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NOUVELLE
GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE
LIVRE V
L'EUROPE SCANDINAVE ET RUSSE
CHAPITRE PREMIER
LE DANEMARK
I
Le gardien des portes de la Baltique, petit Etat aiicpiel appartiennent
l'Islande et les Farôer, et même, dans le Nouveau Monde, les vastes éten-
dues inhabitées du Grœnland et trois Antilles, n'est plus (pi'un débris
historique. De tous les royaumes d'Europe, le Danemark est, à l'eveep-
tion de la Grèce, le moins considérable par le nombre de ses habi-
tants ' ; encore est-il bien inférieur à l'IIellade, si l'on lient compte des
hommes de même race, solidaires par l'origine et par la langue, qui
vivent en dehors des limites ofiicielles de la contrée. Tandis que les Grecs
des îles, de la Thcssalie, de l'Épire, de la Thrace, de la Macédoine, de
' Superficie du Djoemnik. Population en I8R0. Populalinn probable l'ii I88J. l'opulalion kilonictriquo
58 302 kilomètres carrés. 1 969 050 liabilaiits. 2 055 000 liabitanls. 53 hnbilanls.
ï. I
<i NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
l'Asie Mineure, sont beaucoup plus nombreux que ceux du royaume pro-
prement dit, et peuvent lutter de concert avec eux pour l'accomplissement
de ce qu'ils appellent la « grande idée », les Danois, refoulés dans leur
étroit domaine, n'ont de l'autre côté de leurs frontières qu'un petit groupe
de concitovens. Ceux-ci restent désormais privés de leur autonomie natio-
nale, malgré les stipulations d'un traité solennel, que l'Allemagne se
croit maintenant autorisée à violer. Il est vrai que les populations inté-
ressées ne l'ont point dégagée de son devoir; mais elle considère comme
suffisant de s'être fait autoriser par l'Autriche, cosignataire du traité.
Deux puissances se partagent la responsabilité pour la violation du droit,
une en a le profit.
Simple fragment d'une terre démolie qui réunissait autrefois la Scandi-
navie à l'Allemagne du ÎSord, le Danemark s'est trouvé par son histoire
en rapports constants avec les deux pays voisins. Il posséda jadis une
grande étendue des côtes de la Baltique, l'Esthonie même. En 1597, il se
mit à la tèle de l'Union Scandinave, par le traité de Kalmar, el jusqu'en
1814 il posséda la Norvège; au sud de la Baltique, divers territoires
devenus allemands lui appartinrent aussi, et récemment encore des terres
germaniques, le Holstein, le Schleswig méridional, le Lauenburg, faisaient
j)artie intégrante de la monarchie. Aucun peuple d'Eiu'ope ne fit au-
tant de conquêtes que le peuple danois, car c'est du Jylland et des
îles, aussi bien que des fjords de la Norvège et de la Suède, que sor-
taient les conquérants connus sous le nom de Normands : ils se mon-
trèrent et s'établirent partout en vainqueurs, dans les Iles Britanniques,
sur les côtes de France, sur les bords de la Méditerranée et jusque sur
les côtes septentrionales du Nouveau Monde, découvert par des Scan-
dinaves longtemps avant Colomb. Le Danemark serait certainement
devenu le centre d'un immense empire, s'il avait eu plus de cohésion
géographique el de plus vasles dimensions. Mais l'étroite péninsule du
Jylland, couverte de forêts et de landes infertiles, les îles éparses de
ta Baltique, et le littoral norvégien, dépourvu de tout territoire agri-
cole, découpé par les fjords en d'innombrables fragments, n'étaient pas
groupés d'une manière assez compacte pour que les conquêtes faites au
dehors pussent s'agréger autour de la mère patrie; elles devaient rester
sans cohésion, sans lien, comme les contrées mêmes d'où s'étaient
élancées les bandes d'invasion. Les pays danois n'avaient d'unité naturelle
que par l'Océan tempétueux qui baigne leurs rivages.
Jadis, du moins, le Danemark avait l'avantage de posséder toutes les
p;jrtes de la Baltique el de commander ainsi l'entrée de celle mer
PELI'LE DANOIS, PÉNINSULE DU JYLLAND. 3
intériouro; désormais ce privilège stratégique est illusoire. Le Siiiul
n'apiiarlient au Danemark que par l'une de ses rives; à son entrée mé-
ridionale, le Petit Belt est occupé par la Prusse, qui pourrait en moins
de vingt-quatre heures faire camper une armée sur les rivages septen-
trionaux du détroit. Quant au Grand Belt, largement ouvert entre Fvcn
et Sjalland, il peut être tourné par des armées, et les flottes de guerre
le forceraient sans peine. Ainsi le peuple danois se trouve livré d'avance
aux entreprises des puissants voisins. Mais, quel que soit l'avenir auquel
il est destiné, ce n'en est pas moins un groupe d'hommes énergiques,
ayant son droit, sa langue propre, ses traditions, ses espérances, son
esprit de solidarité nationale.
II
1-a péninsule du Jylland, de même que l'archipel danois de la DaUii|ue,
appartient géologiquemeiit aux deux régions, l'Allemagne et la Scandi-
navie. Toute la partie méridionale de la péninsule continue la plaine de
la Germanie du Nord, recouverte des innombrables débris de roches erra-
tiques; mais dans la partie la plus large du Jylland s'étendent des forma-
tions d'âge antérieur, couches miocènes et crétacées, dont les dernières
s'avancent entre Aarhus et le Ijord de Randers, pour reparaître au
sud-est dans l'ile de Sjalland. puis, au delà du Sund, dans les pro-
montoires extrêmes de la Scanie. Ces masses résistantes ont servi de
point d'appui aux terres de formation moderne, après les grandes érosions
qui ont eu lieu à l'issue de la Baltique.
Au nord de la frontière allemande, le faite général de la péninsule con-
tinue de longer la côte orientale, de moins près que dans le Schleswig-
Holstein. Les rivières du Jylland, qui s'écoulent de part et d'autre vers le
Kattegat et vers la mer du Nord, ont leur ligne de partage plus rapprochée
de l'axe géométrique de la presqu'île que les cours d'eau du Sclilesvvig;
mais les deux versants diffèrent beaucoup dans leur aspect et présentent
le même contraste que sur le territoire germanique : la pente occidentale
est uniforme et s'abaisse doucement ; la pente orientale est plus sou-
daine, plus inégale, plus variée : le sol lui-même contraste comme les
rivages, à l'ouest tracés régulièrement en longues plages à ]ieine iii-
flécliies, à l'est découpés en (jords et s'avancjant en piomontoires.
Les collines de la région du Jylland tournées vers le Kattegat appar-
lieiuient pnur la pln|iail à la formalion des terrains de transport et se
•4 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
composenl surlout rie sable, (Targile, de marnes, proveriaiil des débris du
granit, du gneiss et de la craie. Des blocs, des graviers d'origine glaciaire,
recouvrent çà et là les couches plus anciennes. Ces collines ne se déve-
loppent point le long de la mer en rangées continues; elles s'élèvent en
massifs distincts, dont plus d'un sommet dépasse la hauteur de cent
mètres : aux yeux des habitants de la plaine basse ce sont de véritables
montagnes. Immi^diatement au nord de la frontière germanique, entre
Christiansfeld et Kolding, un de ces massifs, le Skaranilingsbanke, se
dresse à 1"20 mètres au-dessus des eaux tortueuses du Petit Belt ; d'autres
>' 1. <■ JIONTAGSES B DU DANEMAUK.
7'20- y^O tsToe^-^ar.
EsTce&reenvv.cn
afeOà/Om c^e/ûnu^^i
croupes s'élèvent entre les deux fjords de Vejle et do Ilorsens ; de plus hau-
tes dominent au sud la cité d'Aarhus. Cette région des collines orientales
est 1res fertile, et les hêtres y trouvent un terrain favorable : d'admirables
forêts recouvrent les hauteurs et descendent jusqu'au bord de la mer.
A l'ouest des petits massifs de collines des bords du Kattegat s'élève le
groupe culminant de tout le Danemark, dominé par l'Kjer bavnhôj,
haut de I7'2 mèlres. Un autre sommet, la « Montagne du Ciel » ou
'• ucibjerg, cpii s'élève au noid-ouest, est moins haut de 14 mètres,
mais il est plus coimu, grâce à la vue grandiose que l'on a de la
iêd^^'i^f^' "Il
COLLINES ET BRUYERES DU JVLLAND. 7
terrasse la plus liaulo. Le Giulenan, la rivière la ]ilus nlioiidaiile du
jiays, forme deux grands lacs à la base méridionale du Ilimmellijerg
et par delà s'étend un vaste horizon de landes, de bois, de cultures,
de lacs et de villages, borné au loin par la ligne circulaire de la mer.
Au nord de la coupure bizarre du Lim-ljord, les collines se redressent
de nouveau pour former une véritable arête, le « Dos du Jylland » {Jyske
Âas), dont le principal sommet atteint la hauteur de 120 mètres et qui
s'amincit peu à peu vers la pointe de Skagen. Le faîte du Jyske Aas est,
comme celui de la péninsule tout entière, jusqu'à la Trave, beaucoup
plus rapproché de la mer intérieure que de l'Océan. Une des plus hautes
croupes, dominant au sud la ville de Frederikshavn, se dresse même immé-
diatement au-dessus des flots de la Baltique. Au bord de la mer du Nord se
voit aussi une colline, le Bulbjerg, roche crayeuse complètement isolée.
Tout le versant occidental du Jylland, des deux côtés des golfes du
Lim-fjord ou Liim-fjord, n'était jadis qu'une vaste lande doucement in-
clinée vers l'Océan, jusqu'aux dunes du littoral. La culture a changé en
beaucoup d'endroits l'aspect de la plaine, surtout dans le voisinage des
ruisseaux; mais elle se montre encore sur de vastes étendues telle qu'elle
était avant la construction des routes et des chemins de fer, avant l'emploi
(le la charrue, des amendements et des engrais artificiels. Le pays est en
tout semblable au (jeeat de l'Allemagne du Nord, aux Iieiden de la Drenlhe
et de la Veluwe, et rapi)elle^ les landes françaises, autant que le permettent
les différences du climat et de la flore. Dans le Jylland aussi, les terres
sablonneuses sont revêtues de grandes bruyères et d'autres plantes
ligneuses croissant en épais fourrés ; des flaques d'eau sont éparses sur les
terrains dépourvus de penle ; des tourbières se forment peu à peu à la
place des anciens étangs ; comme dans les landes de Gascogne, les débris des
végétaux s'amassent en couches noirâtres sous les buttes de sable qui les
recouvrent; partout, sous les couches supérieures, le sous-sol, saturé du
tannin des bruyères, forme une plaque dure d'al, — Valios des landes
françaises, — auquel se mêle l'oxyde de fer, assez riche en plusieurs en-
droits j)our qu'il ait été possible de l'exploiter en minerai ; des assises de
marne se trouvent aussi dans quelques parties du sous-sol des landes et
facilitent l'œuvre de l'agriculteur qui veut conquérir le sable par les
amendements. Les dunes du littoral jyllandais ressemblent aussi à celles
des côtes françaises, mais elles sont beaucoup moins hautes, — pnis(pie
les plus élevées ont seulement 55 mètres', — et renferment une forte
' Ed. Ersicv, Notes manuscritet.
X NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
[iroportioii de sable calcaire, ce qui les rend moins mobiles : elles se soni
poiirlant avancées plus d'une fois vers l'intérieur de la péninsule, el
même tout près de la pointe de Skagen se voit une ancienne tour d'église,
reste d'un édiiice englouti par les sables avec le village qui l'entourait.
Au sud du Lim-fjord, les événements de ce genre, que racontent les
chroniques, ont été nombreux : les dunes, plus hautes, n'y sont pas,
comme dans le Jylland septentrional, garanties des vents du nord-ouest
par le promontoire norvégien de Lindesnœs. Do même que celles de
France, les dunes danoises ont dû être fixées par des plantations d'arbres,
surtout de pins; on a dû aussi en maints endroits construire des épis
pour consolider le littoral.
Par le tracé de sa côte le Jylland occidental ressemble également aux
landes françaises. Sur un développement d'environ 575 kilomètres, la
rive de la mer du Nord se compose, non pas, il est vrai, d'une seule
plage rectiligne comme celle qui s'étend de Biarritz à la pointe de Grave,
mais d'une série de jilages faiblement infléchies, qui s'appuient de distance
en distance à des points résistants : de saillie à saillie, chaque plage
est dessinée nettement en courbe géométrique, comme si le compas avait
tracé la ligne où viennent déferler les flots du large. Mais en dedans de
ces flèches régulières qui forment le littoral maritime, la côte primitive
découpe ses contours irréguliers dans l'intérieur des terres. Des étangs,
semblables à ceux des Landes, se sont ainsi formés le long de la mer du
Jylland : ce sont aussi d'anciens golfes d'eau salée, que les apports des
rivières de l'intérieur et les pluies ont changés en réservoirs d'eau douce,
et que les alluvions comblent peu à peu ; ils n'ont qu'une faible profon-
deur, et même plusieurs d'entre eux ont des fonds de vase qui, suivant les
saisons et les tempêtes, sont alternativement noyés et émergés ; des che-
naux navigables, étroites fosses qui serpentent au milieu des bancs vaseux,
pareils aux « crassals » de l'étang d'Arcachon, donnent accès aux petites
embarcations. Quoique ces nappes d'eau douce soient bien loin de res-
sembler aux golfes allongés qui découpent le littoral rocheux de la Nor-
vège et où la sonde ne trouve le fond qu'à des centaines de mètres,
elles ont reçu des indigènes le nom de fjord. L'une des plus grandes, le
Iiingkjôbing-ljord, qui n'a })as moins de 500 kilomètres carrés de su-
perficie, et que la llèclie de Klitlandel ou de « Terre des Dunes »
sépare de l'Océan sur une longueur de près de 40 kilomètres, ne jieut
recevoir |)ourtanl que des bateaux de moins de 2 mètres de tirant d'eau,
el ceux-ci, qui passent dans un étroit clienal de sortie creusé p;ir le
jusant, ne peuvent pas toujours franchir la baiie périlleuse de Nyminde-
COTE OCCIDENTALE DU JYLLAND, LIM-FJO^D.
?. DE FIIXGKJOBING \ AGCEtl AVAN
gnl), qui se déplace fréquemment de centaines et même de milliers de
mètres. Au nord du Ringkjobing-fjord, des coulées sans jiroroadeur vont
rejoindre le Sladil-fjord, et celui-ci
communique lui-même par un dédale
de lacs et de ruisseaux paresseux avec
un troisième étang, le Nissum-fjord.
(pi'un liiible cordon littoral percé d'une
seule ouverture sépare de la mer du
Nord. Celte porte marine, non moins
dangereuse que celle de Nyminde-gab,
fut jadis mise sous la protection des
dieux : c'est l'embouchure de Thor,
Thorsminde, à moins que, suivant une
étymologie moins poétique, mais plus
jirobable, il ne faille y voir la Torsk-
minde ou la « Bouche des Morues ».
Le Lim-ljord est un bassin à la fois
lacustre et maritime dont l'histoire
géologique est plus complexe que celle
des étangs voisins. Il traverse de part
en part toute la péninsule du Jjlland
et se compose de trois parties bien dis-
tinctes, ayant ensemble une superlîcie de
1170 kilomètres carrés. A l'ouest, un
vaste étang, semblable au Ringkjo-
bing-fjord, est comme lui limité du
côté de la mer par une mince flèche
de sable qu'ébranlent les flots et qui
n'a pas même un kilomètre de largeur
en plusieurs endroits. A son extrémité
orientale, cet étang communique par
un étroit canal avec un labyrinthe de
lacs poissonneux qui entourent la grande
île de Mors et tout un archipel d'ilôts,
puis se rejoignent en une mer inté-
rieure, de plus de 400 kilomètres carrés, " "■"'
séparée du Skagcr Rak par un simple cordon de dunes et ramifiée au
loin vers le sud en golfes et en baies. A l'est de ce bassin ccnlra! du
Lim-fjord, la n'-gion des lacs se continue jus(|u'au (h'Iroit d'AaIboig : la
L<I..Gr 8-20-
à» 05* 50
I : mo 1)10
tO NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
commence un fjord étroit et allongé, semblable à tous ceux qui découpent
la côte orientale tournée vers la Baltique, tels que les fjords de Mariager,
de Randers, de Ilorsens, de Yejle, de Kolding, de Iladerslev, et d'autres
encore, jusqu'à la baie de Kiel : nulle part, ce ijord oriental n'a plus
de 2 kilomètres de largeur ; c'est une simple fosse navigable s'ouvranl
sur la mer par une bouche de plus de 5 mètres de profondeur. L'étude
de la carte géologique montre que, dans son ensemble, le dédale des eaux
intérieures auquel on a donné le nom de Lim-ijord suit les contours des
formations miocène et crétacée : au pied de ces assises, plus solides que
les terrains de transj)ort environnants, le sol a pu être facilement affouillé
par les inondations.
Le cordon littoral qui limite à l'ouest le bassin du Lini-fjord a été coupé
à diverses reprises pendant les tempêtes', notamment en 16'24, en 17!20
et en 1760. Le 28 novembre 1825, à l'époque où de terribles inondations
dévastèrent toutes les côtes basses de la mer du Nord et mirent sous l'eau
le Waterland hollandais, d'Amsterdam à Alkmaar, la plage extérieure du
Lim-fjord, connue sous le nom de Harboôrc Tange, céda sous la pression
des eaux, et l'étang se trouva réuni à la mer par une de ces nombreuses
Nyminde (Nouvelle Bouche) qui se sont ouvertes sur le littoral jyllandais".
Avant l'ouverture de la brèche d'Agger, toute la partie occidentale du
Lim-ijord était remplie d'eau douce ; mais l'irruption des flots salés et
l'établissement d'un courant de mer à mer changèrent la composition du
liquide dans fout le détroit : les poissons de mer y ont pénétré peu à peu ,
repoussant ceux de l'eau douce' ; la teneur en sel a dépassé 18 pour 1000 ,
puisque des bancs d'huîtres se sont formés çà et là, grâce au naissain que
les courants de houle transportent de l'ouest à l'est*. Cette bouche, qui
fut utilisée la première fois pour la navigation en 1854, n'a cessé de se
déplacer et de changer de forme et de profondeur suivant les oscillations
des flots et des tempêtes; souvent il n'y eut qu'un mètre et demi d'eau
sur la barre; souvent aussi la sonde y marqua près de trois mètres.
Kn 180"», une tempête jterça de nouveau la llèche : au sud de l'ancien
« grau » ou canal d'Agger se forma une nouvelle bouche, le canal de
lîôn, ipii s'agrandit et s'approfondit peu à peu; dès l'année 1875 le seuil
d'Agger était comi)lèlement obstrué par les sables', tandis que des ba-
• Ed. Ersiev, Den Danskc Slat, 1855-1857.
' Clir. tVterseii, Om Aygertatigen fur og nu. Danske geografiske Selskab, I, 1877; — Ostcrbol,
Fra Ayger Soyn, iiièino recueil, II, 1878.
' Fodilcrscn, Danske geografi^l.e Selskab, I, 1877.
* Vim liaer, Bullclin tic rAcadémie des Seienccs de Stiiiil-l'éteishourg. l V. ISOÔ.
' (^lir l'elcistMi, oiivia''e cilé.
LI.M-FJORD, SOULEVEMENT DES COTES DU JYLLAND 11
teaux de pêche et même des embarcations de commerce utilisaient en
grand nombre le nouveau canal '. Dans son ensemble, tout l'appareil du
littoral a été repoussé d'environ deux kilomètres vers l'orient.
La partie septentrionale de la presqu'île danoise participe au mouvement
d'ascension graduelle qui foit surgir des flots les côtes rocheuses de la
Norvège et de la Suède : encore à cet égard, le Jylland, quoique rattaché à
l'Allemagne par l'isthme cimbriquc, est une terre Scandinave. La région
de la péninsule où se trouve probablement la charnière d'oscillation entre
l'aire de soulèvement et l'aire d'affaissement passe au nord de la frontière
politique actuelle, à peu près dans la partie la plus large de la péninsule - :
comparé au massif du Jylland, le Slesvig des Danois, — le Schlcswig des Alle-
mands,— n'est qu'un débris dont les anciens rivages ont été découpés en îles
ou même en bas-fonds et laissés en mer à une grande distance de la côte
actuelle. Tandis qu'au sud de la ligne de séparation entre les terrains qui
se soulèvent et ceux qui s'affaissent, les rivages de la terre ferme ont été
changés en îles, au nord on voit au contraire d'anciennes îles qui sont
devenues partie du continent : telles sont les petites péninsules qui s'avan-
cent dans la mer à l'est d'Aarhus et qui, sur la carte, ressemblent à des
fruits suspendus à une branche d'arbre. Au nord de ces presqu'îles, le lac
Kolindsund rappelle par son nom qu'il fut un détroit marin ou du moins
un golfe, et dans les environs se trouvent plusieurs villages dont le nom,
se terminant en ii (île), indique l'ancienne condition insulaire". Certaines
parties de la côte septentrionale se terminent brusquement par une sorte
de falaise de 4 à 8 mètres de hauteur sur laquelle se dessinent en lignes
horizontales différentes couches de tourbe, beaucoup plus compacte et plus
noire que la tourbe ordinaire, et recouvertes de sable marin. Quelques
géologues pensent que ces lits, d'origine fort ancienne, appartiennent à
une formation soulevée rapidement au-dessus de la mer' ; mais une déni-
vellation lente de la mer, relativement au sol, explique ces phénomènes.
Immédiatement au sud de l'endroit où commence le mince pédon-
cule de la presqu'île se montrent les traces de phénomènes géolo-
giques tout différents : des forêts sous-marines d'aunes, de bouleaux,
de chênes, et des couches de tourbe, qui jadis croissaient en des
marais d'eau douce, se trouvent maintenant dans les profondeurs des
bancs vaseux qu'inonde la mer; en draguant les chenaux pour frayer
' Entrées sur le seuil de Ron en 187C : 820 navires.
' Ed. Ersiev, Notes manuscrites.
* Forchhaniiiier, Forhandlincjer ind de skandinavisUe yaturforskeres Mode i Gôleborg, 1839; —
0. Peschcl, Neue Problème der veryleichcnden Erdkunde.
* Mph. Beliiairo, De la Plaine marilime dijniis liouUnjne jusqu'au Dancmaïk.
12 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
le passage aux navires, les marins liouilent quelquefois leurs instruments
contre les arbres engloutis.
De même que la côte des Landes françaises, celle des Landes danoises
se prolonge en pente très douce au-dessous des flots et c'est en moyenne
à 60 kilomètres seulement, après avoir perdu depuis longtemps la vue des
côtes, que l'on trouve des fonds de 50 à 40^ètres. En maints parages
de cette mer, sui'tout au large du Blaavands Huk, l'éperon sud-occidental
du Jylland, des has-fonds dangereux interdisent aux bâtiments l'approclie de
la côte. Aucun port ne s'ouvre pour les gros navires sur la plage occiden-
tale de cette longue péninsule du Jylland que traversent deux degrés de
latitude. De peur d'être jetées à la côte par les vents de l'ouest ou du
nord-ouest, les embarcations s'éloignent de cette rive inliospilalière, sur-
tout de la terrible Jammer-Bugt ou « Baie de la Calamité », qui se
développe entre les deux promontoires de Boshage et de Hirtshals. Le
srand chemin de la navigation entre la mer du Nord et la Baltique est
la fosse du Skager Rak, libre de tout écùeil et partiellement abritée du
vent le plus dangereux par les hautes terres de la Norvège méridionale.
Parmi les îles de la Baltique, celle de Fyen ou Fionie pourrait être
considérée comme une partie géologique du JjUand, bien qu'elle en soit
maintenant séparée par l'étroit passage du Petit Belt, dont la moindre
largeur est de G50 mètres et le seuil le plus élevé de 8 mètres. D'ailleurs
Fven fut certainement autrefois rattachée au tronc de la péninsule ; elle
se compose des mêmes terrains de transport, et ses collines, revêtues de
hêtres, s'élèvent à pou près à la même hauteur que celles du Jylland
oriental ; elles ne sont pas moins gracieuses et dominent le même horizon
champêtre de prairies bien arrosées, de champs et de bosquets; elles
sont aussi parsemées de blocs erratiques nombreux : l'un d'eux, la
j)ierie de Ilesselager, n'a pas moins de 50 mètres de circonférence et
fait saillie de 6 mètres au-dessus du sol. Fyen n'est évidemment qu'un
débris : au nord les péninsules qui entourent le ijord d'Odense, au
sud les îles de Taasinge, d'.Erô, de Langeland, ont été déchiquetées par
les flots ; un plateau commun porte ces terres maintenant divisées. On
a peine à distinguer sur la carte les fosses d'érosion creusées par la
mer entre les îles. D'après Forchhammer, ces canaux de séparation seraient
des fosses ouvertes par la grande inondation « cimbrique « ; mais rien ne
prouve que ce déluge ait eu lieu ; les oscillations du sol exjiliquent la
formation (les chenaux.
\ l'est du Grand Belt, Sjâlland (le Scelaud des .\llemands), Môi'n,
Falster, Laaiand, ne fornionl non plus qu'une seule terre, rompue ])ar
ILES DANOISES.
13
d'étroites coulées d'oriiiine géologiquemcnt récente. Une grande partie
de Sjàlland et Tilc de Môen appartiennent par leurs roches aux âges
de la craie; mais au nord et au sud de cette bande crayeuse, qui con-
— FYEN ET LKS ILES MERIDIONALES.
De Oà5 Mètres
linue dans la Baltique la zone jyliandaise de même loniialion, s'i'leii-
dcnt aussi des terrains modernes, couverts des débris i[u'a|ipor(èrenl les
glaces du Nord : ces terrains forment, d'un côté, la partie septentrionale
de Sjiilland, di- l'aiilre les Iles de Falster et de l.aaiaiid. Dans ce LiiiMipe
géologique, 11- faîte est encore beaucoup j)lus éloigné du centre de la
14
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
contrée «in'il ne IV'sl clans le Jylland cl tlans le Schleswiij : il ne se
trouve pas même dans la grande île de Sjàlland ; c'est à l'extrémité
de la petite île do Môen que se dressent les escarpements culminants
de tout l'arcliipel : une colline entourée de petits lacs, l'Âborrcbjerg,
s'élève à la hauteur de 141 mètres, extraordinaire [lour le Danemark,
et non loin de celte croupe, du côté de l'est, la roche, abruptemenl
coupée, domine encore de 100 mètres et même de 156 mètres les
flots de la Baltique. Ces brusques hauteurs, appelées Môens Klinl ou
N" i. SJALLAND ET LES ILES MERIDIONALES.
ûe Oà 5 mètres da 5 n
1 : I 1011100
« Falaises de Môen », se terminent au-dessus des Ilots par des parois
verticales, dont la craie, rayée d'assises parallèles de silex comme les
falaises de la Normandie, réfléchit au loin les rayons du midi; on la
voit briller parfois jusqu'à 50 kilomètres en mer. Des effondrements
d'assises ont donné à ces roches abruptes les contournements les plus
l)izarres; des strates reployées, renversées même, y rappellent en petit
les |i!isseinents du Jura et des fjrandes Alpes'. Les valleuses, ouvertes
dr di--laii(i' en dislaiice dans la fiilaise, laissent descendre les forèls de
liêlics JM^qu'aii bord de la mer. Les navigateurs qui se rendent du
' Chr. Puggaard, Uïicns. Geologi, 18àl.
MÔEN ET SES FALAISES, SJALLAND. 15
grand bassin de la Baltique vers Wismar, Kicl ou Lûbeck, peuvent souvent
distinguer à la fois les murailles de Môen et les hauts promontoires de
Rûgen, unis jadis, séparés maintenant par un détroit de bo kilomètres
de largeur et de '20 mètres de profondeur. 11 paraît probable que Môen,
après s'être affaissée relativement au niveau de la mer, s'est exhaussée
de nouveau, et maintenant encore elle s'élèverait avec une grande lenteur.
Elle se compose en réalité de sept îles distinctes dont les détroits se
sont graduellement asséchés; en 1100, elle était divisée en trois
fragments. Un des villages de Môen, Borre, de nos jours perdu dans
les terres au milieu des marais, était en 1510 au bord de la mer et la
flotte des Lûbeckois put s'embosser devant ses maisons et les brûler. De
même Stcge, devant lequel s'amassent de plus en plus les alluvions, est
menacée de perdre son port. M. Puggaard évalue l'exhaussement de
Môen à G centimètres par siècle. Comme Rûgen, l'île de Moen est très
fréquentée en été comme lieu de repos : c'est une résidence des plus
agréables, grâce à ses coteaux et à ses vallons, à ses bois, à ses petits
lacs, au labyrinthe de détroits et d'îlots qui la séparent de Sjalland.
La grande terre dont Môen n'est qu'un fragment détaché, se termine
également à l'est par des escarpements crayeux de 40 mètres de hau-
teur; mais ces falaises, connues sous le nom de Stevns Klint, se com-
posent de couches, régulièrement stratifiées, qui contrastent avec les replis
bizarres de Môens Klint. Dans son ensemble, Sjalland continue l'île de
Môen par sa pente générale; cependant quelques croupes de plus de 100
mètres se montrent encore en plusieurs endroits de l'île. In vaste golfe,
ramifié en une multitude de détroits et de baies tortueuses, l'Ise-fjord,
pénètre au loin dans la partie septentrionale de l'île et lui donne une
variété d'aspect comparable à celle que présente, à l'autre extrémité de
Sjalland, le dédale des canaux et des écueils : ses plages, comme celles
de Môen, ont été évidemment soulevées, car on y voit d'anciens fonds
émergés, actuellement à plusieurs pieds au-dessus du niveau niuiu.
Tandis que le Grand Belt, à l'ouest de Sjalland, sépare nettement
cette île de Fyen et de Langeland, un autre détroit, le célèbre Oresund,
ou simplement le Sund, est, du côte de l'est, comme un fossé de sépa-
ration géologique, car la partie de la Suède que l'on voit se profiler au
nord-est de Copenhague, et qui se rapproche du château de Helsingôr
jusfpi'à la distance de 4100 mètres seulement, se compose de roches
paléozoïques, d'un âge bien antiiricur aux formations de Sjalland. Les
13 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
petites îles danoises du Kaltcgat, Samsii, Aniiolt, Lasô, consistent en
terrains d'origine moderne ; mais il n'en est pas ainsi de Bornholm,
située en pleine Baltique, au sud-est de la pointe méridionale de Scanic.
Cette île est suédoise au point de vue géologique, car elle est formée
5. BORNHOLM
E de P
de /O é 90 de 90 a 4-0
1 : 3Ô0 000
0 iO kll.
de 40 awdefs
presque en entier de roches anciennes, grès et schistes appuyés sur le
granit ; le détroit qui la sépare de la Scanie a seulement ou kilomètres
de largeur, et sa plus grande profondeur n'atteint jias même 50 mètres.
Néanmoins Bornholm fait bien avec raison parlie du Danemark, qui
d'ailleurs comprenait jadis toute la partie méridionale de la péninsule
BOR.MIOLM. 19
du Nord. En 1G5S, lorsque les Suédois jinrent possession des trois
provinces de Skânc ou Scanie, de Halland et de Bleking. Bornliolm
était aussi comprise dans le traité de cession, et fut occupée par les
soldats étrangers que commandait Prinzenskjold ; mais la population de
l'île extermina dans une nuit tous les envahisseurs, à l'exception de douze,
qui se trouvaient en dehors de la forteresse de Ilamniershus : ce furent
les « Vêpres de Bornholm ».
Des îles de la Baltique, Bornholm est celle qui se dislingue par
la forme la plus géométrique : c'est un parallélogramme ayant à peu
près 20 kilomètres de hauteur sur 23 kilomètres de base et se rele-
vant en pente douce du sud au nord. Le plateau granitique n'est
couvert que d'une mince couche de terre végétale et n'avait autre-
fois pour toute végétation que des bruyères; mais de grandes plan-
tations ont été faites et des bois s'étendent maintenant au centre
de l'île, autour du sommet principal, le Rytterknaegten, qui s'élève à
152 mètres. Des l'avins, descendant pour la plupart en ligne droite
vers la côte la plus rapprochée, découpent les roches du plateau de dis-
tance en distance; de petites criques, ouvertes dans les fiilaises ou dans
les plages à l'issue de ces ravins fertiles, servent de ports aux embarca-
tions d'un faible tirant d'eau. Tout à fait à l'angle septentrional de
Bornholm, la pointe Hammeren est presque entièrement détachée de la
grande terre par un isthme bas où se trouve un lac très profond, que
les habitants d'Allinge avaient proposé de transformer en un port de re-
fuge; mais ils ont dû reculer devant l'obstacle que leur opposent les
berges granitiques du lac. C'est immédiatement au sud de ce lac que
se voient, sur une colline escarpée, les vastes ruines de Hammershus,
oii résidaient autrefois les gouverneurs de l'île, et qui de loin res-
semblent à une cité démolie. Un des phares importants de la Baltique,
placé sur le cap même, éclaire maintenant la « mer de Hammeren » '.
« Principales îles danoises, d'après J. B. Trap, Statislisk-iopographisk Beskrivdse af Danemark,
1878 :
Superficie. Populalion en ISSO.
Fî«" (Fioniel 5003 kil. carres. ) ^vcc .E'.-ôclTaasinse. 2iG450 1.ab.
Langeland 284 » » )
Sjaliand 0988 . • \
Mden 240
818 710
Falsler. ... 5.55 » » i
Laaland 1191 « » ]
Birnholm 600 > . 55 360
Superficie des îles danoises : 15 551 kiiom. carrés.
Population en 1880 : 1 100 520 hahilanls.
20 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Au nord, les îlots cl les écueils d'Ertholmene, généralement connus
sous le nom de Chrisliansô, la plus grande île du petit archipel, appar-
tiennent aussi au Danemark, comme dépendance de Bornholm. Ils forment
un port de refuge, éclairé par l'un des principaux phares de la Balti(jue.
Le climat général de la presqu'île et des îles danoises est maritime,
c'est-à-dire relativement modéré
dans la saison des chaleurs et dans
colle des froidures ; les îles de la
Ilaltique, plus exposées à l'influence
maritime, ont un climat moyen
plus doux que l'intérieur du Jyl-
land ; néanmoins, à Copenhague, il
y a environ cent jours de gelée
]iar an ; mais l'écart moyen entre
un mois d'hiver et un mois d'été
n'est que de 17 degrés; il est de
15 degrés sur la côte occidentale du
.Ivlland'. D'année en année, les va-
riations hivernales sont fort gran-
des, ainsi que le prouve l'état des
détroits, tantôt lihres de glaces pen-
dant toute l'année, tantôt fermés
pendant deux ou trois mois par des
dalles cristallines, assez fortes pour
permettre le passage des voyageurs.
Surtout la traversée du Grand Belt
présente beaucoup de difficultés en
temps d'hiver, et quand les glaces
obstruent le détroit, les bateaux qui
servent au transport des passagers
l ■ l.OOOOW)
et des bagages sont chargés sur dos traîneaux de construction spéciale.
On a exactement noté depuis 179-4 la durée de ce transport sur glace
[htramporl] , qvii parfois n'est pas nécessaire un seul jour, mais qui
' Tempéralure moyenne des saisons et de Tannée à Copenhague :
l'i'inlcmps C%."> C. | Automne
Été 17%2J I Hiver
Année . . 8°, 25
9«,5 C.
— 0°,5
CLIMAT DU DANEMARK. 21
on 1871 dura deux mois entiers, du i" janvier au 1" mars'. On sait
qu'en 1658 le roi de Suède Charles X Gustave passa sur la glace, de
Fyen à Langeland, puis à Laaland, avec son armée, ses fourgons, ses
pièces d'artillerie, ses trains d'approvisionnement : le roi de Danemark,
menacé dans sa capitale, dut signer la paix. Le vent dominant, celui
qui apporte les pluies, aussi bien dans le Jylland que dans les îles bal-
tiques, est celui qui souffle des mers occidentales; on peut même dire
que ce courant atmosphérique a contribué pour une certaine part —
moindre pourtant que le manque de ports — à foire regarder toute la
presqu'île de Jylland et l'archipel voisin dans la direction de l'orient. La
côte de l'ouest est la zone des coups de vent et des longues plages basses,
la zone la plus menacée par l'érosion des vagues. Les arbres, ployés par
les tempêtes fréquentes, tournent leurs branches vers l'intéi'ieur des
terres et leur cime est rasée comme si elle avait été coupée par le fer^
Même sur les côtes orientales du Jylland, les arbres sont inclinés sous
l'effort du courant aérien dominant; néanmoins les habitants s'y trou-
vent plus à l'abri; ils ont pu on toute sécurité bâtir leurs villes«t;t cul-
tiver leurs champs le long du littoral. Dans les îles, les vents sont
moins violents et les navires rangent la rive orientale de Sjalland pour
éviter les écueils de la côte suédoise, où soufflent aussi les vents occi-
dentaux. C'est dans celte région du Danemark, sur une baie de l'île de
Sjàlland tournée vers l'orient, que s'est fondée la ville la plus popu-
leuse de toute la Scandinavie. L'histoire générale de la contrée a donc
subi profondément l'influence des courants aériens.
III
La flore et la iaune du Jylland et des îles danoises diffèrent peu do
celles des terres environnantes, Scanie et Schleswig : sous le même climat
se sont développées les mêmes formes animales et végétales; mais l'honimo
du pays, le Danois, forme bien un [)euplo à part, ayant ses traditions dis-
tinctes, son caractère, sa volonté nationale. Quoique de race germani(pio.
il se considère comme séj)aré de l'Allemand par l'origine aussi bien que
par les souvenirs de guerres. Il repousse toute idée de fusion politique
avec l'Allemagne et ne lient pas davantage à se confondre avec ses
voisins suédois et norvégiens. L'union Scandinave, telle qu'il la désire.
• Chr. Hnnscn, Danske Gcografiskc Sciskab Tiilskiift, II, 1878.
' Ed. Erslcv, Den Danske Stat.
22 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
devrait être plutôt une fédération de trois peuples gardant leurs mœurs
et leurs lois respectives.
Bien que l'histoire proprement dite du Danemark ne remonte guère à
plus d'un millier d'années, les débris de toute espèce trouvés sur le sol
du Jvlland et des îles danoises ont permis de pénétrer, bien au delà des
siècles historiques, jusqu'aux âges où le climat local était tout différent
de ce qu'il est de nos jours. Le Danemark est devenu célèbre par les
nombreux témoignages des civilisations primitives trouvés par les archéo-
logues. Ce que les côtes de la Méditerranée avaient été pour l'archéologie
classique, les rives du Kattegat et de la Baltique occidentale l'ont été,
quoique à un degré moindre, pour l'archéologie préhistorique en général'.
Les débris des industries rudimcntaires de nos ancêtres y ont été ra-
massés par centaines de milliers.
De tous ces musées naturels, ceux dont l'exploration offre peut-être
le plus d'intérêt sont les tourbières où se sont carbonisées successivement
plusieurs générations de forêts ; les couches superposées des arbres per-
mettent de déterminer approximativement l'époque où vécurent les ani-
maux dont on retrouve les débris, et les hommes qui y laissèrent leurs
outils en silex. La végétation forestière qui ombrage actuellement les
tourbes est celle des hêtres ; mais au-dessous les étages des forêts en-
glouties sont représentes par les trois strates végétales bien distinctes
des pins, des chênes et des trembles. L'ancienne flore du fond de la
tourbière consiste en bouleaux nains et autres arbrisseaux, qui croissent
aujourd'hui vers le sud de la Laponie. A celte époque, le climat du
Danemark était celui de la zone circumpolaire; mais l'homme y vivait di^jà,
car on a trouvé des silex travaillés de l'âge néolithique dans la couche du
fond, à côté des ossements des rennes et des élans'. Quant aux restes de
mammouths et d'autres grands mammifères, nulle part on ne les ren-
contre en Danemark, comme eu France et en Angleterre, dans un sol
où l'homme ait laissé des traces de son industrie^.
On sait combien grande aussi est l'importance qu'ont prise dans l'ar-
chéologie pH'historiipie les amas de coquillages recueillis çà et là sur les
cotes du Jylland et des îles danoises. Les habitants y voyaient autrefois
des couches de débris rejetés par les vagues; mais Worsaae et Steenstrup,
qui ont étudié ces restes, y ont reconnu des affaldsdijnger., kjœkkcn-
mœdilinrjer ou « débris de cuisine ». Ils se composent surtout de coquilles
' Worsaae, La colonisation de la Russie cl du iionl scandinai-e, traduct. Beauvois.
' Slccnslrup, Geognostisk Undersugelse af Skovnwserne.
' Worsaae, ouvrage cilé.
ANCIENNES POPULATIONS DU DANEMARK. 23
ti'luiîtros et d'aulrcs mollusques, ainsi que d'arèles de poissons, mais ils
renferment aussi des os rongés de cerfs, de chevreuils, de cochons, de
bœufs, de castors et de chiens : on y a trouvé des restes de chats et de
loutres. Les ossements du grand pingouin, Valca impennis, qui, pendant
ce siècle, existait encore en Islande et au Grimland, se rencontrent égale-
ment dans les tertres de débris du Danemark ' , mais parmi les fragments
d'oiseaux on n'a point remarqué ceux du poulet : à cette époque, l'habitant
des îles n'avait que le chien pour animal domestique. Quelques-uns des
amas de déchets culinaires ont jusqu'à 500 mètres de longueur sui- une
largeur de 50 à 60 mètres et 5 mètres de hauteur : leur volume est donc
(le plusieurs dizaines de milliers de mètres cubes, ce qui témoigne de la
multitude de ceux qui prenaient part à ces repas ou de la longue durée des
siècles pendant lesquels ils ont été continués de la même manière. Les po-
pulations de cette époque étaient alors à leur âge de pierre, car parmi les
débris on n'a découvert que des armes et des outils de pierre et d'os, ainsi
que des poteries grossières. La forme du littoral, la salure des mers de-
vaient aussi différer complètement de ce qu'elles sont aujourd'hui, caries
huîtres, si communes alors dans les eaux voisines de l'archipel danois, ne
peuvent y vivre de nos jours, à cause de la trop faible salinité du flot- : on
ne les rencontre que sur les bancs de la rive occidentale, dans la mer du
Nord. Quelques-uns des ossements d'animaux trouvés dans les kjœkken-
mœddinger témoignent aussi d'un climat plus rigoureux que le climat
danois de notre époque.
Aux témoignages du passé trouvés dans les tourbières et dans les restes
des anciens repas, s'ajoutent les armes, les outils, les ornements que l'on
a recueillis en multitudes dans les tombeaux mégalithiques de formes
diverses, à une, deux ou plusieurs chambres, qui parsèment les terres
danoises. Pai'mi ces monuments du travail humain, les plus anciens sont
les tombellcs rondes et les tertres allongés. Les chambres de géants {jo£t-
testuer ou stcendysser) , bâties avec plus d'art, sont composées de plusieurs
compartiments en blocs de granit revêtus j)ar un monticule de terre : plu-
sieurs semblent avoir été des tertres de famille : on trouve dans ces lombes,
avec des ustensiles, des armes et des parures, les ossements d'animaux
domestiques et sauvages enterrés en compagnie des morts. Ces tombeaux
appartiennent pour la plupart à la dernière époque de l'âge de la pierre
polie et à l'âge du bronze, et la population sédentaire était déjà fainilia-
' Siccnsirup, Videnskabeliye îleddeleUer for den naiurhistoriske Forening, 1855.
' Von Baer, Bulletin de l'Académie des Sciences de Saint-Pclcistiouig, lomc IV, 1862.
2t NOUVELLE GÉOGR\PUIE UNIVERSELLE.
risée avec l'élève du bétail et les procédés élémentaires de l'agricul-
ture. C'est à la fin du deuxième siècle, vers le temps de Septime Sévère,
que le fer aurait définitivement prévalu dans ces contrées ', et de cette
époque datent aussi les premières inscriptions runiques. Des objets fort
curieux, d'origine locale ou d'importation étrangère, ont été découverts
dans quelques-unes des sépultures : telle est la coupe trouvée à Stevns
Klint, dans l'île de Sjàlland, dont la bordure en argent ciselé porte une
inscription grecque. A Bornholm, l'âge de fer se développait avec des
caractères particuliers. On trouve dans l'île des milliers de tombeaux
appelés brandpletter : ce sont des Irous, remplis de charbons, de cendres
et d'ossements humains, avec des restes d'armes et d'instruments de fer
ou de bronze tordus par le feu : un seul cimetière, celui de Kannikcgaard,
près de Nexô, contient plus de douze cents de ces tombeaux ; deux autres
champs funéraires en ont chacun neuf cents ; mais les tombes les plus
récentes étaient pour la plupart isolées. Les pratiques de l'incinération
ont fait disparaître une grande partie des richesses enfouies dans le sol
avec les morts.
D'après le philologue Rask et l'archéologue ^'ilsson^ des tribus la-
ponnes, quels qu'aient été d'ailleurs les Danois des âges de pierre, auraient
occupé tout le Danemark aux temps qui précèdent l'histoire. Dahlmann,
Eschriclit et d'autres savants pensent au contraire que les Finnois lapons
auraient pénétré dans les péninsules et les îles méridionales de la Scandi-
navie seulement en groupes de colons errants, faisant leurs semailles,
tantôt sur un point, tantôt sur un autre, dans le sol brûlé des tourbières
ou des bois. En tout cas, il est certain que des populations, bien distinctes
par l'origine des Germains Scandinaves qui habitent actuellement le
Danemark, ont séjourné dans la contrée. Les études comparées de crânes,
faites par Sasse dans les cimetières de Sjàlland, ont démontré que jusqu'au
seizième siècle une race d'une très faible capacité crânienne s'est main-
tenue dans le pays à côté des habitants à grande tète, de race frisonne. Ces
hommes ont maintenant disparu'. Quelques détails de costume indique-
raient aussi le séjour d'anciennes races celtiques dans le pays : le bonnet
à coifft; relevée, à ailes pendantes sur les épaules, que portaient générale-
ment les jtaysannes de Fyen, d'/Frô, de Falsler, à une époque récente
encore, présente une singulière ressemblance avec les bonnets des Cau-
' Erigclhanlt, Slalueltes romaines el autres objets d'art du premier Oijc de fer; — Ernesl
Desjardins, j\otes manuscrites.
' Skandinaviska Nordens Urineùnare.
■• Schmidl, Jalirbûclier, 187G; — Seligmaim, Beluns Gcographisches Jahrhuch, 1876.
POPULATIONS DU DANEMARK. 25
choises et des paysannes d'Anvers. Plusieurs archéologues ont voulu intéror
de la conformité du costume la communauté d'origine des races elles-
mêmes'.
Après les grands mouvements de la migration des peuples, cpii entraî-
nèrent les Cimbres de la péninsule vers les Gaules et l'Italie, puis les
Hérules des îles et de la Chcrsonèse vers Rome, les Angles, les Saxons,
les Jutes vers l'Angleterre, une autre population, obéissant à la poussée
des peuples vers l'occident, vint s'établir en quelques endroits des îles
méridionales du Danemark, Laaland, Falster, Langeland. Ces immigrants
étaient des Slaves ; des traditions et des noms de lieux témoignent de leur
séjour'. Mais les principaux envahisseurs furent les Danois, ancienne confé-
dération de tribus Scandinaves. On sait qu'après s'être emparés des contrées
qui sont devenues le Danemark, les Danois continuèrent longtemps du côté
de l'ouest leurs incursions de conquête ; rivaux des pirates norvégiens, ils
disputèrent pendant des siècles aux Anglo-Saxons la possession de la
Grande-Bretagne et aux Celtes celle de l'Irlande.
En général, chez les Danois, la moyenne des blonds purs, aux yeux d'un
bleu pâle, est plus considérable que chez les Allemands. Plus vifs que les
Hollandais, ils sont comme eux patients, courageux et forts. Pleins de bon
sens, ils agissent d'ordinaire à bon escient et traitent les Allemands de
vantards et d'écervelés' ; néanmoins ils ont aussi leurs jours de fête pen-
dant lesquels ils aiment à s'oublier : au silence ordinaire succèdent les
chants et le bruit. Sous le calme des traits, le Danois garde une âme
ardente et poétique : il voit les flots de la mer battre ses rivages et se
rappelle la vie aventureuse de ses ancêtres qui parcouraient le monde sur
leurs barques battues des vents. Sa littérature lui conserve un trésor de
nobles chants que les jeunes gens répètent dans les réunions joyeuses.
Les hommes d'étude se distinguent par la vigueur, la mélliode, la clarté.
Partout la population a le goût des livres, et le théâtre est pour elle une
école de littérature autant qu'un lieu d'amusement. « Pas seulement pour
le plaisir ! » dit une inscription peinte sur le riiieau du théâtre nnlional
de Copenhague.
La langue danoise, d'origine Scandinave, mais beaucoup moins pure
que l'islandais, s'est constituée en langue distincte vers le treizième siècle ;
mais elle ne prit guère son rang comme idiome littéraire ([u'à l'époque
de la Réforme, au milieu du seizième siècle : ses anciennes sagas appar-
' Vanderkindcre, Recherches sur l'Ethnologie de la Belgique.
' Sctiicrn, Oui slariske Slednaviie.
' J. J. Ampère, Esquisses du iiord
26 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
tiennent h la litlérature Scandinave proprement dite. De tous les dialectes
danois, parmi lesquels on range aussi celui de Bornholm, le plus original
et le plus riche en vieux mots est celui du Jylland septentrional ; mais ce
n'est pas celui qui a prévalu. Le parler de Sjalland a pris une importance
prépondérante dans le pays, grâce à l'influence dominante de la capitale,
et s'est confondu peu à peu avec la langue danoise elle-même. Suivant les
époques, le danois s'est enrichi do termes empruntés au latin, au français,
au suédois, dont il ne diffère que faihlenienl; mais c'est à rallemand qu'il
a pris le plus grand nombre de mots : au bas-allemand lors de la prospé-
rité commerciale des villes de la Hanse, au haut-allemand quand ce dia-
lecte l'eut emporté comme langue littéraire de la Germanie. Autrefois,
plusieurs auteurs, prosateurs et poètes, ont écrit dans les deux langues,
afin de parler non seulement à leurs compatriotes danois et norvégiens,
mais aussi au public allemand, et, par son intermédiaire, au reste du
monde. Cependant le peuple danois tient d'autant plus à sa propre langue
qu'il se sent menacé dans son existence même : il se rattache avec ferveur
aux traditions nationales, à sa vieille littérature, à sa poésie issue des
sagas, et remplie du souvenir des aïeux. Depuis le grand Thorvaldsen,
l'art danois a cherché ses propres sentiers, et même l'art industriel, celui
des porcelaines, de l'orfèvrerie, des meubles, cherche à s'inspirer des an-
tiquités trouvées dans le sol de la patrie.
IV
Toutes les villes importantes du Jylland sont situées sur le Itord ou du
moins sur le versant de la mer orientale. Les populations étaient natu-
rellement attirées de ce côté, qui leur offre un triple avantage : des terrains
plus fertiles, des ports plus profonds, plus abrités et de plus facile accès,
et le voisinage des îles fécondes et peuplées de Fyen et de Sjalland. Autre-
fois, quand les Danois, avides de conquêtes et de pillages, regardaient au
hiiii vers l'Angleterre et les autres pays de l'Europe occidentale, ils s'étaient
portés en grand nombre sur la côte de l'ouest. A celle époque, la ville de
Ribe, située près de la frontière actuelle du territoire allemand, était fort
importante. Elle s'enrichit alors d'un butin considérable, apporté des pays
lointains en offrande à ses prêtres et à ses moines. Maintenant Uibe en-
tretient à grand peine ses communications avec la mov : le sinueux
llibe Aa, qui va se perdre à l'ouest dans les vases du littoral, est cora-
plèlemenl obslrué par les boues à marée basse, de même que le canal
VILLES DU JYLLAND.
27
creusé à travers les alluvions du rivage. Plus au nord, Ringkjôbing, bâti
sur la rive de sa grande lagune, n'est qu'un faible bourg de pèche, bien
que choisi comme chef-lieu du plus vaste bailliage de la péninsule.
Jusqu'à la pointe de Skagen, aucune ville ne se montre sur le rivage; à
peine quelques hameaux apparaissent-ils au milieu des dunes, entre les
étangs. Le chef-lieu du Thy, territoire insulaire qui s'étend à l'ouest du
Lim-fjord, Thisted ou « Ville du Thy », est situé au bord de ce golfe
intérieur : c'est là que naquit Malte-Brun, le grand géographe qu'exila
sa patrie et qui devint l'une des gloires de la France.
Sur la rive orientale du Jylland, la première ville qui se présente au
X^ T. BUE DE TEJLE.
l/aprta ta^Qi-u. li^ lELlI .lii/ci
i'rcJKpa^^rAà2^^i^
SaUcï qm coarrcal cL dcc
nord du territoire annexé par l'Allemagne est Kolding, située à l'extré-
mité d'un fjord sans profondeur, et près de laquelle se voient les vastes
ruines d'un château du seizième siècle, brûlé en 1808, lorsque Ber-
nadolle occupait la contrée avec des troupes françaises. Kolding est
moins importante que la ville, naguère fortifiée, de Fredericia, qui com-
mandait le détroit du Petit Belt à son embouchure septentrionale : plu-
sieurs monuments y rappellent la victoire remportée par les Danois le
G juillet 1849 sur l'armée du Schleswig-Holslein. Plus loin le fjord do
Vcjle s'ouvre dans la côte du Jylland ; ses eaux, que dominent de part
et d'autre des collines couvertes de hêtres, diminuent en profondeur
de l'est à l'ouest avec une régularité singulière et vont mourir sur une
plage basse que traverse un étroit chenal pour les embarcations : le nom
Î8 NOUVELLE GÉOGRAPHIE IMVERSELLE.
même de Vejle est synonyme de fond émergé. La ville occupe une sorte
d'isthme de terrains consolidés entre la gracieuse courbe de la baie et les
fonds tourbeux qui ont remplacé les eaux de l'estuaire desséché. A une
petite distance au nord-ouest de Vejle est l'ancien bourg royal de Jelling.
où se voient les tertres funéraires de Gorra et de Thyra, élevés vers 960
par leur fils Harald « à la Dent Bleue » : entre ces monticules se trouve
une église; des runes déchiffrées par Finn Magnuson, Rask, Rafn', et de
curieuses figures symboliques ornent des pierres érigées en l'honneur des
deux souverains.
Horsens, patrie de Bering, est située comme Vejle à l'extrémité d'un
fjord, tandis qu'Aarhus, la ville la plus populeuse du Jylland, est bâtie sur
le rivage même de la mer et possède un port bien abrité. Aarhus est lu
station centrale des chemins de fer du Jylland et le principal point d'al-
tache de la péninsule avec Copenhague*. La prééminence politique appar-
tenait jadis à Viborg, qui se trouve au bord d'un lac, non loin du centre
géométrique du Jylland : c'est dans celte ancienne ville que les rois ont
le plus souvent siégé; elle possède une cathédrale, l'une des plus belles
églises du Danemark, rebâtie il y a quelques années. A l'est, Randers
peut trafiquer directement avec la mer par le fjord dont elle occupe l'ex-
trémité; mais les navires qui ont franchi la barre, profonde de moins do
4 mètres à marée basse, doivent s'arrêter à une petite distance en dedans
de l'embouchure, au profond mouillage d'Udbyhoi. Randers est, après
Grenoble, un des centres principaux de la fabrication des gants appelés
« gants de Suède ».
.\alborg, longuement étendue sur la rive méridionale du Lim-fjord,
que traverse en cet endroit un superbe pont de chemin de fer, fait un
commerce assez actif; mais la barre du fjord ne permet l'entrée qu'aux
petites embarcations, et pourtant il serait fort nécessaire de posséder un
grand port de commerce et de refuge près de la pointe de la pénin-
sule, entre les deux mers tempétueuses du Skager Rak et du Kattegat.
Cette extrémité de In péninsule est des plus dangereuses sur les deux
rivages pendant les mauvais temps : du coté du Skager Rak, la plage est
bordée en maints endroits d'épaves rompues; entre l'Ile de Liisô et la
pointe de Skagen, il se perd au moins chaque année de trente à qua-
rante navires, sur les quarante ou cinquante mille qui passent dans le
détroit, et dans une seule tempête du mois de novembre lîSTtî trenle-
' tlcmoiies de la Société îles Antiquaires du .\ord, 1845-I8i9.
' Valeur îles oxporlalions (i'Aarliiis en 1870 : 1 1 480 000 francs.
'' Slciuvonicnl du pnrl d'A-ilboi^ eu 187C : 1 ITjO navires, jaugeant T'iCCO tonnes.
AARHUS. RANDERS, SKAGEN, Ol-ENSE. ;29
neuf bâtiments ont échoué à Vcjle ; souvent les habitants de la contrée
ont à se mettre à la merci des vagues pour sauver les naufragés'. L»;
port de Frederikshavn, creusé au sud de la baie autour de laquelle se
recourbe Skagen, est tout à fait insuffisant comme havre de refuge, el
l'on a songé à l'agrandir et à le compléter par le mouillage des îlots
de pêcheurs, connus sous le nom de Hirtsholmene : ce havre en eau pro-
fonde resterait ouvert au commerce pendant toute l'année. La ville de
Skagen, composée de quelques groupes de maisons abritées par les
dunes, est le lieu de pèche le plus important du Danemark. Merlans,
morues, turbots, soles et autres poissons y sont capturés en multitudes :
aussi Skagen, de même que sa voisine Frederikshavn, est-elle constam-
ment visitée par des bâtiments viviers qui viennent et reviennent y
prendre leur cargaison de poissons vivants, pour les vendre à Copenhague
et en d'autres villes danoises'.
C'est dans l'île de Fyen ou Fionie que s'élève l'une des plus anciennes
cités du Danemark, Odense, la « Ville consacrée à Odin ». Elle était déjà
bâtie avant qu'une maison de pierre s'élevât au milieu des cabanes de
pêcheurs, qu'ont remplacées maintenant les palais de Copenhague; sa
cathédrale renferme quelques tombeaux d'anciens rois ; elle est la patrie
du poète et charmant conteur Andersen, issu d'une très humble famille,
comme la plupart des grands écrivains du Danemark. Capitale du vaste
jardin que forme l'île de Fyen, entourée d'admirables cultures, Odense
est aussi un centre d'industrie et de commerce, bien qu'elle se trouve
à une certaine dislance de la mer et ne communique avec elle que par
un canal de faible profondeur, où ne peuvent même pénétrer les navires
de 5 mètres de tirant d'eau. Grâce au chemin qui traverse l'île, Odense
se complète, à l'ouest, par les ports d'embarquement de Middelfart el de
Strib, sur le Petit Belt, cl à l'est par le port fortifié de Nyborg. sur h-
Grand Belt. Au sud de Fyen, vis-à-vis de la petite île de Taasinge, osl
située la petite ville de Svenborg, oiJ se trouvent dos chantiers de con-
struction ; elle est le rendez-vous de navigation et le marché des insu-
laires de Taasinge, d'^Frô, de Langeland. Cette d(>rnière île est la patrie
des frères Oersted, le physicien el le juriste; le philologue Rnsk était
fils d'un petit paysan de Fyen. Svenborg est dans l'une des plus belles
parties du Danemark. De tous les coteaux des environs, la vue s'éleiid
sur de ravissants paysages. La plus haute colline de Taasinge, Bregiiingc,
' Ed. Ersicv, Den Danuke Slat.
' Irmingcr. Notice sur les pèches du Danemark; Revue maritime et coloniale, sep' I8ii5.
50 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
a seulement 81 mètres de hauteur; mais de la cime on voit à ses pieds,
comme sur une carte, un espace de 5500 kilomètres carrés : bois de hêtres,
campagnes cultivées et bras de mer parsemés d'embarcations'.
La capitale de Sjàlland, Copenhague (en danois K/vbenhani), renferme
à elle seule la huitième partie de la population du royaume : ensemble
toutes les villes danoises n'ont pas dans leurs murs autant d'hommes
que la cité maîtresse, assise au bord du détroit de la Baltique. Évidem-
ment Copenhague est plus grande que ne semble le comporter le rang
politique d'un chef-lieu de royaume déchu : c'est qu'elle possède en effet
un rôle à part, non comme ville danoise, mais comme cité européenne,
appartenant, pour ainsi dire, à toutes les nations septentrionales du
continent.
La position géographique de Copenhague, comme celle de Constanti-
nople, présente un double avantage : là se croisent le chemin d'une mer
à l'autre mer et la route, quelquefois solide en hiver, qui réunit deux
péninsules. Uc la Baltique aux parages de la Grande-Bretagne, de l'Alle-
magne et du Jylland à la Suède, c'est par le même point que doivent
passer marchandises et voyageurs. Un canal et un pont, pour ainsi dire,
se traversent à angle droit là où s'élève la ville de Copenhague, et natu-
rellement cette ville est devenue puissante par le commerce. Il est vrai
que rÔresund, sur lequel est située Copenhague, n'est pas le seul détroit
qui fasse communiquer la Baltique et qui continue le Kaltegat; mais il
est de beaucoup le plus facile pour la navigation, et pratiquement on
peut le considérer comme le seul. Le Petit Belt, écarté du chemin na-
turel des navires, est comme un fleuve tortueux qui semble se confondre
avec un fjord de la cote du Jylland. Le Grand Belt, assez large et
assez profond pour livrer passage à des flottes, est gêné par des écueils
et des bancs de sable, et quand la navigation se faisait seulement à la
rame ou à la voile, les bâtiments avaient à craindre, dans le long et
sinueux détroit, de fréquents changements de vents et de courants.
L'Oresund présente au contraire un canal (jui s'ouvre en droite ligne de
mer à mer et oii le passage n'est gêné que par un petit nombre d'Iles et
d'écueils. Les navires que poussent le vent et le flot peuvent entrer
souvent d'une mer dans l'autre sans avoir à changer la disposition de
leur voilure. Le vent d'ouest, qui souffle d'ordinaire dans ces parages,
' Ed. Erslcv, Lcercbog i den alinin(h'li(je Geografi.
Nouvelle Ceojraphie l'mverseUe -T.\' PI 1-
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J^D ET L'ISE-FJORD
Taris U.ivhrtlH S- ('
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COPENHAGUE. 51
n'est pas plus gênant à l'entrée qu'à la sortie de la méditerranée hallique;
seulement, pour en éviter les violences, les marins doivent chercher à
longer la rive abritée de Sjâlland, et c'est précisément le long de cette
côte que l'eau est le plus profonde et le moins semée de bancs. La ville
bâtie par les dominateurs de la contrée pour commander la navigation
du détroit devait donc s'élever sur la rive occidentale du Sund : d'avance,
le courant de l'eau et le souffle du vent avaient assigné la prépondérance
commerciale et politique à ce littoral insulaire'.
Quant à l'endroit particulier de la côte où devait se construire la
Constantinople du détroit baltique, il semblait tout d'abord indiqué par
l'emplacement de Helsingôr, car c'est là que s'ouvre la porte proprement
dite du détroit ; d'une rive à l'autre, la mer s'est rétrécie en fleuve. En
effet, la position stratégique de Helsingôr a toujours été d'une extrême
importance, surtout depuis que l'invention de l'artillerie a permis aux
Danois de commander tonte la largeur du passage. Toutefois l'emplace-
ment de Copenhague avait l'avantage sur Helsingôr d'offrir au commerce
une rade sûre, un vaste port naturel : la brèche ouverte entre la grande
île de Sjâlland et l'ilot d'Amager invitait les navires, et ceux-ci durent
en profiter dès que le commerce entre les deux mers eut pris un cours
régulier. Quand le village est cité, pour la première fois dans l'histoire,
en 1045, il n'a d'autre nom (fue Hafti ou « Port », comme s'il était
le port par excellence; vers 1200, le chroniqueur du Danemark, Saxo
Grammaticus, l'appelle Portas Mercatnrum : c'est la désignation qui
lui est restée jusqu'à nos jours. Même au point de vue militaire, Copen-
hague occupe une position de même valeur que Helsingôr, car le
chenal des navires longe précisément sa rade et se continue au sud vers
la Baltique par le passage des Drogden, entre Amager et Saltholm : les
bas-fonds et les écueils ferment aux grands vaisseaux la partie du Sund
qui s'étend à l'est vers les côtes suédoises. Ainsi les forts de Copenhague,
de même que ceux de Helsingôr, dominent le passage où de l'une à
l'autre mer doivent passer les navires, amis ou ennemis, de commerce
ou de guerre. La suprématie politique de Copenhague, dès que cette
ville eut été choisie pour résidence royale, fut conquise facilement ;
bientôt les forces vives du royaume s'y trouvèrent concentrées : de là
devait partir désormais toute initiative du Danemark, et c'est là aussi
que les ennemis devaient essayer de frapper pour avoir tout le pays à
leur merci. Par sa position géographique, Copenhague est bien le centre
' Ed . Erslev, Den Danskc Slat ; — J. G. Kulil, Die (jeographische Laije dcr Hauptsiildte Europas.
32 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
(le tout le demi-cercle qui se développe de la pointe de Skagen à
Bornholm; mais sa puissance d'altraction s'étend bien au delà, et sou-
vent Copenhague, la ville la plus populeuse de toute la Scandinavie,
eut l'amliilion d'en devenir la capitale commune, ainsi que l'avait été
Roskilde, pendant im tiers de siècle, sous le règne de Marguerite et de
ses successeurs. Longtemps la Scanie resta terre danoise, et c'est de-
puis deux générations seulement que la Norvège a cessé d'être associée
politiquement au Danemark. Toutefois, si Copenhague jouit d'une admi-
rable situation commerciale, elle n'est pas, comme capitale d'État, en-
tourée de terres ayant une cohésion suffisante pour qu'elle ait pu main-
tenir sa puissance parmi les cités du Nord. Qu'est l'archipel danois en
comparaison de ces vastes plaines dans lesquelles se sont groupés, d'une
part les populations allemandes, de l'autre les Slaves septentrionaux
et qui ont fini par constituer les deux empires d'Allemagne et de Russie?
A côté de ces puissants Etats, le Danemark n'a plus à compter sur ses
propres forces : la rivalité de ses voisins est pour lui la meilleure chance
de salut ; mais ce salut est précaire et le moindre ébranlement politique
peut être utilisé pour satisfaire les convoitises de l'un ou de l'autre.
Copenhague et le Sund seraient de bien précieux butins de conquête.
La ville de Pierre le Grand n'était, disait son fondateur, qu'une « fenêtre
ouverte sur l'Europe » ; Copenhague ne pourrait-elle devenir une porte
ouverte sur le monde? Heureusement, deux rivaux égaux en puissance,
trois en comptant la Grande-Bretagne, ont en même temps les yeux
fixés sur elle.
La capitale du Danemark est bâtie, pour ainsi dire, dans un détroit,
entre Sjiilland et Amager. Des vases mouvantes ont été conquises sur la
mer par des remblais ; des îles, ayant encore conservé leur nom de holm,
ont été rattachées au rivage ; mais autour des ports de guerre et de
commerce maint canal donne à la ville une physionomie toute hollan-
daise. Souvent ravagée par les incendies, Copenhague est on grande partie
moderne, et la ceinture de murs et de fossés qui l'enfermait du côté
de la terre est détruite presque en entier pour permettre la construction
de nouveaux quartiers dans la campagne, surtout des côtés du nord et
de l'ouest, vers Frederiksberg; mais une citadelle et des forts bâtis au
bord de la mer séparent la cité proprement dite de la plage marine, et
même en pleine mer des fortifications s'élèvent sur des îlots artificiels.
Ces remparts, ces canons rappellent la glorieuse résistance de la ville,
lorsque la llolle do Nelson vint, en 1801, attaquer et détruire les vais-
seaux danois dans la rade. Six ans après, en pleine i)aix, les Anglais
i;jiuwiwi;iijLi:ii!rFiiii .riiiLiiii
COPENHAGUE.
55
(levaient revenir pour bombarder Copenhague, brûler ses édifices, enlever
sa flotte.
Bâtie en pierres et en briques badigeonnées de gris, Copenhague est
une ville assez belle, riche, disposant d'un budget considérable. Elle a'
quelques monuments curieux, et, dans ces édifices, des trésors pour les
8. — COPEMIXCrE.
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A
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I I 4 Edf&r
Gravé par £r]iar d
savants et les artistes. Près du port, la place octogonale d'Anialicnborg,
décorée d'une statue équestre en bronze de Frédéric V, est entourée de
palais, résidence ordinaire du roi, et ceux-ci sont à leur tour cn\i-
ronnés de jardins. Le palais de Christiansborg, où se tiennent encore
les réceptions officielles du souverain et où S(^ réunissent les deux cham-
bres du Parlement, renferme une galerie de tableaux, précieuse surtout
par SCS toiles de l'école hollandaise et par sa collection de peintures de
l'école danoise. Près de ce palais est la bibliothèque royale, riche d'en-
36 NOUVELLE CÉOGUAPUIE LMVERSELLE.
viron un dt'iiii-million tie volumes et de 17 UU(J manuscrits. L'Univer-
sité, fondée déjà depuis quatre siècles et fréquentée par plus de mille
étudiants, contient aussi près de '250 OUO volumes, parmi lesquels des
ouvrages d'un prix inestimable, notamment la collection des sagas islan-
daises, composée de 2000 manuscrits. Le « Palais du Prince » possède
l'admirable musée des antiquités du Nord, fondé par iNjerup et surtout
par Thomson : c'est, avec la collection de Stockholm, le cabinet de ce
genre le plus complet du monde et celui qui put le plus longtemps
servir de modèle; on y voit plus de 40 000 objets classés de manière à
raconter les mœurs des hommes qui se sont succédé sur le sol du Dane-
mark pendant les âges antérieurs à l'histoire. Dans le même édifice se
trouve l'excellent musée d'ethnographie comparée, créé également par
Thomsen. Le château de Rosenborg, palais du dix-septième siècle qui
dresse au milieu d'un jardin sa masse carrée flanquée de hautes tours,
renferme des collections d'objets de toute espèce, moins riches peut-être
que ceux du « caveau vert » de Dresde, mais admirablement classés par
le célèbre Worsaae suivant les époques : une des chambres contient une
grande collection de cristaux de Venise. Dans un autre château, Char-
lottenborg, s'est installée l'Académie des Beaux-Arts. Quant à l'observa-
toire, c'est le j)lus vénérable établissement de ce genre que possède
l'Europe : la première pierre en fut posée eu 1657, un demi-siècle après
que Tycho-Brahe eut élevé, dans l'île de Hveen, le « Château du Ciel »,
aujourd'hui détruit. Non loin de la Bourse, que surmonte un clocher
bizarre, formé de quatre dragons entrelacés, se voit un énorme cénotaphe
de style égyptien, consacré à la mémoire de Thorvaldsen et renfermant son
œuvre entier et ses collections diverses ; au centre de l'édifice, dans une
grande cour, est le tombeau du maître, entouré de son peuple de statues.
L'église métropolitaine est également ornée de quelques sculptures dues
au ciseau du statuaire, le plus illustre enfant de la cité. De nombreuses
sociétés savantes ont été fondées à Copenhague : la plus importante est
la Société des Antiquaires du Nord; en 1876 s'est fondée une Société de
Géographie, qui compte actuellement près d'un millier de membres.
Plus le Danemark s'amoindrit, et plus la disproportion entre l'État et
la capitale paraît frappante. La grande industrie du pays s'est concen-
trée dans Copenhague et dans ses faubourgs : fonderies, raffineries, fila-
tures, fabriques de porcelaines, de terres cuites, et toutes les usines où se
préparent le gréemcnl et l'approvisionnement des navires, couvrent de
vastes étendues de terrains dans le voisinage du port et dans plusieurs
autres quartiers. Plus de la moitié du commerce du royaume a pour
COPENHAGUE ET SES ENVIRONS. 57
marché la capitale, et quoique Copenliague n'ait guère plus du quart de
la flotte commerciale appartenant au Danemark', plus de la moitié de la
navigation du royaume se fait dans son port* : une grande partie des
matières premières de la contrée est exportée de celte ville, et c'est là
que viennent s'emmagasiner la plupart des produits manufacturés de
l'étranger. Quant à la valeur de ce commerce, elle dépasse de beaucoup
la moitié des échanges totaux du royaume, car ses négociants reçoivent
presque toutes les marchandises de grand pris, et les principales lignes
de bateaux à vapeur ont leur point d'attache dans son port : les quatre
cinquièmes de la flotte commerciale à vapeur du Danemark appartiennent
aux armateurs de Copenhague'. Cette ville a été choisie comme siège de
la compagnie des télégraphes du Nord, qui possède près de 8000 kilomètres
de fils, allant de l'Angleterre et de la France au Japon, à travers la Russie
et la Sibérie. Au sud, l'île d'Amager est un jardin de la capitale, grâce à
ses cultivateurs de la Hollande du Nord, immigrés en 1514 : les colons,
maraîchers de père en fils, portent encore en partie l'ancien costume
national , et leurs fermes rivalisent en propreté avec les villas qui les
entourent. Une autre île, Saltholm , est une dépendance naturelle de
Copenhague, bien qu'elle en reste séparée par le chenal de Drogden.
Elle est si basse que de loin les bestiaux à la pâture semblent marcher
sur les eaux; néanmoins elle possède de grandes carrières de roche cal-
caire.
£n longeant le rivage du Sund, au nord de Copenhague, on voit se
àuccéder, dans un pays charmant, les maisons de plaisance, les jardins, le<
parcs jusqu'aux bains de Klampenborg et aux bois de Jaegersborg ; mais
c'est dans l'intérieur du Sjâlland que s'étendent les plus vastes forêts et
qu'ont été bâtis les plus beaux châteaux. Le plus considérable, celui de
Frederiksborg, qui s'élève près du bourg de Hillerôd, est un somptueux
' Flotte commerciale de Copenhague au 1" janvier 187fi :
43a navires, jaugeant ensemble 72190 tonnes.
• Mouvement du port de Copenhague en 1876, non compris le cabotage avec les poris danois :
Entrées de voilier'; 4 590 navires, jaugeant 211800 tonnes.
Sorties - 4 963 » » 500 ')27
Ensemble 9 553
Entrées de bateaux à vapeur. . . 1222 •■ IJitOtii!
Sorties » ,■ . . . 1 655 .. 95 042
Ensemble 2 875 . » 245 OIW
Total de la navigation .... 12228 navires, jaugeant 755535 tonnes.
' Flottille à vapeur de Copenhague au 1" janvier 1876 :
112 bateaux, jaugeant 51 5'U Innnes.
gg NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
monument reflétant ses tours clans les eaux d'un lac. Le chemin de fer
de Copeniiague à Ilelsingôr décrit une grande sinuosité vers l'ouest pour
passer à ce Versailles du Danemark, bâti au dix-septième siècle par le roi
Christian IV, ainsi qu'au château de Fredensborg, résidence d'été du
souverain, construit au commencement du siècle passé par Frédéric V.
Ce palais est célèbre par les beaux arbres de son parc et par ses nom-
breuses statues que sculpta AViedewelt, le prédécesseur de Thorvaldsen.
Kronborg dresse son énorme masse carrée, hérissée de clochetons et de
tourelles, sur une langue de terre qui s'avance au plus étroit du Sund,
comme pour réunir Ilelsingôr la danoise à la suédoise Helsingborg. A la
fin du seizième siècle, il a remplacé le château d'Ôrekrog, et celui-là
même avait été bâti sur l'emplacement du Flynderborg ; la tradition ra-
conte que dans les souterrains le héros Ogier le Danois (Holger Danske)
dort d'un long sommeil, attendant pour se réveiller le jour où la patrie
en détresse aura besoin de son bras. Ce château est aussi celui de Hamlet,
et la poésie, plus que l'histoire, l'a fait connaître des hommes. Du haut
de ses terrasses on cherche vainement à voir « l'effrayante falaise » dont
parle Shakespeare ; les événements que raconte le poète n'ont point eu
lieu, mais on y assiste par la pensée et l'on croit entendre résonner dans
les salles quelques-unes de ces grandes paroles qui ne s'oublieront point.
Le courant du Sund passe devant Helsingor ou Elseneur : c'est là que
se ti'ouve le point de jonction naturel entre les deux mers. Les rois de
Danemark avaient pris soin de fortifier cette position, afin de prélever
un péage sur les navires de passage. Encore au milieu du siècle, toutes
les nations commerçantes consentaient à payer ce tribut et les bâtiments
devaient s'arrêter sous le canon d'Elseneur. Enfin, en 1855, les États-
Unis refusèrent d'acquitter ce droit humiliant, et en 1857 une convention
de rachat abolissait définitivement le péage, moyennant une somme de
87 545 000 francs, ])ayable par seize nations, en proportion de leur
commerce. De nos jours, la rade d'Elseneur n'est plus encombrée comme
aux temps du péage ; mais environ 50 000 navires passent au large des
quais et le petit port est encore fréquenté comme marché d'approvision-
nement : de quatre à six mille navires s'y arrêtent tous les ans pour se
procurer des vivres frais'.
' Visites lies navires do passage en 187G : 4723.
Mouvement commercial d'Elseneur à l'enlrée et à la sortie en 1876 :
015 voiliers, jaugeant 48 020 tonnes.
•447 bateaux h vapeur, jaugeant. 42 030 »
Ensoniblo. . . . 1002 navires, jaugeant .... 90050 tonnes.
Flotte commerciale d'Elseneur. . 111 navires, jaugeant . . . 42 555 tonnes.
ROSKILDE, KÔRSÔR. 41
Iloskilde, qui fui la capitale et la cité la plus populeuse du Dane-
mark avant Copenhague, devait graduellement perdre de son impor-
tance dès que les petites embarcations sur lesquelles naviguaient les
anciens Danois furent remplacées par de grands navires : le fjord
dont Roskildc occupe l'extrémité méridionale est obstrué de bancs de
sable, et seulement des barques j)lates peuvent remonter jusqu'à la
ville. Après avoir été la capitale du royaume, Hoskilde en fut long-
4k5'"~^ .-^- ^ "^'Z "
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UOïEde Cr
D'après iw du-ie^ cU^ t£uu, jffof or
^^_^^ Profondeurs en Mctpcs
Sables <{uicoD.vKQieidccouv°^ deOâà. debâlO. delOaa-dela
temps la métropole religieuse; elle se remplit d'églises et de couvents,
et maintenant encore elle possède la plus belle cathédrale du pays, bâtie
à la lin du onzième siècle par Harald « à la Dent Bleue ». C'est le
Saint-Denis du Danemark : un grand nombre des souverains du pays
y sont ensevelis. La contrée qui entoure Roskilde est avec Elseneur la
région classique de l'ancienne histoire danoise, encore mêlée de fables.
A Roskilde même sont les fontaines sacrées qui oui doinK' leur mmi
à la ville.
Seulement deux villes de Sjiilland sont dans riiihTieur de l'ile. juin du
rivage : Soro, célèbre par sa grande école, In-ritièrc di- l'abli.ixr qu'il-
42 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
lustra Saxo Grammalicus, ot Slagelse, enrichie par l'agriculture des cam-
pagnes environnantes. Toutes les autres villes de l'île doivent leur impor-
tance à leurs expéditions maritimes. Kalundborg, au nord-ouest, servait
jadis d'avant-port à Copenhague pour les voyageurs du Jylland ; Korsôr,
gardant l'issue de sa lagune intérieure en forme de cratère, est le point
d'attache des bateaux qui vont et viennent à travers le Grand Belt ; Kjôge
à l'est, Nestved, Yordingborg au sud, sont aussi les havres extérieurs
de Copenhague sur le pourtour de l'île. Falster a le port bien abrité de
Nykjôbing, et Laaland expédie des bestiaux et du blé par Nakskov et son
fjord tout semé d'îlots.
La ville principale de Bornholm est Rônne, située près de l'angle sud-
occidental de l'île'. Ses industries principales sont l'horlogerie et la
poterie; elle ne se fait pas remarquer comme plusieurs bourgs de
Bornholm par ses clochers isolés, servant de beffrois, et par ses églises
en granit, du douzième et du treizième siècle : quatre de ces monu-
ments sont des églises rondes.
Depuis le commencement du siècle, la population du Danemark actuel
a plus que doublé; de 929 000, elle a monté à deux millions d'habitants.
Encore peu dense, proportionnellement à la surface du territoire, elle ne
cesse de s'accroître, puisque la natalité dépasse en moyenne des deux cin-
quièmes la mortalité, qui est inférieure à celle de tous les Etats européens.
L'excédent de population se porte surtout vers les villes : pendant les années
qui se sont écoulées de 1840 à 1878, les citadins se sont accrus de 90 pour
cent, tandis que la population des campagnes n'a guère augmenté que île
45 pour cent. Depuis le milieu du siècle, le mouvement d'émigration a
pris aussi une certaine importance : on a vu dans une seule année plus
de 7000 personnes quitter le royaume, proportion d'éniigrants très élevée
' Villes du Danemark ayant tiOOO hahitanls ou ilavanlage en 1880 :
Copenhague, avec Fredeiiksberg
(Sjàllan.l) 261259 hab.
Aarlius (Jylland) 24630 »
n,lense(Fyen) 20000 »
Aallx.rg » liOllO » j Vejlc (Jylland) 7 100
lianders .. i:,r)00 » Slagel.se (Sjàlland) 0 000
llmsens .. 1 2 700 » | Uoskilde 6 000
IleisingcirouElseneui- (Sjàlland). 8 700 » | lionne (Boniholin) 6 000
Fredericia (Jylland) 8 000 liai..
Viborg » 7 700 »
Kolding » 7 500 » '
Svenbarg (Fyen) 7 220 »
POPULATION, AGlUCULTLTiE DU DANEMAUK. «
pour l'un des plus petits Etats de l'Europe'. Quant aux immigrants, ils
proviennent surtout des anciennes provinces du Danemark annexées à
rAllcmagnc.
L'agriculture, qui lait vivre directement les trois cinquièmes de la popu-
lation danoise, est dans un état prospère, quoique plus d'un tiers de la
contrée se compose encore de landes, de marais, de terres incultes ou de
jachères'. Parmi les plantes cultivées, le seigle et l'orge l'emportent en-
core de beaucoup sur le froment dans les cultures du Danemark'; mais
les proportions se modifient peu à peu au profit de la céréale la plus
noble. Les progrès de l'agriculture danoise sont dus principalement à
l'abolition des droits d'entrée sur les céréales importées en Angle-
terre. Dès que les marchés britanniques, les plus importants du monde,
furent ouverts aux expéditeurs du Danemark, les prix des céréales s'ac-
crurent aussitôt dans tous les districts agricoles du Jylland et des îles.
En même temps, les autres produits du sol, directs ou indirects, aug-
mentèrent en valeur, et de tous les ports danois s'établit un mouvement
régulier d'exportation en légumes, en fruits, en beurre, en bestiaux. Le
Jvlland surtout a prospéré comme pays d'élève, car il possède d'excellentes
races d'animaux : les gros animaux du Thy sont fort appréciés et donnent
beaucoup de lait; dans les campagnes herbeuses des bas-fonds l'engrais-
sement des animaux de boucherie se fait très rapidement '. Toutes \no-
portions gardées, le Danemark est le pays d'Europe qui possède le plus
de bêtes à cornes, et s'il est di'passé par quelques contrées pour le
' Éraigralion du Danemark, de 1809 à 1878: 57 701 personnes
- Champs rnilivés en céréales et fiirincux (18701 1 191 850 hcclarcs
» plantes fourragères jOGoO >■
» " plantes industrielles. . (î'.'l" '■
l'rcs et pâturages 1 19 1 3-J I f
Jardins '20 487)
Bois et forêts . 162 327
Ensemble des terres en rapport 2 921 89a hectares.
Terrains incultes, 908 ."JOl hectares.
'• Production on céréales en 1879 :
Froment I 751 000 hectolitres. 1 Seigle 4 950 OOO hectolitres.
Méteil 1 100 000 ), \ Orge 7113 000 „
Avoine, 10 229 000 hectolitres. — Sarrasin, 194 000 hectolitres.
Valeur totale de la récolte, 253 500 000 francs.
* Anitnaux domestiques du Danemark en 1878 :
Chevaux 352 400 1 Moutons 1 7lO()l)(l
Bœufs et vaches 1 5 i8 250 Porcs 50 i 000
44 NOUVELLE GÉOGR.VPHIE TNIVERSELLE.
nombre dos brebis et des cochons, il n'en est pas moins parmi les pays
bîs plus riches en animaux de ces espèces '.
11 existe en Danemark de très grands domaines : récemment encore,
diverses propriétés étaient privilégiées, celles de barons, de comtes ou de
soigneurs héréditaires, dont l'impôt moyen, compté on « blé dur », repré-
sentait les taxes de 55 hectares d'excellentes terres. Actuellement ces privi-
lèges ont été abolis ; mais l'habitude s'est maintenue do classer les terres
s" 10. — ^nMDnE PnOPnnTIOWEL des bœufs, des porcs et des moutons dans les pays D'EUROPE.
2000
1000
ISOO
1700
1600
JSOO
IVOO
1300
1200
1100
1000
900
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Roumanie
Suisse
Pays Bas
Autriche-
Hondrie
o
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o
Crav è par £rhard
(^
Mnn>yf
d'après les impôts on « tonnes de blé dur »,ot les paysans ou\-niènios se
divisent on trois classes : ceux, assez riches ])our la |ilupart, dont la
terre acquilte un impôt déplus d'une tonne de blé dur, les ijaardmnntl ;
ceux (pii ont soulonieut une maison, et qui paient un impôt ini'ériour
' Troiiorlion ilos aiiiiii;iiix pni- IdIKI haliitanls en iliviTses cnnlréos :
lliL'uN. Montons. Porcs.
Danemark (1878) 708 ItO". 264
Serl)ie (IStill) (ino 'iiOl 106-2
Allemaïiic (l!s7r.i. ,"88 (iO'.l 17."
Aulricliï-llon-ii.' (1870) ."M (iOi> 1%
ilussic d'Euiopc (1877) ,"12 (■>I2 l.'l
France (1877) 310 03.5 l.")G
Iles l!nlainii|!ies (18711) .-j-lg 110.") lil
AGRICULTURE, PÊCHERIES DU DANEMARK. K
à une tonne de hli- dur, les huusm^end ; enfin ceux qui demeurent chez
autrui, les inderstcr. Mais on peut dire que la moyenne et la petite pro-
priété sont la règle'; la plupart des paysans sont dans une réelle aisance
et leurs maisons sont commodes, bien aérées, pourvues de meubles solides,
ornées avec un certain luxe. D'après les statistiques officielles, l'ensemble
des richesses du Danemark est évalué de 6 à 7 milliards et demi, soit de
5000 à 5750 francs par tète, et l'accroissement annuel de la fortune
nationale serait en moyenne de 120 millions. Dans aucun pays, les
caisses d'épargne n'ont proportionnellement plus de capitaux : à en juger
par la statistique de ces établissements, les Danois seraient le peuple le
plus économe de l'Europe; tandis que l'épargne moyenne de r.\nglais est
de 54 francs, elle est de plus de 1(30 francs par habitant du Danemark.
Ce pays est le seul de l'Europe continentale où le droit aux secours
soit reconnu et où des taxes spéciales soulagent la misère ; mais c'est
dans les villes, surtout à Copenhague, que vont s'employer les revenus
de ces taxes : dans les campagnes, le bien-être est général. En Danemark
et dans les autres pays Scandinaves, les partis avancés se composent sur-
tout de paysans, tandis qu'en France et dans le reste de l'Europe les
populations rurales sont généralement plus arriérées que les habitants des
villes. Connaissant fort bien leurs droits, les paysans danois se plaignent
surtout de la répartition des charges du budget.
La pèche ne contribue pas à cette prospérité générale de la contrée
autant qu'on pourrait le croire, vu l'étendue des côtes et l'abondance de
la vie animale dans les mers qui les baignent. Les habitants des îles et du
Jylland oriental trouvent dans l'agriculture un moyen d'existence plus
facile que dans les hasards de la pèche; ils ne veulent pas s'exposer au
danger pour se procurer une denrée qu'ils vendraient à vil prix ; les jeunes
gens du littoral préfèrent s'engager dans des voyages au long cours, où ils
peuvent compter sur un gain plus sûr et plus régulier". Cependant la
pèche est loin d'être une industrie complètement négligée, surtout le long
des côtes occidentales, où la terre infertile ne fournit pas au cultivateur
un revenu suffisant. Là d'ailleurs les eaux sont fort riches en poisson.
A Nyminde-gab, c'esl-à-dii'e à la bouche du fjord de Ringkjnbing, ou pécha
en 1802 plus de 7(10(100 m(>rlans et 25 000 morues; les thons v sont
énormes. Aux alentours de la pointe de Skagcn, sur les rives basses du
' Grandes propriétés pn 1871 | l)'2X
l'ropriclcs moyennes (ili- 12 à I liiiiri.' (le l)lé dur) 71873
i-eliles pi oprii:lés (iul-dessous d'une lonnc) 152 8511
' Irmingcr, Notice sur les Pêches du Danemark; Reine ni.iriliine cl to.o:iialc, sc|it. 1805.
46 NOUVELLE GÉOGRAPUIE UNIVERSELLE.
Lim-fjord, dans la rivière de Gudcii et le fjord de Uaiidcrs, ainsi que sur
les rives du Belt, la pèche est également fort active, et les marins de
Bornhoira capturent des harengs et des saumons qu'ils transportent à
Swinemiinde, d'oiî ils sont expédiés sur Berlin, Vienne et Paris. A Mid-
delfart, dans l'île de Fyen, il existe depuis 1695 une corporation de pêcheurs
qui se livrent pendant l'hiver à la chasse du marsouin (dcIphinHS phocaena),
dont ils recueillent l'huile : une pèche annuelle de mille de ces animaux
leur donne un bénélice suffisant '.
Le Danemark n'est pas un pays de grande industrie : si ce n'est à Copen-
hague et dans quelques villes de Fyen et du Jylland, il n'y a guère que
des fabriques de draps grossiers et des distilleries : les mines de chaibon,
la force motrice de l'eau manquent au pays. Dans les rares districts des îles
où quelque ruisseau coule sur une pente inclinée, comme à Frederiksvierk,
à l'issue du lac d'Arre, les usines se pressent au bord du courant. Mais les
Danois obtiennent par un commerce actif tous les objets manufacturés
dont ils ont besoin. Proportionnellement au nombre de ses habitants, le
Danemark se livre à un mouvement d'échanges plus considérable que la
France. Pendant les dix années qui se sont écoulées de 1866 à 1875,
le commerce extérieur du pays s'est augmenté de près de moitié ; mais
l'accroissement s'est porté surtout sur l'importation. L'ensemble du trafic
danois est évalué en moyenne à 550 millions de francs, dont plus de 500
millions à l'importation ^ La situation même de la contrée semblerait
devoir assurer à l'Allemagne le premier rang parmi les nations avec les-
quelles commerce le Danemark, et jusqu'en 1875 c'est en effet avec les
ports allemands qu'avait lieu la plus grande partie des échanges ; mais,
en dépit de l'éloignement, la Grande-Bretagne a fini par distancer ses rivaux
de Hambourg, de Lubeck, de Stcttin '. Du reste, l'Allemagne est l'intermé-
diaire de presque tout le trafic du Danemark avec l'Europe continentale,
uotanmient avec la France, la Belgique, la Néerlande et l'Austro-Hongrie.
Le mouvement commercial de la contrée devant se faire presque en
entier par mer, la navigation est d'une extrême importance : elle dépasse
' Iriiiingcr, Piotice sur les Pèches du Danemarli.
- Cunimcrce extérieur en 18S1 (i02 TJO 000 IVaiic».
liii|ioiliilions 545 000 000 »
Expm-lalions 257 7bO 000 »
' Commerce du Doncmark avec les pajs ctrangeis en 1875 :
Gramle-liielagne . . . . ISit 010 100 francs.
Allemagne 185 7-29 tlOO »
Suède 07 871000 »
Norvège 55 220 900 »
Colonies danoises .... 1 i 722 500 francs
Russie 1 1 780 600 »
Néerlandc 1 1 078 900 »
France f» 6)5 800 •
STATISTIQUE LU DANEMARK. i'
2 millions de tonnes', dont la plus forte part est encore représentée par
les voiliers. La flotte de commerce nationale comprend plu3 de 5000 na-
vires, presque tous mus par le vent, et d'un port total d'environ
250 000 tonnes-.
Grâce aux détroits, aux nombreux fjords, les communications sont
faciles au Danemark, si ce n'est dans certaines parties du .Tylland, et dans
chaque île des routes réunissent les uns aux autres tous les ports princi-
paux ; les chemins de fer sont assez nombreux dans le pays, et Copen-
hague étend comme de grands bras ses lignes ferrées vers toutes les côtes
de Sjalland '. Le réseau télégraphique et le mouvement postal se sont
accrus dans la même proportion \
L'instruction publique est très développée en Danemark, la fréquenta-
tion des écoles étant obligatoire de l'âge de sept ans à celui de quatorze.
Toutes les villes importantes ont des gymnases publics, écoles « latines »
et de sciences exactes, ainsi que des écoles spéciales, et tous les villages
ont des écoles primaires inférieures et supérieures ; en outre, il s'est
formé depuis le milieu du siècle plus de cinquante écoles secondaires de
paysans. A côté des établissements d'instruction appartenant h l'État, sept
institutions privées ont aussi le droit de délivrer des certificats qui don-
nent aux élèves accès dans l'Université \ Depuis l'année 1875, les femmes
peuvent suivre les cours universitaires au même titre que les hommes et
concourir pour les mêmes diplômes. Il est certain que, prise dans son
ensemble, la nation danoise est une de celles qui se sont élevées le plus
haut par l'instruction moyenne et par l'amour de la lecture' aussi bien
que par le bien-être matériel. Mais, par un singulier contraste, c'est parmi
' .Navigation dans les poils danois en 1875 :
De port danois à port danois. . . . 46 826 navires, jaugeant COfl 20."i tonnes.
Entre port danois et port étranger. 41768 » i> I175 871 »
Ensemble 88 504 navires, jaugeant 2 175 107 tonnes.
' Flotte commerciale du Danemark en 18S2 .
522G navires, jaugeant 2G0 .■>60 tonnes.
Dont 227 bateaux à vapeur, jaugeant (il 450 »
5 Chemins de fer du Danemark, le l" janvier 1881 ' 1770 kilomètres.
♦ Longueur des lignes télégraphiques en Danemark, le 1" janvier 1881, 5653 kilomèlres.
Télégrammes, en 1876,910 655: 451 197 àrintérieur; 276 146 :i Tétranger; 255 5!2cn Iransit.
Mouvement iiustal, en 1880 25 .".22 000 lettres et cartes.
26 042 000 journaux.
' Ëlabllssemenls d'éducation publiipie en 1875 :
2940 écoles primaires; Uigjronases, 55 écoles secondaires de villages, 4 écoles normales.
' Feuilles périodiques paraissant en Danemark, en 1876 : 200.
48 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
les Danois que les peines de cœur et les chagrins de toute espèce poussent
le plus d'hommes au désespoir : nulle part, si ce n'est en Saxe, les suicides
ne sont aussi Iréquents'.
VI
D'après la constitution danoise, plusieurs l'ois modiliée depuis 18(30,
tous les citoyens âgés de trente ans, résidant depuis un an dans la commune
et ne recevant point de secours de la chaiité puhlique, forment le corjs
électoral. Ils nomment directement, pour le terme de trois années, les
membres du Folkcthing ou de l'Assemblée populaire, dont le nombre est
fixé à 102 pour toute la monarchie. Les 54 membres élus du Landsthimj
ou de la Chambre haute sont nommés pour huit ans par des corps électo-
raux, composés en partie des plus fort imposés des villes et des campa-
gnes, en partie de délégués des citoyens. A ces 54 membres temporaires,
le roi en ajoute 12 à vie, qu'il choisit parmi les membres actuels et les
anciens membres de l'Assemblée. Représentants et sénateurs, formant
ensemble la Diète ou Rigsday, sont rémunérés les uns et les autres au
même taux, environ neuf francs par jour, pour leurs fonctions. De même
que dans les autres pays constitutionnels, c'est la Chambre populaire qui
discute en premier lieu le budget présenté par le gouvernement. Tous les
quatre ans, le Landsthing choisit dans son sein les quatre juges assistants
de VHôtesteret ou Cour Suprême, qui seule peut connaître des accusations
portées contre les membres de l'une ou de l'autre Chambre.
Le pouvoir executif est exercé par un ministère composé de six mem-
bres : le ministre des finances et président du conseil, les ministres des
affaires étrangères, de l'intérieur, de l'instruction publique et des cultes,
de la justice et de l'Islande, de la guerre et de la marine. En droit, ils
sont individuellement et collectivement responsables de leurs actes, et, en
cas de condamnation, ils ne pourraient être pardonnes qu'avec le consen-
tement du Folkething. Le roi doit professer la religion luthérienne, re-
connue comme religion de l'État; sa liste civile est de 1400000 francs;
celle du prince héritier s'élève à 168 000 francs. Les juges des 18 tribu-
naux de première inslance sont nommés i)ar le roi, de même que ceux
des deux cours d'appel, siégeant l'une à Copenhague pour les îles, l'autre
' Dimeiiiarli. . . . 288 suicides par million d'iKiLiLmls (-250 de ISG'J à 1878).
France 1 10 » »
(IL {'.. LiiiMliiird, Tiaitr lie cliiiHitijlo(jic médicale.)'
ADMIMSTUMION DU DANE.MAUK.
à Viborg pour le Jyllaiul. Jusqu'à une époijue récente, le pouvoir judiciaire
et le pouvoir administratif étaient réunis dans les mêmes mains : depuis,
une loi de 1868 a décidé que cet état de choses changerait dans un
— in'HlXS DE fFJt DU l'VNF.MA
avenir prochain; les deux pouvoirs doivent, dé-^ormais, être séparés, mais
celte transformation, qui s'accomplit graduiillemenl, n'est pas encore ter-
minée.
La procédure civile, qui se faisait par écrit, se fait aujourd'hui publique-
ment cl par débat contradictoire. Les avocats, qui sont en même temps
avoués, se divisent en trois classes, et seulement un petit nombre d'entre
î)0 NOUVliLLE GÉOGRAPUIE UNIVERSELLE
eux, les avocals à la cour suprême, ont le droit de plaider devant tous
les tribunaux : on ne comptait dans le royaume que H de ces hommes
de loi en 1872.
Bien que le culte luthérien soit officiellement la religion de l'État, la
liberté des confessions est entière en Danemark, et, si ce n'est par la voie
indirecte du budget, nul n'est tenu de contribuer à l'entretien d'un culte
qui n'est pas le sien. Les fidèles ont même conquis le droit de se grouper
et de se cotiser pour la fondation de paroisses dites « électives », dont ils
nomment et payent les desservants.
Les sept évèques du royaume, sans compter celui de l'Islande, ceux
de Sjâlland, Laaland-Falster, Fyen, Ribe, Aarhus, Viborg, Aalborg, sont
des personnages considérables, jouissant de grands privilèges ; mais ils
n'ont pas accès dans la Chambre haute. D'ailleurs la population pres-
que tout entière, d'après les registres de l'église, est classée comme
luthérienne : le nombre des dissidents ne s'élève pas même à un centième
des habitants.
Parmi les non-luthériens, les juifs sont en majorité, puis viennent les
anabaptistes et les mormons; les catholiques romains ne sont qu'au cin-
quième rang'.
D'après la loi de réorganisation de l'armée, passée en 18G7, tous les
Danois valides âgés de 22 ans doivent le service militaire à l'Etat, pendant
huit ans dans l'armée régulière, pendant huit autres années dans la
réserve. En réalité, ils ne servent que durant une période d'exercice variant
de quatre mois à neuf mois, suivant les corps; mais un certain nombre de
recrues sont rappelées pour de nouveaux exercices, et tous les ans les sol-
dats prennent part à des manœuvres qui durent de trente à quarante-cinq
jours.
La force totale de l'armée de ligne est évaluée à 55 000, celle de la ré-
serve à 15 000 hommes. Le nouveau projet de réorganisation vise surtout
une meilleure instruction militaire et une plus grande rapidité dans la
mobilisation des troupes.
La conscription recrute les hommes de la côte, surtout les marins et
les pêcheurs, pour le service des navires. Les équipages de la flotte com-
prenaient en 1885, vers la fin de l'année, 1157 hommes, sous les ordres
' Danois classés par roliiiions, en 1881) ;
Lulhûriens I '.t.")l .î(ll i Mormons d aiilros soctos , 4 433
Juifs. . . 3i)l(i Callidliiinc- 3000
Anabaplislcs 3 (>87 I Urlnnnés 1 363
mm
ADMÎMSTRATinX DU llANEMAI'.K. 53
d'un vice-amiral, de 2 contre-amiraux, lô commandanls, el 110 autres
officiers'.
Les possessions coloniales du Danemark sont fort étendues : il est vrai
que les deux plus vastes territoires qui lui appartiennent, l'Islande et le
Groenland, sont en grande partie inhabitables : c'est avec difficulté que
l'on a pu pénétrer çà et là sur le pourtour des immenses champs de glace
qui occupent l'intérieur du Groenland; on ignore même comment celte
île se termine du côté du pôle. Après l'Islande, les possessions les plus
importantes du Danemark sont trois des petites Antilles : Sainte-Croix,
Saint-Thomas et Saint-Jean, situées à l'angle nord-oriental de la mer des
Caraïbes, aux « débouquements » de cette méditerranée vers l'Atlantique.
Le port de Saint-Thomas est l'un des principaux centres de rendez-vous
et de croisement pour les navires'.
Le budget du petit Etat, dont les possessions parsèment néanmoins
un espace si considérable du monde, est très prospère, en comparaison
de celui des grands États. En moyenne, ses dépenses, qui s'élèvent d'or-
dinaire à 60 millions de francs, sont couvertes par les revenus, et la dette
a été considérablement réduite pendant les dernières années; la dette
extérieure est presque complètement amortie, et l'intérêt de la dette
intérieure ne s'élève qu'à 10560000 francs'. Devenu trop faible comme
puissance militaire pour n'être pas à la merci de sa voisine du sud, le
Danemark a cessé de faire, comme autrefois, de continuels préparatifs
pour une guerre à outrance. La plupart des forteresses ont été abandonnées
' Etal de la marine danoise en 188^ :
Navires cuirassés 10 porUint 91 canons.
^apeurs à tiélice non cuirasses 10 » 126 n
)) 3 roues 2 II 4 »
Canonnières à hélice 15 u 29 n
Torpilleurs 10
Bateaux à voiles 25
Total 70 vaisseaux.
- Possessions du Danemark :
Superficie. Population en ISSO. Population kilamélrique.
Farder.
1 553
kil.
carrés.
11220 hab.
8 hab.
104 785
»
72 450 .1
0.7 II
88 100
II
10 000 »
0.1 II
359
)i
35 760 1,
9i
19i577
kil.
carrés.
127 450 liai).
0.7 liali.
Groenland . .
Petites Antilles
Ensemble.
' Budget du Danemark :
Bcceltes en 18S3 . ........ 74 539 833 francs.
Dépenses I) 70 542 131 »
1866. . . Capital de la dette 364 212 075 francs. Intérêt 53 4-26 425 francs.
1882. . . Il » 15S031962 » » 13 516 916 »
54 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
OU ne sonl plus entretenues avec le soin que demandent des places fortes :
les principaux châteaux du Danemark sont des musées ou des palais de
plaisance, comme Rosenborg et Frederiksborg.
Administrativement, le pays est divisé en dix-huit bailliages [amter)
ou préfectures, subdivisés en 156 arrondissements [herreder] :
DIVISIÛ.NS
BAILIIACES.
Sll'EUFlClE,
l'Ol'LXATlO.N
GÉ0CRAPIII(JCE5.
£.■< 1S80.
Copenhague (ville) ....
iù kil. car.
254 850 hab.
» (cainpagui- . .
12H »
121 890 "
SlALlAND ET MOEN
Frederiksborg
Ilolbiek
15o3 n
16-24 .-
83 550 »
93 5o0 »
Sorô
1472 .
87 500 ..
Praeslô
1660 ..
101 130 »
BOR-MIOLM
Bornholui.
584 ..
35 350 >
Laala.nd et Falsier. . . .
Maribo
1060 ..
97 000 •
Ftks et Îles toisises . . .
1705 .
1611
128 900 .
117 000 .
Svenborg .
1
Hjôrring
2775 ..
100 550 »
Tbisted
1087 ••
2956 .
64 000 .
96 200 «
Aalborg
Viborg . .
5051
93 330 ..
JlLLAND. . .
Randcrs ...
2455 ..
104 320 »
.\aihus .
2477 ..
140 900 .
1
Vejle
2536 ..
108 500 .
!
Ringkjôbing
4327 ..
87 400 »
Ribe. . . . .
30i3
73 250 •
CHAPITRE II
LA PÉNINSULE SCANDINAVE
XUliVÈCE ET SUÈDE
I
La grande presqu'île Scandinave comprend deux Etats distincts, quoique
gouvernés par un même roi et liés l'un à l'autre par des relations fort
étroites. Norvège et Suède, Norge et Sverige, veillent avec une singulière
jalousie à leur indépendance politique respective, et même pour les usages
et le genre de vie le contraste entre les deux peuples se marque nettement.
Au point de vue géographique, la Norvège et la Suède forment aussi
des régions naturelles en opposition tranchée, puisque l'une se compose,
d'une manière générale, de plateaux et de montagnes tournant leur versant
brusque vers l'AlIanliquc, tandis que l'autre est une longue déclivité s'abais-
sant vers une mer intérieure. Mais le contraste physique et la séparation
politique n'empêchent pas que la Norvège et la Suède, ou le Weslarfold et
l'Âustarfold — comme on les appela jadis' — ne fassent partie d'un
corps qui présente un caractère distinct des autres parties de l'Europe el
qu'il importe d'étudier dans son ensemble. Le nom de Scandinavie ou d'île
de Scandia, appartenant autrefois à l'extrémité méridionale de la Suède,
s'est étendu peu à peu à toute la péninsule, indépendamment de ses divi-
sions politiques, et cette communauté du nom indique, en effet, que les
diverses régions baignées à l'ouest par la mer du Nord, et par la Baltique
à l'est, se rapprochent et s'embrassent pour ne plus former qu'un seul
individu géographique. La frontière naturelle de la presqu'île rejoint direc-
tement l'extrémité septentrionale du golfe de Botnie au Varanger-Ijord, sur
' G. Ilaag, Die Vôlker um die OsUee, Baltische Sludicn, 1878.
56 .NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
la mer Glaciale, cl quoique les conventions politiques aient fait ployer la
ligne de séparation de la manière la plus bizarre dans la direction do
l'ouest, en laissant la Russie couper presque entièrement du reste de
la Scandinavie politique le territoire de Finmark, de pareilles limites,
tracées au milieu des solitudes, n'ont qu'une faible importance : c'est bien
à l'endroit indiqué par la nature que la Scandinavie s'enracine dans la
masse énorme de la Russie d'Europe.
Même dans les limites que lui a laissées sa puissante voisine, la Scandi-
navie est une des contrées les plus vastes du continent, dépassant la
France, l'.Vllemagne, l'Austro-Hongrie, n'ayant que la Russie de supé-
rieure pour la grandeur du territoire. Grâce à sa position, à la fois sur
une mer intérieure qui lui permettait de communiquer avec l'Europe
de l'orient et du centre, et sur le grand Océan extérieur qui la mettait en
rapport avec le reste du monde, la Scandinavie devait acquérir dans l'équi-
libre des nations une certaine importance ; ses enfants, les Goths, les Nor-
mands, les Varègues, ont en effet laissé une trace profonde dans l'histoire
comme navigateurs et conquérants. Plus tard, quand l'Europe moderne
s'était déjtà constituée, les Suédois, maîtres d'une partie des rivages orien-
taux et méridionaux de la Baltique, ont pu porter leurs armes, d'une part
jusque dans les Vosges, dans le Jura français, sur le Danube supérieur,
d'autre part jusque dans les steppes russes voisines de la mer Noire;
mais c'est précisément alors, par le désastre de Poltava, que commença la
décadence politique. Avant même d'avoir perdu toutes leurs possessions
en dehors de la péninsule, les Suédois étaient déjà menacés sur leur propre
sol, au nord de la Baltique : en même temps que le premier démembre-
ment de la Pologne, Frédéric II préparait celui de la Suède '. Pendant les
guerres du commencement du siècle, les brusques oscillations politiques
du pays, les soudains changements d'alliances, le renversement de la
dynastie, enfin la perte définitive de tout territoire sur le continent, prou-
vèrent dans quelle large mesure la destinée des Etats Scandinaves dépen-
dait de leurs puissants voisins.
Quoique ramenée vers le sud, pour ainsi dire, par la douceur de son cli-
mat maritime, la Suède est pourtant dans son ensemble un pays trop froid
pour que la population ait pu s'accroître au point d'égaler celle des Etals
de l'Europe tempérée; elle est restée presque déserte, en comparaison de
l'Allemagne et de la Russie centrale. Par le nombre des habitants, la
' Article secrcl du traité de 1704, Archives do Berlin; — A. Goffioy, Gustave III et la cour de
France, t. 1, p. 53.
PÉNINSULE SCANDINAVE. 57
Suède el la Norvège, considérées comme si elles ne formaient qu'une seule
nation, dépassent la Belgique d'un cinquième environ; mais l'espace
sur lequel sont éparses les populations Scandinaves est vingt-six fois
plus considérable'.
Dans la péninsule, la Norvège est le pays des plateaux et des montagnes,
la Suède celui des longues déclivités et des plaines. Celles-ci, dont les cavi-
tés renferment trois grands lacs, s'étendent des profondeurs du Kattegat
vers le golfe de Finlande et séparent du reste de la presqu'île son
appendice méridional, la Scanie, bas plateau d'environ 100 mètres
de hauteur, couvert de collines aux formes arrondies, creusé de dé-
pressions lacustres. 11 reproduit en Suède le pays des lacs de la Fin-
lande. A l'ouest, l'Océan prolonge ses bras ramifiés jusque dans le cœur
des hauts plateaux, tandis qu'à l'est, les lacs se déversent par une pente
douce vers la mer intérieure de la Baltique. La Norvège presque tout
entière est une bande de territoire montagneux présentant des contre-
forts escarpés du côté de l'Atlantique, et sur ses plateaux neigeux s'élèvent
les plus hauts sommets de la presqu'île Scandinave; l'ensemble du massif
a été comparé à une vague prodigieuse qui se serait (igée soudain au
moment oii elle va déferler. Un tiers de la Norvège, mais seulement un
douzième de la Suède', se trouvent à plus de 600 mètres d'altitude.
Sur le développement de 1900 kilomètres qu'il présente, des bords du
Varanger-fjord au Lindesmcs, le massif Scandinave est loin d'offrir l'aspect
d'une chaîne de montagnes, telle que la figurent naturellement les petites
cartes. Dans son ensemble, la Norvège se compose de plateaux ayant de
000 à 900 mètres de hauteur, sur lesquels les montagnes se sont redressées
comme sur un socle commun. Une entaille profonde fuit communiquer les
deux versants et divise ces plateaux en deux parties bien distinctes : au
nord, lelvjdlen, qui se prolonge du Finmark au plateau de Trondhjem; au
' Superficif^ Pnpulation
il'aprésBelim el Wagni-r. en 1881. Populolion kilomclrique.
Norvège .325 i23 kil. riir. I O'IT, nOO hah. G liai).
Suède VoO 47i • i 57'.> '245 « 11.
Péninsule Scandinave . . 775 897 kil. car. 6 497 245 liah. 8.5 liab.
' Ed. Erslcv, Lœrchog i dcn almindeliger Gcoijrafi.
58 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
sud, le Dovrc et les massifs voisins. La hauteur moyenne des sommités nor-
végiennes n'est que la moitié de celle dos Alpes, tandis que la base géné-
rale du système Scandinave dépasse d'un tiers en largeur la base du
système alpin.
Même à l'extrémité nord-orientale, dans tout le Finmark, il n'y a point
de faîte; le pays entier, dont l'altitude est d'environ 500 mètres, est une
vaste protubérance ondulée, composée de roches paléozoïques, sur les-
quelles s'élèvent çà et là des montagnes ayant en moyenne 500 mètres
de hauteur. La fière cime du Raste kaïssa se dresse près de la frontière
russe, au-dessus de la vallée du Tana-elf : elle dépasse 850 mètres,
élévation que n'atteint aucun autre sommet dans la direction de l'est,
jusqu'aux monts Oural : non loin de là, disent les Lapons, se trouve
un cône d'où s'échapperaient parfois des vapeurs brûlantes (?) et autour
duquel les neiges fondraient rapidement'. Quoique l'altitude géné-
rale du pays soit peu considérable, les promontoires qui s'avancent
dans la mer, à l'extrémité de chaque njarg ou presqu'île den-
telée, se terminent presque tous par de hautes terrasses abruptement
coupées et que l'on croirait être les soubassements de sommets alpins :
un de ces caps est le Nord-Kyn ou Kinerodden, la saillie la plus septen-
trionale du continent d'Europe; deux autres, la pointe peu élevée de
Knivskiàrroddcn et le haut cap Nord, plus rapprochés du pôle de six
kilomètres, appartiennent à une île de granit, Magerô % séparée de la Nor-
vège par un étroit canal. Le formidable rocher, que des crevasses découpent
en piliers énormes, domine de plus de 300 mètres le mouvement continuel
des flots : sur le flanc oriental de la falaise, à mi-hauteur des escarpements,
s'avance une « corne », bloc détaché que les marins signalent au passage.
Le cap Nord est un des points indiqués par le navigateur autrichien
Weyprecht comme un des endroits les plus favorables pour l'établisse-
ment d'un observatoire polaire de météorologie.
Au suil-ouest du cap Nord, les hauteurs du littoral et des îles se suc-
cèdent en montagnes âpres, assez rapprochées les unes des autres pour
offrir de loin l'aspect d'une chaîne continue : c'est là que commence le
Kjôlen profirement dit'' ou le faîte do la Scandinavie du nord. Dans l'île de
Seiland, le fleuve de glaces le plus septentrional de l'Europe s'épanche des
' Glubus, XXXII, n» 2.
' Polir rorllioj;rii[ihc des noms yéogniiilii(|iics de la Norvi^jjc, nous suivons l'oiiviaj;!' ivccnl d'
M.O. J. lirocli, Le roi/aume de Norvège et te peuple norvéïjien. Toulelois nous cunlimienins d'em-
ployer avec un grand nombre d'aulcurs la leltre 6' au lieu de \'o barré.
'- Kjulen en norvégien; Këlai en suédois.
MONTAGNES DE LA SCANDINAVIE.
12. ILE i:*CEIln
59
neiges persistantes d'un cirque de rochers, et, sur la ferre ferme, le gla-
cier de Talvik descend d'ordinaire jusqu'au rivage de i'AIten-tjord. Sur le
versant méridional du même massif un autre courant glacé, pareil à ceux
du Groenland, s'écoule dans les eaux de Jôkel-fjord' : c'est le seul endroit
de la Scandinavie où l'on puisse voir encore le spectacle, si fréquent dans
une époque géologique antérieure, de fragments de glace se rompant
au-dessus do l'eau qui les mine ou bien se détachant des tranches déjà
submergées et repa-
raissant à la surface
pour voyager au loin
emportés par le flot.
Au sud de ces premiers
glaciers, la Norvège en
offre beaucoup d'au-
tres, dix et cent fois
supérieurs en étendue ,
mais tous se fondent
avant d'atteindre la
mer.
Les plus hautes
montagnes du Kjôlen
septentrional sont le
Kabna-kaïssa et le Sa-
rckt-jaokko, qui s'élè-
vent à plus de 2000 mè-
tres ; mais la plus con-
nue est le Sulitjelma,
qui se dresse encore au
nord du cercle polaire, au-dessus des ramifications orientales du Salten-
fjord. Ce n'est pas un pic isolé, mais plutôt un groupe de soinuKîts reposant
sur un plateau, haut de près de 1500 nièlres et recouvert d'une prodigieuse
quantité de neiges, où s'alimentent des glaciers. Au sud de ce massif, et
séparé de lui par un lac profond, se dresse le Saulo, moins élevé que les
cimes principales du Sulitjelma, mais solitaire, imposant d'aspect et domi-
nant un panorama très étendu, limité du côté de l'ouest et du sud-ouest
par l'énorme plateau que recouvre le Svartisen ou le « filacier Noir » :
c'est le plus grand névé de la Scandinavie septenlrioMah'; il couvre un espace
<^V*3h AMG£RO ^ "-■-■:■
Us profondeurs sotil opprojimiilives.
* Widerbcg, Notes manusoiies.
60 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
de 600 à 800 kilomètres carrés. Xa sud de la rivière Vefsen, un autre
plateau, le Slore-Borgefjcld, porte un névé de 580 kilomètres carrés. Des
montagnes de 1400 et de ioOO mètres de hauteur s'élèvent encore dans
cette partie duKjôlen; puis le faîte s'abaisse et de larges passages s'ou-
vrent dans son épaisseur entre les deux versants. Un plateau marécageux,
réunissant deux lacs et par eux deux vallées, qui s'inclinent l'une vers
le fjord de Trondhjem, l'autre vers le fleuve Indals, atteint à peine l'altitude
de 450 mètres. Près delà, une route carrossable, la plus septentrionale du
faîte, a son point culminant à 510 mètres; à quelque distance au sud, de
PnOFlI, DU FAITE se
Les hauteurs sont ciiKjuante fois plu
ôlKl kil.
s que les longueurs.
l'autre côté du massif de Kjôlhoug, le chemin de fer de Trondhjem à
Sundsvall franchit le Kjôlen à 594 mètres de hauteur. Quelques grands
sommets, tels que le Scilentind, peu inférieurs au Sulitjelma, se dressent
isolés dans cette partie méridionale du Kjolen qui s'épanche vers le golfe
de Botnie par une longue déclivité sillonnée de vallées parallèles, dont les
parties supérieures sont occupées par des lacs allongés, semblables à
ceux du versant italien des Alpes'.
Des bas chaînons, des terrasses rejoignent les ramifications du Kjolen
au Tivcden et à d'autres collines, en grande partie composées de débiis,
qui servaient autrefois de limite naturelle aux deux moitiés de la Suède,
Nordan-skot;' cl Sunnan-sko^s la « Forêt du Nord » et la « Forêt du Sud >v.
Altitudes des montagnes principales du Kjolen seplenlrioii;iI elde la Lapoiiic:
Rasle-kaïssu 862 mèlics
Cap Nord 508 »
Kabna-kaïssa 2270
Sommet de Se iland 9i2 »
Sarekijaùkko (d'après Rabot) . 2135 »
Sulitjelma 1880 mètres.
SaiiU) IGOS »
Kjdllioug 1280 »
Faxefjeld 940 ^
Soleutiud 1788 »
MONTAGNES DE LA SCANDINAVIE. 01
Quant aux divers groupes de hauteurs qui s'élèvent dans la partie orien-
tale de la Péninsule, et notamment dans la Scanie, jadis île séparée
du reste de la Suède par de larges détroits, il faut les considérer comme
tout à fait distincts des massifs du faîte norvégien, quoicpa'ils soient formés
presque an entier des mêmes roches cristallines et paléozoïques et qu'ils
aient été parcourus pendant l'époque glaciaire par les blocs erratiques
venus du Kjôlen. Cependant des roches basaltiques forment un petit massif
en Scanie, et des trapps se sont répandus au-dessus des couches sédi-
mentaires dans la Yestrogothie. Les hauteurs du sud constituent dans
X° li. PnOMOSTOIRE DF. KCLLES.
OsOé/OMet C/e/0ù90.
1 : -.in noo
de SOa^-aeli
leur ensemble un plateau très inégal, dont le point culminant arrondit
sa croupe à une trentaine de kilomètres au sud du lac Wettern. Près de
là se dresse le Taherg, montagne à brusques parois qui se compose entiè-
rement d'un minerai de fer magnétique contenant j)rès d'un tiers de métal
pur. Dans la Suède méridionale, quelques collines, d'autant plus belles
qu'elles sont isolées, s'élèvent çà et la au-dessus des plaines du littoral :
tel est le promontoire silurien de Kullen, qui s'avance en forme de harpon
à rentrée septentrionale du Sund; les marins cherchent cette falaise qui
les gui(l(! en dressant peu à peu sa pointe au-dessus des Ilots'.
' Altitudes principales de la Suède méridionale
Galtascn, au sud de Jonkôpinp. . 526 mètres.
Tabcrg » » . . ôl'i »
Kinne-kuUe (au sud-est du lac
WeiKTu) 298 ..
Billing (entre les lacs Wettern cl
'«Vcncrn) 275 mètres.
Mosscberg, id 205 »
I Kullen, au nord du Sund. . . . 188 »
62 NOUVELLE GÉOGr.Al'HlE UNIVERSELLE.
Tandis qu'à l'est le Kjôlen méridional s'abaisse définitivement vers les
plaines de la Suède, il se continue an sud-ouest par le plateau de Trondhjem,
dont la hauteur moyenne est de mille mètres dans sa partie centrale et
qui s'incline doucement vers ses bords; le chemin de fer de Christiania' à
Trondhjem, qui le gravit au sud par la vallée du Glommen et passe
par la ville minière de Rôros, franchit le seuil à 670 mètres d'alti-
tude seulement; mais tout le reste du plateau de la Norvège méridio-
nale est un pays élevé, coupé du côté de la mer par de brusques escar-
pements. C'est là que se dressent les plus grands sommets de la pénin-
sule Scandinave et de toute l'Europe au nord du Tatra : là s'étendent les
fjeldme^ ou champs de neige les plus vastes, et chacun d'eux est entouré
de glaciers (brae), que dominent quelques saillies ayant la forme de
dents (tind), de cornes (horn), d'arêtes {egg), de croupes {kol ou nul).
Les massifs distincts sont nombreux et peuvent être classés diversement,
suivant l'importance que les géographes donnent aux échancrures du pla-
teau. Au nord-est s'élève le Dovre (en français Dofrines), dont le nom est
appliqué souvent à tout le plateau, et au-dessus duquel, parmi d'autres
montagnes de plus de 2000 mètres, se dresse la pyramide émoussée,
d'ailleurs peu imposante", du Snôhatten, longtemps considérée à tort
comme le plus haut sommet de la Norvège. Les Alpes de Romsdal, les
Langfjelde se succèdent au sud, dans le voisinage de fjords aux cent bras.
Les « Monts des Géants » ou Jolunfjelde, dont les cimes nombreuses domi-
nent les ramifications orientales du Sogne-fjord, méritent bien leur nom,
car ces pointes sont les plus élevées de la Scandinavie, et l'une d'elles, le
Galdhôpiggen ou Ymesfjeld, redresse les saillies bizarres de ses crêtes à
plus de 2 kilomètres et demi au-dessus de l'Atlantique. Il n'est point de
montagnes en Europe d'où le regard se promène sur un horizon plus vaste
d(; neiges et de rochers; dans l'immense étendue nul vallon verdoyant ne
révèle le séjour de l'homme, et l'on n'y voit pas même de taches sombres
indiquant les forêts*. Plus à l'ouest, et déjà découpé au sud par les golfes
latéraux du Sogne-fjord, s'étend le névé de Justedal (ou Jostedal), le plus
grand plateau neigeux de la Scandinavie et de l'Europe continentale, car
ce névé, entouré de roches encore inaccessibles, ne recouvre pas moins de
000 kilomètres carrés d'un manteau de neige immaculée, de toutes parts
' il serait plus régulier d'écrire Kristiaiiia ; mais l'ancienne orlliograplie du nom s'est maintenue
à côté de la forme nouvelle.
* Fjetd en norvégien; fjâll en suédois.
= Cari VogI, ?;ord-FaUii.
* lluilli, Millheilungen von Pctcrmann, 1870.
MONTAGNES DE LA NORVÈGE MÉRIDIONALE.
03
frangé de glaciers qui descendent dans les cirques'. Au sud du Hardanger-
fjord, un autre grand névé, celui du Folgefonn ou rolgelonden, s'étend
N° 13 P1.ATEACX ET MOXTAGXES DE lA NnilVÈCE MÉr.IOIONllE.
OtC j 5Û0M Dr û i 50 J at SGO i 1000
l : iâooOdO
sur un espace évalué à 280 kilomètres carrés, et de la mer même, par delà
le rempart d'îles montueuscs qui bordent le littoral, on aperçoit ces neiges
' C. de Souc, Le névé de Jusledal et ses glaciers, Clirisliania, 1870.
04 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
brillant entre les roches noires, au fond des sombres avenues des fjords.
Beaucoup d'autres massifs, moins hauts ou moins fréquentés des voya-
geurs, complètent le relief de la Norvège méridionale, le Hardangervidde,
les Oplande, les monts d'Ovre-Telemark (ou Thelemark) et ceux du Sae-
tersdal, qui vont se terminer à la roche aride, allongée et polie du cap
Lindesnaes'.
Quoique situés sous une latitude plus méridionale que le Kjôlen, le
Justedal et les massifs environnants doivent leur abondance plus considé-
rable de névés à la plus grande largeur de leur base, située en partie
au-dessus de la limite des neiges persistantes, qui dans cette région de la
Norvège entoure les monts à l'altitude moyenne de 1200 à 1400 mètres.
Les glaciers de Justedal sont aussi les plus étendus de la péninsule; grâce
au voisinage des villes, Christiania, Stavanger, Bergen, Trondhjera, ce sont
aussi les plus connus, et depuis longtemps déjà on en raconte les mouve-
ments alternatifs de progrès et de recul. Pendant le cours du dix-huitième
siècle, ces glaciers ne cessèreul d'augmenter : des fermes, des champs cul-
tivés furent envahis par les moraines, et la population dut graduellement
battre en retraite devant les fleuves solides ; de petits glaciers commençaient
à perler sur les pentes des alentours, et plusieurs cimes qui précédemment
se débarrassaient de leurs neiges tous les ans, restaient blanches pendant
l'été. Depuis 1807, un mouvement de retraite a commencé pour les gla-
ciers : quelques-uns d'entre eux se montrèrent de 700 et même de 1000
mètres moins avant dans les vallées, et les moraines restent isolées au mi-
lieu des pâturages. Mais on cite aussi des fleuves de glace de la Norvège mé-
ridionale qui n'ont cessé d'avancer : tel est le Buerbrae, dans le Folgefonn,
qui continuait sa marche en 1871, et dont l'extrémité inférieure se trou-
vait alors à 577 mètres d'altitude'. Actuellement plusieurs des glaciers du
Justedal descendent au-dessous de 500, de 400, même de 500 mètres. Deux
glaciers qui s'épanchent du versant méridional de ce massif, le Boiumbrae
et le SuphcUebrae, s'arrêtent l'un à 149 mètres, l'autre à 50 mètres seu-
lement au-dessus des eaux du Fjœrln-fjord, un des bras du Sogne-fjord ".
En étudiant les intervalles des rubans do glace boueuse, David Forbes évalua
la marche aninielie d'un courant glacé de cette région à 51 mètres par an,
' Alliludes diverses de la Norvège méridionale
Vmcsfjold (.loliiiifji-ldrne) .... 2500 met.
Si ùhallcn (Dovroljeld) 2522 «
Lodalskuupc (Jusledalsbrx) . . . 2055 u
' Frilz, Milthcitungen von Pdermann, X, 1876.
- S. A. Sexe, Le Glacier de Doium en juillet 1868
Slygfjcld (Oplande) 1880 met.
Folgefonn 1050 »
Romsd;dhorn (Alpes de Romsdal) . 1255 »
MONTAGNES ET GLACIERS DE LA NORVEGE MERIDIONALE. 61
et crut pouvoir déduire de ses observations que le mouvement des glaces
norvégiennes, interrompu par un plus long hiver, est plus rapide en été
que celui des glaces de la Suisse. Du 10 au 19 juillet 1868, en dis.
jours, le glacier de Boium progressa de plus d'un demi-mètre par jour,
d'un millimètre toutes les trois minutes.
Quoique les névés de la Norvège soient beaucoup plus étendus que ceux
des Alpes, les glaciers proprement dits du pays Scandinave ne peuvent se
comparer à ceux de l'Europe centrale. Forbes évalue les deux plus vastes
glaciers du Justedal, le Lodal et le Negaardsbrae, à un septième au plus de
la surface du glacier d'Alelsch : il semblerait au premier abord en devoir
être autrement, car les cimes norvégiennes reçoivent une plus grande
quantité de neige que les Alpes de la Suisse. La cause du contraste que
présentent les dimensions des glaciers dans. les deux contrées provient de
la forme des montagnes. Tandis que les grandes Alpes sont pour la plu-
part d'aspect pyramidal et découpent en dents de scie le bord de l'horizon,
les monts de la Norvège sont des fragments de plateaux sur lesquels se
dressent quelques groupes isolés de rochers aux cimes arrondies qui
méritent plutôt le nom de dent {iind) que celui de pic {piy)- Dans les Alpes,
les dépressions des cimes sont des cirques inclinés, que des couloirs larges
ou étroits réunissent à d'autres sillons de la montagne, n'ayant générale-
ment qu'une seule issue par laquelle s'écoulent en un courant de glace
les neiges tombées sur les sommets : grâce à la déclivité générale des roches,
le glissement des molécules neigeuses se fait régulièrement sur toute la
pente. Dans les massifs norvégiens il n'en est pas ainsi : la neige tombe
sur des plateaux très faiblement inclinés ou dans de profondes gorges
ouvertes comme des lézardes dans l'épaisseur de la masse rocheuse; trans-
formée en névé et en glace, elle s'épanche sur tout le pourtour du plateau
en cascades gelées, aux gradins peu élevés, mais larges, — d'où le nom de
brae sous lequel on les désigne ; — il ne se forme de glaciers que dans les
endroits où la masse de glaçons tombée des terrasses supérieures est com-
primée dans une vallée plus étroite.
Les montagnes de la Norvège, vues de la mer, frappent le spectateur par
leurs arêtes noires, leurs couloirs neigeux, leurs terrasses blanches se
confondant avec les nuages ou contrastant avec le ciel bleu. Chaque année
plus nombreux, les voyageurs, anglais pour la plupart, viennent se retrem-
per dans cette nature austère. Mais dans son ensemble elle doit à son
architecture même d'offrir des paysages beaucoup plus monotones que les
Alpes et les autres chaînes de montagnes. Les plateaux de 1 <K)0 à I jttO mètres
de hauteur, que la neige ne recouvre plus en entier pendant l'été, et que
08 ■ NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNI VEnSELLE.
l'on connaît, suivant les provinces, sous les noms de Hede ou « Bruyère »
et de yidthne ou « Etendues », sont des espaces mornes, plus désolés que
ledéserl. Seulement quelques hauteurs neigeuses, pareilles à des tentes
posées sur le plateau, apparaissent çà et là. Des flaques blanches non encore
fondues se voient à l'ombre des rochers et parmi les amas de cailloux; des
pierres brisées par les gelées parsèment le sol comme les dalles d'un édifice
ruiné. Il faut des siècles pour qu'une nouvelle couche d'humus arrive à
se former. La terre est une argile rougcâtre et gluante, où l'on marche
avec peine; des tourbes, des prairies tremblantes se sont formées dans les
bas-fonds, et des eaux noires cheminent paresseusement d'élang en étang,
cherchant la pente d'où elles pourront se précipiter dans les basses vallées.
La végétation n'est représentée que par des mousses, des lichens, d'hum-
bles graminées ; des genévriers, de petits saules même se montrent dans
les endroits bien abrités; mais les traces de l'homme sont absentes, si
ce n'est dans les rares endroits où des routes, serpentant à l'abri des
monticules, évitant les marécages, franchissent le plateau pour réunir les
deux versants.
A la base des montagnes, on se croirait dans une autre nature, et du
moins l'on est déjà sous un autre climat. Là séjourne l'homme, et sa
demeure se voit au milieu de la verdure des arbres, à côté des eaux ruis-
selantes. Du côté de la mer, les escarpements du plateau se montrent dans
toute leur hauteur; on les suit du regard, en remontant des éboulis qui
cachent le pied des roches aux cimes de l'arête d'écroulement qui limite
le plateau : quelques croupes neigeuses s'aperçoivent à travers les entailles
du massif ou se confondent avec les nues du ciel. Mais c'est l'opposition
de la surface unie des golfes et des roches abruptes qui s'y reflètent, c'est
le panorama toujours changeant des fjords, ce sont les promontoires
entourés d'écueils, les archipels d'ilôts, le dédale des bras de mer, qui
donnent aux tableaux du littoral norvégien leur étrangeté sauvage. Nulle
part dans le reste de l'Kurope, pas même entre les longues péninsules
irlandaises de Kerry, pas même dans les firlhs écossais gardés par des
promontoires basaltiques, les montagnes entre lesquelles serpentent les
eaux marines, ne se dressent plus grandioses et plus féeriques. Le na-
vire qui pénètre dans les sombres avenues de fjords, entre des parois
de rochers dont quelques-unes sont verticales, apparaît d'en haut conmie
un insecte qui se débat au fond d'un puits. Le l}akke-ljord, qui s'est ouvert
du nord au sud, sur la côte méridionale, entre Stavanger et Lindesnies,
n'est qu'une fissure, une « fente du sol «, comme les canons du Colorado.
De niènir, le Lysc-fjord, à l'est de Stavanger, et les graiules avenues
DÉCOUPURES, ARCIIIPKLS DU LITTORAL.
69
convergeant vers Christianssund, ressemblent à des fossés ramifiés creusés
en abîmes dans l'épaisseur des roches.
Frangeant la côte de Norvège, de Magerô au fjord de Stavanger, des
montagnes insulaires, jetées en un désordre apparent, élargissent en pleine
mer le versant occidental du faîte Scandinave. En dehors des péninsules
monlueuses qui ne tiennent au continent que par des isthmes baignant
dans les eaux des fjords, s'élèvent d'autres sommets, formés des mêmes
N° 16. ARCHIPEL ItlIOTS DANS LE SKJAUGAAllD NORVEGIEN'.
E.d.P 8»40
^'è^:m
roches, présentant le même aspect, moins élevés seulement et plon-
geant leur base dans une mer plus profonde : plus loin viennent encore
d'autres îles moins hautes qui continuent en mer le promontoire partiel-
lement immerge, puis au delà se succèdent les îlots et les écueils,
innombrables découpures du skjdrrjanrd. Les Norvégiens comparent ces
îles extérieures à des animaux marins : les rochers qui se voient à
l'extrémité de mainte grande île sont appelés par eux des kabc ou des
« petits ï, eoninic les biileincaiix qui suivent toujours leur mère. Même
70 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
dans les lies Britanniques, plusieurs rochers gardent encore le nom
de calves que leur ont laissés les anciens envahisseurs Scandinaves : tel
est le Calf, qui se dresse à côté du promontoire méridional de l'île
de Man'.
C'est dans la province de Tromsô, au nord de la Norvège, que les îles
du littoral sont en plus grand nombre, s'étendent plus largement sur les
eaux et dressent leurs plus hauts sommets : en plusieurs endroits, c'est
même en dehors du continent que se prolonge le véritable faîte de la con-
trée. En effet, le Kjôlen proprement dit est assez bas à l'est de la chaîne
de montagnes, découpée en de nombreux fragments, que forment l'île
Senjen et les archipels des Vester Aalen et des Lofoten, et qui se dirige au
sud-ouest, en s'écartant peu à peu de la grande terre, de manière à em-
brasser un large golfe connu sous le nom de Vest-fjord. Quelques-uns des
sommets de cette chaîne maritime dépassent 1000 mètres de hauteur, et
même il en est un, dans Hindô, la plus grande île des Lofoten, qui s'élève
à 1500 mètres. Depuis Forbes, de nombreux voyageurs ont comparé la
chaîne dentelée des Lofoten, profilant ses pointes sur le ciel, à la mâchoire
d'un requin. Dans quelques-unes des îles les plus escarpées, l'arête est
si aiguë qu'il serait impossible d'y marcher ; on ne pourrait s'y tenir
qu'assis, une jambe sur chaque versant. A droite, à gauche, les paysages
diffèrent complètement : d'un côté, le dédale des îles, des détroits, des
fjords et les montagnes du continent ; de l'autre, les écueils extérieurs
et la mer sans limites. Le contraste n'est pas moins remarquable entre les
pentes tournées vers le midi et celles qui s'inclinent vers le nord : sur un
des versants s'étendent de belles prairies d'un vert d'émeraude, toutes
émailiées de fleurs ; sur l'autre, d'âpres rochers couverts de mousses et
portant çà et là quelques touffes xie bruyères'. Les parages des Lofoten,
parsemés de milliers de barques pendant la saison de la pèche, sont fort
redoutables à cause de leurs brouillards, de leurs vents, de leurs violentes
marées. On connaît le Mael-strom ou Môskô-strom qui se porte de la mer
extérieure au-devant de la marée du Vest-Ijord, entre les deux îles de
Mosken et de Moskenœs. Le tourbillon qui se produit entre les deux masses
d'eau est devenu, grâce aux récits des marins, le type légendaire de tous
les « gouffres » océaniques; mais dans les mêmes parages de la Scandinavie
du nord les marins ont à éviter d'autres remous qui ne sont pas moins
dangereux. L'écart de la marée dépasse 4 mètres sur plusieurs points du
' Mohn, MiUheilmigen von Pciermaiin, VI, 1878.
* Scbubelcr, Die Vflanzenwell !\'orweyens.
ILKS DU LITTORAL KORVÉCIEN. 71
littoral. et les barrières de rochers qui s'opposent au passage du flot causent
des différences de niveau considérables entre deux bassins rapprochés. En
plusieurs parties de l'arehiiiel, on voit le flux s'élancer en véritables rapides
à travers les détroits'; il est aussi très sensible dans les fjords.
Au sud des Lofoten, il n'y a point d'îles comparables en étendue à
Hindô, Senjen, Sôrô, Langô et autres grandes îles du littoral de Tromsô*,
mais on compte encore par centaines celles qui sont assez étendues pour
offrir un abri à des fiimilles de pécheurs ou même de laboureurs, et
des pâtis pour leurs bestiaux. Parmi ces îles du littoral, que doivent con-
tourner les marins et qui leur servent à reconnaître leur position, plu-
sieurs se distinguent par la bizarrerie de leur forme : on les compare
à des tours, à des châteaux ; une roche, mince, élancée, entourée d'oiseaux
qui tourbillonnent, est 12 Staven ou le « Bâton du Géant » ; une autre, le
Hestmanden, est un cavalier, enveloppé d'un manteau, qui chevauche
éternellement dans le brouillard ou dans la tempête. La plus connue de
ces îles bizarres, le Torghatten, situé vers le sud de la province de Norr-
land, est un énorme rocher de 240 mètres percé vers la moitié de sa
hauteur par une grotte de 270 mètres de long, d'une régularité singulière
et parallèle à la côte de la grande terre. De ses deux porches, l'un, celui
du sud-ouest, a 66 mètres; l'autre, celui du nord-est, 56 mètres de hau-
teur. Les voyageurs pénètrent dans cette caverne pour contempler, comme
à travers un prodigieux télescope, le spectacle de la mer, avec ses îles, ses
écueils, ses navires". D'après la légende, cette énorme ouverture aurait été
faite par la flèche d'un géant dont on voit encore, à quelques kilomètres
de distance, le buste pétrifié*.
Toutes les îles de la côte norvégienne % en y comprenant celles des bords
du Skager Rak, et sans tenir compte des écueils que lave le flot de marée,
" Widerberg, Koles mamisciites.
* Supeificie des plus grandes iles norvégiennes :
Hindo 2238 liilomèlres carrés 1 Langti. . . 886 kilomètres carres.
Senjen lOOC) » » Seiland 593 >■ i>
Sôro 971 I. » I Ost Vagô 541 » »
' Vibc, Kûsten Norwegens, Erijiinzungshcfl zu den MiUhcilungen von Pclainann.
* Xavier Marinier, Expédition au Spilzherg.
' lies de la Norvège, d'après 0. J. lîrocli :
Superficie. Iles habitées. PopuLilionàla fin<Ie 1875.
Iles h l'est du cap Nord 220 liiL car. 10 1500 habitants.
Iles du cap Nord aux Lofoten , . . . 13370 .' 110 58000 »
Des Lofoten au Ijord de SLivanper . . 7 820 .. Hh 148 000 »
Autres iles 490 » 1 95 30 500 .
Ensemble . . 21900 Lil. car. 1160 238000 habitants.
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UiMYERSELLE.
\D ET DEinoiT DE KALMXIt.
s'étendent sur un espace évalué à près île 22 000 kilomèlrcs carrés, c'est-
à-dire environ la quatorzième partie de la surface du pays; mais grâce à
leurs ports, à leur facilité
d'accès, à la douceur rela-
tive de leur climat, aux
pêcheries qui les entou-
rent, elles sont relative-
ment beaucoup plus peu-
plées que la terre ferme,
et contiennent environ le
huitième des >(orvégiens.
Les îles du littoral sué-
dois sont en proportion
beaucoup moins nombreu-
ses que celles de la Nor-
vège ; en divers endroits,
notamment le long des cô-
tes de Scanie, la mer est,
sur des kilomètres de dis-
lance, complètement libre
d'îlots et d'écueils.Maissur
la côte de Kaltegat, notam-
ment au nord de Goteborg,
tout le long du Bohuslàn,
les îles, les îlots, les écueils
forment un skjârgaard qui
ressemble à celui de la
Norvège, si ce n'est qu'il
n'offre point de monta-
gnes et qu'il est dépourvu
de toute végétation. Les ro-
ches, jaunes et rougeàtres,
polies jadis par les gla-
ces et maintenant par les
' ' ' 1 1 vagues de tempête, i)ré-
sentent çà et là l'aspect de
monstres couchés. Au nord de la province de Kalmar, sur les bords de
la Ualliquc, de petites îles parsèment les flots en multitudes, surtout vers
l'issue des golfes et des rivières; mais ce sont des roches basses et s'éle-
ILES ET FJORDS DE LA SCANDLNAVIE. 75
vaut (lu milieu d'eaux sans profondeur : elles continuent les plaines sué-
doises, tandis que celles de la Norvège forment les escarpements extérieurs
des massifs. Dans la mer Baltique, deux grandes îles, — sans compter
Bornholm, — appartiennent aussi à la plaine Scandinave : ce sont les îles
d'Oiand et de Gotland, qui se développent du nord-est au sud-ouest, pa-
rallèlement l'une à l'autre et à l'axe de la Suède elle-même '. Ôland,
composée de roches calcaires anciennes, comme la côte voisine, semble
n'être en réalité qu'un littoral extérieur, encore plus régulier que le lit-
toral intérieur; longue de 150 kilomètres environ, cette île est formée
dans toute sa partie méridionale par une terrasse de pâtis infertiles ne
dépassant pas 42 mètres au point culminant et bordée sur tout son pour-
tour de villages, de hameaux, de moulins à vent : cette terrasse est Valvar,
et ses berges, dominant la riche campagne du littoral, sont le landborg.
Le détroit ou sund de Kalmar, qui sépare l'île de la grande terre, n'a pas
même 5 kilomètres et demi au passage le plus étroit, et devant Kalmar
le chenal n'a guère que 7 mètres de profondeur, tandis qu'au nord et au
sud la sonde trouve une vingtaine de mètres en moyenne. Gotland, beau-
coup plus éloignée du continent, ne se rattache à la côte suédoise, du côté
du sud-ouest, que par le vaste banc de Iloborg et par une sorte de péninsule
sous-marine, limités à droite et à gauche par des profondeurs de plus de
50 mètres. Plus étendue qu'Oland, elle est aussi plus haute, puisqu'une
de ses collines s'élève à 60 mètres : elle se continue à l'extrémité septen-
trionale par la petite « île des Moutons » ou Fârô, et le plateau sous-
marin va former encore plus au nord l'île basse de Gotska Sandôn.
III
L'orographie sous-mariae des côtes de la ^'orvège ressemble au relief
extérieur : là où les roches se dressent au dehors en falaises abruptes, là
aussi elles s'enfoncent dans la mer en soudains précipices. Ainsi c'est
précisément au sud des terrasses de Justedal, chargées de névés, et à la
base occidentale des « montagnes des Géants », que se creuse le Sogne-
fjord, où la sonde ne trouve le fond, près de l'embouchure, entre Vig et
Vacrholmen, qu'à 1244 mètres au-dessous de la surface ' : l'écart des
I
Superficie. Population. Popul ki.oin.
Golland (avec îles voisines). . 3159 kiL car. 54 500 liai), en 1875. 17 h.ih.
Olanil 1545 » 45 000 . » 54 i-
A. BIjll, Om Veijelationsforlioldene ved Sugnefjordcn.
-,i NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
points les plus élevés et les plus bas n'est guère moindre de 4 kilomètres
dans cette région de la Scandinavie. Il est des falaises qui montent d'un
jet à des centaines de mètres de hauteur en murs verticaux ou même
surplombants, et qui servent de base à des cimes neigeuses. Ainsi le
Thorsnuten, situé au sud de Bergen, sur les bords du Hardangcr-fjord,
atteint une altitude de plus de 1600 mètres à moins de 4 kilomètres du
rivage, et dans plusieurs endroits du fjord on a jeté la sonde à 550 mètres
sans trouver le fond '. Dans mainte baie de la Norvège, on voit les cascades
bondir du haut des parois, même de plus de 600 mètres de hauteur',
et se précipiter d'un seul élan jusque dans la mer, de sorte que les embar-
cations peuvent se glisser entre les rochers et la parabole des cataractes.
Quand les nuages cachent les rebords des terrasses d'où s'élancent les
eaux, on croirait que celles-ci tombent du haut du ciel ". Parfois on peut
assister à de singuliers combats entre les tempêtes et les « ruisseaux
suspendus ». Des coups de vent soudains dispersent la cascade en brouil-
lards, la soutiennent dans l'espace, ou même la font refluer dans l'air ;
le front de la montagne se hérisse d'une étrange chevelure d'argent*.
Plusieurs des ruisseaux qui tombent du haut des rochers disparaissent
dans l'air, changés en vapeurs diaphanes, puis se reforment sur une
saillie du précipice pour s'évaporer encore". En hiver et au printemps,
ce sont des avalanches de neige et de pierres qui tombent des hautes tis-
sures dans le fond des vallées, enterrant parfois les cabanes.
Au premier abord, les fjords norvégiens ont une apparence très irré-
gulière : on dirait que la côte est découpée comme au hasard et que les
îlots, les îles, les péninsules s'enchevêtrent en un inextricable labyrinthe.
Pourtant une certaine ordonnance finit par se révéler dans ce dédale.
Comparés aux firths de l'Ecosse, les fjords Scandinaves sont beaucoup
plus réguliers de formes : c'est qu'ils appartiennent à une nature où les
traits sont plus simples; le Kjolen, le Dovre, le Justedal n'ont rien du
désordre pittoresque des Grampians. Il est peu de Ijords qui s'ouvrent lar-
gement sur la mer par d'amples golfes : presque tous ne communiquent
avec l'Océan que par une étroite tranchée ouverte entre deux hauts pro-
montoires. Les deux rives opposées, berges, collines ou falaises, sont sen-
siblement parallèles et se i)rolongent en sinuosités régulières. Plusieurs
* Sexe, Mœrker efler en listid i omcgnen af Hardangerfjorden.
° k. Blylt, Ont Veijelaûonsforholdcne ved Soijnefjorden.
Ampère, Esquisses du Mord.
" Sexe, ouvrage cilé.
' E. Colteau, Annuaire du Club alpin /'mnçais. I, 187i.
^N,'
FJORDS ET CLUSES DES MASSIFS SCANDINAVES. 77
fjords se Ijifiirqueiil avant d'attoimlro la mer. embrassant une ile aux
parois verticales, dont toutes les saillies correspondent aux courbes ren-
trantes du continent. D'autres, notamment les deux golfes intérieurs les plus
conmis, leSogne-fjord et leHardanger-fjord, scramiricnlàdroiteelàgauche ;
mais un grand nombre de ces branches latérales s'unissent h l'avenue
maîtresse en formant avec elle un angle droit, et c'est également à angle.
N*» 18. — MASSIFS CCADRAVGULAIBES DE LA NOUVÈGE IIÉIIIDIONALE SÉPADÉS PAR DES CLESES.
droit que, de chaque côte, d'autres cluses plus étroites viennent les rejoin-
dre. Dans l'ensemble de sa lamure, comparable par la forme à celle d'un
chêne, maint fjord est formé de canaux perpendiculaires, ou du moins
brusquement ratiacliés les uns aux autres, dont l'orientation générale est
précisément celle des coupures profondes qui séparent les massifs norvé-
giens. L'architecture générale de la contrée se retrouve dans les creux des
fjords aussi bien que dans le relief des montagnes : le canal conlinire la
78 NOUVELLE GEOGUArillE UNIVERSELLE.
vallée el no forme avec elle qu'une seule et même lézarde; d'autres fentes
du sol, en partie remplies d'eau, en partie émergées, croisent les pre-
mières, et la contrée se trouve ainsi divisée et subdivisée en d'innom-
brables fragments, quadrangulaires ou du moins régulièrement taillés, de
grandeur inégale, les uns en terre ferme, les autres partiellement ou com-
plètement entourés d'eau, plateaux, péninsules, massifs insulaires. La
manière dont s'est fracturé tout le faîte Scandinave rappelle le fendille-
ment des terres humides qui se dessèchent au soleil. Le géologue Kjerulf '
a tenté de refiiire la carte de la Norvège en indiquant toutes les fissures
primitives qui sont devenues des fjords; on pourrait croire, il est vrai,
que ces fentes sont de simples cavités d'érosion, auxquelles viennent s'unir
latéralement d'autres sillons creusés à angle droit, dans le sens de la pente
la plus considérable; mais comment expliquer dans ce cas qu'elles s'ou-
vrent généralement dans les roches les plus dures, et non dans celles qui
présentent la moindre résistance? Comment voir un simple phénomène
d'érosion dans ces fentes qui se poursuivent régulièrement à travers fjords
el montagnes, sur des centaines de kilomètres de distance? Du Molde-ljord
au Lindesnses, une série de fentes parallèles se continue du nord au sud ;
une autre série de fissures va rejoindre au sud-est le Ijord de Christiania;
enfin d'autres « traits d'incision », ainsi que les nomme M. Kjeruif, se
montrent parallèlement à la côte, entre Molde et Trondhjem, entre Arendal
et Christiania.
Il est impossible de calculer le développement réel de la côte norvé-
gienne en suivant toutes les indentalions des fjords primaires et secon-
daires, car il faudrait tenir compte également de tous les détroits qui
séparent les péninsules, les îles et les îlots : la longueur seule des chenaux
de navigaliiin peut être évaluée au décuple de la ligne extérieure des
rivages, soit à près de 20 000 kilomètres. On peut dire qu'il existe ainsi
sur toute la côte de Norvège une sorte de méditerranée, sinon pour l'étendue
des eaux, du moins pour les routes maritimes, et c'est en effet en dedans
du cordon des îlots extérieurs que se fait presque tout le mouvement du
cabotage norvégien, dont l'importance est si considérable ; il n'est qu'un
petit nombre de ])arages où les embarcations soient obligées de se hasarder
en pleine mer |)our contourner un promontoire, comme par exemple le
cap Slad, situé à l'angle d(> la péninsule norvégienne, entre la mer du
Nord proprement dite et rAllantitpie boréal. Quant aux petits bateaux, les
rameurs peuvent les porter de fjord à fjord par les dépressions qui les
' Ont skuiitujsmaerkcr. ijlacialfurmattonen 0(j terrasser.
X..avelle (■rt.'..opsi.hipl'iiiveT-sene^ T.V PLU
LE SOGNE-FJORD ET LES
:V-r-^>,. ^,^ -^r^Kr^^r^^'^'^n^
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LICIERS DE JUSTEDAL
Hachette el (T Pai'is.
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A .l.l.ilj, 1,1
y s ,„„_,
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Gravé papErKard.12 r.Dug'imy-Trouin. Paris.
DRAUH£-FJORD ET COCRAST
PE SVERDVIKEX.
tir /
FJORDS DE LA COTE SCANDINAVE. 'l'i
continuent à travers les presqu'îles et dont plusieurs, dominées par des
parois de mille mètres, n'ont pas même cent mètres de hauteur. Les Nor-
végiens désignent ces a portages » sous le
nom d'ejder'.
Quelques-uns des fjords sont si bien
protégés contre les tempêtes et les vagues
du large par les îles et les rochers qui en
gardent l'entrée, que l'eau douce, apportée
par la fonte des neiges ou tombée directe-
ment en pluie, se maintient h la surfoce
sur plus d'un mètre d'épaisseur : elle nage
sur l'eau saline et pesante du fond. Elle
est si pure que les marins peuvent y pui-
ser pour renouveler leur provision d'eau,
el que les algues du bord baignées par elle
périssent peu à peu ; çà et là, elles sont
même remplacées par des plantes d'eau
douce à croissance hàlive *. En hiver,
quand le continent ne verse plus d'eau
douce dans le fjord, l'équilibre de salure
se rétablit^ par l'écoulement de l'eau plus
légère qui s'enfuit vers l'Océan. Les seuls
fjords qui gardent alors à leur surface une
couche liquide non saline sont ceu.'î qui
reçoivent une ou plusieurs rivières abon-
dantes : ce sont en même temps des golfes [ : ''■- > ^^^^ 1
marins et des fleuves. Ainsi le fjord de '< -. — — ^ — :; — '^ "c>..,J
Drammen, qui reçoit, à la ville même de | | |- |
ce nom, le puissant cours d'eau appelé </.o.mM ^.,00.. ^c.
Dramms-elv, le deuxième de la ^'orvège , ' "'"""'' ,
0 r; kil.
en importance, ressemble d'abord par sa
largeur régulière, de 2 à 5 kilomètres, et par sa profondeur moyenne de
plus de 100 mètres, à toutes les autres cavités du même genre; mais, rév
tréci soudain à qucbpies centaines de mètres, au défilé de Sverdviken, il
se transforme tout à couj) en un fleuve de 5 mètres de profondeur seule-
ment, dont le courant, d'après Kjerulf, se porte conslammcnl vers la mer
"v\!
• Harlung, Thaï- und SeebilJmgen, Zcilscluift fur Erdiiuude, 1878, n" 70.
' A. Blyll, Om Veyelalionsfoiholdcne ved Sogncfjorden.
' Cari Vogt, Nord-Fahii.
80 NOUVELLE GÉOGUAPllIE UNIVERSELLE.
on temps de crue, avec une vitesse de 15 kilomètres à l'Iieuro pendant le
reflux et de 7 à 0 kilomètres pendant le flux.
Plusieurs fjords, interrompus par des barrières rocheuses, ont été com-
plètement divisés en parties distinctes : du côté d'amont, le golfe, ali-
menté par les neiges et les ruisseaux, est devenu un lac d'eau douce ; du
côté d'aval, il a gardé son eau saline. Un simple émissaire, bruissant au
milieu des pierres, maintient la communication entre le réservoir supé-
rieur et celui d'en bas. Mais, outre ces barrages qui ont diminué la lon-
gueur des golfes et qui ont ainsi accru le domaine de la terre ferme, il en
est beaucoup d'autres qui ne s'élèvent pas jusqu'à la surface marine ou
du moins ne forment que des chaînes d'écueils : ainsi dans le Sogne-fjord
des moraines déposées jadis sur le fond, inférieur de plus de mille mètres
au niveau actuel des mers, s'élèvent jusqu'à 182 et à 54 mètres de la sur-
face'. La plupart des fjords se trouvent partiellement obstrués à leur em-
bouchure par ces amas sous-marins, auxquels les habitants de la Norvège
septentrionale donnent le nom de havbroen ou « ponts de mer'' ». Les
deux côtés du fjord de Christiania sont bordés de dépôts caillouteux d'une
régularité singulière, qui sont d'anciennes moraines portées en dehors
du continent'.
Quelle est l'origine des barrages qui se succèdent de distance en dis-
tance de la bouche des fjords à leur extrémité supérieure? Les observa-
tions des géologues permettent de répondre avec assurance. Quelques-unes
de ces barrières de rochers sont des seuils entre deux vallées, sembla-
bles à ceux du pays émergé*; d'autres sont formées par des talus d'éro-
sion; mais plusieurs sont des moraines, en tout semblables à celles que
les glaciers d'autrefois ont laissées dans les vallées émergées, à la base
des montagnes. Et les ijords eux-mêmes ne racontent-ils pas le séjour
des anciens courants de glace? De même que les firths d'Ecosse, les fjords
Scandinaves existaient avant l'époque glaciaire, et c'est précisément grâce
aux énormes masses d'eau cristallisée qui les emplissaient qu'ils ont pu se
maintenir dans leur forme première : le seul changement qu'ils aient subi
sous la pression des glaces est d'avoir été creusés plus profondément et
d'avoir eu leurs parois et leur lit usés et polis par les glaciers mouvants.
Tandis (|ue, sous les climats plus chauds ou moins humides, les golfes
étaient comblés peu à peu j)ar les alluvions des torrents, par les sables
' Einiirid llcILind, On llic fjords, lalics and ciiquesof Norway and Greenland.
' lloiljyc, Observations sur les phénomènes d'érosion en Norvège.
' Th. KjiMulf, Om skitrimismacrker, glacialformalionen og terrasser.
* Th. Kjmilf, Die Eisicit, IraïUiclion alloiiiaiulc de Ibi-tung.
FJORDS ET GLACIEHS. 81
c!es mers, tandis que certaines régions de l'Océan lui-même, comme par
exemple la mer du Nord, étaient presque en entier emplies par les débris,
jusqu'à 00 ou 100 mètres de la surface, les cavités des Ijords avaient
toujours la même profondeur; à mesure que les glaces se retiraient,
en laissant çà et là des moraines frontales, les eaux remplissaient
ces abîmes , dont plusieurs sont plus profonds que les mers avoisi-
nantes.
Mais depuis que l'époque glaciaire, qui n'a pas encore cessé pour le
Groenland, est terminée pour la Scandinavie, un nombre inconnu de
siècles s'est écoulé. Les glaciers ont reculé peu à peu dans l'intérieur des
fjords, puis leur extrémité inférieure, que ne lavaient plus les flots, a
remonté de plus en plus loin dans les dépressions ouvertes sur !o flanc
des monts. C'est alors que commença pour les eaux courantes et pour la
mer l'immense travail géologique du comblement des baies. Les eaux
fluviales apportent leurs alluvions et les déposent en plages unies au pied
des montagnes, tandis que la mer étale en nappes de sable ou de vase
tous les débris de rochers qu'elle sape et triture. Déjà dans un grand
nombre de fjords cette œuvre de transformation du domaine des eaux en
terre ferme a fait des progrès très sensibles, et si l'on connaissait le taux
séculaire du dépôt des alluvions, on pourrait calculer approximativement
l'époque à laquelle les glaces ont abandonne les cavités du fjord. Sur toute
la convexité des côtes méridionales de la Norvège qui se développe entre
le fjord de Porsgrund et la grande baie de Stavanger, presque toutes les
anciennes indentations du littoral ont disparu : il n'en reste que des
criques, de petits ports, des lacs, des étangs, des prairies humides. Dans
cette région exposée au soleil du midi et bien abritée des vents du nord par
la masse du plateau, les glaciers ont cessé d'exister depuis beaucoup plus
longtemps que sur les côtes occidentales, tournées vers les vents pluvieux
de l'Atlantique, et cette période a suffl pour changer en terre ferme presque
toutes les anciennes découpures de la côte que l'étude du terrain nous
révèle avoir existé. De ces fjords oblitérés du sud de bi Norvège aux
fjords encore entiers des côtes septentrionales, où les glaces continuent
lie descendre jusque dans le voisinage de la mer, on peut observer tous les
degrés possibles de transition. La Norvège, l'un des pays les plus curieux
du monde par la formation de ses plateaux et de ses rivages, aussi bien que
[)ar les phénomènes de toute esj)èce qui s'y produisent, semble être la con-
trée où pourra se résoudre définitivement le problème relatif à la durée de
l'époque géologique actuelle. Là chaque courant de glace encore existant,
chaque ancien lit de glacier raconte en détail l'histoire des alternatives du
V. 11
82
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
climat pendant la périoile qni snccétia aux âges glaciaires; chaque fjord est
comme un appareil météorologique et géologique indiquant par les écueils
de ses moraines, les stries de ses parois, les alluvions de ses ruisseaux,
tous les changements qui se sont accomplis dans le milieu local. Est-co
FJOrtDS COMTÏl.KS AU NORD DU LINDESN^S
r ..G !
C deP
Ds O à SOOM deSOOauJel?
1 210000
0 Ckil.
qu'une palieiile comparaison de ces phéiionu^'nes ne fournira pas les moyens
de ii\er la durée de la période moderne et de donner à ce cycle, comme
aux années el aux siècles, un sens précis qui ju-rmette de le classer dans
la clironidogio rigoureuse? Lu essai de ce genre a élé déjà lait par
FJORDS ET GLACIERS DE L\ SCANDINAVIE. 85
Theodor Kjcnilf. dan? un ouvrage sur les stries, les formations glaciaires
et les terrasses de la Norvè<re'.
IV
Sur le versant oriental du faîte Scandinave les lacs correspondent aux
fjords : un abaissement du sol les transformerait en golfes d'eau salée,
de même qu'un exhaussement changerait en lacs les Qords de la côte
norvégienne. Il est même un très grand nombre de vallées qui traversent
de part en part le Kjôlen ou les massifs du sud de la Norvège, et qui sont
occupées de distance en distance par des marais et de petits lacs qui sem-
blent être les restes d'un ancien détroit ouvert entre les Ijords des deux
versants. En exemple de ces longs fossés marécageux qui réunissent les
deux déclivités opposées, on cite d'ordinaire le col qui s'ouvre au sud du
massif de Snehœtlen et du Dovrefjeld. Le lac appelé Lesjeskogen-vand occupe
précisément, à 625 mètres d'altitude, le point culminant du passage et
grandit ou diminue en superficie suivant l'abondance des pluies et des
neiges fondues : de chacune des extrémités de ce lac gracieux, parsemé
d'îlots, jaillit une rivière : au nord-ouest, la Rauma, qui va rejoindre le
Molde-fjord ; au sud-est, le Lougen, qui s'écoule dans le grand Mjôsen et
de là dans le fjord de Christiania. En se retirant, les glaciers ont laissé
dans ces lacs, aussi bien que dans les fjords, des moraines qui les ont çà
et là brusquement couj)és en bassins séparés ou qui se révèlent seulement
par des bas-fonds ou des isthmes rompus que les eaux recouvrent peu à
peu de sable et de limon: soulevées plus tard, ces moraines ont
pris le même aspect que si elles étaient formées d'alluvions ordinaires. Les
apports des torrents s'avancent dans les eaux lacustres en plaines gran-
dissantes, et (le même que les terres nouvelles des fjords, ils permettront
aux observateurs de calculer un jour la durée des âges écoulés depuis la
fin de la période glaciaire en Scandinavie. Plusieurs des lacs ont gardé
leur caractère de fjords et leur profondeur encore toute maritime. M. Ilel-
land a mesuré et sondé plus de cinquante de ces restes de fjords, et dans
l'un d'eux, le Ilveningdals-vand, du district de Romsdal, la profondeur
atteint 486 mètres, soit 432 mètres au-dessous du niveau de la mer'.
Mais ce ne sont pas seulement les bassins des lacs et des fjords qui
' Oui shtrinysmaerkcr, (jlacialfonnalionen ocj tenasser. lS71.
- On tlie Ijoidt, lakes and arques in îSonvmj ami Crccnlnnd.
8* .NOUVELLE GÉOGUAPIIIK UNIVERSELLE.
témoignent de Tancionne action des glaces descendues des monts norvé-
giens. Partout dans la contrée le sol a gardé des traces de leur passage,
et même en dehors des limites de la péninsule se voient en foule les preuves
de l'action des glaciers Scandinaves. La Suède et la Norvège ne sont qu'une
faible partie de l'espace où se sont dispersés les pierres et les débris du
Kjolen et du Dovre. La Finlande, un tiers de la Russie d'Europe, l'Alle-
magne du Nord, le Danemark, sont compris dans l'immense région dont
les terres superficielles sont dues pour une grande part aux débris
apportés de la Scandinavie et du Kjolen oriental, grossis par les débris
des roches locales emportés au passage par la nappe de glace. A l'excep-
tion de la fosse très profonde du Skager Rak, qui semble avoir été un
fjord', les mers riveraines de la Scandinavie, dont la profondeur moyenne
est si faible en comparaison de celle que présente l'Océan', sont les lits de
cette nappe de glace, et même en quelques endroits on a pu en reconnaître
des traces directes au-dessous des rives actuelles. Les stries laissées par
les glaces en mouvement se poursuivent sous le flot : à Carlskrona,
M. Axel Erdmann les a nettement reconnues jusqu'à la profondeur de
7 mètres : plus bas, elles ont été oblitérées par les eaux ou recouvertes
par les sables.
Déjà, depuis un demi-siècle, Esmark expliquait la dispersion des erra-
tiques par la marche des glaciers Scandinaves. En France, M. Charles
Marlins est le géologue qui le premier exposa la théorie de l'ancienne
extension des glaces sur tout le nord Scandinave; dès 1840, il soutenait
cette opinion, combattue alors par des hommes tels que Berzelius et
Min-chison, mais acceptée désormais par tous les savants. Les traces de
l'aclion glaciaire, stries, polis, moraines, blocs erratiques, sont trop
visibles pour qu'il soit possible de les contester : il n'est pas de carte
géologique de la Scandinavie où la forme des collines ne témoigne du pas-
sage des glaciers ; il n'est guère de site où l'on ne reconnaisse, comme
dans la plaine suisse ou sur les rives méridionales des lacs lombards, ces
« paysages morainiques » si remarquables par leurs buttes, leurs levées
de pierre recouvertes de verdure, leurs petits lacs et leurs marais épars
dans la campagne. De même que dans toutes les régions recouvertes jadis
par les glaces, on voit en Scandinavie des amas de boues glaciaires et des
blocs erratiques en si grand nombre, qu'en maints endroits ils donnent
' M'ilin. Milllieilungen von Pclcrmanu, XI, IS70.
' f lofondeur iiuiyeiine de l,i Balliquo. d'-ipros Oito Kiiiinmol .... 07 mètres.
In mer du .Nord .• .. .... 89 »
» > l'Océan ■■ » .... 5i52 »
ANClEiNS GLACIERS DE LA SCANDINAVIE.
85
il toute la contrée une physionomie spéciale : on signale seulement cenx
qui se distinguent par d'énormes dimensions, par une forme bizarre ou par
l'oscillation de leur masse reposant sur une base étroite. Même de loin, le
voyageur qui suit les côtes de la Norvège méridionale distingue parfai-
N» »l CIiniSIIlMV ET SES ILES.
tement, à la forme arrondie des promontoires, à l'aspect « moutonné »
des roches, à la physionomie générale de toute la contrée, que les glaces
ont poli la pierre en glissant sur elle pendant des siècles. Dans l'intérieur
de la Suède, des collines ont été comme rasées à une certaine hauteur :
après en avoir gravi les pentes, on se trouve sur un plateau presque uni,
dont la puissante masse glacée a fait dis[)arailre les roches saillantes.
86 NOUVELLE GLOGRAPHIE UNIVERSELLE
Ainsi usé par les glaciers, le pays a pris sur de vastes étendues un aspect
des plus monotones. Même les tables de laves qui se sont épanchées sur
les formations anciennes dans le voisinage des grands lacs ont quelque peu
changé d'aspect depuis que les glaces en ont usé les saillies. On peut
citer en exemple les deux masses polygonales de Halleborg ou Halleberg
et de Hunneborg ou Hunncberg, séparées l'une de l'autre par une étroite
cluse, où passe le chemin de fer de Wenersborg à Jonkôping. A peine
a-l-on gravi les escarpements de l'une ou l'autre montagne, que l'on se
trouve sur un plateau faiblement accidenté, parsemé de blocs erratiques,
entre lescjuels s'étendent des marais et des lacs.
Les ornières divergentes tracées par les glaces autour des massifs sont
faciles à reconnaître, même en plusieurs endroits, à la vue d'une simple
carte, sans que l'observateur ait à parcourir le terrain. Par l'ensemble de
ses traits, la représentation de tel bassin fluvial raconte encore les phé-
nomènes divers de la marche des glaciers : on voit leur lit, leurs berges,
la marche qu'ils ont suivie, les résistances qu'ils ont rencontrées. Des îles,
des archipels, limités nettement par les eaux qui les entourent, gardent
encore les marques les plus visibles des burins qui les ont sculptés. Néan-
moins, l'aspect de la contrée trompe quelquefois, et c'est à tort que l'on attri-
bue à l'action des glaciers certains alignements dus à des plis de roches
ployées par l'effet de pressions latérales. Ainsi le groupe d'îles situé dans le
fjord de Christiania, immédiatement à l'ouest de la capitale, se compose
de terres toutes orientées dans le sens du nord-est au sud-ouest, toutes
entaillées de criques et séparées de détroits ayant la même direction; les
arêtes de ces îles, les chenaux des passages, les bancs de sable même
affectent une disposition parallèle. Or les stries burinées par les anciens
glaciers sont dirigées précisément à angle droit de tous ces plissements
parallèles'.
S'il est facile désormais d'expliquer les stries des roches Scandinaves, il
est plus diflicile de se rendre compte de la formation des (har, levées étroites
de hauteurs variables, de 5 à (30 mètres, qui se rencontrent par milliers en
Scandinavie, dans la Finlande et la Russie septentrionale. Basses et courtes
dans les hautes vallées, où on les connaît sous le nom de kross-stcns âsnr, elles
forment, en débouchant dans la plaine suédoise, des remparts parallèles qui
se prolongent avec peu d'interruptions à des distances considérables, même
à plus d'un degré de latitude. Presque parallèles aux stries glaciaires, dans
le sens du nord au sud et au sud-est, avec des ondulations serpentines à
« Th. KjiMulf, Cdile giutoyiquc; — Alboit llcim, Suies maïuisciitcs.
ANCIENS GLACIEUS DE LA SCANDINAVIE. 89
droite et à gauche comme celles d'un fleuve, elles reçoivent aussi des asar
latéraux, toutes reproduisant le type général d'un noyau {kàrii) composé
de pierres arrondies ou anguleuses, de foutes les grandeurs, non stratifiées
et couvertes d'un « manteau » dé sable et de limon, bien lavés et stratifiés
par les eaux.
Dapr>!? Tûrncbolim.
Los asar ont él'i rcprésenlês
nlinus, quoiqu'il n'en reste que drs rragtneiits.
On signala d'abord les levées des âsar comme ayant été de prodigieuses
moraines ; mais on cherchait vainement le lit des glaciers qu'elles auraient
longés, et l'on constatait que les pierres du noyau sont plus arrondies
on moyenne que celles des moraines latérales dans les Alpes : l'on arriva
même à nier avec Berzélius la relation directe de cause et d'effet entre les
glaciers et les â>ar'. Axel Kidinaiiii alli-ibiie aussi l;i lunnation des iisar à
Tli. Kjrniir, Die Eiiwil, Irailiirlinn nllcinnndc de Ilaitun^
90 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
l'action des eaux marines, qui, ]iar l'effet des changements de niveau du
sol, auraient repris les pierres des moraines pour les aligner en cordons
littoraux'. II est vrai que plusieurs âsar, notamment celui que l'on voit
immédiatement au nord de Stockholm, et dont les carriers ont déjà déblayé
une partie considérable, sont recouverts de coquilles marines, dos mêmes
espèces que celles de la mer Baltique actuelle ; mais ces dépôts coquil-
liers sont tout à fait superficiels et se sont formés lors d'un abaissement
temporaire du sol après l'époque glaciaire. Deux théories principales
restent en présence : l'une, proposée par M. Tôrnebolim, voit dans les
âsar des alignements de débris dus à des torrents sous-glaciaires comme
ceux du Grœnland ; l'autre les considère comme l'effet d'une sorte île
division du travail dans les moraines de fond'. Suivant les matériaux qui
les composent en plus grande partie, les hautes levées des âsar sont con-
nues sous les noms de sandâsar ou « faites de sable » et de rulhten-
âsar ou « faîtes de galets «. On rencontre également dans quelques âsar
des entonnoirs [âsgropar), enfoncements circulaires ou elliptiques ayant
jusqu'à 500 mètres de tour et davantage, et une profondeur variable de
5 à '20 mètres : le fond en est rempli d'argile, déposée jadis par les eaux
tourbillonnantes*. Dans l'as de Stiômsholm, on voit 59 de ces entonnoirs
sur une distance d'environ 140 kilomètres\ Ces traces d'anciens remous
ne sont-elles pas comme les innombrables chaudières de géants (yâttc-
i/ri/ter), le témoignage de l'action des torrents et rivières qui par-
couraient la nappe do glace et dont le lit se déplaçait continuellement
sous l'effet des obstacles qu'elles rencontraient^? En Norvège, où les
pentes sont beaucoup plus rapides qu'en Suède et où par conséquent
les cours d'eau et de glace avaient un moindre développement, des
cirques montagneux à la mer, les âsar, connus sous le nom de racr,
n'atteignent plus le même développement, et ces levées se sont pour
la plupart, d'après M. Kjcruif, confondues avec les moraines. Le mot
norvégien aas s'applique à toutes les hauteurs, même aux sommet?
rocheux.
L'as le plus connu de la Scandinavie et le plus souvent décrit est cette
longue chaiiit! (|ui, sous divers noms, Brnnkebergs as, Lângâscn, et d'au-
' Th. Kjoriiir, Die Eiszeii, Inulinlioii ill|plllalull^ de llailiiiig.
■' Cil. Mjrliiis, Bulletin de la Sociélé Gèologiiju:, 1815, 18 iG; — RdIutI Cliainbers, Eitinburijk
Al If Pbil. Journal, 18ôj; ^ Axel Krtlmann, Carie géolngiciiie de la Suède.
■• l'ienv. Kropolkin, A'ote manuscrites.
* Geolo{iiska FOrenimjens i Stockholm Fôrliandlingar. vol. I.
' A. Erdinann, Etptsi des formations qaaternairts de la Suéde.
*> Tui'iicljoliiii, Notes ntunuscritcs.
ASAR DE LA SUEDE.
très encore, court sur une longueur de plus àe 100 kilonièlrcs. du littoral
baltique, au sud de Stockholm, jusqu'aux environs d'Lpsala. Des rives de
la mer jusqu'au lac Wettern, près d'Âskersund, on ne trouve pas moins
ASin DINS LF. BASSI.N DD DAL-EI
[ d.F
-xr\i
'.^-
ForêU somces de blocs erratiques
I : 170 000
de liuit fisar principaux, sans compter les ramilicalions secondaires qui
s'y rattaclieni, et p:irmi eux il en est qui dépassent nolablcment en lon-
gueur ITis de Brunkebcrg. Des bords du lac Miilaren, près d'Enkoping, on
92 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
peut suivre un de ces cordons d'anciens galets à 500 et 540 kilomètres dans
la direction du nord. Les routes empruntent d'ordinaire les faîtes des âsar
ou en longent les talus, afin d'éviter les marais ou les terres détrempées
qui s'étendent à droite et à gauche; pour la traversée des lacs, des âsar
surgissant au-dessus des eaux sont des levées naturelles que les voyageurs
peuvent rejoindre facilement par quelques coups de rame. Dans le Malaren,
toute la partie occidentale du lac est presque entièrement séj)arée du grand
bassin par un de ces remparts d'une régularité singulière.
Les dépôts d'alluvions marines que l'on trouve reposant sur des terres
actuellement émergées témoignent des mouvements qui ont agité le sol
de la Scandinavie depuis l'époque glaciaire. D'abord les terrains s'affais-
sèrent et le niveau de la mer s'éleva, relativemcnl aux plages, de 150 et
de 200 mètres, peut-être même en quelques endroits de 500 mètres, ainsi
que le prouvent les dépôts d'origine marine avec des restes d'animaux
arctiques reposant sur des roches siriécs par les glaces. Puis il se fit un
mouvement en sens inverse et le sol s'exhaussa, ramenant à l'air libre
les formalions di'-posées précédemment au fond de la mer. Pendant ces
alternatives de niveau, le relief de la Scandinavie dut changer, les contours
des îles et des péninsules émergées ne ressemblant pas toujours à ceux des
terres que la mer avait englouties. C'est ainsi qu'une vaste région silu-
rienne qui s'étendait, aux premiers temps de l'époque glaciaire, le long
du rivage suédois, immédiatement au nord et au nord-ouest de l'archipel
d'.\land, n'émergea pas lors de la réapparition des plaines littorales de la
Baltique. L'ancienne existence de ce territoire silurien est rappelée par les
blocs nombreux de calcaire et de grès que les glaciers ou les glaces flot-
tantes ont transportés au loin vers le sud, jusque dans le voisinage de
Stockholm; elle est rappelée surtout par le sol très fertile, d'origine cal-
caire, qui recouvre toute la partie du littoral entre Gefle, Westcrâs et
Stockholm. Cette terre féconde provient de l'érosion continuelle par les
glaces flollantes des couches de calcaire, d'argile et de schistes (jui jadis
occupaient la région maritime actuelle, à l'orient de Celle'.
' Anol Eidinann. Efi}Osà dfs formalions qiialcrnniies de la Suéde.
SOULÈVEMENT DE LA SCANDIN WIE. 95
- Les dépressions, les soulèvements du sol sont en maints endroits des
faits d'une telle évidence que nul géologue ne pouvait nier l'ancien exhaus-
sement des plaines Scandinaves; mais la croyance aux brusques révolutions
terrestres, aux cataclysmes, était générale autrefois, et tous pensaient que
les changements de niveau entre la terre et les mers étaient l'œuvre d'un
jour et coïncidaient avec une transformation de toute l'économie plané-
taire. L'étonnement fui grand quand les premiers observateurs parlèrent
d'un déplacement continu des rivages s'accomplissant avec une extrême
lenteur, et les savants les plus éminents, attachés aux idées qu'ils avaient
professées et qui avaient fait leur réputation, repoussèrent longtemps
comme une hérésie la nouvelle hypothèse qui leur était soumise. Cepen-
dant, depuis un temps immémorial, les paysans et les pêcheurs des rives
du golfe de Botnie avaient reconnu l'accroissement graduel de leurs côtes
et l'amoindrissement des eaux; les vieillards montraient les divers points
du littoral où la mer venait affleurer pendant leur enfance et, dans
l'intérieur des terres, les plages tracées jadis par les flots. D'ailleurs
les noms de lieux, la position plus ou moins continentale de porls aban-
donnés, d'édifices construits autrefois sur le rivage, les débris de ba-
teaux trouvés loin de la mer, enfin les monuments écrits et quelques
passages des chants populaires ne pouvaient laisser aucun doute sur la
retraite des eaux marines. La première Luleâ, fondée par Gustave-Adolphe,
avait paru se déplacer de plusieurs kilomètres vers l'ouest dans l'espace
d'un siècle et demi : de port, elle était devenue bourgade champêtre
et il hillut reconstruire à l'est une nouvelle ville'. En 1750, Celsius, le
premier, se crut autorisé, par la comparaison de Ions les témoignages
recueillis, à émettre l'hypothèse, non d'un soulèvement du sol de la
Scandinavie, mais d'un abaissement graduel de la Baltique, dans la pro-
portion d'un peu plus d'un centimètre par an. 11 fut accusé d'impiété
par les théologiens de Stockholm et, même dans le Parlement, les deux
ordres du clergé et des bourgeois condamnèrent son abominable proposi-
tion*. Pourtant un point de repère taillé en 1751 par Celsius et Linné à la
base d'un rocher de l'île Lôfgrund, non loin de Geflc, révéla, treize ans plus
tard, une différence de niveau évaluée à 18 centimètres. En 1749, un
voyageur maintenant oublié, l'Autrichien Ilell, affirmait aussi que la sur-
face de l'Atlantique boréal s'abaissait près du cap Nord, autour do
l'île Maaso'.
' Lcnpiild von liucti, Rcisc diirch Nomcyen uml Lapplnnd.
' Anton von Elïi'l, Die OsOee.
' Osc:ir l'cscliol, Acue Vrohicme ilir rcrghichcnden Enllunrle.
94 NOUVEI-LE GEnORAPIIIE CMYEUSELLE.
Actuellemenl, il serait impossible de repousser dans son entier l'iiypn-
thèse de Celsius, d'après laquelle l'émersion des côtes de la Scandinavie du
nord serait due à l'abaissement du niveau de la Baltique. On sait que la
surface de la mer n'est pas d'une parfaite régularité géométrique, et que
les eaux sont plus ou moins hautes dans certains parages, par l'effet
d'attractions locales des montagnes ou des couches profondes : ainsi, dans
la Baltique même, les mesures trigonométriques exactes ont établi qu'elle
est d'un demi-mètre environ plus haute sur les rivages de Memel que sur
ceux de Kiel et d'Eckernfôrde '. Toutefois, ainsi que l'avait déjà dit Lazzaro
Moro, il y a plus d'un siècle, c'est la terre et non point la mer qui
est surtout l'élément mobile et changeant : c'est elle qui se soulève et
s'abaisse relativement au niveau peu mobile de l'Océan. En 1807, Léopold
de Buch le premier renversa l'hypothèse de Celsius et proclama que la
masse entière de la Scandinavie s'élève d'un mouvement séculaire au-
dessus des mers environnantes. Depuis cette époque, les géologues ont
reconnu des phénomènes d'exhaussement sur de nombreux rivages, dans
l'ancien et dans le nouveau monde , et jusque parmi les îles de l'Océanie;
mais la Scandinavie est toujours celle de toutes les contrées où l'on a
fait le plus grand nombre d'observations sur les mouvements du sol : elle
est le type auquel sont comparées toutes les autres terres soulevées avec
lenteur \
Les débris maritimes qui témoignent de l'apparilion récente des
terres Scandinaves se rencontrent en beaucoup d'endroits. Des osse-
ments de cétacés ont été découverts çà et là dans l'intérieur. En 1860
notamment, on trouva au nord-est de la ville de Warberg, près du lac
Wcselângen, à l'altitude d'environ 20 mètres, des restes qui furent re-
connus par M. Lilljeborg comme ayant appartenu à une baleine mysti-
cetus. Des bancs de coquillages modernes contournent les flancs des
collines ou des montagnes à des hauteurs diverses et jusqu'à 178 mètres
d'altitude, non loin de Trondhjem"; toutefois, il faut le dire, les coquilles
marines que l'on trouve sur ces terrasses, à divers étages, n'appartien-
nent pas toutes exactement à la même faune. Les lits les plus élevés sont
composés d'espèces de la zone arctique, dont les congénères vivent en-
core sur les côtes du Spitzberg ; plus bas, les couches consistent en espèces
d'une faune moins glaciale, et près du rivage les cocjuillos sont exactement
les mêmes (pie celles des mers voisines. Ainsi peut se mesurer l'aniéliora-
' Millhciliitujeit von ]'etermaun, 1875, p. 229.
- I.yi'll, Hise ofLniid in Swcilen, I'liil(iso|)liical Transactions, 1855.
' Tli. Kji'iulf; — Mnliii, iV(/< ilaijatin for ^'aliirvidenskaberne. Chiislmnia, 1876.
SOULÈVEMENT DE L\ SCANDINAVIE. 95
tion graduelle du climat pendant toute la période d'exiiaussement qui
se continue encore pour la Scandinavie '.
Les traces du soulèvement récent des côtes sont en maints endroits par-
faitement visibles de la mer : des îles, des promontoires portent encore
à des hauteurs diverses les ceintures émergées des anciennes plages.
L'ancienne berge de Trondhjem est assez nettement marquée pour que de
la ville on puisse la suivre du regard sur le flanc de la montagne. Mais
c'est principalement sur le littoral du P'inmark que l'on peut reconnaître
sans peine les hauts rivages abandonnés, la vue n'étant point arrêtée par
les arbres et les broussailles. Au-dessus de Vadsô, ville riveraine du
Varanger-fjord, on voit se succéder sur les flancs du plateau d'énormes
degrés, semblables aux marches d'un escalier : ce sont des plages délais-
sées, dont l'une n'a pas moins de 745 mètres de largeur, et qui sont cou-
vertes de cailloux, en tout semblables à ceux de la rive actuelle, quoique
revêtus de mousse et légèrement rongés par les intempéries. Tromsô, la
capitale de la province du nord, est elle-même bâtie sur une plage soule-
vée, où se trouvent des lits entiers de coquillages des espèces qui habitent
maintenant la mer voisine. Au-dessus de cette plage exhaussée, que le
regard suit comme une ligne blanche, sur tout le pourtour des îles
et de la terre ferme, on distingue nettement une autre terrasse dont la
hauteur, relativement à la première, varie de 4 à 6 mètres et où se sont
construites la plupart des maisons de pêcheurs : sur celte ancienne grève,
les coquillages sont aussi très nombreux. EnOn, à l!2 mètres plus haut,
on remarque une autre plage d'érosion, mais celle-ci est en partie recou-
verte par les éboulis des roches supérieures.
Sur les rives suédoises de la Baltique, le mouvement d'émcrsion est le
plus rapide du côté du nord. Tandis qu'à l'extrémité septentrionale du
golfe de Botnie le soulèvement est évalué à 1"',00 par siècle, il ne serait
plus que d'un mètre par le travers des îles d'Aland, et, vers Kalmar, le
niveau relatif de la terre et de la mer ne changerait point. La pointe ter-
minale de la Scanie, qui se relève peut-être mainlenant% paraît s'être
enfoncée graduellement sous les eaux de la Baltique. Plusieurs rues des
villes de Trelleborg, Yslad, Malniô, ont déjà disparu : celle dernière s'est
abaissée, de l°',r)0 depuis les observations faites par Linné, et la côte a
perdu en moyenne une zone de 50 mètres de large. Des forêts immergées
• Svi'ii Lnvén, Mémoires de l'Acad. des Sciences île Suède, 1859, l8iG; — MIsson, Les llabi-
lanls primilifs de la Scandinavie.
* Ax('l Erdinaiiii, Geo/, foren » Slockholin Fuiliamll.,l. I. p. 95. — Jcnlzsdi, l'Iiysiscli-œkonc-
misclic GcsdUclinfl zu KOniijihci j, 187ô. n" 2.
98 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
et des couches de tourbe que l'on trouve à une certaine distance des plages
actuelles, et où l'on a recueilli des objets en métal, ont fait penser aux
géologues que depuis le neuvième siècle la dépression a été de 4 à 5 mètres.
Ils ont pu comparer la péninsule, du moins dans toute sa partie orientale,
à un plan solide tournant autour d'une charnière, située dans le voisi-
nage de Kalmar. Grâce à ce mouvement, le golfe de Botnie s'épanche-
rait avec lenteur dans le bassin méridional de la Baltique, et si l'élévation
du fond continuait de s'accomplir avec la même l'égularité que depuis le
milieu du siècle dernier, trois ou quatre mille années suffiraient pour chan-
ger en isthme l'archipel des Qvark, voisin de l'embouchure de l'Umeâ,
et pour faire un lac d'eau douce de toute la partie septentrionale du golfe.
Mais sur les côtes de la Norvège le mouvement est loin de présenter la
même régularité, et nulle part il ne paraît être aussi rapide que dans le
Norrland suédois : il semble même que le phénomène d'élévation n'a pas
eu lieu en plusieurs endroits du littoral norvégien, même dans le nord.
Ainsi File de Tiôtô, dont parlent les sagas, est de nos jours une grande
île basse, comme aux premiers temps de l'histoire de Norvège ; d'après
Keilhau, l'élévation de l'île de Munkholmen, près de Trondhjem, ne peut
avoir dépassé 6 mètres pendant les dix derniers siècles, car les vieilles
construclions qu'elle porte furent certainement élevées au-dessus de la
mer; enfin un écueil de la baie de Trondhjem, sur lequel un nageur pou-
vait prendre ])ied du temps des premiers viking, se trouverait encore
à la même profondeur au-dessous de l'eau. A Christiania, d'après Eugène
Bobert, l'exhaussement aurait été nul depuis trois cents ans; mais d'au-
tres ont trouvé une pousf^ée de 51 centimètres par siècle pour Moss et
les rives du fjord'. Du reste, les anciennes grèves qui se prolongent sur
les flancs des montagnes du littoral norvégien ne se maintiendraient pas
toutes à la même altitude. Celle de Trondhjem est, d'après Kjerulf, d'une
liorizoulalilé parfaite, mais les mesures dues à Bravais ont prouvé que les
lignes d'érosion de 1 Altcn-fjord, près de Bossekop, ne sont point parai-
lèlcs et que les masses rocheuses situées vers le fond des golfes ont été le
plus énergiquemenl soulevées'. A l'e.xtrémité orientale du fjord, les deux
banquettes superposées se trouvent respectivement à 67"", 4 et à 27"", 7
au-dessus du niveau de la mer, tandis que ces grèves, s'abaissant progres-
sivement vers l'entrée, n'y sont plus qu'aux altitudes de 28", 6 et de 1 4"\ I .
De même (pic pendant la période actuelle, les oscillations qui se sont ])ro-
' T. KJL'i'ulf, Slenriijel og Fjeldlâren.
* Vui/aye en Scandinavie, ii boiil di^ la Recherche.
SOULÈVEMENT DE LA SCANDINAVIE. 97
duites dans la masse de la péninsule Scandinave pendant la période gla-
ciaire ont été fort inégales. Tandis que sur le penchant septentrional du
plateau du Smâland et de la Vestrogothie les argiles de formation sous-
marine se montrent en plages à 200 ou 250 mètres au-dessus du niveau
de la mer actuelle, elles ne se trouvent qu'à 58 mètres environ dans le
Halland méridional et sur les frontières méridionales du Smâland ; en
Scanic enfin, on les voit à des hauteurs variables de 15 à 50 mètres'.
Ces lits de coquillages sont exploités en certains endroits pour les amende-
ments agricoles.
Les périodes de soulèvement ont dû être interrompues souvent par des
âges de repos plus ou moins longs, car si la plupart des terrasses sont des
moraines égalisées par les flots et d'anciens deltas d'alluvions apportées par
les rivières de l'intérieurS il en est aussi que les flots ont creusées dans
l'épaisseur du rocher. Or, de pareilles échancrures ne peuvent avoir été
taillées dans la pierre dure que par un travail prolongé pendant un nombre
considérable de siècles : des roches émergeant avec lenteur n'auraient pu
être que faiblement usées à la surface". Comment expliquer aussi, autre-
ment que par un long temps d'arrêt dans le soulèvement du littoral, cer-
taines « marmites de géants » ou jdtte(jryter, qu'il ne faut pas confondre
avec celles qui proviennent de l'action des torrents glaciaires, et qui sont
dues à l'action du flot marin faisant tournoyer les pierres dans les fissures
du granit ou des schistes? A l'ouest du Lindesnaes, une de ces banquettes,
nivelée par le heurt des vagues, se continue dans l'intérieur de la roche
par une série de marmites ovales d'une régularité parfaite, forées horizon-
talement dans la paroi, et l'une d'elles jusqu'à 8 mètres. La roche n'a-t-elle
pas dû longtemps garder son niveau pour que les eaux aient pu terminer
ce travail ! D'après Lyell', le soulèvement de la côte norvégienne représente-
rait une période d'au moins 24 000 ans. M. Kjerulf, prenant pour argu-
ment les nombreuses cascades du littoral et la grande profondeur des fjords,
croit que le mouvement d'élévation a été beaucoup plus rapide \ Depuis la
fin de l'époque glaciaire, les torrents n'ont pas encore eu le temps d'égaliser
leurs lits et de combler les gouffres profonds des golfes dans lescpiels ils
se jettent; mais que de siècles il faut pour égaliser le lit d'un fleuve!
L'opinion la plus commune parmi les géologues Scandinaves est que
' Axel Erdmann, Exposé dex formulions quaternaires de la Suéde.
' Sexe, On Ihe risc of land in Scandinavia.
' n. Mohn, Slrandlinier t Sorye; Nyl Magazin for NalurTidcnskabcrnc. Christianin, 1876.
* Antiquilij of Man.
' Om Tcrrasserne i iSorgc og daes Dclydmng for Tidsregningen tilbage til Istidcn.
V. 13
■98 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
la pression des forces intérieures n'agit pas d'une manière générale du
sud au nord de la péninsule, mais qu'elle se produit par ondulations,
en laissant entre les diverses régions d'exhaussement des espaces inter-
médiaires immobiles ou du moins très lentement soulevés '. Mais cette
théorie ne peut être définitivement mise hors de doute que par l'observation
rigoureuse et la comparaison des points de repère fixés en diverses parties
du littoral maritime et sur le bord des lacs de l'intérieur. Depuis 1852,
on étudie jour par jour le niveau moyen de la mer et de la plaine Scandi-
nave sur treize points de la côte et sur les bords du Mâlaren, du Hjel-
maren, du Wcttern et du Wenern. Grâce à ces mesures précises, qui jus-
qu'à maintenant ont paru constater l'mégalité de la poussée, on pourra
tôt ou tard se rendre compte des ondulations du sol et savoir dans quelle
mesure les montagnes de la Scandinavie participent aux mouvements du
socle maritime qui les porte.
Quelle est la cause des exhaussements du sol, reconnus pour la première
fois en Scandinavie? Faut-il y voir un phénomène local, sans rapport direct
avec les autres frémissements du sol européen, ou bien un fait dépendant
de la grande vie planétaire? L'abaissement du niveau marin y entre-t-il
pour une certaine part, et la surface de la mer est-elle variable comme celle
du sol? Plusieurs causes agissent-elles ensemble, tantôt se neutralisant,
tantôt s'ajoutant l'une à l'autre? Le temps n'est pas venu de répondre avec
certitude. Oscar PescheP se demandait si les oscillations de la Scandinavie
ne proviennent pas des changements de volume que subissent incessam-
ment les silicates des roches. En se cristallisant, les silicates occupent un
moindre espace; ils secontractentet toute la masse surincombante s'abaisse;
mais, sous l'influence de l'acide carbonique, dégagé par les innombrables
organisinos de la mer, les roches se dilatent de nouveau', et le continent
est soulevé. C'est ainsi, grâce aux infiniment petits, que les terres monte-
raient peu à peu au-dessus des eaux.
VI
La brièveté de la période qui s'est écoulée depuis l'époque glaciaire
est probablement l'une des grandes causes de l'état d'inachèvement dans
lequel se trouvent encore les versants maritimes de la contrée. Le prin-
' A\il KnliiiaiiM. Mémoires de rAcafli'inie des Sciences de Suéde, ISôO.
* ISeite l'iuhiciiie der veryleiclicnden Eidkiiiidf.
^ BiscliolT, Lehrbucli der chemischen und phijsikatischen Géologie.
LACS DE Li SCANDINAVIE. 99
cipal travail géologique des eaux courantes est de régulariser les jiontes
en leur donnant une courbe parabolique de la source à l'embouchure. Les
différences des terrains, les oscillations du sol, les mille phénomènes
entremêlés de la vie planétaire n'ont pas permis à un seul fleuve de la
Terre l'accomplissement définitif de son œuvre ; mais nulle part l'irrégu-
larité des lits fluviaux n'est plus grande qu'en Scandinavie : ces lits for-
ment une succession de gradins, et non une courbe régulière, indiquant
l'œuvre prolongée de l'eau courante'.
Déjà, nous l'avons vu, les étangs et les lacs sont nombreux sur les pla-
teaux norvégiens et dans les hautes vallées qui servent de cols entre les
deux versants. Du côté de l'Atlantique boréal, les escarpements ont trop
peu de largeur pour retenir beaucoup de lacs dans leurs vasques de granit,
et ceux qui s'étendent à la base ne sont que des fragments découpés des
Ijords ; mais sur le versant suédois et sur les pentes norvégiennes tournées
vers le Kattegat et le Skager Rak, les bassins emplis d'eau parsèment le
sol en multitudes. La Finlande méridionale est la seule contrée d'Europe
où ils soient plus nombreux en proportion. C'est au treizième de la super-
ficie totale de la péninsule que l'on évalue la surface couverte de lacs
dans la Scandinavie ' ; mais dans certaines régions de la Suède, no-
tamment dans leSôdermannland, entre Stockholm et Norrkoping, les lacs et
les étangs occupent une si grande partie de ce territoire qu'on s'habitue à
les rencontrer dans toutes les directions : « on n'y fait pas plus attention
qu'aux arbres dans la forêt. » « Lorsque Dieu sépara la terre de l'eau, dit
un proverbe, il oublia le Sôderraannland. » Fresque toute la Suède méri-
dionale a conservé le même aspect inachevé : la surface lacustre y occupe
plus de la huitième partie du sol. La plupart des lacs n'ont point de maisons
sur leurs bords; des forêts silencieuses de sapins, de bouleaux et deciiènes,
d'où s'élève rarement un chant d'oiseau, réfléchissent leur branchage dans
l'eau verdàtreou rougie parle tannin des bruyères ; des champs de roseaux
occupent les bancs du littoral, tandis qu'ailleurs des blocs et des collines
naissantes montrent leurs têtes au-dessus de la surface; aucune voile
n'anime l'étendue solitaire des eaux : une barque attachée an rivage, une
cabane dans une clairière voisine, c'est là tout ce qui rappelle le séjour de
l'homme.
' Ilartung, Beitrag zur Kcnntniss von TIml- und Seebildungen, Zeilschrift dcr Gescllschaft fijr
Erdkunde, n" i et b, 1878.
î Lacs de la Suède -42570 kil. carrés, soit 110 du leniloirc.
Norvège I"'23n ,. » I 2»
Lacs de la presqu'île Scandinave .... 57800 kil. carrés, soil 1,15 du leniUure.
100 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Il est certain toutefois que l'étendue des eaux lacustres a considérablenienl
diminué depuis l'époque historique, en partie par le travail des rivières
qui ont abaissé des seuils de rochers et déblayé des moraines et des âsar,
en partie par le labeur de l'homme qui a creusé çà et là des fossés de
dessèchement. Les débris d'enceintes fortifiées que l'on rencontre si nom-
breux au sommet des collines et des promontoires sont maintenant entourés
de tourbières, de marais et de prairies marécageuses : un examen attentif
de ces terres basses en voie de comblement montre qu'elles étaient jadis
des lacs ou des golfes navigables et l'on y a même trouvé des restes
d'embarcations. Les enceintes fortifiées étaient donc, au moins partielle-
ment, défendues par les eaux'. Dans une contrée si riche en lacs, en
étangs, il était tout naturel de s'établir dans une île ou dans une pénin-
sule pour se mettre à l'abri des incursions soudaines : c'est ainsi, par
des postes insulaires, que presque toutes les villes suédoises ont com-
mencé.
Les plus grands lacs de la Suède sont eux-mêmes un exemple de l'assè-
chement graduel qui se fait en Scandinavie. Jadis unis, ils formaient un
détroit entre la mer du ÎNord et la Baltique : d'anciennes plages couvertes
de fossiles en sont la preuve. On a trouvé des huîtres sur la rive méri-
dionale du lac Mâlaren et en beaucoup d'autres endroits de la Scandinavie
orientale, indice certain que des mers ayant au moins 17 parties de sel
sur 1000 parties d'eau lavaient autrefois les rivages de la contrée*. Une des
îles du lac, Bjôrkô, était naguère parsemée d'ossements d'oiseaux de mer,
aussi bien conservés que si l'île, encore environnée d'eaux marines, ve-
nait d'être abandonnée par les mouettes couveuses*. Bien plus, dans les
profondeurs des lacs vivent de petits animaux d'origine océanique dont
l'organisme s'est adapté peu à peu à l'eau douce qui remplaça par degrés
l'eau salée dans les cavités lacustres*. Même le lac norvégien Mjosen, qui
se trouve pourtant bien éloigné du détroit marin dont le Wetlern et le
Wenern faisaient partie, renferme dans ses abîmes une espèce animale,
mysis relicta, qui témoigntï d'une ancienne communication avec les mers
voisines, aussi froides alors que l'est de nos jours l'océan Arctique.
Désormais séparés du flot marin par des isthmes graduellement élargis,
les grands bassins lacustres qui partagent la Suède en deux régions dis-
tinctes se sont élevés avec l'ensemble de la contrée, et maintenant leur
' A\el Erdmiiiin, Exposé des fornuitinns qualeniniics de la Suède.
" Von Baci-, Bulletin de rAcadémie des Sciences de Sainl-Pétersbourg, tome IV, 1862.
' Stolpc, Revue d'Anthropologie, tome 11, n° 5, 1875.
• Svcn Lovén; — Sars; — Charles Marliiis.
WEiNERN, WETTERN, MÀLAREN.
101
niveau est supérieur à celui de la mer, bien que le lit de la plupart d'entre
eux se trouve encore au-dessous de la surlace de la Baltique. Le Wenern, le
N° 2». LiCS WENEEX ET WEITERN'.
Profondeurs au-dessous du niveau De 0 i 50 m. au-dessus du niveau De SO m. au-dessus du niveau
de la mer. de la nier. de la mer, au delà.
plus vaste des lacs Scandinaves, puisqu'il comprend à lui seul un dixième
de toutes les eaux intérieures de la Scandinavie, est à l'allitudc moyenne
de plus de 44 mètres; mais dans ses parties les plus profondes la sonde a
103
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
mesuré 89 mètres. Comparé au Léman, le Wenern est un réservoir de deux
à trois fois plus considérable par sa contenance, mais il ne formerait
que le quart du Ladoga. Le Wettern, deux fois plus élevé que le Wenern,
est aussi plus creux : le fond du lit, à 126 mètres, est encore de 58 mètres
inférieur au niveau des mers environnantes. Le Hjelmaren, plus rapproché
de la Baltique et supérieur de 25 à 24 mètres seulement à la surface ma-
rine, est le seul des grands lacs de l'ancien détroit qui n'atteigne pas dans
ses profondeurs l'altitude du plan maritime : il n'a que 18 mètres dans les
X" 25. LAC UALAREN.
parties les plus creuses de son bassin. Aussi pourrait-on le vider entière-
ment dans le lac Mularen, en approfondissant le canal de jonction, et
conquérir ainsi plusieurs centaines de kilomètres carrés : du moins tra-
vaille-l-on à réduire de 2 mètres le niveau du lac et à le régler au moyen
d'un barrage, qui laissera échapper au besoin plus de 150 mètres par
seconde; grâce à ces travaux, des milliers d'hectares de terre seront sous-
traits aux inondations'.
Quant au lac Malaicn, il n'est pas encore entièrement séparé de la mer :
' Djuikliiu, lljclm(ircsiiiiknin(is-fruijan i sill sisia skcde.
WENERN, WETTERN, MALAREN, IIJELMAREN. 103
il est toujours golfe par l'une de ses extrémités, et quand les vents d'est
soutiennent le niveau des eaux lacustres, un courant maritime, Vuppsjô,
fait pénétrer un peu d'eau saline dans la partie orientale du lac. Avec
ses nombreux détroits, ses treize cents îles, îlots ou récifs, cette mer inté-
rieure doit être considérée, non comme une seule nappe d'eau, mais
comme un ensemble de bassins séparés ayant chacun son niveau propre,
légèrement différent de celui des autres. Il se compose en réalité de quatre
biefs, disposés de l'ouest à l'est comme les degrés d'un escalier. Le degré
supérieur, qui est le bassin de Kôping, est à une hauteur moyenne dépas-
sant de 74 centimètres le niveau de la Baltique; le deuxième bassin, celui
des fjords de Westeras, est à l'altitude de 60 centimètres ; la nappe du
Bjôrkfjârd se trouve à la cote moyenne de 45 centimètres, tandis que le
bassin oriental, qui baigne la ville de Stockholm, le Riddarfjard, est d'un
pied en moyenne, soit environ 29 centimètres, au-dessus de la Baltique '.
Des asar ou levées de galets séparaient autrefois les divers bassins ; mais
ils ont été rompus par la pression des eaux, et le dédale des criques du
Malaren s'est trouvé réuni en un seul lac. Un courant fluvial, que les
petites embarcations ne pourraient vaincre, et qu'il a fallu contourner
par une écluse, se porte incessamment du Malaren vers la mer sous les
ponts de Stockholm.
Outre les bassins lacustres de la Suède méridionale, on compte encore
dans le reste de la Scandinavie 55 lacs occupant chacun la surface de plus
de 100 kilomètres carrés. Dans le nombre, il en est même plusieurs qui
dépassent le Iljelmarenen étendue^ : tels sont ceux d'où s'écoulent les prin-
cipales rivières descendant vers la Baltique, le Torneâ Trâsk, le Luleâ Jaur,
le Stor Âfvan, le Storsjô suédois, le Siljan, « œil bleu de la Dalécarlic »;
* A. Erdinann, Exposé des formalioiis quaternaires de la Suède.
' Princip;iui lacs de la Scandinavie :
Wencrn (Suède) SSOS kil. car.
Wellern n .... 181)0 »
Malaren .• .... Il 65 »
Luleii Jaur ► .... '.)07
Stor Afvan >' .... >s'2l) »
TorncS Trask n .... 528 »
Slorsjô . .... 'MO «
lljeliriarcn !■ .... 4SI) »
Siljan II .... 5.")6 "
Mjo.sen (Norvège). . . . 36 i «
Aile Vand » .... 26!)
Rands-Ijord n .... 151 »
Tyri-fjiinl n .... 151
Allitudc.
Profondeur exlrêine.
44 inèlres.
90 mètres.
88,2 ..
126 »
0,74 II
50 II
376
?
419
V
346
•I
300
'!
23,5 ,1
18 ..
160
128 II
1:^1
451 »
516 II
9
130 f
î
Gl
281 »
104 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
mais la plupart de ces lacs, éloignés des régions populeuses, n'ont pas
encore été explorés avec soin et la profondeur en est inconnue. Le plus
grand lac de la Norvège, le Mjôsen, est l'un des mieux étudiés de l'Europe,
grâce au voisinage de Christiania, et les fonds en ont été mesurés : dans
la partie la plus creuse du réservoir on a jeté la sonde à 451 mètres. Le
niveau du lac se trouvant à 121 mètres, la partie la plus basse du lit est
à 550 mètres au-dessous de la surface maritime : ce bassin d'eau inté-
rieure, ancien golfe protégé des alluvions par les glaces qui l'emplissaient
jadis, est resté plus profond que ne le sont la Baltique et la mer du Nord.
En hiver, tous les lacs Scandinaves sont couverts d'une dalle glacée, qui se
maintient pendant une moyenne de cent à deux cents jours, suivant la
latitude de la contrée et la rigueur de l'hiver ; mais il est très rare que
même les étangs et les petits lacs sans profondeur gèlent jusqu'aux pierres
du lit : peu de temps après que la première glace s'est formée, les nuages
apportent d'ordinaire une grande quantité de neige qui défend les eaux
profondes contre le froid et sauve ainsi de la mort les tribus des poissons.
De longues fentes s'ouvrent çà et là dans la couche glacée et laissent péné-
trer l'air dans le réservoir caché. Au printemps, le souffle des vents tièdes
et l'agitation des flots rompent entièrement la glace, des allées d'eau libre
y serpentent à perte de vue, puis les glaçons intermédiaires diminuent
peu à peu d'étendue, ou sont dispersés sur les cotes et bientôt les embar-
cations se hasardent sur le flot devenu libre.
Les lacs, ijords intérieurs, se distinguent comme les Ijords par la régu-
larité géométrique de leur orientation. Plusieurs se succèdent dans une
même fissure ; d'autres se rencontrent ou même se traversent à angles
brusques. En examinant l'ensemble de la contrée, on voit nettement ces
« traits d'incision » dont parle Kjcrulf et qui découpent toute la Norvège
méridionale en plaques inégales : on dirait une feuille de mica aux cris-
taux indistincts. Suivant le croisement dos traits, les lacs se groupent en
figures diverses : c'est ainsi qu'à l'angle sud-occidental de la Norvège, ils
limitent des espaces triangulaires (voir la figure 27) ; dans le Telemar-
ken, ils forment un bizarre polygone (voir la figure 28) où la direction de
'chaque incision se trouve représentée par un vand d'eau pure.
Les rivières alimentées par les innombrables lacs de la Scandinavie
consistent elles-mêmes pour la plupart on un onchaînement de lacs de
toute forme et do toute grandeur, tantôt se rétrécissant entre deux jiarois,
tantôt s'épanchant au loin dans les campagnes en baies et en lacs latéraux.
LACS ET RIVIÈRES DE LA SCANDINAVIE.
105
Tous les lits fluviaux de la Suède et de la Norvège roulent une quantité
d'eau très considéralile, proportionnellement à la surface de leur bas-
sin. Trois conditions favorables au maintien d'un débit abondant sont
N» »6. — « THAIT? Il INCISION 11 DE LA SORVÈGE MÉBIDIONILE, D APtlES KJFRrLF.
CapLindesna^s
100 \-M :oo kil.
réunies dans la péninsule : les pluies sont fortes sur tout le versant
occidental et dans la région des sources, le sol rocheux ne laisse guère
pénétrer d'eau dans ses profondeurs, et sous le climat humide l'éva-
poralion est relativement faible. Comparée à la France, la Scandinavie
verse cerlainemenl à la mer nue ipianlili' d'eau bien supérieure en pro-
V. U
106
NOUVELLE GEOGKAI'HIE IMVERSELL
portion : ou peut eu juger par le débit de ceux des fleuves peu nom-
breux qui ont été déjà mesurés. Toutefois il n'y a point dans la pénin-
sule Scandinave de cours d'eau de la puissance du Rbùne ou de celle
du Rhin : le relief de la contrée n'a pas permis à un grand bassin de
se développer. Sur l'un 'des versants, les cours d'eau de la Norvège, à
peine échappés aux glaciers ou aux névés, sont reçus par les fjords; sur
l'autre versant, les rivières suédoises, entraînées directement vers la Bal-
tique par l'inclinaison du terrain, ne peuvent se réunir en un seul tronc
fluvial. Celles qui s'épanchent dans le golfe de Botnie occupent des val-
!7. — LACS AH SfD-Ol!EST
lées presque parallèles les unes aux autres, toutes inclinées vers le sud-
est, suivant la pente générale de la contrée et dans la direction prise au-
trefois par les glaciers. Dans la Suède méridionale, les eaux rayonnent
dans tous les sens vers les golfes environnants : aucun, si ce n'est le (lola-
clf, ne réunit à la fois des eaux venues de la plaine et descendues de la
montagne.
Le fleuve le |ilus alioudaut de la Scandinavie, le Glommen, coule en
Norvège : il m- déverse dans les eaux orientales du fjord de Christiania, qui
reçoit aussi le Drauuns-elv, celui de tous les cours d'eau Scandinaves qui
a le plus changé la forme primitive de sa vallée par l'apport des allu-
\i()ns : les terres (pi'il a dé|)Osées ont comblé déjà une partie considérable
r.lVIKRES DE I.V SCANDINAVIE.
1117
(In graïul lac Tyri-fjord (Miir ligure '29). Le Gu(a-elf' est à peine inférienr
en portée, grâce à la niasse d'eau que le Wenern reçoit du Klar-elf et de ses
antres affluents et qu'il déverse au sud par l'émissaire de Wenersborg; mai<:
il fut un temps où le grand lac Fœmiind, qui ^'écoule maintenant an sud
V *«. LACS IIE TELtMARCREN
par le Klar-elf, et (pii est par conséquent un tributaire du Kallcgal, s'é|ian-
cliait au sud-est par le Dal-elf, envoyant ainsi ses eaux vers le golfe de
Botni(ï : l'ancien lit de la rivière, le Ficmunsgrav, se voit encore à un ou
' Etv on norvégien, ctf en suéilois, onl le sens de fleiivc. I/nsage veut que l'arlicle en Sdil ajuiiip
>ii nom de certains cours d'eau, presque tous de faible importance. Ainsi les deux ruisse.iux do
Chrisliania siml appelés Akers-chcn el Lo-clven. En Suède, le fleuve Klar esl d'ordinaire dé>ignc
par le nom de Klar-clfvcn. On dit aussi Dal-elf ri D^d-elfu'n.
108 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
deux mètres au-dessus du niveau actuel du lac'. Mais si le Gôta-elf était
jadis privé des eaux du lac Faemund, il reçut d'autre part toutes les eaux
LE lïBI-FJOBD.
î^^îrr
t^T-TpE^z:^
R?nl3ifj'an
Tyri fjorc/
du Glommen et son volume se trouvait en conséquence plus que doublé. Au
j>ied de la colline (pii porte le hourij de Kongsvinger, au nord-est do Chris-
tiania, le Glommen tourne brusquement à l'ouest ; jadis il continuait
' 0. J. Riocli, Le royaume de Norvège et le peuple norvégien.
RIVIERES DE LA SCANDINAVIE. 109
directement son cours vers le sud-est, parallèlement au Klar-elf, par le lac
Aklangen et le Wenern. Pendant les fortes crues, une partie des eaux du
Glommen s'échappe encore par l'ancien lit; des lacs allongés ayant gardé
la forme serpentine du fleuve occupent l'ancienne vallée, où passe le
chemin de fer de Christiania à Stockholm. Par une remarquable coïnci-
dence, les deux fleuves qui coulent à l'orient du Glommen ont été rejetés
également vers la droite et descendent au Wenern par des vallées appar-
tenant jadis à d'autres cours d'eau. Le Fryken allait se jeter dans le lac là
où se trouve de nos jours la ville de Carlstad ; il entre maintenant dans
le Wenern à une vingtaine de kilomètres plus à l'ouest. Le Klar-elfven,
qui emprunte actuellement l'ancien lit du Fryken, passait par une étroite
vallée emplie de lacs qui continue exactement au sud-est la vallée supé-
rieure'. Ce déplacement de trois fleuves parallèles dans la direction de
l'ouest semble indiquer une impulsion latérale provenant sans doute d'une
légère oscillation du sol. C'est ainsi que la Vistule, l'Elbe et l'Oder ont
dévié de leurs vallées primitives.
Au nord du Dal-elf, appauvri et grossi tour à tour par ces petites
évolutions géologiques, si nombreuses en Scandinavie, les principaux
fleuves du Norrland sont remarquables par une singulière égalité d'al-
lures et de débit ; ils sont aussi à peu près égaux les uns aux autres
par la surface de leur bassin, par la nature du sol qu'ils arrosent et par
la quantité d'eau de pluie qu'ils reçoivent : Ljusna, Ljungan, Indals,
Angerman, Umeâ, Skellefteâ, Piteâ, Luleii, Kalix, Torneâ', se succèdent
ainsi du sud au nord en versant dans le golfe de Botnie une masse liquide
que l'on doit évaluer pour tous ces fleuves à plus de 2000 mètres cubes.
Chacune de ces rivières se prolonge au loin dans la mer par son courant,
mais, les flots du golfe botnien étant à peine saumâtres, on ne peut guère
remarquer à ces embouchures fluviales le contraste que l'on observe, sur
l'autre versant, aux bouches du Gôta-elf et du Glommen. Au-dessous des
eaux douces du Gôta-elf, que l'on voit couler jusqu'à une grande distance
dans le Kattegat, l'eau du golfe reflue en sens inverse : à plusieurs kilo-
mètres en amont de Gôteborg, on recueille encore l'eau salée de la mer au
fond du lit fluvial '.
Les rivières de la Scandinavie sont pour la plupart mieux réglées dans
leur débit que les fleuves de l'Europe continentale, grâce aux lacs qu'elles
traversent dans leur cours et qui en égalisent les crues. A la fin d'avril
' Tôrncbnliin, Pioles maniiscrilcs.
- On (•■crit ;iussi Ijnc-plf, Slicllefle-clf. Pitc-filf, Luifi-clf, Tornc-clf.
' Ekman, On the gênerai catttet o( Ihe océan currcnU.
110 NOUVELLE GÉOGIiAPlUE UNIVERSELLE.
cl on mai, les iifigos riui fondent an premior soleil dn prinlemps, phis
en automne les grandes pluies qu'amènent les vents d'ouest, élèvent le
niveau des lacs; mais, en recevant le trop-plein des eaux, ces lacs éga-
lisent le débit des émissaires, le réduisant pendant la saison des crues,
pour le soutenir ensuite pendant les sécheresses. li'écart annuel du ni-
veau, dans les bassins lacustres, varie d'un à quatre mètres; mais on p
vu parfois les crues monter beaucoup plus haut par l'effet des éboulis
qui barraient les courants de sortie : c'est ainsi qu'en l'année 1795 le
Vormen, qui emporte l'excédent des eaux du Mjôsen, fut barré complè-
lement par une chute de rochers; pendant tout un hiver on put traverser
le Vormen sur les rochers desséchés du lit, et le niveau du Mjosen s'éleva
de sept mètres'. L'étranglement de la plupart des vallées à l'issue des lacs
a permis d'établir en beaucouj) d'endroits des barrages qui règlent complè-
tement le débit des rivières en lui donnant en chaque saison l'imporlancc
voulue pour les usines ou pour la batellerie. De même que les crues, les
débâcles sont rarement dangereuses, car tous les fleuves abondants de la
Scandinavie coulent dans la direction du sud ; lorsque la dalle glacée, qui
pendant tout l'hiver a servi de chemin, vient à se rompre, ce sont d'abord
les glaces voisines de l'embouchure qui se détachent, et la débâcle se fait
successivement du sud au nord, sans que des embarras de glaçons viennent
se former aux étroits des rivières.
Mais, quoique réguliers dans leur régime, les cours d'eau de la Scan-
dinavie ne se prêtent à la navigation qu'en un petit nombre d'endroits,
soit vers leurs bouches, soit dans le voisinage des lacs qu'ils traversent.
La forme rudimentaire des vallées fluviales, encore disposées en gradins,
est ftivorable à l'industrie, qui cherche des forces motrices, mais elle ne
convient pas aux inténMs du trafic : à chaque barrage naturel, les bateaux
sont arrêtés, et si d'audacieux rameurs osent descendre les rapides, c'est
au péiil lie leur vie. Tel cours d'eau, coulant par étages successifs et
coupé de lacs à chacune de ses terrasses, semble n'avoir pas conquis son
individualité ou même se trouve entremêlé à d'autres bassins. Ainsi le
Tornea-elf appartient en réalité à deux bassins fluviaux : par un de ses
bras, le Tarandô, qui coule en serpentant dans une dépression maréca-
geuse, il s'unit au Kalix-elf ; par l'autre, il rejoint le Muonio-elf, tronc
principal du fleuve qui, sous le nom de Torneâ, sert jusqu'à la mer de
fronlièrc comnuine à la Suède et à la Hussie. Enfin, un très grand iKunbre
tie fleuves se hifunpient avant de se jiMer dans la mer, non aiihiui' d'Iles
' Va\. Eislcv, Geografi.
I j„ ,!.■ IlioM. ,1-:,|m;- |.li..l..„.,|.l.. M. Knn.U,
RIVIERES DE LA SCANDINAVIE. 113
alluviales, mais autour de massifs rocheux : leurs diiamations sont d'an-
ciens détroits changés en lits d'eau courante. On peut citer en exemple
le Gôta-elf, entourant de sa double embouchure l'ile de Hisingen.
La principale beauté des eaux courantes de la Scandin.ivie leur est donnée
par les rapides et les cascades. On peut dire que sur le versant norvégien
tous les ruisseaux se précipitent plutôt qu'ils ne descendent vers la mer : on
voit en maints endroits des gerbes d'eau, tombant du haut des roches nei-
geuses, réunir leurs filets à plusieurs centaines de mètres plus bas dans les
vallées ; même quelques rivières abondantes de la Norvège plongent d'une
hauteur de plus de cent mètres. >'on loin de Trondhjem, le A'orings-fos ',
qui s'abîme dans un gouffre en une seule nappe de 144 mètres de chute,
n'est visible en entier que pour les hardis voyageurs qui se penchent au-
dessus des corniches vertigineuses ou qui se suspendent aux saillies des
rochers ; mais de loin on peut voir les vapeurs qui s'élèvent en nuages, et
le reflux de l'air entraîné gronde en un tonnerre incessant. Le Rjukan-
fos, formé par un affluent du Skien-elv, dans la région méridionale de la
Norvège appelée le Teleraarken, a 245 mètres de hauteur verticale : du haut
des rochers situés en face des chutes, on contemple l'immense bouillon-
nement des flots qui s'entrechoquent et les nuées d'eau brisée qui montent
dans le cirque, voilant à demi la base des deux grandes nappes de la cas-
cade ; un rocher insulaire, uni à la surface et couvert de gazon, ombragé
de quelques arbrisseaux, surplombe la chaudière écumeuse. Dien infé-
rieure par son élévation, puisqu'elle a seulement 21 mètres, mais beau-
coup plus considérable par le volume de ses eaux, est la cataracte du
Glommen, le Sarps-fos, oîi, même en hiver, une masse de lÛU à l.")() mèties
cubes, s'échappant de dessous une dalle de glace toujours frémissante, se
précipite en plusieurs cascades pour aller, en aval des ra|)i(les, se perdre
de nouveau sous une couche glacée; lors de la fonte des neiges, le débit
de la chute dépasse 400 mètres cubes en moyenne, l'eau qui s'enfuit par
seconde est de 800 mètres, plus du double de la quantité d'eau qu'emporte
le Rhin au-dessous de Schaffhouse : du haut d'un pont de chemin de fer
nouvellement construit, on voit à ses pieds l'ensemble des chutes, avec les
cascatelles latérales, et le remous des eaux apparaissant çà et là au-dessous
du nuage de vapeur, (juoiquc peu éloignée de Christiania, la cascade du
Glommen, la plus puissante de l'Europe, est moins connue que celle du
Gôta-elf, visitée par tous les voyageurs qui se rendent de Gôleborg au lac
' Fos, fouen, en Dorvcgicn, a le sens de rapide ou de cascade; !'-■ mol suédois fou s'applique
seulcmeol aux rapides.
y. iô
iii NOUVELLE GÉOGRAPIIIE UNIVERSELLE.
^Venel■n : c'est la fameuse chute de TroUliatlan ou du <i Bonnet de Sorcier »,
qui descend de 55 mètres en trois bonds successifs, enfermant des rochers
verdoyants entre ses eaux fuyantes. La force motrice du Trollhiittan, évaluée
par les mécaniciens à 225000 chevaux-vapeur, est en partie utilisée par
l'industrie, mais les usines n'empêchent pas l'accès de la cascade, comme
aux bords du Sarps-fos, et la nature sauvage des alentours a gardé sa
beauté.
Sur le versant de la Baltique, la pente plus allongée du sol n'a pas
permis aux fleuves de tomber en cascades aussi élevées que celles du ver-
sant occidental ; néanmoins il en est aussi de très imposantes. Ainsi le
majestueux Dal-elf, qui dans toute sa partie inférieure n'est guère qu'une
succession de lacs, se rétrécit tout h coup à f]lf-Karleby, et, divisé en deux
bras, s'écroule en rapides d'une hauteur totale de 15 mètres, pour entrer
bientôt après dans la mer. Le Skellefteâ et le Luleâ ont aussi de puis-
santes cascades et des rapides. Au Kjommelsaskas ou « Saut du Lièvre »,
le Luleâ s'élance en un jet d'une paroi de plus de 80 mètres, sur une lar-
geur de plusieurs centaines de mètres, et plus haut un lac, séparé d'un
autre réservoir par un simple seuil, se déverse bruyamment en une cata-
racte de 42 mètres : les Lapons donnent ta ce lac tombant le nom d'Adna-
muorkekortje ou « Grande Chute Nuageuse ».
VII
Le principal courant des côtes norvégiennes se porte, on le sait, dans la
direction du sud-ouest au nord-est. Les eaux tièdes venues des parages
tropicaux viennent frapper les bancs extérieurs de la péninsule Scandinave
en lui apportant parfois du bois des Antilles et des graines que les Lapons
recueillent soigneusement pour s'en faire des amulettes'. La marche des
eaux vers la Norvège septentrionale est un phénomène si connu, que lors-
qu'un objet est tombé d'un bateau, les marins parlent plaisamment d'aller
le « chercher à Berlevaag », c'est-à-dire à l'extrême pointe orientale de la
Laponie. Ce courant d'eau tiède donne son climat à la Norvège et au
peuple norvégien son commerce, son industrie, sa nourriture de chaque
jour, la vie, pourrait-on dire, car, sans l'afflux des eaux tropicales, les
bords des fjords resteraient inhabités, obstrués par les glaces. La péninsule
Scandinave forme avec le CroMiland la porte marine qui fait communiquer
' Srhiibelcr, Pjlanzenwell IS'onvcgcns.
CLIMAT DE LA SCANDINAVIE, il5
l'océan Atlantique et l'océan Glacial ; mais, à latitude éïale, quel contraste
de climat entre les deux contrées correspondantes ! D'un côté, les glaces
et les neiges; de l'autre, surtout les brouillards et les pluies. Dans la
grande île occidentale, pas un seul arbre; dans la péninsule de l'est, de
hautes forêts, des vergers de pommiers, de poiriers, de pruniers, de ceri-
siers, des jardins, où la vigne même est cultivée en espalier sur des couches
d'engrais! Et pourtant une partie de la Scandinavie, que l'on peut évaluer
à 155 000 kilomètres carrés, est déjà comprise dans la zone polaire, et
pendant l'hiver la nuit s'ajoute à la nuit en ténèbres continues. En été, au
contraire, le jour qui meurt se confond avec celui qui naît. Des montagnes
de Finmark, on jouit du spectacle étonnant que présente à l'époque du
solstice d'été le soleil de minuit rasant l'horizon et remontant dans les
cieux. Du haut de la cime d'Avasaxa, qui domine le cours de la Torneâ, non
loin du cercle polaire, on voit le soleil décrire quinze fois, du 16 au
50 juin, un cercle complet dans l'espace; tandis qu'on reste baigné dans
la lumière du soir, on aperçoit à ses pieds toutes les régions du sud recou-
vertes par le grand manteau de la nuit ; les montagnes neigeuses, au
lieu de refléter une lumière blanche, resplendissent des couleurs écla-
tantes où se mêlent le pourpre du couchant et le vert délicat de l'aurore.
Avec les grands lacs, les tourbières sans fin, les montagnes toujours nei-
geuses, les tempêtes et la mer sans limites, ces longues journées, alternant
avec les longues nuits, contribuent à donner à la vie de la contrée son
expression sévère et grandiose, qui la fait tant aimer de ses habitants.
La forme du littoral norvégien contribue pour une part notable au
réchauffement de la contrée. La température de l'eau dans les fjords et
jusqu'au fond de leur cuvette est plus élevée que ne l'est celle de l'atmosphère
ambiante pendant la moyenne de l'année '. On aurait pu croire que dans ces
abîmes, comme dans ceux de la mer, le thermomètre aurait à traverser
des couches lourdes et froides rapprochées du point de glace ; mais les
recherches faites par le professeur Mohn ont prouvé que ces bassins sont
' Température des fjords et de l'air :
Air. Air.
Eau profonde. Année. Janvier. Eau profonde. Année. Janvier.
Skager Rak 50 7»,2 0»,5 | Ranen-fjord 4»,8 5",5 — 20.5
Karstrand-fjonl. ... G» C» 0»,9 Vest-fjord (entrée) . . G» 4" — 1».2
Hardangcr-rjord . . . C.a 'M 0" . (intérieur). . 60,2 5" —4»
Osier-fjord G»,3 C",8 0« Ofutcn-fjord C",l 2» — 0»
Sogne-ljord C»,2 ',<> — 0»,o Sljem-sund 4»,2 1»,5 - 6»
Nord-fjord G»,G G" — lo,2 Allen-fjord 3o,2 0o,9 — 7«.7
Throndlijcms-fjord . . Co.S 5" — 20,8 ! Varanger-fjord .... 5o,1 — fo — \0«
116 .NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
remplis d'une eau relativement tiède : en janvier, il y a jusqu'à 15 defïrés
d'écart entre l'air de la surface et la masse liquide des profondeurs. Celte
haute température des fjords provient de la disposition de leurs bassins.
Ne communiquant avec la haute mer que par-dessus des seuils immergés,
ils ne reçoivent de l'Océan que de l'eau tiède apportée par les courants du
sud-ouest. Directement à l'ouest, sous les mêmes latitudes, dans les mers
des Farôcr et de l'Islande, les eaux profondes ont une température infé"-
rieure au point de glace ; mais ces couches liquides ne peuvent pénétrer
dans les fjords, défendus |)ar leur rebord de rociiers ; jamais ces bassins
ne gèlent, si ce n'est au bord des rivages les plus éloignés de la haute
mer. Ainsi tout le littoi-al de la Norvège se trouve, pour ainsi dire, pourvu
d'un immense appareil de chauffage par ces réservoirs extérieurs, emplis
d'une eau dont la température est supérieure de ])lusieurs degrés à la
température normale. Si les seuils placés à l'entrée des fjords disparais-
saient soudain et permettaient ainsi la libre entrée des eaux froides dans
les golfes de la Scandinavie, un grand cliangement se ferait aussitôt dans
le climat, comme si la péninsule tout entière s'était déplacée de plusieurs
degrés dans la direction du pôle'.
Le régime thermométrique des eaux du littoral norvégien présente un
remarquable contraste suivant les saisons. En été, en automne, la tempé-
rature diminue de la surface au fond, tandis qu'en hiver la chaleur de
l'eau s'accroît graduellement en proportion de la profondeur. Ce renverse-
ment des températures, qui s'accomplit de l'une à l'autre moitié de
l'année, est dû à l'inlluenee <le l'atmosphère. Pendant la belle saison, l'air
est plus chaud cpie l'eau sur laquelle il repose : il attiédit donc les couches
su]ieriH;ii'lles de l'Océan, et cette chaleur se transmet de haut en bas, mais
fort lentement, tandis que les couches plus froides et plus lourdes se
maintiennent dans les ])iofondeurs. En hiver, l'eau de la surface, en con-
tact avec un air de tein|iérature inférieure, se refroidit rapidement; les
couches profondes s(; maintiennent sans changement; mais, de la surface
au fond, la descenle naturelle des eaux froides produit des échanges de
couches li(pii(lcs ijui r(''gularisent la série des températures. Les courbes
thermales de chaque saison, figurées par le météorologiste Mohn en d'in-
génieux tableaux gra|ihiques, oscillent de part et d'autre, des deux côtés
d'un point lixe de leinpiTiiture qui se rencontre vers 180 mètres au-dessous
de la surface.
L'inlluenee des eaux tièdes du lilloial norvégien sur la tenqiérature de
' M ilin, Pclermnnn's MiHUciliinijcn, 18TG, n'XI.
CLIMAT DE LA SC AMilN'AVIE.
117
la péninsiilo serait d'ailleurs bien minime, si les vents n'apportaient sur
le continent ralmosplièrc maritime. Les courants aériens qui prédominent
sur les côtes de Norvège sont les vents du sud-ouest et du sud, c'esl-à-dire
les plus chauds : ce sont eux qui par leur souffle repoussent vers le nord
30, ISOTIIEPMES HE L AIR EN NORVÈGE.
les lif^nes isolliermiques de la Scandinavie et leur font suivre la côlo
presque en sens inverse de leur direction normale.
Cependant il se produit dans le mouvement général des airs une cer-
taine alternance. Les vents dominants de l'hiver, même du printemps et
(le l'automne, sont des brises qui s'élancent de toutes les issues des vallées
«8 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
et de l'ouverture des fjords vers la surface de la mer, dont la tempéra-
ture est toujours supérieure au point de glace. En été, c'est le contraire ;
les vents se portent de l'Océan vsrs les régions échauffées de l'in-
térieur. Avec les différences causées par les climats, c'est le même
phénomène que celui des moussons sur le littoral de l'Hindoustan.
Le régime de ces vents côtiers de la ^orvège a pour conséquence
de modifier de mois en mois la température de la surface marine
et celle de la côte. Les eaux tièdes qu'apportent les courants du sud-ouest
venant se heurter contre les rivages de la Scandinavie, il semblerait tout
naturel que la plus haute température de la mer se fît sentir précisément
sur la côte et que l'eau se refroidît graduellement au large du littoral,
dans le sens de l'est à l'ouest. Mais il n'en est ainsi que pendant une
courte période de l'été : durant tout le reste de l'année, c'est à une cer-
taine distance des côtes, paralièlement à leur direction, que court l'axe de
plus haute température ; les lignes isothermiques se replient toutes en
pointe vers le nord-est, à la distance variable d'un à cinq degrés à l'ouest
de la terre. Les vents qui viennent de passer sur les neiges de l'intérieur
refroidissent toute la zone littorale des eaux, et, là seulement où s'éteint
leur force, l'eau du large garde sa température normale \ Dans leur mou-
vement alternatif, de l'hiver à l'été et de l'été à l'hiver, les vents s'inflé-
chissent régulièrement de manière à suivre la côte. En hiver, ils longent
les terres en remontant vers le nord, aidant ainsi les navires qui cinglent
du Lindesnaes vers le cap >'ord ; en été, ils se recourbent dans le sens
opposé et sont alors favorables à la navigation qui se porte de Hammer-
fest vers Christiania". D'ailleurs la force du vent est toujours plus consi-
dérable dans le voisinage des côtes occidentales que dans l'intérieur de la
péninsule, et les tempêtes, fréquentes en hiver, très rares en été, sévissent
avec beaucoup de violence dans les vallées des montagnes tournées vers
l'Atlantique. Les orages, qui d'ordinaire éclatent pendant la saison des
chaleurs, sont peu nombreux et rarement accompagnés de grêle. A l'en-
trée du Lyse-ijord, non loin de Stavanger, on observe quelquefois, mais
seulement quand souffle le vent du sud-est, des éclairs, accompagnés de
tonnerre, qui jaillissent d'une paroi de rochers à la hauteur d'environ
900 mètres au-dessus de l'eau'. Les météorologistes n'ont pas encore
exposé avec précision dans (juelles coiulilicns atmosphériques se produit
cet étrange phénomène.
' Mulin, MillIiciliiiKjcn von Petermann, XI, 1870.
■ (J. J. lirocli. Le royaume de Norvège et le peuple nonàgien.
' Kiol'liiig, — Vibe, Uic Kùslen i\'orweijcits, Ergunzuiigshefl zu Pelenaauu's Milllieiluiigea,
CLIMAT DE LA SCANDINAVIE. ll!t
'Avec les vents tièdes, qui lui apportent sa douce température, la Scan-
dinavie reçoit aussi une grande abondance de pluies; mais les deux ver-
sants sont très inégalement partagés. Dans les îles extérieures, notamment
dans les Lofoten, il pleut en moyenne un jour sur deux; à Bergen et sur
toute la partie du littoral f[ui s'étend au nord vers le cap Stad, la chute
annuelle de pluie n'est pas inférieure à '2 mètres; mais au delà des gla-
ciers et des névés, tels que le Jusledalsbraî et le Svartisen, qui re(;oivent
une si grande quantité d'humidité sous forme de neige, la moyenne do
l'eau tombée n'est plus que, d'un mètre; en plusieurs endroits de la
plaine norvégienne abrités des vents pluvieux, par exemple à Troniso et à
Christiania, la chute de pluie est d'un demi-mètre seulement : on cite
même une partie du Dovre où le vent, desséché par son passage sur les
névés, n'apporte par an qu'un tiers de mètre d'eau. Dans toute l'étendue
de la Suède, défendue à l'ouest par le faîte des monts et des plateaux Scan-
dinaves, la moyenne de l'eau tombée est de 525 millimètres, moindre par
ccnséquent que celle de Ir. France et des Iles Britanniques'. Par un bizarre
contraste, la limite des neiges persistantes descend beaucoup plus bas sur
les pentes occidentales des montagnes de Folgefonden el de Justedal, attié-
dies par les vents marins, que sur les déclivités tournées vers le froitl
orient : la cause en est à l'abondance d'humidité qu'apportent les courants
aériens de l'ouest et du sud-ouest. Mais du sud au nord la limite des neities
s'abaisse régulièrement, de J^ÔO mètres ou de 1500 mètres sur l'un ou
l'autre versant du Folgefonden, à 000 ou même à 730 mètres sur le mon-
tagnes voisines du cap Nord.
Les lignes isothermiques tracées sur les cartes de la péninsule, grâce
aux observations régulières faites dans les 53 stations météorologiques de
la Norvège et dans les 29 stations de la Suède, présentent en été comme
en hiver la même forme générale : elles se développent presque parallèle-
ment à la côte occidentale, puis décrivent leur principale courbe dans le
sens du sud-ouest, comme le littoral norvégien lui-même, de Trondlijem à
Christiania. Même pendant le mois le plus froid de l'hiver, quelques par-
ties des côtes gardent une température supérieure au point de glace'; à
' Chute moyenne des pluies dans la péninsule Scandinr.vc ;
SORÏLCE.
Flôro, près de Bergen. . . 2")00 niiiliinèlres
Bergen 1X00
Slavanger 1088
Lindesnses • . . 1140 »
Tdnsbcrg 588
Christiania 558 »
SIEDE.
Cotes du Kattcgat 716 niiiliinèlres.
Intérieur du (jolaland. . . . 515 »
Côtes du Svealand ."il l «
Côtes du sud-csl i'29 »
Sud du Norriand 508 »
ISorrbotlen. ...... 406 »
120
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Chrislanssund, au Lindesnss, on ne compte en moyenne aucun jour de
l'année dont la température descende au-dessous de zéro; à Bergen, déjà
moins réchauffée par les vents du sud-ouest, les jours froids sont de vingt-
N° 51. ANOMALICS HE TESirt'R.STlT.E DANS LA TÉNINSILE SCANDINAVE.
EdeP
D'a^ires Scliûbeler.
t : It 000009
quatre par an'; même à Hammerfest, grâce à l'anomalie lliernii(|ue. un
ruisseau ne cesse de couler pendant toute l'année et les habitants vont
y puiser de l'eau en plein hiver". Mais, loin des rivages, tout le reste de
' Scliiiljclor, Pflanzenwell Nortoegens.
* L. \oii lîutli, Rcisc durcit l\'onvc(jcn itnd Lapplaiid.
CLDIAT DE l\ SCANDINAVIE.
la péninsule se trouve alors compris dans les limites Je l'isollicrme de
zéro. Calciih'e pour l'année entière, la ligne de congélation embrasse l'in-
térieur du Finmark norvégien et du Xorrbollen suédois, et, plus au sud.
FCARTS PE TFMPtnATfHE EVTfir IFS MOIS II ETE ET t.ES ïrOIS D I
le plateau du Dovre et quebjues autres massifs autour de Iloios. Toutes
ces régions sont presque inhabitées : d.ms la Norvège, où elles occupent
prc"; d'un cinquième du territoire, elles n'ont pas même un centième de
la population. Lt-s habitants se pressent naturellement dans les parties
(le la contrée dont la température moyenne est la plus haute. Très peu
de maisons sont à plus de 000 mètres sur les pentes des montagnes, et
». 1J
122 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
même on ne rencontre guère de granges ou de chalets d'été à plus de
900 mètres; çà et là néanmoins des groupes de paysans vivent en des val-
lées qui sembleraient ailleurs complètement inhabitables. 11 est des villages
du plateau méridional où l'on attend la lumière du soleil pendant des
mois entiers, même pendant plus de la moitié de l'année. Sollôisa ou
« Sans-Soleil », dans le district de Bergen, est ainsi nommé, parce qu'il
n'est jamais éclairé directement par les rayons solaires'. Tandis que la
moyenne annuelle de toute la Norvège est seulement de 2°, 5 centigrades,
celle des lieux habités, calculée en tenant compte du nombre des résidents,
peut être évaluée à 5 degrés. En Suède, cette température est d'un degré
plus élevée*.
De l'ouest à l'est, du rivage dentelé des fjords aux plaines de la Suède
et de la Laponie, l'anomalie que présente le climat du littoral diminue
rapidement : tandis que sur les côtes de Norvège la température moyenne
dépasse de 20 degrés la température normale de sa latitude, l'anomalie
n'est plus que de 10 degrés au nord de Christiania et d'Upsala. Le climat
change; de maritime il devient continental, et ses écarts, journaliers,
mensuels, annuels, sont de plus en plus considérables : de 10 degrés
sur la côte entre le mois de juillet et le mois de juin, ils sont de 50
degrés dans la Laponie suédoise (voir figure 52). Du cap Sladt aux Lo-
foten, la variation de la température entre les divers mois de l'année
est de 12 à 15 degrés seulement, tandis qu'à Ilaparanda, à l'extrémité
du golfe de Botnie, la variation est de 52 degrés". Dans ces régions
' Schubeler, PflanzemLclt ?iorwe(jens.
- 0. J. Ridcli, Le royaume de Norvkje et le peuple norvégien.
^ Tempéralures moyennes et extrêmes de la Scandinavie :
^ORVÊGE. SIÈDE.
I.jl. Moyi-niic. Jjnvier. Juillet. Écart. Lat. Moyenne. Janvier. Juillet. Écart.
Hammcrfcsl . . 70"7' 1",8 — 5",! tl».â 10»,4
Vardô 7tlo|' n'>.8 —0» S".8 14»,8
Tromsi) . . . GO^U' 'J",2 — 4'',2 •M",5 15»,?
Jockmock . . . GCôG' — 1".9 — I7",l ir>o,8 2()o,G
Ilaparanda. . . CoOoI' — 0<',2 —12".'.» 14>\9 27'',8
Pitca 65»19' 1°,01
Umea Gô^ôO' \'\5 — O^.ô 14'',7 21»
Ilernosarid . . G2''58' 2'\8
Falun. . . . 60»40' 5»,6 — 6<>,o IS^G 22M
Bergen .... 00o4' 7» 0»,4 14«,5 14", I
Ohristiania . . . 50054' 5<',2 — i»,! IG»,» Slo.G
Upsaia 59052' -40,6 — 4",5 1CM 200,6
Slodihulm . . . 5902O' 50,1 — 50,5 150,8 I9o,3
Golcliorg. . . . 57042' 60,7 —10,4 lO",! 17o,5
Wisby 57"59' Co,2 — 0o,8 t5o,4 16o,2
Karishamn . . . 5GoiO' eo,8 — Oo.C I5o,9 16o,5
CLBI.VT ET FLORE DE LA SCANDINAVIE i:3
du noiil, les étés sont à peu près aussi chauds que dans la Suède mé-
ridionale, mais les hivers y sont beaucoup plus froids et l'on y a même
subi des températures au-dessous de 50 degrés. Les glaces épaisses qui
se forment pendant l'hiver dans les marais tourbeux de la Laponie se
maintiennent parfois durant toute l'année; elles n'ont pas le temps de
fondre, tandis que l'orge et la pomme de terre croissent et mûrissent à
la surlace.
VIII
Les lignes isothermiques de l'année, de l'hiver et de l'éié, oscillent
diversement suivant les expositions du sol, et, combinées avec les autres
lignes de climat indiquant l'abondance des pluies, la force et la direction
des vents, peuvent marquer d'une manière générale les zones de végéta-
tion. Cependant on remarque des anomalies apparentes. Quoique la tempé-
rature moyenne soit, à tous les degrés de latitude, plus élevée sur les côtes
de la ^"orvège que sur le versant oriental du plateau, plusieurs espè'jes
d'arbres se montrent beaucoup plus haut vers le nord en Suède qu'en
Norvège. Ainsi le sapin cesse de former des forêts en Norvège dès les fron-
tières du Norrland, vers le cercle polaire; mais on le voit en Suède bien
au nord de la même latitude. Par un phénomène analogue, le bouleau,
qui s'arrête à 5'20 mètres sur les pentes norvégiennes des montagnes, dans
le groupe de Sulitjelma, monte au double de la hauteur sur le versant
suédois '.
Plus de deux mille plantes européennes ont leur limite septentrionale
en Scandinavie : une carte exposée par M. Sciiui)eler au Congrès gé'ogra-
phique de Paris indique les limites polaires, connues jusqu'à maintenant,
de 1900 végétaux cultivés et sauvages des côtes norvégiennes. En voyageant
du sud au nord et de l'ouest à l'est, on voit successivement disparaître
les plantes de l'Europe tenqién'ç : aux paysages gracieux succèdent des
tableaux sévères. On dépasse d'abord la région du hèlre et du charme, qui
comprend la Scanie méridionale, la zone du littoral sur le Kattegat et
même la côte du sud-ouest de la Norvège, puisqu'il existe encore une forêt
de hêtres sauvages un peu au nord de Bergen : c'est la plus septentrio-
nale du monde. Le mélange de ces arbres à feuillage vert avec les coni-
fères est ce qui fait le grand charme des rivages du Christiania-fjord, sur-
tout dans les détroits que défend au sud la forteresse d'Oskarsborg. Ln
• Wablenberg; — P. G. Lorcni, Miltheilungen von Pelermunn, 1\, 1869.
124 .NOUVELLE GÉOGRAPHIE LNIVERSELLE.
bois irormoaiix se montre sur les })ords du iiolfe de Lysler. La région
du chêne embrasse une partie plus considérable de la Scandinavie : elle
comprend toute la Suède moyenne juscju'au Dal-elf et la côte norvégienne
jusque sous le 05' degré de latitude, non loin de Cbrislianssund. L'aune
lilancliàtre, le pin, le saj)in, le bouleau pénètrent beaucoup plus avant
dans la partie septentrionale de la péninsule et montent plus haut sur
les flancs des collines et des montagnes : le bouleau croît même sur
le plateau du Finmark; au pied des hautes parois qui dominent les
fjords au nord et qui réverbèrent la chaleur du midi, on s'étoune de ren-
contrer des plantes qui sembleraient devoir appartenir seulement à des
terres plus rapprochées des tropiques de dis ou quinze degrés, et pourtant
des restes d'avalanches et des éboulis de pierres couvertes de mousses
alpines se voient à côté de ces végétaux du midi '. La limite de végétation
des arbres ne traverse qu'une toute j)etite partie de la Norvège, sur les
liords septentrionaux du Varanger-fjord : la rive du sud est ombragée de
véritables forèîs de pins, de sapins, de bouleaux, de trembles, de sureaux
et de sorbiers, mais au nord du golfe, où les tourbières renferment les
débris d'aucienuts forêts, il ne reste plus maintenant que des mousses et
des lichens, à peine çà et là quelque plante méritant le nom d'arbre; suivant
l'expression de Linné, « les derniers des végétaux couvrent la dernière
des terres ■«.
Toutes les espèces végétales de la Scandinavie sont d'origine étrangère
et n'ont j)euplé la contrée que depuis la disparition des glaces ; cependant
le feuillage des arbres est si foncé et les Heurs ont des couleurs si vives,
que la plupart des botanistes croiraient en les voyant se trouver en pré-
sence de variétés nouvelles. On a remarqué aussi que l'arôme de toutes les
espèces de plantes et de fruits augmente graduellement vers le nord",
tandis que le sucre y diminue en proportion. Les baies sauvages sont
beaucoup meilleures en Scandinavie que dans les pays plus méridionaux,
et les ménagères en préparent des compotes, servies sur toutes les ta-
bles lie la Norvège. Trondhjem est une ville fameuse par l'excellence de
ses fruits, pommes, poires, cerises : même, près de là, à Frosten, les noix
arrivent à maturili'. Les qualités spéciales des fruits de la contrée tien-
nent aussi à la rapidité de leur croissance. Grâce à la douceur de la tem-
pérature moyenne et à l'influence à peine interrompue de la lumière
pendant l'été, les céréales cultivées sur le littoral norvégien nuuissent
' A. l'IyK, OinVciieldlionsforholdene red Sojnefjoidcn.
- Cil. M;iiliiis, iJu Spilibcrg au Sahara.
•■ Sclmbulej', Die Pflantenwelt Aorii'Cf/ow.
i''^'!"îBîilîiffl!îli:iii'!l:liiî
i-A'
CULTLP.es de la SCANDINAVIE.
127
dans le même espace de temps que sous les latitudes plus méridionales.
Ainsi, sous le 70'' degré de latitude, à Alten, l'orge arrive à maturité
en 90 jours, précisément l'espace de temps qu'il faut à la même plante à
Christiania, en Alsace, aux bords du ^'il. Par une bizarrerie singulière,
qui témoigne de ce que peut l'industrie de l'homme, les insulaires de Ilindo
exportent souvent à Christiania de l'orge et des pommes de terre '. Toutc-
HAISONS DE niOVISIONS, TOÈS PE IIlTItnDvI..
Dassin de Taylor, d'aines une photogra|^hie do M. Frilli.
fois il est des régions de la Lr.ponie suédoise où l'orge est cultivée sans
qu'elle arrive jamais à une maturité complète, même lorsque la saison a
été le plus favorable : vers la lin du mois d'août, les « nuits de fer »
(jernnatterna) ne permettent pas à la plante d'achever le cycle de sa crois-
sance. Avant d'engranger la récolte, il faut la sécher. On prend soin de la
diviser en petites gerbes, que l'on suspend les unes au-dessus des autres
au moyen de perches, ou bien on les étend sur le loit de cabanes dont le
• Millheilumjen ton l'clcmmnn, 1801, n° G.
128 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
poèlc répand une épaisse fumée'. Fréquomnaent aussi, les orges du Jeiui-
land ne peuvent mûrir et les paysans les fauchent comme fourrage : ils
disent alors que « l'année est verte » *.
La forêt qui recouvre les plaines unies de la Suède ou les pentes régu-
lières ne diffère point de nos forets ordinaires de l'Europe tempérée : c'est
le litnd, la futaie d'accès facile que le cultivateur défriche et transforme
en champs à céréales. Mais le skog, la forêt sauvage, a un caractère tout
spécial : c'est à la fois un chaos de rochers, un fourré d'arbres et de buis-
sons. Les blocs de granit ou de porphyre entassés en désordre dressent çà
et là leurs saillies h nu ; presque partout une couche épaisse de mousse et
d'herbages les revêt comme d'un tapis ; les sureaux, les framboisiers, les
myrtilles croissent dans les anfracluosités ; les grands troncs des pins, des
sapins, des aunes, des bouleaux, glissent leurs racines entre les pierres.
Tout sentier se perd dans ce labyrinthe des arbres et des roches. C'est la
solitude redoutée, que hantait autrefois le troll, c'est-à-dire le « mau-
vais », où le voyageur égaré rencontrait la skofjfru, la terrible « femme
des halliers ».
En Suède, la faible altitude moyenne du sol a permis à la végétation arbo-
rescente de recouvrir une très grande partie du territoire, et l'on ne saurait
évaluer l'espace boisé à moins des deux cinquièmes (4'2pour 100). La Norvège,
plus haute en moyenne, est aussi beaucoup moins riche en forêts : seule-
ment la cinquième partie du sol est couverte de grands bois. Depuis long-
temps, les pins des forêts de Gefle, sur les bords du Dal-elf, sont tout par-
ticulièrement reclierchés pour fournir du bois de mâture aux marines
d'Europe. Ils doivent leurs qualités exceptionnelles à l'épaisseur uniforme
de leurs couches ligneuses, qui est d'un millimètre environ. Sous un climat
plus froid, les couches du pin sylvestre sont trop minces, trop denses et
n'ont pas l'élasticité nécessaire ; sous un climat plus chaud, le bois, que
la sève alimente toute l'année, a les couches trop larges et trop molles.
La viaie moyenne de résistance, de souplesse et d'égalité du pin est donnée
par le climat de la Suède ciMitrale, correspondant à celui des Vosges, entre
800 et l^OO mètres d'altitude, et des Alpes françaises, entre 1500 et 1700
mètres : c'est là aussi, dans ces montagnes, la zone d'élévation où les con-
structeurs ont à chercher leurs bois de mâture'.
L'étendue même des forêts Scandinaves a jus(|u'à nos jours accoutumé
les habitants à la [)rotligalilé dans l'usage des bois pour le chauffage, la
' Cil. Mailiiis, Du Spitzbcrg au Saltaïa.
* Forseli, Slalistik van Scliueilen.
' Mémoii'os (le Bravais, Gliaik's Marliiis, Cliurles Grad, etc. . ' '
FLORE ET FAINE DE LA SCANDINAVIE. <29
construction, les usages industriels, l'exportation, et par suite de vastes
espaces ont été déboisés. De Malmô à Stockholm, sur tout le parcours
du chemin de fer, on voit partout des bois entrecoupés d'eaux et de
cultures, mais pas de massifs de grands arbres exploitables pour la ma-
rine; pourtant d'anciennes sagas nous, racontent que ce pays était autre-
fois une immense forêt de chênes et de hêtres; des bandes de porcs la
parcouraient comme ils parcourent aujourd'hui les chênaies des Serbes
et des Croates'. Dans la Norvège méridionale, il ne reste plus de forêts
dignes de ce nom par la hauteur des arbres que loin des roules d'accès,
et déjà de nombreuses usines métallurgiques ont dû être abandonnées
parce que le combustible manque pour la fusion du fer. En ces régions
froides, la végétation des arbres est lente et la destruction des forêts y
devient ainsi la cause d'un appauvrissement prolongé de la contrée.
Tandis que les Norvégiens emploient peut-être en proportion cinq fois
plus de bois que les Français, seulement pour la coiisoniniatiou lotale,
leur sol en produit cinq fois moins sur une même surface, à cause de la
faible épaisseur des couches ligneuses annuelles, noui'ries par un sol cris-
tallin; sur les pentes de plusieurs montagnes", la destruction des arbres a
déjà fait baisser de 100 mètres le front supérieur de la forêt. Des mesures
de préservation ont dû être édictées : en vertu d'une loi de 1875, les
propriétaires des provinces septentrionales de la Suède doivent respecter
désormais les fûts ayant moins de 25 centimètres d'épaisseur à hauteur
d'homme. Dans l'île de Gotland, on a même dû interdire complètement
l'exploitation du bois pour la vente.
Les animaux sauvages qui peuplaient autrefois les forêts de la Scandi-
navie sont devenus rares. Les ours, les loups, les lynx, les goulus sont mis
à prix, de même que les renards et les oiseaux de {iroie, et ne se voient
plus que dans les régions écartées'. L'élan n'a point encore dispinii des
montagnes de la Nwvège, et il en existe même une bande au nord de
Christiania : elle serait rapidement tîxterminée, s'il n'était défendu de la
chasser. Le chevreuil, le cerf se rencontrent aussi dans les forêts de la
Norvège, etquelques îles des environs de Bergen et de Trondhjem sont des
parcs de chasse pour leurs propriétaires. L'aurochs vivait en Scanie à
l'époque de la pierre : on en voit un au musée de I.und portant encore la
' L. V. Buch, {{fisc (Iwch ^orwcyen und Lnpplnnd,
' 0. J, Brocli, Le royaume de Norvcge et le peuple norvégien.
' Animaux sauv.ngcs tués en Suède, d'après Statislisk Tidskrifl, 1883, I :
Our9. Loups. Lynx. Clouions. ncilorJs. Oiscniix de proie.
De 1856 h 1860. . . . 618 W.> 87'. 611 — —
De 1876 b 1880. . . . 2'JO 183 331 651 58 719 72 755
ï. 17
iÂO NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
marque d'une blessure fiiite par une flèche en silex'. Çà et là se main-
tiendrait le castor, jadis si commun et de nos jours si rare en Europe.
Le lièvre, peu timide en hiver, quand son pelage se confond par la blan-
cheur avec les neiges environnantes, est commun dans les régions mon-
tagneuses du nord de la Scandinavie, et les rongeurs lemraing (lemmis
norvégiens) descendent en bandes innombrables des plateaux norvégiens
vers la mer. Quant au renne, on ne le retrouve plus à l'état sauvage dans
les vallées suédoises ; naguère encore il vivait en grands troupeaux sur
toutes les hautes terres de la Norvège méridionale, des montagnes de Tele-
marken au plateau de Dovre, mais le nombre en a beaucoup diminué depuis
que les chasseurs se servent de fusils à lir rapide et à longue portée. Dans
la Scandinavie du nord, le renne sauvage a cessé d'exister : on ne voit plus
que l'animal domestique des Lapons. Le renne qui vivait en Scanie, et dont
on trouve des squelettes çà et là dans les tourbières, appartenait à une
autre race que ceux de la Laponie : il était probablement l'animal dont
parle César et qui peuplait la forêt Hercynienne. Le ftiit que le renne n'a
pas émigré de Scanie en Laponie est prouvé par l'absence complète de
restes de ce quadrupède dans toute la vaste région de la péninsule Scan-
dinave qui sépare les deux provinces \ C'est de l'est, des régions de la
Russie septentrionale, que sont venus les immigrants nomades avec leurs
troupeaux de rennes domestiques.
Presque toutes les espèces d'oiseaux qui vivent sur les rives méridionales
de la Baltique se rencontrent aussi dans la péninsule Scandinave, mais
beaucoup moins nombreux : les forêts de la Suède sont plus silencieuses
ipie les bosquets de l'Allemagne ; toutefois on a remarqué que les progrès
de la culture dans la Scanie et dans la Suède centrale ont augmenté dans
le pays les tribus d'oiseaux chanteurs. Quant aux oiseaux de mer, ils tour-
billonnent autour des rochers du littoral norvégien en aussi grand nombre
qu'autour des « piliers » de la mer des Shetland et des Fàrôer ou des
Fuglasker d'Islande. Quelques îles des Lofoten et des Tester Aalen portent
spécialement le nom de mjker ou de « montagnes des oiseaux », à cause de
la multitude des jùngouins, des macareux, des guilleraots, des mouettes,
(pii nichent sous les mottes de gazon des terrasses. De loin, ces nyker,
enveloppées du vol incessant des oiseaux mâles, paraissent revêtues d'une
vapeur tremhlolanle. Le bruissement des ailes s'entend à des kilo-
mètres de dislance, et de près resscMihlc à un siniement de lempète. Le
' NiUsnn, Les liabiiattls primitifs de la l'irandinniic.
- l^'il^sull, iiioine ouvni-e; — \Voisa;iu, La colonisation rie la Riis.ie et du Nord Scandinave.
FAUNE DE LA SCANDINAVIE. 131
man{|iic de ports ou de criques d'abri rend ces îles d'un accès difficile
pour riioninie ; mais il y aborde pendant les jours de calme et lait sa pro-
vision d'œufs et d'oiseaux au moyen de chiens bassets qui pénètrent dans
les galeries souterraines des nids. L'eider, assez rare dans les fjords méri-
dionaux de la Norvège, est très commun dans les îles du Finmark, de même
que dans l'archipel des Vester Aalen et des Lofoteu : richesse principale des
habitants, il est protégé contre les chasseurs de passage par une loi sé-
vère de 1860.
Les mers qui baignent le littoral norvégien sont aussi très riches en vie
animale, beaucoup plus que les eaux baltiques des rives suédoises. Le
repaire du fabuleux « serpent de mer », le Molde-fjord, entre Aalesund
et Christianssund, est, de toutes les baies de la Scandinavie, celle qui
abonde le plus en organismes marins'. Dans aucune mer européenne,
si ce n'est près de la côte du Portugal, les pêcheurs ne promènent leurs
hameçons à de plus grandes profondeurs que dans les eaux du littoral
norvégien. A 200 mètres, à 400 mètres même, ils capturent une espèce
de morue, le Iota des abîmes; un saumon d'eau salée, corcgonus silus;
un requin bizarre, spinax nicjer, dont la peau semble hérissée d'aiguilles
de cristal, et la « chimère monstrueuse », poisson grotesque et vorace
que les Norvégiens appellent le « roi de la mer ». Dès l'année 1855, le
célèbre Âsbjornson, le poète naturaliste, draguant le fond du llardanger-
fjord, à 560 mètres, ramena de ces abîmes un admirable échinoderme
en forme d'étoile, tout différent des espèces d('jà connues, et, dans sa
joie, il lui donna le nom mythologique de Brisinga, comme s'il avait
retrouvé le hrisiiuj sacré, l'ornement de la déesse Freya, jeté dans la mer
par Lokc, le méchant dieu'. C'est grâce à ces pèclies en eau profonde
que les deux Sars et d'autres naturalistes norvégiens ont fait leurs impor-
tantes découvertes dans la faune océanique : en peu d'années Sars le père
signala l'existence de 427 espèces nouvelles, sans compter les poissons,
presque tous retirés des parages de Skraaven, dans les Lofolen, de 500
à 480 mètres de profondeur. Le cétacé que les pêcheurs hollandais pour-
chassaient, il y a deux siècles, sur les côtes du Finmark, a dis])aru com-
plètement des mers Scandinaves : la crique de Bosekop ne mérite plus
aujourd'hui son nom di; « Baie de la Baleine », et les habilanls du pays
conservent précieusement comme des objets étrangers les côtes de baleint^
abandonnées jadis sur les pl'ages. Lorsque Léopold de Bucli visita la L .-
' Sars; — Car) \o^l, i\'oid-Faliit.
* Sars, On some rcmarkablc forms of animal life.
152 NOUVELLE GEOGRArillE UNIVERSELLE.
poilie au commencement du siècle, le cimetière de Hasvik était presque
entièrement entouré d'une ban'ièi'e formée de ces ossements.
On sait quelle est l'importance de la pèche dans certaines parties des
mers qui Laignent le littoral Scandinave. Les côtes suédoises de Gôleborg,
du llalland, du Boluislan, fournissent une part considérable de leur ali-
mentation aux habitants, et des milliers de bateaux poursuivent la morue,
les harengs et d'autres poissons du Kat légat au cap Nord. Un dixième de la
]io[iulation norwégienne est ichthyophage ; mais son industrie est soumise
à bien des mécomptes à cause du déplacement des bancs de poissons. Les
harengs, qui, il y a cent ans, foisonnaient dans les mers de Goteborg, dis-
parurent soudain au commencement du siècle, et la population riveraine,
privée de ses ressources alimentaires les plus abondantes, tomba dans une
grande misère. Les harengs sont revenus, beaucoup moins nombreux
d'abord, puis en quantités énormes, dans l'hiver de 1878 à 1879. De
même, sur la côte norvégienne comprise entre Lindesnœs et le cap Stad,
les harengs se sont présentés en hiver très irrégulièrement, et souvent
même ils ont complètement manqué : de 1567 à 1644, pendant près d'un
siècle, ils avaient disparu de la côte. De 1808 à 1855 on put pêcher le hareng
en abondance aux environs de Bergen et au sud de cette ville, puis il se
déplaça graduellement vers le Lindesnœs, pour osciller ensuite çà et là.
D'après 0. Sars, le déplacement des bancs de harengs provient de la plus
ou moins grande richesse des « pâturages » de crevettes, d'annélides et de
mollusques, et, dans une moindre mesure, de l'induence des vents et des
courants. C'est entre les caps Lindesnœs et Stad et dans les parages de
Goteborg, que se fait actuellement la « pèche d'hiver » du hareng, qui
arrive en janvier sur les côtes. La pêche estivale de ce poisson est plus
variable que celle de l'hiver, et les pêcheurs doivent se porter successive-
ment sur divers points de la côte, du Lindesnies aux Lofoten. Dans les
parages du nord, c'est aussi un fait d'expérience que les bancs de morues
se déplacent, suivant les périodes, de l'un à l'autre côté des Lofoten. La
grande pêche printanière de la morue occupe toute la population des
îles et des étrangers venus en masse. La morue séchée va nourrir les
paysans de la Suède, de la Russie, de la Hollande, de l'Italie; tandis que
le poisson salé se répand en Allemagne, en Espagne, au Portugal, à
Cuba; son foie sert à la préparation de l'huile et 10 à 27 millions de têtes
sont li-ansformées en guano. Après avoir jeté son frai, la morue remonte
vers le Finmark, suivie par les pêcheurs, qui font en été une espèce de
regain. Le maquereau, le hoinnrd, i|ue les pauvres pèchent avec des
paniei's; le saumon, (pii abonde aux bouches des rivières; la lingue et
PÈCHES SUR LES CÔTES DE NORVÈGE. 133
d'autres poissons complètent les ressources de la population norvégienne.
Actuelleraenl, on a imaginé de mettre le télégraphe au service de la pêche,
et dès qu'une « montagne » de harengs, de morues, de maquereaux ou de
squales se montre dans le voisinage des côtes ou des îles, un avis pré-
vient aussitôt les marins du littoral. En 1877, il y avait déjà près de
4000 kilomètres de ces « télégraphes aux harengs » sur les côtes et dans
les fjords. Quel contraste entre le langage instantané des fils électriques et
les charmes inventés jadis par les pêcheurs pour forcer le poisson à se di-
riger vers les filets ! C'était naguère une superstition générale sur les côtes
de Norvège que les esprits de la mer ne pouvaient souffrir un langage hu-
main compréhensihle. Aussi les marins et les pêcheurs avaient-ils inventé
une langue imagée, aux comparaisons et aux tours les plus bizarres, afin
que les monstres de l'abîme ne réussissent pas à en pénétrer le mystère. Dans
quelques villages, celte étrange incantation de la mer subsisterait encore.
La pêche de la morue est la vie même des populations i-iveraines du
Finmark, Norvégiens, Finnois et Russes, aussi bien que Lapons. Quand les
mers fournissent une récolte abondante de poisson, la mortalité diminue,
la population s'accroît, l'aisance devient générale. Les harengs se montrent-ils
en nombre vers la fin de l'été dans les ijords de la Laponie, la tristesse
est universelle, car les pêcheurs savent par une longue expérience que les
harengs et les morues ne fréquentent pas successivement les mêmes eaux
dans la même année ; les bancs pressés des premiers annoncent pour le
printemps suivant une bien pauvre récolte. Mais que les harengs soient
peu nombreux, et l'on prépare les engins de capture dans tous les ports
du littoral; on construit de nouvelles barques, on se groupe en nom-
breuses compagnies de pêche ; d'avance on sait que les j)oissons désirés
arriveront en multitudes. Les pêcheurs de profession. Norvégiens, Finnois,
Russes et Lapons, ne sont pas les seuls qui prennent part à la curée
dans les années de bonne pêche : on voit accourir aussi vers le littoral des
caravanes d'hommes, de femmes, d'enfants, de chiens et de rennes. Les
Lapons des forêts, attirés vers la mer, partent comme les oiseaux émi-
grants et reviennent comme eux.
IX
La population de la Scandinavie n'a d'histoire écrite que depuis une
vingtaine de générations. Les premières chroniques, datant de la fin du
onzième siècle, sont prcsqu(! complètement perdues : de cette époque et
des âges aiili'rirurs depuis le inilicii dn neuvième siècle, il ne reste que
154 KOLVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
les vagues traditions rapportées par les sagas. Au delà, dans la nuit des
temps, on ne trouve que les témoignages laissés sur le sol ou dans la terre
par les anciennes peuplades.
Par ses débris archéologiques, la Suède méridionale ressemble beaucoup
aux îles danoises et paraît avoir été habitée par des hommes de la même
race et de mœurs analogues ; mais au nord de cette région s'étend un autre
domaine. La Suède septentrionale et la Norvège n'ont point de kjokken-
nioddinger des âges de la pierre, si ce n'est un seul, trouvé près des bords
du fjord de Trondhjom, à Slenkjaer; mais cet amas de débris ne renferme
que des objets appartenant aux temps de la pierre polie. Jusqu'à nos jours,
ni instruments d'os, ni outils de pierres éclatées ou taillées grossièrement,
telles qu'on les voit dans les kjokkenmôddinger danois et les cavernes à
ossements de la Belgique et de la France, n'ont clé rencontrés dans les ré-
gions de la Scandinavie situées au sud du détroit formé par les grands
lacs. On en conclut que la Scandinavie du nord était alors déserte : les
immigrants n'y pénétrèrent qu'à l'époipie de la pierre polie; les objets
de ces âges sont les plus anciens qu'on y ait découverts'. Les mammouths,
les rhinocéros, dont les restes se trouvent mêlés dans les cavernes de la
France aux débris de l'industrie humaine paléolithique, manquaient égale-
ment dans la péninsule Scandinave : depuis la retraite des glaces, ils
n'avaient pas eu le temps de s'emparer du pays.
On ignore l'époque précise à laquelle doivent être attribués les restes
des premiers Scandinaves et de leur industrie, mais des indices géolo-
giques nous prouvent que cet âge est déjà fort éloigné de nous : il date
sans doute des temps où les glaces, qui couvraient autrefois toute la
contrée, se fondirent peu à peu. Mais il est probable que Niissou donne
aux premiers habitants du pays une trop haute antiquité : les preuves qu'il
c"<te à l'appui de ses hypothèses n'ont peut-être pas toute la valeur qu'il
leur attribuait et que leur conteste M. Torell. Le long des côtes de la Bal-
tique se développe de l'est à l'ouest, de la ville d'Yslad à Trelleborg et à
la pointe de Falslei-bo, une sorte de large rempart composé de graviers et
de sables, interrompu çà et là, et divisé en fragments inégaux formés pro-
bablement à des époques différentes : on lui donne le nom de Jàravall
ou de « colline de Jiira ». Au-dessous de ces graviers, Nilsson' a décou-
vert des pointes de flèches et de lances reposant sur le fond d'anciennes
tourbièics se trouvant actuellement à jilus de 2 mètres en contrebas du
' V\ois.aac, La colunistttioii de la Russie et du Nord Scandinave, — Mlsson, Les hahUanls pri-
td/Zi/s de ta Scandimwie; — Kucli. Coiifjrès d'Anlliiopuloyie de Stockholm, 187i.
* Les liubitanls primitifs de la Scandiiiaiic.
ANCIENNES POPULATIONS DE LA SCANDINAVIE. dôS
niveau ilo la nier. Mais le Jaravall. que l'on croyait aulrelois de formation
ancienne, paraît être un cordon littoral d'origine moderne. Quant aux
squelettes humains trouvés à différentes époques sur les côtes du Bolius-
lan, dans les bancs de coquillages exhaussés maintenant au-dessus de la
mer, ils n'ont point été vus ni étudiés par des savants dans l'esprit cri-
tique desquels on puisse avoir confiance. En 1845, on découvrit deux de
ces squelettes dans la péninsule de Stângenâs, près de Bro, cachés encore
sous des strates horizontales de coquilles marines, actuellement soulevées
à 50 mètres au-dessus de la mer ; mais rien ne prouve que les strates
de coquilles se trouvent bien dans leur position première, et l'on ignore
si les squelettes appartiennent ou non à l'âge de la pierre'.
Les sépultures de l'âge de la pierre polie, fort nombreuses dans la
Scanie, dans la Gothie et dans le Bohuslân, c'est-à-dire dans la Scandinavie
méridionale, manquent comme les kjokkenmoddinger dans le nord de la
péninsule. Elles se présentent sous diverses formes : dolmens ou slend-
ôsar, érigés pour la plupart sur des buttes funéraires; hdllkixtnr ou sortes
de grands cercueils en pierres levées, entourées de terre; fjiingijrifler,
sépultures à galeries, appelées aussi jdttesturjor ou chambres de géants.
Ces ossuaires, assez vastes pour contenir jusqu'à vingt corps et même
davantage, forment le plus souvent un carré long, parfois un cercle, et
sont recouverts d'un toit plat en grosses dalles de granit, sur lequel
s'élèvent des monticules en terre ou des amas de pierres : une longue
et étroite galerie conduit de l'extérieur dans la salle funéraire, et presque
toutes s'ouvrent du côté du sud cl de l'est. Les blocs ne sont jamais tail-
lés, et les instruments et les armes trouvés à côté des cadavres, à crâne
dolichocéphale pour la plupart, appartiennent tous aux âges néolithiques.
A cette époque, presque toutes les sépultures renfermaient des perles
d'amiue disposées en colliers et en parures : ou les trouve même dans
les tombeaux de l'intérieur des terres où l'ambre devait avoir été trans-
porté des rives de la Baltique. Les Scandinaves de l'époque des dolmen
aimaient aussi à se parer, comme les chasseurs Peaux-Bouges, de col-
liers et de pendeloques faits en os et eu dents d'animaux sauvages'.
Est-ce du même âge que datent les nombreuses pierres dans lesquelles ont
été creusées des ccuelles et que l'on connaît d'ordinaire sous le nom de
« pierres des Elfes » ou clfstcnar ? Des paysans y sacrifient encore aux
génies de la terre on mettant dans les écuellcs des aiguilles, de l'argent,
' llildcbrand, Noirs manuscrilef.
' Oscar Mi)iilcrus, La Suéde préhistorique.
136 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
du papier, ou bien en les oignant de saindoux pour olitenir la guérison
de certaines maladies ' : c'est là une coutume qui naguère existait aussi
en Poméranie et qui se retrouve encore dans les Indes; elle était générale
dans les pays à dolmens.
Sur trente-six mille trouvailles des âges de la pierre faites jusqu'en 1874
dans le territoire de la Suède, trente-quatre mille l'ont été dans les pro-
vinces méridionales, c'est-à-dire la Gothie. Les contrées du nord res-
tèrent donc fiiiblement peuplées pendant la période de la pierre polie;
mais les haches et les flèches de cet âge que l'on trouve sur le littoral nor-
végien sont du même type que celles de la Scanie : plus au nord, dans la
Laponîe actuelle, des fouilles ont révélé aussi des armes et des instruments,
mais ils sont en schiste ou en os et d'un modèle original*. Lorsque l'âge
du bronze vnit en Scandinavie succéder à celui de la pierre, c'est aussi dans
la Gothie que se développa surtout la civilisation pénétrant du sud-est par
deux voies différentes, celle du Danube et de l'Allemagne du centre, et
celle des rivières qui descendent du pays slave dans la Baltique'. De cette
époque datent les écritures hiéroglyphiques ou « sculptures des rochers »
{luillristnitvjfir) que l'on rencontre çà et là dans la Scanie, la Gothie, le
Bohuslâa de Suède et de Smaalenene île Morvège, et qui représentent des
flottilles, de grands bateaux à tète de dragon, des voitures, des charrues,
des bœufs, et d'autres animaux, des guerriers, des chasseurs et des marins*.
De beaux vases, des parures, des diadèmes de bronze, ainsi que des tissus
iinement brodés, témoignent de l'originalité artistique des indigènes
des âges du bronze; toutefois un grand nombre d'archéologues pensent
que l'influence des Étrusques a été prédominante dans cette période de
l'art Scandinave; d'ailleurs, la plupai-l des antiquités suédoises des deux
époques de l'âge du bronze ont été certainement fondues dans le pays, ainsi
qu'en témoignent les moules en pierre trouvés çà et là; mais le bronze
(icvMil être importé à l'état d'alliage, car il contient environ un dixième
d'élain, et ce métal manque dans la péninsule Scandinave; peut-être, ainsi
que l'admetlenl MM. Bataillard et de Mortillet, la fabrication des objets en
bronze était-elle le métier de tribus errantes, comparables aux Bohémiens
de nos jours. Nilsson ci'oit avoir retrouvé dans la contrée de nombreuses
traces de l'industrie phénicienne ; il attribue à ces Sémites les pierres
' Dcsor, Lc^ pierres à ècuelles.
^ Ilvifli, Anliiiuilés nori'c'riienne.i : \i<\. I, ("lu'istiunia. 1880; — Monlclius, Conijrcs d'Aiithro-
poloijic cl d' .\rclicolo(jie préhislariquc, secliim de Slockliolm, 1874.
' Oscar Miiuli'lius, La Sucdc préhislorique.
♦ Oàcar Monli'lius, niomc ouvrage.
ANTIOriTÉS SCAMllNWES. 137
tombales où sont figurés des vaisseaux et des images de navires, de liaciies,
de glaives; mais cette opinion du savant archéologue n'est pas générale-
ment admise, à cause du manque d'inscriptions : on ne comprendrait pas
que les Phéniciens se fussent abstenus de graver des lettres précisément
sur les monuments laissés par eux en Scandinavie'. Quant à la civilisa-
lion grecque, elle n'est certainement pas représentée en Scandinavie, si ce
n'est peut-être par quelques trouvailles entièrement isolées faites sur les
côtes orientales de la Suède ^
Mais l'influence de Rome agit [luissamment, quoique d'une manière
indirecte, sur les populations de la péninsule du nord. En dehors même
des frontières de l'empire, les populations barbares suivaient l'impulsion qui
leur était donnée par les conquérants du monde méditerranéen ; elles se
servaient mieux du fer que leur avaient apporté les Celtes et commençaient
à employer une série de lettres, parente de l'alphabet des Latins et dérivée
de celui qu'employaient les tribus celtiques de l'Italie du Nord. D'ailleurs
cette série des runes ou des « mystères » (runar ou runir), variant chez
l(>s Celles et les Germains, s'est grandement modifiée pendant le cours des
âges : sur divers monuments les inscriptions doivent se lire de droite à
gauche, tandis que d'ordinaire elles se lisent de gauche à droite, comme
les lettres latines; plusieurs se composent de lignes « boustrophédon ».
où l'ordre des lettres alterne de l'un à l'autre côté ; il en est aussi qu'on
lit de haut en bas. Les caractères changent suivant les temps et les lieux,
et dans le nord notamment, loin des contrées de provenance, ils se dis-
tinguent par l'originalité de leur forme ; c'est aussi en Scandinavie que
leur nombre, d'abord de vingt-quatre, se réduisit à seize". Les runes
étaient gravées sur les pierres ou sur les os, taillées dans le bois, dans la
corne, ciselées sur les parures et sur les armes : les musées de la Scan-
dinavie en renferment de grandes collections, qui n'ont guère fourni de
renseignements sur l'histoire spéciale de la race, mais qui en ont du moins
fait connaître la langue et ses variations successives. Au moyen âge on
écrivait même des livres entiers en caractères runiques : la loi de Scanie
[SkânclcKjen) , qui date du treizième siècle, a l'-lé écrite de cette manière*.
Les ornements d'or appelés bractéates, que l'on trouve en quantité ntMif
fois plus considérable eu Scandinavie que dans tous les autres pays de l'Ku-
ropc réunis, sont pour la plupart couverts de signes runiques; les figures
' Mainov. hvrsthja Koiissk. Geo/jrdf. Ohchtcheslia, 1877, n° 6.
* Worsaac, La colonisalion de la Russie el du yord scanilhiuvc.
^ Wiiiiinei-, Ueber den Uisprung und die Entwickehmg der Runenschrifl im .'\oiden.
* Osciir Miititflius. La Suède préhistorique.
V. 18
158 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
de héros, de chevaux, d'oiseaux, de dragons, que les artistes de l'époque
y gravèrent, semblent toutes, d'après Worsaae, se rapporter à des légendes
du >"ord.
L'âge du fer, pendant lequel les connaisseurs des « mystères » écrivaient
leurs caractères sacrés, se fond peu à peu avec les âges historiques vers
l'époque des grandes expéditions normandes ; mais peut-on limiter ainsi
les différents âges? Aux temps de Rome, lorsque les Scandinaves échan-
geaient déjà des marchandises pour des monnaies italiennes, n'avaient-ils
pas en même temps des armes de fer, des ornements de. bronze et d'or,
des outils de pierre? Les runes n'ont-ils pas continué d'être employés
dans l'ile de Gotland jusqu'au seizième siècle, c'est-à-dire jusqu'à une
époque postérieure à l'invention de l'imprimerie, et les calendriers runi-
ques ne sont-ils pas restés en usage en certains districts reculés de la
Scandinavie, et même de l'Angleterre', jusqu'à une époque encore plus
rapprochée de nous? L'âge du schiste ne s'est-il pas continué en La-
ponic jusqu'à la fin du siècle dernier'? Chaque civilisation nouvelle vient
se substituer par degrés aux plus anciennes, non les supprimer brusque-
ment. Les rites religieux de cultes antiques, maintenus sous le nom de
superstitions, témoignent de ce mélange des âges, semblables aux eaux
encore distinctes de plusieurs fleuves coulant dans un même lit. Ainsi le
jeudi ou jour de Thor {Thorsda<j en suédois) était encore, il y a un siècle,
tenu pour saint en diverses parties de la péninsule, notamment dans les
Alpes Scandinaves et dans la Gothie. Même au commencement du siècle,
quelques vieilles femmes ne filaient jamais et ne fîiisaient point de beurre
le jeudi : la plupart des travaux pénibles ou importants étaient interdits
ce jour-là par la coutume : la « vieille barbe rouge » défendait de le
profaner par le travail. D'autre part, tous les actes de magie devaient avoir
lieu le jour de Thor pour être efficaces, et celui qui était né le jeudi avait
le don de voir les esprits et les revenants. Encore pendant ce siècle,
aucune des cérémonies du baptême, du mariage, de l'enterrement ne se
pratique le jeudi. Les paysans ignorent la cause de cet usage, mais le
jour de l'ancien dieu du Tonnerre reste pour eux un jour païen, dans
leijucl on ne doit célébrer aucun des rites de la religion chrétienne'. Finn
Magnusen raconte* (]ue les paysans de certaines hautes vallées de la Nor-
vège avaient, jusqu'à la lin du siècle dernier, la coutume d'adorer le jeudi
' Ashmolenn Muséum, ii Oxford.
' }tuséc d' clhtwijrdjih'u' scaniHnavc de M. llazeliiis, à Stuckliolm.
^ .Nilsson, Les hahiUints primitifs de la Scandinavie.
♦ Annuler (or ^ordisk Oldkyndiijhed, 1858-18">y.
POPULATIONS SCANDINAVES. 139
des pierres d'une forme ronde, qu'ils oiirnaient de beurre et plaçaient dans
de la paille fraîche au siège d'honneur; à certaines époques on les lavait de
pelit-lait, à la Noël on les arrosait de bière, dans l'espoir de fixer le bonheur
au foyer domestique. Encore de nos jours, la pierre polie de l'âge néoli-
thique est employée dans les campagnes écartées comme talisman contre les
maladies.
Venus des bords de la mer Noire et du Danube, les Gôtar et les Svear,
compris maintenant sous le nom général de Scandinaves, ont eu à traverser
toute une moitié de l'Europe pour entrer dans leur nouvelle patrie. On a sou-
vent émis l'idée (jue les inuiiigrants avaient pénétré dans la péninsule du
nord en passant par la Russie septentrionale et la Finlande ; mais les com-
paraisons faites entre les armes et les instruments trouvés dans les diverses
contrées ne justifient point ces hypothèses. Les Scandmaves semblent être
venus du sud-est et du sud en Danemark, et c'est de là qu'ils ont passé
d'abord en Scanie, puis dans la Suède du Nord et en Norvège. Les Finnois
et les Lapons étaient entrés par le nord, les Scandinaves arrivèrent par
l'extrémité opposée de la péninsule. Les Goths ou Gotar furent le« premiers
conquérants. Les Svear, ou fils des « Ases bienheureux: », vinrent en-
suite; ils dépassèrent les parties méridionales de la péninsule où s'étaient
établis les Goths, s'emparèrent peu à peu de toute la contrée, et leur
Asgârd, qui se déplaçait à chacune de leurs migrations, s'établit au centre
du pays. La différence qui existe entre les deux groupes Scandinaves des
Gotar et des Svear est encore fort sensible, non seulement pour le dialecte,
mais aussi pour les mo-urs : quant à la forme du crâne et au ty[)e phy-
sique, ils ne présentent pas de contrastes suffisamment a|)préciables ; dans
ce pays, comme dans tous les autres, les principales différences de types
et de physionomies sont causées par la profession et le genre de vie, non
par l'origine. La tète typique des Suédois, telle qu'elle a été décrite par
A. Rclzius et Nilsson, est un ovale allongé, légèrement plus large en arrière
qu'en avant, mais arrondi des deux côtés; sa plus grande longueur est à sa
plus grande largeur dans la pro])ortion de i à 7) ou de 0 à 7.
Le Dalécarlien, c'est-à-dire l'habitant du Dalarue, dans le haut bassin
du Dal-rlf, est celui (juc l'on signale d'ordinaire comme r<'i)r(''sentant le
type natioiuil le plus pur des Svear, qui ont donné leur nom aux Suédois
ou Svcnskar de nos jours. En général, il est de haute taille', souple,
élancé, quoi(pi(! fortement bàli; son visage est fier, aniuK' de beaux u'iix
' Skilurc iiKiveiiiie des Suédois, d'a|iii;s Ueddoe ; l^.TO.
UO NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
d'un Lieu profond, domint' par un lar^o front découvert ; il est prévenant
sans indiscrétion, gai sans emportement, décidé sans violence. L'honnêteté
à toute épreuve, tel est, pour ainsi diie, le capital des émigrants du Da-
larnc, qui viennent par milliers à Stocklioim, où on les emploie à tous
les travaux qui demandent de la force ou de l'adresse : on les reconnaît
partout de loin, grâce à leur costume national, aux couleurs éclatantes.
I^s Suédois qui diffèrent le plus du Dalécarlien sont les habitants des
plaines, qui ont très souvent la figure grave, presque sévère.
Le mélange des populations s'est fait grâce aux progrès continuels du
commerce et de la colonisation à l'intérieur : dans un pays où les habi-
tants sont parsemés sur de si vastes espaces, l'industrie locale, quelque
développée qu'elle fût, ne pouvait pas suffire, le service des échanges devait
employer un très grand nombre de personnes, et les voyages devaient être
fréquents, même à l'étranger. Les trouvailles faites dans le sol prouvent
qu'après la chute de l'empire romain les Suédois étaient en rapports de
commerce continuels avec Constantinople; Gland et surtout Gotland ont
fourni aux antiquaires des multitudes de monnaies byzantines qui té'moi-
gnent d'un grand mouvement d'échanges. Plus tard, vers la fin du neu-
vième siècle, Gotland devint aussi un marché d'expédition vers l'Orient
proprement dit : on y découvre de temps à autre des trésors de monnaies
arabes ou coufiques, provenant de Bagdad ou du Khorassan. Les villes
(pii précédèrent Stockholm comme entrepôts du lac Malaren recevaient
aussi une partie de ce trafic oriental. Les relations durèrent jusqu'au
douzième siècle, où elles furent interrompues par les guerres de la Russie
inéiidionale. Ainsi que l'a démontré M. Riant en s'appuyanl sur les docu-
ments trouvés aux archives de Stockholm, les Scandinaves prirent aussi une
très grande part au mouvement des Croisades. C'est principalement par des
incursions armées que les Scandinaves entraient en rapports avec l'étran-
ger, il est vrai que les pirates suédois, à l'exception de ceux qui se dirigè-
rent vers l'ouest avec les Normands, n'ont pas laissé dans l'hisloire des
traces aussi profondes que les vikings du Danemark et de la Norvège ;
mais la cause en est à la direction qu'ont prise leurs expéditions de guerre.
Dans leurs combats, ils ne se trouvaient point en contact avec des peuples
ayant une civilisation avancée comme les Français ou les riverains de la
Méditerranée : des Finnois, des Lettons, des Wendes et les tribus slavonnes
du vaste Gardarike, devenu la Russie de nos jours, |iouvaient seuls ra-
conter les exploits de ces conquérants venus de l'ouest'.
' Wallonhacli, Eiii Dliil, aiif Scliweilciix UaiiphlaiU uml Schticdens Geschiclite.
POPULATIONS SCAMjI.NAVES.
uz
Les c'irangers n'ont pu avoir qu'une bien foible influence directe sur la
population Scandinave, car depuis les temps historiques la péninsule n'a
N* 53. FINLANDAIS ET LAPONS DE LA SUÈDE SEPTENTRIONALE.
jamais été envahie par des armées victorieuses, à moins qu'on ne veuille
compter les petites invasions des Russes en 1719 et en 1809, et les immi-
grants pacifiques n'y sont entrés qu'en petit nombre. Le mouvement de
colonisation le plus considérable est venu de In l'iiilande. IK-s la (in du div-
14i NOUVELLE GEOCnAPlllE UNIVERSELLE.
soplièmo sièclo, des paysans finnois traversaient le golfe de lîotnie pour
aller s'établir dans le haut Jemtland, sur la frontière norvégienne, où leurs
descendants vivent encore, mêlés aux cultivateurs suédois. D'autres colonies
de Finlandais vivent dans les provinces du nord. Les persécutions reli-
gieuses ont aussi contribué pour une faible part au peuplement de la
contrée. Dès la fin du seizième siècle, dos centaines d'ouvriers ■wallons,
invités par un Hollandais devenu maître de mines, se réfugiaient en Suède
et s'établissaient principalement dans le village industriel d'Oslerby, près
des mines de Dannemora. Leurs descendants, presque tous bruns, ont
conservé jusqu'à nos jours des traces de leur origine et gardent soigneu-
sement l'orthographe de leurs noms français; tous les forgerons de Danne-
mora sont aussi de descendance -wallonne. Depuis cette époque, beaucoup
d'autres exilés ont demandé un asile à la Suède, mais ce n'est pas à leur
influence, toute locale, c'est à la sympathie naturelle des Suédois pour
les Français que l'on doit attribuer l'ardeur avec laquelle on étudiait la
langue de Racine et l'on imitait les mœurs de Paris au bord de la mer
Baltique. Les Suédois aimaient à être appelés les « Français du Nord »,
et certes ils ont droit h ce nom par leur sociabilité, leur politesse et
leur goût. Quant aux Norvégiens, on les dit au contraire les « Anglais
de la Scandinavie » : par-dessus la mer, ils regardent vers la Grande-
Bretagne, avec laquelle se fait leur principal commerce et d'oii les
visiteurs, marins et voyageurs de plaisir, leur viennent eu plus grand
nombre. Ils ne se distinguent en général ni par la mobilité ni par la sou-
plesse, mais par la force et la ténacité. Ils réfléchissent avant de répon-
dre; ils se décident lentement à vouloir, mais ce qu'ils veulent, ils savent
le réaliser. Chez eux, les mystiques sont, paraît-il, beaucoup plus nom-
breux qu'en Suède, qui pourtant est la patrie de Svedenborg.
Les habitants de la péninsule ne parlent pas la même langue ; mais
leurs dialectes, tous également dérivés de l'ancien idiome nordique ou
norrœna, dans lecpiol sont écrits les runes, se ressemblent assez pour être
unis par des transitions insensibles. Ainsi le scanien sert d'intermédiaire
au suédois et au danois, et, suivant la capitalo de laquelle dépeudail la
contrée, les habitants ont éli'^ class(''s successivement comme pariant l'idiome
de Copenliague ou celui de Slockholni. Le dialecte qui a prévalu en Suède
est en effet celui que l'on parle dans la métropole et les <listricts environ-
nants : c'est un parler sonore, à consonances pleines et plus original que
le danois, grâce à l'ancien tn-sor de mots qu'il a conservés ; mais parmi
les dialectes suédois il eu est de plus curieux encore par leurs formes
antiques, notamment le dalécarlien, le gollandais et les patois qui se par-
SCANDINAVES ET LAPONS. 145
lent en dehors des frontières de la Suède actuelle, dans quelques parties de
la Finlande et dans les îles du littoral esthonien. Quant au norvégien litté-
raire, c'est la langue danoise, à laquelle s'ajoutent quelques mots et des
tournures locales. Dans certaines vallées écartées s'est maintenu l'ancien
norso, curieux langage très rapproché de l'islandais et formant avec lui un
groupe glottologique distinct. Quelques patriotes norvégiens ont voulu
rendre la suprématie au parler de leurs aïeux et créer ainsi une nou-
velle langue littéraire : des sociétés se sont fondées, des journaux, des
livres ont été publiés en vieux norvégien; mais ces tentatives n'ont pas
été encouragées par l'opinion. D'autre part, des écrivains essaient de rap-
procher les idiomes, de leur rendre l'unité de la langue norse du neu-
vième siècle. En 18G9, des savants danois, suédois, norvégiens, se réuni-
rent à Stockholm pour l'adoption d'une orthographe commune aux langues
Scandinaves, mais des rivalités nationales ont empêché jusqu'à maintenant
l'entente définitive entre les grammairiens.
A côté de ces populations Scandinaves, qui sont parmi les plus ho-
mogènes de l'Europe, vivent des tribus encore presque asiatiques, peu
nombreuses, mais des plus intéressantes par leur aspect physique, leurs
origines, leur genre de vie : ce sont les Lapons. Ces peuplades, partiel-
lement nomades, comme les Tsiganes ou Rouminisal que l'on voit en
diverses parties de la Suède, occupent à l'extrémité septentrionale de li\
péninsule, dans les hauts bassins des fleuves suédois tributaires du golfe
de Botnie, dans le territoire finlandais cédé par la Suède à la Russie,
enfin dans la presqu'île de Kola, im immense espace évalué à :200 000
kilomètres carrés, mais très faiblement peuplé : on n'y compte guère que
50000 habitants, soit une personne pour chaque superficie de six à sept
cents hectares*.
Il est certain que les Lapons nomades, parcourant à leur aise les phiines
presque désertes de la péninsule, avaient établi des campements bisuicoup
plus au sud, dans les contrées que peuplent actuellement les Scandinaves.
Des traces de leur idiome se retrouvent dans la langue suédoise, et divers
noms de lieux seraient expliqués par leur langage. Encore de nos jours,
des familles de Lapons vivent jusque dans le cœur du Jemtland, vers le
63' degré de latitude, où leur domaine est nettement limité par la dis-
' Lapons de Norvège et gens de s-ing raèlc en IS"" -I MIO
» do Suède en 1875 0 tidO
. d.î Russie et da Finlande en 187C 8000
V. ly
146 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
parilioii de la mousse des rennes, nourriture de leurs troupeaux ; mais la
pression continue des immigrants suédois et norvégiens n'a cessé, sur les
deux rivages, de refouler ces premiers occupants dans l'intérieur des
terres. Les légendes relatives aux nains (dvercjar), aux sorciers (troll),
aux gens des rochers [bergfolk), racontent sous une forme mythique les
combats d'extermination que les colons Scandinaves livrèrent aux Lapons,
les anciens habitants de la contrée.
Connus désormais sous leur nom suédois de Lapons, qui signifierait
« Nomades » d'après les uns, « Habitants des cavernes » d'après les autres,
les Sames, Sameh ou Samelats parlent une langue finnoise, que l'on dit
ressembler plus à celle des Mordves qu'à tout autre dialecte ouralo-
altaïquc et qui renferme d'anciennes formes et des racines manquant au-
jourd'hui à l'idiome finlandais ; mais quoiqu'on donne officiellement aux
Lapons le nom de Fin dans le Finmark norvégien, ils se distinguent nette-
ment des Finlandais proprement dits, non seulement par les contrastes
que produit la différence de civilisation, mais aussi par l'aspect physique,
la taille, la forme du crâne'. Aussi des anthropologistes ont-ils vu dans les
groupes de populations des races tout à fait séparées, ayant reçu la langue
de vainqueurs finnois, mais sans aucune parenté de sang avec eux. Tandis
que Virchow considère les Lapons comme une branche des Finnois, Schaaf-
hausen voit en eux les descendants de peuplades mongoles refoulées au
nord et cheminant vers l'ouest le long des côtes de l'Océan glacial. On
croyait aussi naguère que les Sames se distinguaient de tous les autres
hommes par une ignorance absolue du chant. « Les Lapons, dit Fétis,
sont le seul peuple qui ne chante pas ; » mais cette assertion est erronée.
Les Lapons, très bavards de leur nature, savent, sinon chanter d'une ma-
nière agréable pour les oreilles suédoises, du moins fort bien moduler
quelques sons musicaux, et l'on a recueilli plusieurs de leurs chansons ^
Du reste, les anciens noms de famille, parmi lesquels on en trouve beau-
coup de suédois, de norvégiens, de finlandais, de russes même, témoi-
gnent que la souche n'est pas une : les Lapons sont un peuple mélangé.
En général, les Sames de l'intérieur, qui sont probablement les plus
purs de race, sont des hommes de très petite taille, comparés à leurs
voisins les Suédois du nord, de stature presque gigantesque. Toutefois
ils ne sont point en moyenne aussi petits qu'on se le figurait par goût
pour le merveilleux. Jadis on se j)laisait à signaler le contraste des
• Capacité moyenne des crânes de Lapons, d'après \. Relzius 1521 cent, cubes.
Indice céphalique moyen » >■ 85,50 »
- Gublaf von Dùben, Om Lappland och La}iparnc.
LAPONS. W
géants patagons et des nains de Laponie, vivant aux deux extrémités du
monde habitable; mais, de même qu'il a fallu diminuer la taille idéale
attribuée aux Indiens des terres raagellaniques, de même il faut exhausser
celle que l'on donne ordinairement aux Lapons. D'après Dulk, la stature
moyenne des indigènes pasteurs de rennes serait d'un mètre soixante cen-
timètres, et même quelques-uns pourraient être considérés en tout pays
comme des hommes de belle taille; von Dûben, le savant qui a étudié les
peuplades du Nord avec le plus grand soin, croit ne devoir évaluer cette
taille moyenne qu'à un mètre et demi : c'est à peu près la mesure donnée
par Mantegazza (152, 4 centimètres). Le buste des Saraes est assez long,
seulement leurs jambes sont légèrement arquées '. On a remarqué aussi que
les Lapons pêcheurs, toujours occupés à ramer, ont les jambes faibles, com-
parées à leurs bras et à leur poitrine. L'extrême laideur que l'on attribue
à ces populations du Nord n'existe que dans l'imagination de leurs voisins.
Les Lapons ont, pour la plupart, il est vrai, les pommettes saillantes, un
nez épaté à l'extrémité, les yeux petits, la figure triangulaire, la barbe rare,
la peau souvent jaunâtre chez les hommes ; mais le crâne est fort large, le
front élevé et noble, plus ample en général que celui des Scandinaves',
la bouche est souriante, l'éclair du regard vif et bienveillant. D'ordinaire
l'œil est noir, mais la couleur de la chevelure varie singulièrement : la
plupart ont les cheveux châtains, d'autres les ont tout à fait noirs, d'au-
tres encore tout à fait blonds. La voix des Lapons n'est pas aussi métal-
lique et sonore que celle des Suédois; toutefois elle n'est faible et sourde
que chez les buveurs d'eau-de-vie, devenus beaucoup plus rares que jadis,
surtout en Suède, par suite de l'interdiction absolue des liqucMus dans le
pays depuis 1859 : c'est le café qui remplace maintenant l'eau-de-vie
comme boisson générale des Lapons ; ceux qui en ont les moyens en boi-
vent presque toute la journée, en y mêlant du sel, et parfois du fromage,
du sang, de la graisse'. Grâce à l'extrême salubrité du pays et malgré la
saleté repoussante et l'air impur de leurs cabanes, les Lapons jouissent en
général d'une excellente santé et deviennent très âgés : la mortalité est
moins forte chez eux que chez les civilisés du littoral ; mais, ainsi
qu'Acerbi le remarquait déjà au siècle dernier, ils ont souvcmU les yeux
rouges et malades à cause de la fumée des tentes et de leurs couliiiuels
voyages au milieu des neiges.
' Georg Ilarlung, Albert Diilk, Falnien durcit Noru'egrn und die Lappmnrk.
■ G. voD Dubea, Om Lapplaiid och Lapparne; — La Laponie et les Lapons, Congres iiiler-
natioanl des Sciences g('ogra|ibiqucs. Paris, 1878.
^ G. vou Dubcn, ouvrage cité.
148 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Suivant leur senre de vie, les Sames se partagent en Lapons des mon-
tagnes et en Lapons des côtes, en pasteurs de rennes et en pécheurs. Un
bien petit nombre d'entre eux, établis dans les plaines des alentours du
irolfe de Botnie, s'occupent de culture, mais ceux-là même comptent prin-
cipalement sur le produit de leur pèche dans les lacs et les rivières. Leurs
cabanes se composent de simples toitures posées sur des trous ou de lattes
placées en forme de cônes, et recouvertes d'une toile ou d'une étoffe de
laine, qui laisse échapper la fumée par le sommet de l'échafaudage. Des
maisonnettes sont perchées sur des pieux; quelques familles habitent des
réduits dont les parois penchent en dehors, de sorte que la façade présente
l'aspect d'un losange reposant sur l'une de ses pointes. Ce sont généralement
les hommes qui s'occupent du ménage de ces étroites demeures ' : faut-il
voir dans cette coutume un reste de gynécocratie ou « droit de la mère »,
qui prévalait chez tant de peuples anciens ?
Les Lapons du littoral de l'océan Arctiipie, plus nombreux que ceux de
l'intérieur^, doivent demander aux eaux marines les ressources que les
Lapons des forêts trouvent dans l'élève du renne. Ceux-ci sont forcément
nomades, mais ils ne voyagent pas en tribus comme les peuplades errantes
des pays chauds, tels que les Bédouins et les Turkmènes ; chaque famille
vit isolément dans la forêt. Ce n'est point par insociabilité que les Lapons
se séparent ainsi de leurs semblables. Il leur faut de vastes espaces pour
leurs troupeaux de rennes, car chaque Lapon a besoin pour vivre d'au
moins vingt-cinq bêtes, et le lichen des rennes, une fois brouté, ne re-
pousse que lentement. Les troupeaux ne reviennent paître au même endroit
qu'après dix années révolues; il est vrai qu'ils se noui-rissent en été d'herbes
et de feuilles d'arbres : si le lichen devait suffire à l'alimentation du renne,
l'immense espace de la Laponie serait trop étroit pour les quelques mil-
liers de nomades qui le parcourent, car c'est le renne qui nourrit les
familles errantes en leur donnant sou lait, malheureusement très peu
abondant ; même en b.iver, le Lapon « mange » le lait de renne qu'il a
conservé gelé sous forme de rondelles. Mais la chair et le sang du renne
servent aussi à l'alimentation des Sames. Le repas ordinaire de la journée
est la « soupe de sang », faite de farine et de sang mêlé de caillots, que
les ménagères savent garder pendant les mois il'hiver à l'état liquide dans
des tonneaux ou des outres en estomacs de renne". Dépendant ainsi de son
troupeau pour sa subsistance aussi bien que pour son habillement, le
' Guslaf I)ùl)en, Om Lappland och Lapparne.
- Lapons (le la Niirvogo en 1875 : sédeiilaires, 14645; nomades, 1073.
' G. llailung uiid K. Diilk, FahrUn durch ÎSoiwajen uiul (lie Lappinuik.
TÏPES ET COSTUMES UE H UruSI
Dessin de Lis, d'après photographias.
LAPONS. ■151
Lapon qui n'a qu'une centaine de rennes ne peut nourrir sa famille que
d'une manière incertaine; il est considéré comme pauvre et doit se ratta-
cher en qualité de client à quelque pasteur plus fortuné. La moyenne des
rennes par Lapon, en comptant les pêcheurs et les agriculteurs, est de
treize à quatorze seulement, d'après von Dùben; elle tend à diminuer à
mesure que la vie nomade est remplacée par la résidence fixe. Celui qui pos-
sède un troupeau de trois cents rennes est dt-jà tenu pour riche, et l'on cite
parmi les Lapons de véritables potentats qui possèdent jusqu'à '20U0 rennes,
représentant une valeur d'au moins 60 000 francs et formant peut-être
la deux centième partie de tous les troupeaux de rennes domestiques '.
Ces personnages connaissent bien le chemin des marchés du littoral pour
y exporter des cuirs et des fromages, et pour y placer leur argent à gros
intérêts. Déjà chez les Lapons, comme chez leurs voisins les Scandinaves, se
voit le contraste de la richesse et de la pauvreté. Mais que les demeures
appartiennent à des Lapons opulents ou misérables, qu'elles renferment
dans une armoire quelques tasses en porcelaine ou simplement des jattes
en bois, elles n'en sont pas moins des cabanes étroites, humides et nauséa-
bondes, oii l'on s'étonne que l'homme puisse habiter; mais il n'y a point
d'insectes. La puce ne vit pas en Laponic ; en revanche, le cousin y est en été
un terrible fléau pour les étrangers, sinon pour les Lapons eux-mêmes, qui
s'oignent d'une substance graisseuse pour éviter les piqûres et qui habitent
en été les régions où les nuages ailés sont dissipés par le vent de la mer.
Depuis le milieu du dix-septième siècle, les habitants de toute la Laponic
se disent chrétiens; ils possèdent, grâce aux missionnaires, une petite lit-
térature religieuse, et, suivant le territoire qu'ils occupent, ils observent les
rites ordonnés par le gouvernement local : en Scandinavie, ils sont protes-
tants, et possèdent même quelques ouvrages religieux écrits en leur idiome;
sur le sol russe, ils appartiennent au culte orthodoxe grec. Les prêtres des
deux religions ont pu facilement, en mainte occasion, exalter les passions
de cette race « extatique » " ; cependant il reste encore bien des traces des
anciennes coutumes païennes, analogues au charaanisme des Mongols. Le
tambour de magie jouait un grand rôle dans leurs cérémonies, de même
' Rennes domestiques de toulo la Laponic dans les Élafs du nord :
Suède en 1870 220 800, soit pour 6 702 Lapons 165 rennes par ranullc.
Norvi'gc ]) 1875. . .
Finlande n 1865. . .
Russie 11 1859. . .
Ensemble Ô57 'JUO
' Ampère, Esquisses du Nord.
96 570 »
21500
22
iO 300 I)
615 )
) 525
230 (?)
152 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
que l'écorce de pin ou de bouleau sur laquelle les sorciers avaient tracé des
images d'instruments, d'animaux, d'hommes et de dieux. Cette écorce, dite
par les Norvégiens « arbre des runes », était consultée par les Lapons dans
tous les actes de leur vie : l'interprétation des signes mystérieux était le
grand art et la sagesse suprême. On dit que le dernier « arbre des runes »
a été détruit vers le milieu du siècle ; les seiteh ou pierres de forme bi-
zarre, parfois grossièrement sculptées, autour desquelles se célébraient les
rites, ont été jetées dans les lacs par les Lapons eux-mêmes ou sont conser-
vées dans les musées de la Suède; mais si les fétiches ont disparu, mainte
cérémonie qui s'explique seulement par l'ancien culte est restée. Les chiens,
les meilleurs amis du Lapon, sans l'aide desquels le nomade ne pourrait
gouverner son troupeau de rennes, ne sont plus enterrés avec leurs maî-
tres, et le cadavre n'est plus enveloppé dans une écorce de bouleau où sont
représentés des ours, des loups, des rennes ; mais on jette encore dans la
tombe des espèces de coquillages appelés « âmes de chien » : le Lapon,
converti au christianisme, n'ose plus se faire accompagner par son chien
dans les forêts d'un autre monde, mais du moins un symbole rappelle
son compagnon de chasse. De même que dans tous les pays d'Europe, on
célèbre aussi en Laponie la fête du solstice par des feux allumés sur les
hauteurs; mais où le soleil pourrait-il être plus en honneur que sous ces
latitudes, où dans l'espace de quelques semaines il a délivré la terre de
ses neiges et renouvelé complètement sa parure de feuilles et de fleurs?
On s'imagine d'ordinaire que le nombre des Lapons diminue d'année en
année et que cet élément de population est destiné à disparaître bientôt,
comme mainte tribu des Peaux-Rouges ou diverses peuplades de l'Océanie.
Il ne paraît pas qu'il en soit ainsi. Du moins dans le Finmark, c'est-à-dire
dans la partie de la Laponie appartenant à la Norvège, le nombre des
Lapons s'est accru : d'après les listes d'imposition dressées en 1507, en
1799 et en 1813, les nomades auraient même triplé depuis trois siècles' :
dans la Norvège seule ils ont septuplé. Si la population du littoral aug-
mente ainsi, c'est en grande partit; par l'effet de la pression des Nybyg-
gare ou « Paysans Nouveaux », colons finlandais et suédois qui s'avancent
graduellement vers la mer en rétrécissant le terrain des nomades et en les
forçant à se rapprocher peu à peu des côtes : à la lin du dix-huitième
' Lapons en 1799 :
Suède el Finlande 5113
Norvège 5000
Russie 1000
Ensemble. ... 9ll.>
LAPONS. ihâ
siècle, CCS étrangers étaient déjà plus nombreux que les Sames dans le
Norrbotten suédois. Les Lapons de la Suède ont probablement diminué
depuis le commencement du siècle, quoiqu'on disent des statistiques
contradictoires : le témoignage unanime des colons ne laisse aucun doute
sur le fait d'un refoulement graduel des nomades au delà des frontières
suédoises : de plus en plus, la région des forêts, appropriée par les
colons Scandinaves et finlandais, se ferme aux immigrations temporaires
des Lapons. De même, les Sames de la Russie et les Kvàner, descendants
d'anciens immigrants finnois apparus pour la première fois à l'ouest
du fleuve Tornea, pendant les guerres de Cbarles XII, quittent en grand
nombre leurs campements pour aller s'établir sur les côtes norvégiennes.
Jadis les migrations se faisaient alternativement tantôt dans un sens,
tantôt dans l'autre, suivant les saisons : les Lapons norvégiens avaient
l'babitude de gagner le territoire finnois au commencement de la saison
froide pour y faire liiverner leurs troupeaux, et de leur côté les Lapons
finlandais émigraient en été vers le littoral de Norvège : c'était un échange
de services entre les populations des deux contrées. Les bureaucrates de
Saint-Pétersbourg virent dans ces migrations périodiques un manque de
respect pour la « sainte frontière », et depuis 18o!2 il est interdit aux
nomades Scandinaves de la franchir sans de gênantes formalités. Mais les
sujets russes, trouvant précisément en Norvège plus de liberté et plus
d'avantages commerciaux que sous l'administration de leurs propres gou-
vernants, sont allés par milliers chercher leurs moyens d'existence chez
leurs voisins de la Laponie Scandinave : ouverts toute l'année à la pêche et
au trafic, le port de Yadsô et les autres havres de la côte norvégienne sont
des lieux de rendez-vous nécessaires pour les populations limitrophes, blo-
quées en hiver par les glaces de la mer Blanche. Dès le milieu du siècle
dernier, les pêcheurs russes, montés sur leurs misérables embarcations,
comm(;nçaienl à se hasarder dans les parages du Finmark : on les dit
encore plus hardis que les Kviiner et que les Norvégiens'. Jadis ceux-ci
étaient pour la plnparL les descendants de liaïuiis venus de la Norvège
méridionale.
Si la (lis|)ariti(iu des Lapons n'est pas à craiiuirc, du moins se rajipro-
chent-ils de plus en plus par les mœurs et la civilisation des jjopulalions
avec lesquelles ils sont en rapports, et peu à peu ils ne formeront qu'une
seule et même nation. Déj<à la fusion se préparait depuis des siècles, puisque
les Lapons ont reçu leur culture des Scandinaves; c'est d'eux qu'ils ont
' Leopold von Buch, Reise durch yurwcgen and Luppland.
T. 20
154 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
appris l'art d'élever les animaux domcsliques : dans l'idiome lapon, le
chien seul est désigné par un nom original ; les Lapons ne connaissent les
chevaux et les bœufs, les brebis et les chèvres, les chats, les cochons, que
par leurs appellations Scandinaves. Le renne leur était connu, mais seule-
ment comme animal de chasse : la diminution du gibier les a forcés à
imiter leurs voisins en mettant le renne sous le joug. Maintenant ce sont
aussi des Scandinaves, surtout les Norvégiens, qui enseignent aux Lapons
l'art de la grande pèche, les divers travaux industriels de la vie sédentaire,
et leur donnent peu à peu les mœurs des peuples civilisés d'Europe. 11 est
vrai, d'autre part, que si le Lapon des forêts de l'intérieur s'est peu à peu
rapproché du Suédois par les idées et le genre de vie, l'immigrant kvân
ou Scandinave s'est fortement « laponisé » ; il est devenu plus petit, mais
aussi plus résistant que ses compatriotes du sud, et son visage porte les
marques évidentes du croisement de sa race avec celle des aborigènes.
Comme le Lapon, il sait prendre, atteler et diriger le renne; comme lui,
il a pour mets national la « soupe de sang » ; son vêtement diffère à peine
de celui du Lapon, et non seulement il sait converser avec l'indigène dans
l'idiome finnois, mais il l'emploie aussi fréquemment dans sa propre fa-
mille. Du reste, les deux races différentes vivent à côté l'une de l'autre
dans la plus parfaite harmonie. Quoique certains auteurs parlent de la
rareté des mélanges entre les diverses populations, la statistique de la ÎNor-
vège constate que, parmi les Ougriens du Finraark, plus d'un cinquième
se compose d'hommes de sang mêlé'. En Suède aussi, quelques centaines
d'individus appartiennent à la fois aux deux races, et la plupart des croise-
ments se font entre Lapons et Suédoises ^ Les écoles, on peut le dire, sont
les agents destructeurs de la nationalité laponne. En effet, les enfants,
obligés d'aller à l'école, et pour la plupart loin du canipoment paternel,
contractent des habitudes qu'il leur est difficile d'abandonner plus tard.
Ils ne reprennent pas tous la vie nomade de leurs pères, et ceux qui restent
dans les villages des Suédois finissent par se croire Suédois eux-mêmes, et
leur descendance se confond avec celle de la race dominante ".
« Finnois et Lapons norvégiens du Finmark réputés de race pure en 1875. ... 25512
Descendants de Finnois et de Lapons » ... t 08i)
» de Norvégiens et de Finnois ou de Lapons » . . 4 572
* Lapons « sang niélé » de la Suède en 1870 :
12 nés d'un père lapon et d'une mère finnoise,
\hl » 0 .' siiédciise,
•41 » suédois '1 laponne,
.^2 « linnois » •
' TôrncLulini, Idoles manuscrites.
LAPONS ET NORVÉGIENS. 155
X
Le relief même el le climat de la Norvège ont décidé de l'emplace-
ment des villes. A l'exception de celles que l'exploitation des mines a fait
établir dans l'intérieur, elles devaient toutes se fonder au bord de la mer,
sur les rives des criques bien abritées des vents du nord et d'un accès
facile aux navires. Les villages même manquent presque complètement
loin des rivages : les paysans ont chacun leur gaard, groupe de maison-
nettes en bois servant aux divers usages de la ferme, et les églises, les
édifices municipaux, les maisons postales s'élèvent à part, en quelque
endroit visible de loin ou bien à la jonction des routes. En outre, c'est
dans la partie méridionale de la contrée, là où le climat est le moins
rude et où le soleil fait son apparition tous les jours de l'année, que la
population a dû naturellement se grouper et fonder ses villes de com-
merce. Jadis, quand les marins normands regardaient surtout vers la
Grande-Bretagne et les autres pays de l'Europe occidentale pour y faire
des incursions de pillage ou pour y fonder des colonies conquérantes,
les golfes occidentaux de la Norvège, ceux de Trondhjem, de Bergen, étaient
les mieux situés et c'est de ce côté de la contrée qu'allaient s'établir les
hardis navigateurs. Mais dès que les Norvégiens eurent cessé d'avoir la
conquête et la piraterie pour industrie principale, dès que par la coloni-
sation à l'intérieur ils eurent ajouté à la pèche et au trafic l'exploitation
des mines et la culture des vallées, le versant méridional des monts, tourné
vers le golfe de Christiania et vers les rivages du Danemark, de la Scanie,
de l'Allemagne, devait conquérir la prééminence. Sur 21 villes de plus de
4000 habitants, 14, c'est-à-dire les deux tiers, se trouvent dans cette partie
de la Norvège, fort petite pourtant en comparaison du territoire qui regarde
vers l'Atlanlique. D'ailleurs, à l'exception de (Ihrisliania, cité moderne, et
de Bergen, l'ancien marché hanséatique, toutes les villes du littoral nor-
végien se ressemblent. Placées à l'extrémité d'un Ijord, sur une grève
arrondie et près d'une eau profonde où mouillent les gros bâtiments, elles
s'élèvent en amphithéâtre sur les pentes d'une colline et se composent
uniformément de maisons en bois, grandes et petites, peintes en blanc,
en gris, en jaune, en rose, la plupart en rouge de sang. Nulles sculptures
ni ornements extérieurs comme sur les chalets suisses : seulement un
cadre découpé entoure chaque fenêtre. Les maisons ne sont autre chose
que de grandes boîtes posées sur un soubassement de pierre ; mais elles
156
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
sont ornées à rintérieiir ol les fenêtres sont fleuries de roses, de verveines,
de géraniums. Les églises, toutes dominées par flèche, coupole ou tou-
relles, sont d'une architecture un peu lourde : les blocs massifs de granit
qui portent rédifice et les poutres qui en forment la charpente ne se prè-
51. BAS CLOÎIME.V, r.Ar.PSDOBG ET FIIEDEBIRSTAD.
lent guère à la fantaisie de l'artiste; pour donner le mouvement et la vie à
l'enseniMe, l'arcliilccle a dû élever nef sur nef, les hérisser de chiclielons
et de croix de bois découpés s'ouvrant en bouches de dragons. Telle église,
par exemple celles de Borgund, sur un affluent du Sogne-fjord, et de Ilit-
terdal, dans le Tclcmarken, offre une vague ressemblance avec des tem-
|)Ics d(> la Chine et du Tibet.
VILLES NORVÉGIENNES, CHRISTIANIA. Vol
La première ville du littoral norvégien, sur sa frontière méridionale, est
Frederikshald, que domine au sud, du haut d'un rocher, la forteresse de
Frederiksteen, défendant jadis la Norvège contre les Suédois : un obélisque
marque l'endroit où tomba Charles XII, en 1718; un autre obélisque est
érigé en l'honneur de Colbiernsen, le défenseur de la place. Maintenant Fre-
derikshald n'a plus à veillera la défense du territoire, elle s'occupe surtout
de l'expédition des bois apportés par le Tistedals-elv. Telle est aussi la prin-
cipale industrie de Frederikstad, située à la bouche du Glommen et cou-
vrant un espace immense de ses quartiers épars, de ses maisons isolées, de
ses entrepôts de bois, de ses grandes usines. De même, Sarpsborg, quoique
simple bourgade, occupe autant de place qu'une capitale et s'étend à plu-
sieurs kilomètres de distance à l'ouest des manufactures et des scieries
dont les cataractes de Sarp mettent les roues en mouvement. C'est égale-
ment du commerce des bois que s'occupe la gracieuse ville de Moss, située
sur un isthme entre deux golfes et deux ports, et disposant ainsi de deux
voies commerciales, l'une vers Christiania, l'autre vers la haute mer. C'est
à Moss que fut signé en 1814 le traité d'union entre les deux royaumes
de Suède et de Noi'vège '.
Christiania ou Krisliania, la capitale de la Norvège et la deuxième cité
de la Scandinavie par l'importance de sa population, est une ville iloiit la
position était indiquée d'avance par les conditions géographiques de la
contrée. Elle occupe précisément l'extrémité d'un fjord qui sépare les deux
presqu'îles secondaires de la Norvège méridionale et de la Gothie, décou-
pées au sud de la grande péninsule Scandinave. Le fjord de Christiania est
facile à défendre, puisque ses rives se rapprochent devant Ilvidsteen et
Drôbak, de manière à ne laisser qu'un étroit canal, commandé maintenant
par les canons d'Oskarsborg ; il se termine au milieu des terres par un
vaste bassin eu forme de croissant, où des ports peuvent s'établir à l'abri
de chaque langue de terre. Christiania en possède deux principaux, Piper-
viksbugten à l'ouest cl Bjoniken à l'est : celui-ci est le plus fréquenté,
et le long de ses quais s'amarrent les navires, bien défendus des vents ;
mais les glaces ferment la baie en moyenne pendant un tiers de l'année.
' Mouvempnt commercial et llolle inirchande des trois priucipaux ports de la cùle orientale du
fjoril de Christiania en tS8'2 :
Enlri'cs et sorties . . Frederikshald . . . 1190 navires, jaugeant I2'2 590 tonnes.
„ .. Frederikstad. . . . Z'.ibS •• « ôiô iOO <'
,< I, Moss 416 il .. 7.">2I0 »
Flottille de commerce. Fieilerikshald . . 1 17 navires, jaugeant 23 700 tonnes.
n „ Frederikstad. . . . 142 » n 41 050 »
» » Moss 5! li .. 14 260 n
158 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Le grand lac marin de Christiania était connu jadis sous le nom de Viken
ou de « Golfe » par excellence : c'était l'un des meilleurs parmi ces havres
d'embûche et de refuge où les vikings préparaient leurs flottilles et venaient
les cacher au retour de leurs expéditions. Maintenant le bassin de Chris-
tiania doit surtout son importance commerciale à la fécondité des terres qui
le bordent et qui sont disposées, pour ainsi dire, en forme d'espalier, de
manière à recevoir toute la force des rayons solaires. Le district même
d'Akershus, entourant la capitale, possède à lui seul plus de la moitié des
terrains cultivés du royaume, et les produits en sont naturellement exportés
par les marins de Christiania. En outre, les meilleurs bois de la Norvège,
en grande partie détruits maintenant, croissaient sur le versant des col-
lines et des montagnes qui regardent le fjord et c'est là aussi que se trou-
vent les gisements de minéraux les plus considérables.
D'ailleurs les vallées qui s'inclinent vers le golfe de Christiania sont
disposées de manière à donner de très vastes dimensions au bassin com-
mercial de la capitale. Le plus vaste lac de la Norvège, le Mjôsen, se pro-
longe au loin vers le nord comme s'il continuait encore le golfe maritime
dont il faisait jadis partie. Le Glomraen, le Dramms-elv et d'autres cours
d'eau se déversent dans le fjord, et quoique leurs embouchures ne se trou-
vent pas dans le voisinage immédiat de Christiania, il n'a pas été difficile
de construire des chemins dans les plaines basses de leurs bassins, et la
capitale est ainsi devenue le centre de convergence de toutes les routes
commerciales descendues des vallées environnantes. Bien plus, par les
dépressions du plateau des Oplande, ainsi que par le Gudbrandsdal, Chris-
tiania communique facilement avec les rivages atlantiques de la Norvège,
surtout avec le Trondlijems-fjord et le Molde-fjord, et c'est principa-
lement sur la voie historique de Trondhjem à Christiania, parcourue
maintenant par un chemin de fer, que se sont accomplis presque tous les
événements considérables des luttes séculaires qui ont divisé les popula-
tions des deux versants. Christiania, qui se trouve à peu près sous la
même latitude que Stockholm, est également rattachée à cette ville par
une voie naturelle passant au nord des grands lacs, et forme ainsi le
sommet d'un triangle dont l'ancienne métropole de la Norvège et la capi-
tale actuelle de la Suède occupent les deux autres angles'. Par ses rela-
tions maritimes, le golfe allongé de Christiania correspond exactement
à la pointe aiguë du Jylland et se trouve aussi placée au sommet d'un
triangle : les navires qui sortent du fjord voient s'ouvrir devant eux deux
* J. G. Kohi, Die Gcograpliiichc Lagc dcr Ilauptstàdte Europa's,
CHRISTIANIA. 1L9
chemins, celui du Skager Ral<, qui les mène vers Hambourg, Dunkcrque
ou Londres, celui du Kaftegat, par lequel ils peuvent se diriger vers Co-
penhague ou les ports de la Baltique.
Dès le milieu du onzième siècle, une ville d'Oslo ou Opslo existait à l'en-
droit occupé de nos jours par le faubourg oriental de Christiania qui porte
le même nom, et deux cent cinquante ans après la forteresse d'Akcrshus
s'élevait sur un rocher voisin, dominant une partie de la ville actuelle et
les embouchures de deux cours d'eau, l'Akers-elven et le Lo-elven. C'est
en 1624, après un violent incendie, que s'éleva la nouvelle cité, à laquelle
le roi de Danemark Christian IV donna son nom. Elle est presque entière-
ment bcàtie en pierre et en briques depuis l'incendie de 18^8; les carrières
de syénite et de granit qui bordent le fjord, ainsi que les bancs voisins
d'argile glaciaire, lui fournissent les matériaux dont elle a besoin pour
construire ses palais. Comme toute capitale, elle a de nombreux édifices
publics et c'est là que siègent le Parlement, les tribunaux, les grandes
écoles. L'université du royaume, établie en 18 M et connue d'ordinaire
sous le nom de Fredericiana, est fréquentée par un millier d'étudiants;
elle a été doublée en étendue pour qu'on pût y exposer convenablement les
nombreuses collections du musée, ainsi que la bibliothèque grandissante,
composée maintenant de 200 000 volumes; en outre, un jardin botanique,
un musée d'antiquités et de peintures curieuses, surtout pour l'étude des
paysans du Nord, un observatoire astronomique et l'observatoire de météo-
rologie, rendu célèbre par les travaux de M. Mohn, dépendent de l'université.
Christiania, centre d'industrie et de commerce, est enrichie par des
filatures, des ateliers de construction et.de nombreuses distilleries. Pour
la valeur des échanges, elle est le marché le plus animé de la Norvège;
el pour l'exportation, elle dépasse aujourd'hui Bergen, qui l'égalait naguère'.
Des services de bateaux à vapeur rattachent Christiania à toutes les villes
du littoral Scandinave, aux grands ports de l'Europe occidentale et même
à New-York ; en outre, un réseau de chemins de fer qui va rejoindre
Trondhjeni au nord, Geflc au nord-est, Stockholm à l'est, Gôteborg et
Malmo au sud, accroît d'année en année l'importance de Christiania comme
• Mouvement de la navi;;alion dans le port de Christiania en 1882 :
Entrées. .......... 1922 navires, laugejnt 568 OiO tonnes.
Sorties \T>i6 ,^ » 447 500 «
En>eiiil)le 5208 navires, jaugeant 1 010 iiO tonnes.
Flottille appartenant aux armateurs de Christiania :
278 voiliers, jaugeant 101 560 tonnes.
49 bateaux à van 'ir, iaii ■■.Mut 10 2110 )i
Î60 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
lieu de trafic, et sa population, qui dépassait à peine 8000 habitants au
commencement du siècle, a plus que décuplé depuis cette époque : elle
augmente de plus de mille personnes par an. D'ailleurs, la capitale de la
Norvège est, si l'on tient compte de sa haute latitude, une des villes de la
Scandinavie les plus agréables à habiter, grâce à la pureté de l'air qu'on y
respire, à l'élévation relative de sa température, à la beauté de ses envi-
rons. Du rocher d'Akershus, qui s'avance dans le golfe en forme de fer de
lance, on voit à ses pieds la plus grande partie de la ville, les navires
de la rade et les lies vertes éparses dans l'eau : vers l'ouest, la pres-
qu'île de Ladegaards, rattachée à la terre par un étroit pédoncule, reflète
dans la baie les grands arbres de son parc, ses villas, son palais de plai-
sance; plus loin, de nombreux îlots, tous de forme régulière et disposés en
lignes parallèles, ressemblent aux perles d'un collier dont le fil vient de se
détacher. Au nord de la plaine où s'allongent aux côtés des roules les fau-
bourgs de Christiania s'élèvent des collines de 300 et même de plus de
400 mètres, d'où l'on contemple tout le tracé géographique du fjord par-
dessus les promontoires, les isthmes et les archipels.
Le bassin du Glommen, quoique le plus considérable de la Norvège, n'a
point de villes importantes dans sa partie supérieure, si ce n'est la cité mi-
nière de Rôros, qui se trouve, grâce à la proximité de Trondhjem, plus dans
le cercle d'attraction de cette ancienne capitale que dans celui de Christia-
nia. La ville d'Eidsvold, située sur l'émissaire navigable du lac Mjôsen, a
toujours une certaine importance comme point de départ des voyageurs
qui se rendent vers Rôros et Trondhjem, car c'est là que s'arrête encore
le chemin de fer de Christiania et que commence la navigation du Mjôsen
vers Haraar. Eidsvold est le lieu où se réunit on 1814 le premier Storthing
de la Norvège après le traité d'union avec la Suède. Depuis des siècles déjà,
Eidsvold était le rendez-vous commun de tous les Opplânder ou « Hommes
d'en haut » et c'est là qu'Olaf le Saint avait été élu, en 1020, roi de la
Norvège. Hamar, sur la rive orientale du lac, était la métropole religieuse
de la contrée et l'on y voit encore les restes imposants d'une cathédrale.
La ville fut détruite en 1509 par les Suédois; les habitants s'enfuirent à
Opslo et contribuèrent ainsi à la prospérité du bourg qui devait êtit> [)lus
lard la capitale de la Norvège.
Toutes les villes de la cùle au sud et à l'ouest de Christiania sont des
marelles de commerce, expédiant à l'étranger des planches et des minerais
comme Drammen, du poisson comme Stavanger : des voiles se pressent à
l'entrée des Ijords, des vaisseaux tracent incessamment leur sillage le
long des rives ; le ciel bas est rayé de traînées de vapeur. Une étonnante
CHRISTIANIA, EIDSVOLD, DRAMMEN.
t6l
activité maritime, comparable à colle que l'on voit aux abords des grands
ports anglais, se montre dans tout le Skager Rak et par delà le Lindesnœs
jusqu'à Stavanger : à la fin de l'année 1882, les flottes commerciales des
ports norvégiens du Skager Rak et du golfe de Stavanger, dans les districts
de Christiania et de Chistianssand, comprenaient plus de cinq mille
cent navires, jaugeant treize cent quarante mille tonneaux et montés
par près de quarante-six mille hommes d'équipage'. Ainsi le pays des
X° 35. — DRAMMEX ET DRAMMS-ELV.
E deP
P
t.
C^OàSOM.
^e 50 à 100
de /OO au de/à
« Phéniciens du Nord », étroit littoral contournant des monts et des plateaux
inhabités, possède une marine plus puissante que do vastes pays ayant des
dizaines de millions d'habitants comme la France, l'Espagne ou la Russie.
Drammen, l'une des grandes villes de la Norvège, est un des ports les
plus actifs de cette contrée commerçante. Située à l'endroit oii le Dramms-
elv, fleuve sorti du vaste lac do Tyri-fjord, s'élargit en estuaire, elle se
compose en réalité de deux villes longues et étroites qui bordent les rives
' Tabeller vedkoinmende yorges Skibsfarl i A.nrct ii
XC-I NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
divergentes : un des ponts a plus de 300 mètres. Le port de Drammen,
réuni à la mer par l'étroite porte oij passe le courant de Svelvigcn, est
comme un bassin fermé offrant les mêmes avantages que la rade de Chris-
tiania'; il possédait naguère plus de navires que la capitale elle-même, mais
dans CCS dernières années le nombre en a notablement diminué; le mou-
vement commercial y est d'ailleurs moins considérable. L'industrie locale
consiste surtout dans l'exportation des planches, mais les négociants de la
ville ont su profiter de leurs richesses en bois pour l'expédier sous forme de
meubles, de parquets, d'ornements divers. En outre, Drammen est le port
d'expédition pour la ville minière de Kongsberg ou « Montagne du Roi >',
située au sud-ouest, sur la rivière Laugen. Les gisements d'argent découverts
en 1625 ont été exploités depuis cette époque, excepté pendant quelques
années au commencement du siècle, et fournissent en moyenne pour une
valeur de plus d'un demi-million de francs; mais la valeur relative de l'ar-
gent a baissé ; les mines se sont appauvries, et la ville est déchue : de 1815
à 1850, les mines furent travaillées à pertc^ Konsgberg eut jadis plus de
10 000 habitants et fut, après Bergen, la première ville de la Norvège; main-
tenant elle n'a plus même la moitié de son ancienne population. L'hôtel
des monnaies de la Norvège y a été maintenu. C'est dans une vallée paral-
lèle à celle de Konsgberg, à 25 kilomètres à l'ouest, que s'élève la fameuse
église de Hitterdal, massif pyramidal de nefs et de clochetons en bois.
Sur les rives occidentales du fjord de Christiania se succèdent les ports
de Ilolmestrand, de Horlen, de Tônsberg, de Sandefjord ; puis vient, à
l'embouchure du Laugen, la ville de Laurvik. Ilorten, naguère simple vil-
lage, est devenue ville active depuis que sa crique a été choisie pour station
principale de la flotte militaire du pays. D'après les chroniques du
moyen âge, Tônsberg, qui fut l'une des quatre « villes municipales » du
royaume, est le plus ancien port de la Norvège, car on en parle dès la fin
du neuvième siècle comoK! d'une cité florissante, où venaient en grand
nombre des navires du Danemark et du « pays des Saxons » ; mais déjà
l'emplacement où Laurvik se trouve de nos jours était un lieu célèbre, car
là s'élevaient le temple de Skiringosal, que le peuple visitait en foule, et
le palais du roi Harald aux Beaux Cheveux. A l'ouest du fjord de Laurvik
s'ouvre un autre golfe, où le havre de Porsgrund sert d'avant-port à la
ville de Skieii, marché des paysans du Telemarken.
Sur la côte du Skager Ilak, chaque bourgade est un port, et quelques
' Mouvonionl du port de Itiainmi'ti en ISS'i : lôlh navires, jaugcanl 255 ô'2o tonnes.
Flotte commerciale : 250 voiliers et II bateaux à vapeur, jaugeant ensemble 82 210 tonnes.
' Daubréf, ; — G. Leonhard, Scandinavische Erzlayer-Stâtlen.
ARENDAL. CURISTIANSSAND, STAVANGER.
165
villes se révèlent de distance en distance par le nombre des embarcations
qui se pressent à l'entrée des baies : Kragcro, défendue à l'est par les bancs
de Jomiruland, que les marins disent plaisamment être un « morceau du
Danemark écboué sur les côtes de la Norvège » ; Osterrisôr; Tvedestrand ;
Arendal, le port le plus ricbe de toute la Scandinavie en bateaux de cabo-
tage, et la ville d'où partent souvent les voyageurs pour aller visiter les
lacs et les cascades du Telemarken. Puis viennent Grimstad, Lillesand,
S.iGERO tT JOMFBCLAVD.
Christianssand, ville de marins, de constructeurs, de sauveteurs et de ra-
doubiers, qui possède de belles terres de culture conquises par les allu-
vions sur la mer; Mandai, le port le plus voisin du Lindesnaîs, promon-
toire bien connu des marins. Au delà, le littoral se recourbe vers le nord,
et sur un isthme étroit, à l'extrémité de la côte de Jiidcren, peuplée de
moutons, se présente la fière Stavanger, l'une des cités les plus commer-
çantes de la Norvège et la quatrième du pays par le nombre de ses habi-
tants : pourtant sa population ne s'élevait pas même à un millier de per-
sonnes au commencement du dix-septième siècle; en 1800, elle n'avait
1G6
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
encore que 2400 habitants. La pêche des harengs, la fabrication des lai-
nages et le commerce ont fait la prospérité de l'antique bourgade. Jadis
siège épiscopal, Stavanger possède toujours une belle église, bâtie au
douzième et au treizième siècle dans le style ogival anglais.
Haugesund garde l'entrée septentrionale du Bukke-fjord, que surveille
Stavanger du côté du sud ; mais elle est beaucoup moins commerçanio'. La
ville principale de toute la partie du littoral comprise entre le Lindesnœs et
le cap Stad est l'ancienne Bergen, jadis Bjorgvin, la « Prairie de la Monta-
gne », fondée dans la deuxième moitié du onzième siècle au milieu d'un
labyrinthe d'îles, d'ilôts et de péninsules inégales : sept montagnes, sans
compter les sommets secondaires, se dressent en amphithéâtre autour d'elle.
Bergen, patrie du poète Holberg et du naturaliste Michel Sars, fut long-
temps la ville la plus populeuse de la Norvège; maintenant encore elle dé-
passe de beaucoup toutes les cités autres que la capitale. Elle fut jadis
l'un des marchés les phis fréquentés de la Hanse, et les négociants germa-
niques y possédaient une ville dans la ville, composée de greniers et de
magasins portés sur pilotis et rattachés à la terre ferme par des appon-
tements ; de véritables garnisons de commis et de serviteurs, comprenant
jusqu'à 5000 hommes, défendaient le quartier des Hanséates : c'est en
1763 seulement que fut vendue la dernière maison appartenant à la colonie
allemande, mais un grand nombre de noms de famille rappellent les
négociants qui avaient presque entièrement monopolisé, au quinzième
siècle, le trafic de Bergen, et l'architecture hanséatique donne encore à
certains quartiers une physionomie que l'on ne retrouve pas dans les
' Mouvement et flottes des principaux ports de la côte méridionale de la Norvège, entre Dramnien
et Haugesund en 18S'2 :
Mouvement d
a port.
Flotte de commerce.
Ilolmeslrand.
175 navires, jaugeant
25 520 tonnes.
41 navires,
jaugeant
9 812 tonnes.
Ton«lier<; . .
512
»
72 100 II
155
Il
II"
56 515 II
Sandefjord. .
. 211
Il II
55 750 II
85
)i
II
21 755 II
Laurvik. . .
. 1 022
» Il
105 010 ..
84
1)
1)
26 168 II
Skien. . . .
541
Il II
01020 «
40
1)
»
16 123 11
l'orsgrund. .
750
II
151 050 i>
90
»
1)
55 560 11
Kragerô .
1 018
Il II
100 520 II
106
»
11
55 587 1)
Ostcrrisor . .
57(i
II
70 580 11
85
1)
II
29 022 II
Tvedestrand .
105
1,
54 040 11
110
»
n
41 600 II
Arendal. . .
809
II
204 050 II
411
»
1)
1 75 690 II
Grimstad . .
. 272
Il II
54 5.50 11
125
II
11
45 647 1.
Lillesand . .
27i
Il II
22 220 II
59
h
11
23 1 35 II
Christianssand
. 1 558
1. Il
150 850 II
118
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»
50 236 11
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571
II
42 140 11
99
»
i>
27 490 1.
Stavanger . .
781
Il II
1581110 11
678
II
II
122 660 11
llaugesimd. .
054
Il 11
00 550 «
262
»
1)
25 945 1'
STAVANGER, BERGEN'.
167
autres villes de la Norvège. Antérieurement encore, ce fut un monopole
de commerce concédé aux marchands de Bergen qui fut la cause de la rup-
ture délînitive des communications de la Scandinavie avec le continent
américain. Ce qu'avaient fait l'initiative et le commerce libre, les conces-
sions royales ne réussirent point à le maintenir : le Groenland appartenant
au trésor royal, il était interdit de le visiter à tout marin, islandais, nor-
végien ou étranger; seuls des pilotes de Bergen avaient le droit de cingler
Esi de Pa
Es. aeC.-
I : AS 000
vers ces parages, mais ils furent assassinés on 1484 par des négociants
hanséates, et le secret de la navigation dans les mers américaines fut perdu
pour les Norvégiens'. Les exportations de Bergen consistent principalement
en poisson, que les Norvégiens échangent contre les denrées coloniales, les
céréales, les fruits, les vins, les articles manufacturés, importés par les
navires étrangers, surtout par ceux de l'Angleterre. Jadis, tous les
pêcheurs du nord, même ceux des côtes de Laponie et des îles Lofoten.
' Rafn, Mémoires de la Soc. fies Aiit. du y'ord, 1845-1849; — Giili Biynjiilffson, Globiis. 1871.
168 NOnVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
venaient vendre leur poisson à Bergen ; pour se débarrasser de leur pèche,
ils faisaient l'immense voyage de mille kilomètres ou davantage à travers
les pluies et les tempêtes : en juillet, puis en automne, les négociants de
Bergen voyaient ainsi venir des centaines ou des milliers de barques et
pouvaient, suivant la quantité du poisson, régler le prix d'achat. La fonda-
tion de Bodô, de Tromsô, de Hammerfest et d'autres marchés du nord a
rendu désormais inutiles ces exodes périodiques des pécheurs '.
Bergen, on le sait, est une des villes que les pluies fréquentes rendent
peu agréables aux voyageurs. Dans le district environnant, la lèpre, cette
hideuse maladie, heureusement inconnue dans la plupart des régions
tempérées, fait toujours des victimes; on y compte plus de deux mille
lépreux, dont l'aspect n'est pas moins horrible que celui des malheureux
de l'Orient attaqués de la même maladie. Les cultivateurs des vallées éloi-
gnées de la mer n'en sont jamais atteints : c'est à la nourriture presque
exclusivement composée de poisson gras qu'est attribué le développement
de ce mal chez les pêcheurs du littoral. D'après les statistiques officielles,
le nombre des lépreux diminue d'année en année, grâce à une meilleure
hygiène.
Au nord de Bergen se succèdent d'autres ports de pèche, dont le com-
merce est assez actif pour avoir fait surgir de véritables villes sur les ro-
ches nues de la côte : telles sont Aalesund et Christianssund, bâties sur
des îlots, à l'entrée de Ijords qui se ramifient au loin dans l'intérieur'.
Mais à l'est de l'île Hitleren s'ouvre un autre fjord, celui de Trondhjem,
mieux formé que tous les golfes voisins pour inviter les flottes, car s'il
ne communique avec la mer que par un canal étroit d'ailleurs bien abrité
et où ne pénètre pas la houle du large, il se développe à l'intérieur en vastes
bassins où se jettent plusieurs fleuves : un territoire fort étendu s'incline
vers le fjord et son embouchure maritime. En outre, c'est précisément
devant le fjord de Trondhjem que se trouve la partie la plus infléchie
de la côte entre le cap Stad et l'archipel des Lofoten : elle forme en cet
endroit une espèce de golfe vers lequel se dirigent volontiers les navires
pour se porter plus avant dans l'intérieur des terres. Trondhjem possède
aussi le grand avantage d'être à l'extrémité de la dépression naturelle qui
sépare le Kjolen des plateaux du midi de la Norvège, et récemment elle
a été, seule parmi les villes de la côle occidentale de la presqu'île, réunie
' Mouvement du port de Bergen en 1882 : 1282 navires, jaugeant 85 170 tonnes.
Flotte de commerce : 507 navires, dont 108 à vapeur, jaugeant ensemble 90 167 tonnes.
'' Mouvement du port de Christianssund en 1882. . 2 14 navires, jaugeant ôO ifiO tonnes.
Flotte de commerce » » . . 125 » h 12 605 »
lîERGEN. TROi\DHJEM.
ICI»
par une voie ferrée, passant à plus de 600 mètres d'allitude, d'une part à
Christiania, de l'autre aux rivages du golfe de Botnie : ce privilège promet
d'augmenter rapidement les relations commerciales de Trondlijem'. Quoique
située entre le 65" et le G4' degré de latitude, la ville ne souffre pas d'un cli-
mat trop rigoureux, grâce aux vents de l'Atlantique, et les habitants montrent
comme une gloire de leur ville un tilleul qui, par son existence même,
témoigne en faveur du climat ; même au nord de Trondlijem, près du vil-
S' ">S. TBONDIIJE
lage de Frôsten, on voit des noyers dont les fruits arrivent jiarfois à matu-
rité. Néanmoins on peut dire que Trondlijem se trouve liicii sur la limite
de la région facile à coloniser : plus loin, le climat devient trop rude, la
terre trop avare. Telle est la raison qui n'a pas permis à l'ancienne Nidaros,
le Trondlijem actuel, de maintenir son rang de capitale, malgré les avan-
tages de sa position géographique : par respect du passé, on lui a pour-
tant laissé son rang de métropole religieuse et c'est dans sa cathédrale <pie
viennent se faire sacrer les rois. Ce monument ogival, le ]ihis beau de la
' Uouvemcnt commercial tic Trondbjem en 1882 : 510 na\ircs, jaugeant 177 207 tonnes.
». 22
170 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Norvège, date de différentes époques, de la fin du onzième au commen-
cement du quatorzième siècle, et dans les temps modernes il a fallu rebâtir
une partie de l'édifice détruite par les incendies. Sur un amas de rochers
qui domine la ville se dressait autrefois, suivant la tradition, le château
de Hakon Jarl, le dernier chef païen de la Norvège, qui sacrifia, dit la saga,
son propre fils aux dieux.
Dans les environs de Trondhjem, quelques villages industriels utilisent
une part de l'énorme force motrice fournie par les cataractes et les rapides
des torrents ; les bois flottés sont amenés en abondance par les cours
d'eau ; une mine voisine fournit le meilleur minerai de fer chromé qui
existe', et c'est aussi dans le même district, quoique sur le Glommen,
que se trouve la ville minière de Rôros, dont les gisements de cuivre, ren-
fermant de 4 à 8 pour 100 de métal pur, sont exploités depuis le milieu
du seizième siècle, en partie par des mineurs d'origine allemande, et sont
indiqués de loin par d'énormes amas de scories. Situé à plus de 600 mè-
tres d'altitude, sous un climat des plus rudes, ce bourg doit être considéré
par ses habitants comme un triste lieu d'exil : c'est en été seulement que
les mineurs peuvent travailler à l'air libre au tri du minerai ; pendant un
hiver de neuf mois ils sont obligés de travailler sous terre. De m.ème,
au nord de Trondhjem, les petites villes fondées pour l'exploitation des
pêcheries n'ont pu surgir qu'à de grandes distances les unes des autres.
Ainsi la première ville digne de ce nom, Tromsô, capitale de la province
septentrionale, n'est pas à moins de 800 kilomètres en droite ligne au
nord-est de Trondhjem : avec les détours dans les Icden ou détroits du
skjârgaard, il faut compter au moins un millier de kilomètres, soit quatre
jours d'une rapide navigation à vapeur. D'ordinaire, les voyages durent
plus d'une semaine.
Tromsô, sur un port étroit que traverse un courant très rapide, llammer-
fest, située encore beaucoup plus au nord, Vardô ou Vardôhus, bâtie dans
un îlot à l'extrémité de la péninsule des « Yarègues » (Varjag-Njarg),
et Vadsô, sur les bords du Varanger-fjord, sont les stations d'armement
d'où partent les bateaux de pèche pour le Spitzberg et les mers glaciales.
Ce sont les postes avancés de l'Europe dans la direction du pôle. La na-
ture est belle dans ces contrées, mais d'un aspect sévère, et quand vient
la longue nuit de l'hiver, illuminée souvent par les fusées silencieuses de
l'aurore boréale, elle prend quelque chose de terrible. Néanmoins ces villes
sont fort joyeuses. Les fêtes, les danses, les représentations théâtrales s'y
• Cari Vogl, Nord-Fahit.
TRONDUJEM, TROMSÔ, ilAMMEUFEST. 171
succèdent sans relâché ; les étrangers y sont accueillis avec empressement
et promenés de dîners en dîners. Comme les riches négociants de Gênes et
de Marseille, ceux de Tromsô ont aussi leurs maisons de campagne éparses
sur les terrasses et les collines des alentours, au milieu des forêts de bou-
leaux. Hammerfest marque l'extrémité septentrionale de l'arc de méridien
qui se prolonge jusqu'au Danube à travers la Scandinavie, la Finlande, les
provinces baltiques, la Pologne, l'Austro-Hongrie, les Principautés Danu-
biennes, sur près de 50 degrés de latitude. Une colonne en granit finlandais
rappelle l'heureux achèvement, sous la direction de Struve, de celle grande
œuvre de triangulation '. Hammerfest est dans le voisinage de l'Ai (en- fjord,
bien connu par les explorations de Lottiu, Bravais, Martins, lors de l'expé-
dition française de la Recherche en 1838 et 1850.
XI
En Suède, les villes ont eu plus d'espace qu'en Norvège pour se fonder ;
elles ne sont pas obligées de se blottir au pied des montagnes ou d'empié-
ter sur les grèves : les plaines de l'intérieur leur sont ouvertes, etplusieurs
se sont élevées loin de la Baltique ou du Kattegat, au bord des grands lacs
ou même en pleine campagne, au croisement des chemins. Seulement au
nord de la vallée du Dal-elf, la faible population de la contrée a dû se
grouper dans le voisinage des embouchures fluviales, seuls endroits où ils
puissent jouir de communications faciles avec le reste du monde. Presque
toutes les villes de la Suède, disposant largement de l'espace, occupent une
superficie aussi considérable que celle des grandes cités en France ou en
Italie : leurs rues seraient ailleurs des avenues ou des places; les maisons,
séparées les unes des autres, du moins dans les faubourgs, sont basses et
' cil. Martins, Vn tour de naturaliste dans l'extrême nord. Revue des Peux Mondes, 1 1 août 1865.
* Villes de la Norfège ayant plus de 4000 habitants.
Christiania ou Kiisliania. . . . 77 050 hab.
• (avec les faubourgs, en 1879) 115 000 »
Bergen, en 1875 54 400 v
Trondhjem. . » 22000 »
Stavanger. . » 20 350 »
Draramcn. . » 18 850
Chrislianssand ou Kristianssnnd . 12150 «
Frederikshald k 9 950 i>
Frcderiksslad ■ 9 700 »
Laurvik. . . » 7 850 »
Chrislianssund ou Kristianssund. 7500 »
Aalesund en 1875 5 800 hab.
Skien. . . . ]i 5465 »
llorlen. . . « 5460 »
Tromso. . . » 5 450 »
Tonsberg . . » 5100 »
Kragerô. . . » 4 800 »
Moss. ...» 4450 ..
Uaugesund. . » 4 400 »
Kongsberp. . n 4 300 »
.Vrcndal. . . i' 4 ICO •
Mandai. . . " 4 050 .
172
NOIVELLE GÉOGRArilIE UNIVERSELLE.
spacieuses. Elles sont en général d'une grande propreté, peintes en jaune,
en vert, le plus souvent en rouge sombre, et munies d'une échelle exté-
rieure pour faciliter le sauvetage au moindre signal d'incendie.
La ville principale de tout le versant de la Suède tourné vers le Kattegat
est Gôteborg, la ville du Gôta, car elle est située sur l'une des embou-
chures de cette remarquable rivière, qui se bifurque, non dans une pé-
39. — GOTEBORG ET CAS GOTA-ELF.
Far.
l
t
^2^^
D'après I Etôt-Ma
ninsule d'alluvions, mais au milieu d'un territoire rocheux. La fortune de
Gôteborg comme cité commerciale s'explique par son heureuse position.
Cette ville, la deuxième de la Suède et la troisième de la péninsule par sa
population, est sur la rive d'un ileuve navigable dans sa partie inférieure
el dont les embarcations peuvent même depuis un demi-siècle remonter
les rapides et les cascades pour entrer dans le lac Wenern. Plusieurs autres
emplacements du littoral ont aussi l'avantage de posséder un bon port et de
faciles communications avec l'intérieur; mais ce qui distingue spécialement
Gôteborg, c'est d'être l'étape intermédiaire entre la porte de la Baltique et
GOTEBOnC. 173
le golfe de la ^fo^vège méridionale, entre Copenhague et Christiania ; c'est
aussi d'être sur le point du littoral qui fait face à la pointe du Danemark,
de sorte que les marchandises venues de Stockholm et du reste de la Suède
peuvent s'entreposer à Gôteborg pour être expédiées, soit à l'ouest par le
Skager Rak, soit au sud par le Kattegat. Ce croisement des routes commer-
ciales a fait l'importance de la ville, et, quoique relativement moderne,
elle s'est accrue beaucoup plus rapidement que d'autres plus anciennes,
également favorisées par la nature. D'ailleurs, le Danemark et la Suède se
disputèrent pendant des siècles la possession de l'embouchure du Gota-elf,
et des marchés de commerce fortifiés, Gamla Lôdese, Kongelf, Xva Elfs-
borg, se déplaçant çà et là sur le fleuve, se succédèrent en amont et en
aval de la position occupée par la ville actuelle. Maintenant Gôteborg est
une imposante cité. La vieille ville, coupée de canaux au-dessus desquels
tournent des ponts mobiles, s'est entourée d'une ville nouvelle, large zone
de promenades et de parterres qui ont remplacé les anciennes fortifications
et que bordent les somptueuses demeures de riches armateurs; on y a ré-
cemment établi un des plus beaux jardins botaniques d'Europe. Un pont
unit la ville à la rive basse de l'île Ilisingen. L'animation est grande sur
le fleuve, presque toujours libre de glaces, sur les quais et dans les rues
de Gôteborg, car, si la ville est inférieure à la capitale par le nombre de^
habitants, elle lui est supérieure par l'industrie et le mouvement des
marchandises avec l'étranger. Les eaux et la vapeur font mouvoir dans les
faubourgs et dans les environs les broches de nombreuses filalures de coton
et la seule filature mécanique de lin qu'il y ait en Suède '; en outre, la ville
possède des raffineries, des fabriques de tabac, des scieries et des alelicrs de
marqueterie, des chantiers de construction et toutes les manufactures où
se préparent le gréement et les approvisionnements maritimes'. Les
pêcheurs et les matelots de Gôteborg et de tout le Bohuslàn sont admirés
pour leur courage, leur force et leur mâle fierté. On les recherche beaucoup
pour équiper les navires de toutes les marines du nord, en Norvège, en
.\llemagne, en Angleterre et jusqu'en Amérique. C'est à Gôleborg, e( en
grande partie aux Irais de l'un de ses négociants, M. Oscar Dickson, qu'ont
' Elis Sidcnbladh, Royaume de Suède.
' Hourement du commerce l'iranger de Giiteliorg en 1881 :
Eotrécs 1779 navires, jaugeant 568 4ôî) tonnes.
Soilies 2051 » - ô89iM0 «
Ensemble du commerce eulcrieur. 3815 navires, jaugeant 1157 0-iÛ tonnes.
11 avec le cabotage . . . 8000 » n 1500 000 n
Flotte de commerce de Goieborg : 217 na\irr«, jaugeant 81 ilôfi lonnes.
l-i NOUVELLE GÉOGRAPHIE L'MVERSELLE.
été organisées, en 1S7'2, l'expédilion polaire de Nordenskjôld, qni com-
prenait quatre navires, en 1875 et en 1876, celles qui démontrèrent la
praticabilité des mers entre la Norvège et les bouches du Yenisei, enfin,
en 1878, celle qui vient de contourner la Sibérie par le détroit de Bering.
D'autres explorations nautiques se préparent sous la même direction vers
les régions polaires. Grâce à la même initiative, la cité commerçante pos-
sède quelques précieuses collections et des monuments artistiques, entre
autres la statue de son fondateur Gustave-Adolplie.
Au nord de Gôteborg, le littoral est bordé de petites villes, nichées dans
les anfractuosi tés des rochers du skjàrgaard : Marstrand, Uddevalla, Lysekil,
Fjàllbacka, Strômstad. Marstrand et Lysekil sont visitées en été par des mil-
liers de baigneurs, venus de Gôteborg, et Strômstad est fameuse pour ses
pêcheries de homards'. Dans le bassin du Wenern et du Gôta-elf, dont Gô-
teborg occupe l'issue, se trouvent quelques autres villes d'une certaine im-
portance. En face de l'embouchure du Klar-elf dans le lac Wenern, Carlstad
ou Karlstad, la capitale de la province de Wermland, s'élève en plein lac
sur un îlot que deux ponts réunissent à la terre ferme ; Christinehamn ou
Kristinehamn, située également à l'endroit où une rivière entre dans le lac
Wenern et forme un port accessible aux navires, a pris dans ces dernières
années un développement rapide, grâce à son port, au croisement de deux
voies ferrées importantes et à son marché pour les fers, qui viennent des
usines de Philipstad et des mines de Persberg, les premières de la
Suède pour la quantité du minerai ' ; Mariestad et Lidkôping, qui se suc-
cèdent sur la rive sud-orientale, sont aussi des ports fréquentés ; Wenersborg,
bâtie sur une péninsule, à l'extrémité méridionale du Wenern, se trouve à
l'origine du Gôta-elf, qui, à peine sorti du lac, se précipite en cascade, puis,
après s'être calmé dans un bassin tranquille parsemé d'îlots, plonge dans
le défilé grondant de Trollhâttan. A l'ouest de W^enersborg, le port donne
entrée dans un canal qui permet aux embarcations d'éviter la première
chute, et plus bas, sur la rive gauche du fleuve qui descend en rapides,
vient le fameux canal de Trollhâttan, dont les navires montent ou des-
cendent les écluses étagées sur la pente de la montagne, semblables aux
degrés d'un escalier de géants. Wenersborg, qui communique avec Gôtc-
' Mouvement commercial des porls suédois au nord de Gôteborg, en 1877 :
Marstrand 1552 navires, jaugeant 131910 tonnes.
Uddevalla lOM .■ » 1U690 »
Lysekil 1.497 » » 158175 »
Siromsiad U71 . .. 98 170 »
» Production des raines de Persberg, en 1881 • 5(j 754 tonnes.
GUTEBORG, WENERSBORG, HELSINGBORG. 175
borg par ce canal et par le fleuve, est aussi réunie par un chemin de
fer au port d'Uddevalla, beaucoup plus rapproché, tandis qu'au sud-est
elle se rattache au réseau général de la Suède par une voie de fer qui
passe dans le bizarre défilé ouvert entre les hauteurs de Halleborg et de
ïlunneborg.
Kongsbacka, Warberg, Falkenberg, sont les principaux ports qui se
succèdent au sud de Gôteborg, le long du Kattegat. La ville de Halmstad,
la capitale du Halland. située à l'embouchure du Nissan, dont les rives
se prolongent en mer par deux jetées, était jadis une des places forti-
fiées qui défendaient les côtes suédoises contre le Danemark. Au delà
des deux promontoires de Ilallandsas et de KuUen, s'ouvre déjà la porte
du Sund, et la ville de Helsingborg, souvent attaquée, souvent prise par
les armées Scandinaves qui se la sont disputée, fait face à la danoise
Helsingor. L'ancienne ville forte, devenue maintenant une paisible ville
de commerce, mais toujours dominée par la tour d'un château, qui res-
semble de loin à un énorme bloc de grès rouge, possède dans le voisi-
nage, au sud du cap Kullen, les gisements de charbon de Hôganàs, desquels
ont été retirées déjà plus de 0 millions de tonnes de combustible ; récem-
ment d'autres couches beaucoup plus puissantes ont été découvertes à
150 mètres de profondeur, au sud de la ville, sur un point de la côte très
facile d'accès pour les navires'. C'est près de Helsingborg, au manoir de
Knutstorp, que naquit Tycho Brahe, en 1546. L'ilot de Ilveen, qu'on aper-
çoit au sud dans les eaux du Sund, mais plus rapproché de la côte suédoise,
à laquelle il appartient politiquement, est le célèbre domaine oii s'élevait
l'observatoire d'Uraniborg, rasé depuis par une favorite de Christian IV.
C'est là que Tycho Brahe fit pendant vingt années l'étude du ciel et qu'il
rédigea son catalogue de 777 étoiles, publié après sa mort. Les observa-
lions météorologiques de l'illustre astronome ont été comparées avec celles
que l'on a faites dans les dernières années à Copenhague, et prouvent que
l'état général de l'atmosphère, rapporte au même calendrier, n'a pas
changé depuis trois siècles'.
Helsingborg fait déjà partie de cette région du sud-ouest de la Scanie où
la population se presse en des villes et des bourgades nombreuses et où la
densité moyenne des habitants est même supérieure à celle de la France.
La fertilité du sol et la douceur relative du climat ont contribué pour une
' JIouTcmcnt commercial de \Varl)orfr, en 1877 : 1674 navires, jaugeant lil 763 tonnes.
I) I) Ualmstad, n 5307 « i 1 41 522 «
Commerce étranger do Helsingborg, en 1881 : 0523 » i 407 252 i.
' llollea, Bulletin de l'Académie danoise, 1876.
176 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE,
forte part au peuplement exceptionnel de la contrée; mais l'appel du
commerce est la principale cause de celte forte agglomération d'hommes
dans la Scanie occidentale. Les villes riveraines ont, comme leur voisine
Copenhague, l'avantage d'être situées sur le Sund, et quoique les chenaux
de orande navigation ne longent pas leur rive, elles n'en profitent pas
iO. LANDSKRONA
moins d'une part considérable du trafic qui se fait incessamment par le
détroit; en outre, deux ile ces villes, Landskrona et Malmo, d'où l'on voit
la capitale du Daiicniark par delà le détroit, peuvent en être considérées
comme les faubourgs suédois : elles profitent de tous ses progrès et pren-
nent part à sa fortune'. Landskrona est surtout célèbre comme forteresse
' Coinmeice extérieur de Laiulskiona, en 18.S'. : V24ô navires, jaugeant 200 'JOO tonnes.
LA.NDSKIiONA. M.VLMO, Ll.ND. 1T7
et la ville iiropiviiu'iit dite est très à l'étroit entre une vaste citadelle
entourée de fossés et le fort de Grâen, îlot bizarrement découpé en figures
géométriques par des bassins et des fossés taillés dans le granit. Malmô est
la ville de commerce, quoique ses abords soient assez périlleux et dé-
fendus par des Ijancs de sable ; des travaux considérables ont été faits pour
conquérir sur la mer un port de plus de 6 mètres de profondeur, et les
terrains ajoutés à la terre ferme portent toute une ville nouvelle, avec
des gares, des entrepôts, des fabriques, des chantiers de construction. Le
plus bel édifice de Malmô est dans l'ancien quartier : c'est un charmant
hôtel de ville de la Renaissance, décoré an centre d'une tribune on « bre-
lèche » en encorbellement. Grâce au nouveau port', d'où l'on expédie
surtout (les denrées agricoles, Malmô est devenue la troisième cité de la
Suède; elle a de beaucoup dépassé sa rivale d'autrefois, la ville univer-
sitaire de Lund, située au nord-est au milieu des campagnes les plus fer-
tiles de la Scanie. Avant la Réforme, Lund était la ville primatiale de la
Scandinavie ; elle se disait la « métropole » du Danemark et les rois
venaient y prêter serment : un tumulus des environs, la butte de saint
Liborius, était le lieu des cérémonies du couronnement. Dépouillée de ses
privilèges, puis ruinée par les guerres, Lund déchut rapidement, et vers
la fin du siècle dernier elle n'avait plus qu'un millier d'habitants. Elle
s'est relevée peu à peu, grâce à son université', fondée en 16C8 par le
roi Charles X, qui avait pour but politique d'assimiler promptement par
l'emploi de la langue suédoise les provinces récemment conquises; main-
tenant elle possède de beaux édifices, de gracieux jardins, des parcs, et,
parmi ses collections, le musée archéologique fondé par Niisson ; la slaluo
du poète Tegner, qui fut longtemps professeur de l'université, orne une
des promenades de la ville. La cathédrale de Lund, édiiicc byzantin du on-
zième siècle, est un des monuments les plus remarquables de la Suède.
La langue de sable qui forme la pointe sud-occidenlal(\ de la Suède porte
à son extrémité les deux bourgs de Skanôr et de Falslerbo, ne formant en-
semble qu'un seul municipe; jadis très riche, lorscpie les harengs se pres-
saient en foul(! dans les mers voisines, la double ville a dc'cliu, el, devenue
trop pauvre j»(»ur lutlcr coiilre les sables einaliissaiils, l'aKterbd a vu son
territoire disparaître en partie sous les dunes. A l'e^l, Tri;lleli(iig el la ville
' Mouvi'incnl du port de Midiiio eu 1878 :
(J87.> navires, jaugeant ït^O '>fiG tonnes (en 1877, l O.Vi SJO Innne-V
Dont i)i72 bateaux à vapeur d'un poil loUil de . . 8^8 478 ii
Commerce extérieur (sans le cabolage), en 1881 : 8J1.'> navires, jaugeant '.H).'> 405 lonnos.
' l'rofessein's, li: éluilianls, j7.") ; l)d)liolli''i| le. 10) 001) volumes el '.'01)0 nnnus?rili.
178
NOUVELLE GÉOGUAI'IIIE UNIVERSELLE.
])lus coniniorçante d'Ystad se succèdenl sur la côte méridionale de la Scanie '.
Cliristianstad ou Kristianstad, chef-lieu d'un liin de la Scanie, est bâtie,
non loin de l'angle intérieur du goH'e appelé par les Suédois « baie de
Hanô », dans une plaine marécageuse qui fut jadis un fjord et que l'on a
desséchée, tout en approfondissant la rivière Helge et en la rendant navi-
gable aux petits bateaux à vapeur*. Plus loin viennent les ports de Sôlves-
FALSTERBO ET SKANOR.
De O è 5 M
de 10 auJelà
Itorg et de Carlshamn, qui sert à l'exportation des denrées de "\Vexio, située
au loin dans l'intérieur, dans un labyrinllie de lacs et de forêts. Rônnehy,
bourgade placée près de l'embouchuic de la rivière de même nom, est
la plus fréquentée des stations de bains suédoises; ses eaux minérales
dépassent toutes les sources connues par leur richesse en sulfate de fer et
' Miiiivoini'nl ci)imiu'i'ci:il di^ Tn'llcborf; el d'Vslad en 1877 :
Tnllcluir;; 1526 navires, piisoanl 91 000 tonnes.
Ysi;i,l 1896 » " 219150 .
- Miiuveinetil du poit de Cluistiaiislad en 1877 : l'21 navires, jaugeant 59 572 tonnes.
CARLSKRONA. KALM.Ui, .NOKUKOl'I.M;. 179
d'aluiiiiiio'. Lors de lu fondation do Carlskrona, les liaLitanls de Ronneby
reçurent l'ordre d'éniigrer pour aller haliiter la nouvelle ville, qui se caelie
à l'est, près du cap sud-oriental de la Scandinavie, derrière un rempart
d'îles fortifiées. Carlskrona, chef-lieu du Blekinge, ainsi nommée en l'hon-
neur de Charles XI, est la principale station navale de la Suède. C'est une
ville bâtie sur un îlot de granit, qu'entoure une cyclade d'autres îles et
que des jetées et des digues réunissent à des rochers et à la terre ferme :
les docks, les bassins de carénage sont creusés dans le roc vif, des forts se
dressent çà et là hors de la rade, où les navires reposent à l'ancre sur une
eau toujours tranquille. Un aqueduc de 8 kilomètres apporte dans la vilh;
et dans l'arsenal une excellente eau de source'.
Kalmar, chef-lieu de làn comme Carlskrona, est une vieille cité qui
doit son importance à sa position sur le seuil même du détroit qui sépare
Borgholm et les campagnes d'Ûland de la terre ferme; mais le retentis-
sement historique de son nom lui vient du traité d'union conclu en I.3ÎI7
entre les trois Etats Scandinaves et malheureusement suivi de guerres
sanglantes. Au delà de Kalmar se succèdent plusieurs ports : Mônsterâs;
Oskarshamn, qui entretient des communications régulières, même en hiver,
avec Wisby. dans l'île de Gotland; Figeholm, Westervik, Camleby"'. Plus
au nonl, l'un des fjords qui découpent le littoral mène vers A'orrkoping, le
« Marché du Nord », dcyi mentionné vers la fin du douzième siècle comme
rival de Sôderkôping ou « Marché du Sud », situé à l'extrémité d'un Ijord
plus méridional. Norrkôpiiig couvre un espace de plusieurs kilomètres
carrés sur les deux bords de la Motala, le large torrent qui porte à la mer
l'eau surabondante du lac Wetlern et de beaucoup d'auties bassins lacus-
tres de moindres dimensions. Dans la cité même, cette eau descend en
cascades et en rapides qui donnent la force motrice aux roues et aux tur-
bines des manufactures de Norrkôping, souvent désignée orgueilleusement
par les Suédois sous le nom de « Manchester de la Scandinavie ». La
' Elis SidetiLladh, Le royaume de Suède.
' Mouvement des ports de Blekinge en 1877 :
• Solvesbnr;; 492 navires, j.iugeanl 77 OUI) lonncs.
Carlsliamn 1780 ■• » 2Ô9Ô7U »
Ronneby 1505 .. ■• 1154C0 .
Carlskrona 2251 2'."7ilTll »
' Noureinent des ports dn laii de Kalinai' en 1877 :
Kalmar 4505 na>ire», jaiiiicant .V>1 420 lonncs.
Borgholm 17211 HH 441) »
Oskarshamn 22(57 55M)III) •
Weslenik '.t9:> 114 2 M) .
Flotlille commerciale (11- hairnai en 1871). lîl - ■• l.">5.j!) •
180
NOUVELLE GÉOGRAI'IIIE UNIVERSELLE.
faljiicatioii dos draps a pris une telle imporlaiiee à Norrkôpiniii;, que ses
55 fabriques rournissaieut ea 1876 les deux tiers de toutes les étoffes de
laine préparées dans le royaume '. Cette ville possède aussi des établisse-
ments pour la filature et le tissage' des cotons, la préparation des farines,
le raffinage des sucres; elle a plus de six mille ouvriers d'industrie pro-
duisant ensemble pour une valeur d'environ 55 millions de francs ; en
outre, ses eliantiers de construction livrent à l'Etat ses canonnières et ses
NG ET FINSPANC.
navires cuirassés. Le commerce de Norrkôping avec l'étranger consiste prin-
cipalement en importations de matières premières et de houille; elle expé-
die surtout de l'avoine, des bois, du fer, des allumettes cliimiques«et les
marbres de carrièies voisines". Au sud, les mines de cuivre d'.Vtvidaberg,
qui rivalisèrent d'importance avec celles de Faliin, et où furent creusées
les plus iirol'oudes galeries de la Suède, sont abandoimées maintenant.
Au nord-ou<'-l de Norrkiiiiiiii; est la célèbre manufacture de canons de
Elis Siili'iihlnilli, liniir.jimf ilc finale.
Mdiivi'iiicMl lie l;i ii;uij;;iliiiti di' Norikoping, en 1877 : 2S'22 n.iviivs, jnrpo.mt Çflli .")(!0 tonnes.
NORRKOPING, LINKUPING, JÔXKÔI'ING, STOCKHOLM. iSl
Finspâng, située dans une région très pittoresque, remarquable par ses
(alaises qui se terminent abruptement au-dessus de la plaine de Norrkô-
ping : en peu de contrées, les anciennes dislocations du sol se révèlent
d'une manière plus nette.
Motala, située à l'endroit où le fleuve de même nom s'échappe du lac
Wettern, est aussi un lieu de fabriques; cependant elle ne saurait, pas plus
«pie les autres villes du bassin de la Motala, se comparer à Xorrkôping par
l'importance de son industrie. Dans cette région, Linkoping et .lônkôping
sont les deux cités les plus fameuses. Linkoping, près de laquelle naquit
Berzelius, communique maintenant avec la mer jiar un canal à écluses;
c'est une antique ville épiscopale dont l'église, souvent dévastée par les
incendies, a du moins conservé son chœur ogival. Jonkôping, bâtie à l'cc-
trémité méridionale du lac Wettern. entre cette vaste nappe d'eau el le
gracieux « lac des Moines » ou Munksjôn, et traversée par un canal dont
l'eau réflécliil les arbres touffus d'une promenade, est surtout une ville
d'industrie. A l'est, près des hautes cascades de Husqvarna qui se précipi-
tent vers le Wettern, se trouve, parmi d'autres usines groupées en village,
l'un des principaux établissements métallurgiques de la Suède, où se fabri-
quent des fusils, des machines à coudre, des instruments de toute espèce ;
au sud-est, des hauts fourneaux fondent le minerai de la fiimeuse mon-
tagne de Taberg; enfin, sur les bords du Munksjôn. au sud de la ville, est
la plus grande manufacture d'allumettes chimiques du monde : les pro-
duits en sont connus jusqu'aux îles des antipodes et dans l'intérieur de
la Chine. En 1870, les ouvriers de la fabrique, au nombre de 1800,
dont la moitié étaient occupés à domicile, fabriquèrent '200 millions de
boîtes, ou près de '20 milliards d'allumettes, pour une valeur de près de
4 millions de francs' : la consommation annuelle de l'usine représente
des forêts entières. Au nord de Jonkôping, dans une îli* du Wettern, est
l'ancienne résidence royale de Wising. Skara, qui se vante d'être la ville
ia plus antique de la Suède, est située au nord-ouest, entre les deux
grands lacs. i
Stockholm, !a capitale de la Suède cl la cilé la plus populeuse de h
péninsule Scandinave, occupe une siluation |irivilégiée parmi les cités sué-
doises du versant baltique. Bàlie à peu près vers le milieu de la côte orien-
tale de la péninsule, elle occupe les deux bords d'un détroit qui fait com-
muniquer \m fjord (lu littoral avec le grand lac Miilaren. raniilu' en de
nombreuses baies jn<i|n'à plus de 100 kilomètres dans l'intérieur des
' Elis Siùcnblailli, lintjaume de Siirile.
182 .NOUVELLE GEOGRAPHIE L'.MVERSELLE.
lerres ot navigable pour les petites embarcations dans toute son étendue.
La région que i)aignc le Malaren est une de celles dont les terrains sont
le plus fertiles et le plus faciles à cultiver ; les forêts y sont vastes et
composées de grands arbres ; des gisements de fer et d'autres métaux ajou-
tent leurs richesses à celles de la surface ; partout se présentent des
emplacements favorables pour la construction des villes, et le commerce
avec l'étranger leur est facile. Dans les premiers temps de l'histoire Scan-
dinave, d'autres sites que celui de Stockholm avaient été choisis pour la
capitale du royaume des Svearet toutes ces villes avaient prospéré. La pre-
mière, BJôrkô, jadis Birka, bâtie pour la défense dans une île située en
plein Malaren, à une quarantaine de kilomètres à l'ouest de Stockholm,
. est encore une vaste nécropole : on y compte plus de "2000 tombeaux,
dont plusieurs ont été soigneusement explorés et l'on y a trouvé des
monnaies du huitième au onzième siècle qui témoignent d'un grand com-
merce avec l'étranger, des pièces byzantines et koufiques, et même des
caouris d'Afrique. Les kjôkkenmôddinger de l'ancienne ville, en partie
décompo.sés et changés en terre noire, fournissent aux marchés de Stock-
holm ses meilleures pommes de terre. A Bjôrkô succédèrent Sigluna,
Upsala et d'autres villes, qui sont encore parmi les cités importantes de la
contrée ; mais, vers le milieu du treizième siècle, le régent de la Suède,
Birger Jarl, lassé des incursions que des pirates faisaient jusque dans l'in-
térieur du Malaren, eut l'idée de fortiOer l'ilot de pécheurs qui se trouve
au milieu du goulet maritime à l'issue du lac : c'est là, dans cette po-
sition unique en Suède, que s'éleva la cité capitale de Stockholm, sans
rivale dans la péninsule depuis cinq cents années, et l'une des villes les
plus pittoresques de r£uro])e.
La saillie du littoral où le fjord communiquant avec le bassin du Mala-
ren vient s'unir à la Baltique est un centre nature! pour toute la Suède :
c'est là que viennent converger, comme à l'essieu d'une roue dont il ne
resterait que la moitié, les rayons que les roules suivies de tout temps
par les colons et les armées forment à travers le pays. De ces voies histo-
riques, la principale est celle (pii ^uit la ilé|>ression des grands lacs, du
Malaren aux bouches du (lôla-elf. l'ar ce chemin, dont Goleborg garde l'ex-
trémité occidentale, Stockholm dispose des poris du Kattegat et même en
hiver, lorsque les rives de la Baltique sont prises par les glaces, elle |)eut
expédier à l'ouest et recevoir par le lihn^ Atlanti([ue ses marchandises el
ses denrées. Enfin la forme même de la Baltiipie assuie à la capitale de la
Suède de précieux avantages comme cité maritime. Lu effet, la mer inté-
rieure forme au larse de la saillie de Stockholm une sorte de carrefour des
■Vouvelle (;f..gVaphi.- ruiv.rsoll.. TAM'IIII
STOCKHOLM
i ENVIRONS.
Harhrtlr et C'T Par
STOCKHOLM. 185
voies maritimes : au nord se prolonge le golfe de Botnie ; au sud, le bassin
principal de la Baltique s'ouvre vers les côtes de l'Allemagne ; au sud-est,
le goll'e de Riga, en partie fermé par des îles, pénètre dans l'intérieur de
la Courlande et de la Livonie, tandis que, directement vers l'est, le golfe
de Finlande s'avance à la rencontre des grands lacs de la Russie'. C'est
par cette voie que la Suède, relativement plus puissante qu'elle ne l'est
aujourd'hui, envoyait dans le Gardarike ses expéditions de guerre : Stock-
holm était située précisément en ftice de son ennemie, et longtemps on a
j)U croire qu'elle aurait la supériorité dans la lutte ; mais à son tour la
Russie a bâti sa capitale à la bouche de la Neva et ses forts avancés dans
l'archipel d'Aland, d'où elle lient le regard fixé sur la côte voisine. Stock-
holm a gardé et développé tous ses avantages commerciaux ; mais l'impor-
tance de sa position comme place stratégique est réduite à néant par
l'immensité des forces d'attaque de la puissance slave.
Slockliolm est l'une des belles cités du monde, surtout par un soir
d'été, quand le soleil couchant dore les façades de ses palais et se reflète
en une longue et toujours frémissante traînée de lumière dans les eaux
rapides du courant. La ville élève ses édifices et développe ses quais sur
tant d'îles et de péninsules, qu'elle présente, suivant le point de vue,
une variété infinie d'aspects ; mais elle reste toujours belle, grâce à l'ho-
rizon de collines et de grands bois, grâce aux longues perspectives des eaux,
peuplées de navires, incessamment sillonnées par les canots, qui vont se
perdre au loin, d'un côté vers la mer, de l'autre vers le lac Mâlaren. Au
centre, l'ancienne cité baigne dans les eaux du détroit et tient deux îlots
attachés à ses rives comme deux barques aux flancs d'un vaisseau ; mais
cette île étroite, où s'élevaient la forteresse et le palais de Birger Jarl, a
depuis longtemps cessé de contenir les habitants de la cité grandissante :
au nord s'étend le vaste quartier de Norrmalm, qui prolonge ses avenues
de plus en plus avant sur la terre ferme et sur l'île de Kungsholm : au
sud, l'autre moitié de la ville, le quartier peu aristocratique de Stidcr-
malni, au-dessous duquel un cliemin de fer passe en tunnel, remplit la
|)lus grande partie d'une île entourée tl'eaux sans profondeur et rejoint
par des ponts les faubourgs extérieurs situés sur le continent. Des viaducs
et de larges chaussées traversent tous les détroits de Stockholm, et même
du côté de la mer, à l'est de la ville proprement dite, des môles rejoignent
à la terre les îlots cpars : quelques-uns des quartiers de la cité suédoise
rappellent la ville merveilleuse des lagunes adriati«pies.
* J. G. Kohi, Die Geographische Larje (1er llaiiphliidle Enropn's.
184 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
L'édifice le plus imposant de Stockholm est le palais royal, énorme cube
d(< pierres élevé précisément à l'endroit où le fondateur de la ville avait
bâti sa forteresse : il renferme plus de huit cents chambres, dont quelques-
unes rappellent des scènes historiques, tandis que d'autres n'ont d'intérêt
que par leurs tableaux et leurs tapisseries ; de la terrasse on peut contem-
pler à ses pieds le port, les îles et la plus grande partie de la ville.
Mon loin du palais s'élève le plus ancien monument de Stockholm, la
Storkyrka ou « Grande Eglise », fondée par Birger Jarl en 1264, mais
souvent réparée depuis : c'est là que sont couronnés les rois de Suède,
l'iiddarholra ou l'île des Chevaliers, qui se rattache du côté de l'ouest à
l'île de la Cité, possède l'autre église royale de Stockholm, toute décorée
d'étendards et de trophées de guerre : là se voient, parmi d'autres tom-
beaux, ceux de Gustave-Adolphe, de Charles XII, et celui de Charles-Jean
Ijernadotte, haut sarcophage de porphyre rouge. Devant cette église se
dresse une lière statue de chevalier représentant le fondateur de Stock-
holm, Birger Jarl. L'îlot de Riddarholm ne renferme pas d'habitations
privées, mais seulement des monuments nationaux. De même la pointe
de la Cité, rattachée maintenant à Norrmalm par le plus beau pont de la
ville, ne porte que des édifices publics, dont le principal est le somptueux
« palais de la Noblesse », Riddarhuset, où se réunissait autrefois l'assem-
blée des nobles. Sur presque toutes les places de la ville s'élèvent des sta-
tues de bronze, représentant pour la plupart des souverains : une d'elles,
entourée de verdure, est l'effigie de Berzelius, qui vécut à Stockholm, y
professa et y mourut.
En face du palais royal, sur une péninsule de Norrraalm qui s'avance
vers Skeppsholmen (l'île des Navires), s'élève le musée national. Ce vaste
ensemble de collections possède quelques remarquables sculptures, surtout
des anlicjues ayant appartenu à Gustave III; il renferme 1500 talileaux,
parmi lesquels ceux des écoles flamande et hollandaise sont les mieux
représentés; mais c'est par les salles de la galerie « préhistorique », con-
sacrées aux âges antérieurs à l'histoire, remplies d'objets classés admira-
blement par M. Ilildebrand, que le nmsée de Stockholm se distingue parmi
ceux d'Euiope. Récemment M. Ilazelius a fondé un musée ethnographique
spécialement Scandinave, qui s'est enrichi en peu d'années par de nom-
breux présents et qui deviendra tôt ou lard un des établissements na-
tionaux les plus imjtortants : tout ce qui a rapport au genre de vie, au
costume, à l'industrie, aux arts des Scandinaves et des Lapons, s'y trouve
rcprésenh'. Le pahuN de l'Académie des sciences renferme aussi un pré-
ciL'ux musée, dont les trésors consistent principalement en objets d'Iiis-
STOCKHOLM. 187
loire naturelle sont ailmirablemont classés : on y remarque surtout le
célèbre bloc de fer, météorique ou terrestre, du poids de W tonnes, rap-
porté de l'île Disco par Nordenskjôld et devenu la cause de tant de discus-
sions entre savants. La bibliothèque de l'Académie est très riche en docu-
ments précieux, et l'on y voit entre autres l'herbier de Linné et toute
l'œuvre manuscrite de Svedenborg; nxiis c'est ailleurs, dans le parc dit
Humlegârdon, au nord de la ville, que se trouve le palais de la biblio-
thèque nationale, construit de manière à pouvoir être indéfiniment agrandi
à mesure que s'accroîtront les richesses : il contient près de 200 000 vo-
lumes, parmi lesquels la traduction latine des quatre Évangélistes connue
sous le nom de Codex aurcus, et la fameuse « Bible du Diable», recueil de
formules, en partie magiques, dont quelques feuillets dateraient du neu-
vième siècle. La bibliothèque possède aussi 8000 manuscrits, des collec-
tions d'autographes historiques et d'autres documents originaux, archives
précieuses, où plusieurs savants, entre autres M. Geffroy et M. Riant, ont
trouvé les éléments d'importantes recherches historiques. Stockholm est
une ville où l'instruction est en grand honneur; ses plus hautes écoles sont
r.Vcadémie des lieaux-arts et l'Académie de musique, d'où sortent d'excel-
lents élèves. L'Université libre, qui se constitue peu à peu, comptait ôiO au-
diteurs des deux sexes eu 1878. Un de ses professeurs de hautes mathéma-
liques est une dame russe, nommée au concours. Madame Kovalevskaya.
L'industrie de Stockholm est très active et comprend des usines de
toute espèce, fonderies, raffineries, filatures, chantiers, et même dans le
voisinage une fabrique de porcelaine et de faïence fine'. Le commerce
est très important" : il suffit, pour s'en faire une idée, de voirie mouve-
miînl du port et les foules qui se portent souvent vers l'énorme édifice
de la gare centrale, située précisément au nord de lliddarliolm, dans le
' Faliriiiucs de Slockholiii oi\ ISSl ; 285 élablissemonls en ntlivilé, occupaut 'J.JIO ouvriers et
cuvrières cl produisant pour uue valeur de 41 000 000 do Iraucs.
- Mouveuient du port de Slockliolni en 1877 :
Cabotage :
Entrées. . 10 4.^2 voilier?:, SIôô bateaux à vnpeiw, soit 18 G07 navires, jaupeanl fl7.î."r>H tonnes.
Sorties. . 11490 - 810J » » - 19 595 » » 952 29') »
Commerce extérieur :
Kntrées. . 1 071 voiliers, 501 bateaux à vapeur, soit 1 575 navires, jau^'oant ri50 505 tonnes.
Sorties. . 957 » 59t'> » » » 1555 i> n 576 249 »
Ensendile il 510 navires, jauffcanl 2 652 405 tonnes.
Dont 17 5()0 lialeaui à vapi'ur, d'un port de 1 752 170 tonnes.
Flotte roininerciale de Slockbohn en 1875 : 254 navires, dont 161 bateaux à vapeur de la force
de 6080 cbcvaux. (En 1881 : 248 navires, jaugeant 27 280 tonnes.)
188 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
quartier de Norrmalm, là où s'étendait naguère le lac de Clarasjo. Une
petite flottille de guerre se tient dans le voisinage des arsenaux et des
chantiers de Skeppsholmen, et dans toutes les criques, le long de tous les
quais, sont amarrés des bateaux de commerce. Mais le port étant fermé
tous les ans par les glaces, pendant une période de trois à cinq mois, on
a songé à l'établissement d'un havre extérieur à Nynàs, sur le littoral
même de la Baltique, que l'on réunirait à la ville par un chemin de fer,
afin d'abréger pour la navigation la période du chômage. Au commen-
cement de l'année 1879, les ingénieurs ont mis la première main à la
construction de quais et d'entrepôts au nord-est de la ville, afin de trans-
former le bras de mer appelé Lilla Wàrtan en un grand port de dépôt pour
les marchandises encombrantes, bois, fers et charbons. Le pont qui tra-
^crse le détroit sera déplacé et reporté plus au nord, en face de Lidingô'.
Stockiiolm ne s'est pas contentée de communiquer avec la mer par les trois
chenaux naturels qui serpentent entre les îles de la côte, elle s'est creusé
aussi à travers une colline le canal sinueux de Sôder Telge ou Sôdertelge,
qui réunit directement le ijord de Himmersjô au principal bassin du lac
Màlaren : ainsi les navires de Stockholm peuvent gagner la mer en cinglant
à l'ouest vers le canal, aussi bien qu'en se laissant porter à l'est par le cou-
rant. En 1879, le port du Miilaren est le point de départ de 97 itinéraires
distincts pour les bateaux à vapeur.
La capitale de la Suède, elle-même si bien située, est environnée de
sites admirables, au milieu desquels s'élèvent les châteaux et les maisons
de plaisance. Déjà tout près de Stockholm, dans l'île du « Parc » ou
Djurgârden, s'élèvent la villa que lit bâtir le sculpteur Bystrôm cl qu'il
enrichit d'œuvres d'art, le pavillon de Rosendal et la tour du Belvédère,
d'où l'on voit à ses pieds le labyrinthe des îles et la ville joyeuse avec
ses « bateaux-mouches » qui s'entrecroisent incessamment en rayant
l'eau dans tous les sens. Au nord sont les châteaux de Haga, d'Ulriksdal,
entourés d'ombrages. A l'ouest sont les îles du Mâlaren, avec leurs ruines
et leurs habitations modernes, leurs bouquets d'arbres et leurs pelouses :
la masse énorme du palais de Drottningsholm se montre sur l'une des
treize cents îles et renferme encore une intéressante collection de tableaux,
quoique privée de ses meilleures toiles, dont s'est emparé le nmsée natio-
nal. IMus à l'ouest, sur un promontoire de la côte méridionale, le château
de (jri|)sholm dresse ses tours rondes qui virent maints drames royaux.
(jii|i^liidni reiirciiiie un musée historique, comparable à celui de Yei-
' CurI Ruseiiber'', iYo/cs manuscrites.
STOCKHOLM, UPSALA. 189
sailles ; mais, comme Drottningshoira, il a dû céder ses meilleurs ta-
bleaux au musée de la capitale.
A l'entrée du Stàket Sund se voient les débris d'une forteresse qui
défendait les approches des deux cités de Sigtnna et d'Upsala, de même
que la forteresse de ^Vaxholm défend maintenant les abords de la ca-
pitale. Au nord, une maison marque la place de l'antique Sigluna oij,
d'après la légende, le chef Sigge se nomma dieu et se lit élever un tem-
ple, le premier de ceux que bâtirent les Svear en pénétrant dans la con-
trée; de l'autre côté du Ijord, sur un promontoire, un village moderne
remplace la deuxième Sigluna, qui était à son tour devenue puissante et
dont « les murs avaient six lieues de circonférence » ; mais elle fut détruite
comme la première, et les pirates, disent les chroniqueurs, enlevèrent ses
portes d'argent. Plus loin vers le nord se montre le château de Skokloster,
inachevé, mais superbe avec ses larges façades et ses quatre tours d'angle,
et renfermant de belles collections d'armes et de livres. Puis le bras du
Ijord, après avoir serpenté sur une longueur de 50 kilomètres, termine
enfln son dernier méandre et l'on voit se dresser au bord de la rivière
Fyris les édifices d'Upsala, qui fut, avant Stockholm, la métropole des
Suédois. Son nom n'est-il pas celui de la « Haute Salle », de la Walhalla
où trônaient les dieux Scandinaves?
Mais la ville actuelle d'Upsala n'est pas celle où siégeait Odin ; elle
n'en était que le marché de commerce, le port d'échanges avec l'étran-
ger. L'ancienne ville, Garala-Upsala, est au nord, dans la plaine, à la
base d'un as ou petite chaîne de collines sableuses. Naguère il ne res-
tait de la « Vieille Upsala » que des cabanes et une petite église repo-
sant, dit-on, sur les subslructions d'un temple où se faisaient des sa-
crifices humains ; mais un village se reforme peu à peu autour de la '
station du chemin de fer, et le paysage a perdu son caractère auguste.
Non loin de l'église s'élèvent trois monticules, remaniés par la main de
l'homme, où, d'après la tradition, seraient ensevelis les dieux Odin, Thor
et Freya. Un autre tertre plus bas, désigné sous le nom de Tingshôg, ser-
vait de tribune aux rois pour haranguer la niullitude. Du sommet des
buttes on aperçoit dans la plaine solitaire des milliers il'autres élévations,
en partie artificielles, dont la plupart recouvrent i)robablement des corps.
Au sommet et sur les pentes de la colline d'Upsala, qui succéda comme
capitale à Gamia-Upsala, se dressent trois des édifices les plus célèbres
de la Suède : le château, l'université, la cathédrale. L'église d'Upsala est.
.-.près celle de Trondbjem, le plus beau monument religieux de l'époque
ogivale qui se trouve en Scandinavie; mais de plus que l'église norvé-
190
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
gienne elle a l'avantage d'avoir gardé sa nef entière, malgré les cinq
incendies qui l'ont dévastée. De loin, ses deux tours, terminées par des
coupoles en forme de tiares, ont un aspect étrange, sans rapport avec l'ar-
p.irErha*d
cliitecture de l'édifice; de piès, la façade, appuyée sur ses quatre puissants
contre-forts, et presque nue, sans ornements, imj)ose par la noble sévé-
rité de ses lignes : elle est probablement telle que l'a conçue rarcbitectc
qui la commença en 1287, le Français Etienne de Bonneuil. Dans l'inté-
UPSALA. i03
rieur de l'église reposent les corps de Gustave Wasa, d'Oxenstjerna, de
Linné, et dans la sacristie on remarque, parmi d'autres objets antiques,
l'idole de Thor. Le chàleau d'Upsala, énorme masse de brique rouge flan-
quée de tours rondes, s'élève au sommet de l'as et domine toute la cité.
Moins ancien que la cathédrale, il rappelle aussi le nom de Gustave Wasa,
qui dressa cette forteresse sur sa colline pour tenir sous le feu de ses ca-
nons le palais de l'archevêque; c'est près de là que fut tenu le célèbre
synode qui supprima tous les biens des églises et des couvents pour les
attribuer à l'Etat, interdisant même le culte catholique, afin que les
« Suédois, devenus un seul homme », n'eussent « qu'un seul Dieu ».
Des terrasses du château on aperçoit la ville dans son ensemble, et
d'un coup d'œil on peut voir qu'elle appartient aux étudiants, carJes plus
grands édifices compris dans le champ de la vue sont des bâtiments uni-
versitaires : en l'absence des « treize nations » ou groupes provinciaux des
élèves, la ville semble morte. La célèbre école, qui fêta son quatre-cen-
tième anniversaire en 1877, doit son nom de Carolina au roi Charles IX
et le surnom de Rediviva à Charles-Jean Bernadotte, qui fit construire le
palais moderne de l'université, destiné à être prochainement remplacé '.
Cet édifice, devenu tout à fait insuffisant pour les collections qu'il pos-
sède, renferme la plus précieuse bibliothèque de la Suède, comprenant
environ 200 000 volumes et 8000 manuscrits, parmi lesquels le plus an-
cien monument des idiomes du Nord, le fameux Codex argenteus ou tra-
duction des Evangiles en langue gothique par Ulfilas. Derrière le château,
à l'est de la ville, s'étend le jardin botanique, où malgré la rigueur du
climat, malgré le vent du nord qui fait rage, se voit, en plein air et dans
les serres, une admirable collection de végétaux, digne du professeur
d'Upsala qui découvrit tant de mystères de la vie des plantes : c'est avec
un véritable attendrissement que l'on reconnaît dans les serres, parmi les
arbres de la zone tempérée et les arbustes médilerranéens, le myrte planté
de la main de Linné. Une belle statue de marbre, par Byslroni, repré-
sentant Linné assis et pensant, s'élève sous la coupole de l'ampliithéàtre
de botaiiiiiue, et le jardin, qui continue les plantations modernes à la base
du château, est resté tel que l'avait disposé le maître. Au sud-est de la
ville, non loin des Mora-Stenor, « Pierres de Mora », érigées dans la
« prairie royale » où les rois étaient élus, la maison de campagne de
Linné, llammarby, est aussi un lieu de pèlerinage pour les botanistes.
• Aiitoiiinc 1877 ; Professeurs lllulaircs, eitrcordinaires, adjoints el agr('gi's, 1 15. Éludianls, l-iS$ :
lliéologic, ÔC8 ; jurisiirudciicc, 1 42 , incJecinc, 180 , philosopliie (philologie, sciences naliirelles), 7U4.
V 25
!M ^■Ol■VELLE GÉOGRAPHIE L'MVERSELLE.
L'endroit de sa naissance, près de Wexiô, dans la Suède méridionale, est
indiqué par un obélisque dominant le chemin de fer de Stockholm à Malmô.
Celsius, le collègue et l'ami de Linné, naquit et mourut à Upsala.
Cette ville possède quelques établissements industriels, et des bains v
utilisent la fontaine jadis sainte dont l'onde intarissable coule, dit la lé-
gende, Icà où fut versé le sang d'Éric, le patron de la Suède. Le làn d'Upsala
possède les grandes richesses minières de Dannemora, village situé dans
une région de forêts et de lacs, au nord-est de son chef-lieu. Les célèbres
gisements de fer, dont tous les produits s'expédient à des industriels de
Birmingham, son.t exploités en carrière, et les mines, dont quelques-unes
ont encore des appellations wallonnes, s'ouvrent à l'air libre comme des
cratères ou des cirques d'effondrement. La carrière principale, d'une forme
elliptique irrégulière de 270 mètres de long sur une soixantaine de mètres
de large, est un abîme de 150 mètres de piofondeur aux parois verticales,
mais offrant çà et là quelques saillies; même un contre-fort de soutène-
ment laissé dans le fond s'arrondit en arche énorme de l'un à l'autre mur.
Du haut des planchers qui s'avancent au-dessus du gouffre on cherche à
distinguer les détails de l'énorme précipice, et souvent le regard se perd
dans une vapeur où le brouillard se mêle aux gaz dégagés par les explo-
sions : la glace et la neige se maintiennent sur le fond de la mine jusque
dans le cœur de l'été et des pendentifs de glaçons contrastent avec la roche
sombre ; mais en automne, et même au commencement de l'hiver, un
reste d'été séjourne dans les profondeurs du puits. Les ouvriers, les uns
montés sur des échelles, les autres suspendus par dès cordages, s'atlaquciit
aux murailles noires du minerai, contenant en moyenne de 40 à 50 pour
100 de métal pur, ou travaillent dans les galeries latérales ou dans les
puits ouverts au fond de la carrière ; à Usterby et dans les autres usines
des environs de Dannemora, la roche extraite' se traite immédiatement,
sans addition de fondant. Quelques propriétaires des mines sont les héri-
tiers d'une vieille corporation de travailleurs, depuis longtemps enrichie,
et composée maintenant en grande partie des jtersonnages considérables de
la contrée.
Outre les deux capitales, Stockholm et Upsala, quelques autres villes
d'une certaine importance communiquent directement avec la mer, grâce
aux fjords du Miilaren. Un de ces fjords, presque à l'exlrémilé occidentale
du lac, baigne les murs de l'antique cité épiscopale de Wesleriis, tandis que
la dernière baie s'avance jusipi'au « Marché » ou Ko])iiig, ancienne rési-
' Troduction de la iiiiiic de Daiiiicmora eu 1881 : ÔG'ilO tonnes.
L'I'SALA, DANXEMORA, ÔREBRO, GEFLE.
ÎDJ
dcncc du chimiste Schoelc. Plus loin, sur la rivière navigable d'Arbogn,
qui longe la base de l'un des escarpements les plus curieux de la Suède,
témoignant d'une brisure du sol, est la ville industrieuse d'Arboga, qui
expédie à Stockholm les céréales de ses plaines, les bois de ses forêts et
les fers importés des mines de Nora, et près de laquelle débouche dans
l'Arboga le canal sorti du lac Hjelmar ou Hjelmaren, tandis que l'émis-
saire naturel passe plus à l'ouest et fait mouvoir les usines d'Eskilstuna,
fournissant Stockholm de meubles, d'outils, de machines. Ôrebro, à la
,rl."ï-
:-^ <^/-0'
pointe occidentale du lac Hjelmaren, est aussi une ville de commerce
très animée, fièrc de son hùlel de ville ogival; grâce à sa position cen-
trale, elle fut jadis souvent clioisie comme lieu de nMiiiion pour hs diètes
et les conciles.
Au nord de Slockliolm se succèdeni plusieurs |>or(s, abrilt'S ]i;ir un
dédale d'ilôts. Elf-karleby, à rembouchiire du iJal-elf, possède la jirinci-
pale pêcherie de saumons qu'il y ail en Suède et envoie le produit de ses
pêches à Stockholm et à l'étranger, surtout en Allemagne. La ville la plus
considérable du littoral est Geflc, d'apparence presque américaine par l'ev-
Irêmc régularité de ses quartiers bâtis sur les deux bords d'inie rivière
canalisée; de sou port s'expédient loiit(s les denrées de la vailir du Dal-
196 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
elf ', surtout les bois, les fers et les cuivres de Dannemora et de Falun, et
dans le voisinaîïe les eaux font mouvoir les machines de fabriques considé-
rables. Falun, noircie par la fumée des usines, s'est élevée dans l'intérieur
des terres, grâce aux gisements de cuivre qui se trouvent dans le voisinage.
Ces gisements, d'une valeur très inégale, puisque certaines parties contien-
nent seulement un deux-centième de métal pur, tandis que d'autres en ont
un cinquième, font la richesse de Falun depuis plus de cinq siècles ; mais
le produit en a considérablement diminué pendant les dernières années :
de même que les mines de Cornouaille en Angleterre, elles ne peuvent plus
soutenir la concurrence des minerais de l'Amérique du Sud et de l'Aus-
tralie. Leur production s'éleva jadis à 5000 tonnes par an ; actuellement
elle est près de dix fois moindre. L'aspect des mines de Falun témoigne de
l'imprévoyance des premiers mineurs. L'entrée ressemble à un cratère de
volcan : c'est un gouffre d'environ 5G0 mètres de long sur 120 mètres de
large, et d'une profondeur de 60 mètres, formé par l'effondrement des
galeries en 1078. Dans le voisinage de Falun, un promontoire de rochers
qui s'avance dans le lac Runnen porte la maison, très vénérée par les
Suédois, dans laquelle Gustave Erichson, qui devint plus tard Gustave I",
trouva un refuge (-outre les Danois en 1520; elle renferme quelques objets
curieux, surtout des armes.
Au nord-ouest de Falun, les bourgs dalécarliens des bords du lac Siljan,
Leksand, Ràttvik, Orsa, Vâmhus, Mora, — qui se souleva le premier à
l'appel de Gustave, — sont les chefs-lieux d'énormes communes où l'on
voit, tous les jours de fête, les paysans débarquer par milliers pour en-
tendre le prêche. Ces villages n'ont pas d'industrie propre : c'est à Stock-
holm que les jeunes gens émigrés du Dalarne vont exercer les métiers d'hor-
logers ou d'artistes en cheveux, vendre des pierres à aiguiser et d'autres
petits objets. Du côté du nord, (Jstersund, située sur les bords du Storsjôii
ou « Grand Lac », est, dans l'intérieur des terres, le dernier groupe d'ha-
bitations qui ait titre de ville; elle a quelque importance comme étape
entre Trondhjem et le golfe de Botnie, et son port est très fréquenté par
les goélettes et les bateaux à vapeur qui vont de l'une à l'autre rive du
lac'. Au delà ne se trouvent que des hameaux et des campements de La-
pons. Celui qu'on visite le plus à cause de ses beaux sites est le « Paradis
de la Laponie », le cirque de Qvikkjokk, que domine à l'ouest la cime
neigeuse du Suliljelnui.
' Mnuvomont du port de Geflp, en 1877 : 2727 navires, jniifre.inl 587 200 tonnes.
' Mouvement du port d'Oslersund en 1877 : 1525 navires, jaugeant 510 4t)7 tonnes.
FALIN, VILLES DE DALÉCARLIE ET DE NORRLAND.
197
Les ports qui se succèdent au nord de Gefle, près des embouchures
des rivières, se resseraljlent tous par leur aspect, leur construction, leur
commerce. Sôderhamn, Hudiksvall, Sundsvall, Hernôsand, Umeâ, Skel-
lefteâ, Piteâ, Luleâ, Râneâ, Neder Kalix', exportent également des bois en
Dessin de BeneJicl, d'après une photographie de M. 0. Wililund.
billes et en planches, des goudrons, et communiquent régulièrement |)ar
des bateaux à vapeur avec Stockholm. La dernière ville, ou plutôt la
emeni dos principaux porls suédois du golfe
de Boln
ie au nord de Cefle,
en 1877
Sodertiamn . . .
2078
navires,
jaugeant
440 954
tonnes.
lliidiksvalL .
. . 916
200 015
Sundsvall. .
4222
578482
llornosand. . .
. 4207
554 610
Lmo.p. .
. 1097
52 782
Skellcfteâ. .
. 548
149954
Pile3
. ."iGO
175 676
Lule3
1507
195 091
Rânc3
. . 200
65 106
111 660
^cde^ Kalii.
558
llnparanda. . .
297
71514
198 NOUVELLE GÉOGRAPUIE UNIVERSELLE.
dernière bourgade, car elle n'a pas même un millier d'habitants, est Hapa-
randa (Haaparanta) ou la « Ville des Trembles », fondée sous le nom de
« Ville du roi Charles-Jean » lors de la cession de Torncâ à la Russie
en 1809. En vertu des traités, cette dernière ville aurait dû continuer
d'appartenir à la Suède, puisqu'elle est située dans une île, plus près de
la rive droite du fleuve que de la rive gauche, et que le courant occi-
dental se dessèche souvent en été; toutefois la Russie est assez puissante
pour interpréter les conventions à son gré. Haparanda ne se trouve pas
encore dans les limites de la zone polaire ; mais c'est de là que partent les
voyageurs pour aller passer sur la montagne d'Avasaxa une « nuit de
la Saint-Jean » constamment éclairée par les rayons du soleil. Plus au
nord-est, sur le territoire russe, séparé seulement de la Suède par le cours
de la Tornea, le village de Pcllo marque l'extrémité septentrionale de l'arc
mesuré par iMaupertuis pour déterminer la ligure de la terre.
Wisby, capitale de Golland, est la seule ville importante des îles suédoises
de la Raltique. C'est une antique cité, que l'on dit avoir été fondée par des
Slaves de la Vineta poméranienne fuyant devant les inondations ; la ville
des émigrants fut bâtie au bord d'une terrasse de rochers en débris, d'où
jaillissent des sources d'eau pure, cause évidente du choix des fugitifs'.
Alliée aux autres cités hanséatiques, Wisby prit rapidement une grande
importance et compta dans ses murs jusqu'à 12 000 bourgeois; en outre,
des milliers d'ouvriers et de marins demeuraient en dehors de l'enceinte.
Les Allemands, fort nombreux, nommaient la moitié du conseil de la cité
et possédaient plusieurs églises, dont la plus belle, fondée par les immi-
grants de Liibeck en 1190, est encore le monument principal de Wisby.
Les environs de cette ville et toute l'ile de Gotland sont le paradis des
archéologues, et l'on ne cesse d'y foire des trouvailles qui enrichissent le
musée de Stockholm et d'autres collections. Les droits maritimes de Wisby
étaient le code des marins du Nord, comme ceux d'Oleron, dont ils sont
partiellement dérivés, l'étaient pour les marins de l'Occident. Longtemps
la capitale de Gotland garda son indépendance républicaine; mais en 1501
le roi de Danemark Waldemar 111 en détruisit le château, ruina ses églises,
emporta ses richesses. Des murs brisés, des églises dont il ne reste que
les voûtes ou les piliers, des fragments admirables d'architecture normande
ou ogivale, ra|)p('llent ce désastre, dont la ville ne s'est point complète-
' Koilcrick Mmclilson. Qiiartcriii Joiiriiiit of Ihe Geai. Soc. of Loniloii, vol. III, 18 SG.
IIAPARA.NDA, WISBY. 109
ment relevée. Cependant son port, qni peut rece\oir des navires d'un tirant
d'eau de 5 mètres, fait encore un commerce considérable', ses marins se
livrent à la pèche, et ses plages attirent en été des milliers de baigneurs
du continent voisin'. Un chemin de (er traverse l'île, de Wisby à un vil-
lage voisin de la côte du sud-est.
XII
La population de la Scandinavie, régulièrement recensée depuis 17^1,
s'accroît rapidement ; depuis le commencement du siècle elle a plus que
doublé en Norvège, presque doublé en Suède'; depuis 1870, le nombre des
habitants n'a cessé d'augmenter dans tous les làn suédois, même dans l'ile
de Gotland, qui envoie sur la grande terre presque tout l'excédent de sa po-
pulation. Tandis que la période du doublement de la population est d'en-
viron 62 ans dans le royaume occidental, elle est de près de 72 ans dans
celui de l'est'. La principale cause de l'accroissement annuel est l'excédent
' Mouvemeiil des ports de GotlanJ en 1876 : Entrées, 767 navires; sorties, 79') nav
1ÛG5 navires. — Mouvement total du port de Wisby en 1877: 846 navires, jaugeant 159
- Villes de la Suède ayant jilus de 4500 habitants au 51 décembre 1882 :
Slocidiolm (1885) 190 850 bab.
Gôteborg 81 200 ii
Malmô. . . 40 500 'i
Norrk6|iing. 27 500 »
Gefle
Carlskrona
Jonkoping
Upsala. ........
Lund
Ilelsingborg
Ôrcbro
Kabnar
Landskrona
Christianstad ....
Linkôping
Suiidsvall
Halmslad
Ëlskilstrina
19 00(1
1S700
17 875
10 850
14 400
12 480
12 150
1 1 525
10 220
9 400
9 400
9 .500
8 700
8 525
Soderlianin
Carislad . .
Falun . . .
Uddevalla. .
Yslad. .
Visby. . . .
(^rlsbanm. .
VVestervik.
Vesteras. .
Hernosand. .
Oskarsbanifi.
Vexiô . . .
Vencrsboig .
lioras. . . .
Kristinehaniii
Nykdping. .
Sala. . .
LidkiipiiiL'. .
ires, total :
027 tonnes.
8 520 hab.
7 800 11
7 425 .,
: 175 ■.
7 100 (.
ti 750 il
(i 500 n
t; 450 »
6 500 ..
5 575 ))
5 450 11
5 550 I)
5 250 I.
5 100 X
5 075 1.
5 050 )i
4 875 I)
4 780 I»
' Population des deux Élats de la péninsule Scandinave à différenles rpoques :
Norvège. S,„,l,..
1800 880 000 bab. 2 547 0i'0 liab.
1876 1804000 » .\ccr. : 112 p. 100 4429700 .. Ac<t. : 89 p. 100
1884 (probable). 1988000 » » 120 » 4586 1 OU » d 95 »
0. i. Broch, Le royaume de Norvège cl le peuple norvàgien.
200 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
des naissances sur les morts' ; mais la plus longue durée de la vie moyenne
est aussi une autre cause de l'augmentation des habitants. Ainsi la propor-
tion de la mortalité en Suède, qui était de 27 à 28 pour 1000 pendant la
dernière moitié du dix-huitième siècle, n'était plus que de 18,2 pour 1000
pendant la période qui s'est écoulée de 1871 à 1881. En Norvège, létaux
de la mortalité est moindre encore : sans les mort-nés, il n'est que de
17,1 sur 1000 habitants; c'est la plus faible proportion que présente
un pays d'Europe; on meurt presque deux fois moins en Norvège qu'en
Russie. De tous les pays du continent, c'est celui qui a le bonheur de
perdre le moindre nombre d'enfants en bas âge. Tandis qu'en dehors de
la Scandinavie le quart des enfants périt avant d'arriver à l'âge de cinq
ans, c'est vers dix-huit ans seulement que la jeune génération norvégienne
se trouve réduite aux trois quarts". Dans la Norvège même, le pays le plus
salubre est, d'après Broch, le Guldbrandsdalen, au nord du lac Mjôsen.
11 y a certainement en Scandinavie une amélioration de la race, contras-
tant de la manière la plus heureuse avec la détérioration qui se produit
en d'autres contrées, surtout par l'effet de la « sélection militaire ». Les
mesures auxquelles ont été soumis les conscrits de la milice suédoise oi.t
établi ce fait remarquable, que leur taille s'est accrue de 18 millimètres
pendant les trente-cinq dernières années".
Les deux Etats de la péninsule ayant joui d'une paix profonde depuis
1815, les seules causes de retard dans l'accroissement de la population
ont été les mauvaises récoltes et les crises générales du commerce et de
l'industrie. En 1868 et 1869, il y eut même une légère diminution dans le
nombre des habitants, non que le chiffre des morts eût dépassé celui des
naissances, mais la proportion des émigrants s'accrut soudain, et quelques
districts se trouvèrent presque dépeuplés. On vit alors jus(ju'à 200 per-
sonnes quitter le port de Goteborg pour l'Angleterre et l'Amérique en une
seule semaine; en outre, un grand mouvement d'émigration se portait
Nalalito anniiolli
Norv
•jo (18-1-1880)
52 775
52 508
Suéde (ISSii
154 500
79 4fl0
Péninsule.
187 075
Mortalité n
1 1 1 708
Delgica
II.
Excellent .
' Ad. Quélelet, Patria
20 407
5i90U
75 3(i7
Survivants à cinq ans pour 1000 naissances.
Norvèpn 811
Suède 7()8
Angleteno 757
Suisse 720
' Elis S!(!eiiljl;idh, Rnjaumc de Suide, 1878.
Belgique 72.>
France 710
Hollande 68!»
Bavière. ... àOU
POPULATION DE LA SCANDINAVIE. 201
vers le Nouveau Monde par les ports du continent d'Europe. En 1800, pins
de 57 000 personnes quittèrent les deux États de la péninsule, soit, pour
cette seule année, la huitième partie de tous les Scandinaves ayant émi-
gré depuis le milieu du siècle ' ; même les Lapons, parmi lesquels se trou-
vait une famille de pasteurs de rennes, obéirent à l'entraînement général
pour se rendre en Amérique'; en 1870 l'expatriation se ralentissait ;
mais dans ces derniers temps, le nombre des émigrants des deux royaumes,
Suède et Norvège, est redevenu très considérable pour un pavs si faible-
ment peuplé: il dépasse 70000 par an. De ce nombre, ce sont les popu-
lations maritimes qui ont toujours envoyé à l'étranger la plus forte part
proportionnelle de colons. Les Scandinaves des États-Unis habitent surtout
les régions septentrionales de la république américaine , l'illinois, le Wis-
consin, le Minnesota, l'Iowa ; plusieurs gros villages de ces Etats sont en-
tièrement pei plés de Norvégiens ou de Suédois. Quant à la colonie fondée
par eux en lt58 sur les bords du Delaware, cette nouvelle Suède, Nija Sce-
rige, avait été cédée à la Hollande dès l'année 1655, puis avec les autres
possessions néerlandaises, elle devint une colonie de l'Angleterre : rien, si
ce n'est un nom, n'y rappelle le séjour des Scandinaves.
L'immigration, assez faible, est loin de compenser en Scandinavie le
mouvement de sortie des habitants. Elle consiste d'ailleurs pour une grande
part en anciens colons ou fils de colons revenus d'Amérique : c'est par
centaines seulement que l'on compte les autres immigrants, surtout Danois
et Allemands. Quelques Anglais s'établissent aussi dans les villes maritimes
de la Norvège et h Gôteborg. En 1 88 1 , le nombre des étrangers qui ont immi-
gré en Suède a été de 2957 individus ; quant au nombre de ceux qui ont
obtenu l'indigénat suédois il s'est élevé seulement à 70 personnes. Dans les
régions du nord de la péninsule, les espaces déserts se peuplent aussi
graduellement de Finlandais immigrés ; mais le nombre des Scandinaves
qui se portent du midi vers ces contrées est bien supérieur : mémo
en Laponie, ils sont devenus maintenant la population prépondérante.
En 1845, les Norségiens de Tromsô et du Finmark n'étaient que
16 500; en 1805, ils avaient triplé, quintuplé en 1875.
D'une manière générale, la densité de la population est proportionnelle
à la lempératuie moyenne : les hommes augmentent en raison de l'éloi-
gnement du pôle et de la moindre élévation du sol; mais, en outre, l'appel
du commerce attire les habitants dans quelques districts privilégiés : sur les
' Émigrants norvégiens (le 1856 à 1882. d'après Brocti 289 200
)i suédois àei8j\ àl&H-i,d'apvkiUSvciigcsofficialaStiUiiliiikfiiUk,ifl 585 780
» Torcll et Nordenskjôld, Schwedischc Expeditionen nach SpUzbcrgcn.
V. 20
202
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Lords du Sund, en foce de Copenliague, la population est proporlionnelle-
mcnt plus considérable qu'elle ne l'est en France. Quelques campagnes de
la Scanie, de Blekinge, de Halland, sont depuis si longtemps peuplées et en
IM:\.«1TE IlE H POPrLATIOX SCANDINAVE EX IST
□
Le uomht'O ilcs i
ttlilO AlOtSO Jt20m40 JfiOtSO j,6Ciaû itSOêiSV
habitent» par iiloftétre carre
csl proportionnel à la population, d'aprùs In iiirtliode .Minnrd.
1 : leoooooo
cullurc qu'elles sdiil ((iiiipK'Ieini'iil dt'harrassées de leurs blocs erratiques :
partout le sol végétal s'étend en couche continue.
De même (pie dans tous les pays civilisés, b^ nombre des habitants
s'accroît plus rapidement dans les villes ijue dans les districts ruraux
de la Scandinavie, siirloiit en .Norvège. Dans ce dernier jiays, l'augmenta-
POPULATION, AGRICULTURE DE LA SCANDINAVIE. 205
tion des habitants porte exclusivement sur les zones industrielles, mari-
times et de pèche; les habitants des contrées d'agriculture et de pâturage
ont diminué, ceux des régions forestières maintenant à peu près leur force
numérique'. Les villes norvégiennes, vers lesquelles se porte presque tout
l'excédent de population, n'avaient en 1665 que 8 pour 100 des habitants;
elles en avaient plus de 18 pour 100 en 1875 : encombrées de matériaux
de construction, elles semblent être nées d'hier, tant on y voit de maisons
neuves. En Suède, la proportion des citadins aux ruraux est seulement de
16 à 84. Ce royaume étant beaucoup plus riche que la Norvège en terri-
toire agricole a pu garder aussi dans ses campagnes une population rela-
tivement plus forte.
L'agriculture Scandinave, très en progrès depuis le milieu du siècle,
voit s'ouvrir devant elle une longue perspective d'améliorations prochaines,
grâce à l'étendue considérable du territoire improductif qui peut être
encore soumis à la culture. Il est vrai que la plus grande partie de la
péninsule est impropre au travail de la charrue. Des lacs, des rochers,
des amas de pierres, des névés et des glaciers recouvrent de vastes espaces,
et dans les régions septentrionales le climat est trop rude pour que
l'homme ne soit pas obligé de laisser à la terre, si ce n'est en quelques
endroits bien abrités, ses productions naturelles d'arbres, de broussailles
ou d'herbes à croissance spontanée. Tandis que les cultures propre-
ment dites s'étendent sur près de la moitié du territoire danois, elles ne
couvrent en Suède qu'une superficie d'un quinzième, en diminuant gra-
duellement du sud au nord, de la province de Malmo, où elles occupent
plus des deux tiers du territoire, aux solitudes de la Laponie, oii quelques
petits champs dans les clairières sont les seules complètes de l'agriculture.
En Norvège, la zone du territoire cultivable est si étroite, que le sol labouré
ne représente pas même le centième de la superficie du royaume*. Mais
sur les deux versants des Alpes Scandinaves l'accroissement du domaine;
agricole se fait aux dépens des toiirbièroset des bois. Tandis qu'en 1865 la
superficie des terres arables n'était évaluée qu'à 2 554 000 hectares, elle
en occupait 2920000 quinze années plus lard : l'augmentation des cul-
tures nouvelles avait donc été de 586000 hectares, soit de près de iOOOO
par an. Une part considérable des terres conquises l'a été directement sur
' 0. J. Urncli, Le royaume rie Norvège el le peuple noncgien.
• Sclliibcler, Pflanzenwelt IS'orweyrns.
20*
NOUVELLE GEOGUAPHIE UNIVERSELLE.
— PnOPORTIOX COM(*AI;tE DU TEnRlTOIRE AGRICOLE
EX >'ORVÈGE, E.V SUÈDE ET EN DASEMARK,
les eaux des marécages ou des lacs : c'est ainsi que, de 1841 à 1876, le
gouvernement suédois a contribué par des subsides au dessèchement de
198 000 hectares inondés; en outre, de vastes espaces ont été repris sur
l'eau par les particuliers, sans
l'intervention de l'État. De même,
les Norvégiens augmentent cha-
que année leurf faible territoire
agricole de plusieurs milliers
d'hectares conquis sur les ma-
rais et sur les fjords'. Dans tou-
tes les hautes vallées de la Scan-
dinavie, dans toutes les plaines
éloignées de la mer, des colonies
d'agriculteurs procèdent graduel-
lement à la transformation du
sol. Ainsi, dans la Suède centrale,
la province de Smâland a tiré son
nom des « petits » cultivateurs
qui en ont colonisé les forêts jadis
solitaires : gagnant de proche en
proche sur le désert des rochers
et des bois, les intrépides pion-
niers ont couvert la contrée de pe-
tites oasis de cultures, où ils res-
tèrent longtemps presque ignorés
du reste de la Suède et dans une
indépendance toute républicaine".
L'agriculture primitive de la contrée ne connaissait d'autre métliode
que celle des « brûlis » : on incendiait une partie de la forêt ou de la
tourbière, et la semence était jetée dans les cendres. En quelques lares
Frisch, Mitiheilmigen von Petermann, XI, 1800.
Superficie du territoire agricole de la Scandinavie :
Norvi-cc.
Céréales et farineux 213 000 hectares.
Cultures potagères et industrielles. 2 000 n
Prairies artificielles 400 000 »
» naturelles. . . ... 000000 »
Bois et forcU 7 500 000 «
Jachères et terres incultei. . . . 22 620 000 »
Suède.
1 ;.7S 100 hectares.
Si 000 »
710 100 ..
1 !l l.") 500 »
17 114 000 II
19 207 000 II
{Slatisitd Tidskrift, 1885.)
AGRICULTURE DE LA SCANDINAVIE. 205
districts de l'intérieur cette méthode rudimentaire des anciens Lapons est
encore usitée; mais, dans son ensemble, l'agriculture suédoise est une de
celles qui se distinguent par une bonne rotation des assolements, l'em-
ploi régulier des amendements et des engrais, le judicieux usage des
machines. La Suède, qui au siècle dernier devait importer des céréales
étrangères', produit plus de céréales qu'il ne lui en faut pour sa consom-
mation, pour l'entretien des animaux domestiques et pour la fabrication
des eaux-de-vie ; elle en exporte des quantités considérables, mais elle doit
importer, en moindres proportions, des farines de seigle et de froment.
Ouant à la Norvège, ses champs, jouissant de plus de chaleur et d'humi-
dité, produisent à surface égale plus que ceux de la Suède; mais ils sont
trop peu étendus pour nourrir toute la population : on évalue à un tiers de
sa consommation annuelle les produits du sol que la Norvège doit im-
porter de l'étranger. Même la froide Russie du Nord lui envoie des farines
par le port d'Arkhangelsk.
L'élève du bétail a fait dans ces dernières années des progrès correspon-
dants à ceux de l'agriculture proprement dite : non que les animaux aient
augmenté en nombre, mais, beaucoup mieux soignés, ils donnent plus
de bénéfices à leurs propriétaires. La Grande-Bretagne, qui ne cesse de
chercher autour d'elle des lieux de production pour alimenter ses mar-
chés, s'est adressée depuis longtemps à la Suède, et celle-ci lui envoie
des bestiaux vivants, du beurre, des œufs, principalement par le port
de Gôteborg. Cependant les deux royaumes de la péninsule, surtout la
Suède, sont très inférieurs au Danemark pour l'importance de leurs trou-
peaux : le sol ne s'y prête pas autant à la production des foins". Les
races indigènes ont été presque partout modifiées par les croisements.
Dans les hautes vallées du Kjôlen et sur le littoral norvégien se maintient
encore une « race des montagnes », sans beauté, petite, dépourvue de
cornes, mais d'une sobriété remarquable : elle se contente de tous les
fourrages et l'on a même pu, en diverses parties de la Norvège, la mettre
au régime du poisson. Les moutons des bruyères, petits, anguleux, cou-
verts d'une laine grossière, n'ayant que du poil aux jambes, à la tète et
• Ljunghorg. La Suède, trad. par L. de Lillieliùuk.
' Animaux doracsliqiies de la Scandinavie :
Nor»i-gc CD 18"G. Suùclc en 18S1.
Chevaux. l")8 noo 4.")9 500
Bœufs cl vach- - 10l()tll7 2 227 757
Muutons 1 1)8(1 ~t{W i 457 402
Chèvres ."j22 800 107 005
Porcs loi 020 419 1117
Rennes (m 1875) 101708 200 000
206 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
quelquefois à la queue, sont d'une force d'endurance extraordinaire : le
long des côtes de Stavanger et, jilus au nord, dans toutes les îles»du litto-
ral, on en laisse des troupeaux pendant l'hiver sous les vents, les pluies
et les neiges, et ces animaux, se nourrissant de bruyères et d'algues
marines, parviennent à gagner le printemps sans mourir. L'île de Gotland
possède aussi une race particulière de chevaux, ardents ponies à demi
sauvages, qui passent presque toute l'année en plein air.
On sait combien grande est l'importance des forêts dans l'économie
rurale de la Scandinavie : en effet, l'exportation des bois représente la
moitié des ventes totales de la Suède ; les poutres, les planches, les tra-
verses, les étais de raines sont expédiés des ports du golfe de Botnie, de
Gôteborg, au Brésil, au Cap de Bonne-Espérance, en Australie, jusque dans
la Nouvelle-Zélande ; mais plus de la moitié de cette exportation se dirige
sur l'Angleterre. Les ventes de bois faites par les Scandinaves représentent
chaque année une somme qui dépasse 250 millions de francs ; les Suédois
en vendent pour i50. Malgré l'imjjortance de l'industrie des bois, on
n'a pourtant pas donné à la sylviculture proprement dite l'attention qu'elle
mérite ; on s'est borné à l'exploitation des forêts naturelles. C'est loin des
endroits habités que se font les coupes les plus considérables : les bûche-
rons, tenus pour la plupart dans une sorte d'esclavage par les marchands
qui leur ont fait à gros intérêts les avances nécessaires, doivent se bâtir
des huttes provisoires pour y jiasser la saison du froid et de l'obscurité,
qui est celle du travail excessif; quant aux chevaux, ils restent sans abri,
garantis seulement par des couvertures de laine. Les billes, marquées à
la hache, sont traînées sur la neige jusqu'au bord des rivières, où elles
flottent de cascade en cascade et de lac en lac, jusqu'à l'usine qui doit
les débiter en poutres et en planches. Dans plusieurs districts de l'inté-
rieur, le lit des rivières et le fond des lacs sont complètement couverts de
troncs d'arbres qui, n'ayant pu faire leur voyage entier de flottaison dans
une seule année, se sont desséchés en été sur les grèves, puis, imprégnés
d'eau pendant les crues, n'ont pu continuer de flotter à la surface'. En
desséchant certains lacs, on trouve les alliivions du fond mêlées à plu-
sieurs couches superposées d'arbres pourris.
On peut évaluer à i millions de personnes, soit à près des deux tiers de
la p()|)ulation Scandinave, ceux qui vivent de la culture du sol et de l'exploi-
tatidii directe de ses iiroduils. Les petits piopriétaires forment une assez
grande proportion des lialiiliiiils des campagnes, et la plupail des fei'Uiiers
' 0. J. Fiai'h Le roijaiime de yorvcge et le peuple twrecijien.
RÉGIME nS LA PROPRIÉTÉ EN SCANDINAVIE. 200
ciillivenl loiir domaine temporaire sous la garantie de coutumes tradition-
nelles qui leur donnent une réelle indépendance. Les paysans norvégiens, de
même que ceux de la Suède, ont toujours conservé le droit de choisir leur
demeure et d'acquérir des tenues ; ils n'étaient point serfs comme ceux
de la plus grande partie de l'Europe, et les lois du Danemark, qui ohli*-
geaient le paysan à rester au lieu de sa naissance jusqu'à sa (pianm-
ticme année, ne furent jamais en vigueur au nord du Skagcr Rak. Les
propriétés communes étaient et sont encore fort nombreuses en Scandi-
navie ; les terrains non cultivés, les pâturages des montagnes et les forêts
appartenaient, pour la plupart, à plusieurs chefs de famille, à toute une
paroisse ou même à plusieurs d'entre elles. En maints endroits aussi,
l'ancienne propriété collective avait été remplacée par la distribution régu-
lière des terres entre les divers communiers pendant un certain nombre
d'années : chaque part était attribuée successivement à tous les sociétaires.
Ailleurs, la propriété était divisée d'une manière inégale, en vertu d'usages
et de traditions ayant reçu force de loi. La plupart des forêts étaient répar-
ties d'après les différentes sortes d'arbres : un d'eux possédait les pins, un
deuxième les sapins, un autre encore avait les bouleaux, l'herbe que brou-
taient les bètes appartenait à un quatrième, tandis que le sol même était
attribué à un possesseur distinct. Maintenant, une loi de la Norvège défend
de diviser la forêt entre deux propriétaires, dont l'un, maître du sol, et
l'autre, maître des arbres, deviendraient forcément ennemis. Le régime de
la propriété commune s'amoindrit sans cesse au profit des propriétés par-
ticulières : cependant, en 1876, près de la septième partie du sol de la Nor-
vège se composait encore de terres possédées en communauté, et m("'me
dans les départements de l'ouest, entre Lindcsnaîs et h,' fjord de Trondhjem,
la moyenne de ces propriétés occupait les trois dixièmes de la contriV.
Les propriétaires norvégiens ont conservé l'ancien odehrcl ou droit
« allodial » de rentrer en possession d'une propriété rurale vendue; mais
la somme à payer est fixée non par le j)remier prix de vente, mais a|)rès
nouvelle estimation : d'ailleurs, Vodelsret n'appartient qu'aux familK's
ayant joui de la propriété au moins pendant vingt années, et ce droit est
perdu quand la propriété a déjà changé de mains depuis trois ans. L'héri-
tage, jadis différent pour les fils et \)ouv les (illes, dont la part n'était
jamais que de moitié, est maintenant égal pour les deux sexes, et le testa-
teur ne peut disposer, en dehors de sa descendance directe, que d'un ipiart
do sa propriété.
Il résulte de cette dernière disposition légale que les terres sont très
divisées. Si l'on ne tient pas compte des petites parcelles de terrain si-
5flO NOLVELLE GÉOGRAPHIE UMVEP.SELLE.
tuées dans les villes et ne servant qu'à la culture de fleurs et de légumes
autour des maisons d'habitation, les domaines de culture proprement dits
sont au nombre d'environ 450 000 dans toule la Scandinavie, 500 000 en
Suède, 150 000 en Norvège. La tendance naturelle de la population Scan-
dinave serait d'accroître continuellement le nombre des parcelles, chaque
paysan désirant devenir son propre maître et posséder son maiital ou son
« hommée » de sol, mais la loi est intervenue pour empêcher le morcel-
lement à outrance de la contrée ; en Suède, elle interdit le partage de la
terre quand la fraction en devient insuffisante à faire vivre de son pro-
duit un ménage de trois personnes au moins. Dès l'année 1827, une loi,
qui depuis a été copiée en Allemagne et en Autriche-Hongrie, permettait
au propriétaire de plusieurs parcelles de réclamer une distribution nou-
velle du sol, en vue du groupement de tous les fragments épars : ainsi les
domaines ont pu s'arrondir au profit de l'agriculture'. En moyenne, ces
])ropriétés ne sont pas de grande étendue; la Scandinavie n'a pas, comme
la Grande-Bretagne et comme l'Irlande, de ces possessions qui sont des pro-
vinces', si ce n'est pourtant dans le Norrland, où le négociant Dickson,
de Gôteborg, pourrait parcourir ses domaines pendant des journées entières
sans en atteindre les limites.
Les fermiers, moins nombreux que les propriétaires', sont presque tous
protégés par de longs baux ; mais ceux d'entre eux que l'on nomme hustnàn
ou torpare n'acquittent pas leur bail en argent, ils le payent en travaux sur
les terrains du maître ou bien en services dans les forêts ou dans les
mines. Il en est aussi qui sont propriétaires pour une parcelle de terrain
et fermiers pour une autre ; beaucoup aussi sont forcés par leur situa-
tion précaire de trouver un moyen secondaire d'existence : ils se font
artisans, bûcherons ou pêcheurs.
On sait quelle est l'importance de la pêche en Scandinavie, notamment
en Norvège : la richesse de la mer en poissons, bien plus que la fertilité
du sol, a peuplé les contrées du littoral, et de nos jours encore, les
districts du Nord, en Finmaiken et en Nordland, seraient coniplètement
' C. E. Ljiingberg, La Suéde, Irnd. par Lillicliôôk.
- Prnpriélaires suédois possédant moins de 2 lieclares 68 000
de 2 à 20 » 170000
de 20 à 100 » 24r>00
« » plus de 100 .■ 2800
* Prnpriélaires en Norvège en 1805. . 8."i pour 100. En Surdo. . 02 pour 100.
Fermiers r » , . lô » • . . ."i8 »
AGRICULTURE, PÊCHERIES DE LA SCANDINAVIE.
211
déserts si des bancs do poissons n'attiraient les flottilles des pêcheurs.
Les morues et les harengs, nous l'avons vu, sont les principaux tré-
sors que la mer tient en réserve pour les riverains de la Norvège. Aux
Lofoten et dans le Finmarken, la pèche de la morne occupe plus de 8000
bateaux, montés par 55 000 hommes environ ', dont un tiers peut-être
sont destinés à mourir dans les flots, et l'on prend plus de 40 millions
de ces poissons pendant une bonne saison de pèche, comme celle de l'an-
née 1877 -. L'îlot de Skraaven, dans le Vest-fjord, les parages de Hennings-
vâr surtout, sont les lieux de pêcherie les plus animés, et mainte grève
\^ 17. l'ÈCIIF-RIES DU VEPT-FJOnD.
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de P50 à 500 de 500aj de/à
1 153" non
50 kil.
d'écueii y devient temporairement une véritable usine. Tout sert dans cet
animal que l'on capture en si prodigieuses quantités : naguère, les pêcheurs
des Lofoten n'utilisaient la morue que pour en extraire le foie et en faire
cette huile qui a pris une importance de premier ordre dans la médication
moderne; après l'opération, ils rejetaient le reste de l'animal; mais actuel-
lement, connaissant mieux la valeur du poisson, ils l'expédient directement
' I87Ô. l'ècherics du Finmniken 4272 bateaux. 15 510 hommes.
des Lofoten -4271 » 17 202 »
■ l'cchc de la morue sur les cotes de la Norvège en 1S77 :
District dos Lofoten 2!» .-.On 0(10 morues.
r. du Finmarken 17.v..i00n ,.
Autres districts 8 000 000
212 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
à rélranyer ou réchangcnt avec les traitants russes pour de la farine et des
étoffes; le résidu qu'ils obtiennent après l'extraction de l'huile de foie est
expédié à Trondhjem, où il est considéré comme le plus puissant des en-
grais; la vessie natatoire est envoyée à la Havane pour y être mangée ou
pour y servir à la fabrication de la colle; la chair desséchée est réduite
en une espèce de farine dont on fait d'excellents pâtés ; enfin la rogue,
c'est-à-dire les œufs de poisson salés, est employée comme appât, et jadis
était surtout vendue en France aux pécheurs de sardine; seulement elle a
beaucoup perdu de sa valeur marchande dans ces dernières années, depuis
qu'on emploie de préférence la rogue artificielle. Suivant la préparation
qu'on lui fait subir, la morue ou cabillaud prend les noms de stockfisk,
klepfisk, tôrfisk, runddsk ou rôdskjaer : chacune des nations commerçantes
que les négociants de Bergen approvisionnent de morues a sa préparation
préférée. Avant 1857, des privilégiés avaient seuls droit à la pèche. La
mer était fictivement divisée entre des propriétaires riverains qui grou-
paient de distance en distance dans les îles et sur les promontoires des
colonies de pécheurs, et se faisaient payer par eux une redevance. Mainte-
nant la mer est libre, si ce n'est le dimanche : toute pèche est interdite du
samedi soir au dimanche soir, de cinq heures à cinq heures '.
La pêche du hareng, moins sûre que celle de la morue, ne lui cède
guère en importance. L'ensemble de cette pèche s'élève en Norvège dans
les bonnes années à un million de barils, soit à ÔOO millions de harengs,
dont le tiers environ est expédié en Russie. Pour ce pays, le hareng est
encaqué dans des barils de sapin, le goût résineux de ce bois étant fort
apprécié par les Russes ; pour les autres contrées, les barils sont en bois
de hêtre. Sur les côtes de Norvège, deux pèches se succèdent : la pre-
mière, en été et en automne, quand le poisson s'approche du littoral à la
recherche des crevettes, des mollusques, des annélides, qui composent sa
nourriture ; la deuxième, ou pêche d'hiver, de la fin de janvier au mois
de mars, à l'époque du frai, quand le hareng voyage en bancs énormes ;
mais celle dernière pèche a toujours été variable, et souvent les marins
cherchent vainement le poisson, tandis qu'en d'autres occasions les filets,
trop remplis, se rompent sous le poids. D'ordinaire, les pêcheurs qui
montent les embarcations en sont les propriétaires associés et se partagent
les bénéfices, le chef de la pèche ou notebns (maître de lilet) ayant la plus
grosse part comme possesseur principal. Des villajics temporaires se fon-
dent sur les rivages voisins, des stations de poste et de télégraphe s'y
- [irucli, Le royaume de i\orvcge cl te peuple norvcijicn.
PÊCHERIES DE LA NORVÈGE. 213
élèvent, et l'on y construit des appontements pour les bateaux à vapeur'.
En Suède, la pêche du hareng est celle qui a le plus de valeur dans
l'économie de la contrée ; toutefois elle ne suffit pas à nourrir les habi-
tants, qui doivent importer des harengs de la Norvège. On évalue à
200 000 hectolitres en moyenne, représentant un peu plus de 4 millions
de francs, toute la pêche du hareng sur les côtes baltiques de la Suède;
mais il f^iut eu outre tenir compte des pèches du Bohuslân, au nord de
Goteborg, souvent médiocres, parfois très abondantes.
Après la morue et le hareng, les pêcheurs Scandinaves poursuivent
encore d'autres poissons, qui servent pour une part notable à leur ali-
mentation et au commerce de leurs ports. En moyenne, les marins nor-
végiens pèchent de 7 cà 8 millions de maquereaux, ayant une valeur d'un
million de francs. Le saumon, qui remonte dans presque toutes les rivières
de la péninsule, est pris en très grandes quantités au pied des cataractes,
qu'il essaie de franchir en s'élançant à coups de queue de rapide en rapide.
Dans certains cours d'eau du littoral de l'ouest les saumons ne sont pas
moins appréciés que ceux de l'Ecosse : d'ailleurs, une part très considé-
rable de cette pèche est destinée à l'Angleterre et à l'Allemagne, et plu-
sieurs torrents de la Norvège du Nord sont affermés à de riches Anglais
qui viennent passer la belle saison dans la contrée. Naguère, les pêcheurs
norvégiens s'attaquaient aussi au squale pèlerin, le plus grand des pois-
sons qui habitent les mers de Norvège, puisqu'il a de 12 à 15 mètres de
long, et que le foie, la seule partie de son corps recherchée par le pêcheur,
donne jusqu'cà 7 hectolitres d'huile. Mais cette espèce de squale, fuyant
comme la baleine devant les pêcheurs, a presque entièrement disparu des
côtes de la Norvège, et l'on ne poursuit plus maintenant, principalement
dans les eaux du Finmarken, que le hâkjerring (sctjmmis borealls) et un
autre requin. Les navires appartenant aux armateurs de Tônsberg (|uil-
tent le golfe de Christiania pour aller dans les mers boréales pêcher le
phoque^ et le puissant rorqual, que des canons tuent de loin en lançant
' Pêche du hareng d'hiver en .Norvège :
Année 1869 (bonne). Année 1871 (mauvaise).
Nombre des balcaux de pêche 2 630 3163
» des pêcheurs 15 001 18 056
Pêche en hectolitres 945 200 101250
Valeur du poisson sur la grève 4 583 000 francs. 1 il? 000 fraucs.
Pêche de hareni^s de toute espèce, en hectolitres (1871). . . 1 214 800
Valeur sur place 8183 500 francs.
' Chasse aux phoques par les marins de la Norvège on ISTl :
Phoques lues, 90 575; vuleur, 1000 000 francs.
2t4 NOUVELLE GÉOGUAPHIE UNIVERSELLE.
dos harpons munis île balles explosibles. El tandis que les marins entre-
prenants vont chercher de nouvelles proies dans les mers lointaines, des
pêcheurs s'occupent dans la péninsule même de repeupler des lacs et des
rivières, dont les habitants naturels avaient été exterminés. Un établisse-
ment de pisciculture a été fondé à Ilernosand, sur les bords du golfe de
Botnie, et des parcs d'kuîtres ont été établis çà et là sur les côtes de Nor-
vège'. Les baies terminales de quelques fjords, disposées naturellement en
forme de réservoirs, ont été changées en parcs, où Ton nourrit des pois-
sons, défendus par des grillages contre les espèces voraces*.
L'industrie des mines, de même que celle de la pèche, n'a plus, relative-
ment à la culture du sol, l'importance qu'elle eut autrefois en Scandinavie.
Les mines d'argent de Kongsberg, les veines de cuivre de Rôros et de Falun
n'ont plus sur le marché des métaux leur ancienne influence, et même
les amas ferrugineux de la Dalécarlie ont trouvé des gisements rivaux en
diverses parties du monde. A peine quelques parcelles d'or sont-elles reti-
rées des mines de Falun; celles d'Arendal, qui servirent à frapper les « du-
cats à lunettes » de Christian IV, sont abandonnées, et les rivières laponnes,
dont les sables contiennent de la poudre d'or, coulent sous un climat trop
rude pour que de nombreux orpailleurs se donnent la peine d'aller en ex-
plorer les plages. Les rivières les plus riches sont, dit-on, celles qui des-
cendent du groupe de Peldoniemi, sur les frontières de la Norvège et de
la Finlande russe, vers les sources du Tana et de l'Ivalo : en 1872, les
cinq cents chercheurs qui s'étaient rendus vers le nouvel Eldorado recueil-
lirent seulement de 50 à CO kilogrammes d'or fin.
Quelques gisements qui, sous un ciel clément et dans un pays peuplé,
seraient exploités par des milliers de travailleurs et entourés d'usines,
restent sans utilité économique, bien qu'ils aient été signalés depuis long-
temps par les géologues. Ainsi les veines de cuivre, renfermant une moitié
de métal pur% que l'on trouve à Kaa-fjoid, sur les bords de l'Alten-fjord,
n'ont pu être sérieusement exploitées que pendant une assez courte période.
liCS fers de Skjœrstad, sur la côte norvégienne, près de Bodô, ne sont pas
utilisés non plus, bien que les couches renferment assez de minerai pour ali-
menter toutes les usines du monde. De même, dans le Norrbolten suédois,
on s'est borné à reconnaître les fers de (îellivara. et tout au plus en a-t-on
' Valeur des pèches marines du litlnral de la Norvège, sur le lieu de lièclie, en 18S0 : "1 350 000 fr.
' G. lletling, Die Fisch-Cultur AoneegcHs.
^ Charles Mnrtins, Spilzbcig et Sahara.
MINES ET INDUSTRIE DE L\ SCANDINAVIE. 213
grallé la surface : on n'a pas encore construit les lignes de chemin de fer
qui doivent rejoindre ce massif, d'une part au cours navigable de la Lulea,
de l'autre à la mer de Norvège par l'une des brèches du Kjôlen. Les gise-
ments de fer de cette partie de la Suède septentrionale sont pourtant d'une
richesse extrême. Le minerai, dont la teneur moyenne en métal est de 50
à 70 pour 100, est disposé en veines parallèles, entre des roches de gneiss
que le temps a délitées. Grâce à sa plus grande dureté, le fer ne s'est
pas laissé entamer par les agents atmosphériques et s'élève en saillies
noires ou rouges, mamelonnées ou pointues, qui çà et là forment de
véritables collines. C'est par milliards de tonnes que l'on évalue les
masses de fer qui se trouvent dans ces veines de minerai, dont l'indus-
trie s'emparera tôt ou tard quand ses moyens d'attaque seront devenus
plus puissants.
Mais la Suède possède encore dans les régions du centre et du sud assez
de mines de fer pour subvenir à sa propre industrie et même pour exporter
à l'étranger des quantités considérables de minerai et de métal fondu. Les
mines de la Dalécarlie et des provinces voisines fournissent chaque année
de 700 000 à 900 000 tonnes', qui servent à fabriquer 350 000 tonnes de
fonte, réduite en fer, qu'achètent surtout les Anglais'. Si la Suède possédait
d'autres bassins houillers que celui des environs de Ilelsingborg, dans la
Scanie, si les forêts n'étaient pas épuisées presque toutes dans le voisinage
immédiat des gisements miniers, et surtout si les industriels de tous les
pays n'employaient pas maintenant des procédés qui leur permettent
d'utiliser leurs minerais de qualité médiocre, la production de l'excel-
lent fer suédois serait promptemont doublée. Celle du cuivre, naguère
deux fois plus considérable, n'a pu soutenir la concurrence des minerais
du Nouveau Monde, et le nombre des mineurs a beaucoup diminué'. Quant
au zinc, la Suède en possède plusieurs mines. Celle d'où l'on extrait les
trois quarts de tout le minerai du royaume appartient à la Société ])clge
de la Vieille-Montagne, qui l'exporte pour ses usines de Belgique' : c'est
Ammeberg, à l'extrémité septentrionale du lac Wettern.
' Exporlalion ilii minerai de fer siicilois (1876) : TOtî 950 (onncs.
' Ou\Tiers de l'industrie du fer en Snèile, en 1881 :
Mines. ... 5895
Hauts foumeHux 4 500
Autres usines _ 15 939
' Production du enivre en Norvège ( 187 4) ... . 412 tonnes.
1) ,< en Suède (movenne de 1878 à 1881) 1002 »
lAtractiondufiiinerji u (1881) . 29 350 »
* Production du ininer.ii de zinj en Suède, ea 18ïl : 5 551 tonnes.
216 >Ol"VELLE GÉOGRAI'HII:; LMVEUSELLE.
L'industrie des familles est encore beaucoup plus développée en Suède
que dans toutes les contrées d'Europe à population dense : on comprend
que dans un pays où les marchés sont ta de si grandes distances les uns
des autres, chaque famille doive chercher, autant qu'il est possible, à
subvenir directement à ses propres besoins. Certains procédés de travail,
certains ornements ne se trouvent que dans les hameaux écartés de la
Scandinavie et sont probablement un héritage des siècles antérieurs à
l'histoire. M. Hazelius, le fondateur du musée Scandinave de Stockholm,
et d'autres savants archéologues, étudient activement cette industrie d'ori-
gine préhistorique; bientôt il n'en sera plus temps, lorsque les produits
des manulactures auront pénétré jusque dans les derniers villages des
montagnes.
Les principales fabriques de la Scandinavie utilisent les produits na-
turels du sol et des mers avoisinantes, les poissons, les fers et les bois.
Dans tous les ports on s'occupe de la construction et du gréemenl des
bateaux de pèche, du tissage des filets et autres engins, de la salaison
et de l'expédition des poissons capturés. Les usines métallurgiques, on le
sait, traitent le minerai en assez grande abondance pour expédier à l'étran-
ger une part considérable de leurs produits, tandis que le bois de la Scan-
dinavie est exporté, sous forme de planches ou de meubles, jusque dans
les colonies européennes les plus éloignées. La plupart des scieries méca-
niques sont établies le long de la région côlière, vers l'issue des rivières
qui apportent les gros bois à Gefle, à Sôderhamn, à Hudiksvall, à Sunds-
vall, à Ilernôsand'. C'est tout récemment que les Suédois ont commencé
d'exporter leurs bois autrement qu'en billes ou en planches et qu'ils ont
expédié des parquets et des objets de menuiserie fine. Cette indus-
trie s'est développée surtout à Goteborg et de là s'est répandue dans
toutes les villes suédoises d'où s'exportent les bois. Ou les expédie
aussi découpés en milliards d'allumettes'. Pour cette industrie, la Suède
est maintenant au premier rang; le bois de tremble, qui donne les
meilleurs produits , a singulièrement augmenté de valeur, depuis qu3
chaque fabrique emploie par milliers les fûts de celte espèce d'arbre
et qu'elle expédie par tonnes les boîtes d'allumettes. La Suède et
avec elle la Norvège sont aussi les contrées de la Terre qui transforment
' Scieries mccauiques de la Suède en d87S . 1550.
• Fabrication des allumettes en Suède (1881) : ôl fabriques; 4691 ouvriers.
Valeur 10 9lil 000 francs.
ExporlalioQ (I8,S-J) 10 JOO tonnes.
INDUSTRIE SCANDINAVE. 217
en papier la plus grande quanlité de bois : depuis 1837 déjà, cette indus-
Irie est pratiquée dans une usine de Trollhaltan, et maintenant une quaran-
taine d'autres usines se livrent à ce travail dans les deux royaumes : on
peut évaluer à 50 000 tonnes au moins la pâte de papier que les manu-
facturiers Scandinaves obtiennent par les procédés modernes; les amas de
sciure de bois que l'on voyait se dresser en véritables collines aux abords
des scieries se transforment désormais en carton pour les boîtes, en pa-
pier d'emballage, de livres et surtout de journaux.
Parmi les industries que la Norvège et la Suède ont dû apprendre de
l'étranger, la plus importante est celle de la filature et du tissage des
cotons. Les premiers essais se firent seulement après les guerres d^
l'Empire; maintenant les deux pays doivent importer pour leurs manu-
factures une quantité de coton évaluée à plus de 13 000 tonnes', et des
milliers d'ouvriers sont occupés à le filer et à le tisser en étoffes. Plus an-
cienne, l'industrie des draps, qui avait commencé à Jônkôping et ji Upsala
dès les premières années du dix-septième siècle, a pris aussi une importance
considérable, mais insuffisante pour lisser la moitié des étoffes dont le pays
a besoin'. Quelques manufactures s'occupent aussi de la fobrication d'-;
(issus de lin, de chanvre, de jute et de soie. En Suède, l'industrie manu-
facturière, sans les usines métallurgiques, comprenait en 1881 un ensemble
(le 282,") fabriques, produisant pour une valeur de 23i millions de franc-^.
La population totale des ouvriers, composée d'hommes faits pour les trois
quarts, dépasse 80 000, c'est-à-dire que 500 000 personnes environ viveii'
directement de l'industrie : Gôtcborg, Stockholm, Norrkôping sont les trois
chefs-lieux des fabriques; la moitié des produits manufacturés de la Suède
provient de ces trois villes et de leurs districts. La Norvège occupe, pro-
portionnellement au nombre de ses habitants, à peu près autant d'ou-
vriers que la Suède, soit environ 55 000. A certains égards, elle est plus
favorisée que la contrée voisine pour le dévidoppement futur do son indus-
trie : moins riche en fer, elle reçoit plus facilement les houilles anglaises
et commerce directement pendant toute l'année avec la Grande-Bretagne
et avec l'Europe continentale ; en outre, elle dispose, grâce aux cascades et
aux rapides, de forces motrices encore plus considérables, cl cela presque
partout ilans le voisinaj^e immédiat de la mer.
' Importalion (le rnlon en filirc dans la Norvège, en 1882 2 iôl tonnes.
1. ,. .. la Suède, en 1882 10 500 »
" Fabriques de draps en Suède (1881) ,40
Nombre des ouvriers ,") 440
Vaienr do la fidincalion 1 T. 1)4 4 000 francs.
N. 28
218 NOL'VELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Si la Norvège n'est pas supériouro à la Siièilo par son indusliio, elle l'est
du moins par son commerce : à cet égard, elle a merveilleusement profité
des facilités que lui donnent les ports nombreux de son littoral et sa posi-
tion géographique relativement à la Grande-Bretagne. Les échanges de ce
pelilElat, qui dépassaient à peine 8 millions au milieu du dix-huitième siè-
cle, s'élèvent maintenant à 400 ou 'h)0 millions chaque année; ceux de la
Suède, qui pourtant a plus de deux fois la population de la iNorvège, n'at-
teignent pas un milliard'. C'est avec l'Angleterre que les deux nations font
leur principal commerce; l'Allemagne, le Danemark, la France viennent
ensuite par ordre dans le mouvement des échanges. De Suède comme de
Norvège, c'est le bois qui est le principal objet d'exportation; puis vien-
nent, en Suède, les métaux et les céréales, en Norvège le poisson". Les
articles d'importation les plus importants sont naturellement les objets
raanufocturés ; la Scandinavie reçoit les matières travaillées en échange
de ses matières premières. C'est depuis 1873 seulement que les droits de
douane sont abolis enlre les deux royaumes pour les produits de l'une ou
l'autre nation ; encore cette liberté douanière est-elle soumise à quelques
restrictions, et de l'un à l'autre pays les voyageurs ont toujours à subir le
désagrément d'une visite de bagages.
Le mouvement de la navigation a pris en Norvège un développement pro-
digieux : toutes proportions gardées, ce pays est celui qui possède la plus
grande flotte commerciale du monde, et, nous le savons, les deux tiers de
ces navires, auxquels il faudrait encore ajouter des bateaux de pèche par
milliers, appartiennent aux côtes méridionales de la Norvège, entre le fjord
de Christiania et celui de Stavanger, si bien placés tous les deux pour
accueillir des flottes entières. Dans les ports du royaume, les deux tiers
de la navigation se font sous pavillon norvégien", et dans tous les ports
' Mouvement commercial des deux Etats scaïKliiKives en ISSI :
.Nni-ïi-^c. Suéde.
linporlïitinns . . 229 5 Ib' 000 francs. ',00 /»00 000 francs.
Exportations 108 098 000 » ."21150 000 i-
Ensemble 397 iii 000 francs. 724 K>0 000 francs.
Soit, par habitant. 200 » 158 "
- Exportations prineip. de Norvéïje en 1882 : Exporlalions primip. de Suéde en 1881 :
Rois 50 f>:>9 200 11 . liois ir.l 912 000 francs.
Poisson 54 500 500 n Céréale 5r. 782 500 »
(Ihiie 5 902 01)0 » Métaux. .... 54407100 »
- .Mouvement de la navigation ilans les poils de la Norvège en 1882 :
12 890 navires, jaugeant 2 192 009 tonnes.
Dont 0 754 » norvégiens, jaugeant 1 ■442 053 »
COMMERCE ET >AVIG.\T10N DE L.V SCANDINAVIE.
219
('•Irangors se montrent ces navires du Nord, portant leur chargement de
bois ou de poisson. La plupart des habitants pauvres des villes, au lieu
<le j)lacer leurs petites économies à la caisse d'épargne ou dans les banques,
les emploient dans une « part » de navire; tous sont armateurs direc-
tement ou indirectement : de là les progrès extraordinaires qu'a faits la
navigation de la Norvège pendant les dernières années'. Le tonnage des
navires norvégiens dépasse d'un tiers i'(>iisemble du tonnage de la Hotte
irançaise.
Le développement du littoral suc'-dois, la population relativement cons'i-
(léralile qui en occupe les régions méridionales et le commerce de mar-
— Fjimn IT
i- Z „ :
58-
50
'M
1
m
l deG
chandises encombrantes, telles que les fers et les bois, attirent vers les
ports de la Suède une très grande quantité de navires'; mais ce ne sont
pas les armateurs suédois qui possèdent la plus forte part de celte flotte
' Flolle commerciale île la Norvège au 51 déccmbrr 188-2 :
7915 navires, jaugeant 1 550 OOi tonnes et montés par GO 595 marins.
- Mouvement île la navigation étrangère dans les poris suédois en 18î<l :
5 158 navires suédois cliargés,
757 11 norvégiens ii
5 -iSfi 11 danois, finnois, etc.
jaiigeanl .
9 521 navires cliargés, jaugeant. . . .
9 219 navires suédois cliargés,
2 0(15 11 norvégiens n
5 11(1 11 danois, finnois, etc., cliargés
jaugeant
|(i (iCil navii-es chargés, jaugeant.
Mouveiiipul total
25 985 navires chargés, jaugeant.
711 579 tonnes
159 195 «
G 15 129 "
1 527 201 tonnes.
1 0G8 270 tonnes.
591 40 I
1 0G9 797 1.
2 729 528 tonnes.
l 250 7J9 tonnes.
221)
NOUVELLE GEOGnAPIllE L'MVERSELLK.
inarcliande. Ils en ont seulement un peu plus du tiers : les marins danois
du port de Copenhague et les matelots norvégiens se sont emparés de
presque tous les autres transports. La différence de plus d'un million de
tonnes qui se maintient d'année en année entre l'importation et l'expor-
tation provient du poids et de l'encombrement des marchandises que la
Suède vend à l'étranger : aussi des milliers de navires entrent à vide dans
les ports suédois. Dans son ensemble, la flotte de commerce appartenant à
la Suède ne représente guère que le tiers de celle des Norvégiens ; mais
elle est encore en proportion quatre fois supérieure à celle' d(» la France'.
I.e commerce intérieur des lacs et des fjords emploie plus de la moitié de
1;( flotte, si l'on compte le nombre des embarcations, mais il ne représente
— soMnRE rnnriiRTu
que le cinquième du tonnage. Lu force totale des équipages est évaluée à
20(100 hommes-'.
I.e relie!' accidenlé du sol de la Norvège n'a permis le creusement que
d'un pelit nonibie de canaux, simples dérivations de toirenis ; mais la
Suède, plus unie, a pu ouvrir des chemins à ses navires dans l'intérieur
des plaines. Dès le commencement du quinzième siècle, d'après Siden-
bhulh, se iiieni des essais de canalisation ; mais c'est deux siècles plus
' .Manne iiianliainlo smuloiso cii ISSI (toiii|iic'naiil Ions les navires au-dessus île 10 tonnes):
Voiliers ."ir)'.t7 jantïeaiil 450 368 tonnes.
Uateaux il vapiin . . 7,">4 )i 79 215 » (luree île "Ji 745 eli.-vaj>.
Kuscinlile 4151 navin'i. jiiiigeaiil . . T/JUCiL") lo:ini'<.
» Elis t^i lenlilailli. I.ii Siicic.
CANAUX DE LA SCANDINAVIE. 223
tard que s'ouvrit le premier canal à écluses entre l'émissaire du Hjelmaren,
à Eskiisluna. et le Mâlaren. Depuis cette époque, toute la Suède méri-
dionale a été transformée en île par la construction des canaux de Gota,
qui forment une ligne de communication non interrompue, d'une lon-
gueur de 420 kilomètres, entre la Baltique et le Kattegat. La nappé de
j)artage des eaux est le lac Wiken, à 95 mètres d'altitude. De ce lac de faîte,
le canal s'abaisse à l'est vers le Weltern. puis de là par d'autres lacs
vers le fjord baltiquc de Sôderkôping : de ce côté, 59 écluses sont les
degrés successifs par lesquels montent ou descendent les navires. A l'ouest
du Wiken, le canal s'abaisse par 19 écluses jusqu'au grand lac Wenern,
d'où s'échappe le fleuve Gôta, continuation naturelle du canal. Mais ce
fleuve est coupé de rapides et de cataractes. Dans les premières années du
dix-septième siècle, les premières chutes, celles de Rânnuni. voisines de
>■* 50. PROFrL DC CANAL DE COTA Or HE GOTIME.
L'cdielle des hauteurs esc cenluple de celle des longueurs.
Wenersborg, ('taient déjà contournées |)ar un canal ; mais au-dessous les
chutes de Trollhàttan paraissaient offrir un obstacle invincible. Svcden-
borg, le doux mystique et l'ingénieur hardi, projeta le premier la con-
struction d'un canal ; mais cette œuvre, interrompue après la mort de
Charles Xll, ne fut terminée qu'en 1800, et. depuis, l'ingénieur Nils
Erikson l'a remplacée par un autre canal dont les onze écluses monu-
mentales taillées dans le roc vif sont un modèle pour les hommes de i'arl
et un sujet d'admiration pour tous. Des bateaux d'un tirant d'eau fie près
de 5 mètres peuvent se rendre de l'une; à l'autre mer par cet enchainemeUI
de lacs, de rivières, de tranchées et de gradins écluses. qui constituent le
canal dcGôla; en outre ils peuvent se diriger par des canaux secondaires
à une grande distance de la voie principale et jusqu'en Norvège par le
canal de Dalsland, branche du réseau navigable, longue de 255 kilomètres,
qui commence dans une baie du Wi'nern, remonl(> au nord-ouest eu tra-
versant plusieui-s lacs, et fiaucliil une calaracle sur un poul-viailuc d'iuic
22i NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
singiilièiv hardiesse, conslruit par Nils Erikson, comme la plupart des tra-
vaux d'art de la Suède. Le mouvement de la batellerie est très considérable
sur ce canal, de même (jue sur ceux de Gôta, et sur les écluses des envi-
i-ons de Stockholm '.
La Norvège a devancé la Suède de deux années dans la construction des
chemins de fer : dès 1854 elle ouvrait une première voie ferrée, de Chris-
tiania à Eidsvold ; toutefois la nature du terrain n'a pas permis que le ré-
seau ilu royaume occidental put prendre autant d'importance que celui
du royaume oricnlal'. Des grandes lignes norvégiennes, une seule est ter-
minée, celle qui traverse toute la péninsule, du fjord de Trondhjem à celui
de Chrisliania et à la frontière suédoise près de Frcderikshald ; le dernier
tronçon, qui relie Eidsvold à Hamar, sur les bords du lac Mjôsen, a été fim'
en 1880. lia voie de Trondhjem au golfe de Botnie, qui sera la plus septen-
trionale du monde, n'a pas encore franchi le faîte Scandinave; le chemin
de fer de Bergen s'arrête au pied des montagnes qu'il devra traverser en
souterrain pour redescendre au sud- est vers Drammen, et la voie du litto-
ral, qui rejoindra Christiania et Stavanger, ne se compose que de ses deux
amorces terminales. Quanta la Suède, elle a pu, grâce à ses plaines, au bon
marché des terrains, à la grande quantité des matériaux de construction —
l)ois, fer, pierres, galets et sable — se construire un ensemble de voies
ferrées plus considérable, en proportion du nombre des habitants, que
celui de tout autre État d'Europe, même de la Belgique. La Suède est la
seule contrée de l'Ancien Monde qui possède plus de 1550 kilomètres de
chemins de fer par million d'individus : il est vrai que le kilomètre de
voie suédoise ne coûte pas même 100000 francs en moyenne et que jusqu'à
maintenant le plus lonp tunnel du réseau, de i27 mèlres, est celui qui passe
sous le (piartier méi'idional de Stockholm.
Les communications postales et lélégraphiques ont pris également dans
ces dernières années un développement rapide, quoique bien inférieur en
' Mouveiiu'iil iK- hi ii:ivig;iliiiii sur les caiiiuix île la SiièJe eu 1S70 : 25 108 voilieis el bateaux ;
•221105 bateaux a v.ipciii-.
- Iti'seau (les elieiniiis île Ter île la Seauiliiiavie :
Norvège. Suède.
Longueur, en 18i$5 I .')'i7 kilom. 6 400 kilom.
Frais d'élablissemeul, .'i la lin do 18SI. IlS0'JiJ24 l'ranrs. (i07 ô:»'.» 700 francs.
UeceUes » li 02 '2725 » i."i 570 021 >.
Dq)en.ses i) -4 874 842 » 25 156 771) »
Voyageurs Iransportés ii 1 937 485 7 075 775
Tonnes (le innrilriiiilises expédiées » 870 551 6 459 775
I
CHEMINS DE FER ET TÉLÉGRAPHES DE LA SCANDINAVIE. 225
proportion à celui des chemins de fer. Non seulement toutes les voies
ferrées sont bordées de lignes télégraphiques, mais, en outre, les stations
de pèche et de navigation du littoral sont rattachées à Stockholm, et des
iils immergés passent au-dessous du golfe de Botnie, de la Baltique mé-
•" 51. — CHEMINS DE FEr. DE LA PÉMIVSILE fCAMiIXAVE ES 18T?.
ridionale, du Sund et du Kattegat. La Norvège est même le pays d'Eu-
rope et du monde qui possède, non la plus grande longueur, mais le
nombre le plus considérable di; câbles immergés, les nombreuses inden-
lations de ses côtes interrompant en mille endroits les communication.^
par terre. D'îlot en ilôt, les fils télégraphiques se continuent jusque dans
le voisinage immédiat du cap Nord.
•i-16 NOUVELLE GÉOGRAPHIE l'MVERSELI.E.
Quoique la jtroporlion des lettres écrites soit moins élevée qu'en An-
gleterre, en France et dans l'Europe centrale', l'instruction générale est
très développée en Scandinavie. La fréquentation des écoles par les enfants
de sept à quatorze ans est obligatoire en Suède et en Norvège. Toute com-
mune urbaine, toute paroisse rurale doivent posséder au moins une école
primaire et un instituteur ayant reçu son brevet dans l'une des écoles nor-
males de l'Etat. La gratuité de ces établissements primaires est complète,
mais il existe aussi des écoles payantes, fondées par l'État, les communes
et les particuliers. L'Etal et l'Eglise protestante gardent leur droit de sur-
veillance sur les écoles libres, et le conseil d'éducation, où l'évèque et le
consistoire ont la haute main, peut forcer les parents à envoyer leurs
enfants aux écoles du gouvernement si le résultat des examens périodiques
leur paraît justifier cette mesure; les parents qui n'envoient pas leurs en-
fants à l'école aux âges indiqués sont réprimandés ou punis.
Naguère presque toutes les écoles de la Norvège étaient des écoles ambu-
lantes. La faible population des hameaux et les grandes distances à parcou-
rir à travers les rochers et les neiges ne permettant pas aux enfants de se
rendre aux écoles de village, c'est l'instituteur qui se déplaçait. 11 par-
courait le district en s'arrètant successivement, pendant un certain nom-
bre de semaines, dans une ferme hospitalière où les enfants des habitations
voisines venaient se grouper autour de lui. L'arrivée du maître d'école
était un événement : bientôt la plupart des enfants savaient au moins
leurs lettres, et l'instituteur pouvait continuer sa roule en laissant der-
rière lui des moniteurs chargés de faire répéter les leçons jusqu'à une
nouvelle visite. Grâce à ces maîtres de passage, le goût de l'étude s'est dé-
veloppé dans les campagnes les plus reculées. Depuis, les paysans, les
marins, les mineurs, dont la voix est prépondérante dans les conseils, ont
fait établir des milliers d'écoles fixes où sont enseignés les rudiments des
sciences et de la musique. Maintenant les écoles itinérantes* ne sont plus
que l'exception dans les régions méridionales de la contrée, mais par la
' Ciiiiiiiiunic;ili(ins postales et télégraphiques de la Scandinavie eu 1882 :
Norvège. Suôdc.
Transport des leltros 12 923 000; 0,7 par hab. 57 513 000; 8,2 par liab.
)) des journaux 11859 000 27 G65 000
Lignes télégraphiques. .... 757ikiloni. 8575kilnm.
Télcgramines 719 563 ) 810 590 »
' Écoles primaires en Scandinavie -,
.Noric^c. Suéde
1857. . 200 écoles fixes. 0771 éc. itinérantes.
1874. .1170 » 1' 1911 » » 1881. . 0127 écoles fixes. 5122 éc. itinérantes.
INSTRUCTION PUBLIQUE EN SCANDINAVIE. 227
force dos choses elles sont restées nombreuses dans les districts du noni,
où la population ne se compose que de petits groupes isolés'. Le maitre
d'école est souvent chargé, à la manière des juges de paix, de résoudre
par la conciliation les différends qui surgissent entre les campagnards.
L'instruction secondaire est aussi plus développée dans la péninsule
Scandinave que dans la plupart des pays d'Europe, et l'on se réjouit à la
vue des riches bibliothèques, pleines de documents précieux, des collections
d'histoire naturelle et des laboratoires que possède mainte école secondaire
des provinces, loin de Stockholm et de Christiania' et des villes univer-
sitaires d'Upsala et de Lund. Le mouvement littéraire et scientifique est
très actif, et en Suède seulement plus de mille ouvi'ages nouveaux sont
publiés chaque année. En 1877, le nombre des revues et des journaux
suédois s'élevait à 296, dont le tiers environ paraissant à Stockholm. La
Norvège en publiait ISO en 187G, tandis que vingt-deux ans auparavant,
en 1854, on n'y comptait que 7 publications périodiques'.
Mais quels sont, en Scandinavie comme dans les autres contrées, les
rapports directs à établir entre les progrès de l'instruction et ceux de la
moralité publique? Comment les reconnaître distinctement au milieu de
toutes les influences entremêlées : h quelle cause, à quel ensemble d'im-
pulsions diverses faut-il attribuer, d'une part les progrès et de l'autre les
faits de démoralisation que l'on observe dans le mouvement de la nation
toujours en travail? On peut constater du moins le contre-coup des mau-
vaises récoltes et des crises industrielles sur la criminalité. La misère et
la dépravation se suivent de près.
L'intempérance est le vice des peuples du Nord, elles sagas nous disent
que dans les assemblées des vikings l'hydromel coulait h flots. Vers le
milieu du siècle, l'ivrognerie était devenue un fléau qui menaçait d'avilir
définitivement une grande partie de la population. En 1855, plus de qua-
rante mille fabriques d'eau-de-vie fonctionnaient dans le seul royaume de
Suède et fournissaient annuellement d'énormes quantités de brànvin ; à
' Inslruclion [iiiinaire en Scandinavie :
.Norvèsc Suède.
École;. . (I87i). , . li3SI (1881). . 9 .>49
(nslituleurs « . . . ."J 89,ï n . . . 1M2J (.■j052 hommes; 6068 femmes.
Élèves (1875) . . . 215 090 »... 067 SlMïUr 68i 151 ava:il l'âge scolaire).
' Élèves des écolci sccomlaires de garçons en Scandinavie :
.Nonvge, y 520 en 1870; Sunle, 15 775 en 1J!77.
* Biodi, Le roiiaumc de Nwvètje et le peuple norvéjicn.
228 NOUVELLE GÉOGUAI'IIIE UNIVERSELLE.
cette époque, la fabrication s'était déjà centralisée, tandis que vers 1850
chaque agriculteur, chaque fermier était en même temps distillateur; on
comptait alors 170 000 distilleries dans le royaume. Mais depuis une ving-
taine d'années la fahrication de l'eau-de-vie, surveillée et gênée par les
règlements du fisc, a notablement diminué'. Dans les villes, des sociétés
de citoyens se sont formées pour avoir seules le droit de vendre l'eau-de-vic
en détail et au débit, à condition par elles de ne retirer aucun bénéfice de
la vente et de distribuer le gain aux caisses du niunicipe, du conseil
général, des sociétés agricoles : ce système, connu à l'étranger sous le nom
de « système de Gôteborg », du nom de la ville qui l'appliqua la première,
présente ce grand avantage, que l'appât du lucre ne transforme pas le mar-
chand d'eau-de-vie en un conseiller de vice, en un tentateur toujours à
l'affût de victimes. Les débits d'eau-de-vie des sociétés de Gôteborg ne sont
pas des gin-palaces, comme les tavernes vers lesquelles se précipitent les
foules de l'Angleterre.
La Suède est une des contrées d'Europe où le plus grand nombre d'en-
fants naissent de mariages non légalisés*. Mais il ne faudrait pas voir dans
ce fait la preuve d'un relâchement de mœurs exceptionnel. Il n'y a, pour
ainsi dire, pas d'enfants trouvés en Suède : toutes les mères élèvent ou font
élever leurs enfants. En outre, près d'un dixième des nouveau-nés, comp-
tés parmi les enfants illégitimes, naissent de parents enregistrés comme
fiancés et jouissent, après le mariage de leurs parents, de tous les avantages
reconnus par la loi aux enfants légitimes. Quant à la proportion si forte
de naissances illégitimes que présente Stockholm, elle provient en grande
partie d'une immigration temporaire des filles-mères qui viennent de toutes
les parties de la contrée dans les hospices de maternité de la capitale, où
elles sont admises sans avoir même à donner leur nom"'. Jusqu'à mainte-
nant, les non-luthériens, autres que les catholiques, les juifs et une pa-
roisse de baptistes restent en dehors de la loi pour le mariage, et leurs
enfants sont en conséquence réputés illégitimes.
' l'Hidiidion movenno iiimiielk' Je ('l'au-dii-vie :
De 18JÛ à W)o (lo 78 OnOnOO à 150 000 000 litres.
De 1875 il I8S0 ,1e 'il 700 000 à 32 000 000 «
(Elis SiiliMil.lailli.)
- Naiss:incPS illégitimes en Siif-ile ( ISTI-ISSI ) :
Compagnes 8.9 imiir 100.
Villes 22.2
Stockholm 57 »
l'ays entier 10.8 jjuur 100.
' Elis Siclenliladii, Kiiijaiiiiic de Stiùilc.
I -1
GOUVERNEMENT DE L\ NORVÈGE. 231
XIII
GOUVERNEMENT ET ADMINISTRATION DE LA NORVEGE
Le royaume indépendant de Norvège, uni à la Suède par la personne du
roi, est un État constitutionnel, ayant, comme presque tous les États d'Eu-
rope, des assemblées délibératives représentant la nation en face du sou-
verain. Le pouvoir législatif en Norvège est aux mains du Stortliing, assem-
Mée composée de 1 1 i membres qui se groupent en deux sections,
YOdelsthnifj, correspondant à une Chambre populaire et comprenant 85 re-
présentants, et le Lagtliiiig ou « Chambre des sénateurs », de '29 membres
élus par le Storthing. Tout projet de loi doit être adopté par les deux sec-
lions ; le vote contraire do l'une d'elles entraîne la réunion des deux Cham-
bres, qui statuent définitivement par une délibération commune, à la suite
de laquelle l'adoption de la loi doit être sanctionnée par une majorité des
deux tiers. L'effet des lois votées par l'assemblée peut être suspendu par le
veto du roi, que celui-ci peut renouveler de trois en trois années, après
chaque nouveau vote et jusqu'à trois fois. Après ce délai, la volonté de
l'assemblée l'emporte, ainsi qu'en lémoigne l'issue d'un conflit récent. Les
jiropositions du souverain attendent leur tour d'inscription, et le Storthing
peut passer à l'ordre du jour sans les discuter.
Les représentants au Storthing sont élus pour trois ans, deux tiers
par les districts ruraux, un tiers par les villes. Sont électeurs les citoyens
norvégiens de vingt-cinq ans révolus, fonctionnaires ou anciens fonction-
naires publics, propriétaires d'immeubles cadastrés, ainsi que ceux qui,
dans les villes, payent patente comme marchands, artisans ou capitaines
de navires, et, dans les campagnes, possèdent un bail emphytéotique de
plus de cinq années. L'élection n'a lieu qu'au second degré ; aussi les
électeurs sont-ils en général assez peu zélés'. Réunis d'ordinaire dans les
églises, ils choisissent un nombre déterminé d'entre eux, soit par ville,
soit par préfecture, pour désigner les représentants de la nation, qu'ils
l)cuvent d'ailleurs choisir parmi tous les électeurs âgés de plus de trente ans.
D'après un vote de l'Assemblée, auquel le roi a vainement opposé ses trois
vélo, les membres du gouvernement font partie du StoiVhing et assistent aux
délibérations. Les sessions de l'assemblée sont annuelles et ne peuvent
' .Nombre des électeurs en 1870 ; MO JOO; volants : 57175.
252 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
durer plus de doux mois sans le consentement du roi; mais celui-ci ne
possède pas le droit de dissolution. La constitution fran(;aise de 1791 es',
une de celles qui ont servi de modèle à la loi fondamentali> de la Xorvège'.
Le roi, qui réside à Stockholm, doit cependant, d'après la constitution,
habiter la Norvège durant une partie de l'année. Il exerce le pouvoir avec
l'assistance d'un Conseil d'Etat (Statsràd), comprenant deux ministres et
neuf conseillers, tous citoyens norvégiens. Un des ministres et deux conseil-
lers se tiennent auprès du roi lorsqu'il séjourne en Suède ; l'autre minis-
tre et sept conseillers Ibrment le gouvernement de la Norvège à Christiania.
Sur l'avis de ce cabinet, le roi nomme les titulaires aux fonctions civiles,
militaires et ecclésiastiques; mais il ne peut conférer de titres de noblesse,
le Storthing les ayant abolis depuis longtemps, malgré l'opposition royale
manifestée par trois votes successifs : d'après cette décision du Parlement,
tout fils de comte ne devait plus avoir que le titre de baron, et tout fils de
baron redevenait simple citoyen ; c'est ainsi que, par extinction graduelle,
la noblesse a disparu.
Autrefois le pouvoir judiciaire, qui était en même temps le pouvoir
législatif, appartenait exclusivement au peuple, qui l'exerçait par ses délé-
gués dans les assemblées. Actuellement encore, les électeurs nomment les
deux juges de la commission de paix qui siègent dans chaque commune
et devant lesquels sont portées toutes les affaires civiles avant le com-
mencement des poursuites ; dans les affaires de police, quand l'amende
est encourue par un citoyen, elle doit être soumise d'abord à son accep-
tation volontaire avant d'être prononcée. Dans les affaires criminelles et
relatives à la propriété, la nation est aussi directement représentée par
quatre jurés siégeant à côté du juge et votant au même titre que lui et
souvent contre lui. D'ailleurs, les juges sont toujours responsables pour
lo tort commis par eux par ignorance ou par improbité : cités devant un
tribunal supérieur, ils sont passibles de peines graves dans leur personne
ou dans leurs biens, et leurs héritiers peuvent être poursuivis, en cas de
mort, pour les amendes encourues.
Au ])oint de vue judiciaire, la Norvège possède 116 tribunaux de pre-
mière instance — 50 pour les villes et 80 pour les campagnes — qui
jugent toutes causes civiles et criminelles. Chacun d'eux ne comprend
qu'un seul juge [byfoged dans les villes, sorenskrivcr dans les campa-
gnes), sauf celui de Christiania, composé de 8 juges et d'un président.
l'oMi' toute contestation concernant la propriété, le tribunal s'adjoint
' 0. J. Broch, Le royaume de Noni'ye et le peuple iwncgien.
GOUVERNEMENT DE LA NORVÈGE. 253
quatre jurés nommés à cot effet. Les tribunaux de deuxième instance
sont au nombre de cinq, ayant chacun un président et un, deux ou
trois juges. Des juridictions spéciales existent pour les ecclésiastiques
et les professeurs, de même que pour les militaires. Une Cour suprême,
comprenant un président et dix juges, statue en dernier ressort sur les
arrêts rendus par le tribunal de Christiania, les tribunaux de deuxième
instance, les tribunaux consistoriaux, ceux de police et les conseils de
guerre. Pour ces dernières affaires, deux officiers supérieurs sont adjoints
aux membres de la Cour suprême. Enfin ceux-ci, réunis aux 37 membres
du Lagthing, forment un tribunal qui, sous le nom de Cour du royaume
[Riijsret), juge tous les crimes ou délits commis par les ministres, les
membres du Storthing, dti conseil d'État ou de la Cour suprême, dans
l'exercice de leurs fonctions.
L'église luthérienne, religion de l'État, jouit d'un pouvoir considérable
en Norvège, puisqu'elle dispose de propriétés fort étendues et dirige eu
grande partie l'éducation des enfants. Quoique désignés par le roi, les
ecclésiastiques en fonctions ne reçoivent pas d'appointements directs ; mais
ils possèdent un logement et, à la campagne, l'usufruit de terres com-
munales; en outre, ils reçoivent des dîmes et des offrandes dont la loi
fixe le minimum, et s'attribuent le revenu des bénéfices. On ne peut esti-
mer à moins de 4700 Irancs la moyenne de rente pour chaque ecclé-
siastique. Ils sont relativement peu nombreux : à la fin de 1877, on
n'en comptait que 657 ; suivant la même proportion, il n'y aurait que
l^OOO prêtres en France. Le pays est divisé en 6 évêchés {stifter), 83 dé-
canats ou prévôtés {provstier), 4 il paroisses (prxstegjeld) et 909 pastorats
{sogné). Tous les cultes autres que le rite luthérien jouissent d'une tolé-
rance parfaite, mais ils ne comptent qu'un très petit nombre d'adhé-
rents; quelques juifs vivent dans le pays, mais ils n'y forment pas de
communautés '.
D'après la constitution, le service militaire est obligatoire pour tous les
Norvégiens ayant vingt-cin(| ans révolus; ne sont exempts du service que les
ecclésiastiques, les pilotes, les habitants de la province de Finmarken. En
réalité l'armée ne se compose guère que de cadres, de bataillons d'exercices
et d'écoles militaires. Les troupes de ligne en service continu ne forment
pas même un total de 2000 hommes et se composent presque uniquement
' Non-itilbérieiis de Norvège en 1875 :
Proleslanls 4800 1 Catholiques .')02
Mormons 5i2 | Quakers 45-'
Juils 54
T. 50
254
NOUVELLE GÉOGRAPIIIE UMVEUSELLE.
do volontaires engagés pour trois ans. Tous les conscrits passent jiar l'ccolo
(les recrues, qui dure au moins 42 jours pour l'infanterie, 90 jours pour
l'artillerie et la cavalerie, et reviennent pendant deux, trois ou quatre ans
prendre part à des exercices de moins d'un mois. Le roi peut entretenir à
Stockholm une garde de volontaires norvégiens, et la constitution l'autorise
à déplacer 5000 hommes d'un royaume dans l'autre pour les exercices
militaires ; mais en toute autre circonstance le passage de troupes de Nor-
vège en Suède ou de Suède en Norvège est
s» 52. _ vARoô. interdit.
La flotte militaire est relativement beau-
coup plus considérable que l'armée, car
elle comprenait, à la (in de l!S85, 4 cuiras-
sés, 55 autres bateaux à vapeur d'une puis-
sance totale d'environ 5000 chevaux-vapeur,
portant 160 canons. Des fortifications dé-
fendent l'entrée du fjord de Christiania, où
se trouve Ilorten, la principale station de la
flotte de guerre ; en outre, quelques autres
forts s'élèvent sur certains points exposés
des côtes. Le plus septentrional de la Nor-
vège et du monde est celui de Vardô, à l'en-
trée du Varanger-I'jord : il est en pleine
zone polaire, au nord du 7(1^ degré de lati-
tude. Les matelots de la flotte, au nombre
de 2050, sont presque tous volontaires;
en outre, les hommes de 22 à 55 ans ayant
navigué à l'étranger, s'occupant de cabo-
tage ou de pêche, ou vivant dans les ports
de mer, sont inscrits, au nombre de 00000,
et peuvent être appelés en cas de péril national.
Le budget de la Norvège, qui était jadis généralement en équilibre, se
trouve en déficit depuis quelque temps. Pour l'année 1881-1882, il
s'élevait à 55120500 francs, provenant, presque pour moitié, du re-
venu des douanes. Les payements les plus considérables ne servent pas,
comme dans la plupart des Etats, à couvrir les dépenses de guerre ou
le service d'anciens emprunts. Cependant la Norvège a contracté aussi
des dettes, |)rincipalement pour la construction do ses chemins de fer'.
' Dette Je la Norvèjzc en 188'i : 117012 000 francs.
GOUVERNEMENT DE LA NORVEGE.
235
Administrativemcnl, le pays se divise en 517 communes, dont 61 com-
munes urbaines et 456 communes rurales (herreder). Les affaires des
municipes sont gérées par deux assemblées élues, un conseil administratif
(formandskab), composé de 5 à 12 membres, et un conseil représentatif
(rcprxseiUantskab) en comprenant le triple. L'exécution de leurs décisions
est confiée, dans les communes urbaines, à des magistrats {borgesmester
et ràdmand) nommés par le roi, et, dans les communes rurales, aux pré-
fets [amtmand) et aux baillis lfo(jed), ainsi tpi'à des officiers de police
[Icnsmand), nommés par le préfet.
Les 61 communes urbaines se composent de 39 villes et 22 ports; les
communes rurales forment 58 bailliages ou arrondissements {fogdcricr).
Ensemble, elles se partagent entre 18 préfectures ou départements (amter) ;
la capitale Cliristiania et la ville de Bergen forment en outre 2 préfec-
tures. Chaque préfecture est administrée par un conseil préfectoral [amts-
formandskab) , composé des présidents des conseils communaux, sous la
présidence du préfet.
PRÉFECTlliES.
VILLES MU.NCIP.lLES.
SITEIIFICIE.
POPEL.VTION
l"JASviEnlS7fi.
POPLL.\TION
MLOSIÉiniQlE.
Smaalencnc
Frederiksliald
kil.car.
4,007
liiib.
107 629
hab.
27
Akcrshiis. .
Eidsvolil
,5,15.5
114778
2,2
Christiania
9
77 041
85,60
Iledemarkcn
Kongsvingor
25,986
119 774
5
Chiislians
Busl«eru(l
25,041
14.C54
M 5 988
101867
7,5
7
Drammeii
Jarisberg cl Laiirvik . . .
Laiirvik
2,22!t
S9 520
40
Bratsberg
14,777
9,981
6,273
83 980
75 979
77 509
0
8
12
Lisler et Mandai
Chiislianssand
Slavangcr
Slavaiigei- .
8,8.")9
114164
13
.Sôndre-Bei'nenliiis ....
15,t5S
121 .527
8
2
5 1 58 1
17,192
N'ordrc-Berf'enliij'; ....
18,251
86 205
5
Roinsdal . .
Christianssund
14,015
11 G 858
8
Sondic-Ti'ondlijom ....
Trondlijeni
18,550
116814
6
Nord:i;-Tiiiiidlijcin ....
Lcvanger
22,760
81 889
4
Nordiand
Bodô
57,960
105 579
.55 95'»
24 252
3
2
0,5
Troinsô
Uamiiierfol .
25,170
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Finniai kcii
236 KOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
XIV
GOUVERNEMENT ET A DM I M STR A TIOX DE LA SUEDE
La Constitution modifiée du 0 juin 1809, qui régit actuellement la
Suède, a fait de l'Etat une monarchie parlementaire. Néanmoins le roi
est censé gouverner seul, et s'il est assisté d'un Conseil d'État, ce n'est
que pour prendre ses avis et recevoir de lui les renseignements dont il
peut avoir besoin. Dix membres, dont un premier ministre, nommé ]»ar
le roi, forment ce Conseil d'État. Sept d'entre eux dirigent les cabinets des
affaires étrangères, de l'intérieur, des finances, de la justice, de la guerre,
de la marine, des cultes avec l'instruction publique : des trois minis-
tres sans portefeuille, deux au moins doivent être d'anciens fonction-
naires civils. Toutes les affaires administratives sont soumises au roi en
son conseil. Chaque conseiller émet son opinion, consignée dans un procès-
verbal de séance, puis le roi décide; si la décision qu'il prend est jugée
contraire à la loi, le conseiller rapporteur de l'affaire refuse sa signature,
donne sa démission, et la question se trouve portée devant la Diète. Des
membres des Conseils d'État de Suède et de Norvège doivent être présents
toutes les fois qu'une affaire intéressant les deux royaumes se débat ou se
décide devant le roi. Pendant ses voyages hors de la Suède et de la Norvège,
le souverain ne peut s'occuper du gouvernement du pays, qui est alors
confié au prince héritier, ou, à défaut de ce personnage, au Conseil d'État.
Le traitement du roi est de 1 105 000 francs, payés par la Suède, et de
497 000 francs, part de contribution du peuple norvégien. En 1875, la
diète refusa de faire payer à la nation les frais du couronnement.
L'ancienne représentation nationale de la Suède se composait des quatre
ordres de la noblesse, du clergé, des bourgeois et des paysans ; mais, en
1866, les États eux-mêmes, cédant à l'opinion publique, décidèrent la
transformation du corps législatif. D'a])rès la loi nouvelle, le peuple sué-
dois est représenté par une Diète (niksdag), composée de deux Chambres
correspondant aux lords et aux communes, aux sénateurs et aux députés
d'autres contrées d'Europe. Les membres de la première Chambre sont
élus pour neuf ans par les conseils généraux des provinces et les conseils
municipaux des grandes villes, dans la proportion d'un membre par
50 000 habitants. Ne peuvent être élus que des hommes d'au moins trente-
cinq ans, possédant des immeubles d'une valeur de I l'iOOO francs (80000
GOrVERNEMENT DE LA SIÈDE. 237
couronnes) et jouissant d'un revenu annuel de ùGOO francs (4000 cou-
ronnes). La première Chambre devant représenter surtout la richesse,
tout élu qui tombe pendant la durée de son mandat dans une position
financière inférieure à celle que la loi exige des candidats est tenu de
renoncer à son siège. D'ailleurs, les membres de la haute Chambre ne
reçoivent pas d'indemnité. Leur nombre est actuellement de 135.
La seconde Chambre se compose maintenant de 108 députés, tous élus
pour trois années par les citoyens payant contribution. Chaque district
judiciaire nomme un député pour 12000 à 40000 habitants (27500 en
moyenne); chaque ville, mieux représentée que la campagne, élit un député
pour 0 700 à 18 800 habitants (10 820 en moyenne). En 1882, le nombre
total des électeurs était de 281 100, sur lesquels 00 000 seulement exer-
cèrent leur droit de vote. Quoique la deuxième Chambre soit censée défen-
dre surtout les intérêts du peuple, les candidats doivent justifier de condi-
tions de fortune suffisantes : ils sont inéligibles s'ils n'ont pas en propriété
un immeuble de 1000 couronnes ou à bail un bien-fonds de GOOO cou-
ronnes, ou si leur revenu annuel imposable n'est pas au moins tli>
800 couronnes. En outre, ils doivent être éligibles depuis au moins une
année dans la commune où ils se présentent et avoir dépassé l'âge de
vingt-cinq ans. Les élus reçoivent pour chaque session, dont la durée légale
est de quatre mois, une somme fixe de 1200 couronnes (1680 francs),
sans compter leurs frais de déplacement. Le5 présidents et les vice-prési-
dents des deux Chambres sont choisis par le roi parmi les membres de
chaque Chambre respective. Toutes les affaires soumises à la discussion et
au vote de la Diète sont, au pré;dable, élaborées par des comités, uoinnu-^
par moitié dans chacune des deux Chambres.
Les 2r)5i communes rurales de la Suède, aussi bien que les 110 villes et
bourgades, ont le droit de régler elles-mêmes leurs affaires locales. Cha-
cune possède son conseil municipal, désigné diversement suivant le rang
de la commune, et choisit son président ; toutefois, dans la ville de Stock-
holm, le grand-gouverneur (ôfvcr Slàt-HaUarcn) est de droit président de
l'assemblée communale. Les gouvernements forment aussi des communes
d'un ordre supérieur, et des conseillers généraux élus se réunissent pendant
quelques jours au mois de septembre, sous la présidence d'un personnage
nommé par le roi : en réalité, leur session est de trop courte durée pour
qu'elle puisse avoir ime sérieuse influence sur la marche des affaires. Les
quatre villes de la Suède dont la population dé()asse 2,') 00(1 habitants,
Stockholm, Gôteborg, Malmô et Norrkoping, sont séparées des di>-lricls des
conseils généraux et administrées par leur conseil municipal.
238 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVEUSELLE.
Le fotlc siiéJois actuel a moins subi rinfluencc du droit romain que la
plupart des autres codes d'Europe : son origine principale se trouve
dans les lois coutumières. On croit que ces lois, dont les textes les plus
anciens datent du commencement du treizième siècle, étaient écrites en
caractères runiques sur des balkar ou tables de bois séparées, d'où le nom
de halk, donné encore aujourd'hui aux diverses sections du code civil :
plusieurs de ces codes ruraux étaient écrits en vers, sous forme de dictons,
afin qu'il fût plus facile de les retenir de mémoire. Aux lois traditionnelles
des campagnes s'ajoutèrent les codes des villes, plus ou moins inspirés par
ceuxdeYisby et des autres cités hanséatiques'.En iii2, coutumes et lois,
les antiques lanclskapslafiar, furent réunies en un seul code de lois géné-
rales, qui prit le nom de landslag. En 1754, le code fut modifié de nou-
veau, et depuis cette époque il a été plusieurs fois remanié. Militaires et
ecclésiastiques sont régis par des lois spéciales.
La presse jouit d'une grande liberté en Suède, où d'ailleurs il est rare
que les questions sérieuses au point de vue religieux, politique ou social
soient abordées. Quand un particulier se croit lésé par un journal, un jury
s'assemble, composé, après les récusations ordinaires, de neuf membres,
trois choisis par l'accusé, trois par le plaignant, trois par le tribunal. La
condamnation est prononcée par six voix.
Les tribunaux de première instance se composent, dans les villes, du
bourgmestre et de ses assesseurs; dans les 108 districts des campagnes,
d'un juge de district assisté de douze paysans propriétaires. Le juge décide
seul; mais si la totalité des jurés diffère de son avis, c'est le leur qui
prévaut. Trois cours royales, celle de Stockholm pour la Suède du nord,
celle de .lonkôping pour la Gothie, celle de Christianstad pour la Scanie
et Blckingc, jugent en appel, revisent les condamnations à mort pro-
noncées par les juges de première instance et s'occupent de toutes les
fautes commises par les juges et les fonctionnaires dans l'exercice de leur
charge. Une Cour suprême, siégeant à Stockholm, se compose de seize
juges, divisée en deux chambres, dont une seule pour l'examen de chaque
affaire; quand il s'agit de procès où sont impliqués des militaires, deux
officiers supérieurs sont adjoints à la cour ; en outre, le roi possède deux
voix au trilumal quand son bon plaisir est de s'occuper d'une afiaire. Dans
quebpios rares occasions une Cour du royaume se constitue pour juger les
membres du Conseil d'État ou de la Cour suprême.
Le cuile !iilh('iii'n est en Suède la religion d'Etat. D'a|m's le-^ fables de
' Sclilvlor; — Siilciil)1;ulli, La Siu-dc; — Geffrny, Académie rfi's sciences, 28 sopl. 1878.
GOUVERNEMENT DE LA SUEDE. 239
recensement, qui d'ailleurs ne peuvent manquer de compter les indiffé-
rents parmi les fidèles de la relijiiou officielle, la nation suédoise presque
tout entière appartiendrait au rite luthérien; mais dans cette Église même
les diversités sont grandes : les membres de certaines communautés du
Xorrland, emportés par la ferveur religieuse, ajoutent la danse sacrée à
leurs autres cérémonies et sautent, tournent ou se balancent dans l'extase,
jusqu'à ce qu'ils soient hors d'haleine. Les sectes protestantes séparées de
l'État comprennent seulement quelques milliers de personnes, et les israé-
liles, auxquels l'autorisation d'entrer dans le pays n'a été donnée qu'eu
1810, n'ont [)as encore eu le temps de fonder dans les villes commerçantes
de communautés considérables. Les catholiques romains sont encore moins
nombreux que les juifs dans le royaume'. C'est depuis 1870 seulement que
l'accès aux fonctions de l'État est accordé à tous les Suédois, même à
ceux qui n'appartiennent pas à la confession luthérienne.
Le pouvoir de l'Église unie h l'État est encore très considérable, quoi-
qu'il soit attaqué de deux côtés à la fois, par les libres-penseurs et par les
dissidents zélés. Par les pasteurs et les consistoires, elle prend une grande
part à l'administration locale. Elle tient les registres de l'état civil, excepté
dans la ville de Stockholm. Pour les membres de l'Église suédoise, le
mariage béni par les pasteurs est seul valable. L'union civile n'est tolérée
que si l'un des conjoints appartient à la religion juive ou à une secte dis-
sidente reconnue ; dans ce cas, le mariage ne peut se célébrer légalement
à moins de trois publications des bans dans l'église luthérienne. Les
écoles primaires sont placées sous la surveillance directe des pasteurs et
des consistoires : ils veillent à la récitation du catéchisme de Luther, à
l'observance des cérémonies pieuses, à la « confirmation » régulière de
tous les enfants. En outre, l'Église a, comme la nation, ses assemblées
délibérantes. Un synode fut institué en 1865 afin de gagner l'assenti-
ment des pasteurs au changement de Constitution qui devait supprimer
le clergé comme l'une des classes distinctes de la Diète. Cette assem-
Idéc se compose de 00 membres, 30 laïques et 50 ecclésiastiques, parmi
lesquels tous les évèques ilu royaume : l'archevêque est de droit pi-ési-
dent du synode. Le pays est divisé en douze diocèses', auxquels on peut
' Population do la Suède d'après les cultes en 1870 :
Lulhcriens 4102 087
Méthodistes, Baplistes, Mormons. . . 5 809
Israélites 1 850
Catholiques romains 593
Réformés 1!)0
Catholiques grecs 50
' Archevêché : Upsala.
Évéchés : Linkoping, Skara, Strcngniis, Wesleràs, Wcxio, Lund, Gulchi)rg, Kalmar, Carislad,
Ilcrnosand, Wisby.
240 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
on ajouter un treizième, le consistoire de Stockholm, en réalité indé-
pendant du diocèse archiépiscopal d'L'psala. Les diocèses se subdivisent
en décanats ou prévôtés, en pastorats et en paroisses : celles-ci sont au
nombre d'environ 2500.
Les deux universités de la Suède, celles d'Upsala et de Lund, ont une
existence indépendante qui en foit des corps distincts dans l'ensemble de
l'Etat ; cependant elles dépendent officiellement de l'Eglise, les vice-chan-
celiers de ces écoles étant pour la première l'archevêque d'Upsala, et pour
la seconde l'évèque de Lund. Dans chacune de ces universités, l'étudiant
est tenu de faire partie d'une « nation » ; dès qu'il est inscrit à l'école,
il doit se faire porter sur la liste de ses compatriotes. A Upsala les nations
sont au nombre de treize : la plupart sont désignées d'après les anciennes
])rovinces historiques; trois portent les noms de Stockholm, de Gôte-
borg, de Kalmar. Chacun de ces groupes forme une petite république
s'administrant elle-même, jouissant de privilèges spéciaux et possédant en
biens-fonds et en argent un capital assez considérable, dont les revenus
sont employés principalement à soutenir les étudiants pauvres. Us ont de
grandes salles pour les assemblées générales et les fêtes, des bibliothèques,
des cabinets de lecture. Il en est même qui sont propriétaires de châteaux
de plaisance. L'autonomie des corps d'étudiants ne se borne point à l'ad-
ministration de leur fortune, c'est à leurs a compatriotes » que les étu-
diants ont à s'adresser pour obtenir leurs certificats, et dans certains cas les
fonds qui leur permettent de continuer leurs études'. La juridiction uni-
versitaire s'étend pour les étudiants jusqu'à 00 kilomètres autour d'L'psala.
Dans l'histoire de l'enseignement, les deux universités présentent le
même contraste que jadis les écoles de Montpellier et de Paris. Les tradi-
tions de la vieille Upsala sont spiritualistes ; celles de Lund, relativement
jeune, puisqu'elle a été fondée deux siècles plus tard, sont positivistes.
Depuis quelques années, les dames peuvent suivre les cours des univer-
sités : plusieurs sont inscrites à celle d'Upsala.
Le service militaire en Suède était naguère institué en grande partie
comme aux temps de Charles l.\. L'élément principal de l'armée se compo-
sait d'hommes enrôlés pour 3, 0 ou 12 années, une autre part, Vindelta,
était fournie par les propriétaires do certains fiefs (torp), tenus de
jirocurer à l'Etat soit un fantassin, soit un cavalier en tout temps ou
' Vnir Georges Cogoidan, Revue des Deux Mondes, 15 mai 1875.
ARMliL ET FLOTTE DE LA SUEDE. 2H
seaicmcnt pendant la gueri'c, de subvenir partiellement à son entretien
en l'occupant pendant les congés ; enfin la conscription par le sort augmen-
tait la force de l'armée de quelques bataillons. La réorganisation du ser-
vice s'est faite sur le modèle allemand : désormais toutes les troupes se
composent d'enrôlés. Dans l'île de Gotland, une force spéciale, d'environ
8000 hommes, est considérée comme faisant partie de l'armée active, mais
elle n'est tenue au service que dans l'intérieur de l'île. Grâce à la longue
paix dont a joui la Suède, au petit nombre des soldats et à leur genre de
vie tout pacifique, la population n'est pas épuisée comme dans la plupart
des pays d'Europe; tandis qu'ailleurs on a dû abaisser la taille des hommes
réputés aptes au service militaire, on propose de l'augmenter en iSuèdc :
actuellement, elle ne doit pas être inférieure a l'",60 pour les troupes en-
rôlées. En principe, tout citoyen suédois est astreint au service de la milice
de 20 à 25 ans, sans qu'il lui soit permis de se racheter ni de fournir un
remplaçant. L'ensemble de l'armée est évalué à 40 000 hommes sur le
pied de paix. En temps de guerre, l'arméi^ s'élèverait à 176 000 soldats.
Les principaux forts de la Suède sont Waxholm et Oscar Fredriksborg,
qui défendent, avec quelques ouvrages détachés, les passes de Stockholm;
Kungsholmen, Drottningskàr et les autres fortifications qui bordent le
chenal de Carlskrona ; Carlsborg, sur la rive occidentale du lac Wettern,
à l'entrée du canal de Gôta : cette place est le dépôt militaire central du
royaume. La forteresse de Caristeen, sur un îlot de la côte du Bohuslan,
près de Marstrand, au nord de Gôteborg, est désormais sans importance,
quoiqu'on y tienne garnison. L'école militaire est immédiatement en de-
hors de Stockholm, au château de Carlherg. Les autres écoles spéciales,
génie, artillerie, étal-major, sont aussi à Stockholm ou dans les en-
virons.
La station navale la plus importante de la Suède est celle de Carlskrona ;
mais Stockholm possède aussi, à l'est des grands quartiers, dans l'île de
Skeppsholm.ui, son arsenal, ses chantiers de constnirlion, ses corvett; s
cà l'ancre. La flotte se recrutait de la même manière que l'armée
de terre : d'hommes enrôlés pour une péi'iode délerminée. de volon-
taires et de matelots indella, les hàtamdn, fournis et entretenus pendant
les congés par les propriétaires fonciers de la région du littoral. Environ
400 mousses, admis de li à 16 ans, sont groupés en deux compagnies
qui se répartissent sur les navires stationnés à Carlskrona. En outre, tous
les capitaines, S(>conds, mécaniciens et matelots de la Hotte marchande,
entre les âges de 20 à 55 ans, seraient tenus de servir pendant la guerre
si elle venait à éclater. Cet effectif di'iponible s'élève à un millier d'ol-
V. 51
yn iNOUVElLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
liciers cl à 6000 matelots. La milice des districts côtieis, exercée en temps
de paix avec celle de l'armée de terre, serait aussi destinée en temps de
;ruerro à prendre rang parmi les troupes marines : son effectif est d'envi-
ron 20 UUO hommes. L'école marine spéciale, réorganisée à diverses re-
prises, se trouve maintenant à Stockholm.
La flollc de guerre comprenait, en icS77, 14 navires cuirassés, 28 autres
vaisseaux à vapeur, 10 voiliers et 87 j)elites emharcalions, canonin'ères et
batteries flottantes. Les liais de construction de la marine de guerre appro-
chent de "28 millions de francs.
Le budget national de la Suède est un de ceux, bien rares en lùuope,
qui se soldent en i»éiiélice. liCS recettes de la pliipait des exercices annuels
FLOtTE, BUDGET, ADMINISTRATION DE LA SUEDE. 243
donnent un excédent : le surplus s'est même élevé à '25 millions de francs
on 1874. En moyenne, le budget national est de 120 millions, dont
50 millions sont fournis par les douanes et plus de 24 millions par les
chemins de fer; l'impôt sur l'eau-de-vie, qui est la troisième source d>;
receltes en importance, donne à l'État près de 18 millions de francs.
D'autre part, la dépense faite pour l'entretien de l'armée et de la Hotte
atteint 57 millions'. Avant l'année 1855, la Suède n'avait pas contracté
de dette à l'étranger, et dans le pays même elle ne devait qu'une somme
insigniflante à la Banque nationale. Depuis cette époque, elle a fait suc-
cessivement plusieurs emprunts, dont le moulant total est d'environ 504
millions; mais ces dettes, dont le service annuel est d'un peu plus de
15 millions, sont entièrement garanties par les propriétés de l'Etat. Le
réseau des chemins de fer représentait à lui seul, à la fln de 1880, un
capital de 294 500 000 francs (et les prêts faits à des compagnies particu-
lières s'élevaient à une ceulaine de millions). En outre, l'État possèile une
centaine de millions en fonds divers, des terres affermées en bon rapport et
de vastes étendues boisées : ce domaine comprenait en 1878 une surface
totale de forêts et de terrains incultes évaluée à 5 221 500 hectares, et
cette immense propriété, dont la valeur nominale est de 45 millions
de francs, soit un peu plus de 8 à 9 francs par hectare, et dont le revenu
net n'a pas atteint 660 000 francs en 1876, s'accroît tous les ans par
l'achat de landes et de bois. L'évaluation générale de la situation
linancière donne pour l'excédent de l'actif sur le passif une somme de
200 millions de francs.
Quant aux finances communales, elles sont moins brillantes que celles
de l'État' : plusieurs communes sont endettées; mais, dans l'ensemble, les
propriétés qu'elles possèdent représentent une valeur plus considérable
que celle de leur jjassif. En 1875, les propriétés foncières des particuliers
taxées pour l'impôt étaient évaluées, au-dessous de leur valeur réelle, à
2491 millions de francs; mais il faut ajouter à celte somme 875 millions
pour il'autres pi'opriélés immobilières. Toutes les assurances contractées
auprès de compagnies exclusivement suéduises s'élevaient à plus de 2 mil-
liards 500 millions (h; francs.
■ HuJgcl (le l'auDéc 1881 : 109 VU! .'.110 fnnrs.
' Budgnl (les communes en I88ll :
Rpcetles 62 Oô7 000 francs.
Dépenses 65 651 000 >
Actif en immeubles et en cif;ince> 218 000(100 »
Passif .... 120 300 000 y
2U
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
La Suède n'a pas de colonies étrangères. L'Anlille Saint-Bartliélemy, qui
lui avait été cédée en 1784, a été vendue à la France en 1878.
La Suède est divisée en 24 provinces ou lan, dont voici le tableau :
Miilmo (Malmôhus). .
Clirislinnslail. . . .
Carlski'ona (Blekinjre'
VVcxin (Kronobcru).
Juiikopiii,'
Kalinar. ......
Liûkoping (ÛstergdllaiîH)
llalmstad (llalland). .
llaiiestad (Skaraliorg) .
VVenersborg (F.lsborg). .
Goleborg et Bohus. . .
VVisby (fiolland). . . .
GôTA ItiKS.
13. Stockiioui et \illc. . . .
14. Upsala
1."). Nykoping (Sodermanlaiid i
16. VVesteràs (WeslmanlaiidV .
17. Ôrcbro (Norikc). . . .
18. Carlïtad (Wermland). . .
19. Fahm (Slora Kopparborg" .
SvE.v
20. Cette (Gelleborg)
21. Hernosand (Weslernorrlaiid
22. Uitersnnd (Jemtland). . .
25. Umeâ (Weslerbotlen).
24. Luleâ (NoirboUen). . . ,
NoiiRLAXD tT Laplane (Laponie)
Grands lacs : Wencrn, Wettern, Miilar et lljel-
raar
POPUHTio:<
EN 18S1.
kil. rni-.
4 784
6 495
5015
9 949
11500
1 1 497
11066
4919
8 505
12 815
5 057
5116
92 714
mai
7 824
5516
6 815
6 794
9 072
19 025
29 579
84 423
19214
24 050
50 771
56 828
104415
POPULATIO.N
KILOMÊTB.
9109
412 12S
549 355
229 504
158 152
108 986
195 787
244 557
265 557
154 622
256 712
287 085
263 706
54 026
2 5875^0
525 655
m 570
147 572
127 954
181 106
265714
190 509
1 547 884
180 454
171602
85 284
107 819
91 812
057 051
47
19
19
22
27
28
32
24
41
22
25
20
22
15
7
10
10
7
1.8
0.9
4 572 215
CHAPITRE III
LES ILES DEL'OCÊAN GLACIAL D'EUROPE
Les mers qui s'étendent au nord do la péninsule Scandinave et de la
Russie, jusque dans les régions inexplorées voisines du pôle, ont, comme
l'Atlantique boréal, leurs îles et leurs archipels, souvent réunis les uns
aux autres par un continent de glace. Ces terres, dont quelques-unes n'ont
été encore entrevues qu'à travers la neige et les brouillards, et auxquelles
s'ajouteront peut-être dans un avenir prochain d'autres îles découvertes
sur le chemin du pôle, ne sont pas même comptées d'ordinaire comme
faisant partie de l'Europe : avec l'extrémité septentrionale du Groenland et
les archipels polaires du nord de l'Amérique, elles forment un monde à
part qui n'appartient pas encore à l'homme. Sans doute, des Etats d'Eu-
rope ont pu revendiquer la possession du Spitzberg, y faire planter leurs
drapeaux ; mais ces terres lointaines n'en restent pas moins des soli-
tudes, englouties pendant des mois entiers dans la nuit de l'hiver, puis
éclairées par un soleil qui tournoie dans les cieux, guidant rarement sur
les flots d'autres navires que ceux d'aventureux pêcheurs. Peut-être les
naturalistes qui explorent les îles du monde polaire y découvriront-ils
un jour des richesses qui attireront des colons dans ces régions déso-
lées; mais jusqu'à maintenant, des chasseurs de morses et des naufra-
gés ont été les seuls à y séjourner pendant l'hiver. Quoique situées en
dehors du monde habité, ces terres inhospitalières rappellent néanmoins
quelques-unes des gloires les plus pures de l'humanité. Ces mers dange-
reuses ont été parcourues dans tous les sens par des hommes sans peur
qui ne cherchaient ni des batailles, ni la fortune, mais seulement la joie
d'être utiles. Les noms de Barents, de Ileemskerk et de Bernard, de \M\-
loughby et de Parry, de Nordenskjôld, de Payer et de Weyprechl. rappel-
lent des hauts faits de courage et de persévérance dont la race iiumaire
24'! NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
peut rester lière à jamais, et pas une année ne s'écoule sans que d'au-
tres liomnies vaillants s'élancent sur les traces des premiers explora leui's,
afin d'agrandir le monde connu et de pénétrer plus avant dans les mystères
du pôle.
La première terre de l'océan Glacial, à 450 kilomètres environ au nord-
ouest des côtes du Finmarken, est complètement séparée de la Scandinavie
par des abîmes océaniques : dans ces parages, la mer n'a pas moins de
540 mètres de profondeur. Découverte par le Hollandais Barents le
1" juillet I50(i, Becren-Eyland ou « l'Ile des Ours », ainsi nommée d'une
bête qu'on y tua, ne l'ut revue que sept années plus tard, par l'Anglais
Bennet, qui lui donna, en l'Iionneur de son patron Cberie, le nom de Chérie
ou de Clierry-Island, inscrit encore sur un grand nombre de cartes. De nos
jours, elle est visitée fréquemment par les pêcheurs norvégiens, car des
poissons, les requins, les morues, même les harengs, se jouent en multi-
tude autour de ses falaises percées de grottes : des ateliers temporaires
de salaison ont été fondés sur les côtes de l'ilc; une véritable maison
s'élève au bord d'une crique, dans la partie septentrionale de Beeren
Eyland ; mais les morses, jadis si communs, ont presque entièrement dis-
paru de l'île : en 1608, un équipage de navire y tua en sept heures de
chasse près d<^ mille pinnipèdes de cette espèce'.
>'aguèro tous les navigateurs signalaient cette île comme n'ayant qu'une
1res faible étendue : encore en 1864, Nordenskjold et Dunér lui attri-
liuaienl une surface de Ùij kilomètres carrés seulement. Les levés exacts
(l(!s ex|)loraleurs suédois de 1868, au nombre desquels se retrouvait Nor-
denskjold, indiquent la superficie, exactement décuple, de 670 kilomètres.
Des lacs, des marais parsèment une partie de cette étendue, tandis qu'au
sud-est le sol se redresse en collines, dont l'une, nommée par les An-
glais Mounl Misery à cause de l'aspect désolé de ses pentes, se dresse,
d'après Mohn, à 455 mètres au-dessus de vastes névés; mais on n'y voit
pas de véritables glaciers. Les roches de l'île, renfermant des gisements
de galène, ont été exi)lorées pour la première fois par le géologue Keilhau;
elles consistent en calcaires et en grès de la formation carbonifère, et l'on
y trouve en maints endroits de puissantes couches de houille portant des
impressions de sigillariées, de calamités et d'autres plantes fossiles : des
' Torcll iitiil Ndrdenskjôld, Die schwcdischcn Expcdiltonen iiacli Spitzbergen und Bdren-Eiland,
IratliicliiJii alli'iiianili; de l'assar^c.
BEEREN-EYLAXD, SPITZBRRG. 217
bateaux à vapeur qui passaient à côté de l'île ont utilisé ce combustible.
A l'époque où se déposaient ces strates, Beeren-Eyland faisait partie d'un
f,^rand continent, qui s'étendait probablement jusqu'au nord de l'Amérique,
à en juger par l'identité de la flore houillère dans toutes les îles de l'océan
Glacial; plus tard le continent disparut en entier sous les flots, et les îles
qui se voient maintenant en sont des fragments émergés'. Lorsque se
forma la houille de Beeren-Eyland, le climat de l'île, qui est maintenant
plus froide peut-être que le Spitzberg', ressemblait à celui de l'Europe
centrale : sur 18 espèces de plantes recueillies par Nordenskjold et Malm-
grèn dans les houilles et les roches de Beeren-Eyland, 15 sont identiques
à celles de la flore houillère suisse. Mais de nos jours que cette île, tou-
jours battue des vents humides, paraît désolée ! On n'a point à s'étonner
du premier nom, laramerberg ou « Mont de Désolation », que lui donna
Barents. Sa flore, d'une extrême pauvreté, ne comprend qu'une trentaine
de phanérogames, parmi lesquelles une espèce de rhododendron, et 80
espèces de mousses, dont la verdure, vue de loin, ressemble pourtant çà
et là à celle des prairies. Parmi les 12 espèces d'insectes, on ne ren-
contre pas un coléoptèrc, mais presque toutes, d'après Malmgrèn, ont des
formes particulières, comme si l'île même était leur lieu d'origine. En
été, Beeren-Eyland est couverte de mouettes et de canards qui s'y repo-
sent avant tle cingler vers le nord; en automne, les oiseaux voyageurs s'y
arrêtent de nouveau en retournant vers les terres du sud.
L'île des Ours est le promontoire méridional d'un plateau sous-marin
qui s'étend au loin vers le nord et h; nord-est jusque dans les parages
inconnus de l'océan Glacial. Le canal de '200 kilomètres de largeur qui
sépare Beeren-Eyland des îles les plus rapprochées n'a que des profon-
deurs peu considérables, variant de 50 à r)'25 mètres. En 1857, un banc
de glace continu recouvrait entièrement ce large détroit.
L'arciii|)i'l du Spitzberg — ou mieux de Spitsbergen — est un ensem-
ble, formé de cinq grandes îles et de nombreux îlots, s'allongeant du sud
au nord sur un espace de j)lus de 4 degrés de latitude : ses derniers îlots
ne sont à guère plus de 1000 kilomètres du piMe. Les géographes évaluenl
diversement la superficie de ces contrées neigeuses; mais, grâce aux obser-
vations précises qui ont été faites sur plusieurs points du littoral, on peut
' Oswald Ik-nr, Vcber die neuesten EnUk'ckungen im hohcn f\orikn.
' 0. Torell und .Nordcnskjold, ouvrage cilr.
248 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
désormais donner pour la surface du groupe entier des évaluations approxi-
matives. Déjà Scoresby, dans les vingt premières années du siècle, avait
relevé astronomiquement quelques points des côtes, et des explorateurs
anglais, Brook, Franklin, Becchey, Parry, avaient reconnu avec précision
les côtes du Nord. En 1S5S, les officiers français de la Recherche ont tracé
exactement les contours de la grande baie méridionale appelée Bell-Sound,
et durant les cinq explorations consécutives qu'il a dirigées, notamment
dans celle de 1864, M. Nordenskjôld a fixé, avec JDI. Dunér, Chydenius,
Lindhagen, la position exacte de ISO points différents. En 1870, MM. Heug-
lin et Zeil ont pu rectifier sommairement le tracé des anciennes cartes pour
une notable partie des côtes orientales, ajouter au profil des rivages un
grand nombre de promontoires et de criques, indiquer dans l'intérieur
des montagnes et des champs de glace ; mais ils laissent à leurs succes-
seurs bien des corrections à faire et des traits à signaler. La mesure d'un
arc de méridien du sud au nord de l'île, opération qui serait d'une si haute
importance pour l'étude de l'aplatissement polaire, n'a encore été que
préparée, quoique Sabine se fût offert déjà, il y a plus d'un demi-siècle, à
en diriger l'exécution'. Dès l'année 1865, le géographe Debes attribuait à
l'ensemble de l'archipel une surface de 58 SOO kilomètres carrés"; mais
une récente expédition, celle de Leigh Smith et d'Ulve, en 1871, a donné
à la Terre du Nord-Est une étendue de beaucoup supérieure à celle qu'on
lui assignait jusqu'alors : elle se trouve ainsi accrue à l'est d'un territoire
d'au moins 5500 kilomètres carrés". On peut évaluer au luiitième de la
France la surface des vastes solitudes du Spitzberg.
Lorscpie Barents découvrit cet archipel du Nord en 1596, et même en
atteignit la rive septentrionale, on croyait que le Grônland s'étendait beau-
coup plus à l'est. Quelques-uns pensaient même qu'il allait rejoindre le
continent d'Asie, et diverses légendes en parlent comme d'un Trollbolen ou
« Pays dos Sorciers' « occupant loul le nord du monde. Quoiqu'un des
' Beecliey, Voyage of discoverii Inwards ihc I\'orUi Pôle.
' Pelermann's Mitllieilung^n, 1805; — Pclcnnaun, Spitiberi/en und dic nrklisclic Central
Région, Ergaiizungslielï, n° 10. — Ch. GraJ, Esquisse physique des îles SpiUberyen.
' Terre du Nord-Esl el îles voisines lôilOO (?) kil. caiTos.
Spitzberg occidental » » ,"il 2(50 " »
lies du Piince Charles . 1 000 »
Terre de Barents et iles voisines 1 .^30 j «
Edges Island ou Staus Forelaod (Terre des États) el iles voisines. 0 JIO » »
Ensemble (il '200 kil. carrés.
♦ De Ras, llel Doop Register mn SpiUlicrgen, Tijdsclirifl van bel aardrijkskundig Genootschap tî
Aiiislcrdani, 1877, iV 5.
LK SOLEIL (JE M I S C I T AU
Dessin (le F(i(
•ii'irzDKnc. — TUE pnisE au xonD du iion>
j, il'upi'ès une |>liolographic du Comte Wilczck
SPITZBERG. 251
compagnons do Barents, Cornelis Ri,j|), eût fait la circumnavigation do
l'archipel', n^nouvoloe pour la première fois en 1865 par le capitaine
norvégien Carlsen, cet important voyage fut complètement oublié et l'on
continua longtemps à désigner ces îles du Nord sous le nom de Groenland,
diversement reproduit sur les cartes : on les appelait aussi Niculand,
comme tant d'autres îles nouvellement découvertes. Cependant le nom de
Spitzberg, qui date de l'époque même de la découverte, finit par prévaloir.
Les brusques saillies des montagnes du Sud valurent ce nom à tout l'ar-
chipel, ainsi que le dit le journal « escrit de la main prospre de Guillaume
liernard », compagnon de Hecmskerk et de Barents : « La terre estoit la
]dus part rompue, bien hault, cl non autre (jue monts et montaignos
agues, parquoy l'appellions Spitsbergen. »
Encore de nos jours, les cartes du Spitzberg sont en contradiction aji-
jiarente les unes avec les autres par l'effet de la nomenclature tout à
fait arbitraire adoptée par la plupart des cartographes appartenant aux
différentes nations, l'n faux patriotisme a fait en mainte occasion rem-
placer par de nouvelles désignations les noms qu'avaient choisis les pre-
miers navigateurs, et les mots hollandais, anglais, suédois, s'entremêlent
ainsi d'une manière fâcheuse. Tel cap, telle baie ont jusqu'à dix appella-
tions distinctes. Il importe de restituer, sous peine d'injustice et d'inextri-
cables confusions, le nom primitif à chaque montagne, à chaque promon-
loire, à chaque îlot, excepté là où un usage constant et général a depuis de
longues années fait disparaître l'ancienne désignation. Au nord-ouest, une
pointe, le Biscayers llook, rappelle les anciens Basques ; mais un seul
point du littoral de Spitzberg porte maintenant un nom français : c'est
l'ancien Schoonhaven ou « Beau Port », devenu la « baie de la Recherche »
ilepuis que les explorateurs Martins, Lottin, Bravais, Robert, y ont fait
b'urs observations scientifiques'. La petite « baie des Basques » ou « Refuge
Français », où le pécheur basque Jean Vrolicq avait établi en 1055 le
séchoir principal de ses pêcheries, a définitivement perdu son nom, quoi-
(|u'ou eu connaisse encore l'cmijlacement, un |ieu au sud de la baie de
Magdalciia; quant à la » lÎMiji' des rraiiclio\s », où pêcliaicnl aussi lo
Basques de Saint-.leau-di'-Luz ', il faut y voir probablement l'inwyck di's
premiers navigateurs, le l'ell-Sound des Anglais. Sur la côte occidentale,
qui de tout temps fui liè< fréipienlée |iar les pêcheurs, jucscjue toutes les
' Cl. Muikliam, Journal n( tlic R. Georjrapliical Society, I87ô; — UuUcr, Gescliieilciiis der
Miiorrisrhe Compagnie ; — Kari et Pnsihuiiiiis, Congrès des Sciences géographiques, Paris, I87J
' Voyage en Saindinnrie cl au Spitzberg de la corvelle h Flecheiclic. 4 vol. iii-8, avec all.is.
■■ lles^tl G(!iTil."!z, llisloire du pays nommé SpiUberglie. 1012.
252 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
appeJlations géographiques inaiiilenues sont d'origine anglaise on néerlan-
daise : au nord, sur les bords du délroil de llinlopen et sur le littoral de
N" d\. ARCHIPEL DO SPITZIIEUG.
dsprcs la Carte de b Manne anjl'
la Terre du INord-Est, les désignalions imposées par les explorateurs sué-
dois se mêlent surtout aux noms anglais, tandis qu'à l'est MM. lleuglin
et Zeil ont couvert de termes allemands la carie de leur itinéraire. Kniin
SPITZREKG.
233
l'île occidentale, dite Prince Charles Foreland, a reçu un nom russe pour
l'un de ses promontoires, le cap Svetoï ou « cap Sacré ».
L'archipel des « Montagnes Aiguës » n'a pas de sommets d'une très
grande hauteur. La cime la plus élevée qui ait été mesurée jusqu'à présent
est le pic de Horn Sound, qui se dresse près de la baie de même nom,
vers l'extrémité méridionale de la grande île, mais que l'on voit rarement
au-dessus des brouillards qui l'enveloppent. On dit aussi que des pointes
de 1500 mètres dominent l'âpre chaîne de l'île du Prince Charles, pa-
rallèle à la côte occidentale du Spitzberg. 11 n'existe point sur les terres
de l'archipel d'autres sommets atteignant la hauteur d'un kilomètre ; le
plus élevé que l'homme ait gravi est celui de la a Montagne Blanche », à
l'est de la grande île, observatoire d'où Nordenskjôld a pu contempler
en 1865 un admirable panorama. L'intérieur des îles, partout où des
explorateurs ont pu le dominer de quelque montagne bien placée, se
présente sous la forme d'un onduleux plateau, percé çk et là de roches
tachetées de neige dans leurs anfractuosités et contrastant avec l'immense
étendue blanche par leurs noires saillies. En moyenne, les névés de l'île
de West Spilsbergen s'étendent à 500 ou 600 mètres d'altitude; ceux de
l'île du Nord-Est sont plus élevés d'une centaine de mètres '.
Quoique l'intérieur de l'archipel du Spitzberg soit à peu près complète-
ment inconnu, cependant les énormes quantités de débris qui se sont
amassées à l'extrémité des glaciers permettent d'affirmer que la nature
du terrain est la même au milieu des îles et sur leur pourtour. Les
roches que l'on a rencontrées le plus communément sont les granits, les
gneiss, les assises de formation paléozoïque : le gneiss forme en entier le
haut archipel des Sept Iles, au nord de la Terre du Nord-Est, et toute la
partie septentrionale de l'archipel est d'origine ancienne ; mais plus au
sud on rencontre des roches appartenant à presque toute la série des âges
secondaires, notamment le trias et le jura, et même à l'époque tertiaire.
' Allitudes diverses de l'archipel :
Fr.lXCE CHARLES FORCLAND.
Sommet principal 1500 (?) mcl.
CRASDK ÎI.F. (WEST-SPITSBERGEX).
Pic de llorn Sound 1580 (?)mè:.
Mont Lindstrnm (Ice Sound I . . 1200
Jliddle Iluok (Bcll-Sound) ... 810 p
Montagne Blanclie (|>ointc orien-
tale) 900
Cap Afiardh (baie Agardh). . . 570 »
Mont Chydenius (centre). . . . 600 •
Mont LoYcn (nord) 5IU i>
TERRE DC .\ORD-EST.
Snbttoppen (capBird.au nordouesl).
570 met
210 »
500 »
SEPT iLES.
Ile Parrj-, cime principale ....
515 met
Ile Martens • » ....
420 ..
Ile Phipps • » ...
549 .
BARENTS LiMi.
Mont Fraas
600 met
254 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Des assises miocènes, près de Bell-Sound, renferment loute une végétation
fossile, peupliers, aunes, noisetiers, platanes et cyprès, qui prouvent qu'à
cette époque le climat du Spitzberg devait être à peu près le même que celui
de la Scandinavie vers le 60'' degré de latitude'. Quelques-unes des cou-
ches calcaires renfermant de beaux marbres pourraient être exploitées, si
elles se trouvaient sous d'autres climats; les gisements de phosphates de
rijs-fjord sont également fort riches, et même une compagnie linancière
a tenté de les exploiter; enfin, sur la côte occidentale, au nord du Bell-
Sound, les glaciers entraînent des fragments de houille, déjà signalés par
Scoresby. Le géologue Blomstrand, explorant les bords de King's Bay, entre
rijs-fjord et la baie Magdalena, a fini par trouver les couches mêmes de
houille à '2500 mètres du rivage, dans le lit desséché d'un torrent glaciaire.
Ce charbon, qui brûle avec une extrême facilité et laisse peu de cendres,
sera peut-être un jour de quelque importance industrielle : comme celui
(le Beeren-Eyland, il est très riche en arbres fossiles, et ceux-ci, appar-
tenant aux mêmes espèces, témoignent ainsi d'une même douceur dans
l'ancien climat".
Sur les côtes du Spitzberg, les roches volcaniques ne manquent pas non
plus et présentent çà et là l'aspect le plus pittoresque. Ces masses érup-
tives, formées d'hypérite, que ^'ordenskjôld considère comme une cendre
cristallisée sous une forte pression, ne se dressent nulle part en pitons,
en cônes isolés, mais elles se montrent en coupes et en nappes sur les
escarpements des falaises et se divisent en prismes irréguliers, offrant de
loin une certaine ressemblance avec les colonnades basaltiques. En divers
endroits, elles paraissent s'être distribuées à la facjon des laves sur les
assises du trias et du jura. Les falaises d'hypérite sont nombreuses sur
les deux bords du détroit de Hinlo|)en, et plusieurs îles sont entièrement
composées de cette roche volcanique. L'archipel dont les terres sont parse-
mées au sud de Stans Foreland et que l'on appelle les « Mille Iles », bien
ipi'on n'en ait guère compté qu'une centaine, consiste également en
laves hypcritiques, ainsi (pie les divers promontoires qui. de la Terre de
Barents et de la grande île de Spitzberg, s'avancent dans la baie de
(jinevra ; au pied de la haute colline du iMôwenberg ou « Mont des
Mouettes », les piliers de lave reposent sur des marnes stratifiées que l'eau
détruit facilement ; quand la base vient à manquer, elles surplombent
pendant quelque temps la mer, puis s'écroulent les unes après les autres.
' (Jsw.ilii lli'iT, lifber (lie Polarlùndn.
'' .Nordfnskjolil, Ceoloyy of Spitibergen, Gcological Miignzinc, l!>70, Joe. ii, vol. IlL
MONTAGNES. CLIMAT DU SIMTZBERG. 255
En quelques endroits, on voit des groupes de piliers, semblnbles à de
gigantesques obélisques, se dresser isolément au bord de l'abîme. Presque
partout des massils de laves s'avancent en saillies aiguës, laissant entre
elles des ravines emplies de neige : cette alternance de nappes blanches,
d'aiguilles noires et de colonnes en faisceaux autour desquelles tour-
billonnent les mouettes, forme un ensemble bizarre, que ses premiers
spectateurs, Heuglin et Zeil, ont comparé à des monuments d'architecture
ogivale '. Les hypérites du Spitzberg contiennent une certaine quantité
de fer, et même ils se recouvrent à l'air d'une légère couche de rouille. Au
pied de ces falaises, i'aiguiile aimantée se trouble et donne de fausses
directions aux marins qui la consultent.
Pendant l'année presque tout entière, les roches doucement inclinées
du Spitzberg sont cachées par la neige : on ne les voit reparaître, au
commencement de l'été, que dans le voisinage de la mer, sur les pentes
inférieures. La limite moyenne des neiges persistantes dans les îles de
l'archipel a été diversement fixée par les naturalistes; mais on peut dire
que cette ligne varie à l'iniini, suivant la nature et l'inclinaison des
roches, l'exposition et les mille conditions du climat". Là où le vent et le
soleil ont l'un et l'autre travaillé à dégarnir les pentes, la roche peut être
complètement débarrassée de neiges jusqu'à la hauteur de 400 et même
de 500 mètres : dans l'archipel septentrional des Sept Iles, iSordenskjôld
et ses compagnons ne virent pas même une plaque de neige au-dessous
de 500 mètres; sur quelques roches isolées, d'où se sont écroulées les
neiges, la végétation peut se montrer jusqu'à plus de 000 mètres au-dessus
de la mer. Mais là où les orages et les avalanches ont amassé les neiges,
où l'ombre les a protégées des rayons solaires, elles se maintiennent pen-
dant toute l'année, et la limite des neiges persistantes se confond ainsi avec
la ligne des rivages.
Sous un pareil climat, les ruisseaux ne peuvent avoir qu'une existence
temporaire : de petits cours d'eau se forment dans les couloirs d'ava-
lanches, puis, arrivés dans les terres basses du littoral, cherchent leur
chemin à travers les graviers : en maints endroits, leur cours est obs-
trué de ponts de neige, aux arches irrégulières ornées de pendentifs
transparents. Mais les grandes vallées, largement ouvertes dans l'épaisseur
du plateau, sont emplies par des glaciers qui descendent presque tous jus-
qu'à la mer et dont quelques-uns s'avancent même en dehors du rivage.
Pelermnnn'.i Milthetluiufeii, 1871, n" 5.
Karl Wi'v, icclil, Melamorphjsen du Po'.arciies.
256 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
La plupart de ces fleuves glacés, formés eux-mêmes de névés d'une faillie
altitude, n'ont qu'une pente peu considérable, beaucoup moindre que celle
des glaciers des Alpes, et s'inclinent d'une pente égale sans grandes cre-
vasses, sans écroulement de séracs : d'ailleurs, les pliénomènes qu'on y
observe sont les mêmes que sous les latitudes tempérées. Engagés dans le
névé par leur vaste bassin d'alimentation, ils sont en général assez courts
en proportion de leur largeur, car plusieurs d'entre eux occupent de pro-
montoire à promontoire tout le littoral de vastes baies. Le plus vaste est
sans aucun doute celui de la côte orientale de la Terre du ^'ord-Est, que
l'on croit, mais sans avoir encore pu le constater d'une manière pré-
cise, former une paroi glacée de plus de 100 kilomètres de longueur. Tout
près de la pointe méridionale, un glacier présente sur la mer un front de
20 kilomètres; celui de Ilorn-Sound n'est guère moins large, et, sur la
côte orientale, le glacier de Markham, ceux d'Inglefield, de Negri, de Hoch-
stetter, interrompent la ligne des côtes sur des espaces bien plus considé-
rables. Parmi les courants de glace qui s'épanchent des monts du Spitz-
berg, il en est aussi que l'on dirait être de simples cataractes saisies tout
à coup par la gelée : ainsi l'un des glaciers qui tombent dans la baie
Magdalena n'a que 240 mètres de l'une à l'autre rive.
La plupart des glaciers du Spitzberg se terminent du côté de la mer par
des coupures soudaines qui permettent de voir la structure intime du
fleuve congelé. On voit nettement les bandes de neige durcie, inégales en
dureté, en transparence, en teintes blanchâtres ou azurées; les ondula-
lions des couches indiquent dans quel sens s'est fait le mouvement du
glacier ; la masse tout entière s'avance lentement au-dessus des flots en
présentant à Ri mer sa haute paroi bombée vers le milieu par le courant
qui l'entraîne. Tandis qu'en Suisse la tranche des glaciers, à l'endroit de
leur chute, est en moyenne de 10 à 25 mètres', la paroi verticale des
glaciers du Spitzberg se dresse cà 60, à 80, à 100 mètres, et même on a
mesuré 121 mètres de hauteur pour le mur terminal du glacier de Horn-
Sound. Baignés par les eaux tièdes (jue les courants d'origine tropicale
amènent sur les rivages du Spitzberg et qui ont en moyenne une tempé-
rature de 4 degrés centigrades, les glaciers de la côte occidentale ne peu-
vent s'avancer sur le fond même de la mer, en dehors du lit émergé qui
les encaisse : toute la partie qui baigne se fond rapidement, et la face in-
férieure du glacier marque la hauteur précise à laquelle s'est arrêtée la
marée moulante. Mais, à l'hiMnc du icilux. U)ule la masse projetée en
' Cil. Gnid, Esquisse pltysiquc des 'des SpildH'njen.
GLACIERS DU SPITZRERG. 257
avant se trouve sans appui; longtemps elle résiste, grâce à la cohésion de
ses parties ; soudain un craquement se fait entendre, suivi du tonnerre de
la chute : tout un pan de la muraille glacée s'est abîmé dans la mer. Le
flot, refoulé par l'écroulement, revient en masses écumeuses se heurter
contre le glacier; vagues et glaçons s'entrechoquent et se confondent; puis,
quand le bouillonnement de l'eau s'est apaisé, on voit les blocs flottants
naviguer de conserve en se balançant sur les vagues : on dirait une troupe
de personnages fantastiques cheminant vers la haute mer. Quelques-uns
de ces blocs, plongeant dans une eau profonde, gardent d'énormes dimen-
sions. Dans son « Voyage au Pôle Boréal », entrepris en 1775, Phipps,
qui se trouvait alors près de Smeerenberg, au nord-ouest de l'archipel,
décrit un de ces fragments de glace, se dressant à 15 mètres de hau-
teur au-dessus de la surface marine et plongeant de 40 mètres au-des-
sous de la surface de l'eau. Dans la paroi du glacier de Fairhaven, d'où
s'était écroulé ce bloc et qui n'avait pas moins de 91 mètres de hau-
teur, s'ouvrait une arche d'où les eaux grises d'un torrent s'élançaient en
cascade.
La côle orientale du Spilzberg el de la Terre du Nord-Est, rasée par le
couiant polaire, est en général beaucoup plus difficile d'accès que la côte
occidentale, et souvent il est impossible d'y aborder. Tandis qu'à l'ouest
la banquise est généralement creusée en golfe et permet aux navires d'at-
teindre en été la rive septentrionale de l'archipel, les promontoires et les
îles de l'est sont unis par une couche de glace continue. Tous les golfes et
les détroits restent cachés : aussi les contours géographiques de cette partie
de l'archipel sont-ils bien moins connus et moins nettement tracés par les
cartographes que ceux du littoral de l'ouest. On peut dire que par le
régime de ses glaciers la côte orientale du Spilzberg ressemble au littoral
du Groenland : là déjà, les glaces, s'avançant au loin dans une eau déjà
froide et qu'ils refroidissent encore par leur contact', peuvent coiiliiiucr de
cheminer sur le fond de la mer en repoussant les vagues devant elle-^ :
des criques, des baies, même de véritables fjords sont complètement obli-
térés. De celle manière, la côte orientale du Spilzberg, égalisée par le
front mouvant des glaces, semble beaucoup moins découpée que la rive
opposée, dont les indenlalions restent pour la plupart ouvertes au flot
marin. Seulement au large, elles soiil partiellement si'jiarées de la mer
par des amas de débris analogues aux « ponts de mer » de la côle norvé-
» Cil. M:irlins, Mémoire sur les tempéinliires de In mer Ghiciatc, à la surface, à île ijrandes
profondeurs el dans le voisinage des glaciers du Spilzberg.
258
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
gieraïc ; ces moraines sous-marines sont connues par les pécheurs du
Spitzberg sous le nom de « bancs des phoques ».
Les glaciers du Spitzberg, de même que ceux de la Suisse, ont eu, pen-
dant la période moderne, de nombreuses alternatives : ils diminuent et
grandissent tour à tour. Actuellement, un certain nombre de glaciers pa-
BANQCISE5 PU SPITZBERG E\ 1869.
TF
^
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Trrrc de ^Iche
SPITZBERG
J'ik± ^^
Z) ..^. ..T y . <.
rtiuc /,^£,-lu,fd^
raissent être dans leur période de croissance, tandis que d'autres sont en
voie de diminution. Encore en 1858, le glacier de Frithiof, incliné vers le
lîell-Sound, sur la rive septentrionale de ce golfe, était un courant de glace
peu étendu, séparé des eaux par une large zone de terres boueuses que
traversaient des ruisseaux : sur une bulle, s'élevait une croix indiquant
la tombe d'un matelot. L'aspect des moraines témoignait du retrait des
GLACIERS ru SPITZBEnC.
259
glaces; mais pendant l'hiver de 1860 à 1801 le courant cristallin se gonfla
rapidement, recouvrit toute la grève et déborda au loin dans la mer, en
comblant l'un des meilleurs ports du Spitzberg, que les baleiniers et les
chasseurs de rennes fréquentaient autrefois. Maintenant, le glacier de
Frithiof est devenu l'un des plus considérables du Spitzberg, et les mate-
lots n'osent guère s'en approcher en barque, à cause des blocs qui s'en
écroulent. Les glaciers que les explorateurs français ont étudiés en 1858
AIE nn i,\ nFfiiFnciiE ex
dans la ])aie de la lieL^horche se sont accrus également, et l'aspect de la
baie est tout autre qu'il n'était à cette époque. Des changemsals de
même nature ont été observés dans le Slor-fjord et d'autres grandes
baies, où d'anciennes îles sont perdues maintenant dans le glacier débordé.
En revanche, il semble (pie la mer de glace qui remplissait le Nord-sund,
indentation septentrionale de l'ijs-fjord, a considérablement reculé. La
comparaison des cartes hollandaises avec les cartes modernes ne permet
pas d'arriver à une autre conclusion, car ces parages étaient constamment
visites par les pêcheurs néerlandais et l'on ne comprendrait pas que
l'existence de la grande baie du nord leur fût toujours restée inconnue'.
• Nordcnskjrild, Geologiail Mngaiinc, décade ii, vol. III, n" 1.
200 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
De même que sur les rivages de la Scandinavie, les traces d'e.xliausse-
ments modernes sont fréquents sur le littoral du Spitzberg. D'anciennes
plages qui témoignent du soulèvement de l'archipel se voient sur le pour-
tour presque entier des îles : çà et là coupées par les glaciers et les ravins
d'érosion, elles se poursuivent à des hauteurs inégales le long des côtes ;
la plus élevée que Heuglin ait observée est à 15 mètres d'altitude, et,
suivant l'inclinaison du sol, elle se développe soit dans le voisinage im-
médiat de la mer, soit à plusieurs kilomètres dans l'intérieur ; d'autres
observateurs ont vu de ces grèves soulevées à l'altitude de 45 mètres.
De grandes quantités de bois de dérive rejetées sur les plages, bien
au-dessus de l'atteinte du flot, ainsi que des os de baleine, des coquil-
lages appartenant à des espèces encore vivantes, permettent de mesurer
du regard l'exhaussement qui s'est produit pendant l'époque contem-
poraine. C'est à l'angle nord-occidental de la Terre du Nord-Est que
les effets du soulèvement sont le plus visibles. L'île Basse {Loïc hland)
tout entière est probablement d'apparition récente : ses roches par-
semées de lacs semblent à peine asséchées, et çà et là, dans l'intérieur
des terres, des fragments de navires sont mêlés aux arbres flottés et aux
ossements de baleine. Une rangée d'écueils émerge peu à peu entre la
grande terre et cette île nouvelle, dont la superflcie peut être évaluée à
50 kilomètres carrés.
Attiédi par les courants maritimes et les vents du sud-ouest, l'archipel
du Spitzberg participe à l'adoucissement général du climat dont jouissent
la Scandinavie et toute l'Europe occidentale. Il est vrai que l'isotherme
indi(piant la température moyenne du point de glace passe immédiatement
au nord de la péninsule Scandinave; la pointe méridionale du Spitzberg
est coupée par la ligne isothermique de — 5 degrés, et l'on peut évaluer
à — 7 et à — 8° la température annuelle des côtes du nord-est. Pareil
climat est de ceux où, dans le nord de l'Amérique et de l'Asie, la popu-
lation est déjà très clairsemée, mais où vivent néanmoins des populations
indigènes et de nombreux immigrants ou voyageurs, Canadiens, Anglais
ou Russes. En été, le climat du Spitzberg est, sinon l'un des plus agréables
de la Terre, du moins l'un des plus salubres. Les divers explorateurs sué-
dois qui ont visité l'île pendant les dernières décades ont unanimement
constaté qu'on y respire beaucoup plus librement que dans la Scandinavie
mériilionale : pendant cette saison, rhumes, catarrhes, toux, affeclions
de poitrine, toutes ces maladies restent inconnues des éipiipagcs; on
CLIMAT DU SriTZBERG. 201
s'expose à tous les changements de température sans craindre un refroi-
dissement, et les matelots qui prennent un bain force peuvent sans impru-
dence laisser sécher sur leur corps leurs habits mouillés. D'après eux, le
Spitzberg devrait être recommande par les médecins comme un excellent
séjour d'été à un grand nombre de malades. Peut-être que dans un avenir
prochain des hôtels pareils à ceux des sommets alpins seront érigés au
bord des criques du Spitzberg, pour l'accommodation de chasseurs et de
malades venus de l'Angleterre et du continent'. Toutefois ce climat salubre
reste toujours froid, inégal, changeant. Jamais le ciel n'est serein pendant
une journée entière. Des vents refroidis par les banquises ou les glaciers
viennent à de courts intervalles abaisser la température de l'atmosphère';
souvent, ainsi que Scoresby le raconte dans ses voyages, on peut voir des
navires pourchassés dans toutes les directions par des vents différents';
cependant un vent du sud presque constant souffle dans le détroit de
Hinlopen, empêchant ainsi la marche des navires à voiles qui essayent de
pénétrer dans ce bras de mer par l'entrée septentrionale' : c'est là ce que
faisait déjà remarquer Friedrich Martens au dernier siècle. A toutes les
époques de l'année, même aux « jours caniculaires », il tombe de la
neige et la température peut descendre au-dessous du point de glace. Au
mois de juin 1810, Scoresby l'a vu marquer — 9\4 et jusqu'à mainte-
nant la plus haute température que l'on ait observée, le 1'» juillet 18(31,
était de 16 degrés. En hiver, le mercure descend fréquemment jusqu'au
point de sa propre congélation ; cependant les voyageurs disent (pie la
température moyenne est relativement douce, les vents du midi souillant
avec régularité et souvent avec violence pendant cette saison : le froid
n'est pas alors plus vif qu'il ne l'est dans les plaines de la Suède, à
20 degrés jjIus au sud. Il arrive même, en plein mois de janvier, que
la température s'élève au-dessus du point de glace ^ Mais quand le soleil
apparaît à l'horizon, pour décrire dans le ciel du nord une courbe gran-
dissant de jour en jour, le calme se rétablit dans l'atmosphère, et c'est
alors que les froids sont le plus intenses ; ils dépassent de beaucoup ceux
de l'hiver astronomique.
Déjà la pointe méridionale du Spitzberg, sous la latitude de 71)" ÔO',
est assez éloignée de l'cqualeur pour que le soleil, vu de cette i)arlie de
' Trircll et Noidenskjold ; — Miltlicilimrjen von Pclamaiiii. 111, 1872.
' Ch. Miirlins, Du Spidherg au Sahara.
' Account of Ihc Arclic Heçiîuns, 18'2().
* Spitxbenjisclie (nier Grunlilnilische lic'scbcschrcdmnij.
' D'a|iiùs Nordenskjôld, + ô^jO en IM73.
262 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
la contrée, s'arroto, au plus haut de sa course, à 37 degrés au-dessus do
l'horizon ; observée du cap Nord ou des Sept Iles, la hauteur de l'astre est
seulement de 35 degrés. Pendant quatre mois entiers, il est vrai, le
soleil, tournant incessamment dans la partie méridionale du ciel, éclaire
de ses rayons obliques les glaces et les rochers du Spitzberg et contribue,
avec les pluies, les brouillards, les vents tièdes, à débarrasser la terre de
ses frimas ; mais le grand hiver se compose aussi de quatre mois de nuit,
pendant lesquels la seule lumière est celle des aurores boréales. Sous l'in-
fluence des vents du sud, qui soufflent assez régulièrement pendant les
mois d'hiver, le météore lumineux est presque en permanence, mais ses
fusées ont beaucoup moins d'éclat que celles des aurores vues de contrées
plus méridionales'. Quant aux orages bruyants, déchirant les airs par les
iu'usques étincelles de la foudre, ils sont inconnus dans les mers du
Spitzberg ^
En hiver, les îles de l'archipel sont unies par une banquise continue
qui se hérisse de saillies et d'aiguilles par la pression mutuelle des glaçons
que les vents et les courants heurtent les uns contre les autres. Au nord,
à l'est, le continent glacé s'étend jusqu'à d'énormes distances, tandis qu'à
l'ouest, nous l'avons vu, la banquise riveraine, limitée par les eaux tièdes
du large, ne s'éloigne que faiblement de la côte : cependant il arrive par-
fois que, même au commencement de l'été, le Spitzberg soit défendu de
tous les côtés par les bancs de glace et ne soit abordable aux navires que
par d'étroits chenaux s'ouvrant entre les immenses dalles rompues çà et là.
L'inégalité de température que présentent les différentes couches d'eau,
les unes amenées par les courants maritimes, les autres provenant de la
' Nordenskjokl, lellrc du 25 février 1875.
Température moyenne Températures moyennes
du Spitzberg au 7T degré 30' de latitude, enlS""2etl87ôdan>riiu'erna(;cder>i'orden;kj(ild,
, d'upic.s Cil. Martins: i Mossel-lwy (79° 55') :
Janvier — 18» 2' — Q» 9'
Février — 17» I' —22» 7'
Mars — I.")" (!' —17» G'
Avril —'.)»'/ —180 12'
Mai' — ;>» 5' — 8» 5'
Juin . . — 0» 5' 1» 1'
Juillet 2» 8' .fOO'
Août 1» 4' 2» 9'
Septembre — 'i» 5' — 5» !)'
Octobre — 8» .V —12» C
Novembre — 14» 5' — 8» 1'
Décembre '. . . . -15» — li» 4'
Année — 8o22' — 8» 9'
CLIMAT. FLORE ET FAUNE DU SPITZBERG. 263
fasion des glaces, a pour conséquence la formation de brouillards qui
cachent absolument la terre et le ciel pendant des journées entières : en
août 1875, Payer et Weyprecht restèrent pendant 554 heures, — soit
plus de quatorze jours, — dans un de ces épais brouillards qui font du
jour une véritable nuit. Dans les mers du Spitzberg, c'est le détroit de
Ilinlopen surtout qui est le plus souvent fermé aux navires comme par
un mur de brouillards : les eaux froides descendues des glaciers et celles
qu'apporte le contre-courant polaire s'y rencontrent avec les flots plus
chauds provenant des mers méridionales*.
Sous le ciel gris et pâle du Spitzberg, la flore est d'une extrême pau-
vreté : celle de Novaïa Zemla est riche en comparaison. Il n'y a d'autres
arbres dans les îles que les bois de dérive déposés au bord des plages,
surtout à l'abri des îles et des promontoires, au sud et au nord de l'archi-
pel. Les arbustes mêmes manquent entièrement au Spitzberg, quoique les
tribus arborescentes soient représentées par deux espèces de saules nains
et par Vempetrum niyrum, seules plantes qui ra])pellent les forêts de
l'Europe tempérée. La végétation dominante, celle qui contribue, avec les
rochers, les neiges et les glaces, à donner sa physionomie normale à la
contrée, consiste en mousses, toujours gonflées par l'humidité du sol, et
en lichens, recouvrant les pierres comme une rouille : on en compte plus
de 200 espèces*. Pendant les rapides semaines de l'été, les plantes phané-
rogames se hâtent de fleui-ir. et leurs corolles ressemblent à celles des
Alpes par l'éclat des couleurs. D'après Heuglin, on compterait dans les
diverses îles de l'archipel 120 espèces de phanérogames, de trois à quatre
fois plus qu'en Islande. Malmgrèn, le naturaliste qui a le plus long-
temps exploré l'archipel, énumère seulement 96 plantes à fleurs visibles et
4 fougères". La flore du Spitzberg appartient à la fois à la zone arctique et
à la Scandinavie, puisqu'elle comprend Si plantes que l'on retrouve au
Groenland et 09 qui se voient aussi dans la péninsule Scandinave. De
toutes ces espèces, une seule est alimentaire, le cochlearia fencslrata :
moins amer que les plantes congénères des terres plus méridionales, ce
végétal peut être mangé en salade et fournit ainsi aux navigateurs un
précieux remède prophylactique contre le scorbut, la maladie la plus re-
doutée des navigateurs polaires \
' F. Marlens; — NnriIcnskjnM ; — i'.h. (iraJ, Esquisse physique des iks Spitzbcrgen.
' Pries, Pelennann'i ilillheUunijen, 1808, n» 2.
' Vebersiclil fier l'hanero(jamcn-Flora Spilzbergens; — Die tchwediichen Expedilionen nacli
Spitzbergen und Bdren-Eiland.
* Ch. Mui'liiis, Du SpUiherij au Sahara.
264 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
En comptant les cétacés, la faune du Spitzbcrg comprend seize espèces
de mammifères; mais de ces animaux, quatre seulement habitent la terre
ferme ; encore l'ours blanc est-il plutôt un nomade qui voyage d'île en île,
porté sur les glaces mouvantes. Les autres mammifères terrestres indi-
gènes sont le renne, un campagnol, semblable à celui que l'on rencontre
sur les bords de la baie de Hudson, et le renard bleu, poursuivi des chas-
seurs à cause de sa précieuse fourrure. On a prétendu que le renne a été
introduit dans l'archipel par les Russes ou les Scandinaves. Mais dès l'an-
née 1010, avant que Russes ou Scandinaves eussent pénétré dans ces îles
du nord, l'Anglais Jonas Poole y chassait le renne, et c'est lui qui donna
au Iloi-n-Sound son nom de « Baie de la Corne », à cause d'un andouiller
de renne qu'il y trouva. Encore de 1860 à 1868, les chasseurs extermi-
naient en moyenne de deux à trois milliers de ces animaux par an; mais
Nordenskjôld se demande comment les troupeaux ont pu jusqu'à mainte-
nant réparer cette perte annuelle considérable, et mentionne, sans la par-
tager, l'opinion de certains naturalistes qui croient à des immigrations des
rennes de Novaïa Zemla par-dessus les banquises : il est d'ailleurs pro-
bable que les rennes ont diminué depuis que des groupes de sportsmen
anglais débarquent dans la grande île en parties de chasse. Quant aux
morses, ils ont à peu près disparu du Spitzberg méridional. En 1821), les
équipages de seize navires en tuaient encore 130 dans une saison, ce qui
est très peu en comparaison des tueries du dernier siècle. On ne trouve
plus de troupeaux de trente ou quarante morses que sur les côtes septen-
trionales de l'archipel. Des multitudes d'oiseaux tournoient autour des ro-
chers isolés et des écueils dont le renard ne peut aller ravager les couvées ;
mais ces oiseaux, comprenant 27 ou 28 espèces distinctes, sont de passage :
un seul, le lagopède, demeure' dans l'archipel pendant toute l'année. Nul
reptile n'existe au Spitzberg, et longtemps on a cru que les poissons man-
quaient presque complètement dans les mers environnantes; mais en 1861
le nombre des espèces découvertes dépassait déjà la vingtaine. Malmgrèu
a trouvé seulement quinze espèces d'insectes ; quant aux papillons, aux
sauterelles, aux coléoptères, ils manquent complètement. Dans les neiges
(jui se fondent au contact de l'eau de mer sur les plages du Sjiitzberg
vivent en myriades des crustacés phosphorescents, pareils à des étincelles
bleuâtres. Quand on chemine sur le rivage, au milieu de tous ces ani-
malcules sautant de côté et d'autre, on cmirait miuclier au milieu des
flammes'.
« >\ir(lonsk)oltl, lollro du 22 février 1875.
PECHERIES DU SPITZBERG. 2fi7
Comme les oiseaux de passage, l'homme n'est au Spitzberg qu'un visi-
teur de la belle saison. Cependant des marins naufragés, des chasseurs,
des savants ont hiverné sur les côtes, et le Russe Starachtchin, après avoir
passé vingt-trois années sur la côte occidentale du Spitzberg, au Green-
Harbour, l'une des baies de l'Ijs-fjord, finit par y mourir de vieillesse,
en 18"26; tous les débris de cabanes que l'on rencontre sur les côtes de
l'archipel sont connus, quels qu'en aient été les constructeurs, sous le
nom de « huttes de Russes », comme si elles rappelaient le long séjour
de quelque pêcheur de cette nation. Xa dernier siècle, les côtes du Spitz-
berg étaient beaucoup plus fréquentées qu'elles ne le sont aujourd'hui :
alors les grands cétacés peuplaient les mers environnantes, et la foule des
baleiniers, composée parfois de douze mille individus, revenait chaque
année les poursuivre. Des villages en planches s'élevaient sur les côtes, à
l'abri des promontoires ; des marchés temporaires se tenaient en plein air
entre les matelots des diverses nations; parfois aussi des combats se li-
vraient entre les pêcheurs des flottes rivales ou même ennemies. Le plus
beau village, Smeerenburg ou Smeerenberg, était naturellement celui des
Hollandais, les pécheurs les plus nombreux et les plus actifs : ils y retrou-
vaient les estaminets d'Amsterdam, et tout un quartier, la <t Cuisine de
Haarlem », était occupé par les fondeurs de graisse'. Pendant la grande
période de la chasse à la baleine, de 1669 à 1778, 14 167 navires de pèche
hollandais, parcourant surtout les mers qui s'étendent à l'ouest et au nord-
ouest de Spitzberg, tuèrent 57 500 baleines, qui leur valurent un profit de
9-2 775000 francs ^
Ce havre de Smeerenburg, qui s'ouvre précisément à l'angle nord-occi-
dental de la grande île, a été visité en 1878 par le schooner hollandais
Willem Barents, et l'équipage a dressé, au nom de la patrie, un monument
aux marins qui découvrirent l'archiiiel et à ceux de leurs compatriotes qui
y moururent. Celte partie du Spitzberg en est la région historique par
excellence : c'est près de là que les Basques, les Hanséates, les Danois,
les Norvégiens avaient aussi leurs principaux dépôts de pèche ; au sud
est la baie Magdelena, qui a été la mieux étudiée de toutes par les natu-
ralistes; au nord-est, Foul-bay est l'un des ports les plus fréquentés du
littoral; plus au nord sont les îles de Norvège, où Sabine a fait ses obser-
vations magnéti(jues et qui est devenue le point de départ des obser-
vations astronomii{ues faites dans l'archipel par Nordenskjôld et ses
Cil. Martins, Du Spitiherg au Sahara.
Sccrcsby, Accounl of thc ArcUc Kcijiuns and ilcfciiplion of llie iwilheni uhnic fislienj
208
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
compagnons. Cet endroit ou quelque promontoire voisin ne serait-il pas
le lieu le plus convenable pour l'établissement de l'un de ces observa-
toires circumpolaires
smeeuenbcbc.
que Wcyprecht pro-
pose de fonder pour
arriver à connaître
dans tous leurs détails
les oscillations météo-
rologiques des régions
glaciales "? En prévi-
sion de l'établissement
futur de cette station,
les deux gouverne-
ments de la Suède et
de la Russie se sont
déjà disputé le droit
do souveraineté terri-
toriale : mais que les
instruments soient en-
voyés de Stockbohn ou
de Saint-Pétersbourg,
il importe peu, pourvu
que les observations
se fassent. 11 serait
d'autant plus utile d'é-
tablir une station mé-
téorologique au Spitz-
berg, que cet archipel
t Perron paraît être placé au
point de contact entre
la zone américaine et
' la zone asiatique des
vents. En hiver c'est
le pôle do froid de la Sibérie, en été celui de l'archipel de l'Amérique
glaciale, qui semblent exercer la plus grande influence sur le climat du
Spitzberg '.
de 'ÛOauàe^à
' A. Wijk.nnilir, Zcilschiift der Octlerreichischen CcselUchafl fiir Météorologie, ISTC,
II- 10.
SPITZBERG, TERRE DE WICHE. 209
Au nord du Spitzborfj:, il n'existe point de terre ferme, au moins jus-
qu'au 85" degré de latitude, car Parry s'est avancé jusqu'au 8"2''4i', et.
dans la direction du pôle ne se montrait aucun indice d'îles ou de con-
tinent. Le désert des cieux, oîi ne se voyait aucun vol d'oiseaux, et
l'absence de montagnes flottantes de glace dans les mers que parcourut
Parry, — car les blocs de 10 à 12 mètres de bauteur qui bérissaient les
banquises ne peuvent être considérés comme des pans de glaciers, —
prouvent que les terres manquent sur de vastes étendues dans la di-
rection du pôle, et naturellement c'est dans ces parages, où se fait
encore sentir l'influence des tièdes courants du sud, que plusieurs na-
vigateurs ont essayé de forcer la banquise pour cingler vers le pôle
boréal. Si l'on en croit des traditions non appuyées de preuves aullien-
tiqucs, des marins bollandais, notamment Cornelis Roule, se seraient
avancés, à l'époque des grandes pècbes de la baleine, jusqu'à cinq degrés
du pôle; mais Parry dut abandonner son navire dans le golfe de Treuren-
berg, sur les eaux d'une petite l)aie qui garde le nom du bâtiment, Ilecla
Covc, et s'élancer vers le nord avec de petites embarcations et des traî-
neaux. La glace qu'il parcourait se composait de banquises que les vents
et les courants avaient pressées les unes contre les autres et redressées,
renversées en aiguilles et en saillies de toutes les formes : il ne progressait
que lentement et finit même par ne plus avancer du loiil ; tandis que ses
attelages cbeminaient péniblement vers le nord, toute la masse glacée,
entraînée par un courant polaire, flottait vers le midi. Il fallut revenir au
mouillage'. Récemment, en 1872 et en 1875, inie autre tentative faite
par un explorateur des plus hardis, Nordenskjôld, n'eut aucun succès.
Jusqu'au delà du 80" degré de latitude, la glace était trop faible poiu- sup-
porter le poids des traîneaux, et ]dus an nord elle était tellement ini'gale
et crevassée que la marche y était presque impossible : plusieurs fois le
capitaine Palander ne put même faire parcourir à ses traîneaux la distance
de 800 mètres par jour.
A l'est du S|iil7,bei-g, la mer Glaciale n'est pas libre de terres comme
dans la direction du nord : de la côte orientale du Spitzberg, de même ipic
(le l'ili! de Barents et de Stans Foreland, on voit parfaitenieiil, p;ir un
temps clair, à la distance de 120 à 1 iO kilomètres, une longue chaîne «le
montagnes élevées a{)partenant à une terre mystérieuse naguère, car les
navigateurs ne la décrivaient pas tous de la même manière. C'est la
« Terre de Wiclie » ou Wichc's Land, ainsi nommée en 1G17 en l'hon-
< William Edw. Pan y, Sanativc of an allempl lo rcach llie Aoi7/i Pôle.
'270 .NOUVELLE GEOGRAPHIE INIYERSELLE.
neur du marchand Richard Wiche, Wyche ou Wycko, par les baleiniers
anglais qui aperçurent cette île les premiers. Après un intervalle de près
de deux siècles et demi, en 1801, un autre Anglais aperçut l'île de nou-
veau'. Six années plus tard, .MM. Heuglin et Zeil revirent cette terre,
avec ses pics brillants de neige, et, la croyant au nord de la position in-
diquée pour "Wiche's Land, ils baptisèrent la contrée découverte par eux
du nom de leur roi, Charles de Wûrltemberg. De leur côté, les explora-
teurs suédois, qui avaient déjà discerné vers l'est une de ces montagnes
s" 53. — TERHE DE WlllUi; ET ILES SOlTELLtME.NT DÊCOIVEKIES.
Est de Par,
:^st -de {jree.
Diaprés divers docurnents
lointaines, lui avaient donné l'appellalion de « Promontoire Suédois ».
Les rivalités nationales contribuaient, avec les récits confus des naviga-
teurs, à rendre les cartes incertaines ; naguère ces hauts rivages voisins
du Sj)itzberg étaient aussi confondus par les Suédois avec la « Terre de
(jiles » (ou Gillis), aperçue en 1707 par le cai)itaine hollandais Cornélius
Giles^ Knlin en 1(S7'2, le Norvégien Altiuaiui a pu, grâce à l'absence de>
glaces, côtoyer la terre de Wiche; mais, (rompe par la forme des caps qui
s'avançaient au loin dans la brume, il crut avoir longé un archipel, tandis
que, la mf-me année, son compatriote Johuscn reconnut dans ces terres
' Cl M;iiKti;irn, Jlic Geographkal Rcviexc, fcbruary 1874.
» Cl. MiiikliMiii. Jiittrnul of thc H. Gcoyrapliicat Societij, 1873.
TEP.RE DE WICIIE, TERRE DE CILES. 271
une seule île de 80 kilomètres de lon^rueur, couverte sur ses grèves méri-
dionales d'une énorme quantité de bois flottés occupant une largeur de
plusieurs centaines de mètres. Un troisième Norvégien, le capitaine MIsen,
visita aussi en 1N7'2 la Terre de Wiclie, conquise désormais à la géogra-
phie. Le « Promontoire Suédois » vu par Nordenskjôld n'en est probable-
ment que l'extrémité septentrionale. Dans son ensemble, la terre est
basse; mais il s'y dresse des montagnes en massifs et en chaînes: du
haut d'un sommet qui s'élève au nord-est de l'île, Johnsen a pu se faire
une idée générale de ses contours et signaler, du côté de l'ouest, la plus
haute montagne de Wiche's Land, à laquelle il a donné le nom de Ilaar-
lagrehaugen. Comme le Spitzberg, l'île nouvellement découverte a pour
habitants des ours et des renards polaires et des multitudes de rennes : il
faut donc que la végétation, quoique composée seulement de lichens et
d'herbes basses, y soit relativement abondante. Cette île participe aussi au
mouvement général d'émergence que les physiciens ont observé sur les
côtes du Spitzberg : des troncs d'arbres flottés, à demi pourris, ont été
vus par Johnsen à 6 mètres au-dessus du niveau actuel de la mer ; c'est
ainsi que le soulèvement récent a pu être mesuré'. Quant aux deux îles
qu'ont vues récemment les marins Andreasen, sur la Fcg'rt, etJohanneseu,
^iir hi Lena, nul ne les a encore visitées.
La Terre de Giles ou de GilliS (Gillis-Land) a été retrouvée dans ces der-
niers temps, à l'est de la Terre du Nord-Est, précisément à l'endroit où
Giles l'avait inditjuée et où la représente la carte de Van der Keulen,
publiée probablement va 1710'. En 18(34, le Norvégien Tobiesen et ses
compagnons raper(;urent au sud-est, sans pouvoir y abordei'. Mais il
existe encore d'autres îles dans ces régions, car dès l'année 1(314 le
navigateur Baffin avait reconnu terre au nord-est du Spitzberg. Sur les
cartes dressées par Petermann, le géographe qui, de son cabinet de Gotha,
a tant fait pour accroître nos connaissances sur les régions polaires, la
Terre de (}iles, par erreur senible-t-il. est dessinée à 200 kilomètres
environ au nord-est des rivages les plus avancés du Spitzberg et semblerait
<e rattacher à l'archipel nouvellement découvert de François-Joseph.
Ll'aillcurs, celle terre n'a pas encore été visitée : on ne sait s'il faut la
considérer comme une île, un^ archipel ou un simjjle promontoire ; mais
on ne saurait douter de son existence. Au printemps, les pêcheurs qui ont
hiverné sur la côte septentrionale du Spitzberg voient les bandes d'oiseaux
' I-a Tour ilu Pin, Annales hyilrograph'Kjucs, l' tn'mcsire 1871.
' !■". di' lias, Hcl Duup licgistcr van Spilsbergen, Tijdschiifl v;in kel aardr. Genool. le .Viii:tcrdain>
1877, n»5.
272 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
voyngciirs s'enfuir vers le nord et le nord-est, d'où elles reviennent en sep-
tembre. L'île inconnue est précisément sur le chemin de ces migrations
d'oiseaux. D'après les chasseurs de morses qui fréquentent les Sept lies,
situées au nord du Spitzberg, c'est de la terre lointaine que viendraient
les morses et les ours blancs nombreux qui fréquentent ce petit archipel'.
On sait depuis 1874 que les mers glaciales de l'Europe entourent de
leurs banquises un groupe d'îles encore plus étendu que le Spitzberg,
mais d'un abord beaucoup plus difficile, car il se trouve presque en entier
au nord du 80" degré de latitude, et sa température moyenne est au moins
de 10 à 16 degrés au-dessous du point de glace; dans les mers qui s'éten-
dent au sud, la moyenne de l'année 1875 a été de — 10 degrés pour les
navigateurs qui ont dû y séjourner'. Cet archipel inhospitalier est le
Fi-anz-Josefs Land ou « Terre de François-Joseph ». L'Austro-IIongrie,
pourtant l'une des nations maritimes qui semblent avoir le moins d'in-
térêt direct à l'exploration des régions polaires, a l'honneur d'avoir dé-
couvert cet archipel, et ces terres du nord seraient devenues possession
autrichienne si le rude climat qui les sépare du reste de l'Europe ne les
avait privées d'avance de toute valeur économique. Nulle expédition n'a été
plus glorieuse que celle du Tefjettlinff, à la fois pour les marins italiens
et dalmates de l'équipage et pour ses deux vaillants chefs. Payer et Wey-
precht. Il est vrai qu'ils n'ont pas eu à cingler vers la terre découverte
par eux, puisqu'ils y ont été entraînés par les courants avec la l)anquise
qui tenait leur navire; mais pendant leur captivité de deux hivers dans
les mers boréales ils ne se sont pas bornés, comme tant d'autres naviga-
teurs polaires, à lutter courageusement contre la nature ennemie, ils ont
su lui arracher bien des secrets, et Weyprecht notamment en a rapporté
son livre précieux sur les Métamorphoses de la (jlacc polaire.
Partis pour contourner l'ancien monde par le nord de la Sibérie et
revenir par le détroit de Bering, les aventureux voyageurs, saisis par les
glaces, purent aborder enfin à une petite île à laquelle, dans leur joie de
fouler le sol ferme, ils donnèrent le nom d'île Wilczek, en l'honneur du
promoteur de l'entreprise. Mais de cette île ils apercevaient au nord de
vastes terres, avec des montagnes et des glaciers. Payer j)ut utiliser les
courtes semaines qui le s('']iaraient du voyage de retour pour traverser du
' Miltlieitiingen von Pelermann, 1872, ii" i
* Julius l'jjcr, expédition <iuslro-homjroise au pôle nord
ARCHIPEL DE FRANÇOIS-JOSEPH. -273
sud au nord la partie orientale de l'arcliipel, en reconnaître les grands
traits géographiques et pour y faire de nombreuses observations de détail.
Un détroit irrégulier et se ramifiant des deux côtés en fjords, le « sund
Austria », se développe du sud au nord entre deux très grandes îles, à
l'ouest la Terre de Zichy, à l'est la Terre de Wilczek, portant ainsi le même
nom que l'île méridionale du groupe. Des îles nombreuses, toutes dési-
gnées par des appellations patriotiques ou par les noms de géologues ou
de géographes, parsèment, le sund, et du haut d'un cap élevé de la der-
nière de ces îles, Payer et ses compagnons ont pu voir, par delà les eaux
d'une vaste mer libre, se dessiner les contours montagneux de deux autres
terres, à l'ouest celle du Roi Oscar, au nord celle de Petermann : aucun
nom ne pouvait être mieux choisi que ce dernier pour désigner la terre
européenne la plus rapprochée du pôle qui ait été vue jusqu'à nos jours :
elle s'étend au nord par delà le 85° degré de latitude. En 1879, un navire
hollandais, le WHIcni Barents, reconnut une des pointes méridionales de
l'archipel, le Barents hoek, et l'année suivante l'Anglais Lcigh Smilh
explora toute la région occidentale de la Terre de François-Joseph, autour
d'un port parfaitement abrité auquel il donna le nom de Eira-harbour,
d'après son navire. Les découvertes de Leigh Smith ont montré que l'ar-
chipel de François-Joseph égale en grandeur celui du Spitzberg, et diminué
d'un tiers environ la largeur présumée du bras de mer qui sépare les deux
groupes polaires'.
Les montagnes de l'archipel ont à peu près la même hauteur que celles
du Spitzberg : leur élévation moyenne varie de 600 à 900 mètres. Le pic
le plus considérable de tout le groupe paraît être le mont Richthofen, au
sud de la Terre de Zichy : il atteint 1550 mètres, 150 mètres de plus que
le pic de Ilorn-Sound, au Spitzberg. En général, les monts de François-
Joseph ne se dressent pas en âpres sommets, ne se hérissent pas d'ai-
guilles : leurs croupes supérieures semblent disposées en forme de tables
et ces hautes couches horizontales donnent à l'ensemble du pays sa physio-
nomie particulière : on dirait des fragments de plateaux plutôt que des
montagnes. La roche prédominante est l'hypérite du Spitzberg, etçà et là
se voient des colonnes de basalte : c'est au milieu du péristyle naturel
d'un de ces grands monuments de laves que les membres de l'expédition
austro-hongroise ensevelirent un de leurs compagnons. Semblable au
Spitzberg par ses roches volcaniques, la Terre de François-Joseph l'est
aussi par le mouvement d'ascension dont elle est animée : sur les côtes
' Pdcrmann's Mitlheilumjen, 1880, u' XII.
274 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
du sunil Austria se voient rîi et là d'anciennes 'berges marines parsemées
de coquillages et se développant parallèlement au-dessus de la mer comme
des courbes hypsométriques. Outre les roches éruptives, qui semblent
indiquer une communauté d'origine avec le grand archipel occidental,
S° 59. — ARCHIPEL DE FRANÇOIS- JO^Fr-n.
Est de ?^r\,
PEraiMÂ//A LA/VO
' ' KÔ/V/a OSKAR L/IAfi
fS
f S^^S restJ-
Lst de breen.'
D'après Leigh 5mith et d'autres voyageurs
les explorateurs reconnurent aussi des grès tertiaires renfermant de faibles
couches de lignites; mais dans un pareil pays les observations géologiques
sont difficiles à faire. En maints endroits il est impossible de distinguer
sur un seul point du paysage environnant la couleur naturelle du roc : non
seulement les surfaces horizontales et les pentes douces sont recouvertes de
neiges et de glaces, mais les escarpements abrupts sont revêtus eux-mêmes de
ARCHIPEL DE FRANÇOIS-JOSEPH. 275
verglas par l'aboïKlanlc humidité de l'air, qui se condense au contact de la
face polie des falaises : « les rangées symétriques des montagnes, dit Payer,
semblent être incrustées de sucre ; » des îles sont entièrement revêtues de
glace comme d'un globe de verre. Entre tous les massifs de sommet, les
dépressions, et même la plupart des pentes en saillie, sont uniformément
emplies par des glaciers, dont quelques-uns présentent à la mer un front
de plus de 20 kilomètres de large et de 50 à 60 mètres de baul : il en
est un, le glacier Dove, sur la face occidentale de la Terre de Wilczek,
dont la glace vive, d'oii s'écroulent d'énormes pans à chaque marée descen-
dante, se développe en croissant concave sur une longueur de plus de GO ki-
lomètres. Les glaciers de François-Joseph se distinguent de ceux dos Alpes
par l'immensité des névés, la nuance grise ou verdàtre de la glace, la gros-
seur des grains, l'épaisseur considérable des couches annuelles, la rareté
des crevasses, le faible développement des moraines et la lenteur de la
marche.
La végétation de ce pays, où les chaleurs de l'été ne peuvent ouvrir
que d'étroites clairières dans le couvercle continu des neiges et des glaces,
est naturellement d'une extrême pauvreté : en comparaison des « prai-
ries » de François-Joseph, celles du Spitzberg semblent d'une exubérante
richesse. Quelques herbes, des saxifrages, un pavot, le silène acaulis, des
mousses et des lichens, telle est la flore de la contrée. Payer n'a point
vu de renne : cet animal ne trouverait sans doute point à se nourrir
dans ces îles désolées ; mais dans les régions septentrionales de l'archi-
pel, près de la « mer libre », se voyaient jiartout les traces de l'ours,
du lièvre et du renard, et des veaux marins étaient en foule étendus sur
la glace. De même que sur les côtes des Fârôer, de l'Islande, du Spitz-
berg, les rocs isolés sont habités par des myriades de pingouins et d'au-
tres oiseaux, et, à l'approche du voyageur, les mâles s'élèvent en vols
immenses, avec un bruit d'ailes assourdissant'. Quelle est la raison de ce
développement de vie animale plus considérable dans la partie septen-
trionale de l'archipel "? La température plus douce qu'observa Payer dans
ces régions, la grande étendue de mer libre qu'il vit s'ouvrir devant lui,
étaicnt-ce des phénomènes temporaires ou l'eilct d'un climat jihis jjropice?
Peut-être que dans ces parages la mer est plus profonde, mieux ouverte
' J. Payer, Die Ocstencicli.-iiujar. ^iordpol Eipcdilion in den Jahren 1872-1874; — Millliei-
lungen von Petennann. Vf, 1870, etc.; — Annales hijdrogiapliiqms, l* Irimeslre 1S76.
276 .NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
aux courants du large qu'elle ne l'est au sud de l'archipel. Nulle part la
cuvette comprise entre le Spitzberg, la Terre de François-Joseph et Novaya
Zemla, n'a plus de 500 mètres de profondeur : partout le fond en est plat,
et le lit ne se creuse un peu qu'à l'orient du seuil de prolongemcut do la
Terre de Wilczek, dans les eaux sibériennes'.
• Kail Wejprcchl, Die Mdaiiijrphoien des Folareisei.
CHAPITRE IV
LA RUSSI E D'EUROPE
VUE D ENSEMBLE
Toute l'Europe orientale, plus de la moitié du continent, est unie en
un seul État, la Russie. A celte énorme étendue de plus de 5 millions
de kilomètres carrés, représentant une surface dix fois supérieure à celle
de la France, l'empire russe ajoute encore plus du tiers de l'Asie. Ensemble,
tout le territoire soumis au tzar comprend plus de 21 millions de kilo-
mètres carrés, un peu moins du sixième des espaces continentaux ; encore
pourniit-on compter plusieurs contrées qui, sans appartenir officielle-
ment à la Russie, se trouvent néanmoins sous son influence directe.
Il est vrai qu'une très grande partie de l'immense empire est inhahitt'e ou
même inhabitable : proportionnellement à son étendue, la Russie d'Europi^
et d'Asie est deux fois moins peuplée que le reste du monde, dont elle
forme une part si considérable ; elle doit avoir actuellement 99 millions
d'habitants, soil environ le quinzième du nombre présumé des hommes'.
La véritable Russie, celle où la population est assez dense pour former un
corps de nation compact, celle où se trouvent réunies les ressources
sérieuses en hommes et en richesses, et (jui donne à rensembic de ri]tat
' Supcriicic et population de la Russie d'Europe, de la Finlande et de la Itussie d'Asie :
Superficie en l^il. carres l'opnlntioii Population
(sans la Caspienne]. Population recentcc. prolialilc en I88i. kiloni.
Russie d'Europe. 5ll(3 2")l (1870-1870) 74 ôS.") OIIO Ii,ih. 8i 000 000 liab. 15.5 liai).
Russie d'Asie . . 16 5111(12 (1870-1879) U 005 000 » 15 000 000 » 0.0 o
Ensemble . . 21757 555 88 550 000 hnl). !l'.i 0110 UOO liai). i.iUsh.
278 NOUVELLE GÉOGRAPHIE L'MVERSELLE.
sa force d'attaque et de résistance, ne se compose en réalité que d'une
partie de la Russie territoriale d'Europe. Cette région, qui occupe en sur-
face environ la moitié du territoire russe en deçà de l'Oural, est à peu
près limitée au nord et à l'est par le cours de la Volga ' ; au sud, elle est
bornée par les steppes riveraines de la mer Noire, tandis qu'à l'ouest elle
s'étend jusqu'aux frontières de la Roumanie, de la Boukovine, de la Galicie,
et s'est annexé la Pologne; au nord-ouest, elle rejoint par les provinces
Baltiques les bords du golfe de Finlande et l'embouchure de la Neva. Le
reste de l'empire, soit environ les sept huitièmes du territoire, ne donne pas
encore à l'État l'accroissement de force qui semble provenir de l'immensité
du pays; il n'est pour lui qu'une cause de faiblesse, car le gouvernement doit
entretenir des armées d'employés et de soldats dans toutes ces contrées éloi-
gnées du centre, y ouvrir des routes, y construire des stations et des forts.
Au point de vue géographique, la Russie contraste singulièrement avec
le reste de l'Europe. Elle est une, tandis que les régions occidentales sont
diverses. Dans son immense étendue, des rives glacées de la mer Blanche
aux steppes de la mer Noire, elle présente une étonnante ressemblance
d'aspect. Parmi toutes les parties de la Terre, l'Europe proprement dite,
que Strabon qualifiait déjà de « bien membrée », se distingue par le déve-
loppement de ses rivages, la variété de ses contours, l'importance relative
de ses péninsules : la mer y pénètre de toutes parts en golfes profonds, et
l'air marin est porté par le moindre vent vers les montagnes de l'inté-
rieur. L'Europe occidentale semble animée, elle s'agite sur la carte : on
voit qu'elle doit être habitée par des peuples eux-mêmes pleins de vie et
se renouvelant incessamment, grâce aux échanges continuels de péninsule
à péninsule et d'un versant maritime à l'autre. L'Europe orientale, c'est-
à-dire la Russie, est au contraire un quadrilatère irrégulier, de formes
lourdes, plus massif que l'Asie par l'ensemble de ses contours, et le con-
traste n'existe pas seulement dans les lignes extérieures, l'opposition se re-
trouve aussi dans le relief entier du pays. A l'ouest de la Russie, le continent
offre une étonnante variété de hautes terres, de montagnes, de coteaux, de
vallées et de plaines ; il dresse un faîte bien marqué dans le tronc prin-
cipal et dans chacune des péninsules et des îles; des versants nettement
modelés s'inclinent vers chaque mer. En comparaison de ces contrées
au relief accidenté, la Russie paraît être une grande plaine : elle a pour-
tant des plateaux, des élévations de quelques centaines de mètres, mais
' Le nom français de ce fleuve élanl pxaclcmenl celui que lui donnent les Russes, il parait conve-
nable de lui laisser aussi le genre qui lui apparlicnt.
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GRANDE PLAINE RUSSE. 279
ces hauteurs interrompent à peine l'uniformité des vastes étendues : on
pourrait traverser la Russie d'une mer à l'autre mer sans quitter les
campagnes basses, aussi unies en apparence que la surface de l'Océan.
A l'est et au sud-est, la Russie d'Europe se confond avec l'Asie, et l'on
ne sait même d'ordinaire où marquer la limite do séparation. Suivant l'im-
portance qu'ils attribuent à l'un ou à l'autre Irait de la surface terrestre,
les géographes tracent diversement cette ligne de frontières entre les deux
continents. Sans doute, les vestiges laissés par les anciennes mers dési-
gnent comme une limite naturelle bien distincte la dépression ponto-
caspienne où coulent les eaux des deux Manîtch ' et les plaines basses
' Aucune niélhode de Iranscriplion des mois nisscs en caraclères lalins n'ayant été jusqu'à mainte-
nant adoptée officiellement ou d'une manière générale, nous avons emprunté celle de M. Dragomanov,
qui rend la prononciation de tous los sons pouvant être reproduits par une bouche française et
marque par des signes les lettres que la pauvreté de notre alphabet oblige d'employer pour rem-
placer celles qui nous manquent.
Les caraclères russes È, fl, K), £, et même dans le dialecte officiel, E, sont de vraies syl-
labes, formées par la combinaison du iola avec des voyelles et correspondant en français à ie, ïa,
ïou, ïo. A la fin des syllabes, ce iota est exprimé en russe par fl, que nous reproduisons en fran-
çais par y, qu'il précède ou qu'il suive une autre voyelle. Exemples : Youg, Kiyev, Yelizavetgrad,
Yougorskiy. Après l'a et Vo et dans une même syllabe, Vij changeant de son en français, nous le
remplaçons par ï. Exemple : Zaraisk. 11 est à remarquer que les noms de famille russes ter-
mines en skiy (féminin skaija) diffèrent des noms polonais qui finissent en ski {féminin ska).
Exemples : Joukovskiy, Derabiski.
L'usage s'élant lépandu en France de prononcer toutes les lettres des noms étrangers, nous écri-
vons kourgan. Satin, Simbirsk, qui se prononcent kourgane. Satine, Simebirsk.
Le r, en français g, garde le son dur devant toutes les voyelles. Exemple : Georgyevsk, qui se
prononce Gueorguyevsk. Nous le remplaçons par un v dans les génitifs où il est ainsi prononcé.
Exemple : rouskavo.
La letlre s ne doit jamais èlre prononcée comme un z, même entre deux voyelles. Exemple :
Kasimov, que l'on prononce Kassimov.
Les lettres B, JK, III, 1^, 'I, IDj, se reproduisent naturellement en français par les consonnes
simples, doubles ou multiples, de i', j, ch, Iz, tch, chlch. Exemples : Volga, Jitomir, Chadrinsk,
Tzaritzin, Tchernigov, Chtchigrî.
L'bl, ou i dur, qui n'existe pas en français, est signalé par un accent circonllexe. Excni|ile : Manitch.
Le X russe (y. grec, ch allemand) n'existant pas en français, nous l'exprimons par kh. Exemples :
Kherson, Kharkov.
La lettre barrée i, étant déjà employée pour le polonais, nous gardons celle lettre pour le même
son russe. Toula, toutzk.
De même qu'on polonais, les consonnes mouillées — Irail particulier de la phonétique slave, le
plus difficile à saisir par les Européens occidentaux, — sont exprimées par des accents placés sur la
consonne; mais ce procédé est suivi d'une manière méthodique, ce qui n'est pas le cas dans l'ortho-
graphe polonaise. Nous employons aussi l'accent dans les cas où l'orthographe russe fait suivre les
consonnes de voyelles combinées avec le ioUi. Ainsi nous écrivons Kazan, Kicbinov, — qu'il faut
lire presque comme Kazagne, Kichignov, — Kerlch, Ob, Dnepr, Tvei-.
(Juanl aux mots qui, par un long usagr. ont acquis leur naturalisation en français, tels que Moscou,
Oural, il est convenable de leur laisser l'orthographe sous laquelle ils sont connus.
Enfin les noms allemands «les provinces Balliques, les noms suédois cl finlandais do la Finlande,
et les noms polonais sont maintenus avec l'orthographe de leurs langues respectives. On a ]ieiisé que
certains noms grecs du Midi, tels que Thcodosia (Fcodosia), pouvaient garder l'orlhographe classique.
280 NOUVELLE GÉOGRAPUIE IMVERSELLE.
qu'emplissaient autrefois, au sud et à l'est de l'Oural, les eaux des détroits
réunissant la Caspienne et l'Aral au golfe de l'Ob ; mais durant les âges
modernes de la planète le relief du sol a graduellement changé, et mainte-
nant la limite entre l'Europe et l'Asie ne peut être qu'une ligne idéale
ou purement conventionnelle. Du côté de l'est, surtout là où s'ouvre la
grande brèche entre la Caspienne et les promontoires méridionaux de
l'Oural, la Russie est donc un pays sans frontières : elle est encore dans
une certaine mesure ce qu'elle était du temps des Grecs, un pays uniforme,
se confondant au loin avec les solitudes inconnues. Tant que les évolutions
de l'histoire n'ont eu pour théâtre que d'étroits bassins, de petites îles ou
des péninsules, aussi longtemps même que l'humanité civilisée eut pour
centre la mer Intérieure, la région qui est devenue aujourd'hui la Russie
devait rester un monde informe et sans limites. Elle n'a pu enfin acquérir
son rôle et préciser peu à peu ses contours que dans les temps modernes,
grâce à la prise de possession de tous les rivages de l'Ancien Monde par
l'influence des peuples civilisés de l'Europe.
L'horizontalité du sol russe n'est pas seulement superficielle, elle est
profonde, ainsi que le reconnaît le géologue en étudiant par le forage les
couches souterraines. Au lieu de se redresser et de se plisser diversement
en formant toutes les variétés de sol qui se répercutent dans les contrastes
de la végétation et des cultures, les roches superposées se maintiennent
dans leur parallélisme régulier sur des espaces immenses, et par leur
décomposition fournissent la même qualité de sol végétal, revêtue des
mêmes espèces de plantes. Aux roches de granit ou de gneiss qui forment
le tronc continental de la péninsule Scandinave et qui occupent, bien au
delà des limites de la Finlande, tout l'espace compris entre la mer Blanche
et le bassin de la Neva, succèdent au sud et à l'est, jusque dans le cœur
de l'Asie centrale, les roches paléozoïques et carbonifères ; puis les assises
du nouveau grès rouge, comprenant ces formations permiennes qui ont
lire leur nom de l'immense gouvernement de Periii, s'étendent vers la base
de l'Oural, entre les steppes caspiennes et les bords de la mer Glaciale.
Des strates jurassiques longent au sud les étendues permiennes et les
recouvrent au milieu en formant un triangle irrégulier qui s'amincit peu
à peu, des toundras du Nord aux rives de la Volga. Plus au sud, forma-
tions crétacées, tertiaires, modernes, se sont déposées autour d'un pla-
teau de granit qui traverse obliquement la région des steppes méri-
dionales. En comparaison de ces couches presque horizontales, à peine
soulevées çà et là en douces ondulations et s'ctcndant sans changement
d'aspect extérieur ou de structure intime sur des espaces de plusieurs ceu-
♦F \»tlr< itf TA" i< . '
GRANDE PLAINE RUSSE. 285
laines de mille kilomètres carrés, quelle infinie variété présentent tous les
microcosmes de l'Europe occidentale, Tirol et Suisse, Allemagne, France,
Italie, Ibérie, Grande-Bretagne ! La dépression qui rejoint la mer Noire à
la Baltique par le bassin du Driepr et celui de l'Oder sépare deux mondes
géologiques : de chaque côté tout diffère, forme des contours, saillie des
reliefs, plissement des stratifications. A l'ouest, le sol raconte des ré-
volutions fréquentes et compliquées ; à l'est, il parle de lentes et régu-
lières oscillations. Tandis que l'Europe occidentale se soulevait en mon-
tagnes et se déchirait eu vallées profondes, les pays du Driepr et de la Volga
maintenaient leur niveau presque immuable au-dessus des eaux marines'.
Par la partie superficielle du sol, la Russie se divise en deux grandes
régions parfaitement distinctes, celle où les glaces mouvantes ont laissé
des traces de leur passage et celle où ne se rencontrent ni blocs erratiques,
ni argiles glaciaires. La Russie septentrionale, à l'exception des plaines
qui s'étendent à la base de l'Oural, se trouvait en entier, pendant la période
des glaces, sous l'influence des masses d'eau cristallisée qui, de la Scandi-
navie et de la Finlande, cheminaient vers l'ouest, le sud et l'est, en s'épa-
nouissant, de l'Ecosse à la Pologne et de la Pologne aux rives de la mer de
Kara, en un cercle immense de plus de 4000 kilomètres de pourtour. On
admettait jadis comme très probable l'hypothèse que les blocs erratiques
de cette région avaient été transportés sur la mer par des glaces flottantes,
mais celte théorie a dû être définitivement écartée. En effet, nulle part les
débris marins n'accompagnent les blocs voyageurs, tandis qu'on trouve,
associés à ces terrains de transport, des ossements de mammifères et des
coquillages d'eau douce'. Pendant l'époque glaciaire, toute la Russie du
Nord était un pays semblable aux pentes suédoises du Kjôlen , où les
glaciers, débordant et reculant tour à tour, s'étendent sur des espaces
chaotiques dont les moraines et les rochers sont entremêlés de lacs et de
tourbières dans une singulière confusion. Le transj)ort des glaces et des
fragments de rochers qui s'y trouvaient se faisait en grande partie par ces
lacs en labyrinthe qui recouvraient presque la contrée et dont la ]ilupart
ont été depuis changés en terre ferme.
Très semblable à la Russie du nord par les faibles ondulations de son
territoire, la Russie du sud en diffère nettement par l'histoire géologique,
aussi bien que par la nature du sol et par la flore. Au sud de Koursk, de
Pollava, de Voronèjc, on ne rencontre plus de blocs erratiques, et l'argile
' Archihald Gcikic, Proceedings oflhc R. Gcographical Society , 1870, n° VI.
' Darbot de Marny, Gorniij Journal, Kiissisclic Revue, IV, n° 12, \8'ity.
284 .NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
glaciaire se trouve remplacée par cette terre poreuse dont rorigine est
encore un problème pour les géologues, le loess. Là où commencent les
« terres noires » du sud, là aussi s'arrêtent les traces des anciens glaciers ;
une ligne précise sépare les régions basses parsemées de lacs, de marais,
de tourbières, de pierres erratiques, et le territoire où depuis de longues
périodes géologiques se forme la terre végétale provenant de la décomposi-
tion des gazons. Pour la végétation, le contraste est complet entre les deux
régions. Dans la Russie septentrionale, l'arbre dominant est le sapin,
tandis que sur les « terres noires » du sud la plante caractéristique est
une espèce de stipa [kovtl'), humble graminée à laquelle s'associent beau-
coup d'autres herbes de même aspect. Un grand nombre de végétaux
appartenant à l'aire végétale du sud s'arrêtent devant les limites de la
région des blocs erratiques comme devant une barrière de feu, bien qu'ils
puissent croître parfaitement sous le climat du nord et qu'ils prospèrent
dans les jardins autour de Moscou et de Saint-Pétersbourg. La nature spon-
gieuse du sol, qui pourtant s'est asséché en partie depuis la période gla-
ciaire, n'est-elle pas la cause qui a retenu ces plantes méridionales dans
leur marche vers le nord'?
La région de l'empire russe où se maintinrent longtemps les glaces,
c'est-à-dire la Finlande et les plaines limitrophes, est restée couverte de
lacs; en maints districts de la contrée, ils sont encore plus nombreux
qu'en Suède : le pays asséché ne se compose que d'isthmes et d'étroits
promontoires. Toutes les cavités et les simples dépressions sont emplies
d'eau : à la période glaciaire a succédé la période lacustre ^ C'est dans ce
territoire partiellement inondé que se trouvent les lacs d'eau douce les plus
vastes, mais non les plus profonds, du continent d'Kurope, le Ladoga,
l'Onega, le Saïma. En dehors de cette région du nord-ouest, les bassins
lacustres se rencontrent encore çà et là; mais, beaucoup moins grands,
ils sont pour la plupart déjà changés en tourbières. Depuis la disparition
des glaces, les ailuvions apportées par les rivières et, d'autre pari , les
mousses empiétant graduellement sur les eaux, ont ou le temps de combler
presque toutes les cavités des lacs, d'autant plus facilement que les forma-
tions géologi(pies de ces contrées de la Russie n'ont pas la dureté des gra-
nits de la Finlande. Ainsi des mers intérieures, comme celle qui s'étendait
autrefois là où se trouvent de nos jours les marais de laPripet, ont peu à
peu disparu. On voit partout dans la contrée les phénomènes qui lémoi-
< Rii|ireihl, /Jh//p(i;i (/e/'.lc(i(/emi<; (/es Sciences de Saint- l'èlcishoiira, tome \ II, 1SG3.
s l'ieirc Kiii|ii)lKin, !S'utcs manuscrites
LACS ET FLEUVES DE LA RUSSIE. 285
gnent dos changements successifs : ici, des lacs sont seulement amoindris
par des forêts de roseaux et des rives tourbeuses; ailleurs, ils ne sont plus
indiqués que par des espèces de puits ou «petites fenêtres» (nkochk^),
entourées do mousse; d'autres lacs changés en tourbe sont déjà envahis sur
leurs bords par des prairies ; on voit môme des forêts s'avancer peu à peu à
la conquête des anciens lacs, par des bouleaux et des pins rabougris qui se
risquent sur le sol humide et l'assèchent graduellement.
En proportion de l'amoindrissement et de la disparition des lacs, les
fleuves russes ont augmenté d'importance relative dans la géographie de
la contrée. A l'exception des rivières de la Finlande, de la Neva et de la
Narova, tous les grands cours d'eau du territoire russe ont vidé les anciens
lacs de leur bassin et constitué leur individualité fluviale. Grâce à l'étendue
des terres qu'ils ont à traverser avant d'atteindre la mer, ces fleuves,
grossis d'une multitude d'affluents, roulent une masse liquide considé-
rable, et cette masse paraît d'autant plus forte que le courant en est
moins rapide : partout où l'inclinaison du sol est très faible, l'eau s'étalo
largement dans son lit. La Russie a des fleuves énormes, notamment la
Volga, qui dépasse en longueur tous les autres cours d'eau de l'Europe;
mais il n'est pas exact de dire, comme on le répète souvent, que la Volga
l'emporte aussi par l'abondance de son débit : à cet égard, elle le cède au
Danube, qu'alimentent les Alpes, la Forêt Noire, les monts de la Bohême
et les Carpates. Les pluies sont beaucoup moins abondantes en Russie que
dans l'Europe occidentale, baignée de tous les côtés par les eaux de la
mer; en moyenne, elles ne peuvent être évaluées à plus d'un demi-mètre
de hauteur totale pendant toute l'année, et, dans leur cours inférieur, les
fleuves qui descendent vers la mer Noire, la mer d'Azov, la Caspienne,
traversent des régions au sol aride, très faiblement arrosé, sans arbres,
exposé à toutes les ardeurs du soleil et aux fureurs des vents : l'évapo-
ralion est très forte dans ces contrées, et mainte rivière y est bue com])lète-
ment par le sol et par l'air avant d'atteindre le lit du fleuve qui devrait
l'emporter. Dix fois grande comme la France, la Russie n'a probable-
ment pas un volume d'eau courante trois fois plus considérable. Encore
l'eau du plus long de ses fleuves, la Volga, va-t-elle se perdre dans le
bassin de la Caspienne, où elle s'évapore en entier, sans exhausser le
niveau de cette mer intérieure, depuis longtemps distincte do l'Océan.
Les grands cours d'eau de la Russie, prenant tous leur origine en des
contrées d'une faible élévation au-dessus du niveau do la nier, no sont
point séparés les uns des autres par des faites difflciles à franchir : los
véritables obstacles dans les étendues de la Russie n'étaient pas les
'286
NOUVELLE GÉOGRAPHIE L'MVEUSELLE.
saillies de partage, mais bien les marécages, les tourbières, les grandes
forêts, les vastes solitudes ; les fleuves eux-mêmes, tout en facilitant les
communications de l'amont à l'aval, ont arrêté fréquemment les invasions
de guerre et les relations pacifiques du commerce de l'une à l'autre rive,
tandis qu'entre les bassins fluviaux les voyages et les échanges se faisaient
sans peine. D'ailleurs, la plupart des fleuves de la Russie, et, parmi eux,
60. PLUIES DE L EUROPE ORIENTALE.
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la Volga, enchevêtrent leurs sources en un vaste labyrinthe, ils s'unissent
par des marécages où des barques pourraient passer pendant les saisons
iduvicuses; par l'intermédiaire des nombreux affluents de chaque cours
d'eau, il est facile d'obtenir des lignes de navigation presque continues
entre les mers qui baignent la Russie : déjà Pierre le Grand a pu ouvrir
aux bateaux de la Neva le chemin de la Caspienne. Mais aussi longtemps
que ces canaux n'existaient j)as et (pie de bonnes routes de commerce,
contournant les marécages et traversant les forêts, n'avaient pas, pour ainsi
dire, ajdani le sol dans tous les sens, les seuils ou « ])ortages » entre les
CLIMAT DE LA RUSSIE. 2S7
cours navigables des rivières étaient les chemins naturels pour les expédi-
tions de guerre ou de commerce. De même qu'aujourd'hui dans les plaines
rocheuses de la Nouvelle-Bretagne et dans les llanos de l'Amérique du Sud,
les portages ou voloks étaient les lieux du passage accoutumé, et c'est là
que les tribus en marche avaient à porter leurs embarcations pour les
remettre à flot. C'est ainsi que les faîtes de partage, malgré leur faible im-
portance comme relief, avaient pris un rôle historique considérable; ils
étaient choisis naturellement comme limites entre les populations qui peu-
plaient les terres de chaque versant. Toute la région du nord-est de la
Russie, jadis tributaire de la république de Novgorod, portail le nom de
Zavolotzkaya Tchouiï ou de « Pays des Tchoudes au delà des Portages ».
Encore de nos jours, les portages sont des endroits sacrés, de même que
certains cols des Pyrénées, et sur plusieurs d'entre eux les passants sont
tenus de jeter en amas des branches, des herbes ou des pierres '.
Une par l'aspect de ses grandes plaines, par la régularité de ses forma-
tions géologiques, par l'immense étendue de ses bassins fluviaux, la Russie
est une également par son climat : du nord au sud et du sud au nord,
les ondulations atmosphériques se propagent rapidement sans rencontrer
d'obstacles. Quand soufflent les âpres vents polaires, ils traversent toute la
Russie et soulèvent dans la mer Noire ces terribles tempêtes qui lui ont
valu son premier nom de mer « inhospitalière » ; quand les courants équa-
toriaux dominent, leur influence se fait sentir jusqu'aux pieds de l'Oural
et sur les bords des mers arctiques. Sans doute les différences du climat
sont très considérables du nord au sud, car sans les îles de l'océan Glacial
et sans les régions du Caucase, la Russie s'étend sur une partie de la
rondeur planétaire mesurée par "20 degrés de latitude ; d'une extrémité à
l'autre de cet immense territoire, la différence normale du climat est tel-
lement grande que la tempéralure moyenne de \\''\i' (■+-") sur les rivages
septentrionaux, à la porte de Kara, est inférieure à la température moyenne
de l'hiver (-h2'',2o) sur les rivages de la mer Noire, à Sevastopol. Toute-
fois de la zone glaciale à la zone tempérée la transition se fait d'une ma-
nière insensible, et de même que les ondes liquides se dévelo|i])ent avec
une grande régularité sur un fond de mer sans ressauts, de même les
vagues aériennes traversent la Russie dans toutes les directions, sans se
détourner en remous.
Par l'ensemble lie son régime, le climat de la Russie, compare à celui
de l'Europe; maritime, est essentiellement continental, c'est-à-dire extrême
' Muximov, Dretn'aija i yovaya Rossiija, 1870, n° 5.
288 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
en toute saison : pour les froids de l'iiiver, pour les ardeurs de l'été,
la Russie est déjà territoire asiatique. Moscou, la ville centrale de la
Russie d'Europe, est à peu près sous la même latitude que Copenhague
et qu'Edimbourg ; mais la moyenne de la température liiTernale, qui est
N" fl- irCNES nrs TFMPKllATrRES ÎIOVFWFS n'tTK HT d'hIVER E\* nL'S=IF.
C. Perron
de 2°, 8 dans la capitale de l'Ecosse et de — 0°,5 dans colle du Danemark,
n'est plus à Moscou qu'à 10 degrés au-dessous du point de glace. En
revanche, la température estivale, qui n'est pas menu- de 15 degrés à
Edimbourg cl qui dépasse 17 degrés à Copenhague, atteint presque
18 degrés à Moscou; quant aux écarts mensuels et journaliers enlre le
froid de l'hiver et le cliaud de l'été, ils sont encore beaucoup plus consi-
dérables. Mais, en ranienanl toutes les oscillations à la moyenne gi'nérale
CLIMAT DE LA RUSSIE.
2S0
de l'année, le climat de Moscou, aussi bien que de toute la Russie, est de
4 à 5 degrés plus froid que celui des contrées de l'Europe occidentale
situées sous la même latitude : tandis que les régions océaniques du conti-
nent, ribérie, la France, les Iles Britanniques, se trouvent surtout sous
l'influence des vents d'ouest et du sud-ouest, qui sont les contre-courants
C2. ISOTHEKilES DE L.\ RUSSIE.
des alizés, la Russie est plus soumise à l'action des vents polaires. OiKind,
dans le langage ordinaire, les Occidentaux désignent la Russie du nom île
« pays du Nord », quoiqu'elle occupe la partie orientale du continent,
cette expression n'est pas c()m|»lètement erronée, puisque les conditions du
climat (iéplaieiit la Russie. jMmr ainsi dire, de plusieurs degrés dans la
direction du pôle. Le mois de janvier d'Odessa et de Taganrog a In mènn'
290 NOL'VELLE GEOGKArilîE UNIVERSELIK.
température que celui de Christiania, à près de 1500 kilomètres plus au
nord\
La végétation que l'on observe en traversant le territoire russe dans le
sens du méridien rend le climat visible et en limite les zones. Au nord,
sur les rivages de l'océan Glacial, s'étendent des marécages, des terres
nues, où ne croissent que la mousse des rennes, des lichens, de faibles
arbrisseaux, moins hauts que les herbes d'une prairie : cette zone est celle
de la toundra, la vaste plaine humide. Au sud de la toundra commence
la région des forêts basses : les bouleaux, les mélèzes, les sapins argentés
y croissent assez vigoureusement pour mériter le nom d'arbres. Plus au
sud encore, les forêts couvrent presque toute la contrée et sont formées de
troncs superbes, surtout de bouleaux et de conifères d'essences diverses :
la culture s'essaye çà et là dans les clairières. La région des forêts à feuilles
caduques, comprenant la plus grande partie de la Russie centrale, est
celle de l'agriculture la plus active, celle où l'on moissonne le seigle, le
lin, le chanvre, les principales denrées de la Russie. Les « terres noires »,
qui occupent une large bande du territoire, de la vallée du Dnepr à la
base de l'Oural, sont le pays du froment, des arbres fruitiers, des hautes
herbes, tandis qu'au sud des steppes, les bas-fonds des vallées, le littoral
de la mer Noire, la Bessarabie et la Crimée forment une dernière zone,
celle du maïs et de la vigne. Le contraste est brusque entre la steppe et
la forêt ; mais partout ailleurs l'aspect général du pays est d'une grande
uniformité, surtout en hiver, quand les champs de neige s'étendent à perte
de vue, quand les branchages presque noirs des sapins ploient sous les
masses pyramidales de neige qu'ils ont à porter et que les rameaux déli-
cats des bouleaux sont tout mouchetés de blanc. Même en été, et loin des
grandes forêts, la campagne cultivée garde son aspect monotone : elle ne
semble former qu'un seul et même champ se prolongeant à l'infini : on
n'y voit qu'en de rares endroits les haies vives, les bouquets de verdure, les
' Tempéraliires moyennes en diverses \illes de la Russie :
I.alilude. Longitiiile. Moi* Ip plus chaud- Mois le plus froid. Moyenne onimdle.
Arlvhangelsk . . . (ii"52' iCSô'Gr. Juillet 16° 78 J.invier— 15<>4l 0»58
llelsingfors. ... G0°10' 24» 58' » 17» 11 » — 7» 21 4» 02
Sainl-l'élersbsurfT . ,V.)".iO' 50° Ifl' » 17" 53 » — 80 97 5» 7.5
Doriiat 58» 2.7 26» 43' » 17»r)9 « — 8» 22 4» 21
Koslioma r)7»46' 40» 56' » U>":)i » — I3»65 5» 25
Yelialerinenbourg . 56» 49' 00» 55' « 17» 36 » — 16»5l 0»45
Kazan 5.5» 48' 40» 26' » 20» 32 » - 15" 59 2» 89
tougai'i 48» 35' 59» 10' » 23» 11 » — 9» 05 7» 72
Oicssa 460 28' 23» 46' » 22» 03 .> — 4» 93 9» 11
(Wild, Dtc Tcivpnaliincrliiillnissc des Kiissisclicn Reiclies.)
CLIMAT DE LA RUSSIE. 291
fermes isolées avec leurs ombrages et leur jardin. Le voyageur dévore
l'espace dans sa voiture attelée de chevaux rapides, mais autour de lui le
paysage ne change point. Seulement, de loin en loin, apparaissent à l'ho-
rizon les coupoles des églises peintes aux croix dorées.
Des changements séculaires ne peuvent manquer de se produire dans
les limites respectives des zones de végétation : les traces de l'époque
glaciaire sont encore assez visibles pour témoigner des oscillations du
climat. Toutefois, pendant la période historique, ces phénomènes doivent
avoir été bien minimes. Il est certain que, depuis le seizième siècle, le
climat n'a point changé dans les provinces Baltiques, et l'on peut en
inférer qu'il s'est maintenu également sans grandes modifications dans les
autres provinces de la Russie. Sur la Dùna ', le jour moyen de la débâcle
pendant quarante années du seizième siècle était le 9 avril ; pendant
quatre-vingt-onze années du dix-huitième siècle, il a été le 7 du môme
mois, et le 8 pendant cinquante-quatre années du dix-neuvième siècle. Do
même, les dates de la débâcle de la Dvina h Arkhangelsk, et du Dnepr
à Kiyev, sont restées presque identiquement les mêmes". Les change-
ments de climat qui ont eu lieu depuis l'établissement de l'homme dans
la contrée sont dus non à la nature, mais aux habitants : ce sont eux
qui, en abattant les forèls en tant de régions de la Russie, ont aidé la
nature à dessécher le sol, à tarir les sources, donner plus de violence aux
vents, rendre les froids et les chaleurs plus difficiles à supporter.
Réunie à l'Asie, grâce à l'assèchement d'anciennes mers, et participant
au climat du continent oriental, la Russie d'Europe est asiatique à bien
des égards, de même que la Sibérie est partielloment européenne. Ainsi
pour la flore, Severlzov trouve que la limite de l'Europe n'est ni à l'Oural,
ni même à la vallée de l'Ob, mais à celle du Yeniseï. Les aires occupées
par les diverses espèces d'animaux empiètent de la même manière sur les
limites naturelles des continents. Enfin les populations s'entremêlent et se
pénètrent réciproquement de l'Europe à l'Asie. Quelles que soient leur
origine et leur provenance premières, les Slaves Aryens de divers dialectes
qui occupent en masses compactes la plus grande partie de la Russie
' Suivant rcxemple que nous dniinc M. Alfred Rambaud dans \'lli$tnirc de la Russie, nous em-
ployons la forme allemande, Dùna, pour désif;ner le fleuve qui passe à Dtinaburg et va se jcicr dans
la mer ù Dùnamundc après avoir traversé la ville de Riga, allemande par son histoire. Le nom dû
Dvina, qui d'ailleurs est le même, est réservé pour la Scvernaya Kvina, ou Dvina du iNorJ.
» Wojcikov, Meleorologie in liussland, Russische Revue, IV, n* 8.
202 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
représentent l'élément européen ; mais que de races asiatiques du Nord
par l'aspect, les mœurs et le langage vivent encore sur le territoire russe,
soit isolées, soit parsemées en peuplades et en familles au milieu des
Slaves ! Tandis que ceux-ci, appuyés sur les Européens de l'ouest, dont
aucun obstacle ne les sépare, entre la mer Baltique et les Carpates, se grou-
paient solidement en race maîtresse dans toute la Russie centrale, les
tribus d'Asie ont pénétré surtout par les brèches septentrionales de l'Oural
et par le large espace ouvert entre ces monts et les rivages de la Caspienne.
Au nord, les Samoyèdes, les Zîranes, les Lapons, suivant les plaines voi-
sines de l'océan Glacial, peuplent à eux seuls de vastes étendues, et les
derniers ont pénétré jusque dans le cœur de la Scandinavie. Au sud, les
hordes asiatiques ont pu continuer leur route en Europe à travers les
steppes riveraines de la Caspienne et de la mer Noire, et souvent elles ont
été assez nombreuses et assez puissantes pour séparer complètement les
Slaves de toute communication avec la Méditerranée. La Russie était alors
menacée de devenir ethnographiquement une simple dépendance du conti-
nent d'Asie. Deux fois elle disparut de l'histoire, une première fois après
la ruine de l'empire d'Occident, une deuxième fois après l'invasion des
Tartares : ces populations asiatiques, se ruant sur l'Europe, avaient rompu
le lien qui rattachait les plaines du Driepr et de la Volga aux régions occi-
dentales du continent. Chaque fois il fallut pour ainsi dire l'aire une
découverte nouvelle de la Russie. Les Génois retrouvèrent les chemins de
la mer Noire et rebâtirent en Crimée et sur les bords de la mer d'Azov et
du Don les villes des anciens Grecs, et plus tard, sur les côtes du Nord,
les navigateurs anglais, Chancellor, Burrough, Jenkinsou, relièrent direc-
tement la Moscovie à l'Europe occidentale par la mer Blanche et la mer
de Norvège.
La carte ethnographique de la Russie, surtout dans sa partie orien-
tale, garde les traces nombreuses des révolutions qui se sont accom-
plies dans la distribution des races jusqu'à l'époque oîi les Grands Rus-
siens ont fini par acquérir la prépondérance. Presque immédiatement à
l'est du confluent de la Volga et de l'Oka sont éparses en îles plus ou
moins grandes des populations non slaves, ouralo-finnoises vers le nord,
raongolo-lurques vers le sud. A l'occident de la Russie, d'autres Finnois,
au nord les Tavastcs et les Karéliens, au sud les Ehstes et les Ingres, occu-
pent le littoral du golfe même où s'est fondée la capitale de l'empire. Au
sud des Klisles s'étend le domaine d'une autre nationalité, aryenne et
parente des Slaves, et néanmoins bien distincte, celle des Lctio-Lithuaniens.
Lnfin, r.u sud, des Tartares peuplent en partie la Crimée, tandis que des
«
POPULATIONS DE LA RUSSIE. C03
Roumains, Daces latinisés, occupent la partie sud-occidentale de la Russie,
entre le Prout et le Dnestr, sur les deux bords de ce fleuve dans sa partie
inférieure, et même en certains endroits jusqu'au Boug. En outre, des
Juifs ont établi leurs colonies de commerce dans toutes les villes occiden-
tales du pays. Latham donne à la Russie le nom d'Empire des Quarante-
quatre peuples'!
Cependant toute la région centrale, comprise entre les bords de la
Volga et de l'Oka, les grands lacs au nord, la mer Noire au sud, est peu-
plée de Slaves, qui s'avancent à l'ouest en une masse compacte, entre les
Lotto-Lithuaniens du Neman et les Roumains du Prout, bien au delà des
frontières de l'empire. Ceux des Slaves qui forment la famille russe et
qui sont de beaucoup les plus nombreux, se partagent à leur tour en
trois groupes qui peuvent être considérés comme des nationalités dis-
tinctes : les Russes Blancs, habitants des plaines couvertes de forêts qui s'é-
endent de la rive gauche de la Dtina aux marais de la Pripet ; les Petits
Russiens ou Oukraïniens, qui occupent l'énorme territoire compris entre
le Donctz en Russie, le San en Galicie et les sources de la Tisza dans
l'Elat des Magyars; les Grands Russiens, qui peuplent le reste de la Russie,
principalement toute la région du centre et du nord. Cette diversité du
monde russe n'est-clle pas constatée dans le titre même des tzars, « auto-
crates de toutes les Russies»?
Les deux nationalités russes occidentales se rattachent à une nationalité
sœur, également slave, aux Polonais, avec lesquels, pendant une grande
partie de leur histoire, elles n'ont formé qu'un seul Etat. Les nombreuses
îles de Polonais que l'on voit entre le Narev et le Di'iepr, compensant,
pour ainsi dire, les îlots d'Allemands qui se rencontrent dans la Pologne
elle-même, sont les traces évidentes de cette ancienne union politiipie de
la Pologne avec la Russie Blanche et la Petite Russie, toutes également
annexées maintenant à l'empire grand-riissien.
Des patriotes poloiuiis, vaincus par la force sur les champs de bataille,
ont voulu prendre une revanche ethnologique en expulsant leurs vainqueurs
du monde des Slaves et même de celui des Aryens ; pour eux et pour
leurs amis enthousiastes de l'Occident, les deux nationalités occidentales
russes ou rutliènes ne sont que des variations provinciales de la souche
polonaise, tandis que les Moscovites sont des Mongols, des Tarlares, des
Finnois, masqués sous un nom d'emprunt : ils auraient commencé de-
puis le douzième siècle à parler une langue ijui n'est point la leur, et se
' Russia and Turkeij; Dculscim HuiiJsciiaii, ii* 9, 1879.
294 NOUVELLE GÉOGRAPHIE LMVERSELLE.
seraient emparés du nom de Russes par ordre de Catherine II, volant pour
ainsi dire une place parmi les peuples de l'Europe. Les recherches histo-
riques et ethnographiques récentes prouvent que les deux affirmations sont
également erronées. Les Petits Russiens sont bien des Slaves, distincts à la
fois des Grands Russiens et des Polonais par leur langue, leurs chants,
tous leurs monuments nationaux'. Quant aux Rlancs-Russiens, la majorité
des linguistes classent leur langue parmi les sous-espèces du grand-
russien'; cependant quelques traits phonétiques rapprochent cet idiome
du polonais, et par son dictionnaire il se rattache au petit-russien : la vraie
place de cette langue parmi ses sœurs reste encore indécise. Pour ce qui est
de la différence prétendue qui aurait existé entre la Russie et la Moscovie,
le témoignage authentique des monnaies, diplômes et autres documents
constate que les Moscovites n'ont jamais cessé de s'appeler et d'être appelés
Russes ou Roussines, ou, suivant l'une des transcriptions latines, Ruthènes,
nom plus spécialement réservé maintenant aux Roussines de la Galicie au-
trichienne. D'ailleurs, le nom de Moscovites, que l'on donne fréquemment
aux Russes et que l'on employait surtout dans une acception hostile, aussi
bien à l'ouest du Neman qu'au sud des Balkans, n'a qu'une valeur pure-
ment conventionnelle : historiquement il est inexact, même pour les Grands
Russiens, car ceux-ci existaient déjà en corps de nation avant que Moscou
ne fût fondée, en 1147, et surtout avant que la puissance politique des
princes de la Grande Russie ne fît connaître à l'Europe le « royaume Mos-
covite" ». Mais ce serait bien à tort que les Grands Russiens voudraient
prétendre à la pureté de leur race aryenne et revendiquer l'hégémonie
précisément à cause d'une sorte de droit d'aînesse dans la famille slave.
La tradition conservée par Nestor cite les Radimifchi et les Vatifchi parmi
les colonisateurs slaves de la contrée qui devait être la Moscovie, et, par
une étrange coïncidence, c'est de la Pologne même que seraient venus
ces immigrants. Puis se succédèrent les colons de Novgorod, les Sl'oveni
de Nestor, ceux des bords de la Dûna, du Di'iepr, du Diiestr, c'est-à-dire
de la Russie Blanche et de la Petite Russie. Les annales racontent celte
colonisation, dont témoignent aussi les noms des villes anciennes, dans la
Moscovie centrale, qui sont de simples répétitions de noms oukraïnions
ou galiciens : Pereyaslavl, Peremîclu (Przcmyszl), Zvenigorod, Galitch.
* Alf. Rambaud, Histoire de la Russie; — La Russie épique; — La Petite Russie dans les tra-
ditions et l'art populaire, Revue poliliquc cl litléraire, déc. 187G, — llovelaqiic, Linguistique.
* llovi'laque, Linguistique ; — Dalil, Dictionnaire erpticatif de la langue populaire grande-
russiennc (en russe); — JileIzUiv, Essai de l'Iilsloire plionétiquc du petit-russien (on russe).
* Allred RaïubaiiJ, Histoire de Russie; — ûosluniarov, Les deux nationalités russes (en russe).
POPULATIONS DE LA RUSSIE, SLAVES ET TARTARES. 295
D'ailleurs, les cthnologistes moscovites n'ont jamais nié l'origine mixte
de la race dominante de l'empire, et en de curieux mémoires Yechevskiy,
Kavelin, Korsakov, d'autres encore ont traité celte importante question.
En général, les Slaves de la Russie offrent une singulière pureté de type
dans toutes les parties de la contrée où les immigrants sont venus en
colonies agraires, repoussant les indigènes dans les forêts des alentours :
quoique les plus forts, ils n'eussent osé prendre femme dans une « race
de sorciers ». La variété des types produite par les croisements n'a guère
eu lieu que sur les confins ethnologiques'.
Dans la lutte séculaire qui constitue leur histoire, les populations slaves,
devenues les Russes de nos jours, se sont assimilé les éléments étrangers
précisément à cause de leur prépondérance ; elles ont gagné peu à peu sur
les peuples indigènes, mais en se mêlant avec eux, en prenant de leurs
traits physiques et de leurs usages, en admettant même un petit nombre
de leurs mots dans la langue nationale. Il est certain que le type russe,
surtout dans le voisinage des tribus finnoises, n'est point celui des autres
Slaves et qu'il diffère singulièrement de celui des Danubiens et des Illyriens
parlant des langues de même origine. On rencontre fréquemment des
Russes ayant la face aplatie et les pommettes saillantes du Finnois ; les
femmes surtout ont gardé cet indice du mélange des races. Dans le midi,
d'autres croisements ont fourni un type différent. Là ce sont les popula-
tions asiatiques venues à l'époque de la migration des peuples, juiis les
Mongols et les Turcs, dits Tarlares, qui, en se mêlant diversement avec les
Slaves, tantôt comme vaincus, tantôt comme vainqueurs, tour à tour pre-
nant les femmes du pays et forcés de livrer les leurs, ont uni leur sang à
celui des Slaves. Un grand nombre de familles nobles de la Russie sont
issues de seigneurs tartares et mongols qui ont accepté le baptême pour
garder le pouvoir. Les Cosaques Zaporogues, de même que ceux du Don,
de la Volga, de l'Oural, avaient l'habitude d'enlever des femmes tartares
dans leurs expéditions, et c'est ainsi que par les victoires mêmes des
Slaves s'altérait la pureté de leur sang. D'ailleurs, comment n'y aurait-il
pas eu mélange? Aux origines de l'histoire écrite, c'est-à-dire il y a neuf
siècles environ, les populations slavonnes, plus puissantes dans l'Europe
centrale qu'elles ne le sont aujourd'hui, étaient en revanche beaurouj»
moins nombreuses dans les plaines orientales : elles n'occupaient ([u'un
cinquième du territoire actuel de la Russie, et tout le reste du pays appar-
tenait aux Lithuaniens, aux Finnois et à diverses tribus errantes ou fixées,
venues des steppes de l'Asie. El de nos jours ijuel changement! Les
' I ioric KrnjiDtkiii, Soles mniiHxniL's.
296
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Russes et autres Slaves peuplent les quatre cinquièmes de l'empire et
débordent au loin, en Sibérie, au Turkestan, dans les vallées du Caucase.
De pareilles annexions ethnographiques ont-elles pu se faire en neuf cents
années sans que les nouveaux venus se soient intimement mélangés avec les
anciens habitants de la contrée?
A l'époque hellénique, toutes les populations des plaines qui sont dcve-
65. DISTRIBUTION DES SLAVLS AU NEUVIKME SIECLE.
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Lithuaniens
fa/agues
nues la Russie étaient confondues sous le nom de Scythes et de Sarmates.
Parmi ces indigènes, quels étaient ceux dont les descendants sont les Slaves,
c'est-à-diie les « Hommes qui parlent »'.' En remontant aussi loin dans
l'histoire qu'il est possible de le faire avec les rares documents laissés par
les écrivains grecs, Ossolinski, Safarik et Wocel ont retrouvé la première
patrie des Slaves dans la Volinie et dans la Russie Blanche. C'est encore là,
pcnse-t-on, que le sang slave est le moins mêlé; la stérilité du sol et les
ANCIENNES POPULATIONS DE L\ RUSSIE.
299
marécages nombreux ont délourné les coaquéranls, soit au nord, soit au
sud de celte région. II n'y a d'ailleurs rien d'improbable dans l'opinion
des savants qui voient aussi les ancêtres des Russes dans certains peuples
de la Scvthie méridionale'. Les ossements humains, accompagnés d'objets
indiquant une civilisation rudimentairc, que l'on a trouvés sous les an-
ciens tombeaux ou kourgans {knunjani) et sous les emplacements des
camps fortifiés (fiorodicliklia), dans les gouvernements de Tchernigov, de
Kivev, de Pskov, de Novgorod, de Pétersbourg même, sembleut appartenir.
61. — KOIKGANS DE TCIIEBXIGOV.
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si l'on en juge d'après la forme du crâne, à la race slave. Les vieilles prati-
ques de ren.sevelissement persistèrent dans ces contrées jusqu'au dixième et
au onzième siècle, ainsi que le prouvent des monnaies byzantines trouvées
dans les kourgans, oii le guerrier repose avec ses armes, où la femme
est encore ornée de ses parures. Parfois les funérailles étaient accompa-
gnées de sacrifices d'animaux domestiques, ou même d'hommes et de
femmes. Une grande sé|)ulture enfermait les restes d'un bûcher de plus
de 30 mètres de tour, où se rencontraient nèle-mêle des os calcinés
' Voir suitout ZaLcIin, Histoire de la vie lUise (en russe).
500 NOUVELLE GÉOGRAPDIE UNIVERSELLE.
d'êtres humains, de chevaux, d'oiseaux, de poissons, des armes, des outils,
des bijoux. Le chef n'avait voulu se rendre dans l'autre monde que dans
l'attirail de sa pompe, avec sa femme et ses courtisans, ses trésors et ses
mets préparés pour un riche festin. Une de ces vastes tombelles est la
Tchorna Mogil'a, explorée par Samokvasov '.
Lorsque les Slaves orientaux commencent à émerger des ténèbres du
moyen âge, vers la lin du neuvième siècle, ils occupent toute la région du
partage des eaux et des hauts affluents, entre les bassins de la Volga, du
Yol'khov, de la Dûna, du Xeman, de la Yistule, du Dnestr, et presque
tout le bassin du Dnepr. En dehors de cette vaste étendue se montrent
çà et là des îles et des archipels de population russe dans les bassins de la
mer d'Azov et de la Caspienne, notamment à l'embouchure de la Koubai'i,
où s'était établie la colonie des Russes Tmoutarakaii, fameuse dans les tra-
ditions primitives de la nation. Ces tribus slaves offraient déjà les éléraenls
d'une nationalité puissante, et c'est précisément alors qu'elles prennent
définitivement dans l'histoire le nom de Russes.
On a beaucoup discuté sur l'origine de cette appellation, que les anna-
listes ont rattachée à l'histoire de la dynastie. D'après la tradition incor-
porée dans les annales de Nestor, et longtemps enseignée comme une
indiscutable vérité, les Slaves de Novgorod et leurs voisins envoyèrent
une ambassade « d'au delà de la mer » chez les Yarègues ou Yariagues
(Vai"agi) Russes « pour les inviter à venir régner dans leur pays » ; Rurik
et ses deux frères Sineous et Trouver accédèrent à cette invitation et vin-
rent, en 832 ou 862, s'établir avec « toute leur tribu russe » à Novgorod,
à Izborsk près du lac de Pskov et aux bords du Lac Blanc ou Belo-Ozero.
Le successeur de Rurik, Oleg, personnage mystérieux dont la parenté avec
Rurik n'est pas clairement définie, mais que la légende transforme en une
sorte de demi-dieu, porta le siège de l'empire à Kiyev et en même temps
le nom de Russes et de Russie. Quels étaient ces Yarègues Russes auxquels
la tradition donne celle influence décisive sur la formation do la grande
nationalité slave? Au seizième siècle, on cherchait leur patrie au sud de
la mer Baltique, chez les Lithuaniens-Prussiens, que l'on prétendait alors
être do race impériale romaine, à cause de leur nom Latrini, transformé on
Latini, et de leur lieu sacré', Romovo, (jue l'on s'imaginait être une sorte de
Rome. Mais, depuis le dix-huilièmo siècle, l'opinion générale, surtout parmi
les savants allemands des académies de Saint-Pétersbourg et parmi les éru-
dits Scandinaves, cherche en Suède l'origine des Yarègues. Les défenseurs
' Drevn'aija i lYoïai/a R'issiija, 1876, n* t.
ORIGINES DE LA RUSSIE. 301
de cette théorie, développée d'abord par Schlôzer, et depuis par Kiinik et
Rafii, s'appuient sur de nombreux témoignages pour affirmer que le nom de-
venu national pour la famille slave dominant dans l'Europe orientale est dii
aux aventuriers normands, Varègues, qui couraient le monde à la recherche
de la gloire et de la fortune. D'après Kiinik, le nom de Ross ou « Russes »
est celui que les Finnois de la mer Raltique donnaient aux Svear ou
Suédois de la côte occidentale de la Baltique. Encore de nos jours, les
habitants du litloral de l'Upland sont connus sous l'appellation de Rodsla-
gen et Rosslagen, c'est-à-dire de « Corporation des Rameurs », et depuis
les temps les plus anciens ils sont employés au service des flottes'. Ce se-
raient là les Russes qui se sont taillé des royaumes dans les plaines de
l'est, accomplissant en Orient ce que leurs frères de race, les Normands,
avaient accompli en Occident, et les uns et les autres, après avoir contourné
l'Europe à l'ouest ou à l'est, auraient fini par se rencontrer sur les bords
de la Méditerranée. En effet, des guerriers norvégiens, des Islandais même",
s'enrôlaient dès le neuvième siècle dans la garde des empereurs de Con-
stantinople : « engagés par contrat », ainsi que l'implique probablement
leur nom de Varègues, on les voit combattre en troupes d'élite dans toutes
les expéditions byzantines de cette époque. Mais d'autres soldats de for-
tune combattaient aussi Byzance; la Suède possède au moins une douzaine
de pierres runiques dont les inscriptions parlent d'hommes qui naviguè-
rent ou qui moururent en Orient dans l'expédition d'Ingvar" : c'est l'Igor
de l'histoire russe qui essaya vainement de conquérir Constantinople.
D'après les défenseurs de l'hypothèse Scandinave, presque tous les noms
de Varègues donnés dans les anciennes chroniques russes appartiendraient
à l'idiome Scandinave ou nordique et se retrouveraient dans les sagas et
sur les monuments runographiques chi Nord : malgré l'altération que leur
a fait subir l'orthographe slavonne, ils sont presque tous faciles à recon-
naître. Tous les hommes « de la nation russe », ainsi que s'exjirinK!
Nestor, étaient des Normands. Les ap[>ellations des navires « russes »,
transmises par les auteurs byzantins, sont aussi des termes nordiques, et
les noms « russes » des cataractes du Dnepr, reproduits à côté des noms
« slaves » par l'empereur byzantin Constantin Porphyrogénète, sont évi-
demment Scandinaves, quoique très mutilés. Enfin Luitprand, évoque do
Crémone, qui visita deux fois Constantinoj)le comme ambassadeur, affirme
expressément que les peuples auxquels les Grecs donnaient le nom de
' NVallenbacli, Ein lilick auf Scliircdens Umtphtadl.
* Italti. liapporls des I^ormands uvec l'Orient, Monuments runographiques.
° Rafn, Antiquités russes.
Ô02 NOUVELLE GEOGRAPUIE UNIVERSELLE.
Russes élaieiit les mêmes que les Normamis des écrivains occiden-
taux'. D'ailleurs ces Russes varègues étaient bien peu nombreux, en com-
paraison des populations indigènes au milieu desquelles ils allaient com-
battre " ; en un bien petit nombre de générations, l'origine Scandinave des
familles guerrières fut oubliée : les Germains étaient perdus parmi les
Slaves. Déjà le petit-fils de Rurik, Svatosl'av, porte un nom slavon '.
Quelle qu'ait été d'ailleurs la part d'influence des Varègues du Nord sur
les populations de la Slavie orientale, les objections à la tliéorie de l'origine
purement Scandinave du nom de Russie n'ont pas manqué et, devenues de
plus en plus nombreuses, elles se présentent maintenant avec une grande
autorité. Les noms géographiques où se retrouve la racine 7^us ou ros se
rencontrent en divers endroits, surtout en Poméranie et dans l'île de
Rijgen, en Lithuanie, dans la Russie Blanche, sur les bords du Dnepr;
Ros est le nom lithuanien du IS'eman, — d'oîi l'appellation de Po-Rousî
ou de « Gens des Bords du Rous » donné aux Prussiens. — Probable-
ment celte question d'origine restera toujours obscure; toutefois il est
utile de rappeler que le pays de Kiyev, qui était alors la Russie par excel-
lence, a eu sa propre légende de trois frères fondateurs de la ville, et que
celle légende se rattache à des traditions danubiennes et non balliques.
En 8Gi di^à, les princes de Kiyev avaient fait une expédition contre Con-
slantinople,et la manière dont cette expédition est racontée est peu compa-
tible avec la théorie d'après laquelle les « Russes » n'auraient été que
des nouveaux venus dans le pays. Le ])atriarche Photius parle des Russes
comme d'une nation forte et victorieuse, bien connue des Byzantins. Enfin,
d'après les auteurs arabes de la fin du neuvième siècle et du commence-
ment du dixième*, les Russes contemporains étaient une nation slave se
divisant en trois groupes, celui de Kouyaba (Kiyev), celui des Slavons ou
Sloveni de Novgorod, et le groupe de l'Ârtsanîe, où l'on veut retrouver
soit les habitants du pays de Razan sur l'Oka, soit la population de
Rostov, dans le gouvernement de Yarosl'avl, non loin de la Volga. En réu-
nissant liiu^ les témoignages fournis par les écrivains byzantins, arabes et
juifs'', ainsi (pie par les fouilles des tertres funéraires de la Russie % on doit
' Rafn, Rapports des Normands arec l'Orient.
- Wor^anu, La colonisation de la Russie et du nord i>randinarc .
^ Alficil Rainbaiid, Histoire de la Russie.
' Kludlsoii, Rechcrclies sur les Slaves et les Russes d'Ibn-DasIa (en russe"); — Garkavi, Recils
des écrivains musulmans sur les Slaves et tes Russes (en insse). elc.
5 Khvcjlson, Rapport au Congres archéologique de Kazan'; — Altied Ranibaud, Revue sckidi-
fique, 1871), n° -ii.
' Samokvasov, Drcvn'aya i yuvoija Russiija, 1S70, n"' 5 el J.
ORIGINES DE LA RUSSIE. 303
reconnaître qu'au moins depuis la fin du neuvième siècle il existait dans
le bassin du Diicpr une nation russe assez compacte, possédant une cer-
taine industrie et même l'écrilure.
Tant que les communications étaient encore très difficiles dans les
plaines de l'Europe orientale et que la population, peu considérable, so
trouvait arrêtée de tous les côtés par des forêts et des marécages, la consti-
tution d'une forte nationalité slave était impossible. Dans cet immense
espace qui s'étend de l'Oural aux montagnes de la Bohême et à celles de
rUlyrie, des centres de vie indépendante s'étaient formés en mille en-
droits et se groupaient, s'influençaient diversement, tandis que des
ennemis, pénétrant par des brèches ouvertes à l'orient et à l'occidenl,
dérangeaient incessamment l'équilibre incertain de tous ces groupements
slaves, aux frontières changeantes. A l'ouest, les Hongrois, défendus par
leur citadelle serai-circulaire des Carpatcs, rompirent la cohésion des
Slaves de l'occidenl, du sud, de l'orient, tandis que les Allemands, dès le
onzième siècle, s'établissaient solidement sur les rives de la Baltique et,
refoulant Slaves et Lithuaniens, leur enlevaient les chemins de la mer.
A l'est, les hordes asiatiques, venues des steppes et suivant leurs troupeaux
de vallée en vallée, déplaçaient incessamment les limites des royaumes.
D'ailleurs, cette cohésion naturelle qui dans un grand pays unit les uns
aux autres tous les hommes de même langue et de mêmes mœurs, ne pou-
vait encore lier en une seule nation les habitants clairsemés de la Slavio
orientale : la patrie était partout limitée au groupe que réunissaient le
danger commun et les intérêts immédiats du combat pour l'existence.
Par son immense étendue, aussi bien que par la disposition de ses ver-
sants, inclinés vers des mers opposées, mer Blanche et mer Noire, Baltique
et mer du .lapon, la Russie semblait destinée à se diviser entre des groupes
nombreux de populations aulonomes; mais runiformité de son relief, la
pénétration réciproque de ses bassins fluviaux facilitaient les conquêtes
et le mouvement de centralisation. Dès qu'un pouvoir s'établissait sur
<iuel(juc, point des vastes plaines sarmates, il tendait à s'appn)]irier le
territoire entier. Mais, de tous les gi'aiids Klals qui se fondèrent sur le
lerriloire aciuel do l'empire russe, et où dès le neuvième siècle i(''gnaieiil
des princes de la dynastie dite de Rurik, lequel devait remporter?
Au milieu de toutes les tribus slaves que les premières annales nou»^
montrent ayant « chacune ses propres usages et ses institutions », trois
centres locaux se constituent d'abord : Novgorod, dans le pays des Slaves
du Volkliov ; Polotzk, la ville des Krivitchi-Bob)tchani de la Diina, et
Kiyev, la cité des l'olani ou a Habitants des champs », dans le bassin du
304 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Dnepr. De toutes les régions de la Slavie orientale, la plus favorisée par
la nature et celle qui semblait par conséquent devoir prendre et garder la
prépondérance politique était le pays de Kiyev. Un grand fleuve, navigable
malgré ses rapides, parcourt cette contrée et par la mer Noire ouvre les
chemins de Constanlinople et de la Méditerranée. Le sol de cette partie de
la Piussie est un des plus fertiles du monde, le climat est plus doux que
relui des autres plaines orientales. Il semblait donc naturel que la popula-
tion slave se groupât principalement dans le bassin du Dnepr, sur les riches
terres noires qui donnent le froment en abondance, et le centre de la puis-
sance devait se trouver là où se portait la foule des habitants et où se
concentraient les richesses. En effet, Kiyev, où l'on voit les plus anciens
monuments historiques de la Russie, notamment la « Porte d'Or » — qui
n'est porte ni dorée, dit M. Léger. — était au onzième siècle la ville la plus
riche et la plus grande de l'Europe orientale après Constanlinople, et pre-
nait le rang de cité mère dans une confédération flottante embrassant Petits
Piussiens et Grands Russiens ; mais précisément ces contrées du sud, pri-
vilégiées en comparaison de celles du nord, étaient les plaines que les races
ennemies. Avares, Khazars, Magyars, Petchénègues, Koumanes, Turcs,
Mongols, venaient attaquer avec le plus d'acharnement, soit pour s'y éta-
blir eux-mêmes, soit pour s'ouvrir un passage vers les pays de l'ouest.
Tandis qu'au nord du Dnepr les colons russes pouvaient librement tailler
des clairières dans les forêts et ne rencontraient devant eux que des tribus
de sauvages inoffensifs, ils ne pouvaient s'avancer au sud que la lance à la
main, et que de retours offensifs ils eurent h subir! Que de villages brûlés
et de troupeaux enlevés ! Que de populations entières emmenées en escla-
vage ! La colonisation russe progressa lentement, protégée par les postes
avancés des Cosaques. C'est vers le nord et le nord-est que le nombre des ha-
bitants s'accroissait le plus, et le siège de la puissance se déplaçait avec eux.
Vers la fin du douzième siècle, deux centres nouveaux, situés en dehors
du bassin du Dnepr, commencent à exercer leur force d'attraction : en
occident, Vladimir Vol'inskiy, — capitale de la Vladimirie ou Lodomérie, —
qui fut bientôt remplacée par Galitch (Ilalicz), chef-lieu de la principauté
de (jalicie : en orient, Souzdal, à laquelle succéda sa voisine \ ladimir
Zaleskiy ou « Transylvaine ». devancière politique de Moscou. Galicie d'une
])arl, Souzdalic (l(> l'aulre, clicnliaient sans cesse à s'agrandir et à se rap-
procher aux (K'pens de Kiyev, lorsque l'invasion des Tarlares vint mettre
un liuine à ces rivalités en s'euiparant elle-même des rives du Diiejtr.
La Galicie essaya pourtant de se maintenir par la lutte contre les Taitares;
mais, trop exposée aux attaques de ses voisins. Polonais, Lithuaniens,
IiKI'LACEMENTS DES CENTRES DE LA PUISSANCE SLAVE. 307
■Magyars, elle se perdit dans ses vastes entreprises guerrières et finit par
tomber, au milieu du quatorzième siècle, sous la domination de la Pologne.
Moins chevaleresques, les princes de Vladimir Transylvaine et de Moscou
cherchent à se concilier les bonnes grâces des conquérants lartares, à gou-
verner en leur nom pour s'assurer la possession de toute la Russie du
nord-est. Mais tandis que les princes de Moscou, ce « camp sauvage, plein
d'esprit tartare », accroissent de plus en plus leur puissance militaire,
les cités républicaines du nord-ouest, Pskov, et surtout Novgorod, repré-
sentent, depuis le treizième jusqu'au commencement du seizième siè-
cle, la civilisation et les traditions nationales du pays qui prit alors le
nom de « Grande Russie » et qui est devenu le domaine du tzar auto-
crate'. La « Grande Novgorod » était l'intermédiaire du commerce de
l'Europe avec la Russie orientale, et même avec l'Asie ; par le lac Ilmei'i,
la rivière Eovat et les portages, elle communiquait avec les bassins de la
Volga, du Dnester, du Dnepr; par la rivière Volkkov et le lac Ladoga, elle
commandait à la fois les chemins de la mer Noire et le golfe de Finlande.
Son territoire de commerce et de colonisation s'étendait des rives laponnes
aux monts Oural. Mais bien située pour la défense, à l'abri d'une attaque
soudaine, grâce à son éloignement de la mer, Novgorod n'avait pas une
position qui lui permît de prendre facilement l'offensive : la plus grande
partie de son territoire était infertile et presque inhabitée, et des convois
interceptés pouvaient la réduire à la famine. Les dissensions des puissantes
familles et les rivalités des commerçants déchiraient la cité, et ces luttes
de factions aidèrent les grands-princes de Moscou à établir leur pouvoir
à Novgorod comme autour de leur Kremlin.
Seulement après la décadence de la Kiyovie et de la Galicie, la Russie
Blanche sortit de son isolement comme centre d'un nouvel empire slave,
sous la conduite des princes lithuaniens, parents et héritiers de l'ancienne
dynastie russe de Poiotzk. A partir de la moitié du treizième siècle et sur-
tout au quatorzième, les princes lithuaniens s'emparent de toute la Russie
Blanche, puis de la Vol'înie, de la Podolie, de la Kiyovie, de la Sévérie
(Tchernigov), tant(3t par la force, tantôt du consentement des villes ou
gi'âce à des mariages prudemment conclus; les princes de la Lithuanie por-
tent désormais le titre de « princes de la Russie ». Par une remarquable
coïncidence, le roi «le Pologni;, après avoir occupé la Galicie, prend aussi
le nom de « prince de la Russie », tandis que le souverain de Moscou,
comme pour revendiquer énergicpiement les terres qui échappent à sa
' Boustaypv. Annales de la liiléralure russe, VI (en russe).
508 .NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
dynastie, se qualifie « prince de toute la Russie » : mais il évite d'ahord
d'employer dans ses rapports avec les souverains de la Lithuanie ce titre
fastueux, que seulement Jean III réussit à se faire reconnaître officiel-
lement par le traité de 1505. Au quatorzième siècle et -avant la fin
du (juinzième, La Lithuanie était trop puissante pour que le prince do
Moscou osât la braver. Elle s'était annexé tout le bassin du Dnepr et pos-
sédait même une partie du bassin de l'Uka, où la rivière Ougra formait,
à 150 kilomètres au sud-ouest de Moscou, la limite de son domaine. Les
Tartares reculaient vers l'Orient au commencement du quinzième siècle;
les steppes qui s'étendent entre le Dnepr et le Diiestr s'ouvraient à la colo-
nisation, et les riverains des fleuves pouvaient expédier librement leurs
blés à Constantinople par le petit port de Hadji-Bey, situé sur l'empla-
cement occupé de nos jours par Odessa. Les princes de Tver, de Razan,
jNovgorod même, se tournent vers la Lithuanie, par crainte des autocrates
de Moscou, et ceux-ci se sentent menacés dans leur puissance. La Lithuanie
devient la vraie Russie occidentale, un Etat russe et européen à la fois :
le nom donné à leur principauté ne s'appliquait d'ailleurs qu'à une faible
partie du domaine; jamais les lois du pays n'ont été rédigées en lithua-
nien ; presque toutes sont en russe, surtout en blanc-russien.
Mais un événement considérable vint arrêter le développement noi-mal
de la Lithuanie : son union politique avec la Pologne. Les souverains
de ce dernier pays, maîtres de la Galicie, voulaient justifier le nom de
« princes de la Russie », qu'ils avaient pris. En 1580, une reine de Polo-
gne se mariait au prince de Lithuanie, Jagello, qui dut embrasser à cette
occasion la religion catholique romaine. D'abord toute personnelle, l'union
devint avec le temps celle des États, malgré les protestations des Lithua-
niens et des Blancs Russiens qui, pour conserver l'indépendance du pays,
menacèrent même de s'unir à la Moscovie. Aidés par les petits nobles
des provinces méridionales qui enviaient les privilèges des grands vassaux
lithuaniens et aspiraient aux droits égalitaires des gentilshommes polo-
nais, les rois finiront par rattacher directement la Yolînie et la Kiyovie à la
Pologne cl en 1569 eut lieu l'union définitive du reste de la Lithuanie.
Les dissensions inlérituires qui furent la conséquence de cette union forcée,
telle fut la cause de la faiblesse de ce double empire qui semblait devoir,
grâce à son immense étendue, prendre définitivement riiégémonie comme
puissance slave. Plus rapproché de l'Europe proprement dite, jouissant
d'une civilisation plus avancée que les populations slaves de l'est, disposant
de ressources maléiicllcs plus considérables, il avait aussi l'avantage d'oc-
cuper la région où j)asse la voie historique entre la mer Noire et la Bal-
DÉPLACEMENTS DES CENTRES DE LA PUISSANCE SLAVE.
zm
tique. Il possédait cotte précieuse dépression qui divise le continent en deux
moitiés et où s'entremêlent les sources de la Vistule et de ses affluents
avec celles du Diiestr et du Di'iepr. Une pareille position géographique assu-
rait en apparence à la Pologne et à la Lithuanie le rôle principal parmi
iiKrLvcrsiOT des ce\ti\es de la poissasce slave.
Conré«Iér.ition ru-^^e Principaulés
avant rînv,i$ioit tic la dynastie
des Tartarcs de Ged
(iiii* sicclcy. (IV siècle;.
les nations slaves; mais les éléments de la confédération polono-lilliuano-
riisse différaient trop, les efforts tentés par les rois de Pologne en vue de
la domination pure se faisaient avec trop de violence et le travail d'assi-
milation naturelle était relativement trop faible et trop lent : l'union
politique de 1509, dite de Lubliu, el en 159j l'union de Bresl-Lilovskiy,
510 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
qui rallachait les Églises grecques à l'Eglise romaine, amenèrent lo choc
des éléments russe et polonais. Par la religion catholique, la Pologne
s'était rattachée au monde occidental ; par la religion grecque, introduite
de Byzance, la Russie constituait un monde distinct : la différence des rites,
entraînant avec elle celle des mœurs, de la civilisation, de la politique, des
alliances, traçait à l'est de la Pologne une limite qu'elle ne put franchir.
Quand à toutes ces causes de luttes intestines vinrent s'ajouter les révoltes
et les guerres des Cosaques et des paysans russes contre les gentilshommes
polonisés, le sort de la Pologne devint inévitable. D'ailleurs, même au point
de vue géographique, l'empire n'avait jamais pu se constituer solidement.
Gênés par les Allemands du littoral baltique, les Polonais n'avaient pu
s'établir que temporairement sur les côtes qui semblaient devoir leur appar-
tenir, et la conquête mahométane les priva des rivages de la mer Noire.
Ainsi, tout en possédant la plus grande partie du territoire qui rattache
l'Europe occidentale au corps de l'Ancien Monde et qui, même avant l'his-
toire écrite, fut d'une telle importance pour le commerce, Polonais et Lithua-
niens n'avaient pas ce qui donne précisément sa valeur à ce grand chemin
des nations, c'est-à-dire de faciles débouchés sur les deux mers opposées,
communiquant l'une avec la Méditerranée, l'autre avec l'océan Atlantique.
Tandis que la Pologne s'affaiblissait par ses guerres et ses dissensions,
la Moscovie, amie des Musulmans du sud au quinzième siècle, s'accrois-
sait en puissance. Là fut le centre autour duquel gravita le grand Etat
slave. Par la Volga et ses affluents, par les portages et les fleuves du nord
et de l'ouest, les princes de Moscou pouvaient atteindre les extrémités de
la plaine immense, et l'unité de pouvoir s'établissait sans peine. Quand les
([uatre mers, au nord et à l'ouest, au sud et au sud-est, baignèrent à la
lois les terres de l'empire moscovite, la Russie moderne était fondée, et
les peuples de la Slavie orientale se trouvaient unis de force. Quand le
seront-ils aussi par un groupement libre? C'est une de ces questions his-
tori(paes auxquelles il est encore impossible de répondre.
On sait quel a été pendant ces derniers siècles le prodigieux accroisse-
ment de l'empire moscovite. La Russie d'aujourd'hui comprend un ter-
ritoire au moins dix fois supérieur en étendu(! à celui de l'Etat (jui s'éta-
blit après la défaite des Tartares, et dont la surface est évaluée apjjroxima-
tivement à '2 millions de kilomètres carrés '. .L'immense domaine acquis
< Obiciulcliuv, [{eciieil mililaii-c sUitisliijuc (on russe), t87l.
ACCROISSEMENTS DE LA RUSSIE. r.Il
(lopiiis se mesure par degrés de longitude et de latitude, et c'est d'une
manière tout à fait provisoire qu'on essaye d'en indiquer la surface en
verstes ou en kilomètres carrés. En ISTt?, les géodésiens ont terminé la
N° 66. — mVQlêTES SfCCFSSlTES DE l'tMriIlE BrS'SF-
l'iciTf le Grand. Je l'itrri; le Ui-
grande Irianguliition iMicrnalidnale qui avait pour itut de mesurer l'arc de
parallèle compris entre l'Ile Valentia, sur la côte occidentale de l'Irlande,
cl la ville d'Orsk, dans le gonvernemenl d'Orenltourg. Cet arc de bô'ùt kilo-
mètres, embrassant G'J degrés de longitude, soit près d'un cinquième dj
312 NOUVELLE GÉOGRAPHIE U.MVERSELL".
la circonférence terrestre, traverse le territoire russe sur un espace de
40 degrés, mais les mesures qui se continuent à travers toute la Sibérie
jusqu'à l'océan Pacifique et à la pointe du Kamtchatka ajoutent encore à
cet arc une ligne de 100 degrés, tracée presque partout sur le sol ou dans
les eaux russes.
Le mouvement d'extension territoriale de la Russie a été quelquefois
arrêté pour un temps, et même il est arrivé que l'immense domaine de
l'empire s'est amoindri en quelques parties de son pourtour. Ainsi, la
Russie céda en ITô^ à la Perse Astrabad et la province de Mazanderan,
qui d'ailleurs ne lui appartenait que d'une manière fictive, et depuis elle
n'a pas daigné recouvrer ce territoire, le vasselage politique de la Perso
lui convenant mieux que l'acquisition de quelques lambeaux de terre.
De même, en 1807, la Russie s'est volontairement limitée au détroit de
Bering, en vendant aux Etats-Unis, moyennant la somme de près de 40 mil-
lions de francs, le vaste pays d'Alaska, resté jusqu'à maintenant presque
sans valeur aucune. Enfin, par le traité de Paris, signé en 1856, une
partie de la Bessarabie dut être cédée aux Roumains : vingt-deux ans
après, la Russie reprenait ce territoire en vertu du traité de Berlin, et en
outre elle assurait sa prépondérance politique sur les deux rives du bas
Danube et jusqu'au delà des Balkans. Chacun des reculs momentanés de
la puissance russe a été suivi d'une offensive énergique, ayant pour consé-
quence un accroissement de territoire et d'influence. Depuis que Pierre le
Grand est monté sur le trône, les conquêtes et les acquisitions de l'empire
ont certainement dépassé 6 millions de kilomètres carrés, soit une super-
ficie égale à douze fois la France : même calculée par jour, l'augmentation
normale est de plus de 80 kilomètres carrés, et précisément pendant le
cours de ce siècle le mouvement s'est accéléré.
La Russie est maintenant dans sa période d'agrandissement : elle s'ac-
croît, même en dehors de la volonté des gouvernants, par la fascination
de sa puissance : de nombreuses peuplades d'Asie, des Etats même, gravi-
tent autour d'elle et s'inféodent graduellement avant de s'assujettir en
entier. A l'ouest, c'est-à-dire du côté de l'Europe, l'empire russe est
limité par d'autres empires et par des États que maintient la rivalité
des puissances ; mais il reste encore une moitié de la Turquie à par-
tager, et peut-être l'Auslro-Hongrie pourra-t-elle se disloquer un jour au
profit de ses voisins ! Quoi qu'il en soit, la frontière européenne de la
Russie, fixée par une double chaîne de douanes et do forteresses, a la
même précision i\w' wWc des autres États du continent. En Asie, au con-
traire, ses limites sont ilotlantes, jxiur ainsi dire; malgré les traités pro-
ACCROISSEMENTS DE LA RUSSIE. 315
visoires qui fixent les bornes de l'empire à telle rivière ou à telle chaîne
de montagnes, la Russie doit incessamment annexer de nouveaux territoires
jusqu'à ce qu'elle rencontre un groupe de populations ou un État militaire
assez solide pour lui faire obstacle. L'intervalle qui sépare la Sibérie des
plaines populeuses de la Chine est encore considérable, mais il s'est bien
rétréci par l'acquisition de la Mantchouric orientale : de même, les armées
russes du Turkestan ont encore bien des étapes à franchir avant d'arriver
au.\ défilés de l'Hindou-Kouch ; mais la désorganisation des États intermé-
diaires hâte le choc inévitable, et tôt ou tard la Russie, déjà limitrophe
de la puissante Allemagne, le deviendra de la puissante Angleterre. Tandis
que le mouvement général de la civilisation se porte de l'est à l'ouest,
c'est d'occident en orient que se meut l'histoire de la Russie.
Il est vrai que la nation russe est encore bien loin d'avoir remjdi l'es-
pace immense annexé par son gouvernement ; les limites réelles de la
nationalité russe restent bien en deçà de celles que les traités et les con-
(juètes ont tracées sur la carte. Avant d'avoir occupé toutes les terres fer-
tiles, toutes les positions commerciales ou industrielles qui se trouvent
dans l'empire, la nation peut subir bien des changements, passer par
des révolutions intestines; mais, quelles que soient les vicissitudes de
leur vie nationale, les groupes divers des Slaves resteront l'élément civi-
lisateur par excellence. Quoique la force d'assimilation de la nationalité
russe n'ait pu égaler encore la puissance d'accroissement de l'État ', le
mouvement d'expansion des Russes dans le territoire annexé n'eu est
pas moins extraordinaire. Du côté de l'Europe, ils ne peuvent déplacer
ni absorber les Finlandais, les Suédois, les Allemands, civilisés comme
eux ou plus qu'eux; de même, à l'est et au sud-est, la religion trace des
lignes de démarcation entre le peuple dominant et la plupart des autres
habitants de la contrée, Tartares, Kalmouks, Kourdcs et Turcomans ; tou-
tefois, c'est par les Russes que ces populations des confins asiatiques et de
l'Asie elle-même entrent peu à peu dans le mouvement de l'histoire
moderne, et déjà l'on j)eut, dans mainte partie de l'empire, observer un
rapide travail de « russification ». Mais c'est principalement par l'émi-
gration à l'intérieur que le pays devient russe jusque dans le cceur de
l'Asie. Le Petit-Russien a colonisé de vastes étendues, moindres pourtant
que les espaces conquis par les colonies des Grands-Russiens. Celui-ci
est le colon modèle. La pratique de l'émigration est héréditaire chez lui;
ses aïeux émigrèreut dans les forêts moscovites, et de clairière en clai-
• Mackeiizic Wallacc, liussia.
T. /,0
5\i NOUVELLE GÉOGRArUIE UNIVERSELLE.
lière, de steppe en steppe, les arrière-neveux ont envahi la Sibérie, gravi
les pentes du Caucase et de l'Altaï, descendu le cours de l'Amour jus-
qu'aux rivages de l'océan Pacifique. Même par delà les frontières de l'em-
pire russe se trouvent des colonies de Grands-Russiens que les voyageurs
découvrent avec étonnement, perdues au milieu de populations étrangères.
Comment le paysan russe regretterait-il le sol qu'il a quitté? En marchant
devant lui, pendant des jours et des semaines, dans la plaine monotone, ne
retrouve-t-il pas toujours sa patrie? Le sol, les plantes ont à peine changé ;
le même ciel l'éclairé et les mêmes vents inclinent autour de lui les arbres
de la forêt. En quelques jours il peut se construire une izba semblable
à celle qu'il a quittée; la terre nouvelle qu'il défriche lui donnera les
mêmes récoltes que l'ancienne, et peut-être aura-t-il la chance de pouvoir
en jouir plus librement'. Mais là même où tout diffère, climat, sol, végé-
tation, il sait parfaitement s'accommoder au nouveau milieu; il sait pren-
dre les mœurs de ceux avec lesquels il se trouve, se « finlandiser » avec les
Karéliens et devenir Mongol avec les Mongols, Yakoute avec les Yakoutes.
L'empire de Russie est trop vaste, ses villes relativement trop peu
nombreuses et trop éparses, sa population trop clairsemée, pour qu'il soit
possible de frapper au cœur la nation par une opération militaire : la for-
midable invasion française de 1812, suivie d'un désastre presque sans
nom, a prouvé quelle est la force de résistance de la Russie, par l'effet
seul de l'étendue du territoire. L'empire n'a pas de centre, Moscou même
n'en est pas un. Sans doute, la frontière a des points sensibles, surtout
la Pologne, dont l'ennemi pourrait s'emparer sans toucher aux parties
vitales de la Russie; mais au delà, dans ce vaste monde oriental, où frapper
le coup morlcl'.' Le monde slave se défend par son immensité.
En dépit de sa grandeur, la Russie a toutefois moins d'avantages pour la
facilité des communications maritimes que mainte petite contrée, comme
le Danemark ou la Hollande. Maîtresse d'espaces démesurés, possédant
même un développement de côtes au moins égal à la moitié de la cir-
conférence du globe, elle n'a pas de libres issues vers l'Océan. Pierre
le Grand, qui voulait à tout prix faire de son empire une puissance mari-
time, eut beau fonder sa capitale aux bords du golfe de Finlande et bâtir
Taganrog sur la mer d'A/ov, il ne ])ossédait néanmoins que des bassins
fermés. Le port d'Arkhangelsk est bloipié par les glaces pendant la plus
grande partie de l'année, et les navires (|ui l'utilisent sont obligés de con-
tourner toute la Scandinavie avant d'entivr dans les mers fré(pientées.
' Alfii'ii Il;iiiil).iii(l, lli!.luiic lie 1(1 Itiissic.
MA.NQIE IlE COMMUNICATIONS MAPiITIMES. r,15
Pétersbour<ï cl les autres ports de la Baltique rus?e sont également obs-
trués pendant l'hiver, et l'issue de cette mer intérieure est gardée par des
forteresses appartenant à l'étranger. Si la mer d'Azov et le Pont-Euxin
ont l'avantage d'être presque toujours navigables, leur détroit de sortie se
trouve également fermé par une double porte dont Constantinople tient
les clefs. En Asie, les rivages de l'océan Glacial sont d'un accès telle-
ment difficile aux navires, qu'ils n'ont pas encore été reconnus dans
leur entier. Les ports du Kamtchatka et Nikolayevsk sur l'Amour ne
peuvent servir que dans la belle saison, et d'ailleurs ils sont entourés
de vastes solitudes. C'est tout récemment que la Russie a fini par s'assurer
sur la mer du Japon la possession d'un port qui lui ouvre librement les
roules océaniques. Et ce port lui-même, Vladivostok, par lequel les
Russes ont enfin pris pied sur l'Océan, est obstrué par les glaces dans le
fort de l'hiver, et de longues années se passeront avant qu'il puisse être
relié par des communications faciles avec la Russie populeuse ! Entre
les deux boulevards de Kronstadt et de Vladivostok la distance n'est pas
moindre de sept mille kilomètres à vol d'oiseau. Comme Etat, ne pos-
sédant que des mers obstruées de glaces et des bassins fermés, la Rus-
sie est donc captive. Peu importerait aux populations elles-mêmes, si le
commerce devait toujours être libre sur les mers riveraines des Etats
étrangers ; mais en temps de guerre les peuples souffrent pour leurs gou-
vernements, et si les détroits sont fermés pour les vaisseaux de guerre du
tzar, ils peuvent l'être aussi pour les navires marchands. Aussi longtemps
que l'Elurope sera partagée en Etats militaires, il est donc tout à fait
naturel que la Russie fasse effort pour conquérir ses libres communica-
tions avec la mer, et que ses armées recommencent de siècle en siècle
l'expédition d'Igor, pour s'emparer de la « Ville des Césars » (Tzaregrad),
la belle Constantinople, assise à la porte de la mer ^'oire.
A cette cause de rivalités incessantes et de guerres futures s'en ajoute
une autre non moins sérieuse. Si la Russie a depuis longtemps dépassé ses
limites ethnologiques du côté de l'orient, elle ne croit pas les avoir encore
atteintes à l'occident. En dehors de ses frontières, des Slaves vivent par
millions, et parmi eux il en est même, les Ruthènes ou Rousiiii, dont le
nom est identique à celui des Russes par son élymologic et qui appar-
licnncnt à la famille des Pclils-Russiens, vivant déjà sous la domination
du Izar de toutes les Russies. Si fermes que soient les amitiés entre sou-
verains, si solennels que soient les traités d'alliance, il est tout naturel
que les sympathies de race naissent et se développent de cIukjuo côté des
frontières officielles, et la pulitiqur intéressée peut utiliser ces sympa-
51G NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
thics pour mener et tromper l'opinion, pour susciter des rivalités et des
guerres. Que de sang a été déjà répandu en l'honneur des « frères slaves »,
cl combien il en sera versé encore ! Car les changements de la géogra-
phie politique ne se font pas encore par la libre volonté des peuples et,
pour déplacer les frontières, les Etats interviennent toujours avec leurs
armées et leurs flottes. D'ailleurs, ce n'est pas dans des conditions de
liberté et d'égalité absolues que la plupart des « panslavistes » russes
ont imaginé jusqu'à maintenant l'union des populations slaves de l'Eu-
rope : la plupart voudraient que l'hégémonie appartînt à la « Sainte
Russie», représentée par la nationalité grande russienne, par son gouver-
nement et son église; mais comment une pareille union pourrait-elle se
faire sans imposer la servitude aux faibles, sans préparer aux descendants
quelque grande révolution? Pour la Russie, encore plus que pour tout
autre Etat, il importe de distinguer soigneusement entre la nation et ceux
(|ui la gouvernent. La Russie est à la fois un peuple moderne, travaillant
par l'agriculture et l'industrie à la conquête d'une moitié du continent, et
un empire vieilli cherchant à se momifier en des traditions mongoles
et byzantines. « C'est un pays à la fois neuf et vieux, a dit un écrivain',
une monarchie asiatique et une colonie européenne : c'est un Janus à
deux têtes, occidental par sa jeune face, oriental par sa face vieillie. »
D'ailleurs, quels que soient les changements intérieurs à prévoir dans le
vaste monde russe, les Slaves sont destinés par leur situation même, au
point de vue géographique, à jouer un des principaux rôles de l'histoire
prochaine. L'Allemagne doit en grande partie son importance à la position
qu'elle occupe au centre de l'Europe ; mais la Russie n'a-t-elle pas, au
centre de l'Ancien Monde, une position analogue et stratégiquemcnt plus
sûre ; n'est-elle pas l'intermédiaire naturel entre l'Europe occidentale et la
Chine, entre ces deux groupes de populations qui se ressemblent par leur
évolution graduelle et qui présentent en même temps de si nombreux
contrastes? Enfin, la Russie, la puissance continentale par excellence, ne
rencontre-t-elle pas partout sur son chemin, de Constantinople à Tien-Tsin,
la grande puissance maritime? Par ses flottes, ses positions militaires, ses
comptoirs, ses colonies, l'Angleterre prend en écharpe tout l'Ancien Monde,
de l'Irlande à Singapour par le continent africain, et si elle n'a pas, comme
la Russie, l'avantage île former un ensemble géographi(iue et de posséder
dans son immense empire un noyau solide de population, autour duquel
gravitent naturellement les autres habitants, elle a du moins assez de
' Anatole Lfioy-lic Mulicu, L'Eiiijiiie des Tsars.
RISSIE ET FINLANDE. 517
richesses, d'industrie, d'inilialivc et de persévérance, et domine d'assez
haut les peuples soumis pour qu'elle soit au moins l'égale de la Russie
dans toute lutte d'influence ou en guerre ouverte. Entre les deux empires
qui se rappi'ochent et dont les frontières « scientifiques » se toucheront
bientôt, le conflit semble inévitable. Les destinées du monde peuvent se
jouer bientôt au pied des montagnes de l'Asie centrale, dans ces régions
où des traditions nombreuses ont fait naître l'espèce humaine et où les
Aryens cherchent l'origine de leurs ancêtres.
II
FINLANDE.
Quoique faisant partie des immenses possessions territoriales de la
Russie, la Finlande est constituée en Etat séparé. Elle est aussi, du
moins dans la moitié méridionale, un pays bien circonscrit par des li-
mites naturelles et présentant des traits physiques particuliers. Les golfes
de Botnie et de Finlande, le lac Ladoga l'entourent à l'ouest, au sud et au
sud-(îst, tandis qu'au nord et au nord-est le territoire finnois d'I'lerdiorg,
se prolongeant au loin vers la mer Glaciale, n'est séparé de la Suède, de
la ^orvège, de la Russie que par des cours de rivières ou des lignes toutes
conventionnelles. Par sa population, la Finlande, le seul État d'Europe,
avec la Hongrie, qui ait gardé le nom d'une nation non aryenne, est égale-
ment bien distincte de toutes les contrées limitrophes ou voisines. Des
Suédois, petits-fils d'anciens colons et conquérants, peuplent une partie
du littoral ; mais tout le reste du territoire est occupé par des Finnois,
parmi lesquels se trouvent peut-être les représentants les plus purs d'une
race qui dominait jadis sur une étendue considérable de l'Ancien Monde.
Refoulée maiiilcnant dans cette région de rochers, de lacs et de marais
que iiniile au sud le golfe de Finlande, la race antique n'a plus à elle
qu'une bien faible pailie du domaine originaire et son indé|»en(lance n'est
plus qu'un nom. Après avoir sidji la domination des Scandinaves, elle a
dû changer de maître, et la Finlande est devenue terre russe; déjà Pierre
le Grand avait conquis le gouvernement de Wiborg, auquel s'ajoutèrent
ensuite d'autres fragments du pays, et depuis 1809 tout le reste du pays
est annexé à l'empire, ipKiiipie sous le titre de grand-duché, avec des ins-
litutioiis |iarliculièri's ci npiès restitution des concpiètes antérieures de la
Russie. Les Finlandais ont bien la conscience de furmer une iti(li\i(luaiilc
518 NOUVELLE CÉOGRAPfllE UNIVERSELLE.
nationale ; ils conservent leurs traditions et cultivent pieusement leur
langue, se préparant avec confiance à un avenir dans lequel leur rôle poli-
tique sera moins effacé qu'il ne l'est actuellement. Mais sur leur âpre sol,
sous le froid climat du nord, les Fmlandais ne peuvent espérer d'être ja-
mais un peuple puissant par le nombre, l'industrie, la richesse : l'espace
qu'ils occupent est en proportion douze l'ois moins peuplé que la France,
trois fois moins que la Russie d'Europe proprement dite', mais cinq fois
[ilusque la Russie septentrionale sous les mêmes laliludes.
La Finlande ou Suomenr-maa, c'est-à-dire le « Pays de l'homme des
marais «, est par sa nature et son aspect une contrée de transition entre la
péninsule Scandinave et la Russie. Elle a, comme la Suède, les roches gra-
nitiques, les vasques pierreuses remplies d'eau pure, les innombrables
moraines abandonnées dans les campagnes, mais elle n'a point de saillie
montagneuse qui ressemble au Kjôlen.et son territoire tient à la fois
de la région des montagnes et des grandes plaines qui s'étendent à tra-
vers la Russie jusqu'à l'Oural et au Caucase. Dans la contrée des Lapons
iinlandais, des massifs isolés et neigeux s'élèvent au milieu des forêts, des
lacs et des tourbières; mais dans aucune partie de la Finlande méridionale
ne se dressent de sommets que l'on puisse qualifier de montagnes : les
plus hautes collines sont de simples gibbosités évidemment émoussées par
le séjour et le passage d'anciens glaciers. Les faîtes de partage qui séparent
les versants du golfe de Dolnie, du golfe de Finlande, du Ladoga, de la
mer Rlanc-he, n'atteignent en moyenne qu'une hauteur de 150 à '200 mè-
tres. Au sud de la Laponie finlandaise, le sommet le plus élevé est le Teiri-
harju, situé dans le bassin de la rivière Uleâ, au nord-est du grand lac de
ce nom. Au massif dont cette colline fait partie se rattachent des chaînons
irréguliers désignés çà et là sous des noms collectifs : tels sont le Maan-
selkii ou le « Dos du Pays » qui sépare le bassin du golfe de Rotnie et
celui de la mer RIanilie, et le Suomen-selkâ ou « Dos de Finlande ». qui
se développe au sud-ouest du lac Uleà, parallèlement aux rives de la Ral-
lique, mais à la distance moyenne d'une centaine de kilomètres dans l'in-
térieur. L'angle sud-occidental du |»ays, que continue en mer l'archipel
d'Aland, est une région inégale, presque moutueuse. Dans leur ensemble,
toutes ces chaînes granitiques peuvent être considérées cumuie un plateau
Suporfiric do b Finlamlo. l'opuhilioii à la lin ie ISSi. ropulation kilomclriqiic.
57ÔÔÔG kilomètres caiTos. 2 OOU 780 li;il>il;iiits. 5. j liahllaiils.
IIALTEL'liS DE LA FINLANDE. 519
donl le faîte, plus rapproché du ijolfe de Botnie que de la Finlande inté-
lieure et du lac de Ladoga, se termine assez brusquement aux bords du
golfe de Finlande'.
Il est probable que les collines de la Finlande méridionale étaient jadis
beaucoup plus élevées qu'elles ne le sont de nos jours, car on a trouvé
sur les pentes et sur les croupes supérieures du plateau de Valdaï, au
cTur de la Russie, des fragments de quartz et d'autres roches de prove-
nance finlandaise à une altitude plus considérable que celle où se voient
actuellement les plus hauts escarpements des montagnes d'origine. Après
le retrait des glaciers qui couvraient autrefois toute la contrée et qui,
s'épanchant vers les régions méridionales, y transportaient des amas de
pierres et de débris, le sol dut s'abaisser graduellement et donner accès
à la mer, qui pénétra peu à peu dans la direction de l'est pour former le
golfe de Finlande". Toutefois rien ne prouve que l'affaissement du terri-
toire finlandais soit allé jusqu'à creuser un détroit entre la mer Blan-
che et la Baltique. Si les témoignages de la géologie établissent d'une
manière certaine l'ancienne existence d'un bras de mer entre le Katlegat
et le Miilaren, on reste encore dans le doute au sujet d'un détroit qui
aurait séparé jadis la Finlande du territoire qui est devenu la Russie.
Ouelques lacs, notamment le Ladoga, renferment des poissons et des
crustacés d'origine marine, ce qui prouve qu'ils furent autrefois des golfes
de la Baltique ; mais les terrains qui les environnent n'offrent nulle part,
comme ceux du littoral suédois, des couches de coquillages d'eau salée :
il faut aller jusque dans la vallée inférieure de la Dvina pour trouver des
bancs de fossiles émergés. Entre les côtes finlandaises et le versant de la
mer Blanche, le faîte parsemé de lacs n'offre point, au-dessous d'une alti-
tude de 35 mètres, de traces d'un ancien séjour de la mer'.
A l'affaissement succéila le mouvement contraire, qui se continue do
nos jours. Sur le littoral (,'t dans l'iiitéiicur des terres on en voit partout
les indices : ici des amas de ])icrres déblayés par les courants lluviaux (jui
devaient approfondir leurs lits à mesure <pie la mer se retirait; ailleurs
d"aiU'ienii('s jilages laissées au loin dans l'intérieur, des ports perdus niain-
' Allitiidcs piincipalos de la Finlande :
I.APnSIE.
Ilaldi-ljall ... 1 2.^8 iiiMrcs.
l'allasliinhiri 858 u
l'i'ldooaivi. . , (iGlj «
Uuoasliinlui'i. . 044 o
' lljliners:!n, Wandeiblii-hi; HusMandu.
' l'icrrc Kropotkiii, Noies manuscrites.
FINt.*NDE CENTRALE D APIIKS r,YLDE>
Saukko-waaia 050 inéli'C
Jiwacra 585 ')
Teiii-liarjii Ô.V) •
Kiwi's-waaia. 505
520 NOUVELLE GEOGRAIMIIE U.MVEItSELLE.
tenant dans k's campagnes, des îles rattiichées à la terre ferme, des éeueils
devenus à leur tour des îlots et des îles, et s'entouranl d'antres éeueils;
le fond de la mer est graduellement exhaussé. Le j)hénomène du soulève-
ment n'a pas été observé sur les cotes de Finlande d'une manière aussi
suivie que sur les rivages opposés de la Baltique; néanmoins il existe des
éléments de comparaison depuis 1697, époque à laquelle des marques ont
été faites sur les roches de Wasa. L'exhaussement est évalué en cet endroit
de 1 mètre à P.IG par 100 années; devant Abo, et pour tout le golfe de
Finlande, il est de 60 centimètres par siècle '.
En aucune partie de l'Europe les blocs erratiques ne sont plus nom-
breux et plus gros que dans la Finlande. Plusieurs de ces pierres sont de
telles dimensions que les paysans peuvent blottir leurs maisons à la base
de ces masses jadis mouvantes. En quelques endroits, surtout à l'issue des
vallées, les blocs forment des « mers de pierre ». Même sous la terre végé-
tale, on trouve en multitudes des fragments de rochers offrant aux habi-
tants du pays des carrières inépuisables. Du reste, le transport des blocs
erratiques s'est fait d'une rive à l'autre du golfe de Finlande, puisque les
rivages des îles sont parsemés do ces pierres et que dans l'île Suur Tytters
on en a même trouvé de striées'. Les deux pointes de l'île Ilogland, au
nord et au sud, sont tellement recouvertes de fragments de granit finlan-
dais, que des navires y vont fréquemment prendre des chargements de
pierre et que la ville de Pétersbourg, ainsi que d'autres cités du littoral,
ont pu s'y approvisionner de matériaux pour les pavés de leurs rues. Dans
l'îlot dit Laven-saari, à l'est de Hogland, von Baer a vu un bloc de granit
dont il évalue le poids à près de lUU tonnes et qu'il croyait avoir été apporté
par les glaces à la fin du siècle dernier; toutefois il n'est point probable
que cette masse soit venue récemment de la côte méridionale de Finlande :
c'est à l'énorme pression des glaces que les tempêtes du nord-ouest pous-
sent devant elles que la roche doit d'avoir été déplacée du fond et reportée
sur la grève. M. Kropotkin a vu sur la côte occidentale de Suur Tytters
un bloc encore plus considérable qu'oui aussi roulé les glaces et les
vagues de tempête". Des pierres de moyenne grandeur échouent tous les
ans sur les îles du golfe et sur les côtes do rEhsIonic : (piani aux pier-
railles, elles arrivent en si grandes (luantilés, que le piofil des criipies
' flEfversi(jl af Fiiiska VeleiisLaps Sucicliilcn FOrhiiiidliiiyar, \i>\. \V, 18"'2.
' Sioj)Olkin. Zapiski Houssknro Gcotjrafichtrhcslavo OhcMchcsiva, Iihiic VII, I" liiniismi.
"• llclinerscn. Wanderhiucke ; — Kio|)(ilkiii. Uic Eisu'iille m der Hfi'aUclien liiirlil ; — Zapiik'
livr;iis"ii ollée.
BLOCS ERRATIQUES, ANCIENS GLACIERS DE LA FINLANDE.
Ô-21
et des péninsules où elles soni portées par les "laçons change parfois
visiblement dans l'espace de peu d'années. La partie nord-occidentale de
l'île Laven-saari, dont les côtes ont été levées par Spafarief en 1815, s'est
agrandie en un quart de siècle de péninsules et de récifs qui permettent
à peine de reconnaître la forme primitive du littoral : d'année en année,
de nouveaux amas de pierres se montrent au-dessus des flots'. Toutefois
le soulèvement de la côte a sa part dans cet accroissement continu de su-
perficie pour les îles de la Baltique.
PXRALLELISÎ-"'- DES AFFLUENTS DU GOLFE DE EOTMl
[ d=P
ûe O à 50 M
i^eSOè/OO
1 : 5 005 001)
o'e- lOO ai> <ie/a
La trace du passage des glaciers est encore très visiblement burinée dans
le sol, et même la forme générale du pays révèle par des indices certain^
le travail de ces puissants fleuves de glace. Il est dans le raondi; peu di'
traits géologiques mieux marques que le parallélisme des vallées (pn, île
part et d'autre, sur la rive suédoise et sur la rive linlandaise, viennent
aboutir au golfe de Botnie. Toutes les rivières Scandinaves (pii descendent
vers ce golfe coulent du nord-ouest au sud-est; à l'exception de laTorneà,
les rivières finnoises tributaires du même bassin coulent du sud-est a'i
Vou W.xKv , liuXUim de i Académie de Sainl-I'dcisbouKj, lome \1, 1SG5.
il
522 NOIVKLI.E GKOGRAriIIK UNIVERSELLE.
nord-oiiost ! elles se meuvent en sens inverse, mais sur des lignes qui se
prolongent exactement les unes les autres et qui sont précisément dans
l'axe des lacs allongés occupant les vallées granitiques de la Finlande.
On dirait qu'une herse immense a été promenée sur le bassin géogra-
phique, des Alpes Scandinaves au Ladoga. En plusieurs parties de la
contrée, l'alignement général est d'une régularité presque géométrique :
collines, lacs, marais, chaînes de blocs erratiques se développent parallèle-
ment, dans la direction du nnrd-ouest au sud-est, et tous les travaux hu-
ÉTANGS F.T TOCBIllEnES PMUI.LELES EX FEXLAMIE.
mains, endignomeuls, fossés, voies de comnumicalion, rues de villages et
de villes ont dû naturellement se fiiirc dans le même sens. Le long des
rivages, là où le soulèvement général du pays a fait émerger les fonds
sous-marins, les caps, les presqu'îles et les îlots sont en maints endroits
disposés avec la même régularité que les coteaux cl les lacs de l'intérieur,
et portent également les traces de l'action uniforme des glaciers en marche.
En exemple de cette formation des c()tes on peut citer le littoral dn golfe
(le Botnie, siirloul entre la bouche du Kiimo et la rade de Nystad, et les
rivages du gollc de liiilaiidc, du |>(irl de lioi-gii à l'Ile lijorko. A cet égard,
VALLÉES PARALLÈLES, MORAINES DE LA FINLANDE.
525
la forme du irolfe ou Ijord de AViborg, avec ses péninsules et ses îles qui
s'emboîtent, pour ainsi dire, les unes dans les autres, est des plus
instructives. Les stries ont été observées sur les plus hauts sommets' de
la Finlande et jusque sur les roches du lit marin. Dans les environs de
prscA-nAnjr.
d'après Krapotkm
Ilelsingfors, des rochers que l'on retira de 55 mètres de profondeur au-
dessous du niveau marin, étaient distinctement rayés de stries glaciaires'.
De même qu'en Scandinavie, les Qsar, appelés aussi harju par les Fin-
landais, se rencontrent en Finlande et donueiit au bas pays les traits priu-
t Nûrdffnslijolil, flciliKi zur Kciintiiits (1er Schrammen in l'innlantl, Alvlcti iler FiDDlandi>chcii
Sorieldtdcr WisM-nsctiurien.
:y2i NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
cipaux du paysage. Comme en Suède, quelques-uns de ces âsar traversent
les lacs en forme de remparts çà et là ébréchés, et les routes, continuées
par des ponts et des bacs, les suivent dans toute leur longueur. On peut
ritcr en exemple l'étonnant Punga-harju, as de 50 mètres de hauteur, qui
réunit l'une à l'autre deux rives de l'un des bassins septentrionaux du
Saïnia, au sud de ^'y-Slolt. Une île, formée de blocs de gneiss, a servi de
point d'appui aux deux moitiés de la levée, longue de plus de 7 kilomètres.
Type de plusieurs autres âsar, le Punga-harju est certainement une moraine
longitudinale qu'ont recouverte autrefois les eaux lacustres et qui en garde
encore à la surface des sables et d'autres alhivions'.
Des chaînes étroites de collines, d'origine toute différente, puisqu'elles
sont composées de schistes cristallins et de calcaires, mais portant aussi le
nom d'àsar, parcourent le pays du nord au sud entre les bassins lacustres,
tandis qu'au midi de la Finlande une véritable digue de granit, à laquelle on
donne le nom justifié de Salpau-Selkii (enclos ou barrière), forme de longues
levées parallèles à la côte du golfe et rompues çà et là par la pression
des eaux : c'est ainsi que le lac Saïma est limité au sud par un as qu'in-
terrompt seulement le cours du Wuoxen, mais vers le milieu de son
bassin on voit à droite et à gauche les restes de l'as brisé. Lorsqu'un
lac supérieur se vide dans un lac inférieur par la brèche d'un as, des
grèves indiquent sur les débris du rempart ébréché l'ancien niveau du
bassin a demi vidé, et dans le réservoir d'en bas, des couches consis-
tant en sables entraînés recouvrent les limons fins du lit * ; en outre, un
delta d'alluvions plus ou moins considérable se forme à l'endroit où se
déversait l'émissaire d'érosion. Parfois l'homme aide au travail de la
nature pour conquérir ainsi des terres fertiles. Fort habiles à diriger les
courants, les Finlandais accroissent chaque année leur domaine, et de
décade en décade les cartes présentent un aspect différent.
Toutefois il peut arriver que les calculs des ingénieurs sur la force de
résistance de leurs digues soient déçus, et parfois l'écoulement, au lieu de
s'accomplir avec la régularité désirée, se produit avec une redoutable
violence. C'est ce qui arriva pour le lac de Hôyliainen, au nord de Joensu,
dans la Finlande orientale. Dans l'intention d'abaisser peu à peu les eaux
de ce réservoir, dont le niveau se trouvait à 21 mètres au-dessus de la sur-
face du Pyliaselkà, on commença en 1854 le creusement d'un fossé de
5 mètres de largeur, que les eaux de jiluie et de neige fondue changèrent
• KropolUii, hv'esliiin Houssk. Geograf. Ûbchtchestva, 1871, n" U; — Zajiski lioussk. Gcograf.
OhclUclieslia, tnnie VII, 1X75.
- Nui'deiiskjuld, uuviagu cilc.
LACS DE LA FINLANDE
32"î
graduellement en nn ruisseau serpentin. Tout à coup, le 3 août 1859, les
digues qui devaient régler la sortie du trop-plein de l'Hôyliainen cédèrent,
et l'érosion violente commença. De Joensu, à sept kilomètres de distance.
JjAL U tnOSIOS ï^E UOVTIA
d apréa Krapotki
mm
I : S'XWI
on entendait comme un liruil de tonnerre; les pierres s'cntre-cliorpiaienl;
les arbres brisés étaient emportés par le courant ; des maisons entières
flotlaienl au fil de l'eau, des îles et des bancs de sable se formaient, puis
ilisparaissaient. Le déluge dura trois jours, et pendant ce temps la sur-
face du lac Saïma, dans lequel se précipitaient les eaux, était telle-
526 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
ment agitée, que les navires pouvaient lutter avec peine contre la vio-
lence (lu flot. La masse d'eau qui s'écoula par le nouveau lit fut évaluée
à 2800 millions de mètres cubes, soit un peu plus de 1 1 000 mètres
cubes par seconde : c'est à
W. HOTTIMN
peu près le débit d'un fleuve
comme le Danube, auquel
serait ajouté celui du Rhône.
En outre, le volume de terre
emporté représentait au
moins 35 millions de mè-
tres cubes, puisque la vallée
d'érosion qui se creusa dans
ce court espace de temps
n'a pas moins de 8 kilomè-
tres de long, sur 500 à 450
mètres de large, avec une
profondeur de 10 ù 25 mè-
tres*. Tous ces débris dé-
posés dans le Pybàselka y
formèrent un large delta et
en diminuèrent l'étendue de
plusieurs kilomètres carrés,
tandis que le lac d'amont se
réduisit considérablement ,
surtout vers son extrémité
septentrionale, la moins pro-
fonde; là des bancs de sable
et des amas de blocs appa-
rurent soudain en îles et en
îlots, tandis que d'autres
îles se rattachèrent au conti-
nent. Il est à remarquer que,
malgré la violence du sou-
dain déluge, les gros blocs
errati(|ues ayant plus d'un
mètre de largeur ne iiucnt pas dr|)lacés; on en voit encore des traînées
transversales à la direction cbi courant. 11 est vrai (pu' même au commen-
d après Krapotkin
/àn&e^essec^e ''acacfue/
1 : k60 1:00
' Ivroiuilkiii, Zh/ji's/.i RoiissL Gcoijraf. ObiliUlicstvu, toiiie VII. 187
Nouvelle f-éoèraphie rniverselle . T.V". Pl^
LACS l
l.vavé pur Klhai-d
INLANDE
LACS LE LA FINLANDE. 527
cornent (le la débâcle, quand l'eau du Hôytiainon était encore à 21 mètreé
plus haut que le lac inférieur, la pente du courant de sortie ne dépassait
pas 5 millimètres par mètre.
Le phénomène des débâcles lacustres, dont il est rare de trouver [des
exemples aussi remarquables que celui du lac Hoytiainen, doit se renou-
veler d'ailleurs fréquemment sur toutes les parties du territoire. En vertu
même des lois de la pesanteur, tous les lacs élevés de la contrée doivent
lendi-e à se vider dans les lacs inférieurs, et partout on voit en effet les
lacs diminuer en étendue à mesure que l'on remonte des régions basses
de la Finlande, c'est-à-dire des bords du Ladoga, vers les hauteurs rive-
raines du golfe de Botnie et le faîte de Suomen-Selka. Partout des lignes de
niveau, fort élevées au-dessus des lacs ou des étangs actuels, témoignent
de l'abaissement des lacs, qui se sont vidés, comme l'eau d'un réservoii'
supérieur s'épanchant de degré en degré sur un « escalier de Neptune ».
Sur le versant septentrional du faîte de Finlande, on observe des jihéno-
mènes analogues : c'est à 56 mètres au-dessus de la surfiice actuelle de
rUlea-trâsk que se voient les traces du niveau de l'ancien lac'. La diilé-
rence du niveau entre les nappes lacustres d'autrefois et celles de nos jours
s'accroît régulièrement du sud au nord de la Finlande.
De tous les pays d'Europe, la Finlande est celui qui s'est le moins
débarrassé des eaux superficielles de la période lacustre qui succéda à
la période glaciaire* : il est parsemé de plus de lacs, d'étangs et de ma-
rais que la Suède elle-même ; dans la région méridionale, limitée au
nord par l'Uleâ, près de la moitié du territoire" est recouverte de lacs.
Depuis que les glaciers se sont retirés, laissant aux rivières et aux eaux de
pluie toutes les dépressions du sol, les alluvions formées par les débris
des rochers n'ont encore pu remplir que de faibles étendues lacustres, et
les plantes des tourbières n'ont pu envahir entièrement que de petits
bassins. Grâce à la dureté de ses roches de granit, de gneiss, de porphyre,
et à la (aible hauteur de ses montagnes, que les pluies ravinent très
lentement, la Finlande a pu garder son aspect de terre en formation : elle
ne semble pas encore appropriée au séjour de l'homme. Dans toute cette
région de la Finlande méridionale, le labyrinthe des lacs est tel, qu'il est
impossible de distinguer sans une attention soutenue les limites de par-
tage entre les versants du golfe de Botnie, de la mer de Finlande, du
Ladoga : d'ailleurs ces limites sont en divers endroits purement conven-
' Kropotkin, Izv'esliya lioussk. Gco<jraf. Obchtcheslvii , t87l, n" 7.
" Kro|HPlkiii, ouvrage cité.
• D'iiiuès Vcse.fovskiy : Kl pour 100.
328 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
tionnelles, et de simples marais, s'égouUant vers l'une et l'autre mer.
indiquent la zone de séparation des eaux. Quant aux rivières, la plupart no
sont que des enchaînements do lacs : nulle part on ne peut mieux étudier
« l'embryogénie des fleuves' ».
Le lac qui est probablement le plus grand du territoire finlandais se
trouve en dehors de la région lacustre par excellence : c'est l'Enare ou
Inara, situé en pleine Laponie et s'écoulant par la rivière Pasvik dans le
Varanger-fjord; mais ce lac est si peu connu, que les évaluations faites pour
sa superficie varient de plus do mille kilomètres carrés. Le Saïma ou Saimaa,
la mer intérieure la plus vaste de la Finlande proprement dite, s'étend
sur un espace inférieur à la surface de l'Enare, mais il lui est de beaucoup
supérieur si l'on mesure en même temps tous les réservoirs lacustres, tels
(jue le Pihlaja et l'Enovesi, qui communiquent avec le Saima par de larges
détroits. Ces lacs réunis, dont le trop-plein se déverse dans le Ladoga, occu-
pent presque toute la Finlande orientale; un faîte rocheux étroit qui
s'avance du nord les sépare d'un autre système de lacs en dédale, dont le
[•rincipal est le Paijânne, se déversant au sud, par le Kymmone-elf, dans
le golfe de Finlande. C'est par des ouvertures (aillées dans la roche que
depuis 1856 on a réuni directement la nappe du Saïma aux eaux du golfe
par une série d'écluses, on permettant ainsi aux navires d'un faible ton-
nage de charger les denrées au cœur même de la Finlande.
Los émissaires qui relient les lacs n'ont encore que bien peu modifié la
forme primitive de leurs lits, si ce n'est pour les approfondir". Les rivières
sont encore en voie de formation et maintioiment la forme primitive de
fjnrdcn, ou bras d'une grande largeur, qui tantôt s'étendent en larges
nappes, tantôt tombent en rapides; cependant plusieurs chutes ou
/,■ jâA/ peuvent se comparer aux cascades de la Scandinavie , sinon par
la masse liquide el la hauteur verticale de la nappe d'eau, du moins par
la sévérité des paysages environnants. Une chute de l'Uleâ a près de
1 "2 mètres. Les cataractes les plus célèbres de la Finlande interrompent le
cours du Wuoxen, à quelques kilomètres en aval de l'endroit où ce
lleuve s'échappe du lac Saïma. Encaissé dans une gorge de 40 mètres
(le largeur, le torrent descend ou hautes vagues écumeuses par une pente
iiulinée de 'il mètres sur 5'2d mètres de longueur, puis, au-dessous des
rapides, tournoie eu longs remous dans un vaste bassin : ce dt'liié gron-
daul ol la ianiousc cluilo (riniitra. A \'l nièUvs de liauleiu' au-tlossus
' Oscar l'oscliel. Verylcichendc Piohlcmc <Icr Erdkiiude.
■ Kioiiolkiu, Zapiski Rousskaeo Gcografilchcsluvo Obclilclii'stva. loino VII, 1870.
LACS, ILES DE LA FINLANDE. 329
de la cataracte actuelle, les rochers portent distinctement les traces lais-
sées autrefois par les rapides'.
La côte finlandaise n'est pas moins riche que la rive suédoise en criques,
en baies et en dentelures de toute espèce, et les archipels d'îles et d'îlots
y sont beaucoup plus nombreux. Au large de Wasa, l'archipel des Qvark
et SCS mille écucils rétrécissent le golfe de Botnie et finiront même par le
fermer en deux ou trois mille années, si le soulèvement du sol continue
au même taux séculaire que dans la période contemporaine. A l'angle des
golfes de Botnie et de Finlande, les îles d'Aland, parsemant la mer en
de SOa au-delà
multitudes, s'avancent au loin vers les côtes de Suède et sont presque tou-
jours unies en hiver par une dalle continue de glace; parfois même le canal
qui sépare l'archipel des côtes suédoises gèle complètement et l'on vit
' Principaux lacs de la Finlande :
Allrtu'll!.
Enarc 125 mélres.
Salma 78 »
» avec Kaliavcsi, Enovesi et
F'ihlavovi 78 •
Pâijannc 78
PyhaseIka-OrivoM 80
Pieliçjani 90
Ulej-trask 11 j »
Surface.
1427 kilomèti'cs cariés.
1700 » »
7702 p 1.
l.-.7i; . r
1137 » »
1095 x .
108U »
42
550 .NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
en 1809 les cavaliers cosaques passer au galop sur la glace pour sur-
prendre la ville de Grisleharan : de même, les loups traversent les détroits
des eau.v finlandaises pendant les rudes hivers et ravagent les îles habitées,
qui sont au nombre d'environ quatre-vingts.
Les côtes méridionales de la Finlande sont également séparées des eaux
profondes par des îlots et des écueils nombreux, entre lesquels louvoient
péniblement les navires ; mais, en outre, quelques rochers et même deux
îles, Hogland ou Suur-saari (Grande Ile) et Laven-saari, s'élèvent en plein
golfe. Hogland est située à peu près exactement dans la partie du golfe
où l'eau commence à prendre la salure de la mer. Les insulaires boivent
encore l'eau qui baigne le rivage, mais seulement sur la côte orientale de
l'île', car à l'ouest la salinité du flot est déjà de 4,7 pour 100, d'après
Forchhammer. Cette île montueuse, dont les collines atteignent 160 mètres
au-dessus de la mer et qui est composée entièrement de roches cristallines,
granit, diorite, quartz, porphyre, est considérée par quelques géologues
comme une terre jeune, ayant fait son apparition à une époque récente.
Néanmoins elle possède la même faune de batraciens que la Finlande,
à laquelle du reste la rattachent temporairement des glaces presque
tous les hivers. En gravissant une des plus hautes sommités de Hogland,
le Haukkavuori ou « Mont des Faucons », Kôppen entendit distincte-
ment les rochers vibrer, par l'effet de la dilatation de l'air dans les
fissures, en sons musicaux pareils à ceux de l'orgue" : c'est un nouvel
exemple de ce chant des pierres qui ravissait jadis les adorateurs de
Memunn.
La partie septentrionale de la Finlande est située dans l'intérieur du
cercle polaire, et les provinces méridionales sont elles-mêmes assez rappro-
chées de la zone arctique pour que les journées ne soient plus, en hiver,
qu'une éclaircie de quelques heures et se rejoignent au cœur de l'été par
les rouges lueurs du soleil passant à quelques degrés au-dessous de l'hori-
zon. i< La nuit, dit Tourgenev, ressemble à un jour malade »; mais pour les
habitants du pays cette comparaison semble injuste, ils aiment cet aspect
delà nature qui ne veut pas s'endormir. Une légende finnoise raconte que
le crépuscule et l'aube sont deux fiancés condamnés à rester longtemps
séparés; mais ils se cherchent sans cesse : pendant la belle saison d'été ils
' Von Baer, Dutlelin de l'Acailimic des sciences de f^ainl-Pêlershourg, tome IV, I8G2.
' Ruitischc Revue, 1877, ii° .">.
SOL ET CLIMAT DE LA FINLANDE. 551
parviennent enfin à se rejoindre au milieu du ciel et leurs flambeaux unis
éclairent au loin les plaines, les montagnes et la mer.
Sous ces hautes latitudes, le climat est sévère : les isothermes, que les
courants atmosphériques et maritimes reploient vers le nord dans la
péninsule Scandinave, s'inclinent vers le sud dans le territoire finlan-
dais, et le voisinage des grandes plaines orientales permet aux vents
froids de l'est et du nord-est d'abaisser rapidement la température de la
contrée. Le climat est extrême, très rude en hiver, chaud en élé sous
l'influence des tièdes vents du sud et du sud-ouest. On dit que la cul-
ture du sol et surtout la destruction des forêts du littoral ont adouci la
température moyenne, mais en même temps rendu les variations atmo-
sphériques plus soudaines et plus fréquentes. La végétation est plus uni-
forme, moins riche en Finlande que dans la presqu'île Scandinave, à
cause de l'étendue moindre de la contrée et de la plus grande rigueur des
hivers : au lieu de 2550 espèces de plantes que possède la Suède, la Fin-
lande en a seulement 1800, et la plupart ont une aire d'habitation beau-
coup moindre. Les chênes, qui croissent parfaitement sur le littoral norvé-
gien jusqu'à Christiansund et Molde, et qui peuvent encore vivre jusque
dans les environs de Trondhjem, ne dépassent pas en Finlande les côtes mé-
ridionales, entre le 60'' et le 61' degré de latitude, et même à l'est du golfe
ils ne croissent pas spontanément dans les environs de Pétersbourg. Le ceri-
sier ne porte plus de fruits au nord de Wasa,et le pommier n'a plus que des
fleurs au delà du 64' degré de latitude, dans la province d'Uleâborg. Vers
le nord, la végétation diminue graduellement, et sur les boi'ds septen-
trionaux du lac d'Enare se montrent les dernières forêts de coniières, déjà
clairsemés et rabougris. Au delà s'étendent les plateaux marécageux : les
mousses, les lichens recouvrent le sol : seulement sur les pentes bien expo-
sées au soleil, bien abritées des vents du nord, croissent des bouleaux,
l'aune blanc, et le sorbier des oiseaux, l'arbre saint des anciens Finnois '.
Mais sous l'àpre climat du nord la végétation d'été parcourt toutes ses
pliases avec une rapidité qui ne se voit pas même dans la zone tempérée.
Près d'Uleâborg, les semailles et la moisson du blé mûr ont eu lieu dans
l'espace de quarante-deux jours'. En outre, l'humidité de l'air cl les
brouillaids fréquents entretiennent une fraîcheur constante dans la végé-
tation des forêts et des prairies. En certains districts de la Finlande, no-
tamment dans le voisinage de Tavaslelius, les maisons de pavsans sont
* Léouznn Le Duc, L'Ours ilu Nord.
• Julin, cilc par Accrbi, Voyage au cap Nord, tome I.
552 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
recouvertes, non de planches ou de chaume, mais de pelouses de gazon
parfaitement unies. Rien de plus charmant que ces prairies aériennes,
entretenues avec le plus grand soin. Des écorces de houlcau, placées au-
dessous des couches de terre gazonnée, défendent de l'humidité la char-
pente du toit et l'empêchent de pourrir.
La faune de la Finlande ressemble à celle des contrées limitrophes, si
ce n'est qu'elle est moins riche et que diverses espèces ont cessé d'en faire
partie : les ours, les loups, les lynx, les gloutons, les renards sont encore
fort nombreux; la martre a presque disparu'. Les armoiries de l'archipel
d'Aland portent l'élan, autrefois très commun dans les îles. Au commen-
cement du dix-septième siècle, il devenait déjà plus rare, puisque Gustave-
Adolphe fit édicter une loi prononçant la peine de moi-t contre tout
« meurtrier d'élan » : c'est en 1809, lors de l'invasion russe, que la plu-
part de ces animaux furent exterminés. Quant aux castors, que l'on voit en
si peu d'endroits dans le reste de l'Europe, ils habitent peut-être encore
les rives des fleuves de la Finlande septentrionale; mais ils sont devenus si
rares que l'on n'est pas même certain de leur existence'.
Le nom étranger de Finlandais, Finnes, Finnois, probablement d'origine
germanique, semble traduit de l'appellation que les habitants du pays
Suomi ou Suomenmaa se donnent eux-mêmes : on le rapproche de l'anglo-
saxon fen (en français, fagne, fange), qui signifie marécage"; toutefois
cette étymologie est contestée par Sjôgren' et d'autres savants : le nom, de
même que la provenance des Finnois, les Fenni de Tacite, reste une des
questions discutées de l'ethnologie. Cependant on peut dire, d'une manière
générale, que les habitants actuels de la Finlande sont en majorité de
souche ouralo-altaïque et qu'ils sont étroitement apparentés aux Magyars,
de même qu'aux peuplades non encore civilisées des Tcheremisses, des
Ostiakes, des Yogoules, des Samoyèdes. Ils sont évidemment très mélan-
gés, car le pays qu'ils habitent et où ils arrivèrent, pense-t-on, vers la fin
' Animaux sauvages tués en Finlande, de 1871 à 1875 :
Ours, ■421; loups, 1862; lynx, 455; gloutons, 195; renards, 12591.
Animaux domestiques dévorés par les bêtes sauvages, de 18GC à 1870 :
Clievaux, 1802; bêles h cornes, 5584 ; moutons, 14061 ; rennes, 2714; pores, 1400.
(Ignalius, Le Grand-Duché de Finlande.)
- Ignalius, Le Crawl-Duché de Finlande.
* G. Zeusz, Die Deutschen uuil die yachbarsiâmmc; — Oscar l'esdiel, YOlkcrhtinde; — Vander-
kindere. Recherches sur l'ethnologie de la liehjique.
■'■ Mémoires de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourcj, 1, 505.
FINLANDE ET FINLANDAIS. 533
du septième siècle ou vers le commencement du huitième, a été souvent
envahi, et les diverses tribus qui s'y sont succédé ont laissé leurs des-
cendants croisés avec la population actuelle. Avant l'époque de la pierre
polie, les contrées qui sont devenues la Finlande n'étaient probablement
pas encore habitables, à cause de la grande extension des glaces'. Mais dès
les premiers temps de la colonisation, c'est avec les tribus orientales,
habitant la Russie du nord, que les colons finlandais eurent leurs relations
les plus fréquentes, car presque tous les objets trouvés à l'est et à l'ouest
du lac Ladoga se ressemblent par la matière et par le travail. Plus tard,
lors de l'âge du bronze, puis surtout pendant le premier âge du fer,
l'influence Scandinave devient prédominante; ensuite, un nouveau reflux
historique ramène la civilisation slave dans le pays, et quand l'histoire
proprement dite commence à éclairer la Finlande, on retrouve les Scan-
dinaves, c'est-à-dire les peuples de l'Occident, en contact beaucoup plus
intime que les Russes avec les populations de la contrée \ Souvent la
lutte entre les envahisseurs maritimes et ceux qui venaient de l'Orient
par la région des forêts et des marécages devint une guerre d'extermi-
nation, et des districts entiers furent ravagés. 11 est étonnant qu'au milieu
de pareils conflits entre les dominateurs du pays les Finlandais aient gardé
tant d'originalité nationale.
Dans les régions septentrionales de la Finlande l'influence des Lapons a
probablement été assez considérable par les croisements sur la population
finnoise des Ostrobotniens et des Qvàner (Kainulàiset) ; en 1849, Andréas
Warelius citait dans la province d'Uleâborg un grand nombre de districts et
de hameaux dont la population agricole était de race mêlée et se servait
encore partiellement du lapon. Quant à la Finlande méridionale, divers
anlhropologisles contestent encore qu'elle ait été habitée autrefois par les
Lapons. Il est vrai que les traditions locales sont unanimes en faveur de
cette hypothèse, et les noms de Jaettilâiset, Hiidet, Jatulit, Jotunit s'ap-
pliqueraient encore à ces aborigènes disparus. Des récils fabuleux nous
racontent les combats que les premiers immigrants finnois eurent à sou-
tenir contre les magiciens liés aux puissances infernales"; or, en Finlande
comme en Russie, Lapons, Samoyèdes et tous les Finnois du Nord sont
considérés comme des hommes de magie. Divers noms de lieux confirment
aussi le passage des Lapons dans la Finlande méridionale ' ; mais l'absence
* Worsa.ic, La colonisation de la Russie et du nord Scandinave.
' Gusiaf Kelzitis, Finska Kranicr.
* Andréas Warcliiis, Beitrâgc zur Kennlniss der Russischcn Reichcs, vol. MIL
* Warelius; — Caslrcn; — Ujnilvy, Mélangei altuiqucs.
534 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
de débris archéologiques d'origine laponne prouve que ces tribus du nord
n'ont pu séjourner longtemps dans le pays : peut-être quelques groupes
de pèclieurs, d'agriculteurs nomades auront-ils campé çà et là; toutefois
les traces laissées par eux sont beaucoup moindres que celles des marins
Scandinaves venus sur les côtes du golfe pour commercer avec les Finlan-
dais. Même la présence d'un certain nombre de mots très anciens qui se
trouvent mêlés au finnois ont fait admettre à Thomsen que des peuplades
allemandes ont jadis vécu dans les plaines de la Russie limitrophes de la
mer Baltique'.
Les Finlandais de la région relativement populeuse du sud se divisent
en deux familles distinctes, contrastant même l'une avec l'autre par des
caractères opposés, les Tavastes et les Karéliens. Les premiers habitent la
partie sud-occidentale de la Finlande, dans l'espace triangulaire limité à
l'ouest et au sud par les Suédois du littoral, et c'est la civilisalion Scandi-
nave qui exerça sur eux la plus grande influence, tandis que les Karéliens
se sont trouvés en contact surtout avec les Russes. D'après van Haartman,
qui les étudia le premier, les Tavastes, qui s'appellent eux-mêmes Ilàmii-
làiset', ce qui signifie peut-être — à en juger par un mot ehstonien —
« Gens du Pays Humide », seraient les Finnois par excellence : ils sont
en général forts, trapus, larges de tète, de visage, de nez, d'épaules et de
membres ; la bouche est grande, tandis que les yeux sont petits, à fentes
étroites et parfois légèrement obliques ; la couleur de l'iris est toujours
bleue, de la nuance la plus pâle à l'azur le plus foncé. Les Russes don-
naient jadis à ces Finnois le nom de « Tchoud aux yeux blancs » à cause
de leurs yeux clairs". La chevelure des Tavastes est blonde, même
d'un blanc jaunâtre. « Blond comme un Finnois » est une expression
proverbiale russe dans les districts limitrophes. Ainsi, tandis que les
brachycéphales de l'Europe centrale et occidentale sont généralement
liruiis, ceux qui vivent en Finlande se distinguent précisément comme un
peuple blond ' ; mais ils n'ont pas la peau blanche, le teint rosé transpa-
reut des Germains blonds, Scandinaves, Allemands ou Anglo-Saxons ; en
outre, leur barbe est presque toujours très rare. On ne rencontre guère
de Tavastes, hommes ou femmes, dont les traits répondent à l'idée de
beauté, telle que la comprennent les Européens de l'Occident. Au point
de vue moral, les Tavastes sont lents et lourds, souvent mélancoliques,
' Ueber den Einflusz der geimanischcn Si)rachen auf die piinisch-lappischeu.
* Hcrberg; — B.irsov, Essai d'une Ccograpltie hislorique russe (en russe).
' Maïiiov, hv'estiija Geoyr. liussk. Obchlclieslva, iiov. 1878.
* Virehow, Berliner Gesellschafl jur Anthropologie, 18 ocl. 1875.
TAVASTES ET KARKLIENS. 33?
poiipronneux, rancuniers, avares de leurs paroles, mais honnêtes, recon-
naissants des bienfaits, durs à la fatigue, patients dans la maladie et les
privations ; fatalistes au plus haut degré, ils représentent dans la nation
tinlandaise l'élément conservateur. Au onzième et au douzième siècle, le
centre de la puissance des Ilanialaiset, les Yaiii ou Yeiii des Russes, parait
avoir été beaucoup plus à l'est, entre le Ladoga et la Dvina ; mais, attaqués
par les Karéliens du nord, par les Russes du sud, ils furent obligés de s(î
déplacer; cependant il existerait encore des Yerii, au nombre de '20 0(IU,
dans les districts orientaux, vers Petrozavodsk et Relozersk '.
De l'ouest à l'est de la contrée, on observe une transition graduelle entre
les Tavastes et les Karéliens ou Karialaiset ; surtout les Savolaiset ou gens
(le Savolaks, dans le district de Ny-Slott, peuvent être considérés commc
l'intermédiaire naturel «les deux races. Les Karéliens, qui peuplent la
région orientale de la Finlande politique, ainsi que de vastes territoires
de l'empire russe, jusque dans le voisinage de la mer Blanche, sont bra-
chycéphales comme les Tavastes, mais ils ne leur ressemblent ni par la
stature, ni par les traits, ni par le caractère. La plupart dépassent la
taille moyenne, et même il en est qui pourraient être classés parmi les
géants; assez minces, élancés, de tournure élégante, ils ont en général
des traits réguliers, le nez droit et long, le front large, la bouche nette-
ment dessinée. On ne rencontre chez eux que bien peu d'individus ayant
les yeux bridés à la mongole; ils n'ont pas non plus l'œil pâle et la che-
velure jaunâtre du Tavaste : leur iris est d'un gris-bleu foncé, et leurs
abondants cheveux châtains flottent en boucles sur leurs tètes. Les Karé-
liens sont en général gais, vifs, entraînants, pleins d'initiative, mais ils
n'ont pas toujours autant d'esprit de suite que de force d'atla«|ne. Ils
plaisent par leur bienveillance, autant que par leur élégance naliuclle et
quelquefois par leur beauté. L'histoire les montre fréquemment engagés en
des expéditions de guerre. En 1187 et 1188, ils envahissent même la
Suède, entrent dans le lac Malaren, incendient la ville de Sigtuna, tuent
l'évêque d'Upsala. Trois années après, ils brûlent Abo et détruisent
les colonies suédoises de la Finlande; puis, quoique baptises par les Novgo-
rodiens au commencement du treizième siècle, ils leur font souvent la
guerre, mais s'unissent aussi à eux pour combattre les Suédois'. C'est
également avec leur aide qu'ils expulsèrent les Tavastes des bords du La-
doga. Vers 1850, Castrèn les évaluait à plus d'un million, dont 830 000
' Sjiigrcn; — Casirèn ; — lîarsnv.
■•' Bclaycv, Récilt de l'histoire russe (en russe).
V *5
538 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
dans les limites de la Finlande actuelle : ils y sont un million de nos jours,
grâce à l'accroissement naturel de la population.
Lors de leur arrivée dans la région située entre les grands lacs et le
golfe de Botnie, les Finnois semblent n'avoir guère été plus civilisés que
ne le sont maintenant les peuples ougriens de la Russie orientale et de
la Sibérie. Ainsi qu'a pu le constater Ahlqvist par l'étude des mots finnois
indiquant les conquêtes successives de l'industrie et de la civilisation,
ainsi que le montrent aussi les descriptions des légendes, les Finnois pri-
mitifs se nourrissaient presque exclusivement des produits de la chasse et
de la pèclic ; ils ne connaissaient qu'une agriculture rudimentaire et ne
savaient même préparer beurre ni fromage avec le lait de leurs troupeaux.
La religion des Finnois, analogue à celle des Lapons et des Samoyèdes,
semble avoir été une sorte de fétichisme, mêlé de pratiques pareilles à
celles des chamanes de la Mongolie. Toutes les annales russes nous pré-
sentent les pays des Tchoud ou Finnois comme la patrie des mages
(volklivî). Les incantations de ces magiciens, accompagnées du jeu de
l'espèce de harpe appelée kantele, se terminaient par des convulsions,
comme les rites des chamanes de la Sibérie. L'ancien Finnois croyait
plus à la puissance du chant qu'à celle de l'épée. Chez ceux qui vivent
dans les solitudes de l'intérieur, le naturel poétique est encore exalté par
une extrême impressionnabilité nerveuse qui se change facilement en
extase. Dans la science moderne, les Finlandais appliquent surtout leurs
facultés intellectuelles à l'étude des mathématiques : les poètes sont tou-
jours ravis par l'harmonie des nombres. Mais, outre les incantations, les
Finlandais avaient le trésor d'autres chants, du moins dans la Karélie,
car les Tavastes n'ont pas le génie poétique : il est rare qu'on les
entende chanter'. La race karélienne, au contraire, est une de celles qui
sont le plus naturellement portées vers la poésie, ainsi que le prouvent les
récits, transmis jusqu'à nos jours de bouche en bouche et par fragments
épars, avec lesquels on croit avoir reconstitué une épopée nationale, le
Kalevala ou « pays de Kaleva », le dieu géant.
Quelques chants du Kalevala avaient été déjà révélés par Schrôdcr et
Topclius, mais ils ne furent réunis en « épopée » qu'en 1835, par Elias
Lonnrot, qui avait parcouru dans tous les sens la Finlande et les pays
finnois des gouvernements d'Olonetz et d'Arkhangelsk pour recueillir les
anciens chants; plus tard, la traduction suédoise du Kalevala, par Caslrèn
cl Collar, lit connaître au monde savant ces poèmes populaires. Cepcn-
' Gustol liol/iiis, Finsk:i Kiatiicr.
FINNOIS. 559
fiant les recherches continuaient, et hi deuxième édition de Lônnrot, celle
de 18 iO, plus que double de la première, se compose de 50 ruiiot ou
chants et de 22 800 vers, tous entendus de la bouche des paysans et datant
de l'époque païenne, à l'exception d'un seul, le cinquantième, qui fui évi-
demment conçu après l'introduction du christianisme en Finlande, c'est-
à-dire vers le treizième siècle. Que le poème du Kalevala nous soit ou non
parvenu tel qu'il était chanté par les anciens Suomalaïset, il n'en a pas
moins exercé une influence décisive sur le mouvement littéraire finnois. La
langue poétique des Finlandais se distingue entre toutes par la douceur et
la sonorité; elle est en outre d'une très grande richesse. On peut juger de
la multitude de ses mots dérivés par ce fait, que le nombre des vocables
mentionnés dans le dictionnaire d'Elias Lônnrot ne s'élève pas à moins de
deux cent mille'.
« Touraniens » par la langue et probablement aussi par l'origine, les
Finnois ne sont point certainement les inférieurs de leurs voisins, et leur
ambition légitime est d'avoir des égaux, non des supérieurs, parmi les
peuples de l'Europe. En dépit de la théorie qui reconnaît aux Aryens toute
supériorité intellectuelle et morale sur les populations d'autre origine, il
est certain que, pris en masse, les Suomalaïset sont plus actifs, plus
économes, et surtout plus honnêtes que les habitants des pays limitrophes.
Les écrivains russes admirent les qualités des Finnois, leur persévérance
dans le travail, leur probité, la réserve pleine de dignité avec laquelle ils
évitent de demander un pourboire ou d'y faire la moindre allusion'. Du
reste, ce n'est point seulement à la race qu'il faut attribuer ce privilège
des Finlandais : tandis que les paysans russes asservis devaient contracter
tous les vices de l'esclave, ceux de la Finlande jouissaient d'une liberté
relative. Pendant toute la période de la domination suédoise, les habitants
du pays curent part aux droits civils et politiques, et la plupart des culti-
vateurs restèrent propriétaires du sol. Maintenant presque tous les Finlan-
dais savent lire et peuvent se dire instruits, en comparaison des moujik
russes des gouvernements voisins. Mais les difficultés de la culture d'un sol
ingrat, la rudesse du climat et les conditions déplorables de la propriété
foncière font que la misère est grande en quelques régions de la contrée,
cl souvent des famines ont déi;imé la population. Lorsque des étés froids et
pluvieux empêchent les céréales de mûrir avant les gelées d'automne, la
disette est inévitable et les habitants des campagnes sont livrés à la faim :
' Suomalais-IUioisalainen Sanakiija. IK-lsingfors, 1806-1874.
* Sptncnov, Im Pairie (Oletclicstvo-V'cd'eniije), Veslnili Evropi; — Koif, Les rcsiillnls de l'in-
tlruclion publique (en russe).
540 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
souvent alors le pauvre peuple est obligé de manger de la paille, tic mêler
à la farine des lichens, de l'écorce de pin, et même exceptionnellement
de la « farine de montagne », espèce de tripoli composée de débris d'in-
fusoires, qui se recueille au fond des :inciens lacs'. En 180S, la famine
enleva le quart de la population dan? certains districts : le nombre des
morts fut triple de celui des naissances pour toute la Finlande. Les aveugles
sont proportionnellement plus nombreux dans ce pays que dans les autres
contrées d'Europe, à l'exception de l'Islande, autre région des froidures.
En 1875, on comptait en Finlande près de 4000 aveugles et en outre plus
de 4000 individus affligés de cécité partielle. C'est à la fumée qui remplit
quelques chaumières, encore sans cheminées, qu'il faut attribuer en partie
cette proportion d'aveugles ; dans les districts de l'intérieur la maladie est
aussi attribuée aux étuves de bains et à celles où les Finlandais font sécher
et battent leur blé. Les étuves de bains, emplies d'une épaisse vapeur que
produit l'eau jetée sur des pierres brûlantes, étaient pour les Finlandais des
lieux sacrés. Plusieurs fois par semaine, hommes et femmes, enfants et
vieillards s'y exposaient à la vapeur, nus et pèle-mèle, en se frappant de
brindilles de bouleau et en s'inondant d'eau froide. C'est dans ces étuves
qu'étaient conduites les femmes en couches : la plupart dos paysans de h
Finlande ont aspiré l'air pour la première fois dans ces réduits, obscurcis
par la vapeur'. Actuellement on ne voit plus de ces salles communes de
bains dans les gouvernements d'Abo, de Tavaslehus, de Xyland, ni dans la
partie méridionale de la province de Wiborg.
Une partie de la Finlande est exclusivement occupée par des Suédois,
descendants des anciens envahisseurs du pays : les Finnois leur donnent le
nom de Ruolsalaïset. La population de l'archipel d'Aland, que les Scandi-
naves possédaient déjà en 1150, est entièrement suédoise; de même celle
qui habite quelques-unes des îles d'Abo, celles du Nyland et le sud de
rOsterbutten : naguère le linnois y était aussi jieu connu que le russe. Dès
le milieu du treizième siècle, la colonisation suédoise avait commencé dans
le pays à la suite des conquêtes d'Erik IX, et dans les siècles suivants elle
ne cessa d'augmenter, grâce aux franchises commerciales et aux privilèges
de toute nature accordés aux Scandinaves. Sur une longueur d'environ
.'(1 kilomètres à l'ouest du Kymmene-elf, afiluent du golfe de Finlande, la
population est également suédoise : les habitants ne se marient (ju'eutre
eux; ils ont conservé leurs mœurs aussi bien que leur langue et restent
' Ignntius, Le Grand-Duché de Finlande.
' Gustaf ilclzius, Finska Kianier.
FINNOIS ET SUEDOIS. 541
ainsi toujours étrangers aux Finnois qui les entourent. Ailleurs, les Sué-
dois de race ne se rencontrent guère que par familles isolées ou croisées
avec des familles indigènes; dans le gouvernement de Nyland, un grand
nombre de Suédois parlent le finnois aussi bien que la langue de leurs
ancêtres'. Jadis, tous les habitants du pays qui étaient devenus les égaux
des Suédois par la culture intellecluelle ou par la position sociale, et qui
parlaient la langue Scandinave, se classaient parmi les Suédois : l'aristo-
cratie, quelle que fût son origine, prenai' le nom qui paraissait alors
le plus honorable. La langue finnoise, qui s'était conservée seulement
comme idiome populaire, était tenue pour une sorte de patois. Cependant la
Réformation donnait aux Finnois un commencement de littérature écrite
en leur traduisant la Bible dès 1348; puis, grâce à l'université d'Abo, les
recherches sur la langue commençaient au dix-scplième siècle; enfin,
pendant le cours de ce siècle, la littérature finnoise s'est complètement
émancipée de la tutelle Scandinave, quoique cependant la plupart des
ouvrages soient des traductions du suédois. Désormais, les deux races,
les deux langag(!s n'ont plus à s'envier de privilèges; devenus complètement
les égaux de leurs anciens maîtres, les Finnois cultivés ou enrichis
n'ont plus à se parer du nom de Suédois. Depuis 1868, tous les nouveaux
maîtres d'école, et depuis 1872 tous les employés, sont tenus desavoir le
finnois, et depuis 1883, tous les fonctionnaires doivent parler les deux
langues. On évalue à 280 000 habitants, soit à 14 pour 100 de la poiuila-
tion totale, les Suédois du territoire.
A l'époque où se chantèrent ])0ur la première fois les poèmes du Kalc-
vdla, il n'y avait point de villes en Finlande, à peine quelques hameaux
situés dans les clairières des forêts et sur le bord des baies poissonneuses.
Les demeures étaient des trous creusés dans le sol et recouverts d'un toit,
ou des kola, c'est-à-dire des réduits coniques formés par des perches
appuyées circulairement sur un tronc d'arbre. Il reste encore de ces kola,
mais depuis longtemps elles ne serveni plus que de hangars. Le porte, qui
les remplaça pour l'habitation de l'homme, ressemble à \'i:ba du Grand-
Russien : elle est formée de troncs équarris posés les uns sur les autres,
sans fenêtres et sans cheminée, mais seulement avec d'étroites lucarnes et
une coulisse sous le toit pour permettre à la fumée de s'échapper : un
lourneau, quelques ustensiles, des mangeoires pour les animaux domes-
' Andréas Wardius, DcUràjc zuf Kenntuiss des lUtssisclien Rcichcs, vol. XIII.
542 -NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
ligues, tols étaient les seuls meubles du porte, où bêtes et gens vivaient
pèle-mèle. On voit encore çà et là quelques-unes de ces habitations dans
leur état primitif, telles que les décrivent les chants karéliens ; mais
la plupart se sont agrandies, embellies, séparées de l'étable et de la
grange, et déjà elles ressemblent à la maison moderne des villes et des
bourgades.
Les premières villes de la Finlande, Abo, Tavastehus, Wiborg, eurent
pour point d'appui des châteaux forts, érigés pour la défense des enva-
hisseurs et des néopliyles chrétiens. Dans les régions du nord, le pays
encore actuellement presque désert, sans valeur stratégique, a été colonisé
librement, elles bourgs se sont fondés aux embouchures des rivières, uni-
quement pour l'échange des denrées. Torneâ, qui regarde Haaparanda la
suédoise par-dessus un bras desséché de la rivière Torneâ, est le port des
Lapons, et ceux-ci viennent y vendre du poisson, des langues de renne.
Uleiîborg (Oulu des Finnois) est beaucoup plus importante : les bateaux
qui descendent l'Uleâ (Oulu-joki) lui apportent en quantité de la résine et
du goudron, et des trains de bois viennent flotter devant ses quais ; au com-
mencement du siècle, le port d'Uleâborg était, à cause de l'exploitation
de ses forets, le plus fréquenté de toute la Finlande; mais les ports de la
région peuplée du sud l'ont depuis longtemps distancé pour l'aclivilé du
commerce'. De même Brahestad (Raahe) a succédé pour le mouvement des
échanges à l'ancien bourg suédois de Gamla Karleby. Plus au sud, à la
bouche du Lappo-joki ou de la « rivière Lappo », viennent Jakobstad ou
Pielasaari, la bourgade de Xy Karleby et la ville de Wasa, rebâtie en
1852 sur le même fjord, après un incendie ; les Russes la désignent offi-
ciellement par le nom de Nikolaistad : raille écueils menacent les navires
qui cinglent dans la rade, mais les protègent aussi contre les vents du
dchors^ D'autres ports se succèdent au sud, Christinestad (Ristiina),
Bjôrneborg (Pori), parfaitement située, avec ses scieries et ses usines, sur
le bord du Kumo navigable', et Nystad, reliée à la Suède par un câble
' .Mouvcmenl du port d'Uleâborg à l'entrée et à la sortie on 1S78 :
i2j navires ciiargés, d'un port total de 08 hbTy tonnes.
Valeur des échanges en 1875 7 6'29 750 francs.
■ Mouvement du jiort de Nikolaistad en 1878 :
587 navires ciiargés, d'un port total de 100 756 tonnes.
V.deur des échanges en 1875 G 485 550 francs.
' Mouveineot ronimcrcial de lijiirneljorg en 1S78 :
Entrées et sorties: 810 navires chargés, d'un port total de. 212 7r)2 tonnes.
Valeur des échanges en 1875 8 740 000 francs.
ABO, IIELSINGFORS. 5«
télégraphique. Cette ville possédait en 1876 une flotte commerciale, com-
prenant 24 gros navires et J 1 bricks.
Abo, la Turku des Finlandais, est la plus ancienne cité de la Fin-
lande, et pendant des siècles elle fut le boulevard de la domination suédoise
à l'orient de la Baltique : c'est là que se dressa la première forteresse,
Abohus, dominant encore l'embouchure de l'Aura-joki, en aval de la ville.
Protégée à l'ouest contre les flots de la haute mer par un archipel où les
îlots et les écueils se compteraient par milliers et que prolonge vers la
Suède un autre labyrinthe d'îles, celui des Aland, la rade d'Abo est peu
éloignée de l'angle du territoire finlandais, entre le golfe de Botnie et
celui de Finlande, et par conséquent elle est devenue un lieu de rendez-
vous pour les marins qui fréquentent les deux mers et l'un des grands
marchés de la contrée : le nom de Turku que les habitants de l'intérieur
donnent à la ville indique même l'imporlance exceptionnelle d'Abo pour
les échanges, car cette appellation vient du mot suédois torg, qui signifie
G marché ». La deuxième par le nombre des habitants, elle occupe encore
le troisième rang parmi les villes commerçantes de la Finlande ', expé-
diant surtout des bois, des céréales, des farines, tandis que l'étranger lui
envoie des objets manufacturés, des denrées coloniales et du coton en
balles pour les filatures de l'intérieur. Abo fut aussi pendant près de deux
'siècles, de 1040 à 1827, le siège de l'université finlandaise : c'est là
que l'astronome Argelander dressa son précieux catalogue d'étoiles ;
mais, un incendie ayant dévoré les édifices scolaires et une bibliothèque
de 40 000 volumes, l'université fut transférée à Helsingfors. Néanmoins
Abo a longtemps disputé à la capitale de la Finlande le titre de chef-lieu
littéraire, surtout pour les publications suédoises.
Helsingfors ou Helsinki, patrie de Nordenskjfild, est non seulement la
principale, mais aussi la plus belle cité de la Finlande; elle a de beaux
édifices, des églises à colonnades et à coupoles, des promenades, des
parcs, un jardin botanique, actuellement le plus septentrional du monde,
car il est de quelques dizaines de kilomètres plus rapproché du pôle que
ceux de Pélersbourg, Upsala, Christiania. L'universilé de Helsingfors',
' Mouvcmniil commercial d'Abr) pii I87C :
Import.ilioii. . . 1 i 5G I 500 francs. Exporlalion . . 4781-400 frnncs.
Mouvement du poil en 1878 :
Entrées 5 li navires charges, jaugeant 95 578 tonnes.
Sorties 0'.>7 » i> « tO'Jtilli «
'Professeurs et répétiteur* au printemps de 1879 : 5(5. Étudiants inscrits: lO'lô. Étudiants
effuclifs en 1878 : 619. Uibliothéquc : l'iDOOG volumes.
54S XOL'VELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
riclie en documents relatifs à la Finlande, est devenue le centre d'une
activité scientifique considérable ; mais elle n'a pas l'importance que lui
donnent les tableaux officiels : des centaines de personnes restent inscrites
sur les registres de l'université, quoiqu'elles vivent en dehors de la ville
ou même ù l'étranger; on voit des vieillards garder leur titre d'étudiants.
Du côté de la mer, Helsingfors est défendu par les formidables ouvrages
de Sveâborg (Wiapori), dont les murailles, percées d'embrasures, s'élèvent
sur les rochers de sept îles dominant le chenal. Toutefois Helsingfors est
surtout une ville de commerce ; elle a succédé à un bourg que Gustave
Wasa avait fondé à 7 kilomètres plus au nord, mais dont les eaux n'étaient
pas assez profondes. Dans le port actuel, la navigation est fort active sur-
tout avec la Grande-Bretagne, mais aussi avec la Hollande, la Norvège,
Liibeck, l'Espagne et Rio-de-Janeiro; le port de Helsingfors s'est complété
grâce à la construction du chemin de fer qui se dirige vers la pointe de
Hangi), c'est-à-dire vers le promontoire angulaire de la Finlande, à l'entrée
des deux golfes : la mer y est beaucoup plus longtemps libre de glaces que
dans le port de Helsingfors et dans les autres ports du littoral, dont les
chenaux se ferment en novembre ou en décembre pour ne se rouvrir qu'au
mois de mai. Helsingfors est le marché principal pour les deux villes de
l'intérieur, Tavastehus (Hameenlinna), chef-lieu de gouvernement, et
Tammerfors (Tampere), que l'on peut appeler par hyperbole le « Man-
chester de la Finlande » : ainsi que son nom l'indique, cette ville est au
bord d'un torrent qui descend en rapides, elles eaux de cette rivière font
mouvoir les roues de nombreuses usines, fabriques de textiles, papeteries
et autres manufactures.
A l'est de Helsingfors se succèdent sur les côtes du golfe de Finlande les
petits ports de Borgâ, de Lovisa, de Fredriksharan, près de laquelle se
trouvent les importantes carrières de granit de Pytarlaks. Au sud-ouest de
Fredriksharan, l'ile fortifiée delvotka (Ruotsinsalmi) commande aussi une
rade où se fait quelque commerce et où stationnait une flottille de guerre.
Déjà près de la frontière russe s'ouvre le golfe ou plutôt le fjord
' Mouvement commercial ilc Helsingfors en 187G :
Imporlalion' 58 788 880 francs.
Expoiialion 8161493 »
Ensemble 40 950 575 francs.
Entrées 808 navires, jaugeant 151 ol6 tonnes.
Sorties 920 » » 156 057 »
Ensemble 1734 navires, jaugeant 270 575 tonnes.
i'.iNiiiiMiiV'iriii|i|ri,ii;r
IIELSINGFORS, WIBORG.
3A7
dont Wiborff (Wiipuri) occupe l'extrémité septentrionale. Cette ville, la
troisième de la Finlande par sa population, est la deuxième par son com-
N° 73. WlBOnO ET SA BAIE.
De 0 à 20 met.
De 20 à 30 mél. De
1 ; 503000
mcrro, la première par sa navigation, grâce surtout à ses communications
par eau avec l'intérieur et an voisinage de Saint-Pétersbourg; mais les
gros navires doivent s'arrêter à lô kilomètres au sud de la ville, dans la
rade de Trângsund, défendue mainlcnant par de puissantes forlificalions.
I/exj)ortation principale est celle du bois pour l'Angleterre et d'autres pays
518 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
étrangers. Le canal de la Saïma, que remontent les bateaux à vapeur jus-
qu'à Kuopio, aboutit àWiborg'.
Une seule ville de quelque importance se trouve au loin dans l'inlériour,
au nord des régions relativement populeuses du littoral du golfe de Fin-
lande : c'est Kuopio, chef-lieu de gouvernement, bâti en 1776 dans une
île, au milieu du lac de Kallavcsi, à peu près à moitié chemin de Ladoga
au port d'Uleâborg; le commerce du beurre lui donne sa prospérité. Ny-
Slolt (Château-Neuf) ouSavonlinna, n'est qu'une petite ville insulaire entre
les deux lacs de Ilaukivesi et de Pihlajavesi, remarquable par son pitto-
resque château suédois, dont les tours rondes se mirent dans les eaux;
Keksholm, sur le Ladoga, est aussi une ancienne place forte que se dispu-
tèrent Novgorodiens et Karélicns, puis Suédois et Russes. C'est un porl
d'exportation pour les bois et les granits, de même que Sordavala, le Ser-
dobol des Russes, située à l'angle nord occidental du Ladoga \
La population de la Finlande est, en Europe, une de celles qui s'accrois-
sent avec le plus de rapidité, grâce à la paix profonde dont elle jouit depuis
plus d'un demi-siècle et au développement de son agriculture, de son
industrie, de son commerce. Le nombre des habitants a presque quadruplé
depuis le milieu du dix-huitième siècle "', presque doublé depuis 1815 ; mais
Commerce de Wiborg en 1878 : 555i navires, jaugeant 421 367 tonnes.
linporlalionparmer. 8 748 400 francs. Parterre. . 20 455 000 francs.
Exportation » , 12 216 950 » '> . 10 568 550 «
Entrées.. . , 2 659 navires, jaugeant 210 000 tonnes.
Sorties 2 675 i' » 211567 »
' Villes principales de la Finlande en 1881 :
llelsingfor5 45140 hab. (liOOO Finnois, 22480 Suédois, etc.)
.\bo 23 000 i> (10600 '■ 9 000 d « )
Wiborg 14 700 »
Tammerfnr.e 15 750 "
Uleâborg. , . . 9 700 »
Bjùrneborg .... 8 700 »
Nikolaistad (Wasa) ... 8 000 .■
Knopiii 6 850 »
> l'opulalion delà Finlande en 1750 555 000 habilanls
). 1) 1815 1095950 »
I. Il 1865. . 1845 245 »
)i )) 1870. . . . 1767 200 x
« )i 1875. . 1912 650 »
» » 1880. ... 2 000 800 i>
Population probable on 1881. . , 2200000
POP-ILATION DE LA FINLANDE.
549
"l'accroissement eut à subir un temps d'arrêt, lors de la famine de 1868,
près de cent mille habitants ayant été enlevés par le typhus de la faim.
Dans les districts méridionaux qui bordent le golfe de Finlande, la po-
pulation est déjà de 10 habitants, et même dans le gouvernement de
Nyland de près de 10 par kilomètre carré, tandis que pour toute la contrée,
dans ses limites politiques, la « densité kilométrique » des Finlandais est
trois fois moindre ; mais il faut remarquer, avec Ignatius, que, de tous les
v^jfe<<- -.w^-: —'".s^^yr^
XÏ-SLOIT
Dessin de Th. Weber, d'après une p^vuro russe.
pays situés sous la même latitude, la Finlande est le plus peuplé et le
mieux cultivé-. Quoique moins favorisée par le climat, puisque les isother-
mes se recourbent vers le sud en passant sur son territoire, elle a pour
une même superficie beaucoup plus d'habitants que les régions de la
péninsule Scandinave situées au nord du soixantième degré de latitude.
L'immigration n'entre que pour une bien faible part dans l'accroissement
de la population. Dans le gouvernement de Wiborg se sont établis depuis
longtemps des paysans russes ayant gardé leur religion, qui est égale-
ment celle de niillieiâ de, Karéliens baptisés déjà par les Russes de Nov-
350 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
gorod; mais en dehors des militiares, on ne compte que huit mille Russes
dans les limites du grand-duclié, et les Allemands, industriels et commer-
çants pour la plupart, sont cinq fois moins nomhreux; tous les fonction-
naires civils sont Finlandais. On évalue à peu près à un millier d'individus
les Tsiganes qui parcourent le pays dans le voisinage de la frontière russe.
Mais le mouvement d'émigration des Finlandais est assez notable : en 1864
déjà, près de 15000 habitants de Saint-Pétersbourg étaient nés en Fin-
lande, et sur les côtes du golfe de Botnie, dans les parties septentrionales,
Kvaner et Finnois se mêlent continuellement aux Lapons, aux Suédois,
aux Norvégiens. De là, des émigrants ont même continué leur voyage jus-
qu'en Amérique; dans la ville de Hancock, au Michigan, existe une petite
colonie finlandaise publiant son journal dans le langage de la patrie '.
Le peuple finlandais est à peine entré dans la période industrielle, elles
quatre cinquièmes des habitants s'occupent d'agriculture et d'élève du
bétail. Cependant la superficie des terres en rapport n'est que la quarante-
quatrième partie du territoire : le reste est en jachères, en landes, en maré-
cages, en lacs et en forêts'. La production du sol en céréales 'est insuffi-
sante, et les Finlandais sont obligés chaque année d'importer des farines
de la Russie; en échange, le pays exporte des chevaux, des animaux de
boucherie', du lait, du beurre, des fromages; les marchés de Saint-Péters-
bourg sont aussi en grande partie fournis de gibier et de poisson par les
disiricts finlandais limitrophes. Toutefois le principal commerce d'expor-
tation de la Finlande consiste en bois et autres produits de la forêt, gou-
drons et résine. Comme en Suède, les richesses forestières sont gaspillées
et pour une barrière on emploie parfois autant de bois qu'il en faudrait
dans l'Europe occidentale pour la construction d'un édifice. Jadis, pour
conquérir sur la forêt des terres labourables, on avait successivement re-
cours au palo, c'est-à-dire à la destruction des arbres par le feu. Plus de
la moilié de la surface boisée du territoire appartient au gouvernement;
mais celui-ci livre au commerce une quantité de bois inférieure des trois
quarts à celle que vendent les particuliers.
' Ignntius, Le Giand-Diiché de Finlande.
' SupcrDcie da terrains agricoles de la Finlande en 1875 :
Forcis 21577 200 hectares. 1 Jachères 200000 hectares.
Cultures 8i5 000 « | Eaux, rochors et landes. 1J027SOO »
' Production des céréales en 1879, en hectolitres :
Froment .wCSO | Orge 1998Ô00
Seigle 37H500 | Avoine - 5148200
* Détail on 1878 : 275 500 chevaux, 1 125 000 bétes à cornes, 1 025 200 biobis.
INDUSTRIE DE LA FINLANDE. 351
La plus grande partie de la terre est possédée, sinon par ceux qui la
cultivent, du moins par la classe des paysans. Plus de la moitié des agri-
culteurs sont encore petits fermiers ou journaliers salariés; mais le ser-
vage n'a jamais existé dans la Finlande suédoise : seulement dans le
gouvernement de Wiborg, qui faisait partie de la Russie proprement dite
au commencement du siècle, les seigneurs avaient commencé de s'appro-
prier les paysans avec les terres, et l'Etat se trouve obligé maintenant de
racheter les fiefs pour les revendre aux cultivateurs'. En outre, de nom-
breux domaines « nobles » jouissent de privilèges importants et n'ont pas
les mêmes charges à supporter que les terres des paysans. Quant aux
terres de la couronne, elles sont louées pour la plupart à des fermiers
héréditaires, qui ont le droit de racheter le sol à des conditions fixées
d'avance : en payant trois années de loyer, ils deviennent propriétaires du
domaine sur lequel ils sont établis.
Li Finlande possède quelques gisements miniers, or et argent, plomb,
zinc, cuivre, étain et fer, mais ils sont généralement pauvres, et le manque
de routes ne permet guère de les exploiter ; les carrières de beau granit, de
porphyre, de marbre ne sont non plus utilisées que là oîi les roches abai-
tues peuvent être chargées immédiatement sur les navires pour être trans-
portées dans les villes du littoral. De tous les métaux, le fer est le seul
qui donne lieu à une exploitation active, mais la plupart des hauts four-
neaux de la contrée ne traitent guère que des minerais étrangers et les
fers limoneux retirés des marais. Ce minerai lacustre est recueilli comme
le sable du fond marin ou le limon des ports au moyen de la drague;
les grains et les disques de fer carbonate se reforment peu à peu, et après
un certain nombre d'années les usiniers vont faire une nouvelle récolte'.
Dans les régions méridionales, un grand nombre de mines exploitées dans
la roche vive sont abandonnées; l'industrie minière se porte de plus en
plus vers les régions du nord '.
' Propriétés foncières de la Finlande en 1875 : lOG tl2.
Terres apparicnaiit aux paysans 20 2S0 2i0 hectares.
n i> à la couronne . 14515560 >•
■■• i< à la noblesse, ctc 2374518 j.
3 p> aux villes 60 718 i
» » aux églises el am couvcnis 7 898 »
* Minerai de fer lacustre extrait en 187f.'. 692 135 quintaux inélnc|ucs.
' » » traité dans 21 hauts fourneaux (1876). . 54844i » »
' » étranger » n n ,. . 162 842 n r
■■ i> do roche finlandaise » n ... 5 527 » v
Production de la fonte cri 1879 179 500 •■ »
* Kropotkin, hv'ctliya Roussk. Geoyraf. Obchlchctlva, 1871, n" 5.
352 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Outre ses grandes usines métallurgiques, la Finlande possède des éta-
blissements industriels pour la fabrication de tous les objets manufacturés
devenus nécessaires aux peuples modernes ; elle se distingue surtout pour
la filature et le tissage des étoffes, et pour la préparation du papier :
comme la Suède, elle trouve dans la pâte de bois une matière première
fort importante pour alimenter ses papeteries. La construction des navires,
principalement sur les côtes du golfe de Botnie, est aussi une industrie
lucrative, et la marine commerciale de la Finlande est l'une des plus
considérables de l'Europe, en proportion du nombre des habitants : si la
France était aussi riche en navires, elle aurait une flotte de 5 millions de
tonneaux'. Le commerce maritime est aussi très actif: il a presque triplé
pendant les quinze dernières années'. A ce trafic des ports, il faut ajouter
celui qui se fait par la frontière de terre entre la Finlande et la Russie,
par le lac Ladoga et surtout par le chemin de fer de Wiborg à Saint-
Pétersbourg. Dans ces dernières années cette voie ferrée s'est emparée du
transport d'un grand nombre de marchandises expédiées jadis par le ca-
botage. Enfin, les produits des manufiictures allemandes s'introduisent en
grande quantité dans la Russie par le commerce de contrebande, pratiqué
tout le long de la frontière. Parmi les anciennes coutumes des Finlan-
dais, on peut citer le « commerce muet », qui se fait encore en divers
endroits. Les paysans qui portent le beurre sur les bateaux à vapeur du
Ladoga pour le marché de Saint-Pétersbourg déposent leurs denrées, ins-
crivent leurs noms et la quantité de beurre apportée, puis, à une époque
connue, touchent leur argent sans qu'un seul mot soit échangé.
Dans la Finlande méridionale, un chemin de fer, presque parallèle à la
côte, se développe de Wiborg à Hangô, avec des embranchements sur Hel-
singfors, Abo et Tammerfors '\ Le réseau doit se prolonger de Tammerfors
au nord-ouest et rejoindre Uleâborg, sous le 65' degré de latitude ; même
on a fait des études du chemin que doit suivre la côte jusqu'à Tor-
nea et d'Uleaborg jusqu'à Uleatriisk. Dans une courte période d'années
' Flollf comiiiprciale de la Finlande en 1879 :
1811 navires, d'un porl tolal de 292 570 tonnes,
Dont 170 bateaux à vapeur, jaugeant. 10 710 «
^ Mouvement de la navigation et valeur des échanges dans les ports finlandais :
186t!. Entrées: 57 12 nav., jaug. 510 801 tonnes. Sorties : 5901 nav., jaug. 528 525 tonnes.
1880. .1 97it ). I 1504190 » » 9987 » d 1549 940 »
(800. Iinportalioii . . . 48 000 559 francs. E.vportalion 27 748 080 francs.
1880. » ... . 158701600 >> „ .... 125075023 a
5 .Ihîunns de fer de la Finlande en 1880 : 851 kdomètres.
COMMERCE DE LA FINLANDE.
3D5
la Finlande et la Suède ne finissent par rejoindre leurs lignes ferrées sur
la Torneâ, dans le voisinage du cercle polaire. Sur le littoral finlandais et
sur les lacs de l'intérieur, c'est également à l'aide de la vapeur toute-
puissante que vont et viennent les voyageurs. Des services de paquebots
rapides relient les unes aux
CANAL DE SAIMA
autres toutes les villes de la
côte, tandis que des chalou-
pes à vapeur et des remor-
queurs, pénétrant dans le
cœur de la Finlande par les
vingt-huit écluses du canal
du Saima , s'avancent de
Wiborg jusqu'à Kuopio et
même jusqu'il Idensalmi, à
400 kilomètres de la mer
en ligne droite, à plus de
500 kilomètres avec les dé-
tours. Comparés aux tra-
vaux de même genre exé-
cutés en Russie, ceux de la
Finlande sont remarquables
par leur excellence, et les
frais de construction sont
bcaucou[) moins élevés. Les
roules de Finbuule, ];our
les(pu'nes on dispose d'ail-
leurs de très bons ma-
tériaux, sont parmi les
meilleures de l'Eampe. [=.>.,.»
Récemment, on a proposé ' ■ — ' , ,
la conslruclion d'un canal
de navigaliiin qui réunira i'exlrémili' du golfe de Botnie à la mer
IJIancIic : le canal projeté , dont la longueur est d'environ oOO kilo-
nièlres, empruntera le cours de plusieurs rivières et le grand lac Toi»
(en russe, ïop-ozero).
Le mouvement de la poste cl des dépêches, on le com[)rcnd, est pro-
porlionncllement beaucoup plus considérable en Finlande que dans la
Russie voisine, grâce au niveau bien supérieur de l'inslrnclion publique.
Cependant les écoles sont relativement [)eu nombreuses : en |S80, on
V. 45
551 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE,
ne comptait encore en Finlande que vingt-sept mille enfants dans les
écoles primaires' de 7580 élèves dans les 89 lycées et autres écoles
secondaires. C'est dans les familles et dans les écoles ambulantes
entretenues par les communes et se déplaçant de deux en deux ou
de trois en trois mois dans chaque village, que la plupart des enfants
apprennent la lecture et le chant; mais l'écriture est fort négligée par
les instituteurs ambulants : tandis que presque tous les enfants de la pro-
vince septentrionale d'I'leaborg savent lire, à peine un sur vingt savent
écrire^; même dans quelques districts du midi, où les écoles fixes sont
nombreuses, deux tiers des enfants finlandais ignorent l'écriture. Relative-
ment à leur nombre, les Suédois de la Finlande sont toujours plus instruits
que les Finlandais, ainsi qu'on peut en juger par les journaux du pays.
En 1771 parut en Finlande, à Abo, la première gazette suédoise, que sui-
vait, cinq ans après, un journal finlandais. Actuellement, la presse pério-
dique finlandaise, dont les progrès sont proportionnellement plus rapides,
l'emporte par le nombre sur les journaux suédois, mais de quelques feuilles
seulement". L'influence administrative d'une part, et de l'autre celle de
l'université, donnent dans la presse un rôle prépondérant à la ca])itale : on
V publie la moitié des journaux du pays.
Le grand-duché de Finlande est uni à la Russie, non seulement par la
personne du tzar, mais aussi par une solidarité commune vis-à-vis de
l'étranger : l'administration des affaires extérieures, le ministère de la
guerre sont les mêmes pour les deux pays, et le service des télégraphes est
sous la direction d'employés russes. Le gouvernement de la Finlande, qui a
gardé dans ses traits essentiels sa constitution suédoise, est une monarchie
absolue en principe, suivant les formes de l'ancienne monarchie Scandinave;
mais ces formes ont été modifiées par l'empereur, qui annexa le pays comme
« sa propriété » et lui donna des statuts en 1809. L'empereur de toutes les
Russies, « grand-duc » des Finlandais, a, selon les termes de la consli-
' Nombre des écoles fixes. 570. Ecoles uuniialcs : 2 finlandaises et 2 suédoises.
Ecoles piiinaires finlandaises, 451 : suédoises, loi; finlandaises et suédoises, 1 1 ; russes, 9.
Ecoles secondaires : finlandaises, 29 ; suédoises, bO ; allemandes, i ; russes, 2.
* Sichant lire en Finlande : Suédois, 82 pour 100. Sachant écrire : Suédois, 22 pour 100.
I) )) » Finnois, 78 » b « Finnois, 7,5 »
" i'ulilicalioiis jiériodiqucs de la Finlande en 185(i : (i en suédois; t en liiilindais.
» 1) )i 11 1872 : 21 )i \r, »
1) 1) » IJ'81 : 27 1) 12 1)
GOUVERNEMENT DE LA FINLANDE. 555
Uition, '( plein pouvoir pour gouverner, pacifier, sauver et défendre le
grand-duché ; pour faire grâce, rendre la vie, l'honneur et les biens ; pour
nommer selon son bon plaisir à tous les emplois du pays — » 11 est repré-
senté à Helsingfor? par un gouverneur g-énéral qui est à la fois le plus
haut chef militaire et le président du sénat; en outre, le tzar nomme
dans sa résidence un ministre d'Etat, qui doit être Finlandais et qui lui
soumet toutes les affaires réservées à la décision souveraine. Le sénat, qui
siège à Helsingfors, est en entier nommé par le Izar et se divise en deux
« départements », de la justice et de l'économie, composés chacun de
neuf membres. Un procureur général, également nommé par le grand-
duc, assiste aux séances du sénat pour en contrôler toutes les déci-
sions et pour lui marquer les limites de ses attributions, car dans les
cas importants il faut en référer à la volonté impériale. En outre, le
président émet son opinion à part dans le protocole des délibérations.
La représentation nationale ou « diète », à laquelle la constitution donne
une part de pouvoir législatif en commun avec l'empereur, se compose
d'environ 200 membres, appartenant aux quatre ordres : noblesse, clergé
luthérien, bourgeoisie, paysans, qui, depuis 1865, se réunissent au moins
tous les cinq ans en assemblée ordinaire, chaque ordre dans une salle sépi-
rée ; dans certains cas, les ordres peuvent délibérer, mais non voter en com-
mun. L'unanimité des quatre ordres est nécessaire pour les lois qui lou-
chenl à la constitution, aux privilèges, à l'impôt; aucune levée de troupes
ne peut être décrétée sans leur consentement unanime. D'ailleurs, la
diète ne discute que les affaires soumises à son examen par le gouverne-
ment ; pour le reste, elle n'avait que le droit de pétition ; mais en ISS'2,
elle a aussi reçu, dans une mesure assez large, le droit d'initiative parle-
mentaire. En réponse au discours russe du gouverneur, les Finnois et les
Suédois répondent en leurs langues respectives, et souvent, pour ne pas
faire de jaloux, des répliques se font en français, langue dont se servit
Alexandre devant la diète de Borga. Toutes les familles nobles sont repn''-
scntées à la diète par leur chef ou par un fondé de pouvoir, tandis que les
autres ordres, plus nombreux, doivent choisir leurs représentants'. Les
professeurs votent dans l'ordre du clergé. Les armateurs, les propiiétaires
d'immeubles, les notables des villes, les industriels et les gens qui exercent
un métier privilégié sont compris dans l'ordre des électeurs bourgeois :
' Diélc en 1878 •
Nobicsso . . 121 r(>|irésenlanls. 1 itourgeoislr 4.") repri'serUnnU.
Qergr 5li .■ | l'.iysanr. . ...... ô9 •
Ensciiiblu . . . . '2U1 rcprùsentanls.
556 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
par un mode créleclion à deux degrés ils nomment un député par
6000 habitants de population urbaine. Les électeurs paysans sont les
propriétaires de campagne et les fermiers de la couronne, d'ailleurs très
peu nombreux : chacun des 59 districts judiciaires a son représentant.
Pour l'administration civile, le pays est divisé en huit gouvernements
ou Idn, subdivisés en bailliages {lidrader) et en communes, qui gèrent leurs
affaires locales sous le contrôle du gouverneur, de l'intendant de la cou-
ronne, des greffiers. Les électeurs communaux disposent chacun d'un
nombre de voix proportionnel à leur part d'impôt. Les villes, constituées
en districts administratifs distincts, ont un conseil municipal, élu pour
trois ans, plusieurs radman ou échevins nommés par le commerce, et un
ou deux bourgmestres, choisis par le sénat au nom du grand-duc, entre les
trois candidats qui ont réuni le plus de voix à l'élection.
Le code suédois de 1754 régit encore la Finlande, modifié dans plu-
sieurs de ses dispositions. Les tribunaux de district, devant lesquels se
jugent les affaires de première instance, sont au nombre de 59, mais
ils se déplacent souvent de village en village pour régler les causes arrié-
rées : ils se composent d'un juge et de cinq paysans au moins, choisis
parmi les gens « bien notés », c'est-à-dire au gré du gouverneur. Dans les
villes, les tribunaux municipaux sont présidés par le bourgmestre. Au-
dessus siègent les trois cours de justice d'Abo, de Nikolaistad et de Wiborg,
et la cour suprême, composée de la moitié du sénat dite département de
Justice. La peine de mort, existant encore légalement en Finlande, n'a pas
é!é a|ipliquée depuis un demi-siècle.
L'armée se recrute depuis 1882 par le service militaire obligatoire. Dix
régiments de chasseurs ont été d'abord organisés, et d'année en année la
force s'accroît; avec les réserves, elle s'élèvera normalement à 70 000 hom-
mes, tous commandés par des Finlandais pour servir dans l'intérieur du
pays, où d'ailleurs près de 7000 Russes tiennent garnison.
La Finlande, comme la Suède, a sa religion d'Elat; le culte lutiiérien
et les autres confessions, à l'eKception de l'église orthodoxe russe, n'ont
pas encore reçu l'autorisation de former de congrégations distinctes. Les
Jiifs même, au nombre de 500 environ, ne résident dans le pays qu'en
vertu d'un permis de séjour; ils ne peuvent se faire naturaliser'. L'arche-
vêque primai de l'église luthérienne réside à Abo, et tout le pays est divisé
' Finlaïuhiis classés d'apios la rdigicui l'ii 1S75 :
LutliiM-iens 1875126 soil OS.O:. des hahitanU.
Calluiliiiues f;ivcs "'ti C'ir> '> I . !'2 »
i> riiinaiiis 506 i' O.Où »
FINLANDE, PROVINCES BALTIOUES. 557
on 5 évèchés, 43 prieurés, 286 paroisses, 491 congrégations : le nombre
dos ecclésiastiques est d'environ 900. La direction orthodoxe -russe, de
Wiborg relève du métropolitain de Saint-Pétersbourg. Jusqu'en 1866,
l'inspection des écoles appartenait au clergé; maintenant elle est confiée
uix communes, qui nomment les conseils scolaires.
Le budget finlandais est en moyenne d'environ 30 millions de francs.
Comme les grandes puissances, le petit Etal a sa dette, égale à deux années
de son revenu.
Le tableau suivant donne la liste des làn, avec leur superficie, leurs divi-
sions et leur population. En Finlande, comme en Suède, les villes se dis-
tinguent des bourgs et des villages, non par le nombre de leurs habitants,
mais par leurs privilèges commerciaux et [wliliques.
LV.\.
SLCERFICIE
KILOU. C,»nRÉS.
V.U.ES.
BOURGS.
D.\ILLI.\CES.
P0PLL.\T10.\
I" ).ITTIER 1881.
PiiPLL.
Nylaiid (llelsingfors).
Abo et Bjôrncborp. .
Tavastchus ....
Wiborg
Sainl-Mikhcl. . .
Kiiopio
Wasa(NicoIaistafll. .
Ulcaborg
1 1 872
24171
21 584
55 850
22 840
42 750
41 642
165 016
6
2
0
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195 545 bab.
540 602 »
217 047 »
■299 626 )•
1 66 905 »
251 254 »
552 881 »
206 161 );
16.5
14.1
10.0
8.5
7.3
5.9
8.5
1.2
Ensembli' ....
560 5.)5
50
6
51
2 028 021 ,1
5.5
III
Pn0VI>CES B-^LTIQCES
En'îTO.^IE, IITOME, COCBLASDE (EHSTLA.XD, LIVL.OD, KLRLIXd)
Ia's trois « gouvernements » de l'empire russe que l'on distingue d'ordi-
naire par le nom de « provinces Baltiqucs », sans les joindre à celle de
Sainl-IV'Iersbourg, qui est baignée par les mêmes eaux, ne se séparent
du reste de la Russie par aucune limite naturelle. Au nord-est seule-
358 NOUVELLE GÉOGR.U'UIE UNIVERSELLE.
nienl. les deux lacs unis de Pskov et de Peipous et le cours de la Narova
servent de frontière commune au gouvernement de Saint-Pétersbourg du
côté de l'ouest, à ceux de Livonie et d'Ehstonie du côté de l'est ; mais
au sud-est et au sud les lignes de démarcation, qui tantôt suivent le cours
d'une rivière, tantôt traversent des forêts ou des marécages, sont toutes
conventionnelles : d'un territoire administratif à l'autre se continuent les
chaînes de collines et se prolongent les plaines. Dans la partie inférieure
de son cours, la Dûna arrose les campagnes de la Livonie et de la Cour-
lande ; mais ce fleuve n'a servi que dans une très faible mesure à donner
aux provinces Baltiques leur cohésion et leur communauté de destinée :
c'est par la mer, par le golfe de Riga, qui s'avance profondément dans les
terres en baignant les côtes des trois provinces, que s'est constituée leur
unité. C'est aussi par la mer que sont entrés les immigrants d'origine
allemande devenus les principaux propriétaires du sol, les commerçants
et les nobles, détenteurs de toute la richesse nationale. Ces envahisseurs
germains ne sont plus les maîtres politiques de la contrée, mais ils y gar-
dent encore l'influence prépondérante par la fortune, l'instruction, les
positions acquises, et donnent ainsi un caractère spécial à la partie de
l'empire russe qu'ils habitent. Par la masse de la population indigène,
l'Ehstonie, la Livonie et la Courlande se distinguent aussi d'une manière-
générale des provinces limitrophes, quoiqu'il y ait aussi des Lettes dans
le gouvernement de Vitebsk, des Samogitiens dans celui de Kovno, des
Ehstes dans celui de Saint-Pélersbourg : ce n'est qu'après avoir dépassé
les frontières des pays ehstes et lettes qu'on entre dans la Russie propre-
ment dite. Cependant ces provinces n'ont point d'autonomie politique par-
tielle comme la Finlande, ni même d'unité administrative. Depuis long-
temj)s aussi, la statistique générale mêle les provinces Baltiques aux autres
gouvernements de l'empire, dont elles sont une des contrées les plus
importantes, non par l'étendue, mais par le nombre des habitants et par
le mouvement commercial'.
Dans leur ensemble, les provinces du littoral baltique sont une terre
faiblement élevée au-dessus de la mer, mais se relevant aussi en quelques
massifs de collines auxquelles le contraste des campagnes basses donne un
certain relief. Ces hauteurs, qui dans leur formation générale ressemblent
* Su|icrficie, y compris les Iai*s. Populalion en ISSl. Populalion kilomélriquc.
Ehslonio '20 218 kil. carrés ô7j 000 lialiilaiiU. 10 lialiitanls.
Livonie 17 ft-j:i " It40.ï00 « 'i.".
Coiiriaiido . .27 28ti " 655 800 » 25
Ensfiiil.lo . . . Oiôliô kil. carrés. 2 101 000 lialiitarils. 2." Iiabilanls.
PROVINCES B.VLTIQUES. 359
aux plateaux accidentés de la Poniéranie et de la Prusse orientale, consti-
tuent aussi une sorte de faîte entre les côtes de la Baltique et les plaines
continentales de l'intérieur ; mais elles sont interrompues en plusieurs
endroits et livrent passage aux eaux courantes. En Ehstonie, le sol monte
assez rapidement au-dessus de la côte occidentale et forme çà et là des
falaises de grès et de calcaires anciens, auxquelles les Allemands du pays
donnent le nom de glinten, ce qui est sans aucun doute l'appellation da-
noise des escarpements rocheux (klint), légèrement modifiée. Au delà,
vers l'orient, quelques tertrejs s'élèvent au milieu des terres basses ;
mais le terrain ne se redresse en véritables collines que dans la partie
nord-orientale de la province, où diverses cimes dépassent 100 mètres de
hauteur : il en est même une, l'Emmo Màggi ou la « Montagne Mère »,
qui atteint 134 mètres; pour les Ehstes, une pareille élévation, dominant
au loin les campagnes, semblait avoir donné naissance à toute la contrée.
Les petites rangées monlueuses de l'Ehstonie s'abaissent au sud vers les
frontières de la Livonie ; mais au delà des plaines que parcourt l'Embach
ou Emba, les terrains se relèvent de chaque côté du Virz-jarv, \c plus
grand lac situé en entier sur le territoire des provinces Baltiques.
A l'est de cette nappe d'eau, la chaîne de collines se redresse peu à
peu et s'étale en un large plateau, que domine le Munna Miiggi, le plus
haut sommet de la Livonie. Découpé par des gorges profondes emplies
de forêts, qui donnent aux pentes et aux sommets l'aspect le plus sé-
vère, le plateau se continue au sud-est vers la « Montagne du Diable »,
et par delà cette hauteur dans les gouvernements de Pskov et de Vilebsk,
tandis qu'au sud-ouest un faîte latéral s'avance entre l'Aa et la Diina
pour former la « Suisse de Wenden », pays gracieux et pillorescjuc (oui
parsemé de petits lacs; on les compte par centaines. Au sud de la Dùna,
le sol de la Courlande forme un autre plateau, qui longe le llcuve jus-
qu'au-dessus de la plaine de Mitau, de quelques mètres seuicnifiil plus
haute que la mer. La vallée que parcourt l'Aa courlandaise sépare cette
plaine de la péninsule triangulaire comprise entre le golfe de Higa et la
l'alliquc!. Cette péninsule est une autre « Suisse », comparable à celle de-
là Livonie, c'est-à-dire un plateau boisé, découpé sur le pourtour en de
nombreux promontoires et reflétant ses arbres dans l'eau de petits bassins
lacustres. Ce plateau se termine au nord par des collines aux(|uelles on a
donné le nom peu mérité de o Montagnes Bleues » et par un ca|t élevé, le
Domesnais, dont la base s'avance dans les eaux comme le laille-nur d'un
navire. Au sud, la côte de la Baltique, très sablonneuse, est en grande
[)arlic bordée de dunes qui cheminaient jadis vers l'intérieur, poussées
560 ^OUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
par le vent d'ouest, et qu'il a fallu consulider par des palissades et dos
plantations '.
Le territoire des provinces Baltiques est compris en entier dans la zone de
dispersion des blocs erratiques Scandinaves et finlandais. Les âsar, en tout
semblables à celles de la Suède et de la Finlande, sont nombreuses dans
l'île d'Ôsel et dans les plaines de rEhstonie. On y voit aussi, jusqu'à la
hauteur de 120 mètres sur les collines, les stries et les polis qu'ont laissés
les glaces dans leur passage, et sous les racines des arbres, le gazon des
prairies ou la mousse des tourbières, les paysans trouvent fréquemment
des amas de pierres granitiques apportées de la Scandinavie et mêlées à
une argile glaciaire, analogue au till ou boulder-clay de l'Ecosse et de
l'Angleterre'. Les erratiques se rencontrent partout où le sol n'a pas encore
été mis en culture et débarrassé de ses pierres : on en voit jusqu'au som-
met du Munna Mâggi. De même qu'en Finlande et en Suède, les collines
sont, en plusieurs parties du territoire, régulièrement alignées dans la di-
rection du nord-ouest au sud-est : la terre semble avoir été labourée comme
par une gigantesque charrue, et des lacs emplissent les dépressions paral-
lèles laissées entre les forêts : en diverses parties du territoire, les glaces
mouvantes ont eu certainement leur part dans cette forme presque géomé-
trique du relief. On peut citer en exemple de ces chaînes de hauteurs
toutes rabotées et polies dans le même sens les collines qui s'élèvent au
nord de Dorpat (page 361).
Sur les côtes de la Prusse orientale, on le sait, le sol est actuellemenl
dans une période d'affaissement, mais dans les provinces Baltiques, du
moins en Ehstonie, le sol se meut en sens inverse ; d'après les obser-
vations de Reineke", l'exhaussement aurait été de 62 millimètres dans
le port de Revel, entre les années 1822 et 1857 : ce serait peut-être
sur les bords du golfe de Riga, ancien lac dont la paroi occidentale
a été détruite par les érosions de la mer, que serait la charnière d'os-
cillation entre les terrains qui s'affaissent et ceu.v qui se redressent '.
' Allitudcs principales des pro\inces Ballir)ues:
Mimiiii Maiigi (Livonii'1 523 inotrcs.
Gaising-Kuln » . 502
Teufcisbcrg ou « Montagne du Diable » (Livoiiii!) . . 257 »
Emmo-Maggi (Elislonie) l;>i »
Sommet de la « Suisse » couilandaise 131 ■>
Domesberg (Couilande) ^7 »
- Schmidt, Bulletin de l'Académie des sciences de Saint-Pélershouifi , lomc VIII, 1805.
' Sluckenberg, Hydrographie des Ilussisclien Reichc.i.
^ V. Bacr und v. Ilelnieisen, Beilriuje zur Kcnntniss dcr Uusxim-hcn Ileiclics, vu! IV.
ElISTONIE, DINA.
501
Toutefois, si l'Ehslonie ot les îles voisines s'élèvent graduellement
hors des eaux de la Baltique, ainsi que l'affirment les indigènes, ce
mouvement est beaucoup plus faible que celui des rivages suédois du
ijolfe de Botnie : c'est là que s'arrête la vague dont la crête est en
Scandinavie, dans le
voisinage du cercle })o-
COIXnîES PARALLELES DE DORPAT.
Les provinces Balti-
ques appartiennent à
plusieurs bassins flu-
viaux. Au nord-est les
eaux d'écoulement des-
cendent vers le grand
lac Peipous et par la
Narova s'épanchent dans
le golfe de Finlande.
Ouelques ruisseaux, nés
sur le versant septen-
trional de l'Ehstonie,
coulent aussi directe-
ment dans ce golfe. .\
l'ouest, la Pernau, l'.Va
de Livonie, la Diina,
r.\a de Courlande en-
trent dans le golfe de
Riga, tandis que la AVin-
dau et d'autres cours
d'eau moins importants
se jettent dans la Bal- '-
lique. De toutes ces ri-
vières, une seule, la Dûna (la Daugava des Leltes, la Zapadnaya Dvina ou
Dvina occidentale des Russes), roule une masse liquide considérable, que
l'on peut évaluei- à 500 mètres cubes par seconde, car le bassin de ce
cours d'eau com|)rend une superficie d'environ 78 000 kilomètres carrés, et
la hauteur annuelle des pluies y est approximativement de ÔOO raillimè-
k^iiMi
.• t K='£^-^^'-
* Von Baor, Bullclin de l'Académie des sciences de SaiiU-Pélerslioury, loiiie M, 18C3.
iG
562 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
1res. Formée des ruisseaux qui descendent des vallées occidentales et méri-
dionales du plateau de Valdaï, la Dûna commence par couler au sud-ouest,
puis, en aval de Vitebsk, elle prend la direction de l'ouest et du nord-ouest.
En maints endroits, ses rives, basses et marécageuses, ont gardé les traces
d'anciens lits : le fleuve s'est promené çà et là dans les campagnes à la
recherche de la pente la plus favorable. D'après le relief actuel du sol,
la Dûna aurait dû tout naturellement continuer sa marche vers le sud
et serait devenue l'affluent du Dnepr; mais les oscillations de niveau ou
les érosions rpii se sont jiroduites pendant le cours des âges lui ont permis
de s'ouvrir un lit entre les plateaux siluriens de la Livonie et de la Cour-
lande et de se déverser ainsi dans la Baltique. Les rapides du fleuve dans
toute la région rocheuse forment un sérieux obstacle <à la navigation; sur
une longueur d(^ 141 kilomètres, la chute totale est de 55 mètres seule-
ment; mais cette pente est fort inégale, et sur plusieurs écucils ont eu lieu
des naufrages.
En aval de Riga, le fleuve se ramifie en divers bras serpentant dans
un ancien bassin lacustre, séparé jadis de la mer par un cordon de
dunes que Ton a vainement essayé de fixer : petite Dûna, Dûna rouge,
vieille Dûna et d'autres noms rappellent les divagations du fleuve, el di-
verses constructions, forts, moulins, digues, apparaissent sur les cartes,
tantôt au nord, tantôt au sud du bras que suivent les navires'. Ce cordon
a été rom|)u, mais il s'en est formé un second, que les eaux ont dû
percer également, et c'est entre les deux chaînes de monticules sableux
que l'Aa de Courlande, connue dans sa partie inférieure sous le nom
de Bolder-Aa, vient rejoindre la Dûna. Arrivée près de la mer, à Scblock,
r.Va n'a pu s'ouvrir un chemin à travers les amas de sable que les vents
et les vagues ont accumulés devant son embouchure ; elle a dû se re-
jeter à l'est et couler parallèlement à la mer, sur plus de 20 kilo-
mètres de distance, jusqu'à sa rencontre avec la Dûna. Mais ce n'est
là qu'un phénomène temporaire dans la vie du fleuve. Autrefois, l'Aa
coulait, non entre les deux cordons de dunes, mais au sud de la chaîne
la plus méridionale, et un long étang sans profondeur, ou plutôt
un marécage empli de joncs, indique le lit de l'ancienne rivière. A l'ouest
de Scblock, des coulées el plusieurs petits lacs montrent que les eaux
avaient jadis pris leur chemin dans celle direction, précisément opposée
à celle qu'elles suivent de nos jours. Enfin, à 0 kilomètres environ de la
bouche de la Dûna, l'Aa s'esl ouvert une embouchure jiropre dans le
' Sliickcnbori;, Ihjdioyrnphic des Russischen Iteiches.
BOUCHE DE LA DÛNA, VALLÉE DE L'EMBACH.
365
cordon littoral, cl tôt ou tard elle peut cesser d'être un affluent du flouv(!
de Riga. Quant à l'Aa de Livonie, l'examen du sol révèle une histoire
analogue. A peine sortie de la « Suisse de Wenden », dont elle a proloti-
dément entaillé les terrains par un défilé aux brusques parois, cette rivière
entre dans les plaines basses et, se repliant au nord-ouest, va se jeter dans
le golfe de Riga par une embouchure indépendante ; mais les finisses
rivières en forme de croissants et les lacs en colliers, communiquant encore
\» -,C. — IlELTA CIlANCEiNT DE LA IliNA ET DES AA
[ d. C S3 ao
OeOà PSmetr. cfe 25 au-dc/a,
I ! 800000
partiellement avec la lliina, témoignent (pie l'Aa de Livonie rejoignait
aussi le fleuve principal de la contrée.
La Livonie du nord offre un autre exemple remarquable d'un change-
ment dans le cours des eaux. Au centre de la dépression qui limite au sud
le plateau peu élevé et les coteaux de l'Ehstonie s'étend le Yirz-jiirv ou
« Lac Rlanc », najtpe d'eau couvrant un espace d'environ 27.*i kilomètres
carrés. Une vallée s'ouvre à l'angle nord-oriciilai de ce bassin lacushv, celh;
par où s'échappe la rivière Knibach, l'un des jirituijiaux affluents du Pei-
pous et, par ce lac, de la Narova ; mais à l'angle noid-occidenlal du Virz-jiii v
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
commence une autre vallée, qui continue distinctement à l'ouest celle de
TEmbach et qui va rejoindre la dépression dans laquelle coule maintenant
la rivière Fellin. tributaire du iiolle de Riga par la Pernau. Une ligne
d'eau ciiiilinne séparait autreibis l'Elistouie du tronc contiiienlal ; mais par
reilct (lu soulèvcmenl des terrains, la communication par eau se trouve
iulerr()ni|ine entre le golfe de Uiga et le Virz-jiirv, élevé actuellement de
."i nièlres au-dessus du niveau de la mer. 11 fut sans doute un temps où
rKlislonie était ime île comme celle d'tisel, de Dago, de Worms, de Miion,
EllSTOME ET SES HABITANTS. 567
groupées en archipel entre le golfe de Riga et la mer Baltique proprement
dite. Par leurs contours et leur relief, aussi bien que par la nature de
leurs roches, ces îles et l'Esthonie sont évidemment une même terre : la
région continentale est restée presque insulaire par les vallées profondes
qui la découpent, et les îles ne sont que le prolongement déchiqueté du
continent.
On donne parfois aux provinces Baltiques de l'empire russe le nom de
provinces « Allemandes », mais bien à tort, car dans cette contrée la
masse de la population n'est aucunenieiit germanique, et comme aux pr(>-
miers jours de l'invasion, les Allemands sont restés ce qu'ils étaient il y a
sept cents ans, des étrangers. Le pays appartient toujours aux Ehstes et
aux Lettes par le droit du nombre.
Les Ehstes — car telle est la forme régulière du nom que l'on a donné
aux habitants du pays — sont un peuple frère des Finnois qui vivent au
nord du golfe de Finlande : ce sont des Suomi, par l'origine aussi bien
que par la langue, comme les populations de la « contrée des lacs et du
granit ». Leur nom se rencontre dans un grand nombre de documenta
anciens, de Tacite et de Ptolémce à Jordanès et aux sagas Scandinaves,
sous les diverses formes d'Ostiones, Aesthieri, Istes, Aistones'; les Lettc^
les appellent Igaunas ou « Expulsés », mais eux-mêmes se disent Tallo-
pocg, « Fils de la Terre », ou bien Marahvas. « Gens du Pays », et ils
sont en effet assez nombreux pour se croire la jxipulation par excellence
dans un vaste territoire. L'espace qu'ils occupent dépasse do beaucou[i
les frontières de la province qui de leur nom s'a])pelle Elislonie; ils sont
même en masses plus compactes dans la l.ivonie du nord iiue dans la
province septentrionale, et par delà le Peipous, jusqu'au sud (hi lac de
Pskov, ils ont des colonies dans les gouvernements limitrophes, Saint-
Pétersbourg, Pskov, Yitebsk. En 1870, on évaluait le nombre total des
Ehstes à j)rès de huit cent mille*. Quelques-uns de leurs groupes sont
complètement séparés du corps de la nation. C'est ainsi qu'au sud du
massif dominé par la montagne du Diable vivent (paelques centaines de
familles rl'Ehstes, formant ensemble environ 2tltHl personnes, les unes
groupées dans les villages, les autres éparses en des fermes isolées. Décoii-
' Richlcr, Gcsclncliie (1er Bahmlien Prnviiizen.
» Gouvem. d'Ehslonic 500 000 1 Goiivern. de Vitclisk 12 000
» de Livonii!. . .... iOOOOO | » de S^iint-IVleishoiiif;. . lOOOU
Gouvcrncmcnl de Pskov . 10 000
568 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
verts, pour ainsi dire, par Sjôgrcn en 1841, ces immis^rants ont été étu-
l'iés depuis cette époque par d'autres philologues, et leur dialecte a été
reconnu comme très rapproché de celui des Ehstes du nord; cependant les
uns et les autres se comprennent difficilement, ce qui provient de nom-
breuses expressions lettes qui se sont glissées dans la langue des Ehstes
de Livonie '.
Dans leur ensemble, et sans tenir compte des différences considérables
de type qui se présentent çà et là, les Ehstes ressemblent beaucoup aux
Tavastes finlandais, et l'on admet généralement qu'ils appartiennent à la
même branche de la grande souche finnoise^; cependant les annales russes
les appellent Tchoud, comme les habitants du versant de l'océan Boréal.
Plusieurs ont la figure plate, les paupières bridées, la physionomie gé-
nérale un peu mongole, et, comme chez les Finlandais, les yeux sont
bleus, les cheveux d'un blond pâle, souvent jaunâtre. On dit que, dans
l'intérieur du pays, les hommes, jadis très durement asservis par les sei-
gneurs et mal récompensés de leurs labeurs par un sol ingrat, sont plus
petits, plus maigres, plus chétifs que leurs compatriotes du littoral". Dans
leurs luttes séculaires contre les envahisseurs danois et allemands, connus
dans la contrée sous le nom de Saksad ou de « Saxons », les Ehstes ont
l'ait preuve d'une singulière force de résistance, et des batailles acharnées
ont ensanglanté leurs champs. Toutefois, en prenant possession de la terre
finnoise, les races germaniques apportaient aussi aux indigènes la con-
naissance d'une civilisation plus avancée. A en juger par leur vocabulaire,
les Ehstes étaient encore presque barbares à l'époque où ils se trouvèrent
pour la première fois en relation avec leurs voisins tudesques et slaves, car
les noms de presque tous leurs animaux domestiques et de la plupart de
leurs instruments de travail sont d'origine étrangère : ils ne connaissaient
«pie le chien, le cheval, le bœuf, et leur seule céréale était l'orge; leurs
demeures étaient des tentes de peaux comme celles des Samoyèdes*; mais
vers le onzième siècle, à l'époque où l'histoire les distingue nettement, ils
bâtissaient des maisons et des forteresses en bois, et, redoutables pirates,
ils savaient se construire des embarcations de guerre' ; mais celte culture
première dépérit bientôt, puisqu'elle est suivie du servage. Jusqu'à
présent les Ehstes ont gardé plusieurs de leurs usages primitifs, surtout
' Wiodi'iiLiiin, BuUelin de l'Académie des sciences de Sainl-Pélersbouni, 1801).
- Giislaf Rctzius, Finska Kranier.
^ Taille moyenne des Ehstes, d'iiprès Giubc : l",lîi2; index moyen du ciàne. 77.20, d'après
Gi'ubc; 80. iO, d'.nprès Broca.
' Alilf|visl, Aiisland, 1871, n" 51; — G. Ihia^s Uallisclie Slwlie'i.
^ liiclilcr, ouviaae cité.
EIISTES, LIVES. 5C9
pour les cérémonies du mariage : la fiancée se cache à l'arrivée du cortège
nuptial et c'est de force qu'on l'amène à son futur; à peine entrée dans la
maison du mari, elle reçoit de sa belle-mère un coup au visage, symbole
de ce qui l'attend dans sa nouvelle famille'.
Naguère, lorsque des Elistes s'élevaient par leur intelligence ou par une
heureuse fortune dans la classe de la bourgeoisie ou de la noblesse, ils
devenaient par cela même Allemands : en changeant de position sociale,
ils changeaient tout naturellement de nationalité, tant il restait convenu
pour tous que l'Ehste était voué à la servitude : il fut un temps où le
nom de Dcittsch était synonyme de seigneur ou d'homme libre et où les
serfs, de quelque race qu'ils fussent, étaient nommés Uii-Deutsclicn\ Il
n'en est plus ainsi depuis que la langue des Ehstes est, comme celle des
Finlandais, devenue un idiome littéraire et qu'il n'y a plus déshonneur
à la parler. Très rapprochés des Tavastes par l'aspect physique, les
habitants de l'Ehstonie ressemblent aussi à ces Finlandais du nord par
leur grand amour pour la poésie, par leurs improvisations, leurs chants
continuels, même pendant le travail. Leur langue sonore, très riche en
voyelles et en diphtongues harmonieuses, mais pauvre en consonnes, se
prête parfaitement à la poésie, et dans maint village écarté on peut encore
entendre des chants héroïques célébrant la gloire des aïeux. C'est ainsi que
M. Kreutzwald a pu recueillir les fragments dont il a composé le Kalevi-
poëg, « Fils de Kalevi » ; mais cette « épopée » ne comprend que de sim-
ples traditions mises en vers modernes ; elle n'est pas même, comme le
Kah'vala karélien, un recueil de chants originaux'. Maintenant de six à
huit journaux paraissent à Revel, Dorpat, Saint-Pétersbourg, et les écri-
vains de la « jeune Ehstonie » discutent dans leur langue les questions
sociales et politiques. En même temps, le mouvement ehstonien se rap-
proche de celui de la Finlande, pays dans lequel plusieurs documents
de la langue et de la poésie populaire ehstonienne trouvent des éditeurs'.
C'est le commencement du < pnn-liniiisme ».
Le peuple qui donna son nom à la Livonie a presque cessé d'exister, et
dans cette province mènu^ il n'en reste plus guère de traces. Au douzième
siècle, les conquérants aiicniands Irouvèreiit les Lives sur les deux li(ir<ls
' Les peuples de la Russie (en russe).
* Bailli, Allas cllinoiiraphiquc, Inlnidiiclioii, xwi.
" Schii'fnir, Iliillrlin <k l'Académie des sciences de Sainl-Pélershourq. tome II.
* Ucbcrsictd der Lilteralur Finlunds, 1S72 à 1874; — Hussische /{ci'hc, 1873.
"• il
570 NOUVELLE CÉ0G1!.\PU!E UNIVEllSELLE.
de la Dùna,clles noms géographiques nous permettent de reconnaître leur
séjour, de la mer jusqu'à Sehej, dans le gouvernement de Vitebsk'. En
1840, c'est à peine si l'on a pu, en interrogeant les souvenirs de quelques
vieillards, recueillir assez de mots et de phrases pour rédiger un diction-
naiie et une grammaire : de cette manière le dialecte livonien, de souche
finnoise comme l'ehste, a été sauvé pour la science. Les seuls Lives qui
vivent encore en groupe national habitent quelques forêts du littoral, non
en Livonie, mais en Courlande, dans la péninsule que termine au nord le
Dûmesnœs : ce reste d'une nationalité près de s'éteindre se compose d'en-
viron deux raille quatre cents personnes, classées comme des Ehstes sur la
carte ethnographique de Riltich. Eux-mêmes s'appellent Randalist. G'esT;
au nombre des Lettons qu'il faudra bientôt les ranger, car leur idiome est
tellement mélangé d'expressions et de tournures leltes qu'il n'est plus guère
qu'un jargon; d'aulre part, la langue lettonne montre en Livonie les traces
d'un mélange avec l'élément iînno-livonien".
Dans la même province de Courlande, un autre dialecte finnois, le kré-
vine, que parlaient quelques milliers d'individus près de Bauske, au sud
de Mitau, a complètement disparu depuis le commencement du siècle, et
celui-là n'est pas même représenté dans la science par un glossaire com-
plet. En 1846, le linguiste Sjôgren ne trouva qu'une dizaine de Krévines
ayant conservé un vague souvenir de la langue des ancêtres. Le même sort
a frappé le peuple des Coures ou Courons, — Kors des annales russes,
Kuren des Allemands, — qui a donné son nom à la Courlande, à la
Kurische Nehrung et au Kurische Ilaff. On croit qu'ils étaient d'origine
finnoise; mais au douzième siècle déjà ils étaient « lettisés », comme le
sont les descendants de presque tous les Lives \ Il existe encore un certain
nombre de familles entre Goldingen et Uasenpoth, au nord-est de Libau,
qui se disent issues des « rois Coures ». Ces « rois », mentionnés pour
la première fois en 1520, étaient des paysans libres, n'ayant point à
fournir de corvées, affranchis d'impôts et du service militaire ; ils avaient
aussi le droit de chasse : l'opinion générale est qu'ils descendaient de
chefs coures qui s'étaient soumis volontairement aux Allemands. Ils
perdirent leurs privilèges en 1854; mais en 1805 on en comptait en-
core plus de quatre cents dans sept villages. Ils ne se mariaient qu'en-
tre eux.
Les Lottes ou Lotions, (pii ont déplacé les Livoniens finnois, sont des
' Barsnv, Ci'oijraphie liistoiiquc (en russe].
' Uillich, Les Piuvinccs Balliques (en russe).
* Riclilcr, ouvrage tilo.
LIVES, LETTONS. ÔTt
Aryens de langage, frères des Lithuaniens et des anciens Dorasses ou Prus-
siens, fondus maintenant avec les Germains de l'Europe centrale. Ils se
donnent à eux-mêmes le nom de Latvis, c'est-à-dire de Lithuaniens, et leur
ancien nom russe, Lefgola, qui est évidemment le même mot que Latwin-
Galas, signifie « Fin de la Lithnanie ». Leur tribu la plus pure et jadis la
plus guerrière, qui peuple la partie orientale de la Courlande, est colle des
Semigaliens ou Jeme-Galas, c'est-à-dire Gens de la « Fin de la Terre ».
Ils occupent un très vaste territoire, la partie méridionale de la Livonie,
liresque toute la Courlande, la rive droite de la Diina, en aval de Drissa,
dans le gouvernement de Yitebsk, et une petite partie de la province de
Kovno : M. Jordan les évalue à onze cent mille', et leur nomlire s'accroît
rapidement par l'excédent des naissances. Agriculteurs sédentaires, les
Lettons vivent pour la plupart en des demeures isolées : on ne rencontre
encore dans leur pays que peu de villages compacts comme en Ehstonie.
D'abord alliés des Allemands contre les Ehstes et les Lives, avec lesquels
ils étaient en guerre, ils se retournèrent ensuite, mais trop tard, contre les
chevaliers Porte-glaives et durent partager la servitude de leurs voisins. Mais
ils se réveillent, et leur langue, jadis peu développée malgré sa beauté et
ne possédant qu'une bien faible littérature, est appréciée de plus en plus
par ceux qui la parlent et qui naguère n'en connaissaient pas le rang élevé
dans la famille des langues aryennes : d'après Schleicher, elle est au
lithuanien, l'idiome européen le plus rapproché du sanscrit, ce que l'ita-
lien est à la langue latine. Les premiers travaux sérieux de traduction
datent de la Réformation, et même le zèle protestant poussa quelques Alle-
mands, Einborn par exemple, à l'étude des croyances et de l'histoire des
indigènes mi'prisés. La première grammaire scicntifif|ue lefle, celle de
Slender, le « père de la littérature lelloniie », parut à la lin du siècle der-
nier. En 1876, le nombre des journaux Jettes était de cinq, ayant en-
semble près de vingt mille abonnés. La littérature traduite est assez riche
et comprend déjà les œuvres de Schiller, de Shakespeare et d'autres grands
écrivains étrangers. Enfin, au dix-neuvième siècle, on s'est efforcé dans
les provinces Balliques, comme en Finlande, de découvrir le trésor des
poésies populaires : déjà llerder en avait recueilli quelques-unes dans ses
« Voix th's j)euples ». La première collection importante de poésies let-
tonnes est celle de Bûlner, publiée en 18i4 par la Société littéraire lelte;
■ mais, « par l'gard pour le public allemand, » tous les chants qui ténini-
' Livonio AlOmUlI.cllims. | Vilcl)>l< 200 000 Leilnns.
Courlande 400 OUO » | Kovno 13000 •
570 iNOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
giiaienl do la haine du peuple letton pour ses maîtres furent écartés
j)ar l'éditeur, et l'on put croire que la poésie lettonne était purement
idvUique'. Depuis le milieu du siècle, les patriotes lettes eux-mêmes se
siint mis à l'œuvre, et l'on peut voir maintenant quels étaient les senti-
ments et la pensée du peuple pendant les temps du long servage : un des
recueils les plus complets des chants lettes a été publié par la Société an-
thropologique de Moscou.
Le trait qui frappe le plus dans les chansons lettes intimes est leur
caractère primitif. Jusqu'à maintenant l'influence de la culture chrétienne
allemande est restée très faible sur ce peuple, qui conservait encore des
autels païens au dix-huitième siècle, même jusqu'en 1855'. Ils ont gardé
dans leurs chants le nom dos anciens dieux : Perkounas ou le Tonnerre,
Laïmé ou la Fortune, Liga, la déesse do la Jouissance. Le mariage, tel
qu'ils lo racontent dans leurs chansons, a toujours la forme d'un enlève-
mont ; les parents du fiancé sont appelés les « enleveurs », et ceux de la
fiancée les « poursuivants » : on peut môme l'etrouver dans ces poésies les
traces de l'époque où des jeunes gens lettons vivant à l'écart préféraient
le mariage avec une sœur au dangereux enlèvement d'un fille étrangère".
Les grands chants épiques manquent aux Lottes : mais on voit aussi dans
les simples quatrains de leurs chansons ou dziasmes les traces d'une
période guerrière et même Aictorieuse, pendant laquelle ils « brûlèrent les
châteaux des Russes », « défendirent aux Polonais l'entrée du pays j) ou
« rencontrèrent l'ennemi au milieu de la mer » ; toutefois leurs relations
avec l'Allemand ou le Russe ne sont racontées d'ordinaire que par des
paroles de haine ou de désespoir. « 0 Riga, Riga, tu es bien belle, bien
belle! Mais qui t'a faite si belle? C'est l'esclavage des Livoniens. » —
« Oh! si j'avais cet argent qui dort au fond de la mer, j'aurais acheté le
château de Riga avec tous les Allemands, et je les aurais traités comme
ils m'ont traité; je les aurais fait danser sur des pierres chauffées. » Tou-
tefois le découragement domino : « Oh, mon Dieu! où me sauverais-je ?
Les forêts sont pleines do loups et d'ours; les champs sont pleins de sei-
gneurs. Oh, mon Dieu! punis mon père, punis ma mère qui m'ont élevé
dans ce pays asservi ! » Kt pourtant que de fraîcheur, de tendresse et
d'amour on voit dans la plupart des chansons lettonnes, et quelle pensée
profonde est oxpi'imée dans la dziasma suivante, qui devrait devenir vraie
pour toutes les provinces Raltiqucs et pour le monde entier : « Je ne veux
' J. G. Kiilil, Die YOtker Europas; — L;inkon;ui imj von dcr Oelsiiilz. Dus Ritssisclie Reich.
- Ilillicli, Les Pioiinces BiiUiqucs (en russe)
' llocucil de la Sociolii d'anlliiopologie do Moscou, II, n°' Z'tb, 347, 048.
POPULATIONS DES PROVINCES lîALTIQUES. 575
pas qu'on m'exalte, je ne veux pas fpi'ou m'abaisse, je veux seulement
vivre égal parmi des hommes égaux. »
Les Suédois, qui furent les dominateurs de la Finlande, mirent égale-
ment le pied sur la rive opposée du golfe, en Ehstonie et en Livonie.
Sur les côtes de cette dernière province, près du golfe de Riga, on a trouvé
plusieurs de ces assemblages de pierres, en forme de bordage de navire,
qui sont des monuments tout spécialement Scandinaves ' : la construction
en est attribuée ;i des immigrants scaniens ou normands des premiers
temps du moyen âge, antérieurs même aux conquérants danois qui s'em-
parèrent de l'Ehstonie au commencement du treizième siècle. D'ailleurs
ne voit-on pas dans les provinces Baltiques des tombeaux en tout sem-
blables à ceux de la Scandinavie, et plusieurs noms de lieux, notamment
ceux des îles, Dagô, Worms, Odensholm, >'uck6, Mogô, Kùhnô, Runô, ne
rappellent-ils pas le séjour des immigrants de l'ouest? Ils arrivèrent bien
plus nombreux encore lorsque l'Ehstonie, au milieu du seizième siècle,
puis la Livonie au dix-septième siècle, furent devenues pour un temps partie
intégrante de la monarchie suédoise. De nos jours, les immigrants Scandi-
naves, auxquels nul colon de la mère-patrie ne vient plus se joindre désor-
mais, sont réduits à quelques milliers d'individus à Dagô et en d'autres
îles de l'archipel ehslonien^ : ils se donnent à eux-mêmes le nom d'Eibo-
folket ou de « Gens insulaires ». Dans Runô ils restèrent libres, tous égaux
et possesseurs du sol et de la mer.
Les éléments slaves sont beaucoup plus fortement représentés que l'élé-
ment Scandinave dans les provinces Baltiques. Des milliers de Polonais
s'établirent dans le pays, surtout en Courlande, lorsqu'elle fut incorporée
dans leur Etat (15G1-1795). D'après les statistiques, on compterait encore
plus de 13000 Polonais dans les trois provinces; mais, en outre, un grand
nombre de nobles, surtout dans la Courlande, portent des noms polonais,
quoiqu'ils soient maintenant rangés parmi les Allemands, dont ils parlent
la langue. Ouanl aux Russes, ils avaient commencé leurs invasions dans les
contrées Balti(pies dès la première moitié du onzième siècle et y avaient
fondé Youryev (Dorpat) et d'autres villes. La conijuête allemande arrêta la
colonisation militaire des Russes, mais elle développa leur commerce dans
le pays. Au dix-septième et au dix-huitième siècle, les persécutions reli-
gieuses poussèrent dans les provinces Baltiques beaucoup de raskolniks de
Moscovie; un seul faubourg de Riga en compte 8000, et dans tout le pays
' Grcvinfîk; — Wors.iac, Cotonisnlion de la Russie et du nord Scandinaie.
' Suédois des provinces Balliqucs, en 1870, d'après Rillich :
Livonie, 50G; Elislonie, 5575. Ensemble, 5'Jll individus.
574 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
ils sont au nombre de plus de '20 000. C'est environ le tiers de tous les
Russes de la contrée, réunis pour la plupart dans les villes, notamment
à Riga. Outre les Russes, environ 80 000 Ehstes et 50 000 Lettons pro-
fessent la religion orthodoxe grecque. C'est principalement depuis la
grande famine de 1840 à 1841 que s'est opéré le mouvement de conver-
sion ; les paysans espéraient qu'il Icuir suffirait de partager « la religion du
Izar » pour récupérer les terres enlevées par les nobles allemands. Dans les
seules années 1845 et 1840, soixante mille paysans se convertirent'; mais,
leur sort n'en ayant point été changé, le zèle se refroidit; même un cer-
tain mouvement en sens inverse se produisit; les Lettons qui i-eçurenl
des terres pour prix de leur conversion durent se rendre dans le gou-
vernement de Simbirsk, où ils vivent comme en exil. Dans ces derniers
temps, le changement d'un culte à l'autre, encouragé par les slavophiles, a
repris une grande activité : on a vu des villages entiers passer d'un jour
à l'autre de la religion luthérienne au culte orthodoxe russe.
Les Allemands ont été pendant longtemps les dominateurs politiques,
et même quand ils ont cessé d'être les maîtres par la force du glaive,
ils le sont restés par celle de l'argent, car ce sont eux qui détiennent les
terres et les places. En 1159, lorsqu'ils se présentèrent pour la première
fois aux bouches de la Biina, ce fut en naufragés suppliants : bien accueillis,
ils revinrent comme marchands, puis comme convertisseurs et s'impo-
sèrent comme maîtres. Les châteaux forts, les couvents fortifiés des moines
chevaliers s'élevèrent sur les collines, sur les berges escarpées des rivières,
de manière à dominer complètement la contrée; en même temps, des villes
de commerce se fondaient aux endroits favorables, et tout le trafic, des
bords de la mer aux régions de la Russie centrale, passa par l'intermédiaire
des colons germaniques. Ainsi se formèrent, au-dessus des populations
indigènes asservies, les deux classes presque exclusivement germaniques
de la noblesse et de la bourgeoisie, composée des marchands et des « ci-
toyens honoraires », et maintenant encore, après sept cents années, ces
deux classes, au-dessous desquelles les simples bourgeois forment la classe
intermédiaire, ont conservé leur pouvoir*. Elles ont fait bâtir les villes,
construire les roules; elles ont converti officiellement les Lettons et les
' lliisch. Beitriifie zw Gcscliichte uml Sliitistik des Kiiclicn- u»d Schulwesciis dcr £('. Lulli. Gc-
meinden in lUissland.
' Classes (les provinces Bultiiiues :
Nobles IHI',1
Maivhandî» et i-ilnyeiis lionoiaires . .7 dllO
Bourgeois li;>2'.to
POPULATIONS DES PROVINCES BALTiniES. 575
Ehstes d'abord à la religion catholique, puis à la réforme prolestante;
elles ont prélevé les dîmes et les impôts, mais elles n'ont aucunement
germanisé le peuple, ainsi que des écrivains allemands l'ont prétendu,
et leur nombre, suivant les statisiiciens de diverses nationalités, ne s'élève
pas même au douzième des habitants; il n'est probablement que du
(juinzième ou du seizième et diminue d'année en année, la fécondité des
familles bourgeoises étant moindre que celle des habitants de la campagne.
L'écart entre les statistiques provient sans doute de ce que les Juifs, au
nombre de plus de 40 000, sont comptés fréquemment parmi les Ger-
mains'. Les riches citadins parlent allemand, tandis que le paysan, l'ou-
vrier, l'artisan même se servent encore de leurs anciens idiomes. Les pro-
létaires allemands des villes, les « Klciiideutschcn », sont considérés comme
au-dessous des indigènes par leurs propres compatriotes.
A la période de « germanisation » a succédé la période de la « russi-
fication », expression déjà employée", il y a plus d'un siècle, par Cathe-
rine II. En 1S55, le code civil russe fut introduit, et eu 1850, puis en
1807, l'emploi de la langue russe dans la correspondance officielle fut
ordonné. En 1877, l'administration des municipalités est enlevée aux
corporations allemandes privilégiées et l'élection des conseils municipaux
confiée à tous les habitants remplissant certaines conditions de cens ou
d'instruction; la correspondance de ces municipalités se fait encore « jus-
qu'à nouvel ordre » en allemand, et cette langue garde certains privilèges
sur les <■< dialectes locaux » ; mais c'est par le russe qu'elle doit être rem-
placée avecle temps. Dans les écoles primaires, que fréquentent tous les
Ehstes de religion luthérienne et la plupart de ceux qui appartiennent à
d'autres cultes, l'enseignement se donne toujours dans les dialectes indi-
gènes, tandis que l'allemand reste la langue des études secondaires
et supérieures. Mais le gouvernement s'occuj)e des mesures prélimi-
naires pour la « russification des écoles », et dans les établissements où se
préparent les professeurs, la langue dominante est le russe. Le service
militaire ne peut être abrégé que pour les soldats parlant la langue de
leurs officiers slaves.
' Allemands dos provinces I!;dti(|iies :
Ehstonie 1 1 700 d'après Bnekh ; 12 1 50 d'après Rillich.
Livonie 0">r.l)0 •• ■■ (il liill .•
Couriandc 77 100 n ,. 441.")0 »
Ensemble 15.J 100 » « 120 .420 i> »
' Solovyov, llisloire de la Kussic (en russe), vol. XWI.
576 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Le sort des indigènes fnt des plus misérables pendant toute la période
de la domination germanique. L'amputation de la jambe était devenue
la peine légale du serf qui s'enfuyait de chez son maître', et de nos jours
encore la mère ehstonienne menace son enfant de la venue de l'Alle-
mand : « Le Saxon vient! » (Saks tuhh). La mère lettonne annonce de la
même manière la venue du Vahzecli-, et ce nom, qui signifie Allemand, est
pour un Letton l'insulte la plus grossière. Sous le régime suédois, la con-
dition des serfs s'améliora quelque peu ; grâce à la diminution et au règle-
ment des corvées, elle commença de se rapprocher de celle des paysans de
la péninsule Scandinave, et le peuple letton garde jusqu'à maintenant le
meilleur souvenir de cette époque; mais après l'expulsion des Suédois
par les Russes, lorsque la domination des seigneurs allemands eut été réta-
blie et confirmée par les chartes des empereurs, la plus grande partie des
terres des paysans furent confisquées. Le servage dura jusqu'en 1816 et
1819 : à cette époque l'émancipation se fit dans les trois provinces,
mais sans donner aux cultivateurs le moindre droit sur la terre et en
maintenant aux propriétaires la magistrature localer Depuis d856 on eut
recours à quelques mesures palliatives : la jouissance de certaines terres
fut assurée aux paysans, quoique le droit de propriété restât aux seigneurs,
et l'on promulgua quelques règlements permettant le rachat de fermes
par les cultivateurs, après entente avec les propriétaires. Mais si une cer-
taine proiiortion des « paysans » proprement dits, les Bauern, ont pu
s'émanciper^, les Knechlen ou « valets », qui formaient au commencement
du siècle les neuf dixièmes* de la population agricole, et les trois quarts
aujourd'hui, restent dans une situation lamentable; nombre de paysans,
poussés par la faim, émigrent vers la Russie intérieure, même jusqu'en Cri-
mée et au Caucase. Plus d'un quart des cultivateurs de la Courlande errent
de domaine en domaine : ils n'ont point de sol auquel ils soient attachés
comme fermiers ou possesseui'S. L'agriculture des provinces Balliipies est
' Némoires de la Société hisloriqu? de Moscou, 180G.
' J. G. Kohi, ouvrage ci lé.
' Rùparlilion de la propriété foncière dans les trois provinces :
Co\irl:inilo. l.ivnnio. Eh^tonie.
Paysans de la couronne . . I5.8( , 7 1 ,. , ,^,^ 0.'J| ,
» de la noblesse . . i-oj ' 8.2) ' 0.8( "^
Nobles 01.9 » 08. (i » >.C2.8 »
Couronne 15. C » ti.4 » 0.2 »
Villes et autres 2.4 » l'J.s ,, 0 »
Yanson, Statistique comparée de la Russie, 1877 (on russe).
* Sicvers, Recueil de matériaiLT pour lliistoire des provinces Baltiques.
REVEL. 577
beaucoup plus développée que celle de la Russie propre; cependant les
habitants s'enfuient pour aller s'établir dans les provinces au sol aride,
comme Novgorod ou Vitebsk. En aucune partie de l'empire le paysan n'a
une moindre part à la propriété', revendiquée maintenant par la «jeune
Ehstonie » pour les anciens possesseurs du sol.
Les trois provinces Baltiques n'ont pas encore assez d'habitants dans
leurs cam])agnes pour qu'il ait pu se fonder, à l'intérieur du pays, un
grand nombre de marchés oii la population s'accumule de manière à
former de véritables villes. Les agglomérations considérables n'ont pu
naître que sur la côte, en des endroits exceptionnellement bien situés pour
les échanges avec l'étranger.
Revel, — le Kol'ivan des anciens Russes, — la capitale de l'Ehstonie,
est une de ces villes privilégiées par leur situation commerciale. L'une
des plus anciennes cités de l'empire russe, car elle existait déjà lorsque
Waldemar II, roi de Danemark, y bâtit un château fort en l'année 1219,
elle s'élève au bord d'une baie profonde et abritée par des îles ; en
outre, elle a l'avantage de se trouver non loin de l'angle nord-occidental
de l'Ehstonie entre la Baltique et le golfe de Finlande, et grâce à cette po-
sition elle est le point de départ et d'arrivée naturel de plusieurs routes
maritimes. Elle fut l'une des premières parmi les cités hanséatiques de la
« mer Orientale ». Pendant l'époque de la domination suédoise, Revel, que
les Scandinaves appellent Reval, était à la fois leur cité de guerre et de
commerce ; c'est là qu'était leur citadelle la plus puissante et que les
marchandises affluaient vers leurs entrepôts. Maintenant elle est le plus
utile des ports avancés que la capitale de la Russie possède sur la Bal-
tique : grâce au chemin de fer qui longe la rive méridionale du golfe,
Pctersbourg peut importer pendant une partie de l'hiver beaucoup de mar-
chandises que les glaces arrêteraient à l'ouest de Kronstadt ; les navires
les débarquent à Revel ou à son annexe douanière et militaire, Baltisch-
Port ou Balliskiy-Port, havre plus occidental, baigné par une mer plus
ouverte et plus longtemps libre de glaçons. Ce rôle de Revel comme avanl-
' Élcndue moyenne des propricics de nobles :
Courlande 3935 heclares.
Livonie. . 5853 if
Ehstonie. . . 3398 "
Minsk . , ioT-i >
Vasillcliikov, La proptUlé foncière {en russe)
V. 48
Kiycv 1097 heclares.
Smolcnsk 528 "
Razan 209 »
578
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
port (le Pétersboiirg est la raison de la différence considérable qui existe
entre la valeur des importations et celle des exportations de la ville ehsto-
nieniie'. Revel, le quatrième port de l'empire par la valeur de ses échanges,
doit aussi une part de son activité commerciale à la situation qu'elle occupe
précisément en face de Ilelsingfors, la capitale de la Finlande. La ville, fort
pittoresque, encore partiellement entourée de murs et défendue, au sud,
par des marais et des lacs, possède quelques monuments de l'époque han-
séatique, notamment les hôtels des corporations ouvrières; elle est dominée
par un château et par une cathédrale où les Suédois visitent les tombeaux
de personnages illustres de leur histoire : le navigateur Krusenstern y est
enseveli. Dans les deux derniers siècles, la mer s'est retirée de près d'un
kilomètre devant Revel, et dans les alluvions qui ont comblé le port on
a trouvé des carcasses de navires. Les Khstes ne forment que la moitié de
la population de Revel : près d'un tiers des habitants sont Allemands ou
' Valeur ilu coiuineiTe de Hovel on 187'J :
Ls|)(iil:ili(in . . . . 'J9 500 000 francs. | Imporlation . . . 551 500 000 francs.
REVKL, PERNAU, DORPAT, RIGA. 581
d'origino germanique. C'est devant Revel, en 1219, que les piralcs danois,
entraînés dans une déroute, virent tomber des airs, dit la légende natio-
nale, le drapeau rouge à croix blanche, le Dancbrock, qui, après les avoir
ramenés à la victoire, devint pour eux l'étendard sacré.
Deux villes, Pernau et Dorpat, gardent, au sud de l'Elistonie, la vallée
tortueuse qui rejoint le golfe de Riga au lac Peipous. Pernau, la Pcrnov
des Russes, située à l'embouchure de la Pernau ou Pernova, est une ville
de bains et un port fréquenté'; de même que le petit port de Ilapsal, au
nord-ouest, elle exporte surtout du lin, des céréales, des graines oléa-
gineuses, et pour les deux tiers à destination de l'Angleterre. Dorpat, la
Derpt des Russes, — autrefois Youî-yev, — la Tartulin des Ehstes, bâtie
en partie sur une colline élevée qui domine au sud le cours de l'Em-
bach, est surtout connue comme ville universitaire. En 1052, Gustave-
Adolphe, alors campé devant Niirnberg, décréta la fondation de cette
liante école, qui dut fuir plus tai'd devant les Russes, et qui de Per-
nau, où elle fut transférée, dut envoyer en Suède ses professeurs, sa
bibliothèque et son musée. Rétablie de nouveau en 1802, l'université de
Dorpat a été respectée depuis, quoique les cours s'y donnent en allemand,
«t quelques-uns des savants les plus illustres de la Russie y ont fait
leurs études \ Par ses trésors scientifiques, Dorpat est une des plus riches
écoles de l'Europe : sa bibliothèque a plus de 230 000 volumes, et toutes
les sciences sont représentées dans ses musées par de précieuses collec-
tions; l'observatoire, qui s'élève' sur la colline, à côté de la bibliothèque et
des ruines pittoresques d'une église ogivale, est celui dans lequel Struve
et Màdler ont fait leurs recherches mémorables. Dorpat possède aussi une
école de vétérinaires. Plusieurs sociétés savantes, qui se rattachent indi-
rectement à l'université, puldient des mémoires et dos recueils dont (picl-
ques-uns ont de l'importance. Dorpat, située précisément au point de croise-
ment des routes de Riga, de Pernau, de Revel, de Narva, de Pskov, est aussi
une ville de commerce, et les Allemands, qui forment la majorité de la popu-
lation urbaine, se sont enrichis en concentrant dans leurs mains tout le
mouvement des expéditions. Les Ehstes qui peuplent la ville sont pour la
plu[)art ouvriers, manœuvres ou domestitpies.
Riga, la ville principale des provinces Balliques, et par sa population
' Mouvement du port de Pernau en 1876 : 750 navires.
Valeur de rex^orlation en 1879 : 29 500 000 francs.
- Université de Dorpat en 1882: professeurs, 02; étudiants, 142(5. — Un Igel de l'unixcriita
en 1877 : 234100 rouUes.
582 NOUVELLi: GÉOGKAPIIIE UNIVERSELLE.
la cinquième cité de l'empire, est aussi plus allemande que russe, à la
fois par son histoire et par sa population'. Ce « comptoir » ou cette
« grange », car on explique ainsi diversement le nom qui lui fut donné
par ses fondateurs allemands, ne pouvait être établi en un endroit plus
favorable pour le commerce : c'est là que le golfe pénètre h plus avant
dans les terres et que vient se déverser la Dûna, grand fleuve navigable
que devaient remonter jadis toutes les caravanes de commerce qui se diri-
geaient vers la Russie centrale ou le bassin du Dnepr : les deux Aa, de
Livonie et de Courlande, rejoignent le fleuve ou du moins son delta d'al-
luvions dans le voisinage même de Riga, cl cette capitale est ainsi devenue
le centre naturel des campagnes qu'elles arrosent; enfin, par le chemin
de fer d'Oi"ol' % elle est aussi le grand port d'expédition de la Russie cen-
trale. Le port de Riga est actuellement le troisième de l'empire russe par
l'ensemble de ses échanges : il vient après ceux de Pétersbourg et d'Odessa;
inférieur à Revel pour la valeur des importations, il l'emporte de beau-
coup pour les envois". Les désavantages du port de Riga proviennent de
la longueur de l'hiver, qui ferme le chenal par une épaisse couche de
glace, et de la violence des débâcles qui apportent sur la ville les glaces
déjà rompues en amont, tandis que le fleuve inférieur est encore recou-
vert par une dalle cristalline. La barre d'entrée n'a qu'une profondeur
moyenne de 4"", 27, et par conséquent les navires d'un fort tiniiil d'eau ne
peuvent pénétrer avec plein chargement dans la bouche de la Diina '. Les
bàliments ne remontent pas tous jusqu'à la ville, située à 12 kilomètres
de la mer environ, sur la rive droite du fleuve ; un grand nombre s'ar-
rêtent devant le fort de Diinamunde, ainsi nommé de sa position dans une
île voisine de l'embouchure. Plus du fiers des échanges de Riga se fait
avec l'Angleterre, qui envoie du sel, de la houille, des tabacs, des spiri-
tueux, des denrées coloniales, des objets manufacturés, et qui demamle
' l'opiilation de Higii en 18S1 : Alleiiianls, iO pour 100 1 Lelles. 30 pour 100 ; Russes,
20 pour 100.
* La prononciation Ac Vo n'élant pas définitivement fixée, même chez les Grands Russicns, nous
écrivons Oiol an lieu d'AI-ot.
' Valeur du commerce de Riga en 1879 : 42 i Oii 000 francs.
Avec l'Angleterre IGOOOOOOO fr. 1 Avec laNéerlande 3-2 000 000 fr.
1) l'Allemagne.. . itO 000 000 » ! » la France 50 000 000 »
* Mouvement du port de Riga en 1879 ;
A l'entrée 2081 navires, jaugeant 031270 tonnes.
A la sortie 2688 » « 937 000 »
Ensemble bôoj navires, jaugeant 1 871 53 J tonnes.
RIGA.
385
en échange du chanvre, du lin, des grains, des suifs, des planches. Le
nom lie « bois de Riga » que l'on donne en France aux pins sylvestres el
*-=57
E dg G
autres conifères importés de Russie témoigne aussi do l'miportanco
qu'avait prise dans ce port l'expédition des bois; mais les forêts qui bor-
dent la Dùna ont été en grande partie dévastées. Riga est le plus riche
propriétaire de domaines en Livonie. Schweinfurth est né dans cette ville.
384
.NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
La vieille cité hanséatique a gardé dans les quartiers du centre sa pliy-
sionomiedu moyen âge, et l'on y voit quelques monuments vénérables, tels
que le palais des anciens chevaliers et les hôtels des corporations ; mais au
delà des boulevards s'étendent des faubourgs modernes, aux rues larges cl
droites. Son principal établissement scolaire est une école polytechnique.
Un viaduc de 745 mètres franchit le fleuve, porté sur huit piles solides,
qui résistent aux accumulations de glaces apportées par la débâcle. Des forts
N" 80. LIBAU.
Pro^oryc^e-^^rs
i/e 5 A /O m c/e/ûrr, etâu-a^e/à
\ ■ là 000
et des ouvrages militaires défendent les approches de Riga ; mais l'enceinte
de la ville a été transformée en ])romenades.
Un cercle de villes secondaires entoure la capitale dos provinces Bal-
tiques. Au nord-est, sur l'Aa, les ruines du château de \Yenden raiipelleut
le séjour des anciens grands-maîtres de l'ordre des Porte-glaives. Sur la
Diiiia, Friedriclisladi et Jakdbstadi, eelle-ci fondée par des Russes émi-
grants et maintenant en grande partie peuplée de Juifs, sont des lieux
d'arrêt jiour les bateaux à vapeur, ainsi que pour les radeaux et les
chalands qui descendent le fleuve. Au sud, l'Aa de Courlande, encore
ruisseau près de liauske, est déjà rivière à Mitau (Mitlau, Mitava, en letton
Jdgava), le chef-lieu de la province, l'ancienne résidence ducale dont le
KIGA. MITAU, I.IBAU. 3S5
nom se répéta si souvent en France, lorsque Louis XVIII réfiinié y tenait
sa cour au commencement du siècle : le vaste château, entouré de bos-
quets et d'étangs, a été construit dans le style de Versailles. Mitau, séjour
des familles aristocratiques, ville d'écoles et de pensionnats, est presque
entièrement allemande, quoique toute la campagne environnante soit peu-
plée de Lcttes, auxquels les bourgeois de la capitale donnent, avec quelque
mépris, le nom d'Orientaux.
La rivière Windau, qui traverse la ville de Goldingen, va déboucher
dans la Baltique au petit port de Windau, peu fréquenté à cause des
dangers de la barre'. Le havre le plus visité de la Courlande est plus au
sud, sur une étroite flèche sablonneuse qui sépare un étang de la haute
mer. Ce port, le Liban des Allemands, le Leepaja des Lettons, est formé
par l'étang ou « Petite Mer », que l'on a réuni à la Baltique par un canal
bordé en partie d'estacades reposant sur des chalands que l'on a couh-s
à fond, chargés de pierres. Situé plus au sud que tous les autres ports
russes de la Baltique, Libau est débarrassé des glaces trois semaines avant
Riga, six semaines avant Pétersbourg et communique avec Vilno par un
chemin de fer; mais la barre qu'avaient à franchir les navires pour entrer
dans le chenal n'avait que de 5 mètres à 5 mètres et demi de profondeur
et changeait souvent de position et de largeur après les coups de vents du
large. Ces dangers de la barre expliquaient la moindre importance de Libau %
comparée à Riga, à Revel, à Konigsberg, cité prussienne que l'on peut
qualifier de port russe, par la direction de son mouvement commercial;
mais de grands travaux ont été ftiits pour l'approfondissement de la passe
et le commerce de Libau s'est grandement accru au détriment de Kr)nigs-
berg. Au sud de Libau, les pêcheurs recueillent dans les sables environ "20IIII
kilogrammes d'ambre jaune, mais ils n'en trouvent que rarement au nord
de cette ville".
- Mouvement ilu port de Windau h l'entre!! en 1870 : 186 navires, jaugeant 29 290 tonnes.
Valeur des échanges : 5 171 000 francs.
- Mouvement du port de Libau en 1879 : 50i2 navires, jaugeant GG3 350 tonnes.
ImporUilion. . . 18 0.j2 000 francs. | Exportation. . 112 843 GOO francs.
- Villes des provinces Balliques ayant plus de 5000 habitants lors du dernier recensement :
EtISTONIE.
RcTcl(1881) 50 500 hab.
LIVUME.
Riga (1881) 1G9ÔÔ0 hab.
Dorpal 11 20 780 1)
Pernau „ 12 000 »
COl'RLAXDE.
Mitau (1881) 29 GOO hab.
Libau .1 ....... 29 500 «
Goldingen n . 9 150 n
Itauskc 11 6 200 »
Jakobstadt » 5 400 »
49
ÔSd NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
IV
rOLOOE. rOLSKA
Le nom même de cette partie de l'empire russe est devenu un symbole
d'infortune nationale. La Pologne ne s'appartient pas, et tout ce qui lui
reste de son ancienne indépendance est d'avoir un litre à part dans l'énu-
mération des immenses domaines du souverain de toutes les Russies :
encore n'est-elle désignée officiellement, depuis quelques années, que sous
l'appellation de « Pays de la Vistule » et c'est par simple tolérance que le
nom de Pologne, si cher à des millions d'hommes, s'est jusqu'à nos jours
maintenu dans le pays. Et même cette population, rattachée de force à la
Slavie orientale, n'est qu'un fragment de peuple, séparé d'autres fragments
que se sont annexés la Prusse et l'Austro-IIongrie. Le mot de Pologne n'est
plus qu'une expression d'histoire et d'ethnographie : en politique, il ne
représente plus rien.
Et cependant il fut un temps où le royaume de Pologne, embrassant,
lui aussi, de vastes territoires qui lui appartenaient, soit par le groupe-
ment spontané des populations, soit par le droit de conquête ou d'héritages
princiers, était un des États les plus puissants de l'Europe. De Bautzen
eu Lusace et de l'île de Rugen à Smolensk et aux cataractes du Diiepr, des
Karpates à l'Enihach en Livonie, il n'est pas un territoire qui n'ait été
[iiMidant les huit derniers siècles occupé par les Polonais, soit d'une ma-
nière permanente, soit temporairement. Uni à la Lithuanie, le royaume de
i'ologne s'étendait de la Baltique au Ponl-Kuxin à travers toute la largeur
du continent; mais fréquemment les limites se déplaçaient, et lorsque la
Russie et la Prusse furent entrées l'une et l'autre dans l'ère des annexions
et des conquêtes, avec Pierre l" et Catherine II, il devint évident (pie la
Pologne serait étouffée tôt ou tard entre ses puissants voisins. En 177"2,
le premier partage, qui causa tant de remords à Marie-Thérèse et dont les
autres souverains s'accommodèrent si allègrement, enleva déjà au royaume
polonais une surface de plus de 200 000 kilomètres carrés et près de 5
millions d'hommes : c'était le quart du pays, plus du tiers de la po-
pulation du royaume, qui était alors de 12 500 000 habitants'. Vingt
et un ans après, la Russie et la Prusse s'emparent chacune d'un territoire
' Ricgcr, Diciionnaire des Sciences, Polo'ine. ;),'i2 (on Iclioqiic)
POLOGNE ET SON HISTOIRE. ÔS7
encore plus Aaste que le premier, et ce deuxième partage est bientôt suivi
d'un troisième, auquel l'Autriche est invitée. La Pologne avait cessé d'exis-
ter comme Etat. Pendant ce siècle, un duché de Varsovie, une république
de Cracovie eurent, il est vrai, une apparence de vie autonome; mais cette
illusion a dû s'évanouir bientôt devant la dure réalité. Varsovie, place
forte des armées russes, est chargée précisément de maintenir les Polonais
dans l'obéissance au tzar, et Cracovie n'est plus qu'un chef-lieu de province
autrichienne. Les provinces de la Vistule, découpées arbitrairement dans
l'ancien royaume, n'ont plus désormais pour le gouvernement russe qu'une
valeur administrative et militaire : le ijsc apprécie la Pologne comme la
région la plus populeuse, la plus industrielle et la plus riche de l'emiiire,
et l'état-major voit dans la Pologne orientale le quadrilatère de forteresses
le plus formidable de l'Europe centrale. A l'ouest de la Vistule, le pays est
comme abandonné strnlégiquement aux envahisseurs, les chemins de fer
prussiens convergeant vers la Pologne occidentale.
Sans chercher à poursuivre les mille vicissitudes des guerres et dos
alliances, on peut reconnaître facilement les causes générales qui ont
amené l'écrasement de la nation polonaise. Les conditions géographiques
du territoire qu'elle occupait expliquent en partie ses destinées. La nature
n'offrait point aux Polonais un cadre bien limité ni un massif sur lequel
il leur fût possible de s'appuyer solidement. Cependant le pays occupé pai'
le gros de la race polonaise a des frontières assez nettement tracées sur
une grande partie de son pourtour • au sud, le faîte des Carpates est une
barrière naturelle que les Polonais n'ont franchie sur aucun point
comme l'ont fait les Ruihènes; au nord, le plateau parsemé de lacs dont le
versant septentrional, peuplé d'AlKunands et de la descendance des Prus-
siens d'autrefois, est un autre faîte que les Polonais, si ce n'est par quel-
ques colonies de Kachoubes, n'ont point traversé; il devait contribuer
à donner à la race une certaine cohésion en la séparant de ses voisins.
En outre, la Vistule, qui traverse la Pologne du sud au nord, recevant des
affluents à dr.)ile et à gauche, fait de toute la contrée un bassin géogra-
plii(pie assez régulier et d'une grande fiun- de résistance. Mais à l'est et
à l'ouest le pays est ouvert, si ce n'est dans les parties oiî s'étendent des
marécages et de vastes forêts presque impénétrables : la vaste dépression
qui a valu à ses habitants du bassin de la Vistule leur nom de Polonais
ou « Gens des Plaines » se continue des deux côtés, en Allemagne et en
* Gouvernements de la Vistule :
Sapcrficic. Populilion on I8SI. Pnpulalion kilométrique.
127 317 kil. carrés. 7 319 981) liab. 58 hab. (itussic, IG).
S8S NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Russie ; or, c'est précisément dans ce sens, parallèlement aux degrés de
latitude, qu'ont lieu les mouvements de migration et que la pression des
peuples les uns sur les autres se fait de la manière la plus énergique, l'ar
ces deux larges brèches, la frontière de la Pologne devenait flottante, pour
ainsi dire, à la fois du côté des Germains et du côté des Slaves Orien-
taux : les incursions et les guerres déplaçaient incessamment l'équilibre
des populations en lutte pour la suprématie.
Plus d'une fois, la Pologne fut le plus puissant des Etals slaves et mérita
presque de s'attribuer le nom de Slavie. Néanmoins, on peut marquer dans
riiistoire de l'Etat deux périodes distinctes d'expansion, dont chacune fut
suivie d'une époque d'affaiblissement et terminée par des partages. Au
onzième et au douzième siècle, les agrandissements se firent surtout du
côté de l'ouest, et la Pologne était à l'avant-garde des populations slaves
contre les Allemands; du quatorzième au seizième siècle, le mouvement
d'annexion se porta au contraire du côté de l'est, contre les Slaves orien-
taux. Vers les commencements de l'histoire écrite du peuple polonais, le
royaume qui comprenait la Polska proprement dite, c'est-à-dire les
«■ champs » de la Vislule et de la Warta, la Pologne actuelle et la Poz-
nanie, cherchait à absorber les tribus parentes qui jieuplaient le terri-
toire jusqu'à l'Elbe. Tantôt ennemis des empereurs d'Allemagne, tantôt
subissant la fascination du « saint Empire romain » et fiers de se dire
ses vassaux, les rois de Pologne réussirent à s'emparer de presque tous
les pays slaves de l'Occident. Au commencement du onzième siècle, Bo-
leslas le Grand eut en sa possession la Moravie, la Slovaquie, la Lusace
et même la Bohème pendant une courte périodt>'. Ses héritiers per-
dirent bientôt une grande partie de ses conquêtes; mais un siècle plus
tard Boleslas 111 soumettait au baptême les l*omorianiens (Pomérauiens)
ou Gens du Littoral, qui, séparés de la Pologne par les infranchissables
marais de la Netze, avaient longtemps formé comme un monde à part
autour de Wollin ou Yincta, la Venise baltique. Toutefois les dissensions des
Slaves eiiUc (Mi\ et la germanisation d'une grande partie (le leur ierriloire
ne permirent plus à la Pologne de maintenir sa puissance du côté de l'occi-
dent, et les ])artages commencèrent. Vers la fin du treizième siècle, le
royaume a prr(hi la moitié des terres originairement polonaises du bassin
de l'Oder. Invités par un prince polonais, le due de Mazovie, les chevaliers
Teutons vim-cnl même s'installer à l'angle de la Baltique, dans le pays des
' l.clcwcl, La Pologne au moyen âge (en polon.iis); — llilfcrding. Histoire des Slaves balliques
(on russe) ; — Oiispenskiy, Les premières monarchies slaves du I\'ord-Oiiest (en russe).
ANCIENNE POLOGNE.
589
Prussiens-Lithuaniens, d'où ils commandaient stratégiquement les pays du
Xeman et de la basse Vistule. x^nsi commençait un des éléments de la
puissance qui devait un jour contribuer à la destruction de la Pologne.
Au milieu du quatorzième siècle, avec Casimir le Grand, qui renonça
pour toujours à la Silésie polonaise, l'État ne semble plus regarder que
vers l'Orient; par la propagande religieuse et parle mariage de la reine
de Pologne avec le prince païen Jagello, il s'unit à la Lithuanie,et toute la
^I. — C\I,ANCE«E\'T DE L ETAT POLONAIS A L OL'EST ET A I E>T.
'oloiiiiis
liovaume
Conquêtes
l'olognv et
Prusse tassale
LÎTonie
Livon
e
actuels.
de
de
Litliuanie
(le
polonaise.
et
Bole^Ias I
Bolo^las III.
1 : Wtmm
h Pologne.
puis
suédoise.
Couda
polonai
lie
Russie oc<'id('nlalo est ouverte à son influence; ses frontières dépassent
la Duna et le Di'iepr ; même Sigismond III, au dix-septième siècle, peut
aspirer à devenir le monaniue de tout l'orient et du nord de l'Kurope :
à la fois prétendant au trône de Suède et roi de Pologne, il tenta aussi
de monter sur le trône de Moscou. Avec Sobieski, le peuple jtolonais,
liéroïcpie et vaillant entre tous, semble être devenu définitivement le
champion de l'Occident contre l'Orient. Mais alors l'État était précisé-
ment sur le point de s'effondrer. En vue de la centralisation politique.
390 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
la Pologne était devenue le défenseur du catholicisme romain contre les
protestants et contre l'église russe; d'après Lelewel, ce fut la cause de
sa ruine '. Les Cosaques et les paysans oukraïniens se révoltèrent, et l'État
polonais usa ses forces à les réprimer. En 1661 déjà, le roi Jean-Casimir
prédisait à la diète que la république deviendrait le partage des étrangers :
a La Moscovie et les Cosaques prendront le grand-duché de Lithuanie qui
leur est rattaché par la langue et la religion ; la grande Pologne s'ouvrira
au Brandebourgeois... et la maison d'Autriche, en dépit de toutes ses
bonnes intentions, ne laissera pas échapper Cracovie". » Un siècle plus
tard, les pressentiments de Jean-Casimir étaient justifiés. D'ailleurs, si les
Polonais étaient assez forts pour lutter contre leurs puissants voisins pen-
dant l'époque du désordre féodal, alors que les peuples, appartenant
complètement à leurs maîtres, s'entreheurtaient au gré des ambitions
personnelles, les conditions changèrent quand les nations de l'Europe se
furent solidement groupées en Etats centralisés. Alors la Pologne se trouva
trop faible pour résister,et ses frontières ouvertes laissèrent entrer l'ennemi.
Le plus grand désavantage de la Pologne n'était pas l'absence de limites
naturelles à l'orient et à l'occident, c'était le manque de cohésion entre
les habitants, dans les provinces spécialement polonaises. Par suite du
manque de frontières géographiques à l'ouest et à l'est, l'élément guerrier
des petits gentilshommes ou sziachta, Vordo equeslris des j)arc!iemins.
s'était développé à outrance et n'avait plus aucun rapport avec le peuple tra-
vailleur. Les Juifs se présentèrent pour combler le vide entre les classes.
Aucun pays d'Europe ne contenait et ne contient encore autant de Juifs,
et ces hommes de race étrangère, quel que fût du reste leur attachement
pour le sol polonais, constituaient en réalité un peuple distinct ayant
des intérêts précisément opposés à ceux des autres habitants, et néanmoins
leur servant d'intermédiaires à tous, en formant, pour ainsi dire, la
bourgeoisie de la contrée. Eux seuls s'occupaient du commerce ; eux seuls
réparlissaient les produits, vendant à la fois aux serfs et aux seigneurs,
mais empêchant les indigènes de se mettre en rapports immédiats les
uns avec les autres : grâce à eux, le torrent circulatoire de la vie écono-
mi(pie se faisait dans toute la nation, et cependant ils n'étaient pas de la
nation : au moment du danger, ils n'étaient plus là pour rapprocher les
classes distinctes et les conununautés séparées, et le j)euple, composé
d'hommes qui ne se connaissaient point, restait perplexe et divisé.- Cette
• La Polor/nc et l'Espagne (en polonais).
* Kocliovski, Klimakkr, il, 500
ANCIENNE POLOGNE. 591
cause de désorganisation aggravait ainsi celle qui provenait du dédouble-
ment de la Pologne, depuis le onzième et plus encore depuis le quatorzième
siècle, en deux classes ennemies, celle des seigneurs et celle des asservis.
Ce qui perdit la patrie, ce n'est pas tant l'indiscipline, ainsi qu'on l'a sou-
vent répété, c'est le privilège. Les paysans, qui autrefois avaient possédé la
terre en communauté, avaient fini par perdre et leurs terres et leur droit.
Les nobles étaient devenus maîtres absolus : en s'emparant du domaine,
ils avaient pris aussi la vie du paysan. « La Pologne est le seul pays où le
peuple soit comme déchu de tous les droits de l'humanité, » disait en exil
Stanislas Leszczynski '. L'État, qui portait le nom de « république », n'était
cependant qu'une confédération de milliers de monarchies despotiques. Les
seigneurs, placés en dehors de la nation, se refusaient à payer leur part
pour les dépenses publiques, même en cas de péril national : quoiqu'il
existât un impôt foncier basé sur le revenu, auquel personne ne devait
échapper, les propriétaires du sol savaient toujours éviter de le payer :
l'Ktat polonais n'eut jamais de finances proprement dites; il lui fut même
impossible d'obtenir la moindre statistique générale de quelque valeur" :
le mauvais vouloir des seigneurs s'y opposait.
Certes, la vaillance des Polonais atteignit souvent au sublime dans les
jours désespérés. Aucune nation n'eut plus de héros dans l'infortune :
|)endant les guerres d'insurrection, hommes, femmes se dévouèrent à
l'exil, aux tortures, à la mort avec une simplicité d'âme qui ne fut jamais
dépassée, et pourtant, même dans ces époques de grandeur morale, le
peuple polonais restait toujours partagé en deux nations hostiles. Ceux
qui revendiquaient la liberté de la Pologne ne surent ou n'osèrent donner
la liberté aux Polonais eux-mêmes ; les malheureux serfs restèrent coui-
bés sur la glèbe.. Kosciuszko, il est vrai, désira l'abolition du servage;
mais les paysans qui le suivaient ne jouirent de leur liberté que pendant
la guerre, et son décret d'émancipation était conçu en termes si vagues qu'il
ne pouvait avoir aucun effet. Plus tard, lors de la constitution de l'éphé-
mère duché de Varsovie, l'affranchissement des paysans fut officiellement
|)r()mnlgu('', mais la terre ne leiu' fut j)as donnée, et leur conilitidii ne
changea qu'en apparence : même pour des milliers d'entre eux, elle s'ag-
grava, car la liberté de forme leur enlevait tout droit de cultiver le champ
sur lequel avaient vécu leurs aïeux. Encore à la veille de la deiiiière insur-
rection, les paysans~^|)ropremenl dits n'étaient représentés que |iar 'J'J 000
• Considéralion.i sur le gouvcrncmcnl de la Polorine, 1 T.'îô.
= Siinoncnko, Slatisliquc comparée du royaume de Pologne (en russe).
592 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
personnes dans la classe des propriétaires, tandis que les cultivateurs tra-
vaillant sur la terre du maître étaient au nombre de deux millions et que
l'on comptait 1400 000 ouvriers, journaliers et domestiques'. Combien
différent aurait été le cours de l'histoire si les hommes qui combattirent
pour l'indépendance de la Pologne avaient pu s'appuyer sur une population
libre, maîtresse de sa terre et soucieuse de la défendre ! Et même lorsque
la patrie eut succombé, ce moyen était le seul qui pût faire espérer de la
reconquérir. Du moins les Russes n'auraient-ils jamais pu se présenter
en libérateurs comme ils le firent en 1865, donnant au paysan une partie
de la terre qu'il cultivait.
Le plus grand malheur qui puisse frapper un peuple est la perte de
son indépendance nationale. Politiquement, le Polonais n'est plus Polo-
nais que par le souvenir : il est devenu comme étranger sur son propre
sol, et c'est en se mettant sur ses gardes, pour ainsi dire, qu'il parle sa
propre langue ; sa pensée même n'est plus libre ; son génie ne se déve-
loppe plus conformément à sa nature. C'est un désastre pour l'humanité
tout entière que la vie d'un peuple soit ainsi comprimée, mais elle se fera
jour de nouveau, tout en déviant de sa route primitive, car par leur
industrie, leur civilisation, leur valeur morale, les Polonais ne sont
certainement pas inférieurs à leurs ancêtres. Désormais la Pologne, trop
faible pour reconquérir isolément sa liberté, cherchera sa voie et réalisera
ses progrès de concert avec les Russes. Au lieu de lutter pour elle seule,
elle luttera également pour les pays auxquels elle est associée de force.
« Pour notre liberté et pour la vôtre », cetti; noble parole d'un combat-
tant d'autrefois peut devenir un jour la devise commune des nations de
la Slavie orientale.
Le « Pays de la Yistule », dans les liniiles bizarii's ipii lui ont été
faites, peut être considéré comme une vaste plaine inégale d'une hau-
teur moyenne de 100 à 150 mètres. Au nord, les terres, en grande partie
recouvertes de forêts, se relèvent en un large faîte, qui se dévelop|)e de la
Yistule au Àeman suivant une courbe parallèlt; à celle du littoral baltique;
mais la ligne de la fninlière, assez irrégulièreineiil tracée, ne se maintient
pas sur l'axe de partage ; elle longe la base méridionale du plateau, en
laissant à l'Allemagne presque touti; la « Suisse prussienne » avec ses in-
nombrables lacs. \u sud, le massif de Sandomieiv. ou le « Chauve .Mont »
I Schnililer, L'Empire des Tsars.
COLLINES DE LA POLOGNE. 393
(■Eysa Gôra) appartient au contraire en entier à la Pologne actuelle : il
aligne du nord-ouest au sud-est, c'est-à-dire parallèlement aux Carpates
septentrionales, ses crêtes régulières, çà et là revêtues de verdure, malgré
le nom qui lui a été donné : une cime arrondie, le signal de Sainte-Cathe-
rine, s'élève à plus de 600 mètres vers le centre du massif, surgissant
comme une île du milieu d'un plateau faiblement accidenté. D'autres
groupes de collines, de hauteur moindre, mais suivant aussi la même
direction, du nord-ouest au sud-est, parallèle aux Carpates, occupent
la partie méridionale de la province de Lublin, entre la Vistule et le
Bug'; enfin, au sud-ouest de la Pologne, les faîtes de partage entre l'Oiler
et la Warta, entre la Warta et la Pilica", sont marqués par les hauteurs de
la « Suisse polonaise », que les eaux ont ravinées dans tous les sens, mais
qui faisaient originairement partie de toute la région avancée des Car-
pates'. Ces collines de la Pologne méridionale contrastent avec la grande
plaine tertiaire du nord par la diversité de leurs formations, où sont
représentées les roches crétacées, jurassiques, triasiques, carbonifères,
dévoniennes. Des gisements miniers de toute espèce, de cuivre, d'étaiu,
de zinc, de fer, de soufre, de charbon, ont été reconnus et sont partielle-
ment exploités dans cette région montueuse : les mines, les carrières et le
voisinage de la Silésie industrielle ont donné à ces districts une popula-
tion aussi dense que celle de la plaine.
Par la distribution de ses versants hydrographiques, la Pologne n.->
mérite qu'en partie le nom de « Pays de la Vistule » qui lui a été officiel-
lement imposé. Toute la zone occidentale, confinant à la Silésie et à la
Poznanie, appartient au bassin de la Warta, c'est-à-dire de l'Oder, et la
province de Suwalki, dans la partie nord-orientale de la Pologne, est sur
le versant du Xeman (Xenien en polonais), qui lui sert de iiinile à l'est
' Orlhographe iiolonaise. D"nillcnrs, le Hu^' ]iolonais et le Bmig russe ont un luènio nom. ijue les
riverains prononcent Bog ou Boh.
* Nous rappelons qu'en polonais :
a se prononce comme, le français on,
ç .1 » " ain,
ô .1 !■ » ou,
c .. » .. U,
Cl se prononce comme le français Ich,
é » 1' » isicu bref.
' Alliludes diverses de la Pologne :
Signal de Sainle-Catlierine (-Ljsa Gôra) C07> mè'lros.
Colline entre Pilica el Cracovic (gouvcrnemenl de Kielcc) . . . 483 »
Hauteur à l'est de Janow (gouvernement de Lublin) 3*20
t.omia 211 ■>
Lublin 18!1
Varsovie 98 »
V. 60
30 i
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVEllSI.l.l K.
vX au nord : tout le reste du territoire est arrosé par la Yistule, le
NareAV, le Bug ou leurs affluents. A son entrée en Polojine, dont elle a
formé la frontière depuis l'aval de Cracovie, la Vislule ou Yisl'a, qui
vient de recevoir le San, est déjà un fleuve majestueux, portant des
bateaux d'un fort toiniage : elle a de '21)0 mètres à 400 mètres de rive
à rive, dans les campagnes basses qu'elle arrose, au sortir de la traver-
sée des collines, dont chacune porte couvent, église, château fort ou ruine
du moyen âge. Grossie dans la Pologne même des abondantes rivières
Wieprz, Pilica, et du Narew iini au Bug, elle doit rouler en moyenne.
CII\1\E DE l-\ LYS,
a\aiil de pénétrer sur le lerriloire prussien, une masse liipiide d'au
mnJMs 7,")0 mètres cubes à la seconde : elle a dt-jà tout son volume,
car en aval de la frontière elle ne reçoit plus d'autres tributaires que
d<.' faibles ruisseaux. Grâce à cette voie mouvante, les Polonais j)euvent
expédier facilement à Danzig leurs bois, leurs céréales et leurs denrées
de toute nature. On comprend de quel prix était jadis pour la Pologne
la jiossession des bouches de la Vislule et combien sa puissance fut
ébranlée quand la a bonne ville » de Gdansk, la Danzig des Allemands,
tomba aux mains de (piehiue Etat rival ou se détacha spontanément de
l'uni'Mi iKilonaise.
VISTULE, POLONAIS. 595
La Pologne est une contrée fort riche en débris préhistoriques des diffé-
rents âges de hi pierre, du bronze et (hi fer. La vallée du Bug, celle de la
Vistule étaient précisément une partie de la voie naturelle qu'avaient à
suivre les émigrants et les marchands entre le Pont-Euxin et la mer Bal-
tique. Des « caches », semljlables à celles que font les voyageurs canadiens
dans les solitudes du Far West, ont été découvertes qh et là aux lieux
d'étape, principalement sur les faites de partage entre les versants. Les
tombeaux païens sont fort nombreux, et plusieurs atteignent d'énormes
dimensions : quelques tertres artificiels de la vallée de la Vistule, qui
datent de l'époque néolithique, ainsi que l'ont démontré les fouilles,
ont jusqu'à un demi-kilomètre de tour'. Les nombreux petits lacs de la
Pologne, dont plusieurs ont été mis à sec. ont gardé aussi les traces d'an-
ciens établissements lacustres pareils à ceux de la Suisse. C'est par millier'^
que l'on a trouvé et que l'on trouve encore les urnes funéraires renfer-
mant des cendres et des ossements carbonisés, des épingles de bronze, des
aiHieaux, des j)erles, des boules et d'autres menus objets : les restes
de vases eu terre se rencontrent si fréquemment dans certaines régions
de la Pologne que les habitants croyaient à la formation spontanée de»;
poteries dans l'intérieur de la terre'. Parmi les urnes funéraires (pic
l'on trouve au fond de toinbcaiiv très postérieurs à l'âge de pierre d
contenant des objets en métal, on en a recueilli plusieurs offrant le
profil d'un visage humain ; quelques débris de provenance romaine
ont permis d'attribuer ces « urnes à visage » au premier siècle de l'ère
vulgaire.
D'après M. Kopernicki, l'ancienne Pologne était haliitée, aux époques
du bronze et du fer, par une race dolichocéphale, parfiiitement distincte
de la rac(! brachycéphale moderne. Cej)endant, dès l'aurore de l'histoire
écrite dans les n'gions de la Vistule, ce sont des Slaves, ancêtres des Polo-
nais actuels, ipii peupbMit la coutn'c, ainsi (pie les régions liniilrojilie-i de
l'ouest, habitées inainlenant par des Allemands et des Slaves germanisés.
Dispersés en d(> nombreuses tribus, qui parfois se réunissaient sous la
main d'un clnT puni- \r<- cxpi'ilil idiis de i^ncrre. les Lèches ou Polonais se
distiiiiiuaiciil iicllcini'iil dc^ Sbivi"^ (niciilauv : ils se savaient de la m("ine
famille, mai-^, ain^i (pic le dil une h'^cnde raconti-e pour la jireinièrc
fois au treizième siècle, les trois frèics Lech, Czech (Tchèque) et Bus vi-
vaient séparés, suivant chacun sa destinée. Kn Pologne, le nom de Lèches
' Z.ihornvslii, Confiri-s anlhropolocftque inlernal'wnal de Paris, 1878.
' Albin Kolin und Mchlis, Matermlien zur Vorgeschichte des Menschen im osilicheii Eiiropa.
596 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
n'est qu'une expression liltéraire, non employée par le peuple : dans les
documents tchèques, il a le sens de riche et noble.
Les Polonais les plus purs sont, dit-on, les habitants de la « Grande
Pologne », ceux de la Pologne actuelle, sur les deux bords de la Vistule,
et de la Poznanie, sur la Warta. Les blonds Mazures, — c'est-à-dire, en
lithuanien, les « Trapus » ', — qui peuplent surtout les régions de l'est
et celles du nord, sur les frontières prussiennes, sont les plus fiers des
Polonais, ceux qui ont le mieux gardé les anciennes mœurs nationales;
les bruns Krakoviaks, les Sandomiriens et les Lublinois, tous Polonais
(lu sut!, plus impressionnables que les Mazures, souvent irascibles, sem-
blent être aussi plus vaniteux, si l'on en juge par leur costume élé-
gant, mais trop chargé de broderies, de franges et de chaînettes. Parmi
les populations de la contrée qui ne sont pas d'origine polonaise, une
jp.irlie considérable s'est rattachée à la masse de la nation par les mœurs
cl le langage. Ainsi les Kuprikes ou « Gens de la Bêche », qui vivent
en divers districts du nord et du nord-est de la Pologne, se sont assez
rapprochés des Mazures pour être en maints endroits confondus avec
eux, ({uoiqu'ils descendent principalement des Yatvagues on Yadzvingues,
]ieuple que l'on croit de race lithuanienne et qui fut en partie exterminé
]iar les Polonais. Des Petils-Russiens, groupés en communautés dans la
Pologne sud-orientale, à l'ouest de la rivière Bug, ne se distinguent guère
de leurs voisins russes de la Yol'înie : ils habitent aussi une partie orientale
de la Podiiasie ou « Pays de dessous la Forêt », que séparent en effet de la
vallée du .\eman les immenses étendues boisées de Bel'a-Veja. Des Lithua-
niens, de '250 000 à 500 000, suivant les diverses statistiques, occupent la
jibis grande pailie du gouvernement de Souvalki, dans la partie noi'd-
orientalt! de la Pologne. Enfin, quelques milliers de Tsiganes et de Tartares
venus d(; Lithuanie sont parsemés en petits groupes sur le territoire.
Après le passage des Mongols, les princes, et surtout les évêques et
les couvents, firent appel aux colons allemands pour repeupler les terres
dévastées et leur accordèrent de grands privilèges, entre autres celui de
nommer bnirs propres schultze et de se gouverner eux-mêmes suivant le
« dioil leutoni(pie » '. l'Iusieurs villes fui'ent également fondées par des
colons allemands, et la plupart se régirent d'après le « droit de Magde-
bourg », droit de l'un des plus anciens municipes de l'Allemagne du Nord,
dont les archevêques avaient été jadis les chefs de l'église polonaise. Ce
' Krlizvnski, Des Mazures (en polonais). Poznan, 1S72.
'■' RociJcII, Cesehiclitc PjIciis.
POLONAIS. 597
droit, qui n'était autre que rindôpcndancc administrative de la commune,
n'ompècha jjoint les Allemands des villes de se « poloniser » peu à peu
comme ceux des campagnes. Au quatorzième siècle, les « Souabes » étaient
établis en Pologne au nombre de plusieurs centaines de mille, mais ce pre-
mier élément germanique s'est complètement fondu dans la population polo-
naise et catholique. Des deux mille paroisses protestantes qui existaient au
seizième siècle, deux seulement subsistaient en 1775. Tous les protestants,
qui se confondent avec les immigrants comptés aujourd'hui comme Alle-
mands, sont venus depuis un siècle : les catholiques étrangers ne dépas-
sent guère une dizaine de mille. Dans les « Pays de la Yistule », les Polo-
nais sont donc en grande majorité '. Dans le royaume de Pologne, tel qu'il
existait à la veille du partage de 1772, l'élément polonais n'entrait guère
que pour un tiers : telle est du moins l'évaluation approximative que donne
le comte Plater, d'après une statistique dressée un demi-siècle plus tard'.
Les Polonais, que l'on juge surtout d'après les princes fastueux et les
gentilshommes ruinés de cette nation qui vivent en Occident, offrent,
comme tous les peuples civilisés, une variété infinie de caractères ; mais
le type d'ensemble, tel qu'il ressort de l'histoire, est bien conforme à celui
que décrivent les observateurs. Ils ont en général plus de dons naturels
que de qualités profondes acquises par un travail persévérant. Impétueux,
violents, enthousiastes, gracieux, habiles à flatter, désireux de plaire, ils
plaisent en effet, mais ils n'ont pas toujours souci de mériter l'estime par
leur conduite : ils se donnent, mais sans se posséder eux-mêmes ; ils
* Population de la Pologne par nationalilés :
Dapn;» C.alkin. D'après Rillirh.
Polonais. ..... En 18G.S : 5000577 En 1875 : 4573856. 68.41 pour 100.
Juifs » 764947 » 8G05'27. 15. 4j «
Pclits-Russicns .... » 428580 » 505962j
Blancs-Russiens . ... » 55517 » 268Co[ 8.52 li
Gianiis-Hiissicns . ... n 1 1 U6."> » 12155/
Allemands » 251149 r> 570 556 5.79 :>
Lithuaniens » 277 049 » 2*1 147 5.77 n
' Population, en 1821, du territoire de l'ancienne Pologne (avant le premier partage) :
Ruthènes (Russes blancs et Oukraïnicns) 7 520 000
Polonais 6 770 000
Juifs 2 110 000
Lithuaniens et Lettons , 1900 000
Allemands lOiOOOO
Grands-Russiei 180 000
Roumains 100 000
Ensemble. 20 220 000
(Ricger, Dictionnaire scientifique, 552 )
508 NOI VEME GrOGRArinf; IMVrRSKt.LE.
comprennent plus fiicilemeut les grands devoirs que ceux de la vie jour-
nalière. Chez eux, l'ambition est rarement soutenue par la force d'agir,
la curiosité des choses de la science l'emporte sur la constance dans le
travail, l'imagination est supérieure à la volonté, le caprice succède au
caprice. Toutefois ils ont de l'énergie par accès et sont alors capables
d'accomplir les plus grandes choses, surtout dans l'excitation des com-
bats ou l'imprévu des camps, car ils sont naturellement joueurs et pro-
digues ; ils risquent volontiers la fortune et la vie. Dans le malheur,
ils savent, comme le Français, se plier aux circonstances et ne s'irritent
point lâchement contre la destinée. Si le type primitif se conserve le
mieux chez la femme, ainsi que le disent les anlhropologistes, les Polo-
naises que l'instruction a développées montrent bien par leurs rares
qualités la haute valeur de la race dont elles sont issues : non seulement
elles ont la bonne grâce, l'esprit, la gaieté constante, la facilité d'élocu-
tion, elles ont aussi la puissance de dévouement, le courage, la décision
jH'ompte et la clarté de la pensée : ce sont elles qui gardent dans toute sa
noblesse et sa pureté l'idéal de la nation. Le plus grand défaut des Polonais
est de n'avoir pas assez de respect pour le travail : soit comme seigneurs,
soit comme serfs, leurs pères ont appris à mépriser ou à détester le labeur
matériel, et ces sentiments subsistent encore, déplorabh; héritage légué à la
génération présente. De là peut-être ce contraste entre la nature oi'iginaire
du Polonais, qui le porte si facilement à l'héroïsme, et ses habitudes, (pii
le laissent parfois s'avilir. En lisant les recueils des poésies populaires', on
est frappé du peu d'originalité des ballades, de la vulgarité et même du
cynisme des chansons amoureuses. La plupart des poètes modernes de la P(i-
logne ont dû s'inspirer, non des clianls polonais, mais des doumas cl des
traditions oukraïniennes, lithuaniennes et même belo-russiennes : c'est ipie
depuis le onzième siècle les paysans polonais avaient été asservis par les
seigneurs, tandis que la période d'écrasement ne date en Lithuanie que du
quinzième siècle et en Oukraïne que du dix-hnilième siècle. Il était diffi-
cile que snns le régime des gens de la szlaclifa, lnus laquais des seigneurs
et tyrans des pauvres, une poésie pure et noble pût se former chez les
paysans de Pologne. La lillériiture populaire polonaise se dislingue surtout
des autres littératures slaves par sa richesse en proverbes Instoriques ayant
tous pris leur origine dans la noblesse, qui formait, pour ainsi dire, le
peuple politique'.
' Kolbcip, Le Peuple (en poloniiis) ; — Pelrov, Recueil de r.\cadémie de C.racovic.
- Kccucil (lu Duruvski.
il
m
POLONAIS. 401
Àvpc leur imprévoyance, leur faste et leur générosité naturelles, les
Polonais, quoique fort habiles, sont faciles à tromper, et dans le pays
même les exploiteurs, juifs et chrétiens, ne manquent pas. Les Israé-
lites, un peu moins nombreux proportionnellement que dans la Galicie
orientale, où se trouve le centre de l'essaim, se pressent néanmoins en
multitudes dans toutes les villes polonaises. D'ailleurs, en Pologne comme
en Galicie et en Hongrie, leur accroissement annuel est supérieur à celui
des chrétiens : ils conservent mieux leurs enfants et vivent jusqu'à un âge
plus avancé, quoique la plupart d'entre eux soient, comme les artisans
polonais, tombés dans le prolétariat : parmi les Juifs, comme parmi les
chrétiens, les grandes affaires se font au profit de quelques-uns. Au milieu
du seizième siècle, on évaluait d'ordinaire à 200 000 personnes la po-
pulation israélite de Pologne; mais un impôt de capitation, auquel des
milliers peut-être réussirent à se soustraire, ne donna qu'un total de
16 589 individus'. Un siècle après, en 1G59, le recensement de l'impôt en
indiquait 100 000, et en 1764, toujours d'après les registres de capitation,
ils auraient été 429 656, mais l'historien Czacki pense que leur nombre
réel était 1800 000. Ils sont maintenant plus de 850000, quoique le
territoire de la Pologne ait été réduit des cinq sixièmes depuis le partage
de 1772.
La j)lupart des Juifs polonais, descendant d'immigrants venus des bords
du Rhin, parlent encore le dialecte rhénan-franconien de leurs ancêtres \
Us augmentent ainsi, pour une forte part, l'importance des colonies ger-
maniques, et dans plusieurs villes les habitants de langue allemande, Juifs
et Germains, forment dôjk la majorité. Lodz, la deuxième cité des « Pays
de la Vistule », est plus germaine que polonaise par le langage, et Varsovie
elle-même, bien que les Allemands y fussent comptés en 1870 seulement
pour un vingt-cinquième de la population, avait un tiers de ses habitants
dont le parler ordinaire était l'idiome germanique. Dans l'ancienne Polo-
gne, les villes, dont quelques-unes avaient été fondées par des colons
allemands, étaient tout à fait séparées du peuple, isolées dans leurs pri-
vilèges locaux, sans rôle dans la république de gentilshommes qui con-
stituait l'Ktat : étrangères à la véritable Pologne, elles étaient « comme des
gouttes d'huile sur un étang' ». De nos jours, les villes, loin d'être, pour
ainsi diie, en dehors de la nation, la dirigent au contraire et là s'élaborent,
' Malle-Brun, Tableau de la Polo(jne ancienne et moderne; — Siiiioiicnlio, Slalislique comparée
du royaume de J'otoijnc {en nissc).
■ liiclianl liiickti, lier Deuhchen Votkszahl und Sprachgebiel in den Europùischen Staateu.
' llljjp|ip, Vcrfassuny l'ohm; — A. Lcioy-Bcauliou, Retuc des Deux Mondes, 1" avril 1870.
V. M
402 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE
non seulement les richesses industrielles du pays, mais aussi ses institu-
tions et ses lois. Or, ces villes sont, comme au moyen âge, les lieux d'im-
migration des Allemands, et ceux-ci prennent ainsi dans le pays une part
d'influence considérable. Ils sont en Pologne beaucoup plus nombreux,
proportionnellement et absolument, que dans les provinces dites « alle-
mandes « des bords de la Baltique. Il est vrai que le gouvernement russe n'a
pas cru devoir jusqu'à maintenant prendre les mêmes précautions contre
l'influence allemande en Pologne que dans les provinces d'Ehstonie, de Li-
vonie et de Courlande. Comptant sur la rivalité naturelle et même sur la
haine qui sépare les Allemands des Polonais, révélée par le proverbe : «Tant
que le monde restera monde, l'Allemand ne sera pas le frère du Polo-
nais ! » le gouvernement a souvent encouragé la colonisation germanique
dans les pays de la Yislule, afin d'affaiblir ainsi l'élément national. Peut-
être lui faudra-t-il quelque jour changer complètement de système et
s'appuyer au contraire sur les Polonais pour éviter une rapide germani-
sation des districts slaves voisins de la frontière'. Tandis que, privée de
la libre disposition d'elle-même, la Pologne orientale a été transformée
par les Piusses en une vaste forteresse contre l'Allemagne, les Allemands
se sont pacifiquement établis au cœur de la place,; et leur part réelle de
pouvoir, celle que donnent l'intelligence et l'industrie, est bien supérieure
à celle des habitants russes et lithuaniens de la Pologne, établis pour la
plupart dans le voisinage de la frontière orientale.
Heureusement que le peuple polonais grandit et se développe, et qu'il
devient de plus en plus fort pour lutter contre les influences extérieures.
Quoique privé de son autonomie politique, il a certainement plus de sen-
timents patriotiques, plus de valeur morale qu'au dernier siècle, à l'époque
oîi les seigneurs vendaient leur pays au plus offrant et où la nation lais-
sait s'accomplir le marché sans y prendre garde. Malgré les désastres qui
ont suivi l'insurrection de J865 et qui ont frappé surtout les classes
riches, l'abolition des privilèges de la noblesse et du clergé, de même que
les changements agraires et communaux, réclamés depuis longtemps par
le parti démocratique polonais*, ont eu les conséquences les plus heu-
reuses. Au point de vue matériel, les progrès sont de toute évidence.
La prospérité générale s'est accrue ou. pour mieux dire, la misère a di-
minué. En 1850, le nombre des propriétaires du sol, presque tous nobles,
' Élrangers en Pologne :
En 1875, 103 902; en 1881, IM 506, dont 67 481 non sujets de l'empire.
' Manifosle du Towarifislwo Dcmokralycznc (Associalion démocratique) de iSù'2, signe par
1153 membres de ri!mi''r,itioa.
POLONAIS ET ALLEMANDS. 405
dépassait à peine 218 000 et ne représentait pas même la seizième partie
de la population. La foule des cultivateurs était composée de fermiers, de
journaliers et de valets. Mais depuis la loi de 1804 les fermiers et quelques
journaliers sont devenus propriétaires, et depuis 1866 la distribution des
terres de la couronne et des églises a commencé en faveur de ceux qui
n'avaient encore rien reçu. Des mesures analogues ont été prises dans les
petites villes et les bourgs. Avant 1864, treize villes seulement sur 468
étaient bâties sur un sol appartenant aux habitants; toutes les autres
étaient, suivant les us féodaux, la propriété des seigneurs ou de la cou-
ronne. De ces prétendues villes, 537 ont été transformées en villages agri-
coles ' et les terres en ont été assignées aux paysans.
Les conséquences de ces réformes agraires ont été considérables. Les
exploitations agricoles, accrues au profit exclusif des laboureurs, ont aug-
menlé en huit années de plus d'un million d'hectares en surface ; en
1872, la superficie du territoire de culture concédé aux paysans s'éten-
dait sur un espace d'environ le tiers de la Pologne, et plus du dixième était
en possession communale'; la moyenne du terrain appartenant à chaque
famille de laboureurs est de plus de 6 hectares. Durant les quinze années
antérieures à 1859, les terres en culture dans l'étendue du royaume ne
s'étaient accrues que d'environ 220 000 hectares"; l'augmentation a été
de 550 000 hectares pendant les dix années qui ont suivi la remise des
terres libres aux paysans'; plus de deux millions d'individus, en y com-
prenant les familles, prennent part à la possession de la terre. La produc-
tion des céréales s'est élevée de plus d'un tiers, de 27 millions à 43 millions
d'hectolitres, et la récolte des pommes de terre a plus que doublé. Le
bétail a augmenté aussi en de fortes proportions % et les statistiques locales
prouvent que cet accroissement s'est fait surtout dans les enclos des petits
paysans et non dans les domaines des grands propriétaires. Grâce à l'ac-
' Zafenski, Statistique comparée (en polonais).
* Propriétés des paysans polonais en 1873, d'après Anoutchin :
Feui. Superficie en 1872.
Sur les terres des seigneurs et des couvents, elc. 4i0 721 2 981 000 hectares.
» des villes . 03 958 271 500 «
» de la couronne 100 OSS 127 .wO
Ensemble 094 747 5 379 830 fieclarcs.
' Tenfioborskiy, Forces productives de la Russie; — Scliaitzlor, L'Empire dés Tsars.
* Simonenko, ouvrage cité.
* Statistique du bétail en Pologne :
lîrebis 3 723 000 en 18G0 4 180 000 en 1870.
Dœufs et v.ncbcs 1997 211 ;) 2 429 920 en 1881.
i;hevaux 590 873 s- 733 421 en 1870.
404
ÏÏOUYELLE GÉOGRAPUIE UNIVERSELLE.
cfoisscmenl des ressources agricoles, l'industrie manufacturière de la
Pologne a fait plus que doubler ses produits depuis les lois agraires
de 18G4 : tandis que la production industrielle de 1857 était évaluée à
42 millions de roubles, soit à IGO millions de francs environ, elle était
de 140 millions de roubles en 1878. D'ailleurs, l'augmentation du bien-
être est rendue évidente par le mouvement de la population, que les révo-
lutions^ les massacres, les épidémies avaient fait jadis si fréquemment
diminuer : les naissances ne sont pas plus nombreuses, mais la mortalité
a décru ; la vie moyenne s'est allongée, et, par un phénomène inattendu,
c'est maintenant l'élément polonais qui l'emporte par ses progrès sur l'élé-
K» C MOUVEMENT IlE LA POriTATION POlONAISr. DE 1816 4 1881.
hab-.
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Perron
ment germanique. Les tables dressées, non par nationalités, mais par reli-
gions, prouvent que de 1863 à 1870 les catholiques. Polonais en grande
majorité, ont augmenté de 21 pour 100, alors que les prolestants. Alle-
mands presque tous, n'ont gagné que 12 pour 100. Avant la constitution
(le la petite propriété en Pologne, c'est précisément le contraire qui se
produisait d'année en année. La fondation de nouvelles écoles, établies par
les paysans eux-mêmes et à leurs frais, est également une jireuve remar-
quable des progrès accomplis'; toutefois l'obligation de parler russe dans
les écoles est un grand obstacle à leur développement, les élèves étant
' Écoles primaires de la Polo|;nc :
En 18G.") : 848 ccolcs, -47 550 élèves.
En \»T2 : 20'20 » 110 550 »
En 1876 : 3181 écoles, 1fi8 5-49 élèves,
soit 1 sur 57 liiib. (Dans le districl de
Moscou, 1 siii' 51 hab.)
PROGRES MATÉRIELS DE LA POLOGNE. 405
forcés de « rôpétei' les mots avant de comprendre les choses » '. Enfin, les
crimes de toute espèce, et principalement ceux auxquels on donne le nom
de « crimes contre la propriété », ont diminué en d'étonnantes propor-
tions, du tiers, de moitié, même des deux tiers, et cependant le nombre
des habitants s'accroissait d'un million et demi dans le même espace de
temps.
Vue d'une manière générale, il est certain que la participation des
paysans à la propriété a été inaugurée d'une manière beaucoup plus heu-
reuse dans les « Pays de la Vistule » que dans la Poznanie prussienne et
dans la Galicie autrichienne. La cause en est surtout aux libertés commu-
nales, restreintes, mais non absolument illusoires, dont jouissent les
j)aysans polonais. Tous les cultivateurs possédant trois morg (de l'alle-
mand morfjen), c'est-à-dire un peu plus d'un hectare et demi, peuvent
discuter dans l'assemblée de la gmina (de l'allemand gemeinde) leurs
intérêts agricoles, même les gérer en partie, et contre les usuriers ils
ont la force que leur donne la solidarité : là où l'homme isolé succom-
berait, la commune résiste et triomphe. Dans la Poznanie, oii les paysans
sont restés sous la magistrature et la surveillance policière de leurs an-
ciens seigneurs, la moitié des terres de quelques districts a été déjà
levendue à vil prix à ceux qui les possédaient avant 1848, le prolétariat
augmente d'année en année, en même temps que la criminalité, et nombre
de misérables n'ont d'autres ressources que l'émigration''. En Galicie, la
situation des paysans est pire encore, et la terre, que les cultivateurs
croyaient enfin leur appartenir, passe rapidement entre les mains des usu-
riers ". Les communes de Pologne, assiégées de tous les côtés par les prê-
teurs d'argent, envahies déjà partiellement par les chefs d'industrie, auront-
elles l'intelligence et l'énergie nécessaires pour défendre leurs champs?
.Ius((u'à maintenant elles semblent avoir réussi.
Quant à l'œuvre de « russilicalion » entreprise en Pologne, d'ailleurs
sans méthode et sans esprit de suite, elle ne pouvait aboutir, et la nation
reste plus polonaise que jamais. Di^à séparée des Russes par les traditions
patriotiques, par la religion, par les mœurs, elle continue de l'être j)ar la
langue. Sans doute, les jeunes gens des gymnases apprennent le russe et
' Hmée pcdaijoyique, 187fl, n°' 2 et 5 (en russe).
- Enscl, l'reussische Sldlislik, llefl XXV[, 1874.
■• Vente des p opriétés de pivsnn'i m G:ilicie ;
1807 164 ventes ii l'encan en 150 villages.
1875 fiU ,. ,. ,. 409 »
1877 2101) « .. .. 1200 I.
iUuicau slalistique de Lwow.)
40G ^OL■V■ELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
savent s'exprimer dans l'idiome de leurs vainqueurs ; sans doute aussi les
écoles secrètes polonaises ont été partout découvertes et fermées ; mainte-
nant tous les manuels des écoles primaires sont rédigés en russe et les
questions sont posées par l'instituteur dans la langue étrangère ; mais, que
les enfants comprennent ou non la leçon qu'on leur donne, le polonais
n'en reste pas moins leur langue maternelle, celle dans laquelle ils pen-
sent. La littérature polonaise est toujours cultivée avec le même zèle, et
chaque année s'enrichit d'ouvrages originaux et surtout de traductions
nombreuses'.
Les villes se pressent en Pologne, région industrielle de l'empire russe,
et principalement dans le territoire voisin de la haute Silésie, de ses bas-
sins houillers et de ses mines : des deux côtés de la frontière s'élèvent les
grandes usines et s'agitent les populations ouvrières. D'ailleurs le gisement
de combustible s'étend sous le territoire polonais, où l'on exploite surtout
les houillères de Dombrowa ■.
Dans cette partie de la Pologne, presque toutes les eaux s'écoulent vers
l'Odei-, à l'exception de quelques ruisseaux qui descendent vers le sud et
vont rejoindre la Vistule naissante, en amont de Cracovie : un de ces ruis-
seaux traverse Bedzin, le chef-lieu d'une région de manufactures. La ville
qui commande la haute vallée de la Warta est l'antique et lière cité de
Czestochowa, à l'ouest de laquelle, séparée par le chemin de fer, grandit
une nouvelle ville. A l'orient s'élève le « Clair Mont » ou Jasna Géra, por-
tant à la cime un couvent qui ressemble à une forteresse et qui fut en
effet pendant des siècles un des principaux châteaux forts de la Pologne :
en ITOi, les Suédois l'assiégèrent en vain. Le prieur fuljusqu'à l'année 1705
le commandant militaire de la place. Grâce à une image de la madone,
d'origine byzantine, à laquelle la diète de 1650 voua le royaume, et que le
peu]ii(! considère comme la « reine de Pologne », le couvent de Czesto-
chowa, enrichi par de continuels présents, devint propriétaire d'immenses
domaines s'étendant sur la quinzième partie de l'ancienne Pologne, et com-
prenant environ 5 millions d'hectares. Privé maintenant de ce véritable
royaume, le couvent a du moins un riche trésor, agrandi chaque année
pai- les cinquante ou soixante mille pèlerins accourus de tous les pays
calholiiiues des trois empires : à l'ouest de Kiyev, Czestochowa est le lieu
' l'iililiiMlinni |iéri(iiliinii's |iolon;iisi's dans les poiivornoinwUs ilo la Visliilr en IS77 : (50.
- l'rci.liictiim ili's iKJuilloivs ilo I)i)iiilini\va en Is71 : 'JSS 000 toimes ; ou 1S78, DOJ ôOl) loiiiies.
KALISZ, tODZ. 409
de pèlerinage le plus fréquenté du monde slave. Comme tontes les villes
saintes où les étrangers se rencontrent en foule, Czçstochowa est aussi un
marché considérable et fait commerce de bestiaux, de draps, de toiles et
d'objets de mercerie.
A peine entrée dans la province de Kalisz, la Warla, grossie de nom-
breux affluents, parcourt une large vallée d'alluvions au milieu de laquelle
est assise la ville de Sieradz, non loin de laquelle, sur le plateau de l'est,
se trouve une autre ville, plus populeuse, Zdiinska Wola, Ensuite la rivière
baigne la base de la colline où s'élève la ville de Warta, dont elle porte le
nom ou qui a reçu le sien ; puis, après avoir décrit une grande courbe
vers l'ouest, elle entoure l'îlot dans lequel a été bâtie la ville de Kol'o,
baigne les murs de Konin et pénètre en Prusse au confluent de la Prosna.
Ce cours d'eau sert de frontière entre les deux empires, et sur ses bords,
au milieu des arbres fruitiers, s'élève la cité de Kalisz, le chef-lieu de la
province. Cette ville historique, maintenant fort commerçante et possédant
des manufactures de draps, est considérée comme la plus ancienne de la
Pologne ; peut-être même est-ce la ville mentionnée par Ptolémée sous le
nom de Kalisia. La contrée environnante est parsemée de buttes funéraires,
dans lesquelles on a fait de riches trouvailles.
Plusieurs autres villes polonaises se trouvent aussi dans le bassin de la
Warta sans être sur ses bords ou dans le voisinage. Telle est Turek, située
au nord-est de Kalisz; telles sont aussi, à l'orient de cette rivière, Leczyca,
ancienne résidence de voïvodes, et diverses villes de filatures et de fabri-
ques d'étoffes, Ozorkôw, Pabianice, Zgierz, todz. Cette dernière, qui n'était
encore en IS^l qu'un pauvre village de moins de 800 habitants, est main-
tenant la deuxième cité de la Pologne par sa population aussi bien que
par son industrie. Mais ce n'est pas une ville ordinaire ; c'est plutôt une
rue d'une dizaine de kilomètres de longueur, de chaque côté de laquelle se
succèdent les maisons des ouvriers, les filatures de coton, les fabriques de
draps, les teintureries et autres établissements industriels, au nombre de
plusieurs centaines'; elle fabrique à elle seule les sept huitièmes de toutes
les étoffes de coton qui se font en Pologne. La plupart de ces manuf;ictures
appartiennent à des Allemands.
Le bassin de; la Pilica, dont les eaux, nées près de la ville de même
nom, vont rejoindre la Vislule en amont de Varsovie, a beaucoup moins
d'importance industrielle que celui de la Warta. Przedborz, où la rivière
n'est pas encore navigable, n'est qu'un marché agricole. La ville de Piotr-
' Valeur des élofies de colon fabriquées à liodz en 1880 : 22 08 i 000 roubles.
Y. 52
4!0 NOUVELLE GÉOGRiPIllE UNIVERSELLE.
Ivow, sitiiéo non loin de la Pilica, dans une vallée laléralc de l'ouesl, esl
une ville qui doit presque toute son importance à san rang de chef-lieu
(le piovince. Tomaszôw a de nombreuses manufactures de draps; mais en
aval il n'y a plus dans la vallée de la Pilica que des bourgades faiblement
peuplées. Radom, capitale de la province de son nom, est dans une vallée
plus méridionale, dont les eaux sont alimentées par les sources et les
neiges de la Lysa Géra. C'est une vieille cité où se fait un commerce
d'échange très actif entre les montagnards et les gens de la plaine. Sur le
versant méridional de la Eysa Géra sont aussi quelfpies villes indus-
trieuses : Kielce, chef-lieu du gouvernement, ville d'usines à fer et de
fabriques de sucre, entourée de collines pittoresques, d'où l'on retirait
autrefois le minerai de cuivre ; Chçciny, près de laquelle on exploite des
carrières de marbres; Chmielnik; Pinczéw, qui possède des mines de
pyrites; Wîslica, ancienne résidence royale, célèbre par le « statut de
Wislica », édicté par Casimir le Grand en 1547; Nowe Miaslo, située éga-
lement sur la Nida, et comme AYislica, enrichie par ses gisements de
soufre; Staszôw; Rakôw, maintenant simple village, qui fut au dix-septième
siècle le centre intellectuel des sociniens, l'Athène sarmatique, détruite
par ordre du sénat en 1658, vingt ans avant la promulgation de la loi votée
contre la secte. La fière Sandomierz est assise au bord de la Yistule et
couronnée de son ancien château. Cette ville, une de celles dont le nom
est le plus souvent répété dans l'histoire de la Pologne, était la capi-
tale du royaume pendant le treizième siècle, et l'une de ses églises, de
style byzantin, date de celte époque. Son commerce lui donna de grandes
richesses; mais précisément son rôle prépondérant dans l'Etat lui valut
lies sièges et des incendies. Actuellement, elle n'a plus d'importance que
jiar le flottage des bois et par la navigation fluviale pour le transport des
céréales.
A l'est de la Yistule, mais en entier dans son bassin et dans celui de
son affluent le Bug, le gouvernement de J.ublin occupe l'angle sud-
oriental de la Pologne actuelle. Sa capitale, longtemps disputée entre les
Polonais et les Russes de la Galicie, fut deiiuis le seizième siècle et avant les
développements rapides de todz, la deuxième ville delà Pologne; elle ne
le cède toujours qu'à Yarsovic en majesté d'aspect. Aux temi)s des Ja-
gello, elle eut, dit-on, 40 000 habitants, et nulle cité ne pouvait se mesurer
avec elle dans tout l'espace compris entre la basse Yistule et le Di'iejjr;
mais, dévastée à diverses reprises par les Tartares et j)ar les Cosaques, elle
fut réduite plusieurs fois à la condition de bourgade : en dehors de la
ville actuelle, des ruines informes couvrent encore une grande étendue de
VILLES DE LA POLOGNE MÉRIDIONALE. 411
terrains; il ne reste que de pittoresques débris de ses murailles. Lulilin
est devenue célèbre par la diète orageuse de 1568 et 1569, où fut décidée
l'incorporation de la Lithuanie à la' Pologne. Comme forteresse, elle a été
remplacée par la ville de Zamosc, située sur un plateau marécageux, à
^•20 mètres d'altitude, non loin de la frontière autrichienne et du laite de
partage entre le bassin de la Vistule et celui du Diiestr. A la fin du seizième
siècle, le comte Zamoyski en choisit l'emplacement sur ses immenses do-
maines et la fit bâtir avec des rues à arcades sur le modèle des villes de
Lombardie ; il la dota aussi d'une académie et d'autres institutions qui
ont cessé d'exister. Mais la ville commerce toujours avec la Volînie et la
Galicie, de même que ses deux voisines, Bi'l'goraj et Hrubieszôw. La pre-
mière a la spécialité des tamis : elle en vend plus d'un million par an.
Près de la seconde, le village de Horodla, sur le Bug, rappelle le pacte
conclu pour la première fois entre la noblesse catholique de la Lithuanie
et celle de la Pologne en 1415. Toute cette contrée est des plus impor-
tantes dans l'histoire de la Pologne et des pays voisins. Un des villages
voisins, Tchermo, l'ancienne Tcherveii, donna son nom au groupe des villes
russes de la « Russie Rouge », devenue plus tard la Galicie.
A l'est de Lublin, sur un affluent du Bug et déjà dans le pays Iiobiti'
par les Petits-Russiens, s'élève l'une des plus anciennes villes russes, Kholni
(en polonais Chelm); elle doit son nom, qui signifie « colline», à la butte sur
laquelle s'élevait un château dont ne purent jamais s'emparer les Tartarcs.
Dans les environs, au nord et au sud, se dressent deux anciennes tours
carrées, sans ouvertures et sans vides à l'intérieur, dans lesquelles des
antiquaires voient des symboles d'un culte païen, tandis que pour d'au-
tres elles sont les marques de la frontière de Galicie au treizième siècle.
Ville épiscopale des Uniates, c'est-à-dire des orthodoxes grecs unis à
l'Église romaine, Khoim devint leur capitale en 1859, après la suppres-
sion de l'Union dans la Russie proprement dite; mais en Pologne il ne
reste plus qu'un petit nombre des 240 000 Uniates qui s'y Uouviiiciil
en 18(34 :-des conversions, où la force a joué un certain rôle et qu'ont
accompagnées des conflits sanglants, ont rattaché les Uniates à l'église
orthodoxe russe.
La Vistule sert de frontière commune aux deux gouvernements de Lublin
et de Radom dans toute la partie de son cours moyen dirigée du sud ;ui
nord. Avant de se reployer au nord-ouest pour couler vers Varsovie, elle
passe dans un défilé ([ue dominent des ruines historiques, à l'ouest Jano-
wicc, à l'est Kazimierz, et passe devant le magnifique château et le parc
de Putawy, ancien domaine princier auquel a été imposé le nom de Nowo
41-2
NOUVELLE GEOGII.VPIIIE UNIVERSELLE.
Alexandrva, et dont tous les trésors, livres précieux, manuscrits, objets
d'art, ont été transportés à Saint-Pétersbourg : le palais est devenu un
institut agricole et forestier. Plus bas,' au confluent de la Vistule et de
la Wieprz, la forteresse d'Ivangorod, l'ancienne Demblin, couvre au sud-
ouest les abords de Varsovie.
Cette capitale, la Warszawa des Polonais, est de beaucoup la première
N" 8i- VARSOVIE.
Est de rafis
D'après I ttat-Majc- et d autres documents
cité de la Pologne, et dans l'empire slave elle vient immédiatement après
Saint-Pétersbourg et Moscou. Pourtant ce n'est pas l'une des villes anciennes
de la contrée : Gnesen, Cracovie existaient déjà depuis des centaines d'années
(jue le site où s'élève de nos jours la puissante Varsovie était encore une
forêt remplie de bêtes fauves : le nom de celte ville apjiaraît j)our la pre-
mière fuis au commencement du treizième siècle. La conlrt-e que parcourt
la Vistule moyenne était occupée surtout par la peuplade presque indé-
jiendanle des Mazurcs, qui se rangea parfois avec les chevaliers Teuto-
VARSOVIE. 4i:.
niques contre les Polonais et ne se fondit complètement avec la monarchie
qu'à l'extinction de sa maison ducale en 1526. Lorsque la Lilhuanie
fut incorporée à la Pologne, Varsovie fut choisie comme le lieu de réu-
nion des dictes, précisément parce qu'elle n'était « ni polonaise ni li-
thuanienne, et se trouvait sur le territoire neutre de la Mazovie ».
C'était en 1569. Devenue ainsi le centre d'équilibre de la Pologne et de la
Lithuanie, et débarrassée des limites incertaines, mais gênantes, qui pro-
venaient de la séparation du pays en plusieurs Etats, Varsovie profita
aussitôt des avantages géographiques de sa position. Elle est située sur un
grand fleuve navigable, au centre d'une plaine fertile qui s'étend des pla-
teaux de la Prusse orientale au massif de Eysa Géra. C'est vers la partie
du cours fluvial dont Varsovie occupe le milieu que les affluents conver-
gent en plus grand nombre : en amont, la Wieprz et la Pilica, venues l'une
du sud-est, l'autre du sud-ouest, apportent à la Vistule les eaux de presque
toute la Pologne méridionale; en aval, la rivière abondante dans laquelle
viennent de se mêler le Narew et le Bug, ajoute sa masse d'eau à celle du
fleuve principal. De même que Paris, bâti au-dessus du confluent de l'Oise,
n'en est pas moins devenu l'entrepôt naturel de toutes les denrées descen-
dues par la rivière tributaire, de même Varsovie, placée au-dessus de la
jonction de la Vistule et du Narew, est le point de convergence pour les
routes commerciales que les vallées du Narew et du Bug ouvrent à l'est
et au nord-est vers la Lithuanie. En outre, la capitale de la Pologne est
située sur la courbe de la Vistule qui se développe à l'est vers la Russie,
et précisément en face, le seuil de partage peu élevé qui sépare les affluents
du Di'iepr de ceux du Xeman et de la Diina se prolonge au loin vers Mos-
cou, comme un grand chemin pour les migrations et le commerce'. Cette
route des caravanes paisibles est aussi la route des armées, et les Polo-
nais l'ont fréquemment suivie dans leurs expéditions contre les Busses :
à leur tour, ceux-ci l'ont parcourue pour envahir la Pologne et porter la
désolation dans Varsovie. Peu de cités ont eu dans les temps modernes une
histoire politique plus lamentable que celle de la cité polonaise : pourtant
Varsovie n'a cessé de s'accroître en étendue et en population. Si elle était
dégagée de l'entrave des fortifications qui gênent son développement in-
dustriel et délivrée du demi-cercle de douanes qui se développe autour
d'elle de 100 à 200 kilomètres de distance, il est certain que cette ville,
la plus rapprochée du centre géométrique du continent, prendrait son
rang parmi les premières cités européennes. Ouoiquc traversée par deux
' J. G. Kotil, Die Gcoyraphische La(je der llauplslâdte Europa's.
414 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
des grandes voies ferrées de l'Europe, elle n'a pas encore au service de
son commerce un nombre suffisant de chemins de fer. En outre, elle est
fréquemment menacée par les débâcles de la Vistule, et souvent le quar-
tier de Praga, les jardins et les villas des faubourgs riverains présentent
un aspect désolant de désordre et de ruine.
Bâtie en croissant sur la berge occidentale de la Vistule et dominant
d'environ 50 mètres les eaux du fleuve et ses îles boisées, Varsovie a pour
centre l'ancien palais royal, entouré de jardins en terrasses qui s'élèvent
immédiatement au-dessus de la berge. De ce palais, qui renferme main-
tenant une bibliothèque et des œuvres d'art, partent les principales
avenues, bordées d'hùtels et d'édifices publics. La vieille ville, aux rues
étroites, s'étend au nord, enfermée, pour ainsi dire, entre les nombreuses
casernes voisines du château et de la citadelle. Au sud s'étendent les
nouveaux quartiers, percés de larges avenues. Un viaduc de chemin de fer
et un superbe pont de sept arches traversent les eaux jaunâtres de la Vis-
tule et réunissent la ville à son faubourg de Praga, devenu si tristement
fameux par le sanglant assaut de Souvorov en 1794 et par celui de Paske-
vitcli en 1851.
Varsovie est une ville d'université, et sa haute école' possède, avec une
bibliothèque de 552 000 volumes, des collections de toute espèce, un
observatoire, un jardin botanique; après l'insurrection de 1850 et 1851,
l'université, qui avait été fondée en 1810, fut fermée, et les cours ne re-
prirent qu'en 1861 ; le nom même d'université ne lui fut rendu qu'en 1869,
mais la langue de l'enseignement est le russe, et l'école n'a pas tous les
droits universitaires dont jouissent les autres établissements de l'empire.
En outre, Varsovie possède, parmi ses établissements spéciaux d'instruction
publique, une école des arts et métiers et un conservatoire de musique.
Le principal musée est celui de la Société des Beaux-Arts, et quelques sta-
tues s'élèvent dans les beaux quartiers, notamment celle de Copernic,
érigée sur l'une des belles places de la ville par ses « concitoyens ». La
capitale de la Pologne se distingue par son activité industrielle et commer-
ciale : filatures et manufactures d'étoffes, fabriques de tabac, distilleries,
brasseries, tanneries, cordonneries, savonneries, fonderies, fabriques de
machines, d'outils, de meubles, de pianos, fournissent annuellement des
produits pour une valeur de plusieurs dizaines de millions*. Une fabrique
voisine, Zyrardowska, ainsi nommée en l'honneur de Philippe de Girard, a
' Étudiants de UlniversiU' Je Varsovie eu jiinvicr 1881 : 7'J'2; iirofosseurs, ti8.
" Fahriquos de Varsovie en 1879 : 307 avec I i 2(iO oiivriiTS.
Production de l'année : 27 2ô0 000 roubles {environ 08 000 000 francs).
VARSOVIE. • ^17
presque le monopole de la fabrication du linge de table en Pologne : elle en
produit pour quatre millions par an. Quant à l'activité des échanges, on
peut s'en faire une idée en voyant la foule des Israélites affairés qui par-
courent, au nombre de cent raille environ, les rues de Varsovie. De toutes
les villes du monde, Varsovie est celle où la population juive est la plus
forte, une de celles où elle s'accroît le plus rapidement '. La foire aux laines
de Varsovie est une des plus importantes de l'Europe centrale*. Comme la
plupart des autres grandes villes, la capitale de la Pologne, qui d'ailleurs
n'a que trop de quartiers insalubres, habités par une population misérable
«■t souffreteuse, est entourée de lieux de plaisance, de bosquets, de villas, où
se porte la population pendant les jours de fête; surtout le palais Lazienki,
bâti au sud de la ville, sur une ancienne plage où la Vistule avait laissé
une fausse rivière, est un lieu ravissant par ses ombrages et ses eaux, qui
reflètent des statues de marbre blanc et les colonnades d'une ruine factice
servant de scène à un théâtre en plein air. A l'ouest, la plaine de Wola
rappelle ces élections royales si chaudement disputées, où l'on vit camper
jusqu'à 200000 nobles avec leur cortège, plus semblables parfois à des
ennemis prêts à en venir aux mains qu'à des compatriotes réunis pour dé-
libérer en paix; plus loin, Wilanôv, qui fut le château de Solneski, ren-
ferme un musée de peinture, une collection numismatique, une biblio-
thèque historique. Parmi les noms des hommes célèbres qui naquirent à
Varsovie il faut citer celui de Lelewel, historien, géographe, et par-dessus
tout grand citoyen. Chopin naquit dans le voisinage de la cité.
A 35 kilomètres en aval de Varsovie, le Narew, grossi du Bug, mêle
ses eaux à celles de la Vistule, en limitant avec elle une péninsule allongée
où s'est bâtie la ville de Nowy Dwor. D'autres groupes de constructions,
villes et villages, se sont élevés sur les deux rives en aval du conlluent,
tandis qu'au nord, dominant à la fois les deux rivières, se montrent les
remparts de Nowo Georgicwsk ou Modlin, place forte que les ingénieurs
reconnaissent comme un modèle d'art militaire : trente mille, quarante
mille soldats même peuvent trouver place dans le camp retranché de
Modlin pour appuyer les mouvements d'une armée en campagne.
Presque toutes les villes de la Pologne orientale, dans les provinces
de Siedice, de tomza, de Varsovie, appartiennent aux bassins du Narcw
' .Nombre et proporlinn (Ic> Juifs et des Chrétiens résidant à Varsovie ;
1800 : ll8 00nChn''liens; *5 000 Juifs, soit 27 pour 100 «le la population.
18f.9 : l'il .^flO 69 000 )> . 30
1879 : 259 880 .> 117 290 « 55
- Vente en 1880 : 701510 kiloi;rainrnps, d'une valeur do 5 520 000 francs.
41S • NOLVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
et du Biig. Sur la route de Varsovie à la forteresse de Brest, on voit se
succéder, entourées des plus beaux champs de céréales, les villes de Ka-
iuszyn, (le Siedlce, de Miçdzyrzecz, de Bial'a (Bêla); Wl'odavva, sur la fron-
tière de la Lithuanie, ne fait qu'une ville avec le faubourg de Wl'odawka,
situé sur la rive opposée du Bug; Ostrôw est dans les campagnes qui
s'étendent au nord de cette rivière; Tjkocin n'est séparé de la Lilhuanie
que par le cours du Narew; •Eomza, baignée par la même rivière, fut long-
temps une ville déchue, et l'on voit encore les ruines qu'y laissa le pas-
sage des Suédois; plus bas, sur le même cours d'eau, se trouve Ostro-
loka, où se livra en 1851 la bataille décisive qui ouvrit aux Russes la
route de Varsovie. Puïlusk, où se rencontrèrent aussi les armées, Suédois
contre Saxons, Français contre Russes, est sur la même rivière, barrant
la route de Varsovie. Les villes voisines les plus importantes sont Makow
et Prasnysz au nord, et Nasielsk au sud-ouest.
A l'ouest de Varsovie et du confluent du Narevv, la plupart des villes
sont éloignées du fleuve, dans les bassins latéraux de la Vislule. Rawa et
Brzeziny, toutes les deux appartenant à la région industrielle dont todz
est le chef-lieu ; Skierniewice, importante gare de croisement pour les
chemins de fer, Kutno, Lowicz, Sochaczew appartiennent au versant de la
Bzura ; Gabiri et Gostynin s'élèvent sur un plateau limité au nord par
la Vistule ; au nord du même fleuve, sur les pentes du faîte mazovien,
sont les villes de Ml'awa, Plonsk, Ciechanôw, Sierpce, Lipno. Mais les deux
cités les plus importantes de cette contrée sont bien situées sur le lleuve
et servent d'étapes aux chalands et aux bateaux à vapeur qui descendent
ou remontent le courant. Pl'ock, qui domine la Vistule d'une colline élevée,
est une ville épiscopale fondée au dixième siècle et fut longtemps la rési-
dence des ducs de Mazovie ; AVl'oclawek, moins ancienne et moins pitto-
resqucment située, est surtout une ville de commerce.
La province de Suwalki, presque entièrement séparée du reste de la
Pologne par de vastes marécages non encore desséchés, se trouve aussi
dans un autre bassin hydrographique, celui du Neman : peuplée en
majorité de Lithuaniens, elle appartint à la Lithuanie jusqu'au dernier
partage de la Pologne. Cependant la ville d'Augustôw ou Augustowo,
ainsi nommée au milieu du seizième siècle en l'honneur du roi Au-
guste I", est parcourue par un ruisseau dont l'eau, de lac en lac et de
rivière en rivière, finit par tomber dans la Vistule; mais un canal de navi-
gation, unissant de petits lacs, rejoint celle ville au Neman et la place,
pour ainsi dire, sur le versant du fleuve. Auguslow, jadis chef-lieu de
gouvci iR'uiciil, a élé remplacée comme capitale par la ville moderne de
■f:O.MZ.V, AUGUSTOW. i^9
Siiwalki, on srande pailie peuplro de Juifs, comme les outres villes de la
province, Kalwarya, Maryampol, Wilkowyszki, Wl'adjslawûw. Dans la
province d'Auguslôw se trouvent quelques colonies de raskolniks ^rrands-
russiens, dont le nombre s'est récemment augmenté d'émigrés revenus du
territoire prussien. Ils étaient onze mille en 1864 '.
' Population des villes de la Pologne avant plus de 5000 habitants
GOUVERNEMENT DE PtOTRKOW.
■Lodz (1881) . 19 600 hab.
Pioli-kow ,) 17 100 11
Czçslochowa (1S77) 15 500 »
Zgici'z
Tomaszôw
Pabianice
Crzeziny
Rawa
Nowoiadoinsk
Ccdzin
12 050
8 200
7 590
6 250
6 050
6 000
5 950
Kalisz
tçczyca
Siéra dz
Tiiruk
Kol
Ozoïkôw
Zdiiuska Wula
Konin
Waila
GOUVERNEMENT DE KiLlSZ.
(1882) 18 800
11 ..... 15 550
hab.
15 050
1 1 500
9 700
9 050
8 650
8 000
5 000
COCVEr.XEMENT DE KIKI.CE.
Kielcc
Pinezôiv
Chinielnk
Chçciny
Dzialoszice
(1881)
10 050
0 550
6 350
5 750
5 550
liab.
GOUVERNEMENT DE r..\IiOM.
Radô:n (1877) 12 100 hab.
Slas/ôw
Przcdborz
6 250
5 1.50
GOUVERNEMENT DE r.UDLI.N".
Lublin (1880) 55 000 hab.
Zamosc n 8 750 n
llnibicszow {1877; 7 700 n
Ititgoraj »,..... 6 570 •
Jleini (1880) 6 000 «
GOUVERNEMENT DE V.sr,SOVIE.
Varsovie (février 1882) .
. .100 260 hab
Wlocl'awek
188n .
. 20 660 »
Kuino
. 13 200 .■
towicz
8 700 ..
Gostvnin
8 350 .:
Kai'uszjii
i>.m.
7 500 '.:
,1
. . . 5 280 )■
Nowv Dwor
. 5 270 ..
Sochaczew
. . 5 200 l:
Gabin
,,
. . 5 200 .
GOUVERNEMENT DE S!!;ni.rX.
Biata (1880) 19 4.50 hnb.
Wlodawa »... .18 000 ^:
Siedlce (1881). ...... 12.300 ,
Miedzyrzecz (1880) 9 000 ;
Plork
.Mlawa
Prasnysz
Sierpce
Pionsk
Cicchanôw
Lipno
GOUVERNEMENT DE PtOrK
1881)
:!2 100 l.ab
10 000 '•
7 200 .1
0 850 .■
6 300 :
5 760
5 050 ;
GOUVERNEMENT DE LOMZ.V.
Loinza (1877) 15 000 hab.
Pullusk .< 7 700 ..
Makôw 11 6 550 i>
Osirôw .1 . 6 150 I
Tykocin >: 6 000 :.
Ostrolçka o ...... 5 000 ;>
GOUVERNEMENT DE SU\V.VI.KI.
Stiw.aiki (1880^ 18 450 hab.
Auguslôw 1.
Kalwarya :;
Wladvsl'avvôw (If
Wiikowyszki
.Maryampol
M 100
10 000
9 300
6 700
oGOO
420 NOUVELLE GÉOGRAPHIE LMVEUSELLE.
BASSINS DE L.Y HAUTE DU.NA ET DU SEMAS
LITHUASIE (lIITa), CRODNO, VITEBSS
De même que le nom de « Pologne », celui de « Litluianie » est une
appellation historique, dont la valeur a constamment changé suivant les
conquêtes, les alliances et les partages, et qu'il ne faut point confondre
avec celui de « pays des Lithuaniens ». Tandis que la Lilva proprement
dite, c'est-à-dire la contrée que peuplent les Lithuaniens d'origine et de
langage, ne comprend actuellement qu'une faillie partie de la Russie occi-
dentale dans les bassins de la Diina et du Neman, le nom de Lithuanie,
au point de vue historique, s'est appliqué à une étendue de pays beau-
coup plus considérable. Comme la Pologne, la Lilhuanie était un Etat
aux frontières changeantes dont les dominateurs eurent l'ambition de pos-
séder toute la région des plaines slaves entre la mer Baltique et le Pont-
Euxin; commandant d'ailleurs à des populations en grande majorité russes,
les princes de Lithuanie revendiquaient aussi le titre de souverains de la
Russie. Avant son union avec la Pologne, l'Etat lithuanien s'étendit en
travers du continent d'une mer à l'autre, et ses princes pénétraient en
Crimée pour en ramer^er des captifs; au quinzième siècle, le nom de Li-
thuanie s'appliquait à tout le pays qui s'étend de la Dûna à la mer Noire
et du Bug occidental à l'Oka. Pour les Russes de Moscou, les Slaves de
Minsk, de Kiyev et de Smolensk étaient des Lithuaniens. Au seizième
siècle, après l'union définitive avec la Pologne, l'appellation de « princi-
pauté » de Lithuanie ne fut conservée que pour la vraie Lithuanie de langue
et la Russie Blanche; même encore il est d'usage, en Pologne comme en
Russie, d'appeler « Lithuaniens » les Slaves Blancs-Russiens de l'ancienne
Lithuanie politique, en désignant du nom de « Jmoudes » les Lithua-
niens proprement dits. Après le partage de la Pologne, ce nom de Lithua-
nie resta aux j)rovinces de Grodno et de Yiluo, et bien que l'empereur
Nicolas en ait défendu l'usage oiïlciel en ISiO ce nom continue d'être
employé de nos jours, quoique dans un sens très vague, et s'applique
d'ordinaire aux trois gouvernements de Kovno, de Yilno et de Grodno. Ce
dernier, qui fut j)euplé jadis de Yatvagues, peut-être Lithuaniens, n'ap-
partient plus elhnogra|ihi(piemeul à la Lithuanie; il faut y voir plutôt le
pays aux contours vagues de la « Russie noire », peuplée surtout de
LiniLAME. ii\
Blancs-Uussiolîs et do Petits-Russions. M;us lo ïoiivernemont de Vilcbsk
pourrait y être rattaché h meilleur droit, puisqu'il a de 150 OOU à 200000
Lettons catholiques dans ses districts occidentaux; cependant la majorité
(le la population y est composée de Dlancs-Russiens.
PTIINTIPAUIE DE I.ITBrAN-
d'après Dra^omanov
Pays liUiuanions
occupes par les AUvuiuiids, !«> 1'
^ ^ ^
les Malo'Kuïs.is, Ks U'clo-Kusscs, les V.liko-Kcszss.
1 : I50> 000
Au point de vue pi''".i.'ra]>hi(pie, cette partie de l'empire russe est aussi
un ensemble assez nettement délimité, car le bassin du Neman, de même
que celui di; la Dijna, a jiour frontières du côté du Di'iepr des forêts presque
impénétrables, des marécages aussi vastes que des provinces, et à l'orient
s'élèvent des massifs de collines où se fait le partage des eaux entre lus
422 NOUVELLE GÉOGRAPHIE f.MVERSELLE
affluents du Neman, du Di'iepr et de la Diiua. Les quatre provinces ont une
superficie d'un quart plus gi'ande que celle des « Pays de la Vistule »,
mais elles sont beaucoup moins riches, et leur population est très infé-
rieure'. Comme la Pologne, elles restent séparées de la mer : à l'ouest
du gouvernement de Kovno, la Courlande confine à la Prusse par une zone
étroite de terrain longeant les eaux de la Baltique.
Le fleuve lithuanien par excellence, le Neman, naît dans le gouver-
nement de Minsk et contourne au sud le plateau découpé que l'on pour-
rait appeler la haute Lithuanie. A Grodno, où il change de direction
pour couler vers le nord, il est assez abondant déjà pour porter bateau,
et quoique le cours en soit interrompu par de nombreux rapides, on voit
augmenter d'étape en étape les embarcations portant les denrées que four-
nissent les deux rives, de Pologne et de Lithuanie. A son entrée en Prusse,
en aval de Jûrburg, le fleuve, qui prend le nom de Memel, a 500 mètres
de large et roule probablement une masse d'eau d'au moins 500 mètres
cubes par seconde, mais il se ramifie en plusieurs bras changeants dans
son delta du Kurische Haff, et c'est par un canal seulement que le trafic
du fleuve se continue vers le port de Memel.
Fort nombreux en Lithuanie. les lacs n'ont pour la plupart qu'une
faible étendue : au nord, à l'est de la province de Vilno, les plateaux ro-
cheux sont creusés en une multitude de bassins où se sont amassées les
eaux de pluie et que d'anciennes moraines, des cordons de blocs erratiques,
partagent çà et là en vasques secondaires : ces réservoirs forment un véri-
table labyrinthe lacustre semblable à celui du plateau des Mazures, dans
la Prusse orientale. Les marais couvrent un espace beaucoup plus consi-
dérable, surtout dans le gouvernement de Grodno, mais la population, qui
s'accroît rapidement, ne cesse d'empiéter sur le domaine des eaux et de
remplacer les marais par les cultures. Les anciennes forets, qui s'étendaient
sur d'assez vastes territoires pour séparer entièrement des populations
comme l'Océan ou de hautes chaînes de montagnes, ont aussi on grande
partie disparu, et les huttes des bûcherons, bâties dans les clairières, ont
été remplacées j)ar des villages, même par des villes, autour des(juelles les
défrichements ont nettoyé le sol jusqu'à des lieues de distance.
Cependant il reste encore une très vaste forêt, celle de Bel'a-Yeja ou
de la « Tour Blanche », qui rappelle par son aspect et son étendue les hal-
liers d'auli'efois. Celle forèl. (pii doit probablement son nom à un chà-
' Provia;cs de Kovno, Viliio, Groiluo, Vilcljsk :
Superficie. P.)|.ulalinn en 1882. Poimlalion liloniétriqiio.
107 070 kiloiiièircs cari-js. 5 077 ôJ'J lialiilaiits. ÔO Ijil.ilauts.
LITIIUAME, FORET DE LA « TOIR BLANCHE ».
423
teau de la Tour Blanche, qui existait au seizième siècle, au confluent de
deux affluents du Bug, recouvre de ses ombrages presque tout le plateau
compris entre les sources du ^are^v et le cours du Bug, au nord de Drest-
Litowskiy. L'ensemble de l'espace auquel on donne l'appellation de Deio-
^ejslvaya Pouchtcha comprend 2'20Û kilomètres carrés, mais quelques par-
ties de la forêt, au sud et au sud-ouest, sont plutôt une région de landes,
où les bois de pins rabougris, les champs de seigle alternent avec des
bruyères, visitées des abeilles. Mais au nord d'autres futaies se ratta-
LACS ET )IAnAl> HANS I.E COIVEHNEMENT HE VITFCÇK
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1K.U% s
client à celles de Bel'a-Yeja et la coiitiiiuiiit jusijue dans le voisinage du
Neman; l'altitude moyenne du plateau boisé est de 180 mètres. Tandis
que d'immenses forêts, dans la Russie du nord et du centre, ne se compo-
sent que d'une seule espèce d'arbres, pins, sapins ou bouleaux, celle de
la Tour Blanche offre une grande variété d'essences; dès l'année 1830,
Eichwald y avait recueilli 1205 espèces de plantes diverses. Le pin domine,
mais à côté s'élèvent les sapins, les chênes, les bouleaux, les hêtres, les
érables, les aunes, les tilleuls, formant par leur mélange les massifs les
plus pittoresques. Au-dessous, des fourrés d'arl)rcs à feuilles caduques,
des arbrisseaux, saules, noisetiers, viornes, sureaux, font connue une
42i \OUVELLE GEOGRAPIIIF. UNIVERSELLE.
seconde forêt ; les fraisiers, les myrtilles et les mousses tapissent le sol
plus ombragé sous les majestueuses avenues des conifères. Les rivières
flottables qui entourent la forêt en rendent l'exploitation assez facile ; mais
le gouvernement, auquel appartient la plus grande partie des espaces
boisés, a défendu d'abattre les arbres et l'on voit encore en maints endroits
la nature vierge dans toute sa beauté primitive.
Au-dessous des géants du monde végétal vivent encore en troupeaux, à
l'état presque sauvage, des bisons, représentants d'une faimc presque dis-
parue, que les traditions et les chroniques nous disent avoir existé pendant
l'époque historique sur les bords du Dnepr et dans la Russie centrale :
ceux du Caucase et ûc la Lithuanie sont les seuls restes des troupeaux
immenses qui parcouraient autrefois toute l'Europe orientale. Il est inter-
dit, sous des peines sévères, de tuer les bisons de Bela-A eja ou de les cap-
turer; seulement l'empereur de Russie fait de temps en temps cadeau de
quelques-uns de ces animaux aux souverains, à des princes ses amis, à
des jardins zoologiques. Au commencement du siècle, on en comptait
environ un millier; ils étaient au nombre de quatorze cents' en 1851;
mais depuis celte époque le manque de fourrage et la dent des loups les
ont réduits de moitié. Si l'homme n'aidait pas ces animaux dans leur lutte
pour l'existence en leur ouvrant en hiver de grands dépôts de foin, ils
auraient disparu depuis longtemps du continent européen. Peut-être l'Eu-
rope gardera-t-elle ce ruminant plus longtemps que l'Amérique ne conser-
vera son espèce de bison, qui naguère parcourait encore les prairies de
l'Ouest par troupeaux de quarante et cinquante mille. On donne souvent
par erreur aux bisons de la Lithuanie le nom d'aurochs ; mais ce dernier
animal, que les chasseurs de la contrée rencontraient encore en trou-
peaux considérables il y a trois siècles S est maintenant complètement
exterminé.
Les Lithuaniens, longtemps classés parmi les Slaves, auxquels ils res-
semblent par beaucoup de traits, occupaient autrefois, avec Icui's frères les
Prussiens et les Courons, tout le littoral de la Baltique, entre la Vistule et
la Diina. Ils s'avançaient au loin dans l'intérieur, ainsi qu'en témoignent
un grand nombre de noms lilliuauiens, surtout dans le gouvernement de
Vitebsk, et même une de leurs tribus, celle des (lolad, habitait les bords de
' Franz Jlùlior, Miltheilmigen dn- Geoijr. Gcselhrlinft in Wieii, IS.'.O.
= tilaiso (le Vigenw, Uestriptiun du roijnmnf de l'olu(jiie et jwijs wijacnds. i':iils, 1.'>7.^.
BISONS IIANS Li FOnfiT Ut, DCIA-VEJA
Desssin dessin de Taylor cl de Vaictic, d',i|iiés une |dialo;rnphi,:.
LITHIA-MENS: 427
la rivière Porotva, affluent de la Moskva, à l'ouest du territoire où s'est
fondée la ville de Moscou'; peut-être avait-elle été séparée du ^rros de la
nation par la colonisation des Pol'otchanes. On croit aussi les Krivitchi de
Smolensk issus du mélange des Lithuaniens et des Slaves, leur nom rap-
pelant celui dii grand prêtre des Lithuaniens, Krive-Kriveyto. La plupart
des écrivains slaves classent également parmi les Litvines ces Yatvagues
ou Yadzvingues qui occupaient le pays du haut Neman et du Bug et dont
quelques débris auraient survécu jusqu'au seizième siècle aux extermina-
tions qu'en firent les Russes et les Polonais. Dans les environs de Skidel,
près de Grodno, vivent encore des populations parlant blanc-russien, mais
avec l'accent de la Lithuanie et se distinguant des autres Blancs-Russiens
par leur teint brun, leurs vêtements noirs et quelques traits de mœurs ' :
on voit en eux les descendants de Yatvagues, quoique les Lithuaniens soient
presque tous blonds. Dans le gouvernement de Grodno les noms de vil-
lages, Yatvaz, Yatvesk, rappellent le séjour de cette peuplade disparue.
Pendant les guerres nombreuses qui ont dévasté la contrée depuis le
treizième siècle, le peuple même qui a donné son nom à la Lithuanie a
pu craindre de disparaître aussi ou du moins de se fondre complètement
avec les vainqueurs, ainsi qu'ont dû le faire les peuplades des Prussiens
et des Yatvagues. Attaqués de trois côtés à la fois par des races plus
puissantes et plus nombreuses, par les Polonais, les Allemands et les
Russes, ils paraissaient condamnés : ils ont résisté néanmoins, et s'ils ont
dû reculer de trois côtés, à l'ouest, au sud, à l'est, ils semblent avoir
déplacé quelque peu les Finnois dans la direction du nord. En outre,
refoulés par les chevaliers allemands, ils durent en maints endroits se
fondre avec les Blancs-Russiens; un échange de colonisation eut lieu dans
les immenses forêts et les marécages de la contrée. Le mélange se fit
si bien, que des princes lithuaniens étaient admis dans les villes russes
comme des compatriotes. Partout où il y eut croisement, il y eut slavi-
sation.
Cependant le nombre des Lithuaniens restés purs s'accroît d'année en
année. Appuyés au nord sur leurs frères les Letles qui sont groupés en une
masse compacte d'environ onze cent mille individus, ils occupent un vaste
territoire de forme triangulaire, dont l'extrémité occidentale est voisine de
la Baltique, et que limite au sud-est le faîte inégal du plateau do Yilno ;
au sud et au sud-ouest, le pays de langue lithuanienne comprend aussi,
' Barsov, Géographie historique russe (en russe).
' Solovyov. Ilisloire île lUissie, toiiii; I.
4'i8 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
en dehors des frontières do la Russie proprement dite, quelijues lambeaux
de la Prusse orientale et la moitié du gouvernement de Suwaïki, dans le
royaume de Pologne : le nombre total des Lithuaniens est évalué à près
de deux millions '. D'une manière générale, les limites des religions coïn-
cident avec celles des races : là où le catholicisme romain cesse de do-
miner et où commence le culte orthodoxe grec, là les Lithuaniens, mêlés à
des Blancs-Russiens de langue, qui sont peut-être des Lithuaniens de race,
font place aux Slaves russes; là où le protestantisme l'emporte, la popu-
lation est germanique ou lette, car en Livonie, où demeurent les Lettons,
c'est l'influence allemande, celle des convertisseurs luthériens, qui a jirédo-
miné : en Lithuauie, au contraire, ce sont les Polonais, et avec eux les
catholiques latins, qui ont eu la prépondérance.
Les Lithuaniens ou Lëtuvininkaï se divisent en deux groupes nationaux
distincts, les Lithuaniens proprement dits, qui peuplent la partie orientale
du territoire dans les provinces de Vilno et de Kovno, et les Zemailey,
Samogitiens ou Jmoudes, les « Gens venus de la mer », qui vivent sur-
tout dans le voisinage de la frontière allemande. Les dialectes des Lithua-
niens et des Samogitiens diffèrent, de même que leurs usages ; mais les
caractères généraux de la langue sont bien les mêmes chez les deux
groupes. De tous les idiomes d'Europe, le lithuanien est le plus rapproché
du sanscrit : il renferme un grand nombre de mots beaucoup moins
-éloignés du radical aryen que ceux des langues slaves, latines ou ger-
maniques : la ressemblance est telle, que des savants ont essayé de com-
poser des phrases sanscrites que pussent comprendre des paysans des
bords du Neman'. Schleicher, qui fit en 18S2 un voyage de découvertes
pliiiologiques dans les provinces de Lithuanie, rédigea une bonne gram-
maire de cette langue curieuse, qui par son ancienneté occupe le pre-
mier rang parmi les idiomes aryens de l'Europe. Du reste, la littérature
lithuanienne est très pauvre : à l'époque où la Lithuanie était un grand
État, elle n'avait point d'écrivains dans la langue nationale, et le clergé
' ['(ipulution lilhuanienne en 1865 .
; G»uv. de Kovno (Imond, 455 OOn ; Liho, 552 000) 805 000 \
, „ . ) " de Viino 210000 / ,„,,„„„„
Lilhuaiiions de Russie. , r , . j .,• i ^-nmi > 1000 000
1 » de Grodno et de Minsk 6/ 000 (
( i. de Volinie, Vilebsk, Mogiinv 17 000*
.. de Pologne ... 2.'.0000
» de Prusse li.OOOO
Ensemble 1 '00000
Populalkm lilliuaiileiiiie lii'obaLlo en 1870 . t 000 000,
J G. ICohl, Die Voilier Lnropas.
LITUUAMENS ET LEUR LANGAGE.
429
persécutait les bardes ou burtinikas qui récitaient les chants traditionnels.
lîn annaliste du seizième siècle mentionne des chansons épiques' ; mais on
ne les a point retrouvées dans la mémoire des paysans : les seuls poèmes
de longue haleine qui existent dans la langue sont les Saisons, rédigés au
X° 87. LIMITES IiES CATIIOI IÇUES ET DES OIITnODOXES EX LlTIirAME.
-r77 " ~ >T-
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ir r.
Cûth : 0. lA : grecque CoVi : roritiiie
Popoiatious
1 T V. U-"""
Utih^métltië
(]i\-liuilième siècle par un certain Donaleitis; mais les chansons, les fables,
les idylles sont nombreuses, et toutes témoignent d'un profond sentiment
poétique. Lors de la Réformation, une petite littérature religieuse naquit
dans la Lithuanic prussienne et s'augmenta bientôt après de quelques
ouvrages lithuaniens et lettons rédigés par des Jésuites de la Pologne. Quant
à la littérature contemporaine, traitant des questions actuelles, de poli-
' Caro, Cctchiclite Polens, IL
ÎÔO NOrVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE
tique, d'industrie, de science ou d'art, elle n'existe pour ainsi dire pas
dans la langue ; quelques almanachs, et en Prusse un seur journal popu-
laire, des livres religieux et dialectiques, quelques traductions : c'est là
tout, avec les grammaires, les dictionnaires et les recueils de chants. Pour
les Lithuaniens les idiomes de leurs voisins sont les langues de la civili-
sation, celles qui leur donnent le développement intellectuel.
L'antiquité même de ce dialecte aryen, plus âgé que le grec, le latin, le
celtique, le germain, le slavon, fait croire aux savants que le peuple lui-
même est venu en Europe plus anciennement que les autres représentants
de la race aryenne. Il est facile de comprendre que les Lithuaniens ont de-
vancé les Russes dans leur voyage de migration, puisqu'ils occupent un ter-
ritoire situé à l'ouest des plaines moscovites ; mais on se demande comment
leur établissement dans le pays a pu se faire antérieurement à la venue
des Germains et des Celtes, peuplant maintenant les régions du centre et
de l'occident de l'Europe, à l'occident de la Lithuanie '. C'est par le refou-
lement latéral des émigrants lithuaniens que l'on s'explique celte anomalie
apparente dans la distribution des nations qui ont envahi l'Europe : écartés
du grand chemin des migrations, qui suit beaucoup plus au sud le faîte
de partage des eaux entre le Dnepr et le Neman, protégés par des maré-
cages, des forêts presque impénétrables, défendus même à droite et à
gauche par des golfes et les fleuves puissants qui s'y jettent, les Lithua-
niens ont pu laisser passer outre de nombreuses peuplades : c'est même à
cet isolement qu'il faut attribuer sans doute la longue durée de leur civili-
sation primitive et de leur organisation religieuse. Toutefois il leur a fallu
souvent combattre pour défendre leur coin de terre, et quand ils l'ont fait,
c'est avec la fureur que montrent toujours les gens pacifiques troublés
dans leur repos. Il est à remarquer que les provinces lithuaniennes, Vilno
et Kovno, sont celles où l'on compte maintenant le plus grand nombre de
réfrac ta ires.
Les Lithuaniens sont pour la plupart de belle taille et bien faits, mais
ils n'ont pas la souplesse et l'élégance naturelle des Slaves : on rencon-
tre plus rarement chez eux que chez leurs voisins les Russes ces faces
aidaties qui donnent à la physionomie quelque chose de mongol. Ils ont
la ligure ovale, le nez allongé et fin, les lèvres minces, les yeux bleus,
la peau blanche, et d'une manière générale ressemblent plus à des Ger-
mains qu^'i des Slaves : leurs femmes ont beaucoup de fraîcheur, les yeux
doux, une expression touchante ; il n'est pas rare d'en rencontrer de
' R. Viichow, Peuples primilifs de l'Europe.
. LITHUANIENS. «1
vraiment belles. Les paysans de la Lithuanie contrastent singulièrement
avec les Polonais par la simplicité de leur costume ; ils évitent les cou-
leurs éclatantes, les coupes hardies, les galons et les franges : leurs vête-
ments grisâtres, sans broderies, témoignent de leur naturel modeste : ils
ne cherchent point à se faire voir. Michelet, comparant les Lithuaniens
aux Polonais, « fils du soleil », les appelle « fils de l'ombre' ». Leurs
chants ou dnhws montrent leur âme à nu : ils sont fins observateurs,
doucement ironiques parfois, tendres, mélancoliques, pleins du sentiment
de la nature. Quoiqu'il ait été obligé souvent de guerroyer et qu'il ait eu
aussi ses grands capitaines, ce peuple débonnaire n'a pas conservé le sou-
venir d'un seul héros; il ne chante aucun exploit de guerre, ne se vante
d'aucune bataille remportée; il se borne à pleurer ceux qui sont morts' :
à cet égard, il est peut-être unique parmi les peuples européens. Il se dis-
tingue aussi des autres races du continent par la réserve délicate, par
la discrétion pudique avec laquelle tous ses chants populaires parlent
de l'amour : pendant treize années de recherches en Lithuanie, le pliiln-
logue Rhesa n'a pas trouvé dans les chansons d'amour un seul vers lithua-
nien qui ne soit chaste et pur : la tendresse des Lithuaniens est profonde,
mais elle ne se manifeste jamais en public par une parole déplacée. De
toutes les langues d'Europe, le lithuanien, qui manque d'augmentatifs,
est celle qui possède le i)lus de diminutifs affectueux et câlins; elle en a
plus que l'espagnol ou l'italien, elle en a plus que le russe même et peut
les multiplier presque à l'infini en les appliquant aux verbes et aux
adverbes aussi bien qu'aux adjectifs et aux noms. Ces diminutifs de ten-
dresse donnent un accent particulier aux chants des Lithuaniens, mais ces
poèmes sont également remplis de mots et de formes qui indiquent la tris-
tesse, le chagrin, parfois même le désespoir : une grande partie de la
littérature originale se compose de raudas, c'est-à-dire de chants de deuil
ou d'adieu, et de lamentations mortuaires analogues aux voceri des Corses,
mais sans l'àprc souffle de violence qui se mêle à la douleur chez les
hommes du Midi. La poésie des Lithuaniens est triste, dirait-on, comme
celle d'un peuple qui se meurt. Mais elle renaît sous une autre forme dans
la littérature polonaise. Mickicwicz était un LithuaniiMi.
Si la valeur d'une nation dans l'ensemble de l'humanité devait se
mesurer à la beauté de sa langue, les Samogitiens et les Lilvincs seraient
au premier rang parmi les habitants de l'Europe; m;iis le peuple long-
' Léqendct du Nord.
* ïourkevilcli, Chansons populaires lithuaniennes.
432 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
temps opprimé dos forêts du Ncman n'est pas do ceux qui peuvent com-
parer leur part d'influence à celle qu'ont exercée les autres peuples civi-
lisés du continent, x\vant Mickiewicz, on se demandait avec surprise com-
ment une race composée presque entièrement d'hommes fins, intelligents,
pleins d'imagination et de poésie, « loyaux, forts du sentiment de leur
dignité personnelle' », n'avait pu donner naissance à quelque génie émi-
nent dans le monde de la pensée. C'est que la confiance en soi-même
manquait à ce petit peuple entouré d'ennemis, puis vaincu par eux ; il
n'avait plus l'idée de son existence nationale. Son ancienne organisation
religieuse, maintenue jusqu'à la fin du quatorzième siècle, témoigne d'un
singulier esprit d'obéissance. Quoique divisés en de nombreuses tribus, les
Lithuaniens avaient un chef religieux, réglant le rituel et les dogmes pour
tous. Ce « pape » ou krive-kricetjlo, dont parie l'annaliste teulonique,
Pierre de Dusburg, habitait la forêt sacrée de Romovo, sur le territoire
de la Lithuanie prussienne ; entouré de prêtres-chanteurs ou raïdelot,
groupés hiérarchiquement, il était invisible au peuple des profanes et ne
communiquait avec eux que par des messagers munis d'insignes, à la vue
desquels tous se prosternaient. Chassé par les chevaliers teutoniques, le
pape de Romove se réfugia près du confluent du Neman et de la Dubissa,
en aval de l'endroit où se trouve maintenant Kovno, puis à Vilno, dans
un lieu qui reste sacré pour les chrétiens'. Encore au siècle dernier on
trouvait dans quelques maisons des couleuvres domestiques, animaux
sacrés qui partageaient avec les enfants le lait du matin.
Peuple de bûcherons, de charretiers, do cultivateurs, très attaché aux
coutumes traditionnelles, les Lithuaniens se soumettent volontiers au
destin et ne cherchent point à le faire d'avance par leur volonté. Jadis
ils donnèrent à la Pologne une dynastie royale, mais ce fut pour ac-
cepter pou à peu la prépondérance de leurs alliés : ils reçurent les prê-
tres que leur envoyaient les Polonais et se firent catholiques, quoique
non sans opposition ; ils reçurent aussi les seigneurs et devinrent serfs.
La propriété passa presque tout entière entre les mains dos nobles
venus du sud, et, dans le silence du peuple asservi, on put croire long-
tem])s (pie la Lithuanie était partie intégrante de la Pologne, non seu-
lement par ses limites politiques, mais aussi par le fond même do la
nation. Le flegme des Lithuaniens est devenu proverbial : nul autre peuple
ne s'accommode avec pareille tranquillité aux vicissitudes de la vie.
' Kant, Priface do la Grammaire lithuanienne de Milke.
' Antonovilch, llisluire de ta grande principauté de Lithuanie (en russe); — Kirtor, Aperçu
ethnologique du youvcrncmcnt de Vil'no, llcciuil etluioloyiquo (en russe), IIL
POPULATIONS DE LA LITIIUAME. -135
Plusieurs d'entre eux, arrivés à l'âge de quarante ou cinquante ans, se
débarrassent des soucis de la propriété en cédant leur avoir soit au
fils, soit au gendre, et deviennent des hôtes après avoir été les maîtres.
Encore pendant la seconde moitié du seizième siècle, les Lithuaniens con-
damnés à mourir se pendaient de leurs propres mains'.
Des Allemands et des Lettes dans le voisinage du littoral baltique et de
la Dûna ; des Polonais, surtout dans la province de Vilno ; des Russes de
diverses dénominations. Blancs, Noirs et Petits ; des Juifs groupés dans
les villes comme en des ruches d'où ils vont incessamment butiner dans
les campagnes environnantes ; enfin quelques communautés de Tarlares,
tanneurs et trafiquants, ayant gardé leurs pratiques mahométanes, mais
parlant le polonais, tels sont, avec les Lithuaniens, les habitants des trois
provinces de Kovno, Vilno et Grodno. Par un bizarre contraste, tandis que
les Tartares ne parlent plus leur langue, les Karaïtes de la Lithuanie par-
lent encore le tarlare de Crimée. C'est que, venus ou transportés de cette
péninsule, comme les Karaïtes, aux temps de la domination lithuanienne,
les Tartares entrèrent pour la plupart comme guerriers dans les rangs de
la noblesse, et durent se poloniser par le contact incessant avec leurs
camarades. Les Juifs karaïtes, au contraire, ne changèrent rien à leurs
mœurs patriarcales et à leurs habitudes de petit négoce.
Actuellement, les plus civilisés des Lithuaniens sont précisément les
Samogitiens ou Jmoudes, ceux qui curent jadis le plus à souffrir des
conquêtes, des guerres et de l'oppression. Leurs cultures sont mieux
tenues, leurs maisons plus grandes et plus propres que celles des Lithua-
niens de l'intérieur. Du reste, une révolution économique, coïncidant avec
un changement politique violent, s'est accomplie en Lithuanie comme en
Pologne depuis que les propriétaires polonais de la contrée ont été obligés
de laisser racheter aux paysans, presque tous Lithuaniens ou Russes, une
partie de leurs domaines. La situation des cultivateurs lithuaniens, déjà
lamentable sous le régime polonais, l'était devenue encore davantage
depuis que Catherine IL après le partage de la Pologne, avait pris à lâche
de se concilier la noblesse russe et polonaise en lui distribuant les terres
qui appartenaient encore à l'État : elle donna même à un seul favori les
deux districts actuels de Rossienî et de Cliavli, avec 15 000 paysans *. Après
l'insurrection de 1865, le gouvernement décréta le rachat forcé des terres
des paysans, mais à des conditions différant suivant les districts et les
' Biaise de Vigonor, ouvrage cilé.
- Semevskiv, OléicheitvennUja Zapiski, 1877. n" 8.
iZi NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
individus. Dans le gouvernement de Kovno, sur 556 000 paysans, 105 000
appartenant à la classe des domestiques ou des journaliers n'ont reçu
aucune part du sol, et les autres ont obtenu des lots variant en étendue
de 54 ares à un hectare. Quant aux fermiers ou tchiticheviki, parmi les-
quels les petits nobles catholiques et polonais sont fort nombreux, ils
n'ont point reçu en propriété le sol cultivé par eux, et plusieurs d'entre
eux, ne pouvant acquitter le prix du fermage, augmenté par les seigneurs,
ont dû quitter de gré ou de force les terres que leur famille occupait de-
puis des générations. L'élément catholique, déjà frappé par l'abolition de
l'union grecque, a ainsi considérablement diminué d'importance en Lithua-
nic. En outre, le passage des paysans uniates à l'orthodoxie russe a été
facilité dans le gouvernement de Yilno par l'étrange coutume qui donne
à la terre la religion de son maître. Sur la terre juive, le chrétien ne tra-
vaille pas le jour du sabbat, et sur la terre chrétienne le Juif doit observer
les fêtes du calendrier. Or, presque toutes les terres sont « russes » et
« russes » les fêtes et les cérémonies religieuses de ceux qui les cultivent,
quelle que soit leur religion d'origine'. Mais dans l'ensemble, malgré
les ruines partielles ou même communes à toute une classe, l'amélio-
ration générale est évidente. Devenus à leur tour possesseurs du sol, les
anciens serfs ont changé à bien des égards; ils n'ont plus à répéter le
vieux proverbe : « Les seigneurs sont à la fois bergers et loups! » Plus
tiers, plus indépendants, moins routiniers, ils modifient leurs pratiques
de culture, même dans le pauvre gouvernement de Vitebsk, où le sol est si
maigre, et le rendement du territoire agricole est plus considérable qu'il
ne l'était autrefois. Mais la race n'a point encore ajouté aux travaux de
l'agriculture ceux de l'industrie. Les villes sont relativement peu nom-
breuses, faiblement peuplées, et ce ne sont pas des Lithuaniens qui y
exercent des métiers ou s'y adonnent au commerce.
En suivant le cours du Bug, sur la rive droite appartenant à la province
de Grodno, la première ville qui se présente, au conlluent du Moukhavetz,
est l'ancienne colonie russe, Berestyé, connue maintenant sous le nom do
Brest Litovskiy ou simplement, Brest (en polonais Brzesc). C'est l'une des
places fortes du quadrilatère polonais, la deuxième en importance, mais
c'est aussi un marché très fréquenté et l'une des stations de premier ordre
dans le réseau des chemins de fer de la Uussie. Les Juifs, fort nombreux,
• Ziijiibki Itijitssk. Geoqr. Obchkhesti'a secliou cllinograiiliique, V.
POPULATIONS ET VILLES DE LA LITIIUAME. 435
y ont fondé nno académio ou liaulo écolo, qui fut jadis célèbre dans tout
l'Orient, et là était le siège d'un épiscopat arménien. Brest est une ville
historique. Durant des siècles elle fut disputée par les Russes, les Polo-
nais, les Lithuaniens, les chevaliers Teutons; en 1565, les protestants y
imprimèrent la première Bible polonaise; en 1596, un concile y décréta
l'union des églises de la Russie occidentale avec Rome. Au nord-est,
près de la ville populeuse de Kobrin, Souvorov remporta en 1794 une
grande victoire sur les Polonais.
Bel'ostok (Rial'ystok), la plus polonaise de toutes les cités de la Lithua-
nie, se trouve dans le bassin du Xarew, non loin de la frontière du « Pays
de la Yistule » : de même que Brest, elle fait un commerce considérable,
et plusieurs établissements industriels, surtout des fabriques de draps,
s'élèvent à Beîostok et dans les villages environnants. Parmi les villes du
haut bassin du Neman, situées en territoire de population russe, deux
appartiennent au gouvernement de Minsk, Nesvij et Novogrodek, Nesvij,
ancien chef-lieu de la principauté de Radziwil, fut au seizième siècle un
centre de propagande protestante et socinienne ; Novogrodek, ou Novgorod
Litovskiy, patrie de Mickiewicz, se dressant sur une colline entourée de
marais, fut une des capitales de la Russie Noire : c'est là que commenta
l'État lithuanien et que résidèrent les princes avant de s'établir à Troki et à
Vilno. Ces villes, de même que Sl'onim et Yol'kovisk, dans le gouvernement
de Grodno, n'ont point l'importance industrielle de Bel'ostok; mais Grodno,
la capitale de la province, possède quelques manufactures. C'est une cité
de cabanes, de maisons basses, au milieu desquelles se dressent çà et là de
grands édifices, casernes ou palais. Grodno, l'ancienne Ilorodria, située sur
la rive droite du Neman, sur la route de Varsovie à Vilno, est une des cités
qui ont été le plus souvent mentionnées dans l'histoire de la Pologne et de
la Liihuanie : depuis 1675, chaipie troisième diète polonaise y tenait sa
session, et c'est une de ces diètes, en 1795, qui eut la bassesse de sou-
scrire au partage de la pairie ; Stanislas-.\uguste y déposa la couronne
en 1795. Les eaux minérales de Drouskeniki, dans le voisinage de Grodno,
sont fréijuentées tous les ans par beaucoup de baigneurs. Un des quar-
tiers de Grodno est habité par des Tartares mahométans, mais la principale
communauté de ces Orientaux s'est établie à Sokolka, à moitié chemin
de IJielostok à Grodno. Ils sont aussi au nombre de plusieurs centaines à
Novogrodck.
La grande ville de la Liihuanie, celle qui en fut jadis la cajjitale, Vilno,
la AVilna des Polonais, la Vilniuya des Lithuaniens, est aussi dans'le bassin
du Neman, mais sur un .ifflufiil lati-ral, la Vilivn. Aux t('m|is où commence
430
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
l'histoire de la contrée, Yiîno était un lieu sacré : là s'élevait le temple de
Perkun, le dieu du tonnerre révéré par les Lithuaniens comme Thor l'était
par les Scandinaves, et c'est sur l'emplacement même du sanctuaire de
l'ancien culte que Jagello dressa un nouvel autel, consacré au dieu des
chrétiens ; la cathédrale qu'il fonda, et qui depuis a été souvent restaurée,
est toujours le principal édifice de Vihio. Les châteaux iiistoriques de Vilno,
chantés par les poètes polonais, sont en ruine depuis l'occupation mosco-
vite au milieu du dix-septième siècle : il ne reste qu'une tour du château
supérieur, où l'on monte pour avoir le spectacle de la ville, de ses deux
collines et du paysage environnant. La cité d'en bas a beaucoup d'autres
monuments publics, églises, palais, hôtels ; on y voit même une mosquée
tarlare. Vilno, qui n'avait pas moins de 100 000 habitants au seizième
siècle, avant l'union complète avec la Pologne, fut l'un des centres de la
culture dans la Russie Blanche et dès 1525 posséda la première impri-
merie, longtemps célèbre, qui ait employé les caractères cyrilliques sur
le territoire russe; avant l'arrivée des Jésuites dans le pays, Vilno fut aussi
l'un des foyers du protestantisme en Lithuanie. Pour les Juifs elle est encore
une sorte de capitale', quoique leur race soit représentée par un nombre
d'habitants beaucoup plus considérable à Varsovie et à Berditchev. Le
musée historique de la ville est encore l'un des plus remarquables de la
Uussie, bien qu'on lui ail enlevé tous les objets de r(''p<i(iMe polonaise, que
' Kiiiiibre ilc livres juifs impriiiu's à Vilim en 1871 :
En liiliicn la 111 i;ilil)iiii(iuo, (iô; en ;illoin;in(l juif el aulros langues, C8. Ensoinblc, 151.
VILNO, KOVNO. 439
des patriotes pourraient contomplei' d'un regard attendri. Vilno possède
une société de géograpliie, mais elle a perdu l'université qui succéda à
l'académie des Jésuites et qui florissait au commencement du siècle. Elle
fut supprimée en 185'2, après l'insurrection polonaise, et remplacée par
celle de Kiyev, où l'on transporta la majeure partie des livres et des col-
lections ; l'université de Saint-Pétersbourg en reçut aussi sa part. Toucher
à la pensée, c'est atteindre le peuple dans les sources mêmes de sa vie!
Au nord-est de Tilno, le chemin de fer de Pétersbourg passe près de la
ville importante de Svenziany; au sud-ouest, non loin de la bifurcation des
deux lignes ferrées de Varsovie et de Kônigsberg, la curieuse bourgade de
]\'ovîye Troki, bâtie au milieu d'un lac, allonge sa rue sinueuse sur une
île que deux ponts rattachent à la terre ferme : près de ce bourg insulaire,
siège principal de la secte des Juifs Karaïtes immigrés de Crimée, se voient
les ruines d'un des châteaux historiques de la Lithuanie. La Viliva, qui
coule au nord-ouest dans une vallée serpentine, passe à côté de Kernov,
qui fut capitale de principauté avant Vilno, et qui reçut après elle le krive-
Kriveyto fugitif. Au delà, la rivière va rejoindre la Sventa ou la « Sainte »,
qu'alimentent les eaux de centaines de petits lacs et qui baigne les quais
de la ville importante de Vilkomir, puis la Viliya grossie descend au sud
vers le JN'cman.
Kovno, la Kaune des Lithuaniens, capitale de province comme Vilno,
est située à la jonction des deux cours d'eau, et à une faible distance
en amont du confluent d'une autre rivière, la Nievviaza ou Neveja. Ainsi
plusieurs vallées se réunissent à Kovno et lui donnent une importance
considérable pour le commerce ; en outre, le coude du Neman qui, dans
le voisinage, change brusquement de direction, contribue à faire de Kovno
un lieu de convergence pour les chemins. Au quatorzième siècle déjà,
Kovno était un lieu de rendez-vous pour les marchands allemands et même
anglais; deux siècles plus tard elle était le principal entrepôt de la Li-
thuanie, surtout pour les céréales, et rivalisait d'importance avec Kônigs-
berg. La guerre ruina ce commerce et l'on ne voit plus que les ruines des
anciennes factoreries; en 1817, la ville n'avait plus que 200 maisons;
mais elle s'est relevée. Plus de la moitié des habitants de cette ville de com-
merce! sont des Juifs : les synagogues s'y pressent comme les églises dans
une ville; d'Italie. Dans la Samogitic ou Lithuanie occidentale, Rossieny, en
lithuanien Hosejnej, qui fut aussi une capitale, Ponieviez, Chavli, Telchi,
sont également les villes pu[)uleuses.
Née à côté de la Volga, dans un petit lac du gouvernement de Tver, la
Diina reçoit aussi diverses rivières venues des districts de Toropelz, dans la
4i0
NOLVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
province de Pskov, de Belîy et de Poretchye, dans la province de Smolensk.
Entrée dans le gouvernement de Vitebsk, elle passe d'abord à Yelij, où elle
est navigable, puis, déjà large de 100 mètres, elle reçoit la Yitba devant
l'antique ville de Yitebsk, située sur un emplacement où brûla jadis un
EdeP 27" -15
S7° 55'
d'après la Carte de l'Etat-Major
C. Perron
feu sacré, et mentionnée dans les chroniques du onzième siècle : elle
devint fameuse plus lard comme résidence de princes indépendants et
par SCS échanges avec les villes hanséatiques. Vitebsk fait un certain
commerce de denrées agricoles, quoique la contrée environnante soit
parmi les plus infertiles et les plus pauvres de la Russie. Autrefois la
cité vivante de la contrée était Pol'olzk, située plus bas sur la Dûna, au
POEOTZK, DC.NABL'UG. 441
confluent de la Poluta. Celte ville des Slave? Krivitclii, rivale de Kiyev et
de Novgorod, resta longtemps indépendante ; au treizième siècle, incor-
porée dans la principauté lithuanienne, elle ne cessa pas d'être une ville
d'importance, un objet de discordes entre la Lithuanie, la Pologne et la
Moscovie ; elle devint, comme alliée de la Hanse, un des entrepôts avancés
de Lûbeck et de Wisby dans l'intérieur de la Russie : c'est avec Riga qu'elle
avait son mouvement d'échanges le plus considérable. Pendant la deuxième
moitié du dix-huitième siècle, les Jésuites expulsés des États d'Europe
y» 90. — nfXAECRC.
d'3près la Csrte de Ittaî - Major
choisirent Pol'otzk pour la capitale de leur ordre, et c'est là que résida
leur général; leur académie jouissait des privi!t>ges universitaires.
En aval de Pol'otzk se succèdent la ville commerçante de Disna, bâtie
sur une j)éninsule allongée que forme le confluent de la rivière de même
nom avec la Diina, puis Drissa, située également au confluent d'une rivière
tributaire de la Dûna et déjà en plein pays lithuanien, lia capitale natu-
relle de celte région est la cité de Dùnaburg, qui commande le cours
moyen de la Dûna cl le croisement des chemins de fer de Varsovie à Saint-
Pétersbourg, de Riga et de Liban à Moscou et à Samara. Les chevaliers
Porle-Glaivcs y avaient bâti un château fort à la fin du treizième siècle; le
roi de Pologne, Etienne Balliory, érigea en IÔN'2 une forteresse à '20 kibi-
mèlres en ainonl, et maintenant la forteresse de lliinaburg, sur la rive
4i2
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
droite de la Diina, est l'un des points stratégiques les plus importants de
la Russie occidentale. Au sud de Diinaburg, Novo-Alexandrovsk est le chef-
lieu de la région des étangs, tandis qu'au nord et au nord-est, dans la ré-
gion des plateaux, sont les villes de Nevel, de Sebej, de Loutzîn, de Rejitza
(Rositten en allemand). Les districts de Dunaburg, Loutzin et Rejitza sont
surtout peuplés de Leltes : ils formaient la Livonie polonaise ou Inflanty.
Les Lettes de cette contrée diffèrent de ceux des provinces Baltiques par
leur religion : ils sont catholiques. Après la défaite des chevaliers Teuto-
niques, ils avaient restauré leur culte païen. Au dix-septième siècle, les
Jésuites les baptisèrent de nouveau '.
VI
BASSINS DU n.NEPR ET DU DN'ESTR
BVSSIE BLANCHE, PETITE RUSSIE, S01JVELI.E RDSSIE
Près des deux fiers de la plaine inégale qui rattache la Russie à l'Europe
occidentale appartiennent au versant de la mer Noire. Le puissant Dnepr,
troisième fleuve d'Europe par l'abondance de sa masse liquide, le Diiestr,
qui est aussi un cours d'eau considérable, sont les deux artères de ce ver-
sant du Ponl-Euxin, qui fit partie autrefois de la « grande-principauté » de
Lithuanie et que des Russes d'origines diverses occupent presque en entier.
lÀ s'étendent les contrées qui reçurent de la Grèce le premier rayon de
• Villes (le la Litliiianle cl des hauts l>assins de
GOUVEUMEMENT DE KOTXi).
Kovno
Cliavli
Vilkomir
Ponieviez
Rossicui
Telciii
Novo Alcxaniliovs
(1880
.4t 2o0 hab.
15 900 »
15 100 »
14 050 n
1 1 4'2Û ..
8 ôofl 1.
6 900 »
r.dUVERNEMENT DE VILNO.
Viiiio (1880) 89 050 hab
a Diina et du Neman ayant plus de 5000 habitants :
GOUVERNEMENT DE GRODXO.
Grodno (1880) 55 900 hab.
Brest LilOTskiy » 55 700 «
Befostok I) 35 000 »
Sioniin » 12 550 »
Kobrin u .... 8 850 »
Proujanî » 7 500 »
Bcisk ...... 6450 »
Volkovsk » 5 650 «
GOUVERNEMENT DE VITKDSK.
Svenziany
Disna
Oi'hiiianî
6 800
0 GOO
5 050
GOUVKIINEMENT riE MINSK.
Novogrodok (1877).
Ncsvij i:
8 0.10 hn
7 250 «
Diinabmj
Vilebsk
Velij
Point zk
Rejitza
Nevel
Lutzîn
Lepcl
1879).
.52 260 hab.
40 400 »
16 250 »
12 200 »
9 400 »
7 250 »
5 550 »
5 500 »
. BASSINS DU DNEPR ET DU DNESTR. 4t3
lumière, où commença, douze cents ans plus tard, l'Iiistoire du peuple
russe, et où fut longtemps le centre de gravité du monde slave oriental.
Tant que les nations méditerranéennes eurent l'hégémonie dans le dévelop-
pement de l'humanité civilisée, leur puissance d'attraction devait donner
en Russie la suprématie de la culture au versant de la mer Noire. Quand,
au contraire, le côté océanique du continent d'Europe eut pris une plus
grande importance que celui de la mer Intérieure, la Russie dut changer
elle-même de centre historique et c'est vers le golfe de Finlande que se
porta la vie. Néanmoins les bassins du Dhepr et du Dhestr, dont la popu-
lation et les ressources industrielles et commerciales n'ont cessé de s'ac-
croître, sont restées l'une des parties les plus importantes de l'empire.
Si Pétersbourg regarde vers l'Europe occidentale, Odessa voit par-dessus
les eaux se former le mirage de Constautinople et de la mer Egée '.
Cette vaste région de la Russie du sud-ouest, deux fois grande comme la
France, n'a point de montagnes dans toute son étendue, et même sur des
espaces considérables ses plaines se développent d'un horizon à l'autre
avec l'uniformité de la mer. C'est précisément au nord du bassin du
Dnepr, à égale distance des deux mers, que la surface du pays offre le
plus de régularité : les hautes collines ne se montrent que dans la
partie méridionale de la contrée, vers le Dhestr et le Dhepr moyens. Au
nord-est des Carpates et de la dépression où naît le Dhestr, le plateau de
Tarnopol et de Kremehetz se continue par un faîte auquel Eichwald a
donné le nom de collines d'Ovratînsk, et que les frémissements du sol et
les érosions ont découpé çà et là en escarpements superbes, embellis par
la verdure des forêts environnantes. D'autres collines appartenant au même
faîte, mais encore peu élevées, s'élèvent près de Proskourov, au nord de
' Douze gouvernemenU dont les limites correspondent approsimativemenl à cellei des bassins du
Dnepr et du Dhestr ;
Superllcic, d'apris Slrelbiukiy. Poptilnlion en 1S82. Populslion kilométrique.
Smolonsk MOU kil. car. 1 llll 17'i liab. 21 liab.
Mogiiov 48ni5 « )1I7 5!)8 .. 23 •>
Minsk 91405 » 1569 542 n 17 ;)
Volinie 71851 » 2096475 « 29 »
Tchcrnigov 52 402 d 1905 471 <> 56 n
Kouisk 46 454 » 2 508 214 » 50 »
Kiyev 50 998 ). 2 024 525 » 51 «
Poitava 49 895 » 2 418 871 » 49 »
YckatcrinosJ'av. , . . 07 720 n 1 COI 52i » 25 »
Khcrson 71282 n 1884 545 .) 26 «
Podolie 42 018 » 2 242 014 d 53 »
Dessarabie 45 051 » 1 597 M42 o .".0 d
Ensemble. . . , 695 742 kil. car. 22 415 791 liab. 52 liab.
iil
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Kameiïetz-Podolsliiy : ce massif, d'où le Boug reçoit ses premières oaux,
dépasse en hauteur le plateau do Yaldaï par plusieurs de ses cimes'. Ce
faîte granitique s'affaisse peu à peu vers l'est et le sud-est, mais il occupe
une très grande largeur. On peut suivre les escarpements de cette bande
91. — MOSTVOES DE lil KSIENt.TZ .
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Nouv'cau Alexifietî
Q5°5C
E.de G,
d après la Carte de l'E.;at -Major
do rociies cristallines dans presque tout l'espace qui sépare, au sud de
.lilomir, le Boug et le haut Dïiepr; puis, traversée par ce dernier fleuve,
clic se ra]ii)roclio de la mer d'Azov, dont elle n'est séparée (pie par une
• Cliàlonu de Kreincnclz 399 moires (Si-iiionov).
Colline (rAlt'x;iniiiovsk, près de Proskourov 5G0 n (d'aïuès Scliniidl).
» d (lvniliii>l>, (ircs d'Ovra'.in 555 » i> »
HAUTEURS OCCIDENTALES DE LA RUSSIE, « TERRES NOIRES. » «5
étroite bande de molasse; la courbe que décrit le Diiepr dans la di-
rection de l'est contourne précisément une saillie de ces roclies que les
eaux semblent n'avoir pu entamer. A l'est de Jitomir, cette zone grani-
tique, dont la longueur totale n'est pas moindre de 800 kilomètres, ne se
montre guère à la surface du sol : les géologues ne peuvent l'étudier que
çà et là, surtout dans les coupures dont les terres meubles ont été déblayées
par les eaux courantes.
Le relief du sol a naturellement une importance capitale pour la distri-
bution des plantes et des animaux, aussi bien que pour l'bisloire des
populations; mais c'est la composition des terres qui est le fait capital et
qui a le plus influé sur les destinées des babitanls. Une grande partie des
bassins du Dnestr, du Dnepr et de leurs affluents appartient à la zone du
Tcbernozom, et des deux côtés de la limite tout diffère, dans l'aspect du
pays et dans son économie générale. Au nord est la région des blocs erra-
tiques, des forêts, des lacs, des marécages ; au sud est la « terre noire »
oiî l'arbre est cultivé par l'homme, mais où la végétation spontanée se
composait seulement de grandes herbes.
Dans leur composition normale, les terres noires sont formées de sable
pour les trois quarts ou les quatre cinquièmes, et contiennent, avec l'am-
moniaque, la soude, la potasse, l'acide phospborique, une part considé-
rable de matières organiques, d'environ un dixième dans les couches supé-
rieures ; en certains endroits, à Poltava notamment, la proportion est
encore beaucoup plus forte : elle s'élève à 17 pour 100. Dans les profon-
deurs du sol, la quantité d'humus est moindre; elle diminue progressive-
ment jusqu'à 0 pour 100. On explique cette différence par le fait qu'une
moindre épaisseur de terre végétale ne permettait pas aux i)lantes de
se développer avec vigueur : la végétation est devenue de plus en plus
active à mesure que s'accroissait la puissance du sol nourricier. Ainsi que
l'avait déjà aflirmé le voyageur francjais Iluot' cl que l'a depuis délinitive-
nient prouvé le botaniste I{uj>recht, le tcbernozom est formé en entier par
la décomposition des herbes : on n'y a point trouvé de coquilles d'eau
douce ou (l'eau salée qui puissent expli<iuer par l'action de la mer ou des
lacs le dépôt de ses alluvions. Manquant presque partout le long des
fleuves et des lacs, où il se trouve remplacé par le lœss, il ne recouvre
que les plateaux et les collines. Autour de Sednev, non loin de Tcher-
nigov, s'élèvent environ huit cents buttes funéraires, consistant en sable
' Voyage dans la Russie méniliunalc, par Demidov , — Iluot cl Mallc-Bnin, Prcds de Géographie
Udiieisc/.'i', j' cdilion, ISll.
445 KOUVELLE CÉOGRAPUIE UNIVERSELLE.
pur, et cependant recouvertes à la surface d'une couche de « terre noire »
de 15 à 21 centimètres; d'après la tradition, ces buttes dateraient de la
destruction de Tchernigov par Batyï Khan, en 1259; mais les fouilles ont
prouvé qu'elles sont plus anciennes d'au moins trois siècles : plus de
neuf cents ans auront donc été nécessaires poiu' former sur les buttes cette
pellicule régulière de terre végétale. En admettant un progrès correspon-
dant pour la végétation de la plaine, c'est de 5600 à 6000 ans qu'au-
raient employé les gazons des terrains environnants pour déposer les
couches du tchcrnozom, épaisses de six décimètres à un mètre et demi.
Quelle que soit la valeur de ce calcul, la formation de la « terre noire » est
nettement limitée au sud et à l'est par les anciens fonds marins, et dans
le voisinage de la mer d'Azov et du Pont-Euxin on reconnaît distinctement
que l'épaisseur de la couche est en rapport direct avec la hauteur du sol
au-dessus des vagues. L'humus végétal décomposé est d'autant plus épais
que les plages sont émergées depuis un plus grand nombre de siècles. Au
sud-est et à l'est, ce sont les rivages des steppes jadis inondées par la Cas-
pienne qui indiquent la fin des terres noires ; en maints endroits ils peu-
vent même servir à la repérer nettement '. Enfin, du côté du nord, nous
l'avons vu, les limites du tchernozom sont précisément celle des régions
de lacs et de marais où se promenaient les glaces, laissant tomber çà et
là les blocs de granit finlandais. Ainsi, dans son ensemble, la zone des
terres noires s'étend du sud-ouest au nord-est comme un isthme entre les
Carpates et l'Oural, et c'est par elle que l'Europe occidentale se rattachait
autrefois à l'Asie : Ruprecht lui donne le nom de « Continent du Tciier-
nozom ». Au nord, quelques petites îles de terres noires sont éparses au
devant de ce continent, dans les gouvernements de Yatka, de Kazan, de
Viadimir, de Tchernigov.
Ce continent s'étend sur un tiers environ de la Russie d'Europe et com-
prend un espace évalué approximativement à 93 millions d'hectares ; eu
outre, on retrouve la formation des terres noires en Moldavie, en Hongrie
et surtout dans le Banat; mais nulle part il ne se montre en étendues plus
vastes et en couches plus épaisses que dans le bassin du Dnej)r'". Le chi-
miste Ilermann a comparé ces lits de terres noires pour l'importance
économique aux strates de charbon que possède l'Angleterre ; mais ces
couches de sol fertile ont l'avantage de se trouver à la surface : ce n'est
pas dans les profomlears qu'il faut les chercher. En calculant la (luantité
' Riiprcclil, Bittleliii de l'Académie des scieiicex de Sainl-Pélersbuurg, tome Vil, 1805; — Delosse
et (le La|i|>.ireiil, Revue de Géologie pniir les années 1874 cl 1875,
- Murcliison, (jiohtjij of Hussin and Ihe Ural }]ouiilains.
« TERRES NOIRES .. ET STEPPES. 447
d'engrais nécessaire pour donner au sol des terres noires une proportion
d'azote égale à celle qu'il contient, on trouve que la dépense serait au
moins de seize milliards de francs '. Et ces engrais, ne faudrait-il pas les
renouveler sans cesse, et donneraient-ils à la terre celte nature meuble
qui en maint district la rend si facile à travailler?
Peu à peu les progrès de l'industrie agricole donneront aux terres noires
l'aspect d'un immense champ de culture. Le tcliernozom aura toujours la
beauté que donnent les grands horizons, mais il n'aura plus ce charme
pénétrant que l'on trouve dans la libre nature en y promenant ses pas au
hasard. Là, comme dans les « prairies » du Far West américain, on pou-
vait cheminer à l'aventure au milieu des herbes, si hautes que les fleurs,
les épis et les houppes se balancent à côté de la tète du voyageur : au
milieu de la plaine sans bornes on peut se croire perdu dans la verdure,
que le vent fait onduler comme des vagues. Les poésies populaires nous
disent quelle était la joie du Cosaque quand il parcourait cette mer
d'herbes au galop de son cheval, guidé dans sa course par un tertre posé
au bord de l'horizon, ou bien, comme le marin, par la marche du soleil
ou le déplacement des étoiles.
Du nord au sud, l'aspect des steppes change par degrés, à mesure que
diminue l'épaisseur de la couche de terré végétale et que les strates argi-
leuses, granitiques ou calcaires se rapprochent de la surface. Aux prairies
herbeuses, qui se revêtent au printemps de la plus riche végétation et que
l'homme peut changer en terrains de culture ou revêtir de forêts, succè-
dent les campagnes où le sol n'est couvert naturellement que de brous-
sailles et d'herbes grossières, puis celles qui sont complètement nues sur
de vastes espaces et où le laboureur n'essaye de lutter contre la stérilité du
sol que dans le voisinage des grandes villes ou dans les bas-fonds humides.
Les maisons peintes entourées de cerisiers et de pruniers sont remplacées
par des masures basses et grises, souvent dépourvues de jardins : quelques
peupliers mal venus ne servent qu'à témoigner des difficultés de la lutte
de l'homme contre la nature avare, mais ils ne changent que peu le triste
et monotone as|)ect de la contrée ^ Ce sont bien là les steppes qui res-
semblent au désert et que l'on a bien à tort confondues souvent avec
les slepi)es fleuries, d'où provient en partie la nourriture des popula-
tions d'Europe. Les arbres ne poussent qu'avec peine dans celte région.
Chaque ville a soin de se domicr à grands frais un jardin public, où la
• SchmidI, Gouvcrnetnenl de Kherson. Mnlci iaux pour hi gio^rapliio cl la stalisriciuc de la Russie
(an russe).
* Schmldt, ouvrage cilc.
418 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
population, piivce de véritables forêts, peut jouir d'un semblant de fraî-
cheur et d'une ombre incertaine. Chaque propriétaire de khoator, dans
les environs d'Odessa, cherche à orner ses jardins des arbres qui lui
rappellent la nature libre; mais tout l'art des horticulteurs ne réussit
qu'à produire des troncs maladifs, au feuillage rare et destinés à périr
après vingt ou trente années, et parfois toute la verdure disparaît en
quelques heures, rongée par les nuées de sauterelles qui font le cré-
puscule en plein jour et dont la venue s'annonce comme le roulement
d'un tonnerre lointain.
Les steppes herbeuses, que l'on s'attendrait à voir désertes et sans vie,
sont au contraire animées par une foune des plus riches, sinon par le
nombre des espèces, du moins par celui des individus : au sortir de la
sombre forêt, ces espaces lumineux sont la solitude vivante ', Les bisons,
les buffles, les sangliers, les chevaux sauvages et d'autres animaux dont
parlent Biaise de Vigener^ etBeauplan% ont disparu des steppes, mais le sol
est tout percé de galeries où gîtent les sousliks [cijlillus vuhjaris ou sper-
matopliilus) , marmottes-écureuils, qui servent de proie à tous les chasseurs
de la contrée, le loup, le chien sauvage, l'homme surtout, mais qui ont
beaucoup diminué depuis que leur tête est mise à prix. Des multitudes
d'oiseaux pêcheurs, hérons, cigognes et flamants, canards et mouettes, se
promènent dans les marais ou nagent dans les étangs; des alouettes et
d'autres oiseaux chanteurs volent au milieu des herbes et des broussailles
comme dans les bois et sur les guérets de l'Europe occidentale ; des aigles,
des vautours et d'autres rapaces perchent sur les pieux kilométriques et
ne se dérangent pas même au passage du voyageur. Les papillons volent
par myriades sur l'immense prairie bariolée de fleurs, et les abeilles y buti-
nent on foule. Les steppes du Dnepr et du Don sont par excellence le pays de
l'apiculture. Avant d'avoir été soumise à la charrue, la terre de l'Oukraïnc
était ]teut-être la contrée du monde qui méritait le plus d'être désignée
comme « découlant de miel » : on n'eu trouvait pas seulement dans les
troncs d'arbres, mais aussi dans les cavités du sol, surtout dans les
berges des fleuves et des ravins. Comme les sousliks et presque tous
les autres animaux de la steppe, y compris l'homme, l'abeille est tro-
glodyte, grâce à la nature du sol. Dans les établissements d'apiculture,
ou [)rend soin de faire hiverner les abeilles en de grandes chambres creu-
sées sous terre.
' ToiirjtiMK'v, R'kils d'un Cliasseur; — Suchei-Masoch, .4 Koloinéa.
' Description da loijiiitmc de l'olo'ujuc cl pays udiavens. l'aiis, li)75.
■■ Description de rVkrunic. Itoucii, lOOU.
STEPPES ET MAU.VIS. 419
Dans la zone mérklionale de la Russie les habitants sont foi't habiles
à retenir les eaux pour abreuver leurs animaux et arroser leurs terres ;
mais ils n'utilisent ainsi que les ruisseaux et les petites rivières et ne
savent point mettre à profit l'eau des grands fleuves. L'humidilé néces-
saire ne manquera point quand l'homme saura la prendre dans les hauts
bassins, la faire disparaître des régions où elle séjourne en corrompant
l'atmosphère de ses miasmes et la reverser sur les contrées arides. Presque
toute la Poiesye, haut bassin de la Pripet, l'un des principaux affluents du
Dnepr, est une de ces régions demi-lacustres, demi-asséchées, (jui ne sont
(11X15 riE PINSK AVANT I. AS«: CIIIÎMF.NT.
plus des lacs et ne sont pas encore la Icno ferme, et que le travail de
l'homme pourra transformer en campagnes d'une extrême fertilitt- quand
il les aura débarrassées de leur surabondance d'eau. Cette contrée est le
dédale de lacs, de marécages, de tourbières, de forêts et de seuils émer-
gés que l'on appelle le marais de Pinsk. Hetenus du côté du sud par le
barrage des roches granitiques de la Volinie, les eaux n'ont pu s'écouler
librement dans le bassin du Dnepr; elles se sont accumulées au milieu
des terres basses oii elles formaient autrefois un lac, remplacé mainte-
nant par des rivières paresseuses, dont on ne reconnaît j)liis les berges
dans 11 vaste étendue couverte de roseaux cl de plantes a(|iialiques. Les
450 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
cours d'eau n"on sont pas encore arrivés à se créer une existence indé-
pendante : à peine sortie de sa vallée supérieure, la Pripet se divise entre
les tourbières et les îles en d'innombrables fosses inégales qui s'entre-
croisent, se perdent, se retrouvent et finissent par aboutir au lac ma-
récageux de Lubaz. En aval de ce lac, le cours d'eau se divise de nouveau
en tant de coulées qu'il perd jusqu'à son nom, pour ne le reprendre qu'à
une centaine de kilomètres plus bas, au confluent de la Yasolda. Presque
toutes les rivières dont la Pripet est l'artère commune se réunissant dans
le même bassin à une petite distance les unes des autres, débordent
à la fois après les grandes pluies, et la contrée se trouve inondée jusqu'à
perte de vue. Dans cette région partiellement recouverte d'eau, la faune
présente un caractère spécial. Les sangsues qui vivent dans les marais
étaient l'un des principaux objets d'exportation du pays avant les froids
de l'année 1840, qui les firent presque toutes périr; le castor et la loutre
ont disparu depuis le commencement du siècle. On dit que le lièvre des
marais diffère de celui des plaines environnantes : son pelage est d'une
nuance un peu bleuâtre. Quant à l'bomme, on comprend combien son
genre de vie est modifié par ces terres noyées, où il est souvent obligé de
se réfugier sur un tertre, en compagnie des animaux. Des maladies causées
par les miasmes régnent dans ce pays de marécages, et l'une d'elles est
cette affection connue seulement en Slavie, le kovtoun ou koltoun, la
« plique polonaise », dans laquelle on a voulu voir un fléau spécial aux
Polonais, — à tort, puisqu'elle sévit surtout dans la Russie Blanche
et dans la province de Grodno. Dans sa Description de l'Vkraiiie, Beauplan
parle de celte maladie comme attaquant seulement les Cosaques.
Les grands marais de Pinsk seront bientôt un souvenir. Ainsi que
l'avaient prouvé des entreprises partielles de dessèchement faites depuis le
milieu du siècle, la reconquête du sol paraissait n'être pas impossible,
lorsque en 1873 on procéda au nivellement général de la contrée. M. Jilinskiy
et ses compagnons ont reconnu que la pente de tout le pays de Minsk vers
le Dnepr est au moins de 5 dix-millièmes, ce qui suffit parfaitement pour
assurer aux eaux un écoulement régulier. En supprimant les barrages des
moulins et des pêcheries qui relardent le cours des eaux et en creusant des
canaux de décharge suivant la pente naturelle du sol, on pourra vider sans
peine tous les marécages et transformer la province de Minsk, naguère
l'une des plus misérables de la Russie, on une terre des plus riches de
l'Europe par la fécondité du sol. Du reste, une grande partie de l'œuvre
est déyi faite et pour une somme relativement minime, qui sera prochai-
nement rendue au centuple par les produits de l'agriculluie. De 1875
MARAIS DE LA PRIPET. 451
à ISSO-, il a suffi de moins de 3 millions de francs pour creuser plus de
1000 kilomètres de canaux d'écoulement, qui ont changé en prairies
les marais et les tourliières et débarrassé les forets de leurs eaux stag-
nantes. Une forêt de 90 000 hectares, dont les arhres pourrissaient sur
place, peut être exploitée maintenant, grâce aux canaux qui la rattachent
aux rivières de flottage; les denrées du pays peuvent être expédiées soit
dans le bassin de la Vistule, soit dans celui du Neman, par des canaux
de navigation dont les abords sont dégagés des eaux stagnantes. Les rivières
précisent leur cours, naguère indécis ; des chemins se tracent dans la
plaine, et les villages ont cessé d'être des buttes insulaires au milieu du
marais. En 1884, l'espace asséché était évalué à 1 550 000 hectares. C'est
là une révolution physique toute superficielle, puisqu'elle est obtenue
simplement par des saignées pratiquées dans le sol à quelques mètres de
profondeur, mais ses effets transformeront complètement l'aspect d'une
contrée dont l'étendue, de plus de 9 raillions d'hectares, est égale au
sixième de la France. On peut juger des changements rapides accomplis
récemment dans la géographie locale par l'amoindrissement du lac Kùaz
(Prince) ou Jid (Juif), ainsi nommé, dit-on, d'un prince misanthrope
qui s'était réfugié dans ces solitudes à la fin du siècle dernier, se disant
Juif pour éviter tout contact avec les chrétiens. A cette époque, le hameau
de Kiiaz-ozero (Lac du Prince) était au bord du lac ; mais les plantes enva-
hissantes des tourbières ont depuis ce temps diminué de moitié la super-
ficie des eaux. Elle était naguère de 75 kilomètres carrés : de combien
aura-t-clle été réduite par les travaux do. dessèchement qui ont égoutlé
plus (le 100 000 hectares autour du lac?
De tout le bassin du Diiepr, la Pri[iet est la seule grande rivière dont
la vallée n'ait pas encore pris sa forme définitive : les autres hauts affluents
et le Diu'pr lui-même ont un cours normal, achevé pour ainsi dire. Ce
fleuve, celui de la Russie qui a le nom le plus célèbre dans l'histoire,
prend sa source, beaucou() plus près du golfe de Finlande que de la mer
Noire, dans une région peu accidentée, où naissent aussi des affluents de
la Dùna, de la Volga, de l'Oka ; les lignes de séparation du quadruple ver-
sant sont à peine indiquées. Rétréci d'abord entre les bassins des eaux
qui descendent vers la mer Raltiquc et vers la Caspienne, le fleuve ne
reçoit que peu d'affluents dans sa partie supérieure jusqu'au delà de Smo-
Icnsk et de Mogilov ; mais en aval de Rogalcliov se succèdent rapidement
les grands tributaires : à l'ouest coule la Berczina, qui aurait été jadis
considéré comme le fleuve principal et dont le nom, si l'on en croit des
slavisanls, ne serait autre que celui de Borysthènes (?) ; à l'est vient so
4JÎ
NOUVELLE GÉOGRM'IIIE UNIVERSELLE.
déverser la Soj ; puis le Di'iepr s'unit à la Pripet, presque sa rivale par la
masse des eaux et la grandeur du bassin, comprenant presque toute la
province de Minsk, une moitié de la Vol'înie et même une part de Grodno.
Ensuite la Telerev, l'eau des « Coqs de Bruyère », apporte son tribut liquide
au Dnepr. et plus bas la Desna ou la « Droite », ainsi nommée parce que,
vue de Kiyev, elle coule à droite du fleuve principal, se déroule en ser-
pentant dans une plaine d'alluvions où la rivière a laissé partout des traces
— 1 Ai: jiu.
EdeP E5=g0'
{ £fDmsnovH?ch~a'°»'*.bie'^â^
a Carte de l' Ltat- Major
de son passage, par des lacs annulaires et des coulées d'inondation. C'est
là que se termine la ramuie supérieure du Diiepr et que le fleuve est
vraiment formé. C'est le fameux Borystliènes des Grecs, l'Ouzon dos Turcs,
l'Eski ou « le Vieux » des Tartares, le Luosen et le Lcrene des portulans
italiens.
Dans quelques parties de son cours supérieur, le Dnepr, rejeté de
droite et de gaudie par les liantes berges sur les(pielles il lieurte ses eaux,
a sa rive gauche vj\ et là plus élevée que sa rive droit(^; mais en aval de
ses grands afilneiils, le fleuve, se di'plaçant n'gulièicnient vers la Jroite,
DNEPR.
453
conformt'ment à rimpulsioii que lui imprime le mouvement de rotalion
(lu globe, ronge surtout sa rive occidentale. Tout en se développant en
méandres semi-circulaires qui gagnent tantôt à droite, tantôt à gauche,
suivant la loi de la réciprocité des anses, le Dnepr porte la masse de ses
eaux et par conséquent sa force d'érosion du côté de sa rive droite : c'est
de ce côté que se trouvent les ftilaises, hautes en moyenne de 90 à JôO mè-
tres, les unes encore longées à la base par le fil du courant, les autres
94, nIVE IIAL'TE DD DNEPr. EN AMONT l'E TCIIERKASl.
abandonnées maintenant par le fleuve qui, après les avoir évidées en
forme d'amphithéâtre, n'a laissé que des marécages à leur ])ied pour
revenir un jour et continuer son œuvre de destruction. La rive orii'ulalc,
en entier composée d'alluvions que le fleuve a délaissées en déplaçant son
lit vers l'outîst, est presque partout une campagne basse, dont les seules
clévalions sont d'anciennes îles, grailm-llement exhaussées par la végéta-
tion. C'est ainsi que le lit où coulait autrefois le Dnepr peut être utilisé
maintenant par d'autres rivières dont le confluent s'est reporté vers l'aval
à mesure que s'éloignait le fleuve principal. ,\n nurd-est de Kivev, la
454
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Desna, comparable à un enfant dans l'armure d'un homme, coule dans
une vallée qui fut probablement le lit du Diiepr et dont on reconnaît
encore les berges abandonnées. Maintenant le fleuve, qui coule à 15 kilo-
(irns INFERIEIR DE l.A DF.S
mètres plus à l'ouest, passe à la base d'escarpements ravinés d'où les
blocs s'écroulent chaque année à l'époque des hautes eaux ou sous le heurt
des glaces, lors de la débâcle. La hauteur de la rive droite, telle est la
raison qui a décidé la fondation de la plupart des villes du bassin sur la
DNEPIÎ. 455
berge occidentale et qui a fait tracer les routes de communication sur le
même côté du fleuve. Les chemins tracés sur la rive gauche sont pen-
dant une grande partie de l'année d'infranchissables fondrières. Sur les
affluents du Dnepr, les rives présentent le même contraste, et là également
les villes et les bourgs s'élèvent pour la plupart sur la rive droite'.
La débâcle est rarement dangereuse. Grâce à la direction du fleuve, qui
coule du nord au sud, les glaces se détachent d'abord en aval et sont déjà
fondues ou emportées vers l'estuaire lorsque les glaces du lit supérieur
se brisent à leur tour et commencent leur voyage de descente. C'est ainsi
qu'à Kherson le fleuve n'est pris en moyenne que pendant 80 ou 85 jours,
tandis qu'à Yekaterinosl'av la durée du gel est de 89 jours et de 06 jours à
Kiycv, là oi!i commence le cours moyen'. Cependant il arrive parfois que
les glaces s'accumulent en amont de bancs et de sables ou d'ilôts, et bar-
rent complètement le fleuve : en 1865, un véritable pont de glace se forma
ainsi devant Krementchoug, assez épais pour porter des convois'.
Par la forme de sa ramure fluviale, aussi bien que par la nature du sol,
le Diïepr est, parmi les cours d'eau d'Europe, un de ceux qui doivent
présenter le plus d'écarts dans leur masse liquide. Presque tous les grands
affluents se réunissent au Dnepr dans la partie moyenne de son cours et à
peu de distance les uns des autres, de sorte que leurs diverses crues, à
l'exception de celle de la Pripet, qui s'attarde dans les marais de ses bords,
s'unissent en un même flot, et font à la fois déborder le fleuve. Plus au
sud, les eaux qui ruissellent à la surface du sol difficilement perméable
des steppes contribuent aussi à grossir soudainement le Lliiepr. Ce fleuve
est encore tel que la nature l'a fait : il n'a ni digues ni chemins de
halage ; mais jusqu'à un certain point les riverains peuvent se féliciter
qu'il ne soit pas encore endigué comme le Po, la Loire, le Rhône, le
Mississippi, par des levées dites « insubmersibles », que les vagues extraor-
dinaires de crue viennent démolir pour inonder les campagnes con-
quises sur l'ancien lit fluvial. La largeur moyenne du Dnepr est de 600
à 850 mètres, mais lors des crues il s'étend en maints endroits sur plus
de 10 kilomètres de largeur : c'est alors une mer en mouvement;
toutes les îles, tous les bancs de sable autour desquels le fleuve se divi-
sait en courants partiels, disparaissent sous l'eau jaunâtre; bras morts,
bras vifs, mares délaissées d'ordinaire dans les campagnes, sont réunis en
' Maiimov, Drevii'aija i Soiaija Rossiija, 1870, n° 1.
» Sluckenbera, Uydro(jiaiihie Russtands.
' Schniidt, Gouvernement de Kherson, Matériaux pour rétude géograpliique el slatislique de la
Russie (un russe).
450 NOUVELLE GÉOGRAPDIE UNIVERSELLE.
une même nappe, et les eaux qui ne trouvent pas de place dans la vallée
maîtresse vont refluer h droite et à gauche dans les vallées des affluents,
qui ont aussi leurs marais, leurs bancs d'alluvions, leur lacis de rivières
vives et dormantes. Il est à désirer que les Oukraïniens, instruits par
les désastres qui ont lieu si fréquemment sur les bords des fleuves en tant
de contrées, apprennent à utiliser les terres alluviales de la vallée du
Diiepr sans mettre les villes riveraines plus en danger qu'elles ne le sont
déjà : le débit extrême du fleuve, sa vitesse, les dimensions respectives de
son lit de crue normale et de son lit d'inondation, tout doit être calculé
d'avance pour éviter les catastrophes. Le péril est d'autant plus grand que
par suite du déboisement le régime du fleuve est devenu beaucoup plus
irrégulier qu'il n'était autrefois ; les « maigres » sont de plus longue
durée et les inondations plus hautes et plus soudaines.
D'ailleurs, les campagnes basses qu'inonde périodiquement le fleuve
sont d'une extrême fertilité, et ce sont elles qui l'ont fait célébrer par
Hérodote comme la rivière « la plus utile aux hommes après le Nil ».
La fécondité de ces fonds inondés provient en grande partie des molécules
de « terres noires » que le Dnepr a portées des régions supérieures. En
roulant dans son limon ces terres fertiles prises sur ses rives septen-
trionales, le Dnepr apporte aussi au milieu de la région des steppes la
végétation du nord : le bouleau, cher aux Russes, croît en forêts et en
petits bois sur les rives du Dnepr et dans ses îles d'alluvions, jusque dans
le voisinage du liman. Mais, sur de vastes étendues, tous ces fonds ou
planu, qui pourraient nourrir des populations entières, ne servent qu'à la
production d'un foin grossier et de roseaux, que les riverains vont couper
en hiver, lorsque la glace leur permet de parcourir les marécages, et qu'ils
utilisent pour leurs toitures et leurs enclos : un hectare de roseaux en
bon rapport donne actuellement autant de profit aux paysans qu'un hectare
des meilleures terres de culture. Les espèces de tissus feutrés que forment
les racines entremêlées des roseaux sur les bas-fonds du Dnepr s'unissent
en une sorte de tapis que l'eau lave par-dessous en érodant les sables ;
parfois les îlots des roselières se trouvent ainsi complètement détaciiés
du sol inférieur et descendent au gré du courant pour s'arrêter sur quelque
banc de sable éloigné : en 1845, une de ces forêts de roseaux, située à
7 kilomètres en aval de Kherson, se déplaça ainsi de 2 kilomètres '.
Il semble que le Dnepr, le troisième fleuve de l'Eurojie | ar la masse
de ses eaux, l'artère vitale d'un pays peuplé de douze millions d'hommes,
' Odcsskiy V'cstnik, n° 73, 18J2; — Sclimidi, ouvrage cité.
RAPIDES DU DNEPR.
457
devrait être l'un des plus importants de l'Europe pour la navii^ation. 11
traverse successivement plusieurs zones de climat, de culture, de civili-
sation ; de la région des forêts, il
passe dans celle des terres noires, ^ • • ~ b*p"'es de oxEm.
puis dans celle des steppes nues,
unissant ainsi des populations de
m.œurs différentes , ayant besoin
des denrées les unes des autres. De-
puis les temps de la colonisation
grecque, le Borysthènes fut en effet
l'un des grands chemins de com-
merce , sauf pendant les guerres
d'extermination, qui arrêtaient tout
mouvement d'échange ; mais l'im-
portance de cette voie naturelle de
trafic a été singulièrement dimi-
nuée par l'existence des rapides
qui interrompent en plusieurs en-
droits le cours du fleuve. En amont
de Krcmentchoug et du confluent
de la grande rivière Psol, le Di'iepr
descend déjà de plus de 20 mètres
sur une dislance de 17 kilomètres,
et maint passage de ce plan incliné
est très dangereux à franchir. Mais
c'est en aval de Yekaterinos-1'av, au
détour que doit faire le Dnepr pour
traverser le plateau de granit, que
se trouvent les célèbres « seuils »
ou poro(ji, dont parlent les chro-
niques byzantines et russes et les
chants des Cosaques. Les roches de
granit qui forment barrage se con-
tinuent pour la plupart de rive à
rive, et l'eau qui passe en nap- gk^ks , j,„„„
pes sur ces arêtes n'a guère en » lokij.
moyenne, pendant l'été, plus d'un
mètre et demi d'épaisseur, l/imlinaison lolalc du fleuve, sur une Imi-
gui'ur d'environ 75 kilomètres, est de ,"('2 mètres, mais nulle part il n'y a
». 58
r^.G
458 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
de vérllablo chute ; la penle la plus forte est seulement d'un peu plus de
6 centimètres par mètre. Çà et là se montrent des cascades latérales; la
masse du courant, qui descend en longues vagues, où se voient à peine
quelques stries d'écume, se partage aussi en rapides secondaires qui sui-
vent l'un ou l'autre bord. Constantin Porphyrogénète parle de sept porogs
seulement, Beauplan en décrit treize dans sa Description de l'Ukranie, et
maintenant les pilotes ont l'habitude d'en compter neuf seulement ' ; mais
ces neuf, ainsi que les moindres rapides appelés zabon, se décomposent
en centaines et en milliers de sauts. L'aspect du fleuve, à la traversée des
roches granitiques, change constamment : aux plans inclinés d'où l'eau
descend en fuyant succèdent les vastes bassins, semblables à des lacs, où
l'onde calmée tournoie avec lenteur; la sonde y trouve jusqu'<à 50 mètres.
La largeur varie aussi : divisé par d'innombrables écueils, le fleuve a
1750 mètres près des rapides les plus dangereux, tandis qu'à la « Gorge
du Loup » (Viltchye Gorlo), vers la fin des rapides, les rives se rappro-
chent à moins de 160 mètres.
Les embarcations franchissent les rapides seulement pendant les huit
semaines que dure en moyenne la crue du printemps; même on a vu des
années se passer sans que la navigation ait été possible un seul jour :
quant aux chalands d'un fort tirant d'eau, ils doivent tous s'arrêter à
Yekaterinoslav en amont, à Alexandrovsk en aval. Les petits villages des
bords, et surtout le bourg de totzmanskaya Kamenka ou « Perré des
Pilotes », sont peuplés de bateliers qui guident les embarcations et les
radeaux dans les détours du chenal ; mais quels que soient leur coup
d'oeil et leur sang-froid, un grand nombre de bateaux se perdent dans
le dangereux passage. Des centaines de chalands qui descendent, aucun
ne remontera le fleuve : tous sont dépecés à l'arrivée, soit à Kherson,
soit dans toute autre ville du cours inférieur, et vendus comme bois de
construction : c'est sous cette forme que les régions du bassin supérieur
«expédient leurs troncs d'arbres aux riverains du bas Dnepr; les écrivains
byzantins nous apprennent que les Krivitchi pratiquaient ce commerce du
bois dès les origines de l'histoire russe'. Depuis plus de cent années on
s'occupe d'améliorer les passes du Dnepr au moyen de canaux et d'écluses
latérales, mais tous ces travaux ont été jusqu'à maintenant à peu près
inutiles, et les bateaux à vapeur, qui remontent de Yekaterinoslav à Pinsk
sur la Pripet, à Orrlia sur le haut Dnepr, à Bi'ansk sur la Desna, ne peu-
' Tchoujbinsliiy, Visite à la Russie du Sud, I, le Dn'epr (en russe).
' K.inmizin, Histoire de l'État russe, I.
RAPIDES ET LIMAN DU DNEPH. 459
vent encore franchir les seuils qui les séparent du bas Di'iepr et de la mer
Noire. Les autres fleuves de la Russie méridionale, Boug et Dnestr, de
même que leurs affluents, ont aussi leurs rapides au passage de la zone
granitique; un des petits affluents du Boug par la Siiioukha a même une
chute verticale de plus de 10 mètres. On a pu dire avec quelque raison
que les cours d'eau de la région des steppes empêchent beaucoup plus les
communications qu'elles ne les favorisent. Leurs rapides arrêtent la navi-
gation de l'intérieur vers la mer, tandis que leur large cours, les berges
de leurs vallées, les bornes de leurs rivages empêchent le passage de l'est
à l'ouest ou de l'ouest à l'est, parallèlement à la mer Noire'. Tous les
peuples nomades de l'Asie, dont les sieppes étaient le chemin naturel dans
la direction de l'Europe, se trouvaient arrêtés à la traversée des fleuves,
et c'est près de leurs bords qu'avaient lieu les sanglants conflits qui trans-
formèrent tout le pays en un vaste désert, le « Champ Sauvage ».
Au-dessous des rapides, le Dnepr, continuant de ronger la hase des
rochers de sa rive droite, se reploie vers l'ouest en laissant à gauche un
ancien lac, le Velikiy Loug, la « Grande Prairie » des Zaporogues, où se
ramifient les eaux pendant les inondations et qui est mamtenant un maré-
cage s'étendant à perte de vue. C'est là et sur d'autres points du Dnepr
maritime que des savants, interprétant un passage d'Hérodote, ont voulu
chercher le Gerrhus, un ancien bras du fleuve qui se serait jeté dans la mer
d'Azov^; mais nulle trace de lit ne se retrouve dans la région des steppes,
qui s'élèvent en moyenne de 100 à 200 mètres au-dessus du niveau de la
mer. Le fleuve n'a |)oint de delta, mais seulement des bras errants qui se
déplacent dans le lit suivant l'abondance des eaux de crue et qui se déver-
sent dans un liman ou golfe d'eau saumàtre faisant déjà partie du Pont-
Euxin quoiqu'une baire de sal)le le sé[)are à d(!mi de la haute mer : on y
entretient à grand'pcine par le dragage un chenal de navigation ]i(Uir
l'entrée des bateaux à vapeur. En été, l'eau du liman, alimentée surtout
par la mer, devient trop saline pour que les habitants riverains puissent
l'utiliser; il en est de même pendant les tempêtes ; mais d'ordinaire, et
surtout au printemps, l'eau du golfe est employée pour tous les usages
domestiques, et les bestiaux la boivent sans que leur santé paraisse en
souffrir. D'ailleurs le Dnepr n'est pas le seul courant d'eau douce qui se
déverse dans le liman. Celui-ci reçoit aussi le Boug, le Bob des Petits-Rus-
siens, dont le nom, qui signilie « Dieu », est du sans doute à des super-
' Sclinildl, Courcrnemcnt rie Klirrson, ouvrage cité.
' lleiiiull, Geograpinj o( Hcioilntus.
460 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
stitions oubliées : c'est l'IIypanis des Grecs. L'ile de Berezan, qui garde
l'entrée commune du liman où débouchent le Dnepr et le Boug, eut jadis
une grande importance. Arrivés dans le liman, les traitants russes qui
venaient de descendre le fleuve n'osaient se risquer aussitôt en pleine mer
sur leurs barques légères, fatiguées par le voyage; ils s'arrêtaient dans
l'ilot pour y réparer leurs embarcations et les gréer en vue de la naviga-
tion marine.
Le Dhestr, le Tyras des Grecs et le Tourla des Turcs, peut être consi-
déré d'une manière générale dans son cours moyen comme la limite ethno-
logique naturelle entre les Russes et les Roumains. Ce fleuve ressemble à
bien des égards à son puissant voisin le Dnepr. Il prend naissance comme
lui dans la région des forêts pour traverser les « terres noires », puis
les steppes nues, et se déverser dans un liman du Pont-Euxin ; il se dé-
place aussi en rongeant sa rive droite et passe également sur des seuils
de granit ; mais son lit est en moyenne beaucoup plus profondément
creusé : il est presque partout fort étroit et recouvert d'une grande
épaisseur d'eau, comme celui du Prout, rivière parallèle au Dneslr et qui
en est comme une reproduction un pou diminuée ^ Ses écarts de portée
entre les maigres et les crues sont encore plus forts que ceux du Dnepr :
quelques-unes de ses crues, notamment celles de 1829, de 1842, de 1845,
ont été si fortes que les riverains ignorants accusaient les Autrichiens
de Galicie d'avoir rejeté les eaux d'un autre fleuve dans celui qui débor-
dait sur leurs campagnes ^ Le Dnestr dévclo[)pe quelques parties de sa
vallée avec une singulière majesté de lignes, et ses affluents le rejoignent
en donnant à sa ramure l'aspect de celle d'un chêne; mais dans l'ensemble
le Dnestr est l'un des cours d'eau les plus tortueux de la Terre : de la
bouche du Yagarlik à la mer, la distance en ligne droite est seulement de
147 kilomètres; avec les détours, le développement du fleuve dans cette
partie de son cours atteint 590 kilomètres. La longueur totale du Dnestr
est de 1550 kilomètres, un peu moins que le puissant Dnepr^. En outre,
le lit fluvial s'allonge incessamment aux dépens du liman salin dans lequel
ouïront ses oaux. L'ancien bras, qui s'unissait au liman à l'exlromité sep-
tentrionale do ce golfe, s'est oblitéré depuis longtemps, et c'est (lar un bia>
latéral, allant rejoindre le golfe sur sa rive orientale, que se dévorso main-
tenant l'eau du fleuve, menaçant de séparer peu à peu du liman la baie du
nord, appelée en tartare Kara Gol ou Lac Noir. Los alluvions sableuses
' Ko'.il, Reisen in Siid-RussUiiid.
- Sclimidl, ouvrngc chv.
; !2I 10 kiloiiiLlies, i.V:\[>iii >L Till»; hv'cslia Gcoijr. Obcli. 188Ô.
DNESTR.
405
qu'apporte le fleuve ne peuvent être entraînées vers la mer, car la barre
qui sépare le Di'iestr de la mer Noire est très rapprochée de la surface :
à peine de petites barques peuvent-elles franchir le seuil; toutes les
N' 97. PARTIE DU DXF.STB MOtES.
d après lo Lam d» > Lt<
marchandises venues de l'intérieur doivent être transportées par terre à
Odessa.
Parmi les poissons du Ih'iestr, du Di'icpr, du Danube, il s'en trouve beau-
i-ou[> qui ont un caractère tout spécial et constituant une fauiu- distincte.
l'ourcn cxjtliqucr l'origine, M. Kessler a imaginé que la chaîne du Balkau
rejoignait autrefois les montagnes de la Crimée et limitait ainsi un grand
bassin d'eau douce où se déversaient les fleuves de la Russie méridionale. De
ces poissons de la faune boryslliéniquc, deux seulement se retrouvent ailleurs,
4Ù4 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
l'apron ou aspro vulgaris dans le Illiùne el Vaccrina rossica dans le Don '.
Le Driestr, le Boug, le Dnepr sont les seuls cours d'eau navigables de
la Russie méridionale entre le Danube et le Don ; seulement quelquefois,
vers la fin d'avril et pendant le mois de mai, les bas affluents do ces
fleuves roulent assez d'eau pour faire flotter dos troncs d'arbres et pour
porter des radeaux et même des barques. Il n'en était point ainsi il y a
vingt-trois siècles, s'il est vrai qu'au temps d'Hérodote la terre, quoique
« exlraordinairement dénuée de bois' », fût bien arrosée et que de grandes
rivières la parcourussent, « h peine moins nombreuses que les canaux en
Egypte" ». De nos jours, les steppes méridionales sont desséchées, et même
en comptant les limans du littoral, que n'alimentent plus les eaux cou-
rantes, on ne trouve plus qu'un petit nombre de lits fluviaux. Hérodote,
qui visita le pays, n'a pu se tromper complètement sur la géographie de
la contrée, et d'ailleurs ces anciennes rivières dont parle l'historien grec,
n'en voit-on pas encore les traces? Entre le Danube et le Dncstr, entre le
Diiostr et le Boug, les vallées fluviales se succèdent, toutes parallèles les
unes aux autres; mais ces vallées fluviales n'aboutissent plus à la mer;
elles sont desséchées entièrement ou en partie, et les ravins latéraux qui
s'inclinent vers ces vallées n'ont d'eau que pendant les pluies.
La tradition locale raconte partout l'appauvrissement de la contrée en
eaux courantes. Des lacs se sont évaporés jusqu'à la dernière goutte, et les
offlorescences salines couvrent des espaces de plus en plus considérables.
En beaucoup d'endroits, les habitants disent que leurs puits ont graduel-
lement tari ou que l'eau en est devenue saumâtre : ils ont dû abandonner
des jardins et des vergers qu'ils pouvaient jadis arroser d'eau pure en
abondance et qui leur fournissaient de belles récoltes. La rivière Tiligoul,
dont les eaux vont se perdre aujourd'hui dans le liman du même nom,
sans pouvoir atteindre la mer, mettait autrefois en mouvement les roues
de quinze moulins, grands et petits, en amont de la ville d'Ananyev, et
en ISOÔ il n'en existait plus qu'un seul, inactif pendant une {)artie de
l'année. La rivière a cessé d'avoir un cours régulier el n'est plus qu'une
coulée incertaine. Encore en 1825, le Tiligoui est représenté sur une
carte militaire comme s'unissant à la mer par une large embouchure, el
c'est là que passe maintenant, sur un isthme élevé, la roule jjostalt! do
Nikolayev à Odessa. Comment s'expliquer celte salinité croissante du sol
' Kcssier, Russische Revue, n° 4, 1875; Verglckhende inteisucliiiiigen Uher dic FUclie des
Schwarzen und des Kaspischeti Meerea....
» Livre iV, (II.
' Livre IV, 47.
ASSÈCHEMEiNT DES STEPPES.
465
des Steppes? Le déboisement des plateaux, ajoutant de vastes surfaces
nues à celles des steppes basses, n'est-il pas, sinon la seule, du moins la
principale cause de l'assèchement des campagnes? En perdant les arbres
qui l'abritaient, la terre s'est trouvée exposée à une dessiccation rapide, les
sources nourricières des fleuves ont tari et les eaux courantes ont disparu.
Le labourage, qui détruit toute végétation pendant une partie de l'année,
accroît l'activité de l'évaporation en exposant le terrain nu aux rayons du
soleil et aux vents desséchants. Ainsi que le dit un proverbe local : « Quand
>" S8. TADl DES STEPPES.
l'homme vient, l'eau s'en va', x Les pluies apportent en moyenne près de
35 à 40 cenlimèlres d'eau dans la contrée' ; mais, cette eau ne fournissant
point d'excédent qui s'égoutle dans la mer, il en résulte que l'évaporation
et la maigre végétation du sol doivent la faire disparaître eu entier.
D'ailleurs, ce phénomène d'appauvrissement de la teire en humidité s'ol)-
serve sur une zone beaucoup plus étendue que les steppes de la Russie
méridionale, ainsi que le prouvent les anciens lils do rivières de la Do-
broudja et de la basse Roumanie, où no se voient plus maintenant (jue des
Sclimidt, Gouvernemcnl de Kherson, ouviagc cité.
l'Iuii; miiyenuu ii Odessa
» » à Kiko'laycv
0",.)G5
''M
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
■ village; entourant vne
mares et de petits lacs'. On ne saurait guère douter non plus que l'Asie
antérieure ne soit devenue plus aride. Toute la région centrale de l'ancien
continent constitue une aire d'appauvrissement pour riiumidilé du sol.
Les sources manquent complètement à la surface des steppes voisines do
la mer; elles ne sont remplacées çà et là que par des mares, où l'eau
séjourne pendant les mois pluvieux et où croissent des joncs et des herbes
marécageuses. En d'autres endroits bas, connus sous le nom de padl, il
ne séjourne point d'eau, mais l'humidité est suffisante pour entretenir
continuellement une végétation d'herbes touffues, et quand la chaleur de
l'été a brûlé tout le gazon des plaines, ces bas-fonds, non encore desséchés,
rafraîchissent le regard par la verdure de leurs prairies : des puits, creusés
à 15 ou 20 mètres de profondeur aux en-
droits les plus bas de ces padî, et signalés
de loin par une potence oblique, fournissent
une eau amère, que ne boivent pas les
hommes, mais qui abreuve les animaux.
Plus près de la mer, on voit aussi de nom-
breuses dépressions du sol où l'eau des pro-
fondeurs forme des efflorescences de sel :
des cristaux, mélangés d'impuretés, cou-
vrent ces anciennes mares et donnent au
sel une nuance grisâtre-.
Ainsi privés d'eau pour eux et leur bétail,
les habitants ne peuvent guère s'établir sur
l ;^,i le plateau des steppes : il leur faut bâtir
leurs villages au bord des étangs, trop sou-
vent mis à sec dans les vallées où suinte encore un peu d'humidité et où
l'eau de pluie s'amasse en mares temporaires. Telle est la raison qui donne
aux villages celte forme bizarre d'une rue de plusieurs kilomètres de lon-
gueur, dont le nom change de dislance en distance : le voyageur qui par-
court le plateau ne voit ces villages qu'en arrivant au bord des berges nues ;
tout à coup il aperçoit, de 2^ à 50 mètres au-dessous, des maisons, des
arbres et des cultures remplissant une sorte de fosse tortueuse, qui se déve-
loppent en méandres comme un fleuve. Lors des pluies torrentielles, les
rivières reprennent leur cours pour un temps et menacent d'emporter les
villages bâtis dans les ra\iiis. Alors le plateau lui-même est rapidement
Roubanovka
CdeG
' K:inil7, Dotinu-Biiltiniien iinil dcr Dalkan.
' Stlimidl, ouvra''c cité.
MARES ET RAVINS DE LA STEPPE.
467
érodô, surtout là où il est composé de terres sans consistance. Les ravins,
balki ou ovrarji, s'élargissent et se frangent à droite et à gauche de ravins
secondaires, dont les débris, emportés par les ruisseaux soudains, vont
se déposer au loin sur les bords des fleuves ou sur les plages des limans.
La terre est ainsi pelée sur une épaisseur de 10 ou de 20 mètres; des
millions de mètres cubes sont emportés chaque année sans qu'on fasse
le moindre effort pour arrêter l'œuvre de destruction. On a vu des averses
d'une heure détruire complètement des routes sur un espace de plu-
VILLAGE AC FOND DIX IIAVIV, PRES DE VEKlTRnivOSLA
sieurs centaines de mètres'. A l'ouest du Diiepr, dans la région grani-
tique, le long travail d'érosion accompli par les eaux a eu également
pour résultat la formation de ravins dans lesquels se sont édifiés les vil-
lages; mais ces ravins sont plus brusques, plus étroits, moins profondt'-
ment creusés.
De tous les liraans qui reçoivent les eaux de l'intérieur, et qui sont
eux-mêmes d'anciens ravins creusés par les eaux courantes, ainsi qu'on
peut le reconnaître à leur forme allongée et tortueuse, deux seulement,
entre le Dnestr et le Danube, ont gardé leurs communications permanentes
avec la mer : ce sont le liman de Berezai'i, à peu de distance à l'ouest
' J. G. Kohi, Beilruge zur Kennliiits des Inneren Russianils.
468
NOUVELLE GEOGR.VPUIE UNIVERSELLE.
RJVISS GRANITIQUES A L OUEST I>1
Cd.P P'-AO
d'Otchakov, et le liman du Dnestr. Depuis le commencement ilu siècle, les
graus ou yirla ' île plusieurs autres golfes se sont fermés. Le lac de Tili-
gouï, qui s'était déjà séparé de la mer au dix-septième siècle % était devenu
golfe de nouveau; encore en 1S25 il était réuni à la mer par une large
embouchure sur laquelle on avait dû construire un ponl pour la route de
poste : de même, les deux li-
mans d'Adjalin avaient leurs
graus, par lesquels l'eau marine
entrait et sortait alternativement,
suivant la direction des courants
atmosphériques. Enfin, quoique
le liman de Ilaiiji-Bey, l'ancien
port des Lithuaniens, resté encore
ouvert à la Un du dix-huitième
siècle, fût complètement séparé
de la rade d'Odessa en IS'25, du
moins deux petits étangs situés
sur le percsîp ou cordon littoral
communiquaient encore libre-
ment avec les eaux marines. Au
sud-ouest, la plage de 50 kilo-
mètres de longueur (pii limite
les lacs salins Bournas, Alibey,
Chaganî, Koundouk, n'est rom-
pue que sur un seul point, chan-
geant suivant l'abondance des
pluies et la violence des tempêtes.
Les travaux de l'homme ont
contribué à la consolidation d'une
partie de ces levées naturelles et
à la fermeture des graus en con-
struisant des perrés jiour la protection de la chaussée de Nikol'ayev à
Odessa contre les assauts de la mer; mais la pression des eaux inté-
rieures n'a rétabli nulle part les anciens chenaux de communication.
Quelques savants ont pensé que la foimation des seuils provient d'un
soulèvement général de la côte; toutefois, en l'absence de mesures précises
• Mr'iiic mot (|uc (jorlo ou « gorge » des Grands-Russiens. Vo des Veliko-Russes dovicnt mi i d:ins
la lanjjui! des Malo-Ri:sscs.
' Reauplaii, Dcsrriplion (le l' Ukraine.
ETANGS ET GRAUS DU LITTORAL.
469
sur le? points fixes du littoral, il est inutile de discuter cette hypothèse,
car, les eaux douces n'ayant plus la force de s'ouvrir un chemin vers la
mer, les vagues ont pu édifier à loisir un cordon littoral, que les vents
ont exhaussé plus tard à 5 et 4 mètres par des apports de sable. Çà et
là s'élèvent quelques dunes ou koutchougourî , que les brises marines dé-
N° 102. — LIM.VVS OniENTACX DE LA BEï:?.\RAIiir.
daprèilo Carre ad ttat -Majo
tisOélOm de/ÛB SO oS-P^oi. .
placent et poussent quelquefois sur les terres cultivées, quand on n'a pas
eu le soin d'en protéger la végétation et que les bestiaux ont pu y vaguer
librement.
Après les sécheresses, les bassins fermés des linians ont leur surface
plus basse que le niveau du l'onl-Euxin : ce sont des « mers mortes » en
miniature. .\n printemps, leur niveau se relève et leur salinilé' diiniinic.
470 NOUVELLE GEOGPxAPUIE UNIVERSELLE.
grâce à l'afflux des eaux douces; mais à maints égards ces golfes ressem-
blent encore à la mer dont ils ont été récemment séparés. La nuit, leurs
eaux brillent sur les plages d'un éclat phosphorescent ; des salsolées
rouges et d'autres plantes salines croissent sur les fonds environnants,
et l'on recueille du sel sur les bords émergés. Le Koundouk, sur la côte
bessarabienne, entre les bouches du Danube et du Dnestr, fournit chaque
année une quantité de sel considérable : en 1826, année très favorable,
on retira des trois principaux limans de la Bessarabie 96 000 tonnes de
sel'. Mais à l'ouest, d'autres limans, le Katfaboukh, le Yaipoukh, le Ka-
goui, qui furent également des golfes de la mer, ont cessé d'être salins :
l'eau en est devenue complètement douce : c'est que, séparés de la mer
depuis des milliers d'années par les alluvions envahissantes du Danube, ils
ont pu se débarrasser peu à peu de toutes leurs particules salines : ils n'en
sont pas moins des fragments de la mer, enchâssés, pour ainsi dire, dans
les terres du continent comme des insectes dans la résine d'ambre. Limans
salins et limans d'eau douce appartiennent à la même formation dans l'his-
toire géologique moderne. Les uns et les autres étaient également enfermés
par le doulile « val de Trajan », élevé par les Romains au nord du delta du
Danube.
Quelques-uns des bassins d'eau salée seraient assez profonds pour que
des vaisseaux de ligne pussent y flotter, et leur nom même, qui signitie
« port » en langue tartare, semble témoigner qu'à une époque peu éloi-
gnée de nous ils servaient de refuge aux navires. A la fin du dix-huitième
siècle, le liman de Tiligoul avait en certains parages de 18 à 19 mètres
de profsndeur. Mais il est inévitable que ces étangs séparés de la mer,
recevant sans cesse les molécules terreuses que leur apporte le vent et
les alluvions des ruisseaux affluents, finissent par se combler. Entre les
limans de Tiligouï et de Berezan, on remarque déjà l'un de ces anciens
golfes dont l'eau a complètement disparu : ce n'est plus qu'une saline :
d'où son nom tartare de Touzla. Les poissons ne peuvent vivre dans les
limans, h cause des variations fréquentes dans la teneur et dans la tem-
pérature des eaux ; mais on y trouve des annélides et quelques crustacés,
même des espèces particulières, décrites par Nordmann et Miliie Edwards.
Les bords de ces marigots sont très malsains en automne, et parfois les
habitants de tout un village sont tombés malades sous l'influence du vent
qui leur apporte des miasmes; mais ailleurs les boues des limans, rou-
gies par d'innombrables algues qui répandent une douce odeur de violettes,
' J. li. Knhl, lieiscn in Siïd-Russlaïut.
LIMANS ET PLAGES.
471
sont très recommandées pour le traitement de quelques maladies; les
patients viennent s'y plonger aux heures où ces vases sont chauffées par le
soleil d'été. Pour les élever à la plus haute température possible, on les
met à l'abri du vent par des parois en verre que traversent les rayons :
dans ces cages, la boue atteint parfois 55 et même 58 degrés centigrades'.
Les côtes de la Russie méridionale sont de celles qui étonnent le plus
s* 103. LIMIX IiE 7IUC01L.
par la régularité de leur tracé. La steppe se termine sur la mer Noire par
une berge abrupte bordée d'une plage étroite, et ces escarpements sont
réunis les uns aux autres, à l'issue des limans, par des flèches droites ou
légèrement infléchies dont la forme indique exactement la force des vagues
de houle et la direction des courants riverains. Au sud du liman du Dnepr
surtout, les plages se développent en lignes d'une singulière élégance. Mo
la pointe de Kinbourn à l'ilc Longue, l'estran, se prolongeant du nord-ouest
• Schmidt. ouvrage cilé.
472 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
au sud-est, Icrniine la terre ferme de la péninsule par une courbe concave,
tandis qu'en face, de l'autre côté d'un golfe sans profondeur, s'avance en
forme de hameçon la plage extérieure de la Tendra, se redressant au-
dessus des flots sur une longueur de 150 kilomètres, du golfe de Perekop
à celui d'Odessa. En regardant sur la carte le tracé de ces rives de sable
élevées peu à peu par le choc des vagues, on voit pour ainsi dire le courant
qui suit le cordon littoral de l'est à l'ouest, puis qui se recourbe au nord
et se reploie en un remous latéral pour reprendre ensuite sa direction vers
l'ouest et le sud-ouest, jusqu'aux bouches du Danube et au Bosphore. Cette
flèche de la Tendra qui forme au continent comme un double rivage était
par excellence la « Carrière d'Achille » : là, comme sur toutes les levées
de même formation, les marins grecs aimaient à se figurer le héros pres-
sant les coursiers d'un char, mouillé de l'écume des flots. Par les rives
de son golfe, le Borysthènes appartenait déjà au monde hellénique, plus de
dix siècles avant que la région des sources sortît des ténèbres de l'inconnu.
Aux temps épiques des guerres incessantes entre les Cosaques et les Turcs,
ces plages virent bien des combats. Là, près de l'île Tendra, s'arrêtaient les
Zaporogues au retour de leurs expéditions maritimes ; là était le premier
sol russe que touchaient les captifs délivrés'; mais près de là attendaient
aussi les galères musulmanes : on se livrait bataille dans les eaux basses,
le flot se mêlait de sang et l'écume traçait des lignes rouges sur le sable.
IIMT DNEPIÎ, B.VSSIN DE LA miPET.
RUSSIE BLANCHE, l'OLESÏE, VOLÎNIE
Presque toute la contrée oii se réunissent les premiers affluents du
Dnepr est habitée maintenant j)ar des Blancs Russiens, les descendants^
des anciens Krivilchi de Smolensk et des Dregovitchi ou « Gens des marais
tremblants ». Ils occupent presque tout l'espace compris entre le Soj à l'est
cl la Pripet au sud-ouest, et peuplent en outre la région des faîtes de par-
tage au nord et à l'ouest, avec les vallées supérieures du Neman et de la
Duna. Leur territoire est d'environ 275 000 kilomètres carrés, superficie
plus considérable que la moitié de la France; mais cet espace n'est encore
que faiblement habité : les Blancs Russiens sont au nombre d'à peu
près 5 000 000.
' Antonovjtch et Dr.igornanov, Chansons hisloriqucs du peuple pctit-russien. l.
RUSSIE BLANCHE. 473
Le surnom de « Blancs », qui d'ailleurs était appliqué également aux
Russes de Moscou, dans le sens de « Libres » à l'époque où ils furent déli-
vrés du joug des Mongols, n'appartient spécialement aux Russes du haut
Dnepr que depuis la fin du quatorzième siècle. Cette désignation, que les
Polonais employaient pour toutes leurs possessions lithuaniennes arrachées
aux Moscovites, fut ensuite comprise dans un sens beaucoup plus restreint :
Catherine II donna le nom de Russie Blanche aux provinces actuelles de
Vitebsk et de Mogilov, que lui valut le premier partage de la Pologne, tandis
que Mcolas effaça le nom de provinces « blanches-russiennes » et en défen-
dit l'usage'. Dépourvue maintenant de signification politique, cette appel-
lation n'a de valeur qu'au point de vue ethnologique. Les Blancs Russiens,
distincts par la langue des Polonais, des Petits Russiens et des Grands Rus-
siens, ont cependant des analogies frappantes par les mueurs et la langue
avec les uns et les autres, et c'est peut-être chez eux que l'on trouvera les
traits qui permettront d'établir définitivement les degrés de parenté entre
les diverses races de la Slavie orientale '. Quant au nom de « Blancs » qui
les dislingue depuis cinq cents ans, on ne sait pas si cette appellation est
due à ce que la nation, gouvernée alors par les princes de la dynastie
lithuanienne, était libre de la domination des Mongols, ou bien s'il faut y
voir une allusion à la couleur de leur costume. C'est l'hypothèse générale-
ment adoptée, car ceux que l'on appelle les « Russes Noirs », les habitants
de la région située entre la haute Pripet et le Neman, qui forment la tran-
sition ethnologique des Petits Russiens aux Russiens Blancs, se distinguent
précisément de ceux-ci par les couleurs sombres de leurs vêtements.
11 semblerait au premier abord que la partie centrale de la contrée
habitée aujourd'hui par les Blancs Russiens aurait dû avoir une importance
capitale dans l'histoire du continent. En effet, c'est là, entre les hauts
affluents du Neman et ceux du Dnepr, que passe le chemin le plus court
entre la mer Noire et la mer Baltique : on s'attendrait à voir une grande
voie de commerce croiser en cet endroit les routes de migration des peu-
ples marchant d'orient en occident ou refluant en sens inverse. Mais cette
région si privilégiée par sa position géographique était défendue jadis par
ses marais, ses lacs, ses forêts à demi noyées : c'est dans ce pays que la
boue était le « cinquième élément ». Probablement elle se trouvait entiè-
rement inhabitée; les grandes voies historiques passaient à droite et à
gauche de ces terres inondées, d'un côté par la tovat et le Volkhov, de
' Les villes de l'empire russe; III, Mogilov. Édition du minislèie de l'inlcrieur.
* DragonuDOT, Kotet manutcritet.
V. 60
474 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
l'aiilre par le Boug et le Bug ou par le Dnestr et la Vislulc. La frontière
ethnologique est en maints endroits indiquée par les marais : là où ceux-ci
commencent, s'arrêtent Grands Russiens, Lithuaniens, pour laisser la place
aux amphibies Belo-Russes : cependant les Malo-Russes ont pénétré au
loin dans les marécages du côté du sud. Lorsque les Russiens Blancs s'éta-
blirent dans les solitudes marécageuses de la Pripet et de la Berezina, ils
n'eurent d'autres ennemis à combattre que la nature, mais cette lutte fut
pénible et l'on sait qu'elle dure encore.
Les tertres funéraires et les campements ou rjorodichtiha sont extrêmement
nombreux dans la Russie Blanche, le long du Dïiepr et sur les voies natu-
relles de passage qui mènent vers la Baltique. Dans le seul district de Bo-
brouisk, du gouvernement de Minsk, on a compté 5951 tombelles ; il y en a
15 000 dans la province et plus de 200 campements fortifiés'. Divers
objets témoignent de l'ancienneté de ces tombeaux, et l'on a même pré-
tendu, à tort, paraît-il, avoir fait la découverte d'un monument raiipelant
le passage des Phéniciens. Au sud-ouest de Smolensk, dans la direction
de Mogiiov, s'élevait une butte que les paysans ont partiellement démolie
pour en retirer la pierre. Ce monticule, entièrement composé de blocs
erratiques empilés, se terminait par une pierre plus grosse que les autres
où des savants trop zélés ont vu une inscription phénicienne en l'hon-
neur de Baal'. Quant aux indigènes, ils ne remontent pas si avant dans le
passé : d'après eux, les gorodichtcha étaient encore habités au dix-septième
siècle ; ils n'auraient été abandonnés que pendant les guerres terribles,
entre Polonais et Moscovites, qui désolèrent alors la contrée.
Quelle que soit l'époque à laquelle s'élevèrent les buttes de la Russie
Blanche, la plus grande partie de la contrée était trop peu accessible pour
avoir été habitée jadis. On croit que la colonisation slave remonta peu à
peu le Dnepr et ses aflluents, et les noms géographiques confirment cette
hypothèse. On suit du sud au nord les traces des colons par les appella-
tions des rivières qu'ils eurent à traverser, par celles des villages qu'ils fon-
dèrent. Us donnèrent à la Desna le nom de « Droite », quoiqu'elle soit un
affluent de gauche, parce qu'elle se trouvait à leur droite dans le cours de
leur migration ; de même, plusieurs rivières qui se déversent dans le
Dnepr du côté droit, reçurent d'eux le nom de Chouya ou de Chouika,
c'est-à-dire « Gauche ». En outre, on rencontre dans leur pays une mul-
titude de noms de lieux, tels que Zaloutchye, Zaouzye, Zaozei've, Zaboujye,
• Maiimov, Drein'aiia i i\'oiaya Rossiiia, 1870, n° 7.
' H. Waiikel, ilittheilumjen ilcr Anihiopoloyischen Gcsetlschaft in Wien, VI, r\'5.
BLANCS RL'SSIENS. 475
Zaplavye, Zapolok, Zabolotye (au delà du Méandre, au delà du Pas, au delà
du Lac, au delà du Bug, au delà des Coulées, au delà du Plateau, au delà
des Marais), qui indiquent aussi la direction suivant laquelle se faisait le
mouvement de colonisation '. Mais en même temps les Blancs Bussiens ont
trop de ressemblance avec leurs voisins occidentaux les Polonais pour
qu'il n'y ait pas eu aussi un mouvement de colonisation se portant de
l'ouest à l'est : la chronique de Nestor nous a même conserve la tradition
de cette marche de la population dans le bassin du haut Dnepr; les cou-
rants ont dû s'entrecroiser dans ces régions inhabitées, si ce n'est peut-être
dans le haut bassin de la Dùna, où vivaient des tribus lettonnes. Parmi les
villages, il en est beaucoup dont le nom prouve qu'ils servirent d'abord de
résidence à une seule famille : dans l'immense espace ouvert aux immi-
grants, chaque groupe pouvait choisir pour demeure sa butte, son massif
de blocs erratiques, ou sa roche insulaire. D'ailleurs pas un nom finnois,
comme il en existe tant à l'est et au nord de la Bussie Blanche, ne se
rencontre dans ce pays. On en conclut que les Bussiens Blancs sont les
véritables « aborigènes » de la contrée, et c'est là une des raisons qui
donnent tant d'intérêt aux mœurs de ce peuple et aux traditions qu'il a
conservées.
Les traces du culte des eaux sont nombreuses dans le pays, et telle
fontaine reçoit encore la visite d'adorateurs qui viennent lui demander
la santé en jetant des kopeks dans la boue du fond. Des arbres, surtout
des pins et des bouleaux, sont toujours révérés, et même on célèbre en
leur honneur des fêles que dirige la plus jeune fille de l'endroit. Les
copeaux détachés d'un arbre par la foudre sont conservés précieusement
dans les demeures comme des talismans, et quand des paysans émigrent
d'une maison dans une autre, ils ne manquent jamais de porter au nouvel
être les tisons de l'ancien. Ils n'oublient point leurs morts et célèbrent en
hur mémoire les repas des aïeux' : ils portent même les mets sur les
tombeaux et dans les ruines des églises démolies '. Tandis que se mainte-
naient les superstitions païennes, non encore consacrées par les rites de
l'Église, la routine d'une agriculture rudimentaire ne pouvait guère se
modifier. Le blé, jeté dans la terre, ne raj)porte en moyenne que trois
fois la semence, et l'on ne saurait trop admirer la résignation du paysan
que menace la famine et qui enfouit pourtant ce qui lui reste de nour-
riture en se répétant le proverbe : « Attends la mort, mais sème ton
' Maximov, ouvrage cité.
' Miikiowicz, Diiadii, Ips Aïciiit.
' hirkor, Recueil ethnographique, III. — Nosovitcti, Chanisom populaires de la Russie Blanche.
476 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
grain ! » et en essayant de conjurer le Dieu du Froid (moroz) par quelques
oflVandes : « Viens, mange, mais ne touche point nos blés' ». La manière
de battre la moisson est probablement unique en Europe : une jeune
fille tient la javelle d'une main, et de l'autre bat les épis sur un tronc
d'arbre creusé; elle recueille ensuite le grain répandu sur le sol. On com-
prend combien les disettes doivent être fréquentes, combien la misère
règne dans ce pays ! Les cabanes, qui pour la plupart sont groupées, non
en villages, mais en simples hameaux, sont presque toujours aussi déla-
brées, aussi dépourvues d'ornements que les plus tristes masures dans les
forêts des bords de la mer Blanche : les porcs y occupent la place d'hon-
neur comme dans les huttes irlandaises. En échange du pain seulement,
les paysans donnent leurs enfants aux szlachticz ou petits propriétaires
du pays. Epuisés par la misère, affaiblis en outre par l'insalubrité du cli-
mat, les Blancs Russiens sont fréquemment malades ; la proportion des
infirmes est très considérable chez eux ; ils sont presque toujours vieux
avant le temps ; néanmoins leur type semble être le plus régulier de tous
ceux des populations russes. Leurs animaux sont mal nourris, dégé-
nérés, sans vigueur : on évalue à 160 kilogrammes seulement la force de
traction d'un cheval. En voyant la pauvreté générale des Belo-Russes, on
ne peut s'étonner de la tristesse de leur physionomie, de leur avarice, de
leur manque d'hospitalité. Mais dans la famille ils sont fort doux; le des-
potisme du père y est moindre que dans la Grande Russie. Les chants des
Russiens Blancs sont remplis d'expressions de tendresse ". Dans les chan-
sons de mariage, qui sont aussi nombreuses chez les Belo-Russes que chez
leurs voisins de la Grande et de la Petite Russie, se retrouvent des formules
rituelles prouvant que le mariage fut jadis un enlèvement ou un achat, mais
ce ne sont plus que des paroles dont le sens s'est perdu ou dans lesquelles
on voit do simples plaisanteries. Dans aucune chanson de la Russie
Blanche la fiancée n'éprouve la terreur de la jeune fille grande-russienne,
« livrée par son souverain père et sa souveraine mère à cet étranger auquel
elle n'avait jamais pensé » ; et quand on prononce les formules anciennes
sur le fouet qui passe des mains du père à celles du mari, le chœur
nuptial blanc-russien répond par une chanson ironique. On voit que le
libre choix est assez fréquent chez les Belo-Russes et que la dot apportée
par la fiancée ne joue pas un grand rôle chez ce peuple de pauvres. « Ne
prends pas celle qui est couverte d'or, dit le chœur: prends celle qui est
' Solovjov. Histoire de la Riixsie. I.
' Cliciii, Cliansuns de la liussic Blanche.
BLANCS RUSSIE.NS. i79
vêtue de sagesse ! » Encore bien peu étudiée, la poésie des Blancs Russiens
paraît être dans son ensemble celle d'un peuple naïf, chaste, délicat, bien-
veillant, mais déchu matériellement : du quatorzième au seizième siècle,
il eut des villes prospères, faisant un grand commerce avec Riga et les
autres ports de la Baltique, et prit une part considérable au mouvement de
la Réforme. Le peuple blanc-russien a vu des jours meilleurs. Les idées
d'indépendance ne lui sont pas étrangères, si l'on en juge par les invectives
contre les pans qui se rencontrent dans ses chansons : l'homme qu'il
admire entre tous, c'est le libre Cosaque. Aussi plus du tiers des chansons
des Belo-Russes sont-elles empruntées aux Petils-Russiens; un petit nom-
bre seulement viennent de la Grande-Russie, avec laquelle pourtant les
échanges de colonisation étaient les plus fréquents.
Les Blancs Russiens ont été longtemps sei'fs sur les terres des grands
seigneurs, et naturellement ils durent contracter les vices que donne tou-
jours la servitude. La féodalité polonaise pesa très lourdement sur eux, et
c'est sur leur territoire que les massacres et les ravages de toute espèce
furent le plus terribles ; lors des guerres du dix-septième siècle. Cosaques,
Moscovites et Russes passaient tour à tour en destructeurs sur le pays, allu-
mant chaque fois les villages et les récoltes, saccageant les châteaux et les
couvents. Ce fut le temps de la « Ruine », mot latin qui passa dans la
langue des Polonais et des Russes occidentaux, et que tous répètent encore
avec effroi. Les villages brûlés ont été vite reconstruits, aussi misérables
qu'ils l'étaient avant les incendies ; les villes, rattachées désormais les unes
aux autres par des voies de communication faciles, enrichies par le com-
merce et l'industrie, sont redevenues populeuses, et quelques grands édi-
fices de pierre s'élèvent çà et là dans les quartiers du centre, au-dessus
des maisonnettes de bois et de chaume; mais la plupart des anciens châ-
teaux et des constructions qui servaient de collèges aux jésuites et à d'au-
tres ordres monastiques sont restes en ruines, embellissant les paysages
de leurs pittoresques débris. Lors des grands changements qui s'accom-
plirent à cette époque, les Juifs devinrent les seuls intermédiaires des
échanges : c'est par eux et à leur profit que toute la société disloquée
se remit en marche. Tel est, depuis la « Ruine », le fait capital de l'his-
toire de la Russie Blanche. Pendant le courant de ce siècle un grand
nombre des anciens propriétaires polonais ont été privés de leurs do-
maines et remplacés par des seigneurs russes ; au servage a succédé le
travail libre, avec obligation du rachat des terres; mais la révolution est
loin d'avoir été complète. La grande propriété est encore plus consi-
dérable dans ce pays que dans tous les gouvernements de la Russie ccn-
480 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UMVERSELLE.
traie ' ; les nobles de toutes les provinces occidentales ont conservé 63 pour
400 de terres labourables% et des milliers de familles de cultivateurs n'ont
pas reçu de terres ou n'ont pris possession que de lots trop petits ou trop
sttîriles pour les nourrir. On peut dire qu'en moyenne les lots distribués
aux paysans suffisent pour leur fournir strictement les aliments néces-
saires, mais l'argent qui doit subvenir à leurs autres besoins ne peut
être gagné que par un travail mal salarié sur les terres des seigneurs '.
Les Juifs sont restés les prêteurs de tous, maîtres et affranchis, citadins cl
campagnards, et déjà dans maint district c'est à eux qu'appartient le sol
en son entier. Comme terrassiers, pour le creusement des canaux et les
travaux de chemins de fer, les Bclo-Russes sont les Irlandais de la Russie.
Chaque année, des multitudes d'entre eux quittent leur pays pour aller se
louer sur les divers chantiers de la Russie : nuls travailleurs d'autre origine
ne sauraient se contenter de la pitance et des gîtes qu'on leur fournit. On
peut dire avec le poète Nekrasov que « les chemins de fer de la Russie
sont bordés d'ossements » de Bclo-Russes.
La ville la plus haute du bassin du Dhepr, à 253 mètres d'altitude, est
V^azma, surla rivière de même nom, qui coule au nord-ouest pour s'unir
au Dnepr, encore fiiible cours d'eau. Cette ville, mentionnée dès les pre-
miers temps de l'histoire russe, est fort commerçante comme lieu de pas-
sage, mais elle fut très fréquemment aussi un lieu de rencontre pour des
armées ennemies, et en 1812, à la suite d'une bataille entre Français et
Russes, elle fut presque entièrement brûlée : il ne resta qu'une seule de
ses anciennes tours. Dorogobouj, au sud-ouest, située sur un méandre
du Dnepr, est moins animée que Vazma; elle fait néanmoins un trafic
considérable de denrées agricoles. Ces deux villes, appartenant encore à la
Grande-Russie, se trouvent à peu près sur la frontière ethnographique.
Smolensk, capitale d'une province, occupe un vaste espace, sur les deux
rives du Dnepr, au croisement de plusieurs routes et des deux chemins
de fer de Riga à Oroï, de Varsovie à Moscou. C'est l'un des points vitaux
pour le commerce de l'empire, aussi bien que l'une de ses places stra-
tégiques par excellence. Déjà citée au neuvième siècle par le chroniqueur
' Superficie movenne des domaines nobles :
Minsk ,• • ■ 2.">73 hectares. | Volinie 17-4Ô hectares.
Mogilov I'2i8 hectares.
* Vasiltcliiiiov, La propriété foncière (en russe).
' Yauiun, Essai sur tes lots et les taxes des paysans /en russe).
I
SMOLENSK, MOGILOV.
481
Nestor comme une ville puissante, elle était la capitale des Krivitchi et fut
longtemps indépendante de fait,oudu moins elle ne relevait de la Lithuanie
qu'en vertu du droit féodal : on dit qu'au quatorzième siècle elle eut jus-
S° loi. 5MOIEN5K.
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qu'à 100 000 liahitants; elle devait être certainement très peuplée, puisipjo
une peste y fit i)érir 5"2 000 personnes'. Une j>lacc de celte importance,
située entre la Lithuanie et la Moscovic, ne pouvait échapper aux guerres
et aux sièges, et dans ce siècle même elle fut brûlée, en i81"2, lors de la
' BercjkoT, Commerce de la Huaie avec la Hanse jusqu'à la fm du quimiéme siècle (en russe).
T. Cl
482
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
BnRISOV ET LA BF.REZINA
bataille qui ouvrit à la « Giando Armée » la route do Moscou. Elle a
pourtant gardé quelques débris de ses anciennes fortilications.
Orclia, la première ville de quelque importance que l'on rencontre en
aval de Smolensk, au confluent de l'Orcliitza, est la dernière station des
bateaux à vapeur qui remon-
tent le fleuve au printemps ;
elle fait un certain commerce,
grâce à sa position sur l'un
des grands coudes du Dnepr,
à l'endroit où se détache vers
le nord la route de Yitebsk et
du bassin de la Diina. Plus
bas, Clikiov est le port où se
débarquent presque toutes les
céréales qui remontent le
Dnepr. Cependant le princi-
pal entrepôt des marchandi-
ses de la contrée est Mogilov-
Goubernskiy (Mohilov) ou Mo-
gilov-na-Di'iepi'e, capitale de
la province du même nom.
Beaucoup moins ancienne que
Smolensk, puisque son nom
est mentionné pour la pre-
mière fois au quatorzième
siècle, cette ville, bâtie sans
doute près de mogilas ou ter-
tres funéraires, eut beaucoup
à souffrir pemlant les guerres
du dix-se])tième siècle, et
en l(3tjl elle célébra aussi ses
« vêpres » en égorgeant toute
sa garnison moscovite, com-
posée de TOGO hommes; mais en 170(5 les Moscovites, aidés des Kal-
mouks, se vengèrent en détruisant complètement la ville. Mogilov déjiasse
maintenant le chef-lieu de la province voisine par sa population, aussi
bien que j)ar le connnerce et l'industrie : il est vrai que les deux tiers
de ses habitants sont des Juifs. La grande industrie locale est celle des
cuirs : jdus de cent tanneries, où travaillent ini millier d'ouvriers, y
d opréâ Ou
MOGILOV, BEREZl.NA. 4S3
préparent des peaux qui sont expédiées principalement en Pologne et
dans les villes du bas Dnepr. Mogilov se distingue aussi par l'industrie
du jardinage, et ses maraîchers vont s'établir en diverses villes de la
Russie. Au nord-est de Mogilov, Gorki avait jadis un rôle important parmi
les villes de la Russie, grâce à son institut agronomique, transféré depuis
dans le voisinage de Moscou. En aval de Mogilov, Starîy Rîkhov, ancienne
place fortifiée que se disputèrent les Polonais, les Oukraïniens, les Grands
Russiens, puis Rogatchov, entourée de nombreuses tombelles, se succè-
dent sur le cours du Dhepr. C'est à Rogatchov que s'arrêtent la plupart
des trains de bois, à la descente du fleuve.
La Rerezina, qui s'unit au Dhepr à près de 100 kilomètres au-dessous
de Rogatchov et qu'un canal relie à la Diina, n'a que trois villes dans son
vaste bassin, occupé encore en grande partie par des forêts et des maré-
cages. JKnsk, sur le Svisiotch et dans le voisina'ge d'un lac, fut construite
d'abord sur un monticule, d'où la ville grandissante est descendue peu à
peu. Elle fut le chef-lieu de l'une des principautés les plus puissantes du
pays des Krivitchi,et son nom est fréquemment cité dans l'histoire des
guerres entre Polonais, Lithuaniens, Russes et Tartares : un des quartiers
est encore habité par plus de oOO Tartares, descendants de captifs de cette
nation amenés de Crimée. Minsk est la station la plus commerçante du
chemin de fer entre Brest et Smolensk, qui passe également à Borisov,
sur la Berezina. C'est à une vingtaine de kilomètres en amont de Borisov
qu'eut lieu, du 26 au 28 novembre 1812, le passage de la Berezina,
épisode le plus terrible de la terrible retraite: pendant des années on
put voir dans le limon des plages des restes d'armes et les débris des
chars. Bobrouïsk, forteresse sur laquelle s'appuyait alors l'armée russe,
avait dès cette époque une grande importance stratégique, et les Français
essayèrent vainement de l'emporter : elle est maintenant une place forte
de premier ordre. La ville, qui fait un grand trafic, est située sur la rive
« haute », c'est-à-dire sur la rive droite de la Berezina, au confluent de la
Bobrouïka ou « rivière des Castors » ; presque tout son commerce est
rnlre les mains des Juifs, qui forment la moitié de sa population.
En aval de la petite ville de Retchitza, le Soj, affluent oriental, vient
apporter au Dnepr les eaux surabondantes d'une partie des gouvernements
de Mogilov, de Smolensk, de Tchernigov. Roslavt, sur un des hauts tribu-
.laires du Soj, est un marché de chanvre et de céréales; Mstislav), sur une
autre petite rivière qui se jette dans le Soj, exporte également à Riga du
chanvre et des farines, mais elle est connue surtout comme chef-lieu
d'une principauté qui comprenait presque toute la partie orientale du
484 NOUVELLE GÉOGRAPUIE UNIVERSELLE.
gouvernement actuel de Mogilov et qui maintint son existence particu-
lière, même après l'annexion de la Lithuanie à la Pologne, de la fin du qua-
torzième au milieu du dix-septième siècle. Tchaousî, voisine de Mogilov,
est une autre ville du bassin ; mais la plus importante, située en aval de
tous les affluents de la rivière, est Gomel, ne constituant qu'une seule ville
avec son faubourg de Belitza, sur la rive gauche du Soj. Gomel est un port
qui ne le cède en activité dans la province qu'à la capitale ; tout le sol de
la ville et tout le territoire environnant appartiennent à un prince russe,
qui possède en même temps quelques droits considérables d'origine féodale,
entre autres le « droit de propination », c'est-à-dire de vente des eaux-de-
vie : tous les cabarets appartiennent au prince, qui est en même temps pro-
priétaire d'une grande fabrique de sucre. C'est à Gomel que l'on construit
les bateaux du plus fort tonnage portés par le Dnepr.
J/Ipout, qui se réunit au Soj près de Gomel, arrose les campagnes de
deux villes du gouvernement de Tchernigov, Mglin et Novo-Zibkov. Celle-ci
a été fondée au commencement du dix-huitième siècle par des raskolniks
fugitifs de la Moscovie, qui formèrent aussi beaucoup d'autres colonies
connues sous le nom général de Starodoubye, mais ayant reçu des raskol-
niks eux-mêmes la dénomination bizarre d'Asie Petite-Russienne. La ville
de Velka, située dans une île du Soj, en amont de Gomel, devint le centre
principal d'un des groupes de sectaires détachés des premières colonies de"
Starodoubye, et des mécontents de la Moscovie s'y réfugièrent en grand
nombre. En 1755, le gouvernement russe obtint de la Pologne l'autorisa-
tion d'introduire ses troupes dans le district de Vetka, où il captura
40 000 staro-obradtzî (vieux ritualistes), dont il fit des soldats ou qu'il
exila en Sibérie; en 1764, une deuxième invasion moscovite se termina
par la capture de 20 000 autres raskolniks. Plus dociles, les colons de
Starodoubye gardèrent au contraire quelques privilèges en récompense de
services rendus contre Cliarles Xll et Mazepa. Actuellement ils sont au
nombre de j)lus de GO 000 habitants : à Klintzî et dans son faubourg
d'Ardon, situés au nord-est de Novo-Zibkov, ils ont 120 manufactures de
draps, de bonneterie, de cuirs; leurs colporteurs [Korobcïniki) parcourent
tout le midi, jusqu'en Btîssarabie, et par delà le Don, jusqu'au Caucase.
Pinsk, qui ne peut manquer de devenir un jour une cité considérable,
lorsque les marais de la Pripet auront été desséchés, est déjà populeuse,
du moins pendant la saison des transports sur eau, car Pinsk est le centre,
de la navigation de transit, d'une part avec la Pripet el le Dnepr, d'autre
pari avec la Pologne et l'Allemagne par le canal du Bug, avec le Neman
et la Baltique par le canal d'Oginskiy. Sloulzk, l'ancienne capitale des
GOMEL, VETKA, PINSK. KREME.NETZ. 485
Dregovitchi ou « Gens des marais tremblants », est une autre ville du
bassin de la Pripet, située sur laSIoutcli; elle fait aussi un certain com-
merce, grâce aux Juifs qui forment presque son unique population, et dont
tous les paysans des environs sont les débiteurs. La ville de Tourov, sur
la Pripet, en aval du confluent de la Sloutcb, était autrefois, pour toute la
contrée des marais, ce que Pinsk est devenue de nos jours. Mozii-, sur la
basse Pripet, est aussi d'origine ancienne.
La Yatzolda et la Pripet forment la frontière ethnographique entre les
Blancs et les Petits-Russicns. Presque toutes les villes de la Vol'inie se
trouvent dans le bassin de la Pripet, sur ses affluents méridionaux, mais elles
sont complètement en dehors de la Russie Blanche, en plein territoire petit-
russien. Il en est de même de l'ancienne ville de Yl'adimir-Yol'înskiy, bâtie
sur le iLoug, un des affluents du haut Bug. Citée déjà par le chroniqueur
Nestor, Vladimir fut un des premiers centres de la puissance slave; mais
elle fut ruinée par les Mongols, puis par les Tartares Nogaïs et par les
Cosaques : fort déchue à la fin du siècle dernier, elle s'est un peu relevée,
et les Juifs, qui forment la plus grosse part de sa population, font avec
la Galicie voisine un commerce beaucoup plus actif que ne révèlent les
registres de la douane. Kremenelz, au sud-est de Vladimir, est dans une
haute vallée dont les eaux s'écoulent par l'ikva et le Stîr dans la Pripet,
ressemble à Vladimir par son histoire. Elle date aussi des premiers temps
de la Russie, et les ruines pittoresques de son château, dressées au sommet
d'un bloc de grès aux parois abruptes, racontent de nombreux faits de
guerre. Batou-Khan l'assiégea vainement, mais les Cosaques s'en empa-
rèrent en 1648, et depuis ce temps il a perdu toute son importance; la
ville fut de 1805 à 1852 le centre de l'instruction supérieure de l'Oukraïne
occidentale par son lycée polonais, que l'on transféra à Kiyev après la révo-
lution et qui est devenu l'université actuelle. Kremenetz ne se distingue
plus que par son activité commerciale, à laquelle les Juifs prennent
aussi une grande part : la ville de Douhno, située plus bas, sur une
péninsule qu'entoure presque complètement le cours de l'ikva, et à
l'entrée d'une brèche fort pittoresque du massif des collines, est presque
entièrement peuplée d'Israélites. Ils sont également fort nombreux dans
l'ancienne place forte de Loulzk, située sur le Stîr, à peu près à moitié
chemin de Vladimir et de Kremenelz : elle fut aussi la capitale d'une
principauté puissante; en \i'2d, un congrès des souverains de l'Europe
orientale s'y réunit, et dans la première moitié du seizième siècle elle
était une des grandes cités de la Slavie. toutzk est restée à l'écart
de la voie ferrée de Brest à Berditcbev, qui traverse plusieurs villes
4Sfi
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
moins importantes, telles que Kovel et Rovno. Près de là, l'ancien et célè-
bre couvent de Potchayev, assiégé par les Turcs en 1675, est un lieu de
jièlerinage très fréquenté et en même temps un entrepôt de contrebande.
A cet égard il le cède pourtant à Radzivil'ov, douane de premier ordre situép
vis-à-vis de Brody, la Galicienne.
Les deux villes presque entièrement juives de Zasl'avl et d'Ostrog sont
bâties dans la haute vallée de la Gorîi'i,qui va rejoindre la Pripet en aval de
Pinsk. De même que Vladimir, Loutzk, Kremenctz, Ostrog est une ville
N" 106. BRECHE HE DOIDN-O
d'après la Carte del'Etat-Majof
liisloricjue, chef-lieu d'une principauté longtemps indépendante qui eut
ses jours de gloire militaire et l'honneur d'être parmi les premières villes
de la Slavie orientale à se servir de l'imprimerie : dès l'année 1581, on y
imprimait la première édition complète de la Bible en langue slavonne.
A cette époque, elle possédait la première académie petite-russienne, rem-
placée plus tard par une école polonaise de Jésuites. De nombreuses ruines
et les débris d'un Château fort rappellent l'ancienne grandeur d'Ostrog. La
ville de Staro-Constantinov, située sur la Sloulch, dans le voisinage de la
frontière autrichienne, a été fondée au seizième siècle par un prince
VOtlME, OLKRAÏNE.
48T-
trOstroir, qui lui donna son nom. Peuplée presque exclusivement de Juifs,
elle fait un assez grand commerce de céréales avec la Galicie et Odessa, et
de chevaux, de brebis, de porcs avec l'Autriche et la Prusse : c'est
l'entrepôt des sels pour les districts environnants.
Les autres villes voïiniennes du bassin de la Pripct sont Novograd-Yolins-
kiy, l'ancienne Zvahel, sur la Sloutch, et Ovroutch, sur laNorîna. Toutes les
deux, riches en fer de marais et en terre à porcelaine fort mal exploités, ont
pour habitants plus d'israélites que de chrétiens. Le pays n'appartient pas à
la Yolînie historique, quoique rattaché maintenant au gouvernement de
Voiinie : c'était la Drevlanie, qui plus tard devint le pays des Cosaques,
à laquelle la Sloutch servait de frontière. Le village d'Ikorost, sur l'Ouj, est
l'ancien Korosteii, la capitale des Drevlanes, fameuse dans les annales par le
meurtre du prince Igor et la vengeance cruelle qu'en tira la « sainte » Olga'.
D-NETR MOYEN, B\S IlNEPR, BOIG ET D.NESTR
OlKRAÎirE, NOUVELLE RUSSIE
En Russie, les domaines ethnograj)hiques ne coïncident point avec les
limites des bassins hydrographiques, et bien moins encore avec les fron-
tières des provinces, tracées souvent au hasard ou précisément avec l'in-
tention de contrarier les affinités nationales. Ainsi, pour ne parler que
des Petils-Russiens de l'empire russe, ils ne sont point confinés dans le
seul bassin du Dnepr, mais ils pénètrent à l'occident dans celui de la
' Villes du bassin du liaul Diiepr ayant plus de
COIVEI'.NEMESI DE SMiXKNSK
Smolensk (IXS'2). ...... Ô3 850 liai).
Vazina ■■ 15 000 »
Roslavl 9 050 11
Dorogolioiij <' 8 540 »
COI ^ Kli.NEMË.M DE MOGIL'oV.
Mogliov (1870). . . 'tOaàO hab.
Gomei et Bclitza ■- . . 22 000 )•
MslisJavi ... 7 700 m
Stariy llîcliov . . 5 700 ..
Orcha «... 5050 n
COIVERNEMENT DE .MI^.^K.
Bokouisk (I8S2) 53 000 liali.
MiMvk 55 550 11
l'insk (1885) 25 500 «
Sloul/k ». . . l'JOOO I»
lOOO liabilanls :
Ii.>iisoïil882) 10 150
Mozir )i 9 800
COlVERNEMtM DE ir.HEfi.MGOV.
Novo-Zibkov (1878) 1 1 200
Mglin ,. 1 1 000
GOUVERNEMENT DE VOL'Î.ME.
Staro-Konslantinov (1880). . . 17 050
Vlailimir-Voiinskiy »... 16000
i:.ou(sk " (1879). . . 15 950
Kuvol .1 . . . 15 500
Novograd-Volinsk "... 15 150
Oslrog , ... I-J ino
Kremcfti'tz i. ... 11 y.'iO
Rovno n . . . « 050
Zas-favi ji . . 8 950
Dciiibno ;> . 7 200
Ovioutcli' j . . G 300
hab.
4S8
NOOVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Yistule et franchissent lo Bug; à l'orient ils occupent une grande partie
de celui du Donetz ; ils dépassent même le haut Don, et par delà la mer
d'Azov s'étendent jusqu'au Koubaiï et au Caucase. D'autre pari, les Grands-
Russiens se sont établis sur le cours supérieur de presque tous les af-
fluents orientaux du Diiepr, et les Roumains ont franchi le bas Diiestr.
r'tPLACEUEMS niSTORlQCES DE L OCRRAIXE.
c>
Hacc Pclik^Russie Sraîna de Mounkaich Ouktaine cosaque Hetmauie pc(i(e-
oukrainienne. du siv" siècle. (it!s xv* et xvi- s. en 1649. russicnne (1667-1765).
E=3
m
Oul,raiiic slol>cv
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Outrai
. IV.
r.c polonaise Francliises
au roguc
!• siiScle. (xvi- cl x%
1 : 18 000000
lapo-
n- s.)-
Cosa(]
d.' la nie
(m- SI
C'est d'une manière générale seulement que l'on peut donner aux deux
grands cours d'eau, le Diicpr et le Di'iestr, le nom de fleuves pelits-
russiens.
Les noms de Petite-Russie (Malo-Russie, Russie Mineure), d'Oukraïne,
de Ruthénie, ont une valeur essenlieliemeiit cliangeaiite, variant avec toutes
l'ETlTS-RUSSIENS.
489
les oscillations historiques et même suivant les divisions administratives.
Aucun de ces noms géographiques ne se rapporte exactement aux pays
habités par la race malo-russienne, car celle-ci, groupée d'abord en confé-
dération flottante, n'a jamais eu d'unité politique : même sans compter les
Ruthènes d'outre-Carpates qui vivent dans l'Etat des Magvars, les autres
Petits-Russiens sont restés depuis le quatorzième siècle longtemps divisés
TÏPE «iLO-niSSE DE L* PODOLIE. PAtsAS DU VILLAOC DE PANOVIZl
Dessin (le Ronj.il , d'aprôs une pholofrnpliic.
entre la Pologne cl la Lilhuanie. Ceux de la région centrale, sur le< bords
du Dncpr, eurent à peine réussi, au dix-septième siècle, à conquérir une
certaine autonomie, sous forme d'une république cosaque, qu'ils la perdi-
rent bientôt en se mettant sous la protection du royaume de Moscovie, de-
venu, grâce à ses vastes dimensions, la Russie par excellence. Quant au
peuple de l'ancienne Russie, c'est-à-dire de la Kiyovie, il n'est connu sous
son ancien nom de Roussiuc ou Rousi'iake que sur ses frontières occiden-
t. 6'i
490 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE,
talcs, là OÙ les différences ethnographiques sont encore accrues par celles
de la religion. Lorsque le nom de Petite-Russie apparut pour la première
fois dans les chroniques byzantines, à la fin du treizième siècle, il s'appli-
quait à la Galicie et à la Vol'înie, puis il devint l'appellation de la région du
Dnepr moyen ou de la Kiyovie, distinguée ainsi de la Moscovie, oîi résidait
le chef de l'Église russe. De même le nom d'Oukraïne « frontière » ou
c< marche » n'a cessé de se déplacer suivant tous les changements de
confins. Il fut employé d'abord pour la Podolie, pour la distinguer de sa
maîtresse la Galicie, puis, quand le bassin du Dnepr passa sous la domina-
tion de la Lithuanie, le nom d'Oukraïne s'attacha à ses provinces méri-
dionales, entre le Dnepr et le Boug. Dans l'État polonais, l'Oukraïne devint
par excellence le pays des Cosaques malo-russiens. Mais la Grande-Russie
eut aussi ses « frontières », c'est-à-dire ses Ûukraïnes, dans l'une des-
quelles se formèrent au dix-septième siècle les colonies libres ou slobod!
malo-russiennes, partagées maintenant entre les gouvernements de Khai-
kov, de Koursk et de Voronej. Dès qu'un pays se peuplait, que des villes
s'v fondaient et que les habitants se constituaient en communautés paci-
fiques et en même temps moins autonomes, ce pays cessait d'être une
Oukraïne; mais partout où s'établissait le Petit-Russien relativement libre,
il apportait avec lui le nom d'Oukraïne pour la terre qu'il parcourait.
Les Malo-Russes — pour nous servir de l'appellation slavonne — se
fondent ])nr transitions insensibles avec les Bel'o-Russes au nord, et par
delà les Carpates, avec les Slovaques ; mais ils se distinguent nettement
des Polonais à l'occident et des Veliko-Russes à l'ouest; les croisements
sont très rares entre Petits et Grands-Russiens. Même au point de vue
physique, les hommes des deux nationalités contrastent les uns avec les
autres. Les Petits-Russiens ont en général la tète plus large et plus courte
t|ue les Grands-Russiens, et la partie postérieure de leur crâne est plus
aplatie'; ils sont très brachycéphales. Environ la moitié d'entre eux ont
les cheveux châtains et les yeux bruns ; dans le midi ils sont un peuple do
haute taille', ainsi que le prouvent les statistiques militaires : c'est parmi
eux que l'on choisit surtout les grenadiers à cause de leur prestance, et les
cavaliers à cause de leurs longues jambes; mais ils n'ont pas en général
autant de force musculaire que les Grands-Russiens ; la diphtérie, endé-
mique dans le pays, fait de grands lavages parmi les enfants. En quel(|ues
districts où Malo-lîusses el Veliko-Uusses sont voisins les uns des autres
' Indfx iiiHy.'ii (lis IVlils-Russiens do Galicie, (J'après Majer et Ko|ieniicki : SLÔ {Recueil de
ïivtei sur runihiopologie. luiblié par l'Académie de Cracovie, en l)olo^ai^l.
^ Taille niojenne des Pelits-Uiissiens de Galicie, d'après Majer el Kopernicki : 104 cenlimèlres.
FETITS-RISSIENS. 49!
sans population intermédiairo. on peut remarquer nettement In supériorité
physicpie des premiers pour la taille et la belle apparence. Leurs femmes
ont la grâce de la démarche, la douceur du regard et de la voix; leurs
attaches sont plus fines que celles des autres Russiennes. Elles se dis-
tinguent aussi par un costume plus gracieux, pareil à celui des Roumaines.
Les broderies de fils rouges et bleus qui ornent la chemisette, la robe, le
tablier de losanges et de croix, de triangles, de damiers et de rameaux,
se combinent de la manière la plus heureuse, suivant les données tradi-
tionnelles, mais avec une certaine liberté, qui permet toujours de mettre les
ornements en harmonie avec la tournure et les traits de la personne'. Enfin,
elles entretiennent dans leurs maisons, toutes pauvres et modestes que
sont ces demeures, beaucoup plus d'ordre et de propreté que ne le font
les femmes veliko-russes. Le mets national est le borclitcli, soupe composée
de pommes de terre, de choux et de betteraves'.
Il est difficile de hasarder un jugement général sur des populations
entières, car la variété des types est devenue considérable par l'effet des
croisements qui ont mêlé les Slaves entre eux et avec les populations abo-
rigènes; mais dans l'ensemble il paraîtrait que les Petits-Russiens dépas-
sent les Grands-Russiens par l'intelligence naturelle, par la verve ironique,
parle goût naturel, l'imagination à la fois vive et contenue; ils ne se
laissent point aller aux exagérations grand-russiennes ou finnoises'; en
revanche, ils n'ont pas le sens pratique des Veliko-Russes ; ils sont moins
solidaires, et quoique mieux doués ils sont moins forts. Rivaux les uns des
autres, Malo-Russes et Veliko-Russes se désignent mutuellement par des
sobriquets : l'Oukraïnien est le kltoklioF, à cause de la touffe de cheveux
tju'il laissait croître autrefois au sommet de la tète et qu'il rejetait derrière
l'oreille ; le Grand-Russien est le katzap ou le bouc, à cause de la barbe
fournie qu'il aime à étaler. Ce sont des noms tirés seulement de différences
extérieures; mais sous ces appellations bizarres les Russes des deux natio-
nalités se représentent aussi le contraste offert par les caractères et les
mœurs.
On ne saurait encore qu'émettre des hypothèse^ sur le degré de filiation,
directe ou indirecte, qui rattache les Malo-Russcs aux hommes dont on
a recueilli, dans le gouvernement de Poltava, les armes et les instruments
d'os et de silex, mêlés à des ossements de mammouths et à des coquillages
de répo((uc glaciaire. Les tombeaux de l'âge de pierre que l'on a trouvés
' Mme Olga Kosalcli, L'ornement oukraïnien.
" Scrj;",' l'oilolinskiy, Sociélé Langucilocienne de Géographie, lomc IV, 188!.
■> liciinskiy, La poésie populaire russe (un russe).
402 NOUVELLE GÉOGK.VI'IIIE UNIVERSELLE.
près d'Ostrog, en Volinio, renferment dco squelclles très différents de ceux
des Slaves, fort remarqnables par l'étroifesse et la longueur de leur tète et
par leurs tibias aplatis et recourbés en forme de lames de sabre : cette race
jirimitive semble se rapprocher de celle qui \ivait en occident à l'époque
des dolmens'. Mais à ces premiers tombeaux ont succédé d'innombrables
kourgans parsemés dans toute la contrée. Déjà des milliers de ces monti-
cules ont disparu : les uns, dans les villes et les villages, pour se trans-
former en édifices ou en fortifications ; les autres, dans les campagnes,
pour servir d'amendement aux terres environnantes ; d'autres encore, de
petites dimensions, ont été nivelés par la charrue; néanmoins en plusieurs
endroits, surtout sur les faîtes de passage entre les cours d'eau, ils sont
encore assez nombreux pour former le Irait dominant du pays, car pour la
construction de ces kourgans on utilisait volontiers des sites visibles de
loin, les hautes berges des fleuves, les sommets de monticules naturels, les
caps qui s'avancent au loin dans la mer; cependant la vallée du Dnestr
fait exception à cet égard : on est étonné d'y voir de longues rangées de
tertres artificiels situées précisément au pied des berges ^ C'est dans la
région voisine des rapides du Dnepr, surtout à l'ouest, que s'élèvent les
plus remarquables de ces tertres, ceux des « Scythes royaux », dont Héro-
dote raconte les pratiques d'inhumation : tous sont plus escarpés du côté
(lu nord que des autres côtés, et plusieurs sont entourés de dalles; il en est
même qui sont réunis les uns aux autres par des allées de pierres, dont il
a fallu apporter les matériaux de fort loin. On voit quelques lomhelles,
comme celle de Perepetiklia, près de Khvastov, dans le gouvernement de
Kiyev, qui n'ont pas moins de 200 mètres de tour et qui se dressent au
milieu de monticules plus petits, comme des rois entourés de leur cour.
Un grand nombre de buttes étaient signalées jadis par des statues grossières,
où les générations postérieures ont vu des vieilles femmes, — d'où le nom de
haha donné à ces effigies, — et rappelant plutôt, d'après l'opinion générale,
le type mongol que celui des Slaves; ce sont là peut-être les statues des
steppes auxquelles xVmmien Marcellin compare les Huns : elles ont presque
toutes les mains jointes sur la poitrine. D'ailleurs il n'est guère plus de
kourgans dont le sommet porte encore celle idole terminale; presque
toutes ont été brisées ou déplacées pour servir de bornes aux roules ou
d'ornements dans les jardins, rourtant, si l'on en croit la tradition locale,
la baba s'eiu-acinait fortement au sommet du monticule, et il ne fallait
' lienieil anthropologique de VAcarléwe de Cracovie, I (en iiolonuis).
' J. G. Kdhl, Rcisen in Sad-Rnsslnml.
TERTRES FUNÉRAIRES DE LA PETITE RUSSIE. 493
pas moins de dix bœufs robustes pour l'emporter, tandis qu'un simple
attelage suffisait pour la ramener : elle semblait marcher d'elle-même
pour remonter sur la butte. La vénération des paysans est grande pour
ces statues : les mères leur amènent les enfants malades de la fièvre,
s'agenouillent devant elles, les embrassent, el leur offrent du blc et des
pièces de monnaie'.
Plusieurs milliers des tertres funéraires de la Petite Paissie ont été déjà
fouillés, et leurs secrets, révélés au monde, ont permis de reconstituer
on partie les sociétés antérieures, avec leurs rites, leurs mœurs, leur
industrie. Parmi les tertres, tous les âges, pierre, bronze et fer, sont repré-
sentés. Quelques tombelles sont relativement modernes et même ont été
érigées postérieurement à l'introduction du christianisme dans la contrée,
ainsi qu'en témoignent les objets d'origine byzantine ou russe qui se
trouvent dans les buttes; quelques-unes renferment des antiquités appar-
tenant aux trois âges, de la pierre, du bronze et du fer. Divers monti-
cules ne contiennent que des squelettes de chevaux. Enlin il en est
beaucoup où l'on ne trouve rien, ni ossements ni armes. La grande
époque de l'art pour les ensevelissements est celle de la civilisation scy-
thique. Les fouilles faites dans quelques sépultures des provinces méri-
dionales, et notamment dans celle d'Alcxandropoî, au sud-ouest de Yeka-
terinoslav, ont prouvé que les « Scythes » de cette époque étaient en
rapports fréquents avec les Grecs, et leur achetaient les produits de l'in-
dustrie et de l'art les plus précieux, armes, vases ciselés^ et bijoux. Mais
à côté de ces objets purement helléniques on trouve aussi dans les kour-
gans des armes et des instruments de bronze rappelant que la civilisation
grecque, à son arrivée dans le pays, rencontra une civilisation asiatique
d'un tout autre caractère'. Les tombeaux mégalithiques cpars entre le
Driestr et le Dnepr, au nord d'Odessa, appartiennent aussi à une autre
époque de culture ou à une autre religion. De tous ces peuples dont les
buttes recouvrent les ossements, les uns passèrent rapidement en conqué-
rants ou en fugitifs; d'autres séjournèrent longtemps dans le pays, et sans
doute un pou de leur sang se retrouve dans les populations actuelles de la
Petite Russie.
Au neuvième siècle, les populations du versant méridional, entre le
Dnepr el le Danube, el j)rincipalement sur les rives du Di'ieslr, étiiient des
' Z'jbclin, Histoire de la vie russe, I (en russe) ; — Tchoujbinskiy, Visile à la Russie du Sud (en
russe).
' Travaux de la Commission archéologique, 1801, 1872, etc.
* Worsaac, La colonisation de la Russie el du Is'ord Scandinave.
iVi'i NOUVELLE GÉOGriAI'lIIE LMVERSELLE.
Slaves, les Oiil'oulchi (Oiiglilchi) et les Tivertzi. Mais ils se trouvaient sur ic
chemin des Hongrois, des Petchénègues, des Koumanes, et le choc de toutes
ces nations les refoula vers le nord : du dixième au douzième siècle, la
Ros — peut-être la « rivière des Russes » — servit de frontière entre
hr. riiin^nnoii^Ktivn. mes de yfk\terino?l\v.
les Russes de la Kiyovie et les nomades du sud. Plusieurs colonies tur-
ques, les Torki, les Rerenileyi, les « Bonnets-Noirs » ou Kara-Kalpaks, s'é-
taient établies au sud de cette rivière. Ensuite des Tartares s'installèrent
près de Kaiiev', dans une grande partie de la Kiyovie; on croit même f[uo
' Voyoj^c de l'ian Carpin en l'iôl.
/y^ ^ - "Sr-
PETITS-RDSSIENS. 497
Berdilchev fut une de leurs colonies; sans doute ils se mêlèrent diverse-
ment aux populations slaves, car ceux que le prince Olgerd de Lithuanio
chassa de la Podolie en 1566 étaient des Tarlares de langue russe'. Dans
tout le sud-ouest de la Russie, les noms qui rappellent l'occupation mu-
sulmane sont fort nombreux.
De nos jours, les Malo-Russes, presque exclusivement agriculteurs, sont
très pacifiques de leur nature. Toutefois, pendant des siècles, la guerre
était en permanence dans les plaines que traverse le Dnepr, et les habitants
devaient être toujours prêts, soit à la bataille, soit à la fuite. Le grand
fleuve, qui coule aujourd'hui paisiblement au milieu de contrées habitées
par des populations de même langage, est un des cours d'eau qui ont eu
le plus d'importance dans l'histoire des nations et dont les bords ont été
le plus ardemment disputés entre deux races. Après l'invasion de la Crimée
par les Turcs en 1475, les Tartares devinrent les pourvoyeurs des harems
et, des bagnes de Stamboul, et bientôt les provinces méridionales de la
Slavie furent un territoire de chasse à l'esclave*. Les guerriers musulmans
avaient l'habitude de se rassembler en hiver près de l'isthme de Perekop.
et chaque homme entraînant avec lui deux ou trois chevaux pour les pri-
sonniers à faire et le butin à capturer, ils franchissaient le Dnepr au
nombre de soixante ou quatre-vingt mille, apparaissaient inopinément dans
quelque région peuplée dont ils réduisaient tous les habitants en captivité,
puis, avant qu'on eût eu le temps de lever une armée pour les combattre,
ils étaient en sécurité dans leurs steppes au delà du Diiepr. A ces hordes
de pillards s'en opposèrent de semblables formées d'éléments chrétiens, et
qui devinrent fameuses sous le nom ih Cosaques. Le gros de leur armée se
composait d'hommes indépendants qui avaient réussi à vivre sans maîtres
sur les frontières disputées entre chrétiens et musulmans, de pêcheurs
restés à l'abri sous les berges boisées du Dnepr, de marchands aventu-
reux qui voyageaient en caravanes dans la steppe. En outre, des seigneurs
polonais et lithuano-russes, mêlés à ces combattants et subissant plus ou
moins l'influence des idées chevaleresques de l'Occident, firent des Co-
saques une sorte de « chevalerie oukraïnienne » {njtzarslro oukrayinne).
Un des premiers centres de résistance se forma près de Pereyas-Fav, au boni
d'un grand coude du Dnepr, défendu à l'est et au nord par des marais, des
bois, des rivières errantes. Kai'iev et Tcliigirin sont aussi parmi les villes
les plus fréquemment nommées au commencement de l'histoire des Cosa-
' Simochkcïiich, Description ilr la Podolie. I.
* Micliïlon Liihu.inus, Fragmenta; — Anionoritch et Dragomanov, Chansons historiques du
peuple petil-russien, 1 (en russe).
«8 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
ques, mais Tcherkasî fut la plus connue comme le centre des Cosaques d'en
bas, c'est-à-dire des pêcheurs et des marchands, et des « Cosaques des
villes», c'est-à-dire de la région déjà peuplée du Dnepr moyen. Le nom
de Tcherkasî devint même chez les Tartares et chez les Moscovites l'ap-
pellation nationale pour désigner les Petits-Russiens. et on l'emploie jusqu'à
présent dans la Grande Russie méridionale.
A la fin du seizième siècle, lors des grandes luttes entre les éléments
polonais et oukraïnien, les Cosaques établirent plus au sud leurs positions
stratégiques principales et se cantonnèrent en aval du confluent de la Sa-
L aeP
Petiie Co I Kfio^iî+zû ^ J^^A
L d.b
dàprèa la Carte de iXtat -Majo
mara, dans les îles du Dnepr, au milieu des chutes et sur les bords rocheux
du lleuve : d'oîi leur nom russe de Znporogues [za porojtzi) ou « Gens de
l'ar de là les Chutes »; là, doublement défendus par les rochers ot les maré-
cages de cette partie du Dnepr, ])rotégés en outre par de profonds retran-
chements bien gardés, ils purent défier les Tartares, et commencer à leur
rendre incursion pour incursion, tantôt en Crimée, tantôt sur les bords
d(! la mer Noire ou de la mer d'Azov. Vivant de pèche, de chasse et de
guerre, ces bandits chrétiens firent bientôt trembler les bandits musul-
mans. Leur' sauvage liberté attirait autour d'eux, de Pologne et de Lithua-
nic, une multitude grossissante de [)aYsans échappant à la servitude. Au
COSAQUES. 439
dix-septième siècle, leurs rangs se composaient d'au moins « six vingt
mille hommes tous aguerris » '. Ils passèrent même la mer Noire pour
brûler Sinope, en Asie Mineure, et dans une de leurs expéditions, en 16"24,
ils se hasardèrent jusqu'à Constantinoplc, dont ils pillèrent les faubourgs.
Des gard ou postes fortifiés s'élevaient de distance en distance sur le bas
Diiepr, entre le Boug et la mer d'Azov, et vers le milieu de leur domaine
aux limites changeantes se trouvait une sitch ou setch centrale. La première,
disent les annales, est celle qu'ils avaient établie au seizième siècle dans
l'Ile Khortitza, — jadis Khortitch, — au milieu des chutes du Diiepr, près de
l'endroit où les Petchénègues avaient coupé, en 97"2, la tète du grand prince
Svatosl'av, un vrai Cosaque d'autrefois, et fait de son crâne une coupe
pour leurs festins. Mais bientôt après, leur refuge le plus connu fut plus
au sud, dans l'une des îles de la « Grande Prairie », au confluent du
Tchertomlik et du Diiepr, et dans la presqu'île opposée. Cette « ancienne
sitch », qui subsista jusqu'à 1709, fut remplacée par d'autres, également
situées près du dédale des îles du Diiepr, où les embarcations des Turcs
s'égaraient à leur poursuite et perdaient tous leurs rameurs, fusillés par
des ennemis invisibles qui se cachaient dans les roseaux.
Les Cosaques ne constituent point une famille qui, par la langue ou
l'origine, soit foncièrement distincte des autres Slaves plus ou moins
mélangés des plaines : s'ils différaient de leurs frères,, c'est non par le
sang, mais par les traits héréditaires que leur avaient donnés des mœurs
errantes et leur fière indépendance. De tout temps, les Cosaques pefits-
russiens n'admirent dans leur communauté que des hommes sachant faire
leur signe de croix, c'est-à-dire ennemis des raahométans et des païens,
et tous les Slaves orientaux pouvaient remplir cette condition d'entrée.
La coïncidence du nom de la ville cosaque de Tcherkasî avec celui de la
nation caucasienne des Tcherkesses a fait croire, bien à tort, à l'origine
orientale des Cosaques. Quant à leur nom, il est réellement tartare, et des
éléments petchénègues et khazares se retrouvaient certainement parmi les
ancêtres des Cosaques, ces défenseurs des sociétés chrétiennes : mais ce
mélange, et notamment celui qui eut lieu avec la tribu des Kara-Kalpaks
ou « Bonnets .\oirs », désignés dans les annales sous le nom de Tcherkassî,
était déjà fait bien avant la formation des communautés cosaques.
Les Zaporogues, avant-garde des Cosaques petits-russiens, peuvent être
considérés comme les Cosaques par excellence, et leurs descendants, deve-
nus de paisibles cultivateurs, se réclament encore du titre de « bons Cosa-
' Beauplan, Deicription de l'ikinnie.
5J0 NOUVELLE GEOGRAPUIE UNIVERSELLE.
ques ». Organisés en kouren, c'est-à-dire en associations de guerre et de
travail en commun ', ils ne reconnaissaient que des chefs ou « pères » libre-
ment élus, et chaque année l'assemblée, composée des membres de toutes
les communautés, se réunissait en corps politique {koclr) représentant tout
Je « compagnonnage d'en bas ». C'est alors qu'elle distribuait par le sort les
rivières dont le produit faisait vivre tous les Zaporogues et leur servait de
moyen d'échange; en même temps elle choisissait un nouvel ataman et
d'autres anciens pour administrer les compagnons et juger leurs diffé-
rends : une poignée de poussière versée sur leur tète devait leur rappeler
toujours qu'ils restaient les inférieurs de la communauté. Pour les expédi-
tions de guerre, ils élisaient un dictateur, désigné sous le nom de hetman,
— d'origine allemande (hauptmann) ou turque, du mot ataman. — Le
pouvoir de cet élu était très grand, quoique toujours conforme à la cou-
tume; le hetman faisait décapiter, même empaler les délinquants, mais non
sans l'avis de son conseil. Pendant les campagnes, tout ivrogne était
expulsé de l'armée ; l'usage de l'eau-de-vie était interdit. La parole que
tous avaient acclamée devenait pour eux la loi, et le moindre groupe,
constituant déjà la commune, devait la faire respecter. Celui qui la violait
avait les autres pour juges, même en pleine steppe, loin du reste de la
tribu : « Là où il n'y a que trois Cosaques, disait le hetman Khmelnitzkiy,
le coupable est jygé par les deux autres. » Dans les expéditions, ils se
fortifiaient par leurs tabor de chariots, « citadelles roulantes » qu'ils
avaient peut-être empruntées, avec le nom, aux Tchèques de Jijka' et que
parfois en bataille ils lançaient à toute vitesse contre les ennemis pour
rompre leurs colonnes. Maîtres de l'espace, les Zaporogues devenaient
presque insaisissables : que leurs tentes fussent brûlées ou leurs barques
englouties dans la mer Noire, ils réparaient bientôt leurs pertes en
admettant de nouveau-venus. Tous les « camarades )' zaporogues avaient
pour lien la communauté des dangers et l'amour de la steppe qu'ils par-
couraient sur leurs ])etits chevaux rapides. « Que celui qui pour la
foi chrétienne veut être empalé, roué, écartelé, que celui qui est prêt à
endurer toutes les tortures, que celui qui ne craint pas la mort vienne
avec nous! » telle était la proclamation des chefs zaporogues'. Mais,
après s'être considérés comme les défenseurs de la foi chrétienne, ils vou-
lurent être aussi les champions de leur « mère « l'Oukraïne petite-rus-
« Kouren', Kowin', mol slave signifiant « fumée », « cabane » , ou jiluUil, selon d'aulies, mot
turc, ayant le sens de « camp furlilié, enclos ».
* « Association des pStrcs » en lartare.
s Ernest llenis, Huss et la (jiicrre des Hussites.
» Koulieli, cité par A. IlaniLiaud, Russie épique.
COSAQUES. 501
sienne et de la liberté du peuple. Tel était l'amour des Cosaques pour la
terre natale qu'en abandonnant l'ancienne Sitch ils en emportèrent de la
terre avec eux, symbole de la patrie sur le sol étranger'. S'ils périssaient
dans une expédition maritime, ils se confessaient à la « mer bleue' ».
Toute la région de la frontière méridionale entre les Slaves et les Tar-
tares ou Turcs était occupée par des Cosaques, et cette « région des
Limites », l'Oukraïne, s'accroissait ou diminuait suivant les vicissitudes
de la guerre et de la colonisation armée. Une grande partie de l'espace
compris entre les Terres iS'oires et le littoral finit par devenir un véritable
désert, que l'on ne traversait qu'en fuyant; même de 1667 à 1686, il fut
convenu que toute la contrée, d'environ 50 000 kilomètres carrés, comprise
entre le Diiepr, le tasmin, le Diiestr et les sources de l'Ingoul" et de l'In-
gouletz resterait dépeuplée pour servir de frontière entre les deux Etats
chrétiens de la Slavie et l'État musulman. Les Eispagnols et les Portugais
colonisaient déjà l'Amérique et les Antilles que la steppe méridionale
attendait encore de nouveaux habitants : l'œuvre de la dévastation par
musulmans et chrétiens avait été complète. La colonisation, tant de fois
commencée depuis l'époque des Scythes royaux, dut se faire deux fois,
l'une après les incursions des Turcs, à la fin du quinzième siècle, l'autre
après le partage des steppes entre la Pologne, la Moscovie et la Turquie.
Chaque fois la colonisation se composa de deux éléments distincts : les
libres Cosaques et les colons des ^"obles. Les seigneurs polonais se firent
octroyer d'immenses territoires dans ces espaces déserts et promirent à
tous les paysans qui s'installeraient dans ces régions redoutables l'im-
munité complète de toute charge et de toute redevance, rim[)unilé pour
tout crime ou délit. Le comte Z:uuoiski faisait appel à tous, même aux parri-
cides, même à « ceux qui auraient tué leur propre seigneur », et cet appel
fut entendu. Attirés par la promesse de la liberté sur les terres, d'ailleurs si
fécondes, qui devaient leurapparlenir pour un temps, les serfs des provinces
lithuaniennes s'y précipitèrent par milliers et par centaines de mille; les
villes, les villages se fondèrent au bord de tous les ruisseaux, au fond de
tous les ravins, dans chacune des grandes concessions féodales ; la steppe
se changea en terrain de culture de la même manière que les « prairies »
du Grand-Ouest américain devaient se transformer en leries arables deux
siècles plus lard. La liberté fit ce miracle du soudain repeuplement des so-
litudes; mais quand les seigneurs voulurent reprendre leurs terres, réduire
' SkaikovskiT, Hiiloirc de la nouvelle Silch.
* Anlonovilch cl Drsgnmanov, euvragc cilc.
502 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
de nouveau les paysans à l'état de serfs, les faire dévorer par l'usurier
juif, ils se heurtèrent à des hommes qui prétendaient au titre de Co-
saques et voulaient rester libres. Ces tentatives d'asservissement, jointes
aux persécutions religieuses, devaient avoir pour conséquence définitive,
et de révolution en révolution, la destruction même de l'État polonais'.
En 1649, une grande partie des Oukrainiens, sous la conduite du hetman
des Zaporogues Khmelnitzkiy, réussit à faire reconnaître l'autonomie de la
Hetmanie petite-russienne, puis en 1654 celle-ci se détacha de la Pologne
et se mit sous la protection de la Moscovie, par le traité de Pereyasl'av. Sa
liberté ne fut pas longtemps respectée; les boyards se plaignaient de ce
(jue leurs paysans allaient chercher un asile en Oukraïne, les voïévodes en-
traient en conflit avec les bourgeois des villes, et Pierre le Grand réclamait
l'extradition des émigrés du Don auxquels les Zaporogues avaient donné
l'hospitalité. Les Cosaques petits-russiens étaient un obstacle à la centra-
lisation moscovite, et leurs confédérations furent brisées. Pierre le Grand fit
périr des milliers de Cosaques au travail forcé sur les bords du Ladoga ;
puis Catherine II supprima complètement la Hetmanie petite-russienne en
1765, et dix ans plus tard elle détruisit la Sitch des Zaporogues. Ceux qui
voulurent rester libres furent obligés de se réfugier au delà du Danube,
chez les Turcs, leurs ennemis héréditaires. En 1775, lorsque la dernière
Sitch, située sur le bas Diiepr, fut prise par le général Tekeliy, les Co-
saques adultes des « Terres Franches » étaient au nombre de 15 000, dont
près de 1200 dans la Sitch elle-même; environ 60 000 personnes, Cosa-
<jues et paysans réfugiés, vivaient sur le territoire environnant, dans les
khoutors ou métairies qui leur avaient été concédés par la communauté ^
Certainement l'ancien caractère cosaque doit se retrouver en partie chez
les Oukrainiens de nos jours. Des révoltes fréquentes de paysans ont eu lieu
précisément sur les bords du Diiepr, dans les districts où vivaient les
communautés les plus guerrières, et dans toute la Petite Russie l'ancien
dévouement à la hromada ou commune s'est maintenu dans sa ferveur
malgré les transformations politiques. « La Commune est un grand
homme, » dit le proverbe oukrainien. Le Malo-Russe a gardé quelque chose
du nomade : il se déplace sans peine, quoiqu'il n'ait pas le génie colonisa-
teur du Grand-Russien. Il a même un dicton, trop souvent véridique, pour
dépeindre son goût pour le changement, provenant surtout de son amour
(le la lili( lié : Khatcli' hinlic, ta inche (plus mal, mais aulrenienl). En 1S56,
' Alfred Rambaud, ouvra^'e citf.
' Chlchrbalskiy, Rccuàl aitthrupoloyique de Moscou, I, 1SG8 (en russe)
COSAQUES. 505
le bruit se répandit dans l'Oukraïne que le prince Constantin s'était rendu
en Bessarabie, — d'autres disaient en Crimée, — et que là il siégeait sous
une tente rouge, conviant à la liberté et à la possession du sol tous les bons
Oukraïnicns ; mais c'est dans l'année même que les serfs devaient accourir
à sa voix : passé ce terme, il serait trop tard. Soudain, des populations
entières furent debout, non pour égorger les seigneurs, mais pour s'éloigner
en paix. Dans certains districts, notamment dans celui d'Alexandrovsk, les
paysans vendirent pour quelques roubles tout leur avoir aux usuriers juifs,
abandonnèrent leurs villages et se mirent en marche. « ^'ous vous remer-
cions pour le pain et le sel, disaient-ils à leurs seigneurs, mais nous ne
voulons plus être vos esclaves ! ' »
Le guerrier cosaque ne vit plus que dans la légende et dans les chants;
de même le tchoitmak, l'Oukraïnien des caravanes, est sur le point de
disparaître : les chemins de fer, les bateaux à vapeur, le remplacent
peu à peu après l'avoir forcé à changer ses pratiques et lui avoir ainsi
enlevé la physionomie d'autrefois; cependant il lutte contre les voies
ferrées avec une singulière énergie. En passant rapidement, entraînés par
la locomotive, les voyageurs remarquent souvent au bord de la voie de lon-
gues files d'hommes et de charrettes : ce sont les caravanes des tchoumaks.
Les marchandises qu'on leur confie sont remises fréquemment aux navires
d'Odessa, non seulement à meilleur marché, mais aussi plus vite que si
elles avaient été expédiées par chemin de fer, et pourtant du Dnepr à
Odessa leur voyage dure plusieurs semaines. Le tchoumak fut aussi un
héros comme le Zaporogue : pour aller chercher le sel et le poisson au
bord de la mer Noire ou de la mer d'Azov, il lui fallait se préparer à toutes
les fiitigues et mépriser la mort. Après le long voyage à travers les plaines
jjoudreuses et les rivières desséchées ou débordées, sous le soleil ardent,
sous les averses ou dans les tempêtes de neige, il se trouvait en présence
d'ennemis, auprès desquels un sauf-conduit ne suffisait pas toujours. Des
brigands pouvaient l'allendre aux pas difficiles; des seigneurs le ruiner
par un impôt; sa vie élait de marcher toujours à la tcle de son convoi,
ayant pour compagnon, perché sur le premier chariot, le coq vigilant
qui l'avertissait chaque matin de l'heure du départ. Si la mort l'at-
teignait en roule, un ])etit kourgan se dressait sur sa tombe. Encore au
tlernier siècle, on mettait à côté du corps une bouteille d'eau-de-vie, cor-
dial de son dernier voyage'.
' Schmidt, Couvernemenl de klierson. Matériaux [vjur la géographie cl la slalislique du la Russie
(cil russe).
' Dragomanov, Noies manutciitct.
504 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Les chants de liberté du Cosaque, les refrains du tchoumak traversant
les plaines sont restés dans la mémoire du peuple petit-russien; le
kobzar, qui chante en s'accompagnant de sa grande mandoline appelée
kobza ou bandoiira, le lîrnîk, qui joue non de la lyre, mais d'une sorte
de vielle, récitent encore les vers qui retentirent pour la première fois sur
la steppe. Quelques-unes des chansons que les rapsodes petits-russiens
répètent dans les foires ont un caractère historique ; mais, outre les chants
que tout le monde connaît, il en est qui, par le souffle de la pensée, la
puissance de l'expression, la richesse des détails, sont comme des frag-
ments d'épopées; malheureusement ils tendent à disparaître, et bientôt ils
n'existeront plus que dans la littérature écrite. Ce sont les doiinit, récils
d'histoire, qui font vraiment apparaître le passé, avec les espérances et les
terreurs, les joies, les sentiments, les passions des hommes qui vécurent
à cette époque : en écoutant ces doumî, le Petit-Russien croit revivre de
la vie de ses aïeux les Cosaques. 11 est peu de langues dont les poésies
populaires dépassent celles des Oukraïniens en énergie de parole et en
profondeur de sentiment'. Et leurs chants d'amour, quelles en sont à
la fois la douceur et la force, l'ardeur et la décence ! Parmi ces milliers
de chants il en est relativement peu dont les paroles puissent offenser
une jeune fille; mais la plupart la feront pleurer, car presque tous les
chants du Petit-Russien sont pénétrés de mélancolie : ils sont d'un peuple
que le malheur a longtemps frappé et qui se plaît à contempler son infor-
tune. Cependant la collection des chants politiques faite par divers érudits
depuis le commencement du siècle^ renferme aussi plusieurs chants de
colère et de revendication : tel celui de la Justice, dont le fond est
emprunté aux Psaumes'' : « Aujourd'hui la justice est en prison chez les
pans; l'injustice est assise à son aise avec les pans dans la salle d'hon-
neur. » — « — La justice est foulée aux pieds par les pans; mais on
verse à l'injustice l'hydromel dans les coupes » — « 0 notre mère,
notre mère aux ailes d'aigle, où te trouver?... »
Les chants populaires, dont les auteurs sont inconnus, et que des kob-
zars, aveugles pour la plupart comme l'étaient les Grecs qui récitaient
les chants honii'riques, enseignent de génération en génération à d'au-
tres joueurs de bandoura, constituent déjà une littérature des plus pré-
' lindciistedl. Die poclische i'krniiic.
■ MnxiiiiDvilcli. Chmisons pnpuldiics île t'Oukraïnc (en russe); — Antonovitrh et Dragoinanov,
Cluiuts historiques du peuple pctit-russicn (en russe) ; — Roulchouko, Chants populaires des
khoumuks (eu russe); — Koulich, Mémoires sur la Russie du Sud (en russe); — Alfred lîaiiibaud,
liussie épique.
' Dragonianov, Noies mamiscriics.
TCIIOUMAKS ET KOBZARS. 507
cieuscs ; mais ces œuvres de la muse populaire ne sont pas le seul tré-
sor de la Petite Russie, dont la langue n'a jamais cessé d'être un idiome
littéraire. Même sous le slavon d'église, qui devint la langue écrite de
l'ancienne Russie lors de l'introduction du christianisme, on reconnaît les
tournures petites-russiennes dans les premiers documents russes, tels que
la chronique de Nestor et le chant d'Igor; la chronique de Volinie, la plus
poétique de toutes les annales, est complètement malo-russienne. Mais c'est
depuis le seizième siècle surtout, depuis que la langue « commune » ou
« cosaque-russe », débarrassée dos formes ecclésiastiques ou « bulgares »,
est devenue libre, qu'elle a pris une grande importance littéraire pour la
polémique politique et religieuse, les récits, le drame, les traductions. A
la fin du dix-septième siècle, le partage de l'Oukraïne, l'émigration d'une
forte proportion des hommes instruits vers Moscou et Pétersbourg, puis,
dès la fin du dix-huitième siècle, l'interdiction de la langue du peuple dans
les écoles, ont arrêté le mouvement littéraire petit-russien, mais il a re-
pris, grâce aux poêles et aux romanciers, qui parlent maintenant l'idiome
pur, sans mélange de slavon ni de polonais. Un de ces écrivains était le
grand poète moderne Chevtchenko. longtemps serf et soldat, infortuné dont
les chants racontent les misères de son peuple, et lui parlent de la « jus-
tice et de la liberté » futures.
Les Petits-Russiens de Russie ont l'esprit très ouvert et sont fort dési-
reux d'apprendre : la statistique prouve que les ouvrages de science popu-
laire se répandent plus rapidement chez eux que chez les Grands-Russiens.
Autrefois la Moscovie recevait ses professeurs de la Petite Russie et même
de la Russie Rlanche ; au seizième et au dix-septième siècle, des académies
existaient à Oslrog, à Kiyev, à Tchernigov, tandis que la Grande Russie ne
possédait aucune école supérieure; en 1638 même, au traité de Gadatch,
les Cosaques posaient comme condition au renouvellement de leur union
avec la Pologne l'organisation de deux universités ayant les mêmes privilèges
que celle de Cracovie, le droit de fonder des gymnases et la liberté de la
presse. Et maintenant ces régions oukraïniennes, où l'instruction était en si
grand honneur, sont précisément celles qui ont le moins d'écoles ' et d'élèves
' Instruction primaire en 1876, d'après Souvorin, Almanacli russe (1870) :
Cercle scolaire de Dorpat I rlève pour 1 i Iiabilanls.
» 1) Varsovie » ]> 37 n
• » Moscou .1 11 ol 11
f n Pétersbourg » » 7'2 »
» » Kliarkov » » 83 »
» > Kazan et Orenbourg » • 104 «
• • Kivcv.. » 0 124 •
508 ^•OL■VELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
en proportion du nombre des habitants. Après un siècle d'intervalle, le
nombre des écoles primaires se trouve avoir diminué de plus de moitié
dans ce qui fut TOukraïne cosaque ^ ! Ce contraste déplorable entre le
passé et le présent doit être attribué principalement à l'emploi dans les
écoles d'une langue étrangère aux enfants. Le régime de la centralisa-
tion s'exerce même sur l'idiome des sujets : le dialecte malo-russien
est mal vu par la chancellerie moscovite, et les tentatives littéraires qui
pourraient le faire apprécier comme il le mérite sont réprimées sévère-
ment. De par la censure, toute publication périodique en langue pctite-
rnssienne est interdite; il a même été défendu de traduire des traités
religieux ou scolaires, de donner une représentation théâtrale ou une
conférence dans cet idiome : jusqu'au texte des publications musicales
est expurgé par la censure de mots petits-russiens ^ Il l'aut que le peuple
en arrive à mépriser son propre langage comme un patois et qu'il mette
son ambition à ne se servir que des mots estampillés. Il est toutefois
douteux qu'une pareille entreprise puisse réussir, car la langue petite-
russienne est celle de vingt millions d'hommes, dont trois millions vivant
en dehors des confins de l'empire russe, en Galicie,'en Bukovine, en Hon-
grie. L'idiome petit-russien possède même quatre chaires dans l'université
de Lwôw; on y traduit en malo-russe Byron, Shelley et les œuvres d'au-
tres écrivains modernes, et douze publications périodiques — encore
bien peu pour toute une nation — paraissent dans cette langue en Ga-
licie et en Bukovine. Le lien de solidarité qui relie les hommes de même
langue de l'un à l'autre côté des frontières peut-il être rompu? Actuelle-
ment l'idiome petit-russien le plus pur serait parlé, dit-on, dans les pro-
vinces de Poilava, de Yekaterinosl'av, sur les bords de la mer Noire et dans
les districts méridionaux de Kiyev et de Tchernigov. Dans la Kiyovie du
Nord, et surtout dans la Podolie et la Volînie, la langue, d'après Tciiouj-
binskiy, serait mêlée de beaucoup d'e.xpressions polonaises, taudis qu'elle
se rapprocherait du blanc-russien dans le nord de Tchernigov et du grand-
russien dans les gouvernements de Koursk et de Kharkov, de même que
chez les Cosaques du Don ". Toutefois les collections de chants populaires
faites dans tous les pays petits-russiens, de la haute Tisza au Don inférieur,
' Écoles du territoire du ivgimeiil cosaquo do Tclieniigov en 1 7 IS 143
1) méinc territoire en 187;> ')2
(Reateil du Zemslio de TJiciniijov.)
* Dragomanov, La Ittléralure oukrainienne proscrite par le (jouvcriicmcvl russe, Rajiporl au
congrès lilléraii'c de Paris, 1878.
^ A. Tclioujbinskiy, Voyage dcm la Russie du Sud (en russe).
PETITS-RUSSIENS. 509
prouvent que sur cet énorme espace l'idiome malo-russe n'offre que bien
peu de différences.
Les questions agraires ont une importance capitale dans toute la Russie,
mais dans les pays des Cosaques oukraïniens elles sont d'autant plus graves
que la grande propriété y est d'origine toute moderne. Le peuple se rappelle
que la terre lui appartenait, et pendant la période du servage il s'est fré-
quemment révolté. Même avant l'émancipation, au moins dans l'Oukraïne
de la rive droite, le gouvernement se crut obligé d'établir un inventaire des
propriétés et garantit aux paysans des terres auxquelles ils avaient droit ;
puis, après l'abolition du servage, lorsque l'insurrection polonaise de 1863
eut produit par contre-coup des tentatives de révolte chez les paysans
oukraïniens de la rive droite, le prix du rachat, devenu obligatoire, fut
diminué d'un cinquième cl leur part du sol fut augmentée; en effet, cette
part est dans le gouvernement de Kiyev de 2 hectares 75 ares, tandis
qu'elle est de 2 hectares seulement dans la province de Poltava. Toutefois
un grand nom])re de paysans oukraïniens n'ont rien reçu et sont obligés
d'émigrer ou de travailler chez autrui comme journaliers. Dans la Aouvelle-
Russie, la condition des paysans est meilleure, parce que le pays est encore
moins peuplé, que les lots, variant de 5 hectares 70 ares à 7 hectares
50 ares, y sont plus grands et que l'exploitation du sol se fait en groupes
communaux.
L'esprit d'organisation communale, (pie l'on croyait avoir disparu de la
VvùU' Russie, se révèle au contraire d'une manière remarquable depuis
ri'niancipalioii. 11 existe dans tout le pays des associations de pécheurs, de
faucheurs, de moissonneurs, qui ra])pellent celles des anciens Zaporogues,
avec celle différiMicc (pi'au lieu de travailler pour leur propre compte elles
sont pour la plupart utilisées par des entrepreneurs : le principe de l'asso-
ciation égalitaire ne s'y montre que dans l'organisation du travail et la
distribution du bénéfice'. Dans quelques districts, les paysans louent
des terres aux seigneurs pour les cultiver en commun cl en partagent le
produit : « la besogne, disent-ils, se fait ainsi j)lus vite, mieux et plus
gaiement » '. Dans le gouvernement de Tclieniigov, où les associations
sont le mieux ('ludiées, les associés ont \nis le nom de seb'or ou s'abcr, —
a camarades », — qu'on trouve dans les documents anciens et qui est em-
ployé aussi par les associations du nord et de l'orient de la Russie. Le
travail en commun enire si bien dans les mœurs, que sur les plantations
' Clilchrrliinn, Les ansocialiom ilnns la Iluttie méridionale, N'oilrb, 1S77, 187S.
■ ilatériaux pour l'évaluation des terres dans le ijouverneinent de Tchernigov, I (en russe).
510 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
(lo tabac les jeunes filles se groupent en associations pour accomplir
tous les travaux, plantation, sarclage, choix des feuilles, préparation du
tabac pour la vente. Le propriétaire n'a qu'à faire labourer le sol et à
construire des maisons pour les travailleuses et des hangars pour le tabac.
Les jeunes filles reçoivent la moitié du produit, qu'elles partagent tou-
jours également'.
Si les Pelils-Russiens dépassent de beaucoup les limites des bassins du
Diïepr et du Diiestr,' leur territoire a reçu aussi en grand nombre des repré-
sentants de nationalité différente. On compte dans le pays au moins une
vingtaine de populations distinctes par les origines, les mœurs, la langue.
Les Grands-Piussiens s'avancent çà et là en archipels dans l'intérieur
de la Petite Russie et forment en outre des colonies dans les villes; des
Polonais catholiques, descendants des anciens dominateurs du pays, et
des serviteurs qui leur formaient de petites cours se sont maintenus en
groupes dans tout le territoire qui fit partie du royaume de Pologne au
dix-huitième siècle; au raidi, les Tartares, qui descendent aussi de con-
quérants, ont été çà et là épargnés et vivent au milieu des populations
chrétiennes. Enfin, les races commerçantes ou nomades, Juifs et Karaïtes,
Arméniens, Grecs, Tsiganes, sont épars à la surface du territoire, les
uns en multitudes, comme les Israélites, les autres en rares colonies
ou en groupes errants. Une seule des nationalités non slaves peuple
en masses compactes toute une partie du territoire : ce sont les Roumains
de la frontière sud-occiduntale, descendant en partie de ces Daces repré-
sentés sur la colonne de Trajan. On peut évaluer à 25 000 kilomètres
carrés leur domaine ethnologique, contigu à la Roumanie indépendante.
Les descendants de colons qui ne sont pas venus dans le pays de leur
libre initiative, mais qui ont été invités par le gouvernement, constituent
un élément particulier dans l'ensemble des populations méridionales. Les
régions des steppes du littoral, tant de fois dépeuplées par les guerres ou
même systématiquement transformées en solitudes pour assurer la ])aix
sur les frontières, étaient menacées de perdre tous leurs habitants cosaques
après la destruction de l'autonomie des Zaporogues. Il importait d'appeler
des colons pour remplacer la population qui s'enfuyait. Encore en 1784,
lorsque déjà la période de repeuplement avait commencé depuis plusieurs
années, un recensement fait dans la région la plus vivante du terri-
' ilatcriaux rdatiji aux ossociatioiis en Rtissie, II (en russe).
COLONS DE LA NOUVELLE-RUSSIE.
hH
toire, c'est-à-dire sur l'espace de 1000 kilomètres qui s'étend le lonfr
des deux rives du Dnepr, de Kiyev à Klierton, ne trouvait qu'un total
de 45 500 personnes'. C'est depuis cette époque seulement, c'est-à-dire
depuis moins d'un siècle, que la population de la Russie méridionale est
devenue stable et que l'historien peut en raconter la vie sans la suivre
de steppe en steppe.
ROCMAIX DE PODOUIE
Dcs>in (le Honjat . irniirè^ une pliolograpliio.
Tandis que la population russe de la contrée y fut installée comme serve
de la couronne et des nobles, les étrangers y vinrent en hommes privilégiés.
Les Allemands furent, j)ai-mi les étrangers, ceux qui réi)ondir(Mil en pbis
grand nombre à l'appel des entrepreneurs de colonisation dans ce vaste
lerritoire, connu sous le nom de « Nouvelle-Russie ». En 1789, ils for-
Rousov, Quelijuct données sur le Dnepr (en rus.sc).
61-2.
NOUVELLE GÉOGRAPHIE l.MVERSELLE.
daieht plusieurs villages dans le gouvernement de YeJvateriùoslav, à l'ouest
des cataractes du Di'iepr et dans les steppes qui s'étendent entre la grande
courbe du fleuve et la mer d'Azov. La plupart de ces immigrants venaient
du sud-ouest et de l'ouest de l'Allemagne, de la Souabe, du Palatinat, de
la liesse ; quelques Alsaciens se sont également mêlés aux groupes de
colons. Des émigrants sortis du Mecklenburg et de la Prusse Orientale
N"* 1!0. I>r.OPORTin\ DE^ C*TI?OM0rE^ DA\^ 1. \ VOMME, LA TODOI lE ET L\ KIYOVIE.
C-deP
lors des années de disette ont aussi fondé diverses colonies dans la Nou-
velle-Piussie, ainsi que des Allemands de la Pologne et du pays des Magyars.
Les noms de plusieurs colonies rappellent la ]n'ovince d'origine des habi-
tants,et quand on traverse la contrée, on est étonné de rencontrer les villages
de Mimchcn, de Stuttgart, de Darmstadt, de Ileidelberg, de Carisrulie, de
Maiiulieim. de Worms, de Strasbourg. Kn I.STt), le nombre des colonies
allemandes groupées ou éj)arses dans les (juatre gouvernements de Yeka-
COLONS DE LA NOUVELLE-RUSSIE. 5)3
rinoslav, de Kherson, de Taiiride et de Bessarabie s'élevait à 570, et les
habitants y étaient plus de 200 000, soit un peu moins de la vingtième
partie de la population'. En général, les colonies allemandes sont pros-
pères, grâce aux privilèges dont les étrangers ont joui pendant plusieurs
générations, grâce aussi aux bonnes pratiques agricoles et à la persévé-
rance des pavsans germaniques. Les champs des mennonites de la Mo-
iûtchna, rivière qui coule vers la mer d'Azov, sont même célèbres en
Russie et dans toute l'Europe par le soin extrême avec lequel ils sont
labourés, arrosés, nettoyés des mauvaises herbes, par la beauté des arbres
fruitiers qui les ombragent, par le confort des habitations qui s'y trou-
vent. 11 est vrai que diverses sectes russes, telles que les molokanes, pos-
sédaient (;à et là des colonies aussi bien tenues que celles des mennonites ;
mais leur titre d'hérétiques russes les exposa souvent à la persécution,
tandis que les mennonites, moiokant>s allemands, venus de la Vistule ger-
manique, ont été protégés jusqu'à ces derniers temps : on leur donna en
terres indivises un espace ne représentant pas moins de 71 hectares de
terres par famille, et plus tard on y ajouta même celles qu'avaient cul-
tivées les sectaires donkhobortzî et molokanes, qui furent transportés au
Caucase \ Toutefois les Allemands se sont bientôt divisés en deux classes,
dont l'une est plus riche que les premiers colons, tandis que l'autre a
perdu la terre; elle ne se compose plus que de journaliers. Ce sont
presque exclusivement ces prolétaires mennonites qui se sont récemment
expatriés par milliers au Brésil, aux États-Unis, pour éviter la vie mi-
litaire, quoiqu'ils eussent été autorisés à faire leur temps de service dans
les chantiers ou les ateliers de construction, dans le train ou les brigades
forestières; mais les émigranls mennonites n'ont point réussi, et la plu-
part d'entre eux sont revenus dans la Russie méridionale. Quant aux autres
Allemands de la Nouvelle-Russie, un grand nombre émigrèrent aussi, si
bien qu'en 1874, au plus fort de l'exode, les terres mises en vente ne trou-
vaient plus d'acheteurs \ Désormais, les Souabes de la Nouvelle-Russie
sont assimilés aux autres sujets russes. En vertu du princijie do la cen-
tralisation, ils sont tenus d'avoir le russe pour idiome officiel; d'ailleurs,
tm certain nombre de mots et de phrases slaves avaient déjà ])éné(ré dans
leur langage usuel. L'alli^mand dntit se servcnl les colons est j)his lilli-raire
que celui de leurs ancêtres souabes, grâce à l'influence des écoles et des
petites bibliothèques de campagne. Mais dans ces écoles règne un esprit
' l'f'er l)i(;lil, Geogr. iind Slatisl. Vctein zii FronkfurI, 1875.
" bk;ilkov!ikiv, Descriplion tlatisUque de la IS'ourclle-Riissic (en nisse), loijic l
' l'etciiiiann's ililllicilungcn, 1878, n' 11.
514 NOUVELLE GÉOGRAPHIE l'MVERSELLE.
essentiellement conservateur; elles sont ce qu'elles étaient au dix-huitième
siècle, et les nouvelles méthodes s'y introduisent beaucoup plus difficile-
ment que dans les écoles russes '. Aucun mennonite n'entre à l'université,
ni même au gymnase.
On sait que, vers 1864, la secte des stundistes, ainsi nommée des
« heures v [Stunde) que des protestants allemands et mennonites de la
>'ouvelle-I\ussie consacraient au recueillement, naquit près de ces colo-
nies germaniques, parmi les Petits-Russiens des environs d'Odessa. Cette
secte s'est rapidement propagée, mais avec un caractère beaucoup plus
radical, et se distingue surtout par son aversion des prêtres et sa haine des
sacrements. Ce n'est plus simplement une secte religieuse, c'est une « fra-
ternité » [bratstvo), dont les membres se traitent en frères dans la vie de
tous les jours. La secte nouvelle, qui reparaît, par une sorte d'atavisme,
dans les contrées de la Russie occidentale où se développait autrefois le
mouvement protestant, et oîi s'étaient formées des confréries essayant de
subordonner l'Eglise aux la'ùjues, a fiùt des progrès si rapides, que des
villages entiers font partie du bratstvo : on rencontre les nouveaux frères
d'Odessa jusqu'à Gomcl, dans la Russie Blanche".
Des colonies allemandes d'une autre origine que celles de la Nouvelle-
Russie se sont récemment établies en Yol'înie, surtout aux environs de
•Eoutzk et de Novgrad-Vol'însk. Les nouveaux venus, fort pauvres pour la plu-
part et chassés presque tous par la faim de la Poméranie et de la Prusse
orientale, viennent louer des terres incultes ou défricher des forêts chez les
grands seigneurs de la contrée et, comme leurs voisins les Russes, ils
sont obligés d'emprunter aux Juifs. Plus heureux dans leurs entreprises,
mais non plus aimés par la population locale, sont les paysans tchèques,
venus presque tous depuis 1SG8; munis de petits capitaux, ils ont su les
associer pour acheter en bloc de grandes propriétés, divisées plus tard en
centaines de lots. Grâce à la propagande panslaviste, ils ont été bien ac-
cueillis par le gouvernement, et nul des avantages qui leur ont été faits,
comme aux autres colons, n'a été perdu par eux; en outre, ils se sont dé-
clarés hussiles et ont appelé des prêtres mariés, afin d'éviter ainsi la domi-
nation du clergé catholique polonais, aussi bien que celle des prêtres russes
orthodoxes. Au nombre d'environ sept mille, ils se sont établis pour la
plupart sur la ligne de Brest à .Loiil/k : on en voit aussi quehpies groupes
aux environs de Berdilchev.
' Kolf, Rapport mr les écoles ttans le distiicl (l'Ale.ranihvvsk.
- La ChliiHiula pelile-ntssieiine, Nedcla, 1MT7. — Le niliuiiulisme dans le sud de la iiiasie,
Olclcticslv. ZapitUi, 1877.
COLONS ALLEMANDS, TCHEQUES ET BULGARES.
515
Après les Allemands, les Bulgares sont de tous les colons de la Nouvelle-
Russie ceux qui forment les groupes les plus considérables. Ces colonies
se fondèrent à diverses époques. Lors de chaque guerre avec la Turquie,
les armées russes ramenèrent avec elles des fugitifs bulgares, auxquels
on donna des terres incultes dans" la région des steppes ou celles d'où les
Musulmans avaient été expulsés. Après la guerre de Crimée, des milliers
de Bulgares immigrés reçurent en propriétés les campagnes laissées va-
ut. — PO-lLiTIONS DIVERSES DE LA KUSSIE DC StD-OlE*T.
~, C'^^'us:i'ef^â*an.
canles par les Tartares Nogaï. Leurs villages sont d'une proprelé l'cmai-
quable, leurs vergers et leurs cham|)s, tenus en propriété commune, té-
moignent d'une bonne pratique agricole ; mais la nostalgie fit de nom-
breuses victimes parmi ces Bulgares. Les nouveaux colons regrettaient leur
patrie des Balkans, plus fertile el plus belle, et depuis que la Bulgarie s'est
constituée en principauté indépendante, beaucoup de jeunes gens instruits
des commun;nit(''s bulgares de la Nouvollc-Russie ont pris le chemin de In
péninsule Illyrique. Une grande partie du territoire récemment cédé à la
oin NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Russie par la Uoumanie est aussi peuplée d'agriculteurs bulgares. Sous le
régime turc, ce pays avait eu, comme la Crimée et les steppes du bas Di'iepr,
une population de Tartares Nogaï; mais, avant même que le gouvernement
russe fût devenu maître de la rive gauche du Danube, ces Tartares avaient
émigré vers la mer d'Azov. On les remplaça par des Bulgares. L'immi-
gration principale eut lieu lors de la paix d'Andrinople, en 1829. Les
nouveaux venus, établis principalement dans le Boudjak ou « Coin » méri-
dional de la Bessarabie, entre le Danube, le Prout et un prétendu « val « ou
mur de Trajan, donnèrent bientôt au pays un aspect de prospérité qu'il
n'avait jamais eu. Leurs cultures sont mieux soignées que celles des voisins
moldaves, leurs chemins mieux entretenus; leurs villages, qui ont presque
tous gardé des noms tartares, contrastent avec les bourgades des autres
races par la régularité du plan, la propreté, l'apparence de confort, les
beaux vignobles qui les entourent. Toutefois ces Bulgares, qui justifient
si brillamment la réputation de leur race pour l'activité, la sobriété,
l'économie, sont plus ou moins mélangés de Moldaves, de Russes, de
Grecs, de Tsiganes, avec lesquels ils s'entretiennent dans tous les jargons
de l'Orient.
Outre les colonies importantes d'Allemands et de Bulgares, il en est
plusieurs, beaucoup moins nombreuses, appartenant à d'autres nationa-
lités. Ainsi l'on voit encore, près de Berisl'avl, la plus ancienne colonie
fondée par Catherine II, en 1782 : elle est composée de Suédois qui, de
gré ou de force, durent quitter l'île Dagô, en cédant les terres qui fai-
saient l'objet de leur litige avec des seigneurs allemands; mais le nom-
bre des colons, qui avait dépassé un millier, n'était plus en 1865 que
de 522, tous pêcheurs; ils parlaient encore le suédois, et jusqu'alors
ils avaient en partie résisté aux efforts de leurs voisins les Allemands,
qui cherchent à les « germaniser » : il est plutôt à croire que l'usage
presque indispensable de la langue russe finira par les « russifier' ». Quant
aux colonies serbes, que le 'gouvernement russe avait distribuées sur tout
le pourtour septentrional du territoire des Znporogues, afin de le détacher
ainsi du centre de la Petite Russie, elles se sont presque entièrement fon-
dues, quoique sous Catherine II elles fussent assez nombreuses autour des
villes de Novo-Mirgorod, de Bakhmout, de Slavanoserbsk, jiour fournir
quelques régiments de soldats et pour faire donner à une partie de la Russie
méridionale le nom de « Nouvelle-Serbie ». Les Grecs et les Albanais ou
Ainautes répartis dans les diverses colonies agricoles ou militaires ont
' Tclioiijbiiiskiy, Visile à Iti Russie du Sud {un russe).
COLONS DE LA NOUVELLE-RUSSIE.
517
trouvé pour la plupart le chemin des villes où ils s'adonnent au commerce.
De toutes les colonies fondées depuis un siècle, les moins prospères ont été
celles où l'on avait établi de malheureux Juifs, que l'on voulait assouplir,
au travail des champs. Ces mêmes hommes qui se seraient enrichis dans
les villes comme manieurs d'argent, sont tombés dans une misère profonde
jnrs DC LA VOUXIE, DE LA PODOLIE T.T DE LA KITOSTE.
D'après Tchoubinskiy.
Villes ayant de 5}00 à lOOOO liab. juifs.
De iOOOO i lôMO liab. juih.
Moins (le 10 p. 100. De 10 i Î5 p. 100. î
comme laboureurs : maigres, couverts de vêlements en lambeaux, habi-
tant des cabanes délabrées, ils ne savent pas même cultiver leurs champs
cl en louent la moitié à des colons d'autre race. Toutefois pai-nii les
« colons » juifs il en est de 1res prospères, mais ce n'est pas l'Israélite
qui laboure ses champs. « Pourquoi liendrais-je la charrue? Il v a des
moujik pour cela. )ii les payi-rai, et ils feront le nécessaire, » disait un
colon juif à Tchoubinskiy.
518 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
C'est en Oiikraïne que le monde juif, qui comprend la Roumanie, la
Hongrie, la Galicie, la Pologne, la Lithuanie, vient se terminer à l'est :
à l'orient des provinces de Pol'tava et de Tchernigov commence le territoire
qui, sans être absolument interdit aux Juifs, n'est libre d'accès qu'aux
élèves et aux gradués des bautes écoles, aux marcbands des gildes et aux
artisans des corporations, munis d'attestations régulières. Presque toute la
population juive se presse donc dans les provinces occidentales de la Russie
et en Pologne, au nombre d'au moins 5 500 000 individus,et leur accroisse-
ment normal, par l'excédent des naissances sur les morts, est plus consi-
dérable que elicz les cbrétiens. Leurs progrès ont été vraiment prodigieux
dans les provinces du Dnepr : à la fin du dix-huitième siècle, quelques
familles juives seulement vivaient dans le gouvernement de Kherson ;
en 1870, la population Israélite s'y était élevée à 151 900 personnes.
Tous ces Juifs descendent des Juifs polonais, qui sont eux-mêmes de pro-
venance allemande. Avant l'interdiction prononcée par l'empereur Nicolas,
presque tous portaient l'ancien costume polonais, le long surtout, et le
bonnet en peau de renard; tous parlent un allemand corrompu mêlé de
mots bébreux et de termes d'argot, très appauvri dans sa grammaire et
fortement slavisé par l'introduction de tous les noms russes des arbres et
d'un grand nombre de verbes : cette langue est Vidkh (jûdisch en alle-
mand) ou Vkritcyl: ; mais, en outre, la langue rabbinique, mélange
d'bébreu et de chaldéen, est employée pour les documents importants, dans
la correspondance officielle et même dans un grand nombre de lettres
privées, surtout en Lithuanie et en Bel'o-Russie. Organisés en confréries et
constitués naguère en halial ou communes, qui avaient à la fois un carac-
tère religieux et civil, les Juifs de la Russie occidentale ont pu, en majorité,
se livrer à ces professions d'intermédiaires auxquelles convient si bien leur
génie ; la plupart sont marchands ou boutiquiers, entrepreneurs, commis-
sionnaires; plus du septième d'entre eux sont cabaretiers, ramassant, kopek
à kopek, le petit avoir du paysan; mais il en est aussi qui tombent dans la
misère : dans l'Oukraïne occidentale, on comj»teplns de 20 000 mendiants
Israélites. Le revenu moyen de chaque famille Israélite de l'Oukraïne est
évalué par Tchoubinskiy à 290 roubles seulement. On sait qu'en 1882 une
explosion de haine populaire eut lieu contre les Juifs : on en tua des cen-
taines ; il en est même qui jtérirent dans les tortures; plus de cent raille
Israélites eurent à se réfugier en Autriche et en Allemagne, et des bandes
de fugitifs allèrent chercher un asile jusqu'en Amérique. Maintenant la
plupart des exilés volontaires sont revenus, mais ils ont à se conformer aux
règlements de police les plus sévères, et niainle ville leur est fermée.
JL'IFS DK LA PETITE RUSSIE, DERDITCIIEV.
jl9
Le totorev, le premier affluent du Diiestr qui entre dans ce fleuve en
aval de la Pripet, recueille ses premières caus sur un plateau où se trouve
la ville de Berditchev, souvent désignée sous le nom de « Jérusalem russe »•
Tinr.DlTCllEV F.T
E.ceP. acio-
.Ô^Jitomip
E.deG es'so-
dspré's la Carte de l'Etar - Majcr
C'csl en effet le (juarlier uénérai de tous les Juifs de la Volinie, de la
Kiyovic, de la l'odolie. Lors du rccensemcnl de 1805, on y compta
i7 200 Israélites sur un peu plus de 51 000 habitants; mais l'opinion
générale est qu'une très forte proportion des Juifs de Berditchev, souvent
en voyage comme marchands itinérants, échappent à toute énumération
5-20
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
officielle : il est probable que 100 000 Juifs sont parfois réunis à Ber-
(litchev. L'attraction que cette ville, sans autres avantages naturels que sa
position centrale entre des rivières divergentes, exerce sur les Israélites,
provient de ce que le roi de Pologne Stanislas-Auguste y institua dix foires,
à la requête du grand propriétaire dont Berditchev était le domaine. Les
liabitants s'adonnent à diverses industries, fabrication des tabacs, des
bijoux, des eaux de senteur, mais toutes ces industries se font en vue du
commerce de détail, qui emploie des milliers de colporteurs dans les pro-
K° m. — I.IVIXr PE l.\ REGION
ET ItE CELLE DES PLATEAUX NLS
aaprCàl5C--"e
vinces environnantes et par delà la frontière, en Roumanie et en Austro-
Hongrie. On évalue à 200 millions de francs la valeur des marchandises
vendues chaque année par les marchands de Berditchev; elles sont en
grande partie entreposées dans les grottes ((ui sont jiercées dans tous les
sens au-dessous de la ville, et qui sont probablement d'origine préhisto-
rique; la longueur totale en est évaluée à 450 kilomètres '.
Au sortir du gouverneuKînt de Kiyev, la rivière de Berditchev s'unit au
Telerev, qui bientôt après passe à Jilomir, la capitale du gouvernement de
1 Kopiii'iski; — A. Kiihn iinJ Mflilis, Malerialicn tur Vurgcscliichlc des Mensclieii im iistl. Europe.
!
TÏPE» KT CUSTUMK5 VU COD V F. Il > E 11 K\ T ll'l)I\llL
le^siii <lc DclonI, <l'.1prè^unc |iliolograpliii; 6c M. IS.ioull.
JITOMIR, BRANSK.
Volînic. Celte ville est située sur la limite do la région des forêts et de celle
des espaces déboisés, limite qui se continue au loin jusqu'en Galicie et
qui est en mèrae temps une frontière ethnographique entre les PoJkhkhouM
ou « Gens des Bois » et les Stcpovikt ou « Gens des Steppes », ainsi que
se nomment réciproquement les Petits-Russiens habitant de chaque côté
de la ligne de séparation. D'après Jitetzkiy', les « Gens des Bois » sont
ceux qui ont conservé les formes les plus archaïques dans leur dialecte et
EriAVSK.
d après la Corte de 1 E-tat-Ma^:-
dans leurs mœurs. Jitomir fait un grand commerce, surtout pour les
céréales; mais c'est aux Juifs, qui forment plus du tiers de la popula-
tion, que reviennent presque tous les bénéfices de ce trafic. Beaucoup de
livres hébreux imprimés en Uussie proviennent de Jitomir. La ville de
Radomîsî, située également sur le Teterev, en aval de Jitomir, est dans le
gouvernement de Kiyev.
Les villes importantes sont nombreuses dans le bassin de la Desna.
l'ni' ville dn gouvernement d'Orol, Bransk, l'ancienne DeliiMiisk, ainsi
' llistoiie phonHiqne ric ta langue petitc-russicnnc (en russe).
521 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
nommée des épaisses forêts qu'elle a perdues, est située à la jonction des
deux branches supérieures de ce cours d'eau, à la base de hautes fa-
laises que contourne la rivière ; c'est une ville de grand commerce où
le chemin de fer de Smolensk à Orol' traverse la rivière déjà navi-
gable ; le gouvernement avait même établi un chantier de construction à
Bransk; il y possède maintenant un arsenal et une fonderie de canons.
Les marchands de Bransk achètent beaucoup de denrées dans la province
et du bétail dans les districts du midi pour les expédier vers Moscou, Saint-
Pétersbourg ou les ports méridionaux de la Baltique. Troubtchovsk, située
plus bas sur la Desna, a la même industrie que Bransk et vend les blés que
lui envoient, par la Nerousa et le Sev, les districts de Dmitrovsk et de
Sevsk. Cette dernière ville est fameuse dans l'histoire de la Bussie par
ses traditions de révolte et d'indépendance : c'est là que s'établit et se
fortifia en 1604 le faux Draitri, au milieu de bannis et de Cosaques, pour
marcher ensuite à la conquête de Moscou. A l'ouest de Troubtchovsk, l'an-
tique Starodoub ou « Vieux Chêne », qui se trouve déjà en pays petit-
russien, rappelle aussi de nombreux faits de guerre entre Busses, Polonais,
Cosaques et Tartares : dans son district se trouvent quelques-unes des colo-
nies principales d'une secte des raskolnik. Des restes des fortifications y
ont été conservées, de même qu'à Pogar, située sur le même affluent occi-
dental de la Desna. Plus au sud, au bord même de cette rivière, est bâtie
Novgorod-Severskiy, ancienne principauté des Sever-anes, dont le souvenir
s'est maintenu dans le surnom de la ville. En aval, Korop et Sosnitza,
autres villes des Severanes, se succèdent dans la vallée de la Desna, dont
la rivière Seim vient presque doubler le volume.
Une moitié du gouvernement de Koursk appartient au bassin de la
Desna, et le chef-lieu est situé près de l'endroit où la rivière devient
flottable, à la jonction de deux de ses affluents. C'est une ville grande-
russienne, à laquelle ses trois chemins de fer, se dirigeant sur Kiycv, Mos-
cou, Khai'kov, donnent une certaine importance commerciale. La foire de
IvMUsk {koretinaija) était jadis la plus fréquentée du midi, et les échanges
s'y élèvent encore à 4 millions de louliles; mais le centre dos transactions
entre la région industrielle de la Moscovie et les teires agricoles du sud
s'est déplacé vers le sud, à Khai'kov. Les villes voisines, Chtchigrî, Tim,
Fatej, sont de simples marchés agricoles, de même que plus bas, sur le
Seim, Lgov, Uilsk, Poutivl. C'est à Bîlsk que s'entreposent surtout les faux
de Slyrie, expédiées ensuite dans toute la Bussie d'Europe et d'Asie. Près
de là, dans le gouverncnient de Tchernigov, et déjà en Malo-Bussie, sont
les villes importantes tie Gloukliov, grand marché de céréales, de Krolevelz,
BRANSK, STARODOLB, TCUERNIGOV, NEJIN. 525
(le Konotop, qui fut une forteresse au dix-septième et au dix-huitième
siècle, de Borzna, de Berezna. Située près d'un croisement de chemins de
fer, Konotop accroît rapidement son commerce. Jadis la ville importante de
la contrée était Batourin, ainsi nommée de son fondateur Etienne Bathory,
(jui en avait fait la résidence des hctmans cosaques ; Menchikov détruisit cette
ville en 1708, mais les belles ruines du château, reconstruit, puis démoli de
nouveau, s'élèvent encore au-dessus des maisons modernes sur la rive méri-
dionale de la Seim. Chostna, dans le district de Gl'oukhov, est une poudrerie
de l'État, où se prépare le salpêtre pour toutes les autres usines de la Russie.
L'histoire de Tchernigov, capitale du gouvernement, se confond avec
celle de la contrée. La ville appartient aux Sevei'anes et l'on y voit encore
une église cathédrale dont quelques parties sont du onzième siècle. Dis-
putée longtemps entre les Lithuaniens, les Polonais, les Moscovites, elle se
rattacha définitivement à ceux-ci en 1654 avec toute l'Oukraïne cosaque;
maintenant elle prend sa part du grand commerce de céréales, de chanvre
et d'autres denrées agricoles qui enrichit le pays de la Desna. Quoique pri-
vilégiée en qualité de centre administratif, Tchernigov n'est pas aussi peu-
plée que Xejin, autre ville du gouvernement située sur les deux rives de
rOster, petit affluent canalisé de la Desna, et sur le chemin de fer de Kiyev
à Moscou. À'ejin reçut au dix-septième siècle une colonie de Grecs qui
jouirent longtemps de privilèges spéciaux; toutefois elle devait être consi-
dérée surtout comme une caste, car d'autres étrangers, surtout des Bul-
gares, ne sachant point même parler grec, étaient entrés dans ce grou[)e
pour élever leur position sociale. Les Grecs de Ncjin faisaient autrefois le
commerce de la soie avec la Turquie, l'Italie et l'Autriche ; mais les cou-
rants se sont déplacés, et la colonie grecque est maintenant déchue.
Dejiuis IS'iO, Xejin possède l'une des hautes écoles de la Russie, fondi'c
aux frais d'un particulier et transformée depuis 1S75 en institut pliilo-
logi({ue; dès lors le nombre des étudiants a diminué '. L'industrie de la con-
trée n'a d'autre importance que pour la préparation du tabac, la granch-
culture locali'-. La ville de Kozelelz. situéeà l'ouest de Xejin, sur l'Oster, est
habitée en j)artie par des artisans qui vont exercer leurs métiers au dehors.
Kiyev, la « ville sainte », la Kioaba ou Sambatas de Constantin Por-
phyrogiMiète, la Kouyaba des Arabes, le Man-Kerman des Tartares, est une
des cités d'Lurope (pie leur position désignait d'avance comme un des
centres de gravité de l'histoire. Elle est située à peu près au milieu du
' ÊliiHianIs de l;i liante ccolf en 1871 : 180; ctuHianIs de l'instllnl on 1877 : ">1.
« l'rndnclion du Uiliac dans le gouvfrncmcnl de Tchernigov en 1879 : 15 755000 Uilograninies.
le licrs de la |)roduclion lolalc de la Russie.
52G NOUVELLE GEOGRAPHIE UxNlVERSELLE.
bassin du fleuve Dnopr, à égale distance de la région dos sources et du
littoral marin, à l'endroit précis où toutes les ramures supérieures ont
rejoint le tronc fluvial, lui apportant leurs eaux et leur commerce. Les
zones géographiques des forêts, des terres noires, des steppes, fort rappro-
chées en cet endroit, sont unies par le cours du Dnepr, que Kijev com-
mande de sa colline. Un pareil emplacement dut être apprécié dès que les
migrations pacifiques du commerce se furent portées de Byzance et des
bords de l'Euxin vers la Russie centrale, et certainement la ville exista
'longtemps avant que son nom n'eût été mentionné dans les chroniques :
l'époque à laquelle les trois frères légendaires ou trois peuples la fondèrent
se perd dans les ténèbres antérieures à l'histoire russe. Un chroniqueur du
onzième siècle, Titmar, parle de ses quatre cents églises; même lors de
l'incendie de 1124, le feu en aurait dévoré six cents : c'est par Kiyev que
le christianisme s'introduisit en Russie, précisément parce que cette ville
se trouvait en rapports directs avec l'Europe méditerranéenne. Mais ses
richesses même attiraient de toutes parts les ennemis : elle fut détruite
(|uatre fois, en 1171 par l'armée d' André, prince de Souzdalie, en 1240 par
le Mongol Batou-Khan, puis en 1416 par les Tartares, et enfin en 1584
par les Tartares de la horde de Crimée, qu'incitait Ivan III de Moscou ;
])endant dix années, dit-on, la colline où la fière cité avait été bâtie resta
déserte. Elle se releva de ses ruines, et quoique Kiyev eût cessé d'être le
centre de la confédération des principautés slaves, et qu'elle eût ainsi
perdu la force d'attraction exercée par les capitales, quoiqu'elle eût été sou-
vent coupée de ses communications directes avec la mer et dévastée par les
guerres, elle a gardé l'un des premiers rangs parmi les cités slaves : elle
est maintenant par la population la quatrième cité do l'empire russe ;
depuis le commencement du siècle, le nombre des habitants a doublé.
C'est, avec Saint-Pétersbourg, la seule ville de la Russie où l'on ait publié
une statistique détaillée do la population'.
L'espace occupé par Kiyev, sur la terrasse qui se dresse de 100 à 150 mè-
tres au-dessus du fleuve, sur les pentes des collines et la lisière de ter-
rains qui s'étend à leur base, est d'environ 50 kilomètres carrés. Les mai-
sons se suivent le long du fleuve, ou à quohpie distance de ses eaux, sur
une longueur d'environ dix kilomètres ; non réunies partout en quartiers
' Population de Kiyev en 1874 : 127 201 (Juifs, 10,53 pour 100; Polonais, C,ll pour 100).
Sachanlliic et écrire. . . . 575 pour 1000. j Parlant la langue lillérairo . . 40, ".2 p. 100.
Sacliant lire GS » | i. Ip pclil-russien. . . . 50,20 ><
lynoranls. . £50 s | > le patois grand-russien. 0,91 i>
.> lo blanc-russien . . . 1,51 h
ri
KIYEV.
527
compacts, elles sont du moins assez rapprochées les unes des autres pour
que les divers quartiers de la ville forment un ensemble cohérent. Cepen-
dant de vastes terrains sont encore inoccupés par les constructions ou bien
il ne s'v trouve d'autres demeures que de véritables trous creusés dans la
terre ou des masures d'argile'. Quelques avenues ont la largeur de places;
^-^0^»g^^\\ ^\'^
Dessin de Ronjat, d'après une pliotognplii
des massifs de peupliers croissant çà et là sur les pentes contrastent par
leur verdure avec l'or des coupoles. Sans s'accroître à l'extérieur, la ville
peut recevoir encore le double et le triple de sa population actuelle en
recouvrant de maisons les terrains vagues. Chacun des quartiers a sa
physionomie particulière. En bas, Podoi, voisine du fleuve, est la ville (hi
' Constructions de Kiycv en 1874 : 0 807.
Pâtimcnls en bois 04,68 p. 100. 1 lîàllmcnts cm pierres. 1-2
• bois et en pierres. 14,75 » ] > argile .... 8,0'
100.
528
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
commerce et de l'industrie ; elle occupe, dans une vaste échancrure du
plateau, la partie méridionale de la plaine dans laquelle la Potchaïna vient
s'unir au Di'iepr, et que domine au nord la colline de Vîcligorod, où saint
Yiadimir avait son harem. Au sud de Podoi, le plateau, découpé par trois
profonds ravins perpendiculaires à la direction du fleuve, se rapproche des
Ea-t de Greenwich 30°5S
Lapres 'Xtat-Maior et J;
licrges, et ses escarpements finissent par se confondre avec elles. Los ravins
divisent ainsi la ville on quartiers distincts.
De tous ces promontoires qui se succèdent du nord au sud, le troisième
se tormini! le plus fièrement au-dessus du fleuve, et sur la pointe même
so dresse un des édifices religieux les plus célèbres de la ville, l'église de
Saint-André. La cathédrale, Sainte-Sophie, située sur le même fragment
du plalcau, mais au ceiilie du (piarlier aj)pelé Staiiy Kiyev ou le « Vieu\
Ki\e\ », est en eft'el, avec la « l'orle d'Or » voisine, l'un des plus anciens
KIÏEV. 331
monuments de la Russie en quelques-unes de ses parties, qu'épargna le feu
lors de l'invasion de Batou-Khan : on en remarque les assises de briques
et de pierres, quelques mosaïques et des fresques grecques; mais la plupart
des peintures ont été restaurées ou plutôt refaites. La belle rue de Krech-
Ichatik, l'une des plus élégantes de la ville, occupe le ravin qui sépare la
terrasse de Sainte-Sophie de celle de Lipki ; puis au delà vient Petchersk,
promontoire méridional où s'élèvent le monastère et le groupe d'églises
de la ■Eavra, considéré comme le lieu saint par excellence de la Russie,
parce qu'il domine l'endroit oîi furent baptisés les premiers Russes. Dans
l'intérieur du promontoire se ramifient de nombreuses galeries, dont l'ori-
gine est peut-être analogue à celle- d'autres cavernes, situées au nord, où
l'on a trouvé des restes de l'âge de pierre'; toutefois elles ont été, du moins
en partie, creusées par saint Hilarion et d'autres cénobites, et sont chan-
gées depuis des siècles en chapelles, en églises souterraines, en niches
enfermant des sarcophages : les couches sablonneuses qui s'étendent dans
l'épaisseur du plateau entre deux strates d'argile, et dans lesquelles s'ou-
vrent toutes ces excavations, conservent les cadavres qui y ont été déposés
et dont la piété populaire a fait des corps de saints. On raconte que des
fanatiques se sont enfermés dans les catacombes pour y mourir d'inanition
loin du monde profane. Un des tombeaux est celui du moine Nestor, qui
vécut dans le cloître et y écrivit sans doute une partie des annales qu'on
lui attribue. La Lavra est un lieu de pèlerinage très fréquenté, aussi bien
par les Grands-Russiens que par les Petits-Russiens : 500 000 personnes
\iennent se prosterner chaque année devant ses tombeaux et ses images,
et lors des grandes fêtes, surtout à la Trinité et à l'Assomption, on voit
des milliers de pèlerins se presser aux portes du monastère : trop nom-
breux pour trouver place dans les immenses dortoirs des auberges conven-
tuelles, ils couchent dans les cours et sur les routes : pendant la nuit
du 15 août 1872, on en a compté 72 000, étendus sur la terre nue. Lors-
qu'une épidémie règne dans le pays, elle est apportée à Kiyev, cette Mecque
des orthodoxes grecs ; elle y fait autant de ravage que le choléra parmi les
hadjis, et de là est reportée dans toutes les parties de la Russie. Pendant les
années de disette, le nombre des pèlerins augmente : une visite à la sainte
-Lavra les autorise à mendier le pain qui leur manquerait chez eux.
D'anciennes fortifications protégeaient la Lavra; elles ont été a«:randies
par des ouvrages réguliers qui entourent toute la colline. La ville même
de Petchersk a été détruite presque entièrement pour donner place à la
' Anionoviich, Rapport de la société hittorique de Nestor, I.
532 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
cité militaire. L'enceinte de la vieille Kiyev a été démolie au contraire, et
c'est là que se développe la ville moderne ; d'après des projets auxquels
on n'a pas encore donné suite, des forts devront s'élever à l'endroit où se
trouvent l'université, l'observatoire et d'autres grands édifices; en atten-
dant, on a construit des forts sur les hauteurs qui dominent la ligne du
chemin de fer et la vallée de la i-îbed. L'université de Kiyev, transférée de
Vilno dans cette ville après l'insurrection polonaise de 1851, ne peut rece-
voir qu'un cinquième d'étudiants catholiques; elle est toujours la troisième
do la Russie, quoiqu'elle ait beaucoup perdu, une première fois, lors du
dernier soulèvement de Pologne, auquel prirent part les étudiants de cette
r.ation qui se trouvaient à Kiyev, puis en 1878, lorsque 140 étudiants
furent exilés pour cause politique; en 1884, tous les cours ont été sus-
pendus. Quelques-unes des collections de l'université, principalement celle
d'histoire naturelle, sont riches et bien classées, et la bibliothèque est des
plus précieuses, grâce aux dépouilles de Yilno et du lycée de Kremenetz,
que des seigneurs polonais avaient enrichis de cadeaux : l'histoire de la
Renaissance, celle de la Réforme et des guerres religieuses y sont repré-
sentées par des ouvrages de la plus haute valeur; les archives renferment
aussi des documents uniques sur l'histoire de la Petite Russie. Depuis 1878,
les professeurs y font des cours supérieurs pour les femmes. Avant la fon-
dation de l'université de Kiyev, la plus haute école de la ville, possédant
aussi bibliothèque et musée, était l'académie ecclésiastique, située près du
fleuve, à l'entrée du quartier de Podol : des élèves y sont encore envoyés de
toute la Slavie méridionale, de Serbie et de Bulgarie '.
Outre ses églises et ses écoles, Kiyev n'a point de monuments, si ce
n'est la statue de saint Vladimir et la colonne qui rappelle le baptême de
son peuple, en 988, dans les eaux de la Polchaïna. Car à celte époque
le Diiepr ne coulait pas au pied des collines de Kiyev ; il passait beaucoup
plus à l'est, là où se voit maintenant la coulée de Tchertorîy ou de « Fosse
du Diable » ; il ne se réunissait à la Potchaïna qu'à la base du promon-
toiie de Petchersk. Actuellement le Dnepr tend à rentrer dans son ancien
lit. et depuis une vingtaine d'années les ingénieurs travaillent à lui fermer
le passage au moyen d'endiguements. Il importe de conserver à tout prix
le lit du fleuve au quartier industriel et commerçant de Podol, à ses
dépôts de bois, de céréales, de sucre de betteraves, à ses manufactures
diverses et à ses chantiers. Deux grands ponts sont construits en aval de
' rinvcTsilé lie Klyov au 1" janvier J883 : Éludiants, lill. Ribliotlu'quc, tGOOOO volumes.
Juifs, IG |>our 100 b l'ioiversitc; 11 pour 100 daus les écoles sccoadaircs; 25 pour 100 dans les
lycées de filles.
KIYEV, WLLÊE DE LA ROS. 533
Kiycv. Le plus haut, pont suspendu qui a peu de rivaux en Europe, s'en-
racine dans la berge à la base de !a tavra et forme six travées ayant
ensemble 800 mètres de longueur. Le nouveau pont du chemin de fer
passe à ô kilomètres plus au sud. Comme port d'expédition pour les cé-
réales, Kiyev a moins d'importance que le village de Rjichtchev, — ainsi
nommé du mot Roj ou seigle, — situé plus bas sur la même rive du fleuve.
La ville la plus voisine de Kiycv, Yasilkov, est à. moins de 40 kilomètres
au sud-ouest, sur la Stougna, petit affluent occidental du Dnepr : c'est éga-
lement une ville ancienne, fondée au dixième siècle. Un tiers des habitants
sont des Juifs, proportion moindre que dans la plupart des autres villes
du gouvernement de Kiyev, à l'ouest du Dnepr. A Skvira, sur un des hauts
affluents de la Ros, ils forment la moitié de la population; à Tarachtcha,
dans le même bassin, ils sont plus du tiers et ont presque entièrement
monopolisé certaines industries, la cordonnerie, la fabrication des vête-
ments, la construction des maisons. Délaya Tzerkov ou « Blanche Eglise »,
sur la Ros, fut une des capitales des Cosaques, et le hetman Khmelnitzkiy
y signa en 1651 le second traité par lequel la Pologne reconnaissait l'auto-
nomie de rOukraïne. Ville fort commerçante, où se fabriquent des machines
agricoles, Bél'aya Tzerkov est le centre de vastes propriétés seigneuriales
dont le château possède de précieux documents historiques. Toute la plaine
entre la Stougna et la Ros est fameuse dans l'histoire de la contrée par les
batailles qui s'y sont livrées entre Russes et Koumancs, entre chrétiens
et mahomélans, entre Tartares et Polonais ; les princes russes, depuis
saint Vladimir, y établissaient les tribus turques ou même tchoudes qu'ils
avaient vaincues : les noms géographiques témoignent de l'existence de
ces colonies. Des centaines de kourgans, élevés sur les hauteurs qui
dominent la Ros, rappellent les chefs innommés qui sont tombés dans les
combats. Au sud de la Stougna se voient les restes d'anciennes forti-
fications élevées contre les Pol'ovlzes ou Koumanes. Ces retranchements
sont connus sous le nom de « Fosse du Serpent » {Zmiyev Val) : d'après
la légende, un dragon attelé à la charrue d'un saint ou d'un héros au-
rait creusé la fosse qui longe le rempart : partout où l'on remue la
terre dans les villes de cette contrée, notamment à Korsoun et à Kanev,
on trouve des ossements humains, laissés là lors des assauts et des massa-
cres. C'est un peu au-dessous de Kanev, sur une colline dominant le Dnepr,
que s'élève le tombeau du poète Chevlchcnko, né dans le voisinage.
De l'autre côté du Di'iejjr, dans le gouvernement de Pol'tava, la rivière
de Troubej traverse aussi l'une des contrées les plus célèbres de la Petite
Russie. Pereyas-iav, située au confluent du Troubej et de l'Alfa, fut, dit-on,
554
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
fondée par saint Vladimir sur le champ de bataille où il avait vaincu les
Petchénègues ; depuis cette époque elle devint l'avant-poste de Kiyev, la ville
où se réunissaient les armées pour combattre les nomades du sud. Pendant
N° in. PEBEÏASLAV.
E d P sa 55
EdeG. 51» 15'
o'après le Corto de l'Etat-Major
les guerres des Cosaques, Pereyasl'av fut aussi l'un des principaux centres
d'opération, et c'est là que Bogdan KluneJnil/kiy et l'assemblée des Cosa-
ques décidèrent, en 1G54, de se mettre sous le protectorat du tzar Alexis.
La rivière était navigable autrefois, ainsi qu'en témoigne une ancre re-
PEREVASLAV, KRItOV. 533
cueillie dans les alluvions du Troubej ; maintenanl le port de la ville a dû
être transféré à 7 kilomètres à l'ouest, au village d'Androussî, situé sur
un méandre du Driepr. Plus au sud, Zolotonocha, également éloignée du
fleuve, doit aussi faire transporter ses denrées jusqu'au Dnepr au moyen
de chars. Le port principal de cette partie du fleuve est l'antique Tclier-
kasî, qui prétendait avoir été fondée par les « Tcherkesses » et qui donna
ce nom aux Cosaques du Diiepr ; elle est située sur un promontoire de
la rive droite, que rongent les eaux. Tchigirin, sur le Tasmin, au pied
d'un coteau de roche meulière, était également l'une des capitales des
Cosaques, et mieux encore que Tcherkasî, elle était défendue par de vastes
marécages : à l'est, le Tasmin se réunit au Diiepr par un lacis de fausses
rivières errant dans le bassin d'un lac disparu, où l'on a trouvé des restes
d'embarcations'. Les forêts à demi noyées de ces terres basses ont peut-
être servi de retraite à des tribus de Mordves et delvhazars, ainsi que
semblent l'indiquer des noms de villages ; mais il est certain que pendant
les temps historiques elles donnèrent asile aux Cosaques, et c'est à grand
peine qu'on pouvait essayer de les y poursuivre. Un village de la contrée,
Soubotov, renfermait dans son église le tombeau de Bogdan Khmel'nitzkiy,
détruit par les Polonais.
Un des passages les moins incommodes à travers cette région marécageuse
se trouvait non loin de la bouche du Tasmin, là où de fréquentes inonda-
tions du Diiepr ont exhaussé le fleuve par le dépôt de sables et d'argiles :
aussi de fréquentes batailles eurent-elles lieu entre Polonais, Cosaques et
Tartares pour la possession de ce point stratégique. Les Polonais y élevèrent
la forteresse de Krîlov, qui fut déplacée plus tard et à laquelle on donna,
en 18'21, le nom de Novo-Georgiyevsk ; mais la ville est toujours connue par
le peuple sous son ancienne appellation. Sur la rive gauche du Diiepr, en
face de Novo-Georgiyevsk et des marais du tasmin, est la ville de Gradijsk
(Ilorodichtchc), dont le port, comme celui de KiM'ov, fait un commerce
assez considérable de bois et de bétail. Il n'est pas un village, de Vasilkov
à Tchigirin, qui ne soit nommé dans l'histoire des insurrections popu-
laires du dix-septième et du dix-huitième siècle. Maintenant c'est là que
s'étendent les plus grands domaines de l'aristocratie russe et polonaise,
avec leurs palais et leurs fabri(jues de sucre de betterave. Un chemin de fer
spécial avec des embranchements vers le Diiepr relie ces fabriques aux
principales villes d'entrepôt.
'• Sclimidl, Matériaux pour la géographie et la slalisliqiie de la Russie, qouvcrnemenl de
Khcrson (>;n russe).
536
iNOLYELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Dans le bassin de la Soul'a, qui comprend une grande partie des régions
occidentales de la province de Pol'tava, se trouvent plusieurs villes de quel-
que importance, pour la plupart environnées d'arbres fruitiers et de plan-
tations de tabac. Nedrîgaïl'ov ou Drigaïl'ov, près des sources de la rivière,
est une ville fondée au commencement du di.\-septièrae siècle par des
fugitifs oukraïniens. Romnî, également dans la haute vallée, est surtout un
lieu de commerce ; dans ses foires, connues depuis le siècle dernier, se
vendent des marchandises pour une valeur de 8 millions de francs, et des
centaines de ses habitants émigrent chaque année pour aller exercer quelque
N° 118. MAIHH rr TASMIX.
E.d.
petit trafic dans les provinces environnantes ; Lokhvitza, située plus bas sur
la Souia, Pril'ouki et Piratin, sur l'Oudaya, affluent occidental de la Sonia,
ont surtout, comme Romnî, leurs chamjjs de tabac ; Loubnî, en aval du
confluent, est une ville riche an tanneries, en jardins et en vergers.
La rivière Psoi, qui rejoint le Dnepr un peu en aval de Krementchong,
est plus abondante que la Souïa et traverse les trois gouvernements de
Koursk, de Khaikov, de Poltava, dans son cours de "TtO kilomètres.
Olchanka, près de sa source, distille des eaux-de-vie et fabrique de grandes
quantités de bottes; Oboyai'i est un marché agricole de quelque impor-
tance, expédiant des grains et du bétail à Moscou, Kherson, Odessa, Plus
I
ROMNI, KREMENTCUOL'G.
537
bas se succèdent Soudja, à une petite distance au nord de la rivière;
Miropolye, Soumî, une des villes commerçantes de l'Oukraïne, échangeant
à ses foires des denrées pour une valeur de 10 millions de francs; Lcbedin,
où Pierre le Grand fit ses préparatifs avant la bataille de Pol'tava et où
son ami Menchikov égorgea, dit-on, 900 personnes, dont on voit encore la
la haute butte funéraire, appelée le tombeau des Hetmantzî. Gadatch
est une ancienne ville fortifiée où se conclut, en 1658, le traité d'union
fédérale entre l'Oukraïne et la Pologne. Plus bas est Rachovka, siège prin-
X° 119. KBEMEMCHOrG.
ii-.O t.deP
Isp-esIsCsr^edel V
cipal des associations de colporteurs petits-russiens, et près de là est
Sorotchintzi, lieu de naissance de Gogol. Sur des affluents du Psol s'éltv
vent, à l'est Zeiïkov, à l'ouest Khorol et Mirgorod, en partie peuplée de
tchoumaks.
Le marché de la partie inférieure du Psol et le centre comnu-rcial di'
toute la Pclilc Russie est la cité de Kremcntchoug, l'une des principales
étapes de la navigation sur le Dûepr et la rivale de Pol'tava par le nombre
des habilanls : au printemjis, la population est doublée, à cause du cliai-
gemenl et du transbordement des marchandises ; on compte alors jusqu'à
70000 personnes dans la ville et dans son faubourg de Kroukov, situé
*• 08
55S NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
sur la rive droite du Diiopr. Les grands magasins de sel appartenant à la
couronne, des entrepôts de bois et des chantiers de construction occupent
une grande partie de la berge de Ki'oukov. L'industrie de Krementchoug
alimente en partie le commerce local : fabriques d'équipages, de machines
agricoles, tanneries, scieries à vapeur, manufactures de tabac, livrent
chaque année des produits pour une valeur de plusieurs millions de francs.
On voit encore à Krementchoug quelques restes de la forteresse qu'y éleva
l'ingénieur Beauplan en 1655 ; mais le monument le plus remarquable de
la ville, et en même temps l'une des merveilles de l'art industriel en
Europe, est le pont-tube, de 958 mètres de longueur, sur lequel passent
les trains de chemins de fer de Kharkov à Bal'ta. En outre, un pont de
bateaux réunit la ville à son faubourg. Au printemps, la ville est quelquefois
presque complètement inondée; les incendies la ravagent aussi fréquem-
ment; ville provisoire, elle se rebâtit sans cesse, plus grande chaque année
et d'aspect toujours maussade.
La rivière de Vorskla, moins longue que le Psol', dont elle reproduit
«Tailleurs presque exaclemeul les sinuosités, coule aussi dans les trois
gouvernements de Koursk, de Kharkov, de Pol'tava. Elle passe d'abord à
Graïvoron, puis à la ville d'Akhtîrka, visitée par les pèlerins, et reçoit le
Merl, qui vient d'arroser les campagnes de Bogodoukhov et de Krasnokoutsk.
l'oltava, chef-lieu du gouvernement de son nom, est située sur la rive droite
de la rivière, au confluent du ruisseau Pol'tavka, vers le point de conver-
gence de toutes les vallées supérieures. Déjà mentionnée au douzième siècle,
cette ville fut, comme toutes celles de la steppe, le témoin de combats et de
massacres ; mais son nom ne retentit en Europe qu'après la sanglante ba-
taille de 1709, oii Charles Xll, le « dernier des Varègues », vint terminer
sa course de météore et où la Russie, cessant, pour ainsi dire, d'être un
Etat asiatique, -prit rang parmi les puissances européennes. Divers monu-
ments érigés dans la ville et sur le champ de bataille rappellent la défaite
des Suédois. Poltava ne grandissait que lentement, vers le milieu du siècle,
lorsqu'une foire importante y fut transférée : depuis ce temps, la ville
progresse avec rapidité, et de vastes espaces, jadis occupés par des jardins,
se recouvrent de constructicMis. La foire, oîi se font en moyenne des échanges
pour une valeur de 50 à GO millions de francs, est fréquentée surtout par
les négociants en laines : il s'y vend aussi beaucoup de chevaux, que l'on
amène par troupes des bords du Don. Les Juifs ont une forte part de l'in-
dustrie et du commerce de Poltava en leurs mains, et des colons alle-
mands nul introduit dans le pays la fabrication des draps et des couver-
tures. L'industrie des tissus a pris aussi une certaine activité dans la ville
KREMENTCHOUG, POtT.VVA. ôô!)
(le Kobeîaki, située en aval de Pol'tava, à peu près à moitié chemin du
Diîepr. De même, les colons allemands qui peuplent les campagnes aux
environs de la ville moderne de Konstanlinograd, dans la vallée de l'Orcl,
s'occupent de la fabrication de draps pour l'armée.
Une autre ville de fondation récente, Yekaterinosl'av ou la « Gloire de
«1» IW. I"I[T(VA.
Catherine », est devenue pendant ce siècle un centre de quelque im]ior-
lance, grâce aux faveurs administratives, qui en ont fait un chef-lieu de
gouvernement ; un pont de chemin de fer à 15 arches et à deux étages, l'un
pour les trains, l'autre pour les voilures et les piétons, y traverse le Di'iepr •
c'est l'un des plus longs d'Europe; il a 1208 mètres. Près de l'emplacemeiil
où s'élève la ville, l'ingénieur Beauplan avait fondé pour la Pologne en 1G5.'»
le fort de Koïdak, que détruisirent les Cosaques. Le village de Novo-
540 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Koïdak remplaça le fort, mais en 1784 la population locale n'atteignait
pas même 450 habitants. C'est près de là, à 7 kilomètres en aval, que
Potomkin fonda, deux années plus tard, en l'honneur de Catherine II, la
cité dont il voulait faire la capitale de la Nouvelle-Russie. La situation de
Yekaterinosi'av, au grand coude du Dnepr, en amont des rapides, est fort
heureuse : c'est à peu de distance au sud, à Lotzmanskaya Kamenka, que
doivent s'arrêter les barques et les radeaux pour prendre des pilotes ou
transborder leur chargement, et presque en face de la ville débouche la
rivière de Samara, que les seuils de granit de la contrée ont changée en un
vaste marécage dans toute sa partie inférieure, entre Pavlograd et Novo
Moskovsk, le Samarlchik des Zaporogues. Ces villes, modernes comme
Tckaterinoslav, ont remplacé des stations de Cosaques. En 1785, Pavlograd
reçut une colonie de soldats corses cherchant un asile depuis qu'ils avaient
dû, trois années auparavant, capituler à Port Mahon devant les Espagnols.
En aval des rapides, Alexandrovsk, fondée en 1770 sur la rive gauche du
Dhepr, en face de l'ile fameuse de Khortitza, est le port où s'arrêtent les
embarcations, après la traversée parfois dangereuse des porogs, et le point
de départ des caravanes de commerce qui vont apporter des céréales au port
de Berdansk, sur la mer d'Azov : un chemin de fer doit remplacer prochai-
nement la route des steppes. En aval d'Alexandrovsk, le fleuve commence
à prendre la direction de l'ouest ; la Konskaya, venue d'Oiekhov, qui se
déverse en cet endroit dans le Dhepr, fut longtemps la frontière des Zapo-
rogues et des Tartares. De vastes marécages, des bancs de sable, des méan-
dres changeants du fleuve, souvent inondés, rendent le Dnepr très difficile
à franchir dans cette partie de son cours : aussi la ville de Mkopol, jadis
connue sous le nom de Mikllîn Perevoz, a-t-elle pris de toute antiquité une
certaine importance, parce qu'elle se trouve sur un promontoire de la
rive droite, au-dessus d'un étranglement de la vallée; mais elle doit
fuir sans cesse vers la steppe, les érosions du fleuve emportant chaque
année des pans de la berge sur laquelle elle est située' : on a vu les
tombeaux du cimetière s'écrouler ainsi dans le fleuve avec les ossements
qu'ils renfermaient. C'est vers Nikopol que se dirigeaient et que se diri-
gent encore les chemins qui traversent le fleuve pour gagner Znamenka,
sur l'autre rive : là passaient les tchoumaks allant s'approvisionner de
sel dans la Crimée, et les petits navires de cabotage rcmonlent le Dnepr
jusqu'à cet endroit. In peu en aval se voient, sur la rive septentrionale du
Dhepi-, deux des emplacements où s'établit la sitch des Zaporogues : dans
' Tclmujbinskiv, Visite ii la Russie du sud (en russe).
yEKATERINOSi,AV, MKOPOL.
5il
la plus ancienne sitch, qui existait depuis le seizième siècle et qui fut
détruite par l'ordre de Pierre le Grand en 1709, la berge a été rongée par
le courant, et les îles voisines, diminuées d'un côté, agrandies de l'autre,
ont pour ainsi dire voyagé sur le fleuve'. C'est de Nikopol que l'on pari
d'ordinaire pour aller visiter au nord la Tolstaya Mogil'a, le « Gros Tom-
beau » des Scythes, où l'on a trouvé un vase précieux, de ti-avail presque
lîl, MKOPOL, ANCIENNE ET NOUVELLE SITCM.
\ ;r-^o
GO.'Znamenke
ilapresla Carte dslLtat Mo,
.Tertres o Puits -Métairies.
hellénique, représentant la ca])ture de chevaux sauvages. Berislav ou Boris-
■Fav, situé sur la même rive du Diiepr que Nikopol, a des avantages ana-
logues : avant qu'un bateau à vapeur ne transportât les fchoumaks et leurs
convois, 70 grands bateaux à rames traversaient régulièrement le fleuve
entre Beris'l'av et son faubourg de Kakhovka. Pendant la guerre de Crimée,
on fit passer en cet entlroit la plus grande partie des troupes et des con-
vois d'approvisionnements. Berislav était jadis une place forte des Tartares,
' Tthoujbinskiy, ouvrage cilc.
542
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
N" 15Î. t\
connue sous le nom do Kizî-Kerman, et l'on dil que des chaînes de fer y
étaient tendues en travers du fleuve, large de 4 kilomètres pendant les
inondations. En 109G, cette forteresse fut prise par Pierre le Grand.
La rivière d'Ingouletz, dans laquelle des érudits ont vu le « Gerrhus »
d'Hérodote, se déverse dans le Dricpr en amont de Kherson; elle eut de
tout temps une grande importance commerciale et stratégique, parce
qu'elle coule à peu près en droite ligne du nord au sud, du confluent du
Tasmin au liman du Dnepr et
permet d'éviter ainsi le long
détour du fleuve j)ar les ca-
taractes et les marécages du
cours inférieur. Il n'y a pour-
tant qu'une seule agglomération
de 10 000 habitants dans ce
bassin, dont une grande partie
avait été jadis changée en désert
pour éviter les incursions des
Tartares. Cette ville est Alexan-
driya, fondée au dix-huitième
siècle sous le nom de Betcha,
sur le haut Ingouletz. Vers le
milieu du cours de cette rivière,
au confluent de la Saksagana
appelé Krivoï Rog ou « Corne
llccourbéc », on a récemment
découvert des gisements de fer
d'une grande puissance. Le mi-
nerai, contenant de 48 à 70
pour 100 de métal pur, ne ren-
t 1. ,., ferme que des traces de soufre
0 10 kil. 1
et de phosphore : d'après l'ingé-
nieur Kontkevilch, ce minerai serait le meilleur de toute la Russie,
préférable même à ceux de l'Oural. Mais tant qu'un chemin de fer ne
réunira pas ces gisements aux mines de charbon du Don, il sera impossible
do les utiliser, à cause du manque absolu de bois dans la contrée. La con-
tenance des lits déjà reconnus est d'au moins 150 millions de tonnes.
Alechki, sur la rive méridionale du fleuve, était l'ancien port maritime
du bas Di'iepr : dès le dixième siècle, elle était l'entrepôt des Grecs pour
leur commerce par Kiyev avec les « Yarègucs ». C'était la ville d'Olechye,
ALECHKI, KHERSON.
5i3
nom dont les Génois firent ensuite Elice, qui s'est graduellement raodiCé,
mais dont le sens primitif, la a Boisée », est le même que celui de l'IIvlea
d'Hérodote; d'ailleurs, tout vestige de forêt a depuis longtemps disparu de la
contrée. Chassés en 171 1 de leur campement situé au confluent duDnepr et
de la Kamenka, les Cosaques Zaporogues s'établirent près d'Alechki,qui
faisait alors partie des possessions des Tartares de Crimée, mais en 1755,
dès qu'ils eurent pu s'entendre avec le gouvernement russe, qui avait
ordonné d'abord de pendre cliaque Zaporogue pris dans ses domaines, ils
quittèrent s le pays des infidèles » pour fonder la « nouvelle sitch ». Alechki
MltRSOX ET LR BIS DNTPB.
Ospre) >a Carte dp ' &;ai '•'ai^r
.Tertres •Métairies; «B^rge'-ie»
1 ; ^73000
0 10 kll.
est une annexe commerciale de Khcrson, située presque en face sur la rive
droite du Di'iepr, à H kilomètres de distance; elle lui expédie du bétail.
des céréales, des cuirs, des fruits, et des pastèques fort appréciées dans
tout le midi de la Russie.
Khcrson, chef-lieu de l'un des gouvernements les plus populeux de la
Russie, est bien inférieure en population et en commerce à la cité d'Odessa :
l'Ile est même dépassée par Nikolaycv, le port du Boug; mais, comme gar-
dienne de l'entrée du Dnepr, elle ne pouvait manquer de retenir une partie
notable des échanges de la Russie méridionale. Toutefois la barre, les îles,
les bancs de sable empêchent les gros navires de remonter jusque-là : ils
doivent s'arrêter à 41) kilomètres à l'ouest de Kherson, dans le iiman. En
544
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
fondant Kherson à la place du fortin d'Alexandr-Chantza (Âlexander-
Schantze en allemand) et en lui donnant son beau nom grec, Potomkin
comptait pour cette ville sur un avenir plus glorieux et plus prospère : il
n'y reste plus qu'un petit nombre d'Hellènes, quoique la première popula-
tion se composât presque uniquement d'immigrants de cotte nation. Elle
fait un assez grand commerce d'exportation, surtout pour les bois, les
céréales, les cuirs ; mais une forte part de son trafic consiste en expédi-
tions de cabotage vers Odessa : cette ville lui envoie aussi les marchan-
dises étrangères'. Une partie des anciennes fortifications de Kherson subsiste
Villes (lu bassin du Dnepr. en aval du confluent de la l'ripel, ayant plus de 5000 habitant^ :
GOlVF.RXliMENT DE VOLIMi;.
Jitomir (1880) 54-250 liah.
r.OlVERXEME.M d'oROL.
Rfansk (1883). ... . 16400 hab.
Sevsk
Dmitrovsk
Tioubeb.ivsK
8 GOO »
6 550 1.
5 -JOO 1.
GOUÏERNEMEXT DE KOIRSK.
Koursk,enl875 ....... 51 750 hab.
Miropolve
Rîlsk
Oboyuii
Poutivi
Falej
10 750
9 450
8 200
7 050
5 550
GOIVERXEJIEM DE TCIIERMCOV.
Ncjin
Slarodoub
KoDOtnp
Tchcrnigov
Gtoukhoï
Borzna
N'ovgorod-Scverskiy
Bcrezna
Krolevelz
(1880).
50 500
25 900
19 500
19 000
10 500
1 1 750
10 850
10 850
0 700
GOLYERNKMEM DE KIVF.V.
Kiyev (1884) . . . .
Ilerdilchcv (1880).
Iloi.iva Tzerkov h
Vasilkov
Tcherkasî
Skvira
Taracblilii
Tchi^irin
Kariev
RaduinÎ!.!
bab.
:?)b.
GOl'VERXEMENT DE TOLI.HA.
Kremenlehoug et Kioukov(188l).
Pollava (1881). . . . .
Pereyaslav ...
! Kobe'iaki
I Piiiouki
Romnî
j ioubni I .
I -Lokbvitza II ... _
Gadatch r
i ZenkoT 11 ......
I Gradijsk «
! Mirgorod
Zoiotoaocba »
Pii-alin n
Khorol 11
46 650
41 050
13 350
15150
15 100
12 550
9 850
9 550
9 250
8 360
7 850
7 750
7180
5 400
5170
OOUVKRXEMEM DE KIURKOV.
.\khtirka
Lebedin
Soumî
I Belopolyc
Rogodoukhov
I .Nedrigaïlov
! Kiasnokoulsk
(1882).
25 220 liab.
18 000 11
14 650 11
12 600 II
10 250 )i
6 750 i)
a 750 i>
GOUVERNEMENT DE YEKATERISOSL.VT.
Yekaterinosiav (1881) 58 700 bab.
Novo-Moskovsk » 15 550 »
Pavlograd n 14 200 "
.Mkopoi ..... . 9 700 1,
GOUVERNEMENT DE KHERSON.
Khoison (1885) 60 020 hab.
Alcxandriya » 16 150 »
Reiisiav d 10 050 »
.N'ovo GeorgijeTsk (Krîlov) (1881) 8 150 n
COUVERSKME.M DE I.ll'RIPE.
Alerliki(1881) 8 950 bab.
Oi-ekhov » 6 750 •>
RHERSON, MEDJIBOJ, BRATZLAV. 545
encore. On se rappelle l'inscriplion que Catherine II put lire sur l'une
des portes en construclion : « C'est ici le chemin de Constantinople, »
La Podolie appartient en entier aux bassins du Boug et du Dnestr, et la
[)hipart de ses villes sont situées sur le cours ou dans le voisinage de ces
lleuves. Proskourov, environnée de hautes collines, est dans une campagne
marécageuse où sourdent quelques ruisseaux qui vont se jeter dans le Boug
naissant et où se trouvent des colonies de Polonais connues sous le nom
général de Mazures ; Medjiboj ou Entro-Boug, ainsi nommée parce qu'elle
est bâtie entre le Boug et son affluent le Boujok, est aussi en partie défendue
par des marécages, qui ont fait choisir cet endroit stratégique comme point
de rassemblement des troupes russes près de la frontière autrichienne.
Plus bas, sur le Boug, vient Letitchev, l'une des villes de Podolie les plus
souvent ravagées par Polonais et par Cosaques. Khmelnik ou la « Hou-
blonnière » est entourée en effet de champs de houblon ; au delà se
succèdent dans la vallée du Boug la riche Vinnitza, qui fut au dix-septième
siècle le chef-lieu d'un des régiments de Cosaques les plus ardents pour
leur liberté, et Bratzlav la juive, autrefois capitale d'une grande province
polonaise. Litin est à l'ouest de la rivière, au pied d'une haute colline, et
plus loin, au sud-ouest, dans la vallée du Rov, s'élève la fameuse Bar où
se forma, en 1708, la confédération qui, en protestant contre les conces-
sions faites aux dissidents, devait amener par contre-coup la ruine définitive
de la Pologne. A l'est, la petite ville de Lipovetz, dans le gouvernement
de Kiyev, rappelle les Tartares-Lipans, qui séjournèrent longtemps dans
le pays. La rivière Sob, passant à Lipovetz, est un affluent du Boug, qui
dans sa partie inférieure arrose les campagnes d'une ville plus populeuse,
Gaïsin ou Ilaïsin. La Sinoukha, le principal affluent du Boug et jadis fron-
tière des « franchises Zaporogues », naît aussi dans le gouvernement de
Kiyev et reçoit ses eaux des districts de Zvenigorod et d'Ouman. Celte der-
nière ville, fort commerçante, est celle où, pour se venger des confédérés
de Bar, les Cosaques et les paysans petits-russiens firent en 1768 un mas-
sacre général des Polonais et des Juifs réfugiés dans la place : acluellemenl.
les Israélites y sont plus nombreux que jamais. La ville de Novo-Mirgorod,
ancienne colonie des Cosaques de Mirgorod, puis centre de la Nouvelle-
Serbie, est sur un affluent oriental de la Sinoukha.
La ville de Balta, située à peu près à moitié chemin du Dnestr et du
Boug, mais sur un affluent de ce dernier fleuve, a pris beaucoup d'im|)or-
lancc dans ces dernières années comme station où se bifurquent les che-
mins de fer d'Odessa à Breslau et d'Odessa à Moscou. Il s'y fait un grand
commerce de bétail et de denrées agricoles, auquel participent les villes
T. OU
5i6 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
d'Oigopoi au nord et d'Ananyev au sud, et qui se dirige presque on entier
sur le port d'Odessa.
En entrant dans le gouvernement de Khcrson, le Boug, uni à la Siiîou-
kha, baigne Olviopol, puis serpente à travers la steppe. La ville de Yozne-
sensk, près de laquelle se font les grandes manœuvres de cavalerie, occupe
une pointe de la rive gauche, au confluent de « l'Eau Morte » ou Mertvo-
vod. Le Boug s'élargit peu à peu et se change en liman, bien avant
de s'unir à son principal affluent, l'ingouï, dont le bassin renferme les
deux villes importantes de Yelisavelgrad et de Bobrinetz. Yelisavetgrad
n'était au siècle dernier qu'une simple forteresse et une petite colonie de
fuyards raskolniks ; mais, de même que l'Ingoulf tz, l'Ingoul' offre au com-
merce l'avantage do descendre en ligne droite du nord au sud et d'abréger
ainsi la distance entre le Dnepr moyen et le liman du fleuve. Yelisavetgrad,
devenue la principale étape du trafic entre Krementchoug et Odessa, s'est
développée avec une rapidité tout américaine : on est étonné de voir ces
blocs de maisons surgissant comme par enchantement du milieu de la
steppe. Depuis quelques années, on exploite dans les environs des gisements
de lignite.
^îikoïayev est située un peu en amont du confluent du Boug et de l'Ingoul,
sur les deux bords de cette rivière, déjà changée en liman par l'influx des
eaux marines. Elle est également une de ces villes à croissance rapide ;
mais c'est aux faveurs du gouvernement que ^"ikol'ayev doit la meilleure
part de sa prospérité. L'État en a fait depuis 1789 sa principale station
navale sur le versant de la mer ^'oire. Tandis que la force d'attaque
était réservée à Sébastopol, Mkol'ayev, bâtie dans l'intérieur, à une cer-
taine distance du littoral, reçut le l'ôle plus important de construire les
navires, de préparer les approvisionnements et les agrès ; mais elle a
quelques désavantages, notamment celui de ne pouvoir admettre les plus
gros vaisseaux qu'allégés de leur armement ; la profondeur de la barre varie
de G à 7 mètres. L'énorme ville, dont les rues, larges, poussiéreuses, bor-
dées de maisons basses, se prolongent à perle de vue dans la steppe, se
compose d'un quartier central, autour duquel se groupent les nombreux
faubourgs militaires. Nikolayev, le Toulon do la Russie, a, sans compter
SCS casernes, de très vastes établissements, remarquables soit par leur gran-
deur, soit par leurs appareils mécaniques. Les jetées, les cales, les bas-
sins à flot, les chantiers de construction se succèdent le long de l'Ingoul ;
les ateliers où se fabriquent les plaques de blindage, les roues, les affûts,
les canons, les chaudières, tous les objets en fer ou en bois qui font partie
de rarmement des vaisseaux, sont peuplés de milliers d'ouvriers; un dock
YELISAVETGRAD, NIKOLAYEV, ODESSA. 547
flottant ancré dans la rivière reçoit les bâtiments cuirassés. Des fortifica-
tions s'élèvent de toutes parts aux alentours de la ville et des deux côtés du
Boug, bien au-dessous du confluent. Autrefois vouée aux travaux de la
guerre, Nikol'ayev a récemment acquis de l'importance comme ville
d'échanges pacifiques ; elle est l'héritière d'Olbia la milésienne, dont l'em-
placement a été retrouvé en aval , près du confluent des deux limans
du Boug et du Driepr, aux Sto-Mogil ou « Cent Tombeaux ». Le port du
Boug ne peut tenter de rivaliser avec Odessa pour importer directement
des ports étrangers ; mais il expédie une assez grande quantité de céréales
pendant les années de bonnes récoltes, et plusieurs lignes de bateaux à va-
peur y ont leur point d'attache '. La ville d'Otchakov ou Kara-Kerman,
la « Forteresse ^'oire », située sur la rive septentrionale du liman marin
oii s'unissent le Boug et le Dnepr, peut être considérée comme l'avant-
port de Mikol'ayev. Ce fut jadis, grâce à sa position stratégique et com-
merciale, une des places les plus importantes de la mer Noire. Fondée
en 1492 par un khan tartare, sur l'emplacement d'une forteresse des
Grecs, elle fut souvent disputée entre les Russes et les Mahométans pen-
dant de nombreuses guerres et finit par tomber définitivement entre les
mains de la Russie, en 1788, après un assaut des plus meurtriers, terminé
l)ar un massacre de la garnison turque. On se rappelle qu'en 1854, pen-
dant la guerre de Crimée, Otchakov et la forteresse de Kinbourn, sur le
promontoire méridional de l'entrée du liman, furent attaquées par l'es-
cadre des alliés.
Odessa, le grand port commercial de la Russie du Sud, n'est point
située, comme Kherson, Nikolayev et Otchakov, près de la bouche d'un
fleuve qui donne accès dans l'intérieur des terres; le liman de Hadji-Bey,
qui communiquait autrefois avec la mer, est devenu depuis longtemps une
lagune d'eau saumàtre, et d'ailleurs il n'est alimenté que par les eaux
temporaires descendues de la steppe. Cependant Odessa peut être consi-
dérée comme le véritable port du Driepr et du Dûestr, de la môme manière
que Marseilh; est celui du Rhône et Venise celui du Pô. Les difficultés de
l'entrée dans les deux fleuves de la Petite Russie ont obligé les marins à
choisir pour lieu de rendez-vous un point du littoral de plus facile accès,
et le golfe d'Odessa offre précisément les conditions nécessaires. Les navires
peuvent y mouiller sans danger, et par les routes unies de la steppe les
marchandises vont rejoindre sans peine les chemins qui bordent les fleuves.
* Mouvement moyen du pnrl de Mkoiaycv en 1878-1880 ; 936 navires, j.iugeanl 723 400 tonnes.
FloUille de Nikol.nycv en I8S0; 485 navires, dont 7 bateaux à vapeur, jaugeant 33 340 tonnes.
Eiportalion inovennc en 1878-1880, 70 000 000 francs; i.-nporbtion, 1 850 000 francs.
518
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
D'ailleurs, de tout le bassin occidental de la mer Noire, le golfe d'Odessa
est celui qui pénètre le plus avant dans les terres, et c'est là précisément
que la côte change de direction, d'un côté vers le sud, de l'autre vers l'est :
Ti" ISk. 0TCH.4K0V ET KINBomX.
Otehakov
ûf^'^r'
d'après la Carte de l'Etat -Major
C. Perron
il en résulte que les voies naturelles du pays se dirigent en plus grand
nombre vers Odessa que vers tout autre point du littoral. Aussi l'importance
de celte ville s'esl-elle rapidement accrue, surtout depuis qu'aux privilèges
résultant de la position jiéo^n-apliiipic se sont ajoutés ceux que lui ont valus
les môles, les eulrcpôls, les chemins de 1er et les relations établies. Odessa
ODESSA.
N" ni. CDESSA.
n'existe pas même depuis un siècle, car à l'endroit où se dressent aujour-
d'hui ses palais il n'y avait en 1789 qu'un village tartarc entourant la
forteresse de Hadji-Bcy. En 1794, Odessa prit son nom actuel d'une colonie
grecque fondée jadis sur cette
partie du littoral, en souvenir
du glorieux Ulysse. Au com-
mencement du dix-neuvième
siècle, Odessa était déjà peu-
plée de 8000 habitants ; eu
1850, elle en avait déjà près
de 100 000, et depuis, 100 000
autres personnes sont venues
grossir la foule. Odessa est par
sa population la quatrième
cité de l'empire russe : elle
est, avec Saint-Pétersbourg,
celle qui a le plus l'aspect
d'une ville européenne; elle
n'est point un immense vil-
lage comme la plupart des
agglomérations urbaines de
la Russie intérieure.
Vue de la mer, Odessa est
d'une belle apparence. Elle
est située à 47 mèlres d'al-
titude, sur la partie la plus
élevée de la terrasse des step-
pes, qui s'abaisse peu à peu,
d'un côté vers le liman du
Dnepr, de l'autre vers celui
du Diiestr, mais qui descend
vers la mer en une berge ô ' ,
abrupte. Longeant des mai-
sons à façade majestueuse, une promenade suit le bord de la falaise, et de
la plale-formc du centre, ornée de la statue du duc de Richelieu, s'abaisse
un escalier monumental dominant les quais et les ports, tandis que d'an-
ciennes « valleuses », remplies de constructions, s'ouvrent dans l'épaisseur
(lu plateau. Tout le quartier central est une ville somptueuse aux maisons
de style italien, aux larges rues bordées de trottoirs, aux magasins élégants ;
550 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
mais par delà s'étendent de chaque côté vers la steppe de vastes faubourgs
où le vent soulève des tourbillons de poussière, le fléau d'Odessa. Le sol
sur lequel repose la ville se compose d'un grès coquillier qui sert à la con-
struction des édifices, mais qui se délite facilement à l'air et qui, dans
l'espace de peu d'années, donne aux maisons l'aspect de ruines : cette
pierre fait comprendre pourquoi les villes grecques du littoral ont disparu
sans laisser autre chose que des amas de débris. Le grès d'Odessa, exploité
au-dessous de la ville même, en galeries ou catacombes, dont quelques-
unes se sont récemment effondrées, est trop friable pour servir au pavage
des rues, et c'est de Malte et d'Italie que les navires doivent impor-
ter les matériaux employés par les paveurs d'Odessa. L'eau courante
manque aussi : à l'exception de deux sources, la ville n'a que des puits
d'eau mauvaise et des citernes ; pendant la saison sèche, il fallait autrefois
payer chèrement l'eau importée de Crimée ; maintenant elle est amenée de
Mayaki, sur le bas Diîestr, par un aqueduc de 40 kilomètres de longueur.
Les réservoirs contiennent 27 millions de litres.
Yille à la fois russe et méditerranéenne, Odessa est l'une des cités d'Eu-
rope dont la population est le plus mélangée. Les principaux commer-
çants sont Juifs, Italiens, Grecs, Allemands, Français. Les Tartai-es et les
Roumains, les Turcs et les Bulgares se rencontrent dans les rues avec les
Lases de l'Asie Mineure et les Grusiniens du Caucase. L'influence fran-
çaise est considérable dans cette ville, fondée par le général de Ribas,
construite en partie par l'ingénieur de Yoland, embellie et dotée par le
duc de Richelieu ; cependant les étrangers dont l'action a été prépon-
dérante sont les Italiens : naguère les inscriptions des rues étaient
rédigées en deux langues, italien et russe, et beaucoup de mots italiens
sont entrés dans la langue populaire d'Odessa. Du reste, la physionomie
de la ville change singulièrement suivant les alternatives du commerce,
qui sont très grandes, car la principale denrée d'expédition consiste en
céréales, et nul article d'échange n'est soumis à de pareilles oscillations
annuelles, provenant de l'inégalité des récoltes, des besoins et de la
richesse des pays d'importation. De vastes magasins, dont quelques-uns
ressemblent à des palais, servent à entreposer les grains et donnent une
idée de l'importance de ce trafic'. Odessa expédie aussi par ses trois ports,
que l'on a récemment agrandis, des quantités considérables de laines, des
suifs, du lin, et reçoit en échange des denrées coloniales, des objets ma-
'Exporblions lies (.'laiiis lin iKJil irOilcsEiicn 18lJ(j. ...... (î 'JôO 000 hectolitres.
), n .. ., 1870 15 280 000 » '
1, . ■. 1. 1878 17 500100 »
ODESSA. _ 551
nufacturés, des vins, des articles de luxe' ; l'imporlation de thé est con-
sidérable; la valeur en était de 40 millions de francs en 1881. I,es bateaux
à vapeur ont la plus grosse part dans le commerce d'Odessa, et la ville
elle-même possède une partie notable de la flotte qui dessert ce commerce'.
Quant à l'industrie locale, elle n'alimenle le trafic que dans une faible
mesure : c'est en 1830 qu'Odessa eut sa première usine proprement dite;
mais elle possède maintenant des minoteries à vapeur, des ateliers de
machines, des fabriques de tabac, des distilleries, des brasseries, des ate-
liers de salaisons, des chantiers de toute espèce"; les salines des environs
fournissent de 4000 à 5000 tonnes de sel par an. Odessa n'est plus port
franc depuis l'année 1857 ; mais bientôt après elle reçut une compensation
d'autre nalure en devenant le siège de l'une des universités russes, encore
la moins nombreuse en professeurs et en élèves*.
En suivant le littoral au sud d'Odessa, on ne trouve point de villes',
seulement de distance en distance quelques khoutori ou maisons de cam-
pagne que les riches négociants entourent à grand'peine d'arbres et de
fleurs. Les villages de la contrée sont pour la plupart des colonies alle-
' Valeur du commerce d'Odessa en 1880 :
Imporlalion 196058000 francs.
Esporlalion Sl'à 707 000 »
Ensemble 418 705 000 francs.
Mouvement du port en moyenne, pour 1878-1880 :
Commerce éli-anper '2871 navires, jaugeant 2 792 000 tonnes.
Cabotage 'J8|7 » ',, .^09 000 »
Ensemble . 5088 navires, jaugeant 3 501 000 tonnes.
- Flotlille commerciale d'Odeisa en 1880 : 101 bateaux à vapeur et 178 voiliers, jaugeant ensemble
63 800 tonnes. °
^ Fabriques d'Odessa en 1880 : 205, avec 5400 ouvriers, produisant pour une valeur de plus de
65 millions de francs.
* Université d'Odessa en 1881 ; Professeurs, 48; étudiants, 374. Bibliothèque, 90 000 volumes.
Budget annuel, 214 000 roubles.
■* Villes des bassins du Boug, du Tiligout et du littoral de Khcrson, ayant plus de 5000 habitants-.
GocvEKNEMEXT DE KiYEv. 1 Litin (1880). . 7 100 bab.
Oumah (1880i 15 400 bab. ! '^'f^^P"' '■ • ■ . ■ 6 720 .
Zvcnigorodka ■■ . . 1 1 575 » Bratrfav „ . 5 525 »
I-'PO^'e'Z 6 700 H ' COUVERXEMEM DE KIlEftSO.V.
cocvERxEJiEM DE l'ODouE. Odcssa (cu 1882). . . . . . .217 000 bal.
Ra+la (1880) 22 450 bab
Vinnitza „ . .. 18 800 »
Proskouroï „ Il 750 »
Gaïs'O . 9 400 ,<
"^'" '' " 800 i> j Vozncsensk » . . . . 9 250
''•i^elnik ;> 7 iOO » ! Olchakov » ..... 7 500
Nik(rfaycv(1880). ...... 66500
Yelisavetgra4 (1885) ..... 51 775
Ananyev » . • . . . 14 100
Bobrinetz n ..... 10 120
0Ù2 NOUVELLE GÊOGllAPHIE UNIVERSELLE.
mandes, situées au bord de mares qu'on a formées en barrant le cours des
ruisseaux de la steppe.
En pénétrant sur le territoire russe, le Dnestr arrose les campagnes de
Khotin (Chocim), qui fut jadis la colonie génoise la plus avancée vers le
nord : on y voit encore quelques restes de la forteresse italienne. Khotin
était aussi la place d'où les Turcs surveillaient la ville polonaise de Ka-
menetz Podolskiy, située plus au nord sur une haute terrasse coupée
par un profond ravin. Cette ville, qui ressemble par sa position à Luxem-
bourg, est réunie comme elle aux quartiers de la falaise opposée par un
KAMEXETZ ET RAVINS Dr HAUT DNESTfl.
superbe viaduc. Un autre pont bâti en 1672 par les Turcs, pendant une
courte période de possession, réunit Kameiïctz à l'ancienne forteresse qui
donnait à la place, il y a cent ans à peine, tant d'importance stratégique
et dont les tours rondes, coiffées de toits pointus, ont un aspect si pitto-
resque. Les Arméniens de Kamenetz, auxquels les rois de Pologne avaient
concédé de grands privilèges, ont presque tous émigré'. Actuellement,
Kamci'ictz, Israélite par lu moitié de sa population, dispute à Kliotiii un
commerce interlope, qui fui autrefois très considérable, avec les villages
galiciens d'oulre-fronlière. Novaya Oucbitza, au bord de l'im des ravins
qui découpent le j)latcau du nord, et la charmante Mogilov-Podolskiy,
' Tcliiiiijliiii!.kiy, ouvrage cilo.
KICIMNOV, BENDER. 555
entourée de vergers et de vignobles, sont les autres villes de cette région du
haut Dneslr.
En aval de Mogilov, Yarapol, Soroki, Doubossarî, Grigoriopol, se succè-
dent sur les bords du fleuve. Soroki, ville de Juifs et de Moldaves, en-
tourée de plantations de tabac, était, au douzième et au treizième siècle,
une de ces colonies que les Génois avaient établies dans la vallée du Dneslr
pour commercer avec les populations de la Galicie et de la Hongrie. A
l'ouest, sur un affluent du fleuve, sont deux villes, souvent perdues au
milieu des boues : Beltzî, bien connu des marchands de bétail, et Orgeyev
dépendent pour leur commerce des deux grandes cités voisines, Yassi, capi-
tale de la Moldavie, et Kichinov, chef-lieu de la Bessarabie, qui portait au-
trefois le nom, plus vrai ethnographiquement, de Rosso-Ylachie. Kicbinov,
la Kissinou de ses habitants roumains, est un grand village de plus de
cent mille habitants, aux larges rues boueuses ou poussiéreuses, suivant
les saisons; sur près de sept mille demeures, elle n'avait pas en 1878 cin-
quante habitations d'un étage; son principal édifice est une énorme prison
dressant au-dessus des maisons basses ses quatre tours crénelées. Elle est
entourée de jardins que cultivent les Bulgares. Au nord, quelques collines
sont revêtues de fourrés de broussailles, auxquelles on donne le nom de
forêts.
L'ancienne Tagîn des Cosaques, Benderî, plus connue en Occident sous
le nom de Bender, est loin d'avoir l'importance de Kichinov pour la popu-
lation et le commerce, mais elle est tout autrement fameuse. C'est dans
cette ville de la rive droite du Dnestr que se retira Charles XII après la
bataille de Pol'tava, et qu'il profila pendant deux ans de l'hospitalité du
sultan ; ensuite il établit son camp à trois kilomètres de là, près du
village de Yarnitza, où il demeura aussi deux années. Benderî, jirise trois
fois par les armées russes, ne fut définitivement annexée à l'empire qu'en
1812. A une petite distance en aval, sur la rive gauche du Dnestr et sur
un autre méandre, Tiraspol, signalée de loin par son armée de moulins à
vent, rappelle par son nom l'ancienne colonie grecque de Tiras, qui du
reste ne se trouvait point en cet endroit ; elle a donné asile au dernier
siècle à un grand nombre de raskolniks grands-russicns, qui ont conservé
leurs mœurs jusqu'à ce jour et qui se distinguent en général, surtout les
femmes, par la beauté du visage*. Plus au sud, le village d'Olonechti, sur
le Diïestr, rappelle les Alains, qui furent autrefois, avec les Nogaï, les
habitants du pays. La pauvre Ovidiopol, (|ui n'a point remplacé le lieu
' Tcl:oujbin>kiVi ouvrage cilù.
35$
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
il'oxil du poète romain, ainsi que pourrait le faire croire son nom, est
située sur la rive orientale du liman du Dnestr; elle eut jadis de l'im-
portance lorsqu'elle était la gardienne de la frontière russe contre la for-
KREIÏMAN rr LniAV Dr DNESTR.
lercsso tunpie d'Akkcrman.'liàlie de l'autre côté du liman, et environnée
de vastes fiiubour^^s, dont le prin(M|)al est Tourl'aki. C'est là probable-
ment qu'était l'ancienne Tiras ou Opliious : elle devint l'.Vlba Jiilia des
Daccs latinisés, la I>eucopolis et l'Aspro-Kaslron des Byzantins, l'Akliba
AKKERMAN, ISM.VIL. 557
(les Koumanes, la Fcher-Yâr des Hongrois, la Citate Alba des Roumains,
la Bel-Gorod des Slavons, l'Ak-Kerman des Turcs, et sous ces différents
noms, qui signifient tous « Ville Blanche » ou « Forteresse Blanche »,
elle eut à défendre le passage du Dnestr, de même que la Forteresse Noire
défendait le Dnepr; on voit encore près de la ville les restes d'un fort
génois et des murs construits par les Roumains et les Turcs. Les pêcheries
du liman et les produits agricoles des pêcheries environnantes lui donnent
une certaine importance commerciale. Elle est en grande partie peuplée
de descendants de serfs fugitifs de la Petite Russie, auxquels on donnait
tous les droits de bourgeoisie en les inscrivant sous les noms de citoyens
décédés : aussi « l'immortalité » des bourgeois d'Akkerman était-elle passée
en proverbe. A 6 kilomètres au sud est la colonie de Chaba, peuplée de
Suisses romands et germains'.
La dernière guerre a donné à la Russie les riclies campagnes du Boiidjak
ou Bessarabie moldave et quelques villes populeuses des bassins du l'rout
et du bas Danube. Kahulii fen russe Kagoul) ou Frumosa, ville roumaine,
est voisine du Prout, tandis que Bolgrad est située à l'extrémité septen-
trionale d'un liman danubien. Cette capitale des colonies bulgares de la
Bessarabie danubienne est une ville industrieuse et vivante, dont les écoles
primaires et secondaires sont tenues d'une manière vraiment admirable.
En 1S77, la Bessarabie moldave possédait 140 écoles, dont 10 gymnases,
tandis que toute la Bessarabie russe, contenant neuf fois plus d'habitants,
n'avait que 220 écoles \
Sur le Danube, le centre de population est la double ville d'ismaïl
(Izmayil) et deToutchkov, fameuse dans l'histoire des guerres danubiennes.
Trois fois, en 1770, en 1790, en {791,'Ismaïl fut prise par les Russes, et
la ville dévastée n'était plus qu'un monceau de briques lorsque Toutchkov
fut fondée, on 1810. Quoique située sur le bras du Kilia — la Kiliya des
' Villes russes du bassin du Dneslr ayant |>lus de ôOOO liahilanl
COUmHXKJlENT DE POBOLtE.
Kamenclz Podolskiy (1880) . . 22(100 liai)
Mogiiov ,, . . 18 li)0 »
COUVERSEMEXT DE KflERSOS.
Tirasiloi (188".) 17 150 liai).
Doubnssari u 9 600 n
Grigoriopoi » 8 850 «
^ Uuiée pédagogique (en russe), 1879, 1 et 2.
GOtVERNEMEM DE BESSABAUIE.
Kichinnv (1881) 150 000 lia
Akkerman (1880) 45 000 )i
Benderî » 52 550 »
Kholin „ 16150 n
Soroki „ 9 250 ))
Orpeycv „ 7 550 „
T'uiiiaki j) 6 750 I)
558
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Russes, — le -moins fréquenté par les navires, Toutchkov fait un assez
grand commerce de blés et d'autres denrées agricoles; elle a exporté dans
une seule année jusqu'à 1600 000 hectolitres de froment*. En amont de
Toutchkov, le port de Reni, près duquel Darius aurait franchi le Danube-,
en aval, Kilia, la ville de sectaires lippovanes, qui a donné son nom au
bras danubien du nord, et Yilkov, peuplée de pêcheurs, ont un mouve-
ment d'échanges beaucoup moins considérable'. Désormais maîtresse du
bras danubien de Kilia, le plus considérable du Danube, la Russie s'occupe
d'en approfondir l'entrée pour en faire la véritable bouche fluviale, au
détriment de Soulina.
' Mouvcnicnl du pnrt de Toutchkov, en 1880 :
1000 n.ivires, dont 597 sont entrés ou sortis sans cargaison.
« Brnnii, Ancienne topographie delà ISouvelte-Riissie et de la Bessarabie (en russe).
5 Villes de la Bessarabie danuLicnne en 1878 :
Isniaïl(lzmn;il) et Tontolikov . r>n 2,-|0 liai). < Kilia S.'iOOliab.
Bol-rad
7 5.J0
Kahulu (Iv.igowi). .
lieni .
.4 150 »
i'.)50 liab.
UÉGION DES GRANDS LACS. 559
VII
RÉGION DES GRANDS L.*C5
INGRIE ET KARÉLIE, NOVGOROD ET Si IS T-PÉ T ERSBO CRG
La première Russie historique était née dans le bassin du Dnepr, sous
l'influence de la civilisation méditerranéenne ; une autre Russie devait se
développer sur le versant de la Baltique, dans les régions tournées vers les
Slaves Baltiques, les Scandinaves et les Allemands. Au groupement de
peuples dont Kiyev était le centre devait correspondre, également sur le
« chemin dos Grecs chez les Varègues b, un autre point vital de commerce
et de culture, et ce point vital fut Novgorod. La région qui l'entoure et qui
s'étend' au nord pour embrasser les grands lacs n'appartient pas en entier à
la Slavie proprement dite : par l'origine des habitants qui les peuplent, de
même que par leur histoire, les bassins de la Narova, du Volkhov, de la
Àeva, forment une zone de transition entre les Finnois de familles diverses
et les Slaves orientaux ; néanmoins l'importance géographique de cette con-
trée est telle, que de tout temps les Russes devaient chercher à y établir
leurs marchés : ils ont fini même par y placer leur capitale, en faisant
choix d'un sol qui se trouvait presque en dehors du continent, entouré
de peuplades étrangères. Toutefois la grande cité bâtie sur les bouches
de la i\eva n'a pu encore attirer de population considérable que dans ses
murs, et les froides terres du nord où elle se trouve sont restées presque
désertes, en comparaison de tous les pays de l'Europe tempérée. En vue
même de ses coupoles commence la région des solitudes'.
En y comprenant toute la surface du Ladoga, dont une partie est offi-
ciellement attribuée à la Finlande, la région des grands lacs russes est
recouverte d'eau sur un espace de plus de 40 000 kilomètres carrés. La
contrée n'est pas en entier, comme certaines parties de la Suède et comme
la Finlande, un dédale d'eaux sinueuses que les voyageurs doivent éviter
par de longs détours en cheminant d'isthme en isthme; mais les lacs qui
s'y trouvent sont les plus vastes de la Russie, après la Caspienne, reste
d'un golfe océanique. Les trois grands lacs d'eau douce dont le trop-plein
descend au golfe de Finlande par la Narova et la Neva sont plus élendus
' Gouverncmcals de Pskov, de Novgorod, de Sainl-I'ôlcrsbourp, d'OlonpIz ;
Suporricie. Population en IK83. Population kilométrique.
5G9 075 kilomètres carrés. ô 8ti7 7bU lialiilants. 1 1 habitants-
r.eo
NOUVELLE GEOGRAPUIE UNIVERSELLE.
que tous les autres bassins réunis de l'empire, et l'un de ces trois lacs,
le Ladoga, dépasse de beaucoup en superficie et en contenance tout réser-
voir lacustre de la Scandinavie ou des Alpes. La cause de cette surabon-
dance d'eaux dormantes provient de l'horizontalité générale du territoire :
K° li9. lACS ET MARAIS DO FAITE EXIIIE LE VOLEIIOV ET LA DfN
e6M0- L de P.
C Perron
des seuils rocheux d'une faible hauteur ont suffi pour arrêter le cours des
fleuves cl pour les obliger à s'étendre en amonl jusqu'à former de véritables
mers. Au sud et à l'est, les limites de cette région lacustre sont elles-mêmes
fort |t(!u élevées, et des lacs, des marais, des tourbières gontlées par les
sjjliaigncs jusqu'à 12 et 15 mètres au-dessus des plaines environnantes, des
ionds mal asséchés, en occupent encore la plus grande étendue. On peut
MARAIS DE L'I.NGRIE ET LAC PEIPOUS. bbl
citer en exemple de ces terres à demi noyées le faîte qui sépare le bassin de
Vol'khov de celui de la Diina.
A l'orient de la contrée des Lettons et des Elisles, une de ces vastes
nappes d'eau qu'alimentent la Yelikaya ou la « Grande », l'Embach de
Dorpat et d'autres affluents considérables, se prolonge du sud au nord
sur une longueur de plus de 140 kilomètres : c'est le lac que les Ehstes
ont nommé le Peipous et que les Russes connaissent sous l'appellation de
Tchoudskoïe Ozero ou de « lac des Tchoudes », précisément parce qu'il
était entouré de tribus flnnoises. Ce lac, dont la profondeur moyenne
est d'une dizaine de mètres, se divise en deux bassins réunis par un canal
ayant deux kilomètres à la partie la plus étroite du passage et coulant
à la façou d'un fleuve : là est la partie la plus profonde du lac. Près
de Melihikorm, le lit nettoyé par le courant a jusqu'à 28 mètres de
profondeur : de là peut-être le nom de Topl'oïe ou de « Tiède » que l'on
donne à ces parages, parce que les eaux rapides y restent gelées moins
longtemps que celles des bassins tranquilles au nord et au sud. En hiver,
des villages temporaires s'élèvent sur la glace dans le voisinage des « fon-
taines de pêche » ; ils sont formés de maisons en bois de bouleau que
les habitants remisent dans la forêt pendant l'été'. Le Peipous était jadis
beaucoup plus étendu : il est probablement le reste d'un bras de mer qui
rejoignait l'extrémité orientale du golfe de Finlande au golfe de Piiga et
que l'exhaussement graduel des fonds a séparé de la Baltique. Le renou-
vellement continuel de ses eaux par les pluies et les rivières affluentes
l'a transformé en uu lac d'eau douce; mais on peut reconnaître en plu-
sieurs endroits les anciennes falaises marines, en tout seml)lables à celles
que, sur les côtes de . l'EIistonic, viennent battre maintenant les flots
de la Balti([Me. Du reste, parmi les animaux qui le peuidcnl, il on est
encore d'origine marine : ainsi les phoques, descendus d'ancêtres qui
vivaient dans l'eau salée, ont dû se faire, de génération en génération, à
leur nouveau milieu. En 1852, von Baer fit jeter dans le Peipous un
certain nombre de saumons, et ces poissons se sont multipliés dans le
bassin fermé, quoiqu'ils ne puissent faire de migrations annuelles dans
la Baltique à cause de la chute qui interrompt le cours de la rivière de
sortie'. Depuis iNii, que les habitants riverains désignent par le nom
d' « année du déluge », le niveau du Peipous reste beaucoup plus élevé
qu'il ne l'était autrefois, des îles ont disparu, des golfes se sont creusés
' Vfin ilcjmprscn, Deilrâge zur Kennlniu des ruuisclii'n Reiches, lomc XXIV.
• Dultdin de l'Académie de$ sciences de SaiiU-Pétenbourg, i8G2, lome IV.
562
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
dans les rivages, des forêts baignées par le flot montant ont complètement
péri, et les luchten ou a prairies tremblantes » des bords, qui fournis-
saient autrefois une grande quantité de foin, ont été changées en marais.
Ces invasions du lac sur ses rivages sont dues sans doute aux grands tra-
vaux de dessèchement qui ont été faits dans les campagnes de son bassin :
on y avait creusé dès l'an-
née 1864 jusqu'à 2000 ki-
lomètres de canaux, dont
l'eau descend rapidement
vers le Peipous sans trou-
ver un écoulement assez
rapide par la Narova : il
serait nécessaire d'ouvrir
un canal pour emporter
directement à la mer ou
à la basse Narova toutes
ces eaux surabondantes.
Les progrès du lac sont
fort rapides le long de la
rive septentrionale : là s'é-
lève une rangée de dunes
mobiles, hautesen moyenne
de 7 à 9 mètres, et se dé-
plaçant du sud au nord ;
à mesure qu'elles s'avan-
cent, la plage qu'elles aban-
donnent est rongée par
le flot. Cette marche des
dunes vers le nord pro-
vient de ce qu'elles ne
, ' ' '^""""^ , sont exposées qu'à l'in-
fluence des vents du sud;
de l'autre côté, elles sont protégées par l'épaisseur de la forêt '.
La surface moyenne du lac est à 29 mètres au-dessus du niveau de la
mer; il faut donc que son émissaire, le fleuve Narova, descende au golfe
de Finiantle par un cours très incliné ou par des cascades. Sortie par
l'angle nord-oriental du lac, en longeant la base des hautes berges de sa
' Von Uclraerscn, ouvrage cito.
LAC PEIPOUS ET RIVIERE N.VROVA. 563
rive droite, la Narova finit en effet par entrer dans une cluse de rochers
d'où elle s'échappe de degrés en degrés. En amont de ^"arva, elle se
divise en deux bras autour de l'île de Kràhnliolm et tombe d'une hauteur
de 5 à 6 mètres dans le lit inférieur creuse entre des falaises abruptes
de grès et de calcaire. Tandis que la partie occidentale du fleuve descend
en cascatelles nombreuses, entremêlant leurs nappes d'eau verte et leurs
flots d'écume, le courant oriental, plus abondant, plonge en une seule
masse comme pour s'engouffrer dans une étroite fissure du sol : la rive
droite du fleuve s'élevant en muraille au-devant de la cataracte, les eaux,
à l'étroit dans leur entonnoir, s'enfuient obliquement pour rejoindre
l'autre bras de la Narova.
Dans la partie inférieure de son cours, en aval des chutes, des fabriques
de leurs bords et de la ville de Narva, la Narova est un fleuve errant,
ayant plusieurs fois changé de lit pondant la période géologique actuelle.
Un double rempart de dunes, de plus de 20 mètres de haut, qui borde
à l'est la baie de Narva, est un obstacle naturel qui ne permettait pas
jadis au fleuve de gagner directement la mer : il continuait sa route au
nord en longeant les monticules de sables par la vallée que suit mainle-
nant la rivière de ■Louga. Une brèche ouverte à travers les dunes à une
époque inconnue permit à la xNarova do s'épancher à l'ouest dans la baie
de Narva, mais en amont de l'embouchure se voient maintes sinuosités
de la vallée et même un lac tortueux qui témoignent des divagations conti-
nuelles du cours d'eau. D'ailleurs les deux vallées de la Eouga et de la
Narova sont encore hydrographiquement unies, car une branche de la
•Eouga, la Rossona, — encore une de ces rivières qui permettent de cher-
cher l'origine des Russes au bord du golfe de Finlande, — se détourne à
l'ouest pour aller se jeter dans la Narova, immédiatement au-dessus de
l'embouchure. La Rossona est la rivière la moins abondante, mais elle
est de beaucoup la plus irrégulière dans son régime et c'est à ses allu-
vions que sont dus les brusques changements de la barre. Sortie d'un la<-
qui en règle le courant, la Narova n'apporte guère de troubles, et l'iVarl
de niveau entre ses crues et son étiage dépasse à peine 1 mètre, tandis fpie
la Rossona s'élève de 3, de 4 et même de plus de 5 mètres, et, ron-
geant ses rives, apporte à la mer de grandes quantités de sable. Il a fallu
démolir des édifices pour éviter qu'ils ne fussent emportés avec les dunes
sur lesquelles ils étaient construits et l'on a vu un cimetière dont les cer-
cueils, sortant à demi de la terre, tombaient successivement dans le flot'.
' Von Ilelmcrsen, Bulletin de l'Académie de» tciencet de Saiitt-Pélersbourg, tome III, 18CI.
5G4
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
ISI. I.OCGA ET NAHOVA
LdeP
On pense que pour maintenir au seuil d'entrée de la Narova une profondeur
constante de 5 mètres il serait nécessaire de rejeter la Rossona directe-
ment dans la mer par une bou-
che indépendante. Après les
crues de la Rossona, il arrive
parfois que la barre n'a qu'un
mètre et demi ou deux mètres
de profondeur et les petites em-
barcations ne peuvent même
se hasarder à franchir le seuil
pour entrer dans le fleuve, qui
n'a pas moins de 13 mètres en
amont ; l'eau ne s'approfondit
qu'après la fin des crues, grâce
aux vents du nord-ouest et à
l'agitation des vagues qui dis-
persent graduellement au loin
les alluvions apportées par la
Rossona. Dès 1764, on essayait
de guider le courant fluvial et
d'augmenter sa force d'érosion
au moyen de rangées de pieux
et de fascinages, mais ce moyen
ne réussit point et la baie de
Narva resta l'un des plus dan-
gereux ancrages de la côte : on
y a vu jusqu'à plus de vingt
navires se perdre dans une
seule tempête. Il serait pour-
tant très nécessaire d'amélio-
rer le port de Narva, qui offre
de grands avantages comme
avant-bassin de Pélersbourg,
auquel le rejoint un chemin de
0 5 lu kll. 1 * ^ ^ 1
Icr. 1) après des observations
suivies pendant 70 ans, la Narova est libre de glaces onze jours de plus
que la Neva.
A l'est du Peipous, un autre lac, l'ilmei'i, d'une siu'face de près de
iOOO kilomètres carrés, n'est en réalité qu'une inondation permanente,
[.deC.
Si/Û
; iOOUUO
«i /Oau-t/elà
NAROVA, ILME.N, VOLKUOV. 565
formée par un grand nombre de rivières qui, se rejoignant toutes au
même endroit, ne trouvent pas un écoulement assez rapide. Du sud-ouest
vient le Chefon ; du sud coule la rivière -Lovât, issue d'un plateau lacustre
qui domine la vallée de la Dûna ; elle forme dans le lac Ilmen, avec les
rivières Polist et Poloraet, un dolla d'alluvions grandissantes où les eaux
courantes changent de lit à chaque nouvelle inondation; enfln au nord-
est du lac se déverse une autre rivière considérable, la Msta, née comme
le Poïomet dans le massif de VaWaï, mais sur le versant oriental de ces
hauteurs, dans une région marécageuse d'où s'échappent aussi des
affluents de la Volga. On comprend que toutes ces rivières, se réunissant
dans un seul bassin et y portant tous les débris entraînés des collines envi-
ronnantes, en élèvent rapidement le fond et en modifient les contours.
Les eaux du lac sont presque toujours troubles et la profondeur en est,
suivant les endroits, de 2 à 9 mètres seulement : comparé aux grands lacs
de la Suisse, qu'il dépasse encore de beaucoup par la superficie, il ne ren-
ferme qu'une masse liquide relativement peu considérable. L'émissaire de
sortie, le Yoïkhov, qui reçoit le trop-plein de ce lac à fond boueux, portait
autrefois le nom de Moutnîy ou de « Fleuve Trouble », et jusque dans le
Ladoga, dont il est le principal affluent, il garde des eaux louches. Dans
son cours de plus de 200 kilomètres de longueur, de l'ilmen au Ladoga, il
lui faut descendre d'environ 18 mètres, et, comme la ^'arova, il doit fran-
chir la dernière barrière de rochers par des chutes et des rapides : la hau-
teur totale des cataractes de Gostinopol est de 9 mètres, et seulement des
radeaux et des barques de construction spéciale peuvent s'y aventurer'.
La Svir, qui est, à l'est, le tributaire principal du Ladoga, et dont une
gracieuse légende fait la « sœur » du Vol'khov, apporte au lac inférieur les
eaux surabondantes de l'Onega, lac qui reçoit lui-même le trop-plein de
plusieurs autres bassins lacustres ; quelques-uns de ces réservoirs seraient
en tout autre pays d'Europe considérés eux-mêmes comme de petites médi-
terranées ; mais à côté des vastes étendues du Ladoga et de l'Onega, que
bouleversent souvent les tempêtes et où les dangers doivent être signalés
de loin aux matelots par des phares semblables à ceux de la pleine mer,
les lacs secondaires perdent de leur importance, et leurs contours, non
encore bien étudiés, sont diversement représentés sur les cartes. Le lac
Onega est d'une navigation très périlleuse, à cause des nombreuses roches
et des ccueils qui se trouvent dans le voisinage des bords : on dit qu'avant
les travaux de balisage entrepris en 1874 les naufrages annuels coûtaient
• AndreycT, Le lac de Ladoga 'en russe}.
566
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
en moyenne la vie à quatre-vingts mariniers. Cependant le lac est très
profond dans une grande partie de son bassin, et même vers le milieu de
l'étendue, au large des côtes, la sonde n'aurait trouvé le fond qu'à
2"25 mètres de la surface. Dans toute sa moitié septentrionale, le lac Oiiega
se ramifie en de nombreuses
X „:. _ ONEGA. baies, toutes uniformément di-
rigées du sud-est au nord-
ouest et se prolongeant au
loin vers la Laponie par des
lacs en collier et par des ri-
vières qui suivent la même di-
rection, ainsi que les collines
intermédiaires, hautes de 250
h 500 mètres. Ces plissements
du sol, partiellement emplis
d'eau, sont parallèles aux lacs
de la Finlande, et leur axe est
précisément orienté dans le
même sens que toute la par-
tie sud-occidentale de la mer
Blanche, de la baie dite d'Onega
au golfe de Kandal'akcha. On
a constaté l'existence de stries
glaciaires tracées égalcniont
du nord-ouest au sud-est, et
les âsar ou sciga de la con-
trée, notamment ceux des en-
virons du lac Sog, s'alignent
dans un sens peu différent.
Cependant quelques moraines
remaniées se ramifient et se
L-e des plaines de véritables
former à la surfai
croisent de manière
alvéoles de pierres '.
A l'ouest, le Saïma, le plus grand lac de Finlande, est aussi un simple
tributaire du Ladoga, au(piel il envoie ses eaux, comme l'Oiiega, par un
fleuve d'environ GO mètres de chute totale : c'est le Wuoxen des Finlandais
cl des Suédois, la Vouoksa ou Voksa des Russes, la rivière qui forme les
' Inoslranlzev, Esquisse géoUxjiquc du (lisiricl Je Pov'enelz (en russe).
O.NEGA, LADOGA. 567
fameuses chutes d'Imatra, les plus imposantes de tout le bassin de la
Neva. Pendant le courant même de ce siècle, le Wuoxen a changé de lit
dans sa partie inférieure et sa bouche actuelle se trouve à une quarantaine
de kilomètres au sud de l'ancienne. Avant l'année 1818, il se déversait
dans le Ladoga près de la ville de Keksholm, à laquelle il avait donné une
certaine importance commerciale ; mais de grandes pluies firent céder,
près du village de Taïpala, un isthme qui séparait le Ladoga d'un autre
lac, de forme allongée, le Souvando, communiquant déjà avec la rivière
N' l^ô. STRIE? ET ASAR PES BORDS Dr I.AC S0(;.
E.deP 5C
r-'^r^^r- "-^^"X^ol^Tg^ V'
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&e/50èS00 <^sQ0C^2.50 are920àô00
• : 1 îoooou \ Ascr.
AVuoxcn par un petit canal qu'avait fait creuser le gouvernement finlan-
dais. La brèche soudainement ouverte, comme celle du lac Hoyliainen,
abaissa aussitôt les eaux du lac Souvando; ses rives noyées s'asséchèrent
assez pour que les paysans des environs pussent les utiliser pour des prai-
ries et des champs; le lac se changea en fleuve, et les eaux du Wuoxen,
abandonnant presque entièrement le lit septentrional, s'écoulèrent au sud-
est par le nouveau lit. Du reste, il est probable qu'à une époque géolo-
gique antérieure le Souvando avait été déjà une embouchure du AViioxen,
car il a bien la forme d'une ancienne coulée fluviale'.
' Andrcjfcv, ouvrage cité.
568 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Le lac Ladoga, un de ceux qui ont été le mieux étudiés en Russie et
même dans toute l'Europe, était certainement, comme le lac Onega' et
comme le Peipous, beaucoup plus vaste qu'il ne l'est de nos jours ; il ne
formait qu'un même bassin avec le golfe de Finlande quand le niveau de
celui-ci était à 60 mètres au-dessus de son niveau actuel. Des rives basses
du sud, presque sans arbres, et consistant on terrains d'origine glaciaire,
semés de blocs erratiques, le lit du Ladoga descend par une pente insen-
:;ible vers les parages profonds que dominent les falaises granitiques de la
côte septentrionale. Ainsi la forme générale de la cuvette répond bien à
l'idée qu'un marin en aurait prise à premièie vue, par l'aspect général
des rivages. Auprès de quelques îles rocheuses la sonde ne trouve le fond
qu'à 100 ou 150 mètres. La profondeur la plus considérable, à l'ouest des
îles Val'aam, est de 225 mètres; mais en moyenne on évalue l'épaisseur
de l'eau à 00 mètres seulement, ce qui donnerait pour tout le bassin une
contenance approximative dix-neuf fois supérieure à celle du lac de Genève'.
D'ailleurs la quantité d'eau varie notablement dans le bassin suivant les
variations des saisons et des années, car pendant quatorze années d'obser-
vations l'écart entre les hautes et les basses eaux n'a pas été moindre de
2"", 22, ce qui représente un volume de 40 kilomètres cubes. Les moines
de Valaam prétendent, d'après une tradition, qui d'ailleurs ne repose
sur aucun témoignage de valeur, que le niveau des eaux s'élève et s'abaisse
alternativement de siècle en siècle.
Quoique des eaux troubles, comme celles du Yol'khov, se déversent dans
le bassin du Ladoga, l'eau du lac est en général si pure qu'à la profondeur
de 4 ou 5 mètres on peut distinguer parfaitement les plus petits objets
qui reposent sur le fond. Cette eau est très froide on toute saison, si ce
n'est au mois d'août : alors la temiiérature de la couche supérieure peut
s'élever exceptionnellement à 10 et 12 degrés centigrades; mais en juillet
même on ne se hasarde guère à la boire. A la fin de mai, quand la glace
vient de fondre, l'eau de la surface est à 2 degrés en moyenne au-dessus
du point de congélation ; d'ordinaire, la différence de température entre
l'eau superficielle et l'eau profonde n'est pas même d'un degré : celle-ci
< PoLikov, Zapiski Roiissk. Geo/jr. Obchtdicslva, sccliou d'Elhiiognijihie, 111; _ Pionc Kio-
polkin, Koks manuscrites.
» PriniiiKuix Incs lusses tributaires du golfe de Finlande :
Surface, Profomleur Profondeur
Alliluilo. d'nprès Slrclbilskiy. eiliôiiie. moyenne. Contenance approiimallve.
Ladoga. . . ISnièl. 18 lûOkiL car. 225mèt. UO met. I 651 000 000 000 met. cub.
Onega. . . 7'2 « 9 7i.2 n V27 » !«(?)» 1425 00(1000 000 i.
Peipous. . . 29 I) 5 51.Ï » 21 .. 10 » 55 1.50 000 000 »
ilmcn ... 48 » 919 » 9 » 2(?).> 1 800 000 000 (?) »
LADOGA.
569
est même légèrement moins froide en liivcr, tant que la glace s'étend sur
le lac en une dalle immense. Situé un peu plus au sud que le lac Oiiega,
et surtout plus à l'ouest, sous l'influence du climat maritime, le Ladoga
n'est pas glacé durant une partie aussi considérable de l'année. On évalue
I3i- — HIKCA
en moyenne à 150 jours la durée de congélation du lac Onega, tandis que
les eaux profondes du bassin septentrional du Ladoga ne sont prises d'or-
dinaire que pendant l'20 jours; elles ne se revêtent jamais d'une couche
solide avant le milieu do décembre : il est vrai que la partie méridionale,
aux eaux basses, parsemées de bancs de sable, se couvre de glace parfois
V. 72
570 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
dès la fin d'octobre. 11 y a des années pendant lesquelles le milieu du lac
ne oèlo point. L'écorce glacée est d'autant plus épaisse que les variations
du climat d'hiver ont été plus nombreuses : des gelées alternant avec une
température plus douce donnent plus d'épaisseur à la glace qu'une longue
gelée se continuant également pendant tout l'hiver. Ce phénomène provient
de ce que les glaces des hivers changeants se composent de fragments iné-
gaux, que le vent a séparés les uns des autres et qui se sont soudés de
nouveau en masses irrégulières, en entassements bizarres, surtout dans
le voisinage des écueils. Près de l'île Val'aam, on a mesuré des amas glacés
d'une hauteur de 22 à 25 mètres et présentant de loin l'apparence de
collines de schistes désagrégés. On comprend que les débris pris dans la
glace des bords, sables ou cailloux, soient ainsi transportés à de grandes
distances et déposés sur les rives à quelques mètres plus haut que leur
lieu d'origine. La débâcle de la Neva n'écoule au plus qu'un dixième des
glaces du Ladoga; le reste est dispersé sur les rivages.
Malgré la couverture de glace qui s'étend chaque année sur le lac
Ladoga, les profondeurs de l'eau contiennent encore assez d'air pour garder
leur population de poissons et d'autres animaux. Une espèce de phoque,
d'ailleurs la même que celle de l'Oiîega et du Peipous, habite aussi le
Ladoga et se montre en hiver sur les glaçons épars ou sur les bords des
crevasses ouvertes dans la couche cristalline : c'est l'occasion qu'attendent
les chasseurs pour tuer l'animal, dont ils fondent la graisse et dont la
peau sert pour la fabrication des valises ; en hiver, ce gibier est aussi pour-
ciiassé par les loups affamés qui s'aventurent sur les glaces jusqu'au
milieu du lac. Quelques-unes des petites espèces animales qui vivent dans
les profondeurs du Ladoga rappellent, comme le pho(pie, l'ancienne exis-
tence d'un détroit de communication entre la haute mer et le golfe d'eau
salée qui est devenu depuis la grande mer d'eau douce de la Russie. Un de
ces organismes microscopiques du Ladoga {cdmpijlodiscns radiosus) ne s'est
encore rencontré que dans ce lac et dans les eaux du golfe du Mexique,
près de Ycra Cruz '.
Les vents qui soufilent sur le lac y soulèvent parfois des tempêtes, sui-
vies, comme celles de la mer, par des entrecroisements de vagues, des
mouvements de houle, des lames de fond. Mais ce ne sont pas les seuls
déplacements des eaux lacustres : dans son ensemble, la masse liquide du
Ladoga, influencée peut-être en partie par les rivières qui se jettent dans le
bassin, est animi'-e d'un lournoiVnienI continu, suivanl du sud au nord les
' OuUKiy cl Weissc; — Aiulrc^ev, ouvrage ciô.
^^^Çij^MiK-^^ uv. ■ I
LADOGA. 575
rives orientales du lac et, du nord au sud, les côtes occidentales. En
outre, une dénivellation des eaux se produit dans toute la région voisine
de l'émissaire de sortie, car le niveau du lac, étudié en hiver par l'aslro-
nome Schubert, est en moyenne à plus de 18 mètres au-dessus du niveau
de la mer, et le fleuve qui doit emporter l'eau surabondante n'a qu'un
faible développement de cours pour descendre à la mer Baltique. Sans
doute c'est un vrai fleuve comparé à l'émissaire du Miilaren, qui lui fait
face de l'autre côté de la Baltique, et sur les bords duquel se trouve aussi
une capitale d'Etat : en aval du Malaren, le torrent de Stockholm par-
court à peine quelques centaines de mètres avant d'entrer dans un golfe
de la mer, tandis que la Neva a 58 kilomètres de longueur, du Ladoga au
golfe de Finlande. Néanmoins la Neva est encore, comme fleuve, en voie
de formation ; comparé au lac d'oii il sort et à ceux qui lui envoient par
la Svii- et le Wuoxen le trop-plein de leur masse liquide, il n'est par sa
quantité d'eau qu'une rivière sans importance; c'est de milliers et milliers
de siècles qu'il aura besoin pour se former des vallées régulières, de ses
sources septentrionales, dans le massif du Valdaï et sur les plateaux voi-
sins, à son embouchure dans le golfe de Kronstadt. Le sol de cette partie
de la Paissie, en grande partie rocheux, ne livre aux eaux des rivières qu'une
faible proportion de débris; si ce n'est dans la région de l'ilmeiï, presque
toutes les rivières du bassin ont une eau pure, grâce à leurs lits rocheux
et aux réservoirs lalcustres qu'ils traversent de distance en distance.
La Neva, dont le nom est presque le même que celui du Nevo, ancienne
appellation du Ladoga, est par son débit au nombre des grands fleuves de
l'Europe : c'est à 2950 ou 2950 mètres cubes par seconde que l'on évalue
sa portée moyenne, c'est-à-dire qu'il dépasse le Rhône et le Rhin par la
masse de ses eaux et qu'en dehors de la Russie il ne le cède qu'à un
fleuve européen, le Danube : son flot est assez abondant pour changer en un
bassin d'eau douce toute la partie orientale du golfe de Finlande jusqu'au
delà de Kronstadt. La Neva varie en largeur de 260 à 1280 mètres, et
les bateaux à vapeur qui en remontent et en descendent le cours trouvent
d'ordinaire de 2 à 5 mètres d'eau sur les seuils; néanmoins elle forme des
jjorofji ou rapides comme les autres cours d'eau qui se jettent dans le
golfe, et quelques-uns de ses passages ne peuvent être tentés que par des
bateaux plats. Dans la traversée de Saint-Pétersbourg, le courant a de 6 à
15 mètres de profondeur, tandis qu'au devant du delta chacune des bou-
ches. Grande iS'eva, Petite Nevj, Grande, Moyenne et Petite Nevka, est
séparée de la mer par des barres et des bancs de sable que ne peuvent
surmonter les navires ayant un tirant d'eau de plus de 2 mètres. D'ailleurs,
574 NOUVELLE GÉOGRAPHIE EMYEUSELLE.
le fleuve no portant qu'une très petite quantité de troubles, les alluvions
n'empiètent que lentement sur les eaux de la mer et les chenaux se main-
tiennent longtemps dans la même direction : de 1718 à 1854, l'accroisse-
ment total du delta s'est élevé à 655 hectares seulement ; c'est un progrès
annuel d'environ 5 hectares et demi ou de 2 mètres pour tout le front du
delta'. L'épaisseur des terres alluviales est de 24 mètres seulement, ainsi
que l'a prouvé le forage d'un puits artésien descendant à 200 mètres,
jusqu'à la nappe d'eau qui coule souterrainement sur les assises du granit
finlandais \ L'eau de ce puits, qui s'élance en une colonne jaillissante de
9 mètres de hauteur, est mêlée d'éléments minéraux semblables à ceux
des sources de Krcuznach.
Grâce au Ladoga, qui sert de régulateur au fleuve, l'écart n'est pas
considérable entre les hautes et les basses eaux : les crues de la Neva ne
seraient pas à redouter si le vent d'ouest, qui souffle directement en face
de ses bouches, n'y retenait et n'y faisait parfois refluer les eaux, formant
ainsi une espèce de barrage mobile, qui pourrait noyer la ville de Saint-
Pétersbourg s'il se prolongeait pendant plusieurs jours; on se rappelle
encore le débordement du 7 novembre 1824, qui s'éleva de plus de 4 mè-
tres au-dessus du niveau de la mer et envahit presque tous les quartiers de
la cflpitale ; tout récemment, en 1879, un autre reflux des eaux s'est élevé
presque à la même hauteur. D'ordinaire, le fleuve ne dépasse pas de 50 cen-
timètres la nappe du golfe; en avril, la pente totale, de Sainl-Pétersbourg
aux eaux de Kronstadt, est seulement de 4 centimètres. Comme les vents
d'ouest, les débâcles sont aussi un danger pour les riverains de la Neva;
toutefois le péril n'est pas causé par les glaces, peu épaisses, qui se for-
ment sur les eaux rapides du fleuve : il provient des banquises du Ladoga,
dont les fragments brisés se pressent dans le courant, s'accumulent aux
tournants, heurtant les rivages et démolissant les quais. D'après une
moyenne tirée des observations de 150 années, la Neva reste couverte de
glaces pendant 158 jours par an"; mais les variations sont grandes : tandis
qu'en 1822 le fleuve reste pris 87 jours seulement, la congélation des
eaux dura 191 jours en 1852.
Le bassin de la Neva, que traverse, à Saint-Pétersbourg même, le
soixantième degré de latitude, c'est-à-dire une ligne idéale deux fois plus
' Seihotiov, Dictionnaire (jéographiqite statistique de Vempire russe (en russe).
» Von Uclnicrsen, Buttclin de l'Académie des sciences de Salnt-Pélersbourij, loiuo VII, 1863.
' Scihonov, ouvrage cité.
BASSIN DE LA NEVA, CLIMAT DE L'INGRIE. 575
rapprochée du pôle que de l'équateiir, se trouve en partie dans les froides
régions où la vie de la nature semble presque entièrement suspendue pen-
dant une moitié de l'année. La ligne isothermique de 5 degrés, qui suit
le littoral de la Finlande a une faible distance dans l'intérieur, traverse
le Ladoga à l'est de la capitale, pour se diriger au sud-est vers la Russie
centrale et le Turkestan; de même la ligne isochimène ou d'égale tempé-
rature d'hiver, indiquant 7 degrés au-dessous du point de glace, passe dans
le voisinage immédiat de Saint-Pétersbourg, pour se recourber, presque
directement au sud, vers les steppes riveraines de la mer Noire.
Sous un pareil climat, un grand nombre de plantes de la zone tempérée
ne peuvent naître et se développer que grâce à des soins exceptionnels :
la végétation, composée uniquement d'espèces résistant aux froids de
l'hiver et aux gelées et aux dégels du printemps, présente un aspect des
plus uniformes, si ce n'est dans les serres où l'art du jardinier donne aux
végétaux un climat artificiel. Le chêne que l'on voit en Suède jusque
sous la latitude de Gefle et qui croît dans la zone riveraine de la Finlande
méridionale, n'est point un produit spontané des forêts de l'Ingrie et ne
croît naturellement qu'à l'orient de l'ilmeù, sur les bords de la Msta'.
De même, c'est uniquement dans les jardins des villes, des châteaux et
des monastères que l'on peut voir les essences qui donnent aux forêts de
l'Europe tempérée leur physionomie particulière, le peuplier, l'orme,
l'érable, le frêne. Le sapin argenté et le mélèze manquent dans la nature
libre' : on n'y voit guère d'autres espèces d'arbres, avec le sapin ordinaire
ou pinm abies, que les bouleaux, les aunes, les trembles, les saules et les
sorbiers. Quant aux plantes cultivées, c'est entre les deux lacs Ladoga et
Oiïega que passe la limite septentrionale de la plus importante de toutes
pour l'alimentation de l'homme, le froment.
De pareilles régions, si peu favorisées par le climat, ne sauraient être
bien populeuses et c'est un des phénomènes les plus remarquables de
l'histoire contemporaine qu'une ville située au milieu des solitudes, à la
même distance du pôle que le Labrador et la pointe du Groenland ou le
Kamchatka, ait pu cependant, grâce aux avantages du commerce et à la
centralisation politique, appeler dans ses mursdes centaines de milliers
d'habitants. Mais aussi longtemps que les indigènes eurent à se suffire par
les ressources locales, comme chasseurs, pêcheurs ou cultivateurs du sol.
la région des grands lacs ne pouvait donner naissance à des villes, cl les
■ Guldcnstadl ; — Lcopold de Biich.
- Andrcvcv, ouvrage cilc.
£76 NOLVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
tribus devaient rester sans cohésion nationale, presque inconnues les unes
aux autres. On sait toutefois que ces contrées, qui d'ailleurs ont joui d'un
climat plus tiède, après la période glaciaire, sont habitées depuis une
antiquité fort grande, car on a découvert des objets de l'âge néolithique
jusque sur les bords du lac Oiiega et des lacs voisins; des restes de l'homme
ont été trouvés par Inostrantzev. Un rempart de blocs grossièrement taillés,
que l'on a trouvé près du petit lac 'Eoujand, au sud-est de l'Onega, a
2900 mètres de longueur; mais on ne sait quelle était la nationalité de la
peuplade qui bâtit cette muraille, car on n'a point recueilli d'ossements
humains dans les tombes voisines. Les kourgans que l'on trouve au sud-
ouest de rOiiega dans le voisinage de la Svir renferment des squelettes de
deux Ivpes distincts, l'un brachycéphale, l'autre purement africain, doli-
chocéphale et prognathe '.
Les Grands-Russiens envahissants occupent maintenant presque tout le
bassin du Volkhov,et déjà sur beaucoup de points ils ont dépassé leurs
limites des premiers temps historiques, le lac Peipous et la Narova, la
]Xeva, la Svir. Cependant il reste encore dans leur territoire ethnologique
des îlots et des archipels de population finnoise. Dans le bassin de la Msla,
de même que sur les hautes terres dominées à l'est par les crêtes du pla-
teau de Valdaï vivent des Finnois Karéliens, descendants de ceux qu'y
transporta Pierre le Grand et qu'avaient précédés probablement des
Tchoudes ou Tclioud aux yeux blancs — les « Hommes du prodige », les
« Étrangers », dont on voit les restes dans les tertres funéraires de la
contrée. A l'est de Narva, d'autres ont conservé le nom finnois de Votes
ou Yotènes, qui appartenait jadis à tout un peuple occupant un do-
maine étendu et jouissant déjà vers le neuvième siècle d'une civilisation
assez avancée : M. Ivanovskiy a exjiloré sur les territoires plus de iSOOO
kourgans, pour la plupart petits et pauvres en objets anciens, et les deux
mille crânes qu'on en a retirés semblent avoir appartenu à des hommes
de la race ouralo-altaïenne'i Sur la rive occidentale du lac Onega, de même
que [dus au sud, entre le Ladoga et le lac Blanc — Bel'o Ozero, — demeu-
rent des Veses ou Tchoudes du Nord, formant çà et là des groupes distincts
et que l'on évalue diversement de 12000 à 25 000. Leur langue est très
curieuse par son archaïsme'. D'ailleurs, ils se russifient rapidement; dans
plusieurs de leurs villages, la langue russe prédomine ou du moins les
mots slaves se mêlent à l'idiome local. La plupart des femmes de cette
' Elirnpiius, Golos, août 1879.
» Mninov, Russischc Itcvue, 1877, n° 9. '
' CL. de Ijl'alvy, Lcltie à la Société de Géographie de Paris, l" février 1877.
FINNOIS DE LA RÉGION DES GRANDS LACS. &77
contrée ont mieux conservé leur langage que le type finnois ; d'après Maïnov,
peu d'entre elles ont les yeux bridés des Mongoles et plusieurs se distinguent
par une beauté toute « novgorodienne ». Presque tous les Yeses sont bra-
chycépiiales, et plus hauts de taille que la moyenne des habitants de la
Russie. A en juger par les noms des animaux domestiques, les mots de
l'agriculture et les termes employés pour le fer, l'or et le zinc, les éduca-
teurs des Yeses en civilisation ont été les Russes, les Suédois et les Lithua-
niens. Les indigènes finnois croient encore aux dieux lares et ne séjournent
point dans une nouvelle maison sans y apporter la braise de l'ancien
foyer et sans glisser un morceau de pain sous le fourneau : si le coq ne
chante pas en entrant dans le nouveau logis, l'offrande n'est pas acceptée
et le génie est hostile. Les Veses boivent une liqueur préparée avec la
betterave, boisson que les étrangers repoussent avec dégoût; le scorbut
fait de grands ravages parmi eux, ce que l'on attribue d'ordinaire au man-
que de choux et d'oignons sur leurs tables', mais ce qui s'explique bien
mieux par l'insuffisance de leur nourriture.
Quant aux Finnois Ingaren ou Ingriens, qui ont donné leur nom à l'In-
grie ou Ingermanland, où se trouve la capitale, ils ont cessé d'exister
comme population distincte ; mais les descendants plus ou moins mélangés
des Finnois peuplent encore en grande partie la zone du littoral comprise
entre les deltas de la Narova et de la Neva et tout le territoire qui envi-
ronne à l'ouest, au nord, au nord-est, les eaux de la mer de Ladoga. Ceux
des environs de Saint-Pétersbourg, au milieu desquels se trouvent des
colonies de Suédois, les anciens conquérants du pays, et de cultivateurs
allemands appelés par les tzars, semblent être, par l'origine, assez rappro-
chés des Tavasles ou Finlandais occidentaux : on les connaît sous le nom
général de Tchoukhnî ou Tchoukhonlzî. De même que leurs voisins les
Ijortzîs ou Igrîs de la rivière Ijora, petit affluent de la Neva, ils se distin-
guent de la plupart des autres Finlandais par leur petite taille, leurs formes
trapues et, presque tous aussi, par leur saleté repoussante. Sur les bords
du Ladoga la population est complètement karélienne. Là on est en pleine
Finlande, même sur les bords du lac qui se trouvent en deçà de ses fron-
tières administratives. Les îles de cette mer intérieure ont pour habitants
des Finlandais et des Russes, mais ceux-ci se dénationalisaient naguère au
point d'avoir presque entièrement oublié leur langue' : là, ce sont les
Aryens qui se laissent assimiler peu à peu par les Ouraliens. Du reste, beau-
coup de prétendus Russes de la contrée autour des grands lacs ne sont
' Maïnov. Drevn'aya i .Sovaya Rossiija, 1877, n° 5.
• Galilzin, Yoyage en Finlande.
»• 73
578 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
peut-être que des Karéliens : d'après Caslrèn, leurs traits sont plus forte-
ment découpés, leur peau plus blanche, leurs yeux et leurs cheveux plus
clairs que ceux des véritables Slaves : les croisements ont eu lieu là où les
Russes ne sont venus qu'isolément, non par groupes compacts'. La plupart
des usages sont finnois', et les pratiques des indigènes témoignent de la
persistance des coutumes païennes. Tenaces de caractère et d'idées, les
Karéliens ne changent que bien lentement : « Brûlez un Karélien, dit le
proverbe, et après trois ans il n'est pas encore en cendresM » Les Finnois
du gouvernement d'Ol'ohetz étaient encore dans leur âge de pierre au dix-
septième siècle : ils égorgeaient les animaux avec des couteaux en pierre,
qu'ils adoraient après s'en être servis'. Dans la partie septentrionale du lac
de Ladoga une chapelle du prophète Élie s'élève sur un coteau de l'île Man-
chin-Sari, où les paysans, d'ailleurs tous orthodoxes fervents, se réunissent
le premier dimanche après la fête du saint pour offrir un sacrifice comme
aux anciens temps. Leurs aïeux venaient y tuer un élan ou un cerf en l'hon-
neur d'Elie ; mais ces animaux ont disparu de la contrée : c'est un taureau
qu'abattent aujourd'hui les paysans dès l'aube du jour consacré. La viande
de la bête est partagée, jetée dans de grandes marmites, puis mangée par
les fidèles : grâce au repas sacré, le prophète protégera les troupeaux de
toute contagion. Les Karéliens des bords du lac cherchent également à
conjurer les maladies des bestiaux en faisant des fumigations au moyen
de bois allumé par le frottement ou en jetant dans un trou des animaux
vivants, un cheval, un chien, un chat et un coq*.
Les Slaves du gouvernement d'Ol'onetz ont, comme les Petits-Russiens,
conservé un grand nonil>re de chants épiques, connus dans le pays sous le
nom de starinas ou « antiquités », et les savants russes y ont fait des
trouvailles non moins importantes que celles de Castrèn et de Lônnrot
chez les Finnois de la même contrée : en deux mois, llilferding a recueilli
soixante-dix récils dans une partie de la [)rovince d'Olonelz. Les « diseurs »
de ces chants se rencoiilrent dans toutes les professions; quelques femmes
chantent aussi les starinas, mais la plupart en connaissent beaucoup moins
que les honinies, et dans le midi de la contrée la coutume ne les autorise
à réciter que les « starinas des femmes ». D'ailleurs, il se forme de nou-
velles starinas et l'on a reconnu un chant serbe que des récitatcurs sachant
' t'niakov; — P. Vcfiiiioiiko, Tclioudes d'au delà les Poitayes (eu russe).
' Ch. (lu Ujfalvy, Mélanijes alliûqtics.
' MiiitKiv, Drevn'uija i ISuvaija Hossiya, 1877, n° 5.
♦ Polakov, ouvrage cité.
• .\ndi<'ycv, ouvrajje cilé.
POPULATIONS DE LA RÉGION DES GRANDS LACS. 579
lire avaient adapté à l'usage de leur auditoire'. L'amour des chants funèbres
est plus dévelo^ipé dans ce pays et sur le versant de la mer Blanche que
dans toute autre partie de la Russie, et la fiancée, quoique fort durement
traitée dans la maison paternelle, récite des lamentations pendant des
semaines entières avant le mariage. Les anciennes croyances, qui sont évi-
demment pour une forte part d'oiigine karélienne, se sont conservées dans
la population des campagnes d'Oïonetz. On vénère encore les arbres sacrés ;
des offrandes, surtout des étoffes, sont suspendues aux croix des tombeaux,
et les morls sont invités au repas ; même on prépare dans la cabane le
lit de ceux qui n'y sont plus. Lorsque des paysans sont en désaccord sur
les bornes de leurs champs, un arbitre se couvre la tète de terre et marche
devant lui ; ses pas tracent la limite: la « terre humide, notre mère »,
a prononcé'. Au point de vue de l'industrie, la population d'Oïonetz est l'une
des plus arriérées de la Russie. Ses instruments d'agriculture sont encore
tout rudimentaires : des planches et des bâtons attachés diversement les
uns aux autres. D'ailleurs, les ressources de l'agriculture doivent être
toujours des plus précaires dans un pays où les gelées « de printemps »
se font sentir même en juillet et où les gelées « d'automne » commencent
en août. Dans ces derniers temps, la « peste sibérienne », qui sévit
dans tous les territoires marécageux", a fait périr une grande partie du
bétail de ces malheureux habitants. La chasse, autrefois très fructueuse,
ne donne plus que de maigres profits, car le castor et la zibeline ont
disparu de la contrée', et la gelinotte, fort commune naguère, se fait de
plus en plus rare. Des gros animaux sauvages il ne reste plus que l'ours,
dangereux voisin qui dévore le bétail et dévaste les champs d'avoine : à la
fin de l'été et en automne, les paysans n'osent plus même envoyer leurs
troupeaux dans la campagne. Du reste, tout ce que les moujiks pourraient
gagner appartient d'avance aux marchands qui payent leurs impôts, leur
fournissent à gros intérêts la poudre pour la chasse, les engins pour la
pêche et le pain pour la nourriture journalière. « Là où je me suis
installé, dit un marchand, là le moujik ne chantera plus'". »
' llilfcrdinf;, Le (jouwrnemenl d'Oïonetz cl tes rapsodes, Vostnik Yevropî, n° 3. 1872.
' E. Barsov, Maïnov, Ililfcrding, Zapiski Roussii. Geogr. Obchtchestva , Section d'Elhno-
graphip, VII.
* Andreyev, ouvrape cili'-.
♦ Ventfi de pelleteries à h foire de Chounga, près de Povenetz .
18C2 158 000 roubles. | 1869 51000 roubles.
Peaux tannées d'écureuils h Kargopol :
ï 000 000 en 1880 ; 835 000 en 1881.
' Polakov, ouvrage cité.
58C NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Depuis les commencements de l'histoire de Russie, on voit les Slaves
s'essayant à établir dans les bassins de la Narova et de la IN'eva de grands
marchés de commerce avec les pays de la Baltique. Izborsk, où, d'après
la chronique de Kestor, était venu régner en 862 le Yarègue Trouvor,
frère de Rurik, et qui dut bientôt céder son rang à Pskov, fut un de ces
entrepôts des populations slaves ; cependant ses habitants, les Krivitchi,
trop faibles pour conquérir sur les Ehstes, sur les Scandinaves ou sur les
Porte-Glaives les bouches de la Narova, ne purent jamais donner à leur
ville une importance de premier ordre. Ce n'est plus qu'un petit village,
dont quelques ruines rappellent l'ancienne ville, détruite par les chevaliers
Porte-Glaives. A une trentaine de kilomètres à l'est, Pskov, jadis Pleskov,
devenue indépendante de Novgorod la Grande au quatorzième siècle, ne fut
d'abord qu'une intermédiaire de cette ville avec les ports allemands; mais
elle réussit à nouer des relations directes avec les cités de l'ouest et
posséda des comptoirs sur les bords de la Baltique pour la vente des
bois, des céréales, du lin, du suif, da goudron et autres denrées de la
Russie. Au quinzième siècle, la république démocratique de Pskov était au
comble de sa prospérité et l'on dit qu'elle eut alors quatre-vingt mille
habitants : l'enceinte qui lui reste témoigne de la grandeur qu'avait alors
la cité. Mais en 1510 son autonomie fut supprimée, et la cloche qui
appelait le peuple aux assemblées cessa de tinter dans sa tour. Dès qu'elle
fut tombée sous la domination des Moscovites, Pskov, privée des citoyens
les plus industrieux, que l'on avait transportés en Moscovie par centaines
de familles', perdit son importance, le désert se fit dans ses murs : au
commencement du siècle, en 1803, elle n'avait pas même GOOO habitants.
Elle s'est relevée peu à peu, non seulement par son rôle de chef-lieu de
gouvernement, mais surtout à cause de son heureuse situation sur la Veli-
kaya, en amont de son delta dans le lac de Pskov, extrémité méridionale
du Pcipous. Celte position géographique en fait l'entrepôt naturel de toute
la région supérieure jusqu'au faîte de partage de la Dùna. On y voit des
maisons anciennes cl les l'estes de ses murailles, qui curent à soutenir
vingt-six sièges '.
En aval du Peipous, Narva occupe l'emplacement correspondant à celui
de Pskov en amont. La Narova, émissaire du lac, y est interrompue par
une cataracte, et là se trouvait naturellement le seuil entre la navigation
fluviale et la navigation maritime; mais, grâce à ses berges escarpées,
• Koslomarov, Les républiques de la Russie du Nord (en russe).
■* Ouiilinov, Drevn'aya i Nuvaija liossii/a, XI, 1S76.
PSKOV, NARVA, TOROPETZ. 581
l'endroit se prêtait aussi mieux que tout autre à l'établissement d'une cits-
delle et souvent la guerre détruisit les richesses qu'avait accumulées le
commerce. Narva fut souvent attaquée, souvent prise, et c'est devant ses
retranchements que fut livré, en 1702, l'assaut victorieux de Charles XII
contre une armée russe dix fois supérieure à la sienne. Voisine des
puissantes forteresses de Sveaborg et de Kronstadt, Narva n'a qu'une impor-
tance stratégique très secondaire, et ses ouvrages, de même que ceux
d'Ivangorod, située en face sur la rive droite du fleuve, ont été déclassés,
mais non démolis. Quelques édifices, l'ancienne bourse, le bazar, mainte-
nant désert, témoignent de l'activité commerciale qu'eut jadis la ville de
Narva ; mais il est probable qu'à cette époque la barre du fleuve, située
à 15 kilomètres en aval de la ville, offrait aux navires plus de profondeur
que de nos jours ' ; elle a maintenant de 2 mètres et demi à 5 mètres
d'eau et change souvent de place; une ville de bains s'y est récemment
fondée. Cependant la population de Narva, à moitié allemande, fait encore
un commerce maritime d'une valeur annuelle de 6 à 8 millions de francs.
Au-dessus de la ville, des moulins, des fabriques de lainages et de toiles
et l'énorme filature de coton de Kriihnholm, employant près de 5000 ou-
vriers en 1882, reçoivent par des canaux creusés dans le roc la force mo-
trice des cataractes. Le gouvernement de Pskov est celui de la Russie qui
produit la plus forte quantité de lin, de 28 à 57 millions de kilogrammes.
Les villes et les bourgs du bassin de la Neva se pressent naturellement
dans la partie méridionale de la contrée, où le climat est plus doux et où
le sol ne refuse pas à l'homme sa nourriture. Là se trouvent Toropetz, sur
un plateau parsemé de lacs et de bois ; Velikiya touki, sur la tovat, encore
simple ruisseau ; Khol'm, où la Lovât est déjà devenue rivière, et, dans la
vallée du Cliel'on, Soltzî, dont les marchés de chanvre étaient très fré-
quentés avant l'ouverture du chemin de fer. Dans toute cette région on
rencontre fréquemment des monnaies arabes, anglo-saxonnes et franques
du septième au onzième siècle, preuve d'un commerce considérable avec
l'orient et l'occident, mais on n'y trouve que très peu de monnaies byzan-
tines'. Située sur la route historique de Novgorod à Smolensk et Kiyev,
Toropetz surtout joua un rôle important dans l'ancienne confédération russe,
et jusqu'à la fin du dix-huilième siècle elle eut un commerce considérable
avec l'Allemagne, probablement à cause de sa position sur la frontière de
la Liihuanic, alors dépendante de la Pologne. Au sud du lac limen, sur
les derniers rcnOemcnts des terrains qui dominent la plaine alluviale où
' Von llclmnrscn. Bulletin de l'Académie det tciencet de Saint-Pétersbourg, III, 18G1.
» Bcrcjkov, Le commerce de la Ruttie avec la Hanse (en russe).
582
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
se réunissent la ■Lovât, la Polista et d'autres cours d'eau, s'élève la ville
prospère qui porte le nom de Staraya Rousa et qui est en effet d'ancienne
origine, ainsi que l'indique son nom ; toutefois elle n'eut jamais un grand
X° lôô. I.iC 1L5IES, NOVGOROD ET STARATA ROrS.
rôle politique. Aux temps de la puissante Novgorod, elle devait son impor-
tance à une source saline abondante qui lui permettait de fournir le sel
à la cité républicaine, l'n perdant sa liberté et son commerce, Novgorod
vit dépérir avec elle toutes les villes environnantes ; on cessa d'exploiter
la saline de Staraya llousa, et c'est au siècle dernier seulement qu'elle fut
STARAYA ROUSA. NOVGOROD. 583
utilisée de nouveau : récemment, la source et le puits artésien foré dans
le voisinajre donnaient à l'Etat environ 2400 tonnes de sel chaque année ;
depuis 1870 les travaux sont abandonnés; mais Staraya Rousa est devenue
ville de bains, et les malades de Saint-Pétersbourg viennent par milliers
demander la guérison à ses eaux.
Novgorod ou la « Ville Neuve j^, aujourd'hui cité déchue, fut jadis la
ville qui se donnait le nom de « Seigneur », dans le sens de « Peuple
Souverain » et dont l'empire s'étendait jusqu'au delà des monts Oural.
C'est elle, nous l'avons vu, qui fut pour la Paissie, sinon une capitale
comme Saint-Péicrsbourg, du moins le grand intermédiaire de commerce
avecle monde occidental. Bâtie sur les deux rives du Yol'khov, à quelques
kilomètres en aval du lac Ilmen, cette ville est non seulement l'entrepôl
naturel de toute la région supérieure, elle était aussi autrefois, avant que
les roules artificielles n'eussent remplacé les voies fluviales, l'une des
étapes du chemin qui conduit de la Baltique <à la mer Noire : ainsi que
le disent les chroniqueurs russes, « elle était sur la voie du pavs des
Varègues à celui des Grecs » et en outre sur celle d'Asie en Europe
par la Volga et la Baltique. A une époque de guerres continuelles,
c'était aussi un avantage pour une ville de commerce de ne pas être
exposée aux incursions des pirates Scandinaves ou germains; les Tartares,
qui dévastèrent toute la Russie orientale et méridionale, ne purent
non plus atteindre cette ville. Au milieu de ses marais, Novgorod était
beaucoup plus sûre que les villes du littoral. Il semble toutefois que le site
où se trouve actuellement Novaya tadoga, à la bouche du Volkhov dans le
grand lac. n'eût pas été moins heureuse que celui de Novgorod, puisque
tout le commerce se élisait par les eaux de cette rivièr^i}; mais le marché
des Slaves devait s'établir sur une terre slave, et pendant tout le moyen âge
le pourtour du Ladoga resta peuplé de Karcliens et d'autres Finnois.
L'ancienne cité, à laquelle succéda la « Nouvelle Ville », s'élevait dans
le voisinage immédiat du lac, sur une terrasse d'une vingtaine de mètres
de hauteur, entourée de tous les côtés par des eaux courantes et des
marais : on la connaît encore sous le nom de Gorodichtche ou <t Ville
antique ». Cette terrasse était une forteresse naturelle, et la légende, qui
d'ailleurs a clé inventée par des érudits, prétend que le château de Rurik
se dressait en cet endroit. Mais le plateau de Gorodichtche n'était pas
assez étendu pour recevoir une population considérable, et la « Ville Nou-
velle » dut s'établir à "J kilomètres en aval sur une autre berge élevée du
Valkhov. C'est la cité ipii devint le centre de la puissance politique dans
la Russie du Nord et qui dispute à Kiycv le litre de « berceau de la puis-
584 NOUVELLE GÉOGRAPHIE CNIVERSELLE.
sance russe ». Commerçant directement avec les villes hanséatiqiies, elle
eut d'abord ses comptoirs à Wisby, la capitale de Gotland, puis ses princi-
pales relations s'établirent avec Lubeck et, par cette ville, avec toute la
ligue hanséatique. Peu à peu les Allemands devinrent par Novgorod les
maîtres de tous les échanges extérieurs de la Russie ; mais Novgorod elle-
même s'était emparée du trafic de l'intérieur et par ses colonies envoyées
au nord-est, « au delà des portages », sur les bords de la mer Blanche,
et même dans la Sibérie occidentale, elle devint la suzeraine d'un territoire
égal en superficie à toute l'Europe occidentale. En outre elle était, avec
Pskov, le centre des métiers, des arts, des lettres, des sectes rationalistes.
« Qui peut rien contre Dieu et contre la grande Novgorod ? » répétait un
proverbe bien connu. Novgorod élisait des princes, mais dès que l'assem-
blée populaire ou v'etche avait à se plaindre de l'homme auquel elle avait
confié le droit de prélever les impôts, elle « le saluait et lui montrait le
chemin' ». On répète encore le dicton : « Quand le prince est mauvais,. —
dans la boue du marais'. » Forte de sa charte de liberté, 'qu'elle prétendait
tenir de Yarosl'av le Sage et qu'elle conservait précieusement, forte surtout
de l'indépendance matérielle que lui donnaient ses richesses et ses citoyens
armés, Novgorod vécut longtemps en république autonome, libre politique-
ment, mais inquiète et souvent divisée en factions rivales. Les citoyens
n'étaient point égaux, et tandis que les « blancs », c'est-à-dire les privi-
légiés, étaient toujours en lutte les uns avec les autres, les « noirs » ou
gens du pauvre peuple continuaient de travailler pour tous. Au milieu du
quinzième siècle, lorsqu'il s'agit de défendre la cité contre l'État mosco-
vite déjà puissant, Novgorod perdit rapidement ses colonies du nord-
est, trop éloignées pour qu'elle pût les secourir et rattachées alors à
la Moscovie par Oust'Youg et le cours de la Vîtchegda ; puis elle-
même succomba et son histoire ne fut qu'une longue série de désastres.
En 1471, ses armées sont vaincues par les forces russes et tartares de
Moscou, aidées par la jalouse Pskov; en 1478, la vetche est abolie, les
Novgorodiens sont tenus de prêter serment au prince autocrate de Moscou
et la dénonciation est rendue obligatoire. L'année suivante, les citoyens
suspects sont massacrés, et mille familles sont transportées. En 1497, les
massacres se renouvellent et plus de mille familles sont condamnées à
l'exil. Au seizième siècle, la nation novgorodienne était presque exter-
minée et remplacée en partie par des colons moscovites; pourtant Ivan IV
• Koslomarnv, ouvn^ro cité; — Alf. Rarabaud, Histoire de la Russie.
* ilackunzio Wallace, liussia.
NOVGOROD. oS5
soupçonna la fidélité de la ville, et nulle part il ne mérita mieux son
surnom de « Terrible ». Si l'on en croit l'annaliste, le « très pieux tzar »
fit périr à Novgorod soixante mille personnes : chaque jour, durant plu-
sieurs semaines, de cinq cents à mille citoyens étaient jetés dans le
Yoikhov; la rivière fut barrée par les cadavres et, suivant la tradition,
l'eau ne gèle plus à l'endroit des noyades'.
L'exterminateur de Novgorod, désireux de continuer l'œuvre de Nov-
ÉCI.ISE CONSTRUITE SOUS IVAX LE TERIIIBLE, PRÉS DE NOVGUHCD
Dessiu de Lancelot, d'après une gravure russe.
gorod, voulait cependant entrer en relations directes avec l'Europe ; mais en
dépeuplant les anciennes villes, en ravageant les campagnes, où les deux
tiers des villages avaient cessé d'exister, les Moscovites s'étaient eux-mêmes
privés des éléments nécessaires pour le commerce direct avec l'Occident.
La Moscovie dut accueillir avec joie les Anglais qui venaient trafiquer avec
elle par le détour de l'océan Glacial ; plus tard même, Gustave-Adolphe
s'écriait que la « Russie était définitivement coupée de la Baltique ». Au
* Kostomarov, Histoire de Russie, II.
li
586 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
dix-septième siècle, Novgorod donna encore un signe de vie par la révolte,
mais elle diil bientôt rentrer dans l'obéissance, et maintenant il ne reste
plus rien de l'ancien esprit national que des proverbes populaires contre les
Moscovites. Loin d'être placée de nos jours sur un grand chemin des nations,
Novgorod a été laissée bien au sud de la voie maîtresse de Saint-Pétersbourg
à Moscou et n'est rattachée au réseau que par un embranchement : elle
reste en dehors du mouvement commercial de la Russie moderne. Ceux de
ses marchands et de ses artisans qui restaient au dix-septième siècle
furent un des premiers éléments de la population de Saint-Pétersbourg.
Novgorod, où se pressaient au moins cinquante ou soixante mille habi-
tants, — quatre cent mille, dit la tradition, — n'occupe plus qu'un empla-
cement bien inférieur à l'ancien, et des monastères, situés jadis à l'inté-
rieur des murs, se trouvent maintenant au loin dans les campagnes. Mais
les deux quartiers principaux de l'ancienne ville, le quartier des Marchands
et celui de Sainte-Sophie ou du Kreml, se regardent encore par-dessus le
Yolkhov. Le Kreml, forteresse assez vaste jadis pour renfermer 18 églises,
150 maisons, 40 comptoirs, est l'antique Detinetz, dont la première
pierre — le nom même et l'exemple du Detinetz serbe en sont les in-
dices' — fut peut-être posée sur un enfant vivant, suivant la coutume
religieuse pratiquée par maints architectes du moyen âge. La cathé-
drale de Sainte-Sophie, qui se dresse dans l'acropole du Kreml, a gardé
quelques tombeaux de saints et de héros novgorodiens, ses curieuses fres-
ques du douzième siècle, qui témoignent d'un art plus libre que celui
de la Piussic orientale, et ses images dont les attitudes symboliques sont
restées conformes au rite des « vieux croyants ». Comme les églises des
communes de la France et de la Belgique, Sainte-Sophie montre aussi
parmi ses trésors les présents des anciennes corporations ouvrières. Sur la
place qui précède la cathédrale s'élève le monument commémoratif de
la légende de Rurik, haute masse de granit en forme de cloche, ornée
de statues et recouverte de bas-reliefs en bronze représentant diverses
figures relatives aux origines de l'empire russe ; elle a été posée en 1862,
en souvenir de la durée « millénaire » de l'État.
A l'orient de Novgorod, sur la haute Msta, qui contourne en cet endroit
le massif du Yaldaï, la ville de Borovilchi est restée depuis l'origine de
l'histoire russe l'intermédiaire naturel du commerce fluvial entre le bassin
du Yolkhov et celui de la Yolga, car la Msta forme une série de rapides
donl la hauteur totale est de 02 mètres sur une distance de 52 kilomètres
' Andicc, Elhnograpliische Parallcicn und Vcrglache.
NOVGOROD. PETP>0ZAV0D!5K. OLONETZ. 587
environ, el Borovitchi est en partie peuplée de pilotes qui dirigent les
barques et les radeaux ; mais tous les ans les accidents sont nombreux ;
en 1857, soixante embarcations se perdirent sur les écueils. Les rapides
ont fait aussi de la ville un entrepôt de marchandises, un lieu de foires
très fréquenté, et font mouvoir les roues de quelques usines. Borovitchi
doit également une part de sa prospérité aux carrières des environs, à ses
gisements de charbon de terre et surtout aux mines de pyrite, qui pendant
la guerre de Crimée remplaçaient le soufre de Sicile pour la fabrication de
l'acid* sulfurique. Au nord de Borovitchi, une autre ville de la province
de Novgorod joue pour le commerce fluvial un rôle analogue. Celle ville,
Tikhvin, située sur la Tikhvinka, affluent du Ladoga par le Sas, est à
l'origine d'un canal terminé depuis 1811, qui réunit le système de la Yolga
à celui du Ladoga : Saint-Pétersbourg reçoit chaque année par cette voie
navigable environ 20 000 tonnes de céréales et de bois. Le couvent de
Tikhvin possède une image thaumaturge de la sainte Vierge, l'une des
plus vénérées de la Russie; elle fut autrefois propriétaire de 4o00 « âmes »
dont les tzars et les seigneurs pieux lui avaient fait présent.
Une seule ville a pris quelque importance commerciale dans tout le
bassin presque désert dont les eaux unissent par atteindre la Neva et le
golfe de Finlande : cette ville est Petrozavodsk, située sur une des baies
occidentales du lac Onega, dans une région minière, où se trouvent des
mines d'or, maintenant abandonnées, des gisements de cuivre et des veines
de fer magnétique, renfermant jusqu'à 96 pour 100 de métal pur'. Fondée
en 170i par Pierre le Grand, sur un emplacement où ne se trouvait alors
qu'un seul moulin, elle doit son nom, « Usine de Pierre », à une fonderie
de canons et à une fabrique d'armes qu'y établit le tzar, afin d'utiliser le
minerai des environs. Ces établissements métallurgiques disparurent après
sa moit, mais d'autres se sont élevés à leur place et, en 1879, on y a fondu
le quarante millième canon ; en outre, Petrozavodsk, devenue l'étape iiiler-
médiaire entre le golfe de Finlande et ceux de la mer Blanche, fait un
certain commerce, d'ailleurs très irrégulier. Chef-lieu du gouvernement
d'Oloi'ietz, elle a de beaucoup distancé en population l'ancien bourg de ce
nom situé sur l'Ol'onka, petit Iribulaire oriental du Ladoga. Avant l'établis-
semenf des chantiers de construction navale à Saint-Pétersbourg, c'est au
sud d'Oloriclz, à ■Eodeïnoyc Pôle, sur la Sviî-, que Pierre le Grand lança'
les galères dont il se servit pour prendre Schlûsselburg et qu'il eut le
plaisir de voir floller plus lard sur les eaux de la Baltique. En 1850, ce
' InosIfnnlzf'T, f^lude génloiji/juc dit dislricl de l'ov'cnelz (en nissc).
588 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
chantier fut aboli. De même qu'Ol'onetz, la ville de Beïozersk, sur la rive
méridionale du « Lac Blanc » {Belo Ozero), a perdu son importance rela-
tive. L'une des plus anciennes cités de la Russie, puisque l'annaliste en fait
la l'ésidence du frère de Rurik, elle n'est plus qu'un petit havre de barques
sur le canal qui contourne le lac. Les terres riveraines, de même que
beaucoup d'autres dans l'ancien territoire de Novgorod, furent distribuées
entre quelques couvents, dont le plus fameux était celui de Saint-Cyrille,
près de la ville actuelle de Kiril'ov. Ce couvent, où Ivan le Terrible voulait
se faire moine, servait de lieu d'exil à divers grands personnages du
royaume de Moscou ; il possède une bibliothèque et des collections très
curieuses sur l'histoire de Russie.
Sur les bords de la « mer du Ladoga » les deux villes les plus populeuses
sont naturellement celles qui se trouvent sur la route fluviale de Novgorod
à Saint-Pétersbourg ; Novaya Ladoga, à l'embouchure du Voïkhov, et
Schlùsselburg, à la sortie des eaux qui forment la Neva. Novaya Ladoga,
bâtie également par Pierre le Grand en 1704, s'élève sur la rive gauche
du Voikhov, là où se trouvait un monastère, et à 15 kilomètres en aval de
Staraya Ladoga ou Aldeigaborg, l'ancien entrepôt de Novgorod, où l'on
voit encore les restes d'un bourg dit de Rurik et dont l'église conserve des
fresques du douzième siècle, fort mal réparées. Ville de pilotes et de bate-
liers, Novaya tadoga communique avec Schlùsselburg, non seulement par
les eaux souvent tempétueuses du lac, mais aussi par deux canaux, lon-
geant le rivage à distance : l'un, construit déjà du temps de Pierre I",
l'autre récemment creusé, plus large, plus profond et sans écluses. La
falaise de Poutil'ovo, qui domine ces canaux du côté du sud, se compost;
d'assises de grès, qui fournissent à Saint-Pétersbourg une grande partie
des pierres qui lui sont nécessaires pour la construction de ses monu-
ments et l'établissement de ses routes'. Toutes les embarcations venues
du lac et des canaux ont à passer sous le canon de la forteresse de Schlùs-
selburg, l'ancien Orekhovîy ou Orekhovetz, fond»; en 1525 par les Novgo-
rodiens pour la défense de leur route commerciale contre les Suédois.
Ceux-ci s'emparèrent pourtant de cet îlot fortifié et le gardèrent jusqu'en
1702, époque où il leur fallut à leur tour céder à Pierre le Grand cette
« tlcf » de la Neva et du golfe de Finlande : de là le nom allemand de
Schlùsselburg donné à l'ancienne forteresse, changée maintenant en prison
d'État, l'une des plus redoutées. La ville, située sur la rive gauche du
ilcuvc, à l'issue des canaux, est, pour ainsi dire, le faubourg avancé de la
' Vaicui- moyenne des matériaux extraits dos carrières de Pouliiovo (iSTô) : 'JOOOUOO lianes.
SCULUSSELBURG, SAINT-PÉTERSBOIJRG. 589
capitale au bord du lac. Cependant, quoique cette mer intérieure soit
dans le voisinage de Saint-Pétersbourg, la navigation y est encore dans
le même état qu'aux temps de la grande Novgorod. A l'exception des
bateaux h vapeur, les embarcations du lac sont les mêmes qu'avant l'époque
de Pierre le Grand, de lourdes gabares, mal gréées, mais pourvues à
l'arrière d'un énorme poêle autour duquel les matelots sont trop souvent
étendus, sans souci des heures qui s'écoulent '.
Nul conquérant n'eut plus d'audace que Pierre fondant la capitale de la
Russie à plus de 600 kilomètres de l'ancienne métropole, dans une région
presque déserte, sur une vase fuyante, que des armées entières devaient
travailler d'abord à consolider avant d'y poser les matériaux de construc-
tion. La fondation de la ville dont Pierre voulait faire son « paradis » com-
mença pour toute la Russie une ère de travaux forcés. Les travailleurs
furent eni'ôlés dans toutes les provinces comme des soldats : en quatre
années, de 1712 à 1716, plus de 150000 ouvriers furent ainsi transportés
dans les marais de la Neva, et la plupart ji périrent de la fièvre, de la faim
ou d'épidémies diverses. Afin d'obliger tous les maçons à chercher de l'ou-
vrage à Pétersbourg, la construction de tout édifice en pierres ou en
briques fut interdite dans le reste de la Russie sous peine de confiscation et
d'exil. En outre, tous les nobles ayant au moins trente « feux » de paysans
reçurent l'ordre de venir se faire construire dans la capitale une maison,
dont la forme et les dimensions étaient réglées pour chaque catégorie de
seigneurs'. Les plages incertaines sur lesquelles Pierre dressait ainsi une
cité en dépit de la nature et des hommes étaient à peine arrachées à l'en-
nemi. En s'établissant ainsi en plein territoire étranger, en face des Sué-
dois et des Allemands, il s'obligeait par cela même à une lutte d'agression
constante : il ne se bornait pas à « ouvrir une fenêtre sur l'Occident »,
mais il s'emparait aussi des espaces qui s'étendent au-devant du nouvel
édifice. Pour changer en équilibre naturel l'équilibre artificiel créé par
Pierre le Grand, la conquête de la Finlande, de l'Ehstonie, de la Livonie,
de la Courlande, de la Lithuanie, de la Pologne, devenait une nécessité
d'État : telle est la raison pour laquelle la politique de Pierre a été si
fidèlement suivie par ses successeurs. Par un singulier caprice, en don-
nant son nom même à la capitale de son empire, il employait ce nom
' Andrcycv, ouvrage cite.
• Koslomarov, Hiiloire de la Russie, VI; — Les villes de l'Empire russe (en russe), VII.
590
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
SOUS la forme hollandaise de Piterburg. En Russie et à l'étranger,
l'usage a fait prédominer la désignation allemande de Petersburg (Peler-
bourg) ; mais dans le langage ordinaire la ville est encore appelée simple-
ment Piter.
A d'autres égards que ceux de la politique, Pétersbourg était Lion une
cité nécessaire dans l'organisme de la Paissie : elle était, pour ainsi dire.
ACRAXDISSEJIENIS SUCCESSIFS DE SAIXT-PETEBSBOCRG.
Les fortifications figurées sur te plan appartenaient à Vancîennc ville.
0 : 153 OOO
la ville de Novgorod déplacée vers la bouche de la Neva ' ; mais, sauf pour
le climat, fort rude sous le soixanlième degré de latitude, la nouvelle
capitale jouissait d'avantages naturels bien supérieurs à ceux de la ville de
l'ilmei'i. Elle dispose de la mer, qui vient à sa rencontre par un golfe allongé
s'avançanl de 400 kilomètres dans les terres, et commande à l'embouchure
d'un fleuve considérable, accessible aux petits bâtiments de mer. Non seule-
• J.G Kohi, Die G:o(jraiiliischc Loge (1er IlauplsUiitlc Europa's
SAINT-PÉTERSBOURG. 593
ment la Neva ouvre à Pétci'sbourg tous les chemins qui convergent vers
Novgorod, c'est-à-dire vers la vallée du Volkhov, mais ses autres affluents,
tributaires du Ladoga, sont autant de voies commerciales tracées par
la nature et se continuant au sud, au sud-est, à l'est par les seuils bas
qui limitent le bassin des affluents supérieurs de la Volga : nulle part les
communications de A^ersant à versant ne présentaient de difficultés insur-
montables aux caravanes de commerce, même avant que ne fussent ouvertes
les routes et creusés les canaux. De tous les points vitaux qui se succèdent
sur le littoral du grand corps de la Russie, aucun n'est aussi heureuse-
ment placé que celui des bouches de la Neva, car c'est le plus rapproché
du centre des populations russes et, du moins en été, il leur expédiait, plus
rapidement que tout autre port, les produits de l'Europe occidentale.
L'œuvre de Pierre le Grand s'accordait avec les nécessités géographiques
du pays et c'est pour cela qu'elle a duré. Si une ville importante n'est pas
née plus tôt sur l'emplacement où s'élève de nos jours la capitale de la
Russie, la cause en est aux guerres constantes qui désolaient les régions
du littoral et qui avaient précisément maintenu jusqu'alors les grandes
villes de marché dans l'intérieur des terres. Toutefois les Suédois avaient
à deux reprises tenté de prendre possession des bouches de la Neva par
une ville de guerre et de commerce : vers l'an 1500, ils y fondèrent Lands-
krona ; puis, quand cette place eut été détruite par les Russes, ils bâtirent
Njenschanz, qui fut à son tour démolie par Pierre V, puis remplacée, à
quelques kilomètres en aval, par la cité moderne. L'île fortifléc de Kron-
stadt, qui défend à l'ouest la baie de Saint-Pétersbourg, arrête désormais
toute tentative hostile et permet à la capitale de grandir et de développer
sans crainte son commerce et son industrie.
Cinquième ville de l'Europe par le nombre des habitants, Saint-Péters-
bourg occupe une surface très étendue, plus de 100 kilomètres carrés, en y
comprenant l'espace couvert |iar les eaux du fleuve ', mais sans compter les
faubourgs d'usines et de villas qui se prolongent au loin dans les vallées
latérales de la Neva. La cité, qui se déploie en éventail le long des bras
ramifiés du fleuve, recouvre six grandes îles naturelles, de nombreux
îlots, une île artificielle, limitée au sud par le canal Fontanka, tandis
qu'au nord et au sud ses quartiers extérieurs s'avancent de plus en plus
sur la terre ferme. Le premier îlot oii le fondateur de la ville fit enfoncer
des pilotis porte encore officiellement le nom de quartier de Pélersbourg :
Surracc de Sainl-Pélcrsbourg en 1873 lO-iS.î IicoItts
Espace couTcrI d'eau 1725 »
59.i NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
c'osl là que s'élèvent la citadelle de « Pierre et Paul », où tant d'^ prison-
niers dTlal furent enfermés, et l'église où se font ensevelir les empereurs.
Mais le véritable milieu de la capitale est maintenant au sud de cet îlot, sur
la rive gauche de la Grande Neva. Là se pressent les principaux édifices :
la orande masse oLlongue de l'Amirauté, que domino une tour dorée ; la
cathédrale de Saint-Isaac, nef à coupole toute en marbre et en granit,
l'osplendissantc d'or, de malachite, de mosaïques précieuses ; le vaste palais
d'hiver, dressant sa longue façade sculptée au-dessus de la Neva ; d'autres
demeures princières ornées de colonnades, entourées de verdure. A côté
de l'Amirauté, sur une place dont la Neva vient laver les quais, la fameuse
statue équestre de Pierre le Grand, par Falconet, posée sur un rocher de
plus de 5 mètres de hauteur, montre d'un geste fier la forteresse que le
Izar fit surgir des marais. Le bloc que surmonte la statue ne pèse pas moins
de 1500 tonnes : c'est le plus lourd que les hommes aient transporté; il
dépasse en volume les pierres de Baalbek et les obélisques égyptiens. Non
loin de là, devant le palais d'hiver, s'élève la colonne d'Alexandre, mo-
nolithe de 25 mètres de haut en rappakivi finlandais; mais ce monument,
témoignage remarquable de l'industrie humaine, est déjà fendillé et ne se
lient debout que par les anneaux de fer rattachant le granit désagrégé.
Du haut de la tour de l'Amirauté, des terrasses des palais ou, mieux
encore, du dôme de Saint-Isaac, on embrasse l'ensemble de la ville, des
campagnes de l'ouest à la mer. Au sud, on voit les rayons divergents formés
par les grandes avenues ou « perspectives » ; la fameuse Perspective
Nevskiy, bordée de palais, de bazars, d'églises, et parcourue incessamment
par la foule des piétons, des cavaliers, des voitures, se prolonge sur plus
de 3 kilomètres jusqu'à la gare du chemin de fer de Moscou et à 4 kilo-
mètres plus loin jusqu'au couvent de Smolniy. A l'est, au nord, à l'ouest
serpente la Neva, heurtant de son courant d'eau pure les piles des grands
ponts. Presque en face de l'Amirauté, le fleuve se divise pour embrasser
l'île de Yasiliy, où se montrent la Bourse, la Douane et les principaux
élablissements scientifiques de Saint-Pétersbourg, l'Université, l'Académie
des sciences, l'Académie des beaux-arts, l'institut d'histoire et de philo-
logie, l'Observatoire physique; enfin, par delà les constructions apparais-
sent au nord-ouest les bosquets des « îles de la Neva », avec leurs allées
sinueuses, leurs kiosques et les bateaux de plaisance flottant gaiement sur
les eaux. Vue ainsi en panorama, la ville est curieuse à contempler; mais
il est jieu de quartiers que l'étranger se plaise à parcourir : comme
^Vasllington, Pétersbourg est une « ville à distances magnifiques >> ; les
rues, laiges, régulières, se continuant à perle de vue, se ressemblent
STPETERSBOUF^;
GroïcparKrliard.
Dressé piip A.VuilIfil
ISES ENVIRONS.
Hachette et C^' Paris .
Paris _ Imp-Froillerv,
SAI.M-PÉTERSBOURG. 595
toutes : on y voit partout les mêmes casernes, les mêmes maisons clc
pierre ou de bois, sans élégance et sans originalité'.
Saint-Pétersbourg n'est pas une des capitales salubres de l'Europe. De
même qu'à Odessa, la mortalité y dépasse annuellement le nombre des
naissances', et la ville ne peut réparer ses pertes que par l'immigration :
laissée à elle-même, elle redeviendrait ce qu'elle était avant Pierre le
Grand. Mais l'immigration, composée principalement d'hommes jeunes et
dans la force de l'âge, est tellement considérable, que Pétersbourg se dis-
tingue de toutes les villes de l'Europe occidentale par la grande supériorité
numérique de sa population masculine : sur sept personnes, on y comjjle
en moyenne quatre hommes et seulement trois femmes ; avant le milieu
du siècle, si l'on peut ajouter foi à la statistique urbaine, la proportion
du sexe masculin au sexe féminin était de plus du double^. Et pourtant,
la plupart des hommes faits qui habitent Pétersbourg sont mariés ; mais
la moitié d'entre eux sont des immigrants ayant laissé en province leur
femme et leurs enfants : les unions sont ainsi suspendues pendant de lon-
gues années. Toutes les régions, toutes les races de l'empire, Slaves et
Finnois, contribuent à cette immigration. Les Tartares eux-mêmes sont
nombreux à Pétersbourg, où ils s'occupent pour la plupart de petits mé-
tiers : ce sont eux qui parcourent la ville pour acheter les vieux habits, et
qui servent dans les restaurants de premier ordre : des salles particulières
louées à cet effet leur servent de mosquées. Les Allemands, que l'on trouve
parmi les commerçants et les banquiers aussi bien que parmi les arti-
sans et les gens de toute industrie, licite ou équivoque*, ne sont jjas
moins de 50 000 dans la capitale de la Russie ; en outre, une jiaroisse
luthérienne se compose de descendants d'Allemands ne sachant plus que
le russe. On comprend combien l'invasion continue de la ville par des
hommes qui se séparent de leur famille est funeste à la fois pour la santé
et pour la moralité publiques. La proportion des enfants illégitimes est
' Budget de Saint-Pctprsbnurg en 1881: Recelles, 5 778 5G2 roubles; d(,'|)cnscs, 5 771 617 roubles.
Valeur des immeubles de la municipalité : 81 O.'iO 000 roubles.
" Statistique vitale de Saint-Pétersbourg, de 1852 à 186'.' :
Naissances »... 155084
MorU , 172 061»
Perle annuelle 2 158
Perte annuelle de 186!» à 1880 . de 2500 à 5 000
' Proportion des sexes en 1 857 . . . . 100 hommes 42 femmes
» Il 1809. ... 100 » (577580) 77 » (28!» 827)
» I. 1881. ... 100 » (475158) 81 i (580782)
* Proportion <lcs .Vllemands à Pétersbourg en 1870 :
Uommcs, 5,0 pour 100; femmes, 8,5 pour 100.
S96 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
très considérable ' et dans l'hôpital des enfants trouvés viennent s'engouf-
frer chaque année des milliers de petits êtres', qui sont en, partie gardés
dans l'établissement, en partie envoyés en nourrice en dehors de la capi-
tale et même jusqu'à Novgorod ; mais sur les uns et les autres la mort sévit
cruellement : les épidémies emportent en peu de jours le cinquième des
enfants, et c'est en vain jusqu'à maintenant que des hygiénistes de Pé-
tersbourg ont, comme ceux de Paris, élevé la voix contre les infanticides
en masse provenant de l'incurie publique.
La capitale de la Russie, où les militaires et les employés de tout grade
forment une partie notable de la population'', est une ville de luxe, et par
conséquent une de celles où la domesticité est représentée par le plus grand
nombre d'individus*. La richesse et la pauvreté sont en contact immé-
diat dans la vaste cité. A côté de la misère des immigrants de la cam-
pagne, le prolétariat industriel entre dt^à pour une forte proportion parmi
les habitants de Pétersbourg, première ville manufacturière de l'empire.
Quelques grands établissements appartiennent à l'Etat, fabriques de tapis-
series, de glaces, de porcelaine ; mais la principale activité se voit surtout
dans les usines des particuliers, fonderies, ateliers de construction, raffine-
ries de sucre, tanneries, filatures et fabriques d'étoffe de laine et de coton,
brasseries, distilleries, fabriques de tabac. En 1881, on évaluait à 74 200
hommes et femmes, dont 6790 enfants, la population des 586 fabriques
et grands ateliers de Saint-Pétersbourg, et l'ensemble de la production
manufacturière représentait une somme de près de 500 millions de francs.
Cependant c'est moins à l'industrie qu'aux revenus des grands domaines
et aux gros traitements payés par le budget que la société riche de Saint-
Pétersbourg doit de pouvoir alimenter le luxe de ses toilettes au Jardin
d'Été et de ses équipages sur la Perspective Nevskiy. Le petit commerce
< Naissances illégilimes de 1856 à 1865 • 50 pour 100; de 1869 à 1880 20 pour 100.
- Entrés aux Eufants-Trouvôs de Pélersbourg en 1876 : 7578 enfants, dont 7190 illégitimes.
Mortalité totale des enfants trouvés, à l'hospice et en nourrice : 0088, soit 80 pour 100.
' Proportion des militaires, des employés de l'Etat et des com'tisans à Pétersbourg et à Berlin
en 1869, d'après Yanson :
l'clcrshours. Berlin.
Militaires. ....,.....,.,. 1 sur 17 1 sur 59
Employés de l'État . I sur 59 1 sur 117
Courtisans ^ . , ^ , . . , 1 sur 2-26 1 sur 2025
* Domesticité à Pétersbourg et à Berlin en 1809 :
Ménages sans domestique 81 pour 100 à Berlin; -49 pour 100 ii Pélersbourg.
» avec 1 diiiiiestique 15 » » 27 >' '
» » 2 (luniesliiiucs -4 » » 12 » p
1) n 5 » ou davantage. 2 » » 12 )> »
.11 . ...... !> » 1 » »
SAINT-PKTERSBODRG. 597
seul, monopolisé jadis par dos émigrés de Novgorod, est partiellement entre
les mains de Russes ; les grosses affaires se traitent en majorité pour le
compte de négociants allemands, anglais ou de banquiers juifs. D'ailleurs, le
mouvement commercial de Pétersbourg est fort considérable : dans les gares
des cliemins de fer, dans les bassins où viennent aboutir les canaux, enfin
dans les ports maritimes de la capitale et dans les ports de Kronstadt, où
mouillent les gros navires, l'ensemble dos marcbandises écbangées s'élève,
suivant les années, au quart ou au tiers du commerce de tout l'empire'.
On a dragué récemment dans la mer, entre Kronstadt et Pétersbourg, sur
une distance de 50 kilomètres, un canal de 5 mètres de profondeur que
des gares riveraines rattachent au réseau des chemins de fer de la Russie ;
en outre un canal de navigation fluviale, creusé directement de l'embou-
chure de la Neva au Ladoga, pour les embarcations d'un tu'ant d'eau de
5 mètres, leur permettra d'éviter les rapides du fleuve cL le détour qu'il
décrit vers le sud. La plus forte part de la navigation dans les ports de la
capitale n'appartient pas aux armateurs nationaux : les pavillons anglais,
allemand et norvégien flottent sur plus de navires que le pavillon russe, et
même les bâtiments qui voguent sous ce pavillon appartiennent en grande
partie à des Finnois.
Comme ville d'études, Saint-Pétersbourg n'est point l'égale de la plupart
des cités de l'Europe occidentale, puisqu'on y compte encore plus de
300000 personnes complètement ignorantes de la lecture; néanmoins
ses hautes écoles et ses corps savants sont de ceux qui contribuent le plus
au mouvement des études en Europe. Pour la haute littérature, les arts et
les sciences, Saint-Pétersbourg est le principal centre de la Russie', tandis
que Moscou la dépasse de beaucoup pour les publications populaires. De
son université, un peu moins fréquentée, que celle de Moscou, parce qu'elle
ne possède pas de faculté médicale, sortent les meilleurs élèves pour les
sciences physiques et mathématiques \ L'académie de médecine a de 000 à
' Commerce mnrilimc ilc Pélorshourg et de Kronsladl en 1880 : 174 012 000 roubles.
Mouvement des navires en 1880 :
Commerce extérieur. Entrées. . 28(>0 navires, jaugeant 1 081 000 tonnes.
» » Sorties . . . 2775 i. » 1 058 000 »
Ensemble 5655 navires, jaugeant 2 159 000 tonnes.
' Imprimeries à Pétersbourg le I" janvier 1878 : 9i.
* Université de Saint-Pétersbourg au 1" janvier 1882 : Professeurs, 70; élèves, 2027 : bistoire et
philologie, 205 ; physique, mathématiques, 908 ; jurisprudence, 77G ; langues oncntalcs, 80 Biblio-
thèque, 141500 volumes.
598 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
700 étudianls; récemment le nombre en avait été limité à 500, mais le
manque de médecins et la pression de l'opinion publique ont fait reve-
nir sur cette mesure. Les cours de l'école vétérinaire ont été supprimés,
de même que les cours de médecine pour les femmes. C'est à Saint-Pé-
lersbourg que se trouvent toutes les écoles spéciales dépendant des divers
ministères. L'Académie des sciences et quelques autres sociétés publient
des mémoires dont plusieurs ont fait époque dans la science, tandis que la
Société de Géographie, disposant de sommes considérables et traitée par
le gouvernement comme une sorte de ministère pour les explorations
et les découvertes, a présidé à de savantes enquêtes ethnographiques
dans l'intérieur de la Russie et dirige de loin des expéditions nombreuses
en Sibérie, en Chine, dans l'Asie centrale'. Quelques bibliothèques,
entre autres celles de l'Université et de l'Académie des sciences, renfer-
ment des livres rares et des collections précieuses ; mais la plus impor-
tante de toutes, et celle d'Europe qui a le premier rang après Paris et
Londres, est la bibliothèque publique, riche de plus d'un million de
volumes et de plus de 40 000 manuscrits, dont plusieurs sont uniques ;
on y voit aussi la collection des livres de Voltaire, forte de près de
7000 volumes. La bibliothèque s'augmente de 20 000 à 25 000 ouvrages
par an et publie annuellement de précieux catalogues et dos reproductions
de livres rares; la section spéciale de Rossica, contenant les ouvrages
étrangers relatifs à la Russie, se compose de près de 40 000 volumes»
Les musées sont aussi parmi les plus remarquables du continent. L'Aca-
démie des sciences a son admirable galerie asiatique et ses collections
zoologiques où se voit le fameux squelette de mammouth apporté de
Sibérie en 1805. Enfin, le palais de l'Ermitage, qui communique au
Palais d'Hiver, est, par quehpies-uns de ses trésors, un musée de pre-
mier ordre. Non seulement il possède des cartons renfermant 12 000 des-
sins originaux, 200 000 estampes, de beaux tableaux de la plupart des
grands peintres et surtout une série complète de tous les Flamands, il
offre en outre une collection des œuvres de l'école russe, presque inconnue
en Occident ; mais ce qui fait sa gloire, ce sont les restes de la plus
belle époque de l'art grec et les antiquités Scythes provenant de la Tau-
ride et du sud de la Russie : c'est par ces œuvres d'art que le musée de
l'Ermitage est unique au monde. La bibliothèque du ))alais renferme,
' Socii'té (le Géographie de Saint-Pétersbourg en 1881 : Nombre des membres, 9-23.
• Bibliothèque de Saint-Pétersbourg au I" janvier 1877 : 979 000 volumes; 85 575 estampes;
10 000 cartes et atlas.
SAINT-PÉTERSBOURG, KRONSTADT, TZARSKOIE-SELO. 001
parmi tant d'autres richesses, les précieuses collections d'autographes de
Voltaire, de d'Alembert, de Diderot. La collection de l'Académie des
beaux-arts est encore plus riche que celle de l'Ermitage pour les tableaux
de l'école russe.
Ville de palais somptueux, Pétersbourg se complète au dehors par
des parcs et des châteaux de plaisance. Peterhof, sur la rive méridio-
nale de la baie qui sépare Kronstadt des bouches de la Neva, est un
« palais de Versailles », entouré de parcs, de parterres, d'eaux jaillis-
santes ; de ses terrasses, descendant en degrés vers la mer, on voit les
superbes fontaines, la rade bleue, puis au delà les rivages boisés de la
Finlande. A l'ouest de Peterhof, qui fut la résidence favorite de Pierre le
Grand, Oranienbaum, autre château impérial, environné de pavillons et
(le villas, fait face du haut de sa berge à l'île de Kollin et à la ville de
Kronstadt, dont les fortifications redoutables, sombres murailles de granit
se dressant hors de l'eau grise, contrastent étrangement avec les ombrages,
les jets d'eau, les plates-bandes fleuries d'Oranienbaura : avant le règne
d'Alexandre II, on avait déjà dépensé plus de 200 millions de francs })our les
forts de Kronstadt, et depuis lors, c'est encore par dizaines de millions que
l'on a travaillé à l'entretien de ce boulevard do Pétersbourg. Deux des
forts, doublés de cuirasses en fer et en bois de teck, sont pourvues de
tourelles blindées et tournantes. Kronstadt est surtout une ville de guerre
et la plupart de ses habitants sont employés au service des arsenaux, des
forts, des torpilles, de la flotte militaire. Les autres sont occupés au trans-
bordement des marchandises entre les grands navires et les allèges venues
de Pétersbourg. En été, le chemin de fer d'Oranienbaum et de petits
bateaux à vapeur ti'ansportent les voyageurs qui vont et viennent incessam-
ment entre Kronstadt et la capitale. En hiver, c'est la glace qui est devenue
le chemin du commerce. Un hôlel temporaire s'élève à moitié chemin,
des postes sont établis de distance en distance pour secourir les voyageurs
en détresse, surpris par le brouillard, et une voie ferrée s'établit tempo-
rairement sur la glace. Un chemin de fer permanent, longeant la digue d'un
canal, réunit le port extérieur et les gares.
Dans l'intérieur des terres s'élèvent d'autres villes qui sont de simples
satellites de la résidence, groupes de châteaux, de villas, d'hôtels ou lieux de
concert vers lesquels se porte la foule pendant la saison d'été. Tzarskoïe-
Sdo, le « Villagi; lmj)érial », situé à '25 kilomètres au sud de la capitale,
était originairement un simple village aux maisons parsemées à disLince du
château bâti en 17ii par la tzarinc Élizabeth, agrandi et richement orné
par Catherine II, qui en fit son séjour de prédilection. Maintenant Tzarskoie-
»• 7a
602
NODVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Sel'o est une ville, ayant même queli|iio industrie. Au nord-ouest, sur une
colline de 74 mètres de hauteur, s'élève l'observatoire de Poulkovo, par
lequel passe le méridien de la Russie', et qu'ont illustré les reeherclies
de Struve : le télescope que l'on construit à Cambridge, près de Boston,
pour cet observatoire russe, est le plus grand du monde; sa lentille a un
diamètre de 90 centimètres. Près de la ville de Pavl'osk, qui forme, au
sud de Tzarskoïe-Sel'o, comme un faubourg d'auberges et de villas, s'est
bâti récemment un autre observatoire, spécialement consacré à l'étude des
phénomènes météorologiques et magnétiques.
Gattchina, plus éloignée de Pétersbourg que Tzarskoïe-Selo, a eu la
même origine : elle s'est bâtie peu à peu autour d'un château princier,
sombre et triste, perdu au milieu de forêts semées de lacs. Un croise-
ment de chemins de fer et de routes donne une certaine importance com-
merciale à la station de Gattcluna'.
VIII
VERSAM DE L OCÉAN GLACIAL, LAPONIE RUSSE, OURAL DC KORD
KOVAÏA ZEMLA
rnOVINCES D'ABbUANCELSK ET DE VOLOCDA
Toute la partie septentrionale de la Russie dont les eaux s'écoulent dans
l'océan Glacial coïncide assez bien, dans ses limites générales, avec les
vastes provinces presque inhabitées, en raison de leur étendue, d'Arkhan-
gelsk et de Vol'ogda. Cet immense espace qui est, pour ainsi dire, en dehors
' Longitude de Poulkovo. . . . 27» ÛO' 20" E. do Pans. 50» 19' 50" E. do Giocnwich.
Laliliide » .... 59» 40' 18'. 7.
- Villes des ])assins de la Narova et de la Nova dans les gouvernements de Pskov, de Novgorod,
de Saint-Pétersbourg et d'Olonetz, ayant plus de -4000 habitants.
COmERNEMENT TiE l'SKOV.
Pskov (1882) 21200 liab.
Velikiva touki 0 000 n
Soitzî 5 800 ).
Tnropetz 5 800 n
Kbolin 5 450 )i
COlVKIlNEMENr DE .NOVGOROD.
Novgorod (1882) 20 600 hab.
Slarava Rousa(1881; 15 550 »
Borovilchi x 10 150 n
Tikhvin )■ 6 100 »
Bctozers ii 4 500 »
COl'VERNEMEM DE SUM-PETERSBOIT.G.
Saiut-Péter.sbourg(l5 dée. 1881,
avec faubourgs) 929 100
Kronstadt
o^' ....
(1881). . .
. . 48 500
Tzarskoie-Selo
i> . . .
. . 15 000
Scliliisselburg
. . 10 400
Gatlcbina.
"...
. . 10 100
Narva
. . 8 650
Pelerliof
. . 7 950
Novava .Ladoga
. . 4100
Oranieubauni
"...
. . 4 000
iiab.
GOIVKRNEJIENT D OLO.NETZ.
Petrozavodsk (1881) 12000
hab.
VERSANT DE T/OCEAN CLACIAL.
603
<le l'Europe vivante, et qui par son climat, aussi bien que par une partie de
sa population, offre déjà des traits de caractère sibérien, n'a guère qu'un
habitant par kilomètre carré. La province d'Arkhangelsk, même sans
Novaya Zemla, est presque aussi vaste que la France et la Grande-Bretagne
réunies, et pourtant il s'y trouve
N" 137 I, ISTHME HE KAVTH
moins d'êtres humains que dans une
seule ville de rang secondaire comme
Lyon, Lceds ou Birmingham. Com-
paré à l'ensemble de la Bussie d'Eu-
rope, le versant incliné vers la mer
Glaciale représente à peu près le
quart du territoire, tandis que la
population totale des deux provinces
du nord est seulement un soixan-
tième de celle de l'empire '. Cepen-
dant cette région est une des plus
curieuses de l'Europe orientale, non
seulement par les phénomènes inté-
ressants du sol, des eaux et du cli-
mat, mais aussi par l'histoire de ses
habitants. Les riverains de l'océan
Glacial ont eu aussi leur rôle spé-
cial, quoique modeste, dans le déve-
loppement de la civilisation euro-
péenne, et trois siècles à peine se
sont écoulés depuis l'époque où le
chemin de la mer Blanche fut la
seule voi(^ ouverte au\ pays mosco-
vites pour comniuniquiT avec l'Eu-
rope occiilenlale. ■ ■ - ^" ""''
Presque toute la région comprise " '""'"'■
entre les granits de la Finlande et les monts Oural s'incline d'une pente
égale, presque insensible, vers la mer Blanche et l'océan Glacial, et les
fleuves y serpentent lentement en longs méandres ; mais la péuinsulei
' Superficie cl population du versant septentrional de la Russie :
Superficie. Population en 1SS2. Popul. kilomcl.
Arkhangelsk (sans Novaya Zomia). 7fi7 190 kil.car. 2!)9 'J.>0 hah. O.lliab.
VotogJa. ... 'I0l!7'25 » 1 HÔ714))(?) 2.8 »
Ensemble 1 170 215 kil.car. llijGUhal).
1.2liab.
CM NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
de Kola, rattachée politiquement à la Paissie et au gouvernement d'Arkhan-
«^eisk, doit être, d'après la forme de son relief, considérée comme un
simple prolongement oriental de la presqu'île Scandinave : c'est l'extrémité
^ nord-orientale du Kjôlen. La mer Blanche et le golfe de Botnie, s'avançant
au-devant l'un de l'autre, limitent partiellement le territoire de la Laponie
russe ; d'ailleurs, toutes les formations qui s'étendent à l'ouest de la mer
Blanche appartiennent, comme la Suède et la Finlande, au granit et aux
roches anciennes, tandis qu'à l'orient de la mer et jusqu'à l'Oural les
terrains sont d'origine plus récente.
L'intérieur de la Laponie russe est mal connu, quoique le réseau des
itinéraires suivis par les voyageurs le traverse déjà dans tous les sens. Le
Maan Seika des Finlandais se continue à l'est sur le territoire russe, par
des plateaux ravinés, et çà et là, comme dans le Finmarken norvégien,
s'élèvent quelques massifs dont les sommets dépassent un demi-kilomètre
en hauteur; même la petite chaîne de l'Oumbdek, qui commence au nord
du golfe de Kandalakcha, extrémité occidentale de la mer Blanche, dresse-
rait ses plateaux et toundras à plus de 900 mètres. A l'est, les croupes de
100 mètres ne se rencontrent qu'en de rares endroits; presque toute la
surface du pays est revêtue d'une immense tourbière cachant les saillies
du sol ; seulement sur le pourtour, l'ossature de granit et son manteau de
tourbe sont découpés profondément par des ravins emplis dans les creux
d'une neige persistante. D'après Koudravtzev, les phénomènes glaciaires y
sont des plus nets. Les roches sont toutes burinées parallèlement dans la
direction du nord-ouest au sud-est, et jusqu'à la cime les crêtes sont
revêtues de débris appartenant aux moraines de fond. Sur les côtes, les
traces de l'exhaussement du sol sont aussi de toute évidence.
A l'orient de la Mezeiî et de la péninsule de Kanin, une chaîne de hau-
teurs qui s'enracine dans la parma, plateau boisé, dans lequel divergent
les sources de la Dvina, de la Petchora, de la Kama, suit assez régulière-
ment la direction du nord-ouest, interrompue çà et là par des brèches où
passent des rivières serpentines, descendant les unes vers la Mezen, les
autres vers la Petchora. Ce faîte, auquel on donne parfois le nom de « mon-
tagnes » de Timan, atteint en quelques endroits 200 et '250 mètres, et
même, vers son extrémité septentrionale, une cime s'élèverait à 272 mètres
au-dessus de la mer. Mais là déjà le faîte, découpé par de nombreuses
rivières, se ramifie en forme d'éventail et se termine dans les eaux de
l'océan Glacial par quehjues presqu'îles parallèles, dont l'une s'avance à
une trentaine de kilomètres en dehors de la ligne régulière du rivage :
c'est un Svaloï Nos, un de ces nombreux « promontoires sacrés » que les
ILE KOiGOUYEV, PÉNINSULE DE KANIN
60r.
rtNTXSriE DE KANIN.
marins doublent avec inquiétude, se demandant si par delà la pointe le
vent ou la houle ne les saisiront pas brusquement ou s'ils ne se trouveront
pas perdus dans les brouillards ou dans les glaces flottantes. La grande ile
de Kolgouyev, qu'un détroit de 100 kilomètres environ sépare de la terre
ferme, peut être considérée comme la continuation du faîte de Timan,
car les eaux marines intermédiaires ont à peine 30 mètres de profondeur
et les abîmes de 100 mètres et davantage ne commencent qu'au delà. Kol-
gouyev, dont on évalue la super-
ficie à 5500 kilomètres carrés,
est entourée de bas-fonds et
difficile d'accès ; au plus 00
ou 80 chasseurs y abordent
chaque année pour capturer
sur les rivages les phoques,
les morses, les ours blancs,
mais surtout les oies, les cy-
gnes et les canards, ou pour-
suivre dans les marais et sur
les collines tourbeuses de l'in-
térieur les renards bleus et les
rennes. Tous les essais de colo-
nisation permanente se sont
jusqu'à maintenant terminés
par un désastre. En 1707,
soixante-dix raskolniks, fuyant
la persécution religieuse, s'éta-
blirent dans l'île pour y célé-
brer leurs rites suivant leur
conscience ; mais en peu de
mois le scorbut les eut tous
0 50 kil.
emporli's.
Peut-être ne faut-il voir aussi dans la péninsule de Kanin que le
prolongement occidental d'un éperon secondaire du faîte de Timan. Toute
la partie septentrionale de cette presqu'île, disposée en forme de marteau,
est occupée, du cap Mikoul'kin au cap Kanin, par un plateau de schistes cris-
tallins qui continue exactement une zone rocheuse commençant sur la terre
ferme : les plus hautes croupes de ce plateau, auquel on donne parfois le
nom de Tiounskiy Kamci'i, ont un peu plus de 100 mètres. Ces schistes de
la péninsule terminale sont séparés de la masse du continent par des
CÛ6 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
strates jurassiques où jaillissent, dit-on, quelques sources de naphle et qui
renferment des gisements de pyrites et de cuivre. Jadis Kanin était une île.
11 y a une centaine d'années, la rivière Tchija, qui coule à l'ouest vers le
golfe de Mezen, et la Tcliechtcha, qui descend à l'ouest dans la Laie orien-
tale, sortaient l'une et l'autre d'un même lac, el les barques pouvaient se
rendre facilement de l'une à l'autre rive. Le lac n'est maintenant plus qu'un
marais et toute navigation a cesse entre les deux baies opposées '. Ce chan-
gement provient sans doute du mouvement général de poussée qui soulève
toutes les côtes septentrionales de la Russie : l'ancien détroit maritime
a été changé en lac à double émissaire, et ce lac à son tour est devenu
un marais entre deux l'ivières. Sur les côtes de la Laponie russe, M. Koud-
ravtzev a retrouvé des coquilles marines à une hauteur de 80 mètres
environ au-dessus de la mer-; c'est le même phénomène que tant de géo-
logues ont observé sur les côtes de Finmarken et de la Norvège occidentale.
Outre les coteaux du faîte de Timan, les grandes étendues de la pro-
vince d'Arkhangelsk ont quelques chaînes de hauteurs qui se ratta-
chent aux monts Oural; mais, si ce n'est dans le voisinage immédiat de
ces montagnes, ces ramifications ouraliennes n'ont qu'un faible relief,
n'atteignant 200 mètres que par un petit nombre de sommets. D'ailleurs le
contraste des collines et des plaines est peu marqué dans ce pays : pendant
plus de la moitié de l'année, les neiges recouvrent de leur couche uni-
forme lacs et marais, terrains plats ou ondulés ; durant le rapide été, la
végétation des bas-fonds diffère peu de celle des hauteurs,ct celles-ci por-
tent aussi sur leurs pentes des tourbières semblables à celles des dépres-
sions. Presque toute la contrée, jusqu'au 66" degré de latitude, est encore
couverte de forêts, dont la valeur relative s'accroît d'année en année, à
mesure que se déboisent les régions du centre de la Russie. Les neuf
dixièmes de la surface du gouvernement de Vol'ogda sont revêtus d'arbres,
conifères et bouleaux, et la même proportion se maintient dans la partie
méridionale du gouvernement d'Arkhangelsk : toutes les hauteurs sont
boisées et le nom russe de (jora de même que l'appellation zîrane de
jiarma signifient indifféremment « mont » ou bois% comme dans l'Amé-
rique du Sud les termes de monte et montaiia, ou le mot de ivdid eu
maint district d'Allemagne. Mais au nord le climat est trop rude pour que
la végétation arborescente puisse se développer librement; les arbres sont
remplacés par les arbustes, et ceux-ci par des tiges rampantes, ayant à
• Roinickc, llijilroyrnphic ; — Maximov, ouvrage cité.
- Tniili Si. l'etersbiirskayo Obclilclicslva Eslcstvoispitalckï, XIV, 1885.
' iMaximuv, Une année dans le Nurd (eu russe).
COLLINES DU NORD, MONTS OURAL. 007
peine quelques feuilles qui s'abrilenl sous les touffes de mousse d'un
rouge d'ocre ou d'un blanc pâle : on voit s'étendre au loin les immenses
solitudes des toun(lras\ semblables à celles de la Sibérie du Nord. Toute-
fois la température moyenne du sol des toundras russes dépasse de
plusieurs degrés celle des plaines de l'Orient sibérien : même en Laponie
on ne trouve point de couches de glace persistante au fond des tourbières ;
çà et là même il en jaillit des sources dont l'eau ne gèle pas au fort de
l'hiver. Partout où la terre n'est pas trop humide et où elle est bien
exposée aux rayons du soleil, quelques plantes du midi se hasardent à
croître et à fleurir. Sur les Zimniya Gorî ou « Montagnes de l'Hiver »,
collines d'argile verdàlre et de sable qui dominent de 80 ou 100 mètres
la rive orientale du goulet de la mer Blanche, encore dans la zone de
végétation arborescente, les pentes méridionales sont couvertes d'aconits
bleus et de pivoines écarlates, « dernier sourire de la nature' ». Des
racines d'arbres trouvées çà et là dans la toundra prouvent que la végéta-
tion forestière s'étendait jadis beaucoup plus loin vers le nord : on trouve
des grosses souches de conifères là où l'humble osier ne croîtrait même
plus'.
Au point de vue géologique, l'Oural, dont une partie limite à l'est le
gouvernement d'Arkhangelsk et le sépare de la Sibérie, est bien une chaîne
de montagnes continue; du sud au nord, elle est composée des mêmes
roches cristallines, revêtues de part et d'autre des mêmes strates disposées
régulièrement et contrastant avec l'uniformité des plaines de la Russie
d'Europe et de la Russie d'Asie. Mais au point de vue géographique, la
« Ceinture du Monde » (Zemnoï Poyas) — car tel est le nom que
donnaient autrefois les Russes aux monts Oural — n'a point la même
unité : elle se divise en plusieurs fragments, séparées par de larges dé-
pressions qui unisent l'Europe à la Sibérie; cependant elle garde son
caractère de faîte de partage pour les eaux, ainsi que l'indique, paraît-il,
son nom actuel, d'origine ougrienne. L'Oural du midi, le i)lus remar-
quable par sa richesse minérale, est séparé de l'Oural du nord par de
larges ouvertures où la chaîne semble presque avoir disparu. De même
l'Oural du nord, qui se subdivise du midi au septentrion en Oural
des Vogoules, des Ostaks, des Saraoyèdes, reste séparé par des cols peu
élevés de l'Oural de Kara, ou Pac-khoï, se développant à angle droit de
' Ou mieux troundras : en ziranc, « pays sans arbres ». 0. Finscli, Rcise tiach West Sibirien
im Jahre 1876.
' MaximoT, ouvrage cilù.
' Gusl. V. Duben, Lappland ocli Lapparnc.
608 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
la crête principale vers le nord-ouest. L'île de Vaïgatcli est aussi un
fragment du Pae-khoî, et les chaînes parallèles de granit qui se dressent
dans la partie septentrionale de Novaya Zemla, orientée dans le sens du
sud-ouest au nord-est, donnent à l'ensemble du système ouralien une
longueur de plus de 5000 kilomètres.
L'Oural est considéré comme prenant son origine vers le 65° degré
de latitude, au nord des montagnes où naît la Pctchora pour s'écouler
dans la mer Glaciale, et où sourdenf, sur l'autre versant, de grands
affluents de l'Ob. Entre le massif de la Petchora naissante et les monta-
gnes du nord, il n'y a point de chaîne proprement dite, mais seulement des
massifs inégaux, distincts, non parallèles dans leur direction, qui donnent
à la ligne de séparation des eaux une forme très irrégulière : un de ces
chaînons latéraux est le fameux Bovl'anovskiy-Mis ou « Mont des Idoles »,
dont une cime, ébréchée par le temps, se partage en roches bizarres, sem-
blables À de gigantesques statues : la plus haute, de plus de 50 mètres
d'élévation, fut un dieu vénéré et peut-être a-t-il encore des adorateurs '.
La chaîne, qui commence par la pyramide du Tell-Pos-ls ou Nepubi-
Nior, change de direction pour se développer vers le nord-est, mais elle
projette à l'ouest de nombreux chaînons et se rattache ainsi à un massif
distinct, que dominent les parois, les éboulis et la crête escarpée du
Sabla. Ses monts n'ont d'arbres qu'à la base, et leurs rochers de granit
sont dépourvus de toute autre verdure que celle des mousses et des
lichens. Sa nudité lui a valu le nom de « Pierre » (Kamen) ou de
« Grandes Pierres » {Boldnijc Kamni en russe, Udjid is en zîrane, Àrka
pae en samoyède, Kà-on en ostak), que lui donnent les indigènes. Des
neiges persistantes emplissent les ravins de ces montagnes dans les endroits
tournés vers le nord, et même de vastes névés, ayant de loin l'apparence
de glaciers, emplissent les cirques ; mais les plus hauts sommets sont
parfois complètement dégagés de neiges*.
Toutefois il n'y a plus de glaciers sur ces montagnes, situées en partie
au delà du cercle polaire. L'humidité qu'elles reçoivent sous forme de
neige n'est pas assez considérable, et leur hauteur moyenne, inférieure à
1000 mètres', n'est pas suiTisanlc pour que des fleuves de glace aient l'es-
pace nécessaire à leur développement. Mais les promontoires du Pao-klioï
' Kcyserling, Reise in dcn Pelschora Gegenden.
' Kovaiskiy, Dcr nvrdliche Vrai und das Kiisteiujcbiiye Pai-Choi.
' llnuteurs principales des sommets ilc l'Oural du Nord :
Tell-I'os (01") environ 1500 mètres, i Tchaindi-Pae (lîT" 40'). environ I ,'70 mètres.
l'ae-Vcr (00» iU'j M20 o I Kouslautmovskiy Kaiiien{0t>"20') 15G »
OURAL DU NORD, ANCIENS GLACIERS. 609
ft des chaînons parallèles ou latéraux qui vont se terminer au nord de
l'Oural, soit dans le golfe de Kara, soit dans l'Océan, ont une autre cein-
ture de glace : ce sont les eaux de la mer congelées en hiver autour de
rocs et brisées de temps en temps par l'ondulation du flot ou des frag-
ments de banquises venues de la haute mer '.
Récemment encore on n'avait pas constaté les traces d'anciens glaciers
sur les flancs des monts Oural : on n'y avait vu ni stries, ni « polis »,
ni blocs erratiques proprement dits"; toutefois Polakov a constaté derniè-
rement l'existence de nombreuses moraines et reconnu des stries évidentes
se dirigeant du nord-ouest au sud-est, parallèlement à celles que l'on voit
sur les rochers de la Finlande et du gouvernement d'OI'onetz . L'étonnant
contraste signalé jadis entre les montagnes de l'Oural du nord et celles
de la Finlande et de la Scandinavie, situées sous des latitudes moins
froides, semblait incompréhensible au premier abord ; mais il faut
dire que, dans les régions du nord, polis, stries et blocs morainiques
sont rapidement recouverts par d'épaisses couches de mousse, et qu'on ne
peut retrouver la surface exposée jadis à l'action des glaces, si ce n'est
là où les eaux, au lieu d'apporter de nouveaux débris au-dessus des mo-
raines, ont exercé une œuvre de dénudation. Or, toutes les plaines qui
s'étendent à la base de l'Oural sont des toundras revêtues de mousse ou
des terres d'alluvion où le sol primitif est recouvert par des apports nou-
veaux. C'est ainsi que dans le nord de la Finlande, qui est précisément,
avec la Scandinavie, le pays classique de l'Europe pour le phénomène de
la dispersion des glaces, on ne voit pas autour des cimes entourées de
débris ces traces de l'action glaciaire, si nombreuses et si évidentes dans
la région basse, sur le littoral érodé de la Finlande méridionalo \ D'ail-
leurs, le travail d'usure doit être beaucoup plus faillie sous h masse
presque immobile des névés que sous des glaciers à écoulement rapide.
Or les eaux cristallisées qui recouvraient l'Oural, de même que les hau-
teurs de la Finlande et de la Sibérie, devaient se présenter surtout sous la
forme de névés.
La chaîne terminale, sur les bords de la mer de Kara, n'est guère par-
courue que par les Ostaks et les Samoyèdes, et les voyages d'exploration
sont fort difiiciles dans les toundras parsemées de laô et de marais, où les
seuls lieux d'abri contre les vents froids sont des berges de ruisseaux ou
des blocs couverts de mousse. En 1771, Zouyev en fut le premier visiteur
' lliifmann, Der nuidlichc lirai und dus Kiisteiujebiige l'ai-Choi.
' Murchison, de Veiiicviil et vnii Keysciling; — von Ilelmcrscn, etc.
° Kro|>olkin, liv'esliya lioiusk. Gcoijr. Obchlcheslva, 1878, n' 7.
y. 77
CIO
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
savant. Castrèn franchit également celte partie de l'Oural, qu'étudièrent
ensuite, de 1847 à 1850, llofmann et Kovalskiy, puis tout récemment,
en 1876, Finsch, Brehm et Waldburg-Zeil ; mais la cartographie du pays
est encore loin d'être achevée ; la plupart des montagnes n'ont été me-
N° 139. — OURAL DD XOBD.
E deP
Ede G
surées qu'approximativement ; le cours de mainte rivière est indiqué d'une
manière incertaine, et l'on ne sait pas même positivement si la rivière
de Kara, sur le versant occidental, et celle de Chtchoutchya, sur le versant
oriental, naissent en im même lac. dans une dépression de la chaîne. Les
0 Grosses Pierres » ne fonnciit pniul une liniilcde végétation entre l'Europe
OURAL DU NORD, LACS DU VERSA^•T BOREAL. Cil
et l'Asie : au sud, dans la zone des forêts, les bas versants appartiennent
également à l'aire caractérisée par les sapins' ; au nord, les mêmes mousses,
les mêmes lichens, les mêmes plantes ligneuses rampantes s'étendent
dans la toundra d'Europe et dans celle d'Asie. Quoique en moyenne la
Sibérie soit, à égale latitude, plus froide que la Russie d'Europe, cepen-
dant le contraste des températures est en fiiveur de l'orient dans l'Oural
des Samoyèdes. Les arbres s'avancent beaucoup plus loin vers le nord dans
le bassin de l'Ob que dans celui de la Petchora ' ; la neige d'hiver y tombe
en beaucoup moindre abondance ; la couche en est rarement assez épaisse
pour que les rennes ne puissent pas facilement trouver la mousse en grattant
la neige du j)ied, et sous le Gô" degré de latitude, Kovalskiy passa même en
certains endroits, au milieu de l'hiver, sur la terre nue". Les orages, fré-
quents sur le versant de l'ouest, sont extrêmement rares sur celui de l'est.
Des deux côtés, la zone des forêts se limite assez brusquement, non par de
simples fourrés d'arbrisseaux rampants, mais par de véritables halliers, où
s'élèvent encore de beaux sapins de 6 à 8 mètres de hauteur, seulement
inclinés vers le sud par le vent de la mer Glaciale. Çà et là errent des rennes
sauvages, assez nombreux encore dans la région des forêts ouraliennes,
mais rares dans la toundra. Quant aux lemmings ou « lapins de Norvège »,
ils foisonnent dans cette région de l'Oural comme dans la Scandinavie,
et y voyagent aussi par bandes innombrables. De la fin de mai au mi-
lieu de juin, ils traversent l'Oural en venant de l'est et gagnent les
bords de l'océan Glacial; en automne, ils retournent sur le versant
sibérien '. Comme dans toutes les régions marécageuses du Nord, des
nuées de cousins, qui s'élèvent des mares, aussi cruels que les moustiques
des régions tropicales, font le tourment des voyageurs.
La contrée des hautes terres qui séparent le bassin de la Volga des
pentes tournées vers la mer Blanche porte les traces des couches glacées
qui les recouvraient autrefois. En se fondant, ces glaciers ont formé les
lacs d'eau douce qui remplissent encore les cavités de la contrée et qui
jadis s'élevaient à un niveau plus considérable, car en maints endroits on
reconnaît les anciennes plages à plus de vingt mètres au-dessus de la
nappe des lacs actuels. L'élude des terrains prouve que les eaux de la mer
n'ont point envahi celte région et que, par conséquent, nulle coniniuni-
calion n'a existé pendant les époques modernes entre la mer Dallique et
' Ruprcchl, Bulldin de rAcnd(}mie des sciences de Sainl-Pélersbourg. 1803, tome III.
• Schrcnck, Kovalbkiy, Ilofiiiaiin, finscli.
■ Ouvrage cité.
* Uufiiiann und Schrcnck; Finscii, clc.
61-2 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
l'océan Glacial, comme l'avaient admis plusieurs géologues avant que la
nature du sol eût été suffisamment étudiée. L'union de mer à mer s'est
faite indirectement par le labyrinthe des lacs et des rivières qui s'épan-
chaient de ces bassins en sens divers ou qui, suivant les oscillations du
sol ou simplement l'inégale croissance des tourbières, descendaient, tantôt
vers le sud, tantôt vers le nord. De cette manière seulement on peut expli-
quer les échanges de poissons et de crustacés qui se sont faits de l'un à
l'autre versant : c'est par le même chemin que le phoque vituUna, espèce
qui vit à la fois dans la mer Blanche et dans les grands lacs Onega
et Ladoga, aura pu coloniser ces eaux intérieures. Le lac ■Latche, à
l'orient du lac Onega, fut jadis peuplé de phoques, ainsi que le prouvent
les ossements de cette espèce de cétacé trouvés dans les plages. 11 est à
remarquer que toute la région septentrionale, des eaux de la Volga au lac
Blanc (Bel'o Ozei'o) et à la Cheksna, présente une faune essentiellement
arctique : c'est à la Cheksna seulement que commence la faune spéciale au
bassin du grand fleuve. D'où vient ce contraste, sinon d'un changement
dans la forme des bassins? Naguère, le système lacustre de la haute Volga
déversait le trop-plein de ses eaux dans la mer Blanche ; de nos jours,
il l'envoie à la Caspienne. Dans cette région lacs et rivières s'entremêlent
en labyrinthe ; cependant il s'y trouve aussi des bassins lacustres com%
plètement isolés. Ils ne renferment que de l'eau douce, soit parce que le
sol environnant ne contient pas de particules salines, soit plutôt parce que
les diverses oscillations du sol ont mêlé souvent les eaux des lacs, leur
donnant ainsi un écoulement temporaire'.
Actuellement les bassins situés sur le versant de la mer Blanche sont
bien inférieurs en dimensions aux grands lacs de l'Ingrie, Onega et Ladoga ;
cependant on en compte encore sept ayant plus de 500 kilomètres carrés*.
D'ailleurs il s'en faut de beaucoup que les mesures de superficie don-
nées par les géographes de la Russie puissent être considérées comme
authentiques. Les cartes de la plupart des lacs, de leurs promontoires, des
îles qui les parsèment, des rivières qui s'y jettent, ont quelque chose de naïf
' Schilling, Zcilschrifl der Gesellsclmft filr Erdkunde zti Iteilin, 1875, ii" 00.
- Lacs principaux du versant de la mer Blanche :
Seg (gouvernement d'Ùlonelz), d'après Slrelhilzkiy l'2lG kilomètres carrés.
Top ( » d'Arkhangelsk) .. . ... 4005 » »
Vîg ( .1 d'OloneU) .) 801 »
Imandra (Laponie), d'après Koudi-avtzeT 2000 » »
Kutno moyen et inférieur (gouv. d'Arkh;ingeisk),d'ap.Slrel. . 750 » »
Ldov ou Kouta » » » . . 58i » »
Pav ou l'aâ » » d . . 560 » )i
LACS DL' VERSANT BOREAL, DVINA. 615
et de gauche trahissant l'ignorance. Même sur les meilleures, la précision,
la netteté des contours qui distinguent les traits de la nature sculptée par
les agents géologiques manquent complètement. On est étonné du contraste
que présentent à cet égard la carte de la Finlande et celle du gouverne-
ment d'Arkhangelsk. Du côté finlandais, toutes les lignes géographiques
sont dessinées avec rigueur : on est en présence d'une image fidèle qui
plaît aux veux et satisfait le géologue. Mais dès qu'on a dépassé du regard la
ligne de frontière, tous les linéaments deviennent mous, indécis, flottants :
la nature n'est que pressentie ; elle n'a pas encore été dévoilée.
Les rivières qui entrent dans la partie occidentale de la mer Blanche
appartiennent géographiquement à la Scandinavie et à la Finlande :
même le Kerii et le Vîg ne sont que les écoulements des lacs étages qui
remplissent les vasques granitiques de la contrée. Le premier cours d'eau
qui soit un fleuve achevé, l'Onega, porte le même nom' que le grand lac du
bassin de la Neva, comme pour rappeler qu'il naît dans une dépression jadis
commune à toutes ces eaux intérieures. Le llatche, qui sert de source à la
rivière Onega, communiquait pi'obablement autrefois avec le lac de même
nom, et n'en reste séparé que par des terres basses, partiellement inondées :
lui-même, à demi comblé, n'a maintenant plus que 2 à 4 mètres de pro-
fondeur, malgré sa grande étendue, évaluée par Sti-elbitzkiy à 561 kilo-
mètres carrés. Des seuils de rochers, sur lesquels il n'y a que peu d'eau
en été, interrompent le cours de l'Onega en plusieurs endroits, même
à une faible dislance en amont de l'embouchure, et rendent la navigation
difficile.
Le fleuve principal de la Russie septentrionale est la Dvina, c'est-à-dire
le « Fleuve » par excellence, comme la Diina, le Don et le Dounaï ou
Danube : les Russes distinguent ce cours d'eau de la Dùna ou Dvina Occi-
dentale par le nom de Severnaya Dvina ou Dvina du Nord. C'est un fleuve
puissant dont le bassin égale en superficie les deux tiers de la France, et
dont la longueur totale, comptée des sources de la Vîtchegda jusqu'à la
mer, dépasse 1700 kilomètres. La rivière la plus abondante, née dans le
voisinage de l'Oural, est alimentée par deux grands affluents, au sud la
Sîsolka, au nord le Vîm, qu'un portage fait communiquer avec le système
hydrographique de la Petchora. Un des tributaires du Vîm, la Vorîkva ou
Vcrkva, est en partie souterraine : à près de 100 kilomètres de sa source,
celte rivière, déjà considérable, s'engouffre dans un puits pour reparaître
en filets nombreux à 21 kilomètres en aval, et remplir son lit de 60
' Le « liruyanl », du finnois Aûnis, d'après EuropSus {i'eber 'las ugrische Volk).
614 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
mètres de largeur; le cours superficiel n'est continu que pendant les crues
du printemps'. Ce n'est pas la Yîtchegda qui est considérée comme la
maîtresse branche : la Dvina prend son nom au confluent de la Soukhona
et du Youg, tributaires de l'ouesl et du sud, coulant dans le même sens
que les chemins de migration suivis jadis par les colons novgorodiens et
moscovites. Au bec de la Yîtchegda, la Dvina, navigable pour de grandes
embarcations, a déjà plus d'un kilomètre de large; plus bas, grossie de
la Yaga, de la Pinega et de tant d'autres rivières, elle s'étale en maints
endroits, surtout en amont des lacis de coulées latérales, sur un espace
variable de 5 à 7 kilomètres de rive à rive. A Arkhangelsk même, elle
n'a guère plus d'un kilomètre; mais sa profondeur est devant cette ville
de 12 à 21 mètres. En été, quand la nuit n'est qu'un crépuscule suivi
d'une aurore, peu de spectacles sont plus imposants que celui de ce large
fleuve, vu d'un radeau qu'entraîne le courant silencieux ; au loin se pro-
longe la lisière à peine visible des forêts, et l'immensité du ciel rouge se
reflète dans l'eau ridée.
Le delta de la Dvina, que les alluvions du fleuve ont formé dans la baie
d'Arkiiangelsk, s'étend sur un espace proportionné à l'importance du cou-
i-ant d'eau : il comprend environ 1150 kilomètres carrés, et des fausses
rivières, des lacs, des marais abandonnés dans l'intérieur des terres aug-
mentent encore celte étendue. Quatre courants principaux, réunis les uns
aux autres par des coulées latérales, traversent ces terres basses, changeant
parfois de direction, et diminuant ou grossissant tour à tour pendant les
conflits du courant fluvial et de la marée montante. Il fut un temps où la
branche occidentale était la plus profonde; elle est maintenant ensablée,
et les navires doivent passer par un autre chenal, oii ils trouvent à marée
basse une profondeur de 2 mètres et demi à 5 mètres et demi. Les grands
changements dans les contours des îles et la direction des chenaux se pro-
duisent lors de la débâcle, alors que les glaces, déjà brisées en amont, où
la température du printemps est plus élevée et où les eaux sont plus ra-
pides, viennent s'accumuler sur les rivages et sur les dalles encore gla-
cées qui leur résistent. Par l'effet de la rupture des glaces qui tiennent
solidement aux berges rocheuses, des fragments de calcaire sont détachés,
soulevés et rejelés sur les bords ; tout le long de la rive s'élèvent des rem-
parts de débris qui n'ont pas une autre origine\ La débâcle diminue encore
l'espace de temps laissé par l'hiver à la navigation : en moyenne, la Dvina
' l'(i|iiiv. Les Zir'unes el la Zir'anie (en russe).
* Miucliisin, Russia and Ihc irai Mouiitaiiis.
DVINA, MEZEN, PETCUORX. G17
est prise pendant 191 jours devant Arkhangelsk; pendant deux siècles, le
jour moyen de la fermeture a été le 23 octobre, et celui de la débâcle le
2 mai'. Bien que couverte de glace pendant plus de la moitié de l'année,
la Dvina est très poissonneuse : on y trouve une espèce voisine de la morue,
la navaga, qui lui appartient en propre, ou que du moins l'on n'a pas en-
core découverte en d'autres rivières. Le sterlet, jadis inconnu dans la Dvina,
a fait son appartion dans les eaux d'Arkhangelsk vers 1865, grâce évidem-
ment au canal de Catherine, qui réunit pendant longtemps le système de la
Kama-Volga et celui de la Dvina. Les hommes du peuple, étonnés à la vue
de ce poisson inconnu, en dédaignèrent d'abord la chair; mais l'exemple
des Russes du Midi les décida bientôt à pêcher les sterlets pour s'en nourrir
eux-mêmes, et le prix marchand s'en est rapidement accru ^
La Mczen, dont le bassin est compris en entier dans le vaste demi-
cercle formé par la Dvina et ses affluents orientaux, n'est qu'un petit fleuve
en comparaison du grand tributaire de la mer Blanche; cependant, par sa
longueur, l'étendue de son bassin et la masse de ses eaux, il est l'égal de
la Seine : plus large que le fleuve français, il a même plus d'un kilomètre
avant de mêler ses eaux à celles de l'estuaire marin, obstrué de bancs
de sable, qui s'ouvre en entonnoir vers le nord-ouest. Comme la baie de la
Seine, celle de Mezen se distingue par les phénomènes anormaux de ses
marées. En moyenne, le flux y est de 4 heures seulement, tandis que le
reflux dure 8 heures; mais la marée montante est accompagnée d'un cou-
rant si rnjiide, que les navires mouillés dans la rade ont peine à se main-
tenir sur leurs ancres.
Quant au fleuve des solitudes orientales, la Pelchora, il n'est pas infé-
rieur à la Dvina, et son bassin s'étend même sur un espace plus considé-
rable. 11 commence par longer dans la direction du nord la base des
contreforts occidentaux de l'Oural, se grossissant à l'issue de chaque vallée
d'autres cours d'eau, parmi lesquels le Chtchougor, descendu des neiges de
Tell-I*os-Is ; celte rivière est devenue célèbre par la cascade de sa haute vallée
et par ses trois cluses dites « Portes de Fer », dont les rochers, découpés
en piliers énormes par des fissures verticales, sont d'une éclatante blan-
cheur. Après avoir reçu la rivière Oussa, qu'alimentent également les neiges
de l'Oural, la l'clchora se (h'-lourne à l'ouest el serpente dans la dépression
du sol, qui se prolonge un pmi au sud de la zone polaire, de l'Oural au golfe
de Mczen; puis elle se replie non moins brusquement pour se diriger au
' Scriionov, Diclionnairc de l'Empire russe (en russe).
' MaxiinoT, Vne année dans le Nord (en russe).
ï. 78
618
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
nord et se réunir à la mer Glaciale par un delta d'environ 200 kilomètres de
longueur, où les branches du fleuve s'entremêlent en immense dédale au-
tour dos îles, des îlols et des bancs de sable, changeant de forme à chaque
nouvelle débâcle; une barre de sable à l'entrée du chenal de navigation ne
CASSE PETCanRA.
permet l'accès du fleuve (|u'aux navires de moins de i mètres de calaison.
Dans la région du delta, le fleuve n'est libre de glaces que pendant l^T
jours en moyenne, du 25 mai au 1" octobre. On s'étonne du commerce
considérable de bois, de céréales, de pelleteries qui se l'ait sur celle rivière
de la région polaire, recouverte si hinglemps par les glaces et interrompue
de ra(H(les dans une partie de son cours. D'ailleurs, la faible popnla-
PETCHOUA, MER BLANCHE. 619
tion russe, zîrane, samoyède, s'est établie en entier dans les hameaux et
les petits villages qui bordent le fleuve à de grandes distances les uns des
autres'. Les domaines appartenant aux diverses associations de pèche s'éten-
dent chacun sur un espace de plusieurs milliers de kilomètres carrés, le
long de la Petchora et des îles de la mer Glaciale. Des Russes associés pour
la pèche du dauphin blanc réservent la dîme de leur pèche à Saint-Nicolas
de Poustozersk pour assurer ainsi le succès de leur entreprise'.
La mer qui baigne les côtes de la province d'Arkhangelsk s'avance pro-
fondément dans les terres par de nombreuses baies, même par des golfes
intérieurs que rétrécissent à leur entrée de hauts promontoires. Un des
golfes les mieux séparés de la mer est celui dans lequel se jette la Petchora.
Une flèche basse développe sa courbe régulière au nord-ouest du golfe et se
continue par une chaîne d'îles, qui s'avance à la rencontre d'un autre
cordon littoral analogue aux lidi de l'Adriatique et aux nehrwujen de la
côte prussienne. A l'entrée de la mer Blanche, on reconnaît aussi dans
l'île de Morkhovetz le reste d'un littoral continuant la ligne régulière for-
mée du nord-ouest au sud-est par la côte de la Laponie et par celle qui
borde le golfe de Mezen. Du reste, le cours du Mezeii, ceux de la Dvina
et de l'Onega, enfin toute la partie de la mer Blanche qui s'étend de la baie
d'Onega à celle de Kandal'akcha, sont orientés dans le même sens : ces
traits parallèles sont un des caractères distinctifs de la géographie du nord
de la Russie.
La mer Blanche, cette vaste mer intérieure de plus de 100 000 kilo-
mètres carrés, doit être à maints égards considérée comme un lac ou
comme un ensemble de lacs rattachés à l'océan Glacial : le goulet ou « cor-
ridor » qui contourne la côte de Laponie en a fait un golfe d'eau saline,
mais en lui laissant un caractère indéjiendant par l'aspect et la forme de
ses rivages aussi bien que par le relief de son lit. Ainsi la mer Blanche est
plus profonde que l'Océan libre, avec lequel ses eaux sont maintenant unies.
Elle n'a qu'une cinquantaine de mètres à l'entrée, tandis que vers l'cxtré-
' FlcuTcs russes principaux du versant tic l'ocran Glacial (longueurs d'après M. Tillo) :
Longueur. Su|ierlicie approximative du bassin,
Onega 050 kilomèlrcs. 60 000 kil. carrés.
Dvin; 172:) i. 565 000 ),
Mezeii 815 « 80 000 ii
l'etchora KiôO >, 550 000 »
* Nordenskjnid, Lellre» ii M. Oscar Dickson, 7 aoùl 1878.
620 iNOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
mitô du golfe de Kandalakclui la sonde touche le fond à plus de 500 mètres
de la surface. Le golfe que l'on pourrait appeler « lac » Onega, comme
celui qui appartient au bassin de la Neva, est peu profond; il n'atteint
nulle part 80 mètres et reste séparé du bassin principal par le groupe des
îles Sol'ovetzkiy ; plusieurs îles et de nombreux îlots émergent dans ce
golfe intérieur. Il est possible qu'un jour la mer Blanche devienne un lac
pareil au Ladoga et à l'Onega et déverse ses eaux surabondantes dans l'océan
Polaire par un fleuve continuant la Dvina supérieure : le mouvement de
poussée qui soulève les côtes de la Laponie et sans doute aussi le lit de la
mer peut changer le golfe en un bassin lacustre. La hauteur du seuil d'en-
trée empêche les sables et les limons d'être emportés vers la mer, de sorte
que la cavité intérieure du golfe se comble incessamment par l'apport
d'alluvions nouvelles : toute profonde qu'elle est, la mer Blanche était donc
beaucoup plus creuse jadis. Quant à la salure de l'eau, elle est restée
moindre que celle de la haute mer : les pluies, les neiges et surtout la
masse d'eau et les glaçons brisés que lui apportent la Dvina, l'Onega et les
autres affluents, ont amoindri du tiers, du quart ou du cinquième, suivant
l'éloignement de la grande mer, la teneur saline de l'eau'. Cependant on
fait encore un peu de sel sur les côtes brumeuses de la mer Blanche : la
chaleur du feu y remplace celle du soleil pour la vaporisation des eaux
salées; mais le gouvernement n'autorise les riverains à prendre qu'une
faible quantité de bois dans les forêts de l'État'.
Par le tournoiement de ses eaux, la mer Blanche appartient aussi à
l'Océan, et ses courants doivent être considérés comme des remous laté-
raux. Une nappe d'eau océanique pénètre incessamment dans cette mer
intérieure en longeant les côtes occidentales du corridor d'entrée, et parfois
avec une vitesse de quatre kilomètres et demi par heure'. M. de Middcn-
dorff attribue à ces eaux venues du large une influence considérable sur
la température moyenne du bassin de la mer Blanche : elles appartiennent,
d'après lui, au courant d'eau qui se meut dos tropiques vers les régions
polaires : on peut observer parfois une différence de 12 degrés centigrades
entre la température de ce courant et celle des eaux avoisinantes. L'eau
tiède venue du nord et poussée dans le golfe précisément par les vents
qui soufflent des régions polaires explique l'étrange phénomène dont les
haigneurs de la plage de Souzemskaya, à l'ouest d'Arkhangelsk, ne pou-
vaient jadis se rendre compte. En été, quand le vent souille du nord, du
' Knauss, Itullclin ilc l' Aciulimie des sciences de Saint-Pi^lershoiirç], II, ISOO.'
* l'rodutlion du sul sur les bords do la mer Blanche en 1873: 1289 tonnes.
• Liitke, Quadruple voyage dans l'océan Glacial (en russe).
MER BLANCHE.
621
nord-est ou du. nord-ouest, la température de l'eau sur les plages s'élève
rapidement et monte même jusqu'à 21 degrés centigrades; au contraire,
sous l'influence des vents chauds du sud, l'eau se refroidit au point que
le thermomètre y marque seulement 5 degrés. C'est aussi le courant tiède
de la « rive d'hiver » qui fond au printemps les glaçons de la haie
lit. — MER BLANCHE.
Ld.G 5i-!C
d après dt-zc-s docunnents
<ie 100 .1 203
l: 5 200000
d'Arkhangelsk, hien avant que la haie d'Onega, située pourtant heaucoup
plus au sud, soit délivrée de sa hanquise. Dans le Varangcr-Qord, sur les
limites de la Norvège et de la Russie, des phénomènes du même genre
s'accomplissent dans une moindre proportion : là un flot latéral dérivé de
la nappe des eaux tièdcs pénètre dans le golfe en suivant la côte orientale,
tandis qu'un courant froid de sorlie reflue vers la haute mer en longeant
la côte opposée'. Du reste, l'élude des courants de la mer Blanche est à
peine commencée, et des théories contradictoires ont pu se londer sur des
• Von Middcndiirff, Der Golfslrom oslwiirls rom ^'ordkap. Bulletin de l'Académie des sciences
de Sainl-rét'jrsljourg, 1871.
622 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
observations isolées, prises en diverses saisons. Un des faits définitivement
constatés est la basse température de l'eau profonde. A plus de 200 mètres,
l'eau se maintient pendant toute l'année au zéro de réchellc centigrade'.
Mais quelle que soit l'influence du courant tropical dans le bassin à
demi fermé de la mer Blanche, elle est faible en comparaison de celle qui
se produit sur les côtes septentrionales de la Laponie russe, voisines du
Finmarken norvégien. Tandis que les golfes d'Arkhangelsk et d'Onega sont
bloqués par les glaces continues ou flottantes pendant les deux tiers de
l'année, tandis que les gardiens du phare de l'île Morkhovetz, entre le golfe
de Mezeii et le corridor de la mer Blanche, doivent rester exclus de toute
communication avec la terre ferme du mois d'octobre à celui de mai,
nombre de fjords et de ports lapons sont libres de glaces pendant toute
l'année. Les Russes n'ont pas besoin de réclamer l'extension do l'empire aux
dépens de la Norvège pour assurer à leurs pécheurs des havres toujours
ouverts : au moins un de ces havres, protégé au nord par la péninsule de
Rîbatchiy, se trouve sur leur propre littoral. Des multitudes de poissons
fréquentent ces côtes, non moins riches en vie animale que les fjords nor-
végiens : c'est par dizaines de milliers de tonnes que l'on capture des mo-
rues dans les eaux russes; les poissons y foisonnent assez pour qu'il fût
possible d'en alimenter toute la population d'Europe. La mer Blanche
prend aussi sa part de cette richesse, et nombre d'animaux marins, no-
tamment les phoques, voyagent, suivant les saisons, de l'Océan vers la mer
intérieure et de la mer intérieure vers l'Océan. C'est l'industrie de la
pèche qui a familiarisé les marins avec les dangers de la mer Blanche, le
Gandvik ou « Golfe des Prodiges », jadis si redouté des Norvégiens. Les
noms mêmes de toutes les contrées du nord voisines de la mer témoignent
que la vie des habitants est essentiellement maritime : partout les pays sont
désignés, non d'après une ville, des collines, des ileuves ou des lacs, on
ne les connaît que par leurs rivages, comme si elles n'avaient été vues que
de la mer. Au nord d'Arkhangelsk, la « côte d'Hiver » se prolonge vers l'en-
iK'c (le la mer Blanche; à l'ouest, se profile la « côte de l'Eté ». Plus loin se
succèdent la côte « marine » {Pumor'ije) et celle des Karéliens. La côte de
Tersl: est la partie orientale de la péninsule de Laponie, tandis que toute la
zone lies terres tournée vers l'océan Arctique est connue par les riverains
sous le nom de « côte Normande » {Mounnanskiy Bereg), en souvenir des
marins qui l'ont parcourue les premiers. C'est à l'entrée d'une petite baie
de cetli! côte que se Irouvc l'îlot di; Nokouyev, devenu tristement connu
' Gngoi-Ti'v, UvcsUjiu llmissli. Ccoijr. Ohchlclieslea, 1878.
MER BLANCHE, LAPONS. 625
depuis 1554 par la mort de WillougliLy et de ses compagnons. Sur un autre
îlot, Sosnovetz, placé dans le « corridor », sur la côte de Tersk, en face de
la dernière forêt do la Laponie', était la station de la flotte anglo-française
de blocus pendant la guerre de Crimée. Dans le golfe de Kandal'akcha, l'île
de l'Ours {Medv'ejiy Ostrov) eut au dernier siècle une assez grande im-
portance par ses mines d'argent, dont l'exploitation cessa tout à coup,
lorsque le mineur saxon Schomberg, qui dirigeait les travaux, fut arrêté
par ordre de l'impératrice Élisabetb'. Eliseiev a découvert des dolmen
comme ceux de la Bretagne dans la Laponie russe.
La grande péninsule do formes massives que limite au sud la baie de
Kandal'akcha appartient ethnographiquement à la race finnoise. Les Slaves
y sont représentés en été par quelques milliers de pécheurs, et les Finlan-
dais proprement dits, tous de la variété karélienne, ne se sont établis que
sur des points isolés de la côte méridionale, sur les bords de la baie de
Kandal'akcha. Du reste, la haute taille de quelques-uns des Lapons, leur
barbe rouge abondante, leurs mœurs et même des mots de leur langage
montrent avec toute évidence que des Slaves étaient aussi parmi les an-
cêtres des Lapons orientaux. Ceux-ci ressemblent d'une manière générale
aux Sames de la Suède et de la Norvège; toutefois ils sont moins civi-
lisés, et les voyageurs disent que leur intelligence est moins active que
celle de leurs compatriotes vivant à l'ouest du Tana-elf et du Muonio-elf :
peut-être faut-il attribuer cette paresse d'esprit aux longs jeûnes que leur
Impose l'Lglise orthodoxe, non moins qu'à l'abstinence forcée des périodes
de disette. Ainsi les Lapons du campement de Ponoï, à l'embouchure de
la rivière de même nom, et près de l'extrémité orientale de la péninsule,
recueillent une espèce de terre farineuse, entièrement composée de lamelles
de mica, qu'ils pétrissent avec de la pâte, non sans doute pour en augmen-
ter le pouvoir nutritif, mais pour aider à trom|)er leur faim". Du reste,
dans tous les gouvernements du nord, jwirmi les liusses aussi bien (|iic
parmi les Lapons et les Samoyèdcs, ])artout où les rigueurs du climat em-
pêchent le blé de mûrir, la nourriture habituelle des paysans jiendant
l'hiver est en grande partie composée de mousse, d'écorces d'arbies et d(î
lebeda, espèce d'heibe amère et malsaine. Ou peut juger du climat de ces
contrées par la langue des Lapons, (|ui cdiitii iit '_MI noms pour désigner la
' Von Baer; von Midiiendorff, Beilriige zur licnnlniss fies nissischcn Reiclics.
- GcBbcl: von llelinersen, Bulletin de l'Acad. des science» de Saint- Pétcrsbowg, ISfiR. n° Xil,
' C. Schmidt, Bulletin de l'Acarlémie des sciences de Saint- Pétersbourg, toI XVI, IS71.
624 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
glace, 11 pour le froid, 41 pour la neige et ses composés, 26 verbes pour
inditjuer les phénomènes du gel et du dégel '.
Les Lapons de la péninsule sont devenus chrétiens, en ce sens qu'ils ont
été baptisés depuis le seizième siècle par des moines russes, qui ont en
même temps introduit le servage en Laponie et se sont fait attribuer par le
tzar les populations de districts entiers. Orthodoxes maintenant, les La-
pons ont accru le nombre de leurs divinités, en y ajoutant un dieu favo-
rable. Jésus-Christ, et une redoutable puissance, le diable, roi des enfers :
on a même imprimé en caractères russes des ouvrages de piété, que les
Sames de quelques campements ont appris à lire. Toutefois les indigènes
ont encore leurs magiciens ou chamanes et vénèrent des amas de pierres,
des ossements, des fossiles qu'ils croient habités par des esprits". Le
mariage, comme chez beaucoup de peuplades touraniennes, a gardé les
formes de l'enlèvement primitif dans toute sa violence : il faut que la fiancée
se débatte, qu'elle pousse des cris déchirants. Puis, quand elle est décidé-
ment enlevée à sa famille, le père transmet au fiancé son droit de pouvoir
absolu, même celui de « rôtir les yeux de la victime ». On l'attache dans
sa maison nouvelle « comme un renne sauvage » ; mais, après un simulacre
de coups, le mari délie ses courroies et la consacre « hôtesse » et « mère
du pain »". C'est elle qui commande aux enfants et qui décide les ma-
riages', presque toujours dictés par l'intérêt : on a vu souvent des Lapons
de 18 à 20 ans épouser des femmes de 00 ans. Chaque indigène a sa
marque particulière, sa griffe, analogue au totem des Peaux Rouges : à sa
naissance, on marque de ce signe le renne qui lui est attribué en propriété,
(^t c'est du même signe qu'il timbrera j)lus tard tout ce qui lui appar-
tiendra". En général, les Lapons sont d'une grande douceur : ils ont le
regard triste de l'homme vaincu, mais ils sont restés bienveillants : ils
aiment beaucoup la paix, quoiqu'ils aient des traditions de guerres soute-
nues par eux contre les Karéliens. « La paix se maintient-elle sur la terre? »
telle est la première question qu'ils adressent aux étrangers. Les voyageurs
russes les disent très supérieurs à leurs voisins par la pureté des mœurs,
la délicatesse des sentiments, la probité de la vie, bien que leurs relations
avec les Russes et les « Normands » les aient déjà corromj)us. Les Lapons
ne ressemblent à leurs voisins les paysans russes (jiie par le costume et
' Gust. V. Dùlicn, Lappland och Lapparne.
* Castrèii, liche-Erinncntmjcn aus den Jaliren 1838-1844.
' Nemii-ûvilcli l);inlihoiikn. Vers l'Océan, Vie sur les frontières du iVorrf (on russe).
* Giisl. V. Diilieii, ouvrage cité.
' .Vk'xuiuliiiii' VcfiMnuko, Zapislii Roussk. Gcogr. ObchUhesIra, Section elluiograpliiquo, VIII.
LAPONS. f.23
leur penchant à l'ivrognerie. lis ont grand soin de leurs personnes et
se lavent soigneusement, même en hiver. Quoique le territoire entier soit
divisé en domaines distincts et que chaque famille ou chaque tribu con-
naisse parfaitement les rivières et les forêts visitées tour à tour, suivant les
besoins de la chasse et de la pèche, cependant les propriétaires lapons
accueillent volontiers dans leur campement les membres appauvris de la
famille, les amis et même les étrangers : l'hospitalité est le premier de
leurs devoirs.
Même jusqu'aux rivages de la mer Glaciale, tous les hommes campés
çà et là sur le littoral connaissent ia langue russe; mais les femmes,
presque toujours occupées à l'intérieur des tentes, savent à peine quelques
mots de l'idiome étranger. Il est vrai que les Lapons pêcheurs sont
presque tous aux gages de patrons russes, qui les tiennent dans un état de
dépendance voisin de la servitude : le nom que l'on donne habituellement
aux marchands est celui de « maîtres ». Ce sont eux qui payent les impôts
pour les communes laponnes cl qui leur fournissent à crédit tout ce dont
elles ont besoin ; mais les dettes sont héréditaires, et tout ce qui appar-
tient aux Lapons est d'avance la propriété du marchand. Les Sames de
l'intérieur, qui vivent au bord des lacs, en des réduits souterrains situés
ù 60 ou même à 100 kilomètres les uns des autres, et protégés par la vaste
étendue des toundras désertes, ne sont pas encore tombés sous la dépen-
dance directe des marchands russes, mais ils sont devenus sujets comme
tous les autres habitants de l'empire; ils payent l'impôt et doivent racheter
leurs fils de la conscription. Un document atteste que les -Eop, c'est-à-dire
les Lapons, étaient déjà tributaires de la « Grande A'ovgorod » au com-
mencenivïnt du onzième siècle.
On sait que les Lapons occupaient autrefois une grande partie des
plaines du n(ird de la Rus--ie au sud et à l'est de la péninsule dans laipielle
ils sont maintenant refoulés. Les chroniques mentionnent leurs tribus sur
les bords du lac Onega, il y a sept cents ans. Dans le bassin de la Dvina,
quelques noms de lieux oîi se retrouvent les désignalions laponnes signi-
fiant « rivière », « ruisseau », « île », « forêt », et d'autres traits géogra-
phiques témoignent aussi que les Lapons habitèrent jadis la contrée avanl
de se retirer à l'ouest de la mer Blanche. Le nom même de Samovède, où
se retrouve le radical Same, qui est Tappellation des Lapons, indiquerait
peut-être que les habitants actuels des plaines orientales sont considérés
comme les hénliers des Lapons'. Les Karélicns, maintenant fort peu nom-
' Ch. (le Ljfalvy, Mélanges altaiques.
"■■■ 79
626 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
breux dans le voisinage de la côte de la mer Blanche à laquelle a été
donné leur nom, ont été aussi ])armi les successeurs des Lapons, et l'on
retrouve leurs traces sur presque tout le versant du nord. La langue russe
des populations du gouvernement d'Arkhangelsk est remplie de mots et
même de tournures empruntées au finlandais'. Il est probable que les
Finlandais-Karéliens étaient compris avec les Zîi-anes sous le nom général
de ces Biarmiens. que mentionnent les chroniques du moyen âge et dont les
navigateurs normands, qui commei"(;aient avec eux, parlent, probable-
ment avec exagération, comme d'un peuple riche, puissant, civilisé, con-
naissant l'agriculture et les arts industriels.
Les artel' ou associations de chasse et de pèche que forment la plupart
des communes des Pomorî, c'est-à-dire des « Riverains », grands-russiens
du gouvernement d'Arkhangelsk, emploient surtout des termes d'origine
karélienne, ce qui prouve que les Finnois de la contrée se groupaient en
associations du même genre avant l'arrivée des Russes dans le pays. La
forme de ces artel diffère suivant le genre du travail et les mille circon-
stances diverses du milieu, mais presque partout le partage se fait en
parts égales entre tous les meml)res. En beaucoup d'endroits, c'est la
commune entière qui organise la pèche, et qui distribue les groupes de
travailleurs le long de la mer ou des ilciives, de manière à égaliser les
chances; ceux qui restent dans les villages pour les travaux domestiques
reçoivent la même part que les pécheurs. Mais les dettes contractées par
les communes et par les familles, d'abord auprès des couvents et des
('■vèques de Khol'mogorî, puis aupi'ès des marchands laïques, ont intro-
duit le désarroi dans ces associations des Pomoiî.et peu à peu l'inégalité
se glisse parmi ses membres ^
A l'orient de la mer Blanche, les Sainoyèdes représentent comme les
Lapons l'ancienne race finnoise en face des Slaves envahissants; mais, à
beaucoup d'égards, ils contrastent avec leurs frères d'origine. Plus Mon-
gols d'aspect, ils ont la figure plus large et jilus aplatie, le front moins
haut. L'anthropologiste Zograf les classe parmi les Mongols brachycé-
phalcs'', tandis que Castrèn voit en eux un peuple mélangé de Finnois et de
Mongols*. Rs se donnent le nom de Nenetz (au pluriel Netza), qui signifie
« Hommes », ou celui de Kliassov (Khassova), c'est-à-dire « Mâles ». Leur
' Castrèn, ouvrage cité; — Europiius, Veber das ugrische Volk.
* ï'. Yefimenko, Drnil coulumier dans le gouvernement d'.\rklinn(icl'.ik: lifciieil de matériaux
sur tes associalions, I, II; — K;iIatchov, Les associations dans lu liii.tsie ancienne et moderne.
•* Congrès de Moscou, 187'j.
* Caslrèii, ouvragi' cité.
LAPONS, KARÉLIENS, SAMOYÈDES 627
appellation de Samoyèdcs, en russe synonyme d'Autophages, a donné lieu à
un grand nombre de légendes ; dans plusieurs documents, ils sont appelés
Sîroyedî, mot qui signifie « Mangeurs de viande crue ». C'est à peu près le
même sens que le nom d'Eskimaux, appartenant à des populations du Nou-
veau Monde auxquelles le climat a fait prendre un genre de vie analogue.
Véritables nomades asiatiques, les Samoyèdes sont encore plus errants
que les Lapons pasteurs de rennes, et se déplacent volontiers à la moindre
occasion : on les voit fréquemment dans les bourgades russes; mais ils
apprennent difficilement la langue des maîtres du pays; encore asiatiques
de mœurs, ils se sont beaucoup moins accommodés que les Lapons au
milieu que le commerce fait autour d'eux. Le Nouveau Testament a
été traduit dans leur langue, et ils ont été baptisés, en commençant par
les plus riches; ils se disent chrétiens et prennent un grand plaisir à
sonner les cloches ; mais l'ancien fétichisme, mélangé de pratiques chama-
nistes, est loin d'avoir entièrement disparu : dans les districts reculés,
notamment dans le voisinage des monts Oural, ils adorent encore les
khegs, pierres bizarres, idoles grossièrement taillées, et croient aux esprits
ou ladeptzio et anx dieux-chefs, le bon Noum, qui protège le bétail et qui
donne la vie, et le méciiant Yesako, mari de la terre Khadako, la « mère
puissante ». Les offrandes consistent en armes et en instruments divers;
à l'entour de l'autel, on voit des amas de ferraille, des haches usées et
jusqu'à de vieilles flûtes. On sacrifie quelquefois des ours en l'honneur
des dieux, mais on immole principalement des rennes, que les prêtres ou
tadibeijs étranglent devant l'idole et dont ils mangent la chair en com-
pagnie du peuple : les tètes sont placées sur des ])ieux autour de la statue,
tournées vers l'orient quand elles sont consacrées au dieu bon, vers l'occi-
dent quand le sacrifice est en l'honneur du dieu méchant. Les Samoyèdes
cherchent k se concilier la divinité, non seulement en lui faisant goûter le
sang des victimes, mais aussi en lui versant de l'eau-de-vie dans la bou-
che'. Un bâton de magie et un tambour [lermelteiit au tadibey d'entrer
en conversation avec les esprits. Il se frappe la tète de coups répi-tés
pour tomber en extase, cl dès que les dieux-chefs se sont monirc's à lui,
il se laboure les chairs avec un couteau.
Lorsque Burrough visita en l.'».Mî File de Vaïgatcli, l'ilo sainte des
Samoyèdes, il vit sur le cap septentrional quatre cent vingt idulcs re-
présentant des hommes, des femmes, des enfants groupés autour de la
grande statue de Vesako aux sept visages. En l.')Oi, le Hollandais Nai revit
• Nnrdcnskjiilil, E.rprdilion polaire suédoise, 1878; — Rrciiril eUmrKjraphiqiie, IV.
628 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
cette « pointe des Idoles » {Âfgodcn Hoek), l'un des nombreux Bolvanskiy
Nos des Russes, et le navigateur Ivanov retrouvait en 1824 les effigies
monstrueuses décrites par Burrough. Depuis, elles ont été renversées et
brûlées par des missionnaires zélés, et maintenant une croix s'élève au
point le plus haut du promontoire; mais les traitants russes de la côte
disent que des fragments des images sacrées ont été conservés, et le lieu
de sacrifice se trouve dans une caverne du voisinage, récemment visitée
par Nordenskjôld, Les autels et les cent idoles que vénéraient les Samoyèdes
dans leur campement de Kozmin, à une vingtaine de kilomètres à peine de
la ville de Mezeiî, ont étâ également brûlés' ; mais, n'osant plus, de peur
des Russes, dresser de grandes idoles, visibles de loin, les Samojèdes
peuvent du moins habiller des poupées informes, qu'ils cachent dans leurs
tentes ou sous leurs vêtements; c'est ainsi qu'en d'autres pays les amu-
lettes et les médailles portées sur le corps remplacent les effigies des dieux
ou des saints.
Les Samoyèdes, pauvre débris d'une race jadis puissante, ont pour
patrie le territoire le plus étendu : de la mer Blanclie jusque par delà le
Yenisei et des rives de l'océan Glacial jusqu'à la base de l'Altaï, d'où sont
venus leurs ancêtres, on trouve des familles samoyèdes. Refoulés proba-
blement par des vainqueurs de race turque, ils descendirent vers le nord
en suivant le cours des fleuves et s'établirent sur les bords de la mer
Polaire; bien au sud de leur territoire actuel, l'Oiu'al moyen porte encore
des noms samoyèdes". La famille des Yourak, à laipielle apparlieniient les
Samoyèdes de la Russie d'Europe, habite maintenant toute la région des
toundras des deux côtés de l'Oural ; dès les origines de l'histoire russe,
les Samoyèdes, mentionnés pour la première fois à la fin du onzième
siècle, parcouraient déjà cette contrée qui s'étend par delà la zone des
arbres, là où le yagel ou mousse des rennes fournit la nourriture néces-
saire à leurs troupeaux. Mais il est probable qu'ils avaient dû conquérir
ces terres hyjierboréennes du froid et de la nuit sur d'autres Finnois,
plus rappidciiés qu'eux de la branche finlandaise. Plusieurs noms de
lieux, explicables seulement dans l'idiome des Karéliens, prouvent que
ceux-ci étaient les anciens habitants de la contrée. Ces Finlandais étaient
les mystérieux Tchoudes des Russes, les Sîrtje des Samoyèdes, qui se sont
enfuis, dit la légende, dans l'intérieur de la terre, où ils possèdent d'im-
menses territoires de chasse cl de pâture avec des multitudes de mam-
' Maximov, Une année dans le Nord (en russe).
- Il'>fiii;inii, ouvrage cité.
SAMOYEDES.
C2'J
lîioutlis, de renards et de castors'. Les Lapons, qui eurent probable-
ment aussi à combattre ces Tchoudes, ont gardé des traditions analogues.
Le nom de ceux qui les précédèrent est associé chez eux à celui des
génies malfaisants de l'air et des régions souterraines '. A leur tour, les
Samoyèdes sont voués à une prompte disparition; ils vont « rentrer sous
terre » comme les Tchoudes. Dans leurs jeux, les enfants des Russes répè-
lent une chanson dont le sens s'est perdu pour eux, mais qui fut jadis
d'une atroce vérité : « Allons chercher le Samovède, — Allons marquer
I ILOTE SAMUttDE.
Dessin de Honjal, d'apr-'s une pliotofrrapliio ilu comlo Wilczpk.
le Samoyède ; — Nous trouverons le Samoyède — Et nous le couperons
en deux"'. »
Autrefois cette race occupait un domaine beaucoup plus vaste; quel-
ques-unes de ses peuplades habitèrent les bords du lac Onega, d'autres
s'étaient élai)lies sur les rives orientales de la mer Blanche. Maintenant
' Mex. Caslrèn, Suomi. Tidsbift t fosleilandska iiinncn, Fjcidc Srgângcn. 1845 ; — Vorlcsuiigcn
ûber die Miaischen Vûlker.
' Ncinirovilch Danlclicnko, ouvrage cité.
' E'. YeOmenko, Maiéiiau.r pour l' ethnographie des Rimes dans le gouvernemcnl d'Arkhangcl'sli.
I (en riifso)
{,50 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
ces contrées leur ont échappé ; leurs ancêtres en ont été exterminés par les
Novgorodiens et par les Moscovites'. Sur leur territoire actuel, tous les
espaces de quelque valeur pour les pêcheries, la chasse et la culture
passent graduellement entre les mains des Ziranes et des Russes, quoique,
d'après la loi de 1855, tout domaine des Russes ail été limité à 66 hectares
par famille et que les nouveaux empiétements aient été défendus sur la
terre des Samoyèdes% jadis propriété commune. La race, qui se par-
tage en Europe entre les trois districts de Kanin, de Timan et de Bolchaya
Zemla, n'est plus représentée, dit-on, que par un peu plus de cinq mille
individus % et tandis que leur natalité diminue, leur mortalité ne cesse
d'augmenter. En outre, la dénationalisation s'accomplit rapidement. Cas-
frèn a reconnu que plusieurs de leurs tribus de la Sibérie méridionale
sont devenues turques; de même celles de la Russie du nord se « russi-
fient » dans le voisinage des villes, et se perdent peu à peu dans la classe
des paysans. Les marchands du pays n'ont cessé d'appauvrir et de démo-
raliser les indigènes : ils ont acheté les troupeaux par des avances en
fiU'ine et en eau-de-vie, et les malheureux débiteurs, incapables de se
libérer par des payements directs, sont condamnés à un travail incessant,
qui les dégrade à la condition d'esclaves, sans espoir d'affranchissement.
Plus de la moitié d'entre eux ont déjà perdu leurs troupeaux de rennes : la
moyenne des animaux que chacun d'eux possède est évaluée seulement à
dix-sept '. Le commerce « muet » des Samoyèdes a dû être abandonné par
eux, parce qu'il reposait en entier sur la probité, et que les marchands
russes n'ont pas cette vertu : quand un Samoyède avait besoin de pelleteries
ou d'autres denrées, il allait les prendre dans le tchoHiu d'un autre indigène
au milieu de la toundra, et laissait en échange un morceau de bois avec sa
mar([ue^; mais le Russe prend tout et ne laisse rien à la place. Tôt ou
tard, et probablement dans un avenir prochain, il ne restera plus rien des
Samoyèdes que leur souvenir, quelques objets renfermés dans les musées,
et leiu's chants héroïques, car les Samoyèdes sont poètes, comme leurs voi-
sins les Karéliens, et quelques-unes de leurs poésies semblent être nées de
la même inspiration (jue l'épopée de Kalevala. Pres(jue tous les Samoyèdes
savent comj)oser des chants, mais il en est peu qui sachent déclamer. Ces
maîli'cs de la parole sont très honorés, et l'on passe des nuits entières
' K(isloni:iriiv, Les liciiiihliquc.i russes, I (cii russe).
" Alcx:in(liiiie Yefiiiiciikii, Le droit coiilumicr des Sanwiirdes: Rociiell elhnogi'apliique, IV.
^ S:iiii(iyè(les du la Hiissio d'Europe en 1804 : î>0t)8 individus.
* Alcxandiiiic Vcfinii'ulio, ouvrage cité.
' Ali'X.inili iur Vi'liMieidid, ciuvrage cilr.
SAMOYKDES. ZIRANES. C31
à les entendre, tandis que, les yeux cachés dans une main, ils agitent de
l'autre une flèche, dont la pointe est tournée vers le sol.
Autre peuple de race ouralo-altaïque, mais hien distinct des Finlan-
dais, les Ziranes sont précisément ceux qui, à l'envi des Russes, ont d(''pos-
sédé les Samoyèdes de leurs troupeaux de rennes et qui pillent leurs
tchoums ou tentes de la toundra. Des anciennes peuplades aborigènes, l'une
est asservie, l'autre a pris rang dans la classe des marchands et des
maîtres. Les Zîi'anes, élaldis exclusivement sur le bord des rivières navi-
gables et sur les portages entre les fleuves, dans les bassins de la Petchora,
du Mezeiï et de la haute Dvina, s'occupent de trafic depuis un temps immé-
morial, et c'est entre leurs mains que se trouve maintenant une grande
partie du commerce de la Russie du Nord, non seulement avec les pro-
vinces limitrophes, mais encore avec la Norvège et l'Angleterre ; les col-
porteurs et les marchands forains du pays zîi-auc fréquentent toutes les
foires d'Arkhangelsk à Moscou et à Nijniy-Novgorod pour y vendre des four-
rures, des cornes, du poisson, et rapportent l'aisance dans leurs villages.
Les Ziranes ou Komi-Yoitîr, c'est-à-dire les « Kamiens du Nord », ne
sont pas désignés sous leur nom actuel par les anciens chroniqueurs, qui
les confondaient avec les Komi ou Kominî, les Permiens de la Kama, leurs
frères d'origine, de langage et do mœurs'. Cependant les Zîi'anes étaient,
de tous les Riarmiens dont parlent les sagas Scandinaves, ceux qui se
livraient le plus activement au commerce et qui servaient d'intermédiaires
aux échanges de l'Occident avec la Sibérie, le Turkestan, la Perse et même
l'Hindoustan. Les chemins de commerce qui traversent l'Oural étaient et
sont encore connus par les Ostaks sous le nom de « routes des Ziranes ' » .
La race devait occuper autrefois un domaine beaucoup plus considérable,
même au sud de la Volga, car un grand nombre de noms géographiques
entre ce fleuve et l'Oka s'expli(juent ])ar la langue des Ziranes. Ainsi le
nom de .Moscou (Moskva) signifie l'Eau des Vaches {.Mi'is-k-va)'.
Dès la fin du cpialorzième siècle, ces peuplades commerçantes du versant
de la mer Glaciale cessaient d'adorer le soleil, le feu, l'eau, les arbres et
la « vieille femme d'or » ; l'évèque Ktienne abattait le « bouleau de pro-
l)hétie » et leur enseignait quelques prières chrétiennes, en même temps
que l'usage d'un alphabet particulier, dont les caractères ne sont pas encore
complètemeni i'xpli(|ués et que remplace depuis longtemps celui des Russes;
li's seuls restes visibles de l'ancien culte sont les sacrifices d'animaux que
' Kosloinarov, ouvmge cilé.
'•" Alex. Cnslrèn, Elhnoloijische Vorlesunijcn ûher die allaischcn Viilker.
' Popov, Les Ziranes et la Zii'anie (en russe).
C32 NOUVELLE GÉOGRAniIE UNIVERSELLE.
l'on fait encore devant les églises. D'ailleurs, les Ziranes sont eux-mêmes en
srande partie russifiés et se confondent peu à peu avec la population domi-
nante, dont ils comprennent tous le langage et dont ils chantent les chansons,
même lorsqu'ils n'en connaissent pas le sens ; de loin on entend retentir
dans les forêts le chant des bateliers de la Volga, que chantent des Ziranes,
hommes ou femmes, auxquels plaît la mesure régulière de ce chant des
rameurs'. Le type zîi-ane diffère à peine de celui des Slaves, si ce n'est
que les indigènes finnois ont le teint beaucoup plus basané'; les femmes
ont toutes l'habitude de se farder. Les enfants de cette race sont fort intel-
ligents, et dans les écoles on admire la facilité avec laquelle ils apprennent
l'arithmétique et le russe ; dans le séminaire de Vol'ogda, les fils des popes
ziranes sont toujours signalés comme les meilleurs élèves. De même que
les Finlandais, ces Finnois de l'est aiment beaucoup les bains de va-
peur, tellement qu'à la chasse, et en hiver, ils les prennent même en
plein air, en jetant de l'eau sur un feu violent ; leurs cabanes contiennent
toutes l'indispensable éluve. Les Zii"anes ([ui ont le mieux conservé les
vieilles coutumes et que l'on croit être les plus purs de race sont ceux du
gouvernement de Vol'ogda, sur les hauts affluents de la Dvina ; ils ont
encore quelques habitudes de la vie en commun. Ce sont pour la plupart
d'excellents chasseurs, attaquant l'ours en face. Souvent tous les hommes
sont à la chasse l'hiver, mais d'ordinaire comme simples serviteurs aux
gages des patrons et gagnant seulement de 15 à 14 roubles pour cinq
mois de service". Pendant ce temps les femmes sont obligées de remplir
toutes les charges réservées habituellement aux hommes : ce sont elles qui
conduisent la poste et font l'office de courriers. On dit les Zii-anes tran-
quilles, doux et résolus, et ceux qui vivent dans les forêts ont gardé
cet amour de la vérité, cette franchise qui distinguent les hommes libres.
Ceux du district de Mezeh, qui se sont établis au milieu des Samoyèdes
et qui les exploitent, sont au contraire devenus malhonnêtes, trompeurs,
rapaces, par l'effet même de leur propre tyrannie. Tous ont un singulier
respect pour l'autorité : le percepteur d'impôts est regardé par eux avec
une révérence craintive.
On évaluait récemment à oO 000 le nombre de Ziranes purs , mais
Popov en comptait 91 000 en 1874 dans les deux provinces de Vol'ogda et
d'Arkhangelsk'. Il est certain qu'ils entrent pour une part considérable
' lliifiii.iiin, ouvrage cité.
' M:iximov. ouvrage cilé.
'•' Vologdin, L- Ro'jauine des foiôls, Slovo, 1878, n°' X, XI.
* Ziranes el ta Zh'anie.
ZIRANES, POMORI. 633
dans la population des contrées du nord, car on voit beaucoup d'enfants
dans les familles zîranes, et quand on entre dans les églises de leurs vil-
lages, on est étonné de la multitude des petites tètes blondes qui s'agitent
au milieu de l'assemblée. D'ailleurs, il est certain que la race zîi'ane est
très fortement représentée parmi les habitants qui portent le nom de.
Russes. Suivant la loi commune, les habitants d'un pays s'agglomèrent de
plus en plus autour de la race qui exerce la plus grande force d'attraction,
soit par la civilisation, soit par la puissance, et les descendants des Biar-
miens prétendent maintenant à l'honneur de descendre des colons novgo-
rodiens du douzième au quinzième siècle; cependant la colonisation
novgorodienne a été croisée par celle des Souzdaliens, qui remontaient par
la Cheksna ou l'Ounja et pénétraient par les portages dans le bassin de la
Dvina. Tout un groupe de villages des bords de la Vaga porté le nom cK'
Rostovchtchina, parce qu'il est habité par des « gens de Rostov »'. Quel-
ques vieilles familles de l'ancienne république du Yol'kliov se sont main-
tenues pures de tout mélange sur les bords de la Dvina et de la Petchora,
oxercjant encore sur tous les habitants des alentours une sorte de pouvoir
patriarcal ".
Les Pomori ou « gens de la mer », car tel est le nom que l'on
donne à tous les Grands Russiens du versant septentrional, jusque dans
le gouvernement de Volodga, sont de beaucoup la population prépon-
dérante dans la plupart des districts. Laissés à l'écart du reste de la
Russie par l'immensité même des espaces à parcourir, ils sont restés ù
certains égards les Grands Russiens par excellence, quoique le dévelop-
pement de sectes religieuses indépendantes leur ait donné aussi des
traits particuliers. Nulle part la vie de famille n'a, en théorie du moins,
un caractère plus despotique; mais en réalité la femme jouit d'une plus
grande influence chez les Pomorî, tous raskolnik, que chez les Grands
Russiens du sud. La fiancée appelle son futur ostouilnitchoh, « celui qui
donne le frisson de peur », et le mari, avant d'accorder le baiser rituel à
l'épousée, lui lire la tresse des cheveux et lui chante une chanson me-
naçante : « Sous le matelas du lit nuptial il y a un bàtoa de chêne;
à ce bâton de chêne est attaché un fouet de soie à trois bouts, et quand
il fustige, le sang jaillit. ' » Aussi la pauvre lille voit-elle avec angoisse
fuir « sa liberté divine » {vola bcjcskaya); elle s'incline trois fois en
pleurant devant les saintes images : « Je fais la première génuflexion
' Popov, Zapiski Ronssk. Geogr. O'ochlchcstra, Section rie statistique, H.
' Wilczck, Mittheitumien von Pclermnnn, 1874.
* E. Barsov ; — P. Vcfimciiko.
»• R!)
054 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
pour le tzar très pieux; je fais la deuxième génuflexion pour la tzarine
très pieuse, et je fais la troisième pour moi, jeunette, afin que le Sau-
veur ait pitié de moi dans la maison étrangère' ». Le tzar pour lequel
prie la fiancée est, dans l'idée populaire, beaucoup moins le dominateur
que le « tzar de la terre.» [zemskiij tzar'), le représentant de tous les
intérêts du sol, « celui qui sert à la terre », disent les chants du pays. La
dure épreuve du servage fut épargnée à la plupart des Pomoriens. A peine
les paysans de la Moscovie avaient-ils été attachés à la glèbe, que l'acqui-
sition des provinces méridionales attira l'attention de la noblesse, et c'est
de ce côté qu'elle se fit distribuer des terres et des hommes; elle ne
s'occupa point des forêts de pins et des toundras glacées du nord. En 1866,
on ne comptait dans le gouvernement d'Arkhangelsk que 476 paysans
ayant appartenu à des seigneurs'.
La ville capitale de la péninsule laponne. Kola, n'avait pas même huit
cents habitants lors du dernier recensement. Sous un régime de liberté,
elle serait pourtant, malgré le climat, fort bien située pour le commerce et
deviendrait cerlaiuemant une cité considérable; Elle occupe, au confluent
de deux rivières, l'extrémité d'un estuaire qui s'avance au loin dans l'in-
térieur du continent, et cet estuaire se continue au sud par une dépression
remplie de lacs qui prolonge la baie de Kandal'akcha vers l'Océan : c'est
là que doit passer le trafic entre les deux mers. Aussi la position de
Kola fut-elle appréciée par les marchands dès que l'histoire commença
pour ces régions du nord : en 1264, déjà Kola est mentionnée comme
un dépôt de pêche et d'échange pour les marchands de Novgorod. Mais
les avantages de la situation ne suffisaient point pour attirer la popu-
lation vers ces rivages glacés, et la ville n'était qu'un groupe de bara-
ques en bois quand les Anglais la bombardèrent et la brûlèrent à demi
pendant la guerre de Crimée. La pêche, principalement celle du requin,
est l'industrie des habitants, industrie périlleuse à cause des brouillards
et des tempêtes de la mer Glaciale; il est aussi arrivé, dit-on, que des
troupes de requins ont assailli, renversé les barques, et dévoré les
pêcheurs.
Sur la côle des Ivaréliens, (pie baignent les eaux occidentales do la mer
lîianche, Keiii, autre bourgade qui dans une région populeuse paraîtrait
Itiillclin (le la SociiHr anthroimlmjiqtic ilc Moscou. \U1; — 1'. Vclimoiiku, MaU'iiaus ..
Saiisuii, aiatistique compari'e île la lUtssic (en russf).
KOLA, KEM, SOtOVKI. GôS
insignifiante, est le principal entrepôt de pèche et d'échanges. De même
que Kola, Keiii est une ancienne colonie novgorodienne, occupant une
situation commerciale très heureuse, à l'embouchure d'une rivière navi-
gable et à l'endroit oii les communications sont le plus faciles avec le
golfe de Botnie et la péninsule Scandinave. Mais l'importance actuelle de
Kerii lui vient en grande partie du voisinage de l'île Sol'ovelzkiy ou Sol'ovki
et du célèbre monastère, fondé dans la première moitié du quinzième
siècle. Les moines, qui dépendent directement du Saint-Synode, conser-
vèrent longtemps les rites primitifs, malgré les réformes du patriarche
Nikon. Ils résistèrent même pendant plusieurs années, et le couvent ne fut
pris, en IGTG, que parla trahison d'un moine, qui livra un passage sou-
terrain. La plupart des seize cents défenseurs, moines et paysans, furent
passés au fil de l'épée ou tués à coups de verges. Néanmoins l'esprit d'in-
dépendance religiense n'est pas complètement perdu à Solovki, les 500
religieux du couvent se recrutant parmi les habitants du pays, encore
imbus des traditions novgorodiennes.
Les vastes constructions du couvent, surmontées de dûmes ventrus,
entourées de murs fortifiés, imposent par leur aspect; on ne s'attend pas
à voir de pareils édifices sous un climat hostile à l'homme. A l'intérieur,
le couvent est d'une grande richesse, et le port voisin est rempli d'embar-
cations de pèche et de commerce ; les moines possèdent même une flottille
de bateaux à vapeur ; des magasins bordent le rivage, et les bassins de
radoub sont assez grands pour que le gouvernement y envoie réparer les
navires de guerre de la station d'Arkhangelsk. Les moines de Solovki sont
la communauté du Nord autour de laquelle gravitent le plus d'intérêts
industriels et commerciaux. Leur domaine s'étend, dans les îles et sur le
continent, sur un espace de 7"28 kilomètres carrés, et dans ce territoire les
religieux récoltent tout ce qui leur est nécessaire, à l'exception du fro-
ment, de l'orge et du vin ; dans une île sont les troupeaux de moutons,
dans une autre les chevaux, dans une autre encore les vaches laitières.
Tous les objets manufacturés qu'utilisent les moines, jusqu'aux bijoux
d'or et d'argent, sont fabriqués dans le monastère : celui-ci forme untJ
société fermée se suffisant à elle-même. Avant l'édit d'émancipation, ii'
possédait cinq mille serfs, remplacés maintenant par les huit mille pèle-
rins qui se succèdent annuellement dans les chapelles du couvent et (pii
restent d'ordinaire plusieurs mois au service des religieux, comme domes-
tiques, bûcherons, pasteurs, laboureurs ou marins : parfois un millier il ■
personnes sont assises à la grande table du couvent. Parmi ces pèlerins,
il en est même (pii restent en servage volontaire pendant trois ou cin((
nri6
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
années, en exécution d'un vœu. En outre, les pèlerins apportent des
offrandes, dont la valeur varie de 25 000 à 100 000 francs, suivant l'abon-
dance annuelle des récoltes. Toute la population constitue une ,ar<indc com-
munauté démocrati(pie, gouvernée par des moines-paysans'.
La ville d'Onega, qui est aussi une ancienne colonie des marchands de
Novgorod, porte le nom de la rivière qui baigne ses jetées et de la b.iie
îir< sni.ovFTZK
OeOàSSM. c^eSSéSO
deSOéWÛ
voisine, golfe le plus méridional de la mer Blanche. Un a vu fréquem-
ment les harengs se presser dans les eaux d'Onega et do Sol'ovki en si
grandes multitudes, qu'on pouvait les puiser ave<' des seaux ; (puuid les
bancs on! disparu, les pêcheurs doivent nettoyer les jdages des amas de
chair piniiiie qui restent dans le voisinage des haliilalious, empestant
l'almosphère. l'resipie tout le poisson capturé dans la mer et dans les
M;i\iiiii)V, ouvrage cili-; — Neinirovili.li-l)aulclieuki>. ]hiiji(chiijc Tsnrsttv.
SOtOVKI, ONEGA, VOtOGDA. 657
fleuves, harengs, saumons, morues, perches, hrochets, se conserve à
l'état de masse gelée : on n'en fume qu'une faible partie, et le sel du pays
est de trop mauvaise qualité pour qu'il puisse servir à des salaisons comme
celles que pratiquent les pécheurs hollandais. Aussi la difficulté de la
conservation et des exportations lointaines oblige-t-elle les riverains de la
mer Blanche à consommer et à faire consommer par leurs animaux presque
tout le produit de leur pèche. Sur toutes les côtes du golfe d'Onega, le
bétail se nourrit en grande partie de harengs saurs ; c'est aussi avec des
harengs que l'on engraisse les cochons, là du moins où le climat leur per-
met de vivre, car dans l'intérieur des terres ils ne dépassent pas au nord
les rives septentrionales du lac Onega '.
Dans son immense étendue, supérieure à celle de l'Italie, le bassin
de la Dvina n'a que trois villes dont la population dépasse cinq mille
habitants ; encore deux de ces villes, Vol'ogda et Arkhangelsk, doivent-
elles une part de leur importance à leur rang de chefs- lieux de pro-
vince.
Vol'ogda, qui remplace une colonie russe existant déjà au milieu du
douzième siècle, couvre un vaste espace de ses églises à coupoles et de ses
])etites maisons basses. Elle est située près de l'extrémité sud-occidentale
du bassin, sur une rivière qui devient navigable en cet endroit et qui
rejoint à peu de distance en aval la Soukhona, l'une des maîtresses bran-
chas de la Dvina ; à l'ouest s'étend la région du partage des eaux entre
le bassin de la Volga et celui de la >'eva. La ville est donc parfaitement
placée pour servir de lieu d'entrepôt aux marchandises expédiées de l'un
à l'autre versant; lorsque la Russie entra en communications directes avec
l'Angleterre i)ar la mer Blanche, Vol'ogda fut choisie comme ville de
dépôt intermédiaire entre Moscou et .\rkhangelsk ; elle fut le point de
départ des trafiquants de la Sibérie, aussi longtemps que la voie méri-
dionale par Kazaii resta menacée par les Bachkirs. Vol'ogda continue
d'expédier à la basse Dvina du lin, de l'avoine et d'autres denrées pour
une valeur de plus de 4 millions de francs, tandis qu'elle envoie a
Saint-Pétersbourg du beurre, des œufs et de la toile. Son étape de com-
munication avec Kostroma et la Volga moyenne est le gros bourg de
Grazovelz, situé sur le faîte de j)artage, à tî'JU mètres d'altitude. Ce
bourg est ainsi nommé- probablement des marais boueux {(jr'az') qui l'en-
vironnent.
Totma, sur la Soukhona, doit que^ue importance à ses sources salines.
' Mninov, Drci'n'fli/a i novaija Rossiija, 1877, n° 5.
658 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
C'est l'étape principale de navigation entre Vol'ogda et Velikiy Oust-Youg,
que son nom même dit être au confluent du Youg : les embarcations et les
radeaux qui descendent les deux fleuves viennent se réunir devant ses
quais. Oust- Youg, qui a remplacé une ville plus ancienne brûlée par les
Bulgares de la Volga en 1218, et dont les restes se voient sur une colline
à 4 kilomètres en aval, fut jadis le point de croisement de communi-
cations importantes et l'objet de luttes acharnées entre ^'ovgorod, la Mos-
covie et les Bulgares de la Volga. Ses habitants étaient d'audacieux pirates
de rivière qui descendaient jusque dans le voisinage de la Caspienne et
(jui furent parmi les premiers conquérants de la Sibérie. Depuis plusieurs
siècles Oust-Youg est le lieu de fabrication d'où partent, en échange des
pelleteries et de l'ivoire de mammouth, les objets manufacturés dont se
servent les indigènes de la Sibérie et de la Russie du Nord; elle expédie
aussi vers le port d'Arkhangelsk les céréales qui lui viennent du gou-
vernement de Valka par la rapide Louza. Oust-Youg partage aussi avec
Vol'ogda une industrie spéciale apportée de l'ancienne Novgorod par une
colonie allemande : la ciselure des bijoux et des vases d'or et d'argent avec
des ornements sur un fond noir.
En aval de Velikiy Oust-Youg et jusqu'à Arkhangelsk, sur une distance
de plus de 800 kilomètres, il n'y a point de ville proprement dite ; il ne
s'en trouve pas non plus sur les affluents de la Dvina, si ce n'est dans le
bassin de la puissante Vilchegda, en pays des Ziranes, où s'élève, égale-
ment à un bec de rivières, la commerçante Oust-Sîsolsk ou « Bouche-
Sisolka », capitale des Zii-anes. Sol-Vilchegodsk, sur la Vîtchegda, mais
non loin du confluent de la Soukhona, a perdu toute rimportance qu'elle
eut autrefois à cause de ses salines, comme l'une des grandes étapes entre
Novgorod et les pays de la haute Kama. La Vaga, grand affluent occi-
dental de la Dvina, a pour bourg principal une autre ville déchue, Chen-
koursk, lieu d'exil, que les internés des bords de la mer Blanche appellent
avec une ironie un peu envieuse « l'Italie » du gouvernement d'Arkhangelsk.
A l'époque de la puissance novgorodienne, l'entrepôt de commerce de la
basse Dvina était Khol'mogorî, dont les navigateurs Scandinaves ont fait
Ilolmgârd : c'est par là que s'expédiaient, au dixième et au onzième
siècle, les marchandises de l'Orient iniporlées par les Biarmiens des
pays de la Volga. Le bourg héritier de la cité commerçante est, non sur
une ile, mais dans une campagne d'alluvions, que la Dvina, divisée en
plusieurs courants, traverse à l'est et au nord, après avoir reçu les eaux
d(! la l'inega. Assise ainsi près du conflucat de deux fleuves et non loin
de la mer, Kholmogorî jouissait d'une hciucuse position commerciale.
RHOtMOGORI. ARKHANGELSK. 641
Le trafic du sel, dont le monopole lui fut concédé par les princes de î\Ioscou,
accrut encore son importance ; mais la fondation de sa voisine Arkhangelsk
ruina l'ancien marché, devenu maintenant Tune des plus pauvres hour-
gades de la Russie du Xord. Dans ces contrées proches de la zone boréale,
la population est trop clairsemée pour que deux villes puissent se développer
à moins de plusieurs centaines de kilomètres l'une de l'autre. Non loin de
Khoimogorî, dans le village de Denisovka, naquit en 1711, d'une famille
de paysans, tiomouosov, le premier savant national qu'ail eu la Russie, et,
dans le monde, le premier peut-être qui formula nellemcnt la théorie
mécanique de la chaleur'.
Arkhangelsk ou la « Yille de l'Archange Michel » occupe une longueur
de plus de 5 kilomètres sur la rive droite de la Dvina, à la tète même du
delta fluvial. Quelques grandes maisons de pierre s'élèvent çà et là au-
dessus des maisonnettes en bois, et vers le centre de la ville de hautes
murailles délabrées, que l'on n'a pu démolir en entier à cause de la
dureté du ciment, indiquent les restes du « château allemand » qui faisait
partie de la forteresse. Au douzième siècle déjà, un monastère se trouvait
sur l'emplacement de la ville actuelle; mais la « Nouvelle Khoimogorî »
ne prit quelque importance qu'à la fin du seizième siècle, après l'arrivée
des navigateurs anglais qui firent de la mer Rlanche la porte de commu-
nication de la Moscovie avec le monde occidenl^il. La période de sa pros-
périté précéda la fondation de Saint-Pétersbourg, qui donnait une voie
plus commode au commerce de la Russie avec le reste de l'Europe. D'ail-
leurs, Pierre le Grand, tout en fondant un arsenal, un château, des chan-
tiers de construction à Arkhangelsk, contribua à la décadence de la ville
par la limitation de la ipiantilé des marchandises à importer, par la (h'fense
d'exporter le chanvre, le lin et le suif et plus d'un tiers des autres denrées
de l'empire, et par l'appel des marins et des négociants dans la nouvelh^
capitale. Cependant la position du porl d'Arkhangelsk, à la seule issue fluviale
d'un immense territoire dont la population, toute clairsemée qu'elle est,
augmente rapidenienl. ne pouvait manquer de rendre une certaine activité à
l'cmporium de la mer Pilanche, à la « (piatrième capitale de l'enijjire ».
Malgré les glaces, qui arrêtent complètement la navigation pendant près de
sept mois, Arkhangelsk exporli' suitoul en Angleterre, en Hollande, en
Norvège, du lin et du chanvre, de l'avoine et d'auties céréales, des bois,
des résines, de l'huile de poisson, du suif. Iji mo\enne, son exportation
dépasse dix fois la valeur de l'importation, <jui consiste surtout en pois-
' Pierre Kropolkiti, ?ioles manuscrites.
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
sons de Norvège, en vins et en denrées coloniales'. Les femmes du port
y sont constituées en associations pour le chargement des navires de
N"* Uj. ARKHANGELSK ET LES COUCHES DE LA DVI
ï^^V^V
^
céréales. La vlihiridarLii ou directrice des travaux est généralonienl
Moiivcmeiil ilu port en 1880, sans le cabotage:
Entrées, Toi navires, jaugeant IGo 800 tonnes. Sorties, 717 navires, jaugeant 105 850 tonnes
Mouvement total avec le cabotage, en 1877 : 5101 navires, jaugeant 251 570 tonnes.
Importation en 1880 : 650 670 roubles. Exportation eu 1880 : 0 «S 900 roubles.
Commerce total de la mer Blanche en 1880 :
Importation. . . . 780 200 roubles. | Exporlalion , . . RI 'J 1 li 000 roubles.
ARKHANGELSK, MEZEN. 015
choisie parmi celles qui parlent le jarçon anglo-russe du port. La ville
présente une grande activité à l'époque de la foire annuelle : cinquante
mille habitants se pressent alors à Arkhangelsk et, plus au nord, dans
son faubourg insulaire de Sol'ombala, siège de l'amirauté. Mais la popu-
lation résidente semble avoir diminué depuis le milieu du siècle. Tandis
qu'en 1860 le recensement évaluait à 35 675 personnes l'ensemble des
habitants des deux villes, un autre dénombrement, pris il est vrai au
cœur de l'hiver, vingt années après, ne comptait pas même 20 000 indi-
vidus. Toutes proportions gardées, Arkhangelsk est une des villes de
Russie où on lit le plus, oii les publications périodiques ont le plus
d'abonnés : la lecture est indispensable pour l'emploi du temps pen-
dant les longues nuits d'hiver. Une colonie d'ouvriers anglais s'est établie
dans le voisinage d'Arkhangelsk, autour de grandes scieries.
Mezen, au nord-est d'Arkhangelsk, est pour le bassin de son fleuve
ce que la capitale de la province est pour la Dvina ; mais, située sous
un climat plus rigoureux, au dehà même des limites de la végétation
arborescente, elle n'a pu s'élever qu'aux proportions d'un pauvre village,
et son commerce lui est en grande partie ravi par le port de Roussanova,
situé à une vingtaine de kilomètres plus près de la bouche de l'estuaire,
et mieux protégé que Mezeiï, grâce à un promontoire qui le iléfend des
vents du nord. Mezen est un triste lieu d'exil ; de même que Kola, Keiii,
Onega et Poustozersk, l'humble chef-lieu commercial du bassin de li
Petchora, où l'église dominante alluma les premiers bûchers de raskol-
niks au dix-septième siècle, Mezen est une de ces Sibéries d'en deçà de
l'Oural où les bannis vont mourir de chagrin et d'ennui sous la froide
luiit du pôle. Les indigènes eux-mêmes, surtout les femmes, sont décimés
par des maladies nerveuses, attribuées au « mauvais œil »', mais causées
j)robablement par les privations de toute espèce. Des croix tenues en grande
vénération pa^- les habitants de Mezen rappellent un terrible hiver de la
première moitié du dix-huitième siècle, hiver pendant lequel toute la popu-
lation manqua périr de froid et de dénùraent*.
• Maximov, ouvrage cilé.
' Villes el bourgs du versant septentrional de la Russie :
COCVKRNEMEXT d'aBKTUNCELSK.
Arkhangelsk (1881) 17 800 ha!.
Onega » 2 JOO ■>
Kerii ,) 2 020 j.
Mezen o 1 jôj ><
Ncnoki > 1 250 n
GOIVERNEMENT DE VOLOGDA.
Vo^ogda (1881). ... 17025 hal,
Velikiv Oiist-Youg » . . . . 8 000 ).
Oust Sîsolsk 1)
. . . . l 100 "
Tolrna n
. . . . 5 580 »
Grazovctz );
. . . 2 225 »
64 i
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
KOVAYA ZEMLA.
La « iN'ouTclle Terre » — car telle est la signifleatioii du mot russe
Novaya Zemla — forme la limite orientale de la mer qui s'étend au nord
des côtes laponnes et que l'on appelle quelquefois « mer de Barents »,
en souvenir de l'illustre pilote qu.i la parcourut à la fin du seizième siècle.
11 est probable que les marchands de Novgorod avaient entendu déjà parler
>■• m. IIK DE VAÏSJTCn ET DÉTROITS DE BAIIA ET DE ÏOIGOR.
Es, de F.,
c/e5ÛÂ/ÛOm i/e'OOs./SOm i^e/'SOàPÛO^ a'eSOO'netâ
de la Terre .Nouvelle : lorsque les navigateurs anglais un seizième siècle
pénélrèrcnl dans ces régions de la mer Glaciale, les pécheurs russes fré-
quentaient depuis longtemps les côtes de Novaya Zemla. Mais pour les
nations de l'Europe occidentale, l'existence de cette grande île double no
fut connue ([u'après le voyage de Willoughhy, en looS. Plus heureux que son
devancier, qui péril avec son navire sur la >< Côte normaniie » de l.aponie,
l'Anglais Stephcn Burrougli reconiuil aussi et touciia le premier, en 15.M),
les côtes de la Ttirre Nouvelle et fit le tour de l'île de Yaïgaich par les deux
détroits, de Yougor, (|ni la sépare du continent russe, et de Kara, qui
baigne la puinle nirTidionale de Novaya Zemla. liari'uls fui aussi l'un tles
NOVAY.V ZEML.V. fiiS
premiers navigateurs derOeciilent qui cinglèrent vers cette terre lointaine;
mais il y mourut, pendant le dur hivernage de K)97, et ses compagnons
l'ensevelirent sur la côte. Récemment, en 1871, le capitaine norvégien
Carlsen a retrouvé, près de l'extrémité nord-orientale de l'île du nord,
par 76° 7' de latitude, la maison dans laquelle Barents et Heemskerk
avaient passé l'hiver 274 années auparavant. Tous les objets qui s'y
trouvaient ont été pieusement recueillis et transportés en Hollande, et
bientôt un monument, érigé par les soins de la Société de Géographie
«l'Amsterdam, s'élèvera sur un promontoire en l'honneur du célèbre pilote.
Dans son ensemble, Novaya Zemla peut être considérée comme la conti-
nuation maritime de la chaîne du Pae-khoï. Il est vrai qu'elle se développe
beaucoup plus à l'ouest; mais l'Oural est un fliîte sinueux, qui se recourbe
deux fois, présentant d'abord sa convexité ta la Russie d'Europe, puis à la
Sibérie. Arrivé près de la mer Glaciale, il s'affaisse au Konstantinov-skiy
Kamen; mais le Pae-khoï et les collines de l'île de Vaïgatch continuent
géologiquement l'Oural : le détroit de Yougor est simplement une cluse
inondée, que les troupeaux de rennes des Samoyèdes traversent sur la glace
au printemps et à la nage vers la un de l'automne. Plus large, le détroit
de Kara interrompt le système ouralien, mais sans le détruire. Les hau-
teurs recommencent sur la rive septentrionale du détroit pour se déve-
lopper dans l'océan Polaire en un arc de cercle d'une longueur d'environ
nutl kilomètres, tournant sa rive convexe vers le Spitzberg. Les chaînons
du sud, hauts de 500 mètres en moyenne, se composent de gneiss et de
schistes argileux. Les eaux du Matotchkin Char, qui coupent Novaya Zemla
en deux moitiés inégales, emplissent deux vallées longitudinales unies par
une cluse, et c'est précisément dans le voisinage des plus hautes montagnes
de l'île qu'elle est ouverte : le seuil de cette porte se trouve seulement à
10 mètres au-dessous du niveau de la mer. Toute la région centrale et
.septentrionale de .N'ovaya Zemla est une terre alpine à vallées profondes,
composée de chaînons granitiques et de schistes anciens, qui s'alignent
du sud-ours| ,111 iiiird-c<l et que recouvrent des terrains glaciaires.
Les recherches de llôler ont prouvé que les roches «le la Nouvelle Terre
sont doucement inclinées du côté de l'ouest, et plus abruptement cou-
pées vers l'est. La mèni(! diffi'rence de relief se voit au-dessous des eaux :
tandis que les l'otids occidentaux se prolongent en ponte douce, la mrr
s'abaisse rapidement à l'est; la ligne de "200 mètres s'écarte peu du lit-
toral.
Quoique très rapprochée de la gi'and(! terre el l'i(''(pieniment visitée par
les chasseurs, Xovaya Zemla n'est encore ipie liè> imparfaitement connue
646 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
à l'inlérieur. De savants explorateurs, tels que Liilke, Baer, Ileuj^liu,
Wilczek, ont visité les deux grandes îles; Grinevetskiy l'a traversée de part
en part, mais l'étude méthodique est loin d'en être terminée : jusqu'à
maintenant, on ne s'est guère occupé que de la forme des rivages, afin de
donner aux marins des cartes sûres qui leur permettent d'éviter les dan-
gers. Grâce à ce levé des côtes, on a pu mesurer la superficie de la Nouvelle
Terre, évaluée approximativement à 90 000 kilomètres carrés. Mais on ne
connaît pas exactement la hauteur de la plupart des cimes, quoique les
marins puissent les apercevoir de l'une ou de l'autre mer. Leur élévation
moyenne est à peu près la même que celle des monts du Spitzherg et de
l'archipel de François-Joseph. Du haut de la pointe de \Yilczek (1204 mètres),
qui s'élève au nord du détroit de Matotchkin, MM. Hôfer et Wilczek distin-
guèrent des deux côtés du détroit plusieurs cimes ayant au moins
l'iOO mètres, et l'une d'elles, se dressant, au nord-est, à 40 kilomètres
environ, leur parut avoir 1400 mètres de hauteur; une autre, au sud de
l'entrée orientale du détroit, dépasserait 1500 mètres. Un des principaux
sommets, le Mitouchev Kamen, situé à l'ouest de la pointe Wilczek, est
formé deprotogine; mais la plupart des montagnes sont composées de schistes
siluriens et d'assises dévoniennes : quelques-unes des couches d'ardoise
sont tellement noires, même là où elles ne contrastent pas avec les neiges,
qu'on les a souvent prises pour des strates de charhon, et des géologues
même s'y sont trompés. Jadis la Nouvelle Terre était considérée comme
fnrt riche en métaux, et l'on racontait merveille des veines d'argent apcr-
i,ucs par les marins dans les parois de ses rochers. Les témoignages étaient
si précis, que le gouvernement russe crut devoir envoyer une commission
spéciale d'explorateurs. Mais le géologue Ludlow, qui dirigeait les recher-
ches, ne trouva qu'un peu de galène argentifère et cpielques traces de sul-
fures de fer et de cuivre. C'était eu 1809, et depuis celle époque aucun
voyageur n'a pu trouver d'indices qui permissenl de rendre à la Nouvelle
Terre son ancienne réputation.
De même que la côte russe et que tous les archipels européens des mers
glaciales, Novaya Zemhi est animée d'un mouvement gratluel d'émersiou,
et l'on peut voir sur ses rives, notamment à l'occidenl, de remarquables
exemples de plages soulevées. ISur les deux bords du Matolchkin Char se
voient jusqu'à la hauteur de 90 mètres des terrasses renfermaul des coquil-
liif^e> d'espèces vivant encore dans les mers glaciales, (pioiqu'elles aient
disjjaru des parages immédiats : ce sont les débris de la faune diluviale.
Le long de la côte plusieurs îles basses et plates ressemblent à d'anciens
foni!-. de mer, et très probableuicnt elles n'onl en effet |)ani que depuis
1^
ï
•t
I:
CLIMAT DE KOVAYA ZEMLA. 6i0
une époque récente. Ailleurs des îles montueuses sont réunies à la grande
terre par des isthmes d'émersion et des bancs de sable qu'un léger affaisse-
ment du sol replongerait de nouveau dans la mer. Dans la grande baie qui
se développe en arc de cercle au nord-ouest de l'ile du nord, entre le cap
Nassau et le cap des Glaces, le Norvégien Mack a découvert récemment un
arcliij)el de deux îles et d'un essaim d'îlots, auquel il a donné le nom d'îles
du GuH'-stream : d'après lui, ce groupe est certainement d'origine moderne.
Précisément au même endroit, les expéditions hollandaises de la fin du
seizième siècle ne trouvaient qu'un banc de sable situé à 55 mètres au-
dessous du niveau marin. Les îles émergées, revêtues de sable et de bancs
de coquillages, sont complètement dépourvues île végétation, comme si elles
venaient à peine de s'élever au-dessus de l'eau. Ainsi le fond sous-marin
se serait exhaussé d'au moins 40 mètres |)endant moins de 500 ans : ce
serait là un phénomène unique dans l'histoire contemporaine du globe.
Les glaciers de la Novaya Zemla descendent en maints endroits jusqu'au
rivage, et l'on croit même qu'ils dépassèrent jadis la ligne des côtes, car
OR a remarqué des polis et des stries glaciaires sur les îlots de la baie
Rogatchov, au sud de Gousinoï Nos'. Quoique située dans presque toute
son étendue sous une latitude plus méridionale que l'archipel du Spitzberg,
Novaya Zemla se trouve pourtant en entier comprise dans une zone de
température annuelle inférieure à — 5 degrés. Le mois le plus froid est
février. La Nouvelle Terre participe au climat continental de la Russie du
Nord et de la Sibérie; à Mal'îye Karmakouli, crique de la baie de Moller,
située sous la latitude de 72" 50', immédiatement au nord de Gousinoï Nos,
le capitaine norvégien Rjerkan, quiy passa l'hiver de 1876 à 1877, a constaté
que, pendant le mois de décembre, li? thermomètre ne s'était jamais élevé
au-dessus de — 50° i' de l'échelle centigrade, et descendit même à — 59 degrés
le 2 janvier'. Par un singulier contraste, la température est plus élevée en
cet endroit, été et hiver, qu'elle ne l'est au détroit de Kara, à 500 kilo-
mètres au sud-est. M. Wild a déduit des observations faites à diverses
reprises qiK! la température moyenne annuelle est de — 8'' 55' au Matotchkin
Char '. A la Melkaya Gouba, plus au nord, la température, moins froide,
est de — ()"0()', taudis cpi'à la Gouba Kamenka, à 260 kilomètres plus près
de l'équaleur, la moyenne est de — 9" 46'.
La cause de ce contraste des climats doit être cherchée probablement dans
l'inlluencc des conianls, mm encore complètement refroidis, que les mers
' llofcr, Petermann's Millhcilunyen, 1S71, n' 8.
' Même recueil. Il, 1878.
" Die 'fempcialiti- Verlidllnisse des liusnischen Rcichit.
C50
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
tropicales envoient aux régions polaires et qui se dirigent vers les rivages
occidentaux de Novaya Zemla, sans toutefois la baigner dans toute sa lon-
irueur, car, au devant de l'ile du sud, des eaux froides bordent la côte'. La
masse la plus considérable du courant tiède, qui forme la coucbe supé-
rieure de la mer de Norvège, passe sur le seuil profond qui sépare Beeren
Eyland des côtes Scandinaves et se dirige à l'est dans la mer de Barents.
Son mouvement n'est pas un de ces déplacements insensibles qui écbaj)-
pent par leur lenteur à l'observation des marins ; au sud de Hoj)e-Island,
qui peut être considéré comme le poste sud-oriental le j)his avancé de
l'archipel du Spitzberg, il force parfois les navires à cliasser sur leurs
ancres, tant ses eaux s'enfuient avec vitesse'. Dans le Matotcbkin Char, le
N^ U5. MATOTCIIKIN CHAR.
E d. P 59-
â^^
''5 ^/f^i^ \ -' '"-'^^^
afj-res Peiemar.n
courant de mer à mer est aussi très sensible, et surtout dans le voisinage
des rives occidentales delà grande lie du Nord. Ce n'est pas sans peine non
]>lus que les bâtiments dont la proue est tournée vers l'Europe réussissent
à vaincre ce courant en doublant la pointe seitlentrionale de Novaya Zemla.
Dans ces eaux mouvantes, dont la température est supérieure au point de
glace, les glaçons se fondent en peu de temps : rarement un fragment de
banquise se voit au sud du "io" degré de latitude dans toutes les parties de
la mer de Barents qui se trouvent au nord de la côte laponne.
Les nombreux déi)ris rejelés sur les côtes de Novaya Zemla témoignent
de l'existence de ce couraul d'origine tropicale. Jusipie-là des « ciiàtaignes
marines », c'est-à-dire les li'uits de Vlùildda tjKjalohinm des Antilles, ont
' Vuii Miildfiuloiff, l)er Golfslrom ostwiiiis vont I^oidkap, RuUotiii ilo r.\cadcmie îles sciences
(1^ S;tliil-i'élefsboiiri!, 1871.
- Karl Wpypicclil, Die 2Ielamorplioscn des Polarenes.
NOVAYA ZEMLA ET MERS ENVIRONNANTES. Col
éle ramassées sur les grèves. On y rencontre fréquemment de ces boules
de verre qu'emploient pour leurs filets les pécheurs des Lofoten, et l'on y
voit des épaves et des fragments de navires en si grand nombre, qu'on ne
peut les attribuer à des naufrages ayant eu lieu dans le voisinage : ce sont
pour la plupart des restes de bâtiments échoués au loin dans les parages
occidentaux ; les côtes de Novaya Zemla ont reçu le nom de « cimetière de
\la mer ^"orvégienne ». L'action du courant se révèle aussi sur les côtes
des deux grandes îles et de tous les îlots voisins par la fusion des glaces
côlicres. Au-dessous de la neige des avalanches, l'eau se creuse peu à peu
de profondes grottes ; on peut en maints endroits voir les roches frangées
de névés durcis qui se terminent par des assises surplombantes dont le
flot lèche la face inférieure et la fond lentement.
Comme au Spitzberg, au Groenland, dans l'archipel de François-Joseph,
c'est le long des côtes orientales que, dans la Xovaya Zemla, se sont accu-
mulées les glaces en plus grande quantité. Quelles en sont les raisons? I,a
froidure relative des eaux marines sur les côtes orientales est certainement
une des causes de ce contraste, mais il faut tenir compte aussi de l'in-
fluence prépondérante des vents d'est qui poussent les glaces devant eux
et les accumulent contre les côtes qui leur font obstacle ; enfin, le mouve-
ment de dérive naturelle, qui, en entraînant les glaces vers le sud, les
fait toujours dévier à droite, en sens inverse du mouvement de la planète,
doit aider à cet entassement des glaces polaires sur les rivages orientaux
des terres et des archipels '.
D'ailleurs, l'état des glaces et l'élcndue des ban([uises diffèrent d'anni'e
en année d'une manière extraordinaire. Dans l'été de 1S71, la banquist^
suivait à peu pi-ès le 78' degré de latitude à l'orient du Spitzberg, et
.MM. Payer et ^yeyprec]lt ne virent pas même un glaçon jusqu'à la distanci;
de 185 kilomètres au nord de Novaya Zemla. L'année suivante, au con-
traire, la barrière de glace s'était avancée en moyenne de 500 à 550 kibi-
mètres vers le sud et bordait même l'entrée du détroit de Kara, près du
continent russe. Celte diffé-rence dans la position des g;laces ne doit être
attribuée que |)our nnr bien faible part aux écarts annuels de tempé-
rature; elle |inivieiit surtout de l'action des vents : dans l'espace d'une
année, les banquises peuvent se déplacer d'un côté à l'autre de l'océan
Glacial. Que dans le mois de mai des vents permanents du sud-ouest
arrêtent les glaces flottantes entre le Groenland et le Spitzberg, et par
cela même un espace d'au moins 50000 kilomètres carrés restera, dans
' kurl Wcyjprctlil, tuvragu cilû.
6D2 NOUVELLE GÉOGIIAPIIIE UNIVERSELLE.
l'inléricur des mers polaires, couvert de banquises qui auraient pu, sous
l'influence des vents du nord, aller fondre dans les eaux méridionales.
En 1S71, tandis que les mers du nord de l'Europe étaient libres déglaces,
celles-ci étaient repoussées du côté des îles polaires du Nouveau Monde,
et toute la flotte des baleiniers américains, plus de trente navires, était
écrasée entre les blocs'. Il est donc fort important qu'une station mé-
téorologique analogue à celle de la côte occidentale, à Maliya Karraa-
kouli, soit prochainement établie à l'extrémité septentrionale de Novaya
Zemia, afin que les navigateurs puissent connaître d'avance la géogra-
phie des glaces dans tout le bassin polaire et tracer leur itinéraire en
conséquence. Grâce au déplacement des glaces, les mers polaires sont
parfois complètement libres sur des milliers de kilomètres d'étendue.
En 1870, lors(jue le Xcrvégien Johaimesen accomplit le premier périple
de la « Nouvelle Terre » qui eût été fait jusqu'alors, il ne rencontra pas
un seul glaçon sur son chemin. De même, pendant l'été de 1878, la sur-
face de l'eau était si bien ouverte dans toutes les mers de ces régions
que. d'après Johannesen, il eût été facile à un bateau à vapeur de dépasser
au nord l'archipel de François-Joseph. On sait qu'une connaissance plus
intime des eaux polaires et des oscillations mensuelles du climat local
a fait perdre désormais ses terreurs à la mer de Kara, c'est-à-dire à
l'espèce de golfe qui s'étend de Novaya Zemla aux estuaires de l'Ob et du
Yeniseï : on lui donnait jadis le nom de « glacière de l'Europe », et on
la croyait tout à fait infranchissable aux navires, quoiqu'elle eût été autre-
fois parcourue par beaucoup de marchands. En 1600, une charte de Boris
(iodounov dit expressément que,« les hommes de Pinega et de Mezei'i ayant
demandé d'aller par la voie de la mer et de l'Ob, sur le Taz, le Pour cl le
Yeniseï, » cette requête leur avait été accordée. Toutefois en KiKi le
\oïvode de Tobolsk réclamait déjà auprès du gouvernement, en le priant
d'empêcher toute navigation par la mer de Kara, alin que les « Allemands »
hollandais n'apprissent pas le chemin des cc>tes septentrionales de la
Sibérie et (pie l'empire ne fût pas ainsi frustré des droits d'importation.
En effet, le tzar défendit sous peine de mort la voie maritime de la baie
de Kara, et le kholmogorien Jérôme Savin, coupable d'avoir espéré l'arrivée
de marins « allemands » sur les rivages de la mer de Kara, fut battu de
verges sans miséricorde, « alin (pie nul ne s'ingérât plus à troubler les
esprits ». C'est ainsi que la merde Kara fut transformée en « glacière ina-
bordable ». En I8ii, le gouverneur général interdit la fondation d'une
" Kail \Voy|ireclil, ouvrage cil(;.
NOVAYA ZEMLA ET MERS ENVIRONNANTES. 653
banque à Arkhangelsk, destinée à l'encouragement de la navigation dans les
mers polaires et ordonna d'arrêter le marchand Sidorov, que l'on soupçon-
nai! d'avoir pris l'initiative de cette entreprise. Encore plus tard, le gouver-
nement négligeait d'entretenir les balises et les phares élevés par des
particuliers sur les bords de la Petchora ; c'est à des étrangers que devait
être réservé l'honneur de rouvrir ces mers, sur lesquelles le fisc avait mis
l'interdit'. En 1809, le Norvégien Carlsen traversa ces parages et gagna
l'embouchure de l'Ob pour retourner en Norvège par le Matotchkin Char.
Depuis ce voyage mémorable, il ne s'est pas écoulé une année sans que,
contrairement au premier conseil donné par la Soci('té de Géographie de
Saint-Pétersbourg, la mer de Kara, très riche en bancs de poissons, n'ait
été visitée par les pêcheurs ou les trafiquants de la Norvège : au commen-
cement d'août, les navires y trouvent les eaux libres de glaces; mais trop
souvent ils sont pris dans les glaces.
Quoique dégagée parfois de l'étreinte des banquises, Novaya Zemla est
néanmoins une contrée entièrement polaire. De loin, ses roches, que le
soleil. If brouillard ou le vent ont débarrassées de leurs neiges, paraissent
absolument arides et nues; seulement, quand on les étudie de près, on
remarque à la surface de la pierre une teinte jaunâtre ou rouilleuse qui
révèle la végétation des lichens. Dans les plaines, quelques plantes feuil-
lues s'étendent en un tapis gazonné et développent au ras de terre leurs
fleurs et leurs fruits. D'après Kjellmann, la flore des îles se composerait
de 185 phanérogames et d'un nombre plus grand de cryptogames. La contrée
possède aussi des forêts, mais des forêts qui se confondent avec la mousse :
on y voit des bouleaux nains, des sureaux, des sapins qui ressemblent à
des touffes d'herbes. L'arbre le plus commun de Novaya Zemla est une
espèce de saule (Salix polaris) qui s'élève à peine d'un centiraèlre ou d'un
centimètre et demi au-dessus du tapis de lichens. Le géant de la végétation
est le Sdlix lanata, dont les beaux exemplaires n'ont pas moins de 15 cen-
timètres (l(! hauteur. C'est par les racines, et non par les troncs, que se
développent les arbres : on pourrait dire que les forêts de Novaya Zemla,
do même que celles de l'Oural du Nord, sont des forêts souterraines.
La faune de l'île jumelle est plus riche que celle du Spitzbei-g : outre les
cétacés qui se jouent dans les baies, elle comprend l'ours, le loup, deux
espèces de renards, le renne, également représenté pai- deux espèces, le
lièvre, la souris, le campagnol. D'ailleurs quelques espèces d'animaux du
continent voisin peuvent utiliser la glace du printemps poui- visiter terapo-
' OlelcIiedvennUja Znpiski, 1877, n'" 10 el il.
654 NODVELLE GEOGR.VPUIE UNIVERSELLE.
rairoiiiont les îles. Heuulin y a reconnu 45 espèces d'oiseaux, tandis que de
précédents voyageurs en avaient vu seulement 28. Les moustitjues, ce ilcau
<le la toundra, ne poursuivent pas les chasseurs dans l'île de Yaïgatch ' et
sont peu nombreux dans Xovaya Zemla".
Jadis des Samoyèdes habitaient la partie méridionale de la « Nouvelle
Terre », ainsi que Burrough l'apprit des Russes qu'il rencontra dans l'île
de Yaïgatch^, mais ces indigènes onl depuis longtemps disparu ou se sont
réfugiés sur le continent; à peine quelques Européens blancs passent-ils
quelques hivers de suite à Novaya Zemla, dans la station permanente de
sauvetage fondée en 1877 à Malîya Karmakouli, sur la baie de Moller, et
dans quelques stations de chasse et de pèche. Quoique annexée aux immenses
possessions de l'empire russe, cette province maritime peut être encore
parcourue par les chasseurs sans qu'ils rencontrent sur leur chemin la
moindre borne qui leur rappelle la toute-puissance du tzar.
IX
BASSINS DE I.A VOI.GA ET DE L OURAL, GRANDE RUSSIE.
Le fleuve (pii traverse obli(jU('nieut la liussie, du voisinage de la mer
Baltique aux eaux de la mer Caspienne, et qui reçoit l'écoulement d'un
territoire trois fois plus grand (pie la France, a contribué pour une forte
part à former la Russie comme nation et à lui donner son rôle poiilicpic.
Le Diiepr montrait aux Petits Russiens la route de Constanlino])le ; la
Vistule, le .\eman, la Diina entraînaient vers l'Occident les banpies des
HIaiics Piussiens et des Lithuaniens, et invitaient les Allemands à venir
s'établir sur leurs rives; le Vol'khov même et la Neva, en mettant Novgorod
en rapport avec la Hanse germanique, l'éloignaient pour ainsi dire du
cenircï de la Russie. La Volga et la vaste ramure de ses affluents navi-
gables obligeaient au contraire les habitants du pays à se développer, à
créer leur civilisation siu- |dace. 'juoi(pie les cours d'eau (iicili tassent les
communications dans tons les sens entre les diverses régions de la Grande
Russie, un bien petit nombre de colons se sentaient attirés au sud-est
vers les steppes infertiles, les déserts salins et le bassin fernK' de la Cas-
|iienne : la masse de la population devait rester dans la contrée et l'amé-
' Finsdi, /{lise jiaili Wisl-Stbii'Hii.
- V(in l!;ior; — Tociipon, Die Doppclinscl yowaja Scmija.
* l.ullic, Viermatiije Rchc durch das nonlliche Eismeer w den Jiihren 182! bis 1821.
BASSIN DE L\ VOLGA. C55
nager peu à peu par la culture. En eonlact sur mille endroits de leur vaste
territoire de colonisation avec les tribus asiatiques venues en Europe par la
roule des steppes, les Grands Russiens se mélangeaient avec elles, soit
pour les « slaviser », soit aussi pour « s'ouraliser » eux-mêmes, et c'est
ainsi que par des croisements continus se forma celle forte race qui a
pris graduellement la prépondcrance parmi loules celles de la Slavie
orientale. Délivrée maintenant, grâce aux cultures, aux canaux, aux roules,
aux chemins de fer, des anciennes limites tracées par les marécages et
les forêts, celle race a pu déborder bien au delà du bassin de la Volga ;
refluant sur l'Asie, elle a pu mémo envoyer des groupes de colons
jusque sur les rivages du Pacifique ; elle assiège la Chine, pour ainsi dire,
et par elle le grand continent oriental se trouve de plus en plus soumis
à l'influence européenne. Mais c'est toujours sur la Volga et ses hauts
affluents que se trouve le gros de la nationalité veliko-russe : là ses enfants
sont groupés au nombre de plus de 50 millions, et dans quelques dis-
tricts du centre leurs agglomérations ne sont pas moins denses que cell-s
de plusieurs pays de l'Europe occidentale'.
Le ruisseau qui prend à sa source le nom de \olgn nr naît poini ilan-^
les montagnes ; seulement quelques collines lèvent leurs tètes lioisées au-
* Vingt gouveraemenls, grands-russiens en loiit nu en partie, dont les limites correspondent
approximativement avec celles des bassins de la Volga et de l'Oural :
Surnerlific, d*aprêsStrcll>i(zkiy- l'oimlalion en tssl . l'opulatioii kilométri(n:c.
Tvei- ()5 550 kil. car. t 644 000 Imi). 25 liab.
Kaiou;;:!. 50 929 » x 1150 017 .■ 57 »
Moscon 55 502 » i> 2155 57 4 " Oi «
Tonfa. ....... 50959 >i )> 1.52720:) .. 45 «
Oi-ot 40 726 » » 1918 542 " 41 •>
Razaii. . . 42 098 on 1715 581 40 ..
Tambov . . 00 587 » » 2 400 828 .. 57 »
Yarosla\i 55 012 » « 1027 575 " 28 "
Koitrnm.i . . 84 095 » » 1209 102 15 .■
Vladimir 48 850 « » 1552 140 29 «
Mjniy-Novgoro I . . . . 51275 " » 1597 902 •• 27 >p
Penza 58 840 » ii 1402 807 ■ 50 «
Kazaii 05 715 » i. 1992 858 " 51 i.
Vallia 155 107 » )> 2 774 1.5S IS »
l'ermlKnropcelAsic . . .552 054 .: » 2 520 090 8 «
Oufa(l880) 122016 » » 1755 158 li 14 »
Simhirsl; 49 494 i. .. 1400 299 " 20 n
Samara 151045 « n 2 2;)9 65l " 15 o
SaraloT 84 495 » i. 2 044 117 •■ 24 i.
Astrakhan 2.56 527 n n 780 911 5 «
Orenbourg 191170 « » 1120 000 h 0 ••
Om-al(Eur.,.\s.)(l880). 560 402 « .. 525 552 . I '■
Eascmble 2 525 255 kil. car. 55 557 677 liab. 15,5 bab.
656 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
dessus des lacs et des marais où sourdent les premières eaux qui vont
à 1000 kilomètres en droite ligne se mêler à la Caspienne. Cependant lu
plateau découpé du Yolkonskiy Les (Forêt de Voi'konskiy) et du Yal'daï verse
également les fontaines de ses vallées orientales dans la Volga naissante,et
l'on peut considérer ce faite ondulé comme se dressant à l'origine du fleuve.
Les plus hautes Inities du Valdaï ne s'élèvent qu'à 05 mètres au-dessus
du plateau, quoique la cime principale, la Popova Gora, ait 551 mètres
d'altitude. La liautour générale de la contrée est assez grande pour lui
donner un aspect beaucoup plus sévère que celui des campagnes du tovat
et du lac Ilmen, à l'ouest et au nord-ouest; les tourbières, les lacs, les
forêts de sapins pourraient faire croire qu'on se trouve à 500 kilomètres
plus au nord, dans le voisinage du lac Onega; le climat moyen y est aussi
d'environ 2 degrés plus froid que dans les campagnes environnantes, ei les
zones de nombre d'espèces végétales contournent le massif au sud pour se
diriger au sud-est vers le bassin du Don '. Cependant l'ensemble de la flore
du Yal'daï ne diffère point de celle des plaines qui s'étendent vers les
grands lacs et l'on en conclut que ces hauteurs sont d'origine relativement
moderne dans l'histoire de la Terre ; elles n'ont point de plantes qui leur
appartiennent en propre, et leur parure provient en entier de la région qui
se dégagea des glaces après le long hiver géologique. Le plateau, maintenant
raviné par les neiges et les pluies, continuait alors les pentes uniformes de
la région et fut aussi recouvert par la mer des glaces finlandaises; ses col-
lines sont pai'semées de blocs erratiques de toute grandeur, apportés certai-
nement par les glaces mouvantes des régions du nord'. Par sa laune iclithyo-
logique, le Valdaï appartient aussi à la région finlandaise-Scandinave. Les
poissons de ses lacs, ceux mêmes de la haute Volga, n'appartiennent point au
bassin proprement dit de la Volga : les hauts affluenls valdaïens du fleuve
semblent n'en faire partit' ([u'accidentellement, j)0ur ainsi dire, et depuis
une époque récente; à en juger par la faune des eaux, ce n'est pas dans le
Valdaï, mais dans le lac Blanc (lielo Ozero), à l'est du Ladoga, qu'il faut
chercher la véritable origine de la Volga : les sterlets et les esturgeons
vivent dans la (ihcksna, émissaire de ce lac, comme dans la Volga moyenne'".
i^a r(''gion (Lins laquelle naît la ri\ière d(''sign(''e maintenant du nom de
^olga est une des plus man'cageuses de la ilussie occidentale : on pourrait
croire qu'elle occupe un bas-fond et non pas le faîte de la contrée. Séparé
]iar une siin|il(' l(iurliièi-c d'un allliicnt du VoUvIidv, le ruisseau ipii nail à
' Gdlii, Di' l'influence des haiileiirs du Valdaï sur la dislrihutinn des plantes (on riissf).
- Iîii|ireciit, Bulletin de l'Académie des sciences de Sainl-Péteisbouig, loiiic IX, iSOU.
= Poiakuv, Izv'esliiia Itoussk. (jeogr. Obclitehestva, 1874, n° 8.
VOLGA.
657
Volgino Verkhovye, et auquel on donne quelquefois le nom de Jourdain, en
témoignage de la sainteté de ses eaux, était recouvert autrefois à sa source
par une chapelle dont on voit encore les restes*. Le ruisselct suinte plutôt
qu'il ne coule, de tourbière en tourbière, puis, sur une distance d'environ
56 kilomètres, traverse successivement trois lacs étages, dont le niveau
x« lie- — sorRCES ne i.a voix* t.t de la du\*.
E df P
5^
E de G
diffère seulement de (pielques décimèlres. 11 arrive souvent qu'un iiniiieiil
venu du sud, la .btukopa, fait remonler la Volga vers la source, eu la reje-
tant dans le lac Peno, d'où elle vient de sortir : la pente naturelle de l'eau
est si faible, que l'impulsion du courant latéral sufflt à le changer. Au
sortir du lac Peno, voisin du Dvinet/,, où naît la Dûna, la Volga prend la
* Albin Kohn, Die Volga und Kama. Deutsche Rundscliau fiir Géographie und Slatislik, oct. 1879.
V. 85
058 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
direction de l'est, qu'elle doit suivre jusqu'à Kazan et traverse un quatrième
lac, portant aussi le nom à peine modifié du fleuve : c'est le Voîgo. En cet
endroit, le cours d'eau est déjà une rivière considérable roulant de 10
à 120 mètres cubes par seconde, suivant les saisons'. A 5 kilomètres en
aval, le fleuve rétréci forme son premier rapide : les ingénieurs ont utilisé
le défilé rocheux pour y construire une digue de retenue qui, pendant la
saison des pluies, transforme toute la vallée supérieure avec ses lacs en un
réservoir de 80 kilomètres de long et de plus de 2 kilomètres de large,
renfermant jusqu'à 180 millions de mètres cubes d'eau. Quelques barques,
des radeaux peuvent alors descendre de la région des lacs, grâce au barrage,
et plus haut la rivière, exhaussée de 10 à 18 centimètres pendant la saison
des sécheresses, devient régulièrement navigable. La Selijarovka, sortie du
grand lac tortueux do Seliger, dont un couvent insulaire, consacré à saint
Nil, est encore visité chaque année par 20 000 pèlerins, vient près de là
doubler le volume de la Volga. On peut dire que là commence commer-
cialement le fleuve, le Ra (Rha, Rhas ou Rhos) des auteurs anciens et des
Mordves, le Youl des Tcheremisses, l'Atel, Etil ou Itil des Tartares, le
Tamar des Arméniens, c'est-à-dire en toutes ces langues le « Fleuve »
par excellence; son nom finnois de Volga signifie le « Fleuve Saint ».
En aval de la Selijarovka, il ne reste plus à la Volga qu'à descendre
les pentes du plateau par une succession de 55 seuils ou porogi, qui
d'ailleurs n'empêchent pas la navigation, et la Volga, serpentant désor-
mais dans la grande plaine russe, reçoit des affluents navigables et
communiquant par des canaux avec le versant de la Baltique. Des villes
populeuses, Tvei-, Rîbinsk, Yarosl'avl, Kostroma, se reflètent dans ses
eaux. A A" ij ni y-Novgorod, la Volga, qui déjà mérite son nom de matouclika
ou de « mère » parmi les rivières de Russie et qui dépasse en masse d'eau
le Dnipro bal'ko ou le « père Diiepr » des Oukraïniens, s'unit à un autre
cours d'eau, à peu près son égal en puissance, et plus important au point
de vue historique. C'est l'Oka, qui servit longtemps de frontière entre les
Tartares et les Moscovites, et qui traverse la région centrale de la Russie
actuelle : née dans la région des Terres Noires, cette rivière de 1500 kilo-
mètres arrose les campagnes les plus fertiles de la Grande Russie et porte
à la foire de Nijniy les denrées d'Oiol, de Kal'ouga, de Toula, de Razan, de
Tambov, de Vladimir et de Moscou, l'une des deux capitales de la Russie.
Large de plus de 1500 mètres, elle s'unit comme un bras de mer à la Volga.
' Stjernw.ill; Kôppen, Beitriigc ziir Keniitniss des russischcii Reiches, von v. Baer iiml v. Uel-
incr-îcii
si»fiiïffi
VOLGA ET KAMA.
661
D'autres affluents, grands comme la Seine, vont se perdre dans le fleuve
à l'est de Nijniy-Novgorod, mais ils paraissent insignifiants en comparaison
de la puissante Kama, qui rejoint le cours d'eau principal en aval de
Kazaii en lui apportant les pluies et les neiges fondues de l'Oural et des
vastes contrées habitées par les Perraiens et les Zîi-anes. Tandis que le
bassin de l'Oka comprend un espace presque aussi grand que l'Italie, la
Kama reçoit l'excédent d'humidité d'un territoire égalant au moins la
France en étendue. Par la direction de son cours, la Kama semble être le
véritable fleuve, car, en aval du confluent, les deux cours d'eau unis dans
le même lit, mais longtemps distincts, la Kama aux eaux pures et la grise
Volga, coulent vers le sud et le sud-ouest, prolongeant ainsi la haute vallée
117. — FORETS ThnUBLAXTES, PRES DE ItirSIt-VOTGOr.O
y^e^/tre f^crtarr Cimon c/e f/an;es visgueujc, a^ec c/e
Saà/e efarg'/e
de la Kama, Peut-être la portée moyenne des eaux à Simbirsk, au-dessous
du confluent, est-elle déjà aussi considérable qu'aux bouches du fleuve,
car dans tout le cours inférieur les tributaires sont peu nombreux et ne
roulent qu'une faible quantité d'eau : les pluies y sont rares, et l'éva-
poration très active : « Ce n'est pas la terre qui nous nourrit, disent les
paysans, c'est le ciel ».
Une sorte de mer, vaste bassin lacustre que les alluvions de la Volga et
de la Kama réunies ont comblé peu à peu, existait autrefois au-tlessous du
confluent. C'est à peu près là que st; trouve la limite de la région des tour-
bières et que commence, sur la rive orientale de la Volga, la région des
steppes. Du nord au sud, l'atmosphère devient moins humide, le sol plus
ferme. En aval de Simbirsk on ne voit plus de ces terrains tremblants,
feutres de mousses toujours frémissants, dans lesquels s'entremêlent les
racines des grands arbres, semblables à des filets de cordages. D'ailleurs,
662 . NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
même dans la région des tourbières, les travaux de culture et ceux des
roules feront disparaître de ])lus en plus ces forêts tremblantes'.
Au-dessous de l'ancien lac de Simbirsk, le fleuve se heurte contre les
parois d'un massif calcaire
18. ÏIAUTE RIVE nr L\
qu'il n'a pu entamer et dont
il doit suivre la base dans la
direction de l'est jusqu'à ce
qu'il trouve un point faible
pour l'epi'endre sa route vers
le sud. Mais dès qu'il a tra-
versé ce massif, par la brè-
che de Samara, il longe vers
l'ouest l'escarpement méri-
dional des collines, en sens
inverse de sa marche précé-
dente, et limite ainsi avec
une singulière netteté une
étroite et longue péninsule
enracinée au jilateau occi-
dental. Là sont les sites les
]dus pittoresques des bords
de la Volga. Les escarpe-
ments boisés, se terminant
par des pyramides et des ai-
guilles bizarres, dominent le
ileuve de plusieurs centaines
de mètres, el de leurs som-
mets on peut voir se dérou-
ler les anneaux de la Volga
jusqu'à 100 kilomètres de
distance. Sur quelques poin-
tes presque inaccessibles se
(h-essent des kourgans, dits
<( de Sici'ika », en mémoire de Razin. le clu'l' de cosaques et de paysans
rclicllcs (|iii s'était établi dans celle loileiesse naturelle de la Volga*. Vers
l'entrée de la brèche, au nord de Samara, là où le Sok vient s'unir au
' R. Liulwig, Rcixc iluich Russlaiid nml dcn Vrai.
« Koulchin, Guide sur la Yolija cnlre Nijn'nj Novgorod el Astrakhan (en russe).
VOLGA ET SA UAUTE RIVE. 665
fleuve principal, une colline isolée, qui fut jadis une île au milieu des
eaux débordées, se dresse sur la rive gauche de la Volga : c'est le Tzarov
Kourgan ou « Colline du Tzar », bloc calcaire renfermant un grand nom-
bre de coquillages fossiles {fusuliua cylindrica), qui ressemblent à des
grains de blé et que les paysans appellent en effet « seigle pétrifié »
{okamen'elaya roj)\
Les collines dont la Volga longe la base s'élèvent en maints endroits à
plus de 100 mètres au-dessus de l'eau, prenant un aspect presque mon-
tagneux. Le Beîîy Kloutch, au sud-ouest de Sîzran, n'a pas moins de
547 mètres d'altitude, soit 556 mètres au-dessus du niveau moyen de
la Volga ; d'autres cimes ont 200 et 250 mètres, hauteurs imposantes en
comparaison des croupes à peine visibles qui s'élèvent çà et là sur les
plaines de la Russie centrale. Ces collines de la rive occidentale de la
Volga forment un singulier contraste avec les campagnes unies de la rive
orientale. Et ce contraste n'est pas seulement dans la forme extérieure, il
est aussi dans la nature géologique. En amont de la brèche de Samara,
les hauteurs de la rive droite appartiennent aux formations carbonifère,
jurassique, crétacée, tandis que les plaines de l'est sont d'origine dyasique;
en aval de la lurche, la Volga sépare les collines permiennes de terres
alluviales ayant comblé d'anciens lacs et des bras de mer. Le fleuve est
une limite géologique, mais une limite qui se déplace peu à peu.
En effet, la Volga peut être considérée comme le type des fleuves qui
empiètent constamment sur leur rive droite en déposant leurs alluvions
sur la rive gauche, et c'est en étudiant ce cours d'eau que de Baer put
exposer déOnitivement la loi — étudiée déjà par Soltkov en 1844 —
qui rattache les déplacements de ces fleuves au mouvement de rotation de la
Terre. Dès son issue de la région des plateaux, la Volga ne cesse de
ronger sa rive haute ou « des montagnes » {(joriùy bcreg) et de délaisser
sa rive basse ou a des prairies » {lougovai bcreg). 11 en est de menu-
pour rOka, la Kama et les autres grands affluents du fleuve. La ville de
Kazaiî, située autrefois au bec môme de la Kazanka et de la Volga, est
maintenant à plus de .') kilomètres de ce deniior fleuve : on [idurrait
croire qu'elle a voyagé vers l'est.
Mais c'est principalement dans la partie de san cours comprise entre
Samara et Tznritzîn que les empiétements de la Volga offrent le spectacle
le plus remarquable. A l'orient, c'esl-à-dire sur la rive gauche, ce sont
des îles, des canaux à demi desséchés, des marécages, puis, dans le loin-
' Von llelmcrscn, Bulklin de l'Académie dct science» de Sai'nt-Pélersbourg, vol. XI, 18C7.
664 KOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
lain, la steppe nivelée par les eaux qui la recouvraient jadis. Le fleuve porte
toute la force de son courant vers la rive occidentale , presque partout
taillée en falaise et formée d'une couche d'argile reposant sur un talus
sablonneux. Pendant les crues , l'eau de la Volga vient se heurter contre
la base des escarpements, elle emporte le sable, creuse des cavités au-
dessous des parois d'argile, puis déblaie les uns après les autres les
énormes blocs qui se détachent des assises supérieures : elle ronge
ainsi et détruit sans relâche ces puissantes murailles argileuses qui de
loin ressemblent à des rochers, et les emporte à la mer avec les villes
et les villages qui les dominent. Presque toutes les vingt-trois cités
construites sur la rive occidentale de la Volga sont ainsi démolies en
détail, maison à maison, rue à rue, et, rongées d'un côté, sont obligées
d'avancer de l'autre dans la steppe. Même en aval du coude de Tzaritzîn et
de sa grande falaise, la berge de Tchornîy Yar, haute d'environ 50 mètres,
recule à peu près d'autant chaque année, et la route par laquelle on des-
cend de la ville au bord du fleuve est à refaire tous les ans. Le cimetière,
aussi bien que l'ancienne ville, est englouti, et l'on vit longtemps des
crânes et des squelettes faire saillie hors de la muraille rougeâtre de la
falaise. Du haut des escarpements de la rive droite, on voit à ses pieds
tout le lacis des canaux qui serpentent au milieu du labyrinthe des îles
vertes jusqu'à la rivière AklUouba, ancien lit de la Volga, laissé aujour-
d'hui à 20 kilomètres en moyenne du courant principal. Au delà s'étend
la steppe immense, qui ressemble à une mer grisâtre et qui se trans-
forme réellement en mer, pendant les crues de la Volga, sur une largeur
considérable. C'est pour éviter ces inondations que les villes ont presque
toutes été bâties sur la rive droite, oii elles ne sont démolies que par
degrés et ne risquent pas de disparaître en une seule fois '. Le jour
viendra où la vallée de la Sviyaga, parallèle à celle de la Volga sur une
longueur d'environ 400 kilomètres et séparée d'elle en quelques en-
droits par un espace de 5 kilomètres seulement, deviendra la vallée du
grand fleuve. Les massifs intermédiaires diminuent de largeur d'année
en année.
La région du delta commence déjà au méandre de Tzaritzîn, à plus
de 500 kilomètres de la mer Caspienne, puisque le fleuve s'y divise en
d'innombrables canaux serpentant outre les deux lits de la Volga et de
l'Akhtouba, connue ])rès de la mer sous le nom de lîereket ; cependant le
delta proprement dit ne se forme qu'à une cinquantaine de kilomètres en
• Viiii Baei-, Kasi>ische Stutiien.
BASSE VOLGA.
ees
amont d'Astrakhan, par le bras du Bouzan, qui se détache du lit principal.
Puis, dans le voisinage d'Astrakhan, se séparent le Balda, le Kouloum, et,
plus bas, la Tzaî-ova, le Tzagan, le Biroul, d'autres encore. Sur la vaste
péninsule d'alluvions qui s'avance au loin dans l'intérieur de la Caspienne
et qui, sans compter les innombrables irrégularités du littoral, n'a pas
moins de 180 kilomètres de tour, on compte en moyenne deux cents
bouches fluviales, dont la plupart, il est vrai, sont des coulées incertaines
et vaseuses. La chronique de Nestor parle de soixante-dix bouches : c'était
un nombre sacré; actuellement une cinquantaine des bras de ce dédale sont
des courants réguliers'. Au printemps, pendant la période de l'inondation,
toute la surface du delta, de même que tout le cours inférieur, en aval de
— VOLGA ET AKHTOOBA.
Tzaritzîn, n'est qu'une masse d'eau mouvante, au milieu de laquelle appa-
raissent çà et là des îlots ; une mer d'eau douce descend vers la mer d'eau
salée. Mais après chacun de ces déluges annuels des lit-^ nouveaux se sont
creuses, d'autres ont été remplis de limon ou de sable : la géographie du
délia est à refaire. Même les lits principaux se déplacent. Il y a deux cents
ans, l'embouchure suivie par les navires coulait directement d'Astrakhan
vers l'est; depuis, le grand courant s'est frayé successivement d'autres
lits, obliquant de plus en plus à droite, et maintenant le chenal que sui-
vent ordinairement les embarcations est dirigé vers le sud-sud-ouest. Le
Balda, qu'un bras latéral fait communiquer avec l'Akhtoulia, a pris
aussi dans ces derniers temps une importance considérable et s'est agrandi
aux dépens de ses voisins : en rongeant les terres, il a même fait disparaître
' Mrczkuwski, Biillelin de ta Société de Géographie de Paris. I87'J.
666 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
jusqu'aux derniers vestiges de l'ancien et célèbre couvent appelé Bal'dinskiy
Monastu-. En même temps que les lits se déplacent, les barres ou seuils
que doivent franchir les navires pour entrer du fleuve dans la Caspienne
ou pénétrer de nouveau dans le fleuve, changent aussi de position et de
profondeur : aucune passe n'a plus de 2"", 25, et la deuxième en importance
n'avait même que 45 centimètres dans l'été de 1852 : pour la naviga-
tion, le fleuve était presque complètement séparé de la mer'. Si les vents
du sud et du sud-ouest ne soufflaient fréquemment de manière à reporter
les boues alluviales vers l'amont, dans le lit profond du fleuve, la barre
de la Volga serait complètement inabordable. On a essayé de déblayer les
alluvions du bras principal au moyen de lignes longitudinales, mais on
n'a réussi qu'à reporter les alluvions plus au large en formant un nouveau
seuil aussi élevé que l'ancien; puis M. Mrczkowski a proposé la construc-
tion d'un barrage en amont du chenal d'entrée afin de capter au passage la
plus grande partie des troubles. Maintenant l'ingénieur Danilov propose
d'éviter le delta en creusant un canal d'Astrakhan au port de Serebra-
novskaya, à 190 kilomètres au sud-ouest : c'est là que se trouve la pre-
mière baie profonde du littoral, au sud de la Volga.
Ainsi finit ce fleuve, dont la longueur, avec les petites sinuosités,
est de 5590 kilomètres et dont le réseau navigable, comparable à celui
des grands courants américains, est d'environ 12 000 kilomètres. Des
sources de la Kama au delta d'xVstrakhan, les eaux ne traversent pas moins
de 16 degrés de latitude et de 9 degrés isothermiques : tandis que le climat
de la hiuite région fluviale a pour température moyenne celle du point
de glace, la chaleur annuelle oscille autour de 9 degrés dans la région du
delta. Devant Astrakhan, le fleuve est gelé pendant 98 jours, et l'épaisseur
de la glace n'y est parfois que de 26 centimètres'; près de Kazan, la Volga
est prise pendant 152 jours; en amont de Periii, au confluent de la Tchou-
sovaya, la Kama reste gelée durant six mois. On peut évaluer à 40 centi-
mètres d'eau la quantité de pluie tombée dans son bassin, ce qui donnerait
à peu près 20 000 mètres cubes d'eau à la seconde, si toute l'humidité
s'écoulait par le lit de la Volga ; mais dans la région des forêts et des
prairies la végétation prend une part considérable de l'eau tombée, et
dans le pays des steppes l'évaporation directe peut enlever plus d'un mètre
d'eau par an dans les endroits bien exposés aux vents". Près des trois
quarts de l'eau tombée se perdent en route. De premières évaluations,
' Scihonov, Dictionnaire géoijraphtqne et slalittique de l'Empire russe (en russe).
» hv'cstiija Roussk. Gcogr. Obchtcliesli'ii, 1870, ii" 1.
' llvrbert Wuod, ISotes manuscrites.
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[>ressp par A.WliUpinin .doprpi ii lartc deHa.isir lii JSumiu Tof ofrapAiifuc dr S! IVIrr.^bourf
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Hachette eirr
Gravé par Krhard.i2.rueI)uéi»flvlT**^uin Paris.
df^e met. et au értsus
BASSE VOLGA. 667
d'ailleurs toutes provisoires, n'ont trouvé que 5780 mètres cubes pour
le débit moyen de la Volga : ce ne sont pas les deux tiers de la portée
moyenne du Danube, qui pourtant égoutte un bassin deux fois moindre
que celui du fleuve russe'. De même que les rivières du nord de l'Alle-
magne, la Volga est, dit-on, moins abondante qu'autrefois : les embarcations
qu'on emplissait de sel dans la partie inférieure du fleuve pour les mar-
chés de la Russie du Nord et de la Sibérie prenaient au commencement du
dix-huitième siècle un chargement moyen de 500 tonnes ; elles ne transpor-
tent de nos jours guère plus de la moitié de ce poids" . Cependant les
mesures précises faites à Astrakhan ont prouvé que la crue annuelle du
printemps commence plus tôt, dure plus longtemps et s'élève plus haut
depuis le milieu du siècle '. La cause en est au déboisement, qui permet
aux neiges découvertes de fondre beaucoup plus vite, et au drainage des
marais, qui emporte vers les rivières l'eau séjournant autrefois dans les
sphaignes et les mousses des tourbières,
La quantité d'eau qu'apporte la Volga, au moins égale à celle que versent
tous les autres affluents de la Caspienne, est assez considérable pour exer-
cer une influence très sensible sur le niveau de la mer. Ainsi la crue
de 1867, qui dépassa toutes celles que l'on avait vues depuis quarante
années, éleva la superficie marine de 61 centimètres, et près de trois
ans s'écoulèrent avant que l'eau eût été ramenée à son affleurement nor-
mal. Cette masse liquide supplémentaire dans le bassin de la Caspienne
représentait 274 milliards de mètres cubes, soit environ trois fois la con-
tenance du lac de Genève. Quant aux progrès annuels du delta sur la
mer, si difficiles à évaluer sur un front si étendu dont les érosions et les
apports, agissant en sens inverse, modifient incessamment la forme, on
n'a pu les mesurer, même d'une manière approximative. Ces progrès doi-
vent être fort considérables, car l'eau de la Volga, dans laquelle chaque
pluie apporte le sable et l'argile des innombrables ravins ou ovrags, res-
semble à de la bouc dans tout son delta : les pêcheurs n'ont aucune expres-
sion pour en indicfuer la transparence ; cette vase liquide est pour eux
« rouge » ou « blanche », suivant sa plus ou moins grande teneur en
molécules argileuses ou de craie délayée. Toutes ces matières en suspcn-
' Bassin de la Volga, d'anirs SlielMlzkiy : 1 i.')8 OflO kilomclrcs carrés.
' A, de Gasparin, Cours d'agriculture, tome II, 1844.
' Régime des crues à Astrakhan :
Accélération de la cnio. Longui-ur de la crue. Ilautcur eilréme,
1839 à 1848 120 jours. 3 2°, 49
1849 à 1858 2 jours. 4 U7 >• .5 3", 02
1858 à 1867 0 » .i 191 . .7 5»,02
«68 NOUVELLE GEOGR.U'IIIE UNIVERSELLE.
sion, évaluées par Mrczkowski à un deux-millième de l'eau , vont se
déposer en îles, en îlots, en bancs de vase, et bordent de bas-fonds tout le
pourtour du delta. Quand les recherelies géologiques auront permis de fixer
la date à laquelle la Caspienne se sépara de la mer Noire, les progrès sécu-
laires du delta pourront être évalués exactement, puisqu'il est entièrement
de formation moderne et n'a commencé, là où il se trouve maintenant,
que depuis l'indépendance du bassin maritime.
La Volga est très riclie en poissons, et des multitudes de pêcheurs vivent
de leur capture. La basse Volga surtout est pour ses riverains et pour la
Russie tout entière un immense réservoir d'alimentation. Chaque saison a
son genre de pêche : filets et seines de toute espèce, hameçons, dards, har-
pons et trappes, tels sont les engins dont on se sert suivant les temps et les
proies à saisir; même en hiver, lorsque la glace recouvre la Volga de sa dalle
épaisse, les pêcheurs percent des trous de distance en distance et réussissent
à s'emparer du poisson, grâce à leur connaissance de ses mœurs et de
ses appétits '. Sur quelques rivières des environs de Samara, les pêcheurs
ouvrent une tranchée dans la glace, d'une rive à l'autre, puis ils s'éloignent
à plusieurs kilomètres en amont, et de là, montant à cheval, ils redes-
cendent bruyamment au plein galop de leurs montures, en chassant
ainsi le poisson vers les barrages de la tranchée. Les appareils de pêche
les plus bizarres de la Volga, d'ailleurs tout semblables à ceux qu'on voit
dans le Bosphore et sur les côtes napolitaines de l'Adriatique, sont les
échafaudages de perches, de planches, de toits branlants, qui s'élèvent au-
dessus des eaux et sur lesquels veille le pêcheur, perché comme un héron
sur ses longues pâlies et regardant le Ilot. Dans les îlots du delta sont
établis de nombreux ateliers où les poissons, apportés par barques pleines,
sont découpés pour livrer les parties les plus délicates de leur chair et sur-
tout les œufs destinés à devenir du caviar frais ou salé. Le « j)oisson
blanc » ou b'elouga et le sterlet, également de la famille des esturgeons,
sont, de tous les hôtes de la Volga, les plus appréciés et ceux qui attei-
gnent les plus forles dimensions. Ils remontent les eaux en venant de la
Caspienne, leur pairie; mais il paraîtrait que le nombre en a diminué
dans les dernières décades, si ce n'est dans le cours supérieur de la Volga,
depuis que le passage des bateaux à vapeur trouble l'ré([uemment les eaux*.
Avant la construction des chemins de Ici', les poissons l)lancs pêcliés dans
' Von li.iLT, Kiispischc Stiidieii; — Saliai'ioyi'v, Poissons de lu Russie; — A. Legiolle, Le Volga,
Notes sur la Russie; — Ragosiii, La Votya.
» Pi'cliiMiis (lii lleiive (liiiis le (lislricl d'Aslrakliai'i, en IST'i : llonmies, 10 ilS; femmes, &8I(J;
enfants, Ml. Ensemble, tU 745.
VOLGV ET MER CASPIENNE. 669
la Yolga étaient expédiés aux gourmets de Moscou et de Saint-Pétersbourg
en de grandes cuves dont l'eau était journellement renouvelée par les
nombreux moujiks accompagnant le convoi de poisson. Celui-ci arrivait
ainsi frais à destination, mais le coût du transport avait élevé le prix de
chaque sterlet à un millier de francs.
A l'ouest du delta de la Volga, et même bien en dehors de ses terres
alluviales, d'un côté vers la bouche de la Kouraa, de l'autre vers celle
de rOiiral, sur un développement total d'environ 400 kilomètres, on re-
marque une frange bizarre de péninsules étroites et d'iles allongées,
d'une hauteur moyenne de 8 ou 10 mètres seulement et séparées les unes
des autres par des canaux d'une faible profondeur, mais s'avançant
dans l'intérieur des terres jusqu'à 20 et même 50 kilomètres de dis-
tance. Ces péninsules, connues sous le nom de bougrî (au singulier
bougor),se continuent dans l'intérieur des terres par des barkhâni, que
l'on prenait jadis à tort pour des dunes mouvantes. Aucune autre partie
des rivages maritimes du monde ne présente une formation semblable
ou du moins d'une aussi grande régularité. Vu d'en haut, l'ensemble des
bougrî et des limans intermédiaires ressemblerait à une série sans fin de
murs parallèles alternant avec des fossés d'égale largeur. Les diverses bran-
ches de la Volga ont déblayé plusieurs de ces monticules, mais il en reste
encore un grand nombre, même dans le delta ; toutes les stations de pèche
disséminées aux bords du fleuve et la cité d'Astrakhan ont été construites
sur des collines de cette nature. Les milliers de canaux qui séparent les
étroites levées de terre sont un immense dédale inexploré même des
pêcheurs : les cartes les plus détaillées peuvent seules donner une idée de
cet étrange fourmillement d'iles, d'ilôts, de canaux et de baies. Immédiate'
ment à l'ouest de la Yolga, les limans qui séparent les bougrî sont toujours
changés en rivières. Pendant les inondations du fleuve, le courant déverse
dans ces canaux le trop-plein de ses eaux chargées d'argile ; puis, après la
fin de la crue, la mer y pénètre à son tour : il se produit ainsi un mouve-
ment alternatif des eaux entre la Caspienne et la Volga. Loin du delta, les
limans, n'étant point remplis par les eaux débordées du fleuve, ne forment
pas en général de nappe continue, mais seulement une chaîne de lacs
séparés les uns des autres par des isthmes sablonneux et changés en salines
naturelles par la rapide cvaporation d'été. Pour se procurer une saline, il
suffit d'élever des digues qui empêchent l'eau de la Volga de pénétrer dans
le liman : celui-ci, rempli d'eau marine, se salure peu à peu et se cluvige
C70 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
en un réservoir de sel. Même dans l'intérieur des steppes, loin des rives
actuelles de la mer, se voient çà et là quelques limans salins, séparés par
des bongrî parallèles.
D'après de Baer, qui le premier a donné une description détaillée des
bougrî caspîens, tous ces monticules allongés sont stratifiés en forme de
voûtes concentriques. Les couches les plus fortement argileuses sont, pour
ainsi dire, les noyaux autour desquels se sont déposées les terres plus
mélangées de sable : cette distribution des couches témoigne de l'action
des courants d'eau qui ont passé sur toute la contrée en déposant les
sables sur les masses résistantes d'argile. S'étalant un peu en éventail,
d'un côté vers le nord, de l'autre vers le sud, ces collines représentent les
extrémités de rayons partant d'un centre commun qui se trouverait vers
le milieu de l'isthme ponto-caspien. Lorsque, par suite de la rupture du
Bosphore ou de la diminution des pluies, le seuil de partage émergea des
eaux entre Caspienne et mer Noire, la nappe de la Caspienne, qui avait
alors une superficie deux fois plus grande que de nos jours, se trouva
tout à coup privée d'une partie de l'eau qui l'alimentait conjointement avec
le Pont-Euxin. Les apports de la Volga et de ses autres affluents ne suffisant
plus à compenser l'évaporation, la mer fut sans doute réduite, dans l'es-
pace de quelques années, à la moitié de son ancien bassin, et c'est alors,
d'après de Baer, que le reflux creusa sur le rivage actuel ces étroits limans
d'érosion, restés distincts dans le delta de la Volga. Toutefois il se pré-
sente une autre hypothèse qui paraît plus simple. Les bougrî et les fossés
intermédiaires ne seraient-ils pas le reste d'un ancien delta de la Volga,
qui coulait jadis au sud de Tzaritzîn, par l'ancien lit que l'on voit encore
à la base des coteaux d'Erghenis ' '.'
Si considérables qu'ils soient, les changements que la Volga, le Terek et
les autres affluents de la mer Caspienne apportent actuellement par leurs
alluvions aux contours de cette méditerranéc ne sont que peu de chose en
comparaison des révolutions qui se sont accomplies jadis dans la forme du
grand bassin maritime. Ces révolutions, il est vrai, ne sont point connues
par le témoignage de l'histoire, car la première carte cpii donne d'une
manière générale le dessin à peu près exact des rives caspiennes dale seu-
lement de la première moitié du dix-huitième siècle; mais l'aspect des
terres émergées, les coquillages laissés sur le sol, les animaux d'origine
océanique vivant dans la Caspienne ne permettent aucun doute relalive-
ment à l'ancienne extension des eaux marines. C'est un fait désormais
' ricrre Kropolkm, Violes tnanusciile$.
ISTHME PONTO-CASPIEN. 671
incontesté que la mer Caspienne a communiqué depuis l'époque quaternaire
avec le Pont-Euxin par le seuil du Manîtch et s'étendait au nord jusqu'à
Samara et Simbirsk. Quoique changée maintenant en un lac fermé de
toutes parts, on peut donc la considérer en toute vérité comme faisant
géologiquement partie d'un immense détroit ouvert enire les deux conti-
nents d'Europe et d'Asie.
Le seuil de partage entre les deux mers est indiqué par la nature elle-
même avec une précision parfaite. La rivière Kalaous, issue des assises
crétacées qui s'étendent à la base septentrionale du Caucase, à peu près à
moitié distance entre les deux mers, commence par couler du sud au nord,
vers la dépression laissée par l'ancien détroit ponto-caspien, puis, arrivée
dans ces plaines d'apparence horizontale, sans pente visible, elle se partage
en un grand nombre de bras, dont plusieurs se perdent dans les sables,
tandis que d'autres se dirigent à l'est vers la Kouma et la Caspienne. Au
printemps, lors de la fonte des neiges, et vers la fin de l'automne, après
les grandes pluies, le Kalaous, roulant alors une quantité d'eau considé-
rable, se cherche d'autres issues et déverse à l'ouest une partie de sa
masse liquide surabondante ; cette eau descend dans le lac Manîtch, sur
le versant de la mer d'Azov, et d'étang en étang finit par entrer dans le
bassin de la Méditerranée. Ainsi les deux bras principaux du Kalaous,
auxquels on donne les noms de Manîtch oriental et Manîtch occidental,
constituent de mer à mer un canal temporaire, remplaçant l'ancien détroit
dejonclion. Au milieu du dix-septième siècle, lors de la grande révolte
des Cosaques, leur chef Etienne Razin aurait eu l'intention de lancer une
flottille sur le Manîich pour naviguer entre les deux mers, et les Cosaques
ihi Don seraient venus en foule autour de lui en suivant cette voie navi-
gable. Si les documents qui ont permis à M. Bergstrœsser de raconter ces
faits sont authentiques, la quantité d'eau roulée par le Kalaous aurait
grandenienl diminué pendant les deux derniers siècles, car de nos jours
la navigation de mer à mer ne pourrait s'accomplir que d'une manière
tout à fait exceptionnelle, et M. Bcrgstrœsser lui-même l'a vainement ten-
tée. En outre, le seuil de séparation s'est élevé depuis deux siècles de
toutes les alluvions qu'a (h'-posées le Kalaous, cl il ne cesse de s'élève:
encore; il se di'placc aussi graduellemenl avec la pcMiirisulc de bifurca-
tion ; jadis il devait se trouver beaucouj) plus au sud'.
La communication qui existait autrefois entre les deux mers peut-elle
être rétablie, et peut-on espéi'c'r de voir un jour les grands navires se
' Bcrgslncsscr, Vcrbindung des Kaspisclicn mit dcm Schwanen Mccre, Miltheilungeii von Pcler-
Eann, 1869.
672
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
rendre sans obstacle de Gibraltar au port d'Asterabad, ou même, par le
cours restauré de l'ancien Amou-Daria, jusqu'à la base des hautes mon-
tagnes de l'Asie centrale? Si Pierre le Grand eût appris l'existence de cette
chaîne de lacs et d'eaux traînantes cuire les deux mers, nul doute qu'il
n'eût mis les ingénieurs à l'œuvre pour le rétablissement de l'ancien canal
de jonction, lui qui fit mettre la pioche entre le Don et la Volga et qui
ordonna d'explorer les vallées du Rion et du Kour, au sud du Caucase,
en vue d'un canal. Pallas découvrit la dépression du Manîtch, et Par-
0. MAMTCII ORIENTAL ET BVSSE KOr\
rot le premier j)roposa d'en utiliser la double ponte pour ouvrir une voie
de navigation ; puis divers explorateurs, surtout Bergstrasser, étudièrent
la contrée afin de liàter le commencement de l'entreprise. En tout cas, on
ne peut songer au creusement d'un canal maritime sans écluses à travei-s
l'isllinie ponto-caspien. Pour ftiire descendre en pente doue* les eaux de
la mer d'Azov vers la mer Caspienne, il faudrait accomplir une œuvre
bien plus colossale que le percemtMil de l'isthme de Suez, en vue d'un
résultat incomparablement moindre. Le seuil étant situé à plus de 51 mè-
tres au-dessus du niveau de la mer Noire — à '2i mètres, d'après Dani-
ISTHME PONTO-CASPIEN. S;ô
■fov — et par conséquent à 57 mètres plus haut que la Caspienne,
les tranchées à creuser pour un canal de 5 mètres seulement seraient
parmi les plus profondes du monde entier; la fosse, excavée dans l'ar-
gile des steppes et peut-être, en certains endroits, à travers des assises
de grès, aurait une profondeur d'au moins 40 mètres sur une distance
de plus 50 kilomètres. Mais un canal à gradins écluses, destiné au service
de la petite navigation, serait une œuvre relativement facile, pourvu
N° isr. — MA\ÎTCH OCCIDENTAL.
qu'on ne se contente pas de l'eau du Kal'aous, ni même de celle de la
Kouina, ainsi que le proposait l'ingénieur de Voland : il faudrait prendre
i'fan d'alimentation dans le Terek et dans la Kouhai'i, à une grande hau-
teur au-dessus de la dépression du Manîtch. Les plans de ringé'iiienr
Daniiov, dont l'exécution coûterait de quarante à cinquante millions de
roubles, i)ermetlraienl au\ haleaux à \apciir d'Astrakhaii (r(''vil«'i' les
bouches de la Volga |i,ii- un canal lali'-ia! à la mer Casin'enni'. di- jiasser
dans le Manildi, pui- de coiiloiirner la pi'iiinsulc de Taniai'i cl dViilrer
ainsi diri'clcnicnl dati>- la mer NOire.
fi14 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE
L'espace que recouvrait autrefois la Caspienne, au moment de sa sépa-
ration d'avec le Pont-Euxin, comprenait en Europe et en Asie toute la
région des lacs, des marais salins et des steppes qui s'étend à la base des
plateaux. Au sud de Tzaritzîn, on voit encore les falaises escarpées qui
se dressaient au-dessus de l'ancienne mer et qui continueraient la « rive
haute » de la Volga, si le courant du fleuve, échancrant sa berge, ne l'avait
pas fait reculer peu à peu vers l'ouest. Un peu en avant des falaises mé-
ridionales, une chaîne de lacs et d'étangs, reste évident d'un fleuve, est
peut-être le prolongement d'une ancienne Volga allant se déverser dans
le détroit de Manîtch. Par suite de l'évaporation graduelle de ses eaux, la
superficie de la Caspienne se trouve actuellement réduite à 440 000 kilo-
mètres carrés', à peu près les quatre cinquièmes de la surface de la France.
Cet espace maritime ne cesse de diminuer, nous le savons, à cause des
alluvions qu'apportent les fleuves, mais il semble que la quantité d'eau
reste à peu près la même : l'équilibre s'est fait entre la recette et la
dépense, ou du moins les oscillations du niveau sont contenues en d'étroites
limites. Lentz ayant fait en 1830 une incision dans la roche près de Bakou,
on n'a cessé d'observer depuis cette époque des changements de niveau,
mais on ne sait s'il faut y voir une oscillation locale ou un phénomène re-
latif à l'ensemble du bassin'. On n'a point encore établi la balance annuelle
des eaux par le jaugeage des portées fluviales et la mesure précise de
l'évaporation moyenne. Un indice qui, à défaut d'observations directes,
permet d'affirmer que pendant la période géologique actuelle le niveau
doit s'être à peu près maintenu, est fourni par les flèches de sable que l'on
remarque au-devant de mainte partie du littoral, et surtout le long des
côtes de la Perse et du Turkestan. Les flots du large ne pourraient élever de
pareils cordons littoraux s'ils baissaient rapidement au-dessous des terres.
Dans ce cas, des sillons se creuseraient perpendiculairement au rivage.
De nos jours, le niveau de la Caspienne est à 20 mètres en contre-bas
de la mer Noire ^. Dans leur mouvement de retraite, les eaux ont laissé an
milieu des steppes un certain nombre de marais salins, tels que le lac
de Yeiton, mais la plus grande partie de l'étendue jadis immergée a été
mise complètement à sec, et même certaines dépn;ssions, plus basses que
' 459 420, d'après Slrelhilzkiy.
= iNivciiii de Lcnlz en 1850 : zrro; — on 1857, — 0",iS (Voskoboinikov) ; — en 18i7, + 0",'.>5
(Aliicli); — cil 1818, —0", 40 (Abicli); — on 185-2, — O-'.SS (Abich) ; — on 1855, — O-.Tô
(Khanikov); — on 18G1, — 1»,20 (Abicb).
' 2G»,0i d'après Savitch, Fuss cl Sabler en 1850; — 2G'",0SI d'aprôs Abicb (Iriangiilalioii .lu
C:iucase, en 1801); — "iT^jôS, d'après Vrontcbonkii el Vasiivev.
MER CASPIENNE. 675
le niveau actuel de la mer Caspienne, ont été entièrement vidées par
l'évaporation : on en cite une, entre le lac Yelton et le fleuve Oural, qui
se trouverait à 40 mètres plus bas que la mer Noire. La pente générale des
plaines qui s'étendent au nord de la concavité Caspienne se continue
au-dessous de la surface des eaux d'une manière presque insensible : on
pourrait s'avancer dans les flots jusqu'à plusieurs lieues du rivage sans
courir le risque d'être englouti. Au large des bouches de la Volga, les
grands bateaux à vapeur sont obligés de mouiller tellement loin de la côte,
à l'ancrage des « Neuf Pieds », que l'on n'aperi^oit pas même la rive. La
mer se présente dans toute cette partie de son bassin comme une véritable
steppe inondée, qu'une soudaine baisse de niveau transformerait en plaines
semblables à celles d'Astrakhan. Au nord des bouches du Terek et de la
péninsule de Manghichlak, la profondeur de la Caspienne ne dépasse pas
15 ou 10 mètres, et de nombreux bancs de sable y rendent la navigation
très difficile. Environ le tiers septentrional du bassin est occupé par ce
marécage des steppes. Cette partie de la mer est tellement basse que
durant les vents du nord les eaux reculent parfois de 50 kilomètres vers
le sud. En hiver, quand une couche de glace recouvre toute la Caspienne
du nord, il arrive souvent que la fuite des eaux dans la direction du sud
vide complètement des golfes entiers cachés par la nappe glacée. Manquant
d'appui, la glace doit alors s'affaisser tout entière, et des myriades de
poissons sont écrasés sous l'effondrement'. Les rives orientales de la mer
ne présentent guère non plus qu'une longue zone de bas-fonds et des baies
obstruées de bancs sablonneux. Toutefois, deux gouffres, qui rappellent les
abîmes de l'Océan, s'ouvrent dans le bassin de la Caspienne asiatique jus-
qu'à plus de 700 et de 900 mètres : comme dans presque toutes les mers,
la plus grande profondeur de l'eau est indiquée dans la Caspienne par le
voisinage des plus hautes montagnes du bord ; les deux cuves (pi'y a
découvertes la sonde se trouvent précisénicnl au nord et au sud du Caucase
oriental, à la base de ses versants sous-marins.
Ce n'est pas dans les parages où la mer Caspienne a par sa profondeur
le caractère le plus maritime que ses eaux ont la |)lus forte salure. Les
baies orientales, surtout le golfe de la « Bouche Noire » ou Karaboghaz,
et l'espèce de fjord, dit de « l'Eau Noire » ou Karasou, qui se recourlie au
nord-est de la mer, entre deux hautes falaises, sont beaucoup plus riches
on substances salines. Dans ces espaces presque fermés, l'eau se reiu)u-
velle avec une grand*; lenteur, mais la couche suiicrlicielle s'en évapore
' Aus allen Wellllieilen, août 1873.
676 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE,
rapidement au vent et à la chaleur : il en résulte une grande concen-
tration de sel, qui se dépose sur les plages basses comme un pavé de
marbre. La salinité du golfe de Karasou, même supérieure à celle de la
rade de Suez, la plus salée de toutes celles qui communiquent avec l'Océan,
est telle, que la vie animale doit y être presque comjtlètement ou tout à
lait supprimée. En revanche, l'eau superficielle des parages qui avoisinent
les deltas du Terek, de la Volga, de l'Oural, est à peu près douce, si bien
(pie dans plusieurs stations de poste, où manquent les sources, on boit
l'eau de mer sans répugnance et sans danger.
Ces diversités de salure permettaient aux anciens voyageurs et aux
géographes d'émettre les opinions les plus contradictoires sur le degré
de saturation des eaux caspiennes. De nos jours enfin, les dosages faits
par M. de Baer et d'autres naturalistes ont donné pour résultat moyen
une proportion d'environ 9 millièmes de sel marin'. C'est un peu moins
que la salure de la mer Noire, évaluée en moyenne à 11 millièmes.
Ainsi, depuis que les deux bassins maritimes se sont séparés l'un de
l'autre, les changements accomplis auraient été assez considérables pour
amener un écart d'un cinquième dans la salure respective des mers dis-
jointes. Quelle est la cause de cet écart ? Le Ponl-Euxiii est-il devenu plus
salé en entrant en communication avec la Méditerranée par le Bosphore,
ou bien la Caspienne a-l-elle perdu de sa première salinité ? Le pre-
mier cas est fort probable, car tous les poissons de la mer d'Hyrcanic
appartiennent soit à des espèces voyageuses, soit à des espèces qui vivent
dans les eaux peu salées ou bien sont indifférentes au degré de salure de
la mer. Dans le Pont-Euxin, au contraire, les poissons d'eau fortement
saline, venus de la Méditerranée, prédominent en nombre'. D'ailleurs, il
se pourrait aussi que, même à l'époque où les deux mers, Caspienne et
mer Noire, faisaient partie du même bassin, la première fût remplie d'une
eau moins saline, à cause de l'abondance des rivières qui s'y jettent et dont
la masse liquide ne se mélangeait pas entièrement avec celles du réservoir
oriental : c'est ainsi que la mer d'Azov est loin d'avoir de nos jours la
même salure que la nier Noire. Ouoi (jifil en soit, l'isolement de la Cas-
pienne doit être un fait déjà fort ancien, puisque la faune de cette mer se
distingue de toutes les autres par un certain nombre d'espèces. Les recher-
ches de Kessler ont établi que la Casnienne possède au moins bi poissons
(pi(^ l'un ne trouve point dans les autres mers". Six espèces seulement sont
' Saiinilé des eaux do la (:,is|iieimc profonde : l,008ù à 1,0114.
- Oul'skiy ; — A Ga'bel, Bulletin de l' Académie des sciences de Saint-Pelcisbourg, I8G3, tome V.
- Kessler, Huisisclie Reeue, 1875, 4* livr. — Au^land, 1877, n° 2.
MER CASPIENNE. 677
communes à la fois à la mer d'Aral, à la Caspienne et à la mer Noire,
mais vingt-cinq autres peuplent les eaux des deux bassins principaux. Pour
les coquillages, on a fait des observations analogues; des 18 espèces que
Rodolphe Ludwig trouva dans les eaux caspiennes, plusieurs ne se ren-
contrent que dans ce bassin, d'autres lui sont communes avec la mer
jXoire, d'autres encore avec les mers boréales. Cette partie de la faune!
maritime est mal représentée dans la Caspienne, à cause de la faible salure
de ses eaux.
La vie animale abonde dans la mer d'Astrakhan, non seulement au
milieu des eaux superficielles, mais aussi à plusieurs centaines de mètres
de profondeur. L'énorme quantité de poissons qui peuple la Caspienne
est attribuée aux amas de nourriture végétale que ces animaux trouvent
dans les eaux basses des parages du nord et dans les immenses roselières
de la Volga et des autres rivières qui se déversent dans le bassin. D'après
quelques récits des anciens voyageurs et même d'écrivains contemporains,
les pêches de la Caspienne tiennent presque du merveilleux : souvent c'est
par milliers et par dizaines de milliers que l'on capture les poissons. Le
produit probable de la pèche dépasse 400 millions de kilogrammes, repré-
sentant une valeur de SO à 100 millions de francs; mais les slatisfiijucs
officielles, qui ne s'occupent pas des petites stations de pèche^ donnent des
évaluations beaucoup moins élevées'. Le haut prix du sel, sur lequel pèse
im fort droit d'accise, empêche les pêcheurs de saler le petit poisson et de
l'expédier dans le reste de la Russie.
En dehors de la Caspienne actuelle, de nombreux lacs salés, qui se
trouvent dans les districts de Novo-Ouzensk et de Nicol'aycvsk, doivent être
considérés aussi comme des restes de la mer. On a retrouve les coquilles
caractéristiques du bassin, d'un côté jusqu'à l'Aral, et de l'autre jusque
dans le voisinage de Samara, près du grand coude de la Volga, et même
biîaucoup plus au nord, tlans la plaine de Bolgar, au sud du confluent de
la Kama. Le géologue Vazikov, qui découvrit ces coquillages, pense que, la
j)laine de Sizrai'i était jailis un golfe de la Caspienne communiquant peul-
èlre avec une autre mer plus septentrionale, dont la Volga, la Kama et
leurs affluents parcourent maintenant l'ancien lit'. Mais pour les steppes
dont le niveau est maintenant inférieur an niveau de la Méditerranée et à
celui du seuil de Manitch. il n'y a point de doute : ce sont bien là d'anciens
fonds de mer parsemés de petites caspiennes en miniature, traversés par
' Pccliciirs marins du disliict d'A'ilraklian en 1872 : 2.") 000 linninics. Embaicalions, 2780;
bateaux i Tapour de |i('chc, 19. Valeur de la |ièche : 18 490.J00 rouldes.
« Rupreclil, BuUclin de. t Académie de» sciences de Sninl-Pclersbowg. !oine VII, 1865.
678
NOUVELLE GEOGUAPIIIE U>'1 VERSELLE.
dos cours d'eau ou plutôt par des ouàdi de formation moderne : telles sont
la grande et la petite Ouzen qui coulent du nord-ouest au sud-est suivant
un si remarquable parallélisme et dans le même sens que la basse Volga.
Ce sont, évidemment des coulées qui se sont ouvert un iil dans le sol d'allu-
vlons, immédiatement après la retraite des eaux de la Caspienne'.
Des innombrables petites caspiennes de la steppe, la plus célèbre est
celle où se trouve le lac salin de Yelton, jadis l'Allau-Nor ou le « Lac
Doré » des Kalmouk : il fut ainsi nommé sans doute de ses reflets éclatants
sous les rayons du soir. Mais d'ordinaire cette région désolée est triste
à voir. Nulle part la verdure ne contraste avec l'argile brune ou jaunàti'o
— STEPPES S\L1>ES ET LAC ÏELTO.N.
sur lai|U('lle se niontrenl des stries de sel blanc : les maisonnettes des tra-
vailleurs, les entrepôts de la compagnie d'exploitation, les « camelles » ou
pyramides de sel, alignées comme les tentes d'une armée, les grands cbars
traînés par des bœufs qui cliemincnt sur la route de la Volga, sont les seuls
objets sur lesquels puisse s'arrêter le regard au milieu de l'immense éten-
due. Le lac, dont les eaux, brillant au soleil, semblent être d'un rouge violet,
couvre un espace d'environ 2(J0 kilomètres carrés, mais sa profondeur, à peu
près égale partout, n'est guère que de 5 décimètres ; seulement quand le venl
souffle avec force d'un même point de l'Iiorizon, la masse entière du lac se
trouve déplacée : la cuvette, assécliée d'un côté, déborde de l'autre, et les
eaux apportées par la boule se trouvent accumulées sur une épaisseur de
' Von Ilelinerscu, Bulletin de iAcaitcmic des Sciences de Sainl-Pélersbowg , tome XI, 18U7.
MER CASPIENNE. LAC YEtTON, STEPPES. C^^
près d'un nièlre. Le lit du lac se compose en entier de couches salines d'une
extrême dureté, que l'on n'a point encore sondées jusqu'à une grande pro-
fondeur. Les ouvriers ne s'attaquent point à cette roche de sel dur ; ils se
bornent à exploiter les couches récentes qui se forment chaque année sur
le pourtour du lac, lors de la fonte des neiges, quand les eaux argileuses,
chargées de particules salines, s'écoulent de la steppe environnante. Une
évaluation approximative donne le chiffre de 2 millions de tonnes comme
la quantité de sel qui augmente annuellement la roche déposée dans le
bassin de Ycl'ton. L'eau saturée est si dense que les travailleurs y marchent
difficilement; elle ne gèle jamais, même quand la température descend
à 50 degrés au-dessous du point de glace ; mais alors il est dangereux d'y
tremper ses membres nus : la peau noircit aussitôt et parfois la gangrène
se déclare'. D'après la tradition, des sources d'eau pure et glacée jailli-
raient en quelques endroits du milieu du lac. l^ne dizaine de canaux crcusc's
au large des bâtiments d'exploitation permettent aux barques à fond plat
d'aller de la rive aux carrières inondées, mais ces travaux de canalisation
sont à peu près tout ce que l'industrie a fiiit pour utiliser l'immense
bassin de sel. La production du Yel'ton s'était accrue depuis que l'Etat en
avait concédé l'exploitation à une compagnie particulière^; maintenant
celle-ci exploite surtout le lac Baskountchak, plus rapproché de la Volga.
La plupart des steppes salines s'étendent au nord de la Caspienne, entre
le cours de la Volga et celui de l'Oural. A l'ouest de la Caspienne, la zone
saline est beaucoup moins large ; les steppes sont presque toutes des
plaines argileuses, semées de lacs, dont quelques-uns ont de l'eau douce.
Au nord, elles sont sableuses dans presque toute leur étendue, et ne sont
interrompues que par des marais et les deux îlots Iriasiques du Grand Bogdo,
percé de cavernes, et du Petit Bogdo ; çà et là les sables se sont entassés
en dunes que promène le vent. Quant aux steppes rocheuses, elles man-
quent sur le côté européen de la Caspienne, tandis qu'elles occupent pres-
que tout le côté asiatique, le côté morne et di'sert. Mais toutes ces steppes,
salines, argileuses ou rocheuses, ne ressembliMil en rien aux steppes her-
beuses du iJnepr, et les pâturages, à l'herbi! rare, se montrent seulement rà
et là dans les bas-fonds, à une assez grande distance du rivage actuel de la
mer. Après que les sauterelles s'y sont abattues, ce qui arrive assez fré-
quemment, il n'y reste pas une herbe, et les roseaux des marécages sont
' Th. von Lcngenfcldt. Ans allcn WelUhciten, avril 1877.
' Prorluition en 1871 27 j 000 tonnes.
Extrait (lu Baskountchak en 1880 l.ïl 000 »
680
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
rono-és jusqu'au niveau même de l'eau floconneuse'. Et pourtant ces tristes
contrées sont habitées çà et là, non seulement par des Rirghiz et des
Bachkirs nomades, mais aussi par de hardis colons, par les Cosaques
v-o 15-;. STEPPES AT NORB HE LA CASPIEWE.
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Terres ail* uses. Sables. Terres KiljlonneuHs. Terre grise. Icm-s salées. Marais saU^. Sables iiiouMiuls.
1 ; 4 1S0001.
f;rands-russiens, avant-panli' de la race qui iieiiplc toute la Russie cen-
lialr.
.^ l"L■^t (lu fleuve Oural, des plateaux rocheux, inlerronipaut la surface
monotone des steppes, sont les premières voussures de la longue saillie
Von BniT, haspische Slitilien.
HONTS OURAL. 081
des monts Oural qui vont se perdre au loin dans Focéan Polaire, après un
parcours de 28 degrés de latitude à travers les quatre zones, des steppes,
des forêts, des toundras et des glaces flottantes.
La partie de l'Oural qui commence aux sources de la Petcliora et qui
limite à l'est le bassin de la Volga, n'est point accompagnée de chaînons
parallèles comme l'Oui-al des Vogoules, des Ostaks et des Samoyèdes ;
seulement quelques massifs s'élèvent à l'est, du côté sibérien, et se dres-
sent-à une plus grande hauteur que tout autre sommet de l'Oural : tel est
le Denojkin Kameii. Au sud du Kohtchakov Kameii, l'Oural perd l'aspect
d'une rangée de montagnes : ce n'est plus qu'une suite de croupes s'éle-
vant en moyenne de 200 ou 500 mètres au-dessus des régions basses :
encore la base de cette faible saillie est-elle si large, que les deux versants
sont d'une pente à peine sensible. En montant de l'Europe vers le faîte,
qui se trouve à 560 mètres seulement d'altitude absolue, on croirait ne
])as avoir quitté les plaines ; les montagnes n'apparaissent que sous la
forme d'une faible dentelure, azurée par l'éloignement. Sur le versant
asiatique, la déclivité du sol est plus graduelle encore : on n'a pas même
à descendre de 100 mètres jusqu'à Yekaterinbourg : ce n'est pas un col
qui réunit les deux étendues basses, c'est un simple seuil. D'ailleurs, la
roche nue ne se montre qu'en un bien petit nombre d'endroits : elle est
recouverte de mousses ou même de tourbières ; des lacs entiers sont cachés,
dit le géologue Ludvvig, par des couches de tourbe si épaisses que des roules
de chars les traversent et qu'on y passe sans danger. De grandes forêts
s'étendent sur les pentes et dans les vallées éloignées des routes, mais
dans le voisinage des mines et des usines toutes les hauteurs sont déjà
dépouillées de verdure ; les grands bois ont été aussi détruits pour la
construction des bateaux. Chaque année, des centaines d'embarcations quit-
tent les chantiers pour transporter le minerai ilans les pays d'aval, et
jamais il n'en revient une seule : toutes sont dépecées et le bois en est
vendu à vil prix'. Dans les forêts qui subsistent encore, les ours sont assez
nombreux, mais l'homme n'en a jioint frayeur; les baies dont l'animal
se nourrit se trouvent partout en aljondance : on rencontre fréquemment
dans le bois des sorbiers mutilés dont l'ours a brisé les branches pour
s'emparer plus facilement des grappes.
La région moyenne de l'Oural, que les agents atmosphéri(jucs ont le
plus abaissée pendant la série des âges, est celle (jui a pris une si grande
importance par sa richesse en métaux précieux. C'est là que l'on exploite
' V<in llc'lmorscn, Bulletin de l'Académie det sciences de Saint-Pétersbourg, 1807, ii" \I,
V 86
682
NOUVELLE GÉOGRAPHIE l.MVERSELLE.
depuis 1815 l'or associé au platine et que l'on trouve en même temps
d'autres métaux, surtout le cuivre, presque toujours associé aux roches
j)ermicnnes, et le fer, qui constitue des montagnes entières. Toutefois ce
n'est pas dans les roches mêmes, granit ou serpentine, que le mineur va
CHAINES DIYERGENTrS HE L OVRAI. DV SCD.
Est de
Est de Greenw ch
rlierclicr les veines d'(ir : la nahirc a déjà Iriluré les montagnes, proha-
blement par l'action d'anciens glaciers', et les fragments en reeouvrenl un
espace considérable ; c'est là, dans les moraines remaniées par les eaux que
l'on recueille le minerai. De chaque côté de la chaîne, les plaines, celles de
Periii et d'Orenihouig, aussi bien (|ne celles de l'Asie, sont couqiosées de
' Eichwalil, Ucber das Seifciigebirgc des Vrais, Beili'iij'e zur Kcimliiiss des Riissist liens Rciclies,
vol. VUL
MOMS OURAL. 683
débris s'étendant sur une largeur moyenne de 500 kilomètres, avec une
profondeur d'environ 150 mètres : ce sont des roches menuisées, détachées
de l'Oural, puis emportées de part et d'autre et remaniées par les eaux
dans les terres basses. Si tous ces débris étaient reportés sur le faîte, ils
en augmenteraient la hauteur d'au moins 600 mètres '. C'est dans ces
amas, égalisés à la surface par les tourbes, les mousses ou les gazons, que
les mineurs trouvent, souvent h côté des ossements fossiles des grands
ruminants, le minerai extrait de sa gangue primitive par les glaces ou les
eaux. Le versant oriental est le plus riclie des deux en paillettes de métal :
c'est en Asie que sont les mines principales et les usines métallurgiques
les plus actives : on y trouve aussi dans la roche vive d'anciennes galeries
dites « mines des Tcboudes », où l'on a recueilli de nombreux instru-
ments de cuivre, mais aucun qui soit en bronze : la race des anciens
mineurs a péri avant d'atteindre l'âge de bronze proprement dit*. D'après
la tradition, d'anciennes mines très riches seraient encore connues de
quelques indigènes ; mais ceux-ci se sont toujours refusés à en révéler
l'entrée, de peur d'être condamnés aux durs travaux de l'exploitation. C'est
ainsi que les Quichuas des Andes ont maintes fois obstrué l'entrée des
mines d'or les plus productives.
Précisément dans l'une des grandes régions minières, un peu au nord
de Zl'atooust, la chaîne, qui s'est redressée par degrés, se bifurque en
trois rameaux s'ouvrant dans la direction du sud comme les branches d'un
éventail et s'écartant pour former de larges vallées dans lesquelles naissent
le fleuve Oural et son affluent la Sakmara. La branche occidentale dépasse
r200 mètres par quelques-unes de ses cimes, le Yourma, le Taganai, l'Ou-
renga; à l'Iremel, elle a plus d'un kilomètre et demi de hauteur, et devient
ainsi l'égale des grands massifs du nord. Les deux autres chaînes, celle du
milieu, qui continue l'axe principal des monts, et la chaîne orientale, qui
va se confondre avec les plateaux voisins de la mer d'Aral, sont moins éle-
vées que la chaîne de l'ouest, dont les dernières collines longent an nord
le cours du fleuve Oural. A son extrémité méridionale, le système ouralien
n'a pas moins de ."llil kilomètres de lari;cur '.
' Un(lol|ili Luilwig. Geoloyische Bcobachtumjcn im irai.
' Albin Kutin, Sibirien; — Voii Sadowski, Uandctsstrasuen dfr Gricchen und dei Rumer
'- Altitudes diverses de l'Oural moyen et de l'Oural du Sud :
Ol'P.AL MOYEN.
Denejkin Kaincn IG30 mètres
Konlchalkov . . 1400 o
B».ngodai 400
Seuil de Yckaterihbourg. . . 500 » | Akhlouba. 7'JJ
OIRAL Df SID.
Irt'inel 1550 mètres .
Vnunna 1050 r.
Ta-an.ii lOôO »
6S4
NOUVELLE GÉOGRAPHIE l.NIVERSELLE.
Le fleuve Oural, dont le cours continue les monts Oural comme limite
officielle de l'Europe et de l'Asie, est l'ancien Yaïk, dont le nom a été
défendu et comme maudit à cause du retentissement que lai donna jadis
l'insurrection des Cosaques du même nom, sous la conduite do Pougat-
chov; mais cette raison même empêchera que l'appellalion d'autrefois soit
ouldiée. Par la longueur de son développement. TOnral est un des grands
fleuves de FEurope. mais non par l'ahondance de ses eaux. iS'é sur le
ins IXTI-CIIFIR M' FLFIVF OIT: IL.
E- de Fao.
Est de breervvtL'
versant asiatique des monts, dans les gorges de Kalgantau, l'Oiual reçoit
ses premiers affluents des vallées ahritées contre les v(>nls pluvieux : la
nioyeiuie de l'iiuinidilé tomhée sous l'orme de pluies el de neiges dans
le li.'iiil bassin de l'Oural n'atteint prolialilement mille part iO cenli-
nièlrcs, et diminue graduellement du nord au sud : à son entrée dans les
|)laines, le fleuve traverse des contrées où la cliulc de pluie annuelle n'at-
teint pas 25 centimètres, et l'évaporation lui enlève une grande jiarlie de
cette eau. Son lit, formé de couches argileuses, est presijue partout d'une
FLEUVE OURAL. 685
largeur de plus de 100 mètres et même atteint çà et là 175 mètres;
mais les eaux ne sont pas profondes, et la commerçante Orenbourg, ce
grand entrepôt des marchandises entre l'Europe et l'Asie, ne peut pas
utiliser l'Oural pour la navigation, quoique le cours du fleuve moyen,
rejeté \ers l'ouest par les plateaux de la steppe méridionale, ait précisé-
ment la direction de l'est à l'ouest, la plus favorable pour le transit entre
la Russie et le Turkestan. Dans son cours moyen, l'Oural n'a que deux
affluents de quelque importance, au nord la Sakmara, au sud l'Ilek; plus
bas, il ne reçoit que de simples ruisseaux, puis en aval d'Ouralsk, là oii
le fleuve reprend la direction du sud, les tributaires n'arrivent que rare-
ment jusqu'au lit du courant principal : ils se perdent dans les sables
ou s'étaient en mares, qui se déplacent parfois suivant la pression des
dunes ou barkhimi, que le vent promène çà et là sur la plaine'. Après
avoir reçu la Solanka, qui lui apporte une onde saumàtre, l'Oural n'est
plus alimenté par une seule eau courante : sur une longueur d'environ
500 kilomètres, soit environ le quart de son développement total, il ser-
pente lentement dans la steppe sans recevoir une seule goutte d'eau : toutes
les rivières qui se dirigent vers sa vallée, comme la grande Ouzeii et la
petite Ouzeii, s'arrêtent en roule avant de l'atteindre. La puissance du cou-,
rant diminue peu à peu : à l'origine du delta, l'Oural, amoindri par l'éva-
poralion, n'a plus la moitié de l'eau qu'il roulait devant Ouralsk.
Il est certain que depuis un siècle la rivière s'est beaucoup appauvrie,
en partie sans doute parce que les forêts de son cours moyen ont été dé-
truites, par les Knlmouks d'abord, puis par les Khirgiz, mais surtout par
l'effet d'une diminuliun générale des pluies dans toute la zone qui com-
prend la Russie méridionale et le Turkestan. En 1769, lorsque Pallas
parcourait la contrée, l'Oural s'unissait à la mer par dix-neuf bouches,
et le delta fluvial comprenait un espace de |dus de 3000 kilomètres carrés.
En 18'21, le delta, diminué de plus de moitié, se composait de neuf bran-
ches seulement, dont quatre assez profondes pour porter des bateaux.
Depuis 1840, il n'y a plus ordinairement que trois bras de l'Oural, et
les anciens émissaires ne sont remplis, en tout ou en partie, que d'une
manière tout exceptionnelle, pendant les crues du printemps : les noms
qu'ils portent, Baksaï Mouillé, Ruisselct Noir, Erik desséché, et d'autres
encore témoignent de la faible quantité d'eau que roulent actuellement ces
lits fluviaux. Eu JÎSOO, une seule des trois rivières encore existantes, pro-
fonde de 75 OTitimèlrcs, pouvait jiortBr bateau en tout temps; les deux
' rvej'smanii, Hutoire naturelle de la « Frontiire » (rOvenlmurg (en russe).
686 NOUVELLE GÉÛGR.M'llIE IMVERSELLE.
autres n'avaient respectivement que 60 et 50 centimètres de profondeur
moyenne'. L'Oural est donc par sa masse liquide un des petits cours
d'eau d'Europe, moindre que la Charente ou que l'Escaut', et l'on a calculé
que si l'amoindrissement du Ilot continue dans la même proportion que
pendant le dernier siècle, le fleuve n'atteindra plus la mer : il se desséchera
dans sa partie inférieure, comme l'Emha, sa voisine de l'est, s'est dessé-
chée vers le milieu du siècle actuel '. Toute la basse plaine de l'Oural est
parsemée de stantzas ou fiiusses rivières, coupées maintenant du tronc
principal comme les branches d'un arbre émondé, et du côté de l'est
s'étend tout un lacis d'anciens fonds lacustres séparés par des bougrî
parallèles, en tout semblables à ceux de la basse Volga.
Les Grands Russiens ou Veliko-Russes forment à eux seuls plus de la
moitié des habitants de l'empire russe. Non seulement ils occupent presque
toute la Russie centrale, ainsi que ia plus grande partie du bassin de la
Neva, ils se sont aussi avancés en masses compactes vers le nord, l'est et
le sud, et du côté de l'ouest ils ont de nombreuses colonies dans les
provinces Baltiques et dans la Petite Russie. Ce sont eux que l'on ren-
contre en plus grand nombre à la base septentrionale des monts du Cau-
case, et, dans la Sibérie, de vastes espaces plus étendus que la France ont
une population toute grande-russienne. Les Veliko-Russes sont devenus la
race prépondérante; ils ont imposé leurs formes politiques au reste de l'em-
pire, et leur langue prime les autres, à la fois comme idiome officiel et
comme parler littéraire. Comparés aux autres nationalités de la Slavie
orientale, les Grands Russiens ont l'avantage que leur donnent la cohésion
matérielle, la solidité compacte. Dans toute la Grande Russie, It; peuple
présente la même uniformité d'aspect que la nature ; partout les villes, les
villages, les cultures se ressemblent, presque partout les gens ont même
figure et même costume, si ce n'est chez les femmes ; le genre de vie est
le même, la langue offre à peine de légères différences; les jcontrastes de
province à province n'existent guère.
En moyeime, les Veliko-Russes sont un peu ]ilus petits, mais aussi plus
trapus que les Malo-Russes et les Blancs Russiens ; c'est parmi les habi-
' Danilevskiv, Imlustrie de la pèche sur l'Oiirnl [en nissr).
* Longueur de l'Oural (d'après Tllli\ 2 ."80 kilomètres.
SuiJcrficic du bassin fluvial . . . .... 'i.")0 000 kilomètres carres.
Portée Mioyonne ÔO mètres cubes (?)
■• R.-ibinin, .Matériau t pour la géographie et la statistique de ta Russie, Armée des Cosaques de
rOural (en russe).
GRANDS RUSSIENS-
C89
tants des provinces moscovites centrales que les agents de la conscription
écartent le plus de jeunes gens comme impropres au service militaire ;
mais cela tient peut-être à un éliolemcnt partiel de la race dans les fila-
tures et les autres usines du centre de la Russie. Là où la misère, l'air
iiii|iiir, le travail forcé n'ont pas appauvri le sang, les moujiks grands-
TTPE DE GRANDE RCSJIESNE. DISTRICT d'aRDATOV, GOrVERyEMI'.XT DE MJ M V-NOVCOROD ,
Dessin de RoDjat, d'après une photographie.
russiens sont remarquables par leur forte carrure, leur large face, leur
front puissant; ils aiment à porter la barbe longue et épaisse, et ils
ont réussi à la conserver malgré Pierre le Grand, qui voulait raser ses
sujets pour les faire ressembler à des Ibdiandais : ils n'ont cessé de
mériter, par leur menton barbu, le nom de kalzapi ou de 4 bo.ucs » que
Icui' donnaient les Petits Piussicns. Mais sur ces grosses figures barbues,
V. 87
690 NOUVELLE GEOGRAPHIE INIVEIISELLE.
parmi lesquelles il en est beaucoup d'une grande noblesse, brille un regard
vif et reluit un bon sourire. Par l'éducation, les paysans vcliko-russes
s'assouplissent rapidement ; leurs traits s'affinent et s'égayent. « L'homme
en Russie, dit Michelel' en parlant surtout des Slaves civilisés, n'est
point l'homme du ^ord. Il n'en a ni l'énergie farouche, ni la gravité forte.
Les Russes sont des méridionaux : on le voit au premier coup d'oeil, à
leur allure leste et légère, » à leur mobilité. Leur éloquence naturelle est
extraordinaire, non seulement en paroles, mais encore en gestes, et leur
mimique a sur celle des Italiens l'avantage d'être facilement comprise de
tous*.
Des Russes misanthropes, parlant de leurs compatriotes, ont mis l'étran-
ger sur ses gardes. « Méfiez-vous du Russe, disent-ils, il a plus d'imagi-
nation que d'intelligence et plus d'intelligence que de moralité. » Cela
est peut-être vrai des Russes, fort nombreux, qui vivent d'une vie tout
artificielle et qui tiennent plus à l'apparence de la civilisation qu'à la
civilisation elle-même ; fins, caressants, sceptiques, ambitieux, ceux-là
sont vraiment à redouter : mais les vrais Russes, c'est-à-dire ceux aux-
quels un travail régulier donne l'équilibre de leur nature, se distinguent
précisément par la solidité du caractère et la suite dans les idées. Le
Grand Rnssien n'est pas de ceux auxquels on puisse justement api)liquer
le nom de Slacus sallans, donné parfois aux Slaves occidentaux. C'est
par luie longue patience, par un mélange de résignation et d'audace
ipi'il a su coloniser peu à peu tout le bassin de la Volga, celui du Don et
bien d'autres pays encore ; c'est aussi grâce à sa bonté naturelle. S'il est
admirable colonisateur parmi les tribus indigènes, ce n'est pas seulement
à cause de son intelligence prompte, de son industrie, de sa constance
dans le travail, de sa fortitude dans le malheur, c'est aussi à cause de
sa bienveillance pour tous, de son esprit de conciliation et de justice.
Il a subi une longue et pénible servitude, mais sans contracter tous
les vices de l'esclave, et la liberté lui permettra de se retrouver peu
à peu tout entier. Sans doute il est encore sujet aux paniques, à de sou-
dains effrois : extrêmement crédule, il tremble souvent devant des dan-
gers imaginaires, mais il reste calme, niailre de lui-même en face du
vrai péril.
Fort doux, aimant les leurs à leur manière, prompts aux épanclie-
menls, les Grands Russicns ont cependant le culte de la force, et dans les
' lJ(jcndps ilu !\'o)d.
* J G. Kolil, Reisen iii Siiil lUissIand.
GRANDS RUSSIENS. 691
fiimilles dos paysans le pouvoir du père, celui du mari sont encore incon-
testés. Un mélange bizarre de violence et de bonté réelle se rencontre sou-
vent dans leurs familles. Encore au dix-septième siècle, le père achetait un
fouet neuf pour administrer à sa fille les derniers coups permis à l'auto-
rité paternelle et passait l'instrument au nouveau maître avec recomman-
dation de s'en servir souvent et sans pitié. En entrant dans la chambre
nuptiale, l'époux en frappait en effet sa femme sur le dos et les épaules, en
s'écriant : « Oublie les volontés de ton père, et fais maintenant les
miennes! » Toutefois la chanson lui recommande de prendre un « fouet de
soie »'. C'est par exception que le mariage se fait par amour, comme dans
la Petite Russie : avant l'abolition du servage, toutes les conditions de
l'union étaient réglées par les chefs de famille ; ni fiancé, ni fiancée n'a-
vaient le droit de s'en occuper, el jamais le père n'oubliait sa dignité au
point d'en converser avec eux. Les chansons, telles qu'on les voit surtout
dans le recueil de Chein, de même que les comédies et les drames d'Os-
trovskiy, peuvent donner une idée de ce que sont les intérieurs des mar-
chands grands-russiens, ce « royaume des ténèbres » de la vie privée'. Le
despotisme, mais un despotisme bienveillant, telle était la règle dans la
famille : « Je te bats comme ma fourrure et je t'aime comme mon âme »,
dit un proverbe favori des paysans grands-russiens.
C'est comme une grande famille que les Grands Russiens finirent par
considérer l'Etat : une autorité absolue, une volonté sans appel, imposée à
tous par un père commun, tel était l'idéal que chacun se forma de la
société. A cet égard, la Petite Russie et la Grande Russie, qui se ressem-
blaient dans l'origine, ont graduellement contrasté d'une manière remar-
quable. Chaque ville malo-russienne se développait d'une manière indé-
pentlante ; aucune n'essayait d'asservir sa voisine; les mobiles de la guerre
entre les communautés étaient soit la lutte pour l'existence, soit le goût
des aventures, mais elles n'étaient point entraînées par l'amour de la domi-
nation, ou du moins elles ne poursuivaient jamais leurs entreprises de
conquête avec cette fixité de plan, cette ténacité séculiiirc de volonté (|ui
distingua la politique des princes grands-russiens. Le dioit po{)ulaire
d'élection fut toujours maintenu dans les villes de la Kiyovic, de même
qu'à Novgorod et dans les autres cités autonomes de la Slavie occidentale.
H en fut de même dans les anciennes villes communales de la Grande
Russie, et telle est la raison pour laquelle les princes de Souzdal s'éta-
' Gross|iielsi;li, llochzeils-Gchiaiiclie 'les ritssisclicn Landvolks, Russiclie Revue, 1878, n'ô.
' Dobroloul)ov, Le Royaume des Ténèbres (en russe).
092 KOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Llirent dans le village de Moscou et non dans quelque « vieille » ville du
pays, forte de ses libertés communales. Mais la prépondérance de Moscou
dans le nord produisit un grand contraste d'institutions. Quelle que soit
l'origine, encore bien obscure, de l'ancienne suprématie de Kiyev, cette
suprématie n'eut rien de semblable à celle de Moscou. Kiyev n'était que la
i< première entre ses pareilles «, et c'est par une libre fédération que se
maintint leur société politique pendant la première partie de l'iiistoire
russe ; plus tard, au seizième et au dix-septième siècle, c'est de la même
manière que s'étaient organisées les communautés des Cosaques : même
leurs cliefs rentraient dans la foule après avoir été élus temporairement par
leurs égaux. D'ailleurs, les idées des Zaporogues n'étaient pas limitées par
l'enceinte de la Sitch ; toute la Petite Russie voulut être une communauté
cosaque. Rien de semblable dans la Moscovie. Là, le pouvoir acquis par une
lamille fut religieusement respecté par le peuple et .';e continua, comme
une institution divine, de génération en génération : i< Ce n'est pas Moscou
qui fait la loi au prince, c'est le prince qui fait la loi à Moscou, » dit le
proverbe. Le caractère sacré de la dynastie se transporta même sur la ville
capitale, et Moscou, héritière de l'esprit byzantin, devint la « troisième et
la plus sainte Rome, dont le règne ne finira jamais ». La domination des
îartares contribua singulièrement à fortifier la puissance des grands-princes
de la Slavie orientale : désireux avant tout de recevoir régulièrement le
tribut, les khans avaient intérêt à le faire recueillir par un seul prince,
responsable envers eux, quoique libre de tout devoir envers son peuple'.
Un |(cul s'expliquer celle forme de la société moscovite par l'histoire de la
coloni.salion russe dans ce pays, d'abord habité par les Finnois et les Tar-
lares. Les princes de la dynastie kyovienne s'y rendirent comme chefs de
guerriers et de colons, — de même qu'en Prusse, où des Allemands colo-
nisèrent le sol slave, — et la race qui se forma dans la Moscovie devint la
plus tenace, mais en même temps la plus obéissante de toutes. Avec les
progrès de la centralisation gi-and-russienne, les formes et les idées poli-
tiques de Moscou prirent un caractère de plus en plus national et finirent,
par étouffer les traditions novgorodiennes et cosaques. Dans ses communes
et SCS associations diverses, le Grand Russien est aussi égalitaire que les
autres Slaves, peut-être même davantage ; mais dans sa conception de
l'organisme politique il devint le plus conséquent des monarchistes. Ainsi
(|ue le disent les proverbes grands-russiens : » la terre est la mère,
mais le tzar est le père ; » <■<■ sans le tzar, la terre est veuve". » Même
' Koslomai'ov, Les deux nationalités russes (en russe).
- Dalil, Les Proverbes du peuple russe [en russe).
GRANDS RDSSIENS. C93
Jes sectes religieuses de la Grande Russie, formées depuis la fin du
dix-seplième siècle, qui voient dans l'État actuel le <' royaume de la bêle )>
et l'Antéchrist dans son chef, maudissent seulement « l'empereur » héré-
tique et étranger ; mais elles n'en sont pas moins fanatiques pour le tza-
risme et c'est d'en haut qu'elles attendent leur Messie. Dans les pays d'Occi-
dent, si fréquemment remués par les révolutions, les fanatiques mêmes de
l'ancien régime ne peuvent se faire une idée de ce qu'est la ferveur d'amour,
mêlée de tremblement, qu'éprouvent les sujets modèles en pensant à leur
maître, qui est aussi leur dieu. Ce type de l'adorateur du souverain se
retrouve encore en Russie. Jadis les sujets avaient besoin de craindre
leur tzar et n'en prononçaient le nom qu'avec une sorte de terreur : s'il
était capricieux et cruel, ils se prosternaient avec d'autant plus de dévotion
devant lui ; il leur apparaissait d'autant plus superbe. Ce n'est point en
eux-mêmes qu'ils cherchaient le régulateur de leurs propres actions, c'est
dans la volonté, inflexible ou changeante, du souverain. Nul prince ne
fut plus populaire qu'Ivan le Terrible : il paraissait à ses sujets grand
comme le Destin. Le peuple, qui oublie tant d'autres héros, se souvient
encore de celui-là, et le Vladimir qu'il célèbre dans ses chants est toujours
pour lui le prince a miséricordieux et terrible ». Depuis que les princes
de Moscou sont devenus les maîtres de la Grande Russie, toutes les révo-
lutions populaires de ce pays ont été pénétrées de l'esprit de fidélité au
tzar. Après une longue série de « faux Démétrius » et de « faux Pierres ».
le Cosaque du Don Raziu souleva au dix-sej)lième siècle les po{»ula-
lions de la Moscovic méridionale « contre les boyards, pour le tzar ». et
lorsque, au siècle suivant, l'ougatchov entraîna les Cosaques de l'Oural cl
les paysans de la basse Volga à la dernière guerre servile, ce fut en
se disant le vrai tzar Pierre III, en accusant d'usurpation Catherine, la
« reine des nobles >^ ; c'est ainsi qu'en 1789 les paysans français brûlaient
les châteaux < par ordre du roi ». Les nombreuses révoltes partielles qui
ont eu lieu pendant le cours de ce siècle ont toutes eu un caractère ana-
logue. Les rebelles n'ont jamais doute que leur cause ne fût celle du tzar,
cl que les employés ne fussent achetés par les seigneurs, ennemis du
maître. Et si les paysans de toutes les Russies comptent actuellement sur
un partage général des terres, c'est du tzar que naguère encore ils atten-
daient la parole décisive, en dépit de toutes les proclamations du gouver-
nement cl du tzar hii-mènie. Les efforts du pouvoir tendent constamment
aies détromper, et nul doute qu'ils ne finissent par comprendre qu'à cet
égard nobles et tzar stmt bien d'accord.
La hiH'fUJ des Veliko-Russes est devenue, à l'exclusiftn des aulres dia-
694 NOUVELLE GÉOGR.VPIIIE UNIVERSELLE.
Icctes slaves de l'empire, l'idiome officiel de ton le la Russie, et l'accent
qu'il est convenu d'employer dans le bon langage est celui de Moscou.
Ainsi la prépondérance est définitivement acquise au parler du bassin de
rOka, qui est le vrai berceau de la population vcliko-russe. Toutes les natio-
nalités de la Slavie orientale dont le grand-russien n'est pas la langue sont
obligées successivement de se l'approprier on tout ou en partie : les uns,
comme les Polonais, les Allemands balliques, les Ehstes, les Lettes, les
Lithuaniens, apprennent à l'école, à l'armée ou dans la vie journalière les
paroles de commandement que leur adresse le maître; les autres, comme
les Blancs et les Petits Russiens, sont portés naturellement, on entrant dans
le monde de la pensée, à converser dans la langue, facile pour eux, qui est
parlée par la majorité de leurs compatriotes, et qui est la plus riche en
Oiuvres littéraires. Ouant aux indigènes finnois, mongols ou tartares, le
grand-russien est pour e.ix le langage de la civilisation elle-même, et les
Juifs, fidèles à leur patois allemand, savent trafiquer dans toutes les lan-
gues et surtout dans celle qui se parle le plus dans les bazars et les mar-
chés. La littérature nationale russe, quoique fort riche on atarinas ou chants
héroïques et représentée depuis un siècle par dos écrivains d'un grand
talent, n'a point de trésors comparables à ceux dos littératures de l'Occi-
dent; elle a dû en outre emprunter à l'allemand, au hollandais, au français,
à l'anglais, beaucoup de termes relatifs aux métiers, aux arts, aux sciences,
et de nombreuses tournures françaises, dont le génie ne s'accorde pas
avec celui du slavon, se sont introduites dans la conversation ; mais le
russe n'en est pas moins une des langues aryennes les j)Ius riciios, les
plus expressives et les plus souples. Elle compose ses mots avec autant
de facilité (jue l'allemand, sans avoir la lourdeur de cet idiome, et ses
notes gutturales se marient avec des intonations d'une douceur caressante.
La variété des sons de la langue russe est l'une des principales causes, et
peut-rire la plus importante, delà remarquable facilité qu'ont les Russes
pour parler les idiomes étrangers. Leur organe assoupli prononce facile-
ment et avec grâce presque tous les sons qui, dans les langues ouroj)éennes,
diifèreut le plus des idiomes slaves. H faut tenir compte aussi du phé-
nomène de l'hérédité, car, depuis un grand nombre de générations, les
Russes des classes aisées ont l'habitude do faire enseigner au moins le
fiançais à leurs enfants. D'ailleurs, les Russes ne se sentent « Européens »
qu'eu apprcMiant les langues de l'Europe. Ils aiment aussi à plaire, et,
« pour se faire honneur devant les étrangers », il leur faut savoir s'entre-
tenir avec eux dans leur idiome, ainsi que le disait au douzième siècle
déjà Vladimir Monomaque, dont le père parlait cinq langues. C'est à plus
VILLAGES DE LA GRANDE RUSSIE. C05
lie 500 000 que s'élèverait le nombre des personnes qui parlent plus ou
moins le français à l'est de la Yistule.
Si les Russes cultivés ont tous à leur service une ou plusieurs langues
de l'Europe occidentale, les Européens, en revanche, étudient peu l'idiome
russe, qui pourtant conquiert chaque année une importance plus grande
dans tout le monde slave et en Asie. En tenant compte des Bulgares, des
Serbes et autres Yougo-Slaves qui se trouvent avec la Russie en relations
de parenté et presque de dépendance, cent millions d'hommes sont assu-
jettis à l'État slave ou compris dans son orbite. Sa langue ne peut donc
manquer de devenir une de celles qui auront un jour le plus d'influence
sur le développement de l'humanité. Mais pour cela il faut que le peuple
lui-même arrive, par le bien-être, l'instruction, la liberté, à se faire la
place qui devrait lui appartenir. Or, l'état social des Grands Russiens, de
même que celui de leurs compatriotes de la Petite Russie et de la Russie
Blanche, est encore des plus misérables.
En hiver, la cabane du paysan est emplie d'un air immonde, presque
irrespirable. Un rempart de fumier entoure la maison pour la tenir plus
chaude. Les fenêtres enduites de mastic, quelquefois recouvertes de paille,
empêchent l'entrée de l'atmosphère extérieure; les haleines confondues
de tous les membres de la famille, couchés sur le poêle et sur les polali ou
étagères latérales, empestent le réduit ; l'air du dehors ne pénètre par bi
porte rapidement entr'ouverte qu'au moment où les habitants sortent pour
vaquer à leurs affaires. Des insectes se développent dans les boiseries de
la cabane grand-russienne en telles multitudes que l'existence devient par-
fois tout à fait intolérable. Pour faire disparaître les cancrelats, il n'y a
qu'un moyen, c'est de laisser la maison inhabitée et toutes les issues ou-
vertes pendant les journées les plus rigoureuses de l'hiver. Des paysans ont
fréquemment recours à ce remède héroïque ; lorsque la terre gèle à pierre
fendre, on les voit errer dans les bois près de leur demeure où siffle le vent.
Les villages de la Grande Russie sont des grou|)es de pauvres cabanes
serrées les unes contre les autres, sans jardins qui les séparent; même
la plupart des villes sont de sim[)les amas de constructions en bois, toujours
à la merci de l'incendie. L(!s huttes en bois de sapin, revêtues de chaume
hérissé, entourées de tas de paille et de foin, d'amas de branches et de
copeaux, sont des bûchers tout préparés pour l'incendie qu'il jdaira d'allu-
mer à la première étincelle de hasard. Le feu, telle est la (in naturelle de
toute demeiin; de paysan. De même que, d'après la médecine scolastique,
le corps humain doit se renouveler en entier de sept en sept ans, de même
on a prétendu que la Russie avait également sa période climatérique de sept
69G
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
années, pendant laquelle la flamme la rajeunissait village à viUaj^o : mais
souvent dans les provinces de la Russie centrale, le « rajeunissement » est
plus fréquent encore, et l'on cite des districts oiî le quart des maisons a brûlé
pendant une seule année'. Les villes n'ont d'autres maisons en pierre que
A" 1Ô6. PROPORTION lits IXCEMiIES DAKS LES DIVERSES PROTISCLS TE LA RtSSIE l'Ai; ANM E.
des édilices du gouvernement, des palais seigneuriaux et des églises, presque
Pci'los annuelles causées par les incendies on Russie :
Moyenne (le. 1842 à 18 iO. H 897 000 roubles.
)) 1800 il ISO l . '25 570 400 «
« 1872 à 1877 05 000 000 »
Cas d'incenJie signales en 1880 : 5-2 001 ; perles causées : 08 100 500 roubles.
t: '.
■if»^.-:
SECTES DE LA GRANDE RISSIE. 699
toutes bâties sur des plans uniformes, d'après le type commandé par les
employés de Saint-Pétersbourg. L'art véritable est absent de ces édifices,
car il vit de liberté, et le symbolisme traditionnel le tue; il est remplacé
dans les églises par des richesses en or, en marbres, en émaux, en pierres
précieuses'.
Pays do transition entre l'Europe et l'Asie, la Piussie l'est par ses reli-
gions non moins que par ses mœurs. Tandis qu'à l'ouest les catholiques
et les protestants continuent l'Europe occidentale, les païens, les boud-
dhistes et les musulmans forment à l'est une pari notable de la population.
Mais, entre ces deux zones de l'occident et de l'orient, la Grande Russie
est en masse de l'Église grecque orthodoxe. Toutefois, en dépit de la reli-
gion officielle, ce pays de l'obéissance est probablement la contrée de
l'Europe où naissent le plus de sectes religieuses, et presque tous ces
cultes nouveaux sont d'origine grand-russienne. La Grande-Bretagne elle-
mcrac, si riche en réformateurs de la foi, le cède peut-être à la Russie
par le nombre des apôtres et ne peut soutenir la comparaison par l'étran-
geté des dogmes nouveaux. La tournure d'esprit, mystique et raisonneuse,
que l'on rencontre si fréquemment chez les Grands Russiens, le mépris
qu'ils ont pour la religion officielle, servie par un clergé ignorant et rapace,
les anciennes superstitions païennes se faisant jour sous une autre forme,
les qualités mêmes du peuple, sa douceur et sa bonté, qu'il est si facile
de pervertir par le fanatisme, enfin l'esclavage qui a si longtemps pesé
sur la masse de la population et qui le forçait à chercher un refuge dans
le monde surnaturel, toutes ces causes ont contribué à faire surgir des reli-
gions nombreuses. Elles naissent, meurent et se remplacent comme une
végétation folle : on en compte maintenant de cent à cent trente. Ainsi
que le dit un proverbe des orthodoxes : « Chaque moujik fait sa religion,
chaque vieille femme ses statuts. » Il n'est pas un grand événement national
qui n'ait fait apparaître de nouvelles sectes, variant toutes par le nom, la
teneur des j)iièrcs ou la forme des symboles, mais an fond toujours les
mêmes par les phénomènes moraux qu'elles représentent et les passions
qu'elles soulèvent. De siècle en siècle apparaissent de nouveaux messies,
des fils de Dieu, ou bien Dieu lui-même; on adore des tzars, Pierre III,
Alexandre I", que l'on se refuse à croire morts, parce qu'ils furent tolé-
rants; Napoléon lui-même eut des fanatiques, à Pskov, à Beloslok et même
dans cette ville de Moscou qui hii doit sa ruine'. Dans l'état d'esprit où se
' Viollet-lc-Diic, L'Ail lluxsc.
' Liprandi; — lUcucil des matériaux sur le raskol, par Kcl«iyev.
700 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
trouvent los sectaires, il suffit que des apôtres s'autorisent d'un texte de
la Bible ou d'une vieille prophétie pour entraîner des fidèles dans les voies
les plus terribles, même dans celles de la mutilation, du suicide ou du
mcurlre. D'ailleurs, toute opinion non conforme à celle des prêtres étant
considérée par les autorités russes comme un acte de rébellion, la plupart
des sectes devaient se transformer en sociétés secrètes, et les nécessités
du mystère, les cérémonies bizarres de l'initiation, l'attrait fascinatcur
du danger surexcitent encore davantage l'imagination du sectaire et le
poussent vers la folie.
Le nombre des dissidents ne saurait être fixé d'une manière même
approximative, et on ne le connaîtra jamais tant que les cultes ne seront
pas libres. En 1850, une statistique officielle évaluait les Russes non
orthodoxes à boO 000 personnes; mais le ministre de l'intérieur pensait
que leur nombre était au moins décuple : il en comptait 9 millions.
Melnikov, compulsant les registres des églises relatifs au nombre des
fidèles en 1859, comptait plus de 9450 000 dissidents : suivant l'accrois-
scnient normal de la population, ils seraient donc maintenant au moins
12 millions'. Si on les compare aux classes éclairées, dans lesquelles les
libres penseurs et les indifférents sont si nombreux, les raskolniks sont
à bon droit accusés de fanatisme et d'ignorance ; mais, dans l'ensemble,
ils sont incontestablement plus désireux d'apprendre et plus instruits que
les autres Russes; ils respectent aussi beaucoup plus la femme, et celle-ci
a souvent chez eux le rôle d'institutrice et même, dans quelques sectes,
celui de prêtresse. En moyenne, les raskolniks sont beaucoup plus à leur
aise que les autres Russes, parce qu'ils sont plus sobres, plus ordonnés,
et s'appuient les uns sur les autres avec un grand esprit de solidarité;
presque tous les commerçants et les industriels grands-russiens appar-
tiennent aux sectes dissidentes.
Classées d'une manière générale, les diverses sectes du Raskol peuvent
se diviser en trois groupes principaux : les popovtzU c'est-à-dire les sectes
ayant leurs prêtres, los hezpopovlzt , ou sectes sans prêtres, et les chrétiens
spiritualisles. L'opposition toute rituelle de ceux qui voulaient se confor-
mer aux rites de l'Eglise nationale antérieure au dix-septième siècle coïn-
cide avec le mécontentement produit par l'intervention continuelle cl
de plus en plus vexatoire des prêtres dans la vie religieuse et civile. L'in-
fluence plus ou moins directe du protestantisme vint s'ajouter à ces élé-
ments de dissensions religieuses, et c'est ainsi que des causes complexes
' Slatisliquc des raskolniks, Koiisskiy Veslnili, 1808, IL
SECTES DE LA GUA^'DE RUSSIE. 701
eurent le schisme pour résultat commun. Ce fut aussi pour les malheu-
reux sujets, écrasés d'impôts et de corvée, une occasion fovorable de se
séparer de leurs maîtres et de pouvoir les maudire. Pour eux, papiers
timbrés et passeports devinrent le « sceau de l'Antéchrist », les livres de
recensement furent les « registres du diable », et l'impôt de capitation le
« prix de l'àrae ». Ainsi les raskolniks représentent à la fois l'esprit de
conservation à outrance dans l'Eglise orthodoxe et l'esprit de réforme,
même celui d'une liberté politique relative.
Les popovlzî, qui continuent les traditions de l'ancienne Église, sont les
vrais adhérents des vieux rites [staro- obr' adtzî) , les « vieux croyants »
(staro-î;'er/). .Indignés des changements que le patriarche Nikon, aidé par
des ecclésiastiques grecs et petits-russiens, avait introduits dans les livres
liturgiques, en même temps qu'un luxe, effréné pour l'époque, et écrasant
pour le peuple, s'introduisait dans le haut clergé, les vieux croyants se
cramponnèrent aux pratiques des temps anciens. Par respect des symboles
d'autrefois, ils réprouvent comme abominal)le le culte officiel ; mais eux-
mêmes ont, sans le savoir, modifié singulièrement leurs rites suivant les
milieux dans lesquels ils se sont trouvés et les persécutions qu'on leur
a fait subir. Pierre l", dont la vie avait été mise en péril par l'in-
surrection des streltzî, appartenant à la confession des vieux croyants,
pourchassa comme des bêtes fauves tous ceux qui ne rentraient pas
au commandement dans le troupeau des fidèles ; cependant les sectes ne
firent qu'augmentei- et devinrent de plus en plus irréconciliables. Les
raskolniks ou schismatiques, reconnaissant l'Antéchrist dans cet ami des
étrangers qui répudiait sa femme, torturait son fils, et qui par ses guerres,
ses constructions, ses canaux et son impitoyable taxation, pesait si lourde-
ment sur le peuple, virent en lui l'être abominable prédit par les saints
livres; ils ajoutèrent donc à leurs malédictions pour l'Église impure
une malédiction pour l'empereur qui ordonnait de ^ raser les barbes
et les moustaches, de porter des vêlemcnls latins et de fumer l'iicrbe
triplement maudite ». Mais les persécutions ne furent i)as ce que les
popovlzî eurent à supporter de plus cruel : leurs prêtres moururent,
puis leur soûl évêque, et nul prêtre nouveau ne pouvait être consacré
pour leur donner les sacrements. Ils eurent recours aux subterfuges
les plus bizaiTcs pour rester en paix avec leur conscience, pétrissant
leur propre pain avec un morceau de pain sacré, séduisant des prêtres
nikoiiiens à prix d'argent, en faisant la traite, j)our ainsi dire, essayant
même de voler la main d'un saint métropolite de Moscou, afin que ces
reliques, préférables pour eux à la main des évoques ofliciels, pussent
702 NOUVELLE GÉOGRAnilE UNIVERSELLE.
ordonner leurs prêtres'. La hiérarchie n'a élé rélahlie qu'en 1844, grâce à
un ëvèque de Bulgarie, consacré à Conslanlinople, qui consentit à résider
dans une colonie de raskolniks à Bel'aya Krinitza, en Bukovine. Maintenanl
les raskolniks ont leurs évoques et tiennent leurs conciles à Moscou sans
avoir trop à se cacher; ils ne demandent plus que la complète liberté de
leur culte. En outre, un certain nombre de popovtzî, un million peut-être,
se sont rattachés indirectement à l'Eglise orthodose en acceptant des
popes de ses mains, à la condition de garder leurs livres et leurs an-
ciennes images. Ce sont les yedinoverlzî ou les c croyants unis ».
Les plus énergiques des «vieux croyants », résolus à ne transiger à
aucun prix avec les serviteurs de l'Antéchrist, qui trônait à Moscou, la
nouvelle Bahylone, s'enfuirent pour la plupart dans les forêts du Nord, où
le couvent de Vîg, sur les bords de la rivière du même nom, fut longtemps
leur centre principal. Ce sont les « sans-prêtres », les « brebis appre-
nant à se paître elles-mêmes ». Divers sectaires s'interdisent de célé-
brer aucun sacrement ; ils n'ont d'autres ministres que les saints anges :
il en est qui, pendant tout l'office, restent la bouche ouverte, attendant
que la divine nourriture leur descende toute préparée du ciel. Par l'effet
même de leur indépendance, et probablement aussi sous l'influence des
sectes rationalistes novgorodiennes, dont les restes existaient encore dans
le pays, les bezpopovlzî se trouvèrent rattachés au protestantisme occi-
dental et se scindèrent en beaucoup plus de sectes que les popovtzî : chaque
ermitage de fugitifs, chaque prophète formait le centre d'un groupe
nouveau. La secte la plus nombreuse est celle des Théodosiens, détachée
des « ermites de la rivière Vîg » ; la plus connue peut-être est celle des
Philippons (Filipovtzi), — ainsi nommée de son fondateur Philippe, —
dont les membres réfugiés ont dans la Prusse orientale, en Moldavie, et
jusque dans la Dobroudja des communautés connues sous le nom de Lippo-
vanes, donné souvent par extension aux raskolniks de sectes diverses. Ils
prêchaient qu'il vaut mieux mourir que de prononcer dans ses prières le
nom du tzar, et quelques-uns d'entre eux allaient même jusqu'à refuser la
monnaie portant l'effigie impériale ; mais à l'étranger ils ont changé peu à
peu, et quelques-uns d'entre eux sont maintenant parmi les patriotes mos-
covites les plus ardents. Plus d'un rendit des services au tzar nikonien, non
seulement contre les Turcs infidèles ou les catholiques polonais, mais aussi
contre les Petits Russiens, « les compatriotes du traître Mazepa ».
Les Philipjions étaient les apôtres les plus ardents du suicide des fidèles :
' ioannov, A'w/ifc sur le Raskol, II.
SECTES DE LA GRANDE RUSSIE. 700
pendant l'époque des persécutions, qui furent si terribles contre les dis-
sidents à la fin du dix-septième et au commencement du dix-huitième siè-
cles, on a vu de ces bezpopovtzî qui se brûlaient ou noyaient eux-mêmes ;
souvent, il est vrai, ils n'avaient d'autre moyen d'échapper aux tortures
que de se donner la mort, et c'est par dos bourreaux nikoniens qu'avaient
Jté atlumés les premiers bûchers. De 1G87 à 1695, environ 9000 vieux
croyants se brûlèrent dans la région située entre le lac Onega et la mer
Blanche. Un seul holocauste dans l'île de Paleostrov, sur le lac Onega, se
composait de 2700 personnes'. Mais de pareils spectacles entraînent à
la folie, et sinon des sectes, du moins quelques-uns de leurs membres,
en arrivèrent à prêcher le suicide par le bûcher, l'enterrement ou la faim,
l'ius d'une fois, même pendant ce siècle, des parents ont assassiné leurs
enfants pour leur éviter les péchés futurs et les faire entrer aussitôt
dans le sein de Dieu. Jusqu'à maintenant on récite dans quelques commu-
nautés de vieux croyants des chants qui se terminent par ces vers
effroyables : « Dis ma volonté à mes hommes, — à tous les chrétiens
orthodoxes : — Qu'ils se jettent pour moi dans le feu, — et qu'ils y
jettent leurs enfants sans péché!' » Il n'est point de crime ni d'acte de
folie que ne puissent commettre les malheureux hallucinés, guidés par
leirs visions ou par des voix mystérieuses. D'ailleurs, il va sans dire
([ue la rumeur populaire grossit les atrocités qui se passent dans le soin
de ces religions secrètes, et très souvent même les popes et les juges
ont systématiquement calomnié les êtres les plus inoffensifs afin de
justifier ainsi les persécutions qu'ils leur faisaient subir.
Une autre secte des bezpopovtzî est celle des « fuyards » {(l'cjoum) ou
des « errants » [stranniki], fondée vers la fin du dix-huitième siècle i)ar h
déserteur Euphime. Pour eux, tout employé de l'empereur est un supjmt
de Satan, et par conséquent c'est un crime de lui obéir. Tous les ordres
de celui qui ordonna « le recensement, la distinclion des rangs et la répar-
tition des terres et des eaux » sont en contradiction avec la loi de Dieu
et c'est un devoir strict de les violer. Un cachet officiel est pour eux le
« signe de la bête » et, quand un document quelconque portant le sceau
impérial leur tombe entre les mains, ils s'empressent de le détruire. Aussi
passeraient-ils leur vie dans les prisons ou dans les mines de la Sibérie s'ils
ne sortaient « de Babylone pour ne pas prendre part à ses péchés^ « ; ils
préfèrent parcourir les villages en propageant leurs doctrines ou vivre
' Filipov, Ermi/ajcrfe la rivière Viy (enrussu): — Xihki^, Vie de famille dons le Haskol (en russe)-
' Yarciitzov, Les chants pieux de la Russie (in russe).
' Rozov, La secle des Slranmki, Veslnik Ycvropî, I87'2, n" 11, 1;J, 1873, n' 1.
104 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
comme des loups dans les forêts. Là ils peuvent îi leur aise maudire l'An-
téchrist, et grâce à la bonté naturelle et à la révérence pieuse des paysans.
qui voient en eux des saints persécutés, ils échappent à l'atteinte des lois.
D'autres, les podpolniki , « gens de dessous les planchers )i, se cachent dans
les caves des maisons ou les grottes des rochers. Du reste, fuyards et gens
des caves, pas plus que les autres sectaires, ne sont dangereux pour le
tzar; leur exaltation, toute religieuse, ne se transforme point en passion
politique, et ce n'est point parmi eux que se recrutent les conspirateurs.
Parmi les riches marchands qui appartiennent aux sectes des vieux
croyants, il en est d'ailleurs beaucoup qui ne tiennent à leur forme de
culte que par tradition.
Les chrétiens spiritualistes, que l'on rencontre partout dans le sud de la
Grande Russie, tandis que les popovtzî habitent surtout les régions du
centre, et les bezpopovlzî les régions du nord, sont de tous les dissidents
les plus persécutés, et par conséquent ceux qui se sont constitués le plus
secrètement et qu'il est îe plus difficile d'étudier. Mystiques comme
leurs frères de l'Occident, avec lesquels ils ont eu des relations fréquentes
par des missionnaires allemands et des marchands anglais, et au temps
d'Alexandre 1" par la cour elle-même, ils disent avoir en eux l'esprit
divin; ils sont eux-mêmes des « Hommes de Dieu ;;, des « Christs ». Dieu
le Père est descendu de nouveau au dix-septième siècle avec son Fils pour
accomplir le divin sacrifice, et l'Esprit Saint parle encore par la bouche des
apôlres et des prophétesses. C'est aussi le nom de la principale de leurs
sectes, khlîslovtzî (flagellants), que le public désigne par l'appellation de
khlîstî, ainsi altérée par dérision de leurs coutumes; ceux-ci ne se tuent
jmint, mais ils dansent, à l'exemple de David, s'agitent, tournoient jusqu'à
épuisement; d'autres se frappent, se meurtrissent les uns les autres, et l'on
raconte que, dans leurs cérémonies de Pâques, il leur est ari'ivé d'égorger
après le baptême un enfant nouveau-né et d'en manger le cœur sanglant
mêle à du miel : c'était là leur eucharistie.
La secte bizarre, mais logique, des skoptzt ou castrats, qui se constitua
vers le milieu du dix-huitième siècle, se rattache à celle des khlîstî, dont
elle partage toutes les idées, symbolisées et confirmées par un signe exté-
rieur. Parmi ces malheureux, qui se donnent à eux-mêmes le nom de
« blanches colombes », les ims se mutilent dès la jeiuiesse, les autres
attendent d'être pères d'un enfant; il eu est aussi qui se bornent à une
cérémonie toute spirituelle. Soit pour échapper plus facilement aux pour-
suites des magistrats, soit pour obéir à quelque précepte de leur croyance,
les skoptzî cherchent tous à s'enrichir et à tiiésauriser. Fort nombreux
SECTES DE LA GRANDE RUSSIE. 705
dans les n^ouvcrneraents d'Oi'ol et de Tambov, ils se font joailliers, ban-
quiers, et l'on dit que dans les capitales russes ils ont presque monopolisé
la profession de changeurs. Grâce à leurs roubles, ils peuvent faire un
prosélytisme actif et payer le prix de bien des consciences. Quoiqu'on les
reconnaisse facilement à leur voix grc-le, à leur visage glabre, à leurs
épaules étroites, ceux d'entre eux qui prennent le chemin de l'exil sont
fort^clairsemés. Le gros de la secte reste dans les grandes villes et pèse
à son profit sur toutes les affaires commerciales. Les skoptzî ont quelques
adhérents, en dehors de la Grande Russie, parmi les Finnois et les Malo-
Russes du gouvernement de Pol'tava, chez lesquels la secte des khl'îstî,
connue ici sous le nom de chalopoutes, a pris aussi depuis quelques années
un développement considérable : d'ailleurs, les khlîstî petits-russiens de
quelques districts se rapprochent du slundisme. De toutes les sectes grand-
russiennes, celle des khl'istî est la seule qui ait recruté des fidèles dans les
hautes classes '.
Actuellement les sectes de la Grande-Russie qui s'éloignent le plus de
l'Eglise gréco-russe sont les doukhobortzl (lutteurs par l'esprit) et les
molokanî (buveurs de lait), qui se rapprochaient autrefois des « Hommes
de Dieu » par leurs idées mystiques et la vénération qu'ils ont pour leurs
prophètes. Les sabbatistes [soiibotniki), qui célèbrent leur culte le samedi
avec une rigueur d'Israélites, se rattachent aux donkhobortzî : on ignore
s'il faut voir en eux des chrétiens ayant adopté les pratiques juives, ou bien
les descendants de juifs convertis jwr la force et se transmettant d'une
manière plus ou moins confuse les rites de l'ancienne religion. Quelques
écrivains affirment la ressemblance physique de ces judaïsants avec les
Israélites de la Russie; lés autres croient qu'ils se relient par une tradi-
tion non interrompue à la secte novgorodienne des « judaïsants » '. C'est
parmi les sabbatistes que se recrutent principalement les « sauteurs », qui
ressemblent aux shakers de l'Angleterre et des États-Unis, et qui, trans-
portés au sud du Caucase, ont fait aussi des adhérents paimi les Armé-
niens. En général, les molokancs et les donkhobortzî ressemblent par leurs
idées aux quakers de l'Angleterre et comme eux ils ont suivi l'évolution
morale qui d(! sectaires ardents en a fait peu à peu de tranquilles citoyens',
se conformant sans ardeur à des formes Iradilidiuielli'^. SduvenI (léj)ortés
' M. Barsnv, Le mysticisme populaire (rn russe) ; — Melnikov, Les sectes secrètes, les Colombes
blanches (en russe); — Rcoulzkiv, Les Hommes de Dieu et les Skoptzi; — Levilskiy, Chalopoutes,
Kiyevskiij Tcleyraf, Mi'iît, n" 41 à 45.
- Anal. Loroy-ltcaulieu, Revue des Deux Mondes, i" juin 1875; — Kostomarov, Les Molokanes
et les Doukhoborlzi dans le gouvernement de Saralov.
- Les Sauteurs, (lUIcli. h\in-U\, 1878, n" 10 el 11.
V 89
706 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
sur les frontières périlleuses, ils ont prospéré partout, dans la Russie Nou-
velle, au Caucase ; maintenant on songe à leur faire coloniser le pays de
Kars. Le mouvement général des sectes les porte de plus en plus vers
le rationalisme en religion, vers les idées radicales en politique. Les
clitoundisles de l'Oukraïne sont presque protestants. Les popovtzî se con-
vertissent en masse aux idées des bezpopovtzî, et ces derniers commencent
à rejeter le titre de « vieux croyants » pour l'appliquer aux orthodoxes de
l'Église officielle. On voit apparaître de nouvelles sectes, telles que les
n'emol'aki (non priant) et les n'ejihttel'cJitcliiki (non payant l'impôt). Cepen-
dant les vieilles habitudes du ritualisme sont telles, que même parmi les
sectes spiritualisles s'est formée ime secte de « soupireurs », qui ne ces-
sent de soupirer dans leurs réunions, parce que le « souffle » est « esprit ' ".
HAUTE VOLGA JUSQU A M J -M Ï-K 0 V G 0 11 0 D
COCVEnSEMEXTS BE TVEE, DE ÏAnOiLAVL, DE EOSTROIIA
Cette contrée est peuplée de Grands Russiens et de Finnois en grande
partie slavisés. Seulement à l'ouest, dans la région la plus montueuse, où
les communications ont de tout temps été difficiles, tout un archipel de
populations karéliennes a pu se maintenir. Lcà, ces Finnois se sont con-
servés avec leur langage et leurs mœurs; mais, environnés par un nombre
de plus en plus considérable de Slaves, obligés eux-mêmes de travailler
pour des Veliko-Russes, comme pêcheurs, bateliers, bûcherons ou cultiva-
teurs, apprenant le russe à l'école, à l'église, dans les foires des cités, ils
se slavisent graduellement. On sait qu'il y a dix siècles la contrée devenue
de nos jours la province de Yarosl'avl était en grande partie habitée encore
par des Finnois, et cependant la population locale est considérée mainte-
nant comme formée de purs Grands Russiens. Les Finnois n'ayant jamais
été expulsés du pays, la transformation ethnique a dû s'accomplir insen-
siblement, et les deux races à la fois sont représentées dans les habitants
actuels de la contrée, quoique une seule ait gardé le nom et la langue. Les
villes et les villages portent pour la plupart des appellations slaves, en
l'honneur des saints ou des fêtes.
Les villes, qui commencèrent presque toutes par êlre de simples bour-
gades de bateliers, sont assez nombreuses sur les bortls du lleuve et de ses
' Vouzov, Les vieux cioijaiUs, Slovo, 1878, n" 8 cl 9.
HAUTE VOLGA, OSTACIIKOV. 707
affluents. Déjà dans la région des sources, au milieu des forêts et des
marécages, Oslachkov, située à la hauteur de '229 mètres, considérable
pour la Russie, et dans une péninsule du lac Seliger, est peuplée de
pêcheurs et de radeleurs ; mais, éloignée des centres, elle a dû ajouter
VICIIVIY VOI.OTCKOK-
32°30' EdeP
à son industrie la fabrication de*; souliers, celle des cognées, des fauv,
des faucilles. Rjev, grand marché de chanvre et de lin, ])uis Zoiihlzov el
Staritza se succèdent sur le cours de la Volga, tandis (ju'au sud du llciive
la ville de Gjalsk, dans le gouvernement de Smoleiisk, se trouve à la tète
de la navigation d'un affluent dont les sources s'entremêlent avec celles du
niiepr.
708 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Tver, autrefois la rivale politique la plus puissante de Moscou, chef-lieu
actuel de gouvernement et port principal de la haute Volga, a l'avantage
de se trouver au confluent de la Tvertza qui descend des hauteurs du nord
et qui, de tout temps, offrait un chemin vers le bassin de la Neva et le
golfe de Finlande. Les denrées devaient être jadis transportées par terre
de la Tvertza dans la Msta, et quoique le canal creusé à travers le seuil
de granit ouvre depuis un siècle une route navigable de Tver à Saint-
Pétersbourg, la ville du « Haut Portage » ou Vîchniy Vol'otchok a gardé
son nom. Des bateaux chargés de blé et d'autres denrées s'y arrêtent par
centaines et par milliers pendant la belle saison, de même que dans la
ville industrielle de Torjok, ou « Marché », située plus bas sur la Tvertza,
et déjà grand entrepôt à l'époque des Novgorodiens. On évalue à quatre
mille les bateaux qui s'amarrent chaque année aux quais de Tver. Cette
ville commerçante, la plus populeuse des trois qui se trouvent sur le che-
min de fer de Saint-Pétersbourg à Moscou, est aussi l'une des plus indus-
trieuses du nord de la Russie ' et possède de nombreuses manufactures,
qui s'occupent surtout de la filature du coton et de la broderie des cuirs.
Celle dernière industrie, que l'on croit avoir été apportée dans le pays par
les Mongols, et qui peut-être même fut antérieure à l'invasion, rappelle
d'une manière étonnante les ornements chinois ^ Les ouvriers de Kimrî,
située plus bas sur la Volga, s'occupent aussi de ce genre de broderie,
mais surtout de la fabrication des boites, qu'ils expédient principalement
à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Dans cette contrée, jusqu'à 50 et 40 kilo-
mètres de Kimrî, les travaux de la campagne, à l'exception de la fenaison,
sont abandonnés aux femmes\ En d'autres districts du gouvernement, les
paysans sont charpentiers et vont travailler dans les grandes villes.
Rîbinsk, dans le gouvernement de Yarosl'avl, est la deuxième étape
commerciale de la Volga en aval de Tvei- ; mais, de plus que cette ville,
elle se trouve à l'issue di; deux canaux qui font communiquer la Volga
avec Saint-Pétersbourg, l'un par la Mologa et le lac Ladoga, l'autre par la
Cheksna, le Bel'o-Ozero et les deux grands lacs du bassin de la Neva. L'ac-
croissement de la capitale profile en même temps à Rîbinsk, qui jx'ut être
considérée comme son port principal sur la Volga et qui lui est en outre
rattachée par un chemin de fer. Rîbinsk est l'endroit où les chalands
do la Volga, au nombre de deux mille, doivent transborder leurs denrées
> Oiivners d'iniluslrie à Tvei- cii 1879 : 7115. Valeur des proiliiils : (i 700 000 rouilles. Daus le
gouvernement de Tver : 24 000 ouvriers et valeur des produits, 20 000 000 roubles.
' Dragomanov, Notes manuscrites.
'- Selon l'okrovskiy, 16 000 cordonniers; 2 500 000 paires de liolles pour ti 000 000 de roubles.
TVER, KIMRI. RIBINSK, YAROSiAVL, ROSTOV. 709
sur les huit mille petits bateaux construits pour le passage des écluses.
En 1879, le mouvement des marchandises dans le port de Rîbinsk s'élevait
à 625 000 tonnes et représentait une valeur de 25 millions de rouhics.
Au plus fort de la saison commerciale, les embarcations sont tellement
rapprochées les unes des autres, qu'elles forment un pont mobile entre
les deux rives delà Volga; jusqu'à cent mille bateliers et commerçants se
rencontrent en été dans cette ville unique. Sa principale manufacture est
une grande corderie'. Rîbinsk est beaucoup plus populeuse que toutes les
villes situées en aval de Tvei" sur la Volga ou sur ses affluents dans cette
partie du cours fluvial, Kalazin, Ougl'itch, Kacliin, Bejetzk, Klin et Ihui-
Irov, Peroyasl'avi-Zaleskiy ou « Transylvaine >■. Cette dernière ville, l'une
des plus anciennes de la Russie et probablement une colonie de cette autre
Pereyasiavl « Russe » qui se trouve dans la vallée du Di'iepr, a pris, grâce
à ses filatures de coton, une certaine importance industrielle. Oustoujna,
sur la Mol'oga, est avec Tcherepovetz le centre de la petite industrie pour la
fabrication des clous : plus de 20 000 ouvriers y travaillent en des milliers
de petites forges pour livrer au commerce moins de 10 020 tonnes de clous'.
En aval de Rîbinsk, la double ville de Romanov-Borisoglebsk, sur les deux
bords de la Volga, est environnée de jardins maraîchers, renommés pour
leurs oignons ; elle est fameuse par ses pelisses brodées.
Yaroslavl, chef-lieu de gouvernement, est peut-être la plus ancienne
ville slave fondée sur la Volga : dès l'an 102o, elle était bâtie par le fils
de Vladimir le Grand, et plus lard elle fut la rivale de Tver et de Moscou
pour la domination de la Russie du Nord. Elle est maintenant le siège
d'une fticulté de droit. Un bac y fait communiquer les deux troncjons du
chemin de fer de Moscou à Vol'ogda ; cette voie ferrée, ainsi que des fila-
tures de lin et de coton, donnent à la ville une importance commerciale
que n'aurait pu lui procurer le confluent de la petite rivière Kotorost.
Dans les environs, les habitants de cinq villages, groupés en confédéralion,
s'occupent en commun de la fabrication des caisses; une réunion générale
distribue les travaux à tous les associés. Non loin de Yaroslavl, Sopelki,
sur la Volga, est le centre de la secte des « errants ». La ville de llostov,
qui se trouve au sud-ouest de Yaroslavl, sur la route de Moscou et sur les
bords d'un lac (|ui se dévcrsi! par la Kotorost dans la Volga, est encori' beau-
coup plus ancietme (|iieson chef-lieu actuel. La chronicpie de Nestor la men-
tionne comme existant déjà du temps de Rurik, au neuvième siècle, e( dit
' Lettres sur le vnijruje du Izisarcvilch de l'éiershourg à la Crimée (en russe).
- Malériaitx reUUifs à tu petite industrie, imbliùs par la Société de Géograpliic misse.
710 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
que ses premiers habitants étaient des Mériens (Mera) ; mais dès le com-
mencement de l'histoire écrite cette tribu, qui occupait un vaste territoire,
de la province actuelle de Smolensk jusqu'à la basse Oka, était slaviséc : son
nom ne se retrouve pins dans les annales après l'année 907 '. Toutefois
l'élément finnois a laissé ses traces par les noms géographiques de pays et
se manifesta longtemps par la forte opposition au christianisme, surtout
à Roslov, destinée à devenir plus tard une des « raétropolies » de la Russie.
Klle doit à ce rang, qu'elle a perdu maintenant, d'être une ville sainte;
et l'une de ses principales industries est la peinture des images sacrées
sur émail ; les « icônes » de Rostov s'expédient dans tout l'empire. La
ville est aussi un lieu de pèlerinage, et ses foires, moins fréquentées qu'au-
trefois, amènent encore dans le pays des marchands de toute la Grande
Russie et même du versant asiatique de l'Oural. Les bords du lac de Rostov
sont entourés de jardins, où l'on cultive surtout la chicorée. Les Rosto-
viens émigrent dans toute la Russie comme maraîchers. Les hommes du
gouvernement de Yaroslavl sont parmi ceux qui s'établissent en plus grand
nombre dans les villes populeuses.
Kostroma, qui a rang de chef-lieu de province comme \arosl'a\l, à
laquelle elle est bien inférieure en apparence, est, comme Roslov, une
ancienne ville du pavs des Mériens, et son nom est celui d'un dieu finnois.
Dans la ville même, les jeux d'origine païenne qui rappelaient le culte de
Kostroma ou Yaril'o, et qu'on célébrait à la fin des processions, ont été
abolis; mais en maint endroit de la campagne on procède encore à l'en-
terrement solennel de statues en paille figurant grossièrement l'Adonis
liypcrboréen, le dieu « qui apparaît et qui meurt », pour renaître, mourir
et ressusciter encore ". Mentionnée pour la première fois au treizième
siècle, Kostroma devint célèbre dans les siècles suivants et son kreml. avec
ses hautes tours et ses coupoles, rappelle le séjour d'anciens princes; mais
elle ressemble h un grand village ne méritant pas encore le nom de ville.
C'est à Kostroma que, en 1615, les Étals Généraux annoncèrent à Michel
Romanov son élection au trône après l'expulsion des Polonais : il habitait
alors, jirès de la ville, le « monastère calhédral » d'Hypate, fondé eu 1530
par un mirza tarlare qu'avait converti une « apparition merveilleuse » ;
(le[iuis cette époque, en 1586 et en 1650, le couvent a été reconstruit deux
fois. Kostroma possède quelques fabriques, surtout pour la filature du lin
et du coton; mais on se trouve di^à dans le voisinage des solitudes glacées
' N. Biirsov, La Géographie liistoriqtte ; — Oiivaiov, tes ilériens.
■ Trnvdii.r de la Société d' Anthropologie de Moscou, XXVIII, XXX; — P. VoCmioiiko, Yarito,
Zapiski Geoijr. Obchclhestva, Secliuii d'elhnogiapliie, II.
KOSTROMA, BASSIN DE L'OKA. 7tl
ilu nord, où les bourgades sont très clairsemées. Il n'en existe que deux
dignes de ce nom dans la partie septentrionale de l'immense province de
Kostroma : Galitch et Makaryev. La première, située au bord d'un lac, est
appelée souvent Galitch des Mériens pour la distinguer de Galitch (Halicz)
de Ruthénie, qui était probablement la patrie des fondateurs ; d'ailleurs,
le dicton populaire nomme les habitants de Galitch « Krivitchi », comme
l'ancienne tribu slave de la Russie Blanche'. Galitch n'a guère d'autre
industrie que celle de la pèche. Les Mériens ne vivent plus dans la contrée,
ou du moins ils portent aujourd'hui le nom des Russes, avec lesquels ils
ne forment plus qu'une même race ; mais les traits des visages et maint
reste des anciennes mœurs témoignent de l'origine mêlée des habitants.
Au confluent de l'Ounja, la Volga, se détournant au sud, reprend son
cours vers les régions plus peuplées du sud. On approche de Nijniy-
Movgorod ".
BASSIX DE l'oKA
GOCVERNEMENTS Ii'onoL, DE K A I- 0 C G A . DE TOTLA, DE MOSCOU, DE RaZAN
DE VLAUlJlin, DE lAMBOV, DE M J M Ï-N 0 V G OKOD
Le bassin de cette importante rivière forme le véritable centre de la
Russie d'Europe, non seulement par la position géographique, mais aussi
par le nombre des habitants et l'activité du travail. C'est là que se |)resse,
en dehors de la Pologne, la population industrielle, là qu'est la capitale
liistorique de la Grande Russie, devenue celle de tout l'empire de la
ÏNlavie orientale, là que viennent converger les grandes voies du réseau
' llalil, Lfs proverbes populaires russes (on russe).
- \illes du bassin de la haute Volga ayant plus de 5000 habitant
COUVERNEMESI DE SMOLENSK.
Gjatsk (1882) 7 050 hab
r.OLVEP.XEMEXT LE IVEU'.
Tvef (1878) 59 109 hab.
Rjev 1) 26 500 ..
Torjok I) 12 000 II
Vichniy VoJ'olchok(l878J ... 11000 .■
BejcUk (1880) 5 850 »
Kachin n 5 750 »
Kalazio « 5 200 »
COLVEn.NEllENr UE IIOSCOU.
Kiin C1882). . . 7 lUO liab.
GOUVERNEMENT DE NOVGOROD.
Ousîoujna{1881) 0 8J0
SOUVERNEMENT DE VLADIJIIR
Pcreyas-ravl-Zaieskiy(1882). . 7 050
golve;(xement de ïvkoslavl.
Yaioslavi (188.".) 23 050
Rîbinsk » 10 90(1
j Rostov II 12 450
I Ouglitch .1 Il 950
Romanov-Bonsogiebsk (1885). . b 500
gouvernement de kostroua.
Kostroma (1881) 28 150
Galitch 11 5 670
Makai;ev-na-Ouiije (1881). . . 5 400
hab.
hab.
hab.
hall.
712 KOIVF.LLE GÉOGR.VPUIE UNIVERSELLE.
des chemins de fer. C'est la région qui fournit, avec la Pologne et la
Petite Russie, les principales ressources au budget et qui, pour la force
d'attaque, peut être considérée comme la véritable Russie. A l'exception
(les Mordves, la population y est en entier veliko-russe ; depuis longtemps
les tribus finnoises indigènes de l'est se sont fondues avec les Slaves, et
les Lithuaniens Golad qui vivaient à l'ouest de Moscou ont disparu sans
laisser d'autres traces que les noms géographiques de quelques villages.
Déjà sur la haute Oka, la ville d'Orol (Arol), chef-lieu du gouvernement
de même nom, est parmi les cités importantes de la Russie. Fondée
en 1564 après la conquête du pays sur les Tartares, elle fut déplacée
en 1679 à la suite d'un incendie : la ville actuelle n'a que deux siècles
d'existence, et de vastes quartiers, composés de maisonnettes en bois, ont
encore un aspect tout provisoire. Mais grâce aux quatre voies de chemin
de fer qui convergent dans sa gare et aux eaux de l'Oka, déjà navigable,
Orof est devenue un centre commercial très actif, surtout pour l'expédition
des céréales et des chanvres. Telles sont aussi les principales denrées
entreposées par ses deux voisines, Bolkhov et Mtzensk, situées sur des
affluents de l'Oka. Les femmes de Mtzensk se livrent surtout à la fabrication
des dentelles. Cette ville est entourée de kourgans rappelant les combats
qui se sont livrés autour de cette ville entre Tartares, Cosaques, Lithua-
niens, Polonais. Sa population a été baptisée seulement au quinzième siècle.
Au nord d'Oi'ol', l'Oka grossissante passe successivement devant les villes
de Belov, l'un des marchés régulateurs du commerce des chanvres, de
Likhvin, de Peremîchl. qui porte le même nom que la Przemysl gali-
cienne. Presque doublée par la rivière Ougra ou « l'Ougrienne », l'Oka
cesse de suivre la direction du nord pour couler à l'orient, et c'est à peu
de distance en aval de ce coude que. se trouve la ville de Kal'ouga, chef-
lieu de gouvernement, désignée pour résidence à des princes musulmans
internés en Russie. Kalouga est déjà dans le cercle industriel de Moscou
et prépare des cuirs, fabrique des toiles, pétrit des gâteaux fort ajtpréciés
dans la Grande Russie ; l'État y possède un parc d'artillerie et une manu-
facture de poudre. Les autres villes populeuses du gouvernement, la com-
mer(;ante Jizdra, Kozelsk, ancien bourg des Vatilchi, Soukhinitchi,
Mechtchovsk, dont le nom rappelle les anciennes tribus meclitchères,
Mcdii'i, Malo-Yarosl'avetz, Borovsk, sont toutes situées à l'ouest de l'Oka,
sur des affluents de cette rivière ou de l'Ougra. C'est jusque dans celte
région de la Russie que s'avancèrent les Français pendant la guerre de
1812. Sortant de Moscou incendiée pour se diriger sur l'Autriche par
Kiyev et la Galicie, ils rencontrèrent les Russes à Taroulino et à Malo-
- -i-T'
llll'VKRNKMKNT l> K TOll.A. Tll'KS KT COSriiUKr
Ofisiii de llarij.il, d nprcs uni< |iliolriL-i'a|iliii! dcï M. Ilaoull.
TOUtA. 715
Yaroslavetz, et après de meurtriers combats ils durent se rejeter à droite
sur la route de Smolensk. A côté de Malo-Yaroslavelz, trois hautes buttes
funéraires recouvrent des ossements.
Toula, chef-lieu de gouvernement comme Oi'ol ol Kalouga, est plus
populeuse que cette dernière : c'est la station principale de la voie ferrée
entre Moscou et Kharkov. Située sur l'Oupa, affluent orienlal de l'Oka,
qui baigne aussi les deux villes de Bogoroditzk en amont et d'Odoyev en
aval, Toula ne doit point son importance à la navigation ; elle fut clioisie
IM. — Ton.A.
d après aCar.e de I ttat M
on 171'2 par Pierre le Grand pour recevoir la priii(i|ial(' usine d'arines de
l'empire, et colle manufacture occupe maintenant plusieurs milliers d'ou-
vriers, fabriquant chaque année 70 000 fusils, des armes blanches, des
instruments de fer et d'acier. Toula est le Liège de la Russie. Elle fabrique
aussi des couteaux, des instruments de mathématiqu(>s, des machines, et ces
objets argentés et dorés qui appartiennent plus spécialement à l'industrie
d'Oust-\oug, de Vologda, et à celle de la Géorgie; Toula fournit justpi'à
iiOOOOO (le ces samiivars indispensables à toute famille russe. Les fabri(|ues
(le Toula (inl l'avantage, ignoré p;ir leur fondaleui', de se Irouver dans un
716 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
vaste bassin houiller, qui leur fournira un jour tout le combustible néces-
saire. Ces houilles, déjà reconnues par Pallas à la fin du siècle dernier,
ont été considérées sans valeur aussi longtemps que les forêts de la
contrée ont pu livrer aux industriels tout le bois dont ils avaient besoin.
Maintenant que les forêts, attaquées de toutes parts, sont menacées
de disparaître en entier, le charbon de terre commence à être apprécié
et quelques propriétaires l'exploitent avec succès. En 1879, treize des
centaines de gisements reconnus dans le bassin de Toul'a et de Razan
étaient exploités, et l'on en retirait 469 000 tonnes : il serait facile d'en
extraire un million. La houille de Toula, dont l'épaisseur moyenne est
de o mètres, mais que l'on rencontre aussi en couches d'une puissance
de 8 mètres, a le grand avantage de se présenter en strates horizon-
tales, à une faible profondeur au-dessous de la surface'.
Entre Toul'a et Moscou, la principale station du chemin de fer est Ser-
poukhov, qui doit en même temps à sa position dans le voisinage de l'Oka
une grande activité de commerce par eau. C'est aussi une ville industrielle
et, parmi les usines, les fabriques d'indiennes et les tanneries ont surtout
de l'importance. Au nord de Serpoukhov, Podolsk est déjà dans la banlieue
de Moscou.
La deuxième capitale de la Russie, qui est en réalité la première, non
par le nombre des habitants, par le commerce et l'industrie, mais par le
droit d'ancienneté, occupe presque exactement le centre géographique de
la Russie d'Europe. Elle n'est point située sur un grand lleuve, et la
Moskva, qui passe dans la ville en serpentant, ne porte que de petites em-
barcations ; mais, grâce aux faibles ondulations des plaines, Moscou a des
communications faciles avec la Volga, TOka, le Don, le Diïepr. Ue même
que toute autre ville du centre de la Russie qui eût ('lé choisie comme
résidence des tzars, Moscou se trouve en un endroit favorable pour unir
dans ses murs les routes venues de toutes les extrémités de l'empire, de
la mer Blanche et du Pont-Euxin, de la Baltique et de la Caspienne, des
ports de la Sibérie et de ceux de l'Europe occidentale. La convergence
des grandes voies ferrées de la Russie dans les gares de Moscou était néces-
saire aussi bien au point de vue commercial que pour les inlérèls stra-
tégiques de la contrée, car si Moscou est située sur la roule d'invasion par
7itebsk et Smolensk, ce chemin est en même temps l'un de ceux sur
lesquels le mouvement j)acifique des échanges est le plus actif. Tant que
• V(in Ili'Imerscn, liullelin de l'Académie des sciences de Sai)ii-Pi'tcnhouyg. voL \II, 1868.
J. G. Kolil, Geoytapliisthe La<je der llauplslùdlc Etiropa's.
MOSCOU. 717
les Russes appartenant au monde civilisé n'occupaient que le bassin du
Driepi', Kiyev était une métropole naturelle ; mais dès que la Slavie orien-
tale se fut rattachée à l'Europe, c'est à Moscou, à Vladimir ou dans toute
autre ville rapprochée du centre que devait s'établir la capitale. Moscou
n'est pas assez antique pour être la « Sainte 2 comme Kiyev, mais elle est,
au moins pour la Grande Russie, la « Mère ». Moskva Malouchka, « aux
murailles de pierre blanche». D'ailleurs, par ses habitants mêmes, du
moins par un grand nombre de ses familles dirigeantes, lithuaniennes,
russes, tartares, finnoises, tcherkesses, tsiganes môme, Moscou appartient
à la Russie tout entière. De même que la Rome latine, la Rome slave eut des
fugitifs parmi ses premiers fondateurs, et ceux-ci, venus de toutes les con-
trées environnantes, prirent un caractère qui tenait de tous ceux des pairies
diverses, sans ressembler exclusivement à aucun : les Moscovites se déve-
loppèrent d'une manière originale comme les Romains. Les maîtres de
Moscou eurent recours aux déplacements en masse de populations pour
répartir les habitants à leur gré dans les contrées qui leur étaient sou-
mises et pour asseoir ainsi plus solidement leur puissance. Nombre de
proverbes rappellent la haine soulevée en diverses provinces, même veliko-
russes, contre Moscou et la « foi moscovite' ».
Le plan général de Moscou offre quelque ressemblance avec celui de
Paris : la capitale russe est aussi formée d'un noyau central, autour duquel
les quartiers se sont développés circulairement, et la Moskva, ipioique
coulant en sens inverse de la Seine, se développe à l'ouest de la ville en
méandres presque semblables à ceux de la rivière française. Le Kreml ou
a Kremlin », entouré d'une haute muraille en forme de triangle irrégu-
lier, occupe, avec le quartier dit « Ville du Refuge » {Kitai-Gorod), le
centre de la cité, sur la rive septentrionale de la Moskva, qui décrit
en cet endroit un méandre enfermant entre ses deux bras une île allongée.
La « Ville DIanche » (B'elly Gorod) se développe concentriquemenl autour
de la Ville du Refuge; un boulevard, formant les trois quarts dune ciiconfé-
rcnce et s'appuyant à ses deux extrémités sur la rive gauche de lu Mn-kva.
sépare la Ville DIanche de la « Ville de Terre » {Zcml'andi Gorud) où demeu-
raient les artisans et les pauvres; depuis la lin du siècle dernier, celte Ville
de Terre est environnée d'une large rue bordée de plantations cl de jar-
dins, dont le circuit, ayant un développement complet d'environ KJ kiln-
mèlres, se continue sur la rive droite. Au delà de ce boulevard circulaire
s'étendent les iaubourgs, eux-mêmes entourés par une enceinte aux brus-
' Iblil, Les Provnbcs populaires tusses (en russe).
718 KOLVELLE GËOGRAniIE U.MVERSELLE.
ques saillies, aux tours pyramidales, le long de laquelle s'ouvrent cà et là
de larees rues, amorces d'un boulevard futur. La superficie de Moscou
n'est pas inférieure à celle de Paris; elle dépasse 100 kilomètres carres;
mais dans cet immense espace la population est trois à quatre fois moin-
dre que dans la capitale de la France : maint quartier ressemble à un vil-
lage en désordre groupant ses maisonnettes peintes autour d'une église ou
d'un cbàteau. Au dernier siècle, Moscou était, disait le prince de Ligne, un
assemblage de résidences seigneuriales entourées de leurs parcs et des
N" 159. MOSCOU.
cabanes de leurs serfs. Maintenant encore, la ville a gardé quelques traces
de ce bizarre mode de formation : des jardins, des bosquets, des champs,
dos terres vagues parsemées d'étangs s'avancent entre les l'aubourgs vers
les quartiers populeux de Moscou ; mais, d'auli-(> part, les villages exté-
rieurs bordent les roules jusqu'à plus de 10 kilomètres du centre de la
cité. L'espace ne manque point pour fiùre entrer l'air pur dans toutes les
demeures de Moscou ; toutefois un certain nombre de maisons « à demi-
étage » uni leur rez-de-cliaussée au-dessous du nixeau des rues, et les
liltratious des pluies y entretiennent une Ininiidité constante. Les morts
sont régulièrement plus nombreuses que les naissances à Moscou, cl la ville
MOSCOU. 719
redeviendrait village si la population ne se recrutait sans cesse par des immi-
grants. Mais, vue de loin, la grande ville n'apparaît que dans sa beauté, et
rien n'en révèle les misères secrètes : dos arbres, des centaines de tours,
plus d'un millier de clochers à dômes bulbeux dominant les 500 églises,
— (juarantc fois quarante, dit le proverbe, — c'est là tout ce que montre
la capitale. Yue des « monts des Moineaux » [Vorob'yovi gort), dont les
croupes s'allongent h l'ouest de la ville, Moscou, dominée par la masse du
Kreml, est vraiment splendide aux rayons du soleil couchant : on croirait
contemjjler alors une ville de l'Inde. C'est ainsi qu'en 181 '2 la virent
les soldats de la Grande-Armée.
Le Kreml, en même temps forteresse, ensemble de cathédrales, de
monastères, de palais, de casernes, est le monument par excellence de la
monarchie russe : c'est de là que partaient les ordres du tzar de Moscou,
là que l'Église prononçait ses décrets. En pénétrant dans l'enceinte sacrée
par la « Porte du Sauveur » {Spaskiya Vorota) , tous doivent se découvrir
pieusement la tête. Le campanile d'Ivan Velikiy, bâti en 1000 par Boris
Godounov et se dressant à 81 mètres de hauteur, au centre du Kreml,
est aussi l'objet d'une sorte de culte, et de « vieux Russes », qui l'aper-
çoivent de loin en approchant de Moscou, se prosternent comme s'ils
voyaient le symbole même de la patrie : c'est au pied de cette tour ([ue
repose sur un piédestal, ébréchée, l'énorme « reine des cloches », du poids
de 200 tonnes. Une église voisine est celle où sont couronnés les empe-
reurs et où sont enterrés les métropolites de Moscou ; une autre église
cathédrale, non moins riche en fresques, en mosaïques, en marbres et
en pierres précieuses, renferme les tombeaux des premiers Izars. Une
église ancienne du Kreml, petite construction qui porte le nom du « Sau-
veur dans la Forêt », ainsi appelée en souvenir des halliers qui couvraient
anciennement le pays, est au milieu de la cour du palais. Quelques bâti-
ments de la résidence impériale sont aussi fort remarquables et ra|)p<'l-
li-nt à la fois par leur style les palais de Venise et ceux de l'ilindouslan :
dômes, clochetons, galeries à colonnes, ornemenis peints en verl, en
ronge, en jaune, s'y entremêlent en désordre. Un des palais renferme des
collections précieuses. Dans le palais synodal, à côté des monastères impé-
riaux, la bibliothèipie a (pielques documenis uniques et des manuscrits d'un
prix inestimable. L'arsenal, qui contient des armes jjour 100 000 hommes,
possède aussi un musée spécial et un canon monstre : « Moscou est sur-
tout célèbre, disait Ilerzcn, par sa cloche, qui ne sonne pas, et par son
canon, qui ne tire pas. » L'une des portes du Kreml renferme dans sa
chapelle, consacrée à la Sainte Vierge de l'Ibérie, la {•('■lèbre icuie llnnnna-
720 NOUVELLE GEOGRAl'UIE UNIVERSELLE.
lurge, jadis propriétaire de milliers de serfs. On la porle dans les mai-
sons pieuses, mais à un prix très élevé; les gens peu fortunés doivent se
contenter de la visite de sa copie.
Le Kilaï-Gorod, la « cité >- commerciale, est en grande partie occupé
par des monuments curieux, tels que la maison de Piomanov; mais l'édiiicc
le ]ilus intéressant de ce quartier, et en même temps de Moscou, s'élève
immédiatement en dehors du Kreml, sur l'un des côtés de la place
Ilougc : c'est l'église de l'Intercession, plus connue sous le nom de
Vasiliy Blajenniy. Ce monument, construit au milieu du seizième siècle,
sous Ivan le Terrible, par un architecte italien, est unique dans son
genre : évidemment il doit son origine à cet esprit d'orgueil moscovite qui
a fait ériger la tour d'Ivan Velikiy, fondre la « reine des cloches » et placer
devant l'arsenal le « roi des canons ». La cathédrale de Yasiliy Blajonniy
est de style byzantin par les détails de son architecture, ainsi que
l'exige la tradition religieuse, mais elle est surtout moscovite. L'Italien
qui l'éleva donna la science pour l'agencement des pierres, la résistance
des matériaux, la portée des votites, mais il sut respecter les formes
symboliques des architectes russes, et le monument bizarre, quoique
bâti par des mains étrangères, reste l'édifice orthodoxe-grec par excel-
lence. Les galeries et les portiques du pourtour, plus modernes que les
nefs et les tours, témoignent, il est vrai, de l'influence italienne, quoique
fort enlaidis par des clochetons pyramidaux; mais au-dessus de ce pé-
ristyle se voit l'ancienne construction dans son étrange originalité. Les
clochers, tous différents les uns des autres, s'élancent chacun d'ur,
fouillis de sculptures ressemblant à des feuilles imbriquées, à des
écailles de pommes de pin, à des gaines de fleurs naissantes. Les bulbes
des coupoles, surmontés de croix aux chaînettes dorées, se distinguent
tous par les dimensions, le profil, la guillochure, les couleurs : l'un est
découpé en côtes saillantes, un autre semble brodé d'arabesques en
losanges, un troisième est taillé en pointes de diamant, un cpiatrième
ressemble à un fruit écailleux, d'autres encore sont striés de lignes trem-
blotantes ; puis, au sommet, la grande tour à forme pyramidale et jaillis-
sant d'un entassement de petites coupoles engagées, se termine j)ar une
sorte de lampadaire. Et le tout est orné de faïences, bariolé de couleurs; à
première vue, il est impossible de reconnaître les lignes maîtresses dans
cet eiilrc-croisenient de saillies et de peintures; on se demande si Ion est
en face d'un édifice ou d'un produit végétal monstrueux ' ; « l'impossible
' lilasius, lieise im Eurupaiscnen lUisstaml, — Zubetiii, Dnen'aya i yuvaija liossiya, 1878, n° 5.
MOSCOU. 723
église fait douter la raison du témoignage des yeu\' ». Pourtant on ne peut
détacher ses regards de cette pagode russe ; elle plaît par son étrangeté même.
Non loin de cette église, et sur la même place, en face de la Porte du Sau-
veur et près du marché de Moscou {Gostiniy-Dvor), renfermant des milliers
de boutiques, s'élève le groupe en bronze du bourgeois Minin et du prince
Pojarskiy, qui délivrèrent la Moscovie de la domination polonaise, en 1615.
En dehors du Kreml et du Kitaï Gorod, les monuments deviennent plus
rares à mesure qu'on s'éloigne du centre ; mais presque tous les établis-
sements scientifiques et universitaires se sont groupés dans la Ville
Blanche. Là s'élève l'université, fondée en 1755, palais à colonnades,
qui possède des trésors dans sa bibliothèque et ses collections, et dont
les cours sont fréquentés par un plus grand nombre de jeunes gens que
toute autre université^; un observatoire, un jardin zoologique, un jardin
botanique dépendent de cet établissement. L'université de Moscou eut une
influence considérable sur le mouvement philosophique et littéraire de la
Russie, surtout de 1850 à 1848, lorsqu'elle n'était pas encore sous l'in-
fluence directe de la bureaucratie pétersbourgeoise ; c'est là que se déve-
loppèrent quelques-uns des hommes les plus remarquables de la Piussie
moderne. Non loin de l'université est l'édifice du musée, qui renferme des
tableaux anciens et modernes, des œuvres de sculpture, une biblio-
thèque unique en Europe par ses documents chinois et mandchoux,
et la célèbre galerie ethnographique de Dachkov, dans laquelle des
personnages costumés représentent les types de toutes les races de la
Russie. Le musée historique est très remarquable. Plusieurs autres
collections moins importantes enrichissent aussi Moscou de leurs tré-
sors, entre autres des galeries particulières dont les tableaux sont
d'artistes russes. Moscou n'a pas autant de grandes écoles spéciales
que Saint-Pétersbourg, mais elle en a plus que toute autre ville de
la Russie, et deux cents jeunes gens viennent y étudier les langues orien-
tales dans l'institut Lazarev. Moscou, centre de la picsse populaire de la
Russie, imprime des raillions de livres et d'estampes, que les colporteurs
vont vendre ou échanger contre des denrées dans les provinces de la Russie,
même les plus éloignées''. Capitale réelle de la Grande Russie, Moscou est
également celle des <• vieux croyants >•, poj)ovlzi et bezpopovtzî. Leurs cen-
' Théophile Gaulhier. Voyurje en Russie.
' Professeurs, lOG; étudiants, 24.")0 au 1" janvier 1882. Bihiiothèi|ui> • 177 500 volumes.
' Publieations de Sainl-l'élershourg cl de Moscou en 1877 :
Pélersbourfî .... (i 925 855 exemplaires. Moscou 8 542 685
Il .... «00407 syllabaires, etc. « 2050280
j .... 200 255 esUuni.e». » -> 41(5 800
724 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
très pont les deux cimetières Rogojskoïe et Preobrnjcnskoïe, avec les éla-
Llissemcnts qui en dépendent. Jusqu'à maintenant les popovtzî, presque
libres d'ailleurs, ont vainement réclamé l'autorisation de fonder un gym-
nase particulier, mais les bezpopovtzî, dont le nombre s'est rapidement
accru depuis le commencement du siècle, ont obtenu la permission de rou-
vrir leurs chapelles. Moscou est le lieu de naissance de Pouchkin, auquel
on a élevé récemment une statue, de Lermontov, de Gril)oycdov, d'Ostro-
vskiy, de Dostoyevskiy, de Herzen.
Moscou est aussi une capitale industrielle. Dès le milieu du siècle, on
y comptait 630 fabriques ayant ensemble 40 000 ouvriers ; l'importation
annuelle représente une valeur de 400 millions. La production manufac-
turière du gouvernement de Moscou est le cinquième de la production
totale de l'empire, y compris la Pologne. Les principaux établissements
sont des filatures de cotons et de tissus mélangés, des teintureries, des
manufactures de lainages et de soieries, des tanneries, des distilleries.
Presque toutes ces usines se trouvent dans les faubourgs ou dans les vil-
lages des environs, et les ombrages des parcs contrastent avec les groupes
de fabriques aux cheminées fumantes. Le plus beau de ces parcs, Sokol-
niki ou « les Fauconniers », au nord-est de la ville, est un reste des an-
ciennes forêts, où l'on a tracé des allées et bâti des villas; un autre bois,
très fréquenté pendant la belle saison, s'étend au nord-ouest, entourant de
ses allées les jardins et les colonnades du palais de Petrovskiy.
Le couvent de Troïtza, que ne manquent jamais d'aller visiter les voya-
geurs, est situé au nord-est de Moscou, sur le chemin de fer de Yarosl'avl,
dans une contrée herbeuse, parsemée de bosquets. Le monastère, que les
Polonais assiégèrent vainement pendant seize mois, en 1609 et 1610, res-
semble en effet à une forteresse du moyen âge avec ses hautes murailles,
au-dessus desquelles apparaissent les tours et les clochers. Troïtza est une
véritable cité d'églises, de chapelles, de reposoirs, de stations d'images; la
chapelle de saint Serge, patron du couvent, est éblouissante de richesse. La
lavra de Troïtza, moins élevée en dignité que celle de Kiyev, est un lieu de
pèlerinage aussi fiéquenté, et grâce aux faveurs des tzars elle est devenue
plus puissante : elle posséda jusqu'à 120 000 serfs; son revenu est encore
do plusieurs millions. C'est dans ce couvent que se trouve l'académie
ecclésiastique de Moscou. Le bourg de Serge {Sergii/cvskiij Posad), dont les
maisons se sont groupées autour du couvent, est plus peuplé que toutes
les autres villes du gouvernement, sauf Moscou. Parmi ces villes, Voskre-
sensk, au nord-ouest de la capitale et au nord de Zvenigorod, chef-lieu
déchu de principauté, doit aussi son origine à un monastère : son indus-
MOSCOU, BORODINO, RAZAN.
725
trie est celle des meubles. Yereya, au sud-ouest, fui détruite par les
Français en 1812, et ne s'est pas complètement relevée du désastre; on y
fabrique surtout des objets en argent appliqué. C'est près de là, au bord
de la Jloskva naissante, que fut livrée la bataille de Borodino ou de la
« Moskova », la plus acharnée des temps modernes : llUOOO hommes y
furent mis hors de combat.
Au sortir de Moscou, la rivière, coulant au sud-est, va rejoindre l'Oka,
près de la ville commerçante de Koi'omna et au nord de Zaraïsk, dont on
>" leO. CUAMP DE BATAILLE DE BORODLN'O OU DE « LA MOSEOWA r.
34-30 E ce P
ri
MnsTove
dâprca Duvotenay
voit encore l'ancienne forteresse, rebâtie par Ivan le Terrible. La rivière
maîtresse, serj)entanl en de nombreux méandres, continue de suivre la
direction du sud-esl jusqu'au delà de Razaii, et reçoit en roule divers petits
cours d'eau, entre autres celui qui vient de Yegoryevsk. Uazan, chef-lieu de
gouvernement, et jadis capitale de principauté, a conservé son kreml pitto-
resque, dominant la ville de ses églises et de ses palais : elle a été fondée
par une colonie de Russes du Midi, et son nom complet, Pereyaslavl
Razanskiy rappelle la ville oukraïniennc des bords du Di'iepr. Razaù a quel-
ques fabriques, mais elle a surtout de l'importance comme ville de cura-
7-26 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
merce, grâce à l'Oka, qui coule à 2 kilomètres, et au chemin de fer
de Moscou à Saratov; Razai'i en est, après Kozl'ov, la principale station
intermédiaire. Au sud de Razan, la ville de Skopin, située au milieu de
vastes champs de blé, est aussi un lieu de marché très animé. Toutefois
la cité la plus industrieuse du gouvernement est Kasimov, l'ancienne
Gorodetz, située près de l'endroit où l'Oka entre dans la province de
Tambov. [es principales manufactures de Kasimov sont des tanneries et
des corderies. Le voisinage de l'Asie s'annonce déjà : des centaines de
Tartares mahométans, descendants de ceux auxquels la ville avait été
assignée par un Izar de Moscou, habitent encore un quartier de la
ville, et le minaret d'une mosquée se dresse au-dessus des maisons. En
général, l'élément slave et le christianisme n'ont remporté la victoire,
dans tout le pays qui s'étend au sud de l'Oka, que depuis le dix-sep-
tième siècle : les schismes qui se produisent encore dans la contrée
doivent être attribués, au moins en partie, à un phénomène de retour
vers le passé.
La Tzna, qui se jette dans l'Oka en aval de Kasimov, est la principale
rivière du gouvernement de Tambov. La capitale de la province, située non
loin des sources de ce cours d'eau, ne doit guère son importance qu'au
rang de centre administratif et au chemin de fer de Moscou à Saratov.
Morchansk occupe en aval, sur la Tzna déjà navigable, une position
beaucoup plus heureuse pour le commerce, et sert de port d'expédition
aux denrées agricoles d'un vaste territoire; elle a pour principale indus-
trie le traitement des suifs et leur transformation industrielle. Morchansk
est l'un des centres de la secte des skoptzî. Plus au nord, Chatzk est située
à quelque distance de la rivière, sur un petit affluent occidental. Le bassin
de la Mokcha, tributaire de celui de la Tzna, comprend une grande partie
du gouvernement de Penza, où se trouvent les villes de Verkniy Lomov, de
Troïtzk, de Chechkeyev, colonies russes établies au milieu des Mordves
finnois; Temnikov et Kadom, sur la même rivière, sont dans le gouverne-
ment de Tambov. Eu aval de Temnikov, le couvent de Sara, l'un des plus
fameux du pays des Mordves, est encore entouré de grandes forêts, pcu-
j)lées d'ours familiers que nourrissent les moines '.
Réunie à la Mokcha, la Tzna s'unit à l'Oka pour l'entraîner avec elle
dans une cluse de rochers ouverte du sud au nord. Yel'atma s'élève sur la
berge occidentale de cette cluse, qui se continue au nord par la vallée
d'une rivière latérale dans laquelle se trouve la ville de Meleiiki, où se
• Mainov, Drein'aija i I^ovai/a Rossiyit, 1877, ii° 10.
KASIMOV, MORCHANSK, TAMBOV, SIOUROM. 727
fabriquent des feutres et se sculptent des objets en bois. Plusieurs autres
fissures des roches de la contrée affectent cette direction du sud au nord
et donnent à la topographie locale une grande uniformité de traits.
La ville de Mourom, sur la rive gauche de l'Oka, à une petite distance
en amont du confluent de la Tocha, et déjà mentionnée par la chronique de
Nestor, est l'une des plus anciennes cités de la Russie orientale; de même
que la ville industrieuse d'Arzamas, qui doit son nom à la tribu finnoise
des Arza, celle de Mourom porte l'appellation de la peuplade des Mou-
roma, vivant au neuvième siècle sur les deux rives de l'Oka. Pendant plus
de deux cents ans, Mourom fut le marché des Russes dans le pays des
Mordves, et les Bulgares de la Volga y venaient tous les étés pour y échanger
leurs denrées contre les marchandises des négociants slaves et grecs; elle fut
le centre d'un mouvement de civilisation remarquable. Mourom, longtemps
chef-lieu d'une principauté distincte et possédant encore les vestiges d'un
kreml, est restée une sorte de capitale pour les tribus finnoises des envi-
rons ; mais elle a surtout de l'importance par son commerce avec Nijniy-
Novgorod et le reste de la Russie : elle est l'entrepôt des céréales de toute
la basse Oka. Elie de Mourom, le héros populaire de la Russie, « le fils
du paysan », est né, d'après les starinas, près du village de Karatcharovo,
dans le district de Mourom : une cité lacustre, pareille à celles de la
Suisse, a été découverte par M. Polakov, près de ce village, dans les allu-
vions d'un ancien lac. Ce pays est, avec la Souzdalie, un des pa\s clas-
siques de la Russie pour les antiquités préhistoriques. L'archéologue
Ouvarov y a découvert d'immenses quantités d'outils en silex, avec des
ossements de mammouths, de rhinocéros, de sangliers, de castors et de
bœufs ne vivant plus dans la contrée. En quatre années seulement, MM. Ou-
varov et Savelyev ont exploré dans l'ancien pays des Mériens 77'29 kourgans
de diverses époques, des temps préhistoriques au onzième siècle de l'ère
vulgaire.
Pavfovo, située sur la rive droite de l'Oka, à peu près à moitié chemin
de Mourom à Nijniy-Novgorod, ne s'est point fait un nom dans l'histoire
de la contrée ; mentionnée pour la première fois au dix-septième siècle,
elle a simplement rang de village, quoique ses maisons, hautes et rappro-
chées les unes des autres, lui donnent l'aspect de ville, qui manque à
beaucoup de cités poj)uleuses de l'emjjire. Pavlovo est l'un des centres de
l'industrie du fer: des milliers d'ouvriers y fabriquent jusqu'à 500 UOU
serrures par an, des couteaux, des instruments de chirurgie, des outils
de toute espèce en fer, en acier, en cuivre : le village n'est qu'une agglo-
mération de forges et d'aleliers. Les produits de l'industrie de Pavlovo,
7S8 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
dont beaucoup portent des marques anglaises, se vendent dans toutes
les foires de la Russie européenne et asiatique, de Kiyev à Irkoulsk et
jusqu'en Afghanistan ; mais c'est à A'ijniy-Novgorod que se fait la principale
vente de ces objets. Dans les environs de Pavl'ovo, une quarantaine de
villages, appartenant presque tous au district de Gorbatov, participent à
l'industrie métallurgique, et leurs produits, surtout les couteaux et les
serrures, sont expédiés dans toute la Russie sous le nom d'articles de
Pavl'ovo. Le plus fameux de ces villages est Vorsma, ayant dans son dis-
trict industriel plus de 20000 habitants, sur un espace de la grandeur de
Londres. La plupart des ouvriers ont leur maison et travaillent à domicile;
cependant leur condition se rapproche de plus en plus de celle des prolé-
taires de l'Occident.
La Klazma, qui s'unit à l'Oka dans le voisinage de Gorbatov, est la prin-
cipale rivière du gouvernement de Vladimir. Ce cours d'eau naît au nord
de Moscou et reçoit ses premiers ruisseaux des campagnes de Troitza et de
celles d'Alexandrov, aux teintureries fameuses en Russie ; à Vladimir, il
est déjà navigable pour les petits bateaux en toute saison et porte au prin-
temps de grandes embarcations. Vladimir-na-Klairiie ou Vladimir-Zaleskiy,
ancienne capitale de la principauté qui devint plus tard la Moscovie, date du
douzième siècle et doit son nom à Vladimir Monomaque, le prince de Kiyev.
Pendant la période de sa domination, qui dura jusqu'au commencement
du quatorzième siècle, Vladimir avait une population plus considérable
que de nos jours. Elle a gardé de cette époque divers fragments de sculp-
ture dans ses églises et la « Porte d'Or » de son kreml presque entière-
ment détruit. Vladimir n'a qu'une faible industrie, et son port sur la
Klazma ne fait que peu de commerce : les légumes des jardins et les cerises
des vergers environnants sont les principales denrées d'exportation de l'an-
cienne capitale.
Quant cà la ville de Souzdal, l'antique Soujdal, qui existait dès les ori-
gines de l'histoire russe et qui donna le nom de Souzdalie à toute la con-
trée de la Klazma et de la basse Oka, elle est encore plus déchue que Vla-
dimir, quoiqu'elle possède toujours son kreml, et n'a pas, comme son
chef-lieu, l'avantage de se trouver sur une rivière navigable ; même elle
n'est pas encore rattachée par un embranchement au réseau des chemins
de fer de la Russie. Les fonds marécageux des environs, graduellement
amendés par la culture, ont fait de Souzdal une ville de maraîchers : pour
l'excellence et la quantité des légumes, surtout des concombres, des
oignons, des radis, peu de villes de la Russie peuvent lui être comparées.
Depuis des siècles, les merciers de Souzdal, ou plutôt de la Souzdalie, par-
VLADIMIR, SOUZDAL, IVANOVO, 729
courent loutc la Russie, et souvent on donne le nom de « Souzdalicns »
aux colporteurs, comme s'ils venaient tous de cette ville. Enfin les images
saintes, que l'on fabrique surtout à Khol'ouy et en d'autres villages des
districts de Vazniki et de Gorokhovetz, sur la basse Oka, où se trouvaient
autrefois des couvents dépendant de Souzdal, sont appelés d'ordinaire
« icônes souzdaliennes»; on en fait de deux à trois millions par an dans
cette région. Un seul ouvrier peut en peindre six cents par semaine', au
prix de deux roubles le cent, et les « Souzdaliens » les portent dans toute
la Russie et jusque dans la péninsule lllyrienne. Cette industrie est fort
intéressante, à cause de l'extrême division du travail, auquel les enfants
eux-mêmes prennent part : parmi les villages, il en est un, celui de Mslera,
qui fabrique des icônes spécialement pour les raskolniks. La Souzdalie
s'occupe aussi de la peinture sur papier et de l'impression au moyen de
planches de tilleul. Les produits de cet art grossier sont très répandus
dans toute la Russie. Le mot de souzdal' china est devenu synonyme de
« mauvais goût » ; toutefois quelques gravures sorties de ces imprimeries
barbares sont devenues précieuses à cause de leurs naïves satires contre
les popes et les tclunovniki : plusieurs rappellent les gravures xylogra-
pbiques du quinzième siècle dans l'Occident. La publication en a été dé-
fendue à plusieurs reprises par la censure'.
La grande industrie moderne est représentée dans le gouvernement de
Vladimir par les manufactures d'Ivanovo, de son faubourg Voznesenskiy
Posad et de Chouya. Ces deux villes, dont la première pourtant n'est
administrativement (}u'uri village, sont situées sur deux affluents septen-
trionaux de la Klazma. Dès le milieu du dix-huitième siècle, l'industrie
du tissage y fut introduite, et maintenant on voit dans les deux villes et
dans les faubourgs environnants des centaines de fabriques, filatures de
laine et de colon, manufactures d'indiennes et de calicot, ateliers de ma-
chines, fonderies; plus de quatre-vingt mille ouvriers travaillent dans les
usines de la région de Vladimir et produisent pour plus de 250 millions de
marchandises : le tiers des cotons filés et tissés en Russie sort de cette région.
Avant l'émancipation des serfs, toute la population d'Ivanovo appartenait à
une seule famille, et quelques-uns des riches fabricants étaient obligés de
payer jusqu'à "20 000 roubles par tète pour racheter leur liberté. La popu-
lation industrielle de fdbritclvûy, déjà fort corrompue, est méprisée par
les paysans de la région : de même les col[)orteurs de Kholoui cl d'autres
' V. de Livrdn, Exposé slatistiiiiie de l'Empire russe (en russe).
* Bousfayev, Essai sur l'art et ta littérature russe (en russe).
V- 92
730
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
villages de la basse Klazma sont mal vus dans toute la Russie; on leur
attribue le proverbe : « Point de fraude, point de commerce! » Sous le nom
d'Ofeni, dont l'étymologie est ignorée, ils parcourent tous l'empire, échan-
geant toutes sortes de marchandises et des images saintes, — car l'usage
interdit de vendre les icônes, — mais ils les échangent à profit '. Les ofeni
parlent entre eux un argot dans lequel on retrouve des termes de toutes les
langues des races commerçantes de l'Europe orientale. On a voulu les
rapprocher d'anciens colporteurs grecs de la Crimée.
NIJNIY-NOVGOROD.
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Le commerce, plus que les armes, a donné une certaine cohésion aux
|)opulations d'origine diverse qui habitent la région moyenne de la Volga,
et c'est précisément à cause de cet enlremèlement de nations sans rapports
laciles les unes avec les autres qu'il a fallu trouver un terrain commun où
elles pussent se réunir, échanger leurs produits. La célèbre foire qui se
tient actuellement à Nijniy-Novgorod, et qui est la plus importante de la
Russie et du monde, a souvent changé de place : elle a été nomade comme
plusieurs des peuples qui venaient y trafiquer. Les traditions et les chro-
niques nous apprennent qu'à l'origine de l'histoire russe le grand lieu do
' Maximuv, ia Russie crranlc (en russcl; — Suiiunov, La Pairie [en russe).
iMJMY-NOVGOROD. 753
réunion des trafiquants était la capilale du royaume des Bulgares, sur les
rives de la Volga, en aval du confluent de la Kama : au milieu du neu-
vième siècle, des Arabes, des Perses, des Arméniens, des Indiens même
venaient s'y i-encontrer avec les hommes de l'Occident. La destruction de
l'empire des Bulgares déplaça le champ de foire, et Kazaiî, la résidence des
princes tartares, devint le lieu de rendez-vous des marchands d'Europe et
d'Asie; les colporteurs tartares de Kazan sont encore désignés en Bussie
sous le nom de Boukhartzî ou « Boukhariotes ». Le changement du pou-
voir amena pour la troisième fois le déplacement du grand marché : la
foule des trafiquants commença de suivre, dans la première moitié du
dix-septième siècle, les innombrables pèlerins qui se portaient vers le cou-
vent miraculeux de saint Makariy (Macaire), situé sur la rive gaucho de la
Volga, à 80 kilomètres environ en aval de Nijniy-Novgorod : jusqu'à Pierre
le Grand, toutes les recettes provenant de droits de placement et d'octroi
furent même dévolues au couvent de Saint-Macairc et à son archimandrite.
Toutefois le champ de foire, situé sur un terrain séparé par la Volga des
centres industriels de Moscou et de Vladimir, était très incommode ; on pro-
fita en 1816 de l'incendie du bazar de la foire pour transférer le marché
dans la ville de Nijniy, si bien placée au confluent de la Volga et de l'Oka,
au point de croisement des lignes commerciales de la Bussie caspienne. C'est
i'avant-gardc du monde occidental en face des populations asiatiques ; mais
il est probable que la construction du chemin de fer de Nijniy à Kazan et à
Perm aura pour résultat de diminuer l'importance de la foire annuelle.
Le nom de la cité signifie « Basse Mouvelie-\ lUe ». On la nomma d'abord
Novgorod Nizovskiya Zemli, — la « Novgorod des pays bas »; plus tard ou
l'appela Nijniy-Novgorod, la Novgorod du Bas, ou Nijniy. L'emplacement
choisi pour la ville atteint à son point culminant 97 mètres au-dessus du
niveau de la Volga. Le krenil. autour duquel se sont groupées les pre-
mières maisons, entoure de ses murailles le sommet d'une colline d'où
l'on aperçoit à l'ouest le confluent des deux fleuves, et, sur la rive gauche
de rOka, le quartier bas de la foii'e avec ses constructions régulières et ses
roules montant par les ravins à l'escalade du plateau. Des jardins occupent
une partie du kreml et les allées d'un parc se développent plus à l'est sur
la haute berge de la Volga. Le grand fleuve est encore libre de pont et l'Oka
n'est traversée que par un pont de bateaux, de 1575 mètres de longueur,
démonté chaque année pendant l'hiver.
Le quartier de la foire, en entier construit pendant ce siècle, est d'une
régularité tout américaine. Au centre de celle ville occulcntale, un bazar,
de 1700 mètres de long sur plus d'un kilomètre de large, aligne ses
734 .NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
rangées de boutiques où les marchandises sont disposées par ordre de
nature et de provenance : en se promenant dans le vaste quartier, on passe
de la rue des fers ou de celle des laines dans celle des pelleteries ou des
thés, et de l'allée de Pavlovo on se rend à celle d'Alexandrov ou de Toula.
Un palais où se font les grands banquets, une cathédrale orthodoxe, une
église arménienne, une mosquée tartare s'élèvent dans le quartier de la
foire, qui se complète à l'est par les vastes dépôts de poissons, de fers, de
céréales qui remplissent une île allongée de l'Oka. Uu canal d'égout, en
forme de fer à cheval, entoure le quartier; mais, les trois mille boutiques
du bazar ne suffisant pas à l'énorme quantité de marchandises apportées
pour la « Saint-Macaire », trois mille autres boutiques temporaires s'élè-
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vent encore à l'ouest du canal, dans un champ de foire. Alors plus de
deux cent mille personnes grossissent la population sédentaire de Nijniy-
Novgorod, qui n'est pas même de 50 000 individus. Dans cette foule des
acheteurs et des visiteurs, les Asiatiques sont plus rares qu'ils ne l'étaient
autrefois, presque tous les échanges se faisant maintenant par l'entre-
mise de commissionnaires ; cependant on voit encore des Géorgiens, des
Persans, des Boukharioles.
Le i)rincipal commerce de Nijniy est celui des étoffes de coton et de
laine ; puis vient celui des fers ; les peaux et les cuirs, les articles de modes
donnent lieu à des ventes de plusieurs dizaines de millions ; mais les
apports de thé chinois, encore fort considérables, puisqu'ils sont d'environ
cent mille caisses, ont beaucoup diminué dans ces dernières années, à
cause des grandes facilités que présente le trafic par nier de Changhaï et
NIJM Y-NOVGOROD,
735
de Canton à Odessa. La part moyenne de l'Asie dans les denrées apportées
à la foire de iSijniy représente une valeur de 70 raillions de francs et ne
cesse de s'accroître. Dans l'ensemble, le mouvement des échanges a con-
stamment progressé de décade en décade. Au milieu du sièule dernier, la
MJMÏ-NOVCOROD.
TUMBrir DE MININ DANS I,A CMPIE DE LCCLi?E BE L* TnANSFlGlRiTIOX.
Dessin de Thi^rond, «l'iiprês une jiliolo^raphic.
somme des ventes à la foire de .Makai-yov était d'environ 2 millions de
francs; en 1817, à la première foire de Nijniy, le mouvement de vente
s'élevait à 50 millions; il est maintenant de plus d'un demi-milliard et la
quantité des marchandises apportées et non vendues n'est pas supérieure
à ce qu'elle était il y a cinquante ans. Cependant la foire est moins animée
736
NOUVELLE GÉOGRAPHIE U.MVERSELLE.
qu'elle n'était autrefois. Les affaires s'y traitent plus rapidement et le
plus souvent par des intermédiaires ; mais elle est restée le marché régu-
lateur de toute la Russie d'Europe et même d'une partie de la Sibérie'".
r)uand Nijniy-Novgorod aura cessé d'être la station la plus avancée au
nord-est du réseau des chemins de fer de la Russie, le point de rencon-
tre obligé sur la frontière commerciale de l'Europe et de l'Asie, elle
devra probablement modifier ses habitudes et tâcher de garder son impor-
tance par son activité industrielle, assez minime actuellement ; Mjnij-
Novuorod possède cependant des chantiers de construction et des usines
métallurgiques. Elle est le principal lieu de rendez-vous des bourlaki
« d'en bas », comme Rîbinsk est le centre des bouriaki a d'en haut ». Ces
hommes, dont le nom signifie « gens errants », sont leshaleurs débarques;
' Villes el villages du bassin de l'OKa ayaiil plus
GOUVElOiEMEXT d'oROL.
Oi-ol (188")) 713 000 liai
liotkliov
Mtzcnsk
20 400
15 050
GOUVERXEMEM DE KALOli'.A.
Kalouga (1885) 50 950 li;
Jizdia <' 116.50
Borov>k M 9 575 i
Medin ■• ■ 8 050
Soukhiiiilclii ....... C 500
Kozeisk • 5 850
MechlL-liovsU
5 250
GOUVERNEMENT DE TOULA.
Toula (1881) 0-2 650
iîeiov » !I200
Yefreiiioï » 8 550
liogoroditzk (1880) 8 050
OJoyev (1881). 5 100
GOIVERNEMENI DE MOiCOC.
Moscou (1882) 751 800
Sergiyevskiy (Troïta) (1882). . 5U0O
Kolomna (1882) • • 28 500
Serpoukhov n 22 550
l'odoisk « 10 600
bmitrov » 9 200
Vereva » 5 9.)0
hab.
Itazan
Kasiuiuv
Skopiu
Vcgoiyi:\
ZilUlik
GOUVERNEMENT DE R'.ZAN.
^I882) 30 420 hab.
,, 15 150 »
10 100 »
.1, 6 150 »
5 800 ,
de 5000 babifanls ;
GOUVERNEMENT DE TAMBOV.
Tambov (1880) 54 000 liab.
Morchansk « 19 500 «
Tcmnikov i ..... 13 700 »
Chalzk ..... 7250 »
Yelatma ........ 7 100 ..
Kadom 7 100 »
Spassk ........ 5000 .,
GOUVERNEMENT DE TENZA.
Ke^eu^k (
Mokchaii
ISijniy Lomov
KrasnoslubjJsi
Veikniy tomov
Tioilzk
Narolrlial
Insnr
1885).
GOUVERNEMENT DP.
(1882)..
Chouya (
Viadiniii'
Mouroni
Ivanovo-Voznasansk
Peicyaslavi-Zalcskiy
Souzdal
Al'cx.u«lrov
Mcleuki
15 550 bal
15 000 I.
9 550 .1
7 400 ).
6 550
5 700 I)
5 520 .)
5 250 ,)
VLADIMIR.
. . 19 550 liab.
. 16 400 n
. . 15 775 »
. . 13 550 »
7 050 B
. . 0 800 »
. . 6 650 )>
. . 6 200 T.
GOUVERNEMENT DE NIJNlï-NOVGOROD.
57 550 hab.
, 1 1 500 ..
8 600 «
Nijniy-lNovgorod (1881).
Arzainas » .
Pavlovo » •
MJMY-NOVGOROD. 737
organisés en artel' ou associations, ils n'en sont pas moins à la merci des
propriétaires de bateaux, qui rendent l'association responsable pour l'indi-
vidu et dont l'agent est souvent choisi comme chef même de la société.
Le salaire du bourlak pour un travail de 8 à 16 semaines, à la montée
du fleuve, d'Astrakhan à Nijniy, varie de 28 à 40 roubles.
Une colonne élevée près du kreml, au sommet du promontoire qui domino
le confluent, et le riche tombeau placé dans la crypte d'une cathédrale
rappellent le toucheur de bœufs Minin. qui appela en IGll le pays à lu
délivrance de Moscou, occupée par les Polonais. Nijniy est aussi la patrie
du critique Dobroloubov et du mécanicien Koulibin.
ÏOÏE.NXK VOinv ET K\M\
K.lZ.VS', VATKA, PERM', OUFA.
Dans cette partie du bassin de la Volga, l'-Asie et l'Europe s'entremêlent
déjà par leurs populations : à côté des Slaves grands-russiens, des Tar-
tares habitent les villes et les campagnes environnantes, tandis que des
tribus finnoises occupent la plus grande étendue des régions lioisées. Les
races, fondues en une seule nation dans le bassin supérieur de la Volga,
sont encore là en présence les unes des autres, toutes distinctes soit par
l'apparence extérieure, la langue et le genre de vie, soit du moins par les
traditions et quelques traits particuliers. Ces peuplades étrangères ou
allogènes, ainsi qu'on les appelle en Russie, n'ont pas, comme les Finlan-
dais de l'ouest, l'avantage d'être unies en corps de nation. Eparses en de
vastes plaines, séparées les unes des autres par des Grands-Russiens, sans
lien de nationalité, sans espérances communes, elles sont condamnées à un
complet isolement moral et politique. C'est uniquement par l'entremise
des Slaves que ces restes d'anciennes races. Finnois, Ougriens, Turcs, peu-
vent entrer en rapports mutuels et progresser en civilisation.
Les recherches des historiens ont mis en Itmiière ce fait l'emarquable,
qu(! l'influence russe sur ces populations asiatiques eut deux points de
départ, au sud et au nord. Du côté du sud, les marchands russes, descendus
par la rivière Oka, se réunissaient en grand nombre dans la ville de Rol'gar.
que des écrivains arabes classent même au dixième siècle parmi les cités i\o
la Slavie. Les objets chinois et indiens découverts çà et là dans la Biarmie,
de même que les monnaies du cinquième au septième siècle, sassanides,
inrio-baclres, arabes, byzantines, anglo-saxonnes, trouvées autour des anciens
V. 95
758 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
bourgs de marché, témoignent du commerce qui se faisait alors dans ces
régions. Les visites continuelles des marchands slaves, mais aussi les expé-
ditions de brigands russes qui se rendaient jusqu'à la Caspienne par la
Volga', durent introduire quelques éléments slaves dans ce monde oriental;
mais celle influence cessa au Ireizième siècle, à l'époque des invasions
taiiares qui refoulèrent les Russes vers l'Occident. Du côlé du nord, la
j)ression cllmologique des Russes ne s'arrêta point. Les Novgorodiens qui
avaient colonisé les bords de la Dvina et de ses hauts affluenls avaient
pénétré par cette voie dans le bassin de la Kama supérieure el dans les
vallées de l'Oural, où ils allaient chercher le sel, les pelleteries, l'argent
« d'oulre-Karaa » [zakamskdie serebro). Même lorsque les Moscovites se
furent emparés des rivières et des portages qu'avaient suivis les marchands
novgorodiens, c'est en faisant l'énorme détour par Velikiy Oust-Youget le
cours de la Vîtchegda qu'ils allaient rejoindre le bassin de la haule Kama ;
jusqu'au règne de Pierre le Grand, les affaires de la Permie furent confiées
à la « chambre novgorodicnne » installée à Moscou, elles expéditions mili-
taires se faisaient soit par la vallée de la Vîtchegda, soit même par celle
de la Pelchora : la basse Kama roulait ses flots à travers un monde occupé
par les Tchouvaches et les Bachkirs. La russification des Iribus de ces con-
trées ne commença qu'après la prise de Kazan, dans la deuxième moitié
du seizième siècle; mais encore de nos jours l'élément russe est beaucoup
plus fortement représenté dans le bassin de la Kama supérieure. Les peu-
plades finno-larlares sont ainsi entourées d'un cercle de Russes, qui se
compléta au dix-huitième siècle, lorsque les Slaves se furent emparés aussi
des steppes du sud-est, arrêtant de cette manière l'immigration des steppes
qui fortifiait l'élément lartare. Du reste, les échanges de croyances et de
mœurs entre les Russes et les allogènes ont été fort nombreux, et mainte
coutume des Slaves orientaux ne peut s'expliquer que par l'exemple de
leurs voisins mahométans et bouddhistes'.
Les Mordvcs [Mordva), appelés fréquemment Mordvines, sont peut-être
même l'une des anciennes peuplades historiques de la Russie, s'il faut
y voir les AoYzes de Ptolémée, les alliés de Milhridale : ce nom est
encore celui d'une de leurs principales tribus (Erza). Sous leur appel-
lation actuelle, ils sont mentionnés jiar les auteurs byzantins comme un
peuple nombreux, et souvent ils triomphèrent des Russes, même en
* Zai)plm, Histoire de la vie russe (en russe).
» Le Ikcucil de Pirm', I (en riisso) ; — Mdzej, MnlciiaK.r pour la statistique el la géogrcphie de
la Russie, (jouvernemenl de Pcrin (en russe) ; — VoclicvsUi; , La cuhnisatinii russe dans le lori-
C!l, Veslnik Vcvrojii, ISUti, I.
rOPlLATIONS ORIENTALES. MORDVES. 759
batflille rangée : soumis en partie dès le quartorzième siècle, mais fré-
quemment attaqués depuis par les Nogaïs et par les Kalmouks comme sujets
des Moscovites, ils ne sont complètement assujettis que depuis trois cents
années. Ils occupent encore, non en masses cohérentes, mais en archipels
et en îlots, tout le bassin moyen de la Volga, des pentes de l'Oural aux
sources de l'Oka ; on juge d'après les noms géographiques de ce territoire
qu'ils devaient le posséder en entier, mais dans quelques-uns des gouver-
nements ils ne forment plus que le vingtième ou même le centième de
la population : ils ne composent un des éléments importants du peuple
des campagnes que dans le voisinage de la Volga, surtout dans les pro-
vinces de Simbirsk, de Penza, de Samara et de Nijniy-Novgorod. Kôppen
ne comptait que 400 000 Mordves', mais on peut bien évaluer l'ensemble
de cette population finnoise à 800 000 individus, à un million même
d'après Maïnov% surtout en tenant compte de ceux, fort nombreux, qui
par la langue, la religion, les mœurs, ont été comjilètement tartarisés.
Ainsi ceux qu'on appelle du nom turc delvarataï sont devenus des Tartares,
en tout semblables aux autres. Parmi les Finnois orientaux de la Russie,
les Mordves s'avancent le plus vers l'ouest, où ils se mêlent aux Russes:
aussi sont-ils en maints endroits presque complètement russifiés. A peu
d'exceptions près, ils sont devenus « orthodoxes » : autrefois le gouverne-
ment les distribuait en servage aux propriétaires qui s'engageaient à en faire
des clirétiens. La grande masse de la nation se laissa baptiser au temps de
l'impératrice Elisabeth, qui fit donner à chaque néophyte un rouble et
trois images saintes, et, si l'on en croyait les Mordves eux-mêmes, l'immu-
nité des impôts ci du service militaire. Depuis le commencement du siècle,
un grand nombre ont cessé de parler leur langue ; il en est même qui ne
se distinguent aucunement par le coslnnie et l'on confoiidi-ait facilement le«
hommes avec des moujiks russes; mais les femmes gardent mieux le type
originaire. Les Mordves de l'ouest ou Mokclia, excellents agriculteurs, se
perdent de plus en plus dans la nationalité slave, comme se sont perdus
les Mériens de Vladimir et de Moscou ; ceux qui ont le mieux conservé leur
type sont les Erza de Penza et de Simbirsk. Dans les villages mixtes, les
enfants ru^'^e-^ parlent monive avec leurs compagnons finnois, mais en
' Mordves de Fiussie, d'.ipiés Seiiionov (ouvrage (Mit-)
Simbirsk 12 imiir 100, 110 000
Pen/a 10 ,i I'2:>0ll0
Samara 9 ., I iO (100
.Nijniy-X'ovgorod- . . !» . 1 10 000
Saralov « pour 100, 01 000
Omilioiii- . . . . 5 " 100 000
Taiiihiiv 2.5 " .iOOOO
Kazaii 1 II LjOOO
* .S/oiio. 1870, II" VI. Les lù-.a (iOO.OOO. Maïnov, Résultais fies rerlicrches anlhropologiquci
chez les Mortha-Eiza, 1883.
740 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
grandissant ils s'accoulument peu à peu à parler la langue maternelle, qui
est en même temps celle de la civilisation'. La mortalité est fort grande
sur les enfants des Mordves, mais est-elle plus considérable que dans les
familles russes de leur entourage ?
Les Mordves ont en général les cheveux noirs on foncés; les yeux sont
bleus, pelits et bridés obliquement par la paupière; ils ont la peau
blanche, la taille moyenne, les membres forts, mais les attaches Unes.
Leur menton est assez peu fourni, et Ton peut reconnaître à preoiière
\ue par l'épaisseur et la longueur de la barbe jusqu'à quel point les indi-
gènes ont été déjà russifiés par les croisements. Ouant au costume, il varie
singulièrement suivant les districts ; un grand nombre d'entre eux sont
encore, pour ainsi dire, dans l'âge du bronze, si l'on en juge par les
ornements de ce métal qu'ils portent de chaque côté de la figure et sur la
poitrine. Les femmes se couvrent la tète, les oreilles, le cou, les bras, de
toutes sortes de parures, comprenant des queues de lièvre et des dents
d'ours, mais où dominent les monnaies en cuivre. Des bandeaux, des cein-
tures, des plastrons ainsi ornés de médailles et de boutons de bronze, se
retrouvent chez les paysans des districts occidentaux d'Orol, sur la fron-
tière de Tchernigov, à GOO kilomètres du pays des Mordves : on croit y voir
un indice de la communauté de race.
Le baptême n'empêche pas les Mordves d'avoir gardé l'ancienne mytho-
logie, en l'adaptant de leur mieux à ce que leur ont enseigné les popes.
Leur dieu par excellence, Pas, ou « le dieu des dieux », qui est en même
temps le soleil, a pour fils biitchi, dont le culte se confond pour eux avec
celui de Jésus-Christ, et une mère Ozak, dans laquelle ils voient la Vierge
Marie : au-dessous viennent les autres dieux, la « terre mère », saint Ni-
colas et tous les saints spéciaux qui président aux travaux des champs,
soignent les récoltes et les animaux domestiques. « Les Mordves savent
mieux prier que nous, disent les Russes; leurs dieux exaucent mieux les
prières. » C'est que les paysans mordves travaillent les champs et traitent
le bétail avec plus de soin que leurs voisins slaves*. Quand saint Nicolas
a fait son devoir en donnant une bonne récolle, les Moi'dves le récom-
pensent en oignant sa bouche d(; beurre ou de crème; mais quand ils sont
mécontents de lui, ils l'enferment dans la grange ou le tournent contre la
muraille'',
' Lipinskiy, Matihiaur pour la (jéographie cl la statistique de la Russie. Gouvernement de
Si-^lnrsk (en russe).
* Ma'inov, hv'estirja roussit, geoijr. obchtchestva, 1878, n° 1.
' Liiilnskiy, nuvmgc cite; — Mainov, Drevn'aya i Kovaija liossiija, 1878, n" 10.
WOKDVES, TCIIERÉMISSES. 741
Il n'est peut-être pas de peuple sur la terre qui symbolise d'une manière
plus dramatique sa foi dans la persistance de la vie au delà du tombeau et
en même temps sa frayeur des maléfices du trépassé. Chez les Mokcha, le
mort, dont le cadavre repose sur le sol, à l'endroit où se creusera sa fosse,
est censé visiter sa maison pendant quarante jours : il y entre toujours à la
même heure et se lave près de la fenêtre dans un vase que l'on entretient
empli d'eau pure. Au quarantième jour, la famille se dirige vers le tom-
beau : « Reste encore avec nous ! Viens manger le repas que nous l'avons
préparé. Ensuite tu pourras te reposer. » Et le mort vient en effet; du
moins celui de ses amis qui lui ressemble le plus et qui a pris ses vête-
ments, son air dévisage, le son de sa voix. Il entre dans sa maison : « Ne
nous mange pas ! s'écrie-t-on , mais accepte ce que nous t'offrons. »
Il reçoit le pain et le sel et boit avec les assistants le sang d'un mouton
fraîchement égorgé. Le soir seulement il retourne au cimetière, accompagné
de ses parents qui portent des cierges allumés; il remplit encore sa bouche
de sang, prononce des pari)les sacramentelles de bénédiction sur les ani-
maux domestiques et se couche sur le tombeau. Il est recouvert d'un lin-
ceul blanc que l'on retire aussitôt : le mystère s'est accompli , l'àmc du
mort a été saisie dans un morceau de pâte, et le mort peut désormais en-
trer dans le « rucher de la terre-mère » , l'un des trois « ruchers » dans les-
quels l'univers est divisé'. L'idéal des Mordves est le monde des abeilles,
où tout se fait par règle et par mesure.
Les Tchérémisses, que l'on évalue diversement de 200 000 à 260 000,
ne sont guère connus que par cette appellation insultante, d'origine tar-
tare, qui signifie les « Méchants » ou les « Vauriens », peut-être les
« Guerriers ». Eux-mêmes se donnent le nom de Mori ou Mari, c'est-à-dire
« Hommes » : peut-être était-ce aussi le sens du nom des anciens Mères
ou Mériens de Souzdalic'. Autrefois les Tchérémisses occupaient la plus
grande partie du territoire qui s'étend dos deux côtés de la Volga et de la
Kama, entre le confluent de la Soura et celui de la Vatka, et faisaient pro-
bablement partie de la grande nation bulgare". Mais au treizième siècle
déjà les Novgorodiens fondaient un comptoir fortifié dans leur pays, et ce
commencement de colonisation fut le point de départ de guerres conti-
nuelles entre les aborigènes et les envahisseurs de race diverse, d'un côté
les Slaves, de l'autre les Tarlares. Les Tchérémisses ne furent pas toujours
vaincus dans cette lutte séculaire, et même au milieu du dix-septième
' Mainov, ouvrage elle.
- Castrèn, Die atlaifclien ViilLcr.
' Caslrùn, même ouvrage.
742 NOUVELLE GÉOURAPIIIE L'NIVERSELLE.
siècle ils réussiront à interrompre toute communication entre iS'ijniy-
Novgorod et Kazan'. Maintenant les Tchérémisses, divisés par les colons
russes en îles de population distincte après avoir été définitivement sub-
jugués à la fin du dix-septième siècle, n'ont plus de cohésion ethnique, si
ce n'est sur la rive gauche de la Volga, en aval de la Yetl'ouga, jusqu'aux
environs de Kazaiï. Les Tchérémisses des « Prairies » ont pu conserver les
anciennes mœurs plus facilement que leurs compatriotes de la rive opposée,
les Tchérémisses des « Monts », ainsi nommés parce que leur pays est
limite par la haute berge de la Volga. Ceux-ci, de tous les côtés entourés de
Russes, ont presque partout perdu leur individualité nationale et se con-
fondent de plus en plus avec la race des nouveaux maîtres : ils sont en
général de figure avenante, lionnèles, assidus au travail. Les femmes
résistent plus longtemps que les hommes au changement ; mais quand la
lévolution s'accomplit, elle est soudaine : du costume traditionnel, elles
passent sans transition au costume des femmes russes'.
Chez les Tcliérémisses des Prairies, le type finnois se distingue encore
assez nettement de celui des Russes : ils sont phis Lruns de peau, plus
hâlés de teint; leur nez est retroussé ou aplati, leurs pommettes sont très
saillantes, leurs yeux étroits et bridés; leur barbe est rare. En général, les
femmes, déjà fort laides au jugement de leurs voisins russes, sont encore,
comme les Suomi de la Finlande, enlaidies par des maladies d'yeux cau-
sées par la fumée des cabanes. Les Tchérémisses sont de mauvais agricul-
teurs : appartenant à l'âge de transition entre l'état nomade et l'état
sédentaire, ils préfèrent gagner leur vie i)ar la chasse, la pèche, l'élève des
animaux ; du reste, leur civilisation originale s'est perdue : désormais
ils n'apprennent ])lus rien que par l'inlermédiaire des Russes. Autrefois,
des marques faites sur des bâtons, sorte de runes grossières, leur ser-
vaient d'écriture ; ils assurent en outre avoir possédé des livres écrits « qui
furent dévorés par la grande vache "(?) ». Mais ils ont conservé quelques-
unes de leurs industries, pour le tissage, la teinture et l'ornementation
des étoffes, et portent toujours leur costume, l'omarquable surtout par les
plaques de cuivre et d'argent et les franges de cuir : les femmes ont le
haut bonnet pointu orné de verroteries et se terminant en arrière par une
sorte de caniail, que raidissent des ]iaremonts de cuir et de métal; elles
jiortent aussi sur la poitrine nu piaslion, simple ou douhle, d(! monnaies,
de grelots et do disques do cuivre, à la l'ois ornements et amulettes : a Un
' Les Peuples de la Jliissie, Mordves cl Tcliénmisses (en russe).
- .Mackcrizie \V;illace, Rititsia.
' l'aiis, Traduction de la Chronique de Nestor.
TCHÉRÉMISSES. 745
numismate, dit M. Rambaud, ferait de merveilleuses découvertes dans ces
mcdailliers ambulants. »
Les mariages sont encore des enlèvements chez les Tchérémisses, et non
pas de simples simulacres de rapt; les parents ignorent presque toujours
ce qui se prépare, et souvent même la jeune fille n'a pas été avertie par
le jeune homme de l'enlèvement projeté. Aussi le mariage n'est-il d'abord
fêté que dans la famille du mari ; les arrangements pour la dot et les
fêtes communes aux deux familles ne se font que des semaines après la
fuite. D'ailleurs, il est rare qu'on ne s'arrange pas; M. Kouznetzov ne
connaît dans le gouvernement de Vatka qu'un seul cas où le père tchéré-
misse, indigné de l'enlèvement de sa fille, ait protesté devant le juge '.
Chez les Tchérémisses païens, le divorce est facilement prononcé, après une
cérémonie fort simple. Les deux époux qui ne se conviennent plus sont
amenés devant les anciens de la commune; on les lie dos contre dos au
moyen d'une forte corde, l'ancien prend un couteau, tranche le nœud con-
jugal, et les deux époux s'enfuient chacun de son côté.
Les Tchérémisses, persuadés que les morts passent à une vie meilleure,
ne pleurent pas ceux qu'ils ont perdus. En enfermant le mort dans sa
tombe, ils lui mettent un bâton dans la main pour chasser les serpents, et
de l'argent pour payer la terre a mère » ; en outre, ils laissent du tabac
au mort et prennent soin de faire une petite ouverture à la bière afin
que le trépassé puisse de temps en temps jelcr un regard sur le monde
qu'il a quitté. Quarante jours après, on vient lui faire une visite, et tous
dansent autour du tombeau'. D'ailleurs, n'est-ce pas dans les mêmes
régions que les Veliko-Husses, aussi païens que les Tchérémisses, ont l'Iia-
bilude de pétrir en l'honneur de leurs morts de petits gâteaux en forme
d'échelles, image symbolique des degrés que l'âme doit gravir pour s'éle-
ver dans le ciel? Autrefois on jetait dans le tombeau du mort de vérita-
bles échelles et des griffes d'animaux, afin de faciliter ainsi le travail
ardu de l'escalade. Jusqu'à présent, quelques sectes de ra^kolniks ont
l'usage de laisser des ouvertures dans les tombeaux pour y déposer les
offrandes de nourriture faites aux morts : les écuelles creusées dans les
pierres tombales de la Scandinavie et de l'Inde avaient j)robablement la
même destination".
La religion des Tchérémisses est fort curieuse, car le fond originaire de
leurs croyances, c'est-à-dire l'ancien chamaiiismc finnois, a subi la double
' Kniiïnetzov, Essai sur la vie des Tclicrémisses, Drevnaja i .Novaya IWssija, 1877, n» C.
' M((zcl, Le Gouvernement de Perm'.
' Mainov, Slovu, 1879, ii» 10.
V oj
746 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
influence du christianisme russe et du mahoraétisme tartare; pour eux, les
« soixante-dix-sept religions des soixante-dix-sept peuples » sont également
bonnes'. Ils se disent « orthodoxes », et à bon droit, puisqu'ils célèbrent les
fêtes du calendrier par des libations, qu'ils vénèrent saint Nicolas et les
autres saints sous les noms de Youma ou de « dieu », qu'ils offrent même
des sacrifices à Notre-Dame de Kazan'; mais si les Tartares étaient les do-
minateurs de la contrée, les Tchérémisses pourraient aussi bien se dire
musulmans, puisque Mahomet est un prophète pour eux : même des
villages entiers de Tchérémisses se sont convertis au mahomélisme, sans
crainte des lois qui condamnent les relaps à huit ou dix ans de travaux for-
cés. Toutefois les anciennes divinités se maintiennent, le grand Youma,
le dieu du Ciel, et ceux des vents, des fleuves, de la glace, du bétail
et des arbres même. Dans le gouvernement de Koslroma, près du village
d'Adochnour, se trouvait un bouleau que les Tchérémisses venaient adorer
en foule encore dans l'année 1843. Quand le vent brisait une des branches
de la cime et la transportait sur un champ voisin, le maître était tenu d'en
laisser le produit aux oiseaux de l'air'. Les Tchérémisses, surtout ceux du
gouvernement de Perrii qui n'ont pas encore été baptisés, vénèrent aussi le
feu et lui demandent d'apporter leurs prières à Dieu : ainsi les cérémonies
des premiers Aryas se retrouvent chez eux. La divinité qui tient la plus
grande place dans leurs prières est celle dont ils ont peur, Keromet, l'au-
teur de tout le mal qui leur arrive : c'est à lui que sont destinées les bêtes
de choix lors des sacrifices, car il faut conjurer son courroux en lui don-
nant amplement de quoi satisfaire sa faim, sa soif, et en lui fournissant
des montures pour ses voyages. Lors des sacrifices solennels, les kartes ou
prêtres héréditaires, immolent parfois 80 chevaux, 50 vaches, 100 autres
tètes de gros bétail, 150 moutons, 500 canards*. On sacrifie aussi des
chevaux blancs sur les tombes des hommes riches ou respectés à cause
de leurs vertus^. Le lieu choisi pour la cérémonie est quelque bois de
tilleuls ou de bouleaux éloigné des bourgades slaves : en cet endroit sacré,
nul fidèle ne peut se présenter dans le costume russe, et nulle parole de la
langue des maîtres ne doit être prononcée. Les femmes ne pénètrent point
dans l'enccinle, mais elles cherchent à voir de loin les rites du sacrifice
entre les troncs pressés des arbres, au milieu de la foule qui s'agite. Une
' •L.iptev, Gouvernement de Kazan'.
- Mackenzie Wallai'c, Itussia ; — Kouzuolzov, ouvnij,'e cité.
"• Maximnv, Dievn'aija i ÎS'ovaija Rossti/a, I87G, n" 6
■* Les Peuples (le ta Russie (pulilicatiou Dusoug i D'elo).
' Nicolas Touigciiev, La Russie et les Russes.
TCllÉRÉMISSES, TCHOUVACUES. 747
des fêtes les plus curieuses des Tchérémisses est celle de Sorok Yol ou de
« la Jambe de Brebis », qui correspond à la Noël, et qui est aussi une fête
religieuse et sociale : cérémonie solennelle au commencement, elle se ter-
mine par une parodie. Assis à une table bien servie, le karle personnifie
à la fois le peuple des fidèles et Dieu qui lui répond. Il demande santé,
bonbeur, abondance de bière, de blé, d'abeilles, de bétail et d'argent, et
bonne cbance pour vendre les denrées à trois fois leur valeur; puis, en
qualité de dieu, il exauce toutes les prières, « Je donne! je donne! »
s'écrie-t-il. Ensuite on tourne en ridicule les agents russes, popes, juges,
officiers recruteurs '.
Les Tcbouvaches, dont le nom signifie, dit-on, « Gens des Eaux », sont
assez nombreux dans le gouvernement de Kazan pour y former presque le
quart de la population, et en outre ils sont parsemés par petits groupes
dans les provinces voisines de Simbirsk, de Samara, de Saratov, d'Oren-
bourg et de Perni : on évalue diversement ces indigènes d'un demi-million
à sept cent raille. Ce sont peut-être les Bourtasses des géographes arabes,
que divers savants pensent avoir été des Mordves, et qui furent refoulés
au nord par l'invasion tartaro-mongole du treizième siècle. Leur appa-
rence, une petite partie de leur vocabulaire, évaluée à un millier de mots,
et diverses particularités de leurs coutumes les font classer parmi les Fin-
nois ; mais par la langue un grand nombre d'entre eus sont devenus Tarta-
res, et ceux-ci leur donnent dans les chants le nom de « Frères* »; néan-
moins ils ont encore leur idiome, et depuis 1850 le gouvernement russe,
qui suit à l'égard des populations « allogènes « orientales une politique
toute différente de celle qu'il pratique à l'égard de ses sujets occidentaux,
permet l'enseignement de la langue tchouvache dans les écoles du pays ;
même avant cette époque, on avait imprimé pour eux toute une littérature
religieuse. Très mélangés à la suite des conquêtes qui se sont succédé dans
la contrée, ils ont recueilli probablement parmi eux les restes des Bulgares
vaincus par les Tartarcs au treizième siècle. Bons agriculteurs, ils soignent
mieux leurs champs que leurs voisins de toute race. La plupart des Tcbou-
vaches s'habillent à la russe et, à l'exception de quelques ceutaincs, sont
baptisés chrétiens depuis plus de cent cinquante ans; mais, de même que
les Tchérémisses, ils ont aussi des pratiques mahométanes et païennes :
ils abhorrent la viande de porc, et récemment encore ils offraient à leur
dieu Tora des sacrifices, non de clievaux vivants, mais de simples effigies
' KouïiicUov, ouvrage cité.
« J. G. Kohi, Die Vôlker Euiopa's.
748
NÛUVELLK GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
en argile de cet animal : l'ancien paganisme s'est fait tout petit pour se
maintenir. Les Tchouvachcs, de taille moindre que les Tartares, et pour
la plupart misérables, affamés, fuient, pour ainsi dire, devant le Russe;
ils vivent au milieu des forêts, dans les hameaux les plus écartés. Leurs
chants sont doux et tristes comme ceux d'un peuple qui se meurt. Naguère
celui qui voulait se venger d'un ennemi allait se pendre à sa porte' afln
d'attirer sur lui ce qu'ils appellent le « malheur sec », c'est-à-dire la visite
des juges d'instruction russes. On dit aussi que les Tchouvachcs trompent
N» 163. POPULATIOSS DIVEn.«ES DE L.* VOLGA MOÏENSE ET DE LA KA1I4.
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les Russes, non par avidité, mais pour faire tort aux ennemis héréditaires'.
De toutes les races non slaves qui peuplent les deux bords de la Volga
moyenne, les Tartares sont ceux qui ont le mieux maintenu leur existence.
Ils ne craignent point d'habiter les villes à côté des Russes, et dans plu-
sieurs villages ils forment avec eux une communauté pacifique, ayari. le
même staroste, discutant dans le même conseil, quoique' s4p?.roS «l'eux par
la barrière infranchis!-abl(! des pratiques religieuses. Si les deux cultes du
Christ et de Mahomet n'étaient pas inégalement traités par l'Etat russe, il
est à présumer que les populations finnoises de la contrée se convertiraient
pour la plupart an mahométisme, comme l'ont déjà fail les Tchouvaches :
A'.iVod llaiiihiiml; — Laplov, Gouvenicmcnl ilr Kazan' (en nisso").
iLapIcv, même ouvrage.
TCHOUVàCUES, TARTARES. 749
il est arrivé que des villages de Tartarcs, considérés comme chrétiens
depuis les conversions faites de force au dix-huitième siècle, ont déserté
les églises en masse ou refusé de recevoir les prêtres : grâce à leur instruc-
tion religieuse, au moins égale à celle des missionnaires orthodoxes, ils
résistent avec opiniâtreté à la propagande chrétienne'. D'ailleurs, les
Tartares ne cherchent point à faire de prosélytes : ils se tiennent seule-
ment sur la défensive, et tous leurs enfants fréquentent les écoles, où ils
étudient les préceptes du Koran. Jusqu'à une époque récente, ces médressés,
toutes placées à côté de la mosquée, avaient un caractère presque exclusi-
vement religieux : les enfants, quoique parlant le turc impur de leur race,
n'apprenaient à lire et à réciter que l'arabe plus ou moins classique de
leurs prières et de leurs manuels; c'est en 187'2 seulement que M. Radlov
a introduit dans les écoles de Kazan des livres élémentaires rédigés par
lui dans la langue tartare de la contrée'.
Les Tartares « de Kazaii », venus au commencement du treizième siècle
avec les princes mongols, mais très peu mélangés avec les tribus de leurs
chefs, à en juger par la pureté de leur type, descendent des Kiptchaks de la
Horde d'Or. Depuis l'époque de leur arrivée dans le pays, ils ont certaine-
ment augmenté en nombre : ils étaient plus d'un million en 1870; on en
compte maintenant au moins douze cent mille, dont près de la moitié dans
le gouvernement de Kazan". Ils ont recueilli parmi eux une forte part
des anciens Bulgares et se donnent à eux-mêmes souvent le nom de
Boul'garlîks. Différents des Tartarcs d'Astrakhan, de ceux de la Crimée et
de la Lilhuanie, qui appartiennent à d'autres branches de la race turque,
ils sont en général de taille moyenne, larges d'épaules, robustes de corps;
leur figure est d'un bel ovale; ils ont le nez droit et fin, les yeux noirs,
vifs et perçants, les pommettes un peu saillantes, la barbe rare, le cou
gros et court; ils se rasent toujours la tête, ce qui fait paraître leurs
oreilles droites plus longues qu'elles ne le sont en réalité. Les femmes
ont l'habitude de se farder, mais elles adoptent de plus en plus les modes
russes. Celles des familles pauvres sortent librement, la ligure à demi
• Compte rendu du procureur général du Sainl-Synodc pour l'année 1875.
■ L. Léger, Études slaves.
"- Tartarcs « de Kazan o en 1S70 : 1050 000.
Gouvcmenicnl de Kazan 450 000 I riouvernomcnl de Penza 55 000
» Oiifa 101 000 j ■• Nijniy-Novgorod. . 54 000
„ Samiia 100000 « Perrii 24 000
n Vatka 94 000 » Orenbourg . ... 20000
;> Saralov 55 000 | » Tambov 19 000
Autres gouverncnieiils 10 000
750 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
découverte, et les épouses des riches vont aussi quelquefois au théâtre,
assistent aux fêtes publiques. La polygamie existe toujours, le mariage
n'a pas cessé d'être un achat, et dans les contrats, auxquels n'assistent
même pas les fiancés, le chiffre du kalim payé pour la fille ne manque
pas d'être mentionné. Toutefois le nombre des Tartares polygames dirai-
nue peu à peu : si les religions restent distinctes, les mœurs se rap-
prochent. Par leurs occupations, les Tartares s'assimilent de plus en
plus aux Russes, quoiqu'ils se distinguent d'eux en traitant mieux leurs
femmes, que l'on ne voit jamais occupées aux durs travaux des champs'.
Plusieurs Tartares possèdent à Kazai'i des fabriques importantes ; d'autres
sont artisans, garçons d'hôtel et de restaurant ; un bien plus grand nombre
encore s'occupent de négoce ou du transport des marchandises. Certains
commerces d'exportation, par exemple ceux du blé, du sel, des cuirs, des
salaisons, ont été monopolisés par eux; en qualité de drogmans, ils ser-
vent d'intermédiaires naturels entre les industriels russes et les acheteurs
mahométans qui viennent à Kazari et à Nijniy-Novgorod de la Boukharie,
de Khiva, de la Perse'.
Les populations ne sont pas moins variées dans le bassin de la Kama
que sur les bords de la moyenne Volga. Dans le seul gouvernement de
Vatka, que limite à l'ouest la rivière de ce nom, on compte une dizaine
de nationalités diverses, sans les marchands juifs, les Tsiganes et les
colons polonais et allemands. Il est vrai que l'élément grand-russicn
l'emporte de beaucoup sur tous les autres ; mais cette supériorité, il la
doit certainement en partie à la « slavisation » des indigènes, qui devien-
nent 8 Russes » par le fait même de leur culture graduelle.
Les Z^fanes ou les « Repoussés » (?), nation prépondérante des hauts
bassins de la Petchora et de la Vitchegda, sont aussi représentés par des
groupes nombreux sur les bords de la haute Kama et de ses affluents ;
mais ce sont leurs frères de race, les Permiens, qui constituent dans ces
contrées le fond de la population indigène. Permiens et Ziranes, parlant à
peu près le même dialecte et présentant la même apparence, sont les uns
et les autres descendants des anciens Biarmicns qui commerçaient avec
les Normands par la mer Blanche. Ils se donnent également le nom de
Komi-Mort, c'est-à-dire « Peuple de la Kama' », et forment avec les Votaks
un groupe distinct parmi les nations finnoises. Leur nom de Permiens
aurait, dit-on, la signification de « Montagnards » et se rattacherait au nom
' ■Laplev, ouvrage cité.
' L. Léger, ouvrage cité.
' Castrèn, Die altaischcn Vûlker.
TAUTARES, PERMIENS. 751
de Parma, appliqué, sur tout le versant du nord, aux plateaux et aux monts
boisés. Les évaluations relatives à leur nombre varient d'autant plus qu'ils
sont presque entièrement slavisés et qu'il est très difficile d'établir une
ligne de démarcation précise entre un Permien et un Russe ; d'ailleurs, on
peut se faire une idée de l'ignorance dans laquelle on est encore à l'égard
des uns et des autres par ce fait, que le conseil général {zemstvo) de Soli-
kamsk a récemment découvert dans la contrée im district dont les habitants
étaient restés absolument ignorés de l'Etat et n'avaient jamais été les sujets
de personne '. D'après Rittich, les indigènes finnois appartenant à la race
biarmienne, à en juger du moins par leur langue usuelle, auraient été d'un
peu plus de 66 000 en 1875, sur les deux versants de l'Oural; leur nom-
bre s'était probablement augmenté de plusieurs milliers depuis le milieu
du siècle. Leur vocabulaire est très pauvre, et pour des idées rapprochées
ils sont obligés de se servir d'une même expression. Aussi ont-ils emprunté
beaucoup de mots au russe, mais en les transformant, car plusieurs
lettres manquent à leur langage. D'ailleurs, presque tous parlent, quoique
imparfaitement, le russe : par l'idiome aussi bien que par les mœurs, les
habitudes, le genre de vie, les pratiques agricoles, ils se rapprochent de
plus en plus des colons grands-russiens. Quant à leur religion, elle est
officiellement la même que celle des Russes depuis le quinzième siècle ;
ils observent même les jeûnes rigoureusement et récitent aussi la prière
dominicale : ils ont complètement abandonné le culte de la « A'ieillc
d'Or », divinité probablement semblable à celle que, d'après Herberstein,
les Yogoules adoraient jadis sur les bords de l'Ob ; mais ils partagent
toutes les superstitions des Russes sur les esprits et les revenants : ils crai-
gnent surtout les malices des diables domestiques, les envoûtements, le
mauvais œil, les incantations, les phrases sacrées qu'apporte le vent, les
mottes de terre maudites laissées sur leur chemin*. Le culle du poêle, aussi
naturel dans les froides régions du Nord que l'est celui du soleil dans les
contrées du Midi, s'est maintenu chez les Permiens : la douce chaleur qui
s'en échappe et qui entretient la vie des habitants pendant le long hiver,
est restée pour eux, comme elle le fut jadis pour toutes les populations de
la contrée, l'une des principales divinités. Après avoir embrassé ses parents,
le Permien qu'a frappé la conscription et qui j)arl pour l'armée, s'incline
profondément devant h; poêle. Lors des fêtes commémoralives, les Permiens
apportent aux tombeaux des mets fumants, parce que les morts, disent-ils,
' Russisclie Zemslwo und BaHhche SelbsIvcnvaUung.
* Ladov, Russie d'Europe physique cl clhnngraphique (en russe).
752 NOUVELLE GEOGR-VPIIIE UNIVERSELLE.
aiment à se nourrir dos vapeurs du festin ; ils leur versent aussi de la bière
par les crevasses du sol, en les encourageant à boire comme autrefois.
Naguère, dit-on, les Russes de la contrée pratiquaient le même usage'.
Avant l'émancipation, presque tous les Permiens étaient serfs des Strogonov
et d'autres grands seigneurs d'origine marcbande ; un petit nombre seule-
ment appartenaient à la couronne. C'est peut-être à leur ancienne con-
dition de servitude qu'il faut attribuer l'extrême dérèglement de leurs
mœurs.
Beaucoup plus nombreux que les Permiens sont leurs parents de race,
les Votes ou Yotaks, vivant surtout dans le bassin de la rivière Valka,
qui leur doit probablement son nom ; Florinskiy les évaluait à plus de
250 000 en 1874. Ils ne paraissent point avoir diminué depuis l'époque où
les premiers colons russes arrivèrent dans la contrée ; mais, d'après leurs
traditions, ils ont été déplacés vers le nord. Cultivateurs babiles et infati-
gables, ils utilisent les bas-fonds des rivières fertiles et bien abritées, élèvent
des bestiaux, entretiennent des rucbes d'abeilles : ce sont eux en grande
partie qui valent à la province de Yatka le nom de « gouvernement des pay-
sans ». Ils ont été moins slavisés que les Permiens, quoique plus voisins des
grandes villes de la Volga, ce qui tient peut-être à leur cohésion ethnique
supérieure et au voisinage des Tartares : la polygamie n'est pas défendue
chez eux. Chrétiens de nom comme les Tchérémisses, avec lesquels s'en-
tremêlent plusieurs de leurs groupes, ils s'adonnent comme eux à diverses
pratiques du chamanisme et cherchent de la même manière à conjurer la
mauvaise influence de Keremet. En traversant un cours d'eau, ils jettent
toujours une touffe d'herbe dans le courant, en s'écriant : « Ne me liens
pas! » C'est un modeste sacrifice fait au méchant dieu'. Le savant finlan-
dais Âhlqvist a donné en 18oG une grammaire de la langue votak, très
rapprochée de celle des Zii-anes.
Parmi les autres peuplades du bassin de la Kama, il en est plusieurs
qui sont diversement classées par les auteurs, soit avec les Finnois, soit
avec les Turcs, et qui certainement appartiennent aux deux races à la fois,
à la suite des mélanges causés par les émigrations en masse, par les con-
quêtes et les conversions. Ainsi les Mechtchères ou Mechlcherak habi-
taient autrefois le bassin de l'Oka, principalement dans les régions qui
sont devenues de nos jours les gouvernements de llazan, de Tambov, de
Nij ni y-Novgorod. Jusqu'à présent une partie des Mordves Finnois conser-
• Mozol, Le gouverncmcnl de Pcnn'.
* 'Lapluv, ouvrage cilù.
VOTAKS, MECUTCUERES, TEPTARS. 753
vent le nom de Meclitchères '. Vaincus et dispersés par les Moscovites, une
partie d'entre eux passèrent la Volga et se réfugièrent à l'est, sur les bords
de la Kama et de la Be-l'aya , et dans les vallées de l'Oural . Ceux qui res-
tèrent dans la Moscovie, environnés de Russes, se slavisèrent peu à peu,
perdant leur religion, leur idiome, leurs mœurs. De nos jours, les
Mechtcbères du gouvernement de Penza, désignés de ce nom par les Tar-
tares, mais appelés Tchouvaches par les Russes, et Tartarcs par les Tchou-
vaches, sont en réalité devenus russes : ils n'en diffèrent que par la tradi-
tion d'origine et par la difficulté qu'ils auraient à prononcer la lettre tch,
remplacée chez eux par le t: ; on veut aussi reconnaître sur leurs visages le
type des tribus d'autres nations finnoises non encore russifiées. Les
Mechtcbères établis chez les Bachkir sont maintenant eux-mêmes des
Bachkir par la langue, la religion, le type physique : avec eux ils ont
combattu contre les Russes, avec eux ils ont été vaincus et sont devenus
des sujets comme les autres, passibles du service militaire. Comme les
Votaks, ils sont d'excellents agriculteurs et leurs familles s'accroissent.
D'après Ritlich, ces Mechtcbères tartarisés étaient au nombre de plus de
158 OUO en 1875. Quant aux Vogoules, ils ont été presque tous refoulés
sur le versant asiatique de l'Oural.
Les 128 000 Teptar du versant russe de l'Oural sont aussi les descen-
dants de fugitifs qui vivaient sur les bords de la Volga moyenne et qui ont
dû chercher un asile à l'est parmi les Bachkir, auxquels ils commen-
cèrent par payer le loyer du sol occupé, jusqu'au jour où, pour prix de
l'aide donnée aux Russes contre leurs hôtes, ils reçurent leur part de la
contrée en toute propriété' ; leur nom aurait le sens de « colons », de
« nouveaux venus ». Les Teptar, tous de sang mélangé ', sont aussi des
musulmans, qu'il faut compter aujourd'hui au nombre des peuples de
race tartarisée, avec la race dominante des Bachkir.
Ceux-ci, que l'on croit d'origine ougrienne, comme les Magyars, et qui
furent aussi mêlés à des tribus finnoises, n'en sont pas moins Turcs par
la langue, la religion et les mœurs : ils parlent un idiome assez rap-
proché de celui des Tartarcs de Kazan et se disent 'descendus des ^'ogaïs*,
auxquels ils ressemblent par quelques traits physiques. Cependant les
Kirghiz leur donnent h; nom d'Ostak et les considèrent comme des frères
de ces peuplades sibériennes, mêhis avec des Tartarcs. Les Bachkir des
' Maïnov, Drevn'aya i Novaija Rossiija, 1870, n» 10.
' Kœppcn, Beilràge zur Kenntniss des Rnssisclien Reiches, vnn v. B.ior und v. llcliticrscn, vol. XIII.
' Ujfalvy, Leilie à M. Maïnov, Uiissischo Fioviio, 1X77, n. 11.
* A. Caslrèn, FJhnologisclie Vorlesungen, Die allaischen VBtkcr.
754 KOUVELLE GÉOGRAPHIE UiMVERSELLE.
montagnes, probablement les plus purs de race, ont la tête petite, mais
relativement fort large ; il en est de grands et de forts aux traits régu-
liers, offrant une ressemblance remarquable avec les Szekely de Tran-
sylvanie'. Pendant la guerre de Hongrie, en 18-49, les Cosaques de l'Oural,
voyant les Magyars, leur donnèrent spontanément le nom de Bachkirs, et
ne cessèrent de les désigner sous cette appellation pendant toute la cam-
pagne*. La plupart ont le visage aplati, le nez un peu retroussé, les yeux
petits, la barbe rare, la physionomie bonne et douce. Ils sont en effet
pleins de bienveillance, de cordialité, de bonne humeur et reçoivent les
étrangers avec une large hospitalité dont on a souvent abusé. Lents au
travail, ils ont sur les Russes le grand mérite de l'exactitude. Comme les
Tartares, ils doivent acheter leurs femmes, mais le paiement du kaîîm
peut se faire par annuités, et souvent le mari emmène sa propriété vivante
quand il a payé la moitié du douaire. Pendant un an il est interdit
à la nouvelle mariée de parler à son beau-père et à sa belle-mère : on
retrouve ainsi non loin du cercle polaire des usages que l'on croirait em-
pruntés à quelque tribu de l'Afrique méridionale.
Les Bachkir se trouvent maintenant dans la période de transition entre
l'état pastoral et l'état agricole. La plupart des raines et des usines
métallurgiques des gouvernements de Perrà et d'Orenbourg se trouvent sur
des terres ayant appartenu jadis aux Bachkir et cédées par eux à des
prix dérisoires : c'est ainsi que tout le territoire minier de Kichlîm, d'une
étendue de lOiOOO hectares, fut vendu en 1756 pour la somme de 150
roubles. C'est en vain que les Bachkir se révoltèrent huit fois pendant le
dix-seplièmo siècle, quatre fois au dix-huitième; c'est en vain qu'ils bt-ù-
lèrent les villages russes, arrachèrent même les morts russes des cimetières,
afin qu'il n'y eût plus un Moscovite chez eux'. Après chaque révolte, les
Russes revinrent plus nombreux, bâtissant des villes, exploitant des mines,
s'emparant du sol. Maintenant les Bachkir n'ont plus en leur possession
qu'un tiers de leurs anciennes terres, et dans quelques districts le gouver-
nement à dû leur en donner de nouvelles, avec défense de s'en dessaisir'. Le
rétrécissement graduel de leur territoire de pâturage les a obligés d'avoir
recours à la culture du sol, d'abord comme propriétaires donnant leurs
terres à bail à des laboureurs russes, puis çà et là comme travailleurs,
mettant à la charrue leurs mains habituées jusqu'alors à ne manier que la
' Ujfalvy, lettre citée.
« Dragi : isnov, Hôtes manuscrites.
' Ignaljcï, Congres archéologique de Kazan', Revue scientifique, 17 mai 1879.
* Vasiitcliikov, La propriété foncière et l'agriculture, II (en russe)
CACIIKIR. 755
liouletts'. Mais en beaucoup de districts les anciennes mœurs se maintien-
nent, et même les Bachkir laboureurs sont encore partiellement chasseurs
et pasteurs nomades ; ils possèdent une race de chiens lévriers parfaitement
dressés pour la course et, comme les Islandais, se servent du faucon pour
auxiliaire de chasse. Ils ont des troupeaux de moutons, de bêles à cornes
et surtout de chevaux, qui leur servent à la fois de montures, de bêtes de
trait et de somme, leur donnent la viande, le lait, et les peaux dont ils font
des vêtements, des tentes, des couvertures, des courroies, des vases. Fort
habiles à manier le cheval, les Bachkir aimaient à parader en un long
manteau orné d'une crinière flottante. Autrefois il n'était pas rare de voir
des Bachkir comptant leur fortune par centaines ou même par 'milliers de
chevaux ; un homme à son aise possédait au moins trente coursiers; mais
le peuple est fort appauvri maintenant, et pendant l'hiver de 1865 à 1866
la mortalité s'éleva en certains districts à 26 et même à 44 pour cent de
la population"; on vit alors des mères vendre leurs enfants. L'élève des
abeilles est l'une des occupations favorites des Bachkir, et même on a cher-
ché à traduire leur nom — Bach-Kurt — par celui de « Conducteurs
d'Abeilles » : il est vrai qu'on peut aussi lui attribuer le sens de « Têtes de
Loup ». De même que les Cosaques, les Bachkir et les Mechtchères étaient
astreints avant 1863 au service militaire et chaque famille devait fournir
son homme : en style militaire, ils portaient le nom de Cosaques d'Oren-
bourg. Des Bachkir étaient parmi ces Cosaques dont les chevaux s'abreuvè-
rent dans la Seine en 1814 et en 1815. L'ensemble de la nation, qui habite
presque exclusivement sur les pentes occidentales et au sud des monts
Oural, était évalué par Bitlich à près de 750 000 individus en 1875. En
comprenant avec eux Teptar et Mechtchères, ils sont plus d'un million'.
En aval de Nijniy, le principal affluent de la Volga est la Soura, qui,
dans son cours sinueux, traverse du sud au nord le pays des Mordves et
des Tchouvaclies. Penza, chef-lieu du gouvernement de son nom, a été
' Florinskiy, La Bachkiric el les Bachkir , Vcsdiik Yevrnpî, 1874, n" 12.
- Florinskiy, ouvnigc cité.
' Allogènes des bassins de la Kama el de la moyenne Volga classes par religions :
Yoiak Baptises 213 678 Non baptisés 37 555
Periniens » 68 763 n —
Mordves » 687 088 « 1563
Tchouvachcs » 552 045 » 14 028
Tchérémissos . » 20! 585 » 67 048
Tarlari's de Kazan, Mechtchères, Tcpiar. « 122 538 i> 070 OSO
Bachkir » 827 » 990 818
756 NOUVELLE GEOGnAPIlIE UNIVERSELLE.
fondée au commencement du dix-septième siècle pour réduire les popu-
lations finnoises ; mais sa bonne position stratégique, au confluent de la
Penza et de la Soura navigable, était en même temps excellente au point de
\ue commercial, et Penza a rapidement grandi; elle possède une école
d'agriculture. Saransk et Potchinki, situées à l'ouest de la Soura, sur des
affluents latéraux, n'étaient, il y a deux cents ans, que des campements de
Mordva; mais Aîatîr, au confluent de l'Alatir et de la Soura, fut déjà bâtie
en 155-2 pour contenir les Tarlares de Kazan.
La région qui s'étend au nord de la Yolga, entre les rivières de l'Ounja
et de la Kama, est connue sous le nom de « Pays des Forêts », et des bois
en couvrent en effet la plus grande partie. Les paysans de plusieurs villages
vivent dans ces halliers pendant l'biver, occupés à la coupe des bois et à la
préparation de l'écorce de tilleul, qui sert à fabriquer des nattes, des paniers
et ces chaussures, appelées lapti, que portent tous les paysans de la Grande
Russie ; le bois de tilleul est employé surtout à la fabrication des cuillers et
à celle des chaises dites « tchérémisses ». Un des marchés principaux de
celte industrie et en même temps le siège d'autres manufactures, est le gros
bourg de Lîskovo, situé sur la rive droite de la Volga, presque en face du
couvent de Saint-Macaire et du confluent du Kerjcnetz. Aux bords de cette
rivière s'élevaient jadis de nombreux skits ou couvents,, non moins célèbres
chez les sectaires popovtzî que l'étaient les skits du Vig pour les bezpo-
povlzî. Malgré les persécutions et les incursions armées, toute la région
est restée un centre des vieux croyants ; quelques endroits sont toujours
sacrés pour les raskolniks de la contrée. Le lieu saint par excellence dans
la région des forêts est le lac Svelloïe ou Svetl'oyar, le « Brillant »,
bassin d'environ 2 kilomètres de tour qui se trouve à l'ouest de Yoskre-
senskoïe, sur la ^etl'ouga. D'après la croyance populaire, les eaux de
ce lac recouvrent une ville, le « Grand Kilej », que Dieu fit disparaître
lors de l'invasion des Tartares pour la soustraire au pillage : mais les
habitants continuent de vivre dans les profondeurs. Les hommes pleins
de foi peuvent en voir les maisons et les clochers sous les eaux du lac,
et la conviction des orthodoxes est que les Tchérémisses continuent d'y
trafiquer. Le lac est un lieu de pèlerinage très fréquenté : pendant la nuit
du 2'2 au 25 juillet, la foule des raskolniks, priant sur le rivage et tenant
des cierges dans leurs mains, puis, cheminant en procession, entourent
le lac « Brillant » d'un cercle de lumière qui se reflète dans le flot mobile'.
D'ailleuis, c'est dans cette région, plus que dans toute autre contrée de la
' Meiiiikdv, Dans les forêts, voL IV; — Gatzisbky, Dicv'iimja i i\'uvuija Rossiija, 1877, ii° .\l;
— AL Oelbullz, I^vks maiiusciites.
KAZAN. 757
Russie centrale, que se sont maintenues les anciennes coutumes. Lors des
épizooties, les femmes du village sortent nues le soir et courent autour des
maisons comme les antiques bacchantes; si elles rencontrent quelqu'un,
elles le poursuivent à grands cris en l'appelant la « Mort » et le battent
jusqu'à ce qu'il tombe sous les coups. Celte cérémonie, qui rappelle dans
l'Occident la légende anglaise de lady Godiva, est connue sous le nom
d'opakhiraivje' ; elle existe aussi dans le gouvernement de Kal'ouga. Dans
les forêts du nord de la Volga, les filles des villages font chaque année les
mêmes courses magiques autour des champs, pour les préserver des
insectes et de la sécheresse'.
Sous un climat plus doux et dans une contrée plus populeuse, la position
de Kozmodemiansk ou de « Cosme et Damien », sur un méandre de la
Volga et en aval du confluent des deux abondantes rivières Soura et
Vetlouga, serait certainement occupée par une ville considérable ; mais
c'est à plus de 200 kilomètres en aval, à l'angle nord-oriental de tout le
territoire moscovite limité par le cours de la Volga, que s'est élevée la
grande cité de la contrée, Kazan, l'ancienne capitale du royaume des Tar-
tares. Elle succéda comme important marché entre l'Europe et l'Asie à la
ville de Bol'gar, encore mieux située, puisqu'elle se trouve en aval du
confluent de la Volga et de la Kama. Mais dans ces régions encore presque
désertes, deux cités puissantes ne sauraient, comme en Belgique ou comme
en Angleterre, grandir à côté l'une de l'autre ; Kazaiî hérita de Bolgar et
c'est au pied de son kreml que viennent converger, sinon les eaux, du
moins les routes commerciales de la Volga et de la Kama.
Kazaii est mentionnée pour la première fois dans les annales russes
en 1576. Déplacée au quinzième siècle, — car une « Vieille Kazaù » (en tar-
tare Iski Kazan') existe encore à une cin(juanlaine de kilomètres en amont,
sur la Kazanka, — Kazan n'est au bortl du grand fleuve russe que lors
des crues : alors la Volga s'étend dans la i)laine, jusqu'à la base de la
petite colline qui porte Kazaii ; mais d'ordinaire la rive gauche de la Volga
est à plus de 5300 mètres de la ville. Rongeant incessamment sa rive
droite, le fleuve ne cesse de se déplacer vers le sud-ouest. La ville n'a
pu rester en communication avec son port que grâce à la rivière Kazanka,
qui s'est allongée graduellement à mesure que s'éloignait le courant de
la Volga. Un faubourg, de plus en plus éloigné de Kazaii, clicniiiie à la
suite de la rive fuyante; un nouveau port sera creusé au pied de la
colline. Mais la ville elle-même ne peut se déplacer : sa principale rue
' Yukouclikin, le Droit coultimier, 1 (en russe); — Pierre Kropotkio, Noies manuscriles.
' Melnikov, ouvrage ciln, vol. III.
758 iN'OUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
lon^c le faîte de collines dont ses maisons occupent les pentes, groupées
autour du kremî. Cette citadelle était en bois à l'époque tartare, et
il ne reste ])lus que deux tours de l'enceinte en pierre que fit élever
Ivan IV; les autres furent détruites en 1774 pendant roccupation de
Kazan par le faux tzar Pougatchov. D'ailleurs presque toutes les construc-
tions sont modernes. Un seul des édifices de Kazaii date peut-être d'une
époque antérieure à la conquête russe : c'est la tour de Soumbek, monu-
ment en briques rouges formé de quatre étages en gradins; mais par son
architecture la tour paraît être postérieure à la chute des khans, en 1552.
Les Tartares musulmans, qui constituent un cinquième de la population
urbaine, ont une grande vénération pour cette tour, dans laquelle serait
enseveli un de leurs saints, lançant une source d'eau vive par son crâne
enlr'ouvert'. Les quartiers du centre ne sont habités que par des Russes,
les Tartares en ayant été expulsés, à la fin du sixième siècle, par un
oukaze, qui ordonnait en même temps de brûler leurs mosquées.
Kazan est une ville universitaire". Sa haute école, fondée en 1804, pos-
sède biblinthèque, observatoire, laboratoire, musée, où l'on remarque
surtout la collection des poissons de la Volga et qui sert de centre à une
société de naturalistes. Depuis 1802, il existe à Kazan une imprimerie
tartare qui publie un grand nombre de livres, et depuis 1867 la « con-
frérie de Saial-Gouriy », fondée pour la conversion des populations allo-
gènes de la Russie orientale, publie des manuels et des livres religieux
dans les divers idiomes turcs, finnois, ougriens. L'académie ecclésiastique
de Kazaii, qui date de 1846, a reçu la bibliothèque du couvent Sol'ovki, avec
des documents uniques pour l'histoire des sectes russes. Kazaii est aussi
fort importante comme ville de commerce : située au croisement des
grandes voies de la Sibérie, de la Caspienne, de la Baltique, elle clierche
à expédier les marchandises dans ces trois directions, sans l'intermé-
diaire de Nijniy-Novgorod. Environ la moitié des habitants de Kazaii vivent
de l'industrie et du trafic. Outre les inévitables distilleries d'alcool, la ville
possède des moulins à blé, des tanneries et des maroquineries qui prépa-
rent les meilleurs cuirs, des manufactures de toiles, des fabriques de suif,
de bougies, d'albumine''. Le revenu total de Kazaii jmur la production et la
distribution est évalué par Solovyov à 232 millions de francs.
' AlfroJ lîamli.iud, Revue litliraire et scientifique, 19 avril 1879.
- Université de Kazan au 1" janvier 1SS2 : Professeurs, 87; étudiants, 760. Bibliothèque :
87 000 volumes, 12 000 brochures, 800 nianusrrits. Budget : 3ô3 000 roubles.
' Grande industrie de Kazan en 1879 : plus de 100 fabriques; valeur de la production totale :
20 500 000 francs. Dans le gouvernemenl de Kazan : 290 fabriques, 8500 ouvriers ; production,
environ 17 500 000 francs.
KAZAN, BOtGAR. 701
Il ne reste plus qu'un pauvre village sur l'emplacement de ce qui fut
Bo'tgar ou Bol'garî, l'ancienne capitale des Bulgares de la Volga, jadis le-
centre du commerce entre l'Europe et l'Asie. Les ruines que fit Tamerlaa
en 1591 s'étendent au sud du village sur un espace considérable : on y
reconnaît les remparts et les fossés de l'enceinte, les restes d'une cita-
delle, des tours de mosquées, des assises de palais, le tout de style arabe :
c'est du dixième au quatorzième siècle, mais surtout au douzième et au
treizième, que s'élevèrent les édifices de Bol'gar. Il y a cent ans, Pallas en
vit encore plus d'une centaine ; il n'en reste guère que la dixième partie.
Dans les débris les paysans recueillent fréquemment des poteries, des
monnaies, des bijoux ; quelques pèlerins mendiants, errant au milieu
des décombres, vont s'agenouiller sur les tombes de leurs saints, peut-
être leurs aïeux. A l'époque de sa prospérité, Bol'gar était située au bord
de la Volga, qui coule maintenant à plus de six kilomètres à l'ouest. Le
fleuve a délaissé sa rive gauche à Bol'gar aussi bien qu'à Kazari. D'après
la tradition, la Kama se serait également déplacée vers l'ouest et l'on
montre encore un endroit appelé vieille Kama, à près de W kilomètres à
l'est de cette rivière ; le confluent des doux cours d'eau s'est reporté vers
l'amont". Il n'est pas impossible que Bol'gar ait été bâti jadis à la jonction
des fleuves^
Dans les espaces neigeux du bassin de la Kama, disputés pourtant plus
d'une fois au prix de sang humain, les villes, les gros villages, tous an-
ciennes forteresses, comptoirs d'échanges ou stations de mines, sont à des
centaines de kilomètres de distance les uns des autres. Tchcrdîii, la pre-
mière en date de ces colonies, la « Grande Penh » des chroniqueurs, occupe
une position nécessaire, sur un haut affluent de la Kama, à l'endroit où
s'arrête la navigation et où commencent les portages vers la Potehora,
surmontés naguère par un canal trop peu profond pour être d'aucune
utilité pratique et détruit depuis. Néanmoins Tcherdin continue à expédier
' Chpilevskiy, Anciennes tilles du gouvernement de Kazan (en russe) ; — Matlzov, Ancien lil
de la Kama; — Alfred Ramliaud, Revue scientifique, 5 mai 1870.
' Villes du bassin de la Volga moyenne, cnlre les bouches do l'Oka et de la Kama, ayant plus de
.ïOOO habitants :
OOIVERNEMEM DE MJMÏ-NOVGCROD.
Potehinki (1880) 8 000 hab.
GOUVERSEMEXT DE PENZA.
Penïa(1883) 42130 hab.
Saransk « 1Ô800 «
GOl'VEnNEMEM DE SDiniUSK.
Alatii- (1880). 13 000 hab.
GOUVERNEMENT DE KA7.AN.
Kazai'i (1885) 1 10 7-23 liab.
762 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
des céréales sur Arkhangelsk, dont on voit quelquefois les magasins emplis
de blé jusqu'au comble, tandis que la famine fait ses ravages dans le bassin
de la haule Kama. Solikamsk, située sur la Kama, en aval des grands affluents
du nord, est devenue fort importante à cause de ses salines, moins productives
toutefois que les sources salées de ses voisines Dedoukhin, Lenva, Novoïe-
Ousolye : les bateaux à vapeur de la Kama peuvent remonter jusque-là'.
Periii, bàlie à une faible distance en aval du confluent de la Kama et de
la Tchousovaya navigable, n'était qu'un hameau en 1721, lorsqu'on y fonda
une usine à cuivre. Grâce à son heureuse position commerciale, Perrii
s'est rapidement agrandie : elle a non seulement sa voie fluviale, la Kama,
et même la Tchousovaya, navigable pendant sept ou dix jours par an pour
les grosses barques chargées de minerai, mais elle se trouve aussi sur le
chemin de la Sibérie, en face de la brèche facile des monts Oural, de tout
temps choisi comme lieu de passage entre l'Europe et l'Asie. Perrii est le
point de départ du chemin de fer transouralien qui, depuis l'année 1879,
traverse une partie de la région minière de l'Oural, du bassin de la Volga
à celui de l'Ob : eu prévision du prolongement de la voie ferrée à l'est de
Nijniy-Novgorod, des expéditeurs se sont déjà installés à Periii. Quoique la
partie occidentale du gouvernement soit beaucoup moins riche en gise-
ments miniers que les districts orientaux, sur le versant asiatique de
l'Oural, cependant le chef-lieu prend aussi une part notable aux travaux
métallurgiques; à 2 kilomètres en amont, dans le bourg de Motovi-
linskiy, on a établi en 1863 une fonderie de canons : la grosse enclume de
l'arsenal, coulée d'un seul jet, ne pèse pas moins de 660 tonnes. Depuis
un siècle on exploite dans les environs des mines de cuivre dont les pro-
duits sont envoyés à la monnaie de Yekaterinbonrg (Ekalerinenburg) ; mais
par un contraste bizarre, provenant de l'enfance industrielle de la Russie,
on n'utilise pas encore des couches de houille de 12 mètres de puissance
qui se trouvent dans le bassin de la haute Kama, tandis que les charbons
anglais importés pour l'arsenal de Pcriii reviennent à 125 francs la tonne.
Au sud-est, sur un affluent de la Tchousovaya, Koungour, ancienne ville
forte bàlie contre les Bachkii', a pris aussi une certaine importance manu-
facturière pour la région des mines : elle expédie aux mineurs de l'est des
souliers, dos bottes et d'autres objets en cuir, des inslruments en fer, des
' l'roduction dos salines de Solikamsk en 1878 21. "10 tonnes.
Il 11 de Dedoukhin n 31 080 i)
» » Novoïe-Ousuijc » 08 "210 i)
» Il Lenva » .iriOiO »
» » Bereznaki » 24 920 »
SOLIKAMSK, PERM, SARAPOUL.
765
serrures et divers articles de quincaillerie. Sarapoul, l'une des principales
villes des bords de la Kama, rivalise d'activité avec Koungour pour la
fabrication des souliers, et dans son district elle a de puissantes usines
où se construisent des bateaux, des machines et se travaillent les armes.
iGi. — rAS?Ar,r« df i. '
60" Est de Greenw.ch
1 : r. 500 DOO
La manufacture d'armes d'ljo\sk, appartenant à la couronne, cmidoic
toujours des milliers d'ouvriers. Une {.^rande parlic du p:ns de l'cnii
était autrefois le domaine des Novgorodiens Slrogonov. En lôâS, un trai-
tant de cette famille reçut d'Ivan IV tout droit sur les « lieux déserts,
les forêts noires, les rivières et les lacs sauvages qui ne donnaient au-
cun revenu au trésor du tzar ». Au dix-septième siècle, les Slrogonov
764 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
possédaient un domaine grand comme la Bohême et 120 000 paysans :
des Grands Russiens, des « Lithuaniens », des Tartares occupaient leurs
postes, mais la plupart de leurs paysans descendaient de colons nov-
gorodiens '.
La rivière « Blanche » ou Beîaya, qui rejoint la Kama au sud de Sara-
pouî, est le prmcipal affluent du fleuve et traverse presque tout le vaste
gouvernement d'Oufa, encore plus riche en mines que les autres régions
ouralieunes du versant occidental. Zl'atooust ou Chrysostôme (Zoloto-
Oust), à 470 mètres d'altitude, dans la vallée la plus riante des monts
Oural', qu'arrose l'Aï, un affluent de l'Oufa, possède aussi une grande
manufacture d'armes blanches et de fusils de luxe et de combat, diverses
usines métallurgiques, et dans les environs do riches mines de fer et d'or :
des mineurs et des ouvriers de Solingen et de Klingenthal y ont fait souche
d'une nombreuse colonie germanique. Oufa, située au confluent de la
rivière de son nom et de la Belaya, jadis village de Bachkir, est mainte-
nant une ville prospère, grâce à son commerce avec les districts miniers
des deux versants, notamment avec sa voisine Bl'agovechtchensk, près de
mines d'où l'on extrait chaque année environ 25 000 tonnes de minerai
de cuivre. Oufa, chef-lieu d'un gouvernement qui renferme plus de maho-
métans que de chrétiens, est le siège du principal mufti des musnhiians
russes. Au sud d'Oufa, Sterlitamak, sur un affluent de la haute Belaya, a
pris de l'importance comme dépôt de sel et de minerais. Enfin, une autre
ville du gouvernement d'Oufa, Menzelinsk, située sur un petit affluent mé-
ridional de la Kama, est, comme lieu de foire, un petit Nijniy-Novgorod.
Dès 186i, on y apportait annuellement des marchandises pour une valeur
d'environ 20 millions de francs.
Vatka, chef-lieu d'un gouvernement, est une des plus antiques cités
du bassin de la Kama dont l'existence soit mentionnée par les annales.
En 1181, elle était fondée par des colons novgorodiens sur un coteau
qui domine le confluent de la Yatka et de la Khl'înovilza, et ses maisons,
bâties pour la défense, sont encore groupées de manière à former par
leurs façades extérieures une enceinte contimie. D'abord désignée du nom
de Khlînov, de l'une des deux rivières, elle reçut ensuite l'appellation de
l'autre cours d'eau ; mais les Tartares n'ont pas cessé de voir en elle
Noougrad ou la « Ville des Novgorodiens ». Elle garda jieudant jtrès de
trois siècles sa liberté républicaine. Au point de vue industriel et conimer-
' Mozel, MatcTiau.r pour la (jéographic et la slalistitptc de la Russie, GouvcnieineiU de Peim'. !;
— Karnovilcl), Richesses remaïquahlcs de la Russie
* Von llclmcrsen, Reise nach dem Vrai und der Kirgisen-Steppe.
ZLATOOUST, VATKA, YEtABOUGA.
765
eial, elle est complélée par sa voisine orientale, Sl'obodskoï, qui possède
des distilleries, des tanneries, et prépare des pelisses et des gants fourrés,
expédiés par centaines de mille à la foire de ISijniy et au port d'Arkhan-
gelsk. Le principal marché de céréales du gouvernement est Yelabouga,
ville bàlie sur un petit tributaire latéral de la Kama, non loin de la jonc-
tion de la vallée de la Valka et de celle du Lesnoï Zaï, où se trouve la ville
de Bougoulma. A 5 kilomètres à l'est de Yelabouga, au bord de la Kama,
s'élève une haute tour à coupole, signalant de loin l'emplacement de ce qui
fut une ville des Bulgares, connue aujourd'hui sous le nom de Tchortovo
Gorodichtche ou « Cité du Diable » ; un peu plus haut sur la rivière, le
kourgan d'Anariyina est un de ceux où l'on a trouvé le plus d'objets remar-
quables de l'âge de bronze, notamment une pierre de tombeau sculptée
représentant un personnage vêtu, avec un casque conique et une courte
épée. Tchistopol, sur la basse Kama, est le port principal de la basse K;ima :
c'est la première étape importante des bateaux à vapeur et des 800 autres
embarcations qui ont à remonter le fleuve et ses affluents, Vatka, Bel'aya,
Tchousovaya'.
VOI.GA INFERIEURE
; n X E M E N T s
HIABA, SABATOV, ASIBAKIIAN
Dans la partie inférieure de son bassin, la Volga ne baigne point les
terres de peuples aussi nombreux que ceux de la Kama. Le sol y est moins
accidenté, et les diverses populations qui l'habitent y occupent de plus
vastes espaces. Ils ne se confondent pas, comme dans le nord, en un chaos
de nationalités slaves, (innoises, tarlares, aux origines entremêlées.
Des Tchouvaches, des Mordva, des Tartares, tels sont les seuls habitants
non slaves au sud de Kazan et de Tchistopol, jusqu'au confluent du Grand
' Villes et groupes d'usines ayant plus de 5000
CÛLVERNEMEM DE l'ERM.
Pcriii (I87H1 32 500 liab.
Solikamsk ...... ItiSiO «
Koungour « ...... Il 000 )i
COrvERNEMENT Il'olKA.
Oufa (1881) 2:.J00 liai.
Zlaloousi » 18 500 »
Sterlilainak « 8 200 »
Birsk , 6 050 »
Menzclinsk t G 000 »
habitants dans le bassin de la Kama :
GOUVERNEMEKT DE VATKA.
Valka (1885) 21000 liab.
Ijoïsk, usine (1879) 21500 »
Sai-apoul (1885) 11 S50 »
Yctabouga n 9 550 i)
Stobodskoï " y 1 75 »
GOlVEllNEMENT Iir. K\/\N.
T(;bistopni(l885) 18 200 liab.
l,aïcber 5 200 »
GOUVERNEMENT DE SA.MAIIA.
Bougoulma (1870) lôODO bab.
766 NOUVELLE GEOGRAPUIE UNIVERSELLE.
Irgiz, dans le gouvernement de Samara ; mais là commencent les colonies
allemandes, qui occupent, sur les deux bords du fleuve, un espace d'en-
viron 20 000 kilomètres carrés. En 1765, Catherine II, désirant opposer un
rempart vivant aux populations nomades de la basse Volga, fit appel aux
colons de l'occident et, parmi les non Slaves, ceux qui répondirent à son
appel étaient presque tous des Allemands et des Suisses ; cependant quel-
ques groupes de Français et des Suédois vinrent aussi, mais ils sont depuis
longtemps perdus dans la foule des immigrants. Les colons reçurent des
vivres, des outils, du bétail, et leurs terres furent déclarées libres d'impôt
pendant dix années ' ; moins richement dotées que les colonies allemandes
de la Nouvelle-Russie, celles des bords de la Volga jouissent cependant
d'une prospérité plus grande, grâce à la communauté des terres, pratiquée
par elle;^, à l'exemple de leurs voisins russes'. Les 102 colonies primitives
ont essaimé, et maintenant les Allemands sont répandus dans toute la
contrée et s'y maintiennent avec une remarquable cohésion, sans avoir
oublié leur langue ; même ils la parlent mieux que leurs ancêtres, grâce
aux écoles qu'ils ont toujours soigneusement entretenues ; mais leur ins-
truction générale est très négligée. Récemment ils ont fondé des écoles
supérieures afin d'assurer à leurs enfants les privilèges accordés à ceux
des militaires qui parlent le russe et qui font preuve d'une certaine instruc-
tion. Les colons allemands des deux provinces de Saratov et de Samara
sont probablement au nombre de plus de trois cent mille, car ils aug-
mentent assez rapidement par le surplus des naissances. Ce sont des
colonies de Petits Russiens qui occupent presque tous les intervalles laissés
entre les campagnes allemandes ; les hommes s'y emploient, comme les
tchoumaks de l'Oukraïnc, à la transportation du sel.
Au sud et à l'est du grand coude de Tzarilzîn, les Russes n'habitent que
le littoral du fleuve : la région des steppes nues, à droite et à gauche de
la Volga, appartient encore aux populations nomades. La nature du ter-
rain, tout à foit impropre au labourage, ne permet pas (pi'il en soit autn'-
ment. Même les employés russes nommés pour la surveillance des indi-
gènes sont obligés de se déplacer avec les villages ambulants. La plus
méridionale de ces nations nomades, celle des Kalraouk (Kal'mîki), appelés
aussi Elot et Oïrad % occupe un espace d'environ 80 000 kilomètres
carrés entre la Volga et la Kouma, dans la dépression saline recouverte
' Legrelle, Le Volga, Noies sur la Russie.
' Klaus, ISos colonies (en russe)
■' Kahnouk, de Kalma, Kaliiiiak. nuniil le sens de « Dcilaissp, lelardataire » d'après Pallas; El«t
signifierait les « Séparés » et le nom d'Oiiad serait synonyme de (( Confédérés ». J. Deuiker, Étude
sur les Kalmouks.
COLONIES DE LA BASSE VOLGA, KALMOUK. 767
autrefois par les eaux de la Caspienne; en outre, ils parcourent des steppes
Aoisines de la rive gauche du Don, et quelques-unes de leurs tribus habitent
dans le voisinage des Kirghiz, à l'est de l'Akhlouba. Ils sont environ cent
cinquante mille sur cet immense territoire de steppes infertiles et de
pâlis : le service militaire et l'émigration dans les villes les ont fait dimi-
nuer quelque peu depuis le milieu du siècle. Toutefois les recensements
pris à diverses époques ne paraissent pas complètement dignes de con-
fiance, les femmes et surtout les petites filles étant fréquemment négligées
sur les listes. Contrairement au résultat signalé chez tous les autres peuples
de l'Europe, les hommes, beaucoup plus nombreux que les femmes chez les
Kalmouk, auraient un excédent d'un quart'. Paiei! phénomène démogra-
phique n'est pas probable, mais il paraît certain qu'il y a réellement un
surplus de Kalmouk appartenant au sexe masculin. Un très petit nombre
atteignent à un âge avancé, et la mortalité est énorme sur les enfants,
surtout dans la région orientale du territoire, où la plupart des indi-
gènes sont aux gages des entrepreneurs de pèche '.
Les Kalmouk, représentants de la race mongole, auxquels se sont
mêlées peut-être quelques tribus d'origine turque, sont des nouveaux
venus en Europe. Les premiers éclaireurs de la nation apparurent pour la
prehiière fois en 1650 à l'occident de rEmba,et c'est en 1(556 seulement
que le gros du peuple émigrant transféra ses cinquante mille tentes sur
les côtes occidentales de la Caspienne. Pendant les premières années de
leur séjour, chaque retour du printemps fut marqué par une incursion
dans la Russie orientale ; les campagnes étaient ravagées, les villages
brûlés, les habitants emmenés en esclavage. Cependant, moins d'une géné-
ration s'était écoulée, que les Kalmouk, tenus en échec par la population
slave, devaient se déclarer les sujets du tzar, sans cesser pourtant d'être en
communication avec leurs frères d'Asie, même avec ceux du Tibet. Toutefois
l'intervention de plus en plus gênante du gouvernement russe rendant
la vie tout à fait intolérable aux fils de la libre steppe, ils résolurent de
retourner dans la patrie de leurs ancêtres, sur les bords du lac Balkacii,
aux pieds de ces monts Allai (pie la tradition leur dépeignait comme
un pays de merveilles, l'resque toute la nation des Kalmouk de la
Russie, évaluée diversement de 120 000 à 500 000 personnes, se mit en
marche pendant l'hiver de 1770 à 1771 pour gagner les steppes de l'Asie,
en passant avec ses troupeaux sur les glaces de la Volga, du Yayik, de
' Kalmoukdu gouv. d' Astrakhan en 1869 : 68329 hommes, 51 267 (?) femmes; toUil, H9 9o6(?)
(En 1860 : 129 522); 25200 dans les steppes du Don; 6000 dans le gouv. de StavropoL
' 11. MelchnikoT, Zapinki Roussk. Gcoijr. Obclilcheslra, 1875, n" 10; — Russischc Revue, 1871.
768
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
l'Emba. L'immense défilé dura des semaines, mais l'arrière-garde n'eut
pas le temps d'échapper : les glaces de la Volga se rompirent, el les Kirghiz
s" 1G5. POPrLATIONS DIVERSES DE LA VOLGA MOYENNE.
d'aprèi: Ritïi'**^
m
□
I : 4 0>>oa<
et les Cosaques, groupés en masse jjour arrêter le passage des émigrants,
jc-ussirenl à couper le convoi sur plusieurs points. Quelques milliers do
KALMOUK. 769
Kalraouk atteignirent, dit-on, les bords du lac désiré, mais presque
tous ceux qui avaient habité les steppes du Don, de la Kouma, du
Manîtch, durent reprendre le chemin des campements abandonnés. A la
suite de cet exode, la main du tzar se flt sentir plus durement que
jamais, et même des milliers de Kalmouk, convertis de gré ou de force,
furent transférés dans la colonie de Stavropol, entre Simbirsk et Samara,
puis enrégimentés parmi les Cosaques de l'Oural. Quant aux autres Kal-
mouk, restés sujets russes malgré eux, le territoire qu'ils occupaient fut
désormais nettement délimité par la Volga, la Caspienne, la Kouma et le
Don. En 1859, on défendit aux paysans russes de s'établir sur les terres
des Kalmouk; mais ensuite des colonies mixtes, fondées dans la steppe,
sont devenues des points fixes et, pour ainsi dire, autant d'ilôts russes au
milieu des populations asiatiques. Plus tard, on commença de procéder au
partage de la steppe, vaste pâtis que pourtant on ne peut diviser que
d'une manière fictive; mais ce partage entre les « âmes » se fit suivant des
proportions très inégales, afin de créer ainsi des intérêts opposés et
d'affaiblir la puissance collective des nomades : tandis que les chefs
élevés à la dignité de nobles par le gouvernement recevaient de 218 à
16i0 hectares, les simples Kalmouk avaient seulement une part de
trente-trois hectares. Sur l'ensemble du territoire de la nation, qui
est de 7 559 000 hectares, le dixième est devenu propriété privée. Les
28 000 Kalmouk qui se trouvent sur le territoire de l'armée du Don sont
obligés de servir avec les Cosaques, mais ils ne forment pas de régi-
ments particuliers : on leur donne surtout dans l'armée l'emploi de sur-
veillants des troupeaux et des chevaux'.
Jusqu'à maintenant les Kalmouk n'ont subi que très faiblement la
puissance d'assimilation des Slaves. Quelques chefs de tribus, élevés à la
dignité de princes héréditaires, ont, il est vrai, bâti des châteaux, les ont
meublés à l'européenne, et font élever leurs enfants par des précepteurs
étrangers, mais c'est à peu près tout. La plupart des Kalmouk ne com-
prennent pas le russe : ils ont gardé leur costume, la houppelande, le
bonnet fourré, la longue tresse de cheveux à la chinoise; toutes les
figures, au nez aplati, aux pommettes hautes et saillantes, aux yeux petits
et bridés, au teint jaunâtre, témoignent de la pureté du sang mongol. Les
Kalmouk sont peu délicats sur le choix de leur nourriture : <c Dans la
steppe, le hanneton même est gibier, » dit un proverbe relatif à leur genre
lie vie. Mais la chair du mouton est leur viande préférée, et le gigot est le
' Kr.isnov, Le territoire de l'armée du Don (en russe) ; Klioroclikliin et Slein, Die Russitc/ien
hntakenhecrc.
C7
770 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
plat rituel lors de la célébration du mariage : l'os de ce premier repas est
conservé dans la tente conjugale comme une chose sacrée. Dans les familles
ivalmoukes, le despotisme est moindre que dans celles des mahométans;
l'usage ordonne même certaines pratiques chevaleresques envers les
dames. Quand il invite une femme à danser, le Kalmouk doit se mettre à
genoux; mais on dit que dans l'intérieur de la tente les devoirs de poli-
tesse conjugale sont fréquemment oubliés. Dans la société politique le
despotisme est complet, mais l'esprit de l'ancienne indépendance survit
dans quelques proverbes : « Le cyprès rompt et ne se courbe pas ; — le
vaillant meurt et ne s'abaisse pas ! ' »
Les Kalmouk sont restés bouddhistes. Çà et là sur leur territoire se
dressent des pagodes, et dans leurs demeures une étagère porte toujours
des « moulins à prières » dont le ronflement continu ressemble à un
murmure humain. Le gouvernement russe a bien pris soin de prévenir
tout écart religieu.v qui ne serait pas compatible avec la fidélité due au
tzar; c'est l'empereur lui-même qui, en confirmant le grand lama, se
trouve être en réalité le vrai représentant de Bouddha sur la terre. Le genre
de vie trace entre les bouddhistes nomades et les chrétiens sédentaires une
ligne de démarcation qui de longlemps ne pourra être franchie. A peine
quelques centaines de Kalmouk se sont établis comme agriculteurs rési-
dants sur des terres de la steppe d'Astrakhan; plus d'un millier de Kal-
mouk vivent d'agriculture dans la steppe du Don-; mais tous les autres
sont pêcheurs ou pasteurs nomades. Errant de pêcherie en pêcherie, de
pâturage en pâturage, les Kalmouk pourraient à peine vivre s'ils n'avaient
pour compagnons leurs animaux domestiques", et surtout les chameaux,
qui portent les enfants et les tentes. Arrivés au lieu du campement, ils
bâtissent leursoi</o»s ou villages temporaires en quelques heures. Les pieux
qui forment le squelette de la tente ou kibitka sont plantés ; les nattes et les
tissus de feutre se tendent à l'intérieur et à l'extérieur, un réseau de cordes
les enveloppe, les animaux sont attachés à leurs piquets, et les femmes ont
bientôt préparé les mets de laitage ou de viande. A trois mille kilomètres
de distance et à deux ou trois siècles d'intervalle, rien ne semble changé
entre la vie des Kalmouk du Balkach et celle des Kalmouk d'Astrakhan.
Les Kirghiz, beaucoup plus nombreux que les Kalmouk, ont encore le
gros de leur nation en Asie : ceux d'entre eux qui vivent en Europe, entre
la Volga et le fleuve Oural, ne forment, pour ainsi dire, que l'extrême
' Ladov, La Russie d'Europe (en russe) ; — Nebolsiii, Les Kalinouks (ca russe).
= Kosleiiko, [Notices historiques cl stalisliqucs sur les Kalmouks.
5 BélaiUn 1880 : 47 000 chevaux, Uj 100 bêles à corues, iJUOÛ chameaus, 170 750 moulons.
KALMOUK. KIRGIllZ. 771
avant-garde des tribus : ils conslitueot une simple division de la « Petite
Horde » ou Kitchik-dyous; on appelle aussi leur peuplade Boukeyevskaya,
d'après le sultan Boukey, qui reçut en 1801 l'autorisation de placer ses
kihitkas dans les plaines sablonneuses de Rîn, laissées désertes par la
fuite des Kalmouk. En 1875, Ritlicb évaluait leur nombre à 162 700 per-
sonnes, tandis qu'Obroutchov en comptait 186 000. Les Kirghiz de la
Russie, de race turque comme les Tartares et les Bachkir, et maliomé-
tans comme eux, ont, grâce à leurs voisins et coreligionnaires, plus de
points de contact que les Kalmouk avec la race dominante, et l'on peut
observer en maints endroits un commencement de « russiflcation » des
nomades. Trop nombreux pour l'espace relativement étroit de pâturages
qu'ils possèdent, et dont les meilleurs se trouvent entre les deux Ouzeiî et
les Rîn~Peski, des milliers de Kirgbiz sont devenus agriculteurs, du moins
pendant une partie de l'année, et labourent les fonds bumidcs des vallées;
d'autres vont travailler chez les Russes comme bergers, comme moisson-
neurs ou laveurs d'or. Éloignés de la tente, ils apprennent le russe,
prennent le mémo costume que leurs maîtres et laissent élever leurs
enfants par eux. D'autre part, les Cosaques de l'Oural s'accoutument
facilement aux mœurs des Kirghiz, avec lesquels ils sont en rapport, et sou-
vent il est difficile de reconnaître à quelle race appartiennent des groupes
de nomades. On rencontre fréquemment des Cosaques vêtus comme des
Kirghiz et parlant le dialecte turc mieux que le russe. D'après Radlov,
l'idiome kirghiz se l'approche lui-même de plus en plus du tartare mêlé
d'arabe qui se parle dans les mosquées et les medressés : les mots du
Coran pénètrent dans la langue et la modifient graduellement.
Des villes populeuses, presque toutes d'origine moderne et dont quel-
ques-unes prendront rang tôt ou tard parmi les plus importantes de l'Eu-
rope, s'élèvent sur les bords de la Volga.
La plus septentrionale, Simbirsk, qui peut-être est la Simbir des annales
tartares, mais qui ne commença comme ville russe qu'au milieu du
seizième siècle, est maintenant chef-lieu de gouvernement. C'est une ville
curieuse qui domine d'un côté la Vclga, de l'autre la Sviyaga, ces deux
cours d'eau parallèles qui coulent en sens inverse sur une longueur d'en-
viron 400 kilomètres : à Simbirsk, la Sviyaga passe à plus de 44 mètres
au-dessus de la Volga, et rien ne serait plus facile que de la précipiter en
cascade dans le fleuve à travers les terrains pliocènes déposés jadis j)ar des
eaux courantes. De la Volga on aperçoit à peine la ville, située à 170 mè-
772
NOUVELLE GÉOGRAPHIE INIVERSELLE.
tros de hauteur sur la crête d'un jilaleau qui s'incline en pente douce vers
l'occident. Le fort de Simbirsk arrêta en 1670 la marche victorieuse
d'Etienne Razin, conduisant les Cosaques du Don et les paysans révoltés :
c'est là que commença sa fuite. Simbirsk est la patrie de Karamzin.
Samara, autre capitale de province, a l'avantage de se trouver à l'extré-
mité de la grande « boucle » de la Volga, c'est-à-dire à un point de con-
vergence naturel des routes, et au confluent d'une rivière importante, celle
N° 16IÎ. — SfMtins
dont elle a pris le nom. L'union de deux cours d'eau, telle est la cause qui
a rassemblé la population sur la rive basse de la Volga, tandis que presque
toutes les autres villes se sont bâties sur la rive droite ou de « la mon-
tagne ». Cependant quelques collines qui s'élèvent en cet endroit sur la
rive gauche ont permis à Samara de prendre un point d'appui au-dessus
du niveau des inondations; la ville, encore composée de maisons de bois,
n'est, pour ainsi dire, qu'à demi construite ; de vastes espaces libres atten-
dent les maisons, de chaque côté de rues poudreuses. C'est à la fin du
seizième siècle que Samara est mentionnée pour la première fois ; mais
pendant le siècle suivant elle eut une grande importance stratégique
Est i" Paris 45
SIMBIRSK. SAMARA, SIZRAN. 773
comme boulevard de la Russie contre les populations nomades des steppes ;
elle était alors ce que devint plus tard la place d'Orembourg ; quelques
restes de l'ancienne forteresse qu'occupèrent successivement Etienne Razin
et Pougatchov, existent encore. Actuellement Samara est surtout une ville
de commerce et l'activité de son port ne cesse de s'accroître, surtout pour
l'expédition des blés, des tabacs, des suifs, des savons et des cuirs'. Le
chemin de fer de Saint-Pétersbourg à Orenbourg, qui se prolongera plus
tard jusqu'au centre de l'Asie,
passe à Samara et remonte >•' i" — "<>'<-'■'-■ «r sizn»;
la vallée du mênae nom par
la ville de Rousoulouk. Une
autre ville, Bogorousl'an, se
trouve dans une vallée laté-
rale, celle du Kinel, tandis
que la ville de Sergiyevsk,
devenue fameuse par les eaux
sulfureuses froides d'un éta-
blissement voisin, est baignée
par le Sok, rivière qui s'unit
à la Volga, à l'angle nord-
oriental de la boucle. Ser-
giyevsk, de même que Sa-
mara et les autres villes de
la contrée, est bien connue
dans le monde médical comme
une des stations où les ma-
lades de la poitrine sont trai- o -^„(,.|
lés, suivant la méthode kal-
mouke, par le koumîs ou lait de jument lermcnlé. Toute la contrée de
Samara est tristement fameuse par la famine de 1875, qui fit périr des
multitudes de paysans, en nombre inconnu.
Sîzraii occupe à l'angle sud-occidental de la bi)ucl(î de la Volga et à la
bouche de la rivière Sizran une position analogue à celle de Samara :
aussi est-elle également devenue un lieu de passage très fréquenté. Un viaduc
de chemin de fer, le plus long de l'Europe continentale (1460 mètres), y
traverse la Volga, ce fleuve puissant sur lequel on a ose jusqu'à maintenant
jeter si peu de constructions ; auparavant c'était à Tveî-, à plus de 20O0 kilo-
Lst deureenwrch A£^''
^V*'^«S>30
Daprès divers documenta
* EipéJilion (lu poil lie Samara en 1879 : û5ô800 louncs. Valeur : 17500000 roubles.
77J KOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
mètres en amont, qu'il fallait chercher le dernier pont fixe du fleuve. Les
sources de naphte et les gisements de cérésine ou « cire minérale » sont
assez communs dans le pays ; aux environs de Sizraiî, à IS kilomètres au
nord-est, les couches découvertes par Voïeïkov sont d'une épaisseur de
80 à 100 mètres et se prolongent sur un espace d'environ 19 kilomètres.
On pense que ces trésors miniers contribueront à faire une ville indus-
trielle de Sîzraiî, jusqu'à maintenant simple marché agricole. De même,
Khvalinsk et Yoisk ou Val'jsk, la première située sur une haute falaise
calcaire de la rive droite, la deuxième à l'issue d'un ravin entre des
collines verdoyantes, n'ont guère l'une et l'autre d'importance que pour
l'expédition des denrées. Vol'jsk est environnée de jardins et de vergers ;
presque en face on voit entrer dans la Volga les eaux du Grand Irgiz,
près duquel commencent les colonies allemandes, et dont le chef-lieu,
Nikol'ayevsk, est renommé pour ses plantations de tabac. La vallée de
rir'HZ fut un lieu de refuge pour les vieux croyants ; ils y fondèrent
quelques-uns de leurs skits les plus fameux, où se réunirent au dix-
huitième siècle les Cosaques de Pougatchov, qui voulaient « renverser de
fond en comble l'État russe ». C'est là que fut sacré le faux tsar. De 1827
à 1857, les skits ont été détruits ou convertis à la « foi unie » par la pres-
sion administrative et les dragonnades.
Saratov, chef-lieu du gouvernement de son nom, est la plus grande cité
de la basse Yolga et sa population actuelle dépasse depuis quelques années
cent mille habitants. A moins qu'elle ne soit l'ancien Sarî-taou ou « Mont
Jaune » des annales tartares, Saratov ne date que de la fin du seizième
siècle, et même elle ne se trouvait pas alors sur l'emplacement qu'elle
occupe de nos jours : elle était située à 11 kilomètres en amont, et sur la
rive gauche de la Volga, au confluent de la petite rivière Saratovka ; son
rôle politique était d'observer les nomades et les « brigands » cosaques,
mais elle-même fut la proie des bandes de Razin, de îVekrasov et enfin de
Pougatchov. Saratov, entourée d'un amphithéâtre de collines, est cepen-
dant l'une des villes les moins pittoresques des bords de la Volga : elle a la
vulgarité de la plupart des villes de commerce et d'industrie. Dès 1865, le
mouvement des bateaux à la sortie s'élevait à 144 000 tonnes; il s'est
accru depuis que Saratov est en communication directe avec Moscou par
un chemin de fer; mais le courant du fleuve s'est déplacé et les bateaux à
vapeur s'arrêtent à quelques kilomètres en aval de Saratov. Cette ville est le
centre des échanges pour les colonies allemandes de la Yolga et possède des
usines de toute espèce. On parle depuis longtemps d'y fonder une univer-
sité. En face, est l'importante sl'oboda malo-russienne, Pokrovskaya.
SÂRATOV, TZARITZIN.
ANCIKN COURS DK LA VOLGA EN AVA
EdeP
Kamîchin, Doubovka, Tzarilzîn se succèdent au sud de Saratov, sur la
haute falaise de la rive droite. Doubovka, qui n'a pas même titre de ville,
fut autrefois le chef-lieu
des Cosaques de la Volga;
mais ceux-ci, ayant pris
part à l'insurrection de
Pougatchov, furent dépor-
tés en 1771 dans les val-
lées du Caucase et rem-
placés à Doubovka par des
colons malo-russes et des
fugitifs de toutes les pro-
vinces. Vers le milieu du
siècle, Doubovka jouissait
d'une grande prospérité
commerciale à cause de la
proximité du Don, car en
cet endroit les deux fleuves
coulent à moins de 60 kilo-
mètres de distance. En
1860, plusieurs centaines
de bateaux débarquaient à
Doubovka environ 100 000
tonnes de marchandises,
pour une valeur de près de
10 millions de francs, et
.sur la route qui mène au
coude du Don, les chars
allaient et venaient inces-
samment. Ce commerce a
presque entièrement cessé
depuis que le chemin de
fer de Volga et Don a son
point de départ à Tzaritzîn. ,
Non loin de cette ville et
précisément à l'endroit où la Volga cesse de longer la falaise des collines
d'Krgcni pour entrer dans la steppe d'Astrakhan, s'est établie en 1765 la co-
lonie allemande (le Sarepla, peuplée de « Frères Moraves », auxquels de très
grands privilèges ont été accordés. Sarepla, entourée de jardins, de vergers,
776 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
de champs bien arrosés, est une véritable oasis au milieu du désert; ses
principales industries sont la préparation de la moutarde et celle du tabac.
A l'est de la Tzaritzîn ou « Ville de la Reine >>, sur la rive orientale de
l'Akhtouba, une ville moderne, Tzarov, rappelle aussi par son nom la domi-
nation de tzars mongols. Quelques relèvements du terrain, des monticules
funéraires, des amas de briques vernissées et de vieilles poteries : ce sont
probablement les restes de Saraï, qui fut la capitale du grand empire des
Mongols et en même temps le siège d'un évêque russe, la ville que ravagea
Tamerlan et que détruisit un voïvode de Moscou en 1480. D'autres, avec
M. Zagoskin, cherchent aussi la ville de Saraï à Selilrennoïe, à 150 kilomè-
tres plus bas, sur l'Akhtouba ; mais il est possible qu'il y ait eu deux Saraï
où résidèrent les khans. De l'est à l'ouest, la ville qui s'élevait près de
Tzarov occupait avec ses faubourgs un espace de plus de 21 kilomètres sur
la rive gauche de l'Akhtouba; tous les villages de la contrée sont construits
en briques prises dans les ruines'. Tzarov est l'un des ports où l'on embar-
que le sel retiré du lac Yel'lon. Un autre port, Yladimirovka, est situé plus
au sud, également sur la rive de l'Akhtouba : cette escale est celle d'où l'on
exporte le sel extrait du lac Baskountchak, plus activement exploité que
celui du lac Yel'ton, à cause de sa plus grande proximité des bords de la
Volga ; une voie ferrée de 56 kilomètres unit le débarcadère au lac. C'est
jusque-là qu'en 1878 se propagea la peste, à l'effroi de toute l'Europe,
après avoir éclaté sur la rive droite de la Volga, au petit port militaire de
Vetîanka. Au milieu de décembre, plusieurs villages furent envahis et
presque dépeuplés par l'épidémie. La mortalité, qui avait été de près de
la moitié au début de la peste, frappa bientôt neuf malades sur dix ; en
(juelques jours, un bourg perdit 520 habitants sur 850".
Astrakhan, le chef-lieu du vaste gouvernement des steppes caspiennes,
la cité commerciale des bouches de la Volga, n'a pas le rang qui semblerait
devoir lui appartenir comme port d'issue d'un bassin trois fois plus grand
•jue la France et peuplé de cinquante millions d'hommes. A certains
égards même, Astrakhan est une cité déchue : elle possédait autrefois le
monopole du commerce russe avec les pays d'outre-Caspienne et [recevait
les marchandises précieuses de la Perse et des Indes ; mais de nos jours
les routes de terre, d'un côté par Orenbourg, de l'autre par Tiflis, sont
[)réféiéos j)ar les commentants à la voie mai'itimc : les barres périlleuses
de la Vol^M sont de plus en plus évitées par le commerce inlerna-
liunal, (!t l()is(|iit! le clirniin di' l'cr d'Oreuliourg aux villes ilu Turkestan
' Lopiitin, Congres (le Kaznn ; — Alfred R;imb;md, Rente sciciiHliiiHe, 5 mai 1879.
' D'Dopimor; — Lancct, 10 l'év. 187U; — Progrès médical, 8 fév. 1879.
ASTRAKUAX. 777
sera terminé, nul doute que le mouvement des échanges de l'une à l'autre
rive de la Caspienne par Astrakhan ne soit complètement supprimé, à moins
qu'on ne creuse le canal latéral à la mer proposé par Danil'ov; le port de
la Volga n'est plus même maintenant le principal des rivages cas-
piens : Bakou le dépasse en importance. La navigation si active sur la
Volga moyenne, ta Rîbinsk, à Yaroslavl, à Nijniy et jusqu'à Saratov, di-
minue graduellement en aval de cette ville; au-dessous d'Astrakhan, elle
est inférieure à celle de maint petit port de l'Europe occidentale, dont le
nom n'est connu que des marins du voisinage'. Le mouvement principal
des échanges d'Astrakhan se fait avec la Caucasie par la voie du littoral ;
cette ville est en outre le marché des populations de race diverse. Russes,
Tartares, Kirghiz, Kalmouk. qui peuplent les contrées environnantes,
et dont les représentants, tous dans leur costume particulier, donnent une
physionomie orientale à la cité. La colonie arménienne, fort nombreuse,
puisqu'elle se compose d'environ cinq mille personnes, est en réalité de-
venue russe, de mœurs et de langage. On remarque l'absence presque com-
plète de femmes dans les rues d'Astrakhan. A cet égard, la ville slave est
encore une cité de l'Orient'.
Astrakhan, en effet, est une ville ancienne, car elle occupe, près des
« fourches » du delta, une de ces positions maîtresses où devait néces-
sairement se fonder un entrepôt. Il est vrai que cet entrepôt s'est fréquem-
ment déplacé de quelques kilomètres à la suite des guerres, des incendies,
des changements de cours de la Volga. C'est à la tète du delta que se trou-
vait, pense-t-on, Atel ou Itil, le Balangyar des Russes, une des capitales du
royaume des Khazars, et désignée en effet pendant longtemps par ce nom
de Khazar dans les annales des Géorgiens; c'est aussi là que s'éleva Tzîtra
khaiî, qui dcviiil la ca})itaK' d'un État tarlare conquis par les Moscovites
en 1557. Iladji-Tarkhah précéda, sur la rive droite de la Volga, la ville
d'Astrakhan, bâtie dans une ile du fleuve entre le grand bras et plusieurs
coulées, le Koutoum, la Skarjinka, la Tzai-ovka, la Loukovka. Jadis elle était
bâtie sur « sept collines » ou plutôt sur sept tertres naturels ou bougrî; mais
le sol du rivage s'est peu à peu raffermi et la plupart des maisons se sont
construites au bord de la Volga, dominées par les divers édifices du kremi,
• Commerce extérieur d'Aslrakhari en 1880 :
ExporUlion : 2 •2('(7 000 roubles; 79 navires. Imporlalion : 2 500 000 roubles, 175 navires.
Mouvement du port eu 1882 : 1 2I551G tonnes, avec les petites embarcations :
Commerce avec la l'crse. . . i 15 navires, jaugeant. . . . 17 200 tonnes.
Cabotage 2 H5 i i> . . . . 002400 ?>
' Lcgrellc, Le Yolga, Hotcs sur la Russie.
778 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
cathédrale, palais, monastère, casernes : c'est de l'un d'eux que, lors de
la prise de la ville par Etienne Razin, fut jeté le métropolitain. Les mina-
rets des mosquées, se dressant çà et là non loin des églises, s'entremêlent
aux coupoles et aux bulbes dorés, et les canaux, parsemés d'embarca-
tions, donnent à la ville un aspect plus varié que celui de la plupart des
autres cités russes'.
STEPPES DU >ORD, BASSIM DE l'oCRAL
GOnVERXEMEST d'oREXBOUKG, ARMÉE DE l'oURAL
Les bassins des deux Ouzen, entre la Volga et l'Oural, ont aussi leur
métropole commerciale, Kovo-Ouzensk, entourée de plantations de tabac ;
mais le grand marché de l'orient russe, heureux rival d' Astrakhan, est
situé sur le fleuve Oural, à peu près vers le milieu de son cours et au
confluent de la Sakmara : c'est la ville d'Orenbourg. Elle ne date que de
l'année 1742. En 1755 déjà, les Russes avaient élevé une forteresse de ce
nom au confluent de l'Ora et de l'Oural, afin de surveiller les Kirghiz et
les Rachkir, contenus au nord par la place de Yerkhne-Ouralsk, située vers
les sources de l'Oural ; mais, la fondation de la « Yille de l'Ora » ayant paru
menaçante aux indigènes, la guerre éclata et les Russes crurent bon de
changer l'emplacement d'Orenbourg : laissant le confluent où s'élève de
nos jours la ville d'Orsk, ils réédifièrent la citadelle à 190 kilomètres,
puis à 75 kilomètres plus à l'ouest, tout en lui laissant son nom d'Oren-
bourg, qui pourtant n'avait plus aucun sens. La forteresse, bâtie sur la
haute berge du fleuve, c'est-à-dire sur la rive droite, a perdu son impor-
tance stratégique depuis que la frontière de la Russie a été reportée au
delà du ïurkestan, vers les hautes montagnes du centre de l'Asie;
mais Orenbourg a pris un rùle commercial d'autant plus actif : dès 182G,
" Villes de la basse Volga ayant plus de 5000 habitants :
GOUVERNEMENT DE SARATOT.
Saralov (1881) 108 820 liab.
Vo.|;isk. . 51700 »
Tzaiitzîn « . 20 750 x
Khvalînsk n 10 050 «
Kaiiiîchin u 13 750 »
Doubovka » ....... 15300 »
GOU\KRSE.MENÏ 11' ASTRAKHAN.
Astrakhan (1880) ...... 57700 liab.
.NikohycvskayaslohiHlii (1880). 30 000 »
Krasniylar (issO). ..... S2.")0 »
Tsarev " 8 100 »
GOUVERNEMENT DE SIMBIRSK.
Simbirsk (1880) 50 600 hab.
Sizran » 2-4 500 "
GOUVERNEMENT DE SAMARA.
Samara (1870) ....... 65100 hab
l'okrovskiiya(*lobo(la) (18791 . 20 000 ..
Bougourouslan » " . . 18000 «
«ouzoul'ouk (1879) 10 500 ..
Nikahivevsk » 9900 »
ORENBOURG, OURALSK. 779
plus (le dix mille chameaux venus do Taclikeiit et d'autres villes du Tur-
kestan apportaient à Orenbourg du coton ot d'autres denrées, et rem-
portaient en Asie des produits industriels. C'est à Orenbourg que se
(i'ouve maintenant la tète de ligne de tout le réseau européen; jusqu'à
Lisbonne et à Cadiz se continue la voie ferrée de 7000 kilomètres de lon-
gueur, destinée à se continuer prochainement à l'orient par le « Grand
Central Asiatique » : le tracé de ce chemin n'a pas encore été définitive-
ment fixé à l'est d'Orsk, l'ancienne Orenbourg. Une des grandes richesses
du district d'Orenbourg est le sel : les salines d'Ilotzkaya, Zachtchita, à
72 kilomètres au sud, sur un affluent de l'Oural, fournissent en moyenne
plus de 20 000 tonnes par an : elles pourraient en livrer vingt fois plus,
assez pour la consommation de toute la Russie, car on évalue la puissance
de la couche de sel gemme à plus de 1600 millions de tonnes'. Orenbourg
est le siège de la Société des naturalistes de l'Oural.
La ville d'Ouralsk, située à l'angle brusque formé par le fleuve Oural
à l'endroit où il descend directement vers le midi, est le chef-lieu des
Cosaques de l'Oural, dont le territoire s'étend au loin à l'est du fleuve,
dans les pays asiatiques. Cette ville des confins de l'Asie, considérée
administrativement comme en dehors de l'Europe, quoiqu'elle se trouve
sur la rive droite du fleuve, se distingue des autres provinces de la Russie
proprement dite par les mœurs de ses habitants et les traditions du régime
militaire. Les principales industries des Cosaques du pays sont l'élève des
chevaux et la pèche. En aval d'Ouralsk, ils construisent chaque année en
travers de la rivière Oural un oïdchoug, forte palissade qui empêche les
poissons de la Caspienne de remonter le fleuve plus avant : c'est la limite
entre les eaux libres d'amont où tous peuvent pêcher, Cosaques, Bachkir
ou Kirghiz, et la partie d'aval dont les eaux appartiennent à la nation
cosaque; des postes militaires sont échelonnés de distance en distance le
long du fleuve pour éloigner les braconniers et les enfants dont les cris
pourraient effrayer le poisson. L'ataman désigne les jours et les lieux de
pèche : quand le moment est venu, le fleuve se couvre soudain de Cosaques
armés de harpons et d'autres engins : alors commence la tuerie qui doit
fournir à la nation la subsistance de l'année'.
• Murchison; — Neholsin; — Kôppen, Industrie minière de la Russie (en russe).
- Villes du bassin de l'Oural et des steppes ayant plus de 5000 habitants :
COUVERSEMEST D ORENBOURG.
Orenbourg ( 1885) ."jSOOO bab.
Orsk (1880) 11550 '<
GOUVERNKMKNT DE SA.MARA.
Novo-Ouzensk (1879) 9 700 hab.
TERRITOIRB DBS COSAQl'ES DE l'oL'RAI..
Ouraisk(1880) 20 700 bub.
'780 ^•OUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Les Cosaques de l'Oural sont venus de la Grande Russie par le cours de
la Volg:a. Après la destruction des royaumes tartarcs de Kazan et d'Astra-
khan, la basse Volga était devenue le lieu de rendez-vous d'hommes de
races diverses, quoique Russes en grande majorité, qui s'appelaient « les
liommes libres », et que le gouvernement de Moscou désignait du nom de
« brigands cosaques ». Peu à peu les voïvodes les chassèrent des bords de
la Volga et, tandis que les uns remontaient au nord et s'enfuyaient en
Sibérie par la Kama, les autres, s'embarquant sur la Caspienne, abor-
dèrent dans le delta du Yayik. Ils détruisirent, en 1580, la ville nogaï de
Saraïtchik, l'ancien entrepôt des marchandises génoises expédiées de
Tana dans l'Asie centrale, et fondèrent plus haut sur le Yayik leur ville de
Yayitzk, dont Pallas vit encore les restes en 1769. Sans maîtres étrangers,
ils faisaient pourtant la guerre au nom du tzar de Moscou et souvent ils
combattirent ses ennemis; devanciers des Russes actuels, ils occupèrent
même la ville de Khiva pendant quelques jours'. Au milieu du dix-sep-
tième siècle, le gouvernement de Moscou, désireux de contenir les turbu-
lents Cosaques, fit bâtir près de la principale bouche du Yayik la ville
d'Oust Yayitzk, qui prit bientôt après le nom de Gouryev, d'après le mar-
chand auquel les pêcheries avaient été concédées, et peu à peu les Cosaques
perdirent leur fière indépendance; de sujets nominaux, ils devinrent sujets
réels. Les « hommes libres » apprirent à connaître les verges et le knout,
le gouvernement d'Orenbourg alla jusqu'à leur défendre de porter la barbe,
et même leur manière de faire le signe de la croix fut menacée. Aussi
les Cosaques du Yayik répondirent-ils des premiers à l'appel de Pougatchov,
le faux tzar «Pierre III», qui leur promettait « la croix et la barbe, les
rivières et les prairies, l'argent et les vivres, le plomb et la poudre et
la liberté à jamais ». Vaincus, ils perdirent jusqu'à leur nom, et sur
l'emplacement de la ville de Yayitzk s'éleva l'Ouralsk de nos jours; on
leur enleva le droit d'élire leurs chefs; leur kroiig, « cercle » ou assemblée
communale fut abolie, et ils reçurent du tzar un vice-ataman,qui depuis 1833
n'est pas même choisi dans le sein de la nation; le pouvoir des chefs fui
augmenté aux dépens de la liberté des simples Cosaques. D'après la loi
de 1874, le service obligatoire a été introduit suivant les règlements
russes, tandis qu'auparavant la communauté envoyait des volontaires; les
mécontents ont été exilés en Sibérie et dans l'Asie centrale.
Jadis les eaux et les terres élaienl considérées comme la propriété com-
mune et indivisible de toute l'armée, mais ce communisme [irimitif, qui
' llabmiii, La Cusuiiitcs tic t'Ourat.
COSAQUES DE I/OURAL, BASSIN DU DON'. 781
existe encore en théorie, est déjà bien modifié par l'effet de la distinction
des classes. Les officiers ont droit pour leurs troupeaux à une récolte de foin
supérieure à celle des autres Cosaques, et leur part de travail peut se faire
par l'entremise d'un certain nombre de salariés; ils s'attribuent aussi une
forte proportion dans le produit de la pêche et reçoivent de 55 à 44 hectares
de terre, tandis que les autres Cosaques ont seulement la moitié de cet
espace'. Sous le règne de Nicolas, près de la moitié de la nation, obéissant
à la pression administrative, est entrée dans l'union orthodose des yedino-
vcrlzî; mais ils redeviennent raskolniks, etil reste encore des musulmans
et même des bouddhistes. Ce mélange de religions correspond à un grand
mélange de races'.
BASSIN Dn DO.N, MER D AZOV
COOVEnSEMEMS DE VOEONE/ ET Dt KHARKOV, TERIIITOIRE DE l'.IIIMÉE DO DOV.
Le versant de la mer d'Azov n'est point une contrée nettement limitée
par des frontières naturelles et se distinguant des autres versants par le
langage ou l'origine de sa population. Les sources du Don et de ses hauts
affluents s'entremêlent à celles des tributaires de la Volga et du Dnepr;
même la Medveditza et d'autres rivières qui vont s'unir au Don longent
la Volga à une faible distance en offrant dans leur cours les mêmes acci-
dents géologiques. Terres noires et steppes nues se succèdent du nord au
sud dans la vallée du Don comme dans celles du Dnepr et du Diieslr, et
la population s'y distribue de la même manière, de moins en moins dense
suivant la diminution de fertilité du sol. Au nord et à l'orient les Grands
llussiens, à l'ouest les Petits Russiens, au sud des colons de toute race et
<le toute langue comme dans la Nouvelle-Russie, peuplent le versant de la
mer d'Azov et font de la contrée un territoire commun où tons les habi-
tants de la Russie, à l'exception des Finnois, retrouvent des frères d'ori-
gine. La popnlation est un |»eu moins dense dans le bassin du Don que
dans celui du Diiepr el que dans la Russie centrale, à cause de la grande
étendue (ju'y occupent les steppes, mais elle s'accitiil ia]ii(lemeiit d'année
' Rabinin, oiivra;;o cité; — Jeleziiov, Les Ouratien.i, I.
- Terriloiiv îles Cosaipifs de TOural : Cosaquc^s. en ISSD : 90 iOII , non Coi>a(|ues, 27 .".fiO.
89 220 raskoluiks I8870mahoinétans, 12:)0 liouddliistes.
782 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
en année '. Les diverses formations géologiques de la Russie centrale,
éocènes, crétacées, dévoniennes, se continuent régulièrement dans le bas-
sin du Don ; de même, la zone de granit qui forme les « seuils » du Boug
et du Dnepr se prolonge au sud-est jusque dans le voisinage de la mer
d'Azov; mais la contrée possède en outre de vastes terrains houillcrs, qui
lui donnent une importance exceptionnelle dans l'industrie et qui ne man-
queront pas d'attirer vers les rives du Dohetz une population considérable.
Le Don, dans le nom duquel se retrouve probablement le radical de
l'appellation grecque de Tanaïs, est, sinon par l'abondance des eaux,
du moins })ar la longueur du cours, un des grands fleuves de l'Europe :
avec ses détours, il a 1810 kilomètres de longueur. Né dans un petit lac
du gouvernement de Toula, il coule d'abord au sud, puis, après s'être
uni à la rivière presque parallèle du Voronej, il serpente vers le sud-est,
et même vers l'est, comme s'il allait se jeter dans la Volga. Grossi des
fortes rivières Khopor et Medveditza, il arrive à 75 kilomètres du grand
tributaire de la Caspienne, au-dessus duquel son niveau moyen est élevé
de i'2 mètres. Ses deux rives ont, comme celles de la Volga, la forme nor-
male, c'est-à-dire que la berge de droite est élevée, tandis qu'à gaucbe
s'étendent des espaces déjà nivelés par les eaux. Ainsi le Don coule, pour
ainsi dire, sur une sorte de terrasse pareille à un degré d'escalier, elles
falaises occidentales semltleraient devoir le rejeter vers le fleuve inférieur :
cependant il fait un brusque contour pour descendre au sud, puis au sud-
ouest et à l'ouest vers la mer d'Azov. Au point de me du commerce, le
Don prolonge réellement le cours de la Volga. Descendant vers une mer
•pii, par les quatre détroits de Yeni-Kaleh, du Bosphore, des Dardanelles,
de Gibraltar, s'ouvre sur l'Océan, le Don a sur la Volga l'avantage
immense de ne pas se perdre dans un bassin fermé. Aussi la plupart des
marchandises qui descendent le cours de la Volga sont-elles débarquées
au coude le plus rapproché du Don et dirigées sur ce fleuve. Déjà le
sultan Sclim II, assiégeant Astrakhan, avait essayé de creuser un canal
entre les deux fleuves pour amener dans la Caspienne son matériel de
guerre; Pierre le Grand reprit les travaux du canal qui devait réunir les
deux cours d'eau, mais l'entreprise fut abandonnée, et jusqu'au milieu de
' Trois gouvernements dont les limites concordent ap|)i'oxim,ilivement avec celles du Iiassin
(lu Dou :
Superficie. Population en I8S1. l'opvil. kilomtlr.
Voioihj. 05 81)1 kil. car. 2 iOl '.)00 hab. ;W liai.
Kliaikov ôit'.ll i 2160 250 « 59 •■
Terril, de l'année du lluii. lf>0277 ■> 1421800 » 0 »
En>eMdde 280 GC5 kil. car. 5 986050 liai). 21 hab.
i M fi
ISTHME ENTRE DON ET VOLGA.
785
notre siècle le portage ne fut traversé que par des convois d'animaux et de
chars : depuis 1861, la Volga se continue vers le Don par un chemin de
fer. La première ligne, simple voie ferrée pour la traction des marchandises
par la force des chevaux, a été remplacée par deux voies à locomotives.
Les inégalités de portée du Don, telle a été la raison qui a jusqu'à main-
tenant empêché le creusement d'un grand canal de navigation à travers
s* t69. I5THME ENTBE DON ET VOLGA.
l'istlinii' qui sépare les deux fleuves. Sans doute la masse d'eau que roulfe
le Don est assez considérable en moyenne pour alimenter un canal, puis-
qu'elle est évaluée par Beleloubskiy à 245 mètres cubes à la seconde ; mais
les écarts sont très forts entre les basses eaux et les crues'. Libre de
glaces pendant 240 jours environ ;'i son méandre oriental, le Don est quel-
quefois tellement bas et parsemé de bancs de sable-.quc la navigation s'y
' Portée de crue du Don, à Rostov : 10 405 mètres cuhcs.
9»
180
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
fait à prand'peinc par de petits bateaux à fond plat : pendant les deux crues,
— le débordement « froid », qui accompagne la débâcle, et le débordement
c tiède », — qui a lieu pendant les pluies d'été, le Don inférieur, gonflé
par les « eaux russes », monte de 5 à 6 mètres au-dessus du niveau moyen
et recouvre tous les fonds de sa vallée ; en plusieurs endroits il a 50 kilo-
mètres de largeur : c'est
N- ,70. - ov„.Gi nr n..™s n.ssÉcnÉs daxs la v.u,,.ée .r don. y,,^ ^^^^, ^^ mOUVCment
dont on ne voit pas les
rives'. Le Don a par ses
écarts un régime presque
torrentiel : tour à tour il
déborde sans mesure et
s'appauvrit. Un certain
nombre de ses affluents se
dessècbent même complè-
tement en été. Quoique
dans le continent d'Europe
les vallées et les ovragî
ou ravins de cette par-
tie de la Russie méridio-
nale présentent exacte-
ment le même caractère
que les ouadis de certaines
contrées sèches de l'Asie et
de l'Afrique, les rivières
des ovragî y sont divisées
en « sèches » et en « hu-
mides », et celles-ci même
ne sont pour la plupart
„,, que des ruisseaux dont
l'eau se fraie péniblement
un chemin dans le sol argileux. Néanmoins les puits creusés de 50 à
80 mètres de profondeur fournissent partout en abondance une eau de
bonne qualité'. Depuis que la Russie centrale et les régions boisées de la
Russie méridionale ont été sur de vastes étendues dépouillées de leur
verdure, ces écarts de portée se sont accrus; peut-être aussi le climat
' Pavlovitcli, Matériaux pour la géoijraphic et la slcilistique de ht Russie, Gouvernement de
Yehalerinoslav (en russe).
" Von Ilelmciscn, Bulletin de l' Académie des sciences de Saint-Pélersbour;]. lonie VIII, 1865.
DON ET DONEÏZ. 787
est-il devenu plus sec, comme plus à l'ouest, dans les bassins du Di'iepr et
du Danube, et à l'orient dans les bassins de l'Oural, de l'Emba, du Sîr et
de l'Amou. Il est certain que le Donetz ou petit Don, qui coule parallèle-
ment au fleuve principal du côté de l'ouest et du sud, était navigable au
dix-septième siècle et pendant la première moitié du dix-huitième; les em-
barcations en remontaient le cours sur un espace de plusieurs centaines de
kilomètres; maintenant une navigation précaire ne peut avoir lieu que
dans le cours inférieur de la rivière, et seulement pendant les inon-
dations ; en temps ordinaire, sa largeur est en quelques endroits réduite
à 20 mètres, et pourtant le Donetz n'a pas moins de 990 kilomètres
de développement. On lui donne le nom de Doiïetz du Nord {S'everniy
Donetz), quoiqu'il n'y ait point de Donetz du Sud, si ce n'est un bras
du Don inléiieur, dans le delta. Au sud du Donetz, la steppe est dans
toute sa nudité; elle n'a plus de bois, on n'y voit même pas les bos-
quets de petits chênes et de poiriers sauvages qui croissent au nord dans
les endroits abrités. Les prairies proprement dites manquent aussi : au
lieu de former des tapis de gazon, les herbes poussent en touffes espacées.
C'est là que les bonrancs ou tempêtes d'hiver, ne rencontrant aucun
obstacle, soufflent dans toute leur fureur; ce sont par excellence les metet',
ainsi nommés d'un radical ayant le sens de « balai », afin d'exprimer
ainsi la violence formidable du vent qui nettoie la surface de la steppe et
qui souvent poussa des troupeaux entiers dans les eaux de la mer d'Azov
ou du Sivach.
La plus importante, mais non la plus vaste région houillère de la Russie,
s'étend sur un espace d'environ 25 000 kilomètres carrés dans le bassin
du Doiielz cl principalement dans sa partie méridionale. Dès l'année 18G5
on y avait trouvé à une faible profondeur près de 650 couches de charbon,
ayant une puissance moyenne de 50 centimètres' et même en certains
endroits de 7 mètres d'épaisseur, consistant en combustible de toutes les
qualités, depuis l'anthracite presque pur jusqu'à la houille grasse. Les
ravins, qui découpent le territoire par leurs innombrables tranchées, per-
mettent d'étudier la formation de ces couches et facilitent le travail des
mineurs. Signalés pour la première fois par l'ingénieur Olivieri en 1829,
puis explorés avec soin par M. Le Play' en 1857, les gisements de charbon
du Doi'ietz restèrent longtemps inutilisés; pendant la guerre de Crimée,
les Russes, privés du combustible anglais, n'avaient pas même l'outillage
' Von Ilolmcrscn, nuvrapc citij.
- Voijatje dans la Russie méridionale cl la Crimée, tome IV.
788
KOUVELLE'GEOGRAPHIE UNIVERSELLE
nécessaire pour se procurer la houille qu'ils possèdent en abondance dans
le voisinage immédiat de la mer d'Azov. Bien plus, quoique le minerai de
fer existe en grande quantité dans le bassin houiller du Doiielz, les usines
métallurgiques y traitaient uniquement le minerai de l'Oural, et c'est de
Petrozavodsk, de Perrii, sur les contins des solitudes du nord, que le gou-
vernement faisait venir les canons et les boulets. Encore de nos jours, les
paysans de la contrée houillère chauffent leurs cabanes avec des excré-
ments de bestiaux et de la paille, au lieu d'employer le charbon que
recèle la terre aux alentours de leurs villages. Depuis la guerre de
Grimée, la production du charbon et celle du fer n'ont cessé d'augmenter
dans le bassin du DoAetz:
x- ni. — BASSIN I1U11L1.ER 1.1 DoxETz. Qn 1839, cllc uc dépassalt
guère 14 000 tonnes, tan-
dis que de nos jours un
seul groupe de mines, celui
de Grouchovka, en fournit
une quantité quinze fois plus
considérable, grâce aux che-
mins de fer qui traversent
le district, et au voisinage
des villes de Novo-Tcherkask,
de Rostov, de Taganrog'.
Les bateaux à vapeur du
Don, de la ukm- d'Azov, delà
mer Noire utilisent la houille
du Donelz.
Réduite en étendue par les révolutions terrestres qui l'ont séparée de la
Caspienne, la nappe d'eau à laquelle on donne le nom de « mer » d'Azov
a diminue encore pendant les temps préhistoriques, beaucoup moins toute-
fois qu'on ne serait disposé à le croire d'après les traditions. Hérodote
dit, il est vrai, que le Palus Mteotide avait une superficie presque égale
à celle du Pont-Euxin ; mais dès que les marins grecs eurent parcouru cette
mer intérieure et qu'ils curent établi des colonies sur ses bords, ils se ren-
dirent compte de la faible étendue du golfe relativement à la mer libre,
et munie la plupart des auteurs grecs paraissent avoir exagéré la nature
marécageuse d'une partie du bassin. Ne prétendit-on pas, lors de l'invasion
des barbares, que les Iluns avaient pu traverser cette nier en suivant
1 : 5 OjO 000
Production des i'J'i mmes de charbon du Doik^Iz pu 1883 • i OJOOOU tonnes.
DON ET DONETZ. 789
uuo biche qui vint aborder aux côtes de Crimée en passant à gué, puis en
traversant un étroit canal à la nage? Même l'historien Zosime affirme qu'à
cette époque le Bosphore Cimmérien, aujourd'hui le détroit de Kertcli,
était devenu terre ferme. Cependant il est certain que la mer Msotide
était il y a quinze cents ans un peu plus vaste et plus profonde qu'elle
ne l'est de nos jours : les alluvions du Don ont rétréci le bassin et en
ont exhaussé les fonds. Le profil du delta a complètement changé et les
descriptions que donne Strabon ne s'appliquent en rien à la forme actuelle
des rivages '.
La ville de Tanaïs, que les Grecs avaient fondée à la bouche même du
Don, et qui, aux temps de Ptolémée, se trouvait déjà à quelque distance
de la mer, a cessé d'exister; mais, grâce à des fragments d'architecture
et à des inscriptions, Leontyev a pu reconnaître, entre Siiiavka et le
village de Nedvigovka ou « khoutor Nedvigovskiy », l'emplacement occupé
jadis par la ville commerçante : ce lieu est maintenant à près de 10 kilo-
mètres de l'ancienne embouchure du grand Don, changé en un bras mort
{m'orlùy Dohetz). Le cours principal du fleuve s'est porté vers le sud, et
c'est au bord de ce nouveau courant qu'est la ville d'Azov, jadis héri-
tière de Tanaïs en importance stratégique et commerciale. Là où les eaux
coulent en plus grande abondance, là aussi les alluvions empiètent sur la
mer en quantités plus considérables. On peut même s'étonner que le flot du
Don, chargé du sable des steppes", n'allonge pas le delta plus rapidement :
on attribue cette lenteur relative du phénomène de comblement aux vents
de tempête qui soufflent pendant une si grande partie de l'année des
régions de l'est et du nord-est'. La houle se forme dans le voisinage même
des rivages, et les alluvions encore suspendues dans l'eau, même des lam-
beaux de terre déjà déposée et de vastes bancs de vase, sont entraînés au
large et reportés au loin sur les rivages. Le travail du Don consiste ainsi
beaucoup plus à hausser les fonds qu'à élever des îles et à prolonger des
péninsules. D'après von Ilelmersen, les progrès annuels du Don seraient
au i)lus de O^jTO en moyenne*.
L'extrémité orientale de la mer d'Azov, c'est-à-dire le golfe de 150 kilo-
mètres de longueur que l'on appelle spécialement rade de Taganrog,
' Soukhomlin, Pilote de la mer d'Azov (en russe); — Borisak, Élude géotogiqiic-hijdrogrciphique
du Don inférieur (en russe).
- Proportion moyenne des apports 11200 de l'eau.
Quantité annuelle » 6 517 000 mètres cubes.
^ Vessetovskiy, Du climat de la Russie (en russe).
♦ Bulletin de l'Académie des sciences de Pélersbourg, XI, n* 4.
790
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
peut être considérée dans son entier comme le simple prolongement du
Don, à la fois par ses eaux douces, par son courant, par les sinuosités
de son chenal de navigation, semblables aux méandres d'un fleuve. L'en-
semble de ce golfe, où la plus grande profondeur est de 7 mètres et demi,
mais qui n'offre en moyenne que 5 à 4 mètres aux navires, paraît
avoir diminué d'environ un demi-mètre depuis que les premières cartes
marines ont été dressées, sous Pierre le Grand ; mais il est difficile de
comparer les sondages faits à différentes époques dans le bassin principal
N" t'î. DELTA DU DON.
td-P
de la mer d'Azov, car ce n'est pas aux mêmes endroits qu'ont été jetés
les instruments et l'on ne sait pas même exactement quels « pieds » ont
servi de mesure aux premiers sondeurs. Ils auraient dû aussi noter exac-
tement l'étal du temps et surtout la direction des vents pendant les opéra-
tions, le niveau de la mer changeant quelquefois de plusieurs mètres sous
l'influence du courant et de la pression atmosphériques, ainsi que par le
balancement des seiches : en septembre 1850, le marin Soukhomlin aurait
constaté un abaissement de 5 mètres sur les côtes orientales, et de nom-
breux navires, dont l'équipage voguait en sûreté loin des rivages, se trou-
r.IVrron. d;.|.PP» Ir» ( ..ili-s ili ri'.l..l-M.....i ,1 ,(, !„ M
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DELTA DU DON. MER D'AZOV. 791
vèrent tout à coup immobiles sur lo fond; en de pareilles occasions, le
niveau du Don peut se trouver plus bas que celui de la mer '. Au mois de
novembre de l'année précédente, le phénomène inverse fut observé devant
Taganrog : là, sous l'influence d'un vent furieux du sud-ouest, le gonfle-
ment de l'eau n'aurait pas été moindre de cinq mètres et demi. Le fond de
la mer d'Azov a dû s'exhausser légèrement depuis le temps des Grecs, bien
que les mesures données par Polybe, cinq et sept orgyes, correspondent à
peu près aux sondages récents pour la plus grande étendue du bassin :
la profondeur moyenne de la mer d'Azov est d'environ 10 mètres, ce qui,
pour une surface de 56 8"22 kilomètres carrés, donne une contenance appro-
ximative de 568 milliards de mètres cubes ou de 568 kilomètres cubes,
à peu près quatre fois le lac de Genève. La profondeur la plus considé-
rable trouvée par la sonde dans la mer d'Azov, en 1854, a été de 15"", 40,
tandis qu'en 1805 elle avait été de 14"", 60. Cette différence provient
peut-être de circonstances locales ou temporaires, car il n'est pas admis-
sible que le comblement ait pu se faire avec une pareille rapidité pendant
le cours d'un demi-siècle. Le fond de la mer, composé de sable argileux
comme le sol des steppes et ne contenant pas un seul rocher, se revêt
avec une extrême lenteur de straticules nouvelles où les matières orga-
niques se mêlent aux débris sableux des rivages. Si des apports du Don
n'étaient pas entraînés dans la mer Noire, celle d'Azov serait complètement
comblée dans l'espace de 56 500 ans.
S'il est difficile de constater le dépôt des alluvions sur le fond du bassin
d'Azov, on a pu le faire sans peine autour des kosî, c'est-à-dire des pénin-
sules en forme de cornes recourbées qui s'enracinent à la côte calcaire,
pleine de fossiles, et qui s'avancent au loin dans les eaux. Plusieurs caps
se terminent par ces flèches bizarres de sables mouvants et de coquillages
brisés*, diversement inclinées suivant la direction moyenne des vents et
des courants; mais sur la rive septentrionale de la mer on voit se suc-
céder avec une singulière régularité cinq de ces pointes, toutes recourbées
vers le sud-ouest avec une ondulation rythmique, toutes armées sur leur
face occidentale de petits hameçons latéraux" et se succédant de l'est à
l'ouest par ordre de grandeur : à l'exception d'une seule, oii le courant
d'une rivière vient troubler le régime des dépôts, les kosî de la côte du
nord sont aussi beaucoup plus brusques sur leur rive orientale, et s'ap-
puient à l'ouest sur de vastes bas-fonds : les eaux qui viennent frapper la
' Borisak, ouvrage cité.
' Von llelmersoii, Bulletin de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, lomc VII, 1801.
- Von Ilelmcrsen, niOmc recueil, tuine XI, I8C7.
79-2 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
côte développent toutes suivant une courbe semblable leur ondulation semi-
circulaire, d'une flèche à l'autre flèche, avec un circuit d'autant plus
grand que le bassin maritime a plus de largeur et que les vagues y reçoi-
vent une force d'impulsion plus considérable. C'est dans le voisinage de
ces pointes, où viennent se déposer les troubles en suspension dans le
courant, que l'on a constaté les changements de relief les plus rapides :
toutes les flèches se sont allongées et les fonds qui les entourent se sont
régulièrement élevés de plusieurs décimètres ou même d'un mètre depuis
le commencement du siècle '. Ainsi le comblement de la mer d'Azov, dans
laquelle Strabon ne voyait déjà qu'une sorte d'expansion du Don, se
continue de siècle en siècle d'une manière appréciable, mais non assez
vite pour qu'il soit possible d'évaluer la durée probable de cette mer
intérieure, en supposant que des oscillations locales ne viennent pas
modifier le niveau relatif des rivages et des eaux. Ainsi que l'a dit Aris-
tole en parlant précisément de ce comblement futur du Palus Mœotide,
« tous les peuples disparaîtront peut-être avant que ce changement soit
accompli jusqu'à la fin ».
La masse liquide apportée par le Don est de beaucoup supérieure à celle
qui s'évapore de la mer d'Azov : aussi le golfe entier peut-il être considéré
comme la continuation marine du fleuve et lui-même est-il un affluent du
Pont-Euxin : ses eaux troubles, qui lui ont peut-être fait donner le nom de
« mer Bleue » par lequel la connaissaient les Arabes et les anciens Russes,
s'épanchent par le détroit de Kertch avec une force considérable, dont les
navires ont parfois de la peine à triompher. Par la nature de ses eaux, le
golfe Mieotide est fleuve et mer à la fois. Dans la rade de Taganrog, l'eau
est complètement douce et les marins en font la provision de leurs na-
vires ; sur toute la côte occidentale, les bestiaux vont s'abreuver dans la
mer, tandis que vers le milieu du bassin l'eau est déjà saline, quoique
en moindre proportion (|ue la mer Noire ^ Mais à l'ouest de la mer d'Azov
s'étendent, entre le plateau des steppes russes et la péninsule de Crimée,
les vastes marécages du Sivach, dont l'eau s'évapore sous l'action du
soleil et des vents et qui mérite vraiment son nom de « mer Putride »
en été et en automne. Ces étangs, ne recevant guère d'eau douce que par
l(!s pluies, ont une Iciicur moyeime en sel beaucoup plus considérable
(pie la mer d'Azov, cl niêiiie (pirlipies mares latérales, qui se dessèchent
' Von ISacr, même ipciipil, mmi; V, 1805.
^ Poids 8Poci(i(|iic ili; l'eau lie la inor d'Azov 1,0097
» • » n Noire 1,01305
(Gu'ln'l, licisrii in dcn Stcppcn des sudlichcn Kiisslcinds.)
MER D'AZOV, SIV.VCII.
795
on élé dans les sables, laissent à leur place des couches de sel cristallin,
mélangé de terre.
Le Sivach n'est accessible aux bateaux plats que dans sa partie septen-
trionale : à cet éjj^ard, il n'a point changé depuis le temps de Strabon.
Les vents qui soufflent de part et d'autre changent incessamment la con-
liguration des étangs, emplissant les uns, vidant les autres, et le remblai
LritOIT I>F, MMKM.I
E»,
D'après la Marine f
Pro^onafeur's
\ . SOOOOil
du chemin de fer, qu'on a jeté rc'conimcnt à travers toute cette région
de terres incertaines, a servi de ligne d'appui à de nombreux alterrisse-
ments où l'on a établi des salines très productives', fournissant à peu près
' l'ioductioii dos saliiios (le la (jiini'c en 187i 242 228 tonnes.
., n ,. 1875 04 878 n
1) ,. 1876. 198 057 »
» ^ 1879 200 000 ).
796
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
la moitié de tout le sel consommé dans l'empire'; suivant les besoins de
la vcnlc, le gouvernement fait extraire des lacs de 100 000 à près de
400 000 tonnes de sel par an. Le Sivach, lui-même si peu régulier dans
ses contours, est séparé de la mer d'Azov par une flèche d'une régularité
remarquable, dont le profil
K° ns. - i>Éino!T DE GRMTCHESK. j^.çj.( j^,,^ flioins Hct qUC CCUX
des kosî. Cette flèche, dési-
gnée sous le nom d'Arabat,
d'après le petit port de son
extrémité méi'idionale , n'a
pas moins de 115 kilomètres
de longueur sur une largeur
variable de 1600 à 5500 mè-
tres; elle est presque entiè-
rement composée de sable
que les vents et les vagues
ont distribué suivant des ali-
gnements réguliers, mais elle
comprend aussi, principale-
ment au nord, des massifs
d'argile et de roches calcaires
qui ont servi de piliers à la
levée sableuse déposée d'une
rive à l'autre. Un seul grau
fait communiquer actuelle-
ment la mer Putride avec la
mer d'x\.7.ov : ouvert à l'extré-
mité septentrionale de la flè-
che, devant le bourg de Geni-
fchesk, il change de largeur
suivant la direction des vents
1 : âôO 000 .111
— ' et les apports des sables, qui
viennent tantôt de la mer
d'Azov, tantôt du Sivach, suivant les courants. En 1860, la largeur du
canal, au grau de Genitchesk, était de 157 mètres seulement. Sirabon
parle d'une large ouverture. Évidemment la forme de la flèche a changé
depuis son temps.
c^e-S/r? ti-tau-c^e/^^
Iliissisrlie Hevuc. n' IL
MER D'AZOV, DETROIT DE YENI-KALEII. 797
On peut tlire que le fleuve de sortie qui s'échappe de la mer d'Azov par
le détroit de Yeni-KaJeh a sa barre comme tous les autres courants flu-
viaux qui viennent heurter leurs eaux contre celles de la haute mer. Le
seuil du détroit a seulement 4"", 25 en moyenne; mais au sud de cette
barre le lit marin, appartenant déjà au bassin de la mer Noire, s'appro-
fondit rapidement : la sonde trouve près de 20 mètres sur le prolonge-
ment de la ligne formée par la côte méridionale de la Crimée. Au sud du
détroit, les profondeurs augmentent très régulièrement jusqu'à la fosse
de 1868 mètres qu'on a trouvée entre Kerlch et Soukhoum-Kaleh, en explo-
rant les fonds marins pour la pose d'un câble télégraphique'. En moyenne,
le détroit est fermé chaque sixième année par les glaces. Le courant sorti
de la mer d'Azov se perd dans le mouvement général des eaux de la mer
iS'oire. A l'ouest du détroit de Yeni-Kaleh et du littoral de la Crimée, le
courant littoral du Pont-Euxin s'accroît des eaux que lui apportent le
Driepr, le Boug, le Dnestr, le Danube. Allégé par le courant de sortie qui
s'échappe du Bosphore, le fleuve maritime se recourbe vers l'est pour suivre
les côtes de l'Anatolie et recommencer au delà de Batoum le circuit de la
mer Noire. La vitesse du courant varie de 900 à 2700 mètres par heure, et
s'accroît ou diminue suivant la direction des vents'.
La faune de la mer d'Azov et du Pont-Euxin fournit, aussi bien que
l'étude des terrains émergés, la preuve de l'ancienne union des deux bas-
sins de la mer Noire et de la Caspienne en une même étendue maritime.
En effet, les poissons voyageurs et ceux qui habitent d'ordinaire les eaux
saumâtres, enfin ceux qui vivent indifféremment dans l'eau saumâlre ou
salée, présentent de mer à mer une identité presque complète. 11 est très
probable que la séparation de la mer Noire d'avec la Caspienne s'est opérée
longtemps avant que le détroit de jonction ne s'ouvrît entre la mer Noire
et la Méditerranée. Tandis que, par l'effet d'une longue diversité des
milieux, les poissons de même origine qui habitent les deux mers sépa-
rées par l'isthme ponlo-caspien se sont déjà différenciés quelque peu en
variélés et en espèces, les poissons de la Méditerranée qui ont pénétré
dans la mer Noire ont gardé leur type. Il est à remarquer que cette im-
migration des (îspèces de la Méditerranée par le chemin que leur ouvrent
les Dardanelles et le Bosphore, se continue de nos jours, car dans ces der-
niers temps on a signalé sur les côtes de la Bussie divers poissons de la
Méditerranée qui avaient échappé aux recherches précédentes. D'ailleurs,
' hvcstija Roussk Geograf. Obclilclieslva, 1870, Inme V, n° 8.
* SchmidI, Matériaux pour la géographie cl la statistique de la Russie (en russe). Gouvernement
de Khcrson.
798 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
les espèces se répartissent naturellement suivant le degré de salure des
eaux. Dans le bassin principal du Pont-Euxin, la faune est surtout médi-
terranéenne; dans le golfe d'Odessa, aux environs des bouches du Danube,
du Dnepr et du Dnestr, dans la mer d'Azov, où les eaux sont faiblement
salées, presque toutes les espèces appartiennent à la faune Caspienne'.
La population du versant de la mer d'Azov qui se distingue le plus par
son histoire, ses mœurs, son organisation politique, est celle des Cosaques
du Don, descendant pour la plupart de fugitifs grands-russiens ; toutefois il y
eut certainement mélange avec les Cosaques tartares d'Azov : le premier
chef des Cosaques du Don que mentionnent les documents en 1549, porte
précisément le nom tartare de Sarîazman', et c'est plus de cent ans après,
en 1655, qu'ils construisirent leur première église; jusqu'au dix-huitième
siècle, la cérémonie du mariage se bornait à la déclaration des époux
devant l'assemblée des Cosaques'. Les paysans et les gens des villes
outragés par les seigneurs ou les voïvodes, les malheureux menacés de
quelque extermination en masse, et plus tard les raskolniks persécutés,
avaient les steppes pour refuge : échappés à leurs oppresseurs, ils s'établis-
saient dans quelque bas-fond des prairies, dans un ravin bien écarté, et,
toujours sur leurs gardes, ils étaient prêts à s'enfuir de nouveau ou à
résister, suivant la force des ennemis, musulmans ou chrétiens, qui
venaient les attaquer : c'est ainsi que se peupla peu à peu tout l'espace qui
s'étend entre le confluent du Don et de la Medveditza et la mer d'Azov,
région encore déserte en 1521. Déjà pendant la deuxième moitié du sei-
zième siècle, les colons moscovites du Don inférieur étaient devenus assez
nombreux pour former une confédération puissante, rendant aux Tartares
incursion pour incursion; toutefois il restait convenu entre les deux nations
de pillards que l'on ne brûlerait jamais le foin des steppes, qui nourrissait
les troupeaux des uns et des autres'. Plus tard, des Cosaques Zaporogues et
d'autres Petits Russiens vinrent s'unir en qualité d'égaux aux Cosaques
Vcliko-Russes et s'établirent pour la plupart sur les bords du Don inférieur;
même de nos jours, les Cosaques Petits-Russiens, qui dans leurs voyages
vont demander l'hospitalité aux Cosaques de cette contrée, sont accueillis
comme des frères, tandis (jue les paysans grands-russiens ne sont reçus
' Kcssicr, Russische Revue, 1875, i' livraison.
' Sokotovskiy, La vie économique et la colonisalion des steppes avant l'époque du servage (en russe).
■ Vakouclikin, Le droit coutumier (en russe).
* Krasnov, Le territoire de l'année du Don (en russe).
COSAQUES DU DON. 799
qu'en hôtes. Par une singulière bizarrerie elhnograpliique, les Grands
Ûussiens du Don inférieur sont séparés du gros de leur race par des espaces
qui restèrent déserts jusqu'à l'arrivée des colons malo-russes au dix-
septième siècle ; les populations se sont entre-croisées; c'est que chaque
bande, fuyant l'oppression des seigneurs, cherchait à s'éloigner autant que
possible de sa patrie. Des fugitifs de toutes les races de l'Europe orientale
et des bords de la mer Noire cherchèrent un asile chez ces hommes d'aven-
ture, à la fois brigands et héros : tous étaient les bienvenus, à la condition
de prendre le nom de Cosaques. On est étonné de rencontrer parmi les rive-
rains du Don un grand nombre de familles allemandes' : de migration en
migration. Saxons et Souabes finissaient par devenir de libres cavaliers du
désert. C'est en 1810 seulement que le sénat de Saint-Pétersbourg défendit
aux Cosaques d'accueillir des szlachticzi polonais.
A peine constitués, les Cosaques du Don reconnurent la suzeraineté du
tzar de Moscou ; en 1570 ils se mirent sous la protection d'Ivan IV, mais
longtemps encore ils répétèrent leur proverbe : « Le tzar règne à Moscou,
et le Cosaque sur le Don. » Mêlés h toutes les vicissitudes de l'histoire de la
Moscovie, ce sont eux qui commencèrent, sous la conduite de Yerniak, la
conquête de la Sibérie et qui tinrent en échec la puissance des Turcs dans
toute la région du sud-est. De même que les Cosaques du Diiepr, ceux du
Don, groupés çà et là en stanitza, avaient surtout choisi pour leurs
places de rassemblement et de défense des îles entourées de bas-fonds, de
roselières et de saulaies, à travers lesquelles il était difGcile de les pour-
suivre. Mais la place turque d'Azov les gênait beaucoup pour la libre pos-
session des îles du Don; ils réussirent à s'en emparer pour quelque temps
en 1574, puis, alliés aux Zaporogues, en 1657 ; lorsqu'ils la repri-
rent en 1696, ce fut à l'aide des ingénieurs et des canons de Pierre le
(irand, qui devait la perdre de nouveau. Toutefois celte place forte et les
bouches du Don, si importantes au point de vue stratégique et commercial,
ne furent point laissées entre leuis mains. Les tzars, se méfiant toujours
des Cosaques, fondèrent en 1751 la forteresse de Rostov, dont le district
est resté jusqu'à présent détaché du territoire des Cosaques. Mais avant la
fondation de Roslov, ceux-ci avaient déjà perdu leur indépendance. Pierre
le Grand, mécontent de les voir accueillir des fugitifs de la Russie cen-
trale, écrasa leur révolte avec la dernière rigueur. 11 fit raser les villes,
« hacher les hommes, empaler les chefs »; sept raille Cosaques périrent;
un grand nombre allèrent chercher un asile dans le pays de la Kouhaiï et
' Lcllies sur le voyage du prince hhilicr en Crimée, lbCi(uii russe).
800 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
de là en Turquie; ils sont connus dans la Dobroudja sous le nom de Â'e-
krasovtzî, d'après leur ancien chef Nekrasov.
Les mœurs des divers groupes des Cosaques du Don dépendent plus
de la différence des terrains et du climat que de celles des origines. Ceux
du nord, en amont du confluent du Don et de Medveditza, sont presque
tous agriculteurs sédentaires : encore au commencement du dix-huitième
siècle, le laboureur cosaque était méprisé par ses frères; même en 1690,
l'assemblée cosaque, ayant appris que l'on cultivait le blé sur les bords du
Khopor et de la Medveditza, défendit cette culture sous peine de mort et de
confiscation'. Toutefois, la force des choses aidant, il fallut bien toucher
à la charrue. Les Cosaques les plus rapprochés de la Russie centrale
apprirent de leurs voisins à utiliser la féconde « terre noire » qui est
devenue leur patrie. Les Cosaques du bassin inférieur, possédant une terre
moins fertile, se bornent pour la plupart à cultiver leurs vignes, leurs
vergers, leurs champs de pastèques, et se livrent à la pèche, à l'élève des
chevaux, à l'exploitation des salines, au petit commerce, aux métiers des
villes. Chez les Cosaques du sud, aussi bien que chez ceux du nord, l'organi-
sation toute militaire répond de moins en moins à leur vie civile de travail
et de commerce. D'après les ordonnances, ils sont divisés en régiments.
A dix-sept ans, tous les jeunes gens deviennent soldats ou bien entrent
dans l'administration en se conformant aux règlements militaires; leurs
chefs, à l'exception de ceux des stanitzas, sont nommés par le gouverne-
ment; le vice-ataman est toujours choisi parmi les dignitaires non Cosaques
de l'empire, et le litre d'ataman appartient au prince héritier. Toutefois la
grande question parmi les Cosaques n'est plus celle de l'avancement, mais
bien celle de la terre. Le gouvernement l'a résolue en constituant une
aristocratie terrienne : déjà en 1775, Potomkin conféra les droits de la
noblesse aux officiers cosaques, ce qui leur permit d'avoir des serfs; après
l'émancipation, chaque chef a reçu pour sa part de terres une étendue
de 100 à 1700 hectares, suivant son rang, tandis que les simples Cosaques
devenaient propriétaires de l'espace, déjà fort considérable, de 55 hec-
tares. Autrefois tout le territoire des Cosaques était propriété collective, et
les stanilzas elles-mêmes, c'est-à-dire les communautés militaires, n'avaient
aucun droit à s'emparer du sol pour le groupe entier. Maintenant la
terre est partout divisée, les stanitzas, jadis stations de guet, se ciiangent
en villes et la population non cosaque s'entremêle de plus en plus aux des-
cendants de l'ancien jjeuple, qui forment environ les deux tiers des habi-
' SokolovsKiv, ouvriiac cilé.
COSAQUES DU DON.
801
lants de la province. Les Cosaques du Don se rappellent et chantent encore
leurs hauts faits, les guerres contre les Tartares, la prise d'Azov, la révolte
d'Etienne Razin qui traversait les airs sur son feutre enchanté et qui se
changeait en poisson pour franchir la Volga; mais eux-mêmes- sont devenus
des sujets russes comme leurs voisins, quoique administrés d'une manière
plus compliquée; leur ancienne liberté n'est plus qu'un souvenir. Aux
temps de troubles politiques, ce sont principalement les Cosaques du Don
l-^, POPULATIONS DIVERSES DU VERSANT DE Li MER D AZOV.
Est de Pi
st de rari!
55-
Lst de GreenwicK
)'aprè9 Rlllich C Perron
P'.'fic/ssi'^ns C'/tussiens S/"/fcx>ens Fa/ona/s 3u/£arvs Grecs ^//emani^s arméniens
t : i loom»
qu'emploie le gouvernement en lUissie, |ii)iir renCorcer la police des rues,
en Pologne, pour réprimer les insurrections.
Une grande partie du territoire qui s'étend au nord-ouest de celui des
Cosaques du Don eut aussi son organisation cosaque. Cette région est le
gouvernement actuel de Kharkov, avec les parties avoisinanles des gouver-
nements de Koursk et de Voronej. Appartenant depuis longtemps au
royaume de Moscou, ces terres étaient restées presque sans population
lorsqu'elles furent assignées comme lieu d'asile aux colons jtetits-russiens
V- 101
802 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
fuvant leurs seigneurs polonais. Ces colons fondèrent les slobodas de
Cosaques « tcherkassî », selon l'expression moscovilc encore usitée de nos
jours; elles jouissaient aussi d'une certaine autonomie, et se groupaient en
régiments, mais sans lien fédéral. Leur organisation fut abolie en 1765,
en même temps que la Hetmanie petite-russienne, mais les Cosaques de
rOukraïne slobodienne n'eurent pas la satisfaction de conserver leur nom,
comme ceux de la Hetmanie ou des provinces de Pol'lava et de Tchernigov,
un grand nombre même devinrent serfs et se trouvèrent associés avec les
serfs grands-russiens amenés dans le pays par leurs seigneurs moscovites.
On peut dire cependant d'une manière générale que les babitanls des pro-
vinces autrefois sl'obodiennes sont moins pauvres que ceux de la Russie
centrale ; précisément ce sont les Petits Russiens, descendants des Cosaques
libres, qui comptent parmi eux le plus d'industriels et de marchands,
et qui se distinguent par les qualités « grandes-russiennes » de l'activité
et de l'initiative'. Dans maint village, les deux races sont à côlé l'une de
l'autre, et les deux quartiers, séparés par une rivière ou par un ovrag,
présentent un contraste des plus nets : d'un côté sont les maisons parse-
mées des Petits Russiens, en osier ou en branchages revêtus d'argile, blan-
chies à la craie, entourées d'arbres et de fleurs ; de l'autre sont les longues
rues de maisons en bois nu, sans verdure qui les égayé.
Les colons des steppes voisines de la mer d'Azov appartiennent, comme
ceux de la Nouvelle-Russie, aux races les plus diverses. Les xVUemands y
sont fortement représentés. Il existe aussi dans le pays des colonies de Juifs
agriculteurs, et les Tartares de la côte n'ont pas été complètement évincés
par les chrétiens. Des Caucasiens de plusieurs tribus, déportés au nord de
la mer d'Azov, sont malgré eux parmi les habitants de la contrée. Enfin
dans le voisinage de Marioupol vivent les Grecs, probablement très mé-
langés, qui ont presque entièrement oublié la langue de leurs aïeux, mais
qui ont gardé leur culte. Ils descendent d'habitants de la Crimée qui émi-
grèrent en Russie sous le règne de Catherine II, et qui dès cette époque
avaient pris le langage et en partie les mœurs de leurs maîtres les Tartares.
On les dit indolents et paresseux : bien différents des autres Hellènes par
le caractère, on dirait qu'ils ont changé de race'. Les Serbes et les Kal-
monk , également introduits dans le pays au dix-huitième siècle, se sont
complèlcment fondus dans la masse de la population russe.
Dans le haut bassin du Dnn, l'une dos premières bourgades est celle de
' Mikhaiovilcti, Gotivernemrni de Voronej.
* Mackciizie \Vall:ice, Russia.
L_.
YELETZ, VORONEJ. 805
Koulikovka, près do laquelle s'étend le champ de bataille de Koulikovo
Pôle, où une coalition d'armées russes de la Moscovie et de la Lithuanie
remporta en 1580 une victoire importante sur les Tartares. En cette
région, l'une des plus fertiles des Terres Noires, les villes sont nombreuses
et font un grand commerce de denrées agricoles : Yefremov, Lebedan,
Livnî, Yeletz, Zadonsk, Zemlansk sont toutes bien connues des marchands
de Taganrog et d'Odessa, par leurs expéditions de blé, leurs convois de
bétail. La plus importante de ces villes et l'une des plus renommées
pour ses farines est Yeletz, sur la Sosna, affluent occidental du Don. Des
proverbes populaires parlent des <t voleurs » de \elctz et des villes voi-
sines. Celte mauvaise réputation de la partie orientale du gouvernement
d'Oroi provient probablement de la position de ce pays sur une « marche »
longtemps disputée, où les vols de chevaux se faisaient plus facilement
qu'ailleurs.
Le Voronej, la rivière jumelle du haut Don, traverse également une
région populeuse où se sont élevées quelques villes importantes, telles que
Kozl'ov, centre commercial pour les blés, et Lipetzk, cette dernière fré-
quentée pour ses eaux minérales ferrugineuses. Voronej, chef-lieu de gou-
vernement, a dû surtout son rôle commercial à sa situation sur le Voronej,
à une petite distance de son confluent avec le Don. Elle avait déjà 501)0
habitants à la fin du dix-septième siècle, lorsque Pierre le Grand vint y
établir le siège d'une amirauté, faire bâtir une forteresse, un arsenal, des
chantiers et construire une flotte de 55 navires, armée de plus de 2500
canons et montée par un équipage ordinaire de 4000 hommes. Des milliers
de coupeurs de bois durent émigrer des forêts de la Dvina du nord à celles
du Voronej pour aider à la construction des navires dans ce port fluvial
presque sans eau. Du reste, il fiillut bientôt reporter le chantier de construc-
tion sur le Don, en aval du confluent. Actuellement, c'est à peine si l'on
voit de temps en temps quelque barque se hasarder sur le Voronej. La
ville est un des lieux de pèlerinage les plus fréquentés de la Russie et se
distingue par son activité littéraire entre toutes les cités grand-russiennes
qui n'ont pas le privilège de posséder une université. A l'est, les vastes
steppes que parcourt le Bitoug, pauvre affluent du Don, sont celles où se
trouvent les principaux haras de la couronne et où l'on ('lève la fameuse
race des « trotteurs Orl'ov », vendus aux foires de Khrenov.
Ousman, au nord-est de Voronej, est la principale ville des environs du
chef-lieu. Au sud, Korotoyak, sur la rive droite du Don, et Ostrogojsk,
sur la haute berge d'un affluent appelé Tikhaya Sosna, furent l'une et
l'aulre dos forteresses cosaques contre les Tartares. En amont d'Ostrogojvk,
806 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
sur la même rivière, Alexeyevka, qui n'a point titre de ville, est cependant
une riche et populeuse sfoboda, dont les habitants s'adonnent surtout à la
culture du tournesol et à la fabrication de l'huile. Elle a des associations
de peintres populaires, qui représentent des scènes de l'histoire sacrée
avec plus de liberté que les autres imagiers de la Russie et peignent aussi
des scènes comiques sur les murailles et dans les maisons. Les peintres
d'Alexeyevka se rattachent lointainement à l'école nationale de peinture
qui existait à Kiyev au dix-septième siècle.
Pavlovsk, au confluent du Don et de l'Osereda, est aussi une ancienne
colonie de Cosaques « tcherkasses », où Pierre le Grand établit des chan-
tiers de construction pour sa flottille de la mer d'Azov. Boutourlinovka
ou Petrovskaïa, bourgade de 'l'2 kilomètres de longueur située sur l'Ose-
reda, est, comme Alexeyevka, une sl'oboda industrieuse de tanneries et de
cordonneries, et compte aussi des peintres nombreux parmi ses artisans.
En 1842, la population asservie de Boutourlinovka racheta sa liberté en
s'engageant à payer en trente-sept années à la banque de Moscou la dette
de son seigneur, soit 2 114 000 roubles avec les intérêts; c'est en 1879
que s'est fait le dernier paiement, seize ans après l'émancipation des serfs.
Bogoutchar, dont le nom lartare rappelle les guerres conliiuielles de la
contrée, et Kalatch, fameuse par ses foires au bétail, furent également des
slobodas peuplées à plusieurs reprises par des immigrants moscovites et
« tcherkasses ». En aval, chacun des villages qui se succèdent sur le Don
eut la même origine : chacun fut un campement guerrier, que ses fonda-
teurs posèrent, pour ainsi dire, sur le sol et que l'agriculture enracina
peu à peu. Quant aux villes du haut Khopor et de ses affluents, Tchembar,
où naquit Belinskiy, Kirsanov, Serdobsk, Bal'achov, Borisoglebsk, elles
doivent à leur éloigneraent des steppes méridionales d'avoir pu naître et
grandir plus paisiblement. Novo-Ivhoporsk, située dans une région de ma-
rais, à l'endroit où se fait la jonction du Khopor avec les autres cours d'eau
de presque tout son haut bassin, est une de ces villes que Pierre le Grand
fonda pour y établir des chantiers de construction; ses foires ont pris
récemment une grande importance'. La foire de Stanitza Oui-oupiuskaya,
située plus bas sur le Don, donne lieu à un trafic presque aussi considé-
rable. Dans le bassin de la Medveditza, Petrovsk doit son nom à l'ierre I",
tandis qu'Atkarsk, ancienne colonie lartare, garde l'appellation donnée par
ses habitants d'autrefois. Quelques débris que l'on voit près du grand coude
du Don sont considérés comme les rtistes de Sarkel, place forte des Kha-
» Mouveineiil dos affaires à la foire de Novo-Klioporsk en 18G8 ; 7 607 008 roubles.
BOL'TOLRLINOVKA, KHARKOV.
807
zars, construite par des ingénieurs byzantins. Au sud-ouest, là oiî le fleuve
a déjà pris la direction de l'ouest, la stanitza Tzîmlanskaya est le centre
de la production du vin et de la fabrication du « Champagne » mousseux.
C'est dans la vallée du Doiietz que se trouve Kharkov, la plus grande
re. KITABROV.
E.deP.
d après la Carte de 'Xrat- Major
ville de la coiilnr dont les eaux se déversent dans la mer d'Azov. Ce clief-
lieu de gouvernement, simple village au milieu du dix-septième siècle,
doit son importance commerciale à sa position naturelle d'intermédiaire
entre le Bncpr et le Don-, entre Kiyev et Taganrog. Elle est située à peu
près au centre géométrique de toute la région des stcrppes, entre le Seim
el les plateaux riverains de la mer d'Azov : (;'est là ou dans les environs
que se croisaient les principales roules des tclioumaks, en partie rem-
SOS NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
placées maintenant par des lignes de chemins de fer. Les foires de Kharkov
sont parmi les plus actives de la Russie : celle du mois de janvier, où
l'on vend des milliers de chevaux et où le mouvement d'affaires s'élève
parfois à 80 ou 100 millions de francs, attire la foule des négociants,
des cultivateurs, des Juifs, par dizaines de mille. La population de la ville
est alors doublée; quatre-vingt mille traîneaux accourent de tous les points
de l'horizon. Les industriels de Kharkov fabriquent ou préparent eux-
mêmes une grande partie des marchandises vendues à la foire, toiles,
savons, bougies, feutres, sucres, eaux-dc-vie, tabac. Ce qui manque surtout
à la ville au point de vue matériel, c'est l'eau potable. Quoique entourée
de petites rivières qui vont s'unir au Doi'ietz, elle a dû se procurer chère-
ment une eau de source insuffisante. Fort active par son commerce et son
industrie, Khai'kov est également une des cités de la Russie qui se sont
mises à la tète du mouvement intellectuel. Son collège devint en 1804,
grâce aux libéralités de la noblesse et des marchands, une florissante uni-
versité, où l'on voulait attirer les Grecs et les Slaves du Midi ; on fit même
appel à des hommes tels que Laplace et Fichte pour en occuper les chaires.
Malgré la réaction qui suivit, l'université de Kharkov contribua beaucoup
au réveil des études slaves en Russie. Elle s'enrichit de livres, de collections
diverses, et plus de cinq cents étudiants la fréquentent en moyenne'.
Au nord et à l'est de Khaikov, dans les gouvernements de Koursk et de
Voronej, les eaux naissantes du Donetz et de ses hauts affluents arrosent
déjà les territoires de plusieurs villes, Zol'otchov qui rappelle la ville du
même nom en Galicie (Zloczew), Korotcha, Starîy Oskol', qui mérite son
nom de « Vieille », puisqu'elle est mentionnée au douzième siècle,
Voilchansk, Valouïki, Ourazova, principal port des céréales dans le gou-
vernement de Kharkov, Ikvl'gorod, la « Ville Blanche », ainsi nommée
d<! sa colline crayeuse, exploitée en cari'ières. Les plus proches voisines
de Kliai-kov sont Valki à l'ouest, et à l'est, sur un passage commode du
Donelz, Tcliougouyev, ville dont l'histoire est celle des vicissitudes de
toute la contrée. Dans les environs se voient des restes de nombreux
goiodichtcha, où l'on a trouvé fréquemment des monnaies romaines,
preuve que le pays fut jadis assez peuplé. Pourtant il était redinenu désert
au seizième siècle et même au commencement du dix-septième; Tcliou-
gouyev n'était alors qu'un gorodiclilche, un amas de débris. Les colons
pclits-russicns qui vinrent s'y étaldir, de même que les soldats et les for-
' l'iiiversili'ile Kliaikov en janvier 1882: Professeurs, 95; étudiant», 8'2f ;lHi(lg('t, 320000 roubles;
Ijililii.lhniur, plus lie 100 000 volumes.
TCIIOCGOUYEV, StAVANSK.
809
çats envoyés par le gouvernement moscovite, ne pouvaient travailler dans
les champs que divisés en deux groupes, dont l'un veillait en armes contre
les Tartares. Tchougouyev a perdu son commerce au profit de Khai-kov.
En aval d'izoum, où se voient déjà des vignobles, le Donetz s'unit à
rOskol, puis longeant toujours les hauts escarpements, crayeux et percés
de cavernes, qui forment sa rive droite, et dont l'un porte le couvent si
pittoresque de la Sainte-Montagne, il rejoint le Toretz. A l'entrée de la
vallée où coule cette rivière est la ville de Slavansk, bâtie sur l'emplace-
177 VALLÉE DO BO.NEIZ. PKES DE 5LAVA.\SK.
^.%â'. >W
[. de G
ment du Torskoïc Gorodichtche, qui lut peut-être une ville des Torks ou
Turcs, et qui prit ensuite le nom de Tor; son appellation actuelle lui a été
donnée en l'honneur de la fraternité slave, les colons qu'on y installa au
milieu du dix-huitième siècle étant de nationalité serbe; ils s'occupent
de l'élève des vers à soie. L'industrie principale est depuis longtemps
l'exploitation des petits lacs salés des environs, notamment de celui qui
porte le nom de Liman ; mais, avant la victoire délinitive des Russes sur les
Tartares Nogai, il fallut souvent interrompre le travail; le Linian, que
son appellation même fait croire avoir été jadis rattaché au Donetz, est
maintenant à demi comblé'. La ville de Bakhraout, située comme Slavansk
Congrès archéologique de Kaian, 1877.
40-2
310 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
dans une vallée latérale du Doiietz et sur un même terrain géologique,
retire de ses salines des centaines de milliers détonnes par an depuis 1870,
époque de la suppression de la gabelle : on y voit de grandes sauneries à
vapeur. Le nom russe de Bakhmout n'est autre que l'appellation turque
(le Mahmoud ou Mahomet : c'est ainsi que, dans la langue des Moscovites,
s'était transformé le nom du Prophète.
SFavanoserbsk, Làtie sur un bras mort du Donefz, sur un sol où manque
l'eau pure, fut, comme Sl'avansk, une colonie de Serbes émigrés de l'Au-
triche en 1755. Cette ville est déjà dans le bassin liouiller du bas Doiîetz,
dont le combustible est utilisé plus à l'ouest dans les usines métallur-
giques de Eougaiî ou Lougansk, fondées en 1795 par l'anglais Gascoyne
pour le compte du gouvernement russe. Cet établissement, quoique fort
éloigné de la mer, devait fournir la marine de canons, de projectiles, de
machines diverses; maintenant les mille ouvriers qui s'y trouvent fabri-
quent surtout des machines à vapeur et des locomobiles. Cependant l'im-
portance de tougan lui vient plus encore de son commerce de bétail et de
céréales que de son activité industrielle : c'est la principale étape de
trafic entre Kharkov et les villes du Don inférieur et de la mer d'Azov. Au
nord de Lougaiî, la vallée de l'Aïdar, où se trouve la ville de Starobelsk,
se réunit au Donelz.
La capitale de l'Armée du Don, Novo-Tclierkask, domine du haut de
sa berge escarpée le cours de l'Aksaï, branche septentrionale du Don, et la
vaste plaine où serpentent les coulées changeantes du fleuve entre les îles
et les bancs de sable. Au sud de ces espaces indécis, que recouvrent les
eaux d'inondation, et sur les bords du principal courant, le village de
Staro-Tcherkask ou de « Yieux-Tclierkask » fut jusqu'en 1806 la capitale
des Cosaques du Don ; mais la plupart de ses habitants durent émigrer par
ordre de leur ataman et s'établir dans la ville nouvelle. Celle-ci, composée
de trois stanitzas, occupant ensemble un espace de plus de 10 kilomètres
carrés, n'est pas exposée aux inondations, puisqu'elle en domine le niveau
de près de 100 mètres, mais elle avait le grave inconvénient de manquer
d'eau potable : au sud, l'Aksaï roule une eau marécageuse; au nord coule
une rivière saline, ainsi que l'indique son nom de Touzl'ov, à racine tar-
tare ; au nord-est, le ravin de la Kadamovka est presque toujours à sec.
Les Cosaques de la ville se préparaient à une deuxième émigration pour
aller choisir un emplacement ]>lus favorable, mais le tzar Nicolas donna
l'ordre en 1857 de maintenir la ville sur la berge de Novo-Tcherkask :
on creusa des citernes, on essaya de forer un puits artésien, puis on con-
struisit un aqueduc de 29 kilomètres de longueur dont l'eau, prise au
tOUGAN, NOVO-TCHERKASK.
8It
sud-ouest près de la stanitza Alexandrovskaya et dans le ravin du Grand-
■Log, est- soulevée par des machines à vapeur : l'alimentalion journalière
s» 1"3. NOVO-TCHERKASK.
°H -k.^a^ ^
E . de G
dàprès la Carte de i Etat-Major
• Tertres.
de Novo-Tcherkask varie de 1200 à 1500 mètres cubes. Grâce à celle
abondance d'eau, grâce au charbon que lui apporte le chemin de fer
S12
NOUVELLE GÉOGRAPHIE U>'IVERSELLE.
de Grouchovka ou stanitza Grouchcvskaya, la capitale de l'Armée du Don
s'est rapidement développée et de nombreux édifices lui ont donné un
aspect de cité. Des faubourgs se prolongent à l'ouest de la ville, le long
des berges, séparés les uns des autres par les ravins sans eau qui découpent
le plateau des steppes, tout bordé de kourgans.
rSI. ROSTOV ET NAKHITCHEVAN.
EdeP
Nakhitcheva
' <?^^\{ Alexandrovskayi
rortdeSiDimHriy \^JMQt\W:^='^'-^
En amont du delta proprement dit se succèdent les villes jumelles de
Nakliitchevan et de Rostov, qui forment en réalité une seule et même cité,
et (]ui continuent le long fiuibourg de Novo-Tcberkask. Nakliitchevan ou
simjilement Katclievan, ainsi nommée par ses colons arméniens en sou-
venir de la Nakliitchevan de Transcaucasie, est à "2 kilomètres seulement
NAKHITCUEVAN, ROSTOV, AZOV. 813
de Rostov, dont elle est séparée par les restes de l'ancienne forteresse de
Saint-Dimitriy, élevée à la fois contre les Turcs et les Cosaques. Nakhit-
chevan, ville longtemps privilégiée, s'étend sur un espace considérable,
occupé surtout par des jardins. La population de la ville est encore presque
exclusivement arménienne comme aux temps où se fonda la colonie, il y a
un siècle environ. Au contraire, Rostov est peuplée d'hommes de toute
race, Grands Russiens et Petits Russiens, Grecs, Arméniens, Tartares.
Juifs, Occidentaux italiens, français, allemands. C'est une ville d'un grand
commerce, où près de trois mille navires de cabolagc viennent chaque
année charger des céréales, du lin, des laines, du suif et d'autres denrées'.
La valeur annuelle des échanges dépasse cent millions do francs; les manu-
factures, surtout celles de tabac, ont beaucoup augmenté; elles emploient
près de 4000 ouvriers. Toutefois Rostov a le désavantage commercial de
n'avoir qu'un port de rivière où les navires ne peuvent toujours monter,
et sa juridiction ne s'étend pas même sur l'entrée du Don, appartenant au
territoire des Cosaques ; elle n'a pas le droit d'y entreprendre des travaux
de dragage, qui d'ailleurs ne pourraient avoir qu'une utilité temporaire'.
La pèche, encore fort importante dans les eaux du delta, a notablement
diminué, et les descriptions des anciens auteurs relatives aux poissons qui
se pressaient en multitudes dans les bouches du Don ont cessé d'être vraies
depuis le commencement du siècle^ Rostov est le rendez-vous des moisson-
neurs, des faucheurs, des vignerons qui vont offrir leurs services aux pro-
priétaires des contrées environnantes et jusque dans les vallées du Caucase.
En été, Rostov a souvent plus de cent mille habitants, bien que la popula-
tion fixe n'atteigne pas même les trois quarts de ce nombre. Ces travail-
leurs couchent en d'immondes cabarets et des milliers dorment par terre
dans les rues ou sur la berge. La fièvre typhoïde fait parmi eux de ter-
ribles ravages.
La vieille et fameuse cité d'Azov, sur le bras méridional du Don, à
15 kilomètres environ de son embouchure dans la mer, est déchue de son
rang : elle ne porte plus même le nom de ville ; depuis la fin du siècle
dernier elle a seulement rang de bourgade, quoique ses habitants soient
plus nombreux que ceux de maint groupe de population urbaine. Les
débris de la forteresse, qui eut jadis une si grande importance stratégique,
' Exporlalion (le Rostov en 1880 22 jOO 000 roubles.
' Mouvement du porl de Roslov en 1882 :
6i50 navires et embarcations, jaugeant 732 512 tonnes.
^ Dnrisak, Elude ijéologiquc-hijdroijrajiUifiuc sur le Don inférieur (en russe).
i\i
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
se voient encore au centre du bourg ; mais il ne reste plus rien de l'an-
cienne Tana des Vénitiens, héritière de la Tanaïs grecque. Tana était
l'entrepôt des denrées de la Perse cl de l'Inde et le marché des serfs de la
Russie'.
C'est en dehors du delta que se trouve de nos jours le principal marché
du Don : la barre n'a pas permis à une nouvelle Tanaïs de se fonder au
bord du fleuve, et c'est même à grand'peine que les navires pénètrent
dans le golfe oriental de la mer d'Azov, au port de Taganrog, où pou-
vaient flotter 200 navires à l'époque de Pierre le Grand. Seules les petites
embarcations approchent actuellement de cette ville : les bâtiments d'un
tirant d'eau de 5 à 6 mètres sont obligés de mouiller à d5 kilomètres au
large; les plus grands s'arrêtent même à 40 kilomètres des quais. Au trei-
zième siècle déjà, les Pisans avaient établi un comptoir sur le promontoire
auquel on a donné depuis le nom de « Corne du chaudron » ouTagan-rog.
Sur celte falaise de 60 mètres de hauteur, il n'existait plus qu'une tour
de signaux lorsque Pierre le Grand, en 1698, y fonda une forteresse qu'il
dut évacuer plus lard, après d'énormes travaux qui coûtèrent la vie à des
travailleurs importés de la Russie centrale par dizaines de milliers. C'est
' Villes et s-hobodas du bassio du Don ayant pins
GOUVERNEME.M DE TOULA.
Yefiemov (1881) . ...... 85J0hab.
GOUVERNEMENT DE TAMDOV.
Koziov 25 500 hab.
Lipetzk 14 200 ).
Boiisogleb>li 12 000 »
Ousinan ... 7 500 »
Kirsanov . 7 200 »
Lebedan 6 000 »
GOUVERNEMENT DE SARATOV.
Petrovsk (1881) 15100 hab.
Balarhov i. 10 100 »
Scrdobsk .. 9 100 »
Alkaisk « 0400 »
GOUVERNEMENT DE VORONEJ.
Voroncj (1880) 50 100
Bouloufliiiovka (^loboda) (1880). 21 700
Alcxetcvka n i
hab
Kalalch
Itd^'outcliar
Zadonsk
Koi'oloyak
Pavfovsk
Osti'ogojsk
Novo-Khoporsli
Zcmlaosk
(1880).
1 i 100
12 050
9 450
8 700
8t)50
8 500
8 100
8 000
G 250
de 5000 habitants :
Valouiki fi 050
Ourazova (sioboda) 5 000
GOUVERNEMENT DE KOURSK.
Belgorod 10 100
SlarîyOskol 7 200
Korotclia G 550
GOUVERNEMENT DE KllARKOV.
Khai-kov (1882) 133 150
hab.
hab.
hab.
Izoum
S-tavansk
Vohchansk
Tchougouyev
Starobelsk
Valki
Zot'otcbov
17 800
15 575
15 200
9 780
7 900
7 200
5 775
GOUVERNEMENT DE ÏEKATERINOSLAV.
Uostov (1881) 70 700
Bakhmout (1884) ...... 20000
Kakhili-bcvan (1881) 19 000
Azov >. 18 750
■Lougnii )' 15 000
ARMÉE DU DON.
Novo-Tcherkask (1880) .... 57 100
GOUVERNEMENT d'oROL.
Yelctz (1885) 30 080
Livni » 25 025
hab.
hab.
hab.
TAGANROG, MARIODPOL, BERDANSK. 815
en 1769 seulement que s'établit délinilivemcnt la ville. Elle prospéra rapi-
dement et, devenue maintenant la principale cité de la Russie du sud-est,
elle est, grâce à son chemin de fer, le port d'expédition le plus rapproché
des Terres Noires de Khaikov et du Don. Parmi les commerçants qui se
pressent dans ses rues, on rencontre, comme à Rostov, beaucoup d'étran-
gers, Grecs, Italiens, Allemands. Taganrog a pris aussi une certaine im-
portance comme ville industrielle. Son administration est indépendante du
gouvernement de Yekaterinoslav ; la ville et sa banlieue forment, comme
Odessa et Kertch, une « capitainerie » ou gradonatchal'stvo '.
Marioupol, colonie fondée en 1779, a de grands avantages sur Taganrog,
puisque sa rade est meilleure et que les gros bâtiments peuvent jeter
l'ancre à quelques encablures du rivage ; elle recevra encore des navires
quand Taganrog sera définitivement délaissé dans les terres. Deux rivières
s'unissent à une petite distance en amont de la ville, le Kalmious et le
Kaltchik, la fameuse Kal'ka, sur les bords de laquelle les Mongols rem-
portèrent, au printemps de 1225, leur première victoire sur les Russes".
Malgré ses privilèges naturels, Marioupol a moins de commerce que
Taganrog et la valeur de ses importations est presque nulle'. On la dit
peuplée de Grecs ; mais ces Grecs, venus de Crimée, ne parlent même pas
tous un dialecte hellénique. Les Razarianes, qui émigrèrcnt du district du
Chersonèse à Marioupol, parlent tartare : M. Grigorovitch voit en eux
les descendants d'Alains tartarisés'.
Berdansk, bâtie à la racine de l'une des flèches de sable les plus gra-
cieusement infléchies de la mer d'Azov et au pied de falaises escarpées, est
une ville plus moderne que ses deux rivales des Palus Maeotides : elle date
de l'année 1850. Encore privée de communications par chemin de fer
avec l'intérieur, elle reçoit pourtant une grande quantité de céréales qu'elle
' Commerce de Taganrog en 1882 :
Entrées 1019 navires de mer, jaugeant. . . 500 878 tonnes.
Sorties 10-26 « ,• . . . 499 108 x
Ensemble. . . . 2075 navires, jauge.int 999 98(5 tonnes.
Petits caboteurs : Entrées, 3004 embarcations, jaugeant 21 7 866 tonnes. Sorties, 5474 embarcations,
jaugeant 222 962 tonnes. Ensemble, 440 858 embarcations. Total du mouvement : 1 440 824 tonnes.
Exportation moyenne en 1878-1880 12 000 000 roubles.
Importation )i 5 500 000 »
- Kounik, Mémoires de T Académie des sciences, 2° vol. — Brunn, Matériaux pour l'histoire de
Sougdetja.
^ Exportation de Marioupol en 1880 : 2 000000 roubles.
Mouvement du port en 1882 : 1944 navires et petits caboteurs, jaugeant 559 740 tonnes.
* Mémoires sur le voyage d'un antiquaire sur Kalka (en russe).
SIC
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
expédie à l'éiranger'. La bonne tenue de sa rade, la profondenr d'eau consi-
dérable de son port, comparée à celle de Marioupol et surtout de Taganrog,
N» 1*1 _. PFvTxsn.K DE E-r.PAN:-r:
V
/v:
1 y^--'
dccctauJcU
enfin le voisinage du grand coude oriental du Di'iepr, assurent à lîer-
(iansk un courant commercial (ouliuu. BerJausk est, pour ainsi dire, le
Exportation de Cerdansk en 1880 : 7 000 000 roubles.
Mouvement du port en 1882 : 2406 navires et petits caboteurs, jaugeant 172 0(J2 tonnes.
BERDANSK, CRIMÉE. 817
port (lu Dnepr sur la mer d'Azov : c'est là que vient aboutir la route la
plus courte, commençant à Alexandrovsk, en aval des rapides.
A l'ouest de Berdansk, Nogaïsk, près de la rivière Obitotchnaya et sur
la racine de la flèche du même nom, n'a pas répondu par son commerce
aux espérances de son patron, le duc de Richelieu, qui la désigna comme
ville en 1814. Les Tartares Nogaïs qui lui ont valu son nom n'existent plus
dans la contrée. Melitopol, sur la Molotchnaya, a beaucoup plus d'impor-
tance comme centre des échanges des nombreuses colonies allemandes des
alentours'. Le centre de l'administration coloniale est à Halbsladt, peuplée
de mennonites.
XI
Par le tracé de ses rivages, la péninsule de Crimée semble être presque
indépendante de la Russie, puisqu'elle ne tient au continent que par
l'isthme étroit de Perekop. Cependant la nature des terrains et la presque
horizontalité du sol, qui se continue au-dessous de la nappe superficielle
des eaux, prouvent que les steppes de la Crimée du Nord continuent bien
celle de la Nouvelle-Russie et forment avec elle une même région géolo-
gique. La véritable Crimée, celle qui se distingue nettement par sa géogra-
phie du reste de l'empire slave, est la Crimée monlueuse qui se prolonge
du cap Chersonèse au détroit de Yeni-Kaich et dont l'axe se croise avec
celui du Caucase aux presqu'îles volcaniques de Kertch et de Tamaii. Cette
contrée, surtout le versant méridional des monts, est, pour ainsi dire,
complètement en dehors de la Russie, aussi bien par son histoire que par
ses roches et son climat. La Crimée était déjà rattachée au monde grec par
ses légendes bien des siècles avant que l'immense pays des Scythes com-
mençât à se révéler, et plus tard elle ne cessa point de prendre part aux
grands mouvements historiques des nations méditerranéennes. Là s'éleva
la capitale de ce royaume du Bosphore que fonda Mithridate et qui fut un
de ses points d'appui dans sa lutte contre Rome ; là furent plus lard les
colonies byzantines, puis celles des Pisans et des Génois qui servaient d'in-
' Villes de la rive septentrionale de la mer d'Azov ayant plus de 5000 habitants :
COUVEK.NtME.M DE ÏERATER1.>0SLAV. i COUVEMEJIEST DE T.MRIDK.
Taganrog (1880) 63 0.".(Kial). 1 lierdansk (1881) 18 200 liab.
Marioupoi (1881) 14 800 » I Meiitoiioi » . 15 300 »
V. 103
SIS NOUVELLE GÉOGRAPUIE UNIVERSELLE.
termédiaires entre les peuples civilisés du midi de l'Europe et les tribus
encore barbares des régions de la Volga. Tout récemment, c'est aussi dans
la Crimée qu'eut lieu le choc d'armées le plus terrible entre la Russie et
les deux principaux États de l'Europe occidentale. Pour les Russes eux-
mêmes, naguère moins nombreux en Crimée que les descendants de races
asiatiques et méditerranéennes, la presqu'île est, pour ainsi dire, une terre
extérieure, une possession coloniale : ils y vont comme s'ils se rendaient à
l'étranger. Le versant méridional des monts de la Tauride, chantée par
Pouchkin ', est pour eux comme une seconde Italie par ses plantes, son
climat, l'aspect de la terre et du ciel ; avec le Caucase, la Crimée est un des
pavs qui ont le plus contribué à développer chez les Russes modernes le
sentiment de la nature. D'ailleurs, cet espace, comparé à la masse énorme
de la Russie, est de bien faibles dimensions. La région des montagnes n'est
qu'un cinquième de la péninsule, et la Crimée tout entière, fragment
maritime du gouvernement, en partie continental, de Tauride, n'occupe
pas même autant d'étendue qu'un simple lac de la Russie, tel que le Ladoga;
sa population n'égale pas celle d'une seule ville de l'empire comme Péters-
bourg, Moscou, Varsovie'.
La chaîne de montagnes calcaires qui se développe au sud de la Crimée
sur une longueur d'environ 180 kilomètres, du cap Chersonèse à la baie
(le Kaffa, est irrégulière et sinueuse. Dans son ensemble, elle paraît n'être
qu'un débris : elle porte partout les traces de profondes érosions; ses
rochers ne sont que des ruines, ses montagnes que des fragments d'un
vaste plateau découpé par les pluies. Toutefois le reste du plateau permet
de juger de son architecture primitive : fort doucement incliné du côté
du nord, il va se perdre par graduations peu sensibles sous le sol nu des
steppes, tandis qu'au sud il descend vers la mer en escarpements abrupts.
De ce côté seulement les pointes de l'arête calcaire offrent l'aspect de mon-
tagnes ; très rapprochées de la côte, puisque l'axe réunissant les saillies
culminantes n'est en moyenne que de 6 à 12 kilomètres du rivage, elles
paraissent d'autant plus hautes que dans cet étroit espace se succèdent les
degrés irréguliers des contreforts et des promontoires, et qu'à leur base
s'étend la mer bleue, sans écueils ou bancs de sable, presque sans algues
' La Fontaine de Bakhlchi-Saraï.
' Superficie. ropulalion en ISSl. pupiilalion lilom.
Crimée 25 727 kilonièlres carrés. 500 000 habilanls. 12 habilants.
Ensemble du gouv. de Tauride. Gô 555 a 051800 ). 15 )>
MONTAGNES DE LA CRIMÉE. 819
ni coquillages : à une foible distance du bord, la corde de sonde se
déroule à plus de 100 mètres de profondeur.
Les roches calcaires des montagnes de la Crimée alternent en plusieurs
endroits avec des couches de glaise et de schistes argileux, et cette dispo-
sition des strates a pour conséquence de hâter l'écroulement des pentes
tournées vers la mer. Quelques-uns de ces lits argileux, déblayés graduelle-
ment par les sources, ont laissé de grands vides dans la montagne, et
des assises se sont éboulées, montrant encore leur cassure vive au-dessus
du chaos de pierres. Sur les rivages, les vagues de la mer ont affouillé les
roches partout où elles présentent une assise d'argile, et mainte falaise,
privée de son appui, s'incline menaçante au-dessus des vagues ; chaque
pluie en détache des blocs ou même des parois entières. Telle averse qui
tombe dans les montagnes s'écoule en déluge soudain, qui met en mouve-
ment vers la mer tous les champs de pierres de la vallée : un détachement
de soldats russes, couchés dans le lit de l'Aima, fut ainsi emporté par les
eaux et les débris'. Parfois aussi les terrains supérieurs glissent sur les
argiles lubrifiées, entraînant avec elles des maisons et des jardins, et
formant dans la mer un nouveau promontoire. Lorsque Pallas parcourait
la péninsule en 1794, on lui montra deux caps de ce genre provenant
d'éboulis qui avaient eu lieu huit années auparavant. En quelques endroits
les couches de glaise se révèlent jusque dans le voisinage des sommets par
les eaux salines, autour desquelles croissent des plantes que l'on rencontre
d'ordinaire au bord de l'Océan ■. Les fontaines calcaires, bordées de con-
crétions, sont aussi fort nombreuses.
La plus haute montagne de la Crimée, à laquelle les Russes ont laissé
son nom tartare de Tchatîr Dagh ou a Mont de la Tente », peut être prise
en exemple de la formation générale du mur calcaire découpé en créneaux.
De loin, en effet, ses parois blanches et régulières lui donnent l'aspect
d'une tente ; mais, vu du sommet, il mérite surtout l'appellation de
« Table » ou de Trapezos que lui donnèrent les Grecs. Isolé de toutes parts,
à l'est et à l'ouest par des précipices presque verticaux, au nord et au sud
par des cirques et des ravins d'érosion, il a la forme d'une masse (piadran-
gulairc allongée dans le sens du méridien, et comprend une superficie d'un
])eu plus d(! 20 kilomètres carrés. Cette vaste étendue est, sinon i)arfaite-
ment horizontale, du moins très doucement inclinée jusqu'au voisinage de
l'arête, vers le midi de la « table » ; seulement des cavités en entonnoirs,
' Marknv, Ln villes îles grotles en Crimée, Vcsinik Yc\ropi, 1872, V(, VII.
" Pallas, Tableau phijsiqiie et topographiquc de la Tauride.
820
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
où se perdent les eaux de pluie, se sont creusées çà et là dans la roche'.
Les hauts pâturages ou les yailas du Tchatîr Dagh et de ses voisins rap-
pellent les « alpages » du Jura suisse; mais le temps a plus détruit sur les
bords de la mer Noire qu'au-dessus du lac de Neuchâtel : aucun sommet
du Jura helvétique n'a été dénudé comme la montagne de la « Tente ». La
brèche d'Angar ou Ansar-Boghaz, ouverte à l'orient du Tchatîr Dagh, est
N* ISI. TrUATlR PACH FT TAlI.l VOI!ÎI\r?
[ deP
.-'-^- 'f^^ ^S
iC^
'^çPfa^das^Wi,
L.deG.
Uai'rùs ;a cailc de l'ilal-i
Û^ 0 à 50 mètre: de50mcu-ae/à
I ; ri-.s 000
celle où naît le Salgir, affluent du Sivach et la rivière la plus abondante
de la péninsule. Le col de passage, plus bas que tous ceux de la chaîne
proprement dite et depuis longtemps franchi par une route carrossable,
a de tout temps facilité les communications entre les steppes du nord et le
littoral du midi; cet endroit est l'un des points vitaux de la péninsule".
' J. G. Kohi, Reisen in Sild-Russland.
- Principaux sommets des monts de la Crimée, d'apiès Parrol el Ei>i;i'lhardl :
Tcliatir Dagh 1661 milles. | Babouj;aii Yaila, au sud. . 1665 mètres.
Ai Vassiiem 1627 mètres.
r
MONTAGNES DE LA CRIMEE. 825
De même que la plupart des littoraux formés de roches calcaires, la côte
méridionale de Crimée se développe en courbes d'une singulière netteté
de contours : quelques-unes sembleraient avoir été tracées au compas, tant
elles s'arrondissent avec régularité. Des plages émergées, à plusieurs
mètres de hauteur au-dessus de la mer actuelle, témoignent soit d'un
soulèvement de la contrée, soit d'une dénivellation des eaux du Pont-
Euxin, avant que cette mer, s'ouvrant le chemin du Bosphore, s'abaissât et
se séparât de la mer Caspienne. Des recherches spéciales faites pendant
ce siècle ont prouvé que ces plages exondées, formées pour la plupart de
sables coquilliers, varient en hauteur de 4 à 6 mètres et qu'elles entourent
toute la partie méridionale de la Crimée en se continuant à l'est le long des
péninsules de Kertch et de Taman. Les coquilles que l'on y trouve appar-
tiennent sans exception aux espèces existant encore dans la mer ^'oire'•
Sur les deux versants de la chaîne calcaire et vers ses deux extrémités,
des roches éruptives se sont fait jour à travers le sol : on les considérait
autrefois comme des ophites d'origine ancienne, mais, grâce à l'analyse chi-
mique, on a pu reconnaître que ces roches sont des basaltes modernes',
le cap Saint-Georges, à la pointe sud-occidentale de la péninsule, est une
de ces nappes de basalte qui se sont épanchées au loin dans la mer.
L'activité souterraine qui se manifeste de temps en temps par des érup-
tions, des deux côtés du détroit de Yeni-Kaleli, se fait sentir précisé-
ment sur l'axe de jonction des monts de la Crimée et du Caucase : sans
nul doute, c'est à la coupure de cette ligne par une vallée maritime qu'il
faut attribuer l'effervescence du sol profond. Des sources thermales, des
suintements de naphte et des volcans de boue, semblables aux niaccalube
de Girgenti, se voient encore çà et là dans la région niontueuse des envi-
rons de Kertch ; mais de puissantes couches d'argile, d'origine éruptive,
prouvent que les épanchements de vase se faisaient autrefois avec beaucoup
plus de violence que de nos jours. Les volcans de boue de la péninsule de
Kertch les plus fréquemment en activité sont ceux de Boulganak, à G kilo-
mètres au nord de Kertch : quand la boue permet d'en approcher, on peut
voir des bulles de gaz jaillir des cratères en projetant la vase à une hau-
teur de quelques centimètres. Suivant la fluidité des matières rejetées par
les orifices du sol, les cônes d'éjection sont plus ou moins élevés et pointus ;
il en est qui ont plutôt la forme de nappes légèrement bombées. La tempé-
rature de la boue liquide est beaucoup plus basse en été que celle di;
' Ilcrmann Abioh, Ein Blick aiif die Halhintcln Keitsch und Taman.
* Von Sluckeobcrg, Matériaux pour la qéotoyic de la Russie. Publications de la Société miurra-
logique de Russie, tome V (en russe).
82i îiOUVCLLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
l'atmosphère extérieure. D'après les Tartares du voisinage, les explosions
de gaz et de bone sont d'autant plus violentes que la mer est plus tran-
quille. Quand la mer est grosse, les volcans se calment.
Par ses falaises, ses hauts escarpements, l'île de montagnes de la Crimée
méridionale, que Pline déjà signale comme ayant été un massif insulaire,
se distingue singulièrement du reste de la Russie, presque partout basse
ou peu accidentée ; mais c'est grâce à leur parure de plantes que les monts
de la Crimée méritent le plus d'être considérés comme un monde à part.
Dans les steppes criraéennes des bords du Sivach, le sol argileux n'a que
des touffes d'herbe isolées, et même celles-ci, après deux mois de végéta-
tion, tombent en poussière. On pourrait se croire en plein désert '. Mais sur
les premiers coteaux du versant septentrional, tourné vers la steppe nue,
des prairies, des groupes de peupliers, des vergers, des bouquets d'arbres
divers embellissent les pentes, et dans chaque vallée murmurent des eaux
fraîches, que l'on détourne dans les jardins, où elles alimentent une végéta-
tion magnifique. Les forêts des hauteurs n'ont pas encore été toutes
détruites, et l'on peut encore voir çà et là des groupes de hêtres superbes,
qui rappellent les forêts de l'Europe centrale et de la Normandie. Tous
les grands arbres de l'Europe tempérée s'entremêlent, chêne, hêtre,
charme, tilleul, ormeau, frêne, sorbier, tremble, saule, aubépine, meri-
sier, prunier, pommier sauvage. Sur le versant méridional, le pin mari-
time est l'arbre le plus commun; mais sur les pentes inférieures la
végétation est celle de l'Italie : en franchissant les montagnes, on s'est, pour
ainsi dire, transporté de plusieurs degrés vers le sud. Là croissent le lau-
rier, le figuier, le micocoulier, le grenadier, l'olivier, l'arbousier, et les
vignes sauvages entrelacent leurs pampres aux troncs des grands arbres.
Le nombre des plantes qui vivent sur les monts de la Tauride dépasse de
plusieurs centaines celles qui peuplent tout le reste de la Russie*. Le ver-
sant en espalier des montagnes de Yaïla forme comme un vaste jardin bota-
nique, et les parcs seigneuriaux qui se succèdent au pied des escarpements
n'ont eu qu'à mêler les végétaux des forêts environnantes aux fleurs culti-
vées pour ressembler aux merveilleux jardins de la Sicile et de la Ligurie.
Trop étroite pour donner asile à une faune considérable, la Crimée
est beaucoup moins riche en animaux qu'en espèces végétales. A l'excep-
tion du lièvre, du renard et des petits rongeurs, les quadrupèdes sau-
vages y sont rai'cs et quelques-uns de ceux qu'on voit en Russie mainpient
' Kôppen, Beilrâge zur Kcimtniss des lussischen Reiclies.
' Pallas, ouvrage cilii.
FLORE ET FAUNE DE LA CRIMÉE. 825
tout à fait ; ils ont été arrêtes dans leurs migrations par la steppe nue.
Le cerf, le chevreuil, la martre de la Crimée sont d'origine caucasienne;
ils ont dû venir en hiver sur les glaces; mais l'écureuil, retenu par le som-
meil hivernal, n'a point immigré'. Mais tous les animaux domestiques
des steppes russes ont été introduits dans la péninsule, et le chameau à
deux bosses parcourt les plaines salines des bords du Sivach comme celles
de sa patrie asiatique. En automne, les cailles se rassemblent sur la
côte méridionale de la Crimée pour traverser de compagnie la mer Noire,
puis elles reviennent au printemps des côtes d'Anatolie : c'est de la même
manière que les migrations périodiques des cailles se font entre la Provence
et la Maurétanie, par-dessus le bassin occidental de la Méditerranée. La
Tauride est relativement pauvre en oiseaux aquatiques, en reptiles, en
insectes, en mollusques marins. Les huîtres, d'un goût exquis, sont petites
et triangulaires : von Baer y voit une variété rabougrie de l'espèce com-
mune ; la proportion de sel contenue dans l'eau de la mer Noire, soit de
17 à 18 parties sur 1000, est la moindre dans laquelle puisse se développer
ce mollusque. Le taret destructeur est le fléau des ports de Crimée, et dans
le port de Sébastopol c'est à huit années seulement que l'on évalue la durée
moyenne d'un vaisseau de guerre en bois. On peut juger de l'abondance de
la vie animale, pullulant sur les côtes de la Crimée, par ce fait qu'en dé-
cembre 1869 la baie de Balaklava se trouva presque emplie par un banc
d'anchois, que poursuivaient des dauphins. Ne trouvant pas d'issue pour
s'échapper vers la haute mer et sans cesse grossi par d'autres amas, le banc
finit par former comme une masse solide, qui dépassait en maints en-
droits la surface de l'eau. Toute la population de Bal'aklava était occupée à
remplir de poissons les bateaux et les tonnes. Mais bientôt il fallut aussi
songer à débarrasser le bassin des myriades de poissons morts qui s'y trou-
vaient : des milliers d'hommes, envoyés de Sébastopol, travaillèrent à net-
toyer les plages de la matière putréfiée qui l'encombrait : on employa même
le canon pour chasser les dauphins (pii bloqnaiciil l'enlréo de la baie,
empêchant ainsi la fuite des anchois vivants. Pendant des mois l'atmosphère
fut empestée; une partie des habitants de Balakl'ava dut quitter la ville
pour fuir l'horrible puanteur. D'ailleurs une masse considérable de pois-
sons, au lieu de se putréfier, se changea en une substance crayeuse, blan-
che et grasse au toucher comme du savon, qui se déposa graduellement sur
les rives en forme de strate géologique'.
' Kôppon, licilrwje zur hcnntnias des Russifdien Rcichcs, 2' Fol;.'e, Petersl)iiig, 1882.
* Fritschc; — Brandi, Bulletin de V Académie des sciences de Sainl-Pétersbonrg, loiiu' III, 1861.
826 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Le doux climat de la Crimée, dont la moyenne d'hiver ne descend qu'ex-
ceptionnellement au-dessous du point de glace, même dans les villes du
versant septentrional, et la riche végétation des vallées ne pouvaient man-
quer d'attirer les émigrants vers la péninsule de Tauridc'; mais la position
géographique de la presqu'île assurait en outre aux habitants des avan-
tages spéciaux. Située en dehors du continent, tout en gardant ses commu-
nications libres avec les plaines de l'intérieur, la Crimée va, pour ainsi
dire, au-devant de toutes les routes de commerce et leur ouvre ses ports.
Sentinelle de la mer d'Azov et des golfes occidentaux de la mer Noire, elle
profite à la fois des échanges qui se font entre les pays d'outre-mer et les
bassins du Don et du Dnepr. Pour l'attaque et pour la défense, la Crimée
occupe également une situation exceptionnelle, au centre du Pont-Euxin ;
en fermant la porte de l'isthme qui la rattache au continent, elle peut
même se changer en une véritable forteresse : tel aurait été même, d'après
Forster et Koppen', le sens du nom de krhn que lui donnèrent les Tar-
tarcs vers la lin du treizième siècle", et qui lui est resté jusqu'à nos jours,
en même temps que l'appellation plus ancienne de Tauride. D'après un
Tartare de Crimée, Kharlakhaï, ce nom pourrait être rapproché du mot
mongol herem, qui signifie muraille.
On ne sait que peu de chose des Thraces Cimmériens' qui peuplaient la
péninsule à l'époque où commence l'aurore historique et qui, chassés par
le peuple scythe des Taures, allèrent ravager l'Asie Mineure. Peut-être
est-ce à eux que l'on doit attribuer les antres creusés çà et là en véritables
cités souterraines dans les parois calcaires des montagnes et comprenant
des milliers de chambres^, habitées jadis par des générations de fugitifs
et d'ascètes. Les quelques menhirs et les nombreux dolmens que l'on ren-
contre aussi sur les hauteurs ^ surtout dans les montagnes du sud-ouest,
et qui ressemblent à ceux de la Gaule ', sont peut-être aussi l'œuvre de ces
aborigènes, dans lesquels plusieurs auteurs ont voulu voir des Celles,
frères de ceux qui envahirent les contrées de l'Europe occidentale. Il est
' Teinpéralure de Simferopdl :
Moyenne de printemps H''14 C. 1 Moyenne d'automne 8''46 C.
» d'été 190 85 I « d'hiver 0'' 70
Moyenne de l'année Il"(i5 C.
Moyenne au jardin Nikilskiy, sur lu cùte méridionale I'2°ô5 C.
- Krimskiij Sbornik.
'- llarka\i,"/<».s.«.s,/(e Revue, 1876, X.
* D'Ailxiis lie Juliainville, li's Premiers hubilttnls de l'Eioope.
5 Markuv, ouvrage cité.
« Dubois de Monipércux, Voijmje en Crimée et an Caucase.
'' G. de Mor:illcl, Races humaines et chirurgie religieuse à l'époque àes dolmens.
ANCIENS HABITANTS DE LA CRIMEE.
827
probable que la population de la Tauride se rattachait dans son ensemble
aux tribus du Caucase. D'après Kôppen, les habitants des contrées à dol-
mens de la Crimée ressemblent à ceux qui vivaient dans le pays à l'époque
où ces tombeaux furent élevés et doivent être considérés en grande partie
comme leurs descendants '.
A l'époque où la civilisation hellénique fit entrer les peuples de la Tau-
lOMBEAU DES «OIS SCÏTIIES, PRÈS DE KEHTC:!.
Dessin de Tajlor, d'après une photographie communiqU(''e par M. Hamliaud.
ride dans le cercle du monde ancien, la race dominante de la contrée,
désignée par les Grecs du nom de Scythes, comme tous les habitants des
plaines du nord, appartenait certainement à la souche aryenne : les sque-
lettes trouvés dans les tombes ne permettent aucun doute à cet égard.
Grâce à leurs éducateurs hellènes, les Scythes de la péninsule avaient fait
les plus remarquables progrès dans les arts, et quelques-unes de leurs
œuvres ne sont pas trop inférieures aux objets grecs d'un goût ex(]uis qui
furent trouvés dans les mêmes tombeaux et qui font la gloire des musées.
* Ritssische Revue, 1874, ii° 12.
R28 .NOUVELLE GÉOGRAPUIE U.MVERSELLE.
Les collines qui dominent Kertch, l'antique Panticapée des Milésiens, con-
tenaient naguère dans leurs tombelles et leurs catacombes d'immenses tré-
sors, dont la plus grande partie a été transférée au musée de l'Ermilage, à
Saint-Pétersbourg, et dans quelques collections particulières. Depuis plus
de deux mille années, ces tombes, surtout celles des femmes, les plus riches
en métaux précieux, sont exploitées par les chercheurs de trésors, et des
fouilles récentes ont même amené la découverte de deux de ces mineurs,
ayant encore leurs pelles à la main, au moment oii le sol éboulé les en-
gloutit. D'après les indigènes, les marchands génois surtout ont été fort
habiles dans leurs fouilles, et c'est au temps de leur domination que la
plupart des tombeaux royaux des environs de Kertch auraient été dépouillés.
Cependant il^en restait encore plusieurs, vierges de toute. profanation, et dès
181(3 le Français Paul Duhrux commençait des fouilles fructueuses dans les
tombelles de Kertch; mais l'événement archéologique capital fut, en 1851,
la découverte de la vaste salle funéraire cachée dans l'intérieur du Koul Oba,
le « Mont des Cendres », situé au nord de Kertch : on y trouva, autour des
deux squelettes d'un roi et d'une reine, tout un musée d'objets précieux,
vases, statuettes, monnaies, pierres gravées, armes, bracelets, outils de
toute espèce, car il était d'habitude que le mort emportât avec lui dans
la tombe tout ce qui lui avait plu pendant sa vie ; malheureusement ce
tombeau, ainsi qu'un caveau inférieur que l'on dit avoir été plus riche
encore, fut pillé pendant la nuit par des centaines d'individus qu'avait
attirés le bruit de trouvailles merveilleuses. Malgré la proclamation d'un
pardon général et l'offre d'un paiement au poids de tous les objets trou-
vés, une grande partie de ces trésors, fondus au creuset, fut perdue
pour la science'. Mais les statuettes qui restent suffisent pour prouver,
comme les squelettes, que les Scythes du Bosphore cimmérien appar-
tenaient à la race aryenne : on a même voulu reconnaître en eux de
« vrais Cosaques » '. Les divers objets semblent appartenir à deux épo-
ques, correspondant, l'une au règne d'Alexandre, l'autre à l'établisse-
ment de la puissance romaine; mais à ces âges de l'influence hellé-
nique, continuée pendant tout le règne de la dynastie spartocidc, en
succéda un autre qui témoigne de la prépondérance du style asiatique.
Les fresques découvertes en 1871 par Stasov dans une cataconibe de
Kertch prouvent qu'à l'époque de Mitliridale une réaction se fit en Crimée
contre l'art de l'Occident, au profit de celui de l'Orient'. Cette réaction
« K. Picirtz. Rrciiei! d'articles anthropologiques et ethnographiques de Dachkov, \.
- lioiili', l'uuitlcs et découvertes; — Antiquités du Bosphore cimmérien.
' Albin Kolin iinii C. Melilis, Materialien zur Vorgeschichte des Menschen im ôsllichen Europa.
ANCIENS HABITANTS DE LA CRIMÉE. 829
dura jusqu'au quatrième siècle de l'ère vulgaire; mais alors l'ébranle-
ment général dos nations qui se déplaçaient de l'est à l'ouest changea,
du moins partiellement, la population de la Tauride, et les communi-
cations des habitants de la péninsule avec les tribus du nord de la
Russie furent interrompues pendant des siècles. C'est grâce à ces rela-
tions que les Scythes de Panticapée avaient pu se procurer les énormes
quantités d'or de provenance ouralienne et même altaïque enfouies par eux
dans les kourgans.
Tandis que dans la région des steppes les peuples en marche, s'enlre-
heurtant les uns les autres, ne s'arrêtaient nulle part et devaient se dépla-
cer sans cesse sous la pression de leurs voisins, les tribus qu'un remous
latéral avait rejetées dans la péninsule de Crimée y trouvaient le point
d'appui des montagnes et pouvaient résister longtemps, enfermées dans les
hautes vallées. Ainsi les Alains, d'ailleurs peu nombreux, s'y maintinrent
durant plus de six siècles sous le nom d'As, Acias, Akas ou Yas, et non
comme une peuplade soumise, mais en qualité d'hommes « blancs »,
c'est-à-dire libres'. Marino Sanudo mentionne encore ces Alains en 1554,
époque à laquelle ils avaient depuis longtemps disparu de tout le reste
de l'Europe, si ce n'est des marais riverains de la mer Noire. L'immense
empire des Goths, qui s'étendit sur une moitié de l'Europe, s'évanouit
comme une eau qui s'écoule ; le petit détachement de Goths qui s'était
établi dans les montagnes de la Crimée se maintint au contraire avec
sa langue et sa nationalité pendant plus de mille années. Au milieu du
treizième siècle, le Flamand Rubruquis dit expressément que les Goths
sont nombreux sur la cote méridionale, appelée Gothie, et que leur lan-
gage est d'origine teutonique; plusieurs mots de cet idiome, en effet très
rapproché de l'allemand, sont cités par un voyageur autrichien, en 1565.
Encore au dix-septième siècle, un de leurs groupes vivant dans la partie
occidentale des montagnes de la Crimée, autour de l'ancienne forteresse
de Mangoup-Kaleh, se distinguait par son idiome tudesque de toutes les
populations environnantes ^ Un cimetière voisin de Bakhtchi-Saraï est
encore appelé aujourd'hui le « cimetière goth » (gotveyskoïe) par les
paysans îles alentours". Les tombeaux appartiennent aux deux époques,
païenne et chrétienne.
Au moyen âge, quelques colonies de Russes, éloignées du gros de leur
race, furent aussi l'une des populations les plus solidement établies dans
' Bnmn, Matériaux pour l'hisloire de Sougdeya (en russe).
- Brunn, Golhs de la mer Noire (en russe); — Alfred Rambaud, Russie épique.
' Marliov, Les villes des grolles en Crimée, Vcsinilt Yevropi, 1872, n"' 6 et 7.
830 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
la presqu'île de Crimée, si bien que les auteurs arabes donnèrent à celte
terre le nom de « péninsule russe' ». Les Tartares de Grimée ont pu égale-
ment se maintenir beaucoup plus longtemps dans la citadelle des monts de
la Tauride que leurs frères du continent dans les ovrags des steppes. Ces
Turcs doivent le nom de Nogaï, sous lequel ils sont connus d'ordinaire,
au prince Nogaï, de la Horde d'Or, qui se sépara de l'empire mongol vers
la fin du treizième siècle, et s'établit entre le Terek et la Kouma, avec
des sujets de races diverses, Khazars, Petchénègues, Koumanes et Mon-
gols". Au treizième siècle, les Nogaï s'emparèrent de la Crimée, dont
ils firent un entrepôt de commerce avec l'Europe par l'intermédiaire des
colonies italiennes, surtout génoises, de leurs rivages. Le royaume des
Tartares de la Crimée s'organisa définitivement quand Tamerlan eut
ruiné la Horde d'Or sur la Volga, puis il devint célèbre avec la dynastie
des Ghireï, qui régna sur la péninsule pendant plus de trois siècles,
depuis le commencement du quinzième. Les premiers temps de cette
dynastie furent les plus heureux de la Crimée, grâce à la tolérance par-
faite qui permettait à tous les étrangers, Russes ou Italiens, de quelque
race ou de quelque religion qu'ils fussent, de s'établir et de commercer
dans le pays'. Mais tout changea quand les Turcs se furent emparés de
Kaffa, et que les khans de la Crimée, devenus leurs vassaux, furent obligés
de se faire les pourvoyeurs d'esclaves pour les sultans de Stamboul : ce
fut le commencement de ces guerres incessantes d'invasion qui dévas-
tèrent la Russie méridionale et en changèrent certaines régions en dé-
serts. Enfin, en 1774, Catherine U obligea la Turquie à reconnaître
l'indépendance de la Crimée, qui devint par ce fait vassale de Saint-
Pétersbourg, et en 1787 le dernier des Ghireï abdiqua au profit de l'im-
pératrice de Russie.
Dès que la péninsule conquise eut à recevoir des maîtres étrangers, la
dépopulation commença : la solitude se fit en maints endroits pour consti-
tuer de grands domaines aux vainqueurs. En 1736, un résident hongrois,
le consul français Evorka, évaluait à 150000 hommes les combattants de
la Horde de Perekop et comptait en outre 40 000 familles de Nogaï
dans la contrée*. Eu 1804, les documents officiels n'évaluaient plus qu'à
140 000 habitants la population de la Crimée, qui avait été de plus d'un
• Itovaïskiy, Recherches sur l'Hisloire russe (en russe); — Ilarkavi, Rapport au congrès archéo-
logique de Kazan',
- Caslrèn, Ethnologische Vorlesungen aher die allaischen Vôlker.
■• Kharlakhaï, Histoire des Tartares de la Crimée, Vesliiik Ycvi-opî, 1866, II, 1867, IL
♦ Brunn, La péninsule de Crimée vers le milieu du dix-huitième siècle (en russe).
TARTARES ET KARAITES. 851
demi-million', le double de ce qu'elle est aujourd'hui. A la suite de la
guerre dite « de Crimée », en 1854 et 1855, puis de 1860 à 1865, des
Tartares émigrèrent en foule pour chercher un asile sur les domaines du
sultan ; plus de cinq cents villages et hameaux restèrent complètement
déserts. Les deux migrations se croisèrent : tandis que les mahométans
de la Crimée allaient s'établir sur une terre ottomane, des Bulgares et
d'autres chrétiens de Turquie venaient prendre le sol abandonné dans la
péninsule. L'oukaze du 15 janvier 1874, qui les oblige au service mili-
taire, l'enseignement du russe dans les écoles, l'intervention fréquente des
employés, la réglementation, sont pour les Tartares autant de causes d'af-
faiblissement national : tandis que les autres races de la Crimée augmen-
tent en nombre, ils diminuent. En 1864, ils étaient encore plus nombreux
que tous les autres habitants de la Crimée ; de nos jours, la proportion
est changée à leur détriment : ils ne forment plus même le tiers des rési-
dents de l'Ile*.
Dès leur arrivée dans la péninsule, les Tartares étaient loin d'être de
pure race turque : en Crimée, ils se croisèrent de plus en plus, d'un côté
avec la population indigène, de l'autre avec les captifs importés quelquefois
par milliers de Russie. En plusieurs endroits des montagnes, les Tartares
n'appartiennent à la race d'Asie que par le nom et la religion : à leur
beau profil hellénique, on reconnaît des Grecs et des Italiens d'origine : ce
sont les descendants islamisés des anciennes populations de la Tauride et
des Génois de Kaffa^; pour d'autres, ce sont des Oukraïniens, descendants
des colons du moyen âge. La polygamie a complètement disparu de leurs
communautés. D'ailleurs, quelle que soit la part des divers éléments ethni-
ques unis dans leur race, tous leurs voisins. Russes, Grecs, Allemands ou
Juifs, s'accordent à vanter leur droiture, leur probité, leur amour du
travail et de l'ordre, leur sobriété, leur respect de la dignité humaine. En
les perdant, la Crimée perd ses meilleurs citoyens.
Les Juifs de Crimée appartenant à la secte spéciale des Karaïtos sont
également très respectés, à cause de leur honnêteté, de la simplicité de
leurs mœurs, de leurs habitudes de labeur, do leur persévérance dans les
œuvres commencées; toutefois on les dit lents et dépourvus d'iuiliative;
' Dacliiiov, Recueil iVarlkhs anthropulogiqiirs et clliiwrjrapliiqucs xiir la Russie, I (en russe).
- Popul.ilion .nppioximativc de la Crimée :
Tartares En 1804. 10(1000 En 1874 (d'après Rittich), 80 000
Russes (Grands, Petits et Blancs). . n 5o700 » 130000
Autres (Crées, Juifs, Itulsares, etc.). ii 39 200 » 58 000
' Mackenzic W.dlare, Rusiia; — Alfred Rambaud. — Les Villes en Russie, IV (en russe).
8o2 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
leurs femmes se distinguent ordinairement par un grand luxe de bijoux.
Le nom qu'on leur a donné, Kara'im ou Karaïles, qui signifie « Liseurs »,
témoigne de leur étude constante des anciens livres ; mais ils rejettent les
commentaires, si importants aux yeux des autres Juifs. Ils se tiennent géné-
ralement à l'écart de ceux-ci, dont ils ne sont peut-être pas les frères
d'origine; néanmoins ils sont fort appréciés par les Juifs instruits de
rOccidcnt, à cause du soin avec lequel ils ont conservé les anciennes doc-
trines, et l'argent fourni par de riches Israélites de France a contribué
à la fondation et à l'entretien des synagogues et des écoles juives de la
Crimée'. D'après plusieurs auteurs, les Karaïtes seraient les descendants
de ces Khaznrs partiellement convertis au judaïsme qui vivaient sur
les deux bords de la Volga, en Crimée et au pied du Caucase. Peut-être
aussi sont-ils mélangés avec les Tartares de Crimée, dont ils portent le
costume et dont ils parlent la langue. Ils leur ressemblent plus qu'aux
Israélites proprement dits ; pourtant un certain élément juif a dû exister
en Crimée, puisqu'on y a trouvé des inscriptions hébraïques, dont quelques-
unes datent même du premier siècle de l'ère vulgaire". Un grand nombre
de Karaïtes s'occupent d'agriculture; toutefois la plupart se livrent au
commerce, mais non au brocantage nomade : leur spécialité principale est
la vente des denrées coloniales, et leurs échanges se font surtout avec la
péninsule des Balkans et les régions du Caucase où se trouvent de leurs
coreligionnaires. Les Juifs de Kiyev et de Novgorod dont il est question
dans les annales du moyen âge, surtout à propos des « judaïsants » de Nov-
gorod et de Moscou, au quinzième siècle, étaient jirobablement des Ka-
raïles". De la Galicie en Palestine, leurs petites communautés sont éparses
dans le monde ; mais c'est en Crimée que vivent plus de la moitié des
Karaïles, soit environ quatre mille, et que se trouve le bourg Tchoufout-
Kaleli, que l'on peut désigner comme la Jérusalem de leur secte. Pour-
tant cette métropole des Karaïtes n'est guère habitée par eux; en 1876,
M. (le Mély n'y vit que deux familles juives. L'industrie et le com-
merce appellent les Karaïtes dans les villes animées, mais ils tiennent à
visiter souvent leur capitale historique, et leur ambition est de reposer
dans le cimetière voisin. Une vallée des environs, entourée de rochers,
presque sans arbres, est remplie de pierres tombales : c'est leur vallée
de Josaphat. Des colonies de Tziganes, ayant abandonné la vie nomade et
tous forgci'ons ou chaudronniers, habitent la contrée.
' Ernest Desj.ndins, Notes manuscrites.
- Gi'i^'orovitfh, Mémoires d'un antiquaire sur un voyage à la Kalka (on russe).
' Biunn, Mémoires de la Société historique d'Odessa (ou russe).
PEREKOP, EUPATORIA, SIMFEROPOL. 835
Perekop ou « la Coupure », l'Or ou l'Our des Tartares, la ville" qui garde
l'entrée de la Crimée, est, sinon d'origine antique, du moins sur l'empla-
cement d'une ville ancienne, car nul autre endroit ne pouvait être choisi
pour faire une coupure à travers l'isthme : c'est là qu'il est le plus étroit
et que le plateau des steppes s'affaisse sous le sol argileux de la plaine. Au
quinzième siècle, le fossé de Taphros qui avait séparé la péninsule du con-
tinent était depuis longtemps comblé et les fortiflcations étaient couvertes
de broussailles, lorsque Mengli Ghirei éleva une nouvelle muraille et fit
réparer la coupure. On en voit encore les traces, mais des forts et des
redoutes modernes construites pendant la guerre de Crimée ont remplacé
les vieux remparts. Autrefois les Russes et les Polonais donnaient le nom de
« horde de Perekop s et de « tzar de Perekop » aux Tartares et aux khans de
toute la Crimée. Le commerce de l'isthme no se fait point dans la ville de
Perekop, mais à 5 kilomètres au sud, dans le gros bourg d'Arriiansk ou
d'Arriianskiy Bazar, fondé, ainsi que son nom l'indique, par des marchands
arméniens.
Au sud de l'isthme il n'y a point de villes dans la région des steppes ni
sur les bords des deux mers, la « mer Morte », celle de l'ouest, et la
« mer Putride », celle de l'est. Il faut contourner le port de Tarkan-Kout
et s'avancer jusqu'aux premiers contreforts des monts de la Taurido pour
entrer dans l'ancienne Eupatoria (Yevpatoriya), ville musulmane, armé-
nienne, juive, à peine russe, qui a pris le nom d'une forteresse fondée
en l'honneur de Mithridate Eupator, mais située beaucoup plus au sud,
peut-être, d'après Brunn, sur l'emplacement actuel de Sébastopol. Souvent
dévastée, Eupatoria dut se rebâtir plusieurs fois. Au quinzième siècle, elle
eut une grande importance commerciale, et maintenant encore un certain
nombre de navires viennent chaque année jeter l'ancre dans sa rade
ouverte. Son ancien nom de Gôzlevc (en russe Kozlov) ou de « Cent-Yeux »
lui avait été donné, dit-on, à cause de ses lumières que l'on voyait, la nuit,
briller au loin dans la steppe nue. Les lacs salins de l'intérieur sont acti-
vement exploités, et sur le bord de l'un d'eux s'élève un établissement de
bains de boue fréquenté pendant la saison des chaleurs. On sait que la
plage d'Eupatoria, bien abritée des vents du nord, est celle où les alliés
débarquèrent en 185i pour aller assiéger Sébastopol en franchissant la
vallée de l'Aima et en contournant les rochers d'Inkerman'.
La capitale de la péninsule et de tout le gouvernement de la Tauride,
' Mouvement commercial d'Eupatoria en 1882 :
1068 navires et petits caboteurs, jaugeant 508 152 tonnes.
856 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Simferopol, n'est pas située sur cette voie du littoral. Elle occupe une
position centrale dans la vallée fertile du Salgir, le plus grand ruisseau
de l'île, et à l'issue septentrionale du passage par lequel on peut le plus
facilement communiquer avec la côte du midi, à l'est du Tchatîr-Dagh.
Une pareille situation devait être utilisée depuis longtemps et l'on trouve
en effet des ruines anciennes dans les environs. Les khans tartares y fon-
dèrent la ville d'Ak-Metchet ou de la « Mosquée Blanche », que les Russes
brûlèrent en 1756, pour la rebâtir en 1784 sous le nom grec de Symphe-
ropolis ou Simferopol : on la croit l'héritière de la ville tauro-scythe de
Neapolis. On voit encore à Simferopol quelques constructions tartares
échappées à l'incendie ; mais une seule ville de Crimée a presque complè-
tement gardé sa physionomie orientale, Bakhtchi-Saraï ou le « Palais des
Jardins ». C'est une longue rue serpentine située au sud-ouest de Sim-
feropol, dans une cluse de rochers calcaires, sur les bords d'un ruisseau
qui va se jeter dans la mer Noire à une trentaine de kilomètres à l'ouest.
Bakhtchi-Saraï est la Grenade de la Russie; elle a aussi son Alhambra, le
palais des khans, avec ses portes ornées d'arabesques et de devises, ses
chambres tendues d'étoffes précieuses, ses vérandas où les plantes fleuries
se balancent en guirlandes, ses cours où l'eau des fontaines bruit inces-
samment sur les pavés de marbre. Les blancs minarets des mosquées s'élè-
vent toujours au-dessus de la ville, plus hauts que les faîtes des peupliers
groupés dans les jardins. La population de Bakhtchi-Saraï est aussi restée
en harmonie avec le milieu qui l'entoure : elle se compose de Tartares,
de Grecs, de Karaïtes, tous fort industrieux et pour la plupart selliers,
orfèvres, jardiniers, vignerons • les boutiques sont emplies d'étoffes, de
maroquins, de poignards, de bijoux comme les bazars de Smyrne et de
Constantinople; un faubourg est habité par des forgerons tziganes. Au-dessus
de la ville, vers le sud-est, une roche dresse ses parois percées de grottes,
comprenant environ un millier de chambres. Jadis les commerçants karaïtes
de la ville étaient obligés de sortir de Bakhtchi-Saraï à la nuit tombante et
d'aller passer la nuit dans la ville des cavernes : de là le nom de Djoufoul-
Jvaleh ou de « Château des Juifs » donné à la roche, que les Karaïtes appellent
eux-mêmes Kirk-ycr ou les « Quarante Hommes ». Maintenant on n'y loge
que le bétail. Des inscriptions prouvent que Djoufoul-Kaleh existait dès le
sixième siècle de l'ère actuelle. Au sud-est, la roche presque isolée de
Tepe-Korman ou Tobe-Kerman, qui domine le cimetière « golh », est
percée de dix-huit étages de galeries contenant dix mille chambres'. Quant
' Mainov, Le Comjics anthropologique de Moscou; Slovo, 1879, n" X.
B.VKHTCHI-S.VRAÏ, SÉBASTOPOL. î."7
au fameux Mangoup-Kaleh, roche en croissant escarpée de tous les côtés en
forme de muraille, on n'y voit plus que des entassements de débris, reste
des temples grecs et des châteaux gothiques dont Pallas aperçut encore des
fragments. Cette forteresse dominait toute la contrée à l'est de Sébastopol.
La pointe sud-occidentale de la Crimée est celle qui apparaît la première
à l'époque des mythes et en même temps celle où eut lieu l'un des plus
sanglants conflits de l'histoire moderne. Cette partie de la péninsule,
presque séparée du reste de la Crimée par une profonde indentation du
littoral, est connue aujourd'hui sous le nom de cap Chersonèse ; près de
là, des colons d'Héraclée du Pont bâtirent jadis la ville de Cherson, dont
les Russes avaient fait Korsoui'i et que les Tartares appelèrent Sarî-Kerman,
mais lorsqu'elle était déjià déplacée vers le nord-est, dans le voisinage de
Sébastopol, qui mêle ses ruines modernes aux ruines scythiques et grec-
ques. C'est au cap Chersonèse, dit-on, que les Scythes avaient bâti le
temple de Diane, en l'honneur de laquelle la prêtresse Iphigénie devait
sacrifier les étrangers que la tempèle jetait sur les grèves de la « mer
Inhospitalière ». Toutefois divers archéologues considèrent le cap Fiora-
venti des Italiens, situé plus au sud, comme le Parthenion des Hellènes
et c'est là qu'ils placent la scène d'iphigénie et d'Oresle chantée par les
poètes : le monastère de Saint-George, qui s'élève sur le cap, aurait suc-
cédé au temple d'Artémis. Cet emplacement est devenu fameux dans l'his-
toire russe par le baptême du prince Vladimir de Kiyev, qui vint s'y faire
baptiser, mais en conquérant varègue, après avoir assiégé la ville de Koi-
soun. Plus à l'est, le port de Bal'akl'ava, le Palakion de Slrabon, le Cemi)al()
des Génois, long de plus d'un kilomètre sur 200 mètres de large, s'ouvre
dans l'intérieur de la falaise comme un bassin à flot creusé de main
d'homme. La muraille de neuf kilomètres de longueur qui séparait du
reste de la Tauride toute la péninsule héracléolique et défendait aussi la
cité de Cherson et son territoire contre les attaques des Scythes, partait
du port de Palakion cl se dirigeait an nord, vers l'extrémité orientale de
la baie, sur les bords de laquelle est bàlie maintenant la ville de Sébas-
topol. Caiaklava est encore peuplée de Grecs.
On connaît la forme de cette baie fameuse dont les alliés et les Russes
se sont disputé la possession avec tant de fureur. C'est une cluse marine
ouverte entre des roches calcaires, frangée de cluses latérales et se conti-
nuant à l'est par une cluse terrestre que dominent les parois presque verti-
cales du rocher d'Inkerman. Large d'un kilomètre en moyenne et s'avançant
de 7500 mètres dans l'intérieur des terres, la baie de Sébastopol est facile
à défendre, grâce à l't'lroitesse de l'entrée et aux coteaux escarpés qui la
&S8
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
dominent ; on outre, ses baies latérales forment des ports cachés aux
regards de l'ennemi qui tiendrait la mer. A l'époque du siège, qui coûta
tant de milliers d'hommes aux Russes, aux Français, aux Anglais, aux
Turcs, aux Italiens, les divers quartiers de la ville situés sur la rive mé-
K° 18;. POINTE SUD-OCCIDEXTAIE DE LA CRIMEE.
JsûsSOM. (f;50àl00 dalOOàSOO </e200ou-Mà
1 : »75rt00
ridionale de la haie étaient entourés d'une ceinture de forts : au-dessus de
la rive septentrionale se profilaient les bastions de la citadelle. On sait qu'a-
près la guerre l'ancien Akhtiar des Nogaï, la « Ville Auguste », sur
laquelle plus de lôOOOOO gros projectiles avaient été lancés,, n'était
Ijflli
L_
:aiy
SÉDASTOPOL, liALAKLAVA, YALTA. 841
plus qu'une ruine entourée de cimetières. La population se trouvait réduite
à moins de 6000 personnes en 1864, et la ville n'avait plus même l'im-
portance qu'elle eut à la fin du siècle dernier. La construction d'un chemin
de fer, qui rattache Sébastopol au réseau du continent par un viaduc jeté
sur le Sivach, a changé la situation, et Sébastopol se relève de ses ruines :
des entrepôts de céréales s'élèvent dans le voisinage du port', une gare
monumentale s'est établie à la place d'une redoute, et « Malakof », le
i< Redan », sont transformés en promenades ; des naturalistes étudient
la faune marine dans un laboratoire zoologique. Sébastopol reste formi-
dable comme place de guerre, mais les progrès de l'artillerie ont fait
changer la position des ouvrages : des redoutes garnissent les plateaux du
sud, et le cap Chersonèse est armé de batteries. Quant au rocher d'Inker-
raan, l'ancienne Calamita, qui se dresse à l'est de la ville, de l'autre
côté de la vallée marécageuse que parcourt la Tchernaïa (Tchornaya), il
est attaqué par des multitudes de carriers que tente l'excellente qualité de
sa pierre blanche, facile à scier et durcissant à l'air. Ces carriers mena-
cent de faire disparaître la ville des anciens troglodytes, dont les galeries
formaient un véritable dédale dans l'intérieur de la colline : quelques-unes
des salles sont assez vastes pour contenir jusqu'à cinq cents personnes.
Le long de la route, admirablement entretenue, qui suit la côte méri-
dionale à l'est de Baiaklava, s'élèvent de gracieuses villas, dans les sites
les plus ravissants. Cette route est la « Corniche » de Tauride, à peine
moins belle que la Corniche de Ligurie. Tantôt gravissant un promontoire,
tantôt descendant au bord de la grève, elle serpente de ravin en ravin, et
toujours en vue de la montagne, des forêts et de la mer. Près du cap Âï-
Todor (Hagios Theodoros) se pressent les châteaux de plaisance, Al'oupka,
Orianda, le palais impérial de Livadia, Nikitskiy Sad, tous entourés de
parcs où se voient les plantes les plus rares, tous riches en malachites, en
marbres, en statues, en objets d'art ; c'est là que, plus d'une fois, ont été
décrétées les guerres et les alliances. La ville de Yalta, assise à la base d'un
amphithéâtre de montagnes boisées, domine la rade, d'ailleurs peu com-
mode, où mouillent les vaisseaux de guerre et les yachts'.
Au sud-est du Tchatîr-Dagh, la génoise Alouchta, entourée de vignobles
qui produisent les meilleurs vins de la Crimée, peut être considérée comme
le port de Simferopoi, dont elle n'est éloignée que de 48 kilomètres.
' Mouvement commercial de Sébastopol en 1882 :
1535 navires et petits caboteurs, jaugeant 850 451 tonnes.
* Mouvement commercial de Yal'ta en 1 88"2 :
800 navires et petits caboteurs, jaugeant 419 756 tonnes.
m
842
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Cependant elle n'est qu'un village, de même que, plus à l'est, Soudak, jadis
cité puissante sous les noms de Sougdaya en grec, de Soldaia en italien :
elle fut la Souroj des annales russes. De fondation byzantine, peut-être
même plus ancienne, cotte ville était fort bien située sur une baie semi-
circulaire, à l'issue d'une larçe et fertile vallée, en communication facile,
N* 185. COTE DE YALTA
C OeP
LdeG
De Oé 50 M
</e fOOau de/a
par une dé[)ression de la montagne, avec le versant septentrional de l'île.
An treizième siècle, les Vénitiens y établirent un comptoir dont le consul
était en même temps celui de toute la Gazarie ou « pays des Kbazars ».
c'est-à-dire de toutes les régions qui avoisinent la mer Noire au nord et au
nord-est. La famille de Marco Polo possédait à Soldaia une maison de com-
merce qui lui servait d'intermédiaire avec tous les pays d'Asie. Les Véni-
tiens furent cliassés de Soldaia, mais à leur place vinrent les Génois, aux-
SOUDAK, ESKI KRIM, THEODOSIA. 843
quels les Tartares cédèrent en 1565 tout le territoire de la ville et les
villages des environs : le double mur d'enceinte qu'ils élevèrent autour de
la ville et de la colline avoisinante existe encore avec sa porte ogivale,
flanquée de deux tours à créneaux : le monument de l'architeclure génoise
est complet ; on croirait avoir sous les yeux quelque cité ligurienne du
moyen âge. Au quatorzième siècle, l'importance commerciale de Soldaia
était si grande que, d'après Aboul-Féda, elle ne le cédait pas même à Kaffa;
toute la Crimée fut appelée de son nom et le Pont-Euxin fut connu par les
Arabes comme la « mer de Soudak » ; de même les Russes appelaient
« mer de Souroj » les Palus Mieotides et même quelquefois le Pont-Euxin.
Ruiné parles Turcs à la fin du quinzième siècle, le port a perdu tout com-
merce, les hautes murailles de la ville n'abritent plus que des masures, et des
viticulteurs allemands ont remplacé les négociants italiens. Quant à l'an-
cienne cité de Starîy Krîni ou Eski Krîm, c'est-à-dire de « Meille Crimée »,
située plus à l'est, elle a cessé d'être capitale depuis des siècles et ses édi-
fices sont en ruines. Presque toute la population consiste en colons arméniens.
Kaffa du moins n'a pas perdu son rang de ville. Les Milésiens, qui la
fondèrent sous le nom de Theodosia, avaient bien choisi l'emplacement de
leur cité. Elle est au bord d'une baie qu'un promontoire abrite des vents
de l'ouest et du sud : la chaîne des monts de la Tauride se termine en
cet endroit, de sorte que la ville commande en même temps par mer le
commerce de la côle méridionale et par terre celui du versant septen-
trional. En outre, Theodosia est située précisément sur l'isthme qui
rejoint la péninsule de Kertch à la Crimée : voisine de la mer d'Azov et du
Sivach, quoique sur le Pont-Euxin, elle avait à sa disposition les poissons
et le sel des deux mers intérieures. Dévastée à plusieurs reprises, la place
de Theodosia — déjà connue depuis sept cents ans sous le nom de la for-
teresse Kaffa — fut achetée au treizième siècle par les Génois, qui en
firent le principal marché de la mer Noire; une lettre adressée au pape
Calixle m en 1455 la dit « supérieure à Conslantinople, non par le déve-
loppement des murs, mais par la foule des habitants' »; elle était alors
l'entrepôt de tout le commerce de l'Orient « touranien ». Kaffa succomba
vingt-deux ans après sa rivale, Conslantinople : conquise par les Osmanlis,
cette « Krîm Stamboul » fut ravagée, changée en un monceau de ruines.
Elle se releva pourtant, surtout par le commerce des esclaves', et devint
le bazar des captifs faits par les Tartares dans la Petite Russie : on y vit
jusqu'à 30000 individus, hommes et femmes, offerts à la fois par les mar-
< Brunn, Matériaux pour l'histoire de Sougdeia (en russe).
' Michaloti Lilliiianus, Fragmenta ; — hliailukliai, ouvrage cite.
814 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
chands de chair humaine. Lorsque les Russes s'emparèrent à leur tour de
Kaffa, en 1785, sa population, moindre qu'elle ne l'avait été à l'époque
lie la domination génoise, s'élevait à 85 000 habitants. L'émigration des
Turcs, puis celle des Tartares, réduisirent ce nombre des neuf dixièmes;
toutefois en été, la ville, à laquelle les Russes ont rendu son nom de
Theodosia, changé en Feodosiya, devient le séjour temporaire d'une foule
de baigneurs venus de toutes les parties de la Crimée et de la Russie con-
tinentale. La vieille Kaffa leur offre ses murailles génoises, ses rues bor-
dées de maisons à arcades, ses mosquées, son quartier tartare, et la mer
a pour eux des plages de sable fin. Le commerce de Theodosia est sans
grande importance', quoique cette ville soit le port d'expédition des cam-
pagnes dont l'industrieuse Karasou-bazar est le chef-lieu.
Kertch, située sur une baie occidentale du détroit de Yeni-Kaleh ou
« Bosphore Cimniérien », est encore plus ancienne que Theodosia, et
son rôle historique a été plus grand. C'est la Panticapée que les Milésiens
fondèrent il y a vingt-cinq siècles, c'est la cité qui devint capitale du
royaume du Bosphore après la défaite de Mithridale ; elle fut aussi connue
sous le nom de Bosporus. La « ville du Bosphore », ruinée lors de la
migration des peuples, ne se releva que lentement; mais sous la migra-
tion génoise elle reprit une grande activité commerciale, que lui firent
perdre les Turcs, et que les Russes ne lui ont laissé reprendre qu'après
avoir possédé la ville pendant un demi-siècle. Kertch, gardienne naturelle
du détruit, est trop bien placée pour n'avoir pas été choisie comme ville
de guerre, et sous le régime militaire le mouvement des échanges n'a pu
se développer qu'avec lenteur ; en outre, la propriété y était soumise à
un régime spécial, et jusqu'en 1850 nul autre que les colons grecs ne
pouvait s'établir sur les terres du district. Pendant la guerre de Crimée,
Kertch, brûlée par les alliés, fut momentanément abandonnée ; mais,
rebâtie bientôt après, elle s'est rapidement agrandie, et lors du dernier
recensement elle était la ville la plus populeuse et la plus commerçante
(le la Tauride. Maintenant la baie est défendue dans toute sa largeur par
un barrage à fleur d'eau n'ayant qu'une seule ouverture, commandée par
les canons d'une forteresse. Fière de son passé, Kertch possède un musée
d'anticpiités sur les flancs du mont Milhridate, où l'on s'élève par un
escalier monumental, et dans cette collection sont conservés quchpies-uns
des objets précieux trouvés en si grand nombre dans ses tertres funéraires
^ Commerce de Tlieodosia en 1880 : 717 000 roubles, doiil (190 000 rouilles h resiiorlaliou.
MouvemeiU du port en 1882 :
tiOO navires cl iielits caboleurs, jaugeant i75 OU-' tonnes.
KERTCli, YEM-KALEH. 845
et ses catacombes. Sur le plateau du mont Mithridate, les émincnces natu-
relles et celles des kourgans se ressemblent tellement qu'il est impossible
de distinguer de loin les buttes que l'Iiomme a élevées de celles qui sont
dues à la nature. Au sommet du mont, qui porta l'acropole de Pantica-
pée, s'arrondit un de ces tertres, appelé le « tombeau de Mithridate » ;
d'après la légende, l'un des rochers sur lesquels s'appuie la butte funé-
l'aire serait le siège où se plaçait le roi du Pont, pour contempler ses
innombrables vaisseaux'. Du cap d'Ak-Bouroun, on aperçoit au loin les
sommets azurés du Caucase.
La ville de Yeni-Kaleh (en turc « la Nouvelle Forteresse ») est adminis-
trativement une partie de Kertch, mais elle en est éloignée de 15 kilo-
mètres à l'est, et domine la partie la plus étroite du Bosphore : ce n'est
guère qu'un ensemble d'édifices appartenant à l'État. Là s'élevait jadis le
Parthénion des Grecs '.
XII
ETAT MATKniFL ET SOCIAL DE LA RCSSIE.
La population actuelle de l'empire russe est évaluée, nous le savons,
à 101 millions d'habitants, dont 86 millions en Europe : c'est un peu plus
du quart des hommes qui vivent dans cette partie du monde. La Russie et
la Finlande réunies occupant une étendue légèrement supérieure à la
moitié de l'Europe, les sujets du tzar sont donc à. peu près deux fois plus
clairsemés que les autres Européens, de quatre à cinq Ibis plus que les
Français. De la Pologne au confluent des deux grands fleuves, Volga et
Kama, s'étend une zone de population dense que l'on peut considérer
comme le prolongement oriental de l'Europe populeuse. D'une largeur
moyenne de quatre cents kilomètres, cette zone embrasse la Volînie et la
Podolie, h' bassin du Diiepr entre Kiyev et les rapides, la Grande Russie
de Tver à Voronej, et, s'amincissant peu à peu vers l'est, se ramifie en
deux branches dont l'une dépasse Kazai'i, tandis que l'autre va rejoindre
' Mouveincnl commercial de Kertch en 1882 :
4494 navires et petits caboteurs, jaugeant ensemble 898 732 tonnes.
- Villes de Crimée avant plus de 5000 habitants :
Kertcii et Yeni-Kaleh (en t870). '22 450 hab.
Simferopoj (en 1881) 29050 »
Sébastopol (en 187ti) 20 150 «
Eupatoria(Yevpatori;a)(cnl88l). 15450 u
Bakhichi-Saraï (1881).
13 400 hab
Karasou-bazar »
11 UOO .,
Theodosia (Feodosiya) » .
10 800 :
846
NOUVELLE GEÛGRAPUIE UNIVERSELLE.
la Volga à Safatov. Au nord, au sud, à l'est de cette zone, les habi-
tants sont de moins en moins rapprochés les uns des autres : des trois
côtés les hommes diminuent en nombre , proportionnellement à la
PENSITÉ DE H POPIXATION HE L EIROPE ORIENTALE EN 18T3.
'^"^ K^ar.o;:
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de/0èP5 deeSèSO deSOéZS
habitants par ^i/o^ être carré
rigueur du climat, à rinfurtililé du sol et à la moindre durée de la
période d'occupation. Les terres fécondes de la Nouvelle-Russie, des
bords de la mer d'Azov et de la Ciscaucasie ne sont encore que très
faiblement peuplées ; d'ailleurs, les difficultés de la migration à l'inté-
rieur créées par l'impôt de capilalion et les lois sur les passeports ne
&ravr|iarKrh,
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ACCROISSEMENT DE LA POPULATION RUSSE.
817
permettent pas aux paysans de s'établir en nombre sur ces terres nou-
velles'.
L'accroissement de la population est très rapide dans la plus grande
partie de l'empire russe. En [12-2, époque à laquelle la Russie d'Europe
n'était inférieure à la Russie actuelle que d'un cinquième en superficie,
le nombre des sujets était approximativement évalué à 14 millions.
Soixante années après, en 1782, l'empire, d'ailleurs agrandi du côté de
185 ET 186. SIPEKFICIES ET POPCLATIOSS COMPARÉES DE LA BC«!e D' EUROPE,
DE l'empire RCSSE ET DE l'eDROPE OCCIDESTALE.
l'occident, avait une population double. Vers 18.~0, un nouveau double-
ment avait eu lieu, et de nos jours la population est plus que sextuple de
ce qu'elle était lors de la première évaluation. D'après les progrès accomplis
depuis le commencement du siècle, la période de doublement pour les
habitants de la Russie est d'environ G5 années. L'augmentation annuelle,
par l'excédent des naissances sur les morts, dépasse maintenant un mil-
lion; elle était de 500000 pendant la première décade du dix-neuvième;
siècle. Si l'accroissement continue suivant la même proportion ou même
' Voroponov, La qucttton dcmigralion des paysans, Vcstnick Ycvropi, 187G, n° 1.
848 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
en se ralentissant quelque peu, le territoire actuel de la seule Russie
d'Europe aura certainement cent millions d'habitants avant la fin du
siècle'. Du reste, le mouvement varie d'une manière étonnante entre les
provinces suivant les différences de race;, de climat, de bien-être, de condi-
tions sociales. C'est dans les provinces méridionales qu'ont lieu les plus
nombreux mariages ; à l'est, dans les bassins de la Kama et de la basse
Volga, la natalité est la plus forte ; dans le gouvernement d'Ol'onetz et
dans celui de Moscou les morts se succèdent le plus rapidement. La résul-
tante des faits démographiques est un accroissement normal de population
dans tous les gouvernements ; mais les émigrations de province à province
ont fait diminuer parfois, en des années malheureuses, des gouvernements
pauvres, tels que Vitebsk, et des régions où le prolétariat industriel existe
déjà, telles que Moscou, Kalouga, Toula, Kazan'. La Pologne, le littoral
de la mer Noire et celui de la Volga, entre Kazaiï et Saratov, augmentent
toujours rapidement en population. Les seules parties de la Russie où les
habitants se pressent en aussi grand nombre proportionnel que dans
l'Europe du centre, de l'ouest, sont la Pologne, les provinces baltiques et
quelques gouvernements du centre.
Les Russes se marient en moyenne au sortir de l'adolescence ; le nombre
de ceux qui restent célibataires est relativement minime. Les tables de
statistique établissent le remarquable contraste que présentent à cet égard
les Slaves orientaux comparés aux autres peuples de l'Europe, notam-
ment aux Ravarois, qui se marient tardivement, aux dépens de la morale
publique'. La cause de ces mariages hâtifs de la Russie doit être cher-
chée surtout dans la richesse du pays en terres de culture n'attendant
que des bras pour les mettre en rapport : les familles de cultivateurs
sont d'autant plus à leur aise qu'elles sont plus nombreuses. Mais si les
mariages y sont plus hàlifs qu'ailleurs, la Russie est aussi le pays d'Eu-
rope où la mortalité des enfants est la plus considérable : les disettes, les
épidémies et le manque d'hygiène font périr plus du quart des enfanis
' V. de I.iMOii, Exposé slalisliquc de l'empire russe (eu russe).
- livin, Essai d'un atlas staiisliquc de l'empire russe (en russe).
^ Nouil)ic proportionnel des mariages conclus aux différents âges, par lOt) 000 lialiilants :
Bavière (18:0-!8S0) France (ISTl-lS:»). Russie flStiT-lSTo).
Avant 20 ans 12 liom. 570 fem. 232 h. 2087 f. 573i h. 5727 f.
De 20 à 25 ans 1706 » Ô42U » 2464 » 58G7 )i 5097 >> 2C31 »
De 25 à 30 ans 5705 » 5015 « 5682 » 2074 y H82 )- 710 »
De 50 à 40 ans 5095 » 2142 » 2568 « 1409 » 1221 » 639 »
De 40 à 60 ans el au delà. . 1486 » 817 » 1054 » 569 » 756 ? 295 »
Loiifronit internazionali per gli anni 1865-1880, Koma, 1882.
POPULATION ET VILLES DE LA RUSSIE. 840
Jans la première année'. A l'âge de cinq ans, il n'en reste plus même les
trois cinquièmes. La durée probable de la vie, très inférieure à celle des
autres pays de l'Europe civilisée, est de 24 ans^
La Russie étant encore un pays principalement agricole, les villes y sont
en proportion moins peuplées que celles de l'Europe occidentale ; elles n'ont
encore que le neuvième des habitants, mais là, comme ailleurs, la facilité
des communications et les progrès de l'industrie ont pour résultat d'aug-
menter le nombre des citadins. Aux sis villes de l'empire qui avaient plus
de 100 000 babitants il y a dix années, Saint-Pétersbourg, Moscou, Var-
sovie, Odessa, Kichinov, Riga, il faut ajouter maintenant Kiyev, Kbarkov,
Saralov et Kazaii et deux autres en Asie, Tiflis et Tachkent. En 1880, on
comptait déjà 225 villes russes ayant plus de 10 000 habitants"; mais
on peut juger du contraste qui existe entre la Russie et l'Europe occiden-
tale dans la distribution des villes, par ce fait qu'en Pologne elles sont
éloignées de 18 kilomètres les unes des autres, tandis que dans le reste de
la Russie la distance moyenne de ville à ville est de 00 kilomètres ; en
outre, un grand nombre de centres administratifs ayant reçu en Russie le
nom de « ville de district » {ouyezdmy gorod) ne sont guère peuplés que
de paysans. La plupart des cités de la Russie se composent d'un noyau
central, qui est la ville originaire, le centre administratif et militaire, et
autour de laquelle s'étendent au loin des faubourgs [sloboda), ceux des
« maréchaux ferrants », des « charpentiers », des « maçons », tous paysans
immigrés, faisant partie désormais de la population urbaine ; les noms
de faubourgs des « archers », des « cosaques », des <t soldats » et même des
« cochers » rappellent le temps peu éloigné oii l'arrivée de nouveaux colons
dans les villes n'avait rien de volontaire. Les villes de certains gouver-
nements présentent une très grande disproportion entre les sexes. En
Russie, comme dans tous les pays de la zone tempérée dont le recensement
a été fait avec soin, le nombre des femmes est supérieur à celui des
hommes, et cependant les ouvriers et les domestiques mâles se portent
en foules si compactes vers Pétersbourg et Moscou, que l'écart entre les
« Mortalité des enfants dans la première année en divers pays d'Europe (de 1865 à 1880) :
Norvège 10,7 pour 100. ! Suisse 18,9 poui 100.
Prusse. 21, i
Italie 21,5
Autriche 25,6
Russie 26,5
Ecosse 12,4 )i
Suède, Danemark 13,5 n
Angleterre 15,1 n
France 17 »
Belgique 17,3 n
' V. de Livron, ouvrage cité.
* En outre. 4 en Finlande, 26 en Pologne cl 22 au Caucase.
ï 107
850
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
sexes, en faveur des hommes, s'est élevé à un cinquième ou même à un
quart. 11 en est de même dans les provinces des steppes, vers lesquelles
se dirigent incessamment de nombreux colons. Dans les gouvernements
S° 1S7. DENSITK DES VILLES ES RCSSIE. EN I8T5, PAU «Ô.OOil KILOMÈTRES CinRÉS.
D
dci.5 dcStIO delOaSO deCOaiO
d'où viennent les émigranls, la proportion est renversée : là ce sont les
tenimes qui sont de beaucoup les plus nombreuses'.
' Proporiion des femmes aux hommes :
Hussic en moyenne 1()2,7 femmes iiour 10(1 hommes.
Yiuoslavl (extrême).
Saint-Péleisbuui'g (exlrâme; 70,6
Bessarabie et Tauride (prov. des sleppes). (<S
(Yanson.)
VILLES DE LA RUSSIE.
851
Les Russes, nul ne l'ignore, ont l'amour des voyages, et ceux d'entre
eux qui disposent de ressources suflisanles ne manquent jamais d'aller
résider pendant quelque temps à l'étranger', surtout depuis que les passe-
ports à l'extérieur ne coûtent plus, comme avant 1857, la somme énorme
t^9. KOUnSK.
55°55' L.deP.
56°5'
36'i5- E de G
après la tarte de I Ltat - Majo
do ÔOO rouilles. Mais il en est peu qui émigrcnt déiinitivemeni, à moins
d'y être forcés j)ar l'exil ; l'étendue de l'empire suffit pour qui; tous les
chercheurs de fortune, agriculteurs ou industriels, puissent trouver un
' Mouvi'iiienl des voyageurs à la frontière :
18.^7. . . . Sorties, UG 952 peisoiiiies. Eiilrées, 115 815 jH-rsoiines. EnsemMo, 250 707
188:;. ... Il 805 28'i » ). 850 518 » ,. \ 0.55 051)
852 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
lieu crémigratioii favorable clans le pays même; l'émigTalion à l'inténeur
est énorme; depuis quarante ans, 778 nouveaux villages ont été fondés
dans les gouvernements d'Orenbourg et d'Oufa. Dans l'ensemble, la Russie
reçoit un plus grand nombre d'étrangers qu'elle n'envoie de ses enfants
à l'extérieur'. Les Allemands surtout viennent tenter le sort en Russie et
s'y établissent à demeure". Les Autrichiens, parmi lesquels une forte pro-
portion se compose aussi d'éléments germaniques, représentent à peu près
la moitié de l'immigration allemande; en vingt années, de 1872 à 1881,
le nombre des Germains entrés en Russie a dépassé de plus de 600 000
celui des émigrants de Russie appartenant à la même nation. En 1880, on
ne compta que 178 Français immigrés en Russie pendant l'année, tandis
que 18 000 Allemands et 50 000 Autrichiens s'y étaient fixés, grossissant
ainsi la foule de leurs compatriotes, qui s'élève déjà à plus d'un million
dans l'empire slave.
Sans doute les Finnois sont beaucoup plus nombreux que les Allemands,
mais plus de la moitié d'entre eux se composent de peuplades séparées
les unes des autres et gravitant autour des Russes pour leur commerce
et leur développement intellectuel. Quant à la nation des Finlandais
proprement dits, les deux millions d'hommes qui la constituent sont
comme isolés dans le monde et ne peuvent s'appuyer sur aucune race
voisine, sur aucun peuple frère ; leur littérature flotte entre l'influence
de l'Allemagne et celle de la Suède. Les Tartares, ou du moins les popu-
lations de langues et d'origines diverses que l'on comprend sous ce nom,
sont aussi numériquement supérieurs aux Allemands ; mais, comme les
Finnois, ils sont épars sur les confins de la Russie, en dehors du corps de
nation des Veliko-Russes, et ne se rattachent que par des bandes de
nomades, errant sur un vaste territoire, à leurs frères d'Asie, assujettis
comme eux. Les Lettes et les Lithuaniens, entourés de Slaves, de Finnois,
d'Allemands, sont également sous la dépendance naturelle de leurs maîtres
politiques, et l'on sait comment les Polonais, d'ailleurs Slaves comme les
" Russicns », Grands, Petits, Rlancs, ont été vaincus et réduits à la condi-
lion commune. Les Allemands se sentent moralement appuyés par 55 mil-
li(ms de compatriotes dans les deux empires voisins, et il ont en outre, dans
' Mouvemcnl des voyageurs à la frontière de 1857 '.> IS80 :
Russes. . . . 3 5G0 445 à l'entrée. 4 185 457 à la sorlio. Excédent des sorties, 624 994
Étrangers.. . 9158 830 n 7 950 126 » » des entrées, 1 202 710
(Vcsetovskiy, /InnwaiVe des finances russes, 1879, — Nouv.Gcogr. univ., Irad. russe, 1884)
' Entrées totales des Allemands et Aiilridiicns de 187"2 ii 1881. ... 5 170 805 jicrsonncs.
Sorties totales » . ■>«... 4515025 )'
Excédent des entrées 061 780
ETRANGERS EiN RUSSIE. 855
la Russie môme, les trois millions d'alliés que la race juive leur donne,
grâce à la communauté du langage : c'est une grande force pour eux,
contribuant à leur permettre une attitude plus indépendante que celle
des autres peuples non slaves de l'empire. Comme propriétaires du sol,
ils sont, il est vrai, divisés en plusieurs groupes extérieurs à la masse de
la nation russe. Ils ont de vastes domaines dans les provinces Baltiques
et sont massés en colonies agricoles sur la basse Volga, sur le Don infé-
rieur, en Crimée, dans la Nouvelle-Russie ; mais comme artisans, contre-
maîtres, professeurs, employés, on les retrouve partout. L'origine alle-
mande de la famille régnante est d'ailleurs pour beaucoup dans la part
d'influence prise par les Germains au détriment des Russes eux-mêmes.
La noblesse des provinces Baltiques, recrutée par quelques immigrants
venus de l'Allemagne, est favorisée d'une manière tout exceptionnelle et
dans maintes occasions a eu presque le monopole de certaines charges.
L'élément germanique est représenté à la cour, dans l'armée, dans les
administrations diverses par des proportions diverses, d'un cinquième à
la moitié et même aux trois cinquièmes, tandis qu'en raison de leur
nombre les Allemands ne devraient avoir qu'une place sur quatre-vingts.
D'ailleurs, quelle que soit la réaction de l'esprit slave contre l'influence
germanique, il est impossible que celle-ci ne soit pas très considérable,
tant que l'enseignement sera distribué en Russie avec tant de parcimonie'.
En Russie, les ressources de la nation lui sont encore données en grande
partie, soit par la chasse et la pêche, utilisation directe des richesses de
la nature en chair vivante, soit par la culture du sol et l'élève du bétail.
« Nombre probable des habitanis de la Russie d'Europe et de la Finlande en 187(1, par races :
I Grands Russiens. . 40 000000
Russes. ' Petits Russiens . . 16 570 000
( Bclo-Russes,e!c. . 5G00 000
Bulgares el Si-rbes 150 000
Polonais 5 000000
Finlandais 1840 000
Karélicns de la Russi.' . 500 000
Ehstes etLives. . . . 800 000
Lapons 4 000
Permicns et Zîi^nos. . l.'iOOOO
Lithuaniens 1900 000 | J'"^'^""' / Mordves I 000 000
Lettes 1100 000 ^*'''"'^' \ Tchouvachos 700 000
Roumains 750000
Grecs 75 000
Tsiganes 15000
l Allemands 1000000
Gf.bm.vi.ns. j g^^^j^.^ 280 000
( Kalmouks 120 000
^"'""''■' ■ \ Samoyèdes 4 000
Juifs 3000000
OUGRIENS.
Tlrcs .
Arméniens 36000 \ Kirgliiz 180000
Tchérémisses .... 260000
Voiak 240 000
McchlchèrpsetTcptar. . 270 000
Vogoulcs 2 000
Vises et autres. . . . 28 000
Tartares de Kazaii. . . I 050 000
Bacbkir 750 OOr
Tartares de Cri nue. 80 000
854 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Des populations entières de la Russie, exclusivement composées de pê-
cheurs, de chasseurs ou de pasteurs nomades, en sont encore aux pre-
mières étapes de la civilisation industrielle. Des centaines de milliers
d'individus, Tchérémisses, Zîranes, Lapons, Samoyèdes, Bachkir, Kirghiz,
Kalraouk, Cosaques de l'Oural et du Don, vivent ainsi comme les anciens
habitants du pays, voguant sur les fleuves, se hasardant sur la mer ou
parcourant les forêts ou les toundras à la recherche de la nourriture jour-
nalière. Par la quantité des poissons capturés, la Russie est de beaucoup
le pays le plus productif de l'Europe, quoique, en proportion du nombre
des habitants, il soit à cet éîard très inférieur à la Norvège. On évalue à
près de cent millions de francs la valeur de la pêche, à bord même des
bateaux '. Le produit des pêcheries de la seule Caspienne est double, sinon
triple, de celui que retirent les flottilles française, anglaise, américaine,
sur les bancs de Terre-Neuve ". Quant à la chasse, elle n'a d'importance
que dans les régions faiblement peuplées du nord, et pendant les deux
derniers siècles elle a beaucoup diminué ; certaines espèces d'animaux dont
les peaux étaient fort recherchées ont complètement disparu ; mais les
Zîranes du seul gouvernement de Vol'ogda vendent au moins 400 000 four-
rures communes chaque année. Les bêtes de proie qui disputent le gibier
aux chasseurs sont encore fort nombreuses en diverses régions de la
Russie. L'ours débonnaire habite tous les pays de forêts, tandis que le
loup, infatigable à la course, parcourt bois, savanes et steppes nues à la
chasse des troupeaux, souvent aussi, pendant les froids hivers, à la pour-
suite des voyageurs et des chevaux affolés. On a essayé d'évaluer par les
ravages des loups le nombre de ces animaux qui parcourent encore les
campagnes de la Russie; approximativement, toutes les bandes se compo-
seraient d'environ 175 000 individus, dévorant chaque année 180 000 bêtes
de gros bétail, 560 000 moutons, 100 000 chiens, pour une valeur totale
de 15 millions de roubles : ce serait un revenu de 80 roubles par loup! En
outre, le nombre des hommes mangés par eux est en moyenne de 125 par
an : en 1875, il a été de 161. Les zemstvo russes donnent une prime aux
chasseurs qui leur apportent des queues et des oreilles de cet animal ^
' Valeur annuelle de la pêche en Russie : plus de iO 000 000 roubles.
Caspienne 25 000 000 roub
Mer d'Azov 6 000 000 »
Mer Baltique 1 000 000 »
Mer Blanche 1 000 000 roub.
Mer Noire 100 000 >.
Grands lacs 2 ôOO 000 »
' DanilevskiT; — von Baer; — de Livron.
' Soubotin, Cours d'économie indiislricUe (en russe) ; — ■fcazarevskiy ; — Briickner, Russische
Revue: — Mordovtzov, Dix ans de z:mslvo russe (en russe).
iiiiiiiiiip;,iiiiiliiiliiiiiiiifîiiffi^^
T
4^ 5^
AGRICULTURE, SYLVICULTURE DE L.V RUSSIE. 857
Les agriculteurs des régions seplenlrionales de la Russie ne sont pas
tous sédentaires : les anciennes pratiques de la culture itinérante se sont
maintenues partout où la superficie du sol vacant est assez grande pour
qu'on puisse abandonner les terres épuisées et en prendre de nouvelles en
lirùlant les buissons ou les arbres qui y croissent. Pareille raétbode, fort
naturelle dans un pays presque désert, devient impossible dès que la
population prend une certaine densité. Les cultivateurs apprennent les uns
après les autres à se fixer sur le sol, et c'est par une meilleure exploita-
tion, non par l'utilisation de terres vierges, qu'ils cbercbenl à augmenter
leurs récoltes. Pourtant, même en Bessarabie, des colons bulgares très
riches en terres déplacent leurs cultures d'année en année.
Actuellement la surface du sol de la Russie d'Europe soumise au labour
est à peu près exactement d'un cinquième, tandis que les terres com-
plètement incultes et inutiles, steppes, rochers ou toundras, s'étendent
sur plus d'un quart du territoire. Naguère les forêts ombrageaient plus
de la moitié de la Russie, mais les empiétements du sol cultivé, les
incendies, l'exploitation désordonnée ont réduit considérablement la sur-
face boisée; elle n'est plus maintenant que des deux cinquièmes : mamle
forêt a été changée en steppe. Déjà les bords de presque tous les cours
d'eau flottables n'offrent plus de hautes futaies jusqu'à une distance de
plusieurs kilomètres de la rive : les arbres ont été coupés, tandis que
plus loin des rivières, où manquent les moyens de transport, les plus
beaux fûts pourrissent sur place. On peut juger de l'exjiloitation des forêts
en Russie et du manque presque absolu de sylviculture proprement dite
par ce fait que le gouvernement ne tire en moyenne de ses forêts, tous
frais payés, qu'un revenu de 5 kopeks par hectare, de 12 à 18 centimes,
suivant le cours de l'argent. Dans les provinces du nord, où s'étendent en
immenses étendues les principales forêts de l'État, le revenu annuel des
bois dépasse à peine un kopek, d'après Yauson. En France, il est de plus
de 50 francs dans les forêts domaniales, ce qui est encore très inférieur au
produit des forêts particulières bien aménagées. Il est temps que les
richesses forestières de la Russie ne soient plus gaspillées. Au commence-
ment du siècle, on comptait dans le pays 15 hectares de bois par habitant;
de nos jours, la proportion n'est plus que de 2 hectares par individu. Sans
doute, c'est encore beaucoup plus que dans tous les autres pays d'Europe,
à l'exception de la Morvège et de la Suède ; mais si le déboisement con-
tinue de la même manière tandis que la population s'accroît, la Russie
sera, en un petit nombre de décades, l'une des contrées euroj)éennes
les plus pauvres en bois ; actuellement, elle est même plus pauvre que
V. 108
858 .NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
la France dans les régions centrales et sur les bords de la Volga'.
La Russie est, de toutes les contrées d'Europe, celle qui récolte la plus
LIMITES DES CEREALES ET DE
ES ncssin.
D'après divers aocwments
grande quantité de céréales. Récemment elle en produisait même plus que
les Etats-Unis, mais elle n'est plus qu'au troisième rang dans le monde.
■ Superficie approximative du territoire agricole de la Russie d'Europe, sans la Finlande ;
Forêts 200 COO 000 hectares.
Terres labourées. 109 000 000 »
l'raiiics 57 900 000 »
Terres iacullcs, pâturages, ctc 150 000 000 »
AGRICULTURE EN RUSSIE. 859
après les États-Unis et l'Inde '. Il est vrai que la Russie emploie proportion-
nellement beaucoup plus de terrains à la culture du blé que les autres
Étals de l'Europe, et même une grande partie de son territoire, le Tchor-
nozom, semble être destinée à devenir un vaste champ de céréales. Mais
les pratiques agricoles sont encore des plus défectueuses. Une grande
partie de la Russie méridionale n'est pas cultivée d'une manière permanente
et des spéculateurs la louent à la couronne pour en extraire deux ou trois
récoltes de froment, suivies par deux récoltes épuisantes de lin. Encore en
1872, M. Mackenzie Wallace parcourut de vastes domaines de la province
de Samara appartenant à la couronne et dont la terre, naturellement fertile,
était louée à 75 centimes l'hectare. Si le produit de chaque hectare de blé
était le même en Russie que dans la Grande-Bretagne, ce n'est pas à
650 millions d'hectolitres, mais à près de cinq milliards que s'élèverait
la récolte, et tout ce blé suffirait à la nourriture de cinq cents millions
d'hommes. Le rendement varie en moyenne, suivant les contrées, de trois
à cmq grains pour la semence, et cependant un tiers des terrains de culture
reste en jachère chaque année*. Aussi, quand la récolle vient à manquer
dans une province, soit à cause de la rareté ou de la trop grande abondance
des pluies, soit à cause des insectes, si redoutables surtout dans les pro-
vinces de l'Oukraïnc, la disette, souvent la famine, règne bientôt dans le
pays, tandis que les districts favorisés continuent d'expédier leurs céréales
vers les ports étrangers ; il arrive même que les régions où sévit le fléau
continuent d'exporter des blés : on en vit des exemples en 1875 et en
1884, lors des famines de Saratov et de Periii. La cause en est à la pauvreté
des paysans, obligés de vendre leurs blés en automne pour payer l'impôt
et ne pouvant plus en racheter au printemps, jiar suite de leur misère. La
' Production des céréales en divers pays du monde :
Étals-Unis (1882) 072 840 000 heclolitrc. 19 hectolitres par habitant.
Russie(inoyennet876-l88l). 58600i>000 8,2 y- "
France (1882) 286 200 000 7,ô ■• ..
.\Uemagne (1873-1880) . . 200 000000 (i,5 « i.
Austro-Hongrie (1870-1881). 185000 000 . 4.8 " »
Royaume-Uni (1871-1880) . 101580 000 5 « »
* Terrains h céréales de la Russie :
Froment de printemps et d'hiver 10 881000 hectares.
Seigle 2() 286 000 i.
Orge 4 937 000
Avoine. . , 15 205000 «
Sarrasin 4 557 00(1
Autres céréales 4262000 )■
Jachères 52 457 000 i.
Ensemble 96 585 000 hectares.
860 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
céréale la plus cultivée de la Russie n'est pas le froment ; cette espèce ne
vient qu'après le seigle et l'avoine, et dans les régions du nord elle est
remplacée par le seigle et l'orge, qui n'ont besoin pour se développer que
d'une moindre somme de chaleur. L'exportation du froment, qui avait été
de 88 750 000 hectolitres, n'est plus annuellement que du quart ou du
cinquième.
Si la Russie n'occupe plus le premier rang pour la production et
l'exportation des céréales, elle est toujours la première pour le lin et pour
le chanvre. Les champs de lin de la Russie dépassent même en superflcie
ceux de tout le reste de l'Europe et leur production totale est à peu près la
moitié de celle de tout le continent'. Les gouvernements de Pskov, de
Smolensk, de Vatka, produisent ensemble plus de 75 000 tonnes de fibres;
en outre, plusieurs provinces méridionales cultivent le lin, non pour la
fibre, mais pour la graine : la valeur totale de la production du lin est
évaluée à 100 millions de roubles, soit à plus de 300 millions de francs.
Le chanvre a moins d'importance dans l'économie rurale de la Russie ; la
récolte de cette plante est évaluée, pour la fibre et pour la graine, à la
somme d'environ 100 millions.
La culture tout industrielle de la betterave s'est aussi très développée en
Russie et la production annuelle de cette plante y représente à peu près le
cinquième de celle de l'Europe ; le gouvernement de Kiyev fournit à lui
seul le quart de toute la récolte russe et polonaise, évaluée dans la cam-
pagne de 1882 à 1883 à 3 600 000 tonnes. D'ordinaire, la Russie est
l'égale de l'Âuslro- Hongrie pour cette culture ; elle ne le cède qu'à la
France et à l'Allemagne : on évalue de 13 à 20 millions de roubles la
valeur de la récolte annuelle. La culture des pommes de terre s'est consi-
dérablement accrue depuis le milieu du siècle et les produits ont plus que
triplé', la pomme de terre servant en Lithuanie et dans la Russie Blanche
à la fabrication de l'eau-de-vie, tandis qu'ailleurs on emploie surtout la
farine de seigle. Dans l'ensemble de la production, l'eau-de-vie de pomme
de terre représente environ le quart. La culture du tabac, qui s'est très
notablement accrue dans ces dernières années, couvrait en 1885 près de
50 000 hectares et donnait GO 000 tonnes de récolte. Ce sont là les cultures
les plus importantes de la Russie proprement dite. Quant à la vigne, elle n'a
' Champs de lin et production en i 880 :
Russie 880 000 hectares. 528 000 tonnes de fibres.
.Kulres pays d'Europe ... «35 600 ii 224 000 » »
= l'roduclioQ movcDue des pommes de lerrc en Russie et l'ologac, de 1870 à 1879 .
125 900 000 hectoliti es En 1881 : 170 500 000 licclolities.
AGRICULTURE DE LA RUSSIE. 861
de valeur agricole que dans la partie méridionale du pays, et les trois
quarts de la production de l'empire sont recueillis en dehors des limites
naturelles de l'Europe, dans les bassins du Terek et de la Kouban, et princi-
palement en Kakhétie, sur le versant méridional du Caucase. Les vignobles
de l'Europe russe se rencontrent seulement dans la Bessarabie, princi-
palement aux alentours d'Akkerman, sur les bords du liman du Dncstr, en
Crimée, sur les rives du Don inférieur, et quelque peu dans le gouverne-
ment de Kherson. Les limites de la culture des vignobles ont certainement
rétrogradé vers le sud pendant les deux derniers siècles : les paysans ven-
dangeaient autrefois dans la Podolie à 500 kilomètres au nord des vignobles
actuels de la Russie situés le plus loin de l'équateur'. La vigne croit
encore dans les jardins de la Podolie et de la Kiyovie, mais les raisins en
sont trop aigres pour qu'on essaie d'en faire du vin. Les vignes d'Astra-
khan, dont Alexandre de Humboldt parle dans plusieurs de ses ouvrages,
sont aussi bien près de disparaître : la viticulture est devenue du jardinage
dans cette partie du bassin de la Volga, et ne s'étend que sur un espace
de 95 hectares; ses produits, dans l'année normale de 1870, ne s'élevaient
qu'à 184 hectolitres ^ L'ensemble de la production des vins dans toute la
Russie d'Europe est seulement de 600 000 hectolitres", que l'industrie
sait multiplier, il est vrai, et transformer en Champagne et autres crus
fameux. Au commencement de l'année 1870, le phylloxéra envahit les
vignes de la Crimée * ; mais il n'a pas fait beaucoup de ravages jusqu'à
maintenant, les vignobles étant fort éloignés les uns des autres.
La Russie est très riche en bestiaux '; elle en possède plus que tout autre
État d'Europe, et même elle est de beaucoup au premier rang pour le
' Biaise de Vigener, Descriplion du royaume de Poluiqnc...
* Bock, Russische Revue-, 1878, n° X.
^ Yanson, Statistique comparative.
' Bock, Izv'estiya Roussk. Geogr. Ohchtchestva, 1878, n° 'i.
" Nombre des anim.iux domestiques en divers pays d'Europe (1870-1876) ;
CHEVAUX. Par 100 liab.
Russie(sansFinl.elPoI.) 1.5 756 000 soit 20
Allemagne 3 552 000 » 8
France (1880) .... 2848800 « 7,6
Auslro-Hongrir. . . . 3 548 400 « 9
Royaume-Uni .... 1 927 000 i 6
•Russie (1880) . . . .
Allemagne (18811). . .
France (1880) . . . .
Austro-llungrie (1880).
Rov.iumc-Uni(lS81)). .
BETES A CORNES.
... 21 652000
15 780 000
11284 000
15 805 000
9 866 000
BREBIS. Pjr 100 liali.
Russie (1880). . . . 45 662 000 soit 00
Allemagne . .
France (1880).
Austro-Hongrie
Royaume-Uni .
Russie (1880).
Allemagne . .
France (1880).
Austro-Hongrie
Royaume-l'ni .
24 850 000 I) 61
22 516 100 I) 60
20 103 000 » 55
32 571000 )) 99
COCHONS.
. . 9 269 000
. 7 124 000
. . 5 565 620
. . 6 995 000
. . 3 708 000
862 NOUVELLE GÊOGILVPUIE UNIVERSELLE.
nombre des chevaux proportionnel aux habitants '. D'ailleurs, cette
supériorité de la Russie pour la population chevaline tient précisément à
l'infériorité du pays pour les cultures. Là où les habitants sont le plus
clairsemés, où les villes et les bourgades sont les plus distantes les unes
des autres, les troupeaux de chevaux paissent en plus grandes multi-
tudes; dans la région des steppes, au midi, et surtout à l'est, ils trou-
vent encore des territoires immenses qu'ils parcourent en liberté. Dans
les possessions russes de l'Asie centrale, le nombre des chevaux dépasse
celui des hommes ; dans la Russie d'Europe, y compris la Pologne, on
comptait récemment un cheval pour quatre habitants; maintenant la pro-
portion n'est plus que d'un cheval pour cinq personnes, et l'on peut pré-
voir comme déjà rapprochée l'époque où la Russie n'aura plus, comme les
contrées de l'Europe occidentale, qu'un cheval pour dix ou quinze habi-
tants. Grâce aux progrès de l'agriculture, les bêtes à cornes augmentent en
nombre, mais non aussi rapidement que la population humaine : un
déficit d'accroissement se produit chaque année sur les bœufs aussi bien
que sur les brebis. D'ailleurs, en comparant le bétail de la Russie à celui
de l'Europe occidentale, il faut tenir compte de ce fait que le poids d'un
animal russe, relativement mal nourri et surmené de travail, est inférieur
de plus de moitié à celui d'un bœuf anglais ou suisse. De même, les trou-
peaux de brebis consistent principalement en espèces non encore ennoblies
par les croisements. Cependant de grands progrès se sont déjà faits,
grâce à la valeur croissante de la viande et de la laine. On évalue à près
de 150 000 tonnes la quantité de laine que produit la Russie, et qui repré-
sente la valeur de près de 50 millions de roubles. L'ensemble des produits
de l'agriculture et de l'élève du bétail dans la Russie d'Europe ne peut
guère être inférieure à 2000 millions de roubles : c'est de cinq à six mil-
liards de francs.
On sait que, depuis l'année 1801, les producteurs de ces richesses sont
émancipés du servage et mis en possession d'une part des terres qu'ils
' Animaux domestiques de la Russie d'Europe, sans la Fiulaude et la Pologne :
Chevaui. Bètes à cjrnes. Brebis.
1861 15 11)0 000 20 058 000 42 579 000
1880 15 756 000 21052 000 45 062 000
Accroi':';oincnl 506 000 lOliOOO 3 285 000
Soil 0,57 pour 100 4,9 pour 100 7." pour 100.
Accroissement des habitants : 25 pour 100.
En 1885, le (juart des paysans, soit 9 079 024 « feux », ne possédaient plus de chevaux, tan-
dis qu'un recensement des chevaux relevait, ])0ur la Russie et la Pologue, un contingent de
19 674 720 tètes, dont 5 000 000 dans le dislricl mllilairo do Kduii.
AGRICULTURE RUSSE ET PAYSANS. 863
cultivent'. Les paysans de la couronne, qui jouissaient d'une plus grande
liberté relative que les paysans des propriétaires privés, ont reçu des lots
qu'ils paient directement par un accroissement d'impôts réparti sur un
certain nombre d'années. Quant aux anciens serfs, ou plutôt esclaves, des
seigneurs', la loi promulguée les oblige au paiement direct d'un cinquième
N° 190. RETARD SCR LE PilEMEXT DU PRIX DE RACHAT DES TERRES DAXS LES DIVERSES PROMNCES,
PEM)AXT LES DIX ASSÉES DE 1863 A 1ST3.
du prix de leurs lots au propriétaire : s'ils ne peuvent se libérer immédia-
tement, les quatre cinquièmes de la dette restante sont payés par l'Etat,
qui les reprend à son tour au paysan en lui demandant pendant 49 ans un
' Distiibulion de h iirnpiiùlé foncière en Russie:
Av.int rémnncipalion.
Territoire Hc la couronne. . . Ci. 6 pour 100.
i> de la noblesse, cic. . 50.6 •
Domaines impériaux 3.3 ■
Terres des paysans et colons . . 1.7 »
• Pajsans mâles vers l'époque de l'émancipation : En 1857, 9 7C5 1C3 sur les terres de la couronne ;
en 1863, 1021799 sur les domaines impériaux ; en 1857, 10 696139 sur les terres de la noblesse.
Apres l'cmancipslion.
45.6 pour 100.
22.6
1.8 -
50.0 » (payées ou non).
864 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
intérêt de 0 pour 100 sur la somme avancée; le rachat n'a dû se faire
immédiatement que dans les provinces occidentales de l'empire atteintes
par la révolution polonaise de 1865. Au 1" janvier de l'année 1882, le
nombre des « âmes censitaires » qui avaient signé leurs contrats définitifs
de rédemption était de 8 7 15 786, représentant environ 20 millions d'indi-
vidus. A cette époque, 1 422 012 « âmes » restaient encore obligées tempo-
rairement au travail de corvée chez les seigneurs. Au 1"' janvier 1885, elles
passèrent dans la catégorie des rachetés ; mais 725 725 <' àraes » inscrites
comme domestiques n'ont point reçu leur part de terres ; sur les domaines
impériaux, plus de 860 000 avaient reçu leurs lots. Dans les provinces du
sud et dans les Terres Noires, la plupart des paysans ont pu subvenir aux
frais de leur libération, différents suivant les districts, racheter leur sol,
dont l'étendue varie également dans chaque province', et constituer défini-
tivement la petite propriété; mais il n'en est pas ainsi dans les gouverne-
ments du nord et de l'est, où les récoltes ont souvent manqué. On a calculé
que dans les provinces du nord, vers la haute Volga, les paysans devraient
avoir plus de 8 hectares par « âme », c'est-à-dire le double ou le triple de
ce qu'ils ont en moyenne, pour vivre à leur aise et payer régulièrement
leurs taxes. Là, les communes, ne pouvant payer directement les proprié-
taires, sont aussi trop pauvres pour acquitter les intérêts du prêt que leur
a fait l'Etat ; elles doivent négocier des emprunts à gros deniers, vendre
les blés en herbe, et s'asservir une seconde fois, non plus au seigneur,
mais à l'usurier. En des districts entiers, tous les paysans sont devenus
incapables d'acquitter l'impôt, parfois supérieur au revenu lui-même. On
cite des exemples de villages que les habitants ont abandonnés, allant
chercher du travail ailleurs, avec ou sans espérance, le revenu ne suffi-
sant plus à payer les frais de séjour. Le prolétariat agricole a commencé
d'exister, tandis que dans les villes se développe aussi le prolétariat indus-
triel'. On signale déjà, dans les provinces de la basse Volga, des exemples
de paysans qui s'engagent au travail pour de longues périodes sur les terres
des grands propriétaires : ces contrats ont pris le nom de kabala, le même
terme que l'on employait pour désigner l'esclavage avant l'époque où
presque toute la population agricole de la Russie était devenue serve'.
Le travail de la Russie, non seulement celui de l'agriculture, mais aussi
en partie celui de l'industrie et du commerce, se fait encore suivant des
formes où se retrouve l'influence de l'ancienne communauté. Toutefois
' Moindre superficie du lot : 1 hccl.ire 91 ; plus grande : 10 liectares 92.
- Vasiilcliikov, La propriété foncière et ragricitlliire, II.
' Giljr.inskiy, Les comlitions sociales et économiques du sud-est de ta Russie, Stovo, 1878.
PAYSANS RUSSES. 865
c'est principalement pour la culture du sol que s'est niainloiui, en se
transformant, le groupe communal. Ce groupe, c'est le mir de la Grande
Russie, la firomada de la Petite Russie; on voit, sous d'autres noms,
une organisation analogue chez les populations fmno-farlares, (elles que
les Mordves, les Tchérémisses et les Tchouvaches ', et m'-me les colons
allemands des bords de la Volga, quoique ayant reçu des terres par familles,
les ont réunies en domaines communaux. Le mir est donc une institution
générale dans l'empire, quoique ses formes les plus originales et les mieux
étudiées se rencontrent surtout dans la Grande Russie. C'est dans celte
partie de l'Empire seulement que l'on voit des villes même garder le
régime de la distribution des terres entre leurs membres. Ainsi les habi-
tants de Mol'oga sont divisés en onze centaines [soln'a), et les prairies envi-
ronnantes se partagent en onze parties, que chaque centaine fauche à son
tour et dont le produit est distribué entre les membres, selon la quantité
des impôts payés par chacun".
Il n'est pas tout à fait exact de traduire, comme on le fait d'ordinaire,
ie mot mir par celui de « commune », car la culture en commun ne se pra-
tique guère que dans quelques associations agricoles temporaires, comme
la seberchtchina de la basse Volga' et de la Petite Russie. Dans certaines
communes de raskolniks, et notamment chez les obchlcbiye ou « com-
munautaires », secte des doukhoborizî, il n'y a point de partage du sol;
la terre est cultivée par tous et la récolle répartie entre eux proporlion-
nellement au nombre des travailleurs de chaque famille'. En général le
travail en commun et le partage égal du produit s'observent plus souvent
pour les praiiies que pour les terres labourables et sur les terrains loués
que sur la propriété des communes. Le mot mir, signifiant à la fois le
village et le monde, ne se distingue que par l'orthographe d'un mot ayant
le sens de « paix », de contrat et d'accord. Le mir est en effet l'entente
générale des familles du village sur la répartition des terres. Quand le ter-
ritoire est vaste, comme dans les provinces du nord, le sol est commun
à plusieurs villages, constitués en volost' : c'est ainsi que dans le district
d'Oloiielz environ 600 villages sont groupés en 50 communes. Une seule
volost communautaire comprend plus de cent villages, et son territoire,
' P. Yefiinenko, Programme pour VHudc de la propriclé communale, Slovo, 1878, n° h; —
Tclicrnîchevsiiiy, Propriété communale, d'après llaxlhausen (en russe); — Soliolovslxiy, Essai
d'une histoire de la commune rurale dans le nord de la Russie (en russe).
• Yaliouclikin, Le Droit coutumier (en ru,<se).
' Gilaranskiy, Les conditions sociales et économiques dans le sud-est de la Russie. Slovo, 1878.
* Keisiyev, Matériaux sur le Itaskol, iV ; — Les Sauteurs, Otelch. Zap. 1878, X, XI ; — Em. Je
Laveleye, De la Propriété et de ses formes primitives.
V. i09
866 NOUVELLE UEOGU.VI'UIE UNIVERSELLE.
d'unie superficie di' 220 000 hectares, borde la Svir sur une longueur de
GO kilomètres'. Là ce n'est pas la terre qui manque aux familles de culti-
vateurs ; au contraire, celles-ci peuvent se déplacer de droite et de gauche
pour choisir l'endroit qui leur convient ; il leur suffit de mettre leur marque
sur les arbres qui leur servent de limites temporaires ; mais il importe que
les villages s'accordent pour introduire un certain ordre dans cette agricul-
ture nomade, ainsi que dans l'exploitation des rivières. L'armée des
Cosaques de l'Oural constitue aussi une grande vol'ost, oi!i chaque homme
valide était naguère libre d'occuper des terres vacantes pour y établir son
champ, mais où la propriété particulière se constitue peu à peu par l'effet
de la hiérarchie militaire'. L'étude des documents a démontré que la fédé-
ration des villages en volost pour l'exploitation du sol était le fait général
dans l'ancienne Russie \
Les mœurs féodales d'une part, de l'autre l'influence de la législation
romaine ont détruit en maints endroits cette forme de la propriété collec-
tive pour la remplacer par la propriété individuelle : c'est ce qui arriva
surtout dans la Russie occidentale, sous le régime lithuanien et polonais,
et ce qui se fait maintenant chez les Cosaques de l'Oural; mais dans
presque toute la Grande Russie la volost s'est naturellement scindée en
mirs distincts par l'effet de l'accroissement des cultivateurs et de la dimi-
nution des terres libres : dès que le hameau est devenu village, les cam-
pagnes voisines sont appropriées par cette commune nouvelle et finissent
par lui appartenir uniquement : c'est entre ses membres que doit se faire
le partage*.
L'ensemble des habitants d'un village constitue le mir ou la commune.
Le mir, qui s'administre en toute liberté, est propriétaire du sol, mais
en même temps il est responsable du bien-être de tous les membres de
la commune ; il doit assurer une part de la terre à tout individu capable
de travailler. Souvent les forêts et presque toujours les pâturages restent
indivis. La maison, le terrain où elle est construite et le jardin attenant
sont propriété privée ; mais aussi longtemps que le possesseur n'a pas
acheté définitivement sa part de terre à l'ancien seigneur, il appartient à
la commune et ne peut vendre ni maison ni jardin à une personne étran-
gère au mir qu'avec le consentement des habitants du village. En prin-
cipe, le partage doit se faire suivant la quantité des travailleurs mâles
' Sokolovskiy, ouvrage cité.
' ^abinin, L'armée des Cosaques tic lOtiml (on russe).
■• Sokoiovskiy, ouvrage cité.
* Sokotovskiy, ouvrage cilé. . . . •
MIR. 807
dans chaque famille, et, la terre étant taxée pour les impôts d'après la
population mâle, la répartition du sol devient obligatoire après chaque
recensement. Mais les oscillations diverses qui se produisent dans chaque
commune par l'effet des morts, des naissances, des migrations, obligenl
les villages à faire des répartitions plus fréquentes, et d'ailleurs chacun
d'eux a ses coutumes et suit son évolution particulière. Dans le même
gouvernement, dans le même district, des communes procèdent au jiartage
tous les ans, tandis que d'autres ne font de nouvelles divisions qu'après
deux ou plusieurs années, ou même attendent pendant des générations
entières'. On a cru remarquer que les communes les plus riches et soignant
le mieux leurs terres répèlent les partages moins fréquemment que les
communes pauvres ^
Afin que cliaque membre du mir reçoive une part égale, on divise ordi-
nairement la terre en trois sortes de lots, suivant leurs qualités de terrain
et les facilités de la culture. Tout est pris en considération, nature du sol,
exposition, pente, proximité des maisons, des chemins et des ruisseaux ;
les lignes de démarcation entre les lots suivent la direction qui assure
entre eux le plus de ressemblance. Puis le sort décide quels lots les paysans
recevront dans les terres de diverses qualités, du « premier chapeau », du
« deuxième » et du « troisième » "'.
En dépit des prédictions faites par tant de publicistes russes et étrangers
depuis l'émancipation des serfs, le mir russe s'est maintenu : il n'a cessé
de s'accorder avec les intérêts et la manière de penser des paysans. La loi
permet aux communes de partager définitivement les terres en propriétés
distinctes et de dissoudre ainsi la propriété communale, mais les villages
qui ont usé de celle autorisation sont très rares et presque tous se trou-
vaient dans des conditions particulières, qui rendaient fort gênant le niain-
' Recensement de 278 communes dans io gouvurncmeiit do Saralnv on 1870 :
Réparlilion annuelle 128 villages.
>' bisannuelle 22 »
r triennale 15 »
» quinquennale 21 »
)• tous les six ans 20 »
» .) huit ans 2 r>
0 décennale 11 t
Pas de partage depuis 1858 .">2 »
Il » depuis 1862 25 »
Commune oii le partage osl aboli en principe I
* Trirogov, La des'alinc imposée, Vcstnik ïcvropl, 1878, n» 11.'
* l'osnikov, M propriété foncière communale, Il (gouv. de Yarosl'avl) ; — Polanin, Le district
de Nikol'xk, dans le (jouvcrnemenl de Voloifdn, Dievi'iaya i >'o\aja Rossija, I87G, n" 10; — Tri-
rogov, iSos communes (gouv. de Satatov ol d'Astrakhan), Otctch. Zapiski, 1878, n* 1 1 ; 1870, n* ".
SCS NOUVELLE GÉOGRAPHIE UKIVERSELLE.
tien de l'ancienne communauté. Pendant les quatorze premières années
([ni uni suivi l'édit d'émancipation, on ne connaît que 98 exemples de
communes qui aient abandonné la propriété collective pour })asser sous
le régime de la propriété privée, et l'on cite des cas de communes qui se
sont dissoutes pour se reconstituer partiellement d'une manière plus avan-
tageuse'; d'autres se sont agrandies, groupant en un mir plus étendu les
terres rachetées par elles. L'ancien esprit de solidarité entre membres d'une
même commune n'a point disparu. « Le mir a pitié de tous, » dit le
paysan, et quoique l'État, envers lequel l'ensemble du mir est responsable
de l'impôt, taxe sans exception toutes les « âmes censitaires », c'est-à-dire
toute la population mâle, la commune en exempte les vieillards et les
enfants des familles « sans-âme », c'est-à-dire ne possédant pas de tra-
vailleur valide et ne recevant pas de lot; elle donne la pitance à la veuve,
et tous peuvent au moins élever vache et brebis sur le pâturage commun ;
(juelquefois aussi la commune laisse un lot de terre à la famille et afiai-
biie », et la culture en est faite par tous les voisins. Ainsi se maintiennent
ces mœurs de bienveillance mutuelle qui distinguent les Slaves orientaux
et qui frappent les observateurs appartenant à d'autres nationalités" .
Toutefois il est certain que le mir se transforme peu à peu et (jue la
vie communale s'altère et dépérit par l'effet des conditions sociales et
fiscales qui sont faites aux paysans. C'est que la répartition de la terre n'a
pas seulement pour but de donner la nourriture à tous les membres de la
commune, mais aussi de garantir le paiement de l'impôt, et toutes les
familles sont classées par le mir lui-même en « fortes ». moyennes,
faibles, et « sans-âme », et qui dit « sans-âme » dit aussi « sans-terre »
D'ordinaire l'homme valide possesseur de deux chevaux est compté pour
deux âmes; un accident, une épizootie peut lui faire perdre une moitié
d'âme, et sa paît de terre se réduit d'autant^. L'usure s'est développée dans
un grand nombre de communes au profit de ceux que les Pelits-lUissiens
appellent les « ducs » {doukt), d'un ancien mot cosaque, et auxquels les
Granils-Russiens ont donné le nom plus expressif de « mangeurs de com-
mune » (miroyedî) ; ce sont eux qui se chargent de j)n>ndre les terres des
familles affaiblies ou sans-âme, à condition de payer les taxes corres-
pondantes. Endettés et s'endeltant de plus en plus pour acquitter l'impôt
annuel, plusieurs membres de la commune « vendent leurs âmes » ou ne
les possèdent plus que d'une manière fictive et retombent dans une sorte
' Vusiilcliikov, La propriété foncière (en russe).
- P.- Yefimeiiko, Le programme de l'étude de la propriété communale (en russe).
' Trirogov, ouvrage cilé, — La commune type, Olelch. Zap !S79, n° IX.
MIR.
869
de servage. Telle est la cause de désorganisation la plus redoutable pour
le mir. De même, les artel ou communautés industrielles, qui s'occupent
de la pèche, de la fabrication, du halage des bateaux, des chargements et des
N° 191. MIXES Don Dr DISTRICT DE ZLATOOrST.
V— ^.,
de Taris. ^2.9° iO-
^^'
«
J
-■1
transports, risquent fort de périr par les avances d'argent, qu'il faut rem-
bourser au décuple, et par l'asservisseraenl qui en est la conséquence.
L'e.xpluitatiou des mines, qui eut une si grande importance, il y a deux
mille ans, dans les régions de la Scythie, ainsi que le prouvent les objets
recueillis dans les kourgans, n'a jamais été complètement abandonnée,
mais c'est dans ce siècle-ci qu'elle a repris une valeur considérable dans
870 NOUVKLLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
l'économie nationale. Une pyramide dorée, exposée à Saint-Pétersbourg
en 1870, figurait la quantité d'or pur extraite de l'Oural depuis les pre-
mières recherches de 1754 : cette masse, retirée presque tout entière
des sables aurifères et des rochers après 1816, représente un poids de
716 900 kilogrammes et une valeur de 615 millions de roubles. Toute-
fois ces trésors, auxquels s'associent le précieux platine, le fer, des roches
et des pierres précieuses, se trouvent principalement dans l'Oural et sur le
versant asiatique de cette chaîne. C'est également dans la Russie d'Asie,
dans les vallées de l'Altaï et de la Transbaïkalie, que sont les grands gise-
ments de plomb argentifère et les plus vastes couches de houille; les
sources de naphte les plus abondantes coulent aux deux extrémités du
Caucase, sur les bords de la mer Noire et plus encore dans le voisinage
de la mer Caspienne. Les grandes richesses minières de la Russie pro-
prement dile consistent en fer, en charbon et en sel : ces matières se
trouvent dans le sol en quantités inépuisables, pour ainsi dire, mais l'in-
dustrie est encore bien éloignée d'en tirer parti comme elle le ferait
dans l'Europe occidentale'. Des centaines de gisements ferrugineux ont été
reconnus dans la région lacustre du nord, dans les bassins de la Kama, de
rOka, du Don, et le fer que l'on a retiré du fond des marais, dans le gou-
vernement d'Ol'onetz, en Vol'inie, se reforme peu à peu. L'étendue des
terrains houillers, en Pologne, dans la Russie centrale, dans la région du
Doncfz, n'a pas encore été reconnue d'une manière complète, mais elle est
certainement beaucoup plus considérable que celle des houillères de tout
autre pays d'Europe. Toutefois les assises de combustible fournissent à
l'industrie nationale à peine la cinquantième partie de ce que l'on retire
des puits de mine de la Grande-Bretagne % et Saint-Pétersbourg reçoit
encore d'Angleterre presque toute la houille dont elle a besoin. C'est aussi
de la Galicic, grâce au voisinage, que provient une partie du sel employé
en Russie ; mais les limans de la Bessarabie, les lacs des steppes d'Astra-
khan, les sources du gouvernement de Perrii, les mines de sel gemme, et
surtout les lacs salins de la Crimée contiennent en surabondance tout le
sel nécessaire à l'alimentation et à l'industriel
' Production des mines de fer de la Russie en 1881 : G02 400 tonnes de fer et d'acier.
Il de la fonte, traitée principalement an charbon de Lois : llib 570 tonnes.
'^ Production de la houille dans la Russie d'Europe :
1804 176 000 tonnes, i 1875 I 151 (iOO tonnes.
1866 272 000 . | 1881 5.495 500 •)
Importation de la houille en Russie en 1881 : 1 77i500 tonnes.
Production du sel dans la Russie d'Europe en 1876 : 654 000 tonnes.
I) " 1) en 1881 : 851 100 »
EXPLOITATION DES MINES. 875
Les principales manufactures de la Russie ne mettent pas en œuvre des
matières premières recueillies dans le pays lui-même et leurs produits ne
peuvent lutter, ni pour la quantité, ni pour la valeur, contre ceux des
autres pays industriels de l'Europe. Les filatures et les fabriques de tissus
de coton représentent environ le tiers de toute la grande industrie russe;
mais, quoique le plus vaste de tous les Etats du monde, la Russie ne vient,
pour son industrie maîtresse, qu'en cinquième ligne, après la Grande-
Bretagne, les États-Unis, la France, l'Allemagne'; ses principales manu-
factures se groupent dans la région centrale, autour de Moscou, de Vla-
dimir, de Kostroma, et Pétersbourg a naturellement sa part de ce travail,
grâce aux facilités du commerce. L'industrie des lainages, la deuxième d<'
la Russie par ordre d'importance, groupe également ses principales manu-
factures sur la haute Volga et dans le bassin de l'Oka ; Moscou fabrique les
draps les plus fins et prépare en outre les étoffes de laine grossière expor-
tées en Chine et dans l'Asie centrale; mais la Pologne, la Livonie, le
gouvernement de Grodno, celui de Tchernigov produisent aussi d'excellents
tissus, et tous les gouvernements de la Petite Russie, du bassin du Don et
de la moyenne Volga participent à cette industrie pour les étoffes com-
munes : plus de cent mille ouvriers sont occupés à ce travail dans les
diverses parties de l'empire. Les manufactures d'étoffes de coton et de
laine ont remplacé l'ancienne industrie nationale des toiles, qui fut au
siècle dernier et jusqu'en 1850 la première de la Russie et qui alimentait
un grand commerce d'exportation vers l'Europe occidentale, surtout la
Grande-Bretagne, et même vers l'Amérique. Des fabriques de toiles se sont
élevées maintenant dans tous les pays industriels, et la Russie doit se con-
tenter d'exporter les matières premières : pour le marché intérieur, ses
principales manufactures sont dans le bassin de la hante Volga, dans les
gouvernements de Kostroma, de Yarosl'avl, de Vladimir.
De tout temps, l'industrie des cuirs a été l'une des pins importantes de
la Russie, et l'on sait que l'écorce de bouleau, employée par les tanneurs
russes, a, sur la plupart de celles dont on se sert à l'étranger, l'avantage
de donner au cuir une odeur appréciée. Quoique la Russie ail chaque
année plus de dépouilles d'animaux que les autres pays d'Europe, sa pro-
• Industrie du colun en 1880 :
Nombre des liroches. Coton omployr.
Iles Britanniques 5'.l 500 000 580 600 lonncs.
ÉUts-Unis 10 900 000 310 000 „
Allem.ngne 5 100 000 200 000 i.
France i'.llOOOO 100 000 «
Russie 3 500 000 112 600 «
V 110
871
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
(luclion en cuirs reste pourtant inférieure à celle des grandes contrées
industrielles ; presque toutes les tanneries sont de petits établissements
dont les produits se vendent seulement dans les environs et que négligent
même de mentionner les recensements généraux. Ainsi, tandis que le comité
central de statistique compte 2860 tanneries en 1868, les statistiques
plus détaillées de 1879 enregistraient 5520 fabriques, livrant nu com-
K° 19!. BÏPARIITIOS PAR PBOVLNCES DES ISBISTRIES >0N TAHSIBLLS TE l'aCCISE.
,'. de P6.
'iimi
vn [Z3.
merce plus de sept millions de peaux préparées'. Les fabriques de suif,
<|ui pour la plupart étaient naguère de simples hangars nauséabonds
dispersés dans les steppes, ont été, comme les fosses à tan creusées
dans les clairières des forêts, le commencement d'une grande industrie,
mais qui s'est plus rapidement développée que celle des cuirs : la fabrica-
tion de la stéarine et des produits chimiques dérivés de la graisse est
maintenant la quatrième de la Russie pour la valeur de la production.
' KilUira, Leilcr Imhtsliif in RiissInniL Riissisclie Revue, ii" 10, 1875.
MANUFACTURES DE LA RUSSIE. 875
Les industries de l'alimcntalion ont naturellement une très haute valeur
économique. La meunerie s'est encore peu transformée : les minoteries à
vapeur ne sont pas nombreuses, mais il existe près de 100 000 petits mou-
lins sur les barrages des ruisseaux et sur les canaux dérivés des rivières.
Les distilleries, qui fournissent au gouvernement le revenu le plus sûr du
budget, étaient aussi fort nombreuses, mais les règlements fiscaux, très
gênants pour les petits fabricants, ont favorisé le développement d'usines
appartenant à de riches spéculateurs; dans la période de 1877 à 1881, on
comptait 2600 distilleries, fournissani à la soif du peuple 5 950 000 hecto-
litres d'alcool, transformés en plus de 7 millions d'hectolitres d'eau-de-vie.
Quant à la fabrication du sucre de betterave, qui demande de grands capi-
taux, elle ne peut se faire qu'en de puissantes usines : en 1881, il en
existait près de 250, dont plus d'un quart dans le gouvernement de Kiyevr
les autres étaient toutes réparties dans la région des Terres Noires et en
Pologne. La production de la campagne de 1867 à 1868 avait été dt
122 700 tonnes, environ les deux cinquièmes de ce que produisait la
France; quatorze années après, la production s'était accrue de près de
140 000 tonnes'. On le voit, la Russie n'est point aussi inférieure en
industrie aux contrées de l'Europe occidentale qu'on le croit généralement .
même pour les machines, la Russie commence à se passer de l'étranger :
dès l'année 1868, elle avait fabriqué 212 de ses 1150 locomotives. Dans
cette même année, la valeur totale des produits industriels de la Russie,
non compris ceux de la petite industrie, était estimée à plus de 500 mil-
lions de roubles; onze ans plus tard elle atteignait un milliard de francs".
En 1881, l'ensemble de la production maiinraclurière dans la Russie
' Neumann-Sp:illarl, Uebersichten iiher Prodnklion; — SlatisUqitc litstonque de la Russie.
- Principales inriustries de la Russie, .sans la E'rilogne et la Finlande, en 187'J :
Établissements. Ojviier« Valeur des produits.
INDUSTRIES LIBRES.
Industrie du colon liTI I.MI 'l'Jli -202 7 1 7 000 roublt-s.
» des laines 775 1(11141(1 115 172 000 n
» du lin et du chanvre. ISl .1(1 !l(IO 2',) 700 000 d
,. des soies 110 U8(i0 l.ï.'SSOOO »
), des papiers 17'J 12 '.120 15 2l(j000 .i
Il des métaux (i85 44 8.MI 5() 0117 000 ,.
« desproiluibehmii.|ues. (ii(i 12 070 12.V.'K)00 ->
t des cuir.-i 3Ô20 20 l.'jO 41 USO (.110 .»
» des graisses, eli- . . . . 1345 8 500 52 012 0U0 »
I, des machines 187 42 (itiO M ^57 000 «
1, du veire 173 13 14.') «84OOU0 »
INDUSTRIES SOIMISES A l'acCISE.
lodusdic des alcools (1877 à 1881) : 2112; valeur des piodnits, 04 000 000 rculiles. In-
dustrie des sucres (1881 à 1882), 194 fal)ri]iies en activité avec une production l iLile
(y compris le sucre rafliné) de 108 887 000 roubles.
876
.NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE
d'Europe s'élevait à 402 ''2"22 000 roubles, seulement pour les usines pro-
prement dites. Presque tous les progrès industriels de la Russie datent de
l'époque de l'émancipation. La production baissa d'abord, à la suite de la
193. — KOfVEME.M DES PIUSCIPALES ISDOSIBIES DE lA R05SIE. SANS LA POLOGNE. TE ISôS i 1S<1.
Daprès Timirazev, Koppen^O^-To
Tîsaus de coton
Sucre de betterave
.._ Fonte
..Cuirs Total de l'industrie
. Machines Les chiffres indiquent le nombre
des ouvriers occupés a diverses époques
crise générale sur le marché du travail; mais dès l'année 1865, le progrès
avait repris dans toutes les industries, et depuis cette éjioque Faccroissc-
ment moyen des produits n'a pas été moindre du sextuple.
Il est très difficile d'évaluer les produits de la petite industrie russe,
à laquelle les économistes ont donné ce nom bizarre d'industrie « buisson-
PROGRES INDUSTRIELS DE LA RUSSIE. 877
nière« (koustarnaya); peut-être sa valeur annuelle dépasse-t-ellc 200 mil-
lions tle roubles. On compte approximativement plus d'un million de ces
ouvriers de petite industrie, presque tous dans les campagnes, oîi ils
sont en même temps agriculteurs pour la plupart : ils ne travaillent à
leurs métiers industriels que pendant les longs hivers, alors que la neige
recouvre leurs champs. Quelques écrivains russes ont émis l'opinion que
cette industrie buissonnière protégerait la nation contre le prolétariat,
mais cette espérance est vaine : la centralisation du travail se fait aussi
])armi tous ces petits ateliers. Ainsi la proportion des ouvriers travaillant
à domicile dans le district de Chouya était quintuple en 1842 des ouvriers
de la grande industrie; en 1862, elle n'était plus que double; en 1872,
les deux classes étaient égales en nombre'.
Le commerce total de la Russie avec l'étranger a varié de 757 à 1215
millions de roubles pendant les dix années de 1871 à 1880. L'empire d'Al-
lemagne confine à la Russie sur un développement de frontière trojt
considérable pour qu'il n'occupe pas naturellement le premier rang par
son commerce terrestre avec l'empire oriental ; mais l'Angleterre a de
beaucoup la plus grosse part du trafic maritime. La France vient en tioi-
sième lieu : elle dépasse même l'Austro-Hongrie par la valeur de ses
échanges avec la Russie, quoique la Pologne, la Vol'înie, la Podolie touchent
au territoire autrichien par une frontière de plus de 600 kilomètres. De
même, la Hollande, ce petit pays pourtant fort éloigné de la Russie, lui
vend et lui achète presque autant de marchandises que la Turquie limi-
trophe et plus que l'immense Chine, confinant à la Sibérie sur un espace
d'environ huit mille kilomètres'.
L'exportation de la Russie, indiquant l'infériorité de son état industriel
' Soubotin, Cours d'économie industrielle el de géographie commerciale (cii russo).
- Commerce extérieur de la Russie on 1881, en roubles métalliques ;
Importation. Exportation. Total.
roubles. roubles. roubles.
Allemagne '219 902 000 148 881000 ."jlîS 78.Ï 000
lies Britanniques 108 4U OOO I. 55 795 000 2(U 2ôfi (100
France 21 HO 000 56 489 000 77 528 000
Austro-Hongrie 23 091000 28 105 000 51 190 000
Hollande 4 737 000 28 389 000 33 12() 000
Turquie 23 134 000 12 841000 35 978 000
Belgique 27 092 000 23 857 000 51549 000
Chine 20 247 000 2 Côl 000 22 848 000
Autres pays 80 952 000 37 191000 118 115 000
Enseml.le. . . . 529 250 000 494 181000 1025 417 000
378 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
relativement au reste de l'Europe, consiste presque uniquement en pro-
duits du sol et en matières premières, tandis que l'importation des objets
manufacturés est de beaucoup la plus importante'. Dans l'ensemble des
échanges, l'importation est aussi un peu plus forte que l'exportation; en
effet, de 1876 à 1880 l'importation moyenne a été de 554 millions de
roubles, et les expéditions n'ont guère dépassé 5'20 millions de roubles :
c'est un écart annuel d'environ 40 millions de francs. Par tète d'habitant,
le commerce total, achats et ventes, est seulement d'une dizaine de rou-
bles : il est de cinq à six fois moindre que les échanges du Français.
D'après les statistiques officielles, l'exportation totale de la Russie est
de deux à trois fois plus considéralilc par mer que par terre ; mais à l'im-
portation l'équilibre se l'établit presque complètement : cette différence
provient de ce que les objets manufacturés d'Europe qu'importe la Russie
sont en général plus précieux et moins encombrants que les déniées ven-
dues en échange : ils sont expédiés directement par les chemins de fer,
tandis que les lourdes marchandises d'exportation s'en vont par les ports
de mer".
Naturellement la jtart la plus considérable du commerce maritime de la
Russie se fait par la mer Baltique, puisque la capitale est située au bord
de cette mer et que la région la plus populeuse de l'empire y trouve ses
lieux d'expédition les plus rapprochés de l'Europe civilisée. La mer Noire
et la mer d'Azov out un commerce beaucoup moindre que la Baltique
russe, et qui représente cependant environ le cinquième de tous les
échanges de l'empire. Ouant à la mer Blanche et à la Caspienne, l'en-
' ['rinciiiaux objcis de commerce eu 1882 :
expoutation. I imporiaiio.v.
Céréales 518 510 000 rouMes Coton 75 790 000 roubles.
Lin et semence (le lin. . 108 618 000 i. Tlié 70 015 000 »
Bois .55 075 000
Chanvre 17 082 000
Laine 16 782 000
Bétail 15 529 000
Quincaillerie, machines. 47 656 000
Métaux non ouvrés. . 55 612 000
Laine 28 187 000
Produits chimiques. . . 26 159 000
Semences de colza. . . 5 721000 .. | Boissons 22 152 000 »
* Commerce de la Russie d'Euroiie eu 1880 :
I.MPORT.VIION V.W, MER. 1 EXPORTATION PAR MER.
Poids 2 665 800 tonnes. 1 Poids 4 866 800 tonnes.
Valeur. 280 540 000 roubles. 1 Valeur 545 828 000 roubles
IMPI1RT\TI0N PAR TERRE. EXPORTATION PAR lEURK.
Poids 1 217 200 tonnes. Poids 1 655 600 tonnes.
Valeur 297 794 000 roubles- ' Valeur 1 50 557 000 roubles
_. , S Poids .... 10 VOS 400 tonnes.
'" 7 Valeu! . . . . 1 054 700 000 roubles (environ 2 8 12 220 000 Iranis).
COMMERCE DE LA RUSSIE. 881
semble de leur trafic égale à peine celui d'un port de troisième ordre'.
Ce sont principalement des navires étrangers qui transportent les den-
rées et les marchandises entre les ports russes et ceux des autres pays
maritimes; encore, parmi les navires de la mer Noire qui portent le
pavillon russe, en est-il beaucoup qui appartiennent en réalité à des Grecs
et qui devraient être comptés comme faisant partie de la marine commer-
ciale hellénique. Dans la mer Baltique, les navires finlandais, arborant leur
propre pavillon, sont aussi des intermédiaires fort actifs du commerce
de la Russie. En laissant à part la flotte commerciale de la Finlande, que
l'on compte souvent, mais à tort, dans celle de la Russie, cet État se trouve
au neuvième rang parmi ceux d'Europe pour le tonnage de ses navires
de mer : quoique ni le fer ni le bois ne lui manquent et qu'il possède un
vaste développement de côtes, il est dépassé pour l'importance de la flotte
de trafic, non seulement par les grands pays maritimes de l'Europe, mais
au?si par l'Espagne, la Néerlande et la Suède; même dans la Baltique, sur
les bords de laquelle se trouvent ses ports de Kronstadt, de Revel, de Riga,
la Russie n'a qu'un tonnage de faible importance'. La proportion des
bateaux à vapeur aux voiliers dans la flotte russe n'est encore que d'un
douzième pour le nombre des bâtiments et de moins d'un quart environ
pour le tonnage*.
La navigation intérieure, qui fournissait, avant la construction des che-
mins de fer, le principal moyen de transport et de communication, a gardé
une grande importance dans le bassin de la Volga et sur d'autres fleuves
de la Russie. De 1876 à 1880 on a construit pour la navigation des rivières
- Commerce des mers de la Russie eu 1880 :
A leiporlaiioa. A l'importation.
Baltique 200 571 45i roubles. 217 452 6U roubles.
Mer Noire cl mer d'Azov. . 135 041)001 ■ 02 527 095 »
Mer Blanche 10 215 910 .. 780 188 »
Caspienne 2 207 105 ,. 2 409 050 »
- Klolte commerciale de la Russie sans la Finlande, au 1" janvier 1882 :
Mer Blanrlie 025 navires, jaugeant 55 170 tonnes.
.) Dallique 778 « « 144 440 n
I) Noire c( mer d'Azov. .... 2170 » )i 215 540 n
j. Caspienne 1195 • . 159 400 »
Ensemble. 4771 navires, jaugeant 550 550 tonnes.
= Voiliers russes et finlandais, le 1" janvier 1882 5779, jaugeant 657 000 tonnes.
Bateaux à vapeur n « i> 664 » 111 800 «
Ensemble du coin, étrangerde la Russieen 1880 : 26 992 navires, jaugeant 1 1 060 OliO tonnes.
» ,) . avec le calwtage : 97158 » . 25 845 210 .
V. 111
882 KOLVELLE GÉOGRAPUIE UNIVERSELLE.
cf. des canaux 56 615 embarcations, soit en moyenne 7323 par an,
auxquels on donne les noms les plus divers suivant leur forme ou leurs
matériaux, le lieu de construction, l'origine des rameurs. Il en est, sur
la Yolga, qui portent un chargement de plus de 2000 tonnes; mais la
moyenne de leur tonnage est évaluée à 150 ou 160 tonnes; sur le
Dnepr, ils ne peuvent, même à l'époque des hautes eaux, porter plus de
200 tonnes, ni plus de 400 sur la Dvina et le Don. Presque toutes ces
embarcations ne sont construites que pour un seul voyage : arrivées au
lieu de destination, elles sont dépecées et vendues comme bois de con-
struction ou de chauffage ' . Pour les bateaux à vapeur comme pour les
chalands ordinaires, c'est la Volga qui l'emporte de beaucoup sur les
autres fleuves de la Russie : les deux tiers des bateaux à vapeur y flottent
et leur force collective représente les trois quarts de celle de toute la
flotte'. On s'étonne que le Dhepr, le puissant Borysthènes, le fleuve slave
qui le premier servit au commerce de l'Orient avec les pays Scandinaves,
ait actuellement moins d'importance pour les transports que telle petite
rivière comme la Mol'oga, la Cheksna, le Vol'khov. Il est vrai que ces
rivières font partie des lignes transversales de navigation entre Péters-
bourg et Astrakhan, de la Baltique à la Caspienne.
En 1879, le réseau des voies navigables de la Russie d'Europe, évalué
à 37500 kilomètres, ne se composait de canaux que pour une soixantième
partie''; mais il on est dans le nombre qui ont une importance commer-
' Enibai'cations conslriiiles de 187ô à 1880 sur les eaux inléiieuies de la Russie :
Bassin de la Caspienne l'J 543
« Baltique 9 610
n 1. Mer Noire I 202
I) !■ Mer d'Azov 1 267
I. „ Mer Blanche 1570
(Recueil du Ministère des Voies et communications, (lour 1882).
- Bateaux à vapeiu" des eaux intéiicuies de la Russie en 1880 :
Vol^a et affluents 556 bateaux.
Neva, Diina et autres affluents de
la Baltique .236 »
Dnepr et affluents 57 bateaui.
bon » 52 »
Dvina » ... 15 »
Ensemble. ... 911! bateaux.
Voies navigables de la Russie d'Europe en 1875 :
Bissin de la mer Blanibe. . . i 909 kilomètres, soit 10,5 pour 100 du réseau.
.1 i] Caspienne . . 14 271 » n 58,1 i> »
Il II d'.\zov ... 5 324 11 II 9 n
Il n Noire ... 6111 » » 16,5 n «
ij II Baltique ... 8089 i. » 21,6 » »
Canaux proprement dits en 1882 730 d ii 1,8 d »
Voies de flotta"e naturelles cl artificielles en 1882 : 20 852 kilomètres.
NAVIGATIO.N DE LA RUSSIE.
883
ciale égale ou même supérieure à celle de certains fleuves. Il a été du reste
facile de les creuser, tant les cours supérieurs des rivières s'entremêlent
dans les régions lacustres et les marécages. Les coupures du sol qui réu-
nissent la Volga et la Dvina par de hauts affluents ont seulement 14 kilo-
mètres de longueur; de même le canal dit de Tikhvin, le plus court de
ceux qui réunissent Saint-Pétersbourg à la Volga, surmonte le faîte de par-
is». MOUVEMENT COMMERCIAL DE L.V RtSSIE.
■^*^^
Mouvementdes chemins de Ter Mouvc^ienl des voies navigables
L'importance du mouvement est représentée par la Inrgcur des bandes : un millimètre égale trois millions Je tonnes.
tagc par une fosse de 16 kilomètres à peine. Malgré toutes les facilités que
la nature du sol présente au creusement des canaux, la Volga n'est pas
encore unie à la Diina, au Neman, au Diiepr; elle reste séparée du Don, cl
celui-ci non plus n'est uni au Diîepr ; enfin tous les canaux sont à écluses
et leur plus grande profondeur est seulement de 1 mètre 80 centimètres ;
quelques-uns, moins profonds, coupés de cascades, sont devenus presque
inutiles. Le réseau de la canalisation russe est encore bien peu de chose
884 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
en comparaison de ce qu'eût voulu le faire Pierre le Grand, l'admirateur
des canaux hollandais : tel coup de pioche donné par lui n'a pas encore été
suivi d'un second. D'ailleurs les transports par eau se font avec la plus
grande lenteur, et toutes les marchandises ayant beaucoup de valeur sous
un faible poids doivent être expédiées par chemin de fer pour arriver à
135. CANAIX [lE L\ DALTIorE A LA VOtr;
E.d.P
temps. De Pétcrsbourg à Astrakhan, à la descente de la Volga, le transport
par eau dure de deux à trois mois dans les circonstances les plus favo-
rables. En moyenne, la navigation fluviale est interrompue en Russie pen-
dant 120 jours, plus de (piafre mois : six mois dans les régions du nord,
deux mois dans celles du sud. Même après que les fleuves sont débar-
rassés de leurs glaces, les canaux qui les unissent restent fermés pen-
dant quelques jours ou même des semaines à cause du manque do courant.
CANAUX, CUEMIXS DE FER DE LA RUSSIE. 885
Tandis que la Cheksna est ouverte à la navigation de 211 à 220 jours, les
canaux voisins de l'Onega et du Bel'o-Ozero ne livrent passage aux bateaux
que pendant 189 et 178 jours'.
Le réseau des chemins de fer est beaucoup plus développé que celui des
canaux. Il est vrai que l'empereur Nicolas avait toujours traité l'industrie
des voies ferrées avec une certaine malveillance : il y voyait une de ces
inventions révolutionnaires de l'Occident qu'il fallait regarder d'un œil
méfiant ; cependant lui-même, cédant à la pression de l'opinion publique,
décréta la construction du chemin de Pétersbourg à Moscou et de ses mains
traça sur le papier une ligne inflexiblement droite, projet de la voie ferrée
qui réunit directement les deux villes à travers forêts et marécages. A la
mort de Nicolas, en 1855, l'immense empire n'avait qu'un faible réseau,
de 1000 kilomètres de longueur à peine. Mais, ainsi que le prouvèrent
les énormes difficultés de l'approvisionnement et du transport des troupes
pendant la guerre de Crimée, les intérêts stratégiques de la Russie récla-
maient impérieusement la construction de lignes maîtresses entre les for-
teresses, les grandes villes, les principales régions minières et agri-
coles, et ces intérêts militaires, plus encore que ceux du commerce et de
l'industrie, hâtèrent la construction des voies de fer qui sillonnent main-
tenant toute la Russie d'Europe. Dans les deux seules années 1870 et
1871, alors que la France était engagée dans sa terrible lutte contre l'Al-
lemagne, le gouvernement russe, tout entier à de grands préparatifs stra-
tégiques, ouvrait à la fois au commerce et à ses armées 5677 kilomètres de
chemins de fer.
Au milieu de l'année 1885, l'ensemble du réseau russe, non compris les
lignes du Caucase et celles de la Finlande, s'élevait à 22957 kilomètres cl
représentait l'énorme capital de deux milliards 550 millions de roubles
ou de sept milliards de francs, car la construction des voies ferrées a été
beaucoup plus coûteuse en Russie que ne pourraient le faire supposer la
presque horizontalité du terrain, le bon marché des terres, l'abondance
du bois : les seuls grands travaux d'art sont les ponts sur les rivières et les
remblais sur les marécages : la plupart dos compagnies, soutenues par
la garantie d'intérêt que leur accordait le gouvernement, ont pu dépenser
largement les capitaux'. Près du tiers du capital d'établissement appar-
tient à l'État. Actuellement le réseau russe est, par sa longueur totale, le
cinquième dans le monde entier; il vient après ceux des États-Unis,
V. de Livron, Exposé slalistique de l'Empire russe (en russe).
Garanlie d'inliTèl pajéc par le gouvernemenl en 1880 : 53 228 000 roubles
8S6 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
des Iles Britanniques, de rAUemagne, de la France; mais, proportionnelle-
ment à la superficie du territoire ou au nombre des habitants, le rang de
la Russie est encore peu élevé : à cet égard, des pays tels que le Por-
tugal et la Roumanie lui sont supérieurs. Les chemins de fer russes, com-
parés à ceux de la plupart des autres Etats du continent, ont le désavantage
de n'avoir pas tous le même écartement de rails ; mais ce désavantage com-
mercial est en même temps un avantage militaire, voulu par le gouverne-
ment, parce que la différence de largeur des voies empêche les wagons
allemands de pénétrer en Russie. Les principales lignes ont 1"',52 de voie'.
Les accidents sur les chemins de fer sont en moyenne plus nombreux en
Russie que dans les autres pays d'Europe*.
La station centrale des chemins de fer de la Russie est Moscou : les six
principales lignes qui se réunissent dans cette ville en font le milieu néces-
saire de l'empire et corrigent ainsi, au point de vue de la centralisation,
les anciennes voies naturelles qui suivaient les fleuves et donnaient par
conséquent aux habitants de la contrée une certaine tendance vers la
décentralisation. Moscou est de beaucoup la ville la plus importante pour
le mouvement des voyageurs et des marchandises : le va-et-vient des gares
de Saint-Pétersbourg est seulement la moitié de celui des gares de Mos-
cou'. Des bords de la Moskva, les chemins de fer vont rejoindre à l'ouest
toutes les grandes lignes de l'Europe centrale ; au sud, ils vont toucher la
mer à Odessa, à Sébastopol, à Taganrog, et pénètrent dans les premières
vallées du Caucase, qu'ils traverseront un jour par le Dariel et contourne-
ront à l'est par Derbent et^Bakou. D'autres voies ferrées atteignent la Volga à
Tzaritzîn, à Saratov, à Sizran, et franchissent même le fleuve pour atteindre
Orenbourg, mais elles ne vont point jusqu'à la Caspienne et ne sont pas
encore prolongées dans l'intérieur de l'Asie; seulement une voie ferrée non
rattachée au réseau réunit Penh et Yekaterinbourg ; il a été décidé que la
première ligne de pénétration en Asie se détacherait à Samara de la ligne
' Rcceltes moyennes des chemins de fer russes de 1876 à 1880. . . 193 856 500 roubles.
I) " » en 1878 (année nminmm). 211006 000 »
Bénéfice net moyen de 1870 à 1880 59 418 600 x
Transjiort des marchandises en 1 882 57155 000 tonnes.
il voyageurs » 35 784 400, dont 2 263 600 militaires.
Parcours moyen d'un voyageur » 125 kilomètres.
' Moyennes pour 1876-81 : tués, 455; blessés, 979.
' Mouvement des gares de Moscou cl de Pétersbourg en 1875 :
Moscou 1903 954 voyageurs. 3 034 000 tonnes.
Sainl-Pélersbomi; 1050 213 o 1287 000 »
CHEMINS DE FER DE LA RUSSIE. 887
d'Orenbourg et passerait par Oufa et Zlatooust pour rejoindre à Yekatc-
rinbourg le chemin de la Sibérie. Les lignes du nord ne dépassent pas
Yoiogda : en Russie, le réseau ferré s'avance beaucoup moins loin vers la
zone glaciale que sur le territoire de la Finlande et en Scandinavie. Quel-
ques-unes des grandes lignes de la Russie traversent le territoire en négli-
geant les villes, non seulement les petites, mais aussi des cites qui ont
N° 196. — CUEMINS DE fin DE L\ Kl'SSIE.
Est de Pa-s
ÔO" tst de b
1 : SSdOUODO
une importance considérable, telles que Tver, Orol, Koursk, laissées de
5 à 12 kilomètres des gares, à la grande gène des marchands et des
voyageurs.
Par un contraste qui nous .semble bizarre, les chemins de fer ont en
Russie un développement supérieur à celui des grandes roules. De même
qu'aux Klals-Unis et dans la n'-publiquc Argentine, la voie ferrée a succédé
brusquement, en certaines provinces de l'empire russe, non à des chemins
888 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
bien tracés, mais à des ornières et à des sentiers incertains. Souvent les
voyageurs qui viennent, grâce à la vapeur, de parcourir sans peine un
espace de plusieurs degrés de latitude, passent des journées à traverser
les fondrières pour atteindre des villages qu'ils aperçoivent à quelques
verstes de distance ; souvent même, après les fortes pluies, des populations
entières sont temporairement séparées du reste du monde. Pour ses
voies de communication, la Russie entre ainsi dans l'ère industrielle mo-
derne avant d'avoir fourni les étapes précédentes, et l'on en peut dir'^
autant pour l'ensemble de son évolution actuelle : tandis qu'une part de
la nation s'attarde dans la barbarie primitive, l'élite se presse à l'avant
des sociétés européennes. La nation russe accomplirait-elle les mêmes
progrès que les peuples occidentaux sans avoir à passer par les mêmes
souffrances? En tout cas, ses mouvements seront plus rapides, l'histoire se
hâtera pour elle.
Dans l'éducation, on retrouve le même contraste que dans l'indus-
trie. Les hautes écoles étaient organisées déjà et des cours complets de
sciences se faisaient dans toutes les universités, alors que l'instruction
populaire était encore presque nulle. Aussi longtemps que plus de vingt
millions d'habitants restaient asservis, l'instruction devait être considérée
comme dangereuse. Il n'existait qu'un très petit nombre d'écoles pri-
maires, et celles que possédaient la Petite Russie et l'Oukraïne sîobodienne
furent fermées au dix-neuvième siècle. Après 1830, le gouvernement pre-
nait des mesures pour empêcher les enfants des « classes inférieures»,
même libres, d'entrer dans les écoles moyennes, réservées aux nobles'.
Lors de l'émancipation des paysans, un grand mouvement se fil en faveur
de l'éducation populaire, et, grâce à l'initiative privée, des écoles du
dimanche s'ouvrirent d'abord à Kiyev, puis dans toute la Russie; en 1862,
elles avaient déjà 20000 élèves, lorsqu'elles furent fermées par l'ordre du
gouvernement', et depuis lors les particuliers n'ont pu qu'en de rares
occasions aider la cause de l'instruction populaire. Les écoles normales
ou « séminaires pédagogiques » pour la préparation des instituteurs ont
longtemps manqué, malgré les pétitions des zemstvos, auxquels le gouver-
nement voulait imposer des maîtres d'école sortis des séminaires ecclé-
siastiques : c'est après la guerre franco-allemande seulement que, sous
« DanilevskiT, L'antiquité ouhainienne (en russe).
• Obroulcliov, Recueil militaire statistique (en russe).
Education, instruction publique en Russie. 889
la pression de l'opinion publique, des écoles normales ont été fondées,
mais en quantité très insuffisante. Par son régime scolaire, la Russie est
au-dessous de la plupart des autres pays d'Europe et de l'Amérique, au-
dessous du Japon, et même de l'Egypte'.
En 1880, on comptait seulement 28 550 écoles primaires dans la Russie
d'Europe, et l'2155'2o enfants, dont un cinquième seulement de fdles,
étaient assis sur les bancs de ces écoles. Ainsi la proportion des écoliers,
au lieu d'être du septième ou même du sixième comme elle l'est en Hol-
lande, dans le Wûrltemberg et d'autres pays, dépassait à peine en Russie
la soixantième partie des habitants. Toutefois l'étude des rudiments est
obligatoire pour tous les soldats dans les écoles régimentaires : on jmut
dire que le département de la guerre fait plus pour l'éducation que le mi-
nistère de l'instruction publique.
Les établissements secondaires, gymnases et progymnases, écoles
« réelles», gymnases militaires, séminaires ecclésiastiques et pensions,
étaient fréquentés en 1877 par 88 400 élèves; en outre, 41650 jeunes
gens suivaient les cours des écoles spéciales des ministères. Dès la fin du
dix-huitième siècle, les « institutions des demoiselles nobles » donnaient
aux filles une certaine éducation, toute superficielle; mais ces établisst^-
ments restaient fermés aux descendantes des familles non aristocratiques.
En 1857, il se fit un mouvement d'opinion en faveur d'une instruction plus
large pour les femmes, et en 1876 on comptait en Russie 520 écoles
moyennes de filles avec 55 620 élèves. En même temps se développait chez
les jeunes filles le désir de participer à l'instruction supérieure, et dès
l'année 1861 on en vit entrer dans les auditoires des universités et de
l'académie de médecine : une des premières qui reçut son diplôme recevait
un subside de la nation bachkir. Les jeunes filles subissaient comme les
garçons des examens, soit pour suivre les cours privés des universités, soit
pour entrer à l'école de médecine spéciale de Saint-Pétersbourg' ; mais
depuis 1863 elles ne furent plus admises dans les universités proprement
dites, et l'on créa pour elles une Académie de médecine spéciale : cetti; haute
école va être fermée à son tour. Les demoiselles n'ont plus pour suivre les
études supérieures que les cours libres attaché'^ aux universités. En outre.
' Korf. Lrs nésullals de l'instniclion populaire en Russie (en russe).
' Proportion des classes fiarrai les élèves des gymnases du minislère de l'inslruction publique :
Cla^^c (les nnhV?. Classe des ecclésiastiques. Cla>>e des bourgeois. Classe de» p-iysans.
Garçons en 187i!. . . 607 sur 1000. 48 sur 1000. 287 sur 1000. 58 sur 1000.
1876. . . 515 « 58 » TwO • 77
Filles en 180;i. ... 547 " 50 » .î7.") ^ 58
V. 112
890
NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
il s'est produit un mouvement d'émigration des jeunes filles vers les uni-
versités étrangères, surtout Zurich, Berne, Genève et Paris.
Les huit universités de la Russie, organisées sur le modèle des grandes
écoles de l'Allemagne, n'ont en comparaison de celles-ci qu'un bien petit
nombre d'élèves' : l'accès en est rendu très difficile par des examens d'une
sévérité excessive et diverses mesures ont été prises de temps à autre pour
éclaircir les rangs de la jeunesse universitaire, redoutée par le gouver-
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Courbe inférieur*
nement à cause de sa promptitude à saisir les idées nouvelles. Mais le
désir d'instruction est tel parmi les jeunes gens, qu'en dépit des réglemeii-
t; lions préventives les candidats ne cessent de se presser aux portes des
universités, et le nombre des étudiants s'accroît aussitôt, dès que, pour
' Universités de la Russie en 1882 (avec la Pologne).
Éludianls, 10 700 : liisloiie et philologie, etc., 21,11 pour 100: pliysujiie et niatliénialiques,
21 pour 100; droit, 23 pour 100; médecine, iô pour 100.
Êludi;iules : Académie de médecine, 431 ; cours universitaires, 22Ô0.
Professeurs : 710.
Budget des univer^ité^, en 1882 : 2 703 712 roubles.
INSTRUCTION PUBLIQUE EN RUSSIE. 891
une cause ou pour une autre, l'action du pouvoir se fait moins sentir. Cet
amour réel de la science qui distingue les Russes se révèle encore par ce
fait, que les recueils sérieux d'histoire, d'ethnologie, de science en général,
sont lus proportionnellement beaucoup plus que la presse légère. Le nom-
bre des journaux est encore bien moindre en Russie que dans les con-
trées de l'Europe occidentale ' ; aucune de ses feuilles n'a des abonnés par
centaines de mille comme certaines gazettes populaires de l'Occident et de
l'Amérique, mais les revues proprement dites, renfermant toutes des
articles originaux d'une réelle valeur, sont lues assidûment par des mil-
liers de souscripteurs. Par un bizarre contraste, tandis que la Russie,
encore ignorante par la masse de sa population, se sert à peine de son
réseau télégraphique et des postes, en comparaison des autres peuples de
l'Europe ^, il s'y publie plus de livres qu'en Austro-Hongrie, qu'en Angle-
terre même". Parmi ces ouvrages, ceux qui sont consacrés à la théologie
sont peu nombreux, si ce n'est dans la catholique Varsovie.
On le voit, les contrastes qui caractérisent le peuple russe, comparé aux
peuples de l'Occident, se retrouvent dans sa vie tout entière. La masse de
la population reste ignorante et superstitieuse, mais nulle part les hommes
instruits de la nation ne se sont plus complètement dégagés des préjugés
et n'apportent a l'étude un esprit plus libre d'idées préconçues. En Russie,
les traditions de la famille justifient l'esclavage absolu de la femme, et
dans aucun pays l'égalité des sexes dans la vie pratique n'a été plus har-
diment revendiquée et plus aisément reconnue par l'opinion. Il y a peu
d'années encore, les deux tiers des habitants de l'empire étaient de
misérables serfs, et pourtant c'est en Russie, chez les Cosaques du Diiepr,
du Don, de l'Oural, chez les paysans pomorî, que les mœurs d'une par-
faite égalité entre compagnons de travail et de combat ont le plus long-
temps prévalu, et maintenant encore, c'est dans les communes russes
' Presse périodique en Russie, en 1882 : 776 journaux et revues.
Journaux expédiés par la posie en 1882 ; 95 725 000.
- Télégrainuies et lellres en divers pays d'Europe, en 1880 .
Rojaume-Uni . 27 <S20 000 télégrammes, 800 par 1000 liab. 1299 308 000 lellres, 57.2 par hab.
Allemagne. . . 13 747 000 » 300 » n 718 240 000 d 15,1 »
France. . . . 10 510 010 i) Hù n » .WO 865 000 » 14,2 «
Russie. . . . 6 290 000 » 74 » » 117 000 000 « 1,2 «
' Livres publiés en divers pavs d'Europe :
France (1875) 14195 1 Russie (1877) 7500
Allemagne (1878) 13912 | Angleterre (1877) 5095
Austro-Hongrie (1870) 1902
892 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
que le droit égal de tous les associés à la terre est le mieux reconnu.
D'après le vieux droit monarchique, à la fois mongol et byzantin, les
Iiommes eux-mêmes appartiennent à un seul, tandis que dans le mir —
univers en miniature — chacun est libre, chacun a sa part de la terre.
C'est en Russie que se retrouvent les plus anciennes formes du pouvoir
absolu, et c'est là aussi que les novateurs se lancent avec le plus d'audace
dans les théories de reconstitution sociale et politique. Le cadre extérieur
de la Russie reste immuable, tandis que l'évolution intérieure s'accomplit
avec une rapidité plus grande que celle de toute autre nation, changeant
incessamment les idées et les mœurs, et préparant ainsi pour un avenir
peu éloigné des transformations inévitables.
XIII
COUVER.NF.MEMT ET A I] M I MSTR ATI 0 N DE LA RDSSIE.
La Russie est le seul État d'Europe dont le monarque soit maître absolu.
D'après les termes de la loi, « l'empereur de toutes les Russies » est un
souverain autocrate auquel, d'après l'ordre de Dieu même, tous doivent
obéir, « non seulement par crainte, mais aussi par conscience ». Cette
théorie du pouvoir autocratique absolu s'est formée peu à peu. De même
qu'en France le pouvoir royal avait fini par l'emporter ^eur celui des états
vassaux et des grands seigneurs, de même en 3Ioscovic l'autocratie rem-
plaça les anciennes institutions des communes et des « ordres libres », et
prit une forme spéciale sous l'influence des Mongols et suivant les usages
ecclésiastiques et juridiques légués par Ryzance'. Les institutions bureau-
cratiques importées d'Allemagne, enfin les idées absolues de légitimité
transformées en dogmes d'État par Joseph de Maistre et d'autres cham-
pions du droit divin donnèrent au tzarisme des Romanov sa forme actuelle :
ainsi le pouvoir autocratique de l'empereur de toutes les Russies est, en
théorie du, moins, issu partiellement du contre-coup de la Révolution fran-
çaise, et les dissensions des nationalités diverses de l'empire, surtout depuis
l'annexion de la Pologne, ont contribué à la solidité du pouvoir impérial.
D'ailleurs, même depuis Pierre le Grand, l'autocratie du Izar n'a pas été un
principe absolu. Pierre rédigeait des rapports au Sénat, quoique ce corps
' Kosloiiiarov, Le principe fédéral dans ranciciwe Russie (en russe) ; — Le pri)wipe monar-
chique dans riiisloirc russe (en russe) ; — Clilcha|]uv, Zemstvo el lUiscol (en russe).
-J
GOUVERNEMENT DE LA RUSSIE.
895
eût été formé par lui. En 1750, l'impératrice Anne signa la charte, déchirée
plus tard, qui limitait l'autocratie au proflt du conseil des hauts employés.
Enfin Alexandre I", qui disait à Mme de Staël n'être a qu'un accident
heureux », n'essaya-t-il pas de fonder avec ses amis un « comité de salut
public » pour étudier les moyens de « mettre un frein au despotisme de
son gouvernement ' » ?
Pouvoir législatif, pouvoir administratif, pouvoir judiciaire, tout dérive
(le la personne de l'empereur. 11 n'est tenu qu'à respecter les lois anciennes
garantissant la prépondérance de l'Église nationale et l'ordre de succes-
«AISO.N DtS ROKUiOT, PRES DE COSTROMA.
Dessin de Clergcl , d'après une pbotogra])hii
sion au trône. Mais ces lois elles-mêmes, issues du droit divin, ne peuvent-
elles être modifiées en vertu de ce même droit? En théorie, l'empire ne se
meut que par la volonté du tzar.
Pierre le Grand, qui ne voulait se servir ni du conseil des boyards
{douma botarskayn) ni des États généraux {zemskiy sobor) de l'ancienn.',
Moscovie, institua en 1711 une assemblée qui n'a pas cessé d'exister jus-
(pi'à nos jours, mais dont les attributions ont fréquemment change : c'est
le «sénat diri'^eanl »{pravilcl'stvonyouclUclnij se»at). Pierre voulait, dit-on,
faire du sénat un corps politique analogue aux États généraux de Néer-
' Papiers de la faiiiillc Slrogonov, Vu»liiik Ycvropi, n* 1, 1866.
8f6 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
lande : « tout devait être confié » à cette assemblée, « chacun devait lui
obéir comme au tzar lui-même, » et ses ordonnances sont qualifiées du
nom d'oukazes, comme si elles émanaient du souverain. Mais celui-ci se
réserva la nomination des membres du sénat : quatre années après, il
nomme un « reviseur général des oukazes », puis désigne chaque mois
un officier de la garde pour surveiller les législateurs et les mener au
besoin à la forteresse s'ils ne font pas convenablement leur besogne ; il les
menace même de la confiscation des biens, de la mort ou de la peine
d'infamie en cas de négligence'. On comprend sans peine que dans ces
conditions le « sénat dirigeant » ne put remplir sa mission primitive.
Actuellement cette institution n'est en réalité qu'une cour d'enregistrement
et de publication des ordonnances impériales el, au point de vue judiciaire,
qu'une cour suprême de cassation. Ses titres de « gardien des lois s, de
« surveillant et de contrôleur de toutes les branches de l'administration »,
de « défenseur des droits légaux de chaque citoyen russe », ne répondent
à rien de réel ou ne sont justifiés qu'en des affaires de peu d'importance.
En 1801, aux temps de sa plus grande ferveur pour les institutions
constitutionnelles, Alexandre P' institua un conseil d'État qui devait con-
naître de toutes les lois et de toutes les mesures importantes avant qu'elles
ne fussent soumises à l'approbation du souverain. Toutefois le tzar n'est
point tenu de soumettre ses projets aux délibérations de ce conseil ni do se
conformer aux décisions de la majorité quand elles lui déplaisent. Le
conseil d'État n'a même aucun droit d'initiative pour la préparation des
lois. L'action législative du conseil est fréquemment mise à néant par les
oukazes personnels de l'empereur et par les rapports de ministres que soi»
approbation transforme en lois. En outre, les grands travaux, tels que
ceux du code général, sont rédigés, non sous la surveillance du conseil
d'État, mais dans la « deuxième section de la chancellerie personnelle de
Sa Majesté ». Diverses commissions, composées de hauts personnages
nommés directement par l'empereur, sont aussi chargées de procéder à des
enquêtes ou d'élaborer des réformes ; mais quelques-unes de ces commis-
sions ne se réunissent même pas : celle qui doit étudier la réforme des
impôts, instituée depuis 1857, n'a pas encore présenté son rapport définitif.
Les seuls dignitaires qui, par la nature même de leurs fonctions, pren-
nent part à la puissance législative du souverain, sont les ministres. Par
leurs rapports revêtus de l'approbation impériale, et bien plus encore par
leurs circulaires explicatives, ils jouissent d'une très grande autorité. Les
' Soiovyov, Histoire de Russie {on russe), tonu-s XVI, XVIU.
GOl'VERNEME.NT DE LA RUSSIE. 807
départements ou ministères sont au nombre de onze : maison impériaie,
affaires étrangères, guerre, marine, intérieur, instruction publique, finan-
ces, justice, domaines impériaux, travaux publics, contrôle général.
Chaque ministre dépend directement du souverain. En outre, les fonc-
tions ministérielles sont confiées au chef de Tancienne « troisième section »
de la chancellerie impériale, c'est-à-dire de la police secrète ; au directeur
de la quatrième section, qui, sous le nom de l'impératrice régnante, admi-
nistre les institutions de bienfaisance et divers établissements d'instruction
publique, surtout des écoles féminines ; à l'administrateur en chef des
haras de l'Etat ; au procureur général du Saint-Synode, qu"i est le ministre
du culte dominant.
L'émanation du pouvoir absolu donne également une autorité incontcsiée
à ceux qui sont les représentants de ce pouvoir, ministres, gouverneurs de
|»rovinces, ispravnik ou chefs de districts, préposés des cantons {stanovoï
pristar), agents de la sûreté locale (our'adnik). Tous ces fonctionnaires
hiérarchiques ont en Russie des droits beaucoup plus étendus que ceux
des employés correspondants en tout autre pays d'Europe, .\vant l'éman-
cipation des serfs, le gouverneur était un véritable « maître de sa pro-
vince », ayant le droit d'intervenir dans toutes les affaires et contrôlant de
sa propre autcfrité les tribunaux ei les finances de son gouvernement. Le
zemstvo, la réforme judiciaire, l'institution des chambres de contrôle ont
diminué son pouvoir pour un temps, mais le droit de veto qui lui a été
conféré sur toute nomination des employés du zemstvo et des municipalités
a rétabli la situation à son profit. Même après la réforme judiciaire de 1804,
le gouverneur n'a point été dépouillé d'un privilège exorbitant, analogue à
celui des anciennes « lettres de cachet » de la monarchie française : il a le
droit de signaler au ministre de l'intérieur les personnes qu'il lui convient
d'exiler dans les provinces lointaines de l'empire « par mesure d'ordre
administratif», pour « cause d'utilité publique ». Depuis le 9 août 1878
tous les agents du gouvernement sont mis sous la protection des cours
martiales, en cas d'attaque faite contre eux dans l'exercice de leurs fonc-
tions. Dans ces derniers temps, des généraux-gouverneurs, munis de pou-
voirs presque illimités, ontété nommés à Pétersbourg, à Kharkov, à Odessa,
et l'état de siè^e, proclamé en certaines parties du territoire, confère des
droits dictatoriaux aux représentants du tzar. En outre, la « troisième
section de la chancellerie privée de Sa Majesté », ou la haute police,
qui a récemment changé de nom, surveille à la fois les fonctionnaires
et leurs administrés, avec pouvoir d'interner ou d'exiler sans jugement
ni preuves tous ceux qui lui paraissent suspects. Les villes du nord ,
898 KOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Perm. Vatka, Yoïogda, Arkhangelsk, Kola, sont des lieux d'internement
où les suspects et les condamnés politiques sont fort nombreux, et main-
tenant on les trouve dans tous les districts de la Sibérie, de Toumcn à
Irkoutsk, dans la Transbaïkalie et jusque dans File de Saklialin et dans
les oulous qui entourent Nijnî-Kolymsk.
Quoique l'empire de toutes les Russies soit une monarcliie absolue, la
représentation électorale a pourtant trouvé sa place dans les districts et les
gouvernements, à l'exception de la Pologne et des pays Baltiques, possédant
chacun son Landtag féodal. En 1864, après l'émancipation des paysans
et l'insurrection polonaise, événements qui avaient si puissamment remué
l'opinion, le tzar promulgua le « Statut des institutions territoriales
{polojeniye o zemskikh outchrejdeniyakh) , qui admettait le principe électif
dans la gestion des affaires et l'étude des besoins économiques locaux de
chaque gouvernement et de chaque district ». L'ensemble de ces institu-
tions territoriales est connu sous le nom de zemstvo, — de zeml'a,
« terre >s — analogue à l'allemand Landtag. Ce n'est pas encore l'auto-
nomie, ainsi qu'on a pu le croire dans les premières années de ferveur
enthousiaste ; cependant la voix du peuple y a été quelquefois entendue. Le
grand silence qui régnait autrefois « dans toutes les langues », d'Oioi'ietz
à Taganrog, a été l'ompu.
Les députés qui doivent siéger dans l'assemblée des glasiùye — du mot
slavon glas, voix — appartiennent à toutes les classes de la société, nobles,
bourgeois, marchands et paysans. Cependant les électeurs ne se mélangent
point dans un même lieu de vote sans distinction de classes : les anciennes
divisions, modifiées par des conditions de cens, subsistent par l'institution
de trois curies. La première, ou l'assemblée des propriétaires fonciers, se
compose de ceux qui possèdent un domaine de 218 à 71'2 hectares suivant
les provinces, des délégués de propriétaires ayant au moins 22 hectares,
et des représentants du clergé, considéré comme possesseur des terres
ecclésiastiques. La curie des électeurs urbains est formée des marchands
cl des industriels ayant un mouvement d'affaires de 6000 roubles, des
propriétaires d'immeubles et des représentants des sociétés d'industrie
disposant d'un capital fixe. Enfin, la troisième curie, celle des communes
rurales, comprend les représentants de la classe des paysans, élus au
second degré, car ils sont nommés par les membres des bailliages ou
volosl', qui sont choisis eux-mêmes par les paysans, un pour chaque groupe
de dix familles. La i)résidence des assemblées électorales appartient, dans
GOUVERNEMENT DE LA RUSSIE.
89'J'
la première curie, au maréchal de la noblesse ; dans la deuxième, au
maire de la ville, et dans les troisièmes, — car on en compte trois ou
quatre par district, — aux employés de l'État pour l'administration des
affaires des paysans. En outre, le président général du zerastvo est toujours
PnOPORTIOX TES EXILÉS DE DROIT COJI.MDX ES SILÉltlE, SDIVAXT lES PROVISCES,
AVAST LA RÉFOIIUE JIDICIAIRI:.
Es^ de P,--,
5t de (jreenwi c^^
D'aprçs ji_>'.n C Pen
V7\ VTPy m^x ^ UT}
le maréchal de la noblesse, à moins d'une désignation spéciale du tzar.
Une autre inégalité entre les curies provient de ce que les deux premières
prennent leurs députés dans leur sein, tandis que les paysans peuvent
nommer des nobles ou des prêtres, déléguant ainsi leur pouvoir à une
autre classe que la leur. D'ailleurs, le nombre des députés est calculé
900 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
partout de manière à donner l'infériorité du nombre aux classes rurales,
({uoique la Russie soit, pour ainsi dire, un « empire de paysans » : le
législateur a évidemment imité la loi électorale autrichienne beaucoup
plus que les anciennes v'etche slaves. Dans les trente-trois gouvernements
oii fut d'abord introduit le zemstvo, le nombre de tous les députés s'élevait
à 15 024, dont 6204 appartenant à la première curie, 1649 à la deuxième
et seulement 5171 à la classe rurale. Ce partage semble d'autant moins
justifié par l'ignorance relative des paysans, que ceux-ci comprennent fort
bien toutes les affaires locales et par-dessus tout la nécessité de posséder
des écoles. C'est précisément la province oii il y a le moins de nobles,
celle de Vatka, qui a voté les plus fortes sommes pour l'instruction po-
pulaire, et c'est même à propos des écoles qu'elle est entrée en conflit
avec le minisière de l'intérieur. En moyenne, les zemstvos font d'autani
plus de sacriflces pour l'éducation, que les paysans y sont le plus for-
tement représentés. On cite des exemples de paysans du comité des
zemstvos ayant renoncé, au profit des écoles, ta la moitié de leurs appoin-
tements ; mais cette générosité n'a point été imitée par leurs collègues de
la noblesse'.
Les sessions des corps représentatifs sont fort courtes. Le zemstvo de
district siège seulement pendant dix jours chaque année, et les délégués
qu'il élit pour former le zemstvo de gouvernement ne sont réunis au chef-
lieu que pendant vingt jours; mais, tous les trois ans, les assemblées
nomment un comité administratif {ouprava), dont le président n'entre
en fonctions qu'après l'approbation du gouverneur ou du ministre. De
même, ces doux personnages peuvent suspendre toute décision du zemstvo
qu'ils jugent contraire aux lois ou au bien de l'État. Si l'assemblée per-
siste, le gouverneur a le droit de prononcer un deuxième veto « sous sa
responsabilité personnelle ». Le sénat juge en dernier ressort, mais la
procédure ne peut durer moins d'une année, dans les circonstances les
plus favorables, ce qui enlève presque toute valeur pratique aux réso-
lutions du zemstvo. D'ailleurs, le cercle des affaires confié à ces corps
délibérants est très restreint, et d'année en année les instructions minis-
térielles l'ont resserré. Le zemstvo est autorisé à voter des subventions
pour rinslruclion publique, mais il est en réalité privé de tout droit de
surveillance sur les écoles. Quoique représentant toutes les classes de la
population, le zemstvo n'a même pas le droit de pétition au même degré
que les assemblées de la noblesse. Celles-ci ont le droit de s'adresser indi-
' Les lésullals <lu zemstvo, \cstnik Yevrn|ii, 1870.
ZEMSTVO. 90!
rectement au souverain au nom de leurs inlérèls el de leurs besoins en
général, tandis que le zemslvo ne peut envoyer de suppliques si elles n'ont
strictement rapport aux « affaires locales de caractère économique ». La
publicité des débats a été également limitée, et les journaux n'insèrent au-
cune correspondance sur les débats du zemstvo sans l'autorisation du gou-
vernement. Enfin certaines assemblées locales, celle de Saint-Pétersbourg
par exemple, ont été dissoutes et les membres en ont été internés ou exilés.
A Nejin, dans le gouvernement de Tcliernigov, les travaux statistiques du
zemstvo ont été arrêtés par ordre supérieur. On comprend que dans ces
conditions l'opinion publique ait cessé de voir l'exercice d'une autonomie
réelle dans la nomination des membres du zemstvo. L'indifférence est
devenue générale, et mainte assemblée est dans l'incapacité de prononcer
des arrêts légaux, les membres n'étant pas en nombre suffisant'.
r^es institutions municipales ont passé par une évolution analogue à
celle du zemstvo. Sous l'ancien régime, les intérêts des villes étaient gérés
par un conseil ou douma qu'avaient élu les classes des marchands et des
bourgeois {m'eclikhane), et dans certaines circonstances graves, d'un carac-
tère presque législatif, l'assemblée générale des électeurs décidait. De
même que pour l'administration économique des districts, le gouvernement
se résolut à tenter un essai de fusion de toutes les classes dans l'adminis-
tration des villes. Pétersbourg, Moscou, Odessa reçurent les premières une
nouvelle organisation municipale, qui se rapproche de celle du zemslvo,
puis, en vertu d'un statut général {gorodskoïe polojeniye) , proclamé en 187U,
les municipalités furent reconstituées dans presque toutes les villes de l'em-
pire. Les électeurs urbains sont également divisés en trois curies, d'après
la quotité de l'impôt : les propriétaires d'immeubles, les industriels, les
commerçants et leurs agents payant les taxes sont inscrits sur la liste
électorale par ordre de fortune et partagée en trois groupes, dont le der-
nier, celui des pauvres, est de beaucoup le plus nombreux, et ils choisis-
sent chacun pour quatre années un nombre égal de députés {(jlasnhje].
Ceux-ci, qui constituent la douma, nomment à leur tour, aussi pour
quatre années, l'ouprava, ou comité administratif, et le maiie, appelé du
vieux nom de chef ou « tête » (golova). D'après le statut, celui-ci, devenu
pouvoir exécutif de la municipalité, a des droits supérieurs au corps qui
l'a nommé. Il n'est pas tenu de convoquer périodiquement le conseil, et
peut en incriminer les décisions devant le gouverneur : une fois en place,
il n'est plus révocable par ses électeurs ; c'est un personnage officiel
' Gcrfovalchov, Dix années de réforme» (en russe).
902 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
auquel il est défendu de toucher. Le gouverneur peut suspendre l'effet
de toute décision des municipalités et porter l'affaire devant une chambre
spéciale, dont il fait partie lui-même et qui est composée presque uni-
quement de fonctionnaires. Cette chambre même dût-elle cependant pro-
noncer contre lui, il peut encore en appeler au sénat. En réalité, le maire
administre seul et sous les ordres directs du gouverneur'.
Les institutions judiciaires de la Russie, non encore appliquées dans
les provinces BaUiqucs et modifiées en Pologne, ont, depuis les statuts
de 1864, une double origine, le suffrage populaire et le bon vouloir du
gouvernement. Les juges de paix, au nombre de trois ou quatre par dis-
trict [ouyezd], sont élus pour trois ans par les assemblées de zemstvo ;
mais le choix ne peut tomber que sur des hommes âgés au moins de
25 ans, ayant fait leur éducation dans un gymnase ou dans un établisse-
ment analogue ; si cependant ils n'ont point suivi les cours de gymnase,
il suffit qu'une charge, occupée par eux pendant trois ans, leur ait permis
« d'acquérir des connaissances pratiques dans les affaires judiciaires » ; en
outre ils doivent posséder, suivant les provinces, de 437 à 1420 hectares,
ou bien un immeuble de 5000 roubles dans une ville ordinaire, de
GOOO roubles dans une capitale. Il arrive parfois que le zemstvo ne trouve
jias de candidat réunissant toutes ces conditions, et dans ce cas le juge de
paix est nommé par le sénat. Dans les provinces « occidentales » ils sont
toujours choisis par le gouvernement. La cour d'appel de la justice de
paix se compose des juges de paix effectifs et des juges honoraires, qui
sont également élus par le zemstvo.
Les affaires de peu d'importance, débattues entre paysans, sont jugées par
des tribunaux spéciaux, les vol'ostntye soudi, qui sont élus par l'assemblée
de la volost et jugent d'après le droit coutumier. Les affaires graves, c'est-
à-dire celles qui touchent à un intérêt immédiat de plus de 500 roubles ou
ipii peuvent être punies de plus de six mois de prison, ne sont pas de la
compétence des juges de paix : on les porte devant une juridiction supé-
rieure. Les chambres judiciaires, après avoir étudié le cas, décident s'il y a
lieu à poursuite et renvoient les prévenus devant les tribunaux d'arrondis-
sement, composés de membres qui sont tous inamovibles et nommés direc-
tement par l'État. Le jury siège dans la même salle que les tribunaux
d'arrondissement, et lui seul déclare si l'accusé est coupable ou non : après
le verdict, le président du tribunal prononce l'acquittement ou la peine.
Les condamnés et le procureur peuvent se pourvoir en cassation du verdict
' Colovalchov, ouvra^'e cilé.
INSTITUTIONS MUNICIPALES ET JUDICIAIRES. 903
en s'adressant an sénal; dans les affaires civiles et dans tontes celles qni
sont jugées en dehors du jury, on peut en appeler du jugement des tribu-
naux d'arrondissement aux chambres judiciaires, mais au-dessus de cette
magistrature il n'y a d'autre recours que devant le sénat, qui siège comme
cour de cassation et peut annuler pour vice de forme tous les jugements des
tribunaux inférieurs, assemblées des juges de paix ou chambres judiciaires.
Les limites des arrondissements de justice ne coïncident pas avec les limites
des districts administratifs : on a voulu protéger ainsi l'indépendance des
juges contre les influences des potentats locaux.
La nouvelle organisation judiciaire est considérée comme la plus li-
bérale des réformes tentées depuis la loi d'émancipation, et à certains
égards cette appréciation est justifiée. Jusqu'à maintenant les tribunaux, cl
surtout les jurys russes, ont fait preuve de cette mansuétude qui est
parmi les traits distinctifs de la nation ; ils n'ont point aspiré à cette
implacable sévérité qui chez d'autres nations est devenue l'idéal de la
magistrature ; les juges russes tiennent toujours compte de la prison pré-
ventive pour adoucir leurs jugements; pendant les débats, les prévenus,
réputés innocents jusqu'à preuve du contraire, ne sont nullement tenus de
répondre à l'interrogatoire du procureur ou du président; enfin, celui-ci
résume les débats avec une stricte impartialité : toute autre façon de
procéder serait réprouvée par l'opinion, qui voit dans l'organisation des
tribunaux actuels une de ses plus précieuses conquêtes. Cependant l'ac-
tion directe du pouvoir se fait déjà sentir. Ainsi la plupart des juges
d'instruction, au lieu d'être inamovibles, ainsi que le porte la loi, sont
désignés par intérim et dépendent par conséquent du ministre qui les
nomme et qui peut les révoquer'. La procédure suivie dans les procès poli-
tiques a aussi changé plusieurs fois depuis le premier procès de ce genre,
jugé en 1871. Actuellomont, ce sont des chambres spéciales composées de
sénateurs, auxquels sont adjoints des notables de diverses classes nommés
par le gouvernement, qui jugent les procès politiques. Les journaux ne
peuvent publier les comptes rendus de ces procès qu'en reproduisant le
récit du journal officiel.
Aucune loi définitive ne régit la presse en Russie; elle est encore en
grande partie soumise au règlement provisoire publié en 1805 et, depuis
cette époque, tantôt aggravé, tantôt adouci, suivant les événements poli-
tiques et les opinions des personnages influents. La censure préventive
a été abolie dans les deux capitales pour les livres originaux ayant plus
• Gotovatclioï, ouvrage cité.
90i NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
de dix feuilles d'impression, pour les traductions de plus de vingt feuilles
et pour divers journaux et recueils que le gouvernement autorise à paraître
librement moyennant un dépôt de 5000 à 5000 roubles. En outre, la cen-
sure ecclésiastique a moins d'autorité qu'autrefois pour l'interdiction des
ouvrages scientifiques. Mais le minisire de l'intérieur, fort de lois copiées
sur celles de l'empire français, peut avertir les éditeurs de publications
périodiques, leur enlever le droit de colportage, interdire la discussion de
certains sujets, suspendre les journaux pour six mois, les citer devant les
tribunaux. Ce n'est pas tout : depuis 1872, le comité des ministres peut
faire saisir sans procès tous les livres et journaux incriminés par le minis-
tre de l'intérieur, et l'on sait qu'en 1876 presque toutes les publications
en langue petite-russienne ont été défendues. La censure préventive con-
tinue d'exister pour toutes les villes de province, et celles où ne siège pas
un comité de censure sont obligées d'envoyer leurs publications dans une
ville éloignée. En conséquence, le développement de la presse locale en
deliors des grands centres est devenu presque impossible.
Quoique autocrate absolu, le tzar n'est pas, ainsi qu'on le croit d'ordi-
naire, le clief spirituel de l'Eglise gréco-russe ; il n'a d'autre titre que
celui de protecteur. Seul, parmi les empereurs de Russie, Paul 1" s'ima-
gina de remplir les fonctions sacerdotales et voulut dire la messe ; on
l'en empècba cependant, en lui faisant remarquer qu'il avait été marié
deux fois. Selon les catéchismes russes, l'Eglise n'a d'autre chef que
Jésus-Chrisl. D'ailleurs, la puissance législative et la puissance executive
de l'Eglise ne peuvent pas être réunies, la première étant expressément
réservée aux conciles, tandis que la seconde appartient aux synodes natio-
naux et aux évèqucs. Depuis Pierre le Grand, la direction de l'Église, qui
appartenait autrefois à uii patriarche russe, a été remise h un « très saint
synode », qui, du reste, comme toutes les autorités de l'empire, est à la
nomination du souverain. Cette réunion, que préside le métropolitain de
l'élersbourg et Novgorod, se compose de quelques prélats se succédant à
lour de rôle ; un procureur laïque, quelquefois un général, nommé par
le tzar, est l'organe de la volonté souveraine auprès de l'assemblée. C'est
lui qui propose et expédie les al'Iaires, lui qui l'ail exécuter les mesures
jiriscs. Aucun acte synodal n'est valable sans sa conlirmalion, et il
possède le droit de vélo contre toutes les décisions de l'assemblée qui
seraient contraires à la volonté du prince. Sous la direction de celle espèce
de ministère, l'Eglise russe est tout à fait centralisée. Les évoques sont
INSTITUTIONS JUDICIAIRES, ÉGLISE RUSSE. 905
devenus de simples préfets ecclésiastiques. C'est le synode, c'est-à-dire
le procureur impérial, qui les propose à la nomination de l'empereur
sur une liste de trois candidats, dont le premier est presque toujours
choisi. En outre, chaque évtVjue est assisté d'un consistoire éparchial dont
les membres sont nommés par le synode dirigeant. Pour faciliter l'ac-
tion du pouvoir central , l'Eglise a été divisée en diocèses ou éparchies
dont les limites coïncident presque partout avec celles des gouvernements
civils. De ces soixante éparchies, trois seulement, Pétersbourg-Novgorod.
Kiyev et Moscou, ont le titre de métropolies; dix-neuf ont celui d'archevê-
chés. On sait que les prêtres russes se marient, mais qu'il ne leur est pas
permis de se remarier : la plupart des popes devenus veufs cessent de faire
partie du clergé « blanc » pour entrer dans le clergé « noir », c'est-à-dire
pour aller vivre dans un couvent : c'est là qu'il est maintenant d'usage
constant pour le souverain de choisir les hauts dignitaires de l'Église.
On évalue l'ensemble de l'armée ecclésiastique de la Russie à 25 i 000
personnes, dont 70 000 officiant dans les 625 cathédrales, les 59 iOO
églises et les 15 600 chapelles de l'empire. Les couvents de moines sont
au nombre de 480, tandis que les religieuses de divers ordres n'ont que
70 couvents : cette forte proportion relative des moines est un des (rails
distinctifs de l'Église grecque, comparée à l'Église latine.
Le gouvernement russe, hostile à fout ce qui pourrait ressembler à de
l'indépendance, a imposé aux antres cultes les formes administratives et
bureaucratiques du culte dominant. Les catholiques latins sont dirigés
par un collège, indépendant du Vatican, qui siège à Pétershourg sous la
présidence de l'archevêque-primat de Mogilov-sur-Diîepr et sous le con-
trôle d'un représentant laïque du pouvoir impérial. De même chez les
luthériens, les calvinistes, les arméniens, se retrouve, sous des désigna-
tions diverses et au-dessus de la hiérarchie propre à chaque Église, une
organisation extérieure plus ou moins semblable à celle do l'Église russe.
Les communautés musulmanes des Tartares et des Kirgliiz, de même que
les bouddhistes Kalmouk, ont dû aussi constituer leur culte suivant les
formes hiérarchi(jues imposées par Saint-Pétersbourg. Chacune de ces con-
fessions a son autorité centrale, chacune a dû subir la volonté de procu-
reurs ou secrétaires parlant au nom du pouvoir impérial, chacune a ses
consistoires, pourvus de fonctions analogues à celles des consistoires ortho-
doxes; toutes doivent obéir à l'impulsion qui vient du gouvernement
politique, par l'intermédiaire du département des « cultes étrangers », au
ministère de l'intérieur. Eu leur qualité d' « étrangères », ces religions
diverses sont tolérées, mais toute propagande leur est défendue; quant aux
ï. tu
900 NOUVELLE GEOGRAPUIE UNIVERSELLE.
raskolniks, considérés comme apostats de l'Eglise russe, ils n'ont pas
même le droit ile pratiquer leur culte avec « manifestation extérieure ».
et toute infraction à cette loi est punie de peines graves. Ils sont régis,
non par des lois, mais par des instructions administratives secrètes, qui
les classent comme plus ou moins dangereux. Il est impossible d'en
dresser une statistique sérieuse, puisque beaucoup de sectaires célèbrent
leurs rites en secret : la grande majorité des dissidents est comptée offi-
ciellement parmi les croyants « orthodoxes », tandis que des statistiques
privées portent leur nombre à 12, 15, 20 et même 40 millions'. Une
société des missions, dont les dépenses annuelles sont d'environ 100 006
roubles, s'est instituée à Moscou pour la conversion des infidèles et des sec-
taires\ La plupart de ceux qui embrassent la religion officielle sont des
païens, si ce n'est dans les provinces Baltiques et en Pologne. En 1875,
s'opéra la conversion en masse des Uniates polonais ; actuellement on ne
compte plus qu'une vingtaine de mille Uniates.
L'armée russe a été complètement réorganisée après la guerre franco-
prussienne. Avant l'année 1874, elle se recrutait par voie de conscription
parmi les paysans et les ouvriers des villes, auxquels s'ajoutaient les
volontaires et les fils de soldats. D'après la loi nouvelle, tous les hommes
valides ayant complété leur vingt et unième année sont tenus au service
militaire. Le remplacement est défendu. La peine des verges est abolie, si ce
n'est dans les compagnies de discipline. La période normale du service est
de quinze années, dont six dans l'armée active et neuf dans la réserve. Tou-
tefois la population de la Russie est trop considérable pour qu'il soit pos-
sible d'entretenir l'armée qu'elle pourrait fournir : environ les deux tiers
des recrues sont immédiatement renvoyées dans la milice, qui n'appar-
tient que virtuellement à l'armée ; les autres, jeunes gens désignés par
le sort, ne restent au service actif que pendant le temps nécessaire pour
' Ueligions diverses Je la Russie d'Europe :
En IS-y. En 1879.
Orthodoxes grecs et raskolniks G5 855 000 i Juifs • 5 500 000
Catholiques romains 8 500 OUO Mahométans Sf.OOOOOC)
l'rolcslants 2 050 000(?) l'aiens et houddhistes 150 000
Grecs unis ct'arméniens. . . . 55000 (
• Conversions à l'Église orthodoxe :
1872.. 10 558 personnes. , 1875 257 009 personnes.
\S", 8 272 1870 12 540 »
1874 7481 ,. 1 1877 11299 »
ÉGLISE RUSSE, ARMÉE. 907
que les cadres soient remplis et obtiennent ensuite un congé indéfiniment
renouvelable, dont le terme est d'autant plus rapproché qu'ils ont reçu
une éducation plus élevée. Entrés dans la réserve, ils ne sont tenus à servir
que pendant la guerre et doivent seulement chaque année se rendre pour
quelques jours au camp le plus voisin de leur résidence. Cependant les
jeunes gens qui jouissent du privilège de l'éducation peuvent par cela
même se libérer de la conscription forcée en entrant dans l'armée comme
volontaires dès l'âge de dix-sept ans et en servant pendant quelques mois.
Après avoir subi un petit examen militaire, ils entrent dans la réserve, à
moins qu'ils ne veuillent devenir officiers de l'armée active ou de la réserve :
dans ce cas, ils ont à suivre des cours spéciaux pour obtenir leur grade.
D'ailleurs, il est peu de régiments qui soient au complet, mais on tient
à ce que la garde soit toujours dans le meilleur état et qu'elle parade aux
revues dans l'ordre réglementaire le plus parlait : des forces spéciales de
réserve servent à combler les vides qui se présentent dans ce corps choisi '.
Les Cosaques du Don, de l'Oural, ceux du Terek, de la Koubai'i, de la
Sibérie, ont gardé leur organisation spécialement militaire. Chacune des
« armées » doit fournir un certain nombre de régiments complètement
équipés et toujours prêts au comliat : leur mobilisation doit être achevée
en l'espace de dix jours. Au 1" janvier 18(S0, les Cosaques d'Kurope faisant
leur service militaire étaient au nombre d'environ 40 000 : ils pourraient
être plus de 100 000 au premier appel.
L'armée russe varie singulièrement en nombre suivant l'état de paix
ou de guerre, les relations des puissances, la situation du budget : en
moyenne, la force armée de la Russie oscille de 710 000 à plus de
1 2U0 000 hommes. Le l" janvier 1877, le nombre des soldats sous les
armes s'élevait à plus d'un million'. La moilalité était naguère extrême-
ment forte dans l'armée russe" ; mais l'amélioration est 1res grande de|)nis
' RecniPS de la Russie d'Europe en moyenne pour les diTnicres cinq aniiéos :
Hommes ayant tiré au sort, environ 700 000
I) gardes pour le service >■ . • 200000
" I" janvier IS:;. 1" janTicr I88Î.
Infanterie 78H6I hommes 6!208'2 hommes.
Cavalerie ... .... 709-25 » 70064 i>
Artillerie. 12o9'J7 » 107 001 >■
Génie 21812 « 22 757 ..
)005 82J hommes. 812 481 hommes.
Réserve (zapas) : 1 161 JOO hommes; armée territoriale {rainiki): I 985 059 hommes.
» Mortalité de l'armée russe ;
1871 17,00 sur 1000.
1872 . 16,66
1875 12,19 «
1874 10,19 sur h/iiO.
187o . U),m ■>
1876 0,17
908
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
1N7'2, grâce à une hygiène mieux entendue, à un contrôle plus efficace
sur les fournisseurs. En temps de paix, il ne meurt plus qu'un soldat
russe sur cent, ce qui est encore une proportion trop élevée pour l'élite
de la jeunesse ; grâce au dévouement des infirmiers et des infirmières,
la guerre elle-même dévore beaucoup moins de victimes qu'autrefois.
Quelques-unes des forteresses de la Russie sont, on le sait, parmi les
plus puissantes de l'Europe. Kronstadt, pourvue sous les yeux mêmes des
tzars de tous les moyens de défense imaginables, est vraiment inabor-
dai^le; Sveaborg et la baie de Wiborg ne paraissent pas non plus pouvoir
K" 199. LIGNES DE ÎIEDJIEOJ.
^\2apadintzî
ltso«orks '
[ d.G
d'après loCoriQ de I t;at-MajO
être attaquées par une flotte, si puissante qu'elle soit, avec quelque chance
do succès. Les places de Modlin ou Novo-Gcorgiyevsk et de Varsovie, dans
le (juadrilatère de la Pologne, peuvent servir de camps retranchés à des
armées, et jjrochainement de nouvelles forteresses doivent, avec celles de
bresl-Lilovskiy et de Bobrouisk, qui existent déjà, leur servir de point
d'appui à l'intérieur de la Russie. Sur les bords de la mer Noire, Sébas-
topol renaît de .ses ruines, plus forte qu'elle ne l'était quand elle fut
assiégée et prise par les alliés français et anglais ; et pourtant Sébastopol
cl Kertch, non moins bien fortifiée, ne sont pour ainsi dire que les ouvrages
avancés de la jjlace de Nikolayev, où se trouvent les chantiers, les arse-
HUMI JXXit'i . J5Ç^^
FLOTTE RUSSE.
911
S° 200. MEOLAÏEV El UMAX DH EODS.
Q9'-i0- E deP
naux et la plupart des vaisseaux de la flotte du sud. Outre les places fortes,
le gouvernement a établi aussi en diverses parties de la Russie de grands
campements pour les opérations militaires. Tel est Voznesensk, près du
Boug, où se font les grandes
manœuvres de cavalerie; tel
est aussi Medjiboj, non loin
des frontières de la Boukovine
autrichienne et de la Rouma-
nie, où de grandes masses de
troupes représentent le jeu de
la guerre dans toutes ses pé-
ripéties.
La Russie n'a pas, comme
l'Angleterre, l'avantage de pou-
voir réunir ses vaisseaux ; elle
est obligée de maintenir des
escadres spéciales dans chacune
des mers qui la baignent, et
précisément ses deux flottes
principales, celles de la Balti-
que et du l'ont-Euxin, ne peu-
vent sortir de leurs mers fer-
mées que par des détroits aj)-
parlenantà d'au très puissances.
Néanmoins la Russie possède
une marine de premier ordre
par le nombre des navires et la
force de l'armement; environ
les deux tiers de ses bàtimenls,
cl de beaucoup les plus forts,
sont concentrés dans la Bal- '''"g_-. =; ' * ' ^w "
tique, couvrant Pétersbourg et ^^a^/û^ " °'^'"'" ■ "^"" * °°'" ,^ .Tr^, ..
,, , , I : r.7t 0111)
Kronstadt , et menaçant les , .
0 10 kil.
côtes de la Suède, du Dane-
mark et de la Prusse. L'ensemble de la flotte européenne de la Russie
comprend 51 vaisseaux cuirassés, 187 bateaux à vapeur et 107 bateaux
à torpilles : dans la mer Noire, deux de ces navires sont des popovka,
forteresses circulaires, très peu maniables qui, du reste, n'ont été d'aucune
utilité dans la dernière guerre. L'armée de mer, d'environ '29 000 hommes,
012 KÛL'VELLE GÊOGRAPIIIE UNIVERSELLE.
se iTCi'ute comme l'armée de terre au moyen de la conscription ; mais la
durée du service, qui était autrefois de vingt-deux années, a été réduite à
neuf, dont sept dans le service actif et deux dans la réserve '.
Ces formidables armements et l'entretien des troupes emploient, avec
l'intérêt des dettes contractées pour des guerres antérieures, près des
deux tiers des revenus de l'empire, bien que ces revenus aient considéra-
blement augmenté depuis le milieu du siècle. Les premiers budgets régu-
liers de la Russie, énumérant dans tous leurs détails les recettes et les
dépenses, ne sont publiés que depuis 1866. Chaque année, le gouverne-
ment établit aussi le budget provisoire de l'année suivante. Dans la plu-
part des états dressés à l'avance, les recettes l'emportent sur les dépenses
ou du moins un bel équilibre est obtenu entre les deux parties du budget;
mais depuis 185'2 il s'est trouvé qu'à l'exception des deux années 1871
et 1875 les dépenses imprévues ont fait pencher la balance vers le déhcit
et que la dette nationale s'est accrue*.
La source principale du revenu provient des impôts indirects, et parmi
ces impôts indirects celui qui s'acquitte le plus volontiers est l'impôt sur
les boissons : le vice national garantit au gouvernement plus du tiers
de ses dépenses annuelles; chaque jour, les cabarets se remplissent de
contribuables, buvant l'eau-de-vie avec l'extrait de belladone et toutes les
substances délétères qui peuvent s'y trouver mélangées. La quantité d'al-
cool pur fabriquée pendant l'année et livrée aux débitants reste sensible-
ment la même depuis les réformes financières de 1865, mais le revenu
qu'en tire le gouvernement s'est accru depuis cette époque de plus de
140 millions de roubles, soit de 8 millions par an. En 1880, le budget a
reçu de ce chef la somme de plus de 200 millions de roubles, soit envi-
ron 550 millions de francs, tandis que l'impôt du sel et l'accise sur le
(abac fournissaient respectivement 15 598 000 et 15 055 000 roubles.
Pour l'année 1882 le revenu de l'eau-de-vie s'est élevé à 255 millions de
roubles. Les taxes indirectes de la douane ont valu au trésor la somme
< Flottes di' l:i Russie d'Europe on 1882 :
Flolle Baltique. ... 29 cuirassés. 2ii) Ijalcaux ii vapeur (95 torpilleurs). 206 \oiliers.
I) de la mer Noire. 2 n 02 » " 12 » 32 »
)i Caspienne ... 1 7 » » 9 ■'
' Budget de l'empire :
Dccelles. Dépenses.
18i)5 (guerre de Crimée) . 2G4 000 000 roubles. 525 0G9 000 roubles.
1805 418 897 000 « ^32107 000 >
187G 5.59 262 650 n 657 208 -ir.O »
1877 (guerre dos Balkans). 548 850830 n 1014373000 ■
1883 (iiaix eitérieure). . G98 080 983 i. 723 675 258 i>
BUDGET DE LA RUSSIE.
913
de 95 209 000 roubles et les patentes sur le commerce ont rapporté
14 754 000 roubles ; le timbre a donné plus de 14 millions. Ce sont là les
grandes sources de revenus indirects. Les impôts directs, moins importants,
puisqu'ils s'élèvent en moyenne seulement au sixième du budget, consistent
principalement en redevances foncières ; l'impôt de capitation prélevé sur
tous les citoyens mâles de l'empire a été notablement diminué. Les droits
N" 201. — pnoDrcTios DES .VLCOOLS ET pnoDi'iT iiE l'aixése si'rt LES i;*cx-Di.-viE EN iass:n.
A gauche, production des alcools. — A droite, revenu de l'accise sur les eaux-dc-vic.
dits « régaliens », provenant des raines, de la monnaie, des postes et des
télégraphes, donnent ensemble de 25 à 26 millions de roubles suivant
les années, et le revenu des biens de la couronne, forêts, mines, manufac-
tures, dépasse ordinairement 51 millions de roubles.
L'impôt sur l'eau-de-vit; suffit à peu près exactement à payer le coût de
l'armée, mais seulement en temps de paix. Le ministère de la guerre
demanda en 1870 une somme de plus de 190 raillions de roubles, et les
T. 115
yl4 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
dépenses de la marine s'élevèrent dans la même année à plus de 27 mil-
lions. Ensemble, les deux budgets de l'armement représentent une dépensa
moyenne d'environ 800 millions de francs ; mais chaque grande guerre
double ou triple la somme : la dernière campagne des Balkans, d'après les
budgets des années 1876 à 1879, a coûté 1021 millions de roubles, soit
trois milliards de francs, et les intérêts devront en être payés par les Russes
peut-être pendant de longues générations. Le service annuel de la dette,
contractée principalement pour payer les diverses guerres extérieures,
demandait à la nation en 1882 la somme de près de 198 millions de
roubles, fardeau toujours augmenté depuis cette époque. La part de
la famille impériale dans le revenu général de la nation est pro-
portionnellement plus grande que celle de tout autre souverain d'Europe,
à l'exception du sultan et du prince de Monténégro; mais il est difficile
de la connaître, le tzar n'ayant pas de liste civile proprement dite ; on sait
toutefois que l'ensemble des revenus du domaine impérial, forêts, mines
et champs, dépasse cinquante millions de francs. Le ministère de la maison
de l'empereur dépense de 10 à 12 millions de roubles. De même que dans
toutes les monarchies absolues, les fonctionnaires prélèvent aussi des
sommes considérables sur le budget à titre de pensions et de secours.
Le budget de la Russie est un peu supérieur à celui de la Grande-Bre-
tagne, mais inférieur à ceux de la France et de l'Allemagne, — y compris
les budgets spéciaux. — Quant à la dette de l'empire, elle est restée beau-
coup moindre que celle des trois Etats de l'occident, l'Angleterre, la France,
l'Espagne ; mais les immenses richesses de la Russie n'ont pas encore été
suffisamment exploitées, l'avenir est trop incertain et les garanties d'ordre
données jusqu'à maintenant par le gouvernement russe sont trop faibles
pour que son crédit soit bien établi chez les prêteurs de l'Europe : c'est
toujours à de très gros intérêts que les emprunts de la Russie ont été
contractés. Au 1" janvier 1882, le total de la dette nationale s'élevait à
3 485 000 000 roubles, calculés au taux de 2 fr. 00 par rouble, soit,
environ 9 milliards de francs. A cette date, qui représente quatre années
du revenu de la nation, il faut joindre le papier-monnaie à cours forcé,
dont le gouvernement a fait de trop fréquentes émissions, puisque la valeur
en est tombée de beaucoup au-dessous du pair : c'est d'une manière toute
fictive que ce papier conserve le nom de « rouble-argent », puisqu'il ne
vaut on moyenne que les deux tiers ou les trois quarts de sa valeur nomi-
nale. Le papier-monnaie en circulation était, le 1" janvier 1882, d'un mil-
liard 189 millions de roubles.
Le tableau suivant donne la liste des ffouvcrncmonls et de leurs districts :
DIVISIONS ADMIMSTRATIVES DE LA RUSSIE.
Ehstome. .
LiVOME. .
Coi'RLANDE .
PROVINCES BALTIQUES
i distncis . Revel (Reval ou llarrien), Hapsal (Wick), Weis-
scnsleiii (Jcrven), Wesenbcrg (Wirland).
9 disliicts : Riga, Wolmar, \Veii(len, W'alck, Dorpal (Derpt),
W'ciro, Felliii, Pernau (Peniov), Aicnsburg.
10 districts: Mitau (Doblen), Bauske, TuUkum, Talscn, Gol-
dingcn,Windau,Hasenpot,Grobin, Friedrichstadt, Jakob-
sladt (Salbuig), llluxt.
13 districts. r>li>nie(Grodisk),Goia-Kalwarya,GoslTr.in,Grojee,
Vabsovie (Warszawa) • ■ I Kulno, .Lowicz, Skieriiiewicc, Nowy-Minsk, liadzymin,
Radzicjow, Sochaczew, Warszawa, Wl'ocl'awek.
\ 8 dislricls ; Bodzin, Brzeziny, .task, LoJz, Nowc-Radoiiisk,
P'O^''^^^' i l'iolrUôw, lîawa, Ozçstocbowa.
( S districts : Kulisz, Kolo, Koniii, Lçczvca, Sicradz, Stiipca,
K*"" \ Turok, \Vicl',.n.
( 7 districts : Kiclce, Aiidrzejev, Miecliôw, Olkusz, Pii'icziiw,
^^^^^^ I Sloi^nica, Woszczowa.
l 7 districts : llza, Kousk, Kozienicc, 0|ial6\v, Oporzno, Radom,
I^i»»^ I Sandoinierz.
!10 districts : Rii'goraj, Chelin (Khohn), Uriibieszow, Janôw,
Krasnostaw, I.iibartow, Liiblin, Nowo-Alexandrovsk, Za-
innsc, Tomaszow.
( 9 districts : Cial'a, Garwolin, Konslantinôw, iiikow. Radzyii,
^■^^'-'^^ i Sokolow, SiedU-o, Wogrôw, Wlodawa.
1 8 districts : l.ipno. MVawa, l'ioi.sk, Plock, Prasnysz, Rvpin,
'''•"'^^ I Sierpce, Ciecbaiiow.
\ 8 districts: Kolno. ton/a, Makow, Mazowieck, Ostrol.-ka,
*""" i Osirdw, Puilusk, Szcziiczyu.
( 7 districts : Augiistow, Kalwarya, Maryampol, Sejiiy, Suwalki,
S'^''*''^' I Whidvslawôw, Wilknwyszki.
LITHUANIE, GRODNO ET VITEBSK
( 7 districts : Kovnn, Vilkoinir, Novo-Alcxaiidrovsk, Poiicvi-j,
Ko\T<o I ciiavli, Tclchi, Uossieni.
\ 7 districts : Viino, Ochmani, Vilcjka, Svcntzani, Troki, Disna.
V'LSo I Lida.
j 9 districts : Grodno, Betoslok, Bcisk, Kobrin, Sloniin, \i'l-
Grodno • • I liovisk. S. kolka, Brcsl-Lilovskiy, Proujani.
j 11 disliicls : Vilcbsk, Velij, rolotzk. Drisa, Gorodo' , Lepel,
ViiEBSK 1 Louliin, NcTci, Dunaburg, Rcjitza, Sebcj.
NOUVELLE GÉOGR\ril!E UNIVERSELLE.
RUSSIE
BLANCHE, PETITE, NOUVELLE
/ 12
districts : Smolensk, Bel'iy, Dorogobouj, Doukhovchlchina,
Smolensk
. . .[
Gjalsk, Yelna, Youkhnov, Krasniy, Poretcliye, Rosl'avl,
Sitcho\ka, Vazma.
( 11
districts : Mogilov, Orcha, Rikhov, Klimovilclii, Gorki, Msli-
Mocilov
■••!
slavl, Goiiiel, Rogatcliov, Senno, Tchaousi, Tchcrikov.
Minsk
; 9
districts : Minsk, Borisov, Bobrouysk, Igoumen, Mosîi-, Re-
• • • 1
tchitza, Novogroudok, Stoutzk, Pinsk.
( '2
districts : Jitomir, ■toulzk, Doobno, Kremenetz, Ostrog,
VOIÎXIE
1
Zaslav, Rovno, Kovel, Vladiniir-Volinsk, Slaro-Konslan-
tinov, Novgorod-Vol'insk, Ovroulch.
( '^
districts : Tcbernigov, Borzna, Gfoukhov, Gorodna, Konotop,
TCHERXIGOV. . . .
!
Kozelelz, Krolevetz, Mglm, Nejin, Kovgorod-Severskiy,
Novo-Zibkow, Ostor, Slarodoiib, Sosnilza, Souraj.
1 15
districts : Koursk, Belgorod, Dmitriyev, Falej, Graïvoron,
KolRSK
. . . j
Korolcha, Lgov, Novîy Oskol, Oboyan, Poutivl, Rilsk,
Chlchigrî, Slariy Oskol', Soudja, Tim.
1 12
districts : Kiyev, Berdilcbev, Kanev, Lipovelz, Radomisl,
KlYEV
)
Skvira, Zvenigorodka, Taracbtcha, Tchcrkasi, Tcbigirin,
Ouman, Vasilkov.
1
/ 15
districts : Poltava, Khoro-Ï, Gadatch, Kobelaki, Konstanlino-
PoLTAVA
)
■■■(
grad, Krementchoiig, toklivitza, Loiibni, Mii'gorod, i'e-
revasl'av, Piiatin, Pril'ouki, Romni, Zenkov, Zol'otonotclia.
8
districts : Yekaterinosi'av, Alexandrovsk, Bakbiiiout, Novo-
Yekmebinoslsv . .
Moskovsk, Paviograd, Rostov, Slavanoserbsk, Verkhne
Dricpnivsk. — Capitainerie de Taganrog.
( ^^
districts : Kherson, .\lexandriya, Anahycv, Bobrinelz, Tiraspol,
Kherson
■ ■ •.}
district d'Odessa, — Capitainerie d'Odessa ; — Gouver-
nement militaire de Nikolayev.
( ''^
districts : Kamei'ietz-Podolskiv, Mog'ilov-Podolskiy, Yampol,
PODOLIE
■ ■ ■(
Bialzlav, Vinnilza, Gaïsin, Lelilchev, Lilin, Balta, Olgo-
pol, Pniskourov, Ouchitza.
Bessarabie ....
0
districts : Kichihov, Akkerman, Bendeiî, Bcllzi, Kbotin,
• ■ ■ ,
Orgeyev, Soroki, Toutchkov (Izmail), Kagoul.
RÉGION DES LACS
Pskov
l 8 districts : Pskov, Klio-îm, Novojev, , Opolclika, Oslrov, Por-
" ■ ■ /
khov, Tonipctz, Velikiya-fcouki.
( "
districts : Novgorod, Beiozorsk, Borovitcbi, Dcmyaiisk, Kiri-
Novgorod
. . . j
iov, Krestzi, Tikhvin, Slaraya Rousa, Tchercpovetz, Oust- •
oujna. Va Mai.
Saint-Pétersbocrg .
( 9 districts : Siiinl-Pélersbourg, Schliisselbiirg, Tzarskove-Scto,
' ■ ' 1 Narva, Gdov, Novayatadoga, Louga, Kronstadt, Gattcliina.
Olonetz ...
7
districts : Petrozavodsk, Kargopol, Lodeyiioye Pôle, Oioi'ietz,
Povenctz, Vitegra, Poudoj.
DIVISIONS ADMIMSTRATIVES DE LA RUSSIE.
917
VERSANT DU NORD
ArKHA-NGEISK
VOLOGDA . .
7 distiicls : Arkhangelsk, Rholinognii, Kem, Mezeh, Pinega,
Oiiega, Clienkoursk.
10 distiicts : Voionda, Grazovelz, Kadnikov, Totma, Velsk,
Mk(il>k, Velikiy Oust-Yoïig, Solvitchegodsk, Yarcnsk,
Oust-Sisolsk.
BASSIN DE LA VOLGA
Tteb
Kalouga .
Moscou.
Toula .
Oroi.
Razvn.
Tambov.
Yaroslavl
KOSTROMA.
Vladimir .
NlJÎIIÏ-NoVOOROB.
Penza .
ly districls : Tver, Staiilza, Zoubtzov, Rjev, Ostachkov, Tor-
jok, Vichniy Vofotcliok, Rejelzk, Vesyegonsk, Kachin,
Kalazin, Koitcheva.
■ \\ districts: Kalouga, Borovsk, Kozelsk, Likhvin, Maloyarosla-
velz, Medin, Meclilcliovsk, Mosalsk, Pcreiiiiclil, Jizdia,
Tarousa.
15 districts : Moscou, Bogoiodsk, Bronnilzi, Dinitrov. Klin,
Koiomna, Mojaïsk, Poilolsk, Rouza, Seqjoukhov, Zveni-
gorod, Vcreya, Votokotanisk.
15 districts ; Toula, .\lexin, Bclov, Bogorodsk, Yclremov,
Yepifan, Kacliira, Krapivna, Novosil, Odoyev, Tchern,
VchoT.
12 districls : Orol', Bofkhov, Braiisk, Dmilrovsk, Yelelz, Kaial-
chev, Kronù, Livni, Maloarkhangelsk, .Mlzensk, Sevsk,
Troubtclievsk.
12 districts : Razaii, Ycgorycvsk, Dankov, kasimov, Mikhaïïov,
Rancnbourg, Pronsk, Rajsk, Zaraisk, Sa[)njok, SkopM!,
Spassk.
12 dislricls : Tambov, Borisoglebsk, Yelalma, Kirsanov, Kozlov.
Lcbcdaii, Lipelzk, Morchansk, Chatzk, Spassk, Tcmnikov,
Ousiiian.
10 districls : Yaroslavl, Danilov, Lubim, Mologa, Miclikiii,
Pocheklioiiye, Roiiiannv-Borisoglcbsk, Roslov, Ribinsk,
Ouglitch.
12 districls : Kostroma, Bouy, Galitch, Youi-yeveIz-Povolskiy,
Kinccliuia, Kolugriv, .Makai-ycv, N'crekhta, Solrgalitcb,
Tcliciukliloina, Varnavin, Vetlouga.
15 districls : Vladimir, Aleiandrov, Gorokhovelz, Youi-ycv-
Poiskiy, KovroT, Melenki, Mourom, Pereyasiavl-Zalcskiy,
l'okrov, Chdiiya, Soudodga, Suuzdal, Vazniki.
11 dislricls : Nijniy Novgorod, Ardalov, Arzaiiias, Ralakbna,
Goi batov, Knaginin, toukoyaiiov, Makai-yev, Seriionov, Scr-
gatch, Vasil.
10 dislricls : Penza, Gorodichiche, Insar, Kcrcnsk, Krasnosto-
bodsk, Mokcliansk, Nai-ovlcbal, Nijnij £omov, Saransk,
Tchcml)ar.
018
NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
M2
di.stricis : Kazan, Yadrin, Kozmodemjansk, Laïchov, Mama-
IvAZAX
dich, Spassk, Sviyajsk, Telouchi, Tcheboksari, Tchistopol,
Tzarcvokokchaïsk, Tzivilsk.
(
Vatka
11
districis : Vatka, Gl'azov, Yaransk, Yol'abou<;a, Kolelnilch,
Malmij, Nolinsk, Orlov, Sarapoul, Slobodskoi, Ourjoum.
Perm (versant européen) .
7
districts : Perrii, Solikamsk, Koungour, Okliansk, Osa,
Rrasnooufirask, Tcherdin.
OlFA ...
6
districts : Oufa, Bclebey, Birsk, Zlatooust, Menzelinsk, Sler-
lilamak.
SlMBlRSK
8
districts : Simbirsk, Alatii-, Ardalov, Bouyinsk, Korsoun,
Kourmich, Sengilcï, Sizran.
Samara
7 districts : Samara, Boiigoulma, Bougourousl'an, Boiizonlonk,
NiUûîavevsk, Novo-Oiizensk, Stavropol.
SaR4T0V
10
districts : Saratov, Atkarsk, Balachov, Khvalînsk, Kamichin,
Kouznelzk, Petrovsk, Serdobsk, Volsk, Tzaritzin.
Astrakhan
6
districts : Astrakhan, Ycnotayevsk, Krasniy Yar, Tchornîy
Yar, Tzai-ov.
BASSIN DE L'OURAL
Orenboirg
5
districis : Orcnbonrg, Troiizk, Tcbelabinsk, Verkhne-
Ouraisk, Orsk.
Armée de l'Oural (c. Eur.).
Ouraisk.
BASSIN DU DON
12
districts : Voronej, Bii'oulch, Bobrov, Bogoiitcharî, Koroloyak,
VoRO.^EJ
Nijnedevitzk, Novo Khoporsk, Ostrogojsk, Pav-lovsk, Za-
donsk, Zeinlansk, Vaioiiyki.
11
districts : Khaikov, .\khlirka, Bogodoukhov, Izonin. Kou-
KUARKOV
pansk, Lebedin, Zniiycv, Starobclsk, Sounii, Valki, Vol-
tcliaiisk.
AltMÊE DU DuN
No
o-Tciierkask.
CRI
MÉE
ET TAURIDE CONTINENTALE
t
Tauride s
8
districts : Simferopol, Bonlansk, Tlieodosia (Feodosiya),
Yalta, Diiepr ou Alechki, Melitopol, Perekop, Eupatoria
(Yovpalonya). — Capitainerie de Kcrtcli, capitainerie de
Tlieodosia, port de Sébastopol.
Fl.N DU CIXQLIEME VOLUME.
Pour ce cinquième volume, le dernier de mon ouvnge qui soit consacré à l'Europe, j'ai eu l'heu-
reuse fortune d'obtenir une colbboi'alion encore plus aciive que pour les tomes précédcnls. Les
hommes les plus autorisés par leur savoir et leurs études spéciales ont bien voulu répondre "a mes
questions, annoter mon travail, en refaire même des pages entières. En Danemark, j'ai eu l'honneur
d'avoir M. Erslev pour guide ; en Suède, MM. Hildebrandt, Sidenbladh, Tôrnebohm m'ont donné
quelques-unes de ces heures qu'ils emploient si utilement, et .M. Rosenberg m'a aidé de son infatig.ible
obligeance. Pour la Russie, tous ceux auxquels j'ai demandé des renseignements, MM. Rambauil.
Ilyin, Oelsnitz, Joukovskiy, Stronin, Tzvetkovskiy, Kordich, se sont empressés de me les fournir;
mais c'est à M. Dragomanov surtout que je dois exprimer ma reconnaissance profonde pour l'aide
efficace qu'il m'a accordée. Il ne s'est épargné aucun labeur de recherches et de correspondance pour
m'indiquer les œuvres les plus sûres et pour écarter de mon travail toutes les affirmations douteuses
ou erronées. En relisant le chapitre de la Russie, je vois la trace de sa main presque à ch.aque page.
Mon ami M. Pierre Kropolkin a revu le texte avec le plus grand soin pour le nouveau tirage.
A Paris, M. Ernest Desjardins ne s'est pas lassé de me fournir le concours de sa critique savante
pour la revision des épreuves. Je dois aussi beaucoup à M. Schiffer, qui m'a remplacé avec un
dévouement sans bornes pour surveiller le travail de publrcation et en assurer la constante régularité.
M. Polguère a revu l'ouvrage avec le goiit scrupuleux qu'il apporte à tous ses travaux.
Les cartes de ce volume sont dues à MM. Vuillemin, Perron, S-tomczynski, Bagge. Qu'ils reçoivent
mes remerciements sincères, ainsi que les artistes qui ont dessiné cl gravé les vues et les types
contenus dans ce volume.
INDEX ALPHABETIQUE
Aa (rivière), 559, 361*
Aa de Courlande (rivière),
562*. 584.
Aa de Livonie (rivière), 565.
Aalborg, 28*, 40, 55.
AalLorg (détroil), 9.
Aalesund, 168*. 171.
Aarhus, 28*, 40, 55.
ABo ou Turku, 542, 545*,
548.
Aborrcbjerg (colline), 14
Achille (carrière d'), 472.
Adjalin (limans), 468.
Adnamuoikekorljc (chute), 114.
Adochnour, 746.
iErd (île), 12*, 19.
Agardh (cap), 255.
Agger (brèche d'), 10.
Aï (rivière), 764.
Aidar (rivière), 810.
Aï-Todor (ca|>), 841.
Aï-Vassileni (mont), 820.
Ak-Bouroun (cap), 845.
Akers-elven (rivière), 159.
Akershus, 158.
Akhtirka, 558, 544*.
Akhiouba (rivière), 604*, 775.
Akhtouba (mont), 685.
Akkerman. 556*, 557.
Aklangen (lac), 109.
Ak-Melchi;t, 856.
Aksaï (rivièie), 810.
Alains, 829.
Âland(îles), 185,329*, 513.
AJ'alir, 750*, 701
A+alîf (rivière), 756-
Alechki. 542*, 544.
Alcxandriya, 512*, 544.
Alexandrov, 728.
Alexandrovsk, 540.
Alexandrovskaya, 810.
Alexeyevka, 806*, 814.
Alideï (lac), 468.
Allemands, 295, 511*.
Allinge, 19.
Vlouchla, 841.
Aioupka (château), 841.
Alla (rivière), 555.
Altcn, 127.
Allen-fjord. 59, 96*. 115,171.
Aile Vand (lac), 105.
Amager (îlot), 51, 57*.
.Ammeberg, 214.
Anaiiiyna, 765.
Ananyev, 464, 546, 551*.
.Androuchi, 555.
Angar-Boghaz, 820.
Angerniaii (rivière), 109.
AnhoU (ile),16.
Arabat, 794.
Arboga, 19:).
Arboga (rivière), 195.
Ardon, 484.
Arcndal,78,16.5*.166,171,214.
Arkhangelsk, 290, 641*, 645.
Anhaask, 855.
Ane (lac), 46.
.lii/cns. 295.
lr:a, 727.
Arzamas, 727*. 736.
Aïkersund, 91.
Astrakhan, 776*, 778.
Asvig (baie d'), 4.
Mcl ou Alil, 777.
Atkarsk, 806*, 814.
Alvidaberg, 180.
Augusiôw, ou Augustowo, 418*,
419.
Aura-joki (rivière), 545.
Ausiarfold, 55.
Ausliia (sund), 275.
il rares, 504.
Avasaxa (niontV 115*, 198.
Azov, 789, 815*. 814.
Azov (mer d"), 788.
B
BabouganVaïla(monl),820',824.
Bachkirs, 755.
Bakhmout, 516, 809*, 814.
Bukhlchi-Saraï. 829, 856*. 845.
Bakke-fjord, 68.
Bakou, 777.
Balachov, 806*, 814
Balaklava, 857.
Balangyar, 777.
Italda (rivière), 665.
Balilinbkiy )lonastii-, 666.
Bal'tii, tHi>', 551.
Ballisch-l'orl, 577.
Bar, 545*, 551
Barents (mer do), 644.
Barents Land, 255.
Baskounicbak (marais salant).
679, 776*.
Balourin. 525.
Ilauskc, 570, .'J84, .■>8:)*.
Beercn-Eviand, 246*, 650.
Bejctzk, 709*, 711.
liela, 418.
iiela-Veja, 396, 422*.
lîeJaya (rivière), 764.
Beiaya Krinilza, 702.
BeJava Tzcrkov, 555*, 544.
ïielgorod, 808*, 814
Bclitza, 484.
iScliy, 440.
116
022
INDEX ALPIIADÊTIQDE.
BelÎT Kioutch (collme), 665
Bell-Sound, 248*, 25!.
Belo-Ozero (lac), 500, 588,656*.
Befopolye, 544.
Belo-Russes, 474*, 490.
B6{'oslokouBiatyslok,455*,442
Belov, 712*, 756.
Bclo-Vejskaya Pouchfchn, 425.
Beiozersk, 557, 588*. 602.
Belt (Grand), 12.
Belt (Pelil), 12.
BeWêdère (tour du), 188.
Belzî, 555.
Benderî (Bendcr), 555*, 557.
Berdansk, 540,815*, 817.
Beidilchev, 436, 485,497, 51 9*.
544.
Bereket (rivière), 604.
Berend'eiji, 494.
Berestyé, 454.
Berezan (île), 460.
Berezah (lac), 467.
Berezina (rivière), 451*, iSô.
Berezna, 525, 544*.
Bergen, 119, 122, 100*, 171.
Berisl'avou Borisiav, 541*, 544.
Berlevaag, 114.
BiaJa, 418*, 419,
Biarmieiis, 626.
Buldarijard (bassin de). 103.
Bi&lostuk, 455.
Bilgoraj, 411*, 419.
BiUing (monl), 61.
Biroul, 665.
Biscayers llook, 251.
Bitoug (rivière), 805.
Bjôrkfjard (bassin du), 105.
Bjorko, 182.
Bjorkti (île), 100*, 522.
Bjôrncborg (Pori),542*, 548.
Bjorviken, 157.
Blaavands lluk, 12.
Biagodal(inonl), 685.
Blagovechtchensk (usine), 764*.
Blanche (mer), 619.
Blancs-Russicns, 294, 475'
Blekinge, 179.
Bleues (montagnes), 559.
Bobiinelz, 546, 551*.
Bobrouika (rivière), 483.
Bobrouisk, 485*, 487, 908.
Bodo, 214.
Bogdo (Grand), 079.
Bogdo (Petit), 679.
Bogudoukhov, 558, 54 i*.
L'ogorodiizk, 715*, 756.
Bogoutchar, 806*, 814.
Bohuslan, 72*, 152, 173.
Boiumbrac (glacier), 64.
Bolder-Aa (rivière), 562.
Boigar, 757, 757*.
Bolgar (plame de), 677.
Bolgrad, 557*, 558.
Bolkhov, 712, 756*.
Colvanovskiv-Mis (mont), 608.
Borgfi, 522, 544*.
Borgholm (île), 179.
Borgund, 156.
Borisogiebsk, 806, 814*.
Bonsov, 485*, 487.
Bornholm (île), 16*, 10, 42.
Borovitchi, 586*, 602.
Borovsk, 756.
Borre, 15.
Borysthènes (fleuve), 4i)2.
Borzna, 525, 544*.
Bosekop (crique de), I.'il.
Bosphore Cimmérien, 789*. 844
Botnie (golfe de), 96*, 185.
Bûudjak, 557.
Boug (rivière), 459*, 474.
Bougoulma, 765.
Bougourouslan, 775*, 778.
Boiigoutchar, 806', 814.
Boukeijevskaya (horde), 771.
Boulganaii, 823.
Bouigailiks, 749.
Bournas (lac), 468.
Boutoiulinovka ou Petrovskaia,
SU6*, 814.
Bouzau (rivière), 065.
Bouzoulouk, 775, 778*.
l'iaheslad (Brahiu), 542.
lir.jiibk, 458, 525*, 544.
ilnitslav, 545*, 551.
Bregninge (colline), 29.
Brest-titovskiv, 418, 425,454*,
442, 908.
Bro, 155.
Biody, 486.
Bruiikebergs as, 91 .
Brzeziny, 418*, 419.
Bnerbrae (glacier), 64.
Bug (rivière), 594, 474*.
Bukke-Ijoid, 166.
liulbjerg (collinej, 7.
UuUjares, 515.
Bzura (rivière), 418.
Cair, 70.
Carlberg, 241.
Carl»hanm, 178*, 199.
Carlskrona, 84, 179*, 199, 241.
Carlsladou Karlslad, 174*, 199.
Carlbteen, 241.
Caspienne (mer), 669.
Catherine (canal de), 617.
Chuba, 557.
Chagani (lac), 468.
Chaindi-Pae (mont), 608.
Chatzk, 726.
Chavli, 459, 442*.
Chechkeyev, 726.
Checiny, 410*, 419.
Cheksna(rivière),635,656*,708.
Cheloh (rivière), 565*, 581.
Chenkoursk, 658.
Cherie-Island ou Cherrv-lsland,
246
Cherson, 857.
Chersonèse (cap), 817, 857*.
Chklov, 482.
Chmielnik, 410, 419.
Chostka, 525.
Choungo, 579.
Chouya, 729*, 750.
Chouya (rivière), 474.
Christiania, 122, 157*, 171.
Christiania (fjord do). 78*, 85.
157.
Chriïtiansand, 165*, 166, 171.
Christiansfeld, 4.
Chi'istiansô (ile), 20.
Christianssund, 168', 171.
Christianstad, 178", 199.
Chnstinehamn, 174*, 199.
Chri.'ilinestad (Ristiina), 542,
Chtchigrî, 324.
Chtchougqr (rivière), 617.
Chtchoulchya (rivière), 610.
Chydenius (monl), 255.
Cicchanôw, 418*, 419.
Copenhague, 50*, 40, 55.
Cosaques, 497.
Cosaques du Don, 796.
Cosaques de l'Oural, 779,866*.
Cosaques Pelils-Russiens, 796
Cosaques Veliko-Russes , 796
Cosaques Zaporogues, 796.
Coures, Courons, 570.
Courlande, 557 et suiv.
Ciacovie, 412.
Crimée, 8! 7.
! Czçbtochowa, 406*, 419.
Dagci (ile), 566*, 575.
Dalarue, 159.
Datécarliens, 159.
Dal-cif (rivière), 107, 114*.
Dalslaud (canal de), 225.
Dannemora, 14 4, 194*.
Danois, 2, 25*
Dedoukhin, 702
Dencjkin-Kaïueiï (munis), 081*
685
Deuisovka, 641.
Dcrpt ou Dorpat, 581.
Desna (rivière), 4ô2*, 474, 525.
Delinetz, 580.
Diable (montagne du), 359*, 5G0.
Discô (île), 187.
Disna, 441*, 442.
Djoufout-Kalch, 836.
Djurgarden, 188.
Dmilrov, 709, 711*, 756.
Dniilrovsk, 541.
Diiepr (Qeuve), 442, 451*. 460,
464.
Dnestr (fleuve), 460.
Diiestr (liman du), 468
Dombrowa, 40C.
Doniesberg (colline), 360.
Domesna-s (cap), 559*, 570.
Don (fleuve), 78i*-787.
Dohetz (rivière), 787*, 807.
Dorogobouj, 480*, 487.
Dorpat, 290, 581*, 585.
Doubno, 485*, 487.
Doiibossarî, 555, 557*.
Doubovka, 774*, 778.
Dove (gliicier), 274.
Devra (plateau), 58, 62*.
Dovreljeld, 85.
Draininen (fiord), 79*, 161, 171,
224.
D amms-elv (fleuve), 79*, 106,
158.
Dregoviichi, 485.
Vrevl'anes, 487.
Drissa, 441 .
Drobak, 157.
Drogdcn, 51, 57*.
Drotlningshohn (palais de), 188.
Drollningskar. 241.
Drouskeniki, 435.
Dubissa (rivière), 4.52.
Diina (fleuve), 558, 561*, 582.
459, 657.
Diinaburg, 441*, 442.
Diinamunde, 582.
Dvina (fleuve), 615*, 619.
Dvinetz (lac), 657.
Eckernfdrdc, 94.
Ehsles, 292, 567*.
Eibiifolkcl, 575.
Eidsvold, 160*, 22i.
Ejcrsbavsnehoj (mont). 4.
Elf-Karlcby, 114, 195*.
fllioutcs, 766.
El.scnour, 58*, 40.
Embach ou Eniba (rivière), 359,
365', 581, 561, 686.
E»imoMapgi(colline),559*, 560.
Enarc ou Inare (lac), 528*, 529.
INDEX .\LP1IABÉT1QL'£.
Enkoping, 92.
Enovesi (lac), 528*, 529.
Ergem (coflines), 775.
Erlholniene (ilols), 20.
Eski (fleuve), 452.
Eskiisluna, 195*, 225.
Eupaloria (Yevpaloriva), 855,
845.
Extrême Uook, 255.
Fîeraund (lac), 107.
Fa;munsgrav (rivière), 107.
Fairhaven (glacier de). 257.
Falkenberg, 175.
Falsler, 42*, 52.
Falster (île), 12, 19*, 55.
Kalslerbo, 177.
Falsterbo (pointe de), 154.
Falun, 122, 180, 196*, 199.
Fârô (ile), 75.
Fatej, 524, 544*.
Faxeijeld, 60.
Feliin (rivière), 566.
Fendosia, 844.
Figeholm, 179.
Fin, 146.
Finlandais, 332.
Finlande (golfe de), 183.
Finmark. 56, 95*, 124.
Finmarken, 211.
Finnois, 24, 159, 292, 554*.
Finnois Karéliens, 578.
Finspâng, 181.
Fionie (île), 12.
Fjallbacka, 174.
Fjœrln-fjord, 64.
Flvnderbnrg (château de), 38.
Folgefonden (uiout.s), 119.
Folgefonn ou Folgefonden(névé).
63*, 64.
Fonlanka (canal), 595.
Forsby, 340.
Fraas (mont), 255.
Franz-.losefs Land ou Terre de
Fiançois-Josepb, 272.
Fredensborg (ibàteau de), 58.
Fredcricia, 27*, 59.
Frederiksberg, 32.
Frederiksborg (château de), 57*,
53.
Frcderiksbald, 157.
Frcderiksbamn, 544.
Frederiksbavn, 29.
Frederik.sslad, 157*. 171, 384.
Frederiksleen (forteresse), 157.
Fredcriksva;rk, 46.
Frilhiof (glacier de), 258.
Frostcn, 124, 169*.
925
Fryken (rivière), 109.
Fyen (île), 12*, 19. 53.
Fjris (rivière), 189.
Gal.in, 418*, 419.
Gadalch, 505, 557*, 544.
Gaïsin ou llaïsin, 545*, 551.
Gaising-Kaln (colline), 560
Galiiliopiggen (mont), 62.
Galitch, 504.
Galilch des Mériens. 711.
Gallascn (mont), 61.
Gamla Karleby, 540', 542.
Gamla Lodesc, 175.
Gamla-ljisala, 189.
Gamlebv, 129.
Gandvik, 622.
Gardarike, 140*. 185.
Gallcbina, 602.
Gefle, 92, 195*, 199
Geflc (forets de), 128.
Gellivara, 214.
Genilcbci-k, 794.
Gomains, 502.
Giles (lerre de), 270.
Ginevra (baie de), 254
Gjalsk, 707*, 711.
Glaces (cap des), 649
Glommcn (fleuve), 62, 106*,
157, 158.
Gloukhov, 524", 544.
Gncsen. 412.
Got'ad', 426, 712*.
Goldiiigcn, 570, 585*.
Gomcl, 481*, 487.
Gorbalov, 728.
(iorîn, 486.
Gorki, 485', 486.
Gorm (tertre funéraire de). 28.
(lorodiclitche, 585
Gostinopol (calaraclci), 565.
Goslynin, 418, 419.
Gota (canaux de), 225.
Gnt.i-clf (riv.). 106, 107'. 115.
Goliir ou Gollis, I.V.).
Goteborg. 72, 122, 152, 172*,
199, 215.
Gnths, 56.
Golland (île). 75', 120, 206.
Gotska Sandon (Ile), 73.
Gouba Kamcnka, U49.
Gourycv, 780.
Gousinoï Nos. 019.
Gradijsk, 555', 544.
Grâen (fort de), 177
Gr.iïvoron, 558.
Grands Rmsient, 292, iOC,
488, 686*, 781, 706.
924
INDEX ALPHABÉTIQUE.
Gfazovelz, 657*, 645.
Green-IIarliour, 267.
Gngonopol, 553, 557*.
Grimstad, i(î5*, 166.
Gnpsholin (château), 188.
Grisselhamn, 550.
Grodno, 455*, 412.
Groenland, 50.
Grouchovka, 788*, 812.
Gudhrandsdal, 158.
Guden (rivière), 46.
Gudenaa (rivière), 7.
Guldbrandsdalen, 200.
Gulf-streain (îles du), 049.
Haarfagrehaugen (mont), 271.
Haderslev (fjord), 10.
Hadja-Tarkhai'i, 777.
Hadji-Bev (forteresse). 547
iladji-Bey (liinan), 468*, 547.
Haga (château), 188.
Hakon Jarl (château de), 170.
Haibstadi, 817.
Halland. 97, 152, 175*.
Hallandsas (promontoire del.
175.
Halleborg, 173.
Ualleborg ou lialleberg (monts).
86.
Halmstad, 175*, 199.
Hàmàlaisct, 554*. 557.
Hamar, 160*, 224.
Hanimarby, 195.
Hamnicren (mer de). 19.
Hammeren (pointe), 19. .
Hammerfesl, 122, 171*-
Hammershus, 19.
Hangô (promontoire), 520*, 541.
Hano(baiede). 178.
Uaparanda, 122, 198".
Hapsal, 581.
Harboore Tange, 10.
Hardanger-fjord, 65, 74, 115*.
llardangervidde (massif), 65.
llascnpoth, 570.
Ilaugesund, 166*, 171.
llaukivesi (lac), 548.
llaukkavuori (monl),550.
Hecla Cove (baie), 269.
Ilelsingborg, 175*, 199.
Ilelsingfors, 290. 3i3*, 548.
llelsingor ou Elseneur, 51, 58*.
40, 175.
llelsingor (chàloaii de), 15.
Henningsvâr, 211.
llernosand, 122, 197*, 214.
Hessclager (pierre de), 12.
Uesimandcn (île), 71,
Uetmanie, 502.
HiUerôd, 57
Ilimmellijcrg (mont), 4.
Himmersjô (fjord), ISS.
Hindd (île), 71*, 127.
Iliulopen (détroit), 252, 265*.
Ilirshals (promontoire), 12.
llirlsholmene (îlots), 29.
Hisingen (île), 115*, 175.
lliterdal, 156.
llitterdal (église de), 162.
Ilitteren (île), 168.
Hjelmar ou Iljelmareu (lac),
102*, 195, 225.
Hjorring, 53.
Hoborg (banc de). 73.
Ilochstelter (glacier de), 256.
llôganas, 175.
Ilogland (ile), 520, 550*.
Holbaîk, 53.
Holmestrand, 162, 166*.
Ilolmgârd, 658.
Hope-Island, 650.
Horn-Sound (glacjer de), 256.
Horn-Soiind (mont), 275.
Horn-Sound (pic), 255.
llorodia, 4M.
Horsens, 20, 42*.
Ilorsens (fjord de), 4, 10*.
Uurten, 162*, 171, 254.
Hôytiiiinen (lac), 524*, 567.
Ilrubicszow, 411*, 419.
Iludikswall, 197*, 199.
llunneborg, 175.
Ilunneborg ou Uunneberg
(mon(s), 86.
Husqvarna (cascades de), 181.
Ilveen (ile), 56, 175*.
Ilveningdals-Vand (Ijord), 85.
Uvidsteen, 157.
Ilypaiiis (lleuve), 460.
lljpate, 710.
Idensalmi, 553.
Ijoia (rivière), 577.
Ijoit-J, 577.
Ijovsk (usine), 765*, 765.
Ijs-ljord, 254.
Ikva (rivière), 485.
Ilek (rivière), 685.
Iletzkaya Zachtchila (salines)
779.
limen (l.ic). 564*. 568,581.
Iniandia (lac), 612.
Imalia (chutes d'), 567.
Imatra (gorge), 528.
Indals (lleuve), 60, 109*.
Ingltfield (glacier de), 256.
IngoU'l' (rivière), 546.
Ingoulelz (rivière), 5i2,546.
Ingres, 292.
higricns. 577.
Inkerman(rocherd'), 857, 841*.
Ipout (rivière), 484.
Iremel (monl), 685.
Irgis (Grand) (rivière), 765,775*.
Isborsk, 500, 580*.
Ise-fjord, 15*.
Iskorosl, 487.
Islande, 50.
Ismaïl (Izmayil), 557, 558.
Ivangorod, 581.
Ivangorod (forteresse), 412.
Ivanovo, 726.
Jacobslad ou Pielasaari, 542,
584*, 585.
Jaderen (cote de), 165.
Jaegersborg (bois de), 57.
Jammerberg (île), 247.
Jammer-Bugl, 12.
Janowice, 411.
Jàrawal (colline), 154.
J;isna Géra (monl), 406.
JeHing, 28.
Jcnilland, 144*, 145.
Jeristumturi (colline), 519.
Jilomir, 445, 520*, 541.
Jmoudes, 420, 428, 435*.
Jockmork. 122.
Joensu, 524.
Jokel-ljord, 59.
Jomfruland, 165.
Jonkoping, 86, 181*, 199.
Jotunijcide (inontsl, 62.
Ji ukopa (rivière), 057.
Ji.ifs, 517.
Jurburg, 422.
Juïtedal (monts), 119,
Justedal ou Jostedal (névé), 62,
64*,
Jylland, 5,
Jyske Aas, !..
Kaa-fjord, 214.
Kacbin, 709, 711*.
Kadamovka (rivière), 810.
Kadom, 726, 756*.
Kalfa, 815.
Kaffa (baie de), 818.
Kagdul (limau), 470.
Kahuli'i (Kagoul) ou Frumosa,
557*, 558.
Kakhovka, 541.
Kal.ious (rivière), 671.
Kaialch, 806*. 814.
Kaiazin, 709,711*.
Kalganlau (gorges de), 684.
Kalisz, 409*, 419.
Kalix (n\ièrc), 109*, 110.
Kalla (lac), 548.
Kallavcsi (lac), 529.
Kalmar, 72, 179*, 199.
Kalmar (sund de), 75,
Kalmious (rivière), 815.
Kalmouks, 706.
Kaiiiuga, 712*, 756.
Kallchik (rivière), 815.
Kalundborg, 40.
Kaluszin, 418*, 419.
Kalwarya, 419.
Kama (rivière), 661*, 761.
Kameiietz-Podolskiy, 445, 552*,
557.
Kamîchin, 774, 778*.
Kamiens, 651.
Kaiiev, 494, 497, 555*, 544.
Kanin (cap), 005.
Kaniu (péninsule), 605.
Kannikegaard, 24.
Kara (détroit de), 645.
Kara (rivière), 610.
Karaboghaz (golfe), 075.
Kara Gol (baie), 460.
Karailes, 455, 851.
Kara-Kalpaks, 494.
Karasou (fiord), 675.
Karasuu-bazar, 845.
Karalaï, 759.
Karatcharovo, 727.
Karéliens, 292, 554,557*, 578*.
625.
Karlslianm, 122.
Kasimov, 726*, 750.
Kallaboukli (liinan), 470
Katlegat, 16.
Kazan, 290, 755, 757*, 701.
Kazai'i (Vieille), 757
Kazanka (rivière), 757.
Kazimierz, 411.
Keksholm, 548*, 507.
Keih, 054*, 6i5.
Kerjenctz (rivière), 756.
Kernov, 459.
Kerlcii,84i*, 845, 908.
Kericii (d.-lroil de), 789*, 792.
Khaikov, 524. 807', 811.
A7ia:ar.s, .Î04, 555, 777*.
Kherson, 5i5*, 511.
Khiva, 780.
Khiinuvitza (rivière), 704.
Kbriiclnik, 545*, 551.
Kholrn, ill,,5SI*, 002.
Kliol'mogoii, 658*, 641.
INDtX .\Lr'ILVBÉTinUE.
I Khoïmogorî (Nouvelle), 642.
Khoiouy, 729.
Khopor (rivière), 782, 800*.
Khorol, 557, 544*.
Khorlilza (île), 499*, 510.
Kholio, 552*, 557.
Klivalinsk, 775*, 778.
Kichihov, 555*, 557.
Kichlîm, 754.
Kielce, 410*, 419.
Kilia, 558.
Kimri, 708.
Kinbourn. 547.
Kinbourn (pointe de), 471.
Kinel (rivière), 775.
Kinerodden (cap), 58.
King's Bay, 254.
Kinne-Kulle (inoat), 61.
Kirijhiz, 770.
Kiriïov, 588.
Kirk-yer, 850.
KirsanoT, 806, 814*.
KUchik-àyous, 771.
Kitej (Grand), 756.
Kiwes-Waara (colline), 519.
Kivev, 500, 505, 504, 525*,
544, 691.
Kjnbenhavn, 50*, 40.
Kjoge, 40.
Kjolen (plaleau),57,58*,00,205.
Kjolhoug (massif), 60.
Klaiiipenborg (bains de), 57.
Klar-elf(rivière), 60,107, 109*.
Klazma (rivière), 728.
Klin, 709, 711*, 750.
Klintzi, 484.
Klitlandet, 8.
Ki'iaz (lac), 451.
Kniïskiarrodden (cap), vrai cap
Nord, 58.
Knutsiorp (manoir de), 175.
Knbeiaki, 5.59*, 54t.
Kobrin. 455*, 442.
Kola, 054*, 645.
Kofa (péninsule de), 145, (!04'.
Kolding, 27, 59*.
Holding (fjord), 4, 10*.
Kolgouyev (île), ()05.
Kdlinsimd (l,ic), 11.
Kofo, 409, 419*.
Kolonina, 725, 756*.
Komi ou Komini. 651.
Kumi-MorI, 750.
Komi-Voilir, 651.
Kcingbacka, 175.
Kongolf, 175.
Kongsberg, 162*, 171.
K(ings\inger, 108.
Konin, 409.419*.
Konotop, 525*, 544.
925
Konskaya (rivière). 5i0.
Konstantinograd, 559.
KonsbntinovskiyKamen (mont),
608*, 645.
Kontchachov Kamcn (ninnls),
681,685*.
Koping, 194.
Koping (bassin de), 105.
Korop, 52 i, 544*.
Korotcba, 808, 81!*.
Koroloyak, 805*, 814.
Kors, Kjinti, 570.
Korsdr, 40.
Korsoun, 555*, 857.
Kosraodeiiiansk, 757*. 761
Koslroma, 290,658. 710*.
Kolka ou It nolsinsalini (ilo), 5 i l
Kollin(ilc), 001.
Kolorost (rivière), 709.
Koulikovka, 805.
Koulikovo Pôle, 805,
Koul Oba, 828.
Kouma (rivière), 669.
Koumanes, 504*, 555.
Koundouk (lac), 408, 470*.
Koungour, 762*, 765.
Koursk, 524, 544.
Koutouni (coulée), 777.
Koutouin (rivière), 605.
Kovel, 486.
Kovno, 459*, 442.
Kozeletz, 525*, 544.
Kozeisk, 712*, 756.
Kozlov, 726, 805, 814*.
Ko/.inin, 628.
Krageri), 165*, 166, 171.
Krahnbolni (Ile), 565.
Krakoi^aks, 59(>.
Krasnokoulsk, 558, 5t4*.
Krciiieiietz, 485*, 487
Kreriici'ielz (plateau), 4i5.
Kremcntclioug, 455, 556, 557*,
544.
Kirviiies, 570.
Krilov, 555.
Krivilchi. 427*. 5S0.
Krivitihi-Potolrhdni, 505.
Krivoï Rog, 542.
Kiolcvctz, 524, 5H*.
Krynborg, 58.
Kronstadt, 595, 601*, 602, 908.
Kioukov, 557*, 5i4.
Kuhno (île), 575.
Kullen (promontoire), 61*, 175.
Kumo (rivière), 322*. 512.
Kungsholm (île), 185.
Kungsbolmen, 241.
Kunpin, 348.
Kiipiikes, 596.
KulDO, 418*, 419.
92G
INDEX ALPllAIiETlOLE.
Kuino (lac), 012
Ri'iiner, 155.
UAmà, 42*. ôô.
Laaland (île). 12*, 19, 53.
Lac Blanc ou lielo-Ozero, 500.
Ladegaards (prpsqu'ile), 160.
Ladoga (lac), 5C8.
Landes danoises, 12.
Landskrona, 17G*, 199, 595.
LangSsen, 91
Langeland (île), 12*. 19.
Langfjelde (monis), 62.
Langô (ile), 71.
Laponie russe, 604.
Lapons, 159, 145*. 292. 553,
625*.
Lappo-joki (nvière),542.
Lasô (ilel, 16*. 28.
tatche (lac), 612*, 615.
Latvis, 571.
Laugen (rivière), 162.
Laurvik, 162*, 166. 171.
Laven-Saari (îlot), 520', 530.
Ldoï ou Kouta (lac), 612.
Lebedan, 805, 814*.
Lebedin, 557*, 544.
Lèches, 595.
Lçczyca, 409*, 419.
Leksand, 196.
Lenva, 762.
jesjeskogen-Vand(lac), 85.
Lesnoï Zaï (rivière), 765.
Lel'tjola, Lalwin-Galas, 571 .
Letitcliev. 545.
Leites, Lettons, 367. 570*. 427.
Lelto-Lilhitaniens, 292.
Lgov, 524.
Liban, Leepaja, 585.
•Lîbed (rivière), 552.
Lidingii, 188.
Lidkoping. 174*, 199.
Likhvin, 712.
Lilla Wiirlaii. 188.
LiUesand, 105*, 166.
Liman (lac salé), 809.
Lim-fjord, 7, 10.
Lindesiues, 57.
Lindhagen (cap), 255.
Lindstrnm (mont), 253.
Linkoping, 181", 199.
Lipeizk, 805*, 814.
Lipno, 418, 419*.
Lipovelz, 545*, 551.
tîskovo, 756.
Lithuaniens, 428.
Lithuaniens-Prussiens, 500.
Lilin, 545*, 551.
Litizncs, 427.
Livadia (palais), 841
Lives, 569.
Livnî, 805, 814*
Ljungan (rivière), 109.
Ljiisna (rivière), 109.
Lodal (glacier), 07.
Lodalskaupe (mont), 64.
■Lodeinoye l'oie, 587.
■Lodz, 401, 409*, 419.
Lo-elven (rivière), 159.
Lofgrund (ilej, 95.
Lofoten, 211-
Lofolen (archipel), 70.
Lofoten (îles), 119.
Lng (Grand) (rivière), 811.
■Lokhvilza, 550*, 544.
•Lomza,.595, 418*, 419.
Longue (ile), 471.
■totzmanskaya Kaiiienka. 458.
540*.
■toubnî, 556*, 54i.
Loug (rivière), 485.
■touga (rivière), 563.
■Lougaii ouLougansk,290,810*.
814.
Lougen (rivière), 85.
•Loujand (lac), 576.
■Loukovka (coulée), 777.
Loutzîn, 442.
fcoutzk, 485*, 487.
■Louza (rivière), 658.
■Lovât (rivière), 475, 565*, 581.
Loveu (mont), 255.
Lovisa, 544.
Lowicz, 418*. 419.
I.ow Island, 260.
Lubaz (lac), 450.
I.ublin.410*, 419.
Lubtinois, 590.
Lule;i, 93, 197*.
Luleâ (rivière), 109*, 114.
Luleâ Jaur (lac), 105.
Lund, 129, 177*, 199.
Luosen ou Lereue (fleuve), 452.
Lvsa Gôia, 595.
Lyse-fjord, 68*, 118.
Lysekil, 174.
M
Maan-Selka (coliiuesK518*, 004.
.Maaso(ile), 95.
Mael-Stroin nuMoskosIrom, 70.
Mag(lalena(liaiede). 251, 267*.
.Alagoro (ile), 58.
Magyars, 504.
.MaKariv(couvent de Saint-), 755.
.Makai-vVv, 711.
.Malaremlac), 92, 102*, 105,181.
Mah'ye Karmakoul'î (crique).
649', 654.
Jlalnio,95, 129, 177*, 199, 205.
Malo-Husscs, 474, 490*.
Malo-Yaroslavetz, 712*. 715,
756
Manchin-Sari (ile), 578.
Mandai, 165*, 166, 171.
Manghichl'ak (péninsule de), 675.
Mangoup-Kaieh, 829, 857*.
.Maniich, 279
Mjnitch (lac), 671
.Mariager (fjord), 10.
Maribo, 55.
.Marieslad, 17i.
.Marioupoi, 815*, 817,
Markbam (glacier de), 256.
.Marslraud, 174*, 241.
.Martens [ile), 255.
Maryampol, 419.
Malôtchkin Char (détroit). 01,"..
Mayaki, 550.
Mazures, 596.
Mcchtchères ou Mechtclier'ak,
752.
.Mechlchovsk. 712*, 756.
Medlh, 750.
Medjiboj, 545*. 911,
.Medveditza (rivière), 781*, 782,
806.
.Medvejiy Ostrov (ile), 625.
Mehhikorm, 561.
Melenki, 726.
Mehtopol, 817.
Melkaya Gouba, 649.
Memel, 94.
Memel (fleuve), 422.
Mcnzelinsk, 764', 765.
Méricns, 710.
.Meri (rivière), 558.
Mertvovod, 546.
Mezen, 645.
M.'/en (fleuve). 604, 606. 017*.
019.
Mezeii (golfe), 017.
Jlglin. 484, 487*.
Middelfart. 29*, 40.
Middle llook (niout), 255.
Miçdzyr/ccz, 418*, 419
Mikoul'kin (cap), 005.
Mille lies (archipel), 254.
Minsk, 4S5*, 487.
.Mirgorod, 557, 544*.
Jliropolye, 557, 544*.
Mitau,Mittau,Milav.r, 584*,385.
Mithridale (mont), 845.
Mitouchev Kameii (mont), 616.
Mjoscn (lac), 85. 100, 103',
104*, 158.
Mla«a,.418', 419.
INDEX ALPCADÊTIOUE
027
MoJlin, 117*, 908
Moen(ile), 12, 19*
Môens Klint (falaises de), \i.
MogilovHa-Diicpre, ou Mogilov-
GouberQskiy, 482*, -487.
Mogilov-Podolskiy, 552*, 557.
Mogo (île), 575.
Mokcha, 759.
Mokcha (rivière), 726
Molde, 78.
Molde -fjord, 78, 85, 151*.
Moller (baie de), 649.
Mol'oga (rivière), 708, 709.
Mevlotchnava (rivière), 817.
Mongols, 295*, 504.
Mônsleras, 179.
Montagne Blanche, 255.
Montagnes .\igucs (archipel des),
255.
Môon (île), 56C.
Mora, 196.
Mora-Stenor, 195.
Morchansk, 726*, 756.
Mordves, 146, 555, 712, 758*-
Mori «u Mari, 741.
Morkhovetz (île), 619*, 622.
Mors (île), 9.
Moscou, 692, 716*, 756.
Mosken (île), 70.
Moskenœs (île), 70.
Moskovitei, 295*, 294, 717.
Mosk va (rivière), 427, 71 (i*, 717
Moss, 96, 157*, 171.
Môsseberg (mont), 01.
Motala, 181.
Molala (torrent), 179.
Motoviiinskiv, 762.
Moukhavelz (rivière), 45t.
Mount Miscry, 246.
Mourmanskiy Bereg, 622
Mourom, 727*, 756.
Mouroma, 727.
Moutniy (rivière), 565.
Môwenberg (colline), 25 i.
Mozir, 485.
Msta (rivière), 505*, 580.
Mstera, 729.
Msti&lavl, 485, 487.
Mtzensk, 712*, 756.
Munkholnu'Q (île), 96.
Munksjon (lac), 181.
Munna .Maggi (colline), 559*,
560.
Muonio-clf (rivière), 1 1 0.
N
Nakhichcvan ou Katchcvan,81 2*,
814
Nakskov, 40
Karev (rivière), 591.
Narova (rivière), 558, 501,
562*, 580.
Nlirstrand-fjord, 115.
Narva, 580*, 602.
Narva (baie de), 565.
iNasielsk, 418, 419.
Nassau (cap), 649.
Neder Kalix, 197.
Xedrîgail'ov, 556*, 514.
Nedvigovka, 789.
Negaardsbrae (glacier), 67.
Negri (glacier de), 256.
Nejin, o2.j-, 544.
Neman (fleuve), 418, 422*.
Nestved, 40.
Nesvij, 455*, 442.
Neuf-Pieds (ancrage des), 675.
Neva (fleuve), 573*, 595.
Nevel, 442.
Nexô, 24.
N'ida (rivière), 410.
Nidaros, 169.
NiewiazaouNeveja(rivière),459.
Nijniv-Novgorod, 658,750*,756.
NikitskiySad, 841.
.Nikolaistad, 542, 548.
Nikoiayev, 545, 546*, 551, 908.
Nikoiayevsk, 774*, 778
Nikopol, 540.
Nissan (rivièie), 175.
Nissum-fjord, 9
Njommelsask;is (chute de), 1 1 i.
Nogaïs, 850.
Nogaïsk. 817.
Noire (mer), 442 et siiiv.
Nokouycv (îlot), 025.
Noougrad, 764.
Nora (mines de), 195.
Nord (cap). 58*, 00.
Nordan-Sliog, 60.
Nord-Est (terre du), 248*, 252.
255.
Nord-fjord , 115.
Nord-Kyn (cap), 58.
ISoidmans, 501.
Nord-sund, 259.
Normande (cote), 622.
i\ormands, 2, 50.
NorrbotteD, 121.
Norrkdping, 99, 179*, 199.
Norrland, 96, 156.
Norvégiens (île de), 267.
Novaya tadoga, 585, 588*, 602.
Novaya Ouchilza, .552.
Novaya Zeiiila, 614.
Novgorod, 50O, 505, 507, 559,
585*. 002.
Novgorod-I.ilovskiy, 435.
Novgorod-.Scvcrskiy, 52 i*, 544.
Novivc Troki, 159.
Novo-.\lexandiovsk, 442.
Nûvo-Georgivevsk, 555*, 544,
908.
Novo-Khoporsk, 806*, 814.
Novo-Koïdak, 559.
Novo-Mirgorod, 516, 545*, 551.
Novo-Moskovsk, 540, o44*.
Novo-Ouzcn>k, 778. 779
Novo-Tcherka>k, 810*, 814.
Novo-Zîbkov, 484*, 487.
Novograd-Voh'nskiy, 487
Novngroudok. 455*. 442.
Novoie-Ousolve, 762.
Nowe-Miasto, 410.
Nowo-Georgiewsk, 417
NowT-Dvor, 417*, 419.
Nucko (île), 573.
Nya Elfsborg, 175
Nybnrg, 29.
Nilhi/ggarc, 1 52
Nvenschanz, 595.
Ny Karleby,542
Nykjobing", 40.
Nyknpmg, 199.
Nyminde-gab, 8, 45*
Nyniis, 188
Ny-Slott, 524, 348*.
Nyslad, 522, 342*.
Obitotehnaya (rivière), 817
Oboyan, 556*, 544
Odense, 29*, 40, 53.
Odense (fjord d'), 12.
Odenshiplin (île). 575.
Odessa, 290, 547*, :>h\.
Odoycv, 715.
Ofoten-fjord, 1 15.
Oginskiy (canal d'), 481.
Oirales, 766 .
Oka (livièj-e), 658*, 711
Oland (île). 75*, 179
Olbia, 547.
Olchanka, 536.
OIcchye, 542.
Olgopol, 546, 551*.
Oloncchli, 555.
Otonetz, 587
Ol'onka (rivière), 587
Olviopol, 546, 551*
Onega, 636*, 643.
Onega (fleuve), 619.
Oiicga (golfe), 020.
Onega (lac), 505*, 568.
Opiande (massif). 64*, 158,
(Ira (rivière), 778.
Oranicnbaum, 601, 602.
Orcha, 458, 482*, 487.
Orcliitsa (rivière), 482.
928
INDEX ALPHABÉTIQUE.
Ôrebi-o, 193*, 199.
Orekhov, 540. 0-14*.
Oi-ekhoTij, 588.
Ôrekrog (chàleau d'), 58.
Orel (riTière), 559.
Orcnbourg, 684, 778*, 779.
Ôrcsund (détroil), 50.
Oi'gcyev, 555*, 557.
Oriiinda (chàleau), 841.
Oi-ot, 582, 712*, 750.
Osra, 196.
Orsk, 778, 779.
Osel (île), 560.
Oscreda (rivière), 80G.
Oskar Fredriksborg, 2 il.
OskarsLorg, 124, 157*.
Oskarshamn, 179*, 199.
Oskol (rivière), 809
Oslo 011 Opslo. 159.
Oslaehkoï, 707.
Osier (rivière), 525.
Oslerby. 144, 194*.
Osler-fjord, 115.
Osterrisôr, 165, 166.
U>ler<und. 196.
Ostiakes, 552.
Ostrobotniens, 555.
Oslrog. 486. 487.
Oslroffojsk, 805*, 814.
Oslroîeka, 418, 419.
Ostrow, 418, 419.
Osl V:igô(ile), 71.
OlchakoT ou Kara-Kerman, 468.
547*, 551
Oudaya (rivière), 556.
Oufa,'764, 765.
Oufa (rivière), 764.
Ouglilch, 709, 711*.
Ougra (rivière), 712.
Ougriens, 154.
Ouj (rivière), 487.
Oukraine, 490*, 501.
Oukraïiiiens, 295.
Oul'uulchi. 494.
Ouinan, 545*, 551.
Oumbdck (nionU), 604.
Ounja (rivière), 655, 711, 756.
Oupa (rivière), 715. ■
Oural (lleuvc), 684*, 778.
Oural (monts), 607*, 681*.
Ouraisk, 685, 779*.
Uurazova, 808*, 814.
Ourcnga (monl), 685.
Ours (ilc des), 246*, C25.
Ousmaii, 805*, 814.
Oussa (rivière), 617.
Ousloujfia, 709.
Ousl-Sisoi:,k, 638', 045.
Ousi-Yayilzk, 780.
Ousi-Voùg, 584, 658*, 715.
Ouzen (rivières), 678*, 685.
Ouzon (fleuve), 452.
Ovidiopol, 555*, 557.
Ovralîiisk (collioe), 445.
Ovre-Telemark (monls), 64.
Ovroulch, 487.
Ozoïkov, 409, 419*.
Pabianice, 409, 419*.
Pae-Khoi, 607, 645*.
Pac-Yver (nionl), 608.
Paijiinne (lac), 528, 529.
l'aleostrov (île), 705.
Palus Jla-olide, 789.
Par ouPaa(lac), 612.
Parry (île), 255.
Pasvik (rivière), 328.
Pavlograd, 540, 544*.
Pavl'ovo, 727.
Pavlovsk, 602.
Pavlovsk, 806*. 814.
Peipous (lac), 558, 561, 561*,
568.
Pcldoiri (colline), 319.
Peldovaddo (colline), 519.
Pello, 198.
Peno (lac), 657.
Penza, 755*, 761.
Perckop, 835.
Perekop (islhme), 817.
PeremîchI, 712.
Perepelikna, 492.
Pereyaslav, 497,502, 535*, 544.
Pereyasiav, 709.
Perevaslavl-Zaieskiy, 709*, 711,
756.
l'erm, 762*, 765
Perrii (Grande). 761.
Penniens, 750.
Pernau, Pernov, 581*. 585.
Pernau (rivière), 561*, 566,58 1 .
Pcrsberg, 174.
Pelcliéiiègues, 504.
PcUhersk, 551.
Pelcbora (fleuve), 617*, 619.
Pelerhof, 601, 602
Pelcriiiann (lerre de), 273.
l'etits-Iitissiens, 295, 294, 396,
487*, 781.
Pelrovsk, 806*, 814.
Petrozavodsk, 557. 587*, 602.
Pbilipslad, 174.
Pliipps (île), 255
Pielisjàrvi (lac), 529,
Pililaja (lac), 328.
Pililavesi (lac), 529.
Pihlcjavesi (lac), 548.
Pilica (rivière), 394, 409*.
Pinczôv, 410*, 419
Pinega (rivière), 614, 658.
Pinsk (marais de), 449*, 484,
487.
Piolrkov, 409*, 419.
Piperviksbugten, 157.
Piralin, 556, 544*.
Pilea, 122, 197*.
Pilea (rivière), 109.
Plock, 418,419.
Ploiisk, 418,419.
Podliasie, 396.
l'odoi, 527.
Podolsk, 716*, 756.
Pogar, 524.
Pokrovskaya, 774*, 778.
Polaiti, 505.
Polesye, 449.
Polist (rivière), 565.
Polisla (rivière), 582.
Potomet (rivière), 565.
Polonais, 295, 294, 595*.
Polola (rivière), 441.
Pololchanes, 427
l'ololzk, 503.
Polotzk, 440*, 442.
Polovlzes, 555.
P(>nava,558*, 544.
Pollavka (ruisseau), 558.
Pomon, 626*, 635.
Poiiieviez, 439, 442*.
Ponoi, 623
Ponoi (rivière), 623.
Popova Gora (monl), 656.
Pofetciiye, 440.
Porotva (rivière), 427.
Po-housi, 502.
Pcrsgruiid, 162*. 166.
Portes de Fer, 617.
Porlus Mercatorum, 31 .
Poteliaïna (rivière), 528
Polcbajev, 486.
Polcbinki, 736*, 761
Poulkovo, 602.
Pousiozersk, 645.
l'oulilovo, 588.
Poutivi, 524. 544*.
Povenelz, 579.
Praîslo, 35.
Prasnysz, 418, 419.
Prilouki, 556, 544*
Prince Charles Foieland (ilc),
23.5.
Pripel (marais), 284.
Pripet (rivière), 449*, 485.
Prouionloire Suédois, 270.
Proskourov, 543*, 551.
Prosna (rivière), 409.
Prouskôrov, 443.
Proul (rivière), 460*, 557.
Przedborz. 409*, 410.
Pskov, 580*, GO -2.
Pskov (1.1C (le). 500. 5J8, 562*,
580
Psot (rivière), 457, 556*.
Pufowy ou .\o\vo - .\lexandna
(cliiùeaii), 411.
Puhusk, 41 8*. 419.
Putride (mer), 792.
P5liiiselka(lac), 524, 526*, 529.
Pjlarlaks, 544.
Qviincr, 553
Qvark (archipel), 96, 529*.
Qvikkjokk (cirque de), 196.
R
Rachovka, 557.
Radoin, 410*, 419.
Radornisi, 544.
Radzivii-ov, 486
Rakôw, 410.
Randers, 28*, 42.
Randors (fiord de), 5, 10*.
Rands-fjord (lac), 105.
R;ineâ, 197.
Ranen-fjord, 115.
Rànnum (chutes de), 225.
Raste-Gaize (mont), 58*, 60.
Rattvik, 196.
Rauina (rivière), 85.
Rawa, 418*, 419.
Razan (PercyaS'IavI Razanskiv),
725.
Recherche (haie de la), 251.
Rejetza, 442.
Reui, 558.
Retchitza, 483.
Revcl, 560, 577*, 385.
Rîhatchiv (péninsule), 622.
Ribe, 26*, 55.
Ribe Aa (rivière), 26.
Rîbmsk, 658, 708*, 711.
Richlbofon (mont). 275.
Riga, 581*, 585.
Riga (golfe de), 185, 560*. .508.
Rîisk, 524*, 544.
Rin-Peski (rivière?), 771.
Rmgkiohing, 27.
Ringkjoliing-fjord, 8*. 45
Rjichtchcv, 555
Rjov, 707', 711.
Rjukan-fos (ca.scado), 115.
Roihlagen, 501.
Rogakhof, 451.
Rogalchov, 485*, 487.
Rogalchov (baie), 6 49.
Roi Oscar (Terre du). 275.
I.NDEX .VLPII.VBÉTIQrf;
Ronianov-Borisoglebsk, 709*
711.
Romni, 556*, 544.
Romove (forêt), 452.
Romsdal (monts), 62.
Romsdalhorn (mont), 64.
Ron (canal de), 10.
Rônne, 40.
Ronnebv, 178.
Rôrds. 62, 160, 170*.
Ros (rivière), 494, 553*.
Rosenhorg (château de), 55.
Rosendal (pavillon de), 188.
Roshage (promontoire), 12.
Roskilde, 32, 41*, 42.
Roslavi, 485*, 487.
Rossienv, 459.
Rosslayen, 301.
Rossona (rivière), 565.
Roslov (Yaroslavi), 709*, 711.
Rostov (Don), 799. 815*. 814.
Rostov (lac), 710.
Roslovclilchiga, 653.
Roumains, 295, 510*.
Roussanova, 643.
Rotissines. 294.
Rov (rivière), 545.
Rovno, 486*, 487.
Runnen (lac), 196.
Runo (ile), 575.
Ruolsalâiset, 540.
Russes, 294, 500*, 302.
Russes blancs, 295
Russes Tmonlarakan' , 500.
Rulhénes, 294, 515*.
Rytterknaegten (colline), 19.
Sabla (mont), 608.
Sactcrsdal (monts), 64.
Sainia (canal de la), 548, 555*
Saïma (lac), 524. 328*, 529,
.566.
Saint-Dimilriy (forteresse), 813.
Saint-George (nionasièrc), 837.
Saint-Georges (cap), 823.
Saint-Je.nn (île), 50.
Sainl-Pétci-sbourg, 290, 589*,
602.
Saint-Thomas (île), 50.
Saintc-t^athcrine (mont), 393.
&untc-(;roix (ile), 50.
Sainle-.Montagne (convuol). 809.
Sakinara (rivière), 685,685*, 778.
Saksagaoa (rivièiv), 542.
Salgir (rivière), 820*, 836.
Saltcn-ljord, 59
Sallholm (ile), 51. 37*.
Sainara, 772*. 778.
929
Samara (rivière), 498, 540*,772.
Samartchik, 540.
Samcs, 146*, 625.
Samayiliens, 428*, 433.
Samoijèdes, 292, 552, 626*.
Samsô (île), 16
San (rivière), 394.
Sandefjnrd, 162, 166*.
Sandomierz, 410.
Sandomierz (massif), 392.
Sandomiriens, 596.
Sara (couvent de), 726.
Saraï, 775
Saraitchik, 780.
Saransk, 756*, 761.
Sarapoul, 765*, 703.
Saralov, 774*. 778.
Saratovka (rivière), 774
Sarcktjokko (mon!), 59*, 60.
Sarepta, 775.
Sarke-f, 806.
Sarmatcs, 296
Sarpsborg, 157.
Sarps-fos (cascade), 115,
Sas (rivière), 587.
Saukko-Waara (collmc), 519..
Saulo (mont), 59*, 60.
Savolaiset, 558
Scandia (île de). 55.
Scandinaves, 159*, 355.
Schlock, 362.
Schlusselhurg, 588*, 602.
Scythes, 296, 827*.
Sébastopol, 837*, 845, 908.
Sebej, 370, 442*.
Sedncv, 445.
Seeland (île), 12.
Seg(lac). 612.
Sciland (île). 58, 60, 71*.
Seim, 807.
Seim (rivière), 524.
Seliger (lac), 658*. 707.
Selijarovka (rivière), 658.
Sclitrennoie, 775
Semiiiatiens ou Jcmc-Galas.ôH.
Senjen (île), 70*. 71
Sept lies (archipel des), 253
Serdobol ou Sordavala, 548.
Serdohsk, 806, 814*.
Serebi-anovskaya, 666.
Sergiyevsk, 775.
Sergiycvskiy, 724*. 756
Scrponkhov, 716*, 75li.
Sever'anes, 524
Scvsk, 524*, 541.
Siedlce, 418*, 419,
Sieradz, 409*, 419.
Sicrpcc, 418*, 419.
Sigluna, 182, 189*.
Siljan (la.). 105*. 196.
030
Simljirsk, 771*. 778.
Siinbirsk (lac), 662.
Simferopol, 856*, 845.
Sinavka, 789.
Siiioukha (rivière), 450, 545*.
Sire-eh, 07.
Siiije, 620.
Sisolka (rivière), 613.
Silch, 501.
Sivacli, 792*, 793, 706. 820.
841.
Sîzrah, 677, 775*, 778.
Sîzran (plaine de), 677.
Sîzran (rivière). 775.
Sjailand (ile), 12, 10.
Skagen, 20.
Skagen (pointe île). 20.
SkagerRak, 12*, 115.
Skammlingsbanke (collines), 4.
Skanor, 177.
Skara, 181,
Skarjinka (coulée), 777.
SkellefleS, 107.
Skcllefleâ (rivière), 100*, 114.
Skidel, 427.
Skien, 162", 166. 171.
Skion-elv (rivière), H5.
Skierniewire, 418*, 419.
Skiringosal (lemplede), 162.
Skjiirgaard, 60.
Skjserslad, 214.
Skoklosler (cliàleau), 180.
Skojiin, 726*, 736.
Skraaven (ilôt), 2H.
Skvira, 533*, 544.
Slagelse, 40.
Slavanoserbsk, 516, 810',
Sihivansk, 809*. 814.
Slaves, 25, 291*, 293, 395.
SIcsvig ou Schlesv\ig, 1 1 .
Slobodskoï, 765.
St'onim, 435. 442*.
Sl'oulcli (rivière), 485.
Sloulzk, 484*, 487.
SloMiii, 294.
Smaaienene, 156.
Smâland, 97, 204*.
Sinecrenburg ou Sinceivnberg.
257, 267*.
Siiiolcii.sk, 480*, -487.
Snebiottcn, 85.
Sncha'llen (mont), 62*, 64.
Snotluppen (inoiil), 255.
Sob (rivière), 545.
Snchaczew, 418*, 410
Soderbamn, 197*, 109.
S6derk6|)ing, 179.
Sùderinanuland, 99.
Soderlelgc ou Sôder Tcige, 188.
Sogiic-fjurd, 62, 73*. 77,115.
I.MIEX ALPHABÉTIQUE.
Soj (rivière), 452, 483*.
Sok (rivière), 775.
Sokol'ka. 455.
Solanka (rivière). 685.
Soldaia. 842.
Solikamsk, 751, 762*.
Solbiisa, 122.
Solonibala, 643.
Solovetzkiy (îles), 620, 635*.
Soilzi, 581', 602.
Solvcsborg, 178.
Soi-Vilchegodsk, 638.
Sopefti. 709.
.Sort), 41', 53.
Sorô (ile), 71.
Soroki, 555*, 557.
Sorotchinlzi, 537.
Sosna (rivière), 805.
Sosnilza, 524*, 544.
Sosnovetz (ilol), 625.
Sounhcs, 507.
Soubotov, 555.
Soudak, 842.
Soudja, 557.
Soukhinilc'ii, 712*, 756.
Soukhona (rivière), 614*. 657.
Soukhoum-Kaleh, 705.
Soul'a (rivière), 536.
Soulina, 558.
Soumî, 537*, 544.
Soura (rivière), 741, 755.
Souvando (lac), 567.
Souzdai, 504, 728*.
So2tzdalie7ts, 655.
Souzeniskaya, 620.
Spassk. 756.
Spilzberg (ile), 254.
Spitzbergen (archipel de). 247.
Spitzbergen (We.sl), 255.
Stadil-fjord. 9-
Slad(cap), 78*. 119.
Slaket Sund, 189.
Slangenas (péninsule), 133.
Slanitza Ouroupinskaya, 806.
SUins Foreland, 254.
Staraya tadoga ou Aldcigidjorg,
588.
Staraya Rousa. 582*, 602.
Slarilza. 707, 711*.
Slariy Bikhov, 485*, 487.
Slarîv Krîm ou Eski Kriin, 843.
Slariv Oskof, 808*, 814.
Slarohelsk, 810, 814*,
Siarodoub, 524*, 544.
Starodoubye, 484.
Slaro-Konstanlinov, 486*, 487
Slaro-Tclierkask, 810.
Slaszôw, 410, 419*.
Stavanger, 160,16.5*, 171, 224.
Slavauger-Ijord, 219.
Slaven (ile), 71
Slavropol, 769
Stege, 13.
Stehka (kourgans de). 662.
Stenkjaer, 134.
Slerlitamak, 764*, 765.
Slcvns Klint (falaises), 15*, 24.
Slîr (rivière), 485.
Sljern-fjord, 113.
Stockholm, 122, 181*, 190,
Sln-Mogil', 547.
Stor Afvan (lac), 103.
Stor-fjord, 259.
Store-Borgefield (plateau), 59.
Storsjii (lac), 105.
Storsjôn (lac), 196.
Stougna (rivière). 553.
Strib, 29.
Strômsholm. 00.
Stromstad, 174.
Suédois, 56, 139*.
Sulitjelraa(monts),59*, 60, 125.
Sund ou Oresund, 15.
Sundswall, 60, 197*, 109.
Suunan-Skog, 60.
Suomen-Selka (colline), 318'.
527.
Suoini ou Suomenmaa, 552.
Suphellebrae (glacier), 64.
Suur-Tytters (ile). 320.
Suwaiki, 419.
Svatoï Nos (promontoire), 604.
Sveaborg, 544*, 908.
Svealand, 156.
Snear, 159.
Svelvigen (courant de), 162.
Svenborg, 29*, 40, 55.
Svenskar ou Suédois. 1 79.
Svenla (rivière), 439.
Svcnziany, 439, 442*.
Svcrdviken (défilé), 79.
Si etloie ou Svetlovar ( lac ) ,
756.
Sveloï (cap), 253.
Svir (rivière), 505', 587.
Svisiûich (rivière), 483.
Sviyaga (rivière), 664, 771*
Swarliscii (glacier), 59*.
Sylfjeld (mont), 60*, 04
Taasinge (ile), 12*. 19.
Taberg (mont), 61*, 181.
Taganai (mont), 683.
Tagaurog. 814', 817.
Taganrog (rade de), 780', 792,
Taïpala, 567.
Talvick (glacier), 59.
Tambov, 756.
Tanimeifors ou Tanipere, Ôi4*.
548.
Tana, 789. Sli*.
Tana-elf, 58.
Tanaïs, 789.
Tapliros, 853.
Tarachicha, 555*, 5ii.
Tarando (rivière), 110.
Tarkan-Kout, 855.
Tarnopol (plateau), 145.
Taroiitino, 712.
Tarîmes, 29-2, 295, 596, 516,
748*, 850.
Tasmin (rivière), 555.
Taira (mont), 02.
Taures, SiC.
Tavastelnis, 551, 542, 544*.
Tavasles, 292, 554", 577.
Tchaousi, 484.
TcliatirDagh (mont), 819*, 841.
Tchechicha (rivière), 600.
Tchemliar, 806.
Tcherdii'i, 701.
Tcheremisses, 552, 741*
Tdicropovelz, 709.
Tclierkasî, -498, 555*, 544.
Tclionno, 411 .
Tchernaia (rivière), 841 .
rdiernigov, 443, 525*, 514.
Tchernozom, 443.
Tchertouijik (rivière), 499.
Tchertorij- (coulce), 552.
Tchigirin, 497, 55.5*, 544.
Tchija (rivière), 600.
Tchistopol, 765.
Tchorna Mogila, 500.
Tcliorniy Yar, 604.
Tchorlovo Gorodichlche, 703.
Tclwudes, 558*. 378, 629.
Tchoudskoio-0/ero (lac), 501.
Tchoufonl-Kaleli, 852.
Tchougouyov, 808*, 814.
Tchoukhni, 577.
Tchousovaya (riv.). OOli, 702".
Tchonvaches, 747.
Teiri-harju (colline), 518", 519.
Tclclii, 459, 442*.
Tcloinarkon, 104.
TcU-Pos ou Ncpubi-.Niiir (nionO.
008.
Tcmnikov, 720*, 750.
Tendra (île), 472.
Tepe Korman ou Tolic Keiinnn,
850.
Tepl'ars, 755.
Terre de Gilcs ou de Gillis, 270.
Terre du Nord-Est, 248". 252.
235.
Terre de Witlic, 271.
Tersk (rote de), 022
INIiKX Al.l'IlAliKlinrE.
Tetcrcv (rivière), 452, 519*.
Tlieodosia, 845*, 845.
Thisfed. 27*, 55.
Thorsininde, 9.
Thorsnutcn, 74.
Thy. 27.
Thyra (tertre funéraire de), 28.
Tikhava Sosna (rivière), 805.
Tikhvin, 387*, 602.
Tikhvinka (rivière), 587.
Tiligoul- (lac\ 468*. 470.
Tiligoul (rivière), 464.
Tim, 524.
Tinian (iiioiils), 604.
Tingshôg, 189.
Tioto (île), 96.
Tiounskiy Kaineii (collines), 603.
Tiraspol, 55.5*, 357.
Tistedals-elv, 137.
Tivcdcn (massif), 00.
Tivcrtzi, 494.
Toclia (rivière), 727.
Tol'staya Mogila, 341.
Tomaszôw, 410*, 419.
Tonsberg, 162*. 100, 171,215.
Top (lac), 535, 612*.
topioïe, 561.
Tor, 809.
Torctz (rivière), 809.
Torglialten (île), 71.
Torjok, 708*, 711.
Torki. 494.
Tornea, 542.
Torneâ (rivière). 1(19. 110".
342.
Tornea Trxsk (lac), 105.
Toropelz, 459, 581*. 002.
Torskininde, 9.
Toiskoïe Gorodilchlche, 809.
Tolma, 057, 645.
Toula, 713*. 756.
Tourla (fleuve), 4(i0.
Touriaki, 536, 557.
Toiirov, 4S5.
Toiitchkov, 558.
Touzia (saline), 470.
TouzJov (rivière), 810.
Transund, 547.
Trapezos (mont). 819.
Tivllelmrg, 93, 134. 177. 178*.
Treiircnherg (golfe de). 209.
Troilza (couvent di-), 724.
Troïtzk, 726, 750*.
Troki, 455.
Trollhaltan, 21 G.
Trollliatlan (cliiile de), lit.
Trollliallan (défilé et canal do).
174.
Troniso, 71,93,122, 170*, 171.
201.
951
Tiondlijein, 78, 63, 124, 108*,
171.
Trondhji.'m (fiord de), 1 1 3, 1 CS*.
ïrondlijem (plateau), 57.
Troubchovsk, 524*, 544.
Trouliej (rivière), 355.
Tsiganes, 143, 596*.
Turek, 409*, 419.
Tvedestrand. 103*, 100.
Tver, 038, 701, 711*. 775.
Tvertza (rivière), 708.
Tykocin, 418*, 419.
Tvras (fleuve), 460.
Tyri-(jord (lac), 105*, 104.
Tzagan (rivière), 003.
Tzaregrad, 515.
Tzaritzîn, 774*, 778.
Tzaiov, 775.
Tzai-ov Kourgan (colline), 003.
Tzarova (rivière), 605.
Tzarovka (coulée), 777.
Tzarskoïe-Selo, 601*, 602.
Tzîinlanskaya, 807.
Tzitrakhah, 777-
Tzna (rivière), 720.
U
Udbvhoi. 28.
Lddcvalla, 174*, 199.
Uleâ (lac), 518.
Uleâ (rivière), 542*. 528.
l'ieàborg. 54"2*, 548.
Lleiî-tr;isk (lac), 527*. 529.
Ulriksdal (château), 188.
Umcîi, 122*, 197.
l'meS (rivière). 109.
Upsiila, 122, 182. 189*, 199.
LIraniborg (observatoire d'), 173.
Vadsfi, 93. i;)3, 17U*.
Vacrholiiien, 74.
Vaga (rivière), 01 4. 055, 658*.
Vaigalch (ile), 608*, 644.
Valaain (ile.s), .368.
Valdaï. 636.
Valdai (plateau de), 5G2.
Valki, 808. 814*.
Valoiiiki, 808, 814"
Vainhus. 190.
Varangcr-fjord, 33. 37, 1 l.i*.
Vardo. 122, 170*, 25 4.
Varéiiues, 30, 590*.
Varègiies (péninsule des), 170.
Varnitza, 333.
Varsovie ou \Vars?a\va, 401.
412*, 419, !I08
Vasilkov, 555* -514
952
V'atilchi, 712.
Vatka, 7U4*, 712
Valka (livièro), 741, 752
Vazma. 480% 487.
Vazma (rivière), 480.
Vefsen (rivière), 59.
Tejle, 27*, 42, 54.
Vejle (fjord de), 4, 10, 27*.
Yellj, 440*, 442.
Velikava (rivière), 561*, 580.
Velikiyatouki. 581*. 602.
Velikiy ioiig (lac), 459.
A'elikij- Oiist-Youp, 1)58*, 643.
Vetiko-Russes, 490.
Vereya, 725*, 736.
Verkhne-Ouralsk, 778.
Verkniy iomov, 726, 736*.
Vtfses, yiS.
Tester Àlen (arclii|)cl), 70.
Vestfjord, 70, 115, 211*.
Yelka, 484.
Vellanka, 776.
Veliouga (rivière), 742, 756*.
Yiborg, 28*, 42, 55.
Yîborg (golfe de), 325.
Yîchgorod (colline), 528.
Yîchniy Ytrfolcliok, 708*, 7H.
Vig, 75.
Yi'a (couvent de), 702.
Yîg (lac), 612.
Yiliya (rivière), 455.
Yiikomir, 459, 442*.
Vilkov, 558.
Vilno, 385, 435*, 442.
Yira (rivière), 6i3.
Yinnitza, 545*, 551 .
Yirz-jarv (lac), 359, 565*.
Yistule ou Visfa (tlcuve), 394.
Yitba (rivière), 440.
Yilchesda (rivière), 584, 613*.
Yiiebsiv, 440*, 442.
Yiadimir, 728.
Ylaiiiinir-Volinskiv, 504, 485*,
487.
Yladimir-Zale.skiy, 304.
Yhidîvostok, 315.
Yogoulcs, 552, 751*.
Yofga (Oenve), 278, 285, 654*.
YolginoYerkhovyc (rivière), 657.
Yolgo (lac), 658.
Yoikhonskiy Les, 656.
YoJkliov (rivière), 475, 51)5*,
568, 585.
Yolkovisk, 455, 442*.
Vo-logda, 632, 657*, 615.
Yolsk ou Voljsk, 773*, 778.
lM)i;\ Al.l'IlAliÉTIQI !•:.
Yoltcbansk, 808, 814*.
Yordingborg, 40.
Vorîka ou Verka (rivière), 613.
Yorings-fos (cascade), 115.
Yornine (rivière), 110.
Yoronej, 805*, 814.
Yoronej (rivière), 782*, 805.
Yorskla (rivière), 558.
Vorsnia. 728.
Yoskresensk, 724.
Voskresenskoie, 756.
Votcx. Votènes ou Voi'aks, 578.
752*.
Vouksa ou Voksa (fleuve), 566.
Yozhesensk, 546*. 551, 9il.
Voznesenskiy, 729.
W
\Varbcrg. 94, 175*.
^Varla, 409, 419*
AYarta (rivière), 406, 409*.
^Vasa, 542.
Washolin, 211.
NYaxliolm (forteresse), 189.
NYendeu (château), 384.
AYendcn (Suisse de), 359.
^Venern (lac), 101.
AYenersborg,80, 107,174*,199.
WeselSngen (lac), 94.
^Yeslarfold. 55.
Wester Dal-elf, 60.
^Yesteras, 92, 194*, 199.
Westerâs (fjords de), 105.
AVestervik, 179*, 190.
Wettem(l.ir),60,91.102*,l03.
Wexid, 178*, 199
Wiborg, 542, 347*, 348, 908.
XN'iche's Land, 270.
Wieprz (rivière), 394, 412*.
AYiken (hic), 225.
Wilanov, 417.
\Yilczek (pointe de). 616.
\Yilczek (trrre de), 275.
AVilkowyszki, 419.
Willmanslrand, 548.
NYindau (rivière), 361, 385*.
\Yiiidau (ville), 585.
\Visl)v. 122, 1 79,1 98*, 190, 584.
AVising, 181.
Wislica, 11(1
\Yladvs-fa\Mnv. li'.l
\Y.locia«rk. ils-, 119
Wln.hnvii. US*. 119.
\Vl,»ia\vka, 518.
Wola, 417.
\Yollin ou Vincta, 588.
\Yorms (île), 566, 575*.
\Vuoxen (rivière). 52 i, 328, 566
Yagarlîk, 460.
Yalpoukh (linian), 470.
Yalta, 841.
\auipo, 555
Yarosiavi, 658, 709*, 711.
^assî, 555.
Yalv'agues, 596*, 427.
Yatzolda (rivière), 450, 485.
Yayitzk, 780.
Ycfremov, 756, 805,814*.
Yegoi-yevsk, 725.
Yekaterinbourg, 290, 681*.
Yekaterinorfav, 539*, 544.
Yolabouga, 765
Yelatiiia, 726
Yeletz, 805*. 81 i.
Yelisavelgrad, 540', 551
Yeltou (lac), 674, 678*, 776.
Yeni-Kaleb, 845.
Yeni-Kaleh (détroit de), 797*,
844.
Yeri'a, 759.
Ymesfjeld (mont). 62*, 64.
Youg (rivière), 614.
Yougor (détroit de), 645.
Yourak. 628.
Yourma (mont), 683.
Ystad, 95, 134, 178*, 199.
Zadonsk, 805*, 814.
Zamosc, 411*, 419.
Zaporoyucs, 498.
Zaraisk, 725.
Zastavi, 486*, 487.
Zduiiska Wola. 409*, 419.
Zemailey, 428.
Zemlansk, 805*, 814.
Zemuoi Poyas, 607.
Zeiikov, 537, 544*.
Zgierz, 409, 419.
Zichy (terre de), 273.
Zimniya Gorî (ninnls), 607.
Zir'anes, 292, 651*, 750
Zlatooust, 685, 764*, 765
Znamenka, 540.
Zoloteliov. 808*. 814
Zotolonocha, 555*, 544.
Zoubtzov, 707.
Zvenigorod, 545*, 551.
TABLE DES CARTES
1. « Ibntiigncs » du D:inemnik 4
2. De Ringkjôbing à Aggcr avant 1863 <j
3. Fyinet les iles méridionales 15
4. Sjalland et les îles méridionales 14
5. Bornliolm , 16
6. La pointe de Skagen 20
7. Baie do Vijle 27
PI. I. Copenhague, le Sund et lise-fjord 31
8. Copenhague 55
9. Korsôr 41
10. N'ombre proportionnel des bœufs, des porcs et des moulons dans les pays d'Europe. . . 44
11. Chemins de fer du Danemark 49
12. IleMagero 5!)
15. Profil du l'aile Scandinave 60
14. Promontoire de Kullen 61
15. Plateaux et montagnes de la Norvège méridionale 63
16. Archipel d'ilols dans le Skjargaard norvégien 69
17. Oland et détroit de Kalmar 72
18. Massifs quadrangulaircs de la -Norvège méridionale séparés par des cluses 77
PI. II. Le Sogne-fjord et les glaciers de Juetedal '9
19. Dramins-f|ord et courant de Sverdvikcn 79
20. Fjords comblés au nord du Lindesnies 82
21. (Christiania o( ses îles Î*J
22. Asar de la Suède orientale °"
25. Asar dans le bassin du Dal-clf '"
24. Lacs Wenern et Wellern H'I
25. Lac Malarcn • '02
26. « Traits d'incision » de la iSorvcge méridionale, d'après Kjerulf 105
27. Lacs au sud-ouest de la Norvège • '"^
28. Lacs du Telemarken '"'
29. Le Tyri-fjord '•"S
30. Isothermes de l'air en Norvège "'
51. Anomalies de température dans la péninsule Scandinave 120
52. Écarts de température enlre les mois d'élé et les mois d'hiver . l'-îl
55. Finlandais et Lapons de la Suède sepicntrionale 14''
34. Bas Glonnnen, Sarpsborg et Frederikstad 1'J6
35. Draramen cl Dramms-clv '"'
954 TABLE DES CARTES.
56. Kiagerô el Jomfniland 165
57. Bergen 167
58. Trondlijem. . . . . , 169
59 Gôleborg et bas Gota-elf 172
40. Landskrona 176
41 Falsterbo et Skanôr 178
42. Norrkôping et Finspfing. 180
l'I. !II Stockholm et ses environs 185
45. Upsala 190
44. Cours de l'Arboga 193
43. Densité de la population Scandinave en 1872 202
46. Proporlion comparée du territoire agricole en Norvège, en Suède et en Danemark. . . 204
47 Pêcheries du Vest-fjord. 211
48. Fjord de Slavanger 219
49. Nombre proportionnel du tonnage des navires en 1876 et 1877 220
TiQ Profil du canal de Gota ou de Golhie 225
51 Chemins de fer de la péninsule Scandinave en 1879 225
32. Vardb 254
55. Carlskrona 242
34. Archipel du Spilzberg 252
53. Banquises du Spitzberg en 1869 258
36. Baie de la Recherche en 1 839 239
37 Smcerenburg 268
38. Terre de Wiche et iles nouvellement découvertes 270
39. Archipel de François-Joseph 274
PI. IV. Hauteurs de la Russie 279
60. Pluies de l'Europe orientale 286
61. Ligne des températures moyennes d'été et d'hiver en Russie 288
62. Isothermes de la Russie 289
63. Distribution des Slaves au neuvième siècli-. 296
64. Kourgans de Tchernigov 299
65. Déplacement des centres de la puissance slave 309
66. Conquêtes successives de l'empire russe 511
67. Parallélisme des affluents du golfe de Botnie 321
68. Étangs et tourbières parallèles en Finlande 322
69. Le Punga-llarju 525
70. Canal d'érosion de lloyliainen 523
71. Lac de lloyliainen 526
PI. V. Lacs de Finlande 527
72. Iles d'.Uand o 529
73. AViborg et sa baie , , . c , 547
74. Canal de Saïma 535
73. Collines parallèles de Dorpal 561
76. Delta changeant de la Dùna et des Aa , , 503
77. Iles de PEhslonie , 566
78. lievel ,...<,« 578
79. Riga en 1873 585
80. Libau , . 584
81. Balancement de l'État polonais à l'ouest et à l'u^l ... 589
82. Chainc de la tysa Gôra ^ . . 594
83. Mouvement de la popuLilion polonaise de 1816 à 1881 •404
84. Varsovie. . '412
83. Pays dis Lithuaniens cl prmcipauté de Lithuanie •iSl
8C. Lacs et marais dans le couverucmcnt de Vilebsk 425
TABLE DES CARTES. 955
87. Limites des catholiques et des orlhodoïes en Litliuanie 429
88. Viino 45g
8'J. Vilebsk , 440
90. Dùnaburg 441
91. Montagnes de Kremenetz. ... 444
92. Marais de Pinsk avant rassèchemenl 449
93. Lac Jid 45'2
9i. Rive haute du Di'iepr en amont de Tcherkasi 4.53
95. Cours inférieur de la Desna 454
96. Rapides du Dhepr 4;,7
97. Partie du Dneslr moyen. 4Q5
98. Padî des steppes 4(55
99. Village entourant une mare 4(|(;
100. Village au fond d'un ravin, près de Yekaterinoslav 467
101. Ravins granitiques à l'ouest du Diiepr 408
102. Limans orientaux de la Bessarabie 409
103. Liman de Tiligoul 47I
104. Smolensk 4SI
105. Borisov et la Berezina 482
100. Brèche de Doubno . 480
107. Déplacements historiques de l'Oukraine 4S8
108. Kourgans de Podgorodskoye, près de Yekaterinos^l'av 494
109. Khortilza 498
110. Proporlion des catholiques dans la Yaîinie, la Podolie et la Kiyovie. 512
111. Populations diverses de la Russie du sud-ouest. 51."i
112. Juifs de la Vo4inie, de la Podolie et de la Kiyovie 517
115. Berdilchev et Jitomir 519
114. Limite de la région des forêts et de celle des plateaux nus 520
115. Bransk 523
110. Kiyev 528
117. Pereyaslav 534
118. Marais du Tasmin 556
119. Krementchong 557
120. Pollava .')39
121. Nikopol, ancienne et nouvelle sitch 5il
122. Bas Ingouletz 542
125. Kherson et le bas Dnepr 545
121. Ulcbakov et Kinbourn 548
125. Odessa 549
120. Khotin, Kameiîetz et ravins du haut Di'icstr 552
127. Akkerman et liinan du Di'iestr 556
128. Toutchkov 5.58
129. Lacs et marais du faite entre le Volkhov et la Duna 500
150. Lac Peipous 502
1 51 . touga et Narova 564
152. Onega 'j66
155. Slrii's et âsar des bords du lai- So,' 567
154. Ladoga 569
155. Lac limefi, Novgorod et Slaraya Rousa 582
156. Agrandissenienis successifs de Saint-Pétersbourg 590
PI. VI. Saint-Péterabourg et «e« environ* 59 j
157. L'isthme de Kandalakcha 005
158. Péninsule de Kanin • - ... 605
159. Oural du Nord CIO
950 TABLE DES CARTES.
140. Basse Pelchora G18
141. McrBlanchu 621
142. Iles Solovetzkiy C56
145. Arkhangelsk et les bouches de la Dvina 642
144. Ile (le Vaigaich et détroils de Kara cl de Yougor 644
145. Malotchkin Char 650
146. Souices de la Volga et de la Duna 657
147. Foréls tremblantes, près de Nijniy-Novgorod 661
148. Haute rive de la Volgii 662
PI. VIL Bouches de la Volga 665
149. Volga et Akhlouha , 665
150. Manitch oriental et basse Kouma. . . ^ . . , . , 672
151. Manitch occidental 675
152. Steppes salines et lac Yeiton ... 678
153. Steppes au nord de la Caspienne. . , 680
154. Chaines divergentes de l'Oural du Sud 682
155. Cours inférieur du fleuve Oural 6Si
156. Proportion des incendies dans les diverses provinces de la Riissti- 696
157. Vichniy V'olotchok 707
158. Toula 715
I.V.I. Moscou 718
160. Champ de bataille de Bordino ou de la « Moskova • 7-25
llil. Nijniy-Novgorod • 750
162. Mouvement commercial de la foire de Sijniy-Novgorod, de 1817 à 1884 734
165. Populations divei-ses de la Volga moyenne et de la Kama 748
164. Passages de l'Oural moyen 763
165. Populations diverses de la Volga moyenne 768
166. Simhirsk 772
167. Boucle de Sîzran 773
1(18. Ancien cours de la Volga en aval de Tzariiziii. 775
'(ÎO. Isthme entre Don et Volga • - 785
170. Ovrags ou ravins desséchés dans la vallée du Don 786
171. Bassin houillcr du Doi'iclz 788
PI. VIII. Sud de la Russie 789
172. Delta du Don 790
173. Délrnit de Yeui-Kaleh 795
174. Détroit de Genitchesk 796
175. Populations diverses du versant de la nierd.Vzov 801
176. Khai-kov 807
177. Vallée du Donetz, près de Slavansk 809
178. Novo-Tcherkask 811
179. Roslov et Nakhitchevan 812
180. Péninsule de Berdansk 816
181. Tchath- D.agh et y.iila voisines 820
182. Pointe sud-occidentale de li Crimée 858
185. Côte de Valla 842
184. Densité de la population de l'Hiuope orientale 846
PI. IX. Peuples de l'Europe orientale 847
185. Siipirlicies comparées de la Russie d'Europe, de l'empire russe et di' l'Europe occidentale. 847
180. Populations comparées dis mêmes contrées 847
187. Densité des villes en Russie 850
188. Koursk 851
189. Lnnitcs des céréales el de la vigne en Russie 858
^90. Relard sur le |iaicmcnt du prix do rachat des terres d.uis 1. s diverses provinces. . . . 8C"
TABLE DES CARTES. 957
191, Mines d'oi- du district de Zlatooust , 809
•19'2. Répartition par provinces des industries non passibles de l'accise 87i
195. Mouvement des principales industries de la Russie, sans la Pologne, de 1805 ;i 188 I , . 876
194. Mouvement commercial de la Russie 885
195. Canaux de la Baltique à la Volga 884
190. Chemins de fer de la Russie 887
197. Mouvement des élèves dans les gymnases et les universités de la Russie, de 1808 à 1877 . 890
198. Proportion des exilés de droit commun en Sibérie, suivant les provinces, avant la
réforme judiciaire 899
199. Lignes de Medjiboj 908
200 Nikolajev et liraan du boug 911
201. Production des alcools et produit de l'accise sur les eaux-de-vie en Russie 913
158
TABLE DES GRAVURES
I. — Le Hlmmelbjerg. (Dessin de Tavlor, d'après une pholographic.) 5
II. — Rochers de Uelligdomnien. — Côle septentrionale de Bornholm. (Dessin de
F. Sorrieu, d'après une photographie.) 17
III. — Copenhague, le Slots canal. — Vue prise du château do Christiansborg. (Dessin
de U. Clerget, d'après une photographie.) 33
IV. — Château de Kronborg. — Vue prise du Sund. (Dessin de Ph. Bcnoist, d'après une
photographie.) ,"9
V, — Château de Frederiksborg. (Dessin de Barclay, d'après une photographie, i. . . M
VI. — Le Fjaîrlafjord. (Dessin de ïajlor, d'après une photographie de M. Frith.) ... 05
VU. — Lvsicr-Fjord, embranchement septentrional du Sogne-fjord. — Vue prise du
sommet du Molden. (Dessin de Fr. Schrader, d'après un croquis de M. Albî rt
Heim.) 75
VIII. — Tes du fjord de Christiania. (Dessin de Vuillier, d'après une photographie de
M. Frith.) 87
IX. — District de llardanger. — Chulc du Skj.-eggdall'ossen. (Dessin de Kiou, d'après
une photographie do M. Knudsen.) III
X. — • Oskarsborg. — Vue prise de Koon. (Dessin de Taylor, d'aprèj une photographie
de M. R. Dahllôf.). 125
XL — Maisons de provisions, près de Uilterdal. (Dessin de Taylor, d'après une photo-
graphie de M. Frith.) 127
Xn. — Types et costumes. — Intérieur d'une maison suédoise. (Dessin de Lix, d'après
nature.) 141
XIII. — Types et costumes de la Laponle. (Dessin de Lix, d'après des pholngraphifs.). . 140
XIV. — Église de Uilterdal. (Dessin de Tajior, d'après une jiholographic.) 103
XV. — Stockholm. — Vue prise du Saltsjon. (Dessin de Taylor, d'après une photographie
de M. Joli. Jaeger.) 185
XVI. — Cathédrale d'Upsala. (Dessin de l'h. Bcnoist, d'ajirès une photographie de
M. Joh. Jaeger.) IHI
XVII. — Maison de Gustave Wasa. — (Dessin de Bénédict, d'après une photographie de
M. 0. Wikiund.) 197
XVIII. — Types et costumes du llardanger, du Sœterdalen et de l'intérieur de la Norvège.
(Dessin de Lix, d'après des photographies.) 207
XIX. — Chutes de Trollhaltan. (Dessin (le Th. Webcr, d"après une photographie. ) ... 221
XX. — Goteborg. — Vue prise du jardin botanique. (Dessin de Taylor, d'après une pho-
tographie) ' 22!1
XXI. — Le soleil de minuit au Spilzbcrg. — Vue prise au nord du Ilorn-Sound. (Do^«in
de Iliou, d'après une pholognphle du comte Wilczek ) 2 lit
940 TAlîLli DES GRAVLHKS.
XXII. — Spilzbei'g. — La Foul-Baj. (Dessin de Fr. Schradur, d'après une pliologiaphie
faite par l'expédilion Nordenskjold.) 260
XXIII. — Vue prise dans les sleppes du Dnepr. (Dessin de Lancclot, d'après une photo-
graphie.) 281
XXIV. — Tchorr.a Mogiia. — Kourgan près de Tchernigov. (Dessin de Taylor, d'après une
gravure russe.) 297
XXV. — Kiycv. — La Porte d'Or. (Dessin de Taylor, d'après une photographie.) .... 505
XXVI. ^ Types et costumes de la Finlande. (Dessin de Sirouy, d'après des photographies.). 553
XXVIl. — Helsingfors. (Dessin de Taylor, d'après une photographie.) 545
XXVIli. — Ny-Slott. (Dessin de Tli. Weber, d'après une gra\ure russe.) 549
XXIX. — lîiga. (Dessin de Kœrner, d'après une photographie.) 563
XXX. — Revel. (Dessin de Pli. Benoist, d'après une photographie.) 579
XXXI. — Szlachticz polonais de la Volinie. (Dessin de Sirouy, d'après une photographie de
M. Haoult.) 599
XXXII. — Couvent de Czeslochowa. (Dessin de liarclay, d'après une. photographie.) . . . . 407
XXXIII. — Varsovie. — Le théâtre et le palais Lazicnki. (Dessin de Taylor, d'après une pho-
tographie.) 415
XXXIV. — Disons de la forêt de Bel'a-Veja. (Dessin de Taylor et de Valette, d'après un croquis.) 425
XXXV. — Vilno. — Vue du faubourg de Snipiszki. (Dessin de Baudouin, d'après une
photographie.) 457
XXXVl. — Le Dnestr. — Vue prise près de Mogilov. (Dessin de Taylor, d'après une photo-
graphie.) 46 1
NXXVIl. — Ruines du château d'Ostrog. (Dessin de Taylor, d'après une photographie.). . . 477
XXXVIII. — Type Malo-Russe de la Podolie. — Paysan du village de Panovtzi. (Dessin de
Ronjat, d'après une photographie.) 489
XXXIX. — Gouvernement de Poltava. — Staroste, juif et soldat retraité à Borispol. (Dessin
de Sirouy, d'après des photographies.) 493
XL. — Ty(ics Malo-Russes. — Le kobzar Ostap Veresai et un lirnik. (Dessin de Sirouy,
d'après une photographie.) 503
XLI. — Roumain de Podolie. (Des.«in de Ronjat, d'après une photographie.) 511
XLIl. — Types et costumes du gouvernement d'Oroi'. (Dessin de Delort, d'après une pho-
tographie de M. Raoïilt.) . . 521
XLIII. — Pèlerin à Kiyev. (Dessin de Ronjal, d'après une photographie.) 527
XI.IV. — Kiyev. — La tavra. (Dessin de Taylor, d'après une photographie.) 529
XLV. — Forleresse ancienne de Kanienetz. (Dessin de Taylor, d'après une photographie.). 555
XLVl. — La .Neva à Siinl-Pétershourg. (Dessin de Taylur, d'après une photographie de
M.M. Lachenal et Favre.) 571
XLVII. — Église construite sous Ivan le Terrible, près de Novgorod. (Dessin de l.aiicelot,
d'après une gravure russe.) 585
XLVIII. — Saint-Pétersbourg. — Perspective iNevskiy. (Dessin de 11. CIcrgel, d'après une
photographie.) 591
XLIX. — Chàleau et jardins de Pelerliof. (Dessin de Barclay, d'après une photographie de
MM. Lachenal et F.ivre.) " 599
L. — La Dvina. — Vue pri.-e près d'Arkhangelsk. (Dessin de Th. Wober, d'après un
croquis de M. Moynet.). 615
LI. — Pilote Samoyède. (Dessinde Ronjal, d'après une photographie du comte Wilczek.). 629
LU. — Vue générale d'Arkhangelsk. (Dessin de 11. Clerget, d'après une photographie.) . 659
LUI. — Vue prise dans le Matofclikin Char. (Dessin de Riou, d'après une pliotographie du
comte Wilczek.) 647
I.IV. — ConOucnt de l'Oka et de la Volga. (Dessin de Taylor, d'après une photographie.). 059
LV. — Types cl costumes grands-russiens de Nijniy-Novgorod. (Dessin de Ronjal, d'après
une photographie de M. Raoull.) 687
LVI. — Type de Grande Russiennc. — D.sirict d'Ardatov, gouvci nemeiit de Novgorod.
(Dessin de Ronjat, d'après une photographie.) 089
TABLE DES GRAVURES. 941
LVir. — Kosiroma — Couvent d'IIypathe. (Dessin de Barclay, d'après une photographie.). 697
L\III. — Gouvernement de Toula. — Types et costumes. (Dessin de Ronjat, d'après une
photograptiie de .M. Raoult.) 715
LIX. — Moscou. — La Place Rouge. — Église de Saint-Vasiliy, groupe de Mmin et
Pojarskiy el Porte de la Résurrection. (Dessin de Barclay, d'après une pho-
tographie.) 721
LX. — Nijniy-Novgorod. — Le champ de foire, vul- prise de la rive droite de l'Oka.
(Dessin de H. Clerget, d'après une photographie.) 751
LXI. — iNijniy-Xovgorod. — Tombeau de Minin dans la crypte de l'église de la Trans-
figuration. (Dessin de Thérond, d'après une photographie.) 753
LXll. — Gouvernement de Simbirsk. — Types tchérémisses. (Dessin de Ronjat, d'après
une photographie de M. Raoult.) 745
LXIII. — Kazan. — Le Kreml. (Dessin de Barclay, d'après une photographie.) 759
LXIV. — Ancien chemin de fer à traction de chevaux du Don à la Volga. (Dessin de
Th. VVeber, d'après une gravure russe.) 785
LXV. — Kcrlch et le mont Mithridate. (Dessin de Taylor, d après une photographie com-
muniquée par M. Rambaud.) 795
LXVI. — Voronej. — Vue générale. (Dessin de Taylor, d'après une photographie.). . . . 805
LXVIl. — Falaise et couvent de Saint-Georges. (Dessin de Taylor, d'après une photographie). 821
LXVIII. — Tombeau des rois scylhes, près de Kerlch. Dessin de Taylor d'après une photo-
graphie comumniquée par M. Rambaud 827
LXIX. — Grottes de Djoufout-Kaleh. (Dtssin de Taylor, d'après une photographie ). . . . 855
LXX. — Rocher d'inkerman. (Dessin de Vuillier, d'après une photographie. 1 859
LXXI. — La fenaison en Oukraïne. (Dessin de Férat, d'après des photographies.) .... 855
LXXII. — Yaila. (Dessin de Th. VVeber, d'après une photographie.) 871
LXXIII. — Port d'Odessa. (Dessin de Rarclay, d'après une photographie.) 879
LWIV. — Moscou. — Le Kreml. (Dessin de Barclay, d'après une photographie.) 895
LXXV, — Maison des RomanoT, près de Kostroma. (Dessin de II. Clerget, d'après une pho-
tographie.) 893
LXXVI. — Baie de Sébaslopol. (Dessin de Th. Weber, d'après une photogra[ihie.). . . . 909
TABLE DES MATIÈRES
CHAriTRE I. — Le Danemark 1
Chapitre II. — La Pésixscle Scasdi.nave. — Norvège et Suède 55
Gouvernement cl administration de la Norvège 251
Gouvernement et adminislration de la Suède 256
Chapitre III. — Les Iles de l'Océas Glacul bEirope 245
Chapitre IV. — La Russie d'Europe. 277
I. Vue d'ensemble 277
II. Finlande 517
m. Provinces Balliques. — Ehslonie, Livonie, Courlande (Ehstland, Livland,
Kurlanil) 557
IV. Pologne, Polska 586
V. Bassins de la haute Diina et du Neman. — Lithuanie (LitTa), Grodno,
Vitebsk ._ 420
VI. Bassins du Dnepr et du Dnesir. — Itussie Blanche, Petite Russie, Nou-
velle Russie 442
VII. Région des Grands Lacs. — Ingrie et Karélie, Novgorod et Saint-
Pétersbourg 559
VIII. Versant de l'océan Glacial, Laponie russe, Oural du .Nord, iNovaya
Zemla. — Provinces d'.\rkhangeisk et de Vologda 602
Novaja Zemla 644
IX. Bassin de la Volga et de rUural. — Granlc Ru.ssic 654
Haute Volga jusqu'à Xijniy-Xovgorod. — Gouvcrncmcnls de Tvci-, de
YaroslavI, de Koslroma 706
Bassin de l'Oka. — Gouvernements d'Orot, de Katouga, de Toula, de
Moscou, de Razan, de Vfadimir, de Tambov, de Nijuiy-Sovgorod . . 711
Moyenne Volga et Kaina. — Gouvernements de Kazan, Vatka, Penh, Oufa . 757
Volga inférieure. — Gouvernements de l'enza, Simbirsk, Samara,
Saralov, Astrakhan 765
Steppes du iN'ord. bassin de l'Oural. — Gouvernement d'Orcnbourg,
armée de l'Oural 778
X. Bassin du Don, mer d'.-Vzov. — Gouremements de Voronej cl de Kliar-
kov, territoire de l'armée du Don 781
944 TABLE DES MATIERES.
XI. Crimée . 817
XII. État inatéiiel et social de la Russie , 843
XIII. Gouvcineinent et administration de la Russie. . ç 892
Liste des gouvernements 915
IS'ole o 919
Index analytique 921
T.nble des caries r 955
Table des gravures , . . 959
Table des matières . . ^ 945
'J038. — Typographie A. Laliurc, rue de Flounis 9. à Paris.
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G Reclus, Elisée
115 Nouvelle géographie
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t. 5
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