCÇK 


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1K.U%  s 


client  à  celles  de  Bel'a-Yeja  et  la  coiitiiiuiiit  jusijue  dans  le  voisinage  du 
Neman;  l'altitude  moyenne  du  plateau  boisé  est  de  180  mètres.  Tandis 
que  d'immenses  forêts,  dans  la  Russie  du  nord  et  du  centre,  ne  se  compo- 
sent que  d'une  seule  espèce  d'arbres,  pins,  sapins  ou  bouleaux,  celle  de 
la  Tour  Blanche  offre  une  grande  variété  d'essences;  dès  l'année  1830, 
Eichwald  y  avait  recueilli  1205  espèces  de  plantes  diverses.  Le  pin  domine, 
mais  à  côté  s'élèvent  les  sapins,  les  chênes,  les  bouleaux,  les  hêtres,  les 
érables,  les  aunes,  les  tilleuls,  formant  par  leur  mélange  les  massifs  les 
plus  pittoresques.  Au-dessous,  des  fourrés  d'arl)rcs  à  feuilles  caduques, 
des    arbrisseaux,    saules,    noisetiers,  viornes,    sureaux,   font   connue  une 


42i  \OUVELLE   GEOGRAPIIIF.  UNIVERSELLE. 

seconde  forêt  ;  les  fraisiers,  les  myrtilles  et  les  mousses  tapissent  le  sol 
plus  ombragé  sous  les  majestueuses  avenues  des  conifères.  Les  rivières 
flottables  qui  entourent  la  forêt  en  rendent  l'exploitation  assez  facile  ;  mais 
le  gouvernement,  auquel  appartient  la  plus  grande  partie  des  espaces 
boisés,  a  défendu  d'abattre  les  arbres  et  l'on  voit  encore  en  maints  endroits 
la  nature  vierge  dans  toute  sa  beauté  primitive. 

Au-dessous  des  géants  du  monde  végétal  vivent  encore  en  troupeaux,  à 
l'état  presque  sauvage,  des  bisons,  représentants  d'une  faimc  presque  dis- 
parue, que  les  traditions  et  les  chroniques  nous  disent  avoir  existé  pendant 
l'époque  historique  sur  les  bords  du  Dnepr  et  dans  la  Russie  centrale  : 
ceux  du  Caucase  et  ûc  la  Lithuanie  sont  les  seuls  restes  des  troupeaux 
immenses  qui  parcouraient  autrefois  toute  l'Europe  orientale.  Il  est  inter- 
dit, sous  des  peines  sévères,  de  tuer  les  bisons  de  Bela-A  eja  ou  de  les  cap- 
turer; seulement  l'empereur  de  Russie  fait  de  temps  en  temps  cadeau  de 
quelques-uns  de  ces  animaux  aux  souverains,  à  des  princes  ses  amis,  à 
des  jardins  zoologiques.  Au  commencement  du  siècle,  on  en  comptait 
environ  un  millier;  ils  étaient  au  nombre  de  quatorze  cents'  en  1851; 
mais  depuis  celte  époque  le  manque  de  fourrage  et  la  dent  des  loups  les 
ont  réduits  de  moitié.  Si  l'homme  n'aidait  pas  ces  animaux  dans  leur  lutte 
pour  l'existence  en  leur  ouvrant  en  hiver  de  grands  dépôts  de  foin,  ils 
auraient  disparu  depuis  longtemps  du  continent  européen.  Peut-être  l'Eu- 
rope gardera-t-elle  ce  ruminant  plus  longtemps  que  l'Amérique  ne  conser- 
vera son  espèce  de  bison,  qui  naguère  parcourait  encore  les  prairies  de 
l'Ouest  par  troupeaux  de  quarante  et  cinquante  mille.  On  donne  souvent 
par  erreur  aux  bisons  de  la  Lithuanie  le  nom  d'aurochs  ;  mais  ce  dernier 
animal,  que  les  chasseurs  de  la  contrée  rencontraient  encore  en  trou- 
peaux considérables  il  y  a  trois  siècles  S  est  maintenant  complètement 
exterminé. 


Les  Lithuaniens,  longtemps  classés  parmi  les  Slaves,  auxquels  ils  res- 
semblent par  beaucoup  de  traits,  occupaient  autrefois,  avec  Icui's  frères  les 
Prussiens  et  les  Courons,  tout  le  littoral  de  la  Baltique,  entre  la  Vistule  et 
la  Diina.  Ils  s'avançaient  au  loin  dans  l'intérieur,  ainsi  qu'en  témoignent 
un  grand  nombre  de  noms  lilliuauiens,  surtout  dans  le  gouvernement  de 
Vitebsk,  et  même  une  de  leurs  tribus,  celle  des  (lolad,  habitait  les  bords  de 


'  Franz  Jlùlior,  Miltheilmigen  dn-  Geoijr.  Gcselhrlinft  in  Wieii,  IS.'.O. 

=  tilaiso  (le  Vigenw,  Uestriptiun  du  roijnmnf  de  l'olu(jiie  et  jwijs  wijacnds.  i':iils,  1.'>7.^. 


BISONS     IIANS    Li     FOnfiT     Ut,     DCIA-VEJA 

Desssin  dessin   de  Taylor  cl  de  Vaictic,  d',i|iiés  une  |dialo;rnphi,:. 


LITHIA-MENS:  427 

la  rivière  Porotva,  affluent  de  la  Moskva,  à  l'ouest  du  territoire  où  s'est 
fondée  la  ville  de  Moscou';  peut-être  avait-elle  été  séparée  du  ^rros  de  la 
nation  par  la  colonisation  des  Pol'otchanes.  On  croit  aussi  les  Krivitchi  de 
Smolensk  issus  du  mélange  des  Lithuaniens  et  des  Slaves,  leur  nom  rap- 
pelant celui  dii  grand  prêtre  des  Lithuaniens,  Krive-Kriveyto.  La  plupart 
des  écrivains  slaves  classent  également  parmi  les  Litvines  ces  Yatvagues 
ou  Yadzvingues  qui  occupaient  le  pays  du  haut  Neman  et  du  Bug  et  dont 
quelques  débris  auraient  survécu  jusqu'au  seizième  siècle  aux  extermina- 
tions qu'en  firent  les  Russes  et  les  Polonais.  Dans  les  environs  de  Skidel, 
près  de  Grodno,  vivent  encore  des  populations  parlant  blanc-russien,  mais 
avec  l'accent  de  la  Lithuanie  et  se  distinguant  des  autres  Blancs-Russiens 
par  leur  teint  brun,  leurs  vêtements  noirs  et  quelques  traits  de  mœurs  '  : 
on  voit  en  eux  les  descendants  de  Yatvagues,  quoique  les  Lithuaniens  soient 
presque  tous  blonds.  Dans  le  gouvernement  de  Grodno  les  noms  de  vil- 
lages, Yatvaz,  Yatvesk,  rappellent  le  séjour  de  cette  peuplade  disparue. 

Pendant  les  guerres  nombreuses  qui  ont  dévasté  la  contrée  depuis  le 
treizième  siècle,  le  peuple  même  qui  a  donné  son  nom  à  la  Lithuanie  a 
pu  craindre  de  disparaître  aussi  ou  du  moins  de  se  fondre  complètement 
avec  les  vainqueurs,  ainsi  qu'ont  dû  le  faire  les  peuplades  des  Prussiens 
et  des  Yatvagues.  Attaqués  de  trois  côtés  à  la  fois  par  des  races  plus 
puissantes  et  plus  nombreuses,  par  les  Polonais,  les  Allemands  et  les 
Russes,  ils  paraissaient  condamnés  :  ils  ont  résisté  néanmoins,  et  s'ils  ont 
dû  reculer  de  trois  côtés,  à  l'ouest,  au  sud,  à  l'est,  ils  semblent  avoir 
déplacé  quelque  peu  les  Finnois  dans  la  direction  du  nord.  En  outre, 
refoulés  par  les  chevaliers  allemands,  ils  durent  en  maints  endroits  se 
fondre  avec  les  Blancs-Russiens;  un  échange  de  colonisation  eut  lieu  dans 
les  immenses  forêts  et  les  marécages  de  la  contrée.  Le  mélange  se  fit 
si  bien,  que  des  princes  lithuaniens  étaient  admis  dans  les  villes  russes 
comme  des  compatriotes.  Partout  où  il  y  eut  croisement,  il  y  eut  slavi- 
sation. 

Cependant  le  nombre  des  Lithuaniens  restés  purs  s'accroît  d'année  en 
année.  Appuyés  au  nord  sur  leurs  frères  les  Letles  qui  sont  groupés  en  une 
masse  compacte  d'environ  onze  cent  mille  individus,  ils  occupent  un  vaste 
territoire  de  forme  triangulaire,  dont  l'extrémité  occidentale  est  voisine  de 
la  Baltique,  et  que  limite  au  sud-est  le  faîte  inégal  du  plateau  do  Yilno  ; 
au  sud  et  au  sud-ouest,  le  pays  de  langue  lithuanienne  comprend  aussi, 


'  Barsov,  Géographie  historique  russe  (en  russe). 
'  Solovyov.  Ilisloire  île  lUissie,  toiiii;  I. 


4'i8  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

en  dehors  des  frontières  do  la  Russie  proprement  dite,  quelijues  lambeaux 
de  la  Prusse  orientale  et  la  moitié  du  gouvernement  de  Suwaïki,  dans  le 
royaume  de  Pologne  :  le  nombre  total  des  Lithuaniens  est  évalué  à  près 
de  deux  millions  '.  D'une  manière  générale,  les  limites  des  religions  coïn- 
cident avec  celles  des  races  :  là  où  le  catholicisme  romain  cesse  de  do- 
miner et  où  commence  le  culte  orthodoxe  grec,  là  les  Lithuaniens,  mêlés  à 
des  Blancs-Russiens  de  langue,  qui  sont  peut-être  des  Lithuaniens  de  race, 
font  place  aux  Slaves  russes;  là  où  le  protestantisme  l'emporte,  la  popu- 
lation est  germanique  ou  lette,  car  en  Livonie,  où  demeurent  les  Lettons, 
c'est  l'influence  allemande,  celle  des  convertisseurs  luthériens,  qui  a  jirédo- 
miné  :  en  Lithuauie,  au  contraire,  ce  sont  les  Polonais,  et  avec  eux  les 
catholiques  latins,  qui  ont  eu  la  prépondérance. 

Les  Lithuaniens  ou  Lëtuvininkaï  se  divisent  en  deux  groupes  nationaux 
distincts,  les  Lithuaniens  proprement  dits,  qui  peuplent  la  partie  orientale 
du  territoire  dans  les  provinces  de  Vilno  et  de  Kovno,  et  les  Zemailey, 
Samogitiens  ou  Jmoudes,  les  «  Gens  venus  de  la  mer  »,  qui  vivent  sur- 
tout dans  le  voisinage  de  la  frontière  allemande.  Les  dialectes  des  Lithua- 
niens et  des  Samogitiens  diffèrent,  de  même  que  leurs  usages  ;  mais  les 
caractères  généraux  de  la  langue  sont  bien  les  mêmes  chez  les  deux 
groupes.  De  tous  les  idiomes  d'Europe,  le  lithuanien  est  le  plus  rapproché 
du  sanscrit  :  il  renferme  un  grand  nombre  de  mots  beaucoup  moins 
-éloignés  du  radical  aryen  que  ceux  des  langues  slaves,  latines  ou  ger- 
maniques :  la  ressemblance  est  telle,  que  des  savants  ont  essayé  de  com- 
poser des  phrases  sanscrites  que  pussent  comprendre  des  paysans  des 
bords  du  Neman'.  Schleicher,  qui  fit  en  18S2  un  voyage  de  découvertes 
pliiiologiques  dans  les  provinces  de  Lithuanie,  rédigea  une  bonne  gram- 
maire de  cette  langue  curieuse,  qui  par  son  ancienneté  occupe  le  pre- 
mier rang  parmi  les  idiomes  aryens  de  l'Europe.  Du  reste,  la  littérature 
lithuanienne  est  très  pauvre  :  à  l'époque  où  la  Lithuanie  était  un  grand 
État,  elle  n'avait  point  d'écrivains  dans  la  langue  nationale,  et  le  clergé 

'  ['(ipulution  lilhuanienne  en  1865  . 

;  G»uv.  de  Kovno  (Imond,  455  OOn  ;  Liho,  552  000)     805  000  \ 

,    „      .    )       "      de  Viino 210000  /      ,„,,„„„„ 

Lilhuaiiions  de  Russie.                 ,    r     ,        .  j    .,•    i  ^-nmi  >      1000  000 

1       »      de  Grodno  et  de  Minsk 6/ 000  ( 

(       i.      de  Volinie,  Vilebsk,  Mogiinv 17  000* 

..  de  Pologne ...        2.'.0000 

»  de  Prusse li.OOOO 


Ensemble 1 '00000 

Populalkm  lilliuaiileiiiie  lii'obaLlo  en  1870  .   t  000  000, 
J  G.  ICohl,  Die  Voilier  Lnropas. 


LITUUAMENS  ET  LEUR  LANGAGE. 


429 


persécutait  les  bardes  ou  burtinikas  qui  récitaient  les  chants  traditionnels. 
lîn  annaliste  du  seizième  siècle  mentionne  des  chansons  épiques'  ;  mais  on 
ne  les  a  point  retrouvées  dans  la  mémoire  des  paysans  :  les  seuls  poèmes 
de  longue  haleine  qui  existent  dans  la  langue  sont  les  Saisons,  rédigés  au 

X°   87.   LIMITES    IiES   CATIIOI IÇUES   ET    DES    OIITnODOXES    EX    LlTIirAME. 


-r77  "  ~        >T- 


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ir  r. 


Cûth  :  0.  lA  :  grecque  CoVi  :  roritiiie 


Popoiatious 


1  T   V.  U-""" 


Utih^métltië 


(]i\-liuilième  siècle  par  un  certain  Donaleitis;  mais  les  chansons,  les  fables, 
les  idylles  sont  nombreuses,  et  toutes  témoignent  d'un  profond  sentiment 
poétique.  Lors  de  la  Réformation,  une  petite  littérature  religieuse  naquit 
dans  la  Lithuanic  prussienne  et  s'augmenta  bientôt  après  de  quelques 
ouvrages  lithuaniens  et  lettons  rédigés  par  des  Jésuites  de  la  Pologne.  Quant 
à  la  littérature  contemporaine,  traitant  des  questions  actuelles,  de  poli- 


'  Caro,  Cctchiclite  Polens,  IL 


ÎÔO  NOrVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE 

tique,  d'industrie,  de  science  ou  d'art,  elle  n'existe  pour  ainsi  dire  pas 
dans  la  langue  ;  quelques  almanachs,  et  en  Prusse  un  seur  journal  popu- 
laire, des  livres  religieux  et  dialectiques,  quelques  traductions  :  c'est  là 
tout,  avec  les  grammaires,  les  dictionnaires  et  les  recueils  de  chants.  Pour 
les  Lithuaniens  les  idiomes  de  leurs  voisins  sont  les  langues  de  la  civili- 
sation, celles  qui  leur  donnent  le  développement  intellectuel. 

L'antiquité  même  de  ce  dialecte  aryen,  plus  âgé  que  le  grec,  le  latin,  le 
celtique,  le  germain,  le  slavon,  fait  croire  aux  savants  que  le  peuple  lui- 
même  est  venu  en  Europe  plus  anciennement  que  les  autres  représentants 
de  la  race  aryenne.  Il  est  facile  de  comprendre  que  les  Lithuaniens  ont  de- 
vancé les  Russes  dans  leur  voyage  de  migration,  puisqu'ils  occupent  un  ter- 
ritoire situé  à  l'ouest  des  plaines  moscovites  ;  mais  on  se  demande  comment 
leur  établissement  dans  le  pays  a  pu  se  faire  antérieurement  à  la  venue 
des  Germains  et  des  Celtes,  peuplant  maintenant  les  régions  du  centre  et 
de  l'occident  de  l'Europe,  à  l'occident  de  la  Lithuanie  '.  C'est  par  le  refou- 
lement latéral  des  émigrants  lithuaniens  que  l'on  s'explique  celte  anomalie 
apparente  dans  la  distribution  des  nations  qui  ont  envahi  l'Europe  :  écartés 
du  grand  chemin  des  migrations,  qui  suit  beaucoup  plus  au  sud  le  faîte 
de  partage  des  eaux  entre  le  Dnepr  et  le  Neman,  protégés  par  des  maré- 
cages, des  forêts  presque  impénétrables,  défendus  même  à  droite  et  à 
gauche  par  des  golfes  et  les  fleuves  puissants  qui  s'y  jettent,  les  Lithua- 
niens ont  pu  laisser  passer  outre  de  nombreuses  peuplades  :  c'est  même  à 
cet  isolement  qu'il  faut  attribuer  sans  doute  la  longue  durée  de  leur  civili- 
sation primitive  et  de  leur  organisation  religieuse.  Toutefois  il  leur  a  fallu 
souvent  combattre  pour  défendre  leur  coin  de  terre,  et  quand  ils  l'ont  fait, 
c'est  avec  la  fureur  que  montrent  toujours  les  gens  pacifiques  troublés 
dans  leur  repos.  Il  est  à  remarquer  que  les  provinces  lithuaniennes,  Vilno 
et  Kovno,  sont  celles  où  l'on  compte  maintenant  le  plus  grand  nombre  de 
réfrac  ta  ires. 

Les  Lithuaniens  sont  pour  la  plupart  de  belle  taille  et  bien  faits,  mais 
ils  n'ont  pas  la  souplesse  et  l'élégance  naturelle  des  Slaves  :  on  rencon- 
tre plus  rarement  chez  eux  que  chez  leurs  voisins  les  Russes  ces  faces 
aidaties  qui  donnent  à  la  physionomie  quelque  chose  de  mongol.  Ils  ont 
la  ligure  ovale,  le  nez  allongé  et  fin,  les  lèvres  minces,  les  yeux  bleus, 
la  peau  blanche,  et  d'une  manière  générale  ressemblent  plus  à  des  Ger- 
mains qu^'i  des  Slaves  :  leurs  femmes  ont  beaucoup  de  fraîcheur,  les  yeux 
doux,  une  expression  touchante  ;  il  n'est   pas  rare  d'en    rencontrer   de 

'  R.  Viichow,  Peuples  primilifs  de  l'Europe. 


.  LITHUANIENS.  «1 

vraiment  belles.  Les  paysans  de  la  Lithuanie  contrastent  singulièrement 
avec  les  Polonais  par  la  simplicité  de  leur  costume  ;  ils  évitent  les  cou- 
leurs éclatantes,  les  coupes  hardies,  les  galons  et  les  franges  :  leurs  vête- 
ments grisâtres,  sans  broderies,  témoignent  de  leur  naturel  modeste  :  ils 
ne  cherchent  point  à  se  faire  voir.  Michelet,  comparant  les  Lithuaniens 
aux  Polonais,  «  fils  du  soleil  »,  les  appelle  «  fils  de  l'ombre'  ».  Leurs 
chants  ou  dnhws  montrent  leur  âme  à  nu  :  ils  sont  fins  observateurs, 
doucement  ironiques  parfois,  tendres,  mélancoliques,  pleins  du  sentiment 
de  la  nature.  Quoiqu'il  ait  été  obligé  souvent  de  guerroyer  et  qu'il  ait  eu 
aussi  ses  grands  capitaines,  ce  peuple  débonnaire  n'a  pas  conservé  le  sou- 
venir d'un  seul  héros;  il  ne  chante  aucun  exploit  de  guerre,  ne  se  vante 
d'aucune  bataille  remportée;  il  se  borne  à  pleurer  ceux  qui  sont  morts'  : 
à  cet  égard,  il  est  peut-être  unique  parmi  les  peuples  européens.  Il  se  dis- 
tingue aussi  des  autres  races  du  continent  par  la  réserve  délicate,  par 
la  discrétion  pudique  avec  laquelle  tous  ses  chants  populaires  parlent 
de  l'amour  :  pendant  treize  années  de  recherches  en  Lithuanie,  le  pliiln- 
logue  Rhesa  n'a  pas  trouvé  dans  les  chansons  d'amour  un  seul  vers  lithua- 
nien qui  ne  soit  chaste  et  pur  :  la  tendresse  des  Lithuaniens  est  profonde, 
mais  elle  ne  se  manifeste  jamais  en  public  par  une  parole  déplacée.  De 
toutes  les  langues  d'Europe,  le  lithuanien,  qui  manque  d'augmentatifs, 
est  celle  qui  possède  le  i)lus  de  diminutifs  affectueux  et  câlins;  elle  en  a 
plus  que  l'espagnol  ou  l'italien,  elle  en  a  plus  que  le  russe  même  et  peut 
les  multiplier  presque  à  l'infini  en  les  appliquant  aux  verbes  et  aux 
adverbes  aussi  bien  qu'aux  adjectifs  et  aux  noms.  Ces  diminutifs  de  ten- 
dresse donnent  un  accent  particulier  aux  chants  des  Lithuaniens,  mais  ces 
poèmes  sont  également  remplis  de  mots  et  de  formes  qui  indiquent  la  tris- 
tesse, le  chagrin,  parfois  même  le  désespoir  :  une  grande  partie  de  la 
littérature  originale  se  compose  de  raudas,  c'est-à-dire  de  chants  de  deuil 
ou  d'adieu,  et  de  lamentations  mortuaires  analogues  aux  voceri  des  Corses, 
mais  sans  l'àprc  souffle  de  violence  qui  se  mêle  à  la  douleur  chez  les 
hommes  du  Midi.  La  poésie  des  Lithuaniens  est  triste,  dirait-on,  comme 
celle  d'un  peuple  qui  se  meurt.  Mais  elle  renaît  sous  une  autre  forme  dans 
la  littérature  polonaise.  Mickicwicz  était  un  LithuaniiMi. 

Si  la  valeur  d'une  nation  dans  l'ensemble  de  l'humanité  devait  se 
mesurer  à  la  beauté  de  sa  langue,  les  Samogitiens  et  les  Lilvincs  seraient 
au  premier  rang  parmi  les  habitants  de  l'Europe;  m;iis  le  peuple  long- 


'  Léqendct  du  Nord. 

*  ïourkevilcli,  Chansons  populaires  lithuaniennes. 


432  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

temps  opprimé  dos  forêts  du  Ncman  n'est  pas  do  ceux  qui  peuvent  com- 
parer leur  part  d'influence  à  celle  qu'ont  exercée  les  autres  peuples  civi- 
lisés du  continent,  x\vant  Mickiewicz,  on  se  demandait  avec  surprise  com- 
ment une  race  composée  presque  entièrement  d'hommes  fins,  intelligents, 
pleins  d'imagination  et  de  poésie,  «  loyaux,  forts  du  sentiment  de  leur 
dignité  personnelle'  »,  n'avait  pu  donner  naissance  à  quelque  génie  émi- 
nent  dans  le  monde  de  la  pensée.  C'est  que  la  confiance  en  soi-même 
manquait  à  ce  petit  peuple  entouré  d'ennemis,  puis  vaincu  par  eux  ;  il 
n'avait  plus  l'idée  de  son  existence  nationale.  Son  ancienne  organisation 
religieuse,  maintenue  jusqu'à  la  fin  du  quatorzième  siècle,  témoigne  d'un 
singulier  esprit  d'obéissance.  Quoique  divisés  en  de  nombreuses  tribus,  les 
Lithuaniens  avaient  un  chef  religieux,  réglant  le  rituel  et  les  dogmes  pour 
tous.  Ce  «  pape  »  ou  krive-kricetjlo,  dont  parie  l'annaliste  teulonique, 
Pierre  de  Dusburg,  habitait  la  forêt  sacrée  de  Romovo,  sur  le  territoire 
de  la  Lithuanie  prussienne  ;  entouré  de  prêtres-chanteurs  ou  raïdelot, 
groupés  hiérarchiquement,  il  était  invisible  au  peuple  des  profanes  et  ne 
communiquait  avec  eux  que  par  des  messagers  munis  d'insignes,  à  la  vue 
desquels  tous  se  prosternaient.  Chassé  par  les  chevaliers  teutoniques,  le 
pape  de  Romove  se  réfugia  près  du  confluent  du  Neman  et  de  la  Dubissa, 
en  aval  de  l'endroit  où  se  trouve  maintenant  Kovno,  puis  à  Vilno,  dans 
un  lieu  qui  reste  sacré  pour  les  chrétiens'.  Encore  au  siècle  dernier  on 
trouvait  dans  quelques  maisons  des  couleuvres  domestiques,  animaux 
sacrés  qui  partageaient  avec  les  enfants  le  lait  du  matin. 

Peuple  de  bûcherons,  de  charretiers,  do  cultivateurs,  très  attaché  aux 
coutumes  traditionnelles,  les  Lithuaniens  se  soumettent  volontiers  au 
destin  et  ne  cherchent  point  à  le  faire  d'avance  par  leur  volonté.  Jadis 
ils  donnèrent  à  la  Pologne  une  dynastie  royale,  mais  ce  fut  pour  ac- 
cepter pou  à  peu  la  prépondérance  de  leurs  alliés  :  ils  reçurent  les  prê- 
tres que  leur  envoyaient  les  Polonais  et  se  firent  catholiques,  quoique 
non  sans  opposition  ;  ils  reçurent  aussi  les  seigneurs  et  devinrent  serfs. 
La  propriété  passa  presque  tout  entière  entre  les  mains  dos  nobles 
venus  du  sud,  et,  dans  le  silence  du  peuple  asservi,  on  put  croire  long- 
tem])s  (pie  la  Lithuanie  était  partie  intégrante  de  la  Pologne,  non  seu- 
lement par  ses  limites  politiques,  mais  aussi  par  le  fond  même  do  la 
nation.  Le  flegme  des  Lithuaniens  est  devenu  proverbial  :  nul  autre  peuple 
ne   s'accommode   avec   pareille   tranquillité   aux   vicissitudes   de   la   vie. 

'   Kant,  Priface  do  la  Grammaire  lithuanienne  de  Milke. 

'  Antonovilch,  llisluire  de  ta  grande  principauté  de  Lithuanie  (en  russe);  —  Kirtor,  Aperçu 
ethnologique  du  youvcrncmcnt  de  Vil'no,  llcciuil  etluioloyiquo  (en  russe),  IIL 


POPULATIONS  DE  LA   LITIIUAME.  -135 

Plusieurs  d'entre  eux,  arrivés  à  l'âge  de  quarante  ou  cinquante  ans,  se 
débarrassent  des  soucis  de  la  propriété  en  cédant  leur  avoir  soit  au 
fils,  soit  au  gendre,  et  deviennent  des  hôtes  après  avoir  été  les  maîtres. 
Encore  pendant  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle,  les  Lithuaniens  con- 
damnés à  mourir  se  pendaient  de  leurs  propres  mains'. 

Des  Allemands  et  des  Lettes  dans  le  voisinage  du  littoral  baltique  et  de 
la  Dûna  ;  des  Polonais,  surtout  dans  la  province  de  Vilno  ;  des  Russes  de 
diverses  dénominations.  Blancs,  Noirs  et  Petits  ;  des  Juifs  groupés  dans 
les  villes  comme  en  des  ruches  d'où  ils  vont  incessamment  butiner  dans 
les  campagnes  environnantes  ;  enfin  quelques  communautés  de  Tarlares, 
tanneurs  et  trafiquants,  ayant  gardé  leurs  pratiques  mahométanes,  mais 
parlant  le  polonais,  tels  sont,  avec  les  Lithuaniens,  les  habitants  des  trois 
provinces  de  Kovno,  Vilno  et  Grodno.  Par  un  bizarre  contraste,  tandis  que 
les  Tartares  ne  parlent  plus  leur  langue,  les  Karaïtes  de  la  Lithuanie  par- 
lent encore  le  tarlare  de  Crimée.  C'est  que,  venus  ou  transportés  de  cette 
péninsule,  comme  les  Karaïtes,  aux  temps  de  la  domination  lithuanienne, 
les  Tartares  entrèrent  pour  la  plupart  comme  guerriers  dans  les  rangs  de 
la  noblesse,  et  durent  se  poloniser  par  le  contact  incessant  avec  leurs 
camarades.  Les  Juifs  karaïtes,  au  contraire,  ne  changèrent  rien  à  leurs 
mœurs  patriarcales  et  à  leurs  habitudes  de  petit  négoce. 

Actuellement,  les  plus  civilisés  des  Lithuaniens  sont  précisément  les 
Samogitiens  ou  Jmoudes,  ceux  qui  curent  jadis  le  plus  à  souffrir  des 
conquêtes,  des  guerres  et  de  l'oppression.  Leurs  cultures  sont  mieux 
tenues,  leurs  maisons  plus  grandes  et  plus  propres  que  celles  des  Lithua- 
niens de  l'intérieur.  Du  reste,  une  révolution  économique,  coïncidant  avec 
un  changement  politique  violent,  s'est  accomplie  en  Lithuanie  comme  en 
Pologne  depuis  que  les  propriétaires  polonais  de  la  contrée  ont  été  obligés 
de  laisser  racheter  aux  paysans,  presque  tous  Lithuaniens  ou  Russes,  une 
partie  de  leurs  domaines.  La  situation  des  cultivateurs  lithuaniens,  déjà 
lamentable  sous  le  régime  polonais,  l'était  devenue  encore  davantage 
depuis  que  Catherine  IL  après  le  partage  de  la  Pologne,  avait  pris  à  lâche 
de  se  concilier  la  noblesse  russe  et  polonaise  en  lui  distribuant  les  terres 
qui  appartenaient  encore  à  l'État  :  elle  donna  même  à  un  seul  favori  les 
deux  districts  actuels  de  Rossienî  et  de  Cliavli,  avec  15  000  paysans  *.  Après 
l'insurrection  de  1865,  le  gouvernement  décréta  le  rachat  forcé  des  terres 
des  paysans,  mais  à  des  conditions  différant  suivant  les  districts  et  les 


'   Biaise  de  Vigonor,  ouvrage  cilé. 

-  Semevskiv,  OléicheitvennUja  Zapiski,  1877.  n"  8. 


iZi  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

individus.  Dans  le  gouvernement  de  Kovno,  sur  556  000  paysans,  105  000 
appartenant  à  la  classe  des  domestiques  ou  des  journaliers  n'ont  reçu 
aucune  part  du  sol,  et  les  autres  ont  obtenu  des  lots  variant  en  étendue 
de  54  ares  à  un  hectare.  Quant  aux  fermiers  ou  tchiticheviki,  parmi  les- 
quels les  petits  nobles  catholiques  et  polonais  sont  fort  nombreux,  ils 
n'ont  point  reçu  en  propriété  le  sol  cultivé  par  eux,  et  plusieurs  d'entre 
eux,  ne  pouvant  acquitter  le  prix  du  fermage,  augmenté  par  les  seigneurs, 
ont  dû  quitter  de  gré  ou  de  force  les  terres  que  leur  famille  occupait  de- 
puis des  générations.  L'élément  catholique,  déjà  frappé  par  l'abolition  de 
l'union  grecque,  a  ainsi  considérablement  diminué  d'importance  en  Lithua- 
nic.  En  outre,  le  passage  des  paysans  uniates  à  l'orthodoxie  russe  a  été 
facilité  dans  le  gouvernement  de  Yilno  par  l'étrange  coutume  qui  donne 
à  la  terre  la  religion  de  son  maître.  Sur  la  terre  juive,  le  chrétien  ne  tra- 
vaille pas  le  jour  du  sabbat,  et  sur  la  terre  chrétienne  le  Juif  doit  observer 
les  fêtes  du  calendrier.  Or,  presque  toutes  les  terres  sont  «  russes  »  et 
«  russes  »  les  fêtes  et  les  cérémonies  religieuses  de  ceux  qui  les  cultivent, 
quelle  que  soit  leur  religion  d'origine'.  Mais  dans  l'ensemble,  malgré 
les  ruines  partielles  ou  même  communes  à  toute  une  classe,  l'amélio- 
ration générale  est  évidente.  Devenus  à  leur  tour  possesseurs  du  sol,  les 
anciens  serfs  ont  changé  à  bien  des  égards;  ils  n'ont  plus  à  répéter  le 
vieux  proverbe  :  «  Les  seigneurs  sont  à  la  fois  bergers  et  loups!  »  Plus 
tiers,  plus  indépendants,  moins  routiniers,  ils  modifient  leurs  pratiques 
de  culture,  même  dans  le  pauvre  gouvernement  de  Vitebsk,  où  le  sol  est  si 
maigre,  et  le  rendement  du  territoire  agricole  est  plus  considérable  qu'il 
ne  l'était  autrefois.  Mais  la  race  n'a  point  encore  ajouté  aux  travaux  de 
l'agriculture  ceux  de  l'industrie.  Les  villes  sont  relativement  peu  nom- 
breuses, faiblement  peuplées,  et  ce  ne  sont  pas  des  Lithuaniens  qui  y 
exercent  des  métiers  ou  s'y  adonnent  au  commerce. 


En  suivant  le  cours  du  Bug,  sur  la  rive  droite  appartenant  à  la  province 
de  Grodno,  la  première  ville  qui  se  présente,  au  conlluent  du  Moukhavetz, 
est  l'ancienne  colonie  russe,  Berestyé,  connue  maintenant  sous  le  nom  do 
Brest  Litovskiy  ou  simplement,  Brest  (en  polonais  Brzesc).  C'est  l'une  des 
places  fortes  du  quadrilatère  polonais,  la  deuxième  en  importance,  mais 
c'est  aussi  un  marché  très  fréquenté  et  l'une  des  stations  de  premier  ordre 
dans  le  réseau  des  chemins  de  fer  de  la  Uussie.  Les  Juifs,  fort  nombreux, 

•  Ziijiibki  Itijitssk.  Geoqr.  Obchkhesti'a   secliou  cllinograiiliique,  V. 


POPULATIONS  ET  VILLES  DE   LA  LITIIUAME.  435 

y  ont  fondé  nno  académio  ou  liaulo  écolo,  qui  fut  jadis  célèbre  dans  tout 
l'Orient,  et  là  était  le  siège  d'un  épiscopat  arménien.  Brest  est  une  ville 
historique.  Durant  des  siècles  elle  fut  disputée  par  les  Russes,  les  Polo- 
nais, les  Lithuaniens,  les  chevaliers  Teutons;  en  1565,  les  protestants  y 
imprimèrent  la  première  Bible  polonaise;  en  1596,  un  concile  y  décréta 
l'union  des  églises  de  la  Russie  occidentale  avec  Rome.  Au  nord-est, 
près  de  la  ville  populeuse  de  Kobrin,  Souvorov  remporta  en  1794  une 
grande  victoire  sur  les  Polonais. 

Bel'ostok  (Rial'ystok),  la  plus  polonaise  de  toutes  les  cités  de  la  Lithua- 
nie,  se  trouve  dans  le  bassin  du  Xarew,  non  loin  de  la  frontière  du  «  Pays 
de  la  Yistule  »  :  de  même  que  Brest,  elle  fait  un  commerce  considérable, 
et  plusieurs  établissements  industriels,  surtout  des  fabriques  de  draps, 
s'élèvent  à  Beîostok  et  dans  les  villages  environnants.  Parmi  les  villes  du 
haut  bassin  du  Neman,  situées  en  territoire  de  population  russe,  deux 
appartiennent  au  gouvernement  de  Minsk,  Nesvij  et  Novogrodek,  Nesvij, 
ancien  chef-lieu  de  la  principauté  de  Radziwil,  fut  au  seizième  siècle  un 
centre  de  propagande  protestante  et  socinienne  ;  Novogrodek,  ou  Novgorod 
Litovskiy,  patrie  de  Mickiewicz,  se  dressant  sur  une  colline  entourée  de 
marais,  fut  une  des  capitales  de  la  Russie  Noire  :  c'est  là  que  commenta 
l'État  lithuanien  et  que  résidèrent  les  princes  avant  de  s'établir  à  Troki  et  à 
Vilno.  Ces  villes,  de  même  que  Sl'onim  et  Yol'kovisk,  dans  le  gouvernement 
de  Grodno,  n'ont  point  l'importance  industrielle  de  Bel'ostok;  mais  Grodno, 
la  capitale  de  la  province,  possède  quelques  manufactures.  C'est  une  cité 
de  cabanes,  de  maisons  basses,  au  milieu  desquelles  se  dressent  çà  et  là  de 
grands  édifices,  casernes  ou  palais.  Grodno,  l'ancienne  Ilorodria,  située  sur 
la  rive  droite  du  Neman,  sur  la  route  de  Varsovie  à  Vilno,  est  une  des  cités 
qui  ont  été  le  plus  souvent  mentionnées  dans  l'histoire  de  la  Pologne  et  de 
la  Liihuanie  :  depuis  1675,  chaipie  troisième  diète  polonaise  y  tenait  sa 
session,  et  c'est  une  de  ces  diètes,  en  1795,  qui  eut  la  bassesse  de  sou- 
scrire au  partage  de  la  pairie  ;  Stanislas-.\uguste  y  déposa  la  couronne 
en  1795.  Les  eaux  minérales  de  Drouskeniki,  dans  le  voisinage  de  Grodno, 
sont  fréijuentées  tous  les  ans  par  beaucoup  de  baigneurs.  Un  des  quar- 
tiers de  Grodno  est  habité  par  des  Tartares  mahométans,  mais  la  principale 
communauté  de  ces  Orientaux  s'est  établie  à  Sokolka,  à  moitié  chemin 
de  IJielostok  à  Grodno.  Ils  sont  aussi  au  nombre  de  plusieurs  centaines  à 
Novogrodck. 

La  grande  ville  de  la  Liihuanie,  celle  qui  en  fut  jadis  la  cajjitale,  Vilno, 
la  AVilna  des  Polonais,  la  Vilniuya  des  Lithuaniens,  est  aussi  dans'le  bassin 
du  Neman,  mais  sur  un  .ifflufiil  lati-ral,  la  Vilivn.  Aux  t('m|is  où  commence 


430 


NOUVELLE    GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 


l'histoire  de  la  contrée,  Yiîno  était  un  lieu  sacré  :  là  s'élevait  le  temple  de 
Perkun,  le  dieu  du  tonnerre  révéré  par  les  Lithuaniens  comme  Thor  l'était 
par  les  Scandinaves,  et  c'est  sur  l'emplacement  même  du  sanctuaire  de 
l'ancien  culte  que  Jagello  dressa  un  nouvel  autel,  consacré  au  dieu  des 
chrétiens  ;  la  cathédrale  qu'il  fonda,  et  qui  depuis  a  été  souvent  restaurée, 
est  toujours  le  principal  édifice  de  Vihio.  Les  châteaux  iiistoriques  de  Vilno, 
chantés  par  les  poètes  polonais,  sont  en  ruine  depuis  l'occupation  mosco- 
vite au  milieu  du  dix-septième  siècle  :  il  ne  reste  qu'une  tour  du  château 
supérieur,  où  l'on  monte  pour  avoir  le  spectacle  de  la  ville,  de  ses  deux 
collines  et  du  paysage  environnant.  La  cité  d'en  bas  a  beaucoup  d'autres 


monuments  publics,  églises,  palais,  hôtels  ;  on  y  voit  même  une  mosquée 
tarlare.  Vilno,  qui  n'avait  pas  moins  de  100  000  habitants  au  seizième 
siècle,  avant  l'union  complète  avec  la  Pologne,  fut  l'un  des  centres  de  la 
culture  dans  la  Russie  Blanche  et  dès  1525  posséda  la  première  impri- 
merie, longtemps  célèbre,  qui  ait  employé  les  caractères  cyrilliques  sur 
le  territoire  russe;  avant  l'arrivée  des  Jésuites  dans  le  pays,  Vilno  fut  aussi 
l'un  des  foyers  du  protestantisme  en  Lithuanie.  Pour  les  Juifs  elle  est  encore 
une  sorte  de  capitale',  quoique  leur  race  soit  représentée  par  un  nombre 
d'habitants  beaucoup  plus  considérable  à  Varsovie  et  à  Berditchev.  Le 
musée  historique  de  la  ville  est  encore  l'un  des  plus  remarquables  de  la 
Uussie, bien  qu'on  lui  ail  enlevé  tous  les  objets  de  r(''p<i(iMe  polonaise,  que 


'  Kiiiiibre  ilc  livres  juifs  impriiiu's  à  Vilim  en  1871  : 

En  liiliicn  la  111  i;ilil)iiii(iuo,  (iô;  en  ;illoin;in(l  juif  el  aulros  langues,  C8.  Ensoinblc,  151. 


VILNO,   KOVNO.  439 

des  patriotes  pourraient  contomplei'  d'un  regard  attendri.  Vilno  possède 
une  société  de  géograpliie,  mais  elle  a  perdu  l'université  qui  succéda  à 
l'académie  des  Jésuites  et  qui  florissait  au  commencement  du  siècle.  Elle 
fut  supprimée  en  185'2,  après  l'insurrection  polonaise,  et  remplacée  par 
celle  de  Kiyev,  où  l'on  transporta  la  majeure  partie  des  livres  et  des  col- 
lections ;  l'université  de  Saint-Pétersbourg  en  reçut  aussi  sa  part.  Toucher 
à  la  pensée,  c'est  atteindre  le  peuple  dans  les  sources  mêmes  de  sa  vie! 

Au  nord-est  de  Tilno,  le  chemin  de  fer  de  Pétersbourg  passe  près  de  la 
ville  importante  de  Svenziany;  au  sud-ouest,  non  loin  de  la  bifurcation  des 
deux  lignes  ferrées  de  Varsovie  et  de  Kônigsberg,  la  curieuse  bourgade  de 
]\'ovîye  Troki,  bâtie  au  milieu  d'un  lac,  allonge  sa  rue  sinueuse  sur  une 
île  que  deux  ponts  rattachent  à  la  terre  ferme  :  près  de  ce  bourg  insulaire, 
siège  principal  de  la  secte  des  Juifs  Karaïtes  immigrés  de  Crimée,  se  voient 
les  ruines  d'un  des  châteaux  historiques  de  la  Lithuanie.  La  Viliva,  qui 
coule  au  nord-ouest  dans  une  vallée  serpentine,  passe  à  côté  de  Kernov, 
qui  fut  capitale  de  principauté  avant  Vilno,  et  qui  reçut  après  elle  le  krive- 
Kriveyto  fugitif.  Au  delà,  la  rivière  va  rejoindre  la  Sventa  ou  la  «  Sainte  », 
qu'alimentent  les  eaux  de  centaines  de  petits  lacs  et  qui  baigne  les  quais 
de  la  ville  importante  de  Vilkomir,  puis  la  Viliya  grossie  descend  au  sud 
vers  le  JN'cman. 

Kovno,  la  Kaune  des  Lithuaniens,  capitale  de  province  comme  Vilno, 
est  située  à  la  jonction  des  deux  cours  d'eau,  et  à  une  faible  distance 
en  amont  du  confluent  d'une  autre  rivière,  la  Nievviaza  ou  Neveja.  Ainsi 
plusieurs  vallées  se  réunissent  à  Kovno  et  lui  donnent  une  importance 
considérable  pour  le  commerce  ;  en  outre,  le  coude  du  Neman  qui,  dans 
le  voisinage,  change  brusquement  de  direction,  contribue  à  faire  de  Kovno 
un  lieu  de  convergence  pour  les  chemins.  Au  quatorzième  siècle  déjà, 
Kovno  était  un  lieu  de  rendez-vous  pour  les  marchands  allemands  et  même 
anglais;  deux  siècles  plus  tard  elle  était  le  principal  entrepôt  de  la  Li- 
thuanie, surtout  pour  les  céréales,  et  rivalisait  d'importance  avec  Kônigs- 
berg. La  guerre  ruina  ce  commerce  et  l'on  ne  voit  plus  que  les  ruines  des 
anciennes  factoreries;  en  1817,  la  ville  n'avait  plus  que  200  maisons; 
mais  elle  s'est  relevée.  Plus  de  la  moitié  des  habitants  de  cette  ville  de  com- 
merce! sont  des  Juifs  :  les  synagogues  s'y  pressent  comme  les  églises  dans 
une  ville;  d'Italie.  Dans  la  Samogitic  ou  Lithuanie  occidentale,  Rossieny,  en 
lithuanien  Hosejnej,  qui  fut  aussi  une  capitale,  Ponieviez,  Chavli,  Telchi, 
sont  également  les  villes  pu[)uleuses. 

Née  à  côté  de  la  Volga,  dans  un  petit  lac  du  gouvernement  de  Tver,  la 
Diina  reçoit  aussi  diverses  rivières  venues  des  districts  de  Toropelz,  dans  la 


4i0 


NOLVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


province  de  Pskov,  de  Belîy  et  de  Poretchye,  dans  la  province  de  Smolensk. 
Entrée  dans  le  gouvernement  de  Vitebsk,  elle  passe  d'abord  à  Yelij,  où  elle 
est  navigable,  puis,  déjà  large  de  100  mètres,  elle  reçoit  la  Yitba  devant 
l'antique  ville  de  Yitebsk,   située  sur  un  emplacement  où  brûla  jadis  un 


EdeP  27"  -15 


S7°  55' 


d'après  la  Carte  de  l'Etat-Major 


C. Perron 


feu  sacré,  et  mentionnée  dans  les  chroniques  du  onzième  siècle  :  elle 
devint  fameuse  plus  lard  comme  résidence  de  princes  indépendants  et 
par  SCS  échanges  avec  les  villes  hanséatiques.  Vitebsk  fait  un  certain 
commerce  de  denrées  agricoles,  quoique  la  contrée  environnante  soit 
parmi  les  plus  infertiles  et  les  plus  pauvres  de  la  Russie.  Autrefois  la 
cité  vivante  de  la  contrée  était  Pol'olzk,  située  plus  bas  sur  la  Dûna,  au 


POEOTZK,   DC.NABL'UG.  441 

confluent  de  la  Poluta.  Celte  ville  des  Slave?  Krivitclii,  rivale  de  Kiyev  et 
de  Novgorod,  resta  longtemps  indépendante  ;  au  treizième  siècle,  incor- 
porée dans  la  principauté  lithuanienne,  elle  ne  cessa  pas  d'être  une  ville 
d'importance,  un  objet  de  discordes  entre  la  Lithuanie,  la  Pologne  et  la 
Moscovie  ;  elle  devint,  comme  alliée  de  la  Hanse,  un  des  entrepôts  avancés 
de  Lûbeck  et  de  Wisby  dans  l'intérieur  de  la  Russie  :  c'est  avec  Riga  qu'elle 
avait  son  mouvement  d'échanges  le  plus  considérable.  Pendant  la  deuxième 
moitié  du  dix-huitième  siècle,   les  Jésuites  expulsés  des  États  d'Europe 

y»  90.    —  nfXAECRC. 


d'3près  la  Csrte  de  Ittaî  -  Major 


choisirent  Pol'otzk  pour  la  capitale  de  leur  ordre,  et  c'est  là  que  résida 
leur  général;  leur  académie  jouissait  des  privi!t>ges  universitaires. 

En  aval  de  Pol'otzk  se  succèdent  la  ville  commerçante  de  Disna,  bâtie 
sur  une  j)éninsule  allongée  que  forme  le  confluent  de  la  rivière  de  même 
nom  avec  la  Diina,  puis  Drissa,  située  également  au  confluent  d'une  rivière 
tributaire  de  la  Dûna  et  déjà  en  plein  pays  lithuanien,  lia  capitale  natu- 
relle de  celte  région  est  la  cité  de  Dùnaburg,  qui  commande  le  cours 
moyen  de  la  Dûna  cl  le  croisement  des  chemins  de  fer  de  Varsovie  à  Saint- 
Pétersbourg,  de  Riga  et  de  Liban  à  Moscou  et  à  Samara.  Les  chevaliers 
Porle-Glaivcs  y  avaient  bâti  un  château  fort  à  la  fin  du  treizième  siècle;  le 
roi  de  Pologne,  Etienne  Balliory,  érigea  en  IÔN'2  une  forteresse  à  '20  kibi- 
mèlres  en   ainonl,  et  maintenant  la  forteresse  de  lliinaburg,  sur  la  rive 


4i2 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


droite  de  la  Diina,  est  l'un  des  points  stratégiques  les  plus  importants  de 
la  Russie  occidentale.  Au  sud  de  Diinaburg,  Novo-Alexandrovsk  est  le  chef- 
lieu  de  la  région  des  étangs,  tandis  qu'au  nord  et  au  nord-est,  dans  la  ré- 
gion des  plateaux,  sont  les  villes  de  Nevel,  de  Sebej,  de  Loutzîn,  de  Rejitza 
(Rositten  en  allemand).  Les  districts  de  Dunaburg,  Loutzin  et  Rejitza  sont 
surtout  peuplés  de  Leltes  :  ils  formaient  la  Livonie  polonaise  ou  Inflanty. 
Les  Lettes  de  cette  contrée  diffèrent  de  ceux  des  provinces  Baltiques  par 
leur  religion  :  ils  sont  catholiques.  Après  la  défaite  des  chevaliers  Teuto- 
niques,  ils  avaient  restauré  leur  culte  païen.  Au  dix-septième  siècle,  les 
Jésuites  les  baptisèrent  de  nouveau  '. 


VI 

BASSINS    DU    n.NEPR     ET    DU     DN'ESTR 

BVSSIE     BLANCHE,     PETITE     RUSSIE,      S01JVELI.E    RDSSIE 

Près  des  deux  fiers  de  la  plaine  inégale  qui  rattache  la  Russie  à  l'Europe 
occidentale  appartiennent  au  versant  de  la  mer  Noire.  Le  puissant  Dnepr, 
troisième  fleuve  d'Europe  par  l'abondance  de  sa  masse  liquide,  le  Diiestr, 
qui  est  aussi  un  cours  d'eau  considérable,  sont  les  deux  artères  de  ce  ver- 
sant du  Ponl-Euxin,  qui  fit  partie  autrefois  de  la  «  grande-principauté  »  de 
Lithuanie  et  que  des  Russes  d'origines  diverses  occupent  presque  en  entier. 
lÀ  s'étendent  les  contrées  qui   reçurent  de  la  Grèce  le  premier  rayon  de 


•  Villes  (le  la  Litliiianle  cl  des  hauts  l>assins  de 

GOUVEUMEMENT  DE   KOTXi). 


Kovno 

Cliavli 

Vilkomir 

Ponieviez 

Rossicui 

Telciii 

Novo  Alcxaniliovs 


(1880 


.4t  2o0  hab. 

15  900  » 

15  100  » 

14  050  n 

1 1  4'2Û  .. 

8  ôofl  1. 

6  900  » 


r.dUVERNEMENT    DE    VILNO. 

Viiiio        (1880) 89  050  hab 


a  Diina  et  du  Neman  ayant  plus  de  5000  habitants  : 

GOUVERNEMENT   DE   GRODXO. 

Grodno             (1880) 55  900  hab. 

Brest  LilOTskiy     » 55  700  « 

Befostok  I) 35  000  » 

Sioniin  » 12  550  » 

Kobrin  u         ....  8  850  » 

Proujanî  » 7  500  » 

Bcisk  ......  6450  » 

Volkovsk  » 5  650  « 

GOUVERNEMENT   DE   VITKDSK. 


Svenziany 

Disna 

Oi'hiiianî 


6  800 
0  GOO 
5  050 


GOUVKIINEMENT   riE   MINSK. 


Novogrodok  (1877). 
Ncsvij  i: 


8  0.10  hn 
7  250     « 


Diinabmj 

Vilebsk 

Velij 

Point  zk 

Rejitza 

Nevel 

Lutzîn 

Lepcl 


1879). 


.52  260  hab. 

40  400  » 

16  250  » 

12  200  » 

9  400  » 

7  250  » 

5  550  » 

5  500  » 


.  BASSINS  DU  DNEPR  ET  DU  DNESTR.  4t3 

lumière,  où  commença,  douze  cents  ans  plus  tard,  l'Iiistoire  du  peuple 
russe,  et  où  fut  longtemps  le  centre  de  gravité  du  monde  slave  oriental. 
Tant  que  les  nations  méditerranéennes  eurent  l'hégémonie  dans  le  dévelop- 
pement de  l'humanité  civilisée,  leur  puissance  d'attraction  devait  donner 
en  Russie  la  suprématie  de  la  culture  au  versant  de  la  mer  Noire.  Quand, 
au  contraire,  le  côté  océanique  du  continent  d'Europe  eut  pris  une  plus 
grande  importance  que  celui  de  la  mer  Intérieure,  la  Russie  dut  changer 
elle-même  de  centre  historique  et  c'est  vers  le  golfe  de  Finlande  que  se 
porta  la  vie.  Néanmoins  les  bassins  du  Dhepr  et  du  Dhestr,  dont  la  popu- 
lation et  les  ressources  industrielles  et  commerciales  n'ont  cessé  de  s'ac- 
croître, sont  restées  l'une  des  parties  les  plus  importantes  de  l'empire. 
Si  Pétersbourg  regarde  vers  l'Europe  occidentale,  Odessa  voit  par-dessus 
les  eaux  se  former  le  mirage  de  Constautinople  et  de  la  mer  Egée  '. 

Cette  vaste  région  de  la  Russie  du  sud-ouest,  deux  fois  grande  comme  la 
France,  n'a  point  de  montagnes  dans  toute  son  étendue,  et  même  sur  des 
espaces  considérables  ses  plaines  se  développent  d'un  horizon  à  l'autre 
avec  l'uniformité  de  la  mer.  C'est  précisément  au  nord  du  bassin  du 
Dnepr,  à  égale  distance  des  deux  mers,  que  la  surface  du  pays  offre  le 
plus  de  régularité  :  les  hautes  collines  ne  se  montrent  que  dans  la 
partie  méridionale  de  la  contrée,  vers  le  Dhestr  et  le  Dhepr  moyens.  Au 
nord-est  des  Carpates  et  de  la  dépression  où  naît  le  Dhestr,  le  plateau  de 
Tarnopol  et  de  Kremehetz  se  continue  par  un  faîte  auquel  Eichwald  a 
donné  le  nom  de  collines  d'Ovratînsk,  et  que  les  frémissements  du  sol  et 
les  érosions  ont  découpé  çà  et  là  en  escarpements  superbes,  embellis  par 
la  verdure  des  forêts  environnantes.  D'autres  collines  appartenant  au  même 
faîte,  mais  encore  peu  élevées,  s'élèvent  près  de  Proskourov,  au  nord  de 

'  Douze  gouvernemenU  dont  les  limites  correspondent  approsimativemenl  à  cellei  des  bassins  du 
Dnepr  et  du  Dhestr  ; 

Superllcic,  d'apris  Slrelbiukiy.       Poptilnlion  en  1S82.    Populslion  kilométrique. 

Smolonsk MOU  kil.  car.  1  llll  17'i  liab.  21  liab. 

Mogiiov 48ni5        «  )1I7  5!)8     ..  23     •> 

Minsk 91405        »  1569  542     n  17    ;) 

Volinie 71851         »  2096475    «  29     » 

Tchcrnigov 52  402         d  1905  471     <>  56     n 

Kouisk 46  454        »  2  508  214     »  50     » 

Kiyev       50  998        ).  2  024  525     »  51     « 

Poitava 49  895        »  2  418  871     »  49     » 

YckatcrinosJ'av.   ,    .    .  07  720        n  1  COI  52i     »  25     » 

Khcrson       71282        n  1884  545     .)  26    « 

Podolie 42  018        »  2  242  014     d  53     » 

Dessarabie 45  051         »  1  597  M42     o  .".0     d 

Ensemble.   .    .    ,       695  742  kil.   car.  22  415  791  liab.  52  liab. 


iil 


NOUVELLE   GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


Kameiïetz-Podolsliiy  :  ce  massif,  d'où  le  Boug  reçoit  ses  premières  oaux, 
dépasse  en  hauteur  le  plateau  do  Yaldaï  par  plusieurs  de  ses  cimes'.  Ce 
faîte  granitique  s'affaisse  peu  à  peu  vers  l'est  et  le  sud-est,  mais  il  occupe 
une  très  grande  largeur.  On  peut  suivre  les  escarpements  de  cette  bande 


91.    —    MOSTVOES    DE    lil  KSIENt.TZ . 


tdeP  QS-IO 


UJ 


50' 


^°\m 


:>'ieux  PotchaTav'^ 


'Nouveau  Pctchai 


'MM 


içh  n  o  vei 


Nouv'cau  Alexifietî 


Q5°5C 


E.de  G, 


d  après  la  Carte  de  l'E.;at -Major 


do  rociies  cristallines  dans  presque  tout  l'espace  qui  sépare,  au  sud  de 
.lilomir,  le  Boug  et  le  haut  Dïiepr;  puis,  traversée  par  ce  dernier  fleuve, 
clic  se  ra]ii)roclio  de  la  mer  d'Azov,  dont  elle  n'est  séparée  (pie  par  une 

•  Cliàlonu  de  Kreincnclz 399  moires  (Si-iiionov). 

Colline  (rAlt'x;iniiiovsk,  près  de  Proskourov 5G0       n       (d'aïuès  Scliniidl). 

»       d  (lvniliii>l>,  (ircs  d'Ovra'.in 555       »  i>  » 


HAUTEURS   OCCIDENTALES  DE   LA  RUSSIE,   «  TERRES   NOIRES.   »         «5 

étroite  bande  de  molasse;  la  courbe  que  décrit  le  Diiepr  dans  la  di- 
rection de  l'est  contourne  précisément  une  saillie  de  ces  roclies  que  les 
eaux  semblent  n'avoir  pu  entamer.  A  l'est  de  Jitomir,  cette  zone  grani- 
tique, dont  la  longueur  totale  n'est  pas  moindre  de  800  kilomètres,  ne  se 
montre  guère  à  la  surface  du  sol  :  les  géologues  ne  peuvent  l'étudier  que 
çà  et  là,  surtout  dans  les  coupures  dont  les  terres  meubles  ont  été  déblayées 
par  les  eaux  courantes. 

Le  relief  du  sol  a  naturellement  une  importance  capitale  pour  la  distri- 
bution des  plantes  et  des  animaux,  aussi  bien  que  pour  l'bisloire  des 
populations;  mais  c'est  la  composition  des  terres  qui  est  le  fait  capital  et 
qui  a  le  plus  influé  sur  les  destinées  des  babitanls.  Une  grande  partie  des 
bassins  du  Dnestr,  du  Dnepr  et  de  leurs  affluents  appartient  à  la  zone  du 
Tcbernozom,  et  des  deux  côtés  de  la  limite  tout  diffère,  dans  l'aspect  du 
pays  et  dans  son  économie  générale.  Au  nord  est  la  région  des  blocs  erra- 
tiques, des  forêts,  des  lacs,  des  marécages  ;  au  sud  est  la  «  terre  noire  » 
oiî  l'arbre  est  cultivé  par  l'homme,  mais  où  la  végétation  spontanée  se 
composait  seulement  de  grandes  herbes. 

Dans  leur  composition  normale,  les  terres  noires  sont  formées  de  sable 
pour  les  trois  quarts  ou  les  quatre  cinquièmes,  et  contiennent,  avec  l'am- 
moniaque, la  soude,  la  potasse,  l'acide  phospborique,  une  part  considé- 
rable de  matières  organiques,  d'environ  un  dixième  dans  les  couches  supé- 
rieures ;  en  certains  endroits,  à  Poltava  notamment,  la  proportion  est 
encore  beaucoup  plus  forte  :  elle  s'élève  à  17  pour  100.  Dans  les  profon- 
deurs du  sol,  la  quantité  d'humus  est  moindre;  elle  diminue  progressive- 
ment jusqu'à  0  pour  100.  On  explique  cette  différence  par  le  fait  qu'une 
moindre  épaisseur  de  terre  végétale  ne  permettait  pas  aux  i)lantes  de 
se  développer  avec  vigueur  :  la  végétation  est  devenue  de  plus  en  plus 
active  à  mesure  que  s'accroissait  la  puissance  du  sol  nourricier.  Ainsi  que 
l'avait  déjà  aflirmé  le  voyageur  francjais  Iluot'  cl  que  l'a  depuis  délinitive- 
nient  prouvé  le  botaniste  I{uj>recht,  le  tcbernozom  est  formé  en  entier  par 
la  décomposition  des  herbes  :  on  n'y  a  point  trouvé  de  coquilles  d'eau 
douce  ou  (l'eau  salée  qui  puissent  expli<iuer  par  l'action  de  la  mer  ou  des 
lacs  le  dépôt  de  ses  alluvions.  Manquant  presque  partout  le  long  des 
fleuves  et  des  lacs,  où  il  se  trouve  remplacé  par  le  lœss,  il  ne  recouvre 
que  les  plateaux  et  les  collines.  Autour  de  Sednev,  non  loin  de  Tcher- 
nigov,  s'élèvent  environ  huit  cents  buttes  funéraires,  consistant  en  sable 


'   Voyage  dans  la  Russie  méniliunalc,  par  Demidov  ,  —  Iluot  cl  Mallc-Bnin,  Prcds  de  Géographie 
Udiieisc/.'i',  j' cdilion,  ISll. 


445  KOUVELLE  CÉOGRAPUIE  UNIVERSELLE. 

pur,  et  cependant  recouvertes  à  la  surface  d'une  couche  de  «  terre  noire  » 
de  15  à  21  centimètres;  d'après  la  tradition,  ces  buttes  dateraient  de  la 
destruction  de  Tchernigov  par  Batyï  Khan,  en  1259;  mais  les  fouilles  ont 
prouvé  qu'elles  sont  plus  anciennes  d'au  moins  trois  siècles  :  plus  de 
neuf  cents  ans  auront  donc  été  nécessaires  poiu'  former  sur  les  buttes  cette 
pellicule  régulière  de  terre  végétale.  En  admettant  un  progrès  correspon- 
dant pour  la  végétation  de  la  plaine,  c'est  de  5600  à  6000  ans  qu'au- 
raient employé  les  gazons  des  terrains  environnants  pour  déposer  les 
couches  du  tchcrnozom,  épaisses  de  six  décimètres  à  un  mètre  et  demi. 
Quelle  que  soit  la  valeur  de  ce  calcul,  la  formation  de  la  «  terre  noire  »  est 
nettement  limitée  au  sud  et  à  l'est  par  les  anciens  fonds  marins,  et  dans 
le  voisinage  de  la  mer  d'Azov  et  du  Pont-Euxin  on  reconnaît  distinctement 
que  l'épaisseur  de  la  couche  est  en  rapport  direct  avec  la  hauteur  du  sol 
au-dessus  des  vagues.  L'humus  végétal  décomposé  est  d'autant  plus  épais 
que  les  plages  sont  émergées  depuis  un  plus  grand  nombre  de  siècles.  Au 
sud-est  et  à  l'est,  ce  sont  les  rivages  des  steppes  jadis  inondées  par  la  Cas- 
pienne qui  indiquent  la  fin  des  terres  noires  ;  en  maints  endroits  ils  peu- 
vent même  servir  à  la  repérer  nettement  '.  Enfin,  du  côté  du  nord,  nous 
l'avons  vu,  les  limites  du  tchernozom  sont  précisément  celle  des  régions 
de  lacs  et  de  marais  où  se  promenaient  les  glaces,  laissant  tomber  çà  et 
là  les  blocs  de  granit  finlandais.  Ainsi,  dans  son  ensemble,  la  zone  des 
terres  noires  s'étend  du  sud-ouest  au  nord-est  comme  un  isthme  entre  les 
Carpates  et  l'Oural,  et  c'est  par  elle  que  l'Europe  occidentale  se  rattachait 
autrefois  à  l'Asie  :  Ruprecht  lui  donne  le  nom  de  «  Continent  du  Tciier- 
nozom  ».  Au  nord,  quelques  petites  îles  de  terres  noires  sont  éparses  au 
devant  de  ce  continent,  dans  les  gouvernements  de  Yatka,  de  Kazan,  de 
Viadimir,  de  Tchernigov. 

Ce  continent  s'étend  sur  un  tiers  environ  de  la  Russie  d'Europe  et  com- 
prend un  espace  évalué  approximativement  à  93  millions  d'hectares  ;  eu 
outre,  on  retrouve  la  formation  des  terres  noires  en  Moldavie,  en  Hongrie 
et  surtout  dans  le  Banat;  mais  nulle  part  il  ne  se  montre  en  étendues  plus 
vastes  et  en  couches  plus  épaisses  que  dans  le  bassin  du  Dnej)r'".  Le  chi- 
miste Ilermann  a  comparé  ces  lits  de  terres  noires  pour  l'importance 
économique  aux  strates  de  charbon  que  possède  l'Angleterre  ;  mais  ces 
couches  de  sol  fertile  ont  l'avantage  de  se  trouver  à  la  surface  :  ce  n'est 
pas  dans  les  profomlears  qu'il  faut  les  chercher.  En  calculant  la  (luantité 

'  Riiprcclil,  Bittleliii  de  l'Académie  des  scieiicex  de  Sainl-Pélersbuurg,  tome  Vil,  1805;  —  Delosse 
et  (le  La|i|>.ireiil,  Revue  de  Géologie  pniir  les  années  1874  cl  1875, 
-  Murcliison,  (jiohtjij  of  Hussin  and  Ihe  Ural  }]ouiilains. 


«  TERRES  NOIRES  ..  ET  STEPPES.  447 

d'engrais  nécessaire  pour  donner  au  sol  des  terres  noires  une  proportion 
d'azote  égale  à  celle  qu'il  contient,  on  trouve  que  la  dépense  serait  au 
moins  de  seize  milliards  de  francs  '.  Et  ces  engrais,  ne  faudrait-il  pas  les 
renouveler  sans  cesse,  et  donneraient-ils  à  la  terre  celte  nature  meuble 
qui  en  maint  district  la  rend  si  facile  à  travailler? 

Peu  à  peu  les  progrès  de  l'industrie  agricole  donneront  aux  terres  noires 
l'aspect  d'un  immense  champ  de  culture.  Le  tcliernozom  aura  toujours  la 
beauté  que  donnent  les  grands  horizons,  mais  il  n'aura  plus  ce  charme 
pénétrant  que  l'on  trouve  dans  la  libre  nature  en  y  promenant  ses  pas  au 
hasard.  Là,  comme  dans  les  «  prairies  »  du  Far  West  américain,  on  pou- 
vait cheminer  à  l'aventure  au  milieu  des  herbes,  si  hautes  que  les  fleurs, 
les  épis  et  les  houppes  se  balancent  à  côté  de  la  tète  du  voyageur  :  au 
milieu  de  la  plaine  sans  bornes  on  peut  se  croire  perdu  dans  la  verdure, 
que  le  vent  fait  onduler  comme  des  vagues.  Les  poésies  populaires  nous 
disent  quelle  était  la  joie  du  Cosaque  quand  il  parcourait  cette  mer 
d'herbes  au  galop  de  son  cheval,  guidé  dans  sa  course  par  un  tertre  posé 
au  bord  de  l'horizon,  ou  bien,  comme  le  marin,  par  la  marche  du  soleil 
ou  le  déplacement  des  étoiles. 

Du  nord  au  sud,  l'aspect  des  steppes  change  par  degrés,  à  mesure  que 
diminue  l'épaisseur  de  la  couche  de  terré  végétale  et  que  les  strates  argi- 
leuses, granitiques  ou  calcaires  se  rapprochent  de  la  surface.  Aux  prairies 
herbeuses,  qui  se  revêtent  au  printemps  de  la  plus  riche  végétation  et  que 
l'homme  peut  changer  en  terrains  de  culture  ou  revêtir  de  forêts,  succè- 
dent les  campagnes  où  le  sol  n'est  couvert  naturellement  que  de  brous- 
sailles et  d'herbes  grossières,  puis  celles  qui  sont  complètement  nues  sur 
de  vastes  espaces  et  où  le  laboureur  n'essaye  de  lutter  contre  la  stérilité  du 
sol  que  dans  le  voisinage  des  grandes  villes  ou  dans  les  bas-fonds  humides. 
Les  maisons  peintes  entourées  de  cerisiers  et  de  pruniers  sont  remplacées 
par  des  masures  basses  et  grises,  souvent  dépourvues  de  jardins  :  quelques 
peupliers  mal  venus  ne  servent  qu'à  témoigner  des  difficultés  de  la  lutte 
de  l'homme  contre  la  nature  avare,  mais  ils  ne  changent  que  peu  le  triste 
et  monotone  as|)ect  de  la  contrée  ^  Ce  sont  bien  là  les  steppes  qui  res- 
semblent au  désert  et  que  l'on  a  bien  à  tort  confondues  souvent  avec 
les  slepi)es  fleuries,  d'où  provient  en  partie  la  nourriture  des  popula- 
tions d'Europe.  Les  arbres  ne  poussent  qu'avec  peine  dans  celte  région. 
Chaque  ville  a  soin  de  se  domicr  à  grands  frais  un  jardin  public,  où  la 

•  SchmidI,  Gouvcrnetnenl  de  Kherson.  Mnlci  iaux  pour  hi  gio^rapliio  cl  la  stalisriciuc  de  la  Russie 
(an  russe). 

*  Schmldt,  ouvrage  cilc. 


418  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

population,  piivce  de  véritables  forêts,  peut  jouir  d'un  semblant  de  fraî- 
cheur et  d'une  ombre  incertaine.  Chaque  propriétaire  de  khoator,  dans 
les  environs  d'Odessa,  cherche  à  orner  ses  jardins  des  arbres  qui  lui 
rappellent  la  nature  libre;  mais  tout  l'art  des  horticulteurs  ne  réussit 
qu'à  produire  des  troncs  maladifs,  au  feuillage  rare  et  destinés  à  périr 
après  vingt  ou  trente  années,  et  parfois  toute  la  verdure  disparaît  en 
quelques  heures,  rongée  par  les  nuées  de  sauterelles  qui  font  le  cré- 
puscule en  plein  jour  et  dont  la  venue  s'annonce  comme  le  roulement 
d'un   tonnerre  lointain. 

Les  steppes  herbeuses,  que  l'on  s'attendrait  à  voir  désertes  et  sans  vie, 
sont  au  contraire  animées  par  une  foune  des  plus  riches,  sinon  par  le 
nombre  des  espèces,  du  moins  par  celui  des  individus  :  au  sortir  de  la 
sombre  forêt,  ces  espaces  lumineux  sont  la  solitude  vivante  ',  Les  bisons, 
les  buffles,  les  sangliers,  les  chevaux  sauvages  et  d'autres  animaux  dont 
parlent  Biaise  de  Vigener^  etBeauplan%  ont  disparu  des  steppes,  mais  le  sol 
est  tout  percé  de  galeries  où  gîtent  les  sousliks  [cijlillus  vuhjaris  ou  sper- 
matopliilus) ,  marmottes-écureuils,  qui  servent  de  proie  à  tous  les  chasseurs 
de  la  contrée,  le  loup,  le  chien  sauvage,  l'homme  surtout,  mais  qui  ont 
beaucoup  diminué  depuis  que  leur  tête  est  mise  à  prix.  Des  multitudes 
d'oiseaux  pêcheurs,  hérons,  cigognes  et  flamants,  canards  et  mouettes,  se 
promènent  dans  les  marais  ou  nagent  dans  les  étangs;  des  alouettes  et 
d'autres  oiseaux  chanteurs  volent  au  milieu  des  herbes  et  des  broussailles 
comme  dans  les  bois  et  sur  les  guérets  de  l'Europe  occidentale  ;  des  aigles, 
des  vautours  et  d'autres  rapaces  perchent  sur  les  pieux  kilométriques  et 
ne  se  dérangent  pas  même  au  passage  du  voyageur.  Les  papillons  volent 
par  myriades  sur  l'immense  prairie  bariolée  de  fleurs,  et  les  abeilles  y  buti- 
nent on  foule.  Les  steppes  du  Dnepr  et  du  Don  sont  par  excellence  le  pays  de 
l'apiculture.  Avant  d'avoir  été  soumise  à  la  charrue,  la  terre  de  l'Oukraïnc 
était  ]teut-être  la  contrée  du  monde  qui  méritait  le  plus  d'être  désignée 
comme  «  découlant  de  miel  »  :  on  n'eu  trouvait  pas  seulement  dans  les 
troncs  d'arbres,  mais  aussi  dans  les  cavités  du  sol,  surtout  dans  les 
berges  des  fleuves  et  des  ravins.  Comme  les  sousliks  et  presque  tous 
les  autres  animaux  de  la  steppe,  y  compris  l'homme,  l'abeille  est  tro- 
glodyte, grâce  à  la  nature  du  sol.  Dans  les  établissements  d'apiculture, 
ou  [)rend  soin  de  faire  hiverner  les  abeilles  en  de  grandes  chambres  creu- 
sées sous  terre. 

'  ToiirjtiMK'v,  R'kils  d'un  Cliasseur;  —  Suchei-Masoch,  .4  Koloinéa. 
'  Description  da  loijiiitmc  de  l'olo'ujuc  cl  pays  udiavens.  l'aiis,  li)75. 
■■  Description  de  rVkrunic.  Itoucii,  lOOU. 


STEPPES   ET  MAU.VIS.  419 

Dans  la  zone  mérklionale  de  la  Russie  les  habitants  sont  foi't  habiles 
à  retenir  les  eaux  pour  abreuver  leurs  animaux  et  arroser  leurs  terres  ; 
mais  ils  n'utilisent  ainsi  que  les  ruisseaux  et  les  petites  rivières  et  ne 
savent  point  mettre  à  profit  l'eau  des  grands  fleuves.  L'humidilé  néces- 
saire ne  manquera  point  quand  l'homme  saura  la  prendre  dans  les  hauts 
bassins,  la  faire  disparaître  des  régions  où  elle  séjourne  en  corrompant 
l'atmosphère  de  ses  miasmes  et  la  reverser  sur  les  contrées  arides.  Presque 
toute  la  Poiesye,  haut  bassin  de  la  Pripet,  l'un  des  principaux  affluents  du 
Dnepr,  est  une  de  ces  régions  demi-lacustres,  demi-asséchées,  (jui  ne  sont 


(11X15    riE    PINSK    AVANT   I.  AS«:  CIIIÎMF.NT. 


plus  des  lacs  et  ne  sont  pas  encore  la  Icno  ferme,  et  que  le  travail  de 
l'homme  pourra  transformer  en  campagnes  d'une  extrême  fertilitt-  quand 
il  les  aura  débarrassées  de  leur  surabondance  d'eau.  Cette  contrée  est  le 
dédale  de  lacs,  de  marécages,  de  tourbières,  de  forêts  et  de  seuils  émer- 
gés que  l'on  appelle  le  marais  de  Pinsk.  Hetenus  du  côté  du  sud  par  le 
barrage  des  roches  granitiques  de  la  Volinie,  les  eaux  n'ont  pu  s'écouler 
librement  dans  le  bassin  du  Dnepr;  elles  se  sont  accumulées  au  milieu 
des  terres  basses  oii  elles  formaient  autrefois  un  lac,  remplacé  mainte- 
nant par  des  rivières  paresseuses,  dont  on  ne  reconnaît  j)liis  les  berges 
dans  11  vaste  étendue  couverte  de   roseaux  cl  de  plantes  a(|iialiques.  Les 


450  NOUVELLE    GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

cours  d'eau  n"on  sont  pas  encore  arrivés  à  se  créer  une  existence  indé- 
pendante :  à  peine  sortie  de  sa  vallée  supérieure,  la  Pripet  se  divise  entre 
les  tourbières  et  les  îles  en  d'innombrables  fosses  inégales  qui  s'entre- 
croisent, se  perdent,  se  retrouvent  et  finissent  par  aboutir  au  lac  ma- 
récageux de  Lubaz.  En  aval  de  ce  lac,  le  cours  d'eau  se  divise  de  nouveau 
en  tant  de  coulées  qu'il  perd  jusqu'à  son  nom,  pour  ne  le  reprendre  qu'à 
une  centaine  de  kilomètres  plus  bas,  au  confluent  de  la  Yasolda.  Presque 
toutes  les  rivières  dont  la  Pripet  est  l'artère  commune  se  réunissant  dans 
le  même  bassin  à  une  petite  distance  les  unes  des  autres,  débordent 
à  la  fois  après  les  grandes  pluies,  et  la  contrée  se  trouve  inondée  jusqu'à 
perte  de  vue.  Dans  cette  région  partiellement  recouverte  d'eau,  la  faune 
présente  un  caractère  spécial.  Les  sangsues  qui  vivent  dans  les  marais 
étaient  l'un  des  principaux  objets  d'exportation  du  pays  avant  les  froids 
de  l'année  1840,  qui  les  firent  presque  toutes  périr;  le  castor  et  la  loutre 
ont  disparu  depuis  le  commencement  du  siècle.  On  dit  que  le  lièvre  des 
marais  diffère  de  celui  des  plaines  environnantes  :  son  pelage  est  d'une 
nuance  un  peu  bleuâtre.  Quant  à  l'bomme,  on  comprend  combien  son 
genre  de  vie  est  modifié  par  ces  terres  noyées,  où  il  est  souvent  obligé  de 
se  réfugier  sur  un  tertre,  en  compagnie  des  animaux.  Des  maladies  causées 
par  les  miasmes  régnent  dans  ce  pays  de  marécages,  et  l'une  d'elles  est 
cette  affection  connue  seulement  en  Slavie,  le  kovtoun  ou  koltoun,  la 
«  plique  polonaise  »,  dans  laquelle  on  a  voulu  voir  un  fléau  spécial  aux 
Polonais,  —  à  tort,  puisqu'elle  sévit  surtout  dans  la  Russie  Blanche 
et  dans  la  province  de  Grodno.  Dans  sa  Description  de  l'Vkraiiie,  Beauplan 
parle  de  celte  maladie  comme  attaquant  seulement  les  Cosaques. 

Les  grands  marais  de  Pinsk  seront  bientôt  un  souvenir.  Ainsi  que 
l'avaient  prouvé  des  entreprises  partielles  de  dessèchement  faites  depuis  le 
milieu  du  siècle,  la  reconquête  du  sol  paraissait  n'être  pas  impossible, 
lorsque  en  1873  on  procéda  au  nivellement  général  de  la  contrée.  M.  Jilinskiy 
et  ses  compagnons  ont  reconnu  que  la  pente  de  tout  le  pays  de  Minsk  vers 
le  Dnepr  est  au  moins  de  5  dix-millièmes,  ce  qui  suffit  parfaitement  pour 
assurer  aux  eaux  un  écoulement  régulier.  En  supprimant  les  barrages  des 
moulins  et  des  pêcheries  qui  relardent  le  cours  des  eaux  et  en  creusant  des 
canaux  de  décharge  suivant  la  pente  naturelle  du  sol,  on  pourra  vider  sans 
peine  tous  les  marécages  et  transformer  la  province  de  Minsk,  naguère 
l'une  des  plus  misérables  de  la  Russie,  on  une  terre  des  plus  riches  de 
l'Europe  par  la  fécondité  du  sol.  Du  reste,  une  grande  partie  de  l'œuvre 
est  déyi  faite  et  pour  une  somme  relativement  minime,  qui  sera  prochai- 
nement rendue  au  centuple  par  les  produits  de  l'agriculluie.   De   1875 


MARAIS  DE   LA  PRIPET.  451 

à  ISSO-,  il  a  suffi  de  moins  de  3  millions  de  francs  pour  creuser  plus  de 
1000  kilomètres  de  canaux  d'écoulement,  qui  ont  changé  en  prairies 
les  marais  et  les  tourliières  et  débarrassé  les  forets  de  leurs  eaux  stag- 
nantes. Une  forêt  de  90  000  hectares,  dont  les  arhres  pourrissaient  sur 
place,  peut  être  exploitée  maintenant,  grâce  aux  canaux  qui  la  rattachent 
aux  rivières  de  flottage;  les  denrées  du  pays  peuvent  être  expédiées  soit 
dans  le  bassin  de  la  Vistule,  soit  dans  celui  du  Neman,  par  des  canaux 
de  navigation  dont  les  abords  sont  dégagés  des  eaux  stagnantes.  Les  rivières 
précisent  leur  cours,  naguère  indécis  ;  des  chemins  se  tracent  dans  la 
plaine,  et  les  villages  ont  cessé  d'être  des  buttes  insulaires  au  milieu  du 
marais.  En  1884,  l'espace  asséché  était  évalué  à  1  550  000  hectares.  C'est 
là  une  révolution  physique  toute  superficielle,  puisqu'elle  est  obtenue 
simplement  par  des  saignées  pratiquées  dans  le  sol  à  quelques  mètres  de 
profondeur,  mais  ses  effets  transformeront  complètement  l'aspect  d'une 
contrée  dont  l'étendue,  de  plus  de  9  raillions  d'hectares,  est  égale  au 
sixième  de  la  France.  On  peut  juger  des  changements  rapides  accomplis 
récemment  dans  la  géographie  locale  par  l'amoindrissement  du  lac  Kùaz 
(Prince)  ou  Jid  (Juif),  ainsi  nommé,  dit-on,  d'un  prince  misanthrope 
qui  s'était  réfugié  dans  ces  solitudes  à  la  fin  du  siècle  dernier,  se  disant 
Juif  pour  éviter  tout  contact  avec  les  chrétiens.  A  cette  époque,  le  hameau 
de  Kiiaz-ozero  (Lac  du  Prince)  était  au  bord  du  lac  ;  mais  les  plantes  enva- 
hissantes des  tourbières  ont  depuis  ce  temps  diminué  de  moitié  la  super- 
ficie des  eaux.  Elle  était  naguère  de  75  kilomètres  carrés  :  de  combien 
aura-t-clle  été  réduite  par  les  travaux  do.  dessèchement  qui  ont  égoutlé 
plus  (le  100  000  hectares  autour  du  lac? 

De  tout  le  bassin  du  Diiepr,  la  Pri[iet  est  la  seule  grande  rivière  dont 
la  vallée  n'ait  pas  encore  pris  sa  forme  définitive  :  les  autres  hauts  affluents 
et  le  Diu'pr  lui-même  ont  un  cours  normal,  achevé  pour  ainsi  dire.  Ce 
fleuve,  celui  de  la  Russie  qui  a  le  nom  le  plus  célèbre  dans  l'histoire, 
prend  sa  source,  beaucou()  plus  près  du  golfe  de  Finlande  que  de  la  mer 
Noire,  dans  une  région  peu  accidentée,  où  naissent  aussi  des  affluents  de 
la  Dùna,  de  la  Volga,  de  l'Oka  ;  les  lignes  de  séparation  du  quadruple  ver- 
sant sont  à  peine  indiquées.  Rétréci  d'abord  entre  les  bassins  des  eaux 
qui  descendent  vers  la  mer  Raltiquc  et  vers  la  Caspienne,  le  fleuve  ne 
reçoit  que  peu  d'affluents  dans  sa  partie  supérieure  jusqu'au  delà  de  Smo- 
Icnsk  et  de  Mogilov  ;  mais  en  aval  de  Rogalcliov  se  succèdent  rapidement 
les  grands  tributaires  :  à  l'ouest  coule  la  Berczina,  qui  aurait  été  jadis 
considéré  comme  le  fleuve  principal  et  dont  le  nom,  si  l'on  en  croit  des 
slavisanls,   ne  serait  autre  que  celui  de  Borysthènes  (?)  ;   à  l'est  vient  so 


4JÎ 


NOUVELLE  GÉOGRM'IIIE   UNIVERSELLE. 


déverser  la  Soj  ;  puis  le  Di'iepr  s'unit  à  la  Pripet,  presque  sa  rivale  par  la 
masse  des  eaux  et  la  grandeur  du  bassin,  comprenant  presque  toute  la 
province  de  Minsk,  une  moitié  de  la  Vol'înie  et  même  une  part  de  Grodno. 
Ensuite  la  Telerev,  l'eau  des  «  Coqs  de  Bruyère  »,  apporte  son  tribut  liquide 
au  Dnepr.  et  plus  bas  la  Desna  ou  la  «  Droite  »,  ainsi  nommée  parce  que, 
vue  de  Kiyev,  elle  coule  à  droite  du  fleuve  principal,  se  déroule  en  ser- 
pentant dans  une  plaine  d'alluvions  où  la  rivière  a  laissé  partout  des  traces 


—   1  Ai:  jiu. 


EdeP  E5=g0' 


{  £fDmsnovH?ch~a'°»'*.bie'^â^ 


a  Carte  de  l' Ltat-  Major 


de  son  passage,  par  des  lacs  annulaires  et  des  coulées  d'inondation.  C'est 
là  que  se  termine  la  ramuie  supérieure  du  Diiepr  et  que  le  fleuve  est 
vraiment  formé.  C'est  le  fameux  Borystliènes  des  Grecs,  l'Ouzon  dos  Turcs, 
l'Eski  ou  «  le  Vieux  »  des  Tartares,  le  Luosen  et  le  Lcrene  des  portulans 
italiens. 

Dans  quelques  parties  de  son  cours  supérieur,  le  Dnepr,  rejeté  de 
droite  et  de  gaudie  par  les  liantes  berges  sur  les(pielles  il  lieurte  ses  eaux, 
a  sa  rive  gauche  vj\  et  là  plus  élevée  que  sa  rive  droit(^;  mais  en  aval  de 
ses  grands  afilneiils,  le  fleuve,  se  di'plaçant   n'gulièicnient  vers  la  Jroite, 


DNEPR. 


453 


conformt'ment  à  rimpulsioii  que  lui  imprime  le  mouvement  de  rotalion 
(lu  globe,  ronge  surtout  sa  rive  occidentale.  Tout  en  se  développant  en 
méandres  semi-circulaires  qui  gagnent  tantôt  à  droite,  tantôt  à  gauche, 
suivant  la  loi  de  la  réciprocité  des  anses,  le  Dnepr  porte  la  masse  de  ses 
eaux  et  par  conséquent  sa  force  d'érosion  du  côté  de  sa  rive  droite  :  c'est 
de  ce  côté  que  se  trouvent  les  ftilaises,  hautes  en  moyenne  de  90  à  JôO  mè- 
tres,  les  unes  encore  longées  à  la  base  par  le  fil  du  courant,  les  autres 


94,    nIVE    IIAL'TE    DD    DNEPr.    EN    AMONT    l'E    TCIIERKASl. 


abandonnées  maintenant  par  le  fleuve  qui,  après  les  avoir  évidées  en 
forme  d'amphithéâtre,  n'a  laissé  que  des  marécages  à  leur  ])ied  pour 
revenir  un  jour  et  continuer  son  œuvre  de  destruction.  La  rive  orii'ulalc, 
en  entier  composée  d'alluvions  que  le  fleuve  a  délaissées  en  déplaçant  son 
lit  vers  l'outîst,  est  presque  partout  une  campagne  basse,  dont  les  seules 
clévalions  sont  d'anciennes  îles,  grailm-llement  exhaussées  par  la  végéta- 
tion. C'est  ainsi  que  le  lit  où  coulait  autrefois  le  Dnepr  peut  être  utilisé 
maintenant  par  d'autres  rivières  dont  le  confluent  s'est  reporté  vers  l'aval 
à   mesure  que  s'éloignait   le   fleuve  principal.    ,\n    nurd-est    de   Kivev,    la 


454 


NOUVELLE   GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 


Desna,  comparable  à  un  enfant  dans  l'armure  d'un  homme,  coule  dans 
une  vallée  qui  fut  probablement  le  lit  du  Diiepr  et  dont  on  reconnaît 
encore  les  berges  abandonnées.  Maintenant  le  fleuve,  qui  coule  à  15  kilo- 


(irns    INFERIEIR    DE    l.A    DF.S 


mètres  plus  à  l'ouest,  passe  à  la  base  d'escarpements  ravinés  d'où  les 
blocs  s'écroulent  chaque  année  à  l'époque  des  hautes  eaux  ou  sous  le  heurt 
des  glaces,  lors  de  la  débâcle.  La  hauteur  de  la  rive  droite,  telle  est  la 
raison  qui  a  décidé  la  fondation  de  la  plupart  des  villes  du  bassin  sur  la 


DNEPIÎ.  455 

berge  occidentale  et  qui  a  fait  tracer  les  routes  de  communication  sur  le 
même  côté  du  fleuve.  Les  chemins  tracés  sur  la  rive  gauche  sont  pen- 
dant une  grande  partie  de  l'année  d'infranchissables  fondrières.  Sur  les 
affluents  du  Dnepr,  les  rives  présentent  le  même  contraste,  et  là  également 
les  villes  et  les  bourgs  s'élèvent  pour  la  plupart  sur  la  rive  droite'. 

La  débâcle  est  rarement  dangereuse.  Grâce  à  la  direction  du  fleuve,  qui 
coule  du  nord  au  sud,  les  glaces  se  détachent  d'abord  en  aval  et  sont  déjà 
fondues  ou  emportées  vers  l'estuaire  lorsque  les  glaces  du  lit  supérieur 
se  brisent  à  leur  tour  et  commencent  leur  voyage  de  descente.  C'est  ainsi 
qu'à  Kherson  le  fleuve  n'est  pris  en  moyenne  que  pendant  80  ou  85  jours, 
tandis  qu'à  Yekaterinosl'av  la  durée  du  gel  est  de  89  jours  et  de  06  jours  à 
Kiycv,  là  oi!i  commence  le  cours  moyen'.  Cependant  il  arrive  parfois  que 
les  glaces  s'accumulent  en  amont  de  bancs  et  de  sables  ou  d'ilôts,  et  bar- 
rent complètement  le  fleuve  :  en  1865,  un  véritable  pont  de  glace  se  forma 
ainsi  devant  Krementchoug,  assez  épais  pour  porter  des  convois'. 

Par  la  forme  de  sa  ramure  fluviale,  aussi  bien  que  par  la  nature  du  sol, 
le  Diïepr  est,  parmi  les  cours  d'eau  d'Europe,  un  de  ceux  qui  doivent 
présenter  le  plus  d'écarts  dans  leur  masse  liquide.  Presque  tous  les  grands 
affluents  se  réunissent  au  Dnepr  dans  la  partie  moyenne  de  son  cours  et  à 
peu  de  distance  les  uns  des  autres,  de  sorte  que  leurs  diverses  crues,  à 
l'exception  de  celle  de  la  Pripet,  qui  s'attarde  dans  les  marais  de  ses  bords, 
s'unissent  en  un  même  flot,  et  font  à  la  fois  déborder  le  fleuve.  Plus  au 
sud,  les  eaux  qui  ruissellent  à  la  surface  du  sol  difficilement  perméable 
des  steppes  contribuent  aussi  à  grossir  soudainement  le  Lliiepr.  Ce  fleuve 
est  encore  tel  que  la  nature  l'a  fait  :  il  n'a  ni  digues  ni  chemins  de 
halage  ;  mais  jusqu'à  un  certain  point  les  riverains  peuvent  se  féliciter 
qu'il  ne  soit  pas  encore  endigué  comme  le  Po,  la  Loire,  le  Rhône,  le 
Mississippi,  par  des  levées  dites  «  insubmersibles  »,  que  les  vagues  extraor- 
dinaires de  crue  viennent  démolir  pour  inonder  les  campagnes  con- 
quises sur  l'ancien  lit  fluvial.  La  largeur  moyenne  du  Dnepr  est  de  600 
à  850  mètres,  mais  lors  des  crues  il  s'étend  en  maints  endroits  sur  plus 
de  10  kilomètres  de  largeur  :  c'est  alors  une  mer  en  mouvement; 
toutes  les  îles,  tous  les  bancs  de  sable  autour  desquels  le  fleuve  se  divi- 
sait en  courants  partiels,  disparaissent  sous  l'eau  jaunâtre;  bras  morts, 
bras  vifs,  mares  délaissées  d'ordinaire  dans  les  campagnes,  sont  réunis   en 

'  Maiimov,  Drevii'aija  i  Soiaija  Rossiija,  1870,  n°  1. 
»  Sluckenbera,  Uydro(jiaiihie  Russtands. 

'  Schniidt,  Gouvernement  de  Kherson,  Matériaux  pour  rétude  géograpliique  el  slatislique  de  la 
Russie  (un  russe). 


450  NOUVELLE  GÉOGRAPDIE  UNIVERSELLE. 

une  même  nappe,  et  les  eaux  qui  ne  trouvent  pas  de  place  dans  la  vallée 
maîtresse  vont  refluer  h  droite  et  à  gauche  dans  les  vallées  des  affluents, 
qui  ont  aussi  leurs  marais,  leurs  bancs  d'alluvions,  leur  lacis  de  rivières 
vives  et  dormantes.  Il  est  à  désirer  que  les  Oukraïniens,  instruits  par 
les  désastres  qui  ont  lieu  si  fréquemment  sur  les  bords  des  fleuves  en  tant 
de  contrées,  apprennent  à  utiliser  les  terres  alluviales  de  la  vallée  du 
Diiepr  sans  mettre  les  villes  riveraines  plus  en  danger  qu'elles  ne  le  sont 
déjà  :  le  débit  extrême  du  fleuve,  sa  vitesse,  les  dimensions  respectives  de 
son  lit  de  crue  normale  et  de  son  lit  d'inondation,  tout  doit  être  calculé 
d'avance  pour  éviter  les  catastrophes.  Le  péril  est  d'autant  plus  grand  que 
par  suite  du  déboisement  le  régime  du  fleuve  est  devenu  beaucoup  plus 
irrégulier  qu'il  n'était  autrefois  ;  les  «  maigres  »  sont  de  plus  longue 
durée  et  les  inondations  plus  hautes  et  plus  soudaines. 

D'ailleurs,  les  campagnes  basses  qu'inonde  périodiquement  le  fleuve 
sont  d'une  extrême  fertilité,  et  ce  sont  elles  qui  l'ont  fait  célébrer  par 
Hérodote  comme  la  rivière  «  la  plus  utile  aux  hommes  après  le  Nil  ». 
La  fécondité  de  ces  fonds  inondés  provient  en  grande  partie  des  molécules 
de  «  terres  noires  »  que  le  Dnepr  a  portées  des  régions  supérieures.  En 
roulant  dans  son  limon  ces  terres  fertiles  prises  sur  ses  rives  septen- 
trionales, le  Dnepr  apporte  aussi  au  milieu  de  la  région  des  steppes  la 
végétation  du  nord  :  le  bouleau,  cher  aux  Russes,  croît  en  forêts  et  en 
petits  bois  sur  les  rives  du  Dnepr  et  dans  ses  îles  d'alluvions,  jusque  dans 
le  voisinage  du  liman.  Mais,  sur  de  vastes  étendues,  tous  ces  fonds  ou 
planu,  qui  pourraient  nourrir  des  populations  entières,  ne  servent  qu'à  la 
production  d'un  foin  grossier  et  de  roseaux,  que  les  riverains  vont  couper 
en  hiver,  lorsque  la  glace  leur  permet  de  parcourir  les  marécages,  et  qu'ils 
utilisent  pour  leurs  toitures  et  leurs  enclos  :  un  hectare  de  roseaux  en 
bon  rapport  donne  actuellement  autant  de  profit  aux  paysans  qu'un  hectare 
des  meilleures  terres  de  culture.  Les  espèces  de  tissus  feutrés  que  forment 
les  racines  entremêlées  des  roseaux  sur  les  bas-fonds  du  Dnepr  s'unissent 
en  une  sorte  de  tapis  que  l'eau  lave  par-dessous  en  érodant  les  sables  ; 
parfois  les  îlots  des  roselières  se  trouvent  ainsi  complètement  détaciiés 
du  sol  inférieur  et  descendent  au  gré  du  courant  pour  s'arrêter  sur  quelque 
banc  de  sable  éloigné  :  en  1845,  une  de  ces  forêts  de  roseaux,  située  à 
7  kilomètres  en  aval  de  Kherson,  se  déplaça  ainsi  de  2  kilomètres  '. 

Il  semble  que  le  Dnepr,  le  troisième  fleuve  de  l'Eurojie  |  ar  la  masse 
de  ses  eaux,  l'artère  vitale  d'un  pays  peuplé  de  douze  millions  d'hommes, 

'  Odcsskiy  V'cstnik,  n°  73,  18J2;  —  Sclimidi,  ouvrage  cité. 


RAPIDES  DU  DNEPR. 


457 


devrait  être  l'un  des  plus  importants  de  l'Europe  pour  la  navii^ation.  11 
traverse  successivement  plusieurs  zones  de  climat,  de  culture,  de  civili- 
sation ;   de  la  région  des  forêts,  il 

passe  dans  celle  des  terres  noires,  ^  •  •  ~  b*p"'es  de  oxEm. 

puis  dans  celle  des  steppes  nues, 
unissant  ainsi  des  populations  de 
m.œurs  différentes ,  ayant  besoin 
des  denrées  les  unes  des  autres.  De- 
puis les  temps  de  la  colonisation 
grecque,  le  Borysthènes  fut  en  effet 
l'un  des  grands  chemins  de  com- 
merce ,  sauf  pendant  les  guerres 
d'extermination,  qui  arrêtaient  tout 
mouvement  d'échange  ;  mais  l'im- 
portance de  cette  voie  naturelle  de 
trafic  a  été  singulièrement  dimi- 
nuée par  l'existence  des  rapides 
qui  interrompent  en  plusieurs  en- 
droits le  cours  du  fleuve.  En  amont 
de  Krcmentchoug  et  du  confluent 
de  la  grande  rivière  Psol,  le  Di'iepr 
descend  déjà  de  plus  de  20  mètres 
sur  une  dislance  de  17  kilomètres, 
et  maint  passage  de  ce  plan  incliné 
est  très  dangereux  à  franchir.  Mais 
c'est  en  aval  de  Yekaterinos-1'av,  au 
détour  que  doit  faire  le  Dnepr  pour 
traverser  le  plateau  de  granit,  que 
se  trouvent  les  célèbres  «  seuils  » 
ou  poro(ji,  dont  parlent  les  chro- 
niques byzantines  et  russes  et  les 
chants  des  Cosaques.  Les  roches  de 
granit  qui  forment  barrage  se  con- 
tinuent pour  la  plupart  de  rive  à 
rive,   et   l'eau   qui   passe   en   nap-  gk^ks         ,    j,„„„ 

pes  sur  ces   arêtes    n'a    guère    en  »  lokij. 

moyenne,  pendant  l'été,  plus  d'un 

mètre  et  demi  d'épaisseur,   l/imlinaison  lolalc  du   fleuve,  sur  une  Imi- 

gui'ur  d'environ  75  kilomètres,  est  de  ,"('2  mètres,  mais  nulle  part  il  n'y  a 

».  58 


r^.G 


458  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

de  vérllablo  chute  ;  la  penle  la  plus  forte  est  seulement  d'un  peu  plus  de 
6  centimètres  par  mètre.  Çà  et  là  se  montrent  des  cascades  latérales;  la 
masse  du  courant,  qui  descend  en  longues  vagues,  où  se  voient  à  peine 
quelques  stries  d'écume,  se  partage  aussi  en  rapides  secondaires  qui  sui- 
vent l'un  ou  l'autre  bord.  Constantin  Porphyrogénète  parle  de  sept  porogs 
seulement,  Beauplan  en  décrit  treize  dans  sa  Description  de  l'Ukranie,  et 
maintenant  les  pilotes  ont  l'habitude  d'en  compter  neuf  seulement  '  ;  mais 
ces  neuf,  ainsi  que  les  moindres  rapides  appelés  zabon,  se  décomposent 
en  centaines  et  en  milliers  de  sauts.  L'aspect  du  fleuve,  à  la  traversée  des 
roches  granitiques,  change  constamment  :  aux  plans  inclinés  d'où  l'eau 
descend  en  fuyant  succèdent  les  vastes  bassins,  semblables  à  des  lacs,  où 
l'onde  calmée  tournoie  avec  lenteur;  la  sonde  y  trouve  jusqu'<à  50  mètres. 
La  largeur  varie  aussi  :  divisé  par  d'innombrables  écueils,  le  fleuve  a 
1750  mètres  près  des  rapides  les  plus  dangereux,  tandis  qu'à  la  «  Gorge 
du  Loup  »  (Viltchye  Gorlo),  vers  la  fin  des  rapides,  les  rives  se  rappro- 
chent à  moins  de  160  mètres. 

Les  embarcations  franchissent  les  rapides  seulement  pendant  les  huit 
semaines  que  dure  en  moyenne  la  crue  du  printemps;  même  on  a  vu  des 
années  se  passer  sans  que  la  navigation  ait  été  possible  un  seul  jour  : 
quant  aux  chalands  d'un  fort  tirant  d'eau,  ils  doivent  tous  s'arrêter  à 
Yekaterinoslav  en  amont,  à  Alexandrovsk  en  aval.  Les  petits  villages  des 
bords,  et  surtout  le  bourg  de  totzmanskaya  Kamenka  ou  «  Perré  des 
Pilotes  »,  sont  peuplés  de  bateliers  qui  guident  les  embarcations  et  les 
radeaux  dans  les  détours  du  chenal  ;  mais  quels  que  soient  leur  coup 
d'oeil  et  leur  sang-froid,  un  grand  nombre  de  bateaux  se  perdent  dans 
le  dangereux  passage.  Des  centaines  de  chalands  qui  descendent,  aucun 
ne  remontera  le  fleuve  :  tous  sont  dépecés  à  l'arrivée,  soit  à  Kherson, 
soit  dans  toute  autre  ville  du  cours  inférieur,  et  vendus  comme  bois  de 
construction  :  c'est  sous  cette  forme  que  les  régions  du  bassin  supérieur 
«expédient  leurs  troncs  d'arbres  aux  riverains  du  bas  Dnepr;  les  écrivains 
byzantins  nous  apprennent  que  les  Krivitchi  pratiquaient  ce  commerce  du 
bois  dès  les  origines  de  l'histoire  russe'.  Depuis  plus  de  cent  années  on 
s'occupe  d'améliorer  les  passes  du  Dnepr  au  moyen  de  canaux  et  d'écluses 
latérales,  mais  tous  ces  travaux  ont  été  jusqu'à  maintenant  à  peu  près 
inutiles,  et  les  bateaux  à  vapeur,  qui  remontent  de  Yekaterinoslav  à  Pinsk 
sur  la  Pripet,  à  Orrlia  sur  le  haut  Dnepr,  à  Bi'ansk  sur  la  Desna,  ne  peu- 


'  Tchoujbinsliiy,  Visite  à  la  Russie  du  Sud,  I,  le  Dn'epr  (en  russe). 
'  K.inmizin,  Histoire  de  l'État  russe,  I. 


RAPIDES  ET  LIMAN  DU  DNEPH.  459 

vent  encore  franchir  les  seuils  qui  les  séparent  du  bas  Di'iepr  et  de  la  mer 
Noire.  Les  autres  fleuves  de  la  Russie  méridionale,  Boug  et  Dnestr,  de 
même  que  leurs  affluents,  ont  aussi  leurs  rapides  au  passage  de  la  zone 
granitique;  un  des  petits  affluents  du  Boug  par  la  Siiioukha  a  même  une 
chute  verticale  de  plus  de  10  mètres.  On  a  pu  dire  avec  quelque  raison 
que  les  cours  d'eau  de  la  région  des  steppes  empêchent  beaucoup  plus  les 
communications  qu'elles  ne  les  favorisent.  Leurs  rapides  arrêtent  la  navi- 
gation de  l'intérieur  vers  la  mer,  tandis  que  leur  large  cours,  les  berges 
de  leurs  vallées,  les  bornes  de  leurs  rivages  empêchent  le  passage  de  l'est 
à  l'ouest  ou  de  l'ouest  à  l'est,  parallèlement  à  la  mer  Noire'.  Tous  les 
peuples  nomades  de  l'Asie,  dont  les  sieppes  étaient  le  chemin  naturel  dans 
la  direction  de  l'Europe,  se  trouvaient  arrêtés  à  la  traversée  des  fleuves, 
et  c'est  près  de  leurs  bords  qu'avaient  lieu  les  sanglants  conflits  qui  trans- 
formèrent tout  le  pays  en  un  vaste  désert,  le  «  Champ  Sauvage  ». 

Au-dessous  des  rapides,  le  Dnepr,  continuant  de  ronger  la  hase  des 
rochers  de  sa  rive  droite,  se  reploie  vers  l'ouest  en  laissant  à  gauche  un 
ancien  lac,  le  Velikiy  Loug,  la  «  Grande  Prairie  »  des  Zaporogues,  où  se 
ramifient  les  eaux  pendant  les  inondations  et  qui  est  mamtenant  un  maré- 
cage s'étendant  à  perte  de  vue.  C'est  là  et  sur  d'autres  points  du  Dnepr 
maritime  que  des  savants,  interprétant  un  passage  d'Hérodote,  ont  voulu 
chercher  le  Gerrhus,  un  ancien  bras  du  fleuve  qui  se  serait  jeté  dans  la  mer 
d'Azov^;  mais  nulle  trace  de  lit  ne  se  retrouve  dans  la  région  des  steppes, 
qui  s'élèvent  en  moyenne  de  100  à  200  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la 
mer.  Le  fleuve  n'a  |)oint  de  delta,  mais  seulement  des  bras  errants  qui  se 
déplacent  dans  le  lit  suivant  l'abondance  des  eaux  de  crue  et  qui  se  déver- 
sent dans  un  liman  ou  golfe  d'eau  saumàtre  faisant  déjà  partie  du  Pont- 
Euxin  quoiqu'une  baire  de  sal)le  le  sé[)are  à  d(!mi  de  la  haute  mer  :  on  y 
entretient  à  grand'pcine  par  le  dragage  un  chenal  de  navigation  ]i(Uir 
l'entrée  des  bateaux  à  vapeur.  En  été,  l'eau  du  liman,  alimentée  surtout 
par  la  mer,  devient  trop  saline  pour  que  les  habitants  riverains  puissent 
l'utiliser;  il  en  est  de  même  pendant  les  tempêtes  ;  mais  d'ordinaire,  et 
surtout  au  printemps,  l'eau  du  golfe  est  employée  pour  tous  les  usages 
domestiques,  et  les  bestiaux  la  boivent  sans  que  leur  santé  paraisse  en 
souffrir.  D'ailleurs  le  Dnepr  n'est  pas  le  seul  courant  d'eau  douce  qui  se 
déverse  dans  le  liman.  Celui-ci  reçoit  aussi  le  Boug,  le  Bob  des  Petits-Rus- 
siens,  dont  le  nom,  qui  signilie  «  Dieu  »,  est  du  sans  doute  à  des  super- 


'  Sclinildl,  Courcrnemcnt  rie  Klirrson,  ouvrage  cité. 
'  lleiiiull,  Geograpinj  o(  Hcioilntus. 


460  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

stitions  oubliées  :  c'est  l'IIypanis  des  Grecs.  L'ile  de  Berezan,  qui  garde 
l'entrée  commune  du  liman  où  débouchent  le  Dnepr  et  le  Boug,  eut  jadis 
une  grande  importance.  Arrivés  dans  le  liman,  les  traitants  russes  qui 
venaient  de  descendre  le  fleuve  n'osaient  se  risquer  aussitôt  en  pleine  mer 
sur  leurs  barques  légères,  fatiguées  par  le  voyage;  ils  s'arrêtaient  dans 
l'ilot  pour  y  réparer  leurs  embarcations  et  les  gréer  en  vue  de  la  naviga- 
tion marine. 

Le  Dhestr,  le  Tyras  des  Grecs  et  le  Tourla  des  Turcs,  peut  être  consi- 
déré d'une  manière  générale  dans  son  cours  moyen  comme  la  limite  ethno- 
logique naturelle  entre  les  Russes  et  les  Roumains.  Ce  fleuve  ressemble  à 
bien  des  égards  à  son  puissant  voisin  le  Dnepr.  Il  prend  naissance  comme 
lui  dans  la  région  des  forêts  pour  traverser  les  «  terres  noires  »,  puis 
les  steppes  nues,  et  se  déverser  dans  un  liman  du  Pont-Euxin  ;  il  se  dé- 
place aussi  en  rongeant  sa  rive  droite  et  passe  également  sur  des  seuils 
de  granit  ;  mais  son  lit  est  en  moyenne  beaucoup  plus  profondément 
creusé  :  il  est  presque  partout  fort  étroit  et  recouvert  d'une  grande 
épaisseur  d'eau,  comme  celui  du  Prout,  rivière  parallèle  au  Dneslr  et  qui 
en  est  comme  une  reproduction  un  pou  diminuée  ^  Ses  écarts  de  portée 
entre  les  maigres  et  les  crues  sont  encore  plus  forts  que  ceux  du  Dnepr  : 
quelques-unes  de  ses  crues,  notamment  celles  de  1829,  de  1842,  de  1845, 
ont  été  si  fortes  que  les  riverains  ignorants  accusaient  les  Autrichiens 
de  Galicie  d'avoir  rejeté  les  eaux  d'un  autre  fleuve  dans  celui  qui  débor- 
dait sur  leurs  campagnes  ^  Le  Dnestr  dévclo[)pe  quelques  parties  de  sa 
vallée  avec  une  singulière  majesté  de  lignes,  et  ses  affluents  le  rejoignent 
en  donnant  à  sa  ramure  l'aspect  de  celle  d'un  chêne;  mais  dans  l'ensemble 
le  Dnestr  est  l'un  des  cours  d'eau  les  plus  tortueux  de  la  Terre  :  de  la 
bouche  du  Yagarlik  à  la  mer,  la  distance  en  ligne  droite  est  seulement  de 
147  kilomètres;  avec  les  détours,  le  développement  du  fleuve  dans  cette 
partie  de  son  cours  atteint  590  kilomètres.  La  longueur  totale  du  Dnestr 
est  de  1550  kilomètres,  un  peu  moins  que  le  puissant  Dnepr^.  En  outre, 
le  lit  fluvial  s'allonge  incessamment  aux  dépens  du  liman  salin  dans  lequel 
ouïront  ses  oaux.  L'ancien  bras,  qui  s'unissait  au  liman  à  l'exlromité  sep- 
tentrionale do  ce  golfe,  s'est  oblitéré  depuis  longtemps,  et  c'est  (lar  un  bia> 
latéral,  allant  rejoindre  le  golfe  sur  sa  rive  orientale,  que  se  dévorso  main- 
tenant l'eau  du  fleuve,  menaçant  de  séparer  peu  à  peu  du  liman  la  baie  du 
nord,   appelée  en  tartare  Kara  Gol  ou  Lac  Noir.   Los  alluvions  sableuses 

'  Ko'.il,  Reisen  in  Siid-RussUiiid. 

-  Sclimidl,  ouvrngc  chv. 

;  !2I  10  kiloiiiLlies,  i.V:\[>iii  >L  Till»;  hv'cslia  Gcoijr.  Obcli.  188Ô. 


DNESTR. 


405 


qu'apporte  le  fleuve  ne  peuvent  être  entraînées  vers  la  mer,  car  la  barre 
qui  sépare  le  Di'iestr  de  la  mer  Noire  est  très  rapprochée  de  la  surface  : 
à  peine  de   petites   barques   peuvent-elles   franchir  le  seuil;  toutes   les 


N'   97.    PARTIE    DU    DXF.STB    MOtES. 


d après  lo  Lam  d»  >  Lt< 


marchandises  venues  de  l'intérieur  doivent  être  transportées  par  terre  à 
Odessa. 

Parmi  les  poissons  du  Ih'iestr,  du  Di'icpr,  du  Danube,  il  s'en  trouve  beau- 
i-ou[>  qui  ont  un  caractère  tout  spécial  et  constituant  une  fauiu-  distincte. 
l'ourcn  cxjtliqucr  l'origine,  M.  Kessler  a  imaginé  que  la  chaîne  du  Balkau 
rejoignait  autrefois  les  montagnes  de  la  Crimée  et  limitait  ainsi  un  grand 
bassin  d'eau  douce  où  se  déversaient  les  fleuves  de  la  Russie  méridionale.  De 
ces  poissons  de  la  faune  boryslliéniquc,  deux  seulement  se  retrouvent  ailleurs, 


4Ù4  NOUVELLE  GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

l'apron  ou  aspro  vulgaris  dans  le  Illiùne  el  Vaccrina  rossica  dans  le  Don  '. 

Le  Driestr,  le  Boug,  le  Dnepr  sont  les  seuls  cours  d'eau  navigables  de 
la  Russie  méridionale  entre  le  Danube  et  le  Don  ;  seulement  quelquefois, 
vers  la  fin  d'avril  et  pendant  le  mois  de  mai,  les  bas  affluents  do  ces 
fleuves  roulent  assez  d'eau  pour  faire  flotter  dos  troncs  d'arbres  et  pour 
porter  des  radeaux  et  même  des  barques.  Il  n'en  était  point  ainsi  il  y  a 
vingt-trois  siècles,  s'il  est  vrai  qu'au  temps  d'Hérodote  la  terre,  quoique 
«  exlraordinairement  dénuée  de  bois'  »,  fût  bien  arrosée  et  que  de  grandes 
rivières  la  parcourussent,  «  h  peine  moins  nombreuses  que  les  canaux  en 
Egypte"  ».  De  nos  jours,  les  steppes  méridionales  sont  desséchées,  et  même 
en  comptant  les  limans  du  littoral,  que  n'alimentent  plus  les  eaux  cou- 
rantes, on  ne  trouve  plus  qu'un  petit  nombre  de  lits  fluviaux.  Hérodote, 
qui  visita  le  pays,  n'a  pu  se  tromper  complètement  sur  la  géographie  de 
la  contrée,  et  d'ailleurs  ces  anciennes  rivières  dont  parle  l'historien  grec, 
n'en  voit-on  pas  encore  les  traces?  Entre  le  Danube  et  le  Dncstr,  entre  le 
Diiostr  et  le  Boug,  les  vallées  fluviales  se  succèdent,  toutes  parallèles  les 
unes  aux  autres;  mais  ces  vallées  fluviales  n'aboutissent  plus  à  la  mer; 
elles  sont  desséchées  entièrement  ou  en  partie,  et  les  ravins  latéraux  qui 
s'inclinent  vers  ces  vallées  n'ont  d'eau  que  pendant  les  pluies. 

La  tradition  locale  raconte  partout  l'appauvrissement  de  la  contrée  en 
eaux  courantes.  Des  lacs  se  sont  évaporés  jusqu'à  la  dernière  goutte, et  les 
offlorescences  salines  couvrent  des  espaces  de  plus  en  plus  considérables. 
En  beaucoup  d'endroits,  les  habitants  disent  que  leurs  puits  ont  graduel- 
lement tari  ou  que  l'eau  en  est  devenue  saumâtre  :  ils  ont  dû  abandonner 
des  jardins  et  des  vergers  qu'ils  pouvaient  jadis  arroser  d'eau  pure  en 
abondance  et  qui  leur  fournissaient  de  belles  récoltes.  La  rivière  Tiligoul, 
dont  les  eaux  vont  se  perdre  aujourd'hui  dans  le  liman  du  même  nom, 
sans  pouvoir  atteindre  la  mer,  mettait  autrefois  en  mouvement  les  roues 
de  quinze  moulins,  grands  et  petits,  en  amont  de  la  ville  d'Ananyev,  et 
en  ISOÔ  il  n'en  existait  plus  qu'un  seul,  inactif  pendant  une  {)artie  de 
l'année.  La  rivière  a  cessé  d'avoir  un  cours  régulier  el  n'est  plus  qu'une 
coulée  incertaine.  Encore  en  1825,  le  Tiligoui  est  représenté  sur  une 
carte  militaire  comme  s'unissant  à  la  mer  par  une  large  embouchure,  el 
c'est  là  que  passe  maintenant,  sur  un  isthme  élevé,  la  roule  jjostalt!  do 
Nikolayev  à  Odessa.  Comment  s'expliquer  celte  salinité  croissante  du  sol 

'  Kcssier,  Russische  Revue,  n°  4,  1875;  Verglckhende  inteisucliiiiigen  Uher  dic  FUclie  des 
Schwarzen  und  des  Kaspischeti  Meerea.... 
»  Livre  iV,  (II. 
'  Livre  IV,  47. 


ASSÈCHEMEiNT   DES    STEPPES. 


465 


des  Steppes?  Le  déboisement  des  plateaux,  ajoutant  de  vastes  surfaces 
nues  à  celles  des  steppes  basses,  n'est-il  pas,  sinon  la  seule,  du  moins  la 
principale  cause  de  l'assèchement  des  campagnes?  En  perdant  les  arbres 
qui  l'abritaient,  la  terre  s'est  trouvée  exposée  à  une  dessiccation  rapide,  les 
sources  nourricières  des  fleuves  ont  tari  et  les  eaux  courantes  ont  disparu. 
Le  labourage,  qui  détruit  toute  végétation  pendant  une  partie  de  l'année, 
accroît  l'activité  de  l'évaporation  en  exposant  le  terrain  nu  aux  rayons  du 
soleil  et  aux  vents  desséchants.  Ainsi  que  le  dit  un  proverbe  local  :  «  Quand 


>"   S8.    TADl    DES   STEPPES. 


l'homme  vient,  l'eau  s'en  va',  x  Les  pluies  apportent  en  moyenne  près  de 
35  à  40  cenlimèlres  d'eau  dans  la  contrée'  ;  mais,  cette  eau  ne  fournissant 
point  d'excédent  qui  s'égoutle  dans  la  mer,  il  en  résulte  que  l'évaporation 
et  la  maigre  végétation  du  sol  doivent  la  faire  disparaître  eu  entier. 
D'ailleurs,  ce  phénomène  d'appauvrissement  de  la  teire  en  humidité  s'ol)- 
serve  sur  une  zone  beaucoup  plus  étendue  que  les  steppes  de  la  Russie 
méridionale,  ainsi  que  le  prouvent  les  anciens  lils  do  rivières  de  la  Do- 
broudja  et  de  la  basse  Roumanie,  où  no  se  voient  plus  maintenant  (jue  des 


Sclimidt,  Gouvernemcnl  de  Kherson,  ouviagc  cité. 

l'Iuii;  miiyenuu  ii  Odessa 

»  »        à  Kiko'laycv 


0",.)G5 


''M 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


■  village;  entourant  vne 


mares  et  de  petits  lacs'.  On  ne  saurait  guère  douter  non  plus  que  l'Asie 
antérieure  ne  soit  devenue  plus  aride.  Toute  la  région  centrale  de  l'ancien 
continent  constitue  une  aire  d'appauvrissement  pour  riiumidilé  du  sol. 

Les  sources  manquent  complètement  à  la  surface  des  steppes  voisines  do 
la  mer;  elles  ne  sont  remplacées  çà  et  là  que  par  des  mares,  où  l'eau 
séjourne  pendant  les  mois  pluvieux  et  où  croissent  des  joncs  et  des  herbes 
marécageuses.  En  d'autres  endroits  bas,  connus  sous  le  nom  de  padl,  il 
ne  séjourne  point  d'eau,  mais  l'humidité  est  suffisante  pour  entretenir 
continuellement  une  végétation  d'herbes  touffues,  et  quand  la  chaleur  de 
l'été  a  brûlé  tout  le  gazon  des  plaines,  ces  bas-fonds,  non  encore  desséchés, 
rafraîchissent  le  regard  par  la  verdure  de  leurs  prairies  :  des  puits,  creusés 
à  15  ou  20  mètres  de  profondeur  aux  en- 
droits les  plus  bas  de  ces  padî,  et  signalés 
de  loin  par  une  potence  oblique,  fournissent 
une  eau  amère,  que  ne  boivent  pas  les 
hommes,  mais  qui  abreuve  les  animaux. 
Plus  près  de  la  mer,  on  voit  aussi  de  nom- 
breuses dépressions  du  sol  où  l'eau  des  pro- 
fondeurs forme  des  efflorescences  de  sel  : 
des  cristaux,  mélangés  d'impuretés,  cou- 
vrent ces  anciennes  mares  et  donnent  au 
sel  une  nuance  grisâtre-. 

Ainsi  privés  d'eau  pour  eux  et  leur  bétail, 
les  habitants  ne  peuvent  guère  s'établir  sur 
l  ;^,i  le   plateau   des   steppes  :  il  leur  faut  bâtir 

leurs  villages  au  bord  des  étangs,  trop  sou- 
vent mis  à  sec  dans  les  vallées  où  suinte  encore  un  peu  d'humidité  et  où 
l'eau  de  pluie  s'amasse  en  mares  temporaires.  Telle  est  la  raison  qui  donne 
aux  villages  celte  forme  bizarre  d'une  rue  de  plusieurs  kilomètres  de  lon- 
gueur, dont  le  nom  change  de  dislance  en  distance  :  le  voyageur  qui  par- 
court le  plateau  ne  voit  ces  villages  qu'en  arrivant  au  bord  des  berges  nues  ; 
tout  à  coup  il  aperçoit,  de  2^  à  50  mètres  au-dessous,  des  maisons,  des 
arbres  et  des  cultures  remplissant  une  sorte  de  fosse  tortueuse,  qui  se  déve- 
loppent en  méandres  comme  un  fleuve.  Lors  des  pluies  torrentielles,  les 
rivières  reprennent  leur  cours  pour  un  temps  et  menacent  d'emporter  les 
villages  bâtis  dans  les  ra\iiis.  Alors  le  plateau  lui-même  est  rapidement 


Roubanovka 


CdeG 


'  K:inil7,  Dotinu-Biiltiniien  iinil  dcr  Dalkan. 
'  Stlimidl,  ouvra''c  cité. 


MARES   ET   RAVINS   DE   LA   STEPPE. 


467 


érodô,  surtout  là  où  il  est  composé  de  terres  sans  consistance.  Les  ravins, 
balki  ou  ovrarji,  s'élargissent  et  se  frangent  à  droite  et  à  gauche  de  ravins 
secondaires,  dont  les  débris,  emportés  par  les  ruisseaux  soudains,  vont 
se  déposer  au  loin  sur  les  bords  des  fleuves  ou  sur  les  plages  des  limans. 
La  terre  est  ainsi  pelée  sur  une  épaisseur  de  10  ou  de  20  mètres;  des 
millions  de  mètres  cubes  sont  emportés  chaque  année  sans  qu'on  fasse 
le  moindre  effort  pour  arrêter  l'œuvre  de  destruction.  On  a  vu  des  averses 
d'une  heure   détruire  complètement  des  routes  sur    un   espace  de  plu- 


VILLAGE    AC    FOND    DIX    IIAVIV,    PRES    DE    VEKlTRnivOSLA 


sieurs  centaines  de  mètres'.  A  l'ouest  du  Diiepr,  dans  la  région  grani- 
tique, le  long  travail  d'érosion  accompli  par  les  eaux  a  eu  également 
pour  résultat  la  formation  de  ravins  dans  lesquels  se  sont  édifiés  les  vil- 
lages; mais  ces  ravins  sont  plus  brusques,  plus  étroits,  moins  profondt'- 
ment  creusés. 

De  tous  les  liraans  qui  reçoivent  les  eaux  de  l'intérieur,  et  qui  sont 
eux-mêmes  d'anciens  ravins  creusés  par  les  eaux  courantes,  ainsi  qu'on 
peut  le  reconnaître  à  leur  forme  allongée  et  tortueuse,  deux  seulement, 
entre  le  Dnestr  et  le  Danube,  ont  gardé  leurs  communications  permanentes 
avec  la  mer  :  ce  sont  le  liman  de  Berezai'i,  à  peu  de  distance  à  l'ouest 


'  J.  G.  Kohi,  Beilruge  zur  Kennliiits  des  Inneren  Russianils. 


468 


NOUVELLE  GEOGR.VPUIE  UNIVERSELLE. 


RJVISS    GRANITIQUES   A    L  OUEST    I>1 


Cd.P  P'-AO 


d'Otchakov,  et  le  liman  du  Dnestr.  Depuis  le  commencement  ilu  siècle,  les 
graus  ou  yirla  '  île  plusieurs  autres  golfes  se  sont  fermés.  Le  lac  de  Tili- 
gouï,  qui  s'était  déjà  séparé  de  la  mer  au  dix-septième  siècle  %  était  devenu 
golfe  de  nouveau;  encore  en  1S25  il  était  réuni  à  la  mer  par  une  large 
embouchure  sur  laquelle  on  avait  dû  construire  un  ponl  pour  la  route  de 

poste  :  de  même,  les  deux  li- 
mans  d'Adjalin  avaient  leurs 
graus,  par  lesquels  l'eau  marine 
entrait  et  sortait  alternativement, 
suivant  la  direction  des  courants 
atmosphériques.  Enfin,  quoique 
le  liman  de  Ilaiiji-Bey,  l'ancien 
port  des  Lithuaniens,  resté  encore 
ouvert  à  la  Un  du  dix-huitième 
siècle,  fût  complètement  séparé 
de  la  rade  d'Odessa  en  IS'25,  du 
moins  deux  petits  étangs  situés 
sur  le  percsîp  ou  cordon  littoral 
communiquaient  encore  libre- 
ment avec  les  eaux  marines.  Au 
sud-ouest,  la  plage  de  50  kilo- 
mètres de  longueur  (pii  limite 
les  lacs  salins  Bournas,  Alibey, 
Chaganî,  Koundouk,  n'est  rom- 
pue que  sur  un  seul  point,  chan- 
geant suivant  l'abondance  des 
pluies  et  la  violence  des  tempêtes. 
Les  travaux  de  l'homme  ont 
contribué  à  la  consolidation  d'une 
partie  de  ces  levées  naturelles  et 
à  la  fermeture  des  graus  en  con- 
struisant des  perrés  jiour  la  protection  de  la  chaussée  de  Nikol'ayev  à 
Odessa  contre  les  assauts  de  la  mer;  mais  la  pression  des  eaux  inté- 
rieures n'a  rétabli  nulle  part  les  anciens  chenaux  de  communication. 
Quelques  savants  ont  pensé  que  la  foimation  des  seuils  provient  d'un 
soulèvement  général  de  la  côte;  toutefois,  en  l'absence  de  mesures  précises 

•  Mr'iiic  mot  (|uc  (jorlo  ou  «  gorge  »  des  Grands-Russiens.  Vo  des  Veliko-Russes  dovicnt  mi  i  d:ins 
la  lanjjui!  des  Malo-Ri:sscs. 

'  Reauplaii,  Dcsrriplion  (le  l' Ukraine. 


ETANGS   ET   GRAUS   DU   LITTORAL. 


469 


sur  le?  points  fixes  du  littoral,  il  est  inutile  de  discuter  cette  hypothèse, 
car,  les  eaux  douces  n'ayant  plus  la  force  de  s'ouvrir  un  chemin  vers  la 
mer,  les  vagues  ont  pu  édifier  à  loisir  un  cordon  littoral,  que  les  vents 
ont  exhaussé  plus  tard  à  5  et  4  mètres  par  des  apports  de  sable.  Çà  et 
là  s'élèvent  quelques  dunes  ou  koutchougourî ,  que  les  brises  marines  dé- 


N°   102.    —   LIM.VVS    OniENTACX    DE    LA    BEï:?.\RAIiir. 


daprèilo  Carre  ad  ttat -Majo 


tisOélOm  de/ÛB  SO  oS-P^oi.  . 


placent  et  poussent  quelquefois  sur  les  terres  cultivées,  quand  on  n'a  pas 
eu  le  soin  d'en  protéger  la  végétation  et  que  les  bestiaux  ont  pu  y  vaguer 
librement. 

Après  les  sécheresses,  les  bassins  fermés  des  linians  ont  leur  surface 
plus  basse  que  le  niveau  du  l'onl-Euxin  :  ce  sont  des  «  mers  mortes  »  en 
miniature.  .\n  printemps,  leur  niveau  se  relève  et  leur  salinilé'  diiniinic. 


470  NOUVELLE  GEOGPxAPUIE  UNIVERSELLE. 

grâce  à  l'afflux  des  eaux  douces;  mais  à  maints  égards  ces  golfes  ressem- 
blent encore  à  la  mer  dont  ils  ont  été  récemment  séparés.  La  nuit,  leurs 
eaux  brillent  sur  les  plages  d'un  éclat  phosphorescent  ;  des  salsolées 
rouges  et  d'autres  plantes  salines  croissent  sur  les  fonds  environnants, 
et  l'on  recueille  du  sel  sur  les  bords  émergés.  Le  Koundouk,  sur  la  côte 
bessarabienne,  entre  les  bouches  du  Danube  et  du  Dnestr,  fournit  chaque 
année  une  quantité  de  sel  considérable  :  en  1826,  année  très  favorable, 
on  retira  des  trois  principaux  limans  de  la  Bessarabie  96  000  tonnes  de 
sel'.  Mais  à  l'ouest,  d'autres  limans,  le  Katfaboukh,  le  Yaipoukh,  le  Ka- 
goui,  qui  furent  également  des  golfes  de  la  mer,  ont  cessé  d'être  salins  : 
l'eau  en  est  devenue  complètement  douce  :  c'est  que,  séparés  de  la  mer 
depuis  des  milliers  d'années  par  les  alluvions  envahissantes  du  Danube,  ils 
ont  pu  se  débarrasser  peu  à  peu  de  toutes  leurs  particules  salines  :  ils  n'en 
sont  pas  moins  des  fragments  de  la  mer,  enchâssés,  pour  ainsi  dire,  dans 
les  terres  du  continent  comme  des  insectes  dans  la  résine  d'ambre.  Limans 
salins  et  limans  d'eau  douce  appartiennent  à  la  même  formation  dans  l'his- 
toire géologique  moderne.  Les  uns  et  les  autres  étaient  également  enfermés 
par  le  doulile  «  val  de  Trajan  »,  élevé  par  les  Romains  au  nord  du  delta  du 
Danube. 

Quelques-uns  des  bassins  d'eau  salée  seraient  assez  profonds  pour  que 
des  vaisseaux  de  ligne  pussent  y  flotter,  et  leur  nom  même,  qui  signitie 
«  port  »  en  langue  tartare,  semble  témoigner  qu'à  une  époque  peu  éloi- 
gnée de  nous  ils  servaient  de  refuge  aux  navires.  A  la  fin  du  dix-huitième 
siècle,  le  liman  de  Tiligoul  avait  en  certains  parages  de  18  à  19  mètres 
de  profsndeur.  Mais  il  est  inévitable  que  ces  étangs  séparés  de  la  mer, 
recevant  sans  cesse  les  molécules  terreuses  que  leur  apporte  le  vent  et 
les  alluvions  des  ruisseaux  affluents,  finissent  par  se  combler.  Entre  les 
limans  de  Tiligouï  et  de  Berezan,  on  remarque  déjà  l'un  de  ces  anciens 
golfes  dont  l'eau  a  complètement  disparu  :  ce  n'est  plus  qu'une  saline  : 
d'où  son  nom  tartare  de  Touzla.  Les  poissons  ne  peuvent  vivre  dans  les 
limans,  h  cause  des  variations  fréquentes  dans  la  teneur  et  dans  la  tem- 
pérature des  eaux  ;  mais  on  y  trouve  des  annélides  et  quelques  crustacés, 
même  des  espèces  particulières,  décrites  par  Nordmann  et  Miliie  Edwards. 
Les  bords  de  ces  marigots  sont  très  malsains  en  automne,  et  parfois  les 
habitants  de  tout  un  village  sont  tombés  malades  sous  l'influence  du  vent 
qui  leur  apporte  des  miasmes;  mais  ailleurs  les  boues  des  limans,  rou- 
gies  par  d'innombrables  algues  qui  répandent  une  douce  odeur  de  violettes, 

'  J.  li.  Knhl,  lieiscn  in  Siïd-Russlaïut. 


LIMANS   ET   PLAGES. 


471 


sont  très  recommandées  pour  le  traitement  de  quelques  maladies;  les 
patients  viennent  s'y  plonger  aux  heures  où  ces  vases  sont  chauffées  par  le 
soleil  d'été.  Pour  les  élever  à  la  plus  haute  température  possible,  on  les 
met  à  l'abri  du  vent  par  des  parois  en  verre  que  traversent  les  rayons  : 
dans  ces  cages,  la  boue  atteint  parfois  55  et  même  58  degrés  centigrades'. 
Les  côtes  de  la  Russie  méridionale  sont  de  celles  qui  étonnent  le  plus 


s*   103.    LIMIX    IiE    7IUC01L. 


par  la  régularité  de  leur  tracé.  La  steppe  se  termine  sur  la  mer  Noire  par 
une  berge  abrupte  bordée  d'une  plage  étroite,  et  ces  escarpements  sont 
réunis  les  uns  aux  autres,  à  l'issue  des  limans,  par  des  flèches  droites  ou 
légèrement  infléchies  dont  la  forme  indique  exactement  la  force  des  vagues 
de  houle  et  la  direction  des  courants  riverains.  Au  sud  du  liman  du  Dnepr 
surtout,  les  plages  se  développent  en  lignes  d'une  singulière  élégance.  Mo 
la  pointe  de  Kinbourn  à  l'ilc  Longue,  l'estran,  se  prolongeant  du  nord-ouest 


•  Schmidt.  ouvrage  cilé. 


472  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

au  sud-est,  Icrniine  la  terre  ferme  de  la  péninsule  par  une  courbe  concave, 
tandis  qu'en  face,  de  l'autre  côté  d'un  golfe  sans  profondeur,  s'avance  en 
forme  de  hameçon  la  plage  extérieure  de  la  Tendra,  se  redressant  au- 
dessus  des  flots  sur  une  longueur  de  150  kilomètres,  du  golfe  de  Perekop 
à  celui  d'Odessa.  En  regardant  sur  la  carte  le  tracé  de  ces  rives  de  sable 
élevées  peu  à  peu  par  le  choc  des  vagues,  on  voit  pour  ainsi  dire  le  courant 
qui  suit  le  cordon  littoral  de  l'est  à  l'ouest,  puis  qui  se  recourbe  au  nord 
et  se  reploie  en  un  remous  latéral  pour  reprendre  ensuite  sa  direction  vers 
l'ouest  et  le  sud-ouest,  jusqu'aux  bouches  du  Danube  et  au  Bosphore.  Cette 
flèche  de  la  Tendra  qui  forme  au  continent  comme  un  double  rivage  était 
par  excellence  la  «  Carrière  d'Achille  »  :  là,  comme  sur  toutes  les  levées 
de  même  formation,  les  marins  grecs  aimaient  à  se  figurer  le  héros  pres- 
sant les  coursiers  d'un  char,  mouillé  de  l'écume  des  flots.  Par  les  rives 
de  son  golfe,  le  Borysthènes  appartenait  déjà  au  monde  hellénique,  plus  de 
dix  siècles  avant  que  la  région  des  sources  sortît  des  ténèbres  de  l'inconnu. 
Aux  temps  épiques  des  guerres  incessantes  entre  les  Cosaques  et  les  Turcs, 
ces  plages  virent  bien  des  combats.  Là,  près  de  l'île  Tendra,  s'arrêtaient  les 
Zaporogues  au  retour  de  leurs  expéditions  maritimes  ;  là  était  le  premier 
sol  russe  que  touchaient  les  captifs  délivrés';  mais  près  de  là  attendaient 
aussi  les  galères  musulmanes  :  on  se  livrait  bataille  dans  les  eaux  basses, 
le  flot  se  mêlait  de  sang  et  l'écume  traçait  des  lignes  rouges  sur  le  sable. 


IIMT     DNEPIÎ,     B.VSSIN     DE     LA     miPET. 
RUSSIE     BLANCHE,     l'OLESÏE,     VOLÎNIE 

Presque  toute  la  contrée  oii  se  réunissent  les  premiers  affluents  du 
Dnepr  est  habitée  maintenant  j)ar  des  Blancs  Russiens,  les  descendants^ 
des  anciens  Krivilchi  de  Smolensk  et  des  Dregovitchi  ou  «  Gens  des  marais 
tremblants  ».  Ils  occupent  presque  tout  l'espace  compris  entre  le  Soj  à  l'est 
cl  la  Pripet  au  sud-ouest,  et  peuplent  en  outre  la  région  des  faîtes  de  par- 
tage au  nord  et  à  l'ouest,  avec  les  vallées  supérieures  du  Neman  et  de  la 
Duna.  Leur  territoire  est  d'environ  275  000  kilomètres  carrés,  superficie 
plus  considérable  que  la  moitié  de  la  France;  mais  cet  espace  n'est  encore 
que  faiblement  habité  :  les  Blancs  Russiens  sont  au  nombre  d'à  peu 
près  5  000  000. 

'  Antonovjtch  et  Dr.igornanov,  Chansons  hisloriqucs  du  peuple  pctit-russien.  l. 


RUSSIE  BLANCHE.  473 

Le  surnom  de  «  Blancs  »,  qui  d'ailleurs  était  appliqué  également  aux 
Russes  de  Moscou,  dans  le  sens  de  «  Libres  »  à  l'époque  où  ils  furent  déli- 
vrés du  joug  des  Mongols,  n'appartient  spécialement  aux  Russes  du  haut 
Dnepr  que  depuis  la  fin  du  quatorzième  siècle.  Cette  désignation,  que  les 
Polonais  employaient  pour  toutes  leurs  possessions  lithuaniennes  arrachées 
aux  Moscovites,  fut  ensuite  comprise  dans  un  sens  beaucoup  plus  restreint  : 
Catherine  II  donna  le  nom  de  Russie  Blanche  aux  provinces  actuelles  de 
Vitebsk  et  de  Mogilov,  que  lui  valut  le  premier  partage  de  la  Pologne,  tandis 
que  Mcolas  effaça  le  nom  de  provinces  «  blanches-russiennes  »  et  en  défen- 
dit l'usage'.  Dépourvue  maintenant  de  signification  politique,  cette  appel- 
lation n'a  de  valeur  qu'au  point  de  vue  ethnologique.  Les  Blancs  Russiens, 
distincts  par  la  langue  des  Polonais,  des  Petits  Russiens  et  des  Grands  Rus- 
siens, ont  cependant  des  analogies  frappantes  par  les  mueurs  et  la  langue 
avec  les  uns  et  les  autres,  et  c'est  peut-être  chez  eux  que  l'on  trouvera  les 
traits  qui  permettront  d'établir  définitivement  les  degrés  de  parenté  entre 
les  diverses  races  de  la  Slavie  orientale  '.  Quant  au  nom  de  «  Blancs  »  qui 
les  dislingue  depuis  cinq  cents  ans,  on  ne  sait  pas  si  cette  appellation  est 
due  à  ce  que  la  nation,  gouvernée  alors  par  les  princes  de  la  dynastie 
lithuanienne,  était  libre  de  la  domination  des  Mongols,  ou  bien  s'il  faut  y 
voir  une  allusion  à  la  couleur  de  leur  costume.  C'est  l'hypothèse  générale- 
ment adoptée,  car  ceux  que  l'on  appelle  les  «  Russes  Noirs  »,  les  habitants 
de  la  région  située  entre  la  haute  Pripet  et  le  Neman,  qui  forment  la  tran- 
sition ethnologique  des  Petits  Russiens  aux  Russiens  Blancs,  se  distinguent 
précisément  de  ceux-ci  par  les  couleurs  sombres  de  leurs  vêtements. 

11  semblerait  au  premier  abord  que  la  partie  centrale  de  la  contrée 
habitée  aujourd'hui  par  les  Blancs  Russiens  aurait  dû  avoir  une  importance 
capitale  dans  l'histoire  du  continent.  En  effet,  c'est  là,  entre  les  hauts 
affluents  du  Neman  et  ceux  du  Dnepr,  que  passe  le  chemin  le  plus  court 
entre  la  mer  Noire  et  la  mer  Baltique  :  on  s'attendrait  à  voir  une  grande 
voie  de  commerce  croiser  en  cet  endroit  les  routes  de  migration  des  peu- 
ples marchant  d'orient  en  occident  ou  refluant  en  sens  inverse.  Mais  cette 
région  si  privilégiée  par  sa  position  géographique  était  défendue  jadis  par 
ses  marais,  ses  lacs,  ses  forêts  à  demi  noyées  :  c'est  dans  ce  pays  que  la 
boue  était  le  «  cinquième  élément  ».  Probablement  elle  se  trouvait  entiè- 
rement inhabitée;  les  grandes  voies  historiques  passaient  à  droite  et  à 
gauche  de  ces  terres  inondées,  d'un  côté  par  la  tovat  et  le  Volkhov,  de 

'  Les  villes  de  l'empire  russe;  III,  Mogilov.  Édition  du  minislèie  de  l'inlcrieur. 
*  DragonuDOT,  Kotet  manutcritet. 

V.  60 


474  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

l'aiilre  par  le  Boug  et  le  Bug  ou  par  le  Dnestr  et  la  Vislulc.  La  frontière 
ethnologique  est  en  maints  endroits  indiquée  par  les  marais  :  là  où  ceux-ci 
commencent,  s'arrêtent  Grands  Russiens,  Lithuaniens,  pour  laisser  la  place 
aux  amphibies  Belo-Russes  :  cependant  les  Malo-Russes  ont  pénétré  au 
loin  dans  les  marécages  du  côté  du  sud.  Lorsque  les  Russiens  Blancs  s'éta- 
blirent dans  les  solitudes  marécageuses  de  la  Pripet  et  de  la  Berezina,  ils 
n'eurent  d'autres  ennemis  à  combattre  que  la  nature,  mais  cette  lutte  fut 
pénible  et  l'on  sait  qu'elle  dure  encore. 

Les  tertres  funéraires  et  les  campements  ou  rjorodichtiha  sont  extrêmement 
nombreux  dans  la  Russie  Blanche,  le  long  du  Dïiepr  et  sur  les  voies  natu- 
relles de  passage  qui  mènent  vers  la  Baltique.  Dans  le  seul  district  de  Bo- 
brouisk,  du  gouvernement  de  Minsk,  on  a  compté  5951  tombelles  ;  il  y  en  a 
15  000  dans  la  province  et  plus  de  200  campements  fortifiés'.  Divers 
objets  témoignent  de  l'ancienneté  de  ces  tombeaux,  et  l'on  a  même  pré- 
tendu, à  tort,  paraît-il,  avoir  fait  la  découverte  d'un  monument  raiipelant 
le  passage  des  Phéniciens.  Au  sud-ouest  de  Smolensk,  dans  la  direction 
de  Mogiiov,  s'élevait  une  butte  que  les  paysans  ont  partiellement  démolie 
pour  en  retirer  la  pierre.  Ce  monticule,  entièrement  composé  de  blocs 
erratiques  empilés,  se  terminait  par  une  pierre  plus  grosse  que  les  autres 
où  des  savants  trop  zélés  ont  vu  une  inscription  phénicienne  en  l'hon- 
neur de  Baal'.  Quant  aux  indigènes,  ils  ne  remontent  pas  si  avant  dans  le 
passé  :  d'après  eux,  les  gorodichtcha  étaient  encore  habités  au  dix-septième 
siècle  ;  ils  n'auraient  été  abandonnés  que  pendant  les  guerres  terribles, 
entre  Polonais  et  Moscovites,  qui  désolèrent  alors  la  contrée. 

Quelle  que  soit  l'époque  à  laquelle  s'élevèrent  les  buttes  de  la  Russie 
Blanche,  la  plus  grande  partie  de  la  contrée  était  trop  peu  accessible  pour 
avoir  été  habitée  jadis.  On  croit  que  la  colonisation  slave  remonta  peu  à 
peu  le  Dnepr  et  ses  aflluents,  et  les  noms  géographiques  confirment  cette 
hypothèse.  On  suit  du  sud  au  nord  les  traces  des  colons  par  les  appella- 
tions des  rivières  qu'ils  eurent  à  traverser,  par  celles  des  villages  qu'ils  fon- 
dèrent. Us  donnèrent  à  la  Desna  le  nom  de  «  Droite  »,  quoiqu'elle  soit  un 
affluent  de  gauche,  parce  qu'elle  se  trouvait  à  leur  droite  dans  le  cours  de 
leur  migration  ;  de  même,  plusieurs  rivières  qui  se  déversent  dans  le 
Dnepr  du  côté  droit,  reçurent  d'eux  le  nom  de  Chouya  ou  de  Chouika, 
c'est-à-dire  «  Gauche  ».  En  outre,  on  rencontre  dans  leur  pays  une  mul- 
titude de  noms  de  lieux,  tels  que  Zaloutchye,  Zaouzye,  Zaozei've,  Zaboujye, 


•  Maiimov,  Drein'aiia  i  i\'oiaya  Rossiiia,  1870,  n°  7. 

'  H.  Waiikel,  ilittheilumjen  ilcr  Anihiopoloyischen  Gcsetlschaft  in  Wien,  VI,  r\'5. 


BLANCS   RL'SSIENS.  475 

Zaplavye,  Zapolok,  Zabolotye  (au  delà  du  Méandre,  au  delà  du  Pas,  au  delà 
du  Lac,  au  delà  du  Bug,  au  delà  des  Coulées,  au  delà  du  Plateau,  au  delà 
des  Marais),  qui  indiquent  aussi  la  direction  suivant  laquelle  se  faisait  le 
mouvement  de  colonisation  '.  Mais  en  même  temps  les  Blancs  Bussiens  ont 
trop  de  ressemblance  avec  leurs  voisins  occidentaux  les  Polonais  pour 
qu'il  n'y  ait  pas  eu  aussi  un  mouvement  de  colonisation  se  portant  de 
l'ouest  à  l'est  :  la  chronique  de  Nestor  nous  a  même  conserve  la  tradition 
de  cette  marche  de  la  population  dans  le  bassin  du  haut  Dnepr;  les  cou- 
rants ont  dû  s'entrecroiser  dans  ces  régions  inhabitées,  si  ce  n'est  peut-être 
dans  le  haut  bassin  de  la  Dùna,  où  vivaient  des  tribus  lettonnes.  Parmi  les 
villages,  il  en  est  beaucoup  dont  le  nom  prouve  qu'ils  servirent  d'abord  de 
résidence  à  une  seule  famille  :  dans  l'immense  espace  ouvert  aux  immi- 
grants, chaque  groupe  pouvait  choisir  pour  demeure  sa  butte,  son  massif 
de  blocs  erratiques,  ou  sa  roche  insulaire.  D'ailleurs  pas  un  nom  finnois, 
comme  il  en  existe  tant  à  l'est  et  au  nord  de  la  Bussie  Blanche,  ne  se 
rencontre  dans  ce  pays.  On  en  conclut  que  les  Bussiens  Blancs  sont  les 
véritables  «  aborigènes  »  de  la  contrée,  et  c'est  là  une  des  raisons  qui 
donnent  tant  d'intérêt  aux  mœurs  de  ce  peuple  et  aux  traditions  qu'il  a 
conservées. 

Les  traces  du  culte  des  eaux  sont  nombreuses  dans  le  pays,  et  telle 
fontaine  reçoit  encore  la  visite  d'adorateurs  qui  viennent  lui  demander 
la  santé  en  jetant  des  kopeks  dans  la  boue  du  fond.  Des  arbres,  surtout 
des  pins  et  des  bouleaux,  sont  toujours  révérés,  et  même  on  célèbre  en 
leur  honneur  des  fêles  que  dirige  la  plus  jeune  fille  de  l'endroit.  Les 
copeaux  détachés  d'un  arbre  par  la  foudre  sont  conservés  précieusement 
dans  les  demeures  comme  des  talismans,  et  quand  des  paysans  émigrent 
d'une  maison  dans  une  autre,  ils  ne  manquent  jamais  de  porter  au  nouvel 
être  les  tisons  de  l'ancien.  Ils  n'oublient  point  leurs  morts  et  célèbrent  en 
hur  mémoire  les  repas  des  aïeux'  :  ils  portent  même  les  mets  sur  les 
tombeaux  et  dans  les  ruines  des  églises  démolies  '.  Tandis  que  se  mainte- 
naient les  superstitions  païennes,  non  encore  consacrées  par  les  rites  de 
l'Église,  la  routine  d'une  agriculture  rudimentaire  ne  pouvait  guère  se 
modifier.  Le  blé,  jeté  dans  la  terre,  ne  raj)porte  en  moyenne  que  trois 
fois  la  semence,  et  l'on  ne  saurait  trop  admirer  la  résignation  du  paysan 
que  menace  la  famine  et  qui  enfouit  pourtant  ce  qui  lui  reste  de  nour- 
riture en  se   répétant   le  proverbe  :  «   Attends  la   mort,   mais  sème    ton 

'  Maximov,  ouvrage  cité. 

'  Miikiowicz,  Diiadii,  Ips  Aïciiit. 

'  hirkor,  Recueil  ethnographique,  III.  —  Nosovitcti,  Chanisom  populaires  de  la  Russie  Blanche. 


476  NOUVELLE  GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

grain  !  »  et  en  essayant  de  conjurer  le  Dieu  du  Froid  (moroz)  par  quelques 
oflVandes  :  «  Viens,  mange,  mais  ne  touche  point  nos  blés'  ».  La  manière 
de  battre  la  moisson  est  probablement  unique  en  Europe  :  une  jeune 
fille  tient  la  javelle  d'une  main,  et  de  l'autre  bat  les  épis  sur  un  tronc 
d'arbre  creusé;  elle  recueille  ensuite  le  grain  répandu  sur  le  sol.  On  com- 
prend combien  les  disettes  doivent  être  fréquentes,  combien  la  misère 
règne  dans  ce  pays  !  Les  cabanes,  qui  pour  la  plupart  sont  groupées,  non 
en  villages,  mais  en  simples  hameaux,  sont  presque  toujours  aussi  déla- 
brées, aussi  dépourvues  d'ornements  que  les  plus  tristes  masures  dans  les 
forêts  des  bords  de  la  mer  Blanche  :  les  porcs  y  occupent  la  place  d'hon- 
neur comme  dans  les  huttes  irlandaises.  En  échange  du  pain  seulement, 
les  paysans  donnent  leurs  enfants  aux  szlachticz  ou  petits  propriétaires 
du  pays.  Epuisés  par  la  misère,  affaiblis  en  outre  par  l'insalubrité  du  cli- 
mat, les  Blancs  Russiens  sont  fréquemment  malades  ;  la  proportion  des 
infirmes  est  très  considérable  chez  eux  ;  ils  sont  presque  toujours  vieux 
avant  le  temps  ;  néanmoins  leur  type  semble  être  le  plus  régulier  de  tous 
ceux  des  populations  russes.  Leurs  animaux  sont  mal  nourris,  dégé- 
nérés, sans  vigueur  :  on  évalue  à  160  kilogrammes  seulement  la  force  de 
traction  d'un  cheval.  En  voyant  la  pauvreté  générale  des  Belo-Russes,  on 
ne  peut  s'étonner  de  la  tristesse  de  leur  physionomie,  de  leur  avarice,  de 
leur  manque  d'hospitalité.  Mais  dans  la  famille  ils  sont  fort  doux;  le  des- 
potisme du  père  y  est  moindre  que  dans  la  Grande  Russie.  Les  chants  des 
Russiens  Blancs  sont  remplis  d'expressions  de  tendresse  ".  Dans  les  chan- 
sons de  mariage,  qui  sont  aussi  nombreuses  chez  les  Belo-Russes  que  chez 
leurs  voisins  de  la  Grande  et  de  la  Petite  Russie,  se  retrouvent  des  formules 
rituelles  prouvant  que  le  mariage  fut  jadis  un  enlèvement  ou  un  achat,  mais 
ce  ne  sont  plus  que  des  paroles  dont  le  sens  s'est  perdu  ou  dans  lesquelles 
on  voit  do  simples  plaisanteries.  Dans  aucune  chanson  de  la  Russie 
Blanche  la  fiancée  n'éprouve  la  terreur  de  la  jeune  fille  grande-russienne, 
«  livrée  par  son  souverain  père  et  sa  souveraine  mère  à  cet  étranger  auquel 
elle  n'avait  jamais  pensé  »  ;  et  quand  on  prononce  les  formules  anciennes 
sur  le  fouet  qui  passe  des  mains  du  père  à  celles  du  mari,  le  chœur 
nuptial  blanc-russien  répond  par  une  chanson  ironique.  On  voit  que  le 
libre  choix  est  assez  fréquent  chez  les  Belo-Russes  et  que  la  dot  apportée 
par  la  fiancée  ne  joue  pas  un  grand  rôle  chez  ce  peuple  de  pauvres.  «  Ne 
prends  pas  celle  qui  est  couverte  d'or,  dit  le  chœur:  prends  celle  qui  est 


'  Solovjov.  Histoire  de  la  Riixsie.  I. 
'  Cliciii,  Cliansuns  de  la  liussic  Blanche. 


BLANCS    RUSSIE.NS.  i79 

vêtue  de  sagesse  !  »  Encore  bien  peu  étudiée,  la  poésie  des  Blancs  Russiens 
paraît  être  dans  son  ensemble  celle  d'un  peuple  naïf,  chaste,  délicat,  bien- 
veillant, mais  déchu  matériellement  :  du  quatorzième  au  seizième  siècle, 
il  eut  des  villes  prospères,  faisant  un  grand  commerce  avec  Riga  et  les 
autres  ports  de  la  Baltique,  et  prit  une  part  considérable  au  mouvement  de 
la  Réforme.  Le  peuple  blanc-russien  a  vu  des  jours  meilleurs.  Les  idées 
d'indépendance  ne  lui  sont  pas  étrangères,  si  l'on  en  juge  par  les  invectives 
contre  les  pans  qui  se  rencontrent  dans  ses  chansons  :  l'homme  qu'il 
admire  entre  tous,  c'est  le  libre  Cosaque.  Aussi  plus  du  tiers  des  chansons 
des  Belo-Russes  sont-elles  empruntées  aux  Petils-Russiens;  un  petit  nom- 
bre seulement  viennent  de  la  Grande-Russie,  avec  laquelle  pourtant  les 
échanges  de  colonisation  étaient  les  plus  fréquents. 

Les  Blancs  Russiens  ont  été  longtemps  sei'fs  sur  les  terres  des  grands 
seigneurs,  et  naturellement  ils  durent  contracter  les  vices  que  donne  tou- 
jours la  servitude.  La  féodalité  polonaise  pesa  très  lourdement  sur  eux,  et 
c'est  sur  leur  territoire  que  les  massacres  et  les  ravages  de  toute  espèce 
furent  le  plus  terribles  ;  lors  des  guerres  du  dix-septième  siècle.  Cosaques, 
Moscovites  et  Russes  passaient  tour  à  tour  en  destructeurs  sur  le  pays,  allu- 
mant chaque  fois  les  villages  et  les  récoltes,  saccageant  les  châteaux  et  les 
couvents.  Ce  fut  le  temps  de  la  «  Ruine  »,  mot  latin  qui  passa  dans  la 
langue  des  Polonais  et  des  Russes  occidentaux,  et  que  tous  répètent  encore 
avec  effroi.  Les  villages  brûlés  ont  été  vite  reconstruits,  aussi  misérables 
qu'ils  l'étaient  avant  les  incendies  ;  les  villes,  rattachées  désormais  les  unes 
aux  autres  par  des  voies  de  communication  faciles,  enrichies  par  le  com- 
merce et  l'industrie,  sont  redevenues  populeuses,  et  quelques  grands  édi- 
fices de  pierre  s'élèvent  çà  et  là  dans  les  quartiers  du  centre,  au-dessus 
des  maisonnettes  de  bois  et  de  chaume;  mais  la  plupart  des  anciens  châ- 
teaux et  des  constructions  qui  servaient  de  collèges  aux  jésuites  et  à  d'au- 
tres ordres  monastiques  sont  restes  en  ruines,  embellissant  les  paysages 
de  leurs  pittoresques  débris.  Lors  des  grands  changements  qui  s'accom- 
plirent à  cette  époque,  les  Juifs  devinrent  les  seuls  intermédiaires  des 
échanges  :  c'est  par  eux  et  à  leur  profit  que  toute  la  société  disloquée 
se  remit  en  marche.  Tel  est,  depuis  la  «  Ruine  »,  le  fait  capital  de  l'his- 
toire de  la  Russie  Blanche.  Pendant  le  courant  de  ce  siècle  un  grand 
nombre  des  anciens  propriétaires  polonais  ont  été  privés  de  leurs  do- 
maines et  remplacés  par  des  seigneurs  russes  ;  au  servage  a  succédé  le 
travail  libre,  avec  obligation  du  rachat  des  terres;  mais  la  révolution  est 
loin  d'avoir  été  complète.  La  grande  propriété  est  encore  plus  consi- 
dérable dans  ce  pays  que  dans  tous  les  gouvernements  de  la  Russie  ccn- 


480  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UMVERSELLE. 

traie  '  ;  les  nobles  de  toutes  les  provinces  occidentales  ont  conservé  63  pour 
400  de  terres  labourables%  et  des  milliers  de  familles  de  cultivateurs  n'ont 
pas  reçu  de  terres  ou  n'ont  pris  possession  que  de  lots  trop  petits  ou  trop 
sttîriles  pour  les  nourrir.  On  peut  dire  qu'en  moyenne  les  lots  distribués 
aux  paysans  suffisent  pour  leur  fournir  strictement  les  aliments  néces- 
saires, mais  l'argent  qui  doit  subvenir  à  leurs  autres  besoins  ne  peut 
être  gagné  que  par  un  travail  mal  salarié  sur  les  terres  des  seigneurs  '. 
Les  Juifs  sont  restés  les  prêteurs  de  tous,  maîtres  et  affranchis,  citadins  cl 
campagnards,  et  déjà  dans  maint  district  c'est  à  eux  qu'appartient  le  sol 
en  son  entier.  Comme  terrassiers,  pour  le  creusement  des  canaux  et  les 
travaux  de  chemins  de  fer,  les  Bclo-Russes  sont  les  Irlandais  de  la  Russie. 
Chaque  année,  des  multitudes  d'entre  eux  quittent  leur  pays  pour  aller  se 
louer  sur  les  divers  chantiers  de  la  Russie  :  nuls  travailleurs  d'autre  origine 
ne  sauraient  se  contenter  de  la  pitance  et  des  gîtes  qu'on  leur  fournit.  On 
peut  dire  avec  le  poète  Nekrasov  que  «  les  chemins  de  fer  de  la  Russie 
sont  bordés  d'ossements  »  de  Bclo-Russes. 


La  ville  la  plus  haute  du  bassin  du  Dhepr,  à  253  mètres  d'altitude,  est 
V^azma,  surla  rivière  de  même  nom,  qui  coule  au  nord-ouest  pour  s'unir 
au  Dnepr,  encore  fiiible  cours  d'eau.  Cette  ville,  mentionnée  dès  les  pre- 
miers temps  de  l'histoire  russe,  est  fort  commerçante  comme  lieu  de  pas- 
sage, mais  elle  fut  très  fréquemment  aussi  un  lieu  de  rencontre  pour  des 
armées  ennemies,  et  en  1812,  à  la  suite  d'une  bataille  entre  Français  et 
Russes,  elle  fut  presque  entièrement  brûlée  :  il  ne  resta  qu'une  seule  de 
ses  anciennes  tours.  Dorogobouj,  au  sud-ouest,  située  sur  un  méandre 
du  Dnepr,  est  moins  animée  que  Vazma;  elle  fait  néanmoins  un  trafic 
considérable  de  denrées  agricoles.  Ces  deux  villes,  appartenant  encore  à  la 
Grande-Russie,  se  trouvent  à  peu  près  sur  la  frontière  ethnographique. 

Smolensk,  capitale  d'une  province,  occupe  un  vaste  espace,  sur  les  deux 
rives  du  Dnepr,  au  croisement  de  plusieurs  routes  et  des  deux  chemins 
de  fer  de  Riga  à  Oroï,  de  Varsovie  à  Moscou.  C'est  l'un  des  points  vitaux 
pour  le  commerce  de  l'empire,  aussi  bien  que  l'une  de  ses  places  stra- 
tégiques par  excellence.  Déjà  citée  au  neuvième  siècle  par  le  chroniqueur 

'  Superficie  movenne  des  domaines  nobles  : 

Minsk ,•    •    ■     2.">73  hectares.   |  Volinie 17-4Ô  hectares. 

Mogilov I'2i8  hectares. 

*  Vasiltcliiiiov,  La  propriété  foncière  (en  russe). 

'  Yauiun,  Essai  sur  tes  lots  et  les  taxes  des  paysans  /en  russe). 


I 


SMOLENSK,   MOGILOV. 


481 


Nestor  comme  une  ville  puissante,  elle  était  la  capitale  des  Krivitchi  et  fut 
longtemps  indépendante  de  fait,oudu  moins  elle  ne  relevait  de  la  Lithuanie 
qu'en  vertu  du  droit  féodal  :  on  dit  qu'au  quatorzième  siècle  elle  eut  jus- 


S°    loi.    5MOIEN5K. 


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45 


3molensk  .° 

FédesSoidats     ^  F|  djas  o-ff  lèiers"'  \°  °->'V°A 


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O»  0°.  ■"  *    .  •f.Raï  0       '     t  o" 


E     de  G. 


52° 


52=10- 


deores  .a  Carte  ae  I  Etat -Me} 


qu'à  100  000  liahitants;  elle  devait  être  certainement  très  peuplée,  puisipjo 
une  peste  y  fit  i)érir  5"2  000  personnes'.  Une  j>lacc  de  celte  importance, 
située  entre  la  Lithuanie  et  la  Moscovic,  ne  pouvait  échapper  aux  guerres 
et  aux  sièges,  et  dans  ce  siècle  même  elle  fut  brûlée,  en  i81"2,  lors  de  la 


'  BercjkoT,  Commerce  de  la  Huaie  avec  la  Hanse  jusqu'à  la  fm  du  quimiéme  siècle  (en  russe). 
T.  Cl 


482 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


BnRISOV    ET    LA    BF.REZINA 


bataille  qui  ouvrit  à  la   «  Giando  Armée  »  la  route  do  Moscou.  Elle  a 
pourtant  gardé  quelques  débris  de  ses  anciennes  fortilications. 

Orclia,  la  première  ville  de  quelque  importance  que  l'on  rencontre  en 
aval  de  Smolensk,  au  confluent  de  l'Orcliitza,  est  la  dernière  station  des 

bateaux  à  vapeur  qui  remon- 
tent le  fleuve  au  printemps  ; 
elle  fait  un  certain  commerce, 
grâce  à  sa  position  sur  l'un 
des  grands  coudes  du  Dnepr, 
à  l'endroit  où  se  détache  vers 
le  nord  la  route  de  Yitebsk  et 
du  bassin  de  la  Diina.  Plus 
bas,  Clikiov  est  le  port  où  se 
débarquent  presque  toutes  les 
céréales  qui  remontent  le 
Dnepr.  Cependant  le  princi- 
pal entrepôt  des  marchandi- 
ses de  la  contrée  est  Mogilov- 
Goubernskiy  (Mohilov)  ou  Mo- 
gilov-na-Di'iepi'e,  capitale  de 
la  province  du  même  nom. 
Beaucoup  moins  ancienne  que 
Smolensk,  puisque  son  nom 
est  mentionné  pour  la  pre- 
mière fois  au  quatorzième 
siècle,  cette  ville,  bâtie  sans 
doute  près  de  mogilas  ou  ter- 
tres funéraires,  eut  beaucoup 
à  souffrir  pemlant  les  guerres 
du  dix-se])tième  siècle,  et 
en  l(3tjl  elle  célébra  aussi  ses 
«  vêpres  »  en  égorgeant  toute 
sa  garnison  moscovite,  com- 
posée de  TOGO  hommes;  mais  en  170(5  les  Moscovites,  aidés  des  Kal- 
mouks,  se  vengèrent  en  détruisant  complètement  la  ville.  Mogilov  déjiasse 
maintenant  le  chef-lieu  de  la  province  voisine  par  sa  population,  aussi 
bien  que  j)ar  le  connnerce  et  l'industrie  :  il  est  vrai  que  les  deux  tiers 
de  ses  habitants  sont  des  Juifs.  La  grande  industrie  locale  est  celle  des 
cuirs  :  jdus  de  cent  tanneries,   où   travaillent    ini   millier   d'ouvriers,   y 


d  opréâ  Ou 


MOGILOV,   BEREZl.NA.  4S3 

préparent  des  peaux  qui  sont  expédiées  principalement  en  Pologne  et 
dans  les  villes  du  bas  Dnepr.  Mogilov  se  distingue  aussi  par  l'industrie 
du  jardinage,  et  ses  maraîchers  vont  s'établir  en  diverses  villes  de  la 
Russie.  Au  nord-est  de  Mogilov,  Gorki  avait  jadis  un  rôle  important  parmi 
les  villes  de  la  Russie,  grâce  à  son  institut  agronomique,  transféré  depuis 
dans  le  voisinage  de  Moscou.  En  aval  de  Mogilov,  Starîy  Rîkhov,  ancienne 
place  fortifiée  que  se  disputèrent  les  Polonais,  les  Oukraïniens,  les  Grands 
Russiens,  puis  Rogatchov,  entourée  de  nombreuses  tombelles,  se  succè- 
dent sur  le  cours  du  Dhepr.  C'est  à  Rogatchov  que  s'arrêtent  la  plupart 
des  trains  de  bois,  à  la  descente  du  fleuve. 

La  Rerezina,  qui  s'unit  au  Dhepr  à  près  de  100  kilomètres  au-dessous 
de  Rogatchov  et  qu'un  canal  relie  à  la  Diina,  n'a  que  trois  villes  dans  son 
vaste  bassin,  occupé  encore  en  grande  partie  par  des  forêts  et  des  maré- 
cages. JKnsk,  sur  le  Svisiotch  et  dans  le  voisina'ge  d'un  lac,  fut  construite 
d'abord  sur  un  monticule,  d'où  la  ville  grandissante  est  descendue  peu  à 
peu.  Elle  fut  le  chef-lieu  de  l'une  des  principautés  les  plus  puissantes  du 
pays  des  Krivitchi,et  son  nom  est  fréquemment  cité  dans  l'histoire  des 
guerres  entre  Polonais,  Lithuaniens,  Russes  et  Tartares  :  un  des  quartiers 
est  encore  habité  par  plus  de  oOO  Tartares,  descendants  de  captifs  de  cette 
nation  amenés  de  Crimée.  Minsk  est  la  station  la  plus  commerçante  du 
chemin  de  fer  entre  Brest  et  Smolensk,  qui  passe  également  à  Borisov, 
sur  la  Berezina.  C'est  à  une  vingtaine  de  kilomètres  en  amont  de  Borisov 
qu'eut  lieu,  du  26  au  28  novembre  1812,  le  passage  de  la  Berezina, 
épisode  le  plus  terrible  de  la  terrible  retraite:  pendant  des  années  on 
put  voir  dans  le  limon  des  plages  des  restes  d'armes  et  les  débris  des 
chars.  Bobrouïsk,  forteresse  sur  laquelle  s'appuyait  alors  l'armée  russe, 
avait  dès  cette  époque  une  grande  importance  stratégique,  et  les  Français 
essayèrent  vainement  de  l'emporter  :  elle  est  maintenant  une  place  forte 
de  premier  ordre.  La  ville,  qui  fait  un  grand  trafic,  est  située  sur  la  rive 
«  haute  »,  c'est-à-dire  sur  la  rive  droite  de  la  Berezina,  au  confluent  de  la 
Bobrouïka  ou  «  rivière  des  Castors  »  ;  presque  tout  son  commerce  est 
rnlre  les  mains  des  Juifs,  qui  forment  la  moitié  de  sa  population. 

En  aval  de  la  petite  ville  de  Retchitza,  le  Soj,  affluent  oriental,  vient 
apporter  au  Dnepr  les  eaux  surabondantes  d'une  partie  des  gouvernements 
de  Mogilov,  de  Smolensk,  de  Tchernigov.  Roslavt,  sur  un  des  hauts  tribu- 
.laires  du  Soj,  est  un  marché  de  chanvre  et  de  céréales;  Mstislav),  sur  une 
autre  petite  rivière  qui  se  jette  dans  le  Soj,  exporte  également  à  Riga  du 
chanvre  et  des  farines,  mais  elle  est  connue  surtout  comme  chef-lieu 
d'une  principauté  qui  comprenait   presque  toute   la   partie   orientale  du 


484  NOUVELLE    GÉOGRAPUIE    UNIVERSELLE. 

gouvernement  actuel  de  Mogilov  et  qui  maintint  son  existence  particu- 
lière, même  après  l'annexion  de  la  Lithuanie  à  la  Pologne,  de  la  fin  du  qua- 
torzième au  milieu  du  dix-septième  siècle.  Tchaousî,  voisine  de  Mogilov, 
est  une  autre  ville  du  bassin  ;  mais  la  plus  importante,  située  en  aval  de 
tous  les  affluents  de  la  rivière,  est  Gomel,  ne  constituant  qu'une  seule  ville 
avec  son  faubourg  de  Belitza,  sur  la  rive  gauche  du  Soj.  Gomel  est  un  port 
qui  ne  le  cède  en  activité  dans  la  province  qu'à  la  capitale  ;  tout  le  sol  de 
la  ville  et  tout  le  territoire  environnant  appartiennent  à  un  prince  russe, 
qui  possède  en  même  temps  quelques  droits  considérables  d'origine  féodale, 
entre  autres  le  «  droit  de  propination  »,  c'est-à-dire  de  vente  des  eaux-de- 
vie  :  tous  les  cabarets  appartiennent  au  prince,  qui  est  en  même  temps  pro- 
priétaire d'une  grande  fabrique  de  sucre.  C'est  à  Gomel  que  l'on  construit 
les  bateaux  du  plus  fort  tonnage  portés  par  le  Dnepr. 

J/Ipout,  qui  se  réunit  au  Soj  près  de  Gomel,  arrose  les  campagnes  de 
deux  villes  du  gouvernement  de  Tchernigov,  Mglin  et  Novo-Zibkov.  Celle-ci 
a  été  fondée  au  commencement  du  dix-huitième  siècle  par  des  raskolniks 
fugitifs  de  la  Moscovie,  qui  formèrent  aussi  beaucoup  d'autres  colonies 
connues  sous  le  nom  général  de  Starodoubye,  mais  ayant  reçu  des  raskol- 
niks eux-mêmes  la  dénomination  bizarre  d'Asie  Petite-Russienne.  La  ville 
de  Velka,  située  dans  une  île  du  Soj,  en  amont  de  Gomel,  devint  le  centre 
principal  d'un  des  groupes  de  sectaires  détachés  des  premières  colonies  de" 
Starodoubye,  et  des  mécontents  de  la  Moscovie  s'y  réfugièrent  en  grand 
nombre.  En  1755,  le  gouvernement  russe  obtint  de  la  Pologne  l'autorisa- 
tion d'introduire  ses  troupes  dans  le  district  de  Vetka,  où  il  captura 
40  000  staro-obradtzî  (vieux  ritualistes),  dont  il  fit  des  soldats  ou  qu'il 
exila  en  Sibérie;  en  1764,  une  deuxième  invasion  moscovite  se  termina 
par  la  capture  de  20  000  autres  raskolniks.  Plus  dociles,  les  colons  de 
Starodoubye  gardèrent  au  contraire  quelques  privilèges  en  récompense  de 
services  rendus  contre  Cliarles  Xll  et  Mazepa.  Actuellement  ils  sont  au 
nombre  de  j)lus  de  GO 000  habitants  :  à  Klintzî  et  dans  son  faubourg 
d'Ardon,  situés  au  nord-est  de  Novo-Zibkov,  ils  ont  120  manufactures  de 
draps,  de  bonneterie,  de  cuirs;  leurs  colporteurs  [Korobcïniki)  parcourent 
tout  le  midi,  jusqu'en  Btîssarabie,  et  par  delà  le  Don,  jusqu'au  Caucase. 

Pinsk,  qui  ne  peut  manquer  de  devenir  un  jour  une  cité  considérable, 
lorsque  les  marais  de  la  Pripet  auront  été  desséchés,  est  déjà  populeuse, 
du  moins  pendant  la  saison  des  transports  sur  eau,  car  Pinsk  est  le  centre, 
de  la  navigation  de  transit,  d'une  part  avec  la  Pripet  el  le  Dnepr,  d'autre 
pari  avec  la  Pologne  et  l'Allemagne  par  le  canal  du  Bug,  avec  le  Neman 
et  la  Baltique  par  le  canal   d'Oginskiy.   Sloulzk,    l'ancienne  capitale  des 


GOMEL,  VETKA,   PINSK.   KREME.NETZ.  485 

Dregovitchi  ou  «  Gens  des  marais  tremblants  »,  est  une  autre  ville  du 
bassin  de  la  Pripet,  située  sur  laSIoutcli;  elle  fait  aussi  un  certain  com- 
merce, grâce  aux  Juifs  qui  forment  presque  son  unique  population,  et  dont 
tous  les  paysans  des  environs  sont  les  débiteurs.  La  ville  de  Tourov,  sur 
la  Pripet,  en  aval  du  confluent  de  la  Sloutcb,  était  autrefois,  pour  toute  la 
contrée  des  marais,  ce  que  Pinsk  est  devenue  de  nos  jours.  Mozii-,  sur  la 
basse  Pripet,  est  aussi  d'origine  ancienne. 

La  Yatzolda  et  la  Pripet  forment  la  frontière  ethnographique  entre  les 
Blancs  et  les  Petits-Russicns.  Presque  toutes  les  villes  de  la  Vol'inie  se 
trouvent  dans  le  bassin  de  la  Pripet,  sur  ses  affluents  méridionaux,  mais  elles 
sont  complètement  en  dehors  de  la  Russie  Blanche,  en  plein  territoire  petit- 
russien.  Il  en  est  de  même  de  l'ancienne  ville  de  Yl'adimir-Yol'înskiy,  bâtie 
sur  le  iLoug,  un  des  affluents  du  haut  Bug.  Citée  déjà  par  le  chroniqueur 
Nestor,  Vladimir  fut  un  des  premiers  centres  de  la  puissance  slave;  mais 
elle  fut  ruinée  par  les  Mongols,  puis  par  les  Tartares  Nogaïs  et  par  les 
Cosaques  :  fort  déchue  à  la  fin  du  siècle  dernier,  elle  s'est  un  peu  relevée, 
et  les  Juifs,  qui  forment  la  plus  grosse  part  de  sa  population,  font  avec 
la  Galicie  voisine  un  commerce  beaucoup  plus  actif  que  ne  révèlent  les 
registres  de  la  douane.  Kremenelz,  au  sud-est  de  Vladimir,  est  dans  une 
haute  vallée  dont  les  eaux  s'écoulent  par  l'ikva  et  le  Stîr  dans  la  Pripet, 
ressemble  à  Vladimir  par  son  histoire.  Elle  date  aussi  des  premiers  temps 
de  la  Russie,  et  les  ruines  pittoresques  de  son  château,  dressées  au  sommet 
d'un  bloc  de  grès  aux  parois  abruptes,  racontent  de  nombreux  faits  de 
guerre.  Batou-Khan  l'assiégea  vainement,  mais  les  Cosaques  s'en  empa- 
rèrent en  1648,  et  depuis  ce  temps  il  a  perdu  toute  son  importance;  la 
ville  fut  de  1805  à  1852  le  centre  de  l'instruction  supérieure  de  l'Oukraïne 
occidentale  par  son  lycée  polonais,  que  l'on  transféra  à  Kiyev  après  la  révo- 
lution et  qui  est  devenu  l'université  actuelle.  Kremenetz  ne  se  distingue 
plus  que  par  son  activité  commerciale,  à  laquelle  les  Juifs  prennent 
aussi  une  grande  part  :  la  ville  de  Douhno,  située  plus  bas,  sur  une 
péninsule  qu'entoure  presque  complètement  le  cours  de  l'ikva,  et  à 
l'entrée  d'une  brèche  fort  pittoresque  du  massif  des  collines,  est  presque 
entièrement  peuplée  d'Israélites.  Ils  sont  également  fort  nombreux  dans 
l'ancienne  place  forte  de  Loulzk,  située  sur  le  Stîr,  à  peu  près  à  moitié 
chemin  de  Vladimir  et  de  Kremenelz  :  elle  fut  aussi  la  capitale  d'une 
principauté  puissante;  en  \i'2d,  un  congrès  des  souverains  de  l'Europe 
orientale  s'y  réunit,  et  dans  la  première  moitié  du  seizième  siècle  elle 
était  une  des  grandes  cités  de  la  Slavie.  toutzk  est  restée  à  l'écart 
de   la  voie  ferrée  de  Brest  à  Berditcbev,   qui   traverse   plusieurs   villes 


4Sfi 


NOUVELLE    GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


moins  importantes,  telles  que  Kovel  et  Rovno.  Près  de  là,  l'ancien  et  célè- 
bre couvent  de  Potchayev,  assiégé  par  les  Turcs  en  1675,  est  un  lieu  de 
jièlerinage  très  fréquenté  et  en  même  temps  un  entrepôt  de  contrebande. 
A  cet  égard  il  le  cède  pourtant  à  Radzivil'ov,  douane  de  premier  ordre  situép 
vis-à-vis  de  Brody,  la  Galicienne. 

Les  deux  villes  presque  entièrement  juives  de  Zasl'avl  et  d'Ostrog  sont 
bâties  dans  la  haute  vallée  de  la  Gorîi'i,qui  va  rejoindre  la  Pripet  en  aval  de 
Pinsk.  De  même  que  Vladimir,  Loutzk,  Kremenctz,  Ostrog  est  une  ville 


N"    106.   BRECHE    HE    DOIDN-O 


d'après  la  Carte del'Etat-Majof 


liisloricjue,  chef-lieu  d'une  principauté  longtemps  indépendante  qui  eut 
ses  jours  de  gloire  militaire  et  l'honneur  d'être  parmi  les  premières  villes 
de  la  Slavie  orientale  à  se  servir  de  l'imprimerie  :  dès  l'année  1581,  on  y 
imprimait  la  première  édition  complète  de  la  Bible  en  langue  slavonne. 
A  cette  époque,  elle  possédait  la  première  académie  petite-russienne,  rem- 
placée plus  tard  par  une  école  polonaise  de  Jésuites.  De  nombreuses  ruines 
et  les  débris  d'un  Château  fort  rappellent  l'ancienne  grandeur  d'Ostrog.  La 
ville  de  Staro-Constantinov,  située  sur  la  Sloulch,  dans  le  voisinage  de  la 
frontière  autrichienne,   a  été  fondée  au  seizième  siècle  par   un  prince 


VOtlME,   OLKRAÏNE. 


48T- 


trOstroir,  qui  lui  donna  son  nom.  Peuplée  presque  exclusivement  de  Juifs, 
elle  fait  un  assez  grand  commerce  de  céréales  avec  la  Galicie  et  Odessa,  et 
de  chevaux,  de  brebis,  de  porcs  avec  l'Autriche  et  la  Prusse  :  c'est 
l'entrepôt  des  sels  pour  les  districts  environnants. 

Les  autres  villes  voïiniennes  du  bassin  de  la  Pripct  sont  Novograd-Yolins- 
kiy,  l'ancienne  Zvahel,  sur  la  Sloutch,  et  Ovroutch,  sur  laNorîna.  Toutes  les 
deux,  riches  en  fer  de  marais  et  en  terre  à  porcelaine  fort  mal  exploités,  ont 
pour  habitants  plus  d'israélites  que  de  chrétiens.  Le  pays  n'appartient  pas  à 
la  Yolînie  historique,  quoique  rattaché  maintenant  au  gouvernement  de 
Voiinie  :  c'était  la  Drevlanie,  qui  plus  tard  devint  le  pays  des  Cosaques, 
à  laquelle  la  Sloutch  servait  de  frontière.  Le  village  d'Ikorost,  sur  l'Ouj,  est 
l'ancien  Korosteii,  la  capitale  des  Drevlanes,  fameuse  dans  les  annales  par  le 
meurtre  du  prince  Igor  et  la  vengeance  cruelle  qu'en  tira  la  «  sainte  »  Olga'. 


D-NETR     MOYEN,     B\S     IlNEPR,     BOIG     ET     D.NESTR 
OlKRAÎirE,     NOUVELLE     RUSSIE 

En  Russie,  les  domaines  ethnograj)hiques  ne  coïncident  point  avec  les 
limites  des  bassins  hydrographiques,  et  bien  moins  encore  avec  les  fron- 
tières des  provinces,  tracées  souvent  au  hasard  ou  précisément  avec  l'in- 
tention de  contrarier  les  affinités  nationales.  Ainsi,  pour  ne  parler  que 
des  Petils-Russiens  de  l'empire  russe,  ils  ne  sont  point  confinés  dans  le 
seul  bassin  du  Dnepr,  mais  ils  pénètrent  à  l'occident  dans  celui  de   la 


'   Villes  du  bassin  du  liaul  Diiepr  ayant  plus  de 

COIVEI'.NEMESI    DE    SMiXKNSK 

Smolensk  (IXS'2).    ......     Ô3  850  liai). 

Vazina  ■■ 15  000  » 

Roslavl  9  050  11 

Dorogolioiij    <' 8  540  » 

COI  ^  Kli.NEMË.M    DE    MOGIL'oV. 

Mogliov  (1870).    .    .  'tOaàO  hab. 

Gomei  et  Bclitza        ■-      .  .     22  000  )• 

MslisJavi  ...  7  700     m 

Stariy  llîcliov  .    .        5  700  .. 

Orcha  «...       5050  n 

COIVERNEMENT    DE    .MI^.^K. 

Bokouisk  (I8S2) 53  000  liali. 

MiMvk  55  550  11 

l'insk  (1885) 25  500  « 

Sloul/k  ».        .        .     l'JOOO  I» 


lOOO  liabilanls  : 

Ii.>iisoïil882) 10  150 

Mozir        )i      9  800 

COlVERNEMtM    DE    ir.HEfi.MGOV. 

Novo-Zibkov  (1878) 1 1  200 

Mglin                 ,. 1 1  000 

GOUVERNEMENT  DE  VOL'Î.ME. 

Staro-Konslantinov  (1880).    .    .  17  050 

Vlailimir-Voiinskiy       »...  16000 

i:.ou(sk                  "  (1879).    .    .  15  950 

Kuvol                             .1     .    .    .  15  500 

Novograd-Volinsk         "...  15  150 

Oslrog                           ,      ...  I-J  ino 

Kremcfti'tz                    i.     ...  11  y.'iO 

Rovno                             n      .    .    .  «  050 

Zas-favi                          ji     .        .  8  950 

Dciiibno                           ;>      .  7  200 

Ovioutcli'                      j     .    .  G  300 


hab. 


4S8 


NOOVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


Yistule  et  franchissent  lo  Bug;  à  l'orient  ils  occupent  une  grande  partie 
de  celui  du  Donetz  ;  ils  dépassent  même  le  haut  Don,  et  par  delà  la  mer 
d'Azov  s'étendent  jusqu'au  Koubaiï  et  au  Caucase.  D'autre  pari,  les  Grands- 
Russiens  se  sont  établis  sur  le  cours  supérieur  de  presque  tous  les  af- 
fluents orientaux  du  Diiepr,  et  les  Roumains  ont  franchi  le  bas  Diiestr. 


r'tPLACEUEMS   niSTORlQCES   DE    L  OCRRAIXE. 


c> 


Hacc  Pclik^Russie      Sraîna  de  Mounkaich    Ouktaine  cosaque     Hetmauie  pc(i(e- 

oukrainienne.  du  siv"  siècle.      (it!s  xv*  et  xvi-  s.  en  1649.  russicnne  (1667-1765). 


E=3 


m 


Oul,raiiic  slol>cv 
dunnc 

Outrai 
.        IV. 

r.c  polonaise    Francliises 
au                           roguc 
!•  siiScle.        (xvi-  cl  x% 

1  :  18  000000 

lapo- 
n-  s.)- 

Cosa(] 

d.'  la  nie 

(m- SI 

C'est  d'une  manière  générale  seulement  que  l'on  peut  donner  aux  deux 
grands  cours  d'eau,  le  Diicpr  et  le  Di'iestr,  le  nom  de  fleuves  pelits- 
russiens. 

Les  noms  de  Petite-Russie  (Malo-Russie,  Russie  Mineure),  d'Oukraïne, 
de  Ruthénie,  ont  une  valeur  essenlieliemeiit  cliangeaiite,  variant  avec  toutes 


l'ETlTS-RUSSIENS. 


489 


les  oscillations  historiques  et  même  suivant  les  divisions  administratives. 
Aucun  de  ces  noms  géographiques  ne  se  rapporte  exactement  aux  pays 
habités  par  la  race  malo-russienne,  car  celle-ci,  groupée  d'abord  en  confé- 
dération flottante,  n'a  jamais  eu  d'unité  politique  :  même  sans  compter  les 
Ruthènes  d'outre-Carpates  qui  vivent  dans  l'Etat  des  Magvars,  les  autres 
Petits-Russiens  sont  restés  depuis  le  quatorzième  siècle  longtemps  divisés 


TÏPE    «iLO-niSSE    DE    L*     PODOLIE. PAtsAS    DU    VILLAOC    DE    PANOVIZl 

Dessin  (le  Ronj.il ,  d'aprôs  une  pholofrnpliic. 


entre  la  Pologne  cl  la  Lilhuanie.  Ceux  de  la  région  centrale,  sur  le<  bords 
du  Dncpr,  eurent  à  peine  réussi,  au  dix-septième  siècle,  à  conquérir  une 
certaine  autonomie,  sous  forme  d'une  république  cosaque,  qu'ils  la  perdi- 
rent bientôt  en  se  mettant  sous  la  protection  du  royaume  de  Moscovie,  de- 
venu, grâce  à  ses  vastes  dimensions,  la  Russie  par  excellence.  Quant  au 
peuple  de  l'ancienne  Russie,  c'est-à-dire  de  la  Kiyovie,  il  n'est  connu  sous 
son  ancien  nom  de  Roussiuc  ou  Rousi'iake  que  sur  ses  frontières  occiden- 

t.  6'i 


490  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE, 

talcs,  là  OÙ  les  différences  ethnographiques  sont  encore  accrues  par  celles 
de  la  religion.  Lorsque  le  nom  de  Petite-Russie  apparut  pour  la  première 
fois  dans  les  chroniques  byzantines,  à  la  fin  du  treizième  siècle,  il  s'appli- 
quait à  la  Galicie  et  à  la  Vol'înie,  puis  il  devint  l'appellation  de  la  région  du 
Dnepr  moyen  ou  de  la  Kiyovie,  distinguée  ainsi  de  la  Moscovie,  oîi  résidait 
le  chef  de  l'Église  russe.  De  même  le  nom  d'Oukraïne  «  frontière  »  ou 
c<  marche  »  n'a  cessé  de  se  déplacer  suivant  tous  les  changements  de 
confins.  Il  fut  employé  d'abord  pour  la  Podolie,  pour  la  distinguer  de  sa 
maîtresse  la  Galicie,  puis, quand  le  bassin  du  Dnepr  passa  sous  la  domina- 
tion de  la  Lithuanie,  le  nom  d'Oukraïne  s'attacha  à  ses  provinces  méri- 
dionales, entre  le  Dnepr  et  le  Boug.  Dans  l'État  polonais,  l'Oukraïne  devint 
par  excellence  le  pays  des  Cosaques  malo-russiens.  Mais  la  Grande-Russie 
eut  aussi  ses  «  frontières  »,  c'est-à-dire  ses  Ûukraïnes,  dans  l'une  des- 
quelles se  formèrent  au  dix-septième  siècle  les  colonies  libres  ou  slobod! 
malo-russiennes,  partagées  maintenant  entre  les  gouvernements  de  Khai- 
kov,  de  Koursk  et  de  Voronej.  Dès  qu'un  pays  se  peuplait,  que  des  villes 
s'v  fondaient  et  que  les  habitants  se  constituaient  en  communautés  paci- 
fiques et  en  même  temps  moins  autonomes,  ce  pays  cessait  d'être  une 
Oukraïne;  mais  partout  où  s'établissait  le  Petit-Russien  relativement  libre, 
il  apportait  avec  lui  le  nom  d'Oukraïne  pour  la  terre  qu'il  parcourait. 

Les  Malo-Russes  —  pour  nous  servir  de  l'appellation  slavonne  —  se 
fondent  ])nr  transitions  insensibles  avec  les  Bel'o-Russes  au  nord,  et  par 
delà  les  Carpates,  avec  les  Slovaques  ;  mais  ils  se  distinguent  nettement 
des  Polonais  à  l'occident  et  des  Veliko-Russes  à  l'ouest;  les  croisements 
sont  très  rares  entre  Petits  et  Grands-Russiens.  Même  au  point  de  vue 
physique,  les  hommes  des  deux  nationalités  contrastent  les  uns  avec  les 
autres.  Les  Petits-Russiens  ont  en  général  la  tète  plus  large  et  plus  courte 
t|ue  les  Grands-Russiens,  et  la  partie  postérieure  de  leur  crâne  est  plus 
aplatie';  ils  sont  très  brachycéphales.  Environ  la  moitié  d'entre  eux  ont 
les  cheveux  châtains  et  les  yeux  bruns  ;  dans  le  midi  ils  sont  un  peuple  do 
haute  taille',  ainsi  que  le  prouvent  les  statistiques  militaires  :  c'est  parmi 
eux  que  l'on  choisit  surtout  les  grenadiers  à  cause  de  leur  prestance,  et  les 
cavaliers  à  cause  de  leurs  longues  jambes;  mais  ils  n'ont  pas  en  général 
autant  de  force  musculaire  que  les  Grands-Russiens  ;  la  diphtérie,  endé- 
mique dans  le  pays,  fait  de  grands  lavages  parmi  les  enfants.  En  quel(|ues 
districts  où  Malo-lîusses  el  Veliko-Uusses  sont  voisins  les  uns  des  autres 

'  Indfx  iiiHy.'ii  (lis  IVlils-Russiens  do  Galicie,   (J'après  Majer  et  Ko|ieniicki  :  SLÔ  {Recueil  de 
ïivtei  sur  runihiopologie.  luiblié  par  l'Académie  de  Cracovie,  en  l)olo^ai^l. 
^  Taille  niojenne  des  Pelits-Uiissiens  de  Galicie,  d'après  Majer  el  Kopernicki  :  104  cenlimèlres. 


FETITS-RISSIENS.  49! 

sans  population  intermédiairo.  on  peut  remarquer  nettement  In  supériorité 
physicpie  des  premiers  pour  la  taille  et  la  belle  apparence.  Leurs  femmes 
ont  la  grâce  de  la  démarche,  la  douceur  du  regard  et  de  la  voix;  leurs 
attaches  sont  plus  fines  que  celles  des  autres  Russiennes.  Elles  se  dis- 
tinguent aussi  par  un  costume  plus  gracieux,  pareil  à  celui  des  Roumaines. 
Les  broderies  de  fils  rouges  et  bleus  qui  ornent  la  chemisette,  la  robe,  le 
tablier  de  losanges  et  de  croix,  de  triangles,  de  damiers  et  de  rameaux, 
se  combinent  de  la  manière  la  plus  heureuse,  suivant  les  données  tradi- 
tionnelles, mais  avec  une  certaine  liberté,  qui  permet  toujours  de  mettre  les 
ornements  en  harmonie  avec  la  tournure  et  les  traits  de  la  personne'.  Enfin, 
elles  entretiennent  dans  leurs  maisons,  toutes  pauvres  et  modestes  que 
sont  ces  demeures,  beaucoup  plus  d'ordre  et  de  propreté  que  ne  le  font 
les  femmes  veliko-russes.  Le  mets  national  est  le  borclitcli,  soupe  composée 
de  pommes  de  terre,  de  choux  et  de  betteraves'. 

Il  est  difficile  de  hasarder  un  jugement  général  sur  des  populations 
entières,  car  la  variété  des  types  est  devenue  considérable  par  l'effet  des 
croisements  qui  ont  mêlé  les  Slaves  entre  eux  et  avec  les  populations  abo- 
rigènes; mais  dans  l'ensemble  il  paraîtrait  que  les  Petits-Russiens  dépas- 
sent les  Grands-Russiens  par  l'intelligence  naturelle,  par  la  verve  ironique, 
parle  goût  naturel,  l'imagination  à  la  fois  vive  et  contenue;  ils  ne  se 
laissent  point  aller  aux  exagérations  grand-russiennes  ou  finnoises';  en 
revanche,  ils  n'ont  pas  le  sens  pratique  des  Veliko-Russes ;  ils  sont  moins 
solidaires,  et  quoique  mieux  doués  ils  sont  moins  forts.  Rivaux  les  uns  des 
autres,  Malo-Russes  et  Veliko-Russes  se  désignent  mutuellement  par  des 
sobriquets  :  l'Oukraïnien  est  le  kltoklioF,  à  cause  de  la  touffe  de  cheveux 
tju'il  laissait  croître  autrefois  au  sommet  de  la  tète  et  qu'il  rejetait  derrière 
l'oreille  ;  le  Grand-Russien  est  le  katzap  ou  le  bouc,  à  cause  de  la  barbe 
fournie  qu'il  aime  à  étaler.  Ce  sont  des  noms  tirés  seulement  de  différences 
extérieures;  mais  sous  ces  appellations  bizarres  les  Russes  des  deux  natio- 
nalités se  représentent  aussi  le  contraste  offert  par  les  caractères  et  les 
mœurs. 

On  ne  saurait  encore  qu'émettre  des  hypothèse^  sur  le  degré  de  filiation, 
directe  ou  indirecte,  qui  rattache  les  Malo-Russcs  aux  hommes  dont  on 
a  recueilli,  dans  le  gouvernement  de  Poltava,  les  armes  et  les  instruments 
d'os  et  de  silex,  mêlés  à  des  ossements  de  mammouths  et  à  des  coquillages 
de  répo((uc  glaciaire.  Les  tombeaux  de  l'âge  de  pierre  que  l'on  a  trouvés 

'  Mme  Olga  Kosalcli,  L'ornement  oukraïnien. 

"  Scrj;",'  l'oilolinskiy,  Sociélé  Langucilocienne  de  Géographie,  lomc  IV,  188!. 

■>  liciinskiy,  La  poésie  populaire  russe  (un  russe). 


402  NOUVELLE  GÉOGK.VI'IIIE  UNIVERSELLE. 

près  d'Ostrog,  en  Volinio,  renferment  dco  squelclles  très  différents  de  ceux 
des  Slaves,  fort  remarqnables  par  l'étroifesse  et  la  longueur  de  leur  tète  et 
par  leurs  tibias  aplatis  et  recourbés  en  forme  de  lames  de  sabre  :  cette  race 
jirimitive  semble  se  rapprocher  de  celle  qui  \ivait  en  occident  à  l'époque 
des  dolmens'.  Mais  à  ces  premiers  tombeaux  ont  succédé  d'innombrables 
kourgans  parsemés  dans  toute  la  contrée.  Déjà  des  milliers  de  ces  monti- 
cules ont  disparu  :  les  uns,  dans  les  villes  et  les  villages,  pour  se  trans- 
former en  édifices  ou  en  fortifications  ;  les  autres,  dans  les  campagnes, 
pour  servir  d'amendement  aux  terres  environnantes  ;  d'autres  encore,  de 
petites  dimensions,  ont  été  nivelés  par  la  charrue;  néanmoins  en  plusieurs 
endroits,  surtout  sur  les  faîtes  de  passage  entre  les  cours  d'eau,  ils  sont 
encore  assez  nombreux  pour  former  le  Irait  dominant  du  pays,  car  pour  la 
construction  de  ces  kourgans  on  utilisait  volontiers  des  sites  visibles  de 
loin,  les  hautes  berges  des  fleuves,  les  sommets  de  monticules  naturels,  les 
caps  qui  s'avancent  au  loin  dans  la  mer;  cependant  la  vallée  du  Dnestr 
fait  exception  à  cet  égard  :  on  est  étonné  d'y  voir  de  longues  rangées  de 
tertres  artificiels  situées  précisément  au  pied  des  berges  ^  C'est  dans  la 
région  voisine  des  rapides  du  Dnepr,  surtout  à  l'ouest,  que  s'élèvent  les 
plus  remarquables  de  ces  tertres,  ceux  des  «  Scythes  royaux  »,  dont  Héro- 
dote raconte  les  pratiques  d'inhumation  :  tous  sont  plus  escarpés  du  côté 
(lu  nord  que  des  autres  côtés,  et  plusieurs  sont  entourés  de  dalles;  il  en  est 
même  qui  sont  réunis  les  uns  aux  autres  par  des  allées  de  pierres,  dont  il 
a  fallu  apporter  les  matériaux  de  fort  loin.  On  voit  quelques  lomhelles, 
comme  celle  de  Perepetiklia,  près  de  Khvastov,  dans  le  gouvernement  de 
Kiyev,  qui  n'ont  pas  moins  de  200  mètres  de  tour  et  qui  se  dressent  au 
milieu  de  monticules  plus  petits,  comme  des  rois  entourés  de  leur  cour. 
Un  grand  nombre  de  buttes  étaient  signalées  jadis  par  des  statues  grossières, 
où  les  générations  postérieures  ont  vu  des  vieilles  femmes, —  d'où  le  nom  de 
haha  donné  à  ces  effigies,  —  et  rappelant  plutôt,  d'après  l'opinion  générale, 
le  type  mongol  que  celui  des  Slaves;  ce  sont  là  peut-être  les  statues  des 
steppes  auxquelles  xVmmien  Marcellin  compare  les  Huns  :  elles  ont  presque 
toutes  les  mains  jointes  sur  la  poitrine.  D'ailleurs  il  n'est  guère  plus  de 
kourgans  dont  le  sommet  porte  encore  celle  idole  terminale;  presque 
toutes  ont  été  brisées  ou  déplacées  pour  servir  de  bornes  aux  roules  ou 
d'ornements  dans  les  jardins,  rourtant,  si  l'on  en  croit  la  tradition  locale, 
la  baba  s'eiu-acinait  fortement   au  sommet  du  monticule,  et  il  ne  fallait 


'  lienieil  anthropologique  de  VAcarléwe  de  Cracovie,  I  (en  iiolonuis). 
'  J.  G.  Kdhl,  Rcisen  in  Sad-Rnsslnml. 


TERTRES   FUNÉRAIRES   DE   LA   PETITE    RUSSIE.  493 

pas  moins  de  dix  bœufs  robustes  pour  l'emporter,  tandis  qu'un  simple 
attelage  suffisait  pour  la  ramener  :  elle  semblait  marcher  d'elle-même 
pour  remonter  sur  la  butte.  La  vénération  des  paysans  est  grande  pour 
ces  statues  :  les  mères  leur  amènent  les  enfants  malades  de  la  fièvre, 
s'agenouillent  devant  elles,  les  embrassent,  el  leur  offrent  du  blc  et  des 
pièces  de  monnaie'. 

Plusieurs  milliers  des  tertres  funéraires  de  la  Petite  Paissie  ont  été  déjà 
fouillés,  et  leurs  secrets,  révélés  au  monde,  ont  permis  de  reconstituer 
on  partie  les  sociétés  antérieures,  avec  leurs  rites,  leurs  mœurs,  leur 
industrie.  Parmi  les  tertres,  tous  les  âges,  pierre,  bronze  et  fer,  sont  repré- 
sentés. Quelques  tombelles  sont  relativement  modernes  et  même  ont  été 
érigées  postérieurement  à  l'introduction  du  christianisme  dans  la  contrée, 
ainsi  qu'en  témoignent  les  objets  d'origine  byzantine  ou  russe  qui  se 
trouvent  dans  les  buttes;  quelques-unes  renferment  des  antiquités  appar- 
tenant aux  trois  âges,  de  la  pierre,  du  bronze  et  du  fer.  Divers  monti- 
cules ne  contiennent  que  des  squelettes  de  chevaux.  Enlin  il  en  est 
beaucoup  où  l'on  ne  trouve  rien,  ni  ossements  ni  armes.  La  grande 
époque  de  l'art  pour  les  ensevelissements  est  celle  de  la  civilisation  scy- 
thique.  Les  fouilles  faites  dans  quelques  sépultures  des  provinces  méri- 
dionales, et  notamment  dans  celle  d'Alcxandropoî,  au  sud-ouest  de  Yeka- 
terinoslav,  ont  prouvé  que  les  «  Scythes  »  de  cette  époque  étaient  en 
rapports  fréquents  avec  les  Grecs,  et  leur  achetaient  les  produits  de  l'in- 
dustrie et  de  l'art  les  plus  précieux,  armes,  vases  ciselés^  et  bijoux.  Mais 
à  côté  de  ces  objets  purement  helléniques  on  trouve  aussi  dans  les  kour- 
gans  des  armes  et  des  instruments  de  bronze  rappelant  que  la  civilisation 
grecque,  à  son  arrivée  dans  le  pays,  rencontra  une  civilisation  asiatique 
d'un  tout  autre  caractère'.  Les  tombeaux  mégalithiques  cpars  entre  le 
Driestr  et  le  Dnepr,  au  nord  d'Odessa,  appartiennent  aussi  à  une  autre 
époque  de  culture  ou  à  une  autre  religion.  De  tous  ces  peuples  dont  les 
buttes  recouvrent  les  ossements,  les  uns  passèrent  rapidement  en  conqué- 
rants ou  en  fugitifs;  d'autres  séjournèrent  longtemps  dans  le  pays,  et  sans 
doute  un  pou  de  leur  sang  se  retrouve  dans  les  populations  actuelles  de  la 
Petite  Russie. 

Au  neuvième  siècle,  les  populations  du  versant  méridional,  entre  le 
Dnepr  el  le  Danube,  el  j)rincipalement  sur  les  rives  du  Di'ieslr,  étiiient  des 

'  Z'jbclin,  Histoire  de  la  vie  russe,  I  (en  russe)  ;  —  Tchoujbinskiy,  Visile  à  la  Russie  du  Sud  (en 
russe). 
'  Travaux  de  la  Commission  archéologique,  1801,  1872,  etc. 
*  Worsaac,  La  colonisation  de  la  Russie  el  du  Is'ord  Scandinave. 


iVi'i  NOUVELLE   GÉOGriAI'lIIE  LMVERSELLE. 

Slaves,  les  Oiil'oulchi  (Oiiglilchi)  et  les  Tivertzi.  Mais  ils  se  trouvaient  sur  ic 
chemin  des  Hongrois,  des  Petchénègues,  des  Koumanes,  et  le  choc  de  toutes 
ces  nations  les  refoula  vers  le  nord  :  du  dixième  au  douzième  siècle,  la 
Ros  —  peut-être  la  «  rivière  des  Russes  »    —  servit  de  frontière  entre 


hr.  riiin^nnoii^Ktivn.  mes  de  yfk\terino?l\v. 


les  Russes  de  la  Kiyovie  et  les  nomades  du  sud.  Plusieurs  colonies  tur- 
ques, les  Torki,  les  Rerenileyi,  les  «  Bonnets-Noirs  »  ou  Kara-Kalpaks,  s'é- 
taient établies  au  sud  de  cette  rivière.  Ensuite  des  Tartares  s'installèrent 
près  de  Kaiiev',  dans  une  grande  partie  de  la  Kiyovie;  on  croit  même  f[uo 


'  Voyoj^c  de  l'ian  Carpin  en  l'iôl. 


/y^  ^  -   "Sr- 


PETITS-RDSSIENS.  497 

Berdilchev  fut  une  de  leurs  colonies;  sans  doute  ils  se  mêlèrent  diverse- 
ment aux  populations  slaves,  car  ceux  que  le  prince  Olgerd  de  Lithuanio 
chassa  de  la  Podolie  en  1566  étaient  des  Tarlares  de  langue  russe'.  Dans 
tout  le  sud-ouest  de  la  Russie,  les  noms  qui  rappellent  l'occupation  mu- 
sulmane sont  fort  nombreux. 

De  nos  jours,  les  Malo-Russes,  presque  exclusivement  agriculteurs,  sont 
très  pacifiques  de  leur  nature.  Toutefois,  pendant  des  siècles,  la  guerre 
était  en  permanence  dans  les  plaines  que  traverse  le  Dnepr,  et  les  habitants 
devaient  être  toujours  prêts,  soit  à  la  bataille,  soit  à  la  fuite.  Le  grand 
fleuve,  qui  coule  aujourd'hui  paisiblement  au  milieu  de  contrées  habitées 
par  des  populations  de  même  langage,  est  un  des  cours  d'eau  qui  ont  eu 
le  plus  d'importance  dans  l'histoire  des  nations  et  dont  les  bords  ont  été 
le  plus  ardemment  disputés  entre  deux  races.  Après  l'invasion  de  la  Crimée 
par  les  Turcs  en  1475,  les  Tartares  devinrent  les  pourvoyeurs  des  harems 
et,  des  bagnes  de  Stamboul,  et  bientôt  les  provinces  méridionales  de  la 
Slavie  furent  un  territoire  de  chasse  à  l'esclave*.  Les  guerriers  musulmans 
avaient  l'habitude  de  se  rassembler  en  hiver  près  de  l'isthme  de  Perekop. 
et  chaque  homme  entraînant  avec  lui  deux  ou  trois  chevaux  pour  les  pri- 
sonniers à  faire  et  le  butin  à  capturer,  ils  franchissaient  le  Dnepr  au 
nombre  de  soixante  ou  quatre-vingt  mille,  apparaissaient  inopinément  dans 
quelque  région  peuplée  dont  ils  réduisaient  tous  les  habitants  en  captivité, 
puis,  avant  qu'on  eût  eu  le  temps  de  lever  une  armée  pour  les  combattre, 
ils  étaient  en  sécurité  dans  leurs  steppes  au  delà  du  Diiepr.  A  ces  hordes 
de  pillards  s'en  opposèrent  de  semblables  formées  d'éléments  chrétiens,  et 
qui  devinrent  fameuses  sous  le  nom  ih  Cosaques.  Le  gros  de  leur  armée  se 
composait  d'hommes  indépendants  qui  avaient  réussi  à  vivre  sans  maîtres 
sur  les  frontières  disputées  entre  chrétiens  et  musulmans,  de  pêcheurs 
restés  à  l'abri  sous  les  berges  boisées  du  Dnepr,  de  marchands  aventu- 
reux qui  voyageaient  en  caravanes  dans  la  steppe.  En  outre,  des  seigneurs 
polonais  et  lithuano-russes,  mêlés  à  ces  combattants  et  subissant  plus  ou 
moins  l'influence  des  idées  chevaleresques  de  l'Occident,  firent  des  Co- 
saques une  sorte  de  «  chevalerie  oukraïnienne  »  {njtzarslro  oukrayinne). 
Un  des  premiers  centres  de  résistance  se  forma  près  de  Pereyas-Fav,  au  boni 
d'un  grand  coude  du  Dnepr,  défendu  à  l'est  et  au  nord  par  des  marais,  des 
bois,  des  rivières  errantes.  Kai'iev  et  Tcliigirin  sont  aussi  parmi  les  villes 
les  plus  fréquemment  nommées  au  commencement  de  l'histoire  des  Cosa- 

'  Simochkcïiich,  Description  ilr  la  Podolie.  I. 

*  Micliïlon  Liihu.inus,  Fragmenta;  —  Anionoritch  et  Dragomanov,  Chansons  historiques  du 
peuple  petil-russien,  1  (en  russe). 


«8  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

ques,  mais  Tcherkasî  fut  la  plus  connue  comme  le  centre  des  Cosaques  d'en 
bas,  c'est-à-dire  des  pêcheurs  et  des  marchands,  et  des  «  Cosaques  des 
villes»,  c'est-à-dire  de  la  région  déjà  peuplée  du  Dnepr  moyen.  Le  nom 
de  Tcherkasî  devint  même  chez  les  Tartares  et  chez  les  Moscovites  l'ap- 
pellation nationale  pour  désigner  les  Petits-Russiens.  et  on  l'emploie  jusqu'à 
présent  dans  la  Grande  Russie  méridionale. 

A  la  fin  du  seizième  siècle,  lors  des  grandes  luttes  entre  les  éléments 
polonais  et  oukraïnien,  les  Cosaques  établirent  plus  au  sud  leurs  positions 
stratégiques  principales  et  se  cantonnèrent  en  aval  du  confluent  de  la  Sa- 


L  aeP 


Petiie  Co  I    Kfio^iî+zû  ^  J^^A 


L   d.b 


dàprèa  la  Carte  de  iXtat  -Majo 


mara,  dans  les  îles  du  Dnepr,  au  milieu  des  chutes  et  sur  les  bords  rocheux 
du  lleuve  :  d'oîi  leur  nom  russe  de  Znporogues  [za  porojtzi)  ou  «  Gens  de 
l'ar  de  là  les  Chutes  »;  là,  doublement  défendus  par  les  rochers  ot  les  maré- 
cages de  cette  partie  du  Dnepr,  ])rotégés  en  outre  par  de  profonds  retran- 
chements bien  gardés,  ils  purent  défier  les  Tartares,  et  commencer  à  leur 
rendre  incursion  pour  incursion,  tantôt  en  Crimée,  tantôt  sur  les  bords 
d(!  la  mer  Noire  ou  de  la  mer  d'Azov.  Vivant  de  pèche,  de  chasse  et  de 
guerre,  ces  bandits  chrétiens  firent  bientôt  trembler  les  bandits  musul- 
mans. Leur'  sauvage  liberté  attirait  autour  d'eux,  de  Pologne  et  de  Lithua- 
nic,  une  multitude  grossissante  de  [)aYsans  échappant  à  la  servitude.  Au 


COSAQUES.  439 

dix-septième  siècle,  leurs  rangs  se  composaient  d'au  moins  «  six  vingt 
mille  hommes  tous  aguerris  »  '.  Ils  passèrent  même  la  mer  Noire  pour 
brûler  Sinope,  en  Asie  Mineure,  et  dans  une  de  leurs  expéditions,  en  16"24, 
ils  se  hasardèrent  jusqu'à  Constantinoplc,  dont  ils  pillèrent  les  faubourgs. 
Des  gard  ou  postes  fortifiés  s'élevaient  de  distance  en  distance  sur  le  bas 
Diiepr,  entre  le  Boug  et  la  mer  d'Azov,  et  vers  le  milieu  de  leur  domaine 
aux  limites  changeantes  se  trouvait  une  sitch  ou  setch  centrale.  La  première, 
disent  les  annales,  est  celle  qu'ils  avaient  établie  au  seizième  siècle  dans 
l'Ile  Khortitza,  —  jadis  Khortitch,  —  au  milieu  des  chutes  du  Diiepr,  près  de 
l'endroit  où  les  Petchénègues  avaient  coupé,  en  97"2,  la  tète  du  grand  prince 
Svatosl'av,  un  vrai  Cosaque  d'autrefois,  et  fait  de  son  crâne  une  coupe 
pour  leurs  festins.  Mais  bientôt  après,  leur  refuge  le  plus  connu  fut  plus 
au  sud,  dans  l'une  des  îles  de  la  «  Grande  Prairie  »,  au  confluent  du 
Tchertomlik  et  du  Diiepr,  et  dans  la  presqu'île  opposée.  Cette  «  ancienne 
sitch  »,  qui  subsista  jusqu'à  1709,  fut  remplacée  par  d'autres,  également 
situées  près  du  dédale  des  îles  du  Diiepr,  où  les  embarcations  des  Turcs 
s'égaraient  à  leur  poursuite  et  perdaient  tous  leurs  rameurs,  fusillés  par 
des  ennemis  invisibles  qui  se  cachaient  dans  les  roseaux. 

Les  Cosaques  ne  constituent  point  une  famille  qui,  par  la  langue  ou 
l'origine,  soit  foncièrement  distincte  des  autres  Slaves  plus  ou  moins 
mélangés  des  plaines  :  s'ils  différaient  de  leurs  frères,,  c'est  non  par  le 
sang,  mais  par  les  traits  héréditaires  que  leur  avaient  donnés  des  mœurs 
errantes  et  leur  fière  indépendance.  De  tout  temps,  les  Cosaques  pefits- 
russiens  n'admirent  dans  leur  communauté  que  des  hommes  sachant  faire 
leur  signe  de  croix,  c'est-à-dire  ennemis  des  raahométans  et  des  païens, 
et  tous  les  Slaves  orientaux  pouvaient  remplir  cette  condition  d'entrée. 
La  coïncidence  du  nom  de  la  ville  cosaque  de  Tcherkasî  avec  celui  de  la 
nation  caucasienne  des  Tcherkesses  a  fait  croire,  bien  à  tort,  à  l'origine 
orientale  des  Cosaques.  Quant  à  leur  nom,  il  est  réellement  tartare,  et  des 
éléments  petchénègues  et  khazares  se  retrouvaient  certainement  parmi  les 
ancêtres  des  Cosaques,  ces  défenseurs  des  sociétés  chrétiennes  :  mais  ce 
mélange,  et  notamment  celui  qui  eut  lieu  avec  la  tribu  des  Kara-Kalpaks 
ou  «  Bonnets  .\oirs  »,  désignés  dans  les  annales  sous  le  nom  de  Tcherkassî, 
était  déjà  fait  bien  avant  la  formation  des  communautés  cosaques. 

Les  Zaporogues,  avant-garde  des  Cosaques  petits-russiens,  peuvent  être 
considérés  comme  les  Cosaques  par  excellence,  et  leurs  descendants,  deve- 
nus de  paisibles  cultivateurs,  se  réclament  encore  du  titre  de  «  bons  Cosa- 

'  Beauplan,  Deicription  de  l'ikinnie. 


5J0  NOUVELLE  GEOGRAPUIE  UNIVERSELLE. 

ques  ».  Organisés  en  kouren,  c'est-à-dire  en  associations  de  guerre  et  de 
travail  en  commun  ',  ils  ne  reconnaissaient  que  des  chefs  ou  «  pères  »  libre- 
ment élus,  et  chaque  année  l'assemblée,  composée  des  membres  de  toutes 
les  communautés,  se  réunissait  en  corps  politique  {koclr)  représentant  tout 
Je  «  compagnonnage  d'en  bas  ».  C'est  alors  qu'elle  distribuait  par  le  sort  les 
rivières  dont  le  produit  faisait  vivre  tous  les  Zaporogues  et  leur  servait  de 
moyen  d'échange;  en  même  temps  elle  choisissait  un  nouvel  ataman  et 
d'autres  anciens  pour  administrer  les   compagnons  et  juger  leurs  diffé- 
rends :  une  poignée  de  poussière  versée  sur  leur  tète  devait  leur  rappeler 
toujours  qu'ils  restaient  les  inférieurs  de  la  communauté.  Pour  les  expédi- 
tions de  guerre,  ils  élisaient  un  dictateur,  désigné  sous  le  nom  de  hetman, 
—  d'origine  allemande  (hauptmann)  ou  turque,  du  mot  ataman.  —  Le 
pouvoir  de  cet  élu  était  très  grand,  quoique  toujours  conforme  à  la  cou- 
tume; le  hetman  faisait  décapiter,  même  empaler  les  délinquants,  mais  non 
sans  l'avis  de   son  conseil.   Pendant   les   campagnes,    tout  ivrogne   était 
expulsé  de  l'armée  ;  l'usage  de  l'eau-de-vie  était  interdit.  La  parole  que 
tous  avaient   acclamée  devenait  pour  eux  la  loi,  et  le  moindre  groupe, 
constituant  déjà  la  commune,  devait  la  faire  respecter.  Celui  qui  la  violait 
avait  les  autres  pour  juges,  même  en  pleine  steppe,  loin  du  reste  de  la 
tribu  :  «  Là  où  il  n'y  a  que  trois  Cosaques,  disait  le  hetman  Khmelnitzkiy, 
le  coupable  est  jygé  par  les  deux  autres.  »  Dans  les  expéditions,  ils  se 
fortifiaient  par  leurs  tabor  de  chariots,    «  citadelles    roulantes  »  qu'ils 
avaient  peut-être  empruntées,  avec  le  nom,  aux  Tchèques  de  Jijka'  et  que 
parfois  en  bataille  ils  lançaient  à   toute  vitesse  contre  les  ennemis  pour 
rompre   leurs  colonnes.   Maîtres  de  l'espace,  les  Zaporogues  devenaient 
presque  insaisissables  :  que  leurs  tentes  fussent  brûlées  ou  leurs  barques 
englouties  dans  la  mer  Noire,    ils   réparaient  bientôt  leurs    pertes    en 
admettant  de  nouveau-venus.  Tous  les  «  camarades  )'  zaporogues  avaient 
pour  lien  la  communauté  des  dangers  et  l'amour  de  la  steppe  qu'ils  par- 
couraient  sur   leurs  ])etits   chevaux   rapides.    «   Que    celui   qui   pour  la 
foi  chrétienne  veut  être  empalé,  roué,  écartelé,  que  celui  qui  est  prêt  à 
endurer  toutes  les  tortures,  que  celui  qui  ne  craint  pas  la  mort  vienne 
avec  nous!  »  telle  était   la  proclamation    des   chefs    zaporogues'.   Mais, 
après  s'être  considérés  comme  les  défenseurs  de  la  foi  chrétienne,  ils  vou- 
lurent être  aussi  les  champions  de  leur  «  mère  «  l'Oukraïne  petite-rus- 

«  Kouren',  Kowin',  mol  slave  signifiant  «  fumée  »,  «  cabane  » ,  ou  jiluUil,  selon  d'aulies,  mot 
turc,  ayant  le  sens  de  «  camp  furlilié,  enclos  ». 
*  «  Association  des  pStrcs  »  en  lartare. 
s  Ernest  llenis,  Huss  et  la  (jiicrre  des  Hussites. 
»  Koulieli,  cité  par  A.  IlaniLiaud,  Russie  épique. 


COSAQUES.  501 

sienne  et  de  la  liberté  du  peuple.  Tel  était  l'amour  des  Cosaques  pour  la 
terre  natale  qu'en  abandonnant  l'ancienne  Sitch  ils  en  emportèrent  de  la 
terre  avec  eux,  symbole  de  la  patrie  sur  le  sol  étranger'.  S'ils  périssaient 
dans  une  expédition  maritime,  ils  se  confessaient  à  la  «  mer  bleue'  ». 

Toute  la  région  de  la  frontière  méridionale  entre  les  Slaves  et  les  Tar- 
tares  ou  Turcs  était  occupée  par  des  Cosaques,  et  cette  «  région  des 
Limites  »,  l'Oukraïne,  s'accroissait  ou  diminuait  suivant  les  vicissitudes 
de  la  guerre  et  de  la  colonisation  armée.  Une  grande  partie  de  l'espace 
compris  entre  les  Terres  iS'oires  et  le  littoral  finit  par  devenir  un  véritable 
désert,  que  l'on  ne  traversait  qu'en  fuyant;  même  de  1667  à  1686,  il  fut 
convenu  que  toute  la  contrée,  d'environ  50  000  kilomètres  carrés,  comprise 
entre  le  Diiepr,  le  tasmin,  le  Diiestr  et  les  sources  de  l'Ingoul"  et  de  l'In- 
gouletz  resterait  dépeuplée  pour  servir  de  frontière  entre  les  deux  Etats 
chrétiens  de  la  Slavie  et  l'État  musulman.  Les  Eispagnols  et  les  Portugais 
colonisaient  déjà  l'Amérique  et  les  Antilles  que  la  steppe  méridionale 
attendait  encore  de  nouveaux  habitants  :  l'œuvre  de  la  dévastation  par 
musulmans  et  chrétiens  avait  été  complète.  La  colonisation,  tant  de  fois 
commencée  depuis  l'époque  des  Scythes  royaux,  dut  se  faire  deux  fois, 
l'une  après  les  incursions  des  Turcs,  à  la  fin  du  quinzième  siècle,  l'autre 
après  le  partage  des  steppes  entre  la  Pologne,  la  Moscovie  et  la  Turquie. 
Chaque  fois  la  colonisation  se  composa  de  deux  éléments  distincts  :  les 
libres  Cosaques  et  les  colons  des  ^"obles.  Les  seigneurs  polonais  se  firent 
octroyer  d'immenses  territoires  dans  ces  espaces  déserts  et  promirent  à 
tous  les  paysans  qui  s'installeraient  dans  ces  régions  redoutables  l'im- 
munité complète  de  toute  charge  et  de  toute  redevance,  rim[)unilé  pour 
tout  crime  ou  délit.  Le  comte  Z:uuoiski  faisait  appel  à  tous,  même  aux  parri- 
cides, même  à  «  ceux  qui  auraient  tué  leur  propre  seigneur  »,  et  cet  appel 
fut  entendu.  Attirés  par  la  promesse  de  la  liberté  sur  les  terres,  d'ailleurs  si 
fécondes,  qui  devaient  leurapparlenir  pour  un  temps,  les  serfs  des  provinces 
lithuaniennes  s'y  précipitèrent  par  milliers  et  par  centaines  de  mille;  les 
villes,  les  villages  se  fondèrent  au  bord  de  tous  les  ruisseaux,  au  fond  de 
tous  les  ravins,  dans  chacune  des  grandes  concessions  féodales  ;  la  steppe 
se  changea  en  terrain  de  culture  de  la  même  manière  que  les  «  prairies  » 
du  Grand-Ouest  américain  devaient  se  transformer  en  leries  arables  deux 
siècles  plus  lard.  La  liberté  fit  ce  miracle  du  soudain  repeuplement  des  so- 
litudes; mais  quand  les  seigneurs  voulurent  reprendre  leurs  terres,  réduire 

'  SkaikovskiT,  Hiiloirc  de  la  nouvelle  Silch. 
*  Anlonovilch  cl  Drsgnmanov,  euvragc  cilc. 


502  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

de  nouveau  les  paysans  à  l'état  de  serfs,  les  faire  dévorer  par  l'usurier 
juif,  ils  se  heurtèrent  à  des  hommes  qui  prétendaient  au  titre  de  Co- 
saques et  voulaient  rester  libres.  Ces  tentatives  d'asservissement,  jointes 
aux  persécutions  religieuses,  devaient  avoir  pour  conséquence  définitive, 
et  de  révolution  en  révolution,  la  destruction  même  de  l'État  polonais'. 
En  1649,  une  grande  partie  des  Oukrainiens,  sous  la  conduite  du  hetman 
des  Zaporogues  Khmelnitzkiy,  réussit  à  faire  reconnaître  l'autonomie  de  la 
Hetmanie  petite-russienne,  puis  en  1654  celle-ci  se  détacha  de  la  Pologne 
et  se  mit  sous  la  protection  de  la  Moscovie,  par  le  traité  de  Pereyasl'av.  Sa 
liberté  ne  fut  pas  longtemps  respectée;  les  boyards  se  plaignaient  de  ce 
(jue  leurs  paysans  allaient  chercher  un  asile  en  Oukraïne,  les  voïévodes  en- 
traient en  conflit  avec  les  bourgeois  des  villes, et  Pierre  le  Grand  réclamait 
l'extradition  des  émigrés  du  Don  auxquels  les  Zaporogues  avaient  donné 
l'hospitalité.  Les  Cosaques  petits-russiens  étaient  un  obstacle  à  la  centra- 
lisation moscovite, et  leurs  confédérations  furent  brisées.  Pierre  le  Grand  fit 
périr  des  milliers  de  Cosaques  au  travail  forcé  sur  les  bords  du  Ladoga  ; 
puis  Catherine  II  supprima  complètement  la  Hetmanie  petite-russienne  en 
1765,  et  dix  ans  plus  tard  elle  détruisit  la  Sitch  des  Zaporogues.  Ceux  qui 
voulurent  rester  libres  furent  obligés  de  se  réfugier  au  delà  du  Danube, 
chez  les  Turcs,  leurs  ennemis  héréditaires.  En  1775,  lorsque  la  dernière 
Sitch,  située  sur  le  bas  Diiepr,  fut  prise  par  le  général  Tekeliy,  les  Co- 
saques adultes  des  «  Terres  Franches  »  étaient  au  nombre  de  15  000,  dont 
près  de  1200  dans  la  Sitch  elle-même;  environ  60  000  personnes,  Cosa- 
<jues  et  paysans  réfugiés,  vivaient  sur  le  territoire  environnant,  dans  les 
khoutors  ou  métairies  qui  leur  avaient  été  concédés  par  la  communauté  ^ 
Certainement  l'ancien  caractère  cosaque  doit  se  retrouver  en  partie  chez 
les  Oukrainiens  de  nos  jours.  Des  révoltes  fréquentes  de  paysans  ont  eu  lieu 
précisément  sur  les  bords  du  Diiepr,  dans  les  districts  où  vivaient  les 
communautés  les  plus  guerrières,  et  dans  toute  la  Petite  Russie  l'ancien 
dévouement  à  la  hromada  ou  commune  s'est  maintenu  dans  sa  ferveur 
malgré  les  transformations  politiques.  «  La  Commune  est  un  grand 
homme,  »  dit  le  proverbe  oukrainien.  Le  Malo-Russe  a  gardé  quelque  chose 
du  nomade  :  il  se  déplace  sans  peine,  quoiqu'il  n'ait  pas  le  génie  colonisa- 
teur du  Grand-Russien.  Il  a  même  un  dicton,  trop  souvent  véridique,  pour 
dépeindre  son  goût  pour  le  changement,  provenant  surtout  de  son  amour 
(le  la  lili(  lié  :  Khatcli'  hinlic,  ta  inche  (plus  mal,  mais  aulrenienl).  En  1S56, 


'  Alfred  Rambaud,  ouvra^'e  citf. 

'  Chlchrbalskiy,  Rccuàl  aitthrupoloyique  de  Moscou,  I,  1SG8  (en  russe) 


COSAQUES.  505 

le  bruit  se  répandit  dans  l'Oukraïne  que  le  prince  Constantin  s'était  rendu 
en  Bessarabie, —  d'autres  disaient  en  Crimée,  —  et  que  là  il  siégeait  sous 
une  tente  rouge,  conviant  à  la  liberté  et  à  la  possession  du  sol  tous  les  bons 
Oukraïnicns  ;  mais  c'est  dans  l'année  même  que  les  serfs  devaient  accourir 
à  sa  voix  :  passé  ce  terme,  il  serait  trop  tard.  Soudain,  des  populations 
entières  furent  debout,  non  pour  égorger  les  seigneurs,  mais  pour  s'éloigner 
en  paix.  Dans  certains  districts,  notamment  dans  celui  d'Alexandrovsk,  les 
paysans  vendirent  pour  quelques  roubles  tout  leur  avoir  aux  usuriers  juifs, 
abandonnèrent  leurs  villages  et  se  mirent  en  marche.  «  ^'ous  vous  remer- 
cions pour  le  pain  et  le  sel,  disaient-ils  à  leurs  seigneurs,  mais  nous  ne 
voulons  plus  être  vos  esclaves  !  '  » 

Le  guerrier  cosaque  ne  vit  plus  que  dans  la  légende  et  dans  les  chants; 
de  même  le  tchoitmak,  l'Oukraïnien  des  caravanes,  est  sur  le  point  de 
disparaître  :  les  chemins  de  fer,  les  bateaux  à  vapeur,  le  remplacent 
peu  à  peu  après  l'avoir  forcé  à  changer  ses  pratiques  et  lui  avoir  ainsi 
enlevé  la  physionomie  d'autrefois;  cependant  il  lutte  contre  les  voies 
ferrées  avec  une  singulière  énergie.  En  passant  rapidement,  entraînés  par 
la  locomotive,  les  voyageurs  remarquent  souvent  au  bord  de  la  voie  de  lon- 
gues files  d'hommes  et  de  charrettes  :  ce  sont  les  caravanes  des  tchoumaks. 
Les  marchandises  qu'on  leur  confie  sont  remises  fréquemment  aux  navires 
d'Odessa,  non  seulement  à  meilleur  marché,  mais  aussi  plus  vite  que  si 
elles  avaient  été  expédiées  par  chemin  de  fer,  et  pourtant  du  Dnepr  à 
Odessa  leur  voyage  dure  plusieurs  semaines.  Le  tchoumak  fut  aussi  un 
héros  comme  le  Zaporogue  :  pour  aller  chercher  le  sel  et  le  poisson  au 
bord  de  la  mer  Noire  ou  de  la  mer  d'Azov,  il  lui  fallait  se  préparer  à  toutes 
les  fiitigues  et  mépriser  la  mort.  Après  le  long  voyage  à  travers  les  plaines 
jjoudreuses  et  les  rivières  desséchées  ou  débordées,  sous  le  soleil  ardent, 
sous  les  averses  ou  dans  les  tempêtes  de  neige,  il  se  trouvait  en  présence 
d'ennemis,  auprès  desquels  un  sauf-conduit  ne  suffisait  pas  toujours.  Des 
brigands  pouvaient  l'allendre  aux  pas  difficiles;  des  seigneurs  le  ruiner 
par  un  impôt;  sa  vie  élait  de  marcher  toujours  à  la  tcle  de  son  convoi, 
ayant  pour  compagnon,  perché  sur  le  premier  chariot,  le  coq  vigilant 
qui  l'avertissait  chaque  matin  de  l'heure  du  départ.  Si  la  mort  l'at- 
teignait en  roule,  un  ])etit  kourgan  se  dressait  sur  sa  tombe.  Encore  au 
tlernier  siècle,  on  mettait  à  côté  du  corps  une  bouteille  d'eau-de-vie,  cor- 
dial de  son  dernier  voyage'. 

'  Schmidt,  Couvernemenl  de  klierson.  Matériaux  [vjur  la  géographie  cl  la  slalislique  du  la  Russie 
(cil  russe). 
'  Dragomanov,  Noies  manutciitct. 


504  NOUVELLE    GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

Les  chants  de  liberté  du  Cosaque,  les  refrains  du  tchoumak  traversant 
les  plaines  sont  restés  dans  la  mémoire  du  peuple  petit-russien;  le 
kobzar,  qui  chante  en  s'accompagnant  de  sa  grande  mandoline  appelée 
kobza  ou  bandoiira,  le  lîrnîk,  qui  joue  non  de  la  lyre,  mais  d'une  sorte 
de  vielle,  récitent  encore  les  vers  qui  retentirent  pour  la  première  fois  sur 
la  steppe.  Quelques-unes  des  chansons  que  les  rapsodes  petits-russiens 
répètent  dans  les  foires  ont  un  caractère  historique  ;  mais,  outre  les  chants 
que  tout  le  monde  connaît,  il  en  est  qui,  par  le  souffle  de  la  pensée,  la 
puissance  de  l'expression,  la  richesse  des  détails,  sont  comme  des  frag- 
ments d'épopées;  malheureusement  ils  tendent  à  disparaître,  et  bientôt  ils 
n'existeront  plus  que  dans  la  littérature  écrite.  Ce  sont  les  doiinit,  récils 
d'histoire, qui  font  vraiment  apparaître  le  passé,  avec  les  espérances  et  les 
terreurs,  les  joies,  les  sentiments,  les  passions  des  hommes  qui  vécurent 
à  cette  époque  :  en  écoutant  ces  doumî,  le  Petit-Russien  croit  revivre  de 
la  vie  de  ses  aïeux  les  Cosaques.  11  est  peu  de  langues  dont  les  poésies 
populaires  dépassent  celles  des  Oukraïniens  en  énergie  de  parole  et  en 
profondeur  de  sentiment'.  Et  leurs  chants  d'amour,  quelles  en  sont  à 
la  fois  la  douceur  et  la  force,  l'ardeur  et  la  décence  !  Parmi  ces  milliers 
de  chants  il  en  est  relativement  peu  dont  les  paroles  puissent  offenser 
une  jeune  fille;  mais  la  plupart  la  feront  pleurer,  car  presque  tous  les 
chants  du  Petit-Russien  sont  pénétrés  de  mélancolie  :  ils  sont  d'un  peuple 
que  le  malheur  a  longtemps  frappé  et  qui  se  plaît  à  contempler  son  infor- 
tune. Cependant  la  collection  des  chants  politiques  faite  par  divers  érudits 
depuis  le  commencement  du  siècle^  renferme  aussi  plusieurs  chants  de 
colère  et  de  revendication  :  tel  celui  de  la  Justice,  dont  le  fond  est 
emprunté  aux  Psaumes''  :  «  Aujourd'hui  la  justice  est  en  prison  chez  les 
pans;  l'injustice  est  assise  à  son  aise  avec  les  pans  dans  la  salle  d'hon- 
neur. »   —  «  —  La  justice  est  foulée  aux  pieds  par  les  pans;  mais  on 

verse  à  l'injustice  l'hydromel  dans  les  coupes »  —  «   0  notre  mère, 

notre  mère  aux  ailes  d'aigle,  où  te  trouver?...  » 

Les  chants  populaires,  dont  les  auteurs  sont  inconnus,  et  que  des  kob- 
zars,  aveugles  pour  la  plupart  comme  l'étaient  les  Grecs  qui  récitaient 
les  chants  honii'riques,  enseignent  de  génération  en  génération  à  d'au- 
tres joueurs  de  bandoura,  constituent  déjà  une  littérature  des  plus  pré- 

'  lindciistedl.  Die  poclische  i'krniiic. 

■  MnxiiiiDvilcli.  Chmisons  pnpuldiics  île  t'Oukraïnc  (en  russe);  —  Antonovitrh  et  Dragoinanov, 
Cluiuts  historiques  du  peuple  pctit-russicn  (en  russe)  ;  —  Roulchouko,  Chants  populaires  des 
khoumuks  (eu  russe);  —  Koulich,  Mémoires  sur  la  Russie  du  Sud  (en  russe);  —  Alfred  lîaiiibaud, 
liussie  épique. 

'  Dragonianov,  Noies  mamiscriics. 


TCIIOUMAKS  ET  KOBZARS.  507 

cieuscs  ;  mais  ces  œuvres  de  la  muse  populaire  ne  sont  pas  le  seul  tré- 
sor de  la  Petite  Russie,  dont  la  langue  n'a  jamais  cessé  d'être  un  idiome 
littéraire.  Même  sous  le  slavon  d'église,  qui  devint  la  langue  écrite  de 
l'ancienne  Russie  lors  de  l'introduction  du  christianisme,  on  reconnaît  les 
tournures  petites-russiennes  dans  les  premiers  documents  russes,  tels  que 
la  chronique  de  Nestor  et  le  chant  d'Igor;  la  chronique  de  Volinie,  la  plus 
poétique  de  toutes  les  annales,  est  complètement  malo-russienne.  Mais  c'est 
depuis  le  seizième  siècle  surtout,  depuis  que  la  langue  «  commune  »  ou 
«  cosaque-russe  »,  débarrassée  dos  formes  ecclésiastiques  ou  «  bulgares  », 
est  devenue  libre,  qu'elle  a  pris  une  grande  importance  littéraire  pour  la 
polémique  politique  et  religieuse,  les  récits,  le  drame,  les  traductions.  A 
la  fin  du  dix-septième  siècle,  le  partage  de  l'Oukraïne,  l'émigration  d'une 
forte  proportion  des  hommes  instruits  vers  Moscou  et  Pétersbourg,  puis, 
dès  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  l'interdiction  de  la  langue  du  peuple  dans 
les  écoles,  ont  arrêté  le  mouvement  littéraire  petit-russien,  mais  il  a  re- 
pris, grâce  aux  poêles  et  aux  romanciers,  qui  parlent  maintenant  l'idiome 
pur,  sans  mélange  de  slavon  ni  de  polonais.  Un  de  ces  écrivains  était  le 
grand  poète  moderne  Chevtchenko.  longtemps  serf  et  soldat,  infortuné  dont 
les  chants  racontent  les  misères  de  son  peuple,  et  lui  parlent  de  la  «  jus- 
tice et  de  la  liberté  »  futures. 

Les  Petits-Russiens  de  Russie  ont  l'esprit  très  ouvert  et  sont  fort  dési- 
reux d'apprendre  :  la  statistique  prouve  que  les  ouvrages  de  science  popu- 
laire se  répandent  plus  rapidement  chez  eux  que  chez  les  Grands-Russiens. 
Autrefois  la  Moscovie  recevait  ses  professeurs  de  la  Petite  Russie  et  même 
de  la  Russie  Rlanche  ;  au  seizième  et  au  dix-septième  siècle,  des  académies 
existaient  à  Oslrog,  à  Kiyev,  à  Tchernigov,  tandis  que  la  Grande  Russie  ne 
possédait  aucune  école  supérieure;  en  1638  même,  au  traité  de  Gadatch, 
les  Cosaques  posaient  comme  condition  au  renouvellement  de  leur  union 
avec  la  Pologne  l'organisation  de  deux  universités  ayant  les  mêmes  privilèges 
que  celle  de  Cracovie,  le  droit  de  fonder  des  gymnases  et  la  liberté  de  la 
presse.  Et  maintenant  ces  régions  oukraïniennes,  où  l'instruction  était  en  si 
grand  honneur,  sont  précisément  celles  qui  ont  le  moins  d'écoles  '  et  d'élèves 

'  Instruction  primaire  en  1876,  d'après  Souvorin,  Almanacli  russe  (1870)  : 

Cercle  scolaire  de  Dorpat I  rlève  pour  1  i  Iiabilanls. 

»  1)          Varsovie »  ]>  37  n 

•  »          Moscou .1  11  ol  11 

f  n           Pétersbourg »  »  7'2  » 

»  »          Kliarkov »  »  83  » 

»  >          Kazan  et  Orenbourg »  •  104  « 

•  •          Kivcv.. »  0  124  • 


508  ^•OL■VELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

en  proportion  du  nombre  des  habitants.  Après  un  siècle  d'intervalle,  le 
nombre  des  écoles  primaires  se  trouve  avoir  diminué  de  plus  de  moitié 
dans  ce  qui  fut  TOukraïne  cosaque  ^  !  Ce  contraste  déplorable  entre  le 
passé  et  le  présent  doit  être  attribué  principalement  à  l'emploi  dans  les 
écoles  d'une  langue  étrangère  aux  enfants.  Le  régime  de  la  centralisa- 
tion s'exerce  même  sur  l'idiome  des  sujets  :  le  dialecte  malo-russien 
est  mal  vu  par  la  chancellerie  moscovite,  et  les  tentatives  littéraires  qui 
pourraient  le  faire  apprécier  comme  il  le  mérite  sont  réprimées  sévère- 
ment. De  par  la  censure,  toute  publication  périodique  en  langue  pctite- 
rnssienne  est  interdite;  il  a  même  été  défendu  de  traduire  des  traités 
religieux  ou  scolaires,  de  donner  une  représentation  théâtrale  ou  une 
conférence  dans  cet  idiome  :  jusqu'au  texte  des  publications  musicales 
est  expurgé  par  la  censure  de  mots  petits-russiens  ^  Il  l'aut  que  le  peuple 
en  arrive  à  mépriser  son  propre  langage  comme  un  patois  et  qu'il  mette 
son  ambition  à  ne  se  servir  que  des  mots  estampillés.  Il  est  toutefois 
douteux  qu'une  pareille  entreprise  puisse  réussir,  car  la  langue  petite- 
russienne  est  celle  de  vingt  millions  d'hommes,  dont  trois  millions  vivant 
en  dehors  des  confins  de  l'empire  russe,  en  Galicie,'en  Bukovine,  en  Hon- 
grie. L'idiome  petit-russien  possède  même  quatre  chaires  dans  l'université 
de  Lwôw;  on  y  traduit  en  malo-russe  Byron,  Shelley  et  les  œuvres  d'au- 
tres écrivains  modernes,  et  douze  publications  périodiques  —  encore 
bien  peu  pour  toute  une  nation  —  paraissent  dans  cette  langue  en  Ga- 
licie  et  en  Bukovine.  Le  lien  de  solidarité  qui  relie  les  hommes  de  même 
langue  de  l'un  à  l'autre  côté  des  frontières  peut-il  être  rompu?  Actuelle- 
ment l'idiome  petit-russien  le  plus  pur  serait  parlé,  dit-on,  dans  les  pro- 
vinces de  Poilava,  de  Yekaterinosl'av,  sur  les  bords  de  la  mer  Noire  et  dans 
les  districts  méridionaux  de  Kiyev  et  de  Tchernigov.  Dans  la  Kiyovie  du 
Nord,  et  surtout  dans  la  Podolie  et  la  Volînie,  la  langue,  d'après  Tciiouj- 
binskiy,  serait  mêlée  de  beaucoup  d'e.xpressions  polonaises,  taudis  qu'elle 
se  rapprocherait  du  blanc-russien  dans  le  nord  de  Tchernigov  et  du  grand- 
russien  dans  les  gouvernements  de  Koursk  et  de  Kharkov,  de  même  que 
chez  les  Cosaques  du  Don  ".  Toutefois  les  collections  de  chants  populaires 
faites  dans  tous  les  pays  petits-russiens,  de  la  haute  Tisza  au  Don  inférieur, 

'  Écoles  du  territoire  du  ivgimeiil  cosaquo  do  Tclieniigov  en  1 7 IS 143 

1)  méinc  territoire  en  187;> ')2 

(Reateil  du  Zemslio  de  TJiciniijov.) 

*  Dragomanov,  La  Ittléralure  oukrainienne  proscrite  par   le  (jouvcriicmcvl  russe,  Rajiporl  au 
congrès  lilléraii'c  de  Paris,  1878. 

^  A.  Tclioujbinskiy,  Voyage  dcm  la  Russie  du  Sud  (en  russe). 


PETITS-RUSSIENS.  509 

prouvent  que  sur  cet  énorme  espace  l'idiome  malo-russe  n'offre  que  bien 
peu  de  différences. 

Les  questions  agraires  ont  une  importance  capitale  dans  toute  la  Russie, 
mais  dans  les  pays  des  Cosaques  oukraïniens  elles  sont  d'autant  plus  graves 
que  la  grande  propriété  y  est  d'origine  toute  moderne.  Le  peuple  se  rappelle 
que  la  terre  lui  appartenait, et  pendant  la  période  du  servage  il  s'est  fré- 
quemment révolté.  Même  avant  l'émancipation,  au  moins  dans  l'Oukraïne 
de  la  rive  droite,  le  gouvernement  se  crut  obligé  d'établir  un  inventaire  des 
propriétés  et  garantit  aux  paysans  des  terres  auxquelles  ils  avaient  droit  ; 
puis,  après  l'abolition  du  servage,  lorsque  l'insurrection  polonaise  de  1863 
eut  produit  par  contre-coup  des  tentatives  de  révolte  chez  les  paysans 
oukraïniens  de  la  rive  droite,  le  prix  du  rachat,  devenu  obligatoire,  fut 
diminué  d'un  cinquième  cl  leur  part  du  sol  fut  augmentée;  en  effet,  cette 
part  est  dans  le  gouvernement  de  Kiyev  de  2  hectares  75  ares,  tandis 
qu'elle  est  de  2  hectares  seulement  dans  la  province  de  Poltava.  Toutefois 
un  grand  nom])re  de  paysans  oukraïniens  n'ont  rien  reçu  et  sont  obligés 
d'émigrer  ou  de  travailler  chez  autrui  comme  journaliers.  Dans  la  Aouvelle- 
Russie,  la  condition  des  paysans  est  meilleure,  parce  que  le  pays  est  encore 
moins  peuplé,  que  les  lots,  variant  de  5  hectares  70  ares  à  7  hectares 
50  ares,  y  sont  plus  grands  et  que  l'exploitation  du  sol  se  fait  en  groupes 
communaux. 

L'esprit  d'organisation  communale,  (pie  l'on  croyait  avoir  disparu  de  la 
VvùU'  Russie,  se  révèle  au  contraire  d'une  manière  remarquable  depuis 
ri'niancipalioii.  11  existe  dans  tout  le  pays  des  associations  de  pécheurs,  de 
faucheurs,  de  moissonneurs,  qui  ra])pellent  celles  des  anciens  Zaporogues, 
avec  celle  différiMicc  (pi'au  lieu  de  travailler  pour  leur  propre  compte  elles 
sont  pour  la  plupart  utilisées  par  des  entrepreneurs  :  le  principe  de  l'asso- 
ciation égalitaire  ne  s'y  montre  que  dans  l'organisation  du  travail  et  la 
distribution  du  bénéfice'.  Dans  quelques  districts,  les  paysans  louent 
des  terres  aux  seigneurs  pour  les  cultiver  en  commun  cl  en  partagent  le 
produit  :  «  la  besogne,  disent-ils,  se  fait  ainsi  j)lus  vite,  mieux  et  plus 
gaiement  »  '.  Dans  le  gouvernement  de  Tclieniigov,  où  les  associations 
sont  le  mieux  ('ludiées,  les  associés  ont  \nis  le  nom  de  seb'or  ou  s'abcr,  — 
a  camarades  »,  —  qu'on  trouve  dans  les  documents  anciens  et  qui  est  em- 
ployé aussi  par  les  associations  du  nord  et  de  l'orient  de  la  Russie.  Le 
travail  en  commun  enire  si  bien  dans  les  mœurs,  que  sur  les  plantations 


'  Clilchrrliinn,  Les  ansocialiom  ilnns  la  Iluttie  méridionale,  N'oilrb,  1S77,  187S. 

■  ilatériaux  pour  l'évaluation  des  terres  dans  le  ijouverneinent  de  Tchernigov,  I  (en  russe). 


510  NOUVELLE  GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

(lo  tabac  les  jeunes  filles  se  groupent  en  associations  pour  accomplir 
tous  les  travaux,  plantation,  sarclage,  choix  des  feuilles,  préparation  du 
tabac  pour  la  vente.  Le  propriétaire  n'a  qu'à  faire  labourer  le  sol  et  à 
construire  des  maisons  pour  les  travailleuses  et  des  hangars  pour  le  tabac. 
Les  jeunes  filles  reçoivent  la  moitié  du  produit,  qu'elles  partagent  tou- 
jours également'. 


Si  les  Pelils-Russiens  dépassent  de  beaucoup  les  limites  des  bassins  du 
Diïepr  et  du  Diiestr,'  leur  territoire  a  reçu  aussi  en  grand  nombre  des  repré- 
sentants de  nationalité  différente.  On  compte  dans  le  pays  au  moins  une 
vingtaine  de  populations  distinctes  par  les  origines,  les  mœurs,  la  langue. 
Les  Grands-Piussiens  s'avancent  çà  et  là  en  archipels  dans  l'intérieur 
de  la  Petite  Russie  et  forment  en  outre  des  colonies  dans  les  villes;  des 
Polonais  catholiques,  descendants  des  anciens  dominateurs  du  pays,  et 
des  serviteurs  qui  leur  formaient  de  petites  cours  se  sont  maintenus  en 
groupes  dans  tout  le  territoire  qui  fit  partie  du  royaume  de  Pologne  au 
dix-huitième  siècle;  au  raidi,  les  Tartares,  qui  descendent  aussi  de  con- 
quérants, ont  été  çà  et  là  épargnés  et  vivent  au  milieu  des  populations 
chrétiennes.  Enfin,  les  races  commerçantes  ou  nomades,  Juifs  et  Karaïtes, 
Arméniens,  Grecs,  Tsiganes,  sont  épars  à  la  surface  du  territoire,  les 
uns  en  multitudes,  comme  les  Israélites,  les  autres  en  rares  colonies 
ou  en  groupes  errants.  Une  seule  des  nationalités  non  slaves  peuple 
en  masses  compactes  toute  une  partie  du  territoire  :  ce  sont  les  Roumains 
de  la  frontière  sud-occiduntale,  descendant  en  partie  de  ces  Daces  repré- 
sentés sur  la  colonne  de  Trajan.  On  peut  évaluer  à  25  000  kilomètres 
carrés  leur  domaine  ethnologique,  contigu  à  la  Roumanie  indépendante. 

Les  descendants  de  colons  qui  ne  sont  pas  venus  dans  le  pays  de  leur 
libre  initiative,  mais  qui  ont  été  invités  par  le  gouvernement,  constituent 
un  élément  particulier  dans  l'ensemble  des  populations  méridionales.  Les 
régions  des  steppes  du  littoral,  tant  de  fois  dépeuplées  par  les  guerres  ou 
même  systématiquement  transformées  en  solitudes  pour  assurer  la  ])aix 
sur  les  frontières,  étaient  menacées  de  perdre  tous  leurs  habitants  cosaques 
après  la  destruction  de  l'autonomie  des  Zaporogues.  Il  importait  d'appeler 
des  colons  pour  remplacer  la  population  qui  s'enfuyait.  Encore  en  1784, 
lorsque  déjà  la  période  de  repeuplement  avait  commencé  depuis  plusieurs 
années,    un   recensement  fait   dans    la   région  la  plus  vivante  du  terri- 

'  ilatcriaux  rdatiji  aux  ossociatioiis  en  Rtissie,  II  (en  russe). 


COLONS  DE  LA  NOUVELLE-RUSSIE. 


hH 


toire,  c'est-à-dire  sur  l'espace  de  1000  kilomètres  qui  s'étend  le  lonfr 
des  deux  rives  du  Dnepr,  de  Kiyev  à  Klierton,  ne  trouvait  qu'un  total 
de  45  500  personnes'.  C'est  depuis  cette  époque  seulement,  c'est-à-dire 
depuis  moins  d'un  siècle,  que  la  population  de  la  Russie  méridionale  est 
devenue  stable  et  que  l'historien  peut  en  raconter  la  vie  sans  la  suivre 
de  steppe  en  steppe. 


ROCMAIX    DE    PODOUIE 

Dcs>in  (le  Honjat .  irniirè^  une  pliolograpliio. 

Tandis  que  la  population  russe  de  la  contrée  y  fut  installée  comme  serve 
de  la  couronne  et  des  nobles,  les  étrangers  y  vinrent  en  hommes  privilégiés. 
Les  Allemands  furent,  j)ai-mi  les  étrangers,  ceux  qui  réi)ondir(Mil  en  pbis 
grand  nombre  à  l'appel  des  entrepreneurs  de  colonisation  dans  ce  vaste 
lerritoire,  connu  sous  le  nom  de  «  Nouvelle-Russie  ».  En  1789,  ils  for- 


Rousov,  Quelijuct  données  sur  le  Dnepr  (en  rus.sc). 


61-2. 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   l.MVERSELLE. 


daieht  plusieurs  villages  dans  le  gouvernement  de  YeJvateriùoslav,  à  l'ouest 
des  cataractes  du  Di'iepr  et  dans  les  steppes  qui  s'étendent  entre  la  grande 
courbe  du  fleuve  et  la  mer  d'Azov.  La  plupart  de  ces  immigrants  venaient 
du  sud-ouest  et  de  l'ouest  de  l'Allemagne,  de  la  Souabe,  du  Palatinat,  de 
la  liesse  ;  quelques  Alsaciens  se  sont  également  mêlés  aux  groupes  de 
colons.  Des  émigrants  sortis  du  Mecklenburg  et  de  la  Prusse  Orientale 


N"*    1!0.    I>r.OPORTin\   DE^    C*TI?OM0rE^    DA\^    1. \    VOMME,    LA    TODOI  lE    ET    L\    KIYOVIE. 


C-deP 


lors  des  années  de  disette  ont  aussi  fondé  diverses  colonies  dans  la  Nou- 
velle-Piussie,  ainsi  que  des  Allemands  de  la  Pologne  et  du  pays  des  Magyars. 
Les  noms  de  plusieurs  colonies  rappellent  la  ]n'ovince  d'origine  des  habi- 
tants,et  quand  on  traverse  la  contrée,  on  est  étonné  de  rencontrer  les  villages 
de  Mimchcn,  de  Stuttgart,  de  Darmstadt,  de  Ileidelberg,  de  Carisrulie,  de 
Maiiulieim.  de  Worms,  de  Strasbourg.  Kn  I.STt),  le  nombre  des  colonies 
allemandes  groupées  ou  éj)arses  dans  les  (juatre  gouvernements  de  Yeka- 


COLONS  DE  LA  NOUVELLE-RUSSIE.  5)3 

rinoslav,  de  Kherson,  de  Taiiride  et  de  Bessarabie  s'élevait  à  570,  et  les 
habitants  y  étaient  plus  de  200  000,  soit  un  peu  moins  de  la  vingtième 
partie  de  la  population'.  En  général,  les  colonies  allemandes  sont  pros- 
pères, grâce  aux  privilèges  dont  les  étrangers  ont  joui  pendant  plusieurs 
générations,  grâce  aussi  aux  bonnes  pratiques  agricoles  et  à  la  persévé- 
rance des  pavsans  germaniques.  Les  champs  des  mennonites  de  la  Mo- 
iûtchna,  rivière  qui  coule  vers  la  mer  d'Azov,  sont  même  célèbres  en 
Russie  et  dans  toute  l'Europe  par  le  soin  extrême  avec  lequel  ils  sont 
labourés,  arrosés,  nettoyés  des  mauvaises  herbes,  par  la  beauté  des  arbres 
fruitiers  qui  les  ombragent,  par  le  confort  des  habitations  qui  s'y  trou- 
vent. 11  est  vrai  que  diverses  sectes  russes,  telles  que  les  molokanes,  pos- 
sédaient (;à  et  là  des  colonies  aussi  bien  tenues  que  celles  des  mennonites  ; 
mais  leur  titre  d'hérétiques  russes  les  exposa  souvent  à  la  persécution, 
tandis  que  les  mennonites,  moiokant>s  allemands,  venus  de  la  Vistule  ger- 
manique, ont  été  protégés  jusqu'à  ces  derniers  temps  :  on  leur  donna  en 
terres  indivises  un  espace  ne  représentant  pas  moins  de  71  hectares  de 
terres  par  famille,  et  plus  tard  on  y  ajouta  même  celles  qu'avaient  cul- 
tivées les  sectaires  donkhobortzî  et  molokanes,  qui  furent  transportés  au 
Caucase  \  Toutefois  les  Allemands  se  sont  bientôt  divisés  en  deux  classes, 
dont  l'une  est  plus  riche  que  les  premiers  colons,  tandis  que  l'autre  a 
perdu  la  terre;  elle  ne  se  compose  plus  que  de  journaliers.  Ce  sont 
presque  exclusivement  ces  prolétaires  mennonites  qui  se  sont  récemment 
expatriés  par  milliers  au  Brésil,  aux  États-Unis,  pour  éviter  la  vie  mi- 
litaire, quoiqu'ils  eussent  été  autorisés  à  faire  leur  temps  de  service  dans 
les  chantiers  ou  les  ateliers  de  construction,  dans  le  train  ou  les  brigades 
forestières;  mais  les  émigranls  mennonites  n'ont  point  réussi, et  la  plu- 
part d'entre  eux  sont  revenus  dans  la  Russie  méridionale.  Quant  aux  autres 
Allemands  de  la  Nouvelle-Russie,  un  grand  nombre  émigrèrent  aussi,  si 
bien  qu'en  1874,  au  plus  fort  de  l'exode,  les  terres  mises  en  vente  ne  trou- 
vaient plus  d'acheteurs \  Désormais,  les  Souabes  de  la  Nouvelle-Russie 
sont  assimilés  aux  autres  sujets  russes.  En  vertu  du  princijie  do  la  cen- 
tralisation, ils  sont  tenus  d'avoir  le  russe  pour  idiome  officiel;  d'ailleurs, 
tm  certain  nombre  de  mots  et  de  phrases  slaves  avaient  déjà  ])éné(ré  dans 
leur  langage  usuel.  L'alli^mand  dntit  se  servcnl  les  colons  est  j)his  lilli-raire 
que  celui  de  leurs  ancêtres  souabes,  grâce  à  l'influence  des  écoles  et  des 
petites  bibliothèques  de  campagne.  Mais  dans  ces  écoles  règne  un  esprit 

'  l'f'er  l)i(;lil,  Geogr.  iind  Slatisl.  Vctein  zii  FronkfurI,  1875. 

"  bk;ilkov!ikiv,  Descriplion  tlatisUque  de  la  IS'ourclle-Riissic  (en  nisse),  loijic  l 

'  l'etciiiiann's  ililllicilungcn,  1878,  n'  11. 


514  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   l'MVERSELLE. 

essentiellement  conservateur;  elles  sont  ce  qu'elles  étaient  au  dix-huitième 
siècle,  et  les  nouvelles  méthodes  s'y  introduisent  beaucoup  plus  difficile- 
ment que  dans  les  écoles  russes  '.  Aucun  mennonite  n'entre  à  l'université, 
ni  même  au  gymnase. 

On  sait  que,  vers  1864,  la  secte  des  stundistes,  ainsi  nommée  des 
«  heures  v  [Stunde)  que  des  protestants  allemands  et  mennonites  de  la 
>'ouvelle-I\ussie  consacraient  au  recueillement,  naquit  près  de  ces  colo- 
nies germaniques,  parmi  les  Petits-Russiens  des  environs  d'Odessa.  Cette 
secte  s'est  rapidement  propagée,  mais  avec  un  caractère  beaucoup  plus 
radical,  et  se  distingue  surtout  par  son  aversion  des  prêtres  et  sa  haine  des 
sacrements.  Ce  n'est  plus  simplement  une  secte  religieuse,  c'est  une  «  fra- 
ternité »  [bratstvo),  dont  les  membres  se  traitent  en  frères  dans  la  vie  de 
tous  les  jours.  La  secte  nouvelle,  qui  reparaît,  par  une  sorte  d'atavisme, 
dans  les  contrées  de  la  Russie  occidentale  où  se  développait  autrefois  le 
mouvement  protestant,  et  oîi  s'étaient  formées  des  confréries  essayant  de 
subordonner  l'Eglise  aux  la'ùjues,  a  fiùt  des  progrès  si  rapides,  que  des 
villages  entiers  font  partie  du  bratstvo  :  on  rencontre  les  nouveaux  frères 
d'Odessa  jusqu'à  Gomcl,  dans  la  Russie  Blanche". 

Des  colonies  allemandes  d'une  autre  origine  que  celles  de  la  Nouvelle- 
Russie  se  sont  récemment  établies  en  Yol'înie,  surtout  aux  environs  de 
•Eoutzk  et  de  Novgrad-Vol'însk.  Les  nouveaux  venus,  fort  pauvres  pour  la  plu- 
part et  chassés  presque  tous  par  la  faim  de  la  Poméranie  et  de  la  Prusse 
orientale,  viennent  louer  des  terres  incultes  ou  défricher  des  forêts  chez  les 
grands  seigneurs  de  la  contrée  et,  comme  leurs  voisins  les  Russes,  ils 
sont  obligés  d'emprunter  aux  Juifs.  Plus  heureux  dans  leurs  entreprises, 
mais  non  plus  aimés  par  la  population  locale,  sont  les  paysans  tchèques, 
venus  presque  tous  depuis  1SG8;  munis  de  petits  capitaux,  ils  ont  su  les 
associer  pour  acheter  en  bloc  de  grandes  propriétés,  divisées  plus  tard  en 
centaines  de  lots.  Grâce  à  la  propagande  panslaviste,  ils  ont  été  bien  ac- 
cueillis par  le  gouvernement,  et  nul  des  avantages  qui  leur  ont  été  faits, 
comme  aux  autres  colons,  n'a  été  perdu  par  eux;  en  outre,  ils  se  sont  dé- 
clarés hussiles  et  ont  appelé  des  prêtres  mariés,  afin  d'éviter  ainsi  la  domi- 
nation du  clergé  catholique  polonais,  aussi  bien  que  celle  des  prêtres  russes 
orthodoxes.  Au  nombre  d'environ  sept  mille,  ils  se  sont  établis  pour  la 
plupart  sur  la  ligne  de  Brest  à  .Loiil/k  :  on  en  voit  aussi  quehpies  groupes 
aux  environs  de  Berdilchev. 

'  Kolf,  Rapport  mr  les  écoles  ttans  le  distiicl  (l'Ale.ranihvvsk. 

-  La  ChliiHiula  pelile-ntssieiine,  Nedcla,  1MT7.  —  Le  niliuiiulisme  dans  le  sud  de  la  iiiasie, 
Olclcticslv.  ZapitUi,  1877. 


COLONS   ALLEMANDS,   TCHEQUES  ET   BULGARES. 


515 


Après  les  Allemands,  les  Bulgares  sont  de  tous  les  colons  de  la  Nouvelle- 
Russie  ceux  qui  forment  les  groupes  les  plus  considérables.  Ces  colonies 
se  fondèrent  à  diverses  époques.  Lors  de  chaque  guerre  avec  la  Turquie, 
les  armées  russes  ramenèrent  avec  elles  des  fugitifs  bulgares,  auxquels 
on  donna  des  terres  incultes  dans"  la  région  des  steppes  ou  celles  d'où  les 
Musulmans  avaient  été  expulsés.  Après  la  guerre  de  Crimée,  des  milliers 
de  Bulgares  immigrés  reçurent  en  propriétés  les  campagnes  laissées  va- 


ut.   —    PO-lLiTIONS  DIVERSES   DE   LA   KUSSIE   DC    StD-OlE*T. 


~,  C'^^'us:i'ef^â*an. 


canles  par  les  Tartares  Nogaï.  Leurs  villages  sont  d'une  proprelé  l'cmai- 
quable,  leurs  vergers  et  leurs  cham|)s,  tenus  en  propriété  commune,  té- 
moignent d'une  bonne  pratique  agricole  ;  mais  la  nostalgie  fit  de  nom- 
breuses victimes  parmi  ces  Bulgares.  Les  nouveaux  colons  regrettaient  leur 
patrie  des  Balkans,  plus  fertile  el  plus  belle,  et  depuis  que  la  Bulgarie  s'est 
constituée  en  principauté  indépendante,  beaucoup  de  jeunes  gens  instruits 
des  commun;nit(''s  bulgares  de  la  Nouvollc-Russie  ont  pris  le  chemin  de  In 
péninsule   Illyrique.  Une  grande  partie  du  territoire  récemment  cédé  à  la 


oin  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

Russie  par  la  Uoumanie  est  aussi  peuplée  d'agriculteurs  bulgares.  Sous  le 
régime  turc,  ce  pays  avait  eu,  comme  la  Crimée  et  les  steppes  du  bas  Di'iepr, 
une  population  de  Tartares  Nogaï;  mais,  avant  même  que  le  gouvernement 
russe  fût  devenu  maître  de  la  rive  gauche  du  Danube,  ces  Tartares  avaient 
émigré  vers  la  mer  d'Azov.  On  les  remplaça  par  des  Bulgares.  L'immi- 
gration principale  eut  lieu  lors  de  la  paix  d'Andrinople,  en  1829.  Les 
nouveaux  venus,  établis  principalement  dans  le  Boudjak  ou  «  Coin  »  méri- 
dional de  la  Bessarabie,  entre  le  Danube,  le  Prout  et  un  prétendu  «  val  «  ou 
mur  de  Trajan,  donnèrent  bientôt  au  pays  un  aspect  de  prospérité  qu'il 
n'avait  jamais  eu.  Leurs  cultures  sont  mieux  soignées  que  celles  des  voisins 
moldaves,  leurs  chemins  mieux  entretenus;  leurs  villages,  qui  ont  presque 
tous  gardé  des  noms  tartares,  contrastent  avec  les  bourgades  des  autres 
races  par  la  régularité  du  plan,  la  propreté,  l'apparence  de  confort,  les 
beaux  vignobles  qui  les  entourent.  Toutefois  ces  Bulgares,  qui  justifient 
si  brillamment  la  réputation  de  leur  race  pour  l'activité,  la  sobriété, 
l'économie,  sont  plus  ou  moins  mélangés  de  Moldaves,  de  Russes,  de 
Grecs,  de  Tsiganes,  avec  lesquels  ils  s'entretiennent  dans  tous  les  jargons 
de  l'Orient. 

Outre  les  colonies  importantes  d'Allemands  et  de  Bulgares,  il  en  est 
plusieurs,  beaucoup  moins  nombreuses,  appartenant  à  d'autres  nationa- 
lités. Ainsi  l'on  voit  encore,  près  de  Berisl'avl,  la  plus  ancienne  colonie 
fondée  par  Catherine  II,  en  1782  :  elle  est  composée  de  Suédois  qui,  de 
gré  ou  de  force,  durent  quitter  l'île  Dagô,  en  cédant  les  terres  qui  fai- 
saient l'objet  de  leur  litige  avec  des  seigneurs  allemands;  mais  le  nom- 
bre des  colons,  qui  avait  dépassé  un  millier,  n'était  plus  en  1865  que 
de  522,  tous  pêcheurs;  ils  parlaient  encore  le  suédois,  et  jusqu'alors 
ils  avaient  en  partie  résisté  aux  efforts  de  leurs  voisins  les  Allemands, 
qui  cherchent  à  les  «  germaniser  »  :  il  est  plutôt  à  croire  que  l'usage 
presque  indispensable  de  la  langue  russe  finira  par  les  «  russifier'  ».  Quant 
aux  colonies  serbes,  que  le  'gouvernement  russe  avait  distribuées  sur  tout 
le  pourtour  septentrional  du  territoire  des  Znporogues,  afin  de  le  détacher 
ainsi  du  centre  de  la  Petite  Russie,  elles  se  sont  presque  entièrement  fon- 
dues, quoique  sous  Catherine  II  elles  fussent  assez  nombreuses  autour  des 
villes  de  Novo-Mirgorod,  de  Bakhmout,  de  Slavanoserbsk,  jiour  fournir 
quelques  régiments  de  soldats  et  pour  faire  donner  à  une  partie  de  la  Russie 
méridionale  le  nom  de  «  Nouvelle-Serbie  ».  Les  Grecs  et  les  Albanais  ou 
Ainautes  répartis  dans  les  diverses  colonies  agricoles  ou  militaires  ont 

'  Tclioiijbiiiskiy,  Visile  à  Iti  Russie  du  Sud  {un  russe). 


COLONS  DE   LA  NOUVELLE-RUSSIE. 


517 


trouvé  pour  la  plupart  le  chemin  des  villes  où  ils  s'adonnent  au  commerce. 
De  toutes  les  colonies  fondées  depuis  un  siècle,  les  moins  prospères  ont  été 
celles  où  l'on  avait  établi  de  malheureux  Juifs,  que  l'on  voulait  assouplir, 
au  travail  des  champs.  Ces  mêmes  hommes  qui  se  seraient  enrichis  dans 
les  villes  comme  manieurs  d'argent,  sont  tombés  dans  une  misère  profonde 


jnrs    DC    LA    VOUXIE,    DE   LA   PODOLIE    T.T   DE    LA   KITOSTE. 


D'après  Tchoubinskiy. 

Villes  ayant  de  5}00  à  lOOOO  liab.  juifs. 


De  iOOOO  i  lôMO  liab.  juih. 


Moins  (le  10  p.  100.  De  10  i  Î5  p.  100.  î 


comme  laboureurs  :  maigres,  couverts  de  vêlements  en  lambeaux,  habi- 
tant des  cabanes  délabrées,  ils  ne  savent  pas  même  cultiver  leurs  champs 
cl  en  louent  la  moitié  à  des  colons  d'autre  race.  Toutefois  pai-nii  les 
«  colons  »  juifs  il  en  est  de  1res  prospères,  mais  ce  n'est  pas  l'Israélite 
qui  laboure  ses  champs.  «  Pourquoi  liendrais-je  la  charrue?  Il  v  a  des 
moujik  pour  cela.  )ii  les  payi-rai,  et  ils  feront  le  nécessaire,  »  disait  un 
colon  juif  à  Tchoubinskiy. 


518  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

C'est  en  Oiikraïne  que  le  monde  juif,  qui  comprend  la  Roumanie,  la 
Hongrie,  la  Galicie,  la  Pologne,  la  Lithuanie,  vient  se  terminer  à  l'est  : 
à  l'orient  des  provinces  de  Pol'tava  et  de  Tchernigov  commence  le  territoire 
qui,  sans  être  absolument  interdit  aux  Juifs,  n'est  libre  d'accès  qu'aux 
élèves  et  aux  gradués  des  bautes  écoles,  aux  marcbands  des  gildes  et  aux 
artisans  des  corporations,  munis  d'attestations  régulières.  Presque  toute  la 
population  juive  se  presse  donc  dans  les  provinces  occidentales  de  la  Russie 
et  en  Pologne,  au  nombre  d'au  moins  5  500  000  individus,et  leur  accroisse- 
ment normal,  par  l'excédent  des  naissances  sur  les  morts,  est  plus  consi- 
dérable que  elicz  les  cbrétiens.  Leurs  progrès  ont  été  vraiment  prodigieux 
dans  les  provinces  du  Dnepr  :  à  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  quelques 
familles  juives  seulement  vivaient  dans  le  gouvernement  de  Kherson  ; 
en  1870,  la  population  Israélite  s'y  était  élevée  à  151  900  personnes. 
Tous  ces  Juifs  descendent  des  Juifs  polonais,  qui  sont  eux-mêmes  de  pro- 
venance allemande.  Avant  l'interdiction  prononcée  par  l'empereur  Nicolas, 
presque  tous  portaient  l'ancien  costume  polonais,  le  long  surtout,  et  le 
bonnet  en  peau  de  renard;  tous  parlent  un  allemand  corrompu  mêlé  de 
mots  bébreux  et  de  termes  d'argot,  très  appauvri  dans  sa  grammaire  et 
fortement  slavisé  par  l'introduction  de  tous  les  noms  russes  des  arbres  et 
d'un  grand  nombre  de  verbes  :  cette  langue  est  Vidkh  (jûdisch  en  alle- 
mand) ou  Vkritcyl:  ;  mais,  en  outre,  la  langue  rabbinique,  mélange 
d'bébreu  et  de  chaldéen,  est  employée  pour  les  documents  importants,  dans 
la  correspondance  officielle  et  même  dans  un  grand  nombre  de  lettres 
privées,  surtout  en  Lithuanie  et  en  Bel'o-Russie.  Organisés  en  confréries  et 
constitués  naguère  en  halial  ou  communes,  qui  avaient  à  la  fois  un  carac- 
tère religieux  et  civil,  les  Juifs  de  la  Russie  occidentale  ont  pu,  en  majorité, 
se  livrer  à  ces  professions  d'intermédiaires  auxquelles  convient  si  bien  leur 
génie  ;  la  plupart  sont  marchands  ou  boutiquiers,  entrepreneurs,  commis- 
sionnaires; plus  du  septième  d'entre  eux  sont  cabaretiers,  ramassant,  kopek 
à  kopek,  le  petit  avoir  du  paysan;  mais  il  en  est  aussi  qui  tombent  dans  la 
misère  :  dans  l'Oukraïne  occidentale,  on  comj»teplns  de  20  000  mendiants 
Israélites.  Le  revenu  moyen  de  chaque  famille  Israélite  de  l'Oukraïne  est 
évalué  par  Tchoubinskiy  à  290  roubles  seulement.  On  sait  qu'en  1882  une 
explosion  de  haine  populaire  eut  lieu  contre  les  Juifs  :  on  en  tua  des  cen- 
taines ;  il  en  est  même  qui  jtérirent  dans  les  tortures;  plus  de  cent  raille 
Israélites  eurent  à  se  réfugier  en  Autriche  et  en  Allemagne,  et  des  bandes 
de  fugitifs  allèrent  chercher  un  asile  jusqu'en  Amérique.  Maintenant  la 
plupart  des  exilés  volontaires  sont  revenus,  mais  ils  ont  à  se  conformer  aux 
règlements  de  police  les  plus  sévères,  et  niainle  ville  leur  est  fermée. 


JL'IFS   DK   LA   PETITE  RUSSIE,   DERDITCIIEV. 


jl9 


Le  totorev,  le  premier  affluent  du  Diiestr  qui  entre  dans  ce  fleuve  en 
aval  de  la  Pripet,  recueille  ses  premières  caus  sur  un  plateau  où  se  trouve 
la  ville  de  Berditchev,  souvent  désignée  sous  le  nom  de  «  Jérusalem  russe  »• 


Tinr.DlTCllEV    F.T 


E.ceP.        acio- 


.Ô^Jitomip 


E.deG        es'so- 


dspré's  la  Carte  de  l'Etar  -  Majcr 


C'csl  en  effet  le  (juarlier  uénérai  de  tous  les  Juifs  de  la  Volinie,  de  la 
Kiyovic,  de  la  l'odolie.  Lors  du  rccensemcnl  de  1805,  on  y  compta 
i7  200  Israélites  sur  un  peu  plus  de  51  000  habitants;  mais  l'opinion 
générale  est  qu'une  très  forte  proportion  des  Juifs  de  Berditchev,  souvent 
en  voyage  comme  marchands  itinérants,  échappent  à  toute  énumération 


5-20 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


officielle  :  il  est  probable  que  100  000  Juifs  sont  parfois  réunis  à  Ber- 
(litchev.  L'attraction  que  cette  ville,  sans  autres  avantages  naturels  que  sa 
position  centrale  entre  des  rivières  divergentes,  exerce  sur  les  Israélites, 
provient  de  ce  que  le  roi  de  Pologne  Stanislas-Auguste  y  institua  dix  foires, 
à  la  requête  du  grand  propriétaire  dont  Berditchev  était  le  domaine.  Les 
liabitants  s'adonnent  à  diverses  industries,  fabrication  des  tabacs,  des 
bijoux,  des  eaux  de  senteur,  mais  toutes  ces  industries  se  font  en  vue  du 
commerce  de  détail,  qui  emploie  des  milliers  de  colporteurs  dans  les  pro- 


K°    m.    —    I.IVIXr    PE    l.\    REGION 


ET    ItE    CELLE    DES    PLATEAUX   NLS 


aaprCàl5C--"e 


vinces  environnantes  et  par  delà  la  frontière,  en  Roumanie  et  en  Austro- 
Hongrie.  On  évalue  à  200  millions  de  francs  la  valeur  des  marchandises 
vendues  chaque  année  par  les  marchands  de  Berditchev;  elles  sont  en 
grande  partie  entreposées  dans  les  grottes  ((ui  sont  jiercées  dans  tous  les 
sens  au-dessous  de  la  ville,  et  qui  sont  probablement  d'origine  préhisto- 
rique; la  longueur  totale  en  est   évaluée  à  450  kilomètres '. 

Au  sortir  du  gouverneuKînt  de  Kiyev,  la  rivière  de  Berditchev  s'unit  au 
Telerev,  qui  bientôt  après  passe  à  Jilomir,  la  capitale  du  gouvernement  de 


1  Kopiii'iski;  —  A.  Kiihn  iinJ  Mflilis,  Malerialicn  tur  Vurgcscliichlc  des  Mensclieii  im  iistl.  Europe. 


! 


TÏPE»       KT        CUSTUMK5       VU      COD  V  F.  Il  >  E  11  K\  T       ll'l)I\llL 

le^siii  <lc  DclonI,  <l'.1prè^unc  |iliolograpliii;  6c  M.  IS.ioull. 


JITOMIR,   BRANSK. 


Volînic.  Celte  ville  est  située  sur  la  limite  do  la  région  des  forêts  et  de  celle 
des  espaces  déboisés,  limite  qui  se  continue  au  loin  jusqu'en  Galicie  et 
qui  est  en  mèrae  temps  une  frontière  ethnographique  entre  les  PoJkhkhouM 
ou  «  Gens  des  Bois  »  et  les  Stcpovikt  ou  «  Gens  des  Steppes  »,  ainsi  que 
se  nomment  réciproquement  les  Petits-Russiens  habitant  de  chaque  côté 
de  la  ligne  de  séparation.  D'après  Jitetzkiy',  les  «  Gens  des  Bois  »  sont 
ceux  qui  ont  conservé  les  formes  les  plus  archaïques  dans  leur  dialecte  et 


EriAVSK. 


d  après  la  Corte  de  1  E-tat-Ma^:- 


dans  leurs  mœurs.  Jitomir  fait  un  grand  commerce,  surtout  pour  les 
céréales;  mais  c'est  aux  Juifs,  qui  forment  plus  du  tiers  de  la  popula- 
tion, que  reviennent  presque  tous  les  bénéfices  de  ce  trafic.  Beaucoup  de 
livres  hébreux  imprimés  en  Uussie  proviennent  de  Jitomir.  La  ville  de 
Radomîsî,  située  également  sur  le  Teterev,  en  aval  de  Jitomir,  est  dans  le 
gouvernement  de  Kiyev. 

Les  villes  importantes  sont  nombreuses  dans  le  bassin  de  la  Desna. 
l'ni'  ville   dn  gouvernement   d'Orol,    Bransk,    l'ancienne  DeliiMiisk,   ainsi 


'   llistoiie  phonHiqne  ric  ta  langue  petitc-russicnnc  (en  russe). 


521  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

nommée  des  épaisses  forêts  qu'elle  a  perdues,  est  située  à  la  jonction  des 
deux  branches  supérieures  de  ce  cours  d'eau,  à  la  base  de  hautes  fa- 
laises que  contourne  la  rivière  ;  c'est  une  ville  de  grand  commerce  où 
le  chemin  de  fer  de  Smolensk  à  Orol'  traverse  la  rivière  déjà  navi- 
gable ;  le  gouvernement  avait  même  établi  un  chantier  de  construction  à 
Bransk;  il  y  possède  maintenant  un  arsenal  et  une  fonderie  de  canons. 
Les  marchands  de  Bransk  achètent  beaucoup  de  denrées  dans  la  province 
et  du  bétail  dans  les  districts  du  midi  pour  les  expédier  vers  Moscou,  Saint- 
Pétersbourg  ou  les  ports  méridionaux  de  la  Baltique.  Troubtchovsk,  située 
plus  bas  sur  la  Desna,  a  la  même  industrie  que  Bransk  et  vend  les  blés  que 
lui  envoient,  par  la  Nerousa  et  le  Sev,  les  districts  de  Dmitrovsk  et  de 
Sevsk.  Cette  dernière  ville  est  fameuse  dans  l'histoire  de  la  Bussie  par 
ses  traditions  de  révolte  et  d'indépendance  :  c'est  là  que  s'établit  et  se 
fortifia  en  1604  le  faux  Draitri,  au  milieu  de  bannis  et  de  Cosaques,  pour 
marcher  ensuite  à  la  conquête  de  Moscou.  A  l'ouest  de  Troubtchovsk,  l'an- 
tique Starodoub  ou  «  Vieux  Chêne  »,  qui  se  trouve  déjà  en  pays  petit- 
russien,  rappelle  aussi  de  nombreux  faits  de  guerre  entre  Busses,  Polonais, 
Cosaques  et  Tartares  :  dans  son  district  se  trouvent  quelques-unes  des  colo- 
nies principales  d'une  secte  des  raskolnik.  Des  restes  des  fortifications  y 
ont  été  conservées,  de  même  qu'à  Pogar,  située  sur  le  même  affluent  occi- 
dental de  la  Desna.  Plus  au  sud,  au  bord  même  de  cette  rivière,  est  bâtie 
Novgorod-Severskiy,  ancienne  principauté  des  Sever-anes,  dont  le  souvenir 
s'est  maintenu  dans  le  surnom  de  la  ville.  En  aval,  Korop  et  Sosnitza, 
autres  villes  des  Severanes,  se  succèdent  dans  la  vallée  de  la  Desna,  dont 
la  rivière  Seim  vient  presque  doubler  le  volume. 

Une  moitié  du  gouvernement  de  Koursk  appartient  au  bassin  de  la 
Desna,  et  le  chef-lieu  est  situé  près  de  l'endroit  où  la  rivière  devient 
flottable,  à  la  jonction  de  deux  de  ses  affluents.  C'est  une  ville  grande- 
russienne,  à  laquelle  ses  trois  chemins  de  fer,  se  dirigeant  sur  Kiycv,  Mos- 
cou, Khai'kov,  donnent  une  certaine  importance  commerciale.  La  foire  de 
IvMUsk  {koretinaija)  était  jadis  la  plus  fréquentée  du  midi, et  les  échanges 
s'y  élèvent  encore  à  4  millions  de  louliles;  mais  le  centre  dos  transactions 
entre  la  région  industrielle  de  la  Moscovie  et  les  teires  agricoles  du  sud 
s'est  déplacé  vers  le  sud,  à  Khai'kov.  Les  villes  voisines,  Chtchigrî,  Tim, 
Fatej,  sont  de  simples  marchés  agricoles,  de  même  que  plus  bas,  sur  le 
Seim,  Lgov,  Uilsk,  Poutivl.  C'est  à  Bîlsk  que  s'entreposent  surtout  les  faux 
de  Slyrie,  expédiées  ensuite  dans  toute  la  Bussie  d'Europe  et  d'Asie.  Près 
de  là,  dans  le  gouverncnient  de  Tchernigov,  et  déjà  en  Malo-Bussie,  sont 
les  villes  importantes  tie  Gloukliov,  grand  marché  de  céréales,  de  Krolevelz, 


BRANSK,  STARODOLB,   TCUERNIGOV,  NEJIN.  525 

(le  Konotop,  qui  fut  une  forteresse  au  dix-septième  et  au  dix-huitième 
siècle,  de  Borzna,  de  Berezna.  Située  près  d'un  croisement  de  chemins  de 
fer,  Konotop  accroît  rapidement  son  commerce.  Jadis  la  ville  importante  de 
la  contrée  était  Batourin,  ainsi  nommée  de  son  fondateur  Etienne  Bathory, 
(jui  en  avait  fait  la  résidence  des  hctmans  cosaques  ;  Menchikov  détruisit  cette 
ville  en  1708,  mais  les  belles  ruines  du  château,  reconstruit,  puis  démoli  de 
nouveau,  s'élèvent  encore  au-dessus  des  maisons  modernes  sur  la  rive  méri- 
dionale de  la  Seim.  Chostna,  dans  le  district  de  Gl'oukhov,  est  une  poudrerie 
de  l'État,  où  se  prépare  le  salpêtre  pour  toutes  les  autres  usines  de  la  Russie. 

L'histoire  de  Tchernigov,  capitale  du  gouvernement,  se  confond  avec 
celle  de  la  contrée.  La  ville  appartient  aux  Sevei'anes  et  l'on  y  voit  encore 
une  église  cathédrale  dont  quelques  parties  sont  du  onzième  siècle.  Dis- 
putée longtemps  entre  les  Lithuaniens,  les  Polonais,  les  Moscovites,  elle  se 
rattacha  définitivement  à  ceux-ci  en  1654  avec  toute  l'Oukraïne  cosaque; 
maintenant  elle  prend  sa  part  du  grand  commerce  de  céréales,  de  chanvre 
et  d'autres  denrées  agricoles  qui  enrichit  le  pays  de  la  Desna.  Quoique  pri- 
vilégiée en  qualité  de  centre  administratif,  Tchernigov  n'est  pas  aussi  peu- 
plée que  Xejin,  autre  ville  du  gouvernement  située  sur  les  deux  rives  de 
rOster,  petit  affluent  canalisé  de  la  Desna,  et  sur  le  chemin  de  fer  de  Kiyev 
à  Moscou.  À'ejin  reçut  au  dix-septième  siècle  une  colonie  de  Grecs  qui 
jouirent  longtemps  de  privilèges  spéciaux;  toutefois  elle  devait  être  consi- 
dérée surtout  comme  une  caste,  car  d'autres  étrangers,  surtout  des  Bul- 
gares, ne  sachant  point  même  parler  grec,  étaient  entrés  dans  ce  grou[)e 
pour  élever  leur  position  sociale.  Les  Grecs  de  Ncjin  faisaient  autrefois  le 
commerce  de  la  soie  avec  la  Turquie,  l'Italie  et  l'Autriche  ;  mais  les  cou- 
rants se  sont  déplacés,  et  la  colonie  grecque  est  maintenant  déchue. 
Dejiuis  IS'iO,  Xejin  possède  l'une  des  hautes  écoles  de  la  Russie,  fondi'c 
aux  frais  d'un  particulier  et  transformée  depuis  1S75  en  institut  pliilo- 
logi({ue;  dès  lors  le  nombre  des  étudiants  a  diminué  '.  L'industrie  de  la  con- 
trée n'a  d'autre  importance  que  pour  la  préparation  du  tabac,  la  granch- 
culture  locali'-.  La  ville  de  Kozelelz.  situéeà  l'ouest  de  Xejin,  sur  l'Oster,  est 
habitée  en  j)artie  par  des  artisans  qui  vont  exercer  leurs  métiers  au  dehors. 

Kiyev,  la  «  ville  sainte  »,  la  Kioaba  ou  Sambatas  de  Constantin  Por- 
phyrogiMiète,  la  Kouyaba  des  Arabes,  le  Man-Kerman  des  Tartares,  est  une 
des  cités  d'Lurope  (pie  leur  position  désignait  d'avance  comme  un  des 
centres  de  gravité  de  l'histoire.  Elle  est  située  à  peu  près  au  milieu  du 

'   ÊliiHianIs  de  l;i  liante  ccolf  en  1871  :  180;  ctuHianIs  de  l'instllnl  on  1877  :  ">1. 
«  l'rndnclion  du  Uiliac  dans  le  gouvfrncmcnl  de  Tchernigov  en  1879  :  15  755000  Uilograninies. 
le  licrs  de  la  |)roduclion  lolalc  de  la  Russie. 


52G  NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UxNlVERSELLE. 

bassin  du  fleuve  Dnopr,  à  égale  distance  de  la  région  dos  sources  et  du 
littoral  marin,  à  l'endroit  précis  où  toutes  les  ramures  supérieures  ont 
rejoint  le  tronc  fluvial,  lui  apportant  leurs  eaux  et  leur  commerce.  Les 
zones  géographiques  des  forêts,  des  terres  noires,  des  steppes,  fort  rappro- 
chées en  cet  endroit,  sont  unies  par  le  cours  du  Dnepr,  que  Kijev  com- 
mande de  sa  colline.  Un  pareil  emplacement  dut  être  apprécié  dès  que  les 
migrations  pacifiques  du  commerce  se  furent  portées  de  Byzance  et  des 
bords  de  l'Euxin  vers  la  Russie  centrale,  et  certainement  la  ville  exista 
'longtemps  avant  que  son  nom  n'eût  été  mentionné  dans  les  chroniques  : 
l'époque  à  laquelle  les  trois  frères  légendaires  ou  trois  peuples  la  fondèrent 
se  perd  dans  les  ténèbres  antérieures  à  l'histoire  russe.  Un  chroniqueur  du 
onzième  siècle,  Titmar,  parle  de  ses  quatre  cents  églises;  même  lors  de 
l'incendie  de  1124,  le  feu  en  aurait  dévoré  six  cents  :  c'est  par  Kiyev  que 
le  christianisme  s'introduisit  en  Russie,  précisément  parce  que  cette  ville 
se  trouvait  en  rapports  directs  avec  l'Europe  méditerranéenne.  Mais  ses 
richesses  même  attiraient  de  toutes  parts  les  ennemis  :  elle  fut  détruite 
(|uatre  fois,  en  1171  par  l'armée  d' André,  prince  de  Souzdalie,  en  1240  par 
le  Mongol  Batou-Khan,  puis  en  1416  par  les  Tartares,  et  enfin  en  1584 
par  les  Tartares  de  la  horde  de  Crimée,  qu'incitait  Ivan  III  de  Moscou  ; 
])endant  dix  années,  dit-on,  la  colline  où  la  fière  cité  avait  été  bâtie  resta 
déserte.  Elle  se  releva  de  ses  ruines,  et  quoique  Kiyev  eût  cessé  d'être  le 
centre  de  la  confédération  des  principautés  slaves,  et  qu'elle  eût  ainsi 
perdu  la  force  d'attraction  exercée  par  les  capitales,  quoiqu'elle  eût  été  sou- 
vent coupée  de  ses  communications  directes  avec  la  mer  et  dévastée  par  les 
guerres,  elle  a  gardé  l'un  des  premiers  rangs  parmi  les  cités  slaves  :  elle 
est  maintenant  par  la  population  la  quatrième  cité  do  l'empire  russe  ; 
depuis  le  commencement  du  siècle,  le  nombre  des  habitants  a  doublé. 
C'est,  avec  Saint-Pétersbourg,  la  seule  ville  de  la  Russie  où  l'on  ait  publié 
une  statistique  détaillée  do  la  population'. 

L'espace  occupé  par  Kiyev,  sur  la  terrasse  qui  se  dresse  de  100  à  150  mè- 
tres au-dessus  du  fleuve,  sur  les  pentes  des  collines  et  la  lisière  de  ter- 
rains qui  s'étend  à  leur  base,  est  d'environ  50  kilomètres  carrés.  Les  mai- 
sons se  suivent  le  long  du  fleuve,  ou  à  quohpie  distance  de  ses  eaux,  sur 
une  longueur  d'environ  dix  kilomètres  ;  non  réunies  partout  en  quartiers 

'  Population  de  Kiyev  en  1874  :  127  201  (Juifs,  10,53  pour  100;  Polonais,  C,ll  pour  100). 

Sachanlliic  et  écrire.    .    .    .     575  pour  1000.   j    Parlant  la  langue  lillérairo  .    .  40,  ".2  p.  100. 

Sacliant  lire GS  »  |         i.       Ip  pclil-russien.  .    .    .  50,20       >< 

lynoranls.    . £50  s  |  >       le  patois  grand-russien.       0,91        i> 

.>       lo  blanc-russien  .    .    .        1,51        h 


ri 


KIYEV. 


527 


compacts,  elles  sont  du  moins  assez  rapprochées  les  unes  des  autres  pour 
que  les  divers  quartiers  de  la  ville  forment  un  ensemble  cohérent.  Cepen- 
dant de  vastes  terrains  sont  encore  inoccupés  par  les  constructions  ou  bien 
il  ne  s'v  trouve  d'autres  demeures  que  de  véritables  trous  creusés  dans  la 
terre  ou  des  masures  d'argile'.  Quelques  avenues  ont  la  largeur  de  places; 


^-^0^»g^^\\  ^\'^ 


Dessin  de  Ronjat,  d'après  une  pliotognplii 


des  massifs  de  peupliers  croissant  çà  et  là  sur  les  pentes  contrastent  par 
leur  verdure  avec  l'or  des  coupoles.  Sans  s'accroître  à  l'extérieur,  la  ville 
peut  recevoir  encore  le  double  et  le  triple  de  sa  population  actuelle  en 
recouvrant  de  maisons  les  terrains  vagues.  Chacun  des  quartiers  a  sa 
physionomie  particulière.  En  bas,  Podoi,  voisine  du  fleuve,  est  la  ville  (hi 


'  Constructions  de  Kiycv  en  1874  :    0  807. 

Pâtimcnls  en  bois 04,68  p.  100.  1  lîàllmcnts  cm  pierres.  1-2 

•  bois  et  en  pierres.     14,75       »         ]  >  argile  ....       8,0' 


100. 


528 


NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


commerce  et  de  l'industrie  ;  elle  occupe,  dans  une  vaste  échancrure  du 
plateau,  la  partie  méridionale  de  la  plaine  dans  laquelle  la  Potchaïna  vient 
s'unir  au  Di'iepr,  et  que  domine  au  nord  la  colline  de  Vîcligorod,  où  saint 
Yiadimir  avait  son  harem.  Au  sud  de  Podoi,  le  plateau,  découpé  par  trois 
profonds  ravins  perpendiculaires  à  la  direction  du  fleuve,  se  rapproche  des 


Ea-t   de    Greenwich  30°5S 


Lapres  'Xtat-Maior  et  J; 


licrges,  et  ses  escarpements  finissent  par  se  confondre  avec  elles.  Los  ravins 
divisent  ainsi  la  ville  on  quartiers  distincts. 

De  tous  ces  promontoires  qui  se  succèdent  du  nord  au  sud,  le  troisième 
se  tormini!  le  plus  fièrement  au-dessus  du  fleuve,  et  sur  la  pointe  même 
so  dresse  un  des  édifices  religieux  les  plus  célèbres  de  la  ville,  l'église  de 
Saint-André.  La  cathédrale,  Sainte-Sophie,  située  sur  le  même  fragment 
du  plalcau,  mais  au  ceiilie  du  (piarlier  aj)pelé  Staiiy  Kiyev  ou  le  «  Vieu\ 
Ki\e\  »,  est  en  eft'el,  avec  la  «  l'orle  d'Or  »  voisine,  l'un  des  plus  anciens 


KIÏEV.  331 

monuments  de  la  Russie  en  quelques-unes  de  ses  parties,  qu'épargna  le  feu 
lors  de  l'invasion  de  Batou-Khan  :  on  en  remarque  les  assises  de  briques 
et  de  pierres,  quelques  mosaïques  et  des  fresques  grecques;  mais  la  plupart 
des  peintures  ont  été  restaurées  ou  plutôt  refaites.  La  belle  rue  de  Krech- 
Ichatik,  l'une  des  plus  élégantes  de  la  ville,  occupe  le  ravin  qui  sépare  la 
terrasse  de  Sainte-Sophie  de  celle  de  Lipki  ;  puis  au  delà  vient  Petchersk, 
promontoire  méridional  où  s'élèvent  le  monastère  et  le  groupe  d'églises 
de  la  ■Eavra,  considéré  comme  le  lieu  saint  par  excellence  de  la  Russie, 
parce  qu'il  domine  l'endroit  oîi  furent  baptisés  les  premiers  Russes.  Dans 
l'intérieur  du  promontoire  se  ramifient  de  nombreuses  galeries,  dont  l'ori- 
gine est  peut-être  analogue  à  celle- d'autres  cavernes,  situées  au  nord,  où 
l'on  a  trouvé  des  restes  de  l'âge  de  pierre';  toutefois  elles  ont  été,  du  moins 
en  partie,  creusées  par  saint  Hilarion  et  d'autres  cénobites,  et  sont  chan- 
gées depuis  des  siècles  en  chapelles,  en  églises  souterraines,  en  niches 
enfermant  des  sarcophages  :  les  couches  sablonneuses  qui  s'étendent  dans 
l'épaisseur  du  plateau  entre  deux  strates  d'argile,  et  dans  lesquelles  s'ou- 
vrent toutes  ces  excavations,  conservent  les  cadavres  qui  y  ont  été  déposés 
et  dont  la  piété  populaire  a  fait  des  corps  de  saints.  On  raconte  que  des 
fanatiques  se  sont  enfermés  dans  les  catacombes  pour  y  mourir  d'inanition 
loin  du  monde  profane.  Un  des  tombeaux  est  celui  du  moine  Nestor,  qui 
vécut  dans  le  cloître  et  y  écrivit  sans  doute  une  partie  des  annales  qu'on 
lui  attribue.  La  Lavra  est  un  lieu  de  pèlerinage  très  fréquenté,  aussi  bien 
par  les  Grands-Russiens  que  par  les  Petits-Russiens  :  500  000  personnes 
\iennent  se  prosterner  chaque  année  devant  ses  tombeaux  et  ses  images, 
et  lors  des  grandes  fêtes,  surtout  à  la  Trinité  et  à  l'Assomption,  on  voit 
des  milliers  de  pèlerins  se  presser  aux  portes  du  monastère  :  trop  nom- 
breux pour  trouver  place  dans  les  immenses  dortoirs  des  auberges  conven- 
tuelles, ils  couchent  dans  les  cours  et  sur  les  routes  :  pendant  la  nuit 
du  15  août  1872,  on  en  a  compté  72  000,  étendus  sur  la  terre  nue.  Lors- 
qu'une épidémie  règne  dans  le  pays,  elle  est  apportée  à  Kiyev,  cette  Mecque 
des  orthodoxes  grecs  ;  elle  y  fait  autant  de  ravage  que  le  choléra  parmi  les 
hadjis,  et  de  là  est  reportée  dans  toutes  les  parties  de  la  Russie.  Pendant  les 
années  de  disette,  le  nombre  des  pèlerins  augmente  :  une  visite  à  la  sainte 
-Lavra  les  autorise  à  mendier  le  pain  qui  leur  manquerait  chez  eux. 

D'anciennes  fortifications  protégeaient  la  Lavra;  elles  ont  été  a«:randies 
par  des  ouvrages  réguliers  qui  entourent  toute  la  colline.  La  ville  même 
de  Petchersk  a  été  détruite  presque  entièrement  pour  donner  place  à   la 

'  Anionoviich,  Rapport  de  la  société  hittorique  de  Nestor,  I. 


532  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

cité  militaire.  L'enceinte  de  la  vieille  Kiyev  a  été  démolie  au  contraire,  et 
c'est  là  que  se  développe  la  ville  moderne  ;  d'après  des  projets  auxquels 
on  n'a  pas  encore  donné  suite,  des  forts  devront  s'élever  à  l'endroit  où  se 
trouvent  l'université,  l'observatoire  et  d'autres  grands  édifices;  en  atten- 
dant, on  a  construit  des  forts  sur  les  hauteurs  qui  dominent  la  ligne  du 
chemin  de  fer  et  la  vallée  de  la  i-îbed.  L'université  de  Kiyev,  transférée  de 
Vilno  dans  cette  ville  après  l'insurrection  polonaise  de  1851,  ne  peut  rece- 
voir qu'un  cinquième  d'étudiants  catholiques;  elle  est  toujours  la  troisième 
do  la  Russie,  quoiqu'elle  ait  beaucoup  perdu,  une  première  fois,  lors  du 
dernier  soulèvement  de  Pologne,  auquel  prirent  part  les  étudiants  de  cette 
r.ation  qui  se  trouvaient  à  Kiyev,  puis  en  1878,  lorsque  140  étudiants 
furent  exilés  pour  cause  politique;  en  1884,  tous  les  cours  ont  été  sus- 
pendus. Quelques-unes  des  collections  de  l'université,  principalement  celle 
d'histoire  naturelle,  sont  riches  et  bien  classées,  et  la  bibliothèque  est  des 
plus  précieuses,  grâce  aux  dépouilles  de  Yilno  et  du  lycée  de  Kremenetz, 
que  des  seigneurs  polonais  avaient  enrichis  de  cadeaux  :  l'histoire  de  la 
Renaissance,  celle  de  la  Réforme  et  des  guerres  religieuses  y  sont  repré- 
sentées par  des  ouvrages  de  la  plus  haute  valeur;  les  archives  renferment 
aussi  des  documents  uniques  sur  l'histoire  de  la  Petite  Russie.  Depuis  1878, 
les  professeurs  y  font  des  cours  supérieurs  pour  les  femmes.  Avant  la  fon- 
dation de  l'université  de  Kiyev,  la  plus  haute  école  de  la  ville,  possédant 
aussi  bibliothèque  et  musée,  était  l'académie  ecclésiastique,  située  près  du 
fleuve,  à  l'entrée  du  quartier  de  Podol  :  des  élèves  y  sont  encore  envoyés  de 
toute  la  Slavie  méridionale,  de  Serbie  et  de  Bulgarie  '. 

Outre  ses  églises  et  ses  écoles,  Kiyev  n'a  point  de  monuments,  si  ce 
n'est  la  statue  de  saint  Vladimir  et  la  colonne  qui  rappelle  le  baptême  de 
son  peuple,  en  988,  dans  les  eaux  de  la  Polchaïna.  Car  à  celte  époque 
le  Diiepr  ne  coulait  pas  au  pied  des  collines  de  Kiyev  ;  il  passait  beaucoup 
plus  à  l'est,  là  où  se  voit  maintenant  la  coulée  de  Tchertorîy  ou  de  «  Fosse 
du  Diable  »  ;  il  ne  se  réunissait  à  la  Potchaïna  qu'à  la  base  du  promon- 
toiie  de  Petchersk.  Actuellement  le  Dnepr  tend  à  rentrer  dans  son  ancien 
lit.  et  depuis  une  vingtaine  d'années  les  ingénieurs  travaillent  à  lui  fermer 
le  passage  au  moyen  d'endiguements.  Il  importe  de  conserver  à  tout  prix 
le  lit  du  fleuve  au  quartier  industriel  et  commerçant  de  Podol,  à  ses 
dépôts  de  bois,  de  céréales,  de  sucre  de  betteraves,  à  ses  manufactures 
diverses  et  à  ses  chantiers.  Deux  grands  ponts  sont  construits  en  aval  de 

'  rinvcTsilé  lie  Klyov  au  1"  janvier  J883  :  Éludiants,  lill.  Ribliotlu'quc,  tGOOOO  volumes. 
Juifs,  IG  |>our  100  b  l'ioiversitc;  11  pour  100  daus  les  écoles  sccoadaircs;  25  pour  100  dans  les 
lycées  de  filles. 


KIYEV,  WLLÊE  DE  LA  ROS.  533 

Kiycv.  Le  plus  haut,  pont  suspendu  qui  a  peu  de  rivaux  en  Europe,  s'en- 
racine dans  la  berge  à  la  base  de  !a  tavra  et  forme  six  travées  ayant 
ensemble  800  mètres  de  longueur.  Le  nouveau  pont  du  chemin  de  fer 
passe  à  ô  kilomètres  plus  au  sud.  Comme  port  d'expédition  pour  les  cé- 
réales, Kiyev  a  moins  d'importance  que  le  village  de  Rjichtchev,  —  ainsi 
nommé  du  mot  Roj  ou  seigle,  —  situé  plus  bas  sur  la  même  rive  du  fleuve. 

La  ville  la  plus  voisine  de  Kiycv,  Yasilkov,  est  à.  moins  de  40  kilomètres 
au  sud-ouest,  sur  la  Stougna,  petit  affluent  occidental  du  Dnepr  :  c'est  éga- 
lement une  ville  ancienne,  fondée  au  dixième  siècle.  Un  tiers  des  habitants 
sont  des  Juifs,  proportion  moindre  que  dans  la  plupart  des  autres  villes 
du  gouvernement  de  Kiyev,  à  l'ouest  du  Dnepr.  A  Skvira,  sur  un  des  hauts 
affluents  de  la  Ros,  ils  forment  la  moitié  de  la  population;  à  Tarachtcha, 
dans  le  même  bassin,  ils  sont  plus  du  tiers  et  ont  presque  entièrement 
monopolisé  certaines  industries,  la  cordonnerie,  la  fabrication  des  vête- 
ments, la  construction  des  maisons.  Délaya  Tzerkov  ou  «  Blanche  Eglise  », 
sur  la  Ros,  fut  une  des  capitales  des  Cosaques,  et  le  hetman  Khmelnitzkiy 
y  signa  en  1651  le  second  traité  par  lequel  la  Pologne  reconnaissait  l'auto- 
nomie de  rOukraïne.  Ville  fort  commerçante,  où  se  fabriquent  des  machines 
agricoles,  Bél'aya  Tzerkov  est  le  centre  de  vastes  propriétés  seigneuriales 
dont  le  château  possède  de  précieux  documents  historiques.  Toute  la  plaine 
entre  la  Stougna  et  la  Ros  est  fameuse  dans  l'histoire  de  la  contrée  par  les 
batailles  qui  s'y  sont  livrées  entre  Russes  et  Koumancs,  entre  chrétiens 
et  mahomélans,  entre  Tartares  et  Polonais  ;  les  princes  russes,  depuis 
saint  Vladimir,  y  établissaient  les  tribus  turques  ou  même  tchoudes  qu'ils 
avaient  vaincues  :  les  noms  géographiques  témoignent  de  l'existence  de 
ces  colonies.  Des  centaines  de  kourgans,  élevés  sur  les  hauteurs  qui 
dominent  la  Ros,  rappellent  les  chefs  innommés  qui  sont  tombés  dans  les 
combats.  Au  sud  de  la  Stougna  se  voient  les  restes  d'anciennes  forti- 
fications élevées  contre  les  Pol'ovlzes  ou  Koumanes.  Ces  retranchements 
sont  connus  sous  le  nom  de  «  Fosse  du  Serpent  »  {Zmiyev  Val)  :  d'après 
la  légende,  un  dragon  attelé  à  la  charrue  d'un  saint  ou  d'un  héros  au- 
rait creusé  la  fosse  qui  longe  le  rempart  :  partout  où  l'on  remue  la 
terre  dans  les  villes  de  cette  contrée,  notamment  à  Korsoun  et  à  Kanev, 
on  trouve  des  ossements  humains,  laissés  là  lors  des  assauts  et  des  massa- 
cres. C'est  un  peu  au-dessous  de  Kanev,  sur  une  colline  dominant  le  Dnepr, 
que  s'élève  le  tombeau  du  poète  Chevlchcnko,  né  dans  le  voisinage. 

De  l'autre  côté  du  Di'iejjr,  dans  le  gouvernement  de  Pol'tava,  la  rivière 
de  Troubej  traverse  aussi  l'une  des  contrées  les  plus  célèbres  de  la  Petite 
Russie.  Pereyas-iav,  située  au  confluent  du  Troubej  et  de  l'Alfa,  fut,  dit-on, 


554 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


fondée  par  saint  Vladimir  sur  le  champ  de  bataille  où  il  avait  vaincu  les 
Petchénègues  ;  depuis  cette  époque  elle  devint  l'avant-poste  de  Kiyev,  la  ville 
où  se  réunissaient  les  armées  pour  combattre  les  nomades  du  sud.  Pendant 


N°    in.   PEBEÏASLAV. 


E  d   P        sa  55 


EdeG.  51»  15' 


o'après  le  Corto  de  l'Etat-Major 


les  guerres  des  Cosaques,  Pereyasl'av  fut  aussi  l'un  des  principaux  centres 
d'opération,  et  c'est  là  que  Bogdan  KluneJnil/kiy  et  l'assemblée  des  Cosa- 
ques décidèrent,  en  1G54,  de  se  mettre  sous  le  protectorat  du  tzar  Alexis. 
La  rivière  était  navigable  autrefois,  ainsi  qu'en  témoigne  une  ancre  re- 


PEREVASLAV,   KRItOV.  533 

cueillie  dans  les  alluvions  du  Troubej  ;  maintenanl  le  port  de  la  ville  a  dû 
être  transféré  à  7  kilomètres  à  l'ouest,  au  village  d'Androussî,  situé  sur 
un  méandre  du  Driepr.  Plus  au  sud,  Zolotonocha,  également  éloignée  du 
fleuve,  doit  aussi  faire  transporter  ses  denrées  jusqu'au  Dnepr  au  moyen 
de  chars.  Le  port  principal  de  cette  partie  du  fleuve  est  l'antique  Tclier- 
kasî,  qui  prétendait  avoir  été  fondée  par  les  «  Tcherkesses  »  et  qui  donna 
ce  nom  aux  Cosaques  du  Diiepr  ;  elle  est  située  sur  un  promontoire  de 
la  rive  droite,  que  rongent  les  eaux.  Tchigirin,  sur  le  Tasmin,  au  pied 
d'un  coteau  de  roche  meulière,  était  également  l'une  des  capitales  des 
Cosaques,  et  mieux  encore  que  Tcherkasî,  elle  était  défendue  par  de  vastes 
marécages  :  à  l'est,  le  Tasmin  se  réunit  au  Diiepr  par  un  lacis  de  fausses 
rivières  errant  dans  le  bassin  d'un  lac  disparu,  où  l'on  a  trouvé  des  restes 
d'embarcations'.  Les  forêts  à  demi  noyées  de  ces  terres  basses  ont  peut- 
être  servi  de  retraite  à  des  tribus  de  Mordves  et  delvhazars,  ainsi  que 
semblent  l'indiquer  des  noms  de  villages  ;  mais  il  est  certain  que  pendant 
les  temps  historiques  elles  donnèrent  asile  aux  Cosaques,  et  c'est  à  grand 
peine  qu'on  pouvait  essayer  de  les  y  poursuivre.  Un  village  de  la  contrée, 
Soubotov,  renfermait  dans  son  église  le  tombeau  de  Bogdan  Khmel'nitzkiy, 
détruit  par  les  Polonais. 

Un  des  passages  les  moins  incommodes  à  travers  cette  région  marécageuse 
se  trouvait  non  loin  de  la  bouche  du  Tasmin,  là  où  de  fréquentes  inonda- 
tions du  Diiepr  ont  exhaussé  le  fleuve  par  le  dépôt  de  sables  et  d'argiles  : 
aussi  de  fréquentes  batailles  eurent-elles  lieu  entre  Polonais,  Cosaques  et 
Tartares  pour  la  possession  de  ce  point  stratégique.  Les  Polonais  y  élevèrent 
la  forteresse  de  Krîlov,  qui  fut  déplacée  plus  tard  et  à  laquelle  on  donna, 
en  18'21,  le  nom  de  Novo-Georgiyevsk  ;  mais  la  ville  est  toujours  connue  par 
le  peuple  sous  son  ancienne  appellation.  Sur  la  rive  gauche  du  Diiepr,  en 
face  de  Novo-Georgiyevsk  et  des  marais  du  tasmin,  est  la  ville  de  Gradijsk 
(Ilorodichtchc),  dont  le  port,  comme  celui  de  KiM'ov,  fait  un  commerce 
assez  considérable  de  bois  et  de  bétail.  Il  n'est  pas  un  village,  de  Vasilkov 
à  Tchigirin,  qui  ne  soit  nommé  dans  l'histoire  des  insurrections  popu- 
laires du  dix-septième  et  du  dix-huitième  siècle.  Maintenant  c'est  là  que 
s'étendent  les  plus  grands  domaines  de  l'aristocratie  russe  et  polonaise, 
avec  leurs  palais  et  leurs  fabri(jues  de  sucre  de  betterave.  Un  chemin  de  fer 
spécial  avec  des  embranchements  vers  le  Diiepr  relie  ces  fabriques  aux 
principales  villes  d'entrepôt. 


'•  Sclimidl,   Matériaux  pour  la  géographie  et  la   slalisliqiie  de  la   Russie,  qouvcrnemenl  de 
Khcrson  (>;n  russe). 


536 


iNOLYELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


Dans  le  bassin  de  la  Soul'a,  qui  comprend  une  grande  partie  des  régions 
occidentales  de  la  province  de  Pol'tava,  se  trouvent  plusieurs  villes  de  quel- 
que importance,  pour  la  plupart  environnées  d'arbres  fruitiers  et  de  plan- 
tations de  tabac.  Nedrîgaïl'ov  ou  Drigaïl'ov,  près  des  sources  de  la  rivière, 
est  une  ville  fondée  au  commencement  du  di.\-septièrae  siècle  par  des 
fugitifs  oukraïniens.  Romnî,  également  dans  la  haute  vallée,  est  surtout  un 
lieu  de  commerce  ;  dans  ses  foires,  connues  depuis  le  siècle  dernier,  se 
vendent  des  marchandises  pour  une  valeur  de  8  millions  de  francs,  et  des 
centaines  de  ses  habitants  émigrent  chaque  année  pour  aller  exercer  quelque 


N°    118.    MAIHH    rr    TASMIX. 


E.d. 


petit  trafic  dans  les  provinces  environnantes  ;  Lokhvitza,  située  plus  bas  sur 
la  Souia,  Pril'ouki  et  Piratin,  sur  l'Oudaya,  affluent  occidental  de  la  Sonia, 
ont  surtout,  comme  Romnî,  leurs  chamjjs  de  tabac  ;  Loubnî,  en  aval  du 
confluent,  est  une  ville  riche  an  tanneries,  en  jardins  et  en  vergers. 

La  rivière  Psoi,  qui  rejoint  le  Dnepr  un  peu  en  aval  de  Krementchong, 
est  plus  abondante  que  la  Souïa  et  traverse  les  trois  gouvernements  de 
Koursk,  de  Khaikov,  de  Poltava,  dans  son  cours  de  "TtO  kilomètres. 
Olchanka,  près  de  sa  source,  distille  des  eaux-de-vie  et  fabrique  de  grandes 
quantités  de  bottes;  Oboyai'i  est  un  marché  agricole  de  quelque  impor- 
tance, expédiant  des  grains  et  du  bétail  à  Moscou,  Kherson,  Odessa,  Plus 


I 


ROMNI,   KREMENTCUOL'G. 


537 


bas  se  succèdent  Soudja,  à  une  petite  distance  au  nord  de  la  rivière; 
Miropolye,  Soumî,  une  des  villes  commerçantes  de  l'Oukraïne,  échangeant 
à  ses  foires  des  denrées  pour  une  valeur  de  10  millions  de  francs;  Lcbedin, 
où  Pierre  le  Grand  fit  ses  préparatifs  avant  la  bataille  de  Pol'tava  et  où 
son  ami  Menchikov  égorgea,  dit-on,  900  personnes,  dont  on  voit  encore  la 
la  haute  butte  funéraire,  appelée  le  tombeau  des  Hetmantzî.  Gadatch 
est  une  ancienne  ville  fortifiée  où  se  conclut,  en  1658,  le  traité  d'union 
fédérale  entre  l'Oukraïne  et  la  Pologne.  Plus  bas  est  Rachovka,  siège  prin- 


X°   119.   KBEMEMCHOrG. 


ii-.O  t.deP 


Isp-esIsCsr^edel  V 


cipal  des  associations  de  colporteurs  petits-russiens,  et  près  de  là  est 
Sorotchintzi,  lieu  de  naissance  de  Gogol.  Sur  des  affluents  du  Psol  s'éltv 
vent,  à  l'est  Zeiïkov,  à  l'ouest  Khorol  et  Mirgorod,  en  partie  peuplée  de 
tchoumaks. 

Le  marché  de  la  partie  inférieure  du  Psol  et  le  centre  comnu-rcial  di' 
toute  la  Pclilc  Russie  est  la  cité  de  Kremcntchoug,  l'une  des  principales 
étapes  de  la  navigation  sur  le  Dûepr  et  la  rivale  de  Pol'tava  par  le  nombre 
des  habilanls  :  au  printemjis,  la  population  est  doublée,  à  cause  du  cliai- 
gemenl  et  du  transbordement  des  marchandises  ;  on  compte  alors  jusqu'à 
70000  personnes  dans  la  ville  et  dans  son  faubourg  de  Kroukov,  situé 

*•  08 


55S  NOUVELLE    GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

sur  la  rive  droite  du  Diiopr.  Les  grands  magasins  de  sel  appartenant  à  la 
couronne,  des  entrepôts  de  bois  et  des  chantiers  de  construction  occupent 
une  grande  partie  de  la  berge  de  Ki'oukov.  L'industrie  de  Krementchoug 
alimente  en  partie  le  commerce  local  :  fabriques  d'équipages,  de  machines 
agricoles,  tanneries,  scieries  à  vapeur,  manufactures  de  tabac,  livrent 
chaque  année  des  produits  pour  une  valeur  de  plusieurs  millions  de  francs. 
On  voit  encore  à  Krementchoug  quelques  restes  de  la  forteresse  qu'y  éleva 
l'ingénieur  Beauplan  en  1655  ;  mais  le  monument  le  plus  remarquable  de 
la  ville,  et  en  même  temps  l'une  des  merveilles  de  l'art  industriel  en 
Europe,  est  le  pont-tube,  de  958  mètres  de  longueur,  sur  lequel  passent 
les  trains  de  chemins  de  fer  de  Kharkov  à  Bal'ta.  En  outre,  un  pont  de 
bateaux  réunit  la  ville  à  son  faubourg.  Au  printemps,  la  ville  est  quelquefois 
presque  complètement  inondée;  les  incendies  la  ravagent  aussi  fréquem- 
ment; ville  provisoire,  elle  se  rebâtit  sans  cesse,  plus  grande  chaque  année 
et  d'aspect  toujours  maussade. 

La  rivière  de  Vorskla,  moins  longue  que  le  Psol',  dont  elle  reproduit 
«Tailleurs  presque  exaclemeul  les  sinuosités,  coule  aussi  dans  les  trois 
gouvernements  de  Koursk,  de  Kharkov,  de  Pol'tava.  Elle  passe  d'abord  à 
Graïvoron,  puis  à  la  ville  d'Akhtîrka,  visitée  par  les  pèlerins,  et  reçoit  le 
Merl,  qui  vient  d'arroser  les  campagnes  de  Bogodoukhov  et  de  Krasnokoutsk. 
l'oltava,  chef-lieu  du  gouvernement  de  son  nom,  est  située  sur  la  rive  droite 
de  la  rivière,  au  confluent  du  ruisseau  Pol'tavka,  vers  le  point  de  conver- 
gence de  toutes  les  vallées  supérieures.  Déjà  mentionnée  au  douzième  siècle, 
cette  ville  fut,  comme  toutes  celles  de  la  steppe,  le  témoin  de  combats  et  de 
massacres  ;  mais  son  nom  ne  retentit  en  Europe  qu'après  la  sanglante  ba- 
taille de  1709,  oii  Charles  Xll,  le  «  dernier  des  Varègues  »,  vint  terminer 
sa  course  de  météore  et  où  la  Russie,  cessant,  pour  ainsi  dire,  d'être  un 
Etat  asiatique, -prit  rang  parmi  les  puissances  européennes.  Divers  monu- 
ments érigés  dans  la  ville  et  sur  le  champ  de  bataille  rappellent  la  défaite 
des  Suédois.  Poltava  ne  grandissait  que  lentement,  vers  le  milieu  du  siècle, 
lorsqu'une  foire  importante  y  fut  transférée  :  depuis  ce  temps,  la  ville 
progresse  avec  rapidité,  et  de  vastes  espaces,  jadis  occupés  par  des  jardins, 
se  recouvrent  de  constructicMis.  La  foire,  oîi  se  font  en  moyenne  des  échanges 
pour  une  valeur  de  50  à  GO  millions  de  francs,  est  fréquentée  surtout  par 
les  négociants  en  laines  :  il  s'y  vend  aussi  beaucoup  de  chevaux,  que  l'on 
amène  par  troupes  des  bords  du  Don.  Les  Juifs  ont  une  forte  part  de  l'in- 
dustrie et  du  commerce  de  Poltava  en  leurs  mains,  et  des  colons  alle- 
mands nul  introduit  dans  le  pays  la  fabrication  des  draps  et  des  couver- 
tures. L'industrie  des  tissus  a  pris  aussi  une  certaine  activité  dans  la  ville 


KREMENTCHOUG,  POtT.VVA.  ôô!) 

(le  Kobeîaki,  située  en  aval  de  Pol'tava,  à  peu  près  à  moitié  chemin  du 
Diîepr.  De  même,  les  colons  allemands  qui  peuplent  les  campagnes  aux 
environs  de  la  ville  moderne  de  Konstanlinograd,  dans  la  vallée  de  l'Orcl, 
s'occupent  de  la  fabrication  de  draps  pour  l'armée. 

Une  autre  ville  de  fondation  récente,  Yekaterinosl'av  ou  la  «  Gloire  de 

«1»    IW.     I"I[T(VA. 


Catherine  »,  est  devenue  pendant  ce  siècle  un  centre  de  quelque  im]ior- 
lance,  grâce  aux  faveurs  administratives,  qui  en  ont  fait  un  chef-lieu  de 
gouvernement  ;  un  pont  de  chemin  de  fer  à  15  arches  et  à  deux  étages,  l'un 
pour  les  trains,  l'autre  pour  les  voilures  et  les  piétons,  y  traverse  le  Di'iepr  • 
c'est  l'un  des  plus  longs  d'Europe;  il  a  1208  mètres.  Près  de  l'emplacemeiil 
où  s'élève  la  ville,  l'ingénieur  Beauplan  avait  fondé  pour  la  Pologne  en  1G5.'» 
le  fort  de  Koïdak,   que  détruisirent  les  Cosaques.  Le   village  de   Novo- 


540  NOUVELLE  GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

Koïdak  remplaça  le  fort,  mais  en  1784  la  population  locale  n'atteignait 
pas  même  450  habitants.  C'est  près  de  là,  à  7  kilomètres  en  aval,  que 
Potomkin  fonda,  deux  années  plus  tard,  en  l'honneur  de  Catherine  II,  la 
cité  dont  il  voulait  faire  la  capitale  de  la  Nouvelle-Russie.  La  situation  de 
Yekaterinosi'av,  au  grand  coude  du  Dnepr,  en  amont  des  rapides,  est  fort 
heureuse  :  c'est  à  peu  de  distance  au  sud,  à  Lotzmanskaya  Kamenka,  que 
doivent  s'arrêter  les  barques  et  les  radeaux  pour  prendre  des  pilotes  ou 
transborder  leur  chargement,  et  presque  en  face  de  la  ville  débouche  la 
rivière  de  Samara,  que  les  seuils  de  granit  de  la  contrée  ont  changée  en  un 
vaste  marécage  dans  toute  sa  partie  inférieure,  entre  Pavlograd  et  Novo 
Moskovsk,  le  Samarlchik  des  Zaporogues.  Ces  villes,  modernes  comme 
Tckaterinoslav,  ont  remplacé  des  stations  de  Cosaques.  En  1785,  Pavlograd 
reçut  une  colonie  de  soldats  corses  cherchant  un  asile  depuis  qu'ils  avaient 
dû,  trois  années  auparavant,  capituler  à  Port  Mahon  devant  les  Espagnols. 
En  aval  des  rapides,  Alexandrovsk,  fondée  en  1770  sur  la  rive  gauche  du 
Dhepr,  en  face  de  l'ile  fameuse  de  Khortitza,  est  le  port  où  s'arrêtent  les 
embarcations,  après  la  traversée  parfois  dangereuse  des  porogs,  et  le  point 
de  départ  des  caravanes  de  commerce  qui  vont  apporter  des  céréales  au  port 
de  Berdansk,  sur  la  mer  d'Azov  :  un  chemin  de  fer  doit  remplacer  prochai- 
nement la  route  des  steppes.  En  aval  d'Alexandrovsk,  le  fleuve  commence 
à  prendre  la  direction  de  l'ouest  ;  la  Konskaya,  venue  d'Oiekhov,  qui  se 
déverse  en  cet  endroit  dans  le  Dhepr,  fut  longtemps  la  frontière  des  Zapo- 
rogues et  des  Tartares.  De  vastes  marécages,  des  bancs  de  sable,  des  méan- 
dres changeants  du  fleuve,  souvent  inondés,  rendent  le  Dnepr  très  difficile 
à  franchir  dans  cette  partie  de  son  cours  :  aussi  la  ville  de  Mkopol,  jadis 
connue  sous  le  nom  de  Mikllîn  Perevoz,  a-t-elle  pris  de  toute  antiquité  une 
certaine  importance,  parce  qu'elle  se  trouve  sur  un  promontoire  de  la 
rive  droite,  au-dessus  d'un  étranglement  de  la  vallée;  mais  elle  doit 
fuir  sans  cesse  vers  la  steppe,  les  érosions  du  fleuve  emportant  chaque 
année  des  pans  de  la  berge  sur  laquelle  elle  est  située'  :  on  a  vu  les 
tombeaux  du  cimetière  s'écrouler  ainsi  dans  le  fleuve  avec  les  ossements 
qu'ils  renfermaient.  C'est  vers  Nikopol  que  se  dirigeaient  et  que  se  diri- 
gent encore  les  chemins  qui  traversent  le  fleuve  pour  gagner  Znamenka, 
sur  l'autre  rive  :  là  passaient  les  tchoumaks  allant  s'approvisionner  de 
sel  dans  la  Crimée, et  les  petits  navires  de  cabotage  rcmonlent  le  Dnepr 
jusqu'à  cet  endroit.  In  peu  en  aval  se  voient,  sur  la  rive  septentrionale  du 
Dhepi-,  deux  des  emplacements  où  s'établit  la  sitch  des  Zaporogues  :  dans 

'  Tclmujbinskiv,  Visite  ii  la  Russie  du  sud  (en  russe). 


yEKATERINOSi,AV,  MKOPOL. 


5il 


la  plus  ancienne  sitch,  qui  existait  depuis  le  seizième  siècle  et  qui  fut 
détruite  par  l'ordre  de  Pierre  le  Grand  en  1709,  la  berge  a  été  rongée  par 
le  courant,  et  les  îles  voisines,  diminuées  d'un  côté,  agrandies  de  l'autre, 
ont  pour  ainsi  dire  voyagé  sur  le  fleuve'.  C'est  de  Nikopol  que  l'on  pari 
d'ordinaire  pour  aller  visiter  au  nord  la  Tolstaya  Mogil'a,  le  «  Gros  Tom- 
beau »  des  Scythes,  où  l'on  a  trouvé  un  vase  précieux,  de  ti-avail  presque 


lîl,    MKOPOL,    ANCIENNE    ET    NOUVELLE    SITCM. 


\  ;r-^o 


GO.'Znamenke 


ilapresla  Carte  dslLtat   Mo, 


.Tertres  o  Puits  -Métairies. 


hellénique,  représentant  la  ca])ture  de  chevaux  sauvages.  Berislav  ou  Boris- 
■Fav,  situé  sur  la  même  rive  du  Diiepr  que  Nikopol,  a  des  avantages  ana- 
logues :  avant  qu'un  bateau  à  vapeur  ne  transportât  les  fchoumaks  et  leurs 
convois,  70  grands  bateaux  à  rames  traversaient  régulièrement  le  fleuve 
entre  Beris'l'av  et  son  faubourg  de  Kakhovka.  Pendant  la  guerre  de  Crimée, 
on  fit  passer  en  cet  entlroit  la  plus  grande  partie  des  troupes  et  des  con- 
vois d'approvisionnements.  Berislav  était  jadis  une  place  forte  des  Tartares, 


'  Tthoujbinskiy, ouvrage  cilc. 


542 


NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


N"    15Î.    t\ 


connue  sous  le  nom  do  Kizî-Kerman,  et  l'on  dil  que  des  chaînes  de  fer  y 
étaient  tendues  en  travers  du  fleuve,  large  de  4  kilomètres  pendant  les 
inondations.  En  109G,  cette  forteresse  fut  prise  par  Pierre  le  Grand. 

La  rivière  d'Ingouletz,  dans  laquelle  des  érudits  ont  vu  le  «  Gerrhus  » 
d'Hérodote,  se  déverse  dans  le  Dricpr  en  amont  de  Kherson;  elle  eut  de 
tout  temps  une  grande  importance  commerciale  et  stratégique,  parce 
qu'elle  coule  à  peu  près  en  droite  ligne  du  nord  au  sud,  du  confluent  du 

Tasmin  au  liman  du  Dnepr  et 
permet  d'éviter  ainsi  le  long 
détour  du  fleuve  j)ar  les  ca- 
taractes et  les  marécages  du 
cours  inférieur.  Il  n'y  a  pour- 
tant qu'une  seule  agglomération 
de  10  000  habitants  dans  ce 
bassin,  dont  une  grande  partie 
avait  été  jadis  changée  en  désert 
pour  éviter  les  incursions  des 
Tartares.  Cette  ville  est  Alexan- 
driya,  fondée  au  dix-huitième 
siècle  sous  le  nom  de  Betcha, 
sur  le  haut  Ingouletz.  Vers  le 
milieu  du  cours  de  cette  rivière, 
au  confluent  de  la  Saksagana 
appelé  Krivoï  Rog  ou  «  Corne 
llccourbéc  »,  on  a  récemment 
découvert  des  gisements  de  fer 
d'une  grande  puissance.  Le  mi- 
nerai, contenant  de  48  à  70 
pour  100  de  métal  pur,  ne  ren- 
t 1. ,.,  ferme  que  des  traces  de  soufre 

0  10  kil.  1 

et  de  phosphore  :  d'après  l'ingé- 
nieur Kontkevilch,  ce  minerai  serait  le  meilleur  de  toute  la  Russie, 
préférable  même  à  ceux  de  l'Oural.  Mais  tant  qu'un  chemin  de  fer  ne 
réunira  pas  ces  gisements  aux  mines  de  charbon  du  Don,  il  sera  impossible 
do  les  utiliser,  à  cause  du  manque  absolu  de  bois  dans  la  contrée.  La  con- 
tenance des  lits  déjà  reconnus  est  d'au  moins  150  millions  de  tonnes. 

Alechki,  sur  la  rive  méridionale  du  fleuve,  était  l'ancien  port  maritime 
du  bas  Di'iepr  :  dès  le  dixième  siècle,  elle  était  l'entrepôt  des  Grecs  pour 
leur  commerce  par  Kiyev  avec  les  «  Yarègucs  ».  C'était  la  ville  d'Olechye, 


ALECHKI,   KHERSON. 


5i3 


nom  dont  les  Génois  firent  ensuite  Elice,  qui  s'est  graduellement  raodiCé, 
mais  dont  le  sens  primitif,  la  a  Boisée  »,  est  le  même  que  celui  de  l'IIvlea 
d'Hérodote;  d'ailleurs,  tout  vestige  de  forêt  a  depuis  longtemps  disparu  de  la 
contrée.  Chassés  en  171 1  de  leur  campement  situé  au  confluent  duDnepr  et 
de  la  Kamenka,  les  Cosaques  Zaporogues  s'établirent  près  d'Alechki,qui 
faisait  alors  partie  des  possessions  des  Tartares  de  Crimée,  mais  en  1755, 
dès  qu'ils  eurent  pu  s'entendre  avec  le  gouvernement  russe,  qui  avait 
ordonné  d'abord  de  pendre  cliaque  Zaporogue  pris  dans  ses  domaines,  ils 
quittèrent  s  le  pays  des  infidèles  »  pour  fonder  la  «  nouvelle  sitch  ».  Alechki 


MltRSOX    ET    LR    BIS    DNTPB. 


Ospre)  >a  Carte  dp  '  &;ai   '•'ai^r 


.Tertres         •Métairies;     «B^rge'-ie» 
1  ;  ^73000 
0  10  kll. 


est  une  annexe  commerciale  de  Khcrson,  située  presque  en  face  sur  la  rive 
droite  du  Di'iepr,  à  H  kilomètres  de  distance;  elle  lui  expédie  du  bétail. 
des  céréales,  des  cuirs,  des  fruits,  et  des  pastèques  fort  appréciées  dans 
tout  le  midi  de  la  Russie. 

Khcrson,  chef-lieu  de  l'un  des  gouvernements  les  plus  populeux  de  la 
Russie,  est  bien  inférieure  en  population  et  en  commerce  à  la  cité  d'Odessa  : 
l'Ile  est  même  dépassée  par  Nikolaycv,  le  port  du  Boug;  mais,  comme  gar- 
dienne de  l'entrée  du  Dnepr,  elle  ne  pouvait  manquer  de  retenir  une  partie 
notable  des  échanges  de  la  Russie  méridionale.  Toutefois  la  barre,  les  îles, 
les  bancs  de  sable  empêchent  les  gros  navires  de  remonter  jusque-là  :  ils 
doivent  s'arrêter  à  41)  kilomètres  à  l'ouest  de  Kherson,  dans  le  iiman.  En 


544 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


fondant  Kherson  à  la  place  du  fortin  d'Alexandr-Chantza  (Âlexander- 
Schantze  en  allemand)  et  en  lui  donnant  son  beau  nom  grec,  Potomkin 
comptait  pour  cette  ville  sur  un  avenir  plus  glorieux  et  plus  prospère  :  il 
n'y  reste  plus  qu'un  petit  nombre  d'Hellènes,  quoique  la  première  popula- 
tion se  composât  presque  uniquement  d'immigrants  de  cotte  nation.  Elle 
fait  un  assez  grand  commerce  d'exportation,  surtout  pour  les  bois,  les 
céréales,  les  cuirs  ;  mais  une  forte  part  de  son  trafic  consiste  en  expédi- 
tions de  cabotage  vers  Odessa  :  cette  ville  lui  envoie  aussi  les  marchan- 
dises étrangères'.  Une  partie  des  anciennes  fortifications  de  Kherson  subsiste 


Villes  (lu  bassin  du  Dnepr.  en  aval  du  confluent  de  la  l'ripel,  ayant  plus  de  5000  habitant^  : 


GOlVF.RXliMENT    DE    VOLIMi;. 

Jitomir  (1880) 54-250  liah. 

r.OlVERXEME.M    d'oROL. 

Rfansk  (1883).    ...        .      16400  hab. 


Sevsk 

Dmitrovsk 

Tioubeb.ivsK 


8  GOO  » 
6  550  1. 
5  -JOO     1. 


GOUÏERNEMEXT   DE  KOIRSK. 

Koursk,enl875  .......     51  750  hab. 


Miropolve 

Rîlsk 

Oboyuii 

Poutivi 

Falej 


10  750 
9  450 
8  200 
7  050 
5  550 


GOIVERXEJIEM   DE    TCIIERMCOV. 


Ncjin 

Slarodoub 

KoDOtnp 

Tchcrnigov 

Gtoukhoï 

Borzna 

N'ovgorod-Scverskiy 

Bcrezna 

Krolevelz 


(1880). 


50  500 
25  900 
19  500 
19  000 

10  500 

1 1  750 
10  850 
10  850 

0  700 


GOLYERNKMEM   DE    KIVF.V. 


Kiyev  (1884)  .    .   .    . 

Ilerdilchcv        (1880). 

Iloi.iva  Tzerkov     h 

Vasilkov 

Tcherkasî 

Skvira 

Taracblilii 

Tchi^irin 

Kariev 

RaduinÎ!.! 


bab. 


:?)b. 


GOl'VERXEMENT    DE    TOLI.HA. 


Kremenlehoug  et  Kioukov(188l). 

Pollava         (1881).    .    .    .        . 

Pereyaslav  ... 
!   Kobe'iaki 
I   Piiiouki 

Romnî 

j   ioubni  I       . 

I   -Lokbvitza  II      ...    _ 

Gadatch  r 

i    ZenkoT  11      ...... 

I   Gradijsk  « 

!   Mirgorod 

Zoiotoaocba      »     

Pii-alin  n 

Khorol  11 


46  650 
41  050 
13  350 
15150 
15  100 
12  550 
9  850 
9  550 
9  250 
8  360 
7  850 
7  750 
7180 
5  400 
5170 


OOUVKRXEMEM   DE  KIURKOV. 


.\khtirka 

Lebedin 

Soumî 
I    Belopolyc 

Rogodoukhov 
I   .Nedrigaïlov 
!   Kiasnokoulsk 


(1882). 


25  220  liab. 

18  000  11 

14  650  11 

12  600  II 

10  250  )i 

6  750  i) 

a  750  i> 


GOUVERNEMENT    DE  YEKATERISOSL.VT. 

Yekaterinosiav  (1881) 58  700  bab. 

Novo-Moskovsk     »  15  550  » 

Pavlograd  n  14  200  " 

.Mkopoi  .....        .       9  700  1, 

GOUVERNEMENT  DE    KHERSON. 

Khoison        (1885) 60  020  hab. 

Alcxandriya       » 16 150  » 

Reiisiav  d 10  050  » 

.N'ovo  GeorgijeTsk  (Krîlov)  (1881)       8  150     n 

COUVERSKME.M   DE    I.ll'RIPE. 

Alerliki(1881) 8  950  bab. 

Oi-ekhov     » 6  750  •> 


RHERSON,   MEDJIBOJ,   BRATZLAV.  545 

encore.  On  se  rappelle  l'inscriplion  que  Catherine  II  put  lire  sur  l'une 
des  portes  en  construclion  :  «  C'est  ici  le  chemin  de  Constantinople,  » 

La  Podolie  appartient  en  entier  aux  bassins  du  Boug  et  du  Dnestr,  et  la 
[)hipart  de  ses  villes  sont  situées  sur  le  cours  ou  dans  le  voisinage  de  ces 
lleuves.  Proskourov,  environnée  de  hautes  collines,  est  dans  une  campagne 
marécageuse  où  sourdent  quelques  ruisseaux  qui  vont  se  jeter  dans  le  Boug 
naissant  et  où  se  trouvent  des  colonies  de  Polonais  connues  sous  le  nom 
général  de  Mazures  ;  Medjiboj  ou  Entro-Boug,  ainsi  nommée  parce  qu'elle 
est  bâtie  entre  le  Boug  et  son  affluent  le  Boujok,  est  aussi  en  partie  défendue 
par  des  marécages,  qui  ont  fait  choisir  cet  endroit  stratégique  comme  point 
de  rassemblement  des  troupes  russes  près  de  la  frontière  autrichienne. 
Plus  bas,  sur  le  Boug,  vient  Letitchev,  l'une  des  villes  de  Podolie  les  plus 
souvent  ravagées  par  Polonais  et  par  Cosaques.  Khmelnik  ou  la  «  Hou- 
blonnière  »  est  entourée  en  effet  de  champs  de  houblon  ;  au  delà  se 
succèdent  dans  la  vallée  du  Boug  la  riche  Vinnitza,  qui  fut  au  dix-septième 
siècle  le  chef-lieu  d'un  des  régiments  de  Cosaques  les  plus  ardents  pour 
leur  liberté,  et  Bratzlav  la  juive,  autrefois  capitale  d'une  grande  province 
polonaise.  Litin  est  à  l'ouest  de  la  rivière,  au  pied  d'une  haute  colline,  et 
plus  loin,  au  sud-ouest,  dans  la  vallée  du  Rov,  s'élève  la  fameuse  Bar  où 
se  forma,  en  1708,  la  confédération  qui,  en  protestant  contre  les  conces- 
sions faites  aux  dissidents,  devait  amener  par  contre-coup  la  ruine  définitive 
de  la  Pologne.  A  l'est,  la  petite  ville  de  Lipovetz,  dans  le  gouvernement 
de  Kiyev,  rappelle  les  Tartares-Lipans,  qui  séjournèrent  longtemps  dans 
le  pays.  La  rivière  Sob,  passant  à  Lipovetz,  est  un  affluent  du  Boug,  qui 
dans  sa  partie  inférieure  arrose  les  campagnes  d'une  ville  plus  populeuse, 
Gaïsin  ou  Ilaïsin.  La  Sinoukha,  le  principal  affluent  du  Boug  et  jadis  fron- 
tière des  «  franchises  Zaporogues  »,  naît  aussi  dans  le  gouvernement  de 
Kiyev  et  reçoit  ses  eaux  des  districts  de  Zvenigorod  et  d'Ouman.  Celte  der- 
nière ville,  fort  commerçante,  est  celle  où,  pour  se  venger  des  confédérés 
de  Bar,  les  Cosaques  et  les  paysans  petits-russiens  firent  en  1768  un  mas- 
sacre général  des  Polonais  et  des  Juifs  réfugiés  dans  la  place  :  acluellemenl. 
les  Israélites  y  sont  plus  nombreux  que  jamais.  La  ville  de  Novo-Mirgorod, 
ancienne  colonie  des  Cosaques  de  Mirgorod,  puis  centre  de  la  Nouvelle- 
Serbie,  est  sur  un  affluent  oriental  de  la  Sinoukha. 

La  ville  de  Balta,  située  à  peu  près  à  moitié  chemin  du  Dnestr  et  du 
Boug,  mais  sur  un  affluent  de  ce  dernier  fleuve,  a  pris  beaucoup  d'im|)or- 
lancc  dans  ces  dernières  années  comme  station  où  se  bifurquent  les  che- 
mins de  fer  d'Odessa  à  Breslau  et  d'Odessa  à  Moscou.  Il  s'y  fait  un  grand 
commerce  de  bétail  et  de  denrées  agricoles,  auquel  participent  les  villes 

T.  OU 


5i6  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

d'Oigopoi  au  nord  et  d'Ananyev  au  sud,  et  qui  se  dirige  presque  on  entier 
sur  le  port  d'Odessa. 

En  entrant  dans  le  gouvernement  de  Khcrson,  le  Boug,  uni  à  la  Siiîou- 
kha,  baigne  Olviopol,  puis  serpente  à  travers  la  steppe.  La  ville  de  Yozne- 
sensk,  près  de  laquelle  se  font  les  grandes  manœuvres  de  cavalerie,  occupe 
une  pointe  de  la  rive  gauche,  au  confluent  de  «  l'Eau  Morte  »  ou  Mertvo- 
vod.  Le  Boug  s'élargit  peu  à  peu  et  se  change  en  liman,  bien  avant 
de  s'unir  à  son  principal  affluent,  l'ingouï,  dont  le  bassin  renferme  les 
deux  villes  importantes  de  Yelisavelgrad  et  de  Bobrinetz.  Yelisavetgrad 
n'était  au  siècle  dernier  qu'une  simple  forteresse  et  une  petite  colonie  de 
fuyards  raskolniks  ;  mais,  de  même  que  l'Ingoulf  tz,  l'Ingoul'  offre  au  com- 
merce l'avantage  do  descendre  en  ligne  droite  du  nord  au  sud  et  d'abréger 
ainsi  la  distance  entre  le  Dnepr  moyen  et  le  liman  du  fleuve.  Yelisavetgrad, 
devenue  la  principale  étape  du  trafic  entre  Krementchoug  et  Odessa,  s'est 
développée  avec  une  rapidité  tout  américaine  :  on  est  étonné  de  voir  ces 
blocs  de  maisons  surgissant  comme  par  enchantement  du  milieu  de  la 
steppe.  Depuis  quelques  années,  on  exploite  dans  les  environs  des  gisements 
de  lignite. 

^îikoïayev  est  située  un  peu  en  amont  du  confluent  du  Boug  et  de  l'Ingoul, 
sur  les  deux  bords  de  cette  rivière,  déjà  changée  en  liman  par  l'influx  des 
eaux  marines.  Elle  est  également  une  de  ces  villes  à  croissance  rapide  ; 
mais  c'est  aux  faveurs  du  gouvernement  que  ^"ikol'ayev  doit  la  meilleure 
part  de  sa  prospérité.  L'État  en  a  fait  depuis  1789  sa  principale  station 
navale  sur  le  versant  de  la  mer  ^'oire.  Tandis  que  la  force  d'attaque 
était  réservée  à  Sébastopol,  Mkol'ayev,  bâtie  dans  l'intérieur,  à  une  cer- 
taine distance  du  littoral,  reçut  le  l'ôle  plus  important  de  construire  les 
navires,  de  préparer  les  approvisionnements  et  les  agrès  ;  mais  elle  a 
quelques  désavantages,  notamment  celui  de  ne  pouvoir  admettre  les  plus 
gros  vaisseaux  qu'allégés  de  leur  armement  ;  la  profondeur  de  la  barre  varie 
de  G  à  7  mètres.  L'énorme  ville,  dont  les  rues,  larges,  poussiéreuses,  bor- 
dées de  maisons  basses,  se  prolongent  à  perle  de  vue  dans  la  steppe,  se 
compose  d'un  quartier  central,  autour  duquel  se  groupent  les  nombreux 
faubourgs  militaires.  Nikolayev,  le  Toulon  do  la  Russie,  a,  sans  compter 
SCS  casernes,  de  très  vastes  établissements,  remarquables  soit  par  leur  gran- 
deur, soit  par  leurs  appareils  mécaniques.  Les  jetées,  les  cales,  les  bas- 
sins à  flot,  les  chantiers  de  construction  se  succèdent  le  long  de  l'Ingoul  ; 
les  ateliers  où  se  fabriquent  les  plaques  de  blindage,  les  roues,  les  affûts, 
les  canons,  les  chaudières,  tous  les  objets  en  fer  ou  en  bois  qui  font  partie 
de  rarmement  des  vaisseaux,  sont  peuplés  de  milliers  d'ouvriers;  un  dock 


YELISAVETGRAD,   NIKOLAYEV,  ODESSA.  547 

flottant  ancré  dans  la  rivière  reçoit  les  bâtiments  cuirassés.  Des  fortifica- 
tions s'élèvent  de  toutes  parts  aux  alentours  de  la  ville  et  des  deux  côtés  du 
Boug,  bien  au-dessous  du  confluent.  Autrefois  vouée  aux  travaux  de  la 
guerre,  Nikol'ayev  a  récemment  acquis  de  l'importance  comme  ville 
d'échanges  pacifiques  ;  elle  est  l'héritière  d'Olbia  la  milésienne,  dont  l'em- 
placement a  été  retrouvé  en  aval ,  près  du  confluent  des  deux  limans 
du  Boug  et  du  Driepr,  aux  Sto-Mogil  ou  «  Cent  Tombeaux  ».  Le  port  du 
Boug  ne  peut  tenter  de  rivaliser  avec  Odessa  pour  importer  directement 
des  ports  étrangers  ;  mais  il  expédie  une  assez  grande  quantité  de  céréales 
pendant  les  années  de  bonnes  récoltes,  et  plusieurs  lignes  de  bateaux  à  va- 
peur y  ont  leur  point  d'attache  '.  La  ville  d'Otchakov  ou  Kara-Kerman, 
la  «  Forteresse  ^'oire  »,  située  sur  la  rive  septentrionale  du  liman  marin 
oii  s'unissent  le  Boug  et  le  Dnepr,  peut  être  considérée  comme  l'avant- 
port  de  Mikol'ayev.  Ce  fut  jadis,  grâce  à  sa  position  stratégique  et  com- 
merciale, une  des  places  les  plus  importantes  de  la  mer  Noire.  Fondée 
en  1492  par  un  khan  tartare,  sur  l'emplacement  d'une  forteresse  des 
Grecs,  elle  fut  souvent  disputée  entre  les  Russes  et  les  Mahométans  pen- 
dant de  nombreuses  guerres  et  finit  par  tomber  définitivement  entre  les 
mains  de  la  Russie,  en  1788,  après  un  assaut  des  plus  meurtriers,  terminé 
l)ar  un  massacre  de  la  garnison  turque.  On  se  rappelle  qu'en  1854,  pen- 
dant la  guerre  de  Crimée,  Otchakov  et  la  forteresse  de  Kinbourn,  sur  le 
promontoire  méridional  de  l'entrée  du  liman,  furent  attaquées  par  l'es- 
cadre des  alliés. 

Odessa,  le  grand  port  commercial  de  la  Russie  du  Sud,  n'est  point 
située,  comme  Kherson,  Nikolayev  et  Otchakov,  près  de  la  bouche  d'un 
fleuve  qui  donne  accès  dans  l'intérieur  des  terres;  le  liman  de  Hadji-Bey, 
qui  communiquait  autrefois  avec  la  mer,  est  devenu  depuis  longtemps  une 
lagune  d'eau  saumàtre,  et  d'ailleurs  il  n'est  alimenté  que  par  les  eaux 
temporaires  descendues  de  la  steppe.  Cependant  Odessa  peut  être  consi- 
dérée comme  le  véritable  port  du  Driepr  et  du  Dûestr,  de  la  môme  manière 
que  Marseilh;  est  celui  du  Rhône  et  Venise  celui  du  Pô.  Les  difficultés  de 
l'entrée  dans  les  deux  fleuves  de  la  Petite  Russie  ont  obligé  les  marins  à 
choisir  pour  lieu  de  rendez-vous  un  point  du  littoral  de  plus  facile  accès, 
et  le  golfe  d'Odessa  offre  précisément  les  conditions  nécessaires.  Les  navires 
peuvent  y  mouiller  sans  danger, et  par  les  routes  unies  de  la  steppe  les 
marchandises  vont  rejoindre  sans  peine  les  chemins  qui  bordent  les  fleuves. 

*  Mouvement  moyen  du  pnrl  de  Mkoiaycv  en  1878-1880  ;  936  navires,  j.iugeanl  723  400  tonnes. 
FloUille  de  Nikol.nycv  en  I8S0;  485  navires,  dont  7  bateaux  à  vapeur,  jaugeant  33  340  tonnes. 
Eiportalion  inovennc  en  1878-1880,  70  000  000  francs;  i.-nporbtion,  1  850  000  francs. 


518 


NOUVELLE  GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


D'ailleurs,  de  tout  le  bassin  occidental  de  la  mer  Noire,  le  golfe  d'Odessa 
est  celui  qui  pénètre  le  plus  avant  dans  les  terres,  et  c'est  là  précisément 
que  la  côte  change  de  direction,  d'un  côté  vers  le  sud,  de  l'autre  vers  l'est  : 


Ti"   ISk.   0TCH.4K0V    ET    KINBomX. 


Otehakov 


ûf^'^r' 


d'après  la  Carte  de  l'Etat  -Major 


C.  Perron 


il  en  résulte  que  les  voies  naturelles  du  pays  se  dirigent  en  plus  grand 
nombre  vers  Odessa  que  vers  tout  autre  point  du  littoral.  Aussi  l'importance 
de  celte  ville  s'esl-elle  rapidement  accrue,  surtout  depuis  qu'aux  privilèges 
résultant  de  la  position  jiéo^n-apliiipic  se  sont  ajoutés  ceux  que  lui  ont  valus 
les  môles,  les  eulrcpôls,  les  chemins  de  1er  et  les  relations  établies.  Odessa 


ODESSA. 


N"    ni.  CDESSA. 


n'existe  pas  même  depuis  un  siècle,  car  à  l'endroit  où  se  dressent  aujour- 
d'hui ses  palais  il  n'y  avait  en  1789  qu'un  village  tartarc  entourant  la 
forteresse  de  Hadji-Bcy.  En  1794,  Odessa  prit  son  nom  actuel  d'une  colonie 
grecque  fondée  jadis  sur  cette 
partie  du  littoral,  en  souvenir 
du  glorieux  Ulysse.  Au  com- 
mencement du  dix-neuvième 
siècle,  Odessa  était  déjà  peu- 
plée de  8000  habitants  ;  eu 
1850,  elle  en  avait  déjà  près 
de  100 000,  et  depuis,  100 000 
autres  personnes  sont  venues 
grossir  la  foule.  Odessa  est  par 
sa  population  la  quatrième 
cité  de  l'empire  russe  :  elle 
est,  avec  Saint-Pétersbourg, 
celle  qui  a  le  plus  l'aspect 
d'une  ville  européenne;  elle 
n'est  point  un  immense  vil- 
lage comme  la  plupart  des 
agglomérations  urbaines  de 
la  Russie  intérieure. 

Vue  de  la  mer,  Odessa  est 
d'une  belle  apparence.  Elle 
est  située  à  47  mèlres  d'al- 
titude, sur  la  partie  la  plus 
élevée  de  la  terrasse  des  step- 
pes, qui  s'abaisse  peu  à  peu, 
d'un  côté  vers  le  liman  du 
Dnepr,  de  l'autre  vers  celui 
du  Diiestr,  mais  qui  descend 

vers  la    mer   en    une    berge  ô '   , 

abrupte.  Longeant  des  mai- 
sons à  façade  majestueuse,  une  promenade  suit  le  bord  de  la  falaise,  et  de 
la  plale-formc  du  centre,  ornée  de  la  statue  du  duc  de  Richelieu,  s'abaisse 
un  escalier  monumental  dominant  les  quais  et  les  ports,  tandis  que  d'an- 
ciennes «  valleuses  »,  remplies  de  constructions,  s'ouvrent  dans  l'épaisseur 
(lu  plateau.  Tout  le  quartier  central  est  une  ville  somptueuse  aux  maisons 
de  style  italien,  aux  larges  rues  bordées  de  trottoirs,  aux  magasins  élégants  ; 


550  NOUVELLE   GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

mais  par  delà  s'étendent  de  chaque  côté  vers  la  steppe  de  vastes  faubourgs 
où  le  vent  soulève  des  tourbillons  de  poussière,  le  fléau  d'Odessa.  Le  sol 
sur  lequel  repose  la  ville  se  compose  d'un  grès  coquillier  qui  sert  à  la  con- 
struction des  édifices,  mais  qui  se  délite  facilement  à  l'air  et  qui,  dans 
l'espace  de  peu  d'années,  donne  aux  maisons  l'aspect  de  ruines  :  cette 
pierre  fait  comprendre  pourquoi  les  villes  grecques  du  littoral  ont  disparu 
sans  laisser  autre  chose  que  des  amas  de  débris.  Le  grès  d'Odessa,  exploité 
au-dessous  de  la  ville  même,  en  galeries  ou  catacombes,  dont  quelques- 
unes  se  sont  récemment  effondrées,  est  trop  friable  pour  servir  au  pavage 
des  rues,  et  c'est  de  Malte  et  d'Italie  que  les  navires  doivent  impor- 
ter les  matériaux  employés  par  les  paveurs  d'Odessa.  L'eau  courante 
manque  aussi  :  à  l'exception  de  deux  sources,  la  ville  n'a  que  des  puits 
d'eau  mauvaise  et  des  citernes  ;  pendant  la  saison  sèche,  il  fallait  autrefois 
payer  chèrement  l'eau  importée  de  Crimée  ;  maintenant  elle  est  amenée  de 
Mayaki,  sur  le  bas  Diîestr,  par  un  aqueduc  de  40  kilomètres  de  longueur. 
Les  réservoirs  contiennent  27  millions  de  litres. 

Yille  à  la  fois  russe  et  méditerranéenne,  Odessa  est  l'une  des  cités  d'Eu- 
rope dont  la  population  est  le  plus  mélangée.  Les  principaux  commer- 
çants sont  Juifs,  Italiens,  Grecs,  Allemands,  Français.  Les  Tartai-es  et  les 
Roumains,  les  Turcs  et  les  Bulgares  se  rencontrent  dans  les  rues  avec  les 
Lases  de  l'Asie  Mineure  et  les  Grusiniens  du  Caucase.  L'influence  fran- 
çaise est  considérable  dans  cette  ville,  fondée  par  le  général  de  Ribas, 
construite  en  partie  par  l'ingénieur  de  Yoland,  embellie  et  dotée  par  le 
duc  de  Richelieu  ;  cependant  les  étrangers  dont  l'action  a  été  prépon- 
dérante sont  les  Italiens  :  naguère  les  inscriptions  des  rues  étaient 
rédigées  en  deux  langues,  italien  et  russe,  et  beaucoup  de  mots  italiens 
sont  entrés  dans  la  langue  populaire  d'Odessa.  Du  reste,  la  physionomie 
de  la  ville  change  singulièrement  suivant  les  alternatives  du  commerce, 
qui  sont  très  grandes,  car  la  principale  denrée  d'expédition  consiste  en 
céréales,  et  nul  article  d'échange  n'est  soumis  à  de  pareilles  oscillations 
annuelles,  provenant  de  l'inégalité  des  récoltes,  des  besoins  et  de  la 
richesse  des  pays  d'importation.  De  vastes  magasins,  dont  quelques-uns 
ressemblent  à  des  palais,  servent  à  entreposer  les  grains  et  donnent  une 
idée  de  l'importance  de  ce  trafic'.  Odessa  expédie  aussi  par  ses  trois  ports, 
que  l'on  a  récemment  agrandis,  des  quantités  considérables  de  laines,  des 
suifs,  du  lin,  et  reçoit  en  échange  des  denrées  coloniales,  des  objets  ma- 

'Exporblions  lies  (.'laiiis  lin  iKJil  irOilcsEiicn  18lJ(j.    ......       (î 'JôO  000  hectolitres. 

),        n  ..  .,     1870 15  280  000    »       ' 

1,        .     ■.     1.     1878 17  500100    » 


ODESSA.  _        551 

nufacturés,  des  vins,  des  articles  de  luxe'  ;  l'imporlation  de  thé  est  con- 
sidérable; la  valeur  en  était  de  40  millions  de  francs  en  1881.  I,es  bateaux 
à  vapeur  ont  la  plus  grosse  part  dans  le  commerce  d'Odessa,  et  la  ville 
elle-même  possède  une  partie  notable  de  la  flotte  qui  dessert  ce  commerce'. 
Quant  à  l'industrie  locale,  elle  n'alimenle  le  trafic  que  dans  une  faible 
mesure  :  c'est  en  1830  qu'Odessa  eut  sa  première  usine  proprement  dite; 
mais  elle  possède  maintenant  des  minoteries  à  vapeur,  des  ateliers  de 
machines,  des  fabriques  de  tabac,  des  distilleries,  des  brasseries,  des  ate- 
liers de  salaisons,  des  chantiers  de  toute  espèce";  les  salines  des  environs 
fournissent  de  4000  à  5000  tonnes  de  sel  par  an.  Odessa  n'est  plus  port 
franc  depuis  l'année  1857  ;  mais  bientôt  après  elle  reçut  une  compensation 
d'autre  nalure  en  devenant  le  siège  de  l'une  des  universités  russes,  encore 
la  moins  nombreuse  en  professeurs  et  en  élèves*. 

En  suivant  le  littoral  au  sud  d'Odessa,  on  ne  trouve  point  de  villes', 
seulement  de  distance  en  distance  quelques  khoutori  ou  maisons  de  cam- 
pagne que  les  riches  négociants  entourent  à  grand'peine  d'arbres  et  de 
fleurs.  Les  villages  de  la  contrée  sont  pour  la  plupart  des  colonies  alle- 

'   Valeur  du  commerce  d'Odessa  en  1880  : 

Imporlalion 196058000  francs. 

Esporlalion Sl'à  707  000       » 

Ensemble 418  705  000  francs. 

Mouvement  du  port  en  moyenne,  pour  1878-1880  : 

Commerce  éli-anper '2871   navires,  jaugeant    2  792  000  tonnes. 

Cabotage 'J8|7       »  ',,  .^09  000       » 

Ensemble .     5088  navires,  jaugeant    3  501  000  tonnes. 

-  Flotlille  commerciale  d'Odeisa  en  1880  :  101  bateaux  à  vapeur  et  178  voiliers,  jaugeant  ensemble 
63  800  tonnes.  ° 

^  Fabriques  d'Odessa  en  1880  :  205,  avec  5400  ouvriers,  produisant  pour  une  valeur  de  plus  de 
65  millions  de  francs. 

*  Université  d'Odessa  en  1881  ;  Professeurs,  48;  étudiants,  374.  Bibliothèque,  90  000  volumes. 
Budget  annuel,  214  000  roubles. 

■*  Villes  des  bassins  du  Boug,  du  Tiligout  et  du  littoral  de  Khcrson,  ayant  plus  de  5000  habitants-. 
GocvEKNEMEXT  DE  KiYEv.  1   Litin      (1880).    .  7  100  bab. 

Oumah  (1880i 15  400  bab.    !   '^'f^^P"'      '■     •        ■  .    ■       6  720     . 

Zvcnigorodka         ■■  .  .      1 1  575     »  Bratrfav     „      .  5  525     » 

I-'PO^'e'Z  6  700       H  '  COUVERXEMEM   DE   KIlEftSO.V. 

cocvERxEJiEM  DE  l'ODouE.  Odcssa  (cu  1882).   .    .    .    .    .    .217  000  bal. 


Ra+la            (1880) 22  450  bab 

Vinnitza  „      .                ..  18  800     » 

Proskouroï  „  Il  750     » 

Gaïs'O  .  9  400     ,< 

"^'"                    '' "  800     i>       j   Vozncsensk          »       .    .        .    .       9  250 

''•i^elnik         ;> 7  iOO     »       !  Olchakov             »       .....       7  500 


Nik(rfaycv(1880).    ......  66500 

Yelisavetgra4  (1885)   .....  51  775 

Ananyev              »       .    •    .    .   .  14  100 

Bobrinetz             n       .....  10  120 


0Ù2  NOUVELLE  GÊOGllAPHIE  UNIVERSELLE. 

mandes,  situées  au  bord  de  mares  qu'on  a  formées  en  barrant  le  cours  des 
ruisseaux  de  la  steppe. 

En  pénétrant  sur  le  territoire  russe,  le  Dnestr  arrose  les  campagnes  de 
Khotin  (Chocim),  qui  fut  jadis  la  colonie  génoise  la  plus  avancée  vers  le 
nord  :  on  y  voit  encore  quelques  restes  de  la  forteresse  italienne.  Khotin 
était  aussi  la  place  d'où  les  Turcs  surveillaient  la  ville  polonaise  de  Ka- 
menetz  Podolskiy,  située  plus  au  nord  sur  une  haute  terrasse  coupée 
par  un  profond  ravin.  Cette  ville,  qui  ressemble  par  sa  position  à  Luxem- 
bourg, est  réunie  comme  elle  aux  quartiers  de  la  falaise  opposée  par  un 


KAMEXETZ    ET    RAVINS    Dr    HAUT    DNESTfl. 


superbe  viaduc.  Un  autre  pont  bâti  en  1672  par  les  Turcs,  pendant  une 
courte  période  de  possession,  réunit  Kameiïctz  à  l'ancienne  forteresse  qui 
donnait  à  la  place,  il  y  a  cent  ans  à  peine,  tant  d'importance  stratégique 
et  dont  les  tours  rondes,  coiffées  de  toits  pointus,  ont  un  aspect  si  pitto- 
resque. Les  Arméniens  de  Kamenetz,  auxquels  les  rois  de  Pologne  avaient 
concédé  de  grands  privilèges,  ont  presque  tous  émigré'.  Actuellement, 
Kamci'ictz,  Israélite  par  lu  moitié  de  sa  population,  dispute  à  Kliotiii  un 
commerce  interlope,  qui  fui  autrefois  très  considérable,  avec  les  villages 
galiciens  d'oulre-fronlière.  Novaya  Oucbitza,  au  bord  de  l'im  des  ravins 
qui   découpent  le   j)latcau  du  nord,  et  la  charmante  Mogilov-Podolskiy, 


'    Tcliiiiijliiii!.kiy,  ouvrage  cilo. 


KICIMNOV,  BENDER.  555 

entourée  de  vergers  et  de  vignobles,  sont  les  autres  villes  de  cette  région  du 
haut  Dneslr. 

En  aval  de  Mogilov,  Yarapol,  Soroki,  Doubossarî,  Grigoriopol,  se  succè- 
dent sur  les  bords  du  fleuve.  Soroki,  ville  de  Juifs  et  de  Moldaves,  en- 
tourée de  plantations  de  tabac,  était,  au  douzième  et  au  treizième  siècle, 
une  de  ces  colonies  que  les  Génois  avaient  établies  dans  la  vallée  du  Dneslr 
pour  commercer  avec  les  populations  de  la  Galicie  et  de  la  Hongrie.  A 
l'ouest,  sur  un  affluent  du  fleuve,  sont  deux  villes,  souvent  perdues  au 
milieu  des  boues  :  Beltzî,  bien  connu  des  marchands  de  bétail,  et  Orgeyev 
dépendent  pour  leur  commerce  des  deux  grandes  cités  voisines,  Yassi,  capi- 
tale de  la  Moldavie,  et  Kichinov,  chef-lieu  de  la  Bessarabie,  qui  portait  au- 
trefois le  nom,  plus  vrai  ethnographiquement,  de  Rosso-Ylachie.  Kicbinov, 
la  Kissinou  de  ses  habitants  roumains,  est  un  grand  village  de  plus  de 
cent  mille  habitants,  aux  larges  rues  boueuses  ou  poussiéreuses,  suivant 
les  saisons;  sur  près  de  sept  mille  demeures,  elle  n'avait  pas  en  1878  cin- 
quante habitations  d'un  étage;  son  principal  édifice  est  une  énorme  prison 
dressant  au-dessus  des  maisons  basses  ses  quatre  tours  crénelées.  Elle  est 
entourée  de  jardins  que  cultivent  les  Bulgares.  Au  nord,  quelques  collines 
sont  revêtues  de  fourrés  de  broussailles,  auxquelles  on  donne  le  nom  de 
forêts. 

L'ancienne  Tagîn  des  Cosaques,  Benderî,  plus  connue  en  Occident  sous 
le  nom  de  Bender,  est  loin  d'avoir  l'importance  de  Kichinov  pour  la  popu- 
lation et  le  commerce,  mais  elle  est  tout  autrement  fameuse.  C'est  dans 
cette  ville  de  la  rive  droite  du  Dnestr  que  se  retira  Charles  XII  après  la 
bataille  de  Pol'tava,  et  qu'il  profila  pendant  deux  ans  de  l'hospitalité  du 
sultan  ;  ensuite  il  établit  son  camp  à  trois  kilomètres  de  là,  près  du 
village  de  Yarnitza,  où  il  demeura  aussi  deux  années.  Benderî,  jirise  trois 
fois  par  les  armées  russes,  ne  fut  définitivement  annexée  à  l'empire  qu'en 
1812.  A  une  petite  distance  en  aval,  sur  la  rive  gauche  du  Dnestr  et  sur 
un  autre  méandre,  Tiraspol,  signalée  de  loin  par  son  armée  de  moulins  à 
vent,  rappelle  par  son  nom  l'ancienne  colonie  grecque  de  Tiras,  qui  du 
reste  ne  se  trouvait  point  en  cet  endroit  ;  elle  a  donné  asile  au  dernier 
siècle  à  un  grand  nombre  de  raskolniks  grands-russicns,  qui  ont  conservé 
leurs  mœurs  jusqu'à  ce  jour  et  qui  se  distinguent  en  général,  surtout  les 
femmes,  par  la  beauté  du  visage*.  Plus  au  sud,  le  village  d'Olonechti,  sur 
le  Diïestr,  rappelle  les  Alains,  qui  furent  autrefois,  avec  les  Nogaï,  les 
habitants  du  pays.  La  pauvre  Ovidiopol,  (|ui  n'a  point  remplacé  le  lieu 

'  Tcl:oujbin>kiVi  ouvrage  cilù. 


35$ 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


il'oxil  du  poète  romain,  ainsi  que  pourrait  le  faire  croire  son  nom,  est 
située  sur  la  rive  orientale  du  liman  du  Dnestr;  elle  eut  jadis  de  l'im- 
portance lorsqu'elle  était  la  gardienne  de  la  frontière  russe  contre  la  for- 


KREIÏMAN    rr    LniAV    Dr    DNESTR. 


lercsso  tunpie  d'Akkcrman.'liàlie  de  l'autre  côté  du  liman,  et  environnée 
de  vastes  fiiubour^^s,  dont  le  prin(M|)al  est  Tourl'aki.  C'est  là  probable- 
ment qu'était  l'ancienne  Tiras  ou  Opliious  :  elle  devint  l'.Vlba  Jiilia  des 
Daccs  latinisés,  la  I>eucopolis  et  l'Aspro-Kaslron  des  Byzantins,  l'Akliba 


AKKERMAN,  ISM.VIL.  557 

(les  Koumanes,  la  Fcher-Yâr  des  Hongrois,  la  Citate  Alba  des  Roumains, 
la  Bel-Gorod  des  Slavons,  l'Ak-Kerman  des  Turcs,  et  sous  ces  différents 
noms,  qui  signifient  tous  «  Ville  Blanche  »  ou  «  Forteresse  Blanche  », 
elle  eut  à  défendre  le  passage  du  Dnestr,  de  même  que  la  Forteresse  Noire 
défendait  le  Dnepr;  on  voit  encore  près  de  la  ville  les  restes  d'un  fort 
génois  et  des  murs  construits  par  les  Roumains  et  les  Turcs.  Les  pêcheries 
du  liman  et  les  produits  agricoles  des  pêcheries  environnantes  lui  donnent 
une  certaine  importance  commerciale.  Elle  est  en  grande  partie  peuplée 
de  descendants  de  serfs  fugitifs  de  la  Petite  Russie,  auxquels  on  donnait 
tous  les  droits  de  bourgeoisie  en  les  inscrivant  sous  les  noms  de  citoyens 
décédés  :  aussi  «  l'immortalité  »  des  bourgeois  d'Akkerman  était-elle  passée 
en  proverbe.  A  6  kilomètres  au  sud  est  la  colonie  de  Chaba,  peuplée  de 
Suisses  romands  et  germains'. 


La  dernière  guerre  a  donné  à  la  Russie  les  riclies  campagnes  du  Boiidjak 
ou  Bessarabie  moldave  et  quelques  villes  populeuses  des  bassins  du  l'rout 
et  du  bas  Danube.  Kahulii  fen  russe  Kagoul)  ou  Frumosa,  ville  roumaine, 
est  voisine  du  Prout,  tandis  que  Bolgrad  est  située  à  l'extrémité  septen- 
trionale d'un  liman  danubien.  Cette  capitale  des  colonies  bulgares  de  la 
Bessarabie  danubienne  est  une  ville  industrieuse  et  vivante,  dont  les  écoles 
primaires  et  secondaires  sont  tenues  d'une  manière  vraiment  admirable. 
En  1S77,  la  Bessarabie  moldave  possédait  140  écoles,  dont  10  gymnases, 
tandis  que  toute  la  Bessarabie  russe,  contenant  neuf  fois  plus  d'habitants, 
n'avait  que  220  écoles  \ 

Sur  le  Danube,  le  centre  de  population  est  la  double  ville  d'ismaïl 
(Izmayil)  et  deToutchkov,  fameuse  dans  l'histoire  des  guerres  danubiennes. 
Trois  fois,  en  1770,  en  1790,  en  {791,'Ismaïl  fut  prise  par  les  Russes, et 
la  ville  dévastée  n'était  plus  qu'un  monceau  de  briques  lorsque  Toutchkov 
fut  fondée,  on  1810.  Quoique  située  sur  le  bras  du  Kilia  —  la  Kiliya  des 


'  Villes  russes  du  bassin  du  Dneslr  ayant  |>lus  de  ôOOO  liahilanl 

COUmHXKJlENT   DE    POBOLtE. 

Kamenclz  Podolskiy  (1880)   .    .     22(100  liai) 
Mogiiov  ,,       .    .     18  li)0     » 


COUVERSEMEXT   DE   KflERSOS. 

Tirasiloi     (188".) 17  150  liai). 

Doubnssari     u 9  600     n 

Grigoriopoi    » 8  850     « 

^  Uuiée  pédagogique  (en  russe),  1879,  1  et  2. 


GOtVERNEMEM    DE    BESSABAUIE. 

Kichinnv  (1881) 150  000  lia 

Akkerman  (1880) 45  000  )i 

Benderî           »       52  550  » 

Kholin             „       16150  n 

Soroki              „       9  250  )) 

Orpeycv           „       7  550  „ 

T'uiiiaki         j)       6  750  I) 


558 


NOUVELLE  GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


Russes,  —  le  -moins  fréquenté  par  les  navires,  Toutchkov  fait  un  assez 
grand  commerce  de  blés  et  d'autres  denrées  agricoles;  elle  a  exporté  dans 
une  seule  année  jusqu'à  1600  000  hectolitres  de  froment*.  En  amont  de 
Toutchkov,  le  port  de  Reni,  près  duquel  Darius  aurait  franchi  le  Danube-, 
en  aval,  Kilia,  la  ville  de  sectaires  lippovanes,  qui  a  donné  son  nom  au 


bras  danubien  du  nord,  et  Yilkov,  peuplée  de  pêcheurs,  ont  un  mouve- 
ment d'échanges  beaucoup  moins  considérable'.  Désormais  maîtresse  du 
bras  danubien  de  Kilia,  le  plus  considérable  du  Danube,  la  Russie  s'occupe 
d'en  approfondir  l'entrée  pour  en  faire  la  véritable  bouche  fluviale,  au 
détriment  de  Soulina. 


'  Mouvcnicnl  du  pnrt  de  Toutchkov,  en  1880  : 

1000  n.ivires,  dont  597  sont  entrés  ou  sortis  sans  cargaison. 

«  Brnnii,  Ancienne  topographie  delà  ISouvelte-Riissie  et  de  la  Bessarabie  (en  russe). 

5  Villes  de  la  Bessarabie  danuLicnne  en  1878  : 
Isniaïl(lzmn;il)  et  Tontolikov     .      r>n  2,-|0  liai).    <    Kilia S.'iOOliab. 


Bol-rad 


7  5.J0 

Kahulu  (Iv.igowi).    . 


lieni . 


.4  150    » 


i'.)50  liab. 


UÉGION  DES  GRANDS  LACS.  559 


VII 

RÉGION     DES    GRANDS     L.*C5 

INGRIE  ET  KARÉLIE,  NOVGOROD  ET  Si  IS  T-PÉ  T  ERSBO  CRG 

La  première  Russie  historique  était  née  dans  le  bassin  du  Dnepr,  sous 
l'influence  de  la  civilisation  méditerranéenne  ;  une  autre  Russie  devait  se 
développer  sur  le  versant  de  la  Baltique,  dans  les  régions  tournées  vers  les 
Slaves  Baltiques,  les  Scandinaves  et  les  Allemands.  Au  groupement  de 
peuples  dont  Kiyev  était  le  centre  devait  correspondre,  également  sur  le 
«  chemin  dos  Grecs  chez  les  Varègues  b,  un  autre  point  vital  de  commerce 
et  de  culture,  et  ce  point  vital  fut  Novgorod.  La  région  qui  l'entoure  et  qui 
s'étend' au  nord  pour  embrasser  les  grands  lacs  n'appartient  pas  en  entier  à 
la  Slavie  proprement  dite  :  par  l'origine  des  habitants  qui  les  peuplent,  de 
même  que  par  leur  histoire,  les  bassins  de  la  Narova,  du  Volkhov,  de  la 
Àeva,  forment  une  zone  de  transition  entre  les  Finnois  de  familles  diverses 
et  les  Slaves  orientaux  ;  néanmoins  l'importance  géographique  de  cette  con- 
trée est  telle,  que  de  tout  temps  les  Russes  devaient  chercher  à  y  établir 
leurs  marchés  :  ils  ont  fini  même  par  y  placer  leur  capitale,  en  faisant 
choix  d'un  sol  qui  se  trouvait  presque  en  dehors  du  continent,  entouré 
de  peuplades  étrangères.  Toutefois  la  grande  cité  bâtie  sur  les  bouches 
de  la  i\eva  n'a  pu  encore  attirer  de  population  considérable  que  dans  ses 
murs,  et  les  froides  terres  du  nord  où  elle  se  trouve  sont  restées  presque 
désertes,  en  comparaison  de  tous  les  pays  de  l'Europe  tempérée.  En  vue 
même  de  ses  coupoles  commence  la  région  des  solitudes'. 

En  y  comprenant  toute  la  surface  du  Ladoga,  dont  une  partie  est  offi- 
ciellement attribuée  à  la  Finlande,  la  région  des  grands  lacs  russes  est 
recouverte  d'eau  sur  un  espace  de  plus  de  40  000  kilomètres  carrés.  La 
contrée  n'est  pas  en  entier,  comme  certaines  parties  de  la  Suède  et  comme 
la  Finlande,  un  dédale  d'eaux  sinueuses  que  les  voyageurs  doivent  éviter 
par  de  longs  détours  en  cheminant  d'isthme  en  isthme;  mais  les  lacs  qui 
s'y  trouvent  sont  les  plus  vastes  de  la  Russie,  après  la  Caspienne,  reste 
d'un  golfe  océanique.  Les  trois  grands  lacs  d'eau  douce  dont  le  trop-plein 
descend  au  golfe  de  Finlande  par  la  Narova  et  la  Neva  sont  plus  élendus 

'  Gouverncmcals  de  Pskov,  de  Novgorod,  de  Sainl-I'ôlcrsbourp,  d'OlonpIz  ; 

Suporricie.  Population  en  IK83.  Population  kilométrique. 

5G9  075  kilomètres  carrés.  ô  8ti7  7bU  lialiilants.  1 1  habitants- 


r.eo 


NOUVELLE  GEOGRAPUIE  UNIVERSELLE. 


que  tous  les  autres  bassins  réunis  de  l'empire,  et  l'un  de  ces  trois  lacs, 
le  Ladoga,  dépasse  de  beaucoup  en  superficie  et  en  contenance  tout  réser- 
voir lacustre  de  la  Scandinavie  ou  des  Alpes.  La  cause  de  cette  surabon- 
dance d'eaux  dormantes  provient  de  l'horizontalité  générale  du  territoire  : 


K°    li9.    lACS    ET    MARAIS    DO   FAITE    EXIIIE    LE    VOLEIIOV    ET    LA    DfN 


e6M0-  L   de  P. 


C  Perron 


des  seuils  rocheux  d'une  faible  hauteur  ont  suffi  pour  arrêter  le  cours  des 
fleuves  cl  pour  les  obliger  à  s'étendre  en  amonl  jusqu'à  former  de  véritables 
mers.  Au  sud  et  à  l'est,  les  limites  de  cette  région  lacustre  sont  elles-mêmes 
fort  |t(!u  élevées,  et  des  lacs,  des  marais,  des  tourbières  gontlées  par  les 
sjjliaigncs  jusqu'à  12  et  15  mètres  au-dessus  des  plaines  environnantes,  des 
ionds  mal  asséchés,  en  occupent  encore  la  plus  grande  étendue.  On  peut 


MARAIS  DE  L'I.NGRIE  ET  LAC  PEIPOUS.  bbl 

citer  en  exemple  de  ces  terres  à  demi  noyées  le  faîte  qui  sépare  le  bassin  de 
Vol'khov  de  celui  de  la  Diina. 

A  l'orient  de  la  contrée  des  Lettons  et  des  Elisles,  une  de  ces  vastes 
nappes  d'eau  qu'alimentent  la  Yelikaya  ou  la  «  Grande  »,  l'Embach  de 
Dorpat  et  d'autres  affluents  considérables,  se  prolonge  du  sud  au  nord 
sur  une  longueur  de  plus  de  140  kilomètres  :  c'est  le  lac  que  les  Ehstes 
ont  nommé  le  Peipous  et  que  les  Russes  connaissent  sous  l'appellation  de 
Tchoudskoïe  Ozero  ou  de  «  lac  des  Tchoudes  »,  précisément  parce  qu'il 
était  entouré  de  tribus  flnnoises.  Ce  lac,  dont  la  profondeur  moyenne 
est  d'une  dizaine  de  mètres,  se  divise  en  deux  bassins  réunis  par  un  canal 
ayant  deux  kilomètres  à  la  partie  la  plus  étroite  du  passage  et  coulant 
à  la  façou  d'un  fleuve  :  là  est  la  partie  la  plus  profonde  du  lac.  Près 
de  Melihikorm,  le  lit  nettoyé  par  le  courant  a  jusqu'à  28  mètres  de 
profondeur  :  de  là  peut-être  le  nom  de  Topl'oïe  ou  de  «  Tiède  »  que  l'on 
donne  à  ces  parages,  parce  que  les  eaux  rapides  y  restent  gelées  moins 
longtemps  que  celles  des  bassins  tranquilles  au  nord  et  au  sud.  En  hiver, 
des  villages  temporaires  s'élèvent  sur  la  glace  dans  le  voisinage  des  «  fon- 
taines de  pêche  »  ;  ils  sont  formés  de  maisons  en  bois  de  bouleau  que 
les  habitants  remisent  dans  la  forêt  pendant  l'été'.  Le  Peipous  était  jadis 
beaucoup  plus  étendu  :  il  est  probablement  le  reste  d'un  bras  de  mer  qui 
rejoignait  l'extrémité  orientale  du  golfe  de  Finlande  au  golfe  de  Piiga  et 
que  l'exhaussement  graduel  des  fonds  a  séparé  de  la  Baltique.  Le  renou- 
vellement continuel  de  ses  eaux  par  les  pluies  et  les  rivières  affluentes 
l'a  transformé  en  uu  lac  d'eau  douce;  mais  on  peut  reconnaître  en  plu- 
sieurs endroits  les  anciennes  falaises  marines,  en  tout  seml)lables  à  celles 
que,  sur  les  côtes  de .  l'EIistonic,  viennent  battre  maintenant  les  flots 
de  la  Balti([Me.  Du  reste,  parmi  les  animaux  qui  le  peuidcnl,  il  on  est 
encore  d'origine  marine  :  ainsi  les  phoques,  descendus  d'ancêtres  qui 
vivaient  dans  l'eau  salée,  ont  dû  se  faire,  de  génération  en  génération,  à 
leur  nouveau  milieu.  En  1852,  von  Baer  fit  jeter  dans  le  Peipous  un 
certain  nombre  de  saumons,  et  ces  poissons  se  sont  multipliés  dans  le 
bassin  fermé,  quoiqu'ils  ne  puissent  faire  de  migrations  annuelles  dans 
la  Baltique  à  cause  de  la  chute  qui  interrompt  le  cours  de  la  rivière  de 
sortie'.  Depuis  iNii,  que  les  habitants  riverains  désignent  par  le  nom 
d' «  année  du  déluge  »,  le  niveau  du  Peipous  reste  beaucoup  plus  élevé 
qu'il  ne  l'était  autrefois,  des  îles  ont  disparu,  des  golfes  se  sont  creusés 


'  Vfin  ilcjmprscn,  Deilrâge  zur  Kennlniu  des  ruuisclii'n  Reiches,  lomc  XXIV. 
•  Dultdin  de  l'Académie  de$  sciences  de  SaiiU-Pétenbourg,  i8G2,  lome  IV. 


562 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


dans  les  rivages,  des  forêts  baignées  par  le  flot  montant  ont  complètement 
péri,  et  les  luchten  ou  a  prairies  tremblantes  »  des  bords,  qui  fournis- 
saient autrefois  une  grande  quantité  de  foin,  ont  été  changées  en  marais. 
Ces  invasions  du  lac  sur  ses  rivages  sont  dues  sans  doute  aux  grands  tra- 
vaux de  dessèchement  qui  ont  été  faits  dans  les  campagnes  de  son  bassin  : 

on  y  avait  creusé  dès  l'an- 
née  1864  jusqu'à  2000  ki- 
lomètres de  canaux,  dont 
l'eau  descend  rapidement 
vers  le  Peipous  sans  trou- 
ver un  écoulement  assez 
rapide  par  la  Narova  :  il 
serait  nécessaire  d'ouvrir 
un  canal  pour  emporter 
directement  à  la  mer  ou 
à  la  basse  Narova  toutes 
ces  eaux  surabondantes. 
Les  progrès  du  lac  sont 
fort  rapides  le  long  de  la 
rive  septentrionale  :  là  s'é- 
lève une  rangée  de  dunes 
mobiles,  hautesen  moyenne 
de  7  à  9  mètres,  et  se  dé- 
plaçant du  sud  au  nord  ; 
à  mesure  qu'elles  s'avan- 
cent, la  plage  qu'elles  aban- 
donnent est  rongée  par 
le  flot.  Cette  marche  des 
dunes  vers  le  nord  pro- 
vient de  ce  qu'elles  ne 
, '  '  '^""""^ ,  sont    exposées    qu'à    l'in- 

fluence des  vents  du  sud; 
de  l'autre  côté,  elles  sont  protégées  par  l'épaisseur  de  la  forêt  '. 

La  surface  moyenne  du  lac  est  à  29  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la 
mer;  il  faut  donc  que  son  émissaire,  le  fleuve  Narova,  descende  au  golfe 
de  Finiantle  par  un  cours  très  incliné  ou  par  des  cascades.  Sortie  par 
l'angle  nord-oriental  du  lac,  en  longeant  la  base  des  hautes  berges  de  sa 


'  Von  Uclraerscn,  ouvrage  cito. 


LAC  PEIPOUS  ET  RIVIERE   N.VROVA.  563 

rive  droite,  la  Narova  finit  en  effet  par  entrer  dans  une  cluse  de  rochers 
d'où  elle  s'échappe  de  degrés  en  degrés.  En  amont  de  ^"arva,  elle  se 
divise  en  deux  bras  autour  de  l'île  de  Kràhnliolm  et  tombe  d'une  hauteur 
de  5  à  6  mètres  dans  le  lit  inférieur  creuse  entre  des  falaises  abruptes 
de  grès  et  de  calcaire.  Tandis  que  la  partie  occidentale  du  fleuve  descend 
en  cascatelles  nombreuses,  entremêlant  leurs  nappes  d'eau  verte  et  leurs 
flots  d'écume,  le  courant  oriental,  plus  abondant,  plonge  en  une  seule 
masse  comme  pour  s'engouffrer  dans  une  étroite  fissure  du  sol  :  la  rive 
droite  du  fleuve  s'élevant  en  muraille  au-devant  de  la  cataracte,  les  eaux, 
à  l'étroit  dans  leur  entonnoir,  s'enfuient  obliquement  pour  rejoindre 
l'autre  bras  de  la  Narova. 

Dans  la  partie  inférieure  de  son  cours,  en  aval  des  chutes,  des  fabriques 
de  leurs  bords  et  de  la  ville  de  Narva,  la  Narova  est  un  fleuve  errant, 
ayant  plusieurs  fois  changé  de  lit  pondant  la  période  géologique  actuelle. 
Un  double  rempart  de  dunes,  de  plus  de  20  mètres  de  haut,  qui  borde 
à  l'est  la  baie  de  Narva,  est  un  obstacle  naturel  qui  ne  permettait  pas 
jadis  au  fleuve  de  gagner  directement  la  mer  :  il  continuait  sa  route  au 
nord  en  longeant  les  monticules  de  sables  par  la  vallée  que  suit  mainle- 
nant  la  rivière  de  ■Louga.  Une  brèche  ouverte  à  travers  les  dunes  à  une 
époque  inconnue  permit  à  la  xNarova  do  s'épancher  à  l'ouest  dans  la  baie 
de  Narva,  mais  en  amont  de  l'embouchure  se  voient  maintes  sinuosités 
de  la  vallée  et  même  un  lac  tortueux  qui  témoignent  des  divagations  conti- 
nuelles du  cours  d'eau.  D'ailleurs  les  deux  vallées  de  la  Eouga  et  de  la 
Narova  sont  encore  hydrographiquement  unies,  car  une  branche  de  la 
•Eouga,  la  Rossona,  —  encore  une  de  ces  rivières  qui  permettent  de  cher- 
cher l'origine  des  Russes  au  bord  du  golfe  de  Finlande,  —  se  détourne  à 
l'ouest  pour  aller  se  jeter  dans  la  Narova,  immédiatement  au-dessus  de 
l'embouchure.  La  Rossona  est  la  rivière  la  moins  abondante,  mais  elle 
est  de  beaucoup  la  plus  irrégulière  dans  son  régime  et  c'est  à  ses  allu- 
vions  que  sont  dus  les  brusques  changements  de  la  barre.  Sortie  d'un  la<- 
qui  en  règle  le  courant,  la  Narova  n'apporte  guère  de  troubles,  et  l'iVarl 
de  niveau  entre  ses  crues  et  son  étiage  dépasse  à  peine  1  mètre,  tandis  fpie 
la  Rossona  s'élève  de  3,  de  4  et  même  de  plus  de  5  mètres,  et,  ron- 
geant ses  rives,  apporte  à  la  mer  de  grandes  quantités  de  sable.  Il  a  fallu 
démolir  des  édifices  pour  éviter  qu'ils  ne  fussent  emportés  avec  les  dunes 
sur  lesquelles  ils  étaient  construits  et  l'on  a  vu  un  cimetière  dont  les  cer- 
cueils, sortant  à  demi  de  la  terre,  tombaient  successivement  dans  le  flot'. 

'  Von  Ilelmcrsen,  Bulletin  de  l'Académie  de»  tciencet  de  Saiitt-Pélersbourg,  tome  III,  18CI. 


5G4 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


ISI.  I.OCGA  ET  NAHOVA 


LdeP 


On  pense  que  pour  maintenir  au  seuil  d'entrée  de  la  Narova  une  profondeur 
constante  de  5  mètres  il  serait  nécessaire  de  rejeter  la  Rossona  directe- 
ment dans  la  mer  par  une  bou- 
che indépendante.  Après  les 
crues  de  la  Rossona,  il  arrive 
parfois  que  la  barre  n'a  qu'un 
mètre  et  demi  ou  deux  mètres 
de  profondeur  et  les  petites  em- 
barcations ne  peuvent  même 
se  hasarder  à  franchir  le  seuil 
pour  entrer  dans  le  fleuve,  qui 
n'a  pas  moins  de  13  mètres  en 
amont  ;  l'eau  ne  s'approfondit 
qu'après  la  fin  des  crues,  grâce 
aux  vents  du  nord-ouest  et  à 
l'agitation  des  vagues  qui  dis- 
persent graduellement  au  loin 
les  alluvions  apportées  par  la 
Rossona.  Dès  1764,  on  essayait 
de  guider  le  courant  fluvial  et 
d'augmenter  sa  force  d'érosion 
au  moyen  de  rangées  de  pieux 
et  de  fascinages,  mais  ce  moyen 
ne  réussit  point  et  la  baie  de 
Narva  resta  l'un  des  plus  dan- 
gereux ancrages  de  la  côte  :  on 
y  a  vu  jusqu'à  plus  de  vingt 
navires  se  perdre  dans  une 
seule  tempête.  Il  serait  pour- 
tant très  nécessaire  d'amélio- 
rer le  port  de  Narva,  qui  offre 
de  grands  avantages  comme 
avant-bassin  de  Pélersbourg, 
auquel  le  rejoint  un  chemin  de 

0  5  lu   kll.  1     *  ^  ^  1 

Icr.  1)  après  des  observations 
suivies  pendant  70  ans,  la  Narova  est  libre  de  glaces  onze  jours  de  plus 
que  la  Neva. 

A  l'est  du  Peipous,  un  autre   lac,   l'ilmei'i,    d'une  siu'face  de  près  de 
iOOO  kilomètres  carrés,  n'est  en  réalité  qu'une  inondation  permanente, 


[.deC. 


Si/Û 

;     iOOUUO 


«i  /Oau-t/elà 


NAROVA,  ILME.N,   VOLKUOV.  565 

formée  par  un  grand  nombre  de  rivières  qui,  se  rejoignant  toutes  au 
même  endroit,  ne  trouvent  pas  un  écoulement  assez  rapide.  Du  sud-ouest 
vient  le  Chefon  ;  du  sud  coule  la  rivière  -Lovât,  issue  d'un  plateau  lacustre 
qui  domine  la  vallée  de  la  Dûna  ;  elle  forme  dans  le  lac  Ilmen,  avec  les 
rivières  Polist  et  Poloraet,  un  dolla  d'alluvions  grandissantes  où  les  eaux 
courantes  changent  de  lit  à  chaque  nouvelle  inondation;  enfln  au  nord- 
est  du  lac  se  déverse  une  autre  rivière  considérable,  la  Msta,  née  comme 
le  Poïomet  dans  le  massif  de  VaWaï,  mais  sur  le  versant  oriental  de  ces 
hauteurs,  dans  une  région  marécageuse  d'où  s'échappent  aussi  des 
affluents  de  la  Volga.  On  comprend  que  toutes  ces  rivières,  se  réunissant 
dans  un  seul  bassin  et  y  portant  tous  les  débris  entraînés  des  collines  envi- 
ronnantes, en  élèvent  rapidement  le  fond  et  en  modifient  les  contours. 
Les  eaux  du  lac  sont  presque  toujours  troubles  et  la  profondeur  en  est, 
suivant  les  endroits,  de  2  à  9  mètres  seulement  :  comparé  aux  grands  lacs 
de  la  Suisse,  qu'il  dépasse  encore  de  beaucoup  par  la  superficie,  il  ne  ren- 
ferme qu'une  masse  liquide  relativement  peu  considérable.  L'émissaire  de 
sortie,  le  Yoïkhov,  qui  reçoit  le  trop-plein  de  ce  lac  à  fond  boueux,  portait 
autrefois  le  nom  de  Moutnîy  ou  de  «  Fleuve  Trouble  »,  et  jusque  dans  le 
Ladoga,  dont  il  est  le  principal  affluent,  il  garde  des  eaux  louches.  Dans 
son  cours  de  plus  de  200  kilomètres  de  longueur,  de  l'ilmen  au  Ladoga,  il 
lui  faut  descendre  d'environ  18  mètres,  et,  comme  la  ^'arova,  il  doit  fran- 
chir la  dernière  barrière  de  rochers  par  des  chutes  et  des  rapides  :  la  hau- 
teur totale  des  cataractes  de  Gostinopol  est  de  9  mètres,  et  seulement  des 
radeaux  et  des  barques  de  construction  spéciale  peuvent  s'y  aventurer'. 
La  Svir,  qui  est,  à  l'est,  le  tributaire  principal  du  Ladoga,  et  dont  une 
gracieuse  légende  fait  la  «  sœur  »  du  Vol'khov,  apporte  au  lac  inférieur  les 
eaux  surabondantes  de  l'Onega,  lac  qui  reçoit  lui-même  le  trop-plein  de 
plusieurs  autres  bassins  lacustres  ;  quelques-uns  de  ces  réservoirs  seraient 
en  tout  autre  pays  d'Europe  considérés  eux-mêmes  comme  de  petites  médi- 
terranées  ;  mais  à  côté  des  vastes  étendues  du  Ladoga  et  de  l'Onega,  que 
bouleversent  souvent  les  tempêtes  et  où  les  dangers  doivent  être  signalés 
de  loin  aux  matelots  par  des  phares  semblables  à  ceux  de  la  pleine  mer, 
les  lacs  secondaires  perdent  de  leur  importance,  et  leurs  contours,  non 
encore  bien  étudiés,  sont  diversement  représentés  sur  les  cartes.  Le  lac 
Onega  est  d'une  navigation  très  périlleuse,  à  cause  des  nombreuses  roches 
et  des  ccueils  qui  se  trouvent  dans  le  voisinage  des  bords  :  on  dit  qu'avant 
les  travaux  de  balisage  entrepris  en  1874  les  naufrages  annuels  coûtaient 

•  AndreycT,  Le  lac  de  Ladoga  'en  russe}. 


566 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


en  moyenne  la  vie  à  quatre-vingts  mariniers.  Cependant  le  lac  est  très 
profond  dans  une  grande  partie  de  son  bassin,  et  même  vers  le  milieu  de 
l'étendue,  au  large  des  côtes,  la  sonde  n'aurait  trouvé  le  fond  qu'à 
2"25  mètres  de  la  surface.  Dans  toute  sa  moitié  septentrionale,  le  lac  Oiiega 

se  ramifie  en  de  nombreuses 
X  „:.  _  ONEGA.  baies,  toutes  uniformément  di- 

rigées du  sud-est  au  nord- 
ouest  et  se  prolongeant  au 
loin  vers  la  Laponie  par  des 
lacs  en  collier  et  par  des  ri- 
vières qui  suivent  la  même  di- 
rection, ainsi  que  les  collines 
intermédiaires,  hautes  de  250 
h  500  mètres.  Ces  plissements 
du  sol,  partiellement  emplis 
d'eau,  sont  parallèles  aux  lacs 
de  la  Finlande,  et  leur  axe  est 
précisément  orienté  dans  le 
même  sens  que  toute  la  par- 
tie sud-occidentale  de  la  mer 
Blanche,  de  la  baie  dite  d'Onega 
au  golfe  de  Kandal'akcha.  On 
a  constaté  l'existence  de  stries 
glaciaires  tracées  égalcniont 
du  nord-ouest  au  sud-est,  et 
les  âsar  ou  sciga  de  la  con- 
trée, notamment  ceux  des  en- 
virons du  lac  Sog,  s'alignent 
dans  un  sens  peu  différent. 
Cependant  quelques  moraines 
remaniées  se  ramifient  et  se 
L-e   des    plaines    de    véritables 


former  à   la    surfai 


croisent  de   manière 
alvéoles  de  pierres  '. 

A  l'ouest,  le  Saïma,  le  plus  grand  lac  de  Finlande,  est  aussi  un  simple 
tributaire  du  Ladoga,  au(piel  il  envoie  ses  eaux,  comme  l'Oiiega,  par  un 
fleuve  d'environ  GO  mètres  de  chute  totale  :  c'est  le  Wuoxen  des  Finlandais 
cl  des  Suédois,  la  Vouoksa  ou  Voksa  des  Russes,  la  rivière  qui  forme  les 


'  Inoslranlzev,  Esquisse  géoUxjiquc  du  (lisiricl  Je  Pov'enelz  (en  russe). 


O.NEGA,   LADOGA.  567 

fameuses  chutes  d'Imatra,  les  plus  imposantes  de  tout  le  bassin  de  la 
Neva.  Pendant  le  courant  même  de  ce  siècle,  le  Wuoxen  a  changé  de  lit 
dans  sa  partie  inférieure  et  sa  bouche  actuelle  se  trouve  à  une  quarantaine 
de  kilomètres  au  sud  de  l'ancienne.  Avant  l'année  1818,  il  se  déversait 
dans  le  Ladoga  près  de  la  ville  de  Keksholm,  à  laquelle  il  avait  donné  une 
certaine  importance  commerciale  ;  mais  de  grandes  pluies  firent  céder, 
près  du  village  de  Taïpala,  un  isthme  qui  séparait  le  Ladoga  d'un  autre 
lac,  de  forme  allongée,  le  Souvando,  communiquant  déjà  avec  la  rivière 

N'   l^ô.    STRIE?    ET    ASAR    PES    BORDS    Dr   I.AC    S0(;. 


E.deP      5C 


r-'^r^^r-  "-^^"X^ol^Tg^ V' 


^■^^"^^^^V-^— . 


-Korel'skaya  MyseTga 


.-.     ^ 


]>a|)ri;s  inostranUiv , 


I.    c/e/ûûàiSO 

\\     SUll.-!.. 


&e/50èS00      <^sQ0C^2.50     are920àô00 
•  :  1  îoooou  \  Ascr. 


AVuoxcn  par  un  petit  canal  qu'avait  fait  creuser  le  gouvernement  finlan- 
dais. La  brèche  soudainement  ouverte,  comme  celle  du  lac  Hoyliainen, 
abaissa  aussitôt  les  eaux  du  lac  Souvando;  ses  rives  noyées  s'asséchèrent 
assez  pour  que  les  paysans  des  environs  pussent  les  utiliser  pour  des  prai- 
ries et  des  champs;  le  lac  se  changea  en  fleuve,  et  les  eaux  du  Wuoxen, 
abandonnant  presque  entièrement  le  lit  septentrional,  s'écoulèrent  au  sud- 
est  par  le  nouveau  lit.  Du  reste,  il  est  probable  qu'à  une  époque  géolo- 
gique antérieure  le  Souvando  avait  été  déjà  une  embouchure  du  AViioxen, 
car  il  a  bien  la  forme  d'une  ancienne  coulée  fluviale'. 


'  Andrcjfcv,  ouvrage  cité. 


568  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

Le  lac  Ladoga,  un  de  ceux  qui  ont  été  le  mieux  étudiés  en  Russie  et 
même  dans  toute  l'Europe,  était  certainement,  comme  le  lac  Onega'  et 
comme  le  Peipous,  beaucoup  plus  vaste  qu'il  ne  l'est  de  nos  jours  ;  il  ne 
formait  qu'un  même  bassin  avec  le  golfe  de  Finlande  quand  le  niveau  de 
celui-ci  était  à  60  mètres  au-dessus  de  son  niveau  actuel.  Des  rives  basses 
du  sud,  presque  sans  arbres,  et  consistant  on  terrains  d'origine  glaciaire, 
semés  de  blocs  erratiques,  le  lit  du  Ladoga  descend  par  une  pente  insen- 
:;ible  vers  les  parages  profonds  que  dominent  les  falaises  granitiques  de  la 
côte  septentrionale.  Ainsi  la  forme  générale  de  la  cuvette  répond  bien  à 
l'idée  qu'un  marin  en  aurait  prise  à  premièie  vue,  par  l'aspect  général 
des  rivages.  Auprès  de  quelques  îles  rocheuses  la  sonde  ne  trouve  le  fond 
qu'à  100  ou  150  mètres.  La  profondeur  la  plus  considérable,  à  l'ouest  des 
îles  Val'aam,  est  de  225  mètres;  mais  en  moyenne  on  évalue  l'épaisseur 
de  l'eau  à  00  mètres  seulement,  ce  qui  donnerait  pour  tout  le  bassin  une 
contenance  approximative  dix-neuf  fois  supérieure  à  celle  du  lac  de  Genève'. 
D'ailleurs  la  quantité  d'eau  varie  notablement  dans  le  bassin  suivant  les 
variations  des  saisons  et  des  années,  car  pendant  quatorze  années  d'obser- 
vations l'écart  entre  les  hautes  et  les  basses  eaux  n'a  pas  été  moindre  de 
2"", 22,  ce  qui  représente  un  volume  de  40  kilomètres  cubes.  Les  moines 
de  Valaam  prétendent,  d'après  une  tradition,  qui  d'ailleurs  ne  repose 
sur  aucun  témoignage  de  valeur,  que  le  niveau  des  eaux  s'élève  et  s'abaisse 
alternativement  de  siècle  en  siècle. 

Quoique  des  eaux  troubles,  comme  celles  du  Yol'khov,  se  déversent  dans 
le  bassin  du  Ladoga,  l'eau  du  lac  est  en  général  si  pure  qu'à  la  profondeur 
de  4  ou  5  mètres  on  peut  distinguer  parfaitement  les  plus  petits  objets 
qui  reposent  sur  le  fond.  Cette  eau  est  très  froide  on  toute  saison,  si  ce 
n'est  au  mois  d'août  :  alors  la  temiiérature  de  la  couche  supérieure  peut 
s'élever  exceptionnellement  à  10  et  12  degrés  centigrades;  mais  en  juillet 
même  on  ne  se  hasarde  guère  à  la  boire.  A  la  fin  de  mai,  quand  la  glace 
vient  de  fondre,  l'eau  de  la  surface  est  à  2  degrés  en  moyenne  au-dessus 
du  point  de  congélation  ;  d'ordinaire,  la  différence  de  température  entre 
l'eau  superficielle  et  l'eau  profonde  n'est  pas  même  d'un  degré  :  celle-ci 

<  PoLikov,  Zapiski  Roiissk.  Geo/jr.  Obchtdicslva,  sccliou  d'Elhiiognijihie,  111;  _  Pionc  Kio- 
polkin,  Koks  manuscrites. 
»  PriniiiKuix  Incs  lusses  tributaires  du  golfe  de  Finlande  : 

Surface,  Profomleur      Profondeur 

Alliluilo.       d'nprès  Slrclbilskiy.         eiliôiiie.         moyenne.  Contenance  approiimallve. 

Ladoga.    .    .     ISnièl.       18  lûOkiL  car.       225mèt.         UO  met.  I  651  000  000  000  met.  cub. 

Onega.    .    .     7'2     «          9  7i.2       n            V27     »         !«(?)»  1425  00(1000  000       i. 

Peipous.   .    .     29     I)          5  51.Ï       »              21     ..           10     »  55  1.50  000  000       » 

ilmcn  ...     48    »             919      »               9     »            2(?).>  1  800  000  000  (?)  » 


LADOGA. 


569 


est  même  légèrement  moins  froide  en  liivcr,  tant  que  la  glace  s'étend  sur 
le  lac  en  une  dalle  immense.  Situé  un  peu  plus  au  sud  que  le  lac  Oiiega, 
et  surtout  plus  à  l'ouest,  sous  l'influence  du  climat  maritime,  le  Ladoga 
n'est  pas  glacé  durant  une  partie  aussi  considérable  de  l'année.  On  évalue 


I3i-    —    HIKCA 


en  moyenne  à  150  jours  la  durée  de  congélation  du  lac  Onega,  tandis  que 
les  eaux  profondes  du  bassin  septentrional  du  Ladoga  ne  sont  prises  d'or- 
dinaire que  pendant  l'20  jours;  elles  ne  se  revêtent  jamais  d'une  couche 
solide  avant  le  milieu  do  décembre  :  il  est  vrai  que  la  partie  méridionale, 
aux  eaux  basses,  parsemées  de  bancs  de  sable,  se  couvre  de  glace  parfois 
V.  72 


570  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

dès  la  fin  d'octobre.  11  y  a  des  années  pendant  lesquelles  le  milieu  du  lac 
ne  oèlo  point.  L'écorce  glacée  est  d'autant  plus  épaisse  que  les  variations 
du  climat  d'hiver  ont  été  plus  nombreuses  :  des  gelées  alternant  avec  une 
température  plus  douce  donnent  plus  d'épaisseur  à  la  glace  qu'une  longue 
gelée  se  continuant  également  pendant  tout  l'hiver.  Ce  phénomène  provient 
de  ce  que  les  glaces  des  hivers  changeants  se  composent  de  fragments  iné- 
gaux, que  le  vent  a  séparés  les  uns  des  autres  et  qui  se  sont  soudés  de 
nouveau  en  masses  irrégulières,  en  entassements  bizarres,  surtout  dans 
le  voisinage  des  écueils.  Près  de  l'île  Val'aam,  on  a  mesuré  des  amas  glacés 
d'une  hauteur  de  22  à  25  mètres  et  présentant  de  loin  l'apparence  de 
collines  de  schistes  désagrégés.  On  comprend  que  les  débris  pris  dans  la 
glace  des  bords,  sables  ou  cailloux,  soient  ainsi  transportés  à  de  grandes 
distances  et  déposés  sur  les  rives  à  quelques  mètres  plus  haut  que  leur 
lieu  d'origine.  La  débâcle  de  la  Neva  n'écoule  au  plus  qu'un  dixième  des 
glaces  du  Ladoga;  le  reste  est  dispersé  sur  les  rivages. 

Malgré  la  couverture  de  glace  qui  s'étend  chaque  année  sur  le  lac 
Ladoga,  les  profondeurs  de  l'eau  contiennent  encore  assez  d'air  pour  garder 
leur  population  de  poissons  et  d'autres  animaux.  Une  espèce  de  phoque, 
d'ailleurs  la  même  que  celle  de  l'Oiîega  et  du  Peipous,  habite  aussi  le 
Ladoga  et  se  montre  en  hiver  sur  les  glaçons  épars  ou  sur  les  bords  des 
crevasses  ouvertes  dans  la  couche  cristalline  :  c'est  l'occasion  qu'attendent 
les  chasseurs  pour  tuer  l'animal,  dont  ils  fondent  la  graisse  et  dont  la 
peau  sert  pour  la  fabrication  des  valises  ;  en  hiver,  ce  gibier  est  aussi  pour- 
ciiassé  par  les  loups  affamés  qui  s'aventurent  sur  les  glaces  jusqu'au 
milieu  du  lac.  Quelques-unes  des  petites  espèces  animales  qui  vivent  dans 
les  profondeurs  du  Ladoga  rappellent,  comme  le  pho(pie,  l'ancienne  exis- 
tence d'un  détroit  de  communication  entre  la  haute  mer  et  le  golfe  d'eau 
salée  qui  est  devenu  depuis  la  grande  mer  d'eau  douce  de  la  Russie.  Un  de 
ces  organismes  microscopiques  du  Ladoga  {cdmpijlodiscns  radiosus)  ne  s'est 
encore  rencontré  que  dans  ce  lac  et  dans  les  eaux  du  golfe  du  Mexique, 
près  de  Ycra  Cruz  '. 

Les  vents  qui  soufilent  sur  le  lac  y  soulèvent  parfois  des  tempêtes,  sui- 
vies, comme  celles  de  la  mer,  par  des  entrecroisements  de  vagues,  des 
mouvements  de  houle,  des  lames  de  fond.  Mais  ce  ne  sont  pas  les  seuls 
déplacements  des  eaux  lacustres  :  dans  son  ensemble,  la  masse  liquide  du 
Ladoga,  influencée  peut-être  en  partie  par  les  rivières  qui  se  jettent  dans  le 
bassin,  est  animi'-e  d'un  lournoiVnienI  continu,  suivanl  du  sud  au  nord  les 

'  OuUKiy  cl  Weissc;  —  Aiulrc^ev,  ouvrage  ciô. 


^^^Çij^MiK-^^  uv.  ■  I 


LADOGA.  575 

rives  orientales  du  lac  et,  du  nord  au  sud,  les  côtes  occidentales.  En 
outre,  une  dénivellation  des  eaux  se  produit  dans  toute  la  région  voisine 
de  l'émissaire  de  sortie,  car  le  niveau  du  lac,  étudié  en  hiver  par  l'aslro- 
nome  Schubert,  est  en  moyenne  à  plus  de  18  mètres  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer,  et  le  fleuve  qui  doit  emporter  l'eau  surabondante  n'a  qu'un 
faible  développement  de  cours  pour  descendre  à  la  mer  Baltique.  Sans 
doute  c'est  un  vrai  fleuve  comparé  à  l'émissaire  du  Miilaren,  qui  lui  fait 
face  de  l'autre  côté  de  la  Baltique,  et  sur  les  bords  duquel  se  trouve  aussi 
une  capitale  d'Etat  :  en  aval  du  Malaren,  le  torrent  de  Stockholm  par- 
court à  peine  quelques  centaines  de  mètres  avant  d'entrer  dans  un  golfe 
de  la  mer,  tandis  que  la  Neva  a  58  kilomètres  de  longueur,  du  Ladoga  au 
golfe  de  Finlande.  Néanmoins  la  Neva  est  encore,  comme  fleuve,  en  voie 
de  formation  ;  comparé  au  lac  d'oii  il  sort  et  à  ceux  qui  lui  envoient  par 
la  Svii-  et  le  Wuoxen  le  trop-plein  de  leur  masse  liquide,  il  n'est  par  sa 
quantité  d'eau  qu'une  rivière  sans  importance;  c'est  de  milliers  et  milliers 
de  siècles  qu'il  aura  besoin  pour  se  former  des  vallées  régulières,  de  ses 
sources  septentrionales,  dans  le  massif  du  Valdaï  et  sur  les  plateaux  voi- 
sins, à  son  embouchure  dans  le  golfe  de  Kronstadt.  Le  sol  de  cette  partie 
de  la  Paissie,  en  grande  partie  rocheux,  ne  livre  aux  eaux  des  rivières  qu'une 
faible  proportion  de  débris;  si  ce  n'est  dans  la  région  de  l'ilmeiï,  presque 
toutes  les  rivières  du  bassin  ont  une  eau  pure,  grâce  à  leurs  lits  rocheux 
et  aux  réservoirs  lalcustres  qu'ils  traversent  de  distance  en  distance. 

La  Neva,  dont  le  nom  est  presque  le  même  que  celui  du  Nevo,  ancienne 
appellation  du  Ladoga,  est  par  son  débit  au  nombre  des  grands  fleuves  de 
l'Europe  :  c'est  à  2950  ou  2950  mètres  cubes  par  seconde  que  l'on  évalue 
sa  portée  moyenne,  c'est-à-dire  qu'il  dépasse  le  Rhône  et  le  Rhin  par  la 
masse  de  ses  eaux  et  qu'en  dehors  de  la  Russie  il  ne  le  cède  qu'à  un 
fleuve  européen,  le  Danube  :  son  flot  est  assez  abondant  pour  changer  en  un 
bassin  d'eau  douce  toute  la  partie  orientale  du  golfe  de  Finlande  jusqu'au 
delà  de  Kronstadt.  La  Neva  varie  en  largeur  de  260  à  1280  mètres,  et 
les  bateaux  à  vapeur  qui  en  remontent  et  en  descendent  le  cours  trouvent 
d'ordinaire  de  2  à  5  mètres  d'eau  sur  les  seuils;  néanmoins  elle  forme  des 
jjorofji  ou  rapides  comme  les  autres  cours  d'eau  qui  se  jettent  dans  le 
golfe,  et  quelques-uns  de  ses  passages  ne  peuvent  être  tentés  que  par  des 
bateaux  plats.  Dans  la  traversée  de  Saint-Pétersbourg,  le  courant  a  de  6  à 
15  mètres  de  profondeur,  tandis  qu'au  devant  du  delta  chacune  des  bou- 
ches. Grande  iS'eva,  Petite  Nevj,  Grande,  Moyenne  et  Petite  Nevka,  est 
séparée  de  la  mer  par  des  barres  et  des  bancs  de  sable  que  ne  peuvent 
surmonter  les  navires  ayant  un  tirant  d'eau  de  plus  de  2  mètres.  D'ailleurs, 


574  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   EMYEUSELLE. 

le  fleuve  no  portant  qu'une  très  petite  quantité  de  troubles,  les  alluvions 
n'empiètent  que  lentement  sur  les  eaux  de  la  mer  et  les  chenaux  se  main- 
tiennent longtemps  dans  la  même  direction  :  de  1718  à  1854,  l'accroisse- 
ment total  du  delta  s'est  élevé  à  655  hectares  seulement  ;  c'est  un  progrès 
annuel  d'environ  5  hectares  et  demi  ou  de  2  mètres  pour  tout  le  front  du 
delta'.  L'épaisseur  des  terres  alluviales  est  de  24  mètres  seulement,  ainsi 
que  l'a  prouvé  le  forage  d'un  puits  artésien  descendant  à  200  mètres, 
jusqu'à  la  nappe  d'eau  qui  coule  souterrainement  sur  les  assises  du  granit 
finlandais  \  L'eau  de  ce  puits,  qui  s'élance  en  une  colonne  jaillissante  de 
9  mètres  de  hauteur,  est  mêlée  d'éléments  minéraux  semblables  à  ceux 
des  sources  de  Krcuznach. 

Grâce  au  Ladoga,  qui  sert  de  régulateur  au  fleuve,  l'écart  n'est  pas 
considérable  entre  les  hautes  et  les  basses  eaux  :  les  crues  de  la  Neva  ne 
seraient  pas  à  redouter  si  le  vent  d'ouest,  qui  souffle  directement  en  face 
de  ses  bouches,  n'y  retenait  et  n'y  faisait  parfois  refluer  les  eaux,  formant 
ainsi  une  espèce  de  barrage  mobile,  qui  pourrait  noyer  la  ville  de  Saint- 
Pétersbourg  s'il  se  prolongeait  pendant  plusieurs  jours;  on  se  rappelle 
encore  le  débordement  du  7  novembre  1824,  qui  s'éleva  de  plus  de  4  mè- 
tres au-dessus  du  niveau  de  la  mer  et  envahit  presque  tous  les  quartiers  de 
la  cflpitale  ;  tout  récemment,  en  1879,  un  autre  reflux  des  eaux  s'est  élevé 
presque  à  la  même  hauteur.  D'ordinaire,  le  fleuve  ne  dépasse  pas  de  50  cen- 
timètres la  nappe  du  golfe;  en  avril,  la  pente  totale,  de  Sainl-Pétersbourg 
aux  eaux  de  Kronstadt,  est  seulement  de  4  centimètres.  Comme  les  vents 
d'ouest,  les  débâcles  sont  aussi  un  danger  pour  les  riverains  de  la  Neva; 
toutefois  le  péril  n'est  pas  causé  par  les  glaces,  peu  épaisses,  qui  se  for- 
ment sur  les  eaux  rapides  du  fleuve  :  il  provient  des  banquises  du  Ladoga, 
dont  les  fragments  brisés  se  pressent  dans  le  courant,  s'accumulent  aux 
tournants,  heurtant  les  rivages  et  démolissant  les  quais.  D'après  une 
moyenne  tirée  des  observations  de  150  années,  la  Neva  reste  couverte  de 
glaces  pendant  158  jours  par  an";  mais  les  variations  sont  grandes  :  tandis 
qu'en  1822  le  fleuve  reste  pris  87  jours  seulement,  la  congélation  des 
eaux  dura  191  jours  en  1852. 


Le  bassin   de  la    Neva,  que    traverse,   à   Saint-Pétersbourg   même,   le 
soixantième  degré  de  latitude,  c'est-à-dire  une  ligne  idéale  deux  fois  plus 

'  Seihotiov,  Dictionnaire  (jéographiqite  statistique  de  Vempire  russe  (en  russe). 

»  Von  Uclnicrsen,  Buttclin  de  l'Académie  des  sciences  de  Salnt-Pélersbourij,  loiuo  VII,  1863. 

'  Scihonov,  ouvrage  cité. 


BASSIN  DE  LA  NEVA,   CLIMAT  DE   L'INGRIE.  575 

rapprochée  du  pôle  que  de  l'équateiir,  se  trouve  en  partie  dans  les  froides 
régions  où  la  vie  de  la  nature  semble  presque  entièrement  suspendue  pen- 
dant une  moitié  de  l'année.  La  ligne  isothermique  de  5  degrés,  qui  suit 
le  littoral  de  la  Finlande  a  une  faible  distance  dans  l'intérieur,  traverse 
le  Ladoga  à  l'est  de  la  capitale,  pour  se  diriger  au  sud-est  vers  la  Russie 
centrale  et  le  Turkestan;  de  même  la  ligne  isochimène  ou  d'égale  tempé- 
rature d'hiver,  indiquant  7  degrés  au-dessous  du  point  de  glace,  passe  dans 
le  voisinage  immédiat  de  Saint-Pétersbourg,  pour  se  recourber,  presque 
directement  au  sud,  vers  les  steppes  riveraines  de  la  mer  Noire. 

Sous  un  pareil  climat,  un  grand  nombre  de  plantes  de  la  zone  tempérée 
ne  peuvent  naître  et  se  développer  que  grâce  à  des  soins  exceptionnels  : 
la  végétation,  composée  uniquement  d'espèces  résistant  aux  froids  de 
l'hiver  et  aux  gelées  et  aux  dégels  du  printemps,  présente  un  aspect  des 
plus  uniformes,  si  ce  n'est  dans  les  serres  où  l'art  du  jardinier  donne  aux 
végétaux  un  climat  artificiel.  Le  chêne  que  l'on  voit  en  Suède  jusque 
sous  la  latitude  de  Gefle  et  qui  croît  dans  la  zone  riveraine  de  la  Finlande 
méridionale,  n'est  point  un  produit  spontané  des  forêts  de  l'Ingrie  et  ne 
croît  naturellement  qu'à  l'orient  de  l'ilmeù,  sur  les  bords  de  la  Msta'. 
De  même,  c'est  uniquement  dans  les  jardins  des  villes,  des  châteaux  et 
des  monastères  que  l'on  peut  voir  les  essences  qui  donnent  aux  forêts  de 
l'Europe  tempérée  leur  physionomie  particulière,  le  peuplier,  l'orme, 
l'érable,  le  frêne.  Le  sapin  argenté  et  le  mélèze  manquent  dans  la  nature 
libre'  :  on  n'y  voit  guère  d'autres  espèces  d'arbres,  avec  le  sapin  ordinaire 
ou  pinm  abies,  que  les  bouleaux,  les  aunes,  les  trembles,  les  saules  et  les 
sorbiers.  Quant  aux  plantes  cultivées,  c'est  entre  les  deux  lacs  Ladoga  et 
Oiïega  que  passe  la  limite  septentrionale  de  la  plus  importante  de  toutes 
pour  l'alimentation  de  l'homme,  le  froment. 

De  pareilles  régions,  si  peu  favorisées  par  le  climat,  ne  sauraient  être 
bien  populeuses  et  c'est  un  des  phénomènes  les  plus  remarquables  de 
l'histoire  contemporaine  qu'une  ville  située  au  milieu  des  solitudes,  à  la 
même  distance  du  pôle  que  le  Labrador  et  la  pointe  du  Groenland  ou  le 
Kamchatka,  ait  pu  cependant,  grâce  aux  avantages  du  commerce  et  à  la 
centralisation  politique,  appeler  dans  ses  mursdes  centaines  de  milliers 
d'habitants.  Mais  aussi  longtemps  que  les  indigènes  eurent  à  se  suffire  par 
les  ressources  locales,  comme  chasseurs,  pêcheurs  ou  cultivateurs  du  sol. 
la  région  des  grands  lacs  ne  pouvait  donner  naissance  à  des  villes,  cl  les 


■  Guldcnstadl  ;  —  Lcopold  de  Biich. 
-  Andrcvcv,  ouvrage  cilc. 


£76  NOLVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

tribus  devaient  rester  sans  cohésion  nationale,  presque  inconnues  les  unes 
aux  autres.  On  sait  toutefois  que  ces  contrées,  qui  d'ailleurs  ont  joui  d'un 
climat  plus  tiède,  après  la  période  glaciaire,  sont  habitées  depuis  une 
antiquité  fort  grande,  car  on  a  découvert  des  objets  de  l'âge  néolithique 
jusque  sur  les  bords  du  lac  Oiiega  et  des  lacs  voisins;  des  restes  de  l'homme 
ont  été  trouvés  par  Inostrantzev.  Un  rempart  de  blocs  grossièrement  taillés, 
que  l'on  a  trouvé  près  du  petit  lac  'Eoujand,  au  sud-est  de  l'Onega,  a 
2900  mètres  de  longueur;  mais  on  ne  sait  quelle  était  la  nationalité  de  la 
peuplade  qui  bâtit  cette  muraille,  car  on  n'a  point  recueilli  d'ossements 
humains  dans  les  tombes  voisines.  Les  kourgans  que  l'on  trouve  au  sud- 
ouest  de  rOiiega  dans  le  voisinage  de  la  Svir  renferment  des  squelettes  de 
deux  Ivpes  distincts,  l'un  brachycéphale,  l'autre  purement  africain,  doli- 
chocéphale et  prognathe  '. 

Les  Grands-Russiens  envahissants  occupent  maintenant  presque  tout  le 
bassin  du  Volkhov,et  déjà  sur  beaucoup  de  points  ils  ont  dépassé  leurs 
limites  des  premiers  temps  historiques,  le  lac  Peipous  et  la  Narova,  la 
]Xeva,  la  Svir.  Cependant  il  reste  encore  dans  leur  territoire  ethnologique 
des  îlots  et  des  archipels  de  population  finnoise.  Dans  le  bassin  de  la  Msla, 
de  même  que  sur  les  hautes  terres  dominées  à  l'est  par  les  crêtes  du  pla- 
teau de  Valdaï  vivent  des  Finnois  Karéliens,  descendants  de  ceux  qu'y 
transporta  Pierre  le  Grand  et  qu'avaient  précédés  probablement  des 
Tchoudes  ou  Tclioud  aux  yeux  blancs  —  les  «  Hommes  du  prodige  »,  les 
«  Étrangers  »,  dont  on  voit  les  restes  dans  les  tertres  funéraires  de  la 
contrée.  A  l'est  de  Narva,  d'autres  ont  conservé  le  nom  finnois  de  Votes 
ou  Yotènes,  qui  appartenait  jadis  à  tout  un  peuple  occupant  un  do- 
maine étendu  et  jouissant  déjà  vers  le  neuvième  siècle  d'une  civilisation 
assez  avancée  :  M.  Ivanovskiy  a  exjiloré  sur  les  territoires  plus  de  iSOOO 
kourgans,  pour  la  plupart  petits  et  pauvres  en  objets  anciens,  et  les  deux 
mille  crânes  qu'on  en  a  retirés  semblent  avoir  appartenu  à  des  hommes 
de  la  race  ouralo-altaïenne'i  Sur  la  rive  occidentale  du  lac  Onega,  de  même 
que  [dus  au  sud,  entre  le  Ladoga  et  le  lac  Blanc  —  Bel'o  Ozero,  —  demeu- 
rent des  Veses  ou  Tchoudes  du  Nord,  formant  çà  et  là  des  groupes  distincts 
et  que  l'on  évalue  diversement  de  12000  à  25  000.  Leur  langue  est  très 
curieuse  par  son  archaïsme'.  D'ailleurs,  ils  se  russifient  rapidement;  dans 
plusieurs  de  leurs  villages,  la  langue  russe  prédomine  ou  du  moins  les 
mots  slaves  se  mêlent  à  l'idiome  local.  La  plupart  des  femmes  de  cette 

'  Elirnpiius,  Golos,  août  1879. 

»  Mninov,  Russischc  Itcvue,  1877,  n°  9.  ' 

'  CL.  de  Ijl'alvy,  Lcltie  à  la  Société  de  Géographie  de  Paris,  l"  février  1877. 


FINNOIS  DE  LA  RÉGION  DES  GRANDS  LACS.  &77 

contrée  ont  mieux  conservé  leur  langage  que  le  type  finnois  ;  d'après  Maïnov, 
peu  d'entre  elles  ont  les  yeux  bridés  des  Mongoles  et  plusieurs  se  distinguent 
par  une  beauté  toute  «  novgorodienne  ».  Presque  tous  les  Yeses  sont  bra- 
chycépiiales,  et  plus  hauts  de  taille  que  la  moyenne  des  habitants  de  la 
Russie.  A  en  juger  par  les  noms  des  animaux  domestiques,  les  mots  de 
l'agriculture  et  les  termes  employés  pour  le  fer,  l'or  et  le  zinc,  les  éduca- 
teurs des  Yeses  en  civilisation  ont  été  les  Russes,  les  Suédois  et  les  Lithua- 
niens. Les  indigènes  finnois  croient  encore  aux  dieux  lares  et  ne  séjournent 
point  dans  une  nouvelle  maison  sans  y  apporter  la  braise  de  l'ancien 
foyer  et  sans  glisser  un  morceau  de  pain  sous  le  fourneau  :  si  le  coq  ne 
chante  pas  en  entrant  dans  le  nouveau  logis,  l'offrande  n'est  pas  acceptée 
et  le  génie  est  hostile.  Les  Veses  boivent  une  liqueur  préparée  avec  la 
betterave,  boisson  que  les  étrangers  repoussent  avec  dégoût;  le  scorbut 
fait  de  grands  ravages  parmi  eux,  ce  que  l'on  attribue  d'ordinaire  au  man- 
que de  choux  et  d'oignons  sur  leurs  tables',  mais  ce  qui  s'explique  bien 
mieux  par  l'insuffisance  de  leur  nourriture. 

Quant  aux  Finnois  Ingaren  ou  Ingriens,  qui  ont  donné  leur  nom  à  l'In- 
grie  ou  Ingermanland,  où  se  trouve  la  capitale,  ils  ont  cessé  d'exister 
comme  population  distincte  ;  mais  les  descendants  plus  ou  moins  mélangés 
des  Finnois  peuplent  encore  en  grande  partie  la  zone  du  littoral  comprise 
entre  les  deltas  de  la  Narova  et  de  la  Neva  et  tout  le  territoire  qui  envi- 
ronne à  l'ouest,  au  nord,  au  nord-est,  les  eaux  de  la  mer  de  Ladoga.  Ceux 
des  environs  de  Saint-Pétersbourg,  au  milieu  desquels  se  trouvent  des 
colonies  de  Suédois,  les  anciens  conquérants  du  pays,  et  de  cultivateurs 
allemands  appelés  par  les  tzars,  semblent  être,  par  l'origine,  assez  rappro- 
chés des  Tavasles  ou  Finlandais  occidentaux  :  on  les  connaît  sous  le  nom 
général  de  Tchoukhnî  ou  Tchoukhonlzî.  De  même  que  leurs  voisins  les 
Ijortzîs  ou  Igrîs  de  la  rivière  Ijora,  petit  affluent  de  la  Neva,  ils  se  distin- 
guent de  la  plupart  des  autres  Finlandais  par  leur  petite  taille,  leurs  formes 
trapues  et,  presque  tous  aussi,  par  leur  saleté  repoussante.  Sur  les  bords 
du  Ladoga  la  population  est  complètement  karélienne.  Là  on  est  en  pleine 
Finlande,  même  sur  les  bords  du  lac  qui  se  trouvent  en  deçà  de  ses  fron- 
tières administratives.  Les  îles  de  cette  mer  intérieure  ont  pour  habitants 
des  Finlandais  et  des  Russes,  mais  ceux-ci  se  dénationalisaient  naguère  au 
point  d'avoir  presque  entièrement  oublié  leur  langue'  :  là,  ce  sont  les 
Aryens  qui  se  laissent  assimiler  peu  à  peu  par  les  Ouraliens.  Du  reste,  beau- 
coup de  prétendus  Russes  de  la  contrée  autour  des  grands  lacs  ne  sont 

'  Maïnov.  Drevn'aya  i  .Sovaya  Rossiija,  1877,  n°  5. 
•  Galilzin,  Yoyage  en  Finlande. 

»•  73 


578  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

peut-être  que  des  Karéliens  :  d'après  Caslrèn,  leurs  traits  sont  plus  forte- 
ment découpés,  leur  peau  plus  blanche,  leurs  yeux  et  leurs  cheveux  plus 
clairs  que  ceux  des  véritables  Slaves  :  les  croisements  ont  eu  lieu  là  où  les 
Russes  ne  sont  venus  qu'isolément,  non  par  groupes  compacts'.  La  plupart 
des  usages  sont  finnois',  et  les  pratiques  des  indigènes  témoignent  de  la 
persistance  des  coutumes  païennes.  Tenaces  de  caractère  et  d'idées,  les 
Karéliens  ne  changent  que  bien  lentement  :  «  Brûlez  un  Karélien,  dit  le 
proverbe,  et  après  trois  ans  il  n'est  pas  encore  en  cendresM  »  Les  Finnois 
du  gouvernement  d'Ol'ohetz  étaient  encore  dans  leur  âge  de  pierre  au  dix- 
septième  siècle  :  ils  égorgeaient  les  animaux  avec  des  couteaux  en  pierre, 
qu'ils  adoraient  après  s'en  être  servis'.  Dans  la  partie  septentrionale  du  lac 
de  Ladoga  une  chapelle  du  prophète  Élie  s'élève  sur  un  coteau  de  l'île  Man- 
chin-Sari,  où  les  paysans,  d'ailleurs  tous  orthodoxes  fervents,  se  réunissent 
le  premier  dimanche  après  la  fête  du  saint  pour  offrir  un  sacrifice  comme 
aux  anciens  temps.  Leurs  aïeux  venaient  y  tuer  un  élan  ou  un  cerf  en  l'hon- 
neur d'Elie  ;  mais  ces  animaux  ont  disparu  de  la  contrée  :  c'est  un  taureau 
qu'abattent  aujourd'hui  les  paysans  dès  l'aube  du  jour  consacré.  La  viande 
de  la  bête  est  partagée,  jetée  dans  de  grandes  marmites,  puis  mangée  par 
les  fidèles  :  grâce  au  repas  sacré,  le  prophète  protégera  les  troupeaux  de 
toute  contagion.  Les  Karéliens  des  bords  du  lac  cherchent  également  à 
conjurer  les  maladies  des  bestiaux  en  faisant  des  fumigations  au  moyen 
de  bois  allumé  par  le  frottement  ou  en  jetant  dans  un  trou  des  animaux 
vivants,  un  cheval,  un  chien,  un  chat  et  un  coq*. 

Les  Slaves  du  gouvernement  d'Ol'onetz  ont,  comme  les  Petits-Russiens, 
conservé  un  grand  nonil>re  de  chants  épiques,  connus  dans  le  pays  sous  le 
nom  de  starinas  ou  «  antiquités  »,  et  les  savants  russes  y  ont  fait  des 
trouvailles  non  moins  importantes  que  celles  de  Castrèn  et  de  Lônnrot 
chez  les  Finnois  de  la  même  contrée  :  en  deux  mois,  llilferding  a  recueilli 
soixante-dix  récils  dans  une  partie  de  la  [)rovince  d'Olonelz.  Les  «  diseurs  » 
de  ces  chants  se  rencoiilrent  dans  toutes  les  professions;  quelques  femmes 
chantent  aussi  les  starinas,  mais  la  plupart  en  connaissent  beaucoup  moins 
que  les  honinies,  et  dans  le  midi  de  la  contrée  la  coutume  ne  les  autorise 
à  réciter  que  les  «  starinas  des  femmes  ».  D'ailleurs,  il  se  forme  de  nou- 
velles starinas  et  l'on  a  reconnu  un  chant  serbe  que  des  récitatcurs  sachant 


'  t'niakov;  —  P.  Vcfiiiioiiko,  Tclioudes  d'au  delà  les  Poitayes  (eu  russe). 

'  Ch.  (lu  Ujfalvy,  Mélanijes  alliûqtics. 

'  MiiitKiv,  Drevn'uija  i  ISuvaija  Hossiya,  1877,  n°  5. 

♦  Polakov,  ouvrage  cité. 

•  .\ndi<'ycv,  ouvrajje  cilé. 


POPULATIONS  DE  LA  RÉGION  DES  GRANDS  LACS.  579 

lire  avaient  adapté  à  l'usage  de  leur  auditoire'.  L'amour  des  chants  funèbres 
est  plus  dévelo^ipé  dans  ce  pays  et  sur  le  versant  de  la  mer  Blanche  que 
dans  toute  autre  partie  de  la  Russie,  et  la  fiancée,  quoique  fort  durement 
traitée  dans  la  maison  paternelle,  récite  des  lamentations  pendant  des 
semaines  entières  avant  le  mariage.  Les  anciennes  croyances,  qui  sont  évi- 
demment pour  une  forte  part  d'oiigine  karélienne,  se  sont  conservées  dans 
la  population  des  campagnes  d'Oïonetz.  On  vénère  encore  les  arbres  sacrés  ; 
des  offrandes,  surtout  des  étoffes,  sont  suspendues  aux  croix  des  tombeaux, 
et  les  morls  sont  invités  au  repas  ;  même  on  prépare  dans  la  cabane  le 
lit  de  ceux  qui  n'y  sont  plus.  Lorsque  des  paysans  sont  en  désaccord  sur 
les  bornes  de  leurs  champs,  un  arbitre  se  couvre  la  tète  de  terre  et  marche 
devant  lui  ;  ses  pas  tracent  la  limite:  la  «  terre  humide,  notre  mère  », 
a  prononcé'.  Au  point  de  vue  de  l'industrie,  la  population  d'Oïonetz  est  l'une 
des  plus  arriérées  de  la  Russie.  Ses  instruments  d'agriculture  sont  encore 
tout  rudimentaires  :  des  planches  et  des  bâtons  attachés  diversement  les 
uns  aux  autres.  D'ailleurs,  les  ressources  de  l'agriculture  doivent  être 
toujours  des  plus  précaires  dans  un  pays  où  les  gelées  «  de  printemps  » 
se  font  sentir  même  en  juillet  et  où  les  gelées  «  d'automne  »  commencent 
en  août.  Dans  ces  derniers  temps,  la  «  peste  sibérienne  »,  qui  sévit 
dans  tous  les  territoires  marécageux",  a  fait  périr  une  grande  partie  du 
bétail  de  ces  malheureux  habitants.  La  chasse,  autrefois  très  fructueuse, 
ne  donne  plus  que  de  maigres  profits,  car  le  castor  et  la  zibeline  ont 
disparu  de  la  contrée',  et  la  gelinotte,  fort  commune  naguère,  se  fait  de 
plus  en  plus  rare.  Des  gros  animaux  sauvages  il  ne  reste  plus  que  l'ours, 
dangereux  voisin  qui  dévore  le  bétail  et  dévaste  les  champs  d'avoine  :  à  la 
fin  de  l'été  et  en  automne,  les  paysans  n'osent  plus  même  envoyer  leurs 
troupeaux  dans  la  campagne.  Du  reste,  tout  ce  que  les  moujiks  pourraient 
gagner  appartient  d'avance  aux  marchands  qui  payent  leurs  impôts,  leur 
fournissent  à  gros  intérêts  la  poudre  pour  la  chasse,  les  engins  pour  la 
pêche  et  le  pain  pour  la  nourriture  journalière.  «  Là  où  je  me  suis 
installé,  dit  un  marchand,  là  le  moujik  ne  chantera  plus'".  » 

'  llilfcrdinf;,  Le  (jouwrnemenl  d'Oïonetz  cl  tes  rapsodes,  Vostnik  Yevropî,  n°  3.  1872. 
'  E.  Barsov,   Maïnov,    Ililfcrding,   Zapiski  Roussii.    Geogr.    Obchtchestva ,  Section    d'Elhno- 
graphip,  VII. 

*  Andreyev,  ouvrape  cili'-. 

♦  Ventfi  de  pelleteries  à  h  foire  de  Chounga,  près  de  Povenetz . 

18C2 158  000  roubles.  |   1869 51000  roubles. 

Peaux  tannées  d'écureuils  h  Kargopol  : 

ï  000  000  en  1880  ;  835  000  en  1881. 
'  Polakov,  ouvrage  cité. 


58C  NOUVELLE    GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

Depuis  les  commencements  de  l'histoire  de  Russie,  on  voit  les  Slaves 
s'essayant  à  établir  dans  les  bassins  de  la  Narova  et  de  la  IN'eva  de  grands 
marchés  de  commerce  avec  les  pays  de  la  Baltique.  Izborsk,  où,  d'après 
la  chronique  de  Kestor,  était  venu  régner  en  862  le  Yarègue  Trouvor, 
frère  de  Rurik,  et  qui  dut  bientôt  céder  son  rang  à  Pskov,  fut  un  de  ces 
entrepôts  des  populations  slaves  ;  cependant  ses  habitants,  les  Krivitchi, 
trop  faibles  pour  conquérir  sur  les  Ehstes,  sur  les  Scandinaves  ou  sur  les 
Porte-Glaives  les  bouches  de  la  Narova,  ne  purent  jamais  donner  à  leur 
ville  une  importance  de  premier  ordre.  Ce  n'est  plus  qu'un  petit  village, 
dont  quelques  ruines  rappellent  l'ancienne  ville,  détruite  par  les  chevaliers 
Porte-Glaives.  A  une  trentaine  de  kilomètres  à  l'est,  Pskov,  jadis  Pleskov, 
devenue  indépendante  de  Novgorod  la  Grande  au  quatorzième  siècle,  ne  fut 
d'abord  qu'une  intermédiaire  de  cette  ville  avec  les  ports  allemands;  mais 
elle  réussit  à  nouer  des  relations  directes  avec  les  cités  de  l'ouest  et 
posséda  des  comptoirs  sur  les  bords  de  la  Baltique  pour  la  vente  des 
bois,  des  céréales,  du  lin,  du  suif,  da  goudron  et  autres  denrées  de  la 
Russie.  Au  quinzième  siècle,  la  république  démocratique  de  Pskov  était  au 
comble  de  sa  prospérité  et  l'on  dit  qu'elle  eut  alors  quatre-vingt  mille 
habitants  :  l'enceinte  qui  lui  reste  témoigne  de  la  grandeur  qu'avait  alors 
la  cité.  Mais  en  1510  son  autonomie  fut  supprimée,  et  la  cloche  qui 
appelait  le  peuple  aux  assemblées  cessa  de  tinter  dans  sa  tour.  Dès  qu'elle 
fut  tombée  sous  la  domination  des  Moscovites,  Pskov,  privée  des  citoyens 
les  plus  industrieux,  que  l'on  avait  transportés  en  Moscovie  par  centaines 
de  familles',  perdit  son  importance,  le  désert  se  fit  dans  ses  murs  :  au 
commencement  du  siècle,  en  1803,  elle  n'avait  pas  même  GOOO  habitants. 
Elle  s'est  relevée  peu  à  peu,  non  seulement  par  son  rôle  de  chef-lieu  de 
gouvernement,  mais  surtout  à  cause  de  son  heureuse  situation  sur  la  Veli- 
kaya,  en  amont  de  son  delta  dans  le  lac  de  Pskov,  extrémité  méridionale 
du  Pcipous.  Celte  position  géographique  en  fait  l'entrepôt  naturel  de  toute 
la  région  supérieure  jusqu'au  faîte  de  partage  de  la  Dùna.  On  y  voit  des 
maisons  anciennes  cl  les  l'estes  de  ses  murailles,  qui  curent  à  soutenir 
vingt-six  sièges  '. 

En  aval  du  Peipous,  Narva  occupe  l'emplacement  correspondant  à  celui 
de  Pskov  en  amont.  La  Narova,  émissaire  du  lac,  y  est  interrompue  par 
une  cataracte,  et  là  se  trouvait  naturellement  le  seuil  entre  la  navigation 
fluviale  et  la  navigation  maritime;  mais,  grâce  à  ses  berges  escarpées, 


•  Koslomarov,  Les  républiques  de  la  Russie  du  Nord  (en  russe). 
■*  Ouiilinov,  Drevn'aya  i  Nuvaija  liossii/a,  XI,  1S76. 


PSKOV,  NARVA,  TOROPETZ.  581 

l'endroit  se  prêtait  aussi  mieux  que  tout  autre  à  l'établissement  d'une  cits- 
delle  et  souvent  la  guerre  détruisit  les  richesses  qu'avait  accumulées  le 
commerce.  Narva  fut  souvent  attaquée,  souvent  prise,  et  c'est  devant  ses 
retranchements  que  fut  livré,  en  1702,  l'assaut  victorieux  de  Charles  XII 
contre  une  armée  russe  dix  fois  supérieure  à  la  sienne.  Voisine  des 
puissantes  forteresses  de  Sveaborg  et  de  Kronstadt,  Narva  n'a  qu'une  impor- 
tance stratégique  très  secondaire,  et  ses  ouvrages,  de  même  que  ceux 
d'Ivangorod,  située  en  face  sur  la  rive  droite  du  fleuve,  ont  été  déclassés, 
mais  non  démolis.  Quelques  édifices,  l'ancienne  bourse,  le  bazar,  mainte- 
nant désert,  témoignent  de  l'activité  commerciale  qu'eut  jadis  la  ville  de 
Narva  ;  mais  il  est  probable  qu'à  cette  époque  la  barre  du  fleuve,  située 
à  15  kilomètres  en  aval  de  la  ville,  offrait  aux  navires  plus  de  profondeur 
que  de  nos  jours  '  ;  elle  a  maintenant  de  2  mètres  et  demi  à  5  mètres 
d'eau  et  change  souvent  de  place;  une  ville  de  bains  s'y  est  récemment 
fondée.  Cependant  la  population  de  Narva,  à  moitié  allemande,  fait  encore 
un  commerce  maritime  d'une  valeur  annuelle  de  6  à  8  millions  de  francs. 
Au-dessus  de  la  ville,  des  moulins,  des  fabriques  de  lainages  et  de  toiles 
et  l'énorme  filature  de  coton  de  Kriihnholm,  employant  près  de  5000  ou- 
vriers en  1882,  reçoivent  par  des  canaux  creusés  dans  le  roc  la  force  mo- 
trice des  cataractes.  Le  gouvernement  de  Pskov  est  celui  de  la  Russie  qui 
produit  la  plus  forte  quantité  de  lin,  de  28  à  57  millions  de  kilogrammes. 
Les  villes  et  les  bourgs  du  bassin  de  la  Neva  se  pressent  naturellement 
dans  la  partie  méridionale  de  la  contrée,  où  le  climat  est  plus  doux  et  où 
le  sol  ne  refuse  pas  à  l'homme  sa  nourriture.  Là  se  trouvent  Toropetz,  sur 
un  plateau  parsemé  de  lacs  et  de  bois  ;  Velikiya  touki,  sur  la  tovat,  encore 
simple  ruisseau  ;  Khol'm,  où  la  Lovât  est  déjà  devenue  rivière,  et,  dans  la 
vallée  du  Cliel'on,  Soltzî,  dont  les  marchés  de  chanvre  étaient  très  fré- 
quentés avant  l'ouverture  du  chemin  de  fer.  Dans  toute  cette  région  on 
rencontre  fréquemment  des  monnaies  arabes,  anglo-saxonnes  et  franques 
du  septième  au  onzième  siècle,  preuve  d'un  commerce  considérable  avec 
l'orient  et  l'occident,  mais  on  n'y  trouve  que  très  peu  de  monnaies  byzan- 
tines'. Située  sur  la  route  historique  de  Novgorod  à  Smolensk  et  Kiyev, 
Toropetz  surtout  joua  un  rôle  important  dans  l'ancienne  confédération  russe, 
et  jusqu'à  la  fin  du  dix-huilième  siècle  elle  eut  un  commerce  considérable 
avec  l'Allemagne,  probablement  à  cause  de  sa  position  sur  la  frontière  de 
la  Liihuanic,  alors  dépendante  de  la  Pologne.  Au  sud  du  lac  limen,  sur 
les  derniers  rcnOemcnts  des  terrains  qui  dominent  la  plaine  alluviale  où 

'  Von  llclmnrscn.  Bulletin  de  l'Académie  det  tciencet  de  Saint-Pétersbourg,  III,  18G1. 
»  Bcrcjkov,  Le  commerce  de  la  Ruttie  avec  la  Hanse  (en  russe). 


582 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


se  réunissent  la  ■Lovât,  la  Polista  et  d'autres  cours  d'eau,  s'élève  la  ville 
prospère  qui  porte  le  nom  de  Staraya  Rousa  et  qui  est  en  effet  d'ancienne 
origine,  ainsi  que  l'indique  son  nom  ;  toutefois  elle  n'eut  jamais  un  grand 


X°   lôô.    I.iC   1L5IES,    NOVGOROD    ET    STARATA    ROrS. 


rôle  politique.  Aux  temps  de  la  puissante  Novgorod,  elle  devait  son  impor- 
tance à  une  source  saline  abondante  qui  lui  permettait  de  fournir  le  sel 
à  la  cité  républicaine,  l'n  perdant  sa  liberté  et  son  commerce,  Novgorod 
vit  dépérir  avec  elle  toutes  les  villes  environnantes  ;  on  cessa  d'exploiter 
la  saline  de  Staraya  llousa,  et  c'est  au  siècle  dernier  seulement  qu'elle  fut 


STARAYA  ROUSA.   NOVGOROD.  583 

utilisée  de  nouveau  :  récemment,  la  source  et  le  puits  artésien  foré  dans 
le  voisinajre  donnaient  à  l'Etat  environ  2400  tonnes  de  sel  chaque  année  ; 
depuis  1870  les  travaux  sont  abandonnés;  mais  Staraya  Rousa  est  devenue 
ville  de  bains,  et  les  malades  de  Saint-Pétersbourg  viennent  par  milliers 
demander  la  guérison  à  ses  eaux. 

Novgorod  ou  la  «  Ville  Neuve  j^,  aujourd'hui  cité  déchue,  fut  jadis  la 
ville  qui  se  donnait  le  nom  de  «  Seigneur  »,  dans  le  sens  de  «  Peuple 
Souverain  »  et  dont  l'empire  s'étendait  jusqu'au  delà  des  monts  Oural. 
C'est  elle,  nous  l'avons  vu,  qui  fut  pour  la  Paissie,  sinon  une  capitale 
comme  Saint-Péicrsbourg,  du  moins  le  grand  intermédiaire  de  commerce 
avecle  monde  occidental.  Bâtie  sur  les  deux  rives  du  Yol'khov,  à  quelques 
kilomètres  en  aval  du  lac  Ilmen,  cette  ville  est  non  seulement  l'entrepôl 
naturel  de  toute  la  région  supérieure,  elle  était  aussi  autrefois,  avant  que 
les  roules  artificielles  n'eussent  remplacé  les  voies  fluviales,  l'une  des 
étapes  du  chemin  qui  conduit  de  la  Baltique  <à  la  mer  Noire  :  ainsi  que 
le  disent  les  chroniqueurs  russes,  «  elle  était  sur  la  voie  du  pavs  des 
Varègues  à  celui  des  Grecs  »  et  en  outre  sur  celle  d'Asie  en  Europe 
par  la  Volga  et  la  Baltique.  A  une  époque  de  guerres  continuelles, 
c'était  aussi  un  avantage  pour  une  ville  de  commerce  de  ne  pas  être 
exposée  aux  incursions  des  pirates  Scandinaves  ou  germains;  les  Tartares, 
qui  dévastèrent  toute  la  Russie  orientale  et  méridionale,  ne  purent 
non  plus  atteindre  cette  ville.  Au  milieu  de  ses  marais,  Novgorod  était 
beaucoup  plus  sûre  que  les  villes  du  littoral.  Il  semble  toutefois  que  le  site 
où  se  trouve  actuellement  Novaya  tadoga,  à  la  bouche  du  Volkhov  dans  le 
grand  lac.  n'eût  pas  été  moins  heureuse  que  celui  de  Novgorod,  puisque 
tout  le  commerce  se  élisait  par  les  eaux  de  cette  rivièr^i};  mais  le  marché 
des  Slaves  devait  s'établir  sur  une  terre  slave,  et  pendant  tout  le  moyen  âge 
le  pourtour  du  Ladoga  resta  peuplé  de  Karcliens  et  d'autres  Finnois. 

L'ancienne  cité,  à  laquelle  succéda  la  «  Nouvelle  Ville  »,  s'élevait  dans 
le  voisinage  immédiat  du  lac,  sur  une  terrasse  d'une  vingtaine  de  mètres 
de  hauteur,  entourée  de  tous  les  côtés  par  des  eaux  courantes  et  des 
marais  :  on  la  connaît  encore  sous  le  nom  de  Gorodichtche  ou  <t  Ville 
antique  ».  Cette  terrasse  était  une  forteresse  naturelle,  et  la  légende,  qui 
d'ailleurs  a  clé  inventée  par  des  érudits,  prétend  que  le  château  de  Rurik 
se  dressait  en  cet  endroit.  Mais  le  plateau  de  Gorodichtche  n'était  pas 
assez  étendu  pour  recevoir  une  population  considérable,  et  la  «  Ville  Nou- 
velle »  dut  s'établir  à  "J  kilomètres  en  aval  sur  une  autre  berge  élevée  du 
Valkhov.  C'est  la  cité  ipii  devint  le  centre  de  la  puissance  politique  dans 
la  Russie  du  Nord  et  qui  dispute  à  Kiycv  le  litre  de  «  berceau  de  la  puis- 


584  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  CNIVERSELLE. 

sance  russe  ».  Commerçant  directement  avec  les  villes  hanséatiqiies,  elle 
eut  d'abord  ses  comptoirs  à  Wisby,  la  capitale  de  Gotland,  puis  ses  princi- 
pales relations  s'établirent  avec  Lubeck  et,  par  cette  ville,  avec  toute  la 
ligue  hanséatique.  Peu  à  peu  les  Allemands  devinrent  par  Novgorod  les 
maîtres  de  tous  les  échanges  extérieurs  de  la  Russie  ;  mais  Novgorod  elle- 
même  s'était  emparée  du  trafic  de  l'intérieur  et  par  ses  colonies  envoyées 
au  nord-est,  «  au  delà  des  portages  »,  sur  les  bords  de  la  mer  Blanche, 
et  même  dans  la  Sibérie  occidentale,  elle  devint  la  suzeraine  d'un  territoire 
égal  en  superficie  à  toute  l'Europe  occidentale.  En  outre  elle  était,  avec 
Pskov,  le  centre  des  métiers,  des  arts,  des  lettres,  des  sectes  rationalistes. 
«  Qui  peut  rien  contre  Dieu  et  contre  la  grande  Novgorod  ?  »  répétait  un 
proverbe  bien  connu.  Novgorod  élisait  des  princes,  mais  dès  que  l'assem- 
blée populaire  ou  v'etche  avait  à  se  plaindre  de  l'homme  auquel  elle  avait 
confié  le  droit  de  prélever  les  impôts,  elle  «  le  saluait  et  lui  montrait  le 
chemin'  ».  On  répète  encore  le  dicton  :  «  Quand  le  prince  est  mauvais,.  — 
dans  la  boue  du  marais'.  »  Forte  de  sa  charte  de  liberté,  'qu'elle  prétendait 
tenir  de  Yarosl'av  le  Sage  et  qu'elle  conservait  précieusement,  forte  surtout 
de  l'indépendance  matérielle  que  lui  donnaient  ses  richesses  et  ses  citoyens 
armés,  Novgorod  vécut  longtemps  en  république  autonome,  libre  politique- 
ment, mais  inquiète  et  souvent  divisée  en  factions  rivales.  Les  citoyens 
n'étaient  point  égaux,  et  tandis  que  les  «  blancs  »,  c'est-à-dire  les  privi- 
légiés, étaient  toujours  en  lutte  les  uns  avec  les  autres,  les  «  noirs  »  ou 
gens  du  pauvre  peuple  continuaient  de  travailler  pour  tous.  Au  milieu  du 
quinzième  siècle,  lorsqu'il  s'agit  de  défendre  la  cité  contre  l'État  mosco- 
vite déjà  puissant,  Novgorod  perdit  rapidement  ses  colonies  du  nord- 
est,  trop  éloignées  pour  qu'elle  pût  les  secourir  et  rattachées  alors  à 
la  Moscovie  par  Oust'Youg  et  le  cours  de  la  Vîtchegda  ;  puis  elle- 
même  succomba  et  son  histoire  ne  fut  qu'une  longue  série  de  désastres. 
En  1471,  ses  armées  sont  vaincues  par  les  forces  russes  et  tartares  de 
Moscou,  aidées  par  la  jalouse  Pskov;  en  1478,  la  vetche  est  abolie,  les 
Novgorodiens  sont  tenus  de  prêter  serment  au  prince  autocrate  de  Moscou 
et  la  dénonciation  est  rendue  obligatoire.  L'année  suivante,  les  citoyens 
suspects  sont  massacrés,  et  mille  familles  sont  transportées.  En  1497,  les 
massacres  se  renouvellent  et  plus  de  mille  familles  sont  condamnées  à 
l'exil.  Au  seizième  siècle,  la  nation  novgorodienne  était  presque  exter- 
minée et  remplacée  en  partie  par  des  colons  moscovites;  pourtant  Ivan  IV 


•  Koslomarnv,  ouvn^ro  cité;  —  Alf.  Rarabaud,  Histoire  de  la  Russie. 

*  ilackunzio  Wallace,  liussia. 


NOVGOROD.  oS5 

soupçonna  la  fidélité  de  la  ville,  et  nulle  part  il  ne  mérita  mieux  son 
surnom  de  «  Terrible  ».  Si  l'on  en  croit  l'annaliste,  le  «  très  pieux  tzar  » 
fit  périr  à  Novgorod  soixante  mille  personnes  :  chaque  jour,  durant  plu- 
sieurs semaines,  de  cinq  cents  à  mille  citoyens  étaient  jetés  dans  le 
Yoikhov;  la  rivière  fut  barrée  par  les  cadavres  et,  suivant  la  tradition, 
l'eau  ne  gèle  plus  à  l'endroit  des  noyades'. 

L'exterminateur  de  Novgorod,  désireux  de   continuer  l'œuvre  de  Nov- 


ÉCI.ISE  CONSTRUITE   SOUS  IVAX   LE   TERIIIBLE,    PRÉS   DE  NOVGUHCD 

Dessiu  de  Lancelot,  d'après  une  gravure  russe. 

gorod,  voulait  cependant  entrer  en  relations  directes  avec  l'Europe  ;  mais  en 
dépeuplant  les  anciennes  villes,  en  ravageant  les  campagnes,  où  les  deux 
tiers  des  villages  avaient  cessé  d'exister,  les  Moscovites  s'étaient  eux-mêmes 
privés  des  éléments  nécessaires  pour  le  commerce  direct  avec  l'Occident. 
La  Moscovie  dut  accueillir  avec  joie  les  Anglais  qui  venaient  trafiquer  avec 
elle  par  le  détour  de  l'océan  Glacial  ;  plus  tard  même,  Gustave-Adolphe 
s'écriait  que  la  «  Russie  était  définitivement  coupée  de  la  Baltique  ».  Au 


*  Kostomarov,  Histoire  de  Russie,  II. 


li 


586  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

dix-septième  siècle,  Novgorod  donna  encore  un  signe  de  vie  par  la  révolte, 
mais  elle  diil  bientôt  rentrer  dans  l'obéissance,  et  maintenant  il  ne  reste 
plus  rien  de  l'ancien  esprit  national  que  des  proverbes  populaires  contre  les 
Moscovites.  Loin  d'être  placée  de  nos  jours  sur  un  grand  chemin  des  nations, 
Novgorod  a  été  laissée  bien  au  sud  de  la  voie  maîtresse  de  Saint-Pétersbourg 
à  Moscou  et  n'est  rattachée  au  réseau  que  par  un  embranchement  :  elle 
reste  en  dehors  du  mouvement  commercial  de  la  Russie  moderne.  Ceux  de 
ses  marchands  et  de  ses  artisans  qui  restaient  au  dix-septième  siècle 
furent  un  des  premiers  éléments  de  la  population  de  Saint-Pétersbourg. 

Novgorod,  où  se  pressaient  au  moins  cinquante  ou  soixante  mille  habi- 
tants, —  quatre  cent  mille,  dit  la  tradition,  —  n'occupe  plus  qu'un  empla- 
cement bien  inférieur  à  l'ancien,  et  des  monastères,  situés  jadis  à  l'inté- 
rieur des  murs,  se  trouvent  maintenant  au  loin  dans  les  campagnes.  Mais 
les  deux  quartiers  principaux  de  l'ancienne  ville,  le  quartier  des  Marchands 
et  celui  de  Sainte-Sophie  ou  du  Kreml,  se  regardent  encore  par-dessus  le 
Yolkhov.  Le  Kreml,  forteresse  assez  vaste  jadis  pour  renfermer  18  églises, 
150  maisons,  40  comptoirs,  est  l'antique  Detinetz,  dont  la  première 
pierre  —  le  nom  même  et  l'exemple  du  Detinetz  serbe  en  sont  les  in- 
dices' —  fut  peut-être  posée  sur  un  enfant  vivant,  suivant  la  coutume 
religieuse  pratiquée  par  maints  architectes  du  moyen  âge.  La  cathé- 
drale de  Sainte-Sophie,  qui  se  dresse  dans  l'acropole  du  Kreml,  a  gardé 
quelques  tombeaux  de  saints  et  de  héros  novgorodiens,  ses  curieuses  fres- 
ques du  douzième  siècle,  qui  témoignent  d'un  art  plus  libre  que  celui 
de  la  Piussic  orientale,  et  ses  images  dont  les  attitudes  symboliques  sont 
restées  conformes  au  rite  des  «  vieux  croyants  ».  Comme  les  églises  des 
communes  de  la  France  et  de  la  Belgique,  Sainte-Sophie  montre  aussi 
parmi  ses  trésors  les  présents  des  anciennes  corporations  ouvrières.  Sur  la 
place  qui  précède  la  cathédrale  s'élève  le  monument  commémoratif  de 
la  légende  de  Rurik,  haute  masse  de  granit  en  forme  de  cloche,  ornée 
de  statues  et  recouverte  de  bas-reliefs  en  bronze  représentant  diverses 
figures  relatives  aux  origines  de  l'empire  russe  ;  elle  a  été  posée  en  1862, 
en  souvenir  de  la  durée  «  millénaire  »  de  l'État. 

A  l'orient  de  Novgorod,  sur  la  haute  Msta,  qui  contourne  en  cet  endroit 
le  massif  du  Yaldaï,  la  ville  de  Borovilchi  est  restée  depuis  l'origine  de 
l'histoire  russe  l'intermédiaire  naturel  du  commerce  fluvial  entre  le  bassin 
du  Yolkhov  et  celui  de  la  Yolga,  car  la  Msta  forme  une  série  de  rapides 
donl  la  hauteur  totale  est  de  02  mètres  sur  une  distance  de  52  kilomètres 

'  Andicc,  Elhnograpliische  Parallcicn  und  Vcrglache. 


NOVGOROD.  PETP>0ZAV0D!5K.  OLONETZ.  587 

environ,  el  Borovitchi  est  en  partie  peuplée  de  pilotes  qui  dirigent  les 
barques  et  les  radeaux  ;  mais  tous  les  ans  les  accidents  sont  nombreux  ; 
en  1857,  soixante  embarcations  se  perdirent  sur  les  écueils.  Les  rapides 
ont  fait  aussi  de  la  ville  un  entrepôt  de  marchandises,  un  lieu  de  foires 
très  fréquenté,  et  font  mouvoir  les  roues  de  quelques  usines.  Borovitchi 
doit  également  une  part  de  sa  prospérité  aux  carrières  des  environs,  à  ses 
gisements  de  charbon  de  terre  et  surtout  aux  mines  de  pyrite,  qui  pendant 
la  guerre  de  Crimée  remplaçaient  le  soufre  de  Sicile  pour  la  fabrication  de 
l'acid*  sulfurique.  Au  nord  de  Borovitchi,  une  autre  ville  de  la  province 
de  Novgorod  joue  pour  le  commerce  fluvial  un  rôle  analogue.  Celle  ville, 
Tikhvin,  située  sur  la  Tikhvinka,  affluent  du  Ladoga  par  le  Sas,  est  à 
l'origine  d'un  canal  terminé  depuis  1811,  qui  réunit  le  système  de  la  Yolga 
à  celui  du  Ladoga  :  Saint-Pétersbourg  reçoit  chaque  année  par  cette  voie 
navigable  environ  20  000  tonnes  de  céréales  et  de  bois.  Le  couvent  de 
Tikhvin  possède  une  image  thaumaturge  de  la  sainte  Vierge,  l'une  des 
plus  vénérées  de  la  Russie;  elle  fut  autrefois  propriétaire  de  4o00  «  âmes  » 
dont  les  tzars  et  les  seigneurs  pieux  lui  avaient  fait  présent. 

Une  seule  ville  a  pris  quelque  importance  commerciale  dans  tout  le 
bassin  presque  désert  dont  les  eaux  unissent  par  atteindre  la  Neva  et  le 
golfe  de  Finlande  :  cette  ville  est  Petrozavodsk,  située  sur  une  des  baies 
occidentales  du  lac  Onega,  dans  une  région  minière,  où  se  trouvent  des 
mines  d'or,  maintenant  abandonnées,  des  gisements  de  cuivre  et  des  veines 
de  fer  magnétique,  renfermant  jusqu'à  96  pour  100  de  métal  pur'.  Fondée 
en  170i  par  Pierre  le  Grand,  sur  un  emplacement  où  ne  se  trouvait  alors 
qu'un  seul  moulin,  elle  doit  son  nom,  «  Usine  de  Pierre  »,  à  une  fonderie 
de  canons  et  à  une  fabrique  d'armes  qu'y  établit  le  tzar,  afin  d'utiliser  le 
minerai  des  environs.  Ces  établissements  métallurgiques  disparurent  après 
sa  moit,  mais  d'autres  se  sont  élevés  à  leur  place  et,  en  1879,  on  y  a  fondu 
le  quarante  millième  canon  ;  en  outre,  Petrozavodsk,  devenue  l'étape  iiiler- 
médiaire  entre  le  golfe  de  Finlande  et  ceux  de  la  mer  Blanche,  fait  un 
certain  commerce,  d'ailleurs  très  irrégulier.  Chef-lieu  du  gouvernement 
d'Oloi'ietz,  elle  a  de  beaucoup  distancé  en  population  l'ancien  bourg  de  ce 
nom  situé  sur  l'Ol'onka,  petit  Iribulaire  oriental  du  Ladoga.  Avant  l'établis- 
semenf  des  chantiers  de  construction  navale  à  Saint-Pétersbourg,  c'est  au 
sud  d'Oloriclz,  à  ■Eodeïnoyc  Pôle,  sur  la  Sviî-,  que  Pierre  le  Grand  lança' 
les  galères  dont  il  se  servit  pour  prendre  Schlûsselburg  et  qu'il  eut  le 
plaisir  de  voir  floller  plus  lard  sur  les  eaux  de  la  Baltique.  En  1850,  ce 

'  InosIfnnlzf'T,  f^lude  génloiji/juc  dit  dislricl  de  l'ov'cnelz  (en  nissc). 


588  NOUVELLE   GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

chantier  fut  aboli.  De  même  qu'Ol'onetz,  la  ville  de  Beïozersk,  sur  la  rive 
méridionale  du  «  Lac  Blanc  »  {Belo  Ozero),  a  perdu  son  importance  rela- 
tive. L'une  des  plus  anciennes  cités  de  la  Russie,  puisque  l'annaliste  en  fait 
la  l'ésidence  du  frère  de  Rurik,  elle  n'est  plus  qu'un  petit  havre  de  barques 
sur  le  canal  qui  contourne  le  lac.  Les  terres  riveraines,  de  même  que 
beaucoup  d'autres  dans  l'ancien  territoire  de  Novgorod,  furent  distribuées 
entre  quelques  couvents,  dont  le  plus  fameux  était  celui  de  Saint-Cyrille, 
près  de  la  ville  actuelle  de  Kiril'ov.  Ce  couvent,  où  Ivan  le  Terrible  voulait 
se  faire  moine,  servait  de  lieu  d'exil  à  divers  grands  personnages  du 
royaume  de  Moscou  ;  il  possède  une  bibliothèque  et  des  collections  très 
curieuses  sur  l'histoire  de  Russie. 

Sur  les  bords  de  la  «  mer  du  Ladoga  »  les  deux  villes  les  plus  populeuses 
sont  naturellement  celles  qui  se  trouvent  sur  la  route  fluviale  de  Novgorod 
à  Saint-Pétersbourg  ;  Novaya  Ladoga,  à  l'embouchure  du  Voïkhov,  et 
Schlùsselburg,  à  la  sortie  des  eaux  qui  forment  la  Neva.  Novaya  Ladoga, 
bâtie  également  par  Pierre  le  Grand  en  1704,  s'élève  sur  la  rive  gauche 
du  Voikhov,  là  où  se  trouvait  un  monastère,  et  à  15  kilomètres  en  aval  de 
Staraya  Ladoga  ou  Aldeigaborg,  l'ancien  entrepôt  de  Novgorod,  où  l'on 
voit  encore  les  restes  d'un  bourg  dit  de  Rurik  et  dont  l'église  conserve  des 
fresques  du  douzième  siècle,  fort  mal  réparées.  Ville  de  pilotes  et  de  bate- 
liers, Novaya  tadoga  communique  avec  Schlùsselburg,  non  seulement  par 
les  eaux  souvent  tempétueuses  du  lac,  mais  aussi  par  deux  canaux,  lon- 
geant le  rivage  à  distance  :  l'un,  construit  déjà  du  temps  de  Pierre  I", 
l'autre  récemment  creusé,  plus  large,  plus  profond  et  sans  écluses.  La 
falaise  de  Poutil'ovo,  qui  domine  ces  canaux  du  côté  du  sud,  se  compost; 
d'assises  de  grès,  qui  fournissent  à  Saint-Pétersbourg  une  grande  partie 
des  pierres  qui  lui  sont  nécessaires  pour  la  construction  de  ses  monu- 
ments et  l'établissement  de  ses  routes'.  Toutes  les  embarcations  venues 
du  lac  et  des  canaux  ont  à  passer  sous  le  canon  de  la  forteresse  de  Schlùs- 
selburg, l'ancien  Orekhovîy  ou  Orekhovetz,  fond»;  en  1525  par  les  Novgo- 
rodiens  pour  la  défense  de  leur  route  commerciale  contre  les  Suédois. 
Ceux-ci  s'emparèrent  pourtant  de  cet  îlot  fortifié  et  le  gardèrent  jusqu'en 
1702,  époque  où  il  leur  fallut  à  leur  tour  céder  à  Pierre  le  Grand  cette 
«  tlcf  »  de  la  Neva  et  du  golfe  de  Finlande  :  de  là  le  nom  allemand  de 
Schlùsselburg  donné  à  l'ancienne  forteresse,  changée  maintenant  en  prison 
d'État,  l'une  des  plus  redoutées.  La  ville,  située  sur  la  rive  gauche  du 
ilcuvc,  à  l'issue  des  canaux,  est,  pour  ainsi  dire,  le  faubourg  avancé  de  la 

'  Vaicui-  moyenne  des  matériaux  extraits  dos  carrières  de  Pouliiovo  (iSTô)  :  'JOOOUOO  lianes. 


SCULUSSELBURG,  SAINT-PÉTERSBOIJRG.  589 

capitale  au  bord  du  lac.  Cependant,  quoique  cette  mer  intérieure  soit 
dans  le  voisinage  de  Saint-Pétersbourg,  la  navigation  y  est  encore  dans 
le  même  état  qu'aux  temps  de  la  grande  Novgorod.  A  l'exception  des 
bateaux  h  vapeur,  les  embarcations  du  lac  sont  les  mêmes  qu'avant  l'époque 
de  Pierre  le  Grand,  de  lourdes  gabares,  mal  gréées,  mais  pourvues  à 
l'arrière  d'un  énorme  poêle  autour  duquel  les  matelots  sont  trop  souvent 
étendus,  sans  souci  des  heures  qui  s'écoulent  '. 


Nul  conquérant  n'eut  plus  d'audace  que  Pierre  fondant  la  capitale  de  la 
Russie  à  plus  de  600  kilomètres  de  l'ancienne  métropole,  dans  une  région 
presque  déserte,  sur  une  vase  fuyante,  que  des  armées  entières  devaient 
travailler  d'abord  à  consolider  avant  d'y  poser  les  matériaux  de  construc- 
tion. La  fondation  de  la  ville  dont  Pierre  voulait  faire  son  «  paradis  »  com- 
mença pour  toute  la  Russie  une  ère  de  travaux  forcés.  Les  travailleurs 
furent  eni'ôlés  dans  toutes  les  provinces  comme  des  soldats  :  en  quatre 
années,  de  1712  à  1716,  plus  de  150000  ouvriers  furent  ainsi  transportés 
dans  les  marais  de  la  Neva,  et  la  plupart  ji  périrent  de  la  fièvre,  de  la  faim 
ou  d'épidémies  diverses.  Afin  d'obliger  tous  les  maçons  à  chercher  de  l'ou- 
vrage à  Pétersbourg,  la  construction  de  tout  édifice  en  pierres  ou  en 
briques  fut  interdite  dans  le  reste  de  la  Russie  sous  peine  de  confiscation  et 
d'exil.  En  outre,  tous  les  nobles  ayant  au  moins  trente  «  feux  »  de  paysans 
reçurent  l'ordre  de  venir  se  faire  construire  dans  la  capitale  une  maison, 
dont  la  forme  et  les  dimensions  étaient  réglées  pour  chaque  catégorie  de 
seigneurs'.  Les  plages  incertaines  sur  lesquelles  Pierre  dressait  ainsi  une 
cité  en  dépit  de  la  nature  et  des  hommes  étaient  à  peine  arrachées  à  l'en- 
nemi. En  s'établissant  ainsi  en  plein  territoire  étranger,  en  face  des  Sué- 
dois et  des  Allemands,  il  s'obligeait  par  cela  même  à  une  lutte  d'agression 
constante  :  il  ne  se  bornait  pas  à  «  ouvrir  une  fenêtre  sur  l'Occident  », 
mais  il  s'emparait  aussi  des  espaces  qui  s'étendent  au-devant  du  nouvel 
édifice.  Pour  changer  en  équilibre  naturel  l'équilibre  artificiel  créé  par 
Pierre  le  Grand,  la  conquête  de  la  Finlande,  de  l'Ehstonie,  de  la  Livonie, 
de  la  Courlande,  de  la  Lithuanie,  de  la  Pologne,  devenait  une  nécessité 
d'État  :  telle  est  la  raison  pour  laquelle  la  politique  de  Pierre  a  été  si 
fidèlement  suivie  par  ses  successeurs.  Par  un  singulier  caprice,  en  don- 
nant son  nom    même  à  la  capitale  de  son  empire,  il  employait  ce   nom 


'  Andrcycv,  ouvrage  cite. 

•  Koslomarov,  Hiiloire  de  la  Russie,  VI;  —  Les  villes  de  l'Empire  russe  (en  russe),  VII. 


590 


NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


SOUS  la  forme  hollandaise  de  Piterburg.  En  Russie  et  à  l'étranger, 
l'usage  a  fait  prédominer  la  désignation  allemande  de  Petersburg  (Peler- 
bourg)  ;  mais  dans  le  langage  ordinaire  la  ville  est  encore  appelée  simple- 
ment Piter. 

A  d'autres  égards  que  ceux  de  la  politique,  Pétersbourg  était  Lion  une 
cité  nécessaire  dans  l'organisme  de  la  Paissie  :  elle  était,  pour  ainsi  dire. 


ACRAXDISSEJIENIS    SUCCESSIFS    DE    SAIXT-PETEBSBOCRG. 


Les  fortifications  figurées  sur  te  plan  appartenaient  à  Vancîennc  ville. 

0  :  153  OOO 


la  ville  de  Novgorod  déplacée  vers  la  bouche  de  la  Neva  '  ;  mais,  sauf  pour 
le  climat,  fort  rude  sous  le  soixanlième  degré  de  latitude,  la  nouvelle 
capitale  jouissait  d'avantages  naturels  bien  supérieurs  à  ceux  de  la  ville  de 
l'ilmei'i.  Elle  dispose  de  la  mer,  qui  vient  à  sa  rencontre  par  un  golfe  allongé 
s'avançanl  de  400  kilomètres  dans  les  terres,  et  commande  à  l'embouchure 
d'un  fleuve  considérable,  accessible  aux  petits  bâtiments  de  mer.  Non  seule- 


•  J.G    Kohi,  Die  G:o(jraiiliischc  Loge  (1er  IlauplsUiitlc  Europa's 


SAINT-PÉTERSBOURG.  593 

ment  la  Neva  ouvre  à  Pétci'sbourg  tous  les  chemins  qui  convergent  vers 
Novgorod,  c'est-à-dire  vers  la  vallée  du  Volkhov,  mais  ses  autres  affluents, 
tributaires  du  Ladoga,  sont  autant  de  voies  commerciales  tracées  par 
la  nature  et  se  continuant  au  sud,  au  sud-est,  à  l'est  par  les  seuils  bas 
qui  limitent  le  bassin  des  affluents  supérieurs  de  la  Volga  :  nulle  part  les 
communications  de  A^ersant  à  versant  ne  présentaient  de  difficultés  insur- 
montables aux  caravanes  de  commerce,  même  avant  que  ne  fussent  ouvertes 
les  routes  et  creusés  les  canaux.  De  tous  les  points  vitaux  qui  se  succèdent 
sur  le  littoral  du  grand  corps  de  la  Russie,  aucun  n'est  aussi  heureuse- 
ment placé  que  celui  des  bouches  de  la  Neva,  car  c'est  le  plus  rapproché 
du  centre  des  populations  russes  et,  du  moins  en  été,  il  leur  expédiait,  plus 
rapidement  que  tout  autre  port,  les  produits  de  l'Europe  occidentale. 
L'œuvre  de  Pierre  le  Grand  s'accordait  avec  les  nécessités  géographiques 
du  pays  et  c'est  pour  cela  qu'elle  a  duré.  Si  une  ville  importante  n'est  pas 
née  plus  tôt  sur  l'emplacement  où  s'élève  de  nos  jours  la  capitale  de  la 
Russie,  la  cause  en  est  aux  guerres  constantes  qui  désolaient  les  régions 
du  littoral  et  qui  avaient  précisément  maintenu  jusqu'alors  les  grandes 
villes  de  marché  dans  l'intérieur  des  terres.  Toutefois  les  Suédois  avaient 
à  deux  reprises  tenté  de  prendre  possession  des  bouches  de  la  Neva  par 
une  ville  de  guerre  et  de  commerce  :  vers  l'an  1500,  ils  y  fondèrent  Lands- 
krona  ;  puis,  quand  cette  place  eut  été  détruite  par  les  Russes,  ils  bâtirent 
Njenschanz,  qui  fut  à  son  tour  démolie  par  Pierre  V,  puis  remplacée,  à 
quelques  kilomètres  en  aval,  par  la  cité  moderne.  L'île  fortifléc  de  Kron- 
stadt, qui  défend  à  l'ouest  la  baie  de  Saint-Pétersbourg,  arrête  désormais 
toute  tentative  hostile  et  permet  à  la  capitale  de  grandir  et  de  développer 
sans  crainte  son  commerce  et  son  industrie. 

Cinquième  ville  de  l'Europe  par  le  nombre  des  habitants,  Saint-Péters- 
bourg occupe  une  surface  très  étendue,  plus  de  100  kilomètres  carrés,  en  y 
comprenant  l'espace  couvert  |iar  les  eaux  du  fleuve  ',  mais  sans  compter  les 
faubourgs  d'usines  et  de  villas  qui  se  prolongent  au  loin  dans  les  vallées 
latérales  de  la  Neva.  La  cité,  qui  se  déploie  en  éventail  le  long  des  bras 
ramifiés  du  fleuve,  recouvre  six  grandes  îles  naturelles,  de  nombreux 
îlots,  une  île  artificielle,  limitée  au  sud  par  le  canal  Fontanka,  tandis 
qu'au  nord  et  au  sud  ses  quartiers  extérieurs  s'avancent  de  plus  en  plus 
sur  la  terre  ferme.  Le  premier  îlot  oii  le  fondateur  de  la  ville  fit  enfoncer 
des  pilotis  porte  encore  officiellement  le  nom  de  quartier  de  Pélersbourg  : 


Surracc  de  Sainl-Pélcrsbourg  en  1873 lO-iS.î  IicoItts 

Espace  couTcrI  d'eau 1725        » 


59.i  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

c'osl  là  que  s'élèvent  la  citadelle  de  «  Pierre  et  Paul  »,  où  tant  d'^  prison- 
niers dTlal  furent  enfermés,  et  l'église  où  se  font  ensevelir  les  empereurs. 
Mais  le  véritable  milieu  de  la  capitale  est  maintenant  au  sud  de  cet  îlot,  sur 
la  rive  gauche  de  la  Grande  Neva.  Là  se  pressent  les  principaux  édifices  : 
la  orande  masse  oLlongue  de  l'Amirauté,  que  domino  une  tour  dorée  ;  la 
cathédrale  de  Saint-Isaac,  nef  à  coupole  toute  en  marbre  et  en  granit, 
l'osplendissantc  d'or,  de  malachite,  de  mosaïques  précieuses  ;  le  vaste  palais 
d'hiver,  dressant  sa  longue  façade  sculptée  au-dessus  de  la  Neva  ;  d'autres 
demeures  princières  ornées  de  colonnades,  entourées  de  verdure.  A  côté 
de  l'Amirauté,  sur  une  place  dont  la  Neva  vient  laver  les  quais,  la  fameuse 
statue  équestre  de  Pierre  le  Grand,  par  Falconet,  posée  sur  un  rocher  de 
plus  de  5  mètres  de  hauteur,  montre  d'un  geste  fier  la  forteresse  que  le 
Izar  fit  surgir  des  marais.  Le  bloc  que  surmonte  la  statue  ne  pèse  pas  moins 
de  1500  tonnes  :  c'est  le  plus  lourd  que  les  hommes  aient  transporté;  il 
dépasse  en  volume  les  pierres  de  Baalbek  et  les  obélisques  égyptiens.  Non 
loin  de  là,  devant  le  palais  d'hiver,  s'élève  la  colonne  d'Alexandre,  mo- 
nolithe de  25  mètres  de  haut  en  rappakivi  finlandais;  mais  ce  monument, 
témoignage  remarquable  de  l'industrie  humaine,  est  déjà  fendillé  et  ne  se 
lient  debout  que  par  les  anneaux  de  fer  rattachant  le  granit  désagrégé. 

Du  haut  de  la  tour  de  l'Amirauté,  des  terrasses  des  palais  ou,  mieux 
encore,  du  dôme  de  Saint-Isaac,  on  embrasse  l'ensemble  de  la  ville,  des 
campagnes  de  l'ouest  à  la  mer.  Au  sud,  on  voit  les  rayons  divergents  formés 
par  les  grandes  avenues  ou  «  perspectives  »  ;  la  fameuse  Perspective 
Nevskiy,  bordée  de  palais,  de  bazars,  d'églises,  et  parcourue  incessamment 
par  la  foule  des  piétons,  des  cavaliers,  des  voitures,  se  prolonge  sur  plus 
de  3  kilomètres  jusqu'à  la  gare  du  chemin  de  fer  de  Moscou  et  à  4  kilo- 
mètres plus  loin  jusqu'au  couvent  de  Smolniy.  A  l'est,  au  nord,  à  l'ouest 
serpente  la  Neva,  heurtant  de  son  courant  d'eau  pure  les  piles  des  grands 
ponts.  Presque  en  face  de  l'Amirauté,  le  fleuve  se  divise  pour  embrasser 
l'île  de  Yasiliy,  où  se  montrent  la  Bourse,  la  Douane  et  les  principaux 
élablissements  scientifiques  de  Saint-Pétersbourg,  l'Université,  l'Académie 
des  sciences,  l'Académie  des  beaux-arts,  l'institut  d'histoire  et  de  philo- 
logie, l'Observatoire  physique;  enfin,  par  delà  les  constructions  apparais- 
sent au  nord-ouest  les  bosquets  des  «  îles  de  la  Neva  »,  avec  leurs  allées 
sinueuses,  leurs  kiosques  et  les  bateaux  de  plaisance  flottant  gaiement  sur 
les  eaux.  Vue  ainsi  en  panorama,  la  ville  est  curieuse  à  contempler;  mais 
il  est  jieu  de  quartiers  que  l'étranger  se  plaise  à  parcourir  :  comme 
^Vasllington,  Pétersbourg  est  une  «  ville  à  distances  magnifiques  >>  ;  les 
rues,    laiges,  régulières,  se    continuant  à  perle  de  vue,  se  ressemblent 


STPETERSBOUF^; 


GroïcparKrliard. 


Dressé  piip  A.VuilIfil 


ISES   ENVIRONS. 


Hachette  et  C^'  Paris . 


Paris  _  Imp-Froillerv, 


SAI.M-PÉTERSBOURG.  595 

toutes  :  on  y  voit  partout  les  mêmes  casernes,  les    mêmes  maisons    clc 
pierre  ou  de  bois,  sans  élégance  et  sans  originalité'. 

Saint-Pétersbourg  n'est  pas  une  des  capitales  salubres  de  l'Europe.  De 
même  qu'à  Odessa,  la  mortalité  y  dépasse  annuellement  le  nombre  des 
naissances',  et  la  ville  ne  peut  réparer  ses  pertes  que  par  l'immigration  : 
laissée  à  elle-même,  elle  redeviendrait  ce  qu'elle  était  avant  Pierre  le 
Grand.  Mais  l'immigration,  composée  principalement  d'hommes  jeunes  et 
dans  la  force  de  l'âge,  est  tellement  considérable,  que  Pétersbourg  se  dis- 
tingue de  toutes  les  villes  de  l'Europe  occidentale  par  la  grande  supériorité 
numérique  de  sa  population  masculine  :  sur  sept  personnes,  on  y  comjjle 
en  moyenne  quatre  hommes  et  seulement  trois  femmes  ;  avant  le  milieu 
du  siècle,  si  l'on  peut  ajouter  foi  à  la  statistique  urbaine,  la  proportion 
du  sexe  masculin  au  sexe  féminin  était  de  plus  du  double^.  Et  pourtant, 
la  plupart  des  hommes  faits  qui  habitent  Pétersbourg  sont  mariés  ;  mais 
la  moitié  d'entre  eux  sont  des  immigrants  ayant  laissé  en  province  leur 
femme  et  leurs  enfants  :  les  unions  sont  ainsi  suspendues  pendant  de  lon- 
gues années.  Toutes  les  régions,  toutes  les  races  de  l'empire,  Slaves  et 
Finnois,  contribuent  à  cette  immigration.  Les  Tartares  eux-mêmes  sont 
nombreux  à  Pétersbourg,  où  ils  s'occupent  pour  la  plupart  de  petits  mé- 
tiers :  ce  sont  eux  qui  parcourent  la  ville  pour  acheter  les  vieux  habits,  et 
qui  servent  dans  les  restaurants  de  premier  ordre  :  des  salles  particulières 
louées  à  cet  effet  leur  servent  de  mosquées.  Les  Allemands,  que  l'on  trouve 
parmi  les  commerçants  et  les  banquiers  aussi  bien  que  parmi  les  arti- 
sans et  les  gens  de  toute  industrie,  licite  ou  équivoque*,  ne  sont  jjas 
moins  de  50  000  dans  la  capitale  de  la  Russie  ;  en  outre,  une  jiaroisse 
luthérienne  se  compose  de  descendants  d'Allemands  ne  sachant  plus  que 
le  russe.  On  comprend  combien  l'invasion  continue  de  la  ville  par  des 
hommes  qui  se  séparent  de  leur  famille  est  funeste  à  la  fois  pour  la  santé 
et  pour  la  moralité  publiques.   La  proportion  des  enfants  illégitimes  est 

'    Budget  de  Saint-Pctprsbnurg en  1881:  Recelles,  5  778  5G2  roubles;  d(,'|)cnscs,  5  771  617  roubles. 
Valeur  des  immeubles  de  la  municipalité  :  81  O.'iO  000  roubles. 

"   Statistique  vitale  de  Saint-Pétersbourg,  de  1852  à  186'.'  : 

Naissances »...     155084 

MorU ,     172  061» 

Perle  annuelle 2  158 

Perte  annuelle  de  186!»  à  1880 .         de  2500  à         5  000 

'  Proportion  des  sexes  en  1 857 .    .   .    .     100  hommes  42  femmes 

»  Il  1809.   ...     100       »        (577580)        77       »        (28!»  827) 

»  I.  1881.   ...     100       »        (475158)        81       i        (580782) 

*  Proportion  <lcs  .Vllemands  à  Pétersbourg  en  1870  : 

Uommcs,  5,0  pour  100;  femmes,  8,5  pour  100. 


S96  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

très  considérable  '  et  dans  l'hôpital  des  enfants  trouvés  viennent  s'engouf- 
frer chaque  année  des  milliers  de  petits  êtres',  qui  sont  en, partie  gardés 
dans  l'établissement,  en  partie  envoyés  en  nourrice  en  dehors  de  la  capi- 
tale et  même  jusqu'à  Novgorod  ;  mais  sur  les  uns  et  les  autres  la  mort  sévit 
cruellement  :  les  épidémies  emportent  en  peu  de  jours  le  cinquième  des 
enfants,  et  c'est  en  vain  jusqu'à  maintenant  que  des  hygiénistes  de  Pé- 
tersbourg  ont,  comme  ceux  de  Paris,  élevé  la  voix  contre  les  infanticides 
en  masse  provenant  de  l'incurie  publique. 

La  capitale  de  la  Russie,  où  les  militaires  et  les  employés  de  tout  grade 
forment  une  partie  notable  de  la  population'',  est  une  ville  de  luxe,  et  par 
conséquent  une  de  celles  où  la  domesticité  est  représentée  par  le  plus  grand 
nombre  d'individus*.  La  richesse  et  la  pauvreté  sont  en  contact  immé- 
diat dans  la  vaste  cité.  A  côté  de  la  misère  des  immigrants  de  la  cam- 
pagne, le  prolétariat  industriel  entre  dt^à  pour  une  forte  proportion  parmi 
les  habitants  de  Pétersbourg,  première  ville  manufacturière  de  l'empire. 
Quelques  grands  établissements  appartiennent  à  l'Etat,  fabriques  de  tapis- 
series, de  glaces,  de  porcelaine  ;  mais  la  principale  activité  se  voit  surtout 
dans  les  usines  des  particuliers,  fonderies,  ateliers  de  construction,  raffine- 
ries de  sucre,  tanneries,  filatures  et  fabriques  d'étoffe  de  laine  et  de  coton, 
brasseries,  distilleries,  fabriques  de  tabac.  En  1881,  on  évaluait  à  74  200 
hommes  et  femmes,  dont  6790  enfants,  la  population  des  586  fabriques 
et  grands  ateliers  de  Saint-Pétersbourg,  et  l'ensemble  de  la  production 
manufacturière  représentait  une  somme  de  près  de  500  millions  de  francs. 
Cependant  c'est  moins  à  l'industrie  qu'aux  revenus  des  grands  domaines 
et  aux  gros  traitements  payés  par  le  budget  que  la  société  riche  de  Saint- 
Pétersbourg  doit  de  pouvoir  alimenter  le  luxe  de  ses  toilettes  au  Jardin 
d'Été  et  de  ses  équipages  sur  la  Perspective  Nevskiy.  Le  petit  commerce 

<  Naissances  illégilimes  de  1856  à  1865  •  50  pour  100;  de  1869  à  1880     20  pour  100. 
-  Entrés  aux  Eufants-Trouvôs  de  Pélersbourg  en  1876  :  7578  enfants,  dont  7190  illégitimes. 

Mortalité  totale  des  enfants  trouvés,  à  l'hospice  et  en  nourrice  :  0088,  soit  80  pour  100. 
'  Proportion  des  militaires,  des  employés  de  l'Etat  et  des  com'tisans  à  Pétersbourg  et  à  Berlin 
en  1869,  d'après  Yanson  : 

l'clcrshours.  Berlin. 

Militaires.   ....,.....,.,.       1  sur     17  1  sur       59 

Employés  de  l'État .        I   sur    59  1  sur     117 

Courtisans  ^   .   ,   ^    ,   .    .   , 1  sur  2-26  1  sur  2025 

*  Domesticité  à  Pétersbourg  et  à  Berlin  en  1809  : 

Ménages  sans  domestique 81  pour  100  à  Berlin;  -49  pour  100  ii  Pélersbourg. 

»       avec  1  diiiiiestique 15         »  »  27         >'  ' 

»         »     2  (luniesliiiucs -4         »  »  12         »  p 

1)         n     5  »  ou  davantage.        2         »  »  12         )>  » 

.11  .  ......  !>  »  1  »  » 


SAINT-PKTERSBODRG.  597 

seul,  monopolisé  jadis  par  dos  émigrés  de  Novgorod,  est  partiellement  entre 
les  mains  de  Russes  ;  les  grosses  affaires  se  traitent  en  majorité  pour  le 
compte  de  négociants  allemands,  anglais  ou  de  banquiers  juifs.  D'ailleurs,  le 
mouvement  commercial  de  Pétersbourg  est  fort  considérable  :  dans  les  gares 
des  cliemins  de  fer,  dans  les  bassins  où  viennent  aboutir  les  canaux,  enfin 
dans  les  ports  maritimes  de  la  capitale  et  dans  les  ports  de  Kronstadt,  où 
mouillent  les  gros  navires,  l'ensemble  dos  marcbandises  écbangées  s'élève, 
suivant  les  années,  au  quart  ou  au  tiers  du  commerce  de  tout  l'empire'. 
On  a  dragué  récemment  dans  la  mer,  entre  Kronstadt  et  Pétersbourg,  sur 
une  distance  de  50  kilomètres,  un  canal  de  5  mètres  de  profondeur  que 
des  gares  riveraines  rattachent  au  réseau  des  chemins  de  fer  de  la  Russie  ; 
en  outre  un  canal  de  navigation  fluviale,  creusé  directement  de  l'embou- 
chure de  la  Neva  au  Ladoga,  pour  les  embarcations  d'un  tu'ant  d'eau  de 
5  mètres,  leur  permettra  d'éviter  les  rapides  du  fleuve  cL  le  détour  qu'il 
décrit  vers  le  sud.  La  plus  forte  part  de  la  navigation  dans  les  ports  de  la 
capitale  n'appartient  pas  aux  armateurs  nationaux  :  les  pavillons  anglais, 
allemand  et  norvégien  flottent  sur  plus  de  navires  que  le  pavillon  russe,  et 
même  les  bâtiments  qui  voguent  sous  ce  pavillon  appartiennent  en  grande 
partie  à  des  Finnois. 

Comme  ville  d'études,  Saint-Pétersbourg  n'est  point  l'égale  de  la  plupart 
des  cités  de  l'Europe  occidentale,  puisqu'on  y  compte  encore  plus  de 
300000  personnes  complètement  ignorantes  de  la  lecture;  néanmoins 
ses  hautes  écoles  et  ses  corps  savants  sont  de  ceux  qui  contribuent  le  plus 
au  mouvement  des  études  en  Europe.  Pour  la  haute  littérature,  les  arts  et 
les  sciences,  Saint-Pétersbourg  est  le  principal  centre  de  la  Russie',  tandis 
que  Moscou  la  dépasse  de  beaucoup  pour  les  publications  populaires.  De 
son  université,  un  peu  moins  fréquentée,  que  celle  de  Moscou,  parce  qu'elle 
ne  possède  pas  de  faculté  médicale,  sortent  les  meilleurs  élèves  pour  les 
sciences  physiques  et  mathématiques  \  L'académie  de  médecine  a  de  000  à 

'    Commerce  mnrilimc  ilc  Pélorshourg  et  de  Kronsladl  en  1880  :  174  012  000  roubles. 

Mouvement  des  navires  en  1880  : 

Commerce  extérieur.  Entrées.       .     28(>0  navires,  jaugeant     1  081  000  tonnes. 
»  »        Sorties  .   .   .     2775      i.  »  1  058  000      » 


Ensemble 5655  navires,  jaugeant     2  159  000  tonnes. 

'  Imprimeries  à  Pétersbourg  le  I"  janvier  1878  :  9i. 

*  Université  de  Saint-Pétersbourg  au  1"  janvier  1882  :  Professeurs,  70;  élèves,  2027  :  bistoire  et 
philologie,  205  ;  physique,  mathématiques,  908  ;  jurisprudence,  77G  ;  langues  oncntalcs,  80  Biblio- 
thèque, 141500  volumes. 


598  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

700  étudianls;  récemment  le  nombre  en  avait  été  limité  à  500,  mais  le 
manque  de  médecins  et  la  pression  de  l'opinion  publique  ont  fait  reve- 
nir sur  cette  mesure.  Les  cours  de  l'école  vétérinaire  ont  été  supprimés, 
de  même  que  les  cours  de  médecine  pour  les  femmes.  C'est  à  Saint-Pé- 
lersbourg  que  se  trouvent  toutes  les  écoles  spéciales  dépendant  des  divers 
ministères.  L'Académie  des  sciences  et  quelques  autres  sociétés  publient 
des  mémoires  dont  plusieurs  ont  fait  époque  dans  la  science,  tandis  que  la 
Société  de  Géographie,  disposant  de  sommes  considérables  et  traitée  par 
le  gouvernement  comme  une  sorte  de  ministère  pour  les  explorations 
et  les  découvertes,  a  présidé  à  de  savantes  enquêtes  ethnographiques 
dans  l'intérieur  de  la  Russie  et  dirige  de  loin  des  expéditions  nombreuses 
en  Sibérie,  en  Chine,  dans  l'Asie  centrale'.  Quelques  bibliothèques, 
entre  autres  celles  de  l'Université  et  de  l'Académie  des  sciences,  renfer- 
ment des  livres  rares  et  des  collections  précieuses  ;  mais  la  plus  impor- 
tante de  toutes,  et  celle  d'Europe  qui  a  le  premier  rang  après  Paris  et 
Londres,  est  la  bibliothèque  publique,  riche  de  plus  d'un  million  de 
volumes  et  de  plus  de  40  000  manuscrits,  dont  plusieurs  sont  uniques  ; 
on  y  voit  aussi  la  collection  des  livres  de  Voltaire,  forte  de  près  de 
7000  volumes.  La  bibliothèque  s'augmente  de  20  000  à  25  000  ouvrages 
par  an  et  publie  annuellement  de  précieux  catalogues  et  dos  reproductions 
de  livres  rares;  la  section  spéciale  de  Rossica,  contenant  les  ouvrages 
étrangers  relatifs  à  la  Russie,  se  compose  de  près  de  40  000  volumes» 
Les  musées  sont  aussi  parmi  les  plus  remarquables  du  continent.  L'Aca- 
démie des  sciences  a  son  admirable  galerie  asiatique  et  ses  collections 
zoologiques  où  se  voit  le  fameux  squelette  de  mammouth  apporté  de 
Sibérie  en  1805.  Enfin,  le  palais  de  l'Ermitage,  qui  communique  au 
Palais  d'Hiver,  est,  par  quehpies-uns  de  ses  trésors,  un  musée  de  pre- 
mier ordre.  Non  seulement  il  possède  des  cartons  renfermant  12  000  des- 
sins originaux,  200  000  estampes,  de  beaux  tableaux  de  la  plupart  des 
grands  peintres  et  surtout  une  série  complète  de  tous  les  Flamands,  il 
offre  en  outre  une  collection  des  œuvres  de  l'école  russe,  presque  inconnue 
en  Occident  ;  mais  ce  qui  fait  sa  gloire,  ce  sont  les  restes  de  la  plus 
belle  époque  de  l'art  grec  et  les  antiquités  Scythes  provenant  de  la  Tau- 
ride  et  du  sud  de  la  Russie  :  c'est  par  ces  œuvres  d'art  que  le  musée  de 
l'Ermitage  est  unique  au  monde.   La    bibliothèque  du  ))alais  renferme, 

'  Socii'té  (le  Géographie  de  Saint-Pétersbourg  en  1881  :  Nombre  des  membres,  9-23. 
•  Bibliothèque  de  Saint-Pétersbourg  au  I"  janvier  1877  :  979  000  volumes;  85  575  estampes; 
10  000  cartes  et  atlas. 


SAINT-PÉTERSBOURG,  KRONSTADT,  TZARSKOIE-SELO.  001 

parmi  tant  d'autres  richesses,  les  précieuses  collections  d'autographes  de 
Voltaire,  de  d'Alembert,  de  Diderot.  La  collection  de  l'Académie  des 
beaux-arts  est  encore  plus  riche  que  celle  de  l'Ermitage  pour  les  tableaux 
de  l'école  russe. 

Ville  de  palais  somptueux,  Pétersbourg  se  complète  au  dehors  par 
des  parcs  et  des  châteaux  de  plaisance.  Peterhof,  sur  la  rive  méridio- 
nale de  la  baie  qui  sépare  Kronstadt  des  bouches  de  la  Neva,  est  un 
«  palais  de  Versailles  »,  entouré  de  parcs,  de  parterres,  d'eaux  jaillis- 
santes ;  de  ses  terrasses,  descendant  en  degrés  vers  la  mer,  on  voit  les 
superbes  fontaines,  la  rade  bleue,  puis  au  delà  les  rivages  boisés  de  la 
Finlande.  A  l'ouest  de  Peterhof,  qui  fut  la  résidence  favorite  de  Pierre  le 
Grand,  Oranienbaum,  autre  château  impérial,  environné  de  pavillons  et 
(le  villas,  fait  face  du  haut  de  sa  berge  à  l'île  de  Kollin  et  à  la  ville  de 
Kronstadt,  dont  les  fortifications  redoutables,  sombres  murailles  de  granit 
se  dressant  hors  de  l'eau  grise,  contrastent  étrangement  avec  les  ombrages, 
les  jets  d'eau,  les  plates-bandes  fleuries  d'Oranienbaura  :  avant  le  règne 
d'Alexandre  II,  on  avait  déjà  dépensé  plus  de  200  millions  de  francs  })our  les 
forts  de  Kronstadt,  et  depuis  lors,  c'est  encore  par  dizaines  de  millions  que 
l'on  a  travaillé  à  l'entretien  de  ce  boulevard  do  Pétersbourg.  Deux  des 
forts,  doublés  de  cuirasses  en  fer  et  en  bois  de  teck,  sont  pourvues  de 
tourelles  blindées  et  tournantes.  Kronstadt  est  surtout  une  ville  de  guerre 
et  la  plupart  de  ses  habitants  sont  employés  au  service  des  arsenaux,  des 
forts,  des  torpilles,  de  la  flotte  militaire.  Les  autres  sont  occupés  au  trans- 
bordement des  marchandises  entre  les  grands  navires  et  les  allèges  venues 
de  Pétersbourg.  En  été,  le  chemin  de  fer  d'Oranienbaum  et  de  petits 
bateaux  à  vapeur  ti'ansportent  les  voyageurs  qui  vont  et  viennent  incessam- 
ment entre  Kronstadt  et  la  capitale.  En  hiver,  c'est  la  glace  qui  est  devenue 
le  chemin  du  commerce.  Un  hôlel  temporaire  s'élève  à  moitié  chemin, 
des  postes  sont  établis  de  distance  en  distance  pour  secourir  les  voyageurs 
en  détresse,  surpris  par  le  brouillard,  et  une  voie  ferrée  s'établit  tempo- 
rairement sur  la  glace.  Un  chemin  de  fer  permanent,  longeant  la  digue  d'un 
canal,  réunit  le  port  extérieur  et  les  gares. 

Dans  l'intérieur  des  terres  s'élèvent  d'autres  villes  qui  sont  de  simples 
satellites  de  la  résidence,  groupes  de  châteaux,  de  villas,  d'hôtels  ou  lieux  de 
concert  vers  lesquels  se  porte  la  foule  pendant  la  saison  d'été.  Tzarskoïe- 
Sdo,  le  «  Villagi;  lmj)érial  »,  situé  à  '25  kilomètres  au  sud  de  la  capitale, 
était  originairement  un  simple  village  aux  maisons  parsemées  à  disLince  du 
château  bâti  en  17ii  par  la  tzarinc  Élizabeth,  agrandi  et  richement  orné 
par  Catherine  II,  qui  en  fit  son  séjour  de  prédilection.  Maintenant  Tzarskoie- 
»•  7a 


602 


NODVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


Sel'o  est  une  ville,  ayant  même  queli|iio  industrie.  Au  nord-ouest,  sur  une 
colline  de  74  mètres  de  hauteur,  s'élève  l'observatoire  de  Poulkovo,  par 
lequel  passe  le  méridien  de  la  Russie',  et  qu'ont  illustré  les  reeherclies 
de  Struve  :  le  télescope  que  l'on  construit  à  Cambridge,  près  de  Boston, 
pour  cet  observatoire  russe,  est  le  plus  grand  du  monde;  sa  lentille  a  un 
diamètre  de  90  centimètres.  Près  de  la  ville  de  Pavl'osk,  qui  forme,  au 
sud  de  Tzarskoïe-Sel'o,  comme  un  faubourg  d'auberges  et  de  villas,  s'est 
bâti  récemment  un  autre  observatoire,  spécialement  consacré  à  l'étude  des 
phénomènes  météorologiques  et  magnétiques. 

Gattchina,  plus  éloignée  de  Pétersbourg  que  Tzarskoïe-Selo,  a  eu  la 
même  origine  :  elle  s'est  bâtie  peu  à  peu  autour  d'un  château  princier, 
sombre  et  triste,  perdu  au  milieu  de  forêts  semées  de  lacs.  Un  croise- 
ment de  chemins  de  fer  et  de  routes  donne  une  certaine  importance  com- 
merciale à  la  station  de  Gattcluna'. 


VIII 


VERSAM  DE  L  OCÉAN  GLACIAL,  LAPONIE  RUSSE,  OURAL  DC  KORD 
KOVAÏA  ZEMLA 

rnOVINCES    D'ABbUANCELSK    ET    DE   VOLOCDA 

Toute  la  partie  septentrionale  de  la  Russie  dont  les  eaux  s'écoulent  dans 
l'océan  Glacial  coïncide  assez  bien,  dans  ses  limites  générales,  avec  les 
vastes  provinces  presque  inhabitées,  en  raison  de  leur  étendue,  d'Arkhan- 
gelsk et  de  Vol'ogda.  Cet  immense  espace  qui  est,  pour  ainsi  dire,  en  dehors 


'  Longitude  de  Poulkovo.    .    .    .     27»  ÛO' 20"  E.  do  Pans.       50»  19' 50"  E.  do  Giocnwich. 
Laliliide  »         ....  59»  40' 18'. 7. 

-  Villes  des  ])assins  de  la  Narova  et  de  la  Nova  dans  les  gouvernements  de  Pskov,  de  Novgorod, 
de  Saint-Pétersbourg  et  d'Olonetz,  ayant  plus  de  -4000  habitants. 


COmERNEMENT   TiE   l'SKOV. 

Pskov  (1882) 21200  liab. 

Velikiva  touki 0  000     n 

Soitzî 5  800     ). 

Tnropetz 5  800     n 

Kbolin 5  450     )i 

COlVKIlNEMENr    DE   .NOVGOROD. 

Novgorod  (1882) 20  600  hab. 

Slarava  Rousa(1881; 15  550     » 

Borovilchi  x 10 150     n 

Tikhvin  )■ 6  100     » 

Bctozers  ii 4  500     » 


COl'VERNEMEM    DE   SUM-PETERSBOIT.G. 

Saiut-Péter.sbourg(l5  dée.  1881, 

avec  faubourgs) 929  100 


Kronstadt 

o^'   .... 
(1881).  .    . 

.    .      48  500 

Tzarskoie-Selo 

i>     .   .    . 

.    .      15  000 

Scliliisselburg 

.    .     10  400 

Gatlcbina. 

"... 

.    .     10  100 

Narva 

.    .       8  650 

Pelerliof 

.    .       7  950 

Novava  .Ladoga 

.    .       4100 

Oranieubauni 

"... 

.   .       4  000 

iiab. 


GOIVKRNEJIENT   D  OLO.NETZ. 

Petrozavodsk  (1881) 12000 


hab. 


VERSANT  DE  T/OCEAN   CLACIAL. 


603 


<le  l'Europe  vivante,  et  qui  par  son  climat,  aussi  bien  que  par  une  partie  de 
sa  population,  offre  déjà  des  traits  de  caractère  sibérien,  n'a  guère  qu'un 
habitant  par  kilomètre  carré.  La  province  d'Arkhangelsk,  même  sans 
Novaya  Zemla,  est  presque  aussi  vaste  que  la  France  et  la  Grande-Bretagne 
réunies,  et  pourtant  il   s'y  trouve 


N"    137      I,  ISTHME    HE    KAVTH 


moins  d'êtres  humains  que  dans  une 
seule  ville  de  rang  secondaire  comme 
Lyon,  Lceds  ou  Birmingham.  Com- 
paré à  l'ensemble  de  la  Bussie  d'Eu- 
rope, le  versant  incliné  vers  la  mer 
Glaciale  représente  à  peu  près  le 
quart  du  territoire,  tandis  que  la 
population  totale  des  deux  provinces 
du  nord  est  seulement  un  soixan- 
tième de  celle  de  l'empire  '.  Cepen- 
dant cette  région  est  une  des  plus 
curieuses  de  l'Europe  orientale,  non 
seulement  par  les  phénomènes  inté- 
ressants du  sol,  des  eaux  et  du  cli- 
mat, mais  aussi  par  l'histoire  de  ses 
habitants.  Les  riverains  de  l'océan 
Glacial  ont  eu  aussi  leur  rôle  spé- 
cial, quoique  modeste,  dans  le  déve- 
loppement de  la  civilisation  euro- 
péenne, et  trois  siècles  à  peine  se 
sont  écoulés  depuis  l'époque  où  le 
chemin  de  la  mer  Blanche  fut  la 
seule  voi(^  ouverte  au\  pays  mosco- 
vites pour  comniuniquiT  avec  l'Eu- 
rope occiilenlale.  ■  ■  -  ^"  ""'' 

Presque  toute  la  région  comprise  "  '""'"'■ 

entre  les  granits  de  la  Finlande  et  les  monts  Oural  s'incline  d'une  pente 
égale,  presque  insensible,  vers  la  mer  Blanche  et  l'océan  Glacial,  et  les 
fleuves  y  serpentent  lentement    en   longs  méandres  ;  mais  la  péuinsulei 

'  Superficie  cl  population  du  versant  septentrional  de  la  Russie  : 

Superficie.             Population  en  1SS2.  Popul.  kilomcl. 

Arkhangelsk  (sans  Novaya  Zomia).        7fi7  190  kil.car.        2!)9 'J.>0  hah.  O.lliab. 

VotogJa.  ...       'I0l!7'25       »          1  HÔ714))(?)  2.8    » 


Ensemble 1  170  215  kil.car.     llijGUhal). 


1.2liab. 


CM  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

de  Kola,  rattachée  politiquement  à  la  Paissie  et  au  gouvernement  d'Arkhan- 
«^eisk,  doit  être,  d'après  la  forme  de  son  relief,  considérée  comme  un 
simple  prolongement  oriental  de  la  presqu'île  Scandinave  :  c'est  l'extrémité 
^  nord-orientale  du  Kjôlen.  La  mer  Blanche  et  le  golfe  de  Botnie,  s'avançant 
au-devant  l'un  de  l'autre,  limitent  partiellement  le  territoire  de  la  Laponie 
russe  ;  d'ailleurs,  toutes  les  formations  qui  s'étendent  à  l'ouest  de  la  mer 
Blanche  appartiennent,  comme  la  Suède  et  la  Finlande,  au  granit  et  aux 
roches  anciennes,  tandis  qu'à  l'orient  de  la  mer  et  jusqu'à  l'Oural  les 
terrains  sont  d'origine  plus  récente. 

L'intérieur  de  la  Laponie  russe  est  mal  connu,  quoique  le  réseau  des 
itinéraires  suivis  par  les  voyageurs  le  traverse  déjà  dans  tous  les  sens.  Le 
Maan  Seika  des  Finlandais  se  continue  à  l'est  sur  le  territoire  russe,  par 
des  plateaux  ravinés,  et  çà  et  là,  comme  dans  le  Finmarken  norvégien, 
s'élèvent  quelques  massifs  dont  les  sommets  dépassent  un  demi-kilomètre 
en  hauteur;  même  la  petite  chaîne  de  l'Oumbdek,  qui  commence  au  nord 
du  golfe  de  Kandalakcha,  extrémité  occidentale  de  la  mer  Blanche,  dresse- 
rait ses  plateaux  et  toundras  à  plus  de  900  mètres.  A  l'est,  les  croupes  de 
100  mètres  ne  se  rencontrent  qu'en  de  rares  endroits;  presque  toute  la 
surface  du  pays  est  revêtue  d'une  immense  tourbière  cachant  les  saillies 
du  sol  ;  seulement  sur  le  pourtour,  l'ossature  de  granit  et  son  manteau  de 
tourbe  sont  découpés  profondément  par  des  ravins  emplis  dans  les  creux 
d'une  neige  persistante.  D'après  Koudravtzev,  les  phénomènes  glaciaires  y 
sont  des  plus  nets.  Les  roches  sont  toutes  burinées  parallèlement  dans  la 
direction  du  nord-ouest  au  sud-est,  et  jusqu'à  la  cime  les  crêtes  sont 
revêtues  de  débris  appartenant  aux  moraines  de  fond.  Sur  les  côtes,  les 
traces  de  l'exhaussement  du  sol  sont  aussi  de  toute  évidence. 

A  l'orient  de  la  Mezeiî  et  de  la  péninsule  de  Kanin,  une  chaîne  de  hau- 
teurs qui  s'enracine  dans  la  parma,  plateau  boisé,  dans  lequel  divergent 
les  sources  de  la  Dvina,  de  la  Petchora,  de  la  Kama,  suit  assez  régulière- 
ment la  direction  du  nord-ouest,  interrompue  çà  et  là  par  des  brèches  où 
passent  des  rivières  serpentines,  descendant  les  unes  vers  la  Mezen,  les 
autres  vers  la  Petchora.  Ce  faîte,  auquel  on  donne  parfois  le  nom  de  «  mon- 
tagnes »  de  Timan,  atteint  en  quelques  endroits  200  et  '250  mètres,  et 
même,  vers  son  extrémité  septentrionale,  une  cime  s'élèverait  à  272  mètres 
au-dessus  de  la  mer.  Mais  là  déjà  le  faîte,  découpé  par  de  nombreuses 
rivières,  se  ramifie  en  forme  d'éventail  et  se  termine  dans  les  eaux  de 
l'océan  Glacial  par  quehjues  presqu'îles  parallèles,  dont  l'une  s'avance  à 
une  trentaine  de  kilomètres  en  dehors  de  la  ligne  régulière  du  rivage  : 
c'est  un  Svaloï  Nos,  un  de  ces  nombreux  «  promontoires  sacrés  »  que  les 


ILE  KOiGOUYEV,  PÉNINSULE  DE  KANIN 


60r. 


rtNTXSriE    DE    KANIN. 


marins  doublent  avec  inquiétude,  se  demandant  si  par  delà  la  pointe  le 
vent  ou  la  houle  ne  les  saisiront  pas  brusquement  ou  s'ils  ne  se  trouveront 
pas  perdus  dans  les  brouillards  ou  dans  les  glaces  flottantes.  La  grande  ile 
de  Kolgouyev,  qu'un  détroit  de  100  kilomètres  environ  sépare  de  la  terre 
ferme,  peut  être  considérée  comme  la  continuation  du  faîte  de  Timan, 
car  les  eaux  marines  intermédiaires  ont  à  peine  30  mètres  de  profondeur 
et  les  abîmes  de  100  mètres  et  davantage  ne  commencent  qu'au  delà.  Kol- 
gouyev, dont  on  évalue  la  super- 
ficie à  5500  kilomètres  carrés, 
est  entourée  de  bas-fonds  et 
difficile  d'accès  ;  au  plus  00 
ou  80  chasseurs  y  abordent 
chaque  année  pour  capturer 
sur  les  rivages  les  phoques, 
les  morses,  les  ours  blancs, 
mais  surtout  les  oies,  les  cy- 
gnes et  les  canards,  ou  pour- 
suivre dans  les  marais  et  sur 
les  collines  tourbeuses  de  l'in- 
térieur les  renards  bleus  et  les 
rennes.  Tous  les  essais  de  colo- 
nisation permanente  se  sont 
jusqu'à  maintenant  terminés 
par  un  désastre.  En  1707, 
soixante-dix  raskolniks,  fuyant 
la  persécution  religieuse,  s'éta- 
blirent dans  l'île  pour  y  célé- 
brer leurs  rites  suivant  leur 
conscience  ;  mais  en  peu  de 
mois  le  scorbut  les   eut  tous 

0  50  kil. 

emporli's. 

Peut-être  ne  faut-il  voir  aussi  dans  la  péninsule  de  Kanin  que  le 
prolongement  occidental  d'un  éperon  secondaire  du  faîte  de  Timan.  Toute 
la  partie  septentrionale  de  cette  presqu'île,  disposée  en  forme  de  marteau, 
est  occupée,  du  cap  Mikoul'kin  au  cap  Kanin,  par  un  plateau  de  schistes  cris- 
tallins qui  continue  exactement  une  zone  rocheuse  commençant  sur  la  terre 
ferme  :  les  plus  hautes  croupes  de  ce  plateau,  auquel  on  donne  parfois  le 
nom  de  Tiounskiy  Kamci'i,  ont  un  peu  plus  de  100  mètres.  Ces  schistes  de 
la   péninsule  terminale    sont   séparés  de  la  masse  du  continent  par  des 


CÛ6  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

strates  jurassiques  où  jaillissent,  dit-on,  quelques  sources  de  naphle  et  qui 
renferment  des  gisements  de  pyrites  et  de  cuivre.  Jadis  Kanin  était  une  île. 
11  y  a  une  centaine  d'années,  la  rivière  Tchija,  qui  coule  à  l'ouest  vers  le 
golfe  de  Mezen,  et  la  Tcliechtcha,  qui  descend  à  l'ouest  dans  la  Laie  orien- 
tale, sortaient  l'une  et  l'autre  d'un  même  lac,  el  les  barques  pouvaient  se 
rendre  facilement  de  l'une  à  l'autre  rive.  Le  lac  n'est  maintenant  plus  qu'un 
marais  et  toute  navigation  a  cesse  entre  les  deux  baies  opposées  '.  Ce  chan- 
gement provient  sans  doute  du  mouvement  général  de  poussée  qui  soulève 
toutes  les  côtes  septentrionales  de  la  Russie  :  l'ancien  détroit  maritime 
a  été  changé  en  lac  à  double  émissaire,  et  ce  lac  à  son  tour  est  devenu 
un  marais  entre  deux  l'ivières.  Sur  les  côtes  de  la  Laponie  russe,  M.  Koud- 
ravtzev  a  retrouvé  des  coquilles  marines  à  une  hauteur  de  80  mètres 
environ  au-dessus  de  la  mer-;  c'est  le  même  phénomène  que  tant  de  géo- 
logues ont  observé  sur  les  côtes  de  Finmarken  et  de  la  Norvège  occidentale. 
Outre  les  coteaux  du  faîte  de  Timan,  les  grandes  étendues  de  la  pro- 
vince d'Arkhangelsk  ont  quelques  chaînes  de  hauteurs  qui  se  ratta- 
chent aux  monts  Oural;  mais,  si  ce  n'est  dans  le  voisinage  immédiat  de 
ces  montagnes,  ces  ramifications  ouraliennes  n'ont  qu'un  faible  relief, 
n'atteignant  200  mètres  que  par  un  petit  nombre  de  sommets.  D'ailleurs  le 
contraste  des  collines  et  des  plaines  est  peu  marqué  dans  ce  pays  :  pendant 
plus  de  la  moitié  de  l'année,  les  neiges  recouvrent  de  leur  couche  uni- 
forme lacs  et  marais,  terrains  plats  ou  ondulés  ;  durant  le  rapide  été,  la 
végétation  des  bas-fonds  diffère  peu  de  celle  des  hauteurs,ct  celles-ci  por- 
tent aussi  sur  leurs  pentes  des  tourbières  semblables  à  celles  des  dépres- 
sions. Presque  toute  la  contrée,  jusqu'au  66"  degré  de  latitude,  est  encore 
couverte  de  forêts,  dont  la  valeur  relative  s'accroît  d'année  en  année,  à 
mesure  que  se  déboisent  les  régions  du  centre  de  la  Russie.  Les  neuf 
dixièmes  de  la  surface  du  gouvernement  de  Vol'ogda  sont  revêtus  d'arbres, 
conifères  et  bouleaux,  et  la  même  proportion  se  maintient  dans  la  partie 
méridionale  du  gouvernement  d'Arkhangelsk  :  toutes  les  hauteurs  sont 
boisées  et  le  nom  russe  de  (jora  de  même  que  l'appellation  zîrane  de 
jiarma  signifient  indifféremment  «  mont  »  ou  bois%  comme  dans  l'Amé- 
rique du  Sud  les  termes  de  monte  et  montaiia,  ou  le  mot  de  ivdid  eu 
maint  district  d'Allemagne.  Mais  au  nord  le  climat  est  trop  rude  pour  que 
la  végétation  arborescente  puisse  se  développer  librement;  les  arbres  sont 
remplacés  par  les  arbustes,  et  ceux-ci  par  des  tiges  rampantes,  ayant  à 

•  Roinickc,  llijilroyrnphic ;  —  Maximov,  ouvrage  cité. 

-  Tniili  Si.  l'etersbiirskayo  Obclilclicslva  Eslcstvoispitalckï,  XIV,  1885. 

'  iMaximuv,  Une  année  dans  le  Nurd  (eu  russe). 


COLLINES  DU  NORD,  MONTS  OURAL.  007 

peine  quelques  feuilles  qui  s'abrilenl  sous  les  touffes  de  mousse  d'un 
rouge  d'ocre  ou  d'un  blanc  pâle  :  on  voit  s'étendre  au  loin  les  immenses 
solitudes  des  toun(lras\  semblables  à  celles  de  la  Sibérie  du  Nord.  Toute- 
fois la  température  moyenne  du  sol  des  toundras  russes  dépasse  de 
plusieurs  degrés  celle  des  plaines  de  l'Orient  sibérien  :  même  en  Laponie 
on  ne  trouve  point  de  couches  de  glace  persistante  au  fond  des  tourbières  ; 
çà  et  là  même  il  en  jaillit  des  sources  dont  l'eau  ne  gèle  pas  au  fort  de 
l'hiver.  Partout  où  la  terre  n'est  pas  trop  humide  et  où  elle  est  bien 
exposée  aux  rayons  du  soleil,  quelques  plantes  du  midi  se  hasardent  à 
croître  et  à  fleurir.  Sur  les  Zimniya  Gorî  ou  «  Montagnes  de  l'Hiver  », 
collines  d'argile  verdàlre  et  de  sable  qui  dominent  de  80  ou  100  mètres 
la  rive  orientale  du  goulet  de  la  mer  Blanche,  encore  dans  la  zone  de 
végétation  arborescente,  les  pentes  méridionales  sont  couvertes  d'aconits 
bleus  et  de  pivoines  écarlates,  «  dernier  sourire  de  la  nature'  ».  Des 
racines  d'arbres  trouvées  çà  et  là  dans  la  toundra  prouvent  que  la  végéta- 
tion forestière  s'étendait  jadis  beaucoup  plus  loin  vers  le  nord  :  on  trouve 
des  grosses  souches  de  conifères  là  où  l'humble  osier  ne  croîtrait  même 
plus'. 

Au  point  de  vue  géologique,  l'Oural,  dont  une  partie  limite  à  l'est  le 
gouvernement  d'Arkhangelsk  et  le  sépare  de  la  Sibérie,  est  bien  une  chaîne 
de  montagnes  continue;  du  sud  au  nord,  elle  est  composée  des  mêmes 
roches  cristallines,  revêtues  de  part  et  d'autre  des  mêmes  strates  disposées 
régulièrement  et  contrastant  avec  l'uniformité  des  plaines  de  la  Russie 
d'Europe  et  de  la  Russie  d'Asie.  Mais  au  point  de  vue  géographique,  la 
«  Ceinture  du  Monde  »  (Zemnoï  Poyas)  —  car  tel  est  le  nom  que 
donnaient  autrefois  les  Russes  aux  monts  Oural  —  n'a  point  la  même 
unité  :  elle  se  divise  en  plusieurs  fragments,  séparées  par  de  larges  dé- 
pressions qui  unisent  l'Europe  à  la  Sibérie;  cependant  elle  garde  son 
caractère  de  faîte  de  partage  pour  les  eaux,  ainsi  que  l'indique,  paraît-il, 
son  nom  actuel,  d'origine  ougrienne.  L'Oural  du  midi,  le  i)lus  remar- 
quable par  sa  richesse  minérale,  est  séparé  de  l'Oural  du  nord  par  de 
larges  ouvertures  où  la  chaîne  semble  presque  avoir  disparu.  De  même 
l'Oural  du  nord,  qui  se  subdivise  du  midi  au  septentrion  en  Oural 
des  Vogoules,  des  Ostaks,  des  Saraoyèdes,  reste  séparé  par  des  cols  peu 
élevés  de  l'Oural  de  Kara,  ou  Pac-khoï,  se  développant  à  angle  droit  de 

'  Ou  mieux  troundras  :  en  ziranc,  «  pays  sans  arbres  ».  0.  Finscli,  Rcise  tiach  West  Sibirien 
im  Jahre  1876. 

'  MaximoT,  ouvrage  cilù. 

'  Gusl.  V.  Duben,  Lappland  ocli  Lapparnc. 


608  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

la  crête  principale  vers  le  nord-ouest.  L'île  de  Vaïgatcli  est  aussi  un 
fragment  du  Pae-khoî,  et  les  chaînes  parallèles  de  granit  qui  se  dressent 
dans  la  partie  septentrionale  de  Novaya  Zemla,  orientée  dans  le  sens  du 
sud-ouest  au  nord-est,  donnent  à  l'ensemble  du  système  ouralien  une 
longueur  de  plus  de  5000  kilomètres. 

L'Oural  est  considéré  comme  prenant  son  origine  vers  le  65°  degré 
de  latitude,  au  nord  des  montagnes  où  naît  la  Pctchora  pour  s'écouler 
dans  la  mer  Glaciale,  et  où  sourdenf,  sur  l'autre  versant,  de  grands 
affluents  de  l'Ob.  Entre  le  massif  de  la  Petchora  naissante  et  les  monta- 
gnes du  nord,  il  n'y  a  point  de  chaîne  proprement  dite,  mais  seulement  des 
massifs  inégaux,  distincts,  non  parallèles  dans  leur  direction,  qui  donnent 
à  la  ligne  de  séparation  des  eaux  une  forme  très  irrégulière  :  un  de  ces 
chaînons  latéraux  est  le  fameux  Bovl'anovskiy-Mis  ou  «  Mont  des  Idoles  », 
dont  une  cime,  ébréchée  par  le  temps,  se  partage  en  roches  bizarres,  sem- 
blables À  de  gigantesques  statues  :  la  plus  haute,  de  plus  de  50  mètres 
d'élévation,  fut  un  dieu  vénéré  et  peut-être  a-t-il  encore  des  adorateurs  '. 

La  chaîne,  qui  commence  par  la  pyramide  du  Tell-Pos-ls  ou  Nepubi- 
Nior,  change  de  direction  pour  se  développer  vers  le  nord-est,  mais  elle 
projette  à  l'ouest  de  nombreux  chaînons  et  se  rattache  ainsi  à  un  massif 
distinct,  que  dominent  les  parois,  les  éboulis  et  la  crête  escarpée  du 
Sabla.  Ses  monts  n'ont  d'arbres  qu'à  la  base,  et  leurs  rochers  de  granit 
sont  dépourvus  de  toute  autre  verdure  que  celle  des  mousses  et  des 
lichens.  Sa  nudité  lui  a  valu  le  nom  de  «  Pierre  »  (Kamen)  ou  de 
«  Grandes  Pierres  »  {Boldnijc  Kamni  en  russe,  Udjid  is  en  zîrane,  Àrka 
pae  en  samoyède,  Kà-on  en  ostak),  que  lui  donnent  les  indigènes.  Des 
neiges  persistantes  emplissent  les  ravins  de  ces  montagnes  dans  les  endroits 
tournés  vers  le  nord,  et  même  de  vastes  névés,  ayant  de  loin  l'apparence 
de  glaciers,  emplissent  les  cirques  ;  mais  les  plus  hauts  sommets  sont 
parfois  complètement  dégagés  de  neiges*. 

Toutefois  il  n'y  a  plus  de  glaciers  sur  ces  montagnes,  situées  en  partie 
au  delà  du  cercle  polaire.  L'humidité  qu'elles  reçoivent  sous  forme  de 
neige  n'est  pas  assez  considérable,  et  leur  hauteur  moyenne,  inférieure  à 
1000  mètres',  n'est  pas  suiTisanlc  pour  que  des  fleuves  de  glace  aient  l'es- 
pace nécessaire  à  leur  développement.  Mais  les  promontoires  du  Pao-klioï 

'  Kcyserling,  Reise  in  dcn  Pelschora  Gegenden. 

'  Kovaiskiy,  Dcr  nvrdliche  Vrai  und  das  Kiisteiujcbiiye  Pai-Choi. 

'  llnuteurs  principales  des  sommets  ilc  l'Oural  du  Nord  : 

Tell-I'os  (01") environ     1500  mètres,   i   Tchaindi-Pae  (lîT"  40').   environ     I ,'70  mètres. 

l'ae-Vcr  (00»  iU'j M20       o         I   Kouslautmovskiy  Kaiiien{0t>"20')       15G       » 


OURAL  DU  NORD,  ANCIENS  GLACIERS.  609 

ft  des  chaînons  parallèles  ou  latéraux  qui  vont  se  terminer  au  nord  de 
l'Oural,  soit  dans  le  golfe  de  Kara,  soit  dans  l'Océan,  ont  une  autre  cein- 
ture de  glace  :  ce  sont  les  eaux  de  la  mer  congelées  en  hiver  autour  de 
rocs  et  brisées  de  temps  en  temps  par  l'ondulation  du  flot  ou  des  frag- 
ments de  banquises  venues  de  la  haute  mer  '. 

Récemment  encore  on  n'avait  pas  constaté  les  traces  d'anciens  glaciers 
sur  les  flancs  des  monts  Oural  :  on  n'y  avait  vu  ni  stries,  ni  «  polis  », 
ni  blocs  erratiques  proprement  dits";  toutefois  Polakov  a  constaté  derniè- 
rement l'existence  de  nombreuses  moraines  et  reconnu  des  stries  évidentes 
se  dirigeant  du  nord-ouest  au  sud-est,  parallèlement  à  celles  que  l'on  voit 
sur  les  rochers  de  la  Finlande  et  du  gouvernement  d'OI'onetz  .  L'étonnant 
contraste  signalé  jadis  entre  les  montagnes  de  l'Oural  du  nord  et  celles 
de  la  Finlande  et  de  la  Scandinavie,  situées  sous  des  latitudes  moins 
froides,  semblait  incompréhensible  au  premier  abord  ;  mais  il  faut 
dire  que,  dans  les  régions  du  nord,  polis,  stries  et  blocs  morainiques 
sont  rapidement  recouverts  par  d'épaisses  couches  de  mousse,  et  qu'on  ne 
peut  retrouver  la  surface  exposée  jadis  à  l'action  des  glaces,  si  ce  n'est 
là  où  les  eaux,  au  lieu  d'apporter  de  nouveaux  débris  au-dessus  des  mo- 
raines, ont  exercé  une  œuvre  de  dénudation.  Or,  toutes  les  plaines  qui 
s'étendent  à  la  base  de  l'Oural  sont  des  toundras  revêtues  de  mousse  ou 
des  terres  d'alluvion  où  le  sol  primitif  est  recouvert  par  des  apports  nou- 
veaux. C'est  ainsi  que  dans  le  nord  de  la  Finlande,  qui  est  précisément, 
avec  la  Scandinavie,  le  pays  classique  de  l'Europe  pour  le  phénomène  de 
la  dispersion  des  glaces,  on  ne  voit  pas  autour  des  cimes  entourées  de 
débris  ces  traces  de  l'action  glaciaire,  si  nombreuses  et  si  évidentes  dans 
la  région  basse,  sur  le  littoral  érodé  de  la  Finlande  méridionalo  \  D'ail- 
leurs, le  travail  d'usure  doit  être  beaucoup  plus  faillie  sous  h  masse 
presque  immobile  des  névés  que  sous  des  glaciers  à  écoulement  rapide. 
Or  les  eaux  cristallisées  qui  recouvraient  l'Oural,  de  même  que  les  hau- 
teurs de  la  Finlande  et  de  la  Sibérie,  devaient  se  présenter  surtout  sous  la 
forme  de  névés. 

La  chaîne  terminale,  sur  les  bords  de  la  mer  de  Kara,  n'est  guère  par- 
courue que  par  les  Ostaks  et  les  Samoyèdes,  et  les  voyages  d'exploration 
sont  fort  difiiciles  dans  les  toundras  parsemées  de  laô  et  de  marais,  où  les 
seuls  lieux  d'abri  contre  les  vents  froids  sont  des  berges  de  ruisseaux  ou 
des  blocs  couverts  de  mousse.  En  1771,  Zouyev  en  fut  le  premier  visiteur 

'  lliifmann,  Der  nuidlichc  lirai  und  dus  Kiisteiujebiige  l'ai-Choi. 
'  Murchison,  de  Veiiicviil  et  vnii  Keysciling;  —  von  Ilelmcrscn,  etc. 
°  Kro|>olkin,  liv'esliya  lioiusk.  Gcoijr.  Obchlcheslva,  1878,  n'  7. 

y.  77 


CIO 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


savant.  Castrèn  franchit  également  celte  partie  de  l'Oural,  qu'étudièrent 
ensuite,  de  1847  à  1850,  llofmann  et  Kovalskiy,  puis  tout  récemment, 
en  1876,  Finsch,  Brehm  et  Waldburg-Zeil  ;  mais  la  cartographie  du  pays 
est  encore  loin  d'être  achevée  ;  la  plupart  des  montagnes  n'ont  été  me- 


N°    139.    —    OURAL    DD    XOBD. 


E  deP 


Ede  G 


surées  qu'approximativement  ;  le  cours  de  mainte  rivière  est  indiqué  d'une 
manière  incertaine,  et  l'on  ne  sait  pas  même  positivement  si  la  rivière 
de  Kara,  sur  le  versant  occidental,  et  celle  de  Chtchoutchya,  sur  le  versant 
oriental,  naissent  en  im  même  lac.  dans  une  dépression  de  la  chaîne.  Les 
0  Grosses  Pierres  »  ne  fonnciit  pniul  une  liniilcde  végétation  entre  l'Europe 


OURAL  DU  NORD,  LACS  DU  VERSA^•T  BOREAL.  Cil 

et  l'Asie  :  au  sud,  dans  la  zone  des  forêts,  les  bas  versants  appartiennent 
également  à  l'aire  caractérisée  par  les  sapins'  ;  au  nord,  les  mêmes  mousses, 
les  mêmes  lichens,  les  mêmes  plantes  ligneuses  rampantes  s'étendent 
dans  la  toundra  d'Europe  et  dans  celle  d'Asie.  Quoique  en  moyenne  la 
Sibérie  soit,  à  égale  latitude,  plus  froide  que  la  Russie  d'Europe,  cepen- 
dant le  contraste  des  températures  est  en  fiiveur  de  l'orient  dans  l'Oural 
des  Samoyèdes.  Les  arbres  s'avancent  beaucoup  plus  loin  vers  le  nord  dans 
le  bassin  de  l'Ob  que  dans  celui  de  la  Petchora  '  ;  la  neige  d'hiver  y  tombe 
en  beaucoup  moindre  abondance  ;  la  couche  en  est  rarement  assez  épaisse 
pour  que  les  rennes  ne  puissent  pas  facilement  trouver  la  mousse  en  grattant 
la  neige  du  j)ied,  et  sous  le  Gô"  degré  de  latitude,  Kovalskiy  passa  même  en 
certains  endroits,  au  milieu  de  l'hiver,  sur  la  terre  nue".  Les  orages,  fré- 
quents sur  le  versant  de  l'ouest,  sont  extrêmement  rares  sur  celui  de  l'est. 
Des  deux  côtés,  la  zone  des  forêts  se  limite  assez  brusquement,  non  par  de 
simples  fourrés  d'arbrisseaux  rampants,  mais  par  de  véritables  halliers,  où 
s'élèvent  encore  de  beaux  sapins  de  6  à  8  mètres  de  hauteur,  seulement 
inclinés  vers  le  sud  par  le  vent  de  la  mer  Glaciale.  Çà  et  là  errent  des  rennes 
sauvages,  assez  nombreux  encore  dans  la  région  des  forêts  ouraliennes, 
mais  rares  dans  la  toundra.  Quant  aux  lemmings  ou  «  lapins  de  Norvège  », 
ils  foisonnent  dans  cette  région  de  l'Oural  comme  dans  la  Scandinavie, 
et  y  voyagent  aussi  par  bandes  innombrables.  De  la  fin  de  mai  au  mi- 
lieu de  juin,  ils  traversent  l'Oural  en  venant  de  l'est  et  gagnent  les 
bords  de  l'océan  Glacial;  en  automne,  ils  retournent  sur  le  versant 
sibérien  '.  Comme  dans  toutes  les  régions  marécageuses  du  Nord,  des 
nuées  de  cousins,  qui  s'élèvent  des  mares,  aussi  cruels  que  les  moustiques 
des  régions  tropicales,  font  le  tourment  des  voyageurs. 

La  contrée  des  hautes  terres  qui  séparent  le  bassin  de  la  Volga  des 
pentes  tournées  vers  la  mer  Blanche  porte  les  traces  des  couches  glacées 
qui  les  recouvraient  autrefois.  En  se  fondant,  ces  glaciers  ont  formé  les 
lacs  d'eau  douce  qui  remplissent  encore  les  cavités  de  la  contrée  et  qui 
jadis  s'élevaient  à  un  niveau  plus  considérable,  car  en  maints  endroits  on 
reconnaît  les  anciennes  plages  à  plus  de  vingt  mètres  au-dessus  de  la 
nappe  des  lacs  actuels.  L'élude  des  terrains  prouve  que  les  eaux  de  la  mer 
n'ont  point  envahi  celte  région  et  que,  par  conséquent,  nulle  coniniuni- 
calion  n'a  existé  pendant  les  époques  modernes  entre  la  mer  Dallique  et 

'  Ruprcchl,  Bulldin  de  rAcnd(}mie  des  sciences  de  Sainl-Pélersbourg.  1803,  tome  III. 

•  Schrcnck,  Kovalbkiy,  Ilofiiiaiin,  finscli. 
■  Ouvrage  cité. 

*  Uufiiiann  und  Schrcnck;  Finscii,  clc. 


61-2  NOUVELLE  GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

l'océan  Glacial,  comme  l'avaient  admis  plusieurs  géologues  avant  que  la 
nature  du  sol  eût  été  suffisamment  étudiée.  L'union  de  mer  à  mer  s'est 
faite  indirectement  par  le  labyrinthe  des  lacs  et  des  rivières  qui  s'épan- 
chaient de  ces  bassins  en  sens  divers  ou  qui,  suivant  les  oscillations  du 
sol  ou  simplement  l'inégale  croissance  des  tourbières,  descendaient,  tantôt 
vers  le  sud,  tantôt  vers  le  nord.  De  cette  manière  seulement  on  peut  expli- 
quer les  échanges  de  poissons  et  de  crustacés  qui  se  sont  faits  de  l'un  à 
l'autre  versant  :  c'est  par  le  même  chemin  que  le  phoque  vituUna,  espèce 
qui  vit  à  la  fois  dans  la  mer  Blanche  et  dans  les  grands  lacs  Onega 
et  Ladoga,  aura  pu  coloniser  ces  eaux  intérieures.  Le  lac  ■Latche,  à 
l'orient  du  lac  Onega,  fut  jadis  peuplé  de  phoques,  ainsi  que  le  prouvent 
les  ossements  de  cette  espèce  de  cétacé  trouvés  dans  les  plages.  11  est  à 
remarquer  que  toute  la  région  septentrionale,  des  eaux  de  la  Volga  au  lac 
Blanc  (Bel'o  Ozei'o)  et  à  la  Cheksna,  présente  une  faune  essentiellement 
arctique  :  c'est  à  la  Cheksna  seulement  que  commence  la  faune  spéciale  au 
bassin  du  grand  fleuve.  D'où  vient  ce  contraste,  sinon  d'un  changement 
dans  la  forme  des  bassins?  Naguère,  le  système  lacustre  de  la  haute  Volga 
déversait  le  trop-plein  de  ses  eaux  dans  la  mer  Blanche  ;  de  nos  jours, 
il  l'envoie  à  la  Caspienne.  Dans  cette  région  lacs  et  rivières  s'entremêlent 
en  labyrinthe  ;  cependant  il  s'y  trouve  aussi  des  bassins  lacustres  com% 
plètement  isolés.  Ils  ne  renferment  que  de  l'eau  douce,  soit  parce  que  le 
sol  environnant  ne  contient  pas  de  particules  salines,  soit  plutôt  parce  que 
les  diverses  oscillations  du  sol  ont  mêlé  souvent  les  eaux  des  lacs,  leur 
donnant  ainsi  un  écoulement  temporaire'. 

Actuellement  les  bassins  situés  sur  le  versant  de  la  mer  Blanche  sont 
bien  inférieurs  en  dimensions  aux  grands  lacs  de  l'Ingrie,  Onega  et  Ladoga  ; 
cependant  on  en  compte  encore  sept  ayant  plus  de  500  kilomètres  carrés*. 
D'ailleurs  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  les  mesures  de  superficie  don- 
nées par  les  géographes  de  la  Russie  puissent  être  considérées  comme 
authentiques.  Les  cartes  de  la  plupart  des  lacs,  de  leurs  promontoires,  des 
îles  qui  les  parsèment,  des  rivières  qui  s'y  jettent,  ont  quelque  chose  de  naïf 


'  Schilling,  Zcilschrifl  der  Gesellsclmft  filr  Erdkunde  zti  Iteilin,  1875,  ii"  00. 

-  Lacs  principaux  du  versant  de  la  mer  Blanche  : 

Seg  (gouvernement  d'Ùlonelz),  d'après  Slrelhilzkiy l'2lG  kilomètres  carrés. 

Top  (          »            d'Arkhangelsk)           ..             .        ...  4005  »  » 

Vîg  (           .1             d'OloneU)                    .)              801  » 

Imandra  (Laponie),  d'après  Koudi-avtzeT 2000  »  » 

Kutno  moyen  et  inférieur  (gouv.  d'Arkh;ingeisk),d'ap.Slrel.   .  750  »  » 

Ldov  ou  Kouta                      »              »                   »        .  .  58i  »  » 

Pav  ou  l'aâ                             »              »                    d         .   .  560  »  )i 


LACS  DL'  VERSANT  BOREAL,  DVINA.  615 

et  de  gauche  trahissant  l'ignorance.  Même  sur  les  meilleures,  la  précision, 
la  netteté  des  contours  qui  distinguent  les  traits  de  la  nature  sculptée  par 
les  agents  géologiques  manquent  complètement.  On  est  étonné  du  contraste 
que  présentent  à  cet  égard  la  carte  de  la  Finlande  et  celle  du  gouverne- 
ment d'Arkhangelsk.  Du  côté  finlandais,  toutes  les  lignes  géographiques 
sont  dessinées  avec  rigueur  :  on  est  en  présence  d'une  image  fidèle  qui 
plaît  aux  veux  et  satisfait  le  géologue.  Mais  dès  qu'on  a  dépassé  du  regard  la 
ligne  de  frontière,  tous  les  linéaments  deviennent  mous,  indécis,  flottants  : 
la  nature  n'est  que  pressentie  ;  elle  n'a  pas  encore  été  dévoilée. 

Les  rivières  qui  entrent  dans  la  partie  occidentale  de  la  mer  Blanche 
appartiennent  géographiquement  à  la  Scandinavie  et  à  la  Finlande  : 
même  le  Kerii  et  le  Vîg  ne  sont  que  les  écoulements  des  lacs  étages  qui 
remplissent  les  vasques  granitiques  de  la  contrée.  Le  premier  cours  d'eau 
qui  soit  un  fleuve  achevé,  l'Onega,  porte  le  même  nom'  que  le  grand  lac  du 
bassin  de  la  Neva,  comme  pour  rappeler  qu'il  naît  dans  une  dépression  jadis 
commune  à  toutes  ces  eaux  intérieures.  Le  llatche,  qui  sert  de  source  à  la 
rivière  Onega,  communiquait  pi'obablement  autrefois  avec  le  lac  de  même 
nom,  et  n'en  reste  séparé  que  par  des  terres  basses,  partiellement  inondées  : 
lui-même,  à  demi  comblé,  n'a  maintenant  plus  que  2  à  4  mètres  de  pro- 
fondeur, malgré  sa  grande  étendue,  évaluée  par  Sti-elbitzkiy  à  561  kilo- 
mètres carrés.  Des  seuils  de  rochers,  sur  lesquels  il  n'y  a  que  peu  d'eau 
en  été,  interrompent  le  cours  de  l'Onega  en  plusieurs  endroits,  même 
à  une  faible  dislance  en  amont  de  l'embouchure,  et  rendent  la  navigation 
difficile. 

Le  fleuve  principal  de  la  Russie  septentrionale  est  la  Dvina,  c'est-à-dire 
le  «  Fleuve  »  par  excellence,  comme  la  Diina,  le  Don  et  le  Dounaï  ou 
Danube  :  les  Russes  distinguent  ce  cours  d'eau  de  la  Dùna  ou  Dvina  Occi- 
dentale par  le  nom  de  Severnaya  Dvina  ou  Dvina  du  Nord.  C'est  un  fleuve 
puissant  dont  le  bassin  égale  en  superficie  les  deux  tiers  de  la  France,  et 
dont  la  longueur  totale,  comptée  des  sources  de  la  Vîtchegda  jusqu'à  la 
mer,  dépasse  1700  kilomètres.  La  rivière  la  plus  abondante,  née  dans  le 
voisinage  de  l'Oural,  est  alimentée  par  deux  grands  affluents,  au  sud  la 
Sîsolka,  au  nord  le  Vîm,  qu'un  portage  fait  communiquer  avec  le  système 
hydrographique  de  la  Petchora.  Un  des  tributaires  du  Vîm,  la  Vorîkva  ou 
Vcrkva,  est  en  partie  souterraine  :  à  près  de  100  kilomètres  de  sa  source, 
celte  rivière,  déjà  considérable,  s'engouffre  dans  un  puits  pour  reparaître 
en   filets  nombreux  à  21   kilomètres  en  aval,  et  remplir  son  lit  de  60 

'  Le  «  liruyanl  »,  du  finnois  Aûnis,  d'après  EuropSus  {i'eber  'las  ugrische  Volk). 


614  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

mètres  de  largeur;  le  cours  superficiel  n'est  continu  que  pendant  les  crues 
du  printemps'.  Ce  n'est  pas  la  Yîtchegda  qui  est  considérée  comme  la 
maîtresse  branche  :  la  Dvina  prend  son  nom  au  confluent  de  la  Soukhona 
et  du  Youg,  tributaires  de  l'ouesl  et  du  sud,  coulant  dans  le  même  sens 
que  les  chemins  de  migration  suivis  jadis  par  les  colons  novgorodiens  et 
moscovites.  Au  bec  de  la  Yîtchegda,  la  Dvina,  navigable  pour  de  grandes 
embarcations,  a  déjà  plus  d'un  kilomètre  de  large;  plus  bas,  grossie  de 
la  Yaga,  de  la  Pinega  et  de  tant  d'autres  rivières,  elle  s'étale  en  maints 
endroits,  surtout  en  amont  des  lacis  de  coulées  latérales,  sur  un  espace 
variable  de  5  à  7  kilomètres  de  rive  à  rive.  A  Arkhangelsk  même,  elle 
n'a  guère  plus  d'un  kilomètre;  mais  sa  profondeur  est  devant  cette  ville 
de  12  à  21  mètres.  En  été,  quand  la  nuit  n'est  qu'un  crépuscule  suivi 
d'une  aurore,  peu  de  spectacles  sont  plus  imposants  que  celui  de  ce  large 
fleuve,  vu  d'un  radeau  qu'entraîne  le  courant  silencieux  ;  au  loin  se  pro- 
longe la  lisière  à  peine  visible  des  forêts,  et  l'immensité  du  ciel  rouge  se 
reflète  dans  l'eau  ridée. 

Le  delta  de  la  Dvina,  que  les  alluvions  du  fleuve  ont  formé  dans  la  baie 
d'Arkiiangelsk,  s'étend  sur  un  espace  proportionné  à  l'importance  du  cou- 
i-ant  d'eau  :  il  comprend  environ  1150  kilomètres  carrés,  et  des  fausses 
rivières,  des  lacs,  des  marais  abandonnés  dans  l'intérieur  des  terres  aug- 
mentent encore  celte  étendue.  Quatre  courants  principaux,  réunis  les  uns 
aux  autres  par  des  coulées  latérales,  traversent  ces  terres  basses,  changeant 
parfois  de  direction,  et  diminuant  ou  grossissant  tour  à  tour  pendant  les 
conflits  du  courant  fluvial  et  de  la  marée  montante.  Il  fut  un  temps  où  la 
branche  occidentale  était  la  plus  profonde;  elle  est  maintenant  ensablée, 
et  les  navires  doivent  passer  par  un  autre  chenal,  oii  ils  trouvent  à  marée 
basse  une  profondeur  de  2  mètres  et  demi  à  5  mètres  et  demi.  Les  grands 
changements  dans  les  contours  des  îles  et  la  direction  des  chenaux  se  pro- 
duisent lors  de  la  débâcle,  alors  que  les  glaces,  déjà  brisées  en  amont,  où 
la  température  du  printemps  est  plus  élevée  et  où  les  eaux  sont  plus  ra- 
pides, viennent  s'accumuler  sur  les  rivages  et  sur  les  dalles  encore  gla- 
cées qui  leur  résistent.  Par  l'effet  de  la  rupture  des  glaces  qui  tiennent 
solidement  aux  berges  rocheuses,  des  fragments  de  calcaire  sont  détachés, 
soulevés  et  rejelés  sur  les  bords  ;  tout  le  long  de  la  rive  s'élèvent  des  rem- 
parts de  débris  qui  n'ont  pas  une  autre  origine\  La  débâcle  diminue  encore 
l'espace  de  temps  laissé  par  l'hiver  à  la  navigation  :  en  moyenne,  la  Dvina 


'  l'(i|iiiv.  Les  Zir'unes  el  la  Zir'anie  (en  russe). 
*  Miucliisin,  Russia  and  Ihc  irai  Mouiitaiiis. 


DVINA,  MEZEN,  PETCUORX.  G17 

est  prise  pendant  191  jours  devant  Arkhangelsk;  pendant  deux  siècles,  le 
jour  moyen  de  la  fermeture  a  été  le  23  octobre,  et  celui  de  la  débâcle  le 
2  mai'.  Bien  que  couverte  de  glace  pendant  plus  de  la  moitié  de  l'année, 
la  Dvina  est  très  poissonneuse  :  on  y  trouve  une  espèce  voisine  de  la  morue, 
la  navaga,  qui  lui  appartient  en  propre,  ou  que  du  moins  l'on  n'a  pas  en- 
core découverte  en  d'autres  rivières.  Le  sterlet,  jadis  inconnu  dans  la  Dvina, 
a  fait  son  appartion  dans  les  eaux  d'Arkhangelsk  vers  1865,  grâce  évidem- 
ment au  canal  de  Catherine,  qui  réunit  pendant  longtemps  le  système  de  la 
Kama-Volga  et  celui  de  la  Dvina.  Les  hommes  du  peuple,  étonnés  à  la  vue 
de  ce  poisson  inconnu,  en  dédaignèrent  d'abord  la  chair;  mais  l'exemple 
des  Russes  du  Midi  les  décida  bientôt  à  pêcher  les  sterlets  pour  s'en  nourrir 
eux-mêmes,  et  le  prix  marchand  s'en  est  rapidement  accru  ^ 

La  Mczen,  dont  le  bassin  est  compris  en  entier  dans  le  vaste  demi- 
cercle  formé  par  la  Dvina  et  ses  affluents  orientaux,  n'est  qu'un  petit  fleuve 
en  comparaison  du  grand  tributaire  de  la  mer  Blanche;  cependant, par  sa 
longueur,  l'étendue  de  son  bassin  et  la  masse  de  ses  eaux,  il  est  l'égal  de 
la  Seine  :  plus  large  que  le  fleuve  français,  il  a  même  plus  d'un  kilomètre 
avant  de  mêler  ses  eaux  à  celles  de  l'estuaire  marin,  obstrué  de  bancs 
de  sable,  qui  s'ouvre  en  entonnoir  vers  le  nord-ouest.  Comme  la  baie  de  la 
Seine,  celle  de  Mezen  se  distingue  par  les  phénomènes  anormaux  de  ses 
marées.  En  moyenne,  le  flux  y  est  de  4  heures  seulement,  tandis  que  le 
reflux  dure  8  heures;  mais  la  marée  montante  est  accompagnée  d'un  cou- 
rant si  rnjiide,  que  les  navires  mouillés  dans  la  rade  ont  peine  à  se  main- 
tenir sur  leurs  ancres. 

Quant  au  fleuve  des  solitudes  orientales,  la  Pelchora,  il  n'est  pas  infé- 
rieur à  la  Dvina, et  son  bassin  s'étend  même  sur  un  espace  plus  considé- 
rable. 11  commence  par  longer  dans  la  direction  du  nord  la  base  des 
contreforts  occidentaux  de  l'Oural,  se  grossissant  à  l'issue  de  chaque  vallée 
d'autres  cours  d'eau,  parmi  lesquels  le  Chtchougor,  descendu  des  neiges  de 
Tell-I*os-Is  ;  celte  rivière  est  devenue  célèbre  par  la  cascade  de  sa  haute  vallée 
et  par  ses  trois  cluses  dites  «  Portes  de  Fer  »,  dont  les  rochers,  découpés 
en  piliers  énormes  par  des  fissures  verticales,  sont  d'une  éclatante  blan- 
cheur. Après  avoir  reçu  la  rivière  Oussa,  qu'alimentent  également  les  neiges 
de  l'Oural,  la  l'clchora  se  (h'-lourne  à  l'ouest  el  serpente  dans  la  dépression 
du  sol,  qui  se  prolonge  un  pmi  au  sud  de  la  zone  polaire,  de  l'Oural  au  golfe 
de  Mczen;  puis  elle  se  replie  non  moins  brusquement  pour  se  diriger  au 


'  Scriionov,  Diclionnairc  de  l'Empire  russe  (en  russe). 
'  MaxiinoT,  Vne  année  dans  le  Nord  (en  russe). 

ï.  78 


618 


NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


nord  et  se  réunir  à  la  mer  Glaciale  par  un  delta  d'environ  200  kilomètres  de 
longueur,  où  les  branches  du  fleuve  s'entremêlent  en  immense  dédale  au- 
tour dos  îles,  des  îlols  et  des  bancs  de  sable,  changeant  de  forme  à  chaque 
nouvelle  débâcle;  une  barre  de  sable  à  l'entrée  du  chenal  de  navigation  ne 


CASSE    PETCanRA. 


permet  l'accès  du  fleuve  (|u'aux  navires  de  moins  de  i  mètres  de  calaison. 
Dans  la  région  du  delta,  le  fleuve  n'est  libre  de  glaces  que  pendant  l^T 
jours  en  moyenne,  du  25  mai  au  1"  octobre.  On  s'étonne  du  commerce 
considérable  de  bois,  de  céréales,  de  pelleteries  qui  se  l'ait  sur  celle  rivière 
de  la  région  polaire,  recouverte  si  hinglemps  par  les  glaces  et  interrompue 
de   ra(H(les  dans  une  partie  de  son   cours.    D'ailleurs,    la    faible   popnla- 


PETCHOUA,   MER  BLANCHE.  619 

tion  russe,  zîrane,  samoyède,  s'est  établie  en  entier  dans  les  hameaux  et 
les  petits  villages  qui  bordent  le  fleuve  à  de  grandes  distances  les  uns  des 
autres'.  Les  domaines  appartenant  aux  diverses  associations  de  pèche  s'éten- 
dent chacun  sur  un  espace  de  plusieurs  milliers  de  kilomètres  carrés,  le 
long  de  la  Petchora  et  des  îles  de  la  mer  Glaciale.  Des  Russes  associés  pour 
la  pèche  du  dauphin  blanc  réservent  la  dîme  de  leur  pèche  à  Saint-Nicolas 
de  Poustozersk  pour  assurer  ainsi  le  succès  de  leur  entreprise'. 


La  mer  qui  baigne  les  côtes  de  la  province  d'Arkhangelsk  s'avance  pro- 
fondément dans  les  terres  par  de  nombreuses  baies,  même  par  des  golfes 
intérieurs  que  rétrécissent  à  leur  entrée  de  hauts  promontoires.  Un  des 
golfes  les  mieux  séparés  de  la  mer  est  celui  dans  lequel  se  jette  la  Petchora. 
Une  flèche  basse  développe  sa  courbe  régulière  au  nord-ouest  du  golfe  et  se 
continue  par  une  chaîne  d'îles,  qui  s'avance  à  la  rencontre  d'un  autre 
cordon  littoral  analogue  aux  lidi  de  l'Adriatique  et  aux  nehrwujen  de  la 
côte  prussienne.  A  l'entrée  de  la  mer  Blanche,  on  reconnaît  aussi  dans 
l'île  de  Morkhovetz  le  reste  d'un  littoral  continuant  la  ligne  régulière  for- 
mée du  nord-ouest  au  sud-est  par  la  côte  de  la  Laponie  et  par  celle  qui 
borde  le  golfe  de  Mezen.  Du  reste,  le  cours  du  Mezeii,  ceux  de  la  Dvina 
et  de  l'Onega,  enfin  toute  la  partie  de  la  mer  Blanche  qui  s'étend  de  la  baie 
d'Onega  à  celle  de  Kandal'akcha,  sont  orientés  dans  le  même  sens  :  ces 
traits  parallèles  sont  un  des  caractères  distinctifs  de  la  géographie  du  nord 
de  la  Russie. 

La  mer  Blanche,  cette  vaste  mer  intérieure  de  plus  de  100  000  kilo- 
mètres carrés,  doit  être  à  maints  égards  considérée  comme  un  lac  ou 
comme  un  ensemble  de  lacs  rattachés  à  l'océan  Glacial  :  le  goulet  ou  «  cor- 
ridor »  qui  contourne  la  côte  de  Laponie  en  a  fait  un  golfe  d'eau  saline, 
mais  en  lui  laissant  un  caractère  indéjiendant  par  l'aspect  et  la  forme  de 
ses  rivages  aussi  bien  que  par  le  relief  de  son  lit.  Ainsi  la  mer  Blanche  est 
plus  profonde  que  l'Océan  libre,  avec  lequel  ses  eaux  sont  maintenant  unies. 
Elle  n'a  qu'une  cinquantaine  de  mètres  à  l'entrée,  tandis  que  vers  l'cxtré- 

'  FlcuTcs  russes  principaux  du  versant  tic  l'ocran  Glacial  (longueurs  d'après  M.  Tillo)  : 

Longueur.  Su|ierlicie  approximative  du  bassin, 

Onega 050  kilomèlrcs.  60  000  kil.  carrés. 

Dvin; 172:)  i.  565  000  ), 

Mezeii 815  «  80  000         ii 

l'etchora KiôO  >,  550  000         » 

*  Nordenskjnid,  Lellre»  ii  M.  Oscar  Dickson,  7  aoùl  1878. 


620  iNOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

mitô  du  golfe  de  Kandalakclui  la  sonde  touche  le  fond  à  plus  de  500  mètres 
de  la  surface.  Le  golfe  que  l'on  pourrait  appeler  «  lac  »  Onega,  comme 
celui  qui  appartient  au  bassin  de  la  Neva,  est  peu  profond;  il  n'atteint 
nulle  part  80  mètres  et  reste  séparé  du  bassin  principal  par  le  groupe  des 
îles  Sol'ovetzkiy  ;  plusieurs  îles  et  de  nombreux  îlots  émergent  dans  ce 
golfe  intérieur.  Il  est  possible  qu'un  jour  la  mer  Blanche  devienne  un  lac 
pareil  au  Ladoga  et  à  l'Onega  et  déverse  ses  eaux  surabondantes  dans  l'océan 
Polaire  par  un  fleuve  continuant  la  Dvina  supérieure  :  le  mouvement  de 
poussée  qui  soulève  les  côtes  de  la  Laponie  et  sans  doute  aussi  le  lit  de  la 
mer  peut  changer  le  golfe  en  un  bassin  lacustre.  La  hauteur  du  seuil  d'en- 
trée empêche  les  sables  et  les  limons  d'être  emportés  vers  la  mer,  de  sorte 
que  la  cavité  intérieure  du  golfe  se  comble  incessamment  par  l'apport 
d'alluvions  nouvelles  :  toute  profonde  qu'elle  est,  la  mer  Blanche  était  donc 
beaucoup  plus  creuse  jadis.  Quant  à  la  salure  de  l'eau,  elle  est  restée 
moindre  que  celle  de  la  haute  mer  :  les  pluies,  les  neiges  et  surtout  la 
masse  d'eau  et  les  glaçons  brisés  que  lui  apportent  la  Dvina,  l'Onega  et  les 
autres  affluents,  ont  amoindri  du  tiers,  du  quart  ou  du  cinquième,  suivant 
l'éloignement  de  la  grande  mer,  la  teneur  saline  de  l'eau'.  Cependant  on 
fait  encore  un  peu  de  sel  sur  les  côtes  brumeuses  de  la  mer  Blanche  :  la 
chaleur  du  feu  y  remplace  celle  du  soleil  pour  la  vaporisation  des  eaux 
salées;  mais  le  gouvernement  n'autorise  les  riverains  à  prendre  qu'une 
faible  quantité  de  bois  dans  les  forêts  de  l'État'. 

Par  le  tournoiement  de  ses  eaux,  la  mer  Blanche  appartient  aussi  à 
l'Océan,  et  ses  courants  doivent  être  considérés  comme  des  remous  laté- 
raux. Une  nappe  d'eau  océanique  pénètre  incessamment  dans  cette  mer 
intérieure  en  longeant  les  côtes  occidentales  du  corridor  d'entrée,  et  parfois 
avec  une  vitesse  de  quatre  kilomètres  et  demi  par  heure'.  M.  de  Middcn- 
dorff  attribue  à  ces  eaux  venues  du  large  une  influence  considérable  sur 
la  température  moyenne  du  bassin  de  la  mer  Blanche  :  elles  appartiennent, 
d'après  lui,  au  courant  d'eau  qui  se  meut  dos  tropiques  vers  les  régions 
polaires  :  on  peut  observer  parfois  une  différence  de  12  degrés  centigrades 
entre  la  température  de  ce  courant  et  celle  des  eaux  avoisinantes.  L'eau 
tiède  venue  du  nord  et  poussée  dans  le  golfe  précisément  par  les  vents 
qui  soufflent  des  régions  polaires  explique  l'étrange  phénomène  dont  les 
haigneurs  de  la  plage  de  Souzemskaya,  à  l'ouest  d'Arkhangelsk,  ne  pou- 
vaient jadis  se  rendre  compte.  En  été,  quand  le  vent  souille  du  nord,  du 

'  Knauss,  Itullclin  ilc  l' Aciulimie  des  sciences  de  Saint-Pi^lershoiirç],  II,  ISOO.' 

*  l'rodutlion  du  sul  sur  les  bords  do  la  mer  Blanche  en  1873:  1289  tonnes. 

•  Liitke,  Quadruple  voyage  dans  l'océan  Glacial  (en  russe). 


MER  BLANCHE. 


621 


nord-est  ou  du.  nord-ouest,  la  température  de  l'eau  sur  les  plages  s'élève 
rapidement  et  monte  même  jusqu'à  21  degrés  centigrades;  au  contraire, 
sous  l'influence  des  vents  chauds  du  sud,  l'eau  se  refroidit  au  point  que 
le  thermomètre  y  marque  seulement  5  degrés.  C'est  aussi  le  courant  tiède 
de   la    «   rive   d'hiver  »   qui  fond  au  printemps  les  glaçons  de   la  haie 


lit.    —    MER   BLANCHE. 


Ld.G  5i-!C 


d  après  dt-zc-s  docunnents 


<ie  100  .1  203 
l:  5  200000 


d'Arkhangelsk,  hien  avant  que  la  haie  d'Onega,  située  pourtant  heaucoup 
plus  au  sud,  soit  délivrée  de  sa  hanquise.  Dans  le  Varangcr-Qord,  sur  les 
limites  de  la  Norvège  et  de  la  Russie,  des  phénomènes  du  même  genre 
s'accomplissent  dans  une  moindre  proportion  :  là  un  flot  latéral  dérivé  de 
la  nappe  des  eaux  tièdcs  pénètre  dans  le  golfe  en  suivant  la  côte  orientale, 
tandis  qu'un  courant  froid  de  sorlie  reflue  vers  la  haute  mer  en  longeant 
la  côte  opposée'.  Du  reste,  l'élude  des  courants  de  la  mer  Blanche  est  à 
peine  commencée,  et  des  théories  contradictoires  ont  pu  se  londer  sur  des 


•  Von  Middcndiirff,  Der  Golfslrom  oslwiirls  rom  ^'ordkap.  Bulletin  de  l'Académie  des  sciences 
de  Sainl-rét'jrsljourg,  1871. 


622  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

observations  isolées,  prises  en  diverses  saisons.  Un  des  faits  définitivement 
constatés  est  la  basse  température  de  l'eau  profonde.  A  plus  de  200  mètres, 
l'eau  se  maintient  pendant  toute  l'année  au  zéro  de  réchellc  centigrade'. 
Mais  quelle  que  soit  l'influence  du  courant  tropical  dans  le  bassin  à 
demi  fermé  de  la  mer  Blanche,  elle  est  faible  en  comparaison  de  celle  qui 
se  produit  sur  les  côtes  septentrionales  de  la  Laponie  russe,  voisines  du 
Finmarken  norvégien.  Tandis  que  les  golfes  d'Arkhangelsk  et  d'Onega  sont 
bloqués  par  les  glaces  continues  ou  flottantes  pendant  les  deux  tiers  de 
l'année,  tandis  que  les  gardiens  du  phare  de  l'île  Morkhovetz,  entre  le  golfe 
de  Mezeii  et  le  corridor  de  la  mer  Blanche,  doivent  rester  exclus  de  toute 
communication  avec  la  terre  ferme  du  mois  d'octobre  à  celui  de  mai, 
nombre  de  fjords  et  de  ports  lapons  sont  libres  de  glaces  pendant  toute 
l'année.  Les  Russes  n'ont  pas  besoin  de  réclamer  l'extension  do  l'empire  aux 
dépens  de  la  Norvège  pour  assurer  à  leurs  pécheurs  des  havres  toujours 
ouverts  :  au  moins  un  de  ces  havres,  protégé  au  nord  par  la  péninsule  de 
Rîbatchiy,  se  trouve  sur  leur  propre  littoral.  Des  multitudes  de  poissons 
fréquentent  ces  côtes,  non  moins  riches  en  vie  animale  que  les  fjords  nor- 
végiens :  c'est  par  dizaines  de  milliers  de  tonnes  que  l'on  capture  des  mo- 
rues dans  les  eaux  russes;  les  poissons  y  foisonnent  assez  pour  qu'il  fût 
possible  d'en  alimenter  toute  la  population  d'Europe.  La  mer  Blanche 
prend  aussi  sa  part  de  cette  richesse,  et  nombre  d'animaux  marins,  no- 
tamment les  phoques,  voyagent,  suivant  les  saisons,  de  l'Océan  vers  la  mer 
intérieure  et  de  la  mer  intérieure  vers  l'Océan.  C'est  l'industrie  de  la 
pèche  qui  a  familiarisé  les  marins  avec  les  dangers  de  la  mer  Blanche,  le 
Gandvik  ou  «  Golfe  des  Prodiges  »,  jadis  si  redouté  des  Norvégiens.  Les 
noms  mêmes  de  toutes  les  contrées  du  nord  voisines  de  la  mer  témoignent 
que  la  vie  des  habitants  est  essentiellement  maritime  :  partout  les  pays  sont 
désignés,  non  d'après  une  ville,  des  collines,  des  ileuves  ou  des  lacs,  on 
ne  les  connaît  que  par  leurs  rivages,  comme  si  elles  n'avaient  été  vues  que 
de  la  mer.  Au  nord  d'Arkhangelsk,  la  «  côte  d'Hiver  »  se  prolonge  vers  l'en- 
iK'c  (le  la  mer  Blanche;  à  l'ouest,  se  profile  la  «  côte  de  l'Eté  ».  Plus  loin  se 
succèdent  la  côte  «  marine  »  {Pumor'ije)  et  celle  des  Karéliens.  La  côte  de 
Tersl:  est  la  partie  orientale  de  la  péninsule  de  Laponie,  tandis  que  toute  la 
zone  lies  terres  tournée  vers  l'océan  Arctique  est  connue  par  les  riverains 
sous  le  nom  de  «  côte  Normande  »  {Mounnanskiy  Bereg),  en  souvenir  des 
marins  qui  l'ont  parcourue  les  premiers.  C'est  à  l'entrée  d'une  petite  baie 
de  cetli!  côte  que  se  Irouvc  l'îlot  di;   Nokouyev,  devenu   tristement  connu 

'  Gngoi-Ti'v,  UvcsUjiu  llmissli.  Ccoijr.  Ohchlclieslea,  1878. 


MER  BLANCHE,  LAPONS.  625 

depuis  1554  par  la  mort  de  WillougliLy  et  de  ses  compagnons.  Sur  un  autre 
îlot,  Sosnovetz,  placé  dans  le  «  corridor  »,  sur  la  côte  de  Tersk,  en  face  de 
la  dernière  forêt  do  la  Laponie',  était  la  station  de  la  flotte  anglo-française 
de  blocus  pendant  la  guerre  de  Crimée.  Dans  le  golfe  de  Kandal'akcha,  l'île 
de  l'Ours  {Medv'ejiy  Ostrov)  eut  au  dernier  siècle  une  assez  grande  im- 
portance par  ses  mines  d'argent,  dont  l'exploitation  cessa  tout  à  coup, 
lorsque  le  mineur  saxon  Schomberg,  qui  dirigeait  les  travaux,  fut  arrêté 
par  ordre  de  l'impératrice  Élisabetb'.  Eliseiev  a  découvert  des  dolmen 
comme  ceux  de  la  Bretagne  dans  la  Laponie  russe. 


La  grande  péninsule  do  formes  massives  que  limite  au  sud  la  baie  de 
Kandal'akcha  appartient  ethnographiquement  à  la  race  finnoise.  Les  Slaves 
y  sont  représentés  en  été  par  quelques  milliers  de  pécheurs,  et  les  Finlan- 
dais proprement  dits,  tous  de  la  variété  karélienne,  ne  se  sont  établis  que 
sur  des  points  isolés  de  la  côte  méridionale,  sur  les  bords  de  la  baie  de 
Kandal'akcha.  Du  reste,  la  haute  taille  de  quelques-uns  des  Lapons,  leur 
barbe  rouge  abondante,  leurs  mœurs  et  même  des  mots  de  leur  langage 
montrent  avec  toute  évidence  que  des  Slaves  étaient  aussi  parmi  les  an- 
cêtres des  Lapons  orientaux.  Ceux-ci  ressemblent  d'une  manière  générale 
aux  Sames  de  la  Suède  et  de  la  Norvège;  toutefois  ils  sont  moins  civi- 
lisés, et  les  voyageurs  disent  que  leur  intelligence  est  moins  active  que 
celle  de  leurs  compatriotes  vivant  à  l'ouest  du  Tana-elf  et  du  Muonio-elf  : 
peut-être  faut-il  attribuer  cette  paresse  d'esprit  aux  longs  jeûnes  que  leur 
Impose  l'Lglise  orthodoxe,  non  moins  qu'à  l'abstinence  forcée  des  périodes 
de  disette.  Ainsi  les  Lapons  du  campement  de  Ponoï,  à  l'embouchure  de 
la  rivière  de  même  nom,  et  près  de  l'extrémité  orientale  de  la  péninsule, 
recueillent  une  espèce  de  terre  farineuse,  entièrement  composée  de  lamelles 
de  mica,  qu'ils  pétrissent  avec  de  la  pâte,  non  sans  doute  pour  en  augmen- 
ter le  pouvoir  nutritif,  mais  pour  aider  à  trom|)er  leur  faim".  Du  reste, 
dans  tous  les  gouvernements  du  nord,  jwirmi  les  liusses  aussi  bien  (|iic 
parmi  les  Lapons  et  les  Samoyèdcs,  ])artout  où  les  rigueurs  du  climat  em- 
pêchent le  blé  de  mûrir,  la  nourriture  habituelle  des  paysans  jiendant 
l'hiver  est  en  grande  partie  composée  de  mousse,  d'écorces  d'arbies  et  d(î 
lebeda,  espèce  d'heibe  amère  et  malsaine.  Ou  peut  juger  du  climat  de  ces 
contrées  par  la  langue  des  Lapons,  (|ui  cdiitii  iit  '_MI  noms  pour  désigner  la 

'  Von  Baer;  von  Midiiendorff,  Beilriige  zur  licnnlniss  fies  nissischcn  Reiclics. 

-  GcBbcl:  von  llelinersen,  Bulletin  de  l'Acad.  des  science»  de  Saint- Pétcrsbowg,  ISfiR.  n°  Xil, 

'  C.  Schmidt,  Bulletin  de  l'Acarlémie  des  sciences  de  Saint- Pétersbourg,  toI   XVI,  IS71. 


624  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

glace,  11  pour  le  froid,  41  pour  la  neige  et  ses  composés,  26  verbes  pour 
inditjuer  les  phénomènes  du  gel  et  du  dégel  '. 

Les  Lapons  de  la  péninsule  sont  devenus  chrétiens,  en  ce  sens  qu'ils  ont 
été  baptisés  depuis  le  seizième  siècle  par  des  moines  russes,  qui  ont  en 
même  temps  introduit  le  servage  en  Laponie  et  se  sont  fait  attribuer  par  le 
tzar  les  populations  de  districts  entiers.  Orthodoxes  maintenant,  les  La- 
pons ont  accru  le  nombre  de  leurs  divinités,  en  y  ajoutant  un  dieu  favo- 
rable. Jésus-Christ,  et  une  redoutable  puissance,  le  diable,  roi  des  enfers  : 
on  a  même  imprimé  en  caractères  russes  des  ouvrages  de  piété,  que  les 
Sames  de  quelques  campements  ont  appris  à  lire.  Toutefois  les  indigènes 
ont  encore  leurs  magiciens  ou  chamanes  et  vénèrent  des  amas  de  pierres, 
des  ossements,  des  fossiles  qu'ils  croient  habités  par  des  esprits".  Le 
mariage,  comme  chez  beaucoup  de  peuplades  touraniennes,  a  gardé  les 
formes  de  l'enlèvement  primitif  dans  toute  sa  violence  :  il  faut  que  la  fiancée 
se  débatte,  qu'elle  pousse  des  cris  déchirants.  Puis,  quand  elle  est  décidé- 
ment enlevée  à  sa  famille,  le  père  transmet  au  fiancé  son  droit  de  pouvoir 
absolu,  même  celui  de  «  rôtir  les  yeux  de  la  victime  ».  On  l'attache  dans 
sa  maison  nouvelle  «  comme  un  renne  sauvage  »  ;  mais,  après  un  simulacre 
de  coups,  le  mari  délie  ses  courroies  et  la  consacre  «  hôtesse  »  et  «  mère 
du  pain  »".  C'est  elle  qui  commande  aux  enfants  et  qui  décide  les  ma- 
riages', presque  toujours  dictés  par  l'intérêt  :  on  a  vu  souvent  des  Lapons 
de  18  à  20  ans  épouser  des  femmes  de  00  ans.  Chaque  indigène  a  sa 
marque  particulière,  sa  griffe,  analogue  au  totem  des  Peaux  Rouges  :  à  sa 
naissance,  on  marque  de  ce  signe  le  renne  qui  lui  est  attribué  en  propriété, 
(^t  c'est  du  même  signe  qu'il  timbrera  j)lus  tard  tout  ce  qui  lui  appar- 
tiendra". En  général,  les  Lapons  sont  d'une  grande  douceur  :  ils  ont  le 
regard  triste  de  l'homme  vaincu,  mais  ils  sont  restés  bienveillants  :  ils 
aiment  beaucoup  la  paix,  quoiqu'ils  aient  des  traditions  de  guerres  soute- 
nues par  eux  contre  les  Karéliens.  «  La  paix  se  maintient-elle  sur  la  terre?  » 
telle  est  la  première  question  qu'ils  adressent  aux  étrangers.  Les  voyageurs 
russes  les  disent  très  supérieurs  à  leurs  voisins  par  la  pureté  des  mœurs, 
la  délicatesse  des  sentiments,  la  probité  de  la  vie,  bien  que  leurs  relations 
avec  les  Russes  et  les  «  Normands  »  les  aient  déjà  corromj)us.  Les  Lapons 
ne  ressemblent  à  leurs   voisins  les  paysans  russes  (jiie  par  le  costume  et 


'  Gust.  V.  Dùlicn,  Lappland  och  Lapparne. 

*  Castrèii,  liche-Erinncntmjcn  aus  den  Jaliren  1838-1844. 

'  Nemii-ûvilcli  l);inlihoiikn.  Vers  l'Océan,  Vie  sur  les  frontières  du  iVorrf  (on  russe). 

*  Giisl.  V.  Diilieii,  ouvrage  cité. 

'  .Vk'xuiuliiiii'  VcfiMnuko,  Zapislii  Roussk.  Gcogr.  ObchUhesIra,   Section  elluiograpliiquo,  VIII. 


LAPONS.  f.23 

leur  penchant  à  l'ivrognerie.  lis  ont  grand  soin  de  leurs  personnes  et 
se  lavent  soigneusement,  même  en  hiver.  Quoique  le  territoire  entier  soit 
divisé  en  domaines  distincts  et  que  chaque  famille  ou  chaque  tribu  con- 
naisse parfaitement  les  rivières  et  les  forêts  visitées  tour  à  tour,  suivant  les 
besoins  de  la  chasse  et  de  la  pèche,  cependant  les  propriétaires  lapons 
accueillent  volontiers  dans  leur  campement  les  membres  appauvris  de  la 
famille,  les  amis  et  même  les  étrangers  :  l'hospitalité  est  le  premier  de 
leurs  devoirs. 

Même  jusqu'aux  rivages  de  la  mer  Glaciale,  tous  les  hommes  campés 
çà  et  là  sur  le  littoral  connaissent  ia  langue  russe;  mais  les  femmes, 
presque  toujours  occupées  à  l'intérieur  des  tentes,  savent  à  peine  quelques 
mots  de  l'idiome  étranger.  Il  est  vrai  que  les  Lapons  pêcheurs  sont 
presque  tous  aux  gages  de  patrons  russes,  qui  les  tiennent  dans  un  état  de 
dépendance  voisin  de  la  servitude  :  le  nom  que  l'on  donne  habituellement 
aux  marchands  est  celui  de  «  maîtres  ».  Ce  sont  eux  qui  payent  les  impôts 
pour  les  communes  laponnes  cl  qui  leur  fournissent  à  crédit  tout  ce  dont 
elles  ont  besoin  ;  mais  les  dettes  sont  héréditaires,  et  tout  ce  qui  appar- 
tient aux  Lapons  est  d'avance  la  propriété  du  marchand.  Les  Sames  de 
l'intérieur,  qui  vivent  au  bord  des  lacs,  en  des  réduits  souterrains  situés 
ù  60  ou  même  à  100  kilomètres  les  uns  des  autres,  et  protégés  par  la  vaste 
étendue  des  toundras  désertes,  ne  sont  pas  encore  tombés  sous  la  dépen- 
dance directe  des  marchands  russes,  mais  ils  sont  devenus  sujets  comme 
tous  les  autres  habitants  de  l'empire;  ils  payent  l'impôt  et  doivent  racheter 
leurs  fils  de  la  conscription.  Un  document  atteste  que  les  -Eop,  c'est-à-dire 
les  Lapons,  étaient  déjà  tributaires  de  la  «  Grande  A'ovgorod  »  au  com- 
mencenivïnt  du  onzième  siècle. 

On  sait  que  les  Lapons  occupaient  autrefois  une  grande  partie  des 
plaines  du  n(ird  de  la  Rus--ie  au  sud  et  à  l'est  de  la  péninsule  dans  laipielle 
ils  sont  maintenant  refoulés.  Les  chroniques  mentionnent  leurs  tribus  sur 
les  bords  du  lac  Onega,  il  y  a  sept  cents  ans.  Dans  le  bassin  de  la  Dvina, 
quelques  noms  de  lieux  oîi  se  retrouvent  les  désignalions  laponnes  signi- 
fiant «  rivière  »,  «  ruisseau  »,  «  île  »,  «  forêt  »,  et  d'autres  traits  géogra- 
phiques témoignent  aussi  que  les  Lapons  habitèrent  jadis  la  contrée  avanl 
de  se  retirer  à  l'ouest  de  la  mer  Blanche.  Le  nom  même  de  Samovède,  où 
se  retrouve  le  radical  Same,  qui  est  Tappellation  des  Lapons,  indiquerait 
peut-être  que  les  habitants  actuels  des  plaines  orientales  sont  considérés 
comme  les  hénliers  des  Lapons'.  Les  Karélicns,  maintenant  fort  peu  nom- 

'  Ch.  (le  Ljfalvy,  Mélanges  altaiques. 

"■■■  79 


626  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

breux  dans  le  voisinage  de  la  côte  de  la  mer  Blanche  à  laquelle  a  été 
donné  leur  nom,  ont  été  aussi  ])armi  les  successeurs  des  Lapons,  et  l'on 
retrouve  leurs  traces  sur  presque  tout  le  versant  du  nord.  La  langue  russe 
des  populations  du  gouvernement  d'Arkhangelsk  est  remplie  de  mots  et 
même  de  tournures  empruntées  au  finlandais'.  Il  est  probable  que  les 
Finlandais-Karéliens  étaient  compris  avec  les  Zîi-anes  sous  le  nom  général 
de  ces  Biarmiens.  que  mentionnent  les  chroniques  du  moyen  âge  et  dont  les 
navigateurs  normands,  qui  commei"(;aient  avec  eux,  parlent,  probable- 
ment avec  exagération,  comme  d'un  peuple  riche,  puissant,  civilisé,  con- 
naissant l'agriculture  et  les  arts  industriels. 

Les  artel'  ou  associations  de  chasse  et  de  pèche  que  forment  la  plupart 
des  communes  des  Pomorî,  c'est-à-dire  des  «  Riverains  »,  grands-russiens 
du  gouvernement  d'Arkhangelsk,  emploient  surtout  des  termes  d'origine 
karélienne,  ce  qui  prouve  que  les  Finnois  de  la  contrée  se  groupaient  en 
associations  du  même  genre  avant  l'arrivée  des  Russes  dans  le  pays.  La 
forme  de  ces  artel  diffère  suivant  le  genre  du  travail  et  les  mille  circon- 
stances diverses  du  milieu,  mais  presque  partout  le  partage  se  fait  en 
parts  égales  entre  tous  les  meml)res.  En  beaucoup  d'endroits,  c'est  la 
commune  entière  qui  organise  la  pèche,  et  qui  distribue  les  groupes  de 
travailleurs  le  long  de  la  mer  ou  des  ilciives,  de  manière  à  égaliser  les 
chances;  ceux  qui  restent  dans  les  villages  pour  les  travaux  domestiques 
reçoivent  la  même  part  que  les  pécheurs.  Mais  les  dettes  contractées  par 
les  communes  et  par  les  familles,  d'abord  auprès  des  couvents  et  des 
('■vèques  de  Khol'mogorî,  puis  aupi'ès  des  marchands  laïques,  ont  intro- 
duit le  désarroi  dans  ces  associations  des  Pomoiî.et  peu  à  peu  l'inégalité 
se  glisse  parmi  ses  membres  ^ 

A  l'orient  de  la  mer  Blanche,  les  Sainoyèdes  représentent  comme  les 
Lapons  l'ancienne  race  finnoise  en  face  des  Slaves  envahissants;  mais,  à 
beaucoup  d'égards,  ils  contrastent  avec  leurs  frères  d'origine.  Plus  Mon- 
gols d'aspect,  ils  ont  la  figure  plus  large  et  jilus  aplatie,  le  front  moins 
haut.  L'anthropologiste  Zograf  les  classe  parmi  les  Mongols  brachycé- 
phalcs'',  tandis  que  Castrèn  voit  en  eux  un  peuple  mélangé  de  Finnois  et  de 
Mongols*.  Rs  se  donnent  le  nom  de  Nenetz  (au  pluriel  Netza),  qui  signifie 
«  Hommes  »,  ou  celui  de  Kliassov  (Khassova),  c'est-à-dire  «  Mâles  ».  Leur 


'  Castrèn,  ouvrage  cité;  —  Europiius,  Veber  das  ugrische  Volk. 

*  ï'.  Yefimenko,   Drnil  coulumier  dans  le  gouvernement  d'.\rklinn(icl'.ik:  lifciieil  de  matériaux 
sur  tes  associalions,  I,  II;  —  K;iIatchov,  Les  associations  dans  lu  liii.tsie  ancienne  et  moderne. 

•*  Congrès  de  Moscou,  187'j. 

*  Caslrèii,  ouvragi'  cité. 


LAPONS,    KARÉLIENS,    SAMOYÈDES  627 

appellation  de  Samoyèdcs,  en  russe  synonyme  d'Autophages,  a  donné  lieu  à 
un  grand  nombre  de  légendes  ;  dans  plusieurs  documents,  ils  sont  appelés 
Sîroyedî,  mot  qui  signifie  «  Mangeurs  de  viande  crue  ».  C'est  à  peu  près  le 
même  sens  que  le  nom  d'Eskimaux,  appartenant  à  des  populations  du  Nou- 
veau Monde  auxquelles  le  climat  a  fait  prendre  un  genre  de  vie  analogue. 

Véritables  nomades  asiatiques,  les  Samoyèdes  sont  encore  plus  errants 
que  les  Lapons  pasteurs  de  rennes,  et  se  déplacent  volontiers  à  la  moindre 
occasion  :  on  les  voit  fréquemment  dans  les  bourgades  russes;  mais  ils 
apprennent  difficilement  la  langue  des  maîtres  du  pays;  encore  asiatiques 
de  mœurs,  ils  se  sont  beaucoup  moins  accommodés  que  les  Lapons  au 
milieu  que  le  commerce  fait  autour  d'eux.  Le  Nouveau  Testament  a 
été  traduit  dans  leur  langue,  et  ils  ont  été  baptisés,  en  commençant  par 
les  plus  riches;  ils  se  disent  chrétiens  et  prennent  un  grand  plaisir  à 
sonner  les  cloches  ;  mais  l'ancien  fétichisme,  mélangé  de  pratiques  chama- 
nistes,  est  loin  d'avoir  entièrement  disparu  :  dans  les  districts  reculés, 
notamment  dans  le  voisinage  des  monts  Oural,  ils  adorent  encore  les 
khegs,  pierres  bizarres,  idoles  grossièrement  taillées,  et  croient  aux  esprits 
ou  ladeptzio  et  anx  dieux-chefs,  le  bon  Noum,  qui  protège  le  bétail  et  qui 
donne  la  vie,  et  le  méciiant  Yesako,  mari  de  la  terre  Khadako,  la  «  mère 
puissante  ».  Les  offrandes  consistent  en  armes  et  en  instruments  divers; 
à  l'entour  de  l'autel,  on  voit  des  amas  de  ferraille,  des  haches  usées  et 
jusqu'à  de  vieilles  flûtes.  On  sacrifie  quelquefois  des  ours  en  l'honneur 
des  dieux,  mais  on  immole  principalement  des  rennes,  que  les  prêtres  ou 
tadibeijs  étranglent  devant  l'idole  et  dont  ils  mangent  la  chair  en  com- 
pagnie du  peuple  :  les  tètes  sont  placées  sur  des  ])ieux  autour  de  la  statue, 
tournées  vers  l'orient  quand  elles  sont  consacrées  au  dieu  bon,  vers  l'occi- 
dent quand  le  sacrifice  est  en  l'honneur  du  dieu  méchant.  Les  Samoyèdes 
cherchent  k  se  concilier  la  divinité,  non  seulement  en  lui  faisant  goûter  le 
sang  des  victimes,  mais  aussi  en  lui  versant  de  l'eau-de-vie  dans  la  bou- 
che'. Un  bâton  de  magie  et  un  tambour  [lermelteiit  au  tadibey  d'entrer 
en  conversation  avec  les  esprits.  Il  se  frappe  la  tète  de  coups  répi-tés 
pour  tomber  en  extase,  cl  dès  que  les  dieux-chefs  se  sont  monirc's  à  lui, 
il  se  laboure  les  chairs  avec  un  couteau. 

Lorsque  Burrough  visita  en  l.'».Mî  File  de  Vaïgatcli,  l'ilo  sainte  des 
Samoyèdes,  il  vit  sur  le  cap  septentrional  quatre  cent  vingt  idulcs  re- 
présentant des  hommes,  des  femmes,  des  enfants  groupés  autour  de  la 
grande  statue  de  Vesako  aux  sept  visages.  En  l.')Oi,  le  Hollandais  Nai  revit 

•  Nnrdcnskjiilil,  E.rprdilion  polaire  suédoise,  1878;  —  Rrciiril  eUmrKjraphiqiie,  IV. 


628  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

cette  «  pointe  des  Idoles  »  {Âfgodcn  Hoek),  l'un  des  nombreux  Bolvanskiy 
Nos  des  Russes,  et  le  navigateur  Ivanov  retrouvait  en  1824  les  effigies 
monstrueuses  décrites  par  Burrough.  Depuis,  elles  ont  été  renversées  et 
brûlées  par  des  missionnaires  zélés,  et  maintenant  une  croix  s'élève  au 
point  le  plus  haut  du  promontoire;  mais  les  traitants  russes  de  la  côte 
disent  que  des  fragments  des  images  sacrées  ont  été  conservés,  et  le  lieu 
de  sacrifice  se  trouve  dans  une  caverne  du  voisinage,  récemment  visitée 
par  Nordenskjôld,  Les  autels  et  les  cent  idoles  que  vénéraient  les  Samoyèdes 
dans  leur  campement  de  Kozmin,  à  une  vingtaine  de  kilomètres  à  peine  de 
la  ville  de  Mezeiî,  ont  étâ  également  brûlés'  ;  mais,  n'osant  plus,  de  peur 
des  Russes,  dresser  de  grandes  idoles,  visibles  de  loin,  les  Samojèdes 
peuvent  du  moins  habiller  des  poupées  informes,  qu'ils  cachent  dans  leurs 
tentes  ou  sous  leurs  vêtements;  c'est  ainsi  qu'en  d'autres  pays  les  amu- 
lettes et  les  médailles  portées  sur  le  corps  remplacent  les  effigies  des  dieux 
ou  des  saints. 

Les  Samoyèdes,  pauvre  débris  d'une  race  jadis  puissante,  ont  pour 
patrie  le  territoire  le  plus  étendu  :  de  la  mer  Blanclie  jusque  par  delà  le 
Yenisei  et  des  rives  de  l'océan  Glacial  jusqu'à  la  base  de  l'Altaï,  d'où  sont 
venus  leurs  ancêtres,  on  trouve  des  familles  samoyèdes.  Refoulés  proba- 
blement par  des  vainqueurs  de  race  turque,  ils  descendirent  vers  le  nord 
en  suivant  le  cours  des  fleuves  et  s'établirent  sur  les  bords  de  la  mer 
Polaire;  bien  au  sud  de  leur  territoire  actuel,  l'Oiu'al  moyen  porte  encore 
des  noms  samoyèdes".  La  famille  des  Yourak,  à  laipielle  apparlieniient  les 
Samoyèdes  de  la  Russie  d'Europe,  habite  maintenant  toute  la  région  des 
toundras  des  deux  côtés  de  l'Oural  ;  dès  les  origines  de  l'histoire  russe, 
les  Samoyèdes,  mentionnés  pour  la  première  fois  à  la  fin  du  onzième 
siècle,  parcouraient  déjà  cette  contrée  qui  s'étend  par  delà  la  zone  des 
arbres,  là  où  le  yagel  ou  mousse  des  rennes  fournit  la  nourriture  néces- 
saire à  leurs  troupeaux.  Mais  il  est  probable  qu'ils  avaient  dû  conquérir 
ces  terres  hyjierboréennes  du  froid  et  de  la  nuit  sur  d'autres  Finnois, 
plus  rappidciiés  qu'eux  de  la  branche  finlandaise.  Plusieurs  noms  de 
lieux,  explicables  seulement  dans  l'idiome  des  Karéliens,  prouvent  que 
ceux-ci  étaient  les  anciens  habitants  de  la  contrée.  Ces  Finlandais  étaient 
les  mystérieux  Tchoudes  des  Russes,  les  Sîrtje  des  Samoyèdes,  qui  se  sont 
enfuis,  dit  la  légende,  dans  l'intérieur  de  la  terre,  où  ils  possèdent  d'im- 
menses territoires  de  chasse  cl  de  pâture  avec  des  multitudes  de  mam- 


'  Maximov,  Une  année  dans  le  Nord  (en  russe). 
-  Il'>fiii;inii,  ouvrage  cité. 


SAMOYEDES. 


C2'J 


lîioutlis,  de  renards  et  de  castors'.  Les  Lapons,  qui  eurent  probable- 
ment aussi  à  combattre  ces  Tchoudes,  ont  gardé  des  traditions  analogues. 
Le  nom  de  ceux  qui  les  précédèrent  est  associé  chez  eux  à  celui  des 
génies  malfaisants  de  l'air  et  des  régions  souterraines  '.  A  leur  tour,  les 
Samoyèdes  sont  voués  à  une  prompte  disparition;  ils  vont  «  rentrer  sous 
terre  »  comme  les  Tchoudes.  Dans  leurs  jeux,  les  enfants  des  Russes  répè- 
lent une  chanson  dont  le  sens  s'est  perdu  pour  eux,  mais  qui  fut  jadis 
d'une  atroce  vérité  :  «  Allons  chercher  le  Samovède,  —  Allons  marquer 


I  ILOTE    SAMUttDE. 

Dessin  de  Honjal,  d'apr-'s  une  pliotofrrapliio  ilu  comlo  Wilczpk. 

le  Samoyède  ;  —  Nous  trouverons  le  Samoyède  —  Et  nous  le  couperons 
en  deux"'.  » 

Autrefois  cette  race  occupait  un  domaine  beaucoup  plus  vaste;  quel- 
ques-unes de  ses  peuplades  habitèrent  les  bords  du  lac  Onega,  d'autres 
s'étaient  élai)lies  sur  les  rives  orientales  de  la  mer  Blanche.  Maintenant 


'  Mex.  Caslrèn,  Suomi.  Tidsbift  t  fosleilandska  iiinncn,  Fjcidc  Srgângcn.  1845  ;  —  Vorlcsuiigcn 
ûber  die  Miaischen  Vûlker. 

'  Ncinirovilch  Danlclicnko,  ouvrage  cité. 

'  E'.  YeOmenko,  Maiéiiau.r  pour  l' ethnographie  des  Rimes  dans  le  gouvernemcnl  d'Arkhangcl'sli. 
I  (en  riifso) 


{,50  NOUVELLE    GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

ces  contrées  leur  ont  échappé  ;  leurs  ancêtres  en  ont  été  exterminés  par  les 
Novgorodiens  et  par  les  Moscovites'.  Sur  leur  territoire  actuel,  tous  les 
espaces  de  quelque  valeur  pour  les  pêcheries,  la  chasse  et  la  culture 
passent  graduellement  entre  les  mains  des  Ziranes  et  des  Russes,  quoique, 
d'après  la  loi  de  1855,  tout  domaine  des  Russes  ail  été  limité  à  66  hectares 
par  famille  et  que  les  nouveaux  empiétements  aient  été  défendus  sur  la 
terre  des  Samoyèdes%  jadis  propriété  commune.  La  race,  qui  se  par- 
tage en  Europe  entre  les  trois  districts  de  Kanin,  de  Timan  et  de  Bolchaya 
Zemla,  n'est  plus  représentée,  dit-on,  que  par  un  peu  plus  de  cinq  mille 
individus  %  et  tandis  que  leur  natalité  diminue,  leur  mortalité  ne  cesse 
d'augmenter.  En  outre,  la  dénationalisation  s'accomplit  rapidement.  Cas- 
frèn  a  reconnu  que  plusieurs  de  leurs  tribus  de  la  Sibérie  méridionale 
sont  devenues  turques;  de  même  celles  de  la  Russie  du  nord  se  «  russi- 
fient »  dans  le  voisinage  des  villes,  et  se  perdent  peu  à  peu  dans  la  classe 
des  paysans.  Les  marchands  du  pays  n'ont  cessé  d'appauvrir  et  de  démo- 
raliser les  indigènes  :  ils  ont  acheté  les  troupeaux  par  des  avances  en 
fiU'ine  et  en  eau-de-vie,  et  les  malheureux  débiteurs,  incapables  de  se 
libérer  par  des  payements  directs,  sont  condamnés  à  un  travail  incessant, 
qui  les  dégrade  à  la  condition  d'esclaves,  sans  espoir  d'affranchissement. 
Plus  de  la  moitié  d'entre  eux  ont  déjà  perdu  leurs  troupeaux  de  rennes  :  la 
moyenne  des  animaux  que  chacun  d'eux  possède  est  évaluée  seulement  à 
dix-sept  '.  Le  commerce  «  muet  »  des  Samoyèdes  a  dû  être  abandonné  par 
eux,  parce  qu'il  reposait  en  entier  sur  la  probité,  et  que  les  marchands 
russes  n'ont  pas  cette  vertu  :  quand  un  Samoyède  avait  besoin  de  pelleteries 
ou  d'autres  denrées,  il  allait  les  prendre  dans  le  tchoHiu  d'un  autre  indigène 
au  milieu  de  la  toundra,  et  laissait  en  échange  un  morceau  de  bois  avec  sa 
mar([ue^;  mais  le  Russe  prend  tout  et  ne  laisse  rien  à  la  place.  Tôt  ou 
tard,  et  probablement  dans  un  avenir  prochain,  il  ne  restera  plus  rien  des 
Samoyèdes  que  leur  souvenir,  quelques  objets  renfermés  dans  les  musées, 
et  leiu's  chants  héroïques,  car  les  Samoyèdes  sont  poètes,  comme  leurs  voi- 
sins les  Karéliens,  et  quelques-unes  de  leurs  poésies  semblent  être  nées  de 
la  même  inspiration  (jue  l'épopée  de  Kalevala.  Pres(jue  tous  les  Samoyèdes 
savent  comj)oser  des  chants,  mais  il  en  est  peu  qui  sachent  déclamer.  Ces 
maîli'cs  de  la  parole  sont  très  honorés,  et  l'on  passe  des  nuits  entières 


'  K(isloni:iriiv,  Les  liciiiihliquc.i  russes,  I  (cii  russe). 

"  Alcx:in(liiiie  Yefiiiiciikii,  Le  droit  coiilumicr  des  Sanwiirdes:  Rociiell  elhnogi'apliique,  IV. 

^  S:iiii(iyè(les  du  la  Hiissio  d'Europe  en  1804  :  î>0t)8  individus. 

*  Alcxandiiiic  Vcfinii'ulio,  ouvrage  cité. 

'  Ali'X.inili  iur  Vi'liMieidid,  ciuvrage  cilr. 


SAMOYKDES.    ZIRANES.  C31 

à  les  entendre,  tandis  que,  les  yeux  cachés  dans  une  main,  ils  agitent  de 
l'autre  une  flèche,  dont  la  pointe  est  tournée  vers  le  sol. 

Autre  peuple  de  race  ouralo-altaïque,  mais  hien  distinct  des  Finlan- 
dais, les  Ziranes  sont  précisément  ceux  qui,  à  l'envi  des  Russes,  ont  d(''pos- 
sédé  les  Samoyèdes  de  leurs  troupeaux  de  rennes  et  qui  pillent  leurs 
tchoums  ou  tentes  de  la  toundra.  Des  anciennes  peuplades  aborigènes,  l'une 
est  asservie,  l'autre  a  pris  rang  dans  la  classe  des  marchands  et  des 
maîtres.  Les  Zîi'anes,  élaldis  exclusivement  sur  le  bord  des  rivières  navi- 
gables et  sur  les  portages  entre  les  fleuves,  dans  les  bassins  de  la  Petchora, 
du  Mezeiï  et  de  la  haute  Dvina,  s'occupent  de  trafic  depuis  un  temps  immé- 
morial, et  c'est  entre  leurs  mains  que  se  trouve  maintenant  une  grande 
partie  du  commerce  de  la  Russie  du  Nord,  non  seulement  avec  les  pro- 
vinces limitrophes,  mais  encore  avec  la  Norvège  et  l'Angleterre  ;  les  col- 
porteurs et  les  marchands  forains  du  pays  zîi-auc  fréquentent  toutes  les 
foires  d'Arkhangelsk  à  Moscou  et  à  Nijniy-Novgorod  pour  y  vendre  des  four- 
rures, des  cornes,  du  poisson,  et  rapportent  l'aisance  dans  leurs  villages. 

Les  Ziranes  ou  Komi-Yoitîr,  c'est-à-dire  les  «  Kamiens  du  Nord  »,  ne 
sont  pas  désignés  sous  leur  nom  actuel  par  les  anciens  chroniqueurs,  qui 
les  confondaient  avec  les  Komi  ou  Kominî,  les  Permiens  de  la  Kama,  leurs 
frères  d'origine,  de  langage  et  do  mœurs'.  Cependant  les  Zîi'anes  étaient, 
de  tous  les  Riarmiens  dont  parlent  les  sagas  Scandinaves,  ceux  qui  se 
livraient  le  plus  activement  au  commerce  et  qui  servaient  d'intermédiaires 
aux  échanges  de  l'Occident  avec  la  Sibérie,  le  Turkestan,  la  Perse  et  même 
l'Hindoustan.  Les  chemins  de  commerce  qui  traversent  l'Oural  étaient  et 
sont  encore  connus  par  les  Ostaks  sous  le  nom  de  «  routes  des  Ziranes  '  » . 
La  race  devait  occuper  autrefois  un  domaine  beaucoup  plus  considérable, 
même  au  sud  de  la  Volga,  car  un  grand  nombre  de  noms  géographiques 
entre  ce  fleuve  et  l'Oka  s'expli(juent  ])ar  la  langue  des  Ziranes.  Ainsi  le 
nom  de  .Moscou  (Moskva)  signifie  l'Eau  des  Vaches  {.Mi'is-k-va)'. 

Dès  la  fin  du  cpialorzième  siècle,  ces  peuplades  commerçantes  du  versant 
de  la  mer  Glaciale  cessaient  d'adorer  le  soleil,  le  feu,  l'eau,  les  arbres  et 
la  «  vieille  femme  d'or  »  ;  l'évèque  Ktienne  abattait  le  «  bouleau  de  pro- 
l)hétie  »  et  leur  enseignait  quelques  prières  chrétiennes,  en  même  temps 
que  l'usage  d'un  alphabet  particulier,  dont  les  caractères  ne  sont  pas  encore 
complètemeni  i'xpli(|ués  et  que  remplace  depuis  longtemps  celui  des  Russes; 
li's  seuls  restes  visibles  de  l'ancien  culte  sont  les  sacrifices  d'animaux  que 

'  Kosloinarov,  ouvmge  cilé. 

'•"  Alex.  Cnslrèn,  Elhnoloijische  Vorlesunijcn  ûher  die  allaischcn  Viilker. 

'  Popov,  Les  Ziranes  et  la  Zii'anie  (en  russe). 


C32  NOUVELLE  GÉOGRAniIE   UNIVERSELLE. 

l'on  fait  encore  devant  les  églises.  D'ailleurs,  les  Ziranes  sont  eux-mêmes  en 
srande  partie  russifiés  et  se  confondent  peu  à  peu  avec  la  population  domi- 
nante, dont  ils  comprennent  tous  le  langage  et  dont  ils  chantent  les  chansons, 
même  lorsqu'ils  n'en  connaissent  pas  le  sens  ;  de  loin  on  entend  retentir 
dans  les  forêts  le  chant  des  bateliers  de  la  Volga,  que  chantent  des  Ziranes, 
hommes  ou  femmes,  auxquels  plaît  la  mesure  régulière  de  ce  chant  des 
rameurs'.  Le  type  zîi-ane  diffère  à  peine  de  celui  des  Slaves,  si  ce  n'est 
que  les  indigènes  finnois  ont  le  teint  beaucoup  plus  basané';  les  femmes 
ont  toutes  l'habitude  de  se  farder.  Les  enfants  de  cette  race  sont  fort  intel- 
ligents, et  dans  les  écoles  on  admire  la  facilité  avec  laquelle  ils  apprennent 
l'arithmétique  et  le  russe  ;  dans  le  séminaire  de  Vol'ogda,  les  fils  des  popes 
ziranes  sont  toujours  signalés  comme  les  meilleurs  élèves.  De  même  que 
les  Finlandais,  ces  Finnois  de  l'est  aiment  beaucoup  les  bains  de  va- 
peur, tellement  qu'à  la  chasse,  et  en  hiver,  ils  les  prennent  même  en 
plein  air,  en  jetant  de  l'eau  sur  un  feu  violent  ;  leurs  cabanes  contiennent 
toutes  l'indispensable  éluve.  Les  Zii"anes  ([ui  ont  le  mieux  conservé  les 
vieilles  coutumes  et  que  l'on  croit  être  les  plus  purs  de  race  sont  ceux  du 
gouvernement  de  Vol'ogda,  sur  les  hauts  affluents  de  la  Dvina  ;  ils  ont 
encore  quelques  habitudes  de  la  vie  en  commun.  Ce  sont  pour  la  plupart 
d'excellents  chasseurs,  attaquant  l'ours  en  face.  Souvent  tous  les  hommes 
sont  à  la  chasse  l'hiver,  mais  d'ordinaire  comme  simples  serviteurs  aux 
gages  des  patrons  et  gagnant  seulement  de  15  à  14  roubles  pour  cinq 
mois  de  service".  Pendant  ce  temps  les  femmes  sont  obligées  de  remplir 
toutes  les  charges  réservées  habituellement  aux  hommes  :  ce  sont  elles  qui 
conduisent  la  poste  et  font  l'office  de  courriers.  On  dit  les  Zii-anes  tran- 
quilles, doux  et  résolus,  et  ceux  qui  vivent  dans  les  forêts  ont  gardé 
cet  amour  de  la  vérité,  cette  franchise  qui  distinguent  les  hommes  libres. 
Ceux  du  district  de  Mezeh,  qui  se  sont  établis  au  milieu  des  Samoyèdes 
et  qui  les  exploitent,  sont  au  contraire  devenus  malhonnêtes,  trompeurs, 
rapaces,  par  l'effet  même  de  leur  propre  tyrannie.  Tous  ont  un  singulier 
respect  pour  l'autorité  :  le  percepteur  d'impôts  est  regardé  par  eux  avec 
une   révérence  craintive. 

On  évaluait  récemment  à  oO  000  le  nombre  de  Ziranes  purs  ,  mais 
Popov  en  comptait  91  000  en  1874  dans  les  deux  provinces  de  Vol'ogda  et 
d'Arkhangelsk'.  Il  est  certain  qu'ils  entrent  pour  une  part  considérable 

'  lliifiii.iiin,  ouvrage  cité. 

'  M:iximov.  ouvrage  cilé. 

'•'  Vologdin,  L-  Ro'jauine  des  foiôls,  Slovo,  1878,  n°'  X,  XI. 

*  Ziranes  el  ta  Zh'anie. 


ZIRANES,    POMORI.  633 

dans  la  population  des  contrées  du  nord,  car  on  voit  beaucoup  d'enfants 
dans  les  familles  zîranes,  et  quand  on  entre  dans  les  églises  de  leurs  vil- 
lages, on  est  étonné  de  la  multitude  des  petites  tètes  blondes  qui  s'agitent 
au  milieu  de  l'assemblée.  D'ailleurs,  il  est  certain  que  la  race  zîi'ane  est 
très  fortement  représentée  parmi  les  habitants  qui  portent  le  nom  de. 
Russes.  Suivant  la  loi  commune,  les  habitants  d'un  pays  s'agglomèrent  de 
plus  en  plus  autour  de  la  race  qui  exerce  la  plus  grande  force  d'attraction, 
soit  par  la  civilisation,  soit  par  la  puissance,  et  les  descendants  des  Biar- 
miens  prétendent  maintenant  à  l'honneur  de  descendre  des  colons  novgo- 
rodiens  du  douzième  au  quinzième  siècle;  cependant  la  colonisation 
novgorodienne  a  été  croisée  par  celle  des  Souzdaliens,  qui  remontaient  par 
la  Cheksna  ou  l'Ounja  et  pénétraient  par  les  portages  dans  le  bassin  de  la 
Dvina.  Tout  un  groupe  de  villages  des  bords  de  la  Vaga  porté  le  nom  cK' 
Rostovchtchina,  parce  qu'il  est  habité  par  des  «  gens  de  Rostov  »'.  Quel- 
ques vieilles  familles  de  l'ancienne  république  du  Yol'kliov  se  sont  main- 
tenues pures  de  tout  mélange  sur  les  bords  de  la  Dvina  et  de  la  Petchora, 
oxercjant  encore  sur  tous  les  habitants  des  alentours  une  sorte  de  pouvoir 
patriarcal  ". 

Les  Pomori  ou  «  gens  de  la  mer  »,  car  tel  est  le  nom  que  l'on 
donne  à  tous  les  Grands  Russiens  du  versant  septentrional,  jusque  dans 
le  gouvernement  de  Volodga,  sont  de  beaucoup  la  population  prépon- 
dérante dans  la  plupart  des  districts.  Laissés  à  l'écart  du  reste  de  la 
Russie  par  l'immensité  même  des  espaces  à  parcourir,  ils  sont  restés  ù 
certains  égards  les  Grands  Russiens  par  excellence,  quoique  le  dévelop- 
pement de  sectes  religieuses  indépendantes  leur  ait  donné  aussi  des 
traits  particuliers.  Nulle  part  la  vie  de  famille  n'a,  en  théorie  du  moins, 
un  caractère  plus  despotique;  mais  en  réalité  la  femme  jouit  d'une  plus 
grande  influence  chez  les  Pomorî,  tous  raskolnik,  que  chez  les  Grands 
Russiens  du  sud.  La  fiancée  appelle  son  futur  ostouilnitchoh,  «  celui  qui 
donne  le  frisson  de  peur  »,  et  le  mari,  avant  d'accorder  le  baiser  rituel  à 
l'épousée,  lui  lire  la  tresse  des  cheveux  et  lui  chante  une  chanson  me- 
naçante :  «  Sous  le  matelas  du  lit  nuptial  il  y  a  un  bàtoa  de  chêne; 
à  ce  bâton  de  chêne  est  attaché  un  fouet  de  soie  à  trois  bouts,  et  quand 
il  fustige,  le  sang  jaillit.  '  »  Aussi  la  pauvre  lille  voit-elle  avec  angoisse 
fuir  «  sa  liberté  divine  »  {vola  bcjcskaya);  elle  s'incline  trois  fois  en 
pleurant  devant  les  saintes  images  :    «  Je  fais  la  première   génuflexion 

'  Popov,  Zapiski  Ronssk.  Geogr.  O'ochlchcstra,  Section  rie  statistique,  H. 
'  Wilczck,  Mittheitumien  von  Pclermnnn,  1874. 
*  E.  Barsov  ;  —   P.  Vcfimciiko. 

»•  R!) 


054  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

pour  le  tzar  très  pieux;  je  fais  la  deuxième  génuflexion  pour  la  tzarine 
très  pieuse,  et  je  fais  la  troisième  pour  moi,  jeunette,  afin  que  le  Sau- 
veur ait  pitié  de  moi  dans  la  maison  étrangère'  ».  Le  tzar  pour  lequel 
prie  la  fiancée  est,  dans  l'idée  populaire,  beaucoup  moins  le  dominateur 
que  le  «  tzar  de  la  terre.»  [zemskiij  tzar'),  le  représentant  de  tous  les 
intérêts  du  sol,  «  celui  qui  sert  à  la  terre  »,  disent  les  chants  du  pays.  La 
dure  épreuve  du  servage  fut  épargnée  à  la  plupart  des  Pomoriens.  A  peine 
les  paysans  de  la  Moscovie  avaient-ils  été  attachés  à  la  glèbe,  que  l'acqui- 
sition des  provinces  méridionales  attira  l'attention  de  la  noblesse,  et  c'est 
de  ce  côté  qu'elle  se  fit  distribuer  des  terres  et  des  hommes;  elle  ne 
s'occupa  point  des  forêts  de  pins  et  des  toundras  glacées  du  nord.  En  1866, 
on  ne  comptait  dans  le  gouvernement  d'Arkhangelsk  que  476  paysans 
ayant  appartenu  à  des  seigneurs'. 


La  ville  capitale  de  la  péninsule  laponne.  Kola,  n'avait  pas  même  huit 
cents  habitants  lors  du  dernier  recensement.  Sous  un  régime  de  liberté, 
elle  serait  pourtant,  malgré  le  climat,  fort  bien  située  pour  le  commerce  et 
deviendrait  cerlaiuemant  une  cité  considérable;  Elle  occupe,  au  confluent 
de  deux  rivières,  l'extrémité  d'un  estuaire  qui  s'avance  au  loin  dans  l'in- 
térieur du  continent,  et  cet  estuaire  se  continue  au  sud  par  une  dépression 
remplie  de  lacs  qui  prolonge  la  baie  de  Kandal'akcha  vers  l'Océan  :  c'est 
là  que  doit  passer  le  trafic  entre  les  deux  mers.  Aussi  la  position  de 
Kola  fut-elle  appréciée  par  les  marchands  dès  que  l'histoire  commença 
pour  ces  régions  du  nord  :  en  1264,  déjà  Kola  est  mentionnée  comme 
un  dépôt  de  pêche  et  d'échange  pour  les  marchands  de  Novgorod.  Mais 
les  avantages  de  la  situation  ne  suffisaient  point  pour  attirer  la  popu- 
lation vers  ces  rivages  glacés,  et  la  ville  n'était  qu'un  groupe  de  bara- 
ques en  bois  quand  les  Anglais  la  bombardèrent  et  la  brûlèrent  à  demi 
pendant  la  guerre  de  Crimée.  La  pêche,  principalement  celle  du  requin, 
est  l'industrie  des  habitants,  industrie  périlleuse  à  cause  des  brouillards 
et  des  tempêtes  de  la  mer  Glaciale;  il  est  aussi  arrivé,  dit-on,  que  des 
troupes  de  requins  ont  assailli,  renversé  les  barques,  et  dévoré  les 
pêcheurs. 

Sur  la  côle  des  Ivaréliens,  (pie  baignent  les  eaux  occidentales  do  la  mer 
lîianche,  Keiii,  autre  bourgade  qui  dans  une  région  populeuse  paraîtrait 


Itiillclin  (le  la  SociiHr  anthroimlmjiqtic  ilc  Moscou.  \U1;  —  1'.  Vclimoiiku,  MaU'iiaus  .. 
Saiisuii,  aiatistique  compari'e  île  la  lUtssic  (en  russf). 


KOLA,   KEM,   SOtOVKI.  GôS 

insignifiante,  est  le  principal  entrepôt  de  pèche  et  d'échanges.  De  même 
que  Kola,  Keiii  est  une  ancienne  colonie  novgorodienne,  occupant  une 
situation  commerciale  très  heureuse,  à  l'embouchure  d'une  rivière  navi- 
gable et  à  l'endroit  oii  les  communications  sont  le  plus  faciles  avec  le 
golfe  de  Botnie  et  la  péninsule  Scandinave.  Mais  l'importance  actuelle  de 
Kerii  lui  vient  en  grande  partie  du  voisinage  de  l'île  Sol'ovelzkiy  ou  Sol'ovki 
et  du  célèbre  monastère,  fondé  dans  la  première  moitié  du  quinzième 
siècle.  Les  moines,  qui  dépendent  directement  du  Saint-Synode,  conser- 
vèrent longtemps  les  rites  primitifs,  malgré  les  réformes  du  patriarche 
Nikon.  Ils  résistèrent  même  pendant  plusieurs  années,  et  le  couvent  ne  fut 
pris,  en  IGTG,  que  parla  trahison  d'un  moine,  qui  livra  un  passage  sou- 
terrain. La  plupart  des  seize  cents  défenseurs,  moines  et  paysans,  furent 
passés  au  fil  de  l'épée  ou  tués  à  coups  de  verges.  Néanmoins  l'esprit  d'in- 
dépendance religiense  n'est  pas  complètement  perdu  à  Solovki,  les  500 
religieux  du  couvent  se  recrutant  parmi  les  habitants  du  pays,  encore 
imbus  des  traditions  novgorodiennes. 

Les  vastes  constructions  du  couvent,  surmontées  de  dûmes  ventrus, 
entourées  de  murs  fortifiés,  imposent  par  leur  aspect;  on  ne  s'attend  pas 
à  voir  de  pareils  édifices  sous  un  climat  hostile  à  l'homme.  A  l'intérieur, 
le  couvent  est  d'une  grande  richesse,  et  le  port  voisin  est  rempli  d'embar- 
cations de  pèche  et  de  commerce  ;  les  moines  possèdent  même  une  flottille 
de  bateaux  à  vapeur  ;  des  magasins  bordent  le  rivage,  et  les  bassins  de 
radoub  sont  assez  grands  pour  que  le  gouvernement  y  envoie  réparer  les 
navires  de  guerre  de  la  station  d'Arkhangelsk.  Les  moines  de  Solovki  sont 
la  communauté  du  Nord  autour  de  laquelle  gravitent  le  plus  d'intérêts 
industriels  et  commerciaux.  Leur  domaine  s'étend,  dans  les  îles  et  sur  le 
continent,  sur  un  espace  de  7"28  kilomètres  carrés,  et  dans  ce  territoire  les 
religieux  récoltent  tout  ce  qui  leur  est  nécessaire,  à  l'exception  du  fro- 
ment, de  l'orge  et  du  vin  ;  dans  une  île  sont  les  troupeaux  de  moutons, 
dans  une  autre  les  chevaux,  dans  une  autre  encore  les  vaches  laitières. 
Tous  les  objets  manufacturés  qu'utilisent  les  moines,  jusqu'aux  bijoux 
d'or  et  d'argent,  sont  fabriqués  dans  le  monastère  :  celui-ci  forme  untJ 
société  fermée  se  suffisant  à  elle-même.  Avant  l'édit  d'émancipation,  ii' 
possédait  cinq  mille  serfs,  remplacés  maintenant  par  les  huit  mille  pèle- 
rins qui  se  succèdent  annuellement  dans  les  chapelles  du  couvent  et  (pii 
restent  d'ordinaire  plusieurs  mois  au  service  des  religieux,  comme  domes- 
tiques, bûcherons,  pasteurs,  laboureurs  ou  marins  :  parfois  un  millier  il  ■ 
personnes  sont  assises  à  la  grande  table  du  couvent.  Parmi  ces  pèlerins, 
il  en  est  même  (pii  restent  en  servage  volontaire  pendant  trois  ou  cin(( 


nri6 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


années,  en  exécution  d'un  vœu.  En  outre,  les  pèlerins  apportent  des 
offrandes,  dont  la  valeur  varie  de  25  000  à  100  000  francs,  suivant  l'abon- 
dance annuelle  des  récoltes.  Toute  la  population  constitue  une  ,ar<indc  com- 
munauté démocrati(pie,  gouvernée  par  des  moines-paysans'. 

La  ville  d'Onega,  qui  est  aussi  une  ancienne  colonie  des  marchands  de 
Novgorod,  porte  le  nom  de  la  rivière  qui  baigne  ses  jetées  et  de  la  b.iie 


îir<  sni.ovFTZK 


OeOàSSM.  c^eSSéSO 


deSOéWÛ 


voisine,  golfe  le  plus  méridional  de  la  mer  Blanche.  Un  a  vu  fréquem- 
ment les  harengs  se  presser  dans  les  eaux  d'Onega  et  do  Sol'ovki  en  si 
grandes  multitudes,  qu'on  pouvait  les  puiser  ave<'  des  seaux  ;  (puuid  les 
bancs  on!  disparu,  les  pêcheurs  doivent  nettoyer  les  jdages  des  amas  de 
chair  piniiiie  qui  restent  dans  le  voisinage  des  haliilalious,  empestant 
l'almosphère.   l'resipie   tout  le  poisson   capturé  dans  la  mer  et   dans  les 


M;i\iiiii)V,  ouvrage  cili-;  —  Neinirovili.li-l)aulclieuki>.  ]hiiji(chiijc  Tsnrsttv. 


SOtOVKI,  ONEGA,  VOtOGDA.  657 

fleuves,  harengs,  saumons,  morues,  perches,  hrochets,  se  conserve  à 
l'état  de  masse  gelée  :  on  n'en  fume  qu'une  faible  partie,  et  le  sel  du  pays 
est  de  trop  mauvaise  qualité  pour  qu'il  puisse  servir  à  des  salaisons  comme 
celles  que  pratiquent  les  pécheurs  hollandais.  Aussi  la  difficulté  de  la 
conservation  et  des  exportations  lointaines  oblige-t-elle  les  riverains  de  la 
mer  Blanche  à  consommer  et  à  faire  consommer  par  leurs  animaux  presque 
tout  le  produit  de  leur  pèche.  Sur  toutes  les  côtes  du  golfe  d'Onega,  le 
bétail  se  nourrit  en  grande  partie  de  harengs  saurs  ;  c'est  aussi  avec  des 
harengs  que  l'on  engraisse  les  cochons,  là  du  moins  où  le  climat  leur  per- 
met de  vivre,  car  dans  l'intérieur  des  terres  ils  ne  dépassent  pas  au  nord 
les  rives  septentrionales  du  lac  Onega  '. 

Dans  son  immense  étendue,  supérieure  à  celle  de  l'Italie,  le  bassin 
de  la  Dvina  n'a  que  trois  villes  dont  la  population  dépasse  cinq  mille 
habitants  ;  encore  deux  de  ces  villes,  Vol'ogda  et  Arkhangelsk,  doivent- 
elles  une  part  de  leur  importance  à  leur  rang  de  chefs- lieux  de  pro- 
vince. 

Vol'ogda,  qui  remplace  une  colonie  russe  existant  déjà  au  milieu  du 
douzième  siècle,  couvre  un  vaste  espace  de  ses  églises  à  coupoles  et  de  ses 
])etites  maisons  basses.  Elle  est  située  près  de  l'extrémité  sud-occidentale 
du  bassin,  sur  une  rivière  qui  devient  navigable  en  cet  endroit  et  qui 
rejoint  à  peu  de  distance  en  aval  la  Soukhona,  l'une  des  maîtresses  bran- 
chas de  la  Dvina  ;  à  l'ouest  s'étend  la  région  du  partage  des  eaux  entre 
le  bassin  de  la  Volga  et  celui  de  la  >'eva.  La  ville  est  donc  parfaitement 
placée  pour  servir  de  lieu  d'entrepôt  aux  marchandises  expédiées  de  l'un 
à  l'autre  versant;  lorsque  la  Russie  entra  en  communications  directes  avec 
l'Angleterre  i)ar  la  mer  Blanche,  Vol'ogda  fut  choisie  comme  ville  de 
dépôt  intermédiaire  entre  Moscou  et  .\rkhangelsk  ;  elle  fut  le  point  de 
départ  des  trafiquants  de  la  Sibérie,  aussi  longtemps  que  la  voie  méri- 
dionale par  Kazaii  resta  menacée  par  les  Bachkirs.  Vol'ogda  continue 
d'expédier  à  la  basse  Dvina  du  lin,  de  l'avoine  et  d'autres  denrées  pour 
une  valeur  de  plus  de  4  millions  de  francs,  tandis  qu'elle  envoie  a 
Saint-Pétersbourg  du  beurre,  des  œufs  et  de  la  toile.  Son  étape  de  com- 
munication avec  Kostroma  et  la  Volga  moyenne  est  le  gros  bourg  de 
Grazovelz,  situé  sur  le  faîte  de  j)artage,  à  tî'JU  mètres  d'altitude.  Ce 
bourg  est  ainsi  nommé-  probablement  des  marais  boueux  {(jr'az')  qui  l'en- 
vironnent. 

Totma,  sur  la  Soukhona,  doit  que^ue  importance  à  ses  sources  salines. 

'  Mninov,  Drci'n'fli/a  i  novaija  Rossiija,  1877,  n°  5. 


658  NOUVELLE  GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

C'est  l'étape  principale  de  navigation  entre  Vol'ogda  et  Velikiy  Oust-Youg, 
que  son  nom  même  dit  être  au  confluent  du  Youg  :  les  embarcations  et  les 
radeaux  qui  descendent  les  deux  fleuves  viennent  se  réunir  devant  ses 
quais.  Oust- Youg,  qui  a  remplacé  une  ville  plus  ancienne  brûlée  par  les 
Bulgares  de  la  Volga  en  1218,  et  dont  les  restes  se  voient  sur  une  colline 
à  4  kilomètres  en  aval,  fut  jadis  le  point  de  croisement  de  communi- 
cations importantes  et  l'objet  de  luttes  acharnées  entre  ^'ovgorod,  la  Mos- 
covie  et  les  Bulgares  de  la  Volga.  Ses  habitants  étaient  d'audacieux  pirates 
de  rivière  qui  descendaient  jusque  dans  le  voisinage  de  la  Caspienne  et 
(jui  furent  parmi  les  premiers  conquérants  de  la  Sibérie.  Depuis  plusieurs 
siècles  Oust-Youg  est  le  lieu  de  fabrication  d'où  partent,  en  échange  des 
pelleteries  et  de  l'ivoire  de  mammouth,  les  objets  manufacturés  dont  se 
servent  les  indigènes  de  la  Sibérie  et  de  la  Russie  du  Nord;  elle  expédie 
aussi  vers  le  port  d'Arkhangelsk  les  céréales  qui  lui  viennent  du  gou- 
vernement de  Valka  par  la  rapide  Louza.  Oust-Youg  partage  aussi  avec 
Vol'ogda  une  industrie  spéciale  apportée  de  l'ancienne  Novgorod  par  une 
colonie  allemande  :  la  ciselure  des  bijoux  et  des  vases  d'or  et  d'argent  avec 
des  ornements  sur  un  fond  noir. 

En  aval  de  Velikiy  Oust-Youg  et  jusqu'à  Arkhangelsk,  sur  une  distance 
de  plus  de  800  kilomètres,  il  n'y  a  point  de  ville  proprement  dite  ;  il  ne 
s'en  trouve  pas  non  plus  sur  les  affluents  de  la  Dvina,  si  ce  n'est  dans  le 
bassin  de  la  puissante  Vilchegda,  en  pays  des  Ziranes,  où  s'élève,  égale- 
ment à  un  bec  de  rivières,  la  commerçante  Oust-Sîsolsk  ou  «  Bouche- 
Sisolka  »,  capitale  des  Zii-anes.  Sol-Vilchegodsk,  sur  la  Vîtchegda,  mais 
non  loin  du  confluent  de  la  Soukhona,  a  perdu  toute  rimportance  qu'elle 
eut  autrefois  à  cause  de  ses  salines,  comme  l'une  des  grandes  étapes  entre 
Novgorod  et  les  pays  de  la  haute  Kama.  La  Vaga,  grand  affluent  occi- 
dental de  la  Dvina,  a  pour  bourg  principal  une  autre  ville  déchue,  Chen- 
koursk,  lieu  d'exil,  que  les  internés  des  bords  de  la  mer  Blanche  appellent 
avec  une  ironie  un  peu  envieuse  «  l'Italie  »  du  gouvernement  d'Arkhangelsk. 
A  l'époque  de  la  puissance  novgorodienne,  l'entrepôt  de  commerce  de  la 
basse  Dvina  était  Khol'mogorî,  dont  les  navigateurs  Scandinaves  ont  fait 
Ilolmgârd  :  c'est  par  là  que  s'expédiaient,  au  dixième  et  au  onzième 
siècle,  les  marchandises  de  l'Orient  iniporlées  par  les  Biarmiens  des 
pays  de  la  Volga.  Le  bourg  héritier  de  la  cité  commerçante  est,  non  sur 
une  ile,  mais  dans  une  campagne  d'alluvions,  que  la  Dvina,  divisée  en 
plusieurs  courants,  traverse  à  l'est  et  au  nord,  après  avoir  reçu  les  eaux 
d(!  la  l'inega.  Assise  ainsi  près  du  conflucat  de  deux  fleuves  et  non  loin 
de  la  mer,   Kholmogorî  jouissait  d'une  hciucuse   position  commerciale. 


RHOtMOGORI.  ARKHANGELSK.  641 

Le  trafic  du  sel,  dont  le  monopole  lui  fut  concédé  par  les  princes  de  î\Ioscou, 
accrut  encore  son  importance  ;  mais  la  fondation  de  sa  voisine  Arkhangelsk 
ruina  l'ancien  marché,  devenu  maintenant  Tune  des  plus  pauvres  hour- 
gades  de  la  Russie  du  Xord.  Dans  ces  contrées  proches  de  la  zone  boréale, 
la  population  est  trop  clairsemée  pour  que  deux  villes  puissent  se  développer 
à  moins  de  plusieurs  centaines  de  kilomètres  l'une  de  l'autre.  Non  loin  de 
Khoimogorî,  dans  le  village  de  Denisovka,  naquit  en  1711,  d'une  famille 
de  paysans,  tiomouosov,  le  premier  savant  national  qu'ail  eu  la  Russie,  et, 
dans  le  monde,  le  premier  peut-être  qui  formula  nellemcnt  la  théorie 
mécanique  de  la  chaleur'. 

Arkhangelsk  ou  la  «  Yille  de  l'Archange  Michel  »  occupe  une  longueur 
de  plus  de  5  kilomètres  sur  la  rive  droite  de  la  Dvina,  à  la  tète  même  du 
delta  fluvial.  Quelques  grandes  maisons  de  pierre  s'élèvent  çà  et  là  au- 
dessus  des  maisonnettes  en  bois,  et  vers  le  centre  de  la  ville  de  hautes 
murailles  délabrées,  que  l'on  n'a  pu  démolir  en  entier  à  cause  de  la 
dureté  du  ciment,  indiquent  les  restes  du  «  château  allemand  »  qui  faisait 
partie  de  la  forteresse.  Au  douzième  siècle  déjà,  un  monastère  se  trouvait 
sur  l'emplacement  de  la  ville  actuelle;  mais  la  «  Nouvelle  Khoimogorî  » 
ne  prit  quelque  importance  qu'à  la  fin  du  seizième  siècle,  après  l'arrivée 
des  navigateurs  anglais  qui  firent  de  la  mer  Rlanche  la  porte  de  commu- 
nication de  la  Moscovie  avec  le  monde  occidenl^il.  La  période  de  sa  pros- 
périté précéda  la  fondation  de  Saint-Pétersbourg,  qui  donnait  une  voie 
plus  commode  au  commerce  de  la  Russie  avec  le  reste  de  l'Europe.  D'ail- 
leurs, Pierre  le  Grand,  tout  en  fondant  un  arsenal,  un  château,  des  chan- 
tiers de  construction  à  Arkhangelsk,  contribua  à  la  décadence  de  la  ville 
par  la  limitation  de  la  ipiantilé  des  marchandises  à  importer,  par  la  (h'fense 
d'exporter  le  chanvre,  le  lin  et  le  suif  et  plus  d'un  tiers  des  autres  denrées 
de  l'empire,  et  par  l'appel  des  marins  et  des  négociants  dans  la  nouvelh^ 
capitale.  Cependant  la  position  du  porl  d'Arkhangelsk,  à  la  seule  issue  fluviale 
d'un  immense  territoire  dont  la  population,  toute  clairsemée  qu'elle  est, 
augmente  rapidenienl.  ne  pouvait  manquer  de  rendre  une  certaine  activité  à 
l'cmporium  de  la  mer  Pilanche,  à  la  «  (piatrième  capitale  de  l'enijjire  ». 
Malgré  les  glaces,  qui  arrêtent  complètement  la  navigation  pendant  près  de 
sept  mois,  Arkhangelsk  exporli'  suitoul  en  Angleterre,  en  Hollande,  en 
Norvège,  du  lin  et  du  chanvre,  de  l'avoine  et  d'auties  céréales,  des  bois, 
des  résines,  de  l'huile  de  poisson,  du  suif.  Iji  mo\enne,  son  exportation 
dépasse  dix  fois  la  valeur  de  l'importation,  <jui  consiste  surtout  en  pois- 

'  Pierre  Kropolkiti,  ?ioles  manuscrites. 


NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


sons  de  Norvège,  en  vins  et  en  denrées  coloniales'.  Les  femmes  du  port 
y  sont  constituées  en  associations  pour   le  chargement  des  navires    de 


N"*  Uj. ARKHANGELSK   ET    LES    COUCHES  DE    LA    DVI 


ï^^V^V 


^ 


céréales.    La   vlihiridarLii  ou   directrice    des    travaux    est    généralonienl 


Moiivcmeiil  ilu  port  en  1880,  sans  le  cabotage: 

Entrées,  Toi  navires,  jaugeant  IGo  800  tonnes.     Sorties,  717  navires,  jaugeant  105  850  tonnes 

Mouvement  total  avec  le  cabotage,  en  1877  :  5101  navires,  jaugeant  251  570  tonnes. 

Importation  en  1880  :  650  670  roubles.       Exportation  eu  1880  :  0  «S  900  roubles. 
Commerce  total  de  la  mer  Blanche  en  1880  : 

Importation.    .    .    .     780  200  roubles.   |   Exporlalion  ,    .    .     RI 'J 1  li  000  roubles. 


ARKHANGELSK,  MEZEN.  015 

choisie  parmi  celles  qui  parlent  le  jarçon  anglo-russe  du  port.  La  ville 
présente  une  grande  activité  à  l'époque  de  la  foire  annuelle  :  cinquante 
mille  habitants  se  pressent  alors  à  Arkhangelsk  et,  plus  au  nord,  dans 
son  faubourg  insulaire  de  Sol'ombala,  siège  de  l'amirauté.  Mais  la  popu- 
lation résidente  semble  avoir  diminué  depuis  le  milieu  du  siècle.  Tandis 
qu'en  1860  le  recensement  évaluait  à  35  675  personnes  l'ensemble  des 
habitants  des  deux  villes,  un  autre  dénombrement,  pris  il  est  vrai  au 
cœur  de  l'hiver,  vingt  années  après,  ne  comptait  pas  même  20  000  indi- 
vidus. Toutes  proportions  gardées,  Arkhangelsk  est  une  des  villes  de 
Russie  où  on  lit  le  plus,  oii  les  publications  périodiques  ont  le  plus 
d'abonnés  :  la  lecture  est  indispensable  pour  l'emploi  du  temps  pen- 
dant les  longues  nuits  d'hiver.  Une  colonie  d'ouvriers  anglais  s'est  établie 
dans  le  voisinage  d'Arkhangelsk,  autour  de  grandes  scieries. 

Mezen,  au  nord-est  d'Arkhangelsk,  est  pour  le  bassin  de  son  fleuve 
ce  que  la  capitale  de  la  province  est  pour  la  Dvina  ;  mais,  située  sous 
un  climat  plus  rigoureux,  au  dehà  même  des  limites  de  la  végétation 
arborescente,  elle  n'a  pu  s'élever  qu'aux  proportions  d'un  pauvre  village, 
et  son  commerce  lui  est  en  grande  partie  ravi  par  le  port  de  Roussanova, 
situé  à  une  vingtaine  de  kilomètres  plus  près  de  la  bouche  de  l'estuaire, 
et  mieux  protégé  que  Mezeiï,  grâce  à  un  promontoire  qui  le  iléfend  des 
vents  du  nord.  Mezen  est  un  triste  lieu  d'exil  ;  de  même  que  Kola,  Keiii, 
Onega  et  Poustozersk,  l'humble  chef-lieu  commercial  du  bassin  de  li 
Petchora,  où  l'église  dominante  alluma  les  premiers  bûchers  de  raskol- 
niks  au  dix-septième  siècle,  Mezen  est  une  de  ces  Sibéries  d'en  deçà  de 
l'Oural  où  les  bannis  vont  mourir  de  chagrin  et  d'ennui  sous  la  froide 
luiit  du  pôle.  Les  indigènes  eux-mêmes,  surtout  les  femmes,  sont  décimés 
par  des  maladies  nerveuses,  attribuées  au  «  mauvais  œil  »',  mais  causées 
j)robablement  par  les  privations  de  toute  espèce.  Des  croix  tenues  en  grande 
vénération  pa^-  les  habitants  de  Mezen  rappellent  un  terrible  hiver  de  la 
première  moitié  du  dix-huitième  siècle,  hiver  pendant  lequel  toute  la  popu- 
lation manqua  périr  de  froid  et  de  dénùraent*. 

•  Maximov,  ouvrage  cilé. 

'  Villes  el  bourgs  du  versant  septentrional  de  la  Russie  : 

COCVKRNEMEXT    d'aBKTUNCELSK. 

Arkhangelsk  (1881) 17  800  ha!. 

Onega  » 2  JOO     ■> 

Kerii  ,) 2  020     j. 

Mezen  o 1  jôj      >< 

Ncnoki  > 1  250     n 


GOIVERNEMENT    DE   VOLOGDA. 

Vo^ogda  (1881).    ...     17025  hal, 

Velikiv  Oiist-Youg     »     .    .    .    .       8  000     ). 


Oust  Sîsolsk               1) 

.    .    .    .        l  100     " 

Tolrna                         n 

.    .    .    .       5  580     » 

Grazovctz                    ); 

.        .    .       2  225     » 

64  i 


NOUVELLE  GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


KOVAYA      ZEMLA. 


La  «  iN'ouTclle  Terre  »  —  car  telle  est  la  signifleatioii  du  mot  russe 
Novaya  Zemla  —  forme  la  limite  orientale  de  la  mer  qui  s'étend  au  nord 
des  côtes  laponnes  et  que  l'on  appelle  quelquefois  «  mer  de  Barents  », 
en  souvenir  de  l'illustre  pilote  qu.i  la  parcourut  à  la  fin  du  seizième  siècle. 
11  est  probable  que  les  marchands  de  Novgorod  avaient  entendu  déjà  parler 

>■•    m.    IIK   DE  VAÏSJTCn  ET  DÉTROITS   DE    BAIIA   ET    DE    ÏOIGOR. 


Es,  de   F., 


c/e5ÛÂ/ÛOm      i/e'OOs./SOm     i^e/'SOàPÛO^  a'eSOO'netâ 


de  la  Terre  .Nouvelle  :  lorsque  les  navigateurs  anglais  un  seizième  siècle 
pénélrèrcnl  dans  ces  régions  de  la  mer  Glaciale,  les  pécheurs  russes  fré- 
quentaient depuis  longtemps  les  côtes  de  Novaya  Zemla.  Mais  pour  les 
nations  de  l'Europe  occidentale,  l'existence  de  cette  grande  île  double  no 
fut  connue  ([u'après  le  voyage  de  Willoughhy,  en  looS.  Plus  heureux  que  son 
devancier,  qui  péril  avec  son  navire  sur  la  ><  Côte  normaniie  »  de  l.aponie, 
l'Anglais  Stephcn  Burrougli  reconiuil  aussi  et  touciia  le  premier,  en  15.M), 
les  côtes  de  la  Ttirre  Nouvelle  et  fit  le  tour  de  l'île  de  Yaïgaich  par  les  deux 
détroits,  de  Yougor,  (|ni  la  sépare  du  continent  russe,  et  de  Kara,  qui 
baigne  la  puinle   nirTidionale  de  Novaya  Zemla.  liari'uls  fui  aussi  l'un  tles 


NOVAY.V   ZEML.V.  fiiS 

premiers  navigateurs  derOeciilent  qui  cinglèrent  vers  cette  terre  lointaine; 
mais  il  y  mourut,  pendant  le  dur  hivernage  de  K)97,  et  ses  compagnons 
l'ensevelirent  sur  la  côte.  Récemment,  en  1871,  le  capitaine  norvégien 
Carlsen  a  retrouvé,  près  de  l'extrémité  nord-orientale  de  l'île  du  nord, 
par  76°  7'  de  latitude,  la  maison  dans  laquelle  Barents  et  Heemskerk 
avaient  passé  l'hiver  274  années  auparavant.  Tous  les  objets  qui  s'y 
trouvaient  ont  été  pieusement  recueillis  et  transportés  en  Hollande,  et 
bientôt  un  monument,  érigé  par  les  soins  de  la  Société  de  Géographie 
«l'Amsterdam,  s'élèvera  sur  un  promontoire  en  l'honneur  du  célèbre  pilote. 

Dans  son  ensemble,  Novaya  Zemla  peut  être  considérée  comme  la  conti- 
nuation maritime  de  la  chaîne  du  Pae-khoï.  Il  est  vrai  qu'elle  se  développe 
beaucoup  plus  à  l'ouest;  mais  l'Oural  est  un  fliîte  sinueux,  qui  se  recourbe 
deux  fois,  présentant  d'abord  sa  convexité  ta  la  Russie  d'Europe,  puis  à  la 
Sibérie.  Arrivé  près  de  la  mer  Glaciale,  il  s'affaisse  au  Konstantinov-skiy 
Kamen;  mais  le  Pae-khoï  et  les  collines  de  l'île  de  Vaïgatch  continuent 
géologiquement  l'Oural  :  le  détroit  de  Yougor  est  simplement  une  cluse 
inondée,  que  les  troupeaux  de  rennes  des  Samoyèdes  traversent  sur  la  glace 
au  printemps  et  à  la  nage  vers  la  un  de  l'automne.  Plus  large,  le  détroit 
de  Kara  interrompt  le  système  ouralien,  mais  sans  le  détruire.  Les  hau- 
teurs recommencent  sur  la  rive  septentrionale  du  détroit  pour  se  déve- 
lopper dans  l'océan  Polaire  en  un  arc  de  cercle  d'une  longueur  d'environ 
nutl  kilomètres,  tournant  sa  rive  convexe  vers  le  Spitzberg.  Les  chaînons 
du  sud,  hauts  de  500  mètres  en  moyenne,  se  composent  de  gneiss  et  de 
schistes  argileux.  Les  eaux  du  Matotchkin  Char,  qui  coupent  Novaya  Zemla 
en  deux  moitiés  inégales,  emplissent  deux  vallées  longitudinales  unies  par 
une  cluse,  et  c'est  précisément  dans  le  voisinage  des  plus  hautes  montagnes 
de  l'île  qu'elle  est  ouverte  :  le  seuil  de  cette  porte  se  trouve  seulement  à 
10  mètres  au-dessous  du  niveau  de  la  mer.  Toute  la  région  centrale  et 
.septentrionale  de  .N'ovaya  Zemla  est  une  terre  alpine  à  vallées  profondes, 
composée  de  chaînons  granitiques  et  de  schistes  anciens,  qui  s'alignent 
du  sud-ours|  ,111  iiiird-c<l  et  que  recouvrent  des  terrains  glaciaires. 
Les  recherches  de  llôler  ont  prouvé  que  les  roches  «le  la  Nouvelle  Terre 
sont  doucement  inclinées  du  côté  de  l'ouest,  et  plus  abruptement  cou- 
pées vers  l'est.  La  mèni(!  diffi'rence  de  relief  se  voit  au-dessous  des  eaux  : 
tandis  que  les  l'otids  occidentaux  se  prolongent  en  ponte  douce,  la  mrr 
s'abaisse  rapidement  à  l'est;  la  ligne  de  "200  mètres  s'écarte  peu  du  lit- 
toral. 

Quoique  très  rapprochée  de  la  gi'and(!  terre  el  l'i(''(pieniment  visitée  par 
les  chasseurs,  Xovaya  Zemla  n'est  encore  ipie  liè>  imparfaitement  connue 


646  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

à  l'inlérieur.  De  savants  explorateurs,  tels  que  Liilke,  Baer,  Ileuj^liu, 
Wilczek,  ont  visité  les  deux  grandes  îles;  Grinevetskiy  l'a  traversée  de  part 
en  part,  mais  l'étude  méthodique  est  loin  d'en  être  terminée  :  jusqu'à 
maintenant,  on  ne  s'est  guère  occupé  que  de  la  forme  des  rivages,  afin  de 
donner  aux  marins  des  cartes  sûres  qui  leur  permettent  d'éviter  les  dan- 
gers. Grâce  à  ce  levé  des  côtes,  on  a  pu  mesurer  la  superficie  de  la  Nouvelle 
Terre,  évaluée  approximativement  à  90  000  kilomètres  carrés.  Mais  on  ne 
connaît  pas  exactement  la  hauteur  de  la  plupart  des  cimes,  quoique  les 
marins  puissent  les  apercevoir  de  l'une  ou  de  l'autre  mer.  Leur  élévation 
moyenne  est  à  peu  près  la  même  que  celle  des  monts  du  Spitzherg  et  de 
l'archipel  de  François-Joseph.  Du  haut  de  la  pointe  de  \Yilczek  (1204  mètres), 
qui  s'élève  au  nord  du  détroit  de  Matotchkin,  MM.  Hôfer  et  Wilczek  distin- 
guèrent des  deux  côtés  du  détroit  plusieurs  cimes  ayant  au  moins 
l'iOO  mètres,  et  l'une  d'elles,  se  dressant,  au  nord-est,  à  40  kilomètres 
environ,  leur  parut  avoir  1400  mètres  de  hauteur;  une  autre,  au  sud  de 
l'entrée  orientale  du  détroit,  dépasserait  1500  mètres.  Un  des  principaux 
sommets,  le  Mitouchev  Kamen,  situé  à  l'ouest  de  la  pointe  Wilczek,  est 
formé  deprotogine;  mais  la  plupart  des  montagnes  sont  composées  de  schistes 
siluriens  et  d'assises  dévoniennes  :  quelques-unes  des  couches  d'ardoise 
sont  tellement  noires,  même  là  où  elles  ne  contrastent  pas  avec  les  neiges, 
qu'on  les  a  souvent  prises  pour  des  strates  de  charhon,  et  des  géologues 
même  s'y  sont  trompés.  Jadis  la  Nouvelle  Terre  était  considérée  comme 
fnrt  riche  en  métaux,  et  l'on  racontait  merveille  des  veines  d'argent  apcr- 
i,ucs  par  les  marins  dans  les  parois  de  ses  rochers.  Les  témoignages  étaient 
si  précis,  que  le  gouvernement  russe  crut  devoir  envoyer  une  commission 
spéciale  d'explorateurs.  Mais  le  géologue  Ludlow,  qui  dirigeait  les  recher- 
ches, ne  trouva  qu'un  peu  de  galène  argentifère  et  cpielques  traces  de  sul- 
fures de  fer  et  de  cuivre.  C'était  eu  1809,  et  depuis  celle  époque  aucun 
voyageur  n'a  pu  trouver  d'indices  qui  permissenl  de  rendre  à  la  Nouvelle 
Terre  son  ancienne  réputation. 

De  même  que  la  côte  russe  et  que  tous  les  archipels  européens  des  mers 
glaciales,  Novaya  Zemhi  est  animée  d'un  mouvement  gratluel  d'émersiou, 
et  l'on  peut  voir  sur  ses  rives,  notamment  à  l'occidenl,  de  remarquables 
exemples  de  plages  soulevées.  ISur  les  deux  bords  du  Matolchkin  Char  se 
voient  jusqu'à  la  hauteur  de  90  mètres  des  terrasses  renfermaul  des  coquil- 
liif^e>  d'espèces  vivant  encore  dans  les  mers  glaciales,  (pioiqu'elles  aient 
disjjaru  des  parages  immédiats  :  ce  sont  les  débris  de  la  faune  diluviale. 
Le  long  de  la  côte  plusieurs  îles  basses  et  plates  ressemblent  à  d'anciens 
foni!-.  de  mer,  et  très  probableuicnt  elles  n'onl  en  effet  |)ani   que  depuis 


1^ 

ï 

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I: 


CLIMAT  DE  KOVAYA  ZEMLA.  6i0 

une  époque  récente.  Ailleurs  des  îles  montueuses  sont  réunies  à  la  grande 
terre  par  des  isthmes  d'émersion  et  des  bancs  de  sable  qu'un  léger  affaisse- 
ment du  sol  replongerait  de  nouveau  dans  la  mer.  Dans  la  grande  baie  qui 
se  développe  en  arc  de  cercle  au  nord-ouest  de  l'ile  du  nord,  entre  le  cap 
Nassau  et  le  cap  des  Glaces,  le  Norvégien  Mack  a  découvert  récemment  un 
arcliij)el  de  deux  îles  et  d'un  essaim  d'îlots,  auquel  il  a  donné  le  nom  d'îles 
du  GuH'-stream  :  d'après  lui,  ce  groupe  est  certainement  d'origine  moderne. 
Précisément  au  même  endroit,  les  expéditions  hollandaises  de  la  fin  du 
seizième  siècle  ne  trouvaient  qu'un  banc  de  sable  situé  à  55  mètres  au- 
dessous  du  niveau  marin.  Les  îles  émergées,  revêtues  de  sable  et  de  bancs 
de  coquillages,  sont  complètement  dépourvues  île  végétation,  comme  si  elles 
venaient  à  peine  de  s'élever  au-dessus  de  l'eau.  Ainsi  le  fond  sous-marin 
se  serait  exhaussé  d'au  moins  40  mètres  |)endant  moins  de  500  ans  :  ce 
serait  là  un  phénomène  unique  dans  l'histoire  contemporaine  du  globe. 

Les  glaciers  de  la  Novaya  Zemla  descendent  en  maints  endroits  jusqu'au 
rivage,  et  l'on  croit  même  qu'ils  dépassèrent  jadis  la  ligne  des  côtes,  car 
OR  a  remarqué  des  polis  et  des  stries  glaciaires  sur  les  îlots  de  la  baie 
Rogatchov,  au  sud  de  Gousinoï  Nos'.  Quoique  située  dans  presque  toute 
son  étendue  sous  une  latitude  plus  méridionale  que  l'archipel  du  Spitzberg, 
Novaya  Zemla  se  trouve  pourtant  en  entier  comprise  dans  une  zone  de 
température  annuelle  inférieure  à  —  5  degrés.  Le  mois  le  plus  froid  est 
février.  La  Nouvelle  Terre  participe  au  climat  continental  de  la  Russie  du 
Nord  et  de  la  Sibérie;  à  Mal'îye  Karmakouli,  crique  de  la  baie  de  Moller, 
située  sous  la  latitude  de  72"  50',  immédiatement  au  nord  de  Gousinoï  Nos, 
le  capitaine  norvégien  Rjerkan,  quiy  passa  l'hiver  de  1876  à  1877,  a  constaté 
que,  pendant  le  mois  de  décembre,  li?  thermomètre  ne  s'était  jamais  élevé 
au-dessus  de  —  50°  i'  de  l'échelle  centigrade,  et  descendit  même  à — 59  degrés 
le  2  janvier'.  Par  un  singulier  contraste,  la  température  est  plus  élevée  en 
cet  endroit,  été  et  hiver,  qu'elle  ne  l'est  au  détroit  de  Kara,  à  500  kilo- 
mètres au  sud-est.  M.  Wild  a  déduit  des  observations  faites  à  diverses 
reprises  qiK!  la  température  moyenne  annuelle  est  de  —  8''  55'  au  Matotchkin 
Char '.  A  la  Melkaya  Gouba,  plus  au  nord,  la  température,  moins  froide, 
est  de  —  ()"0()',  taudis  cpi'à  la  Gouba  Kamenka,  à  260  kilomètres  plus  près 
de  l'équaleur,  la  moyenne  est  de — 9"  46'. 

La  cause  de  ce  contraste  des  climats  doit  être  cherchée  probablement  dans 
l'inlluencc  des  conianls,  mm  encore  complètement  refroidis,  que  les  mers 

'  llofcr,  Petermann's  Millhcilunyen,  1S71,  n'  8. 

'  Même  recueil.  Il,  1878. 

"  Die  'fempcialiti- Verlidllnisse  des  liusnischen  Rcichit. 


C50 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


tropicales  envoient  aux  régions  polaires  et  qui  se  dirigent  vers  les  rivages 
occidentaux  de  Novaya  Zemla,  sans  toutefois  la  baigner  dans  toute  sa  lon- 
irueur,  car, au  devant  de  l'ile  du  sud,  des  eaux  froides  bordent  la  côte'.  La 
masse  la  plus  considérable  du  courant  tiède,  qui  forme  la  coucbe  supé- 
rieure de  la  mer  de  Norvège,  passe  sur  le  seuil  profond  qui  sépare  Beeren 
Eyland  des  côtes  Scandinaves  et  se  dirige  à  l'est  dans  la  mer  de  Barents. 
Son  mouvement  n'est  pas  un  de  ces  déplacements  insensibles  qui  écbaj)- 
pent  par  leur  lenteur  à  l'observation  des  marins  ;  au  sud  de  Hoj)e-Island, 
qui  peut  être  considéré  comme  le  poste  sud-oriental  le  j)his  avancé  de 
l'archipel  du  Spitzberg,  il  force  parfois  les  navires  à  cliasser  sur  leurs 
ancres,  tant  ses  eaux  s'enfuient  avec  vitesse'.  Dans  le  Matotcbkin  Char,  le 


N^    U5.    MATOTCIIKIN    CHAR. 


E  d. P  59- 


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''5  ^/f^i^  \    -'  '"-'^^^ 


afj-res  Peiemar.n 


courant  de  mer  à  mer  est  aussi  très  sensible,  et  surtout  dans  le  voisinage 
des  rives  occidentales  delà  grande  lie  du  Nord.  Ce  n'est  pas  sans  peine  non 
]>lus  que  les  bâtiments  dont  la  proue  est  tournée  vers  l'Europe  réussissent 
à  vaincre  ce  courant  en  doublant  la  pointe  seitlentrionale  de  Novaya  Zemla. 
Dans  ces  eaux  mouvantes,  dont  la  température  est  supérieure  au  point  de 
glace,  les  glaçons  se  fondent  en  peu  de  temps  :  rarement  un  fragment  de 
banquise  se  voit  au  sud  du  "io"  degré  de  latitude  dans  toutes  les  parties  de 
la  mer  de  Barents  qui  se  trouvent  au  nord  de  la  côte  laponne. 

Les  nombreux  déi)ris  rejelés  sur  les  côtes  de  Novaya  Zemla  témoignent 
de  l'existence  de  ce  couraul  d'origine  tropicale.  Jusipie-là  des  «  ciiàtaignes 
marines  »,  c'est-à-dire  les  li'uits  de  Vlùildda  tjKjalohinm  des  Antilles,  ont 

'  Vuii  Miildfiuloiff,  l)er  Golfslrom  ostwiiiis  vont  I^oidkap,  RuUotiii  ilo  r.\cadcmie  îles  sciences 
(1^  S;tliil-i'élefsboiiri!,  1871. 
-  Karl  Wpypicclil,  Die  2Ielamorplioscn  des  Polarenes. 


NOVAYA   ZEMLA  ET   MERS  ENVIRONNANTES.  Col 

éle  ramassées  sur  les  grèves.  On  y  rencontre  fréquemment  de  ces  boules 
de  verre  qu'emploient  pour  leurs  filets  les  pécheurs  des  Lofoten,  et  l'on  y 
voit  des  épaves  et  des  fragments  de  navires  en  si  grand  nombre,  qu'on  ne 
peut  les  attribuer  à  des  naufrages  ayant  eu  lieu  dans  le  voisinage  :  ce  sont 
pour  la  plupart  des  restes  de  bâtiments  échoués  au  loin  dans  les  parages 
occidentaux  ;  les  côtes  de  Novaya  Zemla  ont  reçu  le  nom  de  «  cimetière  de 
\la  mer  ^"orvégienne  ».  L'action  du  courant  se  révèle  aussi  sur  les  côtes 
des  deux  grandes  îles  et  de  tous  les  îlots  voisins  par  la  fusion  des  glaces 
côlicres.  Au-dessous  de  la  neige  des  avalanches,  l'eau  se  creuse  peu  à  peu 
de  profondes  grottes  ;  on  peut  en  maints  endroits  voir  les  roches  frangées 
de  névés  durcis  qui  se  terminent  par  des  assises  surplombantes  dont  le 
flot  lèche  la  face  inférieure  et  la  fond  lentement. 

Comme  au  Spitzberg,  au  Groenland,  dans  l'archipel  de  François-Joseph, 
c'est  le  long  des  côtes  orientales  que,  dans  la  Xovaya  Zemla,  se  sont  accu- 
mulées les  glaces  en  plus  grande  quantité.  Quelles  en  sont  les  raisons?  I,a 
froidure  relative  des  eaux  marines  sur  les  côtes  orientales  est  certainement 
une  des  causes  de  ce  contraste,  mais  il  faut  tenir  compte  aussi  de  l'in- 
fluence prépondérante  des  vents  d'est  qui  poussent  les  glaces  devant  eux 
et  les  accumulent  contre  les  côtes  qui  leur  font  obstacle  ;  enfin,  le  mouve- 
ment de  dérive  naturelle,  qui,  en  entraînant  les  glaces  vers  le  sud,  les 
fait  toujours  dévier  à  droite,  en  sens  inverse  du  mouvement  de  la  planète, 
doit  aider  à  cet  entassement  des  glaces  polaires  sur  les  rivages  orientaux 
des  terres  et  des  archipels  '. 

D'ailleurs,  l'état  des  glaces  et  l'élcndue  des  ban([uises  diffèrent  d'anni'e 
en  année  d'une  manière  extraordinaire.  Dans  l'été  de  1S71,  la  banquist^ 
suivait  à  peu  pi-ès  le  78'  degré  de  latitude  à  l'orient  du  Spitzberg,  et 
.MM.  Payer  et  ^yeyprec]lt  ne  virent  pas  même  un  glaçon  jusqu'à  la  distanci; 
de  185  kilomètres  au  nord  de  Novaya  Zemla.  L'année  suivante,  au  con- 
traire, la  barrière  de  glace  s'était  avancée  en  moyenne  de  500  à  550  kibi- 
mètres  vers  le  sud  et  bordait  même  l'entrée  du  détroit  de  Kara,  près  du 
continent  russe.  Celte  diffé-rence  dans  la  position  des  g;laces  ne  doit  être 
attribuée  que  |)our  nnr  bien  faible  part  aux  écarts  annuels  de  tempé- 
rature; elle  |inivieiit  surtout  de  l'action  des  vents  :  dans  l'espace  d'une 
année,  les  banquises  peuvent  se  déplacer  d'un  côté  à  l'autre  de  l'océan 
Glacial.  Que  dans  le  mois  de  mai  des  vents  permanents  du  sud-ouest 
arrêtent  les  glaces  flottantes  entre  le  Groenland  et  le  Spitzberg,  et  par 
cela  même  un  espace  d'au  moins  50000  kilomètres  carrés  restera,  dans 

'  kurl  Wcyjprctlil,  tuvragu  cilû. 


6D2  NOUVELLE   GÉOGIIAPIIIE   UNIVERSELLE. 

l'inléricur  des  mers  polaires,  couvert  de  banquises  qui  auraient  pu,  sous 
l'influence  des  vents  du  nord,  aller  fondre  dans  les  eaux  méridionales. 
En  1S71,  tandis  que  les  mers  du  nord  de  l'Europe  étaient  libres  déglaces, 
celles-ci  étaient  repoussées  du  côté  des  îles  polaires  du  Nouveau  Monde, 
et  toute  la  flotte  des  baleiniers  américains,  plus  de  trente  navires,  était 
écrasée  entre  les  blocs'.  Il  est  donc  fort  important  qu'une  station  mé- 
téorologique analogue  à  celle  de  la  côte  occidentale,  à  Maliya  Karraa- 
kouli,  soit  prochainement  établie  à  l'extrémité  septentrionale  de  Novaya 
Zemia,  afin  que  les  navigateurs  puissent  connaître  d'avance  la  géogra- 
phie des  glaces  dans  tout  le  bassin  polaire  et  tracer  leur  itinéraire  en 
conséquence.  Grâce  au  déplacement  des  glaces,  les  mers  polaires  sont 
parfois  complètement  libres  sur  des  milliers  de  kilomètres  d'étendue. 
En  1870,  lors(jue  le  Xcrvégien  Johaimesen  accomplit  le  premier  périple 
de  la  «  Nouvelle  Terre  »  qui  eût  été  fait  jusqu'alors,  il  ne  rencontra  pas 
un  seul  glaçon  sur  son  chemin.  De  même,  pendant  l'été  de  1878,  la  sur- 
face de  l'eau  était  si  bien  ouverte  dans  toutes  les  mers  de  ces  régions 
que.  d'après  Johannesen,  il  eût  été  facile  à  un  bateau  à  vapeur  de  dépasser 
au  nord  l'archipel  de  François-Joseph.  On  sait  qu'une  connaissance  plus 
intime  des  eaux  polaires  et  des  oscillations  mensuelles  du  climat  local 
a  fait  perdre  désormais  ses  terreurs  à  la  mer  de  Kara,  c'est-à-dire  à 
l'espèce  de  golfe  qui  s'étend  de  Novaya  Zemla  aux  estuaires  de  l'Ob  et  du 
Yeniseï  :  on  lui  donnait  jadis  le  nom  de  «  glacière  de  l'Europe  »,  et  on 
la  croyait  tout  à  fait  infranchissable  aux  navires,  quoiqu'elle  eût  été  autre- 
fois parcourue  par  beaucoup  de  marchands.  En  1600,  une  charte  de  Boris 
(iodounov  dit  expressément  que,«  les  hommes  de  Pinega  et  de  Mezei'i  ayant 
demandé  d'aller  par  la  voie  de  la  mer  et  de  l'Ob,  sur  le  Taz,  le  Pour  cl  le 
Yeniseï,  »  cette  requête  leur  avait  été  accordée.  Toutefois  en  KiKi  le 
\oïvode  de  Tobolsk  réclamait  déjà  auprès  du  gouvernement,  en  le  priant 
d'empêcher  toute  navigation  par  la  mer  de  Kara,  alin  que  les  «  Allemands  » 
hollandais  n'apprissent  pas  le  chemin  des  cc>tes  septentrionales  de  la 
Sibérie  et  (pie  l'empire  ne  fût  pas  ainsi  frustré  des  droits  d'importation. 
En  effet,  le  tzar  défendit  sous  peine  de  mort  la  voie  maritime  de  la  baie 
de  Kara,  et  le  kholmogorien  Jérôme  Savin,  coupable  d'avoir  espéré  l'arrivée 
de  marins  «  allemands  »  sur  les  rivages  de  la  mer  de  Kara,  fut  battu  de 
verges  sans  miséricorde,  «  alin  (pie  nul  ne  s'ingérât  plus  à  troubler  les 
esprits  ».  C'est  ainsi  que  la  merde  Kara  fut  transformée  en  «  glacière  ina- 
bordable ».  En  I8ii,   le  gouverneur  général  interdit  la  fondation  d'une 

"  Kail  \Voy|ireclil,  ouvrage  cil(;. 


NOVAYA  ZEMLA  ET  MERS  ENVIRONNANTES.  653 

banque  à  Arkhangelsk,  destinée  à  l'encouragement  de  la  navigation  dans  les 
mers  polaires  et  ordonna  d'arrêter  le  marchand  Sidorov,  que  l'on  soupçon- 
nai! d'avoir  pris  l'initiative  de  cette  entreprise.  Encore  plus  tard,  le  gouver- 
nement négligeait  d'entretenir  les  balises  et  les  phares  élevés  par  des 
particuliers  sur  les  bords  de  la  Petchora  ;  c'est  à  des  étrangers  que  devait 
être  réservé  l'honneur  de  rouvrir  ces  mers,  sur  lesquelles  le  fisc  avait  mis 
l'interdit'.  En  1809,  le  Norvégien  Carlsen  traversa  ces  parages  et  gagna 
l'embouchure  de  l'Ob  pour  retourner  en  Norvège  par  le  Matotchkin  Char. 
Depuis  ce  voyage  mémorable,  il  ne  s'est  pas  écoulé  une  année  sans  que, 
contrairement  au  premier  conseil  donné  par  la  Soci('té  de  Géographie  de 
Saint-Pétersbourg,  la  mer  de  Kara,  très  riche  en  bancs  de  poissons,  n'ait 
été  visitée  par  les  pêcheurs  ou  les  trafiquants  de  la  Norvège  :  au  commen- 
cement d'août,  les  navires  y  trouvent  les  eaux  libres  de  glaces;  mais  trop 
souvent  ils  sont  pris  dans  les  glaces. 

Quoique  dégagée  parfois  de  l'étreinte  des  banquises,  Novaya  Zemla  est 
néanmoins  une  contrée  entièrement  polaire.  De  loin,  ses  roches,  que  le 
soleil.  If  brouillard  ou  le  vent  ont  débarrassées  de  leurs  neiges,  paraissent 
absolument  arides  et  nues;  seulement,  quand  on  les  étudie  de  près,  on 
remarque  à  la  surface  de  la  pierre  une  teinte  jaunâtre  ou  rouilleuse  qui 
révèle  la  végétation  des  lichens.  Dans  les  plaines,  quelques  plantes  feuil- 
lues s'étendent  en  un  tapis  gazonné  et  développent  au  ras  de  terre  leurs 
fleurs  et  leurs  fruits.  D'après  Kjellmann,  la  flore  des  îles  se  composerait 
de  185  phanérogames  et  d'un  nombre  plus  grand  de  cryptogames.  La  contrée 
possède  aussi  des  forêts,  mais  des  forêts  qui  se  confondent  avec  la  mousse  : 
on  y  voit  des  bouleaux  nains,  des  sureaux,  des  sapins  qui  ressemblent  à 
des  touffes  d'herbes.  L'arbre  le  plus  commun  de  Novaya  Zemla  est  une 
espèce  de  saule  (Salix  polaris)  qui  s'élève  à  peine  d'un  centiraèlre  ou  d'un 
centimètre  et  demi  au-dessus  du  tapis  de  lichens.  Le  géant  de  la  végétation 
est  le  Sdlix  lanata,  dont  les  beaux  exemplaires  n'ont  pas  moins  de  15  cen- 
timètres (l(!  hauteur.  C'est  par  les  racines,  et  non  par  les  troncs,  que  se 
développent  les  arbres  :  on  pourrait  dire  que  les  forêts  de  Novaya  Zemla, 
do  même  que  celles  de  l'Oural  du  Nord,  sont  des  forêts  souterraines. 

La  faune  de  l'île  jumelle  est  plus  riche  que  celle  du  Spitzbei-g  :  outre  les 
cétacés  qui  se  jouent  dans  les  baies,  elle  comprend  l'ours,  le  loup,  deux 
espèces  de  renards,  le  renne,  également  représenté  pai-  deux  espèces,  le 
lièvre,  la  souris,  le  campagnol.  D'ailleurs  quelques  espèces  d'animaux  du 
continent  voisin  peuvent  utiliser  la  glace  du  printemps  poui-  visiter  terapo- 

'  OlelcIiedvennUja  Znpiski,  1877,  n'"  10  el  il. 


654  NODVELLE  GEOGR.VPUIE   UNIVERSELLE. 

rairoiiiont  les  îles.  Heuulin  y  a  reconnu  45  espèces  d'oiseaux,  tandis  que  de 
précédents  voyageurs  en  avaient  vu  seulement  28.  Les  moustitjues,  ce  ilcau 
<le  la  toundra,  ne  poursuivent  pas  les  chasseurs  dans  l'île  de  Yaïgatch  '  et 
sont  peu  nombreux  dans  Xovaya  Zemla". 

Jadis  des  Samoyèdes  habitaient  la  partie  méridionale  de  la  «  Nouvelle 
Terre  »,  ainsi  que  Burrough  l'apprit  des  Russes  qu'il  rencontra  dans  l'île 
de  Yaïgatch^,  mais  ces  indigènes  onl  depuis  longtemps  disparu  ou  se  sont 
réfugiés  sur  le  continent;  à  peine  quelques  Européens  blancs  passent-ils 
quelques  hivers  de  suite  à  Novaya  Zemla,  dans  la  station  permanente  de 
sauvetage  fondée  en  1877  à  Malîya  Karmakouli,  sur  la  baie  de  Moller,  et 
dans  quelques  stations  de  chasse  et  de  pèche.  Quoique  annexée  aux  immenses 
possessions  de  l'empire  russe,  cette  province  maritime  peut  être  encore 
parcourue  par  les  chasseurs  sans  qu'ils  rencontrent  sur  leur  chemin  la 
moindre  borne  qui  leur  rappelle  la  toute-puissance  du  tzar. 


IX 


BASSINS     DE     I.A     VOI.GA     ET     DE     L    OURAL,     GRANDE     RUSSIE. 

Le  fleuve  (pii  traverse  obli(jU('nieut  la  liussie,  du  voisinage  de  la  mer 
Baltique  aux  eaux  de  la  mer  Caspienne,  et  qui  reçoit  l'écoulement  d'un 
territoire  trois  fois  plus  grand  (pie  la  France,  a  contribué  pour  une  forte 
part  à  former  la  Russie  comme  nation  et  à  lui  donner  son  rôle  poiilicpic. 
Le  Diiepr  montrait  aux  Petits  Russiens  la  route  de  Constanlino])le  ;  la 
Vistule,  le  .\eman,  la  Diina  entraînaient  vers  l'Occident  les  banpies  des 
HIaiics  Piussiens  et  des  Lithuaniens,  et  invitaient  les  Allemands  à  venir 
s'établir  sur  leurs  rives;  le  Vol'khov  même  et  la  Neva,  en  mettant  Novgorod 
en  rapport  avec  la  Hanse  germanique,  l'éloignaient  pour  ainsi  dire  du 
cenircï  de  la  Russie.  La  Volga  et  la  vaste  ramure  de  ses  affluents  navi- 
gables obligeaient  au  contraire  les  habitants  du  pays  à  se  développer,  à 
créer  leur  civilisation  siu-  |dace.  'juoi(pie  les  cours  d'eau  (iicili tassent  les 
communications  dans  tons  les  sens  entre  les  diverses  régions  de  la  Grande 
Russie,  un  bien  petit  nombre  de  colons  se  sentaient  attirés  au  sud-est 
vers  les  steppes  infertiles,  les  déserts  salins  et  le  bassin  fernK'  de  la  Cas- 
|iienne  :  la  masse  de  la  population  devait   rester  dans  la  contrée  et  l'amé- 

'   Finsdi,  /{lise  jiaili  Wisl-Stbii'Hii. 

-  V(in  l!;ior;  —  Tociipon,  Die  Doppclinscl  yowaja  Scmija. 

*  l.ullic,  Viermatiije  Rchc  durch  das  nonlliche  Eismeer  w  den  Jiihren  182!  bis  1821. 


BASSIN  DE   L\   VOLGA.  C55 

nager  peu  à  peu  par  la  culture.  En  eonlact  sur  mille  endroits  de  leur  vaste 
territoire  de  colonisation  avec  les  tribus  asiatiques  venues  en  Europe  par  la 
roule  des  steppes,  les  Grands  Russiens  se  mélangeaient  avec  elles,  soit 
pour  les  «  slaviser  »,  soit  aussi  pour  «  s'ouraliser  »  eux-mêmes,  et  c'est 
ainsi  que  par  des  croisements  continus  se  forma  celle  forte  race  qui  a 
pris  graduellement  la  prépondcrance  parmi  loules  celles  de  la  Slavie 
orientale.  Délivrée  maintenant,  grâce  aux  cultures,  aux  canaux,  aux  roules, 
aux  chemins  de  fer,  des  anciennes  limites  tracées  par  les  marécages  et 
les  forêts,  celle  race  a  pu  déborder  bien  au  delà  du  bassin  de  la  Volga  ; 
refluant  sur  l'Asie,  elle  a  pu  mémo  envoyer  des  groupes  de  colons 
jusque  sur  les  rivages  du  Pacifique  ;  elle  assiège  la  Chine,  pour  ainsi  dire, 
et  par  elle  le  grand  continent  oriental  se  trouve  de  plus  en  plus  soumis 
à  l'influence  européenne.  Mais  c'est  toujours  sur  la  Volga  et  ses  hauts 
affluents  que  se  trouve  le  gros  de  la  nationalité  veliko-russe  :  là  ses  enfants 
sont  groupés  au  nombre  de  plus  de  50  millions,  et  dans  quelques  dis- 
tricts du  centre  leurs  agglomérations  ne  sont  pas  moins  denses  que  cell-s 
de  plusieurs  pays  de  l'Europe  occidentale'. 

Le  ruisseau  qui  prend  à  sa  source  le  nom  de  \olgn  nr  naît  poini  ilan-^ 
les  montagnes  ;  seulement  quelques  collines  lèvent  leurs  tètes  lioisées  au- 

*  Vingt  gouveraemenls,  grands-russiens  en  loiit  nu  en   partie,  dont  les  limites  correspondent 
approximativement  avec  celles  des  bassins  de  la  Volga  et  de  l'Oural  : 

Surnerlific,  d*aprêsStrcll>i(zkiy-       l'oimlalion  en  tssl .   l'opulatioii  kilométri(n:c. 

Tvei- ()5  550  kil.  car.  t  644  000  Imi).  25  liab. 

Kaiou;;:!.  50  929  »  x  1150  017  .■  57  » 

Moscon 55  502  »  i>  2155  57  4  "  Oi  « 

Tonfa.    .......  50959  >i  )>  1.52720:)  ..  45  « 

Oi-ot 40  726  »  »  1918  542  "  41  •> 

Razaii.    .    .  42  098  on  1715  581  40  .. 

Tambov  .    .  00  587  »  »  2  400  828  ..  57  » 

Yarosla\i 55  012  »  «  1027  575  "  28  " 

Koitrnm.i    .    .  84  095  »  »  1209  102  15  .■ 

Vladimir 48  850  «  »  1552  140  29  « 

Mjniy-Novgoro  I .    .    .    .  51275  "  »  1597  902  ••  27  >p 

Penza 58  840  »  ii  1402  807  ■  50  « 

Kazaii 05  715  »  i.  1992  858     "  51  i. 

Vallia 155  107  »  )>  2  774  1.5S  IS  » 

l'ermlKnropcelAsic  .    .  .552  054  .:  »  2  520  090  8  « 

Oufa(l880) 122016  »  »  1755  158  li  14  » 

Simhirsl; 49  494  i.  ..  1400  299  "  20  n 

Samara 151045  «  n  2  2;)9  65l  "  15  o 

SaraloT 84  495  »  i.  2  044  117  •■  24  i. 

Astrakhan 2.56  527  n  n  780  911  5  « 

Orenbourg 191170  «  »  1120  000  h  0  •• 

Om-al(Eur.,.\s.)(l880).  560  402  «  ..  525  552  .  I  '■ 

Eascmble 2  525  255  kil.  car.  55  557  677  liab.         15,5    bab. 


656  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

dessus  des  lacs  et  des  marais  où  sourdent  les  premières  eaux  qui  vont 
à  1000  kilomètres  en  droite  ligne  se  mêler  à  la  Caspienne.  Cependant  lu 
plateau  découpé  du  Yolkonskiy  Les  (Forêt  de  Voi'konskiy)  et  du  Yal'daï  verse 
également  les  fontaines  de  ses  vallées  orientales  dans  la  Volga  naissante,et 
l'on  peut  considérer  ce  faite  ondulé  comme  se  dressant  à  l'origine  du  fleuve. 

Les  plus  hautes  Inities  du  Valdaï  ne  s'élèvent  qu'à  05  mètres  au-dessus 
du  plateau,  quoique  la  cime  principale,  la  Popova  Gora,  ait  551  mètres 
d'altitude.  La  liautour  générale  de  la  contrée  est  assez  grande  pour  lui 
donner  un  aspect  beaucoup  plus  sévère  que  celui  des  campagnes  du  tovat 
et  du  lac  Ilmen,  à  l'ouest  et  au  nord-ouest;  les  tourbières,  les  lacs,  les 
forêts  de  sapins  pourraient  faire  croire  qu'on  se  trouve  à  500  kilomètres 
plus  au  nord,  dans  le  voisinage  du  lac  Onega;  le  climat  moyen  y  est  aussi 
d'environ  2  degrés  plus  froid  que  dans  les  campagnes  environnantes,  ei  les 
zones  de  nombre  d'espèces  végétales  contournent  le  massif  au  sud  pour  se 
diriger  au  sud-est  vers  le  bassin  du  Don  '.  Cependant  l'ensemble  de  la  flore 
du  Yal'daï  ne  diffère  point  de  celle  des  plaines  qui  s'étendent  vers  les 
grands  lacs  et  l'on  en  conclut  que  ces  hauteurs  sont  d'origine  relativement 
moderne  dans  l'histoire  de  la  Terre  ;  elles  n'ont  point  de  plantes  qui  leur 
appartiennent  en  propre,  et  leur  parure  provient  en  entier  de  la  région  qui 
se  dégagea  des  glaces  après  le  long  hiver  géologique.  Le  plateau,  maintenant 
raviné  par  les  neiges  et  les  pluies,  continuait  alors  les  pentes  uniformes  de 
la  région  et  fut  aussi  recouvert  par  la  mer  des  glaces  finlandaises;  ses  col- 
lines sont  pai'semées  de  blocs  erratiques  de  toute  grandeur,  apportés  certai- 
nement par  les  glaces  mouvantes  des  régions  du  nord'.  Par  sa  laune  iclithyo- 
logique,  le  Valdaï  appartient  aussi  à  la  région  finlandaise-Scandinave.  Les 
poissons  de  ses  lacs,  ceux  mêmes  de  la  haute  Volga,  n'appartiennent  point  au 
bassin  proprement  dit  de  la  Volga  :  les  hauts  affluenls  valdaïens  du  fleuve 
semblent  n'en  faire  partit'  ([u'accidentellement,  j)0ur  ainsi  dire,  et  depuis 
une  époque  récente;  à  en  juger  par  la  faune  des  eaux,  ce  n'est  pas  dans  le 
Valdaï,  mais  dans  le  lac  Blanc  (lielo  Ozero),  à  l'est  du  Ladoga,  qu'il  faut 
chercher  la  véritable  origine  de  la  Volga  :  les  sterlets  et  les  esturgeons 
vivent  dans  la  (ihcksna,  émissaire  de  ce  lac,  comme  dans  la  Volga  moyenne'". 

i^a  r(''gion  (Lins  laquelle  naît  la  ri\ière  d(''sign(''e  maintenant  du  nom  de 
^olga  est  une  des  plus  man'cageuses  de  la  ilussie  occidentale  :  on  pourrait 
croire  qu'elle  occupe  un  bas-fond  et  non  pas  le  faîte  de  la  contrée.  Séparé 
]iar  une  siin|il('  l(iurliièi-c  d'un  allliicnt  du  VoUvIidv,  le  ruisseau  ipii  nail  à 

'  Gdlii,  Di'  l'influence  des  haiileiirs  du  Valdaï  sur  la  dislrihutinn  des  plantes  (on  riissf). 
-  Iîii|ireciit,  Bulletin  de  l'Académie  des  sciences  de  Sainl-Péteisbouig,  loiiic  IX,  iSOU. 
=  Poiakuv,  Izv'esliiia  Itoussk.  (jeogr.  Obclitehestva,  1874,  n°  8. 


VOLGA. 


657 


Volgino  Verkhovye,  et  auquel  on  donne  quelquefois  le  nom  de  Jourdain,  en 
témoignage  de  la  sainteté  de  ses  eaux,  était  recouvert  autrefois  à  sa  source 
par  une  chapelle  dont  on  voit  encore  les  restes*.  Le  ruisselct  suinte  plutôt 
qu'il  ne  coule,  de  tourbière  en  tourbière,  puis,  sur  une  distance  d'environ 
56  kilomètres,  traverse  successivement  trois  lacs  étages,  dont  le  niveau 


x«  lie-  —  sorRCES  ne  i.a  voix*  t.t  de  la  du\*. 


E  df  P 


5^ 


E    de  G 


diffère  seulement  de  (pielques  décimèlres.  11  arrive  souvent  qu'un  iiniiieiil 
venu  du  sud,  la  .btukopa,  fait  remonler  la  Volga  vers  la  source,  eu  la  reje- 
tant dans  le  lac  Peno,  d'où  elle  vient  de  sortir  :  la  pente  naturelle  de  l'eau 
est  si  faible,  que  l'impulsion  du  courant  latéral  sufflt  à  le  changer.  Au 
sortir  du  lac  Peno,  voisin  du  Dvinet/,,  où  naît  la  Dûna,  la  Volga  prend  la 


*  Albin  Kohn,  Die  Volga  und  Kama.  Deutsche  Rundscliau  fiir  Géographie  und  Slatislik,  oct.  1879. 
V.  85 


058  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

direction  de  l'est,  qu'elle  doit  suivre  jusqu'à  Kazan  et  traverse  un  quatrième 
lac,  portant  aussi  le  nom  à  peine  modifié  du  fleuve  :  c'est  le  Voîgo.  En  cet 
endroit,  le  cours  d'eau  est  déjà  une  rivière  considérable  roulant  de  10 
à  120  mètres  cubes  par  seconde,  suivant  les  saisons'.  A  5  kilomètres  en 
aval,  le  fleuve  rétréci  forme  son  premier  rapide  :  les  ingénieurs  ont  utilisé 
le  défilé  rocheux  pour  y  construire  une  digue  de  retenue  qui,  pendant  la 
saison  des  pluies,  transforme  toute  la  vallée  supérieure  avec  ses  lacs  en  un 
réservoir  de  80  kilomètres  de  long  et  de  plus  de  2  kilomètres  de  large, 
renfermant  jusqu'à  180  millions  de  mètres  cubes  d'eau.  Quelques  barques, 
des  radeaux  peuvent  alors  descendre  de  la  région  des  lacs,  grâce  au  barrage, 
et  plus  haut  la  rivière,  exhaussée  de  10  à  18  centimètres  pendant  la  saison 
des  sécheresses,  devient  régulièrement  navigable.  La  Selijarovka,  sortie  du 
grand  lac  tortueux  do  Seliger,  dont  un  couvent  insulaire,  consacré  à  saint 
Nil,  est  encore  visité  chaque  année  par  20  000  pèlerins,  vient  près  de  là 
doubler  le  volume  de  la  Volga.  On  peut  dire  que  là  commence  commer- 
cialement le  fleuve,  le  Ra  (Rha,  Rhas  ou  Rhos)  des  auteurs  anciens  et  des 
Mordves,  le  Youl  des  Tcheremisses,  l'Atel,  Etil  ou  Itil  des  Tartares,  le 
Tamar  des  Arméniens,  c'est-à-dire  en  toutes  ces  langues  le  «  Fleuve  » 
par  excellence;  son  nom  finnois  de  Volga  signifie  le  «  Fleuve  Saint  ». 

En  aval  de  la  Selijarovka,  il  ne  reste  plus  à  la  Volga  qu'à  descendre 
les  pentes  du  plateau  par  une  succession  de  55  seuils  ou  porogi,  qui 
d'ailleurs  n'empêchent  pas  la  navigation,  et  la  Volga,  serpentant  désor- 
mais dans  la  grande  plaine  russe,  reçoit  des  affluents  navigables  et 
communiquant  par  des  canaux  avec  le  versant  de  la  Baltique.  Des  villes 
populeuses,  Tvei-,  Rîbinsk,  Yarosl'avl,  Kostroma,  se  reflètent  dans  ses 
eaux.  A  A"  ij  ni  y-Novgorod,  la  Volga,  qui  déjà  mérite  son  nom  de  matouclika 
ou  de  «  mère  »  parmi  les  rivières  de  Russie  et  qui  dépasse  en  masse  d'eau 
le  Dnipro  bal'ko  ou  le  «  père  Diiepr  »  des  Oukraïniens,  s'unit  à  un  autre 
cours  d'eau,  à  peu  près  son  égal  en  puissance,  et  plus  important  au  point 
de  vue  historique.  C'est  l'Oka,  qui  servit  longtemps  de  frontière  entre  les 
Tartares  et  les  Moscovites,  et  qui  traverse  la  région  centrale  de  la  Russie 
actuelle  :  née  dans  la  région  des  Terres  Noires,  cette  rivière  de  1500  kilo- 
mètres arrose  les  campagnes  les  plus  fertiles  de  la  Grande  Russie  et  porte 
à  la  foire  de  Nijniy  les  denrées  d'Oiol,  de  Kal'ouga,  de  Toula,  de  Razan,  de 
Tambov,  de  Vladimir  et  de  Moscou,  l'une  des  deux  capitales  de  la  Russie. 
Large  de  plus  de  1500  mètres,  elle  s'unit  comme  un  bras  de  mer  à  la  Volga. 


'  Stjernw.ill;  Kôppen,  Beitriigc   ziir  Keniitniss  des  russischcii  Reiches,  von  v.  Baer  iiml  v.  Uel- 
incr-îcii 


si»fiiïffi 


VOLGA  ET  KAMA. 


661 


D'autres  affluents,  grands  comme  la  Seine,  vont  se  perdre  dans  le  fleuve 
à  l'est  de  Nijniy-Novgorod,  mais  ils  paraissent  insignifiants  en  comparaison 
de  la  puissante  Kama,  qui  rejoint  le  cours  d'eau  principal  en  aval  de 
Kazaii  en  lui  apportant  les  pluies  et  les  neiges  fondues  de  l'Oural  et  des 
vastes  contrées  habitées  par  les  Perraiens  et  les  Zîi-anes.  Tandis  que  le 
bassin  de  l'Oka  comprend  un  espace  presque  aussi  grand  que  l'Italie,  la 
Kama  reçoit  l'excédent  d'humidité  d'un  territoire  égalant  au  moins  la 
France  en  étendue.  Par  la  direction  de  son  cours,  la  Kama  semble  être  le 
véritable  fleuve,  car,  en  aval  du  confluent,  les  deux  cours  d'eau  unis  dans 
le  même  lit,  mais  longtemps  distincts,  la  Kama  aux  eaux  pures  et  la  grise 
Volga,  coulent  vers  le  sud  et  le  sud-ouest,  prolongeant  ainsi  la  haute  vallée 


117.    —    FORETS    ThnUBLAXTES,    PRES    DE    ItirSIt-VOTGOr.O 


y^e^/tre  f^crtarr         Cimon  c/e  f/an;es  visgueujc,  a^ec  c/e 


Saà/e  efarg'/e 


de  la  Kama,  Peut-être  la  portée  moyenne  des  eaux  à  Simbirsk,  au-dessous 
du  confluent,  est-elle  déjà  aussi  considérable  qu'aux  bouches  du  fleuve, 
car  dans  tout  le  cours  inférieur  les  tributaires  sont  peu  nombreux  et  ne 
roulent  qu'une  faible  quantité  d'eau  :  les  pluies  y  sont  rares,  et  l'éva- 
poration  très  active  :  «  Ce  n'est  pas  la  terre  qui  nous  nourrit,  disent  les 
paysans,  c'est  le  ciel  ». 

Une  sorte  de  mer,  vaste  bassin  lacustre  que  les  alluvions  de  la  Volga  et 
de  la  Kama  réunies  ont  comblé  peu  à  peu,  existait  autrefois  au-tlessous  du 
confluent.  C'est  à  peu  près  là  que  st;  trouve  la  limite  de  la  région  des  tour- 
bières et  que  commence,  sur  la  rive  orientale  de  la  Volga,  la  région  des 
steppes.  Du  nord  au  sud,  l'atmosphère  devient  moins  humide,  le  sol  plus 
ferme.  En  aval  de  Simbirsk  on  ne  voit  plus  de  ces  terrains  tremblants, 
feutres  de  mousses  toujours  frémissants,  dans  lesquels  s'entremêlent  les 
racines  des  grands  arbres,  semblables  à  des  filets  de  cordages.  D'ailleurs, 


662  .  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

même  dans  la  région  des  tourbières,  les  travaux  de  culture  et  ceux  des 
roules  feront  disparaître  de  ])lus  en  plus  ces  forêts  tremblantes'. 

Au-dessous  de  l'ancien  lac  de  Simbirsk,  le  fleuve  se  heurte  contre  les 

parois  d'un   massif  calcaire 


18.    ÏIAUTE  RIVE  nr  L\ 


qu'il  n'a  pu  entamer  et  dont 
il  doit  suivre  la  base  dans  la 
direction  de  l'est  jusqu'à  ce 
qu'il  trouve  un  point  faible 
pour  l'epi'endre  sa  route  vers 
le  sud.  Mais  dès  qu'il  a  tra- 
versé ce  massif,  par  la  brè- 
che de  Samara,  il  longe  vers 
l'ouest  l'escarpement  méri- 
dional des  collines,  en  sens 
inverse  de  sa  marche  précé- 
dente, et  limite  ainsi  avec 
une  singulière  netteté  une 
étroite  et  longue  péninsule 
enracinée  au  jilateau  occi- 
dental. Là  sont  les  sites  les 
]dus  pittoresques  des  bords 
de  la  Volga.  Les  escarpe- 
ments boisés,  se  terminant 
par  des  pyramides  et  des  ai- 
guilles bizarres,  dominent  le 
ileuve  de  plusieurs  centaines 
de  mètres,  el  de  leurs  som- 
mets on  peut  voir  se  dérou- 
ler les  anneaux  de  la  Volga 
jusqu'à  100  kilomètres  de 
distance.  Sur  quelques  poin- 
tes presque  inaccessibles  se 
(h-essent  des  kourgans,  dits 
<(  de  Sici'ika  »,  en  mémoire  de  Razin.  le  clu'l' de  cosaques  et  de  paysans 
rclicllcs  (|iii  s'était  établi  dans  celle  loileiesse  naturelle  de  la  Volga*.  Vers 
l'entrée  de  la  brèche,   au  nord  de  Samara,   là  où  le  Sok  vient  s'unir  au 


'   R.  Liulwig,  Rcixc  iluich  Russlaiid  nml  dcn  Vrai. 

«  Koulchin,  Guide  sur  la  Yolija  cnlre  Nijn'nj  Novgorod  el  Astrakhan  (en  russe). 


VOLGA  ET  SA  UAUTE  RIVE.  665 

fleuve  principal,  une  colline  isolée,  qui  fut  jadis  une  île  au  milieu  des 
eaux  débordées,  se  dresse  sur  la  rive  gauche  de  la  Volga  :  c'est  le  Tzarov 
Kourgan  ou  «  Colline  du  Tzar  »,  bloc  calcaire  renfermant  un  grand  nom- 
bre de  coquillages  fossiles  {fusuliua  cylindrica),  qui  ressemblent  à  des 
grains  de  blé  et  que  les  paysans  appellent  en  effet  «  seigle  pétrifié  » 
{okamen'elaya  roj)\ 

Les  collines  dont  la  Volga  longe  la  base  s'élèvent  en  maints  endroits  à 
plus  de  100  mètres  au-dessus  de  l'eau,  prenant  un  aspect  presque  mon- 
tagneux. Le  Beîîy  Kloutch,  au  sud-ouest  de  Sîzran,  n'a  pas  moins  de 
547  mètres  d'altitude,  soit  556  mètres  au-dessus  du  niveau  moyen  de 
la  Volga  ;  d'autres  cimes  ont  200  et  250  mètres,  hauteurs  imposantes  en 
comparaison  des  croupes  à  peine  visibles  qui  s'élèvent  çà  et  là  sur  les 
plaines  de  la  Russie  centrale.  Ces  collines  de  la  rive  occidentale  de  la 
Volga  forment  un  singulier  contraste  avec  les  campagnes  unies  de  la  rive 
orientale.  Et  ce  contraste  n'est  pas  seulement  dans  la  forme  extérieure,  il 
est  aussi  dans  la  nature  géologique.  En  amont  de  la  brèche  de  Samara, 
les  hauteurs  de  la  rive  droite  appartiennent  aux  formations  carbonifère, 
jurassique,  crétacée,  tandis  que  les  plaines  de  l'est  sont  d'origine  dyasique; 
en  aval  de  la  lurche,  la  Volga  sépare  les  collines  permiennes  de  terres 
alluviales  ayant  comblé  d'anciens  lacs  et  des  bras  de  mer.  Le  fleuve  est 
une  limite  géologique,  mais  une  limite  qui  se  déplace  peu  à  peu. 

En  effet,  la  Volga  peut  être  considérée  comme  le  type  des  fleuves  qui 
empiètent  constamment  sur  leur  rive  droite  en  déposant  leurs  alluvions 
sur  la  rive  gauche,  et  c'est  en  étudiant  ce  cours  d'eau  que  de  Baer  put 
exposer  déOnitivement  la  loi  —  étudiée  déjà  par  Soltkov  en  1844  — 
qui  rattache  les  déplacements  de  ces  fleuves  au  mouvement  de  rotation  de  la 
Terre.  Dès  son  issue  de  la  région  des  plateaux,  la  Volga  ne  cesse  de 
ronger  sa  rive  haute  ou  «  des  montagnes  »  {(joriùy  bcreg)  et  de  délaisser 
sa  rive  basse  ou  a  des  prairies  »  {lougovai  bcreg).  11  en  est  de  menu- 
pour  rOka,  la  Kama  et  les  autres  grands  affluents  du  fleuve.  La  ville  de 
Kazaiî,  située  autrefois  au  bec  môme  de  la  Kazanka  et  de  la  Volga,  est 
maintenant  à  plus  de  .')  kilomètres  de  ce  deniior  fleuve  :  on  [idurrait 
croire  qu'elle  a  voyagé  vers  l'est. 

Mais  c'est  principalement  dans  la  partie  de  san  cours  comprise  entre 
Samara  et  Tznritzîn  que  les  empiétements  de  la  Volga  offrent  le  spectacle 
le  plus  remarquable.  A  l'orient,  c'esl-à-dire  sur  la  rive  gauche,  ce  sont 
des  îles,  des  canaux  à  demi  desséchés,  des  marécages,  puis,  dans  le  loin- 

'  Von  llelmcrscn,  Bulklin  de  l'Académie  dct  science»  de  Sai'nt-Pélersbourg,  vol.  XI,  18C7. 


664  KOUVELLE    GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

lain,  la  steppe  nivelée  par  les  eaux  qui  la  recouvraient  jadis.  Le  fleuve  porte 
toute  la  force  de  son  courant  vers  la  rive  occidentale  ,  presque  partout 
taillée  en  falaise  et  formée  d'une  couche  d'argile  reposant  sur  un  talus 
sablonneux.  Pendant  les  crues ,  l'eau  de  la  Volga  vient  se  heurter  contre 
la  base  des  escarpements,  elle  emporte  le  sable,  creuse  des  cavités  au- 
dessous  des  parois  d'argile,  puis  déblaie  les  uns  après  les  autres  les 
énormes  blocs  qui  se  détachent  des  assises  supérieures  :  elle  ronge 
ainsi  et  détruit  sans  relâche  ces  puissantes  murailles  argileuses  qui  de 
loin  ressemblent  à  des  rochers,  et  les  emporte  à  la  mer  avec  les  villes 
et  les  villages  qui  les  dominent.  Presque  toutes  les  vingt-trois  cités 
construites  sur  la  rive  occidentale  de  la  Volga  sont  ainsi  démolies  en 
détail,  maison  à  maison,  rue  à  rue,  et,  rongées  d'un  côté,  sont  obligées 
d'avancer  de  l'autre  dans  la  steppe.  Même  en  aval  du  coude  de  Tzaritzîn  et 
de  sa  grande  falaise,  la  berge  de  Tchornîy  Yar,  haute  d'environ  50  mètres, 
recule  à  peu  près  d'autant  chaque  année,  et  la  route  par  laquelle  on  des- 
cend de  la  ville  au  bord  du  fleuve  est  à  refaire  tous  les  ans.  Le  cimetière, 
aussi  bien  que  l'ancienne  ville,  est  englouti,  et  l'on  vit  longtemps  des 
crânes  et  des  squelettes  faire  saillie  hors  de  la  muraille  rougeâtre  de  la 
falaise.  Du  haut  des  escarpements  de  la  rive  droite,  on  voit  à  ses  pieds 
tout  le  lacis  des  canaux  qui  serpentent  au  milieu  du  labyrinthe  des  îles 
vertes  jusqu'à  la  rivière  AklUouba,  ancien  lit  de  la  Volga,  laissé  aujour- 
d'hui à  20  kilomètres  en  moyenne  du  courant  principal.  Au  delà  s'étend 
la  steppe  immense,  qui  ressemble  à  une  mer  grisâtre  et  qui  se  trans- 
forme réellement  en  mer,  pendant  les  crues  de  la  Volga,  sur  une  largeur 
considérable.  C'est  pour  éviter  ces  inondations  que  les  villes  ont  presque 
toutes  été  bâties  sur  la  rive  droite,  oii  elles  ne  sont  démolies  que  par 
degrés  et  ne  risquent  pas  de  disparaître  en  une  seule  fois  '.  Le  jour 
viendra  où  la  vallée  de  la  Sviyaga,  parallèle  à  celle  de  la  Volga  sur  une 
longueur  d'environ  400  kilomètres  et  séparée  d'elle  en  quelques  en- 
droits par  un  espace  de  5  kilomètres  seulement,  deviendra  la  vallée  du 
grand  fleuve.  Les  massifs  intermédiaires  diminuent  de  largeur  d'année 
en  année. 

La  région  du  delta  commence  déjà  au  méandre  de  Tzaritzîn,  à  plus 
de  500  kilomètres  de  la  mer  Caspienne,  puisque  le  fleuve  s'y  divise  en 
d'innombrables  canaux  serpentant  outre  les  deux  lits  de  la  Volga  et  de 
l'Akhtouba,  connue  ])rès  de  la  mer  sous  le  nom  de  lîereket  ;  cependant  le 
delta  proprement  dit  ne  se  forme  qu'à  une  cinquantaine  de  kilomètres  en 

•  Viiii  Baei-,  Kasi>ische  Stutiien. 


BASSE  VOLGA. 


ees 


amont  d'Astrakhan,  par  le  bras  du  Bouzan,  qui  se  détache  du  lit  principal. 
Puis,  dans  le  voisinage  d'Astrakhan,  se  séparent  le  Balda,  le  Kouloum,  et, 
plus  bas,  la  Tzaî-ova,  le  Tzagan,  le  Biroul,  d'autres  encore.  Sur  la  vaste 
péninsule  d'alluvions  qui  s'avance  au  loin  dans  l'intérieur  de  la  Caspienne 
et  qui,  sans  compter  les  innombrables  irrégularités  du  littoral,  n'a  pas 
moins  de  180  kilomètres  de  tour,  on  compte  en  moyenne  deux  cents 
bouches  fluviales,  dont  la  plupart,  il  est  vrai,  sont  des  coulées  incertaines 
et  vaseuses.  La  chronique  de  Nestor  parle  de  soixante-dix  bouches  :  c'était 
un  nombre  sacré;  actuellement  une  cinquantaine  des  bras  de  ce  dédale  sont 
des  courants  réguliers'.  Au  printemps,  pendant  la  période  de  l'inondation, 
toute   la  surface  du  delta,  de  même  que  tout  le  cours  inférieur,  en  aval  de 


—  VOLGA  ET  AKHTOOBA. 


Tzaritzîn,  n'est  qu'une  masse  d'eau  mouvante,  au  milieu  de  laquelle  appa- 
raissent çà  et  là  des  îlots  ;  une  mer  d'eau  douce  descend  vers  la  mer  d'eau 
salée.  Mais  après  chacun  de  ces  déluges  annuels  des  lit-^  nouveaux  se  sont 
creuses,  d'autres  ont  été  remplis  de  limon  ou  de  sable  :  la  géographie  du 
délia  est  à  refaire.  Même  les  lits  principaux  se  déplacent.  Il  y  a  deux  cents 
ans,  l'embouchure  suivie  par  les  navires  coulait  directement  d'Astrakhan 
vers  l'est;  depuis,  le  grand  courant  s'est  frayé  successivement  d'autres 
lits,  obliquant  de  plus  en  plus  à  droite,  et  maintenant  le  chenal  que  sui- 
vent ordinairement  les  embarcations  est  dirigé  vers  le  sud-sud-ouest.  Le 
Balda,  qu'un  bras  latéral  fait  communiquer  avec  l'Akhtoulia,  a  pris 
aussi  dans  ces  derniers  temps  une  importance  considérable  et  s'est  agrandi 
aux  dépens  de  ses  voisins  :  en  rongeant  les  terres,  il  a  même  fait  disparaître 


'  Mrczkuwski,  Biillelin  de  ta  Société  de  Géographie  de  Paris.  I87'J. 


666  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

jusqu'aux  derniers  vestiges  de  l'ancien  et  célèbre  couvent  appelé  Bal'dinskiy 
Monastu-.  En  même  temps  que  les  lits  se  déplacent,  les  barres  ou  seuils 
que  doivent  franchir  les  navires  pour  entrer  du  fleuve  dans  la  Caspienne 
ou  pénétrer  de  nouveau  dans  le  fleuve,  changent  aussi  de  position  et  de 
profondeur  :  aucune  passe  n'a  plus  de  2"", 25,  et  la  deuxième  en  importance 
n'avait  même  que  45  centimètres  dans  l'été  de  1852  :  pour  la  naviga- 
tion, le  fleuve  était  presque  complètement  séparé  de  la  mer'.  Si  les  vents 
du  sud  et  du  sud-ouest  ne  soufflaient  fréquemment  de  manière  à  reporter 
les  boues  alluviales  vers  l'amont,  dans  le  lit  profond  du  fleuve,  la  barre 
de  la  Volga  serait  complètement  inabordable.  On  a  essayé  de  déblayer  les 
alluvions  du  bras  principal  au  moyen  de  lignes  longitudinales,  mais  on 
n'a  réussi  qu'à  reporter  les  alluvions  plus  au  large  en  formant  un  nouveau 
seuil  aussi  élevé  que  l'ancien;  puis  M.  Mrczkowski  a  proposé  la  construc- 
tion d'un  barrage  en  amont  du  chenal  d'entrée  afin  de  capter  au  passage  la 
plus  grande  partie  des  troubles.  Maintenant  l'ingénieur  Danilov  propose 
d'éviter  le  delta  en  creusant  un  canal  d'Astrakhan  au  port  de  Serebra- 
novskaya,  à  190  kilomètres  au  sud-ouest  :  c'est  là  que  se  trouve  la  pre- 
mière baie  profonde  du  littoral,  au  sud  de  la  Volga. 

Ainsi  finit  ce  fleuve,  dont  la  longueur,  avec  les  petites  sinuosités, 
est  de  5590  kilomètres  et  dont  le  réseau  navigable,  comparable  à  celui 
des  grands  courants  américains,  est  d'environ  12  000  kilomètres.  Des 
sources  de  la  Kama  au  delta  d'xVstrakhan,  les  eaux  ne  traversent  pas  moins 
de  16  degrés  de  latitude  et  de  9  degrés  isothermiques  :  tandis  que  le  climat 
de  la  hiuite  région  fluviale  a  pour  température  moyenne  celle  du  point 
de  glace,  la  chaleur  annuelle  oscille  autour  de  9  degrés  dans  la  région  du 
delta.  Devant  Astrakhan,  le  fleuve  est  gelé  pendant  98  jours, et  l'épaisseur 
de  la  glace  n'y  est  parfois  que  de  26  centimètres';  près  de  Kazan,  la  Volga 
est  prise  pendant  152  jours;  en  amont  de  Periii,  au  confluent  de  la  Tchou- 
sovaya,  la  Kama  reste  gelée  durant  six  mois.  On  peut  évaluer  à  40  centi- 
mètres d'eau  la  quantité  de  pluie  tombée  dans  son  bassin,  ce  qui  donnerait 
à  peu  près  20  000  mètres  cubes  d'eau  à  la  seconde,  si  toute  l'humidité 
s'écoulait  par  le  lit  de  la  Volga  ;  mais  dans  la  région  des  forêts  et  des 
prairies  la  végétation  prend  une  part  considérable  de  l'eau  tombée,  et 
dans  le  pays  des  steppes  l'évaporation  directe  peut  enlever  plus  d'un  mètre 
d'eau  par  an  dans  les  endroits  bien  exposés  aux  vents".  Près  des  trois 
quarts  de  l'eau  tombée  se  perdent  en  route.  De  premières  évaluations, 

'  Scihonov,  Dictionnaire  géoijraphtqne  et  slalittique  de  l'Empire  russe  (en  russe). 
»  hv'cstiija  Roussk.  Gcogr.  Obchtcliesli'ii,  1870,  ii"  1. 
'  llvrbert  Wuod,  ISotes  manuscrites. 


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[>ressp  par  A.WliUpinin  .doprpi  ii  lartc  deHa.isir  lii  JSumiu  Tof  ofrapAiifuc  dr  S! IVIrr.^bourf 


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OLGA 


Hachette  eirr 


Gravé  par  Krhard.i2.rueI)uéi»flvlT**^uin  Paris. 


df^e  met.  et  au  értsus 


BASSE  VOLGA.  667 

d'ailleurs  toutes  provisoires,  n'ont  trouvé  que  5780  mètres  cubes  pour 
le  débit  moyen  de  la  Volga  :  ce  ne  sont  pas  les  deux  tiers  de  la  portée 
moyenne  du  Danube,  qui  pourtant  égoutte  un  bassin  deux  fois  moindre 
que  celui  du  fleuve  russe'.  De  même  que  les  rivières  du  nord  de  l'Alle- 
magne, la  Volga  est,  dit-on,  moins  abondante  qu'autrefois  :  les  embarcations 
qu'on  emplissait  de  sel  dans  la  partie  inférieure  du  fleuve  pour  les  mar- 
chés de  la  Russie  du  Nord  et  de  la  Sibérie  prenaient  au  commencement  du 
dix-huitième  siècle  un  chargement  moyen  de  500  tonnes  ;  elles  ne  transpor- 
tent de  nos  jours  guère  plus  de  la  moitié  de  ce  poids" .  Cependant  les 
mesures  précises  faites  à  Astrakhan  ont  prouvé  que  la  crue  annuelle  du 
printemps  commence  plus  tôt,  dure  plus  longtemps  et  s'élève  plus  haut 
depuis  le  milieu  du  siècle  '.  La  cause  en  est  au  déboisement,  qui  permet 
aux  neiges  découvertes  de  fondre  beaucoup  plus  vite,  et  au  drainage  des 
marais,  qui  emporte  vers  les  rivières  l'eau  séjournant  autrefois  dans  les 
sphaignes  et  les  mousses  des  tourbières, 

La  quantité  d'eau  qu'apporte  la  Volga,  au  moins  égale  à  celle  que  versent 
tous  les  autres  affluents  de  la  Caspienne,  est  assez  considérable  pour  exer- 
cer une  influence  très  sensible  sur  le  niveau  de  la  mer.  Ainsi  la  crue 
de  1867,  qui  dépassa  toutes  celles  que  l'on  avait  vues  depuis  quarante 
années,  éleva  la  superficie  marine  de  61  centimètres,  et  près  de  trois 
ans  s'écoulèrent  avant  que  l'eau  eût  été  ramenée  à  son  affleurement  nor- 
mal. Cette  masse  liquide  supplémentaire  dans  le  bassin  de  la  Caspienne 
représentait  274  milliards  de  mètres  cubes,  soit  environ  trois  fois  la  con- 
tenance du  lac  de  Genève.  Quant  aux  progrès  annuels  du  delta  sur  la 
mer,  si  difficiles  à  évaluer  sur  un  front  si  étendu  dont  les  érosions  et  les 
apports,  agissant  en  sens  inverse,  modifient  incessamment  la  forme,  on 
n'a  pu  les  mesurer,  même  d'une  manière  approximative.  Ces  progrès  doi- 
vent être  fort  considérables,  car  l'eau  de  la  Volga,  dans  laquelle  chaque 
pluie  apporte  le  sable  et  l'argile  des  innombrables  ravins  ou  ovrags,  res- 
semble à  de  la  bouc  dans  tout  son  delta  :  les  pêcheurs  n'ont  aucune  expres- 
sion pour  en  indicfuer  la  transparence  ;  cette  vase  liquide  est  pour  eux 
«  rouge  »  ou  «  blanche  »,  suivant  sa  plus  ou  moins  grande  teneur  en 
molécules  argileuses  ou  de  craie  délayée.  Toutes  ces  matières  en  suspcn- 

'  Bassin  de  la  Volga,  d'anirs  SlielMlzkiy  :  1  i.')8  OflO  kilomclrcs  carrés. 

'  A,  de  Gasparin,  Cours  d'agriculture,  tome  II,  1844. 

'  Régime  des  crues  à  Astrakhan  : 

Accélération  de  la  cnio.    Longui-ur  de  la  crue.     Ilautcur  eilréme, 

1839  à  1848 120  jours. 3  2°, 49 

1849  à  1858 2  jours. 4  U7      >•    .5  3", 02 

1858  à  1867 0      »    .i  191      .    .7  5»,02 


«68  NOUVELLE   GEOGR.U'IIIE   UNIVERSELLE. 

sion,  évaluées  par  Mrczkowski  à  un  deux-millième  de  l'eau  ,  vont  se 
déposer  en  îles,  en  îlots,  en  bancs  de  vase,  et  bordent  de  bas-fonds  tout  le 
pourtour  du  delta.  Quand  les  recherelies  géologiques  auront  permis  de  fixer 
la  date  à  laquelle  la  Caspienne  se  sépara  de  la  mer  Noire,  les  progrès  sécu- 
laires du  delta  pourront  être  évalués  exactement,  puisqu'il  est  entièrement 
de  formation  moderne  et  n'a  commencé,  là  où  il  se  trouve  maintenant, 
que  depuis  l'indépendance  du  bassin  maritime. 

La  Volga  est  très  riclie  en  poissons,  et  des  multitudes  de  pêcheurs  vivent 
de  leur  capture.  La  basse  Volga  surtout  est  pour  ses  riverains  et  pour  la 
Russie  tout  entière  un  immense  réservoir  d'alimentation.  Chaque  saison  a 
son  genre  de  pêche  :  filets  et  seines  de  toute  espèce,  hameçons,  dards,  har- 
pons et  trappes,  tels  sont  les  engins  dont  on  se  sert  suivant  les  temps  et  les 
proies  à  saisir;  même  en  hiver,  lorsque  la  glace  recouvre  la  Volga  de  sa  dalle 
épaisse,  les  pêcheurs  percent  des  trous  de  distance  en  distance  et  réussissent 
à  s'emparer  du  poisson,  grâce  à  leur  connaissance  de  ses  mœurs  et  de 
ses  appétits  '.  Sur  quelques  rivières  des  environs  de  Samara,  les  pêcheurs 
ouvrent  une  tranchée  dans  la  glace,  d'une  rive  à  l'autre,  puis  ils  s'éloignent 
à  plusieurs  kilomètres  en  amont,  et  de  là,  montant  à  cheval,  ils  redes- 
cendent bruyamment  au  plein  galop  de  leurs  montures,  en  chassant 
ainsi  le  poisson  vers  les  barrages  de  la  tranchée.  Les  appareils  de  pêche 
les  plus  bizarres  de  la  Volga,  d'ailleurs  tout  semblables  à  ceux  qu'on  voit 
dans  le  Bosphore  et  sur  les  côtes  napolitaines  de  l'Adriatique,  sont  les 
échafaudages  de  perches,  de  planches,  de  toits  branlants,  qui  s'élèvent  au- 
dessus  des  eaux  et  sur  lesquels  veille  le  pêcheur,  perché  comme  un  héron 
sur  ses  longues  pâlies  et  regardant  le  Ilot.  Dans  les  îlots  du  delta  sont 
établis  de  nombreux  ateliers  où  les  poissons,  apportés  par  barques  pleines, 
sont  découpés  pour  livrer  les  parties  les  plus  délicates  de  leur  chair  et  sur- 
tout les  œufs  destinés  à  devenir  du  caviar  frais  ou  salé.  Le  «  j)oisson 
blanc  »  ou  b'elouga  et  le  sterlet,  également  de  la  famille  des  esturgeons, 
sont,  de  tous  les  hôtes  de  la  Volga,  les  plus  appréciés  et  ceux  qui  attei- 
gnent les  plus  forles  dimensions.  Ils  remontent  les  eaux  en  venant  de  la 
Caspienne,  leur  pairie;  mais  il  paraîtrait  que  le  nombre  en  a  diminué 
dans  les  dernières  décades,  si  ce  n'est  dans  le  cours  supérieur  de  la  Volga, 
depuis  que  le  passage  des  bateaux  à  vapeur  trouble  l'ré([uemment  les  eaux*. 
Avant  la  construction  des  chemins  de  Ici',  les  poissons  l)lancs  pêcliés  dans 

'  Von  li.iLT,  Kiispischc  Stiidieii;  —  Saliai'ioyi'v,  Poissons  de  lu  Russie;  —  A.  Legiolle,  Le  Volga, 
Notes  sur  la  Russie;  —  Ragosiii,  La  Votya. 

»  Pi'cliiMiis  (lii  lleiive  (liiiis  le  (lislricl  d'Aslrakliai'i,  en  IST'i  :  llonmies,  10  ilS;  femmes,  &8I(J; 
enfants,  Ml.  Ensemble,  tU  745. 


VOLGV  ET   MER  CASPIENNE.  669 

la  Yolga  étaient  expédiés  aux  gourmets  de  Moscou  et  de  Saint-Pétersbourg 
en  de  grandes  cuves  dont  l'eau  était  journellement  renouvelée  par  les 
nombreux  moujiks  accompagnant  le  convoi  de  poisson.  Celui-ci  arrivait 
ainsi  frais  à  destination,  mais  le  coût  du  transport  avait  élevé  le  prix  de 
chaque  sterlet  à  un  millier  de  francs. 


A  l'ouest  du  delta  de  la  Volga,  et  même  bien  en  dehors  de  ses  terres 
alluviales,  d'un  côté  vers  la  bouche  de  la  Kouraa,  de  l'autre  vers  celle 
de  rOiiral,  sur  un  développement  total  d'environ  400  kilomètres,  on  re- 
marque une  frange  bizarre  de  péninsules  étroites  et  d'iles  allongées, 
d'une  hauteur  moyenne  de  8  ou  10  mètres  seulement  et  séparées  les  unes 
des  autres  par  des  canaux  d'une  faible  profondeur,  mais  s'avançant 
dans  l'intérieur  des  terres  jusqu'à  20  et  même  50  kilomètres  de  dis- 
tance. Ces  péninsules,  connues  sous  le  nom  de  bougrî  (au  singulier 
bougor),se  continuent  dans  l'intérieur  des  terres  par  des  barkhâni,  que 
l'on  prenait  jadis  à  tort  pour  des  dunes  mouvantes.  Aucune  autre  partie 
des  rivages  maritimes  du  monde  ne  présente  une  formation  semblable 
ou  du  moins  d'une  aussi  grande  régularité.  Vu  d'en  haut,  l'ensemble  des 
bougrî  et  des  limans  intermédiaires  ressemblerait  à  une  série  sans  fin  de 
murs  parallèles  alternant  avec  des  fossés  d'égale  largeur.  Les  diverses  bran- 
ches de  la  Volga  ont  déblayé  plusieurs  de  ces  monticules,  mais  il  en  reste 
encore  un  grand  nombre,  même  dans  le  delta  ;  toutes  les  stations  de  pèche 
disséminées  aux  bords  du  fleuve  et  la  cité  d'Astrakhan  ont  été  construites 
sur  des  collines  de  cette  nature.  Les  milliers  de  canaux  qui  séparent  les 
étroites  levées  de  terre  sont  un  immense  dédale  inexploré  même  des 
pêcheurs  :  les  cartes  les  plus  détaillées  peuvent  seules  donner  une  idée  de 
cet  étrange  fourmillement  d'iles,  d'ilôts,  de  canaux  et  de  baies.  Immédiate' 
ment  à  l'ouest  de  la  Yolga,  les  limans  qui  séparent  les  bougrî  sont  toujours 
changés  en  rivières.  Pendant  les  inondations  du  fleuve,  le  courant  déverse 
dans  ces  canaux  le  trop-plein  de  ses  eaux  chargées  d'argile  ;  puis,  après  la 
fin  de  la  crue,  la  mer  y  pénètre  à  son  tour  :  il  se  produit  ainsi  un  mouve- 
ment alternatif  des  eaux  entre  la  Caspienne  et  la  Volga.  Loin  du  delta,  les 
limans,  n'étant  point  remplis  par  les  eaux  débordées  du  fleuve,  ne  forment 
pas  en  général  de  nappe  continue,  mais  seulement  une  chaîne  de  lacs 
séparés  les  uns  des  autres  par  des  isthmes  sablonneux  et  changés  en  salines 
naturelles  par  la  rapide  cvaporation  d'été.  Pour  se  procurer  une  saline,  il 
suffit  d'élever  des  digues  qui  empêchent  l'eau  de  la  Volga  de  pénétrer  dans 
le  liman  :  celui-ci,  rempli  d'eau  marine,  se  salure  peu  à  peu  et  se  cluvige 


C70  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

en  un  réservoir  de  sel.  Même  dans  l'intérieur  des  steppes,  loin  des  rives 
actuelles  de  la  mer,  se  voient  çà  et  là  quelques  limans  salins,  séparés  par 
des  bongrî  parallèles. 

D'après  de  Baer,  qui  le  premier  a  donné  une  description  détaillée  des 
bougrî  caspîens,  tous  ces  monticules  allongés  sont  stratifiés  en  forme  de 
voûtes  concentriques.  Les  couches  les  plus  fortement  argileuses  sont,  pour 
ainsi  dire,  les  noyaux  autour  desquels  se  sont  déposées  les  terres  plus 
mélangées  de  sable  :  cette  distribution  des  couches  témoigne  de  l'action 
des  courants  d'eau  qui  ont  passé  sur  toute  la  contrée  en  déposant  les 
sables  sur  les  masses  résistantes  d'argile.  S'étalant  un  peu  en  éventail, 
d'un  côté  vers  le  nord,  de  l'autre  vers  le  sud,  ces  collines  représentent  les 
extrémités  de  rayons  partant  d'un  centre  commun  qui  se  trouverait  vers 
le  milieu  de  l'isthme  ponto-caspien.  Lorsque,  par  suite  de  la  rupture  du 
Bosphore  ou  de  la  diminution  des  pluies,  le  seuil  de  partage  émergea  des 
eaux  entre  Caspienne  et  mer  Noire,  la  nappe  de  la  Caspienne,  qui  avait 
alors  une  superficie  deux  fois  plus  grande  que  de  nos  jours,  se  trouva 
tout  à  coup  privée  d'une  partie  de  l'eau  qui  l'alimentait  conjointement  avec 
le  Pont-Euxin.  Les  apports  de  la  Volga  et  de  ses  autres  affluents  ne  suffisant 
plus  à  compenser  l'évaporation,  la  mer  fut  sans  doute  réduite,  dans  l'es- 
pace de  quelques  années,  à  la  moitié  de  son  ancien  bassin,  et  c'est  alors, 
d'après  de  Baer,  que  le  reflux  creusa  sur  le  rivage  actuel  ces  étroits  limans 
d'érosion,  restés  distincts  dans  le  delta  de  la  Volga.  Toutefois  il  se  pré- 
sente une  autre  hypothèse  qui  paraît  plus  simple.  Les  bougrî  et  les  fossés 
intermédiaires  ne  seraient-ils  pas  le  reste  d'un  ancien  delta  de  la  Volga, 
qui  coulait  jadis  au  sud  de  Tzaritzîn,  par  l'ancien  lit  que  l'on  voit  encore 
à  la  base  des  coteaux  d'Erghenis  '  '.' 

Si  considérables  qu'ils  soient,  les  changements  que  la  Volga,  le  Terek  et 
les  autres  affluents  de  la  mer  Caspienne  apportent  actuellement  par  leurs 
alluvions  aux  contours  de  cette  méditerranéc  ne  sont  que  peu  de  chose  en 
comparaison  des  révolutions  qui  se  sont  accomplies  jadis  dans  la  forme  du 
grand  bassin  maritime.  Ces  révolutions,  il  est  vrai,  ne  sont  point  connues 
par  le  témoignage  de  l'histoire,  car  la  première  carte  cpii  donne  d'une 
manière  générale  le  dessin  à  peu  près  exact  des  rives  caspiennes  dale  seu- 
lement de  la  première  moitié  du  dix-huitième  siècle;  mais  l'aspect  des 
terres  émergées,  les  coquillages  laissés  sur  le  sol,  les  animaux  d'origine 
océanique  vivant  dans  la  Caspienne  ne  permettent  aucun  doute  relalive- 
ment  à  l'ancienne  extension  des  eaux  marines.  C'est  un  fait  désormais 

'  ricrre  Kropolkm,  Violes  tnanusciile$. 


ISTHME  PONTO-CASPIEN.  671 

incontesté  que  la  mer  Caspienne  a  communiqué  depuis  l'époque  quaternaire 
avec  le  Pont-Euxin  par  le  seuil  du  Manîtch  et  s'étendait  au  nord  jusqu'à 
Samara  et  Simbirsk.  Quoique  changée  maintenant  en  un  lac  fermé  de 
toutes  parts,  on  peut  donc  la  considérer  en  toute  vérité  comme  faisant 
géologiquement  partie  d'un  immense  détroit  ouvert  enire  les  deux  conti- 
nents d'Europe  et  d'Asie. 

Le  seuil  de  partage  entre  les  deux  mers  est  indiqué  par  la  nature  elle- 
même  avec  une  précision  parfaite.  La  rivière  Kalaous,  issue  des  assises 
crétacées  qui  s'étendent  à  la  base  septentrionale  du  Caucase,  à  peu  près  à 
moitié  distance  entre  les  deux  mers,  commence  par  couler  du  sud  au  nord, 
vers  la  dépression  laissée  par  l'ancien  détroit  ponto-caspien,  puis,  arrivée 
dans  ces  plaines  d'apparence  horizontale,  sans  pente  visible,  elle  se  partage 
en  un  grand  nombre  de  bras,  dont  plusieurs  se  perdent  dans  les  sables, 
tandis  que  d'autres  se  dirigent  à  l'est  vers  la  Kouma  et  la  Caspienne.  Au 
printemps,  lors  de  la  fonte  des  neiges,  et  vers  la  fin  de  l'automne,  après 
les  grandes  pluies,  le  Kalaous,  roulant  alors  une  quantité  d'eau  considé- 
rable, se  cherche  d'autres  issues  et  déverse  à  l'ouest  une  partie  de  sa 
masse  liquide  surabondante  ;  cette  eau  descend  dans  le  lac  Manîtch,  sur 
le  versant  de  la  mer  d'Azov,  et  d'étang  en  étang  finit  par  entrer  dans  le 
bassin  de  la  Méditerranée.  Ainsi  les  deux  bras  principaux  du  Kalaous, 
auxquels  on  donne  les  noms  de  Manîtch  oriental  et  Manîtch  occidental, 
constituent  de  mer  à  mer  un  canal  temporaire,  remplaçant  l'ancien  détroit 
dejonclion.  Au  milieu  du  dix-septième  siècle,  lors  de  la  grande  révolte 
des  Cosaques,  leur  chef  Etienne  Razin  aurait  eu  l'intention  de  lancer  une 
flottille  sur  le  Manîich  pour  naviguer  entre  les  deux  mers,  et  les  Cosaques 
ihi  Don  seraient  venus  en  foule  autour  de  lui  en  suivant  cette  voie  navi- 
gable. Si  les  documents  qui  ont  permis  à  M.  Bergstrœsser  de  raconter  ces 
faits  sont  authentiques,  la  quantité  d'eau  roulée  par  le  Kalaous  aurait 
grandenienl  diminué  pendant  les  deux  derniers  siècles,  car  de  nos  jours 
la  navigation  de  mer  à  mer  ne  pourrait  s'accomplir  que  d'une  manière 
tout  à  fait  exceptionnelle,  et  M.  Bcrgstrœsser  lui-même  l'a  vainement  ten- 
tée. En  outre,  le  seuil  de  séparation  s'est  élevé  depuis  deux  siècles  de 
toutes  les  alluvions  qu'a  (h'-posées  le  Kalaous,  cl  il  ne  cesse  de  s'élève: 
encore;  il  se  di'placc  aussi  graduellemenl  avec  la  pcMiirisulc  de  bifurca- 
tion ;  jadis  il   devait  se  trouver  beaucouj)  plus  au  sud'. 

La  communication  qui  existait  autrefois  entre  les  deux  mers  peut-elle 
être  rétablie,   et  peut-on   espéi'c'r  de  voir  un  jour  les  grands  navires  se 

'  Bcrgslncsscr,  Vcrbindung  des  Kaspisclicn  mit  dcm  Schwanen  Mccre,  Miltheilungeii  von  Pcler- 
Eann,  1869. 


672 


NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


rendre  sans  obstacle  de  Gibraltar  au  port  d'Asterabad,  ou  même,  par  le 
cours  restauré  de  l'ancien  Amou-Daria,  jusqu'à  la  base  des  hautes  mon- 
tagnes de  l'Asie  centrale?  Si  Pierre  le  Grand  eût  appris  l'existence  de  cette 
chaîne  de  lacs  et  d'eaux  traînantes  cuire  les  deux  mers,  nul  doute  qu'il 
n'eût  mis  les  ingénieurs  à  l'œuvre  pour  le  rétablissement  de  l'ancien  canal 
de  jonction,  lui  qui  fit  mettre  la  pioche  entre  le  Don  et  la  Volga  et  qui 
ordonna  d'explorer  les  vallées  du  Rion  et  du  Kour,  au  sud  du  Caucase, 
en  vue   d'un  canal.  Pallas  découvrit   la  dépression   du  Manîtch,  et  Par- 


0.    MAMTCII    ORIENTAL    ET    BVSSE    KOr\ 


rot  le  premier  j)roposa  d'en  utiliser  la  double  ponte  pour  ouvrir  une  voie 
de  navigation  ;  puis  divers  explorateurs,  surtout  Bergstrasser,  étudièrent 
la  contrée  afin  de  liàter  le  commencement  de  l'entreprise.  En  tout  cas,  on 
ne  peut  songer  au  creusement  d'un  canal  maritime  sans  écluses  à  travei-s 
l'isllinie  ponto-caspien.  Pour  ftiire  descendre  en  pente  doue*  les  eaux  de 
la  mer  d'Azov  vers  la  mer  Caspienne,  il  faudrait  accomplir  une  œuvre 
bien  plus  colossale  que  le  percemtMil  de  l'isthme  de  Suez,  en  vue  d'un 
résultat  incomparablement  moindre.  Le  seuil  étant  situé  à  plus  de  51  mè- 
tres au-dessus  du  niveau  de  la  mer   Noire  —  à  '2i  mètres,  d'après  Dani- 


ISTHME  PONTO-CASPIEN.  S;ô 

■fov  —  et  par  conséquent  à  57  mètres  plus  haut  que  la  Caspienne, 
les  tranchées  à  creuser  pour  un  canal  de  5  mètres  seulement  seraient 
parmi  les  plus  profondes  du  monde  entier;  la  fosse,  excavée  dans  l'ar- 
gile des  steppes  et  peut-être,  en  certains  endroits,  à  travers  des  assises 
de  grès,  aurait  une  profondeur  d'au  moins  40  mètres  sur  une  distance 
de  plus  50  kilomètres.  Mais  un  canal  à  gradins  écluses,  destiné  au  service 
de  la  petite   navigation,   serait  une  œuvre   relativement   facile,   pourvu 

N°    isr.    —    MA\ÎTCH    OCCIDENTAL. 


qu'on  ne  se  contente  pas  de  l'eau  du  Kal'aous,  ni  même  de  celle  de  la 
Kouina,  ainsi  que  le  proposait  l'ingénieur  de  Voland  :  il  faudrait  prendre 
i'fan  d'alimentation  dans  le  Terek  et  dans  la  Kouhai'i,  à  une  grande  hau- 
teur au-dessus  de  la  dépression  du  Manîtch.  Les  plans  de  ringé'iiienr 
Daniiov,  dont  l'exécution  coûterait  de  quarante  à  cinquante  millions  de 
roubles,  i)ermetlraienl  au\  haleaux  à  \apciir  d'Astrakhaii  (r(''vil«'i'  les 
bouches  de  la  Volga  |i,ii-  un  canal  lali'-ia!  à  la  mer  Casin'enni'.  di-  jiasser 
dans  le  Manildi,  pui-  de  coiiloiirner  la  pi'iiinsulc  de  Taniai'i  cl  dViilrer 
ainsi  diri'clcnicnl  dati>-  la  mer  NOire. 


fi14  NOUVELLE    GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE 

L'espace  que  recouvrait  autrefois  la  Caspienne,  au  moment  de  sa  sépa- 
ration d'avec  le  Pont-Euxin,  comprenait  en  Europe  et  en  Asie  toute  la 
région  des  lacs,  des  marais  salins  et  des  steppes  qui  s'étend  à  la  base  des 
plateaux.  Au  sud  de  Tzaritzîn,  on  voit  encore  les  falaises  escarpées  qui 
se  dressaient  au-dessus  de  l'ancienne  mer  et  qui  continueraient  la  «  rive 
haute  »  de  la  Volga,  si  le  courant  du  fleuve,  échancrant  sa  berge,  ne  l'avait 
pas  fait  reculer  peu  à  peu  vers  l'ouest.  Un  peu  en  avant  des  falaises  mé- 
ridionales, une  chaîne  de  lacs  et  d'étangs,  reste  évident  d'un  fleuve,  est 
peut-être  le  prolongement  d'une  ancienne  Volga  allant  se  déverser  dans 
le  détroit  de  Manîtch.  Par  suite  de  l'évaporation  graduelle  de  ses  eaux,  la 
superficie  de  la  Caspienne  se  trouve  actuellement  réduite  à  440  000  kilo- 
mètres carrés',  à  peu  près  les  quatre  cinquièmes  de  la  surface  de  la  France. 
Cet  espace  maritime  ne  cesse  de  diminuer,  nous  le  savons,  à  cause  des 
alluvions  qu'apportent  les  fleuves,  mais  il  semble  que  la  quantité  d'eau 
reste  à  peu  près  la  même  :  l'équilibre  s'est  fait  entre  la  recette  et  la 
dépense,  ou  du  moins  les  oscillations  du  niveau  sont  contenues  en  d'étroites 
limites.  Lentz  ayant  fait  en  1830  une  incision  dans  la  roche  près  de  Bakou, 
on  n'a  cessé  d'observer  depuis  cette  époque  des  changements  de  niveau, 
mais  on  ne  sait  s'il  faut  y  voir  une  oscillation  locale  ou  un  phénomène  re- 
latif à  l'ensemble  du  bassin'. On  n'a  point  encore  établi  la  balance  annuelle 
des  eaux  par  le  jaugeage  des  portées  fluviales  et  la  mesure  précise  de 
l'évaporation  moyenne.  Un  indice  qui,  à  défaut  d'observations  directes, 
permet  d'affirmer  que  pendant  la  période  géologique  actuelle  le  niveau 
doit  s'être  à  peu  près  maintenu,  est  fourni  par  les  flèches  de  sable  que  l'on 
remarque  au-devant  de  mainte  partie  du  littoral,  et  surtout  le  long  des 
côtes  de  la  Perse  et  du  Turkestan.  Les  flots  du  large  ne  pourraient  élever  de 
pareils  cordons  littoraux  s'ils  baissaient  rapidement  au-dessous  des  terres. 
Dans  ce  cas,  des  sillons  se  creuseraient  perpendiculairement  au  rivage. 

De  nos  jours,  le  niveau  de  la  Caspienne  est  à  20  mètres  en  contre-bas 
de  la  mer  Noire  ^.  Dans  leur  mouvement  de  retraite,  les  eaux  ont  laissé  an 
milieu  des  steppes  un  certain  nombre  de  marais  salins,  tels  que  le  lac 
de  Yeiton,  mais  la  plus  grande  partie  de  l'étendue  jadis  immergée  a  été 
mise  complètement  à  sec,  et  même  certaines  dépn;ssions,  plus  basses  que 

'   459  420,  d'après  Slrelhilzkiy. 

=  iNivciiii  de  Lcnlz  en  1850  :  zrro;  —  on  1857,  —  0",iS  (Voskoboinikov)  ;  —  en  18i7,  +  0",'.>5 
(Aliicli);  —  cil  1818, —0", 40  (Abicli);  —  on  185-2,  —  O-'.SS  (Abich)  ;  —  on  1855,  — O-.Tô 
(Khanikov);  —  on  18G1,  —  1»,20  (Abicb). 

'  2G»,0i  d'après  Savitch,  Fuss  cl  Sabler  en  1850;  —  2G'",0SI  d'aprôs  Abicb  (Iriangiilalioii  .lu 
C:iucase,  en  1801);  —  "iT^jôS,  d'après  Vrontcbonkii  el  Vasiivev. 


MER  CASPIENNE.  675 

le  niveau  actuel  de  la  mer  Caspienne,  ont  été  entièrement  vidées  par 
l'évaporation  :  on  en  cite  une,  entre  le  lac  Yelton  et  le  fleuve  Oural,  qui 
se  trouverait  à  40  mètres  plus  bas  que  la  mer  Noire.  La  pente  générale  des 
plaines  qui  s'étendent  au  nord  de  la  concavité  Caspienne  se  continue 
au-dessous  de  la  surface  des  eaux  d'une  manière  presque  insensible  :  on 
pourrait  s'avancer  dans  les  flots  jusqu'à  plusieurs  lieues  du  rivage  sans 
courir  le  risque  d'être  englouti.  Au  large  des  bouches  de  la  Volga,  les 
grands  bateaux  à  vapeur  sont  obligés  de  mouiller  tellement  loin  de  la  côte, 
à  l'ancrage  des  «  Neuf  Pieds  »,  que  l'on  n'aperi^oit  pas  même  la  rive.  La 
mer  se  présente  dans  toute  cette  partie  de  son  bassin  comme  une  véritable 
steppe  inondée,  qu'une  soudaine  baisse  de  niveau  transformerait  en  plaines 
semblables  à  celles  d'Astrakhan.  Au  nord  des  bouches  du  Terek  et  de  la 
péninsule  de  Manghichlak,  la  profondeur  de  la  Caspienne  ne  dépasse  pas 
15  ou  10  mètres,  et  de  nombreux  bancs  de  sable  y  rendent  la  navigation 
très  difficile.  Environ  le  tiers  septentrional  du  bassin  est  occupé  par  ce 
marécage  des  steppes.  Cette  partie  de  la  mer  est  tellement  basse  que 
durant  les  vents  du  nord  les  eaux  reculent  parfois  de  50  kilomètres  vers 
le  sud.  En  hiver,  quand  une  couche  de  glace  recouvre  toute  la  Caspienne 
du  nord,  il  arrive  souvent  que  la  fuite  des  eaux  dans  la  direction  du  sud 
vide  complètement  des  golfes  entiers  cachés  par  la  nappe  glacée.  Manquant 
d'appui,  la  glace  doit  alors  s'affaisser  tout  entière, et  des  myriades  de 
poissons  sont  écrasés  sous  l'effondrement'.  Les  rives  orientales  de  la  mer 
ne  présentent  guère  non  plus  qu'une  longue  zone  de  bas-fonds  et  des  baies 
obstruées  de  bancs  sablonneux.  Toutefois,  deux  gouffres,  qui  rappellent  les 
abîmes  de  l'Océan,  s'ouvrent  dans  le  bassin  de  la  Caspienne  asiatique  jus- 
qu'à plus  de  700  et  de  900  mètres  :  comme  dans  presque  toutes  les  mers, 
la  plus  grande  profondeur  de  l'eau  est  indiquée  dans  la  Caspienne  par  le 
voisinage  des  plus  hautes  montagnes  du  bord  ;  les  deux  cuves  (pi'y  a 
découvertes  la  sonde  se  trouvent  précisénicnl  au  nord  et  au  sud  du  Caucase 
oriental,  à  la  base  de  ses  versants  sous-marins. 

Ce  n'est  pas  dans  les  parages  où  la  mer  Caspienne  a  par  sa  profondeur 
le  caractère  le  plus  maritime  que  ses  eaux  ont  la  |)lus  forte  salure.  Les 
baies  orientales,  surtout  le  golfe  de  la  «  Bouche  Noire  »  ou  Karaboghaz, 
et  l'espèce  de  fjord,  dit  de  «  l'Eau  Noire  »  ou  Karasou,  qui  se  recourlie  au 
nord-est  de  la  mer,  entre  deux  hautes  falaises,  sont  beaucoup  plus  riches 
on  substances  salines.  Dans  ces  espaces  presque  fermés,  l'eau  se  reiu)u- 
velle  avec  une  grand*;  lenteur,  mais  la  couche  suiicrlicielle  s'en  évapore 

'  Aus  allen  Wellllieilen,  août  1873. 


676  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE, 

rapidement  au  vent  et  à  la  chaleur  :  il  en  résulte  une  grande  concen- 
tration de  sel,  qui  se  dépose  sur  les  plages  basses  comme  un  pavé  de 
marbre.  La  salinité  du  golfe  de  Karasou,  même  supérieure  à  celle  de  la 
rade  de  Suez,  la  plus  salée  de  toutes  celles  qui  communiquent  avec  l'Océan, 
est  telle,  que  la  vie  animale  doit  y  être  presque  comjtlètement  ou  tout  à 
lait  supprimée.  En  revanche,  l'eau  superficielle  des  parages  qui  avoisinent 
les  deltas  du  Terek,  de  la  Volga,  de  l'Oural,  est  à  peu  près  douce,  si  bien 
(pie  dans  plusieurs  stations  de  poste,  où  manquent  les  sources,  on  boit 
l'eau  de  mer  sans  répugnance  et  sans  danger. 

Ces  diversités  de  salure  permettaient  aux  anciens  voyageurs  et  aux 
géographes  d'émettre  les  opinions  les  plus  contradictoires  sur  le  degré 
de  saturation  des  eaux  caspiennes.  De  nos  jours  enfin,  les  dosages  faits 
par  M.  de  Baer  et  d'autres  naturalistes  ont  donné  pour  résultat  moyen 
une  proportion  d'environ  9  millièmes  de  sel  marin'.  C'est  un  peu  moins 
que  la  salure  de  la  mer  Noire,  évaluée  en  moyenne  à  11  millièmes. 
Ainsi,  depuis  que  les  deux  bassins  maritimes  se  sont  séparés  l'un  de 
l'autre,  les  changements  accomplis  auraient  été  assez  considérables  pour 
amener  un  écart  d'un  cinquième  dans  la  salure  respective  des  mers  dis- 
jointes. Quelle  est  la  cause  de  cet  écart  ?  Le  Ponl-Euxiii  est-il  devenu  plus 
salé  en  entrant  en  communication  avec  la  Méditerranée  par  le  Bosphore, 
ou  bien  la  Caspienne  a-l-elle  perdu  de  sa  première  salinité  ?  Le  pre- 
mier cas  est  fort  probable,  car  tous  les  poissons  de  la  mer  d'Hyrcanic 
appartiennent  soit  à  des  espèces  voyageuses,  soit  à  des  espèces  qui  vivent 
dans  les  eaux  peu  salées  ou  bien  sont  indifférentes  au  degré  de  salure  de 
la  mer.  Dans  le  Pont-Euxin,  au  contraire,  les  poissons  d'eau  fortement 
saline,  venus  de  la  Méditerranée,  prédominent  en  nombre'.  D'ailleurs,  il 
se  pourrait  aussi  que,  même  à  l'époque  où  les  deux  mers,  Caspienne  et 
mer  Noire,  faisaient  partie  du  même  bassin,  la  première  fût  remplie  d'une 
eau  moins  saline,  à  cause  de  l'abondance  des  rivières  qui  s'y  jettent  et  dont 
la  masse  liquide  ne  se  mélangeait  pas  entièrement  avec  celles  du  réservoir 
oriental  :  c'est  ainsi  que  la  mer  d'Azov  est  loin  d'avoir  de  nos  jours  la 
même  salure  que  la  nier  Noire.  Ouoi  (jifil  en  soit,  l'isolement  de  la  Cas- 
pienne doit  être  un  fait  déjà  fort  ancien,  puisque  la  faune  de  cette  mer  se 
distingue  de  toutes  les  autres  par  un  certain  nombre  d'espèces.  Les  recher- 
ches de  Kessler  ont  établi  que  la  Casnienne  possède  au  moins  bi  poissons 
(pi(^  l'un  ne  trouve  point  dans  les  autres  mers".  Six  espèces  seulement  sont 

'  Saiinilé  des  eaux  do  la  (:,is|iieimc  profonde  :  l,008ù  à  1,0114. 

-  Oul'skiy  ;  —  A   Ga'bel,  Bulletin  de  l' Académie  des  sciences  de  Saint-Pelcisbourg,  I8G3,  tome  V. 

-  Kessler,  Huisisclie  Reeue,  1875,  4*  livr.  —  Au^land,  1877,  n°  2. 


MER   CASPIENNE.  677 

communes  à  la  fois  à  la  mer  d'Aral,  à  la  Caspienne  et  à  la  mer  Noire, 
mais  vingt-cinq  autres  peuplent  les  eaux  des  deux  bassins  principaux.  Pour 
les  coquillages,  on  a  fait  des  observations  analogues;  des  18  espèces  que 
Rodolphe  Ludwig  trouva  dans  les  eaux  caspiennes,  plusieurs  ne  se  ren- 
contrent que  dans  ce  bassin,  d'autres  lui  sont  communes  avec  la  mer 
jXoire,  d'autres  encore  avec  les  mers  boréales.  Cette  partie  de  la  faune! 
maritime  est  mal  représentée  dans  la  Caspienne,  à  cause  de  la  faible  salure 
de  ses  eaux. 

La  vie  animale  abonde  dans  la  mer  d'Astrakhan,  non  seulement  au 
milieu  des  eaux  superficielles,  mais  aussi  à  plusieurs  centaines  de  mètres 
de  profondeur.  L'énorme  quantité  de  poissons  qui  peuple  la  Caspienne 
est  attribuée  aux  amas  de  nourriture  végétale  que  ces  animaux  trouvent 
dans  les  eaux  basses  des  parages  du  nord  et  dans  les  immenses  roselières 
de  la  Volga  et  des  autres  rivières  qui  se  déversent  dans  le  bassin.  D'après 
quelques  récits  des  anciens  voyageurs  et  même  d'écrivains  contemporains, 
les  pêches  de  la  Caspienne  tiennent  presque  du  merveilleux  :  souvent  c'est 
par  milliers  et  par  dizaines  de  milliers  que  l'on  capture  les  poissons.  Le 
produit  probable  de  la  pèche  dépasse  400  millions  de  kilogrammes,  repré- 
sentant une  valeur  de  SO  à  100  millions  de  francs;  mais  les  slatisfiijucs 
officielles,  qui  ne  s'occupent  pas  des  petites  stations  de  pèche^  donnent  des 
évaluations  beaucoup  moins  élevées'.  Le  haut  prix  du  sel,  sur  lequel  pèse 
im  fort  droit  d'accise,  empêche  les  pêcheurs  de  saler  le  petit  poisson  et  de 
l'expédier  dans  le  reste  de  la  Russie. 

En  dehors  de  la  Caspienne  actuelle,  de  nombreux  lacs  salés,  qui  se 
trouvent  dans  les  districts  de  Novo-Ouzensk  et  de  Nicol'aycvsk,  doivent  être 
considérés  aussi  comme  des  restes  de  la  mer.  On  a  retrouve  les  coquilles 
caractéristiques  du  bassin,  d'un  côté  jusqu'à  l'Aral,  et  de  l'autre  jusque 
dans  le  voisinage  de  Samara,  près  du  grand  coude  de  la  Volga,  et  même 
biîaucoup  plus  au  nord,  tlans  la  plaine  de  Bolgar,  au  sud  du  confluent  de 
la  Kama.  Le  géologue  Vazikov,  qui  découvrit  ces  coquillages,  pense  que,  la 
j)laine  de  Sizrai'i  était  jailis  un  golfe  de  la  Caspienne  communiquant  peul- 
èlre  avec  une  autre  mer  plus  septentrionale,  dont  la  Volga,  la  Kama  et 
leurs  affluents  parcourent  maintenant  l'ancien  lit'.  Mais  pour  les  steppes 
dont  le  niveau  est  maintenant  inférieur  an  niveau  de  la  Méditerranée  et  à 
celui  du  seuil  de  Manitch.  il  n'y  a  point  de  doute  :  ce  sont  bien  là  d'anciens 
fonds  de  mer  parsemés  de  petites  caspiennes  en  miniature,  traversés  par 

'  Pccliciirs  marins  du  disliict  d'A'ilraklian  en  1872  :  2.")  000  linninics.  Embaicalions,  2780; 
bateaux  i  Tapour  de  |i('chc,  19.  Valeur  de  la  |ièche  :  18  490.J00  rouldes. 

«  Rupreclil,  BuUclin  de.  t Académie  de»  sciences  de  Sninl-Pclersbowg.  !oine  VII,  1865. 


678 


NOUVELLE  GEOGUAPIIIE   U>'1  VERSELLE. 


dos  cours  d'eau  ou  plutôt  par  des  ouàdi  de  formation  moderne  :  telles  sont 
la  grande  et  la  petite  Ouzen  qui  coulent  du  nord-ouest  au  sud-est  suivant 
un  si  remarquable  parallélisme  et  dans  le  même  sens  que  la  basse  Volga. 
Ce  sont,  évidemment  des  coulées  qui  se  sont  ouvert  un  iil  dans  le  sol  d'allu- 
vlons,  immédiatement  après  la  retraite  des  eaux  de  la  Caspienne'. 

Des  innombrables  petites  caspiennes  de  la  steppe,  la  plus  célèbre  est 
celle  où  se  trouve  le  lac  salin  de  Yelton,  jadis  l'Allau-Nor  ou  le  «  Lac 
Doré  »  des  Kalmouk  :  il  fut  ainsi  nommé  sans  doute  de  ses  reflets  éclatants 
sous  les  rayons  du  soir.  Mais  d'ordinaire  cette  région  désolée  est  triste 
à  voir.  Nulle  part  la  verdure  ne  contraste  avec  l'argile  brune  ou  jaunàti'o 


—    STEPPES   S\L1>ES   ET    LAC    ÏELTO.N. 


sur  lai|U('lle  se  niontrenl  des  stries  de  sel  blanc  :  les  maisonnettes  des  tra- 
vailleurs, les  entrepôts  de  la  compagnie  d'exploitation,  les  «  camelles  »  ou 
pyramides  de  sel,  alignées  comme  les  tentes  d'une  armée,  les  grands  cbars 
traînés  par  des  bœufs  qui  cliemincnt  sur  la  route  de  la  Volga,  sont  les  seuls 
objets  sur  lesquels  puisse  s'arrêter  le  regard  au  milieu  de  l'immense  éten- 
due. Le  lac,  dont  les  eaux,  brillant  au  soleil,  semblent  être  d'un  rouge  violet, 
couvre  un  espace  d'environ  2(J0  kilomètres  carrés,  mais  sa  profondeur,  à  peu 
près  égale  partout,  n'est  guère  que  de  5  décimètres  ;  seulement  quand  le  venl 
souffle  avec  force  d'un  même  point  de  l'Iiorizon,  la  masse  entière  du  lac  se 
trouve  déplacée  :  la  cuvette,  assécliée  d'un  côté,  déborde  de  l'autre,  et  les 
eaux  apportées  par  la  boule  se  trouvent  accumulées  sur  une  épaisseur  de 


'  Von  Ilelinerscu,  Bulletin  de  iAcaitcmic  des  Sciences  de  Sainl-Pélersbowg ,  tome  XI,  18U7. 


MER    CASPIENNE.   LAC   YEtTON,   STEPPES.  C^^ 

près  d'un  nièlre.  Le  lit  du  lac  se  compose  en  entier  de  couches  salines  d'une 
extrême  dureté,  que  l'on  n'a  point  encore  sondées  jusqu'à  une  grande  pro- 
fondeur. Les  ouvriers  ne  s'attaquent  point  à  cette  roche  de  sel  dur  ;  ils  se 
bornent  à  exploiter  les  couches  récentes  qui  se  forment  chaque  année  sur 
le  pourtour  du  lac,  lors  de  la  fonte  des  neiges,  quand  les  eaux  argileuses, 
chargées  de  particules  salines,  s'écoulent  de  la  steppe  environnante.  Une 
évaluation  approximative  donne  le  chiffre  de  2  millions  de  tonnes  comme 
la  quantité  de  sel  qui  augmente  annuellement  la  roche  déposée  dans  le 
bassin  de  Ycl'ton.  L'eau  saturée  est  si  dense  que  les  travailleurs  y  marchent 
difficilement;  elle  ne  gèle  jamais,  même  quand  la  température  descend 
à  50  degrés  au-dessous  du  point  de  glace  ;  mais  alors  il  est  dangereux  d'y 
tremper  ses  membres  nus  :  la  peau  noircit  aussitôt  et  parfois  la  gangrène 
se  déclare'.  D'après  la  tradition,  des  sources  d'eau  pure  et  glacée  jailli- 
raient en  quelques  endroits  du  milieu  du  lac.  l^ne  dizaine  de  canaux  crcusc's 
au  large  des  bâtiments  d'exploitation  permettent  aux  barques  à  fond  plat 
d'aller  de  la  rive  aux  carrières  inondées,  mais  ces  travaux  de  canalisation 
sont  à  peu  près  tout  ce  que  l'industrie  a  fiiit  pour  utiliser  l'immense 
bassin  de  sel.  La  production  du  Yel'ton  s'était  accrue  depuis  que  l'Etat  en 
avait  concédé  l'exploitation  à  une  compagnie  particulière^;  maintenant 
celle-ci  exploite  surtout  le  lac  Baskountchak,  plus  rapproché  de  la  Volga. 
La  plupart  des  steppes  salines  s'étendent  au  nord  de  la  Caspienne,  entre 
le  cours  de  la  Volga  et  celui  de  l'Oural.  A  l'ouest  de  la  Caspienne,  la  zone 
saline  est  beaucoup  moins  large  ;  les  steppes  sont  presque  toutes  des 
plaines  argileuses,  semées  de  lacs,  dont  quelques-uns  ont  de  l'eau  douce. 
Au  nord,  elles  sont  sableuses  dans  presque  toute  leur  étendue,  et  ne  sont 
interrompues  que  par  des  marais  et  les  deux  îlots  Iriasiques  du  Grand  Bogdo, 
percé  de  cavernes,  et  du  Petit  Bogdo  ;  çà  et  là  les  sables  se  sont  entassés 
en  dunes  que  promène  le  vent.  Quant  aux  steppes  rocheuses,  elles  man- 
quent sur  le  côté  européen  de  la  Caspienne,  tandis  qu'elles  occupent  pres- 
que tout  le  côté  asiatique,  le  côté  morne  et  di'sert.  Mais  toutes  ces  steppes, 
salines,  argileuses  ou  rocheuses,  ne  ressembliMil  en  rien  aux  steppes  her- 
beuses du  iJnepr,  et  les  pâturages,  à  l'herbi!  rare,  se  montrent  seulement  rà 
et  là  dans  les  bas-fonds,  à  une  assez  grande  distance  du  rivage  actuel  de  la 
mer.  Après  que  les  sauterelles  s'y  sont  abattues,  ce  qui  arrive  assez  fré- 
quemment, il  n'y  reste  pas  une  herbe,  et  les  roseaux  des  marécages  sont 

'  Th.  von  Lcngenfcldt.  Ans  allcn  WelUhciten,  avril  1877. 

'   Prorluition  en  1871 27 j  000  tonnes. 

Extrait  (lu  Baskountchak  en  1880 l.ïl  000       » 


680 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


rono-és  jusqu'au  niveau  même  de  l'eau  floconneuse'.  Et  pourtant  ces  tristes 
contrées  sont  habitées  çà  et  là,  non  seulement  par  des  Rirghiz  et  des 
Bachkirs  nomades,  mais  aussi  par  de  hardis  colons,  par  les  Cosaques 


v-o    15-;.    STEPPES   AT    NORB    HE    LA    CASPIEWE. 


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Terres  ail*  uses.  Sables.       Terres  KiljlonneuHs.      Terre  grise.  Icm-s  salées.         Marais  saU^.      Sables  iiiouMiuls. 

1  ;  4  1S0001. 


f;rands-russiens,  avant-panli'  de  la   race  qui  iieiiplc   toute  la  Russie  cen- 
lialr. 

.^  l"L■^t  (lu  fleuve  Oural,  des  plateaux  rocheux,  inlerronipaut  la  surface 
monotone  des   steppes,  sont  les  premières  voussures  de  la  longue  saillie 


Von  BniT,  haspische  Slitilien. 


HONTS  OURAL.  081 

des  monts  Oural  qui  vont  se  perdre  au  loin  dans  Focéan  Polaire,  après  un 
parcours  de  28  degrés  de  latitude  à  travers  les  quatre  zones,  des  steppes, 
des  forêts,  des  toundras  et  des  glaces  flottantes. 

La  partie  de  l'Oural  qui  commence  aux  sources  de  la  Petcliora  et  qui 
limite  à  l'est  le  bassin  de  la  Volga,  n'est  point  accompagnée  de  chaînons 
parallèles  comme  l'Oui-al  des  Vogoules,  des  Ostaks  et  des  Samoyèdes  ; 
seulement  quelques  massifs  s'élèvent  à  l'est,  du  côté  sibérien,  et  se  dres- 
sent-à  une  plus  grande  hauteur  que  tout  autre  sommet  de  l'Oural  :  tel  est 
le  Denojkin  Kameii.  Au  sud  du  Kohtchakov  Kameii,  l'Oural  perd  l'aspect 
d'une  rangée  de  montagnes  :  ce  n'est  plus  qu'une  suite  de  croupes  s'éle- 
vant  en  moyenne  de  200  ou  500  mètres  au-dessus  des  régions  basses  : 
encore  la  base  de  cette  faible  saillie  est-elle  si  large,  que  les  deux  versants 
sont  d'une  pente  à  peine  sensible.  En  montant  de  l'Europe  vers  le  faîte, 
qui  se  trouve  à  560  mètres  seulement  d'altitude  absolue,  on  croirait  ne 
])as  avoir  quitté  les  plaines  ;  les  montagnes  n'apparaissent  que  sous  la 
forme  d'une  faible  dentelure,  azurée  par  l'éloignement.  Sur  le  versant 
asiatique,  la  déclivité  du  sol  est  plus  graduelle  encore  :  on  n'a  pas  même 
à  descendre  de  100  mètres  jusqu'à  Yekaterinbourg  :  ce  n'est  pas  un  col 
qui  réunit  les  deux  étendues  basses,  c'est  un  simple  seuil.  D'ailleurs,  la 
roche  nue  ne  se  montre  qu'en  un  bien  petit  nombre  d'endroits  :  elle  est 
recouverte  de  mousses  ou  même  de  tourbières  ;  des  lacs  entiers  sont  cachés, 
dit  le  géologue  Ludvvig,  par  des  couches  de  tourbe  si  épaisses  que  des  roules 
de  chars  les  traversent  et  qu'on  y  passe  sans  danger.  De  grandes  forêts 
s'étendent  sur  les  pentes  et  dans  les  vallées  éloignées  des  routes,  mais 
dans  le  voisinage  des  mines  et  des  usines  toutes  les  hauteurs  sont  déjà 
dépouillées  de  verdure  ;  les  grands  bois  ont  été  aussi  détruits  pour  la 
construction  des  bateaux.  Chaque  année,  des  centaines  d'embarcations  quit- 
tent les  chantiers  pour  transporter  le  minerai  ilans  les  pays  d'aval,  et 
jamais  il  n'en  revient  une  seule  :  toutes  sont  dépecées  et  le  bois  en  est 
vendu  à  vil  prix'.  Dans  les  forêts  qui  subsistent  encore,  les  ours  sont  assez 
nombreux,  mais  l'homme  n'en  a  jioint  frayeur;  les  baies  dont  l'animal 
se  nourrit  se  trouvent  partout  en  aljondance  :  on  rencontre  fréquemment 
dans  le  bois  des  sorbiers  mutilés  dont  l'ours  a  brisé  les  branches  pour 
s'emparer  plus  facilement  des  grappes. 

La  région  moyenne  de  l'Oural,  que  les  agents  atmosphéri(jucs  ont  le 
plus  abaissée  pendant  la  série  des  âges,  est  celle  (jui  a  pris  une  si  grande 
importance  par  sa  richesse  en  métaux  précieux.  C'est  là  que  l'on  exploite 

'  V<in  llc'lmorscn,  Bulletin  de  l'Académie  det  sciences  de  Saint-Pétersbourg,  1807,  ii"  \I, 
V  86 


682 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   l.MVERSELLE. 


depuis  1815  l'or  associé  au  platine  et  que  l'on  trouve  en  même  temps 
d'autres  métaux,  surtout  le  cuivre,  presque  toujours  associé  aux  roches 
j)ermicnnes,  et  le  fer,  qui  constitue  des  montagnes  entières.  Toutefois  ce 
n'est  pas  dans  les  roches  mêmes,  granit  ou  serpentine,  que  le  mineur  va 


CHAINES    DIYERGENTrS    HE    L  OVRAI.    DV    SCD. 


Est    de 


Est   de    Greenw  ch 


rlierclicr  les  veines  d'(ir  :  la  nahirc  a  déjà  Iriluré  les  montagnes,  proha- 
blement  par  l'action  d'anciens  glaciers',  et  les  fragments  en  reeouvrenl  un 
espace  considérable  ;  c'est  là,  dans  les  moraines  remaniées  par  les  eaux  que 
l'on  recueille  le  minerai.  De  chaque  côté  de  la  chaîne,  les  plaines,  celles  de 
Periii  et  d'Orenihouig,  aussi  bien  (|ne  celles  de  l'Asie,  sont  couqiosées  de 


'  Eichwalil,  Ucber  das  Seifciigebirgc  des  Vrais,  Beili'iij'e  zur  Kcimliiiss  des  Riissist liens  Rciclies, 
vol.  VUL 


MOMS   OURAL.  683 

débris  s'étendant  sur  une  largeur  moyenne  de  500  kilomètres,  avec  une 
profondeur  d'environ  150  mètres  :  ce  sont  des  roches  menuisées,  détachées 
de  l'Oural,  puis  emportées  de  part  et  d'autre  et  remaniées  par  les  eaux 
dans  les  terres  basses.  Si  tous  ces  débris  étaient  reportés  sur  le  faîte,  ils 
en  augmenteraient  la  hauteur  d'au  moins  600  mètres  '.  C'est  dans  ces 
amas,  égalisés  à  la  surface  par  les  tourbes,  les  mousses  ou  les  gazons,  que 
les  mineurs  trouvent,  souvent  h  côté  des  ossements  fossiles  des  grands 
ruminants,  le  minerai  extrait  de  sa  gangue  primitive  par  les  glaces  ou  les 
eaux.  Le  versant  oriental  est  le  plus  riclie  des  deux  en  paillettes  de  métal  : 
c'est  en  Asie  que  sont  les  mines  principales  et  les  usines  métallurgiques 
les  plus  actives  :  on  y  trouve  aussi  dans  la  roche  vive  d'anciennes  galeries 
dites  «  mines  des  Tcboudes  »,  où  l'on  a  recueilli  de  nombreux  instru- 
ments de  cuivre,  mais  aucun  qui  soit  en  bronze  :  la  race  des  anciens 
mineurs  a  péri  avant  d'atteindre  l'âge  de  bronze  proprement  dit*.  D'après 
la  tradition,  d'anciennes  mines  très  riches  seraient  encore  connues  de 
quelques  indigènes  ;  mais  ceux-ci  se  sont  toujours  refusés  à  en  révéler 
l'entrée,  de  peur  d'être  condamnés  aux  durs  travaux  de  l'exploitation.  C'est 
ainsi  que  les  Quichuas  des  Andes  ont  maintes  fois  obstrué  l'entrée  des 
mines  d'or  les  plus  productives. 

Précisément  dans  l'une  des  grandes  régions  minières,  un  peu  au  nord 
de  Zl'atooust,  la  chaîne,  qui  s'est  redressée  par  degrés,  se  bifurque  en 
trois  rameaux  s'ouvrant  dans  la  direction  du  sud  comme  les  branches  d'un 
éventail  et  s'écartant  pour  former  de  larges  vallées  dans  lesquelles  naissent 
le  fleuve  Oural  et  son  affluent  la  Sakmara.  La  branche  occidentale  dépasse 
r200  mètres  par  quelques-unes  de  ses  cimes,  le  Yourma,  le  Taganai,  l'Ou- 
renga;  à  l'Iremel,  elle  a  plus  d'un  kilomètre  et  demi  de  hauteur,  et  devient 
ainsi  l'égale  des  grands  massifs  du  nord.  Les  deux  autres  chaînes,  celle  du 
milieu,  qui  continue  l'axe  principal  des  monts,  et  la  chaîne  orientale,  qui 
va  se  confondre  avec  les  plateaux  voisins  de  la  mer  d'Aral,  sont  moins  éle- 
vées que  la  chaîne  de  l'ouest,  dont  les  dernières  collines  longent  an  nord 
le  cours  du  fleuve  Oural.  A  son  extrémité  méridionale,  le  système  ouralien 
n'a  pas  moins  de  ."llil  kilomètres  de  lari;cur '. 

'   Un(lol|ili  Luilwig.  Geoloyische  Bcobachtumjcn  im  irai. 

'  Albin  Kutin,  Sibirien;  —  Voii  Sadowski,  Uandctsstrasuen  dfr  Gricchen  und  dei  Rumer 

'-  Altitudes  diverses  de  l'Oural  moyen  et  de  l'Oural  du  Sud  : 

Ol'P.AL   MOYEN. 

Denejkin  Kaincn IG30  mètres 

Konlchalkov .    .  1400       o 

B».ngodai 400 

Seuil  de  Yckaterihbourg.   .    .  500       »  |  Akhlouba. 7'JJ 


OIRAL    Df    SID. 

Irt'inel 1550  mètres . 

Vnunna 1050  r. 

Ta-an.ii lOôO  » 


6S4 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   l.NIVERSELLE. 


Le  fleuve  Oural,  dont  le  cours  continue  les  monts  Oural  comme  limite 
officielle  de  l'Europe  et  de  l'Asie,  est  l'ancien  Yaïk,  dont  le  nom  a  été 
défendu  et  comme  maudit  à  cause  du  retentissement  que  lai  donna  jadis 
l'insurrection  des  Cosaques  du  même  nom,  sous  la  conduite  do  Pougat- 
chov;  mais  cette  raison  même  empêchera  que  l'appellalion  d'autrefois  soit 
ouldiée.  Par  la  longueur  de  son  développement.  TOnral  est  un  des  grands 
fleuves  de   FEurope.   mais   non  par  l'ahondance  de  ses  eaux.    iS'é   sur  le 


ins    IXTI-CIIFIR    M'    FLFIVF    OIT:  IL. 


E-    de    Fao. 


Est   de    breervvtL' 


versant  asiatique  des  monts,  dans  les  gorges  de  Kalgantau,  l'Oiual  reçoit 
ses  premiers  affluents  des  vallées  ahritées  contre  les  v(>nls  pluvieux  :  la 
nioyeiuie  de  l'iiuinidilé  tomhée  sous  l'orme  de  pluies  el  de  neiges  dans 
le  li.'iiil  bassin  de  l'Oural  n'atteint  prolialilement  mille  part  iO  cenli- 
nièlrcs,  et  diminue  graduellement  du  nord  au  sud  :  à  son  entrée  dans  les 
|)laines,  le  fleuve  traverse  des  contrées  où  la  cliulc  de  pluie  annuelle  n'at- 
teint pas  25  centimètres,  et  l'évaporation  lui  enlève  une  grande  jiarlie  de 
cette  eau.  Son  lit,  formé  de  couches  argileuses,  est  presijue  partout  d'une 


FLEUVE  OURAL.  685 

largeur  de  plus  de  100  mètres  et  même  atteint  çà  et  là  175  mètres; 
mais  les  eaux  ne  sont  pas  profondes,  et  la  commerçante  Orenbourg,  ce 
grand  entrepôt  des  marchandises  entre  l'Europe  et  l'Asie,  ne  peut  pas 
utiliser  l'Oural  pour  la  navigation,  quoique  le  cours  du  fleuve  moyen, 
rejeté  \ers  l'ouest  par  les  plateaux  de  la  steppe  méridionale,  ait  précisé- 
ment la  direction  de  l'est  à  l'ouest,  la  plus  favorable  pour  le  transit  entre 
la  Russie  et  le  Turkestan.  Dans  son  cours  moyen,  l'Oural  n'a  que  deux 
affluents  de  quelque  importance,  au  nord  la  Sakmara,  au  sud  l'Ilek;  plus 
bas,  il  ne  reçoit  que  de  simples  ruisseaux,  puis  en  aval  d'Ouralsk,  là  oii 
le  fleuve  reprend  la  direction  du  sud,  les  tributaires  n'arrivent  que  rare- 
ment jusqu'au  lit  du  courant  principal  :  ils  se  perdent  dans  les  sables 
ou  s'étaient  en  mares,  qui  se  déplacent  parfois  suivant  la  pression  des 
dunes  ou  barkhimi,  que  le  vent  promène  çà  et  là  sur  la  plaine'.  Après 
avoir  reçu  la  Solanka,  qui  lui  apporte  une  onde  saumàtre,  l'Oural  n'est 
plus  alimenté  par  une  seule  eau  courante  :  sur  une  longueur  d'environ 
500  kilomètres,  soit  environ  le  quart  de  son  développement  total,  il  ser- 
pente lentement  dans  la  steppe  sans  recevoir  une  seule  goutte  d'eau  :  toutes 
les  rivières  qui  se  dirigent  vers  sa  vallée,  comme  la  grande  Ouzeii  et  la 
petite  Ouzeii,  s'arrêtent  en  roule  avant  de  l'atteindre.  La  puissance  du  cou-, 
rant  diminue  peu  à  peu  :  à  l'origine  du  delta,  l'Oural,  amoindri  par  l'éva- 
poralion,  n'a  plus  la  moitié  de  l'eau  qu'il  roulait  devant  Ouralsk. 

Il  est  certain  que  depuis  un  siècle  la  rivière  s'est  beaucoup  appauvrie, 
en  partie  sans  doute  parce  que  les  forêts  de  son  cours  moyen  ont  été  dé- 
truites, par  les  Knlmouks  d'abord,  puis  par  les  Khirgiz,  mais  surtout  par 
l'effet  d'une  diminuliun  générale  des  pluies  dans  toute  la  zone  qui  com- 
prend la  Russie  méridionale  et  le  Turkestan.  En  1769,  lorsque  Pallas 
parcourait  la  contrée,  l'Oural  s'unissait  à  la  mer  par  dix-neuf  bouches, 
et  le  delta  fluvial  comprenait  un  espace  de  |dus  de  3000  kilomètres  carrés. 
En  18'21,  le  delta,  diminué  de  plus  de  moitié,  se  composait  de  neuf  bran- 
ches seulement,  dont  quatre  assez  profondes  pour  porter  des  bateaux. 
Depuis  1840,  il  n'y  a  plus  ordinairement  que  trois  bras  de  l'Oural,  et 
les  anciens  émissaires  ne  sont  remplis,  en  tout  ou  en  partie,  que  d'une 
manière  tout  exceptionnelle,  pendant  les  crues  du  printemps  :  les  noms 
qu'ils  portent,  Baksaï  Mouillé,  Ruisselct  Noir,  Erik  desséché,  et  d'autres 
encore  témoignent  de  la  faible  quantité  d'eau  que  roulent  actuellement  ces 
lits  fluviaux.  Eu  JÎSOO,  une  seule  des  trois  rivières  encore  existantes,  pro- 
fonde de  75  OTitimèlrcs,  pouvait  jiortBr  bateau   en  tout  temps;  les  deux 

'  rvej'smanii,  Hutoire  naturelle  de  la  «  Frontiire  »  (rOvenlmurg  (en  russe). 


686  NOUVELLE   GÉÛGR.M'llIE   IMVERSELLE. 

autres  n'avaient  respectivement  que  60  et  50  centimètres  de  profondeur 
moyenne'.  L'Oural  est  donc  par  sa  masse  liquide  un  des  petits  cours 
d'eau  d'Europe,  moindre  que  la  Charente  ou  que  l'Escaut',  et  l'on  a  calculé 
que  si  l'amoindrissement  du  Ilot  continue  dans  la  même  proportion  que 
pendant  le  dernier  siècle,  le  fleuve  n'atteindra  plus  la  mer  :  il  se  desséchera 
dans  sa  partie  inférieure,  comme  l'Emha,  sa  voisine  de  l'est,  s'est  dessé- 
chée vers  le  milieu  du  siècle  actuel  '.  Toute  la  basse  plaine  de  l'Oural  est 
parsemée  de  stantzas  ou  fiiusses  rivières,  coupées  maintenant  du  tronc 
principal  comme  les  branches  d'un  arbre  émondé,  et  du  côté  de  l'est 
s'étend  tout  un  lacis  d'anciens  fonds  lacustres  séparés  par  des  bougrî 
parallèles,  en  tout  semblables  à  ceux  de  la  basse  Volga. 


Les  Grands  Russiens  ou  Veliko-Russes  forment  à  eux  seuls  plus  de  la 
moitié  des  habitants  de  l'empire  russe.  Non  seulement  ils  occupent  presque 
toute  la  Russie  centrale,  ainsi  que  ia  plus  grande  partie  du  bassin  de  la 
Neva,  ils  se  sont  aussi  avancés  en  masses  compactes  vers  le  nord,  l'est  et 
le  sud,  et  du  côté  de  l'ouest  ils  ont  de  nombreuses  colonies  dans  les 
provinces  Baltiques  et  dans  la  Petite  Russie.  Ce  sont  eux  que  l'on  ren- 
contre en  plus  grand  nombre  à  la  base  septentrionale  des  monts  du  Cau- 
case, et,  dans  la  Sibérie,  de  vastes  espaces  plus  étendus  que  la  France  ont 
une  population  toute  grande-russienne.  Les  Veliko-Russes  sont  devenus  la 
race  prépondérante;  ils  ont  imposé  leurs  formes  politiques  au  reste  de  l'em- 
pire, et  leur  langue  prime  les  autres,  à  la  fois  comme  idiome  officiel  et 
comme  parler  littéraire.  Comparés  aux  autres  nationalités  de  la  Slavie 
orientale,  les  Grands  Russiens  ont  l'avantage  que  leur  donnent  la  cohésion 
matérielle,  la  solidité  compacte.  Dans  toute  la  Grande  Russie,  It;  peuple 
présente  la  même  uniformité  d'aspect  que  la  nature  ;  partout  les  villes,  les 
villages,  les  cultures  se  ressemblent,  presque  partout  les  gens  ont  même 
figure  et  même  costume,  si  ce  n'est  chez  les  femmes  ;  le  genre  de  vie  est 
le  même,  la  langue  offre  à  peine  de  légères  différences;  les  jcontrastes  de 
province  à  province  n'existent  guère. 

En  moyeime,  les  Veliko-Russes  sont  un  peu  ]ilus  petits,  mais  aussi  plus 
trapus  que  les  Malo-Russes  et  les  Blancs  Russiens  ;  c'est  parmi  les  habi- 

'    Danilevskiv,  Imlustrie  de  la  pèche  sur  l'Oiirnl  [en  nissr). 

*   Longueur  de  l'Oural  (d'après  Tllli\ 2  ."80  kilomètres. 

SuiJcrficic  du  bassin  fluvial .    .    .  ....     'i.")0  000  kilomètres  carres. 

Portée  Mioyonne ÔO  mètres  cubes  (?) 

■•   R.-ibinin,  .Matériau  t  pour  la  géographie  et  la  statistique  de  ta  Russie,  Armée  des  Cosaques  de 
rOural  (en  russe). 


GRANDS  RUSSIENS- 


C89 


tants  des  provinces  moscovites  centrales  que  les  agents  de  la  conscription 
écartent  le  plus  de  jeunes  gens  comme  impropres  au  service  militaire  ; 
mais  cela  tient  peut-être  à  un  éliolemcnt  partiel  de  la  race  dans  les  fila- 
tures et  les  autres  usines  du  centre  de  la  Russie.  Là  où  la  misère,  l'air 
iiii|iiir,  le  travail  forcé  n'ont  pas  appauvri  le  sang,  les  moujiks  grands- 


TTPE    DE    GRANDE    RCSJIESNE.    DISTRICT    d'aRDATOV,    GOrVERyEMI'.XT    DE    MJ M V-NOVCOROD , 

Dessin  de  RoDjat,  d'après  une  photographie. 


russiens  sont  remarquables  par  leur  forte  carrure,  leur  large  face,  leur 
front  puissant;  ils  aiment  à  porter  la  barbe  longue  et  épaisse,  et  ils 
ont  réussi  à  la  conserver  malgré  Pierre  le  Grand,  qui  voulait  raser  ses 
sujets  pour  les  faire  ressembler  à  des  Ibdiandais  :  ils  n'ont  cessé  de 
mériter,  par  leur  menton  barbu,  le  nom  de  kalzapi  ou  de  4  bo.ucs  »  que 
Icui'  donnaient  les  Petits  Piussicns.  Mais  sur  ces  grosses  figures  barbues, 
V.  87 


690  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  INIVEIISELLE. 

parmi  lesquelles  il  en  est  beaucoup  d'une  grande  noblesse,  brille  un  regard 
vif  et  reluit  un  bon  sourire.  Par  l'éducation,  les  paysans  vcliko-russes 
s'assouplissent  rapidement  ;  leurs  traits  s'affinent  et  s'égayent.  «  L'homme 
en  Russie,  dit  Michelel'  en  parlant  surtout  des  Slaves  civilisés,  n'est 
point  l'homme  du  ^ord.  Il  n'en  a  ni  l'énergie  farouche,  ni  la  gravité  forte. 
Les  Russes  sont  des  méridionaux  :  on  le  voit  au  premier  coup  d'oeil,  à 
leur  allure  leste  et  légère,  »  à  leur  mobilité.  Leur  éloquence  naturelle  est 
extraordinaire,  non  seulement  en  paroles,  mais  encore  en  gestes,  et  leur 
mimique  a  sur  celle  des  Italiens  l'avantage  d'être  facilement  comprise  de 
tous*. 

Des  Russes  misanthropes,  parlant  de  leurs  compatriotes,  ont  mis  l'étran- 
ger sur  ses  gardes.  «  Méfiez-vous  du  Russe,  disent-ils,  il  a  plus  d'imagi- 
nation que  d'intelligence  et  plus  d'intelligence  que  de  moralité.  »  Cela 
est  peut-être  vrai  des  Russes,  fort  nombreux,  qui  vivent  d'une  vie  tout 
artificielle  et  qui  tiennent  plus  à  l'apparence  de  la  civilisation  qu'à  la 
civilisation  elle-même  ;  fins,  caressants,  sceptiques,  ambitieux,  ceux-là 
sont  vraiment  à  redouter  :  mais  les  vrais  Russes,  c'est-à-dire  ceux  aux- 
quels un  travail  régulier  donne  l'équilibre  de  leur  nature,  se  distinguent 
précisément  par  la  solidité  du  caractère  et  la  suite  dans  les  idées.  Le 
Grand  Rnssien  n'est  pas  de  ceux  auxquels  on  puisse  justement  api)liquer 
le  nom  de  Slacus  sallans,  donné  parfois  aux  Slaves  occidentaux.  C'est 
par  luie  longue  patience,  par  un  mélange  de  résignation  et  d'audace 
ipi'il  a  su  coloniser  peu  à  peu  tout  le  bassin  de  la  Volga,  celui  du  Don  et 
bien  d'autres  pays  encore  ;  c'est  aussi  grâce  à  sa  bonté  naturelle.  S'il  est 
admirable  colonisateur  parmi  les  tribus  indigènes,  ce  n'est  pas  seulement 
à  cause  de  son  intelligence  prompte,  de  son  industrie,  de  sa  constance 
dans  le  travail,  de  sa  fortitude  dans  le  malheur,  c'est  aussi  à  cause  de 
sa  bienveillance  pour  tous,  de  son  esprit  de  conciliation  et  de  justice. 
Il  a  subi  une  longue  et  pénible  servitude,  mais  sans  contracter  tous 
les  vices  de  l'esclave,  et  la  liberté  lui  permettra  de  se  retrouver  peu 
à  peu  tout  entier.  Sans  doute  il  est  encore  sujet  aux  paniques,  à  de  sou- 
dains effrois  :  extrêmement  crédule,  il  tremble  souvent  devant  des  dan- 
gers imaginaires,  mais  il  reste  calme,  niailre  de  lui-même  en  face  du 
vrai  péril. 

Fort  doux,  aimant  les  leurs  à  leur  manière,  prompts  aux  épanclie- 
menls,  les  Grands  Russicns  ont  cependant  le  culte  de  la  force,  et  dans  les 


'  lJ(jcndps  ilu  !\'o)d. 

*  J  G.  Kolil,  Reisen  iii  Siiil  lUissIand. 


GRANDS  RUSSIENS.  691 

fiimilles  dos  paysans  le  pouvoir  du  père,  celui  du  mari  sont  encore  incon- 
testés. Un  mélange  bizarre  de  violence  et  de  bonté  réelle  se  rencontre  sou- 
vent dans  leurs  familles.  Encore  au  dix-septième  siècle,  le  père  achetait  un 
fouet  neuf  pour  administrer  à  sa  fille  les  derniers  coups  permis  à  l'auto- 
rité paternelle  et  passait  l'instrument  au  nouveau  maître  avec  recomman- 
dation de  s'en  servir  souvent  et  sans  pitié.  En  entrant  dans  la  chambre 
nuptiale,  l'époux  en  frappait  en  effet  sa  femme  sur  le  dos  et  les  épaules,  en 
s'écriant  :  «  Oublie  les  volontés  de  ton  père,  et  fais  maintenant  les 
miennes!  »  Toutefois  la  chanson  lui  recommande  de  prendre  un  «  fouet  de 
soie  »'.  C'est  par  exception  que  le  mariage  se  fait  par  amour,  comme  dans 
la  Petite  Russie  :  avant  l'abolition  du  servage,  toutes  les  conditions  de 
l'union  étaient  réglées  par  les  chefs  de  famille  ;  ni  fiancé,  ni  fiancée  n'a- 
vaient le  droit  de  s'en  occuper,  el  jamais  le  père  n'oubliait  sa  dignité  au 
point  d'en  converser  avec  eux.  Les  chansons,  telles  qu'on  les  voit  surtout 
dans  le  recueil  de  Chein,  de  même  que  les  comédies  et  les  drames  d'Os- 
trovskiy,  peuvent  donner  une  idée  de  ce  que  sont  les  intérieurs  des  mar- 
chands grands-russiens,  ce  «  royaume  des  ténèbres  »  de  la  vie  privée'.  Le 
despotisme,  mais  un  despotisme  bienveillant,  telle  était  la  règle  dans  la 
famille  :  «  Je  te  bats  comme  ma  fourrure  et  je  t'aime  comme  mon  âme  », 
dit  un  proverbe  favori  des  paysans  grands-russiens. 

C'est  comme  une  grande  famille  que  les  Grands  Russiens  finirent  par 
considérer  l'Etat  :  une  autorité  absolue,  une  volonté  sans  appel,  imposée  à 
tous  par  un  père  commun,  tel  était  l'idéal  que  chacun  se  forma  de  la 
société.  A  cet  égard,  la  Petite  Russie  et  la  Grande  Russie,  qui  se  ressem- 
blaient dans  l'origine,  ont  graduellement  contrasté  d'une  manière  remar- 
quable. Chaque  ville  malo-russienne  se  développait  d'une  manière  indé- 
pentlante  ;  aucune  n'essayait  d'asservir  sa  voisine;  les  mobiles  de  la  guerre 
entre  les  communautés  étaient  soit  la  lutte  pour  l'existence,  soit  le  goût 
des  aventures,  mais  elles  n'étaient  point  entraînées  par  l'amour  de  la  domi- 
nation, ou  du  moins  elles  ne  poursuivaient  jamais  leurs  entreprises  de 
conquête  avec  cette  fixité  de  plan,  cette  ténacité  séculiiirc  de  volonté  (|ui 
distingua  la  politique  des  princes  grands-russiens.  Le  dioit  po{)ulaire 
d'élection  fut  toujours  maintenu  dans  les  villes  de  la  Kiyovic,  de  même 
qu'à  Novgorod  et  dans  les  autres  cités  autonomes  de  la  Slavie  occidentale. 
H  en  fut  de  même  dans  les  anciennes  villes  communales  de  la  Grande 
Russie,  et  telle  est  la  raison  pour  laquelle  les  princes  de  Souzdal  s'éta- 


'  Gross|iielsi;li,  llochzeils-Gchiaiiclie  'les  ritssisclicn  Landvolks,  Russiclie  Revue,  1878,  n'ô. 
'  Dobroloul)ov,  Le  Royaume  des  Ténèbres  (en  russe). 


092  KOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

Llirent  dans  le  village  de  Moscou  et  non  dans  quelque  «  vieille  »  ville  du 
pays,  forte  de  ses  libertés  communales.  Mais  la  prépondérance  de  Moscou 
dans  le  nord  produisit  un  grand  contraste  d'institutions.  Quelle  que  soit 
l'origine,   encore  bien  obscure,  de  l'ancienne  suprématie  de  Kiyev,  cette 
suprématie  n'eut  rien  de  semblable  à  celle  de  Moscou.  Kiyev  n'était  que  la 
i<  première  entre  ses  pareilles  «,  et  c'est  par  une  libre  fédération  que  se 
maintint  leur  société  politique  pendant  la  première  partie  de  l'iiistoire 
russe  ;  plus  tard,  au  seizième  et  au  dix-septième  siècle,  c'est  de  la  même 
manière  que  s'étaient  organisées  les  communautés  des  Cosaques  :  même 
leurs  cliefs  rentraient  dans  la  foule  après  avoir  été  élus  temporairement  par 
leurs  égaux.  D'ailleurs,  les  idées  des  Zaporogues  n'étaient  pas  limitées  par 
l'enceinte  de  la  Sitch  ;  toute  la  Petite  Russie  voulut  être  une  communauté 
cosaque.  Rien  de  semblable  dans  la  Moscovie.  Là,  le  pouvoir  acquis  par  une 
lamille  fut  religieusement  respecté  par  le  peuple  et  .';e  continua,  comme 
une  institution  divine,  de  génération  en  génération  :  i<  Ce  n'est  pas  Moscou 
qui  fait  la  loi  au  prince,  c'est  le  prince  qui  fait  la  loi  à  Moscou,  »  dit  le 
proverbe.  Le  caractère  sacré  de  la  dynastie  se  transporta  même  sur  la  ville 
capitale,  et  Moscou,  héritière  de  l'esprit  byzantin,  devint  la  «  troisième  et 
la  plus  sainte  Rome,  dont  le  règne  ne  finira  jamais  ».  La  domination  des 
îartares  contribua  singulièrement  à  fortifier  la  puissance  des  grands-princes 
de  la  Slavie  orientale  :  désireux  avant  tout  de  recevoir  régulièrement  le 
tribut,  les  khans  avaient  intérêt  à  le  faire  recueillir  par  un  seul  prince, 
responsable  envers  eux,  quoique  libre  de  tout  devoir  envers  son  peuple'. 
Un  |(cul  s'expliquer  celle  forme  de  la  société  moscovite  par  l'histoire  de  la 
coloni.salion  russe  dans  ce  pays,  d'abord  habité  par  les  Finnois  et  les  Tar- 
lares.  Les  princes  de  la  dynastie  kyovienne  s'y  rendirent  comme  chefs  de 
guerriers  et  de  colons,  —  de  même  qu'en  Prusse,  où  des  Allemands  colo- 
nisèrent le  sol  slave,  —  et  la  race  qui  se  forma  dans  la  Moscovie  devint  la 
plus  tenace,  mais  en  même  temps  la  plus  obéissante  de  toutes.   Avec  les 
progrès  de  la  centralisation  gi-and-russienne,  les  formes  et  les  idées  poli- 
tiques de  Moscou  prirent  un  caractère  de  plus  en  plus  national  et  finirent, 
par  étouffer  les  traditions  novgorodiennes  et  cosaques.  Dans  ses  communes 
et  SCS  associations  diverses,  le  Grand  Russien  est  aussi  égalitaire  que  les 
autres  Slaves,  peut-être  même  davantage  ;    mais  dans  sa  conception  de 
l'organisme  politique  il  devint  le  plus  conséquent  des  monarchistes.  Ainsi 
(|ue  le   disent   les  proverbes   grands-russiens  :   »  la   terre  est   la    mère, 
mais  le  tzar  est  le  père  ;  »   <■<■  sans  le   tzar,   la   terre  est  veuve".  »  Même 

'  Koslomai'ov,  Les  deux  nationalités  russes  (en  russe). 
-  Dalil,  Les  Proverbes  du  peuple  russe  [en  russe). 


GRANDS  RDSSIENS.  C93 

Jes  sectes  religieuses  de  la  Grande  Russie,  formées  depuis  la  fin  du 
dix-seplième  siècle,  qui  voient  dans  l'État  actuel  le  <'  royaume  de  la  bêle  )> 
et  l'Antéchrist  dans  son  chef,  maudissent  seulement  «  l'empereur  »  héré- 
tique et  étranger  ;  mais  elles  n'en  sont  pas  moins  fanatiques  pour  le  tza- 
risme  et  c'est  d'en  haut  qu'elles  attendent  leur  Messie.  Dans  les  pays  d'Occi- 
dent, si  fréquemment  remués  par  les  révolutions,  les  fanatiques  mêmes  de 
l'ancien  régime  ne  peuvent  se  faire  une  idée  de  ce  qu'est  la  ferveur  d'amour, 
mêlée  de  tremblement,  qu'éprouvent  les  sujets  modèles  en  pensant  à  leur 
maître,  qui  est  aussi  leur  dieu.  Ce  type  de  l'adorateur  du  souverain  se 
retrouve  encore  en  Russie.  Jadis  les  sujets  avaient  besoin  de  craindre 
leur  tzar  et  n'en  prononçaient  le  nom  qu'avec  une  sorte  de  terreur  :  s'il 
était  capricieux  et  cruel,  ils  se  prosternaient  avec  d'autant  plus  de  dévotion 
devant  lui  ;  il  leur  apparaissait  d'autant  plus  superbe.  Ce  n'est  point  en 
eux-mêmes  qu'ils  cherchaient  le  régulateur  de  leurs  propres  actions,  c'est 
dans  la  volonté,  inflexible  ou  changeante,  du  souverain.  Nul  prince  ne 
fut  plus  populaire  qu'Ivan  le  Terrible  :  il  paraissait  à  ses  sujets  grand 
comme  le  Destin.  Le  peuple,  qui  oublie  tant  d'autres  héros,  se  souvient 
encore  de  celui-là,  et  le  Vladimir  qu'il  célèbre  dans  ses  chants  est  toujours 
pour  lui  le  prince  a  miséricordieux  et  terrible  ».  Depuis  que  les  princes 
de  Moscou  sont  devenus  les  maîtres  de  la  Grande  Russie,  toutes  les  révo- 
lutions populaires  de  ce  pays  ont  été  pénétrées  de  l'esprit  de  fidélité  au 
tzar.  Après  une  longue  série  de  «  faux  Démétrius  »  et  de  «  faux  Pierres  ». 
le  Cosaque  du  Don  Raziu  souleva  au  dix-sej)lième  siècle  les  po{»ula- 
lions  de  la  Moscovic  méridionale  «  contre  les  boyards,  pour  le  tzar  ».  et 
lorsque,  au  siècle  suivant,  l'ougatchov  entraîna  les  Cosaques  de  l'Oural  cl 
les  paysans  de  la  basse  Volga  à  la  dernière  guerre  servile,  ce  fut  en 
se  disant  le  vrai  tzar  Pierre  III,  en  accusant  d'usurpation  Catherine,  la 
«  reine  des  nobles  >^  ;  c'est  ainsi  qu'en  1789  les  paysans  français  brûlaient 
les  châteaux  <  par  ordre  du  roi  ».  Les  nombreuses  révoltes  partielles  qui 
ont  eu  lieu  pendant  le  cours  de  ce  siècle  ont  toutes  eu  un  caractère  ana- 
logue. Les  rebelles  n'ont  jamais  doute  que  leur  cause  ne  fût  celle  du  tzar, 
cl  que  les  employés  ne  fussent  achetés  par  les  seigneurs,  ennemis  du 
maître.  Et  si  les  paysans  de  toutes  les  Russies  comptent  actuellement  sur 
un  partage  général  des  terres,  c'est  du  tzar  que  naguère  encore  ils  atten- 
daient la  parole  décisive,  en  dépit  de  toutes  les  proclamations  du  gouver- 
nement cl  du  tzar  hii-mènie.  Les  efforts  du  pouvoir  tendent  constamment 
aies  détromper,  et  nul  doute  qu'ils  ne  finissent  par  comprendre  qu'à  cet 
égard  nobles  et  tzar  stmt  bien  d'accord. 

La  hiH'fUJ  des  Veliko-Russes  est  devenue,  à  l'exclusiftn  des  aulres  dia- 


694  NOUVELLE   GÉOGR.VPIIIE    UNIVERSELLE. 

Icctes  slaves  de  l'empire,  l'idiome  officiel  de  ton  le  la  Russie,  et  l'accent 
qu'il  est  convenu  d'employer  dans  le  bon  langage  est  celui  de  Moscou. 
Ainsi  la  prépondérance  est  définitivement  acquise  au  parler  du  bassin  de 
rOka,  qui  est  le  vrai  berceau  de  la  population  vcliko-russe.  Toutes  les  natio- 
nalités de  la  Slavie  orientale  dont  le  grand-russien  n'est  pas  la  langue  sont 
obligées  successivement  de  se  l'approprier  on  tout  ou  en  partie  :  les  uns, 
comme  les  Polonais,  les  Allemands  balliques,  les  Ehstes,  les  Lettes,  les 
Lithuaniens,  apprennent  à  l'école,  à  l'armée  ou  dans  la  vie  journalière  les 
paroles  de  commandement  que  leur  adresse  le  maître;  les  autres,  comme 
les  Blancs  et  les  Petits  Russiens,  sont  portés  naturellement,  on  entrant  dans 
le  monde  de  la  pensée,  à  converser  dans  la  langue,  facile  pour  eux,  qui  est 
parlée  par  la  majorité  de  leurs  compatriotes,  et  qui  est  la  plus  riche  en 
Oiuvres  littéraires.  Ouant  aux  indigènes  finnois,  mongols  ou  tartares,  le 
grand-russien  est  pour  e.ix  le  langage  de  la  civilisation  elle-même,  et  les 
Juifs,  fidèles  à  leur  patois  allemand,  savent  trafiquer  dans  toutes  les  lan- 
gues et  surtout  dans  celle  qui  se  parle  le  plus  dans  les  bazars  et  les  mar- 
chés. La  littérature  nationale  russe,  quoique  fort  riche  on  atarinas  ou  chants 
héroïques  et  représentée  depuis  un  siècle  par  dos  écrivains  d'un  grand 
talent,  n'a  point  de  trésors  comparables  à  ceux  dos  littératures  de  l'Occi- 
dent; elle  a  dû  en  outre  emprunter  à  l'allemand,  au  hollandais,  au  français, 
à  l'anglais,  beaucoup  de  termes  relatifs  aux  métiers,  aux  arts,  aux  sciences, 
et  de  nombreuses  tournures  françaises,  dont  le  génie  ne  s'accorde  pas 
avec  celui  du  slavon,  se  sont  introduites  dans  la  conversation  ;  mais  le 
russe  n'en  est  pas  moins  une  des  langues  aryennes  les  j)Ius  riciios,  les 
plus  expressives  et  les  plus  souples.  Elle  compose  ses  mots  avec  autant 
de  facilité  (jue  l'allemand,  sans  avoir  la  lourdeur  de  cet  idiome,  et  ses 
notes  gutturales  se  marient  avec  des  intonations  d'une  douceur  caressante. 
La  variété  des  sons  de  la  langue  russe  est  l'une  des  principales  causes,  et 
peut-rire  la  plus  importante,  delà  remarquable  facilité  qu'ont  les  Russes 
pour  parler  les  idiomes  étrangers.  Leur  organe  assoupli  prononce  facile- 
ment et  avec  grâce  presque  tous  les  sons  qui,  dans  les  langues  ouroj)éennes, 
diifèreut  le  plus  des  idiomes  slaves.  H  faut  tenir  compte  aussi  du  phé- 
nomène de  l'hérédité,  car,  depuis  un  grand  nombre  de  générations,  les 
Russes  des  classes  aisées  ont  l'habitude  do  faire  enseigner  au  moins  le 
fiançais  à  leurs  enfants.  D'ailleurs,  les  Russes  ne  se  sentent  «  Européens  » 
qu'eu  apprcMiant  les  langues  de  l'Europe.  Ils  aiment  aussi  à  plaire,  et, 
«  pour  se  faire  honneur  devant  les  étrangers  »,  il  leur  faut  savoir  s'entre- 
tenir avec  eux  dans  leur  idiome,  ainsi  que  le  disait  au  douzième  siècle 
déjà  Vladimir  Monomaque,  dont  le  père  parlait  cinq  langues.  C'est  à  plus 


VILLAGES  DE  LA  GRANDE  RUSSIE.  C05 

lie  500  000  que  s'élèverait  le  nombre  des  personnes  qui  parlent  plus  ou 
moins  le  français  à  l'est  de  la  Yistule. 

Si  les  Russes  cultivés  ont  tous  à  leur  service  une  ou  plusieurs  langues 
de  l'Europe  occidentale,  les  Européens,  en  revanche,  étudient  peu  l'idiome 
russe,  qui  pourtant  conquiert  chaque  année  une  importance  plus  grande 
dans  tout  le  monde  slave  et  en  Asie.  En  tenant  compte  des  Bulgares,  des 
Serbes  et  autres  Yougo-Slaves  qui  se  trouvent  avec  la  Russie  en  relations 
de  parenté  et  presque  de  dépendance,  cent  millions  d'hommes  sont  assu- 
jettis à  l'État  slave  ou  compris  dans  son  orbite.  Sa  langue  ne  peut  donc 
manquer  de  devenir  une  de  celles  qui  auront  un  jour  le  plus  d'influence 
sur  le  développement  de  l'humanité.  Mais  pour  cela  il  faut  que  le  peuple 
lui-même  arrive,  par  le  bien-être,  l'instruction,  la  liberté,  à  se  faire  la 
place  qui  devrait  lui  appartenir.  Or,  l'état  social  des  Grands  Russiens,  de 
même  que  celui  de  leurs  compatriotes  de  la  Petite  Russie  et  de  la  Russie 
Blanche,  est  encore  des  plus  misérables. 

En  hiver,  la  cabane  du  paysan  est  emplie  d'un  air  immonde,  presque 
irrespirable.  Un  rempart  de  fumier  entoure  la  maison  pour  la  tenir  plus 
chaude.  Les  fenêtres  enduites  de  mastic,  quelquefois  recouvertes  de  paille, 
empêchent  l'entrée  de  l'atmosphère  extérieure;  les  haleines  confondues 
de  tous  les  membres  de  la  famille,  couchés  sur  le  poêle  et  sur  les  polali  ou 
étagères  latérales,  empestent  le  réduit  ;  l'air  du  dehors  ne  pénètre  par  bi 
porte  rapidement  entr'ouverte  qu'au  moment  où  les  habitants  sortent  pour 
vaquer  à  leurs  affaires.  Des  insectes  se  développent  dans  les  boiseries  de 
la  cabane  grand-russienne  en  telles  multitudes  que  l'existence  devient  par- 
fois tout  à  fait  intolérable.  Pour  faire  disparaître  les  cancrelats,  il  n'y  a 
qu'un  moyen,  c'est  de  laisser  la  maison  inhabitée  et  toutes  les  issues  ou- 
vertes pendant  les  journées  les  plus  rigoureuses  de  l'hiver.  Des  paysans  ont 
fréquemment  recours  à  ce  remède  héroïque  ;  lorsque  la  terre  gèle  à  pierre 
fendre,  on  les  voit  errer  dans  les  bois  près  de  leur  demeure  où  siffle  le  vent. 

Les  villages  de  la  Grande  Russie  sont  des  grou|)es  de  pauvres  cabanes 
serrées  les  unes  contre  les  autres,  sans  jardins  qui  les  séparent;  même 
la  plupart  des  villes  sont  de  sim[)les  amas  de  constructions  en  bois,  toujours 
à  la  merci  de  l'incendie.  L(!s  huttes  en  bois  de  sapin,  revêtues  de  chaume 
hérissé,  entourées  de  tas  de  paille  et  de  foin,  d'amas  de  branches  et  de 
copeaux,  sont  des  bûchers  tout  préparés  pour  l'incendie  qu'il  jdaira  d'allu- 
mer à  la  première  étincelle  de  hasard.  Le  feu,  telle  est  la  (in  naturelle  de 
toute  demeiin;  de  paysan.  De  même  que,  d'après  la  médecine  scolastique, 
le  corps  humain  doit  se  renouveler  en  entier  de  sept  en  sept  ans,  de  même 
on  a  prétendu  que  la  Russie  avait  également  sa  période  climatérique  de  sept 


69G 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


années,  pendant  laquelle  la  flamme  la  rajeunissait  village  à  viUaj^o  :  mais 
souvent  dans  les  provinces  de  la  Russie  centrale,  le  «  rajeunissement  »  est 
plus  fréquent  encore,  et  l'on  cite  des  districts  oiî  le  quart  des  maisons  a  brûlé 
pendant  une  seule  année'.  Les  villes  n'ont  d'autres  maisons  en  pierre  que 

A"  1Ô6.  PROPORTION  lits   IXCEMiIES  DAKS  LES  DIVERSES  PROTISCLS  TE    LA   RtSSIE  l'Ai;  ANM  E. 


des  édilices  du  gouvernement,  des  palais  seigneuriaux  et  des  églises,  presque 


Pci'los  annuelles  causées  par  les  incendies  on  Russie  : 

Moyenne  (le.  1842  à  18  iO. H  897  000  roubles. 

))  1800  il   ISO l .         '25  570  400       « 

«  1872  à  1877 05  000  000       » 

Cas  d'incenJie  signales  en  1880  :  5-2  001  ;  perles  causées  :  08  100  500  roubles. 


t:    '. 


■if»^.-: 


SECTES  DE   LA  GRANDE   RISSIE.  699 

toutes  bâties  sur  des  plans  uniformes,  d'après  le  type  commandé  par  les 
employés  de  Saint-Pétersbourg.  L'art  véritable  est  absent  de  ces  édifices, 
car  il  vit  de  liberté,  et  le  symbolisme  traditionnel  le  tue;  il  est  remplacé 
dans  les  églises  par  des  richesses  en  or,  en  marbres,  en  émaux,  en  pierres 
précieuses'. 

Pays  do  transition  entre  l'Europe  et  l'Asie,  la  Piussie  l'est  par  ses  reli- 
gions non  moins  que  par  ses  mœurs.  Tandis  qu'à  l'ouest  les  catholiques 
et  les  protestants  continuent  l'Europe  occidentale,  les  païens,  les  boud- 
dhistes et  les  musulmans  forment  à  l'est  une  pari  notable  de  la  population. 
Mais,  entre  ces  deux  zones  de  l'occident  et  de  l'orient,  la  Grande  Russie 
est  en  masse  de  l'Église  grecque  orthodoxe.  Toutefois,  en  dépit  de  la  reli- 
gion officielle,  ce  pays  de  l'obéissance  est  probablement  la  contrée  de 
l'Europe  où  naissent  le  plus  de  sectes  religieuses,  et  presque  tous  ces 
cultes  nouveaux  sont  d'origine  grand-russienne.  La  Grande-Bretagne  elle- 
mcrac,  si  riche  en  réformateurs  de  la  foi,  le  cède  peut-être  à  la  Russie 
par  le  nombre  des  apôtres  et  ne  peut  soutenir  la  comparaison  par  l'étran- 
geté  des  dogmes  nouveaux.  La  tournure  d'esprit,  mystique  et  raisonneuse, 
que  l'on  rencontre  si  fréquemment  chez  les  Grands  Russiens,  le  mépris 
qu'ils  ont  pour  la  religion  officielle,  servie  par  un  clergé  ignorant  et  rapace, 
les  anciennes  superstitions  païennes  se  faisant  jour  sous  une  autre  forme, 
les  qualités  mêmes  du  peuple,  sa  douceur  et  sa  bonté,  qu'il  est  si  facile 
de  pervertir  par  le  fanatisme,  enfin  l'esclavage  qui  a  si  longtemps  pesé 
sur  la  masse  de  la  population  et  qui  le  forçait  à  chercher  un  refuge  dans 
le  monde  surnaturel,  toutes  ces  causes  ont  contribué  à  faire  surgir  des  reli- 
gions nombreuses.  Elles  naissent,  meurent  et  se  remplacent  comme  une 
végétation  folle  :  on  en  compte  maintenant  de  cent  à  cent  trente.  Ainsi 
que  le  dit  un  proverbe  des  orthodoxes  :  «  Chaque  moujik  fait  sa  religion, 
chaque  vieille  femme  ses  statuts.  »  Il  n'est  pas  un  grand  événement  national 
qui  n'ait  fait  apparaître  de  nouvelles  sectes,  variant  toutes  par  le  nom,  la 
teneur  des  j)iièrcs  ou  la  forme  des  symboles,  mais  an  fond  toujours  les 
mêmes  par  les  phénomènes  moraux  qu'elles  représentent  et  les  passions 
qu'elles  soulèvent.  De  siècle  en  siècle  apparaissent  de  nouveaux  messies, 
des  fils  de  Dieu,  ou  bien  Dieu  lui-même;  on  adore  des  tzars,  Pierre  III, 
Alexandre  I",  que  l'on  se  refuse  à  croire  morts,  parce  qu'ils  furent  tolé- 
rants; Napoléon  lui-même  eut  des  fanatiques,  à  Pskov,  à  Beloslok  et  même 
dans  cette  ville  de  Moscou  qui  hii  doit  sa  ruine'.  Dans  l'état  d'esprit  où  se 


'  Viollet-lc-Diic,  L'Ail  lluxsc. 

'  Liprandi;  —  lUcucil  des  matériaux  sur  le  raskol,  par  Kcl«iyev. 


700  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

trouvent  los  sectaires,  il  suffit  que  des  apôtres  s'autorisent  d'un  texte  de 
la  Bible  ou  d'une  vieille  prophétie  pour  entraîner  des  fidèles  dans  les  voies 
les  plus  terribles,  même  dans  celles  de  la  mutilation,  du  suicide  ou  du 
mcurlre.  D'ailleurs,  toute  opinion  non  conforme  à  celle  des  prêtres  étant 
considérée  par  les  autorités  russes  comme  un  acte  de  rébellion,  la  plupart 
des  sectes  devaient  se  transformer  en  sociétés  secrètes,  et  les  nécessités 
du  mystère,  les  cérémonies  bizarres  de  l'initiation,  l'attrait  fascinatcur 
du  danger  surexcitent  encore  davantage  l'imagination  du  sectaire  et  le 
poussent  vers  la  folie. 

Le  nombre  des  dissidents  ne  saurait  être  fixé  d'une  manière  même 
approximative,  et  on  ne  le  connaîtra  jamais  tant  que  les  cultes  ne  seront 
pas  libres.  En  1850,  une  statistique  officielle  évaluait  les  Russes  non 
orthodoxes  à  boO 000  personnes;  mais  le  ministre  de  l'intérieur  pensait 
que  leur  nombre  était  au  moins  décuple  :  il  en  comptait  9  millions. 
Melnikov,  compulsant  les  registres  des  églises  relatifs  au  nombre  des 
fidèles  en  1859,  comptait  plus  de  9450  000  dissidents  :  suivant  l'accrois- 
scnient  normal  de  la  population,  ils  seraient  donc  maintenant  au  moins 
12  millions'.  Si  on  les  compare  aux  classes  éclairées,  dans  lesquelles  les 
libres  penseurs  et  les  indifférents  sont  si  nombreux,  les  raskolniks  sont 
à  bon  droit  accusés  de  fanatisme  et  d'ignorance  ;  mais,  dans  l'ensemble, 
ils  sont  incontestablement  plus  désireux  d'apprendre  et  plus  instruits  que 
les  autres  Russes;  ils  respectent  aussi  beaucoup  plus  la  femme,  et  celle-ci 
a  souvent  chez  eux  le  rôle  d'institutrice  et  même,  dans  quelques  sectes, 
celui  de  prêtresse.  En  moyenne,  les  raskolniks  sont  beaucoup  plus  à  leur 
aise  que  les  autres  Russes,  parce  qu'ils  sont  plus  sobres,  plus  ordonnés, 
et  s'appuient  les  uns  sur  les  autres  avec  un  grand  esprit  de  solidarité; 
presque  tous  les  commerçants  et  les  industriels  grands-russiens  appar- 
tiennent aux  sectes  dissidentes. 

Classées  d'une  manière  générale,  les  diverses  sectes  du  Raskol  peuvent 
se  diviser  en  trois  groupes  principaux  :  les  popovtzU  c'est-à-dire  les  sectes 
ayant  leurs  prêtres,  los  hezpopovlzt ,  ou  sectes  sans  prêtres,  et  les  chrétiens 
spiritualisles.  L'opposition  toute  rituelle  de  ceux  qui  voulaient  se  confor- 
mer aux  rites  de  l'Eglise  nationale  antérieure  au  dix-septième  siècle  coïn- 
cide avec  le  mécontentement  produit  par  l'intervention  continuelle  cl 
de  plus  en  plus  vexatoire  des  prêtres  dans  la  vie  religieuse  et  civile.  L'in- 
fluence plus  ou  moins  directe  du  protestantisme  vint  s'ajouter  à  ces  élé- 
ments de  dissensions  religieuses,  et  c'est  ainsi  que  des  causes  complexes 

'  Slatisliquc  des  raskolniks,  Koiisskiy  Veslnili,  1808,  IL 


SECTES  DE  LA  GUA^'DE  RUSSIE.  701 

eurent  le  schisme  pour  résultat  commun.  Ce  fut  aussi  pour  les  malheu- 
reux sujets,  écrasés  d'impôts  et  de  corvée,  une  occasion  fovorable  de  se 
séparer  de  leurs  maîtres  et  de  pouvoir  les  maudire.  Pour  eux,  papiers 
timbrés  et  passeports  devinrent  le  «  sceau  de  l'Antéchrist  »,  les  livres  de 
recensement  furent  les  «  registres  du  diable  »,  et  l'impôt  de  capitation  le 
«  prix  de  l'àrae  ».  Ainsi  les  raskolniks  représentent  à  la  fois  l'esprit  de 
conservation  à  outrance  dans  l'Eglise  orthodoxe  et  l'esprit  de  réforme, 
même  celui  d'une  liberté  politique  relative. 

Les  popovlzî,  qui  continuent  les  traditions  de  l'ancienne  Église,  sont  les 
vrais  adhérents  des  vieux  rites  [staro- obr' adtzî) ,  les  «  vieux  croyants  » 
(staro-î;'er/).  .Indignés  des  changements  que  le  patriarche  Nikon,  aidé  par 
des  ecclésiastiques  grecs  et  petits-russiens,  avait  introduits  dans  les  livres 
liturgiques,  en  même  temps  qu'un  luxe,  effréné  pour  l'époque,  et  écrasant 
pour  le  peuple,  s'introduisait  dans  le  haut  clergé,  les  vieux  croyants  se 
cramponnèrent  aux  pratiques  des  temps  anciens.  Par  respect  des  symboles 
d'autrefois,  ils  réprouvent  comme  abominal)le  le  culte  officiel  ;  mais  eux- 
mêmes  ont,  sans  le  savoir,  modifié  singulièrement  leurs  rites  suivant  les 
milieux  dans  lesquels  ils  se  sont  trouvés  et  les  persécutions  qu'on  leur 
a  fait  subir.  Pierre  l",  dont  la  vie  avait  été  mise  en  péril  par  l'in- 
surrection des  streltzî,  appartenant  à  la  confession  des  vieux  croyants, 
pourchassa  comme  des  bêtes  fauves  tous  ceux  qui  ne  rentraient  pas 
au  commandement  dans  le  troupeau  des  fidèles  ;  cependant  les  sectes  ne 
firent  qu'augmentei-  et  devinrent  de  plus  en  plus  irréconciliables.  Les 
raskolniks  ou  schismatiques,  reconnaissant  l'Antéchrist  dans  cet  ami  des 
étrangers  qui  répudiait  sa  femme,  torturait  son  fils,  et  qui  par  ses  guerres, 
ses  constructions,  ses  canaux  et  son  impitoyable  taxation,  pesait  si  lourde- 
ment sur  le  peuple,  virent  en  lui  l'être  abominable  prédit  par  les  saints 
livres;  ils  ajoutèrent  donc  à  leurs  malédictions  pour  l'Église  impure 
une  malédiction  pour  l'empereur  qui  ordonnait  de  ^  raser  les  barbes 
et  les  moustaches,  de  porter  des  vêlemcnls  latins  et  de  fumer  l'iicrbe 
triplement  maudite  ».  Mais  les  persécutions  ne  furent  i)as  ce  que  les 
popovlzî  eurent  à  supporter  de  plus  cruel  :  leurs  prêtres  moururent, 
puis  leur  soûl  évêque,  et  nul  prêtre  nouveau  ne  pouvait  être  consacré 
pour  leur  donner  les  sacrements.  Ils  eurent  recours  aux  subterfuges 
les  plus  bizaiTcs  pour  rester  en  paix  avec  leur  conscience,  pétrissant 
leur  propre  pain  avec  un  morceau  de  pain  sacré,  séduisant  des  prêtres 
nikoiiiens  à  prix  d'argent,  en  faisant  la  traite,  j)our  ainsi  dire,  essayant 
même  de  voler  la  main  d'un  saint  métropolite  de  Moscou,  afin  que  ces 
reliques,  préférables  pour  eux  à  la  main  des   évoques  ofliciels,  pussent 


702  NOUVELLE   GÉOGRAnilE   UNIVERSELLE. 

ordonner  leurs  prêtres'.  La  hiérarchie  n'a  élé  rélahlie  qu'en  1844,  grâce  à 
un  ëvèque  de  Bulgarie,  consacré  à  Conslanlinople,  qui  consentit  à  résider 
dans  une  colonie  de  raskolniks  à  Bel'aya  Krinitza,  en  Bukovine.  Maintenanl 
les  raskolniks  ont  leurs  évoques  et  tiennent  leurs  conciles  à  Moscou  sans 
avoir  trop  à  se  cacher;  ils  ne  demandent  plus  que  la  complète  liberté  de 
leur  culte.  En  outre,  un  certain  nombre  de  popovtzî,  un  million  peut-être, 
se  sont  rattachés  indirectement  à  l'Eglise  orthodose  en  acceptant  des 
popes  de  ses  mains,  à  la  condition  de  garder  leurs  livres  et  leurs  an- 
ciennes images.   Ce  sont  les   yedinoverlzî  ou  les   c  croyants  unis  ». 

Les  plus  énergiques  des  «vieux  croyants  »,  résolus  à  ne  transiger  à 
aucun  prix  avec  les  serviteurs  de  l'Antéchrist,  qui  trônait  à  Moscou,  la 
nouvelle  Bahylone,  s'enfuirent  pour  la  plupart  dans  les  forêts  du  Nord,  où 
le  couvent  de  Vîg,  sur  les  bords  de  la  rivière  du  même  nom,  fut  longtemps 
leur  centre  principal.  Ce  sont  les  «  sans-prêtres  »,  les  «  brebis  appre- 
nant à  se  paître  elles-mêmes  ».  Divers  sectaires  s'interdisent  de  célé- 
brer aucun  sacrement  ;  ils  n'ont  d'autres  ministres  que  les  saints  anges  : 
il  en  est  qui,  pendant  tout  l'office,  restent  la  bouche  ouverte,  attendant 
que  la  divine  nourriture  leur  descende  toute  préparée  du  ciel.  Par  l'effet 
même  de  leur  indépendance,  et  probablement  aussi  sous  l'influence  des 
sectes  rationalistes  novgorodiennes,  dont  les  restes  existaient  encore  dans 
le  pays,  les  bezpopovlzî  se  trouvèrent  rattachés  au  protestantisme  occi- 
dental et  se  scindèrent  en  beaucoup  plus  de  sectes  que  les  popovtzî  :  chaque 
ermitage  de  fugitifs,  chaque  prophète  formait  le  centre  d'un  groupe 
nouveau.  La  secte  la  plus  nombreuse  est  celle  des  Théodosiens,  détachée 
des  «  ermites  de  la  rivière  Vîg  »  ;  la  plus  connue  peut-être  est  celle  des 
Philippons  (Filipovtzi),  —  ainsi  nommée  de  son  fondateur  Philippe,  — 
dont  les  membres  réfugiés  ont  dans  la  Prusse  orientale,  en  Moldavie,  et 
jusque  dans  la  Dobroudja  des  communautés  connues  sous  le  nom  de  Lippo- 
vanes,  donné  souvent  par  extension  aux  raskolniks  de  sectes  diverses.  Ils 
prêchaient  qu'il  vaut  mieux  mourir  que  de  prononcer  dans  ses  prières  le 
nom  du  tzar,  et  quelques-uns  d'entre  eux  allaient  même  jusqu'à  refuser  la 
monnaie  portant  l'effigie  impériale  ;  mais  à  l'étranger  ils  ont  changé  peu  à 
peu,  et  quelques-uns  d'entre  eux  sont  maintenant  parmi  les  patriotes  mos- 
covites les  plus  ardents.  Plus  d'un  rendit  des  services  au  tzar  nikonien,  non 
seulement  contre  les  Turcs  infidèles  ou  les  catholiques  polonais,  mais  aussi 
contre  les  Petits  Russiens,  «  les  compatriotes  du  traître  Mazepa  ». 

Les  Philipjions  étaient  les  apôtres  les  plus  ardents  du  suicide  des  fidèles  : 

'  ioannov,  A'w/ifc  sur  le  Raskol,  II. 


SECTES  DE  LA  GRANDE  RUSSIE.  700 

pendant  l'époque  des  persécutions,  qui  furent  si  terribles  contre  les  dis- 
sidents à  la  fin  du  dix-septième  et  au  commencement  du  dix-huitième  siè- 
cles, on  a  vu  de  ces  bezpopovtzî  qui  se  brûlaient  ou  noyaient  eux-mêmes  ; 
souvent,  il  est  vrai,  ils  n'avaient  d'autre  moyen  d'échapper  aux  tortures 
que  de  se  donner  la  mort,  et  c'est  par  dos  bourreaux  nikoniens  qu'avaient 
Jté  atlumés  les  premiers  bûchers.  De  1G87  à  1695,  environ  9000  vieux 
croyants  se  brûlèrent  dans  la  région  située  entre  le  lac  Onega  et  la  mer 
Blanche.  Un  seul  holocauste  dans  l'île  de  Paleostrov,  sur  le  lac  Onega,  se 
composait  de  2700  personnes'.  Mais  de  pareils  spectacles  entraînent  à 
la  folie,  et  sinon  des  sectes,  du  moins  quelques-uns  de  leurs  membres, 
en  arrivèrent  à  prêcher  le  suicide  par  le  bûcher,  l'enterrement  ou  la  faim, 
l'ius  d'une  fois,  même  pendant  ce  siècle,  des  parents  ont  assassiné  leurs 
enfants  pour  leur  éviter  les  péchés  futurs  et  les  faire  entrer  aussitôt 
dans  le  sein  de  Dieu.  Jusqu'à  maintenant  on  récite  dans  quelques  commu- 
nautés de  vieux  croyants  des  chants  qui  se  terminent  par  ces  vers 
effroyables  :  «  Dis  ma  volonté  à  mes  hommes,  —  à  tous  les  chrétiens 
orthodoxes  :  —  Qu'ils  se  jettent  pour  moi  dans  le  feu,  —  et  qu'ils  y 
jettent  leurs  enfants  sans  péché!'  »  Il  n'est  point  de  crime  ni  d'acte  de 
folie  que  ne  puissent  commettre  les  malheureux  hallucinés,  guidés  par 
leirs  visions  ou  par  des  voix  mystérieuses.  D'ailleurs,  il  va  sans  dire 
([ue  la  rumeur  populaire  grossit  les  atrocités  qui  se  passent  dans  le  soin 
de  ces  religions  secrètes,  et  très  souvent  même  les  popes  et  les  juges 
ont  systématiquement  calomnié  les  êtres  les  plus  inoffensifs  afin  de 
justifier  ainsi  les  persécutions  qu'ils  leur  faisaient  subir. 

Une  autre  secte  des  bezpopovtzî  est  celle  des  «  fuyards  »  {(l'cjoum)  ou 
des  «  errants  »  [stranniki],  fondée  vers  la  fin  du  dix-huitième  siècle  i)ar  h 
déserteur  Euphime.  Pour  eux,  tout  employé  de  l'empereur  est  un  supjmt 
de  Satan,  et  par  conséquent  c'est  un  crime  de  lui  obéir.  Tous  les  ordres 
de  celui  qui  ordonna  «  le  recensement,  la  distinclion  des  rangs  et  la  répar- 
tition des  terres  et  des  eaux  »  sont  en  contradiction  avec  la  loi  de  Dieu 
et  c'est  un  devoir  strict  de  les  violer.  Un  cachet  officiel  est  pour  eux  le 
«  signe  de  la  bête  »  et,  quand  un  document  quelconque  portant  le  sceau 
impérial  leur  tombe  entre  les  mains,  ils  s'empressent  de  le  détruire.  Aussi 
passeraient-ils  leur  vie  dans  les  prisons  ou  dans  les  mines  de  la  Sibérie  s'ils 
ne  sortaient  «  de  Babylone  pour  ne  pas  prendre  part  à  ses  péchés^  «  ;  ils 
préfèrent  parcourir  les  villages  en  propageant  leurs  doctrines   ou   vivre 

'  Filipov,  Ermi/ajcrfe  la  rivière  Viy  (enrussu):  — Xihki^,  Vie  de  famille  dons  le  Haskol  (en  russe)- 

'  Yarciitzov,  Les  chants  pieux  de  la  Russie  (in  russe). 

'  Rozov,  La  secle  des  Slranmki,  Veslnik  Ycvropî,  I87'2,  n"  11,  1;J,  1873,  n'  1. 


104  NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

comme  des  loups  dans  les  forêts.  Là  ils  peuvent  îi  leur  aise  maudire  l'An- 
téchrist, et  grâce  à  la  bonté  naturelle  et  à  la  révérence  pieuse  des  paysans. 
qui  voient  en  eux  des  saints  persécutés,  ils  échappent  à  l'atteinte  des  lois. 
D'autres,  les  podpolniki ,  «  gens  de  dessous  les  planchers  )i,  se  cachent  dans 
les  caves  des  maisons  ou  les  grottes  des  rochers.  Du  reste,  fuyards  et  gens 
des  caves,  pas  plus  que  les  autres  sectaires,  ne  sont  dangereux  pour  le 
tzar;  leur  exaltation,  toute  religieuse,  ne  se  transforme  point  en  passion 
politique,  et  ce  n'est  point  parmi  eux  que  se  recrutent  les  conspirateurs. 
Parmi  les  riches  marchands  qui  appartiennent  aux  sectes  des  vieux 
croyants,  il  en  est  d'ailleurs  beaucoup  qui  ne  tiennent  à  leur  forme  de 
culte  que  par  tradition. 

Les  chrétiens  spiritualistes,  que  l'on  rencontre  partout  dans  le  sud  de  la 
Grande  Russie,  tandis  que  les  popovtzî  habitent  surtout  les  régions  du 
centre,  et  les  bezpopovlzî  les  régions  du  nord,  sont  de  tous  les  dissidents 
les  plus  persécutés,  et  par  conséquent  ceux  qui  se  sont  constitués  le  plus 
secrètement  et  qu'il  est  îe  plus  difficile  d'étudier.  Mystiques  comme 
leurs  frères  de  l'Occident,  avec  lesquels  ils  ont  eu  des  relations  fréquentes 
par  des  missionnaires  allemands  et  des  marchands  anglais,  et  au  temps 
d'Alexandre  1"  par  la  cour  elle-même,  ils  disent  avoir  en  eux  l'esprit 
divin;  ils  sont  eux-mêmes  des  «  Hommes  de  Dieu  ;;,  des  «  Christs  ».  Dieu 
le  Père  est  descendu  de  nouveau  au  dix-septième  siècle  avec  son  Fils  pour 
accomplir  le  divin  sacrifice,  et  l'Esprit  Saint  parle  encore  par  la  bouche  des 
apôlres  et  des  prophétesses.  C'est  aussi  le  nom  de  la  principale  de  leurs 
sectes,  khlîslovtzî  (flagellants),  que  le  public  désigne  par  l'appellation  de 
khlîstî,  ainsi  altérée  par  dérision  de  leurs  coutumes;  ceux-ci  ne  se  tuent 
jmint,  mais  ils  dansent,  à  l'exemple  de  David,  s'agitent,  tournoient  jusqu'à 
épuisement;  d'autres  se  frappent,  se  meurtrissent  les  uns  les  autres,  et  l'on 
raconte  que,  dans  leurs  cérémonies  de  Pâques,  il  leur  est  ari'ivé  d'égorger 
après  le  baptême  un  enfant  nouveau-né  et  d'en  manger  le  cœur  sanglant 
mêle  à  du  miel  :  c'était  là  leur  eucharistie. 

La  secte  bizarre,  mais  logique,  des  skoptzt  ou  castrats,  qui  se  constitua 
vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle,  se  rattache  à  celle  des  khlîstî,  dont 
elle  partage  toutes  les  idées,  symbolisées  et  confirmées  par  un  signe  exté- 
rieur. Parmi  ces  malheureux,  qui  se  donnent  à  eux-mêmes  le  nom  de 
«  blanches  colombes  »,  les  ims  se  mutilent  dès  la  jeiuiesse,  les  autres 
attendent  d'être  pères  d'un  enfant;  il  eu  est  aussi  qui  se  bornent  à  une 
cérémonie  toute  spirituelle.  Soit  pour  échapper  plus  facilement  aux  pour- 
suites des  magistrats,  soit  pour  obéir  à  quelque  précepte  de  leur  croyance, 
les  skoptzî  cherchent  tous  à  s'enrichir  et  à  tiiésauriser.  Fort  nombreux 


SECTES  DE  LA  GRANDE   RUSSIE.  705 

dans  les  n^ouvcrneraents  d'Oi'ol  et  de  Tambov,  ils  se  font  joailliers,  ban- 
quiers, et  l'on  dit  que  dans  les  capitales  russes  ils  ont  presque  monopolisé 
la  profession  de  changeurs.  Grâce  à  leurs  roubles,  ils  peuvent  faire  un 
prosélytisme  actif  et  payer  le  prix  de  bien  des  consciences.  Quoiqu'on  les 
reconnaisse  facilement  à  leur  voix  grc-le,  à  leur  visage  glabre,  à  leurs 
épaules  étroites,  ceux  d'entre  eux  qui  prennent  le  chemin  de  l'exil  sont 
fort^clairsemés.  Le  gros  de  la  secte  reste  dans  les  grandes  villes  et  pèse 
à  son  profit  sur  toutes  les  affaires  commerciales.  Les  skoptzî  ont  quelques 
adhérents,  en  dehors  de  la  Grande  Russie,  parmi  les  Finnois  et  les  Malo- 
Russes  du  gouvernement  de  Pol'tava,  chez  lesquels  la  secte  des  khl'îstî, 
connue  ici  sous  le  nom  de  chalopoutes,  a  pris  aussi  depuis  quelques  années 
un  développement  considérable  :  d'ailleurs,  les  khlîstî  petits-russiens  de 
quelques  districts  se  rapprochent  du  slundisme.  De  toutes  les  sectes  grand- 
russiennes,  celle  des  khl'istî  est  la  seule  qui  ait  recruté  des  fidèles  dans  les 
hautes  classes  '. 

Actuellement  les  sectes  de  la  Grande-Russie  qui  s'éloignent  le  plus  de 
l'Eglise  gréco-russe  sont  les  doukhobortzl  (lutteurs  par  l'esprit)  et  les 
molokanî  (buveurs  de  lait),  qui  se  rapprochaient  autrefois  des  «  Hommes 
de  Dieu  »  par  leurs  idées  mystiques  et  la  vénération  qu'ils  ont  pour  leurs 
prophètes.  Les  sabbatistes  [soiibotniki),  qui  célèbrent  leur  culte  le  samedi 
avec  une  rigueur  d'Israélites,  se  rattachent  aux  donkhobortzî  :  on  ignore 
s'il  faut  voir  en  eux  des  chrétiens  ayant  adopté  les  pratiques  juives,  ou  bien 
les  descendants  de  juifs  convertis  jwr  la  force  et  se  transmettant  d'une 
manière  plus  ou  moins  confuse  les  rites  de  l'ancienne  religion.  Quelques 
écrivains  affirment  la  ressemblance  physique  de  ces  judaïsants  avec  les 
Israélites  de  la  Russie;  lés  autres  croient  qu'ils  se  relient  par  une  tradi- 
tion non  interrompue  à  la  secte  novgorodienne  des  «  judaïsants  »  '.  C'est 
parmi  les  sabbatistes  que  se  recrutent  principalement  les  «  sauteurs  »,  qui 
ressemblent  aux  shakers  de  l'Angleterre  et  des  États-Unis,  et  qui,  trans- 
portés au  sud  du  Caucase,  ont  fait  aussi  des  adhérents  paimi  les  Armé- 
niens. En  général,  les  molokancs  et  les  donkhobortzî  ressemblent  par  leurs 
idées  aux  quakers  de  l'Angleterre  et  comme  eux  ils  ont  suivi  l'évolution 
morale  qui  d(!  sectaires  ardents  en  a  fait  peu  à  peu  de  tranquilles  citoyens', 
se  conformant  sans  ardeur  à  des  formes  Iradilidiuielli'^.  SduvenI  (léj)ortés 

'  M.  Barsnv,  Le  mysticisme  populaire  (rn  russe)  ;  —  Melnikov,  Les  sectes  secrètes,  les  Colombes 
blanches  (en  russe);  —  Rcoulzkiv,  Les  Hommes  de  Dieu  et  les  Skoptzi;  —  Levilskiy,  Chalopoutes, 
Kiyevskiij  Tcleyraf,  Mi'iît,  n"  41  à  45. 

-  Anal.  Loroy-ltcaulieu,  Revue  des  Deux  Mondes,  i"  juin  1875;  —  Kostomarov,  Les  Molokanes 
et  les  Doukhoborlzi  dans  le  gouvernement  de  Saralov. 

-  Les  Sauteurs,  (lUIcli.  h\in-U\,  1878,  n"  10  el  11. 

V  89 


706  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

sur  les  frontières  périlleuses,  ils  ont  prospéré  partout,  dans  la  Russie  Nou- 
velle, au  Caucase  ;  maintenant  on  songe  à  leur  faire  coloniser  le  pays  de 
Kars.  Le  mouvement  général  des  sectes  les  porte  de  plus  en  plus  vers 
le  rationalisme  en  religion,  vers  les  idées  radicales  en  politique.  Les 
clitoundisles  de  l'Oukraïne  sont  presque  protestants.  Les  popovtzî  se  con- 
vertissent en  masse  aux  idées  des  bezpopovtzî,  et  ces  derniers  commencent 
à  rejeter  le  titre  de  «  vieux  croyants  »  pour  l'appliquer  aux  orthodoxes  de 
l'Église  officielle.  On  voit  apparaître  de  nouvelles  sectes,  telles  que  les 
n'emol'aki  (non  priant)  et  les  n'ejihttel'cJitcliiki  (non  payant  l'impôt).  Cepen- 
dant les  vieilles  habitudes  du  ritualisme  sont  telles,  que  même  parmi  les 
sectes  spiritualisles  s'est  formée  ime  secte  de  «  soupireurs  »,  qui  ne  ces- 
sent de  soupirer  dans  leurs  réunions,  parce  que  le  «  souffle  »  est  «  esprit  '  ". 


HAUTE     VOLGA    JUSQU   A     M  J -M  Ï-K  0  V  G  0  11  0  D 
COCVEnSEMEXTS     BE     TVEE,     DE     ÏAnOiLAVL,     DE     EOSTROIIA 

Cette  contrée  est  peuplée  de  Grands  Russiens  et  de  Finnois  en  grande 
partie  slavisés.  Seulement  à  l'ouest,  dans  la  région  la  plus  montueuse,  où 
les  communications  ont  de  tout  temps  été  difficiles,  tout  un  archipel  de 
populations  karéliennes  a  pu  se  maintenir.  Lcà,  ces  Finnois  se  sont  con- 
servés avec  leur  langage  et  leurs  mœurs;  mais,  environnés  par  un  nombre 
de  plus  en  plus  considérable  de  Slaves,  obligés  eux-mêmes  de  travailler 
pour  des  Veliko-Russes,  comme  pêcheurs,  bateliers,  bûcherons  ou  cultiva- 
teurs, apprenant  le  russe  à  l'école,  à  l'église,  dans  les  foires  des  cités,  ils 
se  slavisent  graduellement.  On  sait  qu'il  y  a  dix  siècles  la  contrée  devenue 
de  nos  jours  la  province  de  Yarosl'avl  était  en  grande  partie  habitée  encore 
par  des  Finnois,  et  cependant  la  population  locale  est  considérée  mainte- 
nant comme  formée  de  purs  Grands  Russiens.  Les  Finnois  n'ayant  jamais 
été  expulsés  du  pays,  la  transformation  ethnique  a  dû  s'accomplir  insen- 
siblement, et  les  deux  races  à  la  fois  sont  représentées  dans  les  habitants 
actuels  de  la  contrée,  quoique  une  seule  ait  gardé  le  nom  et  la  langue.  Les 
villes  et  les  villages  portent  pour  la  plupart  des  appellations  slaves,  en 
l'honneur  des  saints  ou  des  fêtes. 

Les  villes,  qui  commencèrent  presque  toutes  par  êlre  de  simples  bour- 
gades de  bateliers,  sont  assez  nombreuses  sur  les  bortls  du  lleuve  et  de  ses 

'  Vouzov,  Les  vieux  cioijaiUs,  Slovo,  1878,  n"  8  cl  9. 


HAUTE   VOLGA,   OSTACIIKOV.  707 

affluents.  Déjà  dans  la  région  des  sources,  au  milieu  des  forêts  et  des 
marécages,  Oslachkov,  située  à  la  hauteur  de  '229  mètres,  considérable 
pour  la  Russie,  et  dans  une  péninsule  du  lac  Seliger,  est  peuplée  de 
pêcheurs  et  de  radeleurs  ;  mais,  éloignée  des  centres,  elle  a  dû  ajouter 


VICIIVIY  VOI.OTCKOK- 


32°30'     EdeP 


à  son  industrie  la  fabrication  de*;  souliers,  celle  des  cognées,  des  fauv, 
des  faucilles.  Rjev,  grand  marché  de  chanvre  et  de  lin,  ])uis  Zoiihlzov  el 
Staritza  se  succèdent  sur  le  cours  de  la  Volga,  tandis  (ju'au  sud  du  llciive 
la  ville  de  Gjalsk,  dans  le  gouvernement  de  Smoleiisk,  se  trouve  à  la  tète 
de  la  navigation  d'un  affluent  dont  les  sources  s'entremêlent  avec  celles  du 
niiepr. 


708  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

Tver,  autrefois  la  rivale  politique  la  plus  puissante  de  Moscou,  chef-lieu 
actuel  de  gouvernement  et  port  principal  de  la  haute  Volga,  a  l'avantage 
de  se  trouver  au  confluent  de  la  Tvertza  qui  descend  des  hauteurs  du  nord 
et  qui,  de  tout  temps,  offrait  un  chemin  vers  le  bassin  de  la  Neva  et  le 
golfe  de  Finlande.  Les  denrées  devaient  être  jadis  transportées  par  terre 
de  la  Tvertza  dans  la  Msta,  et  quoique  le  canal  creusé  à  travers  le  seuil 
de  granit  ouvre  depuis  un  siècle  une  route  navigable  de  Tver  à  Saint- 
Pétersbourg,  la  ville  du  «  Haut  Portage  »  ou  Vîchniy  Vol'otchok  a  gardé 
son  nom.  Des  bateaux  chargés  de  blé  et  d'autres  denrées  s'y  arrêtent  par 
centaines  et  par  milliers  pendant  la  belle  saison,  de  même  que  dans  la 
ville  industrielle  de  Torjok,  ou  «  Marché  »,  située  plus  bas  sur  la  Tvertza, 
et  déjà  grand  entrepôt  à  l'époque  des  Novgorodiens.  On  évalue  à  quatre 
mille  les  bateaux  qui  s'amarrent  chaque  année  aux  quais  de  Tver.  Cette 
ville  commerçante,  la  plus  populeuse  des  trois  qui  se  trouvent  sur  le  che- 
min de  fer  de  Saint-Pétersbourg  à  Moscou,  est  aussi  l'une  des  plus  indus- 
trieuses du  nord  de  la  Russie  '  et  possède  de  nombreuses  manufactures, 
qui  s'occupent  surtout  de  la  filature  du  coton  et  de  la  broderie  des  cuirs. 
Celle  dernière  industrie,  que  l'on  croit  avoir  été  apportée  dans  le  pays  par 
les  Mongols,  et  qui  peut-être  même  fut  antérieure  à  l'invasion,  rappelle 
d'une  manière  étonnante  les  ornements  chinois ^  Les  ouvriers  de  Kimrî, 
située  plus  bas  sur  la  Volga,  s'occupent  aussi  de  ce  genre  de  broderie, 
mais  surtout  de  la  fabrication  des  boites,  qu'ils  expédient  principalement 
à  Moscou  et  à  Saint-Pétersbourg.  Dans  cette  contrée,  jusqu'à  50  et  40  kilo- 
mètres de  Kimrî,  les  travaux  de  la  campagne,  à  l'exception  de  la  fenaison, 
sont  abandonnés  aux  femmes\  En  d'autres  districts  du  gouvernement,  les 
paysans  sont  charpentiers  et  vont  travailler  dans  les  grandes  villes. 

Rîbinsk,  dans  le  gouvernement  de  Yarosl'avl,  est  la  deuxième  étape 
commerciale  de  la  Volga  en  aval  de  Tvei- ;  mais,  de  plus  que  cette  ville, 
elle  se  trouve  à  l'issue  di;  deux  canaux  qui  font  communiquer  la  Volga 
avec  Saint-Pétersbourg,  l'un  par  la  Mologa  et  le  lac  Ladoga,  l'autre  par  la 
Cheksna,  le  Bel'o-Ozero  et  les  deux  grands  lacs  du  bassin  de  la  Neva.  L'ac- 
croissement de  la  capitale  profile  en  même  temps  à  Rîbinsk,  qui  jx'ut  être 
considérée  comme  son  port  principal  sur  la  Volga  et  qui  lui  est  en  outre 
rattachée  par  un  chemin  de  fer.  Rîbinsk  est  l'endroit  où  les  chalands 
do  la  Volga,  au  nombre  de  deux  mille,  doivent  transborder  leurs   denrées 

>  Oiivners  d'iniluslrie  à  Tvei-  cii  1879  :  7115.  Valeur  des  proiliiils  :  (i  700  000  rouilles.  Daus  le 
gouvernement  de  Tver  :  24  000  ouvriers  et  valeur  des  produits,  20  000  000  roubles. 
'  Dragomanov,  Notes  manuscrites. 
'-  Selon  l'okrovskiy,  16  000  cordonniers;  2  500  000  paires  de  liolles  pour  ti  000  000  de   roubles. 


TVER,  KIMRI.  RIBINSK,   YAROSiAVL,   ROSTOV.  709 

sur  les  huit  mille  petits  bateaux  construits  pour  le  passage  des  écluses. 
En  1879,  le  mouvement  des  marchandises  dans  le  port  de  Rîbinsk  s'élevait 
à  625  000  tonnes  et  représentait  une  valeur  de  25  millions  de  rouhics. 
Au  plus  fort  de  la  saison  commerciale,  les  embarcations  sont  tellement 
rapprochées  les  unes  des  autres,  qu'elles  forment  un  pont  mobile  entre 
les  deux  rives  delà  Volga;  jusqu'à  cent  mille  bateliers  et  commerçants  se 
rencontrent  en  été  dans  cette  ville  unique.  Sa  principale  manufacture  est 
une  grande  corderie'.  Rîbinsk  est  beaucoup  plus  populeuse  que  toutes  les 
villes  situées  en  aval  de  Tvei"  sur  la  Volga  ou  sur  ses  affluents  dans  cette 
partie  du  cours  fluvial,  Kalazin,  Ougl'itch,  Kacliin,  Bejetzk,  Klin  et  Ihui- 
Irov,  Peroyasl'avi-Zaleskiy  ou  «  Transylvaine  >■.  Cette  dernière  ville,  l'une 
des  plus  anciennes  de  la  Russie  et  probablement  une  colonie  de  cette  autre 
Pereyasiavl  «  Russe  »  qui  se  trouve  dans  la  vallée  du  Di'iepr,  a  pris,  grâce 
à  ses  filatures  de  coton,  une  certaine  importance  industrielle.  Oustoujna, 
sur  la  Mol'oga,  est  avec  Tcherepovetz  le  centre  de  la  petite  industrie  pour  la 
fabrication  des  clous  :  plus  de  20  000  ouvriers  y  travaillent  en  des  milliers 
de  petites  forges  pour  livrer  au  commerce  moins  de  10  020  tonnes  de  clous'. 
En  aval  de  Rîbinsk,  la  double  ville  de  Romanov-Borisoglebsk,  sur  les  deux 
bords  de  la  Volga,  est  environnée  de  jardins  maraîchers,  renommés  pour 
leurs  oignons  ;  elle  est  fameuse  par  ses  pelisses  brodées. 

Yaroslavl,  chef-lieu  de  gouvernement,  est  peut-être  la  plus  ancienne 
ville  slave  fondée  sur  la  Volga  :  dès  l'an  102o,  elle  était  bâtie  par  le  fils 
de  Vladimir  le  Grand,  et  plus  lard  elle  fut  la  rivale  de  Tver  et  de  Moscou 
pour  la  domination  de  la  Russie  du  Nord.  Elle  est  maintenant  le  siège 
d'une  fticulté  de  droit.  Un  bac  y  fait  communiquer  les  deux  troncjons  du 
chemin  de  fer  de  Moscou  à  Vol'ogda  ;  cette  voie  ferrée,  ainsi  que  des  fila- 
tures de  lin  et  de  coton,  donnent  à  la  ville  une  importance  commerciale 
que  n'aurait  pu  lui  procurer  le  confluent  de  la  petite  rivière  Kotorost. 
Dans  les  environs,  les  habitants  de  cinq  villages,  groupés  en  confédéralion, 
s'occupent  en  commun  de  la  fabrication  des  caisses;  une  réunion  générale 
distribue  les  travaux  à  tous  les  associés.  Non  loin  de  Yaroslavl,  Sopelki, 
sur  la  Volga,  est  le  centre  de  la  secte  des  «  errants  ».  La  ville  de  llostov, 
qui  se  trouve  au  sud-ouest  de  Yaroslavl,  sur  la  route  de  Moscou  et  sur  les 
bords  d'un  lac  (|ui  se  dévcrsi!  par  la  Kotorost  dans  la  Volga,  est  encori'  beau- 
coup plus  ancietme  (|iieson  chef-lieu  actuel.  La  chronicpie  de  Nestor  la  men- 
tionne comme  existant  déjà  du  temps  de  Rurik,  au  neuvième  siècle,  e(  dit 


'  Lettres  sur  le  vnijruje  du  Izisarcvilch  de  l'éiershourg  à  la  Crimée  (en  russe). 

-  Malériaitx  reUUifs  à  tu  petite  industrie,  imbliùs  par  la  Société  de  Géograpliic  misse. 


710  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

que  ses  premiers  habitants  étaient  des  Mériens  (Mera)  ;  mais  dès  le  com- 
mencement de  l'histoire  écrite  cette  tribu,  qui  occupait  un  vaste  territoire, 
de  la  province  actuelle  de  Smolensk  jusqu'à  la  basse  Oka,  était  slaviséc  :  son 
nom  ne  se  retrouve  pins  dans  les  annales  après  l'année  907  '.  Toutefois 
l'élément  finnois  a  laissé  ses  traces  par  les  noms  géographiques  de  pays  et 
se  manifesta  longtemps  par  la  forte  opposition  au  christianisme,  surtout 
à  Roslov,  destinée  à  devenir  plus  tard  une  des  «  raétropolies  »  de  la  Russie. 
Klle  doit  à  ce  rang,  qu'elle  a  perdu  maintenant,  d'être  une  ville  sainte; 
et  l'une  de  ses  principales  industries  est  la  peinture  des  images  sacrées 
sur  émail  ;  les  «  icônes  »  de  Rostov  s'expédient  dans  tout  l'empire.  La 
ville  est  aussi  un  lieu  de  pèlerinage,  et  ses  foires,  moins  fréquentées  qu'au- 
trefois, amènent  encore  dans  le  pays  des  marchands  de  toute  la  Grande 
Russie  et  même  du  versant  asiatique  de  l'Oural.  Les  bords  du  lac  de  Rostov 
sont  entourés  de  jardins,  où  l'on  cultive  surtout  la  chicorée.  Les  Rosto- 
viens  émigrent  dans  toute  la  Russie  comme  maraîchers.  Les  hommes  du 
gouvernement  de  Yaroslavl  sont  parmi  ceux  qui  s'établissent  en  plus  grand 
nombre  dans  les  villes  populeuses. 

Kostroma,  qui  a  rang  de  chef-lieu  de  province  comme  \arosl'a\l,  à 
laquelle  elle  est  bien  inférieure  en  apparence,  est,  comme  Roslov,  une 
ancienne  ville  du  pavs  des  Mériens,  et  son  nom  est  celui  d'un  dieu  finnois. 
Dans  la  ville  même,  les  jeux  d'origine  païenne  qui  rappelaient  le  culte  de 
Kostroma  ou  Yaril'o,  et  qu'on  célébrait  à  la  fin  des  processions,  ont  été 
abolis;  mais  en  maint  endroit  de  la  campagne  on  procède  encore  à  l'en- 
terrement solennel  de  statues  en  paille  figurant  grossièrement  l'Adonis 
liypcrboréen,  le  dieu  «  qui  apparaît  et  qui  meurt  »,  pour  renaître,  mourir 
et  ressusciter  encore  ".  Mentionnée  pour  la  première  fois  au  treizième 
siècle,  Kostroma  devint  célèbre  dans  les  siècles  suivants  et  son  kreml.  avec 
ses  hautes  tours  et  ses  coupoles,  rappelle  le  séjour  d'anciens  princes;  mais 
elle  ressemble  h  un  grand  village  ne  méritant  pas  encore  le  nom  de  ville. 
C'est  à  Kostroma  que,  en  1615,  les  Étals  Généraux  annoncèrent  à  Michel 
Romanov  son  élection  au  trône  après  l'expulsion  des  Polonais  :  il  habitait 
alors,  jirès  de  la  ville,  le  «  monastère  calhédral  »  d'Hypate,  fondé  eu  1530 
par  un  mirza  tarlare  qu'avait  converti  une  «  apparition  merveilleuse  »  ; 
(le[iuis  cette  époque,  en  1586  et  en  1650,  le  couvent  a  été  reconstruit  deux 
fois.  Kostroma  possède  quelques  fabriques,  surtout  pour  la  filature  du  lin 
et  du  coton;  mais  on  se  trouve  di^à  dans  le  voisinage  des  solitudes  glacées 

'  N.  Biirsov,  La  Géographie  liistoriqtte ;  —  Oiivaiov,  tes  ilériens. 

■  Trnvdii.r  de  la  Société  d' Anthropologie  de  Moscou,  XXVIII,  XXX;  —  P.  VoCmioiiko,  Yarito, 
Zapiski  Geoijr.  Obchclhestva,  Secliuii  d'elhnogiapliie,  II. 


KOSTROMA,   BASSIN  DE  L'OKA.  7tl 

ilu  nord,  où  les  bourgades  sont  très  clairsemées.  Il  n'en  existe  que  deux 
dignes  de  ce  nom  dans  la  partie  septentrionale  de  l'immense  province  de 
Kostroma  :  Galitch  et  Makaryev.  La  première,  située  au  bord  d'un  lac,  est 
appelée  souvent  Galitch  des  Mériens  pour  la  distinguer  de  Galitch  (Halicz) 
de  Ruthénie,  qui  était  probablement  la  patrie  des  fondateurs  ;  d'ailleurs, 
le  dicton  populaire  nomme  les  habitants  de  Galitch  «  Krivitchi  »,  comme 
l'ancienne  tribu  slave  de  la  Russie  Blanche'.  Galitch  n'a  guère  d'autre 
industrie  que  celle  de  la  pèche.  Les  Mériens  ne  vivent  plus  dans  la  contrée, 
ou  du  moins  ils  portent  aujourd'hui  le  nom  des  Russes,  avec  lesquels  ils 
ne  forment  plus  qu'une  même  race  ;  mais  les  traits  des  visages  et  maint 
reste  des  anciennes  mœurs  témoignent  de  l'origine  mêlée  des  habitants. 

Au  confluent  de  l'Ounja,  la  Volga,  se  détournant  au  sud,  reprend  son 
cours  vers  les  régions  plus  peuplées  du  sud.  On  approche  de  Nijniy- 
Movgorod  ". 

BASSIX      DE      l'oKA 

GOCVERNEMENTS     Ii'onoL,     DE     K  A I- 0  C  G  A  .     DE     TOTLA,     DE    MOSCOU,     DE     RaZAN 
DE     VLAUlJlin,     DE     lAMBOV,     DE     M  J  M  Ï-N  0  V  G  OKOD 

Le  bassin  de  cette  importante  rivière  forme  le  véritable  centre  de  la 
Russie  d'Europe,  non  seulement  par  la  position  géographique,  mais  aussi 
par  le  nombre  des  habitants  et  l'activité  du  travail.  C'est  là  que  se  |)resse, 
en  dehors  de  la  Pologne,  la  population  industrielle,  là  qu'est  la  capitale 
liistorique  de  la  Grande  Russie,  devenue  celle  de  tout  l'empire  de  la 
ÏNlavie  orientale,  là  que  viennent  converger  les  grandes  voies  du   réseau 


'   llalil,  Lfs  proverbes  populaires  russes  (on  russe). 

-  \illes  du  bassin  de  la  haute  Volga  ayant  plus  de  5000  habitant 

COUVERNEMESI    DE   SMOLENSK. 

Gjatsk  (1882) 7  050  hab 


r.OLVEP.XEMEXT    LE   IVEU'. 

Tvef    (1878) 59  109  hab. 

Rjev        1)       26  500     .. 

Torjok     I)       12  000     II 

Vichniy  VoJ'olchok(l878J   ...      11000     .■ 

BejcUk  (1880) 5  850     » 

Kachin       n 5  750     » 

Kalazio      « 5  200     » 

COLVEn.NEllENr    UE   IIOSCOU. 

Kiin  C1882).    .    .        7  lUO  liab. 


GOUVERNEMENT    DE    NOVGOROD. 

Ousîoujna{1881) 0  8J0 

SOUVERNEMENT    DE    VLADIJIIR 

Pcreyas-ravl-Zaieskiy(1882).   .  7  050 

golve;(xement  de  ïvkoslavl. 

Yaioslavi  (188.".) 23  050 

Rîbinsk  » 10  90(1 

j   Rostov  II 12  450 

I   Ouglitch        .1 Il  950 

Romanov-Bonsogiebsk  (1885).   .       b  500 
gouvernement  de  kostroua. 

Kostroma  (1881) 28  150 

Galitch  11      5  670 

Makai;ev-na-Ouiije  (1881).    .    .       5  400 


hab. 
hab. 
hab. 


hall. 


712  KOIVF.LLE   GÉOGR.VPUIE   UNIVERSELLE. 

des  chemins  de  fer.  C'est  la  région  qui  fournit,  avec  la  Pologne  et  la 
Petite  Russie,  les  principales  ressources  au  budget  et  qui,  pour  la  force 
d'attaque,  peut  être  considérée  comme  la  véritable  Russie.  A  l'exception 
(les  Mordves,  la  population  y  est  en  entier  veliko-russe  ;  depuis  longtemps 
les  tribus  finnoises  indigènes  de  l'est  se  sont  fondues  avec  les  Slaves,  et 
les  Lithuaniens  Golad  qui  vivaient  à  l'ouest  de  Moscou  ont  disparu  sans 
laisser  d'autres  traces  que  les  noms  géographiques  de  quelques  villages. 

Déjà  sur  la  haute  Oka,  la  ville  d'Orol  (Arol),  chef-lieu  du  gouvernement 
de  même  nom,  est  parmi  les  cités  importantes  de  la  Russie.  Fondée 
en  1564  après  la  conquête  du  pays  sur  les  Tartares,  elle  fut  déplacée 
en  1679  à  la  suite  d'un  incendie  :  la  ville  actuelle  n'a  que  deux  siècles 
d'existence,  et  de  vastes  quartiers,  composés  de  maisonnettes  en  bois,  ont 
encore  un  aspect  tout  provisoire.  Mais  grâce  aux  quatre  voies  de  chemin 
de  fer  qui  convergent  dans  sa  gare  et  aux  eaux  de  l'Oka,  déjà  navigable, 
Orof  est  devenue  un  centre  commercial  très  actif,  surtout  pour  l'expédition 
des  céréales  et  des  chanvres.  Telles  sont  aussi  les  principales  denrées 
entreposées  par  ses  deux  voisines,  Bolkhov  et  Mtzensk,  situées  sur  des 
affluents  de  l'Oka.  Les  femmes  de  Mtzensk  se  livrent  surtout  à  la  fabrication 
des  dentelles.  Cette  ville  est  entourée  de  kourgans  rappelant  les  combats 
qui  se  sont  livrés  autour  de  cette  ville  entre  Tartares,  Cosaques,  Lithua- 
niens, Polonais.  Sa  population  a  été  baptisée  seulement  au  quinzième  siècle. 

Au  nord  d'Oi'ol',  l'Oka  grossissante  passe  successivement  devant  les  villes 
de  Belov,  l'un  des  marchés  régulateurs  du  commerce  des  chanvres,  de 
Likhvin,  de  Peremîchl.  qui  porte  le  même  nom  que  la  Przemysl  gali- 
cienne. Presque  doublée  par  la  rivière  Ougra  ou  «  l'Ougrienne  »,  l'Oka 
cesse  de  suivre  la  direction  du  nord  pour  couler  à  l'orient,  et  c'est  à  peu 
de  distance  en  aval  de  ce  coude  que.  se  trouve  la  ville  de  Kal'ouga,  chef- 
lieu  de  gouvernement,  désignée  pour  résidence  à  des  princes  musulmans 
internés  en  Russie.  Kalouga  est  déjà  dans  le  cercle  industriel  de  Moscou 
et  prépare  des  cuirs,  fabrique  des  toiles,  pétrit  des  gâteaux  fort  ajtpréciés 
dans  la  Grande  Russie  ;  l'État  y  possède  un  parc  d'artillerie  et  une  manu- 
facture de  poudre.  Les  autres  villes  populeuses  du  gouvernement,  la  com- 
mer(;ante  Jizdra,  Kozelsk,  ancien  bourg  des  Vatilchi,  Soukhinitchi, 
Mechtchovsk,  dont  le  nom  rappelle  les  anciennes  tribus  meclitchères, 
Mcdii'i,  Malo-Yarosl'avetz,  Borovsk,  sont  toutes  situées  à  l'ouest  de  l'Oka, 
sur  des  affluents  de  cette  rivière  ou  de  l'Ougra.  C'est  jusque  dans  celte 
région  de  la  Russie  que  s'avancèrent  les  Français  pendant  la  guerre  de 
1812.  Sortant  de  Moscou  incendiée  pour  se  diriger  sur  l'Autriche  par 
Kiyev  et  la  Galicie,   ils  rencontrèrent  les  Russes  à  Taroulino  et  à  Malo- 


-  -i-T' 


llll'VKRNKMKNT      l>  K      TOll.A.     Tll'KS      KT      COSriiUKr 

Ofisiii  de  llarij.il,  d  nprcs  uni<   |iliolriL-i'a|iliii!  dcï  M.  Ilaoull. 


TOUtA.  715 

Yaroslavetz,  et  après  de  meurtriers  combats  ils  durent  se  rejeter  à  droite 
sur  la  route  de  Smolensk.  A  côté  de  Malo-Yaroslavelz,  trois  hautes  buttes 
funéraires  recouvrent  des  ossements. 

Toula,  chef-lieu  de  gouvernement  comme  Oi'ol  ol  Kalouga,  est  plus 
populeuse  que  cette  dernière  :  c'est  la  station  principale  de  la  voie  ferrée 
entre  Moscou  et  Kharkov.  Située  sur  l'Oupa,  affluent  orienlal  de  l'Oka, 
qui  baigne  aussi  les  deux  villes  de  Bogoroditzk  en  amont  et  d'Odoyev  en 
aval,  Toula  ne  doit  point  son  importance  à  la  navigation  ;  elle  fut  clioisie 


IM.  —  Ton.A. 


d  après  aCar.e  de  I  ttat   M 


on  171'2  par  Pierre  le  Grand  pour  recevoir  la  priii(i|ial('  usine  d'arines  de 
l'empire,  et  colle  manufacture  occupe  maintenant  plusieurs  milliers  d'ou- 
vriers, fabriquant  chaque  année  70  000  fusils,  des  armes  blanches,  des 
instruments  de  fer  et  d'acier.  Toula  est  le  Liège  de  la  Russie.  Elle  fabrique 
aussi  des  couteaux,  des  instruments  de  mathématiqu(>s,  des  machines,  et  ces 
objets  argentés  et  dorés  qui  appartiennent  plus  spécialement  à  l'industrie 
d'Oust-\oug,  de  Vologda,  et  à  celle  de  la  Géorgie;  Toula  fournit  justpi'à 
iiOOOOO  (le  ces  samiivars  indispensables  à  toute  famille  russe.  Les  fabri(|ues 
(le  Toula  (inl  l'avantage,  ignoré  p;ir  leur  fondaleui',  de  se  Irouver  dans  un 


716  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

vaste  bassin  houiller,  qui  leur  fournira  un  jour  tout  le  combustible  néces- 
saire. Ces  houilles,  déjà  reconnues  par  Pallas  à  la  fin  du  siècle  dernier, 
ont  été  considérées  sans  valeur  aussi  longtemps  que  les  forêts  de  la 
contrée  ont  pu  livrer  aux  industriels  tout  le  bois  dont  ils  avaient  besoin. 
Maintenant  que  les  forêts,  attaquées  de  toutes  parts,  sont  menacées 
de  disparaître  en  entier,  le  charbon  de  terre  commence  à  être  apprécié 
et  quelques  propriétaires  l'exploitent  avec  succès.  En  1879,  treize  des 
centaines  de  gisements  reconnus  dans  le  bassin  de  Toul'a  et  de  Razan 
étaient  exploités,  et  l'on  en  retirait  469  000  tonnes  :  il  serait  facile  d'en 
extraire  un  million.  La  houille  de  Toula,  dont  l'épaisseur  moyenne  est 
de  o  mètres,  mais  que  l'on  rencontre  aussi  en  couches  d'une  puissance 
de  8  mètres,  a  le  grand  avantage  de  se  présenter  en  strates  horizon- 
tales, à  une  faible  profondeur  au-dessous  de  la  surface'. 

Entre  Toul'a  et  Moscou,  la  principale  station  du  chemin  de  fer  est  Ser- 
poukhov,  qui  doit  en  même  temps  à  sa  position  dans  le  voisinage  de  l'Oka 
une  grande  activité  de  commerce  par  eau.  C'est  aussi  une  ville  industrielle 
et,  parmi  les  usines,  les  fabriques  d'indiennes  et  les  tanneries  ont  surtout 
de  l'importance.  Au  nord  de  Serpoukhov,  Podolsk  est  déjà  dans  la  banlieue 
de  Moscou. 

La  deuxième  capitale  de  la  Russie,  qui  est  en  réalité  la  première,  non 
par  le  nombre  des  habitants,  par  le  commerce  et  l'industrie,  mais  par  le 
droit  d'ancienneté,  occupe  presque  exactement  le  centre  géographique  de 
la  Russie  d'Europe.  Elle  n'est  point  située  sur  un  grand  lleuve,  et  la 
Moskva,  qui  passe  dans  la  ville  en  serpentant,  ne  porte  que  de  petites  em- 
barcations ;  mais,  grâce  aux  faibles  ondulations  des  plaines,  Moscou  a  des 
communications  faciles  avec  la  Volga,  TOka,  le  Don,  le  Diïepr.  Ue  même 
que  toute  autre  ville  du  centre  de  la  Russie  qui  eût  ('lé  choisie  comme 
résidence  des  tzars,  Moscou  se  trouve  en  un  endroit  favorable  pour  unir 
dans  ses  murs  les  routes  venues  de  toutes  les  extrémités  de  l'empire,  de 
la  mer  Blanche  et  du  Pont-Euxin,  de  la  Baltique  et  de  la  Caspienne,  des 
ports  de  la  Sibérie  et  de  ceux  de  l'Europe  occidentale.  La  convergence 
des  grandes  voies  ferrées  de  la  Russie  dans  les  gares  de  Moscou  était  néces- 
saire aussi  bien  au  point  de  vue  commercial  que  pour  les  inlérèls  stra- 
tégiques de  la  contrée,  car  si  Moscou  est  située  sur  la  roule  d'invasion  par 
7itebsk  et  Smolensk,  ce  chemin  est  en  même  temps  l'un  de  ceux  sur 
lesquels  le  mouvement  j)acifique  des  échanges  est  le  plus  actif.  Tant  que 


•  V(in  Ili'Imerscn,  liullelin  de  l'Académie  des  sciences  de  Sai)ii-Pi'tcnhouyg.  voL  \II,  1868. 
J.  G.  Kolil,  Geoytapliisthe  La<je  der  llauplslùdlc  Etiropa's. 


MOSCOU.  717 

les  Russes  appartenant  au  monde  civilisé  n'occupaient  que  le  bassin  du 
Driepi',  Kiyev  était  une  métropole  naturelle  ;  mais  dès  que  la  Slavie  orien- 
tale se  fut  rattachée  à  l'Europe,  c'est  à  Moscou,  à  Vladimir  ou  dans  toute 
autre  ville  rapprochée  du  centre  que  devait  s'établir  la  capitale.  Moscou 
n'est  pas  assez  antique  pour  être  la  «  Sainte  2  comme  Kiyev,  mais  elle  est, 
au  moins  pour  la  Grande  Russie,  la  «  Mère  ».  Moskva  Malouchka,  «  aux 
murailles  de  pierre  blanche».  D'ailleurs,  par  ses  habitants  mêmes,  du 
moins  par  un  grand  nombre  de  ses  familles  dirigeantes,  lithuaniennes, 
russes,  tartares,  finnoises,  tcherkesses,  tsiganes  môme,  Moscou  appartient 
à  la  Russie  tout  entière.  De  même  que  la  Rome  latine,  la  Rome  slave  eut  des 
fugitifs  parmi  ses  premiers  fondateurs,  et  ceux-ci,  venus  de  toutes  les  con- 
trées environnantes,  prirent  un  caractère  qui  tenait  de  tous  ceux  des  pairies 
diverses,  sans  ressembler  exclusivement  à  aucun  :  les  Moscovites  se  déve- 
loppèrent d'une  manière  originale  comme  les  Romains.  Les  maîtres  de 
Moscou  eurent  recours  aux  déplacements  en  masse  de  populations  pour 
répartir  les  habitants  à  leur  gré  dans  les  contrées  qui  leur  étaient  sou- 
mises et  pour  asseoir  ainsi  plus  solidement  leur  puissance.  Nombre  de 
proverbes  rappellent  la  haine  soulevée  en  diverses  provinces,  même  veliko- 
russes,  contre  Moscou  et  la  «  foi  moscovite'  ». 

Le  plan  général  de  Moscou  offre  quelque  ressemblance  avec  celui  de 
Paris  :  la  capitale  russe  est  aussi  formée  d'un  noyau  central,  autour  duquel 
les  quartiers  se  sont  développés  circulairement,  et  la  Moskva,  ipioique 
coulant  en  sens  inverse  de  la  Seine,  se  développe  à  l'ouest  de  la  ville  en 
méandres  presque  semblables  à  ceux  de  la  rivière  française.  Le  Kreml  ou 
a  Kremlin  »,  entouré  d'une  haute  muraille  en  forme  de  triangle  irrégu- 
lier, occupe,  avec  le  quartier  dit  «  Ville  du  Refuge  »  {Kitai-Gorod),  le 
centre  de  la  cité,  sur  la  rive  septentrionale  de  la  Moskva,  qui  décrit 
en  cet  endroit  un  méandre  enfermant  entre  ses  deux  bras  une  île  allongée. 
La  «  Ville  DIanche  »  (B'elly  Gorod)  se  développe  concentriquemenl  autour 
de  la  Ville  du  Refuge;  un  boulevard,  formant  les  trois  quarts  dune  ciiconfé- 
rcnce  et  s'appuyant  à  ses  deux  extrémités  sur  la  rive  gauche  de  lu  Mn-kva. 
sépare  la  Ville  DIanche  de  la  «  Ville  de  Terre  »  {Zcml'andi  Gorud)  où  demeu- 
raient les  artisans  et  les  pauvres;  depuis  la  lin  du  siècle  dernier,  celte  Ville 
de  Terre  est  environnée  d'une  large  rue  bordée  de  plantations  cl  de  jar- 
dins, dont  le  circuit,  ayant  un  développement  complet  d'environ  KJ  kiln- 
mèlres,  se  continue  sur  la  rive  droite.  Au  delà  de  ce  boulevard  circulaire 
s'étendent  les  iaubourgs,  eux-mêmes  entourés  par  une  enceinte  aux  brus- 

'  Iblil,  Les  Provnbcs  populaires  tusses  (en  russe). 


718  KOLVELLE  GËOGRAniIE  U.MVERSELLE. 

ques  saillies,  aux  tours  pyramidales,  le  long  de  laquelle  s'ouvrent  cà  et  là 
de  larees  rues,  amorces  d'un  boulevard  futur.  La  superficie  de  Moscou 
n'est  pas  inférieure  à  celle  de  Paris;  elle  dépasse  100  kilomètres  carres; 
mais  dans  cet  immense  espace  la  population  est  trois  à  quatre  fois  moin- 
dre que  dans  la  capitale  de  la  France  :  maint  quartier  ressemble  à  un  vil- 
lage en  désordre  groupant  ses  maisonnettes  peintes  autour  d'une  église  ou 
d'un  cbàteau.  Au  dernier  siècle,  Moscou  était,  disait  le  prince  de  Ligne,  un 
assemblage  de  résidences  seigneuriales  entourées  de  leurs  parcs  et  des 


N"    159.    MOSCOU. 


cabanes  de  leurs  serfs.  Maintenant  encore,  la  ville  a  gardé  quelques  traces 
de  ce  bizarre  mode  de  formation  :  des  jardins,  des  bosquets,  des  champs, 
dos  terres  vagues  parsemées  d'étangs  s'avancent  entre  les  l'aubourgs  vers 
les  quartiers  populeux  de  Moscou  ;  mais,  d'auli-(>  part,  les  villages  exté- 
rieurs bordent  les  roules  jusqu'à  plus  de  10  kilomètres  du  centre  de  la 
cité.  L'espace  ne  manque  point  pour  fiùre  entrer  l'air  pur  dans  toutes  les 
demeures  de  Moscou  ;  toutefois  un  certain  nombre  de  maisons  «  à  demi- 
étage  »  uni  leur  rez-de-cliaussée  au-dessous  du  nixeau  des  rues,  et  les 
liltratious  des  pluies  y  entretiennent  une  Ininiidité  constante.  Les  morts 
sont  régulièrement  plus  nombreuses  que  les  naissances  à  Moscou,  cl  la  ville 


MOSCOU.  719 

redeviendrait  village  si  la  population  ne  se  recrutait  sans  cesse  par  des  immi- 
grants. Mais,  vue  de  loin,  la  grande  ville  n'apparaît  que  dans  sa  beauté,  et 
rien  n'en  révèle  les  misères  secrètes  :  dos  arbres,  des  centaines  de  tours, 
plus  d'un  millier  de  clochers  à  dômes  bulbeux  dominant  les  500  églises, 
—  (juarantc  fois  quarante,  dit  le  proverbe,  —  c'est  là  tout  ce  que  montre 
la  capitale.  Yue  des  «  monts  des  Moineaux  »  [Vorob'yovi  gort),  dont  les 
croupes  s'allongent  h  l'ouest  de  la  ville,  Moscou,  dominée  par  la  masse  du 
Kreml,  est  vraiment  splendide  aux  rayons  du  soleil  couchant  :  on  croirait 
contemjjler  alors  une  ville  de  l'Inde.  C'est  ainsi  qu'en  181 '2  la  virent 
les  soldats  de  la  Grande-Armée. 

Le  Kreml,  en  même  temps  forteresse,  ensemble  de  cathédrales,  de 
monastères,  de  palais,  de  casernes,  est  le  monument  par  excellence  de  la 
monarchie  russe  :  c'est  de  là  que  partaient  les  ordres  du  tzar  de  Moscou, 
là  que  l'Église  prononçait  ses  décrets.  En  pénétrant  dans  l'enceinte  sacrée 
par  la  «  Porte  du  Sauveur  »  {Spaskiya  Vorota) ,  tous  doivent  se  découvrir 
pieusement  la  tête.  Le  campanile  d'Ivan  Velikiy,  bâti  en  1000  par  Boris 
Godounov  et  se  dressant  à  81  mètres  de  hauteur,  au  centre  du  Kreml, 
est  aussi  l'objet  d'une  sorte  de  culte,  et  de  «  vieux  Russes  »,  qui  l'aper- 
çoivent de  loin  en  approchant  de  Moscou,  se  prosternent  comme  s'ils 
voyaient  le  symbole  même  de  la  patrie  :  c'est  au  pied  de  cette  tour  ([ue 
repose  sur  un  piédestal,  ébréchée,  l'énorme  «  reine  des  cloches  »,  du  poids 
de  200  tonnes.  Une  église  voisine  est  celle  où  sont  couronnés  les  empe- 
reurs et  où  sont  enterrés  les  métropolites  de  Moscou  ;  une  autre  église 
cathédrale,  non  moins  riche  en  fresques,  en  mosaïques,  en  marbres  et 
en  pierres  précieuses,  renferme  les  tombeaux  des  premiers  Izars.  Une 
église  ancienne  du  Kreml,  petite  construction  qui  porte  le  nom  du  «  Sau- 
veur dans  la  Forêt  »,  ainsi  appelée  en  souvenir  des  halliers  qui  couvraient 
anciennement  le  pays,  est  au  milieu  de  la  cour  du  palais.  Quelques  bâti- 
ments de  la  résidence  impériale  sont  aussi  fort  remarquables  et  ra|)p<'l- 
li-nt  à  la  fois  par  leur  style  les  palais  de  Venise  et  ceux  de  l'ilindouslan  : 
dômes,  clochetons,  galeries  à  colonnes,  ornemenis  peints  en  verl,  en 
ronge,  en  jaune,  s'y  entremêlent  en  désordre.  Un  des  palais  renferme  des 
collections  précieuses.  Dans  le  palais  synodal,  à  côté  des  monastères  impé- 
riaux, la  bibliothèipie  a  (pielques  documenis  uniques  et  des  manuscrits  d'un 
prix  inestimable.  L'arsenal,  qui  contient  des  armes  jjour  100  000  hommes, 
possède  aussi  un  musée  spécial  et  un  canon  monstre  :  «  Moscou  est  sur- 
tout célèbre,  disait  Ilerzcn,  par  sa  cloche,  qui  ne  sonne  pas,  et  par  son 
canon,  qui  ne  tire  pas.  »  L'une  des  portes  du  Kreml  renferme  dans  sa 
chapelle,  consacrée  à  la  Sainte  Vierge  de  l'Ibérie,  la  {•('■lèbre  icuie  llnnnna- 


720  NOUVELLE  GEOGRAl'UIE  UNIVERSELLE. 

lurge,  jadis  propriétaire  de  milliers  de  serfs.  On  la  porle  dans  les  mai- 
sons pieuses,  mais  à  un  prix  très  élevé;  les  gens  peu  fortunés  doivent  se 
contenter  de  la  visite  de  sa  copie. 

Le  Kilaï-Gorod,  la  «  cité  >-  commerciale,  est  en  grande  partie  occupé 
par  des  monuments  curieux,  tels  que  la  maison  de  Piomanov;  mais  l'édiiicc 
le  ]ilus  intéressant  de  ce  quartier,  et  en  même  temps  de  Moscou,  s'élève 
immédiatement  en  dehors  du  Kreml,  sur  l'un  des  côtés  de  la  place 
Ilougc  :  c'est  l'église  de  l'Intercession,  plus  connue  sous  le  nom  de 
Vasiliy  Blajenniy.  Ce  monument,  construit  au  milieu  du  seizième  siècle, 
sous  Ivan  le  Terrible,  par  un  architecte  italien,  est  unique  dans  son 
genre  :  évidemment  il  doit  son  origine  à  cet  esprit  d'orgueil  moscovite  qui 
a  fait  ériger  la  tour  d'Ivan  Velikiy,  fondre  la  «  reine  des  cloches  »  et  placer 
devant  l'arsenal  le  «  roi  des  canons  ».  La  cathédrale  de  Yasiliy  Blajonniy 
est  de  style  byzantin  par  les  détails  de  son  architecture,  ainsi  que 
l'exige  la  tradition  religieuse,  mais  elle  est  surtout  moscovite.  L'Italien 
qui  l'éleva  donna  la  science  pour  l'agencement  des  pierres,  la  résistance 
des  matériaux,  la  portée  des  votites,  mais  il  sut  respecter  les  formes 
symboliques  des  architectes  russes,  et  le  monument  bizarre,  quoique 
bâti  par  des  mains  étrangères,  reste  l'édifice  orthodoxe-grec  par  excel- 
lence. Les  galeries  et  les  portiques  du  pourtour,  plus  modernes  que  les 
nefs  et  les  tours,  témoignent,  il  est  vrai,  de  l'influence  italienne,  quoique 
fort  enlaidis  par  des  clochetons  pyramidaux;  mais  au-dessus  de  ce  pé- 
ristyle se  voit  l'ancienne  construction  dans  son  étrange  originalité.  Les 
clochers,  tous  différents  les  uns  des  autres,  s'élancent  chacun  d'ur, 
fouillis  de  sculptures  ressemblant  à  des  feuilles  imbriquées,  à  des 
écailles  de  pommes  de  pin,  à  des  gaines  de  fleurs  naissantes.  Les  bulbes 
des  coupoles,  surmontés  de  croix  aux  chaînettes  dorées,  se  distinguent 
tous  par  les  dimensions,  le  profil,  la  guillochure,  les  couleurs  :  l'un  est 
découpé  en  côtes  saillantes,  un  autre  semble  brodé  d'arabesques  en 
losanges,  un  troisième  est  taillé  en  pointes  de  diamant,  un  cpiatrième 
ressemble  à  un  fruit  écailleux,  d'autres  encore  sont  striés  de  lignes  trem- 
blotantes ;  puis,  au  sommet,  la  grande  tour  à  forme  pyramidale  et  jaillis- 
sant d'un  entassement  de  petites  coupoles  engagées,  se  termine  j)ar  une 
sorte  de  lampadaire.  Et  le  tout  est  orné  de  faïences,  bariolé  de  couleurs;  à 
première  vue,  il  est  impossible  de  reconnaître  les  lignes  maîtresses  dans 
cet  eiilrc-croisenient  de  saillies  et  de  peintures;  on  se  demande  si  Ion  est 
en  face  d'un  édifice  ou  d'un  produit  végétal  monstrueux  '  ;  «  l'impossible 

'  lilasius,  lieise  im  Eurupaiscnen  lUisstaml,  —  Zubetiii,  Dnen'aya  i  yuvaija  liossiya,  1878,  n°  5. 


MOSCOU.  723 

église  fait  douter  la  raison  du  témoignage  des  yeu\'  ».  Pourtant  on  ne  peut 
détacher  ses  regards  de  cette  pagode  russe  ;  elle  plaît  par  son  étrangeté  même. 
Non  loin  de  cette  église,  et  sur  la  même  place,  en  face  de  la  Porte  du  Sau- 
veur et  près  du  marché  de  Moscou  {Gostiniy-Dvor),  renfermant  des  milliers 
de  boutiques,  s'élève  le  groupe  en  bronze  du  bourgeois  Minin  et  du  prince 
Pojarskiy,  qui  délivrèrent  la  Moscovie  de  la  domination  polonaise,  en  1615. 
En  dehors  du  Kreml  et  du  Kitaï  Gorod,  les  monuments  deviennent  plus 
rares  à  mesure  qu'on  s'éloigne  du  centre  ;  mais  presque  tous  les  établis- 
sements scientifiques  et  universitaires  se  sont  groupés  dans  la  Ville 
Blanche.  Là  s'élève  l'université,  fondée  en  1755,  palais  à  colonnades, 
qui  possède  des  trésors  dans  sa  bibliothèque  et  ses  collections,  et  dont 
les  cours  sont  fréquentés  par  un  plus  grand  nombre  de  jeunes  gens  que 
toute  autre  université^;  un  observatoire,  un  jardin  zoologique,  un  jardin 
botanique  dépendent  de  cet  établissement.  L'université  de  Moscou  eut  une 
influence  considérable  sur  le  mouvement  philosophique  et  littéraire  de  la 
Russie,  surtout  de  1850  à  1848,  lorsqu'elle  n'était  pas  encore  sous  l'in- 
fluence directe  de  la  bureaucratie  pétersbourgeoise  ;  c'est  là  que  se  déve- 
loppèrent quelques-uns  des  hommes  les  plus  remarquables  de  la  Piussie 
moderne.  Non  loin  de  l'université  est  l'édifice  du  musée,  qui  renferme  des 
tableaux  anciens  et  modernes,  des  œuvres  de  sculpture,  une  biblio- 
thèque unique  en  Europe  par  ses  documents  chinois  et  mandchoux, 
et  la  célèbre  galerie  ethnographique  de  Dachkov,  dans  laquelle  des 
personnages  costumés  représentent  les  types  de  toutes  les  races  de  la 
Russie.  Le  musée  historique  est  très  remarquable.  Plusieurs  autres 
collections  moins  importantes  enrichissent  aussi  Moscou  de  leurs  tré- 
sors, entre  autres  des  galeries  particulières  dont  les  tableaux  sont 
d'artistes  russes.  Moscou  n'a  pas  autant  de  grandes  écoles  spéciales 
que  Saint-Pétersbourg,  mais  elle  en  a  plus  que  toute  autre  ville  de 
la  Russie,  et  deux  cents  jeunes  gens  viennent  y  étudier  les  langues  orien- 
tales dans  l'institut  Lazarev.  Moscou,  centre  de  la  picsse  populaire  de  la 
Russie,  imprime  des  raillions  de  livres  et  d'estampes,  que  les  colporteurs 
vont  vendre  ou  échanger  contre  des  denrées  dans  les  provinces  de  la  Russie, 
même  les  plus  éloignées''.  Capitale  réelle  de  la  Grande  Russie,  Moscou  est 
également  celle  des  <•  vieux  croyants  >•,  poj)ovlzi  et  bezpopovtzî.  Leurs  cen- 

'  Théophile  Gaulhier.  Voyurje  en  Russie. 

'  Professeurs,  lOG;  étudiants,  24.")0  au  1"  janvier  1882.  Bihiiothèi|ui>  •  177  500  volumes. 

'  Publieations  de  Sainl-l'élershourg  cl  de  Moscou  en  1877  : 

Pélersbourfî ....     (i  925  855  exemplaires.  Moscou 8  542  685 

Il         ....        «00407  syllabaires,  etc.  « 2050280 

j         ....        200  255  esUuni.e».  » ->  41(5  800 


724  NOUVELLE   GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

très  pont  les  deux  cimetières  Rogojskoïe  et  Preobrnjcnskoïe,  avec  les  éla- 
Llissemcnts  qui  en  dépendent.  Jusqu'à  maintenant  les  popovtzî,  presque 
libres  d'ailleurs,  ont  vainement  réclamé  l'autorisation  de  fonder  un  gym- 
nase particulier,  mais  les  bezpopovtzî,  dont  le  nombre  s'est  rapidement 
accru  depuis  le  commencement  du  siècle,  ont  obtenu  la  permission  de  rou- 
vrir leurs  chapelles.  Moscou  est  le  lieu  de  naissance  de  Pouchkin,  auquel 
on  a  élevé  récemment  une  statue,  de  Lermontov,  de  Gril)oycdov,  d'Ostro- 
vskiy,  de  Dostoyevskiy,  de  Herzen. 

Moscou  est  aussi  une  capitale  industrielle.  Dès  le  milieu  du  siècle,  on 
y  comptait  630  fabriques  ayant  ensemble  40  000  ouvriers  ;  l'importation 
annuelle  représente  une  valeur  de  400  millions.  La  production  manufac- 
turière du  gouvernement  de  Moscou  est  le  cinquième  de  la  production 
totale  de  l'empire,  y  compris  la  Pologne.  Les  principaux  établissements 
sont  des  filatures  de  cotons  et  de  tissus  mélangés,  des  teintureries,  des 
manufactures  de  lainages  et  de  soieries,  des  tanneries,  des  distilleries. 
Presque  toutes  ces  usines  se  trouvent  dans  les  faubourgs  ou  dans  les  vil- 
lages des  environs,  et  les  ombrages  des  parcs  contrastent  avec  les  groupes 
de  fabriques  aux  cheminées  fumantes.  Le  plus  beau  de  ces  parcs,  Sokol- 
niki  ou  «  les  Fauconniers  »,  au  nord-est  de  la  ville,  est  un  reste  des  an- 
ciennes forêts,  où  l'on  a  tracé  des  allées  et  bâti  des  villas;  un  autre  bois, 
très  fréquenté  pendant  la  belle  saison,  s'étend  au  nord-ouest,  entourant  de 
ses  allées  les  jardins  et  les  colonnades  du  palais  de  Petrovskiy. 

Le  couvent  de  Troïtza,  que  ne  manquent  jamais  d'aller  visiter  les  voya- 
geurs, est  situé  au  nord-est  de  Moscou,  sur  le  chemin  de  fer  de  Yarosl'avl, 
dans  une  contrée  herbeuse,  parsemée  de  bosquets.  Le  monastère,  que  les 
Polonais  assiégèrent  vainement  pendant  seize  mois,  en  1609  et  1610,  res- 
semble en  effet  à  une  forteresse  du  moyen  âge  avec  ses  hautes  murailles, 
au-dessus  desquelles  apparaissent  les  tours  et  les  clochers.  Troïtza  est  une 
véritable  cité  d'églises,  de  chapelles,  de  reposoirs,  de  stations  d'images;  la 
chapelle  de  saint  Serge,  patron  du  couvent,  est  éblouissante  de  richesse.  La 
lavra  de  Troïtza,  moins  élevée  en  dignité  que  celle  de  Kiyev,  est  un  lieu  de 
pèlerinage  aussi  fiéquenté,  et  grâce  aux  faveurs  des  tzars  elle  est  devenue 
plus  puissante  :  elle  posséda  jusqu'à  120  000  serfs;  son  revenu  est  encore 
do  plusieurs  millions.  C'est  dans  ce  couvent  que  se  trouve  l'académie 
ecclésiastique  de  Moscou.  Le  bourg  de  Serge  {Sergii/cvskiij  Posad),  dont  les 
maisons  se  sont  groupées  autour  du  couvent,  est  plus  peuplé  que  toutes 
les  autres  villes  du  gouvernement,  sauf  Moscou.  Parmi  ces  villes,  Voskre- 
sensk,  au  nord-ouest  de  la  capitale  et  au  nord  de  Zvenigorod,  chef-lieu 
déchu  de  principauté,  doit  aussi  son  origine  à  un  monastère  :  son  indus- 


MOSCOU,  BORODINO,  RAZAN. 


725 


trie  est  celle  des  meubles.  Yereya,  au  sud-ouest,  fui  détruite  par  les 
Français  en  1812,  et  ne  s'est  pas  complètement  relevée  du  désastre;  on  y 
fabrique  surtout  des  objets  en  argent  appliqué.  C'est  près  de  là,  au  bord 
de  la  Jloskva  naissante,  que  fut  livrée  la  bataille  de  Borodino  ou  de  la 
«  Moskova  »,  la  plus  acharnée  des  temps  modernes  :  llUOOO  hommes  y 
furent  mis  hors  de  combat. 

Au  sortir  de  Moscou,  la  rivière,  coulant  au  sud-est,  va  rejoindre  l'Oka, 
près  de  la  ville  commerçante  de  Koi'omna  et  au  nord  de  Zaraïsk,  dont  on 

>"  leO.  CUAMP  DE  BATAILLE  DE  BORODLN'O  OU  DE  «  LA  MOSEOWA  r. 


34-30 E  ce  P 


ri 


MnsTove 


dâprca  Duvotenay 


voit  encore  l'ancienne  forteresse,  rebâtie  par  Ivan  le  Terrible.  La  rivière 
maîtresse,  serj)entanl  en  de  nombreux  méandres,  continue  de  suivre  la 
direction  du  sud-esl  jusqu'au  delà  de  Razaii,  et  reçoit  en  roule  divers  petits 
cours  d'eau,  entre  autres  celui  qui  vient  de  Yegoryevsk.  Uazan,  chef-lieu  de 
gouvernement,  et  jadis  capitale  de  principauté,  a  conservé  son  kreml  pitto- 
resque, dominant  la  ville  de  ses  églises  et  de  ses  palais  :  elle  a  été  fondée 
par  une  colonie  de  Russes  du  Midi,  et  son  nom  complet,  Pereyaslavl 
Razanskiy  rappelle  la  ville  oukraïniennc  des  bords  du  Di'iepr.  Razaù  a  quel- 
ques fabriques,  mais  elle  a  surtout  de  l'importance  comme  ville  de  cura- 


7-26  NOUVELLE    GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

merce,  grâce  à  l'Oka,  qui  coule  à  2  kilomètres,  et  au  chemin  de  fer 
de  Moscou  à  Saratov;  Razai'i  en  est,  après  Kozl'ov,  la  principale  station 
intermédiaire.  Au  sud  de  Razan,  la  ville  de  Skopin,  située  au  milieu  de 
vastes  champs  de  blé,  est  aussi  un  lieu  de  marché  très  animé.  Toutefois 
la  cité  la  plus  industrieuse  du  gouvernement  est  Kasimov,  l'ancienne 
Gorodetz,  située  près  de  l'endroit  où  l'Oka  entre  dans  la  province  de 
Tambov.  [es  principales  manufactures  de  Kasimov  sont  des  tanneries  et 
des  corderies.  Le  voisinage  de  l'Asie  s'annonce  déjà  :  des  centaines  de 
Tartares  mahométans,  descendants  de  ceux  auxquels  la  ville  avait  été 
assignée  par  un  Izar  de  Moscou,  habitent  encore  un  quartier  de  la 
ville,  et  le  minaret  d'une  mosquée  se  dresse  au-dessus  des  maisons.  En 
général,  l'élément  slave  et  le  christianisme  n'ont  remporté  la  victoire, 
dans  tout  le  pays  qui  s'étend  au  sud  de  l'Oka,  que  depuis  le  dix-sep- 
tième siècle  :  les  schismes  qui  se  produisent  encore  dans  la  contrée 
doivent  être  attribués,  au  moins  en  partie,  à  un  phénomène  de  retour 
vers  le  passé. 

La  Tzna,  qui  se  jette  dans  l'Oka  en  aval  de  Kasimov,  est  la  principale 
rivière  du  gouvernement  de  Tambov.  La  capitale  de  la  province,  située  non 
loin  des  sources  de  ce  cours  d'eau,  ne  doit  guère  son  importance  qu'au 
rang  de  centre  administratif  et  au  chemin  de  fer  de  Moscou  à  Saratov. 
Morchansk  occupe  en  aval,  sur  la  Tzna  déjà  navigable,  une  position 
beaucoup  plus  heureuse  pour  le  commerce,  et  sert  de  port  d'expédition 
aux  denrées  agricoles  d'un  vaste  territoire;  elle  a  pour  principale  indus- 
trie le  traitement  des  suifs  et  leur  transformation  industrielle.  Morchansk 
est  l'un  des  centres  de  la  secte  des  skoptzî.  Plus  au  nord,  Chatzk  est  située 
à  quelque  distance  de  la  rivière,  sur  un  petit  affluent  occidental.  Le  bassin 
de  la  Mokcha,  tributaire  de  celui  de  la  Tzna,  comprend  une  grande  partie 
du  gouvernement  de  Penza,  où  se  trouvent  les  villes  de  Verkniy  Lomov,  de 
Troïtzk,  de  Chechkeyev,  colonies  russes  établies  au  milieu  des  Mordves 
finnois;  Temnikov  et  Kadom,  sur  la  même  rivière,  sont  dans  le  gouverne- 
ment de  Tambov.  Eu  aval  de  Temnikov,  le  couvent  de  Sara,  l'un  des  plus 
fameux  du  pays  des  Mordves,  est  encore  entouré  de  grandes  forêts,  pcu- 
j)lées  d'ours  familiers  que  nourrissent  les  moines  '. 

Réunie  à  la  Mokcha,  la  Tzna  s'unit  à  l'Oka  pour  l'entraîner  avec  elle 
dans  une  cluse  de  rochers  ouverte  du  sud  au  nord.  Yel'atma  s'élève  sur  la 
berge  occidentale  de  cette  cluse,  qui  se  continue  au  nord  par  la  vallée 
d'une  rivière  latérale  dans  laquelle  se  trouve  la  ville  de  Meleiiki,   où  se 

•  Mainov,  Drein'aija  i  I^ovai/a  Rossiyit,  1877,  ii°  10. 


KASIMOV,   MORCHANSK,   TAMBOV,  SIOUROM.  727 

fabriquent  des  feutres  et  se  sculptent  des  objets  en  bois.  Plusieurs  autres 
fissures  des  roches  de  la  contrée  affectent  cette  direction  du  sud  au  nord 
et  donnent  à  la  topographie  locale  une  grande  uniformité  de  traits. 

La  ville  de  Mourom,  sur  la  rive  gauche  de  l'Oka,  à  une  petite  distance 
en  amont  du  confluent  de  la  Tocha,  et  déjà  mentionnée  par  la  chronique  de 
Nestor,  est  l'une  des  plus  anciennes  cités  de  la  Russie  orientale;  de  même 
que  la  ville  industrieuse  d'Arzamas,  qui  doit  son  nom  à  la  tribu  finnoise 
des  Arza,  celle  de  Mourom  porte  l'appellation  de  la  peuplade  des  Mou- 
roma,  vivant  au  neuvième  siècle  sur  les  deux  rives  de  l'Oka.  Pendant  plus 
de  deux  cents  ans,  Mourom  fut  le  marché  des  Russes  dans  le  pays  des 
Mordves,  et  les  Bulgares  de  la  Volga  y  venaient  tous  les  étés  pour  y  échanger 
leurs  denrées  contre  les  marchandises  des  négociants  slaves  et  grecs;  elle  fut 
le  centre  d'un  mouvement  de  civilisation  remarquable.  Mourom,  longtemps 
chef-lieu  d'une  principauté  distincte  et  possédant  encore  les  vestiges  d'un 
kreml,  est  restée  une  sorte  de  capitale  pour  les  tribus  finnoises  des  envi- 
rons ;  mais  elle  a  surtout  de  l'importance  par  son  commerce  avec  Nijniy- 
Novgorod  et  le  reste  de  la  Russie  :  elle  est  l'entrepôt  des  céréales  de  toute 
la  basse  Oka.  Elie  de  Mourom,  le  héros  populaire  de  la  Russie,  «  le  fils 
du  paysan  »,  est  né,  d'après  les  starinas,  près  du  village  de  Karatcharovo, 
dans  le  district  de  Mourom  :  une  cité  lacustre,  pareille  à  celles  de  la 
Suisse,  a  été  découverte  par  M.  Polakov,  près  de  ce  village,  dans  les  allu- 
vions  d'un  ancien  lac.  Ce  pays  est,  avec  la  Souzdalie,  un  des  pa\s  clas- 
siques de  la  Russie  pour  les  antiquités  préhistoriques.  L'archéologue 
Ouvarov  y  a  découvert  d'immenses  quantités  d'outils  en  silex,  avec  des 
ossements  de  mammouths,  de  rhinocéros,  de  sangliers,  de  castors  et  de 
bœufs  ne  vivant  plus  dans  la  contrée.  En  quatre  années  seulement,  MM.  Ou- 
varov et  Savelyev  ont  exploré  dans  l'ancien  pays  des  Mériens  77'29  kourgans 
de  diverses  époques,  des  temps  préhistoriques  au  onzième  siècle  de  l'ère 
vulgaire. 

Pavfovo,  située  sur  la  rive  droite  de  l'Oka,  à  peu  près  à  moitié  chemin 
de  Mourom  à  Nijniy-Novgorod,  ne  s'est  point  fait  un  nom  dans  l'histoire 
de  la  contrée  ;  mentionnée  pour  la  première  fois  au  dix-septième  siècle, 
elle  a  simplement  rang  de  village,  quoique  ses  maisons,  hautes  et  rappro- 
chées les  unes  des  autres,  lui  donnent  l'aspect  de  ville,  qui  manque  à 
beaucoup  de  cités  poj)uleuses  de  l'emjjire.  Pavlovo  est  l'un  des  centres  de 
l'industrie  du  fer:  des  milliers  d'ouvriers  y  fabriquent  jusqu'à  500 UOU 
serrures  par  an,  des  couteaux,  des  instruments  de  chirurgie,  des  outils 
de  toute  espèce  en  fer,  en  acier,  en  cuivre  :  le  village  n'est  qu'une  agglo- 
mération de  forges  et  d'aleliers.  Les  produits  de  l'industrie  de  Pavlovo, 


7S8  NOUVELLE   GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

dont  beaucoup  portent  des  marques  anglaises,  se  vendent  dans  toutes 
les  foires  de  la  Russie  européenne  et  asiatique,  de  Kiyev  à  Irkoulsk  et 
jusqu'en  Afghanistan  ;  mais  c'est  à  A'ijniy-Novgorod  que  se  fait  la  principale 
vente  de  ces  objets.  Dans  les  environs  de  Pavl'ovo,  une  quarantaine  de 
villages,  appartenant  presque  tous  au  district  de  Gorbatov,  participent  à 
l'industrie  métallurgique,  et  leurs  produits,  surtout  les  couteaux  et  les 
serrures,  sont  expédiés  dans  toute  la  Russie  sous  le  nom  d'articles  de 
Pavl'ovo.  Le  plus  fameux  de  ces  villages  est  Vorsma,  ayant  dans  son  dis- 
trict industriel  plus  de  20000  habitants,  sur  un  espace  de  la  grandeur  de 
Londres.  La  plupart  des  ouvriers  ont  leur  maison  et  travaillent  à  domicile; 
cependant  leur  condition  se  rapproche  de  plus  en  plus  de  celle  des  prolé- 
taires de  l'Occident. 

La  Klazma,  qui  s'unit  à  l'Oka  dans  le  voisinage  de  Gorbatov,  est  la  prin- 
cipale rivière  du  gouvernement  de  Vladimir.  Ce  cours  d'eau  naît  au  nord 
de  Moscou  et  reçoit  ses  premiers  ruisseaux  des  campagnes  de  Troitza  et  de 
celles  d'Alexandrov,  aux  teintureries  fameuses  en  Russie  ;  à  Vladimir,  il 
est  déjà  navigable  pour  les  petits  bateaux  en  toute  saison  et  porte  au  prin- 
temps de  grandes  embarcations.  Vladimir-na-Klairiie  ou  Vladimir-Zaleskiy, 
ancienne  capitale  de  la  principauté  qui  devint  plus  tard  la  Moscovie,  date  du 
douzième  siècle  et  doit  son  nom  à  Vladimir  Monomaque,  le  prince  de  Kiyev. 
Pendant  la  période  de  sa  domination,  qui  dura  jusqu'au  commencement 
du  quatorzième  siècle,  Vladimir  avait  une  population  plus  considérable 
que  de  nos  jours.  Elle  a  gardé  de  cette  époque  divers  fragments  de  sculp- 
ture dans  ses  églises  et  la  «  Porte  d'Or  »  de  son  kreml  presque  entière- 
ment détruit.  Vladimir  n'a  qu'une  faible  industrie,  et  son  port  sur  la 
Klazma  ne  fait  que  peu  de  commerce  :  les  légumes  des  jardins  et  les  cerises 
des  vergers  environnants  sont  les  principales  denrées  d'exportation  de  l'an- 
cienne capitale. 

Quant  cà  la  ville  de  Souzdal,  l'antique  Soujdal,  qui  existait  dès  les  ori- 
gines de  l'histoire  russe  et  qui  donna  le  nom  de  Souzdalie  à  toute  la  con- 
trée de  la  Klazma  et  de  la  basse  Oka,  elle  est  encore  plus  déchue  que  Vla- 
dimir, quoiqu'elle  possède  toujours  son  kreml,  et  n'a  pas,  comme  son 
chef-lieu,  l'avantage  de  se  trouver  sur  une  rivière  navigable  ;  même  elle 
n'est  pas  encore  rattachée  par  un  embranchement  au  réseau  des  chemins 
de  fer  de  la  Russie.  Les  fonds  marécageux  des  environs,  graduellement 
amendés  par  la  culture,  ont  fait  de  Souzdal  une  ville  de  maraîchers  :  pour 
l'excellence  et  la  quantité  des  légumes,  surtout  des  concombres,  des 
oignons,  des  radis,  peu  de  villes  de  la  Russie  peuvent  lui  être  comparées. 
Depuis  des  siècles,  les  merciers  de  Souzdal,  ou  plutôt  de  la  Souzdalie,  par- 


VLADIMIR,  SOUZDAL,   IVANOVO,  729 

courent  loutc  la  Russie,  et  souvent  on  donne  le  nom  de  «  Souzdalicns  » 
aux  colporteurs,  comme  s'ils  venaient  tous  de  cette  ville.  Enfin  les  images 
saintes,  que  l'on  fabrique  surtout  à  Khol'ouy  et  en  d'autres  villages  des 
districts  de  Vazniki  et  de  Gorokhovetz,  sur  la  basse  Oka,  où  se  trouvaient 
autrefois  des  couvents  dépendant  de  Souzdal,  sont  appelés  d'ordinaire 
«  icônes  souzdaliennes»;  on  en  fait  de  deux  à  trois  millions  par  an  dans 
cette  région.  Un  seul  ouvrier  peut  en  peindre  six  cents  par  semaine',  au 
prix  de  deux  roubles  le  cent,  et  les  «  Souzdaliens  »  les  portent  dans  toute 
la  Russie  et  jusque  dans  la  péninsule  lllyrienne.  Cette  industrie  est  fort 
intéressante,  à  cause  de  l'extrême  division  du  travail,  auquel  les  enfants 
eux-mêmes  prennent  part  :  parmi  les  villages,  il  en  est  un,  celui  de  Mslera, 
qui  fabrique  des  icônes  spécialement  pour  les  raskolniks.  La  Souzdalie 
s'occupe  aussi  de  la  peinture  sur  papier  et  de  l'impression  au  moyen  de 
planches  de  tilleul.  Les  produits  de  cet  art  grossier  sont  très  répandus 
dans  toute  la  Russie.  Le  mot  de  souzdal' china  est  devenu  synonyme  de 
«  mauvais  goût  »  ;  toutefois  quelques  gravures  sorties  de  ces  imprimeries 
barbares  sont  devenues  précieuses  à  cause  de  leurs  naïves  satires  contre 
les  popes  et  les  tclunovniki  :  plusieurs  rappellent  les  gravures  xylogra- 
pbiques  du  quinzième  siècle  dans  l'Occident.  La  publication  en  a  été  dé- 
fendue à  plusieurs  reprises  par  la  censure'. 

La  grande  industrie  moderne  est  représentée  dans  le  gouvernement  de 
Vladimir  par  les  manufactures  d'Ivanovo,  de  son  faubourg  Voznesenskiy 
Posad  et  de  Chouya.  Ces  deux  villes,  dont  la  première  pourtant  n'est 
administrativement  (}u'uri  village,  sont  situées  sur  deux  affluents  septen- 
trionaux de  la  Klazma.  Dès  le  milieu  du  dix-huitième  siècle,  l'industrie 
du  tissage  y  fut  introduite,  et  maintenant  on  voit  dans  les  deux  villes  et 
dans  les  faubourgs  environnants  des  centaines  de  fabriques,  filatures  de 
laine  et  de  colon,  manufactures  d'indiennes  et  de  calicot,  ateliers  de  ma- 
chines, fonderies;  plus  de  quatre-vingt  mille  ouvriers  travaillent  dans  les 
usines  de  la  région  de  Vladimir  et  produisent  pour  plus  de  250  millions  de 
marchandises  :  le  tiers  des  cotons  filés  et  tissés  en  Russie  sort  de  cette  région. 
Avant  l'émancipation  des  serfs,  toute  la  population  d'Ivanovo  appartenait  à 
une  seule  famille,  et  quelques-uns  des  riches  fabricants  étaient  obligés  de 
payer  jusqu'à  "20  000  roubles  par  tète  pour  racheter  leur  liberté.  La  popu- 
lation industrielle  de  fdbritclvûy,  déjà  fort  corrompue,  est  méprisée  par 
les  paysans  de  la  région  :  de  même  les  col[)orteurs  de  Kholoui  cl  d'autres 

'  V.  de  Livrdn,  Exposé  slatistiiiiie  de  l'Empire  russe  (en  russe). 
*  Bousfayev,  Essai  sur  l'art  et  ta  littérature  russe  (en  russe). 

V-  92 


730 


NOUVELLE    GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 


villages  de  la  basse  Klazma  sont  mal  vus  dans  toute  la  Russie;  on  leur 
attribue  le  proverbe  :  «  Point  de  fraude,  point  de  commerce!  »  Sous  le  nom 
d'Ofeni,  dont  l'étymologie  est  ignorée,  ils  parcourent  tous  l'empire,  échan- 
geant toutes  sortes  de  marchandises  et  des  images  saintes,  —  car  l'usage 
interdit  de  vendre  les  icônes,  —  mais  ils  les  échangent  à  profit  '.  Les  ofeni 
parlent  entre  eux  un  argot  dans  lequel  on  retrouve  des  termes  de  toutes  les 
langues  des  races  commerçantes  de  l'Europe  orientale.  On  a  voulu  les 
rapprocher  d'anciens  colporteurs  grecs  de  la  Crimée. 


NIJNIY-NOVGOROD. 


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Le  commerce,  plus  que  les  armes,  a  donné  une  certaine  cohésion  aux 
|)opulations  d'origine  diverse  qui  habitent  la  région  moyenne  de  la  Volga, 
et  c'est  précisément  à  cause  de  cet  enlremèlement  de  nations  sans  rapports 
laciles  les  unes  avec  les  autres  qu'il  a  fallu  trouver  un  terrain  commun  où 
elles  pussent  se  réunir,  échanger  leurs  produits.  La  célèbre  foire  qui  se 
tient  actuellement  à  Nijniy-Novgorod,  et  qui  est  la  plus  importante  de  la 
Russie  et  du  monde,  a  souvent  changé  de  place  :  elle  a  été  nomade  comme 
plusieurs  des  peuples  qui  venaient  y  trafiquer.  Les  traditions  et  les  chro- 
niques nous  apprennent  qu'à  l'origine  de  l'histoire  russe  le  grand  lieu  do 


'  Maximuv,  ia  Russie  crranlc  (en  russcl;  — Suiiunov,  La  Pairie  [en  russe). 


iMJMY-NOVGOROD.  753 

réunion  des  trafiquants  était  la  capilale  du  royaume  des  Bulgares,  sur  les 
rives  de  la  Volga,  en  aval  du  confluent  de  la  Kama  :  au  milieu  du  neu- 
vième siècle,  des  Arabes,  des  Perses,  des  Arméniens,  des  Indiens  même 
venaient  s'y  i-encontrer  avec  les  hommes  de  l'Occident.  La  destruction  de 
l'empire  des  Bulgares  déplaça  le  champ  de  foire,  et  Kazaiî,  la  résidence  des 
princes  tartares,  devint  le  lieu  de  rendez-vous  des  marchands  d'Europe  et 
d'Asie;  les  colporteurs  tartares  de  Kazan  sont  encore  désignés  en  Bussie 
sous  le  nom  de  Boukhartzî  ou  «  Boukhariotes  ».  Le  changement  du  pou- 
voir amena  pour  la  troisième  fois  le  déplacement  du  grand  marché  :  la 
foule  des  trafiquants  commença  de  suivre,  dans  la  première  moitié  du 
dix-septième  siècle,  les  innombrables  pèlerins  qui  se  portaient  vers  le  cou- 
vent miraculeux  de  saint  Makariy  (Macaire),  situé  sur  la  rive  gaucho  de  la 
Volga,  à  80  kilomètres  environ  en  aval  de  Nijniy-Novgorod  :  jusqu'à  Pierre 
le  Grand,  toutes  les  recettes  provenant  de  droits  de  placement  et  d'octroi 
furent  même  dévolues  au  couvent  de  Saint-Macairc  et  à  son  archimandrite. 
Toutefois  le  champ  de  foire,  situé  sur  un  terrain  séparé  par  la  Volga  des 
centres  industriels  de  Moscou  et  de  Vladimir,  était  très  incommode  ;  on  pro- 
fita en  1816  de  l'incendie  du  bazar  de  la  foire  pour  transférer  le  marché 
dans  la  ville  de  Nijniy,  si  bien  placée  au  confluent  de  la  Volga  et  de  l'Oka, 
au  point  de  croisement  des  lignes  commerciales  de  la  Bussie  caspienne.  C'est 
i'avant-gardc  du  monde  occidental  en  face  des  populations  asiatiques  ;  mais 
il  est  probable  que  la  construction  du  chemin  de  fer  de  Nijniy  à  Kazan  et  à 
Perm  aura  pour  résultat  de  diminuer  l'importance  de  la  foire  annuelle. 

Le  nom  de  la  cité  signifie  «  Basse  Mouvelie-\  lUe  ».  On  la  nomma  d'abord 
Novgorod  Nizovskiya  Zemli,  —  la  «  Novgorod  des  pays  bas  »;  plus  tard  ou 
l'appela  Nijniy-Novgorod,  la  Novgorod  du  Bas,  ou  Nijniy.  L'emplacement 
choisi  pour  la  ville  atteint  à  son  point  culminant  97  mètres  au-dessus  du 
niveau  de  la  Volga.  Le  krenil.  autour  duquel  se  sont  groupées  les  pre- 
mières maisons,  entoure  de  ses  murailles  le  sommet  d'une  colline  d'où 
l'on  aperçoit  à  l'ouest  le  confluent  des  deux  fleuves,  et,  sur  la  rive  gauche 
de  rOka,  le  quartier  bas  de  la  foii'e  avec  ses  constructions  régulières  et  ses 
roules  montant  par  les  ravins  à  l'escalade  du  plateau.  Des  jardins  occupent 
une  partie  du  kreml  et  les  allées  d'un  parc  se  développent  plus  à  l'est  sur 
la  haute  berge  de  la  Volga.  Le  grand  fleuve  est  encore  libre  de  pont  et  l'Oka 
n'est  traversée  que  par  un  pont  de  bateaux,  de  1575  mètres  de  longueur, 
démonté  chaque  année  pendant  l'hiver. 

Le  quartier  de  la  foire,  en  entier  construit  pendant  ce  siècle,  est  d'une 
régularité  tout  américaine.  Au  centre  de  celle  ville  occulcntale,  un  bazar, 
de  1700  mètres  de   long  sur  plus   d'un   kilomètre  de  large,    aligne  ses 


734  .NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

rangées  de  boutiques  où  les  marchandises  sont  disposées  par  ordre  de 
nature  et  de  provenance  :  en  se  promenant  dans  le  vaste  quartier,  on  passe 
de  la  rue  des  fers  ou  de  celle  des  laines  dans  celle  des  pelleteries  ou  des 
thés,  et  de  l'allée  de  Pavlovo  on  se  rend  à  celle  d'Alexandrov  ou  de  Toula. 
Un  palais  où  se  font  les  grands  banquets,  une  cathédrale  orthodoxe,  une 
église  arménienne,  une  mosquée  tartare  s'élèvent  dans  le  quartier  de  la 
foire,  qui  se  complète  à  l'est  par  les  vastes  dépôts  de  poissons,  de  fers,  de 
céréales  qui  remplissent  une  île  allongée  de  l'Oka.  Uu  canal  d'égout,  en 
forme  de  fer  à  cheval,  entoure  le  quartier;  mais,  les  trois  mille  boutiques 
du  bazar  ne  suffisant  pas  à  l'énorme  quantité  de  marchandises  apportées 
pour  la  «  Saint-Macaire  »,  trois  mille  autres  boutiques  temporaires  s'élè- 

\      I''.i.    yol  VEMENT    C031JIERCI.VL    DC    LA    FCUnE    DK    MJMY-SOVtîOROD    DL    ISiT    A    ISSl. 


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vent  encore  à  l'ouest  du  canal,  dans  un  champ  de  foire.  Alors  plus  de 
deux  cent  mille  personnes  grossissent  la  population  sédentaire  de  Nijniy- 
Novgorod,  qui  n'est  pas  même  de  50  000  individus.  Dans  cette  foule  des 
acheteurs  et  des  visiteurs,  les  Asiatiques  sont  plus  rares  qu'ils  ne  l'étaient 
autrefois,  presque  tous  les  échanges  se  faisant  maintenant  par  l'entre- 
mise de  commissionnaires  ;  cependant  on  voit  encore  des  Géorgiens,  des 
Persans,  des  Boukharioles. 

Le  i)rincipal  commerce  de  Nijniy  est  celui  des  étoffes  de  coton  et  de 
laine  ;  puis  vient  celui  des  fers  ;  les  peaux  et  les  cuirs,  les  articles  de  modes 
donnent  lieu  à  des  ventes  de  plusieurs  dizaines  de  millions  ;  mais  les 
apports  de  thé  chinois,  encore  fort  considérables,  puisqu'ils  sont  d'environ 
cent  mille  caisses,  ont  beaucoup  diminué  dans  ces  dernières  années,  à 
cause  des  grandes  facilités  que  présente  le  trafic  par  nier  de  Changhaï  et 


NIJM  Y-NOVGOROD, 


735 


de  Canton  à  Odessa.  La  part  moyenne  de  l'Asie  dans  les  denrées  apportées 
à  la  foire  de  iSijniy  représente  une  valeur  de  70  raillions  de  francs  et  ne 
cesse  de  s'accroître.  Dans  l'ensemble,  le  mouvement  des  échanges  a  con- 
stamment progressé  de  décade  en  décade.  Au  milieu  du  sièule  dernier,  la 


MJMÏ-NOVCOROD. 


TUMBrir    DE    MININ    DANS    I,A    CMPIE    DE    LCCLi?E    BE    L*    TnANSFlGlRiTIOX. 

Dessin  de  Thi^rond,  «l'iiprês  une  jiliolo^raphic. 


somme  des  ventes  à  la  foire  de  .Makai-yov  était  d'environ  2  millions  de 
francs;  en  1817,  à  la  première  foire  de  Nijniy,  le  mouvement  de  vente 
s'élevait  à  50  millions;  il  est  maintenant  de  plus  d'un  demi-milliard  et  la 
quantité  des  marchandises  apportées  et  non  vendues  n'est  pas  supérieure 
à  ce  qu'elle  était  il  y  a  cinquante  ans.  Cependant  la  foire  est  moins  animée 


736 


NOUVELLE    GÉOGRAPHIE    U.MVERSELLE. 


qu'elle  n'était  autrefois.  Les  affaires  s'y  traitent  plus  rapidement  et  le 
plus  souvent  par  des  intermédiaires  ;  mais  elle  est  restée  le  marché  régu- 
lateur de  toute  la  Russie  d'Europe  et  même  d'une  partie  de  la  Sibérie'". 
r)uand  Nijniy-Novgorod  aura  cessé  d'être  la  station  la  plus  avancée  au 
nord-est  du  réseau  des  chemins  de  fer  de  la  Russie,  le  point  de  rencon- 
tre obligé  sur  la  frontière  commerciale  de  l'Europe  et  de  l'Asie,  elle 
devra  probablement  modifier  ses  habitudes  et  tâcher  de  garder  son  impor- 
tance par  son  activité  industrielle,  assez  minime  actuellement  ;  Mjnij- 
Novuorod  possède  cependant  des  chantiers  de  construction  et  des  usines 
métallurgiques.  Elle  est  le  principal  lieu  de  rendez-vous  des  bourlaki 
«  d'en  bas  »,  comme  Rîbinsk  est  le  centre  des  bouriaki  a  d'en  haut  ».  Ces 
hommes,  dont  le  nom  signifie  «  gens  errants  »,  sont  leshaleurs  débarques; 


'   Villes  el  villages  du  bassin  de  l'OKa  ayaiil  plus 

GOUVElOiEMEXT   d'oROL. 

Oi-ol         (188")) 713  000  liai 


liotkliov 
Mtzcnsk 


20  400 
15  050 


GOUVERXEMEM    DE    KALOli'.A. 

Kalouga        (1885) 50  950  li; 

Jizdia                 <' 116.50 

Borov>k             M 9  575     i 

Medin                ■• ■  8  050 

Soukhiiiilclii      .......  C  500 

Kozeisk               • 5  850 


MechlL-liovsU 


5  250 


GOUVERNEMENT    DE    TOULA. 

Toula       (1881) 0-2  650 

iîeiov            »        !I200 

Yefreiiioï     »       8  550 

liogoroditzk  (1880) 8  050 

OJoyev  (1881). 5  100 

GOIVERNEMENI   DE   MOiCOC. 

Moscou  (1882) 751  800 

Sergiyevskiy  (Troïta)  (1882).    .  5U0O 

Kolomna  (1882) •    •  28  500 

Serpoukhov    n 22  550 

l'odoisk          « 10  600 

bmitrov          » 9  200 

Vereva           » 5  9.)0 


hab. 


Itazan 
Kasiuiuv 
Skopiu 
Vcgoiyi:\ 

ZilUlik 


GOUVERNEMENT    DE    R'.ZAN. 

^I882) 30  420  hab. 

,, 15  150     » 

10  100     » 

.1,  6  150     » 

5  800     , 


de  5000  babifanls  ; 

GOUVERNEMENT    DE   TAMBOV. 

Tambov    (1880) 54  000  liab. 

Morchansk     « 19  500  « 

Tcmnikov      i             .....  13  700  » 

Chalzk           .....  7250  » 

Yelatma         ........  7  100  .. 

Kadom 7  100  » 

Spassk            ........  5000  ., 


GOUVERNEMENT   DE   TENZA. 


Ke^eu^k  ( 

Mokchaii 
ISijniy  Lomov 
KrasnoslubjJsi 
Veikniy  tomov 
Tioilzk 
Narolrlial 
Insnr 


1885). 


GOUVERNEMENT   DP. 
(1882).. 


Chouya  ( 

Viadiniii' 

Mouroni 

Ivanovo-Voznasansk 

Peicyaslavi-Zalcskiy 

Souzdal 

Al'cx.u«lrov 

Mcleuki 


15  550  bal 

15  000  I. 

9  550  .1 

7  400  ). 
6  550 

5  700  I) 

5  520  .) 

5  250  ,) 


VLADIMIR. 

.    .     19  550  liab. 

.      16  400  n 

.    .     15  775  » 

.    .     13  550  » 

7  050  B 

.    .       0  800  » 

.    .       6  650  )> 

.   .       6  200  T. 


GOUVERNEMENT    DE    NIJNlï-NOVGOROD. 

57  550  hab. 
,     1 1  500     .. 
8  600    « 


Nijniy-lNovgorod  (1881). 
Arzainas  »     . 

Pavlovo  »      • 


MJMY-NOVGOROD.  737 

organisés  en  artel'  ou  associations,  ils  n'en  sont  pas  moins  à  la  merci  des 
propriétaires  de  bateaux,  qui  rendent  l'association  responsable  pour  l'indi- 
vidu et  dont  l'agent  est  souvent  choisi  comme  chef  même  de  la  société. 
Le  salaire  du  bourlak  pour  un  travail  de  8  à  16  semaines,  à  la  montée 
du  fleuve,  d'Astrakhan  à  Nijniy,  varie  de  28  à  40  roubles. 

Une  colonne  élevée  près  du  kreml,  au  sommet  du  promontoire  qui  domino 
le  confluent,  et  le  riche  tombeau  placé  dans  la  crypte  d'une  cathédrale 
rappellent  le  toucheur  de  bœufs  Minin.  qui  appela  en  IGll  le  pays  à  lu 
délivrance  de  Moscou,  occupée  par  les  Polonais.  Nijniy  est  aussi  la  patrie 
du  critique  Dobroloubov  et  du  mécanicien  Koulibin. 


ÏOÏE.NXK      VOinv     ET     K\M\ 
K.lZ.VS',     VATKA,     PERM',    OUFA. 

Dans  cette  partie  du  bassin  de  la  Volga,  l'-Asie  et  l'Europe  s'entremêlent 
déjà  par  leurs  populations  :  à  côté  des  Slaves  grands-russiens,  des  Tar- 
tares  habitent  les  villes  et  les  campagnes  environnantes,  tandis  que  des 
tribus  finnoises  occupent  la  plus  grande  étendue  des  régions  lioisées.  Les 
races,  fondues  en  une  seule  nation  dans  le  bassin  supérieur  de  la  Volga, 
sont  encore  là  en  présence  les  unes  des  autres,  toutes  distinctes  soit  par 
l'apparence  extérieure,  la  langue  et  le  genre  de  vie,  soit  du  moins  par  les 
traditions  et  quelques  traits  particuliers.  Ces  peuplades  étrangères  ou 
allogènes,  ainsi  qu'on  les  appelle  en  Russie,  n'ont  pas,  comme  les  Finlan- 
dais de  l'ouest,  l'avantage  d'être  unies  en  corps  de  nation.  Eparses  en  de 
vastes  plaines,  séparées  les  unes  des  autres  par  des  Grands-Russiens,  sans 
lien  de  nationalité,  sans  espérances  communes,  elles  sont  condamnées  à  un 
complet  isolement  moral  et  politique.  C'est  uniquement  par  l'entremise 
des  Slaves  que  ces  restes  d'anciennes  races.  Finnois,  Ougriens,  Turcs,  peu- 
vent entrer  en  rapports  mutuels  et  progresser  en  civilisation. 

Les  recherches  des  historiens  ont  mis  en  Itmiière  ce  fait  l'emarquable, 
qu(!  l'influence  russe  sur  ces  populations  asiatiques  eut  deux  points  de 
départ,  au  sud  et  au  nord.  Du  côté  du  sud,  les  marchands  russes,  descendus 
par  la  rivière  Oka,  se  réunissaient  en  grand  nombre  dans  la  ville  de  Rol'gar. 
que  des  écrivains  arabes  classent  même  au  dixième  siècle  parmi  les  cités  i\o 
la  Slavie.  Les  objets  chinois  et  indiens  découverts  çà  et  là  dans  la  Biarmie, 
de  même  que  les  monnaies  du  cinquième  au  septième  siècle,  sassanides, 
inrio-baclres,  arabes,  byzantines,  anglo-saxonnes,  trouvées  autour  des  anciens 
V.  95 


758  NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

bourgs  de  marché,  témoignent  du  commerce  qui  se  faisait  alors  dans  ces 
régions.  Les  visites  continuelles  des  marchands  slaves,  mais  aussi  les  expé- 
ditions de  brigands  russes  qui  se  rendaient  jusqu'à  la  Caspienne  par  la 
Volga',  durent  introduire  quelques  éléments  slaves  dans  ce  monde  oriental; 
mais  celle  influence  cessa  au  Ireizième  siècle,  à  l'époque  des  invasions 
taiiares  qui  refoulèrent  les  Russes  vers  l'Occident.  Du  côlé  du  nord,  la 
j)ression  cllmologique  des  Russes  ne  s'arrêta  point.  Les  Novgorodiens  qui 
avaient  colonisé  les  bords  de  la  Dvina  et  de  ses  hauts  affluenls  avaient 
pénétré  par  cette  voie  dans  le  bassin  de  la  Kama  supérieure  el  dans  les 
vallées  de  l'Oural,  où  ils  allaient  chercher  le  sel,  les  pelleteries,  l'argent 
«  d'oulre-Karaa  »  [zakamskdie  serebro).  Même  lorsque  les  Moscovites  se 
furent  emparés  des  rivières  et  des  portages  qu'avaient  suivis  les  marchands 
novgorodiens,  c'est  en  faisant  l'énorme  détour  par  Velikiy  Oust-Youget  le 
cours  de  la  Vîtchegda  qu'ils  allaient  rejoindre  le  bassin  de  la  haule  Kama  ; 
jusqu'au  règne  de  Pierre  le  Grand,  les  affaires  de  la  Permie  furent  confiées 
à  la  «  chambre  novgorodicnne  »  installée  à  Moscou,  elles  expéditions  mili- 
taires se  faisaient  soit  par  la  vallée  de  la  Vîtchegda,  soit  même  par  celle 
de  la  Pelchora  :  la  basse  Kama  roulait  ses  flots  à  travers  un  monde  occupé 
par  les  Tchouvaches  et  les  Bachkirs.  La  russification  des  Iribus  de  ces  con- 
trées ne  commença  qu'après  la  prise  de  Kazan,  dans  la  deuxième  moitié 
du  seizième  siècle;  mais  encore  de  nos  jours  l'élément  russe  est  beaucoup 
plus  fortement  représenté  dans  le  bassin  de  la  Kama  supérieure.  Les  peu- 
plades finno-larlares  sont  ainsi  entourées  d'un  cercle  de  Russes,  qui  se 
compléta  au  dix-huitième  siècle,  lorsque  les  Slaves  se  furent  emparés  aussi 
des  steppes  du  sud-est,  arrêtant  de  cette  manière  l'immigration  des  steppes 
qui  fortifiait  l'élément  lartare.  Du  reste,  les  échanges  de  croyances  et  de 
mœurs  entre  les  Russes  et  les  allogènes  ont  été  fort  nombreux,  et  mainte 
coutume  des  Slaves  orientaux  ne  peut  s'expliquer  que  par  l'exemple  de 
leurs  voisins  mahométans  et  bouddhistes'. 

Les  Mordvcs  [Mordva),  appelés  fréquemment  Mordvines,  sont  peut-être 
même  l'une  des  anciennes  peuplades  historiques  de  la  Russie,  s'il  faut 
y  voir  les  AoYzes  de  Ptolémée,  les  alliés  de  Milhridale  :  ce  nom  est 
encore  celui  d'une  de  leurs  principales  tribus  (Erza).  Sous  leur  appel- 
lation actuelle,  ils  sont  mentionnés  jiar  les  auteurs  byzantins  comme  un 
peuple    nombreux,   et    souvent   ils    triomphèrent    des    Russes,    même   en 

*  Zai)plm,  Histoire  de  la  vie  russe  (en  russe). 

»  Le  Ikcucil  de  Pirm',  I  (en  riisso)  ;  —  Mdzej,  MnlciiaK.r  pour  la  statistique  el  la  géogrcphie  de 
la  Russie,  (jouvernemenl  de  Pcrin  (en  russe)  ;  —  VoclicvsUi; ,  La  cuhnisatinii  russe  dans  le  lori- 
C!l,  Veslnik  Vcvrojii,  ISUti,  I. 


rOPlLATIONS  ORIENTALES.  MORDVES.  759 

batflille  rangée  :  soumis  en  partie  dès  le  quartorzième  siècle,  mais  fré- 
quemment attaqués  depuis  par  les  Nogaïs  et  par  les  Kalmouks  comme  sujets 
des  Moscovites,  ils  ne  sont  complètement  assujettis  que  depuis  trois  cents 
années.  Ils  occupent  encore,  non  en  masses  cohérentes,  mais  en  archipels 
et  en  îlots,  tout  le  bassin  moyen  de  la  Volga,  des  pentes  de  l'Oural  aux 
sources  de  l'Oka  ;  on  juge  d'après  les  noms  géographiques  de  ce  territoire 
qu'ils  devaient  le  posséder  en  entier,  mais  dans  quelques-uns  des  gouver- 
nements ils  ne  forment  plus  que  le  vingtième  ou  même  le  centième  de 
la  population  :  ils  ne  composent  un  des  éléments  importants  du  peuple 
des  campagnes  que  dans  le  voisinage  de  la  Volga,  surtout  dans  les  pro- 
vinces de  Simbirsk,  de  Penza,  de  Samara  et  de  Nijniy-Novgorod.  Kôppen 
ne  comptait  que  400  000  Mordves',  mais  on  peut  bien  évaluer  l'ensemble 
de  cette  population  finnoise  à  800  000  individus,  à  un  million  même 
d'après  Maïnov%  surtout  en  tenant  compte  de  ceux,  fort  nombreux,  qui 
par  la  langue,  la  religion,  les  mœurs,  ont  été  comjilètement  tartarisés. 
Ainsi  ceux  qu'on  appelle  du  nom  turc  delvarataï  sont  devenus  des  Tartares, 
en  tout  semblables  aux  autres.  Parmi  les  Finnois  orientaux  de  la  Russie, 
les  Mordves  s'avancent  le  plus  vers  l'ouest,  où  ils  se  mêlent  aux  Russes: 
aussi  sont-ils  en  maints  endroits  presque  complètement  russifiés.  A  peu 
d'exceptions  près,  ils  sont  devenus  «  orthodoxes  »  :  autrefois  le  gouverne- 
ment les  distribuait  en  servage  aux  propriétaires  qui  s'engageaient  à  en  faire 
des  clirétiens.  La  grande  masse  de  la  nation  se  laissa  baptiser  au  temps  de 
l'impératrice  Elisabeth,  qui  fit  donner  à  chaque  néophyte  un  rouble  et 
trois  images  saintes,  et,  si  l'on  en  croyait  les  Mordves  eux-mêmes,  l'immu- 
nité des  impôts  ci  du  service  militaire.  Depuis  le  commencement  du  siècle, 
un  grand  nombre  ont  cessé  de  parler  leur  langue  ;  il  en  est  même  qui  ne 
se  distinguent  aucunement  par  le  coslnnie  et  l'on  confoiidi-ait  facilement  le« 
hommes  avec  des  moujiks  russes;  mais  les  femmes  gardent  mieux  le  type 
originaire.  Les  Mordves  de  l'ouest  ou  Mokclia,  excellents  agriculteurs,  se 
perdent  de  plus  en  plus  dans  la  nationalité  slave,  comme  se  sont  perdus 
les  Mériens  de  Vladimir  et  de  Moscou  ;  ceux  qui  ont  le  mieux  conservé  leur 
type  sont  les  Erza  de  Penza  et  de  Simbirsk.  Dans  les  villages  mixtes,  les 
enfants  ru^'^e-^  parlent   monive  avec    leurs  compagnons  finnois,  mais  en 


'  Mordves  de  Fiussie,  d'.ipiés  Seiiionov  (ouvrage  (Mit-) 


Simbirsk 12  imiir  100,  110  000 

Pen/a 10         ,i  I'2:>0ll0 

Samara 9         .,  I  iO  (100 

.Nijniy-X'ovgorod-    .    .  !»           .  1 10  000 


Saralov «  pour  100,  01 000 

Omilioiii-    .    .        .    .  5         "  100  000 

Taiiihiiv 2.5     "  .iOOOO 

Kazaii 1          II  LjOOO 


*  .S/oiio.   1870,  II"  VI.  Les  lù-.a     (iOO.OOO.  Maïnov,  Résultais  fies  rerlicrches  anlhropologiquci 
chez  les  Mortha-Eiza,  1883. 


740  NOUVELLE    GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

grandissant  ils  s'accoulument  peu  à  peu  à  parler  la  langue  maternelle,  qui 
est  en  même  temps  celle  de  la  civilisation'.  La  mortalité  est  fort  grande 
sur  les  enfants  des  Mordves,  mais  est-elle  plus  considérable  que  dans  les 
familles  russes  de  leur  entourage  ? 

Les  Mordves  ont  en  général  les  cheveux  noirs  on  foncés;  les  yeux  sont 
bleus,  pelits  et  bridés  obliquement  par  la  paupière;  ils  ont  la  peau 
blanche,  la  taille  moyenne,  les  membres  forts,  mais  les  attaches  Unes. 
Leur  menton  est  assez  peu  fourni,  et  Ton  peut  reconnaître  à  preoiière 
\ue  par  l'épaisseur  et  la  longueur  de  la  barbe  jusqu'à  quel  point  les  indi- 
gènes ont  été  déjà  russifiés  par  les  croisements.  Ouant  au  costume,  il  varie 
singulièrement  suivant  les  districts  ;  un  grand  nombre  d'entre  eux  sont 
encore,  pour  ainsi  dire,  dans  l'âge  du  bronze,  si  l'on  en  juge  par  les 
ornements  de  ce  métal  qu'ils  portent  de  chaque  côté  de  la  figure  et  sur  la 
poitrine.  Les  femmes  se  couvrent  la  tète,  les  oreilles,  le  cou,  les  bras,  de 
toutes  sortes  de  parures,  comprenant  des  queues  de  lièvre  et  des  dents 
d'ours,  mais  où  dominent  les  monnaies  en  cuivre.  Des  bandeaux,  des  cein- 
tures, des  plastrons  ainsi  ornés  de  médailles  et  de  boutons  de  bronze,  se 
retrouvent  chez  les  paysans  des  districts  occidentaux  d'Orol,  sur  la  fron- 
tière de  Tchernigov,  à  GOO  kilomètres  du  pays  des  Mordves  :  on  croit  y  voir 
un  indice  de  la  communauté  de  race. 

Le  baptême  n'empêche  pas  les  Mordves  d'avoir  gardé  l'ancienne  mytho- 
logie, en  l'adaptant  de  leur  mieux  à  ce  que  leur  ont  enseigné  les  popes. 
Leur  dieu  par  excellence,  Pas,  ou  «  le  dieu  des  dieux  »,  qui  est  en  même 
temps  le  soleil,  a  pour  fils  biitchi,  dont  le  culte  se  confond  pour  eux  avec 
celui  de  Jésus-Christ,  et  une  mère  Ozak,  dans  laquelle  ils  voient  la  Vierge 
Marie  :  au-dessous  viennent  les  autres  dieux,  la  «  terre  mère  »,  saint  Ni- 
colas et  tous  les  saints  spéciaux  qui  président  aux  travaux  des  champs, 
soignent  les  récoltes  et  les  animaux  domestiques.  «  Les  Mordves  savent 
mieux  prier  que  nous,  disent  les  Russes;  leurs  dieux  exaucent  mieux  les 
prières.  »  C'est  que  les  paysans  mordves  travaillent  les  champs  et  traitent 
le  bétail  avec  plus  de  soin  que  leurs  voisins  slaves*.  Quand  saint  Nicolas 
a  fait  son  devoir  en  donnant  une  bonne  récolle,  les  Moi'dves  le  récom- 
pensent en  oignant  sa  bouche  d(;  beurre  ou  de  crème;  mais  quand  ils  sont 
mécontents  de  lui,  ils  l'enferment  dans  la  grange  ou  le  tournent  contre  la 
muraille'', 

'  Lipinskiy,  Matihiaur  pour  la  (jéographie  cl  la  statistique  de  la  Russie.  Gouvernement  de 
Si-^lnrsk  (en  russe). 

*  Ma'inov,  hv'estirja  roussit,  geoijr.  obchtchestva,  1878,  n°  1. 

'  Liiilnskiy,  nuvmgc  cite;  —  Mainov,  Drevn'aya  i  Kovaija  liossiija,  1878,  n"  10. 


WOKDVES,  TCIIERÉMISSES.  741 

Il  n'est  peut-être  pas  de  peuple  sur  la  terre  qui  symbolise  d'une  manière 
plus  dramatique  sa  foi  dans  la  persistance  de  la  vie  au  delà  du  tombeau  et 
en  même  temps  sa  frayeur  des  maléfices  du  trépassé.  Chez  les  Mokcha,  le 
mort,  dont  le  cadavre  repose  sur  le  sol,  à  l'endroit  où  se  creusera  sa  fosse, 
est  censé  visiter  sa  maison  pendant  quarante  jours  :  il  y  entre  toujours  à  la 
même  heure  et  se  lave  près  de  la  fenêtre  dans  un  vase  que  l'on  entretient 
empli  d'eau  pure.  Au  quarantième  jour,  la  famille  se  dirige  vers  le  tom- 
beau :  «  Reste  encore  avec  nous  !  Viens  manger  le  repas  que  nous  l'avons 
préparé.  Ensuite  tu  pourras  te  reposer.  »  Et  le  mort  vient  en  effet;  du 
moins  celui  de  ses  amis  qui  lui  ressemble  le  plus  et  qui  a  pris  ses  vête- 
ments, son  air  dévisage,  le  son  de  sa  voix.  Il  entre  dans  sa  maison  :  «  Ne 
nous  mange  pas  !  s'écrie-t-on ,  mais  accepte  ce  que  nous  t'offrons.  » 
Il  reçoit  le  pain  et  le  sel  et  boit  avec  les  assistants  le  sang  d'un  mouton 
fraîchement  égorgé.  Le  soir  seulement  il  retourne  au  cimetière,  accompagné 
de  ses  parents  qui  portent  des  cierges  allumés;  il  remplit  encore  sa  bouche 
de  sang,  prononce  des  pari)les  sacramentelles  de  bénédiction  sur  les  ani- 
maux domestiques  et  se  couche  sur  le  tombeau.  Il  est  recouvert  d'un  lin- 
ceul blanc  que  l'on  retire  aussitôt  :  le  mystère  s'est  accompli ,  l'àmc  du 
mort  a  été  saisie  dans  un  morceau  de  pâte,  et  le  mort  peut  désormais  en- 
trer dans  le  «  rucher  de  la  terre-mère  »  ,  l'un  des  trois  «  ruchers  »  dans  les- 
quels l'univers  est  divisé'.  L'idéal  des  Mordves  est  le  monde  des  abeilles, 
où  tout  se  fait  par  règle  et  par  mesure. 

Les  Tchérémisses,  que  l'on  évalue  diversement  de  200  000  à  260  000, 
ne  sont  guère  connus  que  par  cette  appellation  insultante,  d'origine  tar- 
tare,  qui  signifie  les  «  Méchants  »  ou  les  «  Vauriens  »,  peut-être  les 
«  Guerriers  ».  Eux-mêmes  se  donnent  le  nom  de  Mori  ou  Mari,  c'est-à-dire 
«  Hommes  »  :  peut-être  était-ce  aussi  le  sens  du  nom  des  anciens  Mères 
ou  Mériens  de  Souzdalic'.  Autrefois  les  Tchérémisses  occupaient  la  plus 
grande  partie  du  territoire  qui  s'étend  dos  deux  côtés  de  la  Volga  et  de  la 
Kama,  entre  le  confluent  de  la  Soura  et  celui  de  la  Vatka,  et  faisaient  pro- 
bablement partie  de  la  grande  nation  bulgare".  Mais  au  treizième  siècle 
déjà  les  Novgorodiens  fondaient  un  comptoir  fortifié  dans  leur  pays,  et  ce 
commencement  de  colonisation  fut  le  point  de  départ  de  guerres  conti- 
nuelles entre  les  aborigènes  et  les  envahisseurs  de  race  diverse,  d'un  côté 
les  Slaves,  de  l'autre  les  Tarlares.  Les  Tchérémisses  ne  furent  pas  toujours 
vaincus  dans  cette  lutte  séculaire,  et  même  au  milieu  du  dix-septième 

'  Mainov,  ouvrage  elle. 

-  Castrèn,  Die  atlaifclien  ViilLcr. 

'  Caslrùn,  même  ouvrage. 


742  NOUVELLE  GÉOURAPIIIE   L'NIVERSELLE. 

siècle  ils  réussiront  à  interrompre  toute  communication  entre  iS'ijniy- 
Novgorod  et  Kazan'.  Maintenant  les  Tchérémisses,  divisés  par  les  colons 
russes  en  îles  de  population  distincte  après  avoir  été  définitivement  sub- 
jugués à  la  fin  du  dix-septième  siècle,  n'ont  plus  de  cohésion  ethnique,  si 
ce  n'est  sur  la  rive  gauche  de  la  Volga,  en  aval  de  la  Yetl'ouga,  jusqu'aux 
environs  de  Kazaiï.  Les  Tchérémisses  des  «  Prairies  »  ont  pu  conserver  les 
anciennes  mœurs  plus  facilement  que  leurs  compatriotes  de  la  rive  opposée, 
les  Tchérémisses  des  «  Monts  »,  ainsi  nommés  parce  que  leur  pays  est 
limite  par  la  haute  berge  de  la  Volga.  Ceux-ci,  de  tous  les  côtés  entourés  de 
Russes,  ont  presque  partout  perdu  leur  individualité  nationale  et  se  con- 
fondent de  plus  en  plus  avec  la  race  des  nouveaux  maîtres  :  ils  sont  en 
général  de  figure  avenante,  lionnèles,  assidus  au  travail.  Les  femmes 
résistent  plus  longtemps  que  les  hommes  au  changement  ;  mais  quand  la 
lévolution  s'accomplit,  elle  est  soudaine  :  du  costume  traditionnel,  elles 
passent  sans  transition  au  costume  des  femmes  russes'. 

Chez  les  Tcliérémisses  des  Prairies,  le  type  finnois  se  distingue  encore 
assez  nettement  de  celui  des  Russes  :  ils  sont  phis  Lruns  de  peau,  plus 
hâlés  de  teint;  leur  nez  est  retroussé  ou  aplati,  leurs  pommettes  sont  très 
saillantes,  leurs  yeux  étroits  et  bridés;  leur  barbe  est  rare.  En  général,  les 
femmes,  déjà  fort  laides  au  jugement  de  leurs  voisins  russes,  sont  encore, 
comme  les  Suomi  de  la  Finlande,  enlaidies  par  des  maladies  d'yeux  cau- 
sées par  la  fumée  des  cabanes.  Les  Tchérémisses  sont  de  mauvais  agricul- 
teurs :  appartenant  à  l'âge  de  transition  entre  l'état  nomade  et  l'état 
sédentaire,  ils  préfèrent  gagner  leur  vie  i)ar  la  chasse,  la  pèche,  l'élève  des 
animaux  ;  du  reste,  leur  civilisation  originale  s'est  perdue  :  désormais 
ils  n'apprennent  ])lus  rien  que  par  l'inlermédiaire  des  Russes.  Autrefois, 
des  marques  faites  sur  des  bâtons,  sorte  de  runes  grossières,  leur  ser- 
vaient d'écriture  ;  ils  assurent  en  outre  avoir  possédé  des  livres  écrits  «  qui 
furent  dévorés  par  la  grande  vache "(?)  ».  Mais  ils  ont  conservé  quelques- 
unes  de  leurs  industries,  pour  le  tissage,  la  teinture  et  l'ornementation 
des  étoffes,  et  portent  toujours  leur  costume,  l'omarquable  surtout  par  les 
plaques  de  cuivre  et  d'argent  et  les  franges  de  cuir  :  les  femmes  ont  le 
haut  bonnet  pointu  orné  de  verroteries  et  se  terminant  en  arrière  par  une 
sorte  de  caniail,  que  raidissent  des  ]iaremonts  de  cuir  et  de  métal;  elles 
jiortent  aussi  sur  la  poitrine  nu  piaslion,  simple  ou  douhle,  d(!  monnaies, 
de  grelots  et  do  disques  do  cuivre,  à  la  l'ois  ornements  et  amulettes  :  a  Un 

'  Les  Peuples  de  la  Jliissie,  Mordves  cl  Tcliénmisses  (en  russe). 

-  .Mackcrizie  \V;illace,  Rititsia. 

'  l'aiis,  Traduction  de  la  Chronique  de  Nestor. 


TCHÉRÉMISSES.  745 

numismate,  dit  M.  Rambaud,  ferait  de  merveilleuses  découvertes  dans  ces 
mcdailliers  ambulants.  » 

Les  mariages  sont  encore  des  enlèvements  chez  les  Tchérémisses,  et  non 
pas  de  simples  simulacres  de  rapt;  les  parents  ignorent  presque  toujours 
ce  qui  se  prépare,  et  souvent  même  la  jeune  fille  n'a  pas  été  avertie  par 
le  jeune  homme  de  l'enlèvement  projeté.  Aussi  le  mariage  n'est-il  d'abord 
fêté  que  dans  la  famille  du  mari  ;  les  arrangements  pour  la  dot  et  les 
fêtes  communes  aux  deux  familles  ne  se  font  que  des  semaines  après  la 
fuite.  D'ailleurs,  il  est  rare  qu'on  ne  s'arrange  pas;  M.  Kouznetzov  ne 
connaît  dans  le  gouvernement  de  Vatka  qu'un  seul  cas  où  le  père  tchéré- 
misse,  indigné  de  l'enlèvement  de  sa  fille,  ait  protesté  devant  le  juge  '. 
Chez  les  Tchérémisses  païens,  le  divorce  est  facilement  prononcé,  après  une 
cérémonie  fort  simple.  Les  deux  époux  qui  ne  se  conviennent  plus  sont 
amenés  devant  les  anciens  de  la  commune;  on  les  lie  dos  contre  dos  au 
moyen  d'une  forte  corde,  l'ancien  prend  un  couteau,  tranche  le  nœud  con- 
jugal, et  les  deux  époux  s'enfuient  chacun  de  son  côté. 

Les  Tchérémisses,  persuadés  que  les  morts  passent  à  une  vie  meilleure, 
ne  pleurent  pas  ceux  qu'ils  ont  perdus.  En  enfermant  le  mort  dans  sa 
tombe,  ils  lui  mettent  un  bâton  dans  la  main  pour  chasser  les  serpents, et 
de  l'argent  pour  payer  la  terre  a  mère  »  ;  en  outre,  ils  laissent  du  tabac 
au  mort  et  prennent  soin  de  faire  une  petite  ouverture  à  la  bière  afin 
que  le  trépassé  puisse  de  temps  en  temps  jelcr  un  regard  sur  le  monde 
qu'il  a  quitté.  Quarante  jours  après,  on  vient  lui  faire  une  visite,  et  tous 
dansent  autour  du  tombeau'.  D'ailleurs,  n'est-ce  pas  dans  les  mêmes 
régions  que  les  Veliko-Husses,  aussi  païens  que  les  Tchérémisses,  ont  l'Iia- 
bilude  de  pétrir  en  l'honneur  de  leurs  morts  de  petits  gâteaux  en  forme 
d'échelles,  image  symbolique  des  degrés  que  l'âme  doit  gravir  pour  s'éle- 
ver dans  le  ciel?  Autrefois  on  jetait  dans  le  tombeau  du  mort  de  vérita- 
bles échelles  et  des  griffes  d'animaux,  afin  de  faciliter  ainsi  le  travail 
ardu  de  l'escalade.  Jusqu'à  présent,  quelques  sectes  de  ra^kolniks  ont 
l'usage  de  laisser  des  ouvertures  dans  les  tombeaux  pour  y  déposer  les 
offrandes  de  nourriture  faites  aux  morts  :  les  écuelles  creusées  dans  les 
pierres  tombales  de  la  Scandinavie  et  de  l'Inde  avaient  j)robablement  la 
même  destination". 

La  religion  des  Tchérémisses  est  fort  curieuse,  car  le  fond  originaire  de 
leurs  croyances,  c'est-à-dire  l'ancien  chamaiiismc  finnois,  a  subi  la  double 

'  Kniiïnetzov,  Essai  sur  la  vie  des  Tclicrémisses,  Drevnaja  i  .Novaya  IWssija,  1877,  n»  C. 
'  M((zcl,  Le  Gouvernement  de  Perm'. 
'  Mainov,  Slovu,  1879,  ii»  10. 

V  oj 


746  NOUVELLE   GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

influence  du  christianisme  russe  et  du  mahoraétisme  tartare;  pour  eux,  les 
«  soixante-dix-sept  religions  des  soixante-dix-sept  peuples  »  sont  également 
bonnes'.  Ils  se  disent  «  orthodoxes  »,  et  à  bon  droit,  puisqu'ils  célèbrent  les 
fêtes  du  calendrier  par  des  libations,  qu'ils  vénèrent  saint  Nicolas  et  les 
autres  saints  sous  les  noms  de  Youma  ou  de  «  dieu  »,  qu'ils  offrent  même 
des  sacrifices  à  Notre-Dame  de  Kazan';  mais  si  les  Tartares  étaient  les  do- 
minateurs de  la  contrée,  les  Tchérémisses  pourraient  aussi  bien  se  dire 
musulmans,  puisque  Mahomet  est  un  prophète  pour  eux  :  même  des 
villages  entiers  de  Tchérémisses  se  sont  convertis  au  mahomélisme,  sans 
crainte  des  lois  qui  condamnent  les  relaps  à  huit  ou  dix  ans  de  travaux  for- 
cés. Toutefois  les  anciennes  divinités  se  maintiennent,  le  grand  Youma, 
le  dieu  du  Ciel,  et  ceux  des  vents,  des  fleuves,  de  la  glace,  du  bétail 
et  des  arbres  même.  Dans  le  gouvernement  de  Koslroma,  près  du  village 
d'Adochnour,  se  trouvait  un  bouleau  que  les  Tchérémisses  venaient  adorer 
en  foule  encore  dans  l'année  1843.  Quand  le  vent  brisait  une  des  branches 
de  la  cime  et  la  transportait  sur  un  champ  voisin,  le  maître  était  tenu  d'en 
laisser  le  produit  aux  oiseaux  de  l'air'.  Les  Tchérémisses,  surtout  ceux  du 
gouvernement  de  Perrii  qui  n'ont  pas  encore  été  baptisés,  vénèrent  aussi  le 
feu  et  lui  demandent  d'apporter  leurs  prières  à  Dieu  :  ainsi  les  cérémonies 
des  premiers  Aryas  se  retrouvent  chez  eux.  La  divinité  qui  tient  la  plus 
grande  place  dans  leurs  prières  est  celle  dont  ils  ont  peur,  Keromet,  l'au- 
teur de  tout  le  mal  qui  leur  arrive  :  c'est  à  lui  que  sont  destinées  les  bêtes 
de  choix  lors  des  sacrifices,  car  il  faut  conjurer  son  courroux  en  lui  don- 
nant amplement  de  quoi  satisfaire  sa  faim,  sa  soif,  et  en  lui  fournissant 
des  montures  pour  ses  voyages.  Lors  des  sacrifices  solennels,  les  kartes  ou 
prêtres  héréditaires,  immolent  parfois  80  chevaux,  50  vaches,  100  autres 
tètes  de  gros  bétail,  150  moutons,  500  canards*.  On  sacrifie  aussi  des 
chevaux  blancs  sur  les  tombes  des  hommes  riches  ou  respectés  à  cause 
de  leurs  vertus^.  Le  lieu  choisi  pour  la  cérémonie  est  quelque  bois  de 
tilleuls  ou  de  bouleaux  éloigné  des  bourgades  slaves  :  en  cet  endroit  sacré, 
nul  fidèle  ne  peut  se  présenter  dans  le  costume  russe,  et  nulle  parole  de  la 
langue  des  maîtres  ne  doit  être  prononcée.  Les  femmes  ne  pénètrent  point 
dans  l'enccinle,  mais  elles  cherchent  à  voir  de  loin  les  rites  du  sacrifice 
entre  les  troncs  pressés  des  arbres,  au  milieu  de  la  foule  qui  s'agite.  Une 

'  •L.iptev,  Gouvernement  de  Kazan'. 

-  Mackenzie  Wallai'c,  Itussia  ;  —  Kouzuolzov,  ouvnij,'e  cité. 

"•  Maximnv,  Dievn'aija  i  ÎS'ovaija  Rossti/a,  I87G,  n"  6 

■*  Les  Peuples  (le  ta  Russie  (pulilicatiou  Dusoug  i  D'elo). 

'  Nicolas  Touigciiev,  La  Russie  et  les  Russes. 


TCllÉRÉMISSES,  TCHOUVACUES.  747 

des  fêtes  les  plus  curieuses  des  Tchérémisses  est  celle  de  Sorok  Yol  ou  de 
«  la  Jambe  de  Brebis  »,  qui  correspond  à  la  Noël,  et  qui  est  aussi  une  fête 
religieuse  et  sociale  :  cérémonie  solennelle  au  commencement,  elle  se  ter- 
mine par  une  parodie.  Assis  à  une  table  bien  servie,  le  karle  personnifie 
à  la  fois  le  peuple  des  fidèles  et  Dieu  qui  lui  répond.  Il  demande  santé, 
bonbeur,  abondance  de  bière,  de  blé,  d'abeilles,  de  bétail  et  d'argent,  et 
bonne  cbance  pour  vendre  les  denrées  à  trois  fois  leur  valeur;  puis,  en 
qualité  de  dieu,  il  exauce  toutes  les  prières,  «  Je  donne!  je  donne!  » 
s'écrie-t-il.  Ensuite  on  tourne  en  ridicule  les  agents  russes,  popes,  juges, 
officiers  recruteurs  '. 

Les  Tcbouvaches,  dont  le  nom  signifie,  dit-on,  «  Gens  des  Eaux  »,  sont 
assez  nombreux  dans  le  gouvernement  de  Kazan  pour  y  former  presque  le 
quart  de  la  population,  et  en  outre  ils  sont  parsemés  par  petits  groupes 
dans  les  provinces  voisines  de  Simbirsk,  de  Samara,  de  Saratov,  d'Oren- 
bourg  et  de  Perni  :  on  évalue  diversement  ces  indigènes  d'un  demi-million 
à  sept  cent  raille.  Ce  sont  peut-être  les  Bourtasses  des  géographes  arabes, 
que  divers  savants  pensent  avoir  été  des  Mordves,  et  qui  furent  refoulés 
au  nord  par  l'invasion  tartaro-mongole  du  treizième  siècle.  Leur  appa- 
rence, une  petite  partie  de  leur  vocabulaire,  évaluée  à  un  millier  de  mots, 
et  diverses  particularités  de  leurs  coutumes  les  font  classer  parmi  les  Fin- 
nois ;  mais  par  la  langue  un  grand  nombre  d'entre  eus  sont  devenus  Tarta- 
res,  et  ceux-ci  leur  donnent  dans  les  chants  le  nom  de  «  Frères*  »;  néan- 
moins ils  ont  encore  leur  idiome,  et  depuis  1850  le  gouvernement  russe, 
qui  suit  à  l'égard  des  populations  «  allogènes  «  orientales  une  politique 
toute  différente  de  celle  qu'il  pratique  à  l'égard  de  ses  sujets  occidentaux, 
permet  l'enseignement  de  la  langue  tchouvache  dans  les  écoles  du  pays  ; 
même  avant  cette  époque,  on  avait  imprimé  pour  eux  toute  une  littérature 
religieuse.  Très  mélangés  à  la  suite  des  conquêtes  qui  se  sont  succédé  dans 
la  contrée,  ils  ont  recueilli  probablement  parmi  eux  les  restes  des  Bulgares 
vaincus  par  les  Tartarcs  au  treizième  siècle.  Bons  agriculteurs,  ils  soignent 
mieux  leurs  champs  que  leurs  voisins  de  toute  race.  La  plupart  des  Tcbou- 
vaches s'habillent  à  la  russe  et,  à  l'exception  de  quelques  ceutaincs,  sont 
baptisés  chrétiens  depuis  plus  de  cent  cinquante  ans;  mais,  de  même  que 
les  Tchérémisses,  ils  ont  aussi  des  pratiques  mahométanes  et  païennes  : 
ils  abhorrent  la  viande  de  porc,  et  récemment  encore  ils  offraient  à  leur 
dieu  Tora  des  sacrifices,  non  de  clievaux  vivants,  mais  de  simples  effigies 


'  KouïiicUov,  ouvrage  cité. 

«  J.  G.  Kohi,  Die  Vôlker  Euiopa's. 


748 


NÛUVELLK   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


en  argile  de  cet  animal  :  l'ancien  paganisme  s'est  fait  tout  petit  pour  se 
maintenir.  Les  Tchouvachcs,  de  taille  moindre  que  les  Tartares,  et  pour 
la  plupart  misérables,  affamés,  fuient,  pour  ainsi  dire,  devant  le  Russe; 
ils  vivent  au  milieu  des  forêts,  dans  les  hameaux  les  plus  écartés.  Leurs 
chants  sont  doux  et  tristes  comme  ceux  d'un  peuple  qui  se  meurt.  Naguère 
celui  qui  voulait  se  venger  d'un  ennemi  allait  se  pendre  à  sa  porte'  afln 
d'attirer  sur  lui  ce  qu'ils  appellent  le  «  malheur  sec  »,  c'est-à-dire  la  visite 
des  juges  d'instruction  russes.  On  dit  aussi  que  les  Tchouvachcs  trompent 


N»  163.  POPULATIOSS  DIVEn.«ES  DE  L.*  VOLGA  MOÏENSE  ET  DE  LA  KA1I4. 


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les  Russes,  non  par  avidité,  mais  pour  faire  tort  aux  ennemis  héréditaires'. 
De  toutes  les  races  non  slaves  qui  peuplent  les  deux  bords  de  la  Volga 
moyenne,  les  Tartares  sont  ceux  qui  ont  le  mieux  maintenu  leur  existence. 
Ils  ne  craignent  point  d'habiter  les  villes  à  côté  des  Russes,  et  dans  plu- 
sieurs villages  ils  forment  avec  eux  une  communauté  pacifique,  ayari.  le 
même  staroste,  discutant  dans  le  même  conseil,  quoique'  s4p?.roS  «l'eux  par 
la  barrière  infranchis!-abl(!  des  pratiques  religieuses.  Si  les  deux  cultes  du 
Christ  et  de  Mahomet  n'étaient  pas  inégalement  traités  par  l'Etat  russe,  il 
est  à  présumer  que  les  populations  finnoises  de  la  contrée  se  convertiraient 
pour  la  plupart  an  mahométisme,  comme  l'ont  déjà  fail  les  Tchouvaches  : 


A'.iVod  llaiiihiiml;  —  Laplov,  Gouvenicmcnl  ilr  Kazan'  (en  nisso"). 
iLapIcv,  même  ouvrage. 


TCHOUVàCUES,  TARTARES.  749 

il  est  arrivé  que  des  villages  de  Tartarcs,  considérés  comme  chrétiens 
depuis  les  conversions  faites  de  force  au  dix-huitième  siècle,  ont  déserté 
les  églises  en  masse  ou  refusé  de  recevoir  les  prêtres  :  grâce  à  leur  instruc- 
tion religieuse,  au  moins  égale  à  celle  des  missionnaires  orthodoxes,  ils 
résistent  avec  opiniâtreté  à  la  propagande  chrétienne'.  D'ailleurs,  les 
Tartares  ne  cherchent  point  à  faire  de  prosélytes  :  ils  se  tiennent  seule- 
ment sur  la  défensive,  et  tous  leurs  enfants  fréquentent  les  écoles,  où  ils 
étudient  les  préceptes  du  Koran.  Jusqu'à  une  époque  récente,  ces  médressés, 
toutes  placées  à  côté  de  la  mosquée,  avaient  un  caractère  presque  exclusi- 
vement religieux  :  les  enfants,  quoique  parlant  le  turc  impur  de  leur  race, 
n'apprenaient  à  lire  et  à  réciter  que  l'arabe  plus  ou  moins  classique  de 
leurs  prières  et  de  leurs  manuels;  c'est  en  187'2  seulement  que  M.  Radlov 
a  introduit  dans  les  écoles  de  Kazan  des  livres  élémentaires  rédigés  par 
lui  dans  la  langue  tartare  de  la  contrée'. 

Les  Tartares  «  de  Kazaii  »,  venus  au  commencement  du  treizième  siècle 
avec  les  princes  mongols,  mais  très  peu  mélangés  avec  les  tribus  de  leurs 
chefs,  à  en  juger  par  la  pureté  de  leur  type,  descendent  des  Kiptchaks  de  la 
Horde  d'Or.  Depuis  l'époque  de  leur  arrivée  dans  le  pays,  ils  ont  certaine- 
ment augmenté  en  nombre  :  ils  étaient  plus  d'un  million  en  1870;  on  en 
compte  maintenant  au  moins  douze  cent  mille,  dont  près  de  la  moitié  dans 
le  gouvernement  de  Kazan".  Ils  ont  recueilli  parmi  eux  une  forte  part 
des  anciens  Bulgares  et  se  donnent  à  eux-mêmes  souvent  le  nom  de 
Boul'garlîks.  Différents  des  Tartarcs  d'Astrakhan,  de  ceux  de  la  Crimée  et 
de  la  Lilhuanie,  qui  appartiennent  à  d'autres  branches  de  la  race  turque, 
ils  sont  en  général  de  taille  moyenne,  larges  d'épaules,  robustes  de  corps; 
leur  figure  est  d'un  bel  ovale;  ils  ont  le  nez  droit  et  fin,  les  yeux  noirs, 
vifs  et  perçants,  les  pommettes  un  peu  saillantes,  la  barbe  rare,  le  cou 
gros  et  court;  ils  se  rasent  toujours  la  tête,  ce  qui  fait  paraître  leurs 
oreilles  droites  plus  longues  qu'elles  ne  le  sont  en  réalité.  Les  femmes 
ont  l'habitude  de  se  farder,  mais  elles  adoptent  de  plus  en  plus  les  modes 
russes.    Celles   des   familles  pauvres   sortent  librement,  la  ligure  à  demi 

•  Compte  rendu  du  procureur  général  du  Sainl-Synodc  pour  l'année  1875. 

■  L.  Léger,  Études  slaves. 

"-  Tartarcs  «  de  Kazan  o  en  1S70  :  1050  000. 

Gouvcmenicnl  de  Kazan 450  000    I   riouvernomcnl  de  Penza 55  000 

»  Oiifa 101 000    j  ■•  Nijniy-Novgorod.    .  54  000 

„  Samiia 100000  «  Perrii 24  000 

n  Vatka 94  000  »  Orenbourg  .  ...  20000 

;>  Saralov 55  000    |  »  Tambov 19  000 

Autres  gouverncnieiils 10  000 


750  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

découverte,  et  les  épouses  des  riches  vont  aussi  quelquefois  au  théâtre, 
assistent  aux  fêtes  publiques.  La  polygamie  existe  toujours,  le  mariage 
n'a  pas  cessé  d'être  un  achat,  et  dans  les  contrats,  auxquels  n'assistent 
même  pas  les  fiancés,  le  chiffre  du  kalim  payé  pour  la  fille  ne  manque 
pas  d'être  mentionné.  Toutefois  le  nombre  des  Tartares  polygames  dirai- 
nue  peu  à  peu  :  si  les  religions  restent  distinctes,  les  mœurs  se  rap- 
prochent. Par  leurs  occupations,  les  Tartares  s'assimilent  de  plus  en 
plus  aux  Russes,  quoiqu'ils  se  distinguent  d'eux  en  traitant  mieux  leurs 
femmes,  que  l'on  ne  voit  jamais  occupées  aux  durs  travaux  des  champs'. 
Plusieurs  Tartares  possèdent  à  Kazai'i  des  fabriques  importantes  ;  d'autres 
sont  artisans,  garçons  d'hôtel  et  de  restaurant  ;  un  bien  plus  grand  nombre 
encore  s'occupent  de  négoce  ou  du  transport  des  marchandises.  Certains 
commerces  d'exportation,  par  exemple  ceux  du  blé,  du  sel,  des  cuirs,  des 
salaisons,  ont  été  monopolisés  par  eux;  en  qualité  de  drogmans,  ils  ser- 
vent d'intermédiaires  naturels  entre  les  industriels  russes  et  les  acheteurs 
mahométans  qui  viennent  à  Kazari  et  à  Nijniy-Novgorod  de  la  Boukharie, 
de  Khiva,  de  la  Perse'. 

Les  populations  ne  sont  pas  moins  variées  dans  le  bassin  de  la  Kama 
que  sur  les  bords  de  la  moyenne  Volga.  Dans  le  seul  gouvernement  de 
Vatka,  que  limite  à  l'ouest  la  rivière  de  ce  nom,  on  compte  une  dizaine 
de  nationalités  diverses,  sans  les  marchands  juifs,  les  Tsiganes  et  les 
colons  polonais  et  allemands.  Il  est  vrai  que  l'élément  grand-russicn 
l'emporte  de  beaucoup  sur  tous  les  autres  ;  mais  cette  supériorité,  il  la 
doit  certainement  en  partie  à  la  «  slavisation  »  des  indigènes,  qui  devien- 
nent 8  Russes  »  par  le  fait  même  de  leur  culture  graduelle. 

Les  Z^fanes  ou  les  «  Repoussés  »  (?),  nation  prépondérante  des  hauts 
bassins  de  la  Petchora  et  de  la  Vitchegda,  sont  aussi  représentés  par  des 
groupes  nombreux  sur  les  bords  de  la  haute  Kama  et  de  ses  affluents  ; 
mais  ce  sont  leurs  frères  de  race,  les  Permiens,  qui  constituent  dans  ces 
contrées  le  fond  de  la  population  indigène.  Permiens  et  Ziranes,  parlant  à 
peu  près  le  même  dialecte  et  présentant  la  même  apparence,  sont  les  uns 
et  les  autres  descendants  des  anciens  Biarmicns  qui  commerçaient  avec 
les  Normands  par  la  mer  Blanche.  Ils  se  donnent  également  le  nom  de 
Komi-Mort,  c'est-à-dire  «  Peuple  de  la  Kama'  »,  et  forment  avec  les  Votaks 
un  groupe  distinct  parmi  les  nations  finnoises.  Leur  nom  de  Permiens 
aurait,  dit-on,  la  signification  de  «  Montagnards  »  et  se  rattacherait  au  nom 

'  ■Laplev,  ouvrage  cité. 

'  L.  Léger,  ouvrage  cité. 

'  Castrèn,  Die  altaischcn  Vûlker. 


TAUTARES,  PERMIENS.  751 

de  Parma,  appliqué,  sur  tout  le  versant  du  nord,  aux  plateaux  et  aux  monts 
boisés.  Les  évaluations  relatives  à  leur  nombre  varient  d'autant  plus  qu'ils 
sont  presque  entièrement  slavisés  et  qu'il  est  très  difficile  d'établir  une 
ligne  de  démarcation  précise  entre  un  Permien  et  un  Russe  ;  d'ailleurs,  on 
peut  se  faire  une  idée  de  l'ignorance  dans  laquelle  on  est  encore  à  l'égard 
des  uns  et  des  autres  par  ce  fait,  que  le  conseil  général  {zemstvo)  de  Soli- 
kamsk  a  récemment  découvert  dans  la  contrée  im  district  dont  les  habitants 
étaient  restés  absolument  ignorés  de  l'Etat  et  n'avaient  jamais  été  les  sujets 
de  personne  '.  D'après  Rittich,  les  indigènes  finnois  appartenant  à  la  race 
biarmienne,  à  en  juger  du  moins  par  leur  langue  usuelle,  auraient  été  d'un 
peu  plus  de  66  000  en  1875,  sur  les  deux  versants  de  l'Oural;  leur  nom- 
bre s'était  probablement  augmenté  de  plusieurs  milliers  depuis  le  milieu 
du  siècle.  Leur  vocabulaire  est  très  pauvre,  et  pour  des  idées  rapprochées 
ils  sont  obligés  de  se  servir  d'une  même  expression.  Aussi  ont-ils  emprunté 
beaucoup  de  mots  au  russe,  mais  en  les  transformant,  car  plusieurs 
lettres  manquent  à  leur  langage.  D'ailleurs,  presque  tous  parlent,  quoique 
imparfaitement,  le  russe  :  par  l'idiome  aussi  bien  que  par  les  mœurs,  les 
habitudes,  le  genre  de  vie,  les  pratiques  agricoles,  ils  se  rapprochent  de 
plus  en  plus  des  colons  grands-russiens.  Quant  à  leur  religion,  elle  est 
officiellement  la  même  que  celle  des  Russes  depuis  le  quinzième  siècle  ; 
ils  observent  même  les  jeûnes  rigoureusement  et  récitent  aussi  la  prière 
dominicale  :  ils  ont  complètement  abandonné  le  culte  de  la  «  A'ieillc 
d'Or  »,  divinité  probablement  semblable  à  celle  que,  d'après  Herberstein, 
les  Yogoules  adoraient  jadis  sur  les  bords  de  l'Ob  ;  mais  ils  partagent 
toutes  les  superstitions  des  Russes  sur  les  esprits  et  les  revenants  :  ils  crai- 
gnent surtout  les  malices  des  diables  domestiques,  les  envoûtements,  le 
mauvais  œil,  les  incantations,  les  phrases  sacrées  qu'apporte  le  vent,  les 
mottes  de  terre  maudites  laissées  sur  leur  chemin*.  Le  culle  du  poêle,  aussi 
naturel  dans  les  froides  régions  du  Nord  que  l'est  celui  du  soleil  dans  les 
contrées  du  Midi,  s'est  maintenu  chez  les  Permiens  :  la  douce  chaleur  qui 
s'en  échappe  et  qui  entretient  la  vie  des  habitants  pendant  le  long  hiver, 
est  restée  pour  eux,  comme  elle  le  fut  jadis  pour  toutes  les  populations  de 
la  contrée,  l'une  des  principales  divinités.  Après  avoir  embrassé  ses  parents, 
le  Permien  qu'a  frappé  la  conscription  et  qui  j)arl  pour  l'armée,  s'incline 
profondément  devant  h;  poêle.  Lors  des  fêtes  commémoralives,  les  Permiens 
apportent  aux  tombeaux  des  mets  fumants,  parce  que  les  morts,  disent-ils, 


'  Russisclie  Zemslwo  und  BaHhche  SelbsIvcnvaUung. 

*  Ladov,  Russie  d'Europe  physique  cl  clhnngraphique  (en  russe). 


752  NOUVELLE  GEOGR-VPIIIE   UNIVERSELLE. 

aiment  à  se  nourrir  dos  vapeurs  du  festin  ;  ils  leur  versent  aussi  de  la  bière 
par  les  crevasses  du  sol,  en  les  encourageant  à  boire  comme  autrefois. 
Naguère,  dit-on,  les  Russes  de  la  contrée  pratiquaient  le  même  usage'. 
Avant  l'émancipation,  presque  tous  les  Permiens  étaient  serfs  des  Strogonov 
et  d'autres  grands  seigneurs  d'origine  marcbande  ;  un  petit  nombre  seule- 
ment appartenaient  à  la  couronne.  C'est  peut-être  à  leur  ancienne  con- 
dition de  servitude  qu'il  faut  attribuer  l'extrême  dérèglement  de  leurs 
mœurs. 

Beaucoup  plus  nombreux  que  les  Permiens  sont  leurs  parents  de  race, 
les  Votes  ou  Yotaks,  vivant  surtout  dans  le  bassin  de  la  rivière  Valka, 
qui  leur  doit  probablement  son  nom  ;  Florinskiy  les  évaluait  à  plus  de 
250  000  en  1874.  Ils  ne  paraissent  point  avoir  diminué  depuis  l'époque  où 
les  premiers  colons  russes  arrivèrent  dans  la  contrée  ;  mais,  d'après  leurs 
traditions,  ils  ont  été  déplacés  vers  le  nord.  Cultivateurs  babiles  et  infati- 
gables, ils  utilisent  les  bas-fonds  des  rivières  fertiles  et  bien  abritées,  élèvent 
des  bestiaux,  entretiennent  des  rucbes  d'abeilles  :  ce  sont  eux  en  grande 
partie  qui  valent  à  la  province  de  Yatka  le  nom  de  «  gouvernement  des  pay- 
sans ».  Ils  ont  été  moins  slavisés  que  les  Permiens,  quoique  plus  voisins  des 
grandes  villes  de  la  Volga,  ce  qui  tient  peut-être  à  leur  cohésion  ethnique 
supérieure  et  au  voisinage  des  Tartares  :  la  polygamie  n'est  pas  défendue 
chez  eux.  Chrétiens  de  nom  comme  les  Tchérémisses,  avec  lesquels  s'en- 
tremêlent plusieurs  de  leurs  groupes,  ils  s'adonnent  comme  eux  à  diverses 
pratiques  du  chamanisme  et  cherchent  de  la  même  manière  à  conjurer  la 
mauvaise  influence  de  Keremet.  En  traversant  un  cours  d'eau,  ils  jettent 
toujours  une  touffe  d'herbe  dans  le  courant,  en  s'écriant  :  «  Ne  me  liens 
pas!  »  C'est  un  modeste  sacrifice  fait  au  méchant  dieu'.  Le  savant  finlan- 
dais Âhlqvist  a  donné  en  18oG  une  grammaire  de  la  langue  votak,  très 
rapprochée  de  celle  des  Zii-anes. 

Parmi  les  autres  peuplades  du  bassin  de  la  Kama,  il  en  est  plusieurs 
qui  sont  diversement  classées  par  les  auteurs,  soit  avec  les  Finnois,  soit 
avec  les  Turcs,  et  qui  certainement  appartiennent  aux  deux  races  à  la  fois, 
à  la  suite  des  mélanges  causés  par  les  émigrations  en  masse,  par  les  con- 
quêtes et  les  conversions.  Ainsi  les  Mechtchères  ou  Mechlcherak  habi- 
taient autrefois  le  bassin  de  l'Oka,  principalement  dans  les  régions  qui 
sont  devenues  de  nos  jours  les  gouvernements  de  llazan,  de  Tambov,  de 
Nij  ni  y-Novgorod.  Jusqu'à  présent  une  partie  des  Mordves  Finnois  conser- 


•  Mozol,  Le  gouverncmcnl  de  Pcnn'. 

*  'Lapluv,  ouvrage  cilù. 


VOTAKS,  MECUTCUERES,  TEPTARS.  753 

vent  le  nom  de  Meclitchères  '.  Vaincus  et  dispersés  par  les  Moscovites,  une 
partie  d'entre  eux  passèrent  la  Volga  et  se  réfugièrent  à  l'est,  sur  les  bords 
de  la  Kama  et  de  la  Be-l'aya ,  et  dans  les  vallées  de  l'Oural .  Ceux  qui  res- 
tèrent dans  la  Moscovie,  environnés  de  Russes,  se  slavisèrent  peu  à  peu, 
perdant  leur  religion,  leur  idiome,  leurs  mœurs.  De  nos  jours,  les 
Mechtcbères  du  gouvernement  de  Penza,  désignés  de  ce  nom  par  les  Tar- 
tares,  mais  appelés  Tchouvaches  par  les  Russes,  et  Tartarcs  par  les  Tchou- 
vaches,  sont  en  réalité  devenus  russes  :  ils  n'en  diffèrent  que  par  la  tradi- 
tion d'origine  et  par  la  difficulté  qu'ils  auraient  à  prononcer  la  lettre  tch, 
remplacée  chez  eux  par  le  t:  ;  on  veut  aussi  reconnaître  sur  leurs  visages  le 
type  des  tribus  d'autres  nations  finnoises  non  encore  russifiées.  Les 
Mechtcbères  établis  chez  les  Bachkir  sont  maintenant  eux-mêmes  des 
Bachkir  par  la  langue,  la  religion,  le  type  physique  :  avec  eux  ils  ont 
combattu  contre  les  Russes,  avec  eux  ils  ont  été  vaincus  et  sont  devenus 
des  sujets  comme  les  autres,  passibles  du  service  militaire.  Comme  les 
Votaks,  ils  sont  d'excellents  agriculteurs  et  leurs  familles  s'accroissent. 
D'après  Ritlich,  ces  Mechtcbères  tartarisés  étaient  au  nombre  de  plus  de 
158  OUO  en  1875.  Quant  aux  Vogoules,  ils  ont  été  presque  tous  refoulés 
sur  le  versant  asiatique  de  l'Oural. 

Les  128  000  Teptar  du  versant  russe  de  l'Oural  sont  aussi  les  descen- 
dants de  fugitifs  qui  vivaient  sur  les  bords  de  la  Volga  moyenne  et  qui  ont 
dû  chercher  un  asile  à  l'est  parmi  les  Bachkir,  auxquels  ils  commen- 
cèrent par  payer  le  loyer  du  sol  occupé,  jusqu'au  jour  où,  pour  prix  de 
l'aide  donnée  aux  Russes  contre  leurs  hôtes,  ils  reçurent  leur  part  de  la 
contrée  en  toute  propriété'  ;  leur  nom  aurait  le  sens  de  «  colons  »,  de 
«  nouveaux  venus  ».  Les  Teptar,  tous  de  sang  mélangé ',  sont  aussi  des 
musulmans,  qu'il  faut  compter  aujourd'hui  au  nombre  des  peuples  de 
race  tartarisée,  avec  la  race  dominante  des  Bachkir. 

Ceux-ci,  que  l'on  croit  d'origine  ougrienne,  comme  les  Magyars,  et  qui 
furent  aussi  mêlés  à  des  tribus  finnoises,  n'en  sont  pas  moins  Turcs  par 
la  langue,  la  religion  et  les  mœurs  :  ils  parlent  un  idiome  assez  rap- 
proché de  celui  des  Tartarcs  de  Kazan  et  se  disent 'descendus  des  ^'ogaïs*, 
auxquels  ils  ressemblent  par  quelques  traits  physiques.  Cependant  les 
Kirghiz  leur  donnent  h;  nom  d'Ostak  et  les  considèrent  comme  des  frères 
de  ces  peuplades  sibériennes,  mêhis  avec  des  Tartarcs.  Les  Bachkir    des 

'  Maïnov,  Drevn'aya  i  Novaija  Rossiija,  1870,  n»  10. 

'  Kœppcn,  Beilràge  zur  Kenntniss  des  Rnssisclien  Reiches,  vnn  v.  B.ior  und  v.  llcliticrscn,  vol.  XIII. 

'  Ujfalvy,  Leilie  à  M.  Maïnov,  Uiissischo  Fioviio,  1X77,  n.  11. 

*  A.  Caslrèn,  FJhnologisclie  Vorlesungen,  Die  allaischen  VBtkcr. 


754  KOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UiMVERSELLE. 

montagnes,  probablement  les  plus  purs  de  race,  ont  la  tête  petite,  mais 
relativement  fort  large  ;  il  en  est  de  grands  et  de  forts  aux  traits  régu- 
liers, offrant  une  ressemblance  remarquable  avec  les  Szekely  de  Tran- 
sylvanie'. Pendant  la  guerre  de  Hongrie,  en  18-49,  les  Cosaques  de  l'Oural, 
voyant  les  Magyars,  leur  donnèrent  spontanément  le  nom  de  Bachkirs,  et 
ne  cessèrent  de  les  désigner  sous  cette  appellation  pendant  toute  la  cam- 
pagne*. La  plupart  ont  le  visage  aplati,  le  nez  un  peu  retroussé,  les  yeux 
petits,  la  barbe  rare,  la  physionomie  bonne  et  douce.  Ils  sont  en  effet 
pleins  de  bienveillance,  de  cordialité,  de  bonne  humeur  et  reçoivent  les 
étrangers  avec  une  large  hospitalité  dont  on  a  souvent  abusé.  Lents  au 
travail,  ils  ont  sur  les  Russes  le  grand  mérite  de  l'exactitude.  Comme  les 
Tartares,  ils  doivent  acheter  leurs  femmes,  mais  le  paiement  du  kaîîm 
peut  se  faire  par  annuités,  et  souvent  le  mari  emmène  sa  propriété  vivante 
quand  il  a  payé  la  moitié  du  douaire.  Pendant  un  an  il  est  interdit 
à  la  nouvelle  mariée  de  parler  à  son  beau-père  et  à  sa  belle-mère  :  on 
retrouve  ainsi  non  loin  du  cercle  polaire  des  usages  que  l'on  croirait  em- 
pruntés à  quelque  tribu  de  l'Afrique  méridionale. 

Les  Bachkir  se  trouvent  maintenant  dans  la  période  de  transition  entre 
l'état  pastoral  et  l'état  agricole.  La  plupart  des  raines  et  des  usines 
métallurgiques  des  gouvernements  de  Perrà  et  d'Orenbourg  se  trouvent  sur 
des  terres  ayant  appartenu  jadis  aux  Bachkir  et  cédées  par  eux  à  des 
prix  dérisoires  :  c'est  ainsi  que  tout  le  territoire  minier  de  Kichlîm,  d'une 
étendue  de  lOiOOO  hectares,  fut  vendu  en  1756  pour  la  somme  de  150 
roubles.  C'est  en  vain  que  les  Bachkir  se  révoltèrent  huit  fois  pendant  le 
dix-seplièmo  siècle,  quatre  fois  au  dix-huitième;  c'est  en  vain  qu'ils  bt-ù- 
lèrent  les  villages  russes,  arrachèrent  même  les  morts  russes  des  cimetières, 
afin  qu'il  n'y  eût  plus  un  Moscovite  chez  eux'.  Après  chaque  révolte,  les 
Russes  revinrent  plus  nombreux,  bâtissant  des  villes,  exploitant  des  mines, 
s'emparant  du  sol.  Maintenant  les  Bachkir  n'ont  plus  en  leur  possession 
qu'un  tiers  de  leurs  anciennes  terres,  et  dans  quelques  districts  le  gouver- 
nement à  dû  leur  en  donner  de  nouvelles,  avec  défense  de  s'en  dessaisir'.  Le 
rétrécissement  graduel  de  leur  territoire  de  pâturage  les  a  obligés  d'avoir 
recours  à  la  culture  du  sol,  d'abord  comme  propriétaires  donnant  leurs 
terres  à  bail  à  des  laboureurs  russes,  puis  çà  et  là  comme  travailleurs, 
mettant  à  la  charrue  leurs  mains  habituées  jusqu'alors  à  ne  manier  que  la 

'  Ujfalvy,  lettre  citée. 

«  Dragi  :  isnov,  Hôtes  manuscrites. 

'  Ignaljcï,  Congres  archéologique  de  Kazan',  Revue  scientifique,  17  mai  1879. 

*  Vasiitcliikov,  La  propriété  foncière  et  l'agriculture,  II  (en  russe) 


CACIIKIR.  755 

liouletts'.  Mais  en  beaucoup  de  districts  les  anciennes  mœurs  se  maintien- 
nent, et  même  les  Bachkir  laboureurs  sont  encore  partiellement  chasseurs 
et  pasteurs  nomades  ;  ils  possèdent  une  race  de  chiens  lévriers  parfaitement 
dressés  pour  la  course  et,  comme  les  Islandais,  se  servent  du  faucon  pour 
auxiliaire  de  chasse.  Ils  ont  des  troupeaux  de  moutons,  de  bêles  à  cornes 
et  surtout  de  chevaux,  qui  leur  servent  à  la  fois  de  montures,  de  bêtes  de 
trait  et  de  somme,  leur  donnent  la  viande,  le  lait,  et  les  peaux  dont  ils  font 
des  vêtements,  des  tentes,  des  couvertures,  des  courroies,  des  vases.  Fort 
habiles  à  manier  le  cheval,  les  Bachkir  aimaient  à  parader  en  un  long 
manteau  orné  d'une  crinière  flottante.  Autrefois  il  n'était  pas  rare  de  voir 
des  Bachkir  comptant  leur  fortune  par  centaines  ou  même  par  'milliers  de 
chevaux  ;  un  homme  à  son  aise  possédait  au  moins  trente  coursiers;  mais 
le  peuple  est  fort  appauvri  maintenant,  et  pendant  l'hiver  de  1865  à  1866 
la  mortalité  s'éleva  en  certains  districts  à  26  et  même  à  44  pour  cent  de 
la  population";  on  vit  alors  des  mères  vendre  leurs  enfants.  L'élève  des 
abeilles  est  l'une  des  occupations  favorites  des  Bachkir,  et  même  on  a  cher- 
ché à  traduire  leur  nom  —  Bach-Kurt  —  par  celui  de  «  Conducteurs 
d'Abeilles  »  :  il  est  vrai  qu'on  peut  aussi  lui  attribuer  le  sens  de  «  Têtes  de 
Loup  ».  De  même  que  les  Cosaques,  les  Bachkir  et  les  Mechtchères  étaient 
astreints  avant  1863  au  service  militaire  et  chaque  famille  devait  fournir 
son  homme  :  en  style  militaire,  ils  portaient  le  nom  de  Cosaques  d'Oren- 
bourg.  Des  Bachkir  étaient  parmi  ces  Cosaques  dont  les  chevaux  s'abreuvè- 
rent dans  la  Seine  en  1814  et  en  1815.  L'ensemble  de  la  nation,  qui  habite 
presque  exclusivement  sur  les  pentes  occidentales  et  au  sud  des  monts 
Oural,  était  évalué  par  Bitlich  à  près  de  750  000  individus  en  1875.  En 
comprenant  avec  eux  Teptar  et  Mechtchères,  ils  sont  plus  d'un  million'. 


En  aval  de  Nijniy,  le  principal  affluent  de  la  Volga  est  la  Soura,  qui, 
dans  son  cours  sinueux,  traverse  du  sud  au  nord  le  pays  des  Mordves  et 
des  Tchouvaclies.   Penza,  chef-lieu  du  gouvernement  de  son    nom,  a  été 

'  Florinskiy,  La  Bachkiric  el  les  Bachkir ,  Vcsdiik  Yevrnpî,  1874,  n"  12. 

-  Florinskiy,  ouvnigc  cité. 

'  Allogènes  des  bassins  de  la  Kama  el  de  la  moyenne  Volga  classes  par  religions  : 

Yoiak Baptises  213  678      Non  baptisés    37  555 

Periniens »           68  763                n  — 

Mordves »        687  088               «  1563 

Tchouvachcs »        552  045              »  14  028 

Tchérémissos .          »         20!  585               »  67  048 

Tarlari's  de  Kazan,  Mechtchères,  Tcpiar.          «         122  538                i>  070  OSO 

Bachkir »               827               »  990  818 


756  NOUVELLE   GEOGnAPIlIE   UNIVERSELLE. 

fondée  au  commencement  du  dix-septième  siècle  pour  réduire  les  popu- 
lations finnoises  ;  mais  sa  bonne  position  stratégique,  au  confluent  de  la 
Penza  et  de  la  Soura  navigable,  était  en  même  temps  excellente  au  point  de 
\ue  commercial,  et  Penza  a  rapidement  grandi;  elle  possède  une  école 
d'agriculture.  Saransk  et  Potchinki,  situées  à  l'ouest  de  la  Soura,  sur  des 
affluents  latéraux,  n'étaient,  il  y  a  deux  cents  ans,  que  des  campements  de 
Mordva;  mais  Aîatîr,  au  confluent  de  l'Alatir  et  de  la  Soura,  fut  déjà  bâtie 
en  155-2  pour  contenir  les  Tarlares  de  Kazan. 

La  région  qui  s'étend  au  nord  de  la  Yolga,  entre  les  rivières  de  l'Ounja 
et  de  la  Kama,  est  connue  sous  le  nom  de  «  Pays  des  Forêts  »,  et  des  bois 
en  couvrent  en  effet  la  plus  grande  partie.  Les  paysans  de  plusieurs  villages 
vivent  dans  ces  halliers  pendant  l'biver,  occupés  à  la  coupe  des  bois  et  à  la 
préparation  de  l'écorce  de  tilleul,  qui  sert  à  fabriquer  des  nattes,  des  paniers 
et  ces  chaussures,  appelées  lapti,  que  portent  tous  les  paysans  de  la  Grande 
Russie  ;  le  bois  de  tilleul  est  employé  surtout  à  la  fabrication  des  cuillers  et 
à  celle  des  chaises  dites  «  tchérémisses  ».  Un  des  marchés  principaux  de 
celte  industrie  et  en  même  temps  le  siège  d'autres  manufactures,  est  le  gros 
bourg  de  Lîskovo,  situé  sur  la  rive  droite  de  la  Volga,  presque  en  face  du 
couvent  de  Saint-Macaire  et  du  confluent  du  Kerjcnetz.  Aux  bords  de  cette 
rivière  s'élevaient  jadis  de  nombreux  skits  ou  couvents,,  non  moins  célèbres 
chez  les  sectaires  popovtzî  que  l'étaient  les  skits  du  Vig  pour  les  bezpo- 
povlzî.  Malgré  les  persécutions  et  les  incursions  armées,  toute  la  région 
est  restée  un  centre  des  vieux  croyants  ;  quelques  endroits  sont  toujours 
sacrés  pour  les  raskolniks  de  la  contrée.  Le  lieu  saint  par  excellence  dans 
la  région  des  forêts  est  le  lac  Svelloïe  ou  Svetl'oyar,  le  «  Brillant  », 
bassin  d'environ  2  kilomètres  de  tour  qui  se  trouve  à  l'ouest  de  Yoskre- 
senskoïe,  sur  la  ^etl'ouga.  D'après  la  croyance  populaire,  les  eaux  de 
ce  lac  recouvrent  une  ville,  le  «  Grand  Kilej  »,  que  Dieu  fit  disparaître 
lors  de  l'invasion  des  Tartares  pour  la  soustraire  au  pillage  :  mais  les 
habitants  continuent  de  vivre  dans  les  profondeurs.  Les  hommes  pleins 
de  foi  peuvent  en  voir  les  maisons  et  les  clochers  sous  les  eaux  du  lac, 
et  la  conviction  des  orthodoxes  est  que  les  Tchérémisses  continuent  d'y 
trafiquer.  Le  lac  est  un  lieu  de  pèlerinage  très  fréquenté  :  pendant  la  nuit 
du  2'2  au  25  juillet,  la  foule  des  raskolniks,  priant  sur  le  rivage  et  tenant 
des  cierges  dans  leurs  mains,  puis,  cheminant  en  procession,  entourent 
le  lac  «  Brillant  »  d'un  cercle  de  lumière  qui  se  reflète  dans  le  flot  mobile'. 
D'ailleuis,  c'est  dans  cette  région,  plus  que  dans  toute  autre  contrée  de  la 

'  Meiiiikdv,  Dans  les  forêts,  voL  IV;  —  Gatzisbky,  Dicv'iimja  i  i\'uvuija  Rossiija,  1877,  ii°  .\l; 
—  AL  Oelbullz,  I^vks  maiiusciites. 


KAZAN.  757 

Russie  centrale,  que  se  sont  maintenues  les  anciennes  coutumes.  Lors  des 
épizooties,  les  femmes  du  village  sortent  nues  le  soir  et  courent  autour  des 
maisons  comme  les  antiques  bacchantes;  si  elles  rencontrent  quelqu'un, 
elles  le  poursuivent  à  grands  cris  en  l'appelant  la  «  Mort  »  et  le  battent 
jusqu'à  ce  qu'il  tombe  sous  les  coups.  Celte  cérémonie,  qui  rappelle  dans 
l'Occident  la  légende  anglaise  de  lady  Godiva,  est  connue  sous  le  nom 
d'opakhiraivje'  ;  elle  existe  aussi  dans  le  gouvernement  de  Kal'ouga.  Dans 
les  forêts  du  nord  de  la  Volga,  les  filles  des  villages  font  chaque  année  les 
mêmes  courses  magiques  autour  des  champs,  pour  les  préserver  des 
insectes  et  de  la  sécheresse'. 

Sous  un  climat  plus  doux  et  dans  une  contrée  plus  populeuse,  la  position 
de  Kozmodemiansk  ou  de  «  Cosme  et  Damien  »,  sur  un  méandre  de  la 
Volga  et  en  aval  du  confluent  des  deux  abondantes  rivières  Soura  et 
Vetlouga,  serait  certainement  occupée  par  une  ville  considérable  ;  mais 
c'est  à  plus  de  200  kilomètres  en  aval,  à  l'angle  nord-oriental  de  tout  le 
territoire  moscovite  limité  par  le  cours  de  la  Volga,  que  s'est  élevée  la 
grande  cité  de  la  contrée,  Kazan,  l'ancienne  capitale  du  royaume  des  Tar- 
tares.  Elle  succéda  comme  important  marché  entre  l'Europe  et  l'Asie  à  la 
ville  de  Bol'gar,  encore  mieux  située,  puisqu'elle  se  trouve  en  aval  du 
confluent  de  la  Volga  et  de  la  Kama.  Mais  dans  ces  régions  encore  presque 
désertes,  deux  cités  puissantes  ne  sauraient,  comme  en  Belgique  ou  comme 
en  Angleterre,  grandir  à  côté  l'une  de  l'autre  ;  Kazaiî  hérita  de  Bolgar  et 
c'est  au  pied  de  son  kreml  que  viennent  converger,  sinon  les  eaux,  du 
moins  les  routes  commerciales  de  la  Volga  et  de  la  Kama. 

Kazaii  est  mentionnée  pour  la  première  fois  dans  les  annales  russes 
en  1576.  Déplacée  au  quinzième  siècle,  —  car  une  «  Vieille  Kazaù  »  (en  tar- 
tare  Iski  Kazan')  existe  encore  à  une  cin(juanlaine  de  kilomètres  en  amont, 
sur  la  Kazanka,  —  Kazan  n'est  au  bortl  du  grand  fleuve  russe  que  lors 
des  crues  :  alors  la  Volga  s'étend  dans  la  i)laine,  jusqu'à  la  base  de  la 
petite  colline  qui  porte  Kazaii  ;  mais  d'ordinaire  la  rive  gauche  de  la  Volga 
est  à  plus  de  5300  mètres  de  la  ville.  Rongeant  incessamment  sa  rive 
droite,  le  fleuve  ne  cesse  de  se  déplacer  vers  le  sud-ouest.  La  ville  n'a 
pu  rester  en  communication  avec  son  port  que  grâce  à  la  rivière  Kazanka, 
qui  s'est  allongée  graduellement  à  mesure  que  s'éloignait  le  courant  de 
la  Volga.  Un  faubourg,  de  plus  en  plus  éloigné  de  Kazaii,  clicniiiie  à  la 
suite  de  la  rive  fuyante;  un  nouveau  port  sera  creusé  au  pied  de  la 
colline.  Mais  la  ville  elle-même  ne  peut  se  déplacer  :  sa  principale  rue 

'  Yukouclikin,  le  Droit  coultimier,  1  (en  russe);  —  Pierre  Kropotkio,  Noies  manuscriles. 
'  Melnikov,  ouvrage  ciln,  vol.  III. 


758  iN'OUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

lon^c  le  faîte  de  collines  dont  ses  maisons  occupent  les  pentes,  groupées 
autour  du  kremî.  Cette  citadelle  était  en  bois  à  l'époque  tartare,  et 
il  ne  reste  ])lus  que  deux  tours  de  l'enceinte  en  pierre  que  fit  élever 
Ivan  IV;  les  autres  furent  détruites  en  1774  pendant  roccupation  de 
Kazan  par  le  faux  tzar  Pougatchov.  D'ailleurs  presque  toutes  les  construc- 
tions sont  modernes.  Un  seul  des  édifices  de  Kazaii  date  peut-être  d'une 
époque  antérieure  à  la  conquête  russe  :  c'est  la  tour  de  Soumbek,  monu- 
ment en  briques  rouges  formé  de  quatre  étages  en  gradins;  mais  par  son 
architecture  la  tour  paraît  être  postérieure  à  la  chute  des  khans,  en  1552. 
Les  Tartares  musulmans,  qui  constituent  un  cinquième  de  la  population 
urbaine,  ont  une  grande  vénération  pour  cette  tour,  dans  laquelle  serait 
enseveli  un  de  leurs  saints,  lançant  une  source  d'eau  vive  par  son  crâne 
enlr'ouvert'.  Les  quartiers  du  centre  ne  sont  habités  que  par  des  Russes, 
les  Tartares  en  ayant  été  expulsés,  à  la  fin  du  sixième  siècle,  par  un 
oukaze,  qui   ordonnait   en    même  temps   de    brûler  leurs    mosquées. 

Kazan  est  une  ville  universitaire".  Sa  haute  école,  fondée  en  1804,  pos- 
sède biblinthèque,  observatoire,  laboratoire,  musée,  où  l'on  remarque 
surtout  la  collection  des  poissons  de  la  Volga  et  qui  sert  de  centre  à  une 
société  de  naturalistes.  Depuis  1802,  il  existe  à  Kazan  une  imprimerie 
tartare  qui  publie  un  grand  nombre  de  livres,  et  depuis  1867  la  «  con- 
frérie de  Saial-Gouriy  »,  fondée  pour  la  conversion  des  populations  allo- 
gènes de  la  Russie  orientale,  publie  des  manuels  et  des  livres  religieux 
dans  les  divers  idiomes  turcs,  finnois,  ougriens.  L'académie  ecclésiastique 
de  Kazaii,  qui  date  de  1846,  a  reçu  la  bibliothèque  du  couvent  Sol'ovki,  avec 
des  documents  uniques  pour  l'histoire  des  sectes  russes.  Kazaii  est  aussi 
fort  importante  comme  ville  de  commerce  :  située  au  croisement  des 
grandes  voies  de  la  Sibérie,  de  la  Caspienne,  de  la  Baltique,  elle  clierche 
à  expédier  les  marchandises  dans  ces  trois  directions,  sans  l'intermé- 
diaire de  Nijniy-Novgorod.  Environ  la  moitié  des  habitants  de  Kazaii  vivent 
de  l'industrie  et  du  trafic.  Outre  les  inévitables  distilleries  d'alcool,  la  ville 
possède  des  moulins  à  blé,  des  tanneries  et  des  maroquineries  qui  prépa- 
rent les  meilleurs  cuirs,  des  manufactures  de  toiles,  des  fabriques  de  suif, 
de  bougies,  d'albumine''.  Le  revenu  total  de  Kazaii  jmur  la  production  et  la 
distribution  est  évalué  par  Solovyov  à  232  millions  de  francs. 

'  AlfroJ  lîamli.iud,  Revue  litliraire  et  scientifique,  19  avril  1879. 

-  Université  de  Kazan  au  1"  janvier  1SS2  :  Professeurs,  87;  étudiants,  760.  Bibliothèque  : 
87  000  volumes,  12  000  brochures,  800  nianusrrits.  Budget  :  3ô3  000  roubles. 

'  Grande  industrie  de  Kazan  en  1879  :  plus  de  100  fabriques;  valeur  de  la  production  totale  : 
20  500  000  francs.  Dans  le  gouvernemenl  de  Kazan  :  290  fabriques,  8500  ouvriers  ;  production, 
environ  17  500  000  francs. 


KAZAN,  BOtGAR.  701 

Il  ne  reste  plus  qu'un  pauvre  village  sur  l'emplacement  de  ce  qui  fut 
Bo'tgar  ou  Bol'garî,  l'ancienne  capitale  des  Bulgares  de  la  Volga,  jadis  le- 
centre  du  commerce  entre  l'Europe  et  l'Asie.  Les  ruines  que  fit  Tamerlaa 
en  1591  s'étendent  au  sud  du  village  sur  un  espace  considérable  :  on  y 
reconnaît  les  remparts  et  les  fossés  de  l'enceinte,  les  restes  d'une  cita- 
delle, des  tours  de  mosquées,  des  assises  de  palais,  le  tout  de  style  arabe  : 
c'est  du  dixième  au  quatorzième  siècle,  mais  surtout  au  douzième  et  au 
treizième,  que  s'élevèrent  les  édifices  de  Bol'gar.  Il  y  a  cent  ans,  Pallas  en 
vit  encore  plus  d'une  centaine  ;  il  n'en  reste  guère  que  la  dixième  partie. 
Dans  les  débris  les  paysans  recueillent  fréquemment  des  poteries,  des 
monnaies,  des  bijoux  ;  quelques  pèlerins  mendiants,  errant  au  milieu 
des  décombres,  vont  s'agenouiller  sur  les  tombes  de  leurs  saints,  peut- 
être  leurs  aïeux.  A  l'époque  de  sa  prospérité,  Bol'gar  était  située  au  bord 
de  la  Volga,  qui  coule  maintenant  à  plus  de  six  kilomètres  à  l'ouest.  Le 
fleuve  a  délaissé  sa  rive  gauche  à  Bol'gar  aussi  bien  qu'à  Kazari.  D'après 
la  tradition,  la  Kama  se  serait  également  déplacée  vers  l'ouest  et  l'on 
montre  encore  un  endroit  appelé  vieille  Kama,  à  près  de  W  kilomètres  à 
l'est  de  cette  rivière  ;  le  confluent  des  doux  cours  d'eau  s'est  reporté  vers 
l'amont".  Il  n'est  pas  impossible  que  Bol'gar  ait  été  bâti  jadis  à  la  jonction 
des  fleuves^ 


Dans  les  espaces  neigeux  du  bassin  de  la  Kama,  disputés  pourtant  plus 
d'une  fois  au  prix  de  sang  humain,  les  villes,  les  gros  villages,  tous  an- 
ciennes forteresses,  comptoirs  d'échanges  ou  stations  de  mines,  sont  à  des 
centaines  de  kilomètres  de  distance  les  uns  des  autres.  Tchcrdîii,  la  pre- 
mière en  date  de  ces  colonies,  la  «  Grande  Penh  »  des  chroniqueurs,  occupe 
une  position  nécessaire,  sur  un  haut  affluent  de  la  Kama,  à  l'endroit  où 
s'arrête  la  navigation  et  où  commencent  les  portages  vers  la  Potehora, 
surmontés  naguère  par  un  canal  trop  peu  profond  pour  être  d'aucune 
utilité  pratique  et  détruit  depuis.  Néanmoins  Tcherdin  continue  à  expédier 

'  Chpilevskiy,  Anciennes  tilles  du  gouvernement  de  Kazan  (en  russe)  ;  —  Matlzov,  Ancien  lil 
de  la  Kama;  —  Alfred  Ramliaud,  Revue  scientifique,  5  mai  1870. 

'  Villes  du  bassin  de  la  Volga  moyenne,  cnlre  les  bouches  do  l'Oka  et  de  la  Kama,  ayant  plus  de 
.ïOOO  habitants  : 


OOIVERNEMEM    DE   MJMÏ-NOVGCROD. 

Potehinki  (1880) 8  000  hab. 

GOUVERSEMEXT  DE   PENZA. 

Penïa(1883) 42130  hab. 

Saransk     «      1Ô800     « 


GOl'VEnNEMEM  DE    SDiniUSK. 

Alatii-  (1880). 13  000  hab. 

GOUVERNEMENT   DE    KA7.AN. 

Kazai'i  (1885) 1 10  7-23  liab. 


762  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

des  céréales  sur  Arkhangelsk,  dont  on  voit  quelquefois  les  magasins  emplis 
de  blé  jusqu'au  comble,  tandis  que  la  famine  fait  ses  ravages  dans  le  bassin 
de  la  haule  Kama.  Solikamsk,  située  sur  la  Kama,  en  aval  des  grands  affluents 
du  nord,  est  devenue  fort  importante  à  cause  de  ses  salines,  moins  productives 
toutefois  que  les  sources  salées  de  ses  voisines  Dedoukhin,  Lenva,  Novoïe- 
Ousolye  :  les  bateaux  à  vapeur  de  la  Kama  peuvent  remonter  jusque-là'. 
Periii,  bàlie  à  une  faible  distance  en  aval  du  confluent  de  la  Kama  et  de 
la  Tchousovaya  navigable,  n'était  qu'un  hameau  en  1721,  lorsqu'on  y  fonda 
une  usine  à  cuivre.  Grâce  à  son  heureuse  position  commerciale,  Perrii 
s'est  rapidement  agrandie  :  elle  a  non  seulement  sa  voie  fluviale,  la  Kama, 
et  même  la  Tchousovaya,  navigable  pendant  sept  ou  dix  jours  par  an  pour 
les  grosses  barques  chargées  de  minerai,  mais  elle  se  trouve  aussi  sur  le 
chemin  de  la  Sibérie,  en  face  de  la  brèche  facile  des  monts  Oural,  de  tout 
temps  choisi  comme  lieu  de  passage  entre  l'Europe  et  l'Asie.  Perrii  est  le 
point  de  départ  du  chemin  de  fer  transouralien  qui,  depuis  l'année  1879, 
traverse  une  partie  de  la  région  minière  de  l'Oural,  du  bassin  de  la  Volga 
à  celui  de  l'Ob  :  eu  prévision  du  prolongement  de  la  voie  ferrée  à  l'est  de 
Nijniy-Novgorod,  des  expéditeurs  se  sont  déjà  installés  à  Periii.  Quoique  la 
partie  occidentale  du  gouvernement  soit  beaucoup  moins  riche  en  gise- 
ments miniers  que  les  districts  orientaux,  sur  le  versant  asiatique  de 
l'Oural,  cependant  le  chef-lieu  prend  aussi  une  part  notable  aux  travaux 
métallurgiques;  à  2  kilomètres  en  amont,  dans  le  bourg  de  Motovi- 
linskiy,  on  a  établi  en  1863  une  fonderie  de  canons  :  la  grosse  enclume  de 
l'arsenal,  coulée  d'un  seul  jet,  ne  pèse  pas  moins  de  660  tonnes.  Depuis 
un  siècle  on  exploite  dans  les  environs  des  mines  de  cuivre  dont  les  pro- 
duits sont  envoyés  à  la  monnaie  de  Yekaterinbonrg  (Ekalerinenburg)  ;  mais 
par  un  contraste  bizarre,  provenant  de  l'enfance  industrielle  de  la  Russie, 
on  n'utilise  pas  encore  des  couches  de  houille  de  12  mètres  de  puissance 
qui  se  trouvent  dans  le  bassin  de  la  haute  Kama,  tandis  que  les  charbons 
anglais  importés  pour  l'arsenal  de  Pcriii  reviennent  à  125  francs  la  tonne. 
Au  sud-est,  sur  un  affluent  de  la  Tchousovaya,  Koungour,  ancienne  ville 
forte  bàlie  contre  les  Bachkii',  a  pris  aussi  une  certaine  importance  manu- 
facturière pour  la  région  des  mines  :  elle  expédie  aux  mineurs  de  l'est  des 
souliers,  dos  bottes  et  d'autres  objets  en  cuir,  des  inslruments  en  fer,  des 

'  l'roduction  dos  salines  de  Solikamsk  en  1878 21. "10  tonnes. 

Il  11       de  Dedoukhin  n 31  080       i) 

»  »       Novoïe-Ousuijc         » 08  "210       i) 

»  Il       Lenva  » .iriOiO       » 

»  »       Bereznaki  » 24  920       » 


SOLIKAMSK,  PERM,  SARAPOUL. 


765 


serrures  et  divers  articles  de  quincaillerie.  Sarapoul,  l'une  des  principales 
villes  des  bords  de  la  Kama,  rivalise  d'activité  avec  Koungour  pour  la 
fabrication  des  souliers,  et  dans  son  district  elle  a  de  puissantes  usines 
où  se  construisent  des  bateaux,  des  machines  et  se  travaillent  les  armes. 


iGi.  —  rAS?Ar,r«  df  i.  ' 


60"         Est  de  Greenw.ch 


1  :  r.  500  DOO 


La  manufacture  d'armes  d'ljo\sk,  appartenant  à  la  couronne,  cmidoic 
toujours  des  milliers  d'ouvriers.  Une  {.^rande  parlic  du  p:ns  de  l'cnii 
était  autrefois  le  domaine  des  Novgorodiens  Slrogonov.  En  lôâS,  un  trai- 
tant de  cette  famille  reçut  d'Ivan  IV  tout  droit  sur  les  «  lieux  déserts, 
les  forêts  noires,  les  rivières  et  les  lacs  sauvages  qui  ne  donnaient  au- 
cun revenu  au    trésor  du  tzar    ».  Au    dix-septième  siècle,    les   Slrogonov 


764  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

possédaient  un  domaine  grand  comme  la  Bohême  et  120  000  paysans  : 
des  Grands  Russiens,  des  «  Lithuaniens  »,  des  Tartares  occupaient  leurs 
postes,  mais  la  plupart  de  leurs  paysans  descendaient  de  colons  nov- 
gorodiens  '. 

La  rivière  «  Blanche  »  ou  Beîaya,  qui  rejoint  la  Kama  au  sud  de  Sara- 
pouî,  est  le  prmcipal  affluent  du  fleuve  et  traverse  presque  tout  le  vaste 
gouvernement  d'Oufa,  encore  plus  riche  en  mines  que  les  autres  régions 
ouralieunes  du  versant  occidental.  Zl'atooust  ou  Chrysostôme  (Zoloto- 
Oust),  à  470  mètres  d'altitude,  dans  la  vallée  la  plus  riante  des  monts 
Oural',  qu'arrose  l'Aï,  un  affluent  de  l'Oufa,  possède  aussi  une  grande 
manufacture  d'armes  blanches  et  de  fusils  de  luxe  et  de  combat,  diverses 
usines  métallurgiques,  et  dans  les  environs  do  riches  mines  de  fer  et  d'or  : 
des  mineurs  et  des  ouvriers  de  Solingen  et  de  Klingenthal  y  ont  fait  souche 
d'une  nombreuse  colonie  germanique.  Oufa,  située  au  confluent  de  la 
rivière  de  son  nom  et  de  la  Belaya,  jadis  village  de  Bachkir,  est  mainte- 
nant une  ville  prospère,  grâce  à  son  commerce  avec  les  districts  miniers 
des  deux  versants,  notamment  avec  sa  voisine  Bl'agovechtchensk,  près  de 
mines  d'où  l'on  extrait  chaque  année  environ  25  000  tonnes  de  minerai 
de  cuivre.  Oufa,  chef-lieu  d'un  gouvernement  qui  renferme  plus  de  maho- 
métans  que  de  chrétiens,  est  le  siège  du  principal  mufti  des  musnhiians 
russes.  Au  sud  d'Oufa,  Sterlitamak,  sur  un  affluent  de  la  haute  Belaya,  a 
pris  de  l'importance  comme  dépôt  de  sel  et  de  minerais.  Enfin,  une  autre 
ville  du  gouvernement  d'Oufa,  Menzelinsk,  située  sur  un  petit  affluent  mé- 
ridional de  la  Kama,  est,  comme  lieu  de  foire,  un  petit  Nijniy-Novgorod. 
Dès  186i,  on  y  apportait  annuellement  des  marchandises  pour  une  valeur 
d'environ  20  millions  de  francs. 

Vatka,  chef-lieu  d'un  gouvernement,  est  une  des  plus  antiques  cités 
du  bassin  de  la  Kama  dont  l'existence  soit  mentionnée  par  les  annales. 
En  1181,  elle  était  fondée  par  des  colons  novgorodiens  sur  un  coteau 
qui  domine  le  confluent  de  la  Yatka  et  de  la  Khl'înovilza,  et  ses  maisons, 
bâties  pour  la  défense,  sont  encore  groupées  de  manière  à  former  par 
leurs  façades  extérieures  une  enceinte  contimie.  D'abord  désignée  du  nom 
de  Khlînov,  de  l'une  des  deux  rivières,  elle  reçut  ensuite  l'appellation  de 
l'autre  cours  d'eau  ;  mais  les  Tartares  n'ont  pas  cessé  de  voir  en  elle 
Noougrad  ou  la  «  Ville  des  Novgorodiens  ».  Elle  garda  jieudant  jtrès  de 
trois  siècles  sa  liberté  républicaine.  Au  point  de  vue  industriel  et  conimer- 

'  Mozel,  MatcTiau.r  pour  la  (jéographic  et  la  slalistitptc  de  la  Russie,  GouvcnieineiU  de  Peim'.  !; 
—  Karnovilcl),  Richesses  remaïquahlcs  de  la  Russie 
*  Von  llclmcrsen,  Reise  nach  dem  Vrai  und  der  Kirgisen-Steppe. 


ZLATOOUST,  VATKA,  YEtABOUGA. 


765 


eial,  elle  est  complélée  par  sa  voisine  orientale,  Sl'obodskoï,  qui  possède 
des  distilleries,  des  tanneries,  et  prépare  des  pelisses  et  des  gants  fourrés, 
expédiés  par  centaines  de  mille  à  la  foire  de  ISijniy  et  au  port  d'Arkhan- 
gelsk. Le  principal  marché  de  céréales  du  gouvernement  est  Yelabouga, 
ville  bàlie  sur  un  petit  tributaire  latéral  de  la  Kama,  non  loin  de  la  jonc- 
tion de  la  vallée  de  la  Valka  et  de  celle  du  Lesnoï  Zaï,  où  se  trouve  la  ville 
de  Bougoulma.  A  5  kilomètres  à  l'est  de  Yelabouga,  au  bord  de  la  Kama, 
s'élève  une  haute  tour  à  coupole,  signalant  de  loin  l'emplacement  de  ce  qui 
fut  une  ville  des  Bulgares,  connue  aujourd'hui  sous  le  nom  de  Tchortovo 
Gorodichtche  ou  «  Cité  du  Diable  »  ;  un  peu  plus  haut  sur  la  rivière,  le 
kourgan  d'Anariyina  est  un  de  ceux  où  l'on  a  trouvé  le  plus  d'objets  remar- 
quables de  l'âge  de  bronze,  notamment  une  pierre  de  tombeau  sculptée 
représentant  un  personnage  vêtu,  avec  un  casque  conique  et  une  courte 
épée.  Tchistopol,  sur  la  basse  Kama,  est  le  port  principal  de  la  basse  K;ima  : 
c'est  la  première  étape  importante  des  bateaux  à  vapeur  et  des  800  autres 
embarcations  qui  ont  à  remonter  le  fleuve  et  ses  affluents,  Vatka,  Bel'aya, 
Tchousovaya'. 


VOI.GA     INFERIEURE 


;  n  X  E  M  E  N  T  s 


HIABA,      SABATOV,     ASIBAKIIAN 


Dans  la  partie  inférieure  de  son  bassin,  la  Volga  ne  baigne  point  les 
terres  de  peuples  aussi  nombreux  que  ceux  de  la  Kama.  Le  sol  y  est  moins 
accidenté,  et  les  diverses  populations  qui  l'habitent  y  occupent  de  plus 
vastes  espaces.  Ils  ne  se  confondent  pas,  comme  dans  le  nord,  en  un  chaos 
de  nationalités  slaves,  (innoises,  tarlares,  aux  origines  entremêlées. 

Des  Tchouvaches,  des  Mordva,  des  Tartares,  tels  sont  les  seuls  habitants 
non  slaves  au  sud  de  Kazan  et  de  Tchistopol,  jusqu'au  confluent  du  Grand 


'  Villes  et  groupes  d'usines  ayant  plus  de  5000 

CÛLVERNEMEM    DE   l'ERM. 

Pcriii         (I87H1 32  500  liab. 

Solikamsk  ......      ItiSiO     « 

Koungour       «     ......     Il  000     )i 

COrvERNEMENT  Il'olKA. 

Oufa  (1881) 2:.J00  liai. 

Zlaloousi  » 18  500     » 

Sterlilainak        « 8  200     » 

Birsk  ,      6  050     » 

Menzclinsk        t G  000     » 


habitants  dans  le  bassin  de  la  Kama  : 

GOUVERNEMEKT   DE    VATKA. 

Valka  (1885) 21000  liab. 

Ijoïsk,  usine  (1879) 21500     » 

Sai-apoul    (1885) 11  S50     » 

Yctabouga      n 9  550     i) 

Stobodskoï     " y  1 75     » 

GOlVEllNEMENT    Iir.    K\/\N. 

T(;bistopni(l885) 18  200  liab. 

l,aïcber 5  200     » 

GOUVERNEMENT  DE  SA.MAIIA. 

Bougoulma  (1870) lôODO  bab. 


766  NOUVELLE  GEOGRAPUIE   UNIVERSELLE. 

Irgiz,  dans  le  gouvernement  de  Samara  ;  mais  là  commencent  les  colonies 
allemandes,  qui  occupent,  sur  les  deux  bords  du  fleuve,  un  espace  d'en- 
viron 20  000  kilomètres  carrés.  En  1765,  Catherine  II,  désirant  opposer  un 
rempart  vivant  aux  populations  nomades  de  la  basse  Volga,  fit  appel  aux 
colons  de  l'occident  et,  parmi  les  non  Slaves,  ceux  qui  répondirent  à  son 
appel  étaient  presque  tous  des  Allemands  et  des  Suisses  ;  cependant  quel- 
ques groupes  de  Français  et  des  Suédois  vinrent  aussi,  mais  ils  sont  depuis 
longtemps  perdus  dans  la  foule  des  immigrants.  Les  colons  reçurent  des 
vivres,  des  outils,  du  bétail,  et  leurs  terres  furent  déclarées  libres  d'impôt 
pendant  dix  années  '  ;  moins  richement  dotées  que  les  colonies  allemandes 
de  la  Nouvelle-Russie,  celles  des  bords  de  la  Volga  jouissent  cependant 
d'une  prospérité  plus  grande,  grâce  à  la  communauté  des  terres,  pratiquée 
par  elle;^,  à  l'exemple  de  leurs  voisins  russes'.  Les  102  colonies  primitives 
ont  essaimé,  et  maintenant  les  Allemands  sont  répandus  dans  toute  la 
contrée  et  s'y  maintiennent  avec  une  remarquable  cohésion,  sans  avoir 
oublié  leur  langue  ;  même  ils  la  parlent  mieux  que  leurs  ancêtres,  grâce 
aux  écoles  qu'ils  ont  toujours  soigneusement  entretenues  ;  mais  leur  ins- 
truction générale  est  très  négligée.  Récemment  ils  ont  fondé  des  écoles 
supérieures  afin  d'assurer  à  leurs  enfants  les  privilèges  accordés  à  ceux 
des  militaires  qui  parlent  le  russe  et  qui  font  preuve  d'une  certaine  instruc- 
tion. Les  colons  allemands  des  deux  provinces  de  Saratov  et  de  Samara 
sont  probablement  au  nombre  de  plus  de  trois  cent  mille,  car  ils  aug- 
mentent assez  rapidement  par  le  surplus  des  naissances.  Ce  sont  des 
colonies  de  Petits  Russiens  qui  occupent  presque  tous  les  intervalles  laissés 
entre  les  campagnes  allemandes  ;  les  hommes  s'y  emploient,  comme  les 
tchoumaks  de  l'Oukraïnc,  à  la  transportation  du  sel. 

Au  sud  et  à  l'est  du  grand  coude  de  Tzarilzîn,  les  Russes  n'habitent  que 
le  littoral  du  fleuve  :  la  région  des  steppes  nues,  à  droite  et  à  gauche  de 
la  Volga,  appartient  encore  aux  populations  nomades.  La  nature  du  ter- 
rain, tout  à  foit  impropre  au  labourage,  ne  permet  pas  (pi'il  en  soit  autn'- 
ment.  Même  les  employés  russes  nommés  pour  la  surveillance  des  indi- 
gènes sont  obligés  de  se  déplacer  avec  les  villages  ambulants.  La  plus 
méridionale  de  ces  nations  nomades,  celle  des  Kalraouk  (Kal'mîki),  appelés 
aussi  Elot  et  Oïrad  %  occupe  un  espace  d'environ  80  000  kilomètres 
carrés  entre  la  Volga  et  la  Kouma,  dans   la  dépression  saline  recouverte 

'  Legrelle,  Le  Volga,  Noies  sur  la  Russie. 

'  Klaus,  ISos  colonies  (en  russe) 

■'  Kahnouk,  de  Kalma,  Kaliiiiak.  nuniil  le  sens  de  «  Dcilaissp,  lelardataire  »  d'après  Pallas;  El«t 
signifierait  les  «  Séparés  »  et  le  nom  d'Oiiad  serait  synonyme  de  ((  Confédérés  ».  J.  Deuiker,  Étude 
sur  les  Kalmouks. 


COLONIES  DE  LA  BASSE   VOLGA,   KALMOUK.  767 

autrefois  par  les  eaux  de  la  Caspienne;  en  outre,  ils  parcourent  des  steppes 
Aoisines  de  la  rive  gauche  du  Don,  et  quelques-unes  de  leurs  tribus  habitent 
dans  le  voisinage  des  Kirghiz,  à  l'est  de  l'Akhlouba.  Ils  sont  environ  cent 
cinquante  mille  sur  cet  immense  territoire  de  steppes  infertiles  et  de 
pâlis  :  le  service  militaire  et  l'émigration  dans  les  villes  les  ont  fait  dimi- 
nuer quelque  peu  depuis  le  milieu  du  siècle.  Toutefois  les  recensements 
pris  à  diverses  époques  ne  paraissent  pas  complètement  dignes  de  con- 
fiance, les  femmes  et  surtout  les  petites  filles  étant  fréquemment  négligées 
sur  les  listes.  Contrairement  au  résultat  signalé  chez  tous  les  autres  peuples 
de  l'Europe,  les  hommes,  beaucoup  plus  nombreux  que  les  femmes  chez  les 
Kalmouk,  auraient  un  excédent  d'un  quart'.  Paiei!  phénomène  démogra- 
phique n'est  pas  probable,  mais  il  paraît  certain  qu'il  y  a  réellement  un 
surplus  de  Kalmouk  appartenant  au  sexe  masculin.  Un  très  petit  nombre 
atteignent  à  un  âge  avancé, et  la  mortalité  est  énorme  sur  les  enfants, 
surtout  dans  la  région  orientale  du  territoire,  où  la  plupart  des  indi- 
gènes sont  aux  gages  des  entrepreneurs  de  pèche  '. 

Les  Kalmouk,  représentants  de  la  race  mongole,  auxquels  se  sont 
mêlées  peut-être  quelques  tribus  d'origine  turque,  sont  des  nouveaux 
venus  en  Europe.  Les  premiers  éclaireurs  de  la  nation  apparurent  pour  la 
prehiière  fois  en  1650  à  l'occident  de  rEmba,et  c'est  en  1(556  seulement 
que  le  gros  du  peuple  émigrant  transféra  ses  cinquante  mille  tentes  sur 
les  côtes  occidentales  de  la  Caspienne.  Pendant  les  premières  années  de 
leur  séjour,  chaque  retour  du  printemps  fut  marqué  par  une  incursion 
dans  la  Russie  orientale  ;  les  campagnes  étaient  ravagées,  les  villages 
brûlés,  les  habitants  emmenés  en  esclavage.  Cependant,  moins  d'une  géné- 
ration s'était  écoulée,  que  les  Kalmouk,  tenus  en  échec  par  la  population 
slave,  devaient  se  déclarer  les  sujets  du  tzar,  sans  cesser  pourtant  d'être  en 
communication  avec  leurs  frères  d'Asie,  même  avec  ceux  du  Tibet.  Toutefois 
l'intervention  de  plus  en  plus  gênante  du  gouvernement  russe  rendant 
la  vie  tout  à  fait  intolérable  aux  fils  de  la  libre  steppe,  ils  résolurent  de 
retourner  dans  la  patrie  de  leurs  ancêtres,  sur  les  bords  du  lac  Balkacii, 
aux  pieds  de  ces  monts  Allai  (pie  la  tradition  leur  dépeignait  comme 
un  pays  de  merveilles,  l'resque  toute  la  nation  des  Kalmouk  de  la 
Russie,  évaluée  diversement  de  120  000  à  500  000  personnes,  se  mit  en 
marche  pendant  l'hiver  de  1770  à  1771  pour  gagner  les  steppes  de  l'Asie, 
en  passant  avec  ses  troupeaux  sur  les  glaces  de  la  Volga,  du  Yayik,  de 

'  Kalmoukdu  gouv.  d' Astrakhan  en  1869  :  68329  hommes,  51  267  (?)  femmes;  toUil,  H9  9o6(?) 
(En  1860  :  129  522);  25200  dans  les  steppes  du  Don;  6000  dans  le  gouv.  de  StavropoL 
'  11.  MelchnikoT,  Zapinki  Roussk.  Gcoijr.  Obclilcheslra,  1875,  n"  10;  —  Russischc  Revue,  1871. 


768 


NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


l'Emba.  L'immense  défilé  dura  des  semaines,  mais  l'arrière-garde  n'eut 
pas  le  temps  d'échapper  :  les  glaces  de  la  Volga  se  rompirent,  el  les  Kirghiz 


s"    1G5.    POPrLATIONS   DIVERSES    DE    LA    VOLGA   MOYENNE. 


d'aprèi:  Ritïi'**^ 


m 


□ 


I  :  4  0>>oa< 


et  les  Cosaques,  groupés  en  masse  jjour  arrêter  le  passage  des  émigrants, 
jc-ussirenl  à  couper  le  convoi  sur  plusieurs  points.  Quelques  milliers  do 


KALMOUK.  769 

Kalraouk  atteignirent,  dit-on,  les  bords  du  lac  désiré,  mais  presque 
tous  ceux  qui  avaient  habité  les  steppes  du  Don,  de  la  Kouma,  du 
Manîtch,  durent  reprendre  le  chemin  des  campements  abandonnés.  A  la 
suite  de  cet  exode,  la  main  du  tzar  se  flt  sentir  plus  durement  que 
jamais,  et  même  des  milliers  de  Kalmouk,  convertis  de  gré  ou  de  force, 
furent  transférés  dans  la  colonie  de  Stavropol,  entre  Simbirsk  et  Samara, 
puis  enrégimentés  parmi  les  Cosaques  de  l'Oural.  Quant  aux  autres  Kal- 
mouk, restés  sujets  russes  malgré  eux,  le  territoire  qu'ils  occupaient  fut 
désormais  nettement  délimité  par  la  Volga,  la  Caspienne,  la  Kouma  et  le 
Don.  En  1859,  on  défendit  aux  paysans  russes  de  s'établir  sur  les  terres 
des  Kalmouk;  mais  ensuite  des  colonies  mixtes,  fondées  dans  la  steppe, 
sont  devenues  des  points  fixes  et,  pour  ainsi  dire,  autant  d'ilôts  russes  au 
milieu  des  populations  asiatiques.  Plus  tard,  on  commença  de  procéder  au 
partage  de  la  steppe,  vaste  pâtis  que  pourtant  on  ne  peut  diviser  que 
d'une  manière  fictive;  mais  ce  partage  entre  les  «  âmes  »  se  fit  suivant  des 
proportions  très  inégales,  afin  de  créer  ainsi  des  intérêts  opposés  et 
d'affaiblir  la  puissance  collective  des  nomades  :  tandis  que  les  chefs 
élevés  à  la  dignité  de  nobles  par  le  gouvernement  recevaient  de  218  à 
16i0  hectares,  les  simples  Kalmouk  avaient  seulement  une  part  de 
trente-trois  hectares.  Sur  l'ensemble  du  territoire  de  la  nation,  qui 
est  de  7  559  000  hectares,  le  dixième  est  devenu  propriété  privée.  Les 
28  000  Kalmouk  qui  se  trouvent  sur  le  territoire  de  l'armée  du  Don  sont 
obligés  de  servir  avec  les  Cosaques,  mais  ils  ne  forment  pas  de  régi- 
ments particuliers  :  on  leur  donne  surtout  dans  l'armée  l'emploi  de  sur- 
veillants des  troupeaux  et  des  chevaux'. 

Jusqu'à  maintenant  les  Kalmouk  n'ont  subi  que  très  faiblement  la 
puissance  d'assimilation  des  Slaves.  Quelques  chefs  de  tribus,  élevés  à  la 
dignité  de  princes  héréditaires,  ont,  il  est  vrai,  bâti  des  châteaux,  les  ont 
meublés  à  l'européenne,  et  font  élever  leurs  enfants  par  des  précepteurs 
étrangers,  mais  c'est  à  peu  près  tout.  La  plupart  des  Kalmouk  ne  com- 
prennent pas  le  russe  :  ils  ont  gardé  leur  costume,  la  houppelande,  le 
bonnet  fourré,  la  longue  tresse  de  cheveux  à  la  chinoise;  toutes  les 
figures,  au  nez  aplati,  aux  pommettes  hautes  et  saillantes,  aux  yeux  petits 
et  bridés,  au  teint  jaunâtre,  témoignent  de  la  pureté  du  sang  mongol.  Les 
Kalmouk  sont  peu  délicats  sur  le  choix  de  leur  nourriture  :  <c  Dans  la 
steppe,  le  hanneton  même  est  gibier,  »  dit  un  proverbe  relatif  à  leur  genre 
lie  vie.  Mais  la  chair  du  mouton  est  leur  viande  préférée,  et  le  gigot  est  le 

'  Kr.isnov,  Le  territoire  de  l'armée  du  Don  (en  russe)  ;  Klioroclikliin  et  Slein,  Die  Russitc/ien 
hntakenhecrc. 

C7 


770  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

plat  rituel  lors  de  la  célébration  du  mariage  :  l'os  de  ce  premier  repas  est 
conservé  dans  la  tente  conjugale  comme  une  chose  sacrée.  Dans  les  familles 
ivalmoukes,  le  despotisme  est  moindre  que  dans  celles  des  mahométans; 
l'usage  ordonne  même  certaines  pratiques  chevaleresques  envers  les 
dames.  Quand  il  invite  une  femme  à  danser,  le  Kalmouk  doit  se  mettre  à 
genoux;  mais  on  dit  que  dans  l'intérieur  de  la  tente  les  devoirs  de  poli- 
tesse conjugale  sont  fréquemment  oubliés.  Dans  la  société  politique  le 
despotisme  est  complet,  mais  l'esprit  de  l'ancienne  indépendance  survit 
dans  quelques  proverbes  :  «  Le  cyprès  rompt  et  ne  se  courbe  pas  ;  —  le 
vaillant  meurt  et  ne  s'abaisse  pas  !  '  » 

Les  Kalmouk  sont  restés  bouddhistes.  Çà  et  là  sur  leur  territoire  se 
dressent  des  pagodes,  et  dans  leurs  demeures  une  étagère  porte  toujours 
des  «  moulins  à  prières  »  dont  le  ronflement  continu  ressemble  à  un 
murmure  humain.  Le  gouvernement  russe  a  bien  pris  soin  de  prévenir 
tout  écart  religieu.v  qui  ne  serait  pas  compatible  avec  la  fidélité  due  au 
tzar;  c'est  l'empereur  lui-même  qui,  en  confirmant  le  grand  lama,  se 
trouve  être  en  réalité  le  vrai  représentant  de  Bouddha  sur  la  terre.  Le  genre 
de  vie  trace  entre  les  bouddhistes  nomades  et  les  chrétiens  sédentaires  une 
ligne  de  démarcation  qui  de  longlemps  ne  pourra  être  franchie.  A  peine 
quelques  centaines  de  Kalmouk  se  sont  établis  comme  agriculteurs  rési- 
dants sur  des  terres  de  la  steppe  d'Astrakhan;  plus  d'un  millier  de  Kal- 
mouk vivent  d'agriculture  dans  la  steppe  du  Don-;  mais  tous  les  autres 
sont  pêcheurs  ou  pasteurs  nomades.  Errant  de  pêcherie  en  pêcherie,  de 
pâturage  en  pâturage,  les  Kalmouk  pourraient  à  peine  vivre  s'ils  n'avaient 
pour  compagnons  leurs  animaux  domestiques",  et  surtout  les  chameaux, 
qui  portent  les  enfants  et  les  tentes.  Arrivés  au  lieu  du  campement,  ils 
bâtissent  leursoi</o»s  ou  villages  temporaires  en  quelques  heures.  Les  pieux 
qui  forment  le  squelette  de  la  tente  ou  kibitka  sont  plantés  ;  les  nattes  et  les 
tissus  de  feutre  se  tendent  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur,  un  réseau  de  cordes 
les  enveloppe,  les  animaux  sont  attachés  à  leurs  piquets,  et  les  femmes  ont 
bientôt  préparé  les  mets  de  laitage  ou  de  viande.  A  trois  mille  kilomètres 
de  distance  et  à  deux  ou  trois  siècles  d'intervalle,  rien  ne  semble  changé 
entre  la  vie  des  Kalmouk  du  Balkach  et  celle  des  Kalmouk  d'Astrakhan. 

Les  Kirghiz,  beaucoup  plus  nombreux  que  les  Kalmouk,  ont  encore  le 
gros  de  leur  nation  en  Asie  :  ceux  d'entre  eux  qui  vivent  en  Europe,  entre 
la  Volga  et  le  fleuve  Oural,   ne   forment,  pour  ainsi  dire,  que  l'extrême 

'  Ladov,  La  Russie  d'Europe  (en  russe)  ;  —  Nebolsiii,  Les  Kalinouks  (ca  russe). 

=  Kosleiiko,  [Notices  historiques  cl  stalisliqucs  sur  les  Kalmouks. 

5  BélaiUn  1880  :  47  000  chevaux,  Uj  100  bêles  à  corues,  iJUOÛ  chameaus,  170  750  moulons. 


KALMOUK.      KIRGIllZ.  771 

avant-garde  des  tribus  :  ils  conslitueot  une  simple  division  de  la  «  Petite 
Horde  »  ou  Kitchik-dyous;  on  appelle  aussi  leur  peuplade  Boukeyevskaya, 
d'après  le  sultan  Boukey,  qui  reçut  en  1801  l'autorisation  de  placer  ses 
kihitkas  dans  les  plaines  sablonneuses  de  Rîn,  laissées  désertes  par  la 
fuite  des  Kalmouk.  En  1875,  Ritlicb  évaluait  leur  nombre  à  162  700  per- 
sonnes, tandis  qu'Obroutchov  en  comptait  186  000.  Les  Kirghiz  de  la 
Russie,  de  race  turque  comme  les  Tartares  et  les  Bachkir,  et  maliomé- 
tans  comme  eux,  ont,  grâce  à  leurs  voisins  et  coreligionnaires,  plus  de 
points  de  contact  que  les  Kalmouk  avec  la  race  dominante,  et  l'on  peut 
observer  en  maints  endroits  un  commencement  de  «  russiflcation  »  des 
nomades.  Trop  nombreux  pour  l'espace  relativement  étroit  de  pâturages 
qu'ils  possèdent,  et  dont  les  meilleurs  se  trouvent  entre  les  deux  Ouzeiî  et 
les  Rîn~Peski,  des  milliers  de  Kirgbiz  sont  devenus  agriculteurs,  du  moins 
pendant  une  partie  de  l'année,  et  labourent  les  fonds  bumidcs  des  vallées; 
d'autres  vont  travailler  chez  les  Russes  comme  bergers,  comme  moisson- 
neurs ou  laveurs  d'or.  Éloignés  de  la  tente,  ils  apprennent  le  russe, 
prennent  le  mémo  costume  que  leurs  maîtres  et  laissent  élever  leurs 
enfants  par  eux.  D'autre  part,  les  Cosaques  de  l'Oural  s'accoutument 
facilement  aux  mœurs  des  Kirghiz,  avec  lesquels  ils  sont  en  rapport,  et  sou- 
vent il  est  difficile  de  reconnaître  à  quelle  race  appartiennent  des  groupes 
de  nomades.  On  rencontre  fréquemment  des  Cosaques  vêtus  comme  des 
Kirghiz  et  parlant  le  dialecte  turc  mieux  que  le  russe.  D'après  Radlov, 
l'idiome  kirghiz  se  l'approche  lui-même  de  plus  en  plus  du  tartare  mêlé 
d'arabe  qui  se  parle  dans  les  mosquées  et  les  medressés  :  les  mots  du 
Coran  pénètrent  dans  la  langue  et  la  modifient  graduellement. 


Des  villes  populeuses,  presque  toutes  d'origine  moderne  et  dont  quel- 
ques-unes prendront  rang  tôt  ou  tard  parmi  les  plus  importantes  de  l'Eu- 
rope, s'élèvent  sur  les  bords  de  la  Volga. 

La  plus  septentrionale,  Simbirsk,  qui  peut-être  est  la  Simbir  des  annales 
tartares,  mais  qui  ne  commença  comme  ville  russe  qu'au  milieu  du 
seizième  siècle,  est  maintenant  chef-lieu  de  gouvernement.  C'est  une  ville 
curieuse  qui  domine  d'un  côté  la  Vclga,  de  l'autre  la  Sviyaga,  ces  deux 
cours  d'eau  parallèles  qui  coulent  en  sens  inverse  sur  une  longueur  d'en- 
viron 400  kilomètres  :  à  Simbirsk,  la  Sviyaga  passe  à  plus  de  44  mètres 
au-dessus  de  la  Volga,  et  rien  ne  serait  plus  facile  que  de  la  précipiter  en 
cascade  dans  le  fleuve  à  travers  les  terrains  pliocènes  déposés  jadis  j)ar  des 
eaux  courantes.  De  la  Volga  on  aperçoit  à  peine  la  ville,  située  à  170  mè- 


772 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE    INIVERSELLE. 


tros  de  hauteur  sur  la  crête  d'un  jilaleau  qui  s'incline  en  pente  douce  vers 
l'occident.  Le  fort  de  Simbirsk  arrêta  en  1670  la  marche  victorieuse 
d'Etienne  Razin,  conduisant  les  Cosaques  du  Don  et  les  paysans  révoltés  : 
c'est  là  que  commença  sa  fuite.  Simbirsk  est  la  patrie  de  Karamzin. 

Samara,  autre  capitale  de  province,  a  l'avantage  de  se  trouver  à  l'extré- 
mité de  la  grande  «  boucle  »  de  la  Volga,  c'est-à-dire  à  un  point  de  con- 
vergence naturel  des  routes,  et  au  confluent  d'une  rivière  importante,  celle 


N°    16IÎ.    —    SfMtins 


dont  elle  a  pris  le  nom.  L'union  de  deux  cours  d'eau,  telle  est  la  cause  qui 
a  rassemblé  la  population  sur  la  rive  basse  de  la  Volga,  tandis  que  presque 
toutes  les  autres  villes  se  sont  bâties  sur  la  rive  droite  ou  de  «  la  mon- 
tagne ».  Cependant  quelques  collines  qui  s'élèvent  en  cet  endroit  sur  la 
rive  gauche  ont  permis  à  Samara  de  prendre  un  point  d'appui  au-dessus 
du  niveau  des  inondations;  la  ville,  encore  composée  de  maisons  de  bois, 
n'est,  pour  ainsi  dire,  qu'à  demi  construite  ;  de  vastes  espaces  libres  atten- 
dent les  maisons,  de  chaque  côté  de  rues  poudreuses.  C'est  à  la  fin  du 
seizième  siècle  que  Samara  est  mentionnée  pour  la  première  fois  ;  mais 
pendant  le  siècle   suivant  elle  eut   une  grande    importance   stratégique 


Est  i"  Paris      45 


SIMBIRSK.   SAMARA,   SIZRAN.  773 

comme  boulevard  de  la  Russie  contre  les  populations  nomades  des  steppes  ; 
elle  était  alors  ce  que  devint  plus  tard  la  place  d'Orembourg  ;  quelques 
restes  de  l'ancienne  forteresse  qu'occupèrent  successivement  Etienne  Razin 
et  Pougatchov,  existent  encore.  Actuellement  Samara  est  surtout  une  ville 
de  commerce  et  l'activité  de  son  port  ne  cesse  de  s'accroître,  surtout  pour 
l'expédition  des  blés,  des  tabacs,  des  suifs,  des  savons  et  des  cuirs'.  Le 
chemin  de  fer  de  Saint-Pétersbourg  à  Orenbourg,  qui  se  prolongera  plus 
tard  jusqu'au  centre  de  l'Asie, 

passe  à  Samara  et  remonte  >•'  i"  —  "<>'<-'■'-■  «r  sizn»; 

la  vallée  du  mênae  nom  par 
la  ville  de  Rousoulouk.  Une 
autre  ville,  Bogorousl'an,  se 
trouve  dans  une  vallée  laté- 
rale, celle  du  Kinel,  tandis 
que  la  ville  de  Sergiyevsk, 
devenue  fameuse  par  les  eaux 
sulfureuses  froides  d'un  éta- 
blissement voisin,  est  baignée 
par  le  Sok,  rivière  qui  s'unit 
à  la  Volga,  à  l'angle  nord- 
oriental  de  la  boucle.  Ser- 
giyevsk, de  même  que  Sa- 
mara et  les  autres  villes  de 
la  contrée,  est  bien  connue 
dans  le  monde  médical  comme 
une  des  stations  où  les  ma- 
lades de  la  poitrine  sont  trai-  o  -^„(,.| 
lés,  suivant  la  méthode  kal- 

mouke,  par  le  koumîs  ou  lait  de  jument  lermcnlé.  Toute  la  contrée  de 
Samara  est  tristement  fameuse  par  la  famine  de  1875,  qui  fit  périr  des 
multitudes  de  paysans,  en  nombre  inconnu. 

Sîzraii  occupe  à  l'angle  sud-occidental  de  la  bi)ucl(î  de  la  Volga  et  à  la 
bouche  de  la  rivière  Sizran  une  position  analogue  à  celle  de  Samara  : 
aussi  est-elle  également  devenue  un  lieu  de  passage  très  fréquenté.  Un  viaduc 
de  chemin  de  fer,  le  plus  long  de  l'Europe  continentale  (1460  mètres),  y 
traverse  la  Volga,  ce  fleuve  puissant  sur  lequel  on  a  ose  jusqu'à  maintenant 
jeter  si  peu  de  constructions  ;  auparavant  c'était  à  Tveî-,  à  plus  de  20O0  kilo- 


Lst  deureenwrch  A£^'' 


^V*'^«S>30 


Daprès    divers     documenta 


*  EipéJilion  (lu  poil  lie  Samara  en  1879  :  û5ô800  louncs.  Valeur  :  17500000  roubles. 


77J  KOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

mètres  en  amont,  qu'il  fallait  chercher  le  dernier  pont  fixe  du  fleuve.  Les 
sources  de  naphte  et  les  gisements  de  cérésine  ou  «  cire  minérale  »  sont 
assez  communs  dans  le  pays  ;  aux  environs  de  Sizraiî,  à  IS  kilomètres  au 
nord-est,  les  couches  découvertes  par  Voïeïkov  sont  d'une  épaisseur  de 
80  à  100  mètres  et  se  prolongent  sur  un  espace  d'environ  19  kilomètres. 
On  pense  que  ces  trésors  miniers  contribueront  à  faire  une  ville  indus- 
trielle de  Sîzraiî,  jusqu'à  maintenant  simple  marché  agricole.  De  même, 
Khvalinsk  et  Yoisk  ou  Val'jsk,  la  première  située  sur  une  haute  falaise 
calcaire  de  la  rive  droite,  la  deuxième  à  l'issue  d'un  ravin  entre  des 
collines  verdoyantes,  n'ont  guère  l'une  et  l'autre  d'importance  que  pour 
l'expédition  des  denrées.  Vol'jsk  est  environnée  de  jardins  et  de  vergers  ; 
presque  en  face  on  voit  entrer  dans  la  Volga  les  eaux  du  Grand  Irgiz, 
près  duquel  commencent  les  colonies  allemandes,  et  dont  le  chef-lieu, 
Nikol'ayevsk,  est  renommé  pour  ses  plantations  de  tabac.  La  vallée  de 
rir'HZ  fut  un  lieu  de  refuge  pour  les  vieux  croyants  ;  ils  y  fondèrent 
quelques-uns  de  leurs  skits  les  plus  fameux,  où  se  réunirent  au  dix- 
huitième  siècle  les  Cosaques  de  Pougatchov,  qui  voulaient  «  renverser  de 
fond  en  comble  l'État  russe  ».  C'est  là  que  fut  sacré  le  faux  tsar.  De  1827 
à  1857,  les  skits  ont  été  détruits  ou  convertis  à  la  «  foi  unie  »  par  la  pres- 
sion administrative  et  les  dragonnades. 

Saratov,  chef-lieu  du  gouvernement  de  son  nom,  est  la  plus  grande  cité 
de  la  basse  Yolga  et  sa  population  actuelle  dépasse  depuis  quelques  années 
cent  mille  habitants.  A  moins  qu'elle  ne  soit  l'ancien  Sarî-taou  ou  «  Mont 
Jaune  »  des  annales  tartares,  Saratov  ne  date  que  de  la  fin  du  seizième 
siècle,  et  même  elle  ne  se  trouvait  pas  alors  sur  l'emplacement  qu'elle 
occupe  de  nos  jours  :  elle  était  située  à  11  kilomètres  en  amont,  et  sur  la 
rive  gauche  de  la  Volga,  au  confluent  de  la  petite  rivière  Saratovka  ;  son 
rôle  politique  était  d'observer  les  nomades  et  les  «  brigands  »  cosaques, 
mais  elle-même  fut  la  proie  des  bandes  de  Razin,  de  îVekrasov  et  enfin  de 
Pougatchov.  Saratov,  entourée  d'un  amphithéâtre  de  collines,  est  cepen- 
dant l'une  des  villes  les  moins  pittoresques  des  bords  de  la  Volga  :  elle  a  la 
vulgarité  de  la  plupart  des  villes  de  commerce  et  d'industrie.  Dès  1865,  le 
mouvement  des  bateaux  à  la  sortie  s'élevait  à  144  000  tonnes;  il  s'est 
accru  depuis  que  Saratov  est  en  communication  directe  avec  Moscou  par 
un  chemin  de  fer;  mais  le  courant  du  fleuve  s'est  déplacé  et  les  bateaux  à 
vapeur  s'arrêtent  à  quelques  kilomètres  en  aval  de  Saratov.  Cette  ville  est  le 
centre  des  échanges  pour  les  colonies  allemandes  de  la  Yolga  et  possède  des 
usines  de  toute  espèce.  On  parle  depuis  longtemps  d'y  fonder  une  univer- 
sité. En  face,  est  l'importante  sl'oboda  malo-russienne,  Pokrovskaya. 


SÂRATOV,   TZARITZIN. 


ANCIKN    COURS   DK    LA    VOLGA    EN    AVA 


EdeP 


Kamîchin,  Doubovka,  Tzarilzîn  se  succèdent  au  sud  de  Saratov,  sur  la 
haute  falaise  de  la  rive  droite.  Doubovka,  qui  n'a  pas  même  titre  de  ville, 
fut  autrefois  le  chef-lieu 
des  Cosaques  de  la  Volga; 
mais  ceux-ci,  ayant  pris 
part  à  l'insurrection  de 
Pougatchov,  furent  dépor- 
tés en  1771  dans  les  val- 
lées du  Caucase  et  rem- 
placés à  Doubovka  par  des 
colons  malo-russes  et  des 
fugitifs  de  toutes  les  pro- 
vinces. Vers  le  milieu  du 
siècle,  Doubovka  jouissait 
d'une  grande  prospérité 
commerciale  à  cause  de  la 
proximité  du  Don,  car  en 
cet  endroit  les  deux  fleuves 
coulent  à  moins  de  60  kilo- 
mètres de  distance.  En 
1860,  plusieurs  centaines 
de  bateaux  débarquaient  à 
Doubovka  environ  100  000 
tonnes  de  marchandises, 
pour  une  valeur  de  près  de 
10  millions  de  francs,  et 
.sur  la  route  qui  mène  au 
coude  du  Don,  les  chars 
allaient  et  venaient  inces- 
samment. Ce  commerce  a 
presque  entièrement  cessé 
depuis  que  le  chemin  de 
fer  de  Volga  et  Don  a  son 
point  de  départ  à  Tzaritzîn.  , 

Non  loin  de  cette  ville  et 

précisément  à  l'endroit  où  la  Volga  cesse  de  longer  la  falaise  des  collines 
d'Krgcni  pour  entrer  dans  la  steppe  d'Astrakhan,  s'est  établie  en  1765  la  co- 
lonie allemande  (le  Sarepla,  peuplée  de  «  Frères  Moraves  »,  auxquels  de  très 
grands  privilèges  ont  été  accordés.  Sarepla,  entourée  de  jardins,  de  vergers, 


776  NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

de  champs  bien  arrosés,  est  une  véritable  oasis  au  milieu  du  désert;  ses 
principales  industries  sont  la  préparation  de  la  moutarde  et  celle  du  tabac. 

A  l'est  de  la  Tzaritzîn  ou  «  Ville  de  la  Reine  >>,  sur  la  rive  orientale  de 
l'Akhtouba,  une  ville  moderne,  Tzarov,  rappelle  aussi  par  son  nom  la  domi- 
nation de  tzars  mongols.  Quelques  relèvements  du  terrain,  des  monticules 
funéraires,  des  amas  de  briques  vernissées  et  de  vieilles  poteries  :  ce  sont 
probablement  les  restes  de  Saraï,  qui  fut  la  capitale  du  grand  empire  des 
Mongols  et  en  même  temps  le  siège  d'un  évêque  russe,  la  ville  que  ravagea 
Tamerlan  et  que  détruisit  un  voïvode  de  Moscou  en  1480.  D'autres,  avec 
M.  Zagoskin,  cherchent  aussi  la  ville  de  Saraï  à  Selilrennoïe,  à  150  kilomè- 
tres plus  bas,  sur  l'Akhtouba  ;  mais  il  est  possible  qu'il  y  ait  eu  deux  Saraï 
où  résidèrent  les  khans.  De  l'est  à  l'ouest,  la  ville  qui  s'élevait  près  de 
Tzarov  occupait  avec  ses  faubourgs  un  espace  de  plus  de  21  kilomètres  sur 
la  rive  gauche  de  l'Akhtouba;  tous  les  villages  de  la  contrée  sont  construits 
en  briques  prises  dans  les  ruines'.  Tzarov  est  l'un  des  ports  où  l'on  embar- 
que le  sel  retiré  du  lac  Yel'lon.  Un  autre  port,  Yladimirovka,  est  situé  plus 
au  sud,  également  sur  la  rive  de  l'Akhtouba  :  cette  escale  est  celle  d'où  l'on 
exporte  le  sel  extrait  du  lac  Baskountchak,  plus  activement  exploité  que 
celui  du  lac  Yel'ton,  à  cause  de  sa  plus  grande  proximité  des  bords  de  la 
Volga  ;  une  voie  ferrée  de  56  kilomètres  unit  le  débarcadère  au  lac.  C'est 
jusque-là  qu'en  1878  se  propagea  la  peste,  à  l'effroi  de  toute  l'Europe, 
après  avoir  éclaté  sur  la  rive  droite  de  la  Volga,  au  petit  port  militaire  de 
Vetîanka.  Au  milieu  de  décembre,  plusieurs  villages  furent  envahis  et 
presque  dépeuplés  par  l'épidémie.  La  mortalité,  qui  avait  été  de  près  de 
la  moitié  au  début  de  la  peste,  frappa  bientôt  neuf  malades  sur  dix  ;  en 
(juelques  jours,  un  bourg  perdit  520  habitants  sur  850". 

Astrakhan,  le  chef-lieu  du  vaste  gouvernement  des  steppes  caspiennes, 
la  cité  commerciale  des  bouches  de  la  Volga,  n'a  pas  le  rang  qui  semblerait 
devoir  lui  appartenir  comme  port  d'issue  d'un  bassin  trois  fois  plus  grand 
•jue  la  France  et  peuplé  de  cinquante  millions  d'hommes.  A  certains 
égards  même,  Astrakhan  est  une  cité  déchue  :  elle  possédait  autrefois  le 
monopole  du  commerce  russe  avec  les  pays  d'outre-Caspienne  et  [recevait 
les  marchandises  précieuses  de  la  Perse  et  des  Indes  ;  mais  de  nos  jours 
les  routes  de  terre,  d'un  côté  par  Orenbourg,  de  l'autre  par  Tiflis,  sont 
[)réféiéos  j)ar  les  commentants  à  la  voie  mai'itimc  :  les  barres  périlleuses 
de  la  Vol^M  sont  de  plus  en  plus  évitées  par  le  commerce  inlerna- 
liunal,  (!t  l()is(|iit!  le  clirniin  di'  l'cr  d'Oreuliourg  aux  villes  ilu  Turkestan 

'   Lopiitin,  Congres  (le  Kaznn  ;  —  Alfred  R;imb;md,  Rente  sciciiHliiiHe,  5  mai  1879. 
'  D'Dopimor;  —  Lancct,  10  l'év.  187U;  —  Progrès  médical,  8  fév.  1879. 


ASTRAKUAX.  777 

sera  terminé,  nul  doute  que  le  mouvement  des  échanges  de  l'une  à  l'autre 
rive  de  la  Caspienne  par  Astrakhan  ne  soit  complètement  supprimé,  à  moins 
qu'on  ne  creuse  le  canal  latéral  à  la  mer  proposé  par  Danil'ov;  le  port  de 
la  Volga  n'est  plus  même  maintenant  le  principal  des  rivages  cas- 
piens  :  Bakou  le  dépasse  en  importance.  La  navigation  si  active  sur  la 
Volga  moyenne,  ta  Rîbinsk,  à  Yaroslavl,  à  Nijniy  et  jusqu'à  Saratov,  di- 
minue graduellement  en  aval  de  cette  ville;  au-dessous  d'Astrakhan,  elle 
est  inférieure  à  celle  de  maint  petit  port  de  l'Europe  occidentale,  dont  le 
nom  n'est  connu  que  des  marins  du  voisinage'.  Le  mouvement  principal 
des  échanges  d'Astrakhan  se  fait  avec  la  Caucasie  par  la  voie  du  littoral  ; 
cette  ville  est  en  outre  le  marché  des  populations  de  race  diverse.  Russes, 
Tartares,  Kirghiz,  Kalmouk.  qui  peuplent  les  contrées  environnantes, 
et  dont  les  représentants,  tous  dans  leur  costume  particulier,  donnent  une 
physionomie  orientale  à  la  cité.  La  colonie  arménienne,  fort  nombreuse, 
puisqu'elle  se  compose  d'environ  cinq  mille  personnes,  est  en  réalité  de- 
venue russe,  de  mœurs  et  de  langage.  On  remarque  l'absence  presque  com- 
plète de  femmes  dans  les  rues  d'Astrakhan.  A  cet  égard,  la  ville  slave  est 
encore  une  cité  de  l'Orient'. 

Astrakhan,  en  effet,  est  une  ville  ancienne,  car  elle  occupe,  près  des 
«  fourches  »  du  delta,  une  de  ces  positions  maîtresses  où  devait  néces- 
sairement se  fonder  un  entrepôt.  Il  est  vrai  que  cet  entrepôt  s'est  fréquem- 
ment déplacé  de  quelques  kilomètres  à  la  suite  des  guerres,  des  incendies, 
des  changements  de  cours  de  la  Volga.  C'est  à  la  tète  du  delta  que  se  trou- 
vait, pense-t-on,  Atel  ou  Itil,  le  Balangyar  des  Russes,  une  des  capitales  du 
royaume  des  Khazars,  et  désignée  en  effet  pendant  longtemps  par  ce  nom 
de  Khazar  dans  les  annales  des  Géorgiens;  c'est  aussi  là  que  s'éleva  Tzîtra 
khaiî,  qui  dcviiil  la  ca})itaK'  d'un  État  tarlare  conquis  par  les  Moscovites 
en  1557.  Iladji-Tarkhah  précéda,  sur  la  rive  droite  de  la  Volga,  la  ville 
d'Astrakhan,  bâtie  dans  une  ile  du  fleuve  entre  le  grand  bras  et  plusieurs 
coulées,  le  Koutoum,  la  Skarjinka,  la  Tzai-ovka,  la  Loukovka.  Jadis  elle  était 
bâtie  sur  «  sept  collines  »  ou  plutôt  sur  sept  tertres  naturels  ou  bougrî;  mais 
le  sol  du  rivage  s'est  peu  à  peu  raffermi  et  la  plupart  des  maisons  se  sont 
construites  au  bord  de  la  Volga,  dominées  par  les  divers  édifices  du  kremi, 

•  Commerce  extérieur  d'Aslrakhari  en  1880  : 

ExporUlion  :  2  •2('(7  000  roubles;  79  navires.  Imporlalion  :  2  500  000  roubles,  175  navires. 

Mouvement  du  port  eu  1882  :  1  2I551G  tonnes,  avec  les  petites  embarcations  : 

Commerce  avec  la  l'crse.    .    .  i  15  navires,  jaugeant.    .    .    .       17  200  tonnes. 

Cabotage 2  H5       i  i>       .  .    .    .     002400      ?> 

'  Lcgrellc,  Le  Yolga,  Hotcs  sur  la  Russie. 


778  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

cathédrale,  palais,  monastère,  casernes  :  c'est  de  l'un  d'eux  que,  lors  de 
la  prise  de  la  ville  par  Etienne  Razin,  fut  jeté  le  métropolitain.  Les  mina- 
rets des  mosquées,  se  dressant  çà  et  là  non  loin  des  églises,  s'entremêlent 
aux  coupoles  et  aux  bulbes  dorés,  et  les  canaux,  parsemés  d'embarca- 
tions, donnent  à  la  ville  un  aspect  plus  varié  que  celui  de  la  plupart  des 
autres  cités  russes'. 

STEPPES    DU    >ORD,     BASSIM    DE    l'oCRAL 

GOnVERXEMEST     d'oREXBOUKG,     ARMÉE    DE    l'oURAL 

Les  bassins  des  deux  Ouzen,  entre  la  Volga  et  l'Oural,  ont  aussi  leur 
métropole  commerciale,  Kovo-Ouzensk,  entourée  de  plantations  de  tabac  ; 
mais  le  grand  marché  de  l'orient  russe,  heureux  rival  d' Astrakhan,  est 
situé  sur  le  fleuve  Oural,  à  peu  près  vers  le  milieu  de  son  cours  et  au 
confluent  de  la  Sakmara  :  c'est  la  ville  d'Orenbourg.  Elle  ne  date  que  de 
l'année  1742.  En  1755  déjà,  les  Russes  avaient  élevé  une  forteresse  de  ce 
nom  au  confluent  de  l'Ora  et  de  l'Oural,  afin  de  surveiller  les  Kirghiz  et 
les  Rachkir,  contenus  au  nord  par  la  place  de  Yerkhne-Ouralsk,  située  vers 
les  sources  de  l'Oural  ;  mais,  la  fondation  de  la  «  Yille  de  l'Ora  »  ayant  paru 
menaçante  aux  indigènes,  la  guerre  éclata  et  les  Russes  crurent  bon  de 
changer  l'emplacement  d'Orenbourg  :  laissant  le  confluent  où  s'élève  de 
nos  jours  la  ville  d'Orsk,  ils  réédifièrent  la  citadelle  à  190  kilomètres, 
puis  à  75  kilomètres  plus  à  l'ouest,  tout  en  lui  laissant  son  nom  d'Oren- 
bourg, qui  pourtant  n'avait  plus  aucun  sens.  La  forteresse,  bâtie  sur  la 
haute  berge  du  fleuve,  c'est-à-dire  sur  la  rive  droite,  a  perdu  son  impor- 
tance stratégique  depuis  que  la  frontière  de  la  Russie  a  été  reportée  au 
delà  du  ïurkestan,  vers  les  hautes  montagnes  du  centre  de  l'Asie; 
mais  Orenbourg  a  pris  un  rùle  commercial  d'autant  plus  actif  :  dès  182G, 

"  Villes  de  la  basse  Volga  ayant  plus  de  5000  habitants  : 

GOUVERNEMENT    DE    SARATOT. 

Saralov    (1881) 108  820  liab. 

Vo.|;isk. .  51700     » 

Tzaiitzîn       «     . 20  750     x 

Khvalînsk     n 10  050     « 

Kaiiiîchin     u      13  750     » 

Doubovka     »     .......  15300     » 

GOU\KRSE.MENÏ    11' ASTRAKHAN. 

Astrakhan  (1880)  ......  57700  liab. 

.NikohycvskayaslohiHlii  (1880).  30  000     » 

Krasniylar  (issO).    .....  S2.")0     » 

Tsarev            " 8  100     » 


GOUVERNEMENT   DE   SIMBIRSK. 

Simbirsk  (1880) 50  600  hab. 

Sizran  » 2-4  500  " 

GOUVERNEMENT   DE    SAMARA. 

Samara  (1870)    .......       65100  hab 

l'okrovskiiya(*lobo(la)  (18791  .       20  000  .. 

Bougourouslan     »  "     .    .       18000  « 

«ouzoul'ouk  (1879) 10  500  .. 

Nikahivevsk     » 9900  » 


ORENBOURG,   OURALSK.  779 

plus  (le  dix  mille  chameaux  venus  do  Taclikeiit  et  d'autres  villes  du  Tur- 
kestan  apportaient  à  Orenbourg  du  coton  ot  d'autres  denrées,  et  rem- 
portaient en  Asie  des  produits  industriels.  C'est  à  Orenbourg  que  se 
(i'ouve  maintenant  la  tète  de  ligne  de  tout  le  réseau  européen;  jusqu'à 
Lisbonne  et  à  Cadiz  se  continue  la  voie  ferrée  de  7000  kilomètres  de  lon- 
gueur, destinée  à  se  continuer  prochainement  à  l'orient  par  le  «  Grand 
Central  Asiatique  »  :  le  tracé  de  ce  chemin  n'a  pas  encore  été  définitive- 
ment fixé  à  l'est  d'Orsk,  l'ancienne  Orenbourg.  Une  des  grandes  richesses 
du  district  d'Orenbourg  est  le  sel  :  les  salines  d'Ilotzkaya,  Zachtchita,  à 
72  kilomètres  au  sud,  sur  un  affluent  de  l'Oural,  fournissent  en  moyenne 
plus  de  20  000  tonnes  par  an  :  elles  pourraient  en  livrer  vingt  fois  plus, 
assez  pour  la  consommation  de  toute  la  Russie,  car  on  évalue  la  puissance 
de  la  couche  de  sel  gemme  à  plus  de  1600  millions  de  tonnes'.  Orenbourg 
est  le  siège  de  la  Société  des  naturalistes  de  l'Oural. 

La  ville  d'Ouralsk,  située  à  l'angle  brusque  formé  par  le  fleuve  Oural 
à  l'endroit  où  il  descend  directement  vers  le  midi,  est  le  chef-lieu  des 
Cosaques  de  l'Oural,  dont  le  territoire  s'étend  au  loin  à  l'est  du  fleuve, 
dans  les  pays  asiatiques.  Cette  ville  des  confins  de  l'Asie,  considérée 
administrativement  comme  en  dehors  de  l'Europe,  quoiqu'elle  se  trouve 
sur  la  rive  droite  du  fleuve,  se  distingue  des  autres  provinces  de  la  Russie 
proprement  dite  par  les  mœurs  de  ses  habitants  et  les  traditions  du  régime 
militaire.  Les  principales  industries  des  Cosaques  du  pays  sont  l'élève  des 
chevaux  et  la  pèche.  En  aval  d'Ouralsk,  ils  construisent  chaque  année  en 
travers  de  la  rivière  Oural  un  oïdchoug,  forte  palissade  qui  empêche  les 
poissons  de  la  Caspienne  de  remonter  le  fleuve  plus  avant  :  c'est  la  limite 
entre  les  eaux  libres  d'amont  où  tous  peuvent  pêcher,  Cosaques,  Bachkir 
ou  Kirghiz,  et  la  partie  d'aval  dont  les  eaux  appartiennent  à  la  nation 
cosaque;  des  postes  militaires  sont  échelonnés  de  distance  en  distance  le 
long  du  fleuve  pour  éloigner  les  braconniers  et  les  enfants  dont  les  cris 
pourraient  effrayer  le  poisson.  L'ataman  désigne  les  jours  et  les  lieux  de 
pèche  :  quand  le  moment  est  venu,  le  fleuve  se  couvre  soudain  de  Cosaques 
armés  de  harpons  et  d'autres  engins  :  alors  commence  la  tuerie  qui  doit 
fournir  à  la  nation  la  subsistance  de  l'année'. 

•  Murchison;  —  Neholsin;  —  Kôppen,  Industrie  minière  de  la  Russie  (en  russe). 
-  Villes  du  bassin  de  l'Oural  et  des  steppes  ayant  plus  de  5000  habitants  : 


COUVERSEMEST   D  ORENBOURG. 

Orenbourg  (  1885) ."jSOOO  bab. 

Orsk  (1880) 11550     '< 


GOUVERNKMKNT   DE   SA.MARA. 

Novo-Ouzensk  (1879) 9  700  hab. 

TERRITOIRB   DBS   COSAQl'ES   DE   l'oL'RAI.. 

Ouraisk(1880) 20  700  bub. 


'780  ^•OUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

Les  Cosaques  de  l'Oural  sont  venus  de  la  Grande  Russie  par  le  cours  de 
la  Volg:a.  Après  la  destruction  des  royaumes  tartarcs  de  Kazan  et  d'Astra- 
khan, la  basse  Volga  était  devenue  le  lieu  de  rendez-vous  d'hommes  de 
races  diverses,  quoique  Russes  en  grande  majorité,  qui  s'appelaient  «  les 
liommes  libres  »,  et  que  le  gouvernement  de  Moscou  désignait  du  nom  de 
«  brigands  cosaques  ».  Peu  à  peu  les  voïvodes  les  chassèrent  des  bords  de 
la  Volga  et,  tandis  que  les  uns  remontaient  au  nord  et  s'enfuyaient  en 
Sibérie  par  la  Kama,  les  autres,  s'embarquant  sur  la  Caspienne,  abor- 
dèrent dans  le  delta  du  Yayik.  Ils  détruisirent,  en  1580,  la  ville  nogaï  de 
Saraïtchik,  l'ancien  entrepôt  des  marchandises  génoises  expédiées  de 
Tana  dans  l'Asie  centrale,  et  fondèrent  plus  haut  sur  le  Yayik  leur  ville  de 
Yayitzk,  dont  Pallas  vit  encore  les  restes  en  1769.  Sans  maîtres  étrangers, 
ils  faisaient  pourtant  la  guerre  au  nom  du  tzar  de  Moscou  et  souvent  ils 
combattirent  ses  ennemis;  devanciers  des  Russes  actuels,  ils  occupèrent 
même  la  ville  de  Khiva  pendant  quelques  jours'.  Au  milieu  du  dix-sep- 
tième siècle,  le  gouvernement  de  Moscou,  désireux  de  contenir  les  turbu- 
lents Cosaques,  fit  bâtir  près  de  la  principale  bouche  du  Yayik  la  ville 
d'Oust  Yayitzk,  qui  prit  bientôt  après  le  nom  de  Gouryev,  d'après  le  mar- 
chand auquel  les  pêcheries  avaient  été  concédées,  et  peu  à  peu  les  Cosaques 
perdirent  leur  fière  indépendance;  de  sujets  nominaux,  ils  devinrent  sujets 
réels.  Les  «  hommes  libres  »  apprirent  à  connaître  les  verges  et  le  knout, 
le  gouvernement  d'Orenbourg  alla  jusqu'à  leur  défendre  de  porter  la  barbe, 
et  même  leur  manière  de  faire  le  signe  de  la  croix  fut  menacée.  Aussi 
les  Cosaques  du  Yayik  répondirent-ils  des  premiers  à  l'appel  de  Pougatchov, 
le  faux  tzar  «Pierre  III»,  qui  leur  promettait  «  la  croix  et  la  barbe,  les 
rivières  et  les  prairies,  l'argent  et  les  vivres,  le  plomb  et  la  poudre  et 
la  liberté  à  jamais  ».  Vaincus,  ils  perdirent  jusqu'à  leur  nom,  et  sur 
l'emplacement  de  la  ville  de  Yayitzk  s'éleva  l'Ouralsk  de  nos  jours;  on 
leur  enleva  le  droit  d'élire  leurs  chefs;  leur  kroiig,  «  cercle  »  ou  assemblée 
communale  fut  abolie,  et  ils  reçurent  du  tzar  un  vice-ataman,qui  depuis  1833 
n'est  pas  même  choisi  dans  le  sein  de  la  nation;  le  pouvoir  des  chefs  fui 
augmenté  aux  dépens  de  la  liberté  des  simples  Cosaques.  D'après  la  loi 
de  1874,  le  service  obligatoire  a  été  introduit  suivant  les  règlements 
russes,  tandis  qu'auparavant  la  communauté  envoyait  des  volontaires;  les 
mécontents  ont  été  exilés  en  Sibérie  et  dans  l'Asie  centrale. 

Jadis  les  eaux  et  les  terres  élaienl  considérées  comme  la  propriété  com- 
mune et  indivisible  de   toute  l'armée,  mais  ce  communisme  [irimitif,  qui 

'  llabmiii,  La  Cusuiiitcs  tic  t'Ourat. 


COSAQUES   DE  I/OURAL,  BASSIN   DU  DON'.  781 

existe  encore  en  théorie,  est  déjà  bien  modifié  par  l'effet  de  la  distinction 
des  classes.  Les  officiers  ont  droit  pour  leurs  troupeaux  à  une  récolte  de  foin 
supérieure  à  celle  des  autres  Cosaques,  et  leur  part  de  travail  peut  se  faire 
par  l'entremise  d'un  certain  nombre  de  salariés;  ils  s'attribuent  aussi  une 
forte  proportion  dans  le  produit  de  la  pêche  et  reçoivent  de  55  à  44  hectares 
de  terre,  tandis  que  les  autres  Cosaques  ont  seulement  la  moitié  de  cet 
espace'.  Sous  le  règne  de  Nicolas,  près  de  la  moitié  de  la  nation,  obéissant 
à  la  pression  administrative,  est  entrée  dans  l'union  orthodose  des  yedino- 
vcrlzî;  mais  ils  redeviennent  raskolniks,  etil  reste  encore  des  musulmans 
et  même  des  bouddhistes.  Ce  mélange  de  religions  correspond  à  un  grand 
mélange  de  races'. 


BASSIN     Dn     DO.N,    MER     D  AZOV 

COOVEnSEMEMS    DE     VOEONE/     ET     Dt     KHARKOV,     TERIIITOIRE     DE     l'.IIIMÉE     DO     DOV. 

Le  versant  de  la  mer  d'Azov  n'est  point  une  contrée  nettement  limitée 
par  des  frontières  naturelles  et  se  distinguant  des  autres  versants  par  le 
langage  ou  l'origine  de  sa  population.  Les  sources  du  Don  et  de  ses  hauts 
affluents  s'entremêlent  à  celles  des  tributaires  de  la  Volga  et  du  Dnepr; 
même  la  Medveditza  et  d'autres  rivières  qui  vont  s'unir  au  Don  longent 
la  Volga  à  une  faible  distance  en  offrant  dans  leur  cours  les  mêmes  acci- 
dents géologiques.  Terres  noires  et  steppes  nues  se  succèdent  du  nord  au 
sud  dans  la  vallée  du  Don  comme  dans  celles  du  Dnepr  et  du  Diieslr,  et 
la  population  s'y  distribue  de  la  même  manière,  de  moins  en  moins  dense 
suivant  la  diminution  de  fertilité  du  sol.  Au  nord  et  à  l'orient  les  Grands 
llussiens,  à  l'ouest  les  Petits  Russiens,  au  sud  des  colons  de  toute  race  et 
<le  toute  langue  comme  dans  la  Nouvelle-Russie,  peuplent  le  versant  de  la 
mer  d'Azov  et  font  de  la  contrée  un  territoire  commun  où  tons  les  habi- 
tants de  la  Russie,  à  l'exception  des  Finnois,  retrouvent  des  frères  d'ori- 
gine. La  popnlation  est  un  |»eu  moins  dense  dans  le  bassin  du  Don  que 
dans  celui  du  Diiepr  el  que  dans  la  Russie  centrale,  à  cause  de  la  grande 
étendue  (ju'y  occupent  les  steppes,  mais  elle  s'accitiil  ia]ii(lemeiit  d'année 

'  Rabinin,  oiivra;;o  cité;  —  Jeleziiov,  Les  Ouratien.i,  I. 

-  Terriloiiv  îles  Cosaipifs  de   TOural  :  Cosaquc^s.  en    ISSD  :  90  iOII  ,  non    Coi>a(|ues,   27  .".fiO. 
89  220  raskoluiks  I8870mahoinétans,  12:)0  liouddliistes. 


782  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

en  année  '.  Les  diverses  formations  géologiques  de  la  Russie  centrale, 
éocènes,  crétacées,  dévoniennes,  se  continuent  régulièrement  dans  le  bas- 
sin du  Don  ;  de  même,  la  zone  de  granit  qui  forme  les  «  seuils  »  du  Boug 
et  du  Dnepr  se  prolonge  au  sud-est  jusque  dans  le  voisinage  de  la  mer 
d'Azov;  mais  la  contrée  possède  en  outre  de  vastes  terrains  houillcrs,  qui 
lui  donnent  une  importance  exceptionnelle  dans  l'industrie  et  qui  ne  man- 
queront pas  d'attirer  vers  les  rives  du  Dohetz  une  population  considérable. 
Le  Don,  dans  le  nom  duquel  se  retrouve  probablement  le  radical  de 
l'appellation  grecque  de  Tanaïs,  est,  sinon  par  l'abondance  des  eaux, 
du  moins  })ar  la  longueur  du  cours,  un  des  grands  fleuves  de  l'Europe  : 
avec  ses  détours,  il  a  1810  kilomètres  de  longueur.  Né  dans  un  petit  lac 
du  gouvernement  de  Toula,  il  coule  d'abord  au  sud,  puis,  après  s'être 
uni  à  la  rivière  presque  parallèle  du  Voronej,  il  serpente  vers  le  sud-est, 
et  même  vers  l'est,  comme  s'il  allait  se  jeter  dans  la  Volga.  Grossi  des 
fortes  rivières  Khopor  et  Medveditza,  il  arrive  à  75  kilomètres  du  grand 
tributaire  de  la  Caspienne,  au-dessus  duquel  son  niveau  moyen  est  élevé 
de  i'2  mètres.  Ses  deux  rives  ont,  comme  celles  de  la  Volga,  la  forme  nor- 
male, c'est-à-dire  que  la  berge  de  droite  est  élevée,  tandis  qu'à  gaucbe 
s'étendent  des  espaces  déjà  nivelés  par  les  eaux.  Ainsi  le  Don  coule,  pour 
ainsi  dire,  sur  une  sorte  de  terrasse  pareille  à  un  degré  d'escalier,  elles 
falaises  occidentales  semltleraient  devoir  le  rejeter  vers  le  fleuve  inférieur  : 
cependant  il  fait  un  brusque  contour  pour  descendre  au  sud,  puis  au  sud- 
ouest  et  à  l'ouest  vers  la  mer  d'Azov.  Au  point  de  me  du  commerce,  le 
Don  prolonge  réellement  le  cours  de  la  Volga.  Descendant  vers  une  mer 
•pii,  par  les  quatre  détroits  de  Yeni-Kaleh,  du  Bosphore,  des  Dardanelles, 
de  Gibraltar,  s'ouvre  sur  l'Océan,  le  Don  a  sur  la  Volga  l'avantage 
immense  de  ne  pas  se  perdre  dans  un  bassin  fermé.  Aussi  la  plupart  des 
marchandises  qui  descendent  le  cours  de  la  Volga  sont-elles  débarquées 
au  coude  le  plus  rapproché  du  Don  et  dirigées  sur  ce  fleuve.  Déjà  le 
sultan  Sclim  II,  assiégeant  Astrakhan,  avait  essayé  de  creuser  un  canal 
entre  les  deux  fleuves  pour  amener  dans  la  Caspienne  son  matériel  de 
guerre;  Pierre  le  Grand  reprit  les  travaux  du  canal  qui  devait  réunir  les 
deux  cours  d'eau,  mais  l'entreprise  fut  abandonnée,  et  jusqu'au  milieu  de 

'  Trois  gouvernements   dont   les  limites  concordent  ap|)i'oxim,ilivement     avec  celles  du  Iiassin 
(lu  Dou  : 

Superficie.                        Population  en  I8S1.  l'opvil.  kilomtlr. 

Voioihj. 05  81)1  kil.  car.                2  iOl '.)00  hab.  ;W  liai. 

Kliaikov ôit'.ll        i                       2160  250     «  59     •■ 

Terril,  de  l'année  du  lluii.     lf>0277       ■>                      1421800     »  0     » 


En>eMdde 280 GC5  kil.  car.  5  986050  liai).  21  hab. 


i  M  fi 


ISTHME  ENTRE  DON  ET  VOLGA. 


785 


notre  siècle  le  portage  ne  fut  traversé  que  par  des  convois  d'animaux  et  de 
chars  :  depuis  1861,  la  Volga  se  continue  vers  le  Don  par  un  chemin  de 
fer.  La  première  ligne,  simple  voie  ferrée  pour  la  traction  des  marchandises 
par  la  force  des  chevaux,  a  été  remplacée  par  deux  voies  à  locomotives. 

Les  inégalités  de  portée  du  Don,  telle  a  été  la  raison  qui  a  jusqu'à  main- 
tenant empêché  le  creusement  d'un  grand  canal  de  navigation  à  travers 


s*    t69.    I5THME    ENTBE    DON    ET    VOLGA. 


l'istlinii'  qui  sépare  les  deux  fleuves.  Sans  doute  la  masse  d'eau  que  roulfe 
le  Don  est  assez  considérable  en  moyenne  pour  alimenter  un  canal,  puis- 
qu'elle est  évaluée  par  Beleloubskiy  à  245  mètres  cubes  à  la  seconde  ;  mais 
les  écarts  sont  très  forts  entre  les  basses  eaux  et  les  crues'.  Libre  de 
glaces  pendant  240  jours  environ  ;'i  son  méandre  oriental,  le  Don  est  quel- 
quefois tellement  bas  et  parsemé  de  bancs  de  sable-.quc  la  navigation  s'y 


'  Portée  de  crue  du  Don,  à  Rostov  :  10  405  mètres  cuhcs. 


9» 


180 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


fait  à  prand'peinc  par  de  petits  bateaux  à  fond  plat  :  pendant  les  deux  crues, 
—  le  débordement  «  froid  »,  qui  accompagne  la  débâcle,  et  le  débordement 
c  tiède  »,  —  qui  a  lieu  pendant  les  pluies  d'été,  le  Don  inférieur,  gonflé 
par  les  «  eaux  russes  »,  monte  de  5  à  6  mètres  au-dessus  du  niveau  moyen 
et  recouvre  tous  les  fonds  de  sa  vallée  ;  en  plusieurs  endroits  il  a  50  kilo- 
mètres  de  largeur  :  c'est 

N-  ,70.  -  ov„.Gi  nr  n..™s  n.ssÉcnÉs  daxs  la  v.u,,.ée  .r  don.  y,,^      ^^^^,     ^^     mOUVCment 

dont  on  ne  voit  pas  les 
rives'.  Le  Don  a  par  ses 
écarts  un  régime  presque 
torrentiel  :  tour  à  tour  il 
déborde  sans  mesure  et 
s'appauvrit.  Un  certain 
nombre  de  ses  affluents  se 
dessècbent  même  complè- 
tement en  été.  Quoique 
dans  le  continent  d'Europe 
les  vallées  et  les  ovragî 
ou  ravins  de  cette  par- 
tie de  la  Russie  méridio- 
nale présentent  exacte- 
ment le  même  caractère 
que  les  ouadis  de  certaines 
contrées  sèches  de  l'Asie  et 
de  l'Afrique,  les  rivières 
des  ovragî  y  sont  divisées 
en  «  sèches  »  et  en  «  hu- 
mides »,  et  celles-ci  même 
ne   sont   pour   la    plupart 

„,,  que    des    ruisseaux    dont 

l'eau  se  fraie  péniblement 
un  chemin  dans  le  sol  argileux.  Néanmoins  les  puits  creusés  de  50  à 
80  mètres  de  profondeur  fournissent  partout  en  abondance  une  eau  de 
bonne  qualité'.  Depuis  que  la  Russie  centrale  et  les  régions  boisées  de  la 
Russie  méridionale  ont  été  sur  de  vastes  étendues  dépouillées  de  leur 
verdure,  ces  écarts    de    portée  se  sont  accrus;  peut-être  aussi  le  climat 

'  Pavlovitcli,  Matériaux  pour  la  géoijraphic  et  la  slcilistique  de  ht   Russie,  Gouvernement  de 
Yehalerinoslav  (en  russe). 
"  Von  Ilelmciscn,  Bulletin  de  l' Académie  des  sciences  de  Saint-Pélersbour;].  lonie  VIII,  1865. 


DON  ET  DONEÏZ.  787 

est-il  devenu  plus  sec,  comme  plus  à  l'ouest,  dans  les  bassins  du  Di'iepr  et 
du  Danube,  et  à  l'orient  dans  les  bassins  de  l'Oural,  de  l'Emba,  du  Sîr  et 
de  l'Amou.  Il  est  certain  que  le  Donetz  ou  petit  Don,  qui  coule  parallèle- 
ment au  fleuve  principal  du  côté  de  l'ouest  et  du  sud,  était  navigable  au 
dix-septième  siècle  et  pendant  la  première  moitié  du  dix-huitième;  les  em- 
barcations en  remontaient  le  cours  sur  un  espace  de  plusieurs  centaines  de 
kilomètres;  maintenant  une  navigation  précaire  ne  peut  avoir  lieu  que 
dans  le  cours  inférieur  de  la  rivière,  et  seulement  pendant  les  inon- 
dations ;  en  temps  ordinaire,  sa  largeur  est  en  quelques  endroits  réduite 
à  20  mètres,  et  pourtant  le  Donetz  n'a  pas  moins  de  990  kilomètres 
de  développement.  On  lui  donne  le  nom  de  Doiïetz  du  Nord  {S'everniy 
Donetz),  quoiqu'il  n'y  ait  point  de  Donetz  du  Sud,  si  ce  n'est  un  bras 
du  Don  inléiieur,  dans  le  delta.  Au  sud  du  Donetz,  la  steppe  est  dans 
toute  sa  nudité;  elle  n'a  plus  de  bois,  on  n'y  voit  même  pas  les  bos- 
quets de  petits  chênes  et  de  poiriers  sauvages  qui  croissent  au  nord  dans 
les  endroits  abrités.  Les  prairies  proprement  dites  manquent  aussi  :  au 
lieu  de  former  des  tapis  de  gazon,  les  herbes  poussent  en  touffes  espacées. 
C'est  là  que  les  bonrancs  ou  tempêtes  d'hiver,  ne  rencontrant  aucun 
obstacle,  soufflent  dans  toute  leur  fureur;  ce  sont  par  excellence  les  metet', 
ainsi  nommés  d'un  radical  ayant  le  sens  de  «  balai  »,  afin  d'exprimer 
ainsi  la  violence  formidable  du  vent  qui  nettoie  la  surface  de  la  steppe  et 
qui  souvent  poussa  des  troupeaux  entiers  dans  les  eaux  de  la  mer  d'Azov 
ou  du  Sivach. 

La  plus  importante,  mais  non  la  plus  vaste  région  houillère  de  la  Russie, 
s'étend  sur  un  espace  d'environ  25  000  kilomètres  carrés  dans  le  bassin 
du  Doiielz  cl  principalement  dans  sa  partie  méridionale.  Dès  l'année  18G5 
on  y  avait  trouvé  à  une  faible  profondeur  près  de  650  couches  de  charbon, 
ayant  une  puissance  moyenne  de  50  centimètres'  et  même  en  certains 
endroits  de  7  mètres  d'épaisseur,  consistant  en  combustible  de  toutes  les 
qualités,  depuis  l'anthracite  presque  pur  jusqu'à  la  houille  grasse.  Les 
ravins,  qui  découpent  le  territoire  par  leurs  innombrables  tranchées,  per- 
mettent d'étudier  la  formation  de  ces  couches  et  facilitent  le  travail  des 
mineurs.  Signalés  pour  la  première  fois  par  l'ingénieur  Olivieri  en  1829, 
puis  explorés  avec  soin  par  M.  Le  Play'  en  1857,  les  gisements  de  charbon 
du  Doi'ietz  restèrent  longtemps  inutilisés;  pendant  la  guerre  de  Crimée, 
les  Russes,  privés  du  combustible  anglais,  n'avaient  pas  même  l'outillage 


'  Von  Ilolmcrscn,  nuvrapc  citij. 

-  Voijatje  dans  la  Russie  méridionale  cl  la  Crimée,  tome  IV. 


788 


KOUVELLE'GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE 


nécessaire  pour  se  procurer  la  houille  qu'ils  possèdent  en  abondance  dans 
le  voisinage  immédiat  de  la  mer  d'Azov.  Bien  plus,  quoique  le  minerai  de 
fer  existe  en  grande  quantité  dans  le  bassin  houiller  du  Doiielz,  les  usines 
métallurgiques  y  traitaient  uniquement  le  minerai  de  l'Oural,  et  c'est  de 
Petrozavodsk,  de  Perrii,  sur  les  contins  des  solitudes  du  nord,  que  le  gou- 
vernement faisait  venir  les  canons  et  les  boulets.  Encore  de  nos  jours,  les 
paysans  de  la  contrée  houillère  chauffent  leurs  cabanes  avec  des  excré- 
ments de  bestiaux  et  de  la  paille,  au  lieu  d'employer  le  charbon  que 
recèle  la  terre  aux  alentours  de  leurs  villages.  Depuis  la  guerre  de 
Grimée,  la  production  du  charbon  et  celle  du  fer  n'ont  cessé  d'augmenter 

dans  le  bassin  du  DoAetz: 
x-  ni.  —  BASSIN  I1U11L1.ER  1.1  DoxETz.  Qn  1839,   cllc  uc  dépassalt 

guère  14  000  tonnes,  tan- 
dis que  de  nos  jours  un 
seul  groupe  de  mines,  celui 
de  Grouchovka,  en  fournit 
une  quantité  quinze  fois  plus 
considérable,  grâce  aux  che- 
mins de  fer  qui  traversent 
le  district,  et  au  voisinage 
des  villes  de  Novo-Tcherkask, 
de  Rostov,  de  Taganrog'. 
Les  bateaux  à  vapeur  du 
Don,  de  la  ukm-  d'Azov,  delà 
mer  Noire  utilisent  la  houille 
du  Donelz. 
Réduite  en  étendue  par  les  révolutions  terrestres  qui  l'ont  séparée  de  la 
Caspienne,  la  nappe  d'eau  à  laquelle  on  donne  le  nom  de  «  mer  »  d'Azov 
a  diminue  encore  pendant  les  temps  préhistoriques,  beaucoup  moins  toute- 
fois qu'on  ne  serait  disposé  à  le  croire  d'après  les  traditions.  Hérodote 
dit,  il  est  vrai,  que  le  Palus  Mteotide  avait  une  superficie  presque  égale 
à  celle  du  Pont-Euxin  ;  mais  dès  que  les  marins  grecs  eurent  parcouru  cette 
mer  intérieure  et  qu'ils  curent  établi  des  colonies  sur  ses  bords,  ils  se  ren- 
dirent compte  de  la  faible  étendue  du  golfe  relativement  à  la  mer  libre, 
et  munie  la  plupart  des  auteurs  grecs  paraissent  avoir  exagéré  la  nature 
marécageuse  d'une  partie  du  bassin.  Ne  prétendit-on  pas,  lors  de  l'invasion 
des  barbares,  que   les  Iluns  avaient  pu   traverser  cette  nier  en  suivant 


1  :  5  OjO  000 


Production  des  i'J'i  mmes  de  charbon  du  Doik^Iz  pu  1883  •  i  OJOOOU  tonnes. 


DON  ET  DONETZ.  789 

uuo  biche  qui  vint  aborder  aux  côtes  de  Crimée  en  passant  à  gué,  puis  en 
traversant  un  étroit  canal  à  la  nage?  Même  l'historien  Zosime  affirme  qu'à 
cette  époque  le  Bosphore  Cimmérien,  aujourd'hui  le  détroit  de  Kertcli, 
était  devenu  terre  ferme.  Cependant  il  est  certain  que  la  mer  Msotide 
était  il  y  a  quinze  cents  ans  un  peu  plus  vaste  et  plus  profonde  qu'elle 
ne  l'est  de  nos  jours  :  les  alluvions  du  Don  ont  rétréci  le  bassin  et  en 
ont  exhaussé  les  fonds.  Le  profil  du  delta  a  complètement  changé  et  les 
descriptions  que  donne  Strabon  ne  s'appliquent  en  rien  à  la  forme  actuelle 
des  rivages  '. 

La  ville  de  Tanaïs,  que  les  Grecs  avaient  fondée  à  la  bouche  même  du 
Don,  et  qui,  aux  temps  de  Ptolémée,  se  trouvait  déjà  à  quelque  distance 
de  la  mer,  a  cessé  d'exister;  mais,  grâce  à  des  fragments  d'architecture 
et  à  des  inscriptions,  Leontyev  a  pu  reconnaître,  entre  Siiiavka  et  le 
village  de  Nedvigovka  ou  «  khoutor  Nedvigovskiy  »,  l'emplacement  occupé 
jadis  par  la  ville  commerçante  :  ce  lieu  est  maintenant  à  près  de  10  kilo- 
mètres de  l'ancienne  embouchure  du  grand  Don,  changé  en  un  bras  mort 
{m'orlùy  Dohetz).  Le  cours  principal  du  fleuve  s'est  porté  vers  le  sud,  et 
c'est  au  bord  de  ce  nouveau  courant  qu'est  la  ville  d'Azov,  jadis  héri- 
tière de  Tanaïs  en  importance  stratégique  et  commerciale.  Là  où  les  eaux 
coulent  en  plus  grande  abondance,  là  aussi  les  alluvions  empiètent  sur  la 
mer  en  quantités  plus  considérables.  On  peut  même  s'étonner  que  le  flot  du 
Don,  chargé  du  sable  des  steppes",  n'allonge  pas  le  delta  plus  rapidement  : 
on  attribue  cette  lenteur  relative  du  phénomène  de  comblement  aux  vents 
de  tempête  qui  soufflent  pendant  une  si  grande  partie  de  l'année  des 
régions  de  l'est  et  du  nord-est'.  La  houle  se  forme  dans  le  voisinage  même 
des  rivages,  et  les  alluvions  encore  suspendues  dans  l'eau,  même  des  lam- 
beaux de  terre  déjà  déposée  et  de  vastes  bancs  de  vase,  sont  entraînés  au 
large  et  reportés  au  loin  sur  les  rivages.  Le  travail  du  Don  consiste  ainsi 
beaucoup  plus  à  hausser  les  fonds  qu'à  élever  des  îles  et  à  prolonger  des 
péninsules.  D'après  von  Ilelmersen,  les  progrès  annuels  du  Don  seraient 
au  i)lus  de  O^jTO  en  moyenne*. 

L'extrémité  orientale  de  la  mer  d'Azov,  c'est-à-dire  le  golfe  de  150  kilo- 
mètres de    longueur   que   l'on    appelle   spécialement   rade   de   Taganrog, 

'  Soukhomlin,  Pilote  de  la  mer  d'Azov  (en  russe);  —  Borisak,  Élude  géotogiqiic-hijdrogrciphique 
du  Don  inférieur  (en  russe). 

-  Proportion  moyenne  des  apports 11200  de  l'eau. 

Quantité  annuelle  »         6  517  000  mètres  cubes. 

^  Vessetovskiy,  Du  climat  de  la  Russie  (en  russe). 

♦  Bulletin  de  l'Académie  des  sciences  de  Pélersbourg,  XI,  n*  4. 


790 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


peut  être  considérée  dans  son  entier  comme  le  simple  prolongement  du 
Don,  à  la  fois  par  ses  eaux  douces,  par  son  courant,  par  les  sinuosités 
de  son  chenal  de  navigation,  semblables  aux  méandres  d'un  fleuve.  L'en- 
semble de  ce  golfe,  où  la  plus  grande  profondeur  est  de  7  mètres  et  demi, 
mais  qui  n'offre  en  moyenne  que  5  à  4  mètres  aux  navires,  paraît 
avoir  diminué  d'environ  un  demi-mètre  depuis  que  les  premières  cartes 
marines  ont  été  dressées,  sous  Pierre  le  Grand  ;  mais  il  est  difficile  de 
comparer  les  sondages  faits  à  différentes  époques  dans  le  bassin  principal 


N"    t'î.    DELTA    DU    DON. 


td-P 


de  la  mer  d'Azov,  car  ce  n'est  pas  aux  mêmes  endroits  qu'ont  été  jetés 
les  instruments  et  l'on  ne  sait  pas  même  exactement  quels  «  pieds  »  ont 
servi  de  mesure  aux  premiers  sondeurs.  Ils  auraient  dû  aussi  noter  exac- 
tement l'étal  du  temps  et  surtout  la  direction  des  vents  pendant  les  opéra- 
tions, le  niveau  de  la  mer  changeant  quelquefois  de  plusieurs  mètres  sous 
l'influence  du  courant  et  de  la  pression  atmosphériques,  ainsi  que  par  le 
balancement  des  seiches  :  en  septembre  1850,  le  marin  Soukhomlin  aurait 
constaté  un  abaissement  de  5  mètres  sur  les  côtes  orientales,  et  de  nom- 
breux navires,  dont  l'équipage  voguait  en  sûreté  loin  des  rivages,  se  trou- 


r.IVrron.   d;.|.PP»  Ir»  (  ..ili-s  ili    ri'.l..l-M.....i     ,1  ,(,    !„    M 


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*il>OW 


DELTA  DU  DON.  MER  D'AZOV.  791 

vèrent  tout  à  coup  immobiles  sur  lo  fond;  en  de  pareilles  occasions,  le 
niveau  du  Don  peut  se  trouver  plus  bas  que  celui  de  la  mer  '.  Au  mois  de 
novembre  de  l'année  précédente,  le  phénomène  inverse  fut  observé  devant 
Taganrog  :  là,  sous  l'influence  d'un  vent  furieux  du  sud-ouest,  le  gonfle- 
ment de  l'eau  n'aurait  pas  été  moindre  de  cinq  mètres  et  demi.  Le  fond  de 
la  mer  d'Azov  a  dû  s'exhausser  légèrement  depuis  le  temps  des  Grecs,  bien 
que  les  mesures  données  par  Polybe,  cinq  et  sept  orgyes,  correspondent  à 
peu  près  aux  sondages  récents  pour  la  plus  grande  étendue  du  bassin  : 
la  profondeur  moyenne  de  la  mer  d'Azov  est  d'environ  10  mètres,  ce  qui, 
pour  une  surface  de  56  8"22  kilomètres  carrés,  donne  une  contenance  appro- 
ximative de  568  milliards  de  mètres  cubes  ou  de  568  kilomètres  cubes, 
à  peu  près  quatre  fois  le  lac  de  Genève.  La  profondeur  la  plus  considé- 
rable trouvée  par  la  sonde  dans  la  mer  d'Azov,  en  1854,  a  été  de  15"", 40, 
tandis  qu'en  1805  elle  avait  été  de  14"", 60.  Cette  différence  provient 
peut-être  de  circonstances  locales  ou  temporaires,  car  il  n'est  pas  admis- 
sible que  le  comblement  ait  pu  se  faire  avec  une  pareille  rapidité  pendant 
le  cours  d'un  demi-siècle.  Le  fond  de  la  mer,  composé  de  sable  argileux 
comme  le  sol  des  steppes  et  ne  contenant  pas  un  seul  rocher,  se  revêt 
avec  une  extrême  lenteur  de  straticules  nouvelles  où  les  matières  orga- 
niques se  mêlent  aux  débris  sableux  des  rivages.  Si  des  apports  du  Don 
n'étaient  pas  entraînés  dans  la  mer  Noire,  celle  d'Azov  serait  complètement 
comblée  dans  l'espace  de  56  500  ans. 

S'il  est  difficile  de  constater  le  dépôt  des  alluvions  sur  le  fond  du  bassin 
d'Azov,  on  a  pu  le  faire  sans  peine  autour  des  kosî,  c'est-à-dire  des  pénin- 
sules en  forme  de  cornes  recourbées  qui  s'enracinent  à  la  côte  calcaire, 
pleine  de  fossiles,  et  qui  s'avancent  au  loin  dans  les  eaux.  Plusieurs  caps 
se  terminent  par  ces  flèches  bizarres  de  sables  mouvants  et  de  coquillages 
brisés*,  diversement  inclinées  suivant  la  direction  moyenne  des  vents  et 
des  courants;  mais  sur  la  rive  septentrionale  de  la  mer  on  voit  se  suc- 
céder avec  une  singulière  régularité  cinq  de  ces  pointes,  toutes  recourbées 
vers  le  sud-ouest  avec  une  ondulation  rythmique,  toutes  armées  sur  leur 
face  occidentale  de  petits  hameçons  latéraux"  et  se  succédant  de  l'est  à 
l'ouest  par  ordre  de  grandeur  :  à  l'exception  d'une  seule,  oii  le  courant 
d'une  rivière  vient  troubler  le  régime  des  dépôts,  les  kosî  de  la  côte  du 
nord  sont  aussi  beaucoup  plus  brusques  sur  leur  rive  orientale,  et  s'ap- 
puient à  l'ouest  sur  de  vastes  bas-fonds  :  les  eaux  qui  viennent  frapper  la 

'  Borisak,  ouvrage  cité. 

'  Von  llelmersoii,  Bulletin  de  l'Académie  des  sciences  de  Saint-Pétersbourg,  lomc  VII,  1801. 

-  Von  Ilelmcrsen,  niOmc  recueil,  tuine  XI,  I8C7. 


79-2  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

côte  développent  toutes  suivant  une  courbe  semblable  leur  ondulation  semi- 
circulaire,  d'une  flèche  à  l'autre  flèche,  avec  un  circuit  d'autant  plus 
grand  que  le  bassin  maritime  a  plus  de  largeur  et  que  les  vagues  y  reçoi- 
vent une  force  d'impulsion  plus  considérable.  C'est  dans  le  voisinage  de 
ces  pointes,  où  viennent  se  déposer  les  troubles  en  suspension  dans  le 
courant,  que  l'on  a  constaté  les  changements  de  relief  les  plus  rapides  : 
toutes  les  flèches  se  sont  allongées  et  les  fonds  qui  les  entourent  se  sont 
régulièrement  élevés  de  plusieurs  décimètres  ou  même  d'un  mètre  depuis 
le  commencement  du  siècle  '.  Ainsi  le  comblement  de  la  mer  d'Azov,  dans 
laquelle  Strabon  ne  voyait  déjà  qu'une  sorte  d'expansion  du  Don,  se 
continue  de  siècle  en  siècle  d'une  manière  appréciable,  mais  non  assez 
vite  pour  qu'il  soit  possible  d'évaluer  la  durée  probable  de  cette  mer 
intérieure,  en  supposant  que  des  oscillations  locales  ne  viennent  pas 
modifier  le  niveau  relatif  des  rivages  et  des  eaux.  Ainsi  que  l'a  dit  Aris- 
tole  en  parlant  précisément  de  ce  comblement  futur  du  Palus  Mœotide, 
«  tous  les  peuples  disparaîtront  peut-être  avant  que  ce  changement  soit 
accompli  jusqu'à  la  fin  ». 

La  masse  liquide  apportée  par  le  Don  est  de  beaucoup  supérieure  à  celle 
qui  s'évapore  de  la  mer  d'Azov  :  aussi  le  golfe  entier  peut-il  être  considéré 
comme  la  continuation  marine  du  fleuve  et  lui-même  est-il  un  affluent  du 
Pont-Euxin  :  ses  eaux  troubles,  qui  lui  ont  peut-être  fait  donner  le  nom  de 
«  mer  Bleue  »  par  lequel  la  connaissaient  les  Arabes  et  les  anciens  Russes, 
s'épanchent  par  le  détroit  de  Kertch  avec  une  force  considérable,  dont  les 
navires  ont  parfois  de  la  peine  à  triompher.  Par  la  nature  de  ses  eaux,  le 
golfe  Mieotide  est  fleuve  et  mer  à  la  fois.  Dans  la  rade  de  Taganrog,  l'eau 
est  complètement  douce  et  les  marins  en  font  la  provision  de  leurs  na- 
vires ;  sur  toute  la  côte  occidentale,  les  bestiaux  vont  s'abreuver  dans  la 
mer,  tandis  que  vers  le  milieu  du  bassin  l'eau  est  déjà  saline,  quoique 
en  moindre  proportion  (|ue  la  mer  Noire ^  Mais  à  l'ouest  de  la  mer  d'Azov 
s'étendent,  entre  le  plateau  des  steppes  russes  et  la  péninsule  de  Crimée, 
les  vastes  marécages  du  Sivach,  dont  l'eau  s'évapore  sous  l'action  du 
soleil  et  des  vents  et  qui  mérite  vraiment  son  nom  de  «  mer  Putride  » 
en  été  et  en  automne.  Ces  étangs,  ne  recevant  guère  d'eau  douce  que  par 
l(!s  pluies,  ont  une  Iciicur  moyeime  en  sel  beaucoup  plus  considérable 
(pie  la  mer  d'Azov,  cl   niêiiie  (pirlipies  mares  latérales,  qui  se  dessèchent 

'  Von  ISacr,  même  ipciipil,  mmi;  V,  1805. 

^  Poids  8Poci(i(|iic  ili;  l'eau  lie  la  inor  d'Azov 1,0097 

»  •  »  n      Noire 1,01305 

(Gu'ln'l,  licisrii  in  dcn  Stcppcn  des  sudlichcn  Kiisslcinds.) 


MER  D'AZOV,   SIV.VCII. 


795 


on  élé  dans  les  sables,  laissent  à  leur  place  des  couches  de  sel  cristallin, 
mélangé  de  terre. 

Le  Sivach  n'est  accessible  aux  bateaux  plats  que  dans  sa  partie  septen- 
trionale :  à  cet  éjj^ard,  il  n'a  point  changé  depuis  le  temps  de  Strabon. 
Les  vents  qui  soufflent  de  part  et  d'autre  changent  incessamment  la  con- 
liguration  des  étangs,  emplissant  les  uns,  vidant  les  autres,  et  le  remblai 


LritOIT    I>F,    MMKM.I 


E», 


D'après  la  Marine  f 


Pro^onafeur's 


\    .  SOOOOil 


du  chemin  de  fer,  qu'on  a  jeté  rc'conimcnt  à  travers  toute  cette  région 
de  terres  incertaines,  a  servi  de  ligne  d'appui  à  de  nombreux  alterrisse- 
ments  où  l'on  a  établi  des  salines  très  productives',  fournissant  à  peu  près 

'  l'ioductioii  dos  saliiios  (le  la  (jiini'c  en  187i 242  228  tonnes. 

.,  n  ,.  1875 04  878       n 

1)  ,.  1876. 198  057       » 

»  ^  1879 200  000       ). 


796 


NOUVELLE    GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


la  moitié  de  tout  le  sel  consommé  dans  l'empire';  suivant  les  besoins  de 
la  vcnlc,  le  gouvernement  fait  extraire  des  lacs  de  100  000  à  près  de 
400  000  tonnes  de  sel  par  an.  Le  Sivach,  lui-même  si  peu  régulier  dans 
ses  contours,  est  séparé  de  la  mer  d'Azov  par  une  flèche  d'une  régularité 

remarquable,    dont    le  profil 

K°  ns.  -  i>Éino!T  DE  GRMTCHESK.  j^.çj.(    j^,,^  flioins  Hct  qUC  CCUX 

des  kosî.  Cette  flèche,  dési- 
gnée sous  le  nom  d'Arabat, 
d'après  le  petit  port  de  son 
extrémité  méi'idionale ,  n'a 
pas  moins  de  115  kilomètres 
de  longueur  sur  une  largeur 
variable  de  1600  à  5500  mè- 
tres; elle  est  presque  entiè- 
rement composée  de  sable 
que  les  vents  et  les  vagues 
ont  distribué  suivant  des  ali- 
gnements réguliers,  mais  elle 
comprend  aussi,  principale- 
ment au  nord,  des  massifs 
d'argile  et  de  roches  calcaires 
qui  ont  servi  de  piliers  à  la 
levée  sableuse  déposée  d'une 
rive  à  l'autre.  Un  seul  grau 
fait  communiquer  actuelle- 
ment la  mer  Putride  avec  la 
mer  d'x\.7.ov  :  ouvert  à  l'extré- 
mité septentrionale  de  la  flè- 
che, devant  le  bourg  de  Geni- 
fchesk,  il  change  de  largeur 
suivant  la  direction  des  vents 

1  :  âôO  000  .111 

—  '  et  les  apports  des  sables,  qui 

viennent  tantôt  de  la  mer 
d'Azov,  tantôt  du  Sivach,  suivant  les  courants.  En  1860,  la  largeur  du 
canal,  au  grau  de  Genitchesk,  était  de  157  mètres  seulement.  Sirabon 
parle  d'une  large  ouverture.  Évidemment  la  forme  de  la  flèche  a  changé 
depuis  son  temps. 


c^e-S/r?  ti-tau-c^e/^^ 


Iliissisrlie  Hevuc.  n'  IL 


MER  D'AZOV,  DETROIT  DE  YENI-KALEII.  797 

On  peut  tlire  que  le  fleuve  de  sortie  qui  s'échappe  de  la  mer  d'Azov  par 
le  détroit  de  Yeni-KaJeh  a  sa  barre  comme  tous  les  autres  courants  flu- 
viaux qui  viennent  heurter  leurs  eaux  contre  celles  de  la  haute  mer.  Le 
seuil  du  détroit  a  seulement  4"", 25  en  moyenne;  mais  au  sud  de  cette 
barre  le  lit  marin,  appartenant  déjà  au  bassin  de  la  mer  Noire,  s'appro- 
fondit rapidement  :  la  sonde  trouve  près  de  20  mètres  sur  le  prolonge- 
ment de  la  ligne  formée  par  la  côte  méridionale  de  la  Crimée.  Au  sud  du 
détroit,  les  profondeurs  augmentent  très  régulièrement  jusqu'à  la  fosse 
de  1868  mètres  qu'on  a  trouvée  entre  Kerlch  et  Soukhoum-Kaleh,  en  explo- 
rant les  fonds  marins  pour  la  pose  d'un  câble  télégraphique'.  En  moyenne, 
le  détroit  est  fermé  chaque  sixième  année  par  les  glaces.  Le  courant  sorti 
de  la  mer  d'Azov  se  perd  dans  le  mouvement  général  des  eaux  de  la  mer 
iS'oire.  A  l'ouest  du  détroit  de  Yeni-Kaleh  et  du  littoral  de  la  Crimée,  le 
courant  littoral  du  Pont-Euxin  s'accroît  des  eaux  que  lui  apportent  le 
Driepr,  le  Boug,  le  Dnestr,  le  Danube.  Allégé  par  le  courant  de  sortie  qui 
s'échappe  du  Bosphore,  le  fleuve  maritime  se  recourbe  vers  l'est  pour  suivre 
les  côtes  de  l'Anatolie  et  recommencer  au  delà  de  Batoum  le  circuit  de  la 
mer  Noire.  La  vitesse  du  courant  varie  de  900  à  2700  mètres  par  heure,  et 
s'accroît  ou  diminue  suivant  la  direction  des  vents'. 

La  faune  de  la  mer  d'Azov  et  du  Pont-Euxin  fournit,  aussi  bien  que 
l'étude  des  terrains  émergés,  la  preuve  de  l'ancienne  union  des  deux  bas- 
sins de  la  mer  Noire  et  de  la  Caspienne  en  une  même  étendue  maritime. 
En  effet,  les  poissons  voyageurs  et  ceux  qui  habitent  d'ordinaire  les  eaux 
saumâtres,  enfin  ceux  qui  vivent  indifféremment  dans  l'eau  saumâlre  ou 
salée,  présentent  de  mer  à  mer  une  identité  presque  complète.  11  est  très 
probable  que  la  séparation  de  la  mer  Noire  d'avec  la  Caspienne  s'est  opérée 
longtemps  avant  que  le  détroit  de  jonction  ne  s'ouvrît  entre  la  mer  Noire 
et  la  Méditerranée.  Tandis  que,  par  l'effet  d'une  longue  diversité  des 
milieux,  les  poissons  de  même  origine  qui  habitent  les  deux  mers  sépa- 
rées par  l'isthme  ponlo-caspien  se  sont  déjà  différenciés  quelque  peu  en 
variélés  et  en  espèces,  les  poissons  de  la  Méditerranée  qui  ont  pénétré 
dans  la  mer  Noire  ont  gardé  leur  type.  Il  est  à  remarquer  que  cette  im- 
migration des  (îspèces  de  la  Méditerranée  par  le  chemin  que  leur  ouvrent 
les  Dardanelles  et  le  Bosphore,  se  continue  de  nos  jours,  car  dans  ces  der- 
niers temps  on  a  signalé  sur  les  côtes  de  la  Bussie  divers  poissons  de  la 
Méditerranée  qui  avaient  échappé  aux  recherches  précédentes.  D'ailleurs, 

'  hvcstija  Roussk    Geograf.  Obclilclieslva,  1870,  Inme  V,  n°  8. 

*  SchmidI,  Matériaux  pour  la  géographie  cl  la  statistique  de  la  Russie  (en  russe).  Gouvernement 
de  Khcrson. 


798  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

les  espèces  se  répartissent  naturellement  suivant  le  degré  de  salure  des 
eaux.  Dans  le  bassin  principal  du  Pont-Euxin,  la  faune  est  surtout  médi- 
terranéenne; dans  le  golfe  d'Odessa,  aux  environs  des  bouches  du  Danube, 
du  Dnepr  et  du  Dnestr,  dans  la  mer  d'Azov,  où  les  eaux  sont  faiblement 
salées,  presque  toutes  les  espèces  appartiennent  à  la  faune  Caspienne'. 


La  population  du  versant  de  la  mer  d'Azov  qui  se  distingue  le  plus  par 
son  histoire,  ses  mœurs,  son  organisation  politique,  est  celle  des  Cosaques 
du  Don,  descendant  pour  la  plupart  de  fugitifs  grands-russiens  ;  toutefois  il  y 
eut  certainement  mélange  avec  les  Cosaques  tartares  d'Azov  :  le  premier 
chef  des  Cosaques  du  Don  que  mentionnent  les  documents  en  1549,  porte 
précisément  le  nom  tartare  de  Sarîazman',  et  c'est  plus  de  cent  ans  après, 
en  1655,  qu'ils  construisirent  leur  première  église;  jusqu'au  dix-huitième 
siècle,  la  cérémonie  du  mariage  se  bornait  à  la  déclaration  des  époux 
devant  l'assemblée  des  Cosaques'.  Les  paysans  et  les  gens  des  villes 
outragés  par  les  seigneurs  ou  les  voïvodes,  les  malheureux  menacés  de 
quelque  extermination  en  masse,  et  plus  tard  les  raskolniks  persécutés, 
avaient  les  steppes  pour  refuge  :  échappés  à  leurs  oppresseurs,  ils  s'établis- 
saient dans  quelque  bas-fond  des  prairies,  dans  un  ravin  bien  écarté,  et, 
toujours  sur  leurs  gardes,  ils  étaient  prêts  à  s'enfuir  de  nouveau  ou  à 
résister,  suivant  la  force  des  ennemis,  musulmans  ou  chrétiens,  qui 
venaient  les  attaquer  :  c'est  ainsi  que  se  peupla  peu  à  peu  tout  l'espace  qui 
s'étend  entre  le  confluent  du  Don  et  de  la  Medveditza  et  la  mer  d'Azov, 
région  encore  déserte  en  1521.  Déjà  pendant  la  deuxième  moitié  du  sei- 
zième siècle,  les  colons  moscovites  du  Don  inférieur  étaient  devenus  assez 
nombreux  pour  former  une  confédération  puissante,  rendant  aux  Tartares 
incursion  pour  incursion;  toutefois  il  restait  convenu  entre  les  deux  nations 
de  pillards  que  l'on  ne  brûlerait  jamais  le  foin  des  steppes,  qui  nourrissait 
les  troupeaux  des  uns  et  des  autres'.  Plus  tard,  des  Cosaques  Zaporogues  et 
d'autres  Petits  Russiens  vinrent  s'unir  en  qualité  d'égaux  aux  Cosaques 
Vcliko-Russes  et  s'établirent  pour  la  plupart  sur  les  bords  du  Don  inférieur; 
même  de  nos  jours,  les  Cosaques  Petits-Russiens,  qui  dans  leurs  voyages 
vont  demander  l'hospitalité  aux  Cosaques  de  cette  contrée,  sont  accueillis 
comme  des  frères,  tandis  (jue  les  paysans  grands-russiens  ne  sont  reçus 

'  Kcssicr,  Russische  Revue,  1875,  i'  livraison. 

'  Sokotovskiy,  La  vie  économique  et  la  colonisalion  des  steppes  avant  l'époque  du  servage  (en  russe). 

■  Vakouclikin,  Le  droit  coutumier  (en  russe). 

*  Krasnov,  Le  territoire  de  l'année  du  Don  (en  russe). 


COSAQUES  DU  DON.  799 

qu'en  hôtes.  Par  une  singulière  bizarrerie  elhnograpliique,  les  Grands 
Ûussiens  du  Don  inférieur  sont  séparés  du  gros  de  leur  race  par  des  espaces 
qui  restèrent  déserts  jusqu'à  l'arrivée  des  colons  malo-russes  au  dix- 
septième  siècle  ;  les  populations  se  sont  entre-croisées;  c'est  que  chaque 
bande,  fuyant  l'oppression  des  seigneurs,  cherchait  à  s'éloigner  autant  que 
possible  de  sa  patrie.  Des  fugitifs  de  toutes  les  races  de  l'Europe  orientale 
et  des  bords  de  la  mer  Noire  cherchèrent  un  asile  chez  ces  hommes  d'aven- 
ture, à  la  fois  brigands  et  héros  :  tous  étaient  les  bienvenus,  à  la  condition 
de  prendre  le  nom  de  Cosaques.  On  est  étonné  de  rencontrer  parmi  les  rive- 
rains du  Don  un  grand  nombre  de  familles  allemandes'  :  de  migration  en 
migration.  Saxons  et  Souabes  finissaient  par  devenir  de  libres  cavaliers  du 
désert.  C'est  en  1810  seulement  que  le  sénat  de  Saint-Pétersbourg  défendit 
aux  Cosaques  d'accueillir  des  szlachticzi  polonais. 

A  peine  constitués,  les  Cosaques  du  Don  reconnurent  la  suzeraineté  du 
tzar  de  Moscou  ;  en  1570  ils  se  mirent  sous  la  protection  d'Ivan  IV,  mais 
longtemps  encore  ils  répétèrent  leur  proverbe  :  «  Le  tzar  règne  à  Moscou, 
et  le  Cosaque  sur  le  Don.  »  Mêlés  h  toutes  les  vicissitudes  de  l'histoire  de  la 
Moscovie,  ce  sont  eux  qui  commencèrent,  sous  la  conduite  de  Yerniak,  la 
conquête  de  la  Sibérie  et  qui  tinrent  en  échec  la  puissance  des  Turcs  dans 
toute  la  région  du  sud-est.  De  même  que  les  Cosaques  du  Diiepr,  ceux  du 
Don,  groupés  çà  et  là  en  stanitza,  avaient  surtout  choisi  pour  leurs 
places  de  rassemblement  et  de  défense  des  îles  entourées  de  bas-fonds,  de 
roselières  et  de  saulaies,  à  travers  lesquelles  il  était  difGcile  de  les  pour- 
suivre. Mais  la  place  turque  d'Azov  les  gênait  beaucoup  pour  la  libre  pos- 
session des  îles  du  Don;  ils  réussirent  à  s'en  emparer  pour  quelque  temps 
en  1574,  puis,  alliés  aux  Zaporogues,  en  1657  ;  lorsqu'ils  la  repri- 
rent en  1696,  ce  fut  à  l'aide  des  ingénieurs  et  des  canons  de  Pierre  le 
(irand,  qui  devait  la  perdre  de  nouveau.  Toutefois  celte  place  forte  et  les 
bouches  du  Don,  si  importantes  au  point  de  vue  stratégique  et  commercial, 
ne  furent  point  laissées  entre  leuis  mains.  Les  tzars,  se  méfiant  toujours 
des  Cosaques,  fondèrent  en  1751  la  forteresse  de  Rostov,  dont  le  district 
est  resté  jusqu'à  présent  détaché  du  territoire  des  Cosaques.  Mais  avant  la 
fondation  de  Roslov,  ceux-ci  avaient  déjà  perdu  leur  indépendance.  Pierre 
le  Grand,  mécontent  de  les  voir  accueillir  des  fugitifs  de  la  Russie  cen- 
trale, écrasa  leur  révolte  avec  la  dernière  rigueur.  11  fit  raser  les  villes, 
«  hacher  les  hommes,  empaler  les  chefs  »;  sept  raille  Cosaques  périrent; 
un  grand  nombre  allèrent  chercher  un  asile  dans  le  pays  de  la  Kouhaiï  et 

'  Lcllies  sur  le  voyage  du  prince  hhilicr  en  Crimée,  lbCi(uii  russe). 


800  NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

de  là  en  Turquie;  ils  sont  connus  dans  la  Dobroudja  sous  le  nom  de  Â'e- 
krasovtzî,  d'après  leur  ancien  chef  Nekrasov. 

Les  mœurs  des  divers  groupes  des  Cosaques  du  Don  dépendent  plus 
de  la  différence  des  terrains  et  du  climat  que  de  celles  des  origines.  Ceux 
du  nord,  en  amont  du  confluent  du  Don  et  de  Medveditza,  sont  presque 
tous  agriculteurs  sédentaires  :  encore  au  commencement  du  dix-huitième 
siècle,  le  laboureur  cosaque  était  méprisé  par  ses  frères;  même  en  1690, 
l'assemblée  cosaque,  ayant  appris  que  l'on  cultivait  le  blé  sur  les  bords  du 
Khopor  et  de  la  Medveditza,  défendit  cette  culture  sous  peine  de  mort  et  de 
confiscation'.  Toutefois,  la  force  des  choses  aidant,  il  fallut  bien  toucher 
à  la  charrue.  Les  Cosaques  les  plus  rapprochés  de  la  Russie  centrale 
apprirent  de  leurs  voisins  à  utiliser  la  féconde  «  terre  noire  »  qui  est 
devenue  leur  patrie.  Les  Cosaques  du  bassin  inférieur,  possédant  une  terre 
moins  fertile,  se  bornent  pour  la  plupart  à  cultiver  leurs  vignes,  leurs 
vergers,  leurs  champs  de  pastèques,  et  se  livrent  à  la  pèche,  à  l'élève  des 
chevaux,  à  l'exploitation  des  salines,  au  petit  commerce,  aux  métiers  des 
villes.  Chez  les  Cosaques  du  sud,  aussi  bien  que  chez  ceux  du  nord,  l'organi- 
sation toute  militaire  répond  de  moins  en  moins  à  leur  vie  civile  de  travail 
et  de  commerce.  D'après  les  ordonnances,  ils  sont  divisés  en  régiments. 
A  dix-sept  ans,  tous  les  jeunes  gens  deviennent  soldats  ou  bien  entrent 
dans  l'administration  en  se  conformant  aux  règlements  militaires;  leurs 
chefs,  à  l'exception  de  ceux  des  stanitzas,  sont  nommés  par  le  gouverne- 
ment; le  vice-ataman  est  toujours  choisi  parmi  les  dignitaires  non  Cosaques 
de  l'empire,  et  le  litre  d'ataman  appartient  au  prince  héritier.  Toutefois  la 
grande  question  parmi  les  Cosaques  n'est  plus  celle  de  l'avancement,  mais 
bien  celle  de  la  terre.  Le  gouvernement  l'a  résolue  en  constituant  une 
aristocratie  terrienne  :  déjà  en  1775,  Potomkin  conféra  les  droits  de  la 
noblesse  aux  officiers  cosaques,  ce  qui  leur  permit  d'avoir  des  serfs;  après 
l'émancipation,  chaque  chef  a  reçu  pour  sa  part  de  terres  une  étendue 
de  100  à  1700  hectares,  suivant  son  rang,  tandis  que  les  simples  Cosaques 
devenaient  propriétaires  de  l'espace,  déjà  fort  considérable,  de  55  hec- 
tares. Autrefois  tout  le  territoire  des  Cosaques  était  propriété  collective,  et 
les  stanilzas  elles-mêmes,  c'est-à-dire  les  communautés  militaires,  n'avaient 
aucun  droit  à  s'emparer  du  sol  pour  le  groupe  entier.  Maintenant  la 
terre  est  partout  divisée,  les  stanitzas,  jadis  stations  de  guet,  se  ciiangent 
en  villes  et  la  population  non  cosaque  s'entremêle  de  plus  en  plus  aux  des- 
cendants de  l'ancien  jjeuple,  qui  forment  environ  les  deux  tiers  des  habi- 

'  SokolovsKiv,  ouvriiac  cilé. 


COSAQUES  DU  DON. 


801 


lants  de  la  province.  Les  Cosaques  du  Don  se  rappellent  et  chantent  encore 
leurs  hauts  faits,  les  guerres  contre  les  Tartares,  la  prise  d'Azov,  la  révolte 
d'Etienne  Razin  qui  traversait  les  airs  sur  son  feutre  enchanté  et  qui  se 
changeait  en  poisson  pour  franchir  la  Volga;  mais  eux-mêmes- sont  devenus 
des  sujets  russes  comme  leurs  voisins,  quoique  administrés  d'une  manière 
plus  compliquée;  leur  ancienne  liberté  n'est  plus  qu'un  souvenir.  Aux 
temps  de  troubles  politiques,  ce  sont  principalement  les  Cosaques  du  Don 


l-^,    POPULATIONS    DIVERSES    DU    VERSANT    DE    Li    MER    D  AZOV. 


Est  de  Pi 


st  de  rari! 


55- 


Lst  de  GreenwicK 


)'aprè9  Rlllich  C  Perron 

P'.'fic/ssi'^ns  C'/tussiens S/"/fcx>ens   Fa/ona/s      3u/£arvs       Grecs      ^//emani^s  arméniens 

t  :  i  loom» 


qu'emploie  le  gouvernement  en  lUissie,  |ii)iir  renCorcer  la  police  des  rues, 
en  Pologne,  pour  réprimer  les  insurrections. 

Une  grande  partie  du  territoire  qui  s'étend  au  nord-ouest  de  celui  des 
Cosaques  du  Don  eut  aussi  son  organisation  cosaque.  Cette  région  est  le 
gouvernement  actuel  de  Kharkov,  avec  les  parties  avoisinanles  des  gouver- 
nements de  Koursk  et  de  Voronej.  Appartenant  depuis  longtemps  au 
royaume  de  Moscou,  ces  terres  étaient  restées  presque  sans  population 
lorsqu'elles  furent  assignées  comme  lieu  d'asile  aux  colons  jtetits-russiens 
V-  101 


802  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

fuvant  leurs  seigneurs  polonais.  Ces  colons  fondèrent  les  slobodas  de 
Cosaques  «  tcherkassî  »,  selon  l'expression  moscovilc  encore  usitée  de  nos 
jours;  elles  jouissaient  aussi  d'une  certaine  autonomie,  et  se  groupaient  en 
régiments,  mais  sans  lien  fédéral.  Leur  organisation  fut  abolie  en  1765, 
en  même  temps  que  la  Hetmanie  petite-russienne,  mais  les  Cosaques  de 
rOukraïne  slobodienne  n'eurent  pas  la  satisfaction  de  conserver  leur  nom, 
comme  ceux  de  la  Hetmanie  ou  des  provinces  de  Pol'lava  et  de  Tchernigov, 
un  grand  nombre  même  devinrent  serfs  et  se  trouvèrent  associés  avec  les 
serfs  grands-russiens  amenés  dans  le  pays  par  leurs  seigneurs  moscovites. 
On  peut  dire  cependant  d'une  manière  générale  que  les  babitanls  des  pro- 
vinces autrefois  sl'obodiennes  sont  moins  pauvres  que  ceux  de  la  Russie 
centrale  ;  précisément  ce  sont  les  Petits  Russiens,  descendants  des  Cosaques 
libres,  qui  comptent  parmi  eux  le  plus  d'industriels  et  de  marchands, 
et  qui  se  distinguent  par  les  qualités  «  grandes-russiennes  »  de  l'activité 
et  de  l'initiative'.  Dans  maint  village,  les  deux  races  sont  à  côlé  l'une  de 
l'autre,  et  les  deux  quartiers,  séparés  par  une  rivière  ou  par  un  ovrag, 
présentent  un  contraste  des  plus  nets  :  d'un  côté  sont  les  maisons  parse- 
mées des  Petits  Russiens,  en  osier  ou  en  branchages  revêtus  d'argile,  blan- 
chies à  la  craie,  entourées  d'arbres  et  de  fleurs  ;  de  l'autre  sont  les  longues 
rues  de  maisons  en  bois  nu,  sans  verdure  qui  les  égayé. 

Les  colons  des  steppes  voisines  de  la  mer  d'Azov  appartiennent,  comme 
ceux  de  la  Nouvelle-Russie,  aux  races  les  plus  diverses.  Les  xVUemands  y 
sont  fortement  représentés.  Il  existe  aussi  dans  le  pays  des  colonies  de  Juifs 
agriculteurs,  et  les  Tartares  de  la  côte  n'ont  pas  été  complètement  évincés 
par  les  chrétiens.  Des  Caucasiens  de  plusieurs  tribus,  déportés  au  nord  de 
la  mer  d'Azov,  sont  malgré  eux  parmi  les  habitants  de  la  contrée.  Enfin 
dans  le  voisinage  de  Marioupol  vivent  les  Grecs,  probablement  très  mé- 
langés, qui  ont  presque  entièrement  oublié  la  langue  de  leurs  aïeux,  mais 
qui  ont  gardé  leur  culte.  Ils  descendent  d'habitants  de  la  Crimée  qui  émi- 
grèrent  en  Russie  sous  le  règne  de  Catherine  II,  et  qui  dès  cette  époque 
avaient  pris  le  langage  et  en  partie  les  mœurs  de  leurs  maîtres  les  Tartares. 
On  les  dit  indolents  et  paresseux  :  bien  différents  des  autres  Hellènes  par 
le  caractère,  on  dirait  qu'ils  ont  changé  de  race'.  Les  Serbes  et  les  Kal- 
monk  ,  également  introduits  dans  le  pays  au  dix-huitième  siècle,  se  sont 
complèlcment  fondus  dans  la  masse  de  la  population  russe. 

Dans  le  haut  bassin  du  Dnn,  l'une  dos  premières  bourgades  est  celle  de 


'  Mikhaiovilcti,  Gotivernemrni  de  Voronej. 
*  Mackciizie  \Vall:ice,  Russia. 


L_. 


YELETZ,   VORONEJ.  805 

Koulikovka,  près  do  laquelle  s'étend  le  champ  de  bataille  de  Koulikovo 
Pôle,  où  une  coalition  d'armées  russes  de  la  Moscovie  et  de  la  Lithuanie 
remporta  en  1580  une  victoire  importante  sur  les  Tartares.  En  cette 
région,  l'une  des  plus  fertiles  des  Terres  Noires,  les  villes  sont  nombreuses 
et  font  un  grand  commerce  de  denrées  agricoles  :  Yefremov,  Lebedan, 
Livnî,  Yeletz,  Zadonsk,  Zemlansk  sont  toutes  bien  connues  des  marchands 
de  Taganrog  et  d'Odessa,  par  leurs  expéditions  de  blé,  leurs  convois  de 
bétail.  La  plus  importante  de  ces  villes  et  l'une  des  plus  renommées 
pour  ses  farines  est  Yeletz,  sur  la  Sosna,  affluent  occidental  du  Don.  Des 
proverbes  populaires  parlent  des  <t  voleurs  »  de  \elctz  et  des  villes  voi- 
sines. Celte  mauvaise  réputation  de  la  partie  orientale  du  gouvernement 
d'Oroi  provient  probablement  de  la  position  de  ce  pays  sur  une  «  marche  » 
longtemps  disputée,  où  les  vols  de  chevaux  se  faisaient  plus  facilement 
qu'ailleurs. 

Le  Voronej,  la  rivière  jumelle  du  haut  Don,  traverse  également  une 
région  populeuse  où  se  sont  élevées  quelques  villes  importantes,  telles  que 
Kozl'ov,  centre  commercial  pour  les  blés,  et  Lipetzk,  cette  dernière  fré- 
quentée pour  ses  eaux  minérales  ferrugineuses.  Voronej,  chef-lieu  de  gou- 
vernement, a  dû  surtout  son  rôle  commercial  à  sa  situation  sur  le  Voronej, 
à  une  petite  distance  de  son  confluent  avec  le  Don.  Elle  avait  déjà  501)0 
habitants  à  la  fin  du  dix-septième  siècle,  lorsque  Pierre  le  Grand  vint  y 
établir  le  siège  d'une  amirauté,  faire  bâtir  une  forteresse,  un  arsenal,  des 
chantiers  et  construire  une  flotte  de  55  navires,  armée  de  plus  de  2500 
canons  et  montée  par  un  équipage  ordinaire  de  4000  hommes.  Des  milliers 
de  coupeurs  de  bois  durent  émigrer  des  forêts  de  la  Dvina  du  nord  à  celles 
du  Voronej  pour  aider  à  la  construction  des  navires  dans  ce  port  fluvial 
presque  sans  eau.  Du  reste,  il  fiillut  bientôt  reporter  le  chantier  de  construc- 
tion sur  le  Don,  en  aval  du  confluent.  Actuellement,  c'est  à  peine  si  l'on 
voit  de  temps  en  temps  quelque  barque  se  hasarder  sur  le  Voronej.  La 
ville  est  un  des  lieux  de  pèlerinage  les  plus  fréquentés  de  la  Russie  et  se 
distingue  par  son  activité  littéraire  entre  toutes  les  cités  grand-russiennes 
qui  n'ont  pas  le  privilège  de  posséder  une  université.  A  l'est,  les  vastes 
steppes  que  parcourt  le  Bitoug,  pauvre  affluent  du  Don,  sont  celles  où  se 
trouvent  les  principaux  haras  de  la  couronne  et  où  l'on  ('lève  la  fameuse 
race  des  «  trotteurs  Orl'ov  »,  vendus  aux  foires  de  Khrenov. 

Ousman,  au  nord-est  de  Voronej,  est  la  principale  ville  des  environs  du 
chef-lieu.  Au  sud,  Korotoyak,  sur  la  rive  droite  du  Don,  et  Ostrogojsk, 
sur  la  haute  berge  d'un  affluent  appelé  Tikhaya  Sosna,  furent  l'une  et 
l'aulre  dos  forteresses  cosaques  contre  les  Tartares.  En  amont  d'Ostrogojvk, 


806  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

sur  la  même  rivière,  Alexeyevka,  qui  n'a  point  titre  de  ville,  est  cependant 
une  riche  et  populeuse  sfoboda,  dont  les  habitants  s'adonnent  surtout  à  la 
culture  du  tournesol  et  à  la  fabrication  de  l'huile.  Elle  a  des  associations 
de  peintres  populaires,  qui  représentent  des  scènes  de  l'histoire  sacrée 
avec  plus  de  liberté  que  les  autres  imagiers  de  la  Russie  et  peignent  aussi 
des  scènes  comiques  sur  les  murailles  et  dans  les  maisons.  Les  peintres 
d'Alexeyevka  se  rattachent  lointainement  à  l'école  nationale  de  peinture 
qui  existait  à  Kiyev  au  dix-septième  siècle. 

Pavlovsk,  au  confluent  du  Don  et  de  l'Osereda,  est  aussi  une  ancienne 
colonie  de  Cosaques  «  tcherkasses  »,  où  Pierre  le  Grand  établit  des  chan- 
tiers de  construction  pour  sa  flottille  de  la  mer  d'Azov.  Boutourlinovka 
ou  Petrovskaïa,  bourgade  de  'l'2  kilomètres  de  longueur  située  sur  l'Ose- 
reda, est,  comme  Alexeyevka,  une  sl'oboda  industrieuse  de  tanneries  et  de 
cordonneries,  et  compte  aussi  des  peintres  nombreux  parmi  ses  artisans. 
En  1842,  la  population  asservie  de  Boutourlinovka  racheta  sa  liberté  en 
s'engageant  à  payer  en  trente-sept  années  à  la  banque  de  Moscou  la  dette 
de  son  seigneur,  soit  2  114  000  roubles  avec  les  intérêts;  c'est  en  1879 
que  s'est  fait  le  dernier  paiement,  seize  ans  après  l'émancipation  des  serfs. 
Bogoutchar,  dont  le  nom  lartare  rappelle  les  guerres  conliiuielles  de  la 
contrée,  et  Kalatch,  fameuse  par  ses  foires  au  bétail,  furent  également  des 
slobodas  peuplées  à  plusieurs  reprises  par  des  immigrants  moscovites  et 
«  tcherkasses  ».  En  aval,  chacun  des  villages  qui  se  succèdent  sur  le  Don 
eut  la  même  origine  :  chacun  fut  un  campement  guerrier,  que  ses  fonda- 
teurs posèrent,  pour  ainsi  dire,  sur  le  sol  et  que  l'agriculture  enracina 
peu  à  peu.  Quant  aux  villes  du  haut  Khopor  et  de  ses  affluents,  Tchembar, 
où  naquit  Belinskiy,  Kirsanov,  Serdobsk,  Bal'achov,  Borisoglebsk,  elles 
doivent  à  leur  éloigneraent  des  steppes  méridionales  d'avoir  pu  naître  et 
grandir  plus  paisiblement.  Novo-Ivhoporsk,  située  dans  une  région  de  ma- 
rais, à  l'endroit  où  se  fait  la  jonction  du  Khopor  avec  les  autres  cours  d'eau 
de  presque  tout  son  haut  bassin,  est  une  de  ces  villes  que  Pierre  le  Grand 
fonda  pour  y  établir  des  chantiers  de  construction;  ses  foires  ont  pris 
récemment  une  grande  importance'.  La  foire  de  Stanitza  Oui-oupiuskaya, 
située  plus  bas  sur  le  Don,  donne  lieu  à  un  trafic  presque  aussi  considé- 
rable. Dans  le  bassin  de  la  Medveditza,  Petrovsk  doit  son  nom  à  l'ierre  I", 
tandis  qu'Atkarsk,  ancienne  colonie  lartare,  garde  l'appellation  donnée  par 
ses  habitants  d'autrefois.  Quelques  débris  que  l'on  voit  près  du  grand  coude 
du  Don  sont  considérés  comme  les  rtistes  de  Sarkel,  place  forte  des  Kha- 

»  Mouveineiil  dos  affaires  à  la  foire  de  Novo-Klioporsk  en  18G8  ;  7  607  008  roubles. 


BOL'TOLRLINOVKA,    KHARKOV. 


807 


zars,  construite  par  des  ingénieurs  byzantins.  Au  sud-ouest,  là  oiî  le  fleuve 

a  déjà  pris  la  direction  de  l'ouest,  la  stanitza  Tzîmlanskaya  est  le  centre 

de  la  production  du  vin  et  de  la  fabrication  du  «  Champagne  »  mousseux. 

C'est  dans  la  vallée  du  Doiietz  que  se  trouve  Kharkov,  la  plus  grande 


re.   KITABROV. 


E.deP. 


d  après  la  Carte  de  'Xrat-  Major 


ville  de  la  coiilnr  dont  les  eaux  se  déversent  dans  la  mer  d'Azov.  Ce  clief- 
lieu  de  gouvernement,  simple  village  au  milieu  du  dix-septième  siècle, 
doit  son  importance  commerciale  à  sa  position  naturelle  d'intermédiaire 
entre  le  Bncpr  et  le  Don-,  entre  Kiyev  et  Taganrog.  Elle  est  située  à  peu 
près  au  centre  géométrique  de  toute  la  région  des  stcrppes,  entre  le  Seim 
el  les  plateaux  riverains  de  la  mer  d'Azov  :  (;'est  là  ou  dans  les  environs 
que  se  croisaient  les  principales  roules   des  tclioumaks,  en   partie   rem- 


SOS  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

placées  maintenant  par  des  lignes  de  chemins  de  fer.  Les  foires  de  Kharkov 
sont  parmi  les  plus  actives  de  la  Russie  :  celle  du  mois  de  janvier,  où 
l'on  vend  des  milliers  de  chevaux  et  où  le  mouvement  d'affaires  s'élève 
parfois  à  80  ou  100  millions  de  francs,  attire  la  foule  des  négociants, 
des  cultivateurs,  des  Juifs,  par  dizaines  de  mille.  La  population  de  la  ville 
est  alors  doublée;  quatre-vingt  mille  traîneaux  accourent  de  tous  les  points 
de  l'horizon.  Les  industriels  de  Kharkov  fabriquent  ou  préparent  eux- 
mêmes  une  grande  partie  des  marchandises  vendues  à  la  foire,  toiles, 
savons,  bougies,  feutres,  sucres,  eaux-dc-vie,  tabac.  Ce  qui  manque  surtout 
à  la  ville  au  point  de  vue  matériel,  c'est  l'eau  potable.  Quoique  entourée 
de  petites  rivières  qui  vont  s'unir  au  Doi'ietz,  elle  a  dû  se  procurer  chère- 
ment une  eau  de  source  insuffisante.  Fort  active  par  son  commerce  et  son 
industrie,  Khai'kov  est  également  une  des  cités  de  la  Russie  qui  se  sont 
mises  à  la  tète  du  mouvement  intellectuel.  Son  collège  devint  en  1804, 
grâce  aux  libéralités  de  la  noblesse  et  des  marchands,  une  florissante  uni- 
versité, où  l'on  voulait  attirer  les  Grecs  et  les  Slaves  du  Midi  ;  on  fit  même 
appel  à  des  hommes  tels  que  Laplace  et  Fichte  pour  en  occuper  les  chaires. 
Malgré  la  réaction  qui  suivit,  l'université  de  Kharkov  contribua  beaucoup 
au  réveil  des  études  slaves  en  Russie.  Elle  s'enrichit  de  livres,  de  collections 
diverses,  et  plus  de  cinq  cents  étudiants  la  fréquentent  en  moyenne'. 

Au  nord  et  à  l'est  de  Khaikov,  dans  les  gouvernements  de  Koursk  et  de 
Voronej,  les  eaux  naissantes  du  Donetz  et  de  ses  hauts  affluents  arrosent 
déjà  les  territoires  de  plusieurs  villes,  Zol'otchov  qui  rappelle  la  ville  du 
même  nom  en  Galicie  (Zloczew),  Korotcha,  Starîy  Oskol',  qui  mérite  son 
nom  de  «  Vieille  »,  puisqu'elle  est  mentionnée  au  douzième  siècle, 
Voilchansk,  Valouïki,  Ourazova,  principal  port  des  céréales  dans  le  gou- 
vernement de  Kharkov,  Ikvl'gorod,  la  «  Ville  Blanche  »,  ainsi  nommée 
d<!  sa  colline  crayeuse,  exploitée  en  cari'ières.  Les  plus  proches  voisines 
de  Kliai-kov  sont  Valki  à  l'ouest,  et  à  l'est,  sur  un  passage  commode  du 
Donelz,  Tcliougouyev,  ville  dont  l'histoire  est  celle  des  vicissitudes  de 
toute  la  contrée.  Dans  les  environs  se  voient  des  restes  de  nombreux 
goiodichtcha,  où  l'on  a  trouvé  fréquemment  des  monnaies  romaines, 
preuve  que  le  pays  fut  jadis  assez  peuplé.  Pourtant  il  était  redinenu  désert 
au  seizième  siècle  et  même  au  commencement  du  dix-septième;  Tcliou- 
gouyev n'était  alors  qu'un  gorodiclilche,  un  amas  de  débris.  Les  colons 
pclits-russicns  qui  vinrent  s'y  étaldir,  de  même  que  les  soldats  et  les  for- 


'  l'iiiversili'ile  Kliaikov  en  janvier  1882:  Professeurs,  95;  étudiant»,  8'2f  ;lHi(lg('t,  320000  roubles; 
Ijililii.lhniur,  plus  lie  100  000  volumes. 


TCIIOCGOUYEV,   StAVANSK. 


809 


çats  envoyés  par  le  gouvernement  moscovite,  ne  pouvaient  travailler  dans 
les  champs  que  divisés  en  deux  groupes,  dont  l'un  veillait  en  armes  contre 
les  Tartares.  Tchougouyev  a  perdu  son  commerce  au  profit  de  Khai-kov. 

En  aval  d'izoum,  où  se  voient  déjà  des  vignobles,  le  Donetz  s'unit  à 
rOskol,  puis  longeant  toujours  les  hauts  escarpements,  crayeux  et  percés 
de  cavernes,  qui  forment  sa  rive  droite,  et  dont  l'un  porte  le  couvent  si 
pittoresque  de  la  Sainte-Montagne,  il  rejoint  le  Toretz.  A  l'entrée  de  la 
vallée  où  coule  cette  rivière  est  la  ville  de  Slavansk,  bâtie  sur  l'emplace- 


177  VALLÉE  DO  BO.NEIZ.  PKES  DE  5LAVA.\SK. 


^.%â'.  >W 


[.  de  G 


ment  du  Torskoïc  Gorodichtche,  qui  lut  peut-être  une  ville  des  Torks  ou 
Turcs,  et  qui  prit  ensuite  le  nom  de  Tor;  son  appellation  actuelle  lui  a  été 
donnée  en  l'honneur  de  la  fraternité  slave,  les  colons  qu'on  y  installa  au 
milieu  du  dix-huitième  siècle  étant  de  nationalité  serbe;  ils  s'occupent 
de  l'élève  des  vers  à  soie.  L'industrie  principale  est  depuis  longtemps 
l'exploitation  des  petits  lacs  salés  des  environs,  notamment  de  celui  qui 
porte  le  nom  de  Liman  ;  mais,  avant  la  victoire  délinitive  des  Russes  sur  les 
Tartares  Nogai,  il  fallut  souvent  interrompre  le  travail;  le  Linian,  que 
son  appellation  même  fait  croire  avoir  été  jadis  rattaché  au  Donetz,  est 
maintenant  à  demi  comblé'.  La  ville  de  Bakhraout,  située  comme  Slavansk 


Congrès  archéologique  de  Kaian,  1877. 


40-2 


310  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

dans  une  vallée  latérale  du  Doiietz  et  sur  un  même  terrain  géologique, 
retire  de  ses  salines  des  centaines  de  milliers  détonnes  par  an  depuis  1870, 
époque  de  la  suppression  de  la  gabelle  :  on  y  voit  de  grandes  sauneries  à 
vapeur.  Le  nom  russe  de  Bakhmout  n'est  autre  que  l'appellation  turque 
(le  Mahmoud  ou  Mahomet  :  c'est  ainsi  que,  dans  la  langue  des  Moscovites, 
s'était  transformé  le  nom  du  Prophète. 

SFavanoserbsk,  Làtie  sur  un  bras  mort  du  Donefz,  sur  un  sol  où  manque 
l'eau  pure,  fut,  comme  Sl'avansk,  une  colonie  de  Serbes  émigrés  de  l'Au- 
triche en  1755.  Cette  ville  est  déjà  dans  le  bassin  liouiller  du  bas  Doiîetz, 
dont  le  combustible  est  utilisé  plus  à  l'ouest  dans  les  usines  métallur- 
giques de  Eougaiî  ou  Lougansk,  fondées  en  1795  par  l'anglais  Gascoyne 
pour  le  compte  du  gouvernement  russe.  Cet  établissement,  quoique  fort 
éloigné  de  la  mer,  devait  fournir  la  marine  de  canons,  de  projectiles,  de 
machines  diverses;  maintenant  les  mille  ouvriers  qui  s'y  trouvent  fabri- 
quent surtout  des  machines  à  vapeur  et  des  locomobiles.  Cependant  l'im- 
portance de  tougan  lui  vient  plus  encore  de  son  commerce  de  bétail  et  de 
céréales  que  de  son  activité  industrielle  :  c'est  la  principale  étape  de 
trafic  entre  Kharkov  et  les  villes  du  Don  inférieur  et  de  la  mer  d'Azov.  Au 
nord  de  Lougaiî,  la  vallée  de  l'Aïdar,  où  se  trouve  la  ville  de  Starobelsk, 
se  réunit  au  Donelz. 

La  capitale  de  l'Armée  du  Don,  Novo-Tclierkask,  domine  du  haut  de 
sa  berge  escarpée  le  cours  de  l'Aksaï,  branche  septentrionale  du  Don,  et  la 
vaste  plaine  où  serpentent  les  coulées  changeantes  du  fleuve  entre  les  îles 
et  les  bancs  de  sable.  Au  sud  de  ces  espaces  indécis,  que  recouvrent  les 
eaux  d'inondation,  et  sur  les  bords  du  principal  courant,  le  village  de 
Staro-Tcherkask  ou  de  «  Yieux-Tclierkask  »  fut  jusqu'en  1806  la  capitale 
des  Cosaques  du  Don  ;  mais  la  plupart  de  ses  habitants  durent  émigrer  par 
ordre  de  leur  ataman  et  s'établir  dans  la  ville  nouvelle.  Celle-ci,  composée 
de  trois  stanitzas, occupant  ensemble  un  espace  de  plus  de  10  kilomètres 
carrés,  n'est  pas  exposée  aux  inondations,  puisqu'elle  en  domine  le  niveau 
de  près  de  100  mètres,  mais  elle  avait  le  grave  inconvénient  de  manquer 
d'eau  potable  :  au  sud,  l'Aksaï  roule  une  eau  marécageuse;  au  nord  coule 
une  rivière  saline,  ainsi  que  l'indique  son  nom  de  Touzl'ov,  à  racine  tar- 
tare  ;  au  nord-est,  le  ravin  de  la  Kadamovka  est  presque  toujours  à  sec. 
Les  Cosaques  de  la  ville  se  préparaient  à  une  deuxième  émigration  pour 
aller  choisir  un  emplacement  ]>lus  favorable,  mais  le  tzar  Nicolas  donna 
l'ordre  en  1857  de  maintenir  la  ville  sur  la  berge  de  Novo-Tcherkask  : 
on  creusa  des  citernes,  on  essaya  de  forer  un  puits  artésien,  puis  on  con- 
struisit un  aqueduc  de  29  kilomètres  de  longueur  dont  l'eau,  prise  au 


tOUGAN,  NOVO-TCHERKASK. 


8It 


sud-ouest  près  de  la  stanitza  Alexandrovskaya  et  dans  le  ravin  du  Grand- 
■Log,  est- soulevée  par  des  machines  à  vapeur  :  l'alimentalion  journalière 


s»   1"3.   NOVO-TCHERKASK. 


°H  -k.^a^  ^ 


E  .  de  G 


dàprès  la  Carte  de  i  Etat-Major 
•  Tertres. 


de  Novo-Tcherkask  varie  de  1200  à   1500  mètres  cubes.  Grâce  à  celle 
abondance  d'eau,  grâce  au  charbon  que  lui  apporte   le  chemin  de   fer 


S12 


NOUVELLE    GÉOGRAPHIE    U>'IVERSELLE. 


de  Grouchovka  ou  stanitza  Grouchcvskaya,  la  capitale  de  l'Armée  du  Don 
s'est  rapidement  développée  et  de  nombreux  édifices  lui  ont  donné  un 
aspect  de  cité.  Des  faubourgs  se  prolongent  à  l'ouest  de  la  ville,  le  long 
des  berges,  séparés  les  uns  des  autres  par  les  ravins  sans  eau  qui  découpent 
le  plateau  des  steppes,  tout  bordé  de  kourgans. 


rSI.  ROSTOV    ET    NAKHITCHEVAN. 


EdeP 


Nakhitcheva 


'     <?^^\{       Alexandrovskayi 


rortdeSiDimHriy  \^JMQt\W:^='^'-^ 


En  amont  du  delta  proprement  dit  se  succèdent  les  villes  jumelles  de 
Nakliitchevan  et  de  Rostov,  qui  forment  en  réalité  une  seule  et  même  cité, 
et  (]ui  continuent  le  long  fiuibourg  de  Novo-Tcberkask.  Nakliitchevan  ou 
simjilement  Katclievan,  ainsi  nommée  par  ses  colons  arméniens  en  sou- 
venir de  la  Nakliitchevan  de  Transcaucasie,  est  à  "2  kilomètres  seulement 


NAKHITCUEVAN,  ROSTOV,  AZOV.  813 

de  Rostov,  dont  elle  est  séparée  par  les  restes  de  l'ancienne  forteresse  de 
Saint-Dimitriy,  élevée  à  la  fois  contre  les  Turcs  et  les  Cosaques.  Nakhit- 
chevan,  ville  longtemps  privilégiée,  s'étend  sur  un  espace  considérable, 
occupé  surtout  par  des  jardins.  La  population  de  la  ville  est  encore  presque 
exclusivement  arménienne  comme  aux  temps  où  se  fonda  la  colonie,  il  y  a 
un  siècle  environ.  Au  contraire,  Rostov  est  peuplée  d'hommes  de  toute 
race,  Grands  Russiens  et  Petits  Russiens,  Grecs,  Arméniens,  Tartares. 
Juifs,  Occidentaux  italiens,  français,  allemands.  C'est  une  ville  d'un  grand 
commerce,  où  près  de  trois  mille  navires  de  cabolagc  viennent  chaque 
année  charger  des  céréales,  du  lin,  des  laines,  du  suif  et  d'autres  denrées'. 
La  valeur  annuelle  des  échanges  dépasse  cent  millions  do  francs;  les  manu- 
factures, surtout  celles  de  tabac,  ont  beaucoup  augmenté;  elles  emploient 
près  de  4000  ouvriers.  Toutefois  Rostov  a  le  désavantage  commercial  de 
n'avoir  qu'un  port  de  rivière  où  les  navires  ne  peuvent  toujours  monter, 
et  sa  juridiction  ne  s'étend  pas  même  sur  l'entrée  du  Don,  appartenant  au 
territoire  des  Cosaques  ;  elle  n'a  pas  le  droit  d'y  entreprendre  des  travaux 
de  dragage,  qui  d'ailleurs  ne  pourraient  avoir  qu'une  utilité  temporaire'. 
La  pèche,  encore  fort  importante  dans  les  eaux  du  delta,  a  notablement 
diminué,  et  les  descriptions  des  anciens  auteurs  relatives  aux  poissons  qui 
se  pressaient  en  multitudes  dans  les  bouches  du  Don  ont  cessé  d'être  vraies 
depuis  le  commencement  du  siècle^  Rostov  est  le  rendez-vous  des  moisson- 
neurs, des  faucheurs,  des  vignerons  qui  vont  offrir  leurs  services  aux  pro- 
priétaires des  contrées  environnantes  et  jusque  dans  les  vallées  du  Caucase. 
En  été,  Rostov  a  souvent  plus  de  cent  mille  habitants,  bien  que  la  popula- 
tion fixe  n'atteigne  pas  même  les  trois  quarts  de  ce  nombre.  Ces  travail- 
leurs couchent  en  d'immondes  cabarets  et  des  milliers  dorment  par  terre 
dans  les  rues  ou  sur  la  berge.  La  fièvre  typhoïde  fait  parmi  eux  de  ter- 
ribles ravages. 

La  vieille  et  fameuse  cité  d'Azov,  sur  le  bras  méridional  du  Don,  à 
15  kilomètres  environ  de  son  embouchure  dans  la  mer,  est  déchue  de  son 
rang  :  elle  ne  porte  plus  même  le  nom  de  ville  ;  depuis  la  fin  du  siècle 
dernier  elle  a  seulement  rang  de  bourgade,  quoique  ses  habitants  soient 
plus  nombreux  que  ceux  de  maint  groupe  de  population  urbaine.  Les 
débris  de  la  forteresse,  qui  eut  jadis  une  si  grande  importance  stratégique, 

'  Exporlalion  (le  Rostov  en  1880 22  jOO  000  roubles. 

'  Mouvement  du  porl  de  Roslov  en  1882  : 

6i50  navires  et  embarcations,  jaugeant  732  512  tonnes. 

^  Dnrisak,  Elude  ijéologiquc-hijdroijrajiUifiuc  sur  le  Don  inférieur  (en  russe). 


i\i 


NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


se  voient  encore  au  centre  du  bourg  ;  mais  il  ne  reste  plus  rien  de  l'an- 
cienne Tana  des  Vénitiens,  héritière  de  la  Tanaïs  grecque.  Tana  était 
l'entrepôt  des  denrées  de  la  Perse  cl  de  l'Inde  et  le  marché  des  serfs  de  la 
Russie'. 

C'est  en  dehors  du  delta  que  se  trouve  de  nos  jours  le  principal  marché 
du  Don  :  la  barre  n'a  pas  permis  à  une  nouvelle  Tanaïs  de  se  fonder  au 
bord  du  fleuve,  et  c'est  même  à  grand'peine  que  les  navires  pénètrent 
dans  le  golfe  oriental  de  la  mer  d'Azov,  au  port  de  Taganrog,  où  pou- 
vaient flotter  200  navires  à  l'époque  de  Pierre  le  Grand.  Seules  les  petites 
embarcations  approchent  actuellement  de  cette  ville  :  les  bâtiments  d'un 
tirant  d'eau  de  5  à  6  mètres  sont  obligés  de  mouiller  à  d5  kilomètres  au 
large;  les  plus  grands  s'arrêtent  même  à  40  kilomètres  des  quais.  Au  trei- 
zième siècle  déjà,  les  Pisans  avaient  établi  un  comptoir  sur  le  promontoire 
auquel  on  a  donné  depuis  le  nom  de  «  Corne  du  chaudron  »  ouTagan-rog. 
Sur  celte  falaise  de  60  mètres  de  hauteur,  il  n'existait  plus  qu'une  tour 
de  signaux  lorsque  Pierre  le  Grand,  en  1698,  y  fonda  une  forteresse  qu'il 
dut  évacuer  plus  lard,  après  d'énormes  travaux  qui  coûtèrent  la  vie  à  des 
travailleurs  importés  de  la  Russie  centrale  par  dizaines  de  milliers.  C'est 


'  Villes  et  s-hobodas  du  bassio  du  Don  ayant  pins 

GOUVERNEME.M   DE   TOULA. 

Yefiemov  (1881)  .    ......       85J0hab. 

GOUVERNEMENT   DE   TAMDOV. 

Koziov 25  500  hab. 

Lipetzk 14  200  ). 

Boiisogleb>li 12  000  » 

Ousinan ...  7  500  » 

Kirsanov .  7  200  » 

Lebedan 6  000  » 

GOUVERNEMENT   DE   SARATOV. 

Petrovsk  (1881) 15100  hab. 

Balarhov      i.  10  100     » 

Scrdobsk      ..  9  100     » 

Alkaisk        «  0400     » 

GOUVERNEMENT    DE    VORONEJ. 

Voroncj  (1880) 50  100 

Bouloufliiiovka  (^loboda)  (1880).     21  700 
Alcxetcvka  n  i 


hab 


Kalalch 

Itd^'outcliar 

Zadonsk 

Koi'oloyak 

Pavfovsk 

Osti'ogojsk 

Novo-Khoporsli 

Zcmlaosk 


(1880). 


1  i  100 
12  050 
9  450 
8  700 
8t)50 
8  500 
8  100 
8  000 
G  250 


de  5000  habitants  : 

Valouiki fi  050 

Ourazova  (sioboda) 5  000 

GOUVERNEMENT   DE   KOURSK. 

Belgorod 10  100 

SlarîyOskol 7  200 

Korotclia G  550 

GOUVERNEMENT    DE    KllARKOV. 

Khai-kov         (1882) 133  150 


hab. 


hab. 


hab. 


Izoum 

S-tavansk 

Vohchansk 

Tchougouyev 

Starobelsk 

Valki 

Zot'otcbov 


17  800 
15  575 
15  200 
9  780 
7  900 
7  200 
5  775 


GOUVERNEMENT   DE    ÏEKATERINOSLAV. 

Uostov  (1881) 70  700 

Bakhmout  (1884)    ......  20000 

Kakhili-bcvan  (1881) 19  000 

Azov  >.       18  750 

■Lougnii  )'       15  000 

ARMÉE    DU    DON. 

Novo-Tcherkask  (1880)  ....     57  100 

GOUVERNEMENT  d'oROL. 

Yelctz  (1885) 30  080 

Livni        »       25  025 


hab. 


hab. 
hab. 


TAGANROG,  MARIODPOL,  BERDANSK.  815 

en  1769  seulement  que  s'établit  délinilivemcnt  la  ville.  Elle  prospéra  rapi- 
dement et,  devenue  maintenant  la  principale  cité  de  la  Russie  du  sud-est, 
elle  est,  grâce  à  son  chemin  de  fer,  le  port  d'expédition  le  plus  rapproché 
des  Terres  Noires  de  Khaikov  et  du  Don.  Parmi  les  commerçants  qui  se 
pressent  dans  ses  rues,  on  rencontre,  comme  à  Rostov,  beaucoup  d'étran- 
gers, Grecs,  Italiens,  Allemands.  Taganrog  a  pris  aussi  une  certaine  im- 
portance comme  ville  industrielle.  Son  administration  est  indépendante  du 
gouvernement  de  Yekaterinoslav  ;  la  ville  et  sa  banlieue  forment,  comme 
Odessa  et  Kertch,  une  «  capitainerie  »  ou  gradonatchal'stvo  '. 

Marioupol,  colonie  fondée  en  1779,  a  de  grands  avantages  sur  Taganrog, 
puisque  sa  rade  est  meilleure  et  que  les  gros  bâtiments  peuvent  jeter 
l'ancre  à  quelques  encablures  du  rivage  ;  elle  recevra  encore  des  navires 
quand  Taganrog  sera  définitivement  délaissé  dans  les  terres.  Deux  rivières 
s'unissent  à  une  petite  distance  en  amont  de  la  ville,  le  Kalmious  et  le 
Kaltchik,  la  fameuse  Kal'ka,  sur  les  bords  de  laquelle  les  Mongols  rem- 
portèrent, au  printemps  de  1225,  leur  première  victoire  sur  les  Russes". 
Malgré  ses  privilèges  naturels,  Marioupol  a  moins  de  commerce  que 
Taganrog  et  la  valeur  de  ses  importations  est  presque  nulle'.  On  la  dit 
peuplée  de  Grecs  ;  mais  ces  Grecs,  venus  de  Crimée,  ne  parlent  même  pas 
tous  un  dialecte  hellénique.  Les  Razarianes,  qui  émigrèrcnt  du  district  du 
Chersonèse  à  Marioupol,  parlent  tartare  :  M.  Grigorovitch  voit  en  eux 
les  descendants  d'Alains  tartarisés'. 

Berdansk,  bâtie  à  la  racine  de  l'une  des  flèches  de  sable  les  plus  gra- 
cieusement infléchies  de  la  mer  d'Azov  et  au  pied  de  falaises  escarpées,  est 
une  ville  plus  moderne  que  ses  deux  rivales  des  Palus  Maeotides  :  elle  date 
de  l'année  1850.  Encore  privée  de  communications  par  chemin  de  fer 
avec  l'intérieur,  elle  reçoit  pourtant  une  grande  quantité  de  céréales  qu'elle 

'  Commerce  de  Taganrog  en  1882  : 

Entrées 1019  navires  de  mer,  jaugeant.    .    .     500  878  tonnes. 

Sorties 10-26  «  ,•       .    .    .     499  108       x 

Ensemble.    .    .    .     2075  navires,  jauge.int 999  98(5  tonnes. 

Petits  caboteurs  :  Entrées, 3004  embarcations,  jaugeant  21 7 866  tonnes.  Sorties,  5474  embarcations, 
jaugeant  222  962  tonnes.  Ensemble, 440  858  embarcations.  Total  du  mouvement  :  1  440  824  tonnes. 

Exportation  moyenne  en  1878-1880 12  000  000  roubles. 

Importation  )i  5  500  000        » 

-  Kounik,  Mémoires  de  T Académie  des  sciences,  2°  vol.  —  Brunn,  Matériaux  pour  l'histoire  de 
Sougdetja. 
^  Exportation  de  Marioupol  en  1880  :  2  000000  roubles. 

Mouvement  du  port  en  1882  :  1944  navires  et  petits  caboteurs,  jaugeant  559  740  tonnes. 
*  Mémoires  sur  le  voyage  d'un  antiquaire  sur  Kalka  (en  russe). 


SIC 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


expédie  à  l'éiranger'.  La  bonne  tenue  de  sa  rade,  la  profondenr  d'eau  consi- 
dérable de  son  port,  comparée  à  celle  de  Marioupol  et  surtout  de  Taganrog, 


N»  1*1   _.  PFvTxsn.K  DE  E-r.PAN:-r: 


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enfin   le    voisinage  du  grand  coude  oriental  du  Di'iepr,  assurent   à   lîer- 
(iansk  un  courant  commercial  (ouliuu.  BerJausk  est,  pour  ainsi  dire,  le 


Exportation  de  Cerdansk  en  1880  :  7  000  000  roubles. 

Mouvement  du  port  en  1882  :  2406  navires  et  petits  caboteurs,  jaugeant  172  0(J2  tonnes. 


BERDANSK,   CRIMÉE.  817 

port  (lu  Dnepr  sur  la  mer  d'Azov  :  c'est  là  que  vient  aboutir  la  route  la 
plus  courte,  commençant  à  Alexandrovsk,  en  aval  des  rapides. 

A  l'ouest  de  Berdansk,  Nogaïsk,  près  de  la  rivière  Obitotchnaya  et  sur 
la  racine  de  la  flèche  du  même  nom,  n'a  pas  répondu  par  son  commerce 
aux  espérances  de  son  patron,  le  duc  de  Richelieu,  qui  la  désigna  comme 
ville  en  1814.  Les  Tartares  Nogaïs  qui  lui  ont  valu  son  nom  n'existent  plus 
dans  la  contrée.  Melitopol,  sur  la  Molotchnaya,  a  beaucoup  plus  d'impor- 
tance comme  centre  des  échanges  des  nombreuses  colonies  allemandes  des 
alentours'.  Le  centre  de  l'administration  coloniale  est  à  Halbsladt,  peuplée 
de  mennonites. 


XI 


Par  le  tracé  de  ses  rivages,  la  péninsule  de  Crimée  semble  être  presque 
indépendante  de  la  Russie,  puisqu'elle  ne  tient  au  continent  que  par 
l'isthme  étroit  de  Perekop.  Cependant  la  nature  des  terrains  et  la  presque 
horizontalité  du  sol,  qui  se  continue  au-dessous  de  la  nappe  superficielle 
des  eaux,  prouvent  que  les  steppes  de  la  Crimée  du  Nord  continuent  bien 
celle  de  la  Nouvelle-Russie  et  forment  avec  elle  une  même  région  géolo- 
gique. La  véritable  Crimée,  celle  qui  se  distingue  nettement  par  sa  géogra- 
phie du  reste  de  l'empire  slave,  est  la  Crimée  monlueuse  qui  se  prolonge 
du  cap  Chersonèse  au  détroit  de  Yeni-Kaich  et  dont  l'axe  se  croise  avec 
celui  du  Caucase  aux  presqu'îles  volcaniques  de  Kertch  et  de  Tamaii.  Cette 
contrée,  surtout  le  versant  méridional  des  monts,  est,  pour  ainsi  dire, 
complètement  en  dehors  de  la  Russie,  aussi  bien  par  son  histoire  que  par 
ses  roches  et  son  climat.  La  Crimée  était  déjà  rattachée  au  monde  grec  par 
ses  légendes  bien  des  siècles  avant  que  l'immense  pays  des  Scythes  com- 
mençât à  se  révéler,  et  plus  tard  elle  ne  cessa  point  de  prendre  part  aux 
grands  mouvements  historiques  des  nations  méditerranéennes.  Là  s'éleva 
la  capitale  de  ce  royaume  du  Bosphore  que  fonda  Mithridate  et  qui  fut  un 
de  ses  points  d'appui  dans  sa  lutte  contre  Rome  ;  là  furent  plus  lard  les 
colonies  byzantines,  puis  celles  des  Pisans  et  des  Génois  qui  servaient  d'in- 

'  Villes  de  la  rive  septentrionale  de  la  mer  d'Azov  ayant  plus  de  5000  habitants  : 

COUVEK.NtME.M   DE    ÏERATER1.>0SLAV.  i  COUVEMEJIEST   DE   T.MRIDK. 

Taganrog  (1880) 63  0.".(Kial).    1   lierdansk  (1881) 18  200  liab. 

Marioupoi  (1881) 14  800     »       I  Meiitoiioi        »     . 15  300     » 

V.  103 


SIS  NOUVELLE  GÉOGRAPUIE  UNIVERSELLE. 

termédiaires  entre  les  peuples  civilisés  du  midi  de  l'Europe  et  les  tribus 
encore  barbares  des  régions  de  la  Volga.  Tout  récemment,  c'est  aussi  dans 
la  Crimée  qu'eut  lieu  le  choc  d'armées  le  plus  terrible  entre  la  Russie  et 
les  deux  principaux  États  de  l'Europe  occidentale.  Pour  les  Russes  eux- 
mêmes,  naguère  moins  nombreux  en  Crimée  que  les  descendants  de  races 
asiatiques  et  méditerranéennes,  la  presqu'île  est,  pour  ainsi  dire,  une  terre 
extérieure,  une  possession  coloniale  :  ils  y  vont  comme  s'ils  se  rendaient  à 
l'étranger.  Le  versant  méridional  des  monts  de  la  Tauride,  chantée  par 
Pouchkin  ',  est  pour  eux  comme  une  seconde  Italie  par  ses  plantes,  son 
climat,  l'aspect  de  la  terre  et  du  ciel  ;  avec  le  Caucase,  la  Crimée  est  un  des 
pavs  qui  ont  le  plus  contribué  à  développer  chez  les  Russes  modernes  le 
sentiment  de  la  nature.  D'ailleurs,  cet  espace,  comparé  à  la  masse  énorme 
de  la  Russie,  est  de  bien  faibles  dimensions.  La  région  des  montagnes  n'est 
qu'un  cinquième  de  la  péninsule,  et  la  Crimée  tout  entière,  fragment 
maritime  du  gouvernement,  en  partie  continental,  de  Tauride,  n'occupe 
pas  même  autant  d'étendue  qu'un  simple  lac  de  la  Russie,  tel  que  le  Ladoga; 
sa  population  n'égale  pas  celle  d'une  seule  ville  de  l'empire  comme  Péters- 
bourg,  Moscou,  Varsovie'. 


La  chaîne  de  montagnes  calcaires  qui  se  développe  au  sud  de  la  Crimée 
sur  une  longueur  d'environ  180  kilomètres,  du  cap  Chersonèse  à  la  baie 
(le  Kaffa,  est  irrégulière  et  sinueuse.  Dans  son  ensemble,  elle  paraît  n'être 
qu'un  débris  :  elle  porte  partout  les  traces  de  profondes  érosions;  ses 
rochers  ne  sont  que  des  ruines,  ses  montagnes  que  des  fragments  d'un 
vaste  plateau  découpé  par  les  pluies.  Toutefois  le  reste  du  plateau  permet 
de  juger  de  son  architecture  primitive  :  fort  doucement  incliné  du  côté 
du  nord,  il  va  se  perdre  par  graduations  peu  sensibles  sous  le  sol  nu  des 
steppes,  tandis  qu'au  sud  il  descend  vers  la  mer  en  escarpements  abrupts. 
De  ce  côté  seulement  les  pointes  de  l'arête  calcaire  offrent  l'aspect  de  mon- 
tagnes ;  très  rapprochées  de  la  côte,  puisque  l'axe  réunissant  les  saillies 
culminantes  n'est  en  moyenne  que  de  6  à  12  kilomètres  du  rivage,  elles 
paraissent  d'autant  plus  hautes  que  dans  cet  étroit  espace  se  succèdent  les 
degrés  irréguliers  des  contreforts  et  des  promontoires,  et  qu'à  leur  base 
s'étend  la  mer  bleue,  sans  écueils  ou  bancs  de  sable,  presque  sans  algues 


'  La  Fontaine  de  Bakhlchi-Saraï. 

'  Superficie.  ropulalion  en  ISSl.  pupiilalion  lilom. 

Crimée 25  727  kilonièlres  carrés.  500  000  habilanls.  12  habilants. 

Ensemble  du  gouv.  de  Tauride.     Gô  555  a  051800         ).  15         )> 


MONTAGNES  DE  LA  CRIMÉE.  819 

ni  coquillages  :  à  une  foible  distance  du  bord,  la  corde  de  sonde  se 
déroule  à  plus  de  100  mètres  de  profondeur. 

Les  roches  calcaires  des  montagnes  de  la  Crimée  alternent  en  plusieurs 
endroits  avec  des  couches  de  glaise  et  de  schistes  argileux,  et  cette  dispo- 
sition des  strates  a  pour  conséquence  de  hâter  l'écroulement  des  pentes 
tournées  vers  la  mer.  Quelques-uns  de  ces  lits  argileux,  déblayés  graduelle- 
ment par  les  sources,  ont  laissé  de  grands  vides  dans  la  montagne,  et 
des  assises  se  sont  éboulées,  montrant  encore  leur  cassure  vive  au-dessus 
du  chaos  de  pierres.  Sur  les  rivages,  les  vagues  de  la  mer  ont  affouillé  les 
roches  partout  où  elles  présentent  une  assise  d'argile,  et  mainte  falaise, 
privée  de  son  appui,  s'incline  menaçante  au-dessus  des  vagues  ;  chaque 
pluie  en  détache  des  blocs  ou  même  des  parois  entières.  Telle  averse  qui 
tombe  dans  les  montagnes  s'écoule  en  déluge  soudain,  qui  met  en  mouve- 
ment vers  la  mer  tous  les  champs  de  pierres  de  la  vallée  :  un  détachement 
de  soldats  russes,  couchés  dans  le  lit  de  l'Aima,  fut  ainsi  emporté  par  les 
eaux  et  les  débris'.  Parfois  aussi  les  terrains  supérieurs  glissent  sur  les 
argiles  lubrifiées,  entraînant  avec  elles  des  maisons  et  des  jardins,  et 
formant  dans  la  mer  un  nouveau  promontoire.  Lorsque  Pallas  parcourait 
la  péninsule  en  1794,  on  lui  montra  deux  caps  de  ce  genre  provenant 
d'éboulis  qui  avaient  eu  lieu  huit  années  auparavant.  En  quelques  endroits 
les  couches  de  glaise  se  révèlent  jusque  dans  le  voisinage  des  sommets  par 
les  eaux  salines,  autour  desquelles  croissent  des  plantes  que  l'on  rencontre 
d'ordinaire  au  bord  de  l'Océan  ■.  Les  fontaines  calcaires,  bordées  de  con- 
crétions, sont  aussi  fort  nombreuses. 

La  plus  haute  montagne  de  la  Crimée,  à  laquelle  les  Russes  ont  laissé 
son  nom  tartare  de  Tchatîr  Dagh  ou  a  Mont  de  la  Tente  »,  peut  être  prise 
en  exemple  de  la  formation  générale  du  mur  calcaire  découpé  en  créneaux. 
De  loin,  en  effet,  ses  parois  blanches  et  régulières  lui  donnent  l'aspect 
d'une  tente  ;  mais,  vu  du  sommet,  il  mérite  surtout  l'appellation  de 
«  Table  »  ou  de  Trapezos  que  lui  donnèrent  les  Grecs.  Isolé  de  toutes  parts, 
à  l'est  et  à  l'ouest  par  des  précipices  presque  verticaux,  au  nord  et  au  sud 
par  des  cirques  et  des  ravins  d'érosion,  il  a  la  forme  d'une  masse  (piadran- 
gulairc  allongée  dans  le  sens  du  méridien,  et  comprend  une  superficie  d'un 
])eu  plus  d(!  20  kilomètres  carrés.  Cette  vaste  étendue  est,  sinon  i)arfaite- 
ment  horizontale,  du  moins  très  doucement  inclinée  jusqu'au  voisinage  de 
l'arête,  vers  le  midi  de  la  «  table  »  ;  seulement  des  cavités  en  entonnoirs, 


'  Marknv,  Ln  villes  îles  grotles  en  Crimée,  Vcsinik  Yc\ropi,  1872,  V(,  VII. 
"  Pallas,  Tableau  phijsiqiie  et  topographiquc  de  la  Tauride. 


820 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


où  se  perdent  les  eaux  de  pluie,  se  sont  creusées  çà  et  là  dans  la  roche'. 
Les  hauts  pâturages  ou  les  yailas  du  Tchatîr  Dagh  et  de  ses  voisins  rap- 
pellent les  «  alpages  »  du  Jura  suisse;  mais  le  temps  a  plus  détruit  sur  les 
bords  de  la  mer  Noire  qu'au-dessus  du  lac  de  Neuchâtel  :  aucun  sommet 
du  Jura  helvétique  n'a  été  dénudé  comme  la  montagne  de  la  «  Tente  ».  La 
brèche  d'Angar  ou  Ansar-Boghaz,  ouverte  à  l'orient  du  Tchatîr  Dagh,  est 


N*    ISI.   TrUATlR    PACH    FT    TAlI.l      VOI!ÎI\r? 


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Uai'rùs   ;a  cailc  de  l'ilal-i 


Û^  0 à  50  mètre:  de50mcu-ae/à 

I  ;  ri-.s  000 


celle  où  naît  le  Salgir,  affluent  du  Sivach  et  la  rivière  la  plus  abondante 
de  la  péninsule.  Le  col  de  passage,  plus  bas  que  tous  ceux  de  la  chaîne 
proprement  dite  et  depuis  longtemps  franchi  par  une  route  carrossable, 
a  de  tout  temps  facilité  les  communications  entre  les  steppes  du  nord  et  le 
littoral  du  midi;  cet  endroit  est  l'un  des  points  vitaux  de  la  péninsule". 


'  J.  G.  Kohi,  Reisen  in  Sild-Russland. 

-  Principaux  sommets  des  monts  de  la  Crimée,  d'apiès  Parrol  el  Ei>i;i'lhardl  : 

Tcliatir  Dagh 1661  milles.   |   Babouj;aii  Yaila,  au  sud.    .     1665  mètres. 

Ai  Vassiiem 1627  mètres. 


r 


MONTAGNES  DE  LA  CRIMEE.  825 

De  même  que  la  plupart  des  littoraux  formés  de  roches  calcaires,  la  côte 
méridionale  de  Crimée  se  développe  en  courbes  d'une  singulière  netteté 
de  contours  :  quelques-unes  sembleraient  avoir  été  tracées  au  compas,  tant 
elles  s'arrondissent  avec  régularité.  Des  plages  émergées,  à  plusieurs 
mètres  de  hauteur  au-dessus  de  la  mer  actuelle,  témoignent  soit  d'un 
soulèvement  de  la  contrée,  soit  d'une  dénivellation  des  eaux  du  Pont- 
Euxin,  avant  que  cette  mer,  s'ouvrant  le  chemin  du  Bosphore,  s'abaissât  et 
se  séparât  de  la  mer  Caspienne.  Des  recherches  spéciales  faites  pendant 
ce  siècle  ont  prouvé  que  ces  plages  exondées,  formées  pour  la  plupart  de 
sables  coquilliers,  varient  en  hauteur  de  4  à  6  mètres  et  qu'elles  entourent 
toute  la  partie  méridionale  de  la  Crimée  en  se  continuant  à  l'est  le  long  des 
péninsules  de  Kertch  et  de  Taman.  Les  coquilles  que  l'on  y  trouve  appar- 
tiennent sans  exception  aux  espèces  existant  encore  dans  la  mer  ^'oire'• 

Sur  les  deux  versants  de  la  chaîne  calcaire  et  vers  ses  deux  extrémités, 
des  roches  éruptives  se  sont  fait  jour  à  travers  le  sol  :  on  les  considérait 
autrefois  comme  des  ophites  d'origine  ancienne,  mais,  grâce  à  l'analyse  chi- 
mique, on  a  pu  reconnaître  que  ces  roches  sont  des  basaltes  modernes', 
le  cap  Saint-Georges,  à  la  pointe  sud-occidentale  de  la  péninsule,  est  une 
de  ces  nappes  de  basalte  qui  se  sont  épanchées  au  loin  dans  la  mer. 
L'activité  souterraine  qui  se  manifeste  de  temps  en  temps  par  des  érup- 
tions, des  deux  côtés  du  détroit  de  Yeni-Kaleli,  se  fait  sentir  précisé- 
ment  sur  l'axe  de  jonction  des  monts  de  la  Crimée  et  du  Caucase  :  sans 
nul  doute,  c'est  à  la  coupure  de  cette  ligne  par  une  vallée  maritime  qu'il 
faut  attribuer  l'effervescence  du  sol  profond.  Des  sources  thermales,  des 
suintements  de  naphte  et  des  volcans  de  boue,  semblables  aux  niaccalube 
de  Girgenti,  se  voient  encore  çà  et  là  dans  la  région  niontueuse  des  envi- 
rons de  Kertch  ;  mais  de  puissantes  couches  d'argile,  d'origine  éruptive, 
prouvent  que  les  épanchements  de  vase  se  faisaient  autrefois  avec  beaucoup 
plus  de  violence  que  de  nos  jours.  Les  volcans  de  boue  de  la  péninsule  de 
Kertch  les  plus  fréquemment  en  activité  sont  ceux  de  Boulganak,  à  G  kilo- 
mètres au  nord  de  Kertch  :  quand  la  boue  permet  d'en  approcher,  on  peut 
voir  des  bulles  de  gaz  jaillir  des  cratères  en  projetant  la  vase  à  une  hau- 
teur de  quelques  centimètres.  Suivant  la  fluidité  des  matières  rejetées  par 
les  orifices  du  sol,  les  cônes  d'éjection  sont  plus  ou  moins  élevés  et  pointus  ; 
il  en  est  qui  ont  plutôt  la  forme  de  nappes  légèrement  bombées.  La  tempé- 
rature de  la  boue  liquide  est  beaucoup  plus  basse  en  été  que  celle  di; 

'  Ilcrmann  Abioh,  Ein  Blick  aiif  die  Halhintcln  Keitsch  und  Taman. 

*  Von  Sluckeobcrg,  Matériaux  pour  la  qéotoyic  de  la  Russie.  Publications  de  la  Société  miurra- 
logique  de  Russie,  tome  V  (en  russe). 


82i  îiOUVCLLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

l'atmosphère  extérieure.  D'après  les  Tartares  du  voisinage,  les  explosions 
de  gaz  et  de  bone  sont  d'autant  plus  violentes  que  la  mer  est  plus  tran- 
quille. Quand  la  mer  est  grosse,  les  volcans  se  calment. 

Par  ses  falaises,  ses  hauts  escarpements,  l'île  de  montagnes  de  la  Crimée 
méridionale,  que  Pline  déjà  signale  comme  ayant  été  un  massif  insulaire, 
se  distingue  singulièrement  du  reste  de  la  Russie,  presque  partout  basse 
ou  peu  accidentée  ;  mais  c'est  grâce  à  leur  parure  de  plantes  que  les  monts 
de  la  Crimée  méritent  le  plus  d'être  considérés  comme  un  monde  à  part. 
Dans  les  steppes  criraéennes  des  bords  du  Sivach,  le  sol  argileux  n'a  que 
des  touffes  d'herbe  isolées,  et  même  celles-ci,  après  deux  mois  de  végéta- 
tion, tombent  en  poussière.  On  pourrait  se  croire  en  plein  désert  '.  Mais  sur 
les  premiers  coteaux  du  versant  septentrional,  tourné  vers  la  steppe  nue, 
des  prairies,  des  groupes  de  peupliers,  des  vergers,  des  bouquets  d'arbres 
divers  embellissent  les  pentes,  et  dans  chaque  vallée  murmurent  des  eaux 
fraîches,  que  l'on  détourne  dans  les  jardins,  où  elles  alimentent  une  végéta- 
tion magnifique.  Les  forêts  des  hauteurs  n'ont  pas  encore  été  toutes 
détruites,  et  l'on  peut  encore  voir  çà  et  là  des  groupes  de  hêtres  superbes, 
qui  rappellent  les  forêts  de  l'Europe  centrale  et  de  la  Normandie.  Tous 
les  grands  arbres  de  l'Europe  tempérée  s'entremêlent,  chêne,  hêtre, 
charme,  tilleul,  ormeau,  frêne,  sorbier,  tremble,  saule,  aubépine,  meri- 
sier, prunier,  pommier  sauvage.  Sur  le  versant  méridional,  le  pin  mari- 
time est  l'arbre  le  plus  commun;  mais  sur  les  pentes  inférieures  la 
végétation  est  celle  de  l'Italie  :  en  franchissant  les  montagnes,  on  s'est,  pour 
ainsi  dire,  transporté  de  plusieurs  degrés  vers  le  sud.  Là  croissent  le  lau- 
rier, le  figuier,  le  micocoulier,  le  grenadier,  l'olivier,  l'arbousier,  et  les 
vignes  sauvages  entrelacent  leurs  pampres  aux  troncs  des  grands  arbres. 
Le  nombre  des  plantes  qui  vivent  sur  les  monts  de  la  Tauride  dépasse  de 
plusieurs  centaines  celles  qui  peuplent  tout  le  reste  de  la  Russie*.  Le  ver- 
sant en  espalier  des  montagnes  de  Yaïla  forme  comme  un  vaste  jardin  bota- 
nique, et  les  parcs  seigneuriaux  qui  se  succèdent  au  pied  des  escarpements 
n'ont  eu  qu'à  mêler  les  végétaux  des  forêts  environnantes  aux  fleurs  culti- 
vées pour  ressembler  aux  merveilleux  jardins  de  la  Sicile  et  de  la  Ligurie. 

Trop  étroite  pour  donner  asile  à  une  faune  considérable,  la  Crimée 
est  beaucoup  moins  riche  en  animaux  qu'en  espèces  végétales.  A  l'excep- 
tion du  lièvre,  du  renard  et  des  petits  rongeurs,  les  quadrupèdes  sau- 
vages y  sont  rai'cs  et  quelques-uns  de  ceux  qu'on  voit  en  Russie  mainpient 


'  Kôppen,  Beilrâge  zur  Kcimtniss  des  lussischen  Reiclies. 
'  Pallas,  ouvrage  cilii. 


FLORE  ET  FAUNE  DE  LA  CRIMÉE.  825 

tout  à  fait  ;  ils  ont  été  arrêtes  dans  leurs  migrations  par  la  steppe  nue. 
Le  cerf,  le  chevreuil,  la  martre  de  la  Crimée  sont  d'origine  caucasienne; 
ils  ont  dû  venir  en  hiver  sur  les  glaces;  mais  l'écureuil,  retenu  par  le  som- 
meil hivernal,  n'a  point  immigré'.  Mais  tous  les  animaux  domestiques 
des  steppes  russes  ont  été  introduits  dans  la  péninsule,  et  le  chameau  à 
deux  bosses  parcourt  les  plaines  salines  des  bords  du  Sivach  comme  celles 
de  sa  patrie  asiatique.  En  automne,  les  cailles  se  rassemblent  sur  la 
côte  méridionale  de  la  Crimée  pour  traverser  de  compagnie  la  mer  Noire, 
puis  elles  reviennent  au  printemps  des  côtes  d'Anatolie  :  c'est  de  la  même 
manière  que  les  migrations  périodiques  des  cailles  se  font  entre  la  Provence 
et  la  Maurétanie,  par-dessus  le  bassin  occidental  de  la  Méditerranée.  La 
Tauride  est  relativement  pauvre  en  oiseaux  aquatiques,  en  reptiles,  en 
insectes,  en  mollusques  marins.  Les  huîtres,  d'un  goût  exquis,  sont  petites 
et  triangulaires  :  von  Baer  y  voit  une  variété  rabougrie  de  l'espèce  com- 
mune ;  la  proportion  de  sel  contenue  dans  l'eau  de  la  mer  Noire,  soit  de 
17  à  18  parties  sur  1000,  est  la  moindre  dans  laquelle  puisse  se  développer 
ce  mollusque.  Le  taret  destructeur  est  le  fléau  des  ports  de  Crimée,  et  dans 
le  port  de  Sébastopol  c'est  à  huit  années  seulement  que  l'on  évalue  la  durée 
moyenne  d'un  vaisseau  de  guerre  en  bois.  On  peut  juger  de  l'abondance  de 
la  vie  animale,  pullulant  sur  les  côtes  de  la  Crimée,  par  ce  fait  qu'en  dé- 
cembre 1869  la  baie  de  Balaklava  se  trouva  presque  emplie  par  un  banc 
d'anchois,  que  poursuivaient  des  dauphins.  Ne  trouvant  pas  d'issue  pour 
s'échapper  vers  la  haute  mer  et  sans  cesse  grossi  par  d'autres  amas,  le  banc 
finit  par  former  comme  une  masse  solide,  qui  dépassait  en  maints  en- 
droits la  surface  de  l'eau.  Toute  la  population  de  Bal'aklava  était  occupée  à 
remplir  de  poissons  les  bateaux  et  les  tonnes.  Mais  bientôt  il  fallut  aussi 
songer  à  débarrasser  le  bassin  des  myriades  de  poissons  morts  qui  s'y  trou- 
vaient :  des  milliers  d'hommes,  envoyés  de  Sébastopol,  travaillèrent  à  net- 
toyer les  plages  de  la  matière  putréfiée  qui  l'encombrait  :  on  employa  même 
le  canon  pour  chasser  les  dauphins  (pii  bloqnaiciil  l'enlréo  de  la  baie, 
empêchant  ainsi  la  fuite  des  anchois  vivants.  Pendant  des  mois  l'atmosphère 
fut  empestée;  une  partie  des  habitants  de  Balakl'ava  dut  quitter  la  ville 
pour  fuir  l'horrible  puanteur.  D'ailleurs  une  masse  considérable  de  pois- 
sons, au  lieu  de  se  putréfier,  se  changea  en  une  substance  crayeuse,  blan- 
che et  grasse  au  toucher  comme  du  savon,  qui  se  déposa  graduellement  sur 
les  rives  en  forme  de  strate  géologique'. 


'  Kôppon,  licilrwje  zur  hcnntnias  des  Russifdien  Rcichcs,  2'  Fol;.'e,  Petersl)iiig,  1882. 

*  Fritschc; —  Brandi,  Bulletin  de  V Académie  des  sciences  de  Sainl-Pétersbonrg,  loiiu'  III,  1861. 


826  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

Le  doux  climat  de  la  Crimée,  dont  la  moyenne  d'hiver  ne  descend  qu'ex- 
ceptionnellement au-dessous  du  point  de  glace,  même  dans  les  villes  du 
versant  septentrional,  et  la  riche  végétation  des  vallées  ne  pouvaient  man- 
quer d'attirer  les  émigrants  vers  la  péninsule  de  Tauridc';  mais  la  position 
géographique  de  la  presqu'île  assurait  en  outre  aux  habitants  des  avan- 
tages spéciaux.  Située  en  dehors  du  continent,  tout  en  gardant  ses  commu- 
nications libres  avec  les  plaines  de  l'intérieur,  la  Crimée  va,  pour  ainsi 
dire,  au-devant  de  toutes  les  routes  de  commerce  et  leur  ouvre  ses  ports. 
Sentinelle  de  la  mer  d'Azov  et  des  golfes  occidentaux  de  la  mer  Noire,  elle 
profite  à  la  fois  des  échanges  qui  se  font  entre  les  pays  d'outre-mer  et  les 
bassins  du  Don  et  du  Dnepr.  Pour  l'attaque  et  pour  la  défense,  la  Crimée 
occupe  également  une  situation  exceptionnelle,  au  centre  du  Pont-Euxin  ; 
en  fermant  la  porte  de  l'isthme  qui  la  rattache  au  continent,  elle  peut 
même  se  changer  en  une  véritable  forteresse  :  tel  aurait  été  même,  d'après 
Forster  et  Koppen',  le  sens  du  nom  de  krhn  que  lui  donnèrent  les  Tar- 
tarcs  vers  la  lin  du  treizième  siècle",  et  qui  lui  est  resté  jusqu'à  nos  jours, 
en  même  temps  que  l'appellation  plus  ancienne  de  Tauride.  D'après  un 
Tartare  de  Crimée,  Kharlakhaï,  ce  nom  pourrait  être  rapproché  du  mot 
mongol  herem,  qui  signifie  muraille. 

On  ne  sait  que  peu  de  chose  des  Thraces  Cimmériens'  qui  peuplaient  la 
péninsule  à  l'époque  où  commence  l'aurore  historique  et  qui,  chassés  par 
le  peuple  scythe  des  Taures,  allèrent  ravager  l'Asie  Mineure.  Peut-être 
est-ce  à  eux  que  l'on  doit  attribuer  les  antres  creusés  çà  et  là  en  véritables 
cités  souterraines  dans  les  parois  calcaires  des  montagnes  et  comprenant 
des  milliers  de  chambres^,  habitées  jadis  par  des  générations  de  fugitifs 
et  d'ascètes.  Les  quelques  menhirs  et  les  nombreux  dolmens  que  l'on  ren- 
contre aussi  sur  les  hauteurs  ^  surtout  dans  les  montagnes  du  sud-ouest, 
et  qui  ressemblent  à  ceux  de  la  Gaule ',  sont  peut-être  aussi  l'œuvre  de  ces 
aborigènes,  dans  lesquels  plusieurs  auteurs  ont  voulu  voir  des  Celles, 
frères  de  ceux  qui  envahirent  les  contrées  de  l'Europe  occidentale.  Il  est 

'  Teinpéralure  de  Simferopdl  : 

Moyenne  de  printemps H''14  C.   1  Moyenne  d'automne 8''46  C. 

»       d'été 190  85        I  «       d'hiver 0'' 70 

Moyenne  de  l'année Il"(i5  C. 

Moyenne  au  jardin  Nikilskiy,  sur  lu  cùte  méridionale I'2°ô5  C. 

-  Krimskiij  Sbornik. 

'-  llarka\i,"/<».s.«.s,/(e  Revue,  1876,  X. 

*  D'Ailxiis  lie  Juliainville,  li's  Premiers  hubilttnls  de  l'Eioope. 

5  Markuv,  ouvrage  cité. 

«  Dubois  de  Monipércux,  Voijmje  en  Crimée  et  an  Caucase. 

''  G.  de  Mor:illcl,  Races  humaines  et  chirurgie  religieuse  à  l'époque  àes  dolmens. 


ANCIENS  HABITANTS  DE  LA  CRIMEE. 


827 


probable  que  la  population  de  la  Tauride  se  rattachait  dans  son  ensemble 
aux  tribus  du  Caucase.  D'après  Kôppen,  les  habitants  des  contrées  à  dol- 
mens de  la  Crimée  ressemblent  à  ceux  qui  vivaient  dans  le  pays  à  l'époque 
où  ces  tombeaux  furent  élevés  et  doivent  être  considérés  en  grande  partie 
comme  leurs  descendants  '. 

A  l'époque  où  la  civilisation  hellénique  fit  entrer  les  peuples  de  la  Tau- 


lOMBEAU    DES    «OIS    SCÏTIIES,    PRÈS    DE    KEHTC:!. 

Dessin  de  Tajlor,  d'après  une  photographie  communiqU(''e  par  M.  Hamliaud. 

ride  dans  le  cercle  du  monde  ancien,  la  race  dominante  de  la  contrée, 
désignée  par  les  Grecs  du  nom  de  Scythes,  comme  tous  les  habitants  des 
plaines  du  nord,  appartenait  certainement  à  la  souche  aryenne  :  les  sque- 
lettes trouvés  dans  les  tombes  ne  permettent  aucun  doute  à  cet  égard. 
Grâce  à  leurs  éducateurs  hellènes,  les  Scythes  de  la  péninsule  avaient  fait 
les  plus  remarquables  progrès  dans  les  arts,  et  quelques-unes  de  leurs 
œuvres  ne  sont  pas  trop  inférieures  aux  objets  grecs  d'un  goût  ex(]uis  qui 
furent  trouvés  dans  les  mêmes  tombeaux  et  qui  font  la  gloire  des  musées. 


*  Ritssische  Revue,  1874,  ii°  12. 


R28  .NOUVELLE  GÉOGRAPUIE  U.MVERSELLE. 

Les  collines  qui  dominent  Kertch,  l'antique  Panticapée  des  Milésiens,  con- 
tenaient naguère  dans  leurs  tombelles  et  leurs  catacombes  d'immenses  tré- 
sors, dont  la  plus  grande  partie  a  été  transférée  au  musée  de  l'Ermilage,  à 
Saint-Pétersbourg,  et  dans  quelques  collections  particulières.  Depuis  plus 
de  deux  mille  années,  ces  tombes,  surtout  celles  des  femmes,  les  plus  riches 
en  métaux  précieux,  sont  exploitées  par  les  chercheurs  de  trésors,  et  des 
fouilles  récentes  ont  même  amené  la  découverte  de  deux  de  ces  mineurs, 
ayant  encore  leurs  pelles  à  la  main,  au  moment  oii  le  sol  éboulé  les  en- 
gloutit. D'après  les  indigènes,  les  marchands  génois  surtout  ont  été  fort 
habiles  dans  leurs  fouilles,  et  c'est  au  temps  de  leur  domination  que  la 
plupart  des  tombeaux  royaux  des  environs  de  Kertch  auraient  été  dépouillés. 
Cependant  il^en  restait  encore  plusieurs,  vierges  de  toute. profanation,  et  dès 
181(3  le  Français  Paul  Duhrux  commençait  des  fouilles  fructueuses  dans  les 
tombelles  de  Kertch;  mais  l'événement  archéologique  capital  fut,  en  1851, 
la  découverte  de  la  vaste  salle  funéraire  cachée  dans  l'intérieur  du  Koul  Oba, 
le  «  Mont  des  Cendres  »,  situé  au  nord  de  Kertch  :  on  y  trouva,  autour  des 
deux  squelettes  d'un  roi  et  d'une  reine,  tout  un  musée  d'objets  précieux, 
vases,  statuettes,  monnaies,  pierres  gravées,  armes,  bracelets,  outils  de 
toute  espèce,  car  il  était  d'habitude  que  le  mort  emportât  avec  lui  dans 
la  tombe  tout  ce  qui  lui  avait  plu  pendant  sa  vie  ;  malheureusement  ce 
tombeau,  ainsi  qu'un  caveau  inférieur  que  l'on  dit  avoir  été  plus  riche 
encore,  fut  pillé  pendant  la  nuit  par  des  centaines  d'individus  qu'avait 
attirés  le  bruit  de  trouvailles  merveilleuses.  Malgré  la  proclamation  d'un 
pardon  général  et  l'offre  d'un  paiement  au  poids  de  tous  les  objets  trou- 
vés, une  grande  partie  de  ces  trésors,  fondus  au  creuset,  fut  perdue 
pour  la  science'.  Mais  les  statuettes  qui  restent  suffisent  pour  prouver, 
comme  les  squelettes,  que  les  Scythes  du  Bosphore  cimmérien  appar- 
tenaient à  la  race  aryenne  :  on  a  même  voulu  reconnaître  en  eux  de 
«  vrais  Cosaques  »  '.  Les  divers  objets  semblent  appartenir  à  deux  épo- 
ques, correspondant,  l'une  au  règne  d'Alexandre,  l'autre  à  l'établisse- 
ment de  la  puissance  romaine;  mais  à  ces  âges  de  l'influence  hellé- 
nique, continuée  pendant  tout  le  règne  de  la  dynastie  spartocidc,  en 
succéda  un  autre  qui  témoigne  de  la  prépondérance  du  style  asiatique. 
Les  fresques  découvertes  en  1871  par  Stasov  dans  une  cataconibe  de 
Kertch  prouvent  qu'à  l'époque  de  Mitliridale  une  réaction  se  fit  en  Crimée 
contre  l'art  de  l'Occident,  au  profit  de  celui  de  l'Orient'.  Cette  réaction 

«  K.  Picirtz.  Rrciiei!  d'articles  anthropologiques  et  ethnographiques  de  Dachkov,  \. 

-  lioiili',  l'uuitlcs  et  découvertes;  —  Antiquités  du  Bosphore  cimmérien. 

'  Albin  Kolin  iinii  C.  Melilis,  Materialien  zur  Vorgeschichte  des  Menschen  im  ôsllichen  Europa. 


ANCIENS  HABITANTS  DE  LA  CRIMÉE.  829 

dura  jusqu'au  quatrième  siècle  de  l'ère  vulgaire;  mais  alors  l'ébranle- 
ment général  dos  nations  qui  se  déplaçaient  de  l'est  à  l'ouest  changea, 
du  moins  partiellement,  la  population  de  la  Tauride,  et  les  communi- 
cations des  habitants  de  la  péninsule  avec  les  tribus  du  nord  de  la 
Russie  furent  interrompues  pendant  des  siècles.  C'est  grâce  à  ces  rela- 
tions que  les  Scythes  de  Panticapée  avaient  pu  se  procurer  les  énormes 
quantités  d'or  de  provenance  ouralienne  et  même  altaïque  enfouies  par  eux 
dans  les  kourgans. 

Tandis  que  dans  la  région  des  steppes  les  peuples  en  marche,  s'enlre- 
heurtant  les  uns  les  autres,  ne  s'arrêtaient  nulle  part  et  devaient  se  dépla- 
cer sans  cesse  sous  la  pression  de  leurs  voisins,  les  tribus  qu'un  remous 
latéral  avait  rejetées  dans  la  péninsule  de  Crimée  y  trouvaient  le  point 
d'appui  des  montagnes  et  pouvaient  résister  longtemps,  enfermées  dans  les 
hautes  vallées.  Ainsi  les  Alains,  d'ailleurs  peu  nombreux,  s'y  maintinrent 
durant  plus  de  six  siècles  sous  le  nom  d'As,  Acias,  Akas  ou  Yas,  et  non 
comme  une  peuplade  soumise,  mais  en  qualité  d'hommes  «  blancs  », 
c'est-à-dire  libres'.  Marino  Sanudo  mentionne  encore  ces  Alains  en  1554, 
époque  à  laquelle  ils  avaient  depuis  longtemps  disparu  de  tout  le  reste 
de  l'Europe,  si  ce  n'est  des  marais  riverains  de  la  mer  Noire.  L'immense 
empire  des  Goths,  qui  s'étendit  sur  une  moitié  de  l'Europe,  s'évanouit 
comme  une  eau  qui  s'écoule  ;  le  petit  détachement  de  Goths  qui  s'était 
établi  dans  les  montagnes  de  la  Crimée  se  maintint  au  contraire  avec 
sa  langue  et  sa  nationalité  pendant  plus  de  mille  années.  Au  milieu  du 
treizième  siècle,  le  Flamand  Rubruquis  dit  expressément  que  les  Goths 
sont  nombreux  sur  la  cote  méridionale,  appelée  Gothie,  et  que  leur  lan- 
gage est  d'origine  teutonique;  plusieurs  mots  de  cet  idiome,  en  effet  très 
rapproché  de  l'allemand,  sont  cités  par  un  voyageur  autrichien,  en  1565. 
Encore  au  dix-septième  siècle,  un  de  leurs  groupes  vivant  dans  la  partie 
occidentale  des  montagnes  de  la  Crimée,  autour  de  l'ancienne  forteresse 
de  Mangoup-Kaleh,  se  distinguait  par  son  idiome  tudesque  de  toutes  les 
populations  environnantes  ^  Un  cimetière  voisin  de  Bakhtchi-Saraï  est 
encore  appelé  aujourd'hui  le  «  cimetière  goth  »  (gotveyskoïe)  par  les 
paysans  îles  alentours".  Les  tombeaux  appartiennent  aux  deux  époques, 
païenne  et  chrétienne. 

Au  moyen  âge,  quelques  colonies  de  Russes,  éloignées  du  gros  de  leur 
race,  furent  aussi  l'une  des  populations  les  plus  solidement  établies  dans 

'  Bnmn,  Matériaux  pour  l'hisloire  de  Sougdeya  (en  russe). 

-  Brunn,  Golhs  de  la  mer  Noire  (en  russe);  —  Alfred  Rambaud,  Russie  épique. 

'  Marliov,  Les  villes  des  grolles  en  Crimée,  Vcsinilt  Yevropi,  1872,  n"'  6  et  7. 


830  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

la  presqu'île  de  Crimée,  si  bien  que  les  auteurs  arabes  donnèrent  à  celte 
terre  le  nom  de  «  péninsule  russe'  ».  Les  Tartares  de  Grimée  ont  pu  égale- 
ment se  maintenir  beaucoup  plus  longtemps  dans  la  citadelle  des  monts  de 
la  Tauride  que  leurs  frères  du  continent  dans  les  ovrags  des  steppes.  Ces 
Turcs  doivent  le  nom  de  Nogaï,  sous  lequel  ils  sont  connus  d'ordinaire, 
au  prince  Nogaï,  de  la  Horde  d'Or,  qui  se  sépara  de  l'empire  mongol  vers 
la  fin  du  treizième  siècle,  et  s'établit  entre  le  Terek  et  la  Kouma,  avec 
des  sujets  de  races  diverses,  Khazars,  Petchénègues,  Koumanes  et  Mon- 
gols". Au  treizième  siècle,  les  Nogaï  s'emparèrent  de  la  Crimée,  dont 
ils  firent  un  entrepôt  de  commerce  avec  l'Europe  par  l'intermédiaire  des 
colonies  italiennes,  surtout  génoises,  de  leurs  rivages.  Le  royaume  des 
Tartares  de  la  Crimée  s'organisa  définitivement  quand  Tamerlan  eut 
ruiné  la  Horde  d'Or  sur  la  Volga,  puis  il  devint  célèbre  avec  la  dynastie 
des  Ghireï,  qui  régna  sur  la  péninsule  pendant  plus  de  trois  siècles, 
depuis  le  commencement  du  quinzième.  Les  premiers  temps  de  cette 
dynastie  furent  les  plus  heureux  de  la  Crimée,  grâce  à  la  tolérance  par- 
faite qui  permettait  à  tous  les  étrangers,  Russes  ou  Italiens,  de  quelque 
race  ou  de  quelque  religion  qu'ils  fussent,  de  s'établir  et  de  commercer 
dans  le  pays'.  Mais  tout  changea  quand  les  Turcs  se  furent  emparés  de 
Kaffa,  et  que  les  khans  de  la  Crimée,  devenus  leurs  vassaux,  furent  obligés 
de  se  faire  les  pourvoyeurs  d'esclaves  pour  les  sultans  de  Stamboul  :  ce 
fut  le  commencement  de  ces  guerres  incessantes  d'invasion  qui  dévas- 
tèrent la  Russie  méridionale  et  en  changèrent  certaines  régions  en  dé- 
serts. Enfin,  en  1774,  Catherine  U  obligea  la  Turquie  à  reconnaître 
l'indépendance  de  la  Crimée,  qui  devint  par  ce  fait  vassale  de  Saint- 
Pétersbourg,  et  en  1787  le  dernier  des  Ghireï  abdiqua  au  profit  de  l'im- 
pératrice de  Russie. 

Dès  que  la  péninsule  conquise  eut  à  recevoir  des  maîtres  étrangers,  la 
dépopulation  commença  :  la  solitude  se  fit  en  maints  endroits  pour  consti- 
tuer de  grands  domaines  aux  vainqueurs.  En  1736,  un  résident  hongrois, 
le  consul  français  Evorka,  évaluait  à  150000  hommes  les  combattants  de 
la  Horde  de  Perekop  et  comptait  en  outre  40  000  familles  de  Nogaï 
dans  la  contrée*.  Eu  1804,  les  documents  officiels  n'évaluaient  plus  qu'à 
140  000  habitants  la  population  de  la  Crimée,  qui  avait  été  de  plus  d'un 


•  Itovaïskiy,  Recherches  sur  l'Hisloire  russe  (en  russe);  —  Ilarkavi,  Rapport  au  congrès  archéo- 
logique de  Kazan', 

-  Caslrèn,  Ethnologische  Vorlesungen  aher  die  allaischen  Vôlker. 

■•  Kharlakhaï,  Histoire  des  Tartares  de  la  Crimée,  Vesliiik  Ycvi-opî,  1866,  II,  1867,  IL 

♦  Brunn,  La  péninsule  de  Crimée  vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle  (en  russe). 


TARTARES  ET  KARAITES.  851 

demi-million',  le  double  de  ce  qu'elle  est  aujourd'hui.  A  la  suite  de  la 
guerre  dite  «  de  Crimée  »,  en  1854  et  1855,  puis  de  1860  à  1865,  des 
Tartares  émigrèrent  en  foule  pour  chercher  un  asile  sur  les  domaines  du 
sultan  ;  plus  de  cinq  cents  villages  et  hameaux  restèrent  complètement 
déserts.  Les  deux  migrations  se  croisèrent  :  tandis  que  les  mahométans 
de  la  Crimée  allaient  s'établir  sur  une  terre  ottomane,  des  Bulgares  et 
d'autres  chrétiens  de  Turquie  venaient  prendre  le  sol  abandonné  dans  la 
péninsule.  L'oukaze  du  15  janvier  1874,  qui  les  oblige  au  service  mili- 
taire, l'enseignement  du  russe  dans  les  écoles,  l'intervention  fréquente  des 
employés,  la  réglementation,  sont  pour  les  Tartares  autant  de  causes  d'af- 
faiblissement national  :  tandis  que  les  autres  races  de  la  Crimée  augmen- 
tent en  nombre,  ils  diminuent.  En  1864,  ils  étaient  encore  plus  nombreux 
que  tous  les  autres  habitants  de  la  Crimée  ;  de  nos  jours,  la  proportion 
est  changée  à  leur  détriment  :  ils  ne  forment  plus  même  le  tiers  des  rési- 
dents de  l'Ile*. 

Dès  leur  arrivée  dans  la  péninsule,  les  Tartares  étaient  loin  d'être  de 
pure  race  turque  :  en  Crimée,  ils  se  croisèrent  de  plus  en  plus,  d'un  côté 
avec  la  population  indigène,  de  l'autre  avec  les  captifs  importés  quelquefois 
par  milliers  de  Russie.  En  plusieurs  endroits  des  montagnes,  les  Tartares 
n'appartiennent  à  la  race  d'Asie  que  par  le  nom  et  la  religion  :  à  leur 
beau  profil  hellénique,  on  reconnaît  des  Grecs  et  des  Italiens  d'origine  :  ce 
sont  les  descendants  islamisés  des  anciennes  populations  de  la  Tauride  et 
des  Génois  de  Kaffa^;  pour  d'autres,  ce  sont  des  Oukraïniens,  descendants 
des  colons  du  moyen  âge.  La  polygamie  a  complètement  disparu  de  leurs 
communautés.  D'ailleurs,  quelle  que  soit  la  part  des  divers  éléments  ethni- 
ques unis  dans  leur  race,  tous  leurs  voisins.  Russes,  Grecs,  Allemands  ou 
Juifs,  s'accordent  à  vanter  leur  droiture,  leur  probité,  leur  amour  du 
travail  et  de  l'ordre,  leur  sobriété,  leur  respect  de  la  dignité  humaine.  En 
les  perdant,  la  Crimée  perd  ses  meilleurs  citoyens. 

Les  Juifs  de  Crimée  appartenant  à  la  secte  spéciale  des  Karaïtos  sont 
également  très  respectés,  à  cause  de  leur  honnêteté,  de  la  simplicité  de 
leurs  mœurs,  de  leurs  habitudes  de  labeur,  do  leur  persévérance  dans  les 
œuvres   commencées;    toutefois  on  les  dit  lents  et  dépourvus  d'iuiliative; 

'  Dacliiiov,  Recueil  iVarlkhs  anthropulogiqiirs  et  clliiwrjrapliiqucs  xiir  la  Russie,  I  (en  russe). 

-  Popul.ilion  .nppioximativc  de  la  Crimée  : 

Tartares En  1804.     10(1000         En  1874  (d'après  Rittich),       80  000 

Russes  (Grands,  Petits  et  Blancs).    .  n  5o700  »  130000 

Autres  (Crées,  Juifs,  Itulsares,  etc.).  ii  39  200  »  58  000 

'  Mackenzic  W.dlare,  Rusiia;  —  Alfred  Rambaud.  —  Les  Villes  en  Russie,  IV  (en  russe). 


8o2  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

leurs  femmes  se  distinguent  ordinairement  par  un  grand  luxe  de  bijoux. 
Le  nom  qu'on  leur  a  donné,  Kara'im  ou  Karaïles,  qui  signifie  «  Liseurs  », 
témoigne  de  leur  étude  constante  des  anciens  livres  ;  mais  ils  rejettent  les 
commentaires,  si  importants  aux  yeux  des  autres  Juifs.  Ils  se  tiennent  géné- 
ralement à  l'écart  de  ceux-ci,  dont  ils  ne  sont  peut-être  pas  les  frères 
d'origine;  néanmoins  ils  sont  fort  appréciés  par  les  Juifs  instruits  de 
rOccidcnt,  à  cause  du  soin  avec  lequel  ils  ont  conservé  les  anciennes  doc- 
trines, et  l'argent  fourni  par  de  riches  Israélites  de  France  a  contribué 
à  la  fondation  et  à  l'entretien  des  synagogues  et  des  écoles  juives  de  la 
Crimée'.  D'après  plusieurs  auteurs,  les  Karaïtes  seraient  les  descendants 
de  ces  Khaznrs  partiellement  convertis  au  judaïsme  qui  vivaient  sur 
les  deux  bords  de  la  Volga,  en  Crimée  et  au  pied  du  Caucase.  Peut-être 
aussi  sont-ils  mélangés  avec  les  Tartares  de  Crimée,  dont  ils  portent  le 
costume  et  dont  ils  parlent  la  langue.  Ils  leur  ressemblent  plus  qu'aux 
Israélites  proprement  dits  ;  pourtant  un  certain  élément  juif  a  dû  exister 
en  Crimée,  puisqu'on  y  a  trouvé  des  inscriptions  hébraïques,  dont  quelques- 
unes  datent  même  du  premier  siècle  de  l'ère  vulgaire".  Un  grand  nombre 
de  Karaïtes  s'occupent  d'agriculture;  toutefois  la  plupart  se  livrent  au 
commerce,  mais  non  au  brocantage  nomade  :  leur  spécialité  principale  est 
la  vente  des  denrées  coloniales,  et  leurs  échanges  se  font  surtout  avec  la 
péninsule  des  Balkans  et  les  régions  du  Caucase  où  se  trouvent  de  leurs 
coreligionnaires.  Les  Juifs  de  Kiyev  et  de  Novgorod  dont  il  est  question 
dans  les  annales  du  moyen  âge,  surtout  à  propos  des  «  judaïsants  »  de  Nov- 
gorod et  de  Moscou,  au  quinzième  siècle,  étaient  jirobablement  des  Ka- 
raïles". De  la  Galicie  en  Palestine,  leurs  petites  communautés  sont  éparses 
dans  le  monde  ;  mais  c'est  en  Crimée  que  vivent  plus  de  la  moitié  des 
Karaïles,  soit  environ  quatre  mille,  et  que  se  trouve  le  bourg  Tchoufout- 
Kaleli,  que  l'on  peut  désigner  comme  la  Jérusalem  de  leur  secte.  Pour- 
tant cette  métropole  des  Karaïtes  n'est  guère  habitée  par  eux;  en  1876, 
M.  (le  Mély  n'y  vit  que  deux  familles  juives.  L'industrie  et  le  com- 
merce appellent  les  Karaïtes  dans  les  villes  animées,  mais  ils  tiennent  à 
visiter  souvent  leur  capitale  historique,  et  leur  ambition  est  de  reposer 
dans  le  cimetière  voisin.  Une  vallée  des  environs,  entourée  de  rochers, 
presque  sans  arbres,  est  remplie  de  pierres  tombales  :  c'est  leur  vallée 
de  Josaphat.  Des  colonies  de  Tziganes,  ayant  abandonné  la  vie  nomade  et 
tous  forgci'ons  ou  chaudronniers,  habitent  la  contrée. 

'  Ernest  Desj.ndins,  Notes  manuscrites. 

-  Gi'i^'orovitfh,  Mémoires  d'un  antiquaire  sur  un  voyage  à  la  Kalka  (on  russe). 

'  Biunn,  Mémoires  de  la  Société  historique  d'Odessa  (ou  russe). 


PEREKOP,  EUPATORIA,  SIMFEROPOL.  835 

Perekop  ou  «  la  Coupure  »,  l'Or  ou  l'Our  des  Tartares,  la  ville" qui  garde 
l'entrée  de  la  Crimée,  est,  sinon  d'origine  antique,  du  moins  sur  l'empla- 
cement d'une  ville  ancienne,  car  nul  autre  endroit  ne  pouvait  être  choisi 
pour  faire  une  coupure  à  travers  l'isthme  :  c'est  là  qu'il  est  le  plus  étroit 
et  que  le  plateau  des  steppes  s'affaisse  sous  le  sol  argileux  de  la  plaine.  Au 
quinzième  siècle,  le  fossé  de  Taphros  qui  avait  séparé  la  péninsule  du  con- 
tinent était  depuis  longtemps  comblé  et  les  fortiflcations  étaient  couvertes 
de  broussailles,  lorsque  Mengli  Ghirei  éleva  une  nouvelle  muraille  et  fit 
réparer  la  coupure.  On  en  voit  encore  les  traces,  mais  des  forts  et  des 
redoutes  modernes  construites  pendant  la  guerre  de  Crimée  ont  remplacé 
les  vieux  remparts.  Autrefois  les  Russes  et  les  Polonais  donnaient  le  nom  de 
«  horde  de  Perekop  s  et  de  «  tzar  de  Perekop  »  aux  Tartares  et  aux  khans  de 
toute  la  Crimée.  Le  commerce  de  l'isthme  no  se  fait  point  dans  la  ville  de 
Perekop,  mais  à  5  kilomètres  au  sud,  dans  le  gros  bourg  d'Arriiansk  ou 
d'Arriianskiy  Bazar,  fondé,  ainsi  que  son  nom  l'indique,  par  des  marchands 
arméniens. 

Au  sud  de  l'isthme  il  n'y  a  point  de  villes  dans  la  région  des  steppes  ni 
sur  les  bords  des  deux  mers,  la  «  mer  Morte  »,  celle  de  l'ouest,  et  la 
«  mer  Putride  »,  celle  de  l'est.  Il  faut  contourner  le  port  de  Tarkan-Kout 
et  s'avancer  jusqu'aux  premiers  contreforts  des  monts  de  la  Taurido  pour 
entrer  dans  l'ancienne  Eupatoria  (Yevpatoriya),  ville  musulmane,  armé- 
nienne, juive,  à  peine  russe,  qui  a  pris  le  nom  d'une  forteresse  fondée 
en  l'honneur  de  Mithridate  Eupator,  mais  située  beaucoup  plus  au  sud, 
peut-être,  d'après  Brunn,  sur  l'emplacement  actuel  de  Sébastopol.  Souvent 
dévastée,  Eupatoria  dut  se  rebâtir  plusieurs  fois.  Au  quinzième  siècle,  elle 
eut  une  grande  importance  commerciale,  et  maintenant  encore  un  certain 
nombre  de  navires  viennent  chaque  année  jeter  l'ancre  dans  sa  rade 
ouverte.  Son  ancien  nom  de  Gôzlevc  (en  russe  Kozlov)  ou  de  «  Cent-Yeux  » 
lui  avait  été  donné,  dit-on,  à  cause  de  ses  lumières  que  l'on  voyait,  la  nuit, 
briller  au  loin  dans  la  steppe  nue.  Les  lacs  salins  de  l'intérieur  sont  acti- 
vement exploités,  et  sur  le  bord  de  l'un  d'eux  s'élève  un  établissement  de 
bains  de  boue  fréquenté  pendant  la  saison  des  chaleurs.  On  sait  que  la 
plage  d'Eupatoria,  bien  abritée  des  vents  du  nord,  est  celle  où  les  alliés 
débarquèrent  en  185i  pour  aller  assiéger  Sébastopol  en  franchissant  la 
vallée  de  l'Aima  et  en  contournant  les  rochers  d'Inkerman'. 

La  capitale  de  la  péninsule  et  de  tout  le  gouvernement  de  la  Tauride, 

'  Mouvement  commercial  d'Eupatoria  en  1882  : 

1068  navires  et  petits  caboteurs,  jaugeant  508  152  tonnes. 


856  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

Simferopol,  n'est  pas  située  sur  cette  voie  du  littoral.  Elle  occupe  une 
position  centrale  dans  la  vallée  fertile  du  Salgir,  le  plus  grand  ruisseau 
de  l'île,  et  à  l'issue  septentrionale  du  passage  par  lequel  on  peut  le  plus 
facilement  communiquer  avec  la  côte  du  midi,  à  l'est  du  Tchatîr-Dagh. 
Une  pareille  situation  devait  être  utilisée  depuis  longtemps  et  l'on  trouve 
en  effet  des  ruines  anciennes  dans  les  environs.  Les  khans  tartares  y  fon- 
dèrent la  ville  d'Ak-Metchet  ou  de  la  «  Mosquée  Blanche  »,  que  les  Russes 
brûlèrent  en  1756,  pour  la  rebâtir  en  1784  sous  le  nom  grec  de  Symphe- 
ropolis  ou  Simferopol  :  on  la  croit  l'héritière  de  la  ville  tauro-scythe  de 
Neapolis.  On  voit  encore  à  Simferopol  quelques  constructions  tartares 
échappées  à  l'incendie  ;  mais  une  seule  ville  de  Crimée  a  presque  complè- 
tement gardé  sa  physionomie  orientale,  Bakhtchi-Saraï  ou  le  «  Palais  des 
Jardins  ».  C'est  une  longue  rue  serpentine  située  au  sud-ouest  de  Sim- 
feropol, dans  une  cluse  de  rochers  calcaires,  sur  les  bords  d'un  ruisseau 
qui  va  se  jeter  dans  la  mer  Noire  à  une  trentaine  de  kilomètres  à  l'ouest. 
Bakhtchi-Saraï  est  la  Grenade  de  la  Russie;  elle  a  aussi  son  Alhambra,  le 
palais  des  khans,  avec  ses  portes  ornées  d'arabesques  et  de  devises,  ses 
chambres  tendues  d'étoffes  précieuses,  ses  vérandas  où  les  plantes  fleuries 
se  balancent  en  guirlandes,  ses  cours  où  l'eau  des  fontaines  bruit  inces- 
samment sur  les  pavés  de  marbre.  Les  blancs  minarets  des  mosquées  s'élè- 
vent toujours  au-dessus  de  la  ville,  plus  hauts  que  les  faîtes  des  peupliers 
groupés  dans  les  jardins.  La  population  de  Bakhtchi-Saraï  est  aussi  restée 
en  harmonie  avec  le  milieu  qui  l'entoure  :  elle  se  compose  de  Tartares, 
de  Grecs,  de  Karaïtes,  tous  fort  industrieux  et  pour  la  plupart  selliers, 
orfèvres,  jardiniers,  vignerons  •  les  boutiques  sont  emplies  d'étoffes,  de 
maroquins,  de  poignards,  de  bijoux  comme  les  bazars  de  Smyrne  et  de 
Constantinople;  un  faubourg  est  habité  par  des  forgerons  tziganes.  Au-dessus 
de  la  ville,  vers  le  sud-est,  une  roche  dresse  ses  parois  percées  de  grottes, 
comprenant  environ  un  millier  de  chambres.  Jadis  les  commerçants  karaïtes 
de  la  ville  étaient  obligés  de  sortir  de  Bakhtchi-Saraï  à  la  nuit  tombante  et 
d'aller  passer  la  nuit  dans  la  ville  des  cavernes  :  de  là  le  nom  de  Djoufoul- 
Jvaleh  ou  de  «  Château  des  Juifs  »  donné  à  la  roche,  que  les  Karaïtes  appellent 
eux-mêmes  Kirk-ycr  ou  les  «  Quarante  Hommes  ».  Maintenant  on  n'y  loge 
que  le  bétail.  Des  inscriptions  prouvent  que  Djoufoul-Kaleh  existait  dès  le 
sixième  siècle  de  l'ère  actuelle.  Au  sud-est,  la  roche  presque  isolée  de 
Tepe-Korman  ou  Tobe-Kerman,  qui  domine  le  cimetière  «  golh  »,  est 
percée  de  dix-huit  étages  de  galeries  contenant  dix  mille  chambres'.  Quant 

'  Mainov,  Le  Comjics  anthropologique  de  Moscou;  Slovo,  1879,  n"  X. 


B.VKHTCHI-S.VRAÏ,  SÉBASTOPOL.  î."7 

au  fameux  Mangoup-Kaleh,  roche  en  croissant  escarpée  de  tous  les  côtés  en 
forme  de  muraille,  on  n'y  voit  plus  que  des  entassements  de  débris,  reste 
des  temples  grecs  et  des  châteaux  gothiques  dont  Pallas  aperçut  encore  des 
fragments.  Cette  forteresse  dominait  toute  la  contrée  à  l'est  de  Sébastopol. 

La  pointe  sud-occidentale  de  la  Crimée  est  celle  qui  apparaît  la  première 
à  l'époque  des  mythes  et  en  même  temps  celle  où  eut  lieu  l'un  des  plus 
sanglants  conflits  de  l'histoire  moderne.  Cette  partie  de  la  péninsule, 
presque  séparée  du  reste  de  la  Crimée  par  une  profonde  indentation  du 
littoral,  est  connue  aujourd'hui  sous  le  nom  de  cap  Chersonèse  ;  près  de 
là,  des  colons  d'Héraclée  du  Pont  bâtirent  jadis  la  ville  de  Cherson,  dont 
les  Russes  avaient  fait  Korsoui'i  et  que  les  Tartares  appelèrent  Sarî-Kerman, 
mais  lorsqu'elle  était  déjià  déplacée  vers  le  nord-est,  dans  le  voisinage  de 
Sébastopol,  qui  mêle  ses  ruines  modernes  aux  ruines  scythiques  et  grec- 
ques. C'est  au  cap  Chersonèse,  dit-on,  que  les  Scythes  avaient  bâti  le 
temple  de  Diane,  en  l'honneur  de  laquelle  la  prêtresse  Iphigénie  devait 
sacrifier  les  étrangers  que  la  tempèle  jetait  sur  les  grèves  de  la  «  mer 
Inhospitalière  ».  Toutefois  divers  archéologues  considèrent  le  cap  Fiora- 
venti  des  Italiens,  situé  plus  au  sud,  comme  le  Parthenion  des  Hellènes 
et  c'est  là  qu'ils  placent  la  scène  d'iphigénie  et  d'Oresle  chantée  par  les 
poètes  :  le  monastère  de  Saint-George,  qui  s'élève  sur  le  cap,  aurait  suc- 
cédé au  temple  d'Artémis.  Cet  emplacement  est  devenu  fameux  dans  l'his- 
toire russe  par  le  baptême  du  prince  Vladimir  de  Kiyev,  qui  vint  s'y  faire 
baptiser,  mais  en  conquérant  varègue,  après  avoir  assiégé  la  ville  de  Koi- 
soun.  Plus  à  l'est,  le  port  de  Bal'akl'ava,  le  Palakion  de  Slrabon,  le  Cemi)al() 
des  Génois,  long  de  plus  d'un  kilomètre  sur  200  mètres  de  large,  s'ouvre 
dans  l'intérieur  de  la  falaise  comme  un  bassin  à  flot  creusé  de  main 
d'homme.  La  muraille  de  neuf  kilomètres  de  longueur  qui  séparait  du 
reste  de  la  Tauride  toute  la  péninsule  héracléolique  et  défendait  aussi  la 
cité  de  Cherson  et  son  territoire  contre  les  attaques  des  Scythes,  partait 
du  port  de  Palakion  cl  se  dirigeait  an  nord,  vers  l'extrémité  orientale  de 
la  baie,  sur  les  bords  de  laquelle  est  bàlie  maintenant  la  ville  de  Sébas- 
topol. Caiaklava  est  encore  peuplée  de  Grecs. 

On  connaît  la  forme  de  cette  baie  fameuse  dont  les  alliés  et  les  Russes 
se  sont  disputé  la  possession  avec  tant  de  fureur.  C'est  une  cluse  marine 
ouverte  entre  des  roches  calcaires,  frangée  de  cluses  latérales  et  se  conti- 
nuant à  l'est  par  une  cluse  terrestre  que  dominent  les  parois  presque  verti- 
cales du  rocher  d'Inkerman.  Large  d'un  kilomètre  en  moyenne  et  s'avançant 
de  7500  mètres  dans  l'intérieur  des  terres,  la  baie  de  Sébastopol  est  facile 
à  défendre,  grâce  à  l't'lroitesse  de  l'entrée  et  aux  coteaux  escarpés  qui  la 


&S8 


NOUVELLE   GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 


dominent  ;  on  outre,  ses  baies  latérales  forment  des  ports  cachés  aux 
regards  de  l'ennemi  qui  tiendrait  la  mer.  A  l'époque  du  siège,  qui  coûta 
tant  de  milliers  d'hommes  aux  Russes,  aux  Français,  aux  Anglais,  aux 
Turcs,  aux  Italiens,  les  divers  quartiers  de  la  ville  situés  sur  la  rive  mé- 


K°    18;.    POINTE    SUD-OCCIDEXTAIE    DE    LA    CRIMEE. 


JsûsSOM.  (f;50àl00  dalOOàSOO  </e200ou-Mà 

1  :  »75rt00 


ridionale  de  la  haie  étaient  entourés  d'une  ceinture  de  forts  :  au-dessus  de 
la  rive  septentrionale  se  profilaient  les  bastions  de  la  citadelle.  On  sait  qu'a- 
près la  guerre  l'ancien  Akhtiar  des  Nogaï,  la  «  Ville  Auguste  »,  sur 
laquelle   plus  de    lôOOOOO  gros   projectiles   avaient  été    lancés,,    n'était 


Ijflli 


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SÉDASTOPOL,   liALAKLAVA,   YALTA.  841 

plus  qu'une  ruine  entourée  de  cimetières.  La  population  se  trouvait  réduite 
à  moins  de  6000  personnes  en  1864,  et  la  ville  n'avait  plus  même  l'im- 
portance qu'elle  eut  à  la  fin  du  siècle  dernier.  La  construction  d'un  chemin 
de  fer,  qui  rattache  Sébastopol  au  réseau  du  continent  par  un  viaduc  jeté 
sur  le  Sivach,  a  changé  la  situation,  et  Sébastopol  se  relève  de  ses  ruines  : 
des  entrepôts  de  céréales  s'élèvent  dans  le  voisinage  du  port',  une  gare 
monumentale  s'est  établie  à  la  place  d'une  redoute,  et  «  Malakof  »,  le 
i<  Redan  »,  sont  transformés  en  promenades  ;  des  naturalistes  étudient 
la  faune  marine  dans  un  laboratoire  zoologique.  Sébastopol  reste  formi- 
dable comme  place  de  guerre,  mais  les  progrès  de  l'artillerie  ont  fait 
changer  la  position  des  ouvrages  :  des  redoutes  garnissent  les  plateaux  du 
sud,  et  le  cap  Chersonèse  est  armé  de  batteries.  Quant  au  rocher  d'Inker- 
raan,  l'ancienne  Calamita,  qui  se  dresse  à  l'est  de  la  ville,  de  l'autre 
côté  de  la  vallée  marécageuse  que  parcourt  la  Tchernaïa  (Tchornaya),  il 
est  attaqué  par  des  multitudes  de  carriers  que  tente  l'excellente  qualité  de 
sa  pierre  blanche,  facile  à  scier  et  durcissant  à  l'air.  Ces  carriers  mena- 
cent de  faire  disparaître  la  ville  des  anciens  troglodytes,  dont  les  galeries 
formaient  un  véritable  dédale  dans  l'intérieur  de  la  colline  :  quelques-unes 
des  salles  sont  assez  vastes  pour  contenir  jusqu'à  cinq  cents  personnes. 

Le  long  de  la  route,  admirablement  entretenue,  qui  suit  la  côte  méri- 
dionale à  l'est  de  Baiaklava,  s'élèvent  de  gracieuses  villas,  dans  les  sites 
les  plus  ravissants.  Cette  route  est  la  «  Corniche  »  de  Tauride,  à  peine 
moins  belle  que  la  Corniche  de  Ligurie.  Tantôt  gravissant  un  promontoire, 
tantôt  descendant  au  bord  de  la  grève,  elle  serpente  de  ravin  en  ravin,  et 
toujours  en  vue  de  la  montagne,  des  forêts  et  de  la  mer.  Près  du  cap  Âï- 
Todor  (Hagios  Theodoros)  se  pressent  les  châteaux  de  plaisance,  Al'oupka, 
Orianda,  le  palais  impérial  de  Livadia,  Nikitskiy  Sad,  tous  entourés  de 
parcs  où  se  voient  les  plantes  les  plus  rares,  tous  riches  en  malachites,  en 
marbres,  en  statues,  en  objets  d'art  ;  c'est  là  que,  plus  d'une  fois,  ont  été 
décrétées  les  guerres  et  les  alliances.  La  ville  de  Yalta,  assise  à  la  base  d'un 
amphithéâtre  de  montagnes  boisées,  domine  la  rade,  d'ailleurs  peu  com- 
mode, où  mouillent  les  vaisseaux  de  guerre  et  les  yachts'. 

Au  sud-est  du  Tchatîr-Dagh,  la  génoise  Alouchta,  entourée  de  vignobles 
qui  produisent  les  meilleurs  vins  de  la  Crimée,  peut  être  considérée  comme 
le  port  de  Simferopoi,   dont  elle  n'est  éloignée  que  de   48  kilomètres. 

'  Mouvement  commercial  de  Sébastopol  en  1882  : 

1535  navires  et  petits  caboteurs,  jaugeant  850  451  tonnes. 
*  Mouvement  commercial  de  Yal'ta  en  1 88"2  : 

800  navires  et  petits  caboteurs,  jaugeant  419  756  tonnes. 

m 


842 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


Cependant  elle  n'est  qu'un  village,  de  même  que,  plus  à  l'est,  Soudak,  jadis 
cité  puissante  sous  les  noms  de  Sougdaya  en  grec,  de  Soldaia  en  italien  : 
elle  fut  la  Souroj  des  annales  russes.  De  fondation  byzantine,  peut-être 
même  plus  ancienne,  cotte  ville  était  fort  bien  située  sur  une  baie  semi- 
circulaire,  à  l'issue  d'une  larçe  et  fertile  vallée,  en  communication  facile, 


N*    185.    COTE    DE    YALTA 


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De  Oé  50  M 


</e  fOOau  de/a 


par  une  dé[)ression  de  la  montagne,  avec  le  versant  septentrional  de  l'île. 
An  treizième  siècle,  les  Vénitiens  y  établirent  un  comptoir  dont  le  consul 
était  en  même  temps  celui  de  toute  la  Gazarie  ou  «  pays  des  Kbazars  ». 
c'est-à-dire  de  toutes  les  régions  qui  avoisinent  la  mer  Noire  au  nord  et  au 
nord-est.  La  famille  de  Marco  Polo  possédait  à  Soldaia  une  maison  de  com- 
merce qui  lui  servait  d'intermédiaire  avec  tous  les  pays  d'Asie.  Les  Véni- 
tiens furent  cliassés  de  Soldaia,  mais  à  leur  place  vinrent  les  Génois,  aux- 


SOUDAK,   ESKI  KRIM,  THEODOSIA.  843 

quels  les  Tartares  cédèrent  en  1565  tout  le  territoire  de  la  ville  et  les 
villages  des  environs  :  le  double  mur  d'enceinte  qu'ils  élevèrent  autour  de 
la  ville  et  de  la  colline  avoisinante  existe  encore  avec  sa  porte  ogivale, 
flanquée  de  deux  tours  à  créneaux  :  le  monument  de  l'architeclure  génoise 
est  complet  ;  on  croirait  avoir  sous  les  yeux  quelque  cité  ligurienne  du 
moyen  âge.  Au  quatorzième  siècle,  l'importance  commerciale  de  Soldaia 
était  si  grande  que,  d'après  Aboul-Féda,  elle  ne  le  cédait  pas  même  à  Kaffa; 
toute  la  Crimée  fut  appelée  de  son  nom  et  le  Pont-Euxin  fut  connu  par  les 
Arabes  comme  la  «  mer  de  Soudak  »  ;  de  même  les  Russes  appelaient 
«  mer  de  Souroj  »  les  Palus  Mieotides  et  même  quelquefois  le  Pont-Euxin. 
Ruiné  parles  Turcs  à  la  fin  du  quinzième  siècle,  le  port  a  perdu  tout  com- 
merce, les  hautes  murailles  de  la  ville  n'abritent  plus  que  des  masures,  et  des 
viticulteurs  allemands  ont  remplacé  les  négociants  italiens.  Quant  à  l'an- 
cienne cité  de  Starîy  Krîni  ou  Eski  Krîm,  c'est-à-dire  de  «  Meille  Crimée  », 
située  plus  à  l'est,  elle  a  cessé  d'être  capitale  depuis  des  siècles  et  ses  édi- 
fices sont  en  ruines.  Presque  toute  la  population  consiste  en  colons  arméniens. 
Kaffa  du  moins  n'a  pas  perdu  son  rang  de  ville.  Les  Milésiens,  qui  la 
fondèrent  sous  le  nom  de  Theodosia,  avaient  bien  choisi  l'emplacement  de 
leur  cité.  Elle  est  au  bord  d'une  baie  qu'un  promontoire  abrite  des  vents 
de  l'ouest  et  du  sud  :  la  chaîne  des  monts  de  la  Tauride  se  termine  en 
cet  endroit,  de  sorte  que  la  ville  commande  en  même  temps  par  mer  le 
commerce  de  la  côle  méridionale  et  par  terre  celui  du  versant  septen- 
trional. En  outre,  Theodosia  est  située  précisément  sur  l'isthme  qui 
rejoint  la  péninsule  de  Kertch  à  la  Crimée  :  voisine  de  la  mer  d'Azov  et  du 
Sivach,  quoique  sur  le  Pont-Euxin,  elle  avait  à  sa  disposition  les  poissons 
et  le  sel  des  deux  mers  intérieures.  Dévastée  à  plusieurs  reprises,  la  place 
de  Theodosia  —  déjà  connue  depuis  sept  cents  ans  sous  le  nom  de  la  for- 
teresse Kaffa  —  fut  achetée  au  treizième  siècle  par  les  Génois,  qui  en 
firent  le  principal  marché  de  la  mer  Noire;  une  lettre  adressée  au  pape 
Calixle  m  en  1455  la  dit  «  supérieure  à  Conslantinople,  non  par  le  déve- 
loppement des  murs,  mais  par  la  foule  des  habitants'  »;  elle  était  alors 
l'entrepôt  de  tout  le  commerce  de  l'Orient  «  touranien  ».  Kaffa  succomba 
vingt-deux  ans  après  sa  rivale,  Conslantinople  :  conquise  par  les  Osmanlis, 
cette  «  Krîm  Stamboul  »  fut  ravagée,  changée  en  un  monceau  de  ruines. 
Elle  se  releva  pourtant,  surtout  par  le  commerce  des  esclaves',  et  devint 
le  bazar  des  captifs  faits  par  les  Tartares  dans  la  Petite  Russie  :  on  y  vit 
jusqu'à  30000  individus,  hommes  et  femmes,  offerts  à  la  fois  par  les  mar- 

<  Brunn,  Matériaux  pour  l'histoire  de  Sougdeia  (en  russe). 

'  Michaloti  Lilliiianus,  Fragmenta  ;  —  hliailukliai,  ouvrage  cite. 


814  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

chands  de  chair  humaine.  Lorsque  les  Russes  s'emparèrent  à  leur  tour  de 
Kaffa,  en  1785,  sa  population,  moindre  qu'elle  ne  l'avait  été  à  l'époque 
lie  la  domination  génoise,  s'élevait  à  85  000  habitants.  L'émigration  des 
Turcs,  puis  celle  des  Tartares,  réduisirent  ce  nombre  des  neuf  dixièmes; 
toutefois  en  été,  la  ville,  à  laquelle  les  Russes  ont  rendu  son  nom  de 
Theodosia,  changé  en  Feodosiya,  devient  le  séjour  temporaire  d'une  foule 
de  baigneurs  venus  de  toutes  les  parties  de  la  Crimée  et  de  la  Russie  con- 
tinentale. La  vieille  Kaffa  leur  offre  ses  murailles  génoises,  ses  rues  bor- 
dées de  maisons  à  arcades,  ses  mosquées,  son  quartier  tartare,  et  la  mer 
a  pour  eux  des  plages  de  sable  fin.  Le  commerce  de  Theodosia  est  sans 
grande  importance',  quoique  cette  ville  soit  le  port  d'expédition  des  cam- 
pagnes dont  l'industrieuse  Karasou-bazar  est  le  chef-lieu. 

Kertch,  située  sur  une  baie  occidentale  du  détroit  de  Yeni-Kaleh  ou 
«  Bosphore  Cimniérien  »,  est  encore  plus  ancienne  que  Theodosia,  et 
son  rôle  historique  a  été  plus  grand.  C'est  la  Panticapée  que  les  Milésiens 
fondèrent  il  y  a  vingt-cinq  siècles,  c'est  la  cité  qui  devint  capitale  du 
royaume  du  Bosphore  après  la  défaite  de  Mithridale  ;  elle  fut  aussi  connue 
sous  le  nom  de  Bosporus.  La  «  ville  du  Bosphore  »,  ruinée  lors  de  la 
migration  des  peuples,  ne  se  releva  que  lentement;  mais  sous  la  migra- 
tion génoise  elle  reprit  une  grande  activité  commerciale,  que  lui  firent 
perdre  les  Turcs,  et  que  les  Russes  ne  lui  ont  laissé  reprendre  qu'après 
avoir  possédé  la  ville  pendant  un  demi-siècle.  Kertch,  gardienne  naturelle 
du  détruit,  est  trop  bien  placée  pour  n'avoir  pas  été  choisie  comme  ville 
de  guerre,  et  sous  le  régime  militaire  le  mouvement  des  échanges  n'a  pu 
se  développer  qu'avec  lenteur  ;  en  outre,  la  propriété  y  était  soumise  à 
un  régime  spécial,  et  jusqu'en  1850  nul  autre  que  les  colons  grecs  ne 
pouvait  s'établir  sur  les  terres  du  district.  Pendant  la  guerre  de  Crimée, 
Kertch,  brûlée  par  les  alliés,  fut  momentanément  abandonnée  ;  mais, 
rebâtie  bientôt  après,  elle  s'est  rapidement  agrandie,  et  lors  du  dernier 
recensement  elle  était  la  ville  la  plus  populeuse  et  la  plus  commerçante 
(le  la  Tauride.  Maintenant  la  baie  est  défendue  dans  toute  sa  largeur  par 
un  barrage  à  fleur  d'eau  n'ayant  qu'une  seule  ouverture,  commandée  par 
les  canons  d'une  forteresse.  Fière  de  son  passé,  Kertch  possède  un  musée 
d'anticpiités  sur  les  flancs  du  mont  Milhridate,  où  l'on  s'élève  par  un 
escalier  monumental,  et  dans  cette  collection  sont  conservés  quchpies-uns 
des  objets  précieux  trouvés  en  si  grand  nombre  dans  ses  tertres  funéraires 

^   Commerce  de  Tlieodosia  en  1880  :  717  000  roubles,  doiil  (190  000  rouilles  h  resiiorlaliou. 
MouvemeiU  du  port  en  1882  : 

tiOO  navires  cl  iielits  caboleurs,  jaugeant  i75  OU-'  tonnes. 


KERTCli,  YEM-KALEH.  845 

et  ses  catacombes.  Sur  le  plateau  du  mont  Mithridate,  les  émincnces  natu- 
relles et  celles  des  kourgans  se  ressemblent  tellement  qu'il  est  impossible 
de  distinguer  de  loin  les  buttes  que  l'Iiomme  a  élevées  de  celles  qui  sont 
dues  à  la  nature.  Au  sommet  du  mont,  qui  porta  l'acropole  de  Pantica- 
pée,  s'arrondit  un  de  ces  tertres,  appelé  le  «  tombeau  de  Mithridate  »  ; 
d'après  la  légende,  l'un  des  rochers  sur  lesquels  s'appuie  la  butte  funé- 
l'aire  serait  le  siège  où  se  plaçait  le  roi  du  Pont,  pour  contempler  ses 
innombrables  vaisseaux'.  Du  cap  d'Ak-Bouroun,  on  aperçoit  au  loin  les 
sommets  azurés  du  Caucase. 

La  ville  de  Yeni-Kaleh  (en  turc  «  la  Nouvelle  Forteresse  »)  est  adminis- 
trativement  une  partie  de  Kertch,  mais  elle  en  est  éloignée  de  15  kilo- 
mètres à  l'est,  et  domine  la  partie  la  plus  étroite  du  Bosphore  :  ce  n'est 
guère  qu'un  ensemble  d'édifices  appartenant  à  l'État.  Là  s'élevait  jadis  le 
Parthénion  des  Grecs  '. 


XII 


ETAT   MATKniFL    ET    SOCIAL    DE    LA    RCSSIE. 

La  population  actuelle  de  l'empire  russe  est  évaluée,  nous  le  savons, 
à  101  millions  d'habitants,  dont  86  millions  en  Europe  :  c'est  un  peu  plus 
du  quart  des  hommes  qui  vivent  dans  cette  partie  du  monde.  La  Russie  et 
la  Finlande  réunies  occupant  une  étendue  légèrement  supérieure  à  la 
moitié  de  l'Europe,  les  sujets  du  tzar  sont  donc  à.  peu  près  deux  fois  plus 
clairsemés  que  les  autres  Européens,  de  quatre  à  cinq  Ibis  plus  que  les 
Français.  De  la  Pologne  au  confluent  des  deux  grands  fleuves,  Volga  et 
Kama,  s'étend  une  zone  de  population  dense  que  l'on  peut  considérer 
comme  le  prolongement  oriental  de  l'Europe  populeuse.  D'une  largeur 
moyenne  de  quatre  cents  kilomètres,  cette  zone  embrasse  la  Volînie  et  la 
Podolie,  h'  bassin  du  Diiepr  entre  Kiyev  et  les  rapides,  la  Grande  Russie 
de  Tver  à  Voronej,  et,  s'amincissant  peu  à  peu  vers  l'est,  se  ramifie  en 
deux  branches  dont   l'une  dépasse  Kazai'i,  tandis  que  l'autre  va  rejoindre 

'  Mouveincnl  commercial  de  Kertch  en  1882  : 

4494  navires  et  petits  caboteurs,  jaugeant  ensemble  898  732  tonnes. 

-  Villes  de  Crimée  avant  plus  de  5000  habitants  : 
Kertcii  et  Yeni-Kaleh  (en  t870).     '22  450  hab. 

Simferopoj  (en  1881) 29050     » 

Sébastopol  (en  187ti) 20  150     « 

Eupatoria(Yevpatori;a)(cnl88l).     15450     u 


Bakhichi-Saraï             (1881). 

13  400  hab 

Karasou-bazar                    » 

11  UOO     ., 

Theodosia  (Feodosiya)      »     . 

10  800     : 

846 


NOUVELLE   GEÛGRAPUIE    UNIVERSELLE. 


la  Volga  à  Safatov.  Au  nord,  au  sud,  à  l'est  de  cette  zone,  les  habi- 
tants sont  de  moins  en  moins  rapprochés  les  uns  des  autres  :  des  trois 
côtés    les    hommes    diminuent    en    nombre ,   proportionnellement    à    la 


PENSITÉ  DE   H   POPIXATION    HE    L  EIROPE  ORIENTALE     EN    18T3. 


'^"^  K^ar.o;: 


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de/0èP5  deeSèSO  deSOéZS 

habitants  par  ^i/o^  être  carré 


rigueur  du  climat,  à  rinfurtililé  du  sol  et  à  la  moindre  durée  de  la 
période  d'occupation.  Les  terres  fécondes  de  la  Nouvelle-Russie,  des 
bords  de  la  mer  d'Azov  et  de  la  Ciscaucasie  ne  sont  encore  que  très 
faiblement  peuplées  ;  d'ailleurs,  les  difficultés  de  la  migration  à  l'inté- 
rieur créées  par  l'impôt  de  capilalion  et  les  lois  sur  les  passeports    ne 


&ravr|iarKrh, 


Di-essf  |).ir  A  Slom  d  uprc^  Uitli.KJlikh.il  tcliouk  cl  V<i'u>u 
i'.,f<i-^    11.  Kiepirt   r»"!-   lAllcmaçn' 

Kckcll 


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H.ichpUert  C"  l'ai 


■i5»itrl  U  Sihrrir.a'aprJs  llahlni.inn  pniir  1 
"•iB'rt  Ktirlj  K.irnly  pour  lAulnrhr 
"«OO 


ACCROISSEMENT  DE  LA  POPULATION  RUSSE. 


817 


permettent  pas  aux  paysans  de  s'établir  en  nombre  sur  ces  terres  nou- 
velles'. 

L'accroissement  de  la  population  est  très  rapide  dans  la  plus  grande 
partie  de  l'empire  russe.  En  [12-2,  époque  à  laquelle  la  Russie  d'Europe 
n'était  inférieure  à  la  Russie  actuelle  que  d'un  cinquième  en  superficie, 
le  nombre  des  sujets  était  approximativement  évalué  à  14  millions. 
Soixante  années  après,  en  1782,  l'empire,  d'ailleurs  agrandi  du  côté  de 


185  ET    186.    SIPEKFICIES   ET    POPCLATIOSS   COMPARÉES    DE    LA    BC«!e    D' EUROPE, 

DE    l'empire    RCSSE    ET    DE    l'eDROPE    OCCIDESTALE. 


l'occident,  avait  une  population  double.  Vers  18.~0,  un  nouveau  double- 
ment avait  eu  lieu,  et  de  nos  jours  la  population  est  plus  que  sextuple  de 
ce  qu'elle  était  lors  de  la  première  évaluation.  D'après  les  progrès  accomplis 
depuis  le  commencement  du  siècle,  la  période  de  doublement  pour  les 
habitants  de  la  Russie  est  d'environ  G5  années.  L'augmentation  annuelle, 
par  l'excédent  des  naissances  sur  les  morts,  dépasse  maintenant  un  mil- 
lion; elle  était  de  500000  pendant  la  première  décade  du  dix-neuvième; 
siècle.  Si  l'accroissement  continue  suivant  la  même  proportion  ou  même 


'  Voroponov,  La  qucttton  dcmigralion  des  paysans,  Vcstnick  Ycvropi,  187G,  n°  1. 


848  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

en  se  ralentissant  quelque  peu,  le  territoire  actuel  de  la  seule  Russie 
d'Europe  aura  certainement  cent  millions  d'habitants  avant  la  fin  du 
siècle'.  Du  reste,  le  mouvement  varie  d'une  manière  étonnante  entre  les 
provinces  suivant  les  différences  de  race;,  de  climat,  de  bien-être,  de  condi- 
tions sociales.  C'est  dans  les  provinces  méridionales  qu'ont  lieu  les  plus 
nombreux  mariages  ;  à  l'est,  dans  les  bassins  de  la  Kama  et  de  la  basse 
Volga,  la  natalité  est  la  plus  forte  ;  dans  le  gouvernement  d'Ol'onetz  et 
dans  celui  de  Moscou  les  morts  se  succèdent  le  plus  rapidement.  La  résul- 
tante des  faits  démographiques  est  un  accroissement  normal  de  population 
dans  tous  les  gouvernements  ;  mais  les  émigrations  de  province  à  province 
ont  fait  diminuer  parfois,  en  des  années  malheureuses,  des  gouvernements 
pauvres,  tels  que  Vitebsk,  et  des  régions  où  le  prolétariat  industriel  existe 
déjà,  telles  que  Moscou,  Kalouga,  Toula,  Kazan'.  La  Pologne,  le  littoral 
de  la  mer  Noire  et  celui  de  la  Volga,  entre  Kazaiï  et  Saratov,  augmentent 
toujours  rapidement  en  population.  Les  seules  parties  de  la  Russie  où  les 
habitants  se  pressent  en  aussi  grand  nombre  proportionnel  que  dans 
l'Europe  du  centre,  de  l'ouest,  sont  la  Pologne,  les  provinces  baltiques  et 
quelques  gouvernements  du  centre. 

Les  Russes  se  marient  en  moyenne  au  sortir  de  l'adolescence  ;  le  nombre 
de  ceux  qui  restent  célibataires  est  relativement  minime.  Les  tables  de 
statistique  établissent  le  remarquable  contraste  que  présentent  à  cet  égard 
les  Slaves  orientaux  comparés  aux  autres  peuples  de  l'Europe,  notam- 
ment aux  Ravarois,  qui  se  marient  tardivement,  aux  dépens  de  la  morale 
publique'.  La  cause  de  ces  mariages  hâtifs  de  la  Russie  doit  être  cher- 
chée surtout  dans  la  richesse  du  pays  en  terres  de  culture  n'attendant 
que  des  bras  pour  les  mettre  en  rapport  :  les  familles  de  cultivateurs 
sont  d'autant  plus  à  leur  aise  qu'elles  sont  plus  nombreuses.  Mais  si  les 
mariages  y  sont  plus  hàlifs  qu'ailleurs,  la  Russie  est  aussi  le  pays  d'Eu- 
rope où  la  mortalité  des  enfants  est  la  plus  considérable  :  les  disettes,  les 
épidémies  et  le  manque  d'hygiène  font  périr  plus   du  quart  des  enfanis 


'  V.  de  I.iMOii,  Exposé  slalisliquc  de  l'empire  russe  (eu  russe). 
-  livin,  Essai  d'un  atlas  staiisliquc  de  l'empire  russe  (en  russe). 
^  Nouil)ic  proportionnel  des  mariages  conclus  aux  différents  âges,  par  lOt)  000  lialiilants  : 

Bavière  (18:0-!8S0)  France  (ISTl-lS:»).  Russie  flStiT-lSTo). 

Avant  20  ans 12  liom.     570  fem.  232  h.   2087  f.  573i  h.   5727  f. 

De  20  à  25  ans 1706     »      Ô42U     »  2464  »     58G7  )i  5097  >>     2C31  » 

De  25  à  30  ans        5705     »       5015     «  5682  »     2074  y  H82  )-       710  » 

De  50  à  40  ans 5095     »      2142     »  2568  «     1409  »  1221  »      639  » 

De  40  à  60  ans  el  au  delà.    .     1486     »         817     »  1054  »       569  »  756  ?       295  » 
Loiifronit  internazionali  per  gli  anni  1865-1880,  Koma,  1882. 


POPULATION    ET   VILLES   DE   LA    RUSSIE.  840 

Jans  la  première  année'.  A  l'âge  de  cinq  ans,  il  n'en  reste  plus  même  les 
trois  cinquièmes.  La  durée  probable  de  la  vie,  très  inférieure  à  celle  des 
autres  pays  de  l'Europe  civilisée,  est  de  24  ans^ 

La  Russie  étant  encore  un  pays  principalement  agricole,  les  villes  y  sont 
en  proportion  moins  peuplées  que  celles  de  l'Europe  occidentale  ;  elles  n'ont 
encore  que  le  neuvième  des  habitants,  mais  là,  comme  ailleurs,  la  facilité 
des  communications  et  les  progrès  de  l'industrie  ont  pour  résultat  d'aug- 
menter le  nombre  des  citadins.  Aux  sis  villes  de  l'empire  qui  avaient  plus 
de  100  000  babitants  il  y  a  dix  années,  Saint-Pétersbourg,  Moscou,  Var- 
sovie, Odessa,  Kichinov,  Riga,  il  faut  ajouter  maintenant  Kiyev,  Kbarkov, 
Saralov  et  Kazaii  et  deux  autres  en  Asie,  Tiflis  et  Tachkent.  En  1880,  on 
comptait  déjà  225  villes  russes  ayant  plus  de  10  000  habitants";  mais 
on  peut  juger  du  contraste  qui  existe  entre  la  Russie  et  l'Europe  occiden- 
tale dans  la  distribution  des  villes,  par  ce  fait  qu'en  Pologne  elles  sont 
éloignées  de  18  kilomètres  les  unes  des  autres,  tandis  que  dans  le  reste  de 
la  Russie  la  distance  moyenne  de  ville  à  ville  est  de  00  kilomètres  ;  en 
outre,  un  grand  nombre  de  centres  administratifs  ayant  reçu  en  Russie  le 
nom  de  «  ville  de  district  »  {ouyezdmy  gorod)  ne  sont  guère  peuplés  que 
de  paysans.  La  plupart  des  cités  de  la  Russie  se  composent  d'un  noyau 
central,  qui  est  la  ville  originaire,  le  centre  administratif  et  militaire,  et 
autour  de  laquelle  s'étendent  au  loin  des  faubourgs  [sloboda),  ceux  des 
«  maréchaux  ferrants  »,  des  «  charpentiers  »,  des  «  maçons  »,  tous  paysans 
immigrés,  faisant  partie  désormais  de  la  population  urbaine  ;  les  noms 
de  faubourgs  des  «  archers  »,  des  «  cosaques  »,  des  <t  soldats  »  et  même  des 
«  cochers  »  rappellent  le  temps  peu  éloigné  oii  l'arrivée  de  nouveaux  colons 
dans  les  villes  n'avait  rien  de  volontaire.  Les  villes  de  certains  gouver- 
nements présentent  une  très  grande  disproportion  entre  les  sexes.  En 
Russie,  comme  dans  tous  les  pays  de  la  zone  tempérée  dont  le  recensement 
a  été  fait  avec  soin,  le  nombre  des  femmes  est  supérieur  à  celui  des 
hommes,  et  cependant  les  ouvriers  et  les  domestiques  mâles  se  portent 
en  foules  si  compactes  vers  Pétersbourg  et  Moscou,  que  l'écart  entre  les 

«  Mortalité  des  enfants  dans  la  première  année  en  divers  pays  d'Europe  (de  1865  à  1880)  : 
Norvège 10,7  pour  100.    !  Suisse 18,9  poui  100. 


Prusse. 21,  i 

Italie 21,5 

Autriche 25,6 

Russie 26,5 


Ecosse 12,4  )i 

Suède,  Danemark 13,5  n 

Angleterre 15,1  n 

France 17  » 

Belgique 17,3  n 

'  V.  de  Livron,  ouvrage  cité. 

*  En  outre.  4  en  Finlande,  26  en  Pologne  cl  22  au  Caucase. 

ï  107 


850 


NOUVELLE  GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


sexes,  en  faveur  des  hommes,  s'est  élevé  à  un  cinquième  ou  même  à  un 
quart.  11  en  est  de  même  dans  les  provinces  des  steppes,  vers  lesquelles 
se  dirigent  incessamment  de  nombreux  colons.  Dans  les  gouvernements 

S°    1S7.  DENSITK    DES   VILLES   ES    RCSSIE.    EN   I8T5,    PAU    «Ô.OOil   KILOMÈTRES   CinRÉS. 


D 


dci.5  dcStIO  delOaSO  deCOaiO 


d'où  viennent  les  émigranls,  la  proportion  est  renversée  :  là  ce  sont  les 
tenimes  qui  sont  de  beaucoup  les  plus  nombreuses'. 


'  Proporiion  des  femmes  aux  hommes  : 

Hussic  en  moyenne 1()2,7  femmes  iiour  10(1  hommes. 


Yiuoslavl  (extrême). 

Saint-Péleisbuui'g  (exlrâme; 70,6 

Bessarabie  et  Tauride  (prov.  des  sleppes).       (<S 


(Yanson.) 


VILLES   DE   LA  RUSSIE. 


851 


Les  Russes,  nul  ne  l'ignore,  ont  l'amour  des  voyages,  et  ceux  d'entre 
eux  qui  disposent  de  ressources  suflisanles  ne  manquent  jamais  d'aller 
résider  pendant  quelque  temps  à  l'étranger',  surtout  depuis  que  les  passe- 
ports à  l'extérieur  ne  coûtent  plus,  comme  avant  1857,  la  somme  énorme 


t^9.    KOUnSK. 


55°55'  L.deP. 


56°5' 


36'i5-  E    de  G 


après  la  tarte  de  I  Ltat  -  Majo 


do  ÔOO  rouilles.  Mais  il  en  est  peu  qui  émigrcnt  déiinitivemeni,  à  moins 
d'y  être  forcés  j)ar  l'exil  ;  l'étendue  de  l'empire  suffit  pour  qui;  tous  les 
chercheurs  de  fortune,  agriculteurs   ou  industriels,    puissent  trouver  un 


'  Mouvi'iiienl  des  voyageurs  à  la  frontière  : 
18.^7.     .     .     .     Sorties,   UG  952  peisoiiiies.    Eiilrées,  115  815  jH-rsoiines.     EnsemMo,  250  707 
188:;.     ...         Il         805  28'i         »  ).         850  518         »  ,.       \  0.55  051) 


852  NOUVELLE   GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

lieu  crémigratioii  favorable  clans  le  pays  même;  l'émigTalion  à  l'inténeur 
est  énorme;  depuis  quarante  ans,  778  nouveaux  villages  ont  été  fondés 
dans  les  gouvernements  d'Orenbourg  et  d'Oufa.  Dans  l'ensemble,  la  Russie 
reçoit  un  plus  grand  nombre  d'étrangers  qu'elle  n'envoie  de  ses  enfants 
à  l'extérieur'.  Les  Allemands  surtout  viennent  tenter  le  sort  en  Russie  et 
s'y  établissent  à  demeure".  Les  Autrichiens,  parmi  lesquels  une  forte  pro- 
portion se  compose  aussi  d'éléments  germaniques,  représentent  à  peu  près 
la  moitié  de  l'immigration  allemande;  en  vingt  années,  de  1872  à  1881, 
le  nombre  des  Germains  entrés  en  Russie  a  dépassé  de  plus  de  600  000 
celui  des  émigrants  de  Russie  appartenant  à  la  même  nation.  En  1880,  on 
ne  compta  que  178  Français  immigrés  en  Russie  pendant  l'année,  tandis 
que  18  000  Allemands  et  50  000  Autrichiens  s'y  étaient  fixés,  grossissant 
ainsi  la  foule  de  leurs  compatriotes,  qui  s'élève  déjà  à  plus  d'un  million 
dans  l'empire  slave. 

Sans  doute  les  Finnois  sont  beaucoup  plus  nombreux  que  les  Allemands, 
mais  plus  de  la  moitié  d'entre  eux  se  composent  de  peuplades  séparées 
les  unes  des  autres  et  gravitant  autour  des  Russes  pour  leur  commerce 
et  leur  développement  intellectuel.  Quant  à  la  nation  des  Finlandais 
proprement  dits,  les  deux  millions  d'hommes  qui  la  constituent  sont 
comme  isolés  dans  le  monde  et  ne  peuvent  s'appuyer  sur  aucune  race 
voisine,  sur  aucun  peuple  frère  ;  leur  littérature  flotte  entre  l'influence 
de  l'Allemagne  et  celle  de  la  Suède.  Les  Tartares,  ou  du  moins  les  popu- 
lations de  langues  et  d'origines  diverses  que  l'on  comprend  sous  ce  nom, 
sont  aussi  numériquement  supérieurs  aux  Allemands  ;  mais,  comme  les 
Finnois,  ils  sont  épars  sur  les  confins  de  la  Russie,  en  dehors  du  corps  de 
nation  des  Veliko-Russes,  et  ne  se  rattachent  que  par  des  bandes  de 
nomades,  errant  sur  un  vaste  territoire,  à  leurs  frères  d'Asie,  assujettis 
comme  eux.  Les  Lettes  et  les  Lithuaniens,  entourés  de  Slaves,  de  Finnois, 
d'Allemands,  sont  également  sous  la  dépendance  naturelle  de  leurs  maîtres 
politiques,  et  l'on  sait  comment  les  Polonais,  d'ailleurs  Slaves  comme  les 
"  Russicns  »,  Grands,  Petits,  Rlancs,  ont  été  vaincus  et  réduits  à  la  condi- 
lion  commune.  Les  Allemands  se  sentent  moralement  appuyés  par  55  mil- 
li(ms  de  compatriotes  dans  les  deux  empires  voisins,  et  il  ont  en  outre,  dans 

'  Mouvemcnl  des  voyageurs  à  la  frontière  de  1857  '.>  IS80  : 
Russes.    .   .    .     3  5G0  445  à  l'entrée.       4  185  457  à  la  sorlio.       Excédent  des  sorties,      624  994 
Étrangers..    .     9158  830         n              7  950  126         »                    »         des  entrées,  1  202  710 
(Vcsetovskiy, /InnwaiVe  des  finances  russes,  1879,  — Nouv.Gcogr.  univ.,  Irad.  russe,  1884) 
'   Entrées  totales  des  Allemands  et  Aiilridiicns  de  187"2  ii  1881.   ...         5  170  805  jicrsonncs. 
Sorties  totales                »                      .                   ■>«...     4515025         )' 
Excédent  des  entrées 061  780 


ETRANGERS  EiN  RUSSIE.  855 

la  Russie  môme,  les  trois  millions  d'alliés  que  la  race  juive  leur  donne, 
grâce  à  la  communauté  du  langage  :  c'est  une  grande  force  pour  eux, 
contribuant  à  leur  permettre  une  attitude  plus  indépendante  que  celle 
des  autres  peuples  non  slaves  de  l'empire.  Comme  propriétaires  du  sol, 
ils  sont,  il  est  vrai,  divisés  en  plusieurs  groupes  extérieurs  à  la  masse  de 
la  nation  russe.  Ils  ont  de  vastes  domaines  dans  les  provinces  Baltiques 
et  sont  massés  en  colonies  agricoles  sur  la  basse  Volga,  sur  le  Don  infé- 
rieur, en  Crimée,  dans  la  Nouvelle-Russie  ;  mais  comme  artisans,  contre- 
maîtres, professeurs,  employés,  on  les  retrouve  partout.  L'origine  alle- 
mande de  la  famille  régnante  est  d'ailleurs  pour  beaucoup  dans  la  part 
d'influence  prise  par  les  Germains  au  détriment  des  Russes  eux-mêmes. 
La  noblesse  des  provinces  Baltiques,  recrutée  par  quelques  immigrants 
venus  de  l'Allemagne,  est  favorisée  d'une  manière  tout  exceptionnelle  et 
dans  maintes  occasions  a  eu  presque  le  monopole  de  certaines  charges. 
L'élément  germanique  est  représenté  à  la  cour,  dans  l'armée,  dans  les 
administrations  diverses  par  des  proportions  diverses,  d'un  cinquième  à 
la  moitié  et  même  aux  trois  cinquièmes,  tandis  qu'en  raison  de  leur 
nombre  les  Allemands  ne  devraient  avoir  qu'une  place  sur  quatre-vingts. 
D'ailleurs,  quelle  que  soit  la  réaction  de  l'esprit  slave  contre  l'influence 
germanique,  il  est  impossible  que  celle-ci  ne  soit  pas  très  considérable, 
tant  que  l'enseignement  sera  distribué  en  Russie  avec  tant  de  parcimonie'. 


En  Russie,  les  ressources  de  la  nation  lui  sont  encore  données  en  grande 
partie,  soit  par  la  chasse  et  la  pêche,  utilisation  directe  des  richesses  de 
la  nature  en  chair  vivante,  soit  par  la  culture  du  sol  et  l'élève  du  bétail. 

«  Nombre  probable  des  habitanis  de  la  Russie  d'Europe  et  de  la  Finlande  en  187(1,  par  races  : 


I  Grands  Russiens.    .  40  000000 

Russes.  '   Petits  Russiens  .    .  16  570  000 

(  Bclo-Russes,e!c.    .  5G00  000 

Bulgares  el  Si-rbes 150  000 

Polonais 5  000000 


Finlandais 1840  000 

Karélicns  de  la  Russi.' .  500  000 

Ehstes  etLives.  .    .    .  800  000 

Lapons 4  000 

Permicns  et  Zîi^nos.  .  l.'iOOOO 


Lithuaniens 1900  000   |  J'"^'^""'       /  Mordves I  000  000 

Lettes 1100  000      ^*'''"'^'      \  Tchouvachos 700  000 


Roumains 750000 

Grecs 75  000 

Tsiganes 15000 

l  Allemands 1000000 

Gf.bm.vi.ns.   j  g^^^j^.^ 280  000 

(  Kalmouks 120  000 

^"'""''■'  ■   \  Samoyèdes 4  000 

Juifs 3000000 


OUGRIENS. 


Tlrcs  . 


Arméniens 36000  \  Kirgliiz 180000 


Tchérémisses  ....  260000 

Voiak 240  000 

McchlchèrpsetTcptar. .  270  000 

Vogoulcs 2  000 

Vises  et  autres.  .    .    .  28  000 

Tartares  de  Kazaii.  .    .  I  050  000 

Bacbkir 750  OOr 

Tartares  de  Cri  nue.  80  000 


854  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

Des  populations  entières  de  la  Russie,  exclusivement  composées  de  pê- 
cheurs, de  chasseurs  ou  de  pasteurs  nomades,  en  sont  encore  aux  pre- 
mières étapes  de  la  civilisation  industrielle.  Des  centaines  de  milliers 
d'individus,  Tchérémisses,  Zîranes,  Lapons,  Samoyèdes,  Bachkir,  Kirghiz, 
Kalraouk,  Cosaques  de  l'Oural  et  du  Don,  vivent  ainsi  comme  les  anciens 
habitants  du  pays,  voguant  sur  les  fleuves,  se  hasardant  sur  la  mer  ou 
parcourant  les  forêts  ou  les  toundras  à  la  recherche  de  la  nourriture  jour- 
nalière. Par  la  quantité  des  poissons  capturés,  la  Russie  est  de  beaucoup 
le  pays  le  plus  productif  de  l'Europe,  quoique,  en  proportion  du  nombre 
des  habitants,  il  soit  à  cet  éîard  très  inférieur  à  la  Norvège.  On  évalue  à 
près  de  cent  millions  de  francs  la  valeur  de  la  pêche,  à  bord  même  des 
bateaux  '.  Le  produit  des  pêcheries  de  la  seule  Caspienne  est  double,  sinon 
triple,  de  celui  que  retirent  les  flottilles  française,  anglaise,  américaine, 
sur  les  bancs  de  Terre-Neuve  ".  Quant  à  la  chasse,  elle  n'a  d'importance 
que  dans  les  régions  faiblement  peuplées  du  nord,  et  pendant  les  deux 
derniers  siècles  elle  a  beaucoup  diminué  ;  certaines  espèces  d'animaux  dont 
les  peaux  étaient  fort  recherchées  ont  complètement  disparu  ;  mais  les 
Zîranes  du  seul  gouvernement  de  Vol'ogda  vendent  au  moins  400  000  four- 
rures communes  chaque  année.  Les  bêtes  de  proie  qui  disputent  le  gibier 
aux  chasseurs  sont  encore  fort  nombreuses  en  diverses  régions  de  la 
Russie.  L'ours  débonnaire  habite  tous  les  pays  de  forêts,  tandis  que  le 
loup,  infatigable  à  la  course,  parcourt  bois,  savanes  et  steppes  nues  à  la 
chasse  des  troupeaux,  souvent  aussi,  pendant  les  froids  hivers,  à  la  pour- 
suite des  voyageurs  et  des  chevaux  affolés.  On  a  essayé  d'évaluer  par  les 
ravages  des  loups  le  nombre  de  ces  animaux  qui  parcourent  encore  les 
campagnes  de  la  Russie;  approximativement,  toutes  les  bandes  se  compo- 
seraient d'environ  175  000  individus,  dévorant  chaque  année  180  000  bêtes 
de  gros  bétail,  560  000  moutons,  100  000  chiens,  pour  une  valeur  totale 
de  15  millions  de  roubles  :  ce  serait  un  revenu  de  80  roubles  par  loup!  En 
outre,  le  nombre  des  hommes  mangés  par  eux  est  en  moyenne  de  125  par 
an  :  en  1875,  il  a  été  de  161.  Les  zemstvo  russes  donnent  une  prime  aux 
chasseurs  qui  leur  apportent  des  queues  et  des  oreilles  de  cet  animal  ^ 


'  Valeur  annuelle  de  la  pêche  en  Russie  :  plus  de  iO  000  000  roubles. 

Caspienne 25  000  000  roub 

Mer  d'Azov 6  000  000     » 

Mer  Baltique 1  000  000     » 


Mer  Blanche 1  000  000  roub. 

Mer  Noire 100  000     >. 


Grands  lacs 2  ôOO  000     » 

'  DanilevskiT;  —  von  Baer;  —  de  Livron. 

'  Soubotin,  Cours  d'économie  indiislricUe  (en  russe)  ;  —  ■fcazarevskiy  ;  —  Briickner,  Russische 
Revue:  —  Mordovtzov,  Dix  ans  de  z:mslvo  russe  (en  russe). 


iiiiiiiiiip;,iiiiiliiiliiiiiiiifîiiffi^^ 


T 


4^  5^ 


AGRICULTURE,    SYLVICULTURE   DE   L.V   RUSSIE.  857 

Les  agriculteurs  des  régions  seplenlrionales  de  la  Russie  ne  sont  pas 
tous  sédentaires  :  les  anciennes  pratiques  de  la  culture  itinérante  se  sont 
maintenues  partout  où  la  superficie  du  sol  vacant  est  assez  grande  pour 
qu'on  puisse  abandonner  les  terres  épuisées  et  en  prendre  de  nouvelles  en 
lirùlant  les  buissons  ou  les  arbres  qui  y  croissent.  Pareille  raétbode,  fort 
naturelle  dans  un  pays  presque  désert,  devient  impossible  dès  que  la 
population  prend  une  certaine  densité.  Les  cultivateurs  apprennent  les  uns 
après  les  autres  à  se  fixer  sur  le  sol,  et  c'est  par  une  meilleure  exploita- 
tion, non  par  l'utilisation  de  terres  vierges,  qu'ils  cbercbenl  à  augmenter 
leurs  récoltes.  Pourtant,  même  en  Bessarabie,  des  colons  bulgares  très 
riches  en  terres  déplacent  leurs  cultures  d'année  en  année. 

Actuellement  la  surface  du  sol  de  la  Russie  d'Europe  soumise  au  labour 
est  à  peu  près  exactement  d'un  cinquième,  tandis  que  les  terres  com- 
plètement incultes  et  inutiles,  steppes,  rochers  ou  toundras,  s'étendent 
sur  plus  d'un  quart  du  territoire.  Naguère  les  forêts  ombrageaient  plus 
de  la  moitié  de  la  Russie,  mais  les  empiétements  du  sol  cultivé,  les 
incendies,  l'exploitation  désordonnée  ont  réduit  considérablement  la  sur- 
face boisée;  elle  n'est  plus  maintenant  que  des  deux  cinquièmes  :  mamle 
forêt  a  été  changée  en  steppe.  Déjà  les  bords  de  presque  tous  les  cours 
d'eau  flottables  n'offrent  plus  de  hautes  futaies  jusqu'à  une  distance  de 
plusieurs  kilomètres  de  la  rive  :  les  arbres  ont  été  coupés,  tandis  que 
plus  loin  des  rivières,  où  manquent  les  moyens  de  transport,  les  plus 
beaux  fûts  pourrissent  sur  place.  On  peut  juger  de  l'exjiloitation  des  forêts 
en  Russie  et  du  manque  presque  absolu  de  sylviculture  proprement  dite 
par  ce  fait  que  le  gouvernement  ne  tire  en  moyenne  de  ses  forêts,  tous 
frais  payés,  qu'un  revenu  de  5  kopeks  par  hectare,  de  12  à  18  centimes, 
suivant  le  cours  de  l'argent.  Dans  les  provinces  du  nord,  où  s'étendent  en 
immenses  étendues  les  principales  forêts  de  l'État,  le  revenu  annuel  des 
bois  dépasse  à  peine  un  kopek,  d'après  Yauson.  En  France,  il  est  de  plus 
de  50  francs  dans  les  forêts  domaniales,  ce  qui  est  encore  très  inférieur  au 
produit  des  forêts  particulières  bien  aménagées.  Il  est  temps  que  les 
richesses  forestières  de  la  Russie  ne  soient  plus  gaspillées.  Au  commence- 
ment du  siècle,  on  comptait  dans  le  pays  15  hectares  de  bois  par  habitant; 
de  nos  jours,  la  proportion  n'est  plus  que  de  2  hectares  par  individu.  Sans 
doute,  c'est  encore  beaucoup  plus  que  dans  tous  les  autres  pays  d'Europe, 
à  l'exception  de  la  Morvège  et  de  la  Suède  ;  mais  si  le  déboisement  con- 
tinue de  la  même  manière  tandis  que  la  population  s'accroît,  la  Russie 
sera,  en  un  petit  nombre  de  décades,  l'une  des  contrées  euroj)éennes 
les  plus  pauvres  en  bois  ;  actuellement,  elle  est  même  plus  pauvre  que 

V.  108 


858  .NOUVELLE   GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

la  France    dans  les    régions  centrales   et    sur   les   bords  de  la   Volga'. 
La  Russie  est,  de  toutes  les  contrées  d'Europe,  celle  qui  récolte  la  plus 


LIMITES   DES    CEREALES    ET   DE 


ES  ncssin. 


D'après  divers   aocwments 


grande  quantité  de  céréales.  Récemment  elle  en  produisait  même  plus  que 
les  Etats-Unis,  mais  elle  n'est  plus  qu'au  troisième  rang  dans  le  monde. 


■  Superficie  approximative  du  territoire  agricole  de  la  Russie  d'Europe,  sans  la  Finlande  ; 

Forêts 200  COO  000  hectares. 

Terres  labourées.  109  000  000         » 

l'raiiics 57  900  000        » 

Terres  iacullcs,  pâturages,  ctc 150  000  000         » 


AGRICULTURE  EN  RUSSIE.  859 

après  les  États-Unis  et  l'Inde  '.  Il  est  vrai  que  la  Russie  emploie  proportion- 
nellement beaucoup  plus  de  terrains  à  la  culture  du  blé  que  les  autres 
Étals  de  l'Europe,  et  même  une  grande  partie  de  son  territoire,  le  Tchor- 
nozom,  semble  être  destinée  à  devenir  un  vaste  champ  de  céréales.  Mais 
les  pratiques  agricoles  sont  encore  des  plus  défectueuses.  Une  grande 
partie  de  la  Russie  méridionale  n'est  pas  cultivée  d'une  manière  permanente 
et  des  spéculateurs  la  louent  à  la  couronne  pour  en  extraire  deux  ou  trois 
récoltes  de  froment,  suivies  par  deux  récoltes  épuisantes  de  lin.  Encore  en 
1872,  M.  Mackenzie  Wallace  parcourut  de  vastes  domaines  de  la  province 
de  Samara  appartenant  à  la  couronne  et  dont  la  terre,  naturellement  fertile, 
était  louée  à  75  centimes  l'hectare.  Si  le  produit  de  chaque  hectare  de  blé 
était  le  même  en  Russie  que  dans  la  Grande-Bretagne,  ce  n'est  pas  à 
650  millions  d'hectolitres,  mais  à  près  de  cinq  milliards  que  s'élèverait 
la  récolte,  et  tout  ce  blé  suffirait  à  la  nourriture  de  cinq  cents  millions 
d'hommes.  Le  rendement  varie  en  moyenne,  suivant  les  contrées,  de  trois 
à  cmq  grains  pour  la  semence,  et  cependant  un  tiers  des  terrains  de  culture 
reste  en  jachère  chaque  année*.  Aussi,  quand  la  récolle  vient  à  manquer 
dans  une  province,  soit  à  cause  de  la  rareté  ou  de  la  trop  grande  abondance 
des  pluies,  soit  à  cause  des  insectes,  si  redoutables  surtout  dans  les  pro- 
vinces de  l'Oukraïnc,  la  disette,  souvent  la  famine,  règne  bientôt  dans  le 
pays,  tandis  que  les  districts  favorisés  continuent  d'expédier  leurs  céréales 
vers  les  ports  étrangers  ;  il  arrive  même  que  les  régions  où  sévit  le  fléau 
continuent  d'exporter  des  blés  :  on  en  vit  des  exemples  en  1875  et  en 
1884,  lors  des  famines  de  Saratov  et  de  Periii.  La  cause  en  est  à  la  pauvreté 
des  paysans,  obligés  de  vendre  leurs  blés  en  automne  pour  payer  l'impôt 
et  ne  pouvant  plus  en  racheter  au  printemps,  jiar  suite  de  leur  misère.  La 

'  Production  des  céréales  en  divers  pays  du  monde  : 

Étals-Unis  (1882) 072  840  000  heclolitrc.     19  hectolitres  par  habitant. 

Russie(inoyennet876-l88l).  58600i>000  8,2  y-  " 

France  (1882) 286  200  000  7,ô  ■•  .. 

.\Uemagne  (1873-1880)   .    .  200  000000  (i,5  «  i. 

Austro-Hongrie  (1870-1881).  185000  000           .  4.8  "  » 

Royaume-Uni  (1871-1880)  .  101580  000  5  «  » 

*  Terrains  h  céréales  de  la  Russie  : 

Froment  de  printemps  et  d'hiver 10  881000  hectares. 

Seigle 2()  286  000         i. 

Orge 4  937  000 

Avoine.   .    , 15  205000         « 

Sarrasin 4  557  00(1 

Autres  céréales 4262000         )■ 

Jachères 52  457  000        i. 

Ensemble 96  585  000  hectares. 


860  NOUVELLE    GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

céréale  la  plus  cultivée  de  la  Russie  n'est  pas  le  froment  ;  cette  espèce  ne 
vient  qu'après  le  seigle  et  l'avoine,  et  dans  les  régions  du  nord  elle  est 
remplacée  par  le  seigle  et  l'orge,  qui  n'ont  besoin  pour  se  développer  que 
d'une  moindre  somme  de  chaleur.  L'exportation  du  froment,  qui  avait  été 
de  88  750  000  hectolitres,  n'est  plus  annuellement  que  du  quart  ou  du 
cinquième. 

Si  la  Russie  n'occupe  plus  le  premier  rang  pour  la  production  et 
l'exportation  des  céréales,  elle  est  toujours  la  première  pour  le  lin  et  pour 
le  chanvre.  Les  champs  de  lin  de  la  Russie  dépassent  même  en  superflcie 
ceux  de  tout  le  reste  de  l'Europe  et  leur  production  totale  est  à  peu  près  la 
moitié  de  celle  de  tout  le  continent'.  Les  gouvernements  de  Pskov,  de 
Smolensk,  de  Vatka,  produisent  ensemble  plus  de  75  000  tonnes  de  fibres; 
en  outre,  plusieurs  provinces  méridionales  cultivent  le  lin,  non  pour  la 
fibre,  mais  pour  la  graine  :  la  valeur  totale  de  la  production  du  lin  est 
évaluée  à  100  millions  de  roubles,  soit  à  plus  de  300  millions  de  francs. 
Le  chanvre  a  moins  d'importance  dans  l'économie  rurale  de  la  Russie  ;  la 
récolte  de  cette  plante  est  évaluée,  pour  la  fibre  et  pour  la  graine,  à  la 
somme  d'environ  100  millions. 

La  culture  tout  industrielle  de  la  betterave  s'est  aussi  très  développée  en 
Russie  et  la  production  annuelle  de  cette  plante  y  représente  à  peu  près  le 
cinquième  de  celle  de  l'Europe  ;  le  gouvernement  de  Kiyev  fournit  à  lui 
seul  le  quart  de  toute  la  récolte  russe  et  polonaise,  évaluée  dans  la  cam- 
pagne de  1882  à  1883  à  3  600  000  tonnes.  D'ordinaire,  la  Russie  est 
l'égale  de  l'Âuslro- Hongrie  pour  cette  culture  ;  elle  ne  le  cède  qu'à  la 
France  et  à  l'Allemagne  :  on  évalue  de  13  à  20  millions  de  roubles  la 
valeur  de  la  récolte  annuelle.  La  culture  des  pommes  de  terre  s'est  consi- 
dérablement accrue  depuis  le  milieu  du  siècle  et  les  produits  ont  plus  que 
triplé',  la  pomme  de  terre  servant  en  Lithuanie  et  dans  la  Russie  Blanche 
à  la  fabrication  de  l'eau-de-vie,  tandis  qu'ailleurs  on  emploie  surtout  la 
farine  de  seigle.  Dans  l'ensemble  de  la  production,  l'eau-de-vie  de  pomme 
de  terre  représente  environ  le  quart.  La  culture  du  tabac,  qui  s'est  très 
notablement  accrue  dans  ces  dernières  années,  couvrait  en  1885  près  de 
50  000  hectares  et  donnait  GO  000  tonnes  de  récolte.  Ce  sont  là  les  cultures 
les  plus  importantes  de  la  Russie  proprement  dite.  Quant  à  la  vigne,  elle  n'a 

'  Champs  de  lin  et  production  en  i  880  : 

Russie 880  000  hectares.  528  000  tonnes  de  fibres. 

.Kulres  pays  d'Europe  ...     «35  600         ii  224  000       »  » 

=  l'roduclioQ  movcDue  des  pommes  de  lerrc  en  Russie  et  l'ologac,  de  1870  à  1879  . 
125  900  000  hectoliti es    En  1881  :  170  500  000  licclolities. 


AGRICULTURE   DE   LA   RUSSIE.  861 

de  valeur  agricole  que  dans  la  partie  méridionale  du  pays,  et  les  trois 
quarts  de  la  production  de  l'empire  sont  recueillis  en  dehors  des  limites 
naturelles  de  l'Europe,  dans  les  bassins  du  Terek  et  de  la  Kouban,  et  princi- 
palement en  Kakhétie,  sur  le  versant  méridional  du  Caucase.  Les  vignobles 
de  l'Europe  russe  se  rencontrent  seulement  dans  la  Bessarabie,  princi- 
palement aux  alentours  d'Akkerman,  sur  les  bords  du  liman  du  Dncstr,  en 
Crimée,  sur  les  rives  du  Don  inférieur,  et  quelque  peu  dans  le  gouverne- 
ment de  Kherson.  Les  limites  de  la  culture  des  vignobles  ont  certainement 
rétrogradé  vers  le  sud  pendant  les  deux  derniers  siècles  :  les  paysans  ven- 
dangeaient autrefois  dans  la  Podolie  à  500  kilomètres  au  nord  des  vignobles 
actuels  de  la  Russie  situés  le  plus  loin  de  l'équateur'.  La  vigne  croit 
encore  dans  les  jardins  de  la  Podolie  et  de  la  Kiyovie,  mais  les  raisins  en 
sont  trop  aigres  pour  qu'on  essaie  d'en  faire  du  vin.  Les  vignes  d'Astra- 
khan, dont  Alexandre  de  Humboldt  parle  dans  plusieurs  de  ses  ouvrages, 
sont  aussi  bien  près  de  disparaître  :  la  viticulture  est  devenue  du  jardinage 
dans  cette  partie  du  bassin  de  la  Volga,  et  ne  s'étend  que  sur  un  espace 
de  95  hectares;  ses  produits,  dans  l'année  normale  de  1870,  ne  s'élevaient 
qu'à  184  hectolitres  ^  L'ensemble  de  la  production  des  vins  dans  toute  la 
Russie  d'Europe  est  seulement  de  600  000  hectolitres",  que  l'industrie 
sait  multiplier,  il  est  vrai,  et  transformer  en  Champagne  et  autres  crus 
fameux.  Au  commencement  de  l'année  1870,  le  phylloxéra  envahit  les 
vignes  de  la  Crimée  *  ;  mais  il  n'a  pas  fait  beaucoup  de  ravages  jusqu'à 
maintenant,  les  vignobles  étant  fort  éloignés  les  uns  des  autres. 

La  Russie  est  très  riche  en  bestiaux  ';  elle  en  possède  plus  que  tout  autre 
État  d'Europe,  et  même   elle  est  de  beaucoup   au   premier  rang  pour  le 


'  Biaise  de  Vigener,  Descriplion  du  royaume  de  Poluiqnc... 

*  Bock,  Russische  Revue-,  1878,  n°  X. 

^  Yanson,  Statistique  comparative. 

'  Bock,  Izv'estiya  Roussk.  Geogr.  Ohchtchestva,  1878,  n°  'i. 

"  Nombre  des  anim.iux  domestiques  en  divers  pays  d'Europe  (1870-1876)  ; 


CHEVAUX.  Par  100  liab. 

Russie(sansFinl.elPoI.)     1.5  756  000  soit  20 

Allemagne 3  552  000     »       8 

France  (1880)  ....       2848800     «       7,6 
Auslro-Hongrir.  .   .   .       3  548  400     «      9 
Royaume-Uni   ....       1  927  000      i       6 


•Russie  (1880)  .  .  .  . 
Allemagne  (18811).  .  . 
France  (1880)  .  .  .  . 
Austro-llungrie  (1880). 
Rov.iumc-Uni(lS81)).   . 


BETES   A   CORNES. 

...  21  652000 

15  780  000 

11284  000 

15  805  000 

9  866  000 


BREBIS.  Pjr  100  liali. 

Russie  (1880).    .    .    .     45  662  000     soit  00 


Allemagne  .  . 
France  (1880). 
Austro-Hongrie 
Royaume-Uni . 

Russie  (1880). 
Allemagne  .  . 
France  (1880). 
Austro-Hongrie 
Royaume-l'ni . 


24  850  000  I)  61 

22  516  100  I)  60 

20  103  000  »  55 

32  571000  ))  99 


COCHONS. 

.  .  9  269  000 

.  7  124  000 

.  .  5  565  620 

.  .  6  995  000 

.  .  3  708  000 


862  NOUVELLE   GÊOGILVPUIE   UNIVERSELLE. 

nombre  des  chevaux  proportionnel  aux  habitants  '.  D'ailleurs,  cette 
supériorité  de  la  Russie  pour  la  population  chevaline  tient  précisément  à 
l'infériorité  du  pays  pour  les  cultures.  Là  où  les  habitants  sont  le  plus 
clairsemés,  où  les  villes  et  les  bourgades  sont  les  plus  distantes  les  unes 
des  autres,  les  troupeaux  de  chevaux  paissent  en  plus  grandes  multi- 
tudes; dans  la  région  des  steppes,  au  midi,  et  surtout  à  l'est,  ils  trou- 
vent encore  des  territoires  immenses  qu'ils  parcourent  en  liberté.  Dans 
les  possessions  russes  de  l'Asie  centrale,  le  nombre  des  chevaux  dépasse 
celui  des  hommes  ;  dans  la  Russie  d'Europe,  y  compris  la  Pologne,  on 
comptait  récemment  un  cheval  pour  quatre  habitants;  maintenant  la  pro- 
portion n'est  plus  que  d'un  cheval  pour  cinq  personnes,  et  l'on  peut  pré- 
voir comme  déjà  rapprochée  l'époque  où  la  Russie  n'aura  plus,  comme  les 
contrées  de  l'Europe  occidentale,  qu'un  cheval  pour  dix  ou  quinze  habi- 
tants. Grâce  aux  progrès  de  l'agriculture,  les  bêtes  à  cornes  augmentent  en 
nombre,  mais  non  aussi  rapidement  que  la  population  humaine  :  un 
déficit  d'accroissement  se  produit  chaque  année  sur  les  bœufs  aussi  bien 
que  sur  les  brebis.  D'ailleurs,  en  comparant  le  bétail  de  la  Russie  à  celui 
de  l'Europe  occidentale,  il  faut  tenir  compte  de  ce  fait  que  le  poids  d'un 
animal  russe,  relativement  mal  nourri  et  surmené  de  travail,  est  inférieur 
de  plus  de  moitié  à  celui  d'un  bœuf  anglais  ou  suisse.  De  même,  les  trou- 
peaux de  brebis  consistent  principalement  en  espèces  non  encore  ennoblies 
par  les  croisements.  Cependant  de  grands  progrès  se  sont  déjà  faits, 
grâce  à  la  valeur  croissante  de  la  viande  et  de  la  laine.  On  évalue  à  près 
de  150  000  tonnes  la  quantité  de  laine  que  produit  la  Russie,  et  qui  repré- 
sente la  valeur  de  près  de  50  millions  de  roubles.  L'ensemble  des  produits 
de  l'agriculture  et  de  l'élève  du  bétail  dans  la  Russie  d'Europe  ne  peut 
guère  être  inférieure  à  2000  millions  de  roubles  :  c'est  de  cinq  à  six  mil- 
liards de  francs. 

On  sait  que,  depuis  l'année  1801,  les  producteurs  de  ces  richesses  sont 
émancipés  du  servage  et  mis  en  possession  d'une   part  des  terres  qu'ils 


'  Animaux  domestiques  de  la  Russie  d'Europe,  sans  la  Fiulaude  et  la  Pologne  : 

Chevaui.  Bètes  à  cjrnes.  Brebis. 

1861 15  11)0  000  20  058  000  42  579  000 

1880 15  756  000  21052  000  45  062  000 

Accroi':';oincnl 506  000  lOliOOO  3  285  000 

Soil 0,57  pour  100  4,9  pour  100  7."  pour  100. 

Accroissement  des  habitants  :  25  pour  100. 

En  1885,  le  (juart  des  paysans,  soit  9  079  024  «  feux  »,  ne  possédaient  plus  de  chevaux,  tan- 
dis qu'un  recensement  des  chevaux  relevait,  ])0ur  la  Russie  et  la  Pologue,  un  contingent  de 
19  674  720  tètes,  dont  5  000  000  dans  le  dislricl  mllilairo  do  Kduii. 


AGRICULTURE    RUSSE    ET   PAYSANS.  863 

cultivent'.  Les  paysans  de  la  couronne,  qui  jouissaient  d'une  plus  grande 
liberté  relative  que  les  paysans  des  propriétaires  privés,  ont  reçu  des  lots 
qu'ils  paient  directement  par  un  accroissement  d'impôts  réparti  sur  un 
certain  nombre  d'années.  Quant  aux  anciens  serfs,  ou  plutôt  esclaves,  des 
seigneurs',  la  loi  promulguée  les  oblige  au  paiement  direct  d'un  cinquième 

N°    190.    RETARD    SCR    LE    PilEMEXT   DU    PRIX    DE    RACHAT  DES    TERRES    DAXS    LES    DIVERSES    PROMNCES, 

PEM)AXT    LES    DIX    ASSÉES     DE    1863    A    1ST3. 


du  prix  de  leurs  lots  au  propriétaire  :  s'ils  ne  peuvent  se  libérer  immédia- 
tement, les  quatre  cinquièmes  de  la  dette  restante  sont  payés  par  l'Etat, 
qui  les  reprend  à  son  tour  au  paysan  en  lui  demandant  pendant  49  ans  un 


'  Distiibulion  de  h  iirnpiiùlé  foncière  en  Russie: 

Av.int  rémnncipalion. 
Territoire  Hc  la  couronne.  .    .         Ci. 6  pour  100. 
i>  de  la  noblesse,  cic.    .     50.6         • 

Domaines  impériaux 3.3         ■ 

Terres  des  paysans  et  colons  .    .       1.7         » 

•  Pajsans  mâles  vers  l'époque  de  l'émancipation  :  En  1857,  9  7C5 1C3  sur  les  terres  de  la  couronne  ; 

en  1863,  1021799  sur  les  domaines  impériaux  ;  en  1857,  10  696139  sur  les  terres  de  la  noblesse. 


Apres  l'cmancipslion. 
45.6  pour  100. 
22.6 

1.8        - 
50.0        »        (payées  ou  non). 


864  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

intérêt  de  0  pour  100  sur  la  somme  avancée;  le  rachat  n'a  dû  se  faire 
immédiatement  que  dans  les  provinces  occidentales  de  l'empire  atteintes 
par  la  révolution  polonaise  de  1865.  Au  1"  janvier  de  l'année  1882,  le 
nombre  des  «  âmes  censitaires  »  qui  avaient  signé  leurs  contrats  définitifs 
de  rédemption  était  de  8  7 15  786,  représentant  environ  20  millions  d'indi- 
vidus. A  cette  époque,  1  422  012  «  âmes  »  restaient  encore  obligées  tempo- 
rairement au  travail  de  corvée  chez  les  seigneurs.  Au  1"' janvier  1885,  elles 
passèrent  dans  la  catégorie  des  rachetés  ;  mais  725  725  <'  àraes  »  inscrites 
comme  domestiques  n'ont  point  reçu  leur  part  de  terres  ;  sur  les  domaines 
impériaux,  plus  de  860  000  avaient  reçu  leurs  lots.  Dans  les  provinces  du 
sud  et  dans  les  Terres  Noires,  la  plupart  des  paysans  ont  pu  subvenir  aux 
frais  de  leur  libération,  différents  suivant  les  districts,  racheter  leur  sol, 
dont  l'étendue  varie  également  dans  chaque  province',  et  constituer  défini- 
tivement la  petite  propriété;  mais  il  n'en  est  pas  ainsi  dans  les  gouverne- 
ments du  nord  et  de  l'est,  où  les  récoltes  ont  souvent  manqué.  On  a  calculé 
que  dans  les  provinces  du  nord,  vers  la  haute  Volga,  les  paysans  devraient 
avoir  plus  de  8  hectares  par  «  âme  »,  c'est-à-dire  le  double  ou  le  triple  de 
ce  qu'ils  ont  en  moyenne,  pour  vivre  à  leur  aise  et  payer  régulièrement 
leurs  taxes.  Là,  les  communes,  ne  pouvant  payer  directement  les  proprié- 
taires, sont  aussi  trop  pauvres  pour  acquitter  les  intérêts  du  prêt  que  leur 
a  fait  l'Etat  ;  elles  doivent  négocier  des  emprunts  à  gros  deniers,  vendre 
les  blés  en  herbe,  et  s'asservir  une  seconde  fois,  non  plus  au  seigneur, 
mais  à  l'usurier.  En  des  districts  entiers,  tous  les  paysans  sont  devenus 
incapables  d'acquitter  l'impôt,  parfois  supérieur  au  revenu  lui-même.  On 
cite  des  exemples  de  villages  que  les  habitants  ont  abandonnés,  allant 
chercher  du  travail  ailleurs,  avec  ou  sans  espérance,  le  revenu  ne  suffi- 
sant plus  à  payer  les  frais  de  séjour.  Le  prolétariat  agricole  a  commencé 
d'exister,  tandis  que  dans  les  villes  se  développe  aussi  le  prolétariat  indus- 
triel'. On  signale  déjà,  dans  les  provinces  de  la  basse  Volga,  des  exemples 
de  paysans  qui  s'engagent  au  travail  pour  de  longues  périodes  sur  les  terres 
des  grands  propriétaires  :  ces  contrats  ont  pris  le  nom  de  kabala,  le  même 
terme  que  l'on  employait  pour  désigner  l'esclavage  avant  l'époque  où 
presque  toute  la  population  agricole  de  la  Russie  était  devenue  serve'. 

Le  travail  de  la  Russie,  non  seulement  celui  de  l'agriculture,  mais  aussi 
en  partie  celui  de  l'industrie  et  du  commerce,  se  fait  encore  suivant  des 
formes  où  se  retrouve  l'influence  de  l'ancienne  communauté.   Toutefois 

'  Moindre  superficie  du  lot  :  1  hccl.ire  91  ;  plus  grande  :  10  liectares  92. 

-  Vasiilcliikov,  La  propriété  foncière  et  ragricitlliire,  II. 

'  Giljr.inskiy,  Les  comlitions  sociales  et  économiques  du  sud-est  de  ta  Russie,  Stovo,  1878. 


PAYSANS  RUSSES.  865 

c'est  principalement  pour  la  culture  du  sol  que  s'est  niainloiui,  en  se 
transformant,  le  groupe  communal.  Ce  groupe,  c'est  le  mir  de  la  Grande 
Russie,  la  firomada  de  la  Petite  Russie;  on  voit,  sous  d'autres  noms, 
une  organisation  analogue  chez  les  populations  fmno-farlares,  (elles  que 
les  Mordves,  les  Tchérémisses  et  les  Tchouvaches ',  et  m'-me  les  colons 
allemands  des  bords  de  la  Volga,  quoique  ayant  reçu  des  terres  par  familles, 
les  ont  réunies  en  domaines  communaux.  Le  mir  est  donc  une  institution 
générale  dans  l'empire,  quoique  ses  formes  les  plus  originales  et  les  mieux 
étudiées  se  rencontrent  surtout  dans  la  Grande  Russie.  C'est  dans  celte 
partie  de  l'Empire  seulement  que  l'on  voit  des  villes  même  garder  le 
régime  de  la  distribution  des  terres  entre  leurs  membres.  Ainsi  les  habi- 
tants de  Mol'oga  sont  divisés  en  onze  centaines  [soln'a),  et  les  prairies  envi- 
ronnantes se  partagent  en  onze  parties,  que  chaque  centaine  fauche  à  son 
tour  et  dont  le  produit  est  distribué  entre  les  membres,  selon  la  quantité 
des  impôts  payés  par  chacun". 

Il  n'est  pas  tout  à  fait  exact  de  traduire,  comme  on  le  fait  d'ordinaire, 
ie  mot  mir  par  celui  de  «  commune  »,  car  la  culture  en  commun  ne  se  pra- 
tique guère  que  dans  quelques  associations  agricoles  temporaires,  comme 
la  seberchtchina  de  la  basse  Volga'  et  de  la  Petite  Russie.  Dans  certaines 
communes  de  raskolniks,  et  notamment  chez  les  obchlcbiye  ou  «  com- 
munautaires »,  secte  des  doukhoborizî,  il  n'y  a  point  de  partage  du  sol; 
la  terre  est  cultivée  par  tous  et  la  récolle  répartie  entre  eux  proporlion- 
nellement  au  nombre  des  travailleurs  de  chaque  famille'.  En  général  le 
travail  en  commun  et  le  partage  égal  du  produit  s'observent  plus  souvent 
pour  les  praiiies  que  pour  les  terres  labourables  et  sur  les  terrains  loués 
que  sur  la  propriété  des  communes.  Le  mot  mir,  signifiant  à  la  fois  le 
village  et  le  monde,  ne  se  distingue  que  par  l'orthographe  d'un  mot  ayant 
le  sens  de  «  paix  »,  de  contrat  et  d'accord.  Le  mir  est  en  effet  l'entente 
générale  des  familles  du  village  sur  la  répartition  des  terres.  Quand  le  ter- 
ritoire est  vaste,  comme  dans  les  provinces  du  nord,  le  sol  est  commun 
à  plusieurs  villages,  constitués  en  volost'  :  c'est  ainsi  que  dans  le  district 
d'Oloiielz  environ  600  villages  sont  groupés  en  50  communes.  Une  seule 
volost  communautaire  comprend  plus  de  cent  villages,  et  son  territoire, 

'  P.  Yefiinenko,  Programme  pour  VHudc  de  la  propriclé  communale,  Slovo,  1878,  n°  h;  — 
Tclicrnîchevsiiiy,  Propriété  communale,  d'après  llaxlhausen  (en  russe);  —  Soliolovslxiy,  Essai 
d'une  histoire  de  la  commune  rurale  dans  le  nord  de  la  Russie  (en  russe). 

•  Yaliouclikin,  Le  Droit  coutumier  (en  ru,<se). 

'  Gilaranskiy,  Les  conditions  sociales  et  économiques  dans  le  sud-est  de  la  Russie.  Slovo,  1878. 

*  Keisiyev,  Matériaux  sur  le  Itaskol,  iV  ;  —  Les  Sauteurs,  Otelch.  Zap.  1878,  X,  XI  ;  —  Em.  Je 
Laveleye,  De  la  Propriété  et  de  ses  formes  primitives. 

V.  i09 


866  NOUVELLE    UEOGU.VI'UIE    UNIVERSELLE. 

d'unie  superficie  di'  220  000  hectares,  borde  la  Svir  sur  une  longueur  de 
GO  kilomètres'.  Là  ce  n'est  pas  la  terre  qui  manque  aux  familles  de  culti- 
vateurs ;  au  contraire,  celles-ci  peuvent  se  déplacer  de  droite  et  de  gauche 
pour  choisir  l'endroit  qui  leur  convient  ;  il  leur  suffit  de  mettre  leur  marque 
sur  les  arbres  qui  leur  servent  de  limites  temporaires  ;  mais  il  importe  que 
les  villages  s'accordent  pour  introduire  un  certain  ordre  dans  cette  agricul- 
ture nomade,  ainsi  que  dans  l'exploitation  des  rivières.  L'armée  des 
Cosaques  de  l'Oural  constitue  aussi  une  grande  vol'ost,  oi!i  chaque  homme 
valide  était  naguère  libre  d'occuper  des  terres  vacantes  pour  y  établir  son 
champ,  mais  où  la  propriété  particulière  se  constitue  peu  à  peu  par  l'effet 
de  la  hiérarchie  militaire'.  L'étude  des  documents  a  démontré  que  la  fédé- 
ration des  villages  en  volost  pour  l'exploitation  du  sol  était  le  fait  général 
dans  l'ancienne  Russie  \ 

Les  mœurs  féodales  d'une  part,  de  l'autre  l'influence  de  la  législation 
romaine  ont  détruit  en  maints  endroits  cette  forme  de  la  propriété  collec- 
tive pour  la  remplacer  par  la  propriété  individuelle  :  c'est  ce  qui  arriva 
surtout  dans  la  Russie  occidentale,  sous  le  régime  lithuanien  et  polonais, 
et  ce  qui  se  fait  maintenant  chez  les  Cosaques  de  l'Oural;  mais  dans 
presque  toute  la  Grande  Russie  la  volost  s'est  naturellement  scindée  en 
mirs  distincts  par  l'effet  de  l'accroissement  des  cultivateurs  et  de  la  dimi- 
nution des  terres  libres  :  dès  que  le  hameau  est  devenu  village,  les  cam- 
pagnes voisines  sont  appropriées  par  cette  commune  nouvelle  et  finissent 
par  lui  appartenir  uniquement  :  c'est  entre  ses  membres  que  doit  se  faire 
le  partage*. 

L'ensemble  des  habitants  d'un  village  constitue  le  mir  ou  la  commune. 
Le  mir,  qui  s'administre  en  toute  liberté,  est  propriétaire  du  sol,  mais 
en  même  temps  il  est  responsable  du  bien-être  de  tous  les  membres  de 
la  commune  ;  il  doit  assurer  une  part  de  la  terre  à  tout  individu  capable 
de  travailler.  Souvent  les  forêts  et  presque  toujours  les  pâturages  restent 
indivis.  La  maison,  le  terrain  où  elle  est  construite  et  le  jardin  attenant 
sont  propriété  privée  ;  mais  aussi  longtemps  que  le  possesseur  n'a  pas 
acheté  définitivement  sa  part  de  terre  à  l'ancien  seigneur,  il  appartient  à 
la  commune  et  ne  peut  vendre  ni  maison  ni  jardin  à  une  personne  étran- 
gère au  mir  qu'avec  le  consentement  des  habitants  du  village.  En  prin- 
cipe, le  partage  doit  se  faire  suivant  la  quantité  des  travailleurs   mâles 

'  Sokolovskiy,  ouvrage  cité. 

'  ^abinin,  L'armée  des  Cosaques  tic  lOtiml  (on  russe). 

■•  Sokoiovskiy,  ouvrage  cité. 

*  Sokotovskiy,  ouvrage  cilé.  .  .  .  • 


MIR.  807 

dans  chaque  famille,  et,  la  terre  étant  taxée  pour  les  impôts  d'après  la 
population  mâle,  la  répartition  du  sol  devient  obligatoire  après  chaque 
recensement.  Mais  les  oscillations  diverses  qui  se  produisent  dans  chaque 
commune  par  l'effet  des  morts,  des  naissances,  des  migrations,  obligenl 
les  villages  à  faire  des  répartitions  plus  fréquentes,  et  d'ailleurs  chacun 
d'eux  a  ses  coutumes  et  suit  son  évolution  particulière.  Dans  le  même 
gouvernement,  dans  le  même  district,  des  communes  procèdent  au  jiartage 
tous  les  ans,  tandis  que  d'autres  ne  font  de  nouvelles  divisions  qu'après 
deux  ou  plusieurs  années,  ou  même  attendent  pendant  des  générations 
entières'.  On  a  cru  remarquer  que  les  communes  les  plus  riches  et  soignant 
le  mieux  leurs  terres  répèlent  les  partages  moins  fréquemment  que  les 
communes  pauvres  ^ 

Afin  que  cliaque  membre  du  mir  reçoive  une  part  égale,  on  divise  ordi- 
nairement la  terre  en  trois  sortes  de  lots,  suivant  leurs  qualités  de  terrain 
et  les  facilités  de  la  culture.  Tout  est  pris  en  considération,  nature  du  sol, 
exposition,  pente,  proximité  des  maisons,  des  chemins  et  des  ruisseaux  ; 
les  lignes  de  démarcation  entre  les  lots  suivent  la  direction  qui  assure 
entre  eux  le  plus  de  ressemblance.  Puis  le  sort  décide  quels  lots  les  paysans 
recevront  dans  les  terres  de  diverses  qualités,  du  «  premier  chapeau  »,  du 
«  deuxième  »  et  du  «  troisième  »  "'. 

En  dépit  des  prédictions  faites  par  tant  de  publicistes  russes  et  étrangers 
depuis  l'émancipation  des  serfs,  le  mir  russe  s'est  maintenu  :  il  n'a  cessé 
de  s'accorder  avec  les  intérêts  et  la  manière  de  penser  des  paysans.  La  loi 
permet  aux  communes  de  partager  définitivement  les  terres  en  propriétés 
distinctes  et  de  dissoudre  ainsi  la  propriété  communale,  mais  les  villages 
qui  ont  usé  de  celle  autorisation  sont  très  rares  et  presque  tous  se  trou- 
vaient dans  des  conditions  particulières,  qui  rendaient  fort  gênant  le  niain- 

'  Recensement  de  278  communes  dans  io  gouvurncmeiit  do  Saralnv  on  1870  : 

Réparlilion  annuelle 128  villages. 

>'           bisannuelle 22  » 

r           triennale 15  » 

»           quinquennale 21  » 

)•           tous  les  six  ans 20  » 

»                  .)       huit  ans 2  r> 

0           décennale 11  t 

Pas  de  partage  depuis  1858 .">2  » 

Il              »       depuis  1862 25  » 

Commune  oii  le  partage  osl  aboli  en  principe I 

*  Trirogov,  La  des'alinc  imposée,  Vcstnik  ïcvropl,  1878,  n»  11.' 

*  l'osnikov,  M  propriété  foncière  communale,  Il  (gouv.  de  Yarosl'avl)  ;  —  Polanin,  Le  district 
de  Nikol'xk,  dans  le  (jouvcrnemenl  de  Voloifdn,  Dievi'iaya  i  >'o\aja  Rossija,  I87G,  n"  10;  —  Tri- 
rogov, iSos  communes  (gouv.  de  Satatov  ol  d'Astrakhan),  Otctch.  Zapiski,  1878,  n*  1 1  ;  1870,  n*  ". 


SCS  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE    UKIVERSELLE. 

tien  de  l'ancienne  communauté.  Pendant  les  quatorze  premières  années 
([ni  uni  suivi  l'édit  d'émancipation,  on  ne  connaît  que  98  exemples  de 
communes  qui  aient  abandonné  la  propriété  collective  pour  })asser  sous 
le  régime  de  la  propriété  privée,  et  l'on  cite  des  cas  de  communes  qui  se 
sont  dissoutes  pour  se  reconstituer  partiellement  d'une  manière  plus  avan- 
tageuse'; d'autres  se  sont  agrandies,  groupant  en  un  mir  plus  étendu  les 
terres  rachetées  par  elles.  L'ancien  esprit  de  solidarité  entre  membres  d'une 
même  commune  n'a  point  disparu.  «  Le  mir  a  pitié  de  tous,  »  dit  le 
paysan,  et  quoique  l'État,  envers  lequel  l'ensemble  du  mir  est  responsable 
de  l'impôt,  taxe  sans  exception  toutes  les  «  âmes  censitaires  »,  c'est-à-dire 
toute  la  population  mâle,  la  commune  en  exempte  les  vieillards  et  les 
enfants  des  familles  «  sans-âme  »,  c'est-à-dire  ne  possédant  pas  de  tra- 
vailleur valide  et  ne  recevant  pas  de  lot;  elle  donne  la  pitance  à  la  veuve, 
et  tous  peuvent  au  moins  élever  vache  et  brebis  sur  le  pâturage  commun  ; 
(juelquefois  aussi  la  commune  laisse  un  lot  de  terre  à  la  famille  et  afiai- 
biie  »,  et  la  culture  en  est  faite  par  tous  les  voisins.  Ainsi  se  maintiennent 
ces  mœurs  de  bienveillance  mutuelle  qui  distinguent  les  Slaves  orientaux 
et  qui  frappent  les  observateurs  appartenant  à  d'autres  nationalités" . 

Toutefois  il  est  certain  que  le  mir  se  transforme  peu  à  peu  et  (jue  la 
vie  communale  s'altère  et  dépérit  par  l'effet  des  conditions  sociales  et 
fiscales  qui  sont  faites  aux  paysans.  C'est  que  la  répartition  de  la  terre  n'a 
pas  seulement  pour  but  de  donner  la  nourriture  à  tous  les  membres  de  la 
commune,  mais  aussi  de  garantir  le  paiement  de  l'impôt,  et  toutes  les 
familles  sont  classées  par  le  mir  lui-même  en  «  fortes  ».  moyennes, 
faibles,  et  «  sans-âme  »,  et  qui  dit  «  sans-âme  »  dit  aussi  «  sans-terre  » 
D'ordinaire  l'homme  valide  possesseur  de  deux  chevaux  est  compté  pour 
deux  âmes;  un  accident,  une  épizootie  peut  lui  faire  perdre  une  moitié 
d'âme, et  sa  paît  de  terre  se  réduit  d'autant^.  L'usure  s'est  développée  dans 
un  grand  nombre  de  communes  au  profit  de  ceux  que  les  Pelits-lUissiens 
appellent  les  «  ducs  »  {doukt),  d'un  ancien  mot  cosaque,  et  auxquels  les 
Granils-Russiens  ont  donné  le  nom  plus  expressif  de  «  mangeurs  de  com- 
mune »  (miroyedî)  ;  ce  sont  eux  qui  se  chargent  de  j)n>ndre  les  terres  des 
familles  affaiblies  ou  sans-âme,  à  condition  de  payer  les  taxes  corres- 
pondantes. Endettés  et  s'endeltant  de  plus  en  plus  pour  acquitter  l'impôt 
annuel,  plusieurs  membres  de  la  commune  «  vendent  leurs  âmes  »  ou  ne 
les  possèdent  plus  que  d'une  manière  fictive  et  retombent  dans  une  sorte 

'  Vusiilcliikov,  La  propriété  foncière  (en  russe). 

-  P.- Yefimeiiko,  Le  programme  de  l'étude  de  la  propriété  communale  (en  russe). 

'  Trirogov,  ouvrage  cilé,  —  La  commune  type,  Olelch.  Zap   !S79,  n°  IX. 


MIR. 


869 


de  servage.  Telle  est  la  cause  de  désorganisation  la  plus  redoutable  pour 
le  mir.  De  même,  les  artel  ou  communautés  industrielles,  qui  s'occupent 
de  la  pèche,  de  la  fabrication,  du  halage  des  bateaux,  des  chargements  et  des 


N°    191. MIXES    Don    Dr    DISTRICT    DE   ZLATOOrST. 


V— ^., 


de    Taris. ^2.9° iO- 


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« 


J 


-■1 


transports,  risquent  fort  de  périr  par  les  avances  d'argent,  qu'il  faut  rem- 
bourser au  décuple,  et  par  l'asservisseraenl  qui  en  est  la  conséquence. 


L'e.xpluitatiou  des  mines,  qui  eut  une  si  grande  importance,  il  y  a  deux 
mille  ans,  dans  les  régions  de  la  Scythie,  ainsi  que  le  prouvent  les  objets 
recueillis  dans  les  kourgans,  n'a  jamais  été  complètement  abandonnée, 
mais  c'est  dans  ce  siècle-ci  qu'elle  a  repris  une  valeur  considérable  dans 


870  NOUVKLLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

l'économie  nationale.  Une  pyramide  dorée,  exposée  à  Saint-Pétersbourg 
en  1870,  figurait  la  quantité  d'or  pur  extraite  de  l'Oural  depuis  les  pre- 
mières recherches  de  1754  :  cette  masse,  retirée  presque  tout  entière 
des  sables  aurifères  et  des  rochers  après  1816,  représente  un  poids  de 
716  900  kilogrammes  et  une  valeur  de  615  millions  de  roubles.  Toute- 
fois ces  trésors,  auxquels  s'associent  le  précieux  platine,  le  fer,  des  roches 
et  des  pierres  précieuses,  se  trouvent  principalement  dans  l'Oural  et  sur  le 
versant  asiatique  de  cette  chaîne.  C'est  également  dans  la  Russie  d'Asie, 
dans  les  vallées  de  l'Altaï  et  de  la  Transbaïkalie,  que  sont  les  grands  gise- 
ments de  plomb  argentifère  et  les  plus  vastes  couches  de  houille;  les 
sources  de  naphte  les  plus  abondantes  coulent  aux  deux  extrémités  du 
Caucase,  sur  les  bords  de  la  mer  Noire  et  plus  encore  dans  le  voisinage 
de  la  mer  Caspienne.  Les  grandes  richesses  minières  de  la  Russie  pro- 
prement dile  consistent  en  fer,  en  charbon  et  en  sel  :  ces  matières  se 
trouvent  dans  le  sol  en  quantités  inépuisables,  pour  ainsi  dire,  mais  l'in- 
dustrie est  encore  bien  éloignée  d'en  tirer  parti  comme  elle  le  ferait 
dans  l'Europe  occidentale'.  Des  centaines  de  gisements  ferrugineux  ont  été 
reconnus  dans  la  région  lacustre  du  nord,  dans  les  bassins  de  la  Kama,  de 
rOka,  du  Don,  et  le  fer  que  l'on  a  retiré  du  fond  des  marais,  dans  le  gou- 
vernement d'Ol'onetz,  en  Vol'inie,  se  reforme  peu  à  peu.  L'étendue  des 
terrains  houillers,  en  Pologne,  dans  la  Russie  centrale,  dans  la  région  du 
Doncfz,  n'a  pas  encore  été  reconnue  d'une  manière  complète,  mais  elle  est 
certainement  beaucoup  plus  considérable  que  celle  des  houillères  de  tout 
autre  pays  d'Europe.  Toutefois  les  assises  de  combustible  fournissent  à 
l'industrie  nationale  à  peine  la  cinquantième  partie  de  ce  que  l'on  retire 
des  puits  de  mine  de  la  Grande-Bretagne  %  et  Saint-Pétersbourg  reçoit 
encore  d'Angleterre  presque  toute  la  houille  dont  elle  a  besoin.  C'est  aussi 
de  la  Galicic,  grâce  au  voisinage,  que  provient  une  partie  du  sel  employé 
en  Russie  ;  mais  les  limans  de  la  Bessarabie,  les  lacs  des  steppes  d'Astra- 
khan, les  sources  du  gouvernement  de  Perrii,  les  mines  de  sel  gemme,  et 
surtout  les  lacs  salins  de  la  Crimée  contiennent  en  surabondance  tout  le 
sel  nécessaire  à  l'alimentation  et  à  l'industriel 

'  Production  des  mines  de  fer  de  la  Russie  en  1881  :  G02  400  tonnes  de  fer  et  d'acier. 
Il  de  la  fonte,  traitée  principalement  an  charbon  de  Lois  :  llib  570  tonnes. 

'^  Production  de  la  houille  dans  la  Russie  d'Europe  : 

1804 176  000  tonnes,    i  1875 I  151  (iOO  tonnes. 

1866 272  000      .         |  1881 5.495  500     •) 

Importation  de  la  houille  en  Russie  en  1881  :  1  77i500  tonnes. 
Production  du  sel  dans  la  Russie  d'Europe  en  1876  :  654  000  tonnes. 
I)  "  1)  en  1881  :  851  100       » 


EXPLOITATION   DES   MINES.  875 

Les  principales  manufactures  de  la  Russie  ne  mettent  pas  en  œuvre  des 
matières  premières  recueillies  dans  le  pays  lui-même  et  leurs  produits  ne 
peuvent  lutter,  ni  pour  la  quantité,  ni  pour  la  valeur,  contre  ceux  des 
autres  pays  industriels  de  l'Europe.  Les  filatures  et  les  fabriques  de  tissus 
de  coton  représentent  environ  le  tiers  de  toute  la  grande  industrie  russe; 
mais,  quoique  le  plus  vaste  de  tous  les  Etats  du  monde,  la  Russie  ne  vient, 
pour  son  industrie  maîtresse,  qu'en  cinquième  ligne,  après  la  Grande- 
Bretagne,  les  États-Unis,  la  France,  l'Allemagne';  ses  principales  manu- 
factures se  groupent  dans  la  région  centrale,  autour  de  Moscou,  de  Vla- 
dimir, de  Kostroma,  et  Pétersbourg  a  naturellement  sa  part  de  ce  travail, 
grâce  aux  facilités  du  commerce.  L'industrie  des  lainages,  la  deuxième  d<' 
la  Russie  par  ordre  d'importance,  groupe  également  ses  principales  manu- 
factures sur  la  haute  Volga  et  dans  le  bassin  de  l'Oka  ;  Moscou  fabrique  les 
draps  les  plus  fins  et  prépare  en  outre  les  étoffes  de  laine  grossière  expor- 
tées en  Chine  et  dans  l'Asie  centrale;  mais  la  Pologne,  la  Livonie,  le 
gouvernement  de  Grodno,  celui  de  Tchernigov  produisent  aussi  d'excellents 
tissus,  et  tous  les  gouvernements  de  la  Petite  Russie,  du  bassin  du  Don  et 
de  la  moyenne  Volga  participent  à  cette  industrie  pour  les  étoffes  com- 
munes :  plus  de  cent  mille  ouvriers  sont  occupés  à  ce  travail  dans  les 
diverses  parties  de  l'empire.  Les  manufactures  d'étoffes  de  coton  et  de 
laine  ont  remplacé  l'ancienne  industrie  nationale  des  toiles,  qui  fut  au 
siècle  dernier  et  jusqu'en  1850  la  première  de  la  Russie  et  qui  alimentait 
un  grand  commerce  d'exportation  vers  l'Europe  occidentale,  surtout  la 
Grande-Bretagne,  et  même  vers  l'Amérique.  Des  fabriques  de  toiles  se  sont 
élevées  maintenant  dans  tous  les  pays  industriels, et  la  Russie  doit  se  con- 
tenter d'exporter  les  matières  premières  :  pour  le  marché  intérieur,  ses 
principales  manufactures  sont  dans  le  bassin  de  la  hante  Volga,  dans  les 
gouvernements  de  Kostroma,  de  Yarosl'avl,  de  Vladimir. 

De  tout  temps,  l'industrie  des  cuirs  a  été  l'une  des  pins  importantes  de 
la  Russie,  et  l'on  sait  que  l'écorce  de  bouleau,  employée  par  les  tanneurs 
russes,  a,  sur  la  plupart  de  celles  dont  on  se  sert  à  l'étranger,  l'avantage 
de  donner  au  cuir  une  odeur  appréciée.  Quoique  la  Russie  ail  chaque 
année  plus  de  dépouilles  d'animaux  que  les  autres  pays  d'Europe,  sa  pro- 


•  Industrie  du  colun  en  1880  : 

Nombre  des  liroches.  Coton  omployr. 

Iles   Britanniques 5'.l  500  000  580  600  lonncs. 

ÉUts-Unis 10  900  000  310  000  „ 

Allem.ngne 5  100  000  200  000  i. 

France i'.llOOOO  100  000  « 

Russie 3  500  000  112  600  « 

V  110 


871 


NOUVELLE    GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


(luclion  en  cuirs  reste  pourtant  inférieure  à  celle  des  grandes  contrées 
industrielles  ;  presque  toutes  les  tanneries  sont  de  petits  établissements 
dont  les  produits  se  vendent  seulement  dans  les  environs  et  que  négligent 
même  de  mentionner  les  recensements  généraux.  Ainsi,  tandis  que  le  comité 
central  de  statistique  compte  2860  tanneries  en  1868,  les  statistiques 
plus  détaillées  de  1879  enregistraient  5520  fabriques,  livrant  nu  com- 

K°    19!.    BÏPARIITIOS    PAR    PBOVLNCES    DES    ISBISTRIES    >0N    TAHSIBLLS    TE    l'aCCISE. 


,'.    de    P6. 


'iimi 


vn      [Z3. 


merce  plus  de  sept  millions  de  peaux  préparées'.  Les  fabriques  de  suif, 
<|ui  pour  la  plupart  étaient  naguère  de  simples  hangars  nauséabonds 
dispersés  dans  les  steppes,  ont  été,  comme  les  fosses  à  tan  creusées 
dans  les  clairières  des  forêts,  le  commencement  d'une  grande  industrie, 
mais  qui  s'est  plus  rapidement  développée  que  celle  des  cuirs  :  la  fabrica- 
tion de  la  stéarine  et  des  produits  chimiques  dérivés  de  la  graisse  est 
maintenant  la  quatrième  de  la  Russie  pour  la  valeur  de  la  production. 


'  KilUira,  Leilcr  Imhtsliif  in  RiissInniL  Riissisclie  Revue,  ii"  10,  1875. 


MANUFACTURES  DE  LA  RUSSIE.  875 

Les  industries  de  l'alimcntalion  ont  naturellement  une  très  haute  valeur 
économique.  La  meunerie  s'est  encore  peu  transformée  :  les  minoteries  à 
vapeur  ne  sont  pas  nombreuses,  mais  il  existe  près  de  100  000  petits  mou- 
lins sur  les  barrages  des  ruisseaux  et  sur  les  canaux  dérivés  des  rivières. 
Les  distilleries,  qui  fournissent  au  gouvernement  le  revenu  le  plus  sûr  du 
budget,  étaient  aussi  fort  nombreuses,  mais  les  règlements  fiscaux,  très 
gênants  pour  les  petits  fabricants,  ont  favorisé  le  développement  d'usines 
appartenant  à  de  riches  spéculateurs;  dans  la  période  de  1877  à  1881,  on 
comptait  2600  distilleries,  fournissani  à  la  soif  du  peuple  5  950  000  hecto- 
litres d'alcool,  transformés  en  plus  de  7  millions  d'hectolitres  d'eau-de-vie. 
Quant  à  la  fabrication  du  sucre  de  betterave,  qui  demande  de  grands  capi- 
taux, elle  ne  peut  se  faire  qu'en  de  puissantes  usines  :  en  1881,  il  en 
existait  près  de  250,  dont  plus  d'un  quart  dans  le  gouvernement  de  Kiyevr 
les  autres  étaient  toutes  réparties  dans  la  région  des  Terres  Noires  et  en 
Pologne.  La  production  de  la  campagne  de  1867  à  1868  avait  été  dt 
122  700  tonnes,  environ  les  deux  cinquièmes  de  ce  que  produisait  la 
France;  quatorze  années  après,  la  production  s'était  accrue  de  près  de 
140  000  tonnes'.  On  le  voit,  la  Russie  n'est  point  aussi  inférieure  en 
industrie  aux  contrées  de  l'Europe  occidentale  qu'on  le  croit  généralement . 
même  pour  les  machines,  la  Russie  commence  à  se  passer  de  l'étranger  : 
dès  l'année  1868,  elle  avait  fabriqué  212  de  ses  1150  locomotives.  Dans 
cette  même  année,  la  valeur  totale  des  produits  industriels  de  la  Russie, 
non  compris  ceux  de  la  petite  industrie,  était  estimée  à  plus  de  500  mil- 
lions de  roubles;  onze  ans  plus  tard  elle  atteignait  un  milliard  de  francs". 
En    1881,    l'ensemble    de   la  production    maiinraclurière  dans   la   Russie 

'  Neumann-Sp:illarl,  Uebersichten  iiher  Prodnklion;  — SlatisUqitc  litstonque  de  la  Russie. 
-  Principales  inriustries  de  la  Russie,  .sans  la  E'rilogne  et  la  Finlande,  en  187'J  : 

Établissements.       Ojviier«  Valeur  des  produits. 

INDUSTRIES    LIBRES. 

Industrie  du  colon liTI  I.MI  'l'Jli  -202  7 1 7  000  roublt-s. 

»  des  laines 775  1(11141(1  115 172  000  n 

»  du  lin  et    du  chanvre.  ISl  .1(1  !l(IO  2',)  700  000  d 

,.  des  soies 110  U8(i0  l.ï.'SSOOO  » 

),  des  papiers 17'J  12 '.120  15  2l(j000  .i 

Il  des  métaux (i85  44  8.MI  5()  0117  000  ,. 

«  desproiluibehmii.|ues.  (ii(i  12  070  12.V.'K)00  -> 

t  des  cuir.-i 3Ô20  20  l.'jO  41  USO  (.110  .» 

»  des  graisses,  eli- .  .    .    .  1345  8  500  52  012  0U0  » 

I,  des  machines 187  42  (itiO  M  ^57  000  « 

1,  du  veire 173  13  14.')  «84OOU0  » 

INDUSTRIES    SOIMISES    A    l'acCISE. 

lodusdic  des  alcools  (1877  à  1881)  :  2112;  valeur  des  piodnits,  04  000  000  rculiles.  In- 
dustrie des  sucres  (1881  à  1882),  194  fal)ri]iies  en  activité  avec  une  production  l  iLile 
(y  compris  le  sucre  rafliné)  de  108  887  000  roubles. 


876 


.NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE 


d'Europe  s'élevait  à  402  ''2"22  000  roubles,  seulement  pour  les  usines  pro- 
prement dites.  Presque  tous  les  progrès  industriels  de  la  Russie  datent  de 
l'époque  de  l'émancipation.  La  production  baissa  d'abord,  à  la  suite  de  la 


193.   —    KOfVEME.M    DES  PIUSCIPALES  ISDOSIBIES    DE    lA    R05SIE.   SANS   LA   POLOGNE.    TE    ISôS  i    1S<1. 


Daprès  Timirazev,  Koppen^O^-To 


Tîsaus  de  coton 

Sucre  de  betterave 

.._  Fonte 


..Cuirs  Total    de   l'industrie 

.  Machines  Les  chiffres  indiquent   le  nombre 

des  ouvriers  occupés  a  diverses  époques 


crise  générale  sur  le  marché  du  travail;  mais  dès  l'année  1865,  le  progrès 
avait  repris  dans  toutes  les  industries,  et  depuis  cette  éjioque  Faccroissc- 
ment  moyen  des  produits  n'a  pas  été  moindre  du  sextuple. 

Il  est  très  difficile  d'évaluer  les  produits  de  la  petite  industrie  russe, 
à  laquelle  les  économistes  ont  donné  ce  nom  bizarre  d'industrie  «  buisson- 


PROGRES  INDUSTRIELS  DE  LA  RUSSIE.  877 

nière«  (koustarnaya);  peut-être  sa  valeur  annuelle  dépasse-t-ellc  200  mil- 
lions tle  roubles.  On  compte  approximativement  plus  d'un  million  de  ces 
ouvriers  de  petite  industrie,  presque  tous  dans  les  campagnes,  oîi  ils 
sont  en  même  temps  agriculteurs  pour  la  plupart  :  ils  ne  travaillent  à 
leurs  métiers  industriels  que  pendant  les  longs  hivers,  alors  que  la  neige 
recouvre  leurs  champs.  Quelques  écrivains  russes  ont  émis  l'opinion  que 
cette  industrie  buissonnière  protégerait  la  nation  contre  le  prolétariat, 
mais  cette  espérance  est  vaine  :  la  centralisation  du  travail  se  fait  aussi 
])armi  tous  ces  petits  ateliers.  Ainsi  la  proportion  des  ouvriers  travaillant 
à  domicile  dans  le  district  de  Chouya  était  quintuple  en  1842  des  ouvriers 
de  la  grande  industrie;  en  1862,  elle  n'était  plus  que  double;  en  1872, 
les  deux  classes  étaient  égales  en  nombre'. 


Le  commerce  total  de  la  Russie  avec  l'étranger  a  varié  de  757  à  1215 
millions  de  roubles  pendant  les  dix  années  de  1871  à  1880.  L'empire  d'Al- 
lemagne confine  à  la  Russie  sur  un  développement  de  frontière  trojt 
considérable  pour  qu'il  n'occupe  pas  naturellement  le  premier  rang  par 
son  commerce  terrestre  avec  l'empire  oriental  ;  mais  l'Angleterre  a  de 
beaucoup  la  plus  grosse  part  du  trafic  maritime.  La  France  vient  en  tioi- 
sième  lieu  :  elle  dépasse  même  l'Austro-Hongrie  par  la  valeur  de  ses 
échanges  avec  la  Russie,  quoique  la  Pologne,  la  Vol'înie,  la  Podolie  touchent 
au  territoire  autrichien  par  une  frontière  de  plus  de  600  kilomètres.  De 
même,  la  Hollande,  ce  petit  pays  pourtant  fort  éloigné  de  la  Russie,  lui 
vend  et  lui  achète  presque  autant  de  marchandises  que  la  Turquie  limi- 
trophe et  plus  que  l'immense  Chine,  confinant  à  la  Sibérie  sur  un  espace 
d'environ  huit  mille  kilomètres'. 

L'exportation  de  la  Russie,  indiquant  l'infériorité  de  son  état  industriel 

'  Soubotin,  Cours  d'économie  industrielle  el  de  géographie  commerciale  (cii  russo). 
-  Commerce  extérieur  de  la  Russie  on  1881,  en  roubles  métalliques  ; 

Importation.  Exportation.  Total. 

roubles.  roubles.  roubles. 

Allemagne '219  902  000  148  881000  ."jlîS  78.Ï  000 

lies  Britanniques 108  4U  OOO  I. 55  795  000  2(U  2ôfi  (100 

France 21  HO  000  56  489  000  77  528  000 

Austro-Hongrie 23  091000  28  105  000  51  190  000 

Hollande 4  737  000  28  389  000  33  12()  000 

Turquie 23  134  000  12  841000  35  978  000 

Belgique 27  092  000  23  857  000  51549  000 

Chine 20  247  000  2  Côl  000  22  848  000 

Autres  pays 80  952  000  37  191000  118  115  000 

Enseml.le.    .    .    .     529  250  000  494  181000        1025  417  000 


378  NOUVELLE    GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

relativement  au  reste  de  l'Europe,  consiste  presque  uniquement  en  pro- 
duits du  sol  et  en  matières  premières,  tandis  que  l'importation  des  objets 
manufacturés  est  de  beaucoup  la  plus  importante'.  Dans  l'ensemble  des 
échanges,  l'importation  est  aussi  un  peu  plus  forte  que  l'exportation;  en 
effet,  de  1876  à  1880  l'importation  moyenne  a  été  de  554  millions  de 
roubles,  et  les  expéditions  n'ont  guère  dépassé  5'20  millions  de  roubles  : 
c'est  un  écart  annuel  d'environ  40  millions  de  francs.  Par  tète  d'habitant, 
le  commerce  total,  achats  et  ventes,  est  seulement  d'une  dizaine  de  rou- 
bles :  il  est  de  cinq  à  six  fois  moindre  que  les  échanges  du  Français. 

D'après  les  statistiques  officielles,  l'exportation  totale  de  la  Russie  est 
de  deux  à  trois  fois  plus  considéralilc  par  mer  que  par  terre  ;  mais  à  l'im- 
portation l'équilibre  se  l'établit  presque  complètement  :  cette  différence 
provient  de  ce  que  les  objets  manufacturés  d'Europe  qu'importe  la  Russie 
sont  en  général  plus  précieux  et  moins  encombrants  que  les  déniées  ven- 
dues en  échange  :  ils  sont  expédiés  directement  par  les  chemins  de  fer, 
tandis  que  les  lourdes  marchandises  d'exportation  s'en  vont  par  les  ports 
de  mer". 

Naturellement  la  jtart  la  plus  considérable  du  commerce  maritime  de  la 
Russie  se  fait  par  la  mer  Baltique,  puisque  la  capitale  est  située  au  bord 
de  cette  mer  et  que  la  région  la  plus  populeuse  de  l'empire  y  trouve  ses 
lieux  d'expédition  les  plus  rapprochés  de  l'Europe  civilisée.  La  mer  Noire 
et  la  mer  d'Azov  out  un  commerce  beaucoup  moindre  que  la  Baltique 
russe,  et  qui  représente  cependant  environ  le  cinquième  de  tous  les 
échanges  de  l'empire.  Ouant  à   la  mer  Blanche  et  à  la  Caspienne,  l'en- 

'  ['rinciiiaux  objcis  de  commerce  eu  1882  : 

expoutation.  I                                imporiaiio.v. 

Céréales 518  510  000  rouMes        Coton 75  790  000  roubles. 

Lin  et  semence  (le  lin.    .      108  618  000       i.  Tlié 70  015  000      » 


Bois .55  075  000 

Chanvre 17  082  000 

Laine 16  782  000 

Bétail 15  529  000 


Quincaillerie,  machines.  47  656  000 

Métaux  non  ouvrés.    .  55  612  000 

Laine 28  187  000 

Produits  chimiques.  .    .  26  159  000 


Semences  de  colza.    .    .         5  721000       ..         |   Boissons 22  152  000       » 

*  Commerce  de  la  Russie  d'Euroiie  eu  1880  : 

I.MPORT.VIION    V.W,    MER.  1  EXPORTATION    PAR    MER. 

Poids 2  665  800  tonnes.     1    Poids 4  866  800  tonnes. 

Valeur. 280  540  000  roubles.    1    Valeur 545  828  000  roubles 

IMPI1RT\TI0N    PAR    TERRE.  EXPORTATION    PAR    lEURK. 

Poids 1  217  200  tonnes.        Poids 1  655  600  tonnes. 

Valeur 297  794  000  roubles-    '    Valeur 1 50  557  000  roubles 

_.     ,  S  Poids    ....         10  VOS  400  tonnes. 

'"  7  Valeu!  .    .    .    .     1  054  700  000  roubles  (environ  2  8 12   220  000  Iranis). 


COMMERCE  DE  LA  RUSSIE.  881 

semble  de  leur  trafic  égale  à  peine  celui  d'un  port  de  troisième  ordre'. 

Ce  sont  principalement  des  navires  étrangers  qui  transportent  les  den- 
rées et  les  marchandises  entre  les  ports  russes  et  ceux  des  autres  pays 
maritimes;  encore,  parmi  les  navires  de  la  mer  Noire  qui  portent  le 
pavillon  russe, en  est-il  beaucoup  qui  appartiennent  en  réalité  à  des  Grecs 
et  qui  devraient  être  comptés  comme  faisant  partie  de  la  marine  commer- 
ciale hellénique.  Dans  la  mer  Baltique,  les  navires  finlandais,  arborant  leur 
propre  pavillon,  sont  aussi  des  intermédiaires  fort  actifs  du  commerce 
de  la  Russie.  En  laissant  à  part  la  flotte  commerciale  de  la  Finlande,  que 
l'on  compte  souvent,  mais  à  tort,  dans  celle  de  la  Russie,  cet  État  se  trouve 
au  neuvième  rang  parmi  ceux  d'Europe  pour  le  tonnage  de  ses  navires 
de  mer  :  quoique  ni  le  fer  ni  le  bois  ne  lui  manquent  et  qu'il  possède  un 
vaste  développement  de  côtes,  il  est  dépassé  pour  l'importance  de  la  flotte 
de  trafic,  non  seulement  par  les  grands  pays  maritimes  de  l'Europe,  mais 
au?si  par  l'Espagne,  la  Néerlande  et  la  Suède;  même  dans  la  Baltique,  sur 
les  bords  de  laquelle  se  trouvent  ses  ports  de  Kronstadt,  de  Revel,  de  Riga, 
la  Russie  n'a  qu'un  tonnage  de  faible  importance'.  La  proportion  des 
bateaux  à  vapeur  aux  voiliers  dans  la  flotte  russe  n'est  encore  que  d'un 
douzième  pour  le  nombre  des  bâtiments  et  de  moins  d'un  quart  environ 
pour  le  tonnage*. 

La  navigation  intérieure,  qui  fournissait,  avant  la  construction  des  che- 
mins de  fer,  le  principal  moyen  de  transport  et  de  communication,  a  gardé 
une  grande  importance  dans  le  bassin  de  la  Volga  et  sur  d'autres  fleuves 
de  la  Russie.  De  1876  à  1880  on  a  construit  pour  la  navigation  des  rivières 

-  Commerce  des  mers  de  la  Russie  eu  1880  : 

A  leiporlaiioa.  A  l'importation. 

Baltique 200  571  45i  roubles.  217  452  6U  roubles. 

Mer  Noire  cl  mer  d'Azov.    .  135  041)001        ■  02  527  095       » 

Mer  Blanche 10  215  910       ..  780  188       » 

Caspienne 2  207  105       ,.  2  409  050      » 

-  Klolte  commerciale  de  la  Russie  sans  la  Finlande,  au  1"  janvier  1882  : 

Mer  Blanrlie 025  navires,  jaugeant  55  170  tonnes. 

.)     Dallique 778         «  «  144  440       n 

I)     Noire    c(  mer  d'Azov.    ....  2170  »  )i  215  540        n 

j.    Caspienne 1195         •  .  159  400       » 

Ensemble. 4771  navires,  jaugeant     550  550  tonnes. 

=  Voiliers  russes  et  finlandais,  le  1"  janvier  1882 5779,  jaugeant  657  000  tonnes. 

Bateaux  à  vapeur  n  «  i>        664         »         111  800       « 

Ensemble  du  coin,  étrangerde  la  Russieen  1880  :  26  992  navires,  jaugeant  1 1  060  OliO  tonnes. 

»           ,)          .              avec  le   calwtage  :  97158       »          .         25  845  210     . 

V.  111 


882  KOLVELLE  GÉOGRAPUIE  UNIVERSELLE. 

cf.  des  canaux  56  615  embarcations,  soit  en  moyenne  7323  par  an, 
auxquels  on  donne  les  noms  les  plus  divers  suivant  leur  forme  ou  leurs 
matériaux,  le  lieu  de  construction,  l'origine  des  rameurs.  Il  en  est,  sur 
la  Yolga,  qui  portent  un  chargement  de  plus  de  2000  tonnes;  mais  la 
moyenne  de  leur  tonnage  est  évaluée  à  150  ou  160  tonnes;  sur  le 
Dnepr,  ils  ne  peuvent,  même  à  l'époque  des  hautes  eaux,  porter  plus  de 
200  tonnes,  ni  plus  de  400  sur  la  Dvina  et  le  Don.  Presque  toutes  ces 
embarcations  ne  sont  construites  que  pour  un  seul  voyage  :  arrivées  au 
lieu  de  destination,  elles  sont  dépecées  et  vendues  comme  bois  de  con- 
struction ou  de  chauffage  ' .  Pour  les  bateaux  à  vapeur  comme  pour  les 
chalands  ordinaires,  c'est  la  Volga  qui  l'emporte  de  beaucoup  sur  les 
autres  fleuves  de  la  Russie  :  les  deux  tiers  des  bateaux  à  vapeur  y  flottent 
et  leur  force  collective  représente  les  trois  quarts  de  celle  de  toute  la 
flotte'.  On  s'étonne  que  le  Dhepr,  le  puissant  Borysthènes,  le  fleuve  slave 
qui  le  premier  servit  au  commerce  de  l'Orient  avec  les  pays  Scandinaves, 
ait  actuellement  moins  d'importance  pour  les  transports  que  telle  petite 
rivière  comme  la  Mol'oga,  la  Cheksna,  le  Vol'khov.  Il  est  vrai  que  ces 
rivières  font  partie  des  lignes  transversales  de  navigation  entre  Péters- 
bourg  et  Astrakhan,  de  la  Baltique  à  la  Caspienne. 

En  1879,  le  réseau  des  voies  navigables  de  la  Russie  d'Europe,  évalué 
à  37500  kilomètres,  ne  se  composait  de  canaux  que  pour  une  soixantième 
partie'';  mais  il  on  est  dans  le  nombre  qui  ont  une  importance  commer- 

'  Enibai'cations  conslriiiles  de  187ô  à  1880  sur  les  eaux  inléiieuies  de  la  Russie  : 

Bassin  de  la  Caspienne l'J  543 

«       Baltique 9  610 

n         1.       Mer  Noire I  202 

I)         !■       Mer  d'Azov 1  267 

I.         „       Mer  Blanche 1570 

(Recueil  du  Ministère  des  Voies  et  communications,  (lour  1882). 

-  Bateaux  à  vapeiu"  des  eaux  intéiicuies  de  la  Russie  en  1880  : 

Vol^a  et  affluents 556  bateaux. 

Neva,  Diina  et  autres  affluents  de 

la  Baltique .236       » 


Dnepr    et   affluents 57  bateaui. 

bon  »  52       » 

Dvina  »  ...       15       » 


Ensemble.    ...        911!  bateaux. 

Voies  navigables  de  la  Russie  d'Europe  en  1875  : 

Bissin  de  la  mer  Blanibe.    .    .         i  909  kilomètres,    soit  10,5  pour   100  du  réseau. 

.1                i]     Caspienne   .    .        14  271            »            n       58,1  i>                  » 

Il              II     d'.\zov     ...         5  324           11           II         9  n 

Il              n    Noire  ...            6111          »          »      16,5  n                « 

ij               II     Baltique  ...         8089           i.           »       21,6  »                » 

Canaux  proprement  dits  en  1882            730           d           ii         1,8  d                » 
Voies  de  flotta"e  naturelles  cl  artificielles  en  1882  :  20  852  kilomètres. 


NAVIGATIO.N  DE  LA  RUSSIE. 


883 


ciale  égale  ou  même  supérieure  à  celle  de  certains  fleuves.  Il  a  été  du  reste 
facile  de  les  creuser,  tant  les  cours  supérieurs  des  rivières  s'entremêlent 
dans  les  régions  lacustres  et  les  marécages.  Les  coupures  du  sol  qui  réu- 
nissent la  Volga  et  la  Dvina  par  de  hauts  affluents  ont  seulement  14  kilo- 
mètres de  longueur;  de  même  le  canal  dit  de  Tikhvin,  le  plus  court  de 
ceux  qui  réunissent  Saint-Pétersbourg  à  la  Volga,  surmonte  le  faîte  de  par- 


is».    MOUVEMENT    COMMERCIAL   DE  L.V  RtSSIE. 


■^*^^ 


Mouvementdes  chemins  de  Ter  Mouvc^ienl  des  voies  navigables 

L'importance  du  mouvement  est  représentée  par  la  Inrgcur  des  bandes  :  un  millimètre  égale  trois  millions  Je  tonnes. 


tagc  par  une  fosse  de  16  kilomètres  à  peine.  Malgré  toutes  les  facilités  que 
la  nature  du  sol  présente  au  creusement  des  canaux,  la  Volga  n'est  pas 
encore  unie  à  la  Diina,  au  Neman,  au  Diiepr;  elle  reste  séparée  du  Don,  cl 
celui-ci  non  plus  n'est  uni  au  Diîepr  ;  enfin  tous  les  canaux  sont  à  écluses 
et  leur  plus  grande  profondeur  est  seulement  de  1  mètre  80  centimètres  ; 
quelques-uns,  moins  profonds,  coupés  de  cascades,  sont  devenus  presque 
inutiles.  Le  réseau  de  la  canalisation  russe  est  encore  bien  peu  de  chose 


884  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

en  comparaison  de  ce  qu'eût  voulu  le  faire  Pierre  le  Grand,  l'admirateur 
des  canaux  hollandais  :  tel  coup  de  pioche  donné  par  lui  n'a  pas  encore  été 
suivi  d'un  second.  D'ailleurs  les  transports  par  eau  se  font  avec  la  plus 
grande  lenteur,  et  toutes  les  marchandises  ayant  beaucoup  de  valeur  sous 
un  faible  poids  doivent  être  expédiées  par  chemin  de  fer  pour  arriver  à 


135.    CANAIX    [lE    L\    DALTIorE    A    LA     VOtr; 


E.d.P 


temps.  De  Pétcrsbourg  à  Astrakhan,  à  la  descente  de  la  Volga,  le  transport 
par  eau  dure  de  deux  à  trois  mois  dans  les  circonstances  les  plus  favo- 
rables. En  moyenne,  la  navigation  fluviale  est  interrompue  en  Russie  pen- 
dant 120  jours,  plus  de  (piafre  mois  :  six  mois  dans  les  régions  du  nord, 
deux  mois  dans  celles  du  sud.  Même  après  que  les  fleuves  sont  débar- 
rassés de  leurs  glaces,  les  canaux  qui  les  unissent  restent  fermés  pen- 
dant quelques  jours  ou  même  des  semaines  à  cause  du  manque  do  courant. 


CANAUX,   CUEMIXS  DE   FER   DE  LA  RUSSIE.  885 

Tandis  que  la  Cheksna  est  ouverte  à  la  navigation  de  211  à  220  jours,  les 
canaux  voisins  de  l'Onega  et  du  Bel'o-Ozero  ne  livrent  passage  aux  bateaux 
que  pendant  189  et  178  jours'. 

Le  réseau  des  chemins  de  fer  est  beaucoup  plus  développé  que  celui  des 
canaux.  Il  est  vrai  que  l'empereur  Nicolas  avait  toujours  traité  l'industrie 
des  voies  ferrées  avec  une  certaine  malveillance  :  il  y  voyait  une  de  ces 
inventions  révolutionnaires  de  l'Occident  qu'il  fallait  regarder  d'un  œil 
méfiant  ;  cependant  lui-même,  cédant  à  la  pression  de  l'opinion  publique, 
décréta  la  construction  du  chemin  de  Pétersbourg  à  Moscou  et  de  ses  mains 
traça  sur  le  papier  une  ligne  inflexiblement  droite,  projet  de  la  voie  ferrée 
qui  réunit  directement  les  deux  villes  à  travers  forêts  et  marécages.  A  la 
mort  de  Nicolas,  en  1855,  l'immense  empire  n'avait  qu'un  faible  réseau, 
de  1000  kilomètres  de  longueur  à  peine.  Mais,  ainsi  que  le  prouvèrent 
les  énormes  difficultés  de  l'approvisionnement  et  du  transport  des  troupes 
pendant  la  guerre  de  Crimée,  les  intérêts  stratégiques  de  la  Russie  récla- 
maient impérieusement  la  construction  de  lignes  maîtresses  entre  les  for- 
teresses, les  grandes  villes,  les  principales  régions  minières  et  agri- 
coles, et  ces  intérêts  militaires,  plus  encore  que  ceux  du  commerce  et  de 
l'industrie,  hâtèrent  la  construction  des  voies  de  fer  qui  sillonnent  main- 
tenant toute  la  Russie  d'Europe.  Dans  les  deux  seules  années  1870  et 
1871,  alors  que  la  France  était  engagée  dans  sa  terrible  lutte  contre  l'Al- 
lemagne, le  gouvernement  russe,  tout  entier  à  de  grands  préparatifs  stra- 
tégiques, ouvrait  à  la  fois  au  commerce  et  à  ses  armées  5677  kilomètres  de 
chemins  de  fer. 

Au  milieu  de  l'année  1885,  l'ensemble  du  réseau  russe,  non  compris  les 
lignes  du  Caucase  et  celles  de  la  Finlande,  s'élevait  à  22957  kilomètres  cl 
représentait  l'énorme  capital  de  deux  milliards  550  millions  de  roubles 
ou  de  sept  milliards  de  francs,  car  la  construction  des  voies  ferrées  a  été 
beaucoup  plus  coûteuse  en  Russie  que  ne  pourraient  le  faire  supposer  la 
presque  horizontalité  du  terrain,  le  bon  marché  des  terres,  l'abondance 
du  bois  :  les  seuls  grands  travaux  d'art  sont  les  ponts  sur  les  rivières  et  les 
remblais  sur  les  marécages  :  la  plupart  dos  compagnies,  soutenues  par 
la  garantie  d'intérêt  que  leur  accordait  le  gouvernement,  ont  pu  dépenser 
largement  les  capitaux'.  Près  du  tiers  du  capital  d'établissement  appar- 
tient à  l'État.  Actuellement  le  réseau  russe  est,  par  sa  longueur  totale,  le 
cinquième  dans  le  monde    entier;  il  vient   après  ceux  des   États-Unis, 


V.  de  Livron,  Exposé  slalistique  de  l'Empire  russe  (en  russe). 

Garanlie  d'inliTèl  pajéc  par  le  gouvernemenl  en  1880  :  53  228  000  roubles 


8S6  NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

des  Iles  Britanniques,  de  rAUemagne,  de  la  France;  mais,  proportionnelle- 
ment à  la  superficie  du  territoire  ou  au  nombre  des  habitants,  le  rang  de 
la  Russie  est  encore  peu  élevé  :  à  cet  égard,  des  pays  tels  que  le  Por- 
tugal et  la  Roumanie  lui  sont  supérieurs.  Les  chemins  de  fer  russes,  com- 
parés à  ceux  de  la  plupart  des  autres  Etats  du  continent,  ont  le  désavantage 
de  n'avoir  pas  tous  le  même  écartement  de  rails  ;  mais  ce  désavantage  com- 
mercial est  en  même  temps  un  avantage  militaire,  voulu  par  le  gouverne- 
ment, parce  que  la  différence  de  largeur  des  voies  empêche  les  wagons 
allemands  de  pénétrer  en  Russie.  Les  principales  lignes  ont  1"',52  de  voie'. 
Les  accidents  sur  les  chemins  de  fer  sont  en  moyenne  plus  nombreux  en 
Russie  que  dans  les  autres  pays  d'Europe*. 

La  station  centrale  des  chemins  de  fer  de  la  Russie  est  Moscou  :  les  six 
principales  lignes  qui  se  réunissent  dans  cette  ville  en  font  le  milieu  néces- 
saire de  l'empire  et  corrigent  ainsi,  au  point  de  vue  de  la  centralisation, 
les  anciennes  voies  naturelles  qui  suivaient  les  fleuves  et  donnaient  par 
conséquent  aux  habitants  de  la  contrée  une  certaine  tendance  vers  la 
décentralisation.  Moscou  est  de  beaucoup  la  ville  la  plus  importante  pour 
le  mouvement  des  voyageurs  et  des  marchandises  :  le  va-et-vient  des  gares 
de  Saint-Pétersbourg  est  seulement  la  moitié  de  celui  des  gares  de  Mos- 
cou'. Des  bords  de  la  Moskva,  les  chemins  de  fer  vont  rejoindre  à  l'ouest 
toutes  les  grandes  lignes  de  l'Europe  centrale  ;  au  sud,  ils  vont  toucher  la 
mer  à  Odessa,  à  Sébastopol,  à  Taganrog,  et  pénètrent  dans  les  premières 
vallées  du  Caucase,  qu'ils  traverseront  un  jour  par  le  Dariel  et  contourne- 
ront à  l'est  par  Derbent  et^Bakou.  D'autres  voies  ferrées  atteignent  la  Volga  à 
Tzaritzîn,  à  Saratov,  à  Sizran,  et  franchissent  même  le  fleuve  pour  atteindre 
Orenbourg,  mais  elles  ne  vont  point  jusqu'à  la  Caspienne  et  ne  sont  pas 
encore  prolongées  dans  l'intérieur  de  l'Asie;  seulement  une  voie  ferrée  non 
rattachée  au  réseau  réunit  Penh  et  Yekaterinbourg  ;  il  a  été  décidé  que  la 
première  ligne  de  pénétration  en  Asie  se  détacherait  à  Samara  de  la  ligne 


'  Rcceltes  moyennes  des  chemins  de  fer  russes  de  1876  à  1880.   .    .  193  856  500  roubles. 

I)     "  »  en  1878  (année  nminmm).  211006  000         » 

Bénéfice  net  moyen  de  1870  à  1880 59  418  600         x 

Transjiort  des  marchandises  en  1 882 57155  000  tonnes. 

il  voyageurs  »       35  784  400,  dont         2  263  600  militaires. 

Parcours  moyen  d'un  voyageur     »       125  kilomètres. 

'  Moyennes  pour  1876-81  :  tués,  455;  blessés,  979. 

'  Mouvement  des  gares  de  Moscou  cl  de  Pétersbourg  en  1875  : 

Moscou 1903  954  voyageurs.  3  034  000  tonnes. 

Sainl-Pélersbomi; 1050  213        o  1287  000      » 


CHEMINS  DE  FER  DE  LA  RUSSIE.  887 

d'Orenbourg  et  passerait  par  Oufa  et  Zlatooust  pour  rejoindre  à  Yekatc- 
rinbourg  le  chemin  de  la  Sibérie.  Les  lignes  du  nord  ne  dépassent  pas 
Yoiogda  :  en  Russie,  le  réseau  ferré  s'avance  beaucoup  moins  loin  vers  la 
zone  glaciale  que  sur  le  territoire  de  la  Finlande  et  en  Scandinavie.  Quel- 
ques-unes des  grandes  lignes  de  la  Russie  traversent  le  territoire  en  négli- 
geant les  villes,  non  seulement  les  petites,  mais  aussi  des  cites  qui  ont 


N°    196.    —    CUEMINS    DE    fin  DE   L\    Kl'SSIE. 


Est    de    Pa-s 


ÔO"  tst  de  b 


1  :  SSdOUODO 


une  importance  considérable,  telles  que  Tver,  Orol,  Koursk,  laissées  de 
5  à  12  kilomètres  des  gares,  à  la  grande  gène  des  marchands  et  des 
voyageurs. 

Par  un  contraste  qui  nous  .semble  bizarre,  les  chemins  de  fer  ont  en 
Russie  un  développement  supérieur  à  celui  des  grandes  roules.  De  même 
qu'aux  Klals-Unis  et  dans  la  n'-publiquc  Argentine,  la  voie  ferrée  a  succédé 
brusquement,  en  certaines  provinces  de  l'empire  russe,  non  à  des  chemins 


888  NOUVELLE  GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

bien  tracés,  mais  à  des  ornières  et  à  des  sentiers  incertains.  Souvent  les 
voyageurs  qui  viennent,  grâce  à  la  vapeur,  de  parcourir  sans  peine  un 
espace  de  plusieurs  degrés  de  latitude,  passent  des  journées  à  traverser 
les  fondrières  pour  atteindre  des  villages  qu'ils  aperçoivent  à  quelques 
verstes  de  distance  ;  souvent  même,  après  les  fortes  pluies,  des  populations 
entières  sont  temporairement  séparées  du  reste  du  monde.  Pour  ses 
voies  de  communication,  la  Russie  entre  ainsi  dans  l'ère  industrielle  mo- 
derne avant  d'avoir  fourni  les  étapes  précédentes,  et  l'on  en  peut  dir'^ 
autant  pour  l'ensemble  de  son  évolution  actuelle  :  tandis  qu'une  part  de 
la  nation  s'attarde  dans  la  barbarie  primitive,  l'élite  se  presse  à  l'avant 
des  sociétés  européennes.  La  nation  russe  accomplirait-elle  les  mêmes 
progrès  que  les  peuples  occidentaux  sans  avoir  à  passer  par  les  mêmes 
souffrances?  En  tout  cas,  ses  mouvements  seront  plus  rapides,  l'histoire  se 
hâtera  pour  elle. 


Dans  l'éducation,  on  retrouve  le  même  contraste  que  dans  l'indus- 
trie. Les  hautes  écoles  étaient  organisées  déjà  et  des  cours  complets  de 
sciences  se  faisaient  dans  toutes  les  universités,  alors  que  l'instruction 
populaire  était  encore  presque  nulle.  Aussi  longtemps  que  plus  de  vingt 
millions  d'habitants  restaient  asservis,  l'instruction  devait  être  considérée 
comme  dangereuse.  Il  n'existait  qu'un  très  petit  nombre  d'écoles  pri- 
maires, et  celles  que  possédaient  la  Petite  Russie  et  l'Oukraïne  sîobodienne 
furent  fermées  au  dix-neuvième  siècle.  Après  1830,  le  gouvernement  pre- 
nait des  mesures  pour  empêcher  les  enfants  des  «  classes  inférieures», 
même  libres,  d'entrer  dans  les  écoles  moyennes,  réservées  aux  nobles'. 
Lors  de  l'émancipation  des  paysans,  un  grand  mouvement  se  fil  en  faveur 
de  l'éducation  populaire,  et,  grâce  à  l'initiative  privée,  des  écoles  du 
dimanche  s'ouvrirent  d'abord  à  Kiyev,  puis  dans  toute  la  Russie;  en  1862, 
elles  avaient  déjà  20000  élèves,  lorsqu'elles  furent  fermées  par  l'ordre  du 
gouvernement',  et  depuis  lors  les  particuliers  n'ont  pu  qu'en  de  rares 
occasions  aider  la  cause  de  l'instruction  populaire.  Les  écoles  normales 
ou  «  séminaires  pédagogiques  »  pour  la  préparation  des  instituteurs  ont 
longtemps  manqué,  malgré  les  pétitions  des  zemstvos,  auxquels  le  gouver- 
nement voulait  imposer  des  maîtres  d'école  sortis  des  séminaires  ecclé- 
siastiques :   c'est  après  la  guerre  franco-allemande  seulement  que,  sous 


«  DanilevskiT,  L'antiquité  ouhainienne  (en  russe). 
•  Obroulcliov,  Recueil  militaire  statistique  (en  russe). 


Education,  instruction  publique  en  Russie.  889 

la  pression  de  l'opinion  publique,  des  écoles  normales  ont  été  fondées, 
mais  en  quantité  très  insuffisante.  Par  son  régime  scolaire,  la  Russie  est 
au-dessous  de  la  plupart  des  autres  pays  d'Europe  et  de  l'Amérique,  au- 
dessous  du  Japon,  et  même  de  l'Egypte'. 

En  1880,  on  comptait  seulement  28  550  écoles  primaires  dans  la  Russie 
d'Europe,  et  l'2155'2o  enfants,  dont  un  cinquième  seulement  de  fdles, 
étaient  assis  sur  les  bancs  de  ces  écoles.  Ainsi  la  proportion  des  écoliers, 
au  lieu  d'être  du  septième  ou  même  du  sixième  comme  elle  l'est  en  Hol- 
lande, dans  le  Wûrltemberg  et  d'autres  pays,  dépassait  à  peine  en  Russie 
la  soixantième  partie  des  habitants.  Toutefois  l'étude  des  rudiments  est 
obligatoire  pour  tous  les  soldats  dans  les  écoles  régimentaires  :  on  jmut 
dire  que  le  département  de  la  guerre  fait  plus  pour  l'éducation  que  le  mi- 
nistère de  l'instruction  publique. 

Les  établissements  secondaires,  gymnases  et  progymnases,  écoles 
«  réelles»,  gymnases  militaires,  séminaires  ecclésiastiques  et  pensions, 
étaient  fréquentés  en  1877  par  88  400  élèves;  en  outre,  41650  jeunes 
gens  suivaient  les  cours  des  écoles  spéciales  des  ministères.  Dès  la  fin  du 
dix-huitième  siècle,  les  «  institutions  des  demoiselles  nobles  »  donnaient 
aux  filles  une  certaine  éducation,  toute  superficielle;  mais  ces  établisst^- 
ments  restaient  fermés  aux  descendantes  des  familles  non  aristocratiques. 
En  1857,  il  se  fit  un  mouvement  d'opinion  en  faveur  d'une  instruction  plus 
large  pour  les  femmes,  et  en  1876  on  comptait  en  Russie  520  écoles 
moyennes  de  filles  avec  55  620  élèves.  En  même  temps  se  développait  chez 
les  jeunes  filles  le  désir  de  participer  à  l'instruction  supérieure,  et  dès 
l'année  1861  on  en  vit  entrer  dans  les  auditoires  des  universités  et  de 
l'académie  de  médecine  :  une  des  premières  qui  reçut  son  diplôme  recevait 
un  subside  de  la  nation  bachkir.  Les  jeunes  filles  subissaient  comme  les 
garçons  des  examens,  soit  pour  suivre  les  cours  privés  des  universités,  soit 
pour  entrer  à  l'école  de  médecine  spéciale  de  Saint-Pétersbourg'  ;  mais 
depuis  1863  elles  ne  furent  plus  admises  dans  les  universités  proprement 
dites,  et  l'on  créa  pour  elles  une  Académie  de  médecine  spéciale  :  cetti;  haute 
école  va  être  fermée  à  son  tour.  Les  demoiselles  n'ont  plus  pour  suivre  les 
études  supérieures  que  les  cours  libres  attaché'^  aux  universités.  En  outre. 


'  Korf.  Lrs  nésullals  de  l'instniclion  populaire  en  Russie  (en  russe). 

'  Proportion  des  classes  fiarrai  les  élèves  des  gymnases  du  minislère  de  l'inslruction  publique  : 

Cla^^c  (les  nnhV?.     Classe  des  ecclésiastiques.  Cla>>e  des  bourgeois.  Classe  de»  p-iysans. 

Garçons  en  187i!.   .    .     607  sur  1000.          48  sur  1000.          287  sur  1000.  58  sur  1000. 

1876.   .    .     515        «                  58        »                  TwO        •  77 

Filles  en  180;i.   ...     547         "                   50         »                   .î7.")         ^  58 

V.  112 


890 


NOUVELLE  GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


il  s'est  produit  un  mouvement  d'émigration  des  jeunes  filles  vers  les  uni- 
versités étrangères,  surtout  Zurich,  Berne,  Genève  et  Paris. 

Les  huit  universités  de  la  Russie,  organisées  sur  le  modèle  des  grandes 
écoles  de  l'Allemagne,  n'ont  en  comparaison  de  celles-ci  qu'un  bien  petit 
nombre  d'élèves'  :  l'accès  en  est  rendu  très  difficile  par  des  examens  d'une 
sévérité  excessive  et  diverses  mesures  ont  été  prises  de  temps  à  autre  pour 
éclaircir  les  rangs  de  la  jeunesse  universitaire,  redoutée  par  le  gouver- 


""    is;-    —   MOrVEMEST   DE5   ÉLÈTES   DA^SS   LES   GTJTfASES   ET    LES  CMVLB5 
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Courbe  inférieur* 


nement  à  cause  de  sa  promptitude  à  saisir  les  idées  nouvelles.  Mais  le 
désir  d'instruction  est  tel  parmi  les  jeunes  gens,  qu'en  dépit  des  réglemeii- 
t;  lions  préventives  les  candidats  ne  cessent  de  se  presser  aux  portes  des 
universités,  et  le  nombre  des  étudiants  s'accroît   aussitôt,  dès  que,  pour 


'  Universités  de  la  Russie  en  1882  (avec  la  Pologne). 
Éludianls,  10  700  :  liisloiie  et  philologie,  etc.,  21,11  pour  100:  pliysujiie  et   niatliénialiques, 
21  pour  100;  droit,  23  pour  100;  médecine,  iô  pour  100. 

Êludi;iules  :  Académie  de  médecine,  431  ;  cours  universitaires,  22Ô0. 

Professeurs  :  710. 

Budget  des  univer^ité^,  en  1882  :  2  703  712  roubles. 


INSTRUCTION  PUBLIQUE  EN  RUSSIE.  891 

une  cause  ou  pour  une  autre,  l'action  du  pouvoir  se  fait  moins  sentir.  Cet 
amour  réel  de  la  science  qui  distingue  les  Russes  se  révèle  encore  par  ce 
fait,  que  les  recueils  sérieux  d'histoire,  d'ethnologie,  de  science  en  général, 
sont  lus  proportionnellement  beaucoup  plus  que  la  presse  légère.  Le  nom- 
bre des  journaux  est  encore  bien  moindre  en  Russie  que  dans  les  con- 
trées de  l'Europe  occidentale  '  ;  aucune  de  ses  feuilles  n'a  des  abonnés  par 
centaines  de  mille  comme  certaines  gazettes  populaires  de  l'Occident  et  de 
l'Amérique,  mais  les  revues  proprement  dites,  renfermant  toutes  des 
articles  originaux  d'une  réelle  valeur,  sont  lues  assidûment  par  des  mil- 
liers de  souscripteurs.  Par  un  bizarre  contraste,  tandis  que  la  Russie, 
encore  ignorante  par  la  masse  de  sa  population,  se  sert  à  peine  de  son 
réseau  télégraphique  et  des  postes,  en  comparaison  des  autres  peuples  de 
l'Europe  ^,  il  s'y  publie  plus  de  livres  qu'en  Austro-Hongrie,  qu'en  Angle- 
terre même".  Parmi  ces  ouvrages,  ceux  qui  sont  consacrés  à  la  théologie 
sont  peu  nombreux,  si  ce  n'est  dans  la  catholique  Varsovie. 

On  le  voit,  les  contrastes  qui  caractérisent  le  peuple  russe,  comparé  aux 
peuples  de  l'Occident,  se  retrouvent  dans  sa  vie  tout  entière.  La  masse  de 
la  population  reste  ignorante  et  superstitieuse,  mais  nulle  part  les  hommes 
instruits  de  la  nation  ne  se  sont  plus  complètement  dégagés  des  préjugés 
et  n'apportent  a  l'étude  un  esprit  plus  libre  d'idées  préconçues.  En  Russie, 
les  traditions  de  la  famille  justifient  l'esclavage  absolu  de  la  femme,  et 
dans  aucun  pays  l'égalité  des  sexes  dans  la  vie  pratique  n'a  été  plus  har- 
diment revendiquée  et  plus  aisément  reconnue  par  l'opinion.  Il  y  a  peu 
d'années  encore,  les  deux  tiers  des  habitants  de  l'empire  étaient  de 
misérables  serfs,  et  pourtant  c'est  en  Russie,  chez  les  Cosaques  du  Diiepr, 
du  Don,  de  l'Oural,  chez  les  paysans  pomorî,  que  les  mœurs  d'une  par- 
faite égalité  entre  compagnons  de  travail  et  de  combat  ont  le  plus  long- 
temps prévalu,  et  maintenant   encore,  c'est  dans  les  communes  russes 

'  Presse  périodique  en  Russie,  en  1882  :  776  journaux  et  revues. 

Journaux  expédiés  par  la  posie  en  1882  ;  95  725  000. 

-  Télégrainuies  et  lellres  en  divers  pays  d'Europe,  en  1880  . 
Rojaume-Uni .     27  <S20  000  télégrammes,  800  par  1000  liab.  1299  308  000  lellres,  57.2  par  hab. 
Allemagne.    .    .     13  747  000  »  300       »         n  718  240  000       d       15,1       » 

France.    .    .    .     10  510  010  i)  Hù       n         »  .WO  865  000       »       14,2       « 

Russie.    .    .    .       6  290  000  »  74      »        »  117  000  000       «        1,2       « 

'  Livres  publiés  en  divers  pavs  d'Europe  : 

France  (1875) 14195   1  Russie  (1877) 7500 

Allemagne  (1878) 13912   |  Angleterre  (1877) 5095 

Austro-Hongrie  (1870) 1902 


892  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

que  le  droit  égal  de  tous  les  associés  à  la  terre  est  le  mieux  reconnu. 
D'après  le  vieux  droit  monarchique,  à  la  fois  mongol  et  byzantin,  les 
Iiommes  eux-mêmes  appartiennent  à  un  seul,  tandis  que  dans  le  mir  — 
univers  en  miniature  —  chacun  est  libre,  chacun  a  sa  part  de  la  terre. 
C'est  en  Russie  que  se  retrouvent  les  plus  anciennes  formes  du  pouvoir 
absolu,  et  c'est  là  aussi  que  les  novateurs  se  lancent  avec  le  plus  d'audace 
dans  les  théories  de  reconstitution  sociale  et  politique.  Le  cadre  extérieur 
de  la  Russie  reste  immuable,  tandis  que  l'évolution  intérieure  s'accomplit 
avec  une  rapidité  plus  grande  que  celle  de  toute  autre  nation,  changeant 
incessamment  les  idées  et  les  mœurs,  et  préparant  ainsi  pour  un  avenir 
peu  éloigné  des  transformations  inévitables. 


XIII 


COUVER.NF.MEMT    ET   A  I]  M  I  MSTR  ATI  0  N     DE     LA    RDSSIE. 

La  Russie  est  le  seul  État  d'Europe  dont  le  monarque  soit  maître  absolu. 
D'après  les  termes  de  la  loi,  «  l'empereur  de  toutes  les  Russies  »  est  un 
souverain  autocrate  auquel,  d'après  l'ordre  de  Dieu  même,  tous  doivent 
obéir,  «  non  seulement  par  crainte,  mais  aussi  par  conscience  ».  Cette 
théorie  du  pouvoir  autocratique  absolu  s'est  formée  peu  à  peu.  De  même 
qu'en  France  le  pouvoir  royal  avait  fini  par  l'emporter  ^eur  celui  des  états 
vassaux  et  des  grands  seigneurs,  de  même  en  3Ioscovic  l'autocratie  rem- 
plaça les  anciennes  institutions  des  communes  et  des  «  ordres  libres  »,  et 
prit  une  forme  spéciale  sous  l'influence  des  Mongols  et  suivant  les  usages 
ecclésiastiques  et  juridiques  légués  par  Ryzance'.  Les  institutions  bureau- 
cratiques importées  d'Allemagne,  enfin  les  idées  absolues  de  légitimité 
transformées  en  dogmes  d'État  par  Joseph  de  Maistre  et  d'autres  cham- 
pions du  droit  divin  donnèrent  au  tzarisme  des  Romanov  sa  forme  actuelle  : 
ainsi  le  pouvoir  autocratique  de  l'empereur  de  toutes  les  Russies  est,  en 
théorie  du,  moins,  issu  partiellement  du  contre-coup  de  la  Révolution  fran- 
çaise, et  les  dissensions  des  nationalités  diverses  de  l'empire,  surtout  depuis 
l'annexion  de  la  Pologne,  ont  contribué  à  la  solidité  du  pouvoir  impérial. 
D'ailleurs,  même  depuis  Pierre  le  Grand,  l'autocratie  du  Izar  n'a  pas  été  un 
principe  absolu.  Pierre  rédigeait  des  rapports  au  Sénat,  quoique  ce  corps 


'  Kosloiiiarov,  Le  principe  fédéral  dans  ranciciwe  Russie   (en   russe)  ;  —  Le  pri)wipe  monar- 
chique dans  riiisloirc  russe  (en  russe)  ;  —  Clilcha|]uv,  Zemstvo  el  lUiscol  (en  russe). 


-J 


GOUVERNEMENT  DE   LA  RUSSIE. 


895 


eût  été  formé  par  lui.  En  1750,  l'impératrice  Anne  signa  la  charte,  déchirée 
plus  tard,  qui  limitait  l'autocratie  au  proflt  du  conseil  des  hauts  employés. 
Enfin  Alexandre  I",  qui  disait  à  Mme  de  Staël  n'être  a  qu'un  accident 
heureux  »,  n'essaya-t-il  pas  de  fonder  avec  ses  amis  un  «  comité  de  salut 
public  »  pour  étudier  les  moyens  de  «  mettre  un  frein  au  despotisme  de 
son  gouvernement  '  »  ? 

Pouvoir  législatif,  pouvoir  administratif,  pouvoir  judiciaire,  tout  dérive 
(le  la  personne  de  l'empereur.  11  n'est  tenu  qu'à  respecter  les  lois  anciennes 
garantissant  la  prépondérance  de  l'Église  nationale  et  l'ordre  de  succes- 


«AISO.N  DtS  ROKUiOT,  PRES    DE  COSTROMA. 

Dessin  de   Clergcl ,   d'après  une   pbotogra])hii 


sion  au  trône.  Mais  ces  lois  elles-mêmes,  issues  du  droit  divin,  ne  peuvent- 
elles  être  modifiées  en  vertu  de  ce  même  droit?  En  théorie,  l'empire  ne  se 
meut  que  par  la  volonté  du  tzar. 

Pierre  le  Grand,  qui  ne  voulait  se  servir  ni  du  conseil  des  boyards 
{douma  botarskayn)  ni  des  États  généraux  {zemskiy  sobor)  de  l'ancienn.', 
Moscovie,  institua  en  1711  une  assemblée  qui  n'a  pas  cessé  d'exister  jus- 
(pi'à  nos  jours,  mais  dont  les  attributions  ont  fréquemment  change  :  c'est 
le  «sénat  diri'^eanl  »{pravilcl'stvonyouclUclnij  se»at).  Pierre  voulait,  dit-on, 
faire   du  sénat  un  corps  politique  analogue  aux  États  généraux  de  Néer- 

'  Papiers  de  la  faiiiillc  Slrogonov,  Vu»liiik  Ycvropi,  n*  1,  1866. 


8f6  NOUVELLE  GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

lande  :  «  tout  devait  être  confié  »  à  cette  assemblée,  «  chacun  devait  lui 
obéir  comme  au  tzar  lui-même,  »  et  ses  ordonnances  sont  qualifiées  du 
nom  d'oukazes,  comme  si  elles  émanaient  du  souverain.  Mais  celui-ci  se 
réserva  la  nomination  des  membres  du  sénat  :  quatre  années  après,  il 
nomme  un  «  reviseur  général  des  oukazes  »,  puis  désigne  chaque  mois 
un  officier  de  la  garde  pour  surveiller  les  législateurs  et  les  mener  au 
besoin  à  la  forteresse  s'ils  ne  font  pas  convenablement  leur  besogne  ;  il  les 
menace  même  de  la  confiscation  des  biens,  de  la  mort  ou  de  la  peine 
d'infamie  en  cas  de  négligence'.  On  comprend  sans  peine  que  dans  ces 
conditions  le  «  sénat  dirigeant  »  ne  put  remplir  sa  mission  primitive. 
Actuellement  cette  institution  n'est  en  réalité  qu'une  cour  d'enregistrement 
et  de  publication  des  ordonnances  impériales  el,  au  point  de  vue  judiciaire, 
qu'une  cour  suprême  de  cassation.  Ses  titres  de  «  gardien  des  lois  s,  de 
«  surveillant  et  de  contrôleur  de  toutes  les  branches  de  l'administration  », 
de  «  défenseur  des  droits  légaux  de  chaque  citoyen  russe  »,  ne  répondent 
à  rien  de  réel  ou  ne  sont  justifiés  qu'en  des  affaires  de  peu  d'importance. 

En  1801,  aux  temps  de  sa  plus  grande  ferveur  pour  les  institutions 
constitutionnelles,  Alexandre  P'  institua  un  conseil  d'État  qui  devait  con- 
naître de  toutes  les  lois  et  de  toutes  les  mesures  importantes  avant  qu'elles 
ne  fussent  soumises  à  l'approbation  du  souverain.  Toutefois  le  tzar  n'est 
point  tenu  de  soumettre  ses  projets  aux  délibérations  de  ce  conseil  ni  do  se 
conformer  aux  décisions  de  la  majorité  quand  elles  lui  déplaisent.  Le 
conseil  d'État  n'a  même  aucun  droit  d'initiative  pour  la  préparation  des 
lois.  L'action  législative  du  conseil  est  fréquemment  mise  à  néant  par  les 
oukazes  personnels  de  l'empereur  et  par  les  rapports  de  ministres  que  soi» 
approbation  transforme  en  lois.  En  outre,  les  grands  travaux,  tels  que 
ceux  du  code  général,  sont  rédigés,  non  sous  la  surveillance  du  conseil 
d'État,  mais  dans  la  «  deuxième  section  de  la  chancellerie  personnelle  de 
Sa  Majesté  ».  Diverses  commissions,  composées  de  hauts  personnages 
nommés  directement  par  l'empereur,  sont  aussi  chargées  de  procéder  à  des 
enquêtes  ou  d'élaborer  des  réformes  ;  mais  quelques-unes  de  ces  commis- 
sions ne  se  réunissent  même  pas  :  celle  qui  doit  étudier  la  réforme  des 
impôts,  instituée  depuis  1857,  n'a  pas  encore  présenté  son  rapport  définitif. 

Les  seuls  dignitaires  qui,  par  la  nature  même  de  leurs  fonctions,  pren- 
nent part  à  la  puissance  législative  du  souverain,  sont  les  ministres.  Par 
leurs  rapports  revêtus  de  l'approbation  impériale,  et  bien  plus  encore  par 
leurs  circulaires  explicatives,  ils  jouissent  d'une  très  grande  autorité.  Les 

'  Soiovyov,  Histoire  de  Russie  {on  russe),  tonu-s  XVI,  XVIU. 


GOl'VERNEME.NT  DE  LA  RUSSIE.  807 

départements  ou  ministères  sont  au  nombre  de  onze  :  maison  impériaie, 
affaires  étrangères,  guerre,  marine,  intérieur,  instruction  publique,  finan- 
ces, justice,  domaines  impériaux,  travaux  publics,  contrôle  général. 
Chaque  ministre  dépend  directement  du  souverain.  En  outre,  les  fonc- 
tions ministérielles  sont  confiées  au  chef  de  Tancienne  «  troisième  section  » 
de  la  chancellerie  impériale,  c'est-à-dire  de  la  police  secrète  ;  au  directeur 
de  la  quatrième  section,  qui,  sous  le  nom  de  l'impératrice  régnante,  admi- 
nistre les  institutions  de  bienfaisance  et  divers  établissements  d'instruction 
publique,  surtout  des  écoles  féminines  ;  à  l'administrateur  en  chef  des 
haras  de  l'Etat  ;  au  procureur  général  du  Saint-Synode,  qu"i  est  le  ministre 
du  culte  dominant. 

L'émanation  du  pouvoir  absolu  donne  également  une  autorité  incontcsiée 
à  ceux  qui  sont  les  représentants  de  ce  pouvoir,  ministres,  gouverneurs  de 
|»rovinces,  ispravnik  ou  chefs  de  districts,  préposés  des  cantons  {stanovoï 
pristar),  agents  de  la  sûreté  locale  (our'adnik).  Tous  ces  fonctionnaires 
hiérarchiques  ont  en  Russie  des  droits  beaucoup  plus  étendus  que  ceux 
des  employés  correspondants  en  tout  autre  pays  d'Europe,  .\vant  l'éman- 
cipation des  serfs,  le  gouverneur  était  un  véritable  «  maître  de  sa  pro- 
vince »,  ayant  le  droit  d'intervenir  dans  toutes  les  affaires  et  contrôlant  de 
sa  propre  autcfrité  les  tribunaux  ei  les  finances  de  son  gouvernement.  Le 
zemstvo,  la  réforme  judiciaire,  l'institution  des  chambres  de  contrôle  ont 
diminué  son  pouvoir  pour  un  temps,  mais  le  droit  de  veto  qui  lui  a  été 
conféré  sur  toute  nomination  des  employés  du  zemstvo  et  des  municipalités 
a  rétabli  la  situation  à  son  profit.  Même  après  la  réforme  judiciaire  de  1804, 
le  gouverneur  n'a  point  été  dépouillé  d'un  privilège  exorbitant,  analogue  à 
celui  des  anciennes  «  lettres  de  cachet  »  de  la  monarchie  française  :  il  a  le 
droit  de  signaler  au  ministre  de  l'intérieur  les  personnes  qu'il  lui  convient 
d'exiler  dans  les  provinces  lointaines  de  l'empire  «  par  mesure  d'ordre 
administratif»,  pour  «  cause  d'utilité  publique  ».  Depuis  le  9  août  1878 
tous  les  agents  du  gouvernement  sont  mis  sous  la  protection  des  cours 
martiales,  en  cas  d'attaque  faite  contre  eux  dans  l'exercice  de  leurs  fonc- 
tions. Dans  ces  derniers  temps,  des  généraux-gouverneurs,  munis  de  pou- 
voirs presque  illimités,  ontété  nommés  à  Pétersbourg,  à  Kharkov,  à  Odessa, 
et  l'état  de  siè^e,  proclamé  en  certaines  parties  du  territoire,  confère  des 
droits  dictatoriaux  aux  représentants  du  tzar.  En  outre,  la  «  troisième 
section  de  la  chancellerie  privée  de  Sa  Majesté  »,  ou  la  haute  police, 
qui  a  récemment  changé  de  nom,  surveille  à  la  fois  les  fonctionnaires 
et  leurs  administrés,  avec  pouvoir  d'interner  ou  d'exiler  sans  jugement 
ni  preuves    tous  ceux  qui  lui  paraissent    suspects.  Les  villes  du  nord , 


898  KOUVELLE  GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 

Perm.  Vatka,  Yoïogda,  Arkhangelsk,  Kola,  sont  des  lieux  d'internement 
où  les  suspects  et  les  condamnés  politiques  sont  fort  nombreux,  et  main- 
tenant on  les  trouve  dans  tous  les  districts  de  la  Sibérie,  de  Toumcn  à 
Irkoutsk,  dans  la  Transbaïkalie  et  jusque  dans  File  de  Saklialin  et  dans 
les  oulous  qui  entourent  Nijnî-Kolymsk. 


Quoique  l'empire  de  toutes  les  Russies  soit  une  monarcliie  absolue,  la 
représentation  électorale  a  pourtant  trouvé  sa  place  dans  les  districts  et  les 
gouvernements,  à  l'exception  de  la  Pologne  et  des  pays  Baltiques,  possédant 
chacun  son  Landtag  féodal.  En  1864,  après  l'émancipation  des  paysans 
et  l'insurrection  polonaise,  événements  qui  avaient  si  puissamment  remué 
l'opinion,  le  tzar  promulgua  le  «  Statut  des  institutions  territoriales 
{polojeniye  o  zemskikh  outchrejdeniyakh) ,  qui  admettait  le  principe  électif 
dans  la  gestion  des  affaires  et  l'étude  des  besoins  économiques  locaux  de 
chaque  gouvernement  et  de  chaque  district  ».  L'ensemble  de  ces  institu- 
tions territoriales  est  connu  sous  le  nom  de  zemstvo,  —  de  zeml'a, 
«  terre  >s  —  analogue  à  l'allemand  Landtag.  Ce  n'est  pas  encore  l'auto- 
nomie, ainsi  qu'on  a  pu  le  croire  dans  les  premières  années  de  ferveur 
enthousiaste  ;  cependant  la  voix  du  peuple  y  a  été  quelquefois  entendue.  Le 
grand  silence  qui  régnait  autrefois  «  dans  toutes  les  langues  »,  d'Oioi'ietz 
à  Taganrog,  a  été  l'ompu. 

Les  députés  qui  doivent  siéger  dans  l'assemblée  des  glasiùye  —  du  mot 
slavon  glas,  voix  —  appartiennent  à  toutes  les  classes  de  la  société,  nobles, 
bourgeois,  marchands  et  paysans.  Cependant  les  électeurs  ne  se  mélangent 
point  dans  un  même  lieu  de  vote  sans  distinction  de  classes  :  les  anciennes 
divisions,  modifiées  par  des  conditions  de  cens,  subsistent  par  l'institution 
de  trois  curies.  La  première,  ou  l'assemblée  des  propriétaires  fonciers,  se 
compose  de  ceux  qui  possèdent  un  domaine  de  218  à  71'2  hectares  suivant 
les  provinces,  des  délégués  de  propriétaires  ayant  au  moins  22  hectares, 
et  des  représentants  du  clergé,  considéré  comme  possesseur  des  terres 
ecclésiastiques.  La  curie  des  électeurs  urbains  est  formée  des  marchands 
cl  des  industriels  ayant  un  mouvement  d'affaires  de  6000  roubles,  des 
propriétaires  d'immeubles  et  des  représentants  des  sociétés  d'industrie 
disposant  d'un  capital  fixe.  Enfin,  la  troisième  curie,  celle  des  communes 
rurales,  comprend  les  représentants  de  la  classe  des  paysans,  élus  au 
second  degré,  car  ils  sont  nommés  par  les  membres  des  bailliages  ou 
volosl',  qui  sont  choisis  eux-mêmes  par  les  paysans,  un  pour  chaque  groupe 
de  dix  familles.  La  i)résidence  des  assemblées  électorales  appartient,  dans 


GOUVERNEMENT  DE  LA  RUSSIE. 


89'J' 


la  première  curie,  au  maréchal  de  la  noblesse  ;  dans  la  deuxième,  au 
maire  de  la  ville,  et  dans  les  troisièmes,  —  car  on  en  compte  trois  ou 
quatre  par  district,  —  aux  employés  de  l'État  pour  l'administration  des 
affaires  des  paysans.  En  outre,  le  président  général  du  zerastvo  est  toujours 


PnOPORTIOX    TES    EXILÉS    DE    DROIT    COJI.MDX   ES   SILÉltlE,    SDIVAXT    lES    PROVISCES, 
AVAST    LA    RÉFOIIUE    JIDICIAIRI:. 


Es^    de    P,--, 


5t    de   (jreenwi c^^ 


D'aprçs  ji_>'.n  C  Pen 

V7\  VTPy  m^x  ^  UT} 


le  maréchal  de  la  noblesse,  à  moins  d'une  désignation  spéciale  du  tzar. 
Une  autre  inégalité  entre  les  curies  provient  de  ce  que  les  deux  premières 
prennent  leurs  députés  dans  leur  sein,  tandis  que  les  paysans  peuvent 
nommer  des  nobles  ou  des  prêtres,  déléguant  ainsi  leur  pouvoir  à  une 
autre  classe  que  la  leur.  D'ailleurs,  le  nombre  des  députés  est  calculé 


900  NOUVELLE    GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

partout  de  manière  à  donner  l'infériorité  du  nombre  aux  classes  rurales, 
({uoique  la  Russie  soit,  pour  ainsi  dire,  un  «  empire  de  paysans  »  :  le 
législateur  a  évidemment  imité  la  loi  électorale  autrichienne  beaucoup 
plus  que  les  anciennes  v'etche  slaves.  Dans  les  trente-trois  gouvernements 
oii  fut  d'abord  introduit  le  zemstvo,  le  nombre  de  tous  les  députés  s'élevait 
à  15  024,  dont  6204  appartenant  à  la  première  curie,  1649  à  la  deuxième 
et  seulement  5171  à  la  classe  rurale.  Ce  partage  semble  d'autant  moins 
justifié  par  l'ignorance  relative  des  paysans,  que  ceux-ci  comprennent  fort 
bien  toutes  les  affaires  locales  et  par-dessus  tout  la  nécessité  de  posséder 
des  écoles.  C'est  précisément  la  province  oii  il  y  a  le  moins  de  nobles, 
celle  de  Vatka,  qui  a  voté  les  plus  fortes  sommes  pour  l'instruction  po- 
pulaire, et  c'est  même  à  propos  des  écoles  qu'elle  est  entrée  en  conflit 
avec  le  minisière  de  l'intérieur.  En  moyenne,  les  zemstvos  font  d'autani 
plus  de  sacriflces  pour  l'éducation,  que  les  paysans  y  sont  le  plus  for- 
tement représentés.  On  cite  des  exemples  de  paysans  du  comité  des 
zemstvos  ayant  renoncé,  au  profit  des  écoles,  ta  la  moitié  de  leurs  appoin- 
tements ;  mais  cette  générosité  n'a  point  été  imitée  par  leurs  collègues  de 
la  noblesse'. 

Les  sessions  des  corps  représentatifs  sont  fort  courtes.  Le  zemstvo  de 
district  siège  seulement  pendant  dix  jours  chaque  année,  et  les  délégués 
qu'il  élit  pour  former  le  zemstvo  de  gouvernement  ne  sont  réunis  au  chef- 
lieu  que  pendant  vingt  jours;  mais,  tous  les  trois  ans,  les  assemblées 
nomment  un  comité  administratif  {ouprava),  dont  le  président  n'entre 
en  fonctions  qu'après  l'approbation  du  gouverneur  ou  du  ministre.  De 
même,  ces  doux  personnages  peuvent  suspendre  toute  décision  du  zemstvo 
qu'ils  jugent  contraire  aux  lois  ou  au  bien  de  l'État.  Si  l'assemblée  per- 
siste, le  gouverneur  a  le  droit  de  prononcer  un  deuxième  veto  «  sous  sa 
responsabilité  personnelle  ».  Le  sénat  juge  en  dernier  ressort,  mais  la 
procédure  ne  peut  durer  moins  d'une  année,  dans  les  circonstances  les 
plus  favorables,  ce  qui  enlève  presque  toute  valeur  pratique  aux  réso- 
lutions du  zemstvo.  D'ailleurs,  le  cercle  des  affaires  confié  à  ces  corps 
délibérants  est  très  restreint,  et  d'année  en  année  les  instructions  minis- 
térielles l'ont  resserré.  Le  zemstvo  est  autorisé  à  voter  des  subventions 
pour  rinslruclion  publique,  mais  il  est  en  réalité  privé  de  tout  droit  de 
surveillance  sur  les  écoles.  Quoique  représentant  toutes  les  classes  de  la 
population,  le  zemstvo  n'a  même  pas  le  droit  de  pétition  au  même  degré 
que  les  assemblées  de  la  noblesse.  Celles-ci  ont  le  droit  de  s'adresser  indi- 

'  Les  lésullals  <lu  zemstvo,  \cstnik  Yevrn|ii,  1870. 


ZEMSTVO.  90! 

rectement  au  souverain  au  nom  de  leurs  inlérèls  el  de  leurs  besoins  en 
général,  tandis  que  le  zemslvo  ne  peut  envoyer  de  suppliques  si  elles  n'ont 
strictement  rapport  aux  «  affaires  locales  de  caractère  économique  ».  La 
publicité  des  débats  a  été  également  limitée,  et  les  journaux  n'insèrent  au- 
cune correspondance  sur  les  débats  du  zemstvo  sans  l'autorisation  du  gou- 
vernement. Enfin  certaines  assemblées  locales,  celle  de  Saint-Pétersbourg 
par  exemple,  ont  été  dissoutes  et  les  membres  en  ont  été  internés  ou  exilés. 
A  Nejin,  dans  le  gouvernement  de  Tcliernigov,  les  travaux  statistiques  du 
zemstvo  ont  été  arrêtés  par  ordre  supérieur.  On  comprend  que  dans  ces 
conditions  l'opinion  publique  ait  cessé  de  voir  l'exercice  d'une  autonomie 
réelle  dans  la  nomination  des  membres  du  zemstvo.  L'indifférence  est 
devenue  générale,  et  mainte  assemblée  est  dans  l'incapacité  de  prononcer 
des  arrêts  légaux,  les  membres  n'étant  pas  en  nombre  suffisant'. 

r^es  institutions  municipales  ont  passé  par  une  évolution  analogue  à 
celle  du  zemstvo.  Sous  l'ancien  régime,  les  intérêts  des  villes  étaient  gérés 
par  un  conseil  ou  douma  qu'avaient  élu  les  classes  des  marchands  et  des 
bourgeois  {m'eclikhane),  et  dans  certaines  circonstances  graves,  d'un  carac- 
tère presque  législatif,  l'assemblée  générale  des  électeurs  décidait.  De 
même  que  pour  l'administration  économique  des  districts,  le  gouvernement 
se  résolut  à  tenter  un  essai  de  fusion  de  toutes  les  classes  dans  l'adminis- 
tration des  villes.  Pétersbourg,  Moscou,  Odessa  reçurent  les  premières  une 
nouvelle  organisation  municipale,  qui  se  rapproche  de  celle  du  zemslvo, 
puis,  en  vertu  d'un  statut  général  {gorodskoïe polojeniye) ,  proclamé  en  187U, 
les  municipalités  furent  reconstituées  dans  presque  toutes  les  villes  de  l'em- 
pire. Les  électeurs  urbains  sont  également  divisés  en  trois  curies,  d'après 
la  quotité  de  l'impôt  :  les  propriétaires  d'immeubles,  les  industriels,  les 
commerçants  et  leurs  agents  payant  les  taxes  sont  inscrits  sur  la  liste 
électorale  par  ordre  de  fortune  et  partagée  en  trois  groupes,  dont  le  der- 
nier, celui  des  pauvres,  est  de  beaucoup  le  plus  nombreux,  et  ils  choisis- 
sent chacun  pour  quatre  années  un  nombre  égal  de  députés  {(jlasnhje]. 
Ceux-ci,  qui  constituent  la  douma,  nomment  à  leur  tour,  aussi  pour 
quatre  années,  l'ouprava,  ou  comité  administratif,  et  le  maiie,  appelé  du 
vieux  nom  de  chef  ou  «  tête  »  (golova).  D'après  le  statut,  celui-ci,  devenu 
pouvoir  exécutif  de  la  municipalité,  a  des  droits  supérieurs  au  corps  qui 
l'a  nommé.  Il  n'est  pas  tenu  de  convoquer  périodiquement  le  conseil,  et 
peut  en  incriminer  les  décisions  devant  le  gouverneur  :  une  fois  en  place, 
il   n'est  plus   révocable  par  ses  électeurs  ;  c'est  un  personnage  officiel 

'  Gcrfovalchov,  Dix  années  de  réforme»  (en  russe). 


902  NOUVELLE    GEOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 

auquel  il  est  défendu  de  toucher.  Le  gouverneur  peut  suspendre  l'effet 
de  toute  décision  des  municipalités  et  porter  l'affaire  devant  une  chambre 
spéciale,  dont  il  fait  partie  lui-même  et  qui  est  composée  presque  uni- 
quement de  fonctionnaires.  Cette  chambre  même  dût-elle  cependant  pro- 
noncer contre  lui,  il  peut  encore  en  appeler  au  sénat.  En  réalité,  le  maire 
administre  seul  et  sous  les  ordres  directs  du  gouverneur'. 

Les  institutions  judiciaires  de  la  Russie,  non  encore  appliquées  dans 
les  provinces  BaUiqucs  et  modifiées  en  Pologne,  ont,  depuis  les  statuts 
de  1864,  une  double  origine,  le  suffrage  populaire  et  le  bon  vouloir  du 
gouvernement.  Les  juges  de  paix,  au  nombre  de  trois  ou  quatre  par  dis- 
trict [ouyezd],  sont  élus  pour  trois  ans  par  les  assemblées  de  zemstvo  ; 
mais  le  choix  ne  peut  tomber  que  sur  des  hommes  âgés  au  moins  de 
25  ans,  ayant  fait  leur  éducation  dans  un  gymnase  ou  dans  un  établisse- 
ment analogue  ;  si  cependant  ils  n'ont  point  suivi  les  cours  de  gymnase, 
il  suffit  qu'une  charge,  occupée  par  eux  pendant  trois  ans,  leur  ait  permis 
«  d'acquérir  des  connaissances  pratiques  dans  les  affaires  judiciaires  »  ;  en 
outre  ils  doivent  posséder,  suivant  les  provinces,  de  437  à  1420  hectares, 
ou  bien  un  immeuble  de  5000  roubles  dans  une  ville  ordinaire,  de 
GOOO  roubles  dans  une  capitale.  Il  arrive  parfois  que  le  zemstvo  ne  trouve 
jias  de  candidat  réunissant  toutes  ces  conditions,  et  dans  ce  cas  le  juge  de 
paix  est  nommé  par  le  sénat.  Dans  les  provinces  «  occidentales  »  ils  sont 
toujours  choisis  par  le  gouvernement.  La  cour  d'appel  de  la  justice  de 
paix  se  compose  des  juges  de  paix  effectifs  et  des  juges  honoraires,  qui 
sont  également  élus  par  le  zemstvo. 

Les  affaires  de  peu  d'importance,  débattues  entre  paysans,  sont  jugées  par 
des  tribunaux  spéciaux,  les  vol'ostntye soudi,  qui  sont  élus  par  l'assemblée 
de  la  volost  et  jugent  d'après  le  droit  coutumier.  Les  affaires  graves,  c'est- 
à-dire  celles  qui  touchent  à  un  intérêt  immédiat  de  plus  de  500  roubles  ou 
ipii  peuvent  être  punies  de  plus  de  six  mois  de  prison,  ne  sont  pas  de  la 
compétence  des  juges  de  paix  :  on  les  porte  devant  une  juridiction  supé- 
rieure. Les  chambres  judiciaires,  après  avoir  étudié  le  cas,  décident  s'il  y  a 
lieu  à  poursuite  et  renvoient  les  prévenus  devant  les  tribunaux  d'arrondis- 
sement, composés  de  membres  qui  sont  tous  inamovibles  et  nommés  direc- 
tement par  l'État.  Le  jury  siège  dans  la  même  salle  que  les  tribunaux 
d'arrondissement,  et  lui  seul  déclare  si  l'accusé  est  coupable  ou  non  :  après 
le  verdict,  le  président  du  tribunal  prononce  l'acquittement  ou  la  peine. 
Les  condamnés  et  le  procureur  peuvent  se  pourvoir  en  cassation  du  verdict 

'  Colovalchov,  ouvra^'e  cilé. 


INSTITUTIONS   MUNICIPALES  ET  JUDICIAIRES.  903 

en  s'adressant  an  sénal;  dans  les  affaires  civiles  et  dans  tontes  celles  qni 
sont  jugées  en  dehors  du  jury,  on  peut  en  appeler  du  jugement  des  tribu- 
naux d'arrondissement  aux  chambres  judiciaires,  mais  au-dessus  de  cette 
magistrature  il  n'y  a  d'autre  recours  que  devant  le  sénat,  qui  siège  comme 
cour  de  cassation  et  peut  annuler  pour  vice  de  forme  tous  les  jugements  des 
tribunaux  inférieurs,  assemblées  des  juges  de  paix  ou  chambres  judiciaires. 
Les  limites  des  arrondissements  de  justice  ne  coïncident  pas  avec  les  limites 
des  districts  administratifs  :  on  a  voulu  protéger  ainsi  l'indépendance  des 
juges  contre  les  influences  des  potentats  locaux. 

La  nouvelle  organisation  judiciaire  est  considérée  comme  la  plus  li- 
bérale des  réformes  tentées  depuis  la  loi  d'émancipation,  et  à  certains 
égards  cette  appréciation  est  justifiée.  Jusqu'à  maintenant  les  tribunaux,  cl 
surtout  les  jurys  russes,  ont  fait  preuve  de  cette  mansuétude  qui  est 
parmi  les  traits  distinctifs  de  la  nation  ;  ils  n'ont  point  aspiré  à  cette 
implacable  sévérité  qui  chez  d'autres  nations  est  devenue  l'idéal  de  la 
magistrature  ;  les  juges  russes  tiennent  toujours  compte  de  la  prison  pré- 
ventive pour  adoucir  leurs  jugements;  pendant  les  débats,  les  prévenus, 
réputés  innocents  jusqu'à  preuve  du  contraire,  ne  sont  nullement  tenus  de 
répondre  à  l'interrogatoire  du  procureur  ou  du  président;  enfin,  celui-ci 
résume  les  débats  avec  une  stricte  impartialité  :  toute  autre  façon  de 
procéder  serait  réprouvée  par  l'opinion,  qui  voit  dans  l'organisation  des 
tribunaux  actuels  une  de  ses  plus  précieuses  conquêtes.  Cependant  l'ac- 
tion directe  du  pouvoir  se  fait  déjà  sentir.  Ainsi  la  plupart  des  juges 
d'instruction,  au  lieu  d'être  inamovibles,  ainsi  que  le  porte  la  loi,  sont 
désignés  par  intérim  et  dépendent  par  conséquent  du  ministre  qui  les 
nomme  et  qui  peut  les  révoquer'.  La  procédure  suivie  dans  les  procès  poli- 
tiques a  aussi  changé  plusieurs  fois  depuis  le  premier  procès  de  ce  genre, 
jugé  en  1871.  Actuellomont,  ce  sont  des  chambres  spéciales  composées  de 
sénateurs,  auxquels  sont  adjoints  des  notables  de  diverses  classes  nommés 
par  le  gouvernement,  qui  jugent  les  procès  politiques.  Les  journaux  ne 
peuvent  publier  les  comptes  rendus  de  ces  procès  qu'en  reproduisant  le 
récit  du  journal  officiel. 

Aucune  loi  définitive  ne  régit  la  presse  en  Russie;  elle  est  encore  en 
grande  partie  soumise  au  règlement  provisoire  publié  en  1805  et,  depuis 
cette  époque,  tantôt  aggravé,  tantôt  adouci,  suivant  les  événements  poli- 
tiques et  les  opinions  des  personnages  influents.  La  censure  préventive 
a  été  abolie  dans  les  deux  capitales  pour  les  livres  originaux  ayant  plus 

•  Gotovatclioï,  ouvrage  cité. 


90i  NOUVELLE   GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

de  dix  feuilles  d'impression,  pour  les  traductions  de  plus  de  vingt  feuilles 
et  pour  divers  journaux  et  recueils  que  le  gouvernement  autorise  à  paraître 
librement  moyennant  un  dépôt  de  5000  à  5000  roubles.  En  outre,  la  cen- 
sure ecclésiastique  a  moins  d'autorité  qu'autrefois  pour  l'interdiction  des 
ouvrages  scientifiques.  Mais  le  minisire  de  l'intérieur,  fort  de  lois  copiées 
sur  celles  de  l'empire  français,  peut  avertir  les  éditeurs  de  publications 
périodiques,  leur  enlever  le  droit  de  colportage,  interdire  la  discussion  de 
certains  sujets,  suspendre  les  journaux  pour  six  mois,  les  citer  devant  les 
tribunaux.  Ce  n'est  pas  tout  :  depuis  1872,  le  comité  des  ministres  peut 
faire  saisir  sans  procès  tous  les  livres  et  journaux  incriminés  par  le  minis- 
tre de  l'intérieur,  et  l'on  sait  qu'en  1876  presque  toutes  les  publications 
en  langue  petite-russienne  ont  été  défendues.  La  censure  préventive  con- 
tinue d'exister  pour  toutes  les  villes  de  province,  et  celles  où  ne  siège  pas 
un  comité  de  censure  sont  obligées  d'envoyer  leurs  publications  dans  une 
ville  éloignée.  En  conséquence,  le  développement  de  la  presse  locale  en 
deliors  des  grands  centres  est  devenu  presque  impossible. 


Quoique  autocrate  absolu,  le  tzar  n'est  pas,  ainsi  qu'on  le  croit  d'ordi- 
naire, le  clief  spirituel  de  l'Eglise  gréco-russe  ;  il  n'a  d'autre  titre  que 
celui  de  protecteur.  Seul,  parmi  les  empereurs  de  Russie,  Paul  1"  s'ima- 
gina de  remplir  les  fonctions  sacerdotales  et  voulut  dire  la  messe  ;  on 
l'en  empècba  cependant,  en  lui  faisant  remarquer  qu'il  avait  été  marié 
deux  fois.  Selon  les  catéchismes  russes,  l'Eglise  n'a  d'autre  chef  que 
Jésus-Chrisl.  D'ailleurs,  la  puissance  législative  et  la  puissance  executive 
de  l'Eglise  ne  peuvent  pas  être  réunies,  la  première  étant  expressément 
réservée  aux  conciles,  tandis  que  la  seconde  appartient  aux  synodes  natio- 
naux et  aux  évèqucs.  Depuis  Pierre  le  Grand,  la  direction  de  l'Église,  qui 
appartenait  autrefois  à  uii  patriarche  russe,  a  été  remise  h  un  «  très  saint 
synode  »,  qui,  du  reste,  comme  toutes  les  autorités  de  l'empire,  est  à  la 
nomination  du  souverain.  Cette  réunion,  que  préside  le  métropolitain  de 
l'élersbourg  et  Novgorod,  se  compose  de  quelques  prélats  se  succédant  à 
lour  de  rôle  ;  un  procureur  laïque,  quelquefois  un  général,  nommé  par 
le  tzar,  est  l'organe  de  la  volonté  souveraine  auprès  de  l'assemblée.  C'est 
lui  qui  propose  et  expédie  les  al'Iaires,  lui  qui  l'ail  exécuter  les  mesures 
jiriscs.  Aucun  acte  synodal  n'est  valable  sans  sa  conlirmalion,  et  il 
possède  le  droit  de  vélo  contre  toutes  les  décisions  de  l'assemblée  qui 
seraient  contraires  à  la  volonté  du  prince.  Sous  la  direction  de  celle  espèce 
de  ministère,  l'Eglise  russe  est   tout  à  fait  centralisée.  Les  évoques  sont 


INSTITUTIONS  JUDICIAIRES,   ÉGLISE  RUSSE.  905 

devenus  de  simples  préfets  ecclésiastiques.  C'est  le  synode,  c'est-à-dire 
le  procureur  impérial,  qui  les  propose  à  la  nomination  de  l'empereur 
sur  une  liste  de  trois  candidats,  dont  le  premier  est  presque  toujours 
choisi.  En  outre,  chaque  évtVjue  est  assisté  d'un  consistoire  éparchial  dont 
les  membres  sont  nommés  par  le  synode  dirigeant.  Pour  faciliter  l'ac- 
tion du  pouvoir  central ,  l'Eglise  a  été  divisée  en  diocèses  ou  éparchies 
dont  les  limites  coïncident  presque  partout  avec  celles  des  gouvernements 
civils.  De  ces  soixante  éparchies,  trois  seulement,  Pétersbourg-Novgorod. 
Kiyev  et  Moscou,  ont  le  titre  de  métropolies;  dix-neuf  ont  celui  d'archevê- 
chés. On  sait  que  les  prêtres  russes  se  marient,  mais  qu'il  ne  leur  est  pas 
permis  de  se  remarier  :  la  plupart  des  popes  devenus  veufs  cessent  de  faire 
partie  du  clergé  «  blanc  »  pour  entrer  dans  le  clergé  «  noir  »,  c'est-à-dire 
pour  aller  vivre  dans  un  couvent  :  c'est  là  qu'il  est  maintenant  d'usage 
constant  pour  le  souverain  de  choisir  les  hauts  dignitaires  de  l'Église. 
On  évalue  l'ensemble  de  l'armée  ecclésiastique  de  la  Russie  à  25  i  000 
personnes,  dont  70  000  officiant  dans  les  625  cathédrales,  les  59  iOO 
églises  et  les  15  600  chapelles  de  l'empire.  Les  couvents  de  moines  sont 
au  nombre  de  480,  tandis  que  les  religieuses  de  divers  ordres  n'ont  que 
70  couvents  :  cette  forte  proportion  relative  des  moines  est  un  des  (rails 
distinctifs  de  l'Église  grecque,  comparée  à  l'Église  latine. 

Le  gouvernement  russe,  hostile  à  fout  ce  qui  pourrait  ressembler  à  de 
l'indépendance,  a  imposé  aux  antres  cultes  les  formes  administratives  et 
bureaucratiques  du  culte  dominant.  Les  catholiques  latins  sont  dirigés 
par  un  collège,  indépendant  du  Vatican,  qui  siège  à  Pétershourg  sous  la 
présidence  de  l'archevêque-primat  de  Mogilov-sur-Diîepr  et  sous  le  con- 
trôle d'un  représentant  laïque  du  pouvoir  impérial.  De  même  chez  les 
luthériens,  les  calvinistes,  les  arméniens,  se  retrouve,  sous  des  désigna- 
tions diverses  et  au-dessus  de  la  hiérarchie  propre  à  chaque  Église,  une 
organisation  extérieure  plus  ou  moins  semblable  à  celle  do  l'Église  russe. 
Les  communautés  musulmanes  des  Tartares  et  des  Kirgliiz,  de  même  que 
les  bouddhistes  Kalmouk,  ont  dû  aussi  constituer  leur  culte  suivant  les 
formes  hiérarchi(jues  imposées  par  Saint-Pétersbourg.  Chacune  de  ces  con- 
fessions a  son  autorité  centrale,  chacune  a  dû  subir  la  volonté  de  procu- 
reurs ou  secrétaires  parlant  au  nom  du  pouvoir  impérial,  chacune  a  ses 
consistoires,  pourvus  de  fonctions  analogues  à  celles  des  consistoires  ortho- 
doxes; toutes  doivent  obéir  à  l'impulsion  qui  vient  du  gouvernement 
politique,  par  l'intermédiaire  du  département  des  «  cultes  étrangers  »,  au 
ministère  de  l'intérieur.  Eu  leur  qualité  d'  «  étrangères  »,  ces  religions 
diverses  sont  tolérées,  mais  toute  propagande  leur  est  défendue;  quant  aux 
ï.  tu 


900  NOUVELLE   GEOGRAPUIE   UNIVERSELLE. 

raskolniks,  considérés  comme  apostats  de  l'Eglise  russe,  ils  n'ont  pas 
même  le  droit  ile  pratiquer  leur  culte  avec  «  manifestation  extérieure  ». 
et  toute  infraction  à  cette  loi  est  punie  de  peines  graves.  Ils  sont  régis, 
non  par  des  lois,  mais  par  des  instructions  administratives  secrètes,  qui 
les  classent  comme  plus  ou  moins  dangereux.  Il  est  impossible  d'en 
dresser  une  statistique  sérieuse,  puisque  beaucoup  de  sectaires  célèbrent 
leurs  rites  en  secret  :  la  grande  majorité  des  dissidents  est  comptée  offi- 
ciellement parmi  les  croyants  «  orthodoxes  »,  tandis  que  des  statistiques 
privées  portent  leur  nombre  à  12,  15,  20  et  même  40  millions'.  Une 
société  des  missions,  dont  les  dépenses  annuelles  sont  d'environ  100  006 
roubles,  s'est  instituée  à  Moscou  pour  la  conversion  des  infidèles  et  des  sec- 
taires\  La  plupart  de  ceux  qui  embrassent  la  religion  officielle  sont  des 
païens,  si  ce  n'est  dans  les  provinces  Baltiques  et  en  Pologne.  En  1875, 
s'opéra  la  conversion  en  masse  des  Uniates  polonais  ;  actuellement  on  ne 
compte  plus  qu'une  vingtaine  de  mille  Uniates. 


L'armée  russe  a  été  complètement  réorganisée  après  la  guerre  franco- 
prussienne.  Avant  l'année  1874,  elle  se  recrutait  par  voie  de  conscription 
parmi  les  paysans  et  les  ouvriers  des  villes,  auxquels  s'ajoutaient  les 
volontaires  et  les  fils  de  soldats.  D'après  la  loi  nouvelle,  tous  les  hommes 
valides  ayant  complété  leur  vingt  et  unième  année  sont  tenus  au  service 
militaire.  Le  remplacement  est  défendu.  La  peine  des  verges  est  abolie,  si  ce 
n'est  dans  les  compagnies  de  discipline.  La  période  normale  du  service  est 
de  quinze  années,  dont  six  dans  l'armée  active  et  neuf  dans  la  réserve.  Tou- 
tefois la  population  de  la  Russie  est  trop  considérable  pour  qu'il  soit  pos- 
sible d'entretenir  l'armée  qu'elle  pourrait  fournir  :  environ  les  deux  tiers 
des  recrues  sont  immédiatement  renvoyées  dans  la  milice,  qui  n'appar- 
tient que  virtuellement  à  l'armée  ;  les  autres,  jeunes  gens  désignés  par 
le  sort,  ne  restent  au  service  actif  que  pendant  le  temps  nécessaire  pour 


'  Ueligions  diverses  Je  la  Russie  d'Europe  : 

En  IS-y.  En  1879. 

Orthodoxes  grecs   et  raskolniks     G5  855  000  i   Juifs •       5  500  000 

Catholiques  romains 8  500  OUO  Mahométans Sf.OOOOOC) 

l'rolcslants 2  050  000(?)  l'aiens  et  houddhistes 150  000 

Grecs  unis  ct'arméniens.    .    .    .           55000  ( 

•  Conversions  à  l'Église  orthodoxe  : 

1872.. 10  558  personnes.  ,    1875 257  009  personnes. 

\S", 8  272  1870 12  540         » 

1874 7481         ,.  1    1877 11299         » 


ÉGLISE  RUSSE,  ARMÉE.  907 

que  les  cadres  soient  remplis  et  obtiennent  ensuite  un  congé  indéfiniment 
renouvelable,  dont  le  terme  est  d'autant  plus  rapproché  qu'ils  ont  reçu 
une  éducation  plus  élevée.  Entrés  dans  la  réserve,  ils  ne  sont  tenus  à  servir 
que  pendant  la  guerre  et  doivent  seulement  chaque  année  se  rendre  pour 
quelques  jours  au  camp  le  plus  voisin  de  leur  résidence.  Cependant  les 
jeunes  gens  qui  jouissent  du  privilège  de  l'éducation  peuvent  par  cela 
même  se  libérer  de  la  conscription  forcée  en  entrant  dans  l'armée  comme 
volontaires  dès  l'âge  de  dix-sept  ans  et  en  servant  pendant  quelques  mois. 
Après  avoir  subi  un  petit  examen  militaire,  ils  entrent  dans  la  réserve,  à 
moins  qu'ils  ne  veuillent  devenir  officiers  de  l'armée  active  ou  de  la  réserve  : 
dans  ce  cas,  ils  ont  à  suivre  des  cours  spéciaux  pour  obtenir  leur  grade. 
D'ailleurs,  il  est  peu  de  régiments  qui  soient  au  complet,  mais  on  tient 
à  ce  que  la  garde  soit  toujours  dans  le  meilleur  état  et  qu'elle  parade  aux 
revues  dans  l'ordre  réglementaire  le  plus  parlait  :  des  forces  spéciales  de 
réserve  servent  à  combler  les  vides  qui  se  présentent  dans  ce  corps  choisi  '. 
Les  Cosaques  du  Don,  de  l'Oural,  ceux  du  Terek,  de  la  Koubai'i,  de  la 
Sibérie,  ont  gardé  leur  organisation  spécialement  militaire.  Chacune  des 
«  armées  »  doit  fournir  un  certain  nombre  de  régiments  complètement 
équipés  et  toujours  prêts  au  comliat  :  leur  mobilisation  doit  être  achevée 
en  l'espace  de  dix  jours.  Au  1"  janvier  18(S0,  les  Cosaques  d'Kurope  faisant 
leur  service  militaire  étaient  au  nombre  d'environ  40  000  :  ils  pourraient 
être  plus  de  100  000  au  premier  appel. 

L'armée  russe  varie  singulièrement  en  nombre  suivant  l'état  de  paix 
ou  de  guerre,  les  relations  des  puissances,  la  situation  du  budget  :  en 
moyenne,  la  force  armée  de  la  Russie  oscille  de  710  000  à  plus  de 
1  2U0  000  hommes.  Le  l"  janvier  1877,  le  nombre  des  soldats  sous  les 
armes  s'élevait  à  plus  d'un  million'.  La  moilalité  était  naguère  extrême- 
ment forte  dans  l'armée  russe"  ;  mais  l'amélioration  est  1res  grande  de|)nis 

'   RecniPS  de  la  Russie  d'Europe  en  moyenne  pour  les  diTnicres  cinq  aniiéos  : 

Hommes  ayant    tiré  au    sort,   environ 700  000 

I)         gardes  pour  le  service  >■         .    • 200000 

"  I"  janvier  IS:;.  1"  janTicr  I88Î. 

Infanterie 78H6I   hommes  6!208'2  hommes. 

Cavalerie  ...  ....        709-25  »  70064         i> 

Artillerie.  12o9'J7         »  107  001  >■ 

Génie 21812         «  22  757         .. 

)005  82J  hommes.  812  481  hommes. 

Réserve  (zapas)  :  1  161  JOO  hommes;  armée  territoriale  {rainiki):  I  985 059  hommes. 
»  Mortalité  de  l'armée  russe  ; 


1871 17,00  sur  1000. 

1872 .     16,66 

1875 12,19         « 


1874 10,19  sur  h/iiO. 

187o .  U),m        ■> 

1876 0,17 


908 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE    UNIVERSELLE. 


1N7'2,  grâce  à  une  hygiène  mieux  entendue,  à  un  contrôle  plus  efficace 
sur  les  fournisseurs.  En  temps  de  paix,  il  ne  meurt  plus  qu'un  soldat 
russe  sur  cent,  ce  qui  est  encore  une  proportion  trop  élevée  pour  l'élite 
de  la  jeunesse  ;  grâce  au  dévouement  des  infirmiers  et  des  infirmières, 
la  guerre  elle-même  dévore  beaucoup  moins  de  victimes  qu'autrefois. 

Quelques-unes  des  forteresses  de  la  Russie  sont,  on  le  sait,  parmi  les 
plus  puissantes  de  l'Europe.  Kronstadt,  pourvue  sous  les  yeux  mêmes  des 
tzars  de  tous  les  moyens  de  défense  imaginables,  est  vraiment  inabor- 
dai^le;  Sveaborg  et  la  baie  de  Wiborg  ne  paraissent  pas  non  plus  pouvoir 


K"   199.    LIGNES   DE   ÎIEDJIEOJ. 


^\2apadintzî 


ltso«orks  ' 


[  d.G 


d'après  loCoriQ  de  I  t;at-MajO 


être  attaquées  par  une  flotte,  si  puissante  qu'elle  soit,  avec  quelque  chance 
do  succès.  Les  places  de  Modlin  ou  Novo-Gcorgiyevsk  et  de  Varsovie,  dans 
le  (juadrilatère  de  la  Pologne,  peuvent  servir  de  camps  retranchés  à  des 
armées,  et  jjrochainement  de  nouvelles  forteresses  doivent,  avec  celles  de 
bresl-Lilovskiy  et  de  Bobrouisk,  qui  existent  déjà,  leur  servir  de  point 
d'appui  à  l'intérieur  de  la  Russie.  Sur  les  bords  de  la  mer  Noire,  Sébas- 
topol  renaît  de  .ses  ruines,  plus  forte  qu'elle  ne  l'était  quand  elle  fut 
assiégée  et  prise  par  les  alliés  français  et  anglais  ;  et  pourtant  Sébastopol 
cl  Kertch,  non  moins  bien  fortifiée,  ne  sont  pour  ainsi  dire  que  les  ouvrages 
avancés  de  la  jjlace  de  Nikolayev,  où  se  trouvent  les  chantiers,  les  arse- 


HUMI  JXXit'i    .  J5Ç^^ 


FLOTTE  RUSSE. 


911 


S°   200.    MEOLAÏEV    El    UMAX   DH   EODS. 


Q9'-i0-       E    deP 


naux  et  la  plupart  des  vaisseaux  de  la  flotte  du  sud.  Outre  les  places  fortes, 
le  gouvernement  a  établi  aussi  en  diverses  parties  de  la  Russie  de  grands 
campements  pour  les  opérations  militaires.  Tel  est  Voznesensk,  près  du 
Boug,  où  se  font  les  grandes 
manœuvres  de  cavalerie;  tel 
est  aussi  Medjiboj,  non  loin 
des  frontières  de  la  Boukovine 
autrichienne  et  de  la  Rouma- 
nie, où  de  grandes  masses  de 
troupes  représentent  le  jeu  de 
la  guerre  dans  toutes  ses  pé- 
ripéties. 

La  Russie  n'a  pas,  comme 
l'Angleterre,  l'avantage  de  pou- 
voir réunir  ses  vaisseaux  ;  elle 
est  obligée  de  maintenir  des 
escadres  spéciales  dans  chacune 
des  mers  qui  la  baignent,  et 
précisément  ses  deux  flottes 
principales,  celles  de  la  Balti- 
que et  du  l'ont-Euxin,  ne  peu- 
vent sortir  de  leurs  mers  fer- 
mées que  par  des  détroits  aj)- 
parlenantà  d'au  très  puissances. 
Néanmoins  la  Russie  possède 
une  marine  de  premier  ordre 
par  le  nombre  des  navires  et  la 
force  de  l'armement;  environ 
les  deux  tiers  de  ses  bàtimenls, 
cl  de  beaucoup  les  plus  forts, 
sont    concentrés  dans   la  Bal-  '''"g_-.  =;     '  *  '  ^w  " 

tique,  couvrant  Pétersbourg  et    ^^a^/û^  "  °'^'"'"  ■  "^""   *  °°'"   ,^  .Tr^, .. 

,,  ,  ,  I  :  r.7t  0111) 

Kronstadt ,    et     menaçant    les  , . 

0  10  kil. 

côtes  de  la  Suède,  du  Dane- 
mark et  de  la  Prusse.  L'ensemble  de  la  flotte  européenne  de  la  Russie 
comprend  51  vaisseaux  cuirassés,  187  bateaux  à  vapeur  et  107  bateaux 
à  torpilles  :  dans  la  mer  Noire,  deux  de  ces  navires  sont  des  popovka, 
forteresses  circulaires,  très  peu  maniables  qui,  du  reste,  n'ont  été  d'aucune 
utilité  dans  la  dernière  guerre.  L'armée  de  mer,  d'environ  '29  000  hommes, 


012  KÛL'VELLE   GÊOGRAPIIIE    UNIVERSELLE. 

se  iTCi'ute  comme  l'armée  de  terre  au  moyen  de  la  conscription  ;  mais  la 
durée  du  service,  qui  était  autrefois  de  vingt-deux  années,  a  été  réduite  à 
neuf,  dont  sept  dans  le  service  actif  et  deux  dans  la  réserve  '. 

Ces  formidables  armements  et  l'entretien  des  troupes  emploient,  avec 
l'intérêt  des  dettes  contractées  pour  des  guerres  antérieures,  près  des 
deux  tiers  des  revenus  de  l'empire,  bien  que  ces  revenus  aient  considéra- 
blement augmenté  depuis  le  milieu  du  siècle.  Les  premiers  budgets  régu- 
liers de  la  Russie,  énumérant  dans  tous  leurs  détails  les  recettes  et  les 
dépenses,  ne  sont  publiés  que  depuis  1866.  Chaque  année,  le  gouverne- 
ment établit  aussi  le  budget  provisoire  de  l'année  suivante.  Dans  la  plu- 
part des  états  dressés  à  l'avance,  les  recettes  l'emportent  sur  les  dépenses 
ou  du  moins  un  bel  équilibre  est  obtenu  entre  les  deux  parties  du  budget; 
mais  depuis  185'2  il  s'est  trouvé  qu'à  l'exception  des  deux  années  1871 
et  1875  les  dépenses  imprévues  ont  fait  pencher  la  balance  vers  le  déhcit 
et  que  la  dette  nationale  s'est  accrue*. 

La  source  principale  du  revenu  provient  des  impôts  indirects,  et  parmi 
ces  impôts  indirects  celui  qui  s'acquitte  le  plus  volontiers  est  l'impôt  sur 
les  boissons  :  le  vice  national  garantit  au  gouvernement  plus  du  tiers 
de  ses  dépenses  annuelles;  chaque  jour,  les  cabarets  se  remplissent  de 
contribuables,  buvant  l'eau-de-vie  avec  l'extrait  de  belladone  et  toutes  les 
substances  délétères  qui  peuvent  s'y  trouver  mélangées.  La  quantité  d'al- 
cool pur  fabriquée  pendant  l'année  et  livrée  aux  débitants  reste  sensible- 
ment la  même  depuis  les  réformes  financières  de  1865,  mais  le  revenu 
qu'en  tire  le  gouvernement  s'est  accru  depuis  cette  époque  de  plus  de 
140  millions  de  roubles,  soit  de  8  millions  par  an.  En  1880,  le  budget  a 
reçu  de  ce  chef  la  somme  de  plus  de  200  millions  de  roubles,  soit  envi- 
ron 550  millions  de  francs,  tandis  que  l'impôt  du  sel  et  l'accise  sur  le 
(abac  fournissaient  respectivement  15  598  000  et  15  055  000  roubles. 
Pour  l'année  1882  le  revenu  de  l'eau-de-vie  s'est  élevé  à  255  millions  de 
roubles.  Les  taxes  indirectes  de  la  douane  ont  valu  au  trésor  la  somme 

<  Flottes  di'  l:i  Russie  d'Europe  on  1882  : 

Flolle  Baltique.    ...     29  cuirassés.         2ii)  Ijalcaux  ii  vapeur  (95  torpilleurs).         206  \oiliers. 

I)     de  la  mer  Noire.       2         n                  02       »               "  12  »                  32        » 

)i     Caspienne  ...                                    1 7       »               »  9        ■' 

'  Budget  de  l'empire  : 

Dccelles.  Dépenses. 

18i)5  (guerre  de  Crimée) .  2G4  000  000  roubles.  525  0G9  000  roubles. 

1805 418  897  000       «  ^32107  000  > 

187G 5.59  262  650       n  657  208 -ir.O  » 

1877  (guerre  dos  Balkans).  548  850830       n  1014373000  ■ 

1883  (iiaix  eitérieure).    .  G98  080  983       i.  723  675  258  i> 


BUDGET  DE  LA  RUSSIE. 


913 


de  95  209  000  roubles  et  les  patentes  sur  le  commerce  ont  rapporté 
14  754  000  roubles  ;  le  timbre  a  donné  plus  de  14  millions.  Ce  sont  là  les 
grandes  sources  de  revenus  indirects.  Les  impôts  directs,  moins  importants, 
puisqu'ils  s'élèvent  en  moyenne  seulement  au  sixième  du  budget,  consistent 
principalement  en  redevances  foncières  ;  l'impôt  de  capitation  prélevé  sur 
tous  les  citoyens  mâles  de  l'empire  a  été  notablement  diminué.  Les  droits 

N"  201.  —  pnoDrcTios  DES  .VLCOOLS  ET  pnoDi'iT  iiE  l'aixése  si'rt  LES  i;*cx-Di.-viE  EN  iass:n. 


A  gauche,  production  des  alcools.  —  A  droite,  revenu  de  l'accise  sur  les  eaux-dc-vic. 


dits  «  régaliens  »,  provenant  des  raines,  de  la  monnaie,  des  postes  et  des 
télégraphes,  donnent  ensemble  de  25  à  26  millions  de  roubles  suivant 
les  années,  et  le  revenu  des  biens  de  la  couronne,  forêts,  mines,  manufac- 
tures, dépasse  ordinairement  51  millions  de  roubles. 

L'impôt  sur  l'eau-de-vit;  suffit  à  peu  près  exactement  à  payer  le  coût  de 
l'armée,  mais  seulement  en  temps  de  paix.  Le  ministère  de  la  guerre 
demanda  en  1870  une  somme  de  plus  de  190  raillions  de  roubles,  et  les 

T.  115 


yl4  NOUVELLE   GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 

dépenses  de  la  marine  s'élevèrent  dans  la  même  année  à  plus  de  27  mil- 
lions. Ensemble,  les  deux  budgets  de  l'armement  représentent  une  dépensa 
moyenne  d'environ  800  millions  de  francs  ;  mais  chaque  grande  guerre 
double  ou  triple  la  somme  :  la  dernière  campagne  des  Balkans,  d'après  les 
budgets  des  années  1876  à  1879,  a  coûté  1021  millions  de  roubles,  soit 
trois  milliards  de  francs,  et  les  intérêts  devront  en  être  payés  par  les  Russes 
peut-être  pendant  de  longues  générations.  Le  service  annuel  de  la  dette, 
contractée  principalement  pour  payer  les  diverses  guerres  extérieures, 
demandait  à  la  nation  en  1882  la  somme  de  près  de  198  millions  de 
roubles,  fardeau  toujours  augmenté  depuis  cette  époque.  La  part  de 
la  famille  impériale  dans  le  revenu  général  de  la  nation  est  pro- 
portionnellement plus  grande  que  celle  de  tout  autre  souverain  d'Europe, 
à  l'exception  du  sultan  et  du  prince  de  Monténégro;  mais  il  est  difficile 
de  la  connaître,  le  tzar  n'ayant  pas  de  liste  civile  proprement  dite  ;  on  sait 
toutefois  que  l'ensemble  des  revenus  du  domaine  impérial,  forêts,  mines 
et  champs,  dépasse  cinquante  millions  de  francs.  Le  ministère  de  la  maison 
de  l'empereur  dépense  de  10  à  12  millions  de  roubles.  De  même  que  dans 
toutes  les  monarchies  absolues,  les  fonctionnaires  prélèvent  aussi  des 
sommes  considérables  sur  le  budget  à  titre  de  pensions  et  de  secours. 

Le  budget  de  la  Russie  est  un  peu  supérieur  à  celui  de  la  Grande-Bre- 
tagne, mais  inférieur  à  ceux  de  la  France  et  de  l'Allemagne,  —  y  compris 
les  budgets  spéciaux.  —  Quant  à  la  dette  de  l'empire,  elle  est  restée  beau- 
coup moindre  que  celle  des  trois  Etats  de  l'occident,  l'Angleterre,  la  France, 
l'Espagne  ;  mais  les  immenses  richesses  de  la  Russie  n'ont  pas  encore  été 
suffisamment  exploitées,  l'avenir  est  trop  incertain  et  les  garanties  d'ordre 
données  jusqu'à  maintenant  par  le  gouvernement  russe  sont  trop  faibles 
pour  que  son  crédit  soit  bien  établi  chez  les  prêteurs  de  l'Europe  :  c'est 
toujours  à  de  très  gros  intérêts  que  les  emprunts  de  la  Russie  ont  été 
contractés.  Au  1"  janvier  1882,  le  total  de  la  dette  nationale  s'élevait  à 
3  485  000  000  roubles,  calculés  au  taux  de  2  fr.  00  par  rouble,  soit, 
environ  9  milliards  de  francs.  A  cette  date,  qui  représente  quatre  années 
du  revenu  de  la  nation,  il  faut  joindre  le  papier-monnaie  à  cours  forcé, 
dont  le  gouvernement  a  fait  de  trop  fréquentes  émissions,  puisque  la  valeur 
en  est  tombée  de  beaucoup  au-dessous  du  pair  :  c'est  d'une  manière  toute 
fictive  que  ce  papier  conserve  le  nom  de  «  rouble-argent  »,  puisqu'il  ne 
vaut  on  moyenne  que  les  deux  tiers  ou  les  trois  quarts  de  sa  valeur  nomi- 
nale. Le  papier-monnaie  en  circulation  était,  le  1"  janvier  1882,  d'un  mil- 
liard 189  millions  de  roubles. 

Le  tableau  suivant  donne  la  liste  des  ffouvcrncmonls  et  de  leurs  districts  : 


DIVISIONS   ADMIMSTRATIVES  DE  LA  RUSSIE. 


Ehstome.   . 

LiVOME.  . 
Coi'RLANDE  . 


PROVINCES     BALTIQUES 

i  distncis  .  Revel  (Reval  ou  llarrien),  Hapsal  (Wick),  Weis- 
scnsleiii  (Jcrven),  Wesenbcrg  (Wirland). 

9  disliicts  :  Riga,  Wolmar,  \Veii(len,  W'alck,  Dorpal  (Derpt), 

W'ciro,  Felliii,  Pernau  (Peniov),  Aicnsburg. 

10  districts:  Mitau  (Doblen),  Bauske,   TuUkum,  Talscn,  Gol- 

dingcn,Windau,Hasenpot,Grobin,  Friedrichstadt,  Jakob- 
sladt  (Salbuig),  llluxt. 


13  districts.  r>li>nie(Grodisk),Goia-Kalwarya,GoslTr.in,Grojee, 
Vabsovie  (Warszawa)  •    ■       I  Kulno,  .Lowicz,   Skieriiiewicc,  Nowy-Minsk,    liadzymin, 

Radzicjow,  Sochaczew,  Warszawa,  Wl'ocl'awek. 

\  8  dislricls  ;  Bodzin,  Brzeziny,  .task,  LoJz,  Nowc-Radoiiisk, 
P'O^''^^^' i  l'iolrUôw,  lîawa,  Ozçstocbowa. 

(  S  districts  :  Kulisz,  Kolo,  Koniii,  Lçczvca,  Sicradz,  Stiipca, 
K*"" \  Turok,  \Vicl',.n. 

(  7  districts  :  Kiclce,  Aiidrzejev,  Miecliôw,  Olkusz,  Pii'icziiw, 
^^^^^^ I  Sloi^nica,  Woszczowa. 

l  7  districts  :  llza,  Kousk,  Kozienicc,  0|ial6\v,  Oporzno,  Radom, 
I^i»»^ I  Sandoinierz. 

!10  districts  :  Rii'goraj,  Chelin  (Khohn),  Uriibieszow,  Janôw, 
Krasnostaw,  I.iibartow,  Liiblin,  Nowo-Alexandrovsk,  Za- 
innsc,  Tomaszow. 
(     9  districts  :  Cial'a,  Garwolin,  Konslantinôw,  iiikow.  Radzyii, 

^■^^'-'^^ i  Sokolow,  SiedU-o,  Wogrôw,  Wlodawa. 

1     8  districts  :  l.ipno.  MVawa,  l'ioi.sk,  Plock,  Prasnysz,   Rvpin, 

'''•"'^^ I  Sierpce,  Ciecbaiiow. 

\     8  districts:    Kolno.   ton/a,  Makow,    Mazowieck,    Ostrol.-ka, 

*""" i  Osirdw,  Puilusk,  Szcziiczyu. 

(  7  districts  :  Augiistow,  Kalwarya,  Maryampol,  Sejiiy,  Suwalki, 
S'^''*''^'  I  Whidvslawôw,  Wilknwyszki. 


LITHUANIE,     GRODNO     ET     VITEBSK 

(  7  districts  :  Kovnn,   Vilkoinir,  Novo-Alcxaiidrovsk,  Poiicvi-j, 

Ko\T<o I  ciiavli,  Tclchi,  Uossieni. 

\  7  districts  :  Viino,  Ochmani,  Vilcjka,  Svcntzani,  Troki,  Disna. 

V'LSo I  Lida. 

j  9  districts  :  Grodno,  Betoslok,  Bcisk,  Kobrin,  Sloniin,  \i'l- 

Grodno •    •    I  liovisk.  S.  kolka,  Brcsl-Lilovskiy,  Proujani. 

j  11  disliicls  :  Vilcbsk,  Velij,  rolotzk.  Drisa,  Gorodo' ,  Lepel, 

ViiEBSK 1  Louliin,  NcTci,  Dunaburg,  Rcjitza,  Sebcj. 


NOUVELLE   GÉOGR\ril!E   UNIVERSELLE. 


RUSSIE 

BLANCHE,     PETITE,     NOUVELLE 

/  12 

districts  :  Smolensk,  Bel'iy,  Dorogobouj,  Doukhovchlchina, 

Smolensk 

.    .    .[ 

Gjalsk,  Yelna,   Youkhnov,   Krasniy,  Poretcliye,   Rosl'avl, 
Sitcho\ka,  Vazma. 

(    11 

districts  :  Mogilov,  Orcha,  Rikhov,  Klimovilclii,  Gorki,  Msli- 

Mocilov 

■••! 

slavl,  Goiiiel,  Rogatcliov,  Senno,  Tchaousi,  Tchcrikov. 

Minsk 

;  9 

districts  :  Minsk,  Borisov,  Bobrouysk,  Igoumen,  Mosîi-,  Re- 

•  •  •  1 

tchitza,  Novogroudok,  Stoutzk,  Pinsk. 

(  '2 

districts  :  Jitomir,  ■toulzk,   Doobno,    Kremenetz,   Ostrog, 

VOIÎXIE 

1 

Zaslav,  Rovno,  Kovel,  Vladiniir-Volinsk,  Slaro-Konslan- 
tinov,  Novgorod-Vol'insk,  Ovroulch. 

(  '^ 

districts  :  Tcbernigov,  Borzna,  Gfoukhov,  Gorodna,  Konotop, 

TCHERXIGOV.     .     .     . 

! 

Kozelelz,   Krolevetz,   Mglm,   Nejin,   Kovgorod-Severskiy, 
Novo-Zibkow,  Ostor,  Slarodoiib,  Sosnilza,  Souraj. 

1   15 

districts  :   Koursk,  Belgorod,  Dmitriyev,  Falej,  Graïvoron, 

KolRSK 

.    .    .   j 

Korolcha,   Lgov,  Novîy  Oskol,   Oboyan,  Poutivl,   Rilsk, 
Chlchigrî,  Slariy  Oskol',  Soudja,  Tim. 

1  12 

districts  :  Kiyev,  Berdilcbev,   Kanev,   Lipovelz,  Radomisl, 

KlYEV  

) 

Skvira,  Zvenigorodka,  Taracbtcha,  Tchcrkasi,  Tcbigirin, 
Ouman,  Vasilkov. 

1 

/   15 

districts  :  Poltava,  Khoro-Ï,  Gadatch,  Kobelaki,  Konstanlino- 

PoLTAVA  

) 
■■■( 

grad,  Krementchoiig,  toklivitza,  Loiibni,  Mii'gorod,  i'e- 
revasl'av,  Piiatin,  Pril'ouki,  Romni,  Zenkov,  Zol'otonotclia. 

8 

districts  :  Yekaterinosi'av,  Alexandrovsk,  Bakbiiiout,  Novo- 

Yekmebinoslsv  .    . 

Moskovsk,   Paviograd,  Rostov,   Slavanoserbsk,  Verkhne 
Dricpnivsk.  —  Capitainerie  de  Taganrog. 

(     ^^ 

districts  :  Kherson,  .\lexandriya,  Anahycv,  Bobrinelz,  Tiraspol, 

Kherson 

■    ■    •.} 

district  d'Odessa,  —  Capitainerie  d'Odessa  ;  —  Gouver- 
nement militaire  de  Nikolayev. 

(   ''^ 

districts  :  Kamei'ietz-Podolskiv,  Mog'ilov-Podolskiy,  Yampol, 

PODOLIE 

■    ■    ■( 

Bialzlav,  Vinnilza,  Gaïsin,  Lelilchev,  Lilin,  Balta,  Olgo- 
pol,  Pniskourov,  Ouchitza. 

Bessarabie  .... 

0 

districts  :  Kichihov,    Akkerman,  Bendeiî,    Bcllzi,  Kbotin, 

•    ■    ■    , 

Orgeyev,  Soroki,  Toutchkov  (Izmail),  Kagoul. 

RÉGION     DES     LACS 

Pskov  

l     8  districts  :  Pskov,  Klio-îm,  Novojev, ,  Opolclika,  Oslrov,  Por- 

"    ■    ■   / 

khov,  Tonipctz,  Velikiya-fcouki. 

(   " 

districts  :  Novgorod,  Beiozorsk,  Borovitcbi,  Dcmyaiisk,  Kiri- 

Novgorod 

.    .    .   j 

iov,  Krestzi,  Tikhvin,  Slaraya  Rousa,  Tchercpovetz,  Oust-  • 
oujna.  Va  Mai. 

Saint-Pétersbocrg  . 

(     9  districts  :  Siiinl-Pélersbourg,  Schliisselbiirg,  Tzarskove-Scto, 
'    ■   '    1            Narva,  Gdov,  Novayatadoga,  Louga,  Kronstadt,  Gattcliina. 

Olonetz  ... 

7 

districts  :  Petrozavodsk,  Kargopol,  Lodeyiioye  Pôle,  Oioi'ietz, 
Povenctz,  Vitegra,    Poudoj. 

DIVISIONS   ADMIMSTRATIVES    DE    LA   RUSSIE. 


917 


VERSANT     DU     NORD 


ArKHA-NGEISK 
VOLOGDA  .     . 


7  distiicls  :  Arkhangelsk,  Rholinognii,  Kem,  Mezeh,  Pinega, 

Oiiega,  Clienkoursk. 
10  distiicts  :  Voionda,   Grazovelz,  Kadnikov,   Totma,    Velsk, 
Mk(il>k,    Velikiy  Oust-Yoïig,   Solvitchegodsk,    Yarcnsk, 
Oust-Sisolsk. 


BASSIN     DE     LA     VOLGA 


Tteb 


Kalouga  . 


Moscou. 


Toula . 


Oroi. 


Razvn. 


Tambov. 


Yaroslavl 


KOSTROMA. 


Vladimir  . 


NlJÎIIÏ-NoVOOROB. 


Penza  . 


ly  districls  :  Tver,  Staiilza,  Zoubtzov,  Rjev,  Ostachkov,  Tor- 

jok,  Vichniy  Vofotcliok,  Rejelzk,   Vesyegonsk,   Kachin, 

Kalazin,  Koitcheva. 
■  \\  districts:  Kalouga,  Borovsk,  Kozelsk,  Likhvin,  Maloyarosla- 

velz,  Medin,  Meclilcliovsk,  Mosalsk,  Pcreiiiiclil,  Jizdia, 

Tarousa. 
15  districts  :  Moscou,   Bogoiodsk,   Bronnilzi,  Dinitrov.   Klin, 

Koiomna,  Mojaïsk,  Poilolsk,  Rouza,  Seqjoukhov,  Zveni- 

gorod,  Vcreya,  Votokotanisk. 
15  districts  ;   Toula,    .\lexin,   Bclov,   Bogorodsk,   Yclremov, 

Yepifan,   Kacliira,  Krapivna,  Novosil,   Odoyev,  Tchern, 

VchoT. 
12  districls  :  Orol',  Bofkhov,  Braiisk,  Dmilrovsk,  Yelelz,  Kaial- 

chev,  Kronù,  Livni,  Maloarkhangelsk,  .Mlzensk,  Sevsk, 

Troubtclievsk. 
12  districts  :  Razaii,  Ycgorycvsk,  Dankov,  kasimov,  Mikhaïïov, 

Rancnbourg,  Pronsk,  Rajsk,  Zaraisk,  Sa[)njok,  SkopM!, 

Spassk. 
12  dislricls  :  Tambov,  Borisoglebsk,  Yelalma,  Kirsanov,  Kozlov. 

Lcbcdaii,  Lipelzk,  Morchansk,  Chatzk,  Spassk,  Tcmnikov, 

Ousiiian. 

10  districls  :  Yaroslavl,   Danilov,    Lubim,    Mologa,  Miclikiii, 

Pocheklioiiye,   Roiiiannv-Borisoglcbsk,   Roslov,   Ribinsk, 

Ouglitch. 
12  districls  :  Kostroma,  Bouy,  Galitch,   Youi-yeveIz-Povolskiy, 

Kinccliuia,   Kolugriv,   .Makai-ycv,    N'crekhta,    Solrgalitcb, 

Tcliciukliloina,  Varnavin,  Vetlouga. 
15  districls  :  Vladimir,    Aleiandrov,    Gorokhovelz,    Youi-ycv- 

Poiskiy,  KovroT,  Melenki,  Mourom,  Pereyasiavl-Zalcskiy, 

l'okrov,  Chdiiya,  Soudodga,  Suuzdal,  Vazniki. 

11  dislricls  :  Nijniy  Novgorod,  Ardalov,  Arzaiiias,   Ralakbna, 

Goi  batov,  Knaginin,  toukoyaiiov,  Makai-yev,  Seriionov,  Scr- 
gatch,  Vasil. 
10  dislricls  :  Penza,  Gorodichiche,  Insar,  Kcrcnsk,  Krasnosto- 
bodsk,  Mokcliansk,  Nai-ovlcbal,  Nijnij  £omov,  Saransk, 
Tchcml)ar. 


018 


NOUVELLE    GÉOGRAPHIE   UNIVERSELLE. 


M2 

di.stricis  :  Kazan,  Yadrin,  Kozmodemjansk,  Laïchov,  Mama- 

IvAZAX 

dich,  Spassk,  Sviyajsk,  Telouchi,  Tcheboksari,  Tchistopol, 
Tzarcvokokchaïsk,  Tzivilsk. 

( 

Vatka 

11 

districis  :  Vatka,  Gl'azov,  Yaransk,  Yol'abou<;a,  Kolelnilch, 
Malmij,  Nolinsk,  Orlov,  Sarapoul,  Slobodskoi,  Ourjoum. 

Perm  (versant  européen)    . 

7 

districts  :  Perrii,    Solikamsk,    Koungour,    Okliansk,   Osa, 
Rrasnooufirask,  Tcherdin. 

OlFA ... 

6 

districts  :  Oufa,  Bclebey,  Birsk,  Zlatooust,  Menzelinsk,  Sler- 
lilamak. 

SlMBlRSK 

8 

districts  :  Simbirsk,  Alatii-,  Ardalov,   Bouyinsk,   Korsoun, 

Kourmich,  Sengilcï,  Sizran. 

Samara 

7  districts  :  Samara,  Boiigoulma,  Bougourousl'an,  Boiizonlonk, 
NiUûîavevsk,  Novo-Oiizensk,  Stavropol. 

SaR4T0V  

10 

districts  :  Saratov,  Atkarsk,  Balachov,  Khvalînsk,  Kamichin, 

Kouznelzk,  Petrovsk,  Serdobsk,  Volsk,  Tzaritzin. 

Astrakhan  

6 

districts  :  Astrakhan,  Ycnotayevsk,   Krasniy   Yar,  Tchornîy 
Yar,  Tzai-ov. 

BASSIN    DE   L'OURAL 

Orenboirg  

5 

districis   :    Orcnbonrg,     Troiizk,    Tcbelabinsk,    Verkhne- 
Ouraisk,  Orsk. 

Armée  de  l'Oural  (c.  Eur.). 

Ouraisk. 

BASSIN     DU     DON 

12 

districts  :  Voronej,  Bii'oulch,  Bobrov,  Bogoiitcharî,  Koroloyak, 

VoRO.^EJ 

Nijnedevitzk,  Novo  Khoporsk,  Ostrogojsk,  Pav-lovsk,  Za- 
donsk,  Zeinlansk,  Vaioiiyki. 

11 

districts  :  Khaikov,  .\khlirka,  Bogodoukhov,   Izonin.   Kou- 

KUARKOV  

pansk,  Lebedin,  Zniiycv,  Starobclsk,  Sounii,  Valki,  Vol- 
tcliaiisk. 

AltMÊE    DU    DuN 

No 

o-Tciierkask. 

CRI 

MÉE 

ET   TAURIDE   CONTINENTALE 

t 

Tauride  s 

8 

districts  :  Simferopol,    Bonlansk,    Tlieodosia    (Feodosiya), 

Yalta,  Diiepr  ou  Alechki,  Melitopol,  Perekop,  Eupatoria 

(Yovpalonya).  —  Capitainerie  de  Kcrtcli,  capitainerie  de 

Tlieodosia,  port  de  Sébastopol. 

Fl.N    DU    CIXQLIEME    VOLUME. 


Pour  ce  cinquième  volume,  le  dernier  de  mon  ouvnge  qui  soit  consacré  à  l'Europe,  j'ai  eu  l'heu- 
reuse fortune  d'obtenir  une  colbboi'alion  encore  plus  aciive  que  pour  les  tomes  précédcnls.  Les 
hommes  les  plus  autorisés  par  leur  savoir  et  leurs  études  spéciales  ont  bien  voulu  répondre  "a  mes 
questions,  annoter  mon  travail,  en  refaire  même  des  pages  entières.  En  Danemark,  j'ai  eu  l'honneur 
d'avoir  M.  Erslev  pour  guide  ;  en  Suède,  MM.  Hildebrandt,  Sidenbladh,  Tôrnebohm  m'ont  donné 
quelques-unes  de  ces  heures  qu'ils  emploient  si  utilement,  et  .M.  Rosenberg  m'a  aidé  de  son  infatig.ible 
obligeance.  Pour  la  Russie,  tous  ceux  auxquels  j'ai  demandé  des  renseignements,  MM.  Rambauil. 
Ilyin,  Oelsnitz,  Joukovskiy,  Stronin,  Tzvetkovskiy,  Kordich,  se  sont  empressés  de  me  les  fournir; 
mais  c'est  à  M.  Dragomanov  surtout  que  je  dois  exprimer  ma  reconnaissance  profonde  pour  l'aide 
efficace  qu'il  m'a  accordée.  Il  ne  s'est  épargné  aucun  labeur  de  recherches  et  de  correspondance  pour 
m'indiquer  les  œuvres  les  plus  sûres  et  pour  écarter  de  mon  travail  toutes  les  affirmations  douteuses 
ou  erronées.  En  relisant  le  chapitre  de  la  Russie,  je  vois  la  trace  de  sa  main  presque  à  ch.aque  page. 
Mon  ami   M.  Pierre  Kropolkin   a  revu  le  texte  avec  le  plus  grand  soin  pour  le  nouveau  tirage. 

A  Paris,  M.  Ernest  Desjardins  ne  s'est  pas  lassé  de  me  fournir  le  concours  de  sa  critique  savante 
pour  la  revision  des  épreuves.  Je  dois  aussi  beaucoup  à  M.  Schiffer,  qui  m'a  remplacé  avec  un 
dévouement  sans  bornes  pour  surveiller  le  travail  de  publrcation  et  en  assurer  la  constante  régularité. 
M.  Polguère  a  revu  l'ouvrage  avec  le  goiit  scrupuleux  qu'il  apporte  à  tous  ses  travaux. 

Les  cartes  de  ce  volume  sont  dues  à  MM.  Vuillemin,  Perron,  S-tomczynski,  Bagge.  Qu'ils  reçoivent 
mes  remerciements  sincères,  ainsi  que  les  artistes  qui  ont  dessiné  cl  gravé  les  vues  et  les  types 
contenus  dans  ce  volume. 


INDEX  ALPHABETIQUE 


Aa  (rivière),  559,  361* 

Aa    de    Courlande    (rivière), 

562*.  584. 
Aa  de  Livonie  (rivière),  565. 
Aalborg,  28*,  40,  55. 
AalLorg  (détroil),  9. 
Aalesund,  168*.  171. 
Aarhus,  28*,  40,  55. 
ABo    ou    Turku,    542,    545*, 

548. 
Aborrcbjerg  (colline),  14 
Achille  (carrière  d'),  472. 
Adjalin  (limans),  468. 
Adnamuoikekorljc  (chute),  114. 
Adochnour,  746. 
iErd  (île),  12*,  19. 
Agardh  (cap),  255. 
Agger  (brèche  d'),  10. 
Aï  (rivière),  764. 
Aidar  (rivière),  810. 
Aï-Todor  (ca|>),  841. 
Aï-Vassileni  (mont),  820. 
Ak-Bouroun  (cap),  845. 
Akers-elven  (rivière),  159. 
Akershus,  158. 
Akhtirka,  558,  544*. 
Akhiouba  (rivière),  604*,  775. 
Akhtouba  (mont),  685. 
Akkerman.  556*,  557. 
Aklangen  (lac),  109. 
Ak-Melchi;t,  856. 
Aksaï  (rivièie),  810. 
Alains,  829. 

Âland(îles),  185,329*,  513. 
AJ'alir,  750*,  701 
A+alîf  (rivière),  756- 
Alechki.  542*,  544. 
Alcxandriya,  512*,  544. 


Alexandrov,  728. 
Alexandrovsk,  540. 
Alexandrovskaya,  810. 
Alexeyevka,  806*,  814. 
Alideï  (lac),  468. 
Allemands,  295,  511*. 
Allinge,  19. 
Vlouchla,  841. 
Aioupka  (château),  841. 
Alla  (rivière),  555. 
Altcn,  127. 

Allen-fjord.  59,  96*.  115,171. 
Aile  Vand  (lac),  105. 
Amager  (îlot),  51,  57*. 
.Ammeberg,  214. 
Anaiiiyna,  765. 
Ananyev,  464,  546,  551*. 
.Androuchi,  555. 
Angar-Boghaz,  820. 
Angerniaii  (rivière),   109. 
AnhoU  (ile),16. 
Arabat,  794. 
Arboga,  19:). 
Arboga  (rivière),  195. 
Ardon,  484. 

Arcndal,78,16.5*.166,171,214. 
Arkhangelsk,   290,  641*,  645. 
Anhaask,  855. 
Ane  (lac),  46. 
.lii/cns.  295. 
lr:a,  727. 
Arzamas,  727*.  736. 
Aïkersund,  91. 
Astrakhan,  776*,  778. 
Asvig  (baie  d'),  4. 
Mcl  ou  Alil,  777. 
Atkarsk,  806*,  814. 
Alvidaberg,  180. 
Augusiôw,  ou  Augustowo,  418*, 
419. 


Aura-joki  (rivière),  545. 

Ausiarfold,  55. 

Ausliia  (sund),  275. 

il  rares,  504. 

Avasaxa  (niontV  115*,  198. 

Azov,  789,  815*.  814. 

Azov  (mer  d"),  788. 

B 

BabouganVaïla(monl),820',824. 
Bachkirs,  755. 
Bakhmout,  516,  809*,  814. 
Bukhlchi-Saraï.  829, 856*.  845. 
Bakke-fjord,  68. 
Bakou,  777. 
Balachov,  806*,  814 
Balaklava,  857. 
Balangyar,  777. 
Italda  (rivière),  665. 
Balilinbkiy  )lonastii-,  666. 
Bal'tii,  tHi>',  551. 
Ballisch-l'orl,  577. 
Bar,  545*,  551 
Barents  (mer  do),  644. 
Barents  Land,  255. 
Baskounicbak    (marais   salant). 

679,  776*. 
Balourin.  525. 
Ilauskc,  570,  .'J84,  .■>8:)*. 
Beercn-Eviand,  246*,  650. 
Bejctzk,  709*,  711. 
liela,  418. 

iiela-Veja,  396,  422*. 
lîeJaya  (rivière),  764. 
Beiaya  Krinilza,  702. 
BeJava  Tzcrkov,  555*,  544. 
ïielgorod,  808*,  814 
Bclitza,  484. 
iScliy,  440. 

116 


022 


INDEX  ALPIIADÊTIQDE. 


BelÎT  Kioutch  (collme),  665 
Bell-Sound,  248*,  25!. 
Belo-Ozero  (lac),  500, 588,656*. 
Befopolye,  544. 
Belo-Russes,  474*,  490. 
B6{'oslokouBiatyslok,455*,442 
Belov,  712*,  756. 
Bclo-Vejskaya  Pouchfchn,  425. 
Beiozersk,  557,  588*.  602. 
Belt  (Grand),  12. 
Belt  (Pelil),  12. 
BeWêdère  (tour  du),  188. 
Belzî,  555. 

Benderî  (Bendcr),  555*,  557. 
Berdansk,  540,815*,  817. 
Beidilchev,  436, 485,497, 51 9*. 

544. 
Bereket  (rivière),  604. 
Berend'eiji,  494. 
Berestyé,  454. 
Berezan  (île),  460. 
Berezah  (lac),  467. 
Berezina  (rivière),  451*,  iSô. 
Berezna,  525,  544*. 
Bergen,  119,  122,  100*,   171. 
Berisl'avou  Borisiav,  541*,  544. 
Berlevaag,  114. 
BiaJa,  418*,  419, 
Biarmieiis,  626. 
Buldarijard  (bassin  de).  103. 
Bi&lostuk,  455. 
Bilgoraj,  411*,  419. 
BiUing  (monl),  61. 
Biroul,  665. 
Biscayers  llook,  251. 
Bitoug  (rivière),  805. 
Bjôrkfjard  (bassin  du),  105. 
Bjorko,  182. 
Bjorkti  (île),  100*,  522. 
Bjôrncborg  (Pori),542*,  548. 
Bjorviken,  157. 
Blaavands  lluk,  12. 
Biagodal(inonl),  685. 
Blagovechtchensk (usine),  764*. 
Blanche  (mer),  619. 
Blancs-Russicns,  294, 475' 
Blekinge,  179. 
Bleues  (montagnes),  559. 
Bobiinelz,  546,  551*. 
Bobrouika  (rivière),  483. 
Bobrouisk,  485*,  487,  908. 
Bodo,  214. 
Bogdo  (Grand),  079. 
Bogdo  (Petit),  679. 
Bogudoukhov,  558,  54  i*. 
L'ogorodiizk,  715*,  756. 
Bogoutchar,  806*,  814. 
Bohuslan,  72*,  152,  173. 
Boiumbrac  (glacier),  64. 
Bolder-Aa  (rivière),  562. 


Boigar,  757,  757*. 
Bolgar  (plame  de),  677. 
Bolgrad,  557*,  558. 
Bolkhov,  712,  756*. 
Colvanovskiv-Mis  (mont),   608. 
Borgfi,  522,  544*. 
Borgholm  (île),  179. 
Borgund,  156. 
Borisogiebsk,  806,  814*. 
Bonsov,  485*,  487. 
Bornholm  (île),  16*,  10,  42. 
Borovitchi,  586*,  602. 
Borovsk,   756. 
Borre,  15. 

Borysthènes  (fleuve),  4i)2. 
Borzna,  525,  544*. 
Bosekop (crique  de),  I.'il. 
Bosphore Cimmérien, 789*.  844 
Botnie  (golfe  de),  96*,  185. 
Bûudjak,  557. 
Boug  (rivière),  459*,  474. 
Bougoulma,  765. 
Bougourouslan,  775*,  778. 
Boiigoutchar,  806',  814. 
Boukeijevskaya  (horde),  771. 
Boulganaii,  823. 
Bouigailiks,  749. 
Bournas  (lac),  468. 
Boutoiulinovka  ou  Petrovskaia, 

SU6*,  814. 
Bouzau  (rivière),  065. 
Bouzoulouk,  775,  778*. 
l'iaheslad  (Brahiu),  542. 
lir.jiibk,  458,  525*,  544. 
ilnitslav,  545*,  551. 
Bregninge  (colline),  29. 
Brest-titovskiv,  418, 425,454*, 

442,  908. 
Bro,  155. 
Biody,  486. 
Bruiikebergs  as,  91 . 
Brzeziny,  418*,  419. 
Bnerbrae  (glacier),  64. 
Bug  (rivière),  594,  474*. 
Bukke-Ijoid,  166. 
liulbjerg  (collinej,  7. 
UuUjares,  515. 
Bzura  (rivière),  418. 


Cair,  70. 
Carlberg,  241. 
Carl»hanm,  178*,  199. 
Carlskrona,  84,  179*,  199,  241. 
Carlsladou  Karlslad,  174*,  199. 
Carlbteen,  241. 
Caspienne  (mer),  669. 
Catherine  (canal  de),  617. 
Chuba,  557. 


Chagani  (lac),  468. 
Chaindi-Pae  (mont),  608. 
Chatzk,  726. 
Chavli,  459,  442*. 
Chechkeyev,  726. 
Checiny,  410*,  419. 
Cheksna(rivière),635,656*,708. 
Cheloh  (rivière),  565*,  581. 
Chenkoursk,  658. 
Cherie-Island  ou  Cherrv-lsland, 

246 
Cherson,  857. 

Chersonèse  (cap),  817,  857*. 
Chklov,  482. 
Chmielnik,  410,  419. 
Chostka,  525. 
Choungo,  579. 
Chouya,  729*,  750. 
Chouya  (rivière),  474. 
Christiania,  122, 157*,  171. 
Christiania  (fjord   do).  78*,  85. 

157. 
Chriïtiansand,  165*,  166,  171. 
Christiansfeld,  4. 
Chi'istiansô  (ile),  20. 
Christianssund,  168',  171. 
Christianstad,  178",  199. 
Chnstinehamn,  174*,  199. 
Chri.'ilinestad  (Ristiina),  542, 
Chtchigrî,  324. 
Chtchougqr  (rivière),  617. 
Chtchoulchya  (rivière),  610. 
Chydenius  (monl),  255. 
Cicchanôw,  418*,  419. 
Copenhague,  50*,  40,  55. 
Cosaques,  497. 
Cosaques  du  Don,  796. 
Cosaques  de  l'Oural,  779,866*. 
Cosaques  Pelils-Russiens,  796 
Cosaques    Veliko-Russes ,  796 
Cosaques  Zaporogues,  796. 
Coures,  Courons,  570. 
Courlande,  557  et  suiv. 
Ciacovie,  412. 
Crimée,  8!  7. 
!  Czçbtochowa,  406*,  419. 


Dagci  (ile),  566*,  575. 
Dalarue,  159. 
Datécarliens,  159. 
Dal-cif  (rivière),  107,  114*. 
Dalslaud  (canal  de),  225. 
Dannemora,  14  4,  194*. 
Danois,  2,  25* 
Dedoukhin,  702 
Dencjkin-Kaïueiï  (munis),  081* 

685 
Deuisovka,  641. 


Dcrpt  ou  Dorpat,  581. 

Desna  (rivière),  4ô2*,  474,  525. 

Delinetz,  580. 

Diable  (montagne  du),  359*,  5G0. 

Discô  (île),  187. 

Disna,  441*,  442. 

Djoufout-Kalch,  836. 

Djurgarden,  188. 

Dmilrov,  709,  711*,  756. 

Dniilrovsk,  541. 

Diiepr  (Qeuve),  442,  451*.  460, 

464. 
Dnestr  (fleuve),  460. 
Diiestr  (liman  du),  468 
Dombrowa,  40C. 
Doniesberg  (colline),  360. 
Domesna-s  (cap),  559*,  570. 
Don  (fleuve),  78i*-787. 
Dohetz  (rivière),  787*,  807. 
Dorogobouj,  480*,  487. 
Dorpat,  290,  581*,  585. 
Doubno,  485*,  487. 
Doiibossarî,  555,  557*. 
Doubovka,  774*,  778. 
Dove  (gliicier),  274. 
Devra  (plateau),  58,  62*. 
Dovreljeld,  85. 
Draininen  (fiord),  79*,  161,  171, 

224. 
D  amms-elv  (fleuve),  79*,  106, 

158. 
Dregoviichi,  485. 
Vrevl'anes,  487. 
Drissa,  441 . 
Drobak,  157. 
Drogdcn,  51,  57*. 
Drotlningshohn  (palais  de),  188. 
Drollningskar.  241. 
Drouskeniki,  435. 
Dubissa  (rivière),  4.52. 
Diina  (fleuve),  558,  561*,  582. 

459,  657. 
Diinaburg,  441*,  442. 
Diinamunde,  582. 
Dvina  (fleuve),  615*,  619. 
Dvinetz  (lac),  657. 


Eckernfdrdc,  94. 

Ehsles,  292,  567*. 

Eibiifolkcl,  575. 

Eidsvold,  160*,  22i. 

Ejcrsbavsnehoj  (mont).  4. 

Elf-Karlcby,  114,  195*. 

fllioutcs,  766. 

El.scnour,  58*,  40. 

Embach  ou  Eniba  (rivière),  359, 

365',  581,  561,  686. 
E»imoMapgi(colline),559*,  560. 
Enarc  ou  Inare  (lac),  528*,  529. 


INDEX   .\LP1IABÉT1QL'£. 

Enkoping,  92. 
Enovesi  (lac),  528*,  529. 
Ergem  (coflines),  775. 
Erlholniene  (ilols),  20. 
Eski  (fleuve),  452. 
Eskiisluna,  195*,  225. 
Eupaloria    (Yevpaloriva),     855, 

845. 
Extrême  Uook,  255. 


Fîeraund  (lac),  107. 

Fa;munsgrav  (rivière),  107. 

Fairhaven  (glacier  de).  257. 

Falkenberg,  175. 

Falsler,  42*,  52. 

Falster  (île),  12,  19*,  55. 

Kalslerbo,  177. 

Falsterbo  (pointe  de),  154. 

Falun,  122,  180,  196*,  199. 

Fârô  (ile),  75. 

Fatej,  524,  544*. 

Faxeijeld,  60. 

Feliin  (rivière),  566. 

Fendosia,  844. 

Figeholm,  179. 

Fin,  146. 

Finlandais,  332. 

Finlande  (golfe  de),  183. 

Finmark.  56,  95*,  124. 

Finmarken,  211. 

Finnois,  24,   159,  292,  554*. 

Finnois  Karéliens,  578. 

Finspâng,  181. 

Fionie  (île),  12. 

Fjallbacka,  174. 

Fjœrln-fjord,  64. 

Flvnderbnrg  (château  de),   38. 

Folgefonden  (uiout.s),  119. 

Folgefonn  ou  Folgefonden(névé). 

63*,  64. 
Fonlanka  (canal),  595. 
Forsby,  340. 
Fraas  (mont),  255. 
Franz-.losefs  Land  ou  Terre  de 

Fiançois-Josepb,  272. 
Fredensborg  (ibàteau  de),  58. 
Fredcricia,  27*,  59. 
Frederiksberg,  32. 
Frederiksborg  (château  de),  57*, 

53. 
Frcderiksbald,  157. 
Frcderiksbamn,  544. 
Frederiksbavn,  29. 
Frederik.sslad,  157*.  171,  384. 
Frederiksleen  (forteresse),  157. 
Fredcriksva;rk,  46. 
Frilhiof  (glacier  de),  258. 
Frostcn,  124,  169*. 


925 


Fryken  (rivière),  109. 
Fyen  (île),  12*,  19.  53. 
Fjris  (rivière),  189. 


Gal.in,  418*,  419. 
Gadalch,  505,  557*,  544. 
Gaïsin  ou  llaïsin,  545*,  551. 
Gaising-Kaln  (colline),  560 
Galiiliopiggen  (mont),  62. 
Galitch,  504. 
Galilch  des  Mériens.  711. 
Gallascn  (mont),  61. 
Gamla  Karleby,  540',  542. 
Gamla  Lodesc,  175. 
Gamla-ljisala,  189. 
Gamlebv,  129. 
Gandvik,  622. 
Gardarike,  140*.  185. 
Gallcbina,  602. 
Gefle,  92,  195*,  199 
Geflc  (forets  de),  128. 
Gellivara,  214. 
Genilcbci-k,  794. 
Gomains,  502. 
Giles  (lerre  de),  270. 
Ginevra  (baie  de),  254 
Gjalsk,  707*,  711. 
Glaces  (cap  des),  649 
Glommcn    (fleuve),    62,    106*, 

157,  158. 
Gloukhov,  524",  544. 
Gncsen.  412. 
Got'ad',  426,  712*. 
Goldiiigcn,  570,  585*. 
Gomcl,  481*,  487. 
Gorbalov,  728. 
(iorîn,  486. 
Gorki,  485',  486. 
Gorm  (tertre  funéraire  de).  28. 
(lorodiclitche,  585 
Gostinopol  (calaraclci),  565. 
Goslynin,  418,  419. 
Gota  (canaux  de),  225. 
Gnt.i-clf  (riv.).  106,   107'.  115. 
Goliir  ou  Gollis,  I.V.). 
Goteborg.  72,  122,   152,  172*, 

199,  215. 
Gnths,  56. 

Golland  (île).  75',    120,   206. 
Gotska  Sandon  (Ile),  73. 
Gouba  Kamcnka,  U49. 
Gourycv,  780. 
Gousinoï  Nos.  019. 
Gradijsk,  555',  544. 
Grâen  (fort  de),  177 
Gr.iïvoron,  558. 
Grands    Rmsient,    292,    iOC, 

488,  686*,  781,  706. 


924 


INDEX   ALPHABÉTIQUE. 


Gfazovelz,  657*,  645. 
Green-IIarliour,  267. 
Gngonopol,  553,  557*. 
Grimstad,  i(î5*,  166. 
Gnpsholin  (château),  188. 
Grisselhamn,  550. 
Grodno,  455*,  412. 
Groenland,  50. 
Grouchovka,  788*,  812. 
Gudhrandsdal,  158. 
Guden  (rivière),  46. 
Gudenaa  (rivière),  7. 
Guldbrandsdalen,  200. 
Gulf-streain  (îles  du),  049. 


Haarfagrehaugen   (mont),    271. 
Haderslev  (fjord),  10. 
Hadja-Tarkhai'i,  777. 
Hadji-Bev  (forteresse).  547 
iladji-Bey  (liinan),  468*,  547. 
Haga  (château),  188. 
Hakon   Jarl  (château  de),  170. 
Haibstadi,  817. 
Halland.  97,  152,  175*. 
Hallandsas     (promontoire     del. 

175. 
Halleborg,  173. 
Ualleborg  ou  lialleberg  (monts). 

86. 
Halmstad,  175*,  199. 
Hàmàlaisct,  554*.  557. 
Hamar,  160*,  224. 
Hanimarby,  195. 
Hamnicren  (mer  de).  19. 
Hammeren  (pointe),  19.     . 
Hammerfesl,  122,  171*- 
Hammershus,  19. 
Hangô  (promontoire),  520*,  541. 
Hano(baiede).  178. 
Uaparanda,  122,  198". 
Hapsal,  581. 
Harboore  Tange,  10. 
Hardanger-fjord,  65,  74,  115*. 
llardangervidde  (massif),  65. 
llascnpoth,  570. 
Ilaugesund,  166*,  171. 
llaukivesi  (lac),  548. 
llaukkavuori  (monl),550. 
Hecla  Cove  (baie),  269. 
Ilelsingborg,  175*,  199. 
Ilelsingfors,  290.  3i3*,  548. 
llelsingor  ou  Elseneur,  51,  58*. 

40,  175. 
llelsingor  (chàloaii  de),  15. 
Henningsvâr,  211. 
llernosand,  122,  197*,  214. 
Hessclager  (pierre  de),  12. 
Uesimandcn  (île),  71, 


Uetmanie,  502. 

HiUerôd,  57 

Ilimmellijcrg  (mont),  4. 

Himmersjô  (fjord),  ISS. 

Hindd  (île),  71*,  127. 

Iliulopen  (détroit),  252,  265*. 

Ilirshals  (promontoire),  12. 

llirlsholmene  (îlots),  29. 

Hisingen  (île),  115*,  175. 

lliterdal,  156. 

llitterdal  (église  de),  162. 

Ilitteren  (île),  168. 

Hjelmar    ou    Iljelmareu     (lac), 

102*,  195,  225. 
Hjorring,  53. 
Hoborg  (banc  de).  73. 
Ilochstelter  (glacier  de),  256. 
llôganas,  175. 
Ilogland  (ile),  520,  550*. 
Holbaîk,  53. 

Holmestrand,  162,  166*. 
Ilolmgârd,  658. 
Hope-Island,  650. 
Horn-Sound  (glacjer  de),  256. 
Horn-Soiind  (mont),  275. 
Horn-Sound  (pic),  255. 
llorodia,  4M. 
Horsens,  20,  42*. 
Ilorsens  (fjord  de),  4,  10*. 
Uurten,  162*,  171,  254. 
Hôytiiiinen  (lac),  524*,  567. 
Ilrubicszow,  411*,  419. 
Iludikswall,  197*,  199. 
llunneborg,  175. 
Ilunneborg      ou       Uunneberg 

(mon(s),  86. 
Husqvarna   (cascades  de),  181. 
Ilveen  (ile),  56,  175*. 
Ilveningdals-Vand   (Ijord),    85. 
Uvidsteen,  157. 
Ilypaiiis  (lleuve),  460. 
lljpate,  710. 


Idensalmi,  553. 

Ijoia  (rivière),  577. 

Ijoit-J,  577. 

Ijovsk  (usine),  765*,  765. 

Ijs-ljord,  254. 

Ikva  (rivière),  485. 

Ilek  (rivière),  685. 

Iletzkaya    Zachtchila    (salines) 

779. 
limen  (l.ic).  564*.  568,581. 
Iniandia  (lac),  612. 
Imalia  (chutes  d'),  567. 
Imatra  (gorge),  528. 
Indals  (lleuve),  60,  109*. 
Ingltfield  (glacier  de),  256. 


IngoU'l'  (rivière),  546. 

Ingoulelz  (rivière),  5i2,546. 

Ingres,  292. 

higricns.  577. 

Inkerman(rocherd'),  857,  841*. 

Ipout  (rivière),  484. 

Iremel  (monl),  685. 

Irgis  (Grand) (rivière),  765,775*. 

Isborsk,  500,  580*. 

Ise-fjord,  15*. 

Iskorosl,  487. 

Islande,  50. 

Ismaïl  (Izmayil),  557,  558. 

Ivangorod,  581. 

Ivangorod  (forteresse),  412. 

Ivanovo,  726. 


Jacobslad  ou   Pielasaari,    542, 

584*,  585. 
Jaderen  (cote  de),  165. 
Jaegersborg  (bois  de),  57. 
Jammerberg  (île),  247. 
Jammer-Bugl,  12. 
Janowice,  411. 
Jàrawal  (colline),  154. 
J;isna  Géra  (monl),  406. 
JeHing,  28. 
Jcnilland,  144*,  145. 
Jeristumturi  (colline),  519. 
Jilomir,  445,  520*,  541. 
Jmoudes,  420,  428,  435*. 
Jockmork.  122. 
Joensu,  524. 
Jokel-ljord,  59. 
Jomfruland,  165. 
Jonkoping,  86,  181*,  199. 
Jotunijcide  (inontsl,  62. 
Ji  ukopa  (rivière),  057. 
Ji.ifs,  517. 
Jurburg,  422. 
Juïtedal  (monts),  119, 
Justedal  ou  Jostedal  (névé),  62, 

64*, 
Jylland,  5, 
Jyske  Aas,  !.. 


Kaa-fjord,  214. 

Kacbin,  709,  711*. 

Kadamovka  (rivière),  810. 

Kadom,  726,  756*. 

Kalfa,  815. 

Kaffa  (baie  de),  818. 

Kagdul  (limau),  470. 

Kahuli'i    (Kagoul)  ou  Frumosa, 

557*,  558. 
Kakhovka,  541. 


Kal.ious  (rivière),  671. 
Kaialch,  806*.  814. 
Kaiazin,  709,711*. 
Kalganlau  (gorges  de),  684. 
Kalisz,  409*,  419. 
Kalix  (n\ièrc),  109*,  110. 
Kalla  (lac),  548. 
Kallavcsi  (lac),  529. 
Kalmar,  72,  179*,  199. 
Kalmar  (sund  de),  75, 
Kalmious  (rivière),  815. 
Kalmouks,  706. 
Kaiiiuga,  712*,  756. 
Kallchik  (rivière),  815. 
Kalundborg,  40. 
Kaluszin,  418*,  419. 
Kalwarya,  419. 
Kama  (rivière),  661*,  761. 
Kameiietz-Podolskiy,  445, 552*, 

557. 
Kamîchin,  774,  778*. 
Kamiens,  651. 
Kaiiev,  494,  497,  555*,  544. 
Kanin  (cap),  005. 
Kaniu  (péninsule),  605. 
Kannikegaard,  24. 
Kara  (détroit  de),  645. 
Kara  (rivière),  610. 
Karaboghaz  (golfe),  075. 
Kara  Gol  (baie),  460. 
Karailes,  455,  851. 
Kara-Kalpaks,  494. 
Karasou  (fiord),  675. 
Karasuu-bazar,  845. 
Karalaï,  759. 
Karatcharovo,  727. 
Karéliens,  292, 554,557*,  578*. 

625. 
Karlslianm,  122. 
Kasimov,  726*,  750. 
Kallaboukli  (liinan),  470 
Katlegat,  16. 

Kazan,  290,  755,  757*,  701. 
Kazai'i  (Vieille),  757 
Kazanka  (rivière),  757. 
Kazimierz,  411. 
Keksholm,  548*,  507. 
Keih,  054*,  6i5. 
Kerjenctz  (rivière),  756. 
Kernov,  459. 
Kerlcii,84i*,  845,  908. 
Kericii  (d.-lroil  de),  789*,  792. 
Khaikov,  524.  807',  811. 
A7ia:ar.s,  .Î04,  555,  777*. 
Kherson,  5i5*,  511. 
Khiva,  780. 

Khiinuvitza  (rivière),  704. 
Kbriiclnik,  545*,  551. 
Kholrn,  ill,,5SI*,  002. 
Kliol'mogoii,  658*,  641. 


INDtX   .\Lr'ILVBÉTinUE. 

I  Khoïmogorî  (Nouvelle),  642. 
Khoiouy,  729. 
Khopor  (rivière),  782,  800*. 
Khorol,  557,  544*. 
Khorlilza  (île),  499*,  510. 
Kholio,  552*,  557. 
Klivalinsk,  775*,  778. 
Kichihov,  555*,  557. 
Kichlîm,  754. 
Kielce,  410*,  419. 
Kilia,  558. 
Kimri,  708. 
Kinbourn.  547. 
Kinbourn  (pointe  de),  471. 
Kinel  (rivière),  775. 
Kinerodden  (cap),  58. 
King's  Bay,  254. 
Kinne-Kulle  (inoat),  61. 
Kirijhiz,  770. 
Kiriïov,  588. 
Kirk-yer,  850. 
KirsanoT,  806,  814*. 
KUchik-àyous,  771. 
Kitej  (Grand),  756. 
Kiwes-Waara  (colline),  519. 
Kivev,   500,  505,    504,   525*, 

544,  691. 
Kjnbenhavn,  50*,  40. 
Kjoge,  40. 

Kjolen  (plaleau),57,58*,00,205. 
Kjolhoug  (massif),  60. 
Klaiiipenborg  (bains  de),  57. 
Klar-elf(rivière),  60,107,  109*. 
Klazma  (rivière),  728. 
Klin,  709,  711*,  750. 
Klintzi,  484. 
Klitlandet,  8. 
Ki'iaz  (lac),  451. 
Kniïskiarrodden  (cap),  vrai  cap 

Nord,  58. 
Knutsiorp  (manoir  de),  175. 
Knbeiaki,  5.59*,  54t. 
Kobrin.  455*,  442. 
Kola,  054*,  645. 
Kofa  (péninsule  de),  145,  (!04'. 
Kolding,  27,  59*. 
Holding  (fjord),  4,  10*. 
Kolgouyev  (île),  ()05. 
Kdlinsimd  (l,ic),  11. 
Kofo,  409,  419*. 
Kolonina,  725,  756*. 
Komi  ou  Komini.  651. 
Kumi-MorI,  750. 
Komi-Voilir,  651. 
Kcingbacka,  175. 
Kongolf,  175. 
Kongsberg,  162*,  171. 
K(ings\inger,  108. 
Konin,  409.419*. 
Konotop,  525*,  544. 


925 

Konskaya  (rivière).  5i0. 
Konstantinograd,  559. 
KonsbntinovskiyKamen  (mont), 

608*,  645. 
Kontchachov    Kamcn    (ninnls), 

681,685*. 
Koping,  194. 
Koping  (bassin  de),  105. 
Korop,  52  i,  544*. 
Korotcba,  808,  81!*. 
Koroloyak,  805*,  814. 
Kors,  Kjinti,  570. 
Korsdr,  40. 
Korsoun,  555*,  857. 
Kosraodeiiiansk,  757*.  761 
Koslroma,  290,658.  710*. 
Kolka  ou  It nolsinsalini  (ilo),  5  i  l 
Kollin(ilc),  001. 
Kolorost  (rivière),  709. 
Koulikovka,  805. 
Koulikovo  Pôle,  805, 
Koul  Oba,  828. 
Kouma  (rivière),  669. 
Koumanes,  504*,  555. 
Koundouk  (lac),  408,  470*. 
Koungour,  762*,  765. 
Koursk,  524,  544. 
Koutouni  (coulée),  777. 
Koutouin  (rivière),  605. 
Kovel,  486. 
Kovno,  459*,  442. 
Kozeletz,  525*,  544. 
Kozeisk,  712*,  756. 
Kozlov,  726,  805,  814*. 
Ko/.inin,  628. 
Krageri),  165*,  166,  171. 
Krahnbolni  (Ile),  565. 
Krakoi^aks,  59(>. 
Krasnokoulsk,  558,  5t4*. 
Krciiieiietz,  485*,  487 
Kreriici'ielz  (plateau),  4i5. 
Kremcntclioug,  455,  556,  557*, 

544. 
Kirviiies,  570. 
Krilov,  555. 
Krivilchi.  427*.  5S0. 
Krivitihi-Potolrhdni,  505. 
Krivoï  Rog,  542. 
Kiolcvctz,  524,  5H*. 
Krynborg,  58. 

Kronstadt,  595,  601*,  602, 908. 
Kioukov,  557*,  5i4. 
Kuhno  (île),  575. 
Kullen  (promontoire),  61*,  175. 
Kumo  (rivière),  322*.  512. 
Kungsholm  (île),  185. 
Kungsbolmen,  241. 
Kunpin,  348. 
Kiipiikes,  596. 
KulDO,  418*,  419. 


92G 


INDEX  ALPllAIiETlOLE. 


Kuino  (lac),  012 
Ri'iiner,  155. 


UAmà,  42*.  ôô. 
Laaland  (île).  12*,  19,  53. 
Lac  Blanc  ou  lielo-Ozero,  500. 
Ladegaards  (prpsqu'ile),  160. 
Ladoga  (lac),  5C8. 
Landes  danoises,  12. 
Landskrona,  17G*,  199,  595. 
LangSsen,  91 
Langeland  (île),  12*.  19. 
Langfjelde  (monis),  62. 
Langô  (ile),  71. 
Laponie  russe,  604. 
Lapons,  159,  145*.  292.  553, 

625*. 
Lappo-joki  (nvière),542. 
Lasô  (ilel,  16*.  28. 
tatche  (lac),  612*,  615. 
Latvis,  571. 
Laugen  (rivière),  162. 
Laurvik,  162*,  166.  171. 
Laven-Saari  (îlot),  520',  530. 
Ldoï  ou  Kouta  (lac),  612. 
Lebedan,  805,  814*. 
Lebedin,  557*,  544. 
Lèches,  595. 
Lçczyca,  409*,  419. 
Leksand,  196. 
Lenva,  762. 

jesjeskogen-Vand(lac),  85. 
Lesnoï  Zaï  (rivière),  765. 
Lel'tjola,  Lalwin-Galas,  571 . 
Letitcliev.  545. 

Leites,  Lettons,  367. 570*.  427. 
Lelto-Lilhitaniens,  292. 
Lgov,  524. 
Liban,  Leepaja,  585. 
•Lîbed  (rivière),  552. 
Lidingii,  188. 
Lidkoping.  174*,  199. 
Likhvin,  712. 
Lilla  Wiirlaii.  188. 
LiUesand,  105*,  166. 
Liman  (lac  salé),  809. 
Lim-fjord,  7,  10. 
Lindesiues,  57. 
Lindhagen  (cap),  255. 
Lindstrnm  (mont),  253. 
Linkoping,  181",  199. 
Lipeizk,  805*,  814. 
Lipno,  418,  419*. 
Lipovelz,  545*,  551. 
tîskovo,  756. 
Lithuaniens,  428. 
Lithuaniens-Prussiens,  500. 
Lilin,  545*,  551. 


Litizncs,  427. 
Livadia  (palais),  841 
Lives,  569. 
Livnî,  805,  814* 
Ljungan  (rivière),  109. 
Ljiisna  (rivière),  109. 
Lodal  (glacier),  07. 
Lodalskaupe  (mont),  64. 
■Lodeinoye  l'oie,  587. 
■Lodz,  401,  409*,  419. 
Lo-elven  (rivière),  159. 
Lofgrund  (ilej,  95. 
Lofoten,  211- 
Lofolen  (archipel),  70. 
Lofoten  (îles),  119. 
Lng  (Grand)  (rivière),  811. 
■Lokhvilza,  550*,  544. 
•Lomza,.595,  418*,  419. 
Longue  (ile),  471. 
■totzmanskaya  Kaiiienka.    458. 

540*. 
■toubnî,  556*,  54i. 
Loug  (rivière),  485. 
■touga  (rivière),  563. 
■Lougaii  ouLougansk,290,810*. 

814. 
Lougen  (rivière),  85. 
•Loujand  (lac),  576. 
■Loukovka  (coulée),  777. 
Loutzîn,  442. 
fcoutzk,  485*,  487. 
■Louza  (rivière),  658. 
■Lovât  (rivière),  475,  565*,  581. 
Loveu  (mont),  255. 
Lovisa,  544. 
Lowicz,  418*.  419. 
I.ow  Island,  260. 
Lubaz  (lac),  450. 
I.ublin.410*,  419. 
Lubtinois,  590. 
Lule;i,  93,  197*. 
Luleâ  (rivière),  109*,  114. 
Luleâ  Jaur  (lac),  105. 
Lund,  129,  177*,  199. 
Luosen  ou  Lereue  (fleuve),  452. 
Lvsa  Gôia,  595. 
Lyse-fjord,  68*,  118. 
Lysekil,  174. 

M 

Maan-Selka  (coliiuesK518*,  004. 

.Maaso(ile),  95. 

Mael-Stroin  nuMoskosIrom,  70. 

Mag(lalena(liaiede).  251,  267*. 

.Alagoro  (ile),  58. 

Magyars,  504. 

.MaKariv(couvent  de  Saint-),  755. 

.Makai-vVv,  711. 

.Malaremlac),  92, 102*,  105,181. 


Mah'ye     Karmakoul'î     (crique). 

649',  654. 
Jlalnio,95, 129, 177*,  199,  205. 
Malo-Husscs,  474,  490*. 
Malo-Yaroslavetz,    712*.    715, 

756 
Manchin-Sari  (ile),  578. 
Mandai,  165*,  166,  171. 
Manghichl'ak  (péninsule  de), 675. 
Mangoup-Kaieh,  829,  857*. 
.Maniich,  279 
Mjnitch  (lac),  671 
.Mariager  (fjord),  10. 
Maribo,  55. 
.Marieslad,  17i. 
.Marioupoi,  815*,  817, 
Markbam  (glacier  de),  256. 
.Marslraud,  174*,  241. 
.Martens  [ile),  255. 
Maryampol,  419. 
Malôtchkin  Char  (détroit).  01,".. 
Mayaki,  550. 
Mazures,  596. 
Mcchtchères  ou    Mechtclier'ak, 

752. 
.Mechlchovsk.  712*,  756. 
Medlh,  750. 
Medjiboj,  545*.  911, 
.Medveditza  (rivière),  781*,  782, 

806. 
.Medvejiy  Ostrov  (ile),  625. 
Mehhikorm,  561. 
Melenki,  726. 
Mehtopol,  817. 
Melkaya  Gouba,  649. 
Memel,  94. 
Memel  (fleuve),  422. 
Mcnzelinsk,  764',  765. 
Méricns,  710. 
.Meri  (rivière),  558. 
Mertvovod,  546. 
Mezen,  645. 
M.'/en  (fleuve).  604,  606.  017*. 

019. 
Mezeii  (golfe),  017. 
Jlglin.  484,  487*. 
Middelfart.  29*,  40. 
Middle  llook  (niout),  255. 
Miçdzyr/ccz,  418*,  419 
Mikoul'kin  (cap),  005. 
Mille  lies  (archipel),  254. 
Minsk,  4S5*,  487. 
.Mirgorod,  557,  544*. 
Jliropolye,  557,  544*. 
Mitau,Mittau,Milav.r,  584*,385. 
Mithridale  (mont),  845. 
Mitouchev  Kameii  (mont),  616. 
Mjoscn   (lac),    85.   100,    103', 

104*,  158. 
Mla«a,.418',  419. 


INDEX  ALPCADÊTIOUE 


027 


MoJlin,  117*,  908 
Moen(ile),  12,  19* 
Môens  Klint  (falaises  de),  \i. 
MogilovHa-Diicpre,  ou  Mogilov- 

GouberQskiy,  482*,  -487. 
Mogilov-Podolskiy,   552*,    557. 
Mogo  (île),  575. 
Mokcha,  759. 
Mokcha  (rivière),  726 
Molde,  78. 

Molde -fjord,  78,  85,  151*. 
Moller  (baie  de),  649. 
Mol'oga  (rivière),  708,  709. 
Mevlotchnava  (rivière),  817. 
Mongols,  295*,  504. 
Mônsleras,  179. 
Montagne  Blanche,  255. 
Montagnes .\igucs  (archipel des), 

255. 
Môon  (île),  56C. 
Mora,  196. 
Mora-Stenor,  195. 
Morchansk,  726*,  756. 
Mordves,  146,  555,  712,  758*- 
Mori  «u  Mari,  741. 
Morkhovetz  (île),  619*,  622. 
Mors  (île),  9. 
Moscou,  692,  716*,  756. 
Mosken  (île),  70. 
Moskenœs  (île),  70. 
Moskovitei,  295*,  294,  717. 
Mosk va  (rivière),  427,  71  (i*,  717 
Moss,  96,  157*,  171. 
Môsseberg  (mont),  01. 
Motala,  181. 
Molala  (torrent),  179. 
Motoviiinskiv,  762. 
Moukhavelz  (rivière),  45t. 
Mount  Miscry,  246. 
Mourmanskiy  Bereg,  622 
Mourom,  727*,  756. 
Mouroma,  727. 
Moutniy  (rivière),  565. 
Môwenberg  (colline),  25 i. 
Mozir,  485. 

Msta  (rivière),  505*,  580. 
Mstera,  729. 
Msti&lavl,  485,  487. 
Mtzensk,  712*,  756. 
Munkholnu'Q  (île),  96. 
Munksjon  (lac),  181. 
Munna    .Maggi    (colline),   559*, 

560. 
Muonio-clf  (rivière),  1 1 0. 

N 

Nakhichcvan  ou  Katchcvan,81 2*, 

814 
Nakskov,  40 
Karev  (rivière),  591. 


Narova    (rivière),    558,    501, 

562*,  580. 
Nlirstrand-fjord,  115. 
Narva,  580*,  602. 
Narva  (baie  de),  565. 
iNasielsk,  418,  419. 
Nassau  (cap),  649. 
Neder  Kalix,  197. 
Xedrîgail'ov,  556*,  514. 
Nedvigovka,  789. 
Negaardsbrae  (glacier),  67. 
Negri  (glacier  de),  256. 
Nejin,  o2.j-,  544. 
Neman  (fleuve),  418,  422*. 
Nestved,  40. 
Nesvij,  455*,  442. 
Neuf-Pieds  (ancrage  des),  675. 
Neva  (fleuve),  573*,  595. 
Nevel,  442. 
Nexô,  24. 
N'ida  (rivière),  410. 
Nidaros,  169. 

NiewiazaouNeveja(rivière),459. 
Nijniv-Novgorod,  658,750*,756. 
NikitskiySad,  841. 
.Nikolaistad,  542,  548. 
Nikoiayev,  545,  546*,  551,  908. 
Nikoiayevsk,  774*,  778 
Nikopol,  540. 
Nissan  (rivièie),  175. 
Nissum-fjord,  9 
Njommelsask;is  (chute  de),  1 1  i. 
Nogaïs,  850. 
Nogaïsk.  817. 
Noire  (mer),  442  et  siiiv. 
Nokouycv  (îlot),  025. 
Noougrad,  764. 
Nora  (mines  de),  195. 
Nord  (cap).  58*,  00. 
Nordan-Sliog,  60. 
Nord-Est  (terre  du),  248*,  252. 

255. 
Nord-fjord  ,  115. 
Nord-Kyn  (cap),  58. 
ISoidmans,  501. 
Nord-sund,  259. 
Normande  (cote),  622. 
i\ormands,  2,  50. 
NorrbotteD,  121. 
Norrkdping,  99,  179*,  199. 
Norrland,  96,  156. 
Norvégiens  (île  de),  267. 
Novaya  tadoga,  585,  588*,  602. 
Novaya  Ouchilza,  .552. 
Novaya  Zeiiila,  614. 
Novgorod,  50O,  505,  507,  559, 

585*.  002. 
Novgorod-I.ilovskiy,  435. 
Novgorod-.Scvcrskiy,  52 i*,  544. 
Novivc  Troki,  159. 


Novo-.\lexandiovsk,  442. 
Nûvo-Georgivevsk,  555*,    544, 

908. 
Novo-Khoporsk,  806*,  814. 
Novo-Koïdak,  559. 
Novo-Mirgorod,  516,  545*,  551. 
Novo-Moskovsk,  540,  o44*. 
Novo-Ouzcn>k,  778.  779 
Novo-Tcherka>k,  810*,  814. 
Novo-Zîbkov,  484*,  487. 
Novograd-Voh'nskiy,  487 
Novngroudok.  455*.  442. 
Novoie-Ousolve,  762. 
Nowe-Miasto,  410. 
Nowo-Georgiewsk,  417 
NowT-Dvor,  417*,  419. 
Nucko  (île),  573. 
Nya  Elfsborg,  175 
Nybnrg,  29. 
Nilhi/ggarc,  1 52 
Nvenschanz,  595. 
Ny  Karleby,542 
Nykjobing",  40. 
Nyknpmg,  199. 
Nyminde-gab,  8,  45* 
Nyniis,  188 
Ny-Slott,  524,  348*. 
Nyslad,  522,  342*. 


Obitotehnaya  (rivière),  817 
Oboyan,  556*,  544 
Odense,  29*,  40,  53. 
Odense  (fjord  d'),  12. 
Odenshiplin  (île).  575. 
Odessa,  290,  547*,  :>h\. 
Odoycv,  715. 
Ofoten-fjord,  1 15. 
Oginskiy  (canal  d'),  481. 
Oirales,  766 . 
Oka  (livièj-e),  658*,  711 
Oland  (île).  75*,  179 
Olbia,  547. 
Olchanka,  536. 
OIcchye,  542. 
Olgopol,  546,  551*. 
Oloncchli,  555. 
Otonetz,  587 
Ol'onka  (rivière),  587 
Olviopol,  546,  551* 
Onega,  636*,  643. 
Onega  (fleuve),  619. 
Oiicga  (golfe),  020. 
Onega  (lac),  505*,  568. 
Opiande  (massif).  64*,  158, 
(Ira  (rivière),  778. 
Oranicnbaum,  601,  602. 
Orcha,  458,  482*,  487. 
Orcliitsa  (rivière),  482. 


928 


INDEX  ALPHABÉTIQUE. 


Ôrebi-o,  193*,  199. 
Orekhov,  540.  0-14*. 
Oi-ekhoTij,  588. 
Ôrekrog  (chàleau  d'),  58. 
Orel  (riTière),  559. 
Orcnbourg,  684,  778*,  779. 
Ôrcsund  (détroil),  50. 
Oi'gcyev,  555*,  557. 
Oriiinda  (chàleau),  841. 
Oi-ot,  582,  712*,  750. 
Osra,  196. 
Orsk,  778,  779. 
Osel  (île),  560. 
Oscreda  (rivière),  80G. 
Oskar  Fredriksborg,  2 il. 
OskarsLorg,  124,  157*. 
Oskarshamn,  179*,  199. 
Oskol  (rivière),  809 
Oslo  011  Opslo.  159. 
Oslaehkoï,  707. 
Osier  (rivière),  525. 
Oslerby.  144,  194*. 
Osler-fjord,  115. 
Osterrisôr,  165,  166. 
U>ler<und.  196. 
Ostiakes,  552. 
Ostrobotniens,  555. 
Oslrog.  486.  487. 
Oslroffojsk,  805*,  814. 
Oslroîeka,  418,  419. 
Ostrow,  418,  419. 
Osl  V:igô(ile),  71. 
OlchakoT  ou  Kara-Kerman,  468. 

547*,  551 
Oudaya  (rivière),  556. 
Oufa,'764,  765. 
Oufa  (rivière),  764. 
Ouglilch,  709,  711*. 
Ougra  (rivière),  712. 
Ougriens,  154. 
Ouj  (rivière),  487. 
Oukraine,  490*,  501. 
Oukraïiiiens,  295. 
Oul'uulchi.  494. 
Ouinan,  545*,  551. 
Oumbdck  (nionU),  604. 
Ounja  (rivière),  655,  711,  756. 
Oupa  (rivière),  715.    ■ 
Oural  (lleuvc),  684*,  778. 
Oural  (monts),  607*,  681*. 
Ouraisk,  685,  779*. 
Uurazova,  808*,  814. 
Ourcnga  (monl),  685. 
Ours  (ilc  des),  246*,  C25. 
Ousmaii,  805*,  814. 
Oussa  (rivière),  617. 
Ousloujfia,  709. 
Ousl-Sisoi:,k,  638',  045. 
Ousi-Yayilzk,  780. 
Ousi-Voùg,  584,  658*,  715. 


Ouzen  (rivières),  678*,  685. 
Ouzon  (fleuve),  452. 
Ovidiopol,  555*,  557. 
Ovralîiisk  (collioe),  445. 
Ovre-Telemark  (monls),  64. 
Ovroulch,  487. 
Ozoïkov,  409,  419*. 


Pabianice,  409,  419*. 
Pae-Khoi,  607,  645*. 
Pac-Yver  (nionl),  608. 
Paijiinne  (lac),  528,  529. 
l'aleostrov  (île),  705. 
Palus  Jla-olide,  789. 
Par  ouPaa(lac),  612. 
Parry  (île),  255. 
Pasvik  (rivière),  328. 
Pavlograd,  540,  544*. 
Pavl'ovo,  727. 
Pavlovsk,  602. 
Pavlovsk,  806*.  814. 
Peipous  (lac),  558,  561,  561*, 

568. 
Pcldoiri  (colline),  319. 
Peldovaddo  (colline),  519. 
Pello,  198. 
Peno  (lac),  657. 
Penza,  755*,  761. 
Perckop,  835. 
Perekop  (islhme),  817. 
PeremîchI,  712. 
Perepelikna,  492. 
Pereyaslav,  497,502, 535*,  544. 
Pereyasiav,  709. 
Perevaslavl-Zaieskiy,  709*,  711, 

756. 
l'erm,  762*,  765 
Perrii  (Grande).  761. 
Penniens,  750. 
Pernau,  Pernov,  581*.  585. 
Pernau  (rivière),  561*,  566,58 1 . 
Pcrsberg,  174. 
Pelcliéiiègues,  504. 
PcUhersk,  551. 
Pelcbora  (fleuve),  617*,  619. 
Pelerhof,  601,  602 
Pelcriiiann  (lerre  de),  273. 
l'etits-Iitissiens,  295,  294, 396, 

487*,  781. 
Pelrovsk,  806*,  814. 
Petrozavodsk,  557.  587*,   602. 
Pbilipslad,  174. 
Pliipps  (île),  255 
Pielisjàrvi  (lac),  529, 
Pililaja  (lac),  328. 
Pililavesi  (lac),  529. 
Pihlcjavesi  (lac),  548. 
Pilica  (rivière),  394,  409*. 


Pinczôv,  410*,  419 
Pinega  (rivière),  614,  658. 
Pinsk  (marais  de),  449*,   484, 

487. 
Piolrkov,  409*,  419. 
Piperviksbugten,  157. 
Piralin,  556,  544*. 
Pilea,  122,  197*. 
Pilea  (rivière),  109. 
Plock,  418,419. 
Ploiisk,  418,419. 
Podliasie,  396. 
l'odoi,  527. 
Podolsk,  716*,  756. 
Pogar,  524. 

Pokrovskaya,  774*,  778. 
Polaiti,  505. 
Polesye,  449. 
Polist  (rivière),  565. 
Polisla  (rivière),  582. 
Potomet  (rivière),  565. 
Polonais,  295,  294,  595*. 
Polola  (rivière),  441. 
Pololchanes,  427 
l'ololzk,  503. 
Polotzk,  440*,  442. 
Polovlzes,  555. 
P(>nava,558*,  544. 
Pollavka  (ruisseau),  558. 
Pomon,  626*,  635. 
Poiiieviez,  439,  442*. 
Ponoi,  623 

Ponoi  (rivière),  623. 
Popova  Gora  (monl),  656. 
Pofetciiye,  440. 
Porotva  (rivière),  427. 
Po-housi,  502. 
Pcrsgruiid,  162*.  166. 
Portes  de  Fer,  617. 
Porlus  Mercatorum,  31 . 
Poteliaïna  (rivière),  528 
Polcbajev,  486. 
Polcbinki,  736*,  761 
Poulkovo,  602. 
Pousiozersk,  645. 
l'oulilovo,  588. 
Poutivi,  524.  544*. 
Povenelz,  579. 
Praîslo,  35. 
Prasnysz,  418,  419. 
Prilouki,  556,  544* 
Prince   Charles  Foieland  (ilc), 

23.5. 
Pripel  (marais),  284. 
Pripet  (rivière),  449*,  485. 
Prouionloire  Suédois,  270. 
Proskourov,  543*,  551. 
Prosna  (rivière),  409. 
Prouskôrov,  443. 
Proul  (rivière),  460*,  557. 


Przedborz.  409*,  410. 

Pskov,  580*,  GO -2. 

Pskov  (1.1C  (le).  500.  5J8,  562*, 

580 
Psot  (rivière),  457,  556*. 
Pufowy    ou    .\o\vo  -  .\lexandna 

(cliiùeaii),  411. 
Puhusk,  41 8*.  419. 
Putride  (mer),  792. 
P5liiiselka(lac),  524,  526*,  529. 
Pjlarlaks,  544. 


Qviincr,  553 

Qvark  (archipel),  96,  529*. 

Qvikkjokk  (cirque  de),  196. 

R 

Rachovka,  557. 

Radoin,  410*,  419. 

Radornisi,  544. 

Radzivii-ov,  486 

Rakôw,  410. 

Randers,  28*,  42. 

Randors  (fiord  de),  5,  10*. 

Rands-fjord  (lac),  105. 

R;ineâ,  197. 

Ranen-fjord,  115. 

Rànnum  (chutes  de),  225. 

Raste-Gaize  (mont),  58*,  60. 

Rattvik,  196. 

Rauina  (rivière),  85. 

Rawa,  418*,  419. 

Razan  (PercyaS'IavI  Razanskiv), 

725. 
Recherche  (haie  de  la),  251. 
Rejetza,  442. 
Reui,  558. 
Retchitza,  483. 
Revcl,  560,  577*,  385. 
Rîhatchiv  (péninsule),  622. 
Ribe,  26*,  55. 
Ribe  Aa  (rivière),  26. 
Rîbmsk,  658,  708*,  711. 
Richlbofon  (mont).  275. 
Riga,  581*,  585. 
Riga  (golfe  de),  185,  560*.  .508. 
Rîisk,  524*,  544. 
Rin-Peski  (rivière?),  771. 
Rmgkiohing,  27. 
Ringkjoliing-fjord,  8*.  45 
Rjichtchcv,  555 
Rjov,  707',  711. 
Rjukan-fos  (ca.scado),  115. 
Roihlagen,  501. 
Rogakhof,  451. 
Rogalchov,  485*,  487. 
Rogalchov  (baie),  6  49. 
Roi  Oscar  (Terre  du).  275. 


I.NDEX   .VLPII.VBÉTIQrf; 

Ronianov-Borisoglebsk,    709* 

711. 
Romni,  556*,  544. 
Romove  (forêt),  452. 
Romsdal  (monts),  62. 
Romsdalhorn  (mont),  64. 
Ron  (canal  de),  10. 
Rônne,  40. 
Ronnebv,  178. 
Rôrds.  62,  160,  170*. 
Ros  (rivière),  494,  553*. 
Rosenhorg  (château  de),  55. 
Rosendal  (pavillon  de),  188. 
Roshage  (promontoire),  12. 
Roskilde,  32,  41*,  42. 
Roslavi,  485*,  487. 
Rossienv,  459. 
Rosslayen,  301. 
Rossona  (rivière),  565. 
Roslov  (Yaroslavi),  709*,  711. 
Rostov  (Don),  799.  815*.  814. 
Rostov  (lac),  710. 
Roslovclilchiga,  653. 
Roumains,  295,  510*. 
Roussanova,  643. 
Rotissines.  294. 
Rov  (rivière),  545. 
Rovno,  486*,  487. 
Runnen  (lac),  196. 
Runo  (ile),  575. 
Ruolsalâiset,  540. 
Russes,  294,  500*,  302. 
Russes  blancs,  295 
Russes  Tmonlarakan' ,  500. 
Rulhénes,  294,  515*. 
Rytterknaegten  (colline),  19. 


Sabla  (mont),  608. 
Sactcrsdal  (monts),  64. 
Sainia  (canal  de  la),  548,  555* 
Saïma   (lac),    524.  328*,    529, 

.566. 
Saint-Dimilriy  (forteresse),  813. 
Saint-George  (nionasièrc),  837. 
Saint-Georges  (cap),  823. 
Saint-Je.nn  (île),  50. 
Sainl-Pétci-sbourg,  290,  589*, 

602. 
Saint-Thomas  (île),  50. 
Saintc-t^athcrine  (mont),  393. 
&untc-(;roix  (ile),  50. 
Sainle-.Montagne  (convuol).  809. 
Sakinara  (rivière), 685,685*, 778. 
Saksagaoa  (rivièiv),  542. 
Salgir  (rivière),  820*,  836. 
Saltcn-ljord,  59 
Sallholm  (ile),  51.  37*. 
Sainara,  772*.  778. 


929 

Samara  (rivière), 498,  540*,772. 
Samartchik,  540. 
Samcs,  146*,  625. 
Samayiliens,  428*,  433. 
Samoijèdes,  292,  552,  626*. 
Samsô  (île),  16 
San  (rivière),  394. 
Sandefjnrd,  162,  166*. 
Sandomierz,  410. 
Sandomierz  (massif),  392. 
Sandomiriens,  596. 
Sara  (couvent  de),  726. 
Saraï,  775 
Saraitchik,  780. 
Saransk,  756*,  761. 
Sarapoul,  765*,  703. 
Saralov,  774*.  778. 
Saratovka  (rivière),  774 
Sarcktjokko  (mon!),  59*,  60. 
Sarepta,  775. 
Sarke-f,  806. 
Sarmatcs,  296 
Sarpsborg,  157. 
Sarps-fos  (cascade),  115, 
Sas  (rivière),  587. 
Saukko-Waara  (collmc),  519.. 
Saulo  (mont),  59*,  60. 
Savolaiset,  558 
Scandia  (île  de).  55. 
Scandinaves,  159*,  355. 
Schlock,  362. 
Schlusselhurg,  588*,  602. 
Scythes,  296,  827*. 
Sébastopol,  837*,  845,  908. 
Sebej,  370,  442*. 
Sedncv,  445. 
Seeland  (île),  12. 
Seg(lac).  612. 
Sciland  (île).  58,  60,  71*. 
Seim,  807. 
Seim  (rivière),  524. 
Seliger  (lac),  658*.  707. 
Selijarovka  (rivière),  658. 
Sclitrennoie,  775 
Semiiiatiens  ou  Jcmc-Galas.ôH. 
Senjen  (île),  70*.  71 
Sept  lies  (archipel  des),  253 
Serdobol  ou  Sordavala,  548. 
Serdohsk,  806,  814*. 
Serebi-anovskaya,  666. 
Sergiyevsk,  775. 
Sergiycvskiy,  724*.  756 
Scrponkhov,  716*,  75li. 
Sever'anes,  524 
Scvsk,  524*,  541. 
Siedlce,  418*,  419, 
Sieradz,  409*,  419. 
Sicrpcc,  418*,  419. 
Sigluna,  182,  189*. 
Siljan  (la.).  105*.  196. 


030 

Simljirsk,  771*.  778. 

Siinbirsk  (lac),  662. 

Simferopol,  856*,  845. 

Sinavka,  789. 

Siiioukha  (rivière),   450,  545*. 

Sire-eh,  07. 

Siiije,  620. 

Sisolka  (rivière),  613. 

Silch,  501. 

Sivacli,   792*,    793,    706.  820. 

841. 
Sîzrah,  677,  775*,  778. 
Sîzran  (plaine  de),  677. 
Sîzran  (rivière).  775. 
Sjailand  (ile),  12,  10. 
Skagen,  20. 

Skagen  (pointe  île).  20. 
SkagerRak,  12*,  115. 
Skammlingsbanke   (collines),  4. 
Skanor,  177. 
Skara,  181, 

Skarjinka  (coulée),  777. 
SkellefleS,  107. 

Skcllefleâ  (rivière),  100*,   114. 
Skidel,  427. 
Skien,  162",  166.  171. 
Skion-elv  (rivière),  H5. 
Skierniewire,  418*,  419. 
Skiringosal  (lemplede),  162. 
Skjiirgaard,  60. 
Skjserslad,  214. 
Skoklosler  (cliàleau),  180. 
Skojiin,  726*,  736. 
Skraaven  (ilôt),  2H. 
Skvira,  533*,  544. 
Slagelse,  40. 

Slavanoserbsk,  516,  810', 
Sihivansk,  809*.  814. 
Slaves,  25,  291*,  293,  395. 
SIcsvig  ou  Schlesv\ig,  1 1 . 
Slobodskoï,  765. 
St'onim,  435.  442*. 
Sl'oulcli  (rivière),  485. 
Sloulzk,  484*,  487. 
SloMiii,  294. 
Smaaienene,  156. 
Smâland,  97,  204*. 
Sinecrenburg  ou   Sinceivnberg. 

257,  267*. 
Siiiolcii.sk,  480*,  -487. 
Snebiottcn,  85. 
Sncha'llen  (mont),  62*,  64. 
Snotluppen  (inoiil),  255. 
Sob  (rivière),  545. 
Snchaczew,  418*,  410 
Soderbamn,  197*,  109. 
S6derk6|)ing,  179. 
Sùderinanuland,  99. 
Soderlelgc  ou  Sôder  Tcige,  188. 
Sogiic-fjurd,  62,   73*.  77,115. 


I.MIEX   ALPHABÉTIQUE. 

Soj  (rivière),  452,  483*. 
Sok  (rivière),  775. 
Sokol'ka.  455. 
Solanka  (rivière).  685. 
Soldaia.  842. 
Solikamsk,  751,  762*. 
Solbiisa,  122. 
Solonibala,  643. 
Solovetzkiy  (îles),  620,  635*. 
Soilzi,  581',  602. 
Solvcsborg,  178. 
Soi-Vilchegodsk,  638. 
Sopefti.  709. 
.Sort),  41',  53. 
Sorô  (ile),  71. 
Soroki,  555*,  557. 
Sorotchinlzi,  537. 
Sosna  (rivière),  805. 
Sosnilza,  524*,  544. 
Sosnovetz  (ilol),  625. 
Sounhcs,  507. 
Soubotov,  555. 
Soudak,  842. 
Soudja,  557. 
Soukhinilc'ii,  712*,  756. 
Soukhona  (rivière),  614*.  657. 
Soukhoum-Kaleh,  705. 
Soul'a  (rivière),  536. 
Soulina,  558. 
Soumî,  537*,  544. 
Soura  (rivière),  741,  755. 
Souvando  (lac),  567. 
Souzdai,  504,  728*. 
So2tzdalie7ts,  655. 
Souzeniskaya,  620. 
Spassk.  756. 
Spilzberg  (ile),  254. 
Spitzbergen  (archipel  de).  247. 
Spitzbergen  (We.sl),  255. 
Stadil-fjord.  9- 
Slad(cap),  78*.  119. 
Slaket  Sund,  189. 
Slangenas  (péninsule),  133. 
Slanitza  Ouroupinskaya,  806. 
SUins  Foreland,  254. 
Staraya  tadoga  ou  Aldcigidjorg, 

588. 
Staraya  Rousa.  582*,  602. 
Slarilza.  707,  711*. 
Slariy  Bikhov,  485*,  487. 
Slarîv  Krîm  ou  Eski  Kriin,  843. 
Slariv  Oskof,  808*,  814. 
Slarohelsk,  810,  814*, 
Siarodoub,  524*,  544. 
Starodoubye,  484. 
Slaro-Konstanlinov,  486*,  487 
Slaro-Tclierkask,  810. 
Slaszôw,  410,  419*. 
Stavanger,  160,16.5*,  171,  224. 
Slavauger-Ijord,  219. 


Slaven  (ile),  71 
Slavropol,  769 
Stege,  13. 

Stehka  (kourgans  de).  662. 
Stenkjaer,  134. 
Slerlitamak,  764*,  765. 
Slcvns  Klint  (falaises),  15*,  24. 
Slîr  (rivière),  485. 
Sljern-fjord,  113. 
Stockholm,  122,  181*,  190, 
Sln-Mogil',  547. 
Stor  Afvan  (lac),  103. 
Stor-fjord,  259. 
Store-Borgefield  (plateau),  59. 
Storsjii  (lac),  105. 
Storsjôn  (lac),  196. 
Stougna  (rivière).  553. 
Strib,  29. 
Strômsholm.  00. 
Stromstad,  174. 
Suédois,  56,  139*. 
Sulitjelraa(monts),59*,  60,  125. 
Sund  ou  Oresund,  15. 
Sundswall,  60,  197*,  109. 
Suunan-Skog,  60. 
Suomen-Selka   (colline),    318'. 

527. 
Suoini  ou  Suomenmaa,  552. 
Suphellebrae  (glacier),  64. 
Suur-Tytters  (ile).  320. 
Suwaiki,  419. 

Svatoï  Nos  (promontoire),  604. 
Sveaborg,  544*,  908. 
Svealand,  156. 
Snear,  159. 

Svelvigen  (courant  de),  162. 
Svenborg,  29*,  40,  55. 
Svenskar  ou  Suédois.  1 79. 
Svenla  (rivière),  439. 
Svcnziany,  439,  442*. 
Svcrdviken  (défilé),  79. 
Si  etloie   ou    Svetlovar   (  lac  ) , 

756. 
Sveloï  (cap),  253. 
Svir  (rivière),  505',  587. 
Svisiûich  (rivière),  483. 
Sviyaga  (rivière),  664,  771* 
Swarliscii  (glacier),  59*. 
Sylfjeld  (mont),  60*,  04 


Taasinge  (ile),  12*.  19. 
Taberg  (mont),  61*,  181. 
Taganai  (mont),  683. 
Tagaurog.  814',  817. 
Taganrog  (rade  de),  780',  792, 
Taïpala,  567. 
Talvick  (glacier),  59. 
Tambov,  756. 


Tanimeifors  ou  Tanipere,  Ôi4*. 

548. 
Tana,  789.  Sli*. 
Tana-elf,  58. 
Tanaïs,  789. 
Tapliros,  853. 
Tarachicha,  555*,  5ii. 
Tarando  (rivière),  110. 
Tarkan-Kout,  855. 
Tarnopol  (plateau),   145. 
Taroiitino,  712. 
Tarîmes,  29-2,  295,  596,  516, 

748*,  850. 
Tasmin  (rivière),  555. 
Taira  (mont),  02. 
Taures,  SiC. 

Tavastelnis,  551,  542,  544*. 
Tavasles,  292,  554",  577. 
Tchaousi,  484. 

TcliatirDagh  (mont),  819*,  841. 
Tchechicha  (rivière),  600. 
Tchemliar,  806. 
Tcherdii'i,  701. 
Tcheremisses,  552,  741* 
Tdicropovelz,  709. 
Tclierkasî,  -498,  555*,  544. 
Tclionno,  411 . 
Tchernaia  (rivière),  841  . 
rdiernigov,  443,  525*,  514. 
Tchernozom,  443. 
Tchertouijik  (rivière),  499. 
Tchertorij-  (coulce),  552. 
Tchigirin,  497,  55.5*,  544. 
Tchija  (rivière),  600. 
Tchistopol,  765. 
Tchorna  Mogila,  500. 
Tcliorniy  Yar,  604. 
Tchorlovo  Gorodichlche,   703. 
Tclwudes,  558*.  378,  629. 
Tchoudskoio-0/ero  (lac),    501. 
Tchoufonl-Kaleli,  852. 
Tchougouyov,  808*,  814. 
Tchoukhni,  577. 
Tchousovaya  (riv.).  OOli,  702". 
Tchonvaches,  747. 
Teiri-harju  (colline),  518",  519. 
Tclclii,  459,  442*. 
Tcloinarkon,   104. 
TcU-Pos  ou  Ncpubi-.Niiir  (nionO. 

008. 
Tcmnikov,  720*,  750. 
Tendra  (île),  472. 
Tepe  Korman  ou  Tolic  Keiinnn, 

850. 
Tepl'ars,  755. 

Terre  de  Gilcs  ou  de  Gillis,  270. 
Terre  du  Nord-Est,  248".  252. 

235. 
Terre  de  Witlic,  271. 
Tersk  (rote  de),  022 


INIiKX  Al.l'IlAliKlinrE. 

Tetcrcv  (rivière),  452,  519*. 

Tlieodosia,  845*,  845. 

Thisfed.  27*,  55. 

Thorsininde,  9. 

Thorsnutcn,  74. 

Thy.  27. 

Thyra  (tertre  funéraire  de),  28. 

Tikhava  Sosna  (rivière),  805. 

Tikhvin,  387*,  602. 

Tikhvinka  (rivière),  587. 

Tiligoul-  (lac\  468*.  470. 

Tiligoul  (rivière),  464. 

Tim,  524. 

Tinian  (iiioiils),  604. 

Tingshôg,  189. 

Tioto  (île),  96. 

Tiounskiy  Kaineii  (collines), 603. 

Tiraspol,  55.5*,  357. 

Tistedals-elv,  137. 

Tivcdcn  (massif),  00. 

Tivcrtzi,  494. 

Toclia  (rivière),  727. 

Tol'staya  Mogila,  341. 

Tomaszôw,  410*,  419. 

Tonsberg,  162*.  100,  171,215. 

Top  (lac),  535,  612*. 

topioïe,  561. 

Tor,  809. 

Torctz  (rivière),  809. 

Torglialten  (île),  71. 

Torjok,  708*,  711. 

Torki.  494. 

Tornea,  542. 

Torneâ    (rivière).    1(19.    110". 

342. 
Tornea  Trxsk  (lac),  105. 
Toropelz,  459,  581*.  002. 
Torskininde,  9. 
Toiskoïe  Gorodilchlche,  809. 
Tolma,  057,  645. 
Toula,  713*.  756. 
Tourla  (fleuve),  4(i0. 
Touriaki,  536,  557. 
Toiirov,  4S5. 
Toiitchkov,  558. 
Touzia  (saline),  470. 
TouzJov  (rivière),  810. 
Transund,  547. 
Trapezos  (mont).  819. 
Tivllelmrg,  93,  134.  177.  178*. 
Treiircnherg  (golfe  de).  209. 
Troilza  (couvent  di-),  724. 
Troïtzk,  726,  750*. 
Troki,  455. 
Trollhaltan,  21  G. 
Trollliatlan  (cliiile  de),  lit. 
Trollliallan  (défilé  et  canal  do). 

174. 
Troniso,  71,93,122,  170*,  171. 

201. 


951 

Tiondlijein,  78,  63,  124,  108*, 

171. 
Trondhji.'m  (fiord  de),  1 1 3,  1 CS*. 
ïrondlijem  (plateau),  57. 
Troubchovsk,  524*,  544. 
Trouliej  (rivière),  355. 
Tsiganes,  143,  596*. 
Turek,  409*,  419. 
Tvedestrand.  103*,  100. 
Tver,  038,  701,  711*.  775. 
Tvertza  (rivière),  708. 
Tykocin,  418*,  419. 
Tvras  (fleuve),  460. 
Tyri-(jord  (lac),  105*,  104. 
Tzagan  (rivière),  003. 
Tzaregrad,  515. 
Tzaritzîn,  774*,  778. 
Tzaiov,  775. 

Tzai-ov  Kourgan  (colline),  003. 
Tzarova  (rivière),  605. 
Tzarovka  (coulée),  777. 
Tzarskoïe-Selo,  601*,  602. 
Tzîinlanskaya,  807. 
Tzitrakhah,  777- 
Tzna  (rivière),  720. 

U 

Udbvhoi.  28. 

Lddcvalla,  174*,  199. 

Uleâ  (lac),  518. 

Uleâ  (rivière),  542*.  528. 

l'ieàborg.  54"2*,  548. 

Lleiî-tr;isk  (lac),   527*.  529. 

Ulriksdal  (château),  188. 

Umcîi,  122*,  197. 

l'meS  (rivière).  109. 

Upsiila,  122,    182.  189*,  199. 

LIraniborg  (observatoire  d'),  173. 


Vadsfi,  93.  i;)3,   17U*. 

Vacrholiiien,  74. 

Vaga  (rivière),  01 4.  055,  658*. 

Vaigalch  (ile),  608*,  644. 

Valaain  (ile.s),  .368. 

Valdaï.  636. 

Valdai  (plateau  de),  5G2. 

Valki,  808.  814*. 

Valoiiiki,  808,  814" 

Vainhus.  190. 

Varangcr-fjord,  33.  37,  1  l.i*. 

Vardo.  122,  170*,  25  4. 

Varéiiues,  30,  590*. 

Varègiies  (péninsule  des),  170. 

Varnitza,  333. 

Varsovie    ou    \Vars?a\va,     401. 

412*,  419,  !I08 
Vasilkov,  555*  -514 


952 

V'atilchi,  712. 

Vatka,  7U4*,  712 

Valka  (livièro),  741,  752 

Vazma.  480%  487. 

Vazma  (rivière),  480. 

Vefsen  (rivière),  59. 

Tejle,  27*,  42,  54. 

Vejle  (fjord  de),  4,  10,  27*. 

Yellj,  440*,  442. 

Velikava  (rivière),  561*,  580. 

Velikiyatouki.  581*.  602. 

Velikiy  ioiig  (lac),  459. 

A'elikij-  Oiist-Youp,   1)58*,  643. 

Vetiko-Russes,  490. 

Vereya,  725*,  736. 

Verkhne-Ouralsk,  778. 

Verkniy  iomov,  726,  736*. 

Vtfses,  yiS. 

Tester  Àlen  (arclii|)cl),  70. 

Vestfjord,  70,  115,  211*. 

Yelka,  484. 

Vellanka,  776. 

Veliouga  (rivière),    742,   756*. 

Yiborg,  28*,  42,  55. 

Yîborg  (golfe  de),  325. 

Yîchgorod  (colline),  528. 

Yîchniy  Ytrfolcliok,  708*,  7H. 

Vig,  75. 

Yi'a  (couvent  de),  702. 

Yîg  (lac),  612. 

Yiliya  (rivière),  455. 

Yiikomir,  459,  442*. 

Vilkov,  558. 

Vilno,  385,  435*,  442. 

Yira  (rivière),  6i3. 

Yinnitza,  545*,  551 . 

Yirz-jarv  (lac),  359,  565*. 

Yistule  ou  Visfa  (tlcuve),  394. 

Yitba  (rivière),  440. 

Yilchesda  (rivière),  584,  613*. 

Yiiebsiv,  440*,  442. 

Yiadimir,  728. 

Ylaiiiinir-Volinskiv,  504,  485*, 

487. 
Yladimir-Zale.skiy,  304. 
Yhidîvostok,  315. 
Yogoulcs,  552,  751*. 
Yofga  (Oenve),  278,  285,  654*. 
YolginoYerkhovyc  (rivière), 657. 
Yolgo  (lac),  658. 
Yoikhonskiy  Les,  656. 
YoJkliov  (rivière),   475,    51)5*, 

568,  585. 
Yolkovisk,  455,  442*. 
Vo-logda,  632,  657*,  615. 
Yolsk  ou  Voljsk,  773*,  778. 


lM)i;\   Al.l'IlAliÉTIQI  !•:. 

Yoltcbansk,  808,  814*. 
Yordingborg,  40. 
Vorîka  ou  Verka  (rivière),  613. 
Yorings-fos  (cascade),  115. 
Yornine  (rivière),  110. 
Yoronej,  805*,  814. 
Yoronej  (rivière),  782*,  805. 
Yorskla  (rivière),  558. 
Vorsnia.  728. 
Yoskresensk,  724. 
Voskresenskoie,  756. 
Votcx.  Votènes  ou  Voi'aks,  578. 

752*. 
Vouksa  ou  Voksa  (fleuve),  566. 
Yozhesensk,  546*.  551,  9il. 
Voznesenskiy,  729. 

W 

\Varbcrg.  94,  175*. 

^Varla,  409,  419* 

AYarta  (rivière),  406,  409*. 

^Vasa,  542. 

Washolin,  211. 

NYaxliolm  (forteresse),  189. 

NYendeu  (château),  384. 

AYendcn  (Suisse  de),  359. 

^Venern  (lac),  101. 

AYenersborg,80, 107,174*,199. 

WeselSngen  (lac),  94. 

^Yeslarfold.  55. 

Wester  Dal-elf,  60. 

^Yesteras,  92,  194*,  199. 

Westerâs  (fjords  de),  105. 

AVestervik,  179*,  190. 

Wettem(l.ir),60,91.102*,l03. 

Wexid,  178*,  199 

Wiborg,  542,  347*,  348,  908. 

XN'iche's  Land,  270. 

Wieprz  (rivière),  394,  412*. 

AYiken  (hic),  225. 

Wilanov,  417. 

\Yilczek  (pointe  de).  616. 

\Yilczek  (trrre  de),  275. 

AVilkowyszki,  419. 

Willmanslrand,  548. 

NYindau  (rivière),  361,  385*. 

\Yiiidau  (ville),  585. 

\Visl)v.  122, 1 79,1 98*,  190, 584. 

AVising,  181. 

Wislica,  11(1 

\Yladvs-fa\Mnv.  li'.l 

\Y.locia«rk.  ils-,  119 

Wln.hnvii.  US*.  119. 

\Vl,»ia\vka,   518. 

Wola,  417. 


\Yollin  ou  Vincta,  588. 
\Yorms  (île),  566,  575*. 
\Vuoxen  (rivière). 52  i,  328, 566 


Yagarlîk,  460. 

Yalpoukh  (linian),  470. 

Yalta,  841. 

\auipo,  555 

Yarosiavi,  658,  709*,  711. 

^assî,  555. 

Yalv'agues,  596*,  427. 

Yatzolda  (rivière),  450,  485. 

Yayitzk,  780. 

Ycfremov,  756,  805,814*. 

Yegoi-yevsk,  725. 

Yekaterinbourg,  290,  681*. 

Yekaterinorfav,  539*,  544. 

Yolabouga,  765 

Yelatiiia,  726 

Yeletz,  805*.  81  i. 

Yelisavelgrad,  540',  551 

Yeltou  (lac),  674,  678*,  776. 

Yeni-Kaleb,  845. 

Yeni-Kaleh   (détroit   de),   797*, 

844. 
Yeri'a,  759. 

Ymesfjeld  (mont).  62*,  64. 
Youg  (rivière),  614. 
Yougor  (détroit  de),  645. 
Yourak.  628. 
Yourma  (mont),  683. 
Ystad,  95,  134,  178*,  199. 


Zadonsk,  805*,  814. 
Zamosc,  411*,  419. 
Zaporoyucs,  498. 
Zaraisk,  725. 
Zastavi,  486*,  487. 
Zduiiska  Wola.  409*,  419. 
Zemailey,  428. 
Zemlansk,  805*,  814. 
Zemuoi  Poyas,  607. 
Zeiikov,  537,  544*. 
Zgierz,  409,  419. 
Zichy  (terre  de),  273. 
Zimniya  Gorî  (ninnls),  607. 
Zir'anes,  292,  651*,  750 
Zlatooust,  685,  764*,  765 
Znamenka,  540. 
Zoloteliov.  808*.  814 
Zotolonocha,  555*,  544. 
Zoubtzov,  707. 
Zvenigorod,  545*,  551. 


TABLE  DES  CARTES 


1.  «  Ibntiigncs  »   du  D:inemnik 4 

2.  De  Ringkjôbing  à  Aggcr  avant  1863 <j 

3.  Fyinet  les  iles  méridionales 15 

4.  Sjalland  et  les  îles  méridionales 14 

5.  Bornliolm , 16 

6.  La  pointe  de  Skagen 20 

7.  Baie  do  Vijle 27 

PI.   I.   Copenhague,    le   Sund  et  lise-fjord 31 

8.  Copenhague 55 

9.  Korsôr 41 

10.  N'ombre  proportionnel  des  bœufs,  des  porcs  et  des  moulons  dans  les  pays  d'Europe.    .    .  44 

11.  Chemins  de  fer  du  Danemark 49 

12.  IleMagero 5!) 

15.  Profil  du  l'aile  Scandinave 60 

14.  Promontoire  de  Kullen 61 

15.  Plateaux  et  montagnes  de  la  Norvège  méridionale 63 

16.  Archipel  d'ilols  dans  le  Skjargaard  norvégien 69 

17.  Oland  et  détroit  de  Kalmar 72 

18.  Massifs  quadrangulaircs  de  la -Norvège  méridionale  séparés  par  des  cluses 77 

PI.  II.   Le  Sogne-fjord  et  les  glaciers  de  Juetedal '9 

19.  Dramins-f|ord  et  courant  de  Sverdvikcn 79 

20.  Fjords  comblés  au  nord  du  Lindesnies 82 

21.  (Christiania  o(  ses  îles Î*J 

22.  Asar  de  la  Suède  orientale °" 

25.  Asar  dans  le  bassin  du  Dal-clf '" 

24.  Lacs  Wenern  et  Wellern H'I 

25.  Lac  Malarcn • '02 

26.  «  Traits  d'incision  »  de  la  iSorvcge  méridionale,  d'après  Kjerulf 105 

27.  Lacs  au  sud-ouest  de  la  Norvège •  '"^ 

28.  Lacs  du  Telemarken '"' 

29.  Le  Tyri-fjord '•"S 

30.  Isothermes  de  l'air  en  Norvège "' 

51.  Anomalies  de  température  dans  la  péninsule  Scandinave 120 

52.  Écarts  de  température  enlre  les  mois  d'élé  et  les  mois  d'hiver .  l'-îl 

55.  Finlandais  et  Lapons  de  la  Suède  sepicntrionale 14'' 

34.  Bas  Glonnnen,  Sarpsborg  et  Frederikstad 1'J6 

35.  Draramen  cl  Dramms-clv '"' 


954  TABLE   DES  CARTES. 

56.  Kiagerô  el  Jomfniland 165 

57.  Bergen 167 

58.  Trondlijem.       .    .    .    .    , 169 

59    Gôleborg  et  bas  Gota-elf 172 

40.  Landskrona 176 

41    Falsterbo  et  Skanôr 178 

42.  Norrkôping  et  Finspfing. 180 

l'I.    !II     Stockholm  et  ses  environs 185 

45.  Upsala 190 

44.  Cours  de  l'Arboga 193 

43.  Densité  de  la  population  Scandinave  en  1872 202 

46.  Proporlion  comparée  du  territoire  agricole  en  Norvège,  en  Suède  et  en  Danemark.    .    .  204 
47    Pêcheries  du  Vest-fjord. 211 

48.  Fjord  de  Slavanger 219 

49.  Nombre  proportionnel  du  tonnage  des  navires  en  1876  et  1877 220 

TiQ    Profil  du  canal  de  Gota  ou  de  Golhie 225 

51    Chemins  de  fer  de  la  péninsule  Scandinave  en  1879 225 

32.  Vardb 254 

55.  Carlskrona 242 

34.  Archipel  du  Spilzberg 252 

53.  Banquises  du  Spitzberg  en  1869 258 

36.  Baie  de  la  Recherche  en  1 839 239 

37    Smcerenburg 268 

38.  Terre  de  Wiche  et  iles  nouvellement  découvertes 270 

39.  Archipel  de  François-Joseph 274 

PI.    IV.  Hauteurs  de  la  Russie 279 

60.  Pluies  de  l'Europe  orientale 286 

61.  Ligne  des  températures  moyennes  d'été  et  d'hiver  en  Russie 288 

62.  Isothermes  de  la  Russie 289 

63.  Distribution  des  Slaves  au  neuvième  siècli-. 296 

64.  Kourgans  de  Tchernigov 299 

65.  Déplacement  des  centres  de  la  puissance  slave 309 

66.  Conquêtes  successives  de  l'empire  russe 511 

67.  Parallélisme  des  affluents  du  golfe  de  Botnie 321 

68.  Étangs  et  tourbières  parallèles  en  Finlande 322 

69.  Le  Punga-llarju 525 

70.  Canal  d'érosion  de  lloyliainen 523 

71.  Lac  de  lloyliainen 526 

PI.    V.  Lacs  de  Finlande 527 

72.  Iles  d'.Uand o 529 

73.  AViborg  et  sa  baie ,    ,    .    c    , 547 

74.  Canal  de  Saïma 535 

73.  Collines  parallèles  de  Dorpal 561 

76.  Delta  changeant  de  la  Dùna  et  des  Aa ,    , 503 

77.  Iles  de  PEhslonie , 566 

78.  lievel ,...<,« 578 

79.  Riga  en  1873 585 

80.  Libau ,    . 584 

81.  Balancement  de  l'État  polonais  à  l'ouest  et  à  l'u^l  ... 589 

82.  Chainc  de  la  tysa  Gôra ^   .    .  594 

83.  Mouvement  de  la  popuLilion  polonaise  de  1816  à  1881 •404 

84.  Varsovie.   . '412 

83.  Pays  dis  Lithuaniens  cl  prmcipauté  de  Lithuanie •iSl 

8C.  Lacs  et  marais  dans  le  couverucmcnt  de  Vilebsk 425 


TABLE  DES  CARTES.  955 

87.  Limites  des  catholiques  et  des  orlhodoïes  en  Litliuanie 429 

88.  Viino 45g 

8'J.  Vilebsk , 440 

90.  Dùnaburg 441 

91.  Montagnes  de  Kremenetz.    ... 444 

92.  Marais  de  Pinsk  avant  rassèchemenl 449 

93.  Lac  Jid 45'2 

9i.  Rive  haute  du  Di'iepr  en  amont  de  Tcherkasi 4.53 

95.  Cours  inférieur  de  la  Desna 454 

96.  Rapides  du  Dhepr 4;,7 

97.  Partie  du  Dneslr  moyen. 4Q5 

98.  Padî  des  steppes 4(55 

99.  Village  entourant  une  mare 4(|(; 

100.  Village  au  fond  d'un  ravin,  près  de  Yekaterinoslav 467 

101.  Ravins  granitiques  à  l'ouest  du  Diiepr 408 

102.  Limans  orientaux  de  la  Bessarabie 409 

103.  Liman  de  Tiligoul 47I 

104.  Smolensk 4SI 

105.  Borisov  et  la  Berezina 482 

100.  Brèche  de  Doubno .  480 

107.  Déplacements  historiques  de  l'Oukraine 4S8 

108.  Kourgans  de  Podgorodskoye,  près  de  Yekaterinos^l'av 494 

109.  Khortilza 498 

110.  Proporlion  des  catholiques  dans  la  Yaîinie,  la  Podolie  et  la  Kiyovie. 512 

111.  Populations  diverses  de  la  Russie  du  sud-ouest. 51."i 

112.  Juifs  de  la  Vo4inie,  de  la  Podolie  et  de  la  Kiyovie 517 

115.  Berdilchev  et  Jitomir 519 

114.  Limite  de  la  région  des  forêts  et  de  celle  des  plateaux  nus 520 

115.  Bransk 523 

110.   Kiyev 528 

117.  Pereyaslav 534 

118.  Marais  du  Tasmin 556 

119.  Krementchong 557 

120.  Pollava .')39 

121.  Nikopol,  ancienne  et  nouvelle  sitch 5il 

122.  Bas  Ingouletz 542 

125.  Kherson  et  le  bas  Dnepr 545 

121.  Ulcbakov  et  Kinbourn 548 

125.  Odessa 549 

120.  Khotin,  Kameiîetz  et  ravins  du  haut  Di'icstr 552 

127.  Akkerman  et  liinan  du  Di'iestr 556 

128.  Toutchkov 5.58 

129.  Lacs  et  marais  du  faite  entre  le  Volkhov  et  la  Duna 500 

150.  Lac  Peipous 502 

1 51 .  touga  et  Narova 564 

152.  Onega 'j66 

155.  Slrii's  et  âsar  des  bords  du  lai- So,' 567 

154.  Ladoga 569 

155.  Lac  limefi,  Novgorod  et  Slaraya  Rousa 582 

156.  Agrandissenienis  successifs  de  Saint-Pétersbourg 590 

PI.   VI.   Saint-Péterabourg  et  «e«  environ* 59 j 

157.  L'isthme  de  Kandalakcha 005 

158.  Péninsule  de  Kanin •    -        ...  605 

159.  Oural  du  Nord CIO 


950  TABLE  DES  CARTES. 

140.  Basse  Pelchora G18 

141.  McrBlanchu 621 

142.  Iles  Solovetzkiy C56 

145.  Arkhangelsk  et  les  bouches  de  la  Dvina 642 

144.  Ile  (le  Vaigaich  et  détroils  de  Kara  cl  de  Yougor 644 

145.  Malotchkin  Char 650 

146.  Souices  de  la  Volga  et  de  la  Duna 657 

147.  Foréls  tremblantes,  près  de  Nijniy-Novgorod 661 

148.  Haute  rive  de  la  Volgii 662 

PI.    VIL  Bouches  de  la  Volga 665 

149.  Volga  et  Akhlouha , 665 

150.  Manitch  oriental  et  basse  Kouma.    .    .    ^       .   .   ,    .        ,  672 

151.  Manitch  occidental 675 

152.  Steppes  salines  et  lac  Yeiton ...  678 

153.  Steppes  au  nord  de  la  Caspienne.    .    , 680 

154.  Chaines  divergentes  de  l'Oural  du  Sud 682 

155.  Cours  inférieur  du  fleuve  Oural 6Si 

156.  Proportion  des  incendies  dans  les  diverses  provinces  de  la  Riissti- 696 

157.  Vichniy  V'olotchok 707 

158.  Toula 715 

I.V.I.  Moscou 718 

160.  Champ  de  bataille  de  Bordino  ou  de  la  «  Moskova  • 7-25 

llil.  Nijniy-Novgorod • 750 

162.  Mouvement  commercial  de  la  foire  de  Sijniy-Novgorod,  de  1817  à  1884 734 

165.  Populations  divei-ses  de  la  Volga  moyenne  et  de  la  Kama 748 

164.  Passages  de  l'Oural  moyen 763 

165.  Populations  diverses  de  la  Volga  moyenne 768 

166.  Simhirsk 772 

167.  Boucle  de  Sîzran 773 

1(18.  Ancien  cours  de  la  Volga  en  aval  de  Tzariiziii. 775 

'(ÎO.  Isthme  entre  Don  et  Volga • -  785 

170.  Ovrags  ou  ravins  desséchés  dans  la  vallée  du  Don 786 

171.  Bassin  houillcr  du  Doi'iclz 788 

PI.   VIII.   Sud   de   la    Russie 789 

172.  Delta  du  Don 790 

173.  Délrnit  de  Yeui-Kaleh 795 

174.  Détroit  de  Genitchesk 796 

175.  Populations  diverses  du  versant  de  la  nierd.Vzov 801 

176.  Khai-kov 807 

177.  Vallée  du  Donetz,  près  de  Slavansk 809 

178.  Novo-Tcherkask 811 

179.  Roslov  et  Nakhitchevan 812 

180.  Péninsule  de  Berdansk 816 

181.  Tchath- D.agh  et  y.iila    voisines 820 

182.  Pointe  sud-occidentale  de  li  Crimée 858 

185.  Côte  de  Valla 842 

184.  Densité  de  la  population  de    l'Hiuope    orientale 846 

PI.   IX.  Peuples    de  l'Europe   orientale 847 

185.  Siipirlicies  comparées  de  la  Russie  d'Europe,  de  l'empire  russe  et  di'  l'Europe  occidentale.  847 
180.  Populations  comparées  dis  mêmes  contrées 847 

187.  Densité  des  villes  en  Russie 850 

188.  Koursk 851 

189.  Lnnitcs  des  céréales  el  de  la  vigne  en  Russie 858 

^90.   Relard  sur  le  |iaicmcnt  du  prix  do  rachat  des  terres  d.uis  1.  s  diverses  provinces.    .    .    .  8C" 


TABLE   DES  CARTES.  957 

191,  Mines  d'oi- du  district  de  Zlatooust , 809 

•19'2.  Répartition  par  provinces  des  industries  non  passibles  de  l'accise 87i 

195.  Mouvement  des  principales  industries  de  la  Russie,  sans  la  Pologne,  de  1805  ;i  188  I ,  .  876 

194.  Mouvement  commercial  de  la  Russie 885 

195.  Canaux  de  la  Baltique  à  la  Volga 884 

190.  Chemins  de  fer  de  la  Russie 887 

197.  Mouvement  des  élèves  dans  les  gymnases  et  les  universités  de  la  Russie,  de  1808  à  1877 .  890 

198.  Proportion  des  exilés  de  droit  commun  en  Sibérie,  suivant  les  provinces,   avant  la 

réforme  judiciaire 899 

199.  Lignes  de  Medjiboj 908 

200    Nikolajev  et  liraan  du  boug 911 

201.  Production  des  alcools  et  produit  de  l'accise  sur  les  eaux-de-vie  en  Russie 913 


158 


TABLE    DES   GRAVURES 


I.  —  Le  Hlmmelbjerg.  (Dessin  de  Tavlor,  d'après  une  pholographic.) 5 

II.  —  Rochers   de  Uelligdomnien.   —  Côle  septentrionale  de  Bornholm.  (Dessin   de 

F.  Sorrieu,  d'après  une  photographie.) 17 

III.  —  Copenhague,  le  Slots  canal.  —  Vue  prise  du  château  do  Christiansborg.  (Dessin 

de  U.  Clerget,  d'après  une  photographie.) 33 

IV.  —  Château  de  Kronborg.  —  Vue  prise  du  Sund.  (Dessin  de  Ph.  Bcnoist,  d'après  une 

photographie.) ,"9 

V,  —  Château  de  Frederiksborg.  (Dessin  de  Barclay,  d'après  une  photographie,  i.    .    .       M 
VI.  —  Le  Fjaîrlafjord.  (Dessin  de  ïajlor,  d'après  une  photographie  de  M.  Frith.)  ...       05 
VU.  —  Lvsicr-Fjord,  embranchement  septentrional  du  Sogne-fjord.   —  Vue  prise  du 
sommet  du  Molden.  (Dessin  de  Fr.  Schrader,  d'après  un  croquis  de  M.  Albî  rt 

Heim.) 75 

VIII.  —  Tes  du  fjord  de  Christiania.   (Dessin  de  Vuillier,  d'après  une  photographie  de 

M.  Frith.) 87 

IX.  —   District  de  llardanger.  —  Chulc  du  Skj.-eggdall'ossen.  (Dessin  de  Kiou,  d'après 

une  photographie  do  M.  Knudsen.) III 

X.  — •   Oskarsborg.  —  Vue  prise  de  Koon.  (Dessin  de  Taylor,  d'aprèj  une  photographie 

de  M.  R.  Dahllôf.). 125 

XL  —  Maisons  de  provisions,  près  de  Uilterdal.  (Dessin  de  Taylor,  d'après  une  photo- 
graphie de  M.  Frith.) 127 

Xn.  —  Types  et  costumes.  —  Intérieur  d'une  maison  suédoise.  (Dessin  de  Lix,  d'après 

nature.) 141 

XIII.  —  Types  et  costumes  de  la  Laponle.  (Dessin  de  Lix,  d'après  des  pholngraphifs.).   .     140 

XIV.  —  Église  de  Uilterdal.  (Dessin  de  Tajior,  d'après  une  jiholographic.) 103 

XV.  —  Stockholm.  —  Vue  prise  du  Saltsjon.  (Dessin  de  Taylor,  d'après  une  photographie 

de  M.  Joli.  Jaeger.) 185 

XVI.  —  Cathédrale  d'Upsala.    (Dessin   de   l'h.   Bcnoist,   d'ajirès   une   photographie   de 

M.  Joh.  Jaeger.) IHI 

XVII.  —  Maison  de  Gustave  Wasa.  —  (Dessin  de  Bénédict,  d'après  une  photographie  de 

M.  0.  Wikiund.) 197 

XVIII.  —  Types  et  costumes  du  llardanger,  du  Sœterdalen  et  de  l'intérieur  de  la  Norvège. 

(Dessin  de  Lix,  d'après  des  photographies.) 207 

XIX.  —  Chutes  de  Trollhaltan.  (Dessin  (le  Th.  Webcr,  d"après  une  photographie. )   ...     221 
XX.  —  Goteborg.  —  Vue  prise  du  jardin  botanique.  (Dessin  de  Taylor,  d'après  une  pho- 
tographie)  ' 22!1 

XXI.  —  Le  soleil  de  minuit  au  Spilzbcrg.  —  Vue  prise  au  nord  du  Ilorn-Sound.  (Do^«in 

de  Iliou,  d'après  une  pholognphle  du  comte  Wilczek  ) 2 lit 


940  TAlîLli  DES  GRAVLHKS. 

XXII.  —  Spilzbei'g.  —  La  Foul-Baj.   (Dessin  de  Fr.  Schradur,  d'après  une  pliologiaphie 

faite  par  l'expédilion  Nordenskjold.) 260 

XXIII.  —  Vue  prise  dans  les  sleppes  du  Dnepr.  (Dessin  de  Lancclot,  d'après  une  photo- 

graphie.)   281 

XXIV.  —  Tchorr.a  Mogiia.  —  Kourgan  près  de  Tchernigov.  (Dessin  de  Taylor,  d'après  une 

gravure  russe.) 297 

XXV.  —  Kiycv.  —  La  Porte  d'Or.  (Dessin  de  Taylor,  d'après  une  photographie.)   ....     505 
XXVI.  ^  Types  et  costumes  de  la  Finlande.  (Dessin  de  Sirouy,  d'après  des  photographies.).     553 

XXVIl.  —  Helsingfors.  (Dessin  de  Taylor,  d'après  une  photographie.) 545 

XXVIli.  —  Ny-Slott.  (Dessin  de  Tli.  Weber,  d'après  une  gra\ure  russe.) 549 

XXIX.  —  lîiga.  (Dessin  de  Kœrner,  d'après  une  photographie.) 563 

XXX.  —  Revel.  (Dessin  de  Pli.  Benoist,  d'après  une  photographie.) 579 

XXXI.  —  Szlachticz  polonais  de  la  Volinie.  (Dessin  de  Sirouy,  d'après  une  photographie  de 

M.  Haoult.) 599 

XXXII.  —  Couvent  de  Czeslochowa.  (Dessin  de  liarclay,  d'après  une.  photographie.) .    .    .    .     407 

XXXIII.  —  Varsovie.  —  Le  théâtre  et  le  palais  Lazicnki.  (Dessin  de  Taylor,  d'après  une  pho- 

tographie.)  415 

XXXIV.  —  Disons  de  la  forêt  de  Bel'a-Veja.  (Dessin  de  Taylor  et  de  Valette,  d'après  un  croquis.)    425 
XXXV.  —  Vilno.  —  Vue  du  faubourg   de   Snipiszki.    (Dessin   de   Baudouin,  d'après  une 

photographie.) 457 

XXXVl.  —  Le  Dnestr.  —  Vue  prise  près  de  Mogilov.    (Dessin  de  Taylor,  d'après  une  photo- 
graphie.)   46 1 

NXXVIl.  —  Ruines  du  château  d'Ostrog.  (Dessin  de  Taylor,  d'après  une  photographie.).    .    .     477 
XXXVIII.  —  Type  Malo-Russe  de  la  Podolie.  —  Paysan  du  village  de  Panovtzi.  (Dessin  de 

Ronjat,  d'après  une  photographie.) 489 

XXXIX.  —  Gouvernement  de  Poltava.  —  Staroste,  juif  et  soldat  retraité  à  Borispol.  (Dessin 

de  Sirouy,  d'après  des  photographies.) 493 

XL.  —  Ty(ics  Malo-Russes.  —  Le  kobzar  Ostap  Veresai  et  un  lirnik.  (Dessin  de  Sirouy, 

d'après  une  photographie.) 503 

XLI.  —  Roumain  de  Podolie.  (Des.«in  de  Ronjat,  d'après  une  photographie.) 511 

XLIl.   —  Types  et  costumes  du  gouvernement  d'Oroi'.  (Dessin  de  Delort,  d'après  une  pho- 
tographie de  M.  Raoïilt.) .    .     521 

XLIII.  —  Pèlerin  à  Kiyev.  (Dessin  de  Ronjal,  d'après  une  photographie.) 527 

XI.IV.  —  Kiyev.  —  La  tavra.  (Dessin  de  Taylor,  d'après  une  photographie.) 529 

XLV.  —  Forleresse  ancienne  de  Kanienetz.  (Dessin  de  Taylor,  d'après  une  photographie.).     555 
XLVl.  —  La  .Neva  à  Siinl-Pétershourg.   (Dessin  de  Taylur,  d'après  une  photographie  de 

M.M.  Lachenal  et  Favre.) 571 

XLVII.  —  Église  construite  sous  Ivan  le  Terrible,  près  de  Novgorod.  (Dessin  de  l.aiicelot, 

d'après  une  gravure  russe.) 585 

XLVIII.  —  Saint-Pétersbourg.  —  Perspective  iNevskiy.  (Dessin  de  11.  CIcrgel,  d'après  une 

photographie.) 591 

XLIX.   —  Chàleau  et  jardins  de  Pelerliof.  (Dessin  de  Barclay,  d'après  une  photographie  de 

MM.  Lachenal  et  F.ivre.) " 599 

L.  —  La  Dvina.  —  Vue  pri.-e  près  d'Arkhangelsk.  (Dessin  de  Th.  Wober,  d'après  un 

croquis  de  M.  Moynet.).       615 

LI.  —  Pilote Samoyède.  (Dessinde  Ronjal,  d'après  une  photographie  du  comte  Wilczek.).  629 
LU.  —  Vue  générale  d'Arkhangelsk.  (Dessin  de  11.  Clerget,  d'après  une  photographie.)  .  659 
LUI.  —  Vue  prise  dans  le  Matofclikin  Char.  (Dessin  de  Riou,  d'après  une  pliotographie  du 

comte  Wilczek.) 647 

I.IV.  —  ConOucnt  de  l'Oka  et  de  la  Volga.  (Dessin  de  Taylor,  d'après  une  photographie.).     059 
LV.  —  Types  cl  costumes  grands-russiens  de  Nijniy-Novgorod.  (Dessin  de  Ronjal,  d'après 

une  photographie  de  M.  Raoull.) 687 

LVI.   —  Type  de  Grande  Russiennc.  —  D.sirict  d'Ardatov,  gouvci  nemeiit  de  Novgorod. 

(Dessin  de  Ronjat,  d'après  une  photographie.) 089 


TABLE   DES  GRAVURES.  941 

LVir.  —  Kosiroma  —  Couvent  d'IIypathe.  (Dessin  de  Barclay,  d'après  une  photographie.).  697 
L\III.  —  Gouvernement  de  Toula.  —  Types  et  costumes.  (Dessin  de  Ronjat,  d'après  une 

photograptiie  de  .M.  Raoult.) 715 

LIX.  —  Moscou.  —  La  Place  Rouge.  —  Église  de  Saint-Vasiliy,  groupe  de  Mmin  et 
Pojarskiy  el  Porte  de  la  Résurrection.  (Dessin  de  Barclay,  d'après  une  pho- 
tographie.)   721 

LX.  —  Nijniy-Novgorod.  —  Le  champ  de  foire,  vul-  prise  de  la  rive  droite  de  l'Oka. 

(Dessin  de  H.  Clerget,  d'après  une  photographie.) 751 

LXI.  —  iNijniy-Xovgorod.  —  Tombeau  de  Minin  dans  la  crypte  de  l'église  de  la  Trans- 
figuration. (Dessin  de  Thérond,  d'après  une  photographie.) 753 

LXll.  —  Gouvernement  de  Simbirsk.  —  Types  tchérémisses.  (Dessin  de  Ronjat,  d'après 

une  photographie  de  M.  Raoult.) 745 

LXIII.  —  Kazan.  —  Le  Kreml.  (Dessin  de  Barclay,  d'après  une  photographie.) 759 

LXIV.  —  Ancien  chemin  de  fer  à  traction  de  chevaux  du  Don  à  la  Volga.  (Dessin  de 

Th.  VVeber,  d'après  une  gravure  russe.) 785 

LXV.  —  Kcrlch  et  le  mont  Mithridate.  (Dessin  de  Taylor,  d  après  une  photographie  com- 
muniquée par  M.  Rambaud.) 795 

LXVI.  —  Voronej.  —  Vue  générale.  (Dessin  de  Taylor,  d'après  une  photographie.).    .    .    .  805 
LXVIl.  —  Falaise  et  couvent  de  Saint-Georges.  (Dessin  de  Taylor,  d'après  une  photographie).  821 
LXVIII.  —  Tombeau  des  rois  scylhes,  près  de  Kerlch.  Dessin  de  Taylor  d'après  une  photo- 
graphie comumniquée  par  M.  Rambaud 827 

LXIX.  —  Grottes  de  Djoufout-Kaleh.  (Dtssin  de  Taylor,  d'après  une  photographie  ).    .    .   .  855 

LXX.  —  Rocher  d'inkerman.  (Dessin  de  Vuillier,  d'après  une  photographie. 1 859 

LXXI.  —  La  fenaison  en  Oukraïne.  (Dessin  de  Férat,  d'après  des  photographies.)   ....  855 

LXXII.  —  Yaila.  (Dessin  de  Th.  VVeber,  d'après  une  photographie.) 871 

LXXIII.  —  Port  d'Odessa.  (Dessin  de  Rarclay,  d'après  une  photographie.) 879 

LWIV.  —  Moscou.  —  Le  Kreml.  (Dessin  de  Barclay,  d'après  une  photographie.) 895 

LXXV,  —  Maison  des  RomanoT,  près  de  Kostroma.  (Dessin  de  II.  Clerget,  d'après  une  pho- 
tographie.)   893 

LXXVI.  —  Baie  de  Sébaslopol.  (Dessin  de  Th.  Weber,  d'après  une  photogra[ihie.).   .   .    .  909 


TABLE  DES    MATIÈRES 


CHAriTRE    I.  —  Le  Danemark 1 

Chapitre  II.  —  La  Pésixscle  Scasdi.nave.  —  Norvège  et  Suède 55 

Gouvernement  cl  administration  de  la  Norvège 251 

Gouvernement  et  adminislration  de  la  Suède 256 

Chapitre  III.  —  Les  Iles  de  l'Océas  Glacul  bEirope 245 

Chapitre  IV.  —  La  Russie  d'Europe. 277 

I.  Vue  d'ensemble 277 

II.  Finlande 517 

m.  Provinces  Balliques.  —  Ehslonie,  Livonie,  Courlande  (Ehstland,  Livland, 

Kurlanil) 557 

IV.  Pologne,  Polska 586 

V.  Bassins  de  la  haute  Diina  et  du  Neman.  —  Lithuanie  (LitTa),  Grodno, 

Vitebsk ._ 420 

VI.  Bassins  du  Dnepr  et  du  Dnesir.  —  Itussie  Blanche,  Petite  Russie,  Nou- 

velle Russie 442 

VII.  Région  des  Grands  Lacs.  —  Ingrie  et  Karélie,  Novgorod  et  Saint- 

Pétersbourg 559 

VIII.  Versant   de  l'océan   Glacial,   Laponie  russe,   Oural   du   .Nord,   iNovaya 

Zemla.  — Provinces  d'.\rkhangeisk  et  de  Vologda 602 

Novaja  Zemla 644 

IX.  Bassin  de  la  Volga  et  de  rUural.  —  Granlc  Ru.ssic 654 

Haute  Volga  jusqu'à  Xijniy-Xovgorod.  —  Gouvcrncmcnls  de  Tvci-,  de 

YaroslavI,  de  Koslroma 706 

Bassin  de  l'Oka.  —  Gouvernements  d'Orot,  de  Katouga,  de  Toula,  de 

Moscou,  de  Razan,  de  Vfadimir,  de  Tambov,  de  Nijuiy-Sovgorod .    .  711 

Moyenne  Volga  et  Kaina.  —  Gouvernements  de  Kazan,  Vatka,  Penh,  Oufa .  757 
Volga   inférieure.   —  Gouvernements  de   l'enza,   Simbirsk,    Samara, 

Saralov,  Astrakhan 765 

Steppes  du  iN'ord.  bassin  de  l'Oural.  —  Gouvernement  d'Orcnbourg, 

armée  de  l'Oural 778 

X.  Bassin  du  Don,  mer  d'.-Vzov.  —  Gouremements  de  Voronej  cl  de  Kliar- 

kov,  territoire  de  l'armée  du  Don 781 


944  TABLE  DES  MATIERES. 

XI.  Crimée .  817 

XII.  État  inatéiiel  et  social  de  la  Russie , 843 

XIII.  Gouvcineinent  et  administration  de  la  Russie.   .   ç 892 

Liste  des  gouvernements 915 

IS'ole o 919 

Index  analytique 921 

T.nble  des  caries r 955 

Table  des  gravures ,   .   .  959 

Table  des  matières .   .   ^ 945 


'J038.  —  Typographie  A.  Laliurc,  rue  de  Flounis   9.  à  Paris. 


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115        Nouvelle  géographie 

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